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Full text of "Iles de la Grèce"

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L'UNIVERS. 


«• 


HISTOIRE  ET  DESCRIPTION 


DE  TOUS  LES  PEUPLES. 


ILES  DE  LA  GRÈCE. 


i- 


PARIS.  —  TYPOORAPniE  PK  FIRHIN  DIDOT  KRJvHFU^,  nVV.  JACOB,  6<> 


ILES 


DE  LA  GRÈCE, 


M.  LOUIS  LACROIX,  J 


kUCan   BEMBIIE  DE  L'ÉCOLE  KRINÇAUE  D'IT 

PROFEUKUn    n'HIiTOlBB  AU    LICËE    iapfiKUL  DE  LOV 

«GBÉGÉ  MU  FkCDLTte  DB8  UrmiE*. 


PAKIS, 

FIRMIN   DIDUT  FRÈRES,    EDITliURK, 


t  ^  *' 


\    ^  \ 


PREFACE. 


J'ai  réuni  dantee  volume»  sous  le  nom  i^Iles  de  la  Grèce ,  toute»  les  lies 
de  la  Méditemmée  orientale,  depals  Chypre  Jusqu'à  Gorfou,  de  Vmt  à  l'ouest , 
et  depuis  les  Iles  des  Prinees  Jusqu'à  celle  de  Candie,  dans  la  direction  du  nord 
au  sud.  Toutes  ces  lies ,  ooeupées  dès  la  plus  haute  antiquité  par  des  popula- 
tioDs  d'origines  diverses ,  sont  devenues  au  temps  de  l'expansion  de  la  race 
bellàiique  une  annexe  du  domaine  continental  qu'elle  s'était  fait  au  midi  de 
l'Earope  et  i  l'oeddent  de  l'Asie.  Les  Grées,  après  en  avoir  assujetti  ou  déplacé 
les  aneiens  habitanU,  en  ont  dépossédé  les  Phéniciens,  qui  les  exploitaient 
commercialement,  s'y  sont  installés  en  maîtres,  et  les  occupent  encore  aujour- 
d'hui, libres  dans  quelques-*une8,  soumis  dans  les  autres  w^t  à  la  domina- 
tion desTureSy  soit  au  protectorat  de  l'Angleterre. 

Qud  qu'il  en  soit  de  la  situation  politique  de  ces  lies,  elles  sont  toutes 
restées  des  lies  grecques  au  point  de  vue  ethnographique,  et  leur  histoire 
est  ]e  complément  de  l'histoire  de  la  Grèce»  dont  elles  ont  constamment  par- 
tagé toutes  les  destinées.  Aussi  le  plan  général  de  ce  livre  aurait-il  été  le  même 
<rie  celui  d'une  liistoire  grecque,  si  J'avais  pu  présenter  celle  des  Oes  en  un  seul 
tableau  ;  mais  la  nature  même  du  svfjet  rendait  impossible  toute  unité  d'exécu* 
tioD.  La  vie  individuelle,  si  prononcée  déjà  pour  les  cités  de  la  Grèce  continen- 
^1  l'est  bien  plus  encore  pour  les  llesgreeques,  que  la  mer  éloigne  les  unes  des 
i^Qtres,  i^foutant  ainsi  ses  flots  et  les  distances  à  ces  nombreux  motifi  d'isolé- 
<i^t  qui  à  tonte  époque  ont  divisé  les  peuples  grecs.  En  sorte  que  dans  cette 
iùstoire  Je  n'ai  pu  flaire  autre  chose  qu'une  série  de  notices,  de  monographies 
diitiiictes,  dont  les  plus  considérables,  telles  que  Chypre,  Bhodes,  les  Cy- 
<^iades,  contiennent  toutes  les  considérations  générales  que  comporte  le  sujet. 

Toutes  ces  notices  sont  distribuées  conformément  à  la  position  géographique 
à^  lies  ou  groupes  d'Iles  dont  elles  présentent  la  description  et  rhistoire. 
^^  cette  sorte  de  périple  à  travers  l'Archipel ,  Je  me  suis  toujours  avancé 
à'orient  en  occident,  prenant  l'Ile  de  Chypre  pour  point  de  départ,,  et  les  lies 
Ioniennes  pour  terme  de  ma  course.  De  plus,  toutes  les  monographies  de  ce 

'^^coell  ont  été  traitées  d'après  un  plan  uniforme.  Je  les  divise  ordinairement 
en  cinq  parties  :  la  description  et  la  géographie  comparée,  l'histoire  ancienne, 
le  tableau  de  la  civilisation  dans  les  temps  anciens ,  le  récit  des  événemeute 
da  Qoyen  âge  et  des  temps  modernes ,  enfin  l'exposition  de  l'état  actael.  Pour 

^  grand  nombre  de  ces  lies,  le  peu  d'importance  de  leur  histoire  et  la  pénn* 
'le  des  renseignemente  ne  m'ont  pas  permis  de  remplir  entièrement  toutes  les 

ÎLES  DE  LA  GR£CE>  U 


n  PRÉFACE. 

divisions  da  plan  que  Je  m'étais  tracé  ;  mais  J0  Tai  fait  pour  les  plas  eonai- 
dérablesy  pour  celles  qni  m'offraient  un  fonds  complet  et  suivi  d'événements 
historiques.  Quant  aux  moindres  lies.  J'ai  essayé,  en  les  gro*  ^ani  d'une  ma- 
nière méthodique,  d'en  présenter  des  tableaux  d'ensemble  lUs  satisfistisants 
pour  l'esprit,  et  de  remédier  par  là,  autant  que  possible,  au  morcellement 
même  du  sujet. 

Aucun  éerivalii)  si  ce  n'est  le  Hollandais  Dapper,  n*avait  entrapris  de 
réunir  en  un  seul  reeuetl  l'histoire  de  tontes  les  Iles  grseqnesi  mais  te  livre  de 
Dapper,  composé  au  dlx^septlème  siècle,  décrit  nn  état  sodal  et  géographique 
tout  à  (ait  modifié  anjourdlinl,  et  il  ne  traite  l'histoire  que  d'une  maBière 
Incomplète  et  confuse.  Ans^  tout  restait  à  refkira  de  nouTCan,  et  J'ai  dû  aller 
chercher  les  matériaux  de  est  ourrage  dans  une  mnltitttde  d'aotenn  où  ils 
étaient  dispersés,  dans  les  géographes  et  les  historiens  de  l'antiquité,  dans  la 
Collection  byzantine  et  dans  la  BlÛiothèqne  des  croisades  pour  le  moyen  âge, 
dans  les  voyageurs  des  trois  derniers  tAMeê ,  dans  une  foute  de  dIssertatioBs 
spéciales,  dues  principalement  à  l'infatlgabte  curiosité  dés  éradits  de  l'Alle- 
magne. J'ai  puisé  mes  renseignements  sur  l'éM  aetttel  de  ces  lies  dans  les  pu- 
bllcatloas  les  plus  récentes,  dans  les  articles  des  revues,  dans  les  relatiOBe  des 
touristes,  dans  tes  ehanceltertes  des  consulats,  dans  les  souvenirs  de  mes 
propres  courses  è  travers  l'Àrehipel ,  dans  la  conversation  et  les  communica- 
tions d'hommes  tostrults  que  des  missions  scientifiques  ou  leur  positim  ofil- 
dette  avaient  mis  à  même  d'étndier  à  fond  la  sltuathm  de  ces  contrées,  eemme 
M.  de  Mas-Latrie  pour  l'Ile  de  Chypre,  et  M.  Hitler  pour  l'Ile  de  Crète.  A  ces 
derniers  titres,  quelques-uns  de  mes  confrères  de  TEcote  d'Athènes  m'Mt  elfr 
caeement  aidé  dans  mon  travail,  par  te  secours  de  leurs  Intéresiantes  publies* 
tions,  et  J'ai  largement  mis  à  profit  les  fragoients  publiés  par  M.  Beiiotl  sur 
les  lies  de  Délos  et  de  Santorin,  et  te  savante  dissertation  de  M<  Girard  sur  111e 
d'Bubée.  Je  tiens  aussi  &  remercier  publiquement  de  leur  concours  sélé  et  ln« 
telligent  MM.  A.  Jacobs,  F.  Oger,  C.  Port  et  P.  Longuevilte ,  archivistes  pa- 
léographes ,  ou  Kcendés  ès4ettres  de  la  Faculté  de  Paris.  Je  leur  al  confié  la 
rédaction  de  quatre  des  notices  qui  composent  ce  recueil ,  celles  des  ties  de 
Saroos,  de  Chfo,  de  Lesbos  et  d'ÉgIne.  Mes  actifs  colloborateurs  n'ont  reculé 
devant  aucune  des  exigences  du  plan  que  Je  tenr  avais  tracé,  et,  après  des  re- 
cherches consdencteuses  et  approfondies,  ils  m'ont  présenté  quatre  bonnes  no- 
tices, que  nous  avons  travaillé  en  commun  A  compléter  et  à  améliorer  encore, 
et  que  Je  soumets  avec  confiance  h  l'apprédatlOD  du  lecteur.  Ordce  à  te  réunion 
de  tant  de  lumières  et  de  bonnes  votentés,  toutes  les  parties  de  ce  reeoell  ont 
été  étudiées  à  fond  et  traitées  avec  un  égal  soin  ;  tes  gravures ,  les  cartes,  les 
plans  annexés  au  texte  ont  été  l'objet  de  la  même  sollidtude,  et  s'il  reste  en- 
core beaucoup  à  faire  et  k  dire  sur  les  fles  grecques,  c'est  qu'en  histoire,  eottme 
en  toute  autre  science ,  nul  ne  peut  se  fiatter  de  donner  un  résultat  définitif. 


r" 

I 


IBÉFACfi.  Mi 

Dos  «D  HvieAe  68  genre,  dootles  matérfanx  loUpdtéiàtaiit  46ioafMi| 
fë  pcDié  qaf  I  élilt  de  mdn  devoir  de  citer  lonjoiim  et  exaeteraeDt  mes  aato* 
îMê^  poorfàdlfteràd'aatreftdeiMnivelleis  reAerehes  et  leurefllrlrla  vérlfleaUoii 
da  met  aeierlioiis  et  de  mes  redis.  Dans  cette  intentloa,  Je  me  inls  attadié  awil, 
aotant  qa*f I  m'a  été  poarible ,  à  indiquer  la  bibliographie  des  ouvragée  ep^ 
eiaox  publiée  sur  les  liée  grecques.  La  liste  en  est  asses  nombreuse,  quoique 
je  ne  me  flatte  pas  de  la  donner  complète  ;  Je  l'ai  composée  de  tous  les  ou^ 
rrages  que  J'ai  réunis  et  dont  J*ai  pu  Mre  usage.  Cependant  lien  est  quelques- 
uns  dont  Je  n'ai  connu  que  les  mres,  et  que  Je  n'ai  pas  laissé  de  signaler 
comme  les  autMs.  Ce  sont  des  tiièses ,  des  exerelcee  académiqueSi  comme  11 
s'en  ftlt  taol  dans  les  laborieuies  universités  de  TAnemagne,  que  l'on  ne  con* 
Dilt  au  loin  que  par  les  catalogues  ou  les  revues  blbUographlques.||Ghaque  fois 
qu'après  de  patientes  recherches  Je  constatais  qu'une  de  ces  monographies 
tait  fntroavaUe  peur  mol  Je  me  prenais  à  regretter  qu'il  u'existAt  pas  entre 
les  académies,  les  universités,  et  tous  les  grands  corps  savants  de  l'Europe  des 
édiangee  et:des  communications  assurées  de  toutes  leurs  publications. 

Non  content  d*avolr  donné  une  idée  de  la  manière  dont  J'ai  conçu  et  exécuté 
eetouvrage,  J*âi  à  eceur  de  dire  que  dans  l'accomplissement  de  ma  tâche  J'ai 
été  constamment  soutenu  et  encouragé  par  le  désir  de  m'aequitter  de  la 
dette  que  J'ai  contractée  envers  l'École  française  d'Athènes.  Cet  établissement 
fut  fondé  en  1846 ,  sous  le  mhiistère  de  M.  de  Selvandy ,  dans  lé  but  d'aug- 
menter les  lumières  du  corps  enseignant,  et  de  mettre  à  la  disposition  de  ses 
membres  Aes  moyens  d'instruction  qui  leur  étalent  demeurés  Jusque  là  inter- 
dits, rai  ea  l'honneur  de  faire  partie  de  la  colonie  de  fondation,  qui  fut  placée 
sous  la  direction  de  M.  Davèluy ,  et  qui,  par  l'union  parfaite  de  son  chef  et  de 
aes  membres,  sut  consolider  rétablissement  nouveau  et  lui  faire  prendre  racine 
sor  le  sol  grec.  Tout  le  temps  de  notre  mission,  qui  devait  être  de  deux  ou  trois 
ans,  fut  consacré  à  étudier  l'antiquité  sur  son  propre  terrain,  à  prendre  des  le- 
çons de  la  Grèce  elIC'^méme  ;  enseignement  fécond,  qui  complète,  explique  et 
rectifie  si  avantageusementtselui  des  livres.  L'examen  des  ruines ,  des  courses 
archéologiques,  des  études  de  topographie  nous  apportaient  chaque  Jour  des 
explications,  des  lumières  nouvelles  et  inattendues,  et  c'est  dans  ce  sens  que 
mms  pouvions  nous  appliquer  ce  vers  d'Horace,  qui  au  besoin  servirait  de  de« 
îise  à  l'École  française  d'Athènes  : 

Adjecere  bonœ  paulo  plus  artîs  Athenœ  *. 

Comme  Horace  aussi,  les  troubles  civils  de  notre  patrie  nous  amebètent  à 
ses  studieux  loisirs: 

DvrtMd  anofere  loco  not  tempera  greio, 
CiTîluqoe  rudes  belli  Uilit  œstas  in  arma. 

'  Hor.,  Bp.^  I.  n,  2. 

a. 


Jt  PRÉFACE. 

Quatre d'eatxo nous fiirait cri>Hgés  de  regagner  laFraoeeyàlaiIndelMSy 
avant  le  terme  de  leur  mi«9k>n;  mais,  plus  heureux  que  le  poète  latin,  ikm» 
vîmes  se  dissiper  les  appréhensions  de  la  guerre  civile ,  et  bientôt  un  pouvoir 
énergique  raffermit  l'État  ébranlé.  L'École  d'Athènes ,  dont  Texistence  était 
devenue  précaire  et  chancelante,  fat  adoptée  par  le  nouveau  gouvernement,  et 
l'activité  de  ses  membres,  dirigée  et  excitée  par  rimpulsion  de  l'Académie  des 
Inscriptions  et  Belles-Lettres ,  prit  enfin  son  essor. 

Alors  ils  publièrent  à  l'envi  des  thèses  ingénieuses  et  savantes,  des  rela- 
tions de  leurs  excursions  scientifiques  ;  ils  recueillirent  et  interprétèrent  des  ins> 
criptions  inédites,  et  ils  entreprirent  des  explorations  et  des  fouilles  dont  les  ré- 
sultats sont  déjà  féconds  et  glorieux.  Les  suffrages  de  la  Faculté  des  Lettres  de 
Paris  n'ont  pas  manqué  aux  thèses  de  MM.  £.  Burnouf  et  Lévéque  sur  le  culte 
de  Neptune  dans  le  Péloponnèse  et  sur  l'esthétique  de  Phidias.  L'Académie  a 
accueilli  avec  faveur  les  intéressants  rapports  de  MM .  Mézières,  Beulé  et  Girard 
sur  leurs  explorations  dans  la  Morée ,  la  Thessalie  et  l'Eubée.  Enfin  les  im- 
portantes découvertes  de  M.  Beulé  à  l'Acropole  d'Athènes  ont  vivement  excité 
l'attention  et  les  applaudissements  des  savants  et  des  artistes. 

A  ces  travaux  déjà  accomplis  lyontons,  pour  faire  connaître  Tardear  de 
cette  Jeune  école,  ceux  que  Ton  prépare  et  qui  vont  paraître  :  hk  thèse  de 
M.  Hanriot  sur  les  démes  de  l'Attique  ;  celle  de  M.  Gandar  sur  Ithaque  et  le 
royaume  d'Ulysse  ;  le  livre  de  M.  Benoit  sur  la  comédie  grecque  ;  les  mémoires 
justificatifs  de  M.  Beulé  sur  ses  fouilles  à  l'Acropole;  les  études  de  M.  Guérin 
sur  Patmos  et  Samôs,  de  M.  About  sur  Égine,  et  des  explorations  ordon- 
nées pour  la  description  de  Delphes  et  du  Parnasse  et  pour  la  topographie  de  la 
Grèce  orientale.  Quant  à  moi ,  désirant  m'assoder  à  cette  féconde  activité  de 
mes  confrères,  j'ai  accepté  avec  joie  l'offre  que  me  fit  M.  Didot,  en  1850 ,  de 
me  charger  de  l'histoire  des  lies  grecques  pour  sa  grande  collection  de  L' Univers 
piUoresque.  Un  voyage  en  Egypte ,  une  tournée  sur  les  côtes  d'Asie  Mineure 
et  à  Gonstantinople  m'avaient  permis  de  parcourir  l'Archipel  en  tout  sens.  Cette 
circonstance  atténuait  à  mes  yeux  les  difficultés  de  l'entreprise,  en  me  fetisant 
espérer  que  je  pourrais  utiliser  dans  mon  travail  ce  petit  surcroît  à'ars  bona , 
comme  dit  Horace ,  que  les  historiens  doivent  toujours  à  la  connaissance  des 
pays  dont  ils  parlent  et  que  les  membres  de  l'École  d'Athènes  vont  demander 
au  séjour  de  la  Grèce. 

Tel  est  le  mouvement  scientifique,  si  actif  dès  ses  débuts ,  auquel  a  donne 
naissance  l'École  française  d'Athènes ,  institution  éminemment  libérale,  qui 
avec  le  temps  contribuera  puissamment  à  conserver  et  h  ranimer  chez  nous 
les  études  classiques ,  et  qui  à  l'exemple  de  l'Académie  de  Rome ,  sa  sûeur 
aînée,  prendra,  je  l'espère,  une  place  honorable  et  définitive  parmi  nos 
grandes  institutions  nationales. 


L'UNIVERS, 


00 


HISTOIRE  ET  DESCRIPTION 

DE  TOUS  LES  PEUPLES, 

DE  LEURS  REUGIONS   MŒURS,  COUTUMES,  etc. 


^^^t%mt^^m  %,■% 


ILE  DE  CHYPRE  ^'K 


I. 

GÉOGBAPHIB  PHYSIQUB  ET  POU- 
TIQUB  J>£  L'1L£  D£  CHYPBB. 

DlPFBBBirTS     NOMS     DB    LtlB     DB 

Chypbb.  —  En  général  toutes  les  con- 
trées de  randmiîté  sont  connues  dans 
lliifitoire  sous  difTérents  noms.  L'tle  de 
Chypre  en  avait  reçu  un  grand  nom- 
bre (3);  mais  la  plupart  d*entre  eux  n*a- 
vaient  point  été  acceptés  par  le  commun 
Qiaee  :  oe  n*était  que  des  dénominations 
mies  appliquées  à  l'Ile  tout  entière,  ou 

(i)  Ouvrage  spéciaux  sur  l'histoire  gé- 
ncrtlede  l'île  de  Chypre  :  i^  Meursius,  Creta, 
Crpnu,  Rfwdu*  ;  Arostdodami,  1676,  in-4®; 

—  2^  le  P.  Estienne  de  Lutignan,  Description 
ajoute  tisU  dé  Cjpre,  iii-4®,  i58o;  — • 
3*  Domioique  Jauna ,  Histoire  générale  des 
roraitmesdBCxpre,  de  Jérusalem,  <t Arménie 
et  it Egypte,  a  vol.  in-4<»,  Leyde,  1747;  — 
4"*  Rriiihardt,  FoUstandige  Gesclùclite  der 
Konigreiehs  Kjrpern^  a  voL  in- 4*»,  1766;  — 
5'Eiiigel,  Kfpros,  a  vol.  in-8®,  Berlin,  1841  ; 

—  6«  Gratiani,  Histoire  de  la  Guerre  de  Cliy' 
pn,  traduite  par  le  Pelletier,  10-40,  1701; 
~-  ?•  ioredano,  Istoria  dei  Re  Lusignani, 
««laite  par  H.  Giblet ,  a  vol.  in-xa ,  Paris, 
»:3*;  ~  $•  Mariti,  Foyage  dans  tile  de 
%/»«,  la  Syrie  et  la  Palestitie,  a  vol.,  Paris , 
«791  ;  —  9»  M.  de  Mas-Lalrie  ,  différents  ar- 
ticles relatifR  à  lliisioire  de  Chypre  sous  les 

1'*  Uvraiion.  (  Ilb  db  Chypbb.) 


des  noms  mythologiques  empruntésàdes 
légendes  fort  contestables,  ou  même  de 
simples  épithètes  poétiques.  Ainsi  on  ra« 
vait  appelée  :  Aeria,  à  cause  de  la  pureté 
de  son  air  ou  du  héros  Aerias  ;  ASrosa , 
de  ses  mines  de  cuivre;  Jmathowtia, 
d*Amathonte;  Aphrodisia,  d' A  phrodite; 
Aspefia,  mot  phénicien  qui  indiquait  sa 
position  maritime  ;  ColiniCf  le  pays  des 
collines;  Cerastis,  des  différents  pics 
qui  la  surmontent  ;  Kryptos^  Ttle  basse, 
mot  ^ec  qui  traduit  peut-être  i*épithète 
phénicienne  d*Aspelia;  Macaria,  Ttle 

Lusignans  et  h  Tétat  actuel  de  File,  insérés  dans 
la  Biïliothèaue  de  f  École  des  Chartes,  i*"'  série,* 
t.  Y  ;  a^  série,  t.  I  et  II  ;  dans  les  Archit^es  des 
Missions  scientifiques,  numéros  de  mars  et  sep- 
tembre iS5o;elaans  le  Correspondant  dejum 
et  d'août  1847.  —  Nous  nommerons  ici  une 
fois  pour  toutes  le  livre  de  Dapper  :  Descrip* 
tion  exacte  des  Isles  de  tArcn^el,  iu-fol.; 
Amsterdam,  1703  :  vieux  ouvrage  plein  de 
bons  renseignements,  qui  traite  de  toutes  les 
Iles  étudiées  dans  ce  recueil,  et  que  nous  n'a- 
vons pas  la  prétention  de  rendre  inutile. 

(a)  Lusignan  commence  sa  Description  de 
toute  tisle  de  Cypre  par  ces  mots  :  «  On  de- 
vroit  plustôt  nommer  ceste  isle  Polyonyme, 
que  Cypre  (oooflne  pour  le  jour  d'huy  un  rap- 
pelle), pour  ce  que  on  lui  a  attribué  plusieurs 
et  divers  noms,  la  variété  desquels  Fa  rendue 
célèbre  et  très-renommée  par  tout  le  monde.  » 

1 


L'UNIVERS. 


heureuse;  Meionis,  par  allu^ou  ^uU 
être  à  une  colonie  de  Méoniens  qui  s'y 
serait  établie  dans  les  temps  anciens; 
Ophiusa ,  rtle  des  Serpents  ;  Paphos, 
nom  d'une  ville  étendu  à  Fîle  entière; 
Sphekela,  Ttle  des  Quépes,  et  tharsis^ 
nom  phénicien  (]ui  ^a^pelle  celui  deTar^ 
tessus,  et  qui  paraît  signifier  la  terre  des 
métaux  (1).  Mais  les  deux  noms  seuls 
usités  chez  les  anciens,  et  seuls  histori* 
gués»  sont  ceux  de  Kittim  et  de  KyproSy 
dont  il  importe  de  rechercher  Torigine 
et  la  signincatibn. 

Le  nom  primitif  de  Tîle  de  Chypre 
était  celui  de  Kittim  ou  Chétin].  Touç 
les  pays  de  Taotiquité  portèrent  d'abord 
le  nom  de  la  première  famille  ou  tribu 
qui  les  occupa.  C'était  en  imposant  son 
nom  au  sol  que  l'homme  sighiliait  qu'il 
en  avait  pris  possession,  et  l'île  de  Chy- 
pre reçut  le  sien  de  ses  premiers  habi- 
tants. «  Chétim,  fils  de  Javan,  fils  de 
Japhet ,  dit  Josèphe  (2) ,  s'établit  dans 
nie  qu'on  nomme  maintenant  Cypre,- 
à  laquelle  il  donna  son  nom  ;  d'où  vient 
que  les  Hébreux  nomment  Chétim  toutes 
les  lies  et  tous  les  lieux  maritimes.  Et 
encore  aujourd'hui  une  des  villes  de  l'Ile 
de  Cypre  est  nommée  Citium  par  eeux 
qui  imposent  des  noms  grecs  à  toutes  cho- 
ses; ce  qui  diffère  peu  du  nom  de  Ché- 
tim. »  Les  Phéniciens,  ees  descendants 
de  Cbanaan ,  qui  donnèrent  aussi  à  Ttle 
de  Chypre  la  plus  grande  partie  de  sa 
population  primitive ,  ne  la  désignèrent 
jamais  autrement  que  par  les  noms  de 
Kittim  ou  de  Chétim.  On  n'en  connais- 
sait pas  d'autre  dans  toute  l'Asie  occi- 
dentale. Au  contraire  le  nom  de  Kypros 
est  le  seul  dont  les  Grecs  se  soient  ser- 
vis historiquement  dès  les  temps  d'Ho- 
mère et  d'Hésiode.  «  Isidore  et  Honorius 
prétendent  qu'elle  ait  reçu  ce  nom  d'une 
grande  et  ancienne  ville  qu'il  y  avoit  au- 
trefois. Quelques  autres  veulent  qu'elle 
en  soit  redevable  à  la  déesse  Vénus, 
adorée  sous  celui  de  Cypris  par  ses  an- 
ciens habitants.  D'autres  soutiennent 
au'on  en  doit  rapporter  l'origine  à  la 
nile  de  Clnyras,  premier  roi  de  cette  île, 
appelée  Cyprus.  On  pourroit  dire  avec 
plus  de  vraisemblance  qu'elle  fut  ap- 
pelée ainsi  à  cause  ae  la  grande  quantité 


(r)  Pline,  Hisi.  Nat.,  V,  35. 
(a)  Jos.,  Ant,  Jud.,  I,  7. 


de  cdivre  qu((  ses  premiers  habitants  y 
trouvèrent,  puisque  c'est  dans  ce  même 
sens  qu'elle  fut  nommée  jiùrosa  du  mot 
latin  jEs,  qui  signifie  du  cuivre,  de  même 
que  cuprum  (1).  *»  Or,  aucune  de  ces  éty- 
mologies  ne  rarhène  le  tiotn  ds  Cyprè  à 
sa  VéhtsblesOuh:é.  Lé  mot  grec  Kyfn^s, 
d'où  il  dérive  évidemment,  ne  signiiie  ui 
cuivre  ni  cyprès ,  comme  on  l'a  pré- 
tendu queljjuefois  :  d'est  le  nom  d'un  ar- 
buste ^ue  ies  Phéniciens  et  les  Hébreux 
appelaient  kopher,  mot  d'où  les  Grecs 
ont  tiré  cdui  de  kj/pros,  mti  est  formé 
des  mêmes  éléments.  De  la  fleur  et  du 
fruit  de  cet  arbuste  on  composait  des 
huiles  et  des  parfums  très-recherchés , 
qui  dans  l'antiquité,  comme  dans  les 
temps  modernes,  étaient  un  important 
article  de  commerce.  Tout  porte  à  croire 
âne  les  Grecs ,  qui  négociaient  avec  les 
Phéniciens  de  l'Ile  de  Kittim,  prirent 
l'habitude  de  la  désigner  par  le  nom  de  la 
plan  te  qui  produisait  un  de  ses  princi  paux 
objets  d  exportation.  Ce  fut  là  qu'ils  ap- 
prirent à  connaître  le  kypros  ;  et  ils  ap- 
pelèrent l'île  de  son  nom,  de  même  qu'ils 
avaient  donné  à  l'tlede  Rhodes  le  nom  de 
la  rose,  qui  f  croît  en  abondance.  Voilà 
Texplication  la  plus  vraisemblable   de 
Torigine  du  nom  de  Tîle  de  Chypre  :  elle 
était  admise  par  les  anciens  eux-mêmes, 
et  a  été  recueillie  par  Etienne  de&yzance, 
d'après  lequel  sans  doute  Kustàthe  la 
répétée  (3).  Ce  nom  de  Kypros  ou  Cyprus, 
employé  par  les  Grecs  et  les  Latins ,  a 
passé  dans  toutes  les  langues  de  I  Eu- 
rope moderne.  Les  Allemands  et  ies  Fla- 
mands, dit  Dapper,  prononcent  et  écri- 
vent Cypru9  (bien  que  les  premiers  era- 
f>loient  quelquefois  le  mot  de  Cyprès)^ 
es  Italiens  Cipro  et  les  Français  Cypre. 
Les  Arabes  nomment  cette  Ile  Cupris, 
et  la  plupart  des  Turcs  HCibl^Ué  Depuis 
Dapper  l'orthographe  de  t;e  nom  s>st 
modifiée  dans  notre  langue.  Fénelon  n*c* 
crit  jamais  que  le  niot  Cypre.  Le  traduc- 
teur de  Dapper,  de  1702,  écrit  de  même. 
Le  traducteur  du  f^oyagè  de  l'abbé  Ma- 
riti,  dont  lé  \ï\te  parut  en  1791,  ne  su 
sert  jamais  que  du  mot  de  Chypre,  dont 
l'usage  a  tout  à  fait  prévalu  de'nos  jours. 
Il  est  à  croire  que  même  au  dix-sep- 

(i)  Dapper,  Descr.  des  isies  de  ^Archipety 
p.  aa. 
(a)  Cf.  Engel,  Kypiw,  t.  f,  p.  14^ 


ILE  DE  CHYPRE. 


tièm«  sièrie  «  au  t«fnp»  où  l'on  écrivait 
toDjoors  Cypre,  la  pmfiondâticA  de  oe 
mot  M  ropproeliait  di»  Itt  pronotieiatioti 
italienne  «  et  qu'en  modifiant  l*ortho^ra« 
phe  on  n*a  ftit  que  la  mettre  en  eonfoi^ 
mité  a?ee  le  aon  du  langage  (1). 

POSITIOIV     ÔÉOGKAPHTQtJfe    BT    DI* 

Miifstona  BË  iitLc  DC  Ghtphe.  --*• 
Llle  de  Chypre  est  située  dans  la  partie 
la  plus  orientale  de  la  Méditerranée  ^ 
antre  lo  golfe  de  Pamphjlie  (solfe  de  Sat- 
Ulie)  Cl  le  golfe  d'Issus  (golfe  d'Aléxan- 
drette),  Id  mer  de  Syrie  et  la  mer  d*É- 
lypre  (3).  Sa  ohaltie  principale  eourt  dans 
une  direction  parallèle  à  celle  des  mon* 
lignes  de  lA  Citieie,  dont  elle  est  séparée 
par  un  eenal  de  quinte  lieues  de  lar* 
|ror  (  Aulon  Cilieius).  LMle  de  Chypre 
s'étend  à  peu  près  du  30*  au  32*  degré 
de  longitude  et  du  S4<'  90'  au  Sd",  30"»  de- 
gré de  latitude.  Elle  forme  un  triangle 
allongé,  à  côtés  inégaux,  dont  les  trois 
sommeta  aont  le  cap  Dinaretum  à  Test, 
le  cap  Acamaa  à  Touest,  et  le  cap  Curias 
au  sud.  Le  côté  le  plus  oonsidérable  est 
celui  du  nord,  qui  court  de  l'ouest  à  l'est, 
avec  une  légère  inclinaison  vers  le  nord,  et 
qui  est  oompris  entre  le  cap  Acamas  (cap 
Saiot-Eniphane)  (8)  et  le  cap  Dinarète 
(eap  de  Sain  t-And  ré).  De  cette  côte  septen- 
trionale ae  détachent  deui  promontoires, 
le  eap  Callinusa  à  Tooest  (cap  d*Alexan- 
drette,  ou  de  Limnito  selon  Dapper)  et  le 
eap  ]lromtiiyo&  à  l'est  (aujourd'hui  eap 

(i)  Ifotis  nods  eonformerom  àl'asage  ordl" 
Biireeo  nottt  scManl  du  mot  Chypre  pourThi^ 
toirenodcrae,  et  totitft  les  foi*  que  nous  par- 
Icroin  de  l'll«  en  général.  Mail  il  nous  parait 
plut  coufome  à  la  vérité  liisiorique  de  coa- 
tcnrer  raiicieuDe  ortiiograplie  cl  d'éci'ire  Cy- 
pK  eo  irailant  fpécialeiDeBt  de  i'hiiioire  au- 
àeoae  de  cette  île. 

{a)  Dan  ville,  Mémoire  sur  la  géographie 
de  Piie de  Crpre  {Académ,  des  Inscr,,  KXXII, 
p,  5a5);  MaQtK;rt,  Géogr,  d.  Allen.,  VI, 
p.  â48. 

(3}  Capo  ai  Sanl-Èpiphaiiio,  communément 
cùpo  dl  San-PI/a/ii.  Dan»  Talias  calalaa  du 
<luaiorziènie  siècle,  publié  oar  MM.  Buchon  et 
Tutu  dans  la  Collection  des  notices  et  ma- 
ttutcrilf,  t.  XIT,  p.  Ï04,  ce  cap  est  appelé 
Sattcti'Bffnmi  ^  et  le  cap  Saint- André  est  ap- 
pelé eavo  Sattuto-jifuiré,  Les  noms  de  la  géo- 
Sophie  moderne  de  l'ile  de  Chypre  viennent 
éa  Itafiens  et  des  Catalans,  qui  éuient  nailres 
weooMMrae du  Levant  au  moyen 


Gormaohittî,  Comamiito  dans  l'Atlas 
catalan  ).  !«  côté  sua-ouest,  qui  s^étend 
du  cap  Acamas  au  cap  Curiaa  (cap  Délia- 
Gréa),  est  la  plus  petit  des  trois*  C'est  un 
rivage  déeou  pé  en  baies  nomlnreuBes  et  hé- 
rissé de  plusieurs  promontoires^  qui  sont 
dans  la  géographie  ancienne  les  caps 
Drepane,  Zephyrium  «  Arsinoé  et  Treta 
ou  Phrurium,  aujourd'hui  cap  Dropono, 
Chelidonio,  cap  Blanc^  et  cap  des  Chats 
(Biancho,  délie  Gatte) .  La  troisième  côté, 
tourné  vers  le  sud-est,  moins  grand  que 
le  premier,  mais  beaucoup  plus  étendu 

2ue  le  ftecond,  est  compris  entre  les  caps 
urias  et  Dioarètei  et  projette  au  loin 
datls  la  mer  le  cap  que  Ptolémée  appelle 
ThronoT,  et  qui  est  probablement  le  cap 
Pila.  Les  anciens  n'ont  pas  eu  de  notions 
bien  exactes  sur  retendue  de  111e  de 
Cbjpre  ;  ils  la  regardaient  comme  une 
des  plus  grandes  îles  connues  de  leur 
temps;  mais  ils  la  plaçaient  tantôt  la  cln- 

auième ,  tailtôt  la  sixième  ou  même  la 
ixième  dans  l'ordre  des  grandeurs  (1). 
Strabon  évalue  le  pourtour  de  I1le ,  en 
suivant  toutes  les  sinuosités,  à  trois  mille 
quatre  cents  stades  (S),  ce  qui  fait  quatre- 
▼ingt-cino  lieues  et  demie.  Le  grand 
côté  de  rile  a ,  selon  Strabon ,  quatorae 
cents  stades  ou  trente-cinq  lieues  de  lon- 
gueur. Danvitle  ne  lui  donne  que  trente 
deux  lieues  et  demie.  On  comprend  qu'on 
ne  peut  donner  à  ce  sujet  que  des  éva- 
luations approximatives.  Les  calculs  les 
plus  récents,  qui  eux-mêmes  ne  sont 
point  encore  d'une  rigueur  absolue,  don- 
nent à  l'Ile  de  Chypre  une  superficie  de 
dna  cent  vingt  lieues  carrées ,  ou  d'un 
million  d'hectares  (8). 

MoNTAO.'VES.  —  L'Ile  de  Chypre  est 
traversée  par  deux  principales  chaînes  de 
montagnes  que  les  anciens  avaient  con- 
fondues et  désignées  par  le  même  nom. 

(x)  F'of.  Engel,  Histoire  de  Chypre^  t.  I, 

E.  aS.  Un  seul  géographe,  Agatliemenis*  éla- 
IH  exactement  le  raiiporl  d*étendiie  d<'s  îles 
de  la  Méditerranée,  il  k>s  classe  ainsi  :  Sicile, 
Sardaigne,  Cypre  et  Crète. 

(a)  Strabon,  1.  XIV,  6  ;  Tauch.,  III,  241, 
(3)  Voir  dans  les  Archives  des  Missions, 
i85o,  n.  161,  ou  àans  \t  Bulletin  de  la  So~ 
ciété  de  Géographie^  une  notice  sur  la  situa- 
tion actuelle  de  l'île  de  Chypre  et  sur  la  coai< 
tructioQ  d'une  carte  de  Tile  par  M.  de  Mas- 
Latrie, 

1. 


LUNIVERS. 


11$  les  appelaient  toutes  deux  le  mont 
Olympe.  La  plus  considérable  de  ces 
deux  chaînes  s  étend,  dans  la  direction  de 
l'est  à  l'ouest,  depuis  le  cap  Thronoî  jus- 
qu'au promontoire  Acamas  :  elle  odupe 
rlle  en  deux  versants,  dont  Tun  a  sa  pente 
vers  le  nord,  c'est  le  plus  considérable, 
et  l'autre,  de  moindre  étendue,  forme 
la  r^ion  méridionale  de  l'Ile.  De  cette 
(^atne  centrale,  qui  râiferme  le  sommet 
le  plus  élevé  de  Ttle,  le  mont  Olympe 
pro|)rement  dit,  et  dont  une  partie  s'ap- 
pelait l'Aous,  se  détachent  de  norh- 
breux  contre-forts,  qui  vont  projeter  vers 
le  rivage,  dans  le  canal  de  Ciiicie  ou  dans 
la  mer  d'Egypte,  les  promontoires  dont 
nous  avons  énuméré  les  plus  considéra- 
bles; ces  rameaux  détachés  de  la  chatne 
centrale  divisent  l'ile  de  Chypre  en  bas- 
sins d'une  médiocre  étendue,  qu'arrosent 
de  petits  cours  d'eau,  dont  quelques-uns 
ne  sont  que  des  torrents.  L'autre  chatne 
forme  le  prolongement  septentrional  de 
rtle  ;  elle  commence  au  cap  Krommyon 
et  aboutit  au  cap  Dinarète,  vers  l'orient. 
Dans  une  grande  partie  de  sa  longueur, 
cette  chaîne  longe  le  rivage ,  et  se  com- 
pose de  rochera  escarpés ,  coupés  à  pic, 
qui  de  ce  côté  rendent  i'Ue  inanordable. 
Entre  œs  deux  chaînes  principales  s'é- 
tend vers  l'orient  la  grande  plaine  de 
la  Messaria  ou  Messarée,  qui  compte 
soixantendix-huit  milles  de  longueur  sur 
trente  de  large,  et  qui  a  toujours  été  la 
contrée  la  plus  riche  et  la  plus  puissante 
de  rile  entière.  Les  pics  culminants 
du  système  orographique  de  Tlle  de 
Chypre  portent  aujourd'nui  les  noms  de 
Kantara ,  SaiulrHilarion,  Stavro-Vouni 
ou  montdelaCroix,  Troodos  et  Mâchera  ; 
mais  on  n'en  connaît  pas  exactement  la 
hauteur.  Cependant  M.  de  Mas-Latrie, 
à  la  suite  d  observations  barométriques 
faites  récemment,  a  trouvé,  sauf  erreur 
de  sa  part ,  dit-il ,  que  le  Saint-Hilarion 
est  élevé  de  709  mètres ,  ou  2,i29  pieds 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer  (1).  C'est 
ajoute-t-il,  à  peu  près  les  deux  tiers  de 
la  hauteur  du  Vésuve  et  la  moitié  du 
Puy-de-Dôme.  Le  sommet  appelé  Troo- 
dos ou  Throdos  (3)  paraît  correspondre 

(x)  Arcftives  dês  Missions,  année  x85o, 
p.  i8o. 

(ft)  Dapp«r  l'appelle  Trochodos  et  Trobo- 
dosy  p.  i6. 


à  roiympe  des  aneietts  poètes  et  géogra- 
phes. Le  paganisme  consacrait  les  hautes 
montagnes I  ses  dieux.  On  avait  élevé  sur 
celle-ci  un  temple  à  Vénus-Olympienne. 
Les  chrétiens  le  remplacèrent  par  une 
chapelle  dédiée  à  saint  Michel- Archange, 
et  les  pentes  de  la  montagne  se  couvri- 
rent de  couvents  grecs.  LeStavro-Vouni, 
voisin  des  salines  et  de  Larnaca ,  près  de 
la  côte  méridionale,  avait  été  consacré  à 
Jupiter.  La  tradition  rapportait  que  l'ini- 
pératrice  Hélène ,  mère  de  Constantin , 
avait  élevé  sur  cette  haoteur  une  cha- 
pelle où  elle  déposa  un  morceau  de  la 
vraie  croix.  Jean  Locke,  voyageur  an- 
glais, qui  visita  Jérusalem  en  l56S,donne 
une  description  détaillée  de  cette  relique. 
Aujourd'hui  l'occupation  des  Turcs  a 
transformé  ces  montagnes  en  déserts,  et 
a  fait  disparaître  tous  ces  monuments 
de  la  piété  du  moyen  âge. 

Fleuves,  Tobbents. — L'tle  de  Chy- 
pre est  arrosée  par  un  grand  nombre  de 
cours  d'eau.  Mais  la  plupart  ne  sont  aue 
des  torrents,  dont  le  lit,  même  en  ni- 
ver,  est  presque  entièrement  desséché,  et 
cela  par  l'extrême  rareté  des  pluies.  Le 
ciel  y  est  pour  ainsi  dire  d'airain,  selou 
Mariti,  et  les  historiens  assurent  qu'au 
temps  de  Constantin  il  s'écoula  trente 
années  sans  que  l'Ile  ait  été  arrosée  jpar 
la  pluie.  Si  d  un  côté  l'île  est  exposée  à 
l'inconvénient  des  sédieresses  prolon- 
gées, de  l'autre  elle  est  quelquefois  expo- 
sée à  de  terribles  inondations.  «  La  nuit 
du  dix  novembre,  veille  de  Saint- Mar- 
tin 1 330,  dit  Loredano,  la  rivière  qui  pas- 
se à  Nicosie  crut  d'une  telle  force  qu'elle 
inonda  non-seulement  les  endroits  les 
plus  bas  de  la  ville ,  mais  encore  ceux 
que  l'on  croyait  par  leur  situation  être 
le  plus  en  sûreté.  Les  eaux,  arrêtées  par 
un  pont,  menaçaient  de  tout  engloutir; 
mais  ce  pont  fut  entraîné  par  le  torrent, 
et  sa  chute  facilita  l'écoulement  des  eaux. 
Il  y  eut  néanmoins  quantité  de  maisons 
renversées  et  bon  nombre  de  personnes 
entraînées  par  le  torrent.  Cette  inon- 
dation dura  trois  jours;  la  ville  de  Li- 
massol  fut  entièrement  détruite ,  et  il  y 
périt  deux  mille  personnes.  Les  habi- 
tants des  campagnes  s'étaient  retirés  sur 
les  hauteurs,  d'où  ils  voyaient  au  loin  les 
eaux  engloutir  et  entraîner  leurs  bestiaux 
et  leurs  chaumières.  »  Le  cours  d'eau 
le  plus.oonsidérable  de  l'tle  est  cette  ri- 


IL£  DE  CHTPRE. 


fière  qoi  passe  à  Nieode,  el  que  les  an- 
cieDS  appelaient  le  Pedioeos,  qui  arrose  la 
Hessai^,  la  plus  vaste  et  la  plus  fertile 
plaine  de  Ftle  de  Chypre.  Le  Pediœos 
coule  de  Touest  à  l'est,  et  se  jette  dans 
le  golfe  de  Salamine.  Sur  la  côte  sep- 
tentrionale on  remarquait  le  Lapitbos, 
près  de  la  ville  de  ce  nom,  et  le  Clarios, 
qui  eoule  à  Touest  de  la  ville  de  Soli. 
Le  rivage  méridional  était  arrosé,  outre 
de  nombreux  torrents,  par  le  Tétios,  à 
Touest  de  Citîum,  le  Lycos  entre  Ama« 
thonte  et  Curium ,  et  le  Bokaros  entre 
les  deux  villes  de  Paphos. 

AiB,  Climat, TEMPÉBàTUBB. — Le 
elimat,  la  température  de  Ttle  de  Chypre 
ont  b^ucoup  d*analogie  avec  ceux  des 
légions  oui  Tavoisinent.  Elle  a  les 
grandes  cnaleurs  de  la  Syrie,  les  vents 
violents  et  la  sécheresse  de  la  Cilicie- 
Trachée ,  inconvénients  dont  il  est  sou- 
vent Élit  mention  dans  les  anciens  (1) , 
nuis  que  compensent  les  douces  brises 
de  la  mer  et  les  fraîches  rosées  de  la  nuit 
I>ans  rété  les  habitants  de  111e  vont 
chercher  la  fraîcheur  sur  les  montagnes, 
en  hiver  ils  redescendent  sur  les  cdtes 
et  dans  les  vallées.  En  effet  dans  cette 
saison  le  froid  y  est  plus  sensible  qu'on 
oe  pourrait  le  croire  diaprés  la  position 
du  pays,  surtout  dans  la  partie  nord,  qui 
reçoit  les  vents  glacés  du  Taurus  et  des 
côtes  de  la  Caramaiiie.  Les  sommets  de 
la  cbatoe  de  TOlympe  restent  longtemps 
couverts  de  neige.  Les  anciens  préten* 
dent  que  Tair  de  Ttle  de  Chypre  est 
mauvais  et  malsain.  On  allègue  en 
preuve  de  cette  assertion,  la  contagion 

Îui  fondit  sur  l*armée  de  saint  Louis, 
>rs  de  son  passage  en  cette  tie  Tan  1 259. 
Ceux  (|ui  ont  longtemps  habité  Chypre 
sont  d  un  avis  contraire;  et  voici  com- 
ment s'exprime  à  ce  sujet  Tabbé  Ma- 
i^it  (2).  «  Les  fièvres  tierces  et  quartes 
*ont,  il  est  vrai,  très-fréquentes  et  très- 
opiniâtres  à  Chypre  et  dans  tout  le  Le- 
^at;  mais  les  causes  n'en  sont  pas  dans 
^  malignité  de  Tair.  U  est  (Tailleurs 

(0  Martial,  IX,  9 1,9.  Injamem  nimio  calort 

Cypnm;  Solin,  c.  xx  :  Inciiatissimus  calor, 

^M  lei  Jr^rofumiques  atlribaées  i  Orphée 

«Je  est  appelée  ^ve|i6fi9aa,  y.  1 290.  Cf.  EDgel, 

*riP'««,  p.  3i. 

W  ^©rtt^e  dans  tiU  de  Chypre^  etc.,  t.  I , 
p.  5, 


fiacile  de  les  éviter.  Tai  souffert  pendant 
dii  mois  entiers  de  cette  maladie  :  mon 
expérience  peut  être  utile  à  d'autres ,  je 
vais  en  conséquence  entrer  dans  quel- 
ques détails  à  ce  sujet.  Je  ne  tardai  pas 
à  m'apercevoir  que  je  donnais  lieu 
moi-même  aux  rechutes  qui  prolongè- 
rent ma  fièvre  si  longtemps.  La  chaleur 
excessive  du  climat  entretient  une  trans- 
piration abondante  et  continuelle  ;  si 
1  on  a  l'imprudence  de  s'exposer  dans  cet 
état  au  moindre  vent ,  les  pores  se  res- 
serrent ,  et  il  en  résulte  une  suppression 
de  transpiration  qui  est  infailliblement 
suivie  de  la  fièvre  (1).  Une  autre  cause 
encore ,  ce  sont  les  liqueurs  fortes  et 
l'usage  immodéré  de  certains  fruits,  et 
particulièrement  du  concombre,  de  la 
pastèque  et  du  melon.  Les  naturels  même 
du  pays  échappent  rarement,  et  surtout 
en  été,  à  cette  espèce  d'épidémie;  mais 
ils  se  contentent  d'une  légère  saignée, 
laissent  agir  la  nature,  et  guérissent  sans 
remède ,  sans  régime,  et  avec  la  seule 
attention  de  se  priver  de  fruits.  Cette 
méthode,  je  l'avoue,  ne  suffirait  pas  aux 
Européens.  La  maladie  exise  de  leur 
part  un  peu  plus  de  soin.  Elle  n'est  pas 
sans  danger  ;  on  ne  le  prévient  que  par 
un  régime  austère  et  soutenu.  L'exercice 
du  cheval  est  encore  un  remède  que  les 
Turcs  et  les  Grecs  emploient  avec  succès, 
au  moins  pour  empêcher  les  obstruc- 
tions occasionnées  par  cette  sorte  de 
fièvre.  Ces  derniers  quelquefois ,  las  et 
ennuyés  de  ia  constante  opiniâtreté  du 
mal,  prennent  au  moment  où  le  frisson 
annonce  son  retour,  un  grand  verre  de 
l'excellent  vin  de  Chypre,  et  ce  remède 
agréable  est  un  de  ceux  qui  réussissent 
le  mieux.  » 

A  Chypre,  comme  dans  presque  toutes 
les  contrées  du  Levant ,  les  pluies  sont 
périodiques.  Elles  commencent  vers  la 
mi- octobre,  et  continuent  par  intervalle 
jusgu'à  la  fin  de  janvier.  Février  est 
moins  pluvieux,  dit  l'abhé  Mariti  (2} ,  et 

(i)  Ceat  à  dessein  qtie  j'ai  reproduit  ce 
passage,  qui  contient  d'utiles  conseils.  Tous 
ceux  qui  ont  voyagé  dans  le  Levant  reconnaî- 
tront la  justesse  de  ces  observations,  que  j'ai 
plus  d'une  fois  vérifiée  par  ma  propre  ex- 
périence ou  par  celle  de  mes  collègues  de  l'é- 
cole française  d'Athènes. 

(«)  f^oj-age  dans  Vue  de  Chypre^  etc,  l.  I, 
p.  aés. 


* 


L'UIflVraS. 


quelquefois  offre  un  ciel  sauf  nuages; 
mais  les  eaux  recommeneent  avec  force 
vers  le  milieu  de  mars  jusqu'à  la  lia 
d'avril,  hes  pluies  cessent  eu  mai,  et  sont 
suivies  de  douces  rosées  qui  entretien* 
Dent  la  fraîcheur,  activent  la  végétation, 
en  tempérant  les  chaleurs  de  juin.  Ce 
mois  écoulé,  il  ne  faut  plus  attendre  ni 
rosées  ni  pluies  ;  un  ciel  hrOlaut  dessèche 
et  appauvrit  la  terre,  et  épuise  le  culti* 
valeur  par  une  excessive  transpiration. 
Ces  chaleurs,  dont  Tintensité  augmente 
de  plus  en  plus,  seraient  insupportables 
si  l'air  n'était  rafraîehi  par  ce  vent  bien* 
faisant  qui  vient  de  ta  mer  et  tempère  les 
ardeurs  du  climat  sur  toutes  les  côtes 
de  la  Méditerranée.  Il  s'appelle  Tembat 
à  Chypre,  comme  sur  tous  les  autres 
rivages  grecs  (  1  ).  Le  vent  cesse  de  soufQer 
vers  le  niilieu  de  septembre,  et  alors 
commencent  les  plus  fortes  chaleurs; 
mais  elles  durent  peu,  et  sont  tempérées 
par  les  nuages  pluvieux  qui  couvrent 
ratmosphère  vers  la  (in  d'octobre.  Ainsi 
en  été  le  vent  du  sud  est  rafraîchissant, 
parce  au'il  6*élève  de  la  mer.  Au  con- 
traire, le  vent  du  nord  entraîne  avec  lui 
des  vapeurs  malsaines  et  brOlantes.  C'est 
le  vent  qui  vient  de  l'Asie  Mineure.  Lé- 
gèrement rafraîchi  par  la  mer  qu'il  a 
traversé ,  il  est  moins  incommode  sur  la 
cote  nord  de  l'île;  mais  il  est  aussi  mal- 
faisant qu'insupportable  pour  les  habi- 
tants de  la  région  méridionale,  où  il  ap- 
porte avec  lui  la  chaleur  des  terres  sèches 
et  brûlantes  qu'il  a  parcourues  en  fran- 
chissant la  chaîne  de  l'Olympe  (â\  Si 
par  malheur  ce  vent  souffle  sept  ou  huit 
lours  de  suite,  tous  les  fruits  sont  brûlés, 
les  plantes  séchées  et  flétries  jusqu'à 
leurs  racines,  et  la  récolte  de  l'année  est 
anéantie.  De  là  vient  que  la  disette  se 
fait  souvent  sentir  dans  cette  Ile,  malgré 
la  fertilité,  la  bonne  qualité  des  terres. 

(i)  LV|qb«t,  T^  l(iêaTi,  de  è|iSa(v(i)  ou  i(A- 
&9i<»>»  C'est  le  vent  ijui  introduit  ou  qui  s'io- 
trodiiit  dans  le  port,  qui  envahit  la  lerre.  C'est 
toi^ours,  par  conséquent,  le  veot  de  mer.  Il  y 
a  un  «ntbai  aM  Pii'ée,  et  dans  toutes  les  îles 
grecques  ;  mais  ce  nom  ne  s'applique  pas  aux 
vents  tumultueux  et  de  tempête,  il  est  ré- 
servé aux  vents  réglés  qui  soufflent  de  oier. 
.  (a)  De  même  ^  Athènes,  le  vent  du  nord 
qui  a  traversé  TEubée,  la  Diacrie  et  les  cimes 
arides  du  Parues  el  du  PenI clique  ne  procure 
aucun  rafraîchissement,  malgré  sa  violence. 


Lfg  vents  brûlants  el  la  fiÈéeheresae  sont 
les  deux  fléaux  du  paysan  cypriote  (1). 

Productions  dk  l'îlb  ns  Ghypbb. 
•<-  Les  anciens  voyaient  il  le  de  Chypre 
plus  peuplée,  mieux  cultivée,  plus  pros- 
père qu'elle  ne  nous  apparart  aujour- 
d'hui sous  la  déplorable  administration 
des  Turcs.  Aussi  prétendaient-ils  ,  eC 
cela  pourrait  être  encore  vrai  de  nos 
jours ,  qu'il  n'y  avait  pas  de  pays  plus 
fertile  et  plus  riche  en  productions  na* 
turelles.  Les  approvisionnements  y  sont 
eneore  à  si  bon  marché,  que  les  navires 
de  commerce  ont  l'habitude  de  relâcher 
à  Larnaca ,  où  ils  se  ravitaillent  à  peu 
de  frais  (3).  Ammien-Marcellin  exprime 
d'une  manière  bien  sensible  la  variété 
et  Tabondance  des  produits  de  l'île  de 
Chypre,  quand  il  dit  qu'on  peutytrou--' 
ver  tous  les  matériaux  nécessaires  pour 
construire  un  vaisseau  depuis  la  quille 
jusqu'aux  voiles,  et  le  lancer  en  mer 
chargé  de  toutes  sortes  de  provisions 
récoltées  dans  l'ile  même. 

MiNBRiux. — Cette  assertion  n'a  rien 
d'exagéré  ;  on  peut  s'en  convaincre  par 
une  énumération  rapide  des  principales 
richesses  naturelles  de  Tlle  de  Chypre. 
Le  cuivre  était  le  métal  le  plus  employé 
par  l'industrie  des  anciens.  Chypre  était 
si  renommée  par  ses  mines  de  cuivre , 
qu'on  l'avait  surnommée  /Erosa,  Le 
cuivre  de  Chypre  était  le  plus  estimé 
dans  l'antiquité,  où  il  est  souvent  fait 
mention  du  ya>x%ç  x^npio; ,  de  F  ses 
cyprium.  Ce  métal  enfin  s'appela  chez 
les  Latins  du  nom  de  Ttle  où  il  était 
si  abondant  et  de  si  bonne  qualité  ;  ils  le 
nommèrent  cuprum,  et  notre  mot  cuivre 
en  dérive.  Selon  la  tradition  (8),  le  héros 
Cinyras  avait  le  premier  découvert  et 
exploité  ces  mines  de  cuivre ,  dont  les 
plus  considérables  se  trouvaient  près  de 
Tamassus,  d'Amathonte,  de  Soli ,  de 
Curion  et  sur  le  Crommyon.  On  y  trou- 
vait aussi  du  fer,  mais  en  moins  grande 
quantité.  Poeocke  a  vu  dans  les  environs 
de  Paphos  et  de  Soli  des  mines  de  fer 
creusées  dans  les  montagnes,  ainsi  que 

(x)  Dapper;  Dtscr.  de  rjrehtpef^  p.  4i- 
(a)  Engel,  Kjrpros,  I,   p.  40;  Strabon, 

I.  XIV,  6  ;  JElicn,  Traité  des  jén'mQWt,  V, 

56;  Ammien-Marcellin  y  I.  XIY. 
(3)  Pline,  Hist,  Nat.,  Vil,  57  ;  XXXIV, 

a  ;  Engel ,  Kypros^  1. 1 ,  p.  43. 


ILE  DE  CHYPRE. 


près  de  Boie,  à  Fouest  de  Soli,  près  du 
promontoire  Acaœas,  où  il  signale  Teiis- 
(eoee  d'une  source  d'eau  minérale.  Pline 
parle  des  diaoïants  de  l*tle  de  Chypre  (  1  ), 
et  au  sièei#  /iemier  Poooeke  signale  le 
pays  de  Baffa  (Paphos)  eonime  produi- 
iaot  un  diamant  très-dur,  supérieur,  se- 
loD  lui ,  aux  pierreries  de  Kerry  et  de 
Bristol.  Mais  les  connaisseurs  refusent 
de  reconnaître  ce  produit  de  Tîte  de 
Chypre  pour  du  véritable  diamant.  On 
trouvait  eneore  dans  cette  contrée  de 
Falun  blane  ou  noîr,  de  l'amiante  dont  les 
aocieDs  disaient  une  toile  avec  laquelle 
lis  enveloppaient  leurs  morts  avant  de 
les  mettre  sur  le  bûcher,  des  émeraudes 
très-précieuses,  du  jaspe,  des  opales, 
de  l'agate,  des  saphirs,  dii  cristal,  du 
lapis-laiulî ,  des  pyrites ,  bu  pierres  à 
feo,  des  pierves  d'aigle,  du  ^pse,  de  la 
ehaux,  des  marbres,  des  pierres  meu- 
lières, et  cette  pierre  friable  appelée 
émeri,  que  les  anciens  désignaient  sous 
le  noin  de  poussière  de  Maxos.  Les  côtes 
de  rite  étaient  garnies  de  coraux.  Les 
salines  de  Chypre  étaient  très- renom- 
mées, surtout  celles  des  environs  de 
Salamineet  de  Cittium  (2),  non  loin  de 
laquelle  on  voit  encore  aujourd'hui  le 
grand  lac  des  Salines.  Telles  étaient  les 
richesses  minérales  que  llle  de  Chypre 
offrait  à  l'industrie  de  ses  anciens  habi- 
tants, et  que  l'incurie  des  modernes 
Cypriotes  laissent  enfouies  dans  le  sein 
de  la  terre,  il  n'y  a  que  les  salines  qui 
(ontinuent  à  être  exploitées  ;  les  der- 
sières  évaluations  portent  à  7,500,000 
kilogrammes,  et  à  la  valeur  approxima- 
tive de  7S,000  francs  la  quantité  de  sel 
nporté  annuellement  de  l'tle  de  Chypre. 
VÉGÉTAUX.  — Pendant  la  plus  grande 
partie  de  Tannée  les  montagnes  et  les 
▼allées  de  Ttle  de  Chypre  sont  couvertes 
dune  abondante  végétation.  L'nir  est 
rempli  des  émanations  embaumées  des 
mille  et  mille  (leurs  qui  couvrent  le  sol, 
et  dont  les  parfums  avaient  valu  à  cette 
Ile  fortunée  le  surnom  d'cùû(^T);  (3).  Le 
narcisse,  Tanémune,  l'hyacinthe,  la 
renoncule  et  quantité  d'autres  fleurs, 
aussi  odorantes ,  d'un  aussi  vif  éclat 

(i)Pliae,  ȉl.  JVirr..  XXTLVII,  i5. 
(i)  Voir  surtout  Pline  aux  livres  XXXTl 
ei  XXXVII,  [uissim. 
(3)  Engel,  Kypros,  I,  58;  Dapper,  p.  46. 


émaillent  les  champs,  les  coteaux  des 
collines ,  les  bords  des  chemins.  Mais 
nous  Bravons  pas  à  décrire  la  flore  de 
rtle  de  Chypre  ;  qu'il  nous  sufOse  d*in- 
diquer  parmi  les  produits  du  rè^ne 
végétal  ceux  qui  étaient  dans  Tanti- 
quité  et  ceux  qui  sont  devenus  depuis 
pour  les  habitants  de  Tlle  un  objet  a*ex- 
ploitation  et  une  source  de  richesse. 
Mentionnons  d'abord  le  cyprus,  cet  ar- 
brisseau auquel  Tile  dut  probablement 
son  nom.  Les  Arabes  appelaient  cette 

Î^lante  henné  ou  el  hanna  ;  les  Latins 
'ont  nommée  ligustrum,  et  les  Français 
troène;  son  nom  botanique  est  lawsonia 
aiba  (1).  Voici  la  description  qu'en  donne 
Dioscoride  :  «  Le  cyprus  est  un  arbre 
dont  les  feuilles  ressemblent  è  celles  de 
l'olivier,  si  ce  n'est  qu'elles  sont  plus  lar« 
ges,  plus  douces  et  plus  vertes.  Ses  fleurs 
sont  blanches ,  disposées  en  grappes 
et  odoriférantes.  Sa  semence  est  noire 
et  semblable  à  celle  du  sureau.  »  Pline 
le  décrit  ainsi  :  «  Le  cyprus  est  un  arbre 
d'Egypte,  dont  les  feuilles  sont  sem- 
blables à  celles  du  jujubier,  et  la  se- 
mence à  celle  de  la  coriandre,  qui  pro- 
duitune  fleur  blanche  et  odoriférante.  On 
cuit  cette  fleur  dans  de  l'huile;  et  après 
qu'elle  a  bouilli  suffisamment,  on  1  ex- 
prime, et  il  en  sort  une  huile  qu'on  ap- 
pelle cyprinum  ou  cyprium.  Le  meil- 
leur croît  à  Canopus,  sur  le  bords  du 
I^il,  le  second  à  Ascalon,  et  le  troisième 
en  l'île  de  Cypre  ;  ce  dernier  est  le  plus 
odoriférant  de  tous  (2).  »  Le  heimé  est 
un  des  arbrisseaux  que  Ton  rencontre  le 
plus  communément  en  É^^ypte ,  ou  ses 
teuilles  et  ses  fleurs  sonf  très-recher- 
chées, celles-ci  à  cause  de  leur  odeur, 
qui  ressemble  à  celle  du  musc,  celle-là 
parce  qu'elles  servent  à  teindre  en  jaune 
ou  en  rouge  certaines  parties  du  corps, 
telles  que  les  ongles,  les  lèues,  les  pau- 
pières, les  cheveux  des  femmes,  ainsi  que 
la  crinière,  le  sabot,  la  queue  des  chevaux. 
Dans  tous  les  bazars  du  Levant  on  voit 
exposée  cette  poudre  verdâtredu  henné, 
qui  est  toujours  très- recherchée  pour  la 
toilette  des  femmes  de  ces  contrées. 

Les  vins  de  Chypre  étaient  déjà  très- 
estimés  des  anciens.  Pline  parle  de  la 

(i)  Engpl,  Kypros^Tp.  64. 
(«)  Dio-^cor.,   I,    ia4;   Pline,  XII,  5'î 
XXIII,  46;  Hérod.,II,  94. 


a 


L'UNIVERS. 


grosseur  extraordinaire  de  ses  raisins , 
de  la  grandeur  des  ceps,  dont  un  seul 
avait  fourni  tout  le  t)ois  nécessaire  à  la 
construction  de  Tescalier  du  temple  de 
Diane  à  Éphèse.  Les  crus  les  plus  re- 
nommés étaient  ceux  de  Papbos,  d'A- 
matbonte  et  des  coteaux  sud  du  mont 
Olympe.  C'était  de  ces  cantons  qu'on  ti- 
rait le  vin  de  Gommandç^rie.  «  Le  terri- 
toire de  la  Commanderie,  dit  Tabbé  Ma- 
riti ,  est  enclavé  dans  cette  partie  de  l'tle 
que  les  Grecs  appellent  Orni ,  laquelle 
comprend  au  couebant  une  portion  de 
l'ancienne  province  de  Papnie,  et  au 
midi  une  autre  de  celle  d'Amathusie, 
qui  n'est  pas  moins  ancienne.  Ce  terri- 
toire est  borné  au  levant  par  la  ville  de 
Limassol ,  au  couchant  par  celle  de  Pa- 
pbos,  au  nord  par  le  mont  Olympe.  En- 
tre plusieurs  bameaux  qui  s'élèvent  dans 
cette  enceinte ,  les  plus  renommés  par 
la   qualité  de  leur  vin  sont  Zoopi  et 
Ozongun ,  voisins  Tun  de  l'autre  et  si- 
tués sur  la  même  colline.  Ce  nom  de 
la  Commanderie   donné  au  territoire 
dérive  des  chevaliers  des  ordres  de  Saint- 
Jean  de  Jérusalem  et  du  Temple,  auquel 
il  appartenait.  Malte  conserve  encore 
des  prétentions  sur  cette  propriété,  et  le 
grand  maître  en  confère  le  titre  à  un 
commandeur  de  l'ordre;  c'est  à  pré- 
sent la  famille  des  Comaro,  établie  à 
Venise,  qui  en  est  revêtue  (1).  »  Les  jar- 
dins produisent  tous  les  fruits  de  TO- 
rient,  grenadiers,  orangers,  citronniers, 
oédrats.   L'arbre    qui   produit  les  ca- 
rouges  croît  dans  l'île  entière;  on  y 
trouve  de  grandes  forêts  de  cyprès  et  de 
pins  ;  l'île  de  Chypre  est  riche  en  oliviers, 
en  tins,  en  chanvre,  en  garance  et  en  cé- 
réales :  le  palmier^  est  aussi  beau  qu'en 
Egypte  et  en  Syrie;  les  fruits  aqueux 
du  genre  cucurbitacé  y  viennent  en  abon- 
dance. On  y  recueille  un  miel  excel- 
lent ,  de  la  térébenthine ,  du  ladantim , 
suc  visqueux  que  produit  une  certaine 

Ï liante  qui  ressemble  à  la  sauge,  et  dont 
a  fleur  approche  des  roses  sauvages 
qui  viennent  dans  les  haies.  «  La  ma- 

(i)  Mariti,  Voyage  de  Chypre,  etc.,  I, 
p.  971.  Voyez  tous  les  longs  renseignements 
donnés  dans  cet  ouvrage  sur  la  culture  de 
la  vigne,  le  transport  des  vins,  la  manière  de 
les  conserver,  et  Texportation  qui  s'en  faisait 
en  Europe  au  dix  •huitième  siècle. 


jeure  partie  du  iadanom  se  reeueOle ,  aa 
printemps  ,  dans  le  village  de  Lascara. 
Le  matin,  de  très-bonne  heure,  les  ber- 
gers conduisent  leurs  troupeaux  de  chè- 
vres dans  ces  environs;  le  ladanum,  mûr 
et  visqueux,  s'attache  aux  barbes  des  chè- 
vres ;  on  l'en  retire,  et  le  ladanum  aioai 
recueilli  est  le  plus  pur  et  le  moins 
chargé  de  matières  hétérogènes  ;  tandis 
que  ces  animaux  paissent  dans  la  plaine, 
les  bergers  en  amassent  de  leur  côté  : 
c'est  ce  qu'ils  font  en  attachant  au  bout 
d'une  petite  perche  une  peau  de  chèvre, 
avec  laquelle  ils  vont  essuyer  les  plantes 
couvertes  de  celte  rosée  (i).  »  Au  temps 
de  Dioscoride  on  recueillait  le  ladanum 
de  la  même  manière,  et  on  l'appliquait  au 
même  usage  que  de  nos  jours ,  où  il  est 
très-employé  en  médecine.  A  toutes  ces 
productions  connues  des  anciens  il  faut 
ajouter  celles  qui  sont  dues  aux  décou- 
vertes des  siècles  derniers  et  à  l'impor- 
tation des  végétaux  étrangers.  Le  ooton, 
le  mûrier,  la  canne  à  sucre,  le  tabac  y 
réussissent  parfaitement  ;  et  Une  dépend 
que  de  l'industrie  et  de  l'activité  des  ha- 
bitants de  tirer  de  leur  culture  de  grands 
profits. 

Animaux.  —  On  trouve  dans  llle  de 
Chypre  tous  les  animaux  de  la  Grèce  et 
du  Levant.  Les  chevaux  y  sont  fort  es- 
timés, non  pour  la  rapidité  de  leur 
course ,  mais  pour  la  sûreté,  la  douceur 
de  leur  pas  dans  les  chemins  difficiles 
et  dans  les  montagnes.  Ils  sont  infatiga- 
bles ;  les  ânes,  les  mulets  ont  les  mêmes 
qualités.  Les  boeufs  sont  petits  et  mai- 
gres, et  ne  servent  qu'au  labourage.  La 
viande  dont  on  fait  la  plus  grande  con- 
sommation est  celle  du  mouton,  qui  y 
est  succulente  et  délicate.  On  y  voit  des 
moutons  dont  la  queue  est  si  grosse  et 
si  pesante ,  qu'on  la  fait  reposer  sur  un 
petit  charriot  à  deux  roues  qu'on  leur 
attache  par  derrière.  Du  reste,  leur  chair 
a  une  odeur  qui  la  fait  repousser  du 
ran^  des  aliments ,  et  on  ne  les  nourrit 
qu'a  cause  de  leur  laine,  qui  étant  mêlée 
avec  du  poil  de  chèvre  sert  «1  &ire  de 
fort  beaux  tapis  et  de  bonne  couvertu- 
res (2).  Les  chèvres  et  les  boucs  y  sont 


il)  Manti,; 

11)  Dapper. 

n,  p.  5i;  Er 


Voy,  en  Chypre,  etc.,  I,  p.  306. 
Descript,  des  Isies  de  lArchi' 
pei,  p.  Di;  Engel,  Kypros,  I,  69;  Mariti, 
Voyage,  I,  35. 


ILE  DE  CHYPRE. 


en  très-grande  quantité,  et  leur  poil  sert 
à  faire  de  fort  beaux  camelots  qu'on  ex- 
porte. Les  forêts  et  les  montagnes  de 
nie  sont  peuplées  de  montons ,  de  che- 
vreuils ,  de  bouquetins,  de  lapins  et  de 
lièvres.  Les  lévriers  y  sont  excellents 
pour  la  ebasse.  Ltle  nourrit  aussi  une 
grande  Quantité  de  toutes  sortes  d'oi- 
seaux, tels  que  pigeons,  perdrix,  cailles , 
iaisans,  béeasses,  grives,  tourterelles, 
oies  et  canards.  «  Les  becfigues  et  les 
ortolans  y  sont  chargés  de  graisse ,  dit 
Tabbé  Mariti,  et  telle  est  leur  nniltipli- 
dté,  que  les  paysans,  à  quatre  sous  le 
bouquet  ou  la  douzaine,  y  font  un  gain 
considérable.  Ils  prennent  le  plu^  grand 
nombre  près  du  village  de  Samt-Nappa. 
Us  en  portent  une  partie  à  la  ville;  mais 
communément  ils  leur  enlèvent  la  tête 
et  les  pattes ,  leur  donnent  un  premier 
bouillon  et  les  mettent  dans  du  vinaigre 
avec  quelques  in^irédients  conservateurs, 
lis  les  pparaent  amsi  une  année  entière, 
et  les  vendent  au  même  prix  que  les  au- 
tres. Le  débouché  pour  ces  sortes  d'oi- 
seaux est  chez  les  Européens  de  Larnic 
(  Larnaca  ) ,  qui  en  font  passer  en  An- 
gleterre, en  France,  en  Hollande  et  dans 
quelques  parties  de  l'empire  Ottoman.  » 
L'oiseau  carnassier  le  plus  commun  dans 
oeUe  tie  est  le  vautour,  qui  en  dévore 
tous  les  cadavres.  Malheureusement  ce 
pays  abonde  en  bêtes  venimeuses  et  en 
losectes  malfaisants,  serpents,  tarentu- 
les, galères,  moucherons,  moustiques,  et 
surtout  les  sauterelles,  qui  font  dans  les 
champs  les  plus  grands  ravages.  «  Par- 
tout où  elles  s'arretent,  les  blés,  les  her- 
bes, les  racines  même,  tout  est  dévoré, 
tout  est  consumé  en  un  instant.  Il  sem- 
ble au*on  ait  incendié  la  contrée.  Autre- 
fois les  habitants  se  donnaient  toutes  les 
peioes  imaginables,  faisaient  les  plus 
grandes  dépenses  pour  extirper  ces  in- 
sectes destructeurs  :  tous  se  mettaient  à 
la  recherche  de  leurs  œufs....  On  tient 
maintenant  à  œt  égard  une  conduite  bien 
différente.  Si  l'on  se  donnait  autrefois 
tant  de  peine  pour  détruire  ces  insectes 
persécuteurs,  il  est  défendu  d'en  détour- 
ner même  les  œufs  que  l'on  trouve.  La  su- 
perstition des  Turcs  croit  que  l'on  ne 
peut  sans  crime  s'opposer  aux  châtiments 
de  Dieu ,  et  les  Grecs ,  craignant ,  s'ils 
étaient  découverts,  quelque  outrage  de 
leur  part,  laissent  propager  ce  fléau.  La 


plaine  de  Messarée  est  la  retraite  ordi- 
naire de  ces  sauterelles  :  heureux  lors- 
qu'un bon  vent  de  terre  les  entraine  vers 
la  mer,  où  il  en  périt  des  légions  (1).  » 

VlLLBS  DE  L*tLB  DE  ChYPBE.  1**  DE- 
PUIS  LE  GAP  ACAMAS  JUSQU'AU  CAP 

DiN  ABÈTB.  —  Autrefois  l'île  de  Chypre 
était  entourée  d'une  ceinture  de  villes 
florissantes.  Occupée  par  les  deux  na- 
tions les  plus  industrieuses  de  l'antiauité, 
les  Phéniciens  et  les  Grecs ,  elle  ngure 
toujours  dans  l'histoire  comme  jouis- 
sant d'une  grande  lirospérité  mattfielle. 
Mais  elle  perdit  de  bonne  heure  son  in- 
dépendance politique,  et  aujourd'hui, 
tombée  de  servitude  en  servitude  sous 
le  joug  des  Ottomans,  elle  languit  comme 
toutes  les  autres  contrées  soumises  à 
cette  fatale  domination  ;  ses  villes  sont 
dépeuplées,  ses  campagnes  incultes  et  le 
port  deXarnaka  suffit  presque  seul  aux 
Desoins  de  son  commerce.  A  la  place  des 
villes  signalées  par  les  anciens  géogra- 
phes on  ne  trouve  plus  ordinairement 
que  des  raines  ou  de  chétifs  villages.  Là, 
comme  dans  tout  le  Levant,  le  voyageur 
est  continuellement  attristé  par  le  spec- 
tacle de  la  désolation  et  de  la  décadence. 
En  longeant  la  côte  septentrionale  de 
l'île,  à  partir  du  cap  Acamas  ou  de  Saint- 
Épiphane  (3),  on  trouvait  la  ville  d'Ar- 
sinoé,  qui  dut  son  nom  à  l'une  des  rei- 
nes d'Ë^pte ,  auprès  de  laquelle  Stra- 
hou  place  un  bois  consacré  a  Jupiter,  et 
dont  l'emplacement  est  probablement 
occupé  aujourd'hui  par  le  village  de  Po- 
lykrusocho.  Au  pied  du  promontoire  Cal- 
Imusa  ou  Limnilo,  les  cartes  vénitiennes 
et  Danville  placent  la  ville  d'Alexan- 
drette,  qui  dut  sa  fondation  à  Alexandre 
le  Graiio  ou  aux  Ptolémées.  Kntre  ce  cap 
et  le  Crommyon ,  près  du  petit  fleuve 
Qarius,  s'élevait  la  ville  de  Soli,  qui  était 
autrefois  la  capitale  du  plus  puissant^ 
des  royaumes  de  Chypre  a  près  Snlamine. 
«  Solon ,  dit  Pluurque  (3),  étant  venu 
dans  rile  de  Cypre,  se  lia  d*amitié  avec 
Philocyprus ,  un  des  rois  de  l'tle ,  qui 

(i)  Mariti,  Forage  en  Chypre,  I,  i34. 

(a)  Foj,  Strab.,  XIV,  p.  48a  ;  Ptolémée, 
T  ,  i4;  Plioe,  Y,  35;  Gonstaut.  Porphyr., 
Titem,,  I,  i5  ;  Engel.,  Krpros,  I,  71. 

(3)  Plut.,  Sol.,  a6;  trad.  Pierron,  I,  p.  aog. 
Selon  Sirabon  elle  aurait  été  bAtie  |Mir  deux 
Athéniens,  Aoaoïas  et  Phalénis,  1.  XIV,  c.  6. 


to 


L'UmVERS. 


habitait  une  petite  viUe  bâtie  par  Dém^ 
phon,  fils  de  Tbésée,  près  du  fleuve  Ûa- 
rius.  C'était  un  eadroit  fort  d'assiette, 
mais,  du  reste,  un  terrain  stérile  et  inr 
grat.  Soloq  persuada  au  roi  de  trans- 
porter la  ville  dans  une  belle  plaine  si- 
tuée plus  bas ,  et  de  l'agrandir  en  ta 
rendant  plus  agréable.  Il  aida  même  à 
la  construire,  et  à  la  pourvoir  de  tout  ee 
gui  pouvait  y  (faire  régner  Tabondance 
et  eoptribuer  à  sa  sûreté.  Philocvprus 
eut  bientôt  un  si  grand  nombre  de  su? 
jets,  qu'il  enoourut  la  jalousie  des  rois 
voisins.  Aussi,  par  une  juste  reconnais* 
sa  née  pour  Solon ,  donna-t-il  à  sa  ville , 
qui  s'appelait  d'abord  Epia ,  le  nom  de 
Soli.  »  Poeocke  plape  à  l'endroit  oeoupé 
par  Soli  le  village  d'Aligore,  et  plus  baut 
dans  Ja  montagne  il  a  retrouvé  un  lieu 
appelé  Épé ,  qui  est  probablement  Fan- 
cienne  i£pia  (Aiireu).  Selon  Oapper,  Soli 
était  devenu  le  bourg  de  Solea  (i).  Soli 
avait  un  beau  port  et  un  temple  de  Vé- 
nus et  d'isis.  Elle  était  adossée  au  sud 
et  à  l'ouest  à  des  ooUioes  tràs*fertiles. 
On  a  trouvé  en  cet  endroit  un  mur  cir- 
culaire nue  Ton  croit  être  les  ruines  d^un 
ancien  théâtre. 

A  Test  de  cette  pointe  de  terre,  qui  se 
termine  par  le  cap  Cornaohiti  ou  Crom- 
niyott,  sWnd  une  cote  d'une  extrême 
fertilité,  que  traverse  le  Lapethos  (au- 
jourd'hui Lapitho)  et  que  fécondent  de 
nombreuses  sources  qui  font  circuler 
en  tous  sens  des  eaux  abondantes.  L'an- 
cienne ville  de  Lapethos,  doqt  Strabon 
fait  une  colonie  lacédâiupnienne,  est  au- 
jeurd  hui  le  bourg  turc  et  grec  de  Lapi- 
the,  ombragé  d'orangers  et  de  palmiers, 
ayant  un  bazar  et  assez  d'industrie.  Il 
ne  compte  pas  moins  de  quatre  cents 
familles  grenues,  et  passe  pour  le  plus 
^aod  village  de  Chypre  (&).  A  huit  milles 
a  Test  était  la  ville  de  Gerinia,  Ceraunia 
ou  Cinyria ,  dont  Fliistorien  Lusignan , 
évéque  de  Limisso,  attribue,  sans  au- 
torité ,  la  fondation  à  Cyprus.  Cette  ville 
resta  importante  au  moyen  âge ,  grâce 
surtout  à  sa  citadelle,  qui  date  des  pre- 
miers temps  de  son  existence,  et  ope  les 
Lusignans  agrandirent  encore.  C'était 
le  port  le  plus  fréquenté  pour  le  corn- 
ai) Dapper,  Dcscript,,  p.  39. 
fa)  M.  de  Mas-Lalrie,  Arehiv.  d^s  Mis" 
siofu,  t85o,  p.  173, 


meroe  de  la  Caramaaie.  L*abbé  Mariti 
signale  l'existence  de   cavaux   creusés 
dans  les  rochers  situés  à  l'ouest  de  la 
ville,  et  appelés  par  les  gens  du  pays 
sépulcres  des  Gentil»  (1).  La  forteresse 
subsiste  encore ,  mais  Kerinia  ou  Cérîoes 
n'est  plus  qu'un  misérable  villas^e.  A 
l'est  deCérines,  à  cin<|  milles  de  distança, 
on  rencontre  Ips  ruines  magnifiques  de 
l'abbaye  de  Lapais ,  qui  avait  été  fondée 
par  Hugues  111  de  Lusignan.  La  plaine 
au  bout  de  laquelle  elle  est  située  est  la 
plus  fertile  et  la  pins  riante  de  Tile. 
«  La  richesse  de  ses  productions,  h 
diversité  des  arbres  sauvages  et  frai- 
tiers,  de  petites  collines  couvertes  d'une 
éternelle  verdure,  un  paysage  ehannant, 
mille  perspectives  délicieuses,  un  air 
embaumé  des  parfums  les  plus  purs,  une 
multitude  de  souroes  et  de  ruisseaux , 
tout  concourt  à  faire  de  cette  ^te  ub 
séjour,  un  vrai  paradis  de  déliées  (2).  * 
L  abbaye  de  Lapais  fut  détruite  par  les 
Turcs  après  la  prise  de  la  citadelle  de 
Cérines.  Non  loin  de  là ,  après  Ja  yiWt 
ancienne  d'Aphrodisias ,  le  rivage  de 
Chypre  se  hérisse  de  rochers  et  se  oorde 
d'une  chaîne  de  montagnes  qui  se  pro* 
longe  en  pointe  à  l'est ,  et  se  termine  au 
cap  Dinarète  ou  Saint- André. 

T  Du  CAP  DlITAHÈTB  AU  PKOMON- 

toibeCubias. — Après  lecap  Saint-An- 
dré la  cote  de  Tlle  redescend  brusque- 
ment au  sud -ouest,  et  en  suivant  la  ligne 
sinueuse  de  tout  ee  canton  oriental, 
qui  s'appelle  aujourd'hui  le  Karpas ,  on 
trouve  auprès  du  village  Haï  Sergui  les 
ruines  de  l'antique  Salamine,  fondée  par 
Teucer,  que  le  courroux  de  son  père  Té- 
lamon  contraignit  à  s'expatrier  après  le 
siège  de  Troie  (3).  Cette  ville  devint  )a 
principale  colonie  hellénique  dans  Ttle 
de  Chypre,  et  en  fut  regardée  comme  la 
capitale.  Son  port  était  vaste  et  biea 
fermé.  Presque  entièrement  détruite  par 
un  tremblement  de  terre  sous  le  rèsne 
de  Constantin  le  Grand,  elle  fut  rebâtie 
plus  près  du  fleuve  Pedius,  qui  traverse 
la  plaine  de  la  Messaréa,  et  elle  s'appela 

(i)  Voyage  en  Chypre ^  I,  iot. 

(a)  Id.,  I ,  p.  ro5.  Lei  ruines  an  couvent 
80!)i  décrites  par  Mariti,  et  mieux  eocore  par 
M.  de  Mas>Latri6. 

(3)  Dapper,  Description  ^  p.  ikS;  Cngel, 
Kyprùs,  I,  p.  89  ;  Marili,  p.  laS. 


ILE  W  CHYPRE. 


11 


depirig  Goostantifi.  Les  éprivalns  ecolé- 
àastigoM  prét^dent  qu*ella  devait  ce 
nouveau  nom  au  roi  Costa,  père  de  sainte 
Catherine.  Mais  la  nouvelle  fille  fut 
ilétruite  par  les  Sarrasins  au  temps  d'Hé- 
nelius,  et  n*a  jamais  été  relevée  de- 
puis (f).  A  quatre  milles  dans  Tintérieur 
«  trouve  le  œuvent  célèbre  de  Saint- 
Baroabé,  dont  le  eorps  fut  découvert  en 
œt  endroit  sous  le  règne  de  Zenon;  il 
portait  sur  sa  poitrine,  dit  la  tradition 
eooservée  par  Baronius,  Tévangile  écrit 
de  la  main  même  de  saint  Mathieu.  On 
porta  <ws  précieuses  reliques  à  Cons- 
laotinople,  et  eefotrorigine  des  privilé^ 
g<v et  distinctions  extraordinaires  accor- 
dés  au  métropolitain  de  Ttle  de  Chypre. 

A  six  milles  à  Touest,  sur  remplace- 
ment de  raneienne  Ammoehostos,  dont 
elie  a  eonservé  la  nom,  se  trouve  la  ville 
de  Famagouste,  riche  et  florissante  au 
moyen  Ige,  et  qui  ne  conserve  de  son 
astique  splendeur  que  sa  cathédrale 
(Mhique  et  ses  heaui  remparts.  Il  n'y 
a  que  des  Turos  dAi^s  cette  ville,  dont  le 
séjour  «st  interdit  aux  Grecs  :  ceux-ci 
rendent  au  village  voisin  de  Varoschia. 
CoQstruite  au  treizième  siècle  par  les 
Lusignans,  elle  fut  la  principale  forte- 
ressedfi  l'île,  et  sontipt  contre  Mustapha, 
MUS  le  r^nedu  sultan  Sélim»  en  1570 
«t  U71,  ce  siège  mémorable  où  les  Vé* 
Ditieus  déployèrent  un  courage  digne 
d  UD  meilletir  sort,  hà  ehute  de  Fama- 
goustesQtraîqa  la  perte  dellle»  qui  passa 
des  Vénitiens  aux  Turcs. 

Plus  bas,  au  sud-ouest,  Strabon  place 
le  port  de  LeueoUa,  établissement  de 
peu  d'importance.  Au  sud,  une  mon- 
^ne  escarpée  s'avance  dans  la  mer,  et 
lorme  le  cap  Pédalion,  aujourd'hui  pro- 
montoire délia  Grega.  A  partir  du  Pé- 
daiioQ  on  ne  trouve  vers  ie  sud  qu'une 
côte  abrupte,  rowUeuse,  découpée  en 
baies,  hérissée  de  pointes  menaçantes, 
dont  les  plus  saillantes  sont  le  cap 
Ironoî  (Pila)  et  plus  au  sud  le  cap  Dadès 
(promontoire  Kiti),  au  delà  duquel  se 
trouvait  la  ville  de  Gitium,  dont  les  ruines 
M  voient  aujourd'hui  entre  la  Scala  et 
Uraaea.  Le  port  fermé  dont  parle  Stra- 

(0  Pooocke»  Detcrivt,  dû  l'Orient,  t.  IV, 
!•  3,  dérril  les  ruines  ac  ces  deux  villes.  Yoir 
dans  Bofkh,  Corp,  lascr,^  trois  inscriptions 
^vécs  à Salamine.  M»i6a5,  a639,  a638. 


bon  est  naiiitaiiaBt  eomUé,  mais  eo- 
eore  bien  reconnaissable.  Oo  a  retrouvé 
les  fondements  des  murs,  des  tombeaui 
de  marbre  blanc,  les  restes  d'un  théâtre, 
des  inscriptions  phéniciennes,  des  débris 
d'aqueduc;  à  part  les  inscriptions,  tout 
le  reste  appartient  h  l'art  grec.  Primi- 
tivement colonie  phénicienne,  la  vil  le  de 
Ketim  ou  Citium  se  remplit  de  Grecs,  qui 
peu  à  peu  efEacèrent  l'aneieiine  popula- 
tion. Les  inscriptions  grecques  y  sont 
plus  nombreuses  que  les  mscnptioDS 
phénieieanes,  dont  on  a  découvert  trente- 
trois,  presaue  toutes  si  mutilées  qu'elles 
sont  illisibles.  Danville,  après  Lusignan, 
avait  placé  Citium  sur  l'emplacement  du 
hameau  de  Qtti,  situé  plus  au  sud  et  où 
les  rois  Lusignans  avaient  un  château  et 
une  maison  de  plaisance  dont  les  ruines 
subsistent  encore.  Chaque  jour  de  nou- 
velles fouilles  et  découvertes  viennent 
détruire  cette  erreur  du  savant  géogra- 
phe (1).  La  ville  de  Larnaca,  qui  a  suc- 
cédé à  Citium,  contient,  avec  son  annexe 
maritime  de  la  Scala  ou  la  Marina,  une 
population  de  six  mille  habitants.  Les 
consuls  européens  et  la  plupart  des  né- 
gociants francs  y  résident ,  quoique  ce 
soit  l'endroit  le  plus  aride  et  le  plus 
malsain  de  Ttle.  «  On  prétend  que  cette 
ville  est  construite  sur  l'emplacement 
du  cimetière  de  l'antique  ville,  d*où  lui 
est  venu  son  nom  (2).  Toutes  les  mai- 
sons sont  construites  en  argile  mêlée 

(i)  «  Une  déroiiverte'qui  paraît  importante, 
en  ce  qu'elle  confirme  encore,  contrairement 
à  ropioion  de  Danville,  et  ranciennelé  de 
Larnaca  et  le  véritable  emplacement  de  Ci- 
tium, a  été  faite  récemment.  En  creusant  uit 
terrain  situé  entre  la  marine  et  la  haute 
ville,  à  Larnaca,  des  ouvriers  ont  mis  à  jour 
une  grande' pierre  de  basalte  de  sept  pieds 
de  haut,  sur  deux  et  demi  de  large  et  un  pied 
d*épaisscur,   couverte  d'inscriptions    cunéi- 
formes et  décorée  sur  la  face  supérieure  de  l'i- 
mage en  relief  d'un  prince  ou  d'uu   prêtre 
portant  un  sceptre  dans  sa  main  gauche,  v 
jérc/t.  des  Missions^  i85o,  p.   m.  M.  de 
Mas-Lastrîp,  qui  signale  celle  découverte,  voit 
dans  ce  travail  le  même  style  que  dans  les 
bas-reliefs  envoyés  (>ar  M.  hotta  ;  et  il  y  re- 
oennait  un  des  rares  monuments  de  la  do- 
mination dea  Assyriens  dans  Tile  de  Ch3q)re. 
(a)  M.  Didot,  Notes  d'uu  Voyage  fait  dans 
k  Levant  M  tSiôet  1S17,  p.3j7.DeXdpvaC, 
cncoç,  un  cercueil. 


13 


L'UNIVERS. 


avee  de  la  paille,  et  pour  facililer  Té- 
coulemeDt  des  pluies,  les  toits  en  ter- 
rasse ont  une  légère  inclinaison.  »  Cest 
grès  de  Larnaca  que  se  trouve  le  lac  des 
alines,  qui  avait  autrefois  douze  milles 
de  circonférence,  mais  dont  on  a  des- 
séché la  plus  grande  partie  pour  la  con- 
sacrer à  la  culture. 

Amathonte,  an  sud-ouest  de  Gtium, 
à  vingt-quatre  milles  environ,  était  aussi 
une  ville  d'origine  phénicienne,  où  l'on 
adorait  Vénus  et  l'Hercule  Tyrien. 
M.  de  Hammer  a  retrouvé  les  ruines  du 
temple  de  Vénus  au  village  d'Agios 
Tycnonos.  Amathonte  se  composait  de 
deux  parties,  la  ville  et  le  port,  qui  au 
moyen  âge  devint  la  ville  de  Limisso  ou 
Limassol,  que  le  roi  Richard  détruisit 
en  1191.  Ses  ruines  se  confondent  avee 
celles  d' Amathonte.  A  deux  lieues  .à 
l'ouest  de  Palae-Limassol,  s'élève  la  nou- 
velle ville  de  JNéapolis,  la  moderne  Li- 
massol, gue  fonda  Gui  de  Lusignan,  qui 
s'embellit  de  palais,  d'églises  grecques 
et  latines,  que  les  Turcs  renversèrent 
après  la  conquête  de  l'Ile.  Aujourd'hui 
Limassol  est  une  petite  ville  assez  propre 
et  pavée  ;  son  port  e^t  commode  et  oirre 
un  asile  sûr  aux  vaisseaux  surpris  par  la 
tempête.  Les  collines  du  voisinage  pro- 
duisent le  meilleur  vin  de  l'île  de  Chypre. 

S**  Du  CA.P  CURIAS  AU  GAP  ACAMAS. 

— Cette  côte  de  l'île  fait  face  au  sud-ouest. 
En  remontant  du  cap  Curias  (cap  Ga- 
vata  ou  délie  Gatte)  vers  le  nord,  on 
rencontre,  près  de  l'ancienne  ville  de 
Curiuin ,  le  village  de  Piscopi  ou  Epis- 
copi,  qui  fut  une  seigneurie  de  la  famille 
de  Catherine  de  Cornaro.  Selon  la  tra- 
dition, Curias  avait  été  fondée  par  Cu- 
rons, fils  de  Cinyras.  Mon  loin  de  là,  sur 
des  rochers  qui  dominent  la  mer,  se 
trouvait  un  temple  d'Apollon,  inacces- 
sible aux  profanes.  On  précipitait  dans 
les  flots  le  sacrilège  qui  violait  ce  sanc- 
tuaire impénétrable.  Au  delà,  Strabon 
mentionne  une  ville  de  Boosura,  et  on 
retrouve  encore  aujourd'hui  le  village  de 
Bisur  ou  Pissouri  sur  la  route  de  Curium 
à  Paphos. 

Il  y  eut  deux  villes  de  Paphos.  L'an- 
cienne ville,  ou  Palae-Paphos,  a  laissé 
des  vestiges  dans  les  ruines  qui  sont  près 
du  village  de  Kouklia,  la  Cwock  du  do- 
maine royal  de  nos  princes  firançais.  La 
nouvelle  Paphos  occupait  l'emplacement 


du  villase  actuel  de  Baffa.  Les  Pbéoi- 
ciens  établirent  à  Palae-Paphosuntempk 
de  Vénus,  qui  fut  le  sanctuaire  le  pfuâ 
révéré  de  tous  ceux  qui  étaient  consacrés 
à  cette  déesse.  Les  Grecs  en  attribuaient 
la  fondation  à  Paphos,  fils  de  Cinyras. 
Détruite  par  un  tremblement  de  terr« 
sous  Auguste,  elle  fut  relevée  sous  le 
nom  de  Sébaste  (1).  Elle  fut  sans  doute 
une  seconde  fois  frappée  du  même  fléau, 
puisqu'on  reconstruisit  son  temple  sous 
vespasien.  Dans  la  grande  fête  de  la 
naissance  de  Vénus,  tant  de  fois  chantée 

5ar  les  anciens  poètes,  on  sacrifiait  à 
eux  temples.  L  un  était  situé  près  du 
port  sur  cette  plage,  où  Vénus  avait  para 
pour  la  première  fois  toute  brillante  de 
beauté  et  portée  sur  l'écume  des  Ilots. 
Il  reste  encore  des  vestiges  de  cet  édi- 
fice, des  fragments  de  murailles,  des 
débris  de  colonnes,  une  large  table  de 
marbre  pour  les  sacrifices.  A  une  demi- 
lieue  dans  l'intérieur  sur  les  bords  du 
petit  fleuve  Bocarus,  au  milieu  d'un  bois 
de  lauriers-roses  et  de  myrtes  odorifé- 
rants, s'élevait  un  second  temple.  IJi  se 
voient  encore  les  restes  de  l'Hiéron.  Ost 
un  mur  cyclopéen,  décrivant  un  rec- 
tangle de  cent  cinquante  pas  de  lon- 
gueur, sur  cent  de  laideur.  Ce  carré 
long  est  partagé  en  deux  par  un  mur 
intérieur.  Cette  enceinte  est  pleine  de 
débris  accumulés  péle-méie,  tronçons 
de  colonnes ,  chapiteaux ,  inscriptions 

Srecques  ou  phéniciennes,  et  au  milieu 
e  ces  ruines  s'élève  une  petite  éR:lise 
grecque  consacrée  à  la  Panagia.  On  voit 
dans  Homère  que  le  sanctuaire  de  Venus 
à  Paphos  était  déjà  célèbre  dans  tout 
rorient  :  au  temps  des  empereurs  ro- 
mains les  médailles  de  Chypre  offrent 
toujours  l'image  de  ce  teropie  gravée  sur 
le  revers ,  ou  celles  d'autres  sanctuaires 
construits  sur  le  même  modèle  et  con- 
sacrés également  à  Vénus,  dans  les 
autres  parties  de  l'tle.  A  Amathonte  la 
déesse  était  représentée  sous  la  figura 
d'une  guerrière  :  «  Elle  était,  dit  Macrobe, 
habillée  en  femme,  bien  qu*elle  ait  une 
barbe,  le  maintien  d'un  nomme  et  un 
sceptre  à  la  main  » .  La  déesse  de  Paphos 
n'avait  pas  même  une  forme  humaine. 
Cest,  dit  Tacite  (2),  un  bloc  arrondi,  plus 

(t)  Kngel,  Kfpros,  T,  ia4. 
(a)  Tac,  Hist.,  n,  3. 


IL£  DE  CBYPRE. 


13 


lai^  à  la  base,  et  te  rétrécissant  aa 
sommet  comme  une  pyramide.  La  si- 
j^ification  de  cette  figure,  ajoute  l'histo- 
rieo ,  est  restée  inconnue. 

La  nouvelle  Paphos ,  la  Paffons  des 
Lusignans,  ou  Bania  aujourd'hui,  est  à 
trois  grandes  heures  de  marche  de  Rou- 
klia,  non  loin  du  petit  golfe  aue  forment 
les  deux  promontoires  de  Zephyrium  et 
(TArsinoe.  Les  rochers  qui  bordent  la 
baie  de  Baffa  sont  percés  de  cavernes , 
doot  les  parois  sont  en  beaux  stalactites. 
Ce  rivage  était  autrefois  une  ravissante 
contrée,  où  s'étalait  la  brillante  végéta- 
tion des  jardins  sacrés,  cultivés  par  les 
prêtres  de  Vénus.  Cétait  la  région  sainte 
de  Cite  de  Chypre.  De  nombreux  temples 
ou  édicules  avaient  été  fondés  entre  les 
deux  Paphos  pour  les  stations  des  pro- 
cessioDs  solennelles.  La  nouvelle  Paphos, 
pios  récente  ^ue  l'autre ,  était  grectjue 
d'oriçine,  mais  elle  se  voua  au  culte  de 
ia  déesse  phénicienne,  lui  éleva  plu- 
sieurs temples ,  et  mérita  d'être  appelée 
la  seconde,  la  nouvelle  Paphos.  Toutefois 
rancienne  Paphos  conserva  sa  supré- 
matie religieuse,  son  oracle  vénéré;  elle 
resta  une  ville  sainte  ;  Pautre  devint  une 
cité  eoinmerçante.  Quand  les  poètes  par- 
lent de  Paphos  et  de  ses  fêtes,  c'est  ran- 
denne  ville  quMIs  veulent  dire.  Dans  les 
bistoriens  il  est  plus  souvent  fait  men- 
tion de  la  nouvelle.  A  deux  lieues  de 
Bafb,  dans  l'intérieur,  est  le  bourg  de 
Ktima ,  chef-lieu  de  ce  district ,  et  ha- 
bité principalement  par  des  Turcs.  En 
suivant  la  cote,  vers  le  promontoire  Aca- 
mas,  on  rencontre  une  chaîne  de  ro- 
chers tailléct  symétriquement  et  présen- 
tant de  loin  l'aspect  d'une  ville  ruinée. 
M-  de  Hammer  y  a  reconnu  une  antique 
nécropole,  qui  ne  lui  paraît  offrir  aucun 
des  caractères  particuliers  de  Tarchitec- 
twe  grecque  et  romaine.  Cependant  on 
y  trouve  des  hypogées  doriques  ;  nutis  on 
^  voit  de  semblables  et  du  même  style 
(^Ds  la  nécropole  égyptienne  de  Béni- 
Hassan,  que  Cnampollion  croit  avoir  été 
f^sée  sous  les  rois  tanitiques  de  la  vingt- 
troisième  dynastie. 

Villes  de  l'intébibub  (î).  — Cette 
partie  de  111e  était  moins  connue  des 
anciens  que  les  côtes,  dont  ils  nous  ont 
tûssé  une  exacte  description.  D'ailleurs, 

(0  £iigd,  Kjrpros^  I,  p.  145. 


les  villas  de  Tintérienr  étalent  loin  d'a- 
voir la  même  importance  que  les  cités 
maritimes ,  que  l'on  fréquentait  comme 
centre  de  commerce,  comme  sancv 
tuaire  religieux,  et  aui  furent  mêlées  aux 
grands  événements  historiques  de  l'anti- 

Î|uité.  La  position  de  Golgi  n'est  pas 
acile  à  déterminer.  Selon  Pline,  elle 
était  dans  le  voisinage  des  deux  Paphoe. 
Mannert  la  place  auprès  d'idalîum.  Kilo 
devait ,  dit-on ,  son  origine  à  un  oertain 
Golgus,  fils  de  Vénus  et  d'Adonis ,  qui 

L conduisit  une  colonie  de  Sicyoniens. 
s  poètes  la  mentionnent  souvent 
comme  un  des  séjours  habituels  de  Vé- 
nus avec  Paphos,  Amathonte,  Idalie  (1^. 
La  position  de  Chytri  est  mieux  indi- 
quée chez  les  anciens.  Elle  était  située 
entre  Cerynia  et  Salamine(2).  Cétait  une 
colonie  athénienne ,  fondée  par  un  petit- 
fils  d*Acamas.  Érigée  en  évéché  des  les 
Sremiers  siècles  du  christianisme,  elle 
gure  au  moyen  âge  dans  l'histoire  des 
Lusignans  sous  le  nom  de  Quithrie  :  on 
l'appelle  aujourd'hui  Kythrea  ou  Chirga. 
Tremithus,  la  ville  des  Térébinthes,  était 
située  dans  la  plaine  de  la  Messaréa  (au- 
jourd'hui Tremise,  selon  Dapper)(8).  Ta- 
massus  sur  la  route  deTrimethus  à  Soli, 
célèbre  dans  l'antiquité  par  ses  mines  de 
cuivre  (Borgodi  Tamasso  selon  Dapper), 
dont  il  est  fait  mention  dans  Y  odys- 
sée (4).  Nicosie  est  située  au  milieu  de  la 
S  laine  de  Messarée ,  sur  les  bords  du  Pe- 
ins; elle  est  entourée  de  collines  qui 
la  bornent  de  tous  côtés  à  la  distance  de 
dix  milles.  11  est  parlé  pour  la  première 
fois  de  cette  ville  sous  le  nom  de  Leu- 
cosia  dans  les  Pères  de  TÉglise  (5).  Elle 
devint  pour  les  Lusignans  la  capitale 
de  111e,  et  le  siège  d'un  archevêché 
érigé  par  Innocent  lll  en  1212.  Quand 
les  Vénitiens  eurent  connaissance  des 

^1)  Theocr.,  Id.  XV,  100;  Catul.i  Ntipu 
Pet.,  ^-jÊfngr,^  37. 

(a)  Dapper,  Descr,,  p.  40. 

(3)  Treroilhiu,  dit  Mariti,  I,  Sa,  est  an  vil» 
Itge  contidérabla  a  douze  milles  de  Nicosie. 
C'était  autrefois  une  ville  que  Richard  Cœur 
de  Lion  détruisit  de  foud  en  comble. 

(4)  Horo.,  Od.,  I,  x84;  Tamassus  est  ap- 
pelée par  Homère  Temesi.  Vor,  Ovid.,  MtU, 
X ,  644.  C'était  encore  une  dfes  villes  consa- 
crées à  Vénus. 

(5)  Engel,  I,  i5o;  Dapper,  p.  3i  ;  Marili, 
I,  8a. 


f4 


LTJNiVfellS. 


projètJideÉTui^<ift,1lÉ  resserrèrent  Ni(H)sie, 
qui  avait  neuf  milles  de  eireuit,  dans  une 
enceinte  fortifiée  de  trois  milles  de  eir- 
Donffirenee.  Mais  elle  sticeombë  en  1570, 
anrès  un  siège  de  quararfte-âinq  jours  ; 
vingt  mille  personnes  péi*lrent  dans  le 
mussfldre,  et  la  grande  et  belle  église  de 
Salûte^Sophie,  où  les  rois  de  Chypre  re^* 
«eraient  la  couronne,  fut  ehôugée  en  mos^ 
miée  (t).  NiDOSie  est  restée  la  capitale  de 
rtle;  elle  eompte  encore  douze  mille 
habitants,  dont  huit  mille  Turcs,  trois 
fflille  sept  éents  Grecs  entiron ,  eent  ein^ 
puante  Arhif^nienset  une  centainede  Ma-* 
ronitei^.  Les  débris  des  églises  et  des  pa- 
lais que  les  Turcs  ont  détruits  donnent 
une  haute  idée  de  Tantique  splendeur  dé 
Nicosie.  A  douze  milles  au  sud  de  Nicosie 
on  trouve  au  milieu  d*une  plaine  le  petit 
village  de  Dali,  dont  le  nom  conserve  le 
souvenir  de  TantiqUe  Idâlie.  «  Un  ruis- 
seau assez  abondant  parcourt  cette  plaine 
ibrtunée,  dont  Faspectest  encore  agréa- 
ble ;  elle  s'étend  du  midi  au  nord,  et  de 
petites  collines  rehferment  du  côté  de 
rest,  de  Pouest  et  du  nord.  Ces  dernières 
sont  dominées  ddhs  le  lointain  par  les 
montagnes  les  plus  élevées  de  lUe  (2).  » 
Dali  est  encore  entouré  de  bosquets,  de 
vergers,  où  les  grenadiers,  les  citronniers, 
les  orangers  étalent  les  riches  couleurs 
de  leurs  pommes  d*or  et  de  pourpre ,  et 
dans  le  sol  on  trouve  les  restes  nom- 
breux d'anciennes  idoles  de  style  phéni- 
den  et  assyrien,  appartenant  au  culte 
de  Vénus  (3). 

(t)  Foy.  la  description  de  Sainic-Sophic  et 
des  autres  églises  de  Nicosie  dans  les  Ârcfmts 
dtf$  Missions  seientifi^ttBi ,  t85o,  p.  5ii. 

(a)  M.  Dtdot,  Notes  d*nn  Vojog*  d^ns  U 
Levant  t  p.  3d3. 

(3)  Bngel,  Kypros,  I,  i5i»  termitie  ses 
recherches  sur  la  géographie  de  l'île  de  Chy- 
pHs  par  une  discussion  sur  deux  points  très- 
controversés.  Nous  ne  reproduirons  pas  les 
détails  de  celte  disctission  ;  en  voici  le  ré- 
stiliat  :  !•  Il  n*y  avait  pas  de  tille  appelée 
Cyihère  dans  Ttle  de  Chypre,  a**  Il  n'y  e(il  ja- 
ilMis  de  ville  «tui  Mit  porté  ie  nom  de  Chypre, 


n. 


HlSTOÎHB    DE    L'fLlS    1)È    CY^H»  PEN- 
DANT LES  tBMPS  ÀNCtB^S. 

f&rmaiion  de  la  population  de  i'ile  de 
Cypre  par  de*  ûobmiês  étrangères. 

1°  Colonies  phéniciennes.  — L'île 
de  Cypre  reçut  ses  premiers  habitants  du 
continent  qui  Tavoisinait.  Son  heureuse 
position ,  la  douoeur  de  son  climat,  la  ri- 
chesse et  la  fécondité  de  son  territoire 
durent  attirer  vers  ses  côtes  les  premiers 
hommes  qui  osèrent  confier  leurs  jours 
aux  hasards  des  dots,  et  les  déterminer  à  y 

fonder  des  établissements.  Dès  les  teinps 
es  plus  reculés  la  nation  phénicienne, 
donnant  Tessor  à  son  activité  et  à  sou  gé- 
nie aventureux,  narcourut  le  monde  an- 
cien, et  répandit  le  surplus  de  sa  popula- 
tion sur  tous  les  rivages  et  dans  toutes  les 
îles  de  la  Méditerranée.  Uiie  de  Cypre  dut 
être  une  des  premières  terres  visitées  et 
colonisées  par  cette  nation  commer- 
çante; mais  il  est  impossible  à  Thistoire 
de  fixer  Tépoque  de  ces  établissements 
et  de  dire  s*il8  ont  été  la  première  sourie 
d'où  estsortiela  population  cypriote.  Les 
peuples  commerçants  ne  recherchent  pas 
les  pays  déserts  et  non  encore  exploités 
par  Thomme.  Partout  où  les^ Phéniciens 
débarquaient  leurs  marchandises  et  dres- 
saient leurs  comptoirs,  il  y  avait  déjà 
des  habitants  pour  acneter  leurs  di^n* 
rées,  et  leur  oonner  en  échange  celles 
de  leur  pavs.  L'époque  de  la  formation 
d'un  peuple  est  toujours  antérieure  aux 
faits  attestés  par  l'histoire ,  et  précède, 
en  la  préparant,  les  développements  de 
la  civilisation.  Aussi  l'on  peut  affirmer 
qu*avant  l'arrivée  de  ces  colons  Phéni- 
ciens, que  des  raisons  politiques  ou  des 
spéculations  commerciales  durent  attirer 
dans  nie  de  Cypre ,  elle  avait  reçu  son 
peuplé  de  ces  mêmes  côtes  de  l'Asie ,  à 
cette  époque  d'étrange  et  soudaine  pro- 
pagation de  la  famille  humaine  dont  la 
Bible  nous  a  conservé  le  souvenir.  Uhis* 
torien  Josèphe  a  précisé  cet  événement 
quand  il  dit  {l)  que  Kittim ,  fils  de  Ja- 
van ,  petit-fils  de  Japhet  et  arrière-petit- 
fils  de  Noé,  vint  s'établir  en  Cypre  après 
le  déluge  et  la  dispersioa  des  hommes. 


(i)  Joft.,  Amê,  Judt,  1, 6i 


ILE  DE  CHYPRE. 


H 


Plus  tard  fiturent  les  niarehands  et  lea 
navigateurs  phéoicietis ,  qui  par  teor  r\* 
chesse ,  leur  indvstrie ,  leurs  arte,  axer- 
férent  une  grande  iniluenee  et  méritè- 
rent d'être  regardés  eomme  les  civilisa* 
teurs  de  la  contrée.  Ce  sont  eux,  dit  Stra^ 
fcon  (1),  qui  apportèrent  en  Cypre  la 
première  culture,  qui  défrichèrent  les 
champs  et  exploitèrent  les  mines.  Les 
trois  villes  les  pltis  communément  regar« 
dées  comme  d^brigine  asiatique  ou  phé* 
Dicienno  sont  estles  de  Citium ,  de  Pa* 
phos  et  d*Amatbonte,  situées  toutes  trois 
au  sud  deTlle.  Qtium  doit  à  son  analogie 
avec  le  nom  de  Kittim  d*étre  considérée 
eomme  la  plus  ancienne  de  toutes;  ce  qui 
n'est  pas  sans  vraisemblance  (2).  Citium 
iîit  parnlessus  tout  une  ville  de  commerce. 
Les  deux  autres  villes  furent  primitive- 
oKot  des  sanctuaires,  et  grandirent  à 
i'abri  des  autels d* Aphrodite  et  de  MeN 
cirt.  Fa  phos  fut  fondée  par  le  roi  phé- 
nicien Cidyras  (  8  ) ,  qui  construisit  un 
temple  à  Aphrodite  sur  le  modèle  de  ce- 
loi  du  Liban.  Le  sanctuaire ,  la  ville,  la 
eootrée  environnante  restèrent  sous  le 
{^Hivernetiient  sacerdotal  des  Cinyrades, 
famille  iasue  de  Cinyras.  Plus  tard  les 
Grecs  s'emparèrentde  Paphos.  d*Aphro* 
dite  et  de  Cinyras  au  profit  de  leur 
mythologie.  Amathonte  avait  son  temple 
d'Aphrodite,  et  de  plus  celui  de  Mel- 
cart ,  qu*on  y  appelait  Maliku  ;  ce  qui 
u'empécba  pas  Amathonte  d^étre  dé- 
laissée plus  tard ,  quand  les  Orecs,  de- 
venus dominants  dans  Tlie,  adressèrent 
tons  leurs  hommages  au  sanctuaire  de 
Paphos. 

2*Cii.iciEN8. — On  ne  peut  dire  ce  que 
la  population  de  Cj^pre  dut  aux  courses 
aventureuses  des  Cilleiens,  que  les  Phé- 
nieiens  poursuivaient  partout  comme 
des  pirates  ;  mais  ce  que  Tacite  nous 
apprend  de  la  part  quHls  prirent  à  For*' 
ganisatioa  du  eulte  de  Paphos  peut  au- 

(0  5lrab.,l.ilV. 

(î)  Eiigel,  Kyprosy  î,  x68.  Voir,  sur  les 
rapports  de  Tile  de  Cethitn  et  de  Tyr,  Isaïe, 
e.  ixin,  I,  li. 

(3)  Celle  histoire  primitive  de  Cypre  est 
p^  M  sérieux  et  lonç^èment  racontéti  par 
Fiorio  RustroQ,  qui  a  écrit  ThUtoire  de  son 
{Mys  <lcpuis  les  preiliien  temps  josqttes  en 
1458,  épo(|ue  où  il  vivait.  Cet  ouvrage  est  con- 
scné  en  manuscrit  à  la  Bibliothèque  Nationale. 


toriser  d*amplea  conjectures  sur  fin- 
Attende  des  Ctliciens.  dans  cette  tle,  qui 
touchait  presque  à  leurs  rivages.  «  Le 
temple  de  Paphos i  dit  Tacite,  fut  con« 
sacré  par  Cinyre  (1).  Mais  on  rapports 
qu'on  dut  l'art  des  aruspiees  à  des  étran-f 
gers;  qu'il  fut  apporté  par  le  Cilicièn 
Tamyras ,  et  qu'on  régla  que  les  fonc- 
tions'du sacerdoce  se  partageraient  entre 
les  descendants  de  ees  deux  familles. 
Par  la  suite  la  famille  royale  reprenant 
toute  prééminenee  sur  une  race  étran» 
gère,  cclle-d  abandonna  la  sdeocn 
qu'elle  avait  apportée.  Aujourd'hui  le 

{ urètre  que  l'on  consulte  est  toujours  do 
a  famille  de  Cinyre.  »  Ainsi^  bien  que 
Pélément  phénicien  finisse  par  Tempor*^ 
ter^  l'élément  Cilicien  avait  été  asser 
considérable  dans  l'origine  pour  élever 
les  Tamyrades  au  niveau  des  Cinyrades, 
et  les  forcer  à  partager  avec  eux.  Mais 
qu'on  n'oublie  pas,  en  même  temps,  que 
Cilix ,  fils  d'A^apétior,  était  d'origine 
phénicienne  (2). 

S""  DB  L'iNPLtJfilVCn  É&Y^TIEirNt!  Et 
PHRYOIËMIffi;   LB8  COBYBANtES;  LES 

Dactyles;  les  TELCHifiES.  -*  «  Les 
Cypriens,  dit  Hérodote  (3),  sont  uh  mé- 
lange de  nations  différentes;  les  uns 
viennent  de  Salamine  et  d'Athènes.,  les 
autres  d'Aroadie,  de  Gythous,  de  Phé- 
nicie  et  d'Ethiopie,  cornide  ils  le  disent 
eux-méhies.  i»  On  s'est  autorisé  de  cette 
affirmation  du  vieil  historien  pour  attri- 
buer une  partie  de  la  population  cy- 
prienne  à  une  antique  colonisation 
égyptienne,  contertiporaioe  de  l'invasion 
des  Pasteurs  et  de  l'émigration  de  Ce- 
crops.  Ce  sont  là  de  ptires  hypothèses  : 
rien  n'atteste  d'tlne  manière  positive  que 
l'Egypte  ait  contribué  à  peupler  et  à  ci- 
viliser nie  de  Cvpre.  Elle  Ha  soumit 
plus  tard,  et  ce  qu  atance  Hérodote  pou- 
vait être  vrai  de  son  temps,  sans  prouver 
la  réalité  de  ces  prétendues  colonies 
^yptiennes  dont  la  critique  moderne  a* 
fait  justice  (4).  Mais  les  rapports  aUciehë 
de  1  fie  de  Cypre  avec  les  peuples  phry- 
giens ou  pélasgiqués  de  I  Asie  Mineure 

(r)  Tatit.,  WsL,  II,  3. 
(\)  Hérod.,  Vtî,  gi. 

(3)  Rngel,  Kypros ,  I,    i8a;    Hér. ,  II, 

VII,  90. 

(4)  Miiller,  Orchotnène^  p.  104;  HcBck, 
Kreta.,  I,  p.  48. 


16 


L'UmVERS. 


sont  iD&illiblenieiit  eoDttalés.  Comme 
rancieiine  Lydie,  Cypres'appela  Méoiiie 
et  ses  habitants  Miones  ou  Méoniens.  A 
une  époque  où  TÉsypte  était  sans  oom- 
municatioDs  avec  lès  pays  occidentaux , 
Cypre  était  ouverte  à  tous  les  peuples  de 
TAsie  Mineure,  et  TOdyssée  atteste  com- 
bien ses  rapports  commerciaux  avec  l'Oc- 
eident  étaient  fréquents  et  continuels. 
Vais  ce  sont  les  institutions  religieuses 
qui  fournissent  la  preuve  la  plus  torte  de 
rantique  influence  de  la  race  phrygienne 
sur  rtie  de  Cypre.  On  y  retrouve  ces  castes 
sacerdotales,  ces  femilles  savantes  et  in- 
dustrieuses desCèrybanteSfdes  Dactyles, 
desTelchines,  qui,  sorties  des  sanctuaires 
phrygiens,  se  répandirent  dans  les  plus 
importantes  des  ties  de  la  Méditerranée, 
propageant  avec  elles  leurs  cultes,  leurs 
arts  et  leurs  sciences.  Les  Corybantes, 
ces  prêtres  phrygiens  de  Cybèie,  exploi- 
tèrent les  mines  de  cuivre  de  Tlle  de 
Cypre,  et  selon  une  tradition  ils  auraient 
tiré  leur  nom  du  Corion,  montagne  de 
ce  pays  (1).  Les  danses  orgiast:ques  des 
Corybantes  furent  adaptées  au  culte  d* A- 

Iihrodite;  et  on  les  désignait  à  Cypre  par 
e  mot  prylis,  qui  avait  le  même  sens 
dans  la  langue  phrygienne.  Les  Dactyles 
Idéens ,  cette  autre  caste  de  mineurs, 
vouée  aussi  au  culte  de  Cybèie,  se  livre 
dans  l*tle  de  Cypre  à  ses  travaux  mé* 
tallurgiques,  et  les  industrieux  Telchi- 
nes,  venus  peut-être  de  Ttle  de  Rhodes, 
y  répandent  la  connaissance  et  le  goût 
des  arts  manuels  (2). 

4^  ÉtABUSSBM  BIf  TS  DBS  GrEGS  DANS 

lIlb  db  Cypbb.  —  Les  traditions  grec- 
ques sur  rile  de  Cypre  ne  remontent  pas 
au  delà  de  la  guerre  de  Troie.  C*était  le 
temps  où  r^ait  le  Phénicien  Qnyras, 
qui,  ayant  appris,  dit  Homère  (3)»  parla 
grande  voix  de  la  renommée  que  les 
urecs  devaient  naviguer  contre  Troie, 
offrit  à  Agamemnon  une  cuirasse 
comme  don  d*hospitalité.  Selon  quel- 
ques récits,  cette  alliance  n'aurait  point 
été  de  longue  durée,  puisque  Ménélas 

{>assa  dans  TUe  de  Cypre  pour  y  punir 
es  peuples  qui  avaient  porté  du  secours 
aux  Troyehs  et  qu* Agamemnon  y  serait 
également  venu  avec  sa  flotte  et  aurait 

(i)  Senrins,  jéd  JEn,,  III,  1 1 1 . 

(a)  Strab.,  XIV,  654  ;  PauBan.,  IX,  19,  i. 

(3)  IL,  %J,  90. 


détrôné  Cînyras  (1).  Le  premier  établis* 
sèment  des  Grecs  en  Cypre  est  celui  de 
Teucer,  iils  de  Télamon,  qui,  chassé  de 
Salamine  pour  n'avoir  pas  secouru  son 
frère  Ajax  ou  ven^  sa  mort,  alla  fonder 
dans  nie  la  Salamine  Cyprienne.  On  dit 
qu'il  épousa' Euné,  fille  de  Cinyras.  Ijbs 
Grecs  firent  alliance  avec  les  Phéniciens, 
et  leurs  émigrations  dans  Ttle  de  Cypre 
s'accomplirent  sans   violence  et   sans 
guerres.  Le  continent  de  l'Attique,  dont 
Salamine  n'est  qu'un  fragment  détaché, 
envoya  dans  le  même  temps  de  nom- 
breuses colonies  dans  Tlle  de  Cypre, 
sous  la  conduite  d'Acamas,  de  Démo- 
phon,  de  Phalérus,  d'Alédrus,  de  Chy« 
tnis.  C'était  la  race  de  Thésée  qui  émi- 
grait,  entraînée  sans  doute  à  son  tour 
dans  la  di£^ce  qui  avait  frappé  Thésée 
lui-même.    Les  colonies    atnéniennes 
couvrirent  la  côte  septentrionale  de  Ttle 
et  la  plaine  de  la  Messarea.  On  attribue 
la  fondation  de  Lapathus  et  Céronia  à 
Praxandrede  Thérapné,  ville  de  Laco- 
nie.  Des  Argiens,  sous  un  chef  inconnu, 
s'établirent  à  Curium  ;  Céphas  conduisit 
des  Achéens  d'Olénum  et  de  Dyme,  et 
s'établit  en  Cypre  avec  Praxandre.  Des 
Asinéens  Dryopes,  chassés  par  les  Do- 
riens,  prirent  la  même  route ,  et  se  ré- 
fugièrent  dans  cette  île ,  où  l'existence 
d'une  ville  d'Asine  attesté  la  réalité  de 
cette  émigration  (2).  Agapénor,  qui  corn- 
mandait  les  Arcadiens  au  siège  de  Troie, 
fonda  la  nouvelle  Paphos,  ou  le  culte  de 
la  divinité  phénicienne  de  Pals-Paphos 
commença  a  se  combiner  avec  celui  de 
l'Aphrodite  grecque.  Enfin,  la  fondation 
de  la  ville  de  Golgos  était  attribuée  à 
une  colonie  de  Sicyoniens. 
Etat  de  l'Ilb  de  Cypbb  pendant 

LA  PÉBIODE  d'indépendance.  —  Du 

douzième  au  septième  siècle  avant  Tère 
chrétienne,  l'ile  de  Cypre,  divisée  en  pe- 
tits rovaumes  indépendants  et  peut-être 
confédérés,  devient  florissante  et  riche, 
et  se  place  parmi  les  puissances  mari- 
times de  la  Méditerranée.  Cest  la  seule 
période  où,  ne  relevant  que  de  ses  pro- 
spres  lois,  elle  vécut  libre  de  toute  domi- 
nation étrangère;  et  c'est  aussi  le  temps 
où  son  histoire  est  le  moins  connue.  La 

(x)  Raoul-Rochette,  Histoire  des  Colonies 
gre&fues^  II,  p.  890. 

(a)  Engel,  Kypros,  I,  aa4. 


IL£  B£  CHYPRE. 


U 


teOitéavee  laquelle  les  Grées  s'étaient 
établis  et  rendus  en  Cypre  semble  in- 
diquer que  la  domination  phénicienne 
commençait  à  y  tomber  en  décadence. 
Il  y  avait  peutpêtre  entre  les  cités  phéni- 
ciennes de  nie  de  Cypre  et  la  métropole 
des  dissensions  qui  devinrent  fatales  à 
ces  premières  ;  car,  diaprés  une  tradition 
fort  vraisemblable  (1),  Teucer  avant  de 
débarquer  dans  Ttle  séjourna  quelque 
temps  à  Sidon  »  oi^  régnait  Bélus  «  qui 
Taioa  de  toutes  ses  forces  dans  son  ex- 
pédiiion  en  Cypre.  Ce  fait  nous  révèle 
sans  doute  la  cause  principale  de  la  ra- 
pidité avec  laquelle  8*opéra  Finstallation 
de  la  race  greooue  dans  ce  pays  :  les  Hel- 
lènes prirent  le  dessus,  occupèrent  le 
nord,  le  nord-est  et  fouest  de  nie,  et  les 
Phéniciens  furent  resserrés  au  sud  dans 
les  trois  villes  de  Papbos ,  d*Ainathonte 
et  de  Citium.  Dans  ces  temps  anciens 
00  ne  connaissait  que  la  forme  du  gou* 
reniement  monarchique.  Les  chefs  qui 
araient  conduit  les  colonies  grecques 
restèrent  rois,  et  fondèrent  des  dvnastles 
qui  se  partagèrent  l'Ile  en  plusieurs 
royaumes.  Les  anciens  divisaient  Cypre 
en  npiif  royaumes,  qui  étaient  les  sui- 
vants (2)  :  Salamine,  le  plus  puissant  de 
tous,  Soli,  Chytri,  Curion,  La  pathos» 
Gerynia ,  la  Nouvelle-Paphos ,  Citium  et 
AmathoDte.  Ainsi  de  ces  neuf  royaumes 
il  n'y  «n  avait  que  deux  gui  avaient  con- 
servé le  caractère  phénicien,  les  sept  au- 
tres étaient  d'origine  grecque,  ou  étaient 
devenus  helléniques  par  la  colonisation. 

PUISSAIICB  KABITIMS  BT  COLONIES 

nis  CYPBiBifs.  —  Ces  deux  peuples  li- 
bres, les  Phéniciens  et  les  Grecs,  rivaux 
sans  être  ennemis,  établis  danscettetle,  si 
importante  par  ses  richesses  naturelles 
et  sa  position  géographique ,  déployèrent 
toutes  les  ressources  de  leur  génie  com- 
mercial, et  Cypre  devint  une  puissance  . 
maritime  de  premier  ordre.  Elle  eut  un 
instant  Tempire  de  la  mer,  au  neuvième 
sièele  avant  l'ère  chrétienne.  Tan  846 
d'après  les  Tables  de  Castor  ;  et  elle  con- 
serva pendant  trente-trois  ans  sa  domi- 
nation (3).  Alors  rtle  de  Cypre  envoya  à 
son  toor  des  colonies  au  denors,  sur  les 

(i)  SerriaSy  AdJEn,^  1, 6!i3. 
(a)  PUoe,  HisL  l^at.^  V,  35 ,  i  ;  Pomp. 
Mêla ,  n,   7  ;  Diodor.,  XTI,  4a. 
(3)  Ea^ly  ^yp^^y  h  338  ;  Diod.,  TII,  z3. 

2*  livraison,  (  Ile  db  Cqyprb.  ) 


côtes  de  la  Macédoine,  i  Cyme,  en  Asie 
Mineure,  en  Svrie,  à  l'endroit  où  s'éleva 
plus  tard  la  ville  d'Antioche,  en  Sicile, 
où  le  Rhodien  Dipomène ,  ancêtre  de 
Gélon,  etd'origine  cyprienne,  jeta  les  fon- 
dements de  la  ville  de  Gela.  Mais,  en 
somme,  les  indications  que  l'antiquité 
nous  a  conservées  sur  le  aéveloppement 
maritime  et  commercial  des  Cypriens  à 
cette  époque  sont  bien  insuffisantes,  et 
ne  nous  permettent  pas  de  donner  une 
juste  appréciation  de  cette  thalasxocra' 
He  de  l'île  de  Cypre,  placée  par  Castor  au 
neuvième  siècle  et  attestée  également  par 
Ëusèbe  et  le  Syncelle.  Ce  qui  paraît  cer- 
tain, c'est  que  la  ville  de  Citium,  mal* 
gré  la  propagation  des  Grecs  dans  l'Ile, 
était  res'ée  le  centre  principal  du  com- 
merce de  Cypre,  grâce,  sans  doute,  à  ses 
relations  avec  les  cités  phéniciennes  et 
surtout  avec  celle  de  Tyr,dont  elle  recon- 
nut la  suprématie,  et  dont  elle  partagea 
jusqu'à  un  certain  poiut  toutes  les  des- 
tinées. 

Relations  dbs  Cypriens  avbc 
l'Assybib.  —  En  effet,  au  huitième  siè- 
cle avant  l'ère  chrétienne,  Tyr  était  par- 
venue au  comble  de  sa  prospérité,  et  c'est 
alorsque  Tllede  Cypre  parait  être  tombée 
sous  sa  dépendance  D'après  Thistoriea 
Ménandre,cité  par  Josèphe.  Salmanasar, 
roi  de  Ninive,  ayant  envahi  la  Phénicie, 
les  Citiens  s'adressèrent  à  ce  prince  pour 
obtenir  des  secours  contre  Élulée,  roi  de 
Tyr,  auquel  ils  venaient  de  refuser  obéis- 
sance.  D'autres  villes  phéniciennes  ea 
firent  autant,  et  fournirent  une  flotte  au 
roi  assyrien.  Les  Tyriens  la  dispersèrent  ; 
et  Salinanasar  fut  obligé  de  renoncer  à 
l'espoir  de  s'emparer  de  Tyr.  Mais  les 
cités  phéniciennes  s'affaiblissaient  par 
ces  dissensions,  et  le  moment  n'était  pas 
éloigné  où  elles  devaient  reconnaître  un 
vainqueur.  En  etïet  Nabuchodonosor  le 
Grand,  au  commencement  du  sixième 
siècle,  renversa  Fancienne  Tyr,  et  força 
ses  habitants  à  se  construire  une  nouvelle 
cité,  sur  uu  Ilot  voisin  de  la  côte.  Un  grand 
nombre  d*entre  eux  se  réfugia  dans  l'île 
de  Cypre,  qui  subit  peut-être  la  loi  du 
conquérant  chaldéen.  Dans  Jérémie, 
Tyr,  Sidon  et  Cypre  semblent  enve- 
loppées dans  la  mêine  catastrophe  quand 
le  prophète  s'écrie  :  ^  J'ai  reçu  la  coupe 
de  la  main  du  Seigneur,  et  j'en  ai  fait 
boire  à  tous  les  peuples  vers  lesquels  le 


IS 


L'UMVH&t' 


Seigneur  m'a  envoyé,  à  tous  les  roif  de 
T^r  et  à  tous  les  rois  de  Stdon,  et  aux 
rois  de  la  terre  des  tles  qui  sont  au  delà 
de  la  mer  (1>.  *  Cette  terre  des  îles  ne 
peut  être  que  Ttle  de  Cypre ,  divisée  en 
petits  Ëtats  qui  s'empressèrent  tous  sans 
Ooute  de  désarmer  par  une  prompte  sou« 
mission  le  courroux  du  roi  de  Babvione. 

CONQUÊTB  DB  CTPBBPàB  LBsÊgYP* 

ttBNS.  •»  Déjà  les  cités  eommerçantet 
de  la  Phénicie  et  de  l'Ile  de  Cypre  défen* 
daient  bien  péniblement  leur  indépen- 
dance contre  les  agressions  des  rois  as- 
syriens et  chaldéens ,  lorsqu'un  nouvel 
ennemi  parut  qui  vint  encore  acerottre 
les  dangers  de  leur  situation.  Au  milieu  du 
septième  siècle,  Tavénement  de  Psammi- 
tichus  su  trdne  de  l'tl^ypte  marque  une 
ère  nouvelle  dans  l'histoire  de  cette  oon* 
trée.  Ce  prince,  qui  avait  soudainement 
passé  de  la  persécution  et  de  l'exil  à  la 
possession  du  souverain  pouvoir,  gnAee 
aux  secours  d'aventuriers  grecs  venus  des 
fies  et  de  l'Asie  Mineure,  les  récompensa 
en  leur  permettant  de  s'établir  près  de 
Bubaste,  et  TÉgypte  cessa  d'être  fermée 
aux  peuples  navigateurs  de  l'Occident. 
Plus  tard  Amasis  leur  céda  Naucratis. 
Les  Cypriens  profitèrent  avec  empres- 
sement de  l'ouverture  de  ee  nouveau 
marché,  et  la  Vénus  de  Paphos  fut  bien- 
tôt comptée  au  nombre  des  divinités 
adorées  dans  la  ville  de  Naucratis  (3). 
A  la  suite  de  ces  événements,  qui  avaient 
créé  à  r  Egypte  des  intérêts  nouveaux,  les 
rois  égyptiens  de  la  viogt-sixième  dynas» 
tie,  dont  Psammitichus  fut  le  fondateur, 
s'engagèrent  dans  une  lutte  acharnée 
et  sanglante  avec  les  rots  chaldéens  de 
Babvione.  Ils  leur  disputèrent  la  pos- 
session des  provinces  maritimes  de  la 
Syrie,  sans  lesquelles  il  n'est  point  de 
domination  possible  dans  la  Méditer- 
ranée orientale.  Le  résultat  de  ce  conflit 
retomba  sur  Ttle  de  Cvpre,  qui  devint  la 
proie  des  Égyptiens.  Apriès .  fils  de  Né- 
cao,  petit-fiis  de  Psammitichus,  mar- 
cha, ait  Diodore  de  Sicile  (3),  à  la  tête 
d'une  nombreuse  armée  de  terre  et  d'une 
flotte  considérable  contre  l'tle  de  Cypre 
et  la  Phénicie.  Il  prit  d*assaut  Sidon,  et 

(i)  Jérém.,  XXV,  17,  aa/ 
(a)  Voir  Athénée,  XT,  676;  Engd,  JT/- 
pros,  T,  aSo. 
(B)  Dîod.,  1, 68. 


porta  la  tanov  «bm  tes  attiras  viiieade 
la  Pbénieîe.  H  vainqoit,  dans  un  grand 
combat  naval ,  les  Phéniciens  et  les 
Cypriens,  et  retourna  en  Egypte  chargé 
de  leurs  dépouilles.  Les  Cypriens,  affai- 
blis parées  premières  deraitea,  furent 
subjugués  par  Amasîa,  successeur  d'A* 
prîM.  Ce  prince,  dit  Hérodote  (  I),  est  le 
premier  qui  se  soit  rendu  maître  de  l'île 
de  Cypre,  et  qui  l'ait  forcée  à  payer  un 
tribut  (vers  550).  Quelques  années  aupa- 
ravant. Selon  avait  visité  le  roi  d'iflpia, 
Philocyprus ,  ou  Cyprenor,  et  l'avait  en- 
gagé à  transporter  son  séjour  dans  une 
ville  qu'on  appela  Soli  en  Thonneur  du 
sage  Athénien.  Avant  de  quitter  le  roi 
eyprien,  Solon  lui  adressa  dans  une  élé- 
gie les  adieux  suivants  ; 

PoiiMB-ta  régaer  ici  daot  Soli  de  loogoti  «n* 

nées. 
Paisible  daûs  ta  vUle,  tôt  et  tes  descendants  ! 
Pour  moi ,  que  mon  rapide  faisseau  loin  dr 

cette  fie  célèbre 
M'emporte  sain  et  tauf ,  protégé  par  Cjpris  à 

la  couronne  de  violettes. 
Puîaae  cette  fondation  me  valoir  par  la  déessa 

reoon  naissance,  gloire 
niostre,  et  beunax  retour  dans  ma  patrie! 

Ce  fut  peu  de  temps  après  que  Vile 
célèbre  perdit  son  indépendance.  Mais 
les  Athéniens  n'oublièrent  pas  que  les 
descendants  de  Thésée  Tavaienteouverte 
de  colonies,  que  leur  législateur  Tavait 
chantée,  et  ils  firent  des  efforts  héroï- 
ques pour  la  reconquérir  et  la  rattacher  à 
fa  grande  famille  hellénique. 

L'iLB  DB  CyPBB  fasse  SOUS  LA  DO- 

M1NATI0N  DBS  Pebses.  —  C*e6t  à  tort 
assurément  que  Xénophon  place  File  de 
Cypre  dans  l'empire  de  Cyrtu.  Cette 
assertion ,  répétée  plusieurs  fois  dans 
la  Cyropédte  (3),  où  les  contingents  de 
Cypre  Ogurent  toujours  dans  les  années 
du  roi  de  Perse ,  est  eontredite  par  le 
témoignage  positif  d*éerivains  plus  sou- 
cieux que  Xénophon  de  l'exactitude  his- 
torique. Hérodote  et  Thuc}'dide  (8;  ma^ 
quant  bien  clairement  que  Cyrus,  uni- 
quement occupé  par  ses  vastes  conquê- 
tes sur  le  coniiu«it,  ne  put  faire  d'entre- 
prises maritimes,  et  qu'il  laissa  à  see 

(i)  Hér.,  II,  iSa. 

(a)  Xén., Cyrop.,  I,  t,  4;  TQ,  4,  t  ;  VOT, 
6  S 
'  (St  Hired.,  m,  34;  Thuc^  I,  i<. 


ILE  DE  CBTfîRE. 


•li 


k  gloire  de  t'empartr  de 
Vimçm  des  mers.  Loreqne  Gambyse  dÂ> 
dira  la  guerre  à  PaamméDît  fils  d'Ama- 
itf«  fan  62^  avant  Tère  chrétienne,  les 
PbéDieîens  et  les  Cypriens,  Jaaaéa  de  la 
domination  éfiyptieooe,   et  attendant 
qnelqae  avantage  d'un  changement  de 
maftre,  se  donnèrent  à  la  Perae,  et  mir 
rent  Irar  marine  à  la  diapoaition  du  fils 
de  Cyrus  (i).  C'est  là  le  &it  que  Xéno* 
pboo  a  transposé  par  un  anachronisme 
sans  doute  volontaire,  et  de  peu  d'impor* 
tance  eu  éyeard  au  plan  et  à  rintention 
de  son  roman  historique.  Il  est  probable 
qu'à  Tofigine  les  Cjpriens  et  les  Phéni<* 
ciens,  considérés  par  les  Perses  comme 
alliés  et  non  comme  sujets,  jouirent  d'une 
liberté  qui  fut  la  récompense  de  leur  dé« 
feetion  à  Tégard  de  T^^gypte.  Ils  ne  fu* 
KBt  pas  soumis  à  des  gouverneurs  per-» 
sans;  mais  Darius,  qui  donna  une  ad- 
ministration uniforme  et  régulière  à  ton 
vaste  empire,  fit  entrer  la  Phénicieet  l'tle 
de  Cypre  dans  la  cinquiènie  satrapie  (2). 
II  paraît  néanmoins  que  les  petits  rois 
de  lUe  de  Cypre  conservèrent  leur  au- 
torité sons  la  suprématie  de  la  Perse, 
dont  ils  ae  reconnaissaient  les  vassaux, 
n  est  fait  mention  dans  Hérodote  (3) 
d*an  roi  de  Salamine ,  appelé  Évelthon, 
qui  consacra  à  Delphes  un  très-bel  en** 
eeosoir,  qu'on  voyait  dans  le  trésor  des 
Corinthiens.  Pendant  le  règne  de  cd 
prince ,  ^ui  avait  commencé  vers  le  mi» 
iieadu  sixième  siècle,  Arcésilas  III,  roi 
de  la  ville^recque  de  Cyrène,  que  les  Do« 
liens  de  Théra  avaient  fondée  en  Afri- 
qae,  fut  chassé  de  ses  Etats  par  ses  sujets 
itfollés.  Il  se  réfugia  a  SamoS,  où  ré- 
glait Polycrate,  et  sa  mère,  le  vindicative 
Phérétîme,  se  retira  à  Salamine,  auprès 
d*Évelthon  «  auquel  elle  demandait  avec 
iostance  des  secours  pour  se  rétablie 
à  Cyrène,  elle  et  son  nls.  Évehhon  se 
montrait  plein  de  ^nérositéàson  égard, 
mais  ne  loi  donnait  ni  vaisseaux  ni  toU 
dats.  A  duKfueprésentqu'elle  recevait  de 
lai,  Phérétinie ,  tout  en  assurant  qu'elle 
les  trouvait  très'beaux,  répondait  qu*il 
ferait  bien  mieux  de  loi  accorder  des 
tnmpes.  A  la  fin  Évelthon,  fatigué  des 


(i)Hérod.,lII,«9. 

(a)  Hérod.y    III ,   91;  Eagel,    Krpros, 

(3}H^rod.,n%  i6a. 


eolNcitatioiis  el  des  reproches  de  cettK 
princesse,  lui  envoya  un  fuseau  d'ois 
avec  une  quenouille  ehargéede  laine ,  et 
il  acpampagna  ce  prèKut  de  oes  pnrolsi 
ironiques:  «  On  donne  aux  femmes  un  fih 
seau  et  nue  quenouille,  on  ne  leur  donne 
pas  une  armée.  » 
PRBMiBn   socLivKirEirT  Dte  Cr^ 

PniBlVS  CONYBB  LB8  PSABEB,  VBllDAlIt 
i*A  BiVOI^TB  DB  L'IORlB  (60S«601  avaQt 

J,-C.  ).  —  La  révohe  de  Tlonie,  excitée 
par  Tambltion  et  les  intrigues  d  Arista» 
goras  et  d*Histi»e  de  Milet,  ne  détacha 
un  instant  les  villes  grecques  d*Aine  de 
Tempire  des  Perses  que  pour  agfq*aver 
leur  servitude.  L'Ile  de  Cypre  fut  en** 
traînée  dans  ce  mouvement,  où  lesOreoa 
déployèrent  un  grand  oourage  et  sue* 
oombèrent  par  leur  désunion.  Au  mo* 
ment  où  cette  guerre  éclata,  Gorgiis  ré* 
gnait  à  Salamine.  Il  était  fils  de  Chersis, 

rtit  fils  de  Siromus,  lequel  avait  succédé 
Évelthon,  son  père.  Gorgus  avait  un 
frère  y  nommé  Onésilos,  Jeune  hoinme 
remuant  et  hardi,  qui  exhortait  souvent 
son  frère  à  secouer  le  joug.  A  la  neu* 
Telle  de  la  révolte  des  Ioniens ,  Onéaî» 
lus  Ven  pressa  encore  davantage;  mais 
n'ayant  pu  Ty  engager,  il  épia  le  moment 
qu'il  était  sorti  de  Salamine,  et,  réuniS"' 
saut  ses  partisans ,  il  s*empara  du  poU'* 
voir.  A  son  retour,  Gorgus  trouva  Sa* 
lamine  soulevée;  il  se  retira  ehez  les 
Perses.  Alors  Ouésilus  excita  les  villes 
çypriennes,  qui  toutes  prirent  les  armée, 
excepté  les  habitants  d'Amathonte.  Il  mit 
le  siège  devant  cette  place. 

Pendant  que  Darius  renvoyait  Hît« 
tîise  de  Suse  à  Milet  pour  apaiser  lee 
loiûens ,  il  âépécha  le  Perse  Artybioa 
avec  une  armée,  pour  comprimer  le  sou-^ 
lèvement  d'Oiiéstlus.  Ce  dernier  était en« 
eore  occupé  au  siège  d*  A  mathonte,  quand 
on  lui  apprit  le  danger  qui  le  menaçait. 
A  rinstant  il  s'adresse  aux  Ioniens ,  les 
conjure  de  le  secourir,  et  ceux-ci  lui  en- 
voient une  flotte  nombreuse,  qui  arriva  à 
peu  près  en  même  temps  que  Tarmée 
d'Artvbius  et  les  vaisseaux  phéniciens 
qui  devaient  la  soutenir.  Avant  d'agir, 
les  rois  de  Cypre  et  les  commandants 
ioniens  se  réunirent  en  conseil,  et  délH 
bérèrent  sur  le  plan  de  défense  qu'il  oen« 
▼enait  d'adopter  (1).  «  Ioniens,  dirent 

(t)  Hérod.,  V,  109,  trad,  de Larehcr. 

2. 


î;ui!iiver& 


les  Çyvnrieiis,  sons  tous  donnons  le  dioix 
d'attaquer  les  Perses  on  lefi  Phéniciens. 
Si  TOUS  voulez  essayer  sur  terre  vos 
forœs  contre  les  Perses;  il  est  temps  de 
quitter  vos  vaisseaux  et  de  vous  ranger 
«n  bataille  ;  et  nous,  après  être  montés  sur 
vos  vaisseaux ,  nous  combattrons  contre 
les  Phéniciens  ;  si  vous  aimez  mieux  at- 
taquer les  Phéniciens  Y  faites-le.  Mais, 
quel  que  soit  votre  choix,  songez  que  de 
TOUS  dépend  la  liberté  de  Cypre  et  de 
rionie.  »  «  Princes  de  Cypre,  répondi* 
rent  les  Ioniens,  le  conseil  commun  de 
riooie  nous  a  envoyés  pour  garder  ïr 
mer,  et  non  pour  remettre  nos  vaisseaux 
aux  Cypriens,  et  pour  combattre  nous- 
jnémes  à  terre  contre  les  Perses.  Nous 
tâcherons  de  faire  notre  devoir  dans  le 
poste  où  Ton  nous  a  placés.  Pour  vous, 
rappelez-vous  le  dur  asservissement  où 
vous  ont  tenus  les  Mèdes ,  et  combattez 
en  gens  de  coeur.  »  Il  fut  résolu  qu*on 
livrerait  bataille  aux  Peises,  pendant 
que  la  flotte  ionienne  en  viendrait  aux 
jnains  avec  les  Phéniciens. 

BATAlUiE  DE  SàLAHINS  *,  KOBT  D*0- 

NÉsiLUS.  -^  Artybius  avait  établi  son 
camp  dans  la  grande  plaine  de  Salamine. 
Les  alliés  marchèrent  contre  lui.  Quand 
on  fut  en  présence ,  ils  rangèrent  leurs 
troupes  de  manière  à  opposer  les  gens 
de  Salamine  et  de  Soli,  réputés  les  plus 
braves  de  Hie,  aux  bataillons  perses.  Oné- 
silus  se  mit  à  leur  tété,  et  se  plaça  juste 
en  face  d'Artybius.  «  Artybius  montait 
un  cheval  instruit  à  se  dresser  contre  un 
homme  armé.  Oùésîlos,  qui  en  fîit  averti, 
en  parla  à  son  éeuyer,  Càrien  de  nation, 
homme  plein  de  courage,  et  très-entendu 
dans  l'art  de  la  guerre.  «  J'apprends,  lui 
dit-il,  que  le  cheval  d*  Artybius  se  dresse, 
et  que  des  pieds  et  des  dents  il  tue  ce- 
lui contre  lequel  on  le  pousse.  Faites 
sur-le-champ  vos  réflexions  là-dessus, 
et  dites-moi  lequel  vous  aimez  mieux 
observer  et  frapper  du  cheval  ou  du 
mattre.  —  Seigneur,  répondit  Técuyer,  je 
suis  prêt  à  faire  Tun  et  l'autre,  ou  l'un 
des  deux ,  et  absolument  tout  ce  qu'il 
vous  plaira  de  m*ordonner.  Je  vous  di- 
rai cependant  ce  qui  me  paraît  conve- 
nable à  vos  intérêts.  Je  pense  qu'un  roi 
et  un  général  doivent  combattre  contre 
«n  roi  et  un  général.  Si  vous  tuez  un 
général,  il  résuIterapourvous«ine  grande 
gloire;  s*il  vous  tue  (ce  qu'aux  dieux 


ne  plaise),  il  est  moins  triste  de  mourir 
de  la  main  d'an  homme  de  maroue. 
Quant  à  nous  autres  serviteurs.  Il  faut 
que  nous  combattions  contre  d'autres 
serviteurs.  A  l'yard  du  cheval  d' Arty- 
bius ,  ne  craignez  point  son  mané^ ,  je 
vous  garantis  qu'il  ne  se  dressera  plus 
contre  personne.  »  Il  dit,  et  bientôt 
après  les  deux  armées  de  terre  et  de  mer 
en  vinrent  aux  mains  (f  ). 

Les  vaisseaux  ioniens  dispersèrent  la 
flotte  phénicienne.  Mais  la  liatoille  de 
terre  eut  une  autre  issue.  D'abord  tout 
alla  bien  pour  les  Grecs  :  Onésilus  et  Arty- 
bius se  rencontrèrent  dans  la  mêlée.  Tan- 
dis qu' Artybius  poussait  son  cheval  contre 
Onésilus,  celui-ci  le  frappe,  comme  il  en 
était  convenu  avec  son  écÀiyer.  Le  cheval 
dresse  en  même  temps  ses  pieds  sur  le 
bouclier  d^Onésilus ,  le  Carien  les  lui 
coupe  avec  une  faulx  ;  le  cheval  s'abat 
et  le  général  perse  tombe  avec  lui.  Mais 
la  défection  cle  quelques  chefe  cypriens, 
qui  s'étaient  sans  doute  concertes  avec 
les  Perses,  enleva  la  victoire  à  Onésilus. 
Stésénor,  tyran  de  Curium,  et  le  chef  des 
chariots  de  guerre  des  Salaminiens  pas- 
sèrent à  rennemi,et  la  déroutedes  Grecs 
commença.  Onésilus  fut  tué  pendant 
cette  déroute  ainsi  qu' Aristocypros ,  tits 
de  Philocypros,  roi  desSoliens,  l'hoteet 
l'ami  de  Solon.  Ces  deux  princes  étaient 
les  plus  compromis  de  tous  les  ^rans 
de  I  lie.  Leur  mort  mettait  fin  à  la  ré- 
volte. Les  habitants  d'Amathonte,  irrités 
contre  Onésilus,  qui  les  avait  assiégés,  lui 
coupèrent  la  tête  et  l'exposèrent  sur  une 
des  portes  de  leur  ville.  Quelque  temps 
après  cette  tête  étant  vide ,  un  essaim 
d  abeilles  la  remplit  d'un  rayon  de  miel. 
Cet  événement  leur  paraissant  un  pro- 
dige, les  habitants  d'Amathonte  consul- 
tèrent l'oracle,  qui  leur  ordonna  d*en- 
terrer  cette  tête  et  d'offrir  tous  les  ans 
des  sacrifices  à  Onésilus  comme  à  un 
héros.  «  Ils  obéirent,  dit  Hérodote,  et  de 
mon  temps  ils  lui  sacrifiaient  encore  (2).  » 

L'ÎLE  DE  CYPBE  retombe  SOCS  LE 

JOUG  DBS  Pebses.  —  A  la  nouvelle  de 
cette  défaite,  les  Ioniens,  jugeant  que  les 
affaires  de  Cypre  étaient  perdues  sans 
ressource,  remirent  8ur*le-cliamp  à  la 
voile,  et  regagnèrent  l'Ionie.  Toutes  les 

(f)Hérod.,  V,  iir. 
(a)  Hcrocî.  V     U. 


ILE  DE  GBTPRE. 


9i 


villei  de  C^pre  fuirent  assiégées,  excepté 
SalaiBioe,qui  avait  rappelé  Gor^,8oa 
sneieD  itri.  Soli  fltiiiielos§;Qe  résistance. 
Elle  arrêta  Tennemi  pendant  cinq  mois, 
et  ne  fut  prise  que  par  la  mine.  Les 
Cypriens  retombèrent  sous  le  joug,  après 
avoir  joui  de  la  liberté  pendant  .un  an. 
Alors  les  Cvpriens  furent  obligés  d^aller 
eonibattre  leurs  andens  allies.  Darius 
les  fit  marcher  contre  les  Ioniens  (1),  et 
ils  contribuèrent  à  la  défaite  de  Lada  et 
à  la  prise  de  Milet.  Les  Cyprîens  sui- 
viient  aussi  Xerxès  dans  son  expédition 
eo  Grèce.  Leurs  che&,  selon  la  remarque 
d'Hérodote,  portaient  la  mitre,  à  rimi> 
tation  des  Perses,  Ils  fournirent  cent 
doqoante  vaisseaux  (2).  Gorgus  de  Sa* 
biiiine,  qui  devait  aux  Perses  le  recou'* 
vrement  de  son  trône,  prit  rang  parmi 
les  commandants  supérieurs  de  la  flotte. 
Son  frère  Philaon,  estimé  pour  sa  bra- 
voure, fut  fait  prisonnier  dans  un  des 
combats  de  FArtémisinm,  ainsi  que 
Pmtbilus,  fils  de  Démonoûs,  tyran  de 
Papbos.  Penthilus  était  venu  avec  douze 
vaisseaux  papliiens  :  il  en  perdit  onze 
brisés  par  la  tempête  au  cap  Sépias*  et  il 
tomba  entre  les  mains  des  Grecs  avec  le 
seul  navire  qui  lui  restât  (3).  La  flotte 
des  Pênes  fut  détruite  par  Thémistocle 
à  la  bataille  de  Salamine,  etMardonius 
attribua  cette  défaite  à  la  mauvaise  vo« 
lonté  et  à  la  Iftcheté  des  peuples  qui 
avaient  fourni   les  oontmgents  mari- 
times, Phéniciens,  Égyptiens,  Cypriens, 
et  Cilieiens  (4).  Il  panait  ainsi  pour  tirer 
Xerxès  de  la  consternation  ou  il  était 
plongé,  et  Tengs^er  à  lui  confier  le  soin 
de  continuer  &  guerre  avec  Tarmée  de 
terre.  On  sait  comment  Ifardonius  (470) 
SDoeomba,  sous  les  efforts  des  Grecs,  à 
la  bataille  de  Platée. 

Expéditions  dbs  GRscsDiji8Lli.B 
]>E  Cypbb.  —  Les  Grecs  d'Europe 
avaient  clorieusement  repoussé  Tinva- 
sion  des  hordes  asiatiques  que  les  Perses 
entraînaient  à  leur  suite.  Emportés  par 
Télan  de  la  victoire,  ils  prirent  Tofiten- 
ftve,  et  commencèrent  une  série  d^exp^- 
ditions  hardies,  dont  le  résultat  devait 
êtred'amcfaer  à  la  domination  des  Perses 

(0  Hérod.,  Tr,  6. 
(»)  Hérod.,  VU,  90. 

(3)  Hérod.,  VH,  9S,  19$;  VIII,  ii, 

(4)  Hérod.»  TIU,  ioo« 


las  lies  de  la  Méditenranée  et  les  viHes 
grecques  du  littoral  de  i*Asie.  Athènes, 
oui  avait  en  la  plus  grande  part  à  la 
oélivraneede  la  urèce  {proprement  dite,^ 
devait  aussi  jouer  le  principal  rôle  dans 
cette  guerre  exclusivement  maritime. 
Cependant,  Sparte  resta  encore  <|uelquo 
temps  à  la  tête  de  la  confédération  bel- 
lénique,  et  son  général  Pausanias  prit 
le  commandement  de  la  flotte  des  Grecs 
et  poursuivit  les  Perses  dans  les  mers 
de  FAsie.  Sa  première  expédition  fut 
dirigée  contre  Ftle  de  Cypre  (1).  Il  parut 
dans  cette  île  avec  quatre-vingts  navires, 
dont  trente  athéniens,  sous  la  conduite 
d'Aristide;  et  il  délivra  une  partie  des 
villes  cypriennes  des  garnisons  qu'y 
entretenait  le  grand  roi. 

Exploits  de  DMOn.^-La  trahison 
de  Pausanias,  qui  s'était  laissé  cor- 
rompre par  Tor  des  Perses,  ayant  fait 
perdre  à  Sparte  le  commandement  gé- 
néral des  forces  de  la  Grèce,  i*bégémo- 
nie  fut  transférée  aux  Athéniens  dont 
les  ^néraux  Aristide  et  Cimon  s'étaient 
condlié  la  confiance  et  rattachement  des 
alliés.  Tandis  qu'Aristide  administrait 
les  affaires  de  la  confédération,  Cimon 
s'illustrait  par  ses  exploits  dans  les  lies 
et  sur  les  côtes  d'Asie.  «  Personne  au- 
tant que  Cimon,  dit  Plutarque  (3),  ne 
rabaissa  et  ne  réprima  la  fierté  du  giand 
roi.  Non  content  de  l'avoir  chassé  de  la 
Grèce,  il  s'attadia  à  le  suivre  pied  à  pied, 
pour  ainsi  dire ,  sans  donner  le  temps 
aux  barbares  de  respirer  et  de  s'arrêter. 
Il  ravageait  des  provinces,  il  soumettait 
des  villes,  en  détachait  d'autres  et  les 
faisait  passer  dans  le  parti  des  Grecs  :  au 
point  que  toute  F  Asie ,  depuis  l'Ionie 
jusqu'à  la  Pampbylie,  fut  délivrée  des 
armées  des  Perses.  » 

Bataille  navale  ds  Ctpbe.  —  La 
campagne  de  Tan  470  fot  une  des  plus 

Ïlorieoses  de  Cimon  (3).  Étant  parti  du 
irée  avec  deux  cents  narires  athéniens, 
auxquels  se  joignirent  cent  vaisseaux  des 
allia,  il  cingla  vers  l'Asie ,  et  en  souleva 
toutes  les  cités  maritimes  de  natiou 
grecque.  Les  Perses  lui  opposèrent  une 
flotte  considérable,  founue  par  les  Ci- 
lieiens et  les  Phéniciens.  Cimon  vainquit 

(i)  Diod.  Sicul.«  Kl,  44  ;  Tbuqrd.,  I,  94* 

(a)  Pliil.,  Cim„  la,  x4,  tS. 

(3)  Diod.  Sical.|  XI,  60  ;  Tboqrd.,  h  100. 


23 


ottte  flotta  daiM  les  eain  de  <3fpre,  et 
raeheva  à  rembouchure  de  rËorymé* 
don ,  fleuve  de  la  Pamphylie ,  sur  des 
bords  duquel  il  vainautt  également  Far* 
mée  de  terre.  Thucydide  ue  parle  que  des 
deux  viotoires  de  rEurymédon.  Dans 
l^lutarqoe  et  Diodore  il  est  fait  mention, 
quoique  a  vee  peu  de  olarté,  d*une  bataille 
navale  près  de  Cypre,  qui  ne  peut  être 
eonfonaue  avec  celle  de  l'Eurymédon,  et 
de  quelques  autres  opérations  militairee 
dans  le  voisinage  de  nie  et  dans  Ttle  ell»* 
même,  dont  on  se  disputait  vivement  la 
oonquéte;  car  la  possession  de  Ttle  de 
Cypre  assurait  la  domination  de  la  Mé- 
diterranée orientale.  B^tre  les  mains  des 
Perses  Cypre  couvrait  les  côtes  de  Phé* 
nicie,  de  Ciiicie  et  d* Egypte,  et  observait, 
comme  une  seotineUe"  avancée,  toutes 
les  tentatives  des  Athéniens  contre  cet 
provinces.  Entre  les  mains  d'Athènes 
die  devenait  le  point  d'appui  de  toutes 
ses  opérations  sur  les  contrées  niari^ 
times  des  Perses,  qu'elle  avait  juré  d'ex* 
puiser  pour  toujours  de  la  Méditerranée. 
Nouveaux  bfports  dis  Athéniens 

MOU  DSTACHRA  CYPAB  BT  L*ËGYPTB 
BSL'BUPlfiS  DES  PERSB8(46t).  —  Mal- 

Hfé  Texpédition  de  Pausaniaset  d^Ans* 
tide  et  les  victoires  de  Cimon ,  le  roi  de 
Perse  maintenait  son  autorité  sur  une 
partie  des  villes  de  Cypre,  celles  surtout 
de  la  région  sud^ouest,  qui  étaient  d'ori« 
gine  phénicienne,  et  qui  se  rangeaient  vo* 
lotttiers  sous  les  lois  des  Perses  pour  dis* 
puter  aux  Grecs  la  domination  aes  mers. 
Les  Athéniens,  d'un  autre  eôté,  devaient 
trouver  de  nombreux  adhérents  et  des 
alliés  dans  les  villes  fondées  autrefois 
par  des  colonies  sorties  de  TAttique  et 
du  Péloponnèse.  L*tle  de  Cy preétait donc 
partagée  entre  ces  deux  puissances,  qtii 
Se  tenaient  en  équilibre,  sans  que  Tune 
pût  entièrement  prévaloir  sur  l'autre. 
En  46S  les  Egyptiens,  soulevés  par  le 
Libyen  Inarus,  appelèrent  les  Atlieniens 
à  leur  secours  (1).  Athènes  avait  envoyé 
en  Cypre  une  flotte  de  deux  cents  ga- 
lères. Sur  rinvitation  dlnarus,  ordre 
fut  donné  à  cette  flotte  de  se  rendre  en 
Egypte  pour  y  soutenir  cette  révolte,  qui 
pouvait  puissammeut  contribuer  à  la 
conquête  de  l*!le  de  Cypre.  Les  Athé- 
niens enurèrent  dans  le  Ml,  le  remon- 


tèreBtjosqtt'à  Mempbis,  a'empartrentte 
deux  quartiers  de  cette  ville ,  et  «asîé^ 
gèrent  le  troisième,  qui  se  nommait  le 
Mur  Blanc.  Mais  les  Perses  flreni  une 
vigoureuse  résistance.  Artaxerxe  envoya 
deux  généraux,  Artabaie  et  Mégabyze» 
avec  une  armée  considérable,  et  une 
flotte  qui  comptait  beaucoup  de  vais- 
seaux ^prions.  Les  Athéniens,  assises 
à  leur  tour,  oundurent  un  traité  qui 
leur  permettait  de  retourner  dans  leur 
patrie.  Cet  échec  interrompit  pendant 
dix  ans  les  tentatives  des  Athéniens  sur 
rUe  de  C^pre. 

Dbbnibbb  expbdittoh  &v  Cihon 
BN  CVPBB  ;  SA  MOBT  (449).  —  Dans  cet 
intervalle,  Texil  de  Cimon  et  les  dis- 
sensions par  lesquelles  les  Grers  prélu- 
daient è  la  guerre  du  Péloponnèse  per- 
mirent aux  Perses  de  se  vauermir  dans 
rtle  de  Cypre.  Ils  Tavaient  entièrement 
recouvrée  quand  Cimon,  de  retour  dans 
sa  patrie,  après  avoir  réconcilié  lesGrecs, 
dirigea  de  nouveau  leurs  efforts  contre 
l'ennemi  commun.  Il  partit  avec  deux 
cents  navires  (  450),  et  vogua  vers  Cypre, 
qu*Artabaze  et  Megabyze  furent  chargés 
de  défendre,  il  mit  le  siège  devant  Citium. 
Informé  de  Tapproclie  de  la  flotte  enne^ 
nne,  il  marcha  a  sa  rencontre,  la  dis- 
persa, et  la  poursuivit  jusque  sur  les  cô- 
tes de  Phénicie.  Puis ,  cinglant  vers  la 
Ciiicie,  où  campait  Megabyze ,  il  lui  li- 
vra bataille,  le  vainquit ,  et  revint  dans 
nie  qui,  livrée  à  ses  propres  forces,  devait 
bientôt  succomber.  Salamiue  avait  dans 
ses  murs  une  forts  garnison  de  Perses,  et 
elle  était  abondamment  pourvue  demu- 
Dîtions  de  guerre.  Cimon  investit  cette 
place.  Alors,  selon  Diodore  de  Sicile  (1), 
Artaxerxe,  effrayé,  demanda  la  paix  et 
subit  ce  traité  si  glorieux  pour  Cimon  ^ 
qui  y  attacha  son  nom,  si  humiliant 
pour  la  Perse,  qui  signait  ainsi  Taveu  de 
sa  défaite.  «  Toutes  les  villes  grecques, 
selon  ce  traité,  se  gouverneront  par 
leurs  propres  lois.  Les  satrapes  perses  ne 
descendront  pas  avec  leurs  troupes  à 
plus  de  trois  journées  de  marehe  vers  la 
côte  de  la  mer,  et  aucun  de  leurs  vais- 
seaux longs  ne  navi^ra  entre  Phasélis 
et  les  roches  Cyanees.  »  Du  reste,  la 
realité  de  ce  traité  a  été  contestée  avec 
raison.  Piutarque  le  place  vingt  ans  plus 


(i)  Thuc.,  I^  io3;  Diod.  Siciil.,  Si,  74. 


(i)Diod.,XU,5. 


ILE  BE  CHTPiŒ. 


dS 


tft  après  la  vieioire  dé  r£iiryiiiéd«n.  m 
Thaeydide  si   Cornélius   N^pos  n'en 
font  mention  (1).  En  général  les  faits  de 
«0(t6  époque  sont  peu  connus  :  la  mort 
de  Olfflon  est  rapportée  de  diverses  ma- 
nièrps  :  selon  les  uns,  il  moumi  des  sut* 
tes  d'une  blessure ,  pendant  le  siège  de 
Gtittm.  Selon  d^autres,  une  maladie  Tem-' 
porta  au  moment  où  il  stationnait  dans 
ips  mers  de  Gypre,  prêt  à  conduire  sa 
flotte  en  Egypte  pour  y  soutenir  Amyr- 
tée  contre  les  Perses.  Selon  Thucydide, 
i)  avait  déjà  dépêché  soixante  navires  au 
secoars  du  roi  égyptien.  Après  la  mort 
deCimon,  la  famine  survint,  et  les  Athé* 
niens  abandonnèrent  leur  double  tenta- 
tive sur  Cypre  et  sur  Tfigypte,  qui  re- 
tomb^ent  bientôt  sous  le  soug  des  Per« 
ses.  «  Depuis  cet  événement,  aucun  des 
généraux  grecÉ  ne  se  signala  désormais 
contre  les  barbares  nar  quelque  éclatant 
exploit.  Les  Grecs  s  acharnèrent  les  uns 
sur  les  autres,  excités  par  des  démago- 
gues et  des  artisans  de  querelles ,  sans 
que  personne  se  mît  entre  eux  ^our  les 
séparer.  Ces  guerres  intestines  laissèrent 
respirer  le  royaume  des  Perses,  et  frap* 
pèrent  la  puissance  des  Grecs  de  coups 
irréparables  (2).  » 
HisToiBB   d'ÉtaoohâS;  sa  KAIS^ 

8A?fCS  ;     SES      COMMENGSIfElITS.     -^ 

L'œuvre  dont  le  génie  de  Cimon ,  dont 
la  politique  d^Athènes  avaient  poursuivi 
l'exécution  avec  tant  de  persévérance, 
fut  reprise  à  la  fin  dn  cinquième  siècle 
avant  Tère  chrétienne  par  un  Grec  de 
Pfle  dé  Cypre ,  qui  osa  seul  se  mesurer 
contre  toutes  les  forces  du  grand  roi,  et 
qoi  déploya  dans  cette  lutte  inégale  une 
habileté ,  une  énergie  et  un  courage  à 
toute  épreuve.  Il  se  nommait  Rvagoras. 
ÉvagOfas  naquit  h  Solaminq  Pan  445, 
quatre  ans  après  Pe^pédltion  et  la  nnort 
deamon.  11  descendait  des  anciens  rois 
de  Salamîne  ;  le  sang  de  Teueer  coulait 
dans  ses  veines ,  et  son  panégyriste  Iso* 
erate,  transportant  dans  Thistoire  de 
son  héros  d'anciennes  fictions  poétiques, 
fait  remonter  sa  généalogie  jusqu'à  Jo* 
prter  (3).  Le  descendant  de  Jupiter  et  des 
Éacides  fut  réduit  d'abord  àunecondltlon 

(i)  Cf.  Engeî,  iC;'/yroj,  ï,  aSt.' 
(a)  flufarq.,  Cimon,,  trad.  Piefron,  t/Hf, 
p.  3i. 
(3)  Uocrat.i^f'a^.,  ta. 


privée  de»  la  tilte  o6  avaient  régné  ses 
ancêtres.  Peu  de  temps  auparavant  la 
race  de  Teueer  s*était  vue  dépossédée 
du  trône  de  Salamine*  Grâce  sans  doute 
à  Tappui  de  la  Perse,  un  Phénicien,  nomt* 
mé  Abdémon,  s'était  emparé  du  pou-* 
voir  dans  cette  ville,  l'avait  remplie  de 
soldats  barbares,  et  travaillait  à  soumet-' 
tre  toutes  les  autres  cités  à  la  domina* 
tioB  du  grand  roi,  son  protecteur  (I). 
Évagoras  était  de  sang  royaL  II  avait 
de  l'ambition  et  toutes  les  qualités  bril« 
lentes  qui  subjuguent  les  hommes,  il  de* 
vint  suspect  au  tyran ,  conspira  ou  fiûl 
accusé  de  le  faire ,  fut  contraint  de  s'ex* 
patrier  pour  sauver  sa  tête,  et  se  retira  à 
Soli ,  vflté  voisine  de  Cypre  «  située  sur 
la  cdte  de  Cilicie.  Loin  de  l'abattre ,  )t 
persécution  aiguisa  son  courage;  il  jura 
d'affranchir  Salamine  ou  de  périr,  et,  re^ 
paraissant  à  rimproviste  dans  Ttie  avee 
cinquante  partisans  dévoués,  il  par* 
vint,  soutenu  par  les  bonnes  dispositions 
de  la  population  grecque ,  à  chasser  lé 
tyran  étranger  et  à  détruire  le  parti  des 
Perses  (410). 

PaoeBBS  DE  UL  PUISSANCE  D'ËVA* 
eOBAS;  SES  BELATIOCfS  AVEC   ATHÈ- 

HES.  —  liS  succès  de  cette  entreprise , 
les  progrès  de  la  puissance  d^Ëvagoras, 
qui  travailla  avec  persévérance  à  s*eni« 
parer  de  l'Ile  entière,  montrent  asaes  que 
Cypre  ne  tenait  que  par  de  faibles  liens  k 
Tempire  persan,  qui  commençait  à  se  dis- 
soudre. Darius  Nothus  et  Artaxerxès* 
Mnémon ,  qui  lui  succéda  ,  absorbés 
par  les  emnarras  de  la  politique  ex* 
térleure  et  les  révoltes  du  dedans ,  lais^ 
aèrent  Kvaeoras  s'affermir  et  s'étendre. 
Il  parait  même,  par  ses  relations  aveeles 
satrapes  perses,  qu*il  n'était  plus  const« 
déré  comme  un  ennemi ,  et  que  la  coitf 
de  Suse  s'était  résignée  à  son  élévarto*. 
Isocraie  remarquequ*  Evagoras  consolide 
son  pouvoir  par  son  excellente  adminis- 
tration. Il  rendit  le  commerce  et  V$* 
grtculture  très^florissants  dans  son  petit 
royaume,  et  créa  une  armée  et  une  ma- 
rine respectables.  La  guerre  du  Pélopon* 
nèse  durait  encore.  Rvagoras  prit  parti 
poer  Athènes,  qui  lui  avait  accordé  le 
titre  de  citoyen  et  qui  avait  tant  combattu 
pour  l'indépendance  de  l'Ile  de  Cypre;  et, 

(i)  Ensel,  KfprùSf  I,  a$8;  Diod.,  Siciil., 
XIV  o«. 


u 


VWXIVEÊS, 


après  la  bataille  d*JEffiÊ*WtomoB^  ee  fst 
auprès  d'Évasoras  que  l' Athénien  CoDon 
se  retira  avec  les  débris  de  sa  flotte , 
moins  pour  sa  sûreté,  dit  Platarque  (1) , 

rpoor  attendre  quelque  ehangement 
s  les  afifiaires,  comme  on  attend  pour 
s'embarquer  le  retour  de  la  marée  (406)« 
Gonon  et  Évagoras  contractèrent  une 
étroite  amitié»  et  se  rendirent  de  mutuels 
services.  Gonon  avait  quelque  crédit  à 
la  cour  du  roi  de  Perse  :  il  parvint,  par 
Tentremise  de  rhistorien  Ctesias,  méde- 
dn  d'Artaxene ,  à  apaiser  les  mécon* 
tentements  de  ce  prince  contre  Evago- 
ras,  qui  rentra  en  grâce  auprès  de  lui. 
Tranquille  de  ce  côté,  les  deux  amis 
conçurent  le  ^and  dessein  d'abattre  on 
du  moins  d'affaiblir  ia  puissance  de 
Sparte,  tyrannique  pour  la  Grèce,  mena- 
çante pour  la  Perse,  et  de  relever  la 
gloire  et  le  nom  d'Atbènes,  leur  commune 
patrie.  Les  victoires  d'AgèsIlas  en  Orient 
facilitèrent  la  réussite  de  leur  |>rojet. 
De  tous  côtés,  les  satrapes  de  TAsie  Mi* 
Heure  adressaient  des  plaintes  à  Ar- 
taxerxe  contre  les  Lacédémoniens,  qui 
ravageaient  leurs  provinces,  et  auxquels 
ils  ne  pouvaient  tenir  tête.  Alors  les 
Perses,  qui  avaient  soutenu  Sparte  dans 
le  temps  (|U* Athènes  était  puissante, 
songèrent  à  relever  Athènes  pour  Top- 
poser  aux  projets  des  Spartiates,  formi- 
dables à  leur  tour.  Recommandé  au 
grand  roi,  soutenu  par  Êvagoras  et 
Pbamabaze,  Gonon  équipe  dans  les  ports 
de  Phénicie  et  de  Gilicie  une  flotte  de 
troiscents  voiles.  Puis,  pour  vaincre  Tin- 
décision  de  la  cour  du  grand  roi,  Gonon, 
dans  son  Impatience  de  réparer  la  honte 
d*iEgOs-Potamos  »  quitte  sa  ftotte,  tra- 
verse  la  Syrie,  nasse  l'Euphrate  à  Thap* 
saque,  se  rend  a  Babylone,  obtient  une 
audience  d* Artaxerxe,  qui  lui  accorde  des 
subsides  et  le  nomme  au  commande- 
ment de  sa  flotte.  Ses  efforts  ne  furent 
pas  sans  récompense.  Gonon  remporta 
sur  Pisandre,  irère  d'Agésilas,  sa  ce* 
lèbre  victoire  de  Gnide,  qui  porta  à  la 
puissance  de  Sparte  un  coup  mortel 
(894).  En  reconnaissance  des  services 
importants  que  leur  avaient  rendus  Go- 
non et  Évagoras,  les  Athéniens  leur  éri* 
gèrent  des  statues  (2). 

(i)  Plat.,  jérttts.,  a  xm, 

(a)  Isocr.,  in  Bva^.;  Pauf,  I»  3,  f , 


£yA60RAS  BST  ATtA^HÉ  PAB   X.SB 

Pbbsbs;  siège  dbSalàiiinb. — Encou- 
ragé par  les  succès  de  Gonon  et  la  res- 
tauration de  la  puissance  athénienne, 
Ëvagoras ,  qui  songeait  toujours  à  faire 
de  nie  de  Gypre  un  seul  royaume,  reprit 
l'exécution  de  ce  grand  projet.  Em- 
ployant tour  à  tour  la  force  ou  la  ruse,  il 
s*empara  de  presque  toutes  les  villes  de 
Gypre,  excepté  Amathonte ,  Soli  et  Ci- 
tium.  Ges  trois  cités,  vivement  prensées 
par  Évagoras,  implorèrent  l'appui  d*Ar- 
taxerxe.  Le  roi  leur  fit  une  réponse  fa- 
vorable ,  ordonna  aux  gouverneurs  des 
provinces  maritimes  d'équiper  une  flotte, 
et  il  chargea  Hécatomnus,  satrape  de 
Garie,  do  commandement  de  la  guerre 
contre  Évagoras.  Mais,  occupé  ailleurs 
par  des  soins  plus  importants,  Ar- 
taxerxe  ne  put  donner  à  cette  affaire 
une  sérieuse  attention.  La  guerre,  molle- 
ment conduite,  languit  pendant  six  ans 
(892*387  )«  et  cette  résistance  d'un  petit 
prince  d'une  île  grecque  couvrait  de  con- 
tusion le  nom  persan,  déjà  tant  com- 
promis par  le  succès  de  la  retraite  dos 
Dix-Mille.  Enfin,  quand  Artaxerxe  eut 
conclu  le  traité  d'Antalcidas ,  qnand  ti 
fut  libre  du  côté  des  Grecs,  il  se  tourna 
tout  entier  vera  la  guerre  de  Gypre,  et 
attaqua  Évagoras  avec  toutes  ses  forces 

(3«6)(l). 

Une  armée  de  trois  cent  mille  hom- 
mes, sous  la  conduite  d'Oronte,  ^ndre 
du  roi,  une  flotte  de  trois  cents  tnrèmes 
confiée  à  Téribaze,  partirent  de  laGilicJe 
et  abordèrent  à  l'île  de  Gypre.  Évagoras 
avait  une  flotte  dequatre-vingt-dix  trirè- 
mes ,  dont  vin^  étalent  fournies  par  les 
Ty  riens,  qui  loi  obéissaient,  et  souante- 
dix  par  les  Gypriens.  $on  armée  de  terre 
se  composait  de  six  millebommeset  d'un 
plus  grand  nombre  de  troupes  alliées. 
Il  avait  pris  à  sa  solde  un  grand  nom- 
bre de  mercenaires.  11  avait  fait  un  traité 
d'alliance  avec  Achoris,  roi  d'Egypte, 
dont  il  obtint  des  secoura  considérables. 
U  entretenait  des  intelligences  secrètes 
avec  tous  les  ennemis  du  grand  rei;  un 
chef  de  tribus  arabes  et  d'autres  sou- 
verains mécontents  lui  fournirent  des 
corps  nombreux  d'auxiliaires.  La  réu- 
nion de  toutes  ces  forces  était  |>eu  de 
choses  en  comparaison  do  formidable 

(i)  Dîod.  Sicttl.,  XV,  a. 


ILE  DE  GHTPBE. 


S6 


appmil  dei  Pênes.  Mai»  finigeras 
eoioptait  sur  son  courage  et  sur  ta  for- 
tune, li  coonît  la  mer  de  bâtiroenU 
légen^  qui  arrêtèrent  les  eonvois  de  fi- 
fres e&Toyés  aax  Perses,  cnii  souffrirent 
beaueoop  de  la  ûmine.  Une  sédition 
édata  dans  leor  camp,  et  ne  s'apaisa 
^*àrarfivée  des  blés  de  Cilicie.  Quant 
à  ÉTagoias,  il  avait  reçu  des  approvi* 
sionnemems  eoDsidécables  de  son  allié 
Achoris. 

Gepoidant  Évagoras,  ayant  porté  sa 
flotte  à  deux  cents  navires,  attaqua  les 
Perses,  pour  décider  son  sort  par  une 
grande  imtaille.  Victorieux  dans  une 

Sremière  action ,  il  en  vint  une  seconde 
lis  aux  mains,  et  fut  vaincu.  Bientôt  Sa* 
lamine  ftit  investie  nar  mer  et  par  terre  ; 
et  réduit  à  ses  seules  forces ,  Evagoras 
ne  pouvait  tenir  longtemps.  Il  le  sentait 
bien  :  aussi,  laissant  à  son  fils  Protago* 
ras  le  soin  de  défendre  Salamine,  îl  s^é- 
einppa  de  nuit  avec  dix  galères,  et  se  di« 
rigea  vers  l'Egypte.  11  pressa  vivement 
son  allié  Achoris  de  le  soulenir  contre 
QB  ennemi  qui  était  aussi  le  sien. 

Ëvasoras  n'obtint  pas  d'Achoris  tout 
ce  qu'il  en  avait  attendu  (I).  A  son  re- 
tour, il  trouva  Salamioe  vivement  pres- 
sée par  les  Perses;  et,  se  v<^ant  anan- 
donné  de  ses  alliés,  il  demanda  à  capi- 
tuler. Téribaze  lui  imposa  pour  con- 
^on  d'évacuer  toutes  les  villes  de  Cypre, 
à  l'aosption  de  Salamine,  dont  Êvagoras 
Rstemt  souverain  en  payant  un  tribut 
aoDuel  au  roi  de  Perse,  en  lui  obéissant 
eomme  un  serviteur  à  son  maître.  L'ex- 
trémité où  Êvagoras  était  réduit  l'obligea 
(Taecepter  les  autres  conditions,  quelque 
dures  qu'elles  fussent;  mais  il  ne  put 
jamais  se  résoudre  à  consentir  à  la  der- 
nière, et  persista  toujours  à  déclarer 
<iQ'il  ne  pouvait  traiter  que  de  roi  à  roi. 
ÛeaoD  côté,  Téribasene  rabattait  rien  de 
M*  prétentions  ;  et  il  paraissait  inévitable 
Vt'ETafforas  devait  céder  ou  périr,  lors- 
V^  la  basse  jalousie  d'Oronte,  l'autre 
R^aM,  fit  retirer  le  commandement  à 
Téribaze.  11  écrivit  secrètement  à  Ar- 
laxerae  que  Téribaze  songeait  à  serévol- 
^;  et  le  roi,  trompé  par  cette  calomnie 
aalnlement  présentée,  cbarge  Orontelui* 
iBfme  d'arrêter  Téribaze,  et  lui  confie  le 
soin  d'achever  seul  la  guerre.  Pendant 


W 


XV.  s. 


eesintri^es,  le  siège  langiteait.  Évaigo- 
ras  repnt  courage;  il  rompit  les  négo- 
datiotts,  et  se  remit  à  résister  vîsoureu* 
sèment.  Oronte  se  vit  bientôt  dans  un 
cruel  emtoras  :  l'ennemi  le  bravait,  ses 
soldats,  mécontents  du  départ  de  Téri- 
baze, se  débandaient  et  refusaient  de  lui 
obéir.  Alors  il  désira  un  aocomnMxie- 
ment.  11  foit  parler  sous  main  à  Êvago- 
ras :  on  reprend  la  négociation  au  point  où 
l'avait  laissée  Téribaze ,  mais  on  en  re- 
tranche la  condition  humiliante  qui  avait 
empédié  la  conclusion  du  traité.  Êvago* 
ras  conserve  le  titre  de  roi  de  SalaminOi 
en  payant  un  tribut  annuel  et  en  se  sou- 
mettant comme  un  roi  qui  obéit  à  un  roi 
^ui  ordonne.  Ainsi,  après  dix  ansd'hos* 
tilités  et  un  déploiement  de  forces  im« 
menses,  Artaxerxès  n'avait  pu  renverser 
du  trône  un  petit  prince  iprec  qui  l'avait 
bravé.  Êvagoras  restait  roi,  et  Artaxerxe 
n'obtenait  qu'une  incomplète  satisDac- 
tion  ($86).  Cétait  pour  les  Grecs  un 
nouvel  encouragement  à  tout  entre- 
prendre contre  l'empire  des  Perses. 
Après  cette  guerre,  Êvagoras  régna  en* 
core  treize  ans  à  Salamine.  il  fut  assas- 
siné, selon  Diodore,  par  un  eunuque, 
appelé  riicoclès,  oui  usurpa  le  pouvoir. 
Théopompe  appelle  cet  eunuque  Tbra- 
sydée ,  et  il  donne  pour  raison  de  ce 
meurtre  l'outrage  âiit  par  Evagoras  à  la 
fille  de  Micocréon,  autre  roi  de  Cypre  (1). 
Si  telle  fut  vraiment  la  fin  d' Evagoras, 
on  doit  singulièrement  rabattre  de  iéloge 
pompeux  qu'en  fait  Isocrate  dans  son 
pan4;3*rique.  Il  est  vrai  que  ce  discours 
était  un  éloge  funèbre  commandé  et  payé 
à  Isocrate  par  Nicoclès,  fils  d'Êvagoras, 
et  un  panéjQnrique  d'isocrate  n'est  pas 
plus  de  l'histoire  que  la  Cyrqpédie  de 
Xénophon. 

Bbgnb  db  Nigoclbs  (374).  —  Éva- 
floras  eut  deux  fils,  dont  Tstné  s'appelait 
Protagoras  et  l'autre  Ificoclès,  qui  lui 
succéoa.  Il  nous  reste  encore  deux  ha- 
rangues d'isocrate  à  Nicoclès,  l'une  oui 
traite  de  la  royauté  et  de  la  politique  des 

«rinces,  et  l'autre  où  l'écrivain  présente 
[icodès  comme  le  modèle  des  rois,  et  où 
il  trace  les  devoirs  des  sujets  envers  le 
souverain.  On  sent  dans  tous  ces  écrits 

(i)  Diod.,  XV,  47;  Arisf^  Poiit»  T,  S, 
lo;  Theopomp.,  ao,  Phoi,,  176;  frag. 
Btsi,  Grœe,,  eol|,  Didot,!,  p.  «9e». 


M 


LVmVERS. 


PiDflUttHse  d«i  iiiiioillMilo00  d«r  nteet 
qrprien  ;  Mis  il  fiiut  aavoir  gré  a  Ita* 
ente  de  les  avoir  remplis  de  tentimenta 
iNnmétes  et  d'idées  joslêa,  eapaMes  de 
Unimer  an  bien  an  jeune  prisoe  qui  at ait 
été  son  disciple.  Nicoclèa  avait  été  en« 
tùfé  à  Athènes  par  son  père,  et  il  avait 
fréquenté  récole  d'Isoerate,  avec  lequel 
il  entretint  toujours  d'amieales  relations. 
On  peut  juger  du  caractère  de  Micodés 
d'après  ee  que  rapportent  Tbéopompe  (  i  ), 
Anaximène  et  Élien  de  la  singulière 
émulation  de  plaisirs,  de  luxe  et  de  dé* 
baoehes  qui  s'établit  entre  le  roi  de  Sfr* 
lamine  et  le  roi  de  TJrr,  Straton,  prince 
également  magniSque  et  voluptueux. 
Chacun  s'efforçait  d^éclipser  son  rival 
par  la  recherche  et  la  somptuosité  de 
ses  fStes  et  de  ses  r^ouissances.  Au  plus 
fort  de  cette  lutte  épicurienne,  la  mort  les 
surprit  violemment  et  à  l'improviste.  Le 

S  ne  de  Nicoolès  avait  toujours  été  fort 
té,  comme  le  foit  assez  comorendre  le 
second  discours  qui  lui  fût  adressé  par 
Isocrate.  On  lulimputait  le  trépas  de  son 
père,  et  ses  sujets  lui  contestaient  ledroit 
de  régner.  A  la  suite  de  longues  agHa- 
tiens,  qu'Isocrate  e8sa3re  vainement  de 
calmer  par  ses  harmonieuses  périodes, 
une  insurrection  éclata.  Ificoelès  tomba 
du  tréne,  et  fut  mis  en  prison,  oà  il  mott- 
rut  (S61).  Êvagoras  II  lui  succéda. 
ÉTAGOBAs  II  (35)};  Photaocras; 

NOUVELLE  TENTATIVE  DES  PSBSBS 
irOUBBÉDUTBBL'tLEDE  CYPBB.  — Ilcst 

probable  que  cet  Ëvasoras  était  fils  de 
JNîeoclès.  A  peine  étaMi  sur  le  trdne,  il 
en  fut  renversé  par  Pytbagoras  ou  Pro- 
tagoras,  que  l'on  croit  être  le  fils  d'Éva* 
goras  I.  Sur  ces  entrefaites,  une  nouvelle 
révolution  éclate  dans  les  provinces  ma* 
ritimes  de  l'empire  persan.  La  Phénlde, 
TËgypte,  nie  de  Cvpre  se  soulèvent  à  la 
fois  contre  Tautorià  d' Artaxerxe  Ochus. 
Les  neuf  rois  de  l'île  de  Gypre  nrf'usent 
de  payer  tribu  au  ^and  roi  (9),  qui  or« 
donne  è  Idriée ,  roi  tributaire  de  Carie, 
de  les  faire  rentrer  dans  le  devoir.  Idriée 
fit  construire  rapidement  quarante  tri* 
i^mes,  mit  sur  pied  une  armée  de  huit 
mille  mercenaires,  qu^I  envoya  en  Cypre 
sous  les  ordres  de  Phocion  l'Athénien 

(i)Dafte  Athéhée, XII,  Sit  ;  JE^an.,  Bist, 
-wrr. ,  VII,  2;  Engcl,  KrptoSfl,  p.  33o. 
(a)  Diod.  tteuLTkvi,  4^. 


«I  do  piinoe  détrôné  finngoras.  Tel  était 
l'abaissenent  politique  des  Grées  :  après 
avoir  nMtdié  les  secours  des  Perses  pour 
se  déchirer  entre  cttx,  ils  eombottaieot  à 
leur  service  pour  rétablir  leur  doim- 
nation,  et  Phocion  allait  leur  rendre  une 
fie  qu'autrefois  Cimon  avait  essayé  d*iif* 
franchir.  Phocion  et  Êvagoras  vinrent 
assiéger  Salamine,  dont  la  prise  devait 
assurer  la  soumission  des  autres  villes. 
Les  petits  rois  de  Cypre  n'atteodîrent 
même  pas  nue  Salamine  ait  suooombë; 
ils  se  replacèrent  sous  le  joug.  Si  ni,  Pro- 
tagoras  osa  résister.  Il  savait  qa*Ëva* 
goras  réclamait  la  souveraineté  de  Sala* 
mme  et  qu'il  se  faisait  fort  de  la  recevoir 
des  mains  des  Perses.  Il  n'y  avait  de 
salut  pour  lui  que  dans  une  rteistance 
désespérée.  L'évéoemoit  justifia  cette 
courageuse  résolution.  Êvagoras  devint 
suspect  à  Oehus;  rappelé  auprès  du  roi, 
il  se  justifia;  mais  00  ne  parla  plue  de 
lui  rendre- Salamine.  Protagoras,  s*é* 
tant  soumis  volontairement,  régna  pai* 
sibleoient  à  Salamine  jusqu'à  k  fin  de 
sa  vie.  Quant  ii  Êvagoras,  il  avait  obtenu 
en  Asie  une  souveraineté  plus  eonsido- 
rable  que  son  patrimoine  de  Cypre.  Mais 
il  se  compromit  encore  par  sa  turfou* 
lence,  reparut  dans  File  de  Cypre,  où  il 
fut  arrêté  et  mis  à  mort. 

L'Îlb  de  Cypbe  sous  la  MiunvA* 
Tion  b'Albxaiidbb  lb  Gbaiid  (MO). 
—  Vingt  ans  après  ces  derniers  évéoé« 
ments,  l'édifice  de  la  monarohie  penane, 
mal  eonaolidé  par  im  despotisme  inia* 
telligent  et  ébranlé  par  tant  de  commo* 
tions  intérieures,  s'émula  sous  les  eau  pa 
du  héros  macédonien.  L'Ile  do  Cypre 
fiit  une  des  premières  provineas  qui  ae 
détacha  de  l>mpirede  Darius.  Peodant 
que  Tvr  arrêtait  par  une  résistaaoe  opi« 
nifttrela  marche  triomphale  d*Aleiandre, 
les  rois  de  Cypre  se  donnèrent  à  lut  avec 
empressement,  et  mirent  à  sa  disposition 
toutes  leurs  forces  navales.  Les  eoutin* 
gents  fournis  par  les  villes  eypriennes 
venaient  fort  à  propos  dans  cette  guerre 
maritime  qu'Alexandre  n'avait  pas  pré* 
vue ,  et  il  leur  dat  en  grande  partie 
PbeureuseconclusiOBdeee  siéga  mémo* 
rable  (1).  Pytbagoras  s'y  distiogoa  par^ 

(t)  Arrien,  II,  17,  9(0  ;  Qoint.-Gart.,  ÎV, 
3;  les  historiens  d'Alexandre  appellent  Pny- 
tagoras  le  roi  de  Sslaaûae,  On  pest  éomHr    ' 


ILE  0Ë  CHYmE. 


n 


ittm  tsqtkt  aHtaMi.  Arrm  nomme  €d- 
eori|Mnm)ef  chefs  cypriensqui  prirent 
part  a  oe  nége  Androdès  d'Amathonte 
et  Paâfiratâ  de  Curium.  Aussi  les 
phnees  de  Gypre  fureut-ils  depuis  ce 
temps  en  grande  faveur  auprès  d'A- 
lexandre. Pendant  qu'il  était  en  Egypte* 
il  leur  témoigna  sa  reconnaissance  par 
des  récompenses  et  des  honneurs  (1). 
Lorsqu'il  revint  en  Phénicie,  il  ordonna 
la  eéléhration  de  sacrifices  et  de  pompes 
aoleonelles  en  l'honneur  des  dieux,  a  U 
doooa,  dit  Plutarque  (3),  des  chœurs  de 
dasse ,  et  des  jeux  où  l'on  disputa  le 
prix  de  la  tragédie,  et  qui  furent  remar*- 
quables,  noo-seulement  par  la  pompe  4e 
Fappareil,  mais  encoro  par  Temulatioa 
de  eeox  qei  en  faisaient  la  d^ense.  Ce- 
taieot  les  rois  de  Gypre  qui  s'étaient 
ciiaqiiés  de  ce  soin ,  comme  le  font  à 
Attièoes  les  cborctges  tirés  au  sort  dans 
kl  tribus  ;  et  il  y  eut  entre  eux  une  ar- 
d«ttr  merveilleuse  i  se  surpasser  les  uns 
les  autres.  Mais  personne  ne  se  piqua 
de  plus  de  magnineenoe  que  riioocréon» 
k  Salsminien,  et  Pasierates  de  Soli  ;  car 
c'est  à  eux  qu'il  échut  d'équiper  les  deux 
acteurs  le  plus  en  renom  :  Pasierates  6t 
paraître  sur  la  scène  Atbénodore  et  Ni« 
coeréon  Thessalns.  Alexandre  favorisait 
ThesKtlus  ;  mais  il  ne  montra  son  intérêt 
poor  lui  qu'après  qu'Athénodore  eut 
été  proelanîé  Tainqueur  par  les  suffrages 
^^  ju^  Tapprouve  le  jugement,  ml* 
il,  mais  i'aorais  donné  avec  plaisir  une 
portion  oe  mon  royaume  pour  ne  pas 
w  Tbessalus  vainou.  »  Sur  ces  entre* 
faites,  des  nKHivements  ayant  éclatédans 
le  Péloponnèse,  Alexandre  y  envoya  cent 
vaisseaux,  qu'il  fit  équiper  par  les  Phé* 
nieiens  el  par  les  rois  de  Cynre,  si  dé- 
voués à  ses  intérêts  et  à  ses  plaisirs  (3). 
Plusieurs  chefs  cypriens  s'attachèrent  à 
lui,  et  la  suiirireiit  jusqu'aux  bords  de 
riodus.  Ils  lui  furent  très- utiles  pour 
^  oftnstmelîoa,  IVquipement  et  le  ser- 
vies de  la  flotte  qu'il  lan^^  sur  oe  fleuve. 
Oo  troove  le  Soliea  IVicoclès ,  fils  de 
Pasierates,  el  le  Salaminien  I<iitaphroo, 
fiisdePytliagoras,  au  nombredeeeux  qui 


reeiiriMeMitleiiièneqnele  Profasorw 
dtvssvrat  !•*  et  rivai  dXvi«ofaa  H* 
(t)Qiiiiit.-C(srt.,  IVfS. 

(a)  Plut.,^/e«.y  3a,  tr.Pierron,  t.  IIl, 477. 
(3)Amea  "If 


aoeompagnèrent  Iféaraue  dans  la  ^vi- 
sation  du  golfe  Persique.  Stasanor  de 
Soli,  fils  ou  frère  du  roi  Pasierates,. 
chargé  du  soin  de  maintenir  et  de  pacifier 
l'Ane,  fut  confirmé  dans  ce  gouverne^ 
ment,  auquel  on  ajouta  la  l)rangiane« 
dans  le  premier  partage  fait  après  la  mort 
d'Alexandre,  sous  les  auspices  de  Per» 
diccas.  Plus  tard,  au  nouveau  partage 
de  Trisparadis,  opéré  sous  la  r^enoe 
d'Antipater,  on  lui  donna  la  Bactrianeet 
la  Drangiane  eu  échange  de  son  pré* 
mier  gouvernement,  qui  fut  confié  à  un 
autre  Cyprien,  Stassandre  (1). 

LBS  SUGGBSSBUBS  d'Al.BXAN]>BB  SB 
BISPUTBNT    LA  POSSESSION  DB    L'ÎLS 

DB  Gypbb.  —Après  la  mort  d'Alexandre 
nie  de  Cypre  ne  fut  comprise  dans  au* 
cun  gouvernement.  Elle  s'était  donnée 
de  plein  gré,  elle  ne  pouvait  être  traitée 
comme  un  pays  conquis.  Elle  aurait 
voulu  d'abord  s'incorporer  à  la  Macé- 
doine et  rester  attachée  à  la  famille 
d'Alexandre;  mais  elle  était  trop  faible 
pour  qu'il  lui  fût  permis  de  vivre  sous 
une  domination  de  son  choix  ;  et  sa  po« 
sition  entre  l'Asie  Mineure,  la  Syrie  el 
l'Egypte  devait  l'exposer  aux  attaques  des 
centraux  successeurs  d'Alexandre  qui 
fondèrent  dans  ces  trois  contrées  de  puis* 
sants  empires.  (2).  Après  la  défaite  a'Eu^ 
mène  (817),  qui  avait  héroïquement  en« 
trepris  de  soutenir  les  droits  de  la  dynaih 
tie  macédonienne  contre  l'ambition  des 
généraux,  les  rois  de  Cypre,  qui  l'avaient 
soutenu ,  se  partagèrent  entre  Antigone 
et  Ptolémée,  devenus  les  plus  puissant^ 
des  héritiers  d'Alexandre.  Le  premier 
possédait  l'Asie  Mineure,  et  aspirait  à  la 
domination  universelle.  Le  second  ne 
songeait  qu'à  s'affermir  en  Egypte;  mais 
il  lui  importait  beaucoup  d'avoir  Tile  de 
Cypre  dans  son  alliance,  ou  sous  ses  lois. 
11  donna  sa  fille  Irène  en  mariage  à  Eu* 
nostus,  fils  de  Pasierates,  roi  de  Soli,  et 
attira  dans  son  parti  le  plus  grand  nom* 
bre  des  villes.  Antigone  s'attacha  tes  rois 
de  Citiura,  d'Amathonte,  de  Lapathos  et 
de  Cerynia  ;  et  les  forces  nai  aies  des  deini 
rivaux  se  dirigèrent  sur  l'Ue  de  Cypre  (3} 
et  la  Phénide,  gui  devinrent  le  théâtre 
d'une  lutte  opiniâtre  (314). 

(0  Diod.  Sicul.,  XVIII,  3,  39. 

(2)  Engel,  Kjrprat,  I,  p.  S6i« 

(3)  Diod.  Sicul.,  XIX,  6a. 


LUniVEES* 


PlOUSmSB    S'BMPABB  DB  L*tLB  DB 

Cypbe. — Séieucas,  à  qui  Antigoiie  avait 
enlevé  son  gouvernement  de  Babylone, 
8*était  étroitement  noi  à  Ptolémée ,  qui 
l'envoya  dans  Pf le  de  C3rpre  aveo  la  flotte 
égyptienne,  dont  il  avait  conOé  le  eom- 
mandement  è  son  frère  Ménélas.  Pen- 
dant ou*  Antigène,  seeondé  par  son  jeune 
et  vaillant  fils,  Démétrias,  s'emparait  de 
la  Syrie,  de  la  Phénideetde  la  Palestine, 
Çypre  passait  tout  entière  sous  la  domi- 
nation de  Ptolémée,  qui  châtia  rii^a* 
reosement  les  rois  alliés  d'Antîgone. 
Pygmalion  de  Citium  fut  mis  à  mort; 
Praxippe»  roi  de  Lapathos,  Thémison  de 
Gerynia  et  Stasioecus  de  Marium  furent 
privés  de  la  liberté.  Niooeréon ,  roi  de 
Salamine,  allié  fidèle  de  Ptolémée,  reçut» 
avec  les  villes  qui  avaient  appartenu  aux 
rois  chassés ,  le  gouvernement  militaire 
de  nie  entière,  dont  le  traité  de  811  as- 
sura la  possession  entre  les  mains  de 
Ptolémée.  Quelque  tem|)s  après,  le  roi 
de  Paphos,  Nicociès,  traita  secrètement 
avec  Antigène.  Alarmé  de  cette  défec- 
tion, qui  pouvait  en  entraîner  d'autres, 
Ptolémée  se  décida  à  donner  un  exem- 
ple terrible  (f  ).  Il  envoya  Argée  et  Cal* 
nerafee,  deux  de  ses  amis,  avec  ordfe  de 
toer  Nioodès.  Ceux-ci  viennent  à  la  tête 
d'un  détachement  de  soldats  investir  la 
maison  de  If  icoclès,  et  lui  commandent 
au  nom  de  Ptolémée  de  se  préparer  à  la 
mort.  En  vain  Nicoelès  essaye  de  se  ios- 
tifier,  on  ne  veut  pas  l'entendre;  et  il  est 
réduit  à  se  tuer  de  ses  propres  mains. 
Ptolémée  avait  ordonné  qu'on  respectât 
la  vie  des  femmes  :  mais  Axiotbéa , 
iémme  de  Nicoelès,  ne  voulut  pas  lui 
survivre:  elle  égorgea  d*abord  ses  filles, 
encore  vierges ,  et  les  femmes  des  frères 
de  Nicoelès,  excitées  par  ses  paroles, 
partagèrent  son  forouche  désespoir  et  se 
tuèrent  avec  elle.  A  cette  nouvelle  les 
frères  de  Nicoelès  fermèrent  toutes  les 
portes  du  palais,  y  mirent  le  feu  et 
•*entr'^org^nt.  Telle  fut  la  fin  tra** 
^ifoe  de  la  famille  des  rois  de  Paphos. 
On  voit  par  là  combien  les  Grecs  étaient 
à  eux-mêmes  d'impitoyables  maîtres. 
Jamais  les  rois  de  Cypre  n'avaient  eu 
auunt  à  souffrir  de  La  domination  des 
Perses  (810). 

(i)  Dîod.  Sîeal.,  XX|  «i. 


BvicBimios  BBPBBHD  Cypbb;  sno« 
DE  s  ALAMiif  B  (807). — La  possession  de 
Tyr  et  de  la  Phénicie  ne  suffisait  pas  à 
assurer  la  domination  dans  la  Méditer- 
nmée  orientale;  il  fallait  y  joindre  la 
coDOuéte  de  llle  de  C)Fpre.  A  la  reprise 
des  tiostilités  avec  Ptolémée,  en  308,  An- 
tigoiie  prépara  un  armement  considé- 
rable pour  lui  disputer  cette  lie.  Détné- 
trius,  rappelé  de  Grèee  par  son  père, 
fiit  chaire  du  soin  de  cette  guerre  (I). 
Il  avait  8008  ses  ordres  une  flotte  àe  près 
de  deux  cents  trirèmes  et  une  armée  de 
quinze  mille  hommes.  11  aborda  sur  la 
côte  de  Carpasia ,  tira  ses  vaisseaux  à 
terre,  et  fortifia  son  camp.  Après  s^éire 
assuré  la  soumission  des  villes  voisines, 
il  marche  sur  Salamine ,  où  le  frère  de 
Ptolémée,  Ménélas  avait  rassemblé  une 
armée  à  peu  près  égale  à  celle  de  Dêiiié- 
trius.  Ménélas  vint  au-devant  de  Ten- 
nemi  jusqu'à  quarante  stades  de  la  ville; 
Il  livra  bataille,  et  fut  vaincu.  Comme  ii 
lui  restait  assez  de  forces  pour  soutenir 
un  siège,  il  s'enferma  dans  Salamine,  ta 
mit  en  défense,  et  écrivit  à  Ptolémée  de 
se  hâter  de  le  secourir. 

Démétrius  vint  investir  Salamine.  H 
résolut  de  faire  construire  d'énormes 
machines,  des  catapultes,  des  balisies, 
des  tours,  des  ponts  volants,  et  il  dé- 
ploya dans  Texécution  de  ces  divers  tra- 
vaux ce  f^énie  inventif  etce  goût  du  gran* 
diose  qui  ont  frappé  ses  contemporains, 
et  qui  lui  ont  valu  de  son  vivant  le  sur- 
nom de  Poliorcète  (preneur  de  villes). 
«  Il  fit  £aA>riquer,  dit  Diodore ,  une  ma- 
chine, connue  sous  le  nom  d'hélépoie, 
dont  chaque  cAté  avait  quarante-cinq 
coudées  oe  largeur,  et  dont  la  hauteur 
était  de  quatre-vingtdix  coudées,  di- 
visée en  neuf  étages.  Cette  maebine 
re|>osait  sur  quatre  roues  solides,  de 
huit  coudées  de  haut.  Il  fit  aussi  eons- 
truire  d'énormes  béliers  et  deux  tortues 
porte-bélier.  Aux  étages  inférieujv  de 
l'hélépole  étaient  fixés  des  balistes  de 
diverses  dimensions ,  dont  les  plus  craii- 
des  lançaient  des  pierres  de  trois  talents 
(78  kilogrammes).  Toutes  ces  machines, 
destinées  à  lancer  des  projectiles,  étaient 
servies  par  deux  cents  hommes  ;  en  s*a^ 
prochant  de  la  ville  elles  balavatent  les 
ciéneaux,  en  même  temps  que  les  béliers 


(0 


SicuU,  XXf  47* 


ILE  M  CBTPRE* 


ébraniaient  les  nmn.  »  AalMiit  déplu* 
aeon  jours  la  muraOle  j^rétentait  déjà 
UM  hrgt  brèdw,  el  la  ville  allait  être 
prise  d^assaot,  k>ra(fue  Ménélas  incendia 
a?eede8  flèebas  enflammées  les  machines 
que  Démétrius  avait  Csit  construire  à  si 
grands  frais.  Elles  furent  toutes  eonsa- 
jnéeSf  et  Démétrius  changea  le  siège  en 
Uoeas. 

Bataille  i>b  Lbucolla  (306).  «^ 
Bientôt  après,  Ptoiémée  parut  avec  des 
forces  considérables  de  terre  et  de  mer. 
«  La  bataille  qui  se  préparait  suspendait 
non-seulement  Démétrius  et  Ptoiémée^ 
mais  aussi  tous  les  autres  princes,  dans 
l*attente  des  événements  qui  devaient 
en  être  la  suite,  et  oui  étaient  fort  in- 
certains ;  toutefois  chacun  pensait  que 
k  succès  ne  se  bornerait  pas  à  rendre  le 
Tainqueur  mattre  de  Çynre  et  de  la  Sy- 
rie, mais  cnill  en  ferait  le  plus  puissant 
éfê  rois.  Ptoiémée,  cinglant  à  pleines 
loiies,  s'avança  contre  Démétrius  avec 
eent  cinquante  navires ,  et  envoya  dire 
à  Ménélas  de  sortir  de  Salamine ,  lors- 
ou'on  serait  au  plus  fort  du  combat,  et 
oe  venir  avec  soixante  vaisseaux  char- 
ger Tarrière-garde  de  Démétrius,  afin  de 
la  mettre  en  désordre.  Mais  Démétrius 
laissa  dix  vaisseaux,  pour  faire  tête  à 
ttux  de  Ménélas,  jugeant  ce  nombre  né- 
cessaire pour  garder  Fissue  du  port, 
qui  était  fort  étroite,  et  emoécher  Ménélas 
d'en  sortir.  Pour  lui,  après  avoir  distri- 
Imé  et  ranfi[é  son  armée  de  terre  sur  les 
pointes  qui  s'avançaient  dans  la  mer,  il 
prit  le  large ,  et  alla  charger  avec  tant 
<rimptoosité  et  un  si  crand  effort  la 
flotte  de  Ptoiémée,  qu'il  la  rompit.  Pto- 
iémée, se  vopnt  vaincu,  prit  précipitam- 
ment la  fuite  avec  huit  vaisseaux,  les 
seuls  qu'il  put  sauver;  car  de  tous  les 
aotres  un  mnd  nombre  furent  brisés 
dans  le  conibat,  etsoixante>dix  avec  leur 
éqnipsM»  tombèrent  au  pouvoir  de  l'en- 
nemi. Ses  domestiques ,  ses  amis ,  ses 
fcmroes,  ses  provisions  d'armes,  son  ar- 
gent, ses  machines  de  guerre,  enfin  tout 
ce  qui  était  à  l'ancre  dians  des  vaisseaux 
de  transport ,  fut  pris  par  Démétrius  et 
conduit  dans  son  camp.  Après  la  perte 
de  iabataitte,  Ménélas  ne  résista  plus, 
et  remit  Salamine  aux  mains  de  Démé- 
trius, avec  tous  ses  vaisseaux  et  son  ar- 
mée de  terre,  qui  se  composait  de  douze 
cents  chevaux  et  de  douze  mille  hommes 


de  pîed  (f  ).  »  Ce  fut  près  du  port  de 
Leucolla,  situé  entre  SaUmine  et  le 
cap  PédaUon,  que  se  livra  cette  bataille 
navale,  après  laquelle  Ptoiémée  renonça 
à  la  possession  de  Tlle  de  Cypre  et  re- 
tourna en  Egypte  (â).  Après  la  retraite 
des  deux  frères,  Démétrius  rangea  aous 
fion  autorité  toutes  les  villes  de  Cypre, 
dont  il  incorpora  les  garnisons  dans  son 
armée.  A  la  nouvelle  de  œl  éclatant 
succès.  Antigène  prit  le  titre  de  roi,  ^ 
donna  à  son  fils,  et,  à  leur  exemple,  les 
autres  généraux  successeurs  d'Alexandre 
ceignirent  aussi  le  diadème. 

Ptolbméb  bboouvbe  l'Îlb  db  Cy- 
PBB.  —  Après  la  conquête  de  l'île  de 
Cypre  la  puissance  d'Autigone  et  de  Dé- 
métrius était  parvenue  à  son  apogée  : 
elle  déclina  bientôt,  et  tomba  d'une  chute 
soudaine  et  éclatante.  De  vaines  et  rui- 
neuses tentatives  pour  soumettre  l'E- 
gypte, Rhodes  et  la  Grèce  épuisèrent  les 
forces  de  oes  deux  grands  ambitieux: 
une  nouvelle  coalition  se  forma  contra 
eux,  et  Ils  succombèrent  à  la  bataille 
d'Ipsus  (301) ,  sous  les  coups  de  Lysima- 
que,  de  Séleucus  et  de  Ptoiémée.  Après 
la  bataille  d'Ipsus,  Démétrius  s'enfuit  en 
Cypre,  mit  en  sûreté  à  Salamine  ses 
euâints  et  sa  mère,  équipa  des  vais- 
seaux, et  alla  en  Grèce  et  en  Macédoine 
regagner  et  perdreun  nouveau  royaume. 
Il  apprit  bientôt  que  Ptoiémée  lui  avait 
enlevé  les  ports  de  la  Pbénicie  et  les 
villes  de  Cypre ,  excepté  Salamine,  dans 
laquelle  sa  mère  et  ses  enfants  étaient 
assiégés  (3).  Démétrius  était  en  Lacouie 
près  d'assiéger  Lacédémone  quand  il 
reçut  cette  nouvelle  :  il  renonça  à  cette 
entreprise  pour  s'occu^r  de  la  défense 
de  ses  possessions  d'Asie  ;  mais  les  dis* 
sensions  des  fils  de  Cassandre  l'ayant  ap- 
pelé en  Macédoine,  il  s'empara  de  ce 
royaume,  et  se  laissa  enlevor  Salamine, 

âu'il  avait  possédée  pendant  dix  ans.  Llle 
e  Cypre  redevint  une  province  de  la 
monarchie  des  Lagides  (S95). 
LIlb  de  Cypbe  sous  la.  domina- 


(t)  Plularq.,  Fie  dét  Démétrius,  i5. 

(ft)  Ni  Diodore  ni  Plularqoe  n'indiquent  le 
Ueu  de  la  bataille.  C'est  un  mot  d'Athénée  qui 
le  fait  connaître.  Ath.,  Y,  209  ;  Diod.,XX,  53. 

(3)  Diod.,  Exeerpt,,  XXI,  p.  4a  ;  Plutarq., 
Dem,,  35.  Voir  dans  Polyen,  Strat^f  5,  la 
prise  de  Salamine. 


90 


L'UMViBRSé 


tB  ATIOH  DB  L'IlB  SOUS  LES  L  AOIDBS  (1  ). 

"-Ptolémée  avait  senti  que  raequisition 
de  nie  de  Cypre  était  absolument  néces* 
saire  pour  compléter  la  création  de  son 
royaume  d^Ëgypte.  Il  y  tenait  autant 

âu*à  la  conquête  des  provinces  mari- 
mes  de  la  Syrie.  £n  efrct ,  c'était  de  la 
Phénide  et  de  Cvpre  qu'il  tiraît  des  na- 
vires et  des  matelots  pour  sa  marine  de 
guerre  et  de  commerce,  et  c*étaient 
^es  deux  provinces  qui  couvraient  son 
royaume  contre  toutes  les  tentatives  dMn^ 
vasions  faites  par  mer  ou  par  t^^rre.  Prî- 
Tée  de  ces  deux  positions  commerciales 
et  de  ces  deux  po^tetf  militaires,  TÉ- 
cypte  ne  trouvait  pâ^  en  elle-même  assez 
a  éléments  de  prospérité;  elle  perdait 
toute  importance  politique,  et  restait 
exposée  sans  défense  aux  attaques  de 
ses  ambitieux  voisins.  Jusqu^à  Ptolémée 
les  petites  dynasties  qui  gouvernaient 
les  villes  cypriennes  avaient  été  eénéra- 
lement  maintenues  par  les  différents 
mattres  qu'elles  avaient  successivement 
acceptés.  Déjà,  lors  de  sa  première  con- 
quête, Ptotemée  avait  été  très-rigou- 
reux à  regard  de  ces  petits  princes  dé- 
gradés et  corrompus  par  Fhabitude  de 
là  dépendance,  et  prêts  à  proclamer  et  à 
trahir  tour  à  tour  ceux  qui  les  assujet- 
tissaient. Après  s'être  remis  en  posses- 
sion de  rîle ,  il  la  fit  gouverner  en  pays 
conquis,  et  les  anciens  pouvoirs  locaux 
disparurent.  Il  y  entretint  une  force  mi- 
litaire considérable,  confiée  à  un  stratège 
mii  réunit  entre  ses  mains  toute  Tauto- 
nté  et  que  des  inscriptions  qualifient  du 
triple  utre  de  général ,  d*amiral  et  de 

grand  prêtre  (^rpam^oç  jcat  taûapy^oç  xal 
opXtepioç  è  xarà  tt^v  wov).  Tout  était 
soumis  à  ce  gouverneur  suprême,  même 
les  pontifes  de  Paphos  et  des  autres 
sanctuaires  qui  pouvaient  agiter  le  pays 
et  provoquer  de  nouveaux  soulèvements. 
Le  siège  du  gouvernement  de  File  resta 
fixé  à  Saiamme.  Le  gouverneur  de  Cy- 
pre prenait  rang  parmi  les  plus  hauts 
dignitaires  du  royaumed^É^pte,  quel  on 
appelait  les  parents  du  roi  (mrnr«tTç  tcu 
pàatx^wc).  Les  gouverneurs  particuliers 
des  villes  et  les  chefs  des  différents  corps 
de  troupes  étaient  placés  immédiatement 

(c}Efigel,  Kfi^ros,  I,  S9i;Bttckb.,  Corp* 
Ihicript, 


SOUS  ses  ordres.  Les  inserifffleiis  ti4Mis 
font  eonnattre  les  titres  et  les  noms  des 
fonctionnaires  civils  et  militeires  chargés 
à  cette  époque  de  l 'administration  de  1^ 
de  Cypre.  Ces  villes  conservèrent  ces  li- 
berté municipales  indispensables  à  la 
prospérité  des  cités  commerçantes  ;  et 
mal^  Tassujettlssement  politique  an- 
quel  elle  fut  soumise,  Fîle  de  Cypre  eon- 
tinua  à  jouir  de  libertés  intérieures  que 
les  Ptolemées  ne  laissèrent  pas  aux  habi- 
tants de  l'Egypte^  où  lesCyprieos  étaient 
désignés  par  le  nom  distinct  de  vwriMrai, 
ou  insulaires.  Les  Ptolemées  portaient  le 
titre  de  roi  d'Egypte  et  de  Cypre;  et 
bientôt  s'établit  dans  ta  dvnastle  des 
Lagides  l'usage  constant  de  faire  de 
rtle  de  Cypre  l'apanage  des  frères  ou 
des  fils  des  rois  égyptiens  (1). 

Cypre  sovs  les  tbois  PBBmcBs 
ProLÉMéES.  —  L'île  de  Cypre,  étant 
devenue  une  annexe  de  TÉ^pte,  parta- 
gea toutes  les  destinées  politiques  de  ce 
royaume,  auquel  elle  resta  assez  étroite^ 
ment  unie  tant  que  la  dynastie  des  Ptole- 
mées fut  florissante.  Cet  état  de  elioses 
dura  environ  deux  siècles,  après  lesquels 
le  lien  de  la  dépendance  commença  à  se 
relâcher.  Alors  les  Cypriens  se  séparè- 
rent peu  à  peu  de  TÉgypte,  et  secouèrent 
lejou^de  son  administration.  T^  période 
de  sujétion  s'étend  depuis  Ptoléméf*  1^, 
Soter,  qui  reconquit  rtle  de  Cypre  en  29& 
et  qui  mourut  en  281 ,  jusqu^au  règne  de 
Ptolémée  YIII ,  Soter  II,  surnommé  La- 
thyre,  qui  occupa  le  trêne  depuis  1 17  Jus- 

âu'à  l'an  81  avant  Tère  chrétienne.  Pen- 
ant  cette  période,  dont  Thistoire  est  si 
incomplète  et  si  mutilée,  Cypre  reparaît 
de  temps  en  temps  dans  les  annales  des 
Lagides ,  soit  qu^elle  entreprenne  de  re- 
jeter leur  dommation ,  soit  que  sa  pos- 
session si  enviée  Jette  la  discorde  entre 
les  princes  de  la  ramille  royale  ou  arme 
les  uns  contre  les  autres  les  héritiers  de 
Ptolémée  et  les  descendants  de  Séleucus. 
Ainsi  sous  Ptolémée  II,  Philadelphe, 
(285-247) ,  un  de  ses  frères ,  né  du  ma- 
riage de  Ptolémée-Lagus  et  dT.ur}^dice, 
essaya  de  soulever  les  Cypriens,  impa- 
tients de  leur  nouvel  état;  il  fut  mis  à 
mort  (2).  Pliiladelphe  travailla  h  s^atta- 

^i)  Cliampollion-Figeac,  Ànnntes  des  tu* 
fiaet,  II,  sSr. 


ILE  DE  CHYPRE. 


SI 


dwrlei  iMMtaiitt  éeVUê  jpmwts  bons 
tnitMMiti  ft  par  aae  mîM  habile^ 
ment  niéiiaiée  m  întéréia  eommeKiaox 
et  du  idéet  religieuses  antre  les  Cy- 
prieof  et  les  Aletandrins.  Il  fit  élever  sur 
le  pitHDOutoire  Zéphyriun  un  temple  à 
n  femme  ArslDoe,  dul  y  était  aaorée 
«Ku  le  nom  d*Apiiroaite  Zéphyrieiine. 
CeM  dans  ee  temple  oue  Berénloe ,  sa 
fiile,  épouse  et  sœur  d'Efergète,  oonsa^ 
fia  sa  chevelure,  que  les  poètes  et  les 
astronomes  ont  rendue  si  eélèbre.  En 
néme  temps  les  fêtes  d'Adonis  furent 
transportées  de  Pile  de  Cypre  à  Alexan* 
drie,  où  elles  attiraient  tous  les  ans  un 
immtDseooneours  d'É^ptiens,  de  Grecs 
etd'étniBgers.  Pour  plaire  à  Philadelplie, 
et  peut-être  par  son  ordre,  Théoerite  dé> 
eriTit  la  pompe  de  nette  eérémonie  dans 
la  spirituelle  idylle  des  Syracuiaines  (  f  ). 
Cette  politique  des  premiers  Ptolémées 
cet  de  bons  résultats,  et  pendant  près 
ifen  siècle  Ftle  de  Cypre  resta  paisible 
sous  leur  domination. 

Les  SÉLtUGtDES  BISPUTBITT  L'tLB 

dkCypbi  aux  Laoidbs.  —Les  vices 
et  rincapacité  de  Ptolémée  IV  Philo^ 
pator,  fils  de  Ptolémée  Ili,  Évergéte, 
(m-305),  firent  décliner  TÉgypte  dn 
haut  point  de  grandeur  où  elle  s'était 
életée.  Antiochus  le  Grand  sortit  de  Ta- 
bais^ment  où  Évergète  avait  réduit  les 
Séleacides,  reprit  la  Pbéaieie  et  la  Pa«> 
lestine,  et  agita  Itle  de  Cypre.  Open* 
4&nt  la  bataille  de  Raphia  (216)  rendit! 
Itsypte  la  possession  de  ses  provinces 
Biaritimes.  Mais  à  partir  de  cette  épo- 
qMla  domination  des  Ijagides  dans  ces 
contrées,  menacée  par  »  rivalité  des 
rois  de  Syrie,  devint  taible  et  précaire,  et 
ne  pot  se  passer  de  la  puissante  et  hau* 
taiae  protection  des  Romains,  qui  se  pré- 
ientiieiit  alors  comme  médiateurs  et  qui 
(levaient  bientôt  parler  en  maîtres.  Alors 
^  gonrernement  de  l'Ile  de  Cypre  devint 
plos  difficile  :  le  pouvoir  s'anaiblissait, 
^  dégradait  de  jour  en  jour  :  le  peuple 
commençait  à  s^agiter.  Telle  était  la  si- 
taation  de  Cypre  sous  Ptolémée  V,  Épi- 

Cttne  (906-181),  lorsque  Polycrate 
t  nommé  gouverneur  générai  de  cette 
t^Poljerate  était  un  Argien,  d'une  iK 
lustre  et  antique  famille.  Il  était  alors 

(OHiéocr.,  Id,f  XV.  Voir  rargament  du 
^«Hiut.  coUect.  Diod.,  t.  XXXni,  p.  90. 


BCui,  résolu,  Mm  entendu  dans  les 
afiaires  de  Tadminlstration  et  de  la 

guerre  (l)  ;  en  un  mot  c'était  un  homme 
ien  supérieur  parTori^Deet  le  carac- 
tère aui  aventuriers  gui  étaient  venus 
sous  ce  règne  chercher  fortune  en  Égf  pte, 
où  ils  firent  tant  de  mal  par  leurs  pil- 
lages et  leurs  dissensions.  Polycrate 
apaisa  les  mouvements  et  l'agitation  des 
Cypriens,  y  fit  percevoir  les  impôts, 
qu  on  refusait  de  payer,  et  y  rétablit  Tau- 
torité  compromise  du  jeune  Ptolémée  V. 
Il  avait  feit  une  fortune  immense  dans 
son  gouvernement.  La  prospérité  hii  fut 
fatale,  et  il  acheva  sa  vie  dans  de  hon- 
teuses débauches.  Le  Mégalopolitaln  Pto- 
lémée lui  succéda  comme  gouverneur 
général  de  Itle  de  Cypre. 

Les  projets  d' Antiochus  sur  l*lte  de 
Cypre  n'étaient  qu^ajoumés.  Profitant  d0 
Tenfanoe  de  Ptolémée  Épiphane,  il  re^ 
prend  les  villes  de  la  Phénicie,  et,  malgré 
les  assurances  qu'il  a  données  aux  Ro- 
mains de  respecter  le  trdne  du  jeune 
prince,  il  se  prépare  à  envahir  l'Egypte  (2}. 
Mais, parti  d'Ëî}hèse  à  la  tête  d'une  flotte 
eonsidérable,  il  renonça  à  son  premier 
dessein,  et  se  dirigea  vers  Hle  de  Cypre. 
Une  revente  de  ses  soldats  puis  une  tem- 
pête le  forcèrent  h  se  réfugier  dans  les 
ports  de  CIlide.  Lorsqu'il  eut  assemblé 
les  débris  du  naufrage,  ne  se  trouvant 

Ï»as  assee  fort  pour  tenter  la  conquête  de 
tie,  il  retourna  à  Séleucie  (196).  Cepen^ 
dant  Antiochus,  ayant  fini  par  oom- 
prendre  que  ses  véritables  ennemis 
étaient  les  Romains,  traite  avec  les  tu- 
teurs du  jeune  prince,  auquel  il  donna  sa 
fille  Cléopâtre  Syra ,  la  syrienne ,  qui  ap- 
porta en  dot  au  roi  d'Egypte  les  provinces 
contestées ,  savoir  la  Celésvrie ,  la  Phé>- 
nicie  et  la  Palestine.  Ouoique  détenu 
eendre  d' Antiochus,  Ptolémée  offrit  aux 
Romains  ses  secours  contre  ce  prince. 

Ptolémée  y  mourut  en  181 .  Sa  veuve 
Cléopfltrela  Syrienne  prit  la  régence,  et 
gouverna  au  nom  de  son  fils  Ptolémée  Vf, 
Philométor,  qui  n'avait  que  cinq  ans. 
Ptolémée  le  Mégalopolitaln ,  fils  d' Agé- 
sandre,  était  toujours  gouverneur  de 
rtle  de  Cypre,  où  il  fit  respecter  l'auto 
rite  du  jeune  roi.  Il  amassa  avec  les  re- 
venus de  rile  un  trésor  considérabla 


(i)  Polyb.,  V,64;XVIU,  3;. 
(a)Til.  lâv.,  XXXin,  4t. 


at 


UOIOYERS. 


doDt  il  fit  présent  au  ni  mniid  il  foteii 
âge  de  régjoer.  Mais,  après  avoir  long- 
temps  servi  avec  zèle,  iLtrahit  les  intérêts 
de  Ptoiémée  Philoniétor,  et  passa  dans 
le  parti  d*ADtiochus  Épiphane,  qui  mé- 
ditait la  conquête  de  1  Egypte  (1).  Il  re- 
çut en  dédommagement  le  gouverne- 
meatde  la  Palestine,  où  il  déploya  les  mé* 
mes  qualités  de  bon  administrateur  qui 
l'avaient  fait  apprécier  en  Egypte.  «  Il 
résolut,  dit  Thistorien  du  livre  des  Ma- 
ehabées  (2),  d^observer  religieusement 
la  justice  envers  les  Juifs,  et  d*agir  tou- 
jours avec  un  esprit  de  paii  a  leur 
égard.  »  Cette  modération  le  perdit  : 
lès  ennemis  des  Juifs  le  calomnièrent 
auprès  d*Antioclius  V,  Eupator,  (ils  d*Ë- 
piphane.  Us  lui  inspirèrent  des  soup- 

Sons  sur  la  fidélité  d*un  homme  qui  avait 
éjà  abandonné  son  anden  maître.  Pto- 
iémée n*échappa  à  la  haine  de  ses  enne- 
mis qu*en  prenant  du  poison. 
Intkbvention  des  Romains  dans 

LBS     AFFAIJaES    DB    CyPBE    BT    J)*É- 

eYPTB.  —  Cependant  la  dynastie  des 
Lagtdes  tombait  dans  un  tefétat  de  fai- 
blesse, qu'elle  ne  se  soutenait  contre  les 
rois  de  Sjrrie  que  grâoe  à  la  protection 
des  Romains.  Popiuus  avait  arrêté  d*un 
mot  Antiochus  Ëpiphaiie,  gui  exigeait 
de  Philométor  et  de  son  frère  Ptoié- 
mée VU ,  Éverçète  II,  la  cession  de  rîle 
de  Cypre,  de  Peluse  et  de  son  territoire, 
afin  aavoir,  auand  il  le  voudrait,  toutes 
les  portes  de  VÉgypte  ouvertes  à  ses  ar- 
mée6(8)(168).  Ce  futencore  Popilius  qui 
termina  les  différents  survenus  entre 
Philométor  et  Évergète  ou  Pbyscon.  Il 
assigna  au  premier  TÉgypte  et  Cypra, 
au  seoond  ta  Libye  et  la  Cyrénaïque. 
Évergète  mécontent  de  son  lot ,  se  ren* 
dit  à  Rome  pour  rédamer  auprès  du  sé- 
nat (4).  Ou  céda  à  ses  instances,  et,  pour 
afifaiblir  davantage  le  royaume  d*Égyp- 
te,  on  ajouta  Cypre  à  la  portion  du  roi 
de  Cyrène.  Le  sénat  nomma  deux  com- 
missaires ,  Titus  Torquatus  et  Cn.  Me- 


f; 


;0 Poiyb., xxvn,  m; xvm,  3S. 

[a)  Macbab.,  II,  xs,  i3;  Josèphe,  Bht. 
dêS  Juifs  f  XII,  7.  L*historieD  des  Madiab«es 
le  BuraoïDine  MacroD^  le  Maigre,  et  le  fait  fils 
de  Dorimène. 

(3)  Titc-Uve,  XLV,  la  ;  Poljb.,  XXIX, 
ir. 

(4)Polyfo.,XXXI,  xS. 


mla ,  pour  installer  le  jeune  Ptoléniée 
dans  la  possession  de  rtle  de  Cypre ,  et 
la  détacher  doucement  et  sans^c^rre  du 
royaume  d'£gypte.  Phvscon  s*était  hâte 
de  passer  en  Urèce,  o*y  soudover  des 
mercenaires,  avec  lesqnds  il  prétendait 
assurer  rexécution  du  sénatas-consulte 
rendu  en  sa  faveur.  Mais  les  Romains 
n*employaient  les  armes  qu'après  avoir 
reconnu  l'impossibilité  de  réussir  pu 
les  négociations  et  la  ruse.  Les  commis- 
saires du  sénat  exigèrent  de  Pliyscon 
qu'il  renvoj[ât  ses  merc uaires ,  et  ils  se 
rendirent  à  Alexandrie  pour  décider 
Philométor  à  renoncer  à  FUe  de  C]r- 

fire  (i).  Loin  de  céder  sur  ce  point.  Phi- 
ométor  attaqua  la  Cvrénaîque,  qui  s*é- 
tait  soulevée  contre  Fouieux  prince  que 
lui  avait  imposé  le  sénat,  et  força  Phys* 
con  à  recourir  encore  aux  Romains. 
Ceux-ci  étaient  bien  décidés  à  morceler 
Tempire  des  Lagides  et  à  ne  point  lais- 
ser Pliilométor  en  réunir  toutes  les  par- 
ties sous  sa  domination.  On  accueillit 
avec  faveur  le  lâche  Pbyscon  ;  on  n^d- 
mit  aucune  des  justifications  présentées 
par  les  ambassadeurs  de  Philométor,  et 
une  commission  de  dnq  légats  fut  nom- 
mée pour  appuyer  les  réclamations  du 
prot^é  des  Romains.  Cette  fois  on  per- 
mit à  Pbyscon  de  lever  des  troupes, 
et  les  alliés  de  Grèce  et  d*Asie  furent 
invités  à  seconder  de  tout  leur  pouvoir 
Tentreprisc  de  ce  prince  sur  IHe  de  Cy- 
pre (2).  Id  les  documents  historiques 
manquent  absolument ,  et  Ton  ne  peut 
dire  quelle  fut  Fissue  de  cette  querelle 
entre  les  deux  frères  et  si  Tinterveution 
romaine  fit  réussir  les  prétentions  de 
Pbyscon.  Quoi  qu*il  en  soit  du  résultat 
de  cette  affaire ,  elle  tournait  toujours 
au  profit  de  Rome,  qui  préparait  ainsi 
de  loin  la  séparation  de  File  de  Cypre  et 
derÉgypte(l6l). 

La  mort  de  Philométor,  survenue  en 
Fan  H6,  termina  ce  différend.  Malgré  la 
répugnance  de  TÊgypte  à  reconnaître 
pour  roi  Ptoiémée  Pbyscon,  ce  prince 
a'empara  du  trône,  et  réunit  entre  ses 
mains  toutes  les  possessions  des  Lagi- 
des. Sa  perfidie,  sa  cruauté  et  ses  vices 
le  firent  surnommer  Kakergète  par  ses 

(i)  Polyb.,  XXXI,  a5  et  suiv. 
(2)  Id.,  XUII,    5;   Eogel,  Kjrpros,    I, 
p.  4i5. 


ILR  DE  CHTPRe. 


3S 


suMts,  Ml  li€a  do  mrnom  d'Étercète, 
qiril  i^etait  donné.  Sous  son  règne 
A)»ai]drie,nfW!qiienlée  parles  savants, 
]h  artistes,  les  négociants ,  fut  délais- 
sée ,  et  vit  décliner  sa  splendeur.  La 
proseripCioD  frappait  toutes  les  têtes 
illustres.  Un  grand  nombre  de  lettrés 
ivrait  bannis,  et  parmi  eux  Aristarque, 
(jai  se  retira  eu  Cypre,  où  il  acheva  sa 
loogne  carrière  (t).  Après  un  règne 
h<mtfiix  et  troablépar  des  révoltes,  dont 
ruiie  avait  forcé  Pnyscon  ô  se  réfugier 
M  Cypre,  ce  prince  mourut.  Tan  1 17,  lais- 
santdeux  fils,  Alexandre  T' et  Ptol<  mêe 
Soter  II,  surnommé  Lathyros  (  pois  chl- 
ehe)  :  leur  mère  Cléopâlre,  qui  avait  été 
lUKsi  la  femme  de  Philométor,  et  qui 
était  la  sœur  de  s*  s  deux  époux,  troubla 
tout  le  royaume  d*Égypte  par  son  am* 
bition  et  ses  violences.  Elle  détestait  son 
fils  aîné,  Soter,  qui  avait  été  reconnu  roi 
par  les  Alexandrins ,  et  voulait  lui  sub- 
stituer  Alexandre.  Elle  le  contraria  dans 
tous  ses  projets,  et  plongea  rÉg}'pte  dans 
Fanarrhie.  Enfiu  elle  parvint  à  exciter 
on  soulèvement  contre  Ptolémée  La* 
tbjrre  ou  Soter  11,  et  à  mettre  Alexandre 
ni  sa  place. 

T.1lb  db  Cypbb  se  sépabb  bb 
itfiYPTB.  —  L  tie  de  Cypre  profita  de 
«s  déstonlres,  à  la  faveur  desquels  elle 
rerouvra  une  sorte  d'indépendance.  Le 
roi  banni  y  trouva  un  refuge,  et  s>n  fit 
on  petit  royaume  (2),  au'fl  détacha  de 
Ilgypte.  Deux  prétendants  se  dispu- 
tjièiit  alors  le  trône  de  Syrie,  Antîochus 
Grypus  et  Antiochos  Cyzicénus.  Le 
limier  était  soutenu  par  Cleopâtre,  le 
5m>nd  par  Soier  IL  Cette  guerre ,  com- 
meneée  avant  Texpulsion  de  ce  prince , 
mUmn  (|uand  il  fut  réduit  à  Ftle  de 
Cypre,  qui  loi  fournit  assez  deressources 
pour  le  mettre  en  état  de  tenir  tête  à  ses 
^nemis.  Les  afiiaires  de  la  Judée  don« 
Baient  aussi  beaucoup  d'occupation  à 
tous  les  princes  Séleucides  et  Laeides. 
i^  Palestine  était  gouvernée  par  la  dy- 
ttttie  des  Asmonéens,  nui  devait  son  élé- 
vation au  courage  qu'elle  avait  déployé 
^arrachant  la  nation  juive  à  la  domi- 
lutiofl  des  princes  syriens.  Continuelle- 
iBent  en  lutte  aveo  les  Séleucides ,  le 

(0  f'oy.  Justin,  XXXVm,  s  ;  Val.  Max., 
(»}  Josèphe,  j4nt.  Jad„  XIII,  19  et  «uiv.    - 

3*  Zi>raisoii.  (  Ilb  db  Chypbb.  ) 


peuple  Juif  avait  recfaerehé  rappul  de 
FËgynte,  oommeau  temps  de  ses  guerres 
avec  1  Assyrie.  Pendant  les  persécutions 
qulls  avaient  endurées  de  la  part  des 
successeurs  deSélenous  Nicator,  les  Juifs 
avaient  émigré  en  grand  nombre,  et  s*é- 
talent  établis  dans  les  États  des  Ptolé- 
mées.  Ils  étaient  très-puissants,  dit  Jo- 
sèphe,  dans  Alexandrie,  en  Egypte  et 
dans  rtte  de  Cypre.  Les  fils  d'Onias,  qui 
avait  fait  con^itruire  le  temple  d'Hélio- 
polis ,  Helcias  et  Ananias,  s'étaient  mis 
au  service  de  la  reine  CléopAtre,  la  veuve 
dePbyscon,et  avaient  été  placés  à  la  tête 
de  son  armée.  Quand  Soter  II  fut  chassé 
de  rÉffvpte,  les  Juifs  établis  à  Cypre 
contribuèrent  puissamment  à  lui  assurer 
la  possession  de  cette  tIe,  d*où  il  put 
exercer  une  grande  influence  sur  les  af* 
faires  générales  de  la  Palestine.  Alexan- 
dre Jannée,  flls  de  Jean  Hyrcan,  était 
monté  sur  le  trône  l'an  106.  Ptolèmaïs, 
Gaza  et  quelques  autres  villes  de  la  côte 
refusaient  de  lui  obéir.  Alexandre  leur 
fit  une  guerre  active,  et  ces  villes  appe- 
lèrent à  leur  secours  Ptolémée  Lathyre, 
qui  vint  de  Cypre  en  Judée  avec  une  ar- 
mée de  trente  mille  hommes.  De  son 
côté  Alexandre  fit  alliance  avec  la  reine 
Cleopâtre,  dont  les  secours  ne  purent 
arrêter  les  progrès  de  Ptolémée  Lathyre. 
En  effet ,  ce  prince  s'empara  de  Ptolé- 
mais ,  de  Gaza  et  de  Séphoris.  Il  ren- 
contra sur  les  bords  du  Jourdain  Tar- 
mée  d'Alexandre,  la  tailla  eu  pièces, 
et  en  fit  un  horrible  carnage.  Trente 
mille  hommes  périrent  dans  cette  jour- 
née, dont  Ptolémée  souilla  la  gloire  par 
d'atroces  cruautés.  Après  cet  édataut 
succée,  il  attaqua  F  Egypte;  mais  Cleo- 
pfltre  lui  opposa  Helcias  et  Ananias,  ses 
Juifs  fidèles  ;  et  Ptolémée ,  obligé  de  re- 
noncer à  son  entreprise,  revint  dans  son 
royaume  de  Cypre.  Dix  ans  après  (  88 
av.  J.  C),  Ptolémée  Lathyre  reprit  nos* 
session  de  T  Egypte,  d  où  son  trère 
Alexandre  avait  été  chassé ,  après  avoir 
assassiné  sa  mère,  et  régna  paisiblement 
jusqu'à  sa  mort,  en  l*an  81. 

Après  quelque  mois  de  troubles,  pen- 
dant lesquels  Alexandrie  fut  ensanglan- 
tée par  des  insurrections  populaires  et 
des  usurpations  de  palais,  TÉ^pte  échut 
à  Ptolémée  XI,  Aulétès,  fils  adoptif  de 
Ivïthyre.  et  Cypre  fut  donnée  comme 
apanage  à  un  autre  Ptolémée,  fils  natu** 

3 


34 


vunmM. 


riA  Au  uiim&  foi.  Mbibito  f«r  yei  dis  « 
sôniioBS ,  dégradéft  pur  ses  vieas ,  cl0(e8- 
tétt  pour  ses  crini«g,  la  «lynastie  lagide 
avaii  perdu  tout  prestige  aux  yeux  des 
peuples.  £lle  m  se  souieuait  que  par 
l'appuî  des  Romains,  qui  p'attendaieiit 
que  roocasioo  favorable  pour  renvoyer 
tts  misérables  prinpes  et  réduire  leurs 
États  en  provinces.  L'Ile  de  Cypre  était 
d^jè  réellement  séparée  du  rpyeume  d'il- 
gypte;  aussi  devint-elle  la  preiniine  la 
proie  des  Romains,  qui  étalon  t  alors  asses 
puissants  pour  disposer  eu  maîtres  du 
sort  des  rois  et  des  peuples.  On  parla 
longtemps  à  Rome  de  la  réunion  des 

rovinoes  de  la  monarchie  égyptienne 
Tenipire  romain.  Cétait  une  question 
que  Ton  SMÎtait  fréquemment  uu  sénat  ou 
au  Forum.  Ou  faisait  valoir  un  prétendu 
testament  ^ne  le  roi  Ptolémée  X  Alexan- 
dre II  aurait  lait  en  faveur  des  Romains 
pour  se  venger  de  ses  sujeis  qui  l'avaient 
êliassé.  Déjà  l'Egypte  avait  été  comprise 
«loirime  don>aine  de  la  république  dans 
le  projet  de  loi  agraire  proposé  par  le 
tribun  Rullus  et  combattu  par  Cicéron 
(68  av.  J.  €.)•  Malgré  cette  proposi- 
tion.  r Egypte  conserva  encore  sou  mdé« 
peodoncé  pendant  plus  de  trente  ans; 
mais  le  caprice  d'un  autre  tribun  dé- 
termina  b/entAt  fa  réunion  de  lile  de 
Cypre.  App  us  Clodius,  ayant  été  fait 
prisonnier  par  les  pirates  de  la  Cilicie, 
fit  demander  a  Ptolémée,  roi  de  (L'.ypre,  do 
lui  envoyer  Targent  nécessaire  à  sa  ran- 
çon. Ptolémée  était  riche,  avare  et  lâ- 
che. Il  n'osa  refuser  ;  mais  il  n'envoya 
que  deux  talents,  dont  les  piratas  ne  vou- 
lurent pas  se  contenter.  Ils  relâchèrent 
leur  prisonnier  sur  sa  parole,  et  Clodius 
jura  de  se  venger  d'un  roi  qui  Tavait  es- 
timé si  peu. 

Catov  bbouit  l'(lb  db  Cypbb  BU 
FBOviNCB  EOMAiNB.  —  Étant  deveuu 
tribun  Tan  bv,  Clodius  fit  rendre  lin  dé- 
cret qui  déclarait  Tlle  de  Cypre  proviuœ 
romame,et  qui  ordonnait  la  conllsca- 
tion  des  biens  de  Ptolémée.  Ce  n'étiit 

Eas  as^ez  pour  Clodius  d'écraser  le  fai- 
ie  Ptolémée,  il  se  donna  aussi  le  plai- 
sir de  mortifier,  d'humilier  le  fier  CatoOt 
en  le  chargeant  de  cette  honteuse  mis« 
sion.  «  A  mes  yeux ,  lui  dit-il ,  tu  es  de 
tous  les  Romaïus  Thorome  dont  la  con- 
duite est  la  plus  pure;  et  ie  veux  te 
prouver  que  |^ai  réellenieot  de  toi  cette 


haut»  m^.  Bien  iês  leus  4emand«Bt 
qu'on  les  envoie  en  C^pre;  n>als  je  te 
crois  seul  digpe  de  o^  gouvernement ,  et 
je  me  fais  un  plaisir  de  t'y  nommer.  • 
Caton  répondit  en  hpmme  qui  se  seot 
offensé,  ci  refusa  cet  etnpioi.  n  Elr  bien  ! 
reprit  Clodius  avec  haqteur,  si  tu  ne 
veux  pas  y  aller  de  gré  tu  partiras  de 
force.  «  Et  il  se  rendît  aussitôt  à  ras- 
semblée du  peuple ,  et  y  fit  passer  le  dis- 
cret qui  envoyait  Caton  en  Cypre  (i  ),  sans 
lui  accorder  ni  vaisseaux  ni  soldat^  pour 
exécuter  cette  oaisuse  spoliation.  1^  lâ- 
cheté du  roi  de  Cypre  rendait,  au  reste, 
c  tte  précaution  inuUle.  Caton  epvoya 
devant  lui  en  Cypre  Canidius ,  un  de  ses 
amis,  pour  epgagfar  Ptolén^ée  à  se  retirer 
sans  combat,  eu  lui  promettant  qu'il  oe 
manquerait  jamais,  sa  vie  durant  «  ni  de 
richesses  ni  d  honneurs,  et  que  le  peuple 
Bomain  lui  conférerait  la  grande  prê- 
trise de  Vénus  à  Paphos.  Quant  à  lui , 
il  s*arrdta  à  Rhodes  pour  y  laire  ses  pré- 
paratifs e^  attendre  la  réponse  de  Ptolé- 
mée. Ce  mallieu reux  prinee  ne  &avait 
que  résoudre.  D'abord  il  prit  le  parti  de 
eharger  ses  trésors  sur  ses  navires  et  da 
s'engloutir  avec  eux  dans  les  flots,  il 
n'osa  ou  ne  put  exécuter  ce  dessein  ,  et 
il  se  rési{(na  à  prendre  du  poison.  CeiU 
uiort  délivra  Caton  d'un  grand  embar- 
ras; la  victin^e  s'était  impiolée  flle- 
niéme,  il  n'y  avait  plus  qu'à  recueillir  sa 
succession.  Caton  se  rendit  en  Cypre. 
où  il  trouva  des  richesses  prodigieuses 
et  vraiment  royales  en  vai2>selle  d^or  et 
d'argent,  en  tabler  précieuses,  en  pier- 
reries, en  étoffes  de  pourpre.  Au  fond. 
c*étajt  là  ce  qui  avait  tenté  la  cupidité 
des  hommes  avides  et  ambitieux  qui  se 
disputaient  le  gouvernement  dtt  la  repu- 
hlique  et  qui  mettaient  le  monde  au  pjl- 
jage  (3).  Aus^i  avaient-ils  envoyé  Caton 
pour  ne  rien  perdre  de  leur  proie.  «  Ca- 
toq ,  dit  Pjgtarque ,  jaloux  que  tout  se 
passât  daps  hs  rèsles,  et  qui  voulait 
faire  monter  les  efff  ts  à  leur  plus  haute 
valeur,  assista  lui-même  à  la  vante ,  et 

(i)  Plut.,  CatQH^c.  XLIV  eCtuiv.  ;  Eogel. 
Kyoros,  I,  439. 

(a)  Celte  honteuse  conquête  «tt  fictric 
oommi!  il  convieni  par  les  anciens  eux-mêmes. 
Voir  Vclleiiis  P^terculuf,  )|,  38,  5;  Valcr. 
Maxime,  IX.,  48;  XV,  10;  AnioiieQ-Mar'> 
ceUin,XIV,3?,  S. 


ILE  DE  CBTfKE. 


fS 


porttoi'toinptejiMqQ'aiixnendresMRi^ 

mes;  car  il  m  s'en  tint  pas  aux  former 
ordioaires  des  eiHians  :  il  avait  pouréga* 
lement  suspects  les  ofBcieirs,  les  crieurs, 
les  cDciiérisseurs.  f  t  jusqq^à  ses  amis.  U 
s'aiJrfss.iitlui-méqap  aux  acheteurs,  et  les 
poussait  à  mettre  de  plus  hautes  encliè* 
res,  et  de  cett^  f9çon  tout  fut  vendu 
à  sa  plus  juste  valeur.  Caton  rapporta 
de  Cypre  près  de  sept  mille  talents  Cqua** 
rante  millions  de  francs);  il  en  char^e^ 
des  caisses  qui  contenaient  chacune  deu< 
talents  cinq  cents  drachmes.  {1  fit  atta- 
cberà  chaque  caisse  une  longue  corde, 
au  bout  de  laquelle  on  mit  une  grauda 
pièce  de  liés:» ,  afio  que  si  le  vaisseau 
venait  à  se  briser,  les  pièces  de  liège, 
nageant  sur  Peau,  indiquassent  IV ndroit 
où  seraient  les  caisses.  Tout  cet  argent, 
à  peu  de  cliose  près,  arriva  heureusement 
à  Rome. 

Jamais  général  romain  revenant 
diargé  de  dépouilles  glorieusement  en- 
bé<>s  à  IVunemi  ue  tut  reçu  avep  plu» 
d*empres$emeiit  et  d^honneur  ciue  Ca- 
ton rapportant  dans  sa  patrie  la  hon- 
teuse conquête  des  trésors  de  Ptolémée* 
Corauie  il  approchait  avec  ses  vaisseaux, 
ics  Romains,  instruits  de  son  arrivée, 
magistrats ,  prêtres ,  le  sénat  eu  corps 
(t  la  plus  grande  partie  du  peuple,  tous 
eoiin  allèrent  au-devant  de  lui  le  long 
du  fleuve,  pendant  que  Caton,  dédai- 
gnant de  s'arrêter  pour  recevoir  les  con- 
suls et  les  préteurs,  remontait  vers  Rome 
sur  une  galère  royale  à  six  rangs  de  ra- 
mes. Quand  on  vit  porter  à  travers  le 
Forum  ces  sommes  immenses  d'or  et 
d'aigen^,  Tadmiration  pe  connut  plus  de 
bornes;  le  sénat  s*assembla,  eompli- 
naenta  Caton  de  sa  conduite,  et  lui  dé- 
cerna une  préture  extraordinaire,  avec 
le  privilège  d'assii.ter  aux  jeux  vêtu 
d*ui)6  robe  bordée  de  pourpre.  Caton  re- 
fuMi  ces  honneurs,  et  deBaaudQ$(>ulement 
la  liberté  de  Nicias,  intendant  du  feu  roi 
fioiémée,  dont  il  attesta  les  soins  et  la 
fidélité.  De  tant  de  richesses  qui  étaient 
à  »i  dispositioA,  Caton  ne  sVtait  réservé 
qu'une  statue  de  Zenon  de  Citium; 
oêaninoiiis  il  ne  put  échapper  aux  ca- 
lomoies  de  ce  mêmeClodius,  qui  Taccu- 
sait  d'avoir  détourné  des  sommes  énor- 
mes à  sop  profit.  Caton  avait  envoyé  ses 
oûinptea  à  Rome  ;  mais  une  tempête  en- 
gloutit le  navire  qui  les  portait.  Cepeu* 


dant  il  n'eut  pas  do  paine  à  repousser  ie^ 

ûnputations  de  Clodius ,  lui  qui ,  santi 
avQir  jamais  reçu  de  la  république, 
Qomme  il  le  disait ,  ni  un  cheval  ni  un 
soldat,  lui  avait  rapporté  de  Cypre  plus 
dV  et  d  argent  que  Pompée  n'en  avait 
oMiquis  par  tant  de  guerres  et  de  triomr 
phes ,  après  avoir  bouleversé  la  terre. 

ÊT4X    BS    l'^^h^    PB    CyPRK    SOUS 
L'iDUINISTBATIOM  P&S   BOMAiriS,  -r 

Caton  avait  éri^é  Tile  de  Cypre  fu  pro- 
vince prétoriepoe.  On  y  envoya  pour 
)e  gouvi»rner  le  questeur  C.  Sextius, 
avec  des  pouvoirs  de  préteur.  Bientôt 
9n  reunit  Tîle  de  Cypre  à  la  Ciltcie,  e^ 
on  en  fit  una  province  proconsulaire, 
dont  le  gouvernement  fut  donné  a  Len* 
tulus  (66  av.  J.  C),  un  d^  amis  les  plus 
intimes  de  Cicéron.  L'an  6:2,Cicéron  lui- 
même  fut  pourvu  de  ce  procoosulat,  et 
passa  un  an  dans  sa  province.  Ses  let- 
tres à  Attious  sont  remplies  de  curieux 
d^ils  sur  rétat  de  Tlle  de  Cypre,  sur 
laquelle  s'étaient  abattus  les  publicains, 
qui  la  pressuraient  avec  une  rigueur  im* 
pitoyable.  Quand  ces  publicains  étaient 
d'accord  avec  les  gouverneurs ,  rien  n'é- 
galait la  détresse  des  provinciaux.  La 
ville  de  Satamine  avait  aontracté  une 
dette  envers  M'  Scaptius  et  P.  Mati*- 
nius,  deux  financiers  négociants  établis 
dans  l'Ile,  très-bisu  appuyés  à  Rome, 
puisque  Brutus  avait  chargé  Cicéron  da 
de  leur  faire  obtenir  le  remboursement 
de  leur  créanœ.  Déjà  ces  deux  hommes 
avaient  fait  éprouver  aux  habitauts  da 
Salamine  mille  vexations  (i).  Appius, 
prédécesseur  de  Cicéron,  avait  mis  a  leuv 
disposition  un  corps  de  cavalerie  avec  le* 
quel  ilsavaient  bouleversé  toute  i'ile«  en* 
tièrement  désarmée.  Ils  avaient  tenu  li 
sénat  de  Salamine  assiégé  pendant  elua 
jours,  et  cinq  sénateurs  étaient  morts 
de  taim.  «  Appius,  dit  Cioeron,  qui  ^ 
traité  la  province  par  le  fer  et  par  le  feu, 
qui  Ta  saignée,  épuisée,  qui  me  Ta  re«< 
mise  expirante ,  trouve  mauvais  que  je 
répare  le  mal  qu'il  a  fait.  Ce  qui  l'irrite, 
c'est  que  je  ne  lui  ressemble  pas;  on  ne 
peut  en  effet  se  ressembler  moii-s:  la 
province  a  été  sous  son  i^ouvernemeot 
ruinée  de  toutes  les  manières ,  sous  la 
mieu  il  n'en  a  été  rien  exigé  sous  aucun 

(x)  Cicrr.,  £p.  ad  Att^  VI,  i,a,  3,  pas- 
sim. 

3. 


^ 


LTJNIVERS. 


prétexte.  Qae  ne  pounrais-j^  pas  dire  des 
préfets  d'Appios,  de  ceux  de  sa  suite, 
de  ses  lieutenants,  de  leurs  rapines,  de 
leurs  violences,  de  leurs  brutalités? 
Maintenant,  au  contraire ,  la  maison  la 
mieux  réglée  ne  présente  pas  autant 
d'ordre,  de  régularité,  d'économie  que 
cette  province.  »  Scaptius  et  Matinius 
insistaient  auprès  de  Qoéron  pour  qu'il 
leur  permit  d'exiger  des  Salaminiens 
non-seulement  leur  capital,  mais  encore 
un  intérêt  de  quatre  pour  cent  par  mois. 
Cieéron,  indigné  de  cette  odieuse  usure, 
refusa  de  mettre  des  troupes  à  leur  dis- 
position ,  et  les  fit  payer  sur  le  pied  d'un 
pour  cent  par  mois.  «  Voilà  ce  que  j'ai 
fait,  dit-il  à  Atticus,  je  pense  que  Brutus 
m^approuvera  ;  je  ne  sais  si  vous  serez 
content.  Caton  sera  certainement  pour 
moi.  »  Cieéron  s'était  fait  aimer  des  Cy- 
priens  ;  il  s'intéressa  toujours  vivement  à 
leur  sort,  comme  on  le  voit  par  la  lettre 
qu'il  écrivit  en  44  à  C.  Sextius,  le  pre- 
mier ouesteur  de  Çypre,  qui  se  retrou- 
vait alors  ouesteur  de  Ciiicie,  avec  l'île 
de  Cypre  dans  son  département.  «  Je 
vous  recommande  tous  les  Cypriens  en 
général,  et  les  Paphiens  en  particulier; 
je  vous  saurai  un  gré  infini  de  ce  que 
vous  ferez  pour  eux.  J'insiste  d'autant 

glus,  qu'il  me  paraît  importer  à  votre 
onneun  dont  je  suis  jaloux,  que  le  pre- 
mier questeur  romain  dans  Itle  laisse  sa 
trace  et  marque  la  voie  à  ses  succes- 
seurs. -Ce  vous  sera  chose  facile ,  je  m'en 
flatte ,  si  vous  suivez  les  directions  et  les 
lois  de  votre  intime  ami  P.  Lentuius,  et 
les  institutions  diverses  que  j'ai  moi- 
même  établies.  Ou  je  me  trompe ,  ou 
vous  vous  feriez  par  là  un  honneur  in- 
fini (I).  » 

Habituée  depuis  plusieurs  siècles  à  su- 
bir la  domination  étrangère ,  l'île  de  Cy- 
pre avait  accepté  celle  des  Romains  avec 
une  résignation  qui  prouve  qu'elle  ne 
sentait  plus  le  prix  de  la  liberté  et  qu'elle 
n'avait  conservé  aucun  de  ces  sentiments 

généreux  par  lesquelis  on  sait  la  défen- 
re.  L'assuiettissement  politique  où  ils 
étaient  tomoés  depuis  longtemps  et  leur 
corruption  morale  avaient  rendu  lesCy* 
priens  indifférents  à  ces  changements  de 
fortune  où  les  peuples  libres  compren- 
nent que  leur  dignité  est  en  question. 

(0  Cic,  Ad  Pam,,  XIII,  5a. 


Tandis  que  les  Cretois  et  les  Rbodiens 
ne  se  livrèrent  à  Rome  qu'après  de  lon- 
gues résistances,  Cypre,  toute  façonnée 
au  joue,  toute  résignée  d'avance,  se 
soumit  a  la  première  sommation,  et  resta 
la  plus  paisible  des  provinces  de  l'empire 
romain.  Indifférente  à  tout,  les  plus 
grands  événements  s'accomplissaient  au- 
tour d'elle ,  et  elle  passait  de  main  en 
main,  sans  qu'elle  parût  s'en  apercevoir. 
Après  la  bataille  de  Pharsale,  Cypre,  qui 
vit  passer  tour  à  tour  la  famille  de  Pom- 
pée fugitif  et  César  victorieux,  retourna, 
après  être  restée  dix  ans  au  pouvoir  de 
Rome ,  à  la  famille  des  Ptolémées.  Au- 
lète,  l'indigne  protégé  du  sénat,  était 
mort  Tan  52,  plus  méprisé,  plus  dé- 
testé que  jamais  des  Alexandrins,  qui 
n'avaient  pu  le  décider  à  agir  pour  re- 
couvrer Ifle  de  Cypre.  11  laissait  en  mou- 
rant deux  fils,  Ptolémée  Dionysius  et 
Ptolémée  Néotéros ,  et  deux  filles,  Arsi- 
noé  et  la  fameuse  Cléopâtre.  Les  Alexan- 
drins mirent  sur  le  trône  Taîné  des  deux 
fils  avec  sa  sœur  Cléopâtre.  Mais  les  mi- 
nistres du  jeune  roi  chassèrent  Cléopâtre, 
qui  se  retira  en  Syrie  avec  sa  sœur  Ar- 
sinoé.  A  son  passage  en  Egypte ,  César 
se  fit  l'arbitre  de  tous  ces  différends,  et, 
après  avoir  placé  sur  le  trdne  d'Egypte 
les  deux  aînés  des  enfants  d'Aulète,  il 
donna  au  couple  le  plus  jeune,  à  !^éo- 
téros  et  à  Arsinoé,  l'investiture  de  l'Ile 
de  Cypre.  La  guerre  d'Alexandrie,  qui 
suivit  de  près ,  empêcha  ce  partage  <ré- 
tre  mis  à  exécution  ;  la  reine  de  Cypre 
Arsinoé  fut  emmenée  captive  à  Rome,  où 
elle  mourut.  Tan  41.  Plus  tard  Antoine, 
maître  de  l'Orient ,  mais  subjugué  par 
Cléopâtre,  lui  fit  don  de  Itle  de  Cypre, 
qui  resta  province  de  l'Egypte  jusqti  à  la 
conquête  de  ce  royaume  par  Octave, 
l'an  30  av.  J.  C.  On  sait  qu'Auguste,  de- 
venu maître  de  l'empire,  partagea  avec  le 
peuple  le  gouvernement  des  provinces  : 
Cypre  fut  d'abord  comprise  parmi  les 
provinces  impériales.  Mais  il  l'abandonna 
peu  de  temps  après  au  peuple  en  échange 
de  la  Dalmatie,  dont  les  insurrections  ren- 
daient nécessaire  l'intervention  directe 
du  chef  militaire  de  l'empire  romain. 
Cypre  devint  une  province  consulaire 
Elle  se  divisa  en  quatre  districts  :  celui 
de  Salamine  à  l'est,  celui  de  la  nouvelle 
Paphos,  à  l'ouest ,  le  district  de  Lapa- 
thos  au  nord,  et  celui  d'Amathonte  au 


ILE  DE  CHYPRE. 


%r 


8ud(l).  Animiste  donna  des  soins  atten- 
tif à  Tadministration  de  IHe  de  Cypre  ; 
et  le  temple  de  Paphos  ayant  été  détruit 
par  un  tremblement  de  terre.  Tan  15 
avant  Tère  chrétienne,  il  pourvut  aut 
tirais  de  sa  reconstruction. 

IirTBODUCTION   DU  CHBISTIANISMB 

UN  Cypbe.  —  L'Ile  de  Cypre  fut  une 
des  premières  contrées  ouvertes  à  la  pré- 
dication de  r Évangile.  «  Joseph,  que  les 
apôtres  surnommèrent  Barnabe,  c'est-à- 
dire  enfant  de  consolation,  qui  était  lévite 
etoriginaire  de  Ff  le  de  Cypre,  Tendit  aussi 
UD  fonds  de  terre  qu'il  avait,  et  en  ap- 
porta leprix,  quil  mit  aux  pieds  des  apô- 
tres (2).  I»  Bientôt  éclata  la  persécutioa 
où  fut  lapidé  saint  Etienne;  les  fidèles  de 
la  première  Église  se  dispersèrent,  et  quel* 
ques-uns  d^entre  eux  allèrent  en  Cypre. 
Après  la  fondation  de  TÉglise  d'Antio- 
die,  où  les  fidèles  prirent  pour  la  pre- 
mière fois  le  nom  de  chrétiens,  saint  Paul 
et  saint  Barnabe  firent  voile  vers  Tllede 
Cypre.  «  Quand  ils  furent  arrivés  à  Sa* 
iamine,  disent  les  sectes  des  Apôtres,  ils 
prêchaient  la  parole  de  Dieu  dans  les  sy- 
nagogues des  juifs ,  et  ils  avaient  aussi 
Jean,  qui  les  aidait.  A  près  a  voir  parcouru 
toute  rtle  jusqu'à  Paphos,  ils  trouvèrent 
un  certain  juif,  magicien  et  faux  prophète, 
nommé  Bar-Jésu,  qui  était  avec  le  pro- 
consul Sergius  Paulus ,  homme  sage  et 
prudent.  Ce  proconsul  désirant  d'enten- 
dre la  parole  de  Dieu  fit  venir  Barnabe 
ttPaal;  mais  Élymas,  c'est-à-dire  le 
magicien,  car  c'est  ce  que  signifie  ce 
nom  d'Élymas,  leur  résistait,  tâchant  de 
détourner  te  proconsul  d'embrasser  la 
foi.  Alors  Paul  étant  rempli  du  Saint-Es- 
prit, et  regardant  fixement  Elymas ,  lui 
dit  :  «  Homme  plein  de  tout  es  sortes  d'ar- 
tifices et  de  fourberies,  enfant  du  diable, 
ennemi  de  toute  justice,  ne  cesseras-ta 
pas  de  pervertir  les  voies  droites  du  Sei- 
gneur? Voilà  dans  ce  moment  la  main 
de  Dieu  sur  toi  :  tu  seras  aveugle,  et  jus- 
qu'à un  certain  temps  tu  ne  verras  point 
le  soleil.  A  Tinstant  les  ténèbres  tombè- 
rent sur  lui ,  ses  yeux  s'obscurcirent ,  et, 

(0  Engel,  Kypros^  J,  p.  45S.  On  sait,  par 
me  inscription  tronvée  à  Paphos  et  par  une 
ttédaille,  que  P.  Fabius  Maximus  et  Aiilus 
Phutitt»  furent  proconsuls  en  Cypre  sous  le 
fnncipat  d'Aufpiste. 

(a)  Act,  dei  Apotrts^  c.  iv,  36. 


tournant  de  câté  et  d'autre,  il  dierehait 
quelqu'un  qui  lui  donnât  la  main.  1^ 
proconsul  voyant  le  miracle  embrassa 
la  foi ,  et  il  admirait  la  doctrine  du  Sei- 
gneur (1).  » 

Telle  fut  la  dernière  conquête  subie 
par  111e  de  Cypre  dans  l'antiquité  ;  et 
c'est  aussi  le  dernier  événement  de  son 
histoire  ancienne.  A  partir  du  règne  de 
Tibère ,  sous  lequel  Serons  Paulus  em- 
brassa le  christianisme,  jusqu'à  la  fin  de 
la  domination  romaine ,  l'tle  de  Cypre 
n'eut  plus  qu'à  jouir  tranquillement  des 
bienfaits  de  cette  paix  universelle  don- 
née par  les  Romains  aux  peuples  de  TOc- 
ddent.  Dès  lors  elle  échappe  aux  regards 
de  l'histoire,  à  laquelle  elle  n'offre  aucuQ 
souvenir  à  recueillir,  aucun  événement 
à  enregistrer  ;  seulement  des  inscriptions, 
trouvées  sous  les  décombres  de  ses  anti- 
quités y  nous  ont  conservé  les  noms  de 
quelques-uns  des  proconsuls  à  qui  le  sé- 
nat confia  le  gouvernement  de  cette 
tie  (2).  Au  quatrième  siècle  l'administra- 
tion de  l'empire  romain  fut  profondé* 
ment  modifiée  par  Constantin  le  Grand, 
surtout  en  ce  qui  concerne  le  gouverne- 
ment des  provinces.  Alors  l'île  de  Cypre 
devint  la  quinzième  province  du  dio- 
cèse d'Orient,  avec  Ja  ville  de  Constan- 
tia ,  l'ancienne  Salamine,  pour  capitale. 
Ce  fut  sans  doute  a  cette  époque  qu'elle 
fut  divisée  en  treize  districts,  selon  Cons- 
tantin Porphyrogénète,  et  quatorze  selon 
Hiéroclès,  qui  les  énumère  dans  l'ordre 
suivant  :  Coiistantia,  Tamassus,  Citium, 
Amathonte,  Curium,  Paphos,  Arsinoé, 
Soles,  Lapithus,  Cirbia,  Cythri,  Car- 
pasion,  Trimethonte  et  Leukosia. 

(t)  Act,  Apost,,  Xin,  4.  Le  p.  Lostgnan 
énumère  plus  de  quatre-vingts  saints  ou  per- 
sonnages célèbres  de  TÉglise  de  Chypre  dans  le 
chapitre  qui  a  pour  titre  Us  illustres  hommes 
chrétiens  dt  Cisle  de  Chypre,  Il  y  a  font  un 
côté  de  l'histoire  de  rite  de  Chypre  que  je 
suis  obligé  de  laisser  dans  l'ombre  ;  car,  pour 
emprunter  le  langage  du  vieux  Lusignan,  «  si 
je  vonlois  raconter  toutes  les  choses  qui  ae 
sont  faites  concernant  les  affaires  de  Cypre, 
cette  chronique  seroit  encore  augmentée  ae  la 
moilié  d'autant.  » 

(a)  Voir  le  recueil  de  Gruter  et  les  îns- 
U'iptiona  citées  par  Engei,  Kypros,  I,  460. 


^ 


ItOJWlVERS. 


m 


ttkt  BeLTG1C17X,P0LITtQVB«  MOBAL 
BT  llVTfiLLBGTUEL  DB  L'IlB  DB 
CYPRE  PENDANT  LES  TEMPS  AN- 
CIENS. 

Religion  de  l'île  de  Cypbb.  •— 
«  Vénus,  très 'belle  Glle,  nasquit  en 
Aphrodisie,  ville  de  Cypre,  et  pour  sa 
rare  beauté  fut  amenée  en  Cythère,  pour 
être  là  nourrie  entre  les  dieux  et  dées- 
ses :  laquelle  estant  grande,  èii  âge  con- 
venable ,  fut  mariée  au  roy  Adonis ,  et 
couronnée  royne  de  Cypre.  Les  poètes 
et  historiens  racontent  infinies  choses  de 
ceste  femme,  lesquelles  il  seroit  trop 
difficile  d'esplueher  et  raconter  de  mot  à 
mot.  Contentez- vous  seulement  d*eit ten- 
dre qu*on  luy  a  donné  le  premier  Heu 
entre  les  dieux  et  déesses,  et  qu'on  Fa 
appelée  de  divers  noms  ;  qu'on  lui  a  édi- 
fié plusieurs  temples,  non -seulement 
en  Cvpre,  mais  aussi  en  plusieurs  autres 
provinces,  voire  par  tout  le  monde  (1).  » 
Voilà  comment  le  P.  Lusignan  se  ren- 
dait compte  de  rétablissement  du  culte 
de  Vénus  dans  l'île  de  Cypre.  Il  est  dou- 
teux que  cette  explication  si.  expéditive 
satisfrisse  tout  le  monde,  et  qu'on  veuille 
s'en  tenir  à  cette  doctrine  d'Évhémère 
qui  faisait  de  tous  les  dieux  et  déesses  du 
pagunisme  des  rois  et  des  reines  élevés 
après  leur  mort  aux  honneurs  divins. 
Autrefois  elle  était  généralement  biea 
accueillie  des  savants,  et  convenait  éga- 
lement au  scepticisme  des  uns  et  à  la  cré- 
dulité des  autres.  On  l'enseignait  alors 
dans  toutes  les  mvthologies  élémentai- 
res. Aujourd'hui  1  étude  de  la  mytholo- 
gie tourne  au  symbolisme  ;  et  si  ce  sys- 
tème d'interprétation  n'est  pas  exempt 
d'erreur,  il  présente  des  vues  plus  pro- 
fondes et  pénètre  mieux  dans  la  vérité. 

Aphrodite  est  le  vrai  nom  de  la  grande 
déesse  des  Cypriens;  il  appartient  à  la 
langue  grecque  ;  le  mot  de  Vénus  est  la- 
tin. Mais  Aphrodite  ne  fut  pas  la  plus 
ancienne  divinité  de  Itle  de  Cypre,  ou  les 
Grecs  n'avalent  fait  que  succéder  aux 
Phéniciens.  CeUx-el  avaient  Introduit 
dans  rtle  leur  religion  nationale,  et  les 
temples  de  Paphos .  d'Amathonte  et  de 
Citium  avaient  été  d'abord  consacrés  au 

(i)  Le  Père  Lusignan,  Description  de  toute 
VisU  de  Cypre,  p.  Sg. 


culte  de  l*Astarté  phénicienne,  la  même 
divinité  qu'on  adorait  à  Ascalon ,  à  By- 
blos,  à  Tyr  et  sur  toute  la  eôte  de  Syrie. 
Quand  les  Grecs  vinrent  s'établir  en  Cy- 
pre ,  ils  apportèrent  avee  eux  le  nom- 
Dreux  cortège  des  divinités  qui  compo- 
saient leur  Olympe.  Or,  aucune  n'avait 
autant  d'analogie  avec  l'Astarté  phéni- 
cienne que  l'Aphrodite  antique ,  divinité 
des  premiers  âges  connue  des  Pelages. 
Ce  puissant  symbole  signifiait  à  rôri- 
gine  la  force  créatrice  et  reproductrice, 
qui  entretient  tous  le^  êtres  de  la  créa- 
tion. Son  culte  était  l'adoration  de  la 
nature  elle-même,  dont  les  anciens  ont 
divinisé  la  fécondité  et  la  vie,  dans  V'ivtï'' 
possibilité  oti  ils  étaient  de  remonter 
plus  haut  et  de  savoir  où  placer  la  source 
et  l'origine  de  toute  existence.  Ce  natu- 
ralisme panthéistique  se  retrouve  par- 
tout, depuis  l'Inde,  où  il  existe  encore, 
jusqu'aux  confins  de  l'ancien  monde,  et  il 
a  produit  partout  et  sous  différentes  for- 
mes des  divinités  analogues  à  l'Astarté 
des  Phéniciens  et  à  l'Aphrodite  des 
Grecs,  savoir  :  la  déesse  de  Gomana,  T A- 
naîtis  d'Arménie,  de  Pont,  de  Cappa- 
doce,la  Mylitta  d'Assyrie,  la  Mitra  de 
Perse,  rAlflat  d'Arabie,  IMsis  des  Êgyp- 
tiens ,  la  Cybèle  des  Phrygiens  et  d'au- 
tres encore. 

Personne  ne  peut  dire  eomment  s'o- 
péra la  fusion  d'Ast^rté  et  d'Aphrodite  : 
ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  deux  peu- 
ples réunis  dans  rtle  de  Cypre  parvin- 
rent à  se  mettie  d'accord  sur  un  point 
où  il  est  bien  difficile  aux  hommes  de 
s'entendre.  Leurs  divinités  contractèrent 
une  union  si  étroite  qu'on  ne  les  distin- 
gua plus  l'une  de  l'autre.  Quelles  furent 
les  coéditions  de  cette  alliance,  par 
quelles  transactions,  par  quels  sacrifices 
mutuels  fut^l le  cimentée,  voilà  encore  ce 
qu'il  est  bien  difficile  à  l'érudition  d'étn- 
biir.  Toutefois,  il  me  semble  qu'on  peut 
affirmer  que  l'élément  phénieieii  préva 
lut  dans  le  fond,  Télément  grec  dans  la 
forme.  Les  Grecs  et,  après  eux,  les  Ro- 
mains appelèrent  la  déesse  de  Cypre 
Aphrodite  ou  Vénus;  mais  le  symoole 
ne  changea  pas  :  ce  fut  toujours  la  pierre 
conique  de  Paphos,  qui  représentait  le 
Phallus  et  qui  exprimait  la  force  généra- 
trice, ou  la  déesse  barbue  d'Amathonte, 
qui  réunissait  les  deux  sexes  et  qui  se 
suffisait  à  elle  seule  dans  l'acte  de  la  re- 


ILE  DE  GflYf KE. 


prodaction.  Le  saeerdoee  resta  entre  les 
maJDS  des  Cinyrades,  dont  raneétreCiny- 
ras  était  Phénicien.  Mais  la  mythologie 
grecque,  ee  grand  instrument  de  la 
propagande  des  klées  helléniques,  qni 
altéra  et  absorba  tant  de  religions  étran- 
^res  par  le  charme  et  le  prestige  de  rima- 
gination,  étonfifo  TAstarté  phénicienne 
sous  un  monceau  de  fables  et  de  légen- 
des iorentées  pour  Aphrodite,  dont  le 
nom  finit  par  pré?aldir.  GnyraS  lui- 
niéme  devint,  bon  gré  mal  gré,  un  héros 
grec,  tout  en  oonserrant  son  nom  sémi- 
tique. 

II  en  ftit  de  même  d'Adonis  :  «  Le  nom 
comme  le  culte  d'Adonis  est  essentielle- 
ment phénicien  ou  syrien  dans  son  prin* 
eipe;  e*est  un  titre,  une  épitbète  d'hon- 
neur, donnée  indifféremment  sut  di- 
Terses  formes  de  Bel  ou  de  Baal ,  le  dieu 
multiple  des  Araméetis  et  des  Cananéens, 
aussi  bien  qu*à  Jéhovah  Ini-méf  ne,  le  dieu 
simple  et  unique  des  Hébreut  :  /ich» 
ni,  Adonai^  mon  Seigneur,  notre  Sei- 
gneur (1).  r  Or,  ce  grand  dieu,  à  qui  Ton 
disait  :  Àdonai,  mon  Seigneur,  et  que 
les  Phéniciens  avaient  déjà  réduit  à  n'ê- 
tre plus  que  le  soleil,  comme  Tindigue 
bien  clairement  la  nature  de  la  fête 
qu*on  célébrait  en  son  honneur  an  prin- 
temps, les  Grecs  lui  conservèrent  son 
nom,  et  loi  appliqùèi^ent  Tun  de  ces  mj- 
rhes  frivoles  et  graciedt  par  lesquels  fli 
tournaient  presque  en  plaisanterie  tes 
idées  les  plus  graves  et  les  plus  sérietisea 
des  retiglons  de  l*Asie.  On  transporta 
dans  rtle  de  Cypfe  le  mythe  d'Atis  et  de 
Cvb^le.  Adonis  devint  un  bel  adolescent, 
fils  de  Cinyras  et  de  Myrrha ,  aimé  de 
Vénus,  qui  abandonna  leoiel  pour  s^atta- 
cher  à  lui  : 

▲iMliiiet  «  eœlo  ;  ocelo  prafertot  kéatAM. 

Us  passaient  leur  temps  à  la  chasse; 
Mars,  Jaloux  d*Adoni8,  le  fit  déchirer 
pr  un  sanglier  furieux.  Adonis  succom- 
ba; ntais  Vénus  le  disputa  au  trépas,  et 
adonis  resta  partagé  entre  la  vie  et  la 
mort.  Il  passa  la  monîéde  Tannée,  le  prin- 
temps et  Tété ,  auprès  de  ?énns ,  fautre 
moitié,  l'automne  et  Thiver,  dans  les  en- 
fers,auprè8de  Proserpine.  Aui  Adonies, 
ou  fétus  d'Adonis,  on  célébrait,  par  descé- 

(  i)  Crtmer  el  Guigniaiit,  iitf%MNU  db /'^/t- 
Hwté,  t.  II,  y  part.,  p.  919. 


rémonies  où  ae  succédaient  la  joie  et  la 
douleur,  cet  anéantissement  et  cette  ré* 
surreetion  périodique  du  Dieu  dans  lé* 
quel  le  vulgaire  ne  voyait  plus  que  Ta- 
mant  d*Aphrodtte,  elqui  dans  Torigine 
avait  été  le  soleil.  Aphrodite  perdit  aussi 
son  antique  caractère  :  on  cessa  de  voir 
en  elle  la  personnfication  des  ftfrces  re* 

f productrices  de  la  nature ,  elle  devint 
a  déesse  des  amours  ;  et  son  culte  consa- 
cra et  divinisa  la  plus  puissante  et  là 
plus  funeste  dt^  passions  humaines  L'A' 
phroditeUranle,  méconnue  et  délaissée* 
se  retira  au  fond  du  sanctuaire,  et  TA- 
phrodile  Pnndemos ,  Tamour  déréglé  et 
sensuel ,  attira  à  elle  tons  les  homma- 
ges. De  là  les  désordres  des  fêtes  de  Pa* 
phos ,  la  prostitution  des  jeunes  filles  au 
.  rivage  où  la  déesse  sortit  de  la  mer,  et 
les  débauches  des  hiérodules  de  Cypre , 
aussi  célèbres  que  les  prêtresses  consa- 
crées à  Vénus  dans  le  temple  de  Corin- 
the  (1).  On  adorait  aussi  en  Cvpre  Gé- 
rés, Bacchus,  Jupiter  et  Junon,  Minerve^ 
Apollon  et  Diane,  mais  toutes  ces  ûW\* 
nités  n^avalent  qu'ufi  culte  local  et  par- 
tietiller;  seule  Aphrodite  était  adorée 
dans  nie  entière. 

ÉTAT  POLÏTtQtlÉ   DE   l'ÎLË   DE  Cy- 
PBE  (2)  ;  GOUTfiltFfEHttIT.  —  L'îlC  de 

C^pre  a  toujours  été  gouvernée  par  des 
rois.  I.,es  cités  grecques  étaient  encore 
sous  le  régime  monarchique  quand  elleà 
envoyèrent  dfts  colonies  dans  cette  île. 
Aussi  la  royauté,  qui  j  dominait  déjà 
avec  les  Phehiciens,  J  fut  éontinuée  par 
les  Grecs  4  et  s'y  perpétua  Jusqu'à  la  sou- 
mission ne  nie  aux  Ptoleniêes.  Jamais 
Cypre  ne  fut  réunie  sous  la  domination 
d^jn  seul  prince  ;  mais  chnque  cité  fai- 
sait tm  petit  royaume ,  qui  avait  pour 
chefs  héréditaires  les  prraces  qui  descen-* 
daîent  du  héros  foniiateuf  delà  colonie. 
Ainsi  la  famille  régnante  à  Salamine 
prétendait  descendre  de  teucer  flis  dé 
Télamon  ;  et,  plus  heureuses  que  \eÈ  dy- 

(i)  Il  faut  s^en  tenir  à  ces  généralités  :  je 
ne  piiis  gspUicIter  ce  que  disent  les  poêles  et 
les  historiens  à  ce  sujet.  Je  renvoie  ani  sa- 
vants ouvrages  qui  en  iraifenl  s)>écialenieiit. 
Movers,  die  Phœnîzier,  t.  I,  Engel,  Kypros, 
t.  Il,  et  les  Religions  de  l'Antiquité,  de 
MM.  Creuzer  et  <>uigniaut.  t.  il,  :"  part., 
ch.  Vf,  p.  aio«  et  les  éciaircisseuieiils. 

(a)  Ei^elf  Kypros,  l,  467* 


40 


L'UNIVERS. 


ndsties  héroïques  de  la  Grèce  proprement 
dite,  celles  de  i'tle  de  Cypre  conservèrent 
jusqu'à  la  6n ,  grâce  peut-être  au  voisi- 
nage de  rOrient ,  le  respect  et  Tobéis- 
sanee  des  peuples.  Au  reste,  on  a  vu  dans 
les  récits  historiaues  qui  précèdent  à  peu 
près  tout  ce  que  Ton  peut  savoir  du  gou- 
vernement de  ces  princes  :  nous  n'avons 
plus  les  ouvrages  où  les  anciens  décri- 
vaient la  constitution  des  villes  cyprien- 
nés ,  tels  que  le  grand  ouvrage  d'Aristote 
sur  la  politique,  et  le  traité  spécial  de 
Xhéopnraste  qui  avait  pour  titre  BaotXefa 
xc5v  Kuffp((ov,  îa  royauté  des  Cypriens, 

Autour  de  ces  rois  se  groupait  une 
aristocratie  composée  des  familles  issues 
des  premiers  colons  ou  des  fondateurs 
de  la  cité.  C'était  peut  -  être  originaire- 
ment la  première  bourgeoisie  de  chaque 
ville ,  qui  peu  à  peu  devint  la  noblesse 
de  la  cour,  à  mesure  qu'elle  se  réduisait 
par  Teffet  destructeur  du  temps,  qui, 
en  décimant  le  corps,  donnait  ainsi 
aux  familles  qui  survivaient  un  plu» 
grand  éclat  Au  reste,  les  renseignements 

Sue  Ton  trouve  dans  Athénée  sont  loin 
e  donner  une  idée  avantageuse  de  la 
noblesse  cyprienne,  dont  il  représente 
les  chefs  comme  jouant  le  honteux  et 
double  rôle  de  flatteurs  des  rois  et  d'es- 
pions de  leurs  concitoyens.  Je  transcrirai 
tout  ce  curieux  passage  (l),  qui  n'est  lui* 
même  dans  Athénée  qu'une  citation 
d'un  ouvrage  de  Cléarque  de  Soli  :  «  Tous 
les  monarques  de  Cypre  ont  auprès  d'eux 
des  flatteurs  d'une  naissance  distinguée, 
comme  un  accessoire  fort  important... 
Les  flatteurs  de  Salamine  sont  partagés 
en  deux  familles,  desquelles  descendent 
ceux  des  autres  parties  de  l'fle  de  Cypre. 
On  les  appelle  gerginiens  et  promalan' 
gués  (y^pyivot,  lïpojiàXaYYeç)-  Les  gergi- 
niens se  mêlent  dans  la  ville  parmi  les 
autres  citoyens ,  soit  dans  les  lieux  de 
travail ,  soit  dans  les  places  publiques , 
écoutant  tout  ce  au'on  dit,  et  faisant 
l'espionnage.  Tous  les  jours  ils  rendent 
compte  aux  anactes  (princes)  de  ce 
qu'ils  entendent  dire.  Quant  aux  proma- 
langues,  ils  examinent  si  ce  (jueles  ger- 
giniens ont  rapporté  mérite  quelque 
information;  ce  sont  comme  les  ins- 
pecteurs de  ces  espions.  Ils  abordent 

(i)  Alhén.,  Deipnos,,  l.  YI,  p.  a55,  trad, 
de  Lefèbvre  de  Yilltbruae,  t,  H,  p.  466. 


tout  le  monde  avec  tant  d^artifice^  et 
d'un,  ton  si  persuasif ,  que  je  crois  volon- 
tiers ,  comme  ils  le  disent  eux*mémes , 
que  tous  les  flatteurs  les  plus  renommés 
sont  sortis  de  leur  pépinière.  Les  hon- 
neurs qu'ils  reçoivent  des  rois  les  ren- 
dent extrêmement  fiers  de  leur  profes- 
sion. »  Ainsi  cette  noblesse  dégradée 
sous  l'absolutisme  des  rois  cypriens  for- 
mait le  corps  de  la  police ,  et  n'en  con- 
Si«rvait  pas  moins  son  rang  élevé  dans 
l'Eut. 

A  Palse-Paphos,  qui  était  le  sanctuaire 
principal  du  culte  d'Aphrodite,  le  gou- 
vernement était  sacerdotal.  Il  appartenait 
à  la  famille  ou  tribu  des  Cînyrades,  dont 
l'origine  était  sans  contredit  phénicien- 
ne, et  qui  devint  grecque,  comme  la  di- 
vinité Qu'elle  servait,  après  l'émigration 
des  Hellènes.  Les  Cinyrades  conservèrent 
la  direction  suprême  des  affaires  poli- 
tiques et  religieuses.  Le  plus  âgé  de  la 
famille  en  était  le  chef;  les  autres  mem- 
bres formaient  son  conseil.  Comme  chef 
religieux,  il  avait  une  juridiction  sur 
l'île  entière,  où  le  culte  d'Aphrodite  était 
partout  en  grand  honneur.  A  Amathonte 
une  branche  des  Cinyrades  avait  la  di- 
rection des  choses  religieuses;  mais  le 
pouvoir  politique  résidait  entre  les  mains 
d'un  roi.  La  grande  prêtresse  des  tem- 
ples de  Déméter  était  placée  sous  l'auto- 
rité du  collése  sacerdotal  des  Cinyrades. 
Cet  état  de  choses  dura  jusqu'aux  Ptolé- 
mées,  qui  renversèrent  les  dynasties  lo- 
cales, par  lesquelles  l'Ile  était  gouvernée 
depuis  tant  de  siècles,  et  qui  les  rempla- 
cèrent par  des  fonctionnaires  nommes  et 
révocables  à  la  volonté  du  prince.  De- 
puis cette  époque  Cypre  resta  toujours 
dans  la  dépendance;  les  Ptolémees  la 
transmirent  aux  Romains ,  ceux-ci  aux 
Grecs  de  Byzance,  et ,  après  trois  siècles 
de  liberté  et  de  gloire  sous  les  Lusignans, 
elle  retrouva  la  servitude,  plus  dure,  des 
Turcs,  qu'elle  subit  encore. 

Lois.  —  Nous  n'avons  que  des  ren- 
seîgnemejits  bien  incomplets  sur  la  légis- 
lation de  lile  de  Cypre.  On  doit  à  IMon 
Chrysostôme  la  connaissance  des  trois 
lois  suivantes,  observées  dans  ce  pays  (1  )  : 

(i)  Dion.  Chry».,  Discours  64  :  i*  Tiriv 
(tot^suOelfrav  xeipo(jiévy}v  nopvsve^at.  a»  Tôv 
aOxèv  àicoxTsCvavTadcTafovpfimoeem  S^Mt) 
àicoxTetvai  6oûv  àpott)pa. 


ILE^  DE  GHTPEE. 


41 


V  •  La  femme  adultère  aura  les  ebeveiix 
coupés,  et  sera  raogée  parmi  les  courti* 
saoes.  »  Cette  loi  avait  pour  but  d'assurer 
la  sainteté  du  mariage;  mais  les  femmes 
n'y  étaient  guère  préparées  par  leur 
éducation.  I^  chasteté  ne  deveoait  ua 
devoir  pour  elles  qu'après  le  marifige,  et 
toute  jeune  fille  devait  consommer  le  sa- 
crifice de  sa  virginité  en  Tbonneur  d'A- 
phrodite. 2^  «  Celui  qui  s'est  donné  la 
mort  sera  privé  de  la  sépulture.  »  Nulle 
part  on  ne  trouve  dans  les  législations 
j;recques  une  condamnation  aussi  aïh 
solue  du  su'cide.  A  Athènes  on  coupait 
la  main  de  Thomme  qui  s'était  donné  la 
mort,  et  on  Tenterrait  au  loin.  Quant  au 
corps,  on  l'ensevelissait  le  visage  tourné 
vers  roccident.  3«  «  Il  est  défendu  de  tuer 
le  bœuf  qui  sert  au  labourage.  »  L'infrac- 
tioD  à  cette  dernière  loi  était  punie  de 
iiwt.  Chez  tous  les  peuples  anciens  la  loi 
protégeait  Tanlmal  qui  assiste  l'homme 
ddDs  ses  travaux  ;  mais  on  ne  trouve  que 
chez  les  Cypriens  et  les  Phrygiens  une 
pénalité  aussi  rigoureuse  pour  la  trans- 
gression de  cette  loi  (1).  La  tradition 
rapportée  par  Dion  Chrysostôme  attri- 
iHJe  l'établissement  de  ces  trois  lois  à  une 
femme  de  Cypre  appelée  Démonassa,  qui 
parait  un  personnage  légendaire  plu- 
tôt qu'historique.  Ces  lois  reçurent  leur 
sanction  de  l'application  rigoureuse  qui 
en  fut  faite  aux  enfants  de  Démonassa. 
Sa  fille  ayant  commis  l'adultère ,  elle  fiit 
nsée  et  inscrite  parmi  les  courtisanes. 
De  ses  deux  fils  1  un  tua  un  bœuf  de  la- 
l)our,  et  fut  mis  à  mort;  l'autre  s'étant 
tué  de  sa  propre  main ,  son  corps  de- 
meura sans  sépulture.  Cette  sinistre  tra- 
(iition  maintenait  en  vigueur  l'exécution 
<)eces  lois. 

MoBURs.  —  Les  mœurs  des  Cypriens 
noDt  pas  commencé  par  être  molles  et 
licencieuses.  Les  nations  se  forment  et 
grandissent  par  le  travail,  la  sobriété,  la 
vertu.  Le  peuple  cyprien  eut  d'abord 
lOQtes  ces  qualités,  sans  lesquelles  il 
ii  aurait  pu  atteindre  la  grande  prospe- 
cté de  la  première  période  de  son  his- 
toire. Alors  les  mœurs  devaient  être  sim* 
È les  et  sévères,  la  vie  active  et  r^lée,  et 
^  religion  encore  austère.  Mais  les  ri- 

(0  Cependant  oq  trouve  une  loi  analogue 
«J«  les  Romains.  Cf.  Vair.,  A,  Rust.,  H,  5; 
"'«.,  ffâf.  Nat.,  VIII,  70. 


ebesMS  engendrèrent  la  conraption  des 
mœurs ,  et  celle  -  ci  précipita  les  petits 
États  de  Ttle  de  Cypre  dans  la  décadence 
et  la  servitude.  Or  nous  ne  commençons 
à  connaître  l'état  social  de  ce  pays  qu'a- 
près les  temps  primitifs,  quand  il  est 
déjà  engagé  dans  toutes  les  recherches 
et  dans  tous  les  excès  de  la  civilisation 
la  plus  raffinée.  La  population  de  l'Ile 
de  Cypre,  enrichie  par  le  commerce,  l'in- 
dustrie, l'agriculture,  se  livra  sans  rete- 
nue à  toutes  les  jouissances  dont  elle 
pouvait  si  facilement  s'entourer  dans  le 
délicieux  pays  qu'elle  habitait.  La  mol- 
lesse et  les  plaisirs  de  la  vie  cyprienne 
étaient  passés  en  proverbe  chez  les  an- 
ciens. Le  culte  d'Aphrodite  prit  dans 
cette  île,  plus  que  partout  ailleurs,  le 
caractère  d'un  sensualisme  effréné,  et  la 
jeunesse  des  deux  sexes,  élevée  au  mi- 
lieu des  fêtes  licencieuses  de  cette  reli- 
gion dégradée,  s'habituait  de  bonne 
heure ,  surtout  dans  les  classes  supérieu* 
res ,  à  regarder  le  plaisir  comme  le  sou- 
yerain  bien  de  la  vie. 

Athénée  a  emprunté  aux  ouvrages  de 
Cléarque  de  Sali  les  plus  curieux  rensei- 
gnements sur  les  mœurs  efféminées  des 
rois  cypriens.  Il  y  avait  à  la  cour  de  ces 
princes  des  femmes  appelées  colacides, 
ou  flatteuses;  elles  étaient  au  service  des 
dames  de  la  famille  royale.  Elles  étaient 
fort  recherchées  à  l'étranger  ;  et  Arta- 
baze  et  Mentor  en  firent  venir  pour  leur 
maison.  Plus  tard  on  changea  leur  nom 
en  celui  declimacides,  et  voici  pourquoi: 
VQuIant  plaire  à  celles  qui  les  prenaient 
à  leur  service,  elles  se  courbaient  en 
forme  de  marchepied  ou  de  gradin,  de 
manière  que  les  dames  montaient  sur  leur 
dos  pour  entrer  dans  leurs  litières  et  en 
descendaient  de  même.  Cléarque  s'irrite 
contre  cette  invention  abjecte  et  mépri- 
sable par  laquelle  ces  viles  complaisantes 
augmentaient  encore  la  mollesse  et  la  cor- 
ruption des  princesses  qui  les  appelaient 
auprès  d'elles.  «  Mais,  aioute-t-il,  ces 
climacides ,  après  avoir  vécu  dans  Topu- 
lence  par  ce  ralBnement ,  n'eurent  plus 
qu'une  vie  dure  et  pénible  dans  leur 
vieillesse  ;  ainsi,  celles  qui  leur  succédè- 
rent n'ayant  plus  obtenu  le  même  crédit 
passèrent  en  Macédoine.  La  décence  ne 
me  permet  pas  de  raconter  ici  à  quel  de- 
gré de  libertinage  elles  y  portèrent  les 
princesses  et  les  femmes  du  plus  haut 


42 


L'UWIVERB. 


rang  :  Je  dirai  seulement  que  faisant  pra« 
tiqiler  sur  elles ,  et  pratiquant  sur  «fan* 
très  les  sortilèges  d  usage  aux  mystères 
de  Diane  Tauropole,  elles  otTraient  par 
leur  bonteiise  conduite  le  spectaele  de 
tous  les  vices  les  plus  repoussants.  » 
Cest  encol'e  à  Cléarque  que  nous  devons 
la  peinture  du  luxe  et  de  la  mollesse  d*ua 
jeune  roi  de  Paphos,  dont  il  parle  en  ces 
termes  :  «  Ce  jeune  iiomme  portait  la  re- 
cherche jusquli  coucher  sur  un  lit  à  pledd 
d*argent,  garni  d'un  tapis  en  petit  point 
de  Sardes ,  des  plus  riches.  Au-dessus 
était  étendu  un  dais  de  velonrs ,  recou- 
vert d*une  garniture  en  filet  teinte  dans 
la  pourpre  d'Amorgos.  Il  avait  sous  la 
tête  trois  oreillers  de  fin  lin  d*une  riche 
couleur,  et  également  garnis  de  filets. 
Ses  pieds  étaient  étendus  sur  deut  cous- 
sins de  pourpre.  Il  reposait  sur  ce  lit  re- 
vêtu d'une  tobe  blanche.  »  A  quelque 
distance  du  lit  se  tenaient  des  esclaves  « 
Tétns  de  courtes  tuniques,  et  tout  prè^ 
de  lui  étaient  ses  flatteurs,  gens  de  haute 
naissance  parmi  nous,  dît  Cléarque. 
Chacun  d*eux  s*était  partagé  le  soin  des 
différentes  parties  de  sa  personne.  L'un 
S'était  assis  au  pied  du  lit,  et  tenait  sur 
ses  genout  lès  pieds  du  jeune  prince. 
L'autre,  assis  sur  un  siège  placé  près  du 
lit,  penché  sur  la  main  que  le  prince 
laissait  pendre  nonchalamment,  la  ca- 
ressait, en  prenait  les  doigts,  les  tirait 
lès  uns  après  les  autres    Le  troisième , 

gui  était  le  plus  distingué ,  se  tenait  de* 
out  i  la  tête,  et  s'appuvait  famitière- 
tnent  sur  les  coussins  qui  la  soutenaient. 
De  la  main  gauche  il  rangeait  la  cheve- 
lure du  jeune  homme ,  et  de  la  droite 
)l  le  rafraîchissait  en  agitant  doucement 
un  éventail.  Dans  une  comédie  intitulée 
k  Soldat,  lepoête  Antiphane  raille  ainsi 
la  mollesse  aun  roi  de  Paphos,  qu'il  re- 
présente éventé  par  des  colombes  (1)  : 
«  Dis-moi  :  Avez-vous  été  longtemps  à 
Cypre?  —  Tant  qu'il  y  a  eu  guerre.  — 
Mais  dis-moi  en  quel  endroit.  —  A  Pa- 

ÎihoS;  il  y  règUeune  rhullesse,  une  vo- 
npté  si  recherchée  qu'elle  est  vraiment 
incroyable.  —  Quelle  volupté  donc*  — 
Quand  le  roi  est  à  table,  ce  sont  des  co- 
lombes qui  l'éventent,  et  personne  autre 
ne  s'aviserait  de  le  faire.  --  Comment 
ûtncf  dis-moi  comment  cela  se  fait.  — 


(i)  Athen.,  "Vf,  aSr. 


Lé  roi  était  6irit  d'un  parfîmi  qui  tient 
de  Syrie ,  et  qu'on  tire  d'un  fruit  dont 
les  pigeons  mangent  beaucoup.  Venant 
au  vol  à  l'odeur  de  ce  parfum,  ils  ôsnient 
même  se  poser  sur  la  tête  du  roi  :  les  va- 
lets qui  étaient  à  eôté  les  chassaient  ;  ils 
s'élevaient  un  ^u  «  mais  sans  s'écarter 
aucunement,  ni  d'un  c^é  ni  de  l'autre, 
et  c'est  ainsi  qu'ils  réventaient,  agitant 
doucement  l'air,  et  sans  faire  seotir  trop 
de  vent.  »  Le  vojslnae;e  de  l'Orient  avait 
contribué  pour  lieaucoup  à  jeter  les  rm 
de  Cypre  dans  toutes  ces  recherches  du 
luxe  asiatique,  dont  les  rois  phéniciens 
et  les  satrapes  persans  leur  donnaient 
detous côtés  l'exemple.  Or,  dans  ee  genre 
d'imitation  on  s'élève  bien  vite  à  la  hau- 
teur de  ses  modèles.  Il  n*étatt  pas  diffi- 
cile à  des  Grecs,  d'un  esprit  plus  subtil, 
plus  actif  que  celui  des  Orientaux ,  de 
pousser  plus  loin  que  Ceux-ci  les  raffine- 
ments du  luxe,  de  la  mollesse  et  de  la 
df  bauche.  C'est  ce  que  firent  les  rois  de 
Cypre,  et  plus  tard  les  dynasties  des  La- 
gides  et  des  Séleucides,  dont  les  mons- 
trueux désordres  dépassèrent  de  beau- 
coup tout  ce  que  nous  savons  sur  l'inlé- 
rieur  de  la  cour  des  monarques  persans. 
Aats  Rt  MÉTiBBs.  —  Les  Cypriens 
avaient  une  erande  renommée  dans  cer- 
taines branches  d'industrie.  Ils  étaient 
fort  habiles  à  travailler  le  cuivre  et  le  fer, 
dont  les  mines  étaient  si  abondantes 
dans  leur  pays.  On  recherchait  surtout 
les  armes  ne  Cypre.  Alexandre  le  Grand 
porta  dans  toutes  ses  campagnes  en 
Asie  Une  épée  de  CVpre,  que  lui  avait 
donnée  le  roi  de  Qtium,  et  uni,  grâce  à 
son  excellente  trempe,  était  d^une  dureté 
etd'unelé^èretéincomparables.  Pendant 
le  siège  de  Rhodes,  Démétrius  Poliorcète 
fit  venir  de  Cypre  deux  cuirasses  d'airain, 
du  poids  de  quarante  livres.  ZoTle^  i'al^ 
tiste  qui  les  avait  faites,  voulant  montrer 
leur  force,  demanda  qu'il  fût  lancé  con- 
tre l'une  d'elles,  à  la  distance  de  vingt-<;fx 
pas,  un  trait  de  batterie  :  l'épreuve  fut 
faite,  et  ne  laissa  sur  le  fer  aucune  trace 
sensible  ;  on  n'jr  vit  qu'une  rayure  près- 

Î[ue  imperceptible,  comme  aurait  pu 
aire  un  Stylet  (i).  Démétrius  prit  pour 
lui  cette  cuirasse,  et  donna  l'autre  à  Al- 
cimus  d'Épire,  l'homme  le  plus  fort  ei  le 
plus  belliqueux  qui  fât  dans  aon  armée. 


(x)  Plut.,  Démet! 


\f%t, 


ILË  DE  CHYPRE. 


4t 


Couime  les  Pfaénieieus,  dont  ils  étaient 
en  partie  descendus,  les  Cynriens  étaieol 
(Texceltents  constractèurs  de  navires.  11 
y  arait  de  grands  chantiers  à  Salamine  et 
L  Citiiim  :  on  fabriquait  aussi  dans  l*tld 
les  îoites,  les  cordages ,  tout  oe  qui  sert 
au  ^réement  des  vaisseaux.  Les  tissus  de 
Cvpre  étaient  fort'recherchÀ,  et  ses  dif- 
férents produits  dans  ce  l^enre  d'indus* 
trie,  étoffes,  toiles,  brooeries,  tapisse- 
ries, ont  été  constamment  célébrés  chez 
les  anciens ,  depuis  flomère  jusqu'aux 
auteurs  de  V Histoire  Auguste. 

Les  Cypriens  s*adonnèrent  moins  à  la 
culture  des  arts  libéraux  qu'à  celle  des 
arts  utiles.  Cependant  ceux-là  même  n'y 
furent  pas  entièrement  négligés.  De  tous 
les  artistes  de  ce  pays  on  n'a  conservé 
que  le  nom  de  Siypax,  statuaire  qui  tlo* 
Tissait  vers  Tan  444 ,  au  siècle  de  Péri- 
^  Quoique  neutralisé  par  d'autres  in- 
iiuences,  le  génie  grec  ne  s'effaça  pas  en* 
tierement  dans  Pîle  de  Cypre.  Les  repré- 
sentations, gtossièrement  symboliques^ 
de  la  religion  orientale  furent  transfor- 
ma en  objets  d'arts  à  mesure  que  la  re- 
ligion hellénique  efïaçait  le  vieux  culte 
pbenicien.  De  rares  témoignages  épars 
dans  les  auteurs  anciens  et  la  découverte 
de  quelques  idoles  dans  les  ruines  des 
antiques  villes  de  Cypre  attestent  que 
lan  ne  périssait  jamais  entièrement  là 
oii  Ton  avait  une  divinité  grecque  à 
adorer.  On  peut  voir  au  cabinet  des  mé- 
dailles de  la  Bibliothèque  Nationale  la 
collection  que  M.  de  Mas-Latrie  a  rap- 
portée tout  récemment  de  1  ile  de  Chypre, 
^  qui  se  compose  d'un  certain  nombre 
de  statuettes  en  pierre  et  de  fragments 
<in  terre  cuite  trouvés  à  Cîtium ,  Sala- 
mine  et  Dalia,  l'ancienne  Idalie.  On  avait 
poussé  très-loin  en  Cypre  l'art  de  tra- 
vailler les  pierreries,  et  surtout  les  éme- 
faudes,  qu  on  trouvait  en  grand  nombre 
dans  le$  mines  de  cuivre  (1).  Pline  rfr> 
^'te  que  dans  l'Ile  de  Cypre  sur  le  tom- 
o^au  d'un  roi  nommé  Hermias,  était 
QD  lion  dé  marbre  avec  des  yeux  en  éme- 
raudes.  Ce  tombeau  était  au  bord  de  la 
n^er,  près  des  pêcheries.  L'éclat  des  éme- 
Tïudes  pénétrait  si  avant  dans  la  mer, 
9<jçies  thons,  épouvantés,  s'enfuyaient, 
^in  pécheurs  ne  les  ramenèrent  qu'en 
«wogeanl  les  yeux  du  lion.  Il  y  men- 

(0  Mue,  But.  Nat^  XXXTU,  3, 17. 


lionne  aussi  parmi  les  oélèbres  éœeraiH 
des  gravées  oeUe  qui  repr^ntait  Amy- 
mone,  et  qui  fiit  miae  en  vente  dans  l'Ile  de 
Cypre  au  prix  desix  deniers  d'or.  Le  joueur 
de  flâte  Isménias  ordonna  qu'on  la  lui 
achetât.  Mais  le  marchand,  ayaut  dimi- 
nué le  prix,  lui  renvoya  deux  deniers. 
«  Voilà,  dit  Isménias,  un  marchand  bimi 
maladroit,  et  qui  a  beaucoup  fait  perdro 
au  mérite  de  cette  pierre  I  »  On  trouve 
dans  l'Ile  de  Cypre  de  beaux  restes  d'ar- 
chitecture grecque  et  des  fragments  de 
pavés  de  mosaïque  d*un  riche  travail. 

CoMMsacB.  —  Dès  les  temps  les  plus 
anciens  Cypre  était  un  puissant  État  ma- 
ritime et  commercial.  Au  milieu  de  ses 
préparatl£i  d'expédition  dans  les  Iodes  » 
Sémiramis  fit  venir  de  Cypre  des  cons- 
tructeurs de  navires,  auxquels  elle  donna 
l'ordre  de  construire  des  bateaux  propres 
à  naviguer  sur  les  fleuves  et  qui  pussent 
se  démonter  (1).  Outre  les  ouvriers,  l'Ile 
possédait  aussi  des  matériaux.  Lescèdrea 
de  ses  montagnes  remplaçaient  avanta- 
geusement les  sapins  des  autres  con- 
trées (2).  Cest  à  (>pre  que  Ton  cons- 
truisait les  légers  bâtiments  appelés  xip- 
xoupoi,  cercurêà.  Cette  île  posséoait  trente 
villes  maritimes  toutes  pourvues  de  ports, 
dont  quelques-uns  étaient  excellents.  Le 
commerce  de  Cypre  embrassait  les  côtes 
de  Syrie,  d'Asie  Mineure,  l'Egypte  après 
la  fondation  du  marché  de  Naucrate, 
l'Afrique  orientale  après  celle  de  Cyrène, 
les  colonies  grecques  du  Pont-Ruxin  et 
les  contrées  de  l'Occident.  Sous  les  Pto- 
lémées  sa  prospérité  commerciale  ne  fit 
que  s'accroître ,  et  elle  se  soutint  à  la 
même  hauteur  jusqu'à  la  décadence  de 
l'empire  romain.  Cypre  exportait  dans 
tout  le  monde  ancien  ses  cuivres,  ses 
bois  de  construction,  ses  grains,  ses 
vins,  ses  huiles,  ses  laines,  ses  lins,  ses 
chanvres ,  ses  fruits  et  ses  pierres  pré- 
cieuses. 

Poids,  Mesubbs,  Monnaies  — Les 
renseignements  que  nous  trouvons  dans 
Hésychius  et  le  grand  Étymologue  sur  le 
système  métrique  des  Cypriens  se  ré- 
duisent à  bien  peu  de  chose.  Ce  sont  des 
noms  sans  évaluation  positive.  Us  a  valent 
le  cypre,  i'hémicypre,  le  roodios,  le  cbé- 
nix,  le  xestes,  le  migar,  la  omase  pour 

(0  Diod.  Sicul.,  IT,  16. 

(a)  PUue,  HuL  Nat.,  XVI,  76;  VH,  67. 


44 


L'UNIVERS. 


la  mesure  des  liquides  et  le  poids,  le  pa- 
laiste  et  le  calamus  comme  mesure  de 
longueur  (1).  L^urs  monnaies  sont  mieux 
connues.  Depuis  le  temps  d*Évagoras 
les  rois  de  Cypre  eurent  le  aroit  de  battre 
monnaie  ;  on  ne  connaît  pas  de  médailles 
antérieures  à  ce  prince.  Sous  les  Ptolé- 
mées  les  Cypriens  perdirent  ce  droit,  les 
Romains  lé  leur  rendirent.  Ainsi  Ton  dis- 
tingue deux  époques  dans  la  collection 
des  monnaies  de  l'île  de  Cypre.  La  pre- 
mière s*étend  d*Éva>;oras  aux  Ptolémées, 
de  884  à  300,  et  comprend  le  quatrième 
siècle  avant  l'ère  chrétienne.  La  seconde 
va  d'Auguste  à  Macrin,  et  comprend  les 
deux  premiers  siècles  après  Jésus-Christ. 
L'empreinte  ordinaire  des  médailles  de 
Cypre  avant  le  temps  des  empereurs 
est  rima^e  d'Aphrodite  ou  celle  de  son 
temple.  Sur  les  pièces  de  Salamine  on 
voit  souvent  figurer  Jupiter,  ou  Taigle  et 
le  lion,  symboles  decedieu.  D'autres  mon- 
naies représentent  aussi  d'autres  divini- 
tés, telles  que  Diane,  Minerve,  Apollon, 
mais  toujours  en  rapport  avec  Aphrodite, 
qui  figure  partout  comme  déesse  prind- 

'AicoYOvixoc, 
Alvixoç, 
*fouXtoc, 
Katvôpto^ , 
ZeSaoTo; , 
AOtoxpaToptxoc  9 

*P(i>{&a(oc, 

Je  renvoie  à  Engel  le  lecteur  curieux  de 
connaître  les  principaux  commentaires 
donnés  par  les  érudits  sur  ces  différents 
noms  (2). 

Laingub.  —  De  toutes  les  lies  de  la 
Méditerranée  orientale  iHe  de  Cypre  est 
celle  dont  la  population  se  compose  des 
éléments  les  plus  divers.  Les  anciennes 
émigrations  phéniciennes  avaient  d'a- 
bord donné  à  ce  pays  un  caractère  orien- 
tal, et  en  avaient  fait  une  annexe  de  la  Sy- 
rie. Peu  à  peu  les  colonies  grecques  se 
superposèrent  en  couches  successives 
sur  l'ancien  fond  asiatique ,  et  finirent 

(i)  Kngel,  Krpros,  I,  p.  5a i. 
(a)  Ibid.,  p.  5iS. 


iiwle  du  pays.  Sur  une  médaille  de  Sala* 
mine,  sans  nom  de  roi,  mais  de  la  pre- 
mière époque,  on  voit  un  taureau  et  une 
proue  de  navire;  sur  une  autre,  égale- 
ment sans  nom  de  roi,  se  trouve  un  bé- 
lier et  la  moitié  d'un  poisson  ou  d'uae 
corne  de  bœuf.  Les  monnaies  de  l'épo- 
que impériale  sont  presque  toutes  eo 
cuivre.  On  n'en  trouve  en  argent  que 
sous  Vespasien ,  Titus  et  Domitien.  El- 
les portent  sur  la  face  l'image  de  rem- 
pereur,  et  sur  le  revers  le  temple  de  Pa- 
phos  ou  Jupiter  de  Salamine.  On  trouve 
dans  Mionnet  l'indication  de  soixante 

Ëièces  connues  depuis  Auguste  jusqu  ù 
Lacrin. 

Càlbndrirb.  —  D'après  un  ancien 
document  qui  a  pour  titre  'H^poXÔYtov 
(x,7ivc5v  Btao6p<i)v  TcéXscov,  caiendrier  des 
mois  des  différentes  cités  y  Ideler,  dans 
son  Manuel  de  Chronologie^  a  dressé  le 
tableau  suivant  des  noms,  du  commen- 
cement et  de  la  durée  des  mois  usités 
par  les  Cypriens  sous  la  domination 
romaine  : 


des  mots.                      l . 

CommcDcement. 

Dorée. 

Aphrodisius, 

28  seplerobre. 

3t  jours 

Apogonieus, 

i!4  octobre. 

30     > 

Ainicus,             ' 

23  novembre. 

31     » 

Juliiis , 

24  décembre, 

31     « 

Cœsarius,           *  -  • 

24  janvier, 

28     i* 

Sebastus, 

21  r<^vrier. 

30      » 

Autœratoricus , 

23  mars. 

31      » 

Detnarehexusius» 

23  avril» 

31      » 

Plethypatus, 

24  mai, 

30     » 

Arcluereus, 

23  juin , 

31      » 

Nestieiu , 

24  juillet, 

30     1* 

Ronianusy 

23  août. 

31      » 

par  prévaloir  :  llle  devint  grecque,  et  Ton 
y  parla  la  langue  des  Hellènes.  J^'histoire 
ne  peut  pas  rendre  compte  de  cette  trans* 
formation,  mais  elle  la  constate,  et  dans 
l'antiquité  comme  de  nos  jours  Clijpre 
est  incontestablement  une  des  contrées 
dont  la  race  grecaue  a  composé  son  do- 
maine si  disperse.  Cependant  les  peu- 
ples de  différente  ori0ne  qui  se  sont 
rencontrés  dans  cette  ile  ne  s'v  sont  ja- 
mais entièrement  confondus.  Ils  se  sont 
mélangés,  ils  ont  combiné  leurs  lan^nes, 
sans  les  eifacer  entièrement  pour  en  for- 
mer un  seul  et  commun  idiome.  •«  l..es  lan- 
gues grecque  et  turque,  dit  Mariti  (l^i 

(i)  Fo)'(tge  en  Chypre,  etc.,  I,  S. 


ILE  DE  CHYPRE. 


45 


Tsont^îement  dominantes,  etdeoem^ 
lange  est  résulté  la  corruption  des  deux 
idiomes.  La  langue  grecque  a  néanmoins 
consem  dans  les  termes  la  pureté  de 
l'aDcien  dialecte  ;  mais  la  prononciation 
en  est  également  altérée ,  et  cela  depuis 
Tarrivée  des  Vénitiens  dans  Itle.  Les 
commerçants  parlent  communément  la 
langue  italienne,  et  très -peu  la  fran- 

SBîse.  »  Martin  Crusius ,  le  restaurateur 
es  études  grecques  en  Allemagne,  disait 
que  de  son  temps ,  c*est-à-dire  au  sei- 
zième siède,  on  parlait  dans  Hie  de  Chy- 
pre le  grec,  Titalien,  farménien,  le  cbal- 
daïque  et  Talbanais.  De  toutes  ces  langues 
la  grecque  est  celle  des  indigènes,  ce  qui 
prouve  suffisamment  que  la  race  grecque 
est  devenue  prépondérante  dans  ce  pays. 
Bans  Tantiqulté  Tusage  du  phénicien 
s'était  conservé  chez  les  habitants  du  sud 
d^  nie  (1)  :  partout  ailleiirs  le  grec  do- 
minait; mais  il  s'était  grandement  altéré 
au  contact  des  idiomes  étrangers,  et  par 
œtte  facilité  qa*ont  les  peuples  commer- 
çants, plus  empressés  ae  sVntendre  que 
nirieux  de  beau  langage,  d'échanger  en- 
tre eux  les  termes  de  leurs  différentes 
laogops  maternelles.  Aussi  le  dialecte 
cyprien  était-il ,  de  tous  les  dialectes  lo- 
eaux  de  la  langue  grecque ,  le  plus  déO- 
guré  par  les  importations  étrangères.  Il 
ofTrait  au  fond  beaucoup  d'affinités  avec 
ie  dialecte  éolien ,  mais  il  était  rempli  de 
locutions  particulières,  de  mots  phéni- 
nens,  d'idiotismes  orientaux,  et  il  passait 
au  goût  des  Grecs  purs  pour  un  détes- 
table langage.  Ceux  de  Soli  avaient  sur- 
tout la  réputation  de  parler  le  plus  mal  ; 
<lclà  Texpression  de  ooXotxfî^Etv,  d*où  nous 
avons  tiré  le  mot  solécisme  (2). 

HisToiEB  LiTTBRAifiB.  —  Dans  les 
premiers  siècles  les  Grecs  de  File  de 
^ypre  résistèrent  aux  influences  qui  al- 
térèrent plus  tard  leur  langue  et  leur 
^ût.  Ils  ne  restèrent  pas  étrangers  à  ce 
^nd  mouvement  poétique  qui  succéda 

(0  Le  souvenir  de  l'origine  phénicienne 
des  babitanU  de  Ciiium  était  encore  bien  vif 
4u  teoip»  de  Cicéron,  qui  sVxprimail  ainsi  i 
propos  de  Zéiion  :  Postea  tuiis  îlle  Pœiiulus 
(seu  enioi  Ciiieos,  clientes  tuos,  e  Pfaœnicia 
profectos)  eic...  iU  Fifti6.,rv,  ao. 

(»)  Voir  dans  Engel,  t.  I,  p.  55?  à  5g3, 
0»  très-euriense  ei  complète  élude  mr  le? 
Pttticularilé»  du  dialecte  cyprien. 


en  Grèce  à  T^e  béroîqne,  et  an  miliea 
duquel  parurent  Homère  et  les  Cycli- 
ques. Il  y  a  plus  :  Pausanias  (1)  recule 
1  origine  de  la  poésie  cyprienne  jusqu'aux 
temps,  mythiaues,  en'  plaçant  parmi  les 
Aèdes  inspires  un  certain  Euclus,  de 
Cypre,  dont  il  fait  un  contemporain  de 
Musée,  I.ycus  et  Bacis.  Cet  Euclus,  chan* 
tre  et  oracle  des  premiers  âges ,  aurait 
prédit  la  naissance  d* Homère,  et  Pausa- 
nias rapporte  la  prophétie  à  Tappui  de 
son  assertion.  Or,  cet  Euclus  n*est  pro- 
bablement qu'un  personnage  imaginaire, 
qui  figure  comme  oracle  dans  les  tradi- 
tions cyprien  nés  relatives  à  Homère.  Les 
Cypriens  aspirèrent  aussi  à  l'honneur 
d  être  les  compatriotes  de  ce  grand  poète, 
dont  les  chants  étaient  répétés  de  tous 
et  dont  la  vie  n'était  connue  de  per« 
sonne.  Alors  on  fabriqua  des  légendes  r 
Tune  d'elles  racontait  gu'Homère  était  né 
en  Cypre,  et  que  sa  mère  s'appelait  Thé- 
misto ,  et  cette  naissance  était  d'autant 
plus  certaine  qu'elle  avait  été  prédite 
par  Euclus.  tJne  épigramme  d'Alcée 
nomme  son  père  :  c'était  le  Cyprien 
Dmésagoras.  Une  autre  tradition  rap- 
porte qu'Homère  épousa  une  femme  de 
Cypre  nommée  Arésiphoue,  et  qu*il  en 
eut  deux  filles  et  un  fils,  qui  fut  le  poëta 
Stasinus,  Tauteur  présumé  des  poèmes 
cypriens.  Les  deux  filles  d'Homère  sont 
y  Iliade  et  l' Odyssée,  et  toute  la  tradition 
une  allégorie  imaginée  pour  faire  valoir 
les  poèmes  cypriens  en  rattachant  son 
auteur  à  la  famille  d'Homère. 

Tout  ce  qui  a  rapport  à  l'origine  des 
poèmes  cypriens  est  extrêmement  incer* 
tain  et  oDscur.  On  les  attribue  tantôt  à 
Homère,  tantôt  à  Stasinus,  tantôt  à 
Hégésias  de  Salami  ne,  ou  même  à  un 

Î)oète  inconnu,  d'Halicamasse.  Il  y  a 
ongtemps  qu'Hérodote  (2)  a  fait  lus- 
tice  de  la  tradition  qui  fait  d'Homère  Fau- 
teur des  Cypriaques  ;  mm  Xoui  ce  qu*il 
peut  dire,  c'est  qu'ils  sont  de  quelque 
autre  poète.  Or,  ce  n^est  là  qu'une  néga- 
tion. Cependant,  malgré  touteslesdiscus- 
sions  que  la  critique  a  entassées  sur  celte 
question ,  ce  qu'il  y  a  de  mieux  à  faire, 
cesi  d'imiter  la  réserve  d'Hérodote  (S). 

(i)  Pausan.,  X,  la,  rz-ai,  3. 
(a)Hérod.,n,  117. 

(3)  Voir  la  longue  et  savante  dissertation 
d*Engel,  Kypros^  1.  I,  p.  6o3.  On  trouve  !'««' 


46 


L*e!QVp]tf« 


Q^aBt  au  ffpéssuè  lui^mtoie,  4oDt  la  titrp 
vient  ou  de  Ftle  de  Cypre ,  où  il  a  pu 
être  composé,  ou  de  l^iqiportaDee  qui  y 
est  donnée  à  Aphrodite,  la  grande  divinité 
cyprienne,  ce  nVst  autre  chose  qu'un 
long  prologue  de  MUade,  &  Il  eq^brassajt 
toue  les  événements  principaux  qui 
avaient  précédé  la  querelle  d'Achille  et 
d'Agamemnon.  M  poëte  expliquait  en 
détail  les  causes  de  la  guerre  d^  Troie , 
et  remontait  jusqu'à  la  naissance  d'Hé- 
lène. L'épouse  de  Ménélas  n'était  point, 
selon  lui ,  la  GUe  de  Jupiter  et  de  Léda. 
Jupit^r  l'avait  eue  de  Némésis ,  et  Léda 
l'avait  élevéeavecles  Dioscures.  La  guerre 
de  Troie  apparaissait  à  Stasinus  (ou  tout 
autre  poète)  soiis  de  sombres  couleurs  : 
ce  qui  le  frappe,  ce  ne  sont  poiqt  les  ex- 
ploits des  héros  ni  la  gloire  dont  ils  se 
couvrent,  c'est  rextermii)atipn  à  laquelle 
les  a  voués  Jupiter.  «  Il  fut  un  temps, 
dit-il ,  où  d'innombrables  races  d'hom- 
mes se  répandaient  sur  toute  l'étendue  de 
la  terre  au  vaste  sein....  Jupiter,  qui  les 
vit,  eut  pitié  de  la  terre,  qui  pourrit  tous 
les  hommes,  et,  dans  sa  sagesse ,  il  ré- 
solut de  la  soulager.  Il  alhiqia  la  grande 
Ïuerelle  de  la  guerre  d  llion ,  afin  de 
lire  disparaître  par  la  mort  le  fardeau 
pesapt  ;  et  les  héros  étaient  tués  dan^ 
les  plaines  de  Troie  et  le  dessein  de  Ju- 
piter s'accomplissait.  »  Ce  passage  des 
chants  cypriens  suffirait  à  lui  seul  pour 
me  convanicre  que  le  poème  n'était  pas 
d'Homère  (l).  » 

Après  l'époque  homérique  la  poésie 
grecque  languit,  meurt  dans  llle  de  Cy- 
pre, comme  une  fleur  transplantée  loin 
de  sa  terre  natale.  |1  faut  franchir  plu- 
sieurs siècles  pour  retrouver  des  poètes 
cypriens.  Mais  alors  la  veine  du  génie 

Srec  est  épuisée,  et  les  œuvres  poétiques 
e  cette  époque  ne  sont  en  général  que  le 
produit  artificiel  de  l'imitatiop  des  an- 
ciens et  de  l'érudition  alexandrine* 
Néanmoins  cette  résurrection  de  la  poé- 
sie dans  l'île  de  Cvpre  indiquait  un 
retour  à  la  culture  des  lettres  ;  et  ce  fiMt 
là  un  des  principaux  résultats  de  la  con- 
quête d'Alexandre  de  rendre  à  la  vie  inteU 
lectuelle  des  peuples  qui  s'abrutissaient 

nalyse  et  des  fragments  de  ce  poëo^  dai|$  Pho- 
tius.  Cod.  a39,  p.  3i9,  Bekker. 

(i)  A.  PierroD,  Hist,  de  ta  Littérature  grec- 
que, p.  UK), 


mas  le  dmotisnie  des  mowqn^  per- 
sans. Les  Cypriens  avaient  en  Grèce  lit 
réputation  d'être  ignprants  et  lourds  (l). 
Le  goût  des  lettres  se  ranima  chez  eux. 
et  leur  esprit  sortit  de  sa  torpeur.  Alors 
Cypre  produisit  quelques  poètes,  qui  oe 
ftircnt  pas  sans  renom  dans  leur  temps  : 
Cléon  de  Curium ,  qui  chanta  les  Argo- 
nautes, et  auquel  Apolloniijs  de  Ehodt^s 
lit  de  nombreux  emprunts  ;  Hermias  df 
Curium ,  poète  lyrique,  dont  Athénée 
pousa  conservé  quelques  iambes;  le  poète 
comique  Sopatros,  de  Paphos,  connu  éga- 
lemeut  par  des  citations  d* Athénée  (2): 
le  fabuliste  Théon,  qui  était  aussi  rhé- 
teur. L'enseignement  de  la  rhétorique 
3vait  été  introduit  en  Pypre  p9r  Folv- 
crate,  qui  vint  en  cette  tle  au  temps  d'E- 
Tagoras.  Polycrate^  disciple  d'Isocrate, 
était  un  de  ces  rhéteurs  que  Platon  ap- 
pelle lofo^qclBaXoi  y  ingénieux  artisans 
de  mots;  il  faisait  des  panégyriques  de 
âusiris  et  de  Clytemnestre  et  des  iove^ 
tives  contre  Socrate  Peu  lui  importait  !e 
si^jet,  pourvu  qu'il  eût  un  paradoxe  à 
soutenir  et  l'occasion  de  faire  briller  son 
esprit.  Il  ouvrit  une  école  à  Sdl^mine,et 
i)  y  enseigna  son  art  frivole  avec  beau- 
coup de  succès.  On  ima^sine  tous  les 
fruits  que  la  jeunesse  cyprienne  dut  re- 
tirer d'uQ  pareil  enseignement. 

Le  riche  fonds  de  traditions  religieuses 
d'où  l'on  avait  tiré  les  poèmes  cypriens 
produisit  une  série  assey  nombreuse  d'é- 
crivains qu'on  peut  appeler  les  mytho- 
graphes  et  les  légenoajres.  Tels  sont 
Alexandre  de  Paphos,  Archélaûs,  Hé- 
gésandrede  Salamine,  HermesianaxJsi- 
gpoMs,  Micanor,  et  Pœon  d'Amathonte, 
auteurs  obscurs  qui  avaient  commenté 
les  légendes  mytpplogiques ,  et  qui  ne 
spnt  guère  connus  que  par  les  cîtatioas 
des  scpliastes. 

L'île  de  Cypre  avait  donné  le  jour  à 

Plusieurs  historiens,  savoir  :  Aristusde 
aiamioe,  qui  écrivit  une  histoire  de  U 
Macédoine  ;  Democharès  de  Soli  ;  Dé- 
métrius  de  Salamine;  Cléarque  de  Soli< 
disciple  d'Aristote,  auteur  dû  livre  inti- 
tulé Gergithius^  du  nom  d'un  courtisan 
d'Alexandre  le  Grapil  :  Athénée  en  a 

(i)  On  disait  Bouc  icuicptoc,  comme Rot«im 
S(r; )LaicxOiov,  id est  t6  ^X^Otov.  £ngel,  Kypros, 
I,  p.  5o7, 

(«)  Cf.  Engj^  A>yinif,  1, 69$. 


ILE  DE  CHTP&E. 


4f 


dmmûé  BMDbravf  «rtniti  ;  OiasmaSt 
qoi  FéelitautiiiiptdeCoiistantiiiÏBGraiidt 
et  GmraesleSviiceUe,  qniestdu  huitième 
fiècle.  Parmi  les  phiiosoplues  de  Tîie  de 
njpre  le  pins  eélèiNre  est  Zépoo,  de  Ci- 
(ium.  Il  naquit  en  863  aYant  J.-C.  11 
était  marchaDd ,  eorome  soa  père  Mna« 
séas.  Les  afiEaires  de  son  eommerce  Fa- 
netiaient  souveot  à  Atbèoee.  Il  y  eoa- 
ODt  Cratès  le  Çypiaoe.  Il  s^attaoha  à  lui , 
«oitta  fout  pour  le  suifie,  et  fonda  la 
célèbre  école  du  portique,  ou  le  stoï- 
cisme. Aiuaii  par  un  singulier  eonlrastp , 
estait  de  l'Ile  de  Cypre,  du  pays  où  ia 
lelifion  et  les  mcaurs  étaitol  le  plus  dis^ 
«olqes,  nue  sortait  le  philosophe  le  plus 
austère  oe  Tantiquitét  le  plus  ennemi  de 
la  volupté,  le  plus  ferme  et  le  plus  dé- 
«Qtéressé  défenseur  de  la  vertu.  La  phi* 
losophie  de  Zenon  eut  peu  de  sueeè* 
dans  rtle  de  Cypre.  Dioscorides,  £udé» 
nus,  Démonai ,  Pbilolaûs ,  philosophes 
cf priens ,  appartinrent  tous  à  d'autrea 
écoles.  Cypre  méritait  plutôt  d'être  la 
patrie  d*Aristippe  et  la  terre  natale  de 
i*hédonisme. 

IV. 

HUTOIBB  DB  lIlB  DB  GHYPBB  FBN- 
D41f  T  LB  MOTBN  AOB  BT  LBS  TBMP8 
MODBBNSS. 

L*tl.S  DB  ChYPBB  sous  hk  POMINÀ- 
TIO?i   D£S  BMPEBBUES  BYZANTINS  (1). 

—  I/empire  romain ,  trop  affaibli  pour 
soutenir  le  poids  de  sa  grandeur,  avait  été 
divisé  en  plusieurs  gouvernements  par 
Dioeiétien  et  Constantin  le  Grand.  Après 
Théodose,  à  la  fin  du  quatrième  siècle  de 
rère  chrétienne  (39.S),  la  scission  fut  défi- 
nitive; Tempire  d'Orient  et  Tempired  Oc- 
cident furent  à  jamais  séparés.  L*lle  de 
(Chypre  devint  nécessairement  une  pro- 
TlDce  de  Tempire  d'Orient,  et  hat  gouver-f 
née  par  des  ducs  (3).  à  cette  époque  Ftle 
de  Chypre  avait  renoncé  au  culte  d'A- 
phrodite, et  avait  embrassé  la  religion 
chrétienne.  Longtemps  les  juifs,  qui 
«étaient  si  nombreux  oans  l'Ile,  s'étaient 
opposés  à  la  propagation  de  l'Évangile. 
Sous  le  rè^oe  de  Trajan  ils  se  révoltè- 

(i)  Eirgel,  Krproi,  t  I,  p.  721  j  Dapper, 
Dtscr.  de  rArcM/tel,  p.  75. 

(»)  On  lit  dans  Mcletiui  :  M ttémita  ^icè 
w>   iutoxpsTÔpov    TTÎç  Kov9TmvTtvoim6- 


rtnt,  Mépriaéa  dei  Gf eee*  aw^neb  île 
avaient  voué  une  haine  implacahle,  les 
juifs  de  Chypre  massaerèrent,  dit-os, 
deux  cent  quairante  mille  personnes  dans 
eette  fie ,  d'où  ils  furent  ensuite  baniiia 
pour  touiours.  Leur  éloignement  fut  fia^ 
vorable  a«  cbristiaaisme,  qui  renversa 
l'autel  de  Paphoe  et  prit  possession  de 
Itle  entière.  Treixe  évéchés  furent  fqndés 
dans  les  villes  de  SalamÎAâ»  Carpasie, 
Citium,  Nioosie,  Chytres,  Lapatbos,  Sor 
les,  Trimethus,  Taaiasos,  Amatbontei 
Curium ,  Paphoe ,  et  Arsinoé.  Le  siège 
métropolitain  fut  établi  à  Salamine,  dont 
l'évéque  relevait  do  patriarclie  4  Autior 
cbe.  Les  pères  du  concile  de  ^Ï9ée  mainv 
tinrent  eette  organisation  hiérarehique, 
qui  dura  jusqu'au  règne  de  I  empereur 
Zenon  (1)  (474  ).  Un  décret  de  ee  princt 
retira  au  patriarche  d'Antioche  sa  suprér 
matie  sur  TÊglise  de  Chypre,  qpi  eut  dèf 
lors  une  eiistenee  indépendante.  L'enn 
pereur  Justinieu  accorda  les  plus  graBf 
des  immunités  au  elergé  de  eette  lie, 
aur  la  recommandation  dp  sa  femme 
Théodore,  qui  était  originaire  de  Chvpre. 

Jusqu'au  septième  sièele  les  habi- 
tante de  rtle  de  Chypre  vécurent  paisi*» 
blement  sous  la  domination  byzantine , 
sans  avoir  rien  ressenti,  çrâce  à  leur  po« 
sitioB  maritime,  desinvasioosqui  avaiei^ 
désolé  les  autres  provineea  de  Tempire. 
Mais  l'apparition  des  Arabes,  devenus 
conquérants  à  la  voix  de  Mahomet,  troa« 
bla  eette  heureuse  existence.  Soua  le  rè^ 
gne  ducalifo  Othman  (644-666),  après 
que  les  Arabes  eurent  enlevé  à  Tempire 
grec  la  Syrie  et  TÉgypte ,  ils  ietèrent  les 
yeux  sur  i'Ile  de  Chypre,  dont  la  conquéts 
était  le  complémetit  indispensable  de 
celles  qu'ils  avaient  déjà  faites.  Moaviah, 
fils  d'Abou^Sophian  et  gouverneur  de 
Syrie ,  équipa  dans  les  ports  de  sa  pro-! 
vmce  une  flotte  desept  eents  voiles,  etdé« 
barque  dans  l'Ile,  dont  il  s'empara.  Sala^ 
mine  fut  détruite  de  fond  en  comble,  et 
Farehevéque  transporta  son  siège  à  Amt 
mochostos,  ville  voisine,  connue  dans  le 
moyen  kge  sous  le  nom  de  Famagouais. 

Cependant  eette  conquête  de  Chypre 
par  les  Arabes  n'était  pas  définitive;  les 
empereurs  grecs  s'y  rétablirent  peu  de 
temps  après.  Mais  leur  domination,  que 

(0  Toy.  Lequien,  Oriem  Chrhtianus,  t.  Uf 
p.  io3S. 


'4ë 


L'tJNIVEBS. 


rien  n'avait  inquiétée  pendant  tant  de 
siècles,  était  devenue  précaire,  et  ils  eu- 
rent de  la  peine  à  la  raffermir.  En  705 
Fempereor  Justinien  II  ayant  fait  un 
traité  avec  le  calife  Abdel-Melek  fut 
obligé  de  lui  abandonner  la  moitié  des 
terres  et  des  revenus  de  Ttle  de  Chypre. 
Six  ans  après,  voulant  annuler  les  avan- 
tages que  le  calife  retirait  de  ce  traité , 
Justinien  donna  Tordre  insensé  à  tous 
les  habitants  de  llle  de  Chypre  d'émi* 
grer  en  Asie  Mineure.  Il  fallut  obéir  : 
fil  population  8*embarqua  presque  tout 
entière  ;  mais  un  grand  nombre  ayant 
péri  par  des  naufrages  et  des  privations 
de  tout  fienre,  le  reste  s*abstint  de  par* 
tir  ou  retourna  dans  Ttle. 

Tant  que  dura  la  puissance  du  califat 
arabe ,  nie  de  Chypre  fut  exposée  à  de 
eontinuelles  agressions  de  la  part  des 
vicaires  du  prophète.  Dans  cette  lutte 
soutenue  par  Tempire  grec  contre  Fis- 
lamisme,  nous  signalerons  surtout  deux 
grandes  tentatives  dont  la  population  chy- 
priote eut  le  plus  à  souffrir.  La  première 
eut  lieu  Tan  744,  sous  le  règne  du  calife 
Yfzid.  Les  Arabes  occupèrent  Ttle  pen- 
dant la  deuxième  année  du  règne  de 
Constantin  Copronyroe.  Un  grand  nom- 
bre d'insulaires  furent  arrachés  à  leur 
patrie,  et  déportés  dans  l'intérieur  de  la 
Syrie.  Les  empereurs  byzantins  ayant 
recouvré  la  possession  de  Chypre ,  le  ca- 
life Haroun-Al-Raschid  ordonna  une 
nouvelle  expédition  contre  cette  tie,  sous 
le  règne  de  Tempereur  Micéphore  I>o- 
gothète.  Les  Arabes  répandirent  de  tous 
côtés  la  désolation,  pillant  les  villes,  dé- 
molissant les  éfflises ,  et  ils  emmenèrent 
an  grand  nombre  d'esclaves  (1).  JNicé- 

Sbore  fut  obligé  de  demander  la  paix  et 
e  payer  un  tribut  au  calife,  qui  resta 
maître  de  Ttle  de  Chypre.  Basile  le  Ma- 
cédonien ,  devenu  empereur  en  867 ,  en- 
treprit de  la  reconquérir.  Alexius  fut 
chargé  de  cette  expédition,  (jui  réussit,  et 
Chypre  redevint  une  province  du  Bas- 
£mpire.  ËUe  en  fut  encore  détachée  sept 
ans  après  par  les  Arabes.  Au  milieu  du 
dixième  siècle  l'empire  grec,  hunniié  par 
les  Arabes,  retrouva  quelque  force  sous 
les  règnes  glorieux  de  rïicéphore  Pho- 
cas  et  de  Jean  Zimiscès,  qui  entreprirent 
de  reconquérir  toutes  les  anciennes  pro- 

(i)  ro)\  Elmacio,  HUtoria  Saraceniea* 


vinoes  d'Asie  (96S-976).  Pendant  que 
j^icépbore  prenait  en  personne  les  {ua- 
ces  tbrtes  ae  la  Cilicie  et  attaquait  An- 
tioche,  il  envoyait  en  Chypre  son  général 
Nlcéphore  Phalcuzzès,  qui  en  chassa  les 
Arabes,  et  réunit  de  nouveau  cette  Ile  à 
l'empire  byzantin. 

En  présence  d'un  ennemi  aussi  opi- 
niâtre, les  difficultés  de  la  défense  étaient 
encore  augmentées  par  Téloignemeot  de 
nie  et  le  relâchement  toujours  croissant 
des  liens  qui  la  rattachaient  an  gou- 
vernement impérial.  La  position  insu- 
laire de  Chypre,  son  isolement  à  Texiré- 
mité  delà  Méditerranée,  les  immenses 
ressources  dont  elle  disposait,  et  qui  lui 
permettaient  de  se  suffire  à  elle-même, 
inspiraient  souvent  aux  gouverneurs  des 
pensées  ambitieuses  et  un  sentiment 
d'orgueil  qui  les  poussaient  toujours  à 
désobéir  ou  à  se  rendre  indépendants, 
ils  agissaient  en  souverains  dans  leurs 

{provinces ,  comme  dans  la  décadence  de 
'empire  persan  les  satrapes  du  g^and 
roi.  Cette  tendance  à  l'insurreaion  de- 
venait de  plus  en  plus  forte  à  mesure 
que  le  pouvoir  central  s'affaiblissait ,  et 
elle  était  sans  cesse  encouragée  par  les 
promesses  et  les  su^stions  des  Musul- 
mans de  la  Syrie  et  de  l'Egypte,  qui  in- 
triguaient sans  cesse,  quand  ils  n'atta- 
Suaient  pas  à  main  armée.  Ce  furent 
es  rébellions ,  réprimées  d'abord  et  en- 
suite couronnées  de  succès,  oui  finirent 
par  détacher  pour  toujours  l'île  de  Chy- 
pre de  l'empire  grec  et  par  là  faire  pas- 
ser sous  la  domination  des  Latins.  Après 
la  mort  de  Constantin  VUl  (102S).  qui 
ne  laissait  que  des  filles,  le  gouverne- 
ment impérial  tomba  plus  bas  que  ja- 
mais. Pendant  que  Zoé  et  Théodora  dis- 
posaient de  l'empire  au  gré  de  leurs  ca- 
prices et  de  leurs  passions ,  le  duc  de 
Chypre  Théophile  Êroticus,  méprisant 
ce  gouvernement  de  femmes,  se  déclara 
indépendant  (  1034  ).  Mais  bientôt  Cons- 
tantin IX  Monomaque,  élevé  au  trône  par 
Zoé,  le  6t  rentrer  dans  le  devoir.  £n  1 057 
Isaac  Comnène,  soutenu  par  l'armée, 
substitua  sa  dynastie  à  celle  des  empe- 
reurs macédoniens ,  dont  Tavilissement 
avait  dégoûté  même  les  Grecs  du  Bas- 
Euipire.  La  situation  de  l'île  de  Chypre 
ne  changea  pas,  et  Alexis  Comnene, 
monté  sur  le  trône  l'an  lOSO .  eut  à  ré- 
primer  dans  cette  île  «m  nouveau  soulè- 


ILE  DE  GHYFRE. 


4^ 


fOMBl,  «Mité  ptr  k  due  Rlit|SOfn«t«it. 
Eoia  dans  la  seeoode  moitié  du  dou* 
Eième  nède  une  révolte  plus  heureute 
rendit  Chypre  à  elie-méme^  et  en  consom- 
ma ta  «éperation  définitive  d'avee  Tem- 
lÀre  grée.  Sont  le  règne  de  i'emperear 
Manoei  I*  %  Pan  1 1 54,  Itle  de  Chypre  avait 
clé  afiireiiaement  ravagée  par  Renaud  de 
Castille,  prince  d*Antiocbe  (1).  Renaud 
arait  fourni  des  aeeours  à  Bfanuel  Com- 
Dèoe  contre  les  Arméniens  de  la  Cara- 
maoie,  et  n*eo  ayant  pas  reçu  la  réooin* 
peoM  promise ,  il  s'en  était  dédommagé 
par  le  pillage  des  villes  et  des  eampa- 
gnesde  Chjrpre,  qui  n'avaient  jamais  été 
pHis  maltraitées  par  les  Sarrazins  ou'el- 
«  ne  le  ftireut  par  les  soldats  chrétiens 
du  prince  d'Antioche.  Tant  était  grande* 
méfoe  en  face  de  Tennemi  et  au  milieu 
de  dangers  communs,  la  haine  récipro- 
que des  Latins  et  des  Grecs  !  Après  avoir 
tout  dévasté,  Renaud  d'Antioche  s'était 
rptiré  de  I  tle,  n'ayant  voulu  que  ravager, 
et  oon  pas  ooncfuérir.  Llle  de  Chypre 
commençait  à  peine  à  réparer  eedésastre, 

Su  avait  laissé  dans  le  pays  de  pro« 
Ddsrtssentiments  et  un  grand  dégodt 
delà  domination  bysaiitine,  qu'elle  fut 
de  nouveau  poussée  à  la  révolte  par 
rambitioo  d'un  prince  de  la  famille  ré- 
gnaute,  Isaac  Comnène,  neveu  du  côté 
aiaiemel  de  Tempereur  Manuel  V\  L'em- 
pereur  Andronie  régnait  alors  (  1183  ). 
jsaae  avait  servi  dans  la  guerre  contre 
1rs  Arméniens;  fait  prisonnier  dans  un 
«ombat,  il  avait  été  délivré  par  Andronie. 
Péroré  d'amhition,  impatient  de  n'obéir 
«personne  et  de  commander,  Isaac,  con- 
naissant les  dispositions  des  Chypriotes, 
leva  des  troupes  et  passa  dans  lile,  où  il 
annonça  tout  haut  que  l'empereur  ve- 
nait de  lui  en  confier  le  gouvernement. 
Devenu  foeilement  maître  de  toute  l'île 
^  moyen  de  cette  ruse,  il  se  fit  pro- 
«anier  empereur  de  Chypre  en  1184, 
Ci  il  épousa  la  soeur  de  Guillaume  11, 
^i  de  Sicile,  de  la  dynastie  normande, 
^ies  princes  faisaient ,  du  cdté  de 
I Occident,  une  guerre  cruelle  aux  em- 
P^rs  de  Constantinople.  Les  insu* 
»»w»  de  Chypre  avaient  favorisé  une 
tentative  qui  leur  rendait  leur  indépen- 
«ance,  dans  Tespérance  de  se  soustraire 
^OKOuvememeuttycanniquede  l'odieux 

vOOufll.deTyr,  XVni,ïo. 

4*  Lioraison.  (Ile  de  Chypre.) 


Andronie.  Mais  ils  n'y  gagnèrent  rien  ; 
ils  furent  punis  de  leur  révolte  par  cette 
révolte  même,  qui  leur  donna  un  mattre 
plus  rude  et  plus  fâcheux  que  celui  auquel 
ils  devaient  obéissance.  Cruel  par  carac- 
tère ,  isaac  le  devint  encore  plus  par  né- 
cessité. Sa  position  était  périlleuse  :  au  de- 
hors les  tentatives  d' Andronie,  au  dedans 
les  soulèvements  et  les  complots  de  ceux 
des  Chypriotes  ^ui  étaient  restés  fidèles  à 
Tautorite  impériale  le  rendirent  furieux  i 
il  ne  sut  régner  que  par  la  terreur.  Toute- 
fois, les  empereurs  de  Constantinople  ne 
purent  le  renverser.  Isaac  F  Ange,  devenu 
maître  de  Tempire  par  le  meurtre  d*  An- 
dronie, envoya  Jean  Contostephanos  et 
Alexis  Comnéne  avec  une  flotte  de  soixan- 
te-dix na  virescontre  Pusurpateur  de  Chy- 
pre. L*arii)ée  impériale  fut  vaincue  prés 
d*Amathonte,  et  Isaac  Comnène  resta 
souverain  indépendant  de  Tîle  de  Chypre. 
Conquête  de  l*Îlb  de  Cuwke  par 

RlGUABD  COBUB  DE  LiON  (I).  —  Déjà 

depuis  près  de  cent  ans  les  chrétiens  d'Oc- 
cident combattaient  héroîauement  pour 
la  délivrance  du  saint  sépulcre,  et  la  pre- 
mière croisade  avait  fondé,  à  la  fin  du 
onzième  siècle,  sur  la  côte  de  T  Asie  située 
à  Torient  de  Tîle  de  Chypre  le  royaume 
chrétien  de  Palestine.  Une  seconde  croi- 
sade était  venue  au  milieu  du  douzième 
siècle  pour  secourir  ce  royaume,  toujours 
si  menaeé,  et  que  les  Grecs  ne  voulaient 
pas  défendre.  Enfin  en  1189  les  rois  de 
France  et  d*  Angleterre,  Philippe -Au- 
guste et  Richard  Cœur  de  Lion,  Tempe- 
reur  d'Allemagne,  Frédéric  Barberousse, 
partirent  pour  la  troisième  croisade,  que 
la  détresse  du  royaume  de  Jérusalem 
avait  rendue  indispensable.  Arrivée  en 
vue  de  l'Ile  de  Chypre,  la  flotte  anglaise 
fut  assaillie  par  une  violente  tempête, 
plusieurs  vaisseaux  se  brisèrent  sur  la 
cote.  Les  malheureux  échappés  au  nau- 
frage furent  maltraités  par  les  habitants 
et  jetés  dans  les  fers.  Un  navire  qui 
portait  Bérengère  de  Navarre  et  Jeanne , 
reine  de  Sicile ,  s'étant  présenté  devant 
Limissone  put  obtenir  l'entrée  du  port. 
Peu  de  temps  après,  Richard  arrive  avec 
sa  flotte ,  qu'il  avait  réunie  ;  au  lieu  de 
cette  réception  hospitalière  que  les  pè- 
lerins et  les  croisés  étaient  nabitués  à 

(i)  Engel,  Kjyfros,  I.  7^5 ;  Michaud,  Bist* 
(tes  Croisades^  livre  VIIT. 


Ù& 


L*DNIVEM. 


recevoir  dans  Ifle  de  Chypre,  Richard 
éprouva  aussi  un  refus  outrageant.  Irrité 
de  tant  d'insolence,  le  roi  anglais  força 
rentrée  du  port  de  Limisso ,  s'empara 
de  cette  place,  malgré  une  viverésistance, 
et,  à  la  tête  de  ses  chevaliers ,  tailla  en 
pièces  dans  la  plahie  d'Amathonte  l'ar- 
mée de  l'empereur  Isaac.  Les  villes  de 
Chypre  ouvrirent  leurs  portes  au  vain- 
queur, et  lui  jurèrent  avec  empreesement 
le  serment  de  fidélité  (1191).  Isaac  Com- 
nène  demanda  la  paix ,  et  en  présence  de 
Gui  de  Lusigoan,  roi  de  Jérasalem ,  de 
Godefroi,  son  f\rôre,  de  Raymond,  prince 
d'Antioche,  qui  avaient  passé  la  mer  pour 
venir  au-devant  du  roi  Richard,  au  milieu 
de  tous  les  barons  anglais  et  des  plus  il- 
lustres personnages  de  la  chrétienté  d*0» 
rient,  Richard  d'Angleterre  donna  à  Isaad 
Comnène  Tinvestiture  de  Itle  de  Chypre. 
Isaac  se  reconnut  son  vassal,  s'enga^ 
à  lut  paver  vingt  mille  marcs  d'or  d'm- 
demnlte,  à  le  suivre  à  Jérusalem ,  et  à  lui 
livrer  les  places  fortes  de  l'île.  Peu  de 
temps  après ,  ne  pouvant  ou  ne  voulant 
exécuter  ces  conventions ,  Isaac  prit  la 
fuite.  Richard,  aidé  du  roi  de  Jérusalem, 
se  mit  â  sa  poursuite ,  parcourut  Tlle  en 
la  ravageant  et  força  Isaac  à  se  rendre  à 
discrétion  ;  et  ensuite,  pour  insulter  à  sa 
vanité  et  à  sou  avarice,  il  le  fit  charger  de 
chaînes  d'argent.  Transporté  en  Terre 
Sainte  à  la  suite  du  roi  d'Angleterre,  Isaac 
s'enfuit  de  nouveau ,  se  rendit  chez  les 
Sarrasins,  essaya  de  soulever  l'île  de 
Chypre,  et  finit  misérablement  en  pre» 
nautdu  poison  (1195). 

Après  cette  brillante  conquête,  Ri» 
chard  célébra  à  Limisso ,  dans  le  voisi- 
nage de  l'ancienne  Amathonie,  son  ma- 
riage avec  Bérengère  de  Navarre,  qu'il 
fît  proclamer  reine  d'Angleterre  et  de 
Chypre.  Selon  les  anciens  procédés  de  la 
conquête  germanique ,  il  laissa  aux  ha- 
bitants du  pays  la  moitié  de  leurs  ter- 
res. L'autre  moitié  devint  domaine  royal, 
ou  fut  divisée  eu  fiefs  que  l'on  distri- 
bua aux  chevaliers  anglais  qui  devaient 
être  choisis  dans  l'armée  pour  la  défense 
du  pays.  II  donna  le  gouvernement  de 
Vile  à  Richard  de  Comouailles  et  à  Ro- 
bert de  Torneham  ;  puis,  ayant  tout  réglé 
pour  Tadministration  de  sa  conquête,  il 
s'embarqua  pour  rejoindre  les  croisés  au 
siège  dé  Ptolémaïs.  Quelque  temps  après, 
il  permit  aux  templiers  ae  s'établir  dans 


llie  de  délire  ei  A'r  tnanMMria  tiégi 
de  leur  ordre  qui  nVnt  plof  é%  téi^ur 
fixe  depuis  la  prise  éè  Jénisileni.  Il  es- 
pérait par  eette  mesura  anurer  la  dé- 
nnse  de  i'tle  eoom  I«b  attaquée  des  Sar- 
rasins,  conserver  cette  conquête  à  la 
couronne  anglaise,  et  ait  chrétienté  un 
point  d'appui  en  Orienta  Biais  les  tem- 
pliers se  rendirent  insupportables  aux 
msulaires.  il  leur  fût  impossible  de  se 
mettre  en  possession  de  Ttle,  que  Richani 
leur  avait  vendue  pour  cent  mille  ducats, 
et  à  qui  Ils  furent  eontrainlt  de  la  resli- 
tuer.  Alors  Richard  en  fit  un  écham 
avec  Guy  de  Lusignaa,  qui^  outre  le 
remboursement  des^  cent  mille  ducats 
dont  il  se  chargea ,  céda  ses  prétenticiis 
sur  le  royaume  de  Jérusalem  et  sur  la 
principauté  de  Tyr,  que  Richard  voulait 
donner  à  Henri  de  Champagne^  son  neveu. 

Fondalion  du  royaume  de  Chypre,  His- 
toire de  la  dynastie  des  Lusignans 
(1192-1489). 

Apbbcu  cnÉNÉftAi.  (1).  —  L'Ile  de 
Chypre  ne  resta  pas  la  possession  du  roi 
qui  l'avait  conquise;  mais  le  briUant  fait 
d'armes  de  Richard  Cowr  de  Uoii  la  se* 
para  pour  toujours  de  rempire  grec,  «t 
lui  fit  prendre  place  parmi  les  États  la- 
tins du  r^me  féodal.  Elle  redevînt  in- 
dépendante, et  forma  pédant  trois  siè- 
cles un  rovaume  florissant^  dontl'iiistoire 
n'est  pas'^sans  grandeur.  Dans  la  cons- 
titution du  nouveau  royaume  de  Chypre 
on  reconnaît  les  trois  éléments  dont  se 
composaient  niors  tous  les  Étatt  occiden- 
taux ,  le  clergé  ,  la  noblesse ,  et  la  bour- 
geoisie.  Jusque  là  le  clergé  grec  avait 
ominé  sans  partage  dans  le  pays.  Les 
rois  Lusignans,  sujets  de  TEglise  catho- 
lique, donnèrent  la  soprématieaux  pr^ats 
latins  (2)  :  de  là  entre  les  deux  clergés  une 
rivalité,  tantôt  sourde*  tantôt  Tiolente , 
que  l'autorité  royale  eut  souvent  beau- 
coup de  peine  à  contenir  et  qu'elle  ne 
put  jamais  faire  cesser  entièrement.  l£ 
pouvoir  du  roi  était  limité  par  les  attribu- 
tions de  la  haute  cour,  composée  des  prin- 
cipaux seigneurs ,  et  par  les  oonstttuttons 
qu'il  jurait  de  respecter  en  mdntent  lurk 

f  r)  Engel,  Kypros,  I,  7*9 . 

h)  Voir  !a  réorg»»i§i«i»n  d«  rBgKie  fetiw 
de  Chypre  dans  LequieD ,  Orietts  ChrUtUuws, 
t.  III ,  p.  I90t. 


ILE  DK  CHYPRE. 


« 


triM.  Tottii  fts  «mim  afbim  d'Etal 
et  i6$  owset  tflwntllM  éaieot  eu  tm* 
sort  de  la  taautt  emr  ;  elto  jugeait  l«a 
débau  vdatifr  à  la  auoeanion  au  trtee. 
Ltfoi  afiii  beaoin  de  mm  aoMantemant 
paor  daauar  Tiafwtitara  des  plaeea  for* 
m  du  tomme ,  po«r  étaUir  les  iropéts, 
peur  déeftanr  la  guerre  eu  conelnre  dee 
tnitée;  la  majorité  des  rois  eoRuneoçait 
à  IcurqaimièBie  année.  Le  fils  aîné  du 
roi  régnant  s'appelait  prince  d* AntioelM. 
Le  roi  était  grand  mettre  de  l'ordre  du 
Gtiife,  qjui  fèt  institué  an  eommeneement 
eu  règne  d'AmauiT,  ▼ers  lioa.  Les  Ghe» 
raliers  de  eet  ordre  s'engageaient  à  dé« 
fendre  les  droits  de  la  veuve  et  de  l'or-» 
phelin,  à  oonibattre  les  infidèles  et  à 
proié^  le  sainl-sépulcre.  Les  revenue 
du  roi  se  oompoeaientdee  contributions 
de  ses  sujeu,  dee  douanes,  de  ses  do-* 
maines  et  de  la  vente  du  sel,  dont  le  pro« 
duit  net  était  évalué  à  trois  cent  mille 
dttosts.  Les  grands  officiers  de  la  cou* 
romie étaient  leeénéahal,  le  connétable, 
le  maréchal  et  le  cbambellan  ;  la  noblesse 
«lait  nombrense,  maie  en  général  étran-» 
gère  ao  pays ,  et  composée  de  guerriers 
fraDcs  venns  à  la  suite  de  Richard  ou  de 
Gui  de  Lusignan.  Tout  ce  qui  concernait 
les  fiefs  et  leur  mouvance,  les  relations 
dei  vassaux  et  du  suteratn  ftit  réglé  eon- 
forméfloent  au  droit  féodal ,  que  les  eroi^ 
9^  avalent  deouis  un  siècle  transporté 
«n  Palestine,  Lee  viilee  devinrent  puis-* 
ttntes  par  le  commerce,  et  s'élevèrent  à 
une  opulence  qni  rappelait  celle  des  en- 
dennes  cités  phéniciennes  dontrÉcriture 
ttiate  décrit  le  luxe  et  les  splendeurs. 
Aussi  la  bourgeoisie  des  villes  de  Chypre 
a^ait  une  grande  importance,  et  parvmC 
>  se  rapprocher  de  la  classe  noble,  beau-* 
^  pins  qoe  la  bourgeoisie  d'Europe 
^  le  pot  jamais  fairei  On  connaît  au^ 
fMirdlini  les  lois  civiles  et  les  iostitu* 
^s  jodietaltes  de  cette  portion  de  la 
J^ôM  latine  et  chrétienne  fondée  en 
Orient  par  les  croisades.  En  Chypre 
!^me  dans  le  raynuitie  de  Jérusalem 
Ijt^itait  une  cour  des  bourgeois,  où  se 
<"^ent  toutes  les  affoires  qui  intéras- 
mnt  les  amnicipalités  et  les  habitants 
dit  villes,  de  méine  que  la  haute  cour  Ju- 
SM  tontes  les  causes  où  Tintera  de  la 
noblesseetderÉtat  était  en  question  (1). 

[t)  foy,  dans  la  Collection  des  HimriéM 


Leveitede  la  penulatiou  étml  divisé 
en  cinq  classes.  La  classe  intérieure  était 
celle  des  pmrMmê  (népeiMi) ,  serfr  on 
oolons,  assujettis  aux  propriétaires  dont 
ils  cnttivaienl  in  doasainew  Le  paiéoia* 
éttit  obligé  de  payer  chaque  année  ein* 
qoanu  besans,  le  tiets  dee  revenus  des 
terres^  et  de  servir  deux  Jours  la  aemainofc 
il  pouvait  étra  vendu  au  gré  du  seignev 
du  fief.  Au  -dessus  du  paréoiea  était  le 
perpirien.  C'était  le  poréelea  affranchi 
et  encore  assujetti  à  une  taxe  de  unions 
besans  par  an.  Les  kfférUnê  (iXfel<|»i) 
éuient  entièrement  libres  de  leur  ner« 
sonne;  ile  cultivaient  la  terre,  et  aott« 
naient  la  moitié  de  la  récolte  ao  proprié^ 
taire.  La  quatrième  oiasse  était  celle  dee 
Albenais,  eoldats  venus  d'Albanie  pour  la 
défense  de  111e,  où  ils  s'étaient  mariés^ 
oà  ils  avaient  des  terres  et  oà  leurs  dee-» 
cendants  restèrent  séparés  du  reste  do 
la  population.  Il  en  était  de  même  do  la 
cinquième  classe,  celle  des  Vénitiens  « 
que  les  croisades  avaient  attirés  en 
|(rand  nombre  dans  l'île  ;  ils  étaient  su* 
jeu  du  roi  ;  mais  ils  obtinrent  le  privilège 
d'être  jugés  par  un  noble  vénitien  qui  ré* 
aidait  a  Ilioosie  avec  le  titre  de  consul  ou 
baile. 

Sua  LA  LÉeiaLATton  ou  iotaums 
nn  Cnmn.  —  Le  royaume  de  Chvpre 
comme  celni  de  Jérusalem ,  dit  M.  fteu'» 

Snot,  étaient  deo  Etats  aristocratiques, 
ans  lesquels  les  rois  n'exerçaient  que 
le  pouvoir  militaire.  liS  souveraineté  ré^ 
aidait  dans  les  hautes  cours,  et  rassise 
ne  pouvait  être  faite  «  que  par  l'acort  dec 
barons  et  hauts  homes  ».  L6  mot  d'as-* 
sise  dans  le  langage  des  JurisconsnHés 
latins  de  l'Orient  signifie  loi  ou  oidon-> 
nonce.  «  Assise  est  que  toutes  les  cImh 
Ms  que  l'on  a  veu  ueer  et  aeoustumer 
et  délivrer  en  la  cour  dou  royoume  do 
Jérusalem  et  de  Chipre  (1).  »  On  a  pré^ 
tendu,  mais  à  tort,  sur  la  roi  du  P.  Lusi-* 
gnan,  que  iee  assises  de  Jérusalem  Ai-> 
rent  transportées  dans  l*t1o  de  Chypre, 
et  qu'elles  devinrent  la  loi  du  nouveau 
royaume.  La  fauseetéde  cette  assertion 
a   été   eoraplétejuent   démontrée   par 

tfei  Croisades,  le  tome  II  des  lois  contenant  les 
Assises  des  Bourgeois. 

(  I  )  La  Clef  des  assises  de  la  Haute  Oonr,  dwis 
le  Mêmml  dts  MUtorient  des  Çréhmies  ;  Lois, 
tom.r%p.589,XLl, 

4. 


I») 


-LUNIVERS. 


M.  Betwmot,  éèXÈH  son  Introduction  aux 
ourses  de  la  hauts  cour  (t)  ;  car  les  co« 
d«8  <Hi  otiartes  du  ro^ume  de  Jérusatero 
promulgués  sous  le  rèfcue  de  Godefroy  de 
BouilioD ,  el  cooous  sous  le  Dom  de  Let-^ 
treêdusamt^pulcre^sùeùXéVkééinàXA 
l'an  i  ld7  après  la  prise  de  Jérusalem.  Ce 
n^est  doue  pas  le  texte  uiéme  de  ces  lois 
due  Gui  de  Lusignan  a  pu  transporter 
de  Syrie  dans  Ttle  de  Chypre.  Mais  cette 
législation  était  si  bien  appropriée  aux 
idées  et  aux  mœurs  des  nobles  et  des 
bourgeois  de  la  société  chrétienne  établie 
«Uns  le  Levant,  aueFon  en  conserva  par 
la  tradition  les  dispositions  principales» 
et  qu'elle  se  perpétua  à  l'état  de  droit 
ooutumierdans  les  cours  judiciaires  d*A* 
ère  et  de  Nicosie  Plus  tard  il  se  forma 
Ters  le  milieu  du  treizième  siècle,  dans 
les  royaumes  de  Jérusalem  et  de  Chypre, 
Que  école  de  jurisconsultes  qui  se  pro« 
posa  pour  but  de  déterminer  les  priu« 
Kâpes  et  les  règles  du  droit  féodal,  tel  qu'il 
existait  en  Orient*  «  Ces  savants  person- 
liages  réussirent,  par  des  travaux  où 
brille  la  plus  étonnante  conformité  dans 
le  choix  des  opinions  et  dans  l'emploi 
des  méthodes  a  faire  tomber  Fautorité 
d'une  jurisprudence  arbitraire  et  inilé* 
dae,  <rune  législation  dont  la  connais- 
sanceétait  leseeretdequelquesseigneurs, 
jaloux  de  leur  savour  autant  que  de  leur 
influence  politique.  Les  colonies  dire* 
tiennes  de  TOrient  rentrèrent  alors  en 
jouissance  d'un  code  de  lois  véritable; 
et  eomme  ces  jurisconsultes  s'étaient  ap- 
pliqués à  reproduire  exactement  les 
anciennes  lois  dont  Godefroy  de  Bouil* 
loD  et  ses  compagnons  avaient  doté  ré- 
tablissement naissant  des  chrétiens ,  la 
législation  qu'ils  retrouvèrent  raviva  dans 
les  royaumes  de  Jérusalem  et  de  Chypre 
les  vieux  usages  de  la  féodalité ,  dont 
FEurope  ne  possédait  plus  qu'une  image 
incomplète  et  décolorée  (3).  »Si  les  hauts 
barons  de  la  Terre  Sainte  négligèrent 
d  exécuter,  après  le  désastre  de  Jérusa- 
lem ,  une  deuxième  rédaction  de  leurs 
lois  nationales,  ils  en  conservèrent  soi- 
gneusement le  souvenir  en  administrant 
la  justice,  soit  dans  leurs  domaines,  soit 
dans  la  haute  cour;  et  par  leur  connais- 

(i)  P.  UIV. 

(ft)  M  Reiignot,  Introduction  aux  assises 
delà  Haie  M' Cour,  p.  Lxvtu 


sance  des  priodpes  et  leur  expériedce 
dans  la pratique^ils perpétuèrent lancien 
code  et  furent  comme  une  législation  vi« 
vante.  Tels  furent  ees  seigneurs  illustres 
par  leur  naissance  et  leurs  exploits,  Jean 
d*lbelin  le  Vieux,  sireTle  Barutb,  oui 
brava  la  puissance  de  Frédéric  II  ;  Phi- 
lippe de  Navarre ,  son  ami,  aussi  bon  bù- 
litique  qu'intrépide  guerrier,  Jean  d'Ibe- 
lin  comte  de  Jaffa,  son  neveu,  Raoul  de 
Tibériade,  Geoffroi  le  Tort  et  le  sire  de 
Sidon,  Jacques  d'Ibelin,  tous  f^ods 
hommes  d'Ëtat,  habiles  capitaines  et  pro- 
fonds jurisconsultes.  Leiivrede  Jeaad*i- 
belin ,  neveu  du  sire  de  Banith,  et  celui 
de  Philippe  de  Navarre  sont  lesoomtnen- 
tairas  les  plus  étendus  et  les  plus  déve- 
loppésqui  nous  soient  parvenus  de  la  |tt- 
risprudence  du  royaume  de  Chypre,  et 
l'on  peut  affirmer  qu'ils  suffisaient  com- 
plètement pour  la  connaissance  desa  l^;is- 
lation.  Car  le  livre  d'Ibelin  fut  salué ,  dès 
sonapparition,comme  Toeuvred'un  grand 
législateur,  et  son  autorité  devint  telle 

Su'en  1369,  après  la  mort  de  Pierre  T', 
cessa  d'être  considéré  comme  un  ou- 
vrage purement  scientifique,  fut  assi- 
milé aux  anciennes  assises  de  Godefroy, 
et  devint  le  code  de  lois  du  royaume  de 
Chypre. 

Regnb  de  Guy  de  Lusignak  (f  193- 
11U4  (1)  ).  •—  Guy  était  fils  de  Hugues  le 
Brun,  de  la  maison  de  Lusignan,  qui  pos- 
séda longtemps  en  France  te  comtés  de  la 
Harcbe  et  du  Poitou.  Ayant  pris  la  croix, 
comme  toute  la  noblesse  de  ce  temps-là, 
il  s'illustra  en  Terre  Sainte  par  sa  valeur, 
épousa  la  sœur  du  dernier  roi  de  Jérusa- 
lem, fut  reconnu  roi  après  lui,  et  défen- 
dit vaillamment  les  restes  de  la  dopnina- 
tion  chrétienne  en  Palestine.  Quand  il 
eut  été  investi  du  royaume  de  Chypre, 
il  alla  en  prendre  possession  accompa- 
gné de  trois  cents  chevaliers  fraiiçais,  de 
deux  cents  écuyers  et  d'un  plus  grand 
nombre  de  soldats.  Les  Chypriotes  se 
soumirent  à  un  roi  qui  se  présentait  si 
bien  entouré;  et  Guy  travailla  immé- 
diatement à  rétablir  l'ordre  dans  ce  pays, 
qui,  à  travers  les  agitations  des  der- 
niers temps,  était  tomoé  dans  une  véri- 
table anarchie.  Ce  fut  lui  qui  jeta  les 
jfondements  de  l'organisation  nouvelle 

(i)  Loredano ,  Hist.  des  Bois  Umgtmms , 
t.  ly  liv.  I. 


ILE  DE  CHYPRE. 


hi 


dont  1KHI8  venons  d'esquisser  les  prioei* 

G  m  traits.  Il  distrilNia  des  fieft  à  la  no* 
ssse,  qui  vhii  en  foule  d'Ëarape  el  d'O- 
rient se  grouper  autour  de  son  Irôoe.  Il 
fonda  des  églises  latines ,  et  donna  au 
dergé  romain  la  prééminence  sur  le 
dei]gé  grec;  il  régla  les  rapports  et  les 
droits  des  différentes  classes  de  la  popu- 
lation ehjnpriote.  H  forma  de  tous  les 
barons  et  grands  foudataires  du  royaume 
110  grand  conseil  oii  se  décidaient  les  in- 
téito  généraux  de  TÉtat,  et  où  se  ju- 
geaient les  grandes  causes  criminelles. 
Les  jurés  des  villes  formèrent  un  conseil 

Si  fut  appelé  la  cour  des  bourgeois, 
tte  organisation  létait  modelée  sur  celle 
du  royaume  de  Jérusalem ,  dont  les  lois 
se  perpétuèrent  en  Chypre  à  Tétat  de 
droit  coutumier. 

L'établissement  de  la  dynastie  des  Lu- 
s^ans  assurait  la  suprématie  des  La- 
tins  dans  Pfle  de  Oiypre.  Il  fallait  s*as- 
surer  contre  toute  tentatii^e  de  la  part  de 
Paocienne  population,  qui  se  sentait  con* 
quise  et  dominée.  Guy  voyait  toujours 
les  Grecs  Indisposés  et  malveillants 
eootre  son  autorité.  Aussi  eut-ii  grand 
soin  de  réparer  toutes  les  forteresses, 
d'en  élever  de  nouvelles  pour  donner  une 
forte  assiette  à  sa  royauté  naissante.  Il 
rappela  les  templiers,  et  fit  continuer  la 
ecostmction  du  Temple,  que  leur  départ 
avait  interrompue.  Enfin  il  agrandit  et 
embellit  la  ville  de  Limisso ,  que  les 
Grecs  appelèrent  Néapolis ,  et  qui  rem- 
plaça l'ancienne  Amatbonte.  Guy  mou- 
rut âgé  de  soixante- cinq  ans,  dans  la 
^ile  de  Nicosie,  où  il  fut  enterré,  dans 
léglise  du  Temple.  Il  ne  laissait  point 
d'enfants;  son  frère  Amaury  lui  succéda. 

Rbghb  b'Ahadby  (1194-1205).  — 
Amaury  était  connétable  de  Chypre  et 
comte  de  Zaffo  (Paphos)  quand  il  prit 
possession  du  royaume.  Apres  avoir  reçu 
le  serment  de  fidélité  deses  sujets,  il  jura 
lui-même  dans  une  assemblée  solennelle 
d'obsc^rver  les  lois  des  assises  et  de  con- 
Hrroer  tous  les  fiefs  et  tous  les  offices  à 
ceux  qui  en  avaient  reçu  de  son  frère. 
Puis  il  diHina  tous  ses  soins  à  Facbève- 
■nent  des  nombreux  édifices ,  châteaux , 
fortifications ,  églises  que  le  précédent 
roi  avait  commencés  pour  Tinstallation 
de  sa  royauté  et  de  la  noblesse  ecclésias- 
tique et  féodale ,  et  où  se  dépensait  la 
plus  grande  partie  des  revenus  de  la  cou- 


ronne. Aussi  quand  le  comte  Henri  de 
Champagne,  neveu  du  roi  d'Angleterre, 
vint  rédaœer  les  soixante  mille  marcs 
que  Ton  devait  encore  sur  le  prix  du 
royaume  de  Chypre,  Amaury  ne  put  les 
payer,  et  il  entra  en  accommodement. 

Cependant  Amaury  voulut  prendre  le 
titre  de  roi  de  Chypre,  qu'il  n*avait  point 
encore  et  que  Guy  son  frère  n'avait  ja^ 
mais  porté.  Ce  titre  il  était  difficile  de  le 
prendre  soi-même ,  et  Ton  risquait  alors 
de  ne  se  voir  reconnu  par  personne* 
L'empereur  grec,  Alexis  111,  s'offrait  à  le 
lui  conférer  pour  maintenir  l'île  de  Chy* 
pre  sous  sa  suprématie.  Mais  Amaury 
ne  pouvait  consentir  à  recevoir  le  titre 
de  roi  d'un  empereur  grec.  Alors  il  as- 
sembla la  haute  cour  du  royaume,  et  sou* 
mit  à  ses  délibérations  la  question  sui- 
vante :  Pouvait-il  de  lui-même  prendre 
la  couronne  et  le  titre  de  roi ,  ou  devait- 
il  renvoyer  demandera  Tempereur?  Lee 
avis  furent  partagés;  mais  Tavautage 
resta  à  xeux  qui  voulurent  qu'on  de- 
mandât a  l'empereur  T investiture  de  la 
royauté.  Amaury  envoya  donc  Renier  Gi- 
blet,  son  favori,  à  l'empereur  Henri  VI, 

3 ni  se  trouvait  alors  dans  le  royaume 
e  Naples  (i  195).  Charmé  de  cette  mar» 
que  de  condescendance,  à  laquelle  il  ne 
s'attendait  pas,  Henri  VI  combla  de  ca- 
resses l'envoyé  d' Amaury,  le  nomma 
chevalier,  et  dépéi^ha  en  Chypre  son  chan- 
celier, qui  couronna  Amaury  roi  de  Chy- 
pre ,  dans  la  cathédrale  de  Nicosie,  Au 
moment  où  Amaury  se  préparait  à  cou* 
ronner  sa  femme,  Cive  dlbeliu,  elle 
tomba  malade  et  mourut. 

Dans  le  même  temps,  Henri  de  Cbam- 
nagne,roi  de  Jérusalem,  mourut  a  Pto- 
lémaïs  (1 198)  Sa  veuve  la  reine  Isabelle, 
incapable,  par  la  faiblesse  de  son  sexe  et 
par  son  peu  d'expérience,  de  soutenir  le 
poids  du  gouvernement ,  laissa  les  af- 
faires de  la  guerre  aux  soins  de  son  con- 
seil, où  chacun  pensait  plus  àses intérêts 
particuliers  qu'au  bien  de  l'État.  Les  Sar- 
rasins devenaient  de  jour  en  jour  plus 
hardis ,  et  poussaient  leurs  courses  jus- 
que sous  les  murs  de  Ptolémaïs.  Il  fal- 
lait un  défenseur  au  royaume  de  Jérusa- 
lem :  on  jeta  les  yeux  sur  Amaury,  qui 
se  décida  à  épouser  la  reine  Isabelle,  dont 
il  était  le  cinquième  époux.  C'était  le  seul 
moyen  de  sauver  les  débris  du  royaume 
chrétien  de  la  Palestine.  Amaury  équipa 


M 


Luinvias. 


en  Chypre  une  fnrto  Afliiëe,  pana  ta 
Terre  Sainte,  Ait  eoiironné  roi  de  Jéru« 
Mlem  à  Ptotémaîs,  et  resta  diMf  am  dans 
son  nonveau  royaame,  réparant  les  for- 
tifications des  villes,  guerroyant  oontre 
les  Sarrasins  à  qui  fl  enleva  nn  grand 
nombre  de  places.  Étant  tombé  malade 
au  milieu  de  ces  soins ,  la  désertion  se 
mit  dans  son  armée.  Le  chagrin  qu*il  en 
ressentit  augmente  son  mal ,  et  le  réduisit 
à  la  dernière  extrémité.  Il  mourut  à  Plo» 
Mmals,  en  11Ô5.  L*année  suivante,  son 
eorps  fut  transporté  en  Chypre ,  et  dé*- 
posé  avec  une  grande  pompe  dans  Té* 
glise  cathédrale  latine  de  Sainte-Sophie* 
BàoNn  DB  HueuBs  1*'  (laoi-isia)* 
--Hugues,  fils  atnéd^Amaury,  étant  en* 
core  mineur,  La  haute  cour  oonfia  la  ta« 
telle  du  royaume  à  Gauthier  de  Mont* 
héliard ,  son  plus  proche  parent ,  qui 
profita  de  son  pouvoir  pour  amasser 
iPimmenses  richesses.  En  1S19  Hugues, 
nyant  atteint  Tâgede  la  majorité,  fut  cou* 
Tonné  roi ,  s^empara  de  la  direction  d«s 
iBiffhires,  et  disgracia  Gauthier  de  Mont- 
héliard,  qui  se  retira  sur  le  continent, 
à  Ptolémaïs.  Le  précédent  roi,  Amaury, 
avait  fiancé  son  fils,  encore  enftint,  avec 
la  jeune  Alice ,  fille  d'Henri  de  Cham- 
pagne, alors  roi  de  Jérusalem.  Pressé 
Êar  les  tuteurs  des  enfanta  de  oe  prince, 
luffues  célébra  volontiere  ce  mariage, 
<|uiiui  donnait  une  épouse  aooomplie.  Le 
jeune  roi  avait  hérité  delà  valeur  de  son 
père  et  de  son  oncle  ;  il  se  trouvait  ausai 
en  présence  des  mêmes  difficultés.  La 
réunion  des  deux  couronnes  de  ChyfMreot 
de  Jérusalem  imposait  à  celui  qui  les 
portait  une  vie  de  fatigue  et  de  dangers, 

5ui  empêcha  les  rois  Lusignandes'mol- 
r  dans  le  sein  du  repos ,  au  milieu  des 
d^ices  de  nie  de  Oiypre. 

La  quatrième  croisade  (1B04)  avait 
donné  Constantinople  aux  Latins;  mais 
ladétressedu  royaume  de  Jérusalem  était 
toujours  aussi  grande.  Une  cinquième 
croisade  fiit  préchée,  1 317 .  Hugues  partit 
pour  la  guerre  sainte ,  laissant  à  la  reine 
Alice  le  gouvernement  de  TNe  de  Chypre. 
Le  plus  grand  embarras  dei'aduiinistra- 
tion  du  royaume  venait  de  la  rivalité  des 
évéques  grecs  et  des  prélats  latins.  Les 
deux  clergés  se  disputaient  la  prééminen- 
ce. Alice  s'adressa  au  pape  Innocent  III, 
aui  était  alors  au  concile  deLatran,le  pria 
etraosférerrarehevêdbédeFasaiîgouste 


à  NioQsiê,  denoiM  alors  la  résidenee  des 
rois,  de  le  donner  aux  Latins,  de  rédmra 
à  quatre  le  nombre  des  évéebés,  qui  an» 
paravant  était  de  quatorse.  Le  pape  lui 
accorda  ses  demandes,  à  savoir  rarehd* 
véché  de  Nicosie,  et  rétablissement  des 
quatre  évêchés  tant  grecs  que  latins ,  à 
Famagottste,  à  Cérinei,  à  Paphos  et  à 
Limisso.  Les  éviques  grecs  dont  les 
sièges  devaient  être  supprimés  conservè- 
rent leurs  droits  et  leurs  revenus  de  leur 
vivant  :  le  règlement  du  pape  ne  devant 
être  eiéeuté  qu'après  leur  mort.  On  oréa 
des  bénéfioss  et  on  institua  la  dlme  si 
profit  du  clergé  latin.  Pédant  qu*Alioa 
opérait  avec  de  sages  ménsgemeols  nette 
déUoate  réforme ,  Hugues  combattait  en 
£gypte  et  pénétrait  jnsqu'su  Caire,  d'où 
les  croisés  furent  chassés  par  Tinonda- 
tkm  du  Nil«  Il  fallut  renoncer  à  la  con- 
quête de  Damiette,  et  la  cinquièniq  crei- 
sede  s'acheva  sans  utiles  résultats.  Hu- 
gues revint  en  Palestine.  Il  s'arrêta  à  Tri* 
Kili»  pour  célébrer  le  mariage  de  sa  eoaur 
élissène  sveo  Bohémond ,  prinœ  d*  An- 
tioche.  Au  milieu  de  Is  joiede  cette  fêle, 
ttne  maladie  violente  l'enleva,  à  l'âge  de 
trente  ans.  La  reine  Alice  fit  trmspor» 
1er  ses  rsstss  en  Chypre,  où  il  eut  son 
tombeau  dans  l'église  des  Hospitaliers. 
RàouB  n'HBnni  I**^  (l81g-lS64).  — 
Henri  n'avait  que  neuf  ans  à  la  mort  de 
son  père.  Aussi  la  reine,  du  eonsente- 
flient  de  la  haute  cour,  admit  au  gouver- 
nement deux  oncles  du  feu  roi,  Philippe 
et  Jean  d^Ibelin,  hommes  de  courage  et 
d'expérience.  Jean  d'Ibeiin  était  auseiesi- 
gnmirde  Béryte(BaruthouBeyroatb).  Il 
avait  administré  le  royaume  de  Jérusalem 
pendant  la  nnnorité  de  la  reine  Iferie, 
fille  d'IsabeUe  et  de  Conrad  de  Blontfer- 
rat,  que  Jean  de  Bricnne  avait  épeusce. 
La  reine  Alice  ne  put  s'entendre  avec  ses 
deux  enC'Ics,  et  la  minorité  du  jeune 
Henri  fut  pleine  de  troubles.  Alâee,  mé- 
eontsnie  des  deux  tuteurs,  leor  nppœeit 
son  fovoriCamerinde  Barlias,et  les  fores 
à  donner  leur  démission,  Msis  Cemeiuï 
souleva  contre hitJ'indtgnatien  publique; 
et  les  deux  libères  forent  invUés  par  les 
états  à  repreuére  les  rênes  du  nouveroe- 
ment.  Peu  de  lemps  après  Philippe  d1- 
èelin  mourut,  fiénéralemeut  vegreiaé, 
et  Frédéric  II  BartMronsse,  empereur 
d' AUesMigne ,  s'étant  mis  à  la  tête  de  In 
sixième  cwriaede,  débarqua  deus  rHe  de 


ILE  DE  CHYPRE. 


5$ 


diypre,  dont  il  avait  réaolu  de  se  rendre 
maître. 

Frédéric  fmdait  ees  prétentions  aur 
deux  motiii.  D'abord  e*était  l'empereuf 
Henri  YI ,  son  père ,  qui  avait  donné  à 
Amaïïtj  l'inveatiture  da  royaume  de 
Chypre,  et  le  pape  Honorine  111  Favait 
formellement  innté  à  veiller  attentive^ 
meDtSDi  intérêts  du  jenne  roi  Henri.  De 
pies,  il  avait  épouaé  Yolande,  héritièrn 
de  Jean  de  Brienne,  et  ee  mariage  lut 
doBBait  le  droit  de  a'immisoer  dans  lea 
affairée  dn  royanmede  Chypre.  Cameriii 
de  Barbas  et  tous  les  ennemis  de  la  mai- 
soD  d*ibeltn  ae  montrèrent  zélés  parti- 
sans de  Temperenr,  qu'ils  indisposèrent 
eentre  le  seigneur  de  Béryte.  A  peine  or* 
rWéà  Liœisso,  Frédéric  manda  auprès 
de  lai  Jean  d'ibello,  qui  vint  après  de 
longues  bésitatteBS.  Pendant  le  repas, 
l'empereur  somma  Jean  dlbelin  de  lui 
remettre  la  forteresse  de  Béryte,  et  de 
Ibi  rendre  compte  de  son  administration 
dans  Chypre  depuis  dix  ans  (laas).  Jean 
se  Tovait  entouré  de  tous  ses  ennemis  : 
la  salle  du  festin  était  pleine  de  soldata 
allemands  ;  mais  rimminenee  du  dan* 
m  n'ébranla  pas  son  oourage  :  il  osa 
iiraver  le  ceiirroux  de  l'empereur,  qui 
pouvait  le  perdre  d'un  mot,  et  qui  con* 
smtit  i  porter  l'afiEaire  aux  hautes  ooura 
de  Chypre  es  de  Jérusalem.  Quant  à 
Jean  dlbelin,  instruit  que  l'empereur, 
eicité  par  de  perides  suûestions,  avait 
donné  des  ordres  eontre lui,  il  se  retira 
daas  le  château  Dien-d'Amonr  ou  de 
Saint-Htiariont  situé  sur  une  montagne 
à  riaq  Heoes  de  Nicosie ,  et  à  quatre  du 
dikean  de  Buf&vent,  où  il  resta  jusqu'à 
l'ajMiaeinent  du  courroux  de  Frédéric, 
^itti-ci ,  rappelé  en  Europe  par  les  inté« 
f^  de  sa  rivalité  avec  m  saint-siége, 
Avait  hâte  de  terminer  sa  croisade.  Il 
oiisade  pevaéeoter  Jean  d'Ibelîn;  mais 
ii  fit  occuper  les  forteresses  de  l'île  par 
<^  troupes  allemandes,  et  conGa  l'admi- 
nistration à  cinq  balles,  parmi  lesquels 
était  Camerin  de  Barbas. 

^Quoique dépouillé  delà  tutelle,  Jean 
4'Ibelin  était  toujours  a  craindre  :  ces 
fiÙH)  administrateurs  ne  négligèrent  rien 
Four  le  perdre  (1).  Ils  poursuivirent  ses 
^W,  etsurteut  Philippe  de  Navarre,  qui 

(')  litredane,  But,  de»  R0U  Jmdgntuuy 

*•  il« 


lui  était  le  plus  dévoué.  Le  seigneur  de 
Béryte,  qui  était  retourné  en  Syrie,  re- 
vint en  Chypre  bien  accompagné,  et, 
enhardi  par  le  dévouement  qu*on  lui  té- 
moignait et  Timpopularité  des  baOes, 
il  leur  livra  bataille,  les  vainquit  près 
de  Nicosie,  dont  il  s'emj)ara.  Les  forte- 
resses de  Cantara ,  de  Saint-Hilarion ,  de 
Buffiivent,  servirent  d'asile  aux  vaincus, 
qui  n'en  purent  sortir  en  sûreté  qu'en 
renon^nt  à  la  tutelle  du  jeune  roi  et  en 
abandoonant  le  pouvoir  au  vainqueur. 
Le  roi  Henri  avait  atteint  l'âge  de  quinze 
ans  ;  mais  il  était  plein  de  confiance  dans 
le  aeigneur  de  Béryte ,  qui  redevint  plus 
puissant  qu'auparavant.  A  la  nouvelle 
des  sttceèsdeJeand'Ibelin, Frédéric  avait 
fait  partir  une  armée  de  six  cents  che* 
vaux  et  de  dix-huit  cents  hommes  d'in- 
fanterie avecune  flotte  de  trente-huit  vais- 
seaux et  de  vingt-deux  galères.  N'ayant 
pu  efifectner  leur  débarquement  dans 
nie  de  Chypre,  les  Allemands  se  diri^ 
vent  sur  Béryte,  prirent  la  ville  et  assié- 
gèrent le  château.  Jean  d'Ibeiin  courut 
au  secours  de  sa  seigneurie  patrimoniale, 
et  le  jeune  roi  consentit  à  raccompagner* 
Après  d'iwitiles  efforts  pour  s'em^rer 
de  la  citadelle,  les  Allemands  brûlèrent 
Béryte,  et  se  retirèrent  à  Tyr,  tandis 
qu'une  partie  d'entre  eux  s'emparait  du 
royaunae  de  Chypre,  entièrement  dégarni 
de  troupes.  Tout  était  tombé  en  leur 
pouvoir,  excepté  les  forteresses  de  Buffa- 
vtnt  et  de  Dieu-d' Amour,  où  s'étaient  re- 
tirées les  sœurs  du  roi  et  les  plus  nobles 
dames  de  la  cour. 

Cependant  le  roi,  qui  étaità  Ptolémaïs, 
informé  de  ce  qui  se  passait  en  Chypre, 
résolut  de  reconquérir  son  royaume,  il 
manquait  d'argent;  les  seigneurs  de  Cé- 
sarée  et  de  Béryte  avaient  aliéné  la  plus 
grande  partie  de  leurs  biens.  Le  jeune 
roi  oréa  un  papier  monnaie  pour  subve- 
nir aux  affidres  présentes;  il  fit  faire 
quantité  de  petits  billets  avec  l'empreinte 
de  son  sceau ,  qu'il  faisait  circuler  au 
lieu  d'argent ,  s*obligeant  de  les  payer 
comptant,  aussit^  que  les  Impériaux  se- 
raient chassés  de  son  royaume.  Jean  d*!- 
belm  ramena  le  roi  Henri  dans  Chypre 
sur  des  vaisseaux  génois  et  vénitiens.  Le 
Mtour  du  jeune  prince  fut  le  signal  d'un 
soulèvement  général  :  à  Famagouste, 
à  Nicosie  les  Impériaux  furent  massa- 
crés au  cri  de  :  Vive  le  roi  Henri  1  Le  nia- 


sa 


LUNIVERS. 


récital  de  l*Empire,  Richard  Felingher, 
ayant  concentré  ses  troupes  dans  la 
plaine  d*Agndi,livra  bataille,  et  fàtvainco 
par  Jean  d*Ibeitn  ;  et  les  impériaux,  chas> 
ses  de  toutes  leurs  positions,  ne  conser- 
vèrent que  la  TÎlfe  de  Cérines.  Ils  s*y  dé* 
fendirent  opiniâtrement  pendant  deux 
ans.  Enfin  on  parla  de  n^^çoder.  Les  Al- 
lemands rendirent  la  ville  et  le  château 
de  Cérines  avec  toutes  les  munitions  qui 
sy  trouvaient ,  à  condition  qu^on  leur 
fournirait  des  vaisseaux,  des  vivres,  et 
qu*on  leur  rendrait  leurs  prisonniers.  Le 
roi  entra  dans  Cérines  au  moment  où  le 
dernier  Allemand  en  sortait,  et  il  eut 
enfin  la  satisfaction  de  voir  son  royaume 
entièrement  purgé  de  la  présence  de 
cette  grossière  soldatesque. 

Pendant  ces  longs  troubles  radmi* 
nistration  du  royaume  avait  été  fort  né- 
gligée. Henri  travailla  activement  à  répa- 
rer tout  le  mal  qui  s'était  foit.  Il  renvoya 
ses  mercenaires ,  récompensa  les  capi- 
taines étrangers  qui  l'avaient  servi,  mais 
ne  voulut  pas  les  garder  dans  ses  Etats, 
li  fit  refleurir  le  commerce,  l'agricul* 
ture,  l'industrie,  et  vit  la  prospérité  re- 
naître en  peu  d'années.  Ce  fût  avec  une 
vive  douleur  qu'il  apprit,  au  milieu  de 
ses  soins,  la  mort  du  seigneur  de  Béryte, 
qui  périt  d'une  chute  de  cheval  en  re- 
tournant de  la  chasse.  On  l'avait  porté 
mourant  à  Ptolémaîs,  où  il  fit  le  partage  de 
ses  terres  à  ses  enfants,  donnante  lalné, 
Balian,  la  seigneurie  de  Béryte  et  la  suze- 
raineté sur  ses  frères  (1236).  «  Jeand'Hî- 
belin,  seigneur  de  Baruth,  dit  Lored»- 
no,  fot  un  personnage  d'une  valeur  et 
d'une  prudence  consommée;  il  apprit  la 
guerre  sous  les  chevaliers  du  Temple;  il 
exerça  toutes  les  charges  militaires  con- 
tre les  Sarrasins ,  son  père  ne  voulant 
pas  qu'il  montât  à  aucun  degré  d'hon- 
neur s'il  ne  l'avait  mérité  par  ses  ac- 
tions ;  il  fut  toujours  heureux,  et  si  mo- 
deste dans  ses  victoires  les  plus  com- 
plètes ,  qu'il  ne  parlait  que  d'accommo- 
dement et  de  oaix  ;  et  quoiqu'il  s'attirât 
l'admiration  ae  tout  le  monde,  jamais 
fidélité  ne  fiit  pareille  à  la  sienne,  lors- 
qu'il s^agissaitdes  intérêts  de  son  prince, 
n  fut  toujours  médiateur  entre  le  roi  et 
le  royaume,  la  guerre  ou  la  paix  dé- 
pendant de  ce  qu'il  jugeait  le  plus  a 
propos.  » 

11  était  à  cramdre  pour  la  tranquillité 


du  royaume  de  Cbvpre  que  la  mue 
Alice  ne  voulût  profiter  de  la  mort  de 
Jean  d'Ibelin  pour  reprendre  le  pouvoir 
dont  il  l'avait  dépossédée.  Mais  par  bon- 
heur cette  princesse ,  dont  la  turbulence 
et  l'ambition  augmentaient  tous  les  jours, 
tourna  toutes  ses  vues  vers  le  royaume  de 
Jérusalem,  qui  était  sans  chef,  car  alors 
Frédéric  II  était  excommunié,  et  son  fils 
Conrad  était  encore  en  bas  âge.  Elle  fut 
proclamée  à  Tyr  Tan  1239.  Mais  il  fiai- 
lait  un  bras  plus  vigoureux  pour  soute- 
nir ce  chancelant  État.  Le  soudan  d*É- 
gypteenvahit  la  Palestine,  prit  Tibériade, 
assi^ea  Ascalon.  Un  en  de  détresse  par- 
tit  de  la  terre  sainte.  Louis  iX ,  roi  de 
France,  y  répondit  en  se  mettant  à  la  tête 
de  la  septième  crois^ide.  11  s'embarqua 
à  Algues-Mortes,  le  2S août,  il  arriva  en 
Chypre  le  21  septembre  de  Tan  1348. 
Le  roi  Henri  alla  le  recevoir  a  Limisao, 
et  le  conduisit  dans  sa  eapitale  de  Nico- 
sie, au  milieu  des  acclamations  du  peu- 
[Ae,  de  la  noblesse  et  du  clergé  (i).  «  Les 
sdgneurs  et  les  prélats  de  Cbjrpre,  dit 
Guillaume  de  Nangis,  prirent  tous  la 
croix,  vinrent  devant  le  roi  Louis,  et  lui 
dirent  qu*ils  iraient  avec  lui  partout 
où  il  voudrait  les  conduire  <iuand  l'hiver 
serait  passé.  »  Il  fut  décidé  que  l'armée 
èhr^enne  ne  partirait  ^u*au  printemps 
prochain.  Mais  les  délices  de  l'île  de 
Chypre  amollirent  le  courage  des  guer- 
riers d'Occident,  qui  se  livrèrent  à  Tin- 
tempérance,  entraînés  par  l'excellenee 
des  fruits  et  des  vins ,  et  par  l'i^bon- 
dance  excessive  qui  régnait  dans  leur 
camp  (2).  Enfin  Tannée  suivante,  I34il, 
le  vendredi  avant  la  Pentecôte  une  Hotte 
nombreuse,  qui  portait  les  guerriers 
français  et  les  croisés  de  Ule  de  Ciiypre 
sortit  du  port  de  Limisso,  et  fit  voile 
vers  TÉgypte.  Le  roi  de  Chypre  parta- 
gea la  gloire  et  la  captivité  de  saint 

(i)  Michaud,  But.  des  Croisades,  t.  tV, 

1.  x4. 

(a)  C'est  eo  pariant  de  cet  provisiom  abon- 
dautes  que  Juinville  8*écrie  :  «  Tous  euasiei 
dit  que  ces  oelliers ,  quand  on  les  voit  do 
loing ,  fussent  grandes  maisons  de  tonneaux 
de  TÎn  qui  estaient  les  uns  sur  les  autres  «  et 
•emblableroent  les  grenim  de  froment,  oi^ 
el  autres  blé»  qui  esioient  aux  champs,  sem- 
bloîent,  quand  on  les  voyoit  de  loiug,  que  ce 
(lissent  montagnes*  n 


ILE  I>£  CHYP&E. 


57 


Um  ;  9ÇfM  le  traité  qui  te  rendait  à 
la  Jiberté ,  tous  deux  partirent  eDsembte 
poar  la  Terre  Sainte,  et  se  rendirent  à 
Ptolémaîs  (Saint-Jean-d'Aere);  alors  le 
rai  de  iibyiire  épousa  la  fille  du  prince 
d'Antioctie  et  de  Tripoli.  Il  se  hâta  de 
conduire  la  nouvelle  reine  dans  ses  Etats  ; 
nais  après  la  cérémonie  du  couroone- 
nent  Henri  tomba  malade,  et  mourut  en 
peu  de  jours,  le  8  janvier  1263,  à  Tâge  de 
tieote-trois  ams» 

ASGffEde  BUGDES II  (1254-1267  )(1). 

^  La  mort  prématurée  du  roi  Henri  li- 
vrait encore  le  foyaome  de  Cbf  pre  aux 
hasards  d'une  longue  minorité.  Le  jeune 
Buftues  était  dans  Page  le  plus  tendre 
quand  il  fut  reconnu  roi.  Sa  mère.  Plai- 
sance, princesse  d'Antiocbe,  fut  chargée 
de  la  r^enee  et  gouverna  avec  fermeté. 
A  cette  époque  la  rivalité  de  Venise  et  de 
Gènes  troublait  tout  le  Levant,  et  ajou* 
tait  un  nouvel  aliment  aux  discordes  qui 
devaient  ruiner  les  États  chrétiens  de 
ces  contrées.  Ces  deux  républiques  se 
disputaient  la  possession  de  Tegiise  de 
Saiut  Sabas  à  bamt-Jeao  d'Acre.  Cette 
eontestalion  dégénéra  en  guerre  achar- 
née. La  réfErnte  de  Chypre  se  déclara 
pour  les  Vénitiens  (125H),  et  la  flotte 
combinée  des  deux  puissances  vainquit 
eella  des  Génois.  Bientdt  la  médiation  du 

epe  Alexandre  IV  rétablit  la  paix  en  Pa- 
tine. Maiscemalheureux  pays  était  ex- 
Dosé  à  des  périls  sans  cesse  renaissants. 
Les  Mongols  et  les  mameluks  le  mena- 
çaient de  deux  côtés  à  la  fois.  Vain- 
(|ueur  des  Tartares,  le  sultan  du  Caire, 
Bibars  Boudochar,se  montra  un  des  plus 
redoutables  ennemis  des  chrétiens. 

Il  aUaqua  le  royaume  de  Jérusalem, 
alors  réduit  à  quelques  villes  du  littoral. 
Césarée  et  Argouf  lurent  emportées,  Se- 
pbed,  vaiUammentdéfeuilue  par  les  Tem- 
pliers, capitula  (  1268  )  ;  mais,  au  mépris 
du  traité,  la  garnison ,  qui  refusa  de  se 
sauver  par  Tapostasie,  fut  impitoyable- 
ment massacrée.  Les  chrétiens  de  Chy- 
pre ne  pouvaient  rater  indifférents  à  ces 
désastres.  Hugties,  seigneur  de  Beyrouth, 
devenu  tuteur  déjeune  roi  après  la  mort 
de  la  reine  Plaisance,  passa  sur  le  con- 
tinent, et  combattit  vaillamnnent ,  mais 
sans  succès.  Rappelé  eu  Chypre  par  une 
maladie  du jeime  prince,  il  le  vit  mourir 

(OUmdano,  Bist,desMoîi  dt  Chfpre,l  Ut 


aussitôt  après  son  arrivée,  à  Tâge  deoua- 
torze  ans  (1267).  Avec  ce  prince  s'étei- 
gnit la  branche  directe  de  la  maison  de 
Lusignan.  - 

Regns  de  Hugues  III  (1277-1284). 
—  Hugues ,  seigneur  de  Beyrouth ,  était 
fils  d^Benri,  second  fils  de  Bohémond  IV, 
prince  d'Antiocbe  et  d'Isabelle,  fille 
d'Hugues  1*'  de  Lusignan.  Il  fut  re- 
connu roi  après  la  mort  de  Hugues  II; 
et  le  sceptre  passa  des  mains  d  un  en- 
fent  entre  celles  d'un  homme  capable 
et  drja  versé  dans  le  gouvernement  et  la 
guerre.  Toutefois  les  progrès  du  sultan 
d'^ypte  n'étaient  pas  ralentis.  Il  prit 
Jafta ,  dont  il  renversa  les  murs  et  le 
château  ;  il  enleva  nombre  de  places  aux 
Templiers  et  aux  Hospitaliers,  enfin  il 
assiégea  Antioche,  qui  se  défendit  à 
peine.  Quarante  mille  habitants  furent 
massacres,  cent  mille  réduits  en  escla- 
vage.  Hugues  n'était  pas  directement  in- 
téressé  à  défendre  les  États  chrétiens 
de  Terre  Sainte.  Le  titre  de  roi  de  Jéru- 
salem appartenait  alors  au  jeune  Con« 
radin ,  qui  disputait  à  Charles  d'Anjou 
le  royaume  de  Naples.  Quand  ce  jeune 
prince  eut  péri  sous  la  hache  du  Dour« 
reau,  Hugues  réclama  le  royaume  de  Se* 
rusalem,  comme  plus  proche  héritier.  II 
soutint  ses  prétentions  avec  vi&ueur, 
passa  à  T^r  avec  une  armée,  et  se  fit  cou* 
ronner  roi  de  Jérusalem  par  l'évéque  de 
Saint-Georges.  Tout  le  monde  applaudit 
à  son  élévation  ;  seule,  Marie  d' Antioche, 
sa  tante,  protesta  au  nom  des  droits 
qu'elle avaitou  qu'elle  s'attribuait,  et  que, 
dans  son  dépit  de  n'être  point  écoutée, 
elle  alla  transmettre  à  Charles  d'Anjou, 
roi  de  Naples  (  1270).  Cependant  la  dé- 
tresse de  la  Terre  Sainte  produisait  en- 
core en  Europe  une  certaine  émotion. 
Saint  Louis  prenait  la  croix;  Jacques 
d'Ara[;on  et  le  prince  Edouard  d'Angle- 
terre imitaient  son  exemple.  Dernière  et 
vaine  tentative  de  la  ferveur  religieuse 
qui  avait  produit  les  croisades  !  Le  roi  de 
France  mourut  sur  la  plage  de  Tunis; 
Jacques  d* Aragon  s'effraya  d'une  tem- 
pête qui  l'assaillit  en  route,  et  retourna 
dans  ses  États.  Edouard  d'Angleterre, 
qui  seul  était  venu  rejoindre  le  roi  Hu- 
gues à  Ptolémaîs,  faillit  succomber  à  un 
lâche  assassinat.  Il  quitta  aussitôt  la  Pa- 
lestine, où  il  avait  inutilement  déplo}[é 
une  brillante  valeur*  Mais  le  sultan  Bi*» 


58 


L'UMVlltS. 


barit  qui  ftnak  il*Miou#r  4iiii  im'Bniid 
pitjet  ^'Ib  vatioB  de  l'île  de  Ghvpre ,  et 
qui  craignait  un  aoulèvemeol  dani  ses 
Etats ,  consentit  à  conclure  afee  le  roi 
Hufues  une  trêve  de  éïx  aBt  et  dii  mois. 
Après  le  rétabliseemeot  delà  paix,  Hu- 

Sues  laissa  Tadimnistration  du  royaaiae 
e  Jérustleiii«  dont  Ptolémaîde  ou  SaiBl- 
Jeaei'd'Acre  était  derenae  la  capitale,  as 
seigneur  de  Beyrouth*  et  il  retourna daas 
son  royauiuede  Chypre.  Unefut  pasloog- 
teuiM  eu  repos.  £n  effet  si  les  princes 
4)hreneiis  ne  savaient  pas  dtfendre  le 
royaume  de  Jémsaleni  contre  lesSarrsr 
sins,  ils  s'entendaient  tràs-bien  à  se  le 
disputereotreeux.  Charles  d'Anjou,  vou- 
lant faire  valoir  les  prétentions  mie  lui 
avait  cédées  la  pnoeesse  Marie,  fit  atta- 
quer à  l'ioiproviste  la  ville  de  Ptolémaîde. 
Le  gouverneur  se  retira  dans  la  citadelle  ; 
iuais  le  patriarche  de  Jérusalem  ,  Bu- 

Ses  Revel,  grand  maître  de  THôpital, 
1  Templiers  et  presque  tous  les  grands 
du  royaume  firent  détection ,  et  se  don* 
nèreiit  au  roi  Charles.  Le  château  de 
ptolémaîde  se  rendit,  et  le  eomte  Roger 
de  Saint-Séverin  fit  proclamer  son  mat* 
tre,  Charles  d'Anjou,  roi  de  Jérusalem 
el  de  Sieik.  Le  roi  Uugues  At  une  vaine 
fentative  pour  reprendre  Ptolémaîde;  il 
revint  en  Chypre,  et  se  vengea  des  ordres 
militaires  en  confisquant  leurs  revenus, 
leurs  terres  et  leurs  châteaux  de  Li^ 
misso,  de  Baffo  et  de  Gastna  (  1277  ). 
Tyr  et  Beyrouth  étaient  demeurées  au 
pouvoir  du  roi  de  Chypre.  La  mort  de 
Charles  d'Anjou,  qui  eut  lieu  quekfue 
tempsaprès  les  Vêpres  siciliennes  (1288), 
permit  au  roi  Hugues  de  rentrer  en 
nossessioB  de  son  royaume  de  Jérusa- 
lem ,  où  il  fut  rapiielé  par  oes  mêmes  or- 
dres militaires  qui  Ten  avaient  ehaasé 
peu  de  temps  auparavant  (  128g).  Irrité 
contre  les  habitants  de  Ptolémaîde,  Hu* 
gués  m  érigea  la  ville  de  Tyr  en  capitale; 
u  y  tomba  malade ,  revint  en  Chypre,  es* 
pâ-ant  s'y  remettre  par  le  ehangement 
d'air,  mais  il  y  mourut  en  peu  de  jours, 
après  un  règne  dedix-septans  (t284).Ls 
roi  Hugues  fut  un  des  princes  les  plus 
renommés  de  sou  temps.  Il  avait  Tesprit 
cultivé,  et  il  maniait  aussi  bien  la  phime 
oue  répée.  U  attira  à  sa  cour  des  savante 
étrangers,  auxquels  il  donnait  de  gros- 
ses pensions.  Il  fonda  le  magnifique  mo* 
nastère  de  Lapais,  qu'il  dota  IrèsHrlche- 


meot.  Saint  Ihamas  d'Aquin  isisàt 
grand  eas  de  son  mérite  et  de  ses  eon- 
naissanees  ;  il  lui  dédia  son  livre  de  Ht' 
çimime  Prmcipum;  «  C'était,  dit  Lore- 
dano,  dans  un  siècle  où  l'on  ne  flattait 
pas  les  prinees,  et  l'ingénuité  deee  saiitf 
était  incapable  de  faire  adulation  (1).  > 
Hugues  III  fut  enterré  au  couvent  de  La- 
pais, ainsi  qu'il  l'avait  ordonné  dass 
son  testament. 

RÈGNE  DE  Jean  l^  (lt84*128S  ).  -- 
Hugues  lil  laissait  cinq  fils  :  Le  prinœ 
Jean ,  i'atné,  était  atteint  d'une  maladie 
incurable,  qui  ne  lui  permettait  pus  d'es- 
pérer de  longs  jours.  Ses  frères  [misaient 
que  l'état  de  sa  santé  le  déterminerait  à 
renoncer  à  la  couronne.  Il  n'en  fut  rien; 
le  moribond  voulut  régner,  et  ses  ûnères, 
irrités  de  ce  qu'il  ne  leur  livrait  pas  son 
trône,  s'alisentèrent  le  jour  de  son  cou- 
ronnement. Mais  la  cérémonie  dn  ses 
funérailles  ne  se  fit  pas  longtemps  at^ 
tendre.  Jean  l*"'  mmirut  après  treise  mois 
de  règne,  à  l'âge  de  trente-trois  ans.  Soa 
frère  Henri  II  lui  sueoéda. 

RÈGNK  SB  HUIEI II,  (1286-1824)(2). 

-—  Dès  qu'il  eut  pris  possession  de 
trône  de  Chypre,  le  nouveau  roi  s'em- 
pressa de  faire  valoir  ses  droits  sur  celai 
de  Jérusalem.  Il  parut  avec  une  ftotte  et 
une  armée  devant  Ptolémaîde,  qui  le  rs> 
connut  pour  roi ,  et  il  alla  se  fiâire  cou- 
ronner a  Tyr.  Cette  nouvelle  rëuniea 
des  deux  royaumes  ne  fut  pas  de  longos 
durée.  Bibars-Bondochar  n'était  pins; 
mais  le  vaillant  Kélaoun  ne  Ait  pasmoias 
redoutable  aux  chrétiens.  Après  avoir 
chassé  les  Mongols  de  la  Syrie,  il  assiégea 
les  cités  maritimes  qui  composaient  lei 
derniers  débris  du  royaume  de  Jérusa- 
lem, et  il  prit  successivement  Laodicée, 
Tripoli,  Tyr  et  Sidoa  (1288).  Tons  les 
chrétiens  de  la  Palestine  s'étaient  réfu« 
giés  à  Ptolémaîde.  Kélaoun  moarut  au 
moment  où  il  allait  assié^  cette  plaoe. 
Son  fils  KjiKl-Ascraf  avait  prônais  a  sea 
père  mourant  d'aehever  Pextermiiiation 
des  chrétiens  de  Palestine.  To«t  était 
préparé  pour  le  siéRe  de  Ptolémais  :  Ka- 
lil-Aseraf  se  hâta  d'investir  cette  place. 
Cependant  le  roi  Henri  avait  fait  un  s|»- 
pel  au  pape  fiioolas  lY  et  aux  rois  ebré- 

(i)  Loredaao,  Hist,  éles  RôUdê  Chypr;  1 1, 

p.  i94« 

(a)  LOTtéana,  id.,  Uv,  IT» 


IL£  D£  CHYPRE. 


Sieofi.  Veftteê  eBf<iya  fingt  galèvM,  dont 
rentretien  fat  payé  par  le  aaiot-aiége. 
Henri  se  renferma  dans  la  plaee  avae 
réiitede  a»  eheyaleria,  et  Toa  attendit 
rwoemî  de  pied  ferme.  Mais  toute  la 
râleur  des  LatJDS  était  rendue  iautile  par 
leurs  difisfoDS  et  laars  diaoordea.  Ptô- 
lémaîde  était  partasée  en  dix-iept  jari* 
dlctioDS,  toutes  indépendantes  les  unei 
des  antres.  Le  roi  Henri  eommandail 
dans  une  grande  partie  de  la  ▼ille  :  les 
tmis  ordres  militaires,  Bospitaliers, 
IWnpliera  et  Tentons  étaient  souverains 
dans  leurs  quartiers.  Charles  11,  roi  de 
Naple&,  le  roi  de  France,  le  lé«it  du  pa^ 
pe ,  le  roi  d'Angleterre ,  fàisment  geu- 
Temer  leurs  sujets  par  des  résidents  in* 
dépendants.  Les  Vénitiens,  les  Génois, 
les  Florentins ,  les  Pisans  avaient  tous 
leurs  juges,  leurs  magistrats  et  leurs  eons» 
titutions.  Le  danger  eoipmun  ne  put  faire 
cesser  cette  déplorable  anarchie,  et  Ptolé* 
maïde  succomba,  en  1291,  après  une  glo- 
rieuse défeQse,^  laquelle  il  ne  manqua  que 
Tonité  de  commandement.  Pendant  la 
noitqui  suivit  Passaut  où  la  ville  fiit  for- 
cée, le  roi  Henri,  les  chevaliers  des  trois 
ordres,  et  bon  nombre  de  soldats  et  de 
bourgeois  purent  s*embarquer  et  faire 
TOile  vers  llte  de  Chypre.  Le  lendemain 
le  Soudan  ordonna  le  massacre  des  habi<- 
taots  demeurés  dans  la  place  :  on  en 
compta  soixante-dix  mille  tués  ou  faits 
prisouniers.  Les  murailles  furent  rasées 
etiefeufat  mis  à  la  ville.  AiorsChypre  de- 
vint Tasile  des  fagitifls  de  la  Terre  Sainte, 
l»  Hospitaliers  et  les  Teutons  n'y  resté» 
rent  pas;  mais  les  Templiers  se  fixèrent 
sLimisso,  où  fnt  transporté  le  eheflien 
de  leur  ordre.  Tous  les  antres  réfugiés 
fiirent  établis  à  Famagouste,  qui  s*agran- 
dit  considérablement  à  cette  époque. 

La  chute  du  royaume  de  Jérusalem 
exposait  plus  directement  Ffle  de  Chy- 
pre aux  attaques  des  musulmans.  Cepen- 
dant, grice  à  sa  position  maritime,  la 
««quête  de  Richard  d'Angleterre  survé- 
cut trois  siècles  à  celle  de  Godefroy  de 
^villoa.  La  prise  de  Ptoléraaïde  n'avait 
pas  réconcilié  les  chrétiens  entre  eux.  Lu 
diaoorde  élevée  entre  les  priooes  de  la 
onille  d'Haylon  désolait  r Arménie,  et 
livrait  ce  pays  à  Tinvasion  des  barbares. 
Utle  deCnypre  fut  bientôt  en  proie  à  des 
dissensions  Intestines ,  et  elfe  ne  devait 
^e  sécurité  passagère  qu'aux  sanglantes 


divIsleM  dea  inaaMinoks  d'^'pte.  Maig» 
tandis  ^ue  la  chvétienté  ne  songeait  phia 
à  la  délivrance  de  Jérusalem,  les  TarUiei 
de  la  Pêne,  à  qui  le  pape  avait  savo]^ 
des  roissioniiaires,  formèrent  k  projet 
d'arraeber  aux  musulmans  la  Syrie  «I 
la  Palestine.  Caxan,  prioeemcHigoi^r»» 

Srdait  les  ohrétiana  oomme  aaa  plus 
èles  alliés,  et  les  liistoriena  ffree»«v» 
méniena  donnent  les  pina  gran(K  élogae 
à  ea  probité  et  à  sa  bravoure  (1).  Ct» 
•an  ^itta  la  Perse  à  la  tête  d'une  at» 
mée;  les  rois  d'Arménie  et  de  GéMme» 
le  vûi  de  Chypre  et  les  ordres  de  Saint» 
Jean  et  dn  Temple,  avertis  de  ae0  projeta, 
étaient  venus  rejoindre  ses  drapeamu 
Une  grande  bataille  fut  livrée  près  d'É-» 
mèse;  les  mameinks  forant  vaincus, 
et  poursuivis  jusqu'en  désert  par  iee 
cavalière  sirméniens.  Alep  et  Damas 
ouvrirent  leurs  portes  aux  vainqueun. 
Si  noua  en  croyons  l'historien  Hayt 
ton ,  les  chrétiens  rentrèrent  alon  dans 
Jérusalem ,  et  Tempereur  des  Tartares 
visita  avee  eux  le  tombeau  de  Jésus* 
Christ  (  1 300) ,  d'où  il  appela  l'Europe  à 
la  guerre  sainte.  Mais  sa  voix  ne  fut  pas 
entendue,  et  sa  brillante  entreprise  fut 
sans  résultats.  Les  troubles  de  la  Perse 
le  rappelèrent  en  arrière,  il  tenta  une 
seconde  expédition ,  qu'il  abandonna  en- 
core; et  dans  une  tloisième  invasion  « 
son  armée  s'étant  avancée  jusqu'à  D»r 
mas,  il  tomba  malade  et  mounrt,  em^ 
portant  au  tombeau  les  dernières  espé* 
rances  des  chrétiens.  Ak>ra  les  guerriers 
4'Arméttte  et  de  Chypre  sertirent  de  k 
ville  sainte,  dont  ils  oommençaieat  a  re* 
lever  les  remparts  et  qui  ne  devait  nius 
revoir  dans  ses  mura  les  étendards  de  k 
eroix(l30S). 

La  pins  grande  partie  du  règne  ds 
Henri  II  fut  troublée  par  les  intrigues  de 
ses  frères.  L'afné,  Amaury,  prince  de  Tyr, 
était  plein  d'ambition,  dissimulé  et  eruel. 
n  résolut  de  détrôner  Henri  II.  L'autre, 
Camérin,  connétable  de  Chypre,  consi- 
dérant que  ce  projet  le  rapprodiait  dn 
trône,  entra  dans  ses  vnes.  Henri  II  avait 
de  la  bravoure  ;  mais  son  extrême  douceur 
et  la  faiblesse  de  sa  santé  le  rendirent 
inhabile  à  réprimer  l'Apre  ambition  d'A- 
Buury.  11  se  laissa  suncessivemeni  dé- 
pouiller du  pouveir   et  de  la  liberté. 

(i)  Miebasd,  Misi,  des  Croumdêi,  V,  liv. 


LTHOVERS. 


Amaaiy,  racoonu  r^ent  du  rojâume 
(1S04)  et  investi  de  toute  Tautorité,  re- 
légua le  malheureux  Henri  dans  le  châ- 
teau de  Strovilo,  à  une  demi-lieue  de  JNi- 
eoBÎe,  où  il  le  réduisit  à  mener  la  vie  d'un 
simple  particulier.  Cet  ambitieux  gou- 
vernait le  royaume  de  Chypre  lorsque  ar< 
riva  dans  Ftle  la  sentence  du  pape  Clé- 
ment V,  qui  abolissait  Tordre  des  Tem- 
pliers. Les  chevaliers,  au  nombre  de 
filus  de  deux  cents,  menaçaient  de  résis- 
tar  par  les  armes.  Amaury,  jaloux  de 
se  concilier  les  bonnes  grâces  du  pape, 
travailla  activement  à  la  destruction  de 
l'ordre ,  qui  disparut  de  Chypre  comme 
de  toute  la  chrétienté ,  sans  coup  férir 
(1310).  Enhardi  par  le  succès  de  ses 
criminelles  tentatives,  Amaury  repré- 
senta au  faible  Henri  que  sa  présence 
dans  nie  de  Chypre  était  préjudiciable 
aux  intérêts  du  royaume ,  et  troublait  la 
paix  publique.  Toujours  résigné,  Henri 
se  laissa  déporter  en  Arménie  (l),  où 
il  fijt  retenu  prisonnier  dans  le  château 
de  Lambron.  Peu  de  temps  après,  arriva 
le  lé^at  du  pape  pour  régler  le  différend 
des  deux  frères  et  les  réconcilier.  D'a- 
bord Amaury  réussit  presque  à  lui  per- 
suader que  tous  les  torts  étaient  du  côté 
de  son  frère;  mais  le  prélat  pénétra  bien- 
tôt Tambition  et  la  mauvaise  foi  du  prince 
de  Tfr,  qui  vit  alors  s'écrouler  sous 
ses  pieds  l'échafaudage  de  son  injuste 
pouvoir.  Suspect  au  saint-siége ,  oaieux 
•ux  habitants  de  Chypre,  Amaury  al- 
lait tomber  lorsqu'il  périt.  Un  jour  on 
le  trouva  dans  son  cabinet,  baigné  dans 
son  sanff  et  frappé  de  dix  coups  de 
poignard  que  lui  avait  portés  son  favori 
Sîméon  du  Mont  Olympe.  Son  frère  Ca- 
noérin,  connétable  de  Chypre,  préten- 
dait hériter  de  son  pouvoir;  mais  toute 

(i)  C'est-à-dire  en  Cilirie.  Le  nom  d'Ar- 
ménie s'était  étendu  à  cette  province  sous  les 
successeurs  dt*  Justinien.  Séparée  de  Tempire 
grec  au  neuvième  siècle,  elle  était  devenue  un 
royaume  iudépendant  en  ii47>  à  peu  près 
dans  le  même  temps  que  les  Lusignans  s'éta- 
blissaient en  Chypre.  Livon ,  fondateur  du 
royaume  d'Arménie,  se  soumit  à  l'Église  ca- 
iholique;  de  sorte  que  la  politique  et  la  re- 
ligion dmentaieiit  Tunionaes  deux  royaumes 
de  Chypre  et  d'Annénie.  I^es  principales 
villet  de  commerce  de  l'Arménie  étaient 
Lajazzo,  ville  capitale  dn  royaume,  Adana, 
.  fialsûtra  (  Mopsueste  ),  Gorhigqs  (  Gprycus  ). 


la  population ,  paysans ,  boui|9eoîs,  prê- 
tres et  nobles  se  prononça  si  viveoient 
en  foveur  du  rot  exilé,  que  le  connétable 
Ait  obligé  de  s'enfuir  (  131 1  ),  et  que  le 
roi  Henri ,  tiré  de  sa  prison  d'Arménie, 
revint  triomphalement  dans  son  royau- 
me, où  il  régna  jusqu'à  l'an  1334,  chéri 
de  ses  sujets,  vengé  dé  ses  ennemis,  et 
plus  puissant  par  sa  résignation  et  sa 
douceur  que  le  despotique  Amaury  ne 
l'avait  été  par  ses  violences. 

R£GREDbHugUBSIV(1324-1349(I)). 
—  Henri  avait  épousé,  peu  do  temps 
avant  sa  mort.  Constance,  fille  de  Fré- 
déric ,  roi  de  Sicile;  mais  il  nt*  laissa  pas 
d'héritiers,  et  le  trône  passa  après  lui  non 
pas  au  fils  d'Amaury,  que  Ton  méprisait 
a  cause  de  son  père',  mais  à  Hugues,  fils 
de  Guy,  devenu  comme  son  père  ««on- 
Détable  de  Chypre.  Après  la  mort  de  son 
oncle  Camérin,  Huiîues  fut  couronné 
roi  de  Chypre  à  Nicosie,  dans  l'église  de 
Sainte-Sopliie,  et  roi  de  Jérusalem  à  Fa- 
roagouste  (2) ,  titre  dont  les  rois  T^usi- 
gnans  continuèrent  à  se  parer.  Deux 
laits  principaux  caractérisent  le  rc^ne  re- 
marquable du  roi  Hugues  IV  :  la  prospé- 
rité commerciale  du  royaume  de  Chypre 
et  la  lutte  qu'il  soutint  contre  les  Etals 
musulmans  de  l'Asie  Mineure.  La  chute 
du  royaume  de  Jérusalem  déplaça  le 
théâtre  de  cette  lutte  entre  l'islamisme  et 
la  chrétienté.  Elle  fut  transportée*  des 
côtes  de  la  Syrie  vers  celles  de  TAsie 
Mineure  et  dans  l'Archipel,  où  les  chré- 
tiens avaient  tant  d*interéts  à  défendre. 
Hugues  f  V  guerroya  sans  cesse  contre  les 
successeurs  d'Othman  et  de  Caraman, 
qui  se  partngeaient  alors  l'Asie  Mineure, 
pour  sauver  de  leur  fureur  les  débris  du 
royaume  chrétien  d'Arménie,  comme  ses 
ancêtres  avaient  combattu  les  soudans 
d'Egypte  et  leur  avaient  courageusement 
disputé  les  restes  du  royamne  de  Jérusa- 
lem. 

DÉVELOPPEMENT  DU  GOMMEBCS  ET 
PROSPÉBITÉ    DU    AOYAUME    DB   CHY- 

(i)  Loredano,  Hist,  dâs  RoU  de  Chypn, 
livre  VI. 

(s)  Depuis  oeUe  époque  Ira  roii  de  Cby|)i« 
eonservèreni  Tiuage  de  ce  double  couronne- 
aenl.  Voir  dans  la  Bibliothèque  ée  C École  4u 
Cfuirtes,  i'*  lérie,  t.  Y,  p.  4o5,  une  nolietr 
anr  les  monnaies  et  les  sceaux  des  rois  de  Chy- 
pre»  par  M<  de  Afas-Lalrie* 


ILE  DE  CHTFRE. 


1(1 


PBB  AU  QUATOftZIBMB  8IBCLB.  <-  Loîll 

de  aooffrir  et  de  s'éfniiser  da  milieu  de 
fette  eontinuetle  croisade ,  le  royaume 
de  Cliypre  voyait  ses  reiations  commer* 
eiales  s'étendre  et  sa  prospérité  augmea» 
ter  de  plos  en  plus.  «  La  prise  de  Saint* 
lean^d^Acre  par  les  Arabes ,  en  privant 
les  Oeddentaux  des  marchés  où  ils  ve« 
naient  tous  en  sûreté  chercher  les  pro- 
ductions asiatiques,  eut  les  plus  heureux 
résultats  pour  le  développement  du  com- 
merce et  de  nndustrie  ou  royaume  des 
Lnignans.  Les  marchands  des  (grandes 
dtés  eommerçantes,  comme  Venise,  Gè- 
nes, Pise,  Marseille,  Barcelonne,  qui 
parvinrent  à  obtenir  des  sultans  du 
€aire  le  renouvellement  de  leurs  privi- 
lèges dans  les  villes  de  Syrie  et  d*É« 
gypte,  loin  dlnterrompre  leurs  relatioos 
avec  rfle  de  Chypre,  fréquentèrent  en 
plus  grand  nombre  ses  villes  et  ses 
ports,  y  instituèrent  des  consuls,  y  ac- 
quirent des  immeubles,  y  fondèrent  des 
oablissements  commerciaux  pour  cor- 
respondre avec  ieets  fondoucs  d'Egypte 
ou  de  Turquie,  et  recevoir  en  dépôt  les 
marchandises  ou'ils  étaient  toujours  heu* 
rrax  d'abriter  nors  de  Tatteinte  des  mu- 
sulmans. Les  armateurs  des  villes  secon- 
daires des  côtes  de  la  Méditerranée,  oui 
n'étaient  pas  privilégiées  des  sultans,  n^o- 
sant  tenter  le  commerce  direct  avec  TÉ- 
Sypte ,  que  Favidité  et  le  fanatisme  des 
Arabes  rendait  toujours  périlleux ,  trop 
faibles  d*ailleurs  pour  faire  respecter 
leurs  pavillons  si  loin  de  fEurope,  vinrent 
de  préférence  dans  les  villes  de  Ttle  de 
Chypre,  à  Famaeouste,  à  Limisso,  à  Pa- 
pho8,à  Cérines,  a  Nicosie,  dont  les  maga- 
sins, bien  approvisionnés,  remplacèrent 
avantjtteusement  pour  eux  ceux  de  Saint- 
leaoHlUcre,  de  Tyr  ou  d*Alep  (i).  » 
«  Un  demi-siècle  avait  suffi ,  depuis  la 
chute  de  Saint-Jean-d* Acre,  pour  placer 
Famagouste  au  premier  rang  des  cités 
commerçantes  de  la  Méditerranée;  pour 
l'élever  au-dessus  de  Tyr,  de  Tripoli,  de 
Sattalie,  de  Lajazzo,  de  Smvme,  de  Tré» 
^isoiide,  de  Gallipoli,  de  Clarentza,  au- 
parafant  ses  rivales,  et  pour  partager 

(i)  P.  de  Mai'Latrie,  Des  Relations  corn- 
^Kràales  et  politiques  de  tAsie  Mineure  avec 
fik  de  Ckxpre  sous  ie  règne  des  princes  de 
k  maison  de  Lastgna/t;  BOdiotkèque  de  lÉ- 
^des  CAar«sr,a*9éric,  t.l«%  p.  3i3. 


entre  cette  ville,  renouvelée  pour  ainsi 
dire  par  les  Lusignans,  et  les  vieilles  ci-* 
tés  de  Gonstantinopte  et  d'Alexandrie, 
la  suprématie  du  commerce  d*Orient. 
Kl  Venise  la  l>elle,  ni  Gènes  la  superbe, 
ne  pouvaient  se  vanter  d'avoir  des  mar- 
chands plus  riches ,  des  bazars  mieux 
assortis,  des  approvisionnements  plus 
considérables  en  productions  de  tous 
pays,  des  hôtellertesplus  nombreuses, 
des  étrangers  venus  Je  plus  loin  et  de 
contrées  si  diverses.  Un  prêtre  allemand, 
homme  instruit  et  observateur,  qui  pas- 
sait dans  rtle  de  Chypre  en  se  rendant  au 
Saint-Sépulcre,  vers  ran  1841,  a  laissé  un 
curieux  témoignage  de  la  prospérité  du 
pays  dans  le  lécit  de  son  pèlerinage  (l). 
c  II  y  a  dans  le  pays  de  Chypre,  écrit- 
il  à  1  évéque  de  Paaerborn ,  les  plos  gé- 
néreux et  les  plus  riclies  seigneurs  de  la 
chrétienté.  Une  fortune  de  trois  mille 
florins  annuels  n^est  pas  plos  estimée  ici 
qu'un  revenu  de  trois  mille  marcs  chez 
nous.  Mais  les  Chypriotes  dissipent  tous 
leurs  biens  dans  les  chasses,  les  tournois 
et  les  plaisirs.  Le  comte  de  Jafifa,  que 
j'ai  connu,  entretient  plus  de  cinq  cents 
chiens  pour  la  chasse.  Les  marchands 
de  Chypre  ont  acquis  aussi  d'immenses 
richesses  ;  et  cela  n'est  pas  étonnant ,  car 
leur  île  est  la  dernière  terre  des  chrétiens 
vers  l'Orient  :  de  sorte  que  tous  les  na- 
vires et  toutes  les  marchandises,  de  quel- 
ques rivages  qu'ils  soient  partis,  sont 
obligés  des'arreteren  Chypre.  De  plus,le9 
pèlerins  de  tous  les  pays  qui  veulent  aller 
outre  mer  doivent  descendre  dabord 
en  cette  tle.  De  sorte  que  Ton  peut  y  sa- 
voir à  tous  les  instants  de  la  Journée',  de- 
puis le  lever  jusqu'au  coucher  du  soleil , 
par  les  lettres  ou  les  étrangers  qui  y  vien- 
nent incessamment,  les  nouvelles  et  les 
bruits  des  contrées  les  plus  éloignées. 
Aussi  les  Chypriotes  ont-ils  des  école«i 
particulières  pour  apprendre  tous  les 
idiomes  c<mnus. 

«  Quant  à  la  villede  Famagouste,  c'est 
une  des  plus  riches  cités  qui  existent. 
Ses  habitants  vivent  dans  l'opulence. 
L'un  d'eux  en  mariant  sa  fille  lui  donna 
pour  sa  coiffure  seule  des  bijoux  qui 
valaient  plus  que  toutes  les  parures  de 
la  reine  de  France  ensemble,  au  dire  de^, 

(i)  Id.,  SièL  de  t École  des  Chartes,  %*  sé- 
rie, 1. 1,  p.  3ao. 


6Î 


LtJNIVBRS. 


oh*? attan  fruB^aiB  renas  avtc  noos  m 
Chypre.  Un  marchand  de  Fattïagouatè 
vfJMit  un  jour  an  aaltaB  d'Émte ,  fofut 
]éaoeptreroyai,«Be  pomm%^9r  enrichie 
dv  qitXte  pierres  précietiseB;  une  eaéar^ 
boude,  une  émeraude,  un  saphir  et  unt 
perle*  Ce  Joyau  coâta  60,000  florini. 
Quelque  temps  après  la  fente,  le  nMr« 
ehand  voulut  le  racheter,  et  en  offrit 
100,000  florins,  mais  le  sultan  les  re- 
flisa.  Le  connétaUe  de  Jérusalem  avait 
quatre  perles,  que  sa  femme  fit  monter  en 
agrafie;  on  aurait  pu  sur  chacune  d'elles 
trourerà  emprunter  3,000  florins  partout 
où  on  aurait  voulu.  It  y  a  dans  telle bott« 
t^ue  que  ce  soit  de  Famagouste  plus  de 
bois  d  aloès  que  cinq  chars  n'en  pour« 
raient  porter.  Je  ne  dis  rien  des  épiceries, 
elles  sont  aussi  communes  dans  cette 
ville  et  s'y  vendent  en  aussi  grande 
quantité  que  le  pain.  lH)ur  les  pierres 
précieuses,  les  draps  d'or,  et  les  autres 
objets  de  luxe ,  je  ne  sais  que  vous  dire^ 
od  ne  me  croirait  pas  dans  notre  pays 
de  Saxe.  11  y  a  aussi  à  Famagouste  une 
infinité  de  courtisanes  ;  elles  S'y  sont 
fait  des  fortunes  considérables ,  et  beau- 
coup d'entre  elles  possèdent  plus  de 
100,000  florins  ;  mais  je  n'ose  vous  p»>- 
ler  davantage  des  richesses  de  ces  infbr'* 
tunées(l).  » 

ExpEBrrions  dv  boi  Hogcbs  IV 
coutbb  I.BS  TuBcs  d'Asik  MifTBDaa. 
— Hugues  lY  consacra  toute  la  première 
partie  de  son  règne  à  combattre  les  infl^- 
dèles,  et  il  mérita  par  ses  exploits,  sur 
terre  et  sur  mer,  d'être  appelé  par  le  pape 
Clément  VI  le  cJus  vaillant  champion  de 
la  chrétienté.  Toujours  les  armes  à  la 
main,  on  le  voit  parcourir,  sur  les  na« 
vires  Chypriotes ,  les  côtes  de  T  A^e  Mi- 
neure et  de  la  Syrie ,  donner  assistance 
aux  Arméniens,  dont  la  situation  empi* 
rait  tous  les  leurs,  piller  les  villes  mari« 
times  des  inndèlea ,  poursuivre  les  cor« 
saires,  et  quelquefois,  déheMpiautè  la 
itite  de  ses  braves  chevaliers,  faire  d'heu- 
reuses incursions  dans  Fintérieur  des 
pays  musulmans.  Plusieurs  places  du 
littoral  de  rancienue  Cillcie,  Anameur, 
Stcce ,  Candelore ,  se  reconnurent  sea 
tributaires.  Satalie  elle-même  se  racheta 
de  ses  mains  et  lui  fit  hommage.  L'an 

(x)  Rodolphe  de  Saie,  ih  Terra  êsmeté  et 
itinere  Iherosolimitano, 


1344  le  pape  Clément  VI,  qui  déplova  le 
plus  ^rand  zèle  pour  les  mtéréls  ie  la 
chrétienté  en  Orient ,  décida  les  Véni- 
tiens à  se  joindre  au  roi  de  Chypre  et 
aux  chevaliers  de  Rhodes  pour  combat- 
tre les  Turcsel  défendre  l'Archipel,  CODS- 
tamment  inciuiété  par  les  incursions  des 
émirs  d'Aidin  et  de  Saroukhaa.  Les  con* 
fédérés  se  réunirent  à  Negrepent ,  et,  vo- 
guant hardiment  vers  les  cites  d*Aaie 
Mineure,  ils  brûlèrent  la  flotte  tyrque 
dans  le  golfe  de  Smyroe,  enlevèrent  d'as- 
saut la  forteresse  qui  commandait  eette 
ville,  et  y  établirent  une  garnison •  Les 
chrétiens  conservèrent  cette  conquête 
pendant  plus  d'un  demi^iècle.  fin  tS46 
Hugues  iV  battit  les  Turcs  en  Lydie , 
eatre  Smyrne  et  Alto*Logo ,  tandis  que 
le  grand  maître  de  Rhodes  incendiait 
une  flotte  ennemie  dans  le  port  de  Tiie 
d'Imbros.  Ces  brillants  débuts  permet- 
taient d'attendre  de  cette  croisadu  les 
plus  beaux  résultats ,  lorsque  les  opéra- 
tions de  la  guerre  furent  interrompues 
par  le  départ  du  roi  de  Chypre.  Lee  Vé- 
nitiens suivirent  son  exempw ,  et  la  con- 
fédération fut  dissoute. 

Hugues  IV  éuài  fatigué  de  guerres  et 
d'aventures  :  il  n'accorda  plus  dès  Ion 
qu'une  faible  et  incertaine  coopération 
aux  ligues  nouvelles  que  le  saint-aî^e, 
le  plua  constant  défenseur  de  la  chré- 
tienté contre  les  Turcs,  ne  Urda  pas  à 
renouer  entre  les  puissances  maritimes 
de  rOcddent.  Toute  son  attention,  tous 
aea  soins  furent  consacrés  dès  lors  à  l'ad- 
ministration de  ses  États,  dont  il  amé- 
liora les  institutions  civiles,  et  dont 
il  entretint  la  prospérité  commereiale. 
Une  inondation  qui  dévasta  toute  la 
plaine  de  Nicosie,  la  peste  noire,  qui 
dépeu[^a  Chypre  comme  le  reste  du 
monde,  les  passions  impétuevee*  du 
eomie  de  Tripoli,  fils  aîné  du  fui,  qu'un 
auMxir  insensé  entraîna  dans  une  l^te 
violenta  avec  sou  père,  troubiêreal  aevïss 
las  dernières  années  du  rai  Hugues.  Ca 

face  guercior  avait  un  eaprit  cuHivé  et 
godt  des  arts  et  des  lettres.  Ideeeace 
lui  a  dédié  un  de  ses  ouvrages,  ie  iirrs 
de  la  Genéaloaie  des  dieux.  Le  savant 
Georges  Lapithès  jouissait  de  sa  faveur, 
et  le  roi  descendait  souvent  des  hauteurs 
de  Saint-Hilarion  pour  s'entretenir  avec 
lui  de  littérature  et  de  philosophie,  à 
Fombie  des  palmieit  et  dsa  utaagesv, 


ILB  DE  CHYPRE. 


** 


im  kÊéëkimx  jinlias  de  Vainlîa  (I V 
Fatigué  &%  végBer).ooiniDe  aatrafois  il 
l'ivait  élé  de  ooinbettre,  Hugues  IV  ab* 
diqaa  es  ûveur  de  sou  fils,  à  qui  il  avail 
pardoDDé,  et  ee  retira  daiie  Fi^>baye  de 
Strovilopoiflr  eootacrerle  restede  ta  vie 
à  se  préparer  à  la  laort;  il  mourut  en 
1361,  et  nit  enterré  dans  Téglisede  Saint" 
Dominique  de  Nicosie* 

RBGNB  Dl  PlEBBB  V  (  lM9-lt69). 

-  Ge  prince  était  Jeune,  plein  de  oou- 
nge,  chefateresque  à  l'excès  ^  et  porté 
aux  grandes  enlreprises.  Tant  que  soa 
père  ?éeut,  qirès  son  abdication,  il  se 
oontiDt;  mais  à  la  mort  du  vieux  roi  il 
doDoa  Tessor  à  son  génie  aventureux,  et 
remplit  rEuroue  et  TAsie  du  bruit  de 
son  nom.  Les  Tures^Karamans  avaient 
détroit  le  royaume  chrétien  d'Arménie. 
Le  roi  Léon  ne  conservait  plus  que  la 
citadelle  de  Oorhigos,  dont  la  ville  était 
en  leur  pouvoir.  Les  défenseurs  de  Go-* 
rfaigos  se  donnèrent  au  roi  Pierre ,  qui , 
libre  d'acir  à  son  gré,  accepta  leur  boni* 
mage  et  leur  promit  ton  appui.  L'acqui* 
sitioD  de  Gorbigos  avait  une  double 
iaipcrtance  politique  et  commerciale. 
Us  Lusienana  possédaient  enfin  une 
TîUe  fortifiée  sur  le  littoral  de  T  Asie  Mi- 
seare.  Encouragé  par  ce  début,  Pierre 
entreprit  de  continuer  ses  eonqoiStes  sur 
le  riraae  de  l'Asie  et  de  retouler  les 
TUm  dons  Tintérieur,  comme  autrefois 
)ei  Atbéniens  avaient  tenté  d'y  refouler 

(0  Voir  Archipes  des  Missions,  p.  Soi,  et 
BièliotMifue  de  tÉcok  des  Chmries^  s«  sèrte« 
(•  If  p.  48S ,  Im  études  da  M.  de  Mat•Ul^ie 
'ur  rile  de  Chypre  ;  voir  snr  Ocofiget  Lapithèi 
lei  Noticet  et'ejctraiu  dêt  MamucrUs^  t  XII, 
1*  pirtie.  C«  volume  contient  nu  extrait  de 
l«  diisertttion  d'Allatius  iDtitUlM  de  Geor* 
g'ii;  eet  exU-ait  est  rektifà  k  vie  et  aux  ou- 
*nf«s  de  Georges  Lapithès.  AUatius  y  cite  un 
cwieiu  passage  d^AgatbaOf  élus  sur  sa  visite  à 
If  pitliés,  qui  demeurait  sur  les  bords  de  ta 
nviere  de  ce  nom.  On  trouve  aussi  dans  ce 
volone  trois  lettres  de  Georges  Lapiibès  à 
Ntcéphore  Grégoras  sur  des  questions  méta- 
pitjnqaety  et  un  poème  moral  de  quinze  cent 
on  vers,  <  dont  les  idées,  dit  M.  Boissonade 
naiiqiieiit  assurément  de  force  et  d'origina- 
lité, mais  sont  raisonnables  et  sages,  doot  I« 
>t}|e  est  simple  et  suffisamment  correct,  et 
<Pù  pourrait  être  mis  aTec  utilité  aux  mains 
^  jeunes  gens  4|ui  étudient  la  langue 
Srecqoe.  • 


leoPeiees.  Le  1^  avril  iS61  il  partit  do 
Famagouste  avec  une  flotte  de  centâix- 
neuf  navires,  ftit  voile  sur  Satalie,  el 
s*empare  en  un  assaut  de  cette  cité  ré- 

ritée  imprenable,  dont  il  confie  la  garde 
Jacques  de  jNorès.  La  soumission  de 
Lajazzo  et  de  Candelore  fiit  le  résultat 
de  ce  brillant  fait  d'armes ,  auquel  touta 
lèi  chrétienté  applaudit. 

La  conquête  de  Satalle  ranima  la 
ffuerre  religieuse,  depuis  quelque  temps 
Jangijdssante,  et  remitaux  prises  les  chré- 
tiens avec  les  princes  musulmans ,  turca 
et  arabes.  Tacca,  émir  dépossédé  de  Sa- 
talie,  appela  les  Turcs  à  son  secours,  et 
deseenoit  des  hauteurs  du  mont  Taurus 
avec  une  formidable  armée.  Jacques  de 
Norès  résista  avec  une  intrépidité  hé- 
roïque. Mais  le  royaume  de  Chypre  ne 
pouvait  soutenir  seul  tout  le  poids  de 
œtte  guerre;  et  le  roi  Pierre  I"  se  rendit 
eo  Europe  pour  appeler  les  rois  et  les 
chevaliers  latins  à  la  croisade  (1 362).  Ua 
fatal  concours  de  circonstances  fit  traî- 
ner ce  voyage  en  longueur  (1).  Les  Vé^ 
nitiens  et  les  Génois,  jaioui  de  la  pros* 
périté  des  Chypriotes,  firent  tous  leurs 
eiforts  pour  entraver  les  armements  de 
Pierre  V'*  La  rivalité  de  la  France  et  de 
rAngleterre ,  les  troubles  d'AUemsgne, 
les  guerres  de  Castille  et  d*Ara((on  em^ 
péchaient  les  seigneurs  d'Occident  de 
s'engager  dans  une  entreprise  si  loin- 
taine. Personne  ne  songeait  à  suivre  le 
roi  de  Chypre,  oui,  de  son  côté,  ne  pou- 
vait se  décider  à  quitter  ces  cours  bril* 
lentes  de  France ,  de  Flandre ,  d'Italie , 
de  Pologne,  de  Hongrie,  où  il  était  fêté 
comme  un  héros.  Il  perdit  trois  ans  dans 
ce  voyage,  qui  semblait  n'avoir  plus  d'au- 
tre objet  que  le  plaisir.  Pendant  ce  temps 
Tacca  poussait  vigoureusement  le  siégo 
de  Sataiie,  les  navires  turcs  insultaient 
les  cdtee  de  File  de  Chypre;  les  musul* 
BMne  parcouraient  les  rivages  de  ce. 
royaume  depuis  le  cap  Saint- André  jus* 
qu'à  Chrusocho,  brdiant  les  habitationit 
enlevant  les  bestiaux  et  les  hommes 
dans  les  campagnes  «  jusqu'aux  portes 
des  villes;  enfin  l'émir  de  Damas  m^ 

(i)  De  Mai-Latrie,  Mehàme,  cU!.|  Jiétf. 
de  CÈeeim  det  CAartMg  %'  séries  1. 1^  p.  499* 
Teir  dtM  eet  article  les  intérameiiu  dételesH 
peneol»  comacrés  a  rbistetre  politique  du 
règne  de  Pierre  V\ 


•4 


LUNIVERS. 


naçait  de  joindre  ses  forces  à  eeiles  des 
T^ros  pour  accabler  les  Chypriotes,  que 
leur  roi  semblait  avoir  délaissés.  Averti 
par  des  lettres  pressantes  de  son  frère  le 

5 rince  d'Antioche,  Pierre  I"  revint  à 
es  préoccupations  plus  sérieuses.  Il 
réunit  à  Venise  une  escadre  sur  laquelle 
s'embarquèrent  des  guerriers  peu  nom- 
breux, mais  éprouvés,  fit  voile  sur  Rho- 
des, ou  il  rassembla  toutes  ses  forces;  et 
avec  le  secours  des  chevaliers  de  Saint- 
Jean  il  tenta  un  coup  de  main  hardi 
contre  TÊii^pte.  Après  un  combat  san- 
glant, où  il  fit  des  prodiges,  le  roi  de 
Chypre  sVmpara  d'Alexandrie,  cette 
Tille  aussi  peuplée  que  Paris,  aussi  belie 
que  Venise ,  aussi  rorte  que  Gènes ,  dit 
un  contempHorain ,  et  la  livra  au  pillage 
pendant  trois  jours.  Mais  il  ne  put  gar- 
der sa  conquête;  les  réclamations  des 
marchands  italiens  et  catalans,  que  cette 
ffuerre  privait  des  bénéfices  du  commerce 
0* Egypte,  le  contraignirent  à  traiter  avec 
le  Soudan  du  Caire  (1365). 

Pendant  qu*il  négociait  la  conclusion 
de  ce  traité,  le  roi  de  Chypre  avait  à  dé- 
fendre ses  possessions  d'Arménie  contre 
les  attaques  des  Turcs-Karamans.  Go- 
ifaigos  fut  assiégée  par  une  puissante  ar- 
mée. Le  prince  d'Antioche  la  dégagea 
au  prix  des  plus  héroïques  efforts,  et  le 
grand  Karanian ,  découragé  et  affaibli 
par  les  pertes  qu1l  avait  éprouvées,  de- 
manda fa  paix.  Un  traité  fut  conclu  à 
Nicosie  entre  les  deux  princes ,  et  tant 
qne  Pierre  vécut  les  Karamans  n'osè- 
rent plus  inquiéter  les  Chypriotes,  ni 
dans  leur  lie,  ni  dans  leurs  possessions  de 
terre  ferme  (1866).  Mais  les  négociations 
avec  le  Soudan  d'É^pte  n'aboutissaient 
pas  :  il  fallait  toujours  rester  sous  les 
armes.  Pierre,  incapable  de  repos,  at- 
taque les  cdtes  de  S][Tie,  enlève  Tripoli, 
Tortose,  Bélinas,Lajazzo,  et  il  accepte  la 
couronne  d'Arménie,  devenue  vacante 
par  l'extinction  de  la  d^stie  de  Livon. 
Ne  sachant  pas  proportionner  ses  entre-» 
prises  à  ses  forces ,  Pierre  forme  le  pro- 
jet de  rétablir  le  royaume  de  Jérusalem 
et  d'arracher  aux  musulmans  toutes  les 
villes  de  l'Arménie  :  il  lève  de  nouvelles 
troupes,  il  équipe  des  flottes,  il  reparaît 
en  Europe  pour  obtenir  des  subsides,  et 
il  retourne  a  Rhodes  pour  eoneerter  avec 
les  ehevaliert  on  nouveau  plan  de  croi- 
sade. Mais  à  son  retour  en  Chypre ,  il 


trouve  ses  tlats^dans  la  détuaase,  sa 
propre  maison  dans  le  désordre,  et  il 
est  assailli  de  chagrins ,  absorbé  par  de 
graves  préoccupations  qui  le  forcèrent  à 
oublier  fArménie ,  le  royaume  de  Jéni- 
aalem  et  l'Egypte.  Au  milieu  de  tous  ees 
projets  déaoraonnés,  Pierre  V'  avait  fini 
par  perdre  Fempire  de  8oi*méme.  Il  s'a- 
iMndonnait  à  la  fougue  de  ses  passions, 
et  ses  débauches  irritèrent  contre  lui  les 
fomillea  chez  lesquelles  il  répandait  le 
déshonneur.  D'ailleurs  «  son  humeur 
belliqueuse  et  ses  projets  de  conquête, 
sans  cesse  renaissants ,  avaient  fini  par 
lasser  cette  noblesse  chypriote,  brave  en- 
core, mais  dégénérée  et  sensuelle,  ca- 
pable dans  un  moment  critique  de  quel- 
ques généreux  efforts»  mais  trop  effémi- 
née au  sein  des  richesses  pour  supporter 
ces  longues  guerres  ou'avaient  autrefois 
soutenues  m  chevaliers  du  vieux  sire 
de  Beyrouth  et  de  Philippe  de  Navarre. 
Pendant  Tabsence  du  prince  des  mécon- 
tentements s'étaient  manifestés  parmi  la 
noblesse;  les  propres  frères  du  roi,  le 
prince  d'Antioche  lui-même,  qui  avait 
sauvé  Gorhigos,  le  prince  Jacques,  soa 
compagnon  d'armes  en  Egypte  et  en  Sy- 
rie, n'avaient  pas  caché  les  dissentiments 
qui  les  divisaient  souvent.  Les  violences 
auxquelles  Pierre  s'abandonna  à  l'oc- 
casion de  circonstances  fâcheuses  qui 
avaient  compromis  la  réputation  de  la 
reine,  hâtèrent  le  dénoûmentd*un  com- 
plot dont  la  pensée  remontait  peut-être 
a  l'expédition  de  Satalie.  Le  16  janvier 
1369,  deux  mois  après  son  arrivée  d'Oc- 
ddent,  il  périssait  assassiné  par  les  sei- 
gneurs de  sa  cour  (1).  » 

RÀGNB  hb  Piebbk  II  (  16  janvier 
1S69-17  octobre  tS83).  —Jean,  prince 
de  Galilée,  frère  du  roi,  l'auteur  ou  le 
principal  complice  de  la  conspiration  qui 
avait  mis  fin  à  ses  jours,  s'empara  aussi- 
tôt du  pouvoir ,  et  l'exerça  au  nom  du 
jeune  roi  Pierre  II ,  malgré  les  réclama- 
tions de  la  reine-mère,  Eléonore  h  qui  la 
tutelle  de  son  fils  avait  été  déférée  (2). 
Après  le  meurtre  de  Pierre,  le  royaume 

(i)  BlbUoth,  de  tÈeoUdet  Chartes^  2*  sérif, 
t.  I,  p.  5ax. 

(a)  Loredano,  Histoire  des  Rois  de  Chyprct 
t.  n,  p.  4,  Ht.  VIII;  Bibltothèqtie  de  f  École 
des  Chartes,  a»  sVtîc,  t.  II»  p.  i ai,  3*  •rticl»' 
de  M.  de  Mas-Latrie. 


ILE  DE  CHtPRE 


65 


desLosfgnansfletrouvaitdans  la  situation 
la  plos  critique  :  un  roi  en  bas  âge ,  des 
ooc'es  ambitieux,  une  reine-mère  tur« 
bulente,  des  partis  au  dfdans,  de  nom* 
breux  ennemis  au  dehors,  les  anciennes 
guerres  avec  les  musulmans,' des  luttes 
nouvelles  avec  une  puissante  ville  de  la 
chrétienté,  telles  sont  les  âcheuses  cir- 
roQbtances  produites  ou  aggravées  par 
la  mort  de  Pierre  l*"**,  qui  arrêtent  la 
prospérité  du  royaume  de  Chypre  et  le 
précifiitent  vers  sa  décadence. 

D^abord  il  fallut  renoncer  aux  pro-. 
jets  d'agrandissement  en  Asie  Mineure, 
dont  Texecution  avait  commencé  sous  le 
règne  précédent  d'une  manière  si  bril- 
lante. L'Arménie  fut  abandonnée,  et  on 
laissa  le  roi  Léon  V,  nouvellement  élu, 
défendre  ses  dernières  forteresses  avec 
la  seule  assistance  des  chevaliers  de 
Rhodes.  H  fut  même  impossible  de  gar- 
der Satalie ,  la  plus  belle  conquête  du 
brave  Pi«rre  V.  L'émir  Tacca,  qui  était 
devenu  seigneur  de  Candeloreou  Alaîa, 
entretenait  des  intelligences  secrètes  avec 
les  musulmans  restés  dans  la  ville.  Un 
homme  dévoué  à  Témir,  accueilli  par  le 
capitaine  de  Satalie,  qu'il  trompa  en  re- 
cevant le  baptême ,  convint  avec  quel- 
ques Turcs  de  livrer  une  porte  à  Tacca, 
qui,  survenant  au  jour  ûxé,  se  vit  bien- 
tôt maître  de  quatorze  tours.  Toute- 
fois, il  fut  rejpoussé;  mais  la  ville  resta 
bloquée  par  I  armée  de  l'émir,  qui  occu- 
pait ia  campagne.  Ce  n'ét^iit  pas  seule- 
ment contre  les  musulmans  que  la  cour 
de  Nicosie  avait  à  combattre  pour  la  dé- 
fense de  cette  importante  possession  : 
les  Génois,  avec  cet  ^oîsme  qui  carac- 
térise toutes  les  puissances  commer- 
^ules,  s^étaient  proposé  de  profiter  de 
la  faiblesse  du  gouvernement  de  Pier- 
^11  ;  en  même  temps  qu'ils  lattaquaient 
dans  ses  propres  États ,  ils  intercep- 
t^ent  les  communications  entre  Chypre 
^  Satalie,  pour  augmenter  la  détresse 
w  ceue  cité,  et  en  obtenir  la  cession 
(omme  urix  d'un  accommodement.  Mais 
Kttrs  calculs  furent  déjoués;  car  le  roi, 
exaspéré  par   leur   conduite   violente 
^  perfide ,    plutôt  que   de  satisfaire 
KQr  avide  ambition  en  leur  ouvrant 
*ne  place  forte  si  rapprochée  de  ses 
^ts,  préféra  la  rendre  aux  turcs.  Le 
l^mai  1373  la  ville  de  Satalie  fut  éva- 
P^  par  ia  garnison  chypriote,  et  la  ban- 

ô«  Uvnùson,  (Ile  de  Chypre. 


nière  de  Tislamisme  Ootta  de  nouveau 
sur  ces  remparts  où  douze  ans  aupara- 
vant le  victorieux  Pierre  P'  avait  arboré 
rétendard  de  la  croix.  Ces  douze  années 
avaient  bien  changé  l'état  de  Ttle  de 
Chypre.  «  En  1861  le  royaume  était  au 
comble  de  la  prospérité  et  de  la  force  : 
il  tenait  en  respect  l'Ég^rpte  et  la  Syrie, 
il  secourait  l'Arménie,  il  imposait  des 
tributs  aux  émirs  de  l'Asie  Mineure ,  il 
n'avait  en  Occident  que  des  alliés  ou  des 
ami.s;  en  1878  de  tous  les  ports  des 
musulmans  qui  Tentouraient  il  pouvait 
craindre  une  attaque,  et  du  côté  de  1*1- 
talie  la  guerre  était  imminente  (1).  » 

En  etîét,  les  Génois,  toujours  en  riva- 
lité de  commerce  avec  Venise ,  et  vou- 
lant acquérir  dans  le  Levant  une  place  de 
commerce  d'où  ils  pussent  faire  concur- 
rence au  comptoir  vénitien  de  Beyrouth, 
avaient  provoqué  dans  Famagoûste  une 
collision  qui  entretenait  des  hostilités 
aussi  funestes  qu'un  état  de  guerre  dé- 
claré. C'était  en  1872,  pendant  le  couron- 
nement du  jeune  roi ,  à  la  suite  d'une 
3ucrelle  de  préséance  entre  les  consuls 
e  Venise  et  de  Gènes,  que  la  bonne  in- 
telligence avait  été  troublée  entre  le  gou- 
vernement des  Lusignans  et  celui  des 
Génois.  Dans  la  rupture,  (H>mme  dans 
le  cours  des  hostilités,  tous  les  torts  fti- 
rent  constamment  du  côté  de  ces  avi- 
des marchands  que  l'amour  du  lucre  en- 
traîna dans  tous  les  excès  de  la  perfidie 
et  de  la  violence.  En  vain  le  papîe  Gré- 
goire XI,  fidèle  à  la  politique  ordinaire  du 
saint-siége,  essaya -t-il  d'amener  les  Gé- 
nois à  un  accommodement.  Ceux-ci ,  qui 
ne  s'étaient  point  ensagés  dans  une  telle 
entreprise  pour  reculer  devant  les  repré> 
sentations  d'un  vieillard  désarmé,  paru- 
rent sur  les  côtes  de  Chypre  avec  une 
flotte  considérable,  conduite  par  Grégoire 
Frégose,  frère  du  doge  de  Gènes,  et  dé- 
barquèrent à  Limisso  au  mois  de  juin 
de  1  an  1378.  Après  avoir  traversé  1  île , 
et  ravagé  les  environs  de  Nicosie ,  Fré- 
gose  investit  la  ville  de  Famagoûste,  et 
s'en  empara  par  un  stratagème,  au  mois 
d'octobre  de  la  même  année  (2).  La  ville 
fut  livrée  pendant  trois  jours  à  la  fureur 
de  la  soldatesque,  qui  la  maltraita  horri- 

(x)  BibUolh.  de  t École  des  CkarteSp  »*  série, 
t.  n,  p.  123. 

(a)  Fay,  Loredano,  II,  p.  4i' 

)  i 


^ 


L*TJ3)^IVKI|Si 


Internent,  et  pilla  tiNijt,  même  le9  riebçsses 
des  églises.  Puis  après  s'être  emparé, 
par  une  indigos  trahlsoQ,  de  la  personne 
du  roi  Pierre  II,  Frégose  marclia  spr  lïi- 
cosie,  roccupa  huit  jours  Ja  livra  comme 
Famagouste  à  toutes  les  horreurs  du  pil- 
lage, et,  ne  pouvant  obtenir  du  jenne  roi 
prisonnier  qu'il  lui  flt  ouvrir  les  forteres- 
ses de  Cérjnes  et  de  Dieu-d' Amour,  il 
poussa  la  brutalité  jusqu'à  le  soufQeter 
de  sa  propre  main.  Le  malheureux  roi, 
outragé,  dépoMîllé  de  ses  États,  fut  con- 
traint de  consentir  à  une  paix  humiliante 
et  de  livrer  au  vindicatif  Fr^ose  son 
oncle  le  connétable  de  Chypre ,  qui  fut 
emmené  prisonnier  à  Qèiies.  En  9e  reti- 
rant de  rtie  de  Chypre,  1374,  Frégose 
rendit  la  liberté  au  roi;  mais  le  rp^^ume 
ne  se  remit  jamais  du  coup  qui  lui  avait 
été  porté  :  la  flotte  était  anéantie,  Farmée 
dispersr-e,  les  revenus  engagés  par  les 
tributs  énormes  qu'exigèrent  les  Génois 
avant  d'évacuer  toutes  les  places  dont 
ils  s*étaient  efvip^rés,  expepté  Fama- 
gouste. 

Pfins  cet  état  de  misère  et  de  délabre-* 
ment,  le  royaume  des  tusignans  serait 
devenu  la  proie  de  quelqu'un  des  émirs 
de  TAsie  Mineure,  et  surtout  de  Tacca , 
le  plus  acharné  à  sa  ruine,  si  la  crainte 
des  chevaliers  de  Rhodes  d'un  cfité,  et 
des  sultans  ottomans  de  Brousse  de  lau* 
tre  y  n'eût  préoccupé  ces  émirs  du  soin 
de  leur  propre  défense.  I^e  royaume  de 
Chypre  vécut  encore  un  siècle,  parce  que 
personne  ne  se  présenta  pour  lui  donner 
le  coup  de  mort.  Aux  misères  publiques 
se  joignent  à  cette  époque  les  désordres 
et  les  crimes  des  princes  de  la  famille 
royale.  La  reine  Éiéonore  faisait  assassi- 
ner le  prince  Jean,  oncledu  roi,  qui  laissa 
tuer  volontiers  le  meurtrier  de  son  père. 
La  dépravation  des  mœurs  avait  fait  d'ef* 
frqyants  progrès ,  et  rappelait  celle  des 
temps  anciens.  L'exemple  des  nombreux 
assassinats  commis  à  la  cour  avait  ré- 
pandu de  tous  côtés  l'habitude  du  meur- 
tre ,  et  on  ne  se  faisait  plus  justice  que 
par  le  poignard  (1).  Faible  au  dehors, 
méprise  au  dedans,  Pierre  II  crut  se  rele* 
ver  et  s'affermir  en  épousar^t  Valentinfi 
Visçonti,  fille  de  Jean  Galéas  r%  duc  de 

(0  Vçy.  rhiatoire  de  Tib«t  dans  Loredaqo, 
t.  II,  p.  84,  eiBibUotU,  de  r École  (Us  Chartes, 
t.  II,  p.  125,  a*  série. 


Milan,  ^ui  avait  foiuié  (laps  l'Italie  lei^- 
tentrionale  un  puissant  Etat,  et  dont  il 
espérait  se  faire  un  qppui  contre  les  Gé- 
nois. Ce  marivige  augmenta  encore  les 
troubles  de  la  Emilie  royale.  Éléonore 
et  Yalentine  devinrent  ennemies  mortel- 
les ,  comme  il  arrive  souvent  entre  bru 
et  belle-mère;  et,apr^  les  plus  violentes 
querelles,  la  reine  mère  céda  la  place  à  la 
jeune  princesse,  et  se  retira  en  Aragon. 
Pierre  II  commençait  9  espérer  qu'il  al- 
lait enfin  trouver  la  tranquillité  dans 
son  palais,  lorsqull  fut  atteint  d'une  ma- 
ladie qui  l'emporta  ep  quatre  mois,  à 
r^ge  de  vingt-six  an^.  Il  en  avait  régné 
onze.  Il  ne  lais!>ait  pas  d'enfants .  et  Ct 
héritière  de  tous  ses  biens  sa  sœur  Marie, 
femme  de  Jacques  de  Lusignan,  comte 
de  Tripoli. 

BÈ0NE  PE  Jacques  V^  (  1382-20  sep* 
tembre  1398).  —  Après  la  mort  du  roi, 
il  fut  longtemps  délibéré  dans  rassem- 
blée de  la  haute  cour  sur  rélectiou  de 
son  successeur.  Deux  partis  étaient  en 
présence;  l'un  reconnaissait  le^  droità 
de  la  sœur  du  feu  rpi.  et  voulait  mettre 
la  couronne  sur  la  tête  de  son  époux , 
Jacques  de  Lusi^an,  opmte  de  Tripoli; 
l'autre  soutenait  les  prétentions  plus 
fondées  du  connétable,  oncle  du  roi, 
dont  on  n'osait  contester  les  droits  que 
parce  qu'il  était  eppore  retenu  prisonnier 
a  Gènes.  Fjifin  la  jeune  reine  Valentini' 
Yisconti  avait  aussi  ses  partisans,  qui  e^* 
péraient  faire  tourner  à  son  avantage  le 
conflit  suscité  entre  les  héritiers  du  nom 
de  Lusignan.  Mais  leurs  intrigues  furent 
déjouées  ;  et  la  haute  cpur  proclama  roi 
Jacques  I^^  ancien  connétable  de  CIiypr<;, 
à  qui  les  Génois  permirent  d*aUer  pren- 
dre possession  de  son  royaume,  moyen* 
nant  un  traité  avantageux.  Les  priooi* 

{lales  conditions  de  (fe  traité  furent  que 
es  Génois  retiendraient  la  villç  de  F> 
magouste  et  deux  lieues  de  pays  aux  en- 
virons ,  avec  les  gabelles  de  la  mer  pour 
cent  mille  ducats,  qu'ils  auraient  le  droit 
d'exercer  toutes  sortes  d*arts  dans  toute 
l'île,  et  qu'ils  jouiraient  de  tous  les  pri- 
vilèges qui  étaient  accordés  aux  Cby* 
priotes.  Jacques  1^^,  pressé  d^allfir  jouir 
4u  titre  de  roi,  consentit  à  ce  traite,  qui 
te  forçait  à  partager  son  royaume  avec 
la  république  de  Qènes  (1). 

(<)  Loiedano,  l.  )X»  t.  II|  p.  roS» 


ILE  D^  CHTFRE^ 


La  fituation  extérieure  du  rovaueie 
de  Chypre  n^était  guère  plua  brillaote. 
De  toaUs  le$  eonquêtes  de  HuKues  IV  et 
de  son  fils  en  Asie  Mineure,  u  oe  res- 
tait au  roi  Jacques  que  le  château  de 
Gorbi^o9.  Les  bautea  et  puissantes  for* 
tiflcatioDS  de  ce  château  en  rendaient  la 
coDiervdtioa  facile;  la  sûreté  de  sou 
mouillage  et  soq  heureuse  situation  vis- 
à-vis  de  nie  de  Chypre  anoenaieot  tou- 
jours de  nombreuse  navires  dans  son 
port.  Aus$i  le»  Lusignans,  au  milieu  de 
leurs  désastres  ^  ne  négligèrent  jamais  de 
pourvoir  à  sa  défense  ^  mais  si  cette  place 
resta  encore  longtemps  en  leur  pouvoir, 
les  Lusignans  le  durent  nnoins  à  leurs 
moyeus  de  défense  qu*aux  graves  événe* 
ments  dont  TAsie  Mineure  était  alors  le 
théâtre,  et  quj  détournaient  ailleurs  Tat* 
teotioodes  pnncesde  Caramanie.  La  puis* 
sance  des  sultans  ottomans  de  Brousse 
n'avait  cessé  de  grandir  ;  et  elle  avait  ab- 
sorbé presque  toutes  les  principautés  d'A- 
sie Mineure  par  des  mariages,  des  achats, 
des  soumissions  volontaires  ou  des  vic- 
toires. Des  dix  principautés  formées  de 
Tempire  dlconium ,  il  ne  restait  plus  à 
soumettre  que  celle  de  Caramanie  au 
moment  où  Bajazet  fut  reconnu  sultan. 
La  guerre  éclata  entre  les  Ottomans  et 
les  Caramans.  Ala-Eddin  fut  vaincu  par 
Bajazet,  qui  réunit  la  Caramanie  à  sou 
empire  l'an  1392.  La  soumission  de  l'A- 
sie Mineure  fut  complétée  par  la  défaite 
du  prince  de  Castamouni,  dans  Tan- 
cieono  Cappadoce;  et  il  ne  resta  plus  aux 
chrétiens  dans  cette  contrée  que  Smyrne 
et  Gorhigos.  Bajazet,  détourné  sans 
doute  par  des  soins  plus  importants,  ne 
songea  pas  à  reprendre  cette  deraïère 
place,  et  le  roi  Jacques  V  en  conserva 
b  paisible  possession. 

NoD'SeuIement,  dans  cette  nouvelle 
période  de  leur  histoire ,  les  Lusignans 
avaient  renoncé  à  toute  hostilité  contre 
ksTures,  mais  il  s'était  même  établi  des 
relations  amicales  entre  les  puissantssou- 
▼erains  de  Brousse  et  la  petite  cour  de  JNi- 
Gûsie.  Aussi,  après  la  bataille  de  Nicopo- 
liSiOù  Bajazet  dispersa  Tarmée  chrétienne 
<)ui  était  venue  rattaquer  en  Hongrie, 
quand  on  traita  du  rachat  des  vingt-cinq 
prisonniers  qui  appartenaient  aux  plus 
Illustres  familles  cfe  France ,  on  s'adressa 
ao  roi  de  Chypre  pour  qu'il  travaillât  à 
apaiser  Bajazet  et  à  l'amener  à  un  aeeooi* 


.  modement  (1).  Jacques  I^^  ne  ebarg^ 
volontiers  d  entamer  cette  négoeiation  ; 
il  tenait  à  témoiper  sa  bonne  volonté 
envers  la  France,  pour  se  concilier  la 
faveur  de  la  cour  et  de  la  noblesse  de  ce 
rovaume  et  s'en  faire  un  appui  contre  lf$ 
Génois.  Il  envoya  à  Brousse  une  ambas- 
sade composée  des  plus  nobles  ebevaliere 
de  l'île  de  Chypre.  Le  chef  de  cette  dé- 
putât ion  offrit  au  sultan  de  la  part  du 
roi  Jacques  un  riche  drageoir  en  or,  re«> 
présentant  un  navire,  et  valant  dix  mille 
ducats.  C'était  un  chef-d'œuvre  de  l'or* 
févrerie  de  Nicosie,  assex  florissante  dès 
le  treizième  siècle  pour  être  constituée  en 
maîtrise  par  les  Lusij(nans.  «  Et  étoit  la- 
dite nef  d'or  tant  belle  et  bien  ouvrée 
que  grand  plaisir  étoit  à  regarder.  Et  U 
reçut  et  recueillit  ledit  Aniorat  (c'est  la 
nom  que  les  chroniqueurs  du  temps  don- 
nent a  Bs^azet).  A  gr.md  gré  il  demanda 
au  roi  de  Chypre  que  il  lui  feroit  valoir 
au  double  en  amour  et  en  courtoisie.  » 
Le  succès  de  ces  premières  démarches  eut 
pour  effet  de  dissiper  les  préveiuione 
que  l'on  avait  en  France  contre  le  roj 
Jacques,  dont  ou  n'ignorait  pas  le  con-* 
senteinent  criminel  au  meurtre  de  loa 
frère  Pierre  F^  Satisfait  des  témoija;uagea 
de  confiance  qu'on  lui  prodigua,  il  con-» 
tinua  ses  bons  offices,  et  contribua  puis- 
samment à  activer  la  conclusion  du 
traité  qui  rendit  à  la  liberté  le  comte  de 
I^evers  et  ses  compagnons,  vers  le  milieu 
de  Tan  1397,  moyennant  uue  rançon  de 
deux  cent  mille  ducats,  dont  les  seigneurs 
Génois  d'Ahydos,  de  Lesbos  et  de  Chio 
furent  les  principaux  garants.  Le  7  jan* 
vier  1398  le  sire  de  Beyrouth,  neveu 
du  roi  Jacques  et  son  ambassadeur  eu 
France,  signait  à  Paris  un  traité  d'alliance 
avec  Amanieu  d'Albret,  mandataire  de 
Charles  VI,  par  lequel  le  royaume  de 
Chypre  était  réconcilié  avec  la  France . 
et  par  conséquent  replacé  dans  l'amitié 
des  princes  de  l'Occident.  Néanmoins 
les  Lusignans  conservèrent  leurs  rela- 
tions pacifiques  avec  les  Ottomans,  et, 
autant  par  politique  que  par  impuissance, 
s'abstinrent  d'entrer  dans  la  nouvelle 
confédération  que  les  États  chrétiens  or- 
ganisèrent contre  eux  après  la  déli* 
vrance  des  prisonniers.  Le  roi  Jacques 
ne  songeait  qu'à  relever  la  prospérité  de 


(i)  Froisnrt,  I.  lY,  c.  xv. 


5. 


ta 


L'UNIVEBS. 


protoDgation  de  son  existence  qu*à  t*ac* 
iive  protection  des  cheyaliers  de  Rhodes. 
On  sentait  que  ]e  royaume  de  Chypre 
allait  échapper  des  mains  débiles  qui 
n*en  pouvaient  plus  tenir  les  rênes.  Gè- 
nes, rÉgypte,  les  émirs  de  PAsie  Mi- 
neure, pf'ut  être  les  chevaliers  de  Rhodes 
épiaient  le  moment  favorable  pour  s*em- 
parer  de  cette  riche  proie.  Auctm  d*eux 
ne  Tobtint;  ce  fut  Venise  qui  recueillit 
rhéritage  des  Lusignans. 

RÈGNE  DE  Charlotte  et  ns  Louis 
DE  Savoie  (26  juillet  1458).  —Jean  It 
avait  eu  de  son  mariage  avec  Hélène 
une  fille,  la  princesse  Charlotte,  quiétalt 
sa  légitime  néritlère.  Mais  toute  sa  ten- 
dresse s'était  portée  sur  Jacques ,  son 
fils  naturel.  Cependant  à  sa  mort  Char- 
lotte fut  reconuue  reine  de  Chypre,  et 
elle  partagea  le  trône  avec  son  mari, 
Louis  de  Savoie,  prince  médiocre,  qui  ne 
lui  fut  d'aucun  secours  dans  la  guerre 
civile  que  rambition  de  Jacques  le  Bâ- 
tard ne  tarda  pas  à  allumer.  En  effet 
Jacques ,  forcé  de  quitter  le  royaume , 
après  le  couronnement  de  sa  sœur,  se 
rendit  au  Caire,  demanda  une  audience 
au  Soudan ,  et,  s^adressant  à  ce  prince, 
comme  au  suzerain  du  royaume  de  Chy- 
pre,il  le  supplia  de  le  mettre  en  possession 
d*un  trône  dont  il  se  prétendait  injus- 
tement dépouillé.  Jacques  n^était  qu*Un 
ambitieux,  déjà  souille  de  crimes;  mais 
sa  jeunesse,  sa  beauté,  ses  manières  no- 
bles et  aisées,  ses  vices  brillants,  le  ren- 
daient agréable  à  tout  le  monde.  Le  sou- 
dan,  datte  de  cet  acte  de  soumission, 
dont  il  n^avait  pas  à  apprécier  la  bas^ 
sesse ,  le  couronna  roi  de  Chypre,  et  lui 
donna  quatre-vingts  vaisseaux  et  de 
bonnes  troupes  pour  soutenir  ses  pré- 
tentions. 

Règne  de  Jacques  II  (septembre 
1460-6  juin  1473). — A  la  tête  de  ce  puis- 
sant armement,  Jacques  débarque  au 
port  de  Constance,  près  de  Famagouste, 
et  le  plus  grand  nombre  des  Chypriotes 
se  déclarent  pour  lui.  Alors  la  confusion 
est  au  comble.  Les  Sarrasins  pillent  le 
royaume  au  nom  du  roi  Jacques;  les 
Génois  le  dévastent  pour  leur  propre 
compte.  Louis  de  Savoie  défend  molle- 
ment le  trône  de  sa  femme  Charlotte  ; 
et  chassé  de  position  en  position  il  va 
se  jeter  dans  le  ctiâteau  de  Cérines  »  où 
Jacques ,  maître  de  Nicosie  et  du  reste 


de  nie,  vint  bientSt  Passif.  Mais  il 
n'y  tint  pas  longtemps;  il  s'ecfaâppa  par 
mer,  et  revint  en  Piémont.  Cependant 
Charlotte,  pins  résolue,  passe  en  Italie, 
rassemble  quelques  soldats,  débarque 
hardiment  à  Panhos,  dont  elle  s>mpinre, 
traverse  toute  rtle,  couverte  de  bandes 
de  Sarrasins  ,  de  Catalans ,  et  ravitaille 
la  forteresse  de  Cérines.  Vains  efforts! 
les  ressources  lui  manquent,  1e^  peuples 
Fabandonnent ,  elle  il'éloigne,  le  ectnir 
navré,  et  la  forteresse  de  Cérines  se  reikl 
au  roi  Jacques  le  25  avril  1464. 

Jacques  s*était  emparé  du  trône  par 
d'odieux  moyens  ;  mais  il  ne  se  moritra 
pas  indigne  de  régner.  Il  reprit  Fama- 
gouste aux  Oénois,  qui  roecupalent  de- 
puis qnatre-vinst-dix  ans.  Cette  con- 
quête, tant  de  fois  tentée  et  abandonna 
par  ses  prédécesseurs,  affenhit  son  pou*' 
voir  et  parut  le  légitimer.  Il  acheva  et 

gagner  les  cœurs  par  ses  manières  affa- 
les, par  son  attention  à  ménager  i*argeRt 
de  ses  sujets,  et  à  regard  de  ses  ennemis 
par  un  heureux  mélange  de  fermeté  et 
de  clémetice.  Loredano  fait  de  ce  toi  un 
éloge  complet,  et  Pégale  aux  plus  grands 
de  sa  rtce.  Mais  récrivain  vénitien  est 
prévenu  en  faveur  du  prince  que  sa  pn- 
trie  avait  adopté  et  dont  elle  hérita.  Il 
fest  également ,  par  la  même  raison , 
contre  Charlotte,  sa  sœufet  sa  rivale, 
qu'il  efface  trop  dédaigneusement  de  ses 
récits.  Et  cependant  rhistoire  témoigne 
de  rhéroisme  et  du  grand  étisur  de  eette 
princesse,  qui  lutta  si  éner«(}quement 
contre  la  fortune  de  Theureut  bâtard 

Ïui  la  détrôna.  En  effet,  la  reddition  de 
érines  ne  Ta  pas  découragée;  elle 
court  à  Rhodes,  elle  ouvre  des  négocia- 
tions avec  les  Hospitaliers ,  avee  les  Gé- 
nois, avec  le  sultan  de  Constantinople; 
elle  tente  de  mettre  dans  son  parti  Td- 
miral  et  la  flotte  de  Tenise  envoyée  pour 
soutenir  son  adversaire;  puis,  quand  elle 
Se  voit  délaissée,  ruinée ,  quatid  ses  par- 
tisans sont  battus  ou  bannis,  que  la  Sa- 
voie la  repousse,  que  les  ptinCeS  de  TEu- 
tope  restent  sourds  à  ses  prières  ;  quand 
elle  a  perdu  Tunique  enfant  à  qui  elle 
oôt  laisser  la  couronne ,  elle  adopte  on 
nls  du  roi  de  Naples  ;  elle  se  rend  au 
Caire  avec  lui,  et  entreprend  de  changer 
la  politique  du  Soudan  ;  enfin,  quand  le 
sort  fait  échouer  toutes  ses  généreuses 
tentatives ,  accablée  de  souffrances  et  de 


ILE  DE  CHYPRE. 


71 


peines,  elle  vient  tuotirir  à  Rome,  à  Fâgd 
dequarante-neafans,  auprès  du  Vatican, 
où  avaient  toujours  été  ses  pins  fidèles 
amis,  et  de  la  basilique  dé  Saint^Pierre^ 
où  ses  restes  reposent  ertcore  (t). 

VâppiA  de  Venise  avait  rendu  inu« 
tîles  tant  dVfforts  et  de  persévérance  î 
le  trdne  de  Jacques  était  affermi  ;  Génès 
avait  perdu  le  poste  imponant  de  Fa* 
magodste,  et  rinfluetice,  des  Vénitiens 
augmentait  de  iour  en  jour  dans  le 
foyatime  et  sur  le  1*01  Jâdqties,  quMIs  en* 
trjfnëfetit  dans  là  ligué  formée  par  les 
princes  cbrétienâ  dontfe  lès  Ottomans. 
Jacques  renonça  à  la  politique  Suirie  pai^ 
SCS  pfédécessears ,  et  l'on  tit  les  galères 
chypriotes  combattre  suf  les  côtes  dé  l'io- 
nié  et  de  la  Pamphylle  à  côté  des  navires 
Vénitiens,  sOus  les  ofdres  du  généra- 
lissime Pierre  Mocenlgo,  qui  renouvela 
datisses brillantes  eampagties  de  ta  guerre 
de  1470  les  exploits  de  Hugues  IV  et 
de  Pierre  1**^.  Le  mmidge  de  Jacques 
avec  Catherifte  Cornaro  avait  resserré 
les  liens  de  soxl  Union  avec  la  république 
de  Venise.  Ce  mariage  fut  eonciu  par  le 
sénat  vénitien  avec  une  solennité  extra- 
ordinaire. Le  sénat  délibéra  sur  cette 
alliance,  Tapprouva  par  un  décret, 
adopta  la  JeUlie  Catheritie.  et  là  déclara 
fille  de  la  république  vénitienne,  sa- 
chant bien  que  la  mère  survivrait  à  sa 
fille  et'  qu^elle  en  bérit^ait.  Tout  se 
passa  comme  Tavaient  prévu  les  fins  poli- 
tiques du  sénat  de  Saint-Mard  Catherine 
devint  reine  de  Chypre  en  1471.  Une 
foule  de  Vénitiens  s'y  installèrent  à  sa 
suite.  II  semblait  déjà  qu*ils  fussent  maî- 
tres de  nie.  Deux  ans  après  Jacques 
mourut  (1473).  11  laissait  sa  femme  en-* 
ceiDte.  Elle  accoucha  d'un  fils  :  on  rap- 
pela Jacques ,  comme  son  père.  Il  fut 
reconnu  roi;  Catherine  eut  la  régence, 
les  Vénitiens  le  pouvoir  réel.  Ce  furent 
eux  qui  réprimèrent  leS  complots  des 
partis  :  tout  était  tranquille  sous  leur 
domination,  et  cette  situation  aurait  pu 
S6  prolonger  longtemps  si  la  mort  n'edt 
eulevé  le  petit  pnnce  le  jour  même  qu*il 
achevait  sa  deuxième  année  (  1475). 

L1lK  de  CâV^ÂE    »ASéE   sous    LA 
DOMINATIOÎÏ   DÈS    VENITIENS.  —  Lfl 

mort  du  petit  roi  Jacques  devait  chan«> 

(i)  BiU,  de  VÈgpU  des  Chartes^  t  V» 
p.  434. 


§ef  entîèi^ment  la  situation  politique 
e  rtle  de  Chypre ,  et  la  faire  retomber, 
après  trois  siècles  d'indépendance,  sous 
la  domination  étrangère.  Il  y  avait  long- 
temps que  ce  royaume  avait  cessé  d*étre 
le  boulevard  de  la  chrétienté  contre  lés 
Turcs,  qu'il  ne  se  défendait  plus  par  ses 
propres  forces  et  qu'il  était  tombé  en 
tutelle.  L'extinction  de  la  dynastie  des 
Lusignans  le  livra  aux  mains'  de  la  puis- 
sance qui  le  protégeait  alors,  et  qui  le  pré- 
serva encore  pendant  un  siècle  de  l'inva- 
sion des  Ottomans.  En  effet ,  tout  était 
prêt  à  la  mort  du  roi  eufant  pour  Tàc- 
eompliâsement  de  cette  réunion  que  pré- 

f)âratt  de  loin  la  politique  prévoyante  de 
'aristocratie  vénitienne.  Lés  Chypriotes 
auraient  bien  voulu  se  maihtenir  an  rang 
de  royaume  indépendant  ;  et  ils  désiraient 
Texécution  du  testament  du  roi  Jacdues, 
qui  appelait  à  la  succession  ses  entants 
naturels.  Mais  les  Vénitiens  étaient  maî- 
tres du  pays  par  la  précaution  qu*avait 
prise  Mocenigo  de  s'assurer  les  forte- 
resses, et  par  Ta  présence  de  Loredano  et 
de  sa  puissante  flotte.  Toute  là  noblesse 
chypriote  était  depuis  longtemps  tenue 
dans  la  dépendance  et  l'abaissement.  Il 
fallut  continuer  à  obéir  à  lu  reine  Cathe- 
rine, qui,  obsédée  par  les  Vénitiens,  con- 
sentît à  renonce)*  à  ^on  royaume  en  fa- 
veur de  la  république  (t).  Le  séuateuf 
Georges  Cornaro,  son  frère,  flit  chargé 
d*obtenir  d'elle  l'acte  d^abdication.  1(  lui 
représenta  si  vivement  les  dangers  aux- 
quels Texposait  l'esprit  séditieux  de  set 
sujets,  et  Fambition  menaçante  des 
Turcs ,  qu'elle  abandonna  ce  trdoé  si 
chancelant  et  si  périlleux  pour  h  souve- 
raineté, moins  brillante  mais  plus  pai- 
sible, de  la  Tille  d'Asolo,  One  le  sénat  lui 
cédait  en  compensation.  L'impuissance 
des  Chypriotes  était  trop  grande  pouf 
qu'ils  pussent  s'opposer  à  Tinstallatioù 
du  gouvernement  vénitien  ,  et  tout  ce 
qu'ils  purent  obtenir  fut  une  promesse 
lormelle  que  le  sénat  de  Venise  les  gou- 
vernerait selon  les  lois  fondamentales 
des  Assises.  L'an  14^9.  iâ  reine  Cathe- 
rine s'embarqua  pour  Venise  avec  soû 
frère  Georges  Corflaro  et  les  troîs  (ils 
naturels  de  Jacques,  qu'il  eût  été  impru- 

(i)  Dominique  Jauna,  ffutcire  générale 
des  Éojraumes  de  Chypre,  de  Jérusalem,  d^Ar^ 
ménie  et  d^Égyptey  t.  11^  1.  XXIII,  c,  xf. 


73 


LtmiVKRS. 


dent  de  laisser  dans  l*!Ie.  Le  doge  Au* 
is^ustin  Barbarigo,  accompagné  de  tout 
le  sénat,  monta  sur  le  Bucentânre  pour 
allprau-«levant  de  cette  princesse.  Cathe- 
rine fut  conduite  en  triomphe  à  i'églUe 
de  Saint-Marc,  où  elle  présenta  au  doge 
la  Ggure  de  Tîle  de  Chypre  en  argent , 
et  m  reçut  en  échange  celle  de  la  petite 
ville  d'Asolo.  Après  quelques  mois  de 
séjour  à  Venise,  Tancienne  reine  de 
Chypre  se  retira  dans  sa  résidence  d'A- 
solo,  où  elle  vécut  jusqu'à  une  vieillesse 
très-avaucée,  entourée  de  toutes  les 
pompes  et  de  tous  les  honneurs  de  la 
royauté.  Deux  ans  auparavant,  1487,  la 
reine  Charlotte  était  morte  à  Rome , 
en  faisant  une  donation  solennelle  du 
royaume  de  Chypre  à  Charles  duc  de 
Savoie ,  avec  le  titre  et  la  qualité  de  roi, 
pour  lui  et  tous  ses  successeurs.  Depuis 
cette  époque  les  princes  de  la  maison  de 
Savoie  ont  pris  le  titre  de  rois  de  Chypre, 
État  de  l*Île  de  Cbypbe  sons  la 
DOMINATION  VENITIENNE.  —  Le  séna- 
teur François  Priuli ,  chargé  par  la  ré- 
Ïmblique  d  organiser  le  gouvernement  de 
Ile  après  le  départ  de  la  reine  Cathe- 
rine, donna  sur-le-champ  l'ordre  de 
démanteler  les  châteaux  royaux  de  Saint- 
Hilarion  ou  Dieu-d' Amour,  de  Kantara, 
deBuffavent,  de  Cave,  de  Potamia,  et  de 
Sigouri,  qui  exigeaient  des  garnisons  trop 
coiisidérahles.  Il  vendit  aux  plus  offrants 
les  titres  et  les  fiefs  de  la  couronne,  dans 
Tintention  d'abaisser  la  noblesse  chy- 
priote ;  celle-ci  vit  s'élever  à  son  niveau 
des  parvenus  sans  naissance,  que  le  sénat 
vénitien  lui  opposait  pour  la  tenir  en 
échec.  Cependant,  au  dire  du  père  Lusi- 
gnan,  «  les  Vénitiens  ont  toujours  gou- 
verné nie  de  Chypre  selon  les  /^ssiaes  de 
Hlérusnlf'm,  ayant  les  nobles  en  grande 
réputation,  lesquels  le  sénat  appeloit 
confédérés  et  non  subjects,  pour  ce  qu'ils 
n'avoient  pas  acquis  le  puis  par  force , 
mais  par  amitié  (l).  »  Le  père  Lusiguau 
devait  regretter  la  domination  vénitienne, 
qui  avait  reculé  de  quatre-vingts  ans  Tas- 
sujettissement  de  sa  patrie  par  les  Turcs , 
et  ses  regrets  étaient  d'autant  plus  vifs 
qu'il  avait  vu  Tafireuse  catastrophe  dans 
laquelle  l'indépendance  de  Chypre  avait 
succombé.  Sous  le  gouvernement  de  Ve- 

(t)  Lusignan,  Description  tfe  toute  Visie  de 
Chypre,  p.  a  1 3, 


Dise  Chypre  eonserva  les  institotîoDS 
civiles  et  judiciaires  des  Lusignans.  Elle 
perdit  seulement  la  liberté  politique.  Le 
gouvernement  civil  et  l'administration 
furent  confiés  à  un  lieutenant  et  à  deux 
conseillers,  qui  s'appelaient  tous  trois  les 
recteurs  ou  régents.  L^autorité  militaire 
était  confiée  au  provéditeur,  et  les  finan- 
ces à  deux  camerlingues  ou  chambellans. 
Le  sénat  changeait  ces  officiers  tous  les 
deux  ans.  il  maintint  Tancienne  divi- 
sion du  pays  en  douze  districts,  avec  les 
mêmes  limites  qu'au  temps  des  rois  Lu- 
signans. On  établit  dans  chaque  district 
ou  contrée  un  capitaine  avec  une  com- 
pagnie de  trois  cents  hommes  pour  ga- 
rantir l'ordre  et  assurer  la  défense  du 
pays.  Outre  ces  douze  compagnies,  le 
sénat  entretenait  mille  cavaliers  Alba- 
nais ou  £(ûrote$  pour  la  garde  des  cô- 
tes, dont  on  avait  conservé  les  fortifi- 
cations, tandis  que  toutes  celles  de  Tin- 
térieur  furent  détruites.  Par  la  sagesse 
de  ses  mesures  et  Thabileté  de  son  ad- 
ministration,  le  sénat  put  tirer  d'abon- 
dants revenus  de  Hle  de  Chypre ,  et  en 
rendit  Tacquisition  très-lurfative  pour 
la  république.  On  en  retirait  tous  les 
ans  un  million  d'écus  d*or,  outre  toutes 
les  dépenses  nécessaires  pour  l'entretien 
des  officiers  et  la  solde  des  troupes  qui 
la  gardaient  :  de  plus  huit  milte  écus 
d'or  pour  le  tribut  du  soudan ,  que  le 
sénat  paya  ensuite  à  la  Porte  lorsque  le 
sultan  Sêlim  eut  conquis  T  Egypte. 

La  noblesse  chypriote^  après  avoir 
fait  quelque  bruit,  et  montré  de  mau- 
vaises dispositions  contre  le  gouverne- 
ment vénitien,  finit  par  s'y  accoutumer 
insensiblement,  ainsi  que  le  peuple,  et  se 
calma  tout  à  fait.  Elle  se  plongea  dans 
Toisiveté  et  la  mollesse,  heureuse  de  D'a- 
voir plus  à  combattre  pour  sa  défense  et 
eelle  de  la  chrétienté.  Pendant  presque 
tout  le  oours  du  seizième  siècle,  File  de 
Chypre  semble  sommeiller  au  sein  d*une 
paix  profonde,  d'où  elle  devait  être  arra- 
chée par  un  terrible  réveil.  Les  seuls 
événements  de  son  histoire  à  cette  époque 
sont  les  grands  fléaux  naturels  qui  la 
frappèrent,  et  qui  se  montrèrent  alors 
plus  fréquents  et  plus  extraordinaires 
que  jamais.  En  1493  un  tremblement  de 
terre  ébranla  toute  l'île,  fit  de  grands 
ravages  et  renversa  une  partie  de  I  église 
de  Saint&^pbie,  cathédrale  de  Nicosisi 


ILE  0B  CHYPRE. 


73 


En  1543  les  tremblements  dé  terre  re- 
commencèrent, et  furent  suivis  de  i*in* 
vasioD  des  sauterelles,  qui  s'abattirent 
en  si  grand  nombre  sur  Tlie  qu'elles  la 
dépouillèrent  de  toute  sa  vrgétation. 
Les  habitants  de  Chypre  furent  nourris 
par  d  immenses  convois  de  vivres  qu*on 
T  importa.  En  1547  tout  le  pays  fut  dé- 
solé par  des  pluies  extraordinaires,  qui 
diangèrent  toutes  les  rivières  en  torrents, 
et  la  disette  fut  aussi  grande  qu'après  le 
flfau  des  sauterelles.  En  1565  une  cause 
différnite  produisit  la  même  calamité. 
La  sécheresse  fut  telle,  que  les  terres  ne 
produisirent  presque  rien,  et  encore  celte 
fable ré(*olte  fut-elle  exportée  parles  ad- 
ministniteurs  vénitiens,  hommes  avides» 
empressés  de  réaliser  de  gros  benéûces. 
Cette  fois  la  famine  fut  si  grande  et  la 
souffrance  do  peuple  si  cruelle,  que,  sor- 
tant de  leur  résignation  apathiqire.  les 
Chypriotes  se  soulevèrent,  assiégèrent 
b'ré^ents  dans  leurs  propres  maisons , 
où  ils  les  auraient  assommés  sans  Tin- 
t(r\eDtion  des  nobles  de  Nicosie,  qui 
obtinrent  des  régents  qu'ils  ouvriraient 
leurs  magasins  au  public. 

PBÉPAB4TIFS  DE  DEFENSE    CONTRE 

LES  TuBCS.  —  Mais  le  plus  crand  dan- 
ger de  rile  de  Chypre  venait  des  progrès 
effrayants  de  la  puissance  ottomane,  qui 
sVtait  considérablement  agrandie  en 
Asie  et  en  Afrique,  et  au  milieu  de  la- 
quelle cette  tle  était  comme  enclavée. 
SoQfent  les  galères  turques  avaient  in- 
stilté  ses  côtes ,  et  préludé  par  des  ra- 
vages partiels  à  la  grande  entreprise  qui 
slait  s'accomplir.  Du  vivant  même  de 
Soliman  le  Grand,  son  fils  atné,  Sélim  r% 
nommé  gouverneur  de  la  Caramanie, 
avait  fait  comprendre  aux  Vénitiens,  par 
ses  préparatifs  et  son  attitude  aggressive, 
tout  ce  qu*its  avaient  à  craindre  pour 
leur  lointaine  et  précieuse  possession. 
Regardant  U  guerre  comme  mévitable, 
le  sénat  résolut  de  mettre  Ttle  en  état  de 
K  défendre.  Toutes  les  forteresses  de 
riiitérieur  avaient  été  démantelées  ;  celles 
<lesrdtes«  excepté  Famagouste,  étaient 
dans  un  grand  délabrement.  La  répu- 
blique envoya  Jules  Savorniani ,  habile 
ô)§énieur,d'une  noble  famille  vénitienne, 
pour  relever  toutes  les  fortifications  qu'il 
juRerait  nécessaire  de  rétablir,  avec  or- 
dre e  hâter  les  travaux  et  de  profiter 
^  Tabsenee  de  Soliman,  qui  faisait  alors 


la  flMrre  en  Hongrie  à  l'empereur  Maxi- 
miîien  II  (1666).  Savorniani,  accompagné 
4*une commission  d'ingénieurs au'on  lui 
avait  adjoints,  parcourut  Hle  d  un  bout 
à  Tautre,  et  ne  trouva  que  les  deux  places 
de  Cérines  et  de  Famagouste  en  état  de 
résister  à  une  surprise,  mais  non  à  un 
siège  régulier.  Il  fit  non-seulement  ré- 
parer et  augmenter  les  fortifications  de 
ces  deux  vUles,  mais  il  résolut  de  mettre 
Nicosie  en  état  de  défense,  et  il  confia 
aux  nobles  et  aux  habitants  de  la  ville 
Texécution  de  ces  grands  travaux.  Ceux- 
ci,  pei  suadés  de  Téminence  du  danger, 
mirent  à  sa  disposition  leurs  biens  et 
leurs  personnes,  et  le  secondèrent  acti- 
vement. Savorniani  fit  abattre  les  anciens 
mursde  Nicosie  elles  maisonsadjacentes; 
il  en  réduisit  la  circonférence  d*un  quart, 
divisa  c«tte  nouvelle  enceinte  en  onze 
bastions,  et  n'y  laissa  que  trois  portes,  au 
lieu  de  huit  qu'elle  eu  avait  auparavant. 
Ayant  choisi  onze  des  plus  riches  et  des 
plus  puissants  seigneurs  de  File,  il  leur 
confia  le  soin  de  conduire  les  travaux,  de 
pourvoir  à  la  dépense,  et  permit  a  chacun 
d'eux  de  donner  sou  propre  nom  au 
bastion  qu'il  devait  construire.  L'habile 
Savorniani  fut  parfuitemeiit  secondé  par 
le  zèle  des  Chypriotes ,  et  en  moins  de 
six  mois  Moosie ,  entourée  de  bonnes 
murailles  en  pierres  de  taille,  bien  ter- 
rassées, avec  un  large  et  profond  fossé, 
et  un  ciiemin  couvert,  paraissait  en  état 
d'offrir  à  ses  habitants  un  asile  inexpu* 
gnable.  Du  fond  de  la  Hongrie,  ou  il 
raisait  aux  Impériaux  une  guerre  impi- 
toyable, Soliman  jura  de  cliatier  Venise 
de  Taudace  qu'elle  avait  eue  de  fortifier 
contre  lui-même  une  province  qui  rele- 
vait de  son  empire.  Mais  la  mort,  qui  le 
surprit  au  siège  de  Zigeth,  le  disfiensa 
d'accomplir  son  serment,  que  son  fils 
Séitm  se  chargea  d'exécuter. 

Comment  le  sultan  Selim  II 
SE  détermine  a.  bntbbpbendbe  la 

C0NQ13ÉTB  DE  L'ÎLB  DE  CHYPBB(I).  — 

(i)  Voir  pour  celte  gnerre  :  Oraliani,  His- 
toire de  la  Guerre  de  Chypre,  écrite  en  latin, 
et  U>aduite  en  français  par  Lefieletier,  in-4<*y 
1701;  Dapper,  Description  de  t  Archipel  ^ 
p.  79;  Jauiia,  UuU  de  L  hypre^  etc,  liv.  XXIV 
el  xiv  ;  La  vrayeet  très-Jidèle  Narration  dti 
sucrés  des  assaïUts ,  défense  et  pritise  du 
royaume  de  Cfffre^  par  Père  Ange  Calepiea  de 


74 


I/tiRïVERS. 


Bans  les  premières  années  de  aoii  ir^e, 
Séiiiti,  embarrassé  parla  guerre  de  Hon- 
grie et  pht  une  révolte  des  Arabes  de 
rYémen.fut  obligé  d'ajourner  rexécutîon 
de  ^es  deâs^ns  contre  Ttle  de  Chypre. 
Mais  dès  que  la  tranquillité  fut  rétablie 
à  fdrient  et  à  i'oeddent  de  son  empire, 
Il  songéft  éériettéement  à  rompi^e  avec 
Venise  et  à  étende  son  empire  aux 
détyenâ  des  pnisBances  chrétiennes  de  la 
Méditerranée.  Sélim  avait  accordé  toute 
sa  confiance  è  un  juif  portugais,  nommé 
doih  MigUez  ou  Joseph  I*lassy;  cet 
ftomme ,  qui  s*é(ait  fait  chrétien  et  qui 
était  retourné  à  ia  religion  juive,  s'était 
rendu  agréable  à  Sélim,  avant  son  avè- 
nement au  trdne,  par  ses  prêts  d'argent 
et  sa  complaisance  pour  tous  les  vices  du 

Jeune  prince,  à  qui  il  procurait  les  meil- 
eurs  vins  du  Levant,  et  surtout  ceux  de 
rtie  de  Chypre.  Peu  scrupuleux  sûr  l'ob- 
servation des  préceptes  du  Coran^  Sélim 
avait  un  penchant  décidé  pour  l'ivro- 
gnerie,  et  il  se  laissa  facilement  persua- 
der par  les  propos  de  son  favori  à  pré- 
{)arer  la  conquête  de  Ttle  qui  produisait 
es  vins  délicieux  qu'il  aimait  tant  (i). 
Un  jour,  dans  Tenusion  produite  par 
de  copieuses  libations  de  vin  de  Chypre, 
Sélim,  se  tournant  vers  le  juif,  qui  était 
devenu  son  favori  et  le  compagnon  de 
ses  plaisirs,  s'écria  :  «  En  vérité,  si  mes 
désirs  s'accomplissent,  tu  deviendras  roi 
de  Chypre.  »  Ces  paroles,  prononcées  an 
sein  de  Tivrcsse,  remplirent  Joseph  Nassy 
d^spérances  si  ambitieuses,  qu*il  fit  sus- 
pendre dans  sa  maison  les  armes  de 
Chypre  avec  cette  inscription  :  <  Joseph 

Cypre,  de  Tordre  des  frères  prêcheurs,  dans 
Fonrrage  de  Lasignan,  p.  957  ;  de  Hammer^ 
Histoire  de  C Empire  Ottemûa,  t.  yi , 
I.  XXKVI,  p.  383. 

(f)  Sélim  devint  maître  de  cette  île  tant 
éônvoitée  ;  il  trouva  se  perte  dam  sou  succès 
aième.  Ob  lui  envoya  ks  meilleurs  vins  de  File 
après  la  conquête.  Le  i"  décembre  1574, 
UD  jour  qu'il  visitait  un  bain  nouvellement 
construit,  Sélim  se  sentit  saisi  par  le  froid  en 
entrant  dans  dés  salles  encore  toutes  fraîches. 
Il  demande  aussitôt  un  flacon  de  vin  de  Chy- 
pre, et  boita  I<)ngs  traits.  La  force  du  viù  Ten- 
ivre ,  il  chancelle,  lombe,  et  se  frappe  vio- 
lemment la  tète  cont^  les  dàfles  de  ttiarbre. 
Onze  jours  après  i!  expirait  dans  le  délire, 
Py>jr.  le  Correspondant,  du  10  aoât  1847, 

o.  Se)« 


réi  de  Chypre,  v  Quand  Sélim  monta 
'sur  le  trône,  il  combla  son  favori  de 
bienfaits  :  il  lui  donna  le  titre  de  duc 
de  Naxos  et  des  douze  principales  Cy- 
clades ,  qui  furent  enlevées  à  la  dynasâe 
vénitienne,  qui  les  possédait  depuis  trois 
siècles.  C'était  un  commencement  de  ru»- 
ture  avec  Venise  ;  toutefois  la  suerre  n'é- 
clata définitivement  qu'après  le  rétablis- 
sement de  la  paix  en  Hongrie  et  dans 
TTémen,  et  quand  Josenh  Nassy,  qui 
n'oubliait  pas  sa  royauté  ae  Chypre,  eut 
réussi  par  ses  intrigues  à  vaincfe  l'oppo- 
sition du  grand  vizif,  et  par  ses  complai- 
sances à  rallumer  les  passions  dd  saltan 
Sélim.  Le  juif  ayant  mis  dans  ses  inté- 
rêts le  moufti  Ebousoueùd,  celui-ci  pu- 
blia un  fetwa  nui  déclarait  la  guerre  avec 
les  infidèles  Iqçftime  et  nécessaire.  L*in- 
cendie  de  l'arsenal  de  Venise,  allumé 

{leut-étre  par  les  émissaires  de  I^assy, 
e  13  septembre  1569,  donna  encore  plus 
de  force  et  d'ardeur  au  parti  qui  à  Cons- 
tantinopfe  voulait  la  guerre  avec  cette 
puissance.  Sélim  fit  demandef  aux  Véni- 
tiens là  cessioil  de  Ttle  de  Chypre,  et  sur 
leur  refus  l'expédition  fût  dénnitivement 
tésolne. 

DÉISABQtJfiMENf    nSS  TtACS    BAHS 

lIlb  de  Chyphe  (1570).— a  Cette  nou- 
velle l'effroi  se  l*épandit  dans  totite  la 
chrétienté;  ce  n'était  pas  seulertietit  Tîle 
de  Chypre,  mais  toute  la  domination  vé- 
nitienne et  tous  les  rivages  chrétiens  de 
la  Méditerranée  qui  se  sentaient  menacés 
par  l'invasion  ottomane.  Le  pape  Pie  V 
appelle  l'Europe  aut  armes;  on  négocie, 
on  s'empresse ,  on  s'agite  sans  pouvoir 
se  concerter  et  prendre  des  mesures 

Eromptes  et  énergiques.  Venise,  tr^m- 
lante  pour  elle-même,  met  en  défense 
ses  possessions  de  terre  ferme,  et  elle  ou- 
blie d'envoyer  en  Chypre  les  troupes 
nécessaires  pour  garder  leS  fortldcations 
de  Savorniani.  Cependant  les  Tu rés,  bien 
plus  actifs  que  les  chrétiens,  et  tous 
unis  sous  un  même  commandement.»  pré- 
paraient un  armement  formidable  à  Rho- 
aes  et  à  Megrepont.  Lala-Mtiâtapha  fut 
nommé  âeraskier  des  troupes  de  débar- 
quement, et  Piali-Pàcha  commandant 
de  la  flotte,  qui  se  divisait  en  trois  esca- 
dres, et  comprenait  en  tout  trois  cent 
soixante  Voiles.  Le  l*"*  juillet  1570  la 
flotte  turque  jeta  fancfe  dans  la  rade 
deLimassôl,  près  de  Tancienne  Anoa- 


ILE  DE  CHYPRE. 


n 


tbonte,  etopéra  son  déb«)rqtieiiieitt  sém 
obstacle,  graee  à  Pincurid  et  à  F iûeapa* 
6té  dû  ttrotéditêur  Iffeolo  Dandoio, 
fluidéfenmtà  Hector  Baglioni^  eommaii- 
mi  dé  rifffaoterie,  de  s*opposer  à  cette 
descente.  Dtfits  un  eonMÎil  de  guerre, 
tenu  au  botffg  dMsehîa,  dans  la  Messa* 
rée,  oâ  rimprétojanée  du  pro?éditeur  et 
rioéapacit^  présomptueuse  du  comte  de 
Rdeas,  général  de  la  eâtalerie,  se  réuni- 
rent pont  fepousser  les  sages  conseils  dé 
fiaslioni ,  H  nit  déHdé  (}u*nn  ne  songerait 
i)u'è  fa  dëfenae  de  Nicosie  et  de  Fama- 
Rouste,  sans  se  niHtre  en  peine  du  reste 
h  Ytie,  d*oô  té  manTtfis  air,  ies  chaleursr 
etee^sHree  et  les  maladies  chasseraient 
bientôt  les  etiflemîs.  Ce  fût  pour  ce» 
tailler  raisons  nu'on  laissa  tes  Turcs  dé- 
barquer traA(|tiulement  dans  nie  comme 
fôr  une  terril  de  leur  empire.  Lé  fort  de 
Leftàri  dans  té  voisinage  de  Llmassol, 
/était  rendu  à  fa  première  sommation, 
et  le  séraskiéf  Mustapha  avait  épargne 
la  fie  et  les  biens  des  habitants,  pouf 
engager  par  cette  feinte  modération  lett 
autres  tîiles  à  fait-é  une  prompte  sou« 
mission.  Mais  les  Ténitlens  pnévinrent 
h  contagion  de  l'exemple  en  tirant  une 
vengeance  éclatante  dé  fa  trahison  dé 
Leftari  :  Hssorpt-irent  la  olace  pendant  la 
nuit,  fflâssacrèfeni  la  plupart  des  habi« 
tants,  et  entraînèrent  les  femmes  et  les 
enfants  dans  lés  montagnes.  Cesriffueurtf 
i»rai$saiét)t  nécessaires  :  un  grand  nom« 
bre  de  Grecs,  en  baitie  des  Latins,  lé 
bat  peuple,  en  haine  des  grands,  voyaient 
sans  inquiétude  et  drec  une  sorte  de  fé* 
venr  Tentreprise  des  Turcs  qui  devaient 
les  débarrasser  de  leurs  maftres  actuels. 
SrfcE  «t  PBiSÉ  DB  Nicosie  (1570).  — 
Vers  le  milieu  du  mois  de  juillet,  la  grosse 
artillerie  étant  débarquée,  le  séraskiei' 
fotiroana  un  conseil  de  guerre  dans  lequel 
ii  fit  aédder  aa*on  commencerait  les 
opérations  par  le  siégé  de  Nicosie,  con- 
tnÎTttnent  à  Tâvis  du  capitdn  Piali-Pacha, 
qui  Toolait  d^abord  assiéger  Famagousté, 
pour  donner  i  la  flotte  roccasion  de  se 
signaler.  En  conséquence  de  cette  déci« 
sion,  Mustapha- Pacha ,  après  avoir  ra- 
ngé tout  le  plat  pays,  parut  devant  les 
mors  de  Nicosie  avec  une  armée  d'environ 
c?nt  mille  hommes.  11  divisa  l'Infanterie 
R^lière  en  &ept  corps,  composés  de  sept 
nnile  hommes  chacun,et  leur  assigna  leur 
point  d'attaque.  Chaque  corps  avait  une 


batterie  dé  sept  eanods.  La  ftarnisim  de 
If ieosle  était  forte  de  dix  mille  hommes, 
savoir  :  quinze  cents  Italiens,  nrille  gen- 
tils^hommes  avecléursdomestlques,  deut 
mille  cinn  cents  miliciens  libres,  trois 
ibille  Vénitiens  de  terre  ferme,  deux  cent 
cinquante  Albanais,  et  mille  nobles  dé 
Nicosie.  Dandolo,  Rocas  et  le  capitaine 
Palaiso  s'étaient  enfermés  dans  la  place. 
Pendant  les  sept  semaines  que  dura  le 
sié^e,  Piali'Pacna  se  tint  en  croisière  avec 
la  flotte  dans  les  eaux  de  Rhodes,  pouf 
fermer  le  passage  aux  escadres  que  les 
chrétiens  avaient  mises  en  mer.  Lés  as- 
siégés de  Nicosie  se  défendirent  brave« 
ment,  et  repoussèretit  deux  attaques  avec 
bravoul'e  ;  mais  dans  un  troisième  assaut, 
livré  le  jour  de  l'Assomption^  ils  perdirent 

Îdusieurs  de  leuM  malleurs  officiers.  A 
a  fin  du  mois  d'août,  Piati  étabt  revenu 
de  sa  croisière,  le  séraskier  fit  renforcer 
son  armée  de  vingt  mille  soldats  et  ma- 
telots de  la  flotte,  et  ordonna  un  assaut 
général. 

Ce  dernier  assaut  avait  été  fixé  au 
9  septembre  1570.  Les  bastions  de  Po* 
docataro,  Costanza  et  Tripoli  furent  em- 
portés avant  le  lever  du  soleil;  leurs  gar- 
nisons se  retirèrent  en  désordre  dans 
rintérieur  de  la  place,  où  les  Turcs  se 
précipitèrent  avec  impétuosité.  En  vain 
les  habitants,  jetant  leurs  armes,  implo- 
raient à  grands  cris  la  pitié  des  vain- 
queurs, les  Turcs  les  égorgeaient  impi- 
toyablement. Cependant  le  provéditeuT, 
farchevéque,  et  les  autres  magistrats  oc- 
cupaient encore  le  palais  du  gouverneur  : 
six  canons  furent  pointés  sur  rédificè, 
et  le  séraskier  envoya  aux  assiégés  un 
moine  qui  les  somma  de  se  rendre  et  leur 
promit  la  vie  sauve.  t)éjd  ils  avaient  mis 
bas  les  armes,  lorsqu'au  retour  du  moine, 
les  Turcs,  furieux  de  leur  résistance,  pé- 
nétrèrent dans  le  palais  et  les  massacre' 
rent  tous.  I>e  tous  côtés  s'offraient  à  la 
vue  des  scènes  d'horreur  et  de  carnage, 
spectacle  ordinaire  des  villes  prises  d'as- 
saut par  les  barbares.  Pour  échapper  à  ta 
honte  dont  elles  étaient  menacées,  plu- 
sieurs femmes  se  précipitèrent  du  haut 
des  toits;  d^autrès  assassinèrent  leurs 
filles  de  leur  propre  main  ;  l'une  d'elles 
poignarda  sou  fils  en  s^écriant  :  «  Non, 
tu  n'assouviras  pas  comme  esclave  les 
infômes  passions  des  Turcs;  »  puis  elle 
se  frappa  elle-même.  Yingt  mille  per« 


n 


L'UmVEBS. 


aoniies  forant  immolte  à  la  fureur  san- 
guinaire du  vainqueur  et  deux  mille  jeu« 
nés  gens  de  l'un  et  de  Tautre  sexe  furent 
emmenés  en  esclavage.  Pendant  huit 
jours  la  ville  resta  livrée  à  la  férocité  du 
soldat;  mais  Faction  héroïque  d*une 
femme  grecque  ou  vénitienne  priva  le 
vainqueur  du  principal  fruit  de  sa  con- 
quête. Poussée  par  le  désir  de  la  ven- 
geance ^  elle  mit  le  feu  à  la  galiotteda 
grand  vizir  Moiiammed*Pacbâ  et  à  deux 
autres  navires,  qui,  chargés  du  butin  le 
plus  précieux  en  or,  argent,  canons  et 
jeunes  filles  des  premières  familles,  at- 
tendaient dans  le  port  le  moment  de  met- 
tre à  la  voile.  L  explosion  des  poudres 
fit  sauter  le  vaisseau  du  grand  vizir,  et 
le  feu  consuma  les  deux  autres;  mille 
jeunes  esclaves  périrentdans  les  flammes, 
quelques  matelots  seulement  parvinrent 
à  se  sauver  à  la  nage.  Enfin  le  calme  se 
rétablit.  Le  séraskier  alla  le  t  S  septembre 
entendre  la  prière  dans  1  église  de  Sainte- 
Sophie,  changée  en  mosquée,  et  trois 
jours  après  il  se  rendit  devant  les  murs 
de  Famagouste,  laissant  à  Nicosie  Mou-» 
saffer-Pacha  avec  un  corps  de  deux  mille 
hommes. 

Siège  et  pbisb  db  Famagoustb 
(1571).  — Cependant  les  galères  de  Tes* 
pagne,  de  Venise  et  du  pape,  commen- 
çaient à  se  réunir,  et  les  Vénitiens  fai- 
saient tous  leurs  efforts  pour  entraîner 
leurs. alliés  à  marcher  pour  la  défense  de 
rtle  de  Chypre.  La  nouvelle  de  la  prise  de 
Kicosip  jeta  le  découragement  et  la  divi- 
sion dans  Tescadre  confédérée;  et  malgré 
les  instances  de  Zano,  lamiral  vénitien, 
6t  de  Colonna,  amiral  du  saint-siége, 
Famiral  espagnol  Doria  refusa  d'aller 
chercher  la  flotte  de  Piali-Pacha  dans 
les  eaux  de  Chypre,  et  l'on  resta  en  sta- 
tion dans  rîle  de  Candie.  Seulement 
douze  galères  vénitiennes,  commandées 

rir  Marc- Antoine  Quirini,  parvinrent 
jeter  dans  Famagouste  un  secours  de 
seize  cents  hommes  et  des  approvision- 
nements. Ces  mêmes  galères  coulèrent 
bas  plusieurs  vaisseaux  turcs ,  et  s'em- 
parèrent de  celui  qui  apportait  de  Cons- 
tantino|}le  la  solde  des  troupes.  Le  sultan 
s*en  prit  de  ces  échecs  successifs  aux 
beys  de  Chio  et  de  Rhodes,  qui  avaient 
été  laissés  en  station  devant  File;  le  pre- 
mier eut  la  tête  tranchée,  le  second  fut 
privé  de  son  Canal,  insigne  distinctif  des 


b^  de  o)er«  L'hiver  avait  retardé  les 
opérations  du  siège.  La  flotte  des  Otto- 
mans était  retournée  à  Constantinople; 
mais  au  printemps  de  1671  elle  reparut 
dans  Pile  de  Chypre,  et  le  siège  de  Fa- 
magouste, qui  jusque  là  n'avait  été  qu  uq 
blocus,  fut  poussé  avec  vigueur 

La  défense  de  Famagouste  fut  bien 
mieux  dirigée  que  ne  Pavait  été  celle  de 
l^icosie.  L'héroïque  Marc^ Antoine  Bra- 
gadino  commandait  en  chef  la  ville  et  b 
forteresse;  il  avait  sous  ses  ordres  son 
frère,  Jean  André.  Hector  Baglioni  était 
capitaine  général ,  et  Jean  Antoine  Qui- 
rini ,  intendant.  On  renvoya  toutes  les 
bouches  inutiles,  et  il  ne  resta  dans  U 

f»lace  que  sept  mille  hommes,  nHiitie  Ita- 
iens,  moitié  Grecs, capables  de  porteries 
armes.  Les  fortifications  de  Famagouste 
n'étaient  pas  en  bon  état;  ses  défenseuis 
furent  inaignement délaissés  par  lesËtats 
chrétiens  d'Occident  :  mais  le  coura;^ 
de  Bragadino  et  Fardeur  qu'il  commu- 
niqua à  toute  sa  garnison  tinrent  long- 
temps les  Turcs  en  écliec,  et  rendirent 
gloneux  les  derniers  moments  de  la  do- 
mination chrétienne  dans  Tîlede  Cliypre. 
La  tranchée,  ouverte  dans  le  cours  da 
mois  d'avril ,  était  entièrement  termiiiée 
au  milieu  de  mai,  sans  qu'il  eût  été  pos- 
sible aux  assiégés  d'y  mettre  obsta<*(& 
Dans  une  étendue  de  plus  de  trois  mil- 
les (1),  Mustapha  avait  fait  pratiquer, 
quelquefois  à  travers  le  roc,  un  diemin 
large  et  si  profond,  qu'un  homme  à  che- 
val pouvait  le  parcourir  sans  être  aperçu; 
en  arrière  de  ce  fossé  on  avait  construit 
dix  forts,  d'où  partait  un  feu  continuel, 
qui  empêchait  les  sorties  de  la  garoisoD. 
Les  murs,  les  tours,  et  les  bastions  étaieot 
foudroyés  par  cinq  batteries  composées 
de  soixante-quatorze  canons,  parmi  leir 
quels  on  en  remarquait  quatre  d'un  ca- 
libre extraordinaire,  tels  aue  ceux  que  h 
Turcs  avaient  l'habitude  d'employer  daos 
leurs  grands  sièges  à  Constantinople, ^ 
Scutari ,  à  Belgrade  et  à  Rhodes,  et  que 
les  historiens  chrétiens  ap^teLent  tantôt 
hélépole^,  tantôt  basilics.  Du  côtéd^s 
assises  le  feu  était  dirigé  par  le  gênerai 
d'artillerie  Martinengo,qui  promettait  de 
soutenir  en  cette  circonstmoe  Thonneur 
d'un  nom déjàillustréausiégede Rhodes. 

(i)  De  Hammer,  Sistoire  du  Ottmoni, 
TI,  p,  408, 


ILE  DE  <;Rt»ft£. 


»T 


AffrHvnitaitié  ée boittolB  les ba»- 
tioDsdeFanuurouste,  les  Turcs  en  ten^ 
tarent  PeseaMe  ;  mais  la  garnison  les 
repoussa.  Toutefois,  elle  ne  put  les  em- 
pn;her  de  se  fofstr  dans  les  fossés,  d'où 
il  fîit  impossible  de  les  débusquer.  De 
part  et  d*autre  on  travaillait  activement 
à  creuser  la  mine  ou  à  Téventer.  Mais 
les  efforts  des  assiégés  étaient  inutiîesi 
Les  travaux  souterrains  de  rennemi 
arançaient  toujours,  et  le  21  juin  la 
mine' éclata  au  tourillon  de  Tarsenal, 
ébranlant  toute  la  ville  et  renversant 
on  éoonne  pan  de  murailles.  Aussitôt 
les  assiégeants  s'élancent  sur  les  dé* 
eombres,  dans  Tespérance  d'emporter 
la  place;  mais  cet  assaut  n'eut  pas 
plus  de  succès  que  le  précédent;  Ten* 
Demi  fut  repoussé,  après  un  combat 
de  einq  heures,  où  il  fit  de  ^andes 
pertes,  et  pendant  lequel  on  vit  plu* 
sieurs  femmes  combattre  vaillamment 
i  côté  de  leurs  maris,  l^lais  quel  que  fftt 
le  courage  des  assiégés  et  les  avantagées 
qu'ils  remportaient  sur  les  Turcs,  ils 
s'af&iblissaient  tous  les  jours,  sans  pou- 
voir réparer  leurs  pertes  ni  renouveler 
leurs  munitions,  tandis  que  l'armée  de 
Uustapha  était  toujours  suffisamment 
nombreuse  et  abondamment  pourvue 
de  tout  Le  39  juin  une  autre  mine  fit 
explosion;  un  nouvel  assaut  fut  livré  par 
la  brèche  qu'elle  avait  pratiquée,  et  après 
uneaction  acharnée  et  sanglante  qui  dura 
six  heures  encore,  Mustapha  fut  obligé 
de  donner  le  signal  de  la  retraite.  Dans 
le  courant  du  mois  de  juillet  d'autres 
a^uts  furent  tent^,  sans  plus  dç  sue* 
ces.  Le  séraskler  commençait  à  déses* 
pérerde  pouvoir  prendre  la  place;  déjà 
ij  songeait  avee  enroi  au  châtiment  qui 
Tauendait  s'il  revenait  vaincu.  Il  ne 
cfssait  d'exciter  par  ses  paroles  et  ses 
rigueurs  le  zèle  de  ses  nombreux  soldats^ 
qu'il  envo)jraît  mourir  par  milliers  sous 
Ks  murs  imprenables  de  Fama^ouste. 

Cependant  Bragadino,  Baglioni,  Tié* 
poli  et  leurs  compagnons  déplopient 
un  héroïsme  que  rhistoire  reprochera 
toujours  à  Venise  et  aux  autres  États 
ehrétiens  de  n*avoir  pas  secondé.  Ils 
sVtaient  logés  dans  les  remparts,  afin 
<fàre  prêts  à  toutes  les  occasions  et  de 
ne  point  perdre  de  vue  les  défenseurs. 
Ils  visitaient  continuellement  tous  les 
postes.  Tous  les  officiers  se  faisajent  uk 


point  d'honneur  de  les  imiter,  et  rï  la 
place  avait  été  ravitaillée ,  l'armée  des 
Ottomans  se  serait  inutilement  consu* 
mée  au  pied  de  s^es  murailles.  Mais 
l'explosion  des  mines ,  le  feu  de  i'artiU 
lerie  des  Turcs,  le  carnage  des  assauts 
avaient  singulièrement  diminué  le  nom- 
bre des  bravesdéfenseursde  Famagouste. 
La  disette  de  vivres  et  de  munitions  où 
ils  étaient  réduits  devait  bientôt  leur 
feire  tomlier  les  armes  des  mains.  On  ne 
trouvait  plus  dans  la  ville  ni  vin,  ni  lé« 
sûmes,  ni  viande  d'aucune  espèce.  On 
était  réduit  à  manger  les  chevaux ,  les 
ânes,  les  chiens  et  les  chats.  Les  hour» 

{^eois  suppliaient  Bragadino  de  capitul- 
er, ce  ou^il  refusa  constamment  de  faire 
tant  qu  il  lui  resta  des  munitions  pour 
combattre.  Le  39  juillet  il  repoussa  uu 
sixième  et  dernier  assaut ,  dans  lequel  y 
debout  sur  la  brèche,  il  tua  plusieurs  en* 
nemis  de  sa  main  et  reprit  lui-même  un 
drapeau  vénitien  enlevé  à  Nicosie.  Mais 
dans  ce  dernier  combat  les  assiégés 
avaient  épuisé  leurs  approvisionnements* 
H  ne  leur  restait  plus  que  sept  barils  de 
poudre.  La  garnison,  menacée  d*un  sep- 
tième as.saut,  dut  se  résigner  à  une  ca- 
pitulation devenue  nécessaire,  et  le  dra- 
peau blanc  fut  ar(H)ré  sur  la  forteresse.- 
Le  l^aoât  1671,  après  avoir  échangé 
des  otages  de  part  et  a  autre,  la  capitula- 
tion fut  signés  avec  les  conditions  sui- 
vantes :  la  garntifon  devait  sortir  avee 
ses  armes,  ses  bagages,  cinq  pièce»  de 
canon ,  les  trois  chevaux  de  ses  princi- 
paux chefs,  et  être  transportée  immé- 
diatementà  Candie.  Les  habitants  étaient 
libres  de  quitter  la  ville  et  d'emporter 
tout  oe  qui  leur  appartenait.  Ceux  qui  y 
resteraient  ne  devaient  être  molestés  ni 
dans  leurs  biens  ni  dans  leurs  person- 
nes. Mustapha  n'eut  garde  de  contester 
sur  aucun  de  ces  articles;  il  craignait* 
trop  ^ue  les  chrétiens  ne  prissent  une  ré- 
solution désespérée,  et  il  ne  voulait  pas 
compromettre  par  un  nouveau  oomnal 
et  de  nouveaux  sacrifices  une  victoire 
désormais  assurée.  Il  envoya  à  l'instant, 
des  vaisseaux  au  port,  sur  lesquels  la 
garnison  commença  à  s^embarquer  pour 
être  transportée  à  Candie.  Il  alieclait  de 


montrer  beaucoup  d'estime  pour 
courageux  adversaires,  il  recevait  avee 
courtoisie  tous  ceux  qui  lui  étaient  pré-* 
sentes,  et  il  leur  envoya  des  provisions: 


40  toate  ««yèee.  M ik  il  m'y  mtàt  «i«i| 
d«  sinoèr«  daos  tout^  «es  «•rtssff ,  el  l# 
INNrfide  imisuliiuii),  cmi  ii#  poi^yail  p«ff« 
doooer  aux  braves  défattseurs  de  Faoi»« 
gSùeH»  toutes  les  iogqiétudes  qu'ils  lui 
aTsient  causées ,  méditait  OMotre  eux  la 
plus  atroee  vengeaneer 

PSRPIBIK  PS  MOSTAFHA;  eUPF|.ICB 
os    BBA0ADIVO    ET   DS    8SS    eOMPÂ-* 

OSONS.  •—  Immédiatement  après  la  ca* 
pitttlation  la  ville  avait  été  évaenée,  e| 
la  garnison,  embarquée  sur  les  vaisseaux 
turcs,  n'attendait  plus  pour  mettre  à  la 
voile  que  la  dernière  entrevue  de  Braga« 
dino  avec  le  séraskier.  «  Le  â  août,  Bra? 

Sadino  envojra  au  camp  ottoman  Henri 
lartinengo,  neveu  du  général  d'artillerie 
deeenom,  pour  prévemr  le  séraskier  qu*il 
aurait  l'honneur  de  lui  présenter  le  soir 
même  les  clefs  de  la  ville.  Moostapha  ré* 
pondit  à  ce  message  avec  toutes  les  ap- 

Sirenees  de  la  courtoisie,  et  fit  dire  à 
ragadino  qu'il  éprouverait  une  vive  sa* 
tisfaetion  à  faire  connaissance  avec  les 
braves  défenseurs  de  Famagousie.  Trois 
heures  avant  le  coucher  du  soleil,  Bra-* 
gadino  sa  rendit  au  camp  ottoman  aveo 
Beçlioni,  Louis  Martinengo,  Antoine 
Quif ini,  plusieurs  autres  ofnoiers  et  une 
eseortede  quarante  hommes.  Il  marchait 
à  cheval  à  la  tête  du  cortège ,  dans  son 
eostnme  de  magistrat  vénitien ,  o'est-à^ 
dire  vêtu  de  sa  robe  de  pourpre  et  faisant 
porter  siur  sa  téta  un  parasol  rouge ,  qui 
était  une  des  marques  de  sa  dignité.  Il 
fut  reçu  avec  force  civilités  ;  m  pacha 
s'entretint  quelques  instants  avec  lui 
et  les  personnes  de  sa  suite  des  événe- 
ments du  siège.  Mais  ces  trompeuses  dé- 
raonstrations  eessèiwat  presque  aussitôt  : 
le  séraskier  leur  demanda  quelles  sû- 
retés ils  pouvaient  donner  pour  garantir 
le  libre  retour  des  vaisseaux  chargés  de 
transporter  la  garutsen  à  Candie;  et 
sur  la  réponse  de  Bragadino  c|ue  la  capi- 
tulation n'avait  rien  stipulé  à  cet  égard, 
il  exigea  qu'on  lui  laissât  en  otage  le 
jeune  Antoine  Quirini.  Bragadino  se 
réeria  vivement,  et  avee  plus  d'indigna- 
tion que  ne  lui  permettait  sa  position. 
Dédaignant  alors  de  dissimuler,  le  séras- 
kier se  répandit  en  imprécations  contre 
le  commandant  et  tous  les  Vénitiens,  et 
les  accusa  d'avoir  fait  égorger  cinquante 

eerins  musulmans ,  malgré  leur  invio* 
iiité,  garantie  par  la  capitulation* 


|/9IRV9«S' 


Bragidiao,  qui  Ait  ahiwlii»  à  jnetite 
ou  à  nier  ce  meurtre ,  n'en  oo^tinua  pai 
moins  à  refuser  avee  oomeie  et  qn  pa* 
rôles  peu  mesurées  les  otegea  demandes. 
Mustapha  passa  des  injures  aux  faits,  fit 
garrotter  Bagliooi,  Martinango,  Quinoi 
et  Bragadino,  et  ordonna  deles  Uaioer 
ainsi  hors  de  sa  tante;  k^  trois  pre- 
miers forent  a  Tinstant  niaisaosés.  hn- 
gadino,  témoin  de  leur  mort,  était  ré- 
servé a  de  plus  longs  tourments  î  on  m 
contenta  pour  ne  moment  de  loi  couper 
te  nez  et  les  oreilles.  Ce  ne  fut  que  dix 
jours  après ,  un  vendredi  i  que  fui  cod- 
sommé  son  afi&eux  supplice;  piaoé  sur 
un  siège,  une  ooqronne  à  seç  pieds,  ii 
fut  hissé  sut  la  vei^qe  de  la  galère  do 
boy  de  Rhodes,  puis  |>longé  dans  Tesa, 
parce  que,  d'après  rhistorien  ottoman  » 
il  aurait  traité  de  la  sorte  dos  prisob- 
niers  turos;  cm  Un  suspf^ndit  onsuite  au 
eou  deui  paniers  pleins  de  terre ,  qu'il 
dut  porter  sur  les  deus  bastions  pour 
aider  à  leur  reopusuruction  ;  chpqiie  fois 
qu'il  passait  devant  le  séraskier,  il  était 
toroédese  prosterner.  Enfin,  oonduitsur 
la  place  devant  le  palais  de  la  Si^igneu- 
rie ,  il  fut  attaché  au  poteau  sur  lequel 
les  prisonniers  turcs  subissaient  d'ordi- 
naire la  peine  de  la  flagellation  •  puis 
couché  à  terre  et  éeorobé  vif,  «  attendu, 
dit  le  général  ottoman,  que  celui  quia 
Ait  couler  le  sang  musulman  doit  ver- 
ser le  sien  ».  Le  séraskier  et  le  bourreau, 
s'adressent  à  rfaéroique  patioot,  N 
criaient  à  la  fois  i  «  Oà  dono  est  toa 
Christ?  çiue  ne  nent-il  à  Vau  seeoun?» 
Sans  laisser  échapper  aucune  plainte, 
Bragadino  récita  leAlisfrere  au  milieu  de 
aes  affreuses  tortures ,  et  en  prononçant 
le  onzième  verset,  Jceardê^mai,  Sei^ 
gneur,  mn  cœur  pmrf  sa  grande  âme 
exhala  son  dernier  soupir.  Non  content 
du  supplice  ignominieux  et  horrible  au'il 
avait  fait  subir  à  Bragadino,  le  aérassier 
ordonna,  dans  sa  sauvage  fÀocilé,qiie  le 
corps  du  héros  fût  écartelé ,  sas  quiitre 
membres  exposés  sur  les  quatre  grandes 
batteries  »  et  que  sa  peau  lût  remplie  de 
foin,  pour  Atre  promenée  dérisoiremeot 
sur  une  vache,  dans  le  camp  et  dans  la 
ville.  Cette  noble  dépouiUe  fut  ensuite 
pendue  a  la  vergue  d'une  galère,  et  d^ 
posée  dans  une  caisse  avec  les  quatre 
têtes  de  Bragadino,  Baglioni,  Marti* 
■ODfl(>  •t  Quirmi ,  pour  ôdfe  envoyées  au 


ILE  jiB  cavB&i;. 


n. 


suiiiB.  A  GMMiaaliaotle  la  pmê  é» 
Bn^dme  ûit  aposéo  dtoa  le  bigna  à 
Ja  vue  dM  ctdavci  ehréti«M  (t).  »  Quel* 
qoet  Miiiéet  après  elle  fut  rachetée  par 
son  frère  et  ae«  Éls,  ensevelie  dans  un 
sépulere  de  marbre  et  déposée  dans  Té* 
giise  de  Saint- Jean  et  SainUPaul;  tandis 
qœsfs  ossements,  leeueillis  avec  un  soin 
religieux  après  son  supplice,  furent  in- 
humés  dans  réalise  de  SaintpGrégnire. 

L'fLK    DB    CHTPBE   SODMISB    A   LA 

MMiNATiON  DBS  TcBCs.  —  Apr^  uno 
si  odieuse  violation  du  droit  des  gens  à 
r^rd  des  ebffs,  le  reste  de  la  garni- 
son  ne  pouvait  plus  eompt^  sur  les 
garanties  de  la  capituletion.  Trois  œnte 
chrétiens  qui  se  trouvaient  dans  le 
eamp  des  Turcs  avaient  été  massaevés 
as  moment  de  Tarrestation  de  Brafiadino 
«t  de  ses  «Mmpagnons.  Tous  les  soldats 
embarqués  sur  les  navires  turas  furent 
rédoits  en  esclavage.  Les  otages  envoyés 
au  eamp  avant  la  signature  de  la  capi- 
talation  n'échappèrent  à  la  mort  que 
pour  être  mutilés  et  relégués  parmi  les 
tanuques  du  harem.  Non  content  d'a- 
voir assoavi  sa  fureur  sur  les  défenseurs 
éê  Famagouste ,  le  sérpskier  exerça  de 
crandes  rigueurs  contre  la  ville  et  ses 
oabitants.  11  laissa  les  Turcs  piller  les 
richesses  de  celte  cité  opulente  (  il  fit 
dépouiller  toutes  les  églises ,  il  profana 
les  autels,  Ibola  aux  nieds  les  reliques 
dei  saints ,  fit  brâler  les  images,  ouvrir 
les  tombeaux ,  jeter  les  ossements  à  la 
mer.  L'église  de  Saint-Nicolas ,  la  ca« 
tbédrale  des  Latins,  fut  convertie  en 
Doiqoée.  Les  habitants  latins  de  Fama* 
gOQste  furent  emmenés  en  esclavage  (8). 

(x)  De  Haviner,  ^isfoir»  de  t Empiré  OttO' 
*ui,  Vl,4ia. 

(a)  Ces  malheurs  avaient  été  prédite  par 
Mioie  Brisitle,  qui  pasia  à  Famagouste  ea 
revenant  ou  péleriuage  de  Terre  Sainte  ep 
1373.  «  1^  périras,  nouvelle  Gomorrhe, 
dii-elle  sous  riuspiration  de  Tesprit  divin, 
tQ  périras  brûlée  par  le  feu  de  la  luxure,  par 
l'ifxcés  de  les  biens  et  de  Ion  ambition  ;  tes 
édiâres  crouleront  en  ruiuei ,  tes  habitants 
s'enhiiroBt  loin  deM,  et  Ton  parlera  de  ton 
chitiment  dans  les  contrées  lointaines  car  je 
«lis  irrité  contre  toi.  »  Révélations  céÈes- 
<ef,  ete.,  L  yVLj  c,  xn,  foL  i33  ;  Norainfaei^, 
iSi^.Les  rérélations  de  sainte  Brigitte  ont 
été  écritts  peu  de  temps  après  sa  mort  par  le 
■Boine  Pierre,  prieur  d'Alvasire,  et  par  Bia* 


Us  Or#oi  tasit  lirftéi  |d«i  liiMtM» 
ment,  et  le  vainf^eur  Ifûr  laissa  4mt 
éf^Uses ,  Saintf-SojMiie  et  Saii^trSiaaéon. 
Le  siège  avait  ruiné  les  fertificalioas  de 
la  place,  Mustapha  les  fil  relpver  et  y 
laissa  gamisoii.  11  diatribua  jursa  de 
vingt  mille  hemmeide  pied  et  àin  vf^ïii% 
cavaliers,  en  divers  endroits  de  1  Ile»  U 
leur  assigna  des  maisons  et  des  terres  cq^ 
levéesaux  vaincus»  Bon  nombre  de  Xures 
s'enriebirsnt  des  dépouilles  des  rielies 
et  des  nobles  chypriotes  9  dont  ua  graud 
nombre,  précipités  du  fait^de  la  fortune 
dans  la  dernière  misère^  étaient  réduits 
à  mendier  leur  vie  ou  a  la  gagner  au 
métier  de  muletier  ou  de  croebeteur. 
Après  avoir  organisé  le  gpuvernetiyeut 
de  nie  sur  le  modèle  des  autres  pro* 
viaces  de  Tempire ,  et  laissé  le  oomman* 
dément  des  troupes  au  frambourat  de 
Ebodes,  L.ala-Mu9t«iph|t  partit  le  ]$  sep» 
t^bre  1671,  et  fUàGoostauUneple  une 
entrée  triomphale.  Sélim  le  reçut  gre* 
oieusement  et  le  combla  d*bouneura, 
bien  que ,  disai(-il ,  la  conquête  de  nie 
de  Chypre  lui  eât  coûté  plus  de  soldats 
qu'elle  ue  lui  avait  açijuis  de  aujets. 
Mais  le  sultan  en  prenait  facileinent  son 
parti,  et  s'en  consolait  en  ajoutent  que 
la  perte  des  hommes  as  répare  facile* 
ment  |Nir  la  producUondes  autres.  Quant 
au  juif  dom  Miguez  ou  Joseph  Yasser,  il 
oe  put  obtenir  son  royaume  de  ChyprCi 
dont  les  revenus  furent  affectéa  à  ren- 
tretien  du  grand  vizir.  Plus  tard  on  en 
détourna  la  plus  grande  partie ,  pour  en 
grossir  Tapanage  de  la  sultane  Validé. 
Fin  nss  sostilitss  ]|NTB|i  l£s  Vb- 
NiTiENs  ET  LES  Musi/lmahs.  —  Cette 
guerre,  entreprise  pour  la  possession  de 
l'Ile  de  Chypre,  mena^it  d'aboutir  à  une 
invasion  des  Ottomans  dans  r£urope 
méridionale.  La  victoire  de  Lépaute, 
remportée  Tannée  suivante  par  don 
Juan  d' A  utriehe  aidé  des  Vénitiens  et  du 
saint-siége,  7  octobre  1572,  arrêta  \9* 

K ogres  des  musulmans  et  anéantit  leur 
tt^.  Maia  les  ehrétiena  ne  euieot  pas 
tirer  parti  de  leurs  avantages ,  et  la  len<* 
demam  de  la  bataille  leurs  dissensioi^s, 
oubliées  au  jour  du  eombal«  recommen* 
cèreot  plus  vives  que  jamais.  Venise  per- 
dit la  plus  belie  occasion,  la  seule 


tUas,  chanoine  de  Linkôpîag»  qui 
aes  confesseurs. 


été 


8^ 


L^UmVEllS. 


flRf elte  «Ql  jnnaîs ,  de  Mfrendrê  nie  &» 
Chypre.  Elle  ii*avait  m  à  foire  paraître 
aa  'flotte  sur  les  eôtea  cle  llle  ;  la  terreur 
était  telle  parmi  les  troupes  laissées  par 
Mustapha,  que  la  garnison  de  Fama- 

f  ouste  demandait  à  traiter  avec  les  ha* 
Itaots,  et  qu'on  voirait  des  Turcs  quitter 
le  turban  et  se  coiffer  à  la  grecque.  Mais 
on  ne  sut  profiter  ni  de  ce  retour  de  for- 
tune ni  de  la  terreur  des  Ottomans  ;  et 
tandis  que  les  escadres  espagnole  et  pon- 
tificale retournaient  dans  leurs  ports, 
Its  Véniti^s  perdaient  le  temps  à  en- 
lever quelques  bicoques  de  TËpire,  ou 
à  concerter  des  expéditions  mal  con- 
duites. Les  Turcs  réunirent  en  mer  une 
flotte  considérable ,  et  le  grand  vizir  put 
dire  avec  raison  à  Tambassadeur  de  Ve- 
nise, qui  lui  avait  fait  demander  au- 
dience pour  traiter  de  rechange  des 
prisonniers ,  «  qu'il  y  avait  une  fort 
grande  différence  entre  leurs  di^râces, 
puisqu'en  enlevant  un  royaume  à  la  ré- 

gublique  les  Turcs  lui  avaient  coupé  un 
ras  ,  qui  ne  renaîtrait  plus;  mais  que 
les  chrétiens  n'avaient  fait  que  raser  la 
barbe  aux  musulmans  en  défaisant  leur 
armée  navale ,  puisqu'elle  ne  tarderait 

Sas  à  leur  revenir,  à  moins  que  les  pro- 
udions  des  hommes  et  des  forêts  ne 
cessassent  entièrement.  •>  Le  grand  vi- 
zir disait  vrai  :  les  Turcs  retrouvèrent 
des  flottes;  Venise  fut  pour  toujours 

Erivée  de  l'île  de  Chypre,  et  s'estima 
eureuse  d'acheter  la  paix  en  payant 
au  grand  seigneur  la  somme  de  trois 
cent  mille  ducats  (t). 

ÉTAT  DE  l'île  J)E  CHYPBR  SOUS  LE 
ÛOOVEBNEMBNT  DES  TCIRCS.   —  L'île 

de  Chypre  resta  donc,  à  partir  de 
Fan  1571,  un  pachalikde  Tempire  ot- 
toman. Elle  fut  le  septième  des  pacha- 
liks  d  Asie ,  qui  étaient  au  nombre  de 
vingt-deux.  L'empire  turc  en  compre* 
naît  alors  trente-cinq,  savoir  :  outre 
les  vingt-deux  d'Asie,  cinq  en  Afrique 
et  sept  en  Europe.  Le  béglierbey  on 
pacha  de  Chypre  résidait  à  riicosie,  et 
avait  sous  ses  ordres  des  sangiaks,  des 
beys  et  des  cadis.  Il  avait  le  commande- 
ment de  toutes  les  forces  militaires  de 
rîle,  qui  fut  divisée  en  quinze  cadiaskers 
ou  districts,  ayant  chacun  un  aga  ou 


gouverneur,  et  un  eadi  ou  ofBcier  de  jus- 
tice. Mais,  à  Texempledes  Vénitiens, 
les  Turcs  firent  un  gouvernemoit  par- 
tîcidier  de  la  ville  et  du  territoire  de  F a- 
magouste,  que  Ton  plaça  sous  rautorité 
d'un  bey,  sans  la  permission  duquel  le 
pacha  de  t*île  ne  pouvait  entrer  dans 
cette  ville.  Le  pacha  était  nommé  par 
le  grand  vizir,  qui  jouissait  de  la  plus 
grande  partie  des  revenus  de  cette  nrhe 
province,  et  qui  la  cédait  à  bail  au  fonc- 
tionnaire de  qui  il  obtenait  les  offres  les 
plus  avantageuses.  Mais  vers  le  com- 
mencement du  dix-huîtième  siècle,  les 
Chypriotes,  écrasés  par  les  exactions  de 
leurs  pachas,  adressèrent  de  vives  ré- 
clamations à  la  Porte  :  les  padias  furent 
remplacés  par  de  simples  mutzelims  ou 
muhassils,  à  qui  llle  (îit  affermée  pour 
deux  raillions  ciuq  cent  mille  piastres,  oo 
six  cent  vingt-cinq  mille  francs.  Ce  dian- 
sèment  derégimene  produisit  aueunsou- 
lagement  dans  la  condition  des  malheu- 
reux Chypriotes,  lis»  se  plaignirent  de 
nouveau  à  la  Porte,  et  redemandèrent  un 
pacha;  mais  on  ne  les  écouta  plus,  et 
il  leur  fiallut  se  taire  et  se  résigner.  A 
partir  de  cette  époque  l'Ile  de  Chypre 
vit  commencer  pour  elle  une  ère  de  déca- 
dence déplorable  et  continue,  qui  abou- 
tit à  un  état  de  misère  et  de  dégrada- 
tion qu'elle  n'avait  jamais  connu  dans 
toutes  les  vicissitudes  si  variées  de  son 
existence  historique.  Vendue  aux  plus 
offrants  par  les  grands  vizirs ,  elle  était 
livréeà  d^avldl^s gouverneurs,  qui  la  pres- 
suraient à  l'envi.  Leurs  exactions  ea 
firent  disparaître  le  numéraire  neees- 
satre  aux  transactions  ;  leurs  vexations 
enlevaient  toute  confiance  au  com- 
merce, toute  sécurité  à  la  jouissance  de 
la  propriété.  L'industrie,  Tagrlculture, 
autrefois  si  florissantes,  tombèrent  dans 
un  déplorable  abandon.  Les  terres 
restaient  en  friche  ;  le  sol  se  dépouil- 
lait peu  à  peu  de  ses  riches  produc- 
tions; les  villes,  les  villages  se  dépeu* 
filaient  avec  une  rapidité  effrayante,  et 
'abbe  Mariti,  au  milieu  du  dix-huitième 
siècle,  n'évalue  pas  I». population  en- 
tière de  l'île  à  plus  de  quarante  mille 
âmes  (i;.  Jamais  la  condition  de  ce  pays, 
qui  depuis  fîit  améliorée ,  n'avait  été  si 


(i)  J^mui,  SUloire  4ie  Chypre»  t\c,^  t,  llf         (i)  BAariti,  yoyage  dans  Câe  de  Chy* 
>.  iao3.  pre^  etc.,  I,  p.  19. 


ILE  DE  CHYPAE. 


81 


fflisénlile.  Les  droits  perças  sor  ses  ha«^ 
]nUot8,  de  plus  en  plusaggravés, avaient 
atteint  un  taux  exorbitant.  Ils  présen* 
talent  dans  leur  totalité  une  somme  de 
deux  cents  piastres  par  tête.  La  capiu- 
tJon,  qui  dans  tout  le  reste  de  l'empire 
était  de  vingt  piastres  seulement,  s'était 
élevée  jppnr  les  Chypriotes  jusqu'à  qua- 
rante piastres.    Le  harach  (1),   taxe 
Slevte  sur  les  chrétiens,  et  établie 
js  toutTempire,  le  nozotd,  impôt  qui 
remplaçait  le  service  militaire,  la  dîme 
Rirtout,  établie  pour  Pentretiendes  deux 
milices  des  zcatts  et  des  timariotes,  for- 
maient, avec  lacapitation,  les  principaux 
impôts  sous  le  poids  desquels  gémis- 
saient les  débris  de  la  malheureuse  po« 
pulation  chypriote.  Les  taxes  extraor- 
dinaires ajoutaient  encore  à  leurs  souf- 
frances habituelles.  Quelquefois  le  pacha 
publiait  par  édit  que  toutes  les  personnes 
OQ  même  nom  paveraient  une  contribu- 
tion dont  il  fixait  le  taux ,  «  et  je  n'ou- 
blierai jamais,  ditBfariti,  que  Je  nom 
«e  George  était  le  nom  taxé  à  mon  ar- 
rirée  dans  cette  île». 

SODLBVBMSNT      DSS     ChYPBIOTSS 

CORTBB  Lss  TuBCS  (  l'au  1764).  — 
Cest  à  ce  voyageur  que  nous  devons  de 
connaître  les  détails  de  cette  insurrec- 
tion, qui  désola  l'île  pendant  deux  ans,  et 
qui  en  aggrava  encore  la  misère  et  la 
oésolation.  Au  mois  de  juillet  1764  l'Âga 
TzilQsman  fut  nommé  gouverneur  de 
^ypre.  Son  premier  acte  fut  de  per- 
ler la  eapitation  à  quarante-quatre  pias- 
tres et  demie  pour  les  chrétiens,  et  à  la 
moitié  pour  les  Turcs.  Cette  exaction 
poussa  a  bout  une  population  déjà  aigrie 
^  de  longues  souffrances  :  on  retusa 
«  payer  ;  on  réclama  auprès  de  la  Porte, 
m  Turcs  par  leurs  primats ,  les  chré- 
oeiK  par  leurs  évéques.  Le  sultan  Mus- 
upha  m  écouta  leurs  plaintes,  et  un  vl- 
ar-ciocadar  fut  dépéché  de  Constanti- 
w>ple  en  Chypre  pour  donner  satisfac- 
^on  aux  habitanu.  Le  vizir,  arrivé  à 
i>ï«)sie,  convoque  les  évéques,  les  pri- 
ais turcs  et  bon  nombre  de  Chypriotes 
<te  tomes  religiona,  dans  la  salle  du  di- 
^  pour  leur  lire  les  ordres  du  grand 
«igneur.  Tout  à  coup  la  saUe  s'écroule, 
«  entraîne  dans  sa  chute  plus  de  trois 

(i)  PocodKe,  Description  de  t Orient,  t.  IV, 

6'  iMfraUon,  (  Ile  ds  Chypbb.  ) 


cents  personnes.  Cétaît  le  gouverneur 
qui  avait  fait  scier  les  solives  et  les  co- 
lonnes qui  soutenaient  le  plancher  de  la 
salle.  Le  vizir  avait  échappé  :  Tzil-Os- 
man,  qui  voulait  à  tout  pru  se  débarras- 
ser de  sa  fâcheuse  intervention ,  lui  ser- 
vit du  poison  dans  une  tasse  de  café. 
S^uand  tous  ces  faits  furent  connus,  l'in- 
ignation  du  peuple  ne  se  contint  plus. 
La  foule  courut  au  palais,  en  brûla  les 
portes,  et  l'envahit  en  poussant  des  cris 
de  vengeance.  Les  défenseurs  du  mu- 
hassiJ  furent  massacrés,  lui-même  tomba 
sous  les  coups  de  la  multitude,  qui  après 
cette  exécution  hardie  retourna  paisi- 
blement à  ses  affaires. 

Quelque  temps  après  un  nouveau  mu- 
hassil  arriva  de  Constantinople.  H  se 
nommaitHaflz-Mahamed-Effendi.C'était 
un  homme  qui  ne  manquait  ni  de  capa- 
cité ni  de  prudence;  il  paraissait  dis- 
posé à  accorder  une  amnistie  tacite  au 
meurtre  de  son  prédécesseur.  Mais  il 
se  trouvait  auprès  de  lui  des  gens  plus 
zélés  que  leur  maître*,  qui  s'empressè- 
rent de  lui  présenter  la  liste  des  chefe 
de  l'émeute  qui  avait  coûté  la  vie  à  Tzil- 
Osman.  Cette    maladresse  jeta  HaGz 
dans  un  grand  embarras  :  il  ne  voulait 
pas  ranimer  la  rébellion  par  des  ri- 
gueurs ,  ni  se  déconsidérer  par  sa  conni- 
vence. Il  prit  une  résolution  qui  sentait 
bien  le  pacha  turc.  11  imposa  à  tout  le 
monde  une  contribution  de  quatorze 
piastres  par  tête,  en  expiation  ae  la  ré- 
volte et  du  meurtre  d'Osman.  Cette  ma- 
nière d'aviser  ne  fut  du  goût  de  per- 
sonne :  l'insurrection  recommença.  Les 
rebelles,  groupés  dans  le  village  de  Cy- 
thère,  s'emparèrent  des  moulins  qui  ali- 
mentaient Nicosie.  Les  évéques  se  plai- 
gnirent de  nouveau  à  la  Porte,  qui  nom- 
ma un  second  muhassil  pour  assister 
Hafîz.  C'était  le  meilleur  moyen  de  com- 
pliquer la  situation  et  d'embrouiller  les 
affaires.  De  leur  côté,  les  rebelles  avaient 
trouvé  un  chef  dans  un  certain  Halil, 
aga  de  la  forteresse  de  Cérines.  Cet 
homme,  qui  avait  beaucoup  d'audace  et 
d'habileté ,  tint  en  échec  les  deux  gou- 
verneurs, répandit  l'effroi  dans  l'île  par 
ses  incendies  et  ses  dévastations ,  me- 
naça Famagouste,   réduisit  plusieurs 
fois  Nicosie  à  l'extrémité,  et,  comme  il  ar- 
rive toujours  en  pareil  cas ,  fit  beaucoup 
plus  de  mal  au  pays  que  les  gouverneurs 


82 


LiimyÉHÉ;. 


don  1 1  ei  abtM  avaient  prov5(iaé  ce  ft(»uléf#- 
mf'nt.  Les  campagnes  étaient  à  fâ  mefCf 
d^Ualil  et  de  sa  bande,  et  les  villes  épfou< 
valent  de  continuelles  alarmes.  Alors  les 
principaux  habitants  de  Ttle  résolurent 
d*pni  ployer  Ips  consuls  européens  comme 
médiateurs  entre  le  gouvernement  et  les 
sédiijeut.  Ils  s*adressArent  d'abord  au 
consul  frnnçais;  mais  celui-ci  sVn  dé* 
ifrudit,  nllégûant  que  1p  roi  son  mattre  lui 
ivait  riéfendu  d'intervenir  dans  aucune 
âtfnire  qui  n^jurait  point  de  rapport  avec 
les  fonctions  dont  il  était  chargé.  Alors 
ils  jetèrent  les  yeux  sur  le  consul  an- 
glais, qui  se  chargea  de  la  négociation, 
mais  sans  pouvoir  rien  conclure. 

Le  consul  ang  ais  ayant  retiré  sa  mé- 
diation, les  liostiiités  recommencèrent,  et 
Jes  rebelles  reparurent  sous  les  murs  de 
fïicosjp.  Cette  affaire  durait  depuis  deux 
ans,  et  Pinsouciance  du  gouvernement 
turc  lui  'ivait  laissé  prendre  une  certaine 
gravité.  A  la  fin  le  sultan  prit  des  mesures 
Vigoureuses,  et  le  27  iuin  1766  on  vit 
débarquer  â  la  raie  des  Sahaes  Kiof* 
Maliamed,  pacha  à  deux  queues,  avec  plu- 
sieurs vaisseaux  de  guerre  et  une  petite 
arn)6éde  deux  millecinq  cents  hommes. 
le  même  jour  arrivait  à  Pamagouste  un 
certdfn  Ghierghilousght,  gouverneur  de 
Selefki  dans  la  Caramanie,  qui  se  hâteit 
d'accourir,  avec  une  bande  de  féroces 
CaramanieUs,  au  pillage  de  Ttle  déChy« 
pre.  Le  pacha  força  ce  brigand  à  seran^ 
ger  Sous  son  commandement;  mais  il  ne 
put  t*empécher  de  commettre  d*affreut 
ravages.  Après  avoir  pris  connaissance 
de  Tétat  des  choses ,  le  pacha  marcha 
vers  Nicosie,  où  il  trouva  Malil  h  la  tête 
de  cinq  mille  hommes,  qui  paraissaient 
résolus  à  bien  Combattre.  Mais  une  am- 
nistie accordée  par  Mahamed  â  cetix  qui 
se  retireraient  en  dispersa  le  dIus  grand 
nombre;  il  ne  resta  autour  d  Halil  que 
deux  cents  hommes  déterminés^»  avec  les* 
quels  il  se  jette  dans  la  citudelle  de  Céri- 
nes ,  où  tous  jurèrent  de  tenir  jusqu'à 
la  dernière  extrémité.  Ils  s*y  défendirent 
bravement,  firent  éprouver  de  grandes 
pertes  à  Tarmée  du  pachn.  Mais  Halil , 
attiré  dans  un  plége,  fut  livré  à  Maha- 
med; la  citadelle  se  rendit  le  même 
Jour.  H.-ilil  fut  étranglé;  on  coupa  deux 
cents  têtes,  la  tranquillité  fut  rétablie, 
et  nie  de  Chypre  retomba,  plus  cal- 
me et  plus  misérable  que  jamais,  sous  Id 


gottvemêffleiit  ùè  m  moHafliis  (<). 
TftdtjftLts  0B  lits  im  Chypib 

àV  OlX-USUttftltt  SfiKlLK^  SâHÛLAST 
£001»  ll'ÉTAt  t)S  KOUTCttODK-MBRI* 

HfiT.  ^  Le  clergé  grec  avait  ecrnserré 
dans  nie  de  Chvpre  une  Influence  qtii 
ne  fut  abaissée  qu'à  la  suite  des  itrâves 
événemenis  dont  toutes  les  contrées  ht* 
bitées  par  la  race  iielléuique  furent  le 
tliéâtre  au  commencement  de  ce  siècle. 
L'archevêque  de  iMeosle^  investi  du  titre 
de  raïa-vëklU,  représentant  des  ralei, 
avait  attiré  à  lut  presque  toute  rauiortté 
administrative,  et  non-seulement  il  i>« 
lait  rendu  indépendant  des  imiiiassiis, 
mais  il  décidait  la  plupart  du  temps  de 
leur  choix  et  de  leur  révocation.  De  son 
palais  rarcbevêque  administrait  Tlle 
entière ,  nommait  auit  emplois  de  toui 
les  districts ,  arrêtait  le  chiffre  dpsim* 
positions  annuelles,  envoyait  les  sotn* 
mes  Ûxées  par  le  bail  à  ferme  de  I1l«  lo 
grand  viKir  ou  au  trésdr  impérial.  Det 
avantages,  concédés  ft  propos,  atta- 
chaient les  agas  turcs  à  la  cotiserration 
de  son  pouvoir,  et  toos  les  habitants  dl 
nie,  Tufcs  et  Orr^cs,  Id  tegardairot 
comme  le  véritable  gouverneur,  et  Vite* 
situaient  à  ne  plus  tenir  eompte  du  mu« 
hsssil.  La  toute^pulssflnca  des  arche» 
téques  de  Nicosie  parvint  U  son  $i^ 
eous  les  règnes  de  Sdllm  m  et  de  Moei* 
tapba,  prédéeesseurs  Immédiatt  du  sa)' 
tin  Mahmoud,  ei  ne  fut  ébranlée  qu'eo 
commencement  du  dln^neuvièmesièiie, 
en  1804,  par  un  mouvement  insurreciiofl' 
fiel  dt*s  Turcs,  prélude  de  la  eatastroplM 
•anglante  ^ui  devait  l'anéantir.  Ut 
Turcs  établis  dans  nie  de  Chypre  étaient 
profondément  blessés  de  se  voir  tof\\)téî 
eous  la  dépendance  de  cent  qu'ils  avaient 
autrefois  assujettis.  La  population  tor- 
que de  Nicosie  et  des  campagnes  enri- 
ronnantes  i  émue  par  le  bruit  vrai  ot 
faux  de  rinsufOsance  dee  ap0rovlsiotTfl^ 
ments  nécessaires  à  la  subaisUoce  de 
nie ,  se  souleva  Contre  rauterité  <^^ 
afastique  de  qui  tout  dépendait ,  et  fut 
on  Instant  mattresse  de  Nicosie.  L'a^ 
Wvée  de  deux  pachaa  d'Asie  Bllneure. 
avec  des  forces  respectables,  rinterten- 
tion,  toujours  respectée,  des  consuls  de 
France,  é' Angleterre  el  de  Russie,  qtfi 

(r)   Marîti,  P'oyage   âani  tSe  de  Chy 
ftre,  etc.,  1. 1,  p.  zox  et  suiv. 


ILE  M  CB¥^RE. 


8S 


étiifBt  iloift  tftf.  RfgrtaUK,  P^isffàrii 
01  GHIiimtl,  apaisèfeiit  cette  «fTefve^- 
«ncf  pMtgèK^  et  lés  eho^ès  paruff^m 
reprendre  \€ûf  eontê  aecotitttttié.  Mais 
lei  imiigUM  an  «gas  tarda  eontfe  les 
fFriftiais  gre«s  fie  a«  ralentirent  pas ,  et 
abouUrentf  en  1898,  à  un  Coup  d*Ëtat 
ito|laift  <|ui  mit  fin  à  radministratioA 
4ej  mtibaaaila,  rtftiveraa  rautdritë  du 
«Krgé  jgrM  it  rMbllf  le  ponto\t  entré 
tel  fflami  dea  paebas.  L'arrhevédtie  Ky^ 
prianos  otMpaU  alors  le  siège  de  Nico^ 
lie,  et  le  fouvernement  de  rtle  étdit 
dfpuia  iK3o  entre  les  maiùs  de  Kout- 
«houk'Méliémet,  homme  impérieut  et 
liiMfmule)  que  le  capltan-parlia  avait 
rtieisi  à  dessein  potir  ruiner  l^influencé 
do  iirlntat  grée.  Les  cireonst^nces  de- 
rinretit  bientôt  favorables  à  rexécutlotl 
éî  ee  projet.  Les  premières  insurred- 
lions  de  (a  iVloldatie  et  du  Péloponnèse, 
qui  fttateni  éclaté  peu  après  l'arrivée  de 
Komehouk-Htéhértieten  Ciiypre,  en  ins- 
pirant les  plus  Vives  Craintes  au  gou- 
femenièot  ottoman,  autorisaient  toutes 
In  niesufes  que  potivait*nt  prendre  seS* 
ifems  pour  <X)n(etiir  les  rafas  dans  les 
prdvlnces  oft  Ils  ne  s'étaient  pas  insur- 

Ïis.  or,  les  Grées  de  i1le  de  Ciiypre 
a)em  festéS  tout  à  ftit  étrangers  au 
doovemem  Haiiobâl  nul  avait  soulevé 
l«i autres  leê  et  le  eotitlnent  de  la  Grèee. 
•  Ce  ii*étalt  pas  eut  ^ul  criaient  à  là  ty- 
ranbie  et  qui  songeaient  à  prendre  les  ar- 
nrs  $  é*êtâletfit  les  Tures ,  impatients  de 
riMirvlSMnteftt  dâbs  lequel  les  primats 
^  tetiaietit  deptils  une  dnquantaine 
d'snnées;  <f  était  pour  eut  que  se  prépd- 
nient  là  féattlon  et  l^afTrancfiissc- 
Bient(i).  n  «n  effet,  Koutchoukniélié- 
m,  sons  ptéiextë  de  contenir  la  popu- 
lation grecque ,  qui  ne  demandait  qu'à 
rHter  tranquille,  et  en  réalité  pour  res- 
saisir le  potivOif ,  f;!it  venir  des  mon- 
tsfuies  de  PAnfl  Liban  des  bandes  d*A- 
rabes,  de  Bédôoloâ  et  de  brigands  Ansa- 
H^.rt  les  disperse  dans  rtle.  Les  Grecs, 
frappéa  dé  terreur^  se  laissent  désarmer 
pour  jter  tout  prétexte  au  soup^n  : 

(i)  Voir  sur  œs  éTénemenls,  dam  iê  Cor* 
retpotutattt  du  ft&  juin  1847 ,  «n  aHiele  dtf 
M.  de  Mas-Latrie  imitolé  :  Nieôtié ,  ses  ààUvé^ 
firsettaâiiUÊHionprëêeniBt  p.  êfto^  eieooMnifé 
àêns  le  n«mén>dd  le  MéL  -^  Pouqiietille , 
Bisioîre  de  h  Re^értéritti9n  de  U  Griffe,  I.  TV. 


rarèfievéquë  ICyprlauos  {protesté  dé  son 
attaehement  h  la  pBÏx ,  de  sa  soumlssioh 
du  gouvernemefit  du  grand  seigneur. 
Routchouk-Méhémet  persiste  à  inven- 
ter un  complot,  persuade  de  sonetis^ 
tenee  le  grand  vizir,  qui  était  peut-être 
ide  moitié  dans  le  stratagème,  et  qui  peN 
met  au  gouverneur  de  faire  un  exempte 
par  la  châtiment  rigoureux  dès  chefs. 
Libre  d'agir,  K0Utchouk->11éiiémet  oN 
donna,  leil  juillet  1823,  d*arréter  l'ar* 
ehevèque  et  léS  trois  évéques  dé  Ttié. 
Ou  les  conduisit  au  sérail ,  et  à  peine  fu* 
rent«ils  etifrés,  quMs  furent  massacres 
par  les  Janissaires.  Les  primats  grecs, 
appelés  ensuite,  avant  que  le  meurtre 
des  prélats  eflt  transpiré,  éprouvèrent 
le  même  sort.  On  ouvrit  alors  les  portes 
du  palais,  et  Ton  jeta  sur  la  phice  leurs 
cadavres  sanglants.  Ce  fut  le  signal  d  un 
massacre  général  Le  couvent  de  Phaue- 
romeni  fut  aussitôt  investi  et  ses  papas 
égorgés.  On  m'a  dit ,  ajoute  M  de  Mas- 
Latrie  ,  qu*avant  de  les  massacrer,  les 
Tums^  par  un  raflinemeut  inouï  de  ven- 

§eat)ce ,  avaient  selle  les  On  pas  comme 
es  chevaut,  leur  brisant  tes  dents  pour 
introduire  un  morS  dahs  la  bouche,  et 
les  forçant  à  caracoter  sous  leurs  épe- 
rdus. Les  maisons  grecques  furent  li- 
vrées au  pillage.  Les  massacres  Se  renon- 
vêlèrent  datis  toutes  les  provinces  de 
rilé;  les  spoliations  vinrent  ensuite. 
Pendant  slt  mois  ce  fut  une  terreur  uni- 
verselle parnn  la  population  grecoue. 
Les  paysans  se  sauvaient  dans  les  Dois 
ou  en  Caramanie;  les  primats  ,  tes  prê- 
tres, les  Grecs  aisés  échappés  aut  janis- 
saires Se  réfugièrent  à  Larnaca,  sous  ta 
protection  des  consuls  européens.  La  plu- 
part passèrent  en  Italie  et  en  France, 
et  il  y  a  peu  de  familles  grecques  chez  qui 
le  nom  de  Marseille  ou  de  Venise  ne  ré- 
veille encore ,  après  plus  de  vingt  anS 
écoulés  depuis  son  retour  dans  l'Ile, 
d'attendrissantes  émotions  de  reconnais- 
sance. Tel  fut  pour  Hle  de  Chypre  le 
funeste  contre-co un  de  la  ri^volution  qui, 
efi  affranchissant  la  Grèce  continentale 
et  les  Cyclades,  renouvela  toutes  les  ri- 
gueurs de  Toccupation  musulmane  pour 
lés  contrées  qui  restèrent  condamnées 
à  la  servitude* 

ÉtAT  ACTÛBL  D£  L'itfi  DC  CfltPBE 

—  Cette  belle  et  malheureuse  île,  disait 
Maf  rti  au  siècle  dernier,  Ue  se  remettra  ja- 

0. 


^ 


L'UNIVEES. 


mais  des  désastres  qu'elle  souffre  depuis 
tant  d^années ,  si  elle  continue  d'être  ven- 
due au  plus  offrant  et  au  demiet  enché- 
risseur. £n  effet,  quel  que  fût  le  titre  des 
gouverneurs  qu'on  lui  imposait,  pachas 
ou  mubassils ,  Ftle  de  Chypre  était  tou- 
jours une  ferme  qu'on  leur  donnait  à  ex- 
ploiter sans  contrôle ,  et  elle  alla  végé- 
tant et  s'appauvrissant  d'année  en  an- 
née jusqu'aux  innovations  du  dernier 
sultan.  11  faut  rendre  cette  justice  aux 
derniers  maîtres  de  l'empire  ottoman, 
que  depuis  longtemps  ils  ont  reconnu 
les  vices  et  les  dangers  de  l'inintelligent 
despotisme  de  leurs  prédécesseurs ,  et 
qu'ils  ont  entrepris  une  lutte  courageuse 
contre  les  abus  invétérés  qui  menaçaient 
d'entraîner  la  ruine  de  leur  domination. 
Vers  la  fin  de  Tannée  1838,  un  firman 
du  sultan  Mahmoud  étendit  à  l'île  de 
Chypre  le  nouveau  mode  de  gouverne- 
ment qu'il  cherchait  à  introouire  dans 
tous  ses  pachaliks.  Ce  firman  abolit  le 
fermage  de  nie ,  et  décréta  qu'elle  serait 
à  l'avenir  gouvernée  par  un  fonction- 
naire à  appointements  fixes ,  qui  verse* 
rait  au  trésor  impérial  la  totalité  des 
impôts  perçus ,  et  ne  pourrait  plus  rien 
extorquer  des  habitants.  Le  nouveau  ré- 

fime  lut  inauguré  dans  l'île  par  Osroan- 
acha ,  homme  de  guerre  habile  et  dé- 
voué, dont  la  présence  en  Chypre  parut 
nécessaire  pour  surveiller  Médémet-Ali, 
qui  venait  de  se  déclarer  indépendant 
et  d'enlever  la  Syrie  à  la  Porte.  Le  fir- 
man de  Mahmoud  inaugurait  un  systè- 
me de  réformes  administratives  qu'Ab- 
dul-Medjid  a  complété  en  1839  par  le 
hatti-schériff  de  Gulhané,  et  qui  a  com- 
mencé une  ère  nouvelle  pour  111e  de 
Chypre  et  pour  la  Turquie  tout  entière. 
Sans  doute  il  ne  suffit  pas  de  décréter 
une  réforme  pour  changer  la  face  d'un 
pays  et  guérir  les  maux  dont  il  est  tra- 
Taillé  :  en  Turquie  surtout,  les  mœurs 
publiques  opposent  de  nombreux  obsta- 
cles à  l'application  sincère  de  ces  nou- 
veaux procédés  administratifs,  tant  le 
Turc  est  habitué  à  l'arbitraire  du  despo- 
tisme et  le  raîa  à  l'avilissement  de  la  ser- 
vitude; mais  il  faut  tout  attendre  de  la 
volonté  persévérante  des  sultans  et  de 
l'influence  salutaire  des  principes  civi- 
lisateurs acceptés  et  proclamés  par  le 
gouvernement  ottoman;  car,  selon  la 
remarque  judicieuse  de  M.  de  Mas-La- 


trie, dans  un  paysr  oà  Fautoiité  soUTe- 
xalne  conserve  encore  son  prestige  sacré, 
tout  ce  que  veulent  le  prince  et  son  gou- 
vernement devient  oossible. 

Depuis  la  nouvelle  organisation  (1) , 
le  gouverneur  de  Chypre  porte  le  titre 
de  kaïmakan,  lieutenant  du  sultan,  et 
reçoit  par  mois  un  traitement  de  40,000 
piastres,  ou  130,000  francs  par  an.  Il 
est  pris  indistinctement  dans  ramnée, 
dans  les  services  civils,  ou  parmi  les 
employés  supérieurs  des  ministères  à 
Constantinople ;  et,  qud  que  soit  son 
rang,  pacha,  effendi  ou  aga,  les  Qiy- 
priotes  ont  l'habitude  de  lui  donner  le 
nom  de  pacha.  Toute  Tautorité  civile, 
l'administration  financière  et  le  pouvoir 
exécutif  sont  concentrés  en  ses  mains. 
Il  a  au-dessous  de  lui,  et  à  sa  nomina- 
tion, douze  zabitsou  lieutenants  admi- 
nistrant chacun  des  douze  districts  de 
rtte,  de  concert  avec  un  démogéromie  ou 
khodja-bachi ,  choisi  par  les  Grecs  de  la 
circonscription.  Un  conseil,  que  Ton  ap- 

rille  divan  ou  choura,  assiste  le  pacha 
I^icosie  dans  l'expédition  des  affaires 
et  la  répartition  des  impôts.  Ce  conseil 
tient  à  la  fois  de  notre  conseU  d^j&tat, 
de  la  cour  des  comptes ,  et  de  la  cour 
de  cassation.  Les  huit  membres  qui  le 
composent  sont  :  le  mufti,  chef  de  la 
religion  et  interprète  de  la  loi  musul- 
mane; le  mollah,  qui  est  le  cadi  ou  juge 
de  Nicosie;  le  commandant  des  for- 
ces militaires,  lorsqu'il  y  a  par  oceasion 
des  troupes  dans  l'île;  les  principaux 
agas  turcs  de  la  capitale;  l'archevêque 
grec,  et  l'un  des  trois  démogérontes  cJus 
par  les  Grecs,  dont  ils  sont  les  repré- 
sentants vis-à-vb  de  l'autorité  supé- 
rieure. Un  délégué  des  Arméniens  est 

(z)  J^emprante  tous  ces  renseignemema 
aux  lettres  adressées  au  ministre  de  l'iiistnie» 
tion  publique  par  M.  de  Mas-Latrie  et  in> 
iérées  dans  les  jircfùves  des  Missions  scienti^ 
fiques,  mars  xS5o.  Je  n'aurai  pas  toujours  des 
documents  aussi  exacts  ni  aussi  réceots  sur 
les  Iles  dont  l'histoire  formera  ce  recueil  : 
ceux  que  je  don  aux  publications  de  M.  de 
Mas-Latrie  me  seront  d'autant  plus  précieux. 
Gomme  la  situation  sociale  et  admtaistrativr 
des  lies  turques  est  presque  partout  la  même, 
ce  que  nous  disons  ici  de  l'île  de  Chypiv 
s'applique  en  général  à  toutes  les  auiies.  Ah 
una  disce  omtits.  Je  reproduis  en  l'abréi^ant 
lu  lettre  de  M.  de  Mas-lastrie* 


ILE  DE  CHYPRE. 


86 


adoiis  au  ciionra,  pour  défendre  les  in- 
térêts de  ses  coreligionnaires  ;  les  Ma- 
roDit»  attendent  cette  faveur,  que  la 
France  a  demandée  pour  eux. 

Les  contributions  versées  annuelle- 
ment au  trésor  du  grand  sel^eur  par 
nie  de  Chypre  s'él^ent  environ  à  la 
somme  de  quatre  millions  de  piastres  ou 
on  million  de  francs.  Les  sources  de  ce 
revenu  sont  :  1**  le  khorach,  impôt  per- 
sonnel à  la  charge  exclusive  des  raîas, 
grecs  y  maronites  et  arméniens  ;  2^  le 
miri,  impôt  prélevé  snr  la  fortune  pré- 
sumée des  contribuables  turcs  ou  raïas  : 
ceux-ci  en  payent  injustement  les  quatre 
cinquièmes  denuis  les  événements  de 
1823,  bien  que  leur  nombre,  double  seu- 
lement de  celui  des  Turcs,  ne  dût  leur 
eo  faire  attribuer  que  les  deux  tiers; 
3^  le  bail  à  ferme  des  douanes  deTtle; 
4Me  fermage  des  salines  de  Larnaca  et 
de  Limassol  ;  5**  une  dîme  perçue  sur  la 
récolte  de  la  soie  et  du  fermage  des  dif- 
férents fiefs  ou  terres  domaniales  réser- 
vées au  grand  seigneur  dès  la  conquête 
de  rtie. 

La  justice  est  rendue  dans  chaque  dis- 
trict aux  Turcs  et  aux  Grecs  par  un  cadî 
turc;  mais  certaines  causes  sont  sou- 
mises au  mufti  de  [Nicosie ,  et  décidées 
par  i^fetwca  ou  interprétations.  Les 
Grecs  dépendent  encore  des  tribunaux 
d«  leurs  évéqu^s  pour  toutes  les  ques- 
tions de  foi,  de  morale  et  d'état  civil , 
comme  les  mariages  et  les  cas  de  divorce, 
très-fréquents  dans  l*fle.  Les  cadis  n'ad- 
mettent pas  le  témoignage  des  raïas 
dès  qu'un  musulman  est  impliqué  dans 
le  procès,  quel  qu'en  soit  l'objet.  Cette 
procédure,  commune  à  tout  l'empire,  et 
(ipi  a  son  analogue,  du  reste,  dans  la  lé- 
gislation des  croisés ,  finira  par  être  ré- 
jormée,  tant  elle  est  rigoureuse.  On 
appelle  du  jugement  des  cadis  à  la  déci- 
sion du  ehoura,  et  dans  les  questions  ré- 
servées aux  évéques  les  Grecs  peuvent 
'^orir  en  second  ressort  à  la  sentence 
de  rarcbevéque, 

L'Église  de  Chypre  est  divisée  en  qua- 
tre diocèses,  qui  sont  :  Tarchevéché  de 
Nicosie  ou  Leukosia,  comme  disent  les 
Grecs,  capitale  de  llie,  et  les  évéchés  de 
Larnaca,  de  SLérinia  ou  Cérines,  de 
Baffo,  l'andenne  Pajihos,  et  de  Limassol 
00  Limisso.  Le  diocèse  de  I^îcosie, 
plus  grand  de  moitié  que  les  autres. 


fournit  à  l'archevêque  un  revenu  annuel 
de  240/)00  piastres  turques,  ou  60,000 
francs.  Les  sources  des  rentes  archi- 
épiscopales sont  :  1*"  la  contribution  pré- 
levée sur  toutes  les  églises  du  diocèse , 
proportionnellement  à  leurs  revenus 
particuliers;  2*  les  redevances  dues  par 
ses  vingt-sept  couvents  ou  bénéfices; 
3®  la  dlme  payée  nar  les  paysans;  4»  le 
tribut  payé  par  chaque  village  pour  le 
prix  d'une  messe  pontificale  que  rarcbe- 
véque y  va  célébrer  chaque  année  ;  S"*  la 
perception  d'un  talari  (  5  francs)  pour 
chaque  mariage  célébré  dans  le  diocèse  ; 
6**  enfin  le  droit  de  dispenses,  si  souvent 
nécessaires  dans  l'Église  grecque  pour 
cause  de  parenté  ou  de  divorce.  Chaque 
évéque  prélève  des  droits  analogues  dans 
les  limites  de  son  ressort  ;  mais  retendue 
du  diocèse  de  Nicosie,  qui  comprend, 
outre  la  ville  de  ce  nom,  les  districts  du 
Karpas,  de  la  Messorée,  de  Kythréa  et 
d'Orini,  donne  à  rarcbevéque  un  revenu 
double  au  moins  de  celui  de  ses  suffra- 
gants.  Outre  ces  rentes,  l'archevêque 
reçoit  encore  les  redevances  en  nature 
qu^apportent  les  Grecs,  quand  ils  vien- 
nent à  ISicosie,  où  l'archevêché  est  leur 
caravansérail,  et  les  sommes  assez  fortes 
que  payent  les  papas  pour  recevoir  l'or- 
dination ,  car  la  simonie  la  plus  déplora- 
ble régne  toujours  dans  TÉglise  erecque. 
Après  avoir  assujetti  toutes  les  pro- 
vinces de  l'empire  byzantin ,  les  Turcs 
respectèrent  la  position  acquise  par 
le  clergé,  qui  continua  à  être,  après 
comme  avant  la  conquête ,  le  corps  le 

Îilus  considéré  de  la  nation.  De  sorte  que 
es  évéques  des  raïas  grecs  ont  con- 
servé, sous  le  despotisme  tutélaire  des 
Turcs,  des  prérogatives  qui  rappellent 
l'ancienne  puissance  de  l'Église ,  et  qui 
ne  leur  ont  point  été  laissées  dans  la 
Grèce  indépendante.  Le  clergé  grec  du 
royaume  fondé  par  l'affranchissement 
des  Hellènes  n'occupe  dans  l'État,  orga- 
nisé sous  l'influence  des  idées  euro- 
Séennes,  que  la  place  modeste  et  secon- 
aire  du  clergé  latin  dans  la  plupart  des 
États  catholiques.  En  Turquie,  ou  l'on  a 
peu  d'instincts  novateurs ,  où ,  par  goût 
pour  l'immobilité,  on  laisse  se  perpétuer 
le  bien  comme  le  mal ,  l'Église  grecque 
a  conservé  à  peu  près  la  situation  qu'elle 
avait  au  moyen  âge,  au  temps  de  la  con- 
quête. L'archevêque  de  Nicosie  est  resté 


86 


{.umvKius. 


indép^daDt  de  tout  patriarche .  mèm 
4e  celui  de  ConstdDtinople*  cbef  de  l'Et 
slise  d'Orient.  Comme  celui-ci,  il  porte 
la  pourpre;  etmiand  il  ofGcie,  il  est  ac- 
compagné d'im  lévite  portant  le  chande- 
lier à  (leux  branches.  Au  lieu  de  crosse, 
il  a  une  canne  h  pomme  d'or,  comme  Ie3 
anciens  empereurs  grecs.;  il  signe  tou- 
jours 5  l'encre  ruuge,  et  conserve  pour 
sceau  r»iigle  impériale  à  deux  têtes.  Ce9 
privilèges  datent  du  temps  de  l'empe- 
reur Zenon,  ver3  47$,  (|ui  l'accorda  à 
Tévéque  de  S^iamine,  à  1  occasion  de  la 
découverte  des  reliques  de  saint  Bar-^ 
sabè.  Ils  lurent  confirmés  et  étendus  par 
les  douveriiins  pontifes,  lors  de  la  trans- 
lation (1(1  siège  de  Famagouste  a  NicosiCy 
sous  le  règne  de  Guy  de  l.usij{nap. 

L'archevêque  est  nommé  directement 
par  la  purte^  qui  consulte  rarem^^nt  daqa 
ses  choix  le  chapitre  de  Nicosie;  mais 
les  chapitres  diocésains  ont  le  droit  de 
Donnner  leurs  évéqufs,  sans  la  sanction 
de  l'archevêque.  Leur  élection  une  fois 
agréée  par  le  gouvernement  turc,  ils  sont 
sacrés  par  rarihevéque,  et  entrent  alors 
dans  l'exercice  de  leurs  fonctions  ;  chaque 
évéqtie  a,  comme  le  métropolitain,  trpis 
grands  vicaires,  un  exarque,  charrié  du  re- 
couvrement des  dîmes  et  de»  autres  reve- 
sus  de  Tévéché,  un  archimandrite,  cl^ef 
des  prêtres,  un  archidiacre,  chef  des  dia- 
cres, préposés  tous  les  deux  a  Tadminis- 
traiion  du  diocèse.  Les  chapitres  des  trois 
évechés  réunis  ont  ensemble  cinquante 
membres  envirout  chanoines,  vicaires, 
diacres  ou  autres  dignitaires  ;  le  chapitre 
de  Mcosie,  a  lui  sf  ul,  est  aussi  nombreux. 
Près  de  quatre  cents  caloyers,  moines^ 
bénéficiaires  ou  servants,  obéissant  a 
quatre-vingt-trois  higoumènes,  chefs  de 
monastère,  et  douze  cents  papas  ou  prê- 
tres séculiers,  répartisdans  Tile,  forment, 
avec  les  chapitres,  uu  clergé  de  plus  de 
dix-sept  cents  membres  pour  une  popu- 
lation grecque  d'environ  soixante-quinze 
nulle  âmes.  Les  caloyers  font  vœu  de  cé- 
libat ;  et  c'est  presque  toujours  parmi  eux 
Que  Ton  prend  les  hauts  dignitaires  du 
clergé  séculier,  nécessairement  e^éliba- 
taires  ou  veufs.  Les  papas,  la  plupart 
mariés  et  misérables,  sont  obligés  de 
cultiver  la  terre  ou  de  se  livrer  à  quelque 

Ï»etit  métier  pour  entretenir  leurs  en- 
ants  :  j'en  ai  trouvé  souvent  dans  les 
villages,  dit  M.  de  Mas-Latri^  gardait 


les  pourceauvi  tmnt  1  wr  cutopt^o»  fai- 
sant des  souliers.  Iaw  instruotion  est 
entièrement  nulle;  car  tout  bomn^e est 
apte  à  devenir  papas,  pourvu  qu'il  sache 
lire  couramment  dans  un  bréviaire. 
'  Tout  est  négligé  et  languissant  daq^ 
rîle  de  Chypre  ;  ragriculture  et  le  cora- 
iperce  y  sont  bien  peu  de  chose,  Findus- 
trie  y  est  à  peu  près  nulle.  Les  Cliy- 
priotes  ont  à  leur  disposition  un  millioQ 
d'hectares  de  terreSi  presque  toutes  cul- 
tivables. Us  n*en  exploitent  pas  au  delà 
de  soisante-cinq  mille  hectares.  Ils  cul- 
tivent les  terrains  les  plus  rapproclié» 
de  leurs  villages;  les  çiifimps  elpigoé 
sont  abandonnés,  et  restent  des  déserts 
incultes.  Les  principaux  produits  de  l> 

gricuiture  dans  Tile  de  Chypre  sont  :  lu 
lé  et  rprge,  )e  tabac,  le  cotop,  la  g;^' 
rauee,  la  solejes  caroubes,  le  sei,  l'huils 
et  les  vins.  D'après  les  docunoepts  re- 
cueillis par  M.  oe  Mas-Latrie  aux  coa- 
sulats  cfe  France  et  de  Sardaigne,  es 
peut  établir  ainsi  la  quotité  annuelle  des 
divers  produits  de  l'Ae  de  Chypre  (1)  : 

(l)  Op  vpit  ppr  le  table^H  sqivsm  qq'il 
n*^st  plus  auestioii  du  cuivra  iioripi  les  pro' 
duiU  de  rile  de  Chypre.  Ses  vins  sont  encore 
très-renommés.  Ou  eu  distingue  cinq  quali- 
tés :  I*  les  vins  noirs  ordinaires,  dont  ks 
meilleurs  se  récoltent  i  Gfaouri,  à  Palseocbori, 
k  Omodos  y  aux  environs  de  Limasiol ,  sur  U 
lM«eb^a;  a*  las  vins  ondfljàiras  voussâtres. 
qui  se  trouvent  à  peu  {irès  daps  les  mév» 
localités  :  les  uju  ci  las  autres  font  «apitiust 
et  onl  une  fort»  odeur  de  goudron.  |i«foii  tum 
lei  paysans  les  conservent  d#ns  de«  omm  «m 
de$  bjiriU  goudrouoés  :  ç^  vimi  commuiM  tf 
biglent  ou  s  ex  portent  à  Alfxandria,  j^aiiif 
en  £uro|>e;  3<*  parmi  bt  vins  de  luxe  k  fk] 
estirnée^l  li;  fameux  viu  de  corem^nderie,  <]ui 
se  récolte  dauç  \p  district  de  l^imassol ,  m 
nord  de  Kolos&i,  ancienne  romm<>pderi<î  Je> 
bos|)iialiers;  roux  quaqd  il  sort  du  |)re&»ûtr, 
ce  vin  se  clarifie,  et  prend  une  couleur  topasCr 
qui  devient  toujours  plus  Ijmpide  jusqu'à  b 
buiiièmeou  ueuvièmeaonée  ;  eusuUefI  .«e  fonce 
suocessivenieni,  el  «a  teinte,  d*abord  grenat  • 
comme  celle  du  Malaga*  pa«<e  presque  au 
noir  quand  il  ert  axtrèniewMitit  vieux  :  le  vin 
est  alors  visquaux ,  épais  el  plein  de  Ibrce  : 
c*est  un  eseelUut  slooiacbique;  4*  leauM*' 
ait  plus  doux  qiie  la  précédant  el  «viw  if 

«liercbé,  quqiaps  de  tf9$*boi|«e  quililé; 
S®  le  morocQ/ieUa,  moins  dQuiiqw«  if  ma^« 
est  ua  excellent  ¥io«  wsi«  «l^ez  rara  :  oa  n'cp 
récolte  qu'on  très-petite  quaiOilé, 


ILE  DK  CBYPHE. 


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■   ^w*'  a^  wpi 


VATCU  on  vmvuagn. 


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c» 

nK^ures 

4«  Praoee. 


UTlMiTIOU 

«pproiimatlve. 


Mf. 


Céréales  ;  { oi^gp.  .   .   ,.«.••«. 
%9w&  et  avoine,  •  •  «  . 
Viq. 


Hiiile.  .  .  ,  ; 

Uroubei , 

Fiuits  et  légumes 

Animaux  exportés  et  leurs  dépouilles. 

Uii,  bfjirre,  fromage 

▼olaille 

Poitton  cl  gibier 

«el.  .  .  . 


Laine 

ioit. 

CeioR.  . .  ,  . 

GiruK^ •  .  .  •  . 

Ui.  chmwe,  giviae  4e  Uq,  aéMiic. 

Tibia f 

Soif  rt  ohirbpni*  ,...«.•*» 
,  Miel,  cirt,  coloquinte,  poâ^  etc,  ,  , 

i      TûtaL 


6qo,ooo 
i,35o,ooo 

3oo,ooQ 
{,4qo,oqo 

1 90,00Q 

ao,ooQ 

» 
100,000 
6,0Qp,000 
IftO,000 

»o,odo 

x,6oo 

5oo 

» 
190,000 

» 


ka&s. 

id. 

id. 
coures, 
riires. 
quint. 


okes. 

id. 

id. 

id. 
quiat. 

id, 

okM. 


1 5o,ooo  hect. 

337,000 

75.000 

140.0U0 

4,687  Ulog. 

A^^oo.ooo 


n 
•» 


1» 

ia5,ooo 

7,ffoo,ooo 

iSo.ooo 

afi,ooo 

3So,ooo 

II9»S0O 

I  $0,000 


f,5oo,ooofr, 
i,35g,ooo 
3ou,ooo 
lt4oo.uoo 
375,000 
25o,ouo 
5oo,ooo 
85o,ooo 
5oo,oQ0 

75,000 
100  000 

75,000 

90,000 
475,000 
aào,ooo 

75,000 

I  $0,000 
130,000 

i5oiOoo 
aoo,ooo 


a,  81 5,000  fr. 


Nicosie,  Larnaca,  Limassol  et  Kilani, 
les  villes  de  fabricatioo  de  Ftle,  ne  possè- 
dent aucun  étoWisfiwiMBl  qui  puisM  étrt 
comparé  aux  plus  petites  fabriques  d*Eu- 
lope.  Du  reste,  Fétablissemept  de  grands 
ateliers  et  de  manufbctureB  n*est  pas 
uni  coadition  indispepsable  de  la  pros- 
périiéd'u»  Bo«plo|  et  Cbypro  serait  suf- 
fisamment heureuse  et  riche ,  t^i  le  tra- 
vail iDdividuei  et  Tindustrie  dfs  ménages 
9  avaient  plus  d'activité  et  de  dévelo^ 
pensent  Les  femmes grec(]ues  de  Nicosie 
et  erlles  de  Laniaca  eiécutent  de  jolis 
ouvrages  en  broderie  pour  la  coiffure  et 
lis  vétemrnta  des  dames.  La  broderie 
eiUau  reste,  upt*  vieille  industrie  de  Tile  ; 
et  11.  de  Mas-Latrie  croit  qu'on  y  fait 
encore  cet  er  de  Chypre  ^  si  recherché 
au  moyen  âge  pour  les  oostumes  d'église 
et  (le  coan  si  vanté  dans  les  tableaux  de 
Qos  trouvères,  et  imité  au  quinzième 
sièctepar  les  passementiers  d'Italie.  Dans 
^oiMi  nie,  les  feiames  tissent  à  domicile 
<W«  lerviettes  ei  des  toiles  communes  de 
^i^«  de  grandes  beseces  en  loine  de 
çaulfur,  servant  au  transport  des  mar- 
wuUie«,  e(  de  groesee  toiles  d*«mbai- 


laiie  ta  ehanvre  ou  en  lin.  Micost^  net" 
tage  avec  Psimilophou,  Bedoulla  et  To- 
lirguia,  le  tannage  dee  poau«  verdétree, 
dont  les  paysans  font  les  hautes  chaus- 
sures qu'ils  portent  toujours  pour  se 
garantir  de  fa  morsure  des  aspics.  Ni- 
cosie fabriaue  encore,  comme  Kiani^ 
des  mousselines  de  soie  et  des  hakire  oa 
soie  et  coton,  étoffe  raj^ée  semblable  à 
une  fine  toile  écrue.  Mais  les  objets  tes 

1)lus  importants  de  son  industrie  sont 
es  marocains  et  les  indiennes.  ICtle  ex- 
porta  ses  cuirs  teints  en  jaune,  noir  ou 
rouge,  dans  la  Syrie  et  la  Caramanie.  Ses 
indiennes  sont  recherchées  en  Orient 
pour  tenlures  et  divans.  Ce  sont  des  oty- 
tonnades  importées  d'Angleterre  à  trèe- 
bas  prix,  et  qui  une  fois  temtes  à  Nicosie  ' 
s'exportent  avec  une  valeur  double  eo 
Syrie ,  en  Caramanie ,  à  Smyrne  et  à , 
Constantinople.  La  fabrication  des  pote-  ' 
ries  communes  de  Larnnca,  Limassof , 
Lapistro,  etc.,  la  distillation  du  raki, 
espèce  d'eau-de-vie  très- répandue  dan»  * 
le  Levant,  que  chaque  paysan  propri^ 
taire  de  vignes  fait  avec  son  alambic; . 
celle  dea  «aux  de  senteurt  de  rû«e ,  d'o- 


SB 


I/UHIVCRS. 


ranger,  de  lavande,  huile  de  myrte, 
laudanum,  quise  âiit  dans  les  districts  de 
Lapithos  et  de  Kounia,  et  dans  la  vallée 
venloyante  de  Marathassa,  si  bien  sur- 
nommée MyriafUJumsa  y  complète  la 
série  des  différentes  branches  de  l*indus- 
trie  des  Chypriotes. 

Le  commerce  de  Hle  consiste  presque 
uniquement  dans  Texportation  de  ses 

Sroduîts  naturels.  Pendant  une  période 
e  quatre  années,  de  1840  à  1843,  les 
seules  pour  lesquelles  des  renseigne- 
ments journaliers,  et  aussi  exacts  que 
possible,  aient  permis  de  fiiire  des  rele- 
vés dignes  de  confiance,  la  moyenne 
annuelle  des  exportations  s'est  élevée  à 
3,200,000  francs,  et  la  moyenne  des 
importations  d'articles  étrangers  servant 
à  la  consommation  des  habitants, à  près 
de  la  moitié  de  cette  somme. 

Depuis  la  fin  du  seizième  siècle  toutes 
les  provinces  de  Tempire  turc  ont  été 
travaillées  par  une  dépopulation  conti- 
nue. Cette  oépopulation  s'est  fait  sentir 
en  Chypre  comme  ailleurs.  A  la  fin  de  la 
domination  vénitienne,  Chypre  reiiferv  ^ 
mait  huit  cent  soixante  villages;  elle  n'en 
compte  plus  aujourd'hui  que  six  cent 
dix ,  et  dans  ce  nombre  il  y  en  a  plus  de 
la  moitié  au-dessous  de  trente  feux.  Le 


nombre  des  villages  entièrement  pmpléi 
de  Grecs  ou  habités  par  des  Grecs  et  des 
Turcs  est  de  dnq  cent  quinze  ;  il  n'y  a 
que  quatre-vingt-neuf  villages  complè- 
tement turcs  et  six  villages  entièrement 
maronites.  On  a  été  longtemps  sani 
renseignements  positifs  sur  la  popula- 
tion deirtle  de  Qivpre ,  et  l'on  ne  peut 
regarder  comme  des  évaluations  même 
approximatives  celles  des  voyageurs  et 
des  géographes  qui  ont  avance  que  cette 
île  ne  pouvait  renfermer  plus  de  60,000 
ni  même  plus  de  80,000  Ames.  Des  cal- 
culs plus  exacts,  établis  sur  un  oommea^ 
cément  de  statistique,  dû  à  Talaat-£f- 
fendi,  gouverneur  de  Chypre  en  1841, 
permettent  d'évaluer  la  population  ac- 
tuelle  du  pays  à  108  ou  H0«QO0  habi- 
tants ,  ainsi  divisés  :  75  à  76,000  Grecs, 
32  à  83,000  Turcs,  12  à  l,30a  Maroni- 
tes, 500  catholiques  romains,  la  plu- 
part Européens,  et  150  à  160  Armé- 
niens. Nicosie  seule  a  une  population  de 
12,000  habitants,  dont  8,000  Turcs, 
8,700  Grecs,  150  Arméniens,  et  une  cen- 
taine de  Maronites.  Le  tableau  suivant 
présente  les  derniers  résultats  de  la  8ta« 
tistique  sur  la  population ,  les  impAts  et 
la  superficie  de  l'île  de  Chypre  : 


NOMBRE  D'HABITANTS. 

S.i 

QOOTtri 

i  1 

DISTRICTS. 

eBBV»-l.U«X. 

— -^ 

TOT  AI.. 

de 

cSS 

T»rc«. 

Grèce. 

Divers. 

1     -^ 

n«pA«. 

lï 

Xarnaca. 

Laroaea. 

3,000 

9,500 

600  eatbollqaee 
etqq.MaroBitee. 

13,000 

42 

rq. 

Irlet 

«! 

UmwML 

UnaMol. 

2,000 

6,600 

> 

8,500 

66 

"il 

36 

Kilani  «t  ÂTdlmoii. 

Kilaal. 

800 

5,000 

» 

5,800 

39 

pi 

36 

BafTo  et  KonUia. 

Ktima. 

4,000 

7,000 

t 

11,000 

79 

30   1 

Chrytotthon. 

Cbrysochoa. 

1,500 

3,600 

» 

6,000 

66 

46 

Ufta. 

Ufta. 

2,400 

4,600 

» 

7,000 

39 

42 

Morpho. 

Morpbo. 

1,000 

4,500 

180à200Maron. 

6,600 

44 

28 

Upitbo  et  Kérfaia. 

Xérinta. 

8,000 

5,000 

1,000          id. 

9,000 

43 

46 

Oriai  «t  Tillyrglia. 

UthnxIOD^. 

6  4  700 

6,400 

> 

6,000 

61 

44 

Kytbréft. 

Kytbréa. 

2,00016,500 

> 

7,600 

40 

..  «e 

30 

Messorèe  on  HcMOiga. 

VatiU. 

2,000  ;8,000 

»  ' 

10,000 

64 

|sl 

82 

Karpu. 

Famagosfte. 

3,000;  5,000 

200  Anaénient. 

8,200 

51 

100 

Mieodo. 

Nicosie. 

3,000 

3,700 

lOO  Maronitce. 

12,000 

» 

» 

616 

5^-5 

^iSS 

RésuMÉ  ;  GONCLUsioir.  —  On  voit 

*par  ce  tableau  de  Tétat  actuel  de  Ttle  de 

Chypre  dans  quelle  décadence  morale  et 

matérielle  elle  est  tombée.  Cest  à  ce 

misérable  résultat  qu'est  venue  atwutir 


cette  longue  existence  historique,  dont 
nous  venons  de  représenter  en  résumé 
toutes  les  vicissitudes.  Peuplée  d'abord 
par  les  Phéniciens  et  les  Grecs ,  les  deoi 
peuples  les  plus  commerçants  et  )m  plus 


ILE  DE  CHYPRE. 


89 


■dutliieia  de  Vaamm  monde,  eetto  fie, 
fl6foriiéedela  nature,  était  parvenue 
ÀODliaiit  degré  de  prospérité,  qu'elle  sat 
conserver  tous  les  différentes  conquêtes 
qu'il  lai  fallut  subir.  Sons  les  Égyptiens, 
les  Perses,  les  Grecs,  les  Romains,  qui  la 
possédèrent  tour  à  tour,  elle  ne  cessa  pas 
aétre  florissante  par  eoa  industrie,  son 
eommeree  et  son  aiqriculture.  Mais  en 
même  temps  le  earactèrede  ses  habitants, 
adonnés  au  luxe  et  à  la  mollesse,  leurs 
mceurs  relâchées,  empêchèrent  111e  de 
Chypre  d'obtenir  dans  l'antiquité  une 
srandeimportasce|)olitique,  etde  figurer 
dans  Tbistoire  aussi  honorablement  que 
d'aatrestles,  moins  considérables  par  leur 
étendue  et  leurs  ressources  naturelles. 
Les  Grecs  de  Chypre  restèrent  toujours  en 
général  au-dessous  du  niveau  commun  de 
leur  race,  et  cela  à  toutes  les  époques  de 
l'histoire,  au  temps  des  luttes  contre  les 
Perses  comme  pendant  rinsorrection 
contre  les  Turcs.  Au  moyen  âge  la  dé- 
gradation de  la  race  grecque  était  univer- 
selle; et  Itle de  Chypre,  comme  toutes 
les  antres  parties  du  Bas-Empire,  mar- 
efaait  visiblement  À  une  décadence  com- 
plète, lorscfue  la  conquête  de  Richard 
Cœur  de  Lion ,  en  la  misant  passer  sous 
la  domination  franque,  la  releva  de  son 
abaissement  et  lui  rendit  une  vie  nou- 
velle. Elle  traversa  alors  avec  gloire  une 
période  détruis  siècles,  pendant  laquelle 
^  acquit  une  grande  importance  po- 
litiqne,  comme  boulevard  de  la  chré- 
tienté contre  Tislamismc,  où  elle  jette 
on  vif  éclat  par  ses  arts ,  son  industrie* 
son  commerce,  et  où  elle  atteignit  à  une 
opulence  et  à  une  splendeur  qui  surpas- 
sèrent peut-être  celles  qu'elle  avait  eues 
aox  plus  beaux  temps  de  son  histoire 
ancienne.  Mais  le  fléau  qui  s^abattit  sur 
jcs  contrées  autrefois  si  florissantes  de 
1  Asie  et  de  l'Europe  orientale,  au  quin- 
oèmeet  au  seisième  siècle,  étendit  aussi 
ws  ravages  sur  cette  tle,  que  Venise  fut 
iapoissantè  à  garantir.  Elle  devint  la 
proie  des  Turcs,  et  tomba  dès  lors  dans  le 
<lomaine  de  la  barbarie.  Voilà  cependant 
Que  cette  société  musulmane,  qui  se 
laissait  nonchalamment  mourir  avec  les 
Pfopies  enchaînés  à  son  sort,  semble 
disposée  à  conjurer  Flieure  fatale,  et  con- 
*^t  à  se  laisser  appliquer  tous  les  re- 
Btèdesquela  politique  de  l'Occident  met 
i  sa  disposition.  Le  hatti-schériff  de  1889 


a  inauguré  une  ère  de  réformes  et  de 
progrès  pour  l'empire  ottoman;  une 
nouvelle  ovganisation  administrative 
fonctionne  aujourd'hui  d'un  bout  à  l'au- 
tre de  ses  vastes  frontières.  Les  publicis- 
tes  (1),  les  hommes  d'État,  les  voyageurs 
semblent  d^'accord  pour  constater  et  cé- 
lébrer les  heureux  résultats  de  cette  cou- 
rageuse tentative,  et  expriment  des 
espérances  que  je  ne  veux  certes  pas 
contredire,  mais  que  le  temps  seul  pourra 
confirmer,  en  les  réalisant*  Le  paysan 
chypriote  commence  à  respirer  sous  un 
régime  plus  régulier,  où  les  exactions  et 
les  avanies  ne  sont  plus  que  des  excep- 
tions ;  il  ne  sonae  plus  à  quitter  son  tle, 
il  cultive ,  il  défriche.  «  Pal  vu  sur  le 
mont  Olympe,  dit  M.  de  Mas-Latrie  (3), 
des  vallées  d'une  et  deux  lieues  d'éten- 
due mises  en  valeur  depuis  peu  d'années 
et  coavertes  déjà  de  Beaux  plants  de 
mûriers.  La  confiance,  en  ramenant  le 
travail ,  facilitera  le  payement  de  l'im- 

Edt.  augmentera  peu  à  peu  l'aisance  des 
abitants.  En  même  temps  le  gouverne- 
ment se  régularise;  la  perception  de 
l'impôt  étant  plus  fecile,  ses  procédés 
seront  moins  violents,  moins  arbitraires, 
et  le  raîa  comprend  que  des  temps 
meilleurs  commencent  à  venir  pour  lui.  » 
Sans  doute,  i'aime  à  le  croire,  ces  temps 
viendront  ;  les  Grecs  de  Ttle  de  Chvpre 
ont  assez  souffert  depuis  trois  siècles 
pour  que  la  Providence  leur  ménage  enfin 
des  jours  plus  heureux  ;  mais  il  faut  qu'ils 
sachent  s  en  rendre  dignes,  il  faut  qu*ils 
comprennent  bien  qiril  ne  suffit  pas 
de  quelques  réformes  administratives  de 
leurs  maîtres  pour  les  régénérer,  que 
cette  grande  entreprise  n'aboutira  pas 
slls  ny  travaillent  eux-mêmes.  Le  gou- 
vernement turc  a  fait  son  devoir  en  amé- 
liorant la  situation  de  ses  sujets  et  en 
allégeant  le  joug  qu'il  leur  avait  imposé  ; 
c'est  à  ceux-ci,  maintenant  que  la  main 
des  conquérants  pèse  moins  lourdement 
sur  leur  tête,  à  faire  des  efforts  éner- 
giques pour  se  relever  de  rabaissement 
où  ils  étaient  tombés,  à  sortir  de  la  mi- 

(i)  Foy,  rîntéressant  ouvrage  pablié  ré- 
cemment par  M.  Ubicini,  sons  le  titre  de  Let" 
très  sur  la  Turquie,  Le  premier  volume  seul 
a  paru. 

(a)  Yoir  U  Correspondant,  numéro  du 
xo  août  x847,  p,  372. 


1 


00 


vvïïpnas. 


mite  9iiorM  qu%  rif(riiva|t  AU  puNif 
toujoun  9U%  p^uplM  awwrvis,  m»»  qu'iti 

Jpuveni  ratrpuver  noua  m  régime  filiii 
OUI  lA  pl|is  équitable.  Malnauiwuftr 
mmt  k  plus  pulMant  Uislrumant  de  n» 
(EtoératioM  &i(  1^  HUmIi  le  «large  graa 
06 1  tu  4e  Cbypra  aat  bora  d'aui  d«  osar 
coijrir  ppur  aa  part  a  ramélieratiiMi 
iDQrala  at  i^tallaotualla  du  paupla  t  la 
tAta  dMqyal  il  aal  plaaa,  al  dont  II  aotra^t 
ti^Pt  Tignaranaa  a(  las  préjugea  par  aa« 
prppra  a<«iiipla.  Oa  trouva  plua  da  lu» 
miàra  at  da  tolârapoaobfglaaftraea  lal« 
4u^  da  la  aUaa a  aiaaa  que  altai  laa  pré« 
traa  I  doat  la  fiipatkma  aat  tauiours  auiai 


yivaaa  ^u'au  ta«pa  daa  ooi 
iitéaa  par  la  aebia«M  d'Qriaat.  IHi  pcaia, 
iaa  araei  oa  aavaat  paa  aaaaa,  à  Chfpm 
mmmê  aillauva,  qoa  c«  qui  los  a  pardui, 
G*aat  la  triati  diasanfimoiit  roligîoux  qui 
las  a  fiéparéa  da  l'tgiiio  latine,  mit  les  a 
isolés  da  TËuropa,  qui  loaa  IWpm  à  t'ia- 
laiaisma,  à  la  sarvitada,  à  ta  barlsarie, 
alilana  oompiminaBtpasaaoBra,  aija- 
piaia  lia  la  aampraoaaat,  qu*ila  ••  vqr- 
roai  ta  fia  da  laurs  miièaes  qiia  daos 
rabjuratian  da  aa  déplaaabla  nnaaîaaia 

Îui  laa  anima  toujaura  aaat^a  nana,  at 
a  aatta  iaaaraBoa  prafanda  qai  Fatar- 
BJaa  au  mulau  d'aui. 


ILE  DE  RHODES <> 


DBieiifTfoir  ST  evouBâram  oom- 
^Autu  M  lIlb  i»b  ahodvs. 

A$rifiT   ST  nous  JPIFpiAltEfTS  DR 

L^tLs  Q«  Khop««.  —  Si  Von  quitte  Hid 
^  Cbypr^  pour  «e  nipprocb^r  des  ip^rs 
de  Id  Grio^,  b  prfipiçr#  ttfrre  que  Tq^ 
rencontra  à  i  entrée  (te  la  mer  Ëuf  9  ou  (J« 
i'Arcbipel,  #0  suivant  tesc^téf  oa  TAsi» 
Miqeuri ,  c*^  1^1  ricbfi  et  glorteuH  tle 
oe  Bbodff,  ^^i  «'pnoooce  du  Ipio  oar  1*^ 
claunu  \mfi\$rê  d#  ^  riîdge^,  Rhodes, 
Il  véri|#Me  cité  du  ^aieil ,  eomme  dit  la 
waeeur  im  pialoguH  du  Luaiep,  «t 
^h  comm  te  soleiriui-méme  (3) .  J/^rs- 
9^00  louvpie  en  serrapt  de  près  la  e^ta 
pour  arriver  9  fo  ville  qui  m  située  à  le 
mm  mtepifioniH  de  ritot  on  voit  s« 
dérouler  devant  991  uue  luite  variée  de 
migniSqu^  paysages.  Deseoteaus  s'ar* 
[0ndis»eut  doiiceoient  e(  entreeroisem 
leurs  courbes  gracieu$ee;  fouvent  leura 
soiDfn^s  o^ralssent  pus  et  aabionneui^ , 
m\%  ils  Aipaelieot  de  ees  reflets  d'axur 
^\  (l'or  que  ron  ne  retrouve  que  sous  ee 
beau  ml  de  la  Grèoe  e^  de  TAsie  Mi- 
neure. La  pente  des  hauteurs  est  ordi- 
Ddirement  couverte  de  bois  touffus  et 
^Noyante  «  qui  sont  à  la  fois  la  parure 
Ha  ricl)eMe  de  rtle.  Çà  et  là  de  hauts 
palmiers  se  balancent  au  milieu  des  ar- 
m  moins  élevés  des  forets,  ou  s'élèvent 
i^lei  sur  la  plage ,  annonçant  de  loin 
^u  Toy^geur  que  cette  terre  appartient 

[i)  Coosalier  noqr  Tbistoire  ancienne  de 
Rbodes  :  Coroqeili,  Isola  di  RhotH,  geogra- 
k^tUoricQ,  tf/itica  c  moderna,  eott  aiire 
^^•çmti,  çàppss9Jtiie  da  eapalieri  kospita- 
^'fri  di  ê,  iiovammi  di  Gervtalenunê  ;  Vepe- 
zia,  iSIS,  iii-S#.  —  Rost,  RIiodos,  kêsiomck- 
^ffktnhgUêhês  Jras9unt.i  ÀlloiM,  xa^^, 
M".  -  C.  Mamert ,  Q$oMntnkU  d»  arm- 
«*«  ma  Rimri  artirle  Rkadw,  part»  vi, 
'01.  III,  p.  aoa-aSi  ;  Nurewb.,  |«Q9,  in-S», 
-le colonel  lVettigr«,  Qç4Çrif(iça  dc4  Monur 
»<nu  de  Rhodes^  in-4«»  avec  atlas  :  Bruxelles, 
'tîo. 

(»)  Ueieti,  Amgrtêy  XXXVIII,  7, 8  ;  coll. 

Didei,  p.  388. 


encore  a  TOrient.  La  mer  ne  baigne  p9$ 
toujours  le  pied  des  hauteurs:  des  prai- 
ries et  de^  champs  cultivés  n'étendeq! 
quelquefois  sur  le  hvage,  qui  ordinai- 
rement est  comme  entoure  d*un  rem* 
part  naturel  de  rochers  nui  et  peu 
élevés. 

Cette  tie,  dont  tons  les  vovageurg  ap- 
ciens  e(  modernes  ont  décrit  aveq  en* 
ijiousiasroe  Taspect  enchanteur;  est  dé- 
signée dans  Tantiquité  sous  ditféreRti 

noms.  On  rappela  d*abord  Ophiu^a^  h 
eause  dee  oomoreui^  serpents  oui  se  ca? 
chaient  dans  les  broussailles  de  se«  fo- 
rêts* On  la  nomma  aussi  T^tchinù^  Ten- 
chanteresse,  ou  la  terre  des  Telchme«  ; 
Sthrma,  TAérlenne;  W^acr/a,  Ttleçux 
trois  pointes  ou  auK  trois  capitales  ;  Co- 
rymbia  >  llle  aux  couronnes  de  lierre , 
aans  doute  à  cause  dee  triomphe;  de  ses 
athlètes;  Pressa,  rtle  de  Péan,  à  èausf 
d'ApoHoQ,  à  qui  elle  était  consacrée; 
Vacaria,  la  Bienheureuse  ;  et  epQn  /^tci- 
byria,  nom  qui  était  aussi  celui  du  piç 
principal  qui  s*élève  h  son  centre,  et  qui 
ravait  reçu .  dit-on ,  d*ua  ancien  roi  du 
peysClj.  000  vrai  nom  historique  est  celqi 
de  Pthodes,  qui  lui  a  sans  doute  été  donné 
à  cause  de  la  grande  quantité  de  rosiers* 
quidetout  temps  en  ont  couvert  naturelle- 
ment tous  les  cna  m  ps  en  friche.  Recueillir 
leurs  fleurs,  en  extraire  resseoce  et  en  faire 
des  conserves,  est  encore  aujourd'hui  la 
principale  occupation  des  femmes  tur- 
ques établies  dans  Ttle.  Cette  explication 
au  nom  de  Hhodes  était  trop  simple  et 
trop  naturelle  pour  que  tout  le  monde 
ait  pu  s'en  contenter.  On  a  supposé  que 
ce  nom  venait  d'un  bouton  de  rose  «n 
cuivre  qui  fut  trouvé  en  jetant  les  fon- 
dements de  Undos,  l'une  des  plus  an** 
ciennes  villes  de  l'île.  Selon  d'autres, 
Apollon  lui  donne  ee  nom  en  eouveaif 
d*uRe  nymphe  qu'il  aimait.  Elle  s*appe* 

(i)  Cf.  Meurftius,  Rhodtis,  |,  I,  c.  lit  j  Dap- 
per,  Description  ^  p.  88;  Rotliers.  Ato/iU' 
ments  de  Rhfidês,  p«  37  ;  Forbiçer,  aaudiuçh 
der  atten  Géographie^  t.  II,  p.  ^4 r  j  Coiooelti, 
Dçir  isola  eff  Rodi,  ^.  3. 


93 


L'innTE&s. 


lait  Rhodes,  et  elle  était  fille  de  Neptune 
et  d^Halia,  sœur  des  Telchines ,  que  la  lé- 
gende rapportée  par  Diodore  de  Sicile 
aonne  comme  la  plus  ancienne  &mille 
qui  ait  habité  ce  pays  (1).  Bochart  veut 
que  le  nom  de  Rhodes  soit  phénicien 
d'ori^e,  qu'il  vienne  de  Gésirath'hodj 
ce  qui  signifie  dans  la  langue  de  ce  peu- 

ϻle  Ile  des  serpents.  Contentons-nous  de 
*étymologie  grecque,  qui  fait  dériver  le 
nom  de  Rhodes  du  mot  grec  ^6Sov  ;  les 
Rhodiens  la  préférèrent  à  toute  autre,  et 
prirent  la  rose  pour  emblème,  comme 
on  le  voit  sur  leurs  monnaies,  oui  repré- 
sentent d'un  c6té  le  soleil  et  ae  l'autre 
one  rose  épanouie  (S). 

Position,  étendue  de  l'île  br 
Rhodes.  —  L'Ile  de  Rhodes  est  située 
dans  la  mer  Carpathienne,  sous  le  36®  de- 
gré de  latitude,  et  entre  le  25®  et  le  2G'  de- 
fré  de  longitude  à  partir  du  méridien  de 
ans.  Elle  forme  un  ovale,  qui  s'allonge 
dans  la  direction  du  nord  au  sud,  et  dont 
la  pointe  septentrionale  n*est  s^arée 

3ue  par  un  canal  d'environ  trois  neues 
e  largeur  de  la  côte  d'Asie  dont  Itle  de 
Rhodes  semble  n'être  qu'un  fragment 
détaché.  Sa  longueur  est  d'environ  vingt 
lieues  de  France,  et  sa  plus  grande  lar- 
geur de  sept  à  huit  (3).  Du  reste,  ses  di- 
mensions n'ont  Jamais  été  bien  rigoureu- 
sement établies  ni  par  les  géographes 
anciens,  ni  même  par  les  moKdernes.  La 
côte  d'Asie  qui  fait  face  à  l'tle  de  Rhodes 
était  autrefois  la  Dorîde  ;  elle  appartenait 
à  l'ancienne  Carie ,  d'où  se  detacliaient 
les  deux  presqulles  que  les  anciens  appe- 
laient,rune  la  péninsuledeCnide.  l'autre 
la  péninsule  Rhodienne.  Cette  dernière 
8*avance  dans  la  direction  du  sud,  et  cor- 
respond exactement  au  cap  Saint-Étienne 
ou  des  Moulins,  qui  termine  au  nord  Ttle 

(r)Dîod.,V,56. 

(a)  Au  reste,  cette  ooncliuion  n'ett  qu'âne 
hypothèse.  Il  y  en  a  qui  voient  dans  U  fleur 
des  médailles  rnodieanes  la  fleur  du  grenadier 
sanvage,  appelée  Ao/afanV/m,  dont  on  tirait  une 
temtore  de  pourpre.  D'autres  la  prennent 
pour  l'héliotrope.  En  réalité  elle  ressemble 
plutôt  à  la  fleur  du  grenadier  domestique. 
f^ojr.  Dapper,  Descript.,  p.  5a e,  dans  un 
appendice  sur  les  médailles  des  îles. 

(3)  Pline  {H'ut.  Nat.,  Y,  36)  loi  donne 
xa5,ooo  pas  de  tour  ;  il  la  place  à  57S,ooo 
pas  d'Alexandrie,  et  à  fe6,ooo  de  Tile  de 
Chypre, 


de  Rhodes.  L'autre  8*écarte  au  loin  ven 
l'ouest,  et  semble  se  confondre  avec  Hle 
de  Cos ,  qui  paraît  en  être  le  prolonge- 
ment. A  rorient  et  au  sud  de  rile  s'*étend 
une  mer  vaste  et  solitaire,  où  Fœil  se 
fatigue  vainement  à  chercher  à  Tborizon 
les  rivages  de  la  Syrie  et  de  l'Afrique. 
Au  nord  et  à  l'ouest  le  spectacle  est  plus 
varié;  on  aperçoit  les  cimes  éclatantes 
des  montagnes  de  la  Doride  et  de  la 
Lycie,  et,  au  milieu  des  flots  biens  de  la 
mer  de  Carpathos ,  le  groupe  dtles  sur 
lesauelles  Rhodes  a  longtemps  régné, 
et  aont  plusieurs  ne  sont  que  des  éeueils 
stériles  et  inhabités.  Les  plus  importan- 
tes d'entre  ces  fies,  dont  Rhodes  a  été 
comme  la  reine ,  sont  Simia,  TaDcienne 
Syme,  qui  touche  presque  à  la  Doride , 
Cnalcis,  Télos,  Misyros,  aujourd'hui 
Cbaici,  Piscopia,  MIsara  ;  cestles  se  succè- 
dent les  unes  aux  autres  dans  la  direction 
de  Ifle  de  Cos ,  oui  borne  an  nord-ouest 
l'horizon.  Vers  le  sud-ouest ,  on  voit  se 
détacher  du  sein  des  flots  Itle  de  Carpa- 
thos avec  les  tlots  qui  l'environnent,  et 
an  delà  les  pics  élevés  du  mont  Ida  de 
rtle  de  Crète,  qui  forme  vers  le  sud  la 
barrière  de  l'Archipel. 

Air,  climat,  natube  bu  pats. 
—  Le  climat  de  l'tle  de  Rhodes ,  tiède 
en  hiver,  rafraîchi  pendant  l'été  par  des 
brises  régulières,  son  ciel  si  pur  et  si  bril- 
lant, en  font  auiourd'hui ,  comme  au  tre- 
fois ,  le  plus  délicieux  séjour  (I).  L'air  y 
est  extrêmement  sain  ;  rarement  le  ciel  y 
est  couvert  de  nuages,  et  on  n'y  voit  ja  mas 
un  jour  entier  sans  soleil.  Aussi  Ptie  de 
Rhodes  avait-elle  été  consacrée  par  les 
anciens  au  dieu  de  la  lumière.  Le  culte 
d'Apollon  y  tenait  la  première  place, 
comme  celui  d'Aphrodite  en  Cypre. 
Pbœbus  y  avait  des  temples  magnifi- 
ques ;  on  y  montrait  son  char,  on  y  ad- 
mi  rait  son  fameux  colosse,  qui  était  rangé 
parmi  les  merveilles  du  monde.  Les 
poètes  latins  lui  ont  souvent  donné  IV 
pithète  de  Clara  ^  que  Ton  put  enten- 
dre aussi  bien  de  sa  célébrité  historique, 
2ue  de  la  clarté  du  soleil  qui  rédaire. 
.e  vers  d'^orace 

Laodabant  alli  daram  Rbodon.... 

était  peut-être  compris  dans  ce  dernier 
sens  par  Lucain,  quand  il  écrivait  à  son 

(z)  M.  de  Marcellus,  Soupenirt  de  fO- 
rient,  II,  a68. 


ILE  DE  RHODES. 


tour  ces  mots,  qui  sembleot  eompléter  la 
pensée  da  eélèbre  lyrique  : 

Claraiiu|ae  reUnquit 

Soie  HbodoiL 

Malgré  rédat  de  sou  soleil,  Ftle  de 
Rhodes  n'est  pas  exposée  à  l'inconvé- 
nieot  des  sécbmsses  et  des  chaleurs  ex- 
traordinaires. Aussi  f  grâce  à  la  douceur 
du  climat,  la  végétation  n*y  est  jamais  in» 
terronipue,  et  la  nature  semble  ravoir  do« 
téa  d'un  printemps  perpétuel.  Ses  eo» 
teaux ,  boisés ,  offrent  un  feuillage  pres« 
ijue  toujours  verdoyant.  De  tout  temps 
1  île  a  exporté  une  grande  quantité  de  bois 
de  chauffage  et  de  construction  (1).  Les 
plaises  sont  couvertes  d'arbres  fruitiers  ; 
on  y  recueille  en  abondance  des  raisins, 
des  olives,  des  citrons,  des  oranges, 
des  grenades,  des  figues  et  même  des 
dattes.  Le  terroir,  quoique  fertile ,  est 
peu  propre  à  la  culture  des  céréales  (2}. 
Les  pâtura^  v  sont  excellents,  et  peu- 
vent nourrir  de  nombreux  troupeaux. 
L'île  abondait  autrefois  en  plantes  mé» 
dicJDales  et  potagères;  et  il  ne  £eiudrait 
qu*uQ  peu  de  travail  et  de  culture  pour 
loi  rendre  la  prospérité  qu'elle  avait  sous 
les  anciens  et  sous  le  gouvernement  des 
iprands  maîtres. 

Malgré  l'état  misérable  de  la  popula- 
tioDactuelledeFllede  Rhodes,  etledépto- 
rable  abandon  de  ses  campagnes ,  la  na- 
ture y  est  si  belle  de  ses  propres  oeuvres, 
qu'on  ne  peut  voir  Rhodes  sans  admi- 
ratioo  ni  la  quitter  sans  regret.  C'est 
là  le  double  sentiment  exprimé  dans 
preM]ue  tous  les  livres  récemment  pu- 
Uiés  sur  la  Grèce  et  l'Orient  par  nos 
touristes  modernes,  et  où,  à  défaut  de 
œs  études  solides  qui  demandent  du 
temps  et  de  la  sdence,  se  trouvent  ra- 
<^mées  de  vraies  et  spirituelles  impres- 
sions de  voyage.  «  En  découvrant  cette 
i|e  diarmante,  dit  M.  d'Estourmel,  je  ne 
dirai  pas  que  mon  attente  fut  surpassée; 
cv  ce  que  j'attendais  et  ce  que  j*ai  vu 

(0  Pocodie,  Description  de  F  Orient^  t.  IV, 

p.aoS. 

(>)  L'île  ne  fournissait  pas  assez  de  blé 
pour  la  consommation  de  ses  habitants.  «  /n- 
J"^  se  ituutœ  parvœ  et  sterilis  agris  littorî' 
^»  qum  nequaquam  alere  tantœ  urbis  po-' 
P^^posset.  »  Tîle-Live,  XLV,  aS.Leoom- 
'^'crce  était  indispensable  à  Texislence  de  sa 
Qombftmepopulation, 


n'ont  aucun  rapport.  Mon  œil,  encore 
attristé  de  la  nudité  du  sol  de  la  Grèce* 
pouvait-il  se  flatter  de  rencontrer  une  si 
belle  et  si  riche  végétation  !  Toute  l'en- 
ceinte d'Athènes  ne  m'avait  offert  que 
trois  palmiers  ;  ici  ils  croissaient  eu  nom- 
breux bouquets,  couronnaient  les  hau- 
teurs, et  formaient  une  ceinture  verte  au- 
tour des  murs  de  la  ville Je  suis  de 

plus  en  plus  enchanté  de  Rhodes.  «  Que 
«  serait-ce  si  vous  l'aviez  entendu  !  »  disait 
Escbine,  dans  cette  même  tle,  quand  on 
lisait  en  sa  présence  la  harangue  de 
Démosthène,  qui  l'avait  fait  exiler  d'A- 
thènes. Que  serait-ce  si  vous  aviez  vu 
Rhodes  !  suls-je  aussi  tenté  de  dire  cha- 
que fois  que  j'entreprends  de  donner  une 
idée  de  cet  agréable  et  curieux  séjour  (  1  ).  » 
Chez  M.  de  Marcellus  l'admiration  est 
encore  plus  vive ,  et  s'élève  iusqu'à  l'en- 
thousiasme. «  Rhodes  est  rife  que  j'aime* 
Scio,  triste  victime  des  révolutions,  n'est 
plus  qu  un  séjour  de  deuil.Lesbos,  oubliée 
des  voyageurs,  est  froide  et  sauvage; 
Chypre  et  Candie  sont  des  royaumes 
plus  que  des  îles  :  mais  Rhodes  est  la 
rose  de  l'Archipel.  Située  vers  la  grande 
mer,  comme  une  fleur  détachée  du  ri- 
vage ,  Rhodes  touche  presque  aux  belles 
montagnes  de  la  Qliae,  et  s'avance  dans 
les  flots  telle  qu'une  sentinelle  vigilante; 
elle  est  asiatique  et  européenne  à  la  fois; 
les  vents  familiers  à  ces  parages  y  amè- 
nent de  toutes  parts ,  et  elle  devient  la 
relâche  obligée  de  tous  les  vaisseaux 

3ui  cinglent  vers  la  Syrie  ou  TËgypte 
e  le  répète,  Rhodes  est  ma  terre  fa- 
vorite : 

lUe  terramm  mllil  prêter  omnea 
AngoJoa  ridet. 

C'est  là  que  vont  mes  vœux  et  mes  re- 
grets. Cest  là  une  je  voudrais  aborder,  si 
le  flot  des  révolutions  doit  me  jeter  loin 
de  mon  pays;  et  quel  homme  depuis 
cinquante  ans  n'a  pas  chaque  jour  mêlé 
cette  triste  prévision  À  ses  rêveries!  C'est 
là  même  sans  révolutions  que  je  voudrais 
revenir;  il  est  si  fadle  et  si  doux  d'y 
vivre  1  Après  tant  d'années,  je  songe  en- 
core avec  bonheur  à  la  maison  c|ue  j'y 
habitais,  et  que  je  n'hésitai  pas  à  ache^ 
ter,  tant  Rhodes  s'était  associée  à  mes 
chimères  et  me  semblait  devoir  jouer  un 

(i)  Journal  <Cun  Voyage  en  Orient^  par  le 
eomte  Joseph  d'Estourmel,  t.  II,  p.  iB\  i06« 


d4 


t^ONlVËftS. 


fMe  tant  mon  atenlr  !  Otti  ûmcné  m*«dt 
eùvlê  un  t«i  asite  (I).  » — «  Je  ne  condds 
au  monilé,  dit  M.  d«  tamartine,  ni  uni 
pld^  b«1te  position  militaire  maritime, 
ni  un  plus  beau  tAel ,  ni  une  terré  plus 
riflnté  et  plus  féconde....  Je  fejjrettè 
(".ette  belle  fie  comme  tinô  apparition 
du'on  voudrait  ranimer,  je  m*v  fixerais 
A  elle  était  moins  séparée  du  monrJé  vl- 
f ant,  avee  lequel  la  destinée  et  le  devoir 
nous  Imposent  la  loi  de  vivre t  Quelles 
délicieuses  retraites  aujt  flancs  de  hautes 
montagnes  et  siir  ces  gradins  ombragés 
de  tous  les  arbres  de  TAsie!  On  m^y  â 
montré  une  maison  magnifique  appar- 
tenant â  Tancien  pacha,  entourée  de  trois 
grands  et  riches  Jardins  baignés  de  fon- 
taines abondantes,  ornés  de  kiosques 
ravissants.  On  en  demande  1 6,000  pias- 
tres de  capital,  c'est-à-dire 4,000  francs  ^ 
voilà  du  bonheur  à  bon  marché  (2}.  »  OU 
le  voit,  tons  les  témoignages  les  ptus  ré- 
cents sontunanimes;chacunetpfimeàsd 
manière  Tadmiratlon  ouelul  Inspire  cette 
fie  fortunée,  et  certes  il  n*v  a  rien  de  cou- 
ténu  ou  de  factice  dans  cette  admiration. 
CéWt  aussi  le  sentiment  des  anciens  eux- 
inéiiies,  qui  vivaient  cependant  sous  un 
si  beau  climat,  dans  des  contrées  belles 
encore,  malgré  leur  désolation  actuelle  $ 
fOur  eut  1  fie  de  Rhodes  était  l'objet  dei 

Élus  vives  prédilections.  Âleicandre  Id 
Irand  voulait  y  établir  sa  mère  Olym- 
p(a<  \  les  grands  de  Rome  aimaient  h  y 
Vlvre;onlaclidiSissait  pour  lieud'el^îl; 
Tibère  y  p  issa  huit  années,  qui  furent, 
aiflon  tes  plus  heureuses,  au  moins  ié^ 
plus  tranquilles  de  sa  vie.  Cet  acrôrd  des 
anciens  et  des  MùâurtitMl  h  eélébrer  la 
beauté  et  les  agréments  de  cette  fie ,  et 

0tla  ft  la  distance  de  taut  de  siècles  ef 
éhûi  des  conditions  al  dissemblable.?, 
protiveqtie  Rhodes  est  réellement  un  des 
l^ats  de  la  terre  les  plus  favorisés  de  fa 
nature  et  les  plus  Heureusement  dllpO' 
iêi  pour  le  séjour  des  hommes. 

TKCMnLtMtWta  M  f  Ëtlltt  Et  llVOlt-' 

t^ATto^n.  —  Malgré  tons  ces  avartta.^es, 
rfle  de  Rhodes  n'a  pas  toujours  été  àf  i'â' 
Uri  de  ces  grands  fléattt  naturels  qui 
bouleversent  un  pays  et  consternent  les 

(t)  êftrttvenirs  de  VOtient,  ptt  le  vtComte 
de  Marcelliis,  t.  Il,  p.  a6S. 

(4)  ut.  dé  iJimartlite,  rcf/a^e  en  Orient, 
riftfïvr.,  t.  Tf,  p.  tSa. 


tlatlons.  Etté  tut  ravagée  I  diffâ^tes  re- 

Srises  par  des  tremblementa  de  terre  ef  par 
es  iDondatiom.  Rbodw  Mfitible  avoir  éxè 
le  produit  d*une  des  dernières  a|ptdf ions 
TOlcaniqued  (|ui  remuèrem  le  fond  de  là 
Méditerranée  et  aul  doDoèrent  à  âda  tles 
et  à  ses  rivages  leur  fortnè  et  leur  état 
définitifs.  Les  anciens  se  seuvenaient 
d'avoir  vu  haltra  111e  de  Rhodei  \  9%  Pie- 
dere  e  rêelieilii  l'aïUqué  légende  qei 
rseodtait  eomment  eette  tié  s'éuit  éle- 
vée du  séln  des  flots  pour  venir  effrit 
SCS  campagnes  encore  homidee  set 
rayoïis  fécondants  du  soleil.  Ott  a  rt- 
marqué  que  les  roohers  voisios  de  la 
ville  de  Rhodes  n'étaient  qu'an  eitias 
de  ooquillfiges  marins^  iiKtuirtés  dens  tin 
sable  lin  (t)^  preuve  eertiiine  que  Ttie, 
formée  lentement  par  raicglortiérmlon  de 
ees  coquilles  au  fond  de  la  m^r,  e  été 
ensuite  lancés  à  la  surface  par  aue  érup- 
tion voloonique.  La  méfne  forise  qui  i 
produit  nie  de  Rhodes  pourrait  bien  )a 
détruire,  et  l'histoire  a  eons^rvé  le  sou- 
tenir des  grands  tremblemcnis  do  terrs 
qui  eu  ont  ébrablé  les  fondemeota.  l/ae 
tt%  avant  lère  ehrétienoe,  l'fhi  fut  vie- 
lertiiHeiit  secouée  par  uoo  aeiteikm  fou- 
terraine.  Les  murs  de  la  ville  Céerodiè* 
veiii  )  le  colosse  tomba  ef  ftit  brlié^  les 
veisseauss'entro'dhoquêremdaneleperti 
et  plusieurs  y  foron  t  ennloutlft  (1).  Le  dé* 
sestre  lut  grand,  matt  rscttvHé  ée9  Rbe- 
diens  et  les  dons  de  tous  les  prlonn  itrecs 
de  PAaiCf  ipji  avaient  Imérlt  i  reletar 
esttè  V  Ale4  si  nécessaire  k  leur  éommerce* 
le  réparèrent  promptement.  L«  aceon4 
tremblement  de  terre  dont  eetta  île  fet 
affligée  éclata  solis  le  règne  d'AMonla. 
Rhodes  i  Ces  ^  plusieurs  tilles  d«  la  Ca- 
rie et  de  la  Lveie  fureat  reltvirsM 
et  relevées  aossiiét  par  k  Mbérallté  de 
l'empereur  (S).  Sous  CofistancOf  sous 
Anastase  h'  le  même  fléau  sertaMveta 
encore^  et  causa  ses  ratages  ordinaires. 
]>epuis  le  cidquième  alècie  il  n'est  phfs 
fait  mention  des  tremblements  de  terre 
de  nie  de  Rbedes  (4). 

(i)Voy«  RêvUe  ées  tfeux  Ktondes,  1844, 
^.  8o<^;  L'Ile  de  àftodes,  arl.  de  M.  CoUiit, 
/a)PoIyb.^  V,  SS. 

(3)  Paasan.,  Tiff,  43,  4. 

(4)  Au  fnoiriédt  où  j'écris  ces'  ti^ael  on  lit 
ââni  lei  Journaux  du  Lcvâftf.  et  surtout  daa^ 
Cimptwtial  de  Smyrnc,  en  daté  dû  6  inar> , 


ILE  t>e  HHObES. 


M 


Ut  aoeiemiM  ifiondati^tift  dnl  Misé 
mil  de  t«rriBI«ft  smiveniri.  «  Au  ttmpê 
àfB  TeldMAet,  dit  ÎMôéfe  de  Bidle,  l'fl« 
était  eolièfeiiMstit  Muirefte  par  les  eaux; 
le  soleil  la  dessécha ,  la  rendit  fieofide, 
et  y  établit  les  enfkftta  du'll  âYalt  eus 
de  ffl  nymphe  AhcrdoS.  «>  ChistOiien  qui 
rvpporte  eette  tégetide  en  donne  aussi  la 
féritaMé  explication,  quand  II  ajoute  que 
Il  m\  sens  de  ee  itiyttie  est  que  le  terrain 
di  rtii  était  primititeifient  marécageut , 
()ue  lé  soleil  te  desséetta,  et  mi'il  rendit 
lé  psvs  fertile  et  liabitable  (f).  Depuis 
eedéiu^  primitif,  eontemporein  de  It 
nâisssnèe  même  de  nie ,  Ahodes  a  subi 
pluslpurs  inondations,  qui  ont  été  pouf 
elle  de  véritables  cfttamités.  La  troisième 
et  la  plus  désastreuse  est  celle  de  i*ait 
310  avant  Têrë  dtrétienne.  fille  Ait  pro" 
dttite  par  un  orase  effroyable  qui  s^anat' 
tlt  sur  rtle  au  printemps  de  eette  année, 
n  tomba  des  torrents  de  pluie  et  une 
gflte  d'une  prodigieuse  grosseur.  Lea 
^loDs  étalent  du  poids  d'une  mine 
(43Q  grammes)  et  même  plus  gros;  en 
tombant  ils  détruisaient  les  maisons  et 
tuileat  les  hommes  et  les  animaut. 
Comme  la  tille  de  Rhodes  était  bfttie  ett 
amphithéâtre ,  les  eattx  se  réunirent  en 
KO  point  et  totites  les  parties  basses  fn« 
ittn  inondées.  On  était  sur  Ift  fhi  de 
i'hiter,  et  on  atait  négligé  de  nettoyer 
\H  esnSut  pratiqués  pour  l'éeoulement 
te  eaujt.  Atissl  la  fille  Se  remplissait* 
elle  eomme  tm  faste  bassin  )  les  bâbl* 
ttnts,  époof sntls ,  se  réfuglftlent  sur  let 
nivireSf  OU  dans  les  édifiées  des  haute 
quartiers.  Lorsque  tout  â  eoop  la  pttê* 
slon  des  eaux  rentersa  uft  faste  pan  de 
uinraille,  et  eette  ouferture  latoriSâ  leur 
éeotilement.  Rhodes  filt  dégstfée  en  peu 
de  tmps,  et  tottt  rentra  dans  rétat  habi* 
toei;  mais  un  grand  nombre  d'édiftecS 
araltnt  été  endommagés  «  et  ee  désastre 
anit  eodté  la  fie  à  plus  de  einq  eent» 
personnes  (3).  Telle  est  la  force  terrible 
des  orages  qui  fendent  qtielqtefMS  suf 
nie  de  Rhodes. 

dts  diuiU  circonstantiés  relatifs  à  un  tr^OH 
Uemeat  de  terre  qui  vient  de  éausef  de 
grauds  déiaiirei  dans  Vi\€  de  Hitodea  et  aw  le 
^oiineat,  à  Maeri.  U  tiecHMêe  pritteijMie  a  eu 
^  le  «s  léf  riM>  lSS«. 

(i)  Oiodor.,  V,  56. 

(î)  Diod.,  XIX,  45. 


Un  antre  téàd,  non  moins  Aineste, 
tient  eneore  de  temps  en  temps  s^abattre 
sur  ses  eampagnes.  Ce  sont  des  saute- 
relies,  que  le  vent  du  sud  lui  apporte  d'A- 
frique. En  iei5  elles  déférèrent  presque 
toutes  les  récoltes.  Du  temps  des  ehëf  d- 
tiers ,  quand  la  population  de  rtie  était 
nombreuse  f  à  rapproche  du  fléau,  que 
Ton  apercevait  de  loin  comme  un  nuage 
noir,  on  s'assemblait  sur  la  edte  en  pous- 
sant des  cris  et  en  frappent  sur  des  us- 
tensiles de  euif  re.  on  pârfenait  quelque- 
fois à  époufanter  les  Sauterelles,  quiévi- 
tsient  n'aborder  Su  rivage,  et  passaient 
à edté  de  rne  ;  ensuite,  épuisëesde  fsti^ne 
et  toujours  poussées  par  le  fent,  elles 
allaient  s*abfmer  dans  les  flots  (i).  Au- 
jourd'huli  que  nie  d  mottis  d'habitants,  les 
sauterelles  la  déf  estent  lom  à  leur  aise. 

PlllNCtP4L«8  PHOntJCtîOlïS  DIS  RlIO- 

i>es.  —  L*lle  de  Rhodes  n*était  ni  âussi 
étendue  ni  aussi  féconde  que  l*lle  de 
Chypre.  Elle  dut  son  importance  et 
sa  célébrité  plutôt  au  dôurage  et  h  Vae^ 
tifité  de  ses  habitants  qu'à  ses  richesses 
naturelles.  Cependant  on  recherehait 
afee  empressement  quelques  produits 
qui  lai  étalent  pârtlculiers.Certaihes  den- 
rées rhodiennes ,  eomme  M  les  appe- 
lait, étaient  préférées  à  tdutes  les  entres 
du  même  genre,  tù  eolle  de  Rhodes  était 
la  plus  recherchée  des  peintres  et  des 
médeélns.  Selon  fline«  le  eyperns  de 
Rhodes  était  (brt  estimé.  On  Appelle  ey- 
perus  (souehet,  Cf/perui  mgttê)  une 
eorte  de  Jonc  dont  fa  radne  ressemble  i 
une  otlve  noire  et  est  d'un  grand  usage 
en  médecine.  Le  eyperns  le  plus  redher^ 
(^é  thez  tes  endens  Aalt  eelui  du 

Says  d'Ammen,  en  secotid  Heu  celtrl 
e  Rliodes,  en  troisième  eelui  de  Théra. 
en  quatrième  celui  d'Eg|Ote(l}.  Pline  et 
Athénée  font  mention  <3>tfl  eertain  on- 
guent dé  Rhodes  qnlls  appellent  un- 
gitt^nfum  erocintim,éM'h'ilfe  onguent 
sdfrâoé.  Llle  de  Rhodes  produisait  une 
espèee  de  raisin  fort  renommée,  que 
Tirgile  a  chantée  dans  Ses  Géorgiquêê  (S), 

Kdft  #10  le,  iH  et  uMMts  semla  Meeeet*, 
Tfanaieria«  HImmUr,  êi  tuiaMiS^  tuaiaiie, 

t  rac^Aiis. 

(i)  Kotliers,  Monuments  de  Rltodei^  p.  33. 
(a)  Pline,  Hist,  Nat.,  1x1,  ^d    i  J  WeBi- 
sius,  Rhod,,  p.  76  et  suif. 
(3)  Virg.,  Georg,<,  If,  to6. 


v^ 


L'UNIVERS* 


Le  via  de  Rhodes  était  estimé  Tégal  da 
vin  de  Gos  ;  il  flattait  agréablement  le 
goût  et  Fodorat.  La  poix  de  Rhodes  était 
aussi  recherchée  que  celle  du  mont  Ida  ; 
les  fruits  de  cette  tle  étaient  excellents. 
Elles  produisait  des  figues  noires  et  très- 
succulentes  (1).  Le  caroubier  y  est  très- 
abondant.  Le  pécher  y  fleurissait,  selon 
Pline  et  Théophraste*,  mais  sans  pro- 
duire de  fruits.  Théopbraste  parle  des 
palmiers  de  Tîle  de  Rhodes ,  que  Ton 
entourait  de  fumier  et  au*oii  arrosait 
avec  soin.  Parmi  les  produits  emprun- 
tés au  rè^e  minéral,  on  remarquait  le 
vert  de  gris,  la  céruse,  la  craie,  des  mar- 
bres de  diverses  couleurs  et  des  agathes. 
On  V  trouvait  une  terre  bitumineuse  ap- 
peleie  ampeUtes.  On  la  détrempait  dans 
de  l'huile,  et  on  en  frottait  les  ceps  pour 
détruire  les  vers  qui  rongent  la  vigne. 
On  y  péchait  des  huîtres ,  des  épon- 
ges ,  plus  douces  que  celles  d^Afirique , 
et  le  coquillage  qui  fournit  la  pourpre. 
La  mer  qui  1  ^environne  était  très-abon- 
dante en  poissons  ;  un  ancien  auteur, 
cité  par  Athénée ,  donne  à  cette  île  l'é- 
pithete  de  poissonneuse.  On  recherchait 
surtout  rélops,  que  Pline  met  sur  la 
même  ligne  que  les  loups  du  Tibre,  qu'on 
péchait  entre  les  deux  ponts,  le  turbot 
de  Ravenne,  et  la  murène  de  Sicile  (2), 
Mais  la  plupart  de  ces  poissons  ne  se 
prenaient  que  sur  les  côtes;  car  Ttle 
ne  possédait  qu'une  petite  rivière ,  qui 
n'était  pas  même  navigable,  et  des  ruis- 
seaux souvent  à  sec.  Pline  nous  apprend 
que  les  coqs  de  Rhodes  étaient  extrême^ 
ment  bravés,  et  ne  naissaient  que  pour 
la  guerre  et  de  perpétuels  combats.  Ils 
étaient  grands  et  forts,charsés  de  chairs 
et  de  graisse,  peu  propres  à  la  reproduc- 
tion. Les  poules  de  Rhodes  pondaient 
r^u,  et  étaient  fort  lentes  et  paresseuses 
couver  et  à  élever  leurs  poussins.  On 
ne  voyait  point  d'aigle  dans  l'Ile  du  So- 
leil. Aussi  Suétone  a-t-il  mentionné 
comme  un  prodige  l'apparition  d'un  ai- 
gle qui  vint  se  percher  sur  la  maison 
qu'habitait  Tibère,  dans  Ttle  de  Rhodes, 
quelques  iours  avant  son  retour  en  Ita- 
he  (8).  C'était,  dit-il,  comme  le  présage 
de  Sj>  vTOchaine  élévation  à  l'empire. 


iz)  Pline,  XY,  zg,  a. 
a)  Id.,  IX,  79,  a. 
(3)  Suét.,  Tiher.y  14. 


GboGB APHIE    PHYSIOUB    DB    I*1U 

DB  Rhoues.  —  Rhodes  est  la  plus 
grande  des  lies  grecques  voisines  de  l'A- 
sie, après  Cypre  et  Lesbos.  Elle  se  ter- 
mine au  nord  vers  la  côte  de  Carie,  par 
une  pointe  basse  et  sablonneuse  qui  est 
le  prolongement  du  mont  SaintrËtienne, 
et  que  les  géographes  modernes  ont  nom- 
ma cap  des  moulins  (1).  A  côté,  vers 
l'ouest,  se  trouve  le  promontoire  de  Pan, 
aujourd'hui  cap  Saint-Antoine.  A  l'ex- 
trémité méridionale  de  l'Ile  était  le  cap 
Miiantia  aujourd'hui  cap  Tranquille, 
qui  touche  presque  à  la  petite  tle  de 
Cordylusa ,  appelée  maintenant  fie  de 
Sainte-Catherine.  Dapper  et  Coronelli 
placent  sur  la  côte  orientale  de  Tlle  le 
cap  Ro,  à  trois  lieues  au  sud  de  Rhodes, 
le  cap  Lindo  et  le  cap  Saint-Jean ,  et  à 
l'occident  le  cap  Candura  ou  Cavallero. 
L'intérieur  de  rtle  est  couvert  de  mon- 
tagnes qui  courent  dans  la  direction  da 
nord  au  sud,  et  qui  forment  deux  ver- 
sants tournés  l'un  à  l'ouest,  rautre 
à  l'orient.  Le  sommet  le  plus  élevé  de 
nie  est  le  mont  Atabyrius,  sur  lequel 
Althémène,  contraint  de  quitter  la  Crète, 
éleva  un  temple  à  Jupiter  Atabyrien.  On 

Î  voyait  aussi  un  temple  de  Minerve.  Du 
aut  de  cette  montagne  on  aperçoit 
non-seulement  la  Crète,  mais  même, 
dit-on,  nie  de  Chypre  (2).  Une  tradi- 
tion rapporte  qu'on  voyait  sur  le  moot 
Atabyrius  deux  bœufs  de  bronze,  l'un 
tourné  vers  Torient,  l'autre  vers  l'ood- 
dent,  dont  les  musissements  se  faisaient 
entendre  quand  1  île  était  menacée  d*uD 
grand  malheur;  ce  qui  nous  fait  coin* 
prendre  qu'il  y  avait  un  oracle  dans  le 
temple  de  Jupiter  Atabyrien.  On  fait 
venir  le  nom  de  cette  montagne  d'Ata- 
bvrius,  ancien  roi  telchine  de  l'ile  ; 
d  autres  en  font  un  mot  phénicien,  sem- 
blable à  celui  du  mont  Thabor.  La  plus 
haute  montagne  qui  s'élève  au  centre  de 
l'île  s'appelle  aujourd'hui  Ârtémira, 
C'esttrès-probablement  là  qu'il  fautcbe^ 
cher  le  mont  Atabyris.  On  se  trompe 
éviJeniment  quand  on  le  place  au  mont 
Philerme.  Artémira  est  fort  escarpée , 
dit  Savary  (3)  ;  oà  ne  peut  y  monter  à 

(z^  Coronelli,  Uola  di  RotU,  p.  i3. 
(a;  Meursiot,  Rhodtis,  c.  vzii,  p.  ai. 
(3)  Savary,  Lettres  4ur  la  Grèce^  p.  86, 
1788. 


ILE  DE  RHODES. 


91 


eharai;  3  faut  la  gravir  à  pied  pendant 
quatre  heures  de  marebe  poar  arriver 
a  sa  cime.  Lorsqu'on  y  est  parvenu,  on 
jouit  d'un  coup  d'ceil  magnifique.  On 
découvre  aux  bords  de  Tborizon,  vers  ie 
nord-est,  les  sommets  du  Cragus,  au 
nord  la  cMe  élevée  de  la  Caramanie,  au 
nord-ouest  de  petites  îles  semées  dans 
i'Arehipd ,  qui  paraissent  comme  des 
points  lumineux,  au  sud-ouest  la  tête 
du  mont  Ida,  couronnée  de  nuages,  au 
Bidi  et  au  sud-est  la  vaste  étendue  des 
eaux  qui  baiff nent  les  côtes  de  l'Afrique» 
Au  nord  de  Plie,  non  loin  de  la  ville  de 
Rhodes,  est  le  mont  Philerme,  nom  qui 
dérive  de  phUeremos,  qui  aime  la  soli- 
tude; cette  hauteur  est  voisine  du  vil- 
lagede  Trianda.  On  y  volt  une  ^lise  con- 
sacrée à  Notre-Dame  de  Pbilerme  et  un 
sonterrain  orné  de  fresques  représentant 
des  sujets  religieux,  dont  la  description 
se  trouve  dans  la  relation  du  colonel 
ftottiers  (1).  Au  sud-est  de  la  ville  est  la 
bauteurduSimboli,  où  la  tradition  place 
l'éeole  de  ces  rhéteurs  rhodiens  dont 
renseignement  eut  tant  de  célébrité  chez 
les  anciens.  L'Ile  de  Rhodes  n'a  pas  de 
cours  d'eau  navigable  :  le  seul  des  ruis* 
seaux  qui  Tarrosent  auquel  les  anciens 
fient  donné  un  nom  est  le  Pbyscus,  au- 
jourd'hui la  Gradura  on  la  Fisca ,  qui 
eonle  du  nord  au  sud,  et  se  jette  dans  la 
n)er  vers  la  côte  orientale  de  l'île  (2). 
Mais  on  voit  dans  les  plaines  et  sur  les 
coteaux  de  nombreuses  sources  très- 
abondantes  ,  qui  entretiennent  la  ferti- 
lité du  sol  et  font  croître  autour  d'elles 
des  bois  touffus.  La  viUe  de  Rhodes 
recevait  les  eaux  de  la  fontaine  Inessa, 
en  rhonneur  de  laquelle  les  Rhodiens 
fondèrent  une  ville  de  ce  nom  en  Sicile. 
Ancieitnss  tilles  et  lieux  gélb- 

BEES   DE  l'île    DE    RhODES.   —   LeS 

trois  premières  villes  de  l'île  de  Rhodes 
lurent  Lindos,  Camiros  et  Jalyssos,  dont 
Strabon  attribue  la  fondation  aux  trois 
fils  de  Gercaphus.  Celle  d'Achœa,  attri- 
buée à  Gercaphus  lui-même,  n'est  attes- 
^  que  par  des  traditions  incertaines. 
On  connaît  l'emplacement  des  trois  au- 
tres cités.  Lindos  était  située  sur  la  côte 
onenude^  dans  la  région  la  plus  âpre  de 
lue.  Les    campagnes    environnantes 

(i)  Monuments  de  BkodéM,  p.  360. 
(^)D€ttJsoiadiRodi.,^,  i4. 

7*  UvraUon.  (  Ile  de  Chypre.  ) 


étaient  couvertes  de  rochers.  La  vigne^ 
et  le  figuier  y  prospéraient;  mais  on  ne 
pouvait  ni  labourer  ni  ensemencer  ses 
champs  rocailleux.  Lindos  était  célèbre 
par  son  temple  de  Minerve,  dont  la  cons- 
truction est  attribuée  à  Cadmus  ou  à 
ses  filles.  Ce  temple  fut  détruit  sous  le 
règne  de  l'empereur  Arcadius,  fils  de 
Théodose  le  Grand.  On  en  voit  encore 
les  ruines  sur  une  colline  élevée  qui  do- 
mine la  mer.  Les  débris  de  ces  murs 
sont  composés  d'énormes  pierres,  et  ap- 
partiennent au  style  cydopéen.  Sur  la 
cime  la  plus  élevée  du  rocher  on  remar- 
que les  restes  de  la  citadelle,  ou  acropole, 
de  Lindos.  Au  temps  des  chevaliers  il 
y  avait  à  Lindos  un  château  fort  appar- 
tenant aux  grands  maîtres;  on  l'appelait 
Castello  di  Lindo.  Sous  les  Turcs  Lindo 
resta  un  village  habité  par  des  chrétiens 
fort  riches,  qui  faisaient  un  grand  com- 
merce et  avaient  de  très-bons  navires. 
Cette  prospéritéa  disparu  depuis  le  temps 
dcDapper  (1).  Lindos  est  situé  au  pied  de 
la  montagne  qu'occupaitrancienne  ville. 
Une  baie  spacieuse,  qui  s'avance  au  loin 
dans  les  terres ,  lui  sert  de  port.  Les 
vaisseaux  y  trouvent  un  bon  mouillée, 
par  huit  et  douze  brasses.  Ils  y  sont  k, 
l'abri  des  vents  du  sud-ouest,  qui  régnent 
dans  la  plus  rude  saison  de  l'année.  Près 
de  Lindos  était  la  région  appelée  Ixia 
et  le  port  Ixus,  où  l'on  adorait  Apollon 
Ixien, 

Camiros  était  située  dans  la  partie  oc- 
cidentale de  l'île;  c'était  une  ville  ou- 
verte, non  fortifiée;  Strabon  l'appelle  un 
bourg,et  Thuc3[dide  dit  positivement  que 
les  Lacédémoniens  s'en  emparèrent  sans 
peine  au  temps  de  la  guerre  du  Pélo- 
ponnèse, parce  qu'elle  n'était  pas  envi- 
ronnée de  murailles.  Les  anciens  don- 
naient à  Camiros  l'épithète  d'Argilleuse, 
La  divinité  tutélaire  de  la  ville  était 
Junon  Telchinienne.  On  y  adorait  le 
héros  Aithémène.  Camiros  n'est  aujour- 
d'hui qu'un  misérable  village. 

Jalyssos  a  ;iussi  presque  entièrement 
disparu.  £lle  était  située  au  nord  de 
Camiros.  C'était  une  ville  forte,dominée 
par  une  acropole  appelée  par  Strabon 
Ochyroma  (2).  On  y  avait  élevé  un  tem- 

(i)  Dapper,  Description  tU   tArchîpei , 

P-  9î»- 

(a)  MeursiiV}  Hhodus,  p.  a6,  c  w. 


98 


LimiyEBS. 


pie  à  Juoon,  et  aux  Nymphef  Tel- 
ehiniennes.  Chu  y  retrouve  des  masses 
de  pierres  renversées,  derniers  restes 
d'une  des  portes  de  l'antique  Jalyssos, 
et  çà  et  là,  sur  remplacement  qu'elle 
occupait,  on  voit  des  blocs  de  marbre, 
des  fragments  de  colonne  et  quelques 
débris  de  bas-reliefs  dont  le  colonel  Rot- 
tiers  a  donné  les  dessins(l)  .  Les  cheva- 
liers de  Rhodes  ont  exploité  les  ruines 
de  cette  Tille  et  Font  fouillée  comme  une 
carrière.  Ils  en  ont  enlevé  de  belles  co- 
lonnes, qui  ont  servi  à  la  décoration  de 
l'église  Saint-Jean.  Ils  y  ont  trouvé  des 
statues,  des  inscri  ptions  qu'ils  envoyaient 
à  leurs  parents  et  a  leurs  amis  d'Europe; 
les  Vénitiens  en  ont  fait  autant  dans  tout 
l'Archipel.  Peut-être  y  aurait-il  encore 
à  faire  en  cet  endroit  des  fouilles  pro^ 
ductives. 

Dbsgbtftion  de  l'àncieniis  villb 
DB  Rbodbs.  —  La  ville  de  Rhodes  fut 
fondée  bien  longtemps  après  les  trois  an- 
ciennescités  de  Jalys8os,Gamiros  et  Lin- 
dos.  Vers  la  fin  delà  guerre  du  Péloponnèse 
les  habitants  de  ces  trois  villes,  réunis  par 
l'intérêt  commun,  renoncèrent  à  former 
trois  cités  distinctes,  et  fondèrent  la  ville 

S'ils  appelèrent  Rhodes,  du  nom  de  Tlle. 
le  eut  pour  architecte  Hippodamus  de 
Milet,  le  même  qui  avait  tracé  le  plan  de 
la  ville  du  Pirée  (2).  Strabon  lui  donne 
quatre-vingts  stades ,  ou  environ  trois 
lieues  de  circuit.  Le  terrain  était  en 
pente,  et  la  ville  présentait  l'aspect  d'un 
amphithéâtre,  d'où  la  vue  s'étendait  sur 
la  mer  et  les  côtes  d'Asie.  C'était  une 
des  plus  belles  villes  de  l'antiquité;  et 
l'on  admirait  son  emplacement,  ses  mu- 
railles, SCS  édifices  publics,  l'habile  dis- 
position de  ces  rues,  la  grandeur  et  la 
commodité  de  ses  ports.  «  Dans  l'inté- 
rieur de  Rhodes,  dit  le  rhéteur  Aristide, 
on  ne  voyait  point  une  petite  maison 
à  côté  d'une  grande.  Toutes  étaientd'une 
égale  hauteur,  et  offraient  le  même  ordre 
d'architecture,  de  manière  que  la  ville  en- 
tière ne  semblait  former  qu*un  seul  édi- 
fice. Des  rues  fort  larges  la  traversaient 
dans  toute  son  étendue.  Elles  étaient 
percées  avec  tant  d'art,  que  de  chaque 
côté  que  l'on  portât  ses  regards,  l'inté- 

(i)  Monuments  de  Rhodes,  p.  384,  et  atlas^ 
pi.  75. 

(9)  Meursius,  Rkod,,  c.  x,  p.  27» 


rieur  paratasaitsvperiMBie&t  déeoré.  Les 
murs,  dont  la  vaste  eneeintB  était  cd- 
trecoupée  de  tours  d'ime  haoteor  et 
d'une  beauté  surprenantes,  «xeîtaient 
surtout  l'admiration.  Leurs  sommets 
élevés  servaient  de  phare  aux  naviga* 
teurs.  Telle  était  la  magnlfioence  de 
Rhodes,  qu'à  moins  de  Tavèir  vue,  l'i- 
magination ne  pouvait  en  concevoir  l'i- 
dée. Toutes  les  parties  de  cette  immense 
dté,  liées  entre  elles  par  les  plus  belles 
proportions,  composaient  un  ensemble 
pariait,  dont  les  murs  étaient  la  cou- 
ronne. Cétait  la  seule  ville  dont  od  pût 
dire,  qu'elle  était  fortifiée  eorome  une 
plate  de  guerre  et  ornée  comme  on  pa- 
lais. » 

La  rille  de  Rhodes  était  située  ao  nord 
de  l'tle,  sur  la  pointe  d'un  promontoire 
qui  s'avance  vers  l'orient.  Elle  était  do- 
minée par  une  vaste  acropole,  dont  l'en- 
ceinte renfermait  des  champs  cultivés  et 
des  bois.  On  ▼  voyait  une  statue  en  or 
du  dieu  de  la  richesse,  Piutus,à  qui  l'ar- 
tiste avait  donné  des  ailes  et  des  yens. 
Rhodes  possédait  encore  d'autres  tem- 
ples magnifiques;  celui  du  Soleil,  princi- 
pale divmi  té  de  la  ville  ;  celui  de  Baoebas, 
que  décoraient  des  peintures  de  Protogè- 
ne;  le  temple  d'Isis,  voisin  des  murailles. 
Ces  trois  temples  que  mentionnent  les 
anciens  n'étaient  pas  les  seuls ,  puisque 
Dion  Ghrysostome  prétend  que  les  Kho- 
diens  en  avaient  élevé  à  tous  les  dieux, 
avec  un  grand  nombre  de  chapelles  consa- 
crées aux  héros.  Il  y  avait  à  Rhodes  des 
théâtres,  des  gymnases  pour  l'enseigne- 
ment de  la  philosophie  et  des  lettres, 
des  stades  pour  la  course  et  les  exercices 
du  corps.  Tous  ces  édifices  étaient  or- 
nés de  peintures  et  de  statues,  dont  Pline 
porte  le  nombre  à  trois  mille.  Rtiodes 
avait  plusieurs  ports  et  de  ^ands  arse> 
naux.  «  Le  navigateur  qui  y  abordait 
dit  Aristide  (1),  voyait  avec  étonnenient 
plusieurs  ports  formés  perdes  môles  de 
pierre  jetés  bien  avant  dans  la  mer. 
L'un  recevait  les  vaisseaux  d'Ionie, 
l'autre  ceux  de  Carie.  Celui-ei  offrait 
son  abri  aux  flottes  d'Egypte,  de  Ghy- 

Sre  et  de  Phénicie,  comme  si  chacun 
'eux  eût  été  fait  exprès  pour  telle  rille. 
Près  de  ces  ports  s'élevaient  des  arse* 

(i)  Dans  aei  Ahodiaea,  cité  par  Meursiiis, 
p.  35. 


ILE  l>£  atiODES. 


^ 


nan  (htm  rinfMMattli  aMiMé  étouoait 
k»  re^anis;  si  Ton  oMUidorait  rimmea** 
ailé  de  leurs  toits  (fiu  lieu  élevé,  ils  resr 
semblaieDt  à  un  vaste  champ  doat  le  ter* 
raiD  est  iaeliné.  »  Il  y  a  de  reiagératioa 
et  de  i'empbase  dans  le  langage  du  rhé* 
teor  asiatique.  Des  histoneas  plus  exacts 
fi  plus  précis  ne  parlent  que  de  deux 
ports,  un  grand  et  un  petit,  dont  il  est 
fait  mention  dans  le  récit  du  siège  que 
la  ville  soutint  contre  Démétrius  Polio^ 
eète.  Cependant  on  reconnaît  au  sud  de 
la  ville  remplacement  d'un  troisième 
poit,  qui  est  aujourd'hui  presqu'à  sec. 
L'entrée  de  quelques-uns  de  ses  arse- 
naux était  interdite  sous  peine  de  mort* 
Od  leconnatt  dans  cette  terrible  prohi^ 
bition  resprit  des  grandes  républiques 
eofflmereantcB.  Garthage  et  Venise 
avaifnt  dans  leurs  codes  des  rigueurs 
lemblables.  La  ville  était  entourée  de 
faubourgs,  que  les  habitants  détruisirent 
quand  ils  furent  menacés  d'un  siège  par 
Mitbridate.  C'était  dans  Tun  d'eux  que 
Ton  admirait  le  célèbre  tableau  d'Ialysus 
du  peifitre  Protogène  dont  nous  repar-t 
ktons  plus  loin  en  détail.  Toute  la 
ville  était  remplie  des  chefs-d'œuvre  de 
Tart  antique,  que  les  riches  Rhodiens  sa* 
nient  généreusement  payer  aux  grands 
artistes  de  la  Grèce.  «  Tétais  logé  dans 
le  quartier  du  temple  de  Bacchus,  dit 
^  voyageur  de  Lucien,  et  dans  mes 
moments  de  loisir  je  parcourais  la  ville 
poor  en  examiner  les  monuments.  De 
temps  en  temps  je  goûtais  un  plaisir 
nqnis  en  me  promenant  sous  les  porti* 
quçs  du  temple,  et  en  contemplant  les 
peÎQtares  admirables  qui  les  décoraient, 
(^speetaele  avait  d'autant  plus  d'attrait 
pour  moi  que  je  comprenais  les  sujets 
^  que  je  repassais  dans  ma  mémoire  les 
labiés  héroïques  qu'ils  représentaient.  » 

La  ville  actuelle  de  Rbopbs.  — 
La  nouvelle  ville  de  Rhodes  occupe  l'em- 
placement  de  randenne;  seulement  elle 
nt  moins  étendue.  On  n'y  retrouve  plus 
de  vestiges  de  la  cité  grecque  ;  temples , 
portiques,  gvmnases ,  statues,  tableaux, 
tout  a  été  enlevé  ou  détruit;  tout  a  dis- 
paru. £t  cependant  cette  ville  est  en- 
«tte,  telle  qu'elle  est,  un  intéressant  dé- 
bris du  passé.  Ce  n'est  plus  la  Grèce 
QD^elle  rappelle;  c'est  une  autre  époque, 
«éjà  vieillie  par  les  siècles,  mais  qui  a 
hissé  dans  tous  les  souvenirs  autant  de 


traces  que  Tantiquité  elle-même.  La  villç 
actuelle  de  Rhodes  date  du  temps  des 
croisades  et  a  été  bâtie  par  les  cheva- 
liers de  Saint- Jean.  «  Le  mo^en  âge,  dit 
M.   d'Ëstourmel,  est   reste  à  Rhodes 
avec  tout  son  appareil  guerrier,  ses  tou* 
relies,  ses  créneaux ,  ses  ogives,  ses  ar- 
moiries. Nous  possédons  chez  nous  quel- 
ques maisons  de  ce  genre  ;  mais  une  cité 
tout  entière,  c'était  un  spectacle  com- 
plètement nouveau  pour  moi.  Le  port  où 
nous  descendîmes  est  bordé  de  quais  en 
grande  partie  ruinés,  et  de  longues  mu- 
railles  hérissées  de  meurtrières;  une 
belle  et  haute  tour  carrée,  crénelée, 
flanquée  à  son  sommet  de  quatre  tou- 
rillons, s'élève  au-dessus  des  autres  for- 
tificatioDS.  Lors  du  siège  elle  s'appelait 
la  tour  Saint-Nicolas,  et  elle  fut  vaiN 
lamment  défendue  par  un  Castellane. 
Une  fois  les  portes  franchies,  on  pé- 
nètre à  travers  un  assemblage  de  mai* 
sons  bâties  en  pierre ,  à  petites  croisées 
carrées ,  à  portes  basses  et  cintrées ,  avec 
des  trottoirs  qui  ne  laissent  entre  eux 
qu'une  voie  étroite.  Quelques  rues  mieux 
percées  forment  le  quartier  noble,  le 
faubourg   Saint-Germain  de  Rhodes. 
Une  d'elles,  la  plus  droiteet  laplus  large, 
a  conservé  le  nom  de  rue  des  Chevaliers  ; 
elle  traverse  la  ville,  aboutissant  d'un 
côté  à  la  mosquée,  près  de  la  porte  du 
port,  de  l'autre  à  l'ancienne  église  pa- 
tronale de  Saint-Jean;  les  hôtels  oui  la 
bordent  sont  tels  qu'ils  étaient  à  la  fin 
du  quinzième  siècle,  dont  la  plupart 
portent  la  date.  Seulement  quelques  oal- 
cous  fermés  ont  été  ajoutés  aux  fenêtres 
pour  empêcher  le  jour  et  surtout  les  re- 
gards de  s'introduire  du  dehors  dans 
l'intérieur  des  chambres.  Des  créneaux, 
des  petites  tourelles,  des  gouttières  en 
pierre  s'avancent  en  saillie  sur  les  fa- 
çades; de  longs  câbles  sculptés  mar- 
quent la  séparation  des  étages.  Dans 
l'architecture  des  noms  se  sont  con- 
servés ,  qui  maintenant  ne  représentent 
plus  rien.  Qu*est-ce  dans  nos  maisons 
modernes  qu'une  croisée  autour  de  la- 
quelle règne  un  cordon?  Un  assemblage 
de  vitres  et  des  moulures  alentour  ;  mais 
les  anciennes  croisées    représentaient 
exactement  une  croix,  comme  leur  nom 
l'indique.  La  forme  en  fut  adoptée  à  l'é- 
poque des  croisades,  et  ce  qu'on  appela 
alors  un  cordon  est  bien  réellement  cq 

7. 


"100 


L'UNIVERS. 


câble  que  je  retrouve  ici  dans  les  encadre* 
ments.  Ce  qui  contribue  surtout  à  I*or* 
nement ,  c^est  la  profusion  d'armoiries 
en  pierre  et  en  marbre  blanc,  qu'on 
aperçoit  jusque  sous  les  toits;  quelque- 
fois on  voit  réunir  jusqu'à  sept  de  ces 
écussons.  La  croix  de  l'ordre  est  par- 
tout, mais  jamais  seule  ;  la  croix  ancrée 
des  d'Aubusson  lui  est  accolée  sur  toutes 
les  portes  et  les  lieux  les  plus  apparents, 
preuve  évidente  que  la  ville  fut  en  grande 
partie  reconstruite  après  le  premier 
siège.  On  rencontre  aussi  fréquemment 
nos  fleurs  de  lys.  Les  maisons  ainsi  dé* 
corées  présentent  à  Tœil  un  blason  com- 
plet,  souvent  avec  des  devises  et  des  ins- 
criptions en  caractères  »>thiques  (1).  » 
La  ville  actuelle  de  Khodes  a  deux 
ports  :  celui  qu'on  rencontre  le  premier, 
en  abordant  par  le  nord ,  est  le  port  des 
Galères,  ainsi  nommé  parce  qu'il  servait 
d'abri  aux  sept  galères  que  le  pacha  de 
File  entretenait  autrefois  pour  le  service 
du  grand  seigneur.  L'entrée  de  ce  port 
est  défendue  par  le  fort  Saint-Elme.  Le 
grand  port  est  appelé  le  port  des  Vais- 
seaux. Il  est  détendu  par  la  tour  Saint* 
Nicolas;  au  delà  d'un  môle  couvert  de 
moulins  et  terminé  par  la  tour  de  Saint- 
Michel  ,  on  aperçoit  l'enceinte  presque 
ensablée  d'un  troisième  port  qui  doit 
avoir  été  abandonné  depuis  bien  des 
siècles.  La  ville  est  encore  entourée  des 
fortiGcations  derrière  lesquelles  les  che- 
valiers soutinrent  le  siège  de  1522.  Sans 
doute  cette  enceinte  avait  grandement 
souffert  par  l'effet  des  mines  et  du  canon 
des  Turcs.  Mais  Soliman  la  fit  rétablir 
dans  l'état  où  elle  était  avant  le  siège  ;  de 
sorte  que  l'on  ne  retrouve  en  aucun  autre 
pays  du  monde  une  ville  du  quinzième 
siècle  aussi  bien  conservée.  Rhodes  est  là 
encore  debout,  telle  qu'elle  devait  être 
lorsque  les  Turcs  s'en  emparèrent.  Elle 
a  dû  à  rinaction  et  à  l'indolence  de  ce 
peuple  d*échapper  à  toutes  les  causes 
de  transformation  qui  tous  les  jours 
métamorphosent  les  villes  d^Europe. 
Elle  est  restée  intacte  sous  le  gouverne- 
ment inerte  des  musulmans,  comme 
Pompéi  et  Herculanum  sous  la  lave  et 
les  cendres  du  Vésuve  (2).  A  part  le  dé- 

(  I  )  JoivrnaltTun  Voy.  en  Orient,  1. 1,  p.  1 55 , 
(a)  Midiaiid  et  Poujoulat,  Correspondance 
d Orient,  t.  rv,p.  i3. 


labrementde  ces  remparls,  queletsmos 
augmoate  tous  les  jours  ^  rien  n'a  «é 
chauffé  dans  leur  construction  ;  on  n'y  a 

Î)as  dérangé  une  pierre  ni  comblé  «m 
bssé.  Chaque  bastion  a  conservé  son 
nom.  Ici  c'est  le  bastion  d'Angleterre, 
là  celui  d'Espagne  et  de  Portugal ,  plus 
loin  ceux  de  France,  d'Italie,  d'Au- 
vergne, de  Provence.  Tout  autoar  de  la 
ville  rèffne  une  longue  suite  de  cime- 
tières, hérissés  de  pierres  levées,  de 
dalles  de  marbre  blanc ,  fichées  en  terre, 
quelques-unes  chargées  de  versets  du 
Coran  et  terminées  par  un  turban  gros- 
sièrement sculpté.  Comme  les  Turcs  ne 
renouvellent  pas  les  sépultures  dans  leurs 
cimetières,  ils  s'étendent  de  joar  en 
jour,  et  occupent  autour  de  leurs  villes 
d'immenses  emplacements.  La  mort 
saisissant  tous  ceux  qui  ont  véca ,  la 
nécropole  de  Rhodes  est  bien  plus  vaste 
que  la  cité  des  vivants. 

La  ville  se  divise  en  deux  parties ,  la 
ville  haute  vers  l'orient ,  et  la  ville  basse 
à  l'ouest.  Partout  les  rues  sont  étroites 
et  tortueuses.  La  haute  ville  était  le 
quartier  réservé  aux  chevaliers.  Le  quar- 
tier des  Juifs  est  à  l'extrémité  de  la  ville 
basse.  Les  ruines  du  palais  des  grands 
maîtres  sont  dans  le  haut  de  la  rue  des 
Chevaliers,  près  des  fortifications.  «  Ce 
château,  qui  dominait  autrefois  la  ville, 
la  mer  et  les  campagnes,  dit  un  voya- 
geur (1),  n'est  nlus  qu'un  amas  de  dé- 
combres, du  milieu  (lesquelles  s'élèvent 
des  murs  flanqués  de  tourelles,  dont  les 
débris  obstruent  les  cours  et  les  salles  ; 
des  restes  de  galerie,  des  arcades  que  le 
lierre  enlace  et  soutient  encore,  servent 
d'abri  à  de  tristes  oiseaux  qui  s'échappent 
en  criant  et  se  replongent  dans  leur 
sombre  repaire  dès  que  le  voyageur  s'est 
éloigné  ».  «Çà  et  là  on  aperçoit  les  restes 
de  ces  grandîs  édffîces  où  les  chevaliers 
de  la  même  langue  vivaient  eneommun, 
et  qui  portaient  le  nom  d'auberge.  Elles 
étaient  jadis  au  nombre  de  huit,  à  cause 
des  huit  nations  dont  se  composa  l'ordre 
des  Hospitaliers.  Non  loin  des  ruines 
du  palais  des  grands  maîtres  on  trouve 
celles  de  la  loge  Saint^Jean,  qui  occupe 
l'emplacement  d'un  temple  de  Jupiter- 
Sauveur,  où  l'on  recevait  avec  honneur 

fi)  M.  Cottut,  Revite  des  Oenx  Mandes  ^ 
xSÙ,  p.  8i5. 


ILE  DE  RHODES. 


h)i 


les  étrangers  de  distinetion  et  les  am- 
bassadeors  des  États  avec  lesquels  Kho- 
des  entretenait  des  relations  amica- 
les (1).  »  C'est  la  nartie  la  plus  élevée 
de  la  ville,  qui  de  la  descend  en  pente 
douce  jusqu^au  port.  La  loge  Saint* 
Jean  fut  construite  par  Hélion  de  Vil* 
leoeuve.  C'était  là  que  se  réunissaient 
les  chevaliers  pour  les  conseils  de 
guerre,  les  grandes  délibérations  :  c'é- 
tait là  que  se  rendait  le  grand  maître 
pour  communiquer  avec  Tordre,  ou  diri- 
ger les  travaux  dans  les  grands  sièges 
que  Rhodes  eut  à  soutenir.  Endom- 
magée dans  le  dernier  siège,  la  logo 
Saint- Jean  a  été  de  pins  en  plus  dégra* 
dée  par  le  temps,  et  dans  quelques  an- 
nées il  n'en  restera  plus  nen.  L'éB;Iise 
Saint- Jean,  ancienne  cathédrale  oe  la 
Tille,  est  aujourd'hui  la  grande  mos* 
quée.  Elle  est  de  beaucoup  inférieure 
pour  la  beauté  et  la  richesse  à  l'église 
que  le  même  ordre  édifia  plus  tard  dans 
nie  de  Bialte.  Autrefois  les  Turcs  en  in- 
terdisaient l'entrée  à  tout  étranger.  Le 
eolonel  Rottiers  prétend  être  le  premier 
chrétien  qui  y  ait  pénétré  depuis  la  con- 
quête. Cest  en  1825  qu'il  visita  l'Ile  de 
Rhodes.  Aujourd'hui  l'antique  église  de 
Saint-Jean  n'est  plus  fermée  aux  voya- 

gmrs.  Elle  a  cent  soixante  pieds  de 
Dg et  cinquante-deux  de  large;  les  co- 
lonnes ont  presque  toutes  des  chapi- 
teaux différents;  leur  diamètre  est  d*en- 
viron  vingMeux  pouces.  Elles  ont  été 
enlevées  aux  ruines  d'anciens  temples 
païens,  et  sous  la  chaux  blanche  dont 
les  Turcs  les  ont  recouvertes ,  on  re- 
connatt  qu'elles  sont  en  beau  granit 
oiieatal.  La  charpente  qui  soutient  la 
toiture  de  la  nef  est  toute  parsemée  d'é- 
toiles d'or  sur  un  fond  d'azur.  Cette 
église  a  été  bâtie  sur  les  plans  d'Ar- 
nolfe ,  architecte  de  Florence  :  sa  cons- 
truction commença  peu  de  temps  après 
rétablissement  des  cnevaliers  dans  i  île» 
ear  on  rapporte  que  la  première  pierre 
^  fut  posée  solennellement  par  Foul- 
ques de  Viilaret  en  1310,  le  jour  de  la 
uativité  de  Saint-Jean-Baptiste ,  patron 
de  l'ordre  (2).  Les  autres  églises  de  la 
ville,  Sainte-Catherine ,  Saint-Pantaléon, 
Saint-Sauveur,  Sainte-Marie-de-la-Vic- 

(i)KoUiers,  Monuments  deJRhodes,  p.  a85. 
(3)Roitien,/J.,  p.  Soi. 


toire,  Saint-Cosme  et  Damien,  Saint- 
Jean  de  la  Fontaine  sont  tombées  en 
ruines  ou  converties  également  en  mos- 
quées. Les  couvents  de  Saint-François 
et  de  Saintr  Augustin  subsistent  encore. 
On  retrouve  dans  la  rue  des  Juifs  un 
vieux  couvent  de  religieuses,  la  maison 
du  grand  commandeur,  et  le  palais  de  jus- 
tice de  l'ordre.  T^  porte,  qui  donne  accès 
dans  la  ville  du  côté  du  port  s'appelle  la 
porte  Saint-George  ou  de  Sainte-Cathe- 
rine. A  l'occident,  vers  la  ville  basse,  est 
la  porte  Saint-Jean,  et  à  l'orient,  à  la 
ville  haute,  la  porte  Saint-Michel,  ap- 
pelée aussi  porte  d'Amboise. 

Les  Turcs  ne  souffrent  pas  qu'aucun 
chrétien  habite  dans  l'enceinte  de  Rho- 
des. 11  en  est  de  même  à  Constanti- 
nople.  Le  Fera  de  Rhodes  est  un  grand 
village  ouvert,  situé  au  nord-ouest  de  la 
ville,  dans  le  voisinage  de  la  mer,  et  qui 
s'appelle  Neochorio.  Les  Grecs  y  sont 
également  relégués,  ainsi  qu'à  Paximada, 
qui  est  le  prolongement  de  Neochorio. 
Ce  faubourg  est  adossé  à  la  hauteur 
factice  élevée  par  les  musulmans  lors 
du  siège  qui  mit  Rhodes  en  leur  pou- 
voir, et  au  delà  de  laquelle  on  a  perçoit  le 
sommet  du  mont  Saint- Nicolas.  Les 
consuls  européens  y  ont  tous  leur  rési- 
dence. En  sortant  de  la  ville  par  le  côté 
opposé ,  on  arrive  au  site  de  Simboli, 
dont  le  nom  vient  du  mot  turc  zambidu, 
gui  signifie  hyacinthe.  Cest  une  plate- 
forme ombragée  de  beaux  platanes,  arro- 
sée par  une  fontaine  qui  entretient  en 
cet  endroit  une  délicieuse  fraîcheur.  Là 
est  le  plus  joli  site  des  environs  de  Rho- 
des ,  oui  généralement  ne  sont  pas  sans 
beauté.  A  l'ouest  du  mont  Saint- Etienne 
s'étend  la  vallée  qui  servait  de  retraite 
au  monstre  que  combattit  le  chevalier 
Gozon^  et  dont  on  voit  le  prétendu  sque- 
lette suspendu  sous  la  porte  Sainte-Ca- 
therine. Au  sud-ouest  de  la  ville,  à  deux 
ou  trois  heures  de  chemin,  sont  les 
ruines  qu'on  appelle  le  vieux  Rhodes. 
La  route  en  est  agréable  ;  on  suit  long- 
temps le  bord  de  la  mer,  puis  on  che- 
mine entre  de  gros  arbres  touffus,  chênes 
verts,  oliviers,  figuiers;  on  traverse  le 
joli  village  de  Trianda,  dont  les  maisons 
sont  en  pierre  et  presque  toutes  unifor- 
mément ornées  d'une  petite  tourelle  à 
cul  de  lampe  délicatement  sculptée, 
genre  de  construction  qui  dénote  une 


fas 


L'UmVBRS. 


origine  féodale.  Ptos  loin,  sur  une  éroi* 
neuce,est  remplacement  d*UDe  ancienne 
ville,  quelques  restes  de  tour  et  un 
couvent  ruiné.  Le  vieux  Rhodes  n'est 

Sas  une  ville  greeque,  mais  franque;  ses 
ébris  sont  ae  construction  gothique, 
car  à  Ehodes  comme  dans  Hle  de  Chypre 
la  plupart  des  ruines  appartiennent  aui 
édifices  construits  par  les  Latins  à  l'é^ 
poque  des  croisades.  Les  vestiges  de 
rantiquité  ont  presque  entièrement  dis* 
paro,  mais  partout  se  retrouvent  la 
Race  des  Francs  et  les  souvenirs  de 
leur  cloire. 

L'fle  de  Rhodes  a  cent  quarante 
milles  de  superficie,  quarante-quatre 
villages,  une  capitale  et  un  bourg,  celui 
de  Lmdo.  Dana  le  siècle  dernier  sa  po^ 
pulation  était  encore  de  quatre-vingt 
mille  âmes,  et  la  ville  conservait  quei^ 
que  prospérité.  Mais  la  fiscalité  d^  gou* 
vemeurs  turcs  a  tout  ruiné  :  outre  les 
impôts  arbitraires  et  exeessîfs  dont  ils 
frappaient  les  habitants,  ils  s'attribue'» 
rent  les  monopoles  de  presque  toutes  les 
denrées,  soie,  cire,  miel,  huile,  oranges, 
raisins,  etc.  Ils  ont  accaparé  toutes  les 
productions  du  sol.  Appauvri  par  leurs 
exactions ,  le  cultivateur  a  renoncé  an 
travail  ;  le^  jardins  ont  disparu,  les  mois- 
sons ne  couvrent  pins  la  terre.  Beaucoup 
de  cantons  fertiles  et  autrefois  bien  cul- 
tivés sont  devenus  des  solitudes,  et  selon 
le  témoignage  de  voyageurs  qui  ont  vi- 
sité cette  tie  après  1880,  le  dénombre^ 
ment  qu'on  venait  de  faire  par  Tordre 
de  la  Porte  n'avait  donné  pour  toute  l'île 
que  seize  mille  habitants  (1). 

IL 

HISTOIBS     ANGIETTIVE     DE     l'tLB 
DE     BHODBS. 

Ses  PBEHIBB8  HABITANTS,  LES 
TELGHINES,    les   leHÈTES,   LES  Hi- 

LiÀDBS.  •*-  Les  plus  anciennes  tradi*^ 
tit>ns  relatives  à  l'histoire  primitive  de 
Rhodes  ne  sont  que  des  légendes  poé- 
tiques  et  des  fables  incohérentes,  où  l'i- 
magination a  la  plus  ij^ande  part,  et 
dans  lesquelles  il  est  bien  difficile  de 
distinguer  la  fiction  de  la  vérité.  C'était 
une  opinion  généralement  reçue  dans 

(i)  Bllchaad  et  Poujonlat,  C^rrespomUmee 
ttGrimt,  U IV»  p.  96. 


la  Grèoe  que  111e  de  Rhodes  était  née 
du  sein  des  eaux  de  la  mer.  Laissons 

Sarler  Pindare,  l'historien,  le  chantre 
e  cette  origine  merveilleuse.    «  Les 
vieilles  traditions  des  hommes  racon- 
tent qu'au  temps  où  Jupiter  et  les  im- 
mortels se  partagèrent  le  monde ,  Rho- 
des n'était  pas  encore  visible  sur  la 
plaine  humide;  l'île  se  cachait  dans  les 
profondeurs  de  la  mer.  Le  soleil  ab- 
sent, personne  n'aivait  tiré  son  lot  ;  au- 
cun pays  n'avait  été  assigné  au  chaste 
dieu,  dépendant  Jupiter,  qu'il  avertit, 
voulut  établir  an  nouveau  partage  ;  nuûs 
kii  ne  le  permit  point,  car  al  dit  aux  dieux 
qu'au  fond  de  la  mer  bianchissaDle  il 
voyait  grandir  une  terre  féconde  en 
hommes  et  favorable  aux  troupeaux. 
Sur-le-chasnp  il  exicea  que  Lacbesia  au 
fuseau  d*or  étendit  les  mains  et  que  les 
dieux  ne  refusassent  pas  de  prêter  le 
grand  serment;  mais  qu'avee  le  fils  de 
Cronos  ils  lui  promissent  que  l'tle  qui 
montait  à  la  clarté  du  ciel  serait  à  Pa- 
venir  placée  sur  sa  tête.  Ces  paroles 
souveraines  s'accomplirent  selon  In  v^ 
rite.  Du  sein  humide  de  la  mer  germa 
Itle  que  possède  le  dieu  générateur  de 
la  lumière  radieuse ,  le  roi  des  coursien 
au  souffle  de  feu.  C'est  là  qu'il  s'unit  à 
Rhodo,   qu'il  engendra  sent  en&nts, 
dont  la  sa^se  éclata  parmi  les  hommes 
des  premiers  temps  ;  l'un  d'eux  engen- 
dra Camire,  Jalyse  l'alné  et  Lindus. 
Mais  ils  vécurent  séparés,  après  avoir  fiait 
trois  parts  des  terres  et  des  villes  pater- 
nelles :  leur  séjour  porta  leur  nom  (1).  » 
Selon  Pindare,  les  (derniers  habitants 
de  Rhodes  sont  les  fils  du  Soleil,  les  Hé- 
liades,  race  d'honames  née  de  l'union 
de  l'astre  du  jour  avec  la  terre  de  Rhodes 
qu'il  avait  fécondée.  Les  traditions  re- 
cueillies par  Diodore  remontent  plus 
haut,  et  avant  les  Héliades  il  nomme  les 
Telchines  comme  étant  les  premien  qui 
peuplèrent  Rhodes  (3).  Il  leur  donne  le 
titre  de  fils  de  la  mer;  ce  qui  les  lait 
regarder  comme  des  Phéniciens  (S)  par 
la  plupart  des  critiques.  Comme  inven- 
teurs et  propagateurs  des  arts  miles, 
les  Telchines  peuvent  encore  être  avec 


(z)  Pindare,  Olymp.,  TU,  £p.  3. 
(a)  Diodor.,  V,  55. 
(3)  Raoul  Bocbette^  Sutoin  im 
Grecques,  I,  p.  3,3S. 


ILE  DE  RHODES. 


>da 


fraîsfunblaiieenltsoliés  à  ee  pettçto  In» 
dostrieox  qui  eouvrit  de  ses  colonies  les 
flestle  la  MéditerraDée ,  alors  que  les 
Grecs  étaient  encore  dans  un  état  voisia 
de  la  barbarie.  Les  Telchioes  passaient 
pour  avoir  les  premiers  fabriqué  les  sta* 
tues  des  dieux,  et  toutes  les  villes  de 
Rhodes  rendaifflit  les  plus  grands  hon- 
neurs à  celles  qui  étaient  sorties  de 
leurs  ftiaÎDfi.  Us  étaient  de  puissants  en- 
chanteurs, et  savaient  par  la  magie  as- 
sembla' les  Ruafires,  attirer  ou  repousser 
les  orages.  Enfin  ils  priaient  à  leur 
gré  toutes  les  formes  qu'ils  voulaient. 
ËTidemment  les  Telehines  étaient  des 
étran^rs  savants  et  habiles,  que  les  po- 
pulations grossières  des  Iles  de  r^jsie 
Occidentale  et  de  la  Grèce  regardaient 
comme  des  magiciens  et  des  sorciers. 

La  fable  raconte  que  ces  Telehines 
avaient  été  chargés  par  Rbéadu  soin  d*é* 
lever  Neptune.  Ce  dieu,  devenu  grand, 
aima  Halia,  soeur  des  Telehines,  et  en 
eut  six  fils  et  une  fille  appelée  Rhodes, 
qui  donna  son  nom  à  rlle.  Quelque 
temps  après  Vénus  allant  de  Cythère  en 
Cypre  voulut  aborder  à  Rhodes  ;  les  fils 
de  Neptune  Ten  repoussèrent  :  la  déesse 
s'en  vengea  en  les  rendant  furieux  ;  ils 
outragèrent  leur  propre  mère  Halia ,  et 
Neptune  les  punit  en  les  enfermant  dans 
les  profondeurs  de  la  terre.  Halia,  dé* 
sespérée  de  son  déshonneur,  se  préci- 
pita dans  la  mer,  et  reçut  des  honneurs 
divers  sons  le  nom  de  Leucothoé.  Ce 
mythe  est  susceptible  dMnterprétations 
bien  diverses;  mais  il  est  certain  que 
sïl  D*e8t  pas  une  invention  filite  à  plai- 
sir, il  ne  peut  avoir  été  suggéré  que 
par  le  souvenir  confus  des  événements 
variés  de  la  vie  aventureuse  d*un  peu* 
pie  ou  d*une  colonie  de  navigateurs  éta- 
ka  dans  Tlie  de  Rhodes. 

Le  mythe  des  Héliades  est  plus  clair, 
et  les  anciens  eux-mêmes  en  ont  plus 
fadlement  saisi  le  sens.  Les  Telehines, 
selon  Diodore,  prévoyant  un  déluge, 
quittèrent  l'île,  et  se  dispersèrent,  (ijoèh 

3aes-UDS  périrent  surpris  par  rinon<* 
ation;  d  autres  échappèrent  sur  de 
hautes  montagnes.  Mais  le  Soleil  (Hé* 
lios),  épris  de  Rliodes,  dessécha  111e,  lui 
donna  le  nom  de  celle  qu'il  aimait,  et  y 
établit  ses  sept  fils,  Ochimus,  Cerca- 
pbus,  Macar,  Actis,  Téna^,  Triopas  et 
Candalos.  Évidemment  &  mythologie 


exprimait  id ,  dans  son  langage  figuré, 
Finfluence  bioifaisaute  du  soleil  sur  une 
terre  auparavant  marécageuse,  qu*il  avait 
rendue  nabitable  en  la  dessécbant.  Les 
Héliades,  comme  les  Telehines,  avec  les- 
quels il  faut  peut-être  les  confondre,  se 
distinguaient  par  la  connaissance  des 
arts ,  des  sciences  et  surtout  de  l'astro- 
logie. Us  réglèrent  les  saisons,  et  firent 
des  découvertes  utiles  aux  progrès  de  la 
navigation  (i).  11  est  bien  certain  qu'il  s'a- 
git encore  id  d'un  peuple  navigateur,  et, 
quelle  que  soit  la  lorme  que  prenne  la 
légende,  on  voit  que  dans  le  fond  elle  n'a 
fait  que  conserver  vaguement  le  souvenir 
des  andens  établissements  phéniciens. 
Ténagès,  qui  était  le  plus  habile  des  Hé* 
liades,  périt  par  la  jalousie  de  ses  frères* 
Le  crime  ayant  été  découvert ,  tous  les 
coupables  prirent  la  fuite.  Macar  se  re- 
tira à  LeskM>s,  et  Candalus  à  Cos;  Actis 
aborda  en  Egypte,  et  y  fonda  Héliopolis; 
Triopas  s'établit  en  Carie,  au  promon- 
toire Triopium.  Quant  aux  autres  Hélia- 
des, qui  n'avaient  point  pris  part  au  crime, 
ils  demeurèrent  à  Rhodes,  et  construi- 
sirent la  ville  d'Adiaia,  dans  la  Jalyssie* 
Ochimus ,  l'aîné ,  en  fut  le  premier  roi* 
Cercaphus  lui  succéda  :  il  fut  père  do 
Jalysus,  Camirus  et  Lindus,  qui  par- 
tagèrent rtle  en  trois  régions  et  y  fon- 
dèrent chacune  une  ville. 

Deux  indications  très-concises  d'Hé* 
sychius  et  d'Etienne  de  Byzance  don- 
nent pour  successeurs  aux  Telehines, 
comme  habitants  de  111e  de  Rhodes,  les 
Gnètes  ou  Ignètes,  que  Bochart  conjeo- 
ture,  avec  assez  de  raison,  être  le  même 
peuple  que  le  précédent  (2).  Il  n'en  est 
nullement  fait  mention  dans  Diodore. 

Au  temps  des  fils  de  Cercaphus,  selon 
Diodore,  Danaûs,  fuyant  oe  l'Egypte, 
vint  aborder  à  Lindos  avec  ses  nlles. 
Bien  aceudlli  des  habitants,  il  éleva  un 
temple  à  Minerve ,  et  lui  consacra  une 
statue.  A  quelque  temps  de  Jà,  Cadmus 
aborda  aussi  a  Ttle  de  Rhodes  après 
une  tempête,  pendant  laquelle  il  avait 
fait  vœu  d'élever  un  temple  à  Neptune. 
Il  construisit  ce  temple  dans  l'Ile  de 
Rhodes,  et  y  laissa  des  Phéuidens  pour 
le  desservir.  Ces  Fbénidens  obtinrent 

(i)  Diod.,  y,  56  et  suiv, 
(a)  Raoul  Kwùkeiie^Colomêt  Grecques,  t.I, 
p.  338« 


104 


L*t7mV£RS. 


le  droit  de  cité  à  Jalyssos,  et  la  fiicilité 
avec  laquelle  ils  se  confondirent  aveo 
les  habitants  du  pays  semble  prouver 
une  communauté  d'origine.  Cadmus  en 
passant  à  Rhodes  avait  honoré  les  divi- 
nités locales  et  consacré  à  la  Minerve  de 
Lindos  un  ma^ifique  bassin  d'airain. 
Peut-être  Danaus  avai^ii  reconnu  une 
déesse  phénicienne  dans  la  Minerve  de 
Lindos. 

Expulsion  des  Phenigisivs  ,  colo- 
nies PÉLASGIQUBS  ▲  RHODES.  —  JUS- 

que  là  toutes  les  colonies  établies  dans 
Rhodes,  Telchtnes,  Ignètes,  Héliades, 
compagnons  de  Danaus,  avaient  uneori- 
gine  orientale,  et  se  rattachent  à  l'Asie 
Mineure  ou  aux  contrées  maritimes  de 
la  Syrie  (1).  Sans  doute  l'examen  cri- 
tique de  toutes  ces  traditions  pourrait 
faue  ressortir  bien  des  contradictions , 
susciter  de  nombreuses  difficultés,  et 
contredire,  à  certains*^ards,  les  conclu- 
sions générales  que  nous  en  avons  tirées, 
principalement  en  ce  qui  concerne  les 
Héliaaes,  dont  l'origine  asiatique  est 
moins  évidente  (|ue  celle  des  deux  au- 
tres tribus.  Mais  le  fond  de  ces  asser- 
tions demeure  toujours,  et  l'on  ne  peut 
nier  que  Tîle  de  Rhodes,  comme  la  plu- 
part des  autres  fies  de  la  mer  Egée , 
n'ait  été  occupée  par  la  race  phénicienne 
avant  de  l'être  par  la  race  grecque.  Ce 
fait  n'avait  pas  échappé  aux  anciens  eux- 
mêmes  ;  il  est  attesté  par  la  grave  au- 
torité de  Thucydide  (2) ,  et  deux  Rho- 
diens,  Polyzélus  et  Ergéas,  qui  écrivi- 
rent sur  l'histoire  de  leur  patrie,  avaient 
Tecueilli  les  traditions  relatives  àll'exDul- 
sion  des  Phéniciens  de  l'tle  de  Rno- 
des  (3).  D'après  leurs  récits,  Phalantus, 
chef  des  Phéniciens,  vigoureusement  at- 
taqué par  un  certain  Fphiclus,  s'était  ren- 
fermé dans  une  place  forte,  où  il  faisait 
une  bonne  résistance.  Ayant  consulté  l'o- 
racle ,  il  lui  fut  répondu  que  l'ennemi  ne 
se  rendrait  mattre  de  la  place  que  lorsque 
l'on  verrait  des  corbeaux  blancs  voler 

(x)  M.  Eaoul  Rocbette  conteste  Tongine 
phénicienne  des  Héliades,  admise  par  Clavier, 
et  les  regarde  comme  issus  de  la  colonie  pélas- 
giqiie  de  Phorbes.  Foyez  les  preuves  do  cette 
assertion,  t.  I,  p.  34o. 

il)  Thucyd.,  I,  8. 

(3)  Ap.  Alfaénée,  I.  VIU;  Dapper,  Des- 
cription de  CArcfùpel,  p.  tSi, 


dans  l'air  et  des  poissons  nager  dans  les 
eoupes.  Phalantus,  croyant  qoe  ces  pro- 
diges ne  se  réaliseraient  jamais,  se  crat 
imprenable,  etse  relâcha  de  sa  vigilanee. 
Cependant  Iphiclus,  informé  de  cet  ora- 
cle qui  avait  rassuré  Phalantus,  eut  re- 
eoursà  la  ruse  pour  accomplir  les  singu- 
lières conditions  qui  devaient  lui  livrer  la 
place  qu'il  assiégeait.  Selon  le  récit  d'Er- 
géas,  s'étant  emparé  de  Larca,  On  des 
serviteurs  de  Phalantus,  au  moment  où  il 
allaitchercher  de  l'eau  à  la  source  voisine, 
Iphiclus  ne  le  relâcha  qu'à  condition  qu'il 
s  engagerait  à  verser  dans  la  coupe  de  son 
maître  l'eau  qu'il  lui  rapportait,  et  où  II 
avait  jeté  lui-même  une  quantité  de  petits 
poissons  ;  ce  que  Larca  exécuta  fidèle- 
ment, comme  il  s'y  était  engagé.  Qoant 
à  l'autre  difficulté  de  l'oracle,  Iphiclus 
sut  également  Téluder  en  envoyant  à 
Phalantus  des  corbeaux  qu'il  avait  en- 
duits de  chaux.  Selon  Pciyzélos,  il  fut 
aidé  dans  l'exécution  de  ces  deux  stra- 
tagèmes par  la  propre  fille  de  son  rival, 
qui  avait  conçu  poiur  lui  une  vi(Hente 
passion.  Quoiqu'il  en  soit,  Phalantus, 
voyant  l'oracle  accompli ,  perdit  l'espoir 
de  pouvoir  se  défendre,  et  aoandonna  If  le 
de  Rhodes,  qui  fut  pour  toujours  enlevée 
aux  Phéniciens,  auxquels  les  Grecs  succé- 
dèrent. On  ne  sait  à  quelle  époque  placer 
cet  événement,  dont  les  détails  sont  loin 

d'offririecaractèredela  vérité  historique. 
Mais  cette  tradition  n'en  est  pas  moins 
curieuse,  comme  étant  le  seul  souvenir 
conservé  par  l'histoire  de  la  lutte  qui  dot 
nécessairement  s'engager  entre  les  deux 
nations  qui  se  disputèrent  dans  ces  temps 
reculés  la  possession  de  l'Ile  de  Rhodes. 
Cette  victoire  d'Iphiclus  sur  Phalantus 
et  les  Phéniciens  ne  peut  s'expliquer 
que  par  l'établissement  dans  l'Ue  de 
Rhodes  de  colons  grecs  ou  pélasgiques , 
qui  y  vinrent  en  assez  grand  nombre 
pour  obtenir  enfin  la  prépmidérance.  La 
première  de  ces  colonies,  selon  M.  Raoul 
Rocbette ,  est  celle  de  Lencippus,  fils  de 
Macar,  qui  était  venu  de  Lœbos  avec 
une  troupe  nombreuse.  La  population 
de  Rhodes,  selon  Diodore  (l),  était  alorr 
fort  réduite  ;  Leucippus  et  ses  compa* 
gnons  furent  accueillis  avec  joie,  et  ne 
tardèrent  pas  à  se  confondre  avec  les 
anciens  habitants.  Or,  il  &ut  se  sou* 

(i)Diod.,V,  St. 


ILE  DE  RHODES. 


105 


Tenir  406  Uaettr  était  iBi-màne  on  Hé- 
ijade,  qui  avait  monté  Rhodes  pour  s'é-i 
tabiir  à  Lesbos.  Son  fils  abandonna  Les- 
bosàson  toor  poor  revenir,  aveeles  Pélaa* 
ges,  de  cette  tie  an  berceau  de  sa  famille. 
Qoelqae  tempsaprdSyil  se  formaà  Rbodes 
m  Doovel  établissement  pélasgiqiie,  sous 
la  conduite  de  Phorluis,  fils  de  Trio- 
pai ,  selon  Hygîn ,  et  de  Lapithus ,  selon 
Diodore.  La  mythologie  paraît  s*étze 
exdosivement  emparée  de  ce  fiait.  S*il 
faat  en  croire  Biodore,  Itle  était  ra- 
vagée par  des  serpents  d'une  grandeur 
prodji^use,  (^  dévoraient  on  grand 
oombre  d'habitants.  Pour  se  délivrer 
de  œ  fléau,  ils  consultèrent  l'oracle  de 
Déios,  qui  leur  conseilla  d'appeler  à  leur 
Ncoors  Phortias,  qui  vint  deThessalie, 
puigea  le  pays  des  monstres  qui  l'infes- 
taient, et  fonda  une  colonie  dans  Ttle 
qoi  loi  devait  sa  délivrance.  Il  est  asses 
sioguUer,  ajoute  M.  Raoul  Rochette  (l\ 
de  trouver  a  une  époque  aussi  ancienne 
Torigine  des  fables  qui  reparaissent  dans 
rhistoire  moderne  de  Rnodes,  lors<]ue 
eette  ville  était  au  pouvoir  des  chevaliers 
de  Saint-Jean  de  Jérusalem.  Ces  fiables 
avaient  sans  doute  un  fondement  réel, 
eiagéré  par  l'imagination  des  Grecs. 
Comme  Leucinpus,  Phorbas  était  encore 
ori^airc  de  rtle  de  Rhodes.  Son  jèee^ 
Triopas,  avait  émicré  en  Carie  et  londé 
UD  établissement  dans  la  presqulle  de 
Goide,  OU6  Phorbas  fut  obligé  d*aban- 
doDoer  lors  de  l'invasion  des  Carieos. 
n  était  en  Thessalie,  ouand  les  Rhodiens 
le  rappelèrent  dans  l'Ile  natale,  où  il  re- 
vint avec  une  colonie  pélasgique. 

CoLonis  CBBTOISE  d'Althbhbnb. 
—  AUhémène,  fils  de  Catrée,  petit-fils 
de  Minos,  ayant  reçu  de  l'oracle  une  ré- 
ponse qui  lui  prédisait  qu'il  tuerait  son 
père,  s  exila  volontairement  de  l'Ile  de 
Crète.  U  vint  à  Rhodes,  aborda  à  Ca- 
miros,  et  introduisit  dans  ce  pays  le  culte 
de  Jupiter,  auquel  il  éleva  un  temple  sur 
le  mont  Atabyrius,  d'où  Ton  apercevait 
rtle  de  Crète.  Cependant  Catrée,  désolé 
du  départ  de  son  fils ,  fit  voile  pour 
Khodes ,  afin  de  le  revoir  et  de  le  ra- 
mener en  Crète.  La  fatalité  rapprocha 
ainsi  le  père  et  le  fils,  pour  assurer  l'exé- 
cution des  arrêts  du  destin.  Catrée  dé- 
barqua de  nuit  dans  l'fle  de  Rhodes. 

(i)  Colonies  Grecques,  I,  339* 


Les  hafailants  se  cfvrent  attaqués  par 
des  pirates.  Us  marchèrent  en  armes  à 
leur  rencontre.  Althémène  accourut 
aussi  pour  repousser  cette  prétendue 
agression,  et  son  javelot  frappa  son  père, 
qu'il  n'avait  pas  reconnu.  ApoUmiore 
ajoute  oue,  désespéré  du  crime  involon- 
taire qu  il  avait  commis,  ce  malheineux 
fils  pria  les  dieux  de  permettre  à  la  terre 
derengloutir,  et  que  son  vœu  fut  exaucé. 
Mais  Diodore  explique  historiquement 
cette  fable,  et  prétend  que  s*étant  banni 
de  la  société  et  du  commerce  des  hom- 
mes, il  trouva  dans  la  solitude  le  terme 
de  ses  chagrins  et  de  sa  vie  (1).  Un  autre 
AUhémène  conduisit  ]>lus  tard  dans 
rtle  de  Rhodes  la  colonie  dorienne  qui 
donna  un  caractère  définitif  à  la  popu- 
lation de  cette  tle,  composée  d'éléments 
si  divers. 

Colonie  abgibnne  db  Tlépolèhe 
(1392  av.  J.-C).  — Tlépolème,  filsd  Her- 
cule, établi  à  Argos,  forcé  de  s'expatrier 
pour  un  meurtre  involontaire ,  émigra 
avec  une  nombreuse  troupe  d'Argiens. 
Étant  allé  consulter  l'oracle  de  Delphes, 
le  dieu  lui  ordonna  de  conduire  une  co- 
lonie à  Rhodes.  Un  des  descendants  de 
Cadmus,  forcé  de  se  bannir  de  Thèbes, 
à  cause  du  meurtre  d'un  de  ses  parents, 
se  réfugia  à  Athènes,  d'où  ses  descen- 
dants accompagnèrent  Tlépolème  à  Rho^ 
des.  Quelques  Athéniens  prirent  éga- 
lement part  à  cette  colonie ,  qui  rebâtit  et 
açrandit  les  trois  villes  de  Lindos ,  Ca« 
miros  et  Jalyssos,  dont  l'existence  au 
temps  du  siège  de  Troie  est  attestée  par 
Homère.  La  même  colonie  de  Tlépolème 
s'étendit  aussi  dans  l'tle  de  Cos,  qui  au 
tempsde  la  guerre  de  Troie  était,  ainsi  que 
Itle  de  Rhodes,  dominée  par  les  Héra* 
clides.  «  L'Héradide  Tlépolème,  dit  Ho- 
mère (2),  grand  et  fort  guerrier,  amena 
de  Rhodes  neuf  vaisseaux  montés  par  les 
courageux  Rhodiens.  »  Il  périt  sous  les 
murs  de  Troie  de  la  main  de  Sarpédon, 
fils  de  Jupiter  .Voici  comment  Homèrera* 
conte  la  mort  du  chef  des  Rhodiens  (3). 
«  La  cruelle  destinée  poussa  le  malheu* 
reux  fils  d'Hercule,  le  grand  Tlépolème, 
contre  le  divin  Sarpédon.  Quand  ces  deux 


Rocbelte,  Colo' 


IQB 


L'UNIVERS. 


héros  ^  rcB  fil8  et  riotfd  pctft*il8  dd 
dieu  qai  lance  lelomierre,  iansnt  tous 
deux  en  pvéeenee  et  prêts  à  se  charger, 
Ttépolème  parla  le  premier,  et  lui 
adressa  ces  paroles  :  «  Sarpédon ,  con- 
seiller des  Lvdens ,  quelle  nécessité  de 
▼enir  trembler  ici,  toi  qui  ne  connais 
pas  la  guerre?  ils  mentent  ceux  qui  te 
disent  fils  de  Jupiter  Porte-Égide  ;  car 
tu  es  de  beaucou|>  inférieur  à  ces  héros 
anciens  qui  naquirent  de  Jupiter.  Tel 
fut,  dit'On,  Hercule,  mon  vaillant  père 
au  coeur  de  Lion,  qui,  venu  ici  avec  six 
vaisseaux  seulement  et  un  petit  nombre 
d'hommes  pour  enlever  les  chevaux  de 
Laomédon ,  saccagea  la  ville  de  Ticoie 
et  désola  ses  rues.  Mais  toi,  tu  n'es 
<|u*ufi  lâche ,  et  tes  peuples  périssent.  £it 
je  ne  pense  pas  que  ta  venue  en  ce  pays 
soit  désormais  d  un  grand  secours  aux 
Troyens ,  quand  même  tu  serais  très- 
robuste;  car,  terrassé  par  moi,  tu  vas 
franchir  les  portes  de  renier.  —  Tlépo- 
lème,  reprend  Sarpédon,  il  est  vrai 
qu'Hercule  ruina  autrefois  la  ville  de 
Troie  par  la  faute  et  par  Timprudence 
du  grand  Laomédon,  qui  lui  refusa  ses 
clievaux  qu'il  lui  avait  promis,  et  pour 
lesquels  ce  héros  était  venn  de  fort  loin. 
Ce  roi  parjure  ne  se  contenta  pas  même 
de  les  lui  refuser  ;  il  le  traita  indignement, 
quoiqu'il  en  eût  reçu  de  très-grands 
services.  Pour  toi ,  je  te  prédis  que  tm. 
n'auras  pas  le  sort  de  ton  père.  Ta  der- 
nière heure  t'attend  ici,  et,  terrassé  par 
cette  pique,  tu  vas  me  couvrir  de  gloire, 
et  enricnir  d'une  ombre  l'empire  dn 
dieu  des  enfers.  »  Comme  il  achevait  ces 
niots,  Tlépolèrae  lève  son  javelot,  et  le 
lance.  Dans  le  même  instant  les  traits 
de  ces  deux  guerriers  partent  de  leurs 
juains.  Sarpédon  donne  du  sien  au  mi- 
lieu du  cou  de  son  ennemi ,  et  le  perce. 
La  mort  ferme  ses  paupières  et  le  cou* 
vre  d'une  éternelle  nuit.  Le  javelot  que 
Tiépolème  avait  lancé  atteignit  Sarpé** 
don  à  la  cuisse  gauche,  et  le  fer  avK[e , 
poussé  avec  une  violence  extraordinaire^ 
entra  dans  l'os ,  et  s'y  attacha.  Jupiter 
garantit  son  fils  de  la  mort.  » 

ÉtABLISSEH £NT  DBS  DOBIBNS  DANS 

l'Ile  de  Rhodes.  —  A  l'époque  de  la 

fuerre  de  Troie,  Rhodes,  débarrassée 
es  Phéniciens,  qui  l'avaient  occupée  d'à» 
bord ,  des  Cariens,  qui  y  dominaient  au 
temps  de  Minos ,  était  devenue  une  île 


greecnie.  Une  dernière  ém^ratlen  cuit 
une  fie  dorienne  (1).  Le  chef  de  ce  aoa- 
vel  établissement  fut  un  second  Althé- 
mène,  fils  de  Cisus,  petit^^fllsde  Téménns, 
qui  dans  la  conquête  du  Pélopomtèse 
par  les  Héraelideset  les  Dorions  avait  ob- 
tenu en  partage  le  royaume  d'Argm  (2). 
Althémène  était  le  plus  jeune  des  fils 
de  Cisus.  Il  quitta  l'Argolide,  à  la  suite 
d'une  querelle  avec  ses  frères,  accompa- 
gné d'une  troupe  de  Doriens,  auxquels 
s'étaient  joints  quelqjues  Pélasges.  A 
cette  époque  les  agitations  dont  la  Grèce 
était  le  théâtre,  par  suite  des  invasions 
des  Cadméens,  des  Améens  et  des  Do* 
riens,  avaient  déterminé  parmi  les  an- 
ciennes populations  de  ce  pays  un  mou- 
vement d'émigration  très-actif  vers  l'A- 
sie Mineure  et  les  tles.  Au  momeot  où 
Althémène  s'apprêtait  à  quitter  la  Grèee, 
des  Athéniens  sous  la  conduite  de  Nélfc, 
des  Lacédémoniens  sous  celle  de  Del- 
phus  et  de  Polis ,  lui  proposèrent  de  se 
joindre  à  lui  et  de  se  placer  sous  sob 
commandement.  Mais  il  devait  être  iin- 
posslble  à  ces  peuples  si  différents  d'ori- 
gine et  de  caractère  de  s'entendre  sur 
la  direction  à  donner  à  leur  entreprise. 
Les  Ioniens  voulaient  aller  en  Asie  Mi- 
neure, leur  terre  de  prédilection;  les  Do- 
rions poussaient  Althémène  à  se  rendre 
en  Crète.  Celui-ci,  rejetant  les  offres  qii'oo 
lui  faisait ,  alla  consulter  l'oracle  de  Del- 
phes ,  qui  lui  ordonna  de  se  dirij^er  vers 
Jupiter  et  le  Soleil ,  et  de  s'établir  dans 
les  pays  qui  les  reconnaissaient  pour  pro- 
tecteurs et  dieux  tutélaires.  Étant  donc 
parti  du  Péloponnèse,  Althémène  rint 
•aborder  en  Crète ,  qui  était  particulière- 
ment consacrée  à  Jupiter.  Il  laissa  une 
partie  de  sa  troupe;  et,  poursuivant .^n 
voyage  avec  le  reste  des  Doriens,  qui  t'a- 
vaient accompacné,  il  vint  prendre  terre 
dans  111e  de  Rhodes.  A  partir  de  ret^^ 
époque  les  Doriens  dominèrent  dans 
cette  île,  dont  ils  occupèrent  les  trois 
villes,  Camiros ,  Jalyssos,  Lindos,  qvi 
avaient  d^à  reconnu  tant  de  maîtres  dif- 
férents. Ils  s'établirent  aussi  dans  TUf 
de  Cos ,  et  sur  le  continent,  à  Cnide  et  à 
Halicamasse.  Les  Doriens  de  ces  sis 
villes  des  tles  de  Cos,  de.Rhodes  etde  b 

• 

((  )  Fojr,  SUT  l'ttsage  de  la  laogi»  doriamf  * 
Rhodes  Meursius,  RtuxLt  !•  n,  c.  m. 
(a)  CoDoo  «p.  Meurs»,  Rhod,^  p.  i5. 


ILE.  SB  BBODES 


t07 


CM^sc  rémirciit  en  xom  6oiifiSdéMlon 
gni  s'appela  l'HeiapoIe  Dorique. 

AlITIQUB     PBOSFéxnS     MABITIlfS 
DES  RHODlSnS  ;  LEUBS   COLOHIBS.  — > 

Ces  traditions,  toutes  confases  et  ineom-^ 
plètes  qu'elles  sont,  ne  laissent  pas  de 
nous  donner  de  précieux  renseignenaents 
$ur  les  orifçines  de  la  population  de  l'Ile 
de  Rhodes.  Mais  après  rétablissement 
de  la  colonie  dorienne  Tbistoire  ne  nous 
transmet  phis  rien  sur  les  destinées  de 
cette  île,  dont  les  annales  offrent  une  la- 
ronedesix  siècles  environ.  On  sait  seu- 
lemeot,  par  des  indieationséperses  çà  et 
là  dans  les  anciens  auteurs ,  que  Fîle  de 
Rhodes  s'élève  à  un  haut  degré  de  pros- 
périté, et  qu'elle  dut  au  courage,  au  génie 
actif  et  entreprenant  de  ses  habitants 
une  importance  supérieure  aux  ressour- 
ces et  aux  forces  dont  la  nature  l'avait 
pourvue.  Dès  le  temps  d'Homère  la  ri- 
chesse des  Abodiens  était  déjà  célèbre  : 
•  Le  fils  de  Saturne,  dit  le  poète,  a  ac- 
cordé aux  Rhodiens  de  grandes  riches* 
ses.(l). 

Aussi  Pindare  a-t-il  imaginé  de  dire 
«qoe  le  puissant  roi  des  immortels  avait 
arrosé  d'une  pluie  d'or  l'tle  de  Rhodes , 
lorsque  Minerve,  avec  l'aide  de  Vulcain , 
arme  de  sa  hache  de  bronze,  s'élança  du 
ecneau  de  Jupiter  en  poussant  un  cri 
retentissant  (2)  ».  Penaant  toute  Tanti- 
qnité,  ce  fut  la  destinée  de  Rhodes  d'ê- 
tre renommée  pour  son  opulence.  Les 
rhéteurs  des  siècles  postérieurs  Aristide, 
Philostrate,  Libanius,  Himérius  répè- 
tent tous  la  fable  de  la  pluie  d'or,  qui  n'a- 
vait pas  cessé  d'être  vraie,  et  un  sco- 
liaste  d'Homère  en  donne  une  explica- 
tioQ  mythologique ,  qui ,  prise  au  sens 
iDoral,  offre  un  bel  enseignement,  qui 
s'adresse  à  tous  les  peuples.  On  rapporte, 
dit-il,  que  Jupiter  fit  pleuvoir  de  l'or  sur 
itie  de  Rhodes,  parce  qu'elle  fut  la  pre- 
mière qui  offrit  des  sacrifices  à  sa  fille 
Minerve.  Ainsi  le  dieu  récompensait  les 
KlKxiiens  de  leur  culte  pour  la  sagesse  en 
l^ur  accordant  des  richesses  proverbia- 
le. L'oraele  sibyllin  avait  dit  au  sujet 
deillede  Rhodes  :  a  Et  toi,  Rhodes,  fille 
do  dieu  du  jour,  tu  seras  pendant  long- 
temps une  terre  indépendante,  et  tu  pos- 
séderas d'immenses  trésors.  «  Que  la 

(0  Hom.,  //.,  n,  670 
(2)Piiidar.,  O/.,  TII,  ep.  2. 


prédictioii  ait  été  fiiice  après  «i^p^  oa 
qu'elle  ait  devancé  l'événement,  elle 
n'en  reproduit  pas  moins  avec  conci* 
sion  et  exactitude  les  deux  ^ands  traits 
généraux  de  cette  période  inconnue  de 
rhistoire  de  Rhodes,  qui  sut,  par  un  rare 
bonheur  et  par  sa  conduite  parfaite,  con- 
server penaant  des  sièeles  deux  choses 
qu'il  est  bien  dilQSeile  d'acquérir  et  de 
posséder  simultanément ,  la  richesse  et 
l'indépendance  (1). 
L'oracle  de  la  Sibylle  avait  dit  encore 

Sue  rtle  de  Rhodes  aurait  la  domination 
e  la  mer;  et  elle  fut  en  effet  de  toutes 
les  îles  grecques  la  plus  puissante,  par 
sa  marine  et  son  commerce.  Bien  avant 
l'époque  où  Tite-Live  célébrait  la  supé- 
riorité de  la  marine  rhodienne ,  la  rapi- 
dité de  ses  vaisseaux,  l'expérience  de  ses 
pilotes  et  l'adresse  de  ses  rameurs ,  les 
Rhodiens  passèrent  pour  les  meilleurs 
marins  de  la  Grèce.  Ils  se  vantaient  que 
chacun  d'eux  pouvait  à  lui  seul  conduire 
un  vaisseau  ;  de  là  ce  proverbe  *E{uU 
tinot  TdStot,  Mxa  vaOç ,  dix  Rhodiens,  dix 
navires.  La  puissance  maritime  des  Rho- 
diens, dit  Strabon,  précéda  de  beaucoup 
la  fondation  de  la  ville  actuelle  de  Rbo« 
des.  Bien  des  années  avant  l'institution 
des  jeux  Olympiques,  ils  fondèrent  de 
lointains  établissements.  Une  colonie 
nombreuse  s'établit  en  Ibérie  ou  Es- 
pagne, ety  fonda  la  ville  de  Rhodes  (Ro* 
sas  ),  que  les  Marseillais  occupèrent  plus 
tard.  Dans  la  terre  des  Opiques,  cest- 
à-dire  en  Campanie,  ils  établirent  une 
colonie  à  Parthénope,  qui  fut  plus  tard 
la  ville  de  Naples.  Le  Rhodien  Elpias, 
ayant  émigré  avee  des  habitants  de 
Rhodes  et  de  Cos,  fonda  la  ville  de  Sala* 
pie  en  Apulie.  D'autres  Rhodiens  allè- 
rent ,  après  la  guerre  de  Troie,  coloniser 
les  fies  Gymnasiennes  ou  Baléares.  Les 
Grecs  de  Rhodes,  qui  s'étaient  déjà  éta- 
blis dans  leur  fie  sur  les  débris  de  la 
domination  des  Phéniciens,  profitèrent 
de  la  décadence  de  leurs  colonies  des 
Gaules,  et  s'emparèrent  du  commerce 
de  la  Méditerranée  occidentale.  Ils  cons- 
truisirent quelaues  villes,  entre  autres 
Rhoda  et  Rhodanhusia ,  près  des  bou- 
ches libyques  du  Rhône,  qui  leur  dut 
«>n  nom.  Vers  Tan  600  avant  Tère  chrér 

(1)  ^ojrez  pour  toutes  ces  citations  Meur* 
sios,  Rhodus,  c.  xvci>  p»  5i  et  suiv.  t 


10$ 


LUSITEBS* 


tieime,  ils  finrent  remplacés  dans  ces  pa- 
rages parles  Phocéens,  qui  y  établirent 
la  puissance  cité  de  Marseille  (1).  En  Si- 
cile, des  Cretois  et  des  Rhodiens  réunis 
fondèrent  la  ville  de  Gela,  qui  à  son  tour 
devint  la  mère  patrie  d'Agrwente  (3). 
«  Antiphème  de  Rhodes  et  Éntime  <l6 
Crète,  dit  Thucydide  (3),  amenèrent  des 
habitants  à  Gela,  et  la  fondèrent  en  com- 
mun, quarante-cinq  ans  après  la  fonda- 
tion de  Syracuse.  Le  nom  de  cette  ville 
lui  vint  dû  fleuve  Gelas;  Tendroit  où  elle 
est  aujourd'hui,  et  qui  fut  le  premier  en- 
touré d'un  mur,  se  nomme  Lindie^  et 
ses  habitants  eurent  les  institutions  do- 
riennes.  Environ  cent  huit  ans  après  leur 
établissement,  ceux  de  Gela  fondèrent  la 
ville  d*Agrigente ,  à  laquelle  ils  donnè- 
rent le  nom  au  fleuve  Acragas  ;  ils  char- 
gèrent de  sa  fondation  Aristonoiis  et 
Pystilos ,  et  y  étal)lirent  les  lois  et  cou- 
tumes de  Géla«  »  On  mentionne  encore 
des  établissements  rhodiens  en  Macé- 
doine, à  Téos  en  lonie,  à  Soli  en  Cili- 
cie,  en  Lycie,  en  Carie,  et  enfin  dans  les 
Iles  voisines  de  Rhodes,  telles  que  Car- 
pathos,  Casos  autrefois  Achné,  Nisyra, 
Calydna,  Cos,  Syme,  Chalcia  et  quelques 
autres,  sur  lesquelles  Rhodes  établit  son 
empire,  et  qu'on  appelait  les  Iles  Rho- 
diennes. 

Tel  fut  le  développement  commercial 
et  maritime  des  Rnodiens ,  du  dixième 
an  sixième  siècle  avant  Tère  chrétienne, 
pendant  la  période  inconnue  de  leur  his- 
toire. Les  aeux  points  extrêmes  de  leur 
navigation  étaient  l'Espagne,  où  nous 
avons  vu  qu'ils  fondèrent  des  colonies, 
et  l'Egypte,  où  sous  le  règne  d'Amasis 
ils  s'établirent  à  Naucratis,  et  où  ils  con- 
tribuèrent à  la  construction  de  l'Helle- 
nium  avec  d'autres  cités  commerçantes 
de  l'Asie  et  des  îles  (4).  Ainsi  leur  com- 
merce s'étendit  sur  toute  la  mer  des  an- 
dens,  et  ils  s'étaient  assurés  sur  toutes 
les  côtes,  dans  les  Sles,  en  Asie,  en  Macé- 

(x)  Am.  Thierry,  HUt.  des  Gaulois,  1. 1, 
p.  a3. 

(a)  MeursîuSy  Rhod,,  p.  6o. 

?3)  Thuc,  VI,  4  ;  Hcr,,  TII,  1 53. 

(4)  Her.,  U,  178  :  «  Les  villes  qui  firent 
bâtir  IHellénion  à  frais  communs  furent  :  du 
côté  des  Ioniens,  Chios,  Téos,  Phooée,  CU- 
lomènes;  du  côté  des  Doriens,  Rbûodes, 
Cnide,  Halicsmasie,  Pbasélis;  et  de  oeloi  des 
ËoUens  U  seule  viUe  de  Mitylène.  » 


doioe,  en  Sidle,  en  Italie,  en  Gaule,  m 
Espagne,  des  comptoirâ  et  des  stations. 
Pendant  le  long  intervalle  de  temps  où 
s'accomplirent  toutes  ces  choses,  Rhodes 
resta  divisée  en  trois  cités,  gouvernées 
d'abord  par  des  rois,  comme  on  le  voit 
dans  Homère  (1),  puis  transformée  en 
république,  comme  tous  les  autres  ÊtaU 
grecs ,  a  une  époque  inconnue.  De  c6 
trois  cités,  Lindos  paraît  avoir  été  la  plus 
considérable.  C'est  d'elle  dont  il  est  le 
plus  souvent  fait  mention  dans  les  rares 
témoignages  relatils  à  cette  partie  de 
l'histoire  de  Rhodes. 

L'tLB  BB  RbODBS  au  TBHPS  DE  L4 
6UEBBB  MBDIQUB.  —  RiodcS  ,  COOQIBe 

toutes  les  Iles  de  ces  parages ,  comme 
tous  les  États  maritimes  de  l'Asie  occi- 
dentale, perdit  son  indépendance  à  la  fin 
du  sixième  siècle,  et  se  vit  contrainte  de 
reconnaître  la  domination  des  Perses. 
Dans  sa  grande  expédition  (4S0)  Xenê 
fit  marcher  les  Grecs  d'Asie  contre  les 
Grecs  d'Europe;  les  Doriens  habitant 
dans  le  voisinage  de  la  Carie,  unis  a 
ceux  de  Rhodes  et  de  Cos,  fournirent  qua- 
rante vaisseaux  au  grand  roi (2).  I/entre 
prise  de  Xerxès  ayant  échoué,  il  en  ré- 
sulta de  grands  cbiangements  dans  Tétai 
du  monde  grec.  Les  Grecs  d'Europe, 
qui  avaient  su  repousser  une  domination 
que  ceux  d'Asie  avaient  reconnue,  vireot 
commencer  pour  eux  une  nouvelle  ère 
de  puissance  et  de  gloire.  Ils  s'empa- 
rèrent de  la  suprématie  intellectuelle, 
commerciale  et  politique  qui  jusque  la 
avait  appartenu  aux  cités  grecques  d'A- 
sie. Athènes,  qui  avait  tout  sacrifié  pour 
la  défense  de  la  Grèce,  eut  la  plus  grande 
part  aux  honneurs  et  aux  bénéfices  de  U 
victoire.  Elle  affranchit  les  Grecs  d'Asie 
du  joug  du  grand  roi,  mais  en  se  les  as- 
sujettissant, et  les  trois  cités  rhodienaes 
furent  contraintes  d'entrer,  à  titre  d'al- 
liées, dans  cette  vaste  confédération  mari- 
time dont  Athènes  fut  le  centre  et  la  tâe. 
Etat  db  lIlb  db  Rho&bs  pe>- 

(x)  Mearsiiis,  JS/un/.,  p.  6a.  Au  temps  de 
la  guerre  de  Troie  TIépolèoie  régnait  à  Bbo- 
des.  Sa  veuve  Polyxo  gouverna  au  nom  de  sop 
fils.  Froniin  fait  mention  d'un  Memnon ,  roi 
riiodien,  et  Pausanias  d'un  Damagète,  roi 
d'Ialysos,  qui  épousa  la  fille  du  héros 
nien  Aristomèue  ;  1.  lY,  c.  'xxixi. 

(2)  Diod.,  XI,  3. 


ILR  DE  RHODES. 


tm» 


DANT  LA  fi^mBBBBDU  PÉlOPONNiSE.  — 

Cependant  la  haine  qne  se  portaient 
mutuelkment  les  Athéniens  et  les  Spar- 
tiates ayant  éclaté  Y  toute  la  Grèce  s'en- 
gagea dans  cette  longue  et  sanglante 
qneretle  appelée  la  guerre  da  Pélopon- 
nèse. Apres  que  les  Athéniens  eurent 
été  défaits  au  siège  de  Syracuse  (413) , 
an  grand  nombre  de  leurs  alliés  les 
abandonnèrent.  Les  Rhodiens  suivirent 
ce  mouTement  de  défection,  et  s'engagè- 
rent dans  le  parti  des  Lacédémoniens, 
Ters  lesquels  us  inclinaient  en  qualité  de 
Doriens.  Mmdare ,  chef  de  la  flotte  de 
Sparte,  jeta  dans  Hle  deux  exilés  rho- 
diens, Doriée  et  Pisidore,  qui  s'étaient 
retirés  à  Thurium  à  la  suite  de  troubles 
qni  les  avaient  forcés  de  s'expatrier  (1). 
Celaient  sans  doute  les  che»  du  parti 
aristocratique  et  dorien,  opposé  à  la  dé- 
mocratie et  à  Tinfluence  d'Athènes.  Leur 
retour  prépara  le  changement  d'alliance 
que  Tarrivee  de  la  flotte  lacédénM>nienne 
rendit  définitif.  Pendant  l'hiver  de  t'an- 
oée  313,  le  général  Spartiate  Astyochus 
s'embarqua  de  Cnide,  et  fit  voile  sur 
Rhodes,  que  le  grand  nombre  de  ses  ma- 
rins et  son  armée  de  terre,  dit  Thucy- 
dide (2),  fendaient  déjà  importante»  Il 
Tint  touchera  Camiros  avec  quatre-ving^ 
Quatorze  vaisseaux.  D'abord  la  terreur 
iDt  grande  à  Camiros.  La  ville  n'étant 
pas  fortifiée,  les  habitants  s'enfuirent. 
Mais  les  Lacédémoniens  les  rassurèrent 
sur  leurs  intentions,  et  déterminèrent 
les  trois  dtés  à  accepter  leur  alliance. 
£ites  s'unirent  à  eux ,  et  payèrent  une 
raotribution  de  trente-deux  talents.  Les 
Athéniens  firent  de  vains  efforts  pour 
ressaisir  cette  importante  possession.  Us 
se  portèrent  à  111e  de  Chalcia  (Carchi) 
en  vue  de  Rhodes,  firent  des  descentes 
dans  nie,  remportèrent  quelques 'avan- 
tages, mais  sans  réussir  dans  le  but 
principal  de  leur  entreprise  (3).  Quelque 
temps  après,  Alcibiade  ayant  momenta- 
nément relevé  les  affaires  des  Athéniens, 
l^r  flotte  descendit  dans  les  tles  de  Cos 
«t  de  Rhodes ,  les  mit  au  pillage ,  et  en 
<^porta  quantité  de  vivres  et  de  provi- 
sions de  toute  espèce  (4)  (408).  Ce  fut  le 

(i)Dlod.,  Xin,  38  ;  Païuan.,  VI,  7. 
W  Thucyd.,  VUI,  44. 
(3)ld.,Xra,S5.  60. 
(4)  Diod.,  Vni,  69,  70. 


dernier  exf^it  dies  Athéniens.  Sparte 
plaça  Lysandre  à  la  tête  de  ses  forces 
navales  :  celui-ci  fit  voile  pour  Rhodes, 
réunit  à  sa  flotte  tous  les  vaisseaux  que 
les  villes  de  cette  Ile  purent  lui  fournir, 
et  alla  vaincre  Antiochus,  lieutenant 
d'Alcibiade,  sur  les  côtes  del'Ionle. 

Cette  année  même  la  première  de  la 
quatre-vingt-treizième  olympiade,  en 
408  avant  l'ère  chrétienne,  les  habitant» 
de  rtle  de  Rhodes ,  dit  Diodore  (1) ,  qui 
occupaient  lalvssos,  Camiros  et  Lindos, 
se  réunirent  dans  une  seule  ville  à  la» 
quelle  ils  donnèrent  le  nom  de  Rhodes. 
Aucun  historien  ne  nous  rend  compte 
des  motifs  qui  déterminèrent  les  Rho- 
diens à  prendre  ce  parti  ;  Strabon,  Aris- 
tide, Eustathe  mentionnent  ce  fait, 
comme  Diodore,  avec  la  plus  grande 
brièveté ,  et  nous  laissent  réduits  à  nos 
conjectures  sur  les  causes  qui  ont  pu  le 
produire.  La  cause  probable  de  cette  dé- 
termination ,  c'est  que  les  Rhodiens ,  se 
voyant,  par  leur  dispersion  en  trois  ci- 
tés, à  la  merci  des  deux  villes  de  Sparte 
et  d'Athènes,  qui  leur  imposaient  tour 
à  tour  leur  alliance,  comprirent  qu'ils 
trouveraient  en  se  réunissant  plus  de 
forces  et  de  nouvelles  garanties  d'indé- 
pendance.  En  effet,  la  ville  de  Rhodes 
devint  une  des  plus  importantes  cités 
des  derniers  temps  de  Thistoire  grecque. 

Quelques  années  après  la  fondation 
de  R  houes ,  Athènes  succomba  sous  les 
coups  de  Sparte,  qui  fit  peser  sur  les  ci- 
tés grecques  d'Europe  et  d'Asie  un  joug 
plus  pesant  queceluides  Athéniens.  Rho- 
des tut  une  des  premières  à  s'en  lasser; 
et  lorsque  l'Athénien  Conon  parut  dans 
les  mers  de  l'Asie  à  la  tête  d'une  flotte 
que  lui  avait  fournie  Artaxerxès,  les 
Rhodiens ,  fermant  leur  port  à  la  flotte 
]acédémonienne(2),  y  reçurent  Conon 
et  ses  navires.  Rientôt  on  vit  paraître  en 
mer  un  grand  convoi  de  blé  que  le  roi 
d'Egypte  envoyait  pour  l'approvisionne- 
ment des  forces  navales  de  Sparte ,  son 
alliée.  Profitant  de  l'ignorance  où  étaient 
les  conducteurs  de  ce  convoi  de  la  dé- 
fection des  Rhodiens ,  ceux-ci  et  Conon 
le  firent  entrer  dans  le  port,  et  s'empa- 
rèrent aisément  de  ce  riche  butin  (396). 

(1)  Diod.,  xniy  75;  Meursins,  Rkad,,  c.  x, 

p.  «7- 

(a)  Diod.,  Xrv,  79. 


IM 


L'UltmSBS* 


il  ett  mdent  qu«  h  pett|^  rfaodieii 
était  divisé  en  deux  partis  qui  dominaieBt 
tour  à  tour^  et  qui  nt  portaient  tantôt 
vers  l'alliance  de  S^rke,  tantât  vers  celle 
d'Athènes.  C'est  là  ce  qui  explique  les 
brusques  variations  de  la  politique  exté- 
rieure de  Rhodes  à  cette  époque*  Cinq 
aas  après  ce  retour  des  Rhodiens  au 
parti  d'Athènes,  en  a91,  les  partisans 
de  Laoédémone  reprirent  le  d^os,  fi- 
rent soulever  le  peuple,  et  expulsèrent  de 
la  ville  ceux  qui  tenaient  pour  les  Athé^ 
niens  (1).  il  y  eut  guerre  civile,  du  sang 
versé  et  des  proscriptions.  Puis ,  crai* 
gnant  aae  réaction  et  des  représaillesv 
le  parti  vainqueur  demanda  du  secours 
aux  Laoédémoniens.  Sparte,  enchantée 
de  cette  occasion  qui  s'offrait  de  rétablir 
ses  affaires  en  Asie,  envoya  sept  trirè« 
mes  commandées  par  trois  cheÉ.  Ceux« 
ei,  après  avoir  détaché  Samos  des  Athé- 
niens ,  aâenntrent  à  Rhodes  rautorité 
de  leurs  amis ,  et  chassèrent  ïts  Athé* 
niens  de  ces  parages  et  des  côtes  voi- 
sines. 

La  domination  de  Sparte,  un  instant 
ébranlée,  avait  été  raffermie  par  la  bra- 
voure d'Agésiias  et  la  politique  d'Antal- 
cidas,  qui  avait  su,  comme  autrefois  Ly« 
aandre,  procurer  à  sa  patrie  Talliance 
du  roi  de  Perse.  Mais  le  joug  des  Lacé- 
démoniws  étant  devenu  de  nouveau  in- 
supportable à  force  d'orgueil  et  d'inso- 
lence (2) ,  une  nouvelle  défection  se  dé- 
clara. Athènes  était  redevenue  puis- 
sante; Thèbes  commen^it  à  se  faire 
connaître  sous  la  conduite  de  ses  deux 
grands  hommes,  Pélopidas  et  Épaminon« 
das,  et  engageait  avec  Sparte  une  lutte 
qui  devait  lui  assurer  momentanément 
rempire  de  la  Grèce.  Encouragés  par 
ces  circonstances  favorables ,  les  habi- 
tants de  Chio  et  de  Byzance  d'abord , 
puis  les  Rhodiens,  les  Mityléniens  et 
aautres  îles  abandonnèrent  Sparte,  et 
revinrent  a  l'alliance  d'Athènes.  Une 
assemblée  générale  fut  convoquée  dans 
cette  ville.  Chaque  cité  confédérée  y  en- 
voya ses  représentants  et  y  obtint  le 
droit  de  suffrage  :  l'indépendance  de 
chaque  cité  fut  reconnue,  et  Athènes 
placée  à  la  tête  de  la  confédération. 
Ainsi  se  reforma  l'empire  maritime  des 


Àtbéuens,  en  S77,  vingt-six  «ns  âpres  la 
prise  d'Athènes  par  Lysandre,et  la  des* 
truction  des  murailles  do  Pirée. 

£n  peu  d'années  la  situation  générale 
des  États  grecs  subit  de  grandes  modifia 
cations.  Thèbes  avait  humilié  Sparte 
par  ses  victoires,  et  lui  enlevait  la  supré- 
matie sur  terre.  A  TiustigatioD  d^Épa- 
minondas,  elle  entreprit  aussi  de  dé- 
pouiller Athènes  de  l'empire  maritime. 
D'après  les  conseils  de  ce  grand  homme, 
les  Thébains  décrétèrent  l'équipemeat 
d'une  flottedecent  trirèmes  (1).  Puis  Êpa- 
minondas  fut  envoyé  à  Rliodes,  a  Chio, 
à  Byzance  pour  les  détacher  d'Athènes 
et  les  intéresser  à  la  réussite  de  ses  des> 
seins.  En  vain  Atliènes  envoya  uoe 
flotte  sous  la  conduite  de  Lâches  pour 
retenir  ces  villes  dans  son  alliance.  Épa* 
minondas  força  les  Athéniens  à  quitter 
ces  parages,  et  fit  passer  Rhodes  et  l€S 
autres  villes  dans  le  parti  des  Thébaisi 
(S64).  Enfin,  ajoute  Diodore,  si  cet 
homme  avait  vécu  plus  longtemps ,  les 
Thébains,  de  l'aveu  de  tout  le  oionde, 
seraient  devenus  les  maîtres  smr  terre  et 
sur  mer. 

Gdebeb  sociale;  les  Rhodun  s  se- 
couent LBiOCG  d' ATHENES.  —  Après 
la  mort  d'Épaminondas,  Rhodes  et  les 
autres  colcmies  grecques  d'Asie  retoai- 
bèrent  sous  la  dommation  d'Athènes, 
contre  laquelle  elles  ne  tardèrent  pas  à 
se  révolter.  En  368  éclata  ia  guerre  so- 
ciale, ou  guerre  des  alliés,  a  laquelle 
Rhodes  prit  une  part  active  avec  Cos, 
Chio,  Byzance  Ça),  Athènes  employa 
pour  les  réduire  et  de  grandes  forces,  et 
de  grands  capitaines ,  Chabrias,  Iphi- 
crate,  Timothée,  qui  furentavec  Phocion 
les  derniers  généraux  athéniens  doot 
les  talents  firent  honneur  à  leur  patrie. 
MausDle,  rot  de  Carie  et  tributaire  de  la 
Perse,  encouragea  le  soulèvement  des 
Rhodiens  et  des  autres  insulaires.  Il  as- 
pirait à  conquérir  lestles  voisines  de  ses 
Etats ,  et  pour  y  parvenir  il  fallait  les 
soustraire  a  rinfloence  d' Atliènes.  Us 
affaires  des  Athéniens  furent  fort  mal 
conduites  dans  cette  guerre  importante. 
Chabrias  périt  dans  le  j>ort  de  Chio;  les 
dénonciauons  de  Chares,  général  cher  à 
la  multitude,  firent  écarter  du  comman- 


(i)Diod.,XIV,97. 
(a)  Id.,  XV,  aS. 


(i)  Diod.,  XV,  79, 

(a)  Id.,  XVI,  7  j  Metifsitis,  I,  II.  c.  xr. 


ILB  1»  BHODES. 


«11 


dément  TfiBoiMe  «t  ipbicnte,  qui  fit* 
rtfit  mig  en  aceiuBtloD.  Chargé  «ni  d» 
la  direetioii  de  la  guerre,  Cliarès,  on* 
biiant  leioin  de  réduire  leeallîés,  eontint 
]a  ré?olte  du  satrape  Artabaze  contre 
soQ  maître.  A  rinstant  Ocbus  menaça 
les  AtbéDieoa  de  foire  mareher  une 
flotte  de  trois  eenta  voiles  au  secours 
des  insulaires  soulevés  contre  eui.  il 
Caliot  songer  à  la  paiz  ;  isocrate  y  inviu 
ses  condtoyens  dans  le  discours  mpl  tl» 
çi'frii,  où  il  déclare  que  si  Athènes  veut 
être  heureuse  et  tranquille,    Il  faut 
(pi'elle  renferme  son  domaine  dans  de 
JBStes  bornes,  et  qu'elle  renonce  à  l'em- 
pire de  la  mer  et  à  la  domination  uni* 
verselle;  qu'elle  consente  à  une  paix  qui 
laisse  chaqtie  ville,  chaque  peuple  dans 
la  jouissance  d'une  pleine  liberté,  et 
(fo'elie  se  déclare  l'ennemie  irréeonci- 
liable  de  quiconque  osera  troubler  cette 
pais  et  renverser  cet  ordre  (1).  La  paix 
fot  en  effet  conclue  à  ces  conditions,  et 
il  fut  arrêté  que  Rhodes,  Bvzance,  Chio 
et  Cos  rentreraient  dans  la  jouissance  de 
leor  liberté  (356). 

DbmÉLBS  DB8  RHOBIBNS  AYEG 
MiTisoLB  BT  Abtbmisb;  INTBHTBN- 
non  BBS  AtHBNIBHS  BN  PATBUB  DBS 

Hhooibus.— La  guerre  sociale  avait  eu 
1^  résultat  que  Mausole  en  avait  espéré. 
Rbodes  était  libre,  mais  sans  protection, 
et  le  prince  carien  qui  l'avait  aidée  à  se- 
couer le  joug  d'Athènes  ne  tarda  pas  à 
loi  imposer  le  sien.  Sous  Tinfluenoe 
athénienne,  le  parti  démocratique  était 
maître  des  aâaires.  Mausole  favorisa  le 
parti  des  riches  etdes  grands,  qui  ressaisit 
le  pouvoir  et  opprima  la  fection  con- 
traire. Rhodes»  qui  avait  cru  s'affranchir 
des^  Ath^iens,  ne  fit  que  changer  de 
maître;  elle  tomba  dans  la  dépendance- 
d'uo  satrape  du  grand  roi,  et  après  la 
mort  de  Mausole  (854)  Artémise,  sa 
veuve,  soutenue  par  la  Perse,  Inaintint 
son  autorité  sur  ces  ties  nouvellement 
acquises.  La  mort  de  Mausole  avait 
[OMiu  aux  Rbodiens  l'espoir  de  se  re- 
lever de  leur  abaissement.  Pleins  de  mé- 
pris pour  Artémise,  qu'ils  croyaient  sans 
défense,  ils  entrepirir^t  de  la  détrôner 
et  de  s'emparer  de  la  Carie.  Mais  Ar- 
^^oùse  n'était  pas  tellement  occupés  à 

(0  Iiocnto»  Or,,  dé  Paee,  colL  Didot, 
t«  XXIUy  p,  xoo. 


pleuier  ton  époux,  qu'elle  ne  songeât 
eossl  à  eoBserver  les  cesquétes  qu'il  lui 
avait  laisoées.  H  parait,  par  une  harangue 
de  Démostbèue,  qu'on  ne  la  regardait 
lioint  à  Athènes  oomme  une  veuve  dé- 
solée et  inconsolable,  abîmée  dans  les 
larmes  et  la  douleur  (1).  On  savait  au 
contraire  quelle  était  son  actirité ,  et 
combien  elle  était  attentive  aux  intérêts 
de  son  royaume.  £n  effet,  les  Rhodiens« 
croyant  la  surprendre,  mirent  leiir 
flotte  en  mer,  et  entrèrent  dans  le  grand 
port  d'Halicamasse.  La  reine,  avertie 
de  leur  dessein ,  avait  ordonné  aux  ha- 
bitants de  se  tenir  sur  les  murailles ,  el 
quand  les  ennemis  seraient  arrivés ,  de 
leur  témoigner,  par  leurs  cris  et  leurs 
battements  de  mains,  qu'ils  étaient  prêts 
à  leur  livrer  la  ville.  Les  Rbodiens  des-* 
cendirent  tous  de  leurs  vaisseaux,  se 
rendirent  avec  hâte  dans  la  place,  et  lais^ 
aèrent  leur  flotte  vide.  Pendant  ce  temps^* 
là,  Artémise  fit  sortir  ses  galères  du 
petit  port  par  une  ouverture  qu'elle 
avait  rait  pratiquer  exprès,  entra  dans 
le  grand  port,  se  saisit  de  la  flotte  en- 
nemie, qui  é(ait  sans  défense,  et  y  ayant 
lait  monter  ses  soldats  et  ses  rameurs , 
elle  sortit  en  pleine  mer.  Les  Rbodiens 
enfermés  dans  Halicamasse  forent  tous 
égor^«  La  reine  cependant  s'avança 
vers  RlKNles.  Quand  les  habitants  aper- 
çurent de  loin  leurs  vaisseaux  ornés  de 
couronnes  de  lainriers ,  ils  jetèrent  de 
grands  cris,  et  reçurent  avec  des  mar- 
ques de  Joie  extraordinaires  la  flotte  vic>- 
torieuse  et  triomphante.  Ils  ne  furent 
détrompés  qu'après  qu' Artémise  se  fut 
rendue  maîtresse  de  la  ville.  Elle  fit 
mourir  les  principaux  citoyens,  et  fit 
dresser  un  trophée  de  sa  victoire,  avec 
deux  statues  de  bronze ,  dont  l'une  re- 
présentait la  ville  de  Rhodes  et  l'autre 
Artémise  qui  marquait  cette  ville  d'un 
fer  chaud.  Vitruve,  à  qui  nous  devons  ce 
récit  (2),  ajoute  que  les  Rbodiens  n'o- 
sèrent jamais  âdre  disparaître  ce  tro- 
phée, parce  que  pétait  un  objet  consa- 
cré par  la  religion,  maisqu'ils  l'environ- 
nèrent d'un  édifioequi  en  dérobait  la  vue. 
Dans  cette  triste  et  humiliante  ex- 
trémité ,  les  Rbodiens  députèrent  vers 

(x)  Demostb.»  Orat.  de  Rhodiorum  liber" 
tate^  coll.  Didot,  t.  XTI,  p.  loo. 
(a)  Vitruv,,  De  jirchii,,  1.  II,  c.  vm. 


ut 


L*UniVBIS. 


les  AtbémmB^  eontra  lesquels  ils  s*é- 
taient  réoeoimeiit  révoltés  ^  el  ini)dord« 
reot  leur  protection  ( 351  ).  Oa  était  fort 
auimé  contre  eux  à  Athènes,  à  cause  de 
la  part  qu'ils  avaient  prise  à  la  guerre 
sociale.  «  Cependant  Démostbène  ne 
laissa  pas  que  de  parler  au  penple  en 
leur  faveur.  Il  met  d*abord  leur  feute 
dans  tout  son  jour;  il  exagère  leur  in- 
justice  et  leur  perfidie;  il  semble  entrer 
dans  les  justes  sentiments  de  colère  et 
d'indignation  du  peuple,  et  Ton  dirait 
qu*il  va  se  déclarer  fortement  contrôles 
Rbodiens.  Mais  tout  cela  n'était  qu'un 
artifice  de  l'orateur,  qui  cherchait  à 
s'insinuer  dans  l'esprit  de  ses  auditeurs 
et  à  y  exciter  des  sentiments  tout  eon«* 
traires,  de  bonté  et  de  compassion  pour 
un  peuple  qui  reconnaissait  sa  faute, 
qui  avouait  son  indignité,  etquinéan-^ 
moins  venait  avec  confiance  implorer  sa 
protection.  Il  étale  les  grandes  maximes 
qui  dans  tous  les  temps  ont  fait  la 

Sioire  d* Athènes,  d'oublier  les  injures» 
e  pardonner  à  des  rebelles,  et  de  pren* 
dre  la  défense  des  malheureux.  Aux 
motife  de  gloire  il  ajoute  ceux  de  l'in- 
térêt, en  montrant  combien  il  importe 
de  se  déclarer  pour  une  ville  qui  fovoriso 
la  démocratie,  et  de  ne  pas  abandonner 
aux  ennemis  une  île  aussi  puissante 
qu'est  celle  de  Rhodes.  Cest  ce  qui  fait 
le  sujet  du  discours  de  Démostbène  inti-> 
tuié  :  Pour  la  liberté  des  Bbodiens  (1).  » 
La  mortd'Aitémise,  qui  arriva  cette  an- 
née-là même,  et  sans  doute  Tinterven* 
tion  d'Athènes,  rendirent  la  liberté  aux 
Rhodiens.  Ce  peuple  comprit  enfin  que 
son  véritable  intéret  était  de  rester  atta<> 
cbé  aux  Athéniens  etde  les  soutenir  con* 
tre  les  aggressions  de  Philippe,  roi  de 
Macédoine. 

État  de  Rhodes  au  temps  db 
Philippe  et  d'Alexandre.— En  340 
Philippe,  assiégea  Byzance.  La  posses- 
sion de  cette  ville  l'eût  rendu  maître  du 
Bosphore,  c'est-à-dire  du  commerce  du 
Pont-Euxin,  qui  était  une  abondante 
source  de  richesses  poftr  Athènes,  Rho* 
des  et  les  autres  îles  de  l'Asie.  Les  Athé- 
niens prirent  des  mesures  énergiques,  et 
envoyèrent  une  flotte  commandée  par 
Phodon  au  secours  de  Byzance.  Les 

(x)KoIlin,  Histoire  Ancienne^  1.  XJn,  t  V, 
P«  471. 


RbodieDS,  redev«i»a  leurs  alliés,  aioà 
que  ceux  de  Chio,  de  Gos  et  d'autres  in- 
sulaires ,  envoyèrent  aussi  des  renforts. 
Cette  démonstration  des  citÀ  eomoier- 

Sintes  de  la  Grèce  arrêta  Milippe,  qui 
eba  sa  oroie  et  fit  la  paix  avec  les  Athé- 
niens et  leurs  alliés  (1). 

Deux  ans  après,  la  liberté  de  la  Grèoe 
succombait  à  la  bataille  de  Ghérooéei 
et  en  S86  le  royaume  de  Maeédoine  pas- 
sait aux  mains  d'Alexandre  le  Grand,  qui 
entreprit  aussitôt  la  oonquéte  de  l'Asie. 
Les  historiens  d'Alexandre  remarquent 
Tempressement  avec  lequel  les  Rhodiens 
se  soumirent  au  héros  macédonien  (}). 
C'était  cependant  un  Rhodien,  le  brave 
et  habile  Mensnon  engagé  au  service  do 
roi  de  Perse,  qui  parut  un  instant  ca- 
pable d'arrêter  Alexandre,  si  Alexandre 
avait  pu  être  arrêté.  Mais  la  chute  de 
l'empire  des  Perses  était  décrétée  dans 
les  conseils  éternels;  un  empire  grec  et 
macédonien  s'éleva  sur  ses  déiMris,  et 
Rhodes  n'eut  qu'à  s'applaudir  de  ces 
arands  événements,  qui  la  délivraient  de 
la  crainte  des  Perses  et  qui  la  débarras- 
saient du  fâcheux  patronage  des  Athé- 
niens. Alexandre,  dans  l'intention  peut- 
être  de  ruiner  le  commerce  d' Athènes 
et  de  lui  susciter  une  rivale,  traita  la 
ville  de  Rhodes  avec  une  attention  et 
des  égards  tout  particuliers.  Il  l'bonon 
entre  toutes  les  villes  en  la  choisissant 

Sour  y  déposer  son  testament.  A  partir 
e  cette  époque  jusqu'à  la  conquête  ro- 
maine, Rhodes  devient  le  premier  État 
maritime  de  la  Grèoe,  et  succède  à 
Athènes,  qui  avait  été  frappée  à  mertdans 
sa  lutte  avec  la  Macédoine. 

Conduite  des  Rhodiensapbbs  la 
MOBT  d'Alexaudbe  (323).  —  La  mort 
d'Alexandre  fut  suivie  d'un  soulève- 
ment général  des  villes  grecques.  Pen- 
dant qu'Athènes  donnait  le  signal  de  la 
guerre  lamiaque,  Rhodes  duissait  de 
ses  murs  la  garnison  macédonienne,  et 
recouvrait  son  indépendance  (3).  Ren- 
dus à  eux-mêmes,  les  Rhodiens  se  livrè- 
rent avec  plus  d'activité  que  jamais  au 
commerce,  et  s'efforcèrent  de  rester  en 
dehors  des  agitations  politiques  de  ces 
temps  malheureux.  Leurs  amires  pros- 


i 


i)  Diod.,  XVI,  77. 
a)  Menniiii,  Bhod,^  p.  1 14. 
il)  Diod.,  XYUI,  S. 


ILK  DE  JLHODES. 


ni 


pérèrent  BU  miliefi  de  It  coofiitjoii 
Qoiveredie.  Ils  augmentèrent  leur  ma- 
me;  ils  eoncentrèrent  dans  leur  Ile 
le  eommerce  de  TOocident,  du  Pont- 
Euxin  et  de  TÉgypte;  ils  réprimèreiit 
la  piraterie,  fireut  la  police  des  merst 
acquirent  de  grandes  richesses,  et  af- 
fectèrent de  garder  entre  les  différents 
princes  qui  se  disputaient  l'empire  la 
plus  stricte  neutralité.  Aussi  chaque  roi 
recherchait  leur  allianee  et  les  honorait 
deses  faveurs.  LesRhodiens  paraissaient 
tenir  la  balance  égale  entre  eux  tous, 
mais  ils  inclinaient  plus  partieulière- 
ment  pour  Ptolémée,  roi  d  Egypte,  car 
c'était  avec  l'Egypte  qu'ils  taisaient  leur 
pius  grand  commerce,  et  c'était  à  ce 
royaume,  où  elle  s'approvisionnait  se- 
lon Diodore,  que  Rhodes  devait  en  quel* 
que  sorte  son  existence  (l). 

RuPTUBS  AYEG  Antigonb. — Cepen- 
dant lesRhodieus  paraissaient  également 
bien  avec  Antigène,  qui  régnait  en  Asie 
Mineure ,  qui  possédait  les  ports  de  la 
Phénide ,  et  qu'ils  avaient  aussi  le  plua 
grand  intérêt  à  ménager.  Ils  ne  né* 
gligeaient  aucune  occasion  de  lui  être 
agréables ,  tant  qu'ils  pouvaient  le  faire 
sans  compromettre  leursautres alliances, 
et  eo  312  ils  lui  fournirent  dix  vaisseaux, 
qui  se  Joignirent  à  la  flotte  qu*il  euToyait 
eo  Grèce  pour  l'enlever  à  1  influence  de 
Cassandre  (3).  Mais  quelque  temps  après 
Antigone,  ayant  rompu  avec  Ptolémée, 
voulut  entraîner  les  Rhodiens  dans  son 
parti  et  les  contraindre  à  mettre  leurs 
vaisseaux  à  la  disposition  de  son  iils  Dé- 
métrius.  Geux-d  refusèrent;  Antigone 
ti  capturer  leurs  navires  de  commerce; 
les  Rhodiens  se  défendirent,  Antigone 
les  menaça  d'un  siège.  En  vain  les  Rho- 
diens essayèrent-ils  de  l'apaiser  par  leurs 
Jrotestations  de  dévouement  et  leurs 
oïDfflages;  comme  ils  refusaient  tou- 
jours, avec  autant  de  fermeté  que  de 
modération,  de  prendre  part  à  la  guerre 
eontre  Ptolémée,  Antigone  ne  |x>uvait 
leur  pardonner  ce  refus.  Il  resta  impla* 
^le,  et,  ehassantleurs  députés  d'auprès 
de  loi,  il  chargea  son  fils  Démétriiis  du 
fÀQ  de  prendre  Rhodes  et  d'en  châtier 
les  habitants.  Informés  des  grands  pré* 
Paratifs  que  Démétrius  fiiisait  contre 

(0l>iod^XX,^8i, 
Wld.,ÎIX,77. 

8«  lÂvraUon.  (  Ilb  nx  Rhodbs.  ) 


«Qx ,  les  Rbodiena  prirent  Talarme,  et 
consentirent  alors  à  seconder  Antigone 
dans  sa  guerre  contre  Ptolémée.  Mais 
Démétrius  ne  se  contenta  pas  de  cette 
concession  tardive;  il  exigea  qu'on  lui 
livrât  cent  otages  et  qu'on  lui  ouvrit 
tous  les  ports  de  l'tle.  De  telles  exigen- 
ces rendirent  aux  Rhodiens  le  courage 
qui  les  avait  un  instant  abandonnés,  et, 
reconnaissant  aue  Démétrius  en  vou- 
lait à  leur  indépendance,  ils  prirent 
l'héroïque  résolution  de  périr  plutôt  que 
de  se  rendre. 

SiBOB  DB  RhODBS  PÀB  DÉMÉTBTUS 
POMOBCBTB  (80Ô-304);  PBÉPABATIFS 
BB  L'ATTAQUB  et  DB  LÀ  ]>BF£MSB.  — 

L'tle  de  Rhodes  est  célèbre,  entre  toutes 
les  Iles  grecoues ,  par  les  sièges  mémo- 
rables qu'elle  a  soutenus,  tant  dans 
l'antiquité  que  dans  les  temps  moder- 
Bes.  Cette  particularité  de  son  histoire 
prouve  à  la  fois  la  force  et  l'importance 
de  sa  position  militaire  et  le  courage 
de  ses  habitants.  Démétrius,  déjà  re- 
nommé par  ses  exploits  et  par  la  prise 
de  Salamine,  capitale  de  nie  de  Cypre, 
rassembla  une  flotte  considérable  dans 
le  port  de  Loryma,  situé  en  face  de  l'Ile 
de  Rhodes,  à  Textrémité  de  la  péninsule 
méridionale  de  la  Carie.  Cette  flotte  se 
composait  de  deux  cents  vaisseaux  de 
guerre,  et  de  plus  de  cent  soixante  bâ- 
timents de  transport,  sur  lesquels  étaient 
embarqués  environ  quarante  mille  hom- 
mes, sans  compter  la  cavalerie  et  les  pi- 
rates alliés.  Indépendamment  de  ces 
navires,  armés  et  équipés  par  Démétrius, 
il  était  venu  de  tous  côtés  un  nombre 
considérable  d'embarcations,  évaluées 
à  près  de  mille  par  Diodore,  que  mon- 
taient des  aventuriers  qui  comptaient 
sur  le  butin  de  la  ville  et  de  rîle  de 
Rhodes,  dont  on  connaissait  l'opulence. 
Car  depuis  longtemps  elle  n'avait  point 
été  ravagée  par  aucun  ennemi.  Cette 
flotte  traversa  le  canal  qui  sépare  Rho- 
des du  continent,  s'avançant  en  bon  or- 
dre, couvrant  un  immense  espace,  et  dé- 
ployant ses  vastes  lignes  en  face  de  la 
ville ,  d'où  les  habitants,  montés  sur  les 
murailles  de  l'enceinte  ou  sur  les  toits 
de  leurs  maisons,  contemplaient  à  la 
fois  avec  crainte  et  admiration  l'impo- 
aante  arrivée  de  l'ennemi  (1).  Ils  ne  pou- 

(x)  Diod.,  1.  XX^  c.  8a-ioo  ;  Plut,,  DemeW, 

8 


114 


I«*I1KIVIB& 


vâient  È^^ppèaêrmk  détefOMMBl^*  qui  m 
it  sauf  oMtado.  Dénétriiii  «avoya  à 
FÎBstaDl  ées  soldais  et  das  piratai  poua 

S  1er  rintérieap  el  les  e6tes  de  l*lle.  Il 
blH  son  armée  dans  un  camp ,  qu'il 
entoura  ë'uae  triple  eBeamle  de  rewan* 
ohements  palissades,  et  il  lit  travaillai 
ses  troupes  de  terre  et  de  mer  à  une  di« 
gue ,  qui  Ibt  achevée  eu  quelques  jours, 
et  qui  formait  un  port  asseï  spaoieui 
peufr  contenir  la  flotte  (1). 

De  leùf  eôté  les  RhedieBS  se  prépa- 
raient à  une  viffoureuse  dtfense.  Us  en« 
voyèreat  des  députés  à  tous  les  rois  al- 
liés, à  Ptolémée,  à  Lysimaque  et  à  Cas- 
sandre  pour  sollioiter  leurs  aeeours.  ils 
enrélèrent  comme  volontaires  tous  les 
étrangers  domiciliés  à  Rhodes  et  capa- 
bles de  porter  les  armes.  Ils  renvoyèrent 
toutes  les  bouches  inutiles.  Le  nombre 
des  défenseurs  de  la  place  était  de  huit 
mille  hommes,  tant  citoyens  qu'étran- 
gers. Par  un  décret  du  peuple ,  les  es- 
claves les  plus  vigoureui  furent  rache- 
tés, mis  en  liberté,  armés  comme  les 
citoyens ,  parmi  lesquels  on  promit  do 
les  admettre  s'ils  servaient  avec  bra- 
voure et  fidélité.  On  déclara  de  plus  que 
la  ville  ferait  enterrer  honoranlement 
ceux  qui  seraient  morts  en  cbmbattanti 
qu'elle  pourvoirait  à  la  subsistance  et  à 
iVntretien  de  leurs  pères,  mères,  femmes 
et  epfants;  qu'elle  fournirait  aux  filles 
qne  dot  pour  les  marier;  et  que  quand 
les  garçons  seraient  en  âge  de  servir 
daûs  l'armée,  elle  leur  donnerait  en  po- 
blio,  sur  le  théâtre,  dans  la  grande  so- 
lennité des  Bacchaqales,  une  armure 
complète.  Ces  dispositions  et  l'immi- 
nence du  péril  excitèrent  au  plus  haut 
degré  le  patriotisine  de  tous  les  habitants 
de  Rhodea.  Toutes  les  classes  de  citoyens 
rivalisaient  entre  elles  de  zèle  et  de  dé- 
vouement; les  riches  apportaient  leur 
argept,  les  pauvres  offraient  leurs  bras 
pour  la  fabrication  des  armes.  Les  uns 
travaillaient  aux  balisteset  aux  catapul- 
tes, les  autres  réparaient  les  brèches 
des  murs.  Tout  mit  en  mouvement; 
tpus  cherchaient  à  se  di^tineuer  et  è  se 
surpasser  les  uns  les  autres.  Les  assiégés 
commencèrent  par  faire  sortir  du  port 

(i)  Oe  port  de  Déméfrîas  est  peat-étre  le 
port  ensablé  que  ron  voit  auiourd*hai  au 
midi  de  la  viVe  de  Rhodei» 


tmbk  Mvirea,  fltt  ^»Ui«i«  «ai  tl4ffè< 
roQt  UB  convoi  de  viwes  destipé  4 1  en- 
Bomi.  Les  hâtînMBta  qui  le  eompos^iofit 
furent  coulés  à  fond  pu  brâlés,  les  prî- 
aoBBiers  rotenus  jusqu'à  ce  qu'ils  payas- 
aoBt  ran^B  ;  car  ou  était  oonvoQU  (te 
part  et  d^autre  que  la  prii  dq  ranbat  des 
prisonniers  serait,  par  tlt«,  do  lOûO 
draehmoa  pour  un  nomme  libre  et  de 
MO  pour  un  eadave. 
PBBMiàmBs  QBBBATioiia  DU  sises  ; 

▲SVAQUIS  DO  Q<TB  PB  UL  XBB.  t—  Dé- 

métrius  eomman^  l'attaqua  du  eôté  da 
la  mer,  pour  se  rendre  mutra  du  port  et 
daa  tours  qui  ea  défendaient  rantréa.  Il 
avait  ftdt  âbsiquer  diUévaotes  maobines 
ppopres  à  seoender  les  efforts  des  assié- 
geants, toutes  iBg[énieusenaent  eonçues 
et  CKéentées.  C'étaient  d'abord  deux  tor- 
tues placées  chacune  sur  deux  bfltîmeoU 
plats  joints  ensemble  :  l'une,  plus  lorta  et 
plusmauive,  pour  garantir  aea  aoldaU  d^ 
masses  énormes  que  les  assiégés  lançaieol 
du  haut  dep  toura  et  das  murailles  av«f 
leurs  catapultes  ;  rautre,  d'une  coBStrue- 
tion  plus  légère,  pour  les  mettre  à  l'abri 
des  flèches  et  des  traits  lancés  par  les  b<h 
listes.  Puis  venaient  deux  tours  à  quatre 
étages,  qui  surpassaient  en  haïuteur  les 
tours  qui  défendaient  l'entrée  du  port, 
et  qui  étaient  posées  sur  deux  bâtiments 
joints  et  liés  ensemble.  Devant  «es  lo^ 
tuea  et  ces  toura  il  fit  élever  um  cspèr» 
de  barrière  flottante,  soutenue  par  da 
solives  éauarries  clouées  ensaflable,  H 
destinée- a  protéger  les  bAtinsents  qm 
supportaient  les  maehines  de  aî^e  con- 
tre les  éperons  des  Bawas  ennemii. 
Knsuite  Démétrius  rassembla  un  grand 
nombre  de  barques;  il  y  fit  dfasaer  des 
remparts  de  plaùcbes,  dernàrf  lesquels 
il  plaj^  toutea  sortes  de  machines  prch 
près  à  lancer  des  traits.  Ces  barques  Ai- 
vent  montées  par  d'habiles  amers  et  | 
surtout  par  des  Cretois. 

Les  Rhodieiis,  voyapt  que  ka  assiâi 
géants  tournaient  tous  leurs  efforts  di 
coté  du  port,  mirent  aussi  toua  leuif 
soîQS  pour  le  défendre*  Ils  dreas 
deux  machines  sur  la  digue  t  et  troi 
autres  sur  des  bâtiments  &  obarse  p 
de  l'entrée  du  petit  port.  On  ois 
smaal  tons  les  navires  du  grand  port  df 
manière  à  les  faire  servir  è  lancer  des 
traits  contre  rennemi. 

Tous  ces  préparatifs  éta^t  teroÙDés  de 


ILE  DE  &BODËS. 


m 


inrt  et  d'autrt ,  Dimétiius  fit  avancer 
les  iD8eliiD€8  contre  les  deux  ports  ;  maïs 
le  vent  soiiflQa  violemment,  et  la  mer 
devint  si  houleuse,  qu'il  loi  fut  imposr 
Rble  de  rien  faire  pendant  tout  le  jour* 
Sur  le  soir  la  mer  sa  ealma  ;  Démetrius 
s'approclHi  seerètement  du  rivage,  a'éta^ 
Mit  sur  une  éminenee  voisine  du  radie 
joi  doraîDe  le  grand  port,  s'y  retrancha 
isimédiatement  et  y  logea  quatre  cents 
soldats.  Le  jour  étant  venu,  il  introduisit 
m  machines  dans  le  port ,  fit  jouer  ses 
iMilistes,  et  pratiqua  plusieurs  brèches 
im  Feneeînte  du  mole.  Cependant  la 
giniiion  de  la  ville  se  défendit  vaillanv' 
JMti  lei  pertes  forent  égales  des  deui 
4téa,et  le  soir  Démetrius  futoblicéde 
le  retirer  et  de  mettre  ses  machines  nors 
4f  b  porté»  des  traits  de  TennemL  Dans 
iesoit  qui  gui  vit  cette  première  attaque, 
l<elihodiens  firent  sortir  de  leur  port, 
3  II  faveur  des  ténèbres,  quantité  de 
bfillots,  dans  le  dessein  d'aller  mettre 
le  feu  aux  tortues  et  aui  tours  de  bois 
de  Démétriiis.  Mais  ils  ne  purent  forcer 
le  barrière  flottante  qui  les  couvrait.  Le 
imdemain  Démetrius  ordonna  un  nou« 
vel  assaut  :  le  signai  en  fot  donné  au 
lea  de  )a  trompette,  auquel  aeu  soldats 
répondirent  par  de  grands  cris.  Mais 
les  assiégés  tinrent  bon ,  et  résistèrent 
beureusement  à  toutes  les  attaques  que 
les  assiéffcants  firent  sans  interruption 
peadant  nuit  jours. 

Cependant,  de  la  hauteur  où  ils  B*é« 
tttent  postés,  les  soldats  de  Démetrius 
laoçaient  sur  l'enceinte  du  môle  des 
pierres  d'un  poids  énorme  qui  brisèrent 
in  machines  des  assiégés,  ébranlèrent 
les  tours  et  firent  brèche  a  la  muraille. 
Alors  les  assiégeants  attaquèrent  avec 
farie  Dour  s'emparer  du  môle.  Ce  poste 
était  (le  la  dernière  importance  ;  les  Rho- 
4ieDs  n'épargnèrent  rien  pour  le  défen<> 
Are,  et  ils  réussirent  à  forcer  l'ennemi  à 
•e  retirer.  Cet  écbec  ne  diminua  rien 
k  l'ardeur  des  assi^ieanta.  Plus  animés 
eacore  qu'auparavant  contre  les  Rbor 
diens^  ila  montant  à  l'escalade  en  même 
^emps  par  terre  et  par  mer,  et  donnent 
lent  d'occupation  aux  assiégés ,  qu'ils  ne 
savent  à  quel  endroit  courir.  Partout  on 
attaque  avec  furie,  et  partout  l'on  résiste 
evee  intrépidité.  Plusieurs,  renversés  de 
dessus  leurs  échelles ,  tombent  par  terre 
le  corps  brisé-,  quelques-ans  des  princi- 


emux  oomasandaiM»^  vm^é»  jusque  sur 
le  mur,  sont  blessés  et  pria  par  les  Rbor 
diens.  Il  fallut  enfin  que  pémétriua  « 
malgré  sa  valeur,  pensât  è  Ip  retraite  t 
peur  aller  raoeommoder  ses  mechinei 
indommagées  et  les  vaisseauK  qui  les 
portaient. 

Démetrius ,  rentré  dans  son  pert,  enir 
ploya  sept  jours  à  réparer  ses  machinée 
et  ses  embarcations.  Pendant  ce  tempe* 
les  Rhodiena  rendirent  les  derniers  be»' 
nenrs  à  leurs  morts.  Ils  consacrèrent 

Îinx  dieux  les  armes  et  les  éperons  en* 
evés  à  rennemi ,  et  ils  réparèrest  les 
brèches  de  leurs  murailles.  Après  ee 
«spos  foreéy  Démetrius  reoemmença  le 
aiége,  et  s'approcha  de  neuvean  du  grani 
port ,  par  où  il  voulait  s'emparer  de  le 

S  lace.  Des  qu'il  fut  à  pcurtée,  il  fit  lancer 
ss  brûlots  contre  les  navires  des  Rhe* 
diens ,  Undis  qu'on  battait  les  murs  à 
coups  de  pierres  Isncées  par  les  eelsK 
pultes  sans  interruptien.  Les  assiéiée 
eurent  beaneoup  de  peine  à  garantir 
leurs  vaiaseaux  de  rinoeodia.  L'ardeur 
é»  cette  attaque  fut  telle ,  que  les  Pr^^ 
BCi,  OU  premiers  magistrats  de  la  ville  « 
craignant  de  voir  le  port  forcée  appelé* 
rent  tous  les  habitants  aux  armes;  tous 
sépondirent  à  cet  appel.  Trois  des  pk» 
forts  navires ,  montes  par  les  meilleurs 
marins  et  commandés  par  le  navarque 
Exéceste  f  forent  envoyés  contre  le»  bar* 
ques  de  Démetrius ,  pour  tenter  de  les 
oouler  bas  avec  les  machines  qu'elles 
portaient.  Cet  ordre  fut  exécuté  avec 
nne  promptitude  et  une  adresse  inerveilr 
leuses.  Les  trois  galères,  après  avoir  bri* 
se  et  franchi  la  palissade  flottante,  dont 
uèrent  de  leurs  éperons  avec  tant  de  vio* 
lance  dans  le  flanc  des  bâtiments  qui  por« 
talent  les  machines,  qu'on  y  vit  aussitôt 
l'eau  entrer  de  te«s  côtes.  Deux  de  eei  me* 
chines  périrent,  la  troisième,  traînée  à  la 
«emormic,  futsauvée.  Mais  les  RhedienSt 
cubardus  par  ce  succès,  se  laissèrent  eoH 
porter  trop  loin  :  enveloppés  par  les  ncv 
vires  ennemis ,  leurs  bjuments  furent 
brisés  à  coups  d'éperons.  Cependant  des 
trois  vaisseaux  qui  avaient  fait  cette  au* 
jdacicuse  sortie,  deux  rentrèrent  au  port. 
Le  troisième,  monté  par  le  buave  £xé^ 
oe«te,  tomba  seul  au  pouvoir  de  l'ennemi 
L'opiniâtreté  de  Démetrius  à  attaquer 
égalait  la  persévérance  des  Rhodiens 
à  se  défendre.  Malgré  son  derpier  échee. 

8. 


m 


L'UNIVERS* 


Si  ne  se  déc<mragea  |Ma.  11  iOTenta  une 
machine  qui  avait  trois  fois  plus  de  hau- 
leor  et  de  laraeur  que  celles  au*il  venait 
de  peràre.  Dès  qu'elle  lut  acnevée,  il  la 
fit  dresser  du  c6té  du  port  qu'il  avait  ré« 
tolu  de  forcer.  Mais  au  moment  de  s'en 
servir  une  tempête  furieuse  s'étant  éle- 
irée,  les  bâtiments  qui  la  portaient  fu- 
irent désunis,  remplis  d'eau,  et  la  ma* 
chine  mise  hors  de  service.  Les  assiégés, 
«ttenti6  è  profiter  de  toutes  les  occa- 
«ions,  altèrent,  au  milieu  du  tumulte  et 
de  la  eonfiision  produits  par  cet  orage, 
attaquer  le  poste  qui  depuis  le  commen- 
cement du  siège  occupait  cette  hauteur 
Toisinedu  môle.  Ils  furent  repoussés  plu- 
sieurs fois  ;  mais  les  gens  de  Démétrius, 
accablés  par  le  nombre,  et  ne  recevant 
pas  de  secours»  mirent  bas  les  armes,  et 
se  rendirent  au  nombre  de  quatre  cents. 
Ce  fut  au  milieu  de  cet  enchaînement  de 
snocès,  que  les  assiégés  recurent  des  ren- 
forts de  leurs  alliés;  savoir,  centcin- 
Suantehommes  envoyés  de  Gnosse,  ville 
e  Crète,  et  cinq  cents  fournis  par  Pto- 
iémée,  toi  d'É^rpte,  dont  plusieurs  mer- 
cenaires rbomens  qui  servaient  dans 
son  armée. 

SfiGONBBS  OPBBATIOHS  BU    SIBGB  ; 
▲TTAQUBS  DU  GÔTS  DB  LJl  TBBBB.  — 

Quoique  le  sié^  n*avançât  pas,  Démé- 
trius  s'opiniâtrait  à  le  continuer  ;  mais, 
obligé  de  renoncer  à  ses  attaques  par 
mer,  il  tourna  tous  ses  efiforts  du  côté  de 
la  terre.  H  inventa  une  machine  oui  sur- 
passait toutes  celles  qu'il  avait  aéià  fait 
construire,  et  que  l'on  appela  l'hélépole. 
«  La  base  était  carrée,  dit  Diodore  ;  eha- 
^e  côté ,  formé  de  poutres  équarries 
uiintes  ensemble  par  des  crampons  de 
1er.  avait  à  peu  pics  cinquante  coudées 
de  long.  L*e4»acemtérieur  étaitdivisé  par 
des  plandies,  laissant  entre  elles  environ 
nnecoudéed'intervalle,  etdestinéesà  por- 
ter ceui  qui  devaient  faire  jouer  la  ma- 
<Âiine.  Toute  la  masse  était  supportée  par 
des  roues,  au  nombre  de  huit,  grandes 
et  soikies.  Les  jantes  des  roues ,  garnies 
de  cercles  en  fer«  avaient  deux  coudées 
d'épaisseuTi  et  pour  pouvoir  imprimer 
à  la  machine  toutes  sortes  de  directions, 
on  y  avait  adapté  des  pivots  mobiles. 
Les  quatre  andes  étaient  formés  par 
quatre  piliers  oe  cent  coudées  de  hau- 
lear,  et  légèrement  inclinés  en  haut. 
Toute  la  Utiase  était  partagée  en  neuf 


étages,  dont  le  plus  bas  se  composait  d« 

Suarante-trois  planches  et  le  plus  élevé 
e  neuf.  Trois  côtés  de  cette  machine 
étaient  recouverts  extérieurement  par 
des  lames  de  fer,  qui  les  garantissaient 
contre  les  torches  allumées.  Sur  le  qua- 
trième côté,  faisant  face  à  l'ennemi, 
étaient  pratiquées,  à  chaque  étage,  des 
fenêtres  proportionnées  a  la  grosseor 
des  projectiles  qui  étaient  lancés  sur  la 
vUle.  Ces  fenêtres  étaient  garnies  d'au- 
vents,  fixés  par  des  ressorts,  et  derrière 
lesquels  se  trouvaient  à  l'abri  les  hom- 
'  mes  qui  lançaient  les  projectiles.  Ces  an- 
vents  étaient  formés  de  peaux  cousues 
ensemble  et  bourrées  de  lame  pour  amor- 
tir le  choc  des  pierres  lancées  par  les 
catapultes.  Enfin,  à  chaque  étage étaieot 
deux  échelles  larges;  l'une  servait  pour 
monter  et  apporter  les  munitions  néces- 
saires, et  Tautre  pour  descendre,  afin  de 
ne  pas  troubler  la  régularité  du  service. 
Les  hommes  les  plus  vigoureux  de  l'ar- 
mée ,  au  nombre  de  trois  mille  quatre 
cents,  furent  choisis  pour  mettre  eo 
mouvement  cet  immense  appareil  de 
guerre.  Les  uns ,  placés  en  dedans ,  les 
autres,  en  dehors  et  en  arrière,  donnaient 
l'impulsion  au  mécanisme  qui  faisait 
avancer  ri)élépole(l).  »  On  construisit 
encore  des  tortues  pour  protéger  les  ter- 
rassiers, des  galeries  où  les  ouvriers 
pouvaient  travailler  en  sûreté.  On  ni- 
vela le  sol  dans  une  étendue  de  quatre 
stades,  par  les  équipages  de  la  flotte. 
Tirente  mille  hommes  avaient  été  em- 
ployés à  ces  divers  travaux,  qui  furent 
achevés  avec  une  étonnnante  rapidité  et 
qui  méritèrent  si  justement  à  Demétrius 
le  surnom  de  Poliobgbtb,  preneur  de 
Tilles,  qu'on  lui  donna. 

A  la  vue  de  ces  formidables  prépa- 
ratifs, les  Rhodiens  n'étaient  pas  restés 
inactifs.  Ils  travaillèrent  à  élever  un  con- 
tre-mur à  l'endroit  où  Demétrius  devait 
ûire  jouer  l'hélépole;  et  pour  construire 
ce  mur  ils  employèrent  des  matériaux 
enlevés  au  théfttre,  aux  édifices  voisins 
et  même  à  quelques  temples,  en  proinet- 
tant  de  réparer  le  dommage  qu  ils  fai- 
saient aux  dieux.  Puis  ils  envoyèrent 
en  course  neuf  de  leurs  meilleurs  vais- 
seaux, divisés  en  trois  escadres,  dont  ils 
donnèrent  le  commandement  à  leurs 

(f)  Diod.y  XX,  yx. 


ILE  DE  BHODES. 


«17 


trois  plus  braves  offleîenr,  Bamopbile, 
Ménéoème  et  AmjDtas.  Ceux-d  rerin- 
rent  chargés  d'an  nche  butin,  emmenant 
arec  eux  anelqnes  galères  et  plusieurs 
barques  enlevées  à  l'ennemi  et  un  grand 
nombre  de  prisonniers.  Ménédème  cap- 
tura, entre  antres,  un  navire  ayant  à  bord 
des  lettres,  des  vêtements,  des  orne* 
ments  rovaux  que  Phila,  femme  de  Dé- 
luétrius,  raisait  passer  à  son  mari.  Méné- 
dème envoya  tous  ces  objets  à  Ptolémée, 
roi  d*Ëgypte,  action  qui  manquait  de 
délicatesse,  et  bien  diflférente  de  la  con- 
duite honnête  et  loyale  des  Athéniens , 
qui,  selon  Plutarq Je,  ayant  arrêté  les 
courriers  de  Philippe,  avec  qui  ils  étaient 
en^rre^  ouvrirent  toutes  les  lettres 
qu'ils  portaient,  mais  ne  touchèrent 
pointa  celles  d'Olympias,  qu'ils  ren- 
Toyèrent  sans  les  avoir  décachetées. 
Quelque  temps  après,  on  proposa  dans 
rassemblée  du  peuple,  à  Rhodes,  de 
renverser  les  statues  élevées  autrefois  à 
Antigone  et  à  Démétrius  ;  mais  le  peuple, 
n'écoutant  que  ses  sentiments  naturels 
de  respect  pour  les  règles  de  biens^nce 
et  d'honnear,  repoussa  unanimement 
cette  proposition.  Une  résolution  si  équi- 
table et  SI  prudente,  miellé  que  fût  l'issue 
du  siège,  faisait  infiniment  dlionneur 
auxRhodiens;  et  dans  le  cas  où  la  ville 
serait  prise,  elle  pouvait  leur  servir  beau- 
coup auprès  du  vainqueur. 

On  travaillait  aussi  très-actfvement,  du 
côté  de  Démétrius,  à  creuser  des  mines, 
du  côté  des  Rhodiens  à  les  éventer.  Pen« 
dant  que  ces  travaux  souterrains  s'exécu- 
taient secrètement  de  part  et  d'antre, 
quelques  agents  de  Démétrius  entrepri- 
rent de  corrompre  le  Milésien  Athena- 
gore,  chef  de  la  garde  des  Rhodiens. 
Celui-ci  feignit  de  se  laisser  gagner, 
et  s^engagea  à  introduire  l'ennemi  dans 
la  place;  et  en  même  temps  il  dévoi* 
lait  toute  l'intrigue  au  sénat  de  Rho- 
des. Sur  la  foi  des  promesses  d'Athéna- 
gore,  une  troupe  de  soldats  commandée 
par  le  Macédonien  Alexandre,  ami  de 
Démétrius,  s'engagea  dans  la  mine  et  se 
laissa  surprendre.  Le  peuple  décerna  à 
Athéoagore  une  couronne  d'or  et  un 
présent  de  cinq  talents. 

Enfin ,  Démétrius  ordonna  un  grand 
assaut.  L'hélépole,  garnie  à  tous  ses  éta- 
ges debalistes  et  de  catapultes,  flanqnée 
de  deux  béliers  de  cent  vingt  coudées  4e 


longoeor,  fot  mroeliêe  des  immittes, 
et  à  un  signal  dcÀné,  les  troopes  poos* 
sèrent  le  cri  de  guerre,  et  Pattaqne  com- 
mença sur  tous  les  poioCs*  Pendant  qiM 
les  béliers  et  les  catapultes  ébranlaieni 
la  muraille,  une  députation  de  CnidioBS 
se  présenta  à  Démétrius,  le  priant  de 
cesser  le  siège  et  lui  promettant  d'obte- 
nir des  Rhodiens  toot  ce  qu'on  poumût 
exiger  d'eux.  L'attaque  fat  suspendue; 
on  négocia,  mais  on  ne  put  s'entendre , 
et  le  siège  recommença  avec  plus  d'ar-^ 
deur.  Démétrius  parvmt  à  abattre  une 
des  plus  grosses  tours  de  Tenceinte; 
mais  la  r&istance  des  Rhodiens  fût  si 
viffoureuse,  qu'il  fut  impossible  aux  as« 
si^eants  de  pénétrer  par  la  brèche.  Sur 
ces  entrefaites  les  assiégés,  qui  oomnien<* 
çaient  à  manquer  de  vivres,  recurent  ua 
convoi  de  vivres  envoyé  par  Ptolémée^ 
Il  ne  montait  pas  à  moins  de  trois  eesot 
mille  artabes  (138,000  hectolitres)  de 
blé  et  de  légumes.  De  son  côté,  Cassaa- 
dre  leur  envojra  dix  mille  médimnes 
d'orbe,  et  Lysimaque  quarante  millo 
médimnes  de  froment  et  autant  d'orge. 
Ranimés  par  ces  renforts ,  soutenus 
par  les  témoignages  d'intérêt  qu'ils  reoe« 
valent  de  tous  cotés ,  les  Rhodiens  pri- 
rent l'offensive ,  et  résolurent  de  mettre 
le  feu  aux  machines  de  l'ennemi.  Pen- 
dant une  nuit  obscure,  ils  font  une  sor- 
tie, attaquent  impétueusement  la  garde 
du  camp  ennemi ,  et  accablent  les  ma- 
chines de  projectiles  enflammés.  Quel- 
oues  plaques  de  fer  étant  tombées  de 
I  hélépole,  les  Rhodiens  essayèrent  de 
mettre  le  feu  au  bois;  mais  les  gens  de 
service  l'éteignaient  aussitôt  au  moyen 
de  l'eau  contenue  dans  des  réservoirs 
dont  chaque  étage  était  pourvu  ,  et  les 
Rhodiens  furent  obligés  de  renoncer  à 
leur  tentative.  Ainsi  ni  les  Rhodiens  ni 
Démétrius  ne  réussissaient  dans  aucune 
de  leurs  atta<|ue6,  et  de  part  et  d'autre 
on  avait  toujours  le  dessus  dans  la  dé- 
fense. Au  lever  du  jour,  Démétrius  fit 
ramasser  par  ses  serviteurs  les  traits  qui 
avaient  été  lancés  parles  Rhodiens.  On 
compta  ainsi  plus  de  huit  cents  projec- 
tiles enflammés,  et  au  moins  quinze 
cents  traits  lancés  par  les  balistes.  Ce 
nombreétonna  Démétrius,  qui  ne  croyait 
pas  que  les  Rhodiens  eussent  des  moyens 
de  défense  si  redoutables.  Il  fit  inhumer 
ses  morts,  panser  ses  blessés  et  réparer 


hê 


LUAIViaS* 


Iflt  mMlfiiiit'qiii  iviMrt  été  déoMiitéM 
eliiiiBM  bon  w  serrîoo. 

Daat  la  ptévition  d'im  AouTelattaiilf 
Im  Rbédittls  mirait  à  profit  œ  temps 
êè  relâobe  poui^  cHmstrare  un  trcnuèmé 
Binrd*eii<Mliit8f  dans  la  partie  la  ptui 
«tpôfléeaox  attaqiiaa  de  rennemi.  PuiSf 
ils  cnreusèrêAt  on  fossé  large  et  profond^ 
derrière  la  brèehe,  pour  empêcher  le  roi 
de  pénétrer  par  un  ooup  de  main  dans 
riotériéur  de  la  Wlla«  Ëneonragés  par  le 
sueoèe  de  leurs  deraièrea  tentatives ,  ils 
ordonnèrent  de  nouvelles  courses  ett 
mer.  Le  navarque  Arayntas  prit  leà 
meilteiife  navires  de  la  il(»tte,  et  allaeroi'* 
ser  sur  les  eOtes  de  l'Asie  4  où  il  eaptura 
des  pirates  au  service  de  Démétrius,  des 
navires  marobands  et  des  bâtiments 
ehàrsés  de  blé.  Il  rentra  heurensêment  « 
penoant  la  nuit,  dans  le  port  de  Rhodee 
avec  tout  son  butin. 

Gepetidam,  les  fnaehines  étant  répfr* 
réee,lea  hostilités  avaient  reeommenoé 
ayeo  là  tnéme  vivacité  qu'auparavant. 
Mâts  le  siège  lie  ftilsait  aucun  progrès  ( 
Rhodes  reeevait  de  nouveaux  rentortsj 
Ptolémée  lui  etivoya  un  oonvoi  de  Mé, 
aussi  codtidérable  que  le  premier^  et  un 
sèôôUrs  dé  qUiUÉe  cents  nommes  oom** 
ftiandés  par  Antigone  le  maoédonioi^ 
£n  faiéme  temps  arrivèrent  auprès  de 
Défbétrius  plus  de  dnduante  députés  ^ 
envoyés  tant  nar  lee  Atnéuiens  que  par 
les  autres  villes  de  la  Qrèee.  Tous  œi 
députés  viUretit  solliciter  le  roi  de  faiito 
là  paix  avec  les  Rhodiens.  Un  armistiee 
fût  accordé;  mais  aprèl  de  longs  pour* 
parlera  entre  le  peuple  de  Rhodes  et  Dé- 
roétrius,  on  ne  put  s'entendre,  et  les  dé* 
]^utés  partirent  sans  avoir  rien  obtenu. 

DémétriUft  tèiita  encore  un  dernier  ef«> 
fort.  Yottlatit  diriger  une  atuque  noo»- 
tUrtie  Contre  la  brèehe  ouverte,  il  choisit 
quinze  cents  soldata  d'âite ,  en  confia  le 
eômmandertieht  à  Alcime  et  à  Mantia^i 
et  leur  ordonna  d'approcher  en  silence 
de  l'enceinte  vers  l'heure  de  la  seconde 
Teille,  de  forcer  lés  retranchements  éle- 
vés derrière  la  brèche  et  de  pénétrer 
dans  la  ville.  Pour  faciliter  l'exécution 
d'un  ordre  si  important ,  mais  si  dange- 
reux f  il  fit  en  thème  temps  sonner  la 
charge,  et  mena  toutes  ses  autres  troupes 
à  l'attaque  des  Murs  tant  oar  mer  que 
par  terre.  11  espérait  que  fes  assiégés , 
obligés  de  se  défendre  sur  tous  les 


pobits,  Bo  peurraent  repousser  la 
troupe  d'Aldme  et  de  Maotias;  cette 
fisinte  eut  d'abord  tout  le  suocës  que  le 

E rince  en  avait  espéré.  A  la  faveur  de 
i  confusion  générale,  le  détachement  dei 
quinze  cents  franchit  la  brèche,  renver- 
sa tous  ceux  qui  défendaient  les  retran- 
chements, et,  vint  occuper  les  environs 
du  théâtre.  L'alarme  fut  grande  dans  la 
ville  ;  mais  ies^  chefs  firent  face  au  danger 
avec  sang-froid  et  courage  :  ils  ordonnè- 
rent à  tous  les  officiers  et  soldats  de  rester 
chacun  à  leur  poste  et  de  repousser  tes 
assaillants*  Après  cela^  prenant  l'élite  de 
leurs  troupes  et  celles  qui  étalent  arri- 
vées tout  récemment  d'Egypte ,  ils  vin- 
rent fondre  sur  le  détachement  qui  s*é* 
tait  avancé  jusqu^au  théâtre.  Cependant 
le  jour  parut,  et  Démétrius  donda  lési- 
nai d'un  assaut  général.  Aussitôt  toute 
son  armée  poussa  lecride  guerre,  et  l'os 
se  battit  sur  tous  les  points  et  dans  l^io- 
térieur  de  la  ville  qui  retentissait  dei 
clameurs  des  combattants  et  des  gémis- 
sements des  enfants  et  des  femmes,  qui 
s'imaginaient  que  la  ville  était  prise.  Lai 
remparts  et  le  port  furent  si  bien  dé- 
fendus que  l'ennemi  ne  put  les  forosr. 
On  se  battit  vivement  auprès  dd  théâtre, 
et  les  soldats  de  Démétrius  gardèrent 
longtemps  leur  poste*  ktais  enfin  les 
Rhodiens,  qui  combattaient  pour  leur 
patrie,  pour  leurs  familles,  pour  leurs 
tempes,  firent  des  prbdijges,  et  écrasèl-eDi 
les  troupes  du  roi.  Aldmus  et  Manties 
périrent  pendant  l'action.  La  plupart 
des  soldats  restèrent  sur  le  terrain,  lea 
autres  furent  faits  prisonniers.  Un  petit 
nombre  seulement  parvint  à  s'échapper. 
•  Il  y  avait  plus  d^ln  an  que  ce  siégr 
était  commencé,  et  il  n^était  pas  plus 
avancé  (]u'au  nremier  jour.  On  parais- 
sait toujours  déterminé  de6  deux  eoté» 
à  se  battre,  et  Démétrius  se  préparait 
à  un  nouvel  assaut,  quand  on  vint 
lui  apporter  des  lettres  d* Antigone,  son 
père,  qui  lui  mandait  de  traiter  avec 
les  Rhodiens  à  la  première  occasion  fa- 
vorable. D'un  autre  côté,  Ptolémée, 
tout  en  promettant  aux  Rhodiens  des 
secours  encore  plus  considérables  que 
les  premiers,  les  avaient  exhortés  à  trai- 
ter dès  qu'ils  pourraient  le  faire  honora- 
blement. Ils  sentaient  l'extrême  besoin 
de  faire  finir  un  siège  où  ils  auraient  en- 
fin  sunoombé.  l)e  sorte  que  les  deux  par- 


ILE  DS  RBODBS. 


lit 


tfe  tiselkialent  égâlenent  veirs  la  ptîi. 
Sur  ces  entreftitet  arrivèrent  des  d^* 
tés  de  la  ligue  étolteimè,  iiui  Bernrent  da 
nédiateiirs.  La  paii  M  anfio  eboelua 
aux  côliditiDiiB  Bttivantas  :  la  ville  éd 
Rhodia  gatderà  sim  iiidé|^(nidanee  alaah 
feveniié;  les  RIlodieiiBfoitfiiiiOBtà  An» 
tif^one  dea  tfoopes  auxiliaires  «  eioeoté 
datift  le  eas  où  il  inatdierait  cotitre  Poh 
lémée.  lia  ioitièreiit  eeiil  otagaa  eoai« 
mè  ^raÉts  do  triiit,  après  lequel  Dd« 
tténitts  mil  à  la  tt^e^  et  {Mtksa  en  Grèaa 
où  sob  père  renmait  eo  aire  Casaandre^ 

Pline  <f  )  taeotib  qn*att  moineni  ou 

DémélHtta  asaiégeait  Rëedes  le  célébra 

peintre  ProtDgèhe  de  GaWitta  cotnpdsall 

^\m  on  tàMead  représenuht  qUelfaes 

traits  dé  l'hiatoife  dli  liéroa  Jaiyans.  V^ 

vtM  dé  Protogène  était  dans  ns  petit 

jardin  Ittué  daiis  un  faubourg  de  la  viili 

dont  s*était  eitipaHi  Détnétfiusi  La  pré» 

sèDce  de  rennemi  et  lé  tumulte  de  It 

mrtt  né  tt^biètttlt  pmnt  Protogènei 

9  resta  dans  sa  deméute,  et  continua  son 

t^âVâll.  DéméIriUs  en  fût  BiktpH$;  il  lé 

fit  véldr,  et  il  lui  demanda  comment  il 

ferait  ateft  tant  d*assuranee  liol's  dei 

mars  :  a  Je  Mié^  répondit  Tartiste,  que 

tous  faites  Id  guerre  aui  Rtaodiena ,  et 

noti  sut  ans.  *  DétnéUrlna  était  éapabte 

ût  comprendre  dn  si  noble  langage.  Ton* 

cbé  de  la  tiofllifttiée  dUë  Idi  témoignait 

Ptotogèhe,  U   lui  dt^nna  dea  cârdea 

t>ôur  le  protâpr,  afin  qu'au  milieu  dd 

Camp  tnême  u  fût  en  repos  on  du  éaoina 

en  sârété.  Il  allait  soU¥ent  le  toir  travail^ 

ler,  et  né  se  lasMit  pOittt  d^admiter  sdn 

apbiKâtkm  h  Touffase  et  soii  extrême 

héilètê.  PlUtàrqUe  ajomè  ^ue  les  KbO^ 

dièbs,  crai|nâilt  d*abord  qUe  Démétriuè 

te  déttni&tt  ce  éhe^d'te!lvre ,  Itii  avaient 

«nvoyê  dés  députés  pour  le  èuppUer  de 

1  épargtiet.  ^  A  brûlerais  plutôt  toijia  leé 

ponraits  de  mon  père,  atait  r^ondu  le 

(iHncé,  que  de  déimire  Od  si  bel  otivra*' 
ge.  >  CétteeOndUite  fait  infiniment d'bott^ 

iièdt  à  Démétrtns,  en  ce  qu'elle  montra 

qu'il  avait  un  esprit  déiiCÀt  et  un  caratstère 
g^tittbox.  Maia  U  eût  poussé  sbn  goût 
pDor  les  arts  jusqti'è  un  excès  ridicule  si) 
tomme  le  prétend  Plitie,  il  s'était  abstenu 
de  prendre  Rhodes  par  respect  pour  ce 
tableau,  et  S'il  eût  mienx  aimé  renon^ 


40. 


(i) Pline,  Mist.  Nai,^  1.  X.XXV,c,  xxxvi, 


eer  à  la  viètoiniqde  de  s'exposer  àfaire 

Sérir  par  le  fen  on  si  prédeox  monumesl 
é  Tart.  Nous  avons  vu  les  véritaMaa 
raisons  qui  obligèrent  Démétrius  à  le- 
ver le  siège  ;  le  tanleau  de  Protogène  s'y 
fut  pour  rien*  Une  autre  eirconsladeif 
que  Diodore  de  Sicile  n'a  pas  nipporléèf 
•t  qui  se  troave  dans  Végeoe  (1),  eoitiii^ 
buB  peut-être  rdeUement  à  disposer  Dé*- 
nsétrius  à  la  paix.  Ga  prince)  se  prépn^ 
rant  à  approcher  de  nouvean  rbdiépon 
contre  les  nMiailles^  un  Idgémeur  Hio- 
dien  taiiaglnà  nn  moyen  de  la  rendra 
tout  à  fiiit  inutile.  11  onvrit  uile  gaicria 
souterraine^  d\fi  passait  par  deaaoda  icd 
murs  de  la Tilié,  «t  il  la  pouaaa  aena  le 
chemin  par  où  Id  todr  devait  rouler  jut» 
ira'aUx  murs.  Cette  mine  Ait  pratiiiuêê  à 
rinsu  dea  ftsaiégeants,  ((ui  oonduiairaÉt 
rhélépole  jusqu'à  rendrait  où  le  terrain 
était  creusé;  le  poids  de  la  tour  fit  M^ 
dra  la  tette ,  dans  laquelle  elle  s'abtmé 
sans  qu'on  pût  Jamais  la  retirer.  Vé^na 
et  VitruvO)  qui  semble  confirmer  oè  M*- 
cft  en  eu  changeant  néanmoins  queludês 
éitcohstancès,  disent  que  cet  ëceideul: 
détel^mina  Démétrius  à  accorder  la  patt 
aux  Rhodiehs.  H  est  au  moins  certain  ^ 
dit  Rollid ,  qu'il  eut  beaucoup  de  pan  è 
lUi  faira  prendra  enfin  ce  parti. 

En  quAtaUt  Rhodes,  Démétrius  IMaèà 
aux  Rbodiens  toutes  les  machines  quil 
avait  fabriquées  pour  s'emparer  de  leur 
tille,  tls  les  teudireut  pour  300  ulenis^ 
«t  cousaerèrant  cet  argent  I  faira  ce  VÈh 
meut  colosse  due  l'on  comptait  parmi 
les  sept  merveilles  du  monde,  et  qui  était 
leonsaeré  à  Apollou.  Lès  Rhodieus  tê^ 
moignèfent  ausai  leur  rèconnaisftabce 
envers  les  princes  qui  les  avaient  seeott^ 
Hift.  ils  élevèrent  des  statueê  è  Caftsan*- 
dra  et  à  LVsimagUè,  et  à  d'àUtra^  alliée 
fitoittS  célèbraa.  Mais  ils  aè  sUrpassèréfil 
pour  honorer  Ptoléméé,  dont  lia  avaiéut 
reçu  lé  plus  de  secouit.  Après  aîrbir  cou- 
snitérorBded'Amraon,  pour  savoir  i'ilft 
devaient  honorer  ce  ptidce  comme  uu 
dieu ,  et  obU^hu  de  l'oracle  une  réponse 
affirmative,  ils  élevèrent  dans  leut  ¥illè 
un  temple  auquel  ils  donnèrent  le  nom 
de  Ptolémeum  (2).  Ce  temple  était  de 
forme  carrée,  et  chaque  côte,  d'un  stade 
de  long,  avait  tm  portique.  On  n'oublia 

^i)  Veget.,  De  Re  Milît.,  c  iv, 
(a)  Diod.  de  Sicile,  i»  XK,  e.  too. 


isd 


L'UmVKMfl. 


pas  de  féeompenaer  le  lèie  des  partîeiH 
liers  |>ar  de  flatteuses  distinetioiis,  et  les 
serrices  des  esdaves  en  leur  doimaDt  la 
Ufoerté  et  le  rang  de  citoyen.  Puis  on  re» 
oonstraisit  le  théâtre  y  on  répara  les  mn- 
railles  et  tous  les  points  qui  avaient  soaf- 
lért  pendant  le  siège.  En  peu  de  temps 
oo  fit  disparattre  toutes  les  traees.de  la 

Serre,  et  Rhodes  sortit  de  oette  terrible 
reuve  plus  puissante  et  plus  glorieuse 
que  jamais. 

ÉTAT  DB  RHODBS  AU  TROISISHB  SIB^ 

GLB  AYANT  J.-€. — Il  OU  ost  d'uu  peuple 
comme  d*un  homme  ;  une  grande  action 
le  rehausse  et  l'ennoblit.  Après  avoir  re- 
poussé Démétrius,  les  Rhodiens  devin» 
rent  un  État  considérable  et  une  puis* 
sance  maritime  de  premier  ordre*  Leur 
commerce  ne  fit  que  s'étendre  et  pros- 
pérer de  plus  en  plus,  et  tous  les  rois  de 
FAsie,  tous  les  États  grecs  recherchaient 
leur  amitié  et  vivaient  en  bonne  intelli* 
gence  avec  eux.  Rhodes  éprouva  bien- 
m  lesefifets  de  cette  bienveillance  géoé« 
raie  qu'elle  avait  inspirée,  après  le  trem"> 
biemcDt  de  terre  dcTan  332,  qui  &illit 
la  bouleverser  de  fond  en  comble.  Dans 
leur  détresse,  les  Rhodiens  députèrent  à 
tous  les  princes,  leurs  alliés,  et  aux  dtés 
grec(]ue6  pour  implorer  leurs  secours  (1). 
Qiacon  s^empressa  de  contribuer,  se- 
lon ses  ressources,  au  soulagement  de 
cette  ville  infortunée.  Hiéron  et  Gélon  en 
Sicile,  et  Ptoléniée  Evergète  en  Egypte 
se  signalèrent  entre  tous  les  autres.  Les 
premiers  fournirent  plus  de  100  talents 
en  argent,  des  vases  de  prix,  des  ma- 
chines, des  matériaux,  et  firent  dresser 
sur  une  place  de  Syracuse  deux  statues 
représentant  le  peuple  Rhodien  et  le  peu- 
ple Syracusain  qm  mettait  au  premier 
une  couronne  sur  la  tête.  Ptolémee,  sans 
parler  de  beaucoup  d'autres  dépenses , 
qui  montaient  à  des  sommes  considéra- 
Sles,  envoya  300  talents,  un  million  de 
mesures  de  froment,  des  matériaux  pour 
construire  dix  navires  à  cinq  rangs  de 
rames ,  et  autant  à  trois  rangs ,  des  ar- 
chitectes pour  relever  la  ville ,  et  en  par- 
ticulier la  somme  énorme  de  3,000  ta- 
lents pour  rétablir  le  colosse  qui  avait 
été  renversé  par  le  tremblement  de  terre. 
Antigone  Doson,  roi  de  Macédoine,  et  sa 
femme  Cbryseis,  Séleucus  roi  de  Syrie, 


Pmsias  de  Bithynie,  flfilbrMate  V,  fd  de 
Pont,  tous  les  aynastes  de  l'Asie ,  ausn 
bien  que  toutes  les  villes ,  signalèrent 
leur  lioéralité.  Outre  les  présents  qu'on 
leur  faisait,  on  accordait  aussi  aux  Rho- 
diens des  immunités  et  des  franchises, 
qui  accrurent  encore  leur  prospérité 
commerciale,  de  sorte  qu'en  peu  de 
temps  Rhodes  se  retrouva  plus  opulente 
et  plus  magnifique  qu'elle  iravait  Jamais 
été.  Il  n'y  eut  que  le  colosse  qm  no  fiit 
pas  rétabli.  Les  Rhodiens  prétendirent 
que  l'oracle  de  Delphes  leur  avait  dé- 
fendu de  le  relever,  et  ses  débris  restè- 
rent gisant  à  la  place  où  il  s'était  abattu, 
pendant  près  de  neuf  siècles. 

Pendant  la  plus  grande  partie  du  troi- 
sième siècle  avant  l'ère  chrétienne,  on 
manque  de  renseignements  sur  l'his- 
toire de  111e  de  Rhodes.  Cette  lacune, 
qui  est  de  près  de  quatre-vingts  ans,  ne 
cesse  qu'avec  Polyoe,  dont  les  éôrits 
nous  rendent  la  suite  interrompue  des 
événements  relatifs  à  cette  tie.  L'an  221 
Philippe  III  montait  sur  le  trône  de  Ma- 
cédoine. La  Grèce  était  partagée  en 
deux  ligues,  celle  des  Achéensetoâledes 
Étoliens,  qui  s'aflaiblissaient  l'une  l'autre 
par  leur  rivalité.  Au  milieu  des  conflits 
qui  s^élevèrent  entre  oesdifférentes  puis- 
sances, les  Rhodiens,  dont  l'iotérét  su- 
prême était  de  Caire  respecter  la  liberté 
du  commerce,  devaient  intervenir  en 
laveur  des  Achéens,  peuple  paisible  et 
ami  des  lois,  contre  la  Ji([ue  étolienne, 
adonnée  au  brigandage  et  a  la  piraterie. 


et  contre  Philippe,  qui  prétendait  à 
l'empire  de  la  mer.  Telle  est  la  politique 
des  Rhodiens  à  cette  époque ,  dans  tous 
les  événements  où  nous  les  voyons 
mêlés  :  assurer  la  liberté  des  mers  et 
combattre  toute  puissance  qui  aspire  à 
y  dominer.  Une  marine  considérable 
protège  leur  commerce,  qui  sert  à  l'en- 
tretemr,  les  fait  respecter  de  tous  les 
États  voisins  et  rivaux,  et  assure  la  ga- 
rantie de  tous  leurs  intérêts  commer- 
ciaux et  politiques. 

Ainsi  rUlyrien  Démétrius  de  Pliaros, 
s'étant  ligué'  avec  les  Étoliens  et  Sparte, 
ennemis  des  Achéens,  et  ayant  armé  en 
course  cinquante  légers  navires,  vint 
parcourir  et  pilier  les  Cyclades  (1).  En 
agissant  ainsi,  Démétrius  de  Pharos 


(x)Po)yb.,Y,SS'9i, 


(i)  Poljfb.,  Sut.,  h  IV,  17, 19. 


II.K  DE  RHODES. 


Idl 


vMt  le  tnilé  d0  imIz  que  kii  aviieiit 
imposé  les  Romains,  et  qui  lui  interdi- 
sait  de  naTiguer  ao  delà  de  r  lie  de  Lissa. 
Les  Rhodieos  féprimèrent  ee  brigaa- 
dage,  et  forcèrent  Démétriiis  à  fuir  de- 
vant leur  escadre,  qui  dominait  dans  la 
iDerÉg6e(331). 

GuSimS  BRTBB  Rhodbs  bt  By- 
ZARCB.  -"-  Quelque  temps  après,  la  li- 
bre navigation  du  Pont-Eoxin  fut  me- 
nacée par  une  tentative  des  habitants 
de  Byzanee,  gui  exigèrent  un  droit  de 
tous  les  navires  qui  franchissaient  le 
fiospfaore  (1).  Les  intérêts  des  négo- 
ciants de  Rhodes  étaient  lésés  par  cette 
nesuie,  qu'ils  essa^rèrent  vainement  de 
faire  révoquer.  Les  Byzantins,  qui 
avaient  de  lourdes  dépenses  à  supporter 
ponr  se  défendre  contre  les  Thraees,  ne 
voulurent  pas  renoncer  à  l'exploitation 
de  œt  impôt  lucratif.  On  ne  put  s'en* 
tendre,  et  la  guerre  fut  déclarée  (330). 
Les  Rbodiens  entraînèrent  dans  leur 
parti  Prusias,  roi  de  Bithynie,  à  qui  By- 
zanœ  avait  refusé  des  statues;  et  les 
Byxantins  obtinrent  l'appui  d'Âcbœus, 
beau-frère  de  Seleucus  III,  roi  de  Syrie, 
qui,  profitant  de  la  jeunesse  du  nouveau 
roi  Anttochus  III,  venait  de  se  déclarer 
indépendant  en  Asie  Mineure.  Tant  crue 
Bvzaoce  nut  compter  sur  l'appui  d  A- 
coaeas,  elle  fit  bonne  contenance;  elle 
SQscita  un  prétendant  au  trône  de  Bi- 
tbynie,  et  soutint  vigoureusement  la 
giûrre.  Mais  les  Rbodiens  détachèrent 
Aebaeos  de  leur  alliance  en  lui  rendant 
son  père  Andromachos ,  qui  était  pri- 
lonnier  en  Egypte,  et  que  le  roi  Ptolé- 
mée  Philopator  renvoya  sur  la  demande 
des  ambassadeurs  de  Rhodes.  Gagné  par 
eeboD  office,  et  charmé  des  honneurs 
<|Qe  la  cité  de  Rhodes  lui  décerna, 
Acbsusrefiisasessecoursaux  Byzantins. 
CeoxHsi,  trop  faibles  pour  continuer  seuls 
les  hostilités,  demandèrent  la  paix,  dont 
les  Rbodiens  leur  dictèrent  les  condi- 
tions. Byzanee  renonça  au  droit  de  péage 
qu'elle  avait  voulu  percevoir,  et  le  pas- 
sage du  Bosphore  resta  libre.  Le  succès 
de  cette  guerre  ajouta  encore  à  la  puis- 
sance de  Rhodes  ;  les  rois  la  traitaient 
avec  la  plus  grande  considération  ;  bon 
nombre  de  villes  recherchaient  son  pa- 
tronage. C'est  ain^  que  les  habitante 

(i)  Polyb.,  I.  IT,  46-5». 


de  Gnom  demaadèivAt  son  appui  con- 
tre les  autres  viUes  créioises,  et  que  ceux 
de  Sinope  implorèrent  son  secours  con- 
tre les  agressions  du  roi  de  Ppnt  Mi- 
thrîdatey(l). 

Rblatiors  de  Rhodes  avec  .la 
Macédoine. — C'était  le  temps  de  cette 
lutte  engagée  entre  les  Adriens-  et  les 
Étoliens  que  l'on  appelle  la  guerre  des 
deux  ligues.  Les  Aehéens  avairat  été 
obligés  de  se  placer  de  nouveau  sous  la 

J protection  de  la  Macédoine,  et  Phi» 
ippe  III,  vainqueur  des  Étoliens,  mar- 
chait rapidement  à  la  conquête  de  toute 
la  Grèce.  Les  Rbodiens  et  leurs  alliés 
s'inquiétaient  des  progrès  de  cette  puis- 
sance macédonienne,  qui  prétendait  tou- 
jours à  la  suprématie  sur  tout  le  corps 
nelléniquc,  tandis  que  celui-ci  s'épuisait 
et  se  livrait  par  ses  dissensions.  Des 
députés  de  Rhodes  et  de  Chio  vinrent 
trouver  Philippe  à  Corinthe  (S)  et  l'en- 
^gèrent  à  accorder  la  paix  aux  Eto- 
Bens.  Le  roi  feignit  d'y  consentir,  et  se 
débarrassa  d'eux  en  les  envoyant  chez  les 
Étoliens  pour  qu'ils  travaillassent  à  les 
amener  a  un  accommodement.  Il  n'en 
continua  pas  moins  la  ^erre  avec  vi- 

Î[ueur,  et  ne  se  réconcilia  avec  les  Ëto* 
iens  qu'au  moment  où  il  se  préparait  à 
attaquer  Rome.  Cétait  Tusage  parmi 
les  États  grecs  que  les  cités  neutres 
a'interposassent ,  par  leurs  ambassa- 
deurs, pour  rapprocher  les  États  qui  sa 
faisaient  la  guerre  et  faire  cesser  des 
conflits  contraires  à  l'intérêt  général. 
Les  cités  maritimes  étaient  toujours  les 
plus  empressées  à  offrir  leur  médiation, 
parce  qu'elles  avaient  toujours  plus  h 
gagner  à  la  paix  qu'à  la  guerre.  Ainsi, 
dans  le  mente  temps  les  Rbodiens, 
aidés  de  ceux  de  Byzauf  e  et  de  Cyzique, 
faisaient  tous  leurs  efforts  pour  récon- 
cilier l'Egypte  et  la  Syrie  (3).  Ce  genre 
d'intervention  n'avait  pas  toujours  le 
résultat  qu'on  se  proposait,  et  les  puis- 
sances belligérantes  pouvaient  bien  n'en 
pas  tenir  compte.  Mais  les  députés  qui 

B  Polyb.»  Hisi.,  1.  IV,  53,  56. 
Polyb.,  V,  «4-  f^oyez  dans  Tite-Li?e« 
XXTII,  3o,  XXYIII,  7,  d'autres  ambas- 
sades des  cités  d«  Rhodes  et  de  Chio  pour 
Biettre  fin  à  celle  gu«re  entre  Philippe  et 
les  Ëtoliens. 

(3)  Polyb.,  V,  «3. 


I» 


vtSËmhÊ. 


m  ptémalaàmi  à  Ml  itt*  étaiMI  tmÊh' 
îom  nçus,  éooatéi  et  oongédiét  affc 
neaueonp  d'é«ildt.  En  trompiat  lis 
Rhoditiis,  PhUippè  oomineoça  à  tes  in- 
disposer contre  lui.  Loin  de  tmvailhBT 
à  cakner  te  méoobtaiiteneDt  et  la  dé- 
flânes  de ees  insulaires,  fiers  et  jaloOk 
de  leur  Ubeité ,  Philippe  les  irrita  de 

Elus  en  pluspaf  ses  hauteurs  et  son  ant- 
îtion.  Û  s'en  fit  dés  emlemis  déblaréë^ 
et  les  poussa  à  se  Jeter  dins  l'alliatilie 
des  Romains,  qui  eurent  l'adresse  de 
fairs  eroife  aux  Grecs  du  continent  et 
des  tles  Qu'ils  ne  ëombettaient  ia  M ft^ 
cMoine  que  pour  les  affradchir  dé  sa 
dominatiodi 

GtlBftBA  mtlB  LB8  R1IO0IBNB  Bt 

Phili^pU  IlL  »  Oe  ne  fut  qu*epièl 
Tan  106  que  Philiope  rtompit  définitif»- 
ment afce  les  Rhoufens.  Débarrassé  des 
Romains,  avec  lesquels  il  était  en  guerre 
depuis  à\%  atts,  ce  prlnoe4  au  lieu  de  se 
Isirte  des  siliés ,  dans  la  prévision  d'une 
notiveilé  lutté  avec  et»  peuple,  au  lieud% 
■iMplifler  sa  position  en  aéconmodant 
tous  les  démêlés  qu*il  avait  avec  sel 
toisins,  devint  plus  protoquant  et  plus 
agressif  quu  Jamais,  il  oublia  qull  avait 
à  fsire  A  une  puissance  redoutable  «  qui 
ue  fttlsalt  que  suspendre  ses  coups  i  11 
attaqua  tous  dedt  dont  il  aurait  dfi  s'mk 
eurer  l'apoui^  et  en  eherefaant  partout  fc 
acquérir  il  trouva  partout  des  ennemis. 
Les  Rhodiens ,  menacés  par  ase  fntriA 
gues  ti)  et  ses  viéleuces  dans  leurdo^ 
luinatiun  sur  les  tles  asiatiques  ei  sur 
les  cdtas  dé  la  CaHe,  flreut  alliance  aveé 
Attalé,  M  de  Pargame,  à  qui  Philippe 
disputait  quclquei  lilles  de  VÉolide  ;  et 
comme  le  rot  us  BfaMdoine  était  enoare 
«ta  tmn«mi  trod  redoataUe  ytsut  ces 
deua  tiâts  r#unMt  ils  l'adressèrent  eut 
Romains,  et  ietir  dénoncèrent  les  projeté 
fie  Pbllit)pe  coutrè  lé  liberté  des  villel 
ttrecques  d^  r Asie  (S).  Attalé  éUilt  déjl 
rattié  éh  Rome.  Lel  Rbodiena  le  devins 

(i)  t^olyb.,  1.  lYlt,  3-6.  On  liè  peut  se 
faire  qu'une  idée  bien  incomplète ,  d'après  le 
récit  mutilé  de  Pbl^,  des  dSsseint  de  Phi- 
lippe  coiftlre  Uhodes  et  de  la  fourberie  dont 
l'iBlrigant  Hélaclide  devitt  être  le  principal 
■gent.  f^oy,  dans  Myb.,  XV  9  s3,  récouba 
de  la  rupture  définitive  dai  Rbodknt  avee 
Philippe. 

(a)  lite-Uve,  XXXI»  I. 


Mit  aloil  par  l'entremlia  du  tel  dt 
Pergamc,  et  à  la  suite  de  leur  hosdiitt 
contre  le  roi  de  Macédoine.  ToutlMi, 
avant  oue  Rome  eût  vaincu  Oarthagt  et 
termine  la  seconde  guerre  punique,  At- 
talé et  les  Rhudieus  soutinrent  isiés 
tout  le  poids  de  la  guerre  contre  Ptai- 
lip|)e  III,  de  l'an  305  à  l'an  SOO  avant  Vm 
ebrétienne,  et  ils  livrèrent  à  ce  priasi, 

3ui  s'était  créé  une  marine  impoiasu, 
eut  grandes  batailtes  navales.  La  ^ 
mière  rencontre  eut  lieu  prèa  de  Ladl, 
petite  tle  lituéé  eo  face  de  la  viliiée 
Milet.  L'action  fut  très-vive  et  ïmâ- 
trière,  et  l'issue  paraît  eu  avoir  élédmi- 
teuSe.  Les  Rhodlens  prétendirent  avsir 
remporté  la  viétoire  ;  mais  Pol^,  diK 
une  digression  sur  deui  historieot  de 
Rhodes ,  2énoh  et  Antisthène ,  leur  iv- 
procbe  d'avoir  altéré  ia  vérité  sar  m 
point)  et  il  établit  d'après  lears  preprÉ 
aveux,  et  lurtoUt  d'après  la  lettre di 
l'amiral  de  la  flotte  Hiodienoe  aUx  pit- 
tauea  et  au  sénat,  au*on  pouvait  lira  m- 
eore  aux  aiuhives  Ue  la  ville^  que  le  ni 
de  Macédoine  avait  eu  l'atantage  daH 
cette  bataille  (1). 

CSe  qui  le  prouve  encore,  eTelt  qu'à  h 
Buite  de  ce  combat  les  RhUdiens  bit- 
tirent  en  futraitè,  et  Attalé  Alt  réM 
quelque  teni os  è  rinaotion.  Lu  mer  était 
libre,  et  Philippe^  dit  Poljrbé,  aurslt^ 
aé  reudre  sans  obstacle  à  Alenndrie.  Il 
ne  le  fit  pas ,  et  se  comenta  d'assiégt 
Chio  (i);  mais  le  éiége  traîné  en  Isa» 
gueur,  et  renueml  reparut.  Attalé  et  ft- 
mirai  rhodlen  1  Théophiiiseul  •  Mvrènat 
à  Philippe  tme  seconde  bataille  nsvilr 
eh  vue  de  Qhlo.  On  avait  réuni  dé  part 
et  d'autre  des  forces  considérables,  la 
flotte  meoédonienné  se  com^esatt  et 
cliiquante-<trois  bdtimeata  de  guette,  et 
quelques  Aavires  non  pontés  et  de  dcat 
dneuaq^e  esquiftf  avec  des  Alstes»  I0 
allies  avaiettt  eoIxanteMnUq  vafssesux  é» 
guerre,  y  compris  ceux  des  fiyiêiitifls, 
neuf  gaUotea  et  trois  trirèmes.  Le  vsH* 
eeau  monté  par  Atiaie  commeUfa  ^ 

(tj  Wyb.,  1.  Itt,  t.  iitt.  tlle*U«e  W 
atlasloti  a  ces  deUx  baulOei,  et  il  sdinH  le 
a^sertioas  des  historiens  rbodietts,  •  Réi- 
Jam  eoai  àhediîl  et  Attak)  navilibés  cerU* 
tainibtts,  kektrofUteitêt  fhM^  tirés  et|l(^ 

tus.  »  1.  XXXI,  C.  SUT. 

(a)Polyb.,LXVI,af9* 


ILS  DS  KHODES. 


ISt 


fomiiat,  ettoot  les  âums,  Mn»  ménito 
«ftttftdrtltBignèl,  6e  heonèretit.  Lte  ma- 
rin! é'ÉUMfoifl ,  à  déftât  de  eette  for^ 
midâble  anilietie  dont  nous  ermonB  nolt 
faisseaut  de  iituene,  a?aieiit  aussi 
trooTé  des  pfoeéd^  trèë'^expëditifs  et 
tfès-ptiiMiitt  pour  6*efitre-détruire.  Lea 
natfres  lâli6éa  a  toute  vitesse,  se  préd^ 
pitateot  lea  ûoê  sur  les  auttes,  se  per* 
çaient  de  léWe  éperotlB,  se  brisaient  lea 
rames,  ae  fracaaeaient  les  flanea,  le  plds 
fort  ôdUlaUt  lé  plus  faible ,  quelquefois 
s'abtmant  touB  lea  deuic,  et  te  choc  pro- 
doiSait  quelquefois  plus  vHe  ce  tëaultat 
glorieux  que  taoUi  obtenons  aujourd'hui 
par  l*@iiipIoi  d  u  utujectiie  fUlmiuaat.  8ou- 
^nl  aussi  ee  n*âait  poiut à  la  fdfce  qu'oft 
6«mât)dâtt  la  viélolfè ,  mais  à  Tadresse 
et  à  Pagilité  des  tttatiœutree.  tolybe 
WivA  donne  une  idée  bled  exacte  de  la 
tactique  natale  ûtH  àueiens.  ^  Toutes 
les  fols  qu*ttii  ebgagemem  avait  lieu  de 
fbnt,  dit4l,  tel  Hhodiènè  rertiportaietit 
par  une  maUtteUVre  fort  habile  :  abais- 
tànï  autant  ^ue  boasible  la  proue  de 
itara  ttafires ,  i\i  recevaient  des  coups 
lH)ts  de  Teaa  el  eu  portaient  à  rénneuii 
au-dessous  de  la  ligne  de  flottaison ,  lui 
âisaat  altiat  des  blessures  satts  remède. 
Mais  ils  euf^nt  tarement  recoure  à  eet 
irtlllce.  lia  évitaient  les  combats  de  celle 
nature,  à  cause  du  eoutage  que  meCtaieUt 
Itt  Macédoniens  à  se  défendre  dtt  HaUt 
de  lears  poUtÉi  dana  Une  lutte  réglée. 
Cdaraut  de  préféreuee  du  milieu  des 
iiatires  mueédbniena ,  lia  en  brisaient 
tèa  ramel  et  rendaient  par  là  tout  moU- 
v^eat  impoédibie;  lia  ee  portaient  à 
droite,  Il  |iud)e,  ee  jetaiebt  à  la  proue 
dé  tel  vaisieau,  fî^ppaient  tel  autre  dans 
le  fisine  au  ti^umènt  où  il  ae  toumaii , 
eauiaiâieiit  l'Un,  enlevaieut  è  TAutre  qudi- 
que  partie  de  ses  agrès.  Une  foule  de 
bâtimeotl  tuacédouiena  ^éfireut  deeeue 
manière.  « 

Cette  fola  Philippe  éprouva  une  dé- 
faite complète  :  il  oerdit  vingt  navirea , 
soixante- cinq  esquifs,  un  grand  nombre 
de  matelots  et  de  soldats.  Attale  fut 
obligé  de  sa  falfè  éebouer  sur  la  côte 
d'Asie  et  d'idMnddnn^  le  vaisaeau  royal  ; 
les  Rhodiena  eur^t  à  déplorer  la  ibort 
deTheophlliscua,  leur  amiral,  qui  ne 
survéctit  qu'un  Jt)ur  à  sa  victolto.  «  Cé- 
^it  un  homme,  dit  Polybe.  dont  la 
braToore  dans  leâ  combats  et  la  sagesse 


daûB  lea  eonaalia  aont  dignes  de  mé» 
moire.  S*ll  n'avait  pas  oaé  en  veUir  au 
mains  avee  Philippe,  aea  oondtoyena  et 
les  aotrea  peoj^ea ,  intimidéa  par  Fan** 
dacedn  prince,  eussent  négligé  roeeU»- 
felon  de  le  vaincre.  En  ouvrant  lea  bol* 
tilités ,  il  força  sa  patrie  I  profiter  des 
oirconsttoces  favorables,  et  contraignit 
Attale  6  ne  blus  différer  sens  eeaae  do 

E'épafer  aetttement  la  guerroi  et  à  h 
ite  avec  énergie  et  eourage.  Aussi,  «e 
ne  fht  que  justice  quand  lefe  litiodiew 
lui  rendirent,  après  sa  mort,  dei  hoà^ 
nèurs  assez  éclatants  ndur  «télter  au 
dévouement  en  ven  lé  pattle  et  leuH  CM- 
temporttina  et  leurt  deéeendama  (i).  « 

LBS  RttODlKIia  Sb  PLAUËNt   êouft 

tb  PHOtscTottAil  nt  RoHfi.  -^  Malgfé 
«ette  déftiite  Philippe  était  toujours  re- 
doutable ;  les  Romains  venaient  de  termi- 
ner la  seconde  guerre  pudique  \  le  ftéuit 
ae  mit  aiora  à  la  disnoiitiott  de  aei  aUila 
grecsd'Europe  etd'Asie^  qui  l'appeièrettt 
contre  la  Maeédoine.  Ce  fUt  à  Athènik 
que  se  forma  Torage  qui  devait  fondis 
aur  Philippe.  Attale  ae  rendit  eu  peN 
aonne  dana  cette  ville  !  Il  y  vint  dea  am* 
basaedeurs  rhodiena  et  dee  eommisaaires 
du  aénat  (S).  Enhardi  par  lâ  piiésenee 
d'alliés  si  puisaabM,  le  peuble  âthénieh 
décréta  la  guerre  contre  Philippe,  pla«a 
Attale  parmi  aes  bienfeitëurs  el  ais 
héros,  et  fit  oUx  Rhodleuë  tttté  rébeptiUh 
magnifique.  Ainsi  Rome  avait  soulevé 
«t  lancé  tdus  sea  alliés  eoutre  Philippe; 

Suabd  11  voulut  agir  contre  eUx,  elle  lui 
éfendit  de  lea  combattre  ;  aUr  son  refUs 
d'obéir,  elle  lui  déclara  le  gueffe  (tOU). 
If  ous  ne  devons  rechercHer  dans  eêtie 
grande  lutte ,  qui  fut  le  prélude  de  t*A- 
bnlssemeut  de  la  Macédoine  et  de  l'assu- 
jettissement de  la  Grèce ,  que  lés  fillts 
relatifs  aux  Rhudlëns  et  la  part  utt'ila  y 
torii^nt.  L'intei'veution  romamé  u^étaltai 
bieti  accueillie  de  ces  insulaires  que  par 
«e  qu'elle  lelit  urocurait  immédiatement 
de  grands  avantagea.  U  devait  en  irésultir 

Sue  Philippe,  occupé  du  soin  de  délbn- 
re  son  royaume  contre  les  Romaine , 
renoncerait  è  ses  projeta  d'âghtndisae- 
ment  maritime,  et  que  de  ée  eété  les 
RhddienS  auraient  le  champ  libre.  Rn 

(i)  Polyb.,  XYI,  9  ;  tTàd;  Bouèbac,  I.  H 
p.  3o4. 
(2)  Tite-Live,  XXXI,  i4  ;  Polyb.,  XTI,  a4. 


124 


L'UNIVERS» 


effet,  le  premier  résolW  qu'ils  obtins 
rent  de  cette  coalition ,  fat  d'entraîner 
dans  leur  alliance  toutes  les  Cyclades^ 
excepté  Andros,  Paros  et  Gythoos,  qui 
étaient  occupées  par  des  garnisons  macé- 
doniennes. Mais  en  n^^ligeant  d'aâr 
avec  vigueur  contre  Philippe  »  ils  lui 
permirent  de  leur  enlever  plusieurs 
places  de  la  Carie,  de  prendre  Âoydos,et 
de  se  rétablir  dans  i'Hellespont;  il  parut 
blenévidentalorsqueles  Romains  étaient 
seuls  capables  d'arrêter  ce  prince  et  de 
l'abattre. 

Pendant  cette  guerre,  qui  dura  quatre 
ans  (200  à  197)  toutes  les  forces  des 
Rhodiens  Curent  constamment  à  la  dis- 
position du  sénat.  L*amiral  rhodien, 
Acésimbrote,  prit  part  à  toutes  les  tenta- 
tives faites  par  les  Romains  contre  TEa- 
bée  et  les  autres  possessions  maritimes 
de  Philippe.  En  vain  les  Achéens ,  qui 
étaient  restés  d'abord  fidèles  à  Philippe, 
essayèrent-ils  de  détacher  Rhodes  du 

ϻarti  romain  (t),  ce  fut  au  contraire  la 
igue  Achéenne  qui  se  laissa  entraîner  à 
changer  d'alliance,  et  les  députés  rho- 
diens  (2)  assistèrent  au  conerès  ou  fût 
prise  cette  détermination  à  laquelle  ils 
contribuèrent  pour  beaucoup  (198). 
L'année  suivante  on  parla  du  rétablis- 
sèment  de  la  paix  entre  Philippe,  les 
Romains  et  leurs  alliés.  L'amiral  rho- 
dien Acésimbrote  parut  aux  conféren- 
ces de  Nicée  près  des  Thermopyles.  Il 
réclama  la  restitution  de  la  Péree ,  pro- 
vince de  la  Carie,  que  Philippe  avait  en- 
levée aux  Rhodiens  :  il  le  somma  d'dter 
ses  garnisons  de  Jassos ,  de  Bargylis  et 
d'Eurome,  de  replacer  Périnthe  dans  Té* 
tat  de  dépendance  où  elle  était  autrefois 
à  l'égard  de  Byzance,  d'abandonner  Ses- 
tos,  Abydos,  tous  les  marchés  et  tous  les 
ports  de  l'Asie  (3).  Philippe  consentit  à 
rendre  la  Pérée  ;  mais  il  ne  voulut  pas 
céder  sur  les  autres  points.  On  rompit 
les  conférences  ;  la  guerre  recommença. 
Bientôt  Philippe  fut  vaincu  à  la  bataille 
de  Cynocéphales,  les  Rhodiens  recon- 
quirent la  Pérée,  excepté  Stratonicée, 
où  s'enferma  le  général  macédonien  Di- 
nocrate.  Le  traité  que  les  Romains  dic- 
tèrent au  roi  de  Macédoine  donna  aux 

(i)  Polyb.,  XVI,  35. 
{a)Tite-Live,  XXXII,  rg. 
(3)  Polyb.,  XVII,  3. 


Rhodiens  la  complète  possession  de  cette 
province,  et  assura  la  liberté  de  toutes  les 
cités  maritimes  que  les  Rhodiens  avaient 
voulu  soustraire  à  son  influence  (1). 

Philippe  avait  cessé  d'être  redoutable, 
mais  Antiochus  le  Grand  devenait  me- 
naçant à  son  tour.  Ses  tentatives  ea 
Asie  Mineure  et  contre  l'Egypte  inquié- 
taient les  Rhodiens.  L'Egypte,  leur  an- 
cienne alliée,  déclinait  tous  les  jours. 
Antiochus  aspirait  aussi  à  la  dominatioa 
des  mers  :  Rhodes  entreprit  de  l'ar- 
rêter, et  de  défendre  les  villes  alliées  do 
ïoi  d'Egypte.  Grâce  à  leur  activité, 
Caune,  Mynde,  Halicamasse  et  Samos 
échappèrent  aux  tentatives  du  roi  de 
Syrie,  et  restèrent  dans  l'alliance  de 
Rhodes  et  de  l'Egypte  (2).  Mais  les  dioseï 
n'en  devaient  pas  rester  là.  Antiochus, 
opposant  aux  prétentions  des  Romains 
des  prétentions  non  moins  hautes,  se 
déclara  leur  rival,  et  descendit  sur  ce 
champ  de  bataille  où  la  Macédoine  ve- 
nait d'être  vaincue.  Rhodes  et  EoDoè- 
ne,  successeur  d'Attale  au  trône  de 
Pergame,  déployèrent  encore  plus  de 
zèle  dans  cette  guerre  que  dans  la  pré- 
cédente. Antiochus  avait  couvert  la  mer 
ï^ée  de  ses  vaisseaux;  les  Rhodiens  ai- 
dèrent Rome  à  anéantir  cette  marine 
puissante  qui  gênait  leur  commerce. 
Leurs  amiraux  Pausistrate,  Eudémus, 
Pamphylidas  combattirent  avec  les  pré- 
teurs romains  aux  batailles  de  Sida, 
d'Éphèse  et  de  Mvonèse  contre  Annibai 
et  le  Rhodien  exile  Polyxénidas,  dont  les 
talents  ne  purent  empêcher  la  destruc- 
tion des  flottes  d' Antiochus  (3) .  La  mer 
une  fois  libre,  les  Romains  passèrent  en 
Aaie;  Antiochus  fut  défait  dans  une 
grande  bataille  près  de  Magnésie,  et  les 
Rhodiens  eurent  une  large  part  à  ses 
dépouilles. 

Eumène  obtint  tous  les  pays  en  deçà 
du  Taurus  et  de  THalvs.  Les  Rhodiens 

Xent  la  Lycie  et  la  Carie  jusqu'au 
dre.  Toutefois,   les  deux   alliés 
étaient  en  désaccord  sur  un  point  im- 

(t)  Tile-Live,  XXXIH,  xS,  3o. 

(^)  Tite-Live,  XXXIII,  ao. 

(3)  Titc-Uve,  XXXVI  ;  Polj^b.,  XX I,  p»- 
sim.  Dans  celle  guerre  Poiyxéiiid«s  détruisit  » 
À  la  hauteur  de  Samoa,  une  floUe  rhodienoe, 
commandée  par  le  navarque  Pausisuilf. 
Tilc-Li?e,  XXXVII,  lo. 


ILE  DE  RHODES. 


I2d 


portant,  la  liberté  des  viRes  grecques 
d'Asie  :  Eomène  les  demandait  en  ré- 
eompense  de  ses  services.  Les  Rbodiens 
plaidèrent  leur  cause  dans  un  langage 
qui  prouve  combien  ils  se  faisaient  illu* 
sioo  sur  le  caractère  et  les  conséquences 
des  événements  qui  s'accomplissaient 
alors,  et  auxquels  ils  avaient  pris  une  si 
^ode  part.  «  La  fin  que  vous  marquez 
a  vos  actions ,  dirent  les  députés  de 
Rhodes  pariant  dans  le  sénat ,  est  bien 
autre  que  oelle  du  reste  des  hommes, 
^'ordinaire ,  ils  ne  se  jettent  dans  les 
guerres  que  pour  conquérir  et  gagner 
des  filles,  des  munitions  et  des  flottes. 
Les  dieux  vous  ont  épargné  cette  néces* 
site  en  plaçant  Funivers  sous  votre  obéis- 
sance. De  quoi  donc  avez  vous  besoin.' 
De  quoi  vous  fout-il  maintenant  avoir 
le  plus  de  soin?  De  cette  gloire,  de 
cette  renommée  universelle  qu'il  est  d 
difficile  d'acquérir  et  plus  encore  de 
conserver.  Vous  allez  reconnaître  ce  que 
nous  vous  disons;  vous  avez  combattu 
Philippe,  vous  avez  tout  bravé  pour  ren- 
dre la  liberté  aux  Grecs  :  tel  a  été  votre 
but,  telle  a  été  la  récompense  que  vous 
TOUS  êtes  promise  de  cette  expédition  ; 
il  D'y  en  avait  pas  d^autre,  et  cependant 
TOUS  en  avez  plus  joui  que  de  tous  les 
tributs  imposés  aux  Carthaginois.  Cela 
est  très-naturel  :  l'argent  est  une  pro- 
priété commune  à  tous  les  hommes; 
mais  la  réputation,  les  hommages,  la 
louange,  ne  sont  faits  que  pour  les  dieux 
et  ceux  qui  leur  ressemblent.  Oui,  votre 
oeuvre  la  plus  belle  a  été  l'affranchisse* 
ment  des  Grecs.  Si  vous  la  complétez 
aujourd'hui,  cette  œuvre,  Tédifice  de 
votre  renommée  est  à  jamais  élevé  ;  si- 
oon ,  Totre  gloire  sera  bientôt  abaissée. 
Sénateurs,  après  avoir  participé  à  cette 
entreprise  et,  avec  vous,  soutenu  pour 
la  poursuivre  de  grands  combats,  bravé 
de  Téritables  périls,  nous  ne  voulons  pas 
aujourd'hui  trahir  le  devoir  d'un  j^uple 
ami.  Aussi  nous  n'avons  pas  cramt  en 
effet  de  vous  dire  franchement  la  con- 
duite que  nous  croyons  la  seule  vrai- 
oient  di^e  de  vous,  nous  l'avons  foit 
sans  arrière-pensée,  en  hommes  qui  ne 
mettent  rien  au-dessus  de  ('bon- 
néte  (1).  »  Ce  discours  parut  digne  de  la 


grandeur  romaine,  dit  Tite*Live,  et  les 
villes  grecques  qui  avaient  été  tribu- 
taires d'Antioehus  furent,  conformé- 
ment aux  vœux  des  Rhodiens,  déclarées 
libres.  Peu  s'en  fallut  que  les  Rhodiens 
n'obtinssent  aussi  la  liberté  de  Soles,  ville 
de  Cilide ,  quMIs  disaient  être ,  comme 
eux ,  une  colonie  d'Argos.  Le  sénat  pa- 
raissait disposé  à  leur  accorder  tout  ce 
qu'ils  voulaient,  pourvu  que  cela  fût 
préjudiciable  à  Antiochus,  et  il  fut  même 
sur  le  point  de  contraindre  ce  prince  à 
évacuer  toute  la  Cilicie. 

Après  avoir  vaincu  Antiochus,  les  Ro- 
mains châtièrent  les  Êtoiiens,  qui  avaient 
appelé  ce  prince  en  Gtèce.  Quoique  le 
cnatiment  fût  mérité,  Rhodes  voyait 
avec  regret  un  peuple  grec  frappé  par 
les  Romains.  Cétait  un  précédent  fâ- 
cheux ,  et  qui  faisait  concevoir  des  in- 
quiétudes pour  l'avenir.  Les  députés 
rhodiens  travaillèrent  très-activement  à 
faire  conclure  un  traité.  Ils  parurent  au 
camp  de  Fulvius,  qui  assiégeait  Ambra- 
cie  (1),  et  désarmèrent  son  courroux.  Le 
consul  permit  aux  Étoliens  d'envoyer  à 
Rome  aes  députés,  pour  qui  les  Rhodiens 
obtinrent  une  audience  du  sénat.  Néan- 
moins, le  peuple  étolien  fut  traité  avec 
rigueur,  et  il  n'}[  eut  aucun  peuple  grec 
qui  ne  pût  prévoir  que  le  sénat,  qui  n'é- 
tait encore  qu^un  protecteur  et  un  allié, 
deviendrait  nientdt  un  maître  impérieux. 

Conduite  équivoque  des  Rho- 
diens PENDANT  LA  OUBBBB  CONTHB 

Pebsbb.  —  Les  Rhodiens  ne  devaient 
pas  tarder  à  en  faire  Texpérience.  £n 
leur  donnant  la  Lycie,  le  sénat  leur  avait 
fait  un  cadeau  embarrassant.  Les  Ly- 
ciens  n'obéissaient  qu*à  contre-cœur,  et 
Rhodes  se  fatiguait  à  les  faire  obéir. 
Enfin  des  députés  de  Xanthe,  capitale 
de  la  Lycie,  vmrent  à  Rome  se  plaindre 
au  sénat  de  la  tyrannie  des  Rhodiens , 
qui  était  beaucoup  plus  cruelle,  disaient 
ils,  que  celle  d^Antiochus.  Les  Rho- 
diens s'aperçurent  alors  qu'ils  étaient 
à  leur  tour  justiciables  de  cette  juridic- 
tion du  peuple  romain  qu'ils  avaient  in* 
voquée  autrefois  contre  Philippe  et  An* 
tiochus.  Le  sénat  écoutait  toujours  les 
plaignants;  d'ailleurs  les  Rhodiens  ne 
montraient  plus  le  même  zèle ,  ils  fal- 


(i)Poljb.,XXII,6;Tite-Live,XXXyiI,  54. 
■  AptamagnitudiQÎ  ronans  oratio  visa  e«t.  » 


(i)Polyb.,XXII,  xs^Tite-Uve  XXXTin» 


10. 


IM 


LiniIVEllS. 


MrieitdesaTaiiMfl  IPeMée^roifte  Ma? 
eédoine,  mtoosavar  àê  Philippe  Ili.  Lt 
8éoat  lança  contre  eu  un  déevet  sévèra, 
fui  leof  enjoignait  de  traiter  lea  Lydeoa 
en  alliéa  et  non  pas  en  sujets  (1).  Ceui-d, 
enhardis  par  cette  proteetion,  eu  se  ma-* 
niiBstait  l'intention  d*huniilier  les  Rho« 
dienSf  prirent  les  armes  pour  seeouer  le 
joug.  Polybe  avait  raconté  cette  guerre 
dans  les  parties  perdues  de  son  histoire. 
Ttte-Live  se  contente  d'y  fiiirs  allusion, 
et  de  dire  que  les  Lyeiens,  aeeahlés  par 
Rhodes,  eurent  de  nouveau  recours  à 
l^nterrentien  protectnee  du  sénat  (3) 
(lldav.  J.-C.). 

Lea  Rhodiens  commençaient  donc  à 
Revenir  suspects  au  moment  où  éclata  la 
guerre  contre  Persée  (172).  Eumène 
avait  été  seul  à  provoquer  cette  guerre, 
que  les  députés  rhodiens  eieayèrent  vai- 
aernenl  de  détourner,  parce  qu'ils  com- 
mencent à  comprendre  que  Rome  était 
devenue  plus  redoutable  que  ne  l'avait 
jamais  été  la  Maoédohic  (S).  Cette  atti- 
tude nouvelle  prise  par  les  Rhodiens , 
«nii  autrefois  avaient  montré  tant  d'ar- 
oeur  contre  Philippe  et  Antiochus,  ins- 
phpa  quelque  Inquiétude  au  sénat,  et 
donna  des  espérances  à  Persée.  De  part 
et  d'aqtre  on  envoya  des  députés,  le 
sénat  pour  maintenur  Rhodes  dans  son 
alliance,  Persée  pour  l'entratuer  dans 
la  sienne.  Quoique  renthouslasme  qu'a- 
valent inspiré  autrefois  les  Romains  fût 
bien  refixndi,  cependant  les  magistrats 
rhodiens  hésitaient  à  se  jeter  £ins  un 
nouveau  parti,  et  le  prytaneHégésiloque 
montra  aux  légats  une  flotte  de  quarante 
vaisseaux  prête  h  combattre  pour  le  ser- 
vice de  Rome.  D*un  autre  cdté,  on  reçut 
les  ambassadeurs  de  Persée  avec  dis- 
tinction; mais  on  fit  répondre  à  oc 
prince  qiie  dorénavant  il  s'absttnt  de 
rien  demander  qui  exposât  |es  Rho- 
diens à  paraître  contraires  aux  désirs  de 
Rome  (4). 

C'était  ce  qu'il  y  avait  de  mieux  à 
f^ire,  et  les  prytanes  travaillèrent  de  tout 
leur  pouvoir  à  maintenir  la  république 


(i)Tite-Livc,  XLI,  6;  Polyb.,  XXVI,  7  et 
Miiv. 

•    (a)  Tit€-Live,  XLT,  a5. 

(3)  Tile-Live,  XLH,  14,  a6. 

(4)  Poly b. ,  XXVII,  3, 4;  Tite-Iive,  ILII, 
45, 46. 


dans  oetle  voie  ;  mais  dans  tout  Étrt  libn 
il  se  trouve  toujours  des  hommec  am« 
hitieux,  qui  ne  sont  pas  aux  affaires,  ^ 
veulent  y  parvenir,  et  qui  poussent  le 

Suple  ou  côté  où  il  leur  ptalt  de  le 
ire  aller.  Dinon  et  Polyarate  se  mirent 
k  la  tête  du  parti  hostile  aux  Romains. 
IjC  cfael  de  la  flotte  ronaaine,  ftpurtui 
liUcrétius,  avait  ésritauiRhodiens  pour 
leur  demander  des  vaisaeaux  (171). 
Dinon  et  Polyarate  essayèrent  de  faire 
refuser  le  eontingent;  liiais  le  pryians 
Stratoelès  réussit  à  obtenir  dans  raaseoh 
Uée  du  peuple  la  sanction  du  déevel  qui 
ordonnait  renvoi  des  vaisseaux.  «  Ûu 
reste,  dit  Polybe,  ces  deux  haoïmei 
n'étaient  si  lélés  pour  Persée  «e  parée 
que  Polyarate,  homme  vain  et  mstucox, 
avait  engagé  tous  ses  biens ,  et  quf  Di- 
non, avare  sans  pudeur,  avait  tonjoun 
lait  métier  de  s'enrichir  dies  largassoa  des 
sois  et  des  puissants  (1).  »  A  la  fia  dt 
cette  campagne,  Persée  envoya  Antéaor 
à  Rhodes  pour  traiter  du  rachat  des 
prisonniers.  Les  magistrats  ne  voulaient 
aucune  relation  avec  ce  prince;  Diaoa 
et  Polyarate  étaient  de  l'avis  contraire  : 
ils  l'emportèrent,  et  l'on  convint  do  la 
mnqon  des  captifîi. 

Cétait  un  échec  grave  pour  le  parti 
romain.  Cette  décision  indiquait  la  ten- 
dance des  Rhodiens  à  se  rapprocher  d# 
la  Macédoine.  Cependant  le  sénat  nt 
s'en  plaignit  pas ,  renouvela  l'ailianoe  et 

Sermit  aux  Rhodiens  d'exporter  des  blés 
e  Sicile  (2).  Dans  ce  temps-la  parut  un 
décret  du  sénat  qui  prescrivait  aux  alliés 
grecs  de  ne  plus  ooéir  désormais  aux 
ordres  des  généraux,  mais  seulement  aux 
sénatus-consultes.  Cette  mesure  excita 
une  grande  joie  en  Grèce ,  où  l'on  souf- 
frait déjè  neaucoop  des  exactions  des 
consuls  et  des  préteurs  romaina  ;  les 
Rhodiens  y  applaudirent ,  et  le  parti  ro- 
main s'en  trouva  fortifié.  Profitant  de 
ces  bonnes  dispositions ,  les  magistrats 
firent  envoyer  une  députation  à  Marcius 
Philippus  et  à  Cafus  Figulus,  qui  corn- 
mandaient  cette  année-là  l'armée  et  la 
flotte  envoyées  contre  Persée  (160).  Ldcs 
deux  généraux  reçurent  les  députes 
avec  les  plus  grandes  démonstrations 
d'amitié.   Le  consul,  prenant  à  paît 

^    (i)Polyb.,  XXVII,7. 
{7)  Id.,  XKVIII,  a. 


ILE  DE  RHODES. 


wr. 


Apâptiit,  ékêt  de  l'ambatMMlo,  ko  di| 
qvll  t'étaonait  que  Rhode»  R^estavât. 
pai  d'enpéeher  la  guerre  qui  venait  aé« . 
dattr  entif  Ptolémée  et  Antioebus,  aa 
siyet  de  la  Galé-8]rvie«  et  que  ee  y^le 
lui  eenfenait  parfuteroent*  Pourquoi 
«tte  iosinuatioD?  ae  demande  Polybe. 
Atait-aa  |Nur  eraiute  d'Àntioehus,  avee  le* 
qud  en  Youlait  éviter  toute  oouteatatîon 
tiat  qu'eç  aurait  eucore  Peasée  aur  les 
bras,  ou  pour  entrataer  leaRhodieDt 
à  quelque  foute  dont  cm  profiterait  eoo- 
irt  iaur  liberté  ?  U  n'eat  paa  faetle  de  le 
iiéuiler,  ajeute-t-il  ;  mais  je  eroia  la  ae* 
titane  aoppoaition  piua  vraie,  et  ee  qui  ae 
pina  peu  aprèa  a  Rbodea  aerable  la 
oenfinner  (1). 

£a alfet «  envoyant toua  lea  méwatte- 
laiBli  dont  09  uaait  à  leur  énrd ,  Tee 
Rbodiena  eriuent  que  lea  RemaiBS 
anieat  peur^  et  qoe  leure  affairée  al^ 
liient  iiial..£neauia9é8  fiar  la  résiatanee 
ioMpérée  de  Peraée,  qui  depula  quatre 
aai  toutenait  la  guerre  aana  oea^vantaM» 
mtéi  par  I^non  et  Polyarate*  dont  m 
(liieouri  étatenl  aana  eeaae  dirigea  eon-^ 
tn  lei  Romains ,  aprèa  avoir  intervenu 
(iani  la  querelle  dea  roîa  d*£gypte  et  de 
Syrie,  ils  a'aveuglèrent  au  point  de  a'é- 
ngeren  arbitrée  entre  lea  Romalna  et 
fenée.  Lea  partisane  de  Rome  ne  pu« 
reat  arrêter  ce  mouvement  Lea  amia  de 
l^ttiée  eurent  le  deaaua ,  ils  reeurent  lee 
onbanadeurs  de  ee  prinee  et  ae  son  al- 
lié Gentiua,  roi  d'IUyrie ,  et  firent  déoi* 
der  dans  rassemblée  du  peuple  qu'on 
«égoeierait  on  aeoommodement  entre 
1m  deui  puissaneea,  et  qu'on  prendrait 
du  meaurea  pour  garantir  1  indépen- 
dance dea  villes  greequea  (3).  Une  am« 
wade  partit  à  Tinstant  pour  Rome,  afin 
(Tinforiner  le  sénat  des  nouvelles  dlspo- 
sitioos  du  peuple  rhodien.  D'autres  dé- 
pQtéi  lurent  envoyée  à  Peraée  et  à  Gen* 
jus,  avee  dea  instruetionsayant  peur  but 
M  létabliaaement  de  la  paix.  On  aavait  à 
Heaie  Tobjet  de  rambaaaade  ^bodlenne  ; 
^  lui  fit  attendre  l'audienoe  du  aénat,  et 
jUt  ae  iiit  reçue  qu'après  la  dé&ite  d» 
^•iséaà  Pydna.  Lea  députés,  dont  le  ebef 
w  A^éaipolia,  dirent  qu'ils  étaient  ve*^ 
DOS  afin  de  terminer  la  guerre;  que 

(0  P*lyb.t  XKTin,  14. 

W  Poljfb.,  XXIX,  4;  Tito-Llve,  XUV, 
t4,a9;XLV,  3. 


les  Rbedtena  avaient  réaehi  dlnterveQir« 
parce  que  eette  lutte,  qui  traînait  eu  lon- 
gueur, était  également  fuaeatu  pour  toua 
lee  Oreœ  et  peur  lea  Romaine,  par  les  dé- 
penses qu'elle  oeeaaioonait,  et  que  la 
guerre  étant  terminée  comme  lea  Rbo- 
diena le  déeiraient,  ila  n'avaient  qu^à  té* 
moigner  eombien  ila  ae  rejouîasaient  ^vec 
Rome  de  cet  beureui  auoeèa  (1).  Mais  le 
qénat  ne  selaissa  pas  prendreà  eea  demie- 
rea  paroles  ;  il  répondit  aux  députés  que 
Rbodea  n'avait  en  vu^  dana  sa  conduite 
ni  l'intérêt  de  la  Grèce ,  ni  ee}ui  dea 
Romains^  maie  bien  celui  de  Persée, 
et  an  congédia  aéebement  l'ambassade. 
Modes  était  tombée  dans  une  disgidee 
oemplète  et  bien  méritée.  On  ne  vqulut 
pas  recevoir  au  aénat  la  députation  en- 
voyée pour  félieiter  le  peuple  romain 
de  aa  victoire  sur  le  Maoédomei  eu  lui 
refusa  lea  présenta  d'usage  et  le  logement 
dana  la  Orécostase,  en  un  mot  toua  lea 
devoirs  de  l'hospitalité.  Le  préteur  Jm<* 
ventiua  Thalna  exeiteit  le  peuple  à  dé- 
clarer la  guerre  à  Rbodea ,  et  il  espérait 
en  être  chargé.  Maia  les  tribune  Ante- 
nius  et  Pomponlua  firent  repousser  cette 
pvopoeition,  et  obtinrent  que  lee  Rbo- 
diens  seraient  reçue  dana  le  sénat. 
Quand  il  eut  obtenu  la  permission  do 
parler,  Astymède ,  chef  de  l'ambasaade , 
prononça  une  longue  apologie  de  la  con- 
duite de  ea  patrie,  que  Polvbe  trouve  ma- 
ladroitement composée ,  bixprre  et  cbo- 
queute;  car  eette  oéf(Mise,  dit«il,  se  corn* 
posait  bien  moins  d'arguments  en  faveur 
des  Rliodieos  que  d'accusations  contre 
autrui  (S).  Maia  le  diaeours  d'Astyroède 
ne  se  trouve  pas  dans  Polybe.  On  voit 

(1)  Polyb.,  XXIX,  9«  Tita-Live  raconta 
une  première  réception  de  eette  ambuMule , 
L  Xil¥,  14,  avant  U  défaite  de  Peraée;  maia 
an  livre  XLV»  oh.  m,  il  pvrait  reveoir  au. 
aentiment  dé  Polybe,  qui  rejette  raudience 
après  la  bataille  de  Pydna.  Le  langage  quUl 
préteam  députés  Rhédiens  est  bursde  vrai- 
lenibhmee.  Lear  démaiehe  était  déjà  bien 
asses  compromettanie-par  elle-même  sans 
qu'ils  y  joignissent  encore  rinsolcnce  do  lan- 
gage. Tite*Live  aura  puisé  ee  récit  k  de  mau- 
valses  sources.  Le  témoignage  de  Polybe  est 
de  beaucoup  le  meilleur  pour  tous  ces  temps, 
et  ordinairement  Tite-LiVe  ne  fiit  qoe  le  re* 
produire. 

(e)  Tite-Ihe,  XLT,    ai^ee;    Myb.; 


13S 


LIDniVERS. 


dans  celui  aaeTite-Livelai  attribue  qu'il 
essayait  d'établir  que  Rome  n*avait  au- 
cun acte  hostile  à  reprocber  aux  Rho* 
diens ,  que  si  le  langage  de  l'ambassa- 
deur chargé  de  proposer  au  sénat  leur 
médiation  a  été  assez  hautain  pour  dé- 
plaire ,  il  serait  trop  rigoureux  de  le  pu- 
nir par  la  ruine  entière  de  la  république; 
que  les  fautes  de  Dinon  et  de  Polyarate 
ne  sont  pas  celles  de  la  cité  tout  entière  ; 

aue  les  Rhodiens  sont  d'anciens  alliés , 
ont  les  services  peuvent  racheter  une 
erreur  passagère ,  et  que  si  Rome  veut 
leur  ûure  la  guerre,  ils  sont  bien  ré- 
solus à  ne  pas  se  défendre  et  à  se  rési- 
gner (1). 

Cependant  rien  n'apaisait  le  courroux 
du  sénat;  maisCaton  le  censeur  prit  la 
parole  en  faveur  des  Rhodiens.  «  On  ac- 
cuse, dit-il,  les  Rhodiens  de  se  montrer 
trop  orgueilleux.  C'est  un  défaut  sans 
doute,  et|eserais  fâché  d'entendre  faire  ce 
reproche  a  moi  ouaux  miens.  Mais  que  les 
Rhodiens  soient  orgueilleux,que  vousim- 
porte?  seriez- vous  blessés  de  voir  qu'il 
y  a  au  monde  un  peuple  plus  orgueilleux 
que  vous  (2)?  »  Caton  était  un  homme 
d'une  grande  éloquence  et  d'une  grande 
autorité ,  sou  discours  modifia  les  dis- 
positions du  sénat  :  on  se  contenta  d'a- 
baisser les  Rhodiens,  on  ne  les  détruisit 
pas.  Quand  ils  surent  qu'on  ne  les  trai- 
terait pas  en  ennemis,  les  Rhodiens  res- 
sentirent la  joie  la  plus  vive  ;  ils  votèrent 
l'envoi  d'une  couronne  de  dix  mille  piè- 
ces d'or,  qu'ils  firent  porter  à  Rome  par 
Théétète,  à  la  fois  amiral  et  ambassa- 
deur. Théétète  était  chargé  de  conclure 
avec  les  Romains  un  traité  d'alliance. 
Des  liens  d'amitié,  dit  Tite-Live,  avaient 
existé  depuis  longtemps  entre  les  deux 
lépubliques,  sans  stipulation  d'aucun 
genre ,  et  Rhodes  n'avait  eu  pour  s'abs- 
tenir de  tout  engagement  d'autre  motif 

(i)  On  ne  voit  pas  ce  qu'il  y  a  de  si  bi- 
carré et  de  si  choquant  dans  ce  discours.  U 
est  évident  que  ce  n'est  pas  l'original  dont 
Poljbe  fait  une  si  amère  critique. 

(a)  Ce  discours  de  Caton  se  trouvait  en  en- 
tier dans  le  cinquième  Hvre  de  ses  Origine*» 
Aulu-Gelle  nous  en  a  conservé  de  beaux  Crag» 
ments  dans  un  chapitre  où  il  réfute  fort  sen- 
sément la  critioue  de  ce  discours  par  Tullius 
Tiron,  affranchi  de  Cieèron.  Aid^eU.|  Noçi. 

AH^  vn,  S. 


que  de  ne  pas  dter  aux  rois  respéranee 
d'être  secourus  par  elle  au  besoin ,  et 
de  ne  pas  se  priver  ellennéme  des  fruits 
de  leur  générosité ,  et  d'une  pari  à  leur 
fortune.  En  ce  moment  les  Rhodiens  se&> 
taient  le  besoin  de  rechercher  formelle- 
ment l'alliance  des  Romains  non  pour  se 
créer  un  appui  vis-à-vis  des  autres,  car 
ils  ne  craignaient  plus  que  les  Romains, 
mais  pour  devenir  moms  suspects  aux 
Romains  eux-mêmes  (1). 

Le  sénat  ne  se  hâta  pas  de  rassurer 
les  Rhodiens  par  la  concession  d'une 
alliance  définitive.  Il  valait  mieux  pro- 
longer cet  état  u^inoertitude  ei  d'angois- 
ses, pendant  lequel  Rhodes,  toujours 
tenue  dans  la  crainte;  du  plus  grand  châ- 
timent, était  insensible  aux  coups  dont 
on  la  frappait.  A  toutes  1^  ambassades, 
à  toutes  les  supplications  aes  Rhodiens, 
le  sénat  réponuait  par  des  ^ts  de  spo- 
liation. Non-seulement  on  leùjrenle  va  la 
Lycie  et  la  Carie ,  que  Rome  leur  avait 
données,  mais  encore  Caune  et  Stra- 
tonicée,  qu'ils  avaient  acquises  d'eux- 
mêmes.  On  frappa  leur  revenu  dans  ses 
principales  sources  ;  on  leur  ôta  la  per- 
ception du  péage  du  marché  de  Délos; 
leurs  douanes,  qui  rapportaient  un  mil- 
lion de  drachmes,  tombèrent  à  cent  cin- 
quante mille.  Enfin ,  quand  on  sut  que 
les  Rhodiens  avaient  obéi  à  tous  les  or- 
dres du  sénat ,  qu'ils  avaient  condamné 
à  mort  les  partisans  de  la  Macédoine , 
on  leur  accorda  le  traité  d'alliance  tant 

désiré(3)(167av.J.  O- 

Telle  fut  l'issue  de  ce  fâcheux  déniélé 
des  Rhodiens  avec  Rome,  la  perte  de 
leurs  plus  belles  possessions  sur  le  con- 
tinent, l'humiliation  de  leur  cité ,  et  un 
commencement  de  sujétion.  On  pour- 
rait être  tenté  de  plaindre  les  Rhodiens, 
mais  il  ne  faut  pas  les  croire  dîmes 
d'un  meilleur  sort.  Il  n'y  avait  rien  dans 
ce  mouvement  contre  Rome  qui  ressem- 
blât à  ces  grandes  et  généreuses  tenta- 
tives d'un  peuple  qui  voit  la  servitude 
s'avancer  vers  lui  à  grands  pas  et  qui  se 
dévoue  pour  la  repousser.  Ce  ne  fiit 
qu'une  ridicule  intri^e,  tramée  par  des 
misérables,  qui  n'agissaient  que  par  -^ 


(x)  Tile-Iive,  XLV,  a5,  a  empniolé  ces 
rcfiexions  à  Polvbe,  1.  XXX,  5.  qu'il  ne  lait 
ici  que  Uvdoire. 

(9)  Pol^b.,  XXXI,  6, 


ILE  DE  RHODES. 


129 


nité  et  pour  desordides  intérêts.  Cestœ 
oue  Poiybe  fait  parfaitement  compren* 
ire  daDs  une  a|)préeiation  calme  et  éle- 
vée de  la  conduite  et  des  sentiments  de 
tous  les  chefs  grecs  qui  se  comnromi- 
reat  vis-à-vis  des  Romains  penaant  la 
guerre  contre  Persée.  Dans  ce  beau 
fragment  de  son  Histoire^  il  montre  Di- 
non  et  Polyarate ,  qu*un  certain  pres- 
tige de  courage  et  d'audace  avait  en- 
tourés jusque  là ,  s'abaisser  pour  sauver 
leur  vie  à  toutes  sortes  de  subterfuges 
et  de  bassesses,  et  se  dépouiller  aux  yeux 
de  la  postérité  de  tout  droit  à  la  pitié 
et  au  pardon.  Qu*on  ne  dise  pas  que 
Poiybe,   ami   de    Scipion  l'Africain, 
comblé  de  faveur  à  Rome ,  ait  voulu 
poursuivre  jusqu'à  la  mémoire  de  deux 
nommes  qui  avaient  encouru  la  colère 
du  peuple  romain,  puisqu'il  rend  un 
si  bel  nommage  à  la  noble  résolution 
des  chefs  épirotes,  qui  dans  une  situation 
semblable  surent  mourir  résolument 
les  armes  à  la  main.  Poiybe  est  l'ami  des 
Romains ,  il  n'en  est  jamais  le  courti- 
san. «  Si  j'ai  insisté  si  longtemps  sur  Po* 
ijarate  et  Dinon ,  dit-il  en  terminant,  ce 
n'est  pas  certes  qne  j'ai  prétendu  insul- 
ter à  leur  malheur;  rien  ne  serait  plus 
iueoDvenant.  Mais  j'ai  voulu  mettre  en 
évidence  leurs  erreurs ,  afin  de  préparer 
ceux  qui  se  trouveraient  dans  descircons^ 
tances  pareilles  à  se  conduire  avec  plus 
de  prudence  et  de  sagesse  (1).  >  Dans 
toat  ce  morceau ,  Poiybe  n'a  tort  qu'en 
na  seul  point,  c'est  quand  il  reproche 
au  deux  malheureux  dont  il  juge  les 
actions  de  n'avoir  pas  su  échapper  à 
Tinfamie  par  une  mort  volontaire.  Sans 
doute  ce  n'est  pas  toujours  par  courage 
qu'on  recule  devant  le  suicide  ;  mais  il 
importe  de  ne  pas  laisser  croire  aux 
hommes,  et  Poiybe  aurait  dû  le  savoir, 
que  c'est  un  acte  de  vertu  que  d'y  avoir 
recours  (2). 

Etat  de  Rhodes  apbès  la  sou- 
MTssiOR  DE  LA  MACÉDOinB.  —  Sor- 
ti» eoGn  de  cette  rude  épreuve,  les 
Hhodiens  comprirent  qu'il  fallait  se  re- 
lier à  voir  la  souveraineté  du  monde 

(0Polyb.,XXX,6,9. 

(i)  En  géDéral,  les  historiens  anciens  re- 
Sinleiit  le  suicide  comme  une  action  légitime, 
et  ils  ne  le  blâment  jamais.  Fox-  I>iod.  Sicul. 
l-iiXVII,  «7  ;  Cic,  Sp»  ad  Fmi,,  YU,  3. 

9*  Ucraitom,  (  Ile  de  Rhodes.) 


passer  entre  les  mains  de  Rome;  ils 
consentirent  à  vivre  paisibles  à  l'ombre 
de  la  protection  romaine,  en  restant 
fidèles  a  l'alliance  oui  leur  avait  été  im- 
posée, heureux  de  conserver  encore 
quelque  liberté  d'action  dans  la  sphère 
de  leurs  intérêts  commerciaux  et  jusqu'à 
un  certain  point  dans  leurs  relations 
politiques.  Grâce  à  la  sagesse  de  ses 
magistrats ,  Rhodes  se  remit  peu  à  peu 
de  ses  malheurs,  et  regagna  la  faveur  du 
peuple  romain,  à  qui  elle  fit  élever  un 
colosse  de  trente  coudées  dans  le  tem- 
ple de  Minerve.  Elle  obtint  du  sénat  la 
concession  de  Calyoda,  et  pour  ceux 
qui  avaient  des  propriétés  en  Lyoie  et 
en  Carie  l'autorisation  de  les  conserver 
aux  mêmes  conditions  qu'autrefois.  Les 
Rhodiens  se  réconcilièrent  avec  Eu- 
mène,  qui  avait,  comme  eux,  obtenu  dif- 
ficilement son  pardon,  et  ils  en  reçurent 
un  présent  de  quatre-vingt  mille  médim- 
nes  de  blé  (1).  Quelque  temps  après  une 
guerre  acharnée  éclata  entre  les  Cretois 
et  les  Rhodiens.  Ceux  -  ci  demandèrent 
du  secours  à  la  ligue  achéenne.  Les  Cre- 
tois en  firent  autant  ;  l'assemblée  pen- 
chait pour  les  Rhodiens,  mais  Calli- 
crate,  le  chef  du  parti  romain  en 
^chaîe ,  s'écria  qu'on  ne  devait  ni  faire 
la  guerre  ni  envoyer  du  secours  à  qui 
que  ce  fût  sans  l'agrément  des  Ro- 
mains (3).  Cette  guerre  était  ruineuse 
pour  Rhodes,  qui  en  confia  la  conduite  à 
des  chefs  malhabiles.  Il  fallut ,  bon  gré 
mal  gré ,  recourir  aux  Romains  pour  en 
être  débarrassé.  Astvmède  fut  envoyé 
à  Rome,  exposa  au  sénat  la  situation  des 
affaires.  Le  sénat  prêta  à  ses  discours 
une  sérieuse  attention,  et  aussitôt  un 
légat  partit  pour  mettre  un  terme  aux 
hostilités  (S)  (154  av.  J.-C). 

Les  Rhodiens  bésistent  a-  Mi- 
THBiDATE.  —  Au  tcmps  dc  Mithridato 
les  Grecs  d*Asie  et  d'Europe  firent  une 
dernière  tentative  ^our  secouer  le  joug 

(i)Polyb.,XXXI,  17. 

(a)Id.,  XXXm,  x5. 

(3)  Id.,  XXXin,  z4,  ne  désigne  ce  lé- 
gpt  que  par  son  prénom  de  Quinius.  Celte 
guerre  de  Crète  est  le  dernier  des  renseigne- 
ments fournb  par  ce  précieux  auteur  sur  1  his- 
toire de  rite  de  Rhodes,  Cf.  Diod.  Sicnl., 
XXXI,  38,  43.  y'ojrez  sur  cette  guerre  Tar- 
tîcle  de  la  Crète  dans  ce  volume. 

9 


130 


L'UNIVERS- 


des  Romains.  Les  Rbodiens  ne  cédèrent 
pas  à  Tentraînement  général,  et  se  con- 
duisirent en  alliés  fidèles  et  dévoués.  Ils 
donnèrent  asile  à  un  grand  nombre  de 
Romains  échappés  au  massacre  ordonné 
par  le  roi  de  Pont,  et  entre  autres  à  Lu* 
cius  Cassius,  proconsul  d^Asie  (88).  Mi- 
thridate  résolut  de  réduire  les  Rbodiens, 
qui  presque  seuls  lui  résistaient.  li  réu* 
nit  une  flotte  considérable,  et  passa  dans 
nie  de  Cos.  Les  Rbodiens  sortirent  au* 
devant  de  lui  avec  courage.  Mais  Finé- 
^lité  du  nombre  était  si  grande ,  que 
tout  ce  que  put  faire  Tnabileté  des 
Kbodiens,  ce  fut  d^empécber  la  flotte  de 
Mitbridate  de  les  envelopper.  Rentrés 
dans  leur  port,  sans  grandes  pertes ,  ifs 
le  fermèrent  avec  des  cbatnes,  détrui* 
sirent  les  faubourgs  de  la  Tille,  et  s'ap- 
prêtèrent à  soutenir  un  siège. 

Cependant  Mitbridate  n'avait  pas  en- 
core ses  forces  de  terre.  Les  troupes  na- 
vales qu'il  débarqua  furent  battues  dans 
plusieurs  rencontres  autour  des  murs.  Le 
succès  de  ces  combats  enhardit  les  assié- 
gés à  tenter  une  bataille  navale.  Malgré 
leur  petit  nombre,  ils  furent  vainqueurs. 
Quelques  jours  après  Tarmée  de  terre 
arriva  ;  un  vent  violent  rendit  le  débar- 

3uement  dlfûcile,  et  permit  aux  Rbodiens 
e  couler  bas  plusieurs  navires  et  de  faire 
quatre  cents  prisonniers.  Mitbridate, 
ayant  toutes  ses  forces  de  terre  et  de  mer, 
tenta  l'attaque  des  deux  côtés.  Des  feux 
allumés  sur  le  mont  Atabyrius  donnè- 
rent le  signal  d'un  assaut  général ,  pen- 
dant la  nuit.  Les  Rbodiens  repoussèrent 
les  assaillants.  Une  sambuque  placée 
sur  deux  navires  s'approcha  aes  murail- 
les près  du  temple  d  Isis,  pour  les  battre 
en  brèche.  Mais  elle  s'affaissa  sous  son 
propre  poids,  et  devint  la  proie  des  flam- 
mes. Mitbridate  ne  pouvait  s'arrêter  plus 
longtemps  à  ce  siège,  qui  menaçait  ae  se 
prolonger  comme  celui  de  Démetrius  ;  il 
abandonna  l'entreprise ,  et  les  Rhodiens 
eurent  la  gloire  d'avoir  rendu  service 
aux  Romains  en  arrêtant  les  premiers 
ce  torrent  qui  s'était  répandu  sur  toute 
l'Asie  (1).  Bientôt  Syila  enleva  à  Mitbri- 
date toutes  ses  conquêtes ,  et ,  pendant 
qu'il  châtiait  rigoureusement  les  cités 
qui  s'étaient  données  à  lui,  il  renouvela 

(i)  Appian.»  De  Bello  Mithridatico,  aa-s;  ; 
Diod.  Sicul.,  XXXVII,  a8. 


avee  les  Rhodiena  l'aoeîea  traité  d'al- 
liance (1).  Les  Rhodiens,  bien  traités  par 
Sylla,  suivirent  son  parti  dans  la  guerre 
civile.  Norbanus,  l'un  des  chefs  du  parti 
populaire,  s'était  réfugié  dans  leur  tle. 
Le  peuple  s'assembla  pour  délibérer  sur 
son  sort,  et  Norbanus,  s'apercevant 
qu'on  allait  le  livrer,  se  poignarda  au 
milieu  de  la  place  publique  (2). 

Rhodes  pbh  dànt  ibs  guberks  ci- 
yiLBS  DB  RoMB.  --  Le  Signal  des  guer- 
res civiles  était  donné;  Rhodes  n^vait 
plus  à  choisir  entre  Rome  et  ses  enne- 
mis, mais  entre  les  partis  romains  qui  se 
disputaient  Tempire*  A  l'exemple  de  tous 
les  autres  insulaires ,  de  toutes  les  pro- 
vinces maritimes  de  l'Orient,  elle  fournit 
des  vaisseaux  à  Pompée ,  (49)  avant  la 
bataille  de  Pharsale.  Elle  lui  en  donna 
encore  pour  favoriser  sa  fuite  (8),  mais 
aucun  des  fugitife  du  parti  pompéien  ne 
fut  reçu  ni  dans  la  vifle  ni  dans  le  port; 
et  quand  César  poursuivant  Pompée 
arriva  dans  leurs  murs,  les  Rhodiens  le 
traitèrent  en  maître ,  et  mirent  leur  flotte 
à  sa  disposition  (4).  Les  vaisseaux  rho- 
diens, commandés  par  Euphranor,  suivi- 
rent César  en  Egypte,  et  y  combattirent 
avec  une  bravoure  et  un  dévouement 
auxquels  il  est  hautement  rendu  justice 
dans  le  livre  de  la  Guerre  d^  Atexandrie, 
Après  la  mort  de  César  (44)  les  troubles 
fecommenoèrent.  Le  monde  romain  se 
partagea  entre  ses  meurtriers  et  aes  ven- 
geurs. Rhodes  resta  fidèle  au  dernier 
parti ,  qu'elle  avait  embrassé;  et  auand 
Doiabella  passa  dans  llle  pour  aller  en 
Syrie  disputer  cette  province  à  Cassius, 
les  Rhodiens  contribnèrent  a  lui  former 
une  flotte  (5),  tandis  qu'ils  refusèrent  de 
fournir  des  vaisseaux  a  Cassius,  et  qu'ils 
repoussèrent  toutes  les  avances  qui  leur 
furent  faites  par  les  cbefe  du  parti  répu- 
blicain (6).  Cassius  jura  de  se  venger;  et  i 


(i)  Appian.,  B,  àiUhr,^  6i. 
(a)  Id.»  De  Bell,  Civil,,  1,91. 

(3)  Id.,  iè,i  II,  71,  83;  Caes.,  De  BeiL 
Civ»,  lUf  loa. 

(4)  Appian.,  iBiJ,,  Sg;  Hirt,  De  Betto 
Alex.,  x3. 

(5)  Appian.,  1.  IT,  c.  So,  Si. 

(6)  Forez  la  letire  an  propréleur  Leatuloi 
sur  tous  les  torts  des  Rhodiens  à  Tégard  m 
son  parti ,  dans  fai  oorrespondâiice  de  Gi*^ 
oéroD,  Ad  Pàm,,  XII,  t5. 


ILB  DE  BHQDES. 


fit 


fond  fl  «tt  wonaàê  la  S^e,  qn'il  eut 
mis  à  mort  Dolabella  dans  Laodieée,  il 
M  eoDoerta  avee  Bratiu ,  qui  se  chargea 
d'aller  châtier  les  Lydens,  tandis  qa'il 
derait  marcher  lai-méme  eontiie  les 
Rhodiens. 

SiSGB    ET   PB18B  1>B  RHODBS  PAB 

Cassius  (43).  —  Casshis  réunit  sa  flotte 
et  son  armée  dans  la  ?ille  de  Myndns  ea 
Garie,  et  il  exerça  ses  vaisseaux  à  la 
fflaneeuvre  avant  de  les  mener  contre  les 
Hbodiens,  qui  étaient  toujours  des  ma- 
nos  redoutables  (I).  «  Il  j  avoit  dans 
Rbedes  un  parti  qui  voulett  au'on  se 
womtt  à  Cassius.  iTétoit  celui  nés  plus 
sensés,  qui  trop  ordinairement  est  le 
plasûible.  Le  gros  de  la  multitude,  ani* 
mé  par  quelques  esprits  téméraires  et 
factieux,  pvétendoit  faire  résistance,  et 
M  doutoit  point  du  succès.  La  gloire  dé 
leurs  ancêtres  leur  en  répondoit  :  ils  se 
rappeloient  avec  eomplaisanoe  Démé- 
triuset  Mitbridate,  pnnœs  tout  autre- 
ment puissants  que  ne  Tétoit  Cassius, 
obligés  de  ae  retirer  honteusement  de 
derant  Rhodes.  Ils  persévérèrent  dana 
lette  résolution,  et  lorsque  Cassius  ap- 
procha, au  lieu  de  lui  promettre  satis- 
uetion,  ils  lui  firent  la  proposition  in- 
SBltante  d^attendre  les  ordres  dû  sénat 
siégeant  actuellement  à  Rome,  c'est-à- 
dire  les  ordres  des  triumvirs. 

«  On  peut  juger  de  quel  air  Cassius,  le 
plus  fier  des  hommes,  reçut  un  pareil 
discours.  U  n*y  répondit  que  par  des 
menaces ,  dont  les  Rhodiens  ne  furent 
pts  aussi  touchés  qu'ils  defoient  Fétre. 
Seulement,  ils  firent  une  tentative  pour 
le  fléchir,  en  lui  députant  Archélaûs , 
leur  eoneitoyen,  qui  avoit  été  son  mattre 
dans  les  lettres  grecques.  Car  Rhodes 
étoit  une  école  de  toutes  les  belles  con^ 
aaissances,  et  Cassius  y  avait  été  instruit 
pendant  sa  jeunesse.  Archélaûs  s^ac* 
quitta  de  sa  commission  de  la  manière 
la  plus  tendre  et  la  plus  pathétique.  Mais 
Cassius,  content  d'avoir  fait  beaucoup 
d'amitié  à  son  ancien  mattre,  demeura 
inexorable  sur  le  fond  de  la  chose.  11  fal- 
lut en  venir  aux  mains  :  et  lej  Rhodiens 
furent  assez  téméraires  pour  risquer  par 
deux  fois  le  combat  naval.  Dion  rapporte 
qu'ils  poussèrent  Tinsolence  jusqu'à  éta- 
ler aux  yeux  des  Romains  le»  chalaes 

(0  Appian.,  1,  IV,  65-74. 


S  l'As  leur  préparoient.  Mais  cet  excès  da 
lieetd'aveu^lementparoît  peu  vraisem- 
blable. Ce  qm  est  certain,  e'est  que  deux 
fois  vaincus  les  Rhodiens  s'opiniâtrèrent 
encore  à  soufifrhr  l'approche  des  troupes 
romaines ,  et  se  laissèrent  assiéger  par 
terre  et  par  mer.  Alors  néanmoins  ceux 
qui  vouloient  la  paix  prirent  le  dessus, 
et  commencèrent  à  négocier  avec  Fan* 
nius  et  Lentulus,  qm  commandoient 
l'armée  de  terre  des  assiégeants.  Mais 
pendant  qu'ils  parlementoient ,  CassiuSi 
qui  montoit  lui-même  sa  flotte ,  et  q«i 
geuvemoit  l'attaque  du  côté  du  port , 
parut  tout  d'un  coup  au  milieu  de  la 
ville  avec  un  nombre  de  sens  d'élite , 
sans  avoir  tait  brèche  à  la  muraille, 
sans  être  monté  à  Tesealade.  Les  poter* 
nés  du  cAté  de  la  mer  lui  avalent  été  ou« 
vertes  par  quelques-uns  des  prindpaux 
citoyens  de  Rhodes,  uni ,  frappés  de  la 
crainte  de  voir  leur  ville  prise  d'assaut , 
n'avoient  pas  cru  pouvoir  trop  se  hâter 
de  prévemr  un  tel  malheur. 

«  Un  mot  de  Cassius  sembloit  d'abord 
promettre  de  la  modération  .*  car  comme 
plusieurs  le  saluoient  des  noms  de  mat- 
tre et  de  roi,  il  rejeta  bien  loin  ces  ti- 
tres, en  disant  que  sa  plus  grande  gloire 
étoit  d'avoir  tué  celui  qui  avoit  oié  se 
faire  maître  et  roi  dans  Rome.  Lé  reste 
de  sa  conduite  ne  répondit  pas  à  ce  dé- 
but. Il  fit  ériger  un  tribunal  au  milieu 
de  la  place ,  et  planta  à  côté  une  pique, 
comme  un  signe  qu'il  prétendoit  traiter 
Rhodes  en  ville  prise  de  force.  Il  con- 
damna à  mort  et  fit  exécuter  en  sa  pré- 
sence cinquante  des  principaux  auteurs 
de  la  rébellion,  et  prononça  contre  vingt- 
cinq  autres,  qui  s  étaient' enfuis  ou  ca- 
chés, la  peine  du  bannissement.  Il  est 
vrai  qu'il  assura  au  reste  des  habitants 
la  vie  et  la  liberté ,  ayant  fait  défendre  à 
ses  troupes  sous  peine  de  mort  d'exercer 
aucune  violence  contre  les  personnes.  Il 
leur  interdit  de  plus  le  pillage;  mais  ce 
ne  fut  que  pour  piller  loi-même  cette 
tille ,  Tune  ues  plus  opulentes  de  l'Asie, 
car  il  mit  la  main  sur  tous  les  trésors 
et  sur  toutes  les  choses  de  prix  qui 
appartenoient  au  public ,  sans  épargner 
ni  les  offrandes  consacrées  dans  les  tem- 

Ê les,  ni  les  statues  mêmes  dès  dieux. 
;t  comme  les  Rhodiens  le  prioient  de 
leur  laisser  au  moins  quelqu'une  de  leurs 
divmités,  il  leur  répondit  qu'il  leur  iais- 

9. 


ist 


LimiVE&S. 


soit  le  soleil.  En  efiet,  il  ne  toacha  point 
BU  simalacre  ni  au  char  de  ce  dieu,  qui 
étoit  singulièrement  honoré  à  Rhodes. 
Mais  il  jouoit  sans  doute  sur  Fambiguîté 
de  cette  expression,  <jui  pouvoit  signifier 

3u'il  ne  leur  laissoit  que  la  jouissance 
e  la  lunnière.  £t  par  un  troisième  sens , 
que  l'antiquité  superstitieuse  a  remar* 
que ,  on  jugea  lorsqu'il  eut  été  réduit  à 
se  priver  de  la  vie  peu  de  mois  après  à 
Philippes,  qu'il  avait  en  parlant  ainsi  an- 
noncé lui-même  sa  mort  prochaine.  Cas* 
sius  publia  aussi  une  ordonnance  pour 
obliger  les  particuliers  à  lui  apporter 
tout  Foret  tout  l'argent  qui  étoient  dans 
leurs  maisons ,  avec  menace  du  dernier 
supplice  contre  les  désobéissants  et  pro- 
messe de  récompense  aux  dénoncia- 
teurs. Les  Rhodiens  ne  s'effirayèrent  pas 
beaucoup  d'abord,  et  crurent  qu'ils  pou- 
voient  cacher  leurs  trésors  sans  courir 
un  grand  risque.  Mais  lorsqu'ils  virent 
par  quelçpes  exemples  que  l'ordonnance 
s'ex&utoit  h  la  rigueur,  ils  connurent 

3u'il  &lloit  obéir;  et  Cassius  a^ant  tiré 
e  Rhodes  parées  différentes  voies  8,000 
talents  en  imposa  encore  600  à  la  ville 
par  forme  d'amende  (1).  » 

Après  le  pil^ge  de  cette  opulente  cité, 
Cassius  se  retira  chargé  de  butin ,  lais- 
sant dans  Rhodes  une  ^rnison  sous  le 
commandement  de  Lucius  Varus.  Cas- 
sius de  Parme,  qui  avait  aussi  trempé  dans 
le  complot  contre  César,  resta  en  Asie, 

Eour  surveiller  le  payement  des  contri- 
utions  dont  elle  avait  été  frappée.  A  la 
nouvelle  de  la  mort  de  Cassius,  crai- 
ffnant  un  soulèvement  des  Rhodiens,  il 
les  dépouilla  de  leur  flotte.  Il  s'empara 
des  trente  meilleurs  navires  ;  il  brûla  les 
autres,  excepté  la  galère  sacrée,  et  rejoi- 
gnit l'armée  navale  qui  croisait  sur  les 
côtes  de  la  Macédoine.  Brutus  envoya 
Clodius  avec  treize  vaisseaux  pour  con- 
tenir les  insulaires  exaspérés  de  tant  de 
mauvais  traitements  (2).  Mais  quand 
Brutus  eut  péri  à  la  seconde  bataille  de 
Philipi)es,  il  fut  impossible  à  Clodius  de 
contenir  les  Rhodiens,  et  il  partit  en  em- 
menant la  garnison,  qui  était  de  trois 
mille  légionnaires.  Il  rejoignit  Cassius 
de  Parme ,  Turulius  et  d'antres  chefs 
d'escadre  du  parti  vaincu,  qui  allèrent 

(i)  Rolliu,  Hùt.  Rom,,  t.  XV,  I.  XLIX. 
(a)  Appûm.,  Bell,  Civ.,  Y,  a. 


presque  tout  se  ranger  sons  leconHimn- 
dément  de  Sextus,  fils  du  grand  Pompée. 
Quelque  temps  après  Antoine  vint  en 
Asie  pour  replacer  cette  contrée  sous 
l'autorité  du  triumvirat.  Il  loua  les  Rho- 
diens de  leur  fidélité  à  sa  cause,  et  pour 
réparer  les  dommages  au'iis  avaient 
éprouvés  il  leur  donna  les  îles  d'Aadros, 
de  Tenos,  de  Naxos  et  la  ville  de  Myndus 
en  Carie.  C'était  un  riche  présent,  mais 
les  Rhodiens  n'en  eurent  pas  longtemps 
la  jouissance  ;  on  révoqua  cette  oonees- 
sion  pour  le  même  motif  gui  leur  avait 
fait  retirer  autrefois  la  Carie  etla  Lycie , 
c'est-à-dire  à  cause  de  la  dureté  de  leur 
administration  (1).  Antoine  les  avait 
aussi  exemptés  de  toute  espèce  de  tribut; 
il  leur  rendit  leurs  anciens  droits,  immu- 
nités et  privilé^,  et  replaça  la  cité  de 
Rhodes  sur  le  pied  d'État  liore,  allié  du 
peuple  romain  (3). 

ÉTAT  DE  RhODBS  SOUS  L'£MPIK£; 
BBDUCTION  BN  PBOYIlfGB  BOMAIlf  B.-^ 

Mais  la  liberté  n*était  plus  qu'un  vain 
mot  pour  tout  le  monde.  Sujets  ou  non, 
tous  les  peuples  de  l'empireromain  obéis- 
saient au  même  despotisme.  Qu'on  en 
juge  par  quelques  détails  conservés  par 
Suétone  sur  le  séjour  de  Tibère  dans  1  fie 
de  Rhodes  (8).  Tibère,  en  revenant  d^nne 
expédition  en  Arménie,  avait  séjourné 
quelque  temps  dans  cette  tle,  qui  lui  avait 
plu  singulièrement  par  la  douceur  et  la  sa- 
lubrité de  son  climat.  Lorsque,  entraîné 
par  les  caprices  et  les  jalousies  de  son 
ambition,  il  s'éloigna  de  Rome  et  <r Au- 
guste, ce  fut  rtle  de  Rhodes  qu'il  choisit 
pour  le  lieu  de  sa  retraite.  Il  habita  dans 
la  ville  une  maison  fort  modeste,  et  dans 
la  campagne  une  villa  qui  ne  Tétait  pas 
moins.  Il  vivait  comme  un  simple  ci- 
toyen, visitant  parfois  les  gymnasea  sans 
licteur  et  sans  viateur,  entretenant  avee 
les  Grecs  des  relations  de  politesse,  pres- 
que sur  le  ton  de  l'égalité.  Mais  s'il 
voulait  quelque  chose,  il  était  obéi  à 
l'instant  avec  tout  l'empressement  de  la 
servilité.  On  crut  un  jour,  par  une  sin- 
gulière méprise,  qu'il  voulait  voir  tous 
les  malades  de  la  ville.  A  l'instant  on 
s'empressa  de  satisfaire  cette  fantaisie, 
qu'on  lui  supposait,  et  on  transporta 

(r)  Appian.,  V,  7. 
(a)  Scn.,  De  Benef.^  V. 
(3)  Suet.,  Tlber,,  XI. 


ILE  DE  BHODES. 


iS8 


tous  ks  matedet  dtfos  iid6  galerie  pu- 
bliaue,  où  on  Jes  rangea  par  ordre  de 
maladie.  Tibère  fot  dans  un  grand  éton- 
nement  quand  on  lui  offrit  ce  spectacle 
ioatteoda;  il  ne  sut  d*abord  ce  qu'il  de* 
Tait  faire,  puis,  s'approchant  du  lit  de 
chacun  d'eux,  il  leur  fit  à  tous  des  excu- 
ses de  cette  naéprise ,  même  aux  plus 
ëiuTres  et  aux  pins  ignorés.  L'aventure 
it honneur  à  Tibère;  mais  elle  donne 
une  triste  idée  de  ce  qu'étalent  devenues 
rindépendance  et  la  dignité  du  caractère 
rbodien.  Quant  à  la  liberté  civile,  elle 
s'efifaçait  aussi  d^elle-méme  devant  la  vo- 
lonté du  redoutable  réfugié  qu'Auguste 
avait  associé  à  la  puissance  tribunitienne. 
Tibère  était  fort  assidu  aux  écoles  et  aux 
le^ns  des  professeurs  :  un  jour  qu'il 
l'était  élevé  une  vive  altercation  entre  des 
sophistes  opposés;  l'un  d'eux,  croyant 
qu'il  favorisait  son  adversaire,  s'échappa 
coDtre  lui  en  propos  injurieux.  Tibère 
retourna  à  sa  demeure  sans  rien  dire, 
reparut  tout  à  coup  avec  ses  appariteurs, 
fit  citer  à  son  tribunal  l'insolent  qui  Ta- 
rait outragé ,  et  le  fit  traîner  en  prison. 
Rhodes  conservait  encore,  dans  cette 
situation  dépendante,  une  grande  pros- 
périté commerciale.  Sa  position  en  fai- 
sait toujours  une  ville  très-fréquentée 
par  les  négociants.  De  plus,  tous  ceux 
qui  allaient  au  delà  des  mers  de  Grèce 
preodre  possession  d'un  commandement 
militaire  ou  d'une  magistrature  s'arrê- 
taient presque  toujours  a  Rhodes,  qu'en- 
richissaient les  visites  de  tous  ces  grands 
personnages  (1).  Cette  ville  continuait 
donc  à  être  opulente,  recherchée  pour 
les  agréments  de  son  séîour  et  la  célé- 
brité de  ses  écoles.  La  liberté  munici- 
pale, qu'elle  avait  conservée,  si  res- 
treinte qu'elle  fût ,  y  entretenait  encore 
un  reste  d'activité  et  de  mouvement  in- 
tellectuel. Mais  sous  le  règne  de  Claude 
elle  fut  pour  la  première  fois  réduite  à 
la  condition  de  sujette.  Les  Rhodiens 
avaient  osé  mettre  en  croix  des  citoyens 
romains;  ils  furent  privés  de  leur  li- 
berté (2)  (44  ap.  J.-C.  ).  Quelque  temps 
après,  Néron,  qui  venait  d  être  adopté  et 
dépouser  Octavie,  intercéda  en  faveur 
de  Rhodes,  et  la  fit  rétablir  en  sa  première 

(i)  Tacil.,  Ânn.,  II,  55;  Hisi.^  Il,  «j 
Siiét,  Tiber,,  XJI. 
(a)  Dio.  Cass.,  I.  LX. 


indépendance  (1),  Tan  14.  Enfin,  Yespa* 
sien  la  pla^  définitivement  sous  l'admi- 
nistration impériale,  et  forma  delà  réu- 
nion de  cette  île  avec  Samos  et  toutea 
les  autres  de  ces  parages  une  province 
connue  sous  le  nom  de  province  des 
fies  (2),  dont  Rhodes  fut  la  capitale.  Cette 
province  fit  toujours  partie  de  l'empire 
d'Orient.  Plus  tard,  quand  cet  empire 
subit  une  nouvelle  division  administrar 
tive,  et  que  les  thèmes  furent  substitués 
aux  provinces,  Rhodes  fit  partie  du 
thème  de  Cibyrrha. 

Cependant  le  christianisme  s'y  était  in- 
troduit de  bonne  heure.  Les  autels  des 
dieux  du  paganisme  avaientété  renversés; 
la  vieille  statue  telchinienne  de  la  Minerve 
de  Lindos  avait  été  transportée  à  Cons- 
tantinople  et  placée  comme  un  simple  or^ 
Dément  à  la  porte  de  la  Curie,  et  Kbodes 
était  devenue  une  métropole  du  patriar*- 
chat  de  Constantinople.  L'évéque  métro* 
politain  de  la  ville  de  Rhodes  avait  pour 
suffragants  tous  les évéques  des  Cyclades, 
qui  étaient  au  nombre  de  dix -huit.  Lee 
Églises  qui  relevaient  du  siège  de  Rho- 
des étaient,  selon  le  P.  Lequien  (3),  celles 
de  Samos,  de  Chio,  de  Delos,  de  r^axos* 
de  Paros,  de  Théra,  de  Ténos,  d'An* 
dros,  de  Mélos,  de  Léros,  de  Carpa- 
thos,  de  Ténédos,  de  Sipbnos,  dlm^i 
bros,  de  Lemnos,  de  Mitvlène  et  de  Mé- 
thymne.  Le  premier  éveque  connu  de 
Kbodes  est  Eu phranon,  qui  condamna 
une  secte  de  gnostiques  qui  s'était  répan- 
due dans  son  île.  11  est  antérieur  au  con- 
cile deNicée,  où  l'on  voit  figurer,  comme 
évéque  de  Rhodes,  Hellanicus.  Au  reste, 
à  cette  époque  et  pendant  plusieurs  siè- 
cles, l'histoire  ecclésiastique  et  profane 
perd  complètement  de  vue  l'île  de  Rho« 
des,  qui  vit  obscure,  mais  tranquille,  à 
l'ombre  de  la  paix  que  les  Roniains  ont 
donnée  au  monde  en  échange  de  la  li- 
berté qu'ils  lui  ont  ravie. 

(i)  Tacit.,  jéniLt  XII,  58. 

(a)  Meursiiu,  Rhod.,  1.  II,  c.  xvi  ;  Stiet., 
J^esp.,  8  ;  Sext.  Kuf.  Breviar, 

(3)  Le  P.  Lequien,  Orient  c/iris/Umia, 
t.  1,  p.  934. 


ÎU 


LIJSFnSRS. 


111. 


AYAT  BBLI61B0Z,  POLITIQUE,  SOCIAL 
XT  IVTBLLBCTUXL  PB  L*tLB  BB 
BH0DB8  PENDANT  L* ANTIQUITE. 

KELIOION;    DIYIBITBS;  CULTB.    ->- 

L'tie  de  Rhodes,  oomme  celle  de  Cby* 
prSf  comme  la  Crète  et  tant,  d'autres 
points  de  rArohipel,  avait  été  le  rendent- 
vous  des  différents  peuples  qui,  dans 
Tantiquité,  s'étaient  adonnés  au  com- 
meree  et  k  la  navigation.  A  l'origine  des 
temps,  tout  nous  atteste  rexistencedans 
rtis  de  Rhodes  d'une  population  d'ori* 
cine  orientale,  et  la  prépondérance  de 
fa  nation  phénicienne,  à  laquelle  succède 
peu  à  peu  l'influence  de  la  race  belle» 
nique,  qui  s'établit  dans  cette  tie  d'une 
manière  plus  complète  et  plus  exclusive 
qu'en  Chypre ,  et  qui  en  lit  disparaître 
tous  les  vestiges  de  l'occupation  asiati- 
que. Cependant  la  religion ,  qui  conserve 
mieux  que  tout  le  reste  les  traces  des 
influences  primitives  et  des  antiques 
traditions,  resta  chez  les  Rhodiens  em« 
preinte  d'un  caractère  particulier  ana- 
logue, à  certains  égards,  à  celui  des 
ouïtes  orientaux,  et  dont  la  persistance 
prouve  que  l'état  de  choses  antérieur 
aux  Hellènes  dans  cette  contrée  n'a  pas 
été  entièrement  aboli  par  eux.  C'est 
donc  avec  raison  qu'on  a  pu  dire  que 
«  à  Rhodes,  comme  en  Cilicie  et  en  Cy* 
pre,  les  cultes  grecs  ne  furent  oue  dès 
rejetons  entés  sur  une  tige  plus  an« 
denne,  et  çue  tout  annonce  avoir  été  sé- 
mitique, à  commencer  par  le  culte  du 
soleil,  oui  avait  là  son  char,  comme  à 
Biérapolis,  son  autel  et  sa  statue  colos- 
sale, dans  le  goût  babylonien.  Saturne 
y  réclamait,  comme  en  Phénide  et  à 
Cartbage,  des  victimes  humaines  ;  et  le 
mont  Atabyrien  ou  Tabyrien  était  un 
autre  Thabor,  avec  un  temple  de  Jupiter 
du  même  nom,  auquel  des  taureaux 
d'airain  étaient  consacrés.  Des  Phéni- 
dens  paraissent ,  en  outre,  avoir  apporté 
à  Lindos  le  cuite  de  la  Minerve  ^yp- 
tienne,  reconnue  pour  telle  par  le  Pha- 
raon  Amasis.  Cest  à  ce  peuple  encore 
qu'il  faut  rapporter,  selon  toute  appa- 
rence, et  les  Telchines  et  les  Héliades, 
au  nombre  de  sept ,  qui  jouent  un  si 


ri  rMe  dansTliisiotre  4e  le  eififisa- 
denie(l).9 
Les  habitants  de  Rhodes  adoraient 
trois  divinités  principales,  le  soleil.  Mi- 
nerve  et  Hercule.  Toutes  oes  divinités 
étaient  d'origine  orientale,  et  remon- 
taient au  temps  des  Telchines  et  des  Hé- 
liades, femiiles  mythiques  qu'il  est  bien 
diffidle  de  distinguer  rune  de  l'autre,  et 
qui  désignent  la   première  population 
venue  de  PAsie  Mineure  ou  de  la  Phé- 
nide dans  l'tle  de  Rhodes.  Or ,  quelle 
que  soit  l'époque  où  l'on  prenne  l'his- 
toire d'un  peuple ,  on  voit  toujours  que 
la  religion  y  occupe  une  grande  place. 
Cette  importance  ne  la  reliffion  apparaît 
comme  u'autant  plus  considérable  qu'on 
se  rapproche  plus  de  l'origine  des  nations, 
et  il  est  même  à  remarquer  que  les  socié- 
tés se  constitueAt  toujours  sous  Tempire 
des  idées  religieuses,  et  qu'elles  se  désor- 
ganisent  sous  l'influence  des  Idées  con- 
traires. A  Rhodes,  comme  partout  ail- 
leurs, dèi  qu'il  y  a  des  hommes  on  voit 
s'élever  un  sanctuaire.  Lindos ,  la  plus 
considérable  des  trois  cités  primitives, 
eut  les  temples  les  plus  renommés.  Od 
y  adorait  surtout  Athéné  ou  Minerve. 
Cette  déesse  y  avait  une  idole  appelée 
rAthénéTelchinlenne.  Cette  statne  de  le 
Minerve  de  Lindos  est  citée  parmi  les 
plus  andens  monuments  de  l'art,  si  l'on 
peut  donner  ce  nom  à  un  objet  de  forme 
grossière,  ressemblant,  selon  quelques- 
uns,  à  une  colonne  ou  à  une  pierre  corn- 
2ue  (3).  C'était  au  fond  le  même  gni- 
ole que  TAphrodite  de  Cypre.  Les  filles 
de  Danaûs  poursuivies  par  les  fils  d'E- 
gyptus ,  comme  des  colombes  par  des 
éperviers,  dit  Eschyle,  ayant  abordé  as 
port  de  Lindos  élevèrent  un  temple  en 
l'honneur  d' Athéné  :  Cadmus  consacra 
à  cette  dé«»e  une  chaudière  d'airain. 
Plus  tard  Amasis,  roi  d'apte,  envoya 
h  la  Minerve  de  Lindos  deux  statues  de 
pierre,  et  une  cuirasse  de  lin  d'un  admi- 
rable travail,  dont  les  fils  étaient  compo- 

(i)  MM.  GreoieretGuigmaut,  A^ioiu  de 
V Antiquité^  t.  n,  S«  part.,  p.  83!i.  Ce  fMSsafe 
exprime  roplnion  éinise  et  développée  par 
M.  Movers  dans  le  premier  volume  de  son 
savant  ouvrage  sur  les  l^ènidens  :  Die  Pkê- 
nhùer^  Bonn.,  z84x. 

(a)  Religion  de  CAntiq.^  t.  H,  n*  part., 
p.  739. 


r 


ILE  DE  RHODES. 


m 


ses  it  trois  eent  soixante-cinq  brins  (1). 
Cm  hommages  rendus  par  les  Orientaox 
à  la  déesse  oe  Lindos  attestent  assez  son 
origine  et  son  caractère  asiatiques.  Mais 
elle  n*échappa  pas  plus  que  1* Aphrodite 
de  Cypre  à  cette  transformation  que  la 
mjtholo^e  pecque  fit  subir  à  toutei 
les  divinités  importées  de  l'Asie,  et  après 
aroir  été,  dans  l'origine,  une  déification 
de  quelque  grande  force  de  la  nature, 
elle  devint,  comme  la  Minerve  d'Athènes, 
la  déesse  de  rintelligenee ,  la  chaste  et 
sage  divinité  sortie  du  cerveau  de  Ju* 
piter. 

n  y  avait  aussi  à  Lindos  une  statue 
d'Apollon  Telcbînien  :  le  dieu  et  son 
culte  avaient  la  même  ori^e  qu'A- 
théoé.  Tous  les  pays  de  l'Asie  Mineure 
voisins  de  l'tie  de  khodes  avaient  pour 
divinité  principale  le  soleil.  C'est  de  la 
Lycie  que  vint  en  Grèce  Olen,  le  plus 
aoden  prêtre  qui  ait  rendu  un  culte  à 
Apollon,  et  c'est  à  cause  du  pays  d'où 
les  Grecs  le  reçurent  qu'ils  donnèrent  à 
ce  dieu  Tépithete  de  Lycien.  Bans  son 
passage  d'Asie  en  Grèce,  Apollon  se  fit 
adorer  dans  les  anciennes  tuIcs  de  Rho- 
des, et  il  devint  la  divinité  protectrice 
de  la  nouvelle  dté,  où  se  concentra 
plus  tard  la  population  rhodienne.  Néan- 
moins le  sanctuaire  de  Minerve,  dans 
la  eitadelle  de  Lindos,  resta  toujours  en 
grande  vénération ,  et  Ton  continua  à  y 
offrir  à  la  déesse  des  sacrifices  sans 
feu  (2).  Le  culte  d'Hercule ,  &  Lindos, 
présentait  aussi  des  particularités  singu- 
lières, au  sujet  desquelles  on  racontait  la 
légende  suivante^  que  Lactance  nous  a 
conservée.  «  A  Lindos,  dit-il,  il  y  a  dea 
sacrifices  en  l'honneur  d'Hercule,  qtd 
sont  bien  différents  de  tous  les  autres 
sacrifices  usités  partout,  car  au  lien  de 
ces  bonnes  paroles ,  e5f7]{ji(a  comme  di- 
sent les  Grecs ,  qui  accompagnent  les 
prières,  on  n'y  entend  que  des  injures 
Pt  deç  imprécations.  On  regarde  le  sa- 
crifice comme  manqué  si  pendant  sa  oé* 
lébration  il  échappe  à  quel(|u'un  un 
root  favorable.  En  voici  la  raison,  con- 
tinue Lactance,  si  toutefois  Ton  peut 
appeler  raison  de  pareilles  puéribték 

(0  Diod.  Sicul.,  Y,  58  ;  Hérod. ,  n ,  zSa  ; 
Mine,  But,  Nat.^  XIX,  a,  3  ;  Mcur».,  Rhod^ 
p.  x4. 

(a)  Pind.,  Olymp,,  Vit 


Hercule  étant  arrivé  dans  ce  pays,  et 
ayant  faim,  demanda  à  un  laboureur  qui 
travaillait  qu'il  voulût  bien  lui  vendre 
un  de  ses  deux  bœufs.  Celui-ci  refusa, 
car,  disait-il,  toute  respéranca  de  sa  ré- 
colte reposait  sur  le  travail  de  ses  deux 
bcBufiB.  Hercule,  voyant  qu'on  lui  re- 
fusait l'un  de  ses  boeuCs ,  eut  recours  à 
la  force,  et  les  prit  l'un  et  l'autre,  et  il  lea 
immola  au  milieu  des  injures  dont  Taiv 
câblait  le  malheureux  laboureur.  Her- 
cule s'en  amusa  fort,  et  mangea  les  deux 
boBufe  avec  ses  compagnons,  en  riant 
beaucoup  dea  imprécations  qu'on  lui 
lançait.  Plus  tard  Hercule  ayant  ob* 
tenu  des  honneurs  divins,  à  cause  de  sa 
vertu,  les  habitants  de  Lindos  lui  éû- 
vèrent  un  autel ,  qu'il  appela  lui-méma 
^(uyav,  le  joug  des  bœu£s ,  sur  lequel 
ils  immolèrent  un  couple  de  bœufs  ea 
souvenir  de  ceux  qu'il  avait  enlevés  a^ 
laboureur.  Hercule  voulut  que  ce  !«*■ 
boureur  devint  son  prêtre,  et  il  ordonna 
çiu'on  oélâirerait  ses  sacrifices  avec  dea 
imprécations,  oommeceiles  qui  l'avaient 
tant  diverti  pendant  son  repas  (!)•  » 
De  là  le  proverbe  récité  chez  les  Grecs* 
A<v$tot  T^v  Ouokv,  offrandes  Undlenoes, 
pour  désigner  tout  présent  fait  dana  nna 
intention  perfide  et  dissimulée. 

A  Gamiros  l'institution  des  fêtes  reli- 
gieuses remonte  aussi  au  temps  dea  Tel* 
chines.  Hénrehius  signale  lea  aacrifiaai 
des  MylantMns,  descendants  de  Mylas, 
l'un  des  héros  decette race.  LesRhodiens 
avaient  aussi  établi  des  cérémonies  reli- 
gieuses en  l'honneur  de  Phorbas,  fils  de 
Triopastdontlavaleuravaitdélivréieurlle 
d'un  affreux  serpent  qui  la  dévastait.  Tlé^ 
polème  était  encore  un  des  héros  vénérés 
parmi  eux.  Au  reste  les  Rhodiens  cél^* 
braient  des  fêtes  nombreuses  en  l'honneur 
étE  dieux  etdes  héros,  et  ces  fêtes  étaient 

(i)  Liet.,  in$t,  Div„  I,  ai.  Photiiu  répète 
h  même  l^nde,  Narrât.  ^  XI,  Cf.  Meurt,, 
Mhod, ,  p.  19.  JTcivite  de  m'ensag^  daot  tous  Un 
développetne&ti  que  comporte  le  sujet,  ce  ré- 
sumé historique  etaot  déjà  bien  chargé,  et  je 
me  contente  de  renvoyer  à  un  ouvrage  spe* 
cial de  HefTter,  intitulé: Z)<V  Gotterdiemte  at^ 
Rkodus  im  AUerthume.  Zerbst^  1827-1833. 
Ce  livre  sur  la  religion  des  anciens  Rhodiens 
est  divisé  en  trois  parties  :  la  première  est 
consacrée  au  culte  d'Hercule  à  Lindos,  la  se- 
conde i  la  Minerve  de  cette  ville,  et  la  troi- 
sième aux  autres  divinités  de  i'tle. 


iSd 


LTNIVERS. 


décrites  par  deux  aoeiens  auteurs,  Geor- 
gus  et  Tneognis ,  dont  Athénée  noos  fait 
eonnattre  Texistence.  Outre  les  temples 
des  anciennes  cités,  qui  subsistèrent 
même  après  la  réunion  des  Rhodiens 
dans  une  seule  ville,  outre  le  sanctuaire 
de  Jupiter  Atabyrien,  et  celui  d'Apollon 
Ixien,  près  du  port  d'Ixus,  la  ville  de 
Rhodes  vit  s'élever  un  pand  nombre 
d'^ifices  religieux  en  rbonneur  des 
principales  divinités  de  TOlympe  Grec, 
Jupiter,  Junon,  Minerve,  Apollon, 
Diane,  Gérés,  Neptune,  Mercure,  sans 
compter  les  chapelles  ou  édicuies  con« 
sacres  aux  demi-dieux  ob  héros ,  et  les 
temples  d'isis  et  de  Sérapis,  qui  s'y 
introduisirent  à  la  faveur  des  relations 
politiques  et  commerciales  des  Rhodiens 
avec  les  Lagides.  Mais  à  cette  époque, 
la  religion  rhodienne  avait  perdu  sa  pn}r- 
aionomie  primitive  et  orientale  ;  elle  était 
devenue  tout  hellénique,  comme  la  po- 
pulation même,  et  c'est  le  caractère 
qu'elle  ^arda  jusqu'au  moment  où  à 
une  époque  incertaine ,  et  par  des  mis- 
tionnaires  inconnus ,  Rhoaes  fût  con- 
¥ertie  au  christianisme. 

Gouvehrevent;  Màgistbatttbb. 
—  Au  temps  de  la  guerre  de  Troie  l'Ile 
de  Rhodes,  comme  tous  les  autres  États 
grecs,  était  gouvernée  par  des  rois.  Le 
régime  monarchique  s'y  maintint  au 
moins  jusqu'à  l'an  668  avant  l'ère  chré- 
tienne, puisqu'à  cette  époque  Aristo- 
mène  se  retira  aupr^  de  Damagète, 
roi  de  Jalyssos,  après  la  prise  d'Ira  et  la 
seconde  guerre  de  Messenle.  On  ne  sait 
ni  quand  ni  comment  la  royauté  fut 
abolie  chez  les  Rhodiens,  mais  ils  étaient 
déjà  constitués  en  république  lorsqu'ils 
se  réunirent  pour  fonder  la  ville  de  Rho- 
des. Les  républiques  grecques  étaient  ou 
aristocratiques  ou  démocratiques,  selon 
le  caractère,  les  habitudes  et  les  besoins 
de  leur  population.  Les  plus  sagement 
gouvernées  étaient  celles  où  l'on  savait 
le  mieux  conserver  la  paix  publiaue ,  et 
maintenir  l'union  entre  les  différentes 
classes  de  citoyens,  entre  les  riches  et  les 

Fauvres,  entre  les  grands  et  les  petits,  que 
on  retrouve  partout  en  présence,  et  dont 
les  dissensions  font  de  l'histoire  de  toutes 
les  cités  grecques  un  combat  perpétuel. 
  ce  compte,  Rhodes  fut  peut-être  celle 
de  toutes  les  républiques  de  la  Grèce 
qui  approcha  le  plus  de  l'idéal  d'un  bon 


gouvernement  Sans  doute  die  ne  (ut 
pas  à  l'abri  de  toute  agitation,  et  pen- 
dant les  temp  qu'elle  a  duré  on  aperçoit 
des  traces  de  divisions  et  de  change- 
ments  intérieurs.  Maïs  ces  mouvements 
sont  toujours  maintenus  dans  une  me- 
sure qu'on  ne  trouve  pas  ailleurs.  Les 
Rhodiens  surent  éviter  de  tomber  dans 
aucun  exc^,  soit  de  la  tyrannie,  soit  de 
la  sédition;  heureuse  modération  qui 
était  plutôt  un  effet  de  leur  caractère 
et  de  leurs  vertus  que  de  leurs  lois ,  et 
qui  conserva  leur  république  prospèrent 
respectée  à  une  époque  où  tout  le  reste 
de  la  Grèce  était  tombé  dans  la  déca- 
dence et  le  mépris, 

Aussi  de  tous  les  États  grecs  il  n'en 
est  aucun  que  les  Romains  traitèrent 
avec  plus  d'égards,  et  qui  consen-a 
tant  d  importance  au  milieu  de  l'abais- 
sement général  du  monde  hellénique. 
Cest  toujours  avec  estime,  pour  rË- 
tat  et  les  particuliers,  qu'il  est  parlé  de 
Rhodes  dans  les  écrivains  romains  et 
dans  les  auteurs  postérieurs  à  la  con- 

Suéte  de  la  Grèce.  «  Les  Rhodiens,  dit 
alluste  (1),  n'ont  jamais  eu  à  se  plain- 
dre de  leurs  tribunaux,  où  le  riche  et  le 
Sauvre  indistinctement,  et  d'après  la  lot 
u  sort,  prononcent  sur  les  plus  impor- 
tantes comme  sur  les  moindres  affaires.  » 
Polybe,  un  historien  si  grave  et  si  pea 
kudatif ,  rend  souvent  hommage  a  la 
aagesse  des  Rhodiens,  à  leurs  bonnes  lois, 
à  leur  excellente  conduite,  qui  ne  8*est 
démentie  qu'une  fbis  de  son  temps,  dans 
la  guerre  de  Persée,  et  à  laquelle  ils  se 
sont  bâtés  de  revenir.  Deux  siècles  plus 
tard,  Strabon  (2)  trouvait  encore  en  vi- 
gueur les  excellents  règlements  établis 
autrefois  par  l'aristocratie  rhodienne 
pour  subvenir  aux  besoins  de  la  classe 
inférieure,  que  la  république  avait  tou- 
jours eu  soin  de  mettre  a  l'abri  de  la 
misère.  «  Ils  font  aux  pauvres,  dit-il, 
des  distributions  périodiques  de  blé  ;  et 
les  Grecs  riches ,  se  conformant  à  un 
usage  ancien,  soutiennent  ceux  qui  ne 
le  sont  point.  Il  existe  même  certains  ser 
vices  publics  que  ces  derniers  sont  obli- 
gés de  rendre,  moyennant  un  salaire  fixe 
et  assuré  qu'ils  reçoivent  de  TÉtat,  de 

(i)  Salluste,  Lettre  à  César,  c.  vix. 
(a)  Su-ab.,  1.  XIY,  c.  ii;  Taucb.,  L  m, 
p.  '94- 


ILE^  DE  BHODES. 


lar 


oMiiière  vftm  vuènt  tttoips  ks  psirrres 
ofit  de  quoi  subsister,  et  la  TiUe  ne  maû- 
que  pas  de  bras  pour  ses  besoms,  sur- 
tout pour  la  manne.  »  De  telles  mceurs 
etde  telles  iostitutious  témoisneDtasses 
un  bon  sens  et  de  la  sagesse  de  eeux  qui 
soovernajeot  cette  république,  et  justi- 
fient pleinement  cet  éloge,  si  pr&is  et 
si  juste.  Que  Strabon  feit  des  Rhodiens 
quand  îl  oit  de  ce  peuple  :  «  Le  gouver- 
Dement  des  Rhodiens  est  ami  du  peuple, 
mais  non  pas  démocratique  (1).  » 

Le  gouvernement  de  Rhodes  n'avait 
pas  toujours  été  aristocratique,  comme 
il  rétait  devenu  dans  les  trois  derniers 
siècles  de  la  liberté  grec(|ue,  et  jusqu'au 
temps  de  Tempire  romain.  Quoique  do- 
rienne  d'origine,  la  population  de  1  île  de 
Rhodes  s'était  en{;agee  dans  Talliance 
d'Athènes.  Celle-ci  avait  placé  sous  son 
protectorat  tous  les  États  maritimes  de 
la  Grèce,  et  s'était  attachée  à  développer 
partout  les  institutions  démocratiques. 
Dans  le  cours  du  quatrième  siècle  avant 
J.*C.,  après  l'abaissement  de  la  puissance 
athénienne,  la  démocratie  rhodienne  se 
compromit  par  ses  excès;  des  démago> 
gnes  s*emparèrent  de  la  confiance  du 
peuple,  disposèrent  des  revenus  publics, 
et  excitèrent  la  multitude  contre  les 
grands.  Le  parti  des  grands  ne  se  laissa 
pas  intimider  ;  il  sut  se  grouper  et  s*en- 
tendre  ;  une  coalition  se  lorma  entre  tous 
les  intérêts  menacés  ;  le  pouvoir  fut  enlevé 
à  la  multitude,  et,  par  de  nouvelles  dis- 
positions, l'influence  de  l'aristocratie  de- 
vint prépondérante.  Une  révolution  sem- 
blable avait  eu  lieu  à  Gos  à  la  même  épo« 
que  (2),  ainsi  qu'à  Chio  et  à  Lesbos, 
comme  le  remarque  Démostbène ,  dans 
ion  discours  De  la  Uberté  des  JUkocUens^ 
Ce  fut  au  milieu  de  ces  changements  que 
leRbodien  Hégesiloque  entreprit  d'assu- 
jettir sa  patrie ,  avec  le  secours  de  Mau- 
>ole  roi  de  Carie,  et  qu'il  parvint  à  occu- 
per quelque  temps  le  pouvoir,  jusqu'au 
Bwment  où  ses  vices  et  son  ivrognerie  le 
vendirent  si  méprisable  aux  yeux  des 
Rhodiens,  qu'ils  le  chassèrent  (8).  Sortie 

(0  Toici  la  phrase  de  Strabon,  qui  est 
aune  précision  presque  intraduisible  :  At)- 
l*«xr,8eî;ô'  elalv  ol  'Poîioi,  xainep  où  Îtjjio- 
«f«Toû|uvoi;  I.  XrV,  c.  u. 

W  Arislot.,  Poiit.,  1.  V,  C.  ii,  C.  v. 

(3)Meunius,  Hftod.,  I,  19. 


enfin  de  cette  crise,  qui  faillit  être  fittale 
à  sa  liberté,  Rhodes  vit  s'affermir  œ  ré- 
gime ,  aristocratique  qui  devait  lui  as- 
surer encore  une  nouvelle  période  de 
prospâité  et  de  grandeur,  et  qui  était 
en  vigueur  au  temps  de  Polybe ,  dont 
les  récits  nous  en  montrent  l'action  et 
les  ressorts. 

Toutes  les  grandes  questions  d'intérêt 
pubUc,  les  alhances,  la  paix  ou  la  guerre 
étaient  décidées  à  la  pluralité  des  suf- 
frages dans  l'assemblée  du  peuple,  dont 
la  composition  nous  est  mconnue  et 
dont  le  lieu  de  séance  était  ordinaire- 
ment le  théâtre' (1).  Les  premiers  ma- 
gistrats de  la  république  étaient  les  nrf- 
tanes,  qui  étaient  nommés  par  l'assemblée 
du  peuple,  pour  six  mois  seulement, 
mais  que  l'on  pouvait  proroger  dans  leurs 
fonctions.  La  prytanie  formait  un  con- 
seil de  plusieurs  membres;  elle  se  réu- 
nissaitdans  un  édificeappelé  le  prytaoée, 
qui  paraît  avoir  été  le  chef-lieu  de  l'État, 
et  ou  étaient  déposées  les  archives  (2)« 
Plutarque  compare  léi  prvtanes  aux 
généraux  à  Athènes  et  aux  béotarques, 
ce  qui  prouve  qu'ils  réunissaient  aux  at- 
tributions politiques  à  l'intérieur  le  com- 
mandement des  armées,  comme  les  con- 
suls romains.  C'étaient  les  prytanes 
qui  présidaient  les  assemblées  publiques 
et  qui  en  dirigeaient  les  délibérations* 
Ce  n'est  qu'au  temps  de  Dinon  et  de 
Polyarate  qu'on  voit  l'influence  leur 
échapper,  et  passer  aux  mains  des  chefs 
du  parti  populaire ,  ^i  repoussait  l'al- 
liance avec  les  Romams.  Un  mot  d*Uesy- 
chius  nous  révèle  Texistence  d'un  sénat 
dont  les  membres  auraient  porté  le  nom 
de  MdoTpoi  (3),  mais  il  n'en  est  fait  men- 
tion nulle  part  ailleurs,  et  le  silenee  de 
Polybe  à  ce  sujet  autorise  à  conjecturer 

Îrue  ce  corps  avait  peu  d'importance  po- 
itique,  ou  qu'il  ne  fut  qu'une  institution 
temporaire.  Les  fonctions  les  plus  im- 

(x)Polyb.,  XTI,  i5,  8;  XXIX,  4#  4.  "Cette 
circonstance  noas  montre  que  l*assemblée  de- 
vait être  assez  restreinte.  Cependant  Polybe 
ne  rappelle  pas  seulement  à  Stifioc,  mais  aussi 
%6  irXîjOoc,  la  foule,  la  multitude.  Après  tout, 
la  valeur  de  oe  terme  n'est  toujours  que  re- 
lative. 

(a)  Polyb.,  XXV,  «3,4;  XXVU,  6,  a; 

(3)  Meîirs.,  Ehod,,  p.  65:  Màarpoinopà 
*Pod('otc  povXevtvJdec. 


i» 


li'UMVJttS. 


{Mvtanttt  à  Rbodes,  tpt^  teifeàrge  de 

Kjrtaae,  étaient  cellw  d^aminl  et  d'am- 
ssadeur  (va6apx<K»  xpaoSturfc),  que 
Fou  voit  coavent  rémiiesdaiis  les  méoiea 
maina.  Ainsi  Tliéétète  et  Eodopfaon, 

Soi  commandaieDt  la  flotte,  fureotauasi 
épatés  au  sénat  |»ar  on  décret  du  peuple, 
qui  voulait  par  la,  dit  Polybe,  éviter  Té- 
dat  d'une  vaine  ambassade.  D'ailleurs 
une  loi  spéciale  conférait  au  navarque  le 
droit  de  négocier  (1). 

Càbàgtbbb,  mobubs,  goutumbs 
BBS  Rhodibns.  —  Ge  qui  nous  parait 
•distinguer  la  constitution  rhodienne  de 
celle  des  autres  cités  doriennes  gouver- 
nées comme  elle  aristocratiquement, 
c'est  la  forte  organisation  du  pouvoir 
exécutif,  c'est*à Maire  Timportance  des 
grandes  magistratures,  qui  eurent  tou- 
jours réellement,  sans  entrave  et  sans 
contrôle,  la  direction  des  afihires  publi- 

2ues.  Au  reste,  ce  n'est  pas  seulement  à  la 
)rme  de  son  gouvernement  que  Rhodes 
^  dû  la  conservation  de  sa  prospérité  et 
de«<Mi  im|)ortaoce  politique.  Un  peuple 
Bc  se  soutient  pas  uniouement  par  sa 
49enstitution  et  par  ses  lois,  mais  beau- 
coup plus  par  son  caractère,  ses  bonnes 
mœurs  et  par  les  hommes  qu'il  produit. 
Aussi  est-ce  une  vérité  de  tous  les  tempe 
0t  de  tous  les  pays,  trop  méconnue  des 
dtés  et  des  nations  qui  tombent  en  déca- 
dence, celle  que  le  poète  latin  a  eipri- 
mée  par  ce  beau  vers  : 

Moribas  anUqois  sUt  res  romaoa  virisque  ! 

L'histoire  de  Rhodes  nous  montre  un 
peuple  industrieux,  patient,  laborieux, 
orave,  constant  dans  sesaUiances,  fidèiCf 
sâr,  commode  à  tous  les  étrangers, 
liès-appliqué  aux  arts  utiles  du  corn* 
Bierce  et  de  la  navigation,  aimant  à  s'en* 
richir,  mais  non  à  vivre  dans  l'oisiveté, 
d  à  la  tête  de  ce  peuple  d'habiles  hom- 
mes d'Ëtat,  de  courageux  marins,  de 
prudents  ambassadeurs ,  sortis  la  plu- 
part de  familles  enrichies  par  le  com- 
merce et  où  la  pratique  des  grandes  affai- 
res se  transmettait  par  la  nature  et  Tédu- 
cation.  En  faut-il  davantage  pour  com« 
prendre  comment  Rhodes  est  devenue 
une  cité  aussi  célèbre  et  aussi  puissante, 
et  comment  cette  petite  tle  s'est  élevée 
par  la  vertu  de  son  peuple  au-dessus  de 

(i)  Polyb.,  XXX,  55  ;  XVH,  1,4. 


ses  moyms  (1)?  Aa  premier  siècle  de 
l'empire  romain  Rhodes  résbtait  ea- 
eore  à  cette  corruption  qui  avait  dissoos 
les  mœurs  de  ranelenne  Grèce,  et  eUe 
conservait  les  coutumes  d'outref ms.  Les 
Rhodieus  portaient  toujours  la  longue 
chevelure;  ils  marchaient  gravement 
dans  les  rues.  «  Vous  connaissez  la 
Rhodiens,  dit  Dion  Chrysostôme  (2),  ee 
peuple  qui  vit  aupr^  de  vous  en  liberté 
et  en  une  tranquillité  parfaite  :  il  est  in- 
convenant chez  eux  de  courir  par  les 
rues  de  la  ville,  et  ils  ne  permettent  pas 
même  aux  étrangers  de  le  feire.  «  Ad 
théâtre  même  gravité  :  ils  écoutaient 
en  silence  et  sans  applaudir,  et  le  ri< 
lence  était  un  signe  de  satisfaction.  Dion 
loue  encore  leur  convenant ,  leur  so- 
briété, leur  simplicité  dans  les  repas.  Ib 
avaient  aussi  de  l'âoignement  pour  le 
luxe  des  vêtements,  et  ne  souffraient 
que  l'usage  de  bandes  de  pourpre  très- 
étroites  et  qui  auraient  passé  pour  ridi- 
cules ailleurs.  «  Enfin,  moute  Dion, 
toutes  ces  choses  vous  rendent  une  cité 
vénérable,  et  vous  placent  au-dessus  de 
toutes  les  autres  villes  ;  c'est  là  ce  ({ni 
vous  fiait  admirer  et  chérir,  et  votre  cite 
brille  plus  par  la  conservation  des  anti- 
oues  mœurs  grecques  que  par  la  beauté 
de  ses  ports,  de  ses  murs  et  de  ses  ane 
Baux  (S).  » 

Lois  DES  Rhodie!vs;  gode  vàbi- 
TIME.  —  On  connaît  trois  lois  des  Rho- 
diens. Elles  ont  toutes  un  caractère 
particulier.  La  première  défendait  qu'on 
se  fit  raser.  Athénée  ajoute,  il  est  vrai* 
qu'on  n'observait  plus  cette  loi  de  son 
temps,  c'est-à-dire  sous  les  Antonins, 
mais  elle  témoigne  du  désir  qu'on  avait 
eu  de  conserver  le  vieil  usage  de  porter 

(1)  Barthclem.,  Anoch,^  c.  uulcci.  rojn 
l'éloge  fait  psr  Tacite  des  BMBura  de  la  cité 
grecque  de  Maraeille,  VU  JPAgricaia^  e.  iv. 
Un  peuple  commerçant  ne  prospère  qu'à  b 
condition  d'élre  tel  que  furent  Rhodes  d 
Marseille. 

^2)  Âp.  Meurs.,  Rhod,,  p.  66. 

(3)  On  trouTe  épars  çà  et  là  dnns  Plolsr> 
que,  ÂnacréoD  el  Juvéoal  quelques  traits  de 
satire  contre  les  vices  et  les  travers  des  Rbo- 
diens;  mais  ils  ne  peuvent  détruire  le  témoi- 
gnage de  toute  l'histoire  en  foreur  du  carac- 
tère et  des  moBurs  de  ce  peuple.  Vof,  Meor- 
siuSy  loc,  cii. 


ILE  mSr  RHOUBS. 


m 


ta  barbe  et  lès  eherénx  loags.  !.«  m* 
eonde  M  est  admirable,  et  ne  peut  aToit 
été  pertée  que  par  les  plus  honnêtes 
gens  da  monde  :  elle  oraonnaH  au  fils 
de  paver  les  dettes  de  son  père,  même 
dans  le  cas  oà  il  aurait  renoncé  à  Fhéri- 
tage.  La  troisième  était  empreinte  d'un 
sentiment  rigonreux  et  peut-être  outré 
de  la  dignité  de  VÈM  :  elle  interdisait 
an  boarreau  d'entrer  dans  la  ville. 
Aussi  toutes  les  exécutions  capitales  se 
âisaîent  hors  des  murs  (1).  Ce  qu'il  y 
a?ait  de  plus  célèbre  dans  la  législation 
des  Rbodiens,  c'était  leur  code  maritime, 
à  la  sagesse  duquel  les  Romains  ren- 
dirent un  éclatant  hommage  en  Tadop* 
tant  tout  entier.  «  Je  suis,  i!  est  vrai,  ai* 
sait  Antonin ,  d'après  le  jurisconsulte 
Volusius  Marcianus,  je  suis  le  seigneur 
da  monde,  mais  ce  sont  les  Rbodiens 
gmoDt  écrit  la  législation  des  mers.  Et 
cela  le  divin  Auguste  l'avait  lui-même 
reconnu.  »  On  Ht  aussi  dans  Constantin 
Herfflénopule  :  «  Toutes  les  affaires  mari- 
times, tous  les  différends  relatifs  à  la 
navigation  sont  décidés  par  la  loi  rfao* 
dienne.  Cest  d'après  elle  qu'on  établit 
la  procédure  et  qu'on  rend  les  juge- 
ments, à  moins  qu'il  n'y  ait  une  loi  con- 
traire qui  s'y  oppose  formellement.  Isa 
lois  des  Rbodiens  sont  le  plus  ancien  de 
tous  les  codes  maritimes.  »  On  retroure 
en  grande  partie  ces  règlements  sur  le 
commerce  et  la  navigation  dans  les 
compilations  des  jurisconsultes  romains 
et  dans  les  édits  et  ordonnances  des  em- 
pereurs ,  qui  n'avaient  fait  que  les  tra- 
duire du  grec  en  latin.  C'est  en  puisant 
à  ees  sources  une  le  savant  Leundavius 
est  parvenu  à  reconstruire  le  code 
commercial  et  maritime  des  Rhodiens, 
dont  il  a  donné  un  recueil  divisé  en  cin- 
quante et  un  chapitres,  la  plupart  extraits 
des  onze  livres  du  Digeste  (3). 

(i)  MeuniiiSy  Bkod,^  1.  I,  c.  ui,  p.  70. 

(a)  LettDclavius,  Juris  Grœco-Romani^  iam 
Cawniâ  attam  Civilis,  Tond  duo,  in-fol.  Fran- 
cof't  ^596.  A  la  fin  du  t.  II,  p.  a65,  se  trouve 
oe  KciMÎI  des  lois  rbodiennes,  avec  le  titre 
'uivaQt  :  Jus  navale  Hhodiorum,  qttod  impe* 
rttores  tacratusimi  Tiberius,  Aadrianus , 
Mtottinus  ^  Perlinax ,  Lucius  Septîmius  Se- 
J*^  sanciverunt,  C'e»t  un  document  fort 
wlértt^aDl  et  le  plus  complet  sur  le  droit 
Buntime  dm  anciens.  Mais  les  limites  de  mon 
tranil  ne  me  pormettent  pas  d'en  rendre 


Lbs  BBÀOS-Ants  ▲  Rhoobs;  psih^ 
VUBB;  SCULPTUAB.  —  Les  Rbodiexi^ 
aimaient  les  beaux^^arts.  Les  ricbessea 
qu'ils  avaient  acquises  par  une  prospérité 
commerdide  non  interrompue  pendant 

Elusieurs  siècles  les  mirent  en  état  d*em-r 
ellir  leur  ville  des  chefs-d'œuvre  des 
plus  grands  artistes  de  la  Grèce ,  dont  ils 
savaient  magnifiquemept  récompenser  la 
talent.  Pleins  d'amour  pour  la  dté  dans 
laquelle  ils  vivaient  libres  et  heureux,  les 
Rbodiens  s'étaient  fait  un  point  d'iion* 
neur  de  lui  donner  un  aspect  splendidoi 
en  la  remplissant  de  grands  et  beaux 
édifices ,  que  la  peinture  et  la  sculpture 
furent  appelées  à  décorer.  Il  y  avait  dans 
la  ville  de  Rhodes*  .dit  Pline  l'Ancien, 
plus  de  trois  mille  statues.  Les  p<HrtiT 
ques  de  ses  temples  étaient  ornés  de 
pieintures  d'un  pnx  infini,  et  la  posscs? 
sion  d'un  seul  ae  ses  ouvrages ,  disait  le 
rhéteur  Aristide,  eût  suffi  pour  rendre 
une  ville  illustre.  Ce  n'est  pas  que  Rhodes 
ait  donné  naissance  à  aucun  de  ces  ar? 
tistes  de  premier  ordre  qui  font  tant 
d'honneur  au  génie  grec;  mais  elle  sa« 
▼ait  dignement  apprââer  leurs  œuvres, 
elle  les  attirait  dans  son  sein,  etn'épr- 
gnait  rien  pour  se  procurer  les  produc* 
tiens  de  leur  génie. 

Protogène,  qui  vivait  à  Rhodes  au 
temps  du  siège  de  cette  Yille  par  Démé- 
trius ,  était  né  à  Caune  en  Carie.  Cétait 
une  ville  sujette  des  Rhodiens,  qui,  ^  ce 
titre  et  à  cause  de  l'accueil  qu'ils  nrent 
à  son  talent,  peuvent  revendiquer  ce 
peintre  comme  Fun  des  leurs.  Protogène 
resta  longtemps  pauvre  et  méconnu.  Ses 
oompatriotes,aui  recb^rchaientavec  tant 
d'ardeur  les  tanleaux  des  maîtres  étran- 

Sers,  ne  savaient  pas  apprécier  les  chefa- 
'œuvre  que  Protogène  taisait  sous 
leurs  yeux.  Alors  Apelle,  oui  était  dans 
tout  l'éclat  de  sa  gloire,  vint  a  Rhodes(f  ). 

compte.  Je  me  contanta  de  dire,  coasaie  Mewh 
ains  :  II^  lûdeat  qui  vokt,  Toy.  aussi  Dap^* 
per,  Deser,f  p.  146. 

(i)  Pline,  Hist.  Jiat.,  XXIY,  35,  95. 
Pline  abonde  en  anecdotes  sur  Apelle  et 
Protogène.  C^esl  lui  qui  nous  a  conservé 
la  suivante  :  A  peine  débarqué  dans  l'île  de 
Rhodes,  Apelle  courut  à  Tatelier  de  Proto- 
gène.  Celui-ci  éuit  absent^  mais  un  grand 
tableau  était  disposé  sur  le  chevalet  pour  èu« 
peint,  et  une  vieille  femme  le  gardait.  Celle 
vieille  répondit  que  Protogène,  était  sorti, 


Uù 


LUmvfiRS, 


Ce  grand  peintre,  goi  M  eomnit  jamais 
la  jaloasie ,  et  qui  tut  looiours  généreur 
envers  ses  rivaux,  vint  à  l'atelier  de  Pro- 
togène, admira  son  talent,  et  résolut  de 
forcer  les  Rbodicns  à  Fadmirer.  Il  lui 
demanda  combien  il  vendait  les  tableaux 
qu*il  venait  de  terminer  :  Protogène  les 
mit  à  un  prix  très- modique.  Apelle  en 
Offrit  50  talents  (  246,000  francs  ),  et  ré* 
pandit  le  bruit  qu*il  les  achetait  pour  les 
vendre  comme  siens.  Par  là  il  nt  com- 
prendre  aux  Rhodiens  le  mérite  de  leur 
peintre,  et  il  ne  leur  céda  les  tableaux 

gu'après  qu'ils  y  eurent  mis  un  plus 
aut  prix. 

Dès  lors  Protogène  eut  toute  la  repu* 
tation  qu'il  méritait ,  et  Apelle  put  le 
traiter  en  égal.  Cependant  Protogène 
ii^atteignit  jamais  à  la  même  hauteur  que 
le  peintre  de  Gos ,  et  Apelle  exprima  un 

Sur  lui-même,  quoique  d'une  manière 
rt  délicate ,  le  sentiment  qu'il  avait  de 
sa  supériorité.  «  Protogène,  dit4l,  a  au* 
tant  ae  talent  que  moi  et  peut-être  plus  ; 

et  elle  demanda  quel  était  le  nom  du  visi- 
teur :  «  Le  voici  v  répondit  Apelle;  et  ni- 
aissant  un  pinceau,  il  traça  sur  le  tableau  une 
fi^ne  d'une  extrême  ténuité;  Protogèue  de  re* 
tour,  la  vieille  lui  raconte  ce  quis*é(ait  passé* 
L'artiste ,  ayant  contemplé  la  délicatesse  du 
trait,  dit  aussitôt  qu' Apelle  était  venu,  nul 
autre  n*étant  capable  fie  rien  faire  d*aussi 
parfait.  lAii-roéme  alors  danscette  même  lignç 
en  traça  une  encore  plus  déliée,  avec  une  au- 
tre couleur,  et  sortit  en  recoiumandant  i  la 
vieille  de  la  faire  voir  i  l'éiranger,  s'il  reve- 
nail,  et  de  loi  dire  :  «  Toi  la  celui  que  vous 
cherchez.  »  Ce  qu'il  avait  prévu  arriva  : 
Apelle  revint ,  et ,  honteux  d'avoir  été  sur- 
passé, il  refondit  tes  deux  lignes  avec  une 
troisième  couleur,  ne  laissant  plus  possible 
même  le  trait  le  plua  subtil.  Protogène ,  s'a- 
vouant  vaincu,  vola  au  port  chercher  son  hôte 
(  Pline,  iéid.,  29,  traduction  de  M.  Uttré  )• 
On  garda  cette  toile  sur  laquelle  les  deux  ar- 
tistes avaient  lutté  d'adresse  et  de  aavoir-faire, 
et  Pline  assure  l'avoir  vue  à  Rome,  on  elle 
était  plus  regardée  que  les  plus  beaux  tableaux. 
On  raconte  i  Rome  quelque  chose  de  sem- 
blable sur  une  visite  de  Michel-Ange  à  Ra- 
Ehael.  Celui-ci  travaillait  à  la  décoration  de 
i  Farnésine  ;  Michel-Ange  vint  le  voir,  et  ne 
le  trouvant  pas,  il  crayonna  à  la  hâte  une  tète 
dans  laquelle  Raphaël  reconnut  à  l'instant 
la  main  de  son  rival.  On  voit  encore  ceUe  lète 
à  la  Farnésine,  sur  le  plafond  de  la  salle  où  se 
trouve  la  Gabitéç, 


mais/aiun  amilagesorloi,  e*estqall 
ne  sait  pas  dter  la  main  de  dosas  un  ta- 
bleau. »  Mémorable  leçon,  ajoute  Pline, 
qui  apprend  que  trop  de  soin  est  souvent 
nuisible.  En  effet,  c'étak  là  le  seul  dé- 
faut de  Protogène,  de  viser  à  trop  (uir 
ses  ouvrages ,  et  par  là  de  n'en  finir  ja- 
mais avec  eux,  ce  qui  leur  était  de  la 
grâce  et  du  naturel.  Cependant  c'était 
assurément  uft  grand  peintre  que  celui 
dont  Pline  raconte  que  tant  qu'il  tra- 
vailla à  son  tableau  d'Ialysus,  il  ne  vécut 
que  de  lupins  et  d'eau,  afin  de  soutenir 
et  d'exciter  son  talent  par  l'abstineoce. 
Cest  pousser  bien  loin  sans  doute  l'a- 
mour de  Fart  et  le  désir  de  la  gloiine, 
mais  il  n'y  a  qu'un  homme  passionné  et 
réellement  supérieur  qui  puisse  s'impo- 
ser de  pareils  sacrifices. 

Les  deuxcbefe-d'oeuvrede  Protogèoe 
étaient  son  tableau  d'Ialysus,  et  celui  qui 
représentait  un  satyre  appuyé  contre 
une  colonne  sur  laquelle  était  perchée 
4ine  perdrix.  Quand  ce  tableau  fut  ei« 
posé  aux  regards  du  public,  roiseao 
causa  une  admiration  universelle,  aa 
point  aue  l'on  négligea  le  satyre ,  qœ 
Protogene  avait  travaillé  avec  le  plus 
grand  soin.  L'entbousiasme  s'accrut  ea- 
core  lorsqu'on  eut  apporté  devant  ce  ta- 
bleau des  perdrix  apprivoisées,  qui  se  mi- 
rent à  chanter  dès  qu'elles  aperçureal 
la  perdrix  peinte.  Protogène,  indisoé 
que  l'on  oubliât  le  principal  pour  admi- 
rer l'accessoire,  obtint  des  rârdiensda 
temple  où  était  posé  son  tableau  la  per- 
mission d'effacer  la  perdrix, et  il  lefiia; 
^  (1).  On  sait  tout  le  soin  qu'il  mit  à 
composer  son  lalysus,  qui  devait  être  son 
principal  titre  de  gloire  et  auquel  11  tra- 
vailla sept  ans  (2).  Pour  rendre  ce  U- 
bleau  plus  durable  et  le  défendre  des  dé- 
gradations et  de  la  vétusté,  il  y  mit  quatre 
fois  la  couleur,  afin  qu'une  couclie  tom- 
bant l'autre  lui  succédât.  C'est  pendant 
qu'il  travaillait  à  ce  tableau  qu'il  arri^a 
a  ce  peintre ,  si  soigneux  et  si  app1iqu<^'. 
d'obtenir  par  le  hasard  un  effet  que  m 
son  art  ni  ses  efforts  n'avaient  pu  rendra 
Il  voulait  représenter  un  chien  haletant, 
la  gueule  blanchie  d  écume  ;  il  s'y  état 
repris  à  vingt  fois,  toujours  mécôiiten^ 
de  ce  qu'il  avait  fait.  Enfin,  irrité  de  son 

<z)  S\nh,f  I.  XIY,  e.  ù. 
(a)  Cicér.,  Orai,p  c,  ii. 


ILB  DE  ftaODES. 


141 


imptrissaoce,  il  jeta  de  dépit  FépoBg^ 
ooDtre  le  tableau,  eomrae  pour  TeaiBcer. 
Cette  bmagoerie  réussit  mieux  que  tout 
soQ  travail  ;  l'époDge  déposa  d'elle-même 
les  couleurs  eomme  il  le  désirait,  et  cette 
fois  le  hasard  reproduisit  exactement  la 
nature.  Pline  cite  encore  de  Protogène 
on  Çydippe,  un  Tlépolème,  le  poëte 
tragique  Philiscus  en  méditation,  un 
athlète,  le  roi  Antigone,  la  mère  d'Aria* 
tote.  Ses  derniers  ouvrages  furent  uo 
Alexandre  et  le  dieu  Pan.  Protogène 
faisait  aussi  des  figures  en  bronze.  Au 
temps  de  Pline  le  tableau  dlalysus  avait 
été  transporté  à  Rome  et  consacré  dans 
le  temple  de  la  Paix,  construit  sous  Ves* 
pasien,  et  dont  on  voit  encore  les  ruines 
imposantes  le  long  de  la  voie  Sacrée.  Les 
Rbodiens  possédaient  aussi  de  belles 
peintures  de  Zeuxis,  d'Apelle  et  des 
pios  srands  maîtres  de  l'antiquité,  et 
elle  n^avait  pas  été  tellement  dépouillée 
par  les  Romains  qu'elle  n'eût  encore 
coDservé  de  nombreux  œuvres  d'art, 
dont  Loden  parle  avec  admiration. 

La  ville  de  Rhodes  renfermait  une  vé- 
ritahte  population  de  statues.  Elle  en 
avait  encore  trois  mille  à  une  époque  où 
Rome  loi  en  avait  déjà  fait  perdre  quel* 
qoes>unes.  Les  Rbodiens  avaient  en 
sculpture  un  goût  particulier,  plutdt 
asiatique  que  grec.  Ils  aimaient  les  co-* 
losses,  et  ils  en  avaient  fait  élever  un 
^and  nombre.  Le  plus  célèbre  de  tous 
était  celui  du  Soleil-,  qui  avait  été  coulé 
en  bronze  par  Charès  de  Lindos,  élève 
de  Lysippe.  Ce  colosse  avait  soixante- 
dix  coudées  de  hauteur  (t).  Charès  et 

(i)  Pline,  Hisi.  NaU^  XXXIV,  18,  3.  a, 
Meon.,  Rkod.,  p.  41.  On  a  souvent  discuté 
sur  reopUoement  occupé  par  le  colosse  de 
Rbodei.  On  s'est  trompe  en  le  mettant  à  ren- 
trée du  grand  port,  recartemeni  des  jambes 
du  colosse  ne  pouvant  être  que  de  trente-cinq 
à  trcQte-six  pieds.  D*ailleurs  s'il  eût  été  en 
cft  endroil,  he  tremblement  de  terre  Teût  pré- 
âpiié  dans  les  fioU.  Sou  véritable  emplac»- 
OK&t  éuit  en  fiice  de  Tentrée  du  port,  et  de- 
^t  le  bassin  des  Galères.  Les  deux  tours 
q^'on  voit  au  fond  du  port  furent  bâties  sur 
Kl  bases  qui  soutenaient  jadis  ses  jambes 
^^^  et  sous  lesquelles  passaient  les  bAti- 
Beats  que  Ton  retirait  dans  un  bassin  que  le 
|r-«qd  maître  d'Aubusson  fit  combler  en  1478. 
J*T'  ^  Monuments  de  RluxUs  du  colonel 
«ott»ers,p.5«ct8i. 


son  disciple  Lâchés  y  travaillèrent  douze 
ans;  on  y  dépensa  300  talents  (1*476,000 
francs),  proatiit  des  machines  de  guerre 
abandonnées  par  le  roi  Démétrius,  en* 
nuyé  de  la  longueur  du  siège  de  Rbodes* 
Cette  statue  fut  renversée  cinquante-six 
ans  après  son  érection  par  le  trennble- 
ment  de  terre  de  fan  282 ,  qui  ébranla 
Rhodes,  la  Carie  et  toutes  les  tles  voi* 
sines.  Tout  abattue  qu'elle  est,  dit  Pline, 
elle  excite  Tadmiration  :  peu  d^hommes 
en  embrassent  le  pouce  ;  les  doigts  sont 
plus  gros  que  la  plupart  des  statues.  Le 
vide  de  ses  membres  rompus  ressemble 
à  de  vastes  cavernes.  Au  dedans  on  voit 
des  pierres  énormes,  par  le  poids  des- 
quelles Tartiste  avait  affermi  sa  statue 
en  rétablissant.  Les  débris  de  ce  colore 
restèrent  gisant  sur  le  sol  jusqu'au  mo- 
ment où  les  Arabes  s'étant  emparés  de 
nie,  Tan  656,  ils  en  vendirent  le  bronze 
à  un  marchand  juif,  qui  y  trouva  la 
charge  de  neuf  cents  chameaux.  Rhodes 
avait  encore,  dans  l'antiquité,  cent  autres 
colosses  plus  petits,  mais  dont  un  seul 
aurait  stira  pour  illustrer  toute  autre  ville. 
On  y  voyait  aussi  cinq  colosses  de  dieux 
faits  par  Bryaxis.  Mais  ce  qu'il  y  avait  de 
plus  précieux  à  Rhodes  en  sculpture,  c'é- 
tait le  char  du  soleil,  ouvrage  de  Lysippe, 
le  seul  objet  d'art  que  respecta  Cîassius, 
après  qu'il  se  fut  emparé  de  Rhodes. 

L'antiquité  produisit  des  artistes  très- 
habiles  à  ciseler  l'argent.  Les  plus  ad* 
mirés  après  Mentor,  qui  fut  le  plus 
grand  mattre  eu  cet  art ,  étaient  Acra- 
gas,  Boethus  et  Mys.  Au  temps  de 
Pline  (1)  on  voyait  à  Rhodes  des  mor- 
ceaux très-estimés  de  ces  artistes  :  de 
Boethus ,  dans  le  temple  de  Minerve  à 
Lindos;  d'Acragas,  dans  le  temple  de 
Bacchus,  à  Rhodes,  des  coupes  repré- 
sentant en  ciselures  des  bacchantes  et 
des  centaures,  d'autres  coupes  représen- 
tant des  chasses  ;  de  Mys,  dans  le  même 
temple  de  Bacchus,  un  Silène  et  des 
Amours. 

LlTTBBÀTURB  ;  PHILOSOPH»  ;  SCTSlf- 

GKS.  —  La  ville  de  Rhodes  fut  aussi  le 
centre  d'un  mouvement  intellectuel  très- 
actif  et  très-fécond.  On  y  cultivait  avee 
ardeur  et  suco^  les  lettres ,  les  sciences 
et  la  philosophie,  et  elle  fut  pendant 
longtemps ,  selon  l'expression  de  Dap* 

(r)  Pline,  i7if/.  NaU,  XXXIH,  S%,  i. 


141 


L^URIVKRS.' 


per,  oommé  un  magasin  éés  sdenees  et 
une  pépinière  de  gens  de  lettres.  Quand 
Ptolémée  t^hiladelphe  fit  chercher  de 
tous  côtés  des  livres  pour  augmenter  la 
bibliothèque  fondée  par  son  père,  ce  fut 
à  Rhodes  où  il  en  trouva  le  plus.  Plus 
tard,  quand  les  Romains  eurent  soumis 
les  Grecs  à  leur  domination  politique, 
Rhodes  attirait  les  principaux  d^entre 
eux  à  ses  écoles,  comme  Athènes,  comme 
Alexandrie,  entretenant  ainsi  le  seul 
genre  de  supériorité  que  le  génie  grec  eât 
conservé,  et  forçant  les  vainqueurs  à  y 
rendre  hommage.  G*était  surtout  pour 
4es  écoles  d*éloquence  que  Rhodes  était 
fréquentée  [)ar  les  jeunes  Romains  des 
^andes  familles,  qui  allaient  s*y  prépa- 
t^r  aux  luttes  oratoires  de  la  Curie  et 
du  Forum.  Rhodes  était  restée  un  État 
libre,  à  Tabri  de  toute  tyrannie  inté- 
rieure ,  et  de  toute  servitude  étrangère, 
et  par  conséquent  le  talent  de  la  parole 

Îr  exerçait  encore  une  grande  influence; 
e  pouvoir  appartenant  toujours  dans  les 
républiques  bien  réglées  à  ceux  qui  pos* 
sèdent  1  art  de  bien  dire. 

Cest  la  nature  qui  rend  les  hommes 
éloquents;  mais  c*est  Part  seul  qui  peut 
former  un  orateur.  L'étude  de  rélo- 
quence  était  déjà  en  grand  honneur  chez 
m  Rhodiens,  lorsqu'Eschine ,  après  la 
condamnation  qui  le  fit  sortir  d'Athènes, 
se  retira  chez  ce  peuple,  qu'il  initia  à  tous 
les  secrets  d'un  art  que  les  Athéniens 
avaient  porté  au  comnle  de  la  perfec- 
tion (i).  Il  charma  les  Rhodiens  par  ses 
improvisations,  par  la  déclamation  de  ses 
discours,  par  la  lecture  de  ceux  de  Dé- 
mosthène  ;  il  fonda  une  école,  qui  devint 
la  plus  célèbre  de  toutes,  et  où  il  forma 
de  nombreux  disciples.  "Uni  doute  que 
l'autorité  et  les  leçons  d*Ëschine  n'aient 
contribué  pour  beaucoup  à  éloigner  de 
Rhodes  ce  genre  d'éloquence  emphatique 
et  boursoufXlé  (2),  très-prise  à  Gnide,  à 

(t)  PhikMtr.,  Ktt.  Sapkîst,t  I|  i,  i8;  Gicflr., 
fie  Oraior,,  lU,  56. 

(»)  Cic,  Orat.,  YIII.  Yoici  counneal  Ci- 
ccron  reconnaît  dans  le  Bruttu ,  c.  xci ,  tout 
ce  qu'il  doit  aux  leçons  du  rliéteur  rhodien  : 
«  Je  vins  à  Rhodes ,  où  je  m'atlachai  de  nou- 
veau a  ce  même  Molon,  que  j^avais  entendu 
a  Rome.  Habile  avocat,  excellent  écrivain,  il 
•avait  en  outre  critiquer  avec  finesse ,  et  don- 
nait avec  un  rare  talent  de  savantes  leçons. 


Halicamasse  et  dans  les  autrei  villas  de 
la  Garie,  d'où  il  n'avait  qu'un  bras  de 
mer  à  franchir  pour  pervertir  le  août  des 
Rhodiens.  Esehine  l'arrêta  par  Ta  digue 
insurmontable  de  l'attieisme,  qu'il  nato* 
ralisa  dans  l'tle  de  Rhodes,  où  renseigne- 
ment de  l'éloquence  resta  ilorissaiit  jus- 
qu'au premier  sièele  de  l'empire  romain. 
Yoilà  ce  qui  attira  dans  cette  file  tons  les 
grands  orateurs  des  derniers  temps  de  la 
république  romaine,  Mare-Antoine,  d- 
eéron.  César,  Brutus  et  Cassitis  et  d'an- 
tres encore.  C'était  le  rhéteur  Apolkniius 
Molon,  dont  les  leçons  étaient  alors  les 
|)lus  recherchées.  Apollonius  Molon  était 
né  à  Alabanda  en  Carie ,  mais  il  n'avait 
t>as  donné  dans  le  goût  de  ee  détesuMe 

S  le  asiatique,  contre  lequel  II  inspir»  à 
léron  tant  d'élotgnement.  Cet  haiiile 
Hiéteur  avait  d'abord  enseigné  à  Rome, 
où  il  s'était  fait  avantageusement  eon- 
nattre;  et  quand  il  se  fot  établi  à  Rho- 
des, la  Jennesse  romaine  l'y  suivit ,  et 
partagea  le  temps  de  son  séjour  en  Grèce 
entre  cette  ville  et  Athènes. 

Ce  serait  une  bien  longue  étode  que 
de  rechercher  tous  les  titres  de  Rhodes 
à  la  célébrité  littéraire,  et  de  passer  en 
revue  les  hommes  illustres  qu'elle  a  pro- 
duits dans  tous  les  genres,  sdeneea,  his- 
toire, poésie,  philosophie  et  éioquenoe. 
Meursius  en  énumère  environ  soixante- 
dix  :  de  quelques-uns  d'enté  eux  on  ne 
connaît  que  les  noms;  de  ta  plupart  on 
ne  sait  que  les  titres  de  leurs  écrits ,  on 
les  sujets  dont  ils  se  sont  partlcalière- 
ment  occupés.  Il  n'v  en  a  qu'un  très-pe- 
tit  nombre  dont  le  temps  ait  épargné  1» 
ouvrages  on  le  souvenir;  et,  rejetant  de 
ce  résumé  historique  le  catalogae  de  tous 

n  réprima,  ou  du  moins  il  fit  tons  ses  effortc 
pour  réprimer  tous  les  écarts  où  mVofrainsit 
fa  fougue  d*un  âge  impunément  andaciem, 
et  pour  resserrer  dans  de  jtfstes  Ihnîtes  le  tor- 
rent débordé  d*une  élocutton  redondante. 
Aussi  lorsque  après  deux  ans  je  revins  â  Rome, 
J'étais  beaucoup  mieux  exercé,  on  poor  mieux 
dn*e  je  n*étais  plus  le  m&ne.  Ma  aédamation 
était  moins  vénémente,  mon  style  moins  im- 
pétueux. »  Il  est  évident  par  ce  passage  que 
Molon  avait  conservé  dans  son  enseignement 
les  traditions  de  Téloquence  atttque.  F'oyei 
dans  Touvraee  du  colonel  Rottiers  la  descrip- 
tion de  Sumbulu  et  de  la  Fontaine  Rodiai,  où 
la  tradition  place  l'école  d'ApoIlopi«is  H<4on, 
p.  1^6.  Cf.  Cic,  Ep.  ad  Âft,^  II»  i. 


ILE  XnS  BOODES. 


Ka 


Jes  avtM  fittlêon  à  pra  piès  încomu^ 
je  me  eontentend  de  fiûre  mention  de 
ceax  dont  on  peiil  raeonler  quelque 

chose. 

Cléobnle ,  Fan  des  sept  sages  de  la 
Grèee,  était  de  Lindos.  Il  florissait  à  la 
un  du  septième  siècle.  Ce  que  Ton  sait 
sur  sa  Tie  se  réduit  à  quelques  ren* 
seignements  conservés  par  Diogène  de 
Laerte  (f  ).  Quelques  auteurs  prétendent 
qu'il  se  donnait  pour  descendant  d*Her« 
dite.  Il  étudia  la  philosophie  égyptienne, 
tt  il  leconstniisit  le  temple  de  Minerve 
fondé  par  Danaûs.  Il  eut  des  relations 
uec  Selon ,  à  qui  il  écrivit  la  lettre  8Qi« 

CléoMê  à  Soion: 

Ta  tt  de  nombreux  amis,  et  partout  on 
s'empressera  de  te  recevoir.  Je  vois  cepen- 
dant que  nul  séjour  n'est  préférable  pour  So« 
ion  à  celui  de  Lindos.  (Test  une  ville  libre , 
dans  une  tIe  battue  de  toos  cOtés  parles  flots, 
et  où  tu  n'auras  rien  à  redouter  de  Pisistrate  ; 
ans  oompter  que  de  toutes  parts  %f»  amie 
psarroat  y  accourir  vers  toi. 

Il  mourut  à  Tdge  de  soUante-dii  ans, 
et  Ton  mit  sur  son  tombeau  rinseription 
suivante  : 

lÀndotf  qui  brille  au  milieu  des  Jlots^ 
flettre  la  mort  du  sage  Cléolmle^  auquel 
file  a  donné  U  jour, 

Qéobnle  avait  composé  trois  mille 
^rs  de  chants  Ijrriques  et  d'éni^es 
[iya^a,  fpdfoi).  OU  lui  attrilnie  Témgme 
soivante,  dont  le  mot  n'est  pas  difficile  à 
deviner  :  «  Un  père  a  douze  enfants,  qui 
ont  chacun  soixante  filles,  mais  d'aspect 
différent;  les  unes  sont  blondes,  les  au- 
tres sont  brunes  ;  elles  sont  immortelles^ 
et  cependant  toutes  périssent  tour  à 
lonr.  >  Des  jeux  d'esprit  de  cette  nature 
ont  peu  de  portée,  et  sont  au  moins  inu* 
liles;  mais  quelques-unes  des  sentences 
de  Cléobule  indiquent  une  certaine  élé* 
vation  d'âme,  beaucoup  de  modération  et 
justifient  suffisamment  sa  réputation  de 
sagesse  :  «  Qae  votre  langue  soit  toujours 
chaste.  —  Soyez  familier  avec  la  vertu  et 
Étranger  au  vice.  —Fuyez  Tinjustice.  — 
Maîtrisez  vos  passions. — N'ayez  jamais 
'^econrsà  la  violence. — Calmez  les  haines* 
-**  Ne  vous  laissez  ni-enorgueillir  par  le 
*"<»^  ni  abattre  par  l'adversité.  —  Ap- 

(ODiogLwrt.,  I,  6. 


inrenes  à  suBporler  eourageuaement  le* 
Tidssitudes  de  la  fortune.  »  Il  avait  sou- 
vent cette  maxime  à  la  bouche  :  «  Le 
bien,  c'est  la  mesure.  »  Le  sa£e  Rhodiea 
laissa  une  fille,  appelée  Cléobuline,  qui 
a  aussi  eomposé  aes  énigmes  en  vers 
hexamètres. 

Panétius,  l'un  des  plus  célèbres  philo- 
sophes de  l'école  stoïcienne,  était  né  à 
Rhodes,  vers  l'an  190,  d'une  famille  qui 
avait  fourni  des  prytanes  et  des  navar« 

5uea  à  la  républiaue.  «  Antipater  de 
'aise  fut  son  maftre*  Il  l'écouta  en 
homme  qui  connaissoit  les  droits  de  la 
raison  ;  et  malgré  la  déférence  aveugle 
avec  laquelle  les  stoïciens  reeevoientles 
décisions  du  fondateur  du  portique,  Pa« 
Bétius  abandonna  sans  serupule  celles 
fui  ne  lui  parurent  pas  suiiisamment 
établies.  Pour  satisfaire  son  désir  d'a^ 
prendre,  qui  étoit  sa  passion  dominantOi 
il  quitta  Rhodes,  peu  touché  des  avan- 
tages auxquels  sembloit  le  destiner  la 
crandeur  oesa  naissance.  Les  personnes 
les  plus  distinguées  en  tout  genre  de  lit- 
térature se  rassembloient  ordinairement 
à  Athènes,  et  les  stoïciens  y  avoient  une 
école  fameuse.  Panétius  la  fréquenta 
avec  assiduité,  et  en  soutint  dans  la  suite 
la  réputation  avec  éclat.  Les  Alhéniens, 
résolus  de  se  l'attacher,  lui  offrirent  le 
droit  de  bourgeoisi.e  :  il  les  en  remercia. 
«  Un  homme  modeste»  leur  dit-il ,  au 
rapport  de  Proclus ,  doit  se  contenter 
d'une  seule  patrie.  »  En  quoi  il  imitoit 
^nort ,  qui  dans  la  crainte  de  blesser 
aes  concitoyens,  ne  voulut  point  accepter 
la  même  grâce.  Le  nom  de  Panétius  ne 
tarda  pas  )k  passer  les  mers.  Les  sciences, 
depuis  quelque  temps,  avoient  fait  à 
Rome  des  progrès  considérables.  Les 
grands  les  culti voient  à  l'envi,  et  ceux 
que  leur  naissance  ou  leur  capacité 
ovoit  m»  à  la  tête  des  affaires  se  fai- 
Boient  un  honneur  de  les  protéger  effi- 
cacement. Yoilà  les  circonstances  dans 
lesquelles  Panétius  vint  à  Rome.  Il  y 
étoit  ardemment  souhaité.  La  jeune  no- 
blesse courut  à  ses  leçons,  et  il  conipta 
parmi  ses  disciples  les  Lélius  et  les  Sci- 
pion.  Une  amitié  tendre  les  unit  depuis, 
et  Panétius^  comme  le  témoignent  plu- 
sieurs écrivains,  accompagna  Scipion 
dans  ses  diverses  expéditions.  Les  liai- 
tons  de  Panétius  ave^  Scipion  ne  furent 
pas  inutiles  aux  Rhodiens,  qui  employé- 


i44 


mnnvEBs. 


feBt  sotivent  a  vee  soceès  le  crédit  de  leur 
eompatriote.  On  ne  sait  [kis  préciaéinent 
Fannée  de  sa  mort.  Qoéron  nousapprend 
que  Panétius  a  véeu  trente  ans  après 
avoir  publié  le  Traité  des  Devoirs  de 
f  Homme  que  Gicéron  a  fondu  dans  le 
sien;  mais  on  ne  sait  point  en  quel 
temps  ee  traité  a  paru.  On  peut  croire 
qu'il  le  publia  à  la  fleur  de  son  âge  (1).  » 
A  en  juger  par  les  éloges  qu'en,  donne 
Gicéron  et  le  parti  qu'il  en  a  tiré^  oÎb  traité 
était  un  ouvrage  de  premier  ordre,  dans 
lequel  Panétius  avait  su  éviter  non-seu- 
lement les  excès  de  la  doctrine  des  stoî* 
ciens,  mais  encore  la  séclieresse  et  la 
dureté  habituelies  de  leur  style  qui  re- 
butait les  lecteurs.  Il  avait  réduit  la  mo^ 
raie  de  l'école  à  des  propositions  raison* 
nabies,  l'avait  exposée  dans  un  langage 
clairet  intelligible, et  avait  rendu  ses 
leçons  aimables  par  la  grâce  et  l'élégance 
de  son  style  (9). 

L'école  stoïcienne  de  Rhodes  devint 
célèbre.  Panétius  avait  formé  de  nom* 
breux  disciples  :  le  plus  illustre  est  Po« 
sfdoniu8,à  la  fois  philosophe,  historien, 
géographe,  grammairien  et  savant  (3). 
Posidonius  était  d' A  pâmée  en  Syrie; 
mais  il  vint  s'établir  à  Rhodes,  y  passa 
la  plus  grande  partie  de  sa  vie,  y  ensei- 
gna la  philosophie  avec  succès ,  et  fut 
emplove  dans  les  affaires  publiques.  Son 
earactere  lui  avaitattiré  l'estime  et  la  con- 
sidération générales ,  et  quand  Pompée 
revenant  d'Asie,  vainqueur  de  Mithridate 
l'an  62  avant  J.-G. ,  visita  Rhodes,  il  traita 
Posidonius  avec  les  plus  grands  égards. 
11  alla  cliez  le  philosophe,  qui  était  alors 
retenu  au  lit  par  un  cruel  accès  de  goutte. 
Le  voyant  dans  cet  état.  Pompée  expri- 
mait combien  il  regrettait  de  ne  pouvoir 
l'entretenir  et  Fentendre.  Mais,  reprit  le 
philosophe  :  «  11  ne  sera  pas  dit  que  la 
douleur  soit  assez  puissante  pour  faire 
qu'un  aussi  grand  nomme  m  ait  rendu 
visite  inutilement.  »  Et  aussitôt  il  en- 
tama un  long  discours  pour  prouver  que 

(z)  'AoWint Hut.  j4ne„X,  XII,  p.  4iB.  Cf. 
t.  IX,  a58. 

(a)  Cicér.,  De  Fin.,  IT,  28.  Voir,  sur  les 
autres  ouvrages  de  Panétius,  Meursius,  R/tod,, 
p.  xor,  et  un  mémoire  de  Tabbé  Sévin,  Acad, 
des  Jnscr.,  t.  X. 

(3)  royez  la  liste  de  ses  ouvrages  dans 
Mçur^îus,  iU»d.,  p.  xo5. 


rien  ne  mérite  le  nom  de  hiea  que  It 
vertu.  De  temps  en  temps  les  pointes  de 
la  douleur  devenaient  si  perçantes,  que 
Posidonius  était  obligé  de  s'interrompre, 
et  qu'il  répéta  souvent  :  «  Non»  douleur, 
tu  n'y  gagneras  rien.  Quoique  tu  sois 
incommode,  je  n'avouerai  jamais  que  tu 
sois  un  mal.  «  On  doit  savoir  bon  gré  à 
ce  philosophe ,  dit  Rollin ,  d'avoir  eu  le 
courage,  malgré  ce  qu'il  souffrait,  de 
discuter  des  matières  de  raisonnement 
avec  une  sorte  de  tranquillité.  Mais  n'est- 
ce  pas  une  subtilité  puérile,  que  de  re- 
fuser d'appeler  la  douleur  un  mal,  pen- 
dant qu'dle  fait  jeter  les  hauts  cris  (1). 

Utle  de  Rhodes  a  produit  des  poètes  : 
Nous  passons  Boniere,  dont  elle  pré- 
tendait aussi  être  la  patrie,  mais  qui  ap- 
partient à  toute  la  Grèce  ;  nous  passons 
Aristophane ,  que  certains  auteurs  ont 
fait  naître  à  Camiros  ou  à  Lindos,  mais 
dont  Athènes  s'est  approprié  la  gloire, 
et  Pisandre  et  Idéus  et  beaucoup  d'au* 
très,  tout  à  fait  oubliés,  même  des  anciens. 
Timocréon  est  mieux  connu  par  oe  pas- 
sage de  la  F^ie  de  Thémistocle  de  Plu- 
targue  :  «  Timocréon  le  Rbodiep,  poète 
lyrique,  fait,  dans  une  de  ses  chansons, 
un  reproche  bien  mordant  à  Thémis- 
tocle ;  il  l'accuse  d'avoir  rappelé  les  ban- 
nis pour  de  l'argent,  tandis  que  pour  de 
l'argent  il  l'avait  abandonné,  lui,  son 
ami  et  son  hAte  :  «  Loue ,  si  tu  veux , 
«  Pausanias,  loue  Xanthippe,  loue  Léo- 
«  tvchide  ;  moi,  c'est  Aristide  que  je  loue, 
«  rhomme  le  plus  vertueux  qui  vint  ja- 
«  mais  d'Athènes,  la  ville  sacrée.  Pour 
«  Thémistocle,  ce  menteur,  aet  homme 
«  injuste,  ce  traître,  Latone  le  déteste; 
«  lui,  l'hôte  de  Timocréon,  il  s'est  laissé 
«  corrompre  par  un  vil  argent,  et  a  re- 
«  fusé  de  ramener  Timocréon  dans  la- 
it lysus  sa  patrie.  Oui,  pour  le  prix  de 
«  trois  talents  d'argent,  il  a  nus  à  la 
«  voile,  l'infâme  !  Ramenant  injustement 
c  œux-d  d'exil,  bannissant  œux-là, 
«  mettant  les  autres  à  mort;  du  reste 
«  repu  d'argent.  £t  à  l'isthme  il  tenait 
«  table  ouverte;  avec  quelle  lésinerie 
«  il  servait  des  viandes  iroides;  et  l'on 
a  mangeait  en  souhaitant  que  Thémis- 
«  tocle  n'allât  pas  jusqu'au  printemps.  » 
Mais  Timocréon  lance  contre  Thémis- 

(1)  RoUin,  Hist.  Rom,,  1.  XXX'Wjt.  XI, 
p.  aSi* 


ILE  DE  RHODES. 


1^^ 


fodedes  traits  plus  piquants  encore,  et 
le  ménage  moins  que  jamais,  dans  une 
chanson  qn*il  fit  après  le  bannissement 
de  Thémistoele,  et  qui  commence  ainsi  : 
K  Huse,  donne  à  œ  chant,  parmi  les 
«  Grecs,  le  renom  qu'il  mérite  et  que  ta 
«  loi  dois.  9  On  dit  que  Timocréon  fut 
banni  pour  avoir  embrassé  le  parti  des 
Mèdes.et  que  Thémistoele  opina  pour  la 
condamnation.  Aussi  lorsque  Tbémis- 
toeie  subit  la  même  accusation ,  Timo- 
créon fit  contre  lui  les  vers  suivants  :  «  Ti- 
i  roocréon  n'est  pas  le  seul  gui  ait  traité 
■  a?ec  les  Mèdes;  iljn  bien  d'autres 
B  pervers,  et  je  ne  suis  pas  le  seul  boi- 
«  tenx  :  il  7  a  d'autres  renards  encore.  » 
Ce  poète,  qui  passa  sa  vie  au  milieu  des 
querelles  politiques  et  littéraires,  dut 
surtout  s'exercer  à  l'invective.  On  voit 
par  ces  fragments  qu'il  s'en  tirait  assez 
beorensement,  et  que  sa  poésie^  ijnelque 
peu  rude  et  brutale ,  ne  manquait  ni  de 
Terre  ni  d'esprit  (1). 

II  nous  reste  un  ouvrage  entier  d'un 
poète  rhodien  ;  cesontles^r^onav/i^tté^ 
d'Apollonius.  Apollonius  était  né  à 
Alexandrie.  Il  étudia  sous  Gallimaque  ;  à 
Tio^  ans  il  publia  son  poëme  sur  l'ex* 
{lédidon  des  Arffonautes.  Gallimaque, 
irrité  de  voir  naître  une  réputation  qui 
éclipsait  lasienne,  persécuta  son  disciple, 
et  le  força  à  s'exiler.  Apollonius  se  retira 
«Rhodes,  où  U  obtint  le  droit  de  cité.  Il 
;  enseigna  la  rhétorique,  la  grammaire  ; 
uy  remania  son  poème,  et  le  mit  dans 
Tétat  où  nous  le  possédons.  Rappelé 
plus  tard  à  Alexandrie,  il  y  devint  un 
Personnage  considérable,  et  y  mourut,  à 
1  âge  de  quatre-vingt-dix  ans,  dans  les 
premières  années  du  deuxième  siècle. 
•  l^  AraonatUiques,  dit  M.  Pierron, 
Mot  le  chef-d'œuvre  de  la  littérature 
alexandrine.  Apollonius  abuse  peu  de 
son  savoir  mythologique  ;  il  fait  des  récits 
igréables;  il  trouve  quelquefois  d'assez 
beureuses  images;  mais  il  manque  de 
^e  et  de  force.  Son  poëme  appartient, 
en  somme,  au  genre  ennuyeux  (S).  »  On 
ne  peut  caractériser  ni  apprécier  le  talent 
tTAnexandride,  d'Anth&s,  d'Antiphane 
^  d'autres  poètes  rhodiens  dont  les 
Doon  Mois  nous  sont  parvenus,  ni  le 

(0  A.  Pierron,  Histoire  tie  ia  Littérature 
r^ue,  c  xn,  p.  175. 
(1)  Id.,  ib^  c.  xxxvxa,  p.  389. 

10*  Uoraison.  (Ile  db  Rhobbs.) 


mëritedeiiKNBbMix  Malwiopaqqe  eelte 
fie  a  produits,  et  qui  sont  cités  çà  et  là 
dans  les  anciens  auteurs.  Tous  ces  écrits 
ont  disparu,  comme  tant  d'autres  ;  mais 
H  n'y  a  que  les  historiens  que  je  regrette, 
si  médiocres  qu*ils  pussent  être,  car  un 
hvre  d'histoire  apprend  toujours  quel<iue 
chose  à  son  lecteur.  Les  poètes  ordinaires 
peuvent  disparaître  sans  grand  incon- 
vénient :  or  ceux  de  Rhodes  n'ont  ja- 
mais eu  un  bien  grand  renom  dans  l'an- 
tiquité, et  si  le  ooup  d'œil  que  nous  ve* 
nous  de  jeter  sur  1  histoire  littéraire  de 
cette  ville  nous  montre  un  peuple  stu* 
dieux  et  ami  des  lettres  et  des  arts,  il  ne 
nous  y  fait  pas  découvrir  un  seul  homme 
de  génie ,  Protogène  excepté.  Les  Rho« 
diens  avaient  pour  dons  et  qualités  spé* 
claies  d'être  aptes  an  commerce,  habiles 
dans  les  affaires,  intelligents  et  coura- 
geux dans  la  politique ,  et  cela  suffit  k 
leur  gloire.  Ils  eurent  aussi  le  goût  du 
beau  dans  les  arts  et  dans  les  lettres, 
mais  ils  n'en  eurent  pas  le  génie.  H  n'jr 
a  pas  deux  peuples  dans  l'antiquité  qui 
aient  reçu,  comme  les  Athéniens,  le  don 
d'exceller  en  toutes  choses. 

rv. 

BISTOTEB  DB  l1lB  DB  BHODBS  PEN- 
DANT LE  XOYEN  AGB  ET  LBS  TEMPS 
M0DBBNE8  (1). 

L'Ile  de  Rhodbs  sous  la  domi- 
nation DBS  EMPEBECES  BYZANTINS. 

^~  Devenue  sous  Constantin  la  capitale 
du  thème  cibyrrhatique,  et  le  siège  d'un 
archevêché,  dont  relevaient  quatorze 
évêques,  Rhodes  occupait  dans  l'empire 
d'Orient  un  rang  digne  de  son  ancienne 
importance  et  de  tous  ses  souvenirs  his- 
toriques. Mais  elle  avait  perdu  depuis 
longtemps  cette  indépendance  et  cette 
activité  qui  avaient  fait  autrefois  sa  di- 
gnité et  sa  grandeur,  et  elle  devait  encore 
continuer  pendant  plusieurs  siècles  à 

(x)  Ouvrages  spéciaux  sur  Thistoire  des 
chevaliers  de  Rhodes  i  1^  G,  Bosio,  Istoria 
délia  sacra  reUgione  delT  illustrissima  Mi- 
iitia  di  San^Giopanni  GierosoUnùtano  ;  der- 
nière édiiioD,  Yerona,  1703,  3  ?oU  in-foL  — 
ft*  J.  Baudoin  et  F.  A.  de  Naberat,  Histoire 
des  Chevaliers  de  tordre  de  Saint-Jean  de  Je- 
msalem;  Paris,  x643,  a  vol.  in-fol  —  3*  R.  A. 
de  Yerlot  M'Aubœuf),  Histoire  des  Cheva" 

10 


Î4& 


L'UniVKRS. 


n'être  au*an  membre  inafte  de  oe  Taste 
corps  ae  Tempire  d'Orient,  où  la  vie  et 
raction  avaient  abandoiuié  les  proviiioes 
pour  fie  coneentrer  dana  la  capitale. 
Aussi  rtle  de  Rhodes  disparaft-elle  pres- 
que entièrement  de  l'histoire  pendant  le 
moyen  flge.  Il  en  est  fait  surtout  men- 
tion  dans  les  auteurs  byzantins  à  Tocca- 
sion  de  la  eonstruetionde  Sainte-Sophie» 
sous  Justinien ,  pour  la  coupole  de  la« 
quelle  on  employa  les  briques  blanches 
et  légères  qui  se  fabriquaient  à  Rhodes. 
Douze  de  ces  briques,  dit-on,  ne  pesaient 
pas  plus  qu'une  brique  ordinaire.  On  les 
composait  avec  un  dment  de  jonc  pilé , 
mêle  avec  d'autres  matières,  et  pétri 
avec  de  la  farine*  Ce  ciment  avait  la 
propriété  de  durcir  et  de  devenir  extrê- 
mement léger;  aussi  l'emploi  de  ces  bri« 
ones  et  de  la  pierre  ponce  a-t*il  singu* 
lièrement  diminué  le  poids  du  vastedômo 
de  Sainte-Sophie.  La  fabrication  de  ces 
briques  était  particulière  à  Rhodes,  et 
elle  y  a  été  tellement  oubliée  que  j'i- 
gnore, dit  le  colonel  Rottiers  (1),  si 
un  seul  habitant  en  conserve  aujourd'hui 
le  souvenir. 

L'île  de  Rhodes  dut  à  sa  position,  plus 
centrale,  d'être  moins  exposée  que  les 
îles  de  Chypre  et  de  Crète  aux  incur- 
sions des  Sarrasins.  Chypre  la  couvrait 
du  côté  de  la  Syrie,  et  la  Crète  du  côté  de 
l'Afrique ,  de  sorte  que  les  expéditions 

• 

tiers  hospitaliers  de  Saint-Jean  de  Jérusalem; 
Paris,  i7îfc6>  4  vol.  in-4".  —  4"  S.  Paoîi,  Codice 
diplomatiodelsancto  Ordine  Gierosolimitano  i 
LQcca,  1733,  a  ▼ol.  in-fol.  —  5*  J.G.  Diene^ 
mann,  Nachricht  vom  Johanniterorden,  nehtt 
beigejugten  f^appen  und  Ahnentajeln  dêt 
Rîtter,  herausgegeben ,  vott.  J«  E.  liasse; 
Berlin,  1767,  in-40.  —  6»  P.  M.  Paociaudî, 
Memorie  di  Gran-Maettri  dtlmiUtare  Ordine 
Gierosolimitûno  ;  Parma,  x  7S0, 3  toL  in-i**.-^ 
7^  G.  Caoursiaus;  DeseripUo  O&tidionis  urbis 
Mkodiœ  a  Makomeie  li,  aniio  1480;  Ulme 
X  496,  in-foi.  «~  8«  G.  FonUni,  De  Selio  B/todio 
Ubri  très;  Romse,  x  5a4y  in-fol.,  dernière  édi- 
tion, Basile»,  x53S,  in-So.  —  9*  JeandeBour- 
lMn,  La  grande  et  metveiUeuse  Oppugnaùon 
de  la  cité  de  Rhodes,  priée  par  suiian  Soliman 
en  i5aa;  Paris,  x525,  in-lbL  —  xo»  De 
TiileneuTe-Bargemont,  MomtmemtsdesGrands 
Mattres  de  tOrdre  de  Saint-Jean  de  Je'rm- 
saUm;  Paris,  i%^%  a  vol.  in-S»,  etc.,  etc. 

(i)  Monuments  de  A/wdes,  p.  6t.  Cf.  Gib- 
bon, Décadence  de  fMmpire  BanuUnp  c.  x&. 


marîtimesdesArabessednifèrent  le  plus 
souvent  sur  ces  deuxfles,  qui  étaient  plus 
à  leur  portée.  Cependant  Rhodes  elle- 
même  et  toutes  les  autres  Iles  de  l'ardii- 
pel  ne  restèrent  pas  entièrement  à  l'abri 
de  leurs  aggressions.  Déjà  même ,  avant 
TapparitioD  des  Arabes,  elle  avait  été  ra  va- 
llée par  les  Perses,  à  l'époque  de  la  grande 
invasion  de  Cbosroès ,  sous  le  règne  de 
l'empereur  Héraclius,  l'au  616.  Cbos- 
roès avait  commencé  la  dévastation  des 
antiques  monuments  de  la  ville  de  Rho- 
des, dont  les  dépouilles  allèrent  orner  la 
ville  de  Hamadan,  qu'il  faisait  alors  cons- 
truire pour  être  sa  capitale.  Les  Perses 
y  reparurent  encore  en  622,  l'année 
même  de  l'Hégire,  et  en  emmenèrent  ua 
grand  nombre  d'habitants  en  esclavage. 
Peu  de  temps  aprèsJa  Perse  succonoba 
sous  les  coups  des  musulmans,  et  l'em- 
pire d'Orient  se  trouva  en  face  d*un  en* 
nemi  nouveau  et  plus  terrible.  Vers  le 
milieu  du  septième  siècle ,  sous  le  calife 
Omar,  Moawiah,  encouragé  par  les  suc- 
cès qu'il  avait  obtenus  dans  lile  de  Chy- 
pre, résolut  de  faire  de  nouvelles  courses 
sur  la  Méditerranée.  Il  équipa  une  flotte 
considérable  toute  en  petits  bâtiments; 
et  il  transporta  une  armée  sur  douze 
cents  barques.  Abou*  Lawar  la  comman- 
dait. Il  attaqua  d'abord  l'île  de  Cos ,  qui 
lui  fut  livrée  par  trahison;  il  y  tua  beau- 
coup de  monoe,  fit  un  ^nd  butin ,  et 
détruisit  la  forteresse  qui  s'v  trouvait.  Il 
se  porta  de  là  dans  nie  de  Crète,  puis  il 
passa  dans  celle  de  Rhodes,  et  s*empara 
de  la  ville  et  de  l'île.  Rien  ne  causa  plus 
d'admiration  aux  Sarrasins,  encore  gros- 
siers et  ignorants  dans  les  arts ,  que  les 
débris  du  fameux  colosse  du  Soleil,  oui 
étaient  restés  sur  le  rivage  du  port  de- 
puis près  de  neuf  cents  ans.  Les  musul- 
mans considéraient  avec  étonnement  les 
vastes  cavités  qui  s'ouvraient  à  l'endroit 
des  fractures,  et  les  prodigieuses  masses 
de  pierres  dont  on  avait  rempli  l'inti^ 
rieur  du  bronze  pour  lui  donner  une 
assiette  solide.  Un  marchand  Juif  de  la 
ville  d'Émèse  acheta  de  Moawiah  ces 
énormes  débris,  qui  firent  la  charge  de 
neuf  cents  chameaux  :  ce  que  Muratori, 
ajoute  Lebeau,  traite  de  fable  (1)  sans  en 

(i)  Lebeau  y  Histoire  du  ff as-Empire,  ééL 
Saint-Martin,  t.  XI,  p.  354.  Gibbon  panîl 
avoir  adopté  ropinion  de  Muratori ,  ou  à 


' 


ILB  DE  RHODES. 


147 


apporter  de  niioa  fliifflinft»(65  de  rèie 
efirédeane,  la  douzième  année  du  règne 
deCoosUntlI). 

L*hi8toîre  byxantlne  ne  fixe  pas  Fépo- 
ooe  à  laquelle  les  Arabee  lurent  obasséB 
de  rilede  Rhodes.  Biais,  suivant  toute 
probabilité,  ils  durent  en  partir  Tannée 
soivante  (  664  ),  lorsque  leur  flotte  eut  été 
battue  dans  la  baie  de  Pbcenica.  Tou- 
jours est-il  qu'au  siècle  suivant,  sous  Le 
Kgne  de  l'empereur  Anastase  D  (718), 
Rbodes  était  de  noureau  le  point  de  rat 
liemeotdeseseadres  byzantines.  Du  reste, 
taot  que  le  califat  di)rient  fut  redou- 
table, et  dans  le  fort  de  la  lutte  qu'il  sou^ 
tint  eontre  l'empire  grec,  111e  nit  cons- 
tamment menacée  par  les  courses  des 
Arabes,  qui  insultèrent  plus  d'une  fois 
ses  riTaçes.  En  807,  sons  le  règne  de  To* 
ékax  mcépbore  P',  une  flotte  sarrasine 
ayant  abordé  à  cette  Ile,  au  mois  de  sep^ 
tttnbm,  massacra  les  habitants,  et  sac- 
cagea tout  le  pays.  La  capitale ,  défen^ 
doe  par  une  bonne  garnison,  échappa 
arale  à  la  fureur  des  musulmans  (1). 

Après  la  conquête  de  l'empire  grec 
par  les  Latins  (1204) ,  Rhodes  fut  le  lot 
aun  prince  italien,  dont  rhistoire  ne  nous 
a  pas  conservé  le  nom.  Le  aeoond  erope- 
Rurde  Nîcée,  l'habile  Jean  Dueas  Va« 
taœ^  rétablit  la  domination  des  Grecs  sur 
la  plupart  des  lies  des  côtes  d'Asie.  Il 
reprit  Rhodes,  Lesbos,  Chio,  Samos, 
learie,  Cos  et  plusieurs  autres  fies  de 
TArcbipel.  Vatace  avait  accordé  toute  sa 
KTeur  a  un  seigneur  grec,  nommé  Léon 
Gabalas,  qu'il  avait  élevé  à  la  dignité  de 
osar.  On  lit  dans  George  Aeropolite 
que  cet  ingrat  favori  prit  les  armes  oon* 
^  son  bienfaiteur,  et  s'empara  de  l'tle 
de  Rhodes.  Vataee  envoya  pour  la  re- 
prendre Andronie  Paléologne,  grand  do* 
ine^ique  du  palais ,  déjà  illustre  par  ses 
*ocftres ,  et  oui  le  devint  plus  encore 
^r  sa  postérité.  Andronie,  à  la  tête  d'une 
flotte  et  d'une  armée,  passa  dans  l'tle  de 

■«iiu  il  croit  eoraiBe  lai  que  le  poids  du  co* 
•pMe  a  été  exagéré  ;  mais  lut-ffléme  exagère 
ottn  davantage  quand  il  ajoute  que  ce  poids 
«»  !»rtii  bieo  grand,  «  lors  même  qu'on  y 
coeH.i*qdniit  kê  oeot  ûguiet  ooloftsalea  el  les 
^i«  milk  Matue»  qui  décoraient  la  ville  du 
»ol«I  aux  jour,  de  >a  prospérilé.  >  Déca- 
»«ce  de  l'Empire  Homam^  C.  t. 
(OUbeau,  Hîst,  au  Bas-Empire,  XII, 4lo, 


Rhodes,  en  plein  hiver,  et  combattit  le 
rebelle  (1283).  L'historien  se  contente 
de  dire  que  tout  réussit  au  gré  de  Vatace, 
sans  entrer  dans  aucun  détail.  Il  nous 
apprend  seulement  que  cette  expédition 
de  Rbodes,  quoique  heureuse  pour  l'é- 
vénement, oodta  grand  nombre  de  sol- 
dats ,  qui  périrent  dans  les  combats  ou 
par  la  rigueur  de  Thiver  (1).  • 
Quelque  temps  après  nous  voyons  le 

fouvemement  de  l'fle  de  Rhodes  confié 
Jean  Gabalas ,  frère  de  ce  Léon  qui 
avait  soulevé  cette  Ile  quinte  ans  aupa- 
ravant. L'an  1249,  pendant  une  absence 
du  gouverneur,  une  flotte  génoise,  avant 
abordé  de  nuit,  surprit  la  ville,  et  s  em» 
para  de  Ttie  entière.  Aussitôt,  par  ordre 
de  l'empereur  Vataee,  Jean  Caotacusône^ 

Souvemeor  de  Lydie  et  de  Carie,  passe 
ans  Itle  avec  le  peu  de  troupes  qu'M 
atait,  combat  les  Génois,  et  reprend  plu- 
sieurs placeB.  Ajrant  reçu  im  ronfort  con- 
sidérable, il  assiège  la* ville  de  Rhodes, 
oili  les  Génois,  abondamment  pourvus  de 
vivres ,  étaient  en  état  de  résister  long- 
temps. Cependant  la  vigueur  de  Canta- 
eualène,  ses  attaques  vives  et  continuel* 
les  les  auraient  mentôt  réduits,  sans  un 
secours  imprévu  qui  leur  arriva.  GuiU 
laume  de  Villehardouin,  prince  d'Acfaaïe^ 
et  Hugues,  duc  de  Bouiigogoe,  qui  al- 
laient en  Terre  Sainte  avec  une  flotte 
bien  garnie  de  troupes ,  passèrent  par 
Rhodes,  etconsentirent  volontiers  à  lais- 
ser aux  Génois  plus  de  cent  de  leurs  meil* 
leurs  cavaliers.  Ceux*ci  commencèrent 
par  une  sortie  qui  obligea  les  Grecs,  fort 
maltraités,  à  lever  le  siège  et  à  se  retirer 
dans  Philérème.  Les  cavaliers ,  laissant 
ensuite  les  Génois  à  la  garde  de  la  place, 
se  chargèrent  de  battre  la  campagne, 
pour  amener  des  convois  et  enlever  ceux 
de  l'ennemi.  En  sorte  qu'en  peu  de 
temps  les  Grecs,  comme  assiégés  eux« 
mêmes,  furent  réduits  à  la  disette.  Cepen* 
dant  Vatace,  étant  venu  à  Nymphée,  Ht 
en  diligence  équipera  Smyrne  une  grande 
flotte  et  embarquer  trois  cents  clievaux. 
Il  en  confia  le  commandement  à  Théo« 
dore  Contostéphane .  qui  était  revêtu  de 
la  dignité  de  protosébaste  ;  et  n<m  cou* 
tent  de  Tinstruire  de  vive  voix,  il  lui 
donna  par  écrit  les  détails  de  l'opération 

(i)  Georg.  AcropoLy  c.  uvii,  xxviir; 
Voy,  Lebeauy  id.,  t.  XVH,  p.  367. 

]0, 


148 


L'UNIVERS. 


^u'il  devait  faire.  Là  fldâité  du  général 
à  suivre  les  iDStmctions  d'au  maître 
si  expérimenté  le  rendit  vainqueur.  Les 
eavaliers  auxiliaires  furent  tons  taillés 
enpièees.  Les  Génois,  renfermés  dans  la 
place,  s'y  défendirent  pendant  quelques 
jours  ;  enfin,  perdant  courage,  ils  se  ren- 
dirent, à  condition  d^avoir  la  vie  sauve. 
On  les  conduisit  à  Tempereur,  qui  était 
très-disposé,  par  son  humanité  naturelle, 
à  leur  faire  grace,  même  sans  conditions. 
L'Ile  de  Rhodes  rentra  ainsi  sous  la 
puissance  de  Vataee  (1).  Bientôt  après 
lies  Grecs  reprirent  Constantinople  aux 
Latins,  sons  le  règne  de  Michel  Paléo- 
gue  (  1261  )  ;  mais  leur  empire  était  plus 
chancelant  que  Jamais.  Un  seigneur  de 
la  Qualla,  gouverneur  de  Rhodes,  se  dé- 
clara ind^ndant,  sans  que  l'empereur 
pût  étoufrer  cette  révolte,  et  des  pirates 
turcs  dévastèrent  impunément  cette  tie 
ainsi  que  cdle  de  Ghio,  de  Samos  et  d'au- 
tres dans  rArchipel. 

GORQUÉTB  DB  lIlB  DB  RHODBS  PAH 
LBS  GHBYALIBRS  DB  SaINT-JbAN    DB 

JBBnsALEH  (1309).  —  A  la  fin  du  trei- 
fluème  siècle  le  royaume  de  Jérusalem 
avait  succombé  sous  les  coups  des  son- 
dans  d'Egypte.  La  prise  de  Saint- Jean 
d'Acre  parKalll-Ascraf  (1291)  avait  forcé 
les  ordres  militaires  et  religieux  de  la 
Terre  Sainte  à  abandonner  cette  contrée, 
que  leur  valeur  n'avait  pu  défendre  (2). 
Pendant  quelques  années  les  chevaliers 
de  l'ordre  de  Saint-Jean  de  Jérusalem 
résidèrent  dans  l'île  de  Chypre,  où  les 
avait  reçus  le  roi  Henri  II  de  Lusignan. 
Mais  ce  n'était  là  qu'une  situation  pro- 
irisoire,  qui  ne  convenait  ni  aux  cheva- 
liers, qui  avaient  besoin  d'indépendance, 
ni  au  roi ,  pour  lequel  ils  étaient  des 
hôtes  trop  puissants.  Depuis  l'an  1800 
les  hospitaliers  avaient  a  leur  tâte  Guil- 
laume de  Villaret  ou  de  Villars,  vingt- 
troisième  grand  mattre  de  Tordre.  Mé- 
content de  rhospitalité  ombrageuse  du 
roi  de  Chypre,  Guillaume  de  Villaret 
résolut  de  donner  à  son  ordre  une  r^i- 
dence  ou  il  ne  dépendrait  d'aucun  sou- 
verain temporel  et  où  il  pourrait  conti- 
nuer la  guerre  contre  rislamisme.  Il  jeta 

(x)  Lebeau,  But,  du  Bas-Empire,  t  XTII, 
p.  433. 

(a)  rojr.  plus  haut  l'histoire  de  111e  d^ 
Chypre,  p.  68. 


les  yeux  sur  Itte  de  Rhodes,  dont  la  po> 
Bîtibn  géographique  offrait  tous  les  avan- 
tages  désirables ,  et  dont  l'état  précaire 
promettait  une  facile  conquête.  En  effet, 
Rhodes  ne  reconnaissait  plus  que  de 
nom  la  souveraineté  de  i  empereur  de 
Cottstantmople,  Andronie  II,  qui  n'y 
possédait  alors  qu'une  forteresse.  Elle 
était  occupée  en  partie  par  des  seigneurs 
grecs  indépendants ,  en  partie  par  des 
Turcs,  et  cette  anarchie  où  elle^était  plon- 
§jke  donnait  des  chances  à  ^iconque  se 
présenterait  pour  la  conquérir.  Gmllaïune 
de  Villaret,  sans  rien  communiquer  à 
personne  de  ses  desseins,  vint  à  Rhodes, 
«n  parcourut  toutes  les  côtes,  en  exa- 
mina les  fortifications ,  et  de  retour  à 
Limisso  il  se  préparait  à  aghr,  l<»sque  la 
mort  le  prévint,  l'an  1806. 

FO0LQ0B8  DB    Villaubt  ,    TIlieT- 
QUATUEICB  GBÀNDMAtTBB(1806-IS19). 

—  Le  nouveau  grand  mattre ,  homme 
de  grand  entendement  et  de  grand 
ciBur  (1),  hérita  des  projets  de  son  pré- 
décesseur, et  se  mit  aussitôt  à  Toeavre. 
Mais,  ne  se  sentant  pas  en  état  de  faire 
la  conquête  de  l'tle  de  Rhodes  avee  les 
seules  forces  de  l'ordre,  il  passa  ea 
France,  et  alla  trouver  à  Poitiers  dé- 
ment V  et  Philippe  le  Bel,  auxquels  il  fit 
approuver  l'entreprise.  Le  pape  seconda 
le  grand  mattre  avec  beaucoup  de  lèàe  ;  il 
fit  prêcher  la  guerre  sainte,  il  accorda  un 
Jubilé  et  des  indu^ences  plénières  à  qui- 
conque concourrait  à  l'expédition,  dont 
le  but  était  toujours  tenu  secret.  Bientôt 
une  flotte  se  rassembla  à  Brindes,  d'où 
Foulques  de  Villaret  s'embarqua  au  prin- 
temps de  l'année  1308.  Il  conduisit  son 
escadre  à  Limisso,  d'où,  après  avoir  ras- 
semblé le  restedeses  forces,  il  fitToile  vers 
le  port  de  Macri,  sur  les  côtes  de  la  Ljrcie. 
On  rapporte  qu'avant  son  voyage  en 
France,  Villaret  était  passé  secrètement 
à  Constantinople,  oiï  l'empereur  Andro- 
nie lui  avait  donné  l'investiture  de  Ff le 
qu'il  s'apprêtait  à  conquérir.  Outre  l'in- 
vraisemblance  du  fait,  ce  témoignage  esc 
contredit  par  d'autres  historiens,  q[iii 
prétendent  que  ce  fut  de  Maori  que  Vil- 
laret s'of^t  à  reconnaître  la  suzeraineté 
de 
recevrait 


l'empereur  grec ,  à  condition  qu'il  en 
«vrait  rinvestiture  de  Rhodes,  et 


(i)  Battdoin,  StsM>e  des  Chevaliers,  etc. 
t,  I,  p.  59. 


ILE  DE  BHODES. 


149 


gne  oetlt  pmp^tàànm  fiit  mêlée  avec 
mépris.  Quoi  qa*il  en  soit,  des  oue  les 
espions  enyoyes  poor  explorer  111e  fu- 
rent revenus  a  Macri,  la  flotte  des  che- 
valiers s'approcha  de  Rhodes ,  et  le  dé* 
l»armienient  eut  lieu  après  un  léger 
eomnat.  Les  Turcs  et  les  Sarrasins  s  é- 
tant  réunis  pour  repousser  cette  agres- 
sion, Villaret  les  dispersa,  et  vint  mettre 
le  siège  devant  la  ville.  Après  plusieurs 
assauts  inutiles,  il  convertit  le  siège  en 
blocus.  Alors  le  découragement  com- 
mença à  se  répandre  parmi  les  croisés 
qui  1  avaient  accompagné.  L'argent  man- 
quait;  la  désertion  menaçait  de  disperser 
son  armée,  les  musulmans  avaient  re« 

f^ris  l'offensive  et  établi  leur  camp  non 
oio  de  celui  du  grand  maître.  Mais  Vil* 
laret  rétablit  la  confiance  par  sa  cons- 
tance et  son  courage.  Les  assauts  re- 
commencèrent, plus  fréquents  et  plus 
terribles,  et  la  ville  de  Rnodes  fut  em- 
portée le  15  août  1309,  jour  deTAssomp- 
tiofi.  On  raconte  que  quelques  chevaliers 
s'étant  recouverts  de  peaux  de  mouton, 
se  glissèrent  parmi  des  trou|)eaux  prêts 
à  entrer  dans  Rhodes  ;  qu'arrivés  sous  la 
porte  ils  se  relevèrent,  massacrèrent  les 
sentinelles  et  s'emparèrent  ainsi  de  la 
ville.  Ce  singulier  stratagèmeétait  repré- 
senté sur  de  ma§[nifiques  tapisseries  que 
legrandmaftre  Pierre  d'Aubusson  fit  exé- 
cuter à  grands  frais  en  Flandre ,  sur  les 
dessins  de  Quintin  Messis,  surnommé  le 
maréchal  d'Anvers.  Les  Turcs  s'emparè- 
rent de  ces  tapis  après  le  siège  de  Rhodes 
en  1522,  et  depuis  il  n'en  a  plus  été 
question  (l).  La  prise  de  la  capitale  en- 
traîna la  soumission  de  Vile  entière,  et 
la  conquête  de  Rhodes  fut  suivie  de  cel- 
les des  sept  tles  adjacentes  Nisara,  Pis- 
copia,Calchi  ou  Carchi,  Limonia,  Simie, 
Tilo  et  Saint-Nicolas,  qui  suivaient  pres- 
que toujours  la  fortune  de  Rhodes. 
Quatre  ans  après,  les  galères  de  Tordre, 
qui  avait  quitté  Chypre  pour  s'établir 
oans  sa  nouvelle  conauéte,  sortirent  en 
mer  et  s'emparèrent  des  îles  de  Lango , 
Lero  et  Calamo,  autrefois  Cos,  Léros 
et  Garos.  Lango  était  la  plus  impor- 
tante de  toutes  Tes  dépendances  de  ror- 
dre.  Foulaues  de  Villaret  la  fortifia  d'un 
château  flanqué  de  quatre  tours  car- 

(i)  Rottiers,  Monumenis  de  Rltodet,  p»  6z; 
CoronelU,  UoU  di  Rodi,  p.  7 1 .  *^ 


rées ,  et  ses  successeurs  embellirent  cette 
ville  de  magnifiques  édifices  en  marbre. 
Lango  possédait  aussi  un  évéché ,  et  de- 
vint un  bailliage  de  l'ordre. 

Orioine  et  oegantsation  bk 
l'obdrs  des  chbtàliees  de  SàIRT- 
Jeaii  de  Jébusàlem.  —  Ainsi  Tlle  de 
Rhodes  fut  définitivement  détachée  de 
l'empire  grec,  et  enlevée  aux  musul- 
mans ,  qui  en  étaient  déjà  presque  les 
maîtres.  Pendant  plus  de  deux  siècles 
elle  fut  la  capitale  d'un  État  chrétien 
fondé  par  la  valeur  de  ce  glorieux  ordre 
de  Saint-Jean  de  Jérusalem,  créé  pour  la 
défense  du  samt-sépulcre ,  et  dont  les 
chevaliers,  forcés  d'abandonner  la  Terre 
Sainte,  leur  premier  poste,  allaient  four- 
nir dans  rtle  de  Rhodes  une  nouvelle 
carrière  d'héroïsme  et  de  dévouement. 
Sans  contredit  aucune  des  tles  de  la 
Grèce  n'offre  dans  son  histoire  le  spec- 
tacle d'une  aussi  singulière  transforma- 
tion; non  pas  même  l'tle  de  Chvpre, 
Fui,  tout  en  partageant  avec  Rnodes 
honneur  de  couvrir  la  chrétienté  du 
côté  de  l'Orient ,  reste  un  royaume  sé- 
culier, et  ne  devient  pas,  comme  elle,  le 
poste  avancé ,  la  forteresse  de  la  religion 
contre  l'islamisme.  Comment  donc  s'é- 
tait formé  et  accru  ce  merveilleux  ordre 
de  Saint-Jean  de  Jérusalem ,  dont  l'his- 
toire montre  si  visiblement  tout  ce  ^ue 
{>eut  la  religion  chrétienne  pour  associer 
es  hommes  et  les  faire  agu*,  et  dont  il 
serait  peut-être  téméraire  de  dire  que  les 
destinées  sont  accomplies  ? 

Un  Provençal,  Gérard  Tune  des  Marti- 
eues ,  s'était  dévoué  au  service  des  ma- 
lades dans  l'hôpital  que  des  marchands 
d'Amalfi  avaient  construit  auprès  du 
saint-sépulcre,  l'an  1050.  L'ardente  cha- 
rité de  Gérard  Tune  se  communiqua  aux 
autres  serviteurs  des  malades  de  l'hôpi- 
tal ;  ils  prirent  l'habit  religieux ,  firent 
vœu  de  pauvreté,  de  chasteté  et  d'obéis- 
sance, et  en  1113  le  pape  Pascal  II,  ap- 
prouvant le  nouvel  ordre,  adressa  à  Gé- 
rard Tune  une  bulle  qui  le  nommait 
fondateur  et  chef  des  Hospitaliers,  et 
conférait  aux  frères  seuls,  après  sa  mort, 
le  droit  de  lui  élire  un  successeur  (1), 

(x)  "Voir  dana  les  sUtuts  de  l'ordre,  lit.  Xm, 
la  foiin*  de  t  élection  du  Grand- Maîsire  de 
t Hôpital  de  Hiérusalemy  Baudoin  et  Naberat, 
9*prtie,  p.  XI 5. 


150 


Jusque  là  les  bospitaliers  avaient  dé-' 
pendu  des  moines  du  monastère  du  Saint- 
sépulcre.  Cette  bulle  de  Pascal  11  les  ren» 
dait  indépendants  de  toute  juridiction 
étrangère.  Alors  Gérard  Tune  fit  bâtir 
une  église  sous  Tinvocatiou  de  saint  Jean- 
Baptiste,  et  autour  de  Téglise  s'élevèrent 
les  vastes  bâtiments  de  l'hôpital.  Son 
zèle  ne  se  borna  pas  à  doter  la  Terre 
Sainte  de  ces  utiles  établissements.  En 
Provence,  en  Andalousie,  dans  la  Sicile, 
dans  la  Pouille,  il  fonda  des  hôpitaux 
'  et  des  maisons  de  charité  où  Ton  recueil- 
lait les  pèlerins,  les  pauvres,  les  mala- 
des, et  qui  donnèrent  naissance  aux 
cpmmanderies.  En  1118  Raymond  du 
Puy,  gentilhomme  du  Dauphmé,  succé* 
da  à  Gérard  Tune  par  l'élection  libre  et 
unanime  des  frères  bospitaliers.  Ray- 
mond du  Puy  était  un  homme  de  guerre. 
Blessé  dans  un  combat  il  avait  été  guéri 

Sar  les  frères  de  THôpital  ;  il  était  entré 
ans  leur  ordre ,  il  en  avait  accepté  l'es- 
prit de  charité,  et  bientôt  il  le  remplit  de 
son  esprit  guerrier.  Il  proposa  aux  frères 
hospitaliers  de  joindre  aux  trois  pre- 
miers vœux  qui  les  avaient  réunis  celui 
de  prendre  les  armes  pour  la  défense  de 
la  religion.  Cette  proposition  fut  accueil- 
lie avec  transport,  et  Tordre  fut  sur-le- 
champ  classé  en  trois  divisions  :  les  prê- 
tres, ou  aumôniers  ;  les  frères  servants, 
3ui  devaient  demeurer  auprès  des  mala- 
es  ;  enfin,  les  chevaliers,  qui  portèrent 
répée  sous  le  froc  de  religieux.  Dès  que 
l'ordre  eut  revêtu  ce  nouveau  caractère, 
une  foule  de  jeunes  chevaliers  vinrent 
s'enrôler  dans  cette  milice  sacrée.  On  les 
sépara  d'après  les  royaumes  ou  provin- 
ces d'où  ils  arrivaient,  et  ils  formèrent 
des  corps  distincts,  qui  prirent  d'abord 
le  nom  de  langues ,  et  plus  tard  celui 
i^auberges. 

Raymond  du  Puy  donna  à  l'ordre  ses 
premiers  statuts,  qui,  développés  et  com- 
pléta par  ses  successeurs ,  forment  un 
ensemnle  considérable  de  règles,  de  pré- 
ceptes (1)  et  d'ordonnances  dont  voici 
)66  principaux  traits  :  «  L'habillement 
commun  des  chevaliers  était  dans  Ton- 
tine une  longue  robe  noire  descendant 
]usqu*aux  pieds,  recouverte  en  haut  d'un 

U)  Forez  dans  VHistoire  de  Baudoin  et  de 
Kaoerat  les  Statuts  de  tordre  de  Saint-Jean 
4e  Hierusalem,  t.  II,  p.  3-172. 


manteau  noir  auquel  iénlc  atMdié  an 
eapuee  pointu,  ce  qui  le  fit  nommar 
manteau  à  bec  :  la  croix  blanehe  y  était 
cousue  et  placée  sur  la  poitrine,  du  eolé 
du  cœur.  Ce  fut  Alexandre  lY  qui, 
en  1259,  jugea  à  propos  d'établir  mie 
différence  entre  l'habit  des  servants  et 
celui  des  chevaliers.  D'aprèv  œs  statuts, 
ceux-ci  eurent  seuls  le  droit  de  porter  la 
manteau  noir  en  temps  de  paix  ;  quand 
ils  allaient  à  la  guerre,  ifs  se  reeoa* 
Traient  d^une  soubreveste  rouge  {tth 
pra  veste)^  toujours  décorée  delà  eroix 
de  la  religion. 

«  Pour  être  admis  dans  l'ordre  il 
fallait  prouver  sa  descendance  de  pa- 
rents nobles  de  nom  et  d'armes  (1). 
Gomme  autrefois  à  Sparte,  on  rejetait 
ceux  qu'une  complexion  faible,  un  corpi 
énervé,  ou  quelques  difformités  reo- 
daimt  impropres  aux  fatigues  de  la 
guerre.  On  avait  fixé  l'âge  de  seize  ans 
pour  faire  ses  vœux ,  mais  on  ne  rece- 
vait qu'à  dix-huit  ans  Thabit  de  cheva- 
lier,  et  l'on  était  obligé  de  passer  un  in 
entier  dans  la  maison  des  hospitalien 
avant  la  réception  définitive.  «  Mous 
«  vouions ,  avaient  dit  les  andeiis  de 
«  l'ordre,  que  de  chacun  on  puisse  oon- 
«  naître  la  vie,  les  moeurs  et  la  sofli- 
«  sanoe.  »  L'année  d'épreuves  éooiiiée, 
le  récipiendaire  se  contessait,  et  venait, 
revêtu  d'une  robe  séculière,  se  présenter 
à  l'autel ,  un  cierge  allumé  k  la  noaio. 
Après  avoir  entendu  la  messe  et  conanHi- 
nié,  il  s'approchait  du  grand  maître,  ou 
d'un  chevalier  délégué  par  lui ,  et  de- 
mandait humblement  «  qu'il  lui  pi  (h 
l'admettre  en  oompa^îe  dès  autres  frè- 
res de  la  sacrée  religion  de  l'Hénital  de 
Jérusalem.  »  L'aspirant,  auquel  le  grand 
maître  exposait  la  noblesse  et  l'étendue 
des  devoirs  qu'il  allait  contracter,  jurait 
ensuite  ^n'ii  n'était  engagé  dans  aueoD 
erdre,  ni  esclave,  ni  poursuivi  pour  det- 
tes, qu'il  n'avait  ni  promis  ni  contracté 
mariage  ;  alors  on  le  faisait  approcher,  et 
les  deux  mains  jointes  sur  I  Evangile  il 
pronon^it  ces  paroles.  «  Je  fais  vœu  et 
«  je  promets  à  Dieu  tou^  poissant ,  à  b 
«  bienheureuse  vierge  Marie ,  et  à  saint 

(i)  Toir  les  imstracttons  pour  faire  ira 
preuves  de  noblesse  des  chevauers  de  Maiihe^ 
par  le  commandeur  delCaberat,  3*  partie  d« 
VHistoire  de  Baudoin  et  de  Nabmt,  p.  i63. 


ILE  DE  RHODES 


ISt 


t  Jean-Baptisce ,  dé  rendre  toujours  ; 
«  avec  Taide  de  Diea ,  une  Traie  obéis» 
t  sanœ  ao  supérieur  qui  me  sera  donné 

<  par  Dieu  et  par  notre  ordre;  de  vivra 
«  sans  rien  posséder  en  propre  et  d'ob- 
«  server  la  enasteté.  » 

Bientôt,  et  après  une  nouvelle  profes-» 
sion  de  foi,  le  néophyte  était  revêtu  àa 
manteau  de  Tordre,  et  en  lui  appliquant 
la  croix  sur  la  poitrine  :  «  Au  nom  de 

<  ia  très-sainte  Trinité,  de  la  bienheu- 
t  reose  vierge  Marie,  et  de  saint  Jean- 
«  Baptiste,  disait  le  grand  mattre,  re^ 
«  COIS  ce  signe  pour  raccroissement  de 

*  fa  foi,  la  défense  du  nom  chrétien,  et 
«  pour  le  service  des  pauvres;  car  c'est 
«  pour  cela,  chevalier,  que>nous  te  pia- 
«  çoDS  la  croix  de  ce  coté,  afin  que  tu 
«  Taimes  de  tout  ton  cœur,  que  tu  la 

•  défendes  de  ton  bras  droit,  que  tu  la 

<  conserves  après  l'avoir  défendue.  £R 
«  jamais  en  combattant  pour  J^us- 
"  Christ,  contre  les  ennemis  de  la  foi , 

<  ta  abandonnais  Tétendardde  la  sainte 
«  Croix,  si  tu  voulais  f  échapper  d'une 
«  soerre  sacrée  et  juste,  tu  serais  privé 
«  deoesigneglorieuxcommeparjureaux 
«  vœux  ({ue  tu  as  proférés,  et  retranché 
«  do  milieu  de  nous  comme  une  bran* 
«  ciie  infecte  et  pourrie.  »  En  achevant 
ces  paroles,  le  ^and  mattre  attachait  le 
manteau  du  récipiendaire^  lui  donnait  le 
baiser  de  paix  et  d'amour ,  et  tous  les 
chevaliers  présents  venaient  embrasser 
le  nouveau  trère. 

«  Des  lois  sévères  et  nombreuses  ré- 
{essaient  ces  religieux  guerriers,  et  elles 
n'étaient  point  abrogées  encore  lorsque , 
dans  des  temps  plus  modernes,  un  relâ- 
chement général  affaiblit  la  jpîété  de 
Tordre,  et  que  la  prise  d'habit  devint 
moins  un  acte  de  dévouement  qu'un  cal* 
cnl  ;  souvent  alors  on  fut  contraint  d'ar*- 
nicher  l'habit  à  des  chevaliers  qui  s'en 
étaient  rendus  indignes  en  le  déshono- 
rant par  leurs  vices  et  leur  conduite  cou* 
pable.  Il  fallait  néanmoins  des  causes 
graves  pour  encourir  un  tel  acte  de  ri- 
gueur :  telles  étaient  le  parjure  de  ses 
voeux,  la  rébellion  envers  le  pand 
mattre,  et  surtout  l'opprobre  d'avoir  foi 
devant  l'ennemi.  Comme  dans  une  cala- 
mité publique  ce  n'était  pins  le  conseil 
senl,  mais  tous  les  chevaliers  qui  se  rén* 
misaient  au  son  des  docbes ,  et  la  honte 
des  coupables  y  était  proclamée  de  la 


manière  la  plu»  solennelle.  Amené  en- 
tre deux  haies  de  gardes  par  le  maître 
écuyer,  on  instruisait  les  assistants  du 
crime  qui  lui  était  imputé;  un  jury,  com- 
posé des  baillis  de  1  ordre,  s  organisait 
sur-le-champ,  et  le  procureur  du  grand 
mattre  soutenait  l'accusation.  L'accusé 
pouvait  répondre  et  se  défendre.  S'il 
avouait  sa  taute  en  implorant  le  pardoUi 
les  juges  reparaissaient  devant  1  assem* 
blée,  et  par  trois  fols  imploraient  en  fa- 
veur du  criminel  la  clémence  du  ^nd 
mettre  et  des  chevaliers;  si ,  persistant 
à  tout  nier,  il  demeurait  convaincu  par 
les  feits  et  de  nombreux  témoignages , 
la  sentence  était  d'abord  prononcée; 
toutefois  le  droit  d'implorer  sa  grftce  res- 
tait encore  au  criminel,  et  les  baillis , 
joignant  ordinahrement  leurs  voix  à  la 
sienne,  se  trouvaient  jusqu'à  la  fin  juges 
et  protecteurs. 

«  Mais  lorsque  d'accord  avec  les  che* 
▼allers,  le  grand  maître  avait  par  trois 
fois  rejeté  les  supplications  du  conseil 
et  des  baillis,  on  taisait  mettre  le  cou- 
pable à  genoux  pour  entendre  sa  sen- 
tence, et  dès  qu'il  était  déclaré  à  haute 
voix  infâme  et  eorrompu,  le  mattre 
écuyer  déliait  les  nœuds  du  manteau, 
l'arrachait^  et  les  gardes  reconduisaient 
ignominieusement  en  prison  le  chevalier 
dégradé  ;  cette  privation  de  l'habit  était 
rendue  plus  terrible  par  la  perte  entière 
de  tous  les  droits,  de  tous  les  bénéfices, 
et  Toubli  de  tous  les  services  qu'il  avait 
pu  rendre.  Une  prison  perpétuelle  de- 
venait la  demeure  de  rinfàme,  oui  ne 
communiquait  plus  qu'avec  les  geôliers. 

«  GepeiHlant  tout  espoir  n'était  point 
enlevé  aux  malheureux  que  :leur  jeu- 
nesse ou  des  erreurs  passagères  pou- 
vaient avoir  entraînés;  un  statut  or- 
donna que  s'ils  se  convertissaient  et 
changeaient  totalement  de  conduite,  les 
prisonniers  pourraient  non-seulement 
recouvrer  leur  liberté,  mais  même  être 
admis  de  nouveau  dans  l'ordre.  Ils  fai- 
saient alors  amende  honorable,  la  corde 
au  cou,  les  mainsjointes  et  liées,  tenait 
un  cierge  alluma  en  robe  séculière  ou 
en  chemise,  suivant  la  gravité  de  l'of- 
fsnse;  ils  se  prosternaient  aux  pieds  du 
grand  mattre,  faisant  le  serment  de 
mieux  vivre  à  revenir,  imploraient  leiur 
crîice,  et  s'ils  l'obtenaient,  admis  dans 
les  rangs  des  chevaliers,  il  était  défendu 


161 


L17NIV£B& 


à  tous  les  frèreB  de  kar  ? eproober,  de 
leur  rappeler  odéme  leur  condaauia- 
tioo  (1).  » 

Il  paraît,  dit  Vertot  (3),  que  la  forme 
da  ^uvemement  de  cet  ordre  était  dès 
Tongine  purement  aristocratique  :  Tau- 
torite  suprême  était  renfermée  dans  le 
conseil,  oont  le  mattre  des  hospitaliers 
était  le  chef,  et  en  cette  qualité  et  en  cas 
de  partage  il  y  avait  deux  voix.  Ce  con- 
seil  avait  la  direction  des  grands  biens 
que  Tordre  possédait  tant  en  Asie  qu*ea 
Europe;  l'origine  de  ces  grands  biens 
était  les  donations  et  fondations  faites 
par  les  rois,  les  princes  et  les  seigneurs 
en  faveur  des  hospitaliers  de  Saint- Jean, 
qui,  après  en  avoir  tiré  ce  qui  était  né- 
cessaire à  leur  subsistance,  consacraient 
tout  le  reste  à  nourrir  les  pauvres  ou  à 
soutenir  la  guerre  contre  les  infidèles. 
Jacques  de  vitry,  évéque  d'Acre  en  Pa- 
lestine ,  au  douzième  siècle ,  rapporte 
que  de  son  temps  les  hospitaliers  et  les 
templiers  étaient  aussi  puissants  gue  des 
princes  souverains,  et,  selon  Mathieu 
JPâris ,  autre  auteur  contemporain,  les 
hospitaliers^  possédaient  dans  retendue 
de  la  chrétienté  jusau'à  dix-neuf  mille 
mcMoirs^  terme  par  lequel  on  entendait 
communément  le  labour  d'une  charrue 
à  deux  bœufs. 

Les  propriétés  de  Tordre  étaient  par- 
tagées en  prieurés,  qui  se  subdivisaient 
en  bailliages  et  en  commanderies.  D'a- 
bord Tadministration  de  ces  domaines 
était  donnée  à  des  chevaliers  qui  avaient 
le  titre  de  précepteurs  :  c'étaient  de 
simples  économes,  dont  la  commission 
ne  durait  qu'autant  que  le  grand  maître 
et  le  conseil  le  jugeaient  à  propos.  Sous 
le  magistère  d^Hugues  de  Revel  (  1260) 
on  réoreanisa  Tadministration  des  biens 
de  Tordre.  Les  précepteurs  furent  rem- 
placés par  les  commandeurs;  la  divi- 
sion en  prieurés  prit  sa  forme  définitive. 
Chaque  prieur  dut  réunir  les  contribu- 
tions ordinaires  de  chaque  commanderie 
de  son  prieuré  appelées  re</70f»ion5,  qui 
pouvaient  être  augmentées  selon  les  be- 
soins de  Tordre,  et  en  conséquence  des 

(x)  De  YiUeneuTe-BtfgeiiiODt,  MîonumenU 
4ti  Grands  Maitret  de  F  Ordre  de  Saint-Jean 
de  Jérttsalem,  C  I,  p.  aS  el  Hiiv» 

(a)  Yertoi,  Histoire  d^  tOrtfrf  4p  U«dte^ 
t.  I,  p.  59. 


ordonnances  et  décrets  du  cbapitie  gé- 
néral. 

Le  chapitre  général  était  la  grande  as- 
semblée ae  Tordre ,  ou  assistaient  tous 
les  chevaliers  présents ,  et  où  se  déci- 
daient les  grandes  afEaires  de  la  commu- 
nauté. La  convocation  en  était  déter- 
minée par  les  ^constances,  et  n'avait 
lieu  quelquefois  gu'à  de  longs  inter- 
valles. A  Texception  des  statuts  orga- 
niques et  des  décrets  de  réformation, 
qm  étaient  toujours  délibérés  et  arrêtés 
en  chapitre  général ,  le  reste  du  gouver- 
nement appartenait  au  grand  mattre  et 
au  conseil ,  qui  se  composait  des  hauts 
officiers  de  Tordre,  savoir  :  les  prieurs, 
les  baillis,  le  maréchal,  le  srand  comman- 
deur, le  drapier,  Thospitalier,  et  le  tureo- 
polier  (1). 

Dès  l'origine  de  Tordre  on  vit  aoeou- 
rir  en  foule  la  jeune  noblesse  de  la 
chrétienté  pour  s'enrôler  sous  les  ensei- 
gnes de  la  religion.  Alors  on  sépara  les 
chevaliers  d'après  leur  nation,  ^  on  en 
forma  sept  langues,  savoir  .-Provence, 
Auvergne,  France,  Italie,  Aragon,  Alle- 
magne et  Angleterre.  Dans  les  premiers 
siècles  de  Tordre,  les  prieurés,  bailliages 
et  commanderies,  étaient  communs  in- 
différemmoit  à  tous  les  chevaliers ,  ao 
lieu  que  ces  dignités  ont  été  depuis  af- 
fectées à  chaque  langue  et  à  chaque  na- 
tion particulière.  Plus  tard  le  nombre 
des  langues  fut  porté  à  huit,  par  la  créa- 
tion de  celle  de  Castille  et  de  Portugal. 
Mais  après  le  schisme  d'Henri  VIII  la 
suppression  de  la  langue  d'Angleterre 
en  ramena  de  nouveau  Te  nombre  à  sept. 

Cette  organisation  de  Tordre  de  Saint- 
Jean  de  Jérusalem  ne  fiit  pas.Tœuvre 
d'un  jour.  Elle  se  développa  et  se  com- 
pléta successivement,  selon  les  circons- 
tances et  les  besoins  du  moment ,  pen- 
dant toutes  les  vicissitudes  de  l'existence 

(x)  Les  turcopoles,  dit  Yertot,  1. 1,  p.  ao6, 
d'où  a  été  forme  le  nom  de  tureopoRer,  étaient 
smdeiiDemeiit  des  compagnies  de  che^n- 
légers.  L'origine  de  ce  terme  menait  des  Tbr- 
comans,  qui  appelaient  en  général  Tttrto^oUs 
les  enfants  nés  d'une  mère  grecque  el  d'un 
père  turcoman ,  et  qui.  étaient  destinés  à  la 
milice.  Ce  fat  depuis  un  titre  de  dignité  nili- 
laire  dans  le  royaume  de  Ckypret  d*où  il 
était  passé  dans  Tordre  de  Saint-Jean.  Mais 
les  hosoitaliers  ne  s'en  servaient  que  pour  dé- 
signer le  colonel  général  de  l'infanterie 


ILJfL  DE  RHODES. 


<6a 


li  agitée  di  e0l  ordre,  qiielafeniuieëe 
laoïerre  avait  déjà  toreé  plusieurs  fois 
à  coaoger  de  résidence.  £q  effet,  après 
la  prise  de  Jérusalem,  en  1187,  les  che* 
Tahers  s'étaient  retirés  à  Margat,  une  de 
Jeun  forteresses  de  Palestine.  Le  neu- 
vième grand  maître  de  Tordre,  £rmen« 
ard  d  Aps,  alla  s'établir  à  Saint- Jean 
d*Aere,  qui  était  devenue  la  capitale  du 
royaume  chrétien  de  la  Terre  Sainte.  Un 
instant,  de  1286  à  1244,  les  hospitaliers 
purent  reparaître  à  Jérusalem,  d  où  Tin- 
vasion  des  Turcs  Kharismiens  les  chassa 
de  uoaveau.  Us  revinrent  à  Margat  et  à 
SaiDt-Jean  d*Acre,  où  ils  restèrent  jus* 
qu*à  la  prise  de  cette  ville  par  le  fils  de 
iélaoun.  Jean  de  Villiers  ,  vingt  et 
UDième  grand  maître,  se  retira  dans  File 
de  Chypre,  à  Limisso,  où  Tordre  sé- 
journa jusqu'en  1309,  époque  à  laquelle 
il  Tint  s'installer  dans  1  île  de  Rhodes , 
sa  récente  conquête.  L'ordre  de  Saint- 
Jean  de  Jérusalem  resta  à  Rhodes  de 
Tan  1309  à  Tan  1522  sous  le  gouverne- 
ment de  dix-neuf  grands  maîtres  depuis 
Foulques  de  Yillaret,  le  vingt-quatrième, 
JQsqu  a  Villiers  de  TUe  Adam,  le  aua- 
rante-deuxième.  Cette  période  de  l'his- 
toire des  cltôvaliers  de  Rhodes,  comme 
ils  s'appelèrent  alors,  fut  une  croisade 
continuelle  contre  tes  Turcs,  dont  ils 
retardèrent  longtemps  les  conquêtes 
dans  l'Archipel ,  alors  que  toute  T£u- 
lope  orientale  leur  était  déjà  soumise. 

DEJlNltABS  ANNÉES   DB  FOULQUES 

dbTillàbex.  —  Au  moment  où  Tordre 
de  THôpiUl  s'établissait  dans  Tîle  de 
Rhodes,  la  Méditerranée  était  déjà  par* 
courue  par  des  pirates  turcs,  qui  en  dé« 
Testèrent  les  îles  depuis  le  Bosphore 
jusqu'à  Gibraltar.  Les  historiens  byzan- 
tins font  mention  des  diverses  descentes 
des  flottes  turques  et  de  leurs  ravages 
dans  les  îles  des  Princes,  de  Samos ,  de 
Carpathos,  de  Lemnos,  de  Lesbos,  de 
Candie,  de  Malte,  de  Rhodes,  et  dans 
les  autres  Gyclades.  C'était  même  aux 
Turcs  plutôt  qu'aux  Grecs  que  Rhodes 
avait  été  enlevée  par  les  chevaliers  de 
Saint-Jean.  Maïs  il  n'est  pas  probable 
qu'ils  aient  eu  déjà  pour  adversaires  les 
Turcs  Ottomans.  Othman,  fils  d'Erdo- 
grul,  avait  déjà,  il  est  vrai ,  jeté  les  fon- 
dements du  puissant  empire  qui  devait 
plus  tard  réunir  toutes  ces  contrées  sous 
sa  domination.  Mais  àcette époque,  1310, 


A  ne  s'étmi  eiieon  ^prandi  que 
rintérieur  de  T  Asie  Mmeure  ;  son 


dans 
terri* 
toire  s'étendait  à  peine  jusqu'à  la  mer* 
où  il  n'avait  eonquis  que  la  position  de 
ILalolimni;  aussi  peut-on  conjecturer 
avec  raison  que  ces  flottes  turques  dont 
il  est  fiait  si  souvent  mention  dans  Ba- 
chymère  et  dans  les  historiens  byzan^ 
tins  de  ce  temps-là  appartiennent  non 
aux  Ottomans,  mais  aux  princes  turcs 
de  Karasi,  de  Saroukhan,  d'Aîdin  et 
de  Mentesché,  qui  occupaient  les  oôtea 
de  TAsie  Mineure  depuis  le  golfe  de  Mo- 
dania  jusqu'à  celui  de  Megri  (Telmis- 
sus)  (1).  Si  donc  Tan  1310  Rhodes 
eut  à  se  défendre  contre  les  attaques  des 
Turcs,  ce  ne  fut  pas  Témir  ottoman  qui 
dirigea  cette  expédition,  comme  le  ra* 
conte  Vertot  et  presque  tous  les  histo- 
riens de  Tordre,  mais  l'un  de  ces  princes 
turcs  qui  s'étaient  élevés  sur  les  débris 
deTempiredesSeldjoucides,et  le  dernier 
historien  des  Ottomans, M.  de  Hammer, 
se  garde  bien  d'attribuer  au  fils  d'Erdo- 
grul  cette  prétendue  expédition  mari- 
time. 

Outre  le  succès  de  leur  établissement 
dans  Rhodes,  les  chevaliers  de  Saint- 
Jean  firent  bientôt  un  héritage  inat*. 
tendu,  qui  leur  procura  d'immenses  ri- 
chesses. L'ordre  des  templiers  venait 
d'être  aboli;  le  pape,  en  frappant  cet 
ordre  pour  complaire  à  Philippe  le  Bel, 
conserva  une  partie  de  ses  biens  à 
la  religion,  en  les  donnant  aux  cheva- 
liers de  Rhodes ,  qui  en  firent  prendre 
possession  par  neuf  commissaires  nom- 
més par  le  grand  maître  et  le  conseil. 
«  Mais,  dit  Vertot  (2),  ces  différentes 
sources  de  richesses,  si  avantageusesdans 
un  Ëtat  purement  séculier,  affaiblirent 
insensiblement  cet  ordre  religieux.  La 
puissance  temporelle,  poussée  trop  loin, 
causa  depuis  sa  faiblesse  :  et  les  grands 
biens,  surtout  des  particuliers,  introdui- 
sirent parmi  les  plus  jeunes  chevaliers 
le  luxe,  la  mollesse  et  les  plaisirs.  »  As- 
surément c'est  trop  tôt  annoncer  la  dé- 
cadence d'un  ordre  à  qui  étaient  encore 
réservés  plusieurs  siècles  d'une  histoire 

(z)  De  Hammer,  Histoire  des  Ottomans , 
t»  I,  p.  ga. 

(a)  Vertot,  Histoire  des  ClievaUers  hospi- 
t^ers  de  Saint-Jean  de  Jérusahm,  clc, 
t.  ,Uy  p.  a. 


154 


iromvERa 


^orieiiM.  et  on  peut  reeoanafire  à  cette 
i^reté  de  langage  eombien  sont  justes 
les  reproches  adressés  à  Vertot  sar  Tin*- 
exactitude  de  ses  jagements  et  de  ses 
récits  dans  cette  histoire  des  ebeyaliers  de 
fiaîDtJean^  qui  pourtant  lui  avait  été  corn* 
mandée  par  Tordre  lui^néme.  La  vérité 
est  que  Foulques  de  Tillaret,  enorgueilli 
par  le  bonheur  de  ses  entreprises  et  les 
grands  accroissements  de  Tordre  sous  son 

Souremement,  se  laissa  aller  à  la  fougue 
e  son  caractère  et  à  rentraînement  de  ses 
passions.  Infidèle  aux  anciennes  mœurs 
de  Tordre,  il  s*adonna  au  luxe  et  à  la  mol- 
lesse ,  sacrifia  les  affaires  aux  plaisirs , 
et,  affectant  des  manières  absolues  et 
despotiques ,  rejeta  dédaigneusement 
tous  les  conseils  et  viola  ouvertement 
toutes  les  règles.  Mais  les  torts  du  grand 
maître  étaient  si  peu  ceux  de  Tordre  eu' 
tier,  que  le  plus  vif  mécontentement  se 
manitesta  bientôt.  Le  conseil  somma  le 
grand  maître  de  rendre  compte  de  son 
administration,  qui  était  si  désordonnée, 
que  les  dettes  de  Tordre  augmentaient 
tous  les  jours  ;  sur  son  refus  de  répondre 
à  cette  sommation,  queloues  cheva- 
liers, ayant  à  leur  tête  le  rigide  comman- 
deur Maurice  de  Paenac,  formèrent  le 
coupable  dessein  de  s  emparer  du  grand 
maître  et  de  le  traîner  devant  le  conseil. 
Averti  à  temps,  Foulques  s'échappa,  et 
vint  se  retrancher  dans  le  château  de 
Lindo,  d'où  il  protesta  contre  ce  que 
pourrait  décider  le  conseil,  et  fit  appel 
au  souverain  pontife  (1817). 

La  fuite  de  Foulques  de  Villaret  irrita 
Tordre  entier.  Le  grand  maître  fut  dé- 
posé et  Maurice  de  Pagnacélu  à  sa  place; 
Un  schisme  déplorable  allait  déchirer 
Tordre  de  Saint-Jean,  lorsoue  le  pape 
Jean  XXII  évooua  Tamire  a  son  tribu- 
nal ,  suspendit  les  deux  çrands  maîtres, 
et  chargea  Gérard  de  Pins  d'adminis- 
trer pendant  l'interrègne.  Bientôt  les 
deux  compétiteurs  arrivèrent  devantleur 
juge.  Un  accueil  bien  différent  leur 
avait  été  fait  en  France.  On  ne  connais- 
sait au  loin  que  la  gloire  et  les  exploits 
de  Foulques  :  on  le  traita  en  héros; 
Maurice  de  Pagnae,  qui  portait  un  nom 
obscur,  fut  regardé  comme  un  chef  de 
séditieux.  11  se  retira  à  Montpellier,  où 
il  mourut,  en  1818.  Foulques  restait 
inrand  maître  ;  mais  le  pape  reconnut  dans 
tordre  une  répugnance  si  invincible  et 


d'ailleurs  bien  fondée  à  loi  obéir,  quH 
ledétermina à  abdiquer,  Tan  1819,  à coa- 
didon  qu'il  jouirait  sa  vie  durant  d'un 
prieuré  indépendant  de  toute  redevanœ 
et  de  toute  responsabilité.  Puis  les  die- 
valiers  réunis  a  Avignon  procédèrent  à 
l'élection  d*un  nouveau  grand  maître, 
et ,  sur  la  recommandation  du  pape,  ih 
élurent  le  Provençal  Hélion  ne  Ville 
neuve ,  grand  prieur  de  Saint-Gilles. 

Ainsi  Thabireté  et  Tesprit  conciliant 
de  Jean  XXII  avaient  prom|)tement  ter- 
miné une  querelle  qui  pouvait  dégénérer 
en  guerre  civile  et  entraîner  les  plus  fi- 
cheuses  conséquences  pour  les  mtéréts 
de  Tordre  et  de  la  chrétienté  ;  et  ce  n'est 

{>as  la  seule  fois  que  nous  signalerons 
'intervention  des  souverains  pontifes 
comme  arbitres  des  actions  de  Tordre. 
«  Les  chevaliers  de  THôpital  étant  uni- 
«  quement  destinés ,  comme  le  dit  Ray* 
«  moud  du  Puy  dans  sa  règle,  à  combattre 
«  pour  la  gloire  de  Jésus-Christ ,  pour 
«  maintenir  son  culte  et  la  religion  catho- 
«  lique,  aimer,  révérer  et  consen-er  la  jus- 
«  tice,  favoriser,  soutenir  et  défendre  ceux 
«(  qui  sont  dans  Toppression ,  sans  négli- 
«  ger  les  devoirs  de  la  sainte  hospitalité,  • 
«  il  était  naturel  que  des  liens  étroits 
rattachassent  ces  soldats  -  religieux  à  h 
chaire  apostolique,  d'où  émanent  pour 
le  monde  chrétien  les  sublimes  exem- 
ples et  les  paroles  d*encouragement  do 
serviteur  des  serviteurs  de  Dieu  ;  il  tt» 
tait  donc  une  sorte  de  filiation  entre 
Tordre  de  THôpital  et  le  souverain  poih 
tificat.  Indépendamment  de  ce  motif,  le 
pouvoir  moral  du  pape  s'élevait ,  dans 
ces  siècles  de  foi ,  au-dessus  même  ^f 
celui  des  rois  et  des  empereurs  ;  dans 
Tintérét  de  Tunité  religieuse ,  que  Ton 
confondit  trop  souvent  avec  Tnmté  poli- 
tique acquise  au  j^rofitdeRome,  le  suc- 
cesseur de  saint  Pierre  concentrait  à  son 
tribunal  la  connaissance  de  toutes  les 
matières  qui  avaient  trait  au  bien  de  b 
religion,  et  propageait  sur  tous  les 
points  de  Tumvers  catholique  Tautorité 
de  ses  décisions.  Or,  par  leur  nature 
même,  les  ordres  religieux  et  militaires, 
tels  aue  celui  de  THôpital,  se  trouvaient 

S  lacés  dans  une  dépendance  plus  imme- 
iate  du  saint-siége ,  et  devaient,  par 
conséquent ,  subir  d'une  manière  plus 
directe  son  action  toute-puissante.  (Test 
ce  qui  fait  qu'à  considérer  les  chevaliers 


ILE  DS  ftSODGS. 


i»: 


de  SmUleaxk  de  Jérusalem ,  même  ate- 
traetioD  laite  des  rapfiorts  nécessaires 
qui  unissent  au  saint-siége  an  ordre  re- 
ligieux, il  faut  convenir  que  leur  institu- 
tion, quoiqu'elle  eât  son  existence  à 
part  et  sa  vie  politique,  n*aurait  iamais 
pu  s'afi&ancbir,  comme  tant  d  autres 
£tâts,  de  la  tutelle  de  Rome,  n!  se  dé- 
veloj^per  d*une  manière  aussi  forte  qu'à 
l'abri  de  sa  vivifiante  influence  (1).  » 

HSLION    DE    YlIXENEUTE,    VÏWGT- 
CINQUIEME  GRAND  MAÎTAE  (1819-1 346). 

—A  peine  le  nouveau  grand  mattre  fot-il 
élo,  que  le  pape  le  félicita  de  son  éléva- 
tion par  une  nulle  datée  d* Avignon ,  le 
19  juin  1319,  où  il  s'exprimait  en  des 
ternies  :  «  £a  notre  présence  et  en  celle 
de  DOS  frères,  réunis  dans  un  consis- 
toire secret,  BOUS  les  exhortâmes  avec 
ifltianee  à  «hoisir  et  à  nommer  pour 
grand  mattre  celui  qu'ils  Jugeraient  le 
plos  propre  à  eette  haute  dignité.  Après 
en  avoir  mûrement  conféré  entre  eux, 
diaoïn  se  retira  à  part ,  et  prenant  en 
considération  le  zèle  religieux ,  la  purc^ 
de  vie ,  la  gravité  de  moeurs  et  ta  sagesse 
de  conseil  qui  tous  ont  toujours  distin- 
i^ué,  ainsi  que  la  valeur  extraordinaire 
oue  TOUS  avez  constamment  déployée 
dans  la  Terre  Sainte  contre  les  nations 
ioiidèles;  ayant  également  égard  aux 
iKMnbreux  services  que  vous  avez  rendus 
i  I  ordre  dans  les  différentes  adminis- 
trations qui  vous  ont  été  confiées,  et  où 
vous  n*avei  pas  montré  moins  de  désin- 
téressement que  de  prudenee  et  de  sa- 
gesse; enfin,  n*oubliant  ni  votre  rare 
nreonspeetion ,  ni  votre  esprit  de  pré- 
▼ojance,  ni  tontes  les  autres  vertus  aont 
voas  avez  donné  tant  de  preuves,  le  con- 
seil VOUS  a  déclaré  unanimement  le  plus 

digne  de  la  grande  maîtrise Mous 

espérons  qu'après  avoir  été  trouvé  fidèle 
dans  la  puissance  terrestre  que  Dieu 
vous  a  remisct  vous  serez  digne  de  ré- 
gner «ncore  dans  les  tabernacles  de  la 
ne  éteroeUe.  » 

L'administration  d'Hélion  de  Yille- 
oeoTs  justifia  toutes  les  espérances  et 
^les  éloges  du  pape.  Apres  quelques 
années  de  séjour  en  Europe,  employées 
a  régler  les  affaires  de  Tordre  sur  le  oon- 
^«Dt  et  à  terminer  tous  les  différends 

(0  tte  Villetieuve-BacgemoDt,  Monuments 
^  Grûndi  Maitret^  etc.,  1. 1,  p.  Si 


réiatifil  à  la  sooéeasioa  Ali  tetpBwas» 
Hélion  de  Vilieneave  ipartit  pour  Rho* 
des ,  attaquée  eette  fois  par  les  Turcs 
Ottomans.  Avant  de  quitter  la  Franoe» 
il  convoqua  à  Montpellier  un  chapitns . 
gâiéraly  oà  Ton  prit  des  mesures  impor- 
tantes. Cest  là  que  Tordre  fut  divisé 
par  langues  et  que  l'on  créa  huit  baillis 
conventuels,  on  grands<Kuroix «  qui  en 
étaient  les  plus  hauts  dignitaires  après  le . 
grand  maître,  dont  ils  devaient  former  le 
conseil.  L'Hôpital  étant  alors  accablé  de. 
dettes,  on  augmenta  les  rupotuionê^ 
(^estè«dire  les  sonames  que  chaque  com- 
mandeur était  tenn  de  faire  verser  au 
trésor,  et  des  peines  ^ves  furent  éta- 
blies contre  ceux  qui  différeraieni  de 
s'en  acouitter  (la^ra).  Arrêté  au  moment 
de  s'eniDarquer  à  Marseille  par  une  ma- 
ladie à  laquelle  il  faillit  succomber,  de. 
Villeneuve  ne  put  arriver  qu'en  1393 
dans  rtle  de  Rhodes»  où  il  était  impa- 
tiemment attendu. 

En  effet,  la  situation  devenait  difQeile, 
Après  les  troubles  qm  avaient  signalé  le 
fin  du  gouvernement  de  Foulques,  Tab» 
sence  prolongée  de  son  successeur  avait 
encore  relâché  les  liens  de  la  discipline. 
Les  commandeurs  s'étaient  dispersés 
dans  leurs  provinces  et  détournaient  les 
revenus  de  leur  destination  ;  la  garnison 
de  Rhodes,  mal  pavée,  se  débandait, 
les  fortifications  tomnaîent  en  ruines.  La 
lieutenance  de  Gérard  de  Pins  avait  été 
marquée  par  quelques  exploits  contre  les 
Turcs  )  mais  ce  uave  chevalier  n'avait 
pu  arrêter  les  progrès  du  désordre.  Le 
retour  du  grand  mattre  remit  toutes  cho^ 
ses  en  bon  ordre  :  dès  son  anrivée  il  fit 
travailler  à  la  réparation  des  remparts. 
Il  fit  construire  à  ses  frais  un  bastion 
crénelé  et  un  boulevard  qui  conservent 
encore  aujourd'hui  le  nom  de  château 
de  Villeneuve;  il  augmenta  la  flotte, 
et  fit  respecter  dans  tout  T  Archipel  Ica 
pavillons  de  Tordre,  il  rendit  des  règle-* 
ments  utHes  aux  habitants  de  rtle;  par 
ses  soins  la  mendicité  fîit  extirpée; 
l'industrie  et  le  travail,  encouragés,  ra* 
menèrent  l'abondance;  et  un  vaste  hô- 
pital s'éleva  pour  recevoir  les  malades 
et  servir  d'asile  aux  vieillards  sans  res», 
sources.  Cependant  l'ordre  avait  une' 
dette  considérable  à  amortir.  On  avait 
dépensé  des  sommes  énormes  pour  le 
recouvrement  des  biens  des  templiens  ^ 


M 


L'UNIVERS* 


qmtie  tingt-dii  nulle  dnoits  avaient  été 
enipnintés  au  pape  à  l'époque  de  la  eon- 
quéte  de  Rhodes;  ou  devait  soixante 
mille  fl<Nri08  d*or  à  Florenee  et  presj)!» 
autaot  à  Gènes.  Foulques,  par  prodiga- 
lité, Gérard  de  Pins,  ffar  nécessité, 
avaient  eu  recours  encore  a  de  nouveaux 
emprunts.  L'hablletéetréoonomie  d'Hé* 
lion  de  Villeneuve  réparèrent  tout.  Il 
commença  par  se  libérer  de  la  créance 
du  pape  Vn  lui  vendant  quelques  biens 
de  FHdpital  et  en  lui  payant  le  reste. 
On  obtint  aussi  du  pontiie  l'autorisa- 
lions  d'aliéner  d'autres  possessions  pour 
la  valeur  de  deux  cent  mille  florins. 
Insensîblemrat  tout  fut  acquitté,  les 
finances  se  rétablirent,  le  trésor  s'aug- 
menta, et  Tordre,  à  son  tour,  se  trouva 
créancier  de  plusieurs  banques  de  TEu- 
rope. 

Cétait  le  temp«  où  le  rovaume  de 
Chypre  parvenait  à  son  plus  haut  point 
de  prospérité  sous  le  règne  de  Hugues  IV  ; 
mais  c'était  aussi  le  moment  où  la  dynas- 
tie ottomane  grandissait  pour  la  ruine 
de  tous  les  États  dirétiens  de  l'Orient. 
Orkban,  fils  d'Otbman,  avait  étendu  ses 
conquêtes  dans  la  partie  occidentale  de 
l'Asie  Mineure,  et  commençait  à  atta- 

Soer  l'Europe.  Lés  émirs  d'Aîdin  et 
e  Saroukhan  n'avaient  pas  cessé  d'étie 
redoutables.  La  chrétienté  d'Orient  était 
environnée  de  dangers;  et  par  malheur 
l'Égliseétait divisée  par leorand  schisme. 
Néanmoins ,  excités  par  les  éneigîques 
remontrances  de  Clément  VI,  les  cheva- 
liers de  Rhodes  et  les  Lusignans  sou- 
tenaient vigoureusement  la  Uitte,  et  ea 
1846  la  flotte  de  Tordre,  conduite  par 
Jean  de  Biandra,  chevalier,  prieur  de 
Lombardie,  fit  une  brillante  expédition 
sur  les  côtes  de  l'Asie  Mineure,  et  s'em- 
para de  la  ville  de  Smyme ,  acquisition 
miportante  pour  la  ^erre  et  le  com- 
merce. Ce  fut  le  dermer  événement  du 
kmg  et  glorieux  magistère  d'Hélion  de 
Villeneuve,  qui  avait  eu  pour  résultat 
de  rétablir  la  discipline  dans  Tordre  et 
d'y  ranimer  l'esprit  guerrier  qu'un  long 
repos  avait  engourdi.  De  Villeneuve 
mourut  à  quatre-vingts  ans,  en  1346,  ei 
fia,  dit  Ifaberat,  méritoiremerU  sur" 
nommé  l'heureux  gouverneur  (1). 

(i)  HUkùrê  des  Chentiiende  f  Ordre,  etc., 
p.«7- 


Dibudorué  he  Gozon,  tihgt- 
sixishb  gbànd  mattbe  (1346-135s). 
— Sous  Hélionde  Villeneuve,  en  1342,  an 
chevalier,  nommé  Dieudonné  de  Gozon, 
tua  un  serpent  énorme  qui  répandait  Pé- 

emvante  clans  Rhodes  et  aux  environs, 
éjà  plusieurs  chevaliers  avaient  suc- 
combé dans  cette  eotreprise,  et  le  grand 
maître  avait  formellement  défendu  aux 
autres  d*attdquer  le  monstre.  Malgré 
cet  ordre,  Qozon,  n'écoutant  que  Fins- 
piration  de  son  courage,  avait  tenté  l'a- 
venture et  en  était  sorti  vainqueur  (t); 

(i)  Voici  comment  le  combat  est  raconté 
dans  VH'tsioire  de  tordre  de  Saint-Jean^  de 
Haberat  et  Baudoin.  Par  sa  simplicité,  oe 
récit  est  bien  préférable  i  celiii  de  Vcrtoi,  an- 
quel  il  sert  de  base  : 

«  En  06  temps,  dit  Kaberat,  il  y  avoii  a 
nie  de  Rhodes  ung  i^nd  dhrajpon  en  ane 
caverne,  d*où  il  infeâoit  Tair  de  sa  piuolear, 
et  taoit  les  hommes  et  les  bestes  qu'il  pov- 
voit  renoonsbvr,  et  cstoit  dé£endu  è  tons  reli- 
gieux soubs  peine  de  privations  de  Tbabit,  eic^ 
et  à  tons  subjects  de  passer  en  ce  liea  qui  s'ap- 
peloit  Afaitpas.  Ce  dragon  étoit  de  la  gros- 
seur d]un  cbeyal  moyeu ,  la  teste  de  serpent, 
les  oreilles  de  mulet,  recouvertes  de  peau  fort; 
dure  et  d'escailles ,  ies  dents  fort  aiguës ,  h 
gorge  grande,  les  jeux  caves,  luysans  comme  fn 
avec  ung  regard  esfroyable.  Quatre  jamks 
comme  ung  crocodile  ;  les  grifUes  fort  dum] 
et  aiguës  ;  sur  le  dos  deux  petites  aîales,  dessos 
de  couleur  d'ung  dauphin ,  dessoobs  jauno| 
et  verdes  comme  estoient  le  ventre  et  b  qnns 
comme  nng  lezart.  Il  conrroit,  betunt  de  fs 
aisies ,  autant  qu'ung  bon  cheval  «vec  uaf 
horrible  sifflemeat. 

«  Le  chevalier  de  Gozon  ayant  entrepris  de 
le  combattre,  s*en  alla  à  Goaon,  chex  soa 
£rère ,  où  il  fist  ung  iant6me  qui  représentai! 
naîfvement  le  dragon,  et  accoustuma  son  cll^j 
Tai  et  deux  chiens  à  rap|jrocher  et  PattaquA 
courageusement  sans  cramte. 

«  Après  retourné  à  Rhodes,  fist  nii  jourj 
ter  ses  armes  à  Tesglise  Saint-Estieane , 
Maupas,  et  y  envoya  son  serviteur,  et 
avec  un  seul  serviteur,  s*y  en  allast , 
qu'on  recognnst  son  dessein.  11    laissa 

serviteurs  sur  le  oosteau  ,  et  leur  oomi 

qu'aj^nt  veu  le  combast,  s*ll  csloit  viii 
et  tué,  ils  s'enfuissent ,  si  non  qu'Us  vinss 
à  luy  pour  le  secourir.  Et  lui  armé  de  too^ 
pièces,  la  lanoe  sur  la  cuisse»  marche  veni 
caverne,  laquelle  il  trouva  suivant  contre  i 
courant  d*ung  ruisseau  qui  en  sortoit.  D 
un  peu  de  temps,  le  dragon  vint  à  lui  la  ti 
levée,  et  bastant  des  aisies  avec  son  ' 


ILÏ  DE  BHODES. 


157 


mais,  lonqneaprte  son  triomphe,  9  Yut 
se  pr^Dter  aa  grand  roattrô,  celui-ci 
lui  demanda  d'un  Ion  sévère  «  si  c'é- 
tait ainsi  qo*il  observait  ses  défenses  »  ? 
Interdit,  le  vainqueur  ne  put  répondre; 
il  se  laissa  sans  résistance  conauire  en 
prison,  puis  traduire  devant  le  conseil 
assemblé,  gui  le  condamna  à  la  perte  de 
rbabitttais,  après  avoir  donné  cette  sa- 
tisfaction à  la  discipline,  Hélion,  admira- 
teur du  vrai  courage,  brisa  les  fers  de 
Gozon,  le  combla  d'âoges  et  de  bien- 
faits; et,  voulant  montrer  quMI  savait  ré- 
eompenser  comme  punir,  il  le  nomma 
on  068  premiers  commandeurs  ;  enfin,  il 
réleva  a  la  charge  de  son  lieutenant  gé- 
néral. Il  n*y  a  aucune  raison  sensée  de 
douter  de  cette  aventure,  qui  n'offre  rien 

3oe  de  vraisemblable  dans  son  fond  et 
ans  ses  détails,  sauf  peut-être  la  des- 
eription  du  monstre,  qui  a  été  chargée 
de  traits  étranges  par  la  terreur  et  le 
goât  du  merveilleux.  Le  sculpteur  du 
tombeau  de  Dieudonné  de  Gozon,  en 
représentant    l'exploit  de    ce   grand 

ment  aecoottimié.  Le  chevalier  lay  counist 
eouragensement  contre,  baissant  la  lance, 
fiilteigoU  à  une  espaule ,  qu'il  Uouva  coq- 
rarte  d'eacailles  si  dures ,  que  la  lanee  te 
mit  eo  pièces  sans  rien  roHenser.  Cepen* 
àant  les  chiens  assaillant  vivement  le  dragon 
de  tous  ooatés,  et  l'un  d*euz  l'alfera  soubs 
le  feutre ,  chose  qui  vexa  et  retarda  aulcu- 
aemeiit  le  dragon;  de  sorte  que  le  chevalier 
«ut  bisir  de  oMttre  pied  à  ten e,  et  retourna 
l'cspée  au  poing  contre  le  dragon,  et  la  lui 
flûQgea  dans  la  gorge,  où  la  peau  se  trouva 
tendre,  et  la  maniant  et  renfonçant  tou- 
jonn  de  pln&  en  plus ,  luy  trancha  le  gosier  et 
KwbiÎDt  ainsy  son  espée ,  et  soi-même  butté 
eoaire  le  dragon  jusqu'à  ce  qu'il  eust  jecté 
et  perdu  fout  son  sang*  Et  lors  le  dragon,  se 
sentant  faillir,  se  iaiasa  tomber  à  terre  et  ac- 
cueillit dessottbs  soy  ce  chevalier,  à  qui  la 
fora  billoit  de  lassitude  et  de  la  puanteur  et 
peismear  dç  cette  espouvanlable  charogne* 
&»  wrvileurs  voyant  le  dragon  par  terre  ,  y 
accoururent»  et  voyant  qu'il  ne  bougeoit  plus^ 
avec  grand  peine  et  travail  l'ostèrent  de  des- 
«tt  leur  BBaiatre»  «lu'ib  trouvèrent  tout  pasmé. 
Msis  voyant  que  le  poulx  lui  battoist  encore, 
h  nfreschireot  promptement  avec  de  l'eau 
da  ruisseau ,  et  incontinent  il  reprit  ses  es- 
prits et  ses  scna.  Ses  serviteurs  le  désarmèrent 
et  le  remirent  à  cheval,  et  s'en  retourna  plein 
^'alégtesse,  telle  qu'on  peut  penser,  ayant  mit 
à  beureuscaMOt  fin  à  si  haulte  entreprise.  » 


mattre,  a  donné  à  f  animal  tous  les  traits 
qui  rappelaient  la  chimère  de  Belléro- 

S  faon  (1).  Bftals  le  colonel  Rottiers  a  vu 
ans  une  maison  de  la  rue  des  Cheva- 
liers une  fresque  antique  représentant 
le  feit  d'armes  de  Gozon,  et  ou  le  mons- 
tre qu'il  combat  n'est  autre  chose  qu'un 
véritable  crocodile.  Cette  maison,  qui  est 
aujourd'hui  la  propriété  d'un  Turc,  ap- 
partenait autrefois  à  quelque  prieuré 
d'Allemagne.  «  La  fresque  est  peinte 
au-dessus  d'une  vaste  cheminée,  et  oc* 
cupe  une  étendue  de  dix-huit  pieds  en- 
viron, sur  sept  ou  huit  de  hauteur.  LV 
nimal  représenté  dans  ce  tableau  doit 
avoir  été  de  la  plus  grande  espèce  des 
reptiles  sauriens,  un  crocodile  enfin  du 
seul  genre  connu  des  anciens,  dont  les 
Égyptiens  avaient  fait  un  demi-dieu,  et 
à  qui  ils  avaient  consacré  la  ville  d*Ar- 

sinoé Sur  la  fresque  en  question  on 

voit  le  monstre  renversé  et  expirant  ; 
contrairement  au  récit  deVertot  (et  à  ce> 
lui  de  Naberat),  la  lance  est  rompue  dans 
aa  poitrine;  un  des  deux  dogues  est 
écrasé  à  ses.côtés  ;  Dieudonné  de  Gozon, 
cuirassé  et  jeté  à  terre,  parait  vouloir  se 
relever  tenant  toujours  sa  longue  épée  à 
la  main.  On  aperçoit  dans  le  lointam  un 
écuyer  courant  après  son  cheval ,  oui , 
tout  effrayé,  s'enfuit  au  ^and  galop. 
Sur  le  premier  plan  on  voit  une  grotte 
d'où  s*échappe  un  ruisseau;  le  peintre 
aura  voulu  sans  doute  figurer  parla  l'an- 
tre qui  servait  de  retraite  au  monstre.  Il 
est  certain  que  le  héros  est  représenté 
tout  a  fait  triomphant^  et  paraissant  n'a- 
voir besoin  de  personne,  tandis  que 
Vertot  raconte  le  fEût  différemment  (3).  » 

(x)  Les  archives  de  Malte  renfermaient  une 
collection  de  dessina  des  tombeaux  dea 
grands  maîtres.  Cette  collection  a  été  dé- 
truite dans  un  looendie  :  mais  le  comte  de 
Bloise,  commandeur  d'HannonviUe  (mort  en 
z8a4,  à  l'Age  de  quatre-vingt-quatre  ans),  avait 
fait  auparavant  une  copie  exacte  de  ce  recueil* 
Ce  sont  les  dessins  du  commandeur  d'Han- 
nonviUe que  M.  TiUeneuve-Bargemont  a  pu- 
bliés ,  en  accompagnant  ces  monuments  des 
grands  maîtres  de  notices  historiques,  exactes 
et  succinctes ,  auxquelles  nous  avons  souvent 
TCoours  dans  celte  partie  de  notre  travail. 

(a)  Rottiers,  Monumenu  dé  Rhodes,  P*  M  <; 
Aîéasp  pl«  aS.Voyez  encore  la  fresque  du  caveau 
de  N.-D.  de  Philérème,  où  le  combat  de  Gozon 
est  encore  représenté  d'une  manière  naïUTBlie* 


1^ 


vmavEas 


Quoi  ^oHoiaaltdoeefdifléreneeft^le 
témoJgÎDage  de  la  fretqiie  de  Rhodes  est 
précieux  Y  e»  oe  qu'elle  nous  montre  te 
chef  aller  Gozcm  aux  prises  avec  un  ani- 
mal  possible  et  féritabie.  La  présence 
d'un  crocodile  dans  nie  de  Rhodes  n*en 
•reste  pas  mofais  un  fait  extraordinaire; 
mais  il  est  ridicule  de  rejeter  un  ûrit 
uniquement  parce  qu'il  est  ou  qu'il  pa- 
raît extraordinaire.  D'ailleurs  cet  anî- 
mal  a  pu  venir  à  Rhodes  de  plus  d'une 
manière,  et  quoique  son  arrivée  en  cette 
•Ile  ne  nous  soit  pas  expliquée ,  son  sé- 
jour et  sa  lutte  avec  Gozon  sont  des 
iiiîls  trop  bien  attestés  pour  qu'il  soit 
permis  de  les  révoquer  en  doute. 

Après  la  mortd'Hélion  de  Viileneuvet 
«  ce  fut  Gozonqui  parut  le  plus  digne  de 
lui  succéder*  A  peine  fat-ii  élu,  qu'il  eut 
les  Turcs  à  combattre.  Ceux«ei  s  étaient 
jetés  en  grand  nombre  sur  llle  d'Im* 
bros.  La  flotte  chrétienne,  composée  des 
f^lères  de  Rhodes  et  des  autres  États 
maritimes  de  la  chrétienté ,  se  réunit  à 
8Biyme,  sous  le  commandement  du 
prieur  de  Lombardie,  Blaitdra.  La  flotte 
musulmane  fut  surprise  h  Imhros,  et 
presque  entièrement  brâlée.  On  flt  cinq 
mille  prisonniers  (1)  ».  La  retraite  du  roi 
de  Chypre  Hugues  IV,  les  dissen- 
sions des  Génois  et  des  Vénitiens  ne 
tardèrent  pas  à  dissoudre  1&  ligue  ebré* 
tienne,  et  tout  le  poids  de  fa  guerre 
retomba  sur  les  chevaliers  de  Rhodes, 
qui  n'avaient  aucun  intérêt  de  com- 
merce ni  aucune  rivalité  politique  qui 
pussent  les  détourner  de  leur  noble  des- 
tination. En  1351  le  pape  Clément  VI 
les  envoya  au  secours  de  Constant,  roi 
d'Arménie,  contre  lequel  le  soudan  d'É- 
fypte  préparait  un  grand  armement. 
«  Quoique  ce  prince  suivit  le  rit  ^rec, 
dit  Vertot,  et  fllt  même  schismatique, 
Gozon,  plein  de  zèle  et  animé  de  Tesprit 
de  son  institut,  ne  crut  pas  devoir  aban- 
donner des  chrétiens  à  la  fureur  de  ces 
barbares.  L'armée  des  chevaliers,  trans- 
portée sur  les  galères  de  Tordre,  vainquit 
les  Sarrasins.  Le  roi  d'Arménie,  secondé 
de  ces  puissants  auxiliaires,  reprit  toutes 
les  places  dont  les  musulmans  s'étaient 
emparés,  et  les  débris  de  l'armée  du  Sou- 
dan regagnèrent  péniblement  l'Egypte. 

Cependant  ces  guerres  continuelles 

•   (i)  Vertot,  I.  V,  L  II,  p,  46;  Naberat,  p.  70. 


épuisaient  les  reveons  de  V<aéx^  doiA 
les  finances  étaient  tomours  assez  irré» 
gullèrement  administra.  SI  à  lUiodd 
le  grand  maître  donnait  à  tous  Texcoh 
pie  du  plus  actif  dévouement,  les  eom- 
mand^rsi  retirés  dans  leurs  domainas 
d'Europe,  paraissaient  ouMier  les  inté- 
rêts de  la  cnrétienté.  Les  respoaâoas  ad 
se  payaient  pas  ou  se  payaient  mal.  On 
voit  nar  une  lettre  de  Grozon  aux  coin- 
manoeura  des  royaumes  de  Suède,  dd 
Danemark  et  de  Norvège,  que  depuis  b 
perte  delà  Terre  Sainte  oon  avait  reçudej 
leur  part  aucune  eontribtttioD.  Déleoii- 
ragé  par  le  peu  de  succès  de  ses  remon- 
trances, Gozon  offrit  au  pape  sa  démis- 
sion du  titre  de  grand  mettre.  Le  pape 
refusa  d'abord  de  l'accepter  ;  mais,  presséi 
de  nouveau  par  Gazon,  Innooent  VI  en- 
voya à  Rhodes  la  pernûssion  d'élire  un 
autre  grand  maître, quand  Gazoamourut 
subitement,  le  7  septembre  lSô9«  Il  avaa 
employé  les  derniers  temps  de  sa  vie  a 
fortifier  la  ville  de  Rhodes.  11  fit  entourer 
de  murailles  tout  le  faubourg  qui  re- 
garde la  mer,  et  construire  le  môle  du 
port  où  depuis  abordèrent  ks  navires. 
.«  On  enterra  le  grand  maître  Dieudonaé . 
de  Gozon  dans  l'église  Sainl-Ëtieiuie  au! 
mont,  dit  le  manumarit  d'Ëleathère  (1), 

(i)  Éleirthère,  moiee  grcedeflaint-BaMlp, 
était  à  Rhodes  Iws  du  nége  de  iS%%;  H 
mourut  en  i54S.  U  reste  du  noiiie  Éleuilim 
une  histoire  maonserite  de  Ehodes.  Ea  i$iS 
ee  précieux  naDusdrit  étsit  ea  la 
du  pspes  fiuphémio,  de  Trisode,  qui  le 


arouiqua  au  colonel  R^Ctien^  «  Cceait,  dit  cr 
itoyageur,  uo  manuscrit  co  grec  «odcmey  d'an 
petit  format  ia-quariOy  eontenaat  mkrirom 
quatre-YÎBgts  pages  d'one  éerimre  lièa  iisiiièr; 
oe  qui  me  fit  taire  la  reaoarqae  que  ee  devasi 
élre  une  copte  faite  d'après  rorigiîud  oumum 
d'après  une  autre  copie.  Le  hou  vielUard  tôt 
répondit    ingéoumeot  qn'effectiveaaMit  c*e> 
tsit  une  copie,  mais  qu*ale  datait  d'us  siède 
et  demi  ;  et  là-dessus  il  me  montre  sur  la  cou- 
verture une  inscription  portani  que  ee  lirre 
d*Ëleuthère,  moine  de  Saiiit<Basilc,  sar  1rs 
è?étiemenls  qui  se  sont  passés  à  Rbodes  d»> 
rant  le  séjour  des  cbevauers  arah  été  fidèle 
ment  copié  en  1676  par  un  Orec  de  Ithodrv 
nommé  Laure  Gbryaopolot  et  qu'il  en  eiis* 
tait  encore  deui  autres  exemplaires  dans  rde« 
dont  Tun  devait  être  Torigimd.  »  ATohbm. 
de  JR/todes,  p.  35g.  Sait-on,  depuis  le  eabosi 
Rottiers,  œ  qu'est  defena  le  manaaeriK  d^-^ 
kuthère^  qui  partit  un  docameot  d'imper- 


ILE  SE  fiBODES. 


16» 


ià  oùil  tvait  fait  vftu  à  Di«at  laYingi  ft 
atnt  Étauie,  anuifc  d'aller  oombattre  le 
dragon,  de  fonder  noe  oicai e  a*îl  revenait 
triomphant....  Sa  mort,  dit-il  pliialoîD) 
eausa  la  désolation  à  Rhodes  et  dans 
toute  111e;  tous  les  habitants  en  état  de 
mareher,  tant  riches  que  pauvres,  asai»- 
tèrent  à  son  enterrement,  et  restèrent 
eaoïpés,  en  grande  partie,  autour  de 
eette  église  et  dans  les  environs  pendant 
trois  joom  que  durèrent  les  eérémonies 
funèbres ,  dnrant  lequel  tempe  on  distri- 
baa  du  pain,  du  vin  et  d'autres  vivres 
aux  pauvres,  aux  frais  du  trésor  de  Tor- 
dre. » 

Le  mont  Saint -Etienne  a  environ 
cent  mètres  de  hauteur.  De  son  sommet 
on  aperçoit  toutes  les  tles  rbodiennes. 
L'église  où  fut  enterré  Graon  est  Tun 
des  plus  anciens  monuments  de  la  chré- 
tienté ;  elle  date  du  sixième  siècle.  La  fa- 
çade et  la  partie  latérale  du  nord  ont  le 
pios  souffert ,  edle  du  sud  est  encore  en 
assez  bon  étsit.  A  rinténenr,  ses  murs 
ofiraient  encore  en  plusieurs  endroits, 
dit  le  colonel  Rotticrs,  des  traces  d'an- 
deimes  peintures  à  fresque.  Au-dessus 
des  pilastres  qui  soutiennent  le  dôme  on 
▼oyait  assen  distinctement  les  quatre 
cvâogélistes ,  et  sur  une  autre  partie  du 
mor  noua  trouvâmes  les  restes  d'une 
assoroption.  Lors  de  l'arrivée  des  cbe- 
^ers  cette  église  était  déjà  délaissée 
par  les  Grées  depuis  le  sé}our  des  Samh 
ôas;  etHélion  de  Villeneuve  l'ayant  ftât 
ftttaurer,  elle  fut  consacrée  au  culte  ro** 
nain.  Elle  a  servi  d'hdpiul  pour  les  offt- 
tiers  turcs  blessés  pendant  les  deux  sié- 
98,  et  aujourd'hui  les  dominateurs  de 
Rhodes  fontabandonnéeà  la  destruction 
du  temps.  Les  sites  pittoresques  de  ees 
linx,  les  points  de  vue  charmants  qu'ils 
offraient  devaioit  ep  faire  du  temps  des 
chevaliers  le  séjour  le  phis  agréable  de 
^^  (1).  »  Aussi  les  chevaliers  v  avaient 
^  des  jardins  et  des  villas,  qn  occupent 
«ijourd'hui  des  Turcs  et  des  Grecs. 

taoce,  à  en  juger  d'après  les  indications  qu'en 
>  tirées  le  iroyageor  belge  P  Ce  serait  là  une 
curieuse  recherche  à  faire  dans  cette  lie  de 
Uiodes  q«i  cit  ascore  tonte  à  étudier  de  non- 
^u.  Et  qui  empêcherait  quelqu'un  des  nen^ 
»a  de  l'école  li«DÇRiaed'Athèoead*catrepMn- 
■Kcet  int trouant  voyage  de  découvertes? 
(i)  Rottiers  Mon.  de  Rhodes,  p.  3ii» 


.     PiBBBB  DB  GOlMIUJiIli  nMT-iSP- 
TISIU  ajUNP  XAtlBB  (1354'1S66).  -^ 

Pierre  de  Comillan,  chevalier  de  la  lan« 

gie  de  Provence  et  prieur  de  Saint<> 
illes,  était  di^  de  succéder  à  Gozon, 
par  la  régulante  de  sa  vie  ^  et  même  la 
sévérité  de  ses  mœurs.  Il  fut  élu  eu  1364» 
Son  premier  soin  à  son  avènement  au 
pouvoir  fiit  de  convoquer  un  chapitre 

Sénéraly  afin  de  remédier  à  une  partie 
es  alms  qui  affaiblissaient  la  vigueur  du 
grand  corps  dont  il  était  le  chef.  L'ordre 
avait  des  biens  par  toute  r£urope,  et 
eette  situation,  en  le  mettant  en  relation 
avec  beaucoup  de  souverains,  lui  créait 
aussi  beaucoup  de  difficultés.  Les  mé^ 
mea  princes  qui  reprochaient  à  l'ordM 
de  ne  pas  assez  défendre  la  chrétienté 
«n  Onent  travaillaient  à  lui  disputer 
ses  revenus,  et  principalement  l'héritage 
des  templiers,  qu'on  avait  vu  avec  regret 
passer  dans  les  mains  des  chevaliers  de 
Rhodes.  Innocent  VI  se  laissa  prévenir 
contre  eux.  Les  {>rogrès  des  Turcs  Otto» 
mans  commençaient  à  égayer  l'Europe. 
Déjà  ils  avaient  passé  en  Tbrace  et  pris 
Gallipoli.  Que  faisaient  donc  les  hospi- 
taliers P  Ils  oubliaient,  disait-on,  les  com^ 
bats  pour  les  plaisirs,  et  le  pape,  s'^y- 
soeiant  au  blâme  général,  adîiresaa  a« 
grand  mettre  de  sévères  remontrances^ 
avec  l'ordre  d^abandonner  Ttle  de  Rho« 
des  et  de  transporter  son  siège  au  hiI* 
lieu  de  l'ennemi,  soit  dans  T  AnatoKie,  aoît 
dans  la  Palestine. 

Évidemment  la  crainte  on  la  prévenu 
tion  rendaient  tout  le  monde,  même  le 
pape,  injuste  et  avetigle.  Envoyer  Tordus 
en  Asie,  c'était  renvoyer  inutilement  à 
la  mort.  Le  grand  maître  s'alarma  d'une 
si  fâcheuse  perspective.  Il  répondit  en 
termes  respectueux  qu'il  allait  convoquer 
un  chapitre  général,  afin  de  lui  coomm* 
niquer  la  lettre  du  saint-père.  Inno* 
cent  VI,  voulant  diriger  les  délibérations 
de  ce  chapitre,  ordonna  qu'il  se  réuni« 
rait  à  Ntmes  ou  i  Montpellier.  Au  mi* 
Heu  de  ce  conflit,  qui  l'abreuvait  d'amer» 
tume,  Pierre  de  Comillan  mourut,  après 
avoir  gouverné  environ  dix-huit  moisj 

ROOBB  DB  PiMS,  YINOT-HUITlàlCB 
0BAlf  D  M liXBB  (  1 3&5»1 366.)  —  Le  BOU^ 

veau  grand  maître  était  de  la  langue  de 
Provence  et  de  cette  illustre  maison  qui 
avait  déià  donné  à  l'ordre  Odon,  S9« 
vingt-deuxième  grand  mattte,  et  ce  Gé^ 


tM 


LtTinVERS. 


-nvd  de  Ffss  qui  awdt  faliiea  Oroan. 
La  mort  de  Pierre  de  ConiiUan  n'avait 
ma  changé  aux  résolntioiid  du  pape. 
Loin  de  la,  Innocent  VI,  plus  décidé 
que  jamais  à  Iransferer  les  chevaliers 
hors  de  Rhodes,  voulut  que  le  chapitre 
convoqué  sous  le  précédent  magistère 
se  réunît  sous  ses  yeoz,  à  Avignon;  et 
sans  attendre  la  réunion  de  cette  assem- 
blée générale ,  il  décida  que  la  Morée 
deviendrait  le  séjour  de  Tordre.  Mais  il 
fadlait,  avant  de  l'y  établir,  obtenir  au- 
paravant des  princes  chrétiens  la  cession 
des  droits  qu'ils  feisaient  valoir  sur  cette 
contrée.  Des  difficultés  imprévues  entra- 
vèrent les  négociations  ;  le  pape  les  abon» 
donna ,  et  les  chevaliers  restèrent  dans 
Itlede  Rhodes. 

Ce  pape  si  peu  favorable  aux  hospi- 
taliers était  cependant  gouverné  par  un 
dievalier  de  leur  ordre ,  nommé  frère 
Jean-Ferdinand  d'Hérédia ,  de  la  langue 
d* Aragon  et  chfttelain  d'Emposte.  Hé- 
lédia  menait  à  son  gré  Innocent  VI,  qui 
lui  avait  donné  le  gouvernement  d'Avi- 
gnon et  du  Gomtat  Venaissin,  et  les  plus 
riches  propriétés  de  l'cHrdre,  telles  que 
le  prieuré  de  bastille  et  celui  de  Samt- 
Oiiles.  Bérédia  était  plus  puissant  que 
le  grand  maître,  dont  il  bravait  l'auto- 
nté.  Ce  fût  en  vain  que  Roger  de  Pins 
députa  à  Avignon  deux  chevaliers  qui 
demanderait  au  pape  la  permission  de 
Mre  le  procès  à  Bérédia  comme  usur- 
pateur des  biens  de  Tordre.  Innocent  VI 
détourna  le  coup  qui  menaçait  son  fa- 
vori ,  en  faisant  examiner  Taffure  par 
deux  cardinaux.  Hérédia  fut  renvoyé 
absous ,  et  Timpunité  accrut  son  inso* 
lence.  Ne  pouvant  frapper  le  coupable, 
Roger  de  Pins  voulut  au  moins  s*opposw 
à  la  conta^on  du  mauvais  exemple.  II 
convoqua  a  Rhodes  même  un  chapitre 
général,  et  y  fit  décider  que  les  prieurs 
ne  pourraient  être  pourvus  d'autres  com- 
manderies  que  de  celles  qui  compo-» 
saient  leur  chambre  prieurale  ;  que  dans 
chaque  prieuré  il  y  aurait  des  receveurs 
particuliers  des  revenus  de  Tordre,  qui 
n'en  seraient  comptables  qu*au  trésor 
commun.  Cette  importante  r^orme  ar- 
léuit  le  cumul  des  commanderies,  et 
assurait  le  p^ement  des  responsions. 

Roger  de  Pins  mourut  un  an  après  la 
tenue  de  ce  chapitre,  le  38  mai  1866. 
«  L'ordre  perdit  en  sa  personne,  dit 


Tertot  (1),  un  chef  pSdn  de  sMe  |KNir  k 
manutention  de  la  discipline,  et  tes  pau- 
vres de  nie  un  père  très-chsaitabie.  On 
remarqua  que  dans  le  temps  que  la  peste 
infesta  cette  île  comme  tout  rOrienf, 
et  fut  suivie  d'une  fomine  affreuse,  il 
employa  d'abord  tous  ses  leveaus,  et 
qu'il  vendit  ensuite  son  argenterie  et 
jusqu'à  ses  meubles  pour  subvenir  aux 
bœoins  des  pauvres  :  ce  qui  lui  méiîti 
dans  Tordre  et  devant  les  hommes  le 
titre  d'aumùnier,  et  dans  le  ciel  une 
juste  récompense,  et  le  centuple  promis 
si  formellement  par^  celui-là  seol  dont 
les  promesses  sont  infaillibles.  » 
Raymond  Rbbengeb,  TiNeT-FBu- 

-VIÈMB  GBÂlfD    MAÎTBB    (1366-1S74). 

—  Raymond  Béranger,  chevalier  «le  la 
langue  de  Provence,  originaire  du  Dau- 
phiné,  était  commandeur  de  Castd- 
{Sarrasin,  quand  il  fut  élu  grand  maître. 
Depuis  Dieudonné  de  Gozon,  Tordre 
s'était  endormi  dans  la  paix  ou  afiEaibli 
par  ses  divisions  :  Bérenger  lui  remit 
les  armes  à  la  main ,  et  recommença  la 

S  terre  sainte  avec  une  nouvelle  viguenr. 
'était  le  temps  où  Pierre  P',  roi  de 
Chypre,  s'illustrait  par  ses  exploits.  De- 
puis plusieurs  années  ce  prinee  soute- 
nait seul  et  avantageusement  la  guerre 
contre  le  Soudan  d%gypte  (2).  Le  nou- 
veau grand  maître  seconda  ses  efiCtets, 
et  les  deux  princes  ayant  rassemblé  une 
flotte  de  plus  de  cent  navires  firent  voile 
secrètement  vers  Alexandrie,  et  i*atta- 
quèrent  à  Timproviste  (3).  «  Les  Aimum- 
-drins  furent  surpris;  mais,  entre  «ne 
nombreuse  garnison,  il  y  avoit  tant  de 
monde  dans  cette  grande  ville,  la  plus 
riche  de  TÉgypte,  qu'on  vit  en  uu  ins- 
tant les  murailles  bordées  de  sohtate  ^ 
d'habitants,  qui  ûiisoient  pleuvoir  une 
grêle  de  flèches  sur  les  chrétiens.  Ces 
assiégés,  appuyés  sur  le  parapet,  à  grands 
4X)ups  de  piques  et  de  nallenardes,  ren- 
versent les  assiégMtnts,  les  poussent 
dans  le  fossé,  et  les  accablent  de  grosses 
pierres.  De  nouveaux  assaillants  pren- 
nent la  place  des  morts  et  des  blessés, 
et  sans  s'étonner  du  sort  de  leurs  eom- 


(i)  Bût.  det  CkenUiên  BatpitâBerf,  1.  IT, 

p.  6e. 

i2)  Voyei  plu  haot,  p.  64. 
S)  Yerlot,  Histoire  des  HasfHtûSers,  L  II, 
p.  68. 


ILE  OR  RHODES. 


161 


pagBoos,  tâchent  de  gagner  le  haut  des 
roaraiiles.  Les  uns  sont  percés  à  coups 
de  flèches^  d'autres  précipités  on  ren- 
versés arec  les  échelles.  Les  assiég^ 
répandent  de  tous  côtés  de  Fhuile  bouil- 
lante, et  des  feux  d'artifice  embrasent 
les  machines  des  chrétiens,  s'attachent 
ffléme  à  leurs  habits ,  passent  jusqu'au 
corps,  et  forcent  le  soldat  tout  en  feu 
d'abandonner  l'attaque  pour  chercher 
des  secours  dans  l'eau,  où  il  se  précipite. 
Jamais  assaut  ne  fut  plus  furieux  et  plus 
meurtrier;  mais,  malgré  l'image  de  la 
mort  (fuï  se  présente  de  tous  côtés ,  les 
cbevaliers  de  Rhodes,  animés  par  leur 
propre  courage,  et  soutenus  des  regards 
intrepides  du  grand  maître,  reviennent 
au  combat,  s'attachent  de  nouveau  aux 
murailles,  et,  se  faisant  une  échelle  des 
corps  morts  de  leurs  compagnons,  s'éle- 
vait jusqu'au  haut,  gagnent  le  parapet, 
se  jettent  dans  la  place,  et  tuent  tout  ce 
qui  se  présente  devant  eux.  De  là  les  vic- 
torieux se  répandent  dans  la  ville,  pénè- 
trent dans  les  maisons  voisines  des  rem- 
parts, massacrent  les  hommes  dans  les 
bras  de  leurs  femmes ,  pillent  les  plus 
riches  meubles,  et  font  esclaves  tout  ce 
qui  échappe  à  la  première  fureur  du 
soldat.  Quoique  le  roi  et  le  grand  maître 
eussent  perdu  beaucoup  de  monde  dans 
les  diffi^ntes  attaques,  cependant  ils 
aoroient  bien  souhaité  de  pouvoir  se 
maintenir  dansieur  conquête.Mais,  ayant 
appris  que  le  sultan  falsoit  avancer 
toutes  les  forces  de  l'Egypte  pour  les  en 
dttsser,  et  d'ailleurs  se  voyant  dans  une 
l^ace  encore  remplie  d'un  nombre  infini 
d'habitants  qui  s'etoient  retranchés  dans 
la  basse  ville,  ils  résolurent  de  se  retirer  ; 
et,  après  s'être  chargés  d'un  butin  ines- 
timable, ils  mirent  te  feu  à  tous  les  vais- 
seaux des  infidèles  qu'ils  trouvèrent  dans 
^  port ,  et  se  rembarquèrent  avec  leurs 
prisonniers.  Le  roi  reprit  le  chemin  de 
sonisle,  et  le  grana  maître  celui  de 
llhodes,  où  ils  arrivèrent  l'un  et  l'autre 
heureusement  (1866).  » 

Deux  ans  après  (1367) ,  les  chevaliers 
et  le  roi  de  Chypre  se  remirent  en  campa- 
gne, fortifiés  par  les  Génois,  qui  s'étaient 
joints  à  eux.  Ils  firent  des  courses  heu- 
^ses  sur  les  côtes  de  la  Syrie,  et  s'em- 
parèrent de  Tripoli,  de  Tortose,  de  Lao- 
«tte,  et  de  Bellinas.  Bientôt  la  mort  de 
Pierre  V  de  Lusignan  suspendit  l'acti- 

11«  Livraison.  (Ilb  db  BjatODBS.) 


vite  de  la  guerre.  Chypre  commença  à 
tomber  en  décadence;  l'Arménie,  livrée 
sans  défense  aux  attaques  du  Soudan,  se 
vit  abandonnée  de  la  plupart  des  familles 
chrétiennes,  dont  quelques-unes  cherchè- 
rent un  asile  à  Rhoâes.Rhodes,à  son  tour, 
se  vit  menacée  par  les  forces  de  l'Egypte. 
Le  bruit  ayant  couru  que  le  Soudan  pré- 
parait une  expédition  contre  cette  tle , 
Raymond  Bérenger  fit  acheter  des  che- 
vaux et  des  armes  en  Italie,  et  les  com* 
mandeurs  furent  invités  à  envoyer  leurs 
responsions  au  trésor.  Mais  la  plupart 
désobéirent,  et  le  grand  maître,  indigné, 
serait  sur-le-champ  passé  en  France  pour 
se  faire  rendre  justice,  si  ses  infirmités, 
son  ^and  âge  et  le  salut  de  Rhodes  ne 
l'avaient  arrêté.  Cependant,  dégoûté  du 
commandement,  affligé  de  l'indifférence 
et  du  relâchement  qu^  voyait  autour  de 
lui,  il  prit  un  parti  extrême,  et  supplia 
le  pape  de  recevoir  sa  démission.  Gré- 
goire XI,désirantremédier  par  lui-même 
aux  abus  dont  l'ordre  était  travaillé,  con- 
vo<]ua  une  assemblée  de  chevaliers  à 
Avignon,  en  1374.  Il  avait  déterminé  le 
grand  mettre  à  garder  sa  charge,  et,  ju- 

(jeant  son  séjour  à  Rhodes  nécessaire,  il 
e  dispensa  d^assister  à  ce  chapitre  d'A- 
vignon; peu  de  temps  après ,  Raymond 
Bérenger  mourut,  au  mois  de  novembre 
1874. 

ROBBBT   BB   JULLUG,  TBBRTlàMS 
OBAND  MaItBB  (1374-1376).  —  RobCTt 

de  Julliac,  grand  prieur  de  France,  était 
dans  son  prieuré  quand  le  chapitre  de 
Rhodes  le  nomma  grand  maître.  Il  quitta 
la  France  aussitôt,  et  le  premier  acte  de 
son  gouvernement  fut  de  révoquer  tous 
les  receveurs  qui  négligeaient  de  verser 
leurs  recettes  au  trésor.  Jusque  là  la  viUe 
de  Smyme  avait  eu  des  gouverneurs  qui 
ne  relevaient  que  du  saint-siége  ;  mais 
l'archevêque  et  les  habitants  de  cette 
ville  s'étant  plaints  que  leur  gouverneur 
Ottoboni  Castasleo,  qui  était  un  mar- 
chand plutôt  qu'un  homme  de  guerre, 
négligeait  les  soins  de  la  défense  pour 
les  affaires  de  son  commerce ,  le  paph 
annonça  au  grand  mettre  qu'il  avait 
l'intention  de  réunir  Smyrne  aux  autres 
possessions  de  l'ordre.  En  vain  Julliac 
objectà-t-il  le  danger  d'une  garnison  en- 
tourée d'ennemis,  perpétuellement  en 
état  de  siège;  l'éloi^ement  de  Rhodes, 
qui  ne  lui  permettait  pas  d'y  fsire  pas* 

11 


J162 


fjmfym9* 


ser  de  pioinptg  secours;  enfin  tout  ce 
qu'une  telle  responsabilité  aurait  d'oné- 
reux et  pour  les  chevaliers  et  pour  ie 
trésor  :  iu  fallut  y  consentir,  moyennant 
un  revenu  de  mille  florins  annuels  que 
faya^e  saint-siége.  Cette  nouvelle  acqui- 
sition mettait  les  chevaliers  de  ^.hodes 
en  présence  des  Jures  Ottomans,  qui 
n'avaient  cessé  4e  s'agrandir  en  Asie 
AKiiieure,  ^t  qui  sous  Amurs|t  }^',  fi|ls 
^''Qrcan,  s'étaient  emparés  de  la  prind- 

Îàuté  d'Ai'i^n,  où  Smjrne  était  située, 
.es  immenses  préparatifs  que  faisait  ce 
prince  au  jnoment  où  Ji-C^ert  de  Julliac 
arriva  dans  TUe  de  Rhodes  inspiraient 
au  grand  maître  de  vives  inquiétudes. 
jHhodes  était  presque  sans  défense  ;  beau- 
jcoup  de  chevaliers  avaient  péri  dans  les 
dernières  expéditions  ;  le  reste  s'était  dis* 
jitersé  ^aiïB  tes  commanderies.  Le  pape, 
informé  par  le  grand  maître  du  danger 
iiè'  la  situation ,  ordonna  aux  chevaliers 
^se  rendre  à  leurposte,  et  bientôt  cinq 
cents  hospitaliers  accoururent  à  Abodes, 
suivis  chacun  d'un  frère  servant  faisant 
Vcifiice  d'écuver.  Rhodes  était  donc  en 
état  de  se  déii^endre  ;  mais  Tennemi  ne  se 
pifésenta  nas.  Aniurat  se  jeta  sur  l'Eu- 
rope, et,rordre  jouissait  d*une  paix  pro- 
fonde lors(][iie  Robert  de  lulliac  mourut, 
Vers  le  milieu  d'août  de  Tan  1376. 
Feroinaivd  D'HÉainiÀ,  tbbnte- 

DNL&MSGBÀNDMAipCBE  (1376-1396).— 

IPepuis  que  Ferdinand  d'Uérédia  était 
entré  dans  l'ordre,  il  s'était  montré  avide 
de  pouvoir,  d'honneurs  et  de  richesses; 
mais  il  avait  de  la  fermeté,  de  l'inteUi- 
gence,  du  courage  ;  d'ailleurs,  l'âge  avait 
amorti  la  fougue  de  ses  passions ,  saivs 
rien  ôter  à  ses  talents,  et  dans  les  cir- 
constances difficiles  où  l'on  était,  «  il 
étoit  de  la  politique  de  l'ordre  de  mettre 
à  sa  tête  un  homme  aussi  puissant  et 
aussi  autorisé  que  l'étoitHéredia,  et  qui 
dans  c«tte  place  ne  pourroit  plus  distin- 
guer les  intérêts  de  la  religion  des  siens 
propre  ^)  ** 

Jean-ferdinand  d'Uérédîa  était  issu 
d'une  des  plus  nobles  maisons  d'Aragon. 
Son  frère  aîné,  Velasco  d'Qérédia,  était 
grand  justicier  de  ce  royaume ,  c'est-à- 
dire,  comme  l'explique  très-bien  Vertot, 
l^'il  faisait  à  lui  seul  la  fonction  dont  les 
ephores  ét^leat  autrefois  chargés  à  La« 

(«)  VeriQt,  u  XI,  .p.  79» 


oédémone  contre  leurs  rois.  Comuie  le 

grand  justicier  n'avait  pas  d'enfants,  et 
qu'il  désirait  perpétuer  son  nom  et  sa 
maison,  il  défermma  son  frère  à  se  ma- 
rier; mais  Ferdinand  o'eut  que  d^x 
filles,  dont  la  seconde  coûta  la  vie  à  sa 
mère.  G^ant  encore  aux  voeux  des  siens, 
Ferdinand  se  maria  une  seconde  fois,  et 
la  naissance  d'un  fils  paraissait  lui  as- 
surer l'immense  héritage  du  grand  jus- 
ticier, quand,  après  une  lon^  stérilité, 
Ja  femme  de  ce  dernier  devint  suecesâ- 
vement  mère  ^e  deux  enfants  mâles. 
Alors,  trompé  dans  ses  espérances,  de- 
venu veuf  de  nouveau,  d'Herédia  conGa 
ses  enfants  à  son  frère,  et  résolut  de 
changer  de  voie  j;>our  arriver  au  pouvoir 
et  à  la  fortune.  Jl  partit  pour  Rhodes, 
re(^ut  l'bdhit  des  chevaliers  des  mains  du 
grand  maître  Uélion  de  Villeneuve;  et, 
cachant  son  ambition  sous  un  extérieur 
modeste,  affectant  des  mœurs  sévères,  ii 
trouva  bientôt  l'occasion  de  feire  valoir 
son  habileté  et  son  courage,  et  il  ne  tarda 
pas  à  s'acquérir  l'estime  de  l'ordre  entier. 
Bientôt  il  est  nommé  commandeur  d'Â* 
Jambro  et  de  Yillet,  bailli  de  Capse, 
eafin  châtelain  d'£mposte,  la  plos  haute 
dignité  après  celle  die  grand  maître. 
Bientôt  le  grand  prieuré  de  Catalogne 
vint  à  vaquer.  Deux  prétendants  se  le  dis- 
putaient J'un  appuyé  par  lepape«  l'autre 
soutenu  par  les  chevaliers.  D'Herédia 
fut  chargé  de  porter  au  saint-si^e  les 
représentations  du  grand  mattre  ;  mais 
l'adroit  Aragonais,  ayant  su  s^iisinuer 
dans  l'esprit  de  Clément  VI,  demanda  et 
obtint  le  grand  prieuré  pour  lui-même. 
Depuis,  n'osant  retourner  à  Rhodes,  il 
demeura  à  la  eour  d'Avignon ,  où  son 
crédit  ne  cessa  de  s'accroitre.  Le  pape 
l'employait  dans  les!  cireonstanoes  les 
plus  délicates  et  les  plus  importantes.  II 
lut  chargé  de  réconcilier  Philippe  de  Va- 
lois etÉdouard  UI,  et  de  lesempéeherd'en 
venir  aux  mains.  Mais,  n'ayant  pa  per- 
suaderle  roi  d'Angleterre,  il  passa  dans  le 
camp  du  roi  de  France ,  conobattit  à  ses 
côtés  à  la  bataille  de  Crécy,  1846,  et  lui 
sauva  deux  fois  la  vie.  11  se  retira  du 
champ  de  bataille  couvert  de  blessures, 
et  Edouard  III,  loin  de  s'irriter  contre  le 
médiateur  du  saint-siége,  qui  avait  com- 
battu contrelui,  n'enconçut.que  plusd'es- 
time  pour  d'Herédia  ;  et  le  grand  prieur 
fit  signer  aux  deux  rois  une  trêve  d'un 


ILE  p%  fi^OpES. 


m 


ancm  ^luff  pui^éaDt.  j{(omme  gouver- 
neur de  Ja  vjjjle  et  du  comtat  )1* Avignon, 
îl  ttt  èntbarer  fa  résidence  papale  j^e 
fortes  toun «t  de,hf|uts remparts,  et  il 
reçut  en  réèompensè  les  riqhes  prieurés 
de  Dsâlle  et  de  Salnt-6itles.  Cette  iosa- 
tiéle  avj{l\téd*Hrérédid,  son  an^bition  dé- 
mesurée, exqtdrent'dâns  Tor^lre  de  vives 
réclamations.  jA)ursùiv)  par  le  consciil  et 
par )e  grand  maître,  j^b'^er  ^e  Pins,  il 
lut  absous  nar  ià  protection  du  saint- 
si^  ;  toutefois,  sous  tJrbain  y  et  O.ré- 
pire  fj ,  successeurs  <f Innocent  VI ,  il 
n'eut  plus  la  même  fnfluence.  On  oublia 
peu  à  peu  lei  scandales  de  sa  coudulte 
passée,  et  à  la  mort  de  Jlobert  de  JuIIiac, 
comme  il  était  le  plus  capable  et  le  plus 
puissant  de  tons  les  membres  ^e  l'ordre, 
it  fut  élu  grand  maître  Cl)- 

A  peine  élu ,  d*Héréaia  éguipe  à  ses 
frais  une  escadre  de  neuf  galères,  ramène 
a  Ostie  le  pape  Gr^olre  ^,  gui  s*était 
laissépersaaaér  de  revenir  à  Rome,  puis, 
cootinuant  sa  route  vers  tlbodés,  il  ren- 
contre snr  les  cdtes  de  la  Grèce  une 
fioue  vénitienne,  '^ôntf amiral  le  déter** 
mine  à  se  joindre  à  lui  pour  reprendre 
Patras,que  les  Tunss  venaient  d'dn  lever  à 
la  répi^lique.  les  deux  chefs  marchent 
«semble  contre  cette  ville,  et  s'en  em- 
parent; mais  la  citadelle  résiste,  et  la  lon- 
gueur du'  siège  impatiente  d'Hérédia , 
qui,  malgré  son  âge  avancé,  ordonne  et 
dirige  Tassaut.  Il  va  lejpremier  aux  reih* 
p3rt$,  saisit  une  échelle,  Tappuie  contre 
la  brèche,  et,  sans  r^r^er  s'il  était  suivi, 
se  jette  dans  la  place.  Jje  gouverneur 
turc  Tient  à  sa  rencontre  :  le  combat  s*exi- 
F^ge;  d'Çérédiâ  est  vajhiqueur,  coupe  la 
léte  de  Fennemi,  et  la  montre  aux  siens, 
qQi  accourent  et  s'emparent  de  la  for- 
teresse. 

Aaimés  par  ce  succès ,  les  alliés  ten- 
tent de  nouvelles  conquêtes  en  Morée. 
Mais  le  grand  mattre  tombe  dans  une 
embuscade,  tandis  gu*i.l  examine  la  posi- 
tion de  Corinthe ,  et  Û  demeure  prison- 
mer  des  Turcs.  Pour  obtenir  la  liberté  du 
grand  mattre,  les  chrétiens  s'engagent 
a  restituer  Patras  :  les  Jures  refusent; 
on  ajoute  à  cette  offre  celle  d*nne  grosse 
somme  d'argent  ;  les  grands  prieurs  de 

(0  VîUeneave-Bar^mont,  Monuments  des 
Craruls  }ffaùres,  t.  I,  p.  167. 


^^içt-JSÂHes,  d'Aogleterre  et  (je  JLoipe 

s*ençagéi\t  à  rc^èrcomipe  otages  jus- 


«  répon^lt-il  fiux  J^rois  prieurs ,  laissez 
«  moynr  ^ans  .lès  fers  un  v^lejUar^  inù- 
a  ijile,  et  qui  pe  peut  plus  vjvre  long- 
«  .temps  :  pour  vous,  gui  êtes  jeunes,  ré- 
«  servez-vous  pour  servir. la  relijçioin.  »  Il 
ne  voului  même  pas  gue  iVrd're  tirât  du 
jtrésorrargèpt  ^esa  rançon,  «pion  la  doit 
«  p»ayer,'  ajouta-t-il,  pa  façôflle  a  reçu 
«  d*a3sez  grands  Jbiens  ^e  moi  pour  me 
«  jlohner  cette  marque  tfe^reconnaîs- 
c  sance.  »  (Ces  nobjes  .refus  coupèrent 
court  aux  négociations  \  où  né  put  rien 
C0Q(^\ure;  d^Btérédia  resta  piûsonnler,  et 
fot  transféré  du  château  de  tlôrinthedans 
Jes  moAtagnes  de  1  Albanie.  «  Jl  Tut  en- 
fermé dans  une  étroite  prison  ;  et,  au  lieu 
Be  jouir  à  Kbodes  de  sa  nouvei,le  dl^ité, 
il  se  vit  retenu  pendant  plus  de  trois  ans 
dans  un  rigoureux  esclavage ,  où  il  eut 
.tout  Je  temps  de  faire  de  sérieuses  ré- 

S  exions  sur  le  peu  de  solidité  des  gran- 
eqrs  humaines  (1).  " 
En  lasi,  le  grand  maître,  racheté  par 
sa  famille,  vit  se  terminer  enfin  cette^u]*e 
captivité,  par  laquelle  il  expiaft  si  cruelle- 
ment les  torts  de  son  ambition!  JÉ^endant 
ce  temps  le  grand  schisme  avait  éclaté. 
Gément  VII  et  Urbain  YI  se  disputaiept 
le  gouvernement  de  TÉglise.'  Le  grand 
msatre  et  une  partie  des  chevaliers  se  dé- 
clarèrent pour  Clément  VU.  Le  reste 
reconûut  urbain,  qui  déclara  d'Hérédia 
déchu  de  sa  dignité,  et  nomma  pour  ie 
remplacer  Kicnard  Carraccioli,  prieur 
deCapoue,  qui  ne  fut  reconnu  que  par  les 
langues  d'Iuilie  et  d'Angleterre;  tout  le 
reste  de  Tordre  demeura  inviolablement 
attaché  à  l'obédience  de  Clément  VU  et 
soumis  au  gouvernement  d'Hérédia.  A 
la  faveur  de  ce  schisme  fiineste,  qtii  me- 
naçait de  diviser  et  de  dissoudre  toutes 
les  institutionis  de  ITglise ,  l'insubordi- 
nation  des  commandeur^  restait  im- 
punie; et  le  désordre  devenait  plus  diffi- 
cile f)  réprimer.  Le  grand  maître  d'Héré- 
dia, de  retour  en  Europe,  tînt  plusieurs 
chapitres  à  Avignon,  et  parvintà  ramener 
ses  subordonna  à  Tobeissance.  Il  pour- 
vut aussi  à  la  défense  de  Rhodes  et  de 


(i)  Verlot,  1.  V,  t.  II,  p.  98. 


11. 


164 


L*UNIVERS. 


Smy  me,  que  Ba  jazet  menaçait  d'un  siège, 
et  y  Gt  passer  à  plusieurs  reprises ,  et  à 
ses  frais,  des  vaisseaux  chargés  d*armes, 
de  munitions  et  d*argent.  Il  fonda  aussi, 
peut-être,  ajoute  Vertot,  par  un  motif  de 
pénitence  et  de  restitution,  une  comman- 
ilerie  en  Aragon,  et  une  collégiale  de 
douze  prêtres;  et  il  mourut  à  Avignon, 
en  1396,  après  avoir  gouverné  son  ordre 
pendant  dix-neuf  ans  et  huit  mois.  «  De- 
puis son  élévation  à  la  dijgnité  de  grand 
maître,  ce  fut  pour  ainsi  dire  un  autre 
homme  ;  et  il  auroit  été  à  souhaiter,  ou 
qu'il  n'eût  jamais  entré  dans  Tordre,  ou 
que  la  condition  humaine  lui  eût  per- 
mis de  n*en  quitter  jamais  le  gouverne- 
ment (1).  » 

Phiubbbt  db  !Nàillàg,  tbbntb- 
deuxibmb  gband  maîtbb  (1396-1421). 
—  Richard  Carraccioli  était  mort  Tannée 
précédente ,  et  le  pape  Boniface  IX  avait 
annulé  toutes  les  charges  conférées  par 
ce  prétendu  grand  maître.  L'ordre  avait 
retrouvéTunité  de  gouvernement,  et  Phi- 
libert de  Naillac,  (Tune  ancienne  famille 
du  Berry,  grand  prieur  d'Aquitaine,  fut 
élu  par  les  suffrases  de  Tordre  entier 
pour  succéder  à  oTHérédla.  A  peine  le 
nouveau  grand  maître  eut-il  pris  posses- 
'  sion  de  sa  dignité,  qu'il  fut  sollicité  d'en- 
trer dans  la  ligue  que  formaient  alors  les 
États  chrétiens  pour  arrêter  les  progrès 
effrayants  du  sultan  Bajazet.  L'empereur 
grec,  les  Vénitiens,  les  chevaliers  de  Kho- 
des  réunirent  leurs  vaisseaux,  et  la  flotte 
confédérée,  commandée  par  Thomas 
Mocenigo ,  se  tint  en  croisière  à  l'em- 
bouchure du  Danube.  En  même  temps  le 
grand  maître,  suivi  des  principatn  com- 
mandeurs et  d'un  grand  nombre  de  che- 
valiers de  son  ordre,  allait  rejoindre  en 
Hongrie  le  roi  Sigismond.  U  combattit  à 
ses  côtés  à  la  désastreuse  bataille  de  Ni- 
copolis,  quise  livra  le  28  septembre  1396, 
et  où  toute  Tarmée  chrétienne  fut  taillée 
en  pièces.  Les  principaux  chefs  furent 
faits  prisonniers  ;  le  roi  Sigismond  et  Phi- 
libert de  Naillac  n'échappèrent  aux  vain- 
queurs qu'en  se  jetant  dans  une  barque 
que  le  hasard  leur  offrit  aux  bords  du 
Danube.  Ib  s'éloignèrent  rapidement, 

Eour  éviter  les  flèches  dont  on  les  acca- 
lait,  et  se  laissèrent  aller,  en  suivant  le 
courant  jusqu'à  Tembouchure  du  fleuve , 

(i)  Yertot,  I.  y,  t.  Il,  p.  lia.      ^^ 


où  ils  trouvèrent  la  flotte  dirétiemie. 
Une  galère  de  la  religion  raniena  à 
Rhodes  le  grand  maître  et  le  roi  œ 
Hongrie. 

Après  avoir  vaincu  les  Latins,  Bajazet 
se  tourna  contre  les  Grecs ,  dévasta  la 
Morée,  dont  le  despote  Thomas  Paléolo- 

§ue,  frère  de  Tempereur  Manuel,  se  bâta 
e  chercher  un  asile  à  Rhodes.  Déses- 
pérant de  pouvoir  défendre  sa  i^hnci- 
Sauté,  Paléologue  vendit  la  Morée  à  Por- 
re  de  Saint- Jean,  et  convint  avec  le 
grand  maître  et  le  conseil  de  leur  livrer 
Corintbe,  Sparte  et  les  principales  villes 
de  cette  province,  dont  il  reçut  le  prix. 
Mais  la  résistance  de  Sparte,  qui  refusa 
d*ouvrir  ses  portes  aux  commissaires  de 
Tordre,  Téloignement  de  Bajazet,  que 
Tinvasion  de  Tamerlan  appelait  en  Asie, 
empêchèrent  la  conclusion  de  ce  marché, 
et  la  Morée  retourna  à  son  ancien  maître 
(1399). 

Bajazet  était  sur  le  point  de  s'emparer 
de  Constantmople,  lorsqu'il  fut  attaqué 
par  Tamerlan.  Timour-lenc  ou  Tamer- 
jan,  descendant  de  Geneiskhan  par  les 
femmes,  s'était  mis  à  la  tête  des  Tartares 
de  la  Transoxiane,  et  avait  établi  à  Sa- 
roarcande  le  siège  d'un  en)pire  qui  com* 
prenait  la  plus  grande  partie  cfe  TAsie. 
A  force  de  s'étendre  vers  Toccident,  Ie« 
Mongols  vinrent  toucher  aux  frontières 
de  la  domination  des  Ottomans.  Alors 
la  guerre  éclata  entre  Tamerlan  et  Ba- 
jazet; les  deux  rivaux  vidèrent  leur  qu^ 
relie  dans  les  plaines  d'Ancyre  {\40^\ 
en  Phrygie;  et  le  fier  Bajazet,  vaincu  et 
fait  prisonnier,  acheva  sa  destinée  dans 
les  fers.  Après  sa  victoire,  Tamerlm 
marcha  contre  Smyrne,  position  impor« 
tante,  que  les  grands  maîtres  avaient  foh 
tifiée  avec  soin ,  et  où  ils  entretenaieil 
une  nombreuse  garnison.  Frère  Guil* 
laume  de  Mine,  gouverneur  de  la  placib 
avait  tout  préparé  pour  une  vigoureun 
résistance.  Sommé  par  Tamerlan  de  II 
reconnaître  pour  maître,  il  répondit  pd 
un  refus  énergique,  et  aussitôt  la  plaei 
fut  investie.  Après  quelques  assauts  P 
vrés  sans  succès,  Tamerlan  fît  combl 
les  fossés,  élever  des  tours  en  bois  j 

Su'au  niveau  des  remparts,  sur  lesqud 
lança  ses  nombreux  bataillons.  « 
dernier  assaut  qu'il  donna  alors, 
Thlstorien    persan    Cherefeddin  -  Ali 
dura  du  matm  au  soir  et  du  soir  au  rar 


ILE  DE  RHODES. 


165 


tin.  »  Smfne  fat  emportée,  le  massaere 
derhit  gâéral,  et  tout  y  périt,  hors  quel- 
mies  cMTaliers,  qui  s*etant  jetés  à  la  mer 
forent  sauvés  par  la  flotte  chrétienne, 
vcDoe  trop  tara  à  leur  secours  (  1403). 
L'année  suivante  Tamerlan  retourna 
dans  la  haute  Asie  :  sa  retraite  permit 
aux  Ottomans  de  relever  leur  empire  et 
an  grand  mattre  de  réparer  la  perte  de 
Smyrne.  Philibert  de  Naillac  s'empara 
d'im  ancien  château  situé  sur  la  côte  d'A- 
sie, en  face  nie  de  Lango  (Cos),  et  occu- 
pant l'emplacement  des  ruines  de  la  ville 
d'Halicarnasse.  Maître  de  cette  position, 
le  grand  mattre  fit  élever  un  nouveau 
fort,  à  la  construction  duquel  le  cheva- 
lier allemand  Pierre  Schlegelhold  em- 
ploya les  débris  du  mausol^  de  la  reine 
Artémise.  Cette  forteresse,  appelée  châ- 
teaa  de  Saint-Pierre  par  les  chrétiens, 
reçut  des  Turcs  le  nom  de  Bidrou  ou 
Boudroun.  qu*elle  porte  encore  aujour- 
d'hui. 

Non  content  de  défendre  les  posses- 
sions de  Tordre,  Philibert  de  rfaillac 
consacrait  aussi  une  partie  de  ses  forces 
à  protéger  toutes  les  possessions  chré- 
tiennes en  Orient.  Le  royaume  des  Lu- 
signans,  déjà  en  pleine  décadence,  ne 
devait  sa  conservation  qu'aux  flottes  et 
aux  armes  des  chevaliers.  Le  maréchal 
de  Boucicaut  et  le  grand  maître  mar- 
chèrent au  secours  du  roi  Jean  II ,  me- 
nacèrent les  côtes  de  la  Syrie  et  de  TÉ- 
^nrpte,  et  forcèrent  le  Soudan  à  respecter 
rlle  de  Chypre. 

Au  dedans  le  gouvernement  de  Phili- 
bert de  Naillac  ne  fut  pas  moins  heureux 
au*aa  dehors.  Par  ses  soins  et  sa  pm- 
oence,  il  sut  garantir  Tordre  des  divi- 
sions dont  le  grand  schisme  avait  jeté 
les  germes  dans  toute  la  chrétienté.  Au 
coDolede  Pise  (1409)  il  fut  déclaré  seul 
et  légitime^and  maître  ;  et  an  concile  de 
Constance  il  obtint  la  soumission  de  tous 
les  chev^ers  dissidents  (1414).  Après 
un  séjour  de  près  de  dn  ans  en  Europe, 
pendant  leouel  il  s'efforça  toujours  de 
rapprocher  les  princes  chrétiens  pour  les 
tourner  contre  les  Turcs,  de  ^Naillac  re- 
tourna enfin  à  Rhodes ,  l'an  1419,  où  on 
le  reçut  avec  les  témoignages  de  la  plus 
vive  allégresse.  Deux  ans  après  (1421),  il 
assembla  un  chapitre  général,  dont  les 
actes  eurent  pour  effet  de  maintenir,  de 
<^solider  la  paix  et  l'union  dans  l'or- 


dre. Ce  fut  au  milieu  de  oes'soins  que 
Philibert  de  Naillac  mourut  paisible- 
ment, entouré  et  regretté  de  tous  les 
chevaliers  qui  s'étaient  réunis  pour  le 
chapitre. 
Antoinb  Fluvian,  tbewte-tboi- 

SliKB  GBÀND  MÀÎTBB  (  1421-1437  ).  — 

Antoine  Fluvian  OU  de  laRivière  était  che- 
valier de  Catalogne ,  drapier  de  Tordre , 
grand  prieur  de  Chypre  et  lieutenant  de 
Philibert  de  Naillac.  Il  fat  à  Tunanimité 
élu  successeur  de  ce  vénérable  srand 
maître,  qu'il  secondait  activement  depuis 
plusieurs  années.  Quel  que  fût  le  grand 
mattre,  la  situation  extérieure  de  Ixirdre 
ne  changeait  pas.  C'étaient  toujours  les 
mêmes  dangers  à  conjurer,  les  mêmes 
ennemis  à  combattre.  D'un  côté,  Maho- 
met I***  rétablissait  en  Europe  et  en  Asie 
la. domination  ottomane,  qu'on  avait 
crue  anéantie  par  Tamerlan.  Il  attaquait 
de  nouveau  les  côtes  de  la  Grèce,  et  diri- 
geait ses  flottes  contre  l'Archipel  et  les 
possessions  de  l'ordre  de  Saint-Jean.  De 
l'autre,  le  Soudan  d'Egypte,  Seifeddin, 
envahissait  l'île  de  Chypre ,  s'emparait 
de  la  personne  du  faible  roi  Jean,  et  ne 
trouvait  de  résistance  sérieuse  que  dans 
l'intervention  des  chevaliers  de  Rhodes. 
Dès  lors  Seifeddin  médita  la  ruine  de 
Tordre ,  et  il  prépara  secrètement  une 
expédition  contre  Rhodes.  Mais  Antoine 
Fluvian,  prévenu  par  des  agents  fidèles, 
rassembla  ses  chevaliers ,  remplit  la  ca- 
pitale de  vivres,  d'armes,  de  munitions, 
et  le  Soudan,  qui  vit  ses  projets  décou- 
verts, ajourna  son  entreprise  (1426). 

Ces  guerres  continuelles,  l'infidélité  de 
Jean  Starignes,  lieutenant  du  grand 
maître,  qui  livra  au  roi  d'Aragon  cent 
mille  florins  du  trésor,  épuisèrent  les 
finances  de  l'ordre.  Pour  remédier  à  la 
détresse  présente,  on  convoqua  un  cha- 
pitre général  à  Rhodes  le  10  mai  1428; 
on  y  prit  de  sages  mesures  pour  réta* 
blir  le  trésor  de  l'ordre,  et  on  y  réforma 
de  nouveau  certains  abus  déjà  combattus 
bien  des  fois,  mais  Jamais  entièrement 
extirpés,  et  qui  renaissaient  toujours  dans 
cette  grande  institution,  comme  les  mau- 
vaises plantes  dans  une  terre  féconde. 
Après  avoir  réparé  les  maux  de  la  guerre 
et  les  désordres  intérieurs,  Fluvian  gou- 
verna paisiblement  Jusqu'à  sa  mort,  qui 
eut  lieu  le  26  octobre  1437.  Cest  à  lui 
qu'on  doit  l'agrandissement  du  quartier 


I6C 


tijlii^EÎÉ. 


des  JùiÉ^  à  ]^odp^  et  ta  ccjnstructioa 
d'uàê  sûpqrBe  infirmerie,  que  lé  ^ran^ 
raaître  oota  à  sçs  dépens.  Avant  de 
mbuifi']^,  il  tégùa  au  trésor  puDnc  fa  somme 
de  ,deQx  ceat  jonille  duç^^,  gu'il  avait' 
épat^gtiés  p'ébdfaut  son  af  (AiDislratlon. . 
Jean  ÔÔ5ÎPAB  DÉ  LkHià ,  xbkntiî- 

— AXissitôt*  apr^.  ^a  mort  de  Fîùvian  «  l'é 
cfiapitre  s''assemblq  pour  lui  nomn^er  un 
successeur  ;  le$  capitulants  pi^irentja  voie 
de  compromission.  On  élut  d^'abordt 
treize  crkevaliefs,  auxquels  le  chapitre 
Ternit  le  droit  (f  élection.  Ces  treize  élec- 
teurs s'j^  préparèrent  par  rusa^e  dés  sa- 
crements dé  ïiéniteuce  et'  d' eucharistie  j 
ifs  entrèrent  ensuite  dan^  uile  chambre 
séj^arée  d'u  lieu  du  chapitre ,  ef. ,  après 
avoir  eîçai7)iné  avec  ^oin  Tes  niérltes  çles 
prétendants,  leurs  qualités  personnelles, 
et  çell^  surtout'  qui  étoient  les  plifs  con- 
venables au  gouvernement,  tous  Jes  sut 
frages,  se  réunirent  en  faveur^ de  frère 
Jean  de  tasllc,  gfand'prj eur  ^'-^uvergne, 
qui  fut  reconnu  par  tout  le  chapit'rè  pour 
grand"  maître  de  i'ordfe  (1).  »  À  la^  nou- 
velle dé  son  élection,  Jean  ç^  l!*astic,  qui* 
était  alors  en  France,  se  hâta  dé  passer  à 
Rhodes,  où  Ton  prévoyait  une  pr^chainp 
expédition  de  t)gemaled'din,soudan  d'E- 
gypte. Jue  gVahd  maître  s'occupa  immé- 
rfiaterneiit  drajouter  ^e  nouveaux  ou- 
vrages aux  fortipca^tloi^s  dé  Rhodes, 
tout  en  négociant  avec  le  soud'an  d^.É- 
gypté  et' avççl^  ottoman  Amurat.  Ce  d'er- 
nler  consentit  ^  une  trêve  ;  ma^is  1  autre, 
se  fot^dapt  sûr  les  anciens  établissements 
des  Arabeç  dafis  )es  îles  de  Chj^pré  e^  de 
Rhodes,  Ip  déclara  ,sa  |;iropriété,  et  en- 
voya ut\è  flotte  de  dix-huit  galères  nour 
appuyer  ses  prétentions.  Cette  Jlotte 
s  empar.^  de  la  petite  île  de  Cast^l-Rosso, 
sur  laquelle  les  chevaliers  avaient  bâû 
vtn.  fort,  ^t  fît  une  d'escenté  dans  1  île  de 
Rhodes,  le  15  septembre  1 44Ô  ;  mafs  elfe 
fut'  obligée  de  se  retirer  avant  d'avoir 
pu  mettre  lé  siège  devant  ta  capitale. 
Quatre  ans  après,  au  mois  d'apût  d'e 
Tamise  f4'44',  une  armée  égyptienne 
aborda  à  Àhodes,  et'  assiégea  la  ville 
pendant  quaraiitendeu^  jou)cs  sads  pou- 
voir s*en  emparer.  Apres  cette  lutje  glo- 
S'euse,  qjai  a  illustré  le  magistère  de  Jean 
âLàstic,  Tordre  oe  Saint^Jean  n'eut 

(i)  Verlot,  t.  11,  p.  ao5. 


plus  rie^DÎ  à  ^^i4^é  <iâjt%][|>t)â.  âaîs 
alors  ^fahoi^jàtn  .çucceaaît  a  ^murat 
(l^ôl'jsef  Constanân6i^t(é  tômBaitaupou* 
vdir  oesTurM  CM^Si.  Après  celle  impor- 
taj^fe  cdngùqe ,  le  sultan  euv(^ja  un  hé- 
raùy  demai^dér  tçLut  et  ^ipi^a]^  au 
gtànatûmr^.  «  ^  Dieu  nç  plaise,. ré- 
pondit Lastië,  mie^di^trouff mon  orare 
linre  ei  que  j|e  le  laisse  ^claVé*,  je  serai 
mon  auparavant,  ».Çelt^  réppnse  de- 
vait faire  éclater  Isf  giiprjrè.|  JÇiC  ^and! 
maître  eùvoya  demanoer  des  secours 
aux  princes  fîhfétîens*  ^drÊùro^,  qui 
malneureusemeçt'pç  savaiéût'^lus  s'en- 
tendre pourjcombattre.rennemiconunuii. 
Il  npit  Rhodes  en  état  (fe  deiensÇj  ramassa 
des  munitions,  convoqua  les  ÇDev4llers. 
La  moçt  le  surjprit  au  milieu  dé  «s 
soins ,  le  fà  mai  1454V  après  un  gou- 
vernement glorieux  de  aix-neûT  ans. 
Jacques  de  mijuii^  tbçntè-cis- 

QUIEHB    GBAND    ÙaIxBE    (14^4-1^61). 


où  l'on  s'attendait'  chdauç  jou^  a  voir 
paraître,  la  Aotte  de  Mahomet  ïi.  M 
resté,  nqn-seulemei^t  B!boaes  et  toutes 
les  îles  de  1  Archipe) ,  mais  la  ebrétientc 
tout  entière  se  sentait  menacée  par  les 
progrès  d|i  conquérant^ de.Cqnstantî« 
nopTe ,  et  le  pape  Calixté  Ul  ^tait  pa/:- 
veuu  à  fgrpner  une  hg|ie  destinée  à  dé- 
feridrq  l'Europe  contre  les  Ottomans.  Les 
rois  de  Hongrie,  d'Aragon,  le  duc  de 
Bourop^ne,  l^es  iépub)iqpes  de  Venist? 
et  de  ôreùes,  la  plupart  des  princes  ita- 
liens en  faisaient  partie,  et*. le  npureaa 
grand  maître  y  accéda  immèduateipeiit 
(1*454).  béja  uneflottç  turq;ué,  de  trente 
navires,  avait  raVagéles  côtés  de  Carie  et 
l'île  de  Lanjgo  (  CosV,  non  §ans  pousser 
ses  incursions  jusqu  à  R'hQdfes'^  aoù  eue 
ramena  un  butin  consid^éi:aJ)le  et  uo 
grand  nombre  de  prisonniers'j^n  était 
que  le  prélude  (Tune^péditTon  plos 
cpnsidérablé.  Éi^  t4S$  ^amzabé^paml 
djpins  les  eaux  de  fArdiipel ,  avec  une 
flotté  dé  cenfq'ugtre^vingt-cinq  voiIk.  D 
attaqua  successivement  l^sBos'.  diiûi 
Cos,  Sunisi'vil  écl^oua  niarlout.  11  ne  fut 
pas  pfûs  h^ûïeux  contre  ^hajles.  Les 
Qttômans  avaient  abbir^é  nr^  du  villagt 
d^ Archangeron  ;  ils  enlevèrent .gûelquâ 
habitants,  ruinèrent  lés'^^pàgneseun- 
ronnantes,  commirent  de^  deprédatioo^ 


ILE  ]6ë  AàôDES. 


semblables  à  Leros^  à  Cafamos  et  à  Ki- 
svra,  qui  appartenaient  toutes  trois  aux 
chevaliers  de  Rhodes.  A  son  retour 
Hamza  fut  disgracié.  «  Si  tu  n'avais  pas 
été  si  cher  à  mon  père,  je  faurais  lait 
ecorcher  vif  »,  lui  avait  dit  Mahomet  d'un 
ton  menaçant  ;  mais  il  se  contenta  de 
le  reléguer  dans  le  gouvernement  de 
SattaJie. 

Après  la  retraite  des  Turcs,  Jacques  de 
Milli  fit  fortifier  les  côtes  de  Khodes  et 
élever  des  châteaux  forts,  où  il  plaça  des 
garnisons.  Les  galères  de  la  religion, 
redoublant  d'activité .  parcouraient  les 
mers,  pillaient  les  cotes  des  Turcs,  et 
faisaient  le  plus  grand  mal  à  leur  com- 
merce. En  même  temps  Tordre  de  Saint- 
Jean  avait  sur  les  bras  une  grosse  guerre 
avec  les  mamelucks,  et  de  violents  démê- 
lés avec  Venise  à  propos  de  Jacques  le  bâ- 
tard, qui  s'était  adressé  au  Soudan  Aboul- 
fath-Abmed  pour  obtenir  Tinvestiture 
de  r!Je  de  Chypre.  Le  grand  maître 
soutint  le  parti  de  la  princesse  Charlotte. 
Un  instant  la  guerre  fut  sur  le  point 
d'éclater  entre  Khod^  et  Venise.  Les 
Vénitiens  firent  une  descente  d'ans  l'île, 
y  commirent  dWfreux  dégâts  ;  et,  pour 
appuyer  une  réclamation  de  captifs 
sarrasins  pris  à  bord  des  vaisseaux  de 
la  république,  ils  vinrent  bloquer  le 
port  de  Rhoides.  Quelques  chevaliers  pro- 
posaient de  leur  répondre  à  coups  de 
cjnon  ;  mais  le  grand  maître,  trop  pru- 
dent pour  augmenter  le  nombre  de  ses 
ennemis,  traita  avecles  Vénitiens,  et  ren- 
dit les  prisonniers.  En  même  temps  il  en- 
tamait des  négociations  avec  Mahomet  U^ 
fi  préparait  la  conclusion  d'une  trêve,  qui 
fie  fut  signée  que  sous  son  successeur. 

Au  dedans  l'ordre  était  déchiré  par 
ses  dissensions  intestines.  Au  chapitre 
de  Tan  1459  les  chevaliers  d'Espagne , 
d'Italie,  d'Angleterre  et  d*Allemague  se 
plaignirent  hautement  que  les  Français 
eoyahissaîent  toutes  les  dignités.  Ceux-ci 
avaient  de  bonnes  raisons  à  faire  valoir; 
c'étaient  eux  qui  avaient  fondé  Tordre 
et  qui  y  avaient  admis  les  autres  nations  : 
à  eux  seuls  ils  en  composaient  la  moitié; 
chaque  nation  avait  ses  droits  et  ses  ti- 
tres; Tamlral  était  toujours  de  la  langue 
d'Italie;  celles  d'Aragon,  d'Allemagne 
et  d'Angleterre  fournissaient  constam- 
nient  le  nand  conservateur,  le  grand 
l^ailli  et  le  turcopolier;  il  était  juste 


167 

que  celles  de  Érance,  de  Provenêe  et 
^Auvergne  se  réservassent  les  dignités 
de  grand  hospitalier,  de  grand  com- 
mandeur et  de  grand  maréchal.  Malgré 
ces  bonnes  raisons,  les  mécontents  per- 
sistèrent ,  et  le  procureur  d'Aragon ,  en 
plein  chapitre,  mterjeta  appd*  à  la  conr 
de  Rome,  et  sortit  suivi  de  ses  partisans. 
Le  conseil  voulait  les  poursuivre,  le 
grand  maître  sV  op]^osa  ;  sa  modération 
toucha  les  rebelles,  les  fît  neu  à  peu  ren- 
trer dans  le  devoir  et  rétablit  la  concorde 
intérieure.  Jacques  de  Milli  ihournt  le 
17  août  146f. 

Pierre  Raymond  Zagosta,  tren- 
te-sixième grand  maître  (1461-1^7). 
—  Pierre  Raymond  Zacosta,  Castillan  de 
naissance,  était  châtelain  d^Emposte.  A 
.  son  avènement,  l'opposition  des  quatre 
langues  étrangères  menaçant  de  se  re- 
nouveler, on  ne  put  terminer  cette  af- 
faire que  par  la  création  d'une  nomelle 
langue  en  faveur  des  Castillans  et  des 
Portugais ,  qui  furent  séparés  des  Ara- 
gonnais,  des  f^avarrais  et  dps  Catalans. 
On  attacha  à  cette  nouvelle  langue  la 
dignité  de  ^and  chancelier,  et  par  cette 
augmentation  il  se  trouva  depuis  Huit 
langues  dans  la  religion  (i462).  Ce  fut 
dans  le  chapitre  où  cette  innovation  fut 
décrétée  que  l'on  4pnna  pour  Ta  pre- 
mière fois  au  grand  maître  le  titre  a*é- 
minentissime. 

On  ne  savait  pas  encore  au  juste  ce 
qu'il  fallait  attendre  des  négociations  en- 
tamées par  Jacques  de  Milli,  pour  con- 
clure une  trêve  avec  Mahomet  II.  Où 
n'avait  pu  obtenir  du  sultan  qu'il  donnât 
des  passeports  au  commandeur  Sacco- 
nay,  que  le  grand  maître  avait  chargé 
de  traiter  cette  affaire ,  et  Tordre  pou- 
vait se  croire  menacé  par  les  immenses 
préparatifs  de  Tennemi.  Mais  Maho- 
met II,  ayant  destiné  cet  armement  à  la 
conquête' de  Trébizonde,  voulut'  s^assu- 
rer  la  paix  dans  l'Archipel,  et  il  accorda 
les  passeports  en  question.  Èès  au'il 
les  eut  reçus ,  le  nouveau  grand  maître, 
Raymond  Zacosta,  s'empressa  d'envoyer 
à  Constantinople  Gnillaume  Maréchal, 
commandeur  de  Yillefranche,  gti'il  fit 
accompagner  de  deux  Grecs  de  Rhodes. 
Guillaume  conclut  en  1461  le  premier 
armistice  entre  les  chevaliers  et  lesTores. 
Mahomet  le  signa  pour  deux  ans ,  et  se 
désista  de  sa  demande  d'un  tribut. 


I6B 


LUNIYëRS. 


A  la  ft?eur  de  eette  tréfe,  le  grand 
mattre  fit  élever  pour  la  défense  de  la 
▼Ule  de  Rhodes  et  du  port  un  nouveau 
fort ,  qui  fut  construit  sur  des  rochers 
fort  avancés  dans  la  mer.  Philippe  le 
Bon ,  due  de  Bourgogne,  fournit  douze 
mille  écus  d'or  pour  contribuer  aux  frais 
de  ce  travail,  qui  fut  exécuté  avec  le  plus 

Î;rand  soin.  On  appela  cette  forteresse 
a  tour  Saint-Nicolas,  à  cause  d'une  cha- 
pelle dédiée  à  ce  saint,  et  qui  se  trouva 
enclavée  dans  la  nouvelle  enceinte.  Mal- 

fré  la  trêve,  les  corsaires  turcs  faisaient 
es  courses  dans  les  domaines  de  Tordre, 
et  les  chevaliers  usaient  de  représailles 
sur  les  côtes  de  l'empire  Ottoman.  Ma- 
homet, irrité,  menaça  de  rompre  Tarmis- 
tice,  et  exigea  pour  sa  continuation  que 
l'ordre  entretint  un  député  à  sa  cour, 
qu'on  lui  payât  annuellement  quatre 
mille  écus,  qu  on  lui  rendît  les  esclaves 
chrétiens  fugitifs,  et  qu'on  l'indemnisât 
des  dégâts  commis  dans  ses  États.  Les 
chevaliers  repoussèrent  avec  indigna- 
tion ces  propositioDS  déshonorantes.  La 
guerre  éclata ,  et  la  flotte  turque  se  ré- 
pandit dans  l'Archipel,  et  vint  attaquer 
Lesbos,  afin  de  s'emparer  de  toutes  les 
positions  voisines  avant  d'assiéger  la  ville 
de  Rhodes.  Des  chevaliers  accoururent 
à  la  .défense  de  Mitylène  ;  ils  y  firent  des 
prodiges;  mais,  lâchement  trahis  jpar 
les  Grecs,  ils  périrent  tous  les  armes  a  la 
main  (1)  (1462).  Lesbos  fut  prise,  Rhodes 
plus  menacée  que  jamais,  et  le  grand 
maître,  dans  la  prévision  d'une  attaaue 
imminente,  fit  un  appel  à  tous  les  cne- 
valiers  dispersés  en  Europe,  et  ordonna 
à  tous  les  receveurs  d'envoyer  les  an- 
nates  et  les  responsions  au  trésor.  On 
pourrait  croire  que  tous  les  membres 
de  l'ordre  s'empressèrent  de  mettre  à  la 
disposition  du  grand  maître  leurs  bras 
et  leurs  richesses  et  de  courir  avec 
enthousiasme  à  la  défense  de  leur  loin- 
taine capitale.  Loin  de  là  ;  au  lieu  d'o- 
béir au  grand  maître,  on  l'accusa  d'a- 
varice et  d'avidité;  les  commandeurs 
s'autorisaient  de  l'appui  de  leurs  souve- 
rains pourdésobéir .  On  accusa  Raymond 
Zacosta  devant  le  pape  Paul  IL  Le  grand 
maître  consentit  a  se  justifier  :  il  vint  à 

(i)  Yertot,  Histoire  des  ÛhevaUers  Hos» 
piialiers,  L  II,  p.  a58.  —  Hammer,  Histoire 
des  Ottomans,  t«  III,  p.  99. 


Rome ,  malgré  la  {pravilé  des  eiiooDS- 
tances;  il  confondit  ses  accusateurs, 
prouva  aue  son  administration  avait  ét^ 
irréprocnable,  et  fut  comblé  de  caresses 
et  d  honneurs  par  le  pape.  Mais  comme 
il  se  préparait  à  s*embarquer  pour 
Rhodes,  une  pleurésie  l'emporta,  le  21  fé- 
vrier 1467.  Il  fut  enterré  dans  l'église 
de  Saint-Pierre  au  Vatican. 

Jeàh-Bàptistb  des  Ubsins,  tben- 
te-septième  gra.iid  haïtes  (146?- 
1476).— L'élection  du  successeur  de  Za- 
Costa  se  fit  à  Rome,  le  4  mars  1467.  Les 
suffrages  se  partagèrent  entre  Jean-Bap- 
tiste des  Ursins,  ne  l'illustre  famille  de 
ce  nom,  grand  prieur  de  Rome  et  Ray- 
mond Ricard,  Provençal,  prieur  de  SaioV 
Gilles.  Des  Ursins  ne  l'emporta  que 
d'une  voix,  et  se  hâta,  après  avoir  reçu  la 
bénédiction  du  pape,  de  se  rendre  à 
Rhodes,  où  la  présence  du  grand  maître 
était  plus  que  jamais  nécessaire.  A  son 
arrivée,  des  Ursins  s'entoura  des  hommes 
les  plus  habiles  et  les  plus  estimés  de 
l'ordre  :  on  se  sentait  à' la  veille  d'une 
crise  terrible;  on  ne  pouvait  pas,  sans 
risquer  de  périr,  ne  pas  confier  les  char- 

g  es  aux  plus  dignes.  Pierre  d'Aubusson, 
rave  guerrier,  habile  ingénieur,  fut 
alors  nommé  surintendant  des  fortifica- 
tions de  Rhodes  ;  ce  fut  par  son  conseil 
et  par  ses  soins  qu'on  creusa  et  qu^on 
élargit  les  fossés  de  la  ville ,  et  qu'on 
éleva  du  côté  de  la  mer  une  muraille  qui 
avait  cent  toises  de  longueur,  six  de  hau- 
teur et  une  d'épaisseur. 

Déjà  rennemi  s'était  présenté.  En  1467 
trente  galères  turques  débarquèrent  ? 
Rhodes  des  troupes  nombreuses,  et  ie 
pillage  commença.  Mais  depuis  long- 
temps rîle  était  pourvue  de  châteam 
forts.  Les  habitants  des  campagnes  se 
retirèrent  avec  leurs  bestiaux  dans  les 
forteresses  de  Lindos,  d'Héraclée,  de 
Trianda,  d'Archangelon  et  de  Ville- 
neuve; les  chevaliers ,  partagés  en  diffé- 
rents corps ,  harcelèrent  l'ennemi ,  et  le 
forcèrent  à  se  rembarquer.  De  nou- 
veaux armements  de  la  marine  torque  « 
destinés  en  apparence  contre  Rhodes, 
vinrent  jeter  une  seconde  fois  la  terreur 
dans  l'île;  mais  l'expédition  se  dirigea 
sur  r^égrepont ,  au  secours  de  laquelle 
des  Ursins  envoya  quelques  galères,  sous 
le  commandement  de  Cardone  et  d*Âu- 
busson.  Mais  la  présomption  et  la  là- 


ILE  DE  RHODES. 


169 


ehelé  da  raminil  vénitien  Ganale  reo- 
dinnit  inutiles  le  courage  des  chevaliers 
deRhodes.  L'tle  de  Négrepont  succomba  ; 
les  Turcs  y  exercèrent  d'horribles  cruau- 
tés, et  le  sultan,  irrité  d'avoir  vu  parmi 
la  flotte  vénitienne  les  galères  de  la  reli- 
gion, envoya  à  Rhodes  signifier  une  dé- 
claration de  guerre  à  outrance ,  faisant 
jorer  par  son  ambassadeur  de  tuer  dé- 
sormais le  grand  maître  et  d'exterminer 
tous  les  chevaliers  qui  tomberaient  en 
son  pouvoir  (1471). 

Ces  menaces  n'effrangèrent  point  les 
braves  hospitaliers,  qui  n'en  continuè- 
rent ^as  moins  de  combattre  avec  leurs 
alliésies  Vénitiens.  Le  fameux  Mocenigo 
avait;remplacé  le  timide  Canale  comme 
chef  de  la  flotte  de  saint  Marc.  De  con- 
cert avec  les  hospitaliers ,  Mocenigo  at- 
taqua Satalie,  dont  ils  prirent  et  rava- 
gèrent les  faubourgs.  D'autres  courses 
sur  les  côtes  de  la  Pamphylie  signalèrent 
cette  heureuse  expédition.  Ce  fut  alors 
au'nn  ambassadeur  d'Ussum-Cassan,  roi 
de  Perse,  passa  à  Rhodes  pour  se  rendre 
à  Venise,  afin  d'y  conclure  une  alliance 
contre  Mahomet.  Cette  guerre  engagée 
entre  les  Turcs  et  les  Persans  donna 
quelque  répit  aux  chevaliers  de  Rhodes, 
et  leur  permit  d'ajouter  encore  aux  for- 
tifications de  leur  ville.  Le  commandeur 
d'Âubusson  fit  «construire  sur  le  rivage 
deux  tours  du  côté  de  Limonia,  et  une 
troisième  qui  regardait  le  village  de 
Sainte-Marthe.  Devenu  grand  prieur 
d'Auvergne,  d'Aubusson,  dit  Vertot  (1), 
«induisait  ces  ouvrages  avec  une  atten- 
tion digne  de  son  zèle  et  de  sa  capacité; 
rien  n'échappait  à  sa  vigilance.  Le  grand 
maître  et  la  religion  écoutaient  ses  avis 
comme  des  lois  ;  c'était  pour  ainsi  dire 
l'âme  et  le  premier  mobile  du  conseil  ; 
lui  seul  était  ordinairement  chargé  de 
Texéeution  des  projets  qu'il  avait  pro- 
posés :  guerre,  finances,  fortifications , 
tout^passait  par  ses  mains.  On  le  voyait 
enrironné  en  tout  temps  de  gens  de 
guerre,  d'artisans  et  d'ouvriers,  sans  que 
le  nombre  et  la  différence  des  affaires 
Tembarrassassent  :  son  zèle  pour  le  ser- 
vice de  l'ordre,  l'étendue  et  la  facilité  de 
son  esprit  suffisaient  à  ces  différents 
emplois. 

La  grand  maître  Jean  des  Ursins, 

(i)  Hittmn  des  Hospitaliers,  t.  II,  p.  979. 


parvenu  à  une  grande  vieinesse,  et  at- 
teint d'hydropisie,  restait  à  peu  pr^ 
étranger  aux  affaires.  Cependant  il  pré- 
sida encore  un  chapitre  général  qui  se 
tinta  Rhodes.lefi  septembre  de  l'an  1475  ; 
mais  le  13  avril  1476  il  tomba  subite- 
ment en  syncope  ;  on  le  crut  mort,  et  on 
allait  l'ensevelir,  lorsqu*il  revint  à  la  vie; 
mais  le  8  juin  suivant  l'hydropisie  dont 
il  était  atteint  le  conduisit  réellement 
au  tombeau. 

PlEBBE  n'AuBUSSON,  TBENTB-HITI- 
TIBMB  GBAND  MAÎTBE  (1476-1503).  — 

On  peut  dire  que  déjà  longtemps  avant 
son  élection  Pierre  d'Aubusson  était  le 
grand  maître  de  l'ordre  ;  on  sentait  qu'il 
était  le  seul  homme  capable  d'arrêter  les 
progrès  du  terrible  Mahomet  II,  et  son 
avènement  causa  une  grande  joie  dans 
l'ordre  et  dans  toute  la  chrétienté.  Issu 
des  anciens  vicomtes  de  la  Marche ,  et 
d'une  famille  dont  l'existence  remonte 
au  neuvième  siècle,  Pierre  d'Aubusson, 
né  en  1423,  s'était  fait  avantageusement 
connaître  de  Charles  VU  et  du  dauphin 
Louis  pendant  la  guerre  de  Suisse.  11 
pouvait  arriver  à  la  gloire  et  aux  hon- 
neurs en  restant  à  la  cour;  il  renonça  au 
plus  brillant  avenir,  par  besoin  de  dé- 
vouement et  d'héroïsme,  pour  prendre, 
à  l'âge  de  vingt-deux  ans,  rhabit  de  sim- 

f>le  hospitalier.  Son  mérite  et  son  zèle 
'élevèrent  rapidement  aux  plus  hauts 
grades,  et  neuf  jours  après  la  mort  du 
grand  maître  des  Ursins,  d'Aubusson  fut 
élu  à  l'unanimité  par  le  conseil.  A  peine 
investi  du  souverain  pouvoir, d'Aubusson 
adressa  une  touchante  et  énergique  ci- 
tation à  tous  les  membres  de  l'ordre,  qu'il 
appelait  auprès  de  lui.  Après  leur  avoir 
retracé  les  périls  dont  Rhodes  était  me- 
nacée :  «  Nous  sommes  perdus,  ajoutait- 
il,  si  nous  ne  nous  sauvons  nous-mêmes. 
Les  vœux  solennels  gue  vous  avez  faits, 
mes  frères,  vous  obligent  à  tout  quitter 
pour  vous  rendre  à  nos  ordres.  C'est  en 
vertu  de  ces  saintes  promesses,  faites  au 
Dieu  du  ciel  et  au  pied  de  ses  autels , 

Sue  je  vous  cite.  Revenez  incessamment 
ans  nos  États,  ou  plutôt  dans  les  vôtres  : 
accourez  avecautant.de  zèle  que  de  cou- 
rage au  secours  de  la  religion.  C'est 
votre  mère  qui  vous  appelle,  c'est  une 
mère  tendre  qui  vous  a  nourris  et  élevés 
dans  son  sein,  qui  se  trouve  en  péril.  Y 
aurait-il  un  seul  chevalier  assez  du^  pour 


170 

li^ndoDoer  à  la  fureur  des  WÉares? 
Non,  mas  frères,  je  ne  Tappréheade  point: 
des  sentiments  si  lâches  et  si  impies  ne 
s'accordent  point  avec  la  noblesse  de 
votre  origine ,  et  eincore  moins  avec  la 
piét4  et  la  valear  dont  vous  faites  pro- 
lesf Ion.  » 

.  Pendant  que  le  grand  maître  rani* 
iBi^  par  son  exemple  et  ses  paroles  le 
zèle  dans  tous  les  coeurs,  il  négociait 
avec  le  sultan  po.ur  gag^eir  du  temps  et 
assurer  les  libres  traversées  des  mers  à 
tçu£f  les  chevaliers  qui  accouraient  en 
fqu^  d'Europe  pour  la  défense  de  Rhodes. 
Mahomet  consentit  en  1479  à  la  conclu- 
sion d'une  trêve  qui  lui  était  aussi  néces- 
saire ;  mais  ce  nouveau  délai  ne  devait  ser- 
vir qu'à  rendre  plus  formidables  les  pré- 
paratifs de  la  guerre.  Dans  un  chapitre 
assemblé  à  Rhodes  vil  fut  décidé  que  le 
saà^à  maître  aurait  pendant  la  guerre 
la  direction  suprême  et  absolue  de  toutes 
les  forces  militaires  et  du  trésor  de  Tordre. 
D'Aubusson  chpisit  pour  ses  quatre  lieu- 
tenants :  le  maître  ae  Thôpital,  Tamiral, 
le  chancelier  et  le  trésorier;  il  nomma 
son  frère  Antoine  d  Aubusson,  vicomte 
de  Montheil,  général  en  chef  dqs  troupes  ; 
il  donna  le  commandement  de  la  cava- 
lerie au  gragad  prieur  de  Brandebourg, 
Rodolphe  de  Walenberg.  Û  fit  abattre 
les  maisons  et  les^  arbres  qui  environ- 
naient la  ville ,  et  'raser  les  églises  de 
Saint-Antoine  et  de  Sainte-Marie  de 
Pbilérème.  Le  4  décembre  1479,  avant 
l'entier  équipement  de  sa  flotte,  Mahomet 
envoya  une  espadre  pour  reconnaître 
l'état  de  l'île.  Mesih-Pacha,  qui  la  com- 
mandait, essaya  vainement  de  prendre 
terre  à  Rhodes  ;  il  en  fut.repoussé  ainsi 
que  de  l'île  de  TilOrCtil  se  replia  dans  la 
baie  de  Fenika  (autrefois  Physcus)  pour 
attendre  le  printemps  et  l'arrivée  de  la 
grande,  flotte  ottomane.  Vers  la  fin  du 
mois  d'avril  de  Tannée  1480 ,  elle  sortit 
des  Dardanelles  forte  de  cci^t  soixante 
navires,  longea  les  côtes  de  Rhodes,  en 
se  dirigeant  vers  la  baie  de  Fenika  pour 
y  prendre  des  troupes  de  débarquement, 
et  reparut  devaot  nie  le  23  mai  1480. 

Pbeuib^  sibgs  db  Rhodes  fables 
TuBGS  (  1480).  —  Le  grand  vizir  Mesih- 
Pacfaa,  qui  commandait  cette  expédition, 
était  un  priuee  greo  de  la  maison  im- 
péti^le  des  Paléotogues.  Né  chrétien ,  il 
s'était  fait  musulman  à  la  prise  de  Gons- 


itJI^îVÈRS. 


tantinopk,  pour  échapper  à  la  nx>rt  à 
laquelle  Mahomet  avait  condamné  tous 
les  héritiers  de  Tempire.  Sa  valeur,  ses 
services,  son  adresse  et  une  coniplai- 
siance  entière  pour  toutes  les  voloutês 
du  sultan  l'avaient  élevé  depuis  à  la  di- 
gnité de  vizir  ;  et  pour  ne  laisser  aucun 
soupçon  sur  son  changement  de  religioo, 
il  affectait  une  haine  implacable  contre 
tous  les  princes  chrétiens,  et  surtout  con- 
tre le  grand  maître  et  les  chevaliers  de 
Rhodes.  Pour  faciliter  à  son  maître  la 
conquête  de  Hle ,  Mesih-Pacha ,  que 
Yertot  appelle  Misach  Paléolo^ue,  avait 
introduit  à  la  cour  trois  renégats  qui 
avaient  levé  des  plans  de  la  ville  et  de 
l'île  de  Rhodes  :  Tun  d'eux,  Antoine  Me- 
ligali,  était  un  Grec  rhodien;  le  second 
s'appelait  Démétrius  Sophian,  et  le  troi- 
sième était  un  Allemand,  appelé  maître 
Georges,  qui  possédait  de  profondes 
connaissances  en  mathématiques  et  en 
artillerie.  Les  plans  de  ce  dernier  furent 
jugés  les  meilleurs  ,•  et  ce  fut  d'après 
eux  qu'on  arrêta  les  ^spositions  de  Tat- 
taque. 

«  Pour  donner  un  récit  fidèle  de  ce 
siège,  dit  l'historien  de  Haramer,  j'ai  vi- 
site les  lieux  en  1803 ,  l'histoire  à  la 
main,  bastion  par  bastion,  rempart  par 
rempart,  et  j'espère  qu'une  exacte  des- 
cription topographique  servûra  à  rectifier 
les  erreurs  dans  lesquelles  ont  pu  tomber 
Vertotet  Gouffîer  (1).  » 

On  sait  déjà  que  la  ville  de  Rbodtis 
est  située  à  la  pointe  la  plus  septentrio- 
nale de  l'île ,  dont  elle  est  la  capitale. 
Deux  langues  de  terre  qui  se  projet- 
tent dans  la  mer,  et  dont  les  extrémités 
se  rapprochent  en  s'arrondissant  en 
courbe ,  forment  un  port  sûr,  vaste  et 
profond,  dans  lequel  on  a  élevé  une  di- 
gue qui  sépare  Tanse  des  barques  de  b 
rade  des  vaisseaux.  La  langue  de  terre 
à  gauche  des  navires  entrants  est  située 
hors  des  fortifications  de  la  ville,  héris- 
sée dans  toute  sa  longueur  de  moulins  à 
vent  et  défendue  à  son  extrémité  par  une 
tour  qu'on  appelle  le  château  Saint-Ange 
ou  Saint-Michel.  La  langue  de   terre 

(i)  De  Uammer,  Histoire  Je  tea^nre  0^ 
kundn,  t.  Ut,  p.  280.  J*emprunle  à  cet  ou- 
vrage le  récit  de  ce  siège,  en  le  modifiant  p<r 
3uelques  rectilicalions  on  additions  que  j^ 
ois  à  d'autres  auteurs. 


ILE  ÛE  b(60DES. 


opposée^  âiiiement  couverte  dfe  n^oulina 
à  Yent\^  Hextr^mité  de  sa  courbe,  est 
comprise  qtns  les  mmrs  de  la  ville,  et  sa 
termine  par  Ja  plus^importante  et  la  p]us 
céJèbfe  de  toutes  les  toqrs  d/e  Âhodes, 
construite  dtaBora  gar  les  Arabes^  ré- 
p3rée,agrandie,coosacrée6D)$uiteà  Saint- 
Nicolas  .sous  le  magistère  de  Zacosta,  ^ 
aussi. cette  .touf  est-elle  eqcore  appelée^ 
psr  les  .l^urcs  là  tpur  Arabe^  et  par  l'es 
chrétiens  la  tour  Saint-Nicolas.  A  Tex- 
téneur  des  deu^d  langues  de  t^rrç,  dont 
l'intérieur  {(ftme  le;  port  principal,  le  ri- 
vage se  replie  en  décrivant  une  courbe,^ 
et  fornv^  àgaucbe  des  vaisseaux  entrants 
one  baie  comblée  pçr  les  sables,  et  à  leur 
droite  un.  second  port,  appelé  port  des 
galjères,  dont  feutrée  est  défendue  d  un 
c6tç  pai:  ,une^toui;  et  <}e  Tautre  ,par  le 
fort  ^alnt^Elfliie.  Au  ^Qd  du  port  prin- 
cioal  s'él.^yent  immédiatement  les  dou- 
bles reratparts  de  la  ville,  qui  sont  bai- 
gnés j^ar  la  mer,;  ap  fond  de  celui  des 
galères  .^t  un  faubourg^  où  se  trouve 
aujourdbui.  la  maison  du. gouverneur, 
hors  de  .Fenceinte  de&  fortifications. 
Comme  dans  ce  premier  siège  il  n'est 
pas  ^it  une  mentiofi  particulière  (ïes 
sept  bastions  que  détendant  les  cheva- 
liers des  çept  langues  de  Tordre ,  non 
plus  que  des  portes  de  la  ville ,  nous  en 
omettrpns  rényi^ération^  qui  serait  ici 
superflue  >  et  qui  est  mieux  à  sa  place 
dans  rbistoûre  du  second  s^ége. 

À  une  lieue  fi  louest  de  Ta  ville  s'é- 
lève non  loin  de  la  mer  le  mont  Sain^- 
Ëtienne.  C'est  là  que  vint  aïiiorder  la 
flotte  ottomane,  et  que  le  pacha  Faléo- 
logue,  m^l^é  la  viooqreu^e  résistance 
de  la  ^ari^if on  du  tort  $aint-Étienne  ^ 
opéra  le  debarqu^ent  de  son  armée  et 
de  son  artillerie.  Les  troupe^  ottomanes 
prirent  aussitôt  position  sur  le^  hauteurs 
et  au  piefT  de  la  montagne.  Deux  jours 
après  .  le  général  turc  dressa  une  bat- 
terie de  troiâ~caDons  monstrueux  contre 
la  tout  39int-]Nicolas,  sur  la  place  même 
où  se  trouvait  Téglj|çe  de  Saint- Antoine,. 
UartlAerie  éùit  dirigée  par  maitre  Geor- 
ges, le  scuf  des  trois  renégats  qui,  vécQl; 
encore^  Meligali  ^D,t  mort  pendan(  la 
travers^,. et ^Sophian.  ayant  péri  daqs 
une  acti9n  deslé^  premiers  jours  du 
siège,  (^oant  )k  maître  Qe.oraes,.unç  j  ust^ 
puaiU9n  Tat^ndaiV  dan!^  rintécieur  dé 
la  ville.  Jouant  le  rôle  cfe  transtiige  ré- 


irr 

pentàaf,,iVpaF^t  au  piea  oj^'iHpurs,  h^ 
suppllq  qu^04i  Im  ouvp^'les  portes.  Con- 
dmt  devant  Je  grand  maître,  il  avou^ 
iranchenoent'  son  apostasie,., protestant 
de  son  sincère  repentir.  Siai^  il  .éveilla 
l'es  çoupçpns  par  les  détails  exagéré^' 
qu'il  donoa  sur  les  forces  et  riQvincihla 
artillerie  des  assiëg^nts.  Le  grand 
n)aitr^  confia  le  tra^stuge  à ,  la  garde  di^ 
six  soldats  ^ui  nedevaieïit  pas  le  perdre 
de  vue  un  instant,  et  lui  donna  lé  com- 
mandement d'vne  batterie  à  son  choix 
sur  les  remparts.  Les  Turcs  avaient  déjà 
tiré  plus  de  trois  cents  coups  de  leurs 
énormes  canons  contre  la  tour  de  Saint- 
Nicolas,  et  cçt  ouvrage  admirable, 
comme  parle  le. grand  maître  d*Aubus- 
son  dans  une  relation  du  sié^e  adressée 
à  l'empereur  Frédéric  IIÏ,  qui  parais- 
sait devoir  résister  à  mille  attaques, 
s'écroulait  ep  grande  partie  aprçs  quel- 
ques jours  d^une  canonnade  continuelle. 
Le  9  juin  les  janissaires  montent  à  l'aa- 
sjaut  par  les  ruiue^  fumantes  de  la  for- 
teresse en  poussantd'horribles  clameurs. 
Mal»  le  grand  maître  les  reçoit  sur  la 
brèche,  Tépée  à,  la  pain,  et  arrête  leur 
élan.  Un  éclat  de  pierrç  vient  brjser  ep? 
pièces  lé  casque  d'Àubusson  '^  il  prend 
sans  s'émouvoir  celui  «d'un  soldatjvoisin. 
En  Yaii\  le  commandeur  italien  Fabrice 
Caretti  le  conjure  de  se  retire^  :  a ,  C'est 
à  votre  granq  ^naître,  répond  ïç  héços^ 
qu'appartient  le  poste  (Thonpeur  !  »  Et  i( 
ajoute  en  souriant  :  «  Si  j'y  sufs  tué,,  il  j 
a  plus  à  espérçr  pour  vous  qù'à.çraindre 
ppur  moi  ;  v  lui  faisant  en  tendre  éar  là| 
qu'il  était  digne  de  lui  succéder.,  Un  \e{ 
exemple  électrise  les  chevaliers.  Le  périt 
disparaît  à  leuîrs  yeux,  et . lés  mahoracr 
tans,  frappés  de  terreur,  foudroyés  par^ 
les  canons  de  la  .ville,  fuient  éperdus,  et 


perdu  sept 
hommes.  Le  grand,  maître  célébra,  sa 
victoire  dans  l^lise  où  Ton  avait  plac^ 
Timage  miraculeuse  de  sainte  Marie  do 
Philéreme.  » 

Le  jour  suivant  Mésih^Pacba,  chan- 
geant son  système  d'opérations,  aban- 
donna 1  attaque  par  mer,  et  la  transporta 
duc6té  de  la, terre.  Il.fit  battre ^n  brécjie 
le  quar^er  des  jui&  par  huit  de  ses  pliu 

Î^ros  canons  ;  ujd  neuvième  fut  b)|caquéqe 
'extrémité  de  là  digue  contre  les  moii- 


t7!l 


LnmiVEES. 


liiis  à  yêQt  de  ia  langue  de  terre.  D'Ao- 
bûsson  ordonna  aussitôt  de  raser  les  mai- 
sons des  jaifs,  et  d'en  employer  les  ma- 
tériaux à  ia  construction  d  un  second 
mur  intérieur,  qu'il  fit  entourer  d'un 
fossé.  Chevaliers  et  paysans,  négociants 
et  bourgeois,  femmes  et  enfants,  rivali- 
sèrent oe  zèle  à  élever  ce  nouveau  rem- 
part, tandis  que  l'artillerie  turque  fou- 
droyait le  mur  extérieur  avec  un  tel 
fracas,  que  le  bruit  du  canon  s'entendit 
jusqu'à  Cos,  située  à  cent  milles  à  l'ouest 
de  Rhodes,  et  jusqu'à  Castel-Rosso,  dis- 
tante de  cent  milles  à  Test. 

Les  bombes  lancées  par  les  Turcs 
dans  la  ville  Grent  peu  de  mal  aux  ha- 
bitants :  les  femmes  et  les  enfants  s'é- 
taient réfugiés  dans  le  château,  que  ces 
projectiles  n'atteignirent  que  fort  rare- 
ment ;  ia  garnison,  de  son  côté,  les  évi- 
tait, abritée  dans  les  souterrains  des 
éjjlises  ou  les  casemates.  Les  Ottomans 
dirigèrent  une  seconde  attaque  sur  la 
tour  de  Saint-Nicolas,  au  moyen  d'un 
pont  de  bateaux.  Ce  pont ,  assez  large 
pour  que  six  hommes  pussent  y  marcher 
de  front,  s'étendait  depuis  l'angle  de  la 
langue  de  terre,  où  se  trouvait  naguère 
l'église  de  Saint-Antoine,  jusqu'à  la  tour 
de  Saint-Nicolas.  Les  Turcs,  au  moyen 
d'un  câble  fixé  sur  le  rivage  par  une  an- 
cre, étaient  parvenus  à  faire  remonter  le 
pont  jusqu'au  nied  de  la  tour.  Le  ma- 
telot anglais  Gervasius  Roger  se  jeta 
pendant  la  nuit  dans  la  mer,  coupa  le 
câble,  et  le  pont,  abandonné  à  lui-même, 
fut  repousse  loin  du  rivage;  mais  les 
Turcs  le  remorquèrent  avec  des  barques 
et  l'adossèrent  de  nouveau  à  la  digue. 
Dans  la  nuit  orageuse  du  19  juin  J480 
commença  l'assaut  de  la  tour  Saint-Nico- 
las. Une  canonnade  terrible  s'engagea  des 
deux  côtés  :  le  pont  de  bateaux  se  rom- 
pit ;  une  grande  partie  des  assaillants  et 
quatre  chaloupes  canonnières  furent  en- 
glouties; les  barques  d'abordage  furent 
pour  la  plupart  brâlées.  La  lutte  dura , 
sanglante  et  acharnée ,  depuis  minuit 
jusqu'à  dix  heures  du  matin  ;  les  Turcs 
durent  enfin  se  retirer,  après  avoir  perdu 
deux  mille  cinq  cents  nommes,  parmi 
lesquels  Souieiman,  le  sandjakbeg  de 
Kastemouni. 

Repoussé  dans  cet  assaut,  Mesih- 
Pacha  réunit  toute  son  artillerie  sur  un 
seul  point.  Cette  immense  batterie  fut 


dirigée  tout  entière  contre  la  partie  delà 
▼il le  voisine  de  la  tour  de  Saînt-Nicolas, 
c'est-à-dire  contre  le  bastion  des  Ita- 
liens et  le  quartier  des  juifs.  Trois  mille 
cinq  cents  boulets  ne  tardèrent  pas  à  y 
ouvrir  de  larges  brèches  ;  mais  les  Rho- 
diens  opposèrent  à  cette  batterie  une 
machine  qui  lançait  au  loin  des  pierres 
d'un  volume  prodigieux.  Cette  machine, 
qui  renversait  les  ouvrages  des  Turcs  H 
écrasait  leurs  travailleurs,  reçut  des  as- 
siégés le  nom  de  tribut,  par  une  allusion 
dérisoire  à  celui  que  Mahomet  avait  de- 
mandé ;  on  chargeait  cette  machine  avfc 
les  énormes  boulets  de  pierre  que  les 
Turcs  lançaient  dans  la  ville,  et  avec  les 
fragments  de  rochers  dont  ils  comblaient 
les  fossés  ;  lesRhodiens  les  enlevaient  ca- 
chés sous  des  cryptoportiques,  de  sorte 
que  les  Turcs  ne  pouvaient  s'expliquer 
comment  ces  fossés  venaient  à  se  vider 
tous  les  jours.  Pierre  d'Aubusson,  s'at- 
tendant  à  un  assaut  général,  fit  porter 
sur  les  remparts  du  soufre,  de  la  poix, 
de  la  cire  et  d'autres  matières  inflamma- 
bles, des  cylindres  en  pierre,  et  de  pe- 
tits sacs  remplis  de  poudre  et  de  fer  ha- 
ché ,  qu'on  devait  lancer  sur  l'ennemi. 
Il  fit  venir  devant  lui  maître  Georges,  et 
le  consulta  sur  ce  qu'il  convenait  dr 
faire  dans  cette  extrême  nécessité  : 
Georges  proposa  une  nouvelle  catapulte 
qui  devait  détruire  les  travaux  des  assié- 
geants; mais  comme  les  coups  de  cette 
machine ,  au  lieu  de  porter  sur  les  bat- 
teries turques ,  portaient  sur  les  murs 
même  de  la  ville,  on  soupçonna  de  plus 
en  pins  la  connivence  de  Georges  a?ef 
Tennemi,  et  le  soupçon  devint  bientôt 
une  certitude,  après  les  aveux  que  lai 
arracha  la  question.  Maître  Georges  ex- 
pia toutes  ses  trahisons  par  le  supplice 
de  la  potence. 

Le  général  en  chef  de  l'armée  assié- 
geante, voyant  échouer  toutes  ses  atta- 
ques, tenta  la  voie  des  négociations  pour 
obtenir  la  reddition  de  la  place,  et  en- 
voya à  cet  effet  un  Grec  auprès  do 
grand  maître.  Mais  celui-ci  revint  sans 
avoir  pu  rien  conclure.  Mesib-Pacha  en 
fut  d'autant  plus  irrité  que  son  avarice 
aurait  voulu  enlever  aux  soldats,  par  une 
capitulation,  le  riche  butin  auquel  lenr 
donnerait  droit  la  prise  de  la  ville  à 
main  armée.  Cependant  bon  nombre  de 
chevaliers  étaient  décidés  à  accepter  la 


ILE  DE  RHODES. 


178 


« 

capitolation  ;  ils  se  concertèrent  poar  y 
amener  le  grand  mattre ,  oui,  prévoyant 
le  mauvais  effet  de  cette  disposition ,  &C 
Tenir  ces  chevaliers,  et  comme  s*il  les 
eût  déjà  bannis  de  l'ordre  :  «  [Si  quelqu'un 
de  vous,  leur  dit-il  d'un  ton  courroucé, 
ne  se  trouve  pas  en  sûreté  dans  la  place, 
le  port  n'est  pas  si  étroitement  bloqué, 
aue  je  ne  trouve  bien  le  moyen  de  l'en 
ulre  sortir...  Mais  si  vous  voulez  de- 
meurer avec  nous,  qu'on  ne  parle  ja- 
mais de  composition ,  ou  je  vous  ferai 
tous  mourir.  »  Ils  comprirent  alors  que 
d'Aubusson  était  encore  plus  terrible 
que  rennnemi,  et  le  courage  rentra  dans 
leurs  cœurs. 

Alors  Mésih-Pacha  ordonna  un  as- 
saut général,  et  promit  le  pillage  ;  outre 
les  préparatifs  ordinaires  en  pareille  cir- 
eoDstance,  les  Turcs  se  munirent  de  sacs 
(X)ur  y  mettre  leur  butin,  de  cordes  pour 
lier  les  jeunes  filles  et  les  jeunes  gar- 
çons, et  de  huit  mille  pieux  pour  em- 
paler le  grand  maître  et  les  chevaliers. 
Le  camp  turc  retentit  des  cris  d'Allah  ! 
pendant  toute  la  nuit  qui  précéda  le 
jour  de  l'assaut.  La  batterie  des  liuit 
canons  avait  la  veille  tellement  battu  le 
quartier  des  Juifs,  que  les  murs  delà 
ville  étaient  en  cet  endroit  entièrement 
détruits  et  les  fossés  comblés  jusqu'au 
bord.  Le  vendredi  28  juillet  1480,  le 
même  jour  où  une  flotte  ottomane  abor- 
dait à  Otraute,  un  coup  de  mortier 
donne  le  signal  de  l'assaut ,  au  lever  du 
soleil.  Les  Turcs  s'élancèrent  avec  une 
irrésistible  impétuosité  sur  la  brèche,  où 
trois  mille  cinq  cents  d'entre  eux  enga- 
gèrent un  combat  terrible;  derrière  eux 
se  pressait  une  armée  de  quarante  mille 
hommes,  qui  attaqua  la  ville  par  tous 
les  points  a  la  fois.  De  part  et  d'autre 
OD  fit  des  prodiges  de  valeur  ;  les  assié- 
geants se  précipitèrent  sur  la  ville,  dit 
Seadeddin,«  comme  des  lions  déchaînés 
sur  leur  proie,  »  et  les  assiégés  combat- 
tirent, suivant  l'expression  de  Breiden- 
bach,  «  comme  les  Machabées  pour  leur 
religion  et  leur  liberté  ».  Déjà  1  étendard 
de  Mésih-Pacha  était  arboré  sur  les  cré- 
neaux^ déjà  quatre  échelles  adossées  à 
rintérienr  du  mur,  haut  de  vingt  pieds , 
qui  fermait  le  quartier  des  Juifs, livraient 
passage  aux  assiégeants,  lorsque  Mésih- 
Pacha  fit  crier  sur  les  remparts,  «  que  le 
pillage  n'était  pas  permis ,  et  que  les  tré- 


sors de  l'ordre  appartenaient  au  sultan.  • 
Cette  proclamation  refroidit  tout  à 
coup  le  zèle  des  assiégeants  ;  les  troupes 
encore  au  dehors  de  la  ville  refusèrent 
de  marcher  au  secours  de  celles  qui  s'y 
étaient  déjà  engagées.  Dans  le  même 
tem^  le  grand  mattre,  averti  que  l'en- 
nemi pénètre  dans  la  place ,  se  précipite 
à  sa  rencontre  à  la  tête  de  ses  chevaliers. 
Il  repousse  les  Turcs  au  delà  du  premier 
mur,  et  montant  avec  eux  sur  le  rem- 
part, il  engage  un  combat  furieux,  plus 
acharné  que  tous  les  précédents.  Le  pa- 
cha, debout  au  pied  de  la  muraille ,  voit 
les  siens  plier;  il  frémit  d'indignation, 
s'élance  contre  les  fuyards,  et  les  ramène 
au  combat  à  coups  de  cimeterre.  Animés 
par  ses  promesses,  douze  janissaires 
cherchent  le  grand  maître  au  milieu  de 
l'épouvantable  mêlée,  et,  l'apercevant 

{tarmi  ses  chevaliers,  ils  fondent  sur  lui, 
e  frappent  tous  à  la  fois ,  et  tombent 
aussitôt  massacrés.  Mais  d'Aubusson, 
atteint  de  cinq  larges  blessures ,  est 
inondé  de  sang.  On  î'entourre ,  on  veut 
le  forcer  à  se  retirer  ;  mais  l'héroïque 
grand  maître  résiste  aux  instances  des 
siens.  «  Mourons  ici ,  mes  chers  frères , 
dit-il,  plutôt  que  de  reculer.  Pouvons- 
nous  jamais  mourir  plus  glorieusement 
que  pour  la  défense  de  la  foi  et  de  notre 
religion.  »  Désespérés  de  l'état  de  leur 
chef,  exaltés  par  son  dévouement ,  les 
chevaliers  et  les  soldats  chrétiens  fon- 
dent avec  furie  sur  les  bataillons  des 
infidèles ,  et  y  répandent  partout  le  car- 
nage et  la  terreur.  Ceux-ci  prennent  enfin 
la  fuite;  le  pacha  lui-même  est  entraîné, 
poursuivi  jusque  dans  son  camp ,  et  son 
étendard  reste  aux  mains  des  chevaliers, 
comme  un  trophée  de  leur  victoire.  A 
ce  dernier  assaut  les  Turcs  laissèrent 
sur  les  brèches  et  dans  les  fossés  trois 
mille  cinq  cents  cadavres,  qui  furent 
brûlés.  Pendant  les  trois  mois  que  dura 
le  siège ,  Mésih-Pacha  eut  en  tout  neuf 
mille  morts  et  quinze  mille  blessés.  11 
retourna  avec  les  débris  de  son  armée 
dans  la  baie  de  Fenika:  puis,  après 
avoir  assiégé  sans  succès  le  fort  de  Pe- 
tronium»  à  Halicarnasse,  il  ramena  sa 
flotte  à  Constantinople.  Dans  le  premier 
mouvement  de  sa  colère ,  Mahomet  vou- 
lait le  faire  étraneler  ;  mais  il  se  contenta 
de  le  reléguer  a  Gallipoli.  Quant  à 
d'Aubusson ,  dès  qu'il  fut  guéri  de  ses 


174 


vvjspqs^. 


plantes,  il  se  rendit  dans  l'église  ^aint-  srand  VMfVte  put  ^i| 

'   r  reçnfercier  Dieu  dé  là  vlctoite  jcomrhe'p ^'  j^S^i^'èl 

lva\^  accordée;  $  ft  tâtir  plu-  Ht  Sa  sod  ctdre.  W    , 

5eur^ 'églises,  et  il  récompensa  généreu-  Je  pape  T[nnoôent  Vltf  ettvôyà  fléml 


,Feai  pour  remercier  Dieu  dé  là  victoire  Jfcomme  p  ve  Jtigea 

duil  l^i  ava\^  accordée  ;  $  ft  ï^âtirplu-  ïf  t  de  sod  ctdri. 

Sleur^  églises,  et  il  riécompensâ  généreu-  Je  papeT[nnoôent  V^    .    ^,_^^   ^r 

kemeritles  braves  guerriers  qûîràvaient  au  grandi  roatti^  qtlll  lui  nvi|Ptjla  |()ier- 

SI  ^ién  secondé.  ï^oùr  Soulager  les  pàjr-  sonhe'  de  Zizinrt ,  po^r  entretenir  les  in- 

saos  etMes  jiabitants  dé  llfé',  dont  les  quiétudes  ^e  Bajazet.  Les  In^taiices  du 

v--L_ '___/_  i..i.__.  iw  jz..i^z.L  •*.  1...-  ^  •  g  jfyi^gnt  sJ  yjyes  gûe  d'Aubusj^h  fut 


canl^aepels  avaient  été  dévastées,  ^I  leur 
jftjt'jtisu'ibûer  des  krains  pour  les  nourrir 
iusjîl*^  ja  prochaine  ji;6colté,  et  ^îles 


lape  lurent  si  vives  que  uAunusi^n  lui 
lUigé  de  cédeV  (/4Sf ),  ètl^pri✠ ^zîm 
lit  transféré  ^  ^6me ,  où  if  inourût  em* 


fut 


MaMm^  lï  résolut 'dé  nVj)lus  s'en  rap-  nairedèlllëde^h^     , 

JorteT  qii*h1ùi-mëroe  pouf  dlrîgeif  ses  |né.  Pour  reconnaître  <lâ  dâférencé  aefor 

ou velles  entreprises.  J[l  rassembla  une  dre  a  ses  volontés,  il  conBf  ma'ses  â'ûdens 

puîssqnté  armée  de  trois  cent  mille  hora-  privilèges,  en  accorda  de  nouveaux,  et 

^mes,  et  il  allait  en  prendre  le  commandé-  réunit  au  chajpltre  de  ^bèfes  ceux  du 

ment  pour  marcher;  soit  contre  Pjhodes,  ^aint-Sépulcre  et  de  Saint-Iizàre.  Le 

soft  côli tire  Tïtaliè,  lorsque  sa  mort ,  sur-  jÈrand  mattré  re(J\it  le  âiâpeau  de  carçi- 

Venué  les  mai  44^1 ,  déuyra  ta  chrétienté  nat.  %n  14?5 Je  pape  Alexandre  Tl  av^ot 

'ifû  ilangér''de  cette  invasion.  Alors  ta  organisé  une  ligué  contre  les  Turc^,  en 

guerre  civile  éclata  ^ ans  Tein pire  otto-  nomma  d^Aubusson  généralissime.  Mais 

man  ;  les  deiù  fils  deMa1iomet,'^ajazet  la  tiédeur  et  la^égligencé  deS  at!iés*em- 

ét  pjem  où  Zlzi'm,  se  disputèrent  te  pou-  péchèrent  ^e  tien  éntrepréndirje.  ^uls , 

Voir.  Ce  dernier,  vaincu  et  poursuivi  par  jles  chevaliers  de  BJbodeS  en  vinrent  aux 

son  fréré,  demanda  un  asile  au  srand  — *'""  •*^'*'-  "— -™»    -•  -«'-«-*^-»a — » 
maître  de  jKhodes,  qui  l'accueillit  avec 
empressement  et  distinction.  Mais  lapré 


sence  du  prince  musiâman  à  Rhodes 
ayant  suscité  beaucoup  d'embarras  et  de 
{liffîcultés  à  Pierre  d^Aùbusson,  il  le  fit 
transporter  en  JFrance ,  sous  la  conduite 
^e  son  neveu  Guy  de  Blânchefort.  2izim 
reçut  pour  résidence  la  commanderle 
de  Bourgneuf  en  Poitou ,  où  les  sicaires 
de;Bajàzet  ne  purent  Tatteindrè.  Cepen- 
dant de  longues  négociations  s'ên^è- 
rent  entre  rordre  et  la  Porte  au  sujet 
du  prince  réfugié.  Elles  se  terminèrent 
Il  l'avantage  des  chevaliers  ;  car  Bajazet, 
craignant  que  ^izim  ne  redevint  son  ri- 
val s'il  était  mis  en  liberté  et  soutenu 
paries  chrétiens,  s'engagea  à  payer  à 
rBdpital  un  tribut  de  45,000  ducats ,  à 
conoition  que  Zizirh  resterait'  toujours 
prisonnier.  On  a  Justement  reproché  à 
^*Aubusson  d'avoir  violé  la  fbi'jurée  à 
un  malheureux  fu^it^f  en  signant  cet 
article  qui  le  privait  de  sa  liberté.  Ce- 
pendant Guillaume  de  Jalignî,  historien 
de  l'ordre,  prétend  que  le  grand  maî- 
tre n'avait  aucun  engagement  envers 


mains  avec  .rennémi ,  et  remportèrent 

Xne  victoire  sur  une  flotte  de  Turcs  et 
e  Sarrasins,  dans  les  mers  de  laSvrie. 
Ce  fot  le  dernier  exploit  du  grand  oialtte 
d'Aubusson.  La  paix  avant  été  rétablie, 
il  se  livra  tout  entier  m  gouverneineDi 
intérieur  de  l'ordre;  il  fit  revivre  les  lois 
somptuaires,  et  chassa  les.  jui&  usuriers 
de  Rhodes.  Mais  ne  pouvant  mettre  les 
biens  et  les  dignités  dé  son  ordre  à  Tabri 
de  favidité  et  des  exactions  d* Alexan- 
dre yj ,  il  en  conçut  une  telle  douleur, 
qu'il  tomba  gravement  malade  ;]e  dia- 
grin  et  la  Vieillesse  réunis  ensemble, 
11  ne  tarda  pas  à  succomber.  11  mourat 
le  3  jui^et  1503 ,  âgé  de  plus  de  quatre- 
vingts  ans,  après  en  avoir  tégne  vingt- 
sept. 

ÉMBnY  p'fMBOISB,    TBEIÎjrE-NïC- 
VIÈME  GRAND  MAÎTBE  (I50â-ltfl35-  — 

Émery  d'^mboise  était  fils  de  pient 
a'Aniboise ,  chambellan  de  !LO>uis  XI  et 
de  Cîiarles  yjl,  et  Tun  de  sei  frères  était 
le  célèbre  Georges  d'Amboise,  archevê- 
que de  Rouen,  cardinal  et  légat  du  saint- 
siège,  et  premier  ministre  de  Louis  XII. 
  son  avènement  la  guerre  avec  les  Turcs 


2izim  ;  que  ce  prince  était  simple  pri-  ^paraissait  imminente.  J|9|ajazet  avait  con 
sonnier  ne  guerre,  et  non  un  fugitif  pro-  serve  le  plus  vif  ressentinieï^t  ^e  la  ooa- 
tégé  p£ur  un  sauf-conduit,  et  que  le    duite  de  1  ordre  de  Saint-tTean  dans  ses 


ILE  ^  ;ïUQOp£$. 


m 


démêlés  avec  son  frère.  Enhardi  par  Ja 

n^ort  de  d^ÂuLusson ,  dont  le  nom  seul 
servait  de  défense  à  Rhodes ,  le  sultan 
recofnmença  la  guerre.  Une  première 
escadre  turque  avait  été  repoussée  Tan 
1503.  L'an  1505  Bajazet  donna  au  fa- 
meux corsaire  CamaJi  ou  Kemal-^éis  Je 
commandement  d'une  expédition  contre 
Rhodes  et  les  autres  lies  de  la  religion. 
Mais  Jes  chevaliers  faisaient  si  i)onne 
Aarde,  que  I*ennemi  ne  put  ahorder  nulle 
part  dans  ^^e  de  Rhodes.  Repoussé  de 
nie  capitale,  Camali  remit  à  la  voile,  et 
courut  les  lies  de  Simia,  de  Tilo,  de  I^is- 
saro,  à  J'attaque  desquelles  il  ne  fut  pas 
plus  heureux.  Il  n'osa  pas  même  tou- 
cher à  ce(le  de  Lango,  que  défendait  une 
bonne  garnison  d'hospitaliers.  Il  croyait 
au  moins  surprendre  Hle  deLero,  qui 
n'avait  point  de  défenseurs.  Mais  au 
moment  de  Tassaut  il  voit  apparaître 
sur  la  muraille  une  double  haie  de  che- 
valiers revêtus  de  cottes  d'armes  rouges, 
la  croix  iïlanche  sur  la  poitrine.  Camali 
crut  qu'il  était  arrivé  du  renfort ,  et  prit 
la  fuite.  Ce  n'était  que  les  pauvres  na- 
bitauts  de  l'île  qu'un  jeune  chevalier  pié- 
montais,  appelé  Paul  Siméoni,  avait 
revêtus  d'habits  de  guerre. 

L'année  suivante ,  1506,  le  chevalier 
de  Gastlneau,  commandeur  de  Limoges, 
s'empara  de  la  Mogarbine.  C'était  une 
grande  caraque,  dit  Vertot  (1),  qui  par- 
tait tous  les  ans  d'Alexandrie  pour  por- 
ter d^£^pte  en  Afrique ,  à  Tunis ,  et 
jusqu'à  Constantinople  des  soieries,  des 
épiceries  et  toutes  sortes  de  marchan- 
dises ,  que  les  sujets  du  Soudan  tiraient 
des  Indes  par  la  mer  Rouge.  >  Ce  vais- 
seau (étoit  d'une  grandeur  si  extraordi- 
naire, qu'on  prétend  que  la  cime  du 
grand  mât  des  plus  grandes  galères, 
n'approchait  pas  de  la  hauteur  de  la 
proue  de  cette  énorme  machine.  A  peine 
six  hommes  en  pouvaient-ils  embrasser 
le  !mât.  Ce  bâtiment  avoit  sept  étages, 
dont  deux  alloient  sous  l'eau  ;  outre  son 
fret,  les  nuarchands  et  les  matelots  né- 
cessaires à  sa  conduite ,  il  pouvoit  en- 
core porter  jusqu'à  mille  soldats  pour  sa 
d^ense.  C'étoit  comme  un  château  flot- 
tant, armé  de  plus  de  cent  pièces  de  ca- 
non ;  les  Sarrasins  appeloient  cette  ca- 

(i)  Tertot,  JBUt,  de  r Ordre,  etc.,  t.  U, 
p.  400, 1.  Tin, 


raque  la  reine  ^  la  mer.  »  Cette^nyiQr- 

tante  capturent  suivie  de  là  prise  pe 
trois  autres  vaisseaux  égyptien^  9ÛrJi^ 
côtes  de  Syrie. 

Effrayé  de  l'audace  Qt  des  succès  ^es 
hospitaliers,  le  Soudan,  J&ansou-^- 
Gauri ,  mit  en  mer  vingt-cinq  vaisseaux 
qu'il  envoya  sur  les  côtes  d'Asie  ]\Ai- 
neure.  Ces  navires  allaient  chercher  les 
bois  qu'il  destinai);  à  la  construction 
d'une  flotte  qui  devait  être  Jancée  çur 
Ja  mer  Rouge,  popr  disputer  aiix  Poi^tu- 
gais  le  commerce  des  Indes.  VJingt-^eMX 
navires,  Ja  ^Eogarbiné  en  tête,  scftârept 
des  ports  ^e  Rhodes  sous  la  conduite 
d'André  d'Amaral  et  de  Villîers  de  I^e 
Adam.  Malgré  la  mésintelligence  de  s^s 
deux  chefs,  la  flotte  chrétienne  détruisit 
Fescadre  égyptienne  au  /ond  dii  gcife 
d'Ajazzo.  On  apprit  alors  que  B^azet 
venait  de  faire  alliance  avec  le  Soudan 
d'£gypte  ;  aussitôt  le  grand  maître  ^ip- 
pela  tous  Jes  chevaliers  à  la  d^ense  $e 
JEUiodes ,  et,  maigre  son  grand  âge ,  pré- 
para tout  pour  soutenir  i^n  siège.  ]La 
mort  le  surprit  au  miUeu  de  ces  soins, 
^e  13  novembre  151^,  à  l'âge  de  soixante- 
dix-huit  ans,  «  dont  il  avoit  employé  la 
meilleure  partie  dans  la  pratique  des 
vertus  chrétiennes  ;  prince  sage ,  habile  « 
dans  le  gouvernement,  heureux  dans 
toutes  ses  entreprises ,  qui  enrichit  son 
ordre  des  dépouilles  des  infidèles,  saps 
s'enrichir  lui-même  (1)  »,  et  qui  mourut 
sans  biens ,  avec  la  consolation  fie  ne 
laisser  aucun  pauvre  dans  ses  JÈtats. 

Guy  de  Blanghefobt  ,  quÂaai^- 

XIÈME  GAA.ND  MAÎTBE  (1512-^151$).  ^ 

Le  souvenir  impérissable  du  glorieux 
gouvernement  de  Pierre  d' Aubusson  fit 
élever  à  la  dignité  de  grand  maître  son 
neveu,  .frère  Guy  de  Blanchefort,  grand 
prieur  d'Auvergne ,  qui  durant  le  ma- 
gistère de  son  oncle  avait  pris  une 
grande  part  au  gouvernement  de  l'ordre 
et  surtout  à  la  garde  et  à  la  conduite  du 
prince  Zizim.  Mais  au  momcAt  de  son 
élection  Guy  de  Rlanchefort  tomba  mfr 
lade  dans  son  prieuré.  Jugeant  sa  pré* 
sence  nécessaire  à  Rhodes,  le  grand 
maître  se  mit  en  route  malgré  sa  fai- 
blesse, n  s'embarqua  à  Villcfranche  près 
de  Nice.  La  mer  augmenta  encore  son 
mal,  et  de  Blanchefort  rendit  le  dernier 

(i)  VçrJor,  t.  U,  p.  408. 


m 


LTJNIVEM: 


soupir  avant  d*aToir  achevé  soo  voyage. 
Il  moarnt  dans  nie  de  Prodana,  en  face 
de  Zante,  le  24  novembre  1513,  un  an  et 
deux  jours  après  son  élection.  Il  était  à 
craindre  que  le  pape  Jules  II  ne  voulût 
disposer  de  la  grande  maîtrise ,  et  n'at- 
tentât à  rindépendance  temporelle  de 
l'ordre.  Aussi  les  derniers  ordres  du 
grand  maître  mourant  avaient  eu  pour 
but  de  détourner  ce  danger.  Une  cara- 
velle légère ,  servie  par  (T excellents  ra- 
meurs, courut  à  Rnodes  annoncer  la 
nouvelle  du  trépas  de  Blanchefort,  et 
l'on  procéda  immédiatement  à  l'élection 
de  son  successeur,  avant  que  le  pape  ait 
eu  le  temps  d'entreprendre  sur  la  lioerté 
des  suffrages. 

Fabricb  Gàeretti,  quabàntb- 
vnibhb  grand  haîtbb  (1513-15*21). 
— La  caravelle  qui  annonçait  la  mort  du 
grand  maître  était  arrivée  à  Rhodes  le 
k  18  décembre.  Le  chapitre  s'assembla  le 
lendemain,  et  le  15  on  proclamait  grand 
maître  Fabrice  Garretti,  commandeur  de 
la  langue  d'Italie,  de  la  famille  des  raar- 

Ïuis  de  Final  en  Ligurie.  Au  siège  de  1480 
larretti  avait  déployé  la  plus  srande  va- 
leur et  le  grand  maître  d'Aubusson  lui 
avait  prédit  son  élévation.  Nommé  de- 
puis amiral  et  procureur  général  à  la 
cour  de  Rome ,  il  s'acquitta  dignement 
des  devoirs  de  ces  différentes  charges , 
et  au  moment  de  son  élection  c'était 
sur  lui  une  reposait  le  soin  de  pourvoir 
à  la  déiense  et  à  Tapprovisionnement 
de  Rhodes.  Son  magistère  fut  continuel- 
lement inquiété  par  la  crainte  d'une  ex- 
S édition  des  Turcs.  Sélim ,  successeur 
e  Bajazel,  en  1512,  nourrissait,  comme 
son  père,  une  haine  profonde  contre 
les  chevaliers  de  Saint-Jean.  Mais  ses 
euerres  contre  la  Perse  et  l'Egypte  le 
forcèrent  à  ajourner  l'exécution  de  ses 
projets  contre  Rhodes.  De  son  côté, 
l'ordre  s'alliait  avec  le  sophi  Ismaïl, 
avec  le  Soudan  Toman-Bey,  et,  sans  re- 
tarder leur  chute,  il  fournissait  ainsi  de 
nouveaux  griefs  au  sultan  Sélim. 
Ce  ne  fut  qu'après  son  retour  d'Egypte 

Sue  Sélim  ordonna  l'armement  a  une 
otte  de  cent  navires  destinée  à  marcher 
contre  Rhodes.  Ses  vizirs,  ses  généraux 
étaient  impatients  d'attaquer  enfin  cette 
dté  contre  laquelle  la  valeur  des  Turcs 
avait  toujours  échoué.  Mais  le  souvenir 
de  l'humiliante  retraite  de  son  grand- 


père  Mahomet  II ,  inspirait  à  SAm  de 
jostes  défiances,  et  il  hésitait  à  s'aventa- 
rer  dans  une  entreprise  où  il  pouvait 
compromettre  sa  gloire.  «  Yons  me 
poussez,  dit-il  un  Jour  à  ses  vizirs,  à  la 
conquête  de  Rhodes;  mais  savez-vow 
ce  qu'il  faut  pour  cela ,  et  pouvez-voos 
me  dire  quelles  sont  vos  provisions  de 
poudre.  »  Les  vizirs  répondirent  an  snl- 
tan  qu'ils  avaient  des  munitions  sofifi- 
santes  pour  un  siège  de  quatre  mois. 
«  Que  faire  avec  un  approvisionnement 
de  quatre  mois ,  s'écna  Sélim  avec  ha- 
meur,  lorsque  le  double  ne  suffirait  pas? 
Voulez-vous  voir  se  renouveler  à  ma 
honte  l'échec  de  Mahomet  II  ?  Je  n'en- 
treprendrai point  la  guerre ,  et  je  ne  fe- 
rai pas  le  voyage  de  Rhodes  avec  de  tels 
préparatifs;  d'ailleurs,  je  crois  que  je 
n'ai  plus  de  voyage  à  faire  que  celui  de 
l'autre  monde  (1).  »  Cependant  il  eon- 
tinuait  ses  préparatifs,  tandis  que  Fa- 
brice Garretti  augmentait  ses  moyens 
de  défense.  Mais  la  mort  les  surprit  tons 
deux  en  1521 ,  et  la  vieille  querelle  des 
Turcs  et  des  chevaliers  de  Rhodes  de- 
vait» se  décider  entre  leurs  succes- 
seurs (2). 

ViLLIBRS  DB  l'Ile- ADAH,  QU4- 
BANTE  -  DBCXIÈMB      GBAIf D      MAÎT» 

(1521-1534).  —  A  la  mort  de  Fabrice 
Garretti,  trois  chevaliers  se  recomman- 
daient par  leur  renommée  aux  suffrage 
du  chapitre.  Cétiiient  André  d*Amaral. 
chancelier  de  l'ordre,  grand  prieur  de 
Castille,  Thomas  d'Ocray,  grand  prieur 
d'Angleterre,  et  enfin  le  grand  prieur  de 
France,  Philippe  Villiers  de  l'Ile- Adam. 
Mais  d'Amaral  indisposa  le  chapitre  par 
ses  hauteurs  et  ses  prétentions  ;  il  fat 
écarté  tout  d'abord ,  et  bientôt  le  choix 
des  électeurs  se  fixa  sur  la  personne  de 
l'Ile -Adam,  alors  absent  de  Rhodes, 
mais  que  recommandaient  suffîsammert 
son  habileté,  son  courage  et  ses  vertus. 
La  nouvelle  de  cette  élection  excita  li 

(x)  De  Hammer,  Hutoire  de  tEa^e  Oi- 
toman,  t.  IV,  p.  356. 

(a)  Le  colonel  Rottiert  a  refrouTé  le  ton* 
beau  de  ce  grand  maître  dans  Téglise  Saiot- 
Jean.  C'est  le  seul  monument  de  ce  genre  qui 
ait  été  préservé  de  toute  dévastation.  VovfX 
Monuments  de  Rhodes,  p.  3oo  et  Atla<. 
pi.  XLI.  Le  prieuré  d'Italie  porte  une  im- 
eription  qui  atteste  qu'il  fut  rebâti  en  i5;9 
aous  Fabrice  Caretti.  Ibid.,  p.  Sn^, 


ILE  DE  RHODES. 


177 


joie  de  tous  lei  habitants  de  l'Ile  de 
Ahodes.  Seul ,  d'Amarai  en  conçut  un 
Tîoleot  chagrin  :  il  jura  de  se  venger  des 
refus  de  l'ordre ,  et  dans  les  premiers 
traDsports  de  sa  colère  il  lui  échappa 
de  dire  que  rile-Adam  serait  le  dernier 
grand  mettre  qui  rtoierait  à  Rhodes. 

Cette  sinistre  prédiction  ne  devait  être 
que  trop  tdt  réalisée.  Villiers  de  Tlie- 
Adam  s'était  hâté  de  prendre  con^é  de 
François  I*'  et  de  gag;ner  sa  capitale. 
Après  une  traversée  où  il  faillit  périr 
plusieurs  fois,  par  le  feu,  parla  tempête, 
et  par  les  emoûcfaes  de  Famiral  turc 
Kourdoghil,i]  arriva  à  Rhodes,  le  19  sep- 
tembre 1521.  Cependant  Soliman ,  suc* 
cesseur  de  Sélim,  venait  d'inaugurer 
EOD  règne,  le  plus  glorieux  de  la  dynas* 
tJeottomane  par  la  conquête  de  Belgrade, 
devant  laquelle  Mahomet  II  avait  échoué 
autrefois.  Après  avoir  renversé  un  des 
remparts  de  la  chrétienté,  Soliman  ré- 
solut décidément   d'attaquer    l'autre, 
c*est-à-dire  de  s'emparer  de  Rhodes,  qui 
tenait  en  échec  la  puissance  musulmane 
sur  mer  et  en  Asie.  Jamais  les  circons- 
tances n'avaient  été  si  favorables  à  Texé- 
cution  d'un  pareil  projet  (1).  Charles- 
Quint  et  François  I^  partageaient  et 
épuisaient  l'Europe  par  leur  rivalité  po- 
litique. L'unité  religieuse  de  la  chré^ 
tienté  venait  d'être  brisée  par  l'explosion 
de  la  réforme  luthérienne.  Soliman  com- 
prenait qu'il  pouvait  tout  oser  contre  les 
États  chrétiens,  et  qu'il  n'avait  rien  à  en 
craindre.  U  avait  pris  Belgrade,  et  il  s'é- 
tait ainsi  ouvert  la  Hongrie,  que  la  mino- 
rité de  Louis  II  livrait  sans  défense  à  ses 
armes;  il  hii  restait  à  prendre  Rhodes, 
pour  dominer  dans  l'Archipel  et  assurer 
de  libres  et  faciles  communications  entre 
Constantinople  et  les  deux  provinces  ré- 
cemment conqniises  par  Sélim,  la  Syrie 
et  rÉgy^te.  Indépendamment  de  ces  rai- 
sons, quêtaient  plus  que  sufiBsantes  pour 
entraîner  Soliman,  il  était  encore  poussé 
à  la  guerre  par  les  exhortations  de  son 
vizir  Houstapha,  de  son  grand  amiral 
Kourdoghlî,  qui  échauffaient  son  ambi- 
tion et  son  amour  de  la  gloire.  Enfin  à 
tons  ces  motife  s'ajoutaient  aussi  les 
communications  de  deux  traîtres,  un  doc- 
teur juif  et  le  vindicatif  André  d'Amarai, 

(i)  De  Hammer,  Histoire  eU  t Empire  Oi- 
tmaa,  t  V,  p.  a5  i  43. 

W  lÀoramn,  (  Ilb  pe  Rhodes. 


qui  lui  démontraôentropportuiiité  d*iuie 
attaque  contre  Rhodes,  en  lui  représen- 
tant cette  place  comme  mal  approvision- 
née et  démantelée  en  plusieurs  endroits. 
L'expédition  fut  donc  résolue;  mais 
avant  de  commencer  les  hostilités,  SoU- 
man,  pour  accomplir  la  formalité  pres- 
crite par  le  Coran,  envoya  au  grand 
maître  une  lettre  dans  laguelle  il  le  som- 
mait de  se  rendre,  et  jurait  comme  à  l'or- 
dinaire, par  le  Créateur  du  ciel  et  de  la 
terre,  par  Mahomet,  son  prophète ,  par 
les  autres  cent  vingt-quatre  mille  pro- 
phètes de  Dieu,  et  par  les  quatre  livres 
sacrés  envoyés  du  ciel,  gu'il  respecterait, 
dans  le  cas  d'une  soumission  volontaire, 
ta  liberté  et  les  biens  des  chevaliers  (1). 
Peu  de  temps  aorès,  la  capture  d'un  bri- 

§antiu  de  Rhoaes  par  un  navire  turc 
onnale signal  des  hostilités.  Le  18  juin 
1522  la  flotte  ottomane^  forte  de  trois 
cents  voiles,  sortit  du  port  de  Constanti- 
nople et  sedirigea  surRnodes.  Elle  portait 
une  immense  quantité  de  provisions,  et 
elle  avait  à  bord  dix  mille  soldats  de  ma- 
rine, sous  les  ordres  du  vizir  Moustapba, 
nommé  séraskier  de  l'expédition.  Cepen- 
dant l'armée  de  terre,  commandée  par 
Soliman  lui-même,  et  forte  de  cent  mille 
hommes,  marchait  à  travers  l'Asie  vers 
le  golfe  de  Marmaris  (l'ancien  Phiscns  ). 
Après  une  traversée  heureuse ,  la  flotte 
commença  son  débarquement  dans  la 
baie  de  Farembolus,  près  de  la  ville  de 
Rhodes,  le  jour  de  la  Saint-Jean,  patron 
de  l'ordre  dfes  Hospitaliers.  Un  mois  se 
passa  à  débarquer  les  troupes ,  les  pro- 
visions et  rartulerie,  à  dresser  un  camp 
et  à  attendre  le  sultan,  à  qui  le  séraskier 
ne  pouvait  enlever  l'honneur  d'ouvrir 
lui-même  le  siège.  Le  28  juillet  1522 
Soliman  quittait  Marmaris  et  débarquait 
à  Rhodes,  au  milieu  des  salves  deTartil- 
ierie  de  siège,  composée  de  plus  de  cent 
bouches  à  feu.  On  y  remarquait  douze 
énormes  canons,  dont  deux  lançaient 
des  boulets  de  onze  à  douze  palmes  de 
circonférence  (2).  On  en  retrouve  encore 

(i)  Vcrtol,  Hist,  des  Cheval,  de  Saint- Jean, 
t.  II,  p.  456.  M.  de  Hammer  regarde  cette 
lettre  comme  la  seule  authentique.  Tout  le 
reste  de  la  correspondance  entre  Soliman  et 
Tilliers  de  Tlle^Adam  lui  parait  supposé. 
Voy.  t.  V,  p.  4x6,  not.  i5. 

(%)  «  J'ai  moi-même  mesuré,  dit  M.  de 

]  1» 


1 


i78 


L'nmvERS. 


q^^taWHtffB  4fQ9  les  mw  et  dan9  rea« 
^fita^  4^  Ifi  forteresse. 

I^e  grap4  maitre  n'avait  pii  ^'oppoçer 
9U  (|&arqoemeot  des  Turcs.  Aban- 
4QQDé  p{ir  le9  princes  chrétiens,  réduit 
9Ul  ressources  de  son  ordre,  il  n'avait 
P4  réunir  (|ue  quatre  mille  cinq  cents 
fojd^ts  etsixeepts  chevaliers.  Toutefois, 
PQMf  ne  laisser  ancune  ressource  à  Ten- 
a^mi,  ii  avait  fait  incendier  les  villages, 
il  avait  ^hattutopsles  édifices  extérieurs 
et  reçu  49DS  la  ville  tous  les  habitants 
diBS  campagnes  pour  les  employer  à  la 
réparatioo  des  brèches.  Les  Grecs  de 
Rhodes  et  des  Iles  s'étaient  attachés  à  la 
domination  des  chevaliers,  et  en  général 
ilf  lenr  restèrent  fidèles,  n^algré  les  avan- 
ces et  les  séductions  de  Soliman  (1). 
Quant  aux  chevaliers,  enflammés  par  le 
fjéyouement ,  le  courage  et  la  piété  du 
grand  maître,  ils  se  montrèrent  tous  dis- 
posés à  le  seconder  jusqu'au  dernier  sou- 
IMr-  L'Ue-Adam  distribua  à  différentes 
angues  de  l'ordre  la  défense  des  sept  bas- 
tions de  la  ville.  Lui-même  se  plaça  à  la 
Porte  des  f^aingueurs,  près  de  réglise 
49  painte-Marie  de  la  Victoire.  Cette 
porte  était  au  nord  delà  ville,  à  l'oppo- 
site  du  port  lllandraccio  et  de  celui  des. 
Galères;  à  gauche  de  cette  porte  était  le 
li^astlon  de  la  langue  allemande,  puis  la 
porle  d' Auiboise  etle  bastion  de  la  langue 
espagnole;  à  droite,  les  bastions  des 
langues  d'Auvergne  tt  de  France.  Ces 
quatm  bastions  défendaient  la  partie 
nord  de  la  ville.  A  l'est,  où  se  portaient 
principalement  les  attaques  des  assié- 
geants, s'élevait  le  bastion  de  la  langue 
anglaise.  Les  murs,  au  sud  de  la  viUe , 
étaient  confiés  aux  chevaliers  de  Pro^ 
▼enee  et  d'Italie  ;  ceux  de  la  langue  por- 
tugaise avaient  la  défense  de  Ta  porte 
maritime.  Guyot  de  Castellane,  vieux 
bailli  provençal,  eut  la  garde  de  la  forte 
tour  de  8aint-19icolas,  avec  vingt  cheva- 
liers et  six  cents  soldats.  De  fortes  chat- 
ues  et  la  tour  Saint-Michel  complétaient 
la  défense  du  port. 

Les  Ottomans  enveloppèrent  la  ville 
du  nord  au  sud  dans  l'ordre  suivant  :  à 
Taile  droite  en  face  des  bastions  des  lan- 

Hammer,  plosieurs  de  «s  boulets  pour  m'as- 
snrer  de  Feiactitude  de  Tassertion  des  his- 
toriens du  temps.  »  T.  y,  p.  416,  DOt.  x8. 
(i)  roy,  Vertot,  U  VUJ,  t  Û,  p.  458. 


gues  française  et  allemande  était  pbeé 
Ayaz-Pacha,  béglerbey  de  Roumélie ,  tt 
à  ses  côtés,  en  face  des  bastions  d*f> 
pagne  et  d'Auvergne,  le  troisième  vizir, 
Acnrpet-Pacha.  Au  centre,  et  parallèle- 
ment au  bastion  de  la  langue  anglaise, 
se  trouvaient  le  séraskier  et  le  second  vi- 
9Jr,  Moustapha-Pacha.  Le  camp  du  sul- 
tan fut  établi  devant  la  position  de  Mous* 
tapha,  sur  la  colline  de  Saint-Cômeetde 
Saint-Damien,  et  près  de  la  chapelle  de 
la  Vierge  d'Élemonitra.  Au  sud-est  delà 
Ville,  c'est-à-dire  à  l'aile  gauche  de  l'ar- 
mée assiégeante,  Kasimbeç,  béglerbey 
d'Anatolie,  devait  conduire  Tattaque 
contre  le  bastion  de  la  langue  de  Pro- 
vence, et  plus  loin  encore,  à  rextrémite 
de  cette  même  aile  gauche,  le  grand  Fizir. 
Piri-Pacha,  était  opposé  aux  chevalier! 
d'iuUe. 

Le  1^'^  août  le  béglerbey  de  Boiunélie 
ouvrit  Id  siège  en  attaquant  le  poste  des 
chevaliers  allemands,  que  commandait 
Christophe  de  Waldner.  Vingt  et  on  q- 
nous  foudroyaient  le  bastion  allemand 
et  vingt-deux  la  tour  de  Saint-Kicolas. 
Quatorze  batteries  de  trois  canons  cha- 
cune étaient  dirigées  contre  les  bastions 
d'Espagne  et  d'Angleterre,  et  dis-s^i 
autres  semblables  contre  le  bastion  dl-j 
talie.  Les  assi^eants  et  les  assiégés  em- 
ployèrent le  mois  d'août  en  travaux  de 
mines  et  de  contre-mines.  Malgré  k 
grand  nombre  de  bras  dont  pouvait  dis- 
poser Tennemi,  les  travaux  de  la  dé- 
fense conservaient  l'avantage ,  grâce  à 
l'habileté  de  l'ingénieur  vénitien  Gabriel 
Martinengo,  que,  d'après  l'avis  do  ebe- 
valier  deBosio,  le  grand  maître  avait  ùit 
venir  de  lUe  de  Candie.  A  peine  arrive 
à  Rhodes,  Martinengo  s'était  enflamme 
au  contact  de  rentnousiasme  guemer 
et  religieux  qui  animait  les  chevaliers,  et 
ii  s'était  enrolé  dans  cette  milice  sacrer* 
dont  il  fut  un  des  plus  vaillants  défen- 
seurs. La  bravoure  héroïque  du  grand 
maître  et  les  talents  de  Martinengo 
firent  échouer  toutes  les  premières  ten- 
tatives de  l'ennemi. 

Le  4  septembre  deux  mines  renrer- 
sèrent  une  partie  du  bastion  anglais. 
Plusieurs  bataillons  de  janissaires  sélaa- 
cèrent  sur  la  brèche  ;  et  déjà  ils  cagDaient 
le  sommet  de  la  muraille  et  ils  y  plaoj 
talent  leurs  étendards.  Mais  le  grao'i 
mattre  accourut  l'étendard  de  la  cron 


ILE  J^fL  AHOPES. 


170 


i^é,  j^  l^s  forfia  à  ^  retirer  «près 
imej)^  aepnss  aedejaxiQUlç  hominef . 
Pn  sm»4  a^sdiit,  ]xYX0  six  jours  pli)s 
tard  par  les  Turcs,  leqr  fit  éprouver  ui)e 
perte  auasî  forte  ;  les  ds^i^esols  n'eq- 
rent  que  trente  homines  tués ,  parmi 
lesquels  le  gépérsl  de  Tartillerie  ^t  |e 
porte  drapeau  du  ^^nd  maître.  Le  13 
septeoabref  à  la  suite  d'ui^e  première  at- 
taque«  les  Turcs  forcèrent  le  bastion  an- 
glais, sur  lequel  ils  arborèrent  cinq  ilra- 
peau.  Le  ODOimandeur  Waldne^  les 
mm ,  et  le  grand  maître  acheva  leur 
défaite.  Quelques  jours  après  le  docteur 
juif  qui  trahissait  Tordre  et  corresj)on- 
dait  avec  le  camp  ottoman ,  surpris  au 
moment  où  il  allait  lancer  à  Temiemi 
uoe  lettjre  au  rooyw  d'une  flèche,  fut 
écartelé. 

Jusque  là  il  n'y  avait  eu  que  des  as- 
sauts partiels;  fn^is  le  34  septembre  on 
annonça  une  attaque  générale  sur  toute 
ia  ligne  des  fortifications.  Depuis  midi 
^jsqu'à  minuît,  des  hérauts  parcouru- 
rent le  camp  eu  criant  :  «  Demain  il  y 
aura  assaut;  la  pierre  et  le  territoire 
sont  au  Padiscbah,  le  sani^  et  les  bieos 
des  habitants  sont  le  butin  des  vain- 
queurs. »  Au  point  4u  jour  le§  Ottomans 
se  pojitèrent  au  nord;  à  Vest  et  au  sud 
de  la  ville  ;  cependant  leurs  efforts  se 
concentrèrent  surtout  contre  les  bas- 
tions des  langues  anglaise  et  espagnole  ; 
Taga  des  janissaires  parvint  même  à 
surprendre  ce  dernier  bastion  et  à  y 
planter  son  drapeau.  Mais  ce  triomphe 
ue  fut  que  de  courte  durée  :  le  grand 
maître  qui  avait  déjà  repoussé  Vattaque 
du  bastion  anglais,  engagea  avec  les 
janissaires  un  combat  acharné.  Les 
Turcs  furent  repoussés  de  toutes  parts, 
laissant  quinze  mille  des  leurs  sur  la 
brèche  et  dans  les  fossés.  Dans  cet  as- 
mt,  le  plus  terrible  de  tous  ceux  qui  se 
Tèrent  pendant  le  cours  du  siège,  toute 
population  de  l'île  seconda  bravement 
valeur  des  chevaliers.  Les  femmes 
les-mémes  prirent  une  [>art  glorieuse 
ni  sucoès(|e  cette  sanglantejournée.  Sans 
reffrayer  ^es  cris,  d^  tumulte  et  du  car- 
)ge,  elles  portaient  les  unes  des  mupi- 
ms  et  des  rafraîchissements  aux  guer- 
îrs  qui  combattaient  sans  relâche,  les 
itres  de  la  terre  pour  en  remplir  les 
'èche3*  et  des  piçrre^  pour  les  jeter  sur 
~  assaillants. 


Is  sultfio,  irrité  <iu  mauvfùs  succès  de 
cette  entreprise,  s'en  prit  a|i  béglerbey  de 

Siouméliet  Aya^-Pacba.  U  tedéposa,etle 
t  emprisonner;  mais  il  le  rendit  à  la 
liberté  et  à  ^  {onctions  4ès  le  lende- 
main (|).  Il  songeait,  dit-ûQ,  à  lever  le 
siège,  lorsqif'uii  transfuge,  envoyé  peut- 
être  par  d'Amaral,  vint  lui  faire  sur  la 
situation  déplorable  delà  ville  des  révé- 
latîQQS  qui  dét^rnûflèrent  Soliman  à 
persévérer.  Le  12  octobre,  à  la  pointe  du 
jour,  Achmet-Pacbdi  qui  9vait  remplacé 
Moustapha  dans  la  direction  du  sié^^, 
tenta  de  surprendre  le  bastion  anglais; 
les  remparts  étaient  d^à  au  pouvoir  des 
Turcs,  lorsque  Ta^a  des  Janissaires  6tf 
blessé  et  ses  soUlaU  forces  de  battre  ea 
retraite.  Vers  la  (in  du  même  mois,  un 
nouvel  assaut  fut  tenté  contre  les  bas* 
tions  d'Italie  et  de  Provence,  d*où  les 
assiégeants  furent  repoussés  après  un 
combat  meurtrier.  Cependant'  Marti- 
nengoavait  été  gravement  blessé,  et  pen* 
dant  les  trente-quatre  jours  que  dura  sa 
maladie  rile-Adam  veilla  seul  à  toutes 
les  opérations  de  la  défense,  ne  prenant 
plus  de  repos  qu'entièrement  armé ,  et 

f)araissant  devenu,  ainsi  que  ses  cheva- 
iers,  insensible  à  la  fatigue  comme  aux 
dangers. 

Sur  ces  entrefaites  la  trahison  de  d' A- 
marai  fut  découverte-  Son  domestique 
Biaise  Dtez,  fut  surpris  en  communica- 
tion avec  Tennemi.  On  le  mit  à  la  ques- 
tion, et  il  révéla  toutes  les  intelligeoces 
de  son  maître  avec  les  Turcs.  Un  prêtre 

Srec,  chapelain  de  Tordre,  confirma  sa 
éposition.  D*Amaral,  confronté  avec 
ses  deux  accusateurs,  nia  tous  les  faits 
qui  lui  étaient  imputés,  et  la  torture  ne 
lui  arracha  aucun  aveu.  Mais  la  convic- 
tion des  juges  résista  à  toutes  §es  déné- 
gations, et  d'Amaral  fiit  oondammé  à 
mort  avec  son  valet.  Avant  l'exécution , 
il  fut  dégradé  dans  Féglise  de  Saint- 
Jean,  en  présence  de  tout  Tordre  assem- 

(i)  Voir  le  Journal  de  t  expédition  de  So- 
itntan  contre  Vite  de  Rhodes,  dans  Hamm^, 
t.  y,  p.  421.  Cette  arrestution ,  ajoute  I*hi»- 
torien,  a  donné  naiaiance  à  la  fable  que  Bour- 
bon, et  d'après  lui  Bosio,  Tertot,  Knolles, 
Méieray ,  Sagredo ,  Mignot  et  Alix  ont  rap- 
portée an  sujet  de  Moustafa-Pacha  qae  le  sih- 
tan  aurait  fait  mourir  à  coups  de  flèches.  De 
Hammer,  l,  V,  not.  ai. 

12. 


180 


L'UNIVERS. 


blé  :  conduit  ensuite  sur  la  grande  place 
de  Tordre,  il  y  subit  la  mort  avec  fermeté. 
Bourbon,  Fontanus,  tous  les  historiens 
de  Tordre,  ont  flétri  la  mémoire  du 
grand  chancelier  d'Amaral.  Cependant 
Vertot  remarque  qu'on  ne  l'aurait  pas 
traité  si  rigoureusement,  si  quand  il  s'agit 
du  satut  public  le  seul  soupçon  n'était 
I>as  pour  ainsi  dire  un  crime  que  la  po- 
litique ne  pardonne  guère  (1).  (80  oc- 
tobre 1522. ) 

La  nlus  grande  partie  du  mois  de 
novembre  se  passa  en  travaux  et  en  en- 
gagements partiels ,  qui  igoutaient  tou- 
jours à  la  faiblesse  des  chevaliers  et  aux 
progrès  des  Turcs.  Le  23  novembre  un 
jiouvel  assaut  donné  au  bastion  d'Italie 
ooûta  aux  Ottomans  cinq  cents  hommes 
sans  aucun  résultat. Le  30,  jour  deSaint- 
André,  les  bastions  d'Espagne  et  d'Ita- 
lie furent  impétueusement  assaillis  par 
les  Ottomans.  Les  chevaliers,  exténués 
de  fatigue,  plièrent  d'abord,  et  l'ennemi 
se  répandait  dans  les  retranchements. 
Jamais  Rhodes  ne  s'était  vue  si  près  de 
succomber.  A  l'instant  toutes  les  clo- 
ches sonnent  l'alarme,  de  tous  côtés  on 
voit  accourir  chevaliers ,  bourgeois  , 
paysans  :  les  Turcs  sont  arrêtés;  la  brè- 
che est  reconquise;  la  pluie  qui  tombe 
par  torrents  entraîne  les  ouvrages  des 
Musulmans.  Ils'se  dispersent  tous  en  lais- 
sant trois  mille  des  leurs  sur  le  champ 
de  bataille. 

Cette  nouvelle  perte  détermina  le  sé- 
raskier  à  ne  plus  tenter  d'attaques  ou* 
vertes  et  à  se  réduire  aux  tranchées  et 
aux  mines.  Le  siège  avait  coûté  à  Soli- 
inan  environ  cent  mille  hommes,  dont  la 
moitié  avait  péri  les  armes  à  la  main  , 
l'autre  moitié  par  suite  de  maladies.  Mal- 
gré ces  pertes  immenses,  l'armée  du  sul- 
tan se  trouvait  toujours  recrutée,  tandis 
que  chaque  jour  la  mort  faisait  dans  les 
rangs  des  défenseurs  de  l'ordre  des  vides 
irréparables.  Aussi  Soliman,  sachantles 
chevaliers  réduits  à  la  dernière  extré- 
mité, et  croyant  leur  courage  abattu,  fit 
proposer  le  10  décembre  une  entrevueau 
grand  maître,  et  offrit  une  capitulation 
honorable,  sous  la  condition  de  rendre  la 
ville  dans  le  délai  de  trois  iours.  La  red- 
dition de  la  place  avait  déjà  été  résolue 
dans  le  chapitre  des  grands -croix  de 

(i)  Verlol,  HtsL  de  t Ordre,  clc,  c.  II,  5o3. 


l'ordre,  et  dans  celui  où  chaque  langue 
était  réprésentée  par  deux  chevaliers. 
Cependant  cette  résolution,  blâmée  vive- 
ment par  les  plus  intrépides ,  fut  révo- 
quée, et  l'on  fit  demander  à  Soliman  un 
délai  plus  long  que  celui  qu'il  proposait. 
Pour  toute  réponse  Soliman  ordonna  à 
ses  généraux  de  recommencer  le  siège 
(18  décembre).  Mais  il  avait  réussi  par 
des  négociations  à  jeter  la  division  dans 
la  ville  ;  les  populations  grecques ,  fati- 
guées du  siése,  effrayées  des  menaces 
des  Turcs ,  s^uites  par  l'espoir  d'une 
capitulation,  se  détachent  des  chevaliers , 
qui,  réduits  à  eux-mêmes,  sans  munitions 
et  presque  sans  vivres,  se  vûrent  enfin 
dans  l'impossibilité  de  prolonger  plus 
longtemps  leur  r^tstance.  D'abord  Vil- 
liers  de  risle-Adam,  ne  pouvant  se  rési- 
gner à  l'aveu  de  sa  défaite,  osa  encore 
garder  une  attitude  supérieure  à  sa  for- 
tune. Il  envoya  au  séraskier  l'écrit  par 
lequel  Bajazet  II  avait  jadis  garanti  au 
grand  maître  Pierre  d'Aubusson  la  libnf 
possession  de  Rhodes,  en  son  nom  et  en 
celui  de  ses  descendants.  Dès  quMI  vit 
cette  pièce  entre  ses  mains,  Achmet-Pa- 
cha  la  déchira  et  la  foula  aux  pieds,  et  il 
ré[)ondit  au  grand  maître  une  lettre 
pleine  de  grossières  injures.  Bientôt 
Villiers  de  rIsle-Adam,  réduit  à  la  der- 
nière extrémité,  se  vit  contraint  à  chan- 
ger de  langage,  et  il  députa  à  Soliman 
un  chevalier  et  deux  bourgeois  de  la 
ville  pour  négocier  la  reddition  de  Rho- 
des (  22  décembre  ).  La  capitulation  fut 
aussi  honorable  que  pouvaient  l'espérer 
des  vaincus.  Elle  portait  que  les  églises 
ne  seraient  point  profanées,  que  l'exer- 
cice de  la  religion  chrétienne  serait  libre. 
Que  le  [)euple  serait  exempt  d'impôts  pea- 
oant  cinq  ans,  que  tous  ceux  qui  vou- 
draient sortir  oe  l'île  en  auraient  b 
permission,  que  les  chevaliers  pourraient 
se  retirer  avec  tout  ce  qui  leur  apparte- 
nait en  meubles,  en  armes,  reliques  et 
vases  sacrés;  que  tous  les  forts  de  Rhodes 
et  des  autres  Iles  qui  apoartenailsnt  à  ia 
religion  et  le  château  ue  Saint-Pierre 
seraient  remis auxTurcs  ;  querarmée  ot- 
tomane s'éloignerait  de  quelques  railles; 
que  l'a^a  et  quatre  mille  janissaires 
viendraient  seuls  prendre  possession  de 
la  place;  enfin  que  l'ordre  donnerait 
comme  otages  vingt-dnq  chevaliers  et 
vingt-cinq  des  principaux  bourgeois. 


I 


ILE  DE  RHODES. 


181 


A  peine  eette  capitulation  eut-elle  été 
signa  de  part  et  d*autre,  qu'elle  fut 
violée  dans  ses  danses  principales.  Le 
einguième  jour  après  la  signature,  c'est- 
à-dire  le  25  décembre  1522,  les  janis- 
saires échappèrent  à  leurs  chefs,  et  s'ap- 
prochèrent de  la  ville  sans  autres  armes 
que  des  bâtons.  Ils  forcèrent  une  des 
portes ,  pillèrent  les  maisons  des  prin- 
cipaux habitants ,  et  commirent  toutes 
sortes  d'excès.  Leur  fureur  se  déchaîna 
surtout  contre  Féglise  Saint- Jean;  ils 
raclèrent  les  peintures  à  fresque  repré- 
sentant les  saints,  brisèrent  les  statues, 
ouvrirent  les  tombeaux  des  grands 
maîtres,  renversèrent  les  autels,  traînè- 
rent les  crucifix  dans  la  boue,  et  mirent 
au  pillage  les  ornements  sacrés.  Du 
haut  du  clocher  de  l'église  Saint- Jean  on 
appela  les  croyants  à  la  prière.  C'était 
dans  la  matinée  du  jour  de  Noël  ques'ac- 
<t)mplissait  le  pillage,  au  moment  même 
où  le  pape  Adrien  d'Utrecht  célébrait 
le  service  divin  dans  l'église  de  Saint- 
Pierre  ;  pendant  l'office,  une  pierre,  se 
(détachant  de  la  corniche,  vint  tomber  à 
ses  pieds,  circonstance  qui  fut  regardée 
comme  le  présaee  de  la  chute  du  pre- 
mier boulevard  de  la  chrétienté  (1). 

Le  lendemain,  le  7  du  mois  de  safer, 
26  décembre,  Villiers  de  risle-Adam,  in- 
formé que  le  sultan  désirait  le  voir,  se 
rendit,  malgré  sa  répugnance^  à  cette 
entrevue.  Il  vint  au  camp  ottoman ,  ac- 
compagné seulement  de  quelques  cheva- 
liers. «  Comme  c'était  un  jour  de  di- 
van, il  resta  longtemps  devant  la  tente 
de  son  vainqueur,  exposé  à  la  neige  et  à 
la  pluie,  en  attendant  le  moment  d'être 
introduit.  Enfin  le  grand  maître,  après 
avoir  été  revêtu  d'un  kaftan  d'honneur, 
fut  conduit  en  présence  de  Soûl  éi  m  an. 
Ces  deux  princes,  qui  étaient  arrivés  en- 
semble au  pouvoir  deux  ans  auparavant, 
et  qui  se  trouvaient  maintenant  face  à 
face  dans  des  positions  si  diverses,  gar- 
dèrent lon^mps  le  silence  et  s'exami- 
nèrent réciproquement.  Enfin  le  sultan, 
firenaotla  parole,  s'efforça  de  consoler 
e  grand  maître  de  sa  défaite  en  lui  re- 
présentant que  c'était  le  sort  des  princes 
de  perdre  des  villes  et  des  royaumes,  et 
lui  renouvela  l'assurance  d'une  libre  re- 


traite.  Deux  jours  après  Souléiman,  étant 
allé  voir  le  bastion  d'Espagne  et  la  tour 
de  Saint-Nicolas,  voulut  visiter  égale- 
ment Rhodes  et  le  palais  du  grand  maître 
avant  de  retourner  à  son  camp.  Accom- 
pagné seulement  d'Achmet  -  Pacha  et 
d'un  jeune  esclave,  il  se  rendit  au  ré- 
fectoire des  chevaliers,  et  demanda  Vil- 
liers de  risle-Adam.  Achmet-Paeha  fai- 
sant fonction  d'interprète  et  traduisant 
les  paroles  du  sultan  en  grec,  assura  de 
nouveau  au  grand  maître  que  la  capitu- 
lation serait  de  tous  points  strictement 
exécutée,  et  lui  offrit  un  terme  plus  long 
pour  l'évacuation  de  Rhodes.  Le  grand 
maître  remercia  lesultan,  et  sebornaà  lui 
demander  de  rester  fidèle  aux  clauses  du 
traité.  Le  1®*"  janvier  1523,  le  grand 
maître,  avant  de  s'éloigner,  vint  baiser  la 
main  du  sultan,  et  lui  offrit  quatre  vases 
d'or.  «  Ce  n'est  pas  sans  en  être  peiné 
moi-même,  dit  Souléiman  à  son  tavori 
Ibrahim,  que  je  force  ce  chrétien  à 
abandonner  dans  sa  vieillesse  sa  maison 
et  ses  biens  (1),  »  Après  cette  dernière 
entrevue  le  grand  maître  et  les  débris 
de  l'ordre  quittèrent  pour  toujours  l'Ile 
de  Rhodes,  où  les  chevaliers  de  Saint- 
Jean-de- Jérusalem  régnaient  avec  tant 
de  gloire  depuis  près  de  deux  cent  vingt 
ans.  Plus  de  quatre  mille  habitants  de 
l'île  les  accompagnèrent  dans  leur  re- 
traite, et  l'escadre  se  composait  de  cin- 
quante bâtiments.  Leur  retour  en  Eu- 
rope fut  désastreux  :  battus  par  de  vio- 
lentes tempêtes,  décimés  par  des  maladies 
après  avoir  successivement  relâché  à 
Candie,  à  Gallipoli,  à  Messine ,  ce  ne 
fut  que  six  mois  après  qu'ils  abordèrent 
à  Civita-Vecchia,  le  port  principal  des 
États  de  l'Église.  Au  mois  de  janvier 
1524,  Villiers  de  l'Isle-Adam  vint  se 
fixer  àViterbe,  que  Clément  Vil,  suc- 
cesseur d'Adrien  IV  ,  lui  assigna  pour 
résidence  provisoire.  Enfin  en  1530 
Charles-Quint  conclut  avec  le  conseil  de 
l'ordre  le  traité  de  Castel-Franco ,  par  le- 
quel il  cédait  aux  chevaliers  Malte,  Goz- 
zo  et  Tripoli.  Rendu  ainsi  à  sa  destina- 
tion, l'ordre  de  Saint- Jean  prit  posses- 
sion de  l'île  de  Malte  au  mois  d'octobre 
1530.  Il  recommença  dans  ce  nouveau 
poste  sa  lutte  héroïque  avec  l'islamisme, 


(i)T^'HvsLmeT,  HUt,  des  Ottomans^  t.  Y  ^         (i)  De  Hammer,   H  ht.    des   Ottomans, 
P.  39.  t.  V,  p.  4o. 


182 


L'tAlTEftS. 


qu*il  ne  cessa  Je  combattre  qu'après  que 
cet  ennemi  eut  cessé  lui-môme  d'être 
redoutable  à  la  chrétienté. 

Cependant  Soliman,  après  le  départ 
de  Tordre,  acheva  la  conquête  du  petit 
empire  maritime  dont  il  avait  emporté 
la  capitale.  Les  îles  qui  dépendaient  de 
Rhodes  furent  entraînées  par  sa  chute. 
Leros,  Cos ,  Calymna ,  Nisyros,  Télos, 
Chaice,  Limonia  et  Svmê  furent  oc- 
cupées par  des  postes  d*Ottomans.  Les 
femmes  grecques  de  Syme,  qui  par  leur 
habileté  a  plonger,  avaient  rendu  de 
grands  services  aux  Turcs  pendant  le 
siège  ,  obtinrent  du  sultan  le  privilège 
de  porter  un  turban  d'étoffe  olanche. 
Le  fort  de  Ëoudroun,  bâti  sur  les  ruines 
de  Tancienne  Ualicarnasse,  ouvrit  aussi 
ses  portes ,  et  compléta  le  nombre  des 
dix  conquêtes  de  Soliman.  Quant  à  ce 
prince ,  il  avait  quitté  Rhodes  peu  de 
jours  après  le  grand  maître.  11  s'était 
embarqué  un  vendredi,  après  avoir  as- 
sistée fa  prière  publique  dans  Féglise  de 
Saint-Jean,  et  avoir  donné  les  ordres  né- 
cessaires à  la  reconstruction  immédiate 
des  fortiûcations  de  Rhodes.  Un  mois 
après  le  vainqueur  célébrait  son  entrée 
triomphale  à  Constantinople. 

État  db  l'Île  de  Rhodes  après 
LA  GOiNQUETE  DES  TuECs.  —  Quand 
Soliman  eut  réuni  l'île  de  Rhodes  à  son 
empire,  il  prit  toutes  les  mesures  né- 
cessaires pour  assurer  la  conservation 
de  cette  importante  conquête.  Des  négo- 
ciations s'étaient  engagées  entre  Charles- 
Quint  et  le  grand  maître  pour  replacer 
Rhodes  sous  le  gouvernement  de  la  re- 
ligion (1).  Mais  il  était  encore  plus  diffi- 
GîTe  de  recx)uvrer  cette  île  qu'il  ne  l'avait 
été  de  la  défendre  ;  et  l'on  ne  put  rien 
tenter  de  sérieux  pour  sa  délivrance. 
Rhodes  re^ta  donc  et  reste  encore  sous 
k  domination  des  Turcs;  le  croissant  y 
rempla^  l'étendard  de  la  croix  ;  la  t)ar- 
barie  musulmane  y  succéda  à  la  civilisa- 
tion chrétienne ,  et  depuis  trois  siècles 
elle  en  efface  les  vestiges  et  elle  en  dé- 
truit les  œuvres.  A  partir  de  cette  époque 
Rhodes  n'a  plus  d'existence  individuelle^ 
plus  d'activité  politique;  son  histoire 
est  terminée,  et  il  ne  nous  reste  plus  qu'à 
montrer  à  quel  degré  de  décadence  el! 
d'abaissement  elle  est  tombée,  ainsi  que 

(i)  Goronelii,  Isola  di  Rodi,  p.  ai6. 


presque  toutes  les  lies  mii  oifféKéOftiftie 
elle  frappées  du  même  fléau. 

Rhodes  fut  placée,  comme  todte$  les 
autres  provinces  dé  Tempire  ottoman, 
sous  le  gouvernement  d'un  paclia ,  f\\\\ 
avait  une  dutorité  absolue.  Un  canti  était 
chargé  de  l'admîtiistration  de  la  Justice; 
un  muphti  y  dirigeait  le  sèfviée  reli- 

Î^îeux.  Tous  l'es  Latins  furent  expulsés  de 
'île.  Les  Grecs  et  les  juifs,  auxquels  les 
Turcs  permirent  la  résidence,  étaient 
placés  soùs  l'autorité  d'un  chef  appelé 
Mouteveli ,  qui  percevait  le  haracn  ou 
capitation ,  tribut  imposé  par  les  vain- 
queurs, et  qui  jugeait  leurs  différends. 
Les  troupes  qui  formaient  la  garnison  de 
la  place  étaient  commandées  par  un  A^p. 
ff  Tels  sont,  dit  Savary,  les  principaux 
ofBciers  de  l'île  ;  ils  semblent  tous  cons- 
pirer sa  ruine  (1)  ».  Et  le  tableau  qui! 
trace  de  l'état  de  l'île  à  la  fin  du  dix-buf- 
tième  siècle  montre  que  cette  ruine  était 
déjà  consommée. 

Toutefois,  cette  décadence  des  pro- 
vinces de  l'empire  ottoman  ne  se  fit  pas 
immédiatement  sentir.  Au  seizième  et 
pendant  la  plus  grande  partie  du  dix- 
septième  siècle,  cette  puissance  eonserra 
encore  l'apparence  d'nne  grande  pros- 
périté. Sans  doute ,  elle  contenait  dans 
son  sein  les  germes  de  sa  destruction 
future;  mais  us  n*avaient  point  encore 
fait  les  effroyables  ravages  que  nous 
constatons  de  nos  jours.  La  situation  de 
Rhodes,  autant  que  nous  permet  de 
l'apprécier  la  pénurie  des  documents  his- 
toriques (2),  reste  encore  quelque  temps 

(i)  Savary,  Lettres  sur  la  Grèce ^  p.  So. 

(ru)  Depuis  le  temps  des  Turcs  File  df 
Khodes  a  été  irès-peu  connue.  Les  Turcs  ont 
toujours  surveillé  avec  soin  cette  conquête,  qni 
leur  avait  coûté  si  cher.  Le  colonel  Rollien 
n*a  pu  la  parcourir  entièrement.  An  dix-sef- 
tième  siède,  Thévenot  disait  :  «  Nous  deaieu- 
rames  dans  le  port  de  Rhodes  treixe  juiin, 
pendaut  lesquels  je  considérois  cette  place 
autant  que  je  pus ,  n'osant  pourtant  pas  y 
rien  regarder  trop  atteutivement  ;  car  aussi- 
tôt que  je  m*arresiois  les  Turcs  me  regar* 
doieut ,  et  en  même  temps  un  gentilbomoH: 
cbiot ,  avec  qui  j'estois ,  me  pous&oil  »  pour 
me  retirer  de  mon  atteution,  qui  me  pou^oii  ■ 
être  dommageable,  prioci paiement  en  ce 
temps-là ,  auquel  on  craignoit  par  toutes  les 
ites  de  la  Turquie  que  les  Téàltiais  a'v 
fissent  descente,  v  Relation  d'un  voyage  f^t 


ILE  bt  kUODES.                                           183 

assez  satisfaiàahte.  «  Après  la  conquête  truire  la  prospérité  de  cette  fie  éderfî^ 

les  Turcs,  toujours  soutenus  par  Fesprit  et  vivace.  11  fallait  que  la  décadence  ait 

fanatique  et  guerrier  qui  fit  longtemps  commencé  depuis  longtemps ,  que  déjà 

leur  force ,  utilisèrent  les  belles  forêts  toutes  les  sources   du  commerce,  de 

de  chênes  et  de  pins  qui  couvraient  les  Tagriculture  et  de  Tindust^re  aient  été 

montagnes  de  nie.  Des  galères  cons-  entièrement  taries ,  pour  qu'à  la  fin  du 

truites  à  Rhodes  allèrent   grossir  les  dix-huitième  siècle  un  voyageur  ait  pu 

flottes  musulmanes,   ou   sortirent  en  constater  à  Rhodes  une  depo(>ùl£rtion  et 

course  contre  les  chrétiens.  La  popula-  une  misère  dont  le  tableau  stfivaiït  don- 

tîon  grecque  elle-même  profita  d'abord  nera  Tidée. 

des  ressources  immenses  qu'offrait  l'ex-  L'Ile  de  Rhodes ,  dit  Savary  (1),  con- 

ploitation  de  ce  prodigieux  empire,  alors  tient  deux  villes  ;  la  capitale  et  l'ancienne 

dans  toute  sa  splendeur.  Dociles  à  leur  Lîndos.  La  première  est  habitée  pat  des 

génie  national ,  qui  depuis  ne  s'est  pas  Turcs  et  un  petit  nombre  de  juifs.  Elle 

démenti,  les  Grecs  devinrent  les  facteurs  a  de  plus  cinq  villages  occupés  par  des 

de  TAsie,  des  villes  de  Syrie  et  de  TÉ-  musulmans,  cinq  bourgs  et  quaratite  et 

cvpte;  leurs  petits  bâtiments  couvrirent  un  villages  occupés  par  des  Grecs.  Oh 

Tarchipel,  et  en  même  temps  que  se  com-  y  compte  en  tout  7,500  familles,  aif^si  ré- 

blaient  le  Pirée  et  les  autres  ports  de  la  parties  : 

Grèce  soumise,  les  sacolèves  arrivaient  ^^  Turcs 4.700  familles. 

en  foule  a  Rhodes ,  qui  devint  comme  i^^  Grecs 2,6oo       « 

l'entrepôt  des  différentes  échelles  du  Le-  Les  juifs. '.'.'...  .    'aoo       >» 

vant.  En  dehors  de  cette  navigation  gé-  TôôÔ 

nérale,  qui  procurait  de  grands  bénéfices  ' 

aux  armateurs,  les  principales  exporta-  En  supposant  cintf  personnes  pflf  fa- 

tions  de  Rhodes  consistaient  dès  lors  mille,  c'est  nne  population  de  37,500  ha- 

envins  du  pays,  en  bois  de  construction,  bitanls.  Le  tableau  des  revenus  <te  Ttle 

I^  oranges  ,  les  citrons ,  lel  figues ,  les  est  en  rapport  avec  le  nombre  et  Ifl  patf- 

aniandes ,  tous  ces  fruits  que  l'antiquité  vreté  des  habitants. 

allait  chercher  à  Rhodes,  et  qui  y  sont  «t^i./-^..  w^*  «...,.«...  ^-  iv/.  ^    «i  j 

toujours  renommés,  étaient  expédiés  à  ^^^^'^"  ^^*  '^*'''»^  ^«  '  ^'^  ^«  ^''^^• 

Smyrne,  à  Beyrouth,  partout  où  af-  ^^^^^^  ^f.  c«*"acli  on    capICa- 

fîua'ient  les  Vénitiens.  De  riches  Turcs,  ^  T '^  '  '  '  \'  '  x\'  *2»*^  \  . 

des  pachas   exilés   affermaient   leurs  "     ^^!f  **"*  *"'  ^  '^^'  23  05o    * 

terres  aux  cultivateurs  grecs ,  qui  ven-  _     de  diûane.  '.  !'.;!:;    a^boo  1  * 

daienl  a  la  ville  lesgrams  que  leurs  com-         —     sur  les  maisons 6,i5o  f  *• 

paU'iotes  savaient  diriger  vers  les  con-  —     sur  la  fibrine  de  la  cire!  '.  io'soof'S 

Iréesoù  la  disette  se  faisait  sentir  (1).  »         —    surlebëlaif ^  .       sool  3 

Malgré  toute  son  activité  et  ses  heu-  —     «»«  portes. .  .  .....      200/45 

reoses  dispositions  pour  le  commerce ,  ~"    '"^  ^  *®'*™*  ^*»  ***'***•  •    ^'J^  I  g 

la  forte  race  des  Grecs  de  Rhodes  ne        Z    ÎÎJÎ  L  vianoblis rn^lî 

pot  tenir  longtemps  contre  la  désastreuse  Nouveau  droit  sur  la  léle   de            fi 

influence  du  despotisme  musulman.  Les  chaque  Grec  et  juif.  .  .      900  ''* 

aTanies,  les  exactions,  les  corvées,  tous  q,,  ^,:' / 

les  excès  de  la  fiscalité  brutale  des  pa-  ^'^^^ 

chas  turcs  durent  promptement  dégra-  Voilà  donc 90,000  piastres  que  Tlle  pro- 

der  cette  population  industrieuse ,  et  dé-  duit  au  grand  seigneur.  Il  faut  retrancher 

de  cette  somme  celle  de  55,500  piastres, 

«iUfant.  inn^-Pari..  i664.p.ai4.Eni8a5  qui  sont  employées  à  payer  les  gardiens 

fe  colonel  Rotiim  écrivait  ceci  :  «  Je  ne  5«  la  ville,  des  Villages,  les  inspecteurs 

toulais  pat  quiuer  Rhodes  tans  faire  une  ^^  "**"*  ^e  *?  campagne,  i entretien 

•txcursiou  dans  l'île  ;  mais  on  m'en  détourna,  ^^  mosijuées ,  le  pain  et  la  S0ll|^  qiie  le 

rassurant  qu'il  y  allait  peut-être  de  ma  vie.  »  sultan  fait  distribuer  aux  pauvres.  Ainsi , 

iion,  de  Ritodes ,  p.  3So.  il  n'entre  réellement  dans  ses  coffres  que 

(0  GoUu ,  Revue  deé  Deux  Mondes ,  1844 , 

P-  833.  (i)  Lettres  sur  la  Grèce ,  f.  *r. 


184 


L'UNIVERS, 


84,600  piastres.  En  somme,  cette^nde 
tie  produisait  moins  au  grand  seigneur 
qu'un  domaine  médiocre  en  France  ne 
rapporte  à  son  propriétaire. 

£tàt  actuel  db  Rhodes.  —  De 
nos  jours,  les  événements  politiques 

aui  ont  rendu  à  la  liberté  une  partie 
e  Tancien  monde  grec  ont  encore  con- 
tribué à  augmenter  la  misère  et  à  aggraver 
Fassujettissement  de  Tlle  de  Rhodes. 
«  En  1832  (1),  peu  de  temps  après  Tin- 
surrection  de  la  Grèce,  Tlle  de  Rhodes 
avait  pour  gouverneur  Toussouf -Bey .  De- 
puis dix  ans,  les  musulmans  et  les 
Grecs  vivaient  tranquilles  sous  son  ad- 
ministration. La  révolution  qui  venait 
d'éclater  troubla  cette  harmonie ,  et  les 
Turcs  de  Rhodes  ne  tardèrent  pas  à  in- 
tenter de  nombreuses  accusations  contre 
les  Grecs,  soupçonnés  par  eux  de  prendre 
part  à  la  révolte  ae  leurs  coreligionnaires. 
Ces  imputations  n'étaient  qu'un  pré- 
texte. Le  nombre  des  Grecs,  oien  supé- 
rieur à  celui  des  Turcs  dans  l'île ,  leurs 
travaux,  une  certaine  aisance  qu'ils 
avaient  acquise ,  tout  excitait  la  cupidité 
de  leurs  ennemis  (2).  Le  sage  Youssouf 
le  comprit,  et  ne  voulut  pas  servir  d'ins- 
trument à  des  persécutions  iniques.  » 

Irrités  de  la  résistance  du  gouver- 
neur, les  musulmans  formèrent  un  com- 
plot contre  lui-même.  Il  fut  dénoncé  à 
Constantinople  comme  traître  envers  son 
souverain,  infldèle  à  sa  religion ,  et  pro- 
tecteur exagéré  des  rayas.  Il  n'en  fallut 
pas  davantage  pour  que  le  rappel  du  bey 
fût  décidé.  Fort  de  sa  conscience  et  de 
son  caractère,  Youssouf  se  rendit  au 


divan ,  v  exj^liqua  sa  conduite  ;  et ,  loin 
de  marcher  a  réchafaud,  comme  s'y  at- 
tendaient ses  accusateurs ,  il  acquit  l'es- 
time du  sultan,  qui  l'éleva  à  la  dignité  de 
I>acha  et  lui  confia  le  gouvernement  de 
Scio. 
La  Porte  envoya  à  Rhodes  pour  lui 

(r)'Rottiers,  Monum,  de  Rhodes,^.  69. 

(3)  Ces  renseignemeDts  ne  s'accordent  pas 
tout  à  fait  a?ec  ceux  que  donne  Savary.  Mais 
la  situation  de  Tile  avait  pu  changer  dans 
rîQtervalle  de  son  voyage  et  de  celui  du  co- 
lonel Rottiers.  La  pénurie  des  documents  me 
met  dans  rimpossibilité  de  critiquer  ces 
assertions  contradictoires.  Ceci ,  du  reste,  est 
une  histoire  toute  nouvelle,  et  qui  pourra  être 
mieux  connue  plus  tard. 


succéder  Mébémed-Sdiukur*Bey,  vieil- 
lard de  soixante  ans ,  Grec ,  Maniote  de 
naissance,  et  frère  de  Plétro-Bey.  Sdio- 
kur-Rey  avait  été  esclave  ;  ses  talents  et 
ses  vices  l'avaient  tiré  de  l'obscurité  ;  il  se 
distingua  comme  marin.  Tour  à  tour  en 
faveur  ou  en  disgrâce,  il  avait  mené  une 
vie  aventureuse,  pendant  laquelle  il  avait 
acquis  et  dissipé  une  fortune  considé- 
rable. L'île  de  Rhodes ,  relevée  par  l'ad- 
ministration de  Youssouf,  était  redevenue 
assez  prospère  ;  c'était  une  riche  proie 
pour  un  gouverneur  ruiné.  Schukur-Ber 
ne  songea  gu'à  refaire  sa  fortune  déla^ 
brée;  et  son  msatiable  cupidité  se  fît  sentir 
également  aux  Grecs  et  aux  Turcs.  Aux 
Grecs,  dit  M.  Rottiers,  qui  visita  Pile 
sous  ce  gouverneur,  il  reprochait  leur 
esprit  séditieux ,  et  il  leur  attribuait  de 
prétendus  projets  de  conspiration.  A\i\ 
Turcs  il  annonçait  que  les  circonstances 
étaient  difficiles,  et  ôu'il  fallait  de  fortes 
contributions  et  dénormes  sacrifices 
pour  soutenir  la  guerre  contre  les  ravâs 
révoltés.  En  vain  ces  derniers  se  plai- 
gnaient d'être  mis  sur  le  même  rang  que 
les  Grecs;  la  seule  satisfaction  quïh 
obtinrent  fut  de  voir  ceux-ci  sans  cesse 
vexés  pour  le  plus  léger  prétexte,  et  punis 
de  mort  au  moindre  soupçon  de  complot. 
Dans  la  ville  de  Rhodes,  dans  les  villages 
les  moins  peuplés  Schukur-Bey  avnit 
répandu  des  agens  secrets ,  presque  tous 
juifs,  dont  le  perpétuel  espionnage  l'ins- 
truisait des  actions  de  tous  les  particu- 
liers ,  des  secrets  de  toutes  les  ramilles. 
Turcs  et  Grecs ,  tous  tremblaient  éni- 
lement  devant  la  menace  de  leurs  redou- 
tables délations;  et  celte  tyrannie,  mo- 
tivée,  protégée  par  les  circonstances,  fit 
évanouir  pour  toujours  les  dernières 
chances  que  les  Rhodiens  avaient  eues 
de  reconquérir  une  certaine  prospérité. 
Rhodes  retomba  plus  épuisée  que  ja- 
mais; et  quelque  temps  après  (1830)  un 
voyageur  français  recueillait  ce  rensei- 
gnement, qui  dispense  de  tout  autre, 
n  Dans  les  lieux  les  plus  renommés  pour 
leur  fertilité  il  ne  reste  plus  que  le  sol;  et 
ce  qui  montre  jusqu'où  va  la  décadence 
de  toutes  choses,  le  dénombrement  qu'on 
vient  de  faire  par  ordre  de  la  Porte  ne 
donne  pour  toute  l'île  que  seize  mille 
habitants  (1).  » 

(i  )  Micbaud  et  Ponjoulaty  Correspondimct 


ILE  DE  RHODES. 


185 


Enfin  te  dernier  témam  de  la  misère 
et  de  la  décadence  de  File  de  Rhodes, 
un  officier  de  notre  roarioe  militaire, 
M.  Cottii,  nous  en  retrace  aiusi  le  la- 
mentable tableau  dans  un  intéressant 
article  inséré  dans  la  Revue  des  Deux- 
Mondes^  en  1844.  «  On  ne  saurait,  dit-il, 
établir  par  des  cbif&es  le  résultat  d'un 
eommerce  qui  ne  se  révèle  nuUe  part. 
Le  port  militaire  est  désert,  les  vagues 
viennent  mourir  le  long  des  grèves  sur 
lesquelles  il  ne  reste  plus  de  vestiges 
d*ateliers;  les  sables  arides  s'étendent  au 
pied  des  remparts;  quelques  barques  de 
pécheurs  halees  sur  la  plage ,  leurs  filets 
étendus  au  soleil ,  des  matelots  couchés 
à  Tombre  des  bordages,  un  silence  éter- 
nel, ce  silence  de  mort  qui  pèse  sur  toute 
la  Turquie  :  tel  est  l'aspect  de  ce  lieu  si 
animé  autrefois,  et  qui  retentirait  bientôt 
des  cris  des  marins  si  un  gouvernement 
intelligent  pouvait  mettre  à  profit  les 
éléments  de  prospérité  de  ce  beau  pays. 

«  S'il  n'y  a  rien  à  dire  du  commerce 
actuel  de  Rhodes,  on  ne  peut  méconnaître 
du  moins  les  ressources  que  présente 
cette  terre  fertile,  dont  les  moissons,  au- 
trefois si  abondantes ,  ne  suffisent  plus 
à  nourrir  vingt-cinq  mille  habitants.  Les 
productions  les  plus  importantes  sont 
les  vins.  Quoique  justement  estimés ,  ils 
ne  donnent  cependant  pas  lieu  à  des  ex- 
portations considérables.  Les  vins  du  Le- 
vant sont  doux  ou  capiteux ,  et  ne  peu- 
ventservir  à  l'usage  ordinaire  des  Francs; 
celai  de  Rhodes  seul,  mitigé  avec  de 
leau  comme  ceux  de  France,  remplace- 
rait avantageusement,  surtout  par  le 
prix ,  les  vins  d'Europe.  La  vigne  croît 
sans  efforts  et  n'exige  qu'un  léçer  tra- 
vail; mais  si  elle  était  mieux  cultivée ,  et 
si  les  principes  les  plus  simples  de  la  fa- 
brication étaient  connus  des  ignorants 
vendangeurs,  Rhodes  fournirait  des 
vins  précieux,  aussi  recherchés  que  ses 
fruits  savoureux,  qui  en  ce  moment  sont 
à  peu  près  les  seuls  produits  envoyés  par 
rile  sur  les  côtes  voisines. 

•  De  temps  en  temps  arrive  un  navire 
qui  vient  chercher  des  bois  de  construc< 
tion  pour  l'arsenal  de  Constantinople. 
Alors  le  gouverneur  loue  des  Grecs,  qui 
vont  abattre  sans  choix  dans  l'intérieur 

iOrtent,  t.  IV ,  p.  25,  d'après  les  indications 
de  M.  Juliani,  consul  d'Autriche  à  Rhodes. 


des  arbres  encore  debout;  et  comme 
personne  ne  surveille  les  ouvriers,  ils 
ravagent  les  collines  charmantes,  dont 
les  chênes  et  les  sapins  auraient  une  va- 
leur incalculable  pour  les  petites  ma- 
rines des  Sporades  et  des  Cycjades,  où  le 
sol  est  complètement  déboisé. 

«  L'île  est  remplie  d'oliviers,  d*arbres 
à  mastic  et  à  térébenthine;  ses  vallées 
profondes ,  les  versants  des  montagnes , 
sont  couverts  de  ces  arbustes  que  l'ab- 
sence du  maître  ou  sa  pauvreté  empê- 
che de  soigner.  Quelques  Grecs  possè- 
dent de  grossiers  pressoirs,  où  ils  jettent 
pèle-méle  les  olives  bonnes  et  flétries , 
qu'ils  pillent,  comme  les  oiseaux,  dans 
les  champs  abandonnés.  L'huile  épaisse 
est  consommée  par  les  habitants,  et  ne 
sort  guère  de  Rhodes.  Toutes  les  îles , 
toutes  les  rives  d'Orient  possèdent  ainsi 
des  forêts  d'oliviers,  qui  croissent  et 
meurent  au  hasard  dans  les  campagnes 
dépeuplées.  Le  mastic  sert  principale- 
ment a  parfumer  une  liqueur  fort  agréa- 
ble, à  laquelle  onfdonne  son  nom,  et  que 
les  Grecs  et  les  juifs  livrent  aux  Turcs. 

<i  En  résume,  les  exportations  de 
Rhodes  consistent  en  bois  de  construc- 
tion, en  fruits  secs,  en  olives,  en  éponges 
fort  belles,  qui  se  trouvent  aux  abords  de 
nie.  Les  importations  se  réduisent  aux 
grains  nécessaires  à  la  population ,  qui 
ne  sait  pas  tirer  de  son  territoire  le  blé 
et  le  maïs ,  qui  pourraient  y  venir  avec 
facilité.  Une  trentaine  de  barques  suf- 
fisent à  ce  commerce  :  les  Grecs  seuls 
naviguent;  ils  vont  et  viennent,  partent 
avec  quelques  caisses,  et  rapportent  un 
chétiff chargement  de  grains;  mais  ces 
bateaux,  qui  partent  tristement  du  port 
et  qui  reviennent  s'échouer  sur  les  sables, 
ne  peuvent  s'appeler  une  marine.  Ces 
échanges  niiséraoles,  faits  par  des  mate- 
lots voleurs,  ne  sauraient  usurner  le  nom 
d'opérations  commerciales.  Il  ne  reste 
rien  à  Rhodes  de  la  puissance  de  l'île  for- 
tunée qui  avec  ses  galères  résistait  aux  suc- 
cesseurs d'Alexandre  et  aux  barbares  ; 
il  n'y  a  plus  de  traces  de  cette  prospérité 
de  deux  siècles  qui  s'abritait  sous  le  fier 
étendard  de  la  croix.  L'île  n'est  mainte- 
nant qu'une  savane  magnifique,  où  la 
nature  verse  en  liberté  tous  les  trésors 
d'une  sauvage  véjgétation,  que  l'homme 
ne  vient  jamais  ni  diriger  ni  contraindre. 
Dans  le  pâle  fanal  qui  veille  pendant  la 


ià6 


tItïWVÉlis. 


nuîi  saie  la  tôOf  iéé  Atabéà ,  leà  ûstvi^si- 
teur^  ne  voiè'ni  aujourd'hui  qu'un  point 
oe  reconnaissance  pour  éviter  cette  terre, 
où  depuis  longtemps  ne  serment  que 
des  fleurs  inutiles.  Cependant  les  ba- 
teaux à  vapeur  autrichiens  gui  vont  de 
Smyrnaà  Beyrouth  font  maintenant  es- 
cale à  nhodes^  et  plusieurs  navires  mar- 
chands viennent  f  purger  leur  guaran- 
taine  avani  çie  se  renclre  dans  le  Nord. 
Peut-éffë  cette  nouvelle  navigation  don- 
nera-t-elle  pluâ  de  mouvement  à  Ttle , 
peut-être  les  passagers ,  les  voyageurs 
des  p2i()uebotâ,  les  capitaines  de  i)âti- 
meif ,  troùveront-fls  à  vendre  et  à  ache- 
ter aans  cepori  sitencieux.  Il  faut  Feâ- 
pérer  ;  maïs  une  secousse  violente  peut 
seule  tirer  cette  île  de  la  léthargie  pro- 
fonde où  elle  est  plongée  comme  Fem- 
piretout  entier  (0-  » 

RÉ0EGÀNI$AT10N     DE     L*ÀDMINIS- 
TEÂTION  EN  TUBQUIÈ  ;  IDÉE  GÉNÉRALE 

DU  TANZiMÀt.  —  Mieux  qu'une  se- 
cousse violente ,  ùnè  réforme  adminis- 
trative sagement  conçue  et  éner^aue- 
ment  appliquée  pourrait  rendre  a  illè 
de  Rhooes,  comme  aux  autres  provinces 
de  Tempire  ottoman,  quelque  chose 
de  leur  ancienne  prospérité.  C'est  dans 
cette  espérance,  et  .avec  le  loUable  désir 
d'améliorer  la  condition  de  ses  sujets  et 
de  rétablir  un  Etat  qui  s'en  allait  en  di^ 
solution,  que  le  gouvernement  de  \A 
Porte  travaille  depuis  le  commencement 
de  ce  siècle  à  donner  à  la  Turquie  une 
unité  politique  et  administrative  orga- 
nisée sur  le  modèle  des  grandes  nations 
de  l'Europe  occidentale.  J'ai  déjà  parlé, 
à  proDOS  de  nie  de  Chypre  (2),  de  cette 
granae  révolution  administrative  qui 
s'accomplit  en  ce  moment  dans  l'empire 
Ottoman,  et  dont  les  souverains,  par  une 
inspiration  de  sagesse  qui  malheureuse- 
ment a  manqué  à  bien  d'autres,  ont 
eux-mêmes  donné  le  signal,  ^e  crois  qu'il 
est  à  propos ,  dans  l'histoire  de  tes  îles 
grecques,  dont  les  plus  considérables  ap- 
partiennent àlaTurauIe,  de  faire  con- 
naître le  mouvement  ne  r^énératîon  qui 
s'accomplit  dans  cet  empire ,  et  dont  Tes 
îles  doivent  tôt  ou  tard  ressentir  les  in- 
fluences. 

(i> jji.  Coltu,  Vue  de  Rhodes  ;  Revue  des 
deux  Mondes.  1844,  p.  834. 
(a)  ^oycl  plus  hauY,  p.  89. 


terâ  U  fin  dd  dix-htlftlèfeê  stfeleU 
domination  des  OstfnaaliA,  ^  fortement 
organisée  datis  Forigine,  était  en  pleine 
décadence.  Le  pouvoir  impérial  avait 
perdu  ses  droits  et  son  action;  et  tandis 
que  dans  tous  les  États  de  l'Europe  dire- 
tienne  l'autorité  centrale  attirait  tout  à 
elle,  chez  les  Ottomans  l'ancienne  unité 
n'existait  plus,  et  la  Turquie  marchait  à 
grands  pas  vers  un  démembrement.  Le 
sultan  Mahmoud  arrêta  ce  mouvement  de 
dissolution  ;  et  il  consacra  son  règne  à 
renverser  tous  les  pouvonrs  locaux  oui 
gênaient  l'exercice  du  sien  et  à  jeter  les 
fondements  d'un  nouveau  système  de 
centralisation.  Cette  œuvre,  dont  il  pour- 
suivit l'accomplissement  avec  une  eons- 
tance  et  une  énergie  infatigables,  ne 
fut  point  interrompue  par  sa  mort.  Son 
jeune  successeur,  le  sultan  actuel  Ab- 
dul-Medjid,  troiiva  les  obstacles  ren- 
versés et  le  terrain  aplani  ;  guidé  par  les 
ministres  fo^més  à  1  école  de  son  père, 
il  put  enfin  décréter  une  notitvelle  orga- 
nisatioh  politique  et  administrative,  qui 
fut  appliquée  à  tout  l'empire  sods  le  nom 
de  tanzimat  {tanzimaU  hhairié,  FheiH 
lieuse  organisation). 

tt  Conséquence  ou  pintôt  application 
directe  des  principes  proclamés  parle 
batti-chérif  de  Gul-EUiné  (  8  novembre 
1839),  dit  M.  Ubicini  (1),  le  Tanzimst 
comprend  l'enseftible  des  améliorations 
introduites  depuis  onze  ans  dans  les  ë- 
verses  branches  de  l'administration,  et 
dont  la  plupart,  comme  les  quaran- 
taines ,  les  postes ,  l'abolition  ées  mo- 
nopoles ,  !a  réforme  monétaire ,  la  créa- 
tion de  l'université,  etc.,  furent  préparées 
ou  exécutées  par  le  grand  vizir  actuel, 
Réchid-Pacha.  Ce  fut  le  3  novembre, 
jour  mémorable  dans  l'histoire  de  la  ré- 

génération  de  la  Turquie ,  que  par  suite 
'une  ordonnance  rendue  le  26  de  la 
lune  de  Chaban ,  en  présence  du  sul- 
tan et  de  toute  la  cour,  du  corps  des 
tïlémas,  de  tous  les  fonctionnannes  civils 
et  militaires ,  des  employés  des  divers 
bureaux  de  l'empire,  aes  repr^entants 
de  toutes  les  puissances  amies  résidant 
à  Constantinople ,  des  chéicks,  hatibs 
et  imans  de  tout  rang  et  de  toute  hiérar- 
chie, des  patriarches  des  trois  nations 

(i)  TTbidni,  lettres  sur  la  Turquie  ^\.  I, 
p.  ir. 


ILE  SfE  ftËOlfES. 


W 


méfiieimè4d)isiiiatl<ftfè,  du  Iribbîn  dei 
jm£s,  de  toos  lèê  n<M>fed  et  chefs  deé 
corperatiisbs  dé  la  capitale,  réunis  danâ 
la  vaste  ptaine  de  Oul-Hané,  6ituéé  dani 
rfotériètfr  da  p»^h  de  T<%Kapou,  Ré- 
chid-Pachà,  Mdrs  ttJnistfè  des  affaire^ 
étrantèretf,  doiffiâ  leetare  à  haute  foix 
«tu  hàtti-cbérif ,  éndiraé  de  Id  volonté 
soiiTéralnè ,  <fkA  Jetait  les  base»  de  Id 
nettveNe  eonstitiition  de  Vetnpité  Turc. 

a  Le  préaAibcrle  de  cett^ charte,  confirme 
oD  ra  apl^ée ,  est  remarsuable.  «  Tod 
le  inonde  sait,  y  est-ii  dit,  que  dans 
les  prefniefs  temps  de  la  monarchie  ot- 
tomane M  préceptes  glof feux  du  Korâb 
et  les  lois  de  fempire  étaient  une  règle 
torfjoufs  honorée.  En  conséquence,  l'em- 
pire croissait  en  force  et  en  grdndeur, 
et  tous  les  sujets  s^s  èxoeotion  vivaient 
acquis  du  plus  haut  degré  raisauce  et 
la  prospérité.  Deptrts  cent  ciuqaafnte  ans 
une  succession  d  accidents  et  des  causes 
diverses  ont  fait  qu'on  a  cessé  de  se  coti- 
former  au  code  âacfé  des  lois  et  aut  rè« 
cléments  qui  en  déooutetit ,  et  sa  force 
ets3  prospérité  antérieures  se  sont  chan- 
ges efi  faiblesse  et  en  appauvrissentent; 
ces*  qu'eu  effet  ua  enfïpire  perd  toirtë 
stabilité  quadd  i)  èesse  d'observer  Ses 
lois.  Ces  coffSidératîoiTS  sont  sans  cesse 
présentes  à  notre  esprit;  et  depuis  }fe 
jour  de  notre  avéciefnent  au  trône  ï^ 
pensée  du  bien  public,  de  ramélidratioù 
derétat  des  fhroviAces  et  du  soulagement 
des  peuples  n'a  cessé  de  nous  occuper 
ooiqtièMiefit.  Of,  si  l'on  considère  la  po- 
sition géografÂique  des  provinces  otto- 
ftttnes ,  la  fertilité  du  sot ,  l'aètftude  et 
I  mtelf^encedes  habitants,  c/a  dferrfeurera 
convaincu  qu'en  s'appriqnant  à  trouver 
les  iDOveos  efficaces,  le  résultat  qu^avee 
le  secéf&rs  de  IMea  notis  espérons  at- 
tendre peut  être  obtenu  dans  Tespace 
<>e  qi/elqtfus  années.  Ainsi  donc,  piefA 
de  confiance  dîms  te  seeotirs  du  Très- 
Ham,  ap^puyé  sur  l'imereession  de  orotrè 
prophète,  tfots  jugeons  convenable  dé 
rhercfae^  par  des  iiïBtiftutions  nouvelles 
a  procurer  aux  provinces  qui  comfposefii 
i  empire  ottommti  le  bienfait  d^mte  botfrre 
admittistratios.  » 

«  Ces  institutions,  comme  il  est  dit 
dans  le  texte  inêuie  du  batti^bérif, 
devaient  porter  sur  trois  points  priad- 
paox,  à  savoir  :  1^ les  garanties  profères 


à  mttfèt  atmhê  SQ^étÈ  de  PèAf  fè, 
fhusulmans  ou  f aîâs ,  une  pdrfSfie  Se' 
curité  quant  à  leur  vîé,  leur  noniïeur  et 
leur  fortutfe  ;  2»  ua  mode  fé^ulièr  d'a^ 
âeoir  et  de  prélever  leè  ihipdts;  ^  un 
miode  égàiemèitt  r^ulîér  pdiir  1^  levée 
dèâ  soldats  et  I^  durée  dé  leur  service. 
Le  sultan  s'eâsagealt  pât  S^ttheùt  noû- 
seulèmènt  â  oMrvèr  «cHlifUletiSerrieht 
feà  prescriptions  de  son  hatfi-cbérff, 
dont  Torigindl  ftft  dépdi^é  ôûnà  là  salle 
qui  renferme  !é  ttiaifCèatf  dti  prophète, 
mais  même  il  sanctiotilhait  à  l'avance 
tôuteâ  \èi  thësttteÈ  (ftû  âeraieftt  décrétées 
p]tii  tard  potir  assurer  re^écàtion  de  ced 
trois  points  prînclpaùt,  cfui  detdiedt^tre 
la  base  et  éôttrae  ie  pdini  de  départ  dé 
foute  \ti  féforme.  En  effet,  Fe  taiitimat , 
qui  fift  établi  bîenKrt  après,  et  dont  le 
rfouveroemèrit  du  fîtfttan  n'ai  palfe  cessé 
depuis  lorS  de  poûr^vfe  l'afpph'fcatioii 
difficile,  avefe  une  pfer^êvéf aticè  df|ne  dé 
tant  d'éloges ,  tre  â'e$t  pàè  hottié  à  athé> 
horef  Pétat  pofiticfii'e,  clvfl  et  adrtiîûi^ 
tratif  rfé  rennfpîre,  en  codfd&htitidt  et 
régularisant  Faction  des  différents  pou- 
voirs ;  il  s'est  étendit  a(t jp«f  séWné!  nfremè 
du  palais  îitîpéfiaff,  tfu'îl  tecfé  h  réduire 
èhaque  année  èft  se  débdrfa^Sànt  d^ùftè 
foule  de  charges  irïi^fifeS ,  resté  du  Ba*- 
Empiré ,  qui  cdnttaâtaietf!  avec  laf  sirit- 
prictté  des  premiers  témpil  dft  Riffifat.  » 
Je  ne  puis  entreprendre  tfè  reptadiUrë, 
nféme  eb  résutfié,  les  iméirë^S^ts  reh^* 
gnements  donnés  par  Fatrtèftr  dW  Lei' 
très  snr  la  TterqiHe,  au  Èt^  de  ce  taftfrfJ- 
mat,  vaste  code  adnMftIstraflf  et  peîhh^, 
qui  totiche  à  toos  les  pottts  dti  goiivcr- 
tfement  et  ^  cbmp^èfid  qiït^trer  ptttii^ 
différentes  :  !•  Le  gouverfte*e«  oer 
conseils  de  l'errfpire  ottomafi;  f*  Yââ- 
ministratioù  oif  division  aditrlnistratf^f 
et  financière  (te  l'empire;  3»  Ites  emplois 
ou  offices  jutfieiait'és  ;  4®  léS  emplois  âè 
Vépèe.  Cest  fk  trofe  éttrde  dé  détaîlis ,  qùè 
rofti  ne  peut  faffe  que  danlS  lé  cùriecft 
livre  ^i  tfouS  a  révélé  la  trafnsfotmratioa 
soudaine  et  presque  ifiagiqtfe  qtfe  far  Titf- 
quie  vient  de  Snmr.  Les  aperçus  que  îe 
lui  ai  enfprtmtés,  et  ^tamment  lé 
préambule  du  baftl-cfaférîf,  sofBfoiVe  pdur 
Êitire  comprendre  quelles  sont  léS  noblëi' 
et  généreuses  diSpositiobs  de  \A  Porte  af 
l'égard  des  peuples  c^'ellè  dvaft  trop 
lottgteMps  sontfns  à  tMe  dppréMreM  qui 
n'était  m  con^AAMe  et  s^roDiati^iff 


18$ 


LTimVERS, 


mais  viokote  et  irrésistible.  Ce  ehange- 
ment  de  principes  et  de  conduite  de  la 

Sert  du  gouvernement  turc  doit  pro* 
uire  un  changement  de  langage  à  son 
é^ard.  Il  faut  renoncer  aux  déclamations 
si  fort  à  la  mode  an  siède  dernier,  et 
dans  le  nôtre  encore,  contre  un  gouver- 
nement et  un  peuple  qui  travaillent  à  se 
régénérer  sans  faire  de  révolutions.  Cest 
un  spectacle  trop  rare  pour  qu'on  ne 
Tadmire  pas ,  une  entreprise  trop  diffi- 
cile pour  qu'on  ne  l'encourage  pas  par 
de  bonnes  paroles. 

Toutefois,  je  voudrais  mettre  le  lecteur 
en  garde  contre  toute  illusion.  Rien  n'est 
si  beau  ni  plus  séduisant  que  le  plan 
d'une  réforme  dans  la  tête  de  celui  qui 
la  conçoit,  dans  les  ordonnances  où  on 
la  décrète,  dans  les  ministères  où  on 
croit  qu*on  l'applique,  dans  les  livres  où 
on  la  raconte.  Mais  en  toutes  choses  il 
faut  distinguer  entre  ce  que  l'on  veut 
faire  et  ce  gue  l'on  peut  exécuter.  Ja- 
mais cette  distinction  n'a  été  plus  néces- 
saire qu'en  ce  qui  concerne  l'application 
du  tanzimat.  Ici  surtout,  ce  qu  on  lit  et 
ce  qu'on  voit  ne  se  ressemble  guère»  Au 
lieu  de  la  belle  et  régulière  ordonnance 

3u'on  admire  dans  l'exposition  officielle 
u  tanzimat,  le  voyageur  qui  parcourt 
les  contrées  soumises  à  la  Turquie  a 
trop  souvent  encore  l'occasion  de  cons- 
tater combien  les  anciens  abus  et  les 
vices  d'autrefois  y  conservent  d'empire  ; 
et  il  lui  semble  que ,  par  la  force  invin- 
cible des  moeurs,  elles  resteront  tou- 
jours en  proie  à  l'inertie,  au  désordre  et 
a  la  violence.  On  se  prend  alors  à  douter 
du  succès  de  l'entreprise  des  sultans ,  à 
la  condamner  à  Tavance.  N'a-t-on  pas 
déjà  été  trompé  au  sujet  d'une  des 
eontrées  de  l'empire  ottoman ,  de  l'E- 
gypte ,  dont  on  avait  si  pompeusement 
annoncé  la  résurrection?  Qui  ne  croyait 
U  y  a  douze  ans,  en  entendant  raconter 
les  exploits  d'Ibrahim  et  les  travaux  gi- 

Ï dantesques  de  Méhémet-Ali ,  en  voyant 
es  flottes ,  les  armées  qu'ils  avaient  à 
leur  disposition  ;  qui  ne  croyait,  au  mo- 
ment ou  ces  deux  hommes  s'ouvraient 
le  chemin  de  Gonstantinople  et  tenaient 
en  suspens  la  politique  oe  toute  l'Eu- 
rope ,  que  l'Egypte  ne  fût  remontée  au 
rang  des  nations  et  n'eût  recouvré  quel- 
que chose  de  la  splendeur  et  de  la  force 
qu'elle  eut  au  temps  des  Pharaons  et  des 


Ptolémées .'  Cette  illusioii,  qui  a  été  géné- 
rale, en  France  surtout,  s'est  dissipée 
bien  vite;  on  a  reconnu,  mais  un  pei 
tard,  combien  l'effet  était  loin  de  ré- 
pondre aux  promesses  qu'on  annonçait, 
aux  espérances  ou'on  avait  conçues.  Poar 
moi,  j  ai  visité  1  Egypte  dans  la  dernière 
année  du  r^e  deMéhemet-AJi ;  j^ai  vu 
de  mes  propres  yeux  l'affaissement  de  ce 
grand  corps ,  que  les  entreprises  de  cet 
audacieux  pacha  avaient  achevé  d'épui- 
ser ;  j'ai  vu  l'impuissance  de  toutes  ses 
tentatives  de  régénération  industrielle, 
commerciale  et  scientiBque ,  et  il  m'a 
semblé ,  pour  rappeler  un  mot  célèbre, 
que  j'avais  alors  oevant  moi  un  cadavre 
un  instant  galvanisé,  encore  debout, 
mais  ne  demandant  qu'à  se  recoucher 
dans  la  tombe  (1). 

Ce  n'est  pas  que  cet  exemple  fameux, 
qui  nous  a  été  donné  en  spectacle  de 
nos  jours ,  doive  faire  préjuger  de  i*a- 
venir  réservé  à  l'empire  ottoman.  La  si- 
tuation du  sultan,  souverain  légitime 
de  la  Turquie,  réformant  l'adminis* 
tration  pour  le  bien  de  ses  peuples ,  ne 
ressemble  en  rien  à  celle  du  pacha  re- 
belle qui  innovait  dans  Fintéret  de  soa 
ambition.  Il  serait  facile  de  montrer 
combien,  à  côté  de  certaines  analogies, 
il  y  a  de  profondes  différences  entre  ces 
deux  tentatives,  si  l'on  considère  la  po- 
sition, le  but,  les  moyens  et  l'exécution; 
et  cette  comparaison  pourrait  fournir 
plus  d*une  présomption  favorable  au 
succès  de  l'oeuvre  des  sultans.  Mais  si 
l'on  songe  qu'il  s'agit  de  régénérer  ua 
empire  dont  le  territoire  est  de  cent 
vingt  et  un  mille  lieues  carrées,  qui 
comprend  trente-cinq  milUons  d^habi- 
tants  partasés  en  treize  races  différentes, 
en  autant  de  langues ,  et  en  quatre  re« 
ligions,  sans  compter  les  sectes  ;  que  cette 
population  se  compose  de  conquérants 
et  de  rayas  ou  sujets;  que  ceux-d  soat 
d'anciennes  races  depuis  longtemps  ea 
décadence ,  que  ceux-là  y  sont  tombés 
à  leur  tour  ;  que  rd>us  du  pouvoir  a  cor- 
rompu les  uns,  que  la  servitude  a  dé- 
Sradé  les  autres,  alors  on  se  trouve  rejeté 
ans  le  doute,  et  l'on  s'aperçoit,  à  Ve^- 
lité  des  chances  contraires ,  que  le  pour 

(x)  C'est  le  mol  d*Alberoni  à  propos  de 
rEspagne,  au  comnicDcement  da  dix-huilièBie 


ILE  DE  RHODES. 


18f> 


et  le  contre  peuvent  être  également  sou- 
tenus. Goneluons  donc  qu*en  pareille 
question  le  mieux  est  de  s^abstenir  de 
tout  jugement  téméraire,  de  toute  espé- 
rance précipitée,  d'applaudir  aux  bonnes 
intentions,  au  bien  qui  s'est  déjà  fait, 
d'attendre  pouK  le  reste  la  consécration 
du  temps  et  de  Texpérience,  et  de  se 
persuader  surtout  que  de  si  erands  ehan- 
^ments  dans  un  si  grana  empire  ne 
s*accompIissent  pas  sans  quelque  secret 
dessein  de  Dieu  sur  les  destinées  et 
pour  le  bonheur  des  peuples  (1). 

Ilbs  db  là  mbb  db  lycib. 

Les  côtes  de  la  Lycie  depuis  le  golfe  de 
Telfoissus  jusqu'au  défilé  dû  mont  Cli- 
niax,  au-dessus  de  Pbasélis,  sont  bordées 
de  petites  iles,qui  toutes  sont  très-rappro- 
cbeesdu  rivage,  et  qui  étaient  bien  mieux 
connaes  des  anciens  qu'elles  ne  le  sont 
de  nos  jours.  Les  Grecs  en  effet,  dans 
leur  grande  activité  commerciale,  ne  s'é- 
taient pas  contentés  de  visiter  fréquem- 
ment ces  parages  ;  ils  y  établirent  aussi  des 

(i)  Le  tanzimat  â  diTÛé  Tempire  ottoman, 
foiB  le  rapport  administratif  et  financier,  en 
naleis ,  ou  gouTemements  généraux,  qui  se 
partagent  en  Gpas ,  ott  provinces.  Les  Hvas 
comprennent  les  eazas,  ou  districts,  et  ceux- 
ci  m  hahiyèSf  ou  villages  :  ce  qui  répond  i 
nos  départeoMots ,  arrondissements,  cantona 
et  cooununes.  Les  gouTomeurs  des  eyalets 
portent,  selon  l'importanee  des  localités,  le 
titre  de  voit  (vice-roi)  ou  celui  de  mutessarif 
(gouverneur  général  ).  Les  gouverneurs  des 
liras  sont  ou  des  kaimakaos  (lieutenants 
gouverneurs)  ou  des  mohassils  (préfets).  Les 
nés  forment  deux  eyalets  de  la  Turquie  d'Eu- 
rope, qui  en  compte  quinze.  L'eyalet  de  l'Ar- 
chipel avait  formé  jusqu'à  ces  derniers  temps 
on  gouvernement  à  part ,  donné  en  apanage 
au  capilan*pacha.  Une  onionnance  de  1  année 
<lmiicrera  rangé  sous  la  loi  du  tanziqiat,  et  en 
a  fait  un  département  ordinaire  dont  le  gouver- 
neur aeluei  est  Rhagoub-pacha*  L'ajalet  de 
fArehipel  dn  Djizaîr  comprend  six  livas, 
savoir: 

Bodos  (Rhodes), 
Bozt^a  Ada  (Ténédos), 
Limmi  (Lemnos), 
fff;<£//i(Bfitylène), 
Sakrz  (Chio), 
Qjbryi  (Chypre). 

La  Crète  forme  i  elle  seule  un  eyalet  divisé 
en  trois  livas. 


colonies  nombreuses,  et  occupèrent  tous 
les  points  avantageux  de  la  cÀte  conti- 
nentale et  des  tics.  Les  Rhodiens,  dans 
le  temps  de  leur  grande  amitié  avec  les 
Romains,  possédorent  tous  ces  établis- 
sements. Alors ,  cette  mer  de  Lyde ,  au* 
jourd*hui  déserte  et  silencieuse,  était 
sillonnée  par  le  passage  de  nombreux 
navires;  il  y  avait  là  un  grand  mouve- 
ment d'hommes  et  d^afbires  :  les  riches 
Rhodiens  allaient  visiter  leurs  propriétés 
de  Ljrde, les  administrateurs  allaient  et 
venaient,  selon  les  besoins  du  service 
public;  les  sujets  Ijdens  étaient  sou* 
vent  appelés  à  la  capitale  par  leurs  af- 
faires ou  par  la  curiosité;  de  tout  temps, 
d'ailleurs,  les  villes  de  la  Lycie  avaient 
su  se  créer  par  le  commerce  et  la  navi-> 
gation  d'abondantes  ressources,  et  les 
petites  tles  du  voisinage,  quand  elles 
étaient  habitables  et  qu'elles  offraient 
quelque  commodité  pour  le  négoce ,  re- 
cevaient une  population  et  acquéraient 
quelque  importance. 

Ces  tles ,  que  les  géographes  anciens 
ont  énumérées  avec  som,  et  dont  la 
plupart  sont  sans  nom  aujourd'hui, 
étaient,  en  suivant  la  côte  de  Touest  h 
l'est  (1)  : 

Laoousa  (Â^ou<Ta),  au  fonddu  golfe 
de  Telmissus ,  à  cinq  stades  de  la  ville 
de  ce  nom. 

DoLiCHiSTE  (  tySkv^lfsvr^  )  (aujourd*huf 
Karavà).  Ptolémée  la  mentionne  comme 
la  plus  importante  de  toute  cette  côte , 
mais  il  n'en  indique  pas  précisément  la 
position.  Le  colonel  Leake  (2)  y  a  trouvé 
les  ruines  de  l'ancienne  ville.  Elle  pos- 
sédait un  théâtre.  Ainsi  on  représentait 
les  tragédies  d'Eschyle  et  de  Sophocle 
sur  ce  rocher  maintenant  inhabité. 

Les  tles  de  Xbnagobas  (al  EzMa'xà^ 
pou  vijooi  )  ;  c'est  un  croupe  de  huit  tlots , 
situé  à  soixante  stades  à  l'est  dePatare, 
en  face  la  baie  de  Phénicus,  aujourd'hui 
baie  de  Kalamaki. 

Rhopb  (PoTni),  selon  Ptolémée,  ou 
Rhog€[y^rfn)f  dans  Etienne  de  Byzance, 
à  cinquante  stades  des  précédentes. 

MBGiSTB({)M8Y{aT7))  ;  aujourd'hui  CaS" 
teliorizo  ou  Castel^Rosso  (3);  Strabou 

(x)  Forbiger,  Handbuch  der  alter  Gtogra' 
phie^  t.  n,  p.  360  et  suîv. 

(a^  ]>ake.  Tour  in  Jsia  àfîn.^  p:  Z17. 
(3)  Leake,  Tour,  p.  184  ;Fellows,  tfciaf^ 


m 


VU»IV|SIl$. 


l*PPWH^  Cjsthèpe.  E41e  a  i|ii  port  ca 


vjntée  et  mieux  cooau^  que  les  autres 
dp  la  fD^ipe  cot^.  Pa  y  vpU  dç«  restée 
49  la  çjt^  antique.  Ay  pioy^q  âge 
cette  îl^  çuf  une  t^onpe  foftere^s^,  que 
les  rois  de  Chypre,  1^  cbeyaUer^  dp 

Rhodes,  le  soudao  w^y9^^  ^^  ^$  1'"'^^ 
se  difPUtèrept  et  occup^f ent  tour  à  tour. 
Apr^la  chute  de  l'oàre  de  Saîut-Jean, 
iiD  certàip  nombrp  de  Gr^cs  se  r^ugiè- 
rent  dan»  nie  dp  Castel-Çiosso,  que  les 
Turcs  dédaignaient  d'habiter,  l^^  grand 
seignepir  leur  conDa  la  gardp  du  châ- 
teau; ils  8*y  livrèrent  au  commerce,  vé- 
curent tranquille^  et  libres  ;  et  il  y  avait 
peu  de  Grecs  plus  heureux  gue  ces  insu- 
laires, aous  la  domination  des  f  urcsCO- 
Ils  avaient  une  espèce  partic^lière  de 
bâtiments ,  appelés  caramoussat^,  avec 
lesquels  ils  transportaient  le  coton  et  la 
laine  d'Asie  Mineure  dans  les  ports  (le 
ritalie.  La  prospérité  de  ce  petit  établis- 
sement donna  1  éveil  aux  Turcs;  on  re- 
tira aux  Grecs  la  garde  du  château,  et 
yne  garnison  d'Ottomans  vintroccuper. 
Toutefois  les  Grées  ne  furent  pas  trou- 
blés dans  leur  commerce.  Les  choses 
restèrent  dans  cet  éfat  jusqu'à  Tan  165^. 
Alors  les  Turcs  et  les  Vénitiens  se  fai- 
saiepit  une  guerre  acharnée.  Au  mois  de 
septembre  Ï659  une  escadre  vénitienne, 
commandée  par  Grémonville,  vint  assié- 
ger la  place  de  Casteî-B-Osso ,  et  s'en 
empara.  Mais ,  reconnaissant  qu'ils  ne 
pouvaient  conserver  cette  importante  po- 
sition ,  les  Vénitiens  firent  sauter  la  for- 
teresse, ha  ville  fut  saccagée  ;  la  plupart 
des  Grecs,  qui  s'étaient  montres  très- 
hostiles  a^x  vénitiens,  fjiirent  faits  m- 
sonniers  de  guerre.  Il  n'en  resta  tpxun 
petit  nombre,  qui  furent  assujettis  à  un 
tribut.  A  partif  de  cette  catastrophe  l'île 
de  Castel-Rosso  tomba  dans  une  grande 
misère.  Au  <|ix-bultième  siècle,  quand 
Savary  la  visita,  ce  n'était  qu'un  cbétif 
village.  M.  Povjoulat  lui  do^e  trois 
mille  habitants.  «  Castel-Kosso,  ^ÎQUte- 
t-il ,  tire  tovtes  ses  provisions  de  la  Ca- 
ramanie  par  le  port  d'Antiûlo.  L'île  n'est 

P*  '^9  f  Dupaly,  Lettres  sur  la  Grèce,  [).  i8 

et  SUIT. 

^  (i)  Papperj  l/es  de  Vjrehipel,  p.  169. 


croissent  sur  cet  éci|eu  ;  les  glus  riches 
(lancées  de  Castel-{losso  reçoivent,  dit- 
bp,  pour  d^i  un  pied  d'olivier  ou  de 
Hguier,  ou  même  la  ipoitiè ,  le  quart  du 
revenu  d'up  pe  ces  arbAs.  Sur  ces  ro- 
cheris  sans  vé^étadon  e^  sans'  yerdure 
yn  pieu  d^bUvier  est  un  trésor  (!}.  > 

Les  îles  paEUDONÎBI!^rfES   (Xdtd^- 

viai  vîi^oi)  sont  trois  îlots,  ou'grands  ro- 
chers,  situés  a  six  stades  du  continent  de 
l'Asie  Mineure ,  en  face  le  promontoire 
HiéroQ,  qui  terinioe  le  moat  Olympe, 
l'une  des  branches  du  mont  Taurus.  Ces 
îles  séparent  la  merde  Lycie  dé  la  mer 
de  Pamphylie,  appelée  aujourd'hui  golfe 
de  Sattalie.  Elles  sont  entourées  de  bri- 
sants et  d'écueils,  qui  rendent  la  navi- 
gation tr^-danjB^ereuse  en  ces  parages  (3). 
n  semble  de  loin,  dit  Dappef ,  quand  on 
est  en  mer,  que  ces  roches  chéfîdo- 
niennes  sont  le  pied  du  mont  Taurus ,  et 
qu'elles  se  rattachent  au  côté  dé  cette 
montagne  qui  regarde  la  mer  (8).  Il  est 
certain  qu'on  peut  regarder  ces  Ues  et  les 
écueils  qui  les  entourent  comme  les  som- 
mets du  prolongement  sous-niarin  de 
la  grande  chaîne  du  Taurus.  Les  lies 
Ghélidoniennes  ûirent  la  limite  que  Ci- 
mon  imposa  aux  Perses  par  le  fi^orieux 
traité  qui  porte  son  nom ,  et  oui  inter- 
disait an  grand  roi  le  droit  «'envoyer 
un  vaisseau  de  guerre  au  delà  de  la  mer 
de  Pamphylie.  Cest  probablement  à  ce 
traité ,  dont  on  a  contesté  à  tort  Texis- 
tence,  que  Lucien  fait  allusion  quand  il 
appelle  ces  lies  les  heureuses  frontiérfs 
de  Tantique  Grèce  (4).  Pline  raconte 
longuement  par  quels  singuliers  procé- 
dés on  venait  dans  ces  parages  palier 
l'anthias,  espèce  de  poisson  qui  porte 
sur  le  dos  des  piquants  en  forme  de  scie. 
Ce  poisson ,  qui  élait  très-commun  sur 
ces  côtes,  est  inconnu  aujourd'hui  (S). 

(x)  Michand  et  Poiijoulat ,  Correspondance 
et  Orient,  t.  IV,  p.  49. 

(a)  Pline  dit  de  ces  ilet  qu^eUes  «ont  pesti- 
férée navit(antibus ;  Hist.  Mat.,  Y,  35,  3. 

(3)  Description  dé  tArcUipel,  p .  z^. 

(4)  ToOc  eOTv^^eîç  rvic  icoi^ac  *E>^3iSo: 
5pouc-  Amores,  7,  coll.  Didot,  t.  VIII,  p.  3 S 7. 

(5)  Vpy.  le  récit  de  Winc^  Eist,  Nat,^ 
1.  fx,  c.  è5. 


ILE  DE  RHODES;  191 

Les  anciens  géograpb/s  ^fliyèren^  9ft9()Mie  et  de  la  CUide  (1).  Strabon 

fDcore  quelques  autres  éiBs  delà  mer  de  menticmnésur  les  côtes  decette  dernière 

Lycie,  dont  ils  se  bornent  à  nous  indi-  contrée  les  deux  lies  de  Crarobusa  et 

qûer  les  noms;  c'est  à  savoir  :  llljris,  d*£lusa  (3),  mais  sans  rien  en  dire  qui 

Télendos ,  Attélébussa,  les  Gypriennes,  mérite  d*étre  rapporté. 
qui  sont  trois  flots  incultes  et  stériles  ; 

Dionysia ,  appelée  auparavant  Caretha.  (x)  Forbiger,  Handbueh,  etc.,  II ,  p.  a63 . 

Toutes  ces  llêS  sont  situées  à  Test  des  (a)  Strab.»  XIY,  5;  Dapper,  Description^ 

Chélidoniennes ,  dans  la  direction  de  la  p.  169. 


LES  SPORADES 


Mss  ÉGÉB.  —  L'Ile  de  Rhodes  est  vers 
J'Orientcommela  barrière  delà  mer  Egée. 
Quand  on  a  franchi  cette  terre ,  en  ve- 
nant de  TAsie ,  on  voit  se  dresser  devant 
soi  tes  côtes  et  les  sommets  dlles  nom- 
breuses, qui  ne  présentent  ordinairement 
a  la  vue  que  des  rivages  rocailleux  et 
stériles,  mais  dont  Taspectest  agréa- 
blement diversifié  par  les  mille  accidents 
d'une  belle  lumière.  Ce  groupe  dlles , 
qui  remplit  tout  le  vaste  bras  de  mer 
situé  entre  la  Grèce  et  l'Asie  Mineure , 
porte  aujourd'hui  le  nom  d'Archipel ,  et 
ce  nom ,  emprunté  à  la  langue  grecque, 
est  aussi  celui  de  la  mer  où  ces  Iles  sont 
situées.  Ce  grand  ffolfe,  que  les  anciens 
appelaient  mer  Egée  (1),  baignait  les 
cotes  de  la  Grèce,  oe  la  Macédoine,  de  la 
Thrace ,  de  l'Asie  Mineure  ;  et  sa  limite 
au  sud  était  marauée  par  l'Ile  de  Crète, 
qui  la  fermait  du  coté  de  l'Afrique, 
comme  l'tle  de  Rhodes  du  côté  de  l'Asie. 
Les  anciens  géographes  assignaient  à  la 
mer  Egée  les  dimensions  suivantes  : 
quatre  mille  stades  de  long ,  deux  mille 
de  large  et  vingt-trois  mille  de  circuit  en 
suivant  les  sinuosités  des  côtes.  Elle  avait 
été  subdivisée  en  plusieurs  parties ,  qui 
avaient  différents  noms  ;  c'étaient  :  i^  la 
mer  de  Thrace  au  nord;  2°  la  mer  de 
Myrtos  au  sud-ouest,  ainsi  appelée  d'une 
petite  fie  située  à  la  pointe  méridionale 
de  l'Eubée  :  dans  la  mer  de  Myrtos 
étaient  compris  les  golfes  Saronique  et 
d'Argos  ;  3*^  la  mer  Icarienne ,  qui  s'é- 
tendait au  sud-est ,  et  qui  baignait  les 
côtes  de  la  Doride  et  de  l'Ionie.  On  di- 
sait oue  cette  mer  devait  son  nom  à  Icare, 
fils  de  Dédale,  qui  avait  péri  dans  ses 
'flots.  La  mer  de  Crète  et  la  mer  de  Car- 
pathos,  ainsi  nommées  à  cause  des  deux 

(i)  Les  Grecs  disaient  6  Alyoîoc  tcovtoc, 
ta  Alyatov  icAayoç,  oa  Vj  *£XXvivixi?j  OdXaTTa, 
on  ii  xaO'  ^{iâç  OdiXaTTa.  Toy.  Forbiger, 
Mandb,,  II ,  p.  19. 


tles  au'elles  entouraient,  peuvent  être 
considérées  comme  faisant  partie  de  la 
mer  Egée ,  dont  elles  sont  au  sud  Xtv 
tréme  limite. 

Les  anciens  Grecs  avaient  partagé  en 
deux  groupes  principaux  la  masse  d'ties 
situées  entre  FEurope  et  l'Asie  dans  li 
partie  méridionale  de  la  mer  Egée  :  cV 
talent  les  Cyclades  à  l'ouest  et  les  Spo* 
rades  à  l'est;  les  premières  ainsi  nom- 
mées du  mot  x^s^oç,  cercle,  parce  qu'on 
les  considérait  comme  formant  un  oerde 
autour  de  Délos;  les  secondes  de  a:stf(>j« 
parce  qu'elles  paraissent  comme  semm 
sans  ordre  sur  la  côte  d'Asie.  Il  est  as- 
sez difficile  de  reconnaître  la  ligne  de  dé- 
marcation que  les  anciens  avaient  établie 
entre  ces  deux  groupes  d'îles.  On  voit 
dans  Strabon,  Pline  et  les  autres  géo- 
grapnes  quelques-unes  de  ces  lies  rangéei 
tantôt  parmi  les  Cyclades ,  tantôt  parmi 
les  Sporades,  surtout  celles  qui  avoisi- 
nent  la  mer  de  Carpathos ,  ou  les  deux 
groupes  sont  tout  à  fait  confondus  J). 
Cependant  on  peut  affirmer  que  le  dooi 
de  Sporades  est  généralement  donné  à 
toutes  les  tles  comprises  entre  Samos 
et  Rhodes,  et  qui  sont  séparées  des  Cv- 
dades  par  une  ligne  qui  partirait  de  U 
pointe  occidentale  d'icaria  et  qui  vieo- 
drait  aboutir  à  Casos  en  passant  par  Le» 
binthos  et  Astypalée.  Toutes  les  aatrei 
tles ,  plus  rapprochées  de  la  Grèce  et 
comprises  entre  la  pointe  de  l'Eubée  et 
la  mer  de  Crète ,  forment  le  groupe  des 
Cyclades.  Conformément  à  la  marche 
géographique  quej'ai  adoptée  dans  ce  lra< 
YaU,  nous  continuerons  à  avancer  dV 
rient  en  occident,  en  parcourant  succes- 
sivement toutes  les  petites  Sporades  et  les 
autres  grandes  tles  asiatiques  qui  les  a  voi- 
sinent jusqu'à  THellespont.  Delà  passant 
en  Europe,  nous  visiterons  rapidedicnt  les 
îles  éparses  et  peu  nombreuses  des  côua 

(i)  Plin. ,  Hist,  Nat.  ;  V  a3. 


LES  SPORADES. 


19ff 


de  Tliriee  et  de  Maeéddne,  d'où  now 
atteindrons  Plie  d^Eobée,  les  Cyclades, 

Si  lui  sont  continués ,  la  gnmâe  île  de 
été,  qui  cidt  tout  rArchipel ,  et  eofin 
leitles  lonlenDes,  situées  à  roecident  du 
Péloponnèse,  par  Tétude  desquelles  nous 
teriDineroos  œ  travail  historique  et  géo- 
graphique sur  les  ties  de  la  Grèce. 

\le  de  symb. 

Cette  tie,  appelée  aujourd'hui  Simia 
ou  Simmi,  est  placée  par  Pline  à  moitié 
chemin  entre  Cnide  et  Rhodes,  tout  près 
du  continent  de  la  Carie,  dans  le  golfe 
que  forment  la  pointe  de  Cnide  et  celle 
du  mont  Pliœnix.  C'est  une  tie  de  trente 
milles  de  circonférence ,  autour  de  la- 
quelle s*élèvent  des  rochers ,  des  écueils, 
de  nombreux  tlots,  qui  lui  avaient  valu 
autrefois  le  nom  d'tle  des  Singes  (  Isoia 
deiie  Simie),  par  la  singulière  raison,  à 
ee  qu^on  prétendait,  que  ce  petit  groupe 
dUes  singeait  les  Cyelades  autour  de  Dé- 
los  (1).  En  réalité  cette  dénomination 
n'était  qu'une  altération  de  l'ancien  nom 
de  Syme,  dont  les  légendes  grecques  ex- 
pliquent Torigine  d'une  manière  confuse. 
Tantôt  Syme  est  fllle  de  Jalyssus,  en- 
levée parGlaucus,  dieu  marin,  et  trans- 
portée dans  la  petite  tIe  à  laquelle  elle 
donne  son  nom.  Tantôt  elle  est  femme 
de  Neptune,  et  c'est  son  fils  Chthonius 
qui  donne  à  File  le  nom  de  sa  mère. 
Chthonius  était  un  des  compagnons  de 
Tnopas,  ce  héros  héliade  si  célèbre  dans 
les  Iles  et  sur  les  côtes  de  ces  parages  ; 
M  qui  prouve  que  Syme  a  reçu  ses  pre- 
miers habitants  de  la  même  émigration 
qui  a  peuplé  Rhodes. 

Au  temps  de  la  guerre  de  Troie,  Syme 
fi^ra  parmi  les  Etats  grecs  énumérés 
dans  Homère.  «  Nirée,  dit  le  poète  (2), 
■Renaît irois  vaisseaux  de  l'île  oe  Syme, 
Nirée,  fils  de  la  nymphe  Agiaia  et  du 
|oi  Caropus ,  Nirée  le  plus  beau  de  tous 
les  Grecs  qui  allaient  à  Troie,  si  l'on 
eu  excepte  le  divin  Achille,  qui  était 
d'uae  beauté  accomplie;  mais  Nirée  était 
peu  vaillant  et  avait  peu  de  troupes.  » 

D'après  Diodore  du  Sicile  (3),  Nirée 
possédait  aussi  une  partie  de  la  pres- 

(0  Otte  puérilité  le  trouve  dans  Goro- 
Mlli ,  Isoia  di  Rodi  »  p.  a54 . 

(2)  Hom., //.,  n,  671. 

(3)  Oiod.Sic.,y,53. 

IS*  livraison,  (  lbs  Spobadbs.  ) 


qu'tle  de  Cnide.  Après  la^rve  de  Troie, 
ajoute  l'historien,  les  Cariens  occupèrent 
llie  de  Svme,  à  réiioque  où  ils  étaient 
mattres  de  la  mer.  Ils  furent  forcés  de  l'a- 
bandonner après  une  longue  sécheresse. 
Svme  reiita  déserte  jusqu'au  moment  où 
elle  fut  repeuplée  par  la  colonie  des 
Lacédémoniens  et  des  Argiens  qui  vint 
sous  Althémène  fonder  l'Sexapole  do- 
rique. Hippotès,  l'un  des  chefo  de  cette 
émigration ,  prenant  avec  lui  ceux  qui 
avaient  été  oubliés  ou  traités  peu  avan- 
ta§[eu8ement  dans  le  partage,  les  con- 
duisit  à  Symé ,  et  la  leur  abandonna. 
Quelques  années  après,  d'autres  Dorions, 
venus  de  Cnide  et  de  Rhodes,  et  con- 
duits par  Xuthus,  abordèrent  à  Syme,  et 
furent  admis  par  les  premiers  habitants 
au  partage  des  terres  et  des  charges  pu- 
bliques. 

Au  temps  des  chevaliers,  Syme  fut  une 
dépendance  de  Ttle  de  Rhodes.  Elle  fut 
conquise  en  1S09  par  Villaret.  Ses  ha- 
bitants furent  assujettis  à  payer  une  con- 
tribution, quel'on  appelait  le  mortuaire, 
et  dont  on  leur  fit  remise  en  1852  ;  on 
remplaça  cet  impôt  par  un  tribut  annuel 
de  cinq  cents  aspres,  et  tous  les  biens 
des  caloyers  durent  retomber  après  leur 
mort  dans  le  domaine  de  Tordre.  En  1878 
l'ile  de  Syme  devint  un  domaine  magis- 
tral, c'est-à-dire  que  ses  revenus  furent 
assignés  au  grand  maître,  comme  ceux 
des  Iles  de  Saint-Mcolas  et  de  Piscopia. 
Les  chevaliers  avaient  bâti  dans  l'île 
délie  Simie  un  château  fort,  et  un  poste 
de  signaux  dont  on  retrouve  encore  les 
ruines  (t).  De  ce  poste  on  était  en  com- 
munication avec  le  corps  de  garde  ap- 
pelé la  Vedette  des  Chevaliers,  qui  avait 
été  établi  sur  le  mont  Saint*Étienne  à 
Rhodes,  et  d'où  l'on  pouvait  surveiller 
tout  l'archipel  qui  entourait  l'île  capi- 
tale (2).  La  chute  de  Rhodes  entraîna 
celle  deSimia,  qui  depuis  1523  est  réunie 
à  l'empire  ottoman. 

L'île  de  Simia  a  deux  ports,  dont  l'un, 
situé  au  nord,  est  fort  large  d'entrée ,  et 
peut  commodément  contenir  les  plus 
grands  vaisseaux.  Cette  île  produisait  de 
très-bons  vins,  et  nourrissait  une  grande 
quantité  de  chèvres  et  de  boucs  (8).  U 

(x)  Rottiers  ,  p.  ai  et  342. 

(a)  Toy.  plus  haut ,  p.  i  Ô9. 

(3)  Dapper,  Descr,  de  tÂrehipel^  p.  i63. 

18 


194 


L'UNIVERS. 


paraît  qu'elle  était  autrefois  fertile  M' 
grains;  car  ses  anciennes  monnaies, 
dont  on  a  retrouvé  quelques  pièces,  re- 
présentent  des  javelles  de  blé  el  ud« 
tête  de  Cérès  couronnée  d'épis.  Au  temps 
des  chevaliers  les  Grecs  de  cette  Ile 
construisaient  de  petites  fustes ,  fort  lé- 
gères, qui  allaient  à  ta  voile  et  à  la  rame« 
et  qu*ancun  navire  ne  pouvait  atteindre. 
Les  Turcs  appelaient  ces  bâtiments 
simbêquirs,  dV)ù  Pile  a  été  souvent 
nommée  Ile  de  SImbequirou  de  Sumber* 
chi,  mot  composé,  qui  semble  signifier 
barque  de  Sinde.  Encore  aujourd'hui  ou 
fabrique  à  Simie  de  très-jolis  misties. 
De  tout  temps  les  habitants  de  Simie 
ont  été  pécheurs  et  plongeurs.  Ils  vont 
chercher  au  fond  de  la  mer  des  éponges 
d'une  exrellente  qualité,  qui  se  trouvent 
en  abondance  sur  les  rochers  de  ces 
cdtes.  Dès  Tenfance  ils  s'habituent  à  ce 
rude  exercice ,  et  ne  peuvent  se  marier 
qu'ils  ne  sachent  plonger  à  vingt  brasses 
et  rester  sous  l'enu  un  certain  espace  de 
temps.  L'tle  de  Syroe  parut  fort  misé- 
ral)le  à  Savary,  qui  y  fut  retenu  pendant 
quelques  Jours  (1).  «  Je  suis  allé  visiter 
K  village  qu'habitent  les  |)lonffeur.<9,  dit* 
il;  tout  y  annonce  la  pauvreté  et  la  mi- 
sère. Les  rues  sont  étroites  et  sales  ;  les 
maisons  ressemblent  à  de  misérables 
cabanes ,  où  la  lumière  du  jour  entre  à 
peine.  »  La  population  est  triste,  silen- 
cieuse; \^s  nommes  et  les  femmes  y 
étaient  vêtus  de  la  même  manière.  Tous 
portaient  la  longue  robe ,  la  ceinture  et 
le  châle  autour  de  la  tête.  Le  visage  seul 
les  fnisnit  reconnaître.  Le  voyage ,  plus 
récent ,  de  M.  de  Prokesch  nous  montre 

3 ut'  les  choses  sont  restées  à  peu  près 
ans  le  même  état  (2). 

lu  DBCHALKIÀ. 

Cette  petite  tle(aujourd  hui  Chalkim. 
Caravi)  est  située  à  l'ouest  de  Rhodes, 
<lontelle  est  comme  une  annexe,  ainsi  que 
les  petites  fies  deTentiusa  (Limonia), 
Cordylusa  (Sainte-Catherine)  et  Stéga- 
nusa  (Saint-Nicolas),  qui  entourent  Rhop 
des  à  Touest,  au  sud  et  à  Test.  Chalkia 
avait  une  ville  du  même  nom,  un  port 
et  un  temple  d'Apoilon,  dont  on  voit  des 

(i)  Lettres  sur  la  Crèce ,  p.  97. 
(a)  De  Frokesch,  Denkwurdigk ,  t.  III , 
p.  4"*^. 


vestiges  (f  ).  «  Dana  111e  de  Ghalkia,qiil 
appartient  aux  Rhodiena,  dit  Pliae  ()j, 
est  un  lieu  tellament  féouMl,  qu'après  jr 
avoir  récolté  l'orge  semée  à  l'époque  or- 
dinaire, on  en  fait  immédiatemaat  une 
nouvelle  semaille,  qu'on  récolteen  roéoie 
tem(is  que  les  autres  grains.  »  Ces  graim 
devaient  aller  è  Rhodes,  dont  la  produ^ 
tion  de  céréales  était  insuffisante  pour 
les  besoins  des  habitants. 

Clialkia  n'a  pas  d'autre  histoire  que 
eelle  de  Rhodes.  Conquise  par  lesTurd 
après  l'expulsion  des  chevaliers,  elle  fut 
attaquée  par  les  Vénitiens  en  1658.  ftio* 
rosini,  qui  les  commandait,  y  porta  le  fer 
et  la  flamme ,  et  plongea  cette  île  dans 
une  misère  d'où  elle  ne  se  releva  ji* 
mais  (d).  Ce  fut  là  le  sort  de  beaucoup 
d'Iles  grecques  pendant  la  lutte  adiaroee 
des  Vénitiens  et  des  Turcs.  Llles  étaient 
ravacées  par  les  deux  puissances  nvales 

3ui  se  les  disputaient  ;  et  après  les  fleaui 
e  la  guerre,  elles  eurent  à  subir  Tae- 
tion,  tout  aussi  malfaisante,  d'une  gros- 
sière tyrannie. 

Ile  de  télos. 

Télos,  'H  TtiXoc  (  auj.  DHo9  ou  £pû- 
copi,  Piscopia)^  est  une  petite  île,  de 
trente-cinq  milles  de  tour,  située  à  a^ia* 
tre^vingts  stades  nord-ouest  de  Chalkia 
et  à  huit  cent  vingt  stades  de  Rhodes  [iy 
Elle  est  longue  et  étroite,  «ssexélevéeau* 
dessus  de  I  eau.  Son  extrémité  ooeîden* 
taie  forme  une  pointe  basse,  qui  s'avaoff 
dans  la  mer.  Elle  a  trois  ports,  où  i'of- 
trouve  de  bons  mouillages.  Au  côté  oneo- 
tal  se  trouve  une  grande  baie,  au-devabt 
de  laquelle  est  un  petit  îlot.  Cette  bùe 
a  vingt-quatre  et  viugt«six  brasses  dVJ*> 
sur  un  fond  très-propre  à  I  ancrage  y . 
Cette  Ile  était  autrefois  célèbre,  par  ua^i 
espèce  de  baume  qu'elle  produisait  a^ 
abondance  (6).  Du  reste,  elle  n'eut  aui 
eune  importance  historique,  11  en  e$< 
Élit  mention  dans  Hérodote  (7)  à  pio^ 
du  célèbre  Gélon,  tyran  de  Syracuse 

(i)  Leake,  Tour  in  Asla^  p.  aa^* 
(a)  Wio.,  Uist.  JVat.,  1.  XVII,  3, 6. 

(3)  Dapper,  p.  164. 

(4)  On  compte  ordinairement  vingt^qnatfi 
stades  à  la  lieue. 

{5}  Forbiger,  HanMueh,  etc.,  t.  Dt,  p.  lio 
Dapper,  Descr,^  p.  161. 

[6)  iMiii.,  Hist.  Nat.^  IV,  a3. 
[7)Hérod.,  VU,i53. 


t 


LES  SFORADES. 


IM 


Îm  était  originaifê  de  Tâos,  et  dont 
aneélrt  Téiinès  éuit  venu  8*établir  à 
Géia^  eo  SIeile.  Il  jr  avait  eieroé  la  charge 
d'hiérophante  de  Gérés  et  de  Proserpine  ; 
et  cette  dignité  avait  été  déclarée  néré* 
ditaire  dana  sa  famille.  Téloa  était  une 
tle  ifaodienQe. 

Au  moyen  âge  Téloi  prend  le  nom 
de  Piscopia,  |M(at-étre  d*une  tour  de 
vigie  placée  sur  aee  hauteurs  (l).  Elle 
était  alors  défendue  par  deux  châteauil 
forts,  celui  de  Saint-Etienne  et  oetui  de 
Zuchalora  ou  Cauealora.  Car  au  moyen 
âge  il  n'j  avait  de  sécurité  nulle  part 
sans  forteresse.  Au  quatorzième  siècle,  un 
bourgeois  de  Rhodes,  Barello  Assanti, 
s'en  empara  au  nom  de  Tordre  des  Hospi- 
taliers, et  en  reçut  Finvestiture  du  i^rand 
maître,  à  la  charge  de  payer  deux  cents 
florins  d*or,  1866.  En  187  S  Piscopia 
devint  domaine  mistral.  Elle  tomba 
sous  la  domination  des  Turcs  après  Tex* 
pulsion  des  chevaliers  de  Rhodes. 

ÎLl  DB  NISYB08. 

Ilisyros,  11  NCoopoç  (auj.  NMro,  NU 
iari,  Nisaria)^  est  située  entre  Cos  et 
Télos,  à  é^le  distance  de  toutes  deux  et 
juste  en  race  du  promontoire  Triopium 
(auj.  cap  Crio\  qui  termine  la  presqu'île 
de  Cnide.  Elle  a  quatre-vingts  stades  de 
toor.  Cest  une  Ile  élevée,  formée  de  ro- 
chers dont  le  désordre  attestede  violentes 
eommotions  volcaniques.  En  effet ,  on 
racontait  que  cette  Ile,  autrefois  appelée 
Porpbyris  (2),  avait  été  détachée  de  Cos 
par  un  tremblement  de  terre ,  phéno- 
mène naturel,  que  la  mythologie  grecque 
avait  transformé  en  merveilleuse  lé- 
gende. C'était  !f  eptune,  qui,  poursuivant 
un  géant  appelé  Polybotès,  détacha  d'un 
coup  de  son  trident  un  morceau  de  Tlle 
de  Cos,  qu'il  lança  à  soixante  stades  de 
là,  et  dont  le  géant  fut  acrablé.  Ainsi  fut 
formée  nie  de  Nisyros,  que  te  géant 
qu'elle  opprimait  agita  fréquemment  de 
ses  secousses.  Cet  exploit  de  Neptune 
rappelle  celui  de  Minerve  écrasant  Enoe- 
lade  sous  le  mont  Etna  (3)  ;  et  l'un  et 
fautre  se  rattachent  a  ce  grand  combat 
des  dieux  et  des  géants  par  lequel  l'i* 

(x)Cest  rexplication  de  CoroneHi    Isota 

(«)  pifci.,  Hut,  NM,,  V,  se,  J. 


magîaatioii  dee  Grecs  racontait  d'une 
manière  figurée  lee  chocs  des  éléments 
et  les  révolutions  physiques ,  encore  ré^ 
eentes,qui  avaient  donné  naissance  à 
la  partie  du  continent  et  au  groupe  dilea 

3u1ls  habitaient.  Nisyros  est  entourée 
'écueila  qu^  semblent  avoir  été  lancés 
avec  elle  par  la  même  éruption  soutev*. 
raine  qui  l'a  formée ,  ou ,  comme  dirait; 
Apolloidore,  par  la  main  de  Neptufte.  Au. 
centre  de  Ttie  est  un  pie  qui  a  dé  dtrr 
longtemps  en  éruption.  Son  cratère,  au* 
jeurd'hui  éteint,  est  devenu  un  Ipc  d'eau 
salé.  De  ses  flancs,  encore  incandesoenta 
à  Tintérieur,  sortent  des  sources  d'eau 
chaude  et  aulfureuae  d'un  effet  trca- 
salutaire  pour  la  santé.  La  vigne  erott* 
très-bien  sur  ses  coteaux  brûlés.  Le  vin 
de  Nisyros  était  célèbre,  et  pourrait  le 
redevenir.  Cette  Ile  fournissait  ay.ee  Mé-« 
les  et  les  Iles  Ëoliennes,  de  nattire  vol- 
canique comme   elle,   les    meilleures 
pierres  ponces  connues  des  anciens  (I). 
Pline  dit  qu*on  trouvait  à  Nisyros ,  ainsi 
qu'à  Rhodes,  un  arbuste  épineux  appelé 
erysisceptrum  {genista  atanthoclada) 
dont  on  faisait  un  usagé  fréquent  en  mé- 
decine. 

Cetle  tle  fut  primitivement  habitée  par 
des  Cariens  (2).  Plus  tard  les  Grecs  leur 
succédèrent  ou  se  mêlèrent  à  eux.  Ils 
vinrent  sous  la  conduite  de  Thessalus , 
fils  d'Hercule,  qui  s*établit  à  Cos,  et  sou- 
mit les  îles  voisines  Nisyros ,  Calydna 
ou  Calymna ,  Carpathos  et  Casoi.  Phi- 
dippuset  AotiphuS;  fils  de  Thessalus, 
et  chefs  de  ce  petit  Etat  maritime,  oon* 
doisirent  trente  vaisseaux  au  siège  de 
Troie  (3).  A  une  époque  incertaine,  mais 
postérieure  à  la  guerre  de  Troie,  un 
tremblement  de  terre  détruisit  la  popu* 
lation  de  Nisyros.  Elle  fut  repeuplée  par 
oeuxdeCos;  et  plustardun  nouveau  fléau 
ayant  encore  désolé  cette  Ile ,  elle  reçut 
une  colonie  de  Rhodiens,  et  dès  lors  Ai« 
syros  partagea  toutes  les  destinées  de  sa 
métropole. 

Nisari  fut  enlevée  à  l'empire  grée 
eo  1304,  comme  toutes  les  îles  de  ees 
parages  (4)  :  recouvrée  par  Jean  Vataee , 

(i)    Plîn.,  Hist.   Nai.,  XXXTI,     4«; 
XXIV ,  69. 

(a)  Diod.  5Kcttl.,  ▼ ,  54 . 

(3)  Honi., //{W.,  II, 678. 

(4)  CoroneUi ,  Isgh  di  Madi,  p.  diB. 

18. 


196 


L'UNIVERS. 


elle  fut  reconquise  par  les  cbeiraliers  de 
Rhodes,  qui  Tinféodèrent  aax  frères  As* 
saoti  d'Isebia,  1816.  En  1340  Ligorio 
Assantî,  Tan  des  seigneurs  de  Tile,  ce* 
dant  à  une  tentation  bien  puissante  sur 
les  insulaires  de  ces  parages,  arma  une 
galère,  et  se  fit  pirate.  Il  pilla  plusieurs 
navires  marchands,  entre  autres  des 
Chypriotes.  Le  roi  de  Chypre,  Hugues  IV 
adressa  ses  plaintes  au  grand  maître,  qui 
réprima  par  un  jugement  rigoureux  les  dé- 
sordres de  son  vassal.  Les  Assanti  furent 
obligés  dès  lors  d*entretenir  une  galère 
au  service  de  la  religion.  Cette  famille 
s'étant  éteinte  en  1886,  Ttle  de  Nisari 
revint  à  Tcrdre,  qui  n*en  aliéna  plus  Tad- 
ministration.  En  1488  on  trouve  cette  île 
sous  le  gouvernement  de  Fantino  Que- 
rini, amiral,  prieur  de  Rome,  bailli  de 
Lanjgo,  seigneur  de  Nisari,  qui  outre  l'en* 
tretien  d'une  galère  payait  une  redevance 
de  six  cents  florins,  et  avait  à  sa  charge 
Tentretien  des  forteresses  de  Tile.  Nisari 
avait  cinq  châteaux ,  dont  les  plus  forts 
étaient  ceux  de  Mandrachi  et  de  Paleo- 
Castro.  Elle  était  le  siège  d'un  évéché* 
Souvent  attaquée  par  les  Turcs,  elle  re- 
poussa toujours  leurs  tentatives,  et  ne 
succomba  qu*après  la  prise  de  Rhodes. 

PAN  AIA.,  ou  LE  ROCHER  DES  GÀLOYERS. 

«  On  découvre,  dit  Dapper  (1),  à  près 
(le  vingt  milles  d'Italie  ou  cinq  Ueues 
d'Allemagne,  à  Toccidentde  Fîle  de  Nisa- 
ria  ou  Nisyros,  un  rocber  fort  élevé,  ap- 
peléCaloiero  et  autrement  Panaia,  qui  est 
entièrement  inaccessible,  comme  étant 
escarpé  de  tons  côtés.  Un  caloyer  ou  ec- 
clésiastique grec,  d'où  sans  doute  elle  a 
pris  son  nom,  avoit  autrefois  choisi  ce 
rocher  pour  v  aller  passer  ses  jours  sous 
la  rigidité  d'une  discipline  fort  sévère, 
comme  elle  se  pratique  ordinairement 
parmi  ces  ecclé^stiques,  avec  deux  au- 
tres religieux  de  son  ordre.  11  avoit  eu  pour 
cet  effet  l'industrie  de  trouver  moyen  d'y 
élever,  à  l'aide  d'une  bascule  ou  poulie, 
un  fort  petit  bachot,  où  seulement 
deux  personnes  se  pouvoient  mettre, 
avec  beaucoup  d'adresse  et  de' facilité* 
Mais  il  y  fut  enûn  massacré  par  deux 
Turcs ,  'qui  le  surprirent  en  cette  ma- 
nière. Ses  confrères,  les  deux  autres  ca- 
loyers,  étant  descendus  pour  quelques 

(x)  Pftcnpfion  de  C Archipel,  p.  170. 


affaires  danslé  petit  bachot,  à  la  manière 
accoutumée,  ils  furent  tués  par  ces  deex 
Turcs,  qui  vêtirent  ensuite  leurs  habits, 
et  se  présentèrent  sous  cette  flgure  pour 
être  élevés  au  haut  du  rocher  par  l'autre 
caloyer,  qui,  les  prenant  pour  ses  odd- 
frères ,  ne  balança  |>as  un  moment  à 
faire  ce  qu'ils  soubaitoient  ;  de  sorte  qu'y 
étant  arrivés,  ils  massacrèrent  aussi  oe- 
loi-là ,  et  ayant  pris  le  peu  de  leurs  ef- 
fets qu'ils  y  trouvèrent,  ils  descendirent 
de  nouveau  du  mieux  qu'ils  purent  du 
haut  du  rocher  f  qui  depuis  ce  temps  est 
demeuré  inhabité.  On  peut  du  haut  df 
ce  rocher  découvrir  une  grande  partie 
de  l'Archipel.  » 

ÎLE   DE  C4RPÀTH0S. 

Il  ne  faut  point  quitter  ces  parages  de 
l'île  de  Rhodes  sans  parler  de  file  de 
Carpathos,  qui  a  donné  son  nom  à  cette 
partie  de  la  mer  Egée  où  sont  situées 
toutes  les  Sporades  méridionales  et  Rho- 
des elle-même.  Carpathos,  aujourd'hui 
encore  Scarpanto  ou  Zerfanto,  est  si- 
tuée entre  les  lies  de  Crète  et  de  Rhodes, 
à  quarante  milles  de  la  première  et  à 
cinquante  de  la  seconde  (1).  Strabon  nt* 
lui  donne  que  deux  cents  stades  de  tour, 
ce  qui  fait  environ  vingt-cinq  milles  d'I- 
talie ou  huit  lieues  de  France  ;  mais  eu 
réalité  sa  circonférence  est  de  soixante 
milles,  qui  font  vingt  Ueues.  Cest  unf 
île  assez  élevée  au-dessus  de  IVau ,  de 
forme  un  peu  longue,  étroite,  et  qui  s'é- 
tend du  nord  au  sud.  Elle  a  de  hauts  som- 
mets, que  l'on  aperçoit  de  fort  loin  en  mer. 
Carpatuos  possède  de  bons  pâturages, 
et  peut  nourrir  uoe  grande  quantité  d€ 
gros  et  de  petit  béiail  ;  on  y  trouve  des 
cailles,  des  perdrix  et  beaucoup  d'autre 
gibier  en  abondance.  On  y  mange  les 
meilleurs  lièvres  de  l'Archipel.  «  Ces 
excellents  lièvres  n'ont  pas  toujours  ha- 
bité l'Ile.  Ce  sont  les  insulaires  eux- 
mêmes  qui  les  introduisirent  chez  eux; 
et,  ■  bien  que  les  lièvres,  comme  dit  Ué- 
«  rodote,  trouvent  des  ennemis  partout, 
«  parmi  les  animaux,  les  oiseaux  et  les 
a  hommes  » ,  ceux-ci  se  multiplièrent 
tellement ,  qu'ils  dévorèrent  toutes  les 
récoltes.  D'où  le  proverbe  appliqué  aux 
gens  punis  par  leurs  propres  tantes  :  la 

(0  Dapper,p.  i7i;Strab.,  X,  5;TmkIio., 
t.  n,  p.  393  ;  Win.,  IV,  a3;  V,  36. 


j 


LBS  SPORAUES. 


197 


^fffet  de  Carpaihoz  (t).  »  On  trouv« 
aussi  dans  eette  île  des  mines  de  fer  et 
des  carrières  de  marbre.  La  mer  de  Car« 
pathos  est  semée  d'écueils  :  elle  était 
fort  redoutée  des  andeiis;  de  là  cette 
touchaote  comparaison  d'Horace  : 

ut  mftter  Jovenem ,  quem  Notas  invido 
Fiatls  Carpathli  (rans  maris  squora 
Cuoclantem  spallo  loojçfus  anouo 
Dalci  detîDet  a  domo,  etc. . .  (2). 

De  son  côté,  Pline  a  célébré  le  scare  de 
la  mer  de  Carpathos  {xcanu  cretensis), 
excellent  poisson,  très-recherché  de  son 
temps  pour  la  table  des  riches.  «  On  dit 
que  c*est  le  seul  poisson  qui  rumine  et 
qui  se  nourrisse  d'nerl>ageet  non  de  pois- 
sons. Très-commun  dans  la  mer  Garpa* 
tiiienne,  jamais  il  ne  dépasse  spontané- 
ment le  Lecton,  cap  de  la  Troade  (8).  » 
Sous  le  règne*  de  Claude  on  réussit  à 
rarclimater  sur  le  littoral  de  fltalie.  Oit 
pêche  aussi  aux  environs  de  Carpathos 
de  très-beau  corail. 

Dapper,  qui  fait,  d*après  Porcachi,  une 
description  assez  complète  de  la  géogra- 
phie de  cette  fie,  donne  les  noms  des  trois 
montaenes  qui  s^élèvent  au  centre  de 
Carpathos;  ce  sont  les  monts  Ânchinata, 
Oro  et  Saiot-Élias.  Ses  riyages  sont  hé- 
rissés de  nombreux  caps  et  creusés  en 
ports  et  en  baies,  qui  offrent  d'excellents 
mouillages.  Les  principaux  promontoi- 
res sont  au  sud,  au  côte  de  Casos,  le  cap 
Sidro ,  le  cap  de  Pemisa  ;  vers  le  nord , 
les  caps  Andemo  et  Bonandrea.  Autre- 
fois cette  tie  était  très-fréquentée  des  ma- 
rins italiens,  qui  en  connaissaient  tous 
les  ports,  savoir  :  Agata,  Porto  di  Tris- 
tano ,  que  les  anciens  appelaient  Trito- 
mus  et  que  défend  recueil  de  Pharia, 
Porto  Grato,  Porto  Malo  Nato.  Avant 
la  prospérité  commerciale  de  Rhodes , 
Carpathos  dut  être  le  point  de  relâche 
le  plus  fréquenté  par  les  navires  mar- 
chands qui  allaient  de  la  mer  Ë^ée  dans 
la  Méditerranée  orientale.  Aussi  devait- 
elle  être  florissante  au  temps  où  elle 
comptait,  selon  les  uns  quatre,  selon  les 
autres  sept  villes;  ce  qui  l'avait  fait  sur- 
nommer Tetrapolis  ou  Heptapolis.  On 
retrouve  des  ruines  antiques  sur  plu- 

(0  M.  de  Marcellus,  Épisodes,  etc.,  t.  Il, 
p.  196. 

(î)  Hor.,  0</.,  1.  IV,  4,  V.  9. 


sieurs  points  de  Ttle,  à  Phianti,  à  Méné- 
tès ,  à  Tentho  et  à  Arcassa.  Phianti  pa« 
ratt  être  remplacement  de  l'ancieune 
Posideium,  capitale  de  Ttle;  non  loin  de 
là  s*élève  le  bourg  actuel  de  Scarpanto, 
que  domine  un  château  du  même  nom. 
Llle  n'est  habitée  que  par  des  Grecs,  dit 
Dapper;  on  n*y  trouve  point  d'autre  Turc 
que  le  cadi  ou  juge,  qui  se  tient  dans  le 
château,  et  y  gouverne  au  nom  du  grand 
seigneur. 

Carpathos  n'a  pas  d'histoire  parti- 
culière. Dès  l'origine  elle  paraît  avoir 
subi  l'influence  de  la  Crète  et  de  Rhodes, 
dont  elle  dut  toujours  partager  les  des- 
tinées. On  lit  dans  Diodore  qu'elle  eut 
pour  premiers  habitants  quelques  com- 
pagnons de  Minos ,  à  l'époque  où  ce  roi 
eut,  le  premier  parmi  les  Grecs,  Teinpire 
de  la  mer  (t).  Mais  les  poètes,  qui  re- 
montent toujours  plus  haut  que  les  his- 
toriens dans  les  antiquités  des  peuples, 
nous  reportent  bien  au  delà  des  temps 
de  Minos,  quand  ils  nous  disent  que  Ja- 
pet,  fils  de  Titan  et  de  la  Terre,  engen- 
dra dans  Carpatlios  ses  quatre  fils  qu'il 
eut  de  la  nymphe  Asie,,  savoir  :  Hespe* 
rus,  Atlas,  Ëpiméthée  et  Prométliée. 
Ainsi ,  selon  la  mythologie ,  si  la  Crète 
fut  le  berceau  des  dieux  de  l'Olympe , 
Carpathos  fut  la  terre  natale  de  leurs 
adversaires,  les  Titans.  Qu'est-ce  à  dire, 
si  ce  n'est  oue  ces  deux  Iles  grecques , 
placées  sur  les  confins  des  mers  d'Asie, 
furent  les  premières  à  recevoir  des  Orien* 
taux,  des  Phéniciens  surtout,  les  noms 
et  le  culte  des  divinités  qui  plus  tard  for- 
mèrent l'Olympe  grec.  Nul  doute  qu'a- 
vant Minos,  Carpathos  n'ait  reçu  des 
colonies  d'Asiatiques  navi^teurs.  Plu- 
sieurs générations  après  lui,  loclus,  fils 
de  Démoléon,  Argien  d'origine,  envoya, 
d'après  l'ordre  d'un  oracle ,  une  colo- 
nie à  Carpathos.  Cet  établissement,  dit 
M.  Raoul Rochette (2), dont  Diodore  nous 
laisse  ignorer  l'époque,  doit  appartenir 
au  même  ensemble  d'émigration  dirigé 
par  Althémène ,  et  ne  lui  être  postérieur 

Sue  de  bien  peu  d'années.  Déjà,  au  temps 
e  la  guerre  de  Troie ,  Carpathos ,  qui 
est  appelée  Krapathos  dans  Homère, 
faisait  partie  du  royaume  de  Phidipp.us 
et  d'Antipbus,  descendants  d'Hercule. 

(x)  Diod.  Sic,  Y,  54.  ê 

(a)  Çolonks  Grecques,  III,  74. 


10S 


L'UmVERS. 


£I1edevîDt  donoune  tle  darieniMY  commit 
la  Crète,  comme  Rhodes,  comme  toutes 
les  iles  voisines.  Sa  divinité  principale 
fut  Poséidon,  ou  Neptune,  qui  était  le 
dieu  protecteur  de  la  confédération  de 
rhexapole  dorique.  Virgile  fait  de  cette 
Ile  le  séjour  du  dieu  Prêtée,  d'où  Ton 
peut  conclure  qu'elle  avait  un  oracle  de 
^Neptune. 

lEst  tn  Carpalhio  Nepluni  gargite  vate» 
Cœruleus  Proleus....  (i). 

On  voit  que  si  Carpathos  n*a  pas  d'his* 
toire,  elle  a  des  antiquités;  peut-être 
mime  qu'aveo  des  recherches  attentives 
et  toutes  spéciales  on  pourrait  suivre 
ses  destinées  d'Age  en  Age ,  depuis  les 
temps  héroïques  ius(ju*à  Tépoque  où  elle 
passe  sous  la  domination  des  Turcs. 
Peut-être  aussi  oette  étude  a-t-elle  déjà 
tenté  la  patience  de  quelque  érudit  alle- 
mand ;  mais  Je  n'ai  rien  pu  découvrir  à 
cet  égard.  . 

«  L'Ile  de  Soarpanto  est  à  présent,  dit 
Dapper  au  dix*septième  siècle ,  sous  la 
domination  du  grand  seigneur,  q^i  la 
fait  gouverner  par  un  cadi.  Il  n'y  fait 
pourtant  pas  son  séjour  ordinaire,  se 
contentant  d'y  venir  seulement  tous  les 
trois  mois  une  fois ,  pour  conuottre  les 
différends  qui  naissent  entre  les  insu- 
laires, exercer  sur  etix  la  justice,  et  pu- 
nir les  eoupables  suivant  que  les  affaires 
le  demandent.  Ensuite  il  s  en  retourne  h 
nie  de  Rhodes,  où  il  se  tient  ordinairo* 
ment,  sous  l'autorité  du  aangiac,  qui  en 
est  le  gouverneur.  Ce  sangiac  y  envoie 
tous  les  ans  un  nouveau  receveur  pour 
en  tirer  les  tribus  et  les  impôts  que  les 
insulaires  grecs  doivent  payer  à  la  Porte. 
On  y  envoie  aussi  un  gouverneur  de 
CoBstantinople;  mais  c'est  un  des  moin- 
dres officiers  de  l'empire,  qui  ne  laisse 
pourtant  pas  d'exercer  une  cruelle  ty« 
raiiule  sur  oes  insulaires.  Quand  il  arrive 
911e  les  galères  de  Malte  y  viennent 
aborder,  ces  insulaires  sont  en  de  gran- 
des inquiétudes  pour  défendre  et  cacher 
ktur  gouverneur,  étant  obligés  de  ré- 

•  (r)  Oeorg^.,  1.  IV,  v.  384.  Virgile  a  emprnfilé 
cet  épisode  de  SfS(réor  épiques  k  V  Odyssée,  I.V, 
▼.  349.  Maïs  Homère  place  le  séjour  de Prolée 
dans  rilc  de  Pliaros,  et  eu  fait  un  dieu  égyp- 
tien. L'Egypte  était  Jine  des  sources  d'o/i  la 
Grèce  avait.puiséaa  mythologie. 


pondre  de  sa  persOBnê  au  grand  sei- 
gneur, sous  peine  de  la  vie  ou  de  ki 
perte  de  leurs  biens  et  de  leur  liberté.  * 
Aujoud'hui  Scarpanto  est  encore  à  la 
Turquie;  mais  .elle  doit  avoir  changé  de 
régime  et  se  ressentir  des  am^oratioifr* 
décrétées  par  le  tanzimat. 

ÎLB  SB  CASOS. 

L*î1e  que  les  géograplies  anciens  a^i- 
pelaient  Casos  était  encore  nommée 
Casso  ou  Caxo  par  les  Grecs  et  les  It^ 
Uens.  Les  marins  français  lui  avaient 
donné  le  nom  d'île  du  uaz.  Casos  est 
située  entre  Carpathos  et  la  Crète,  à 
soixante-dix  stades  de  la  première  (près 
de  trois  lieues  )  et  à  deux  cent  vin^t  de 
la  seconde.  Ëllea  quatre-vingts  stades  de 
circuit.  Ces  mesures,  données  par  Stra- 
bon,  ont  été  trouvées  très-exactes  par  Sa- 
vary  (1).  Selon  Etienne  de  Byzance,  elle 
fut  ainsi  noniiuée  de  Casos,  père  de 
Ciéomaque;  et  il  ajoute  que  les  hahilaDts 
de  cette  petite  Ile  envoyèrent  une  colo- 
nie sur  le  mont  Casius  en  Syrie.  Cette 
Ile  est  située  dans  une  mer  remplie  d'é- 
cueils.  Ses  rivages  ne  présentent  que  ro- 
chers hérissés  de  pointes  menaçaotes. 
que  les  flots  mugissants  blanchissent  dr 
leur  écume.  Casos  parait  inabordable, 
et  en  effet  on  ne  pénètre  dans  le  petit 
bassin  qui  forme  son  port  que  par  un 
étroit  passage,  où  les  bnrques  en  temff 
de  houle  courent  risque  de  «e  briser 
contre  les  rocs  anguleux  de  cette  passe. 
Dans  l'antiquité ,  Casos  n'était  eonour 
que  par  son  miel.  Du  temps  de  Dapp«r 
ce  n'était  qu*un  rocher  nu ,  qui  senait 
de  retraite  à  des  pirates.  Quand  Savan* 
la  visita,  à  la  6n  du  dix -huitième  siècle. 
il  y  trouva  une  population  active,  iodui- 
trieuse ,  adonnée  à  Taisrioulture  et  sa 
commerce ,  vivant  dans  l'aisance  et  la 
simplicité  antiques.  Cliarmé  de  l'hospi- 
talité qu'il  y  reçut  et  des  divertissemeats 
qu'on  lui  procura,  le  voyageur  philosophe 
célèbre  les  vertus  patriarcales  des  Casio- 
tes  avp^cet  enthousiasme  exalté  et  systé- 
matique si  fort  à  la  modeau  siècle  dernier. 
qui  pour  la  forme  parodiait  1e  style  du 
Télémaque,  et  qui  pour  le  fond  reprodiù- 
sait  trop  fidèlement  les  sophismes  et  les 
paradoxes  de  Rousseau.  «  Heureux  peu- 
ple, medisois-je  !  l'ambition  et  l'intiigue 

(x)  Lettresiw  la  Grèce,  p,  xo6. 


LBS  SPC^ADES. 


IW 


ne  troublent  point  ta  tranquillité  1  la  soif 
de  l'or  a*a  point  corrompii  tes  moeurs! 
les  qoprelles,  les  dissensions,  les  crimes 
dODt  elle  remplit  la  terre ,  te  sont  in* 
connus.  On  ne  roit  point  dans  ton  Ne 
le  citoyen  enor^eilli  de  ses  titres  ou  de 
ses  richesses  fouler  atii  pieds  son  hum* 
bleoompatriote;  on  n'y  voit  point  nn  bas 
vaiet  encenser  les  vices  de  son  maître. 
L^homme  y  est  égal  à  Thomme;  le  Ca*- 
siote  ne  ro<igit  ni  ne  s'abaisse  devant  le 
Casiote,  etc. ,  ete«  »  Toute  la  lettre,  qui 
est  de  vingt  pages,  est  sur  ce  ton. 

Il  est  vrai  de  dire  qu'à  nette  époque  le 
petit  rocher  de  Casos  commençait  à  de* 
venir  une  des  lies  les  plus  coinmerçan* 
tes  de  r  Archipel.  Selon  Pouqueville,  elle 
arait  reçu  une  de  oes  colonies  albanaises 
ou  schypes  qui  faisaient  au  commence* 
met  de  ce  siècle  la  splendeur  de  la  marine 
çre»iue(l).  Casos  exploitait  alors  lecum- 
merce  des  côtes  de  Syrie  \  mais  la  guerre 
de  rindépendanee  est  venue  étouffer, 
pour  toujours  peut-être,  l'essor  de  cette 
prospérité. 

IlB  DB  COS. 

Descbiptiow  oéoobaphtqub.  — 
L'île  de  Cos  (^  K&ç  ou  K6a>ç),  la  plus  oon- 
sidérable  des  Sporades,  est  située  à  l'en- 
trée du  golfe  Céramique  (auj.  golfe  de 
Boudroun  ou  de  Stancno),  à  peu  de  dis- 
lance du  cap  Termerion  (auj.  Termera), 
qui  termine  au  sud  la  presau  tie  de  la  Ca- 
rie, où  se  trouvaient  Minaus  et  Halicar- 
nasse.  Cos  est  désignée  quelquefois  chez 
les  .mciens  par  le  nom  de  Méropis,  qu'elle 
re<;ut ,  selon  Hygin ,  de  Mérops  (3),  pre» 
mier  roi  de  ce  pays.  Coa,  sa  fille,  substi- 
tua son  nom  à  celui  de  son  père ,  et  Ttle 
fut  appelée  Cos.  Selon  Pline,  on  la  nom- 
mait aussi  Cea,  et  enfin  Nymphœa.  De 
tous  ces  noms,  celui  de  Cos  est  le  seul 
qui  ait  été  communément  employé  par 
les  anciens.  Au  moyen  âge  elle  est  ap- 
pelée ordinairement  Lan^o,  peut-être  à 
cause  de  sa  forme  allongée,  et  Stancho 

(i)  Voyage  de  la  Grèce^  t.  VI,  p.  3oa-3  to. 

(a)  Forbi«;er,  ffandhuch,  etc.,  t.  II,  p.  aSo. 
Vojez  «ur  Pîle  de  Cos  un  mémoire  de  Leake, 
dans  Tfie  Transactions  ofthe  royal  Society  of 
Uteraturtoftite  United  Kingdom^  2*  série,  1. 1, 
J845.  —  Zander,  Bettrage  zttr  Kundê  der 
ifftêtKott  Hamb.,  tSSi. — Kofter,  dé  Coin- 


00  fltanchiô,  ni6t  formé  par  les  marins  de 
ceux  par  lesquels  les  Grecs  disent  qu'ils 
vont  a  Cos  (  tic  t^v  Kâ  h  et  qui  pronon- 
eés  rapidement  font  Stinco.  C'est  par  une 
altération  du  même  genre  que  se  sont, 
formés  les  noms  de  Stalimèue,  de  Stam-' 
boul  etdeSétines(l). 

Pliue  place  File  de  Cos  à  quinse  milles 
d^Halicarnasse  (fi).  Il  lui  donne  cent 
milles  de  tour  ;  et  Strabon  cinq  cent  eiiH 
quante  stades,  ce  qui  fait  environ  trente 
lieues.  Cette  Ile  est  longue,  étroite,  pri»- 
eipalement  dans  sa  partie  occidentale, 
qui  se  recourbe  vers  le  sud ,  et  ^ui  est 
montagneuse.  Le  reste  de  I  île  ofire  des 
plaines  propres  à  la  culture.  Son  pie  ie 
plus  élevé  était  le  mont  Prion.  Les  an? 
eiens  lui  a  valent  reconnu  troÂscaps  :  le  cap 
âcandarionoii  Scandalion,au  nord;  le  cap 
Dreoanon,  à  Touest  ;  et  le  cap  Lacter,  au 
sud.  Le  terroir  de  Cos  <ist  fertile  ;  ses  vins 
étaient  célèbres  autrefois  et  sont  encore 
excellents.  Les  habitants  de  cette  île  mé- 
langeaient du  vin  avec  de  IVau  de  meir, 
et  en  faisaient  un  breuvage  fort  reclier» 
ebé)  appelé /eticoi'Ottm  (8).  La  principale 
industrie  de  ces  insulaires  consistait 
dans  la  fiibrication  de  ces  étoffes  de  soie, 
légères  et  transparentes,  dont  on  faisait 
les  vêtements  appelés  coœ  oetteê.  Jl  en 
est  fréquemment  fait  mention  dans  les 
poètes  latins.  Voici  ce  que  Pline  nous 
apprend  de  Tinseote  qui  produisait  la 
soie  de  Cos  :  «  Ou  dit  qu'il  naît  aussi  des 
bombyk  dans  l'Ile  de  Cos,  les  exhalaisons 
de  la  terre  donnant  la  vie  aux  fleurs  que 
les  pluies  ont  fait  tomber  du  eyprès,  do 
térébinthinier,  du  frêne,du  chêae.  Ce  sont 
d*abord  de  petits  papillons  nus;  bientôt, 
ne  pouvant  supporter  le  froid,  ils  se  cou- 
vrent de  poils,  et  se  font  contre  l'hiver 
d'épaisses  tuniques,  en  arrachant  avec 
les  aspérités  de  leurs  pieds  le  duvet  des 
feuilles.  Ils  forment  un  tas  de  ce  duvet, 
le  cardent  avec  leurs  ongles,  le  traînent 
entre  les  branches,  le  rendent  fin  comme 
avec  un  peigne ,  puis  le  roulent  autour 
d>ux,  et  s'en  forment  un  nid  qui  les  en- 
veloppe. C*est  dans  cet  état  qu'on  les 
prend;  on  les  met  dans  des  vases  de  terre, 
unies  y  tient  chauds,  les  nourrissantavec 

(i)  Choiieul-Gottflier,  Voyetge  pittoresque, 
1. 1,  p.  171. 

(«)  PKti.,  Bitt,  Nat.,  T,  36. 
(3)  Id.,  XIV,  8 ,  10. 


MO 


L*UNIVERS< 


da  8on  ;  alors  il  lear  natt  des  plames  d^ine 
espèce  particulière;  et  quand  ils  en  sont 
revêtus,  on  les  renvoie  travailler  à  une 
nouvelle tâelie.  Leurs  coques,  jetées  dans 
l'eau,  s'amollissent r  puis  on  les  dévide 
sur  un  fuseau  de  jonc  (1).  »  On  recher* 
cbait  encore  la  poterie  de  Gos,  et  surtout 
ses  belles  amphores,  ainsi  que  ses  par- 
fums et  onguents  de  coing  et  de  marjo- 
laine (3). 

La  capitale  de  Ttie  de  Gos  portait  le 
même  nom  et  était  située  au  nord,  près  du 
cap  Scandarion.  D'abord  les  insulaires 
avaient  habité  une  autre  ville,  située  dans 
un  canton  que  Thucydide  nomme  la  Mè- 
ropide.  Us  abandonnèrent  cette  cité  à  la 
âuite  d*un  terrible  tremblement  déterre, 
et  fondèrent  la  nouvelle  Cos ,  Tan  366 
avant  Tère  chrétienne.  Le  nom  d'Astv- 
palée  resta  à  Tancienne  Yilie,  ^ui  tomba 
bientôt  en  ruines  (8).  Cos  était  une  cité 
bien  bâtie,  et  très-agréable  à  voir  quand 
on  y  arrivait  par  mer.  Il  y  avait  encore 
dans  file  la  ville  d'flalisarne,  près  du 
cap  Lacter,  et  le  bourg  de  Stomalimné, 
près  du  promontoire  Drecanon ,  à  deux 
cents  stades  de  la  capitale. 

La  ville  moderne  occupe  le  même 
emplacement  que  Tancienne.  Dapper  en 
parle  comme  Strabon.  «  Elle  est  fort 
joliment  bâtie  et  assez  bien  peuplée ,  » 
dit-il  (4).  Mais,  malgré  cet  éloge,  la  sim- 
plicité agréable  de  la  ville  de  Stancbio 
n*a  rien  de  comparable  à  la  beauté  de 
Tancienne  Gos,  dont  la  splendeur  est 
attestée  par  les  débris  de  ses  antiques 
édifices  au  milieu  desquels  s'élèvent  les 
bâtiments  modernes.  Le  port,  autrefois 
grand  et  tommode,  est  maintenant  ensa- 
blé, etlesgramls  navires  restent  en  rade. 
On  voit  (Taprès  les  récits  des  derniers 
voyageurs  que  File  de  Gos  a  moins  souf- 
fert que  beaucoup  d'autres  terres  de 
TArcbipel  (5).  «  La  ville  de  Cos  est  sur  le 
rivage,  dit  Choiseul-Gouffier  ;  son  port 
est  commode ,  et  toute  la  côte  est  cou- 
verte d'orangers  et  de  citronniers ,  qui 

(i)  PUn.,  Hist,  Nat.,  XI,  47. 
(a)  Id.,  XXXV,  46;  XIH,  t ,  a. 

(3)  Siinb.,  XIV.  p.  673;  Tauch.,  t,  IH, 
p.  aoa  ;  Tbuc.  VIII,  41. 

(4)  Deser,  de  tArchipel^  p.  176. 

(5)  Chois<rul-Gounier,  1. 1^  p.  170;  Mi- 
diaud  et  Poujoulat,  III,  p.  461  ;  Pro^esch, 
Denkwuryifrft,  in,  p.  43»^ 


forment  Faspeet  le  plus  sédaisaitt.  Mais 
rien  n'est  aussi  agréable  que  la  place  pu- 
blique. Un  platane  prodigieux  en  occupe 
le  centre,  et  ses  branches  étendues  la  cou 
vrent  tout  entière  ;  affaissées  sous  leur 
propre  poids,  elles  pourraient  se  briser, 
sans  les  soins  des  habitants,  qui  lui  ren- 
dent une  espèce  de  culte  ;  mais  comme 
tout  doit  offrir  dans  ces  contrées  ée% 
traces  de  leur  ancienne  grandeur,  œ  sont 
des  colonnes  superbes  de  marbre  et  de 
granit  qui  sont  employées  à  soutenir  la 
f  leillesse  de  cet  arbre  respecté.  Une  foD> 
taine  abondante  ajoute  au  charme  de  ces 
lieux ,  toujours  fréquentés  par  les  habi- 
tants, qui  viennent  y  traiter  leurs  affaires 
et  y  chercher  un  asile  contre  la  ehaleur 
du  climat.  »  il  est  déjà  fait  noention  de 
ce  beau  platane  dans  les  voyagieurs  et 
géographes  du  quinzième  et  du  seiaènie 
siècle.  Une  de  ses  principales  branches 
s'est  brisée  dans  ces  dernières  années. 
<(  Les  branches  qui  lui  restent,  dit  M.  Mi- 
chaud ,  affaissées  sous  le  poids  des  ans, 
s'étendent  horizontalement  à  une  grande 
distance,  SOI  1  tenues  par  des  colonnes  dont 
le  marbre  a  pénétré  dans  Técoroe,  et  qui 
semblent  faire  partie  de  l'arbre  qu'elles 
supportent.  Le  platane  de  Cos  ou  de 
Stanchio  est  révéré  des  Grecs  et  des 
Turcs,  qui  le  mettent  au-dessus  de  toutes 
lesantiquitésdu  pays,  et  qui  ne  manquent 
pas  de  répéter  aux  voyageurs  qu*Hippo* 
crate  donnait  des  consultations  sous  son 
ombrage.  » 

Au  moyen  âge ,  Lango  était  défendue 
par  une  citadelle,  qui  fut  élevée  par  Tordre 
de  Saint- Jean  de  Jérusalem.  On  voit  en- 
core sur  la  noi'te  de  cette  forteresse  les 
armes  des  liospitaiiers,  ainsi  que  sur 
plusiwrs  maisons  voisines.  Dans  le  mur 
extérieur  du  château  est  encastré  un  ma- 
gnifique bas-relief  antique,  qui  semble 
représenter  les  noces  de  Neptune  ou  de 
Bacchus.  Les  Grecs  de  Cos  sont  persua- 
dés  que  dans  l'intérieur  de  la  citadelle 
on  conserve  un  buste  d'Hippocrate ,  et 
qu'on  y  trouve  une  petite  chambre  qui 
tut  habitée  par  le  père  de  la  médecine. 

A  Cos  le  souvenir  d'Hippocrate  est  en- 
core  vivant  partout.  Il  y  aà  trois  milles  de 
Stanchio,  sur  une  montagne  assez âevée, 
une  fontaine  dont  la  construction  re- 
monte à  la  plus  haute  antiquité.  Cet  édi- 
fice  est  encore  appelé  la  Fontaine  dHip- 
pocrate.  Le  lieu  d'où  jaillit  la  soucoe  est 


LES  SPQRADES. 


201 


reeoarert  (Tmie  rotonde  assps  éle?  ée  qui 
a  une  ouverture  par  le  haul;  Teau  coule 
ensuite  par  un  lit  de  pio're  creusé  dans 
une  galerie  fermée  des  deux  côtés  par 
des  murs  eydopéens.  Cette  galerie  est 
recouverte  par  une  voûte  angulaire  de 
pimes  également  cyclopéennes.  Tout 
atteste  une  construction  des  premiers 
âges,  eoutemporaine  de  la  galène  de  Ti- 
ryate  ou  des  remparts  de  Myeènes.  On 
retrouve  encore  sur  les  hauteurs  de  la 
partie  méridionale  de  Ttle  les  débris  des 
châteaux  forts  que  les  ebevaliers  de  Rho- 
des y  avaient  fait  élever.  Ces  forteresses 
dominaient  et  défendaient  les  Titlages  de 
Pili,  d'Antiphili  et  de  Kephalo.  Cette 
partie  de  Ttle  est  peu  connue ,  et  onli- 
nairement  négligée  par  les  voyageurs,  qui 
se  contentent  d'admirer  en  passant  le 
site  de  la  capitale,  son  paysage,  et  le 
magnifique  aspect  qu*offre  le  voisinage 
des  cétesd*  Asie. 

HlSTOIfiB    DE    lIIiB   DB  COS   DANS 

L'ifiTiQuiTB.  — Cos  reçut  ses  premiers 
hatHtants  des  mêmes  émigrations  qui 
peuplèrent  Rhodes  et  toutes  les  tles  de 
ces  parages.  Mérops ,  Tun  des  fils  de  Trio- 
pas,  s'établit  le  premier  dans  cette  île,  qui 
prit  d*abord  le  nom  de  ce  chef.  Ses  oompa« 
gnons,  probablement  Pélasges  d'origine, 
s'appelèrent  aussi  les  Méropes  (1).  Qt^el- 
tjue  temps  après  le  déluge  de  Deucalion, 
des  Éoliens  cle  Lesbos  quittèrent  cette  Ile, 
où  régnait  Macarée,  et  vinrent  s'établir 
à  Cos,  sous  ta  conduite  de  Méandre,  qui 
devint  rm  du  pays(3).  On  raeontequ'Her- 
cole  vint  à  Rnodes,  qu'il  y  tua  Eurypvle, 
tyran  odieux  par  ses  cruautés  et  ses  bri- 
gandages. Dès  lors  la  race  d*Hereule  ré* 
goa  à  Ces  et  dans  les  tles  voisines.  «  Ceux 
qui  habitaient,  dit  Homère,  les  îles  de  Ni- 
syre,  de  Carpathus,  de  Casus,  de  Cos,  où 
^it  régné  Eurypylus,  et  les  tles  Ca- 
lidnes  étaient  sous  la-  conduite  de  Pbei- 
dippus  et  d'Antiphus ,  fils  de  Thessalus 
et  petit-fils  d*Hereule  ;  ils  avaient  trente 
vaisseaux.  «  Ainsi  les  Uéraclides  domi- 
naient à  Cos  au  temps  de  la  guerre  de 
Troie.  Après Textinction  des  Heraclides, 
^nreot  les  Aselépiades,  ou  fils  d'Escu- 
lape,  Maeliaon  et  Podalire,  mil  après  la 
prise  de  Troie  se  fixèrent  dans  1  tie  de 

(0  Raoul  Roeliette»  Cofonies  Grtct/,,  I, 
p.  337. 

W  Diod.  Sioil.,  V,  81. 


Cos.  L'insalubrité  de  cette  lie  écartait 
de  ses  rivages  les  navigateurs  grecs  et 
étrangers;  ils  la  choisirent  pour  l'objet 
partieulier  de  leurs  soins,  et  y  renou- 
velèrent en  peu  temps  la  population, 
{>resque  éteinte  (1).  Depuis  ce  temps 
'art  de  la  médecine  fut  en  grand  hon- 
neur à  Cos;  Eseulape  en  fut  la  divi- 
nité principale.  On  lui  éleva  un  temple 
magnifique  dans  le  fiiubourg  de  Cos. 
Ce  temple  était  rempli  des  offrandes 
de  ceux  que  la  puissance  d' Eseulape 
avait  guéns  de  leurs  maux  ;  les  prêtres 
d'Esculape  tenaient  registre  de  tous  les 
remèdes  reconnus  par  l'expérience  (3). 
Ce  fut  à  cette  éoole  de  médecine  que 
se  forma  Uippocrate.  Les  derniers  co- 
lons qui  s'établirent  à  Cos  furent  des 
Doneus  venus  à  la  suite  d'Altbemène  (S). 
Dès  lors  cette  fie  fit  partie  de  l'Hexa» 
pôle  dorique,  qui  avait  ses  réunions 
politiques  et  ses  fîtes  commîmes  dans 
le  temple  d'Apollon  Triopien.  ' 

L'histoire  de  Cos  pendant  l'anti- 
quité se  confond  continuellement  avec 
celle  de  Rhodes  :  nous  en  a^ons  in- 
diaué  les  principaux  traits  dans  l'ar* 
ticle  consacré  à  cette  dernière  (4).  Pen- 
dant longtemps  Cos  fut  une  cité  d^une 
importance  secondaire.  Mais  la  troi- 
sième année  de  la  108*  olympiade 
.  (  l'an  866  av.  J.C.  )  «  les  habitants 
de  Cos  se  transportèrent  dans  la  ville 

Sulls  occupent  encore  aujourd'hui,  dit 
Modore  (6),  et  Tembellirent  beaucoup. 
Cette  ville  se  remplit  d  im  grand  nombre 
d'habitants,  fut  entourée  de  fortes  mu- 
railles; elle  avait  un  port  magnifique. 
Depuis  cette  époque  les  revenus  et  les  ri- 
chesses de  ses  habitants  sont  toujours 
allés  en  augmentant;  enfin  elle  put  riva- 
liser avec  les  premières  villes  ».  Cos  était 
donc  en  pleine  prospérité  quand  elle 
s'unit  à  Byzanee,  à  Rhodes  et  à  Chio 
pour  s'affranchir  du  joug  d'Athènes.  Peu 
de  temps'  après,  elle  reconnut  avec 
empressement  la  domination  d'Alexan- 
dre le  Grand,  et  pendant  les  troubles 

Îi)  Raoul  Rocbetle,  II,  p.  40 1. ' 
a)  .Htrab.«  XIT;  Tauch.,  III,  p.  aoi. 

(3)  Voy.  plus  haut,  p.  xo6;  Sirab.,  p.  663; 
Her.,  I«  144 1  Raoul  Rochette,  III,  71. 

(4)  Voyez  plus  haut,  p.  xoS ,  109,  110, 
lia,  i3o,  x37, 

(5)  Diod.  Sicul.,  XY,  76. 


302 


LumyfiRS. 


qni  loivirsDt  sa  inort^  elto  €iHrft  d'abord 
daas  le  parti  d'Aotigone.  Mais  Ptoléméet 
nareu  d'Antigone,  ayant  trahi  soo  oeelei 
livra  nie  de  Coa  à  Ptolémée,  roi  d'É- 
^ptc,  qui  sut  habilement  attacher  eea 
isaulaires  à  aea  intéréta  par  lea  avaa- 
tages  eDininerciaHX  qu'il  leur  procura. 
Pendant  son  eipéditlon  de  Tan  SOO  dana 
la  Grèce  et  la  mer  Egée,  Ptolémée  La^ua 

/  lit  de  rile  de  Coa  le  oeolre  de  aea  opéra* 
tiens  (1).  C'est  à  cette  époque  et  dans 
oette  Ile  que  naquit  son  fila  Ptolénoée 
Phtladelphe  »  car  Bérénice  avait  aceoni- 
pagné  son  époux  dana  cette  oampagne* 

/  Jusqu'à  la  nn,  Coa  fut  toujours  unie 
par  dea  liena  d'amitié  très-étroita  à  la 
dynastie  des  Ijagides. 

Plus  tard^  lorsque  l'Egypte  fut  abais- 
sée, lea  habitante  de  Cos  recherchèrent, 
comme  les  Rhodiens,  la  protection 
du  sénat  contre  les  rois  de  Macédoine 
et  de  8yrie^  et,  comme  Rhodes,  cette  île 
rendit  de  lrèa*granda  services  aux  Ro* 
mains  dana  leurs  fuerrea  maritimes  (2). 
Gomme  Rhodea  auasi ,  elle  Ait  grande- 
ment maltraitée  par  lea  meurtrfera  de 
Otear,  qui  n'avaient  nu  déterminer  ces 
insulaires  à  se  joinore  à  eux.  Turu» 
liu^,  l'un  d'eux,  abattit  le  bois  oonsnaté 
à  IKsculape,  et  en  it  des  navires.  Sous 
l'empire,  Con  devint  tributaire,  maie 
elle  conserva  ses  droits  de  dlé.  L'em- 
pereur Glande  {Mropoaa  au  sénat  d'af* 
ntinchir  de  tout  tribut  lea  inaulaires 
de  C^.  Claude  alléguait  Tantiquilé  de 
cette  ville,  dont  il  &aait  remonter  l'o- 
r^fne  à  Céua,  père  de  Latone,  la 
grande  célébrité  de  son  dieu  Esculape, 
les  services  qu'elle  avait  rendus  en 
produisant  tant  d'illustres  médecina.  Le 
sien,  appelé  Xénopbon,  était  un  Asdé- 

Ï^iade;  et  c'était  à  aa  demande  que 
'empereur  faisait  au  sénat  cetle  sin- 
gulier propoeiUon.  «  il  n'est  pas  doo* 
teux,  ajoute  Tacite  (S),  que  ces  in» 
aulaires  n'evssent  rendu  beaucoup  de 
services  aux  Romains,  et  l'on  po«- 
vait  citer  des  victoires  auxquelles  ils 
avaient  contribué;  mais  Claude,  avec 
son  irréflexion  ordinaire,  accordant 
une  grâce  purement  personnelle,  né- 

(x)-Diod.  Sicul.,  Xï-,  ^7;  App.,  A/iMr., 

(a)  Tit.  Liv.,  XXXVII,  i6,  0». 
(3)Tac.,/^ii/i.,Xn,fir. 


gligeait  de  la  justifier  par  dss  codé- 
dérations  d'utiiité  publique.  »  Sous  Yn- 
pasien,  Cos  perdit,  les  derniers  restas 
de  sa  liberté ,  et  fit  partie  de  la  pro- 
vince des  îles,  dont  Rhodes  devint  U 
capitale.  Sous  Antunin,  un  tremble^ 
ment  de  terre  ayant  bouleversé  les  eéiti 
de  la  Carie,  de  la  Lycie  et  les  îles  voi- 
sines» fempereur  répara  tout  le  dé- 
sastre, et  fit  reconstruire  à  ses  frab 
les  villes  de  Cos  et  de  Rliodes  (i'. 
A  partir  de  cette  époque  Cos  dit^paraiL 
perdue  dana  l'immensité  de  Tempin: 
romain*  ^ 

Hommes  iLi^usTnia  db  l'Ilb  de 
Cos.—  Si  V\i%  de  Cos  n'a  qu'une  plaor 
médiocre  dans  Tbistoire  politique  df 
la  Grèce,  elle  eat  a  jamais  illustrrr 

Ear  la  gloire  immortelle  des  grands 
ommes  qu'elle  a  produits*  Cos  est  U 
patrie  du  plus  grand  médecin  et  du 
plus  grand  peintre  de  l'antiquité,  d'Hip- 
pocrate  et  d'Apelle.  indépendamnieot 
de  cea  deux  grands  génies,  qui  sul* 
fiaent  à  sa  gloire,  elle  donna  aussi  naii- 
•ance  à  quelques  hommes  célèbres,  qui 
eurent  une  grande  réputation  de  lâir 
temps,  mais  dont  les  noms  ne  MSt 
plus  évoqués  aujourd'hui  que  par  b 
curiosité  des  érudita.  «  On  compte  pamu 
les  hommes  illustres  de  Coa,  dit  Htnr 
bon,  outre  Hippoorate,  Sîmus,  auirf 
médecin;  Pliilétaa,  poète  etgraromai- 
ffien,  qui  fut  le  préee|ilcur  de  Fte- 
lémée  Philaddphe;  Nicias,  chef  àt 
nartl  «  qui  devint  tyran  de  Cos,  et  doti 
le  nom  se  retrouve  sur  une  méilailli' 
de  l'Ile;  Ariston  le  Philosophe,  discipî^ 
et  liéritier  du  péripatéticien  de  ce  nom.  • 
Cette  ville  a  vu  naître  aussi  Tlieot»- 
ne:»te,  célèbre  eitbarède,  qui  a  pteda 
parti  opposé  aux  entreprises  de  ^J€ias. 
Il  suimt  d'énuroérer  ces  persona^ti 
plus  ou  moins  illustres;  mais  dos- 
nons  plus  d'attention  aux  deux  graa6 
hommes  de  Cos,  Hippeerate  et  Apelie. 
HippocnATK;  Écotn  de  mébeci}!! 
»B  Cos.-*  La  vie  d  Uippocralecsl  presque 
inconnue;  les  récits  qu'on  en  fait  seet 
surchargés  d'inventions  et  d'embellis- 
•ements  invraisembiiibles,  qui  la  to 
nesserabler  à  une  légende.  Ce  n'est  quf 
deux  cents  ans  après  la  mort  dllip- 
pocrate  que   les  énulits   alexandrin^ 

(t)  Pausan.,  yUI,4S. 


L£8&BraRAD£S. 


^00 


eMMBtMènftt  &m  rtehtrdies  sur  la 
lNographi«  de  rhomme  illiutre  dont  )a 
sJoirp.  grandinait  tous  ks  jours,  et  doot 
Ici  écrits  étaient  def  enus  comme  le  oode 
de  la  médedoe  (1).  Mais,  oomme  la  via 
d«  ce  médeein  n'avait  été  recueillie  ni 
fit  les  eontemporains,  ni  par  ceux 
qui  Tout  suivi  immédiatement  «  ceux 
qai  plus  tard  ont  voulu  l'écrire  n'ont 
trouvé  aucun  récit  digne  de  foi  pour 
les  détails  personnels  à  Hippocrate; 
i)iD*0Dt  pu  que  recueillir  quelques  do* 
cumeots  positift,  qui  fixaient  sa  patrie , 
^on  âge,  le  lieu  ou  il  avait  exercé  son  art 
et  sa  célébrité.  Tout  le  reste  avait  péri. 
Hippocrate  naquit  la  première  an* 
oée  de  la  quatre- vingtième  olympiade, 
en  4eo  (S),  dans  la  ville  de  Gos ,  où 
son  père,  liéradide,  exerçait  aussi  la 
;>rofpssion  de  médedu.  Une  généalogie 
'iHitrouvée  le  rattachait  à  Podalire  et 
1  Esculape,  dont  il  aurait  été  le  dix* 
septième  desocndant.  Cependant  c'est 
iree  raison  que  Platon,  dans  le  Pro* 
/a^otoj,  donne  à  flippocrate  le  titre 
d'Asclépiade  ;  car  les  Asdépiades  n*é- 
taieal  pss  nne  famille,  nais  oes  corport* 
tioM  lacerdetales,  qui  dès  les  temps  les 
plus  aoeiena  avaient  en  le  privilège  ex* 
eluitf  de  la  pratique  de  la  médedne,  et 
')«i  eommenfaient  au  dnquièoie  dède  k 
il  partager  avec  d'autres  concurrents* 
On  eorporatiaas  de  prétres-médedns 
liibitaient  autour  des  temples  d'Asclé* 
piiM  ou  Esculape,  dieu  de  la  médé* 
ciae,  st  dans  ces  édifices,  anpeléa  ase^* 
omt  {àmùofKaXw)^  tout  était  disposé 
^  la  fois  pour  le  culte  et  la  pratique 
<le  Tart,  pour  le  service  du  dieup  et 
vltti  des  malades,  il  s'était  fondé  en 
Grèce,  à  l'origine  de  la  société  bdié* 
nique,  na  grand  nombre  de  ces  as- 
•iepioBs,  dont  les  phis  considérables 
WiBiflsaient  le  triple  caractère  de 
ttmple,  d'hApital  et  d'école  de  méde* 
oine.  Les  plus  renommés  de  ces  Asdé* 
fHoas  étaient,  au  temps  qui  précède 
Hippocrate,  eenx  de  Cyrene,  de  Rhodes, 
di  Caide  et  de  Gos.  Les  malades  qui 
^reaaîent  se  faire  traiter  dans  les  temples 
•avaient  l'habitude  d>  laisser  un  té- 
•aolgnage  de  leur  reconnaissance  envers 

(c)  M.  LitU^*  OMwPws  compiàies  d'Hip- 
pocrate.  Introduction ,  1 1,  p.  3a. 
(>)  A.  PierroOy  LUtérattare  Grwque,  p.  a  i  a. 


le  dieu  et  une  infteation  de  la  RMittAie 
dont  ils  avaient  été  guéris.  «  Le  temple 
d'Épidaure,  dit  Strabon,  est  toujoun 
plein  de  malades  et  de  tableaux  qui  j 
sont  suspendus,  et  dans  lesquels  le  trai- 
tement est  consigné.  Il  en  est  de  même 
à  Gos  et  à  Tricca  (1)».  Les  prêtres 
recueillaient  ces  notes ,  et  en  faisaient 
sans  doute  une  des  sources  de  rensei- 
gnement médical  qu'ils  donnaient  à 
leurs  élèves.  Le  livre  intitulé  Préno* 
Umu  Coaquês^  qui  se  trouve  dans  les 
œuvres  d'Hippocrâte,  n'est  sans  doute 
qu'un  recueil  de  notes  de  ce  genre. 
Telle  était  l'école  oà  Hippocrate  oom* 
mença  son  noviciat  médical  et  acquit  ce 
titre  d'Aselépiade,  par  lequel  il  est  dé- 
ti^ûé  è  plusieurs  reprises  dana  Platon, 
son  contemporain.  C'était  comme  le  di- 
plôme de  docteur  de  ces  temps-là  :  et  ce 
titre  ne  forçait  pas  le  médecin  qui  le  poi^ 
tait  à  s'enfermer  dans  le  temple  ou  il 
l'avait  n^f  puisque  Hippocrate,  qui  fai- 
sait partie  du  sacerdoce  médical  aeCos, 
qui  appartenait  à  une  ftimllle  illustre, 
que  l'on  disait  descendue  d'Esculape, 
parcourut  comme  médedn  pérMeufe, 
ou  ambulant,  différentes  parties  de  la 
Grèce ,  et  y  exerça  la  médecine.  Nul 
doute  qu*Hippoerate  n'ait  beaucoup 
voyasé.  Dans  les  écrits  de  la  collec- 
tion nippocratique.  Il  est  très-souvent 
question  de  l'tle  de  Thasos.  On  y  trouve 
aussi  nommées  Abdère  et  Périnthe-  en 
Tbrace,  Olynthe  dans  la  Chalcidique, 
Lansae,  Cranon  et  Phère  en  Thessalie, 
les  tles  de  Délos,  de  Gos  et  d'Andros. 
Hippocrate  parie  des  Palos-Méotldes, 
du  Phase,  des  contrées  du  Pont, 
des  Scythes  nomades,  comme  ayant  vu 
ces  peuples  et  parcouru  ces  contrées. 
Il  est  évident  qu'il  avait  aussi  visité  la 
I<ybîe  et  l'Egypte.  De  tout  terttps  il  a 
été  utile  de  voyager  pour  apprendre 
à  connaître  la  nature  et  les  hommes; 
mais  dans  l'antiquité,  oè  les  commoni- 

(i)  Strab.»  L  TIU.  On  a  trouvé  dans  le 
temple  d'EjcuUpe  k  Rome  une  iuecription 
grecque,  dont  void  le  aeos  :  «  Julieo  éiaat 
travaillé  d'un  flux  de  aang  nar  le  haut  et 
abandonné  des  hommes,  le  dieu  vint  à  sou 
«ecours  ;  de  sorte  que  l'ayant  nourri  de  miel 
pendant  trois  jours  il  le  remit  en  sa  première 
aanté.  Il  lui  en  i*end  grAoes  devant  le  peu- 
ple. » 


S04 


LTJiaV£R8. 


cations  entre  les  savants  étaient  nulles, 
où  les  peuples  ne  se  connaissaient  pas 
les  uns  les  autres,  c*était  une  néces- 
sité de  sortir  de  chez  soi  pour  échap- 
per à  rignoranoe  que  produit  l'isole- 
ment. De  nos  jours  c^est  la  science  qui 
voysse  ;  autrefois  il  fallait  que  Thomme 
courut  après  elle;  c'est  ce  que  Grent 
le  grand  rapporteur  de  la  médecine 
antique  et  le  père  de  riiistoire,  Uippo- 
crate  et  Hérodote. 

Après  ses  voyages,  Hippoerate  revint 
à  Cos,  dans  sa  viei  liesse  ;  et  par  ses  travaux 
et  ses  écrits  il  éleva  TécoLe  de  sa  patrie 
au-dessus  de  toutes  ses  rivales.  11  ne 
faut  pas  croire  ou'à  cette  époque  la 
science  médicale  fut  à  créer,  et  qu'ilip- 
pocrate  ait  été  à  proprement  parier  le 
père  de  la  médecine.  «  Jadis  il  existait, 
dit  Galien  (1),  entre  les  écoles  de  Cos 
et  de  Cnide  une  lutte  à  qui  rempor- 
terait par  le  nombre  des  découvertes  ; 
car  les  Asdépiades  d'Asie  étaient  di- 
visés en  deux  branches  après  Texiino- 
tion  de  la  branche  de  Rhodes.  A  cette 
lutte  honorable  prenaient  part  aussi 
les  médecins  deTltalie,  Philistion,  Ëm- 
pédocle,  Pausanias  et  leurs  disciples; 
de  telle  sorte  que  trois  écoles  admi- 
rables se  disputaient  la  prééminence 
dans  la  médecme.  Celle  de  Cos  se  trouva 
avoir  les  disciples  les  plus  nombreux 
et  les  meilleurs;  celle  de  Cnide  la  sui- 
vit de  près,  et  Técole  d'Italie  ne  fut 
pas  non  plus  sans  gloire.  »  Ainsi,  le 
mouvement  scientiflque  était  déjà  très- 
actif  et  très-fêcond  quand  parut  Hip- 
poerate; mais  l'expérience  qu'il  avait  ao- 
3uise  dans  ses  voyages»  la  comparaison 
es  différentes  méthodes  et  doctrines 
qu'il  avait  étudiées ,  lui  donnèrent  des 
vues  d'ensemble  et  une  étendue  de  con- 
naissances qui  manquaient  aux  autres 
médecins  de  son  temps,  asdépiades, 
philosophes  et  gymnastes,  enfermés 
dans  les  traditions  incomplètes  d'un 
enseignement  local  et  particulier.  Hip- 
poerate ne  oréa  pas  la  médedne,  mais 
il  étendit,  compléta  et  féconda  ce  qui 
existait  avant  lui.  «  Son  mérite  dans 
la  sdence,  dit  M.  Littré,  à  qui  j'em- 
prunte tous  ces  développements,  la  rai- 
son du  haut  rang  qu^il  y  occupe,  la  cause 
de  la  puissance  qu'il  y  a  exercée,  tout 

(r)  Gai.,  t.  lY,  p.  35,  éd.  Basil. 


cela  est  dans  la  féroe  des  aiideaiies 
doctrines  qu'il  embrassa,  dévelo»|»a, 
soutint  avec  talent,  employa  avec  bon- 
heur et  transmit  pleines  de  vie,  de  force 
et  de  profondeur  à  la  postérité  (f  ).  » 

Les  biographes  alexandrins  qui  ont 
travaillé  si  tard  sur  la  vie  du  médecin 
de  Cos  ont  recueilli  ou  inventé  des 
histoires  invraisemblables,  qui  ont  fait 
fortune,  mais  dont  aucune  ne  peut 
tenir  devant  l'examen  d'une  saine  cri- 
tique :  telles  sont  les  récits  sur  le  rôle 
d 'Hippoerate  dans  la  peste  d'Atliènes, 
sur  l'invitation  d'Artaxerce,  sur  le  re- 
fus du  médecin  de  Cos ,  sur  son  entre- 
vue avec  Démocrite,  sur  la  guerre  faite 
à  rile  de  Cos  par  les  Athéniens.  Tous 
ces  faits  n'ont  d'autres  garants  que  les 
lettres  et  discours  qui  forment  un  ap- 
pendice de  la  collection  hippocratique. 
Mais  il  est  suffisamment  démontré  au- 
jourd'hui que  toutes  ces  pièces  ont  été 
rabriquées  par  des  faussaires  et  qu'elles 
sont  entièrement  controuvées  (2). 

La  fin  de  la  vie  d'tiippocrale  est 
aussi  peu  connue  que  le  reste.  On  sait 
qu'il  parvint  jusqu'à  un  âge  très-avancé, 
jusqu'à  quatre-vingt-doq  ans  selon  le^ 
uns,  jusqu'à  quatre-vingt-dix  selon  le» 
autres;  sdon  d'autres  encore,  jusqu*a 
cent  quatre  ou  même  cent  neuf  ans. 
Son  biographe  anonyme  dit  qu'il  mou- 
rut non  point  dans  sa  ville  natiile. 
mais  près  de  Larissa,  dans  la  Thessalie. 
Au  reste,  les  notions  et  les  doutes  de 
la  critique  ne  font  que  dégagor  du  sein 
de  l'erreur  et  des  fables  les  seules  vraies 
notions  qui  se  rattachent  à  rbistoire 
d'Hippocrate.  Elles  dissipent  des  illu- 
sions, sans  rien  diminuer  de  la  grandeur 
et  du  prestige  de  son  nom ,  et  elles  ne 
servent  qu'à  faire  ressortir  davantage  \es 
seuls  faits  qui  permettent  d'apprécier  le 
rôle  qu'il  a  joué  et  la  place  qu*il  a  oc- 
cupée dans  la  sdence.  Le  personnage 
&ntastique  de  la  légende  a  disparu; 
mais,  ce  qui  vaut  mieux,  il  reste  un 
grand  homme ,  qui  a  fait  de  grandes 
cjioses.  On  doit  donc  se  tenir  pour  sa- 
tisfait, puisque  l'on  peut  donner  oonime 
certaines  les  conclusions  suivantes,  qui 
sont  celles  du  savant  et  habile  tradoc- 

(x)  Œuvres  tT Hippoerate,  I/ttroifuctioff, 
I.  I,  p.  94. 

(ft)  M.  LiUré,  ItOrod.y  1. 1,  p.  4«^ 


LES  SPORADES. 


10» 


teur  des  œuvres  hippocratiques  :  «  Pra- 
ticien, professeur,  écrivain,  Hippocrate 
a  joui  de  Testime  de  ses  eontempo- 
rains;  desœndu  d*une  fiimille  oui  tai- 
sait remonter  son  origine  jusqu  à  l'âge 
liéroïque ,  U  lui  a  donné  plus  de  gloire 
qu'il  n'en  avait  reçu;  attaché  a  une 
corporation  qui  desservait  un  temple 
d*£sculape»  il  a  fait  prévaloir  Técôle 
de  Cos  sur  toutes  les  écoles  médicales 
gai  Font  immédiatement  suivie  ;  et  de 
hooDe  heure  ses  écrits  étaient  médités 
n  cités  par  Platon  (1).  » 

C'est  dans  la  lecture  de  ses  écrits 
qoe  l'on  peut,  du  reste,  achever  de  con- 
naître  Hippocrate;  sa  haute  intelliffenoe, 
SOD  noble  caractère  s'y  révèlent  à  chaque 

Jage.  La  plus  belle  de  toutes  est  celle 
u  serment,  où  il  trace,  en  s'engageant 
à  les  remplir,  tous  les  devoirs  d*un  mé- 
decin véritablement  honnête  homme 
et  religieux  :  «  Je  jure  par  Apollon 
médecin,  par  Esculape,  par  Hygie  et 
Panacée  ;  je  prends  à  témoin  tous  les 
dieux  et  toutes  les  déesses  d'accomplir 
fidèlement,  autant  qu'il  dépendra  de  mon 
pouvoir  et  de -mon  intelligence,  ce  ser- 
ment et  œt  engagement  écrit  :  de  re- 
garder comme  mon  père  celui  qui  m'a 
easeigné  cet  art;  de  veiller  à  sa  sub- 
astance;  de  pourvoir  libéralement  à 
^  besoins  ;  de  considérer  ses  enfants 
comme  mes  propres  frères;  de  leur 
apprendre  cet  art  sans  salaire  et  sans 
aucune  stipulation,  s'ils  veulent  l'é- 
tudier.... Je  conserverai  ma  vie  pure 
et  sainte  aussi  bien  que  mon  art.... 
le  garderai  inviolablement  la  loi  sa- 
crée du  secret....  Si  j'accomplis  avec 
fidélité  mon  serment,  si  je  n'y  fais 
point  défaut ,  puissé-ie  passer  des  jours 
heureux,  recueillir  les  fruits  de  mon 
art,  et  vivre  honoré  de  tous  les  hommes 
et  de  la  postérité  la  plus  reculée;  mais 
si  je  viole  mon  serment,  si  je  me  parjure, 
que  tout  le  contraire  m'arrive  (2).  > 

Apelle.  —  Apelle  naquit  à  Cos« 
comme  Hippocrate,  dans  la  première 
moitié  du  quatrième  siècle  avant  l'ère 
chrétienne,  pendant  la  1 1^*"  olympiade, 
n  était  fils  de  Pythius,  et  il  eut  pour 
maître  Êpborus  d*£phèse  et  Paniphile 
d'Amphipolis.    Il   voyagea  pour  per- 

(i)  lilb^,  iHtrod.,  1. 1,  p.  43. 

(s)  A.  PitrroDy  UtU  Grecque ^  p.  ai 5. 


feetionner  son  talent  »  et  il  vint  étudier 
à  l'école  de  peinture  de  Sicyone,  qui 
était  alors  la  plus  renommée  de  toute 
la  Grèce.  On  lui  donne  quelquefois  le 
surnom  d'Éphésien ,  non  pas  que  Ton 
ait  cru  qu'il  naquit  dans  cette  ville, 
mais  parce  qu'il  y  demeura  longtemps 
et  qu'il  y  reçut  sans  doute  le  droit  de 
cité  (i).  Au  jugement  des  anciens  eux* 
mêmes,  Apelle  surpassa  tous  les  peintres 
qui  l'avaient  précédé  et  tous  oeui  qui 
le  suivirent.  A  lui  seul,  il  contribua 
presque  autant  que  tous  les  autres  au 
progrès  de  la  peinture,  et  cela  non- 
seulement  par  ses  tableaux,  mais  aussi 
par  ses  écrits.  U  composa  trois  hvres 
sur  la  théorie  de  la  peinture,  qui  exis- 
taient encore  du  temps  de  Pline. 

Apelle  eut  plus  que  tous  les  autres 
peintres  la  grâce  en  partage.  Il  y  avait 
de  son  temps  de  irès-grands  artistes; 
il  admirait  leurs  ouvrages,  il  les  com- 
blait d'éloges,  mais  11  disait  qu'il  leur 
manquait  la  grâce,  qui  était  à  lui;  qu'ils 
possédaient  tout  le  reste,  mais  que 
pour  cette  partie  seule  il  n'avait  point 
d'égaK  L'ingénuité  et  le  charme  de  son 
caractère  n'étaient  pas  moindres  que  la 
grâce  de  son  talent.  Il  était  au-dessus  de 
toutes  les  mesquines  passions  nui  trop 
souvent  travaillent  les  artistes.  Il  reoon> 
naissait,  il  encourageait,  il  produisait  les 
talents  d'autrui;  on  sait  sa  conduite  à 
r^ard  de  Protogène,  qui  cependant  pou- 
vait étreson  rival  (2).  11  était  désintéressé, 
et  conservait  partout,  devant  le  public 
comme  chez  les  plus  grands  princes, 
une  attitude  pleine  de  convenance ,  de 
franchise  et  de  dignité.  Deux  anecdotes 
racontées  par  Pline  et  beaucoup  d'autres 
auteurs  montrent  comment  il  savait 
parler  aux  petits  et  aux  grands.  Quand 
Apelle  avait  fait  un  tableau,  il  l'expo- 
sait devant  le  public;  et,  se  tenant  ca* 
ché  derrière  un  rideau ,  il  écoutait  ce 
qu'on  disait,  dans  le  dessein  de  corri- 
ger les  défauts  qu'on  y  pouvait  remar- 
quer.  Un  jour  un  cordonnier  critiqua 

(i)  Voy.  Fr.  Junîu*, /)«  P/c/wra  Veterwm 
Idlii  treSf  Roterodami,  1694,  iu-fol.;  Catah^ 

ÊuSf  p.  la.  On  trouve  dans  ce  livre  tout 
»  malériaiix  de  la  biographie  d* Apelle, 
mais  réunis  sans  critique.  PUoe,  Bist,  Mai., 
XXXV,  36,17. 

(a)  Voy.  plus  haut,  p.  139. 


SM 


L'UNIVERS. 


kl  tûMSÊùxe  d*un  de  lés  penonnagiesf 
et  comme  il  avait  raiflon ,  Apelle  cor« 
rîgea  la  faute  qu'il  avait  faite.  Le  len* 
demain  le  même  cordonnier,  tout  flet 
d*avotr  été  écouté ,  se  mit  à  reprendre 
la  façon  de  la  jambe  ;  mais  cette  fois 
le  peintre ,  Irrité ,  sortant  de  derrière 
SA  toile,  s'écria  qu'au  oordounier  n'a« 
vait  rien  à  voir  au-dessus  de  la  chaus* 
sore.  C'est  h  cette  anecdote  qu'on  rap- 
porte Taventure  du  proverbe  ne  sutor 
mlit^a  erêpidam^  qui  se  trouve  para- 
pbrasé  dans  Rollin  delà  façon  suivante  : 

Savetier, 

Fais  ton  métier; 
£t  garde-toi  surtout  d'élever  (a  ceosure 
Au-dessus  de  la  chaussure. 

Une  autre  fols  c'était  Alexandre  qui, 
étant  allé  visiter  le  peintre  dans  son 
atelier,  se  mit  à  parler  de  peinture  à 
tort  et  à  Iraver»  :  «  Prince,  lui  dit 
Apelle,  prenez  garde,  ces  jeunes  gar- 
çons qiii  broient  mes  couleurs  vous 
admiraient  pendant  que  vous  gardiez 
1#  silence;  maintenant  ils  rient  de  vous.  « 
Malgré  cette  bberté  de  langage,  Apelle 
f^t  toujours  très-agréable  au  héros 
mseédonien,  qui  le  nomma  son  peintre 
ofieiel.  Il  défendit  h  tout  autre  artiste 
doftdre  son  portrait.  Ayant  à  se  plaindre 
(le  Ptolémée,  roi  d'Egypte,  qui  avait 
accueilli  les  accusations  de  ses  adver- 
saires, Apelle  s'en  vengea  en  exposant 
a  Ëphèse  un  tableau  allégorique  qui 
représentait  le  roi  avec  de  très-grandes 
oreilles  tendant  la  main  à  la  Calomnie. 
Aux  cdtés  du  roi  se  tenaient  deux  fem- 
mes, représentant  l'Ignorance  et  le  Soup- 
çon {MXrfyii).  La  Calomnie  était  pré- 
cédée par  un  homme,  qui  Ûgurait  l'envie 
(^(^voç) ,  et  qui  était  suivi  de  la  Buse 
et  de  la  Trahison.  A  quelque  distance 
de  ce  groupe  marchait  le  Repentir,  qui, 
tournant  la  tête  en  arrière,  reconnaît 
dans  le  lointain  la  Vérité,  qui  s'approche 
environnée  de  lumière.  Telle  fut  la 
vengeance  utile  et  ingénieuse  de  ce 
grand  homme.  Apelle  était  fort  labo- 
rieux, et,  quelque»  occupations  au'il  eût 
â'aUleurs,  il  ne  laissait  point  s  écouler 
m  jour  sans  s'exercer  la  main  en  tra- 
çant quelaues  traits  au  crayon  ou  au 
pkieeau.  Il  mourut  après  avoir  joui' 
de  toute  sa  gloire,  laissant  un  grand 
nombre  d'ouvrages.  Mine  en  a  éna- 


l 


méré  les  principaux ,  fout  en  dédarant 
u'il  n'est  pas  lacile  de  dire,  an  milies 
e  tant  de  chefs-d'œuvre,  quels  sont 
ceux  qu'on  doit  déclarer  les  meilleurs. 
£tat  de  l'Ile  de  Lanoo  socs 
la  domination  des  chsvalibbs  01 
Rhodes.  —  Après  leur  réunion  à  Vtm- 
pire  romain,  les  insulaires  de  Cos  d>b- 
rent  plus  d'autre  destinée  que  eellf 
de  tous  les  autres  sujets  de  Ronoe  ;  cette 
He  vécut  en  paix,  à  l'ombre  d*un  despo- 
tisme longtemps  bienfaisant;  et  quand 
vint  la  décadence  de  Tempire  «  elle  eut 
sa  part  des  maux  qui  vinrent  fondre  sur 
toutes  ses  provinces.  Les  Sarrasins  Isi 
firent  éprouver  de  grands  dontmages  [1} 
dans  leurs  courses  à  travers  Tarehipe}. 
où  rien  ne  leur  résistait.  Les  faibles 
souverains  du  bas-empire  ne  savaiftit 
défendre  que  Constantlnople.  Grâce 
aux  croisades,  l'Église  latine  vîot  ai: 
secours  de  la  société  grecâue,  qui  déjj 
succombait  au  onsième  sieele  ^  et  dont 
elle  retarda  la  diute  en  versant  sur 
TAsie  les  bataillons  des  chrétieDi  de 
l'Europe.  Au  quatorxième  sièole ,  Cos, 
désormais  appelée  Lange,  devist  uae 
province  de  ce  petit  État  maritime 
fondé  à  Rhodes  par  les  dievaher»  de 
Saint- Jean,  et  où  s'organisa,  aa  nem 
de  la  foi  chrétienne,  une  ai  éner^^îqtie 
résistance.  En  1816  Lango  Alt  occu- 
pée par  Foulques  de  Ylllaret,  le  ron- 
quérant  de  Rhodes  (S);  et  cette  tie  de- 
vint un  des  Gef^  les  plus  eonsidéraMes 
de  Tordre.  En  f996  des  fsinillee  B^ 
méniennes  chassées  par  les  Tun9<^> 
ramans  demandèrent  asile  aux  Cheva- 
liers. On  les  établit  à  Lango,  sur  le 
territoire  de  Céphalo;  on  pourvut 
à  tous  leurs  besoins,  on  leor  don^'a 
des  bestiaux^  et  des  instruments  ara- 
toires, et  on  leur  permit  d'élever  une 
église  où  l'on  célébrait  le  culte  d'après 
leur  rit,  que  reconnaît  l'Église  latine 
En  1389  le  gouvernement  de  I^ngo 
appartenait  à  frère  Pierre  SchlegcN 
hoid,  qui  fonda  plus  tard  le  château 
de  Boudroun,  sur  les  ruinée  d'Hali- 
carnasse.  Bientôt,  en  1991,  on  ajouta 
à  la  commanderie  de  Schle^elhold  les  Iles 
de  Calamo  et  de  Lero.  Yotci  lee  ebarises 
imposées  au  gouverneur  de  ces   ties 

(x)  Voyez  plos  haut,  p.  t4é,  147. 
(a)  Voy.  plus  hanly  p.  147. 


LES  SfORAIIBS. 


207 


par  ritvKtHuvt  du  ^rand  mâtm  s  II 
devait  payer  cent  flonns  d'or  au  trésor 
à»  l'ortlre;  pourvoir  à  l'entreUen  de 
viBgt-diiq  religieui,  dont  quinie  cheva- 
liers, équiper  et  aolder  dix  hommes 
d armes  latios  nés  au-delà  des  mers, 
n  de  eeot  cinquante  Tureopoles;  pour- 
voir la  garnison  de  Lango  d'un  méde* 
cio  et  d*une  pharmacie;  ne  vendre  les 
denrées  de  1  tie  qbe  dans  le  marché 
de  Rhodes;  faire  nettoyer  tous  les  ans 
1  étang  maisftin  qui  est  près  de  Lango; 
équiper  une  galère  à  vingt  rames;  faire 
toutes  les  dépenses  nécessaires  à  Ten- 
trrttea  des  églises ,  des  forteresses ,  de 
tous  les  édittces  publies  de  son  gou- 
Teroeinent  (i). 

Après  la  mort  de  Scblegelbold,  le  fief 
de  Lango  changea  de  nature  ;  il  devint 
UD  bailliage,  et  fut  réuni  au  prieuré  de 
Portugal.  Cependant  les  fréquentes  at- 
taqu<^  des  Turcs  et  des  Sarrasins  conti- 
nuaient à  épuiser  les  ressources  de  l'tle, 
qui  ne  pouvait  plus  se  défendre  ni  entre- 
tenir  ses  forteresses.  En  1444  l'amiral 
Quérioi ,  bailli  de  Lango,  à  bout  de  ves* 
sources,  s'adrease  au  grand  roattre  de 
Listic,  et  demande  des  renforts.  Le  con« 
m\  répondit  par  Tordre  d*abando&ner 
les  foru  aeooodaires,  d  évacuer  le  dis» 
tiict  de  Narangia  et  de  ne  défendre  que 
its  principaux  postes.  Évidemment  la 
Pttissance  des  coevalien  de  Rhodes  foi« 
blissait;  le  temps  de  leur  décadence 
triait  venu;  l'ordre  n'avait  plus  qu'à  se 
tenir  sur  une  pénible  défensive.  A  mo> 
surs  qu'il  perdait  de  aa  force  contre 
l'enDemi,  tl  perdait  de  aon  autorité 
<ur  les  insulaires  qui  lui  obéissaient. 
Fj  i4&f  les  habitants  du  district  do 
^arang•a,  le  meilleur  canton  de  Lango, 
5«  révoltèrent.  Cependant  la  valeur  des 
chevaliers  restait  la  même,  malgré  le 
mauvais  état  de  leurs  afiaires;  frère 
ina  de  Châteeu-Neuf  repoussa  toutes  le» 
attaques  dirigées  par  Mahomet  II  contre 
Lanfso  et  les  îles  voisines  de  1454  à  1460. 

Après  ces  luttes,  qui  avaient  aug- 
laenté  sa  détresse,  Lango  fut  placée  di^ 
reeteineulsoii&radministrationdu  grand 
maître  Zaoesta,  qui  la  fit  gouverner  pat 
on  lieutenant.  On  avait  senti  la  néces- 
sité d*augmenter  les  pouvoiva  du  chef 
de  Tordre  à  mesure  que  les  dangers 


grandiisaieiil  el  qve  ^ennemi 
plus  pressant.  Lango  était  la  seconde  He 
de  la  religion,  la  plus  menacée  nar  les 
Turcs,  la  plus  importante  à  défendre 
après  Rhodes.  On  la  pia^  donc  sous 
Tautorité  immédiate  du  grand  maître. 
En  1404,  nouvelle  descente  des  Turcs 
dans  l'tle  de  Lango  :  ils  la  ravagèrent, 
sans  pouvoir  s'y  établir.  Le  1 7  octobre 
1493  un  tremblen>ent  de  terre  boule* 
versa  Ttle  entière:  les  habitants  se- 
raient morts  de  faim  si  le  grand  maître 
d'Aubusson  ne  leur  eût  envoyé  des  vi« 
vres.  Il  fallut  reconstruire  toutes  les  for* 
teresses.  En  1495  Lero  et  Calamo  éproih 
vèrent  le  même  désastre.  D'Aubusson 
eut  à  faire  d'énormes  dépenses  ;  il  poui^ 
Yut  à  tout. 

En  1500  les  juifs,  dont  on  suspectait 
les  dispositions,  furent  bannis  de  Lango, 
comme  de  tous  les  Étals  des  hospita- 
liers (I).  Ils  furent  tous  transportés  à 
^ice.  Cette  mesure  ne  sauva  pas  la  d»> 
mination  rhodienne,  qui  succomba  en 
1523  sous  les  coups  de  Soliman.  Lango 
se  rendit  après  la  prise  de  Rhodes.  A 
partir  de  la  domination  des  Turcs  elle 
tut  désignée  de  préférence  sous  !•  nom 
de  Stanchio. 

ÉTAT  ACTUEL  DE  StANCSIO.--  L'Ile 

de  Stanchio  a  été  moins  maltraitée  que 
beaucoup  d'autres  sous  le  gouverno» 
ment  des  Turcs.  En  1831,  lors  des 
troubles  de  la  Grèce ,  le  pacha  de  Slan- 
ehio  n'eut  pas  de  peine  à  maintenir 
l'ordre  dans  son  petit  geuvemement. 
Stanchio  fut  le  point  central  des  opé» 
rations  des  Ttires  contre  Samoa,  qui  était 
en  pleine  révolte ,  et  elle  traversa  sans 
souffrir  cette  époque  si  funeste  à  d'eu- 
très  fies  voisines.  Aujourd'hui  la  ville 
a  environ  trois  mille  habitants  :  la  po- 
pulation de  toute  1  île  est  de  vingt  mille 
âmes.  La  campagne  parait  assez  bien 
cultivée;  on  rencontre  sur  les  coteami 
de  nombreux  troupeaux  de  motHons 
et  de  dièvres.  Les  principales  prodtic- 
tions  du  territoire  sont  les  cflrooa,  les 
oranges,  les  raisins  secs.  Les  expor* 
totions  faites  dans  l'année  IMO  eut 
été  évaluées  à  plus  de  cent  mille  tala- 
vis  (500,000  francs).  Stanchio  »'a  pas 
bougé  dans  la  guerre  de  rindépendance. 
f:n  1891  elle  étâil  UtnqAiUe  et  heu- 


I  ( 


Coronelli,  isola  di  Bodi,  p.  399< 


(i)  CoronelK,  hoia  tH  /Htêéff .  p.  ilo. 


rUNIVBBS. 


rtoiet  MMW  le  (jouveniMnMil  modéré 
d*Ali-Bey,  Tare  instruit  et  bieuTeillaot, 
qui  disait  qu^il  était  cbarsé  de  prot^er 
et  non  de  ruiner  le  peuple  (I).  On  re- 
trouTe  à  Stancbio  une  singulière  cou- 
tume, qui  existe  aussi  à  Métélin  :  les  filles 
ont  seules  droit  à  rhéritage  de  leurs 
parents;  la  coutume  veut  que  ce  soit 
la  femme  qui  choisisse  le  mari  ;  quand 
elle  a  pris  les  informations  nécessaires, 
le  père  transmet  les  intentions  de  sa 
flile  à  celui  qu'elle  a  choisi  ;  son  mari 
n'apporte  jamais  rien  en  mariage,  et 
ne  tait  aucun  présent  à  sa  nouvelle 
épouse.  Quand  c'est  la  fille  atnée  qui 
se  marie,  le  père  lui  abandonne  sa 
maison,  et  va  s'établir  ailleurs.  Cet  usage 
qui  n'admet  que  les  femmes  à  l'hérédité 
subsiste  encore,  avec  des  modifica- 
tions, dans  plusieurs  autres  îles ,  telles 
que  Maxos,  Paros,  Santorin.  Qui  peut 
dire  la  cause  véritable  de  cette  singu* 
larité  de  mœurs? 

Iles  voisines  de  gos. 

Le  golfe  Céramique,  dont  l'île  de  Cos 
occupe  rentrée,  était  rempli  de  petites 
fies,  auxquelles  les  anciens  avaient  donné 
des  noms,  et  que  l'on  ne  connaît  plus 
dans  la  géo^aphie  de  nos  jours.  C'é- 
taient, dit  Pline  (3},Pidosus  prèsd'fla- 
licamasse,  Arconnesos,  Priaponesos, 
Hipponnesos,  Psyra,  Mya,  Lampseman- 
dus,  Passais,  Crusa,  Pyrrhe,  Sepiussa, 
Melano,  et  une  tle  peu  éloignée  du 
continent,  appelée  Cinœdopolis,  parce 
qu'Alexandre  le  Grand  y  relégua  des 
nommes  de  mœurs  infâmes.  Vers  la 
pointe  de  Myndus  et  le  cap  Zéphyrion , 
se  trouvaient  le  groupe  des  îles  argien- 
nés,  qui  sont  au  nombre  de  vingt,  Hipsi- 
risma,  i£tbusa,  Caryanda,  patrie  de 
Scylax  l'ancien»  le  logojsraphe,  qui 
fut  chargé  par  Darius  l"  d'explorer 
les  côtes  de  l'océan  Indien  (3). 

Calymiia  est  plus  considérable  que 
toutes  les  précédeutes.  On  la  désigne 
aujourd'hui  sous  les  noms  de  Calymno, 
Calamine,  Colmine.  Elle  figure  sou- 
vent dans  l'histoire  des  chevaliers  de 
Rhodes  sous  le  nom  de  Calamo.  Les 
anciens  l'ont  souvent  appelée  Calydna. 

(i)  Micbiud  et  Poujoulat,  lU,  469. 
(a)  Plin.,  HUt,  Pfat.,  Y,  3G,  3. 
(3)  Forbîger,  Handà,,  II,  p.  9x7. 


Homère  fût  de  oetle  Oe  et  des  îlots 
voisins  le  groupe  des  lies  Calydnes  (1). 
Pline  prétend  qu'elle  renfemait  trois 
villes.  Notion,  Nisire,  et  Mendetêre. 
Le  miel  de  Calymna  était  célèbre  chez 
les  anciens.  Les  chevaliers  de  Rhodes 
y  élevèrent  une  forteresse,  qui  fut  uoe 
de  leurs  bonnes  positions  militaires. 
L'île  de  Calamo  faisait  partie  du  bail- 
liage de  Lango,  dont  elle  était  séparée 
par  un  bras  de  mer,  large  de  treize  milles 
seulement.  Soliman  la  conqiiit  en  1623. 
A  l'est  de  Calymna  est  le  rocher  de 
Lebinthos  et  le  petit  groupe  dllotsdoot 
Qnaros  est  le  principal,  que  Ton  poiv- 
rait aussi  bien  ranger  parmi  les  Cyela- 
des,  et  qui  marouent  de  ce  côté  la  li- 
mite extrême  des  îles  d'Asie  ou  Sporades, 
dont  elles  sont  séparées  par  une  assa 
grande  distance* 

ttS  DE  LÉROS. 

Cette  île  peut  être  encore  eonsidérée 
comme  une  annexe  de  Cos.  Elle  en  était 
éloignée  de  trois  cent  vingt  stades,  as 
nord.  Aujourd'hui  encore  on  l'appelk 
Léro.  Dans  l'antiquité,  Léros  reçut  uw 
colonie  de  Milet  (2).  C'est  h  Léros  qi» 
l'historien  Hécatée  conseillait  à  Aristago- 
ras.  Fauteur  de  la  révolte  d'iooie,  de  citer 
cher  un  asile ,  et  d'attendre  le  moment 
favorable  pour  rentrer  à  Milet  (3j.  Ld 
habitants  de  Léros  passaient  pour  aroir 
le  caractère  rusé  et  méchant  (4).  Leur 
île  produisait  un  assez  beau  marbrt 
blanc.  Le  sol  en  est  stérile.  j 

Sous  les  chevaliers  de  Rhodes»  Tinj 
devint  une  dépendance  du  bailliage  M 
Lango  ou  Stancbio.  On  y  constmisi^ 
une  nonne  forteresse,  sur  une  bautesl 

2 ni  domine  le  port  et  le  boura  de  Lèro^ 
fn  trouve  de  très^bons  mouilTa^fS  dao^ 
cette  petite  île,  qui  n'a  qu  environ  huit 
lieues  de  circuit.  Elle  fut  bien  souveol 
attaquée  et  ravagée  par  les  Turrs,  ju» 
qu'au  moment  de  la  prise  de  Rhodes. 


(f )  Toy.  Strab.,  X,  5  ;  Tauchn.,  Il ,  3o4 
Dapper  rappelle  Clarat  dans  rantiqoité  (IVf 
eriptlon,  n.  1S2).  Je  ne  voit  nuUe  part  quel'^ 
anciens  aient  connu  une  lie  de  œ  nom. 

(«j)  Sb^b.y  XIV;  Taucha.,  III,  p.  les. 

(3)  Hérod.,  V,  laS. 

(4)  Slrab.,  X,  5;  Taiichn.,  II,  S9X.  XshôSi 
^wxvXîSto».  Aépioi  xaxoi  ovx'  é  piv,  i 
S'  oO.  0dvT<c...  etc. 


LES  SPORADES. 


S09 


Oa  sait  par  q«el  habile  stratagème  le 
jeune  Paul  Siméoni  la  défendit  cootre 
UM  attaque  de  Kemal-Réia,  eo  1605  (1). 
DeveDue  ponession  des  Turcs  en  1528, 
Léro  fut  assiégée  et  prise  en  1648  par 
k  Vénitien  Foseolo,  qui  en  démolit  la 
forteresse  (2). 

Sur  la  côte  orientale  de  Léro  on 
trouve  un  petit  golfe  appelé  Terraco, 
et  un  bon  port,  a  l'entrée  duauei  est 
Ja  jolie  petite  tle  de  Lépida. 

ÎLB  DB  l^ATHOS  (3). 

Cette  tle  (IldtcfAoç,  Patmo  Patina, 
PalmOf  Patmosa\  Tune  des  Sporades, 
est  située  dans  la  mer  Icarienne,  sur  les 
eoQlius  des  cdtes  de  la  Carie  et  de  la  Ly-* 
de,  au  sud  des  tles  d*iearia  et  de  Samos,  et 
à  soixante  milles  au  nord  de  Tlie  de  Cos« 
Sa  pointe  méridionale  s'appelait  le  cap 
Amazonium  ;  elle  est  à  deux  cents  stades 
de  Léros.  Dans  Tantiquité,  Patmos  n'é- 
tait qu'un  rocher  stérile  ;  elle  avait  une 
petite  ville  du  même  nom,  mais  elleserait 
restée  une  des  tles  les  plus  obscures  de 
rArchipel,  si  elle  n'avait  été  le  lieu  d'exil 
de  saint  Jean,  qui  y  écrivit  son  Jpoca* 
lypse.sou»  Domitien,ran95.«  Moi  Jean, 
qui  suis  votre  frère ,  et  qui  ai  part  avec 
TOUS  à  l'afOietion ,  au  règne  et  à  la  pa- 
tience de  Jé8us*Chrl9t,  j*ai  été  dans  rtle 
appelée  Patmos  pour  la  parole  de  Dieu 
et  pour  avoir  rendu  témoignage  à  Jé- 
sus. Un  jour  de  dimanche  je  fus  ravi 
en  esprit,  et  j'entendis  derrière  moi  une 
voix  forte  et  éclatante ,  comme  le  son 
d'une  trompette ,  qui  disait  :  Écrivez 
dans  un  livre  ce  que  vous  voyez,  et 
eavoyez>le  aux  sept  Églises  qui  sont 
eu  Asie  (4).  »  On  montre  encore  au- 
dessous  du  couvent  de  Saint- Jean  une 
grotte  où  l'apôtre  inspiré  entendit  cette 
voix  céleste,  et  où  il  eut  cette  série  de 
visions  et  de  révélations  dont  il  composa 
son  sublime  et  mj^stérieux  livre. 

Au  onzième  siècle,  sous  le  règne 
dePempereur  Alexis  Comnène,  Christo- 
doule,  abbé  de  Latros  en  Asie  Mineure, 

(i)  Toy.  plus  haut,  p.  175. 

(2)  Curooelli,  iiola  di  Rodi ,  p.  ^9. 

(3)  Korbiger,  Bandb,,  etc.,  I.  II,  p.  aS?  ; 
Townetoit,  n,  436;  Fococke,  lY,  4ao; 
Choiseul-Gouffier,  I,  i6i;Michaud  et  Pou- 
jOMlat,  m»  454;  Dapper,  p.  179. 

(4)  Apocai.^  c.  I,  9. 

U<  Livraison,  (Spob4DBS.  ) 


fuyant  les  perséeutions  des  Turcs,  fonda 
le  monastère  de  Patmos,  qui  occupa 
le  sommet  de  la  plus  haute  montagne 
de  l'île,  et  qui  futeutourée  de  muraules 
comme  une  forteresse.  Les  habitants, 
dispersés  dans  l'Ile,  vinrent  se  grouper 
autour  du  couvent ,  où  ils  pouvaient  se 
réfugier  lorsque  les  pirates,  si  nombreux 
dans  ces  parages,  faisaient  des  incur* 
sions  dans  l'île.  Peu  à  peu  la  ville  s'a- 
grandit, et  fit  un  commerce  considérable, 
qui  procura  de  grandes  richesses  aux 
Habitants.  Au  dix-septième  siècle  Pat- 
mos était,  au  rapport  de  Dapper,  une 
île  florissante,  bien  cultivée  et  reudue  fer- 
tile par  le  travail  de  ses  habitants;  les 
trois  grands  ports  de  la  Scala,  de  Sap- 
sila,  de  Gricou,  étaient  visités  par  de 
nombreux  navires.  Les  Vénitiens  en 
firent  leur  station  dans  la  guerre  de  Can- 
die. Ses  côtes  et  ses  vallées  étaient  cou- 
vertes de  villages.  Si  ce  tableau  de  la 
Ïirospérité  de  Patmos  n'est  pas  exagéré, 
es  malheurs  des  temps  qui  suivirent 
en  ont  bien  changé  la  situation  au  dix- 
huitième  siècle,  puisque  Toumefort  di- 
sait que  Patmos  est  un  des  plus  mé- 
chants écueils  de  l'Archipel.  Selon  ce 
voyageur  c'est  une  île  découverte ,  sans 
bois  et  fort  sèche.  Elle  est  couverte  de 
lapins,  de  cailles,  de  tourterelles,  de  pi- 
geons, de  becligues  ;  elle  ne  produit  que 
peu  de  froment  et  d'orge.  Le  vin  y  vient 
de  Santorin ,  car  on  n'en  recueille  pas 

Elus  de  mille  barils  dans  Patmos.  Les 
abitants  possèdent  une  douzaine  de 
calques  et  plusieurs  autres  petits  bâti- 
ments, avec  lesquels  ils  font  le  transport 
des  blés  d'Asie  et  de  la  mer  Noire. 

Il  n'y  a  que  des  Grecs  dans  cette 
île;  ils  payaient  aux  Turcs,  dit  Tour- 
nefort,  une  capitation  de  huit  mille  écus 
et  une  taille  de  deux  cents.  On  voyait 
sur  le  port  de  la  Scala  trois  ou  quatre 
bouts  ae  colonne  de  marbre  qui  étaient 
d'un  bon  style,  et  qui  sont  probablement 
des  restes  d'un  ancien  temple.  L'ermi* 
tage  de  l'Apocalypse  est  à  mi-côte  d'une 
montagne  située  entre  le  couvent  et  le 
port  de  la  Scala.  On  y  entre  par  une  al- 
lée fort  étroite,  taillée  à  moitié  dans  le  roc 
et  qui  conduit  à  la  chapelle.  Cette  cha- 
pelle n'a  que  huit  ou  neuf  pas  de  long, 
sur  cinq  pas  de  large;  la  vodte  en  est 
belle,  cintrée  dans  le  genre  gothique; 
à  droite  est  la  grotte  de  saint  Jean 

14 


iîé 


L'UNIVERS. 


dont  l'entrée,  haute  d'environ  sept  pieds, 
est  partagée  en  deux  par  un  pilier  carré. 
La  citerne  de  la  maison  est  à  gauche 
de  la  chapelle,  au  bas  de  la  fenêtre. 
Le  grand  couvent,  dont  l'abbé  est  comme 
le  souverain  de  l'Ile ,  est  situé  au  som- 
met de  la  montagne;  un  collège  ou 
séminaire,  qui  a  été  très-florissant,  j 
est  annexé.  Le  couvent,  dit  Pococke, 
compte  deux  cents  personnes,  dont  vingt 
sont  prêtres  et  quarante  caloyers.  11 
possède  une  petite  bibliothèque ,  pres« 
que  toute  composée  des  ouvrages  des 
Pères  grecs  ;  Pococke  n'y  a  pas  vu  autre 
chose.  Cependant,  de  nos  jours  on 
ne  perd  pas  l'espérance  d'y  retrouver 
quelques  débris  littéraires  de  l'antiquité. 
Telle  était  la  situation  de  Patmos 
au  siècle  dernier.  Elle  paraît  être  la 
même  de  notre  temps.  Le  peuple  de 
Patmos  est  pauTre,  disent  les  auteurs 
de  la  Correspondance  cT Orient,  mais  il 
vit  en  paix;  l'air  y  est  sain,  et  la  peste, 
qui  désole  souvent  les  îles ,  n*a  Jamais 
porté  ses  ravages  dans  Patmos.  Pat- 
mos a  de  plus  un  collège  renommé , 
au'on  pourrait  appeler  Tuniversitc  de 
1  Archipel;  bn  y  enseigne  le  grec  litté- 
ral, l'italien,  la  rhétorique,  la  logique; 
il  y  vient  des  élèves  même  de  la  Morée. 
Le  rocher  de  Patmos  n'a  pas  tenté  les 
Osmanlis,  qui  ne  s'y  montrent  point  et 
se  contentent  d'un  léger  tribu.  Jamais 
on  n'y  aperçât  l'ombre  d'un  minaret; 
la  cloche,  qui  retentit  à  toute  heure  sut 
la  montagne  de  Patmos,  annonce  à  la 
fois  que  la  religion  y  fleurit  et  qu'on 
n'y  vit  point  dans  la  servitude.  On  <y 
vivrait  parfaitement  tranquille,  sans  la 
crainte  des  pirates,  qui  infestent  encore 
les  environs  de  Nicarie,  le  groupe  des 
tles  Fourni  et  les  boghaz  de  Samos. 

ÎLE  1GAB1A. 

Cette  île,  appelée  par  les  Grecs  d'abord 
^Ixapoç,  et  plus  tard  'IxapCa,  est  située  à 
l'ouest  de  Samos ,  dont  elle  est  séparée 
par  un  canal  de  dix- huit  milles  de  largeur. 
La  pointe  d*Icaria,  qui  est  opposée  au  cap 
Cantharion,  à  l'ouest  de  Samos, s'appelait 
Dracanon  ou  Drepanon.  C'est  aujour- 
d'hui la  pointe  du  Fanar,  à  cause  d^une 
vieille  tour,  dont  parle  Tournefort  (1), 
qui  servait  de  fanal  pour  éclairer  1$ 

(i)  Tournefort,  f^oyage  du  Lcpatit,  I,  402^ 


passage  des  vaisseaux  etsM  leaHe  ë. 
Samos.  L'autre  extrémité  d'Iearia  re- 
garde Mycone,  une  des  Cydades,  qui 
en  est  à  quarante  milles  de  distance. 
On  Pappelfe  le  cap  Baba.  Strabon  donne 
à  rîle  crlcare  trois  cents  stades  de  cir- 
cuit, ce  qui  fait  trente-sept  milles.  Mais 
Tournefort  prétend  q[u'elle  a  soixante 
milles  de  circuit  ou  vingt  lieues.  Selon 
Pline,  elle  avait  dix-sept  milles  de  lon- 
gueur. Près  du  cap  Dracanon  était  si- 
tué un  bourg  de  ce  nom,  plus  à  TouesL 
Au  même  côté  nord-ouest  de  Tîte  étaient 
les  deux  villages  appelés  Isti  C^mi)  pu 
Strabon.  Là  se  trouvait  aussi  une  bonne 
rade  et  un  temple  de  Diane  Tauro- 
pole  (Taupoic6Xtov).  On  trouve  en  on 
canton  de  l'intérieur,  appelé  le  champ 
des  Roseaux,  des  ruines  que  Ton  croit 
être  celles  de  l'ancienne  ville  d' JCnoé. 
learia  est  fort  étroite  et  traversée  dans 
sa  longueur  par  une  chaîne  de  mon- 
tagnes  en  dos  d'âne,  que  recouvraient 
des  forêts  de  pins  et  de  ebénes  et  d'où 
coulent  toutes  les  soarees  qui  arrosent 
le  pays.  On  appelait  cette  chaîne  le  mont 
Pramnos.  Sur  iaedte  sad,  à  l'est,  étaient 
des  soarees  d'eaux  ebaudes  et  un  bour: 
appelé  Thermes. 

On  attribue  le  nom  de  file  Icarta 
à  Icare,  fils  de  Dédale,  qui  se  noya  dact 
la  mer  environnante,  laquelle  fat  appeler 
aussi  mer  Icarienne.  Strabon  place  dac' 
cette  mer  Samos,  Cos  et  les  petites  fl« 
situées  entre  ces  deux-là.  La  fable  d'I- 
carie  est  trop  connue  pour  que  je  1. 
reproduise  ici  :  je  renvoie  le  lecteur  ::& 
récit  d'Ovide  (1).  Quant  à  l'explicatict 
de  cette  fiction  mythologique,  elle  est 
donnée  par  Pline  Tancien,  qui  attribue  a 
Icare  l'invention  des  voiles  (2).  Voilà  !d 
ailes  au  moyen  desquelles  Icare  se  saur: 
de  la  Crète,  avec  son  père  Dédale,  et 
dont  il  se  servit  pour  passer jus^ifà  file 
où  il  vint  faire  naufrage.  Icatie  a  encore 
été  appelée  par  les  anciens  Maearis,  ïk- 
liche  et  lebthysessa.  Le  savant  Bodun 
prétend  même  que  ee  dernier  nom  n'e^i 
que  la  traduction  du  mot  phénicien 
Icaure,  qui  signifio  poissonneux.  Getîtj 
étymologie,  si  elle  était  véritable,  dH 
truiiait  tout  à  fait  la  fable  d'Icare,  oi 
du  moins  son  rapport  avec  l'Ile  en  que? 

(i)  0\ià,,  Met.,  VlUy  i83. 
(2)  Pline,  Vn,  57. 


LEâ  SPOKàBCS. 


Qtl 


tiofl;  mais  êUê  n^a  pouf  elle  tTaotrè 
garantie  que  l'imagiiiation  d'an  savant 
flvstéoifltiqiie.  Dans  l'antiquité,  leatia 
D'eat  aueune  importance  historiqoe; 
elle  fttt  eolonlsée  par  les  Milériens.  Mais 
cet  établissenieitt  ne  tarda  pas  à  dépérir; 
au  temps  de  Strabon,  Icaria  était  infia- 
bitée.  Elle  n'était  iMMsupée  que  par  les 
pâtres  et  les  trotipeaox  des  Samiens  (f }. 

Soas  l'empire  grec  111e  Icaria  ou  N^ 
caria,  comme  oti  rappelle  a^oofd'hui, 
fot  repeuplée ,  et  détint  un  évéché  qui 
relevait  de  rarchevéché  de  Samoa.  Leê 
empereurs  bysantins  en  firent  un  lien 
d'exil  (3).  £n  tl^t<  Femperear  Isaad 
TAnge  érigea  nie  de  !9ioa#ia  en  baronnitf 
ifldépeodant0Y  en  faveur  d'un  oertaiti 
Siesrd  de  Bejatiaoo,  à  qui  fut  confié  hf 
fioJQ  de  défendre  Ttle  et  de  teiiir  gar* 
nisoQ  dans  la  forteresse  de  Dolietie,  qtfi 
m  était  la  place  forte.  Cette  baronnie  tut 
déclarée  béréditaire  dads  la  iMkiille  de 
Sieard,  qui  la  conserva  jusqu'au  eon»' 
mpBeement  du  quinzième  siede.  Dana 
cet  intervalle  die  temps  Nicaria  avait 
été  obl^  de  reeomiattre  taatdt  le 
patronage  des  Vénitiens  ^  tantôt  la  do' 
miDation  de  la  maison  génoise  des  Jus-* 
liniaDî  de  GIrios.  Fatigués  de  tous  ces 
cbaDgemeots  de  condition,  et  désiranf 
trouver  des  mattres  capables  de  les  dé' 
fendre,  les  habitants  ee  If  icaria  se  don* 
nèrent,  en  1481,  au  grand  maître  d'Au^ 
basson,  et  File  resta  ce  la  possession 
de  l'ordre  jnsqa*à  la  conquête  de  ce  pe« 
tit  empire  maritime  par  Soliman ,  1623. 

La  stérilité  de  Ttle  de  Kicaria,  la  pau« 
vreté  et  la  simplicité  de  mœurs  de  ses  ha- 
bitants, leur  ont  assuré  sons  la  domina- 
tion des  Turcs  «ne  sorte  d'indépendance. 
«  La  petite  Ile  de  Nicaria,  dit  Dapper  (8), 
fôl  bien  la  plus  heureuse,  quoKfue  la 
(dus  pauvre  de  toutes  les  lies  de  la  mer 
£çée  ;  car  si  le  terroir  en  est  aride,  Tair 
en  est  sain;  ils  ont  peu  de  besoins,  et 
se  satisfont  facilement  pour  le  vêtement, 
la  nourriture  et'  rhabitation.  Ils  ont 
chez  eox  de  petits  moulins  à  bras,  et  ils 
ne  font  leur  pain  qu'an  moment  de 
prendre  leur  repas.  C'est  là  toute  leur 
cuisine.  »  Le  pain  qu'ils  font  ainsi ,  dit 
Tonmefort,  nest  autre  chose  que  des 

(i)  Strab.,  X  ;  Tanch.,  Hy  39 1 . 

(1)  Coronelli,  /  sùla  di  Jtodi,  p.  357. 

f'U  Descr.  de  tÀnhîpel,  p.  189. 


fouaces  sans  levain,  que  l'on  fait  cuire 
à  demi  sur  une  pierre  plate  ebauffée 
par  dessous.  On  dimne  deux  por^ns 
aux  femmes  enceintes,  et  on  fait  la 
même  honnêteté  aux  étrangers.  Ils  ont 
peu  de  vin,  et  le  mélangent  avec  beau^ 
coup  d'eau.  Ils  le  gardent  dans  de  grands 
pots  cachés  sous  terre,  et  se  servent  de 
roseaux  pour  y  puiser.  Dapper  feit  re*- 
marquer  comme  une  singularité  qu*its 
ne  connaissent  pas  l'usage  des  lits.  Ced 
n'a  rien  de  particulier  aux  Nicariotès.  En 

g^éral,  sur  le  continent,  comme  dans 
s  lies,  les  Gtecs  couchent  sinf  des  nat^ 
tes,  ou  à  terre  enveloppés  de  leurs  ta^ 
laganis  ou  couverts  de  peaux  de  mou* 
tons.  Du  reste,  tout  misérables  qu'ils 
sont,  lesNicariotes  se  disent  touanooles, 
tous  porphvrogénéies,  c'est-à-dire  issus 
de  la  familte  Impériale. 
Les  habitants  de  Niearia  ne  vivent 

3ue  du  commerce  des  planches  de  pin, 
e  chêne  ,  et  de  bois  à  brûler  qu'ils 
portent  à  Cbios  ou  à  Scala-?fova.  Ils;ven* 
dent  anssL  des  petites  barques  de  leurs 
façons ,  qui  sont  très-recherchées.  Us 
exportent  encore  des  moutons,  des  porcs, 
des  figues,  de  la  cire  et  du  miel.  Ils 
sont  trèa-habiles  plongeurs,  et  vont  à 
la  pêche  des  éponges.  A  Nicaria,  comme 
â  Simia,  un  jeune  homnie  ne  se  marie 
que  quand  il  a  fait  ses  preuves  comme 
plongeur.  Dapper,  au  dix-septième  siè- 
cle, donfie  à  T9icaria  une  assez  nom- 
breuse population,  à  en  juger  par  les 
villages  qu'il  énumère  et  la  quantité 
de  maisons  qu'il  leur  donne.  Au  temps 
de  Tonmefort  nie  paraît  être  déchue  : 
«  On  ne  croit  pas,  dit-il,  qu'il  y  ait  pré- 
sentement plus  de  mille  âmes  à  Nicaria  : 
les  deux  principales  villes  sont  d'envi- 
ron cent  maisons  chacune  ;  l'une  s'ap- 
pelle Masseria,  l'autre  Paramaré;  les 
villages  sont  Aratusa,  où  il  y  a  seu- 
lement quatre  maisons.  Gela  n'est  pas 
extraordmalre ,  car  à  Ploumara  il  n'y 
en  a  que  trois,  deux  à  Néa,  quatre  a 
Perdikis  proche  Fanal ,  cinq  à  Oxo , 
sept  à  Langada.  On  appelle  villaees 
dans  cette  Ile  les  endroits  où  il  y  a  pTus 
d'une  maison  (1).  »  Les  r^icariotes  vi- 
vent très-longtemps,  on  tronve  souvent 
parmi  eux  des  centenaires.  Tout  con- 
tribue à  leur  assurer  cette  longévité  : 

(1)  Tourn.,  Voydge  au  luxant,  I,  p.  ^9^. 

14. 


9tt 


L'UNIVERS. 


ils  respirent  un  bon  air,  boivent  <l*ex»> 
eellente  eau  ;  leur  régime  est  plus  que 
frugal,  et  ils  n*ont  aucune  inquiétude. 
«  Ils  n'ont  ciiez  eux,  dit  Tournefort, 
m  eadi  ni  Turc  :  deux  administrateurs, 
gui  sont  annuels  et  nommés  par  eux, 
ront  toutes  les  afTaires  du  pays.  En 
1700  ils  pavèrent  cinq  cent  vingt-cinq 
éous  pour  la  capitation,  et  cent  trente 
éeoB  au  douanier  de  Chios  pour  la  taille, 
et  surtout  pour  avoir  la  liberté  d'aller 
vendre  leur  bois  hors  de  Ttle.  Nicaria  n'a 
pas  de  port,  mais  seulement  des  mouil- 
lages pour  les  petits  bâtiments  ;  de  sorte 
que  les  pirates  s'y  peuvent  réfugier, 
sans  crainte  qu'on  les  y  poursuive.  JNi* 
caria  et  les  ilôts  voisins  étaient  devenus 
leur  repaire  au  commencement  de  ce 
siècle.  Aussi  lord  Byron  Ta  diantée  dans 
l£  Corsaire.  «  Lorsque  les  pirates,  dit 
le  poète,  aperçoivent  leur  Ile  favorite, 
les  rochers  semblent  leur  sourire;  un 
murmure  joyeux  se  fait  entendre  dans 
le  port,  la  flamme  des  signaux  brille 
sur  les  hauteurs,  les  chaloupes  plongent 
dons  la  baie;  les  dauphins  se  poussent 
on  se  jouant  à  travers  l'écume  des  flots  ; 
l'oiseau  de  mer,  à  la  voix  discordante, 
les  salue  de  son  cri  rauque  et  aigu.  » 

PETITES  ÎLES  DE  LÀ  MEB  ICARIENNE. 

La  mer  learienne  renferme  un  cer- 
tain nombre  de  petites  Iles,  qui  de  tout 
temps  ont  servi  de  refuge  aux  pirates. 
Les  environs  de  Samos,  de  Nicaria,  dos 
ities  Fourni  en  étaient  surtout  infestés 
jusqu'à  ces  derniers  temps,  et,  quoiqu'on 
leur  fasse  aujourd'hui  bonne  chasse,  ils 
n'ont  point  encore  entièrement  disparu. 
<i  Les  marins  ne  traversent  pas  ces  dé* 
troits  sans  être  saisis  de  craiote,  dit 
un  voyageur  moderne  (1);  car  c'est  là 
que  les  corsaires  attendent  leur  proie  ; 
tous  les  rivages  que  nous  voyons  sont 
bordés  de  criques ,  de  petites  anses ,  de 
ports  formés  par  des  écueils  ;  les  cor- 
saires sortent  de  là  pour  tomber  sur 
les  navires  marchands,  comme  les  bétes 
fauves  sortent  de  leurs  antres  sauvages 
pour  atuquer  les  troupeaux  et  les  pas- 
teurs. • 

Ces  Iles  sont,  en  suivant  la  direction 
le  l'ouest  à  l'est ,  à  partir  de  Nicaria  : 

Iles  Ck>BAssiEs  ou  îles  Foueni.  - 

(i)  Michaud  et  Poujoulat ,  t.  HI ,  p.  ^5i. 


Cea  lies  sont  situées  dans  le  boghai 
qui  est  entre  I^icaria  et  Samos,  ainies- 
sous  du  vent,  par  conséquent  un  peu  au 
sud  du  passage  ;  elles  ont  Nicariaà  Touest 
et  Samos  au  nord-est.  Les  anciens  les  ap- 
pelaient les  Iles  Corsies  ou  Corassies, 
(Kôpotai,  KopàwvaLi)  (1).  «  Leur  nom  ae* 
tuel  d'tles  Fourni  vient,  dit  Tournefort, 
de  ce  que  les  Grecs  se  sont  imaginés 
que  leurs  ports,  qui  sont  fort  bous, 
étaient  creusés  en  manière  de  four  (3).  ^ 
Ces  îles  sont  au  nombre  de  dix-huit  ou 
vingt;  mais  il  n'y  en  a  aucune  qui  soit 
habitée.  Les  plus  proches  du  grand  bo- 
ghaz  sont  le  Grand  Fourni,  Saint-Mi* 
nas  ou  le  Petit-Fourni,  et  Fimena;  les 
autres  sont  :  Alacho,  Petro,  Prasonisi, 
Coucounes,  A  tropofages,  Agnidro»  Stron- 
gylo,  Daxalo  et  pluaieurs  autres,  qui  u*ont 
pas  de  nom» 

«  Celle  de  Saint-Minas,  ajoute  Tour- 
nefort, qui  a  herborisé  dans  ces  îles,  n*a 
gue  cinq  ou  six  milles  de  tour  ;  elle  est 
taite  en  dos  d'âne,  composée  pour  ainsi 
dire  de  deux  pièces,  dont  celle  qui  re- 
garde Patmos  est  de  pierre  ordinaire . 
couverte  de  terrain  et  de  broussailles: 
l'autre  moitié,  qui  semble  lui  avoir  él^ 
collée,  est  du  marbre  le  nlus  rare  qu'oo 
puisse  voir,  et  c'est  dans  les  fentes  de  œ 
marbre  que  naisseni  les  plus  belles  plao- 
tes  de  1  île,  entre  autres  le  liseron  arbris- 
seau, a  feuilles  arsentées,  assez  sembla- 
bles à  celles  de  Tolivier.  La  plupart  des 
autres  îles  sont  longues,  étroites  et  m- 
versées  d'une  chaîne  de  montagnes.  Can- 
die, Samos,  Nicarie,  Patmos,  Macronisi. 
sont  de  cette  forme.  11  semble  que  la  nier 
ait  emporté  peu  à  peu  le  pays  plat,  doui 
le  fônu  était  mobile,  et  qu'il  n'y  ait  eu 
que  les  ruines  des  montagnes  qui  aient 
résisté  à  ses  vagues*  » 

Ile  de  Tragia.  ^  Cette  {le  était &<- 
tuéeausud  de  Samos,  au-dessous  du  cap 
Ampelos,  à  moitié  chemin  entre  Samos 
et  Milet.  Pline  en  fait  mention.  Plutar- 

3ue ,  Thucydide  en  parlent  à  l'occasion 
e  la  guerre  des  Atiiéniens  contre  Sa- 
mos  (3).  «  Un  terrible  combat  s'aigagea 
près  de  Tîle  de  Tragia,  dit  Plutarque,  ei 
Périclès  y  remporta  une  brillante  vic- 
toire; car  avec  quarante-quatre  vais 

(^i)  Forbiger,  Hand6,,etc,,  U  y  p.  ao3. 

(a)  Touriief.,  I,  p.  443. 

(3)  Plut.  Pér,,  25  ;  Thucyd.,  I,  n6. 


LES  SPORADES. 


21S 


seaux  il  en  défit  soixante-dix^  dont  ving^ 
portaientdes  troupes  de  débarquement.  » 
Voilà  le  seul  souvenir  légué  par  Tanti- 
quité  au  sujet  de  cette  tie.  Aujourd'hui 
elte  est  inhabitée  et  sans  nom. 

ILB  Phabm ACUSÀ.  —  Cette  île  s'ap- 
pelle encore  aujourd'hui  Farmaco;  elle 
est  située  à  la  pointe  de  la  Carie,  où  se 
trouvaitte  temple  d*  Apollon  Didyme,qae 
desservaient  len  Branchides,  famille  sa- 
cerdotale deMilet.Son  histoire  n'a  qu'un 
tait;  le  voici  tel  qu*il  est  racoulé  dans 
Piutarque  (1).  César,  obligé  de  quitter 
Rome  sous  la  dictature  de  Sylla,  s'était 
retiré  en  Bithynie ,  auprès  du  roi  Kieo- 
mède.  «  Après  y  avoir  séjourné  peu  de 
temps,  il  se  remit  en  mer,  et  fut  pris  au* 
près  de  l'Ile  de  Pharmaeusa  par  des  pi- 
rates, qui  dès  cette  époque  infestaient 
déjà  la  mer  avec  des  flottes  considéra* 
blés  et  un  nombre  infini  d'embarcations 
légères.  Les  pirates  lui  demandèrent 
vin)2[t  talents  pour  sa  rançon  :  il  se  mo« 
qua  d*eux  de  ne  pas  savoir  quel  était  leur 
prisonnier,  et  il  leur  en  promit  cin- 
quante. Il  envoya  ensuite  ceux  oui  l'ac- 
compagnaient dans  d  ifférentes  villes  pour 
y  ramasser  la  somme,  et  demeura  avec 
UD  seul  de  ses  amis  et  deux  domestiques, 
au  milieu  de  ces  Ciliciens ,  les  plus  san- 
guinaires des  hommes.  Il  les  traitait  avec 
tant  de  mépris  que  lorsqu'il  voulait  dor- 
mir, il  leur  envoyait  commander  de  faire 
silence.  Il  passa  trente-huit  jours  avec 
eux,  moins  comme  un  prisonnier  que 
comme  un  prince  entoure  de  ses  gardes. 
Plein  d'une  sécurité  profonde ,  il  jouait 
et  faisait  avec  eux  ses  exercices,  compo- 
sait des  poèmes  et  des  harangues,  qu'il 
leur  lisait,  et  ceux  qui  n'en  étaient  pastou- 
elles,  il  les  traitait  en  face  d'ignorants 
et  de  barbares  ;  souvent  il  les  menaça,  en 
riiint ,  de  les  faire  pendre.  Ils  aimaient 
celte  frandiise,  qu'ils  prenaient  pour 
une  simplicité  et  une  gaieté  naturelles. 
Dès  qu'il  eut  reçu  de  Milet  sa  rançon , 
et  qu'il  la  leur  eut  payée,  le  premier 
usage  qu'il  fit  de  sa  liberté ,  ce  fut  d'é- 
quiper des  vaisseaux  du^  port  de  Milet, 
pour  tomber  sur  les  brigands  ;  il  les  sur- 
prit à  Fancre  dans  la  rade  même  de  l'île; 
il  les  6t  presque  tous  prisonniers,  et  s'em- 
para de  tout  leur  butin.  Il  les  remit  en 
dépôt  dans  la  prison  de  Pergame,  et 
alla  trouver  Junms,  à  qui  il  appartenait, 

(i)  PInl.*  Cœs.^  I;  Suct.,  iV.,  4. 


comme  préteur  d'Asie,  de  les  pumr.  Ju- 
nins  Jeta  un  xzW  de  cupidité  sur  l'argent, 
qui  était  considérable,  et  dit  qu'il  exa- 
minerait à  loisir  ce  qu'il  ferait  des  pri- 
sonniers. César ,  laissant  là  le  préteur, 
retourna  à  Pergame,  et  fit  mettre  en  croix 
tous  les  pirates,  comme  il  le  leur  avait 
souvent  annoncé  dans  l'tle  avec  un  air 
de  plaisanterie.  «  Ainsi  ce  fut  à  Pharma- 
eusa et  sur  des  pirates  que  César,  tout 
jeune  encore,  commença  à  montrer  la 
supériorité  de  son  génie ,  et  à  pratiquer 
le  grand  art  de  maîtriser  la  fortune  et  de 
dominer  les  hommes. 

IlrsLepsia  bt  dbLade. — Lepsia  est 
à  huit  milles  à  l'est  de  Patmos  et  à  cinq 
milles  au  norddeLéros.  Elle  s'appelle  au- 
jourd'hui Lipso.  Elle  a  au  nord  l'Ilot  de 
Hyétussa,  au  sud  celui  de  Parthénion. 
Pline  est  le  seul  géographe  qui  en  fasse 
mention  (1).  C'est  encore  a  Pline  que 
nous  devons  de  connaîtiv  les  noms  des 
petites  Iles  du  ^olfe  du  méandre  au  fond 
duquel  était  située  Milet,  et  qui  sont  : 
«  Ladé,appeléeauparavantLaté;  parmi 
quelques  tles  sans  nom  les  deux  Camé- 
lidés, voisines  de  Milet;  les  trois  Trc- 
gylies,  voisines  de  Mycale,  qui  sont  Psî- 
los,  Agennos,  Sandalios  (3).  »  C'est  au- 
près de  Ladé ,  qui  était  située  en  face  de 
Milet,  que  se  rassembla  la  flotte  confé- 
dérée des  Grecs  d'Asie  et  des  tles  pour 
combattre  contre  les  Perses.  C'était  pen- 
dant la  révolted'Ionie,  à  l'instigation d'A- 
ristagoras  et  d'Histiée  de  Milet,  que  les 
Grecs  avaient  pris  les  armes  pour  s'af- 
franchir de  la  domination  des  Perses 
(504  avant  J.-C.)  Mais  Darius  avait  en- 
voyé des  troupes  de  terre,  qui  soumirent, 
les  provinces  rebelles  du  continent,  et 
qui  vinrent  assiéger  Milet.  Quant  au.v 
fies  grecques  d'Asie,  elles  n'étaient  point 
encore  soumises  au  grand  roi.  Cependant, 
elles  prirent  fait  et  cause  pour  Milet ,  et 
marcnèrent  pour  la  défendre.  Les  insu- 
laires et  leurs  alliés  furent  vaincus  à  la 
bataille  navale  de  Ladé  (498)  (3).  Cette 
défaite  replaça  la  Grèce  d'Asie  sous  le 
joug  des  Perses,  et  prépara  l'asservisse- 
ment des  îles  que  Datis  et  Artapherue 
réunirent  quelques  années  plus  tard  à 
l'empire  persan. 

(i)  Plin.,  Hi4t,  Nat„  V,  37. 
(»)  Id..  V,  36,  a. 

(3)  Voir  le  rérit  de  cette  iMiaille  daus  R^ 
ro'lute,  I.  VI,  c.  7  et  siiiv. 


ILE  D£  SAMOS. 


6B0&BAPHIB  BT   OBSCBIFTION 

DB  l'Île  pp  samos. 

Samos  (Samo,  Sousam-Adassi  )  fait 
partie  du  groupe  d'îles  situées  le  long 
aes  côtes  d'Asie  Mineure  et  appelées 
Sporades  orientales.  Le  sommet  du 
mont  Kerki,  point  culminant  de  l'île 
dans  la  partie  occidentale ,  s'étend  par 
3^7"  43'  48"  de  lat.  nord  et  24®  18'  6"  de 
longitude  est.  Samos  ferme  au  sud  le 
golfe  de  Scala-Nova.  A  l'est  le  détroit, 
nommé  petit  Bogbaz,  large  de  moin^ 
de  deux  kilomètres,  le  sépare  de  l'Ana- 
toile  ;  à  l'ouest  le  grand  bogbaz ,  large 
de  sept  kilomètres  et  demi,  s'étend  entre 
elle  et  les  îles  Fourni.  La  distance  jus- 
qu'à Nicaria  est  de  vingt  kilomètres,  de 
soixante-cinq  jusqu'à  Cnios,  et  de  trente- 
six  jusqu'à  Patino  (Patmos  ). 

Autour  de  l'île  principale  s'élèvent 
quelques  îlots  et  quelques  rochers  de  sa 
dépendance;  ce  sont  :  dans  le  petit  bo- 
gbaz les  îles  Nartbex  ou  Nartbécis,  re- 
fuges des  pirates,  qui  de  tout  temps  ont 
rendu  ce  détroit  redoutable  aux  navi- 
gateurs; Samo  Poulo,  à  l'extrémité  de 
la  pointe  la  plus  méridionale  de  l'île 
(cap  Golonni)  ;  plus  au  nord,  vers  Scala- 
Nova,  les  îles  Prasonisi  (  îles  de  Boue), 
enfin  celles  de  Koth,  près  du  port  Va- 
thi.  Le  nom  de  Samos,  sous  lequel  l'île 
s'est  illustrée  ,  et  qui  la  désigne  encore 
aujourd'hui ,  n'est  pas  le  seul  qu'elle  ait 
porté  autrefois.  Dans  l'antiquité  la  plus 
reculée ,  elle  avait  dû  à  l'aspect  boise  de 
ses  montagnes ,  aux  fleurs  de  ses  plai- 
nes ou  même  à  la  tradition  religieuse, 
d'autres  dénominations  ;  c'était  Dryusa 
et  quelquefois  Cyparissia,  Melampbyllos, 
Anthémis  et  Stéphane  , .  et  aussi  Par- 
thenia  (1),  parce  que  les  agnuscastusem- 

(i)  Strabon,  X,  p.  457;  Pline,  d'aprôs 


bftamés  de  llmbrasos,  son  fleuve  prind- 

Eil,  avaient  vu  les  premierB  pas  et  kc 
ux  enfontins  de  la  déesse  Jonon.  A  one 
époque  que  l'on  ne  peut  déterminer,  nie 
prit  le  nom  de  Samos,  soit  d'un  de  ses 
liéros ,  soit ,  disait  la  fable ,  de  la  belle 
Samia,  fille  du  fleuve  Méandre,  soit  fUm 
tdt  d'un  vieux  mot  grée  ou  phénicien 

3ui  signifie  élevée  et  oui  servait  aussi  à 
ésigner  deux  autres  îles  très-esearpées 
et  une  ville  de  l'Ëlide,  construite  aa 
semmet  d'un  roch^  (t).  L'aspect  exté- 
rieur des  rivages  de  Samos  justifie  e^e 
supposition.  «  Rn  mer,  dit  M.  de  Cha- 
teaubriand (9),  nous  voyons  des  îles  et 
des  terres  autour  de  nous,  les  unes  roa- 
des  et  élevées  comme  Samos,  les  autres 
longues  et  basses  eomme  les  caps  do 
golfe  d'Ëphèse.  »  La  eôte  oeeidentale 
est  la  plus  abrupte;  «  une  montagne 
nue  et  affreuse  s'y  présente  au  voyageur  ; 
on  l'appelle  Gatabacte,  ou  la  montagne 
des  précipices  et  des  orages  (8)  » 

Cette  île  élevée  et  montagneuse  de 
Samos  a  de  nombreux  eaps  :  au  pied  do 
Catabaqte  ou  ReilLi,  s^allonge  le  pro- 
montoire de  Samos  ou  Saint-Dominique; 
du  rivage  nord  se  détachent  les  pointes 
Saint-lNioolas ,  des  Vourliotes,  Ambe- 
laki ,  le  cap  Tio ,  et  à  l'extrémité  nord- 
est,  au-dessus  des  îles  Prasonisi,  le  cap 
Praso;  au  sud-est,  vers  l'île  Nartbëets, 
le  cap  Posidium ,  où  s'élevait  jadis  un 
temple  de  Neptune  ;  à  l'extrémité  méri- 
dionale le  cap  Blanc  ou  Golonni  appelé 
autrefois  Ampélos  ;  enfin ,  vers  le  grand 
Bogbaz,  le  cap  Fourni,  vis-à-vis  les  îles 
du  wéme  nom.  L'étendue  de  Samos, 
évaluée  par  Pline  à  trente-sept  milles  de 
circuit  (4)  et  par  Strabon  à  six  cents  sta- 

• 

(i)  Dapper,  Description  des  If  es  de  TJ'* 
ehipel,  p.  190. 

{1)  Itinéraire  de  Paris  à  Jérusalem, 
a*  partie. 

(3)  Biichaud  et  Poujoalat,  Corrttpûndestce 
(^Orient,  tlll,  p.446. 

(4)  Pline,  Hist.  Hat.,  T,  37. 


ILE  DE  SAMÛS 


2U 


des  (1),  faidaot  qua  Seylax  plaçait  ealla 
iie  au  dixième  rang  entre  Goîoa  et  Cor- 
ejre,  est,  d'après  desdoeumeDts  positifs 
âréceots  (eartas  du  dépôt  de  la  marine), 
de  qoarante*six  kilomètres  du  eap  Saint* 
Dominique  au  eap  Praso,  et  de  mgt  de 
la  pointe  Arobelaki  au  cap  Blanc. 

Le  Kerki  commence  à  l'ouest  une 
ehaîne  de  montagnes ,  oui  se  prolonge 
dans'toute  la  largeur  de  Vue  et  jusqu'au 
cap  Blanc  dans  la  partie  méridionale  ; 
elle  était  autrefois  appdée  TAmpélos. 
Outre  le  Kerki  (anâen  Gercétias),  les 
points  culminants  portent  les  noms 
d'Ambelona  au  centre  de  rfle,  et  de  Tio 
à  Test.  Quatre  cours  d'eaux  et  deux  sour^ 
ces  découlent  de  ces  hauteurs  ;  ce  sont  : 
TAmphylissus,  Tlbettes,  le  Ghésius  et 
l'Imbrasus ,  primitiveraent  appelé  Par- 
tbénins  pour  le  même  motif  qui  avait  foit 
donner  ce  nom  à  l'île  entière;  les  Ion* 
taines  Gigartho  et  Leucothoé  sont  éga- 
lement mentionnées  par  Pline  (3)  ;  ce 
Huit  peut-être  leiurs  eaux  fraîches  et  lim- 
pides qui  forment  aujourd'hui  le  ruis- 
seau de  Mytilène. 

Autrefois,  si  nous  en  croyons  les  an* 
dens  auteurs  (3) ,  nul  ciel  n'était  fÀn» 
clément  que  celui  de  Samos,  nui  air 
n'était  plus  pur  crue  celui  qu'on  respi- 
rait parmi  ses  jardins  de  grenadiers  et 
de  citronniers,  quifleurisseientdeux  fois 
Tan.  Selon  les  royageurs  modernes  il 
nVn  serait  plus  de  même  :  un  vent  im« 
ptkueux  du  nord ,  qui  n'est  interrompu 

Sue  par  le  calme  de  la  nuit ,  règne  pan- 
ant tout  rétévCeat  la  terrible  tramon* 
taue;  ses  effets  sont  désastrueux  :  ce 
vent  fait  sentir  les  iroids  les  plus  vifs  au 
milieu  de  la  canicule,  et  «  obscurcit  tel- 
lement rborizonçfu'à  peine  peut-on  voir 
à  quelques  centaines  de  pas  (4).  »  A  son 
souffle,  tout  se  dessèche  :les  prairies,  qui 
au  printemps  s'étaient  couvertes  de  mule 
fleurs,  se  flétrissent  et  sont  frappées  de 
stérilité  ;  les  arbres  et  les  arbrisseaux 
du  côté  où  vient  l'ouragan  languissent 
dépouillés  de  feuilles,  et  leurs  tiges  s'in* 
dînent  vers  le  sud  ;  à  cette  époque  beau- 
coup de  gens  souffrent  de  douleurs  de 
tête  aiguës.  En  hiver  il  gèle  peu,  mais 

(i)Strabon,  XIV,  ch.  ni,  169. 
(a)  Pliie,  Hist.  Nai,,y ,  37.  «• 
(3)  Hérodote,  I9 14^  ;  Diod.  de  Sic,  Y,  8f; 
.  (4)  fiarthokiy,  Voj,en  Grèet,  i8o$-i8o4. 


bs  traies  de  février  et  de  mars  entre- 
tiennent une  humidité  malfaisante.  Puis 
c'est  le  tour  du  sirocco,  veni  violent  du 
sud,  qui  ébranle  et  quelquefois  même 
renverse  les  maisons.  Alors  la  mer  sem- 
ble en  feu  ;  il  tonne  d'une  manière  ef- 
froyable; Içs  ruisseaux  se  gonflent,  et 
tombent  comme  un  déluge  du  haut  des 
montagnes,  qui  six  mois  plus  tôt  sem- 
blaient calcinées.  Ces  eaux ,  dont  aucun 
travail  n'a  depuis  des  siècles  fadliaé 
l'écoulement  vers  la  mer,  se  sont  acco* 
mutées  dans  une  grande  plaine  à  l'est  de 
la  ville  capitale,  liugalè-Chora ,  et  y  ont 
formé  un  vaste  marais,  dont  les  émanai 
tions  pernicieuses  répandent  la  mort, 
ft  Plusieurs  ties  de  l'Archipel,  dit  M.  Bar« 
tholdy,  sont  malsaines  et  empestées, 
surtout  Samos  et  Milo  (1).  »  On  voit 
combien  les  récits  actuels  diffèrent  des 
assertions  des  anciens.  Ce  n'est  pas  que 
eeux-ei  nous  aient  «cagéré  les  mérites 
d'une  tle  illustre,  ou  que  son  climat  se 
soit  réellement  modifié  :  le  changement 
est  venu  de  l'incurie  des  habitants.  Ils 
ont  laissé  se  dégarnir  les  bois  touffus  qui 
protégeaient  leurs  montagnes  contre  les 
vents  étésiens,  et  ils  ont  permis  aux 
eaux  du  ciel  de  changer  en  un  marais 
insalubre  la  plaine  la  plus  fertile  de  l'Ile. 
Les  productions  cfn  sol  ont  été  ap- 
préeiées  diversement  dans  Tantiquité. 
Selon  Didore,  sa  fertilité  lui  avait  mé- 
rité le  nom  d'ttedes  Bienheureux(2).  Le 
poète  Ménandre  lui  avait  appliqué  ce 
proverbe  grée  :  les  oiseaux  même  y 
donnent  du  laii  (3);  ifithlius,  cité  par 
Athénée  (4),  assure  que  ses  figuiers, 
ses  riffues,  ses  rosiers  se  couvraient 
deux  fois  t*an  de  fleurs  et  de  fruits. 
Mais  Strabon  lui  refuse  d'avoir  Jamais 
produit  du  bon  vin ,  quoi  qu*on  poisse 
mférer  du  nom  du  mont  Âtnpéhs,  Le 
dernier  éditeur  du  livre  de  Buondel- 
monti  (5)  a  pensé  que  l'Ampélos  ne  s'é- 

(x)  Voir  pour  ces  détails  Xournefort , 
Voyage  au  Levant^  t.  I,  p.  404  et  suiv.,  et 
Bartholdy,  Voyage  en  Grèce,  t,  I,  p,  j39. 

(a)  Diod.,  V,  81. 

(3)  4Ȏpei  6pv(0(Dv  f^a,  Strab.,  XIY ,  9. 

(4)  Athénée,  XfV,  635. 

,  (5)  M.  L.  de  Siiraer,  daot  son  édition  du 
lÀber  Jnsularum  Archipelagi  de  ChrislMhé 
Buondelmonti  y  de  Florence;  Lîpi.  et  6e- 
rol.,  1894,  Yoy.  p.  9<i* 


216 


LUNIV£BS. 


lait  aioBî  appelé  Que  par  antiphrase;  et 
voici  oomnieDt,  a  Fépoque  de  Trajan» 
Apulée  s'exprimait  au  aujet  deSamos  : 
«  C'est  une  petite  tle  de  la  mer  dMcare« 
dont  le  sol,  peu  fertile  en  blé,  rebelle 
à  la  charrue,  ne  produit  ni  vignes  ni  lé» 

Sûmes;  la  culture  consiste  tput  entière 
ans  la  taille  et  la  plantation  des  oli- 
viers, dont  le  produit  est  plus  fructueux 
que  toutes  les  autres  récoltes  (l).  »  Il 
en  est  à  peu  près  de  même  aujourd'hui 
de  Samos;  elle  n*a  plus  cette  fécondité 
qu'exagérait  autrefois  iËthlius;  elle  a 
perdu  quelques-unes  de  ses  richesses  na- 
turelles, et  peut-être  n'y  retrouve-t-on 
phis  ce  fameux  laurier  aux  feuilles  noi- 
res dont  parle  Méléagre,  dans  le  petit 
poëmequ'ilenvoieàunami  sousie  titre  de 
la  Couronne  (3)  ;  mais  elle  donne  du  mais 
et  du  blé,  auquel  les  pauvres  mêlent  de 
l'orge  et  du  millet  ;  avec  les  olives  on  y 
trouve  des  orangers,  des  citronniers,  des 
figuiers  dont  le  fruit  est  d'une  grosseur 
remarquable»  et  ces  grenadiers  qui, 
semblables  à  ceux  de  l'Egypte,  avaient 
au  dire  de  Pline  des  fruits  rouges  et 
blancs  (3).  La  vigne  constitue  mainte* 
nant  un  des  meilleurs  rapports  de  l'île  : 
les  Samieos  vendent  leurs  raisins  secs, 
et  font  des  vins  muscats  très-estimés , 

3ui  s'importent  surtout  en  Angleterre  et 
ans  toute  l'Allemagne  (4).  Si  à  ces  pro- 
ductions on  ajoute  les  melons  et  d  ex- 
cellentes pastèques,  des  concombres,  des 
châtaigniers,  si  nombreux  qu  un  village 
en  a  pris  le  nom  de  Castany ,  des  pins 
qui  produiraient  une  térébenthine  très- 
estimée  et  seraient  une  ressource  pré* 
cieuse,  si  les  habitants  ne  craignaient  de 
se  créer  avec  une  nouvelle  source  de  re- 
venus un  nouvel  impôt,  des  mûriers, 
des  cotonniers,  des  chênes,  de  superbes 
platanes,  toutes  sortes  de  fleurs,  de  la 
cire ,  le  miel  le  plus  délicat  et  quelques 

{dantes  médicinales,  telles  que  le  julep  et 
a  scammonée ,  on  verra  que  la  nature 
Ùxi  moins  défaut  à  Samos  qu'une  cul- 
ture soignée  et  une  administration  bien 
entendue. 
Outre  ces  productions ,  il  faut  men- 

(i)  Apiil.,  Florides,  XY. 
(!»)  Jftcobt,  Antlwhgie  Gr,,  t.  I,  p.  70, 
V.  i4. 

(3)  Pline,  Bisi.  Nat,  XUI,  43. 

(4)  Panofka ,  Res  Samiontm,  p.  7* 


tîonner  des  richesses  d'un  autre  genre  : 
à  une  époque  où  le  mélinum ,  avec  le- 
quel les  anciens  faisaient  la  coukur 
blanche,  jouait  dans  la  peintore  un  rôle 
important,  celui  de  Samos,  sans  être 
très-estiraé,  parce  qu'il  était  trop  gras, 
était  assez  abondant  (1).  11  y  avait  deux 
sortes  de  terre  de  Siimos,  l'une  appelée 
collyre,  l'autre  aUery  qui  entraient  dans 
la  composition  de  remèdes  ophtbalmi* 
ques,  et  servaient  surtout  à  la  fabrica- 
tion d'une  espèce  de  poterie  fort  estimée  I 
chez  les  anciens  (3).  On  trouve  encore  1 
à  Samos  quelques  mines  d'oere  et  de  fer, 
l'émeri ,  la  pierre  d'aimant  et  un  beau 
marbre  blanc  (8). 

Les  animaux  de  111e  sont  des  elievain 
et  des  mulets,  qui,  sans  être  beaux,  sont 
bons  marcheurs  ;  les  montagnes  cachent 
quelques  loups  et  quelques  chacals,  des 
sangliers,  des  chèvres  sauvages,  des  bi- 
ches et  beaucoup  de  lièvres.  Le  plus  eè* 
lèhre  des  oiseaux  de  Samos  est  le  paon, 

3 ne  les  anciens  Samiens  avaient  ju^ 
igné  d'être  consacré  à  la  première  des 
déesses,  comme  le  plus  beau  de  tous  les 
oiseaux ,  et  que  le  poète  Anti phon  di> 
sait  originaire  de  Samos  (4).  Les  per- 
drix s'y  rencontrent  en  quantité  prodi- 
gieuse; des  francolins  s'y  sont  eantonnés 
entre  le  marais  de  Mcgalè-Chora  et  la 
nier  ;  les  pi^ns  sauvages ,  les  tourte- 
relles, les  bécasses,  les  bécaesînes,  les 
grives  y  abondent,  sans  parler  de  l'hi- 
rondelle blanche,  grosse  comme  une  pe^ 
drix,  qui  se  voyait  autrefois  à  Samos,  au 
rapport  du  géographe  Meletius.  Les  ri- 
vieres,  ainsi  qu'un  petit  étang  au  sommet 
du  Kerki ,  sont  peuplées  d'une  sorte 
d'anguilles,  précieuse  ressource  pour  les 
nauvres  pendant  la  saison  de  pêdie.  Par- 
fois aussi  Ou  rencontre  quelques  bêtes 
venimeuses  ;  et  Toumefort  parle  de  la 
crainte  où  sont  les  voyageurs  en  leraoi 
les  pierres  des  ruines  de  mettre  la  mais 
sur  un  scorpion  ou  sur  un  serpent. 

Description  de  la  tille  de  Sa- 
mos.. —  Si  on  remonte  aux  temps  an- 
ciens, la  richesse  et  la  puissance  de  Sa- 
mos éclatent  surtout  dans  les  monu- 


(i)  Pline,  Hist  Nat„  XXXV,  63. 
(3)  Id..  Ibid. 

(3)  Tournefort,  t.  I,  p.  41 3;  Thévenot, 
Voyagé  au  Levant,  première  part.,  p.  207. 

(4)  Albénée,  XIY  ;  Tarro,  />«  RéBnsùee. 


ILE  DE  SAMOS. 


2ir 


ments  emts  et  rf4igieux  ;  Diane,  Vénutf, 
Minene,  Cërès,  Apollon,  Neptune,  Bae- 
ehus,  Mereare  y  avaient  des  temples 
fiiiDfQx ,  mais  de  tons  le  plus  eélèbre 
était  THerœum  consacré  à  Junon.  «  C'est, 
dit  Hérodote,  un  temple  dij^ne  de  renom, 
le  plusgrand  que  j'aie  iamais  vu  (1).  »  Et 
eette  opinion  est  confirmée  par  Strabon, 
Apulée,  Cicéron,  Patisaoias  (2),  qui  Font 
vanté  à  Tenvi.  Les  ruines  de  Tanctenne 
Samos  couvrent  une  vaste  étendue  de 
terntio  dans  la  partie  sud-est  de  Hle, 
au  pied  d'une  montagne ,  où  cette  viile 
s*étendait  eu  amphithéâtre,  vers  la  rive 
droite  de  l*Imbrastis,  qui  eouledu  nord  au 
nid  (3).  Cest  à  vingt  stades  de  ces  ruines 
(eoviroD  3  kil.  780  mètres),  à  égale  dis- 
tance du  fleuve  et  de  la  mer,  que  sale- 
rait le  temple  de  Junon ,  bflti  selon  les 
proportions  de  l'ordre  dorique  (4).  La 
saperstition  attribuait  à  cet  édifice  une 
origine  divine.  Ménodote,  cité  par  Athé- 
Dée  (&) ,  dit  qu'if  était  l'ouvrage  de  Ca- 
ricos  et  des  nymphes;  Pausanias  rap- 
porte que,  selon  quelques-uns,  il  avait 
été  élevé  par  les  Argonautes  ((î);  Héro- 
dote attribue  sa  construction  à  l'archi- 
leete  Rbseeus,  environ  700  ans  avant 
J  .'C.  Incendié  et  détruit  par  les  Perses , 
il  avait  été  rebâti  plus  majçnifique  après 
h  guerre  de  Cyrus  contre  les  Samiens  ; 
et  Jamais  il  né  cessa  de  s'enrichir,  jus- 
qu  aux  jours  où  il  fut  pillé,  d*abord  par 
Verres,  puis  par  Antoine,  qui  le  dépouilla 
de  ses  plus  précieux  ornements,  au 
profit  de  Cléopâlre.  Indépendamment 
de  la  grandeur  et  de  la  beauté  du  tem- 
ple de  Junon ,  on  y  admirait  encore  la 
profusion  avec  laquelle  l'or  et  l'argent 
avaient  été  mis  en  œuvre  pour  orner 
l'autel  de  trépieds,  de  vases,  de  miroirs 
et  de  tous  les  objets  nécessaires  au  culte. 
II  s'y  trouvait  une  collection  de  tableaux 
prédeux  et  de  nombreuses  statues  d'ai- 
rain, entre  autres  celle  d'un  joueur  de 
cithare,  qui  passait  pour  l'image  de  Py- 

(i) Hérodote, n,  148;  lU,  60. 
(1)  Strabon ,  XIV  ;  Apulée ,  Florid.,  XV  ; 
Gcér.,  la  Verrem,  I;  PauMn.,  VIF,  5. 

(3)  Joseph  Oeorgirène,  Evtrait  dans  Us 
Nom,  Annales  des  Voyages^  première  série, 
t.  XXV.  /-^       r 

(4)  Viirufe ,  vn,  Pr«f. 
(5)Alhéoée,  XIV,  655,  a 
(6)  Pausan.,  VJI ,  chap.  4« 


thagore.  Voiei  la  description  gu'en  ûrit 
Apulée  :  «  £lle  représente,  dit-il.  un  ado- 
lescent d'une  admirable  beauté  ;  ses  che- 
veux ,  partagés  sur  le  front,  descendent 
sur  les  tempes,  par  derrière  ils  flot- 
tent en  longues  boucles,  le  cou  est  plein 
de  mollesse  ;  les  tempes  sont  gracieusess 
les  joues  arrondies ,  une  petite  fossette 
creuse  son  menton;  il  a  la  pose  d'un  mu- 
sicien, et  regarde  la  déesse;  sa  tunique, 
parsemée  de  broderies  et  attachée  par 
une  ceinture  grecque,  tombe  sur  ses 
pieds,  la  chiamyde  recouvre  ses  bras  ;  il 
ouvre  la  bouche ,  et  la  voix  semble  en 
sortir,  on  dijrait  qu'il  va  moduler  un 
chant,  tandis  que  la  main  approche  l'ar- 
chet prêt  à  frapper  les  coraes  de  la  d- 
tbare.  »  La  beauté  de  Pythaeore ,  son 
talent  pour  la  musique  ont  fait  penser 
que  cette  statue  pouvait  bien  le  représen- 
ter; mais  il  est  plus  vraisemblable  qu'elle 
était  l'image  du  citharède  Bathylle  ou 
de  quelque  antre  favori  de  Polycrate  (1). 
On  y  voyait  aussi  trois  statues  colos- 
sales ,  ouvrages  du  célèbre  Myron  ;  ellei» 
représentaient  Minerve,  Hercule,  et  Ju- 
piter ;  Antoine  les  avait  enlevées.  Au- 
guste restitua  les  deux  premières,  réser 
vaut  la  troisième  pour  le  Capitule  (3).  Il 
y  avait  aussi  de  superbes  cratères  ;  Tun , 
d'airain ,  du  prix  de  six  talents  et  tra- 
vaillé avec  un  art  infini ,  avait  été  con- 
sacré à  Junon  par  le  navigateur  Coisus, 
qui  y  avait  employé  la  dtme  de  son 
profit  (3).  L'autre,  primitivement  destiné 
par  les  Lacédémoniens  au  Lydien  Cré- 
sus ,  pouvait  contenir  trois  cents  am- 
phores; il  était  orné  à  l'extérieur  des 
plus  belles  dst^lures.  Les  droits  du  tem- 
ple de  Samos  à  la  possession  de  ce  chef- 
d*œuvre  n'étaient  pas  bien  établis;  les 
Samiens  disaient  que  des  Lacédémoniene 
chargés  de  le  porter  à  Sardes  le  leur 
avaient  vendu;  mais  les  Lacédémoniens 
prétendaient  qu'il  leur  avait  été  ravi  (4). 
On  voyait  encore  au  temps  d'Hérodote 
lieux  statues  égyptiennes  de  bois  en- 
voyées par  Amasis  à  son  allié  Poly- 
crate (6) ,  et  la  statue  de  Junon ,  d'abord 
simple  soliveau,  ensuite  œuvre  de  Smili$, 


(i)  Apul.,lVortt/.,XV. 
(a)  Strabon ,  XIV ,  9. 

(3)  Hérodote,  IV,  i52. 

(4)  Id.,  I.  70. 
(5)Id.»U,  z8a. 


^la 


yqigyExis. 


teont0iiiporain  et  émule  de  Dédale  (1). 
Tel  était  ce  temple  femeux ,  la  première 
des  trois  merveilles  de  Samos  ;  voi<si 
quels  vestiges  en  ont  trouvé  les  voya- 
geurs. 

£d  1709  le  célèbre  Toumefort  deft- 
eendît  dans  Ttle,  et  reconnut  à  rempla- 
cement marqué  par  Apulée,  entre  la 
mer  et  Tlmorasus,  les  débris  de  THé» 
rœum  ;  il  en  restait  deux  colonnes  :  Tune 
en  morceaux;  l'autre,  à  peu  près  com- 
plète, n'avait  perdu  que  sa  partie  supé- 
rieure; les  Tores  l'avaient  brisée  à  coups 
de  eanon,  parce  qu'ils  comptaient  y  trou- 
Yer  un  trésor.  Ces  deux  colonnes  sont 
du  plus  beau  marbre  ;  mais  Toumefort 
se  méprend  en  croyant,  contre  le  ter 
moignage  formel  de  Vitmve,  y  recon*» 
naître  Te  genre  ionique  dans  sa  nais- 
sance. 11  est  vrai  que  l'unique  chapiteau 
qu'il  ait  vu  a ,  dans  une  hauteur  de  un 
pied  sept  pouces ,  sur  son  tympan,  haut 
d'un  pied,  des  ornements  en  oves  enca- 
drés oans  une  bordure  qui  laisse  échap- 
per de  ses  entrenieux  des  espèces  de 
petites  flammes  ;  en  dessous,  le  rouleau 
est  terminé  par  un  petit  cordon  ou  as- 
tragale (2).  Pococke  compte  dix* sept 
tambours  à  la  même  colonne,  et  observe 
que  les  bases  qui  restent  sont  d'une 
structure  particulière;  il  s'étend  en  as- 
sez longs  détails  sur  la  description  de  ces 
débris  (S).  «  Mais  à  peine,  dit  Choisenl* 
Gouffier,  trouve-t-on  dans  l'île  de  Sa- 
mos quelques  traces  de  son  ancienne 
splendeur.  »  Nul  monument,  aucun  de 
ces  fragments  précieux  dont  tant  d'au- 
tres endroits  de  la  Grèce  sont  couverts, 
tout  a  disparu  ;  quelques  monceaux  de 
pierres  sont  les  seuls  indices  qui  con- 
firment la  situation  de  la  ville;  enfin 
de  ce  temple  de  Junon ,  si  célèbre  dans 
l'antiquité,  à  peine  reste-t^il  aujourd'hui 
une  seule  eolonne,  à  demi  détruite  (4).  » 
Il  y  a  vingt  ans  cette  colonne  était  en- 
core debout,  et  deux  voyageurs  contem- 
porains ont  contemplé  ce  vieux  débris 

(j^  Pausanias ,  YII ,  4* 
(a)  Toumefort ,  Voyage  au  Levant ,  l.  I , 
p.  4o4  et  saÎT. 

(3)  Pococke,  Descript,  de  t Orient,  t.  IV, 
p.  406-409. 

(4)  Choiseul  Gouffier,  Voyage  pUtar,  dans 
l'empire  Ottoman,  t.  I,  chap.  vu.  —  On 
peut  aussi  consulter  sur  ces  mines  Dallavay , 
Constantinooie  anc.  et  nwd,,  t.  Il ,  ehap«.  ii. 


Si  s'élevait  solitaire  à  rextrémité  du  cap 
ra  (1). 

Le  temple  de  Junon  n'a  pas  laissé 
d'autres  traces  ;  il  en  est  à  peu  près  de 
même  des  autres  édifices  qu  on  admirait 
encore  à  Samos.  Il  ne  reste  que  d'iofor- 
meis  débris  de  cet  aqueduc  dont  Barthé- 
lémy fait,  d'après  les  renseignemeQts 
des  anciens,  la  description  suivante 
«  Non  loin  des  remparts,  vers  le  nord, 
est  une  grotte ,  taillée  à  main  d'homme, 
dans  une  montagne  qu'on  a  percée  de  part 
en  part.  La  longueur  de  cette  grotte  est 
de  sept  stades  ;  sa  hauteur  ainsi  que  sa 
largeur,  de  huit  pieds.  Dans  toute  soo 
étendue  était  creusé  un  canal  large  è 
trois  pieds,  profond  de  viDcteoudées.  Des 
tuyaux  placés  au  fond  ou  canal  amè- 
nent à  Samos  les  eaux  d'une  source 
abondante  qui  coulent  derrière  la  moa- 
tagne  (2).  »  Hérodote  mentionne  encom^ 
comme  une  des  merveilles  de  Samos,  ub 
mdle  haut  de  cent  vingt  pieds,  long 
de  plus  de  deux  stades,  qui  protégeait 
l'entrée  du  port  de  cette  ville  contre  la 
violence  de  la  mer  (3)*  U  ne  dit  pas  a  qui 
était  due  cette  grande  coBstructioa 
Quant  à  l'aqueduc,  il  était  Toeuvrc  d'En* 
palinus  de  Mégare.  La  ville  de  Saroi» 
avait  été  ceinte  de  murailles  é|»i6ses  de 
dix,  douze  et  quinze  pieds  et  bâties  de  gros 
quartiers  de  marbre  nlane  ;  des  tours  ca^ 
rées,  également  de  marbre,  protégeaiest 
le  mur  de  soixante  en  soixante  pas. 
partout  oii  la  montagne  n'était  pas  ass« 
escarpée  (4)  ;  enfin  des  fossés  uirges  h 
nrofonds  avaient  été  creusée  par  des  Les- 
niens  que  Poiycrate  avait  faits  prison- 
niers après  une  bataille  navale.  Au  pied 
des  hauteurs,  Toumefort  et *^ Pococke 
ont  reconnu  l^mplacement  du  tbéitre  et 
de  ram|)bithéâtre  dont  parle  Plutarquf 
dansla vied'AnU>îne<ô).  «  lia,  ditlevoya- 

Seur  aurais,  deux  ceot  quarante  pieds 
e  diamètre  et  l'espace  des  sâ^es  dii- 
huit  ;  il  est  bâti  de  marbre  blanc,  et  Ton  r 
entre  par  une  porte  de  dix  pieds  d*oo- 

(<^  MM.  Micbaut  et  PoujooUt,   Corm 
pond,  d'Orient,  t.  m»  p.  454. 

(9)  Barthélémy  9  Foy.  dujetim^  Aamch . 
|.  VI,  p.  aSo]  Hérod.,  m,  60;  Xoumeioft. 
1. 1,  p.  409. 

(3)  Hérod.,  m,  60. 

(4)  Id.,  m,  54. 
^S^Plut.  Vie  d'Jnt,,  B^. 


ILE  DX  SAMQiS. 


919 


Termn.  L'anUteeture  éa  est  rinliqiie  ; 

iei  pienret  e»  sont  arroodles  de  mattièff* 
qu'elles  lormenl  presqa'un  jqaart  de 
c«Kl6;  et  il  y  a  a»  bas  de  ehaqiie  as* 
«ae,  de  Satanée  en  distance,  des  es* 
pèces  de  tenens ,  qai  servaient  probaUe- 
ment  à  les  placer  (1).  »  Quant  à  V^isty* 
pakiia,  eitadelle  dé  Polycrate  (â),  au 
Lawrû,  nieiie  où  le  tyr3n  avait  réuni  les 
femmes  les  pins  belMs  (S),  à  la  colonne 
qui  8*éle?ait  dans  V Agora  portant  ios-» 
ctiu  les  noms  des  Samiens  libérateurs 
de  leur  patrie  opprûnée  par  les  Perses  (4), 
au  Pédétès ,  lien  où  étaient  déposées  les 
chaînes  des  Mégarieos  (6) ,  et  aux  tem- 
ples de  Jupiter  Sauveur,  de  Diane,  d'A* 
poUon,  à  celui  de  Vénus ,  bâti  par  les 
courtisanes  nui  avaient  suivi  Périclès 
dans  son  «pedition  contre  Samoa  (6),  à 
celui  de  Baechus,  élevé  par  le  navigateur 
FJpis,  tous  ees  édifiées  ont  entièrement 
disparu  ;  on  a  eommeneé  à  les  démolir 
pour  la  construction  des  monuments  de 
Constantinople.  Plus  tard  les  Vénitiens 
en  ont  déplacé  et  enlevé  des  fragmenta 
entiers ,  et  le  reste  des  débris  a  servi  à 
bâtir  Mégalè-Chora  et  quelques  chétivea 
bourgades. 

N^lè-Chora  (7),  antrafois  habitée  par 
i'agaet  le  cadi,  est  encore,  ditTournefort, 
la  résidence  de  l'arehevéque  et  dn  petit 
nomlMre^eàimillcs  turques  qui  restent 
dans  nie.  Elle  est  située  sur  un  rocher,  à 
^oe  demirlieue  à  l'ouest  de  Faneienne 
Saroos;  il  s'y  trouve  un  assez  grand  nom« 
bre  d'^lices  (8)  et  deux  cent  cinquante 
maisons  pauvres  et  mal  bâties.  A  une 
petite  lieue  vers  l'est  s'étend  la  baie  de 
Cora,  appelée  aussi  Tigani  (en  grec  vul- 
gaire gàt^u  ro$id)  à  cause  de  sa  forme; 
c'était  le  port  de  l'ancienne  Samos  et 

(0  Pafocke,  Deseript.  de  C Orient,  t.  IV, 
p.  4o3. 
{%)  Héred,t  lU»  z44  ;  &uélOQ.,  Fie  de  Ca- 

(3)  Athénée,  XII,  54o,  t. 

(4)  Hérod.,  IV ,  14. 


(a)  Plutarq.,  Quejt,  Grec,  57. 
(6)Athénée,  iui,  57a,f. 


(7)  Samos  n^a  pas  été  visitée  ni  décrite  de 
DOS  jours.  Nous  prenons  les  renseignements 
lae  nous  donnent  les  voyageurs  des  deux 
'«lûensièdet. 

(S)  Pococke.  IV,  400  ;  Joseph  Georgirèoe, 
£xtrmt  €l  tMduceiom  frane,  dans  Us  Ifou9. 
^luul,  des  Fajages,  première  série,  tcXXV, 


3 


celui  qne  la  nmifdla fîUe  a  eensen^; 
il  est  petit  et  ouvert  aux  vents  du  miji  ; 
la  mer  y  est  ai  haute  en  hiver  que,  mal- 
gré Tabri  d'une  Langue  de  terre ,  les  na- 
vires ne  sauraient  y  demeurer  en  sûreté. 
Pococke  y  a  obeervé  les  débris  d'une 
construction  qui,  partant  de  terre  et  s'a« 
vacant  vers  la  langue  opposée  pour  res» 
serrer  rentrée  de  la  baie,  pourrait  bien 
être,  p6pse*t-il ,  le  reste  de  la  jetée  dont 
parle  Hérodote.  Au  midi  de  Mégalè- 
Ghora  s'étend  ce  vaste  marais ,  souvent 
empesté,  qui  n'existait  pas  jadis  ;  der-r 
rière  ce  marais  coule  Tlmbrasus ,  à  tra** 
vers  des  champs  fertiles,  qui  dépiendent 
des  couvents  de  l'île  de  Patmos.  Son 
cours  fait  tourner  les  nombreux  nioulins 
du  petit  village  de  Myles  ou  Myli;  dans 
les  environs  abondent  les  orangers,  les 
citronniers  et  les  autres  arbres  fruitiers 
de  rile»  et  les  prairies  se  couvrent  de 
CMshrys  et  de  la  germandrée,  dont  la  flo- 
raismi  a  lieu  au  commencement  de  féf 
vrier  (1).  Un  peu  à  l'ouest  de  Myli  s'al- 
longe une  colline,  toute  ombragée  de  pins 
et  de  chênes  verts ,  sur  laquelle  s*élève 
le  village  le  plus  sain  de  Tile.  C'est  Pa- 
gontas,  dont  les  habitants,  répartis  daos 
trois  cents  maisons,  au  milieu  desquelles 
a'élevaient  deux  églises,  étaient  assez 
industrieux  à  l'époque  où  écrivait  Geor- 

S'rène  (2)  et  s'adonnaient  à  la  fabrication 
«  étoffes  de  soie.  A  une  lieue  de  Pagon- 
tas,  Spathareï  avait  cinquante  maisons  et 
une  église  ;  c'est  en  face  de  ce  village  que 
0e  trouvait  en  mer  l'Ue  de  Samo«PouIo 
(petit  Samos),  d'une  demi-lieue  de  tour; 
entre  cet  ilôt  et  Samos,  le  détroit,  large 
d'un  quart  de  lieue,  esta  l'abri  de  tous 
les  vents.  Samo-Poulo  produit  une  fleur 
particulière,  appelée  muscuUa  à  cause  de 
6on  odeur  de  muscade.  Expédiée  à  Gon»> 
tantinople,  elle  y  était  l'objet  d'une  cul- 
ture très-soignée,  et  acqamitun  grand 
prix  de  ce  que  le  sultan  la  portait  dans 
ison  aigrette;  on  disait  qu'avec  le  temps 
«on  odeur  s'augmentait  au  lieu  de  s'af* 
faiblir.  A  une  lieue  et  demie  de  Spathareï 
est  Pyrgos ,  avee  cent  maisons  et  deux 
églises  ;  dans  les  environs  on  veeoeille 
un  mi<^l  très'délieat.  Sur  le  chemin  qui 
mène  de  ce  village  à  Myles ,  Tournefort 

(x)  Toumef.,  I,  p.  4a6. 
(9)  Archevêque  de  Samos  au  milieu  du 
dix-septième  siècle. 


220 


LinnvERS. 


a  retrouvé  auelqites  arcades  â'uu'aqae- 
duc,  dont  les  eaneux  avaient  été  faits 
avec  cette  terre  de  Bavonda  qui  servait 
aux  poteriesde  l'antiquité. 

Au-dessus  de  Pyrgos  il  y  avait  une 
petite  colonie  d'Arnautes  ou  Albanais, 
de  la  communion  grecque ,  parlant  un 
idiome  particulier,  assez  semblable  à  Tii* 
lyrien.  A  deux  lieues  au  sud ,  le  village 
de  Platanos  tirait  son  nom  du  grand 
nombre  de  platanes  qui  croissent  dans 
ies  environs.  C'est  l'endroit  le  plus  sa- 
lubre  de  Ttle,  et  ses  habitants  ont  une 
certaine  réputation  de  longévité.  A  deux 
lieues  vers  Touest,  Maratbo-Campos  tire 
son  nom  du  fenouil ,  nommé  marathon 
par  les  Grecs ,  qui  y  croit  en  abondance. 
Ce  village  a  deux  cents  maisons  et  deux 
églises  ;  il  est  situé  vers  Patmos.  Non  loin 
de  là,  quelques  religieux  habitent  l'ermi- 
tage de  Saint-Georges,  et  à  peu  de  dis* 
tance ,  sur  le  sommet  abrupte  de  la  mon- 
tagne, est  une  caverne,  où  la  tradition 
raconte  que  Pythagore  chercha  un  re- 
fuge. Plus  tard,  la  sainte  Vierge  s'y 
montra ,  et  uno  petite  église  consacra  fe 
souvenir  de  cette  apparition  miracu- 
leuse. D*effroyable8  rochers ,  des  arbres 
vénérables  par  leur  vieillesse,  une  soli- 
tude imposante  ajoutent  au  caractère 
religieux  de  ce  petit  édiGce ,  auquel  on 
ne  parvient  que  par  une  rampe  étroite. 
Là  l'intérieur  de  l'Ile  cesse  d'être  connu  ; 
les  guides  refusent  pour  quelque  prix 
que  ce  soit  de  marcher  plus  avant  dans 
la  montagne  ;  un  froid  âpre  s'y  fait  sentir, 
les  bétes  de  somme  n'y  trouvent  plus  rien 
qui  puisse  les  nourrir  (1).  Cette  église  de 
la   Paoagia  s'appelle  Notre-Dame  de 
l'Apparition  (UavoY^a  ^aivojjivTj  ).   En 
avançant  encore  vers  t'est,  on  voit  la  cha- 
pelle du  prophète  Ëlie ,  sur  les  hauteurs 
de  l'ancien  Cercétus.  C*est  là  que  toutes 
les  nuits  apparaissaitune  lumière  céleste, 
que  l'on  voyait  de  tous  les  environs  et 
de  la  haute  mer.  Les  incrédules  disaient 
qu'elle  était  allumée  par  des  pâtres  ou 
par  les  religieux  ;  mais  les  matelots  et 
les  habitants  de  l'île  affirmaient  qu'elle 
s'évanouissait  si  on  en  voulaitapprocher, 
et  qu'elle  était  la  marque  certaine  de 
l'existence  de  quelque  sainte  relique.  Uo 

(i)  Dapper,  Description  des  Iles  de  VArdù" 
pclf  p*  19a  ;  Tournelort ,  Foyage  au  Levant  t 


voyageur  prétend  aussi  avoir  vo  etouo- 
temple  attentivement  cette  flamme  my»" 
térieuse  (1).  Près  de  cette  chapelle '(b 
Kerki  s'élève  une  autre  église  à  ta  Pana- 
gia  ;  elle  est  située  dans  une  affreuse  so- 
litude. Les  montagnes  par  lesquelles  00 
y  arrive  sont  couvertes  de  pins,  df 
bruyères  et  d'arbousiers  ;  le  sentier,  loo^ 
de  trois  cents  pas,  qui  y  oondait, bordé 
d'une  part  par  des  rochers  et  à  peine  larjir 
d'un  pied ,  n'a  de  Fautre  que  d'affreu 
précipices.  C'est  l'église  appelée  Iiioire- 
Dame  du  mauvais  chemin ,  ou  nonx|is 
xaxoiGipaTa.  Viennent  ensuite  les  villaEC 
de  Castany  et  de  Leca ,  de  chaevn  cin- 
quante maisons  et  une  église  ;  auprès 
Relève  un  monastère,  à  une  lieue  duqoM 
on  trouve  Carlovassi ,  l'endroit  le  plfl^ 
considérable  de  l'tle  après  Mégalè^^oca 

Cette  petite  ville  a  cinq  cents  maisoib 
et  cinq  églises;  le  coronierce  mantiaie 
qu'elle  fait  avec  Scio,  Smyme  et  quelques 
autres  places,  et  l'exportation  desraisiflsj 
secs  et  du  muscat  a  beaucoup  profilés 
ses  habitants.  Son  port,  toujours  oot<91 
aux  vents  du  nord ,  est  très-mauvais;  H 
navires  de  petite  dimension  peuTtoil 
seuls  y  pénétrer,  et  pour  qu'ils  ne  mvA 
pan  brisés  il  Caut  les  mettre  à  sec  sark{ 
rivage. 

11  en  est  de  même  du  port  Seitao, 
port  du  Diable ,  où  la  tramontane  fA 
échouer  la  plupart  des  bâtiments  % 
Près  de  Carlovassi ,  au  pied  d'une  moa- 
tagne,  on  voit  la  chapelle  de  Notre-DaM 
de  la  Rivière,  qui  semble  presque abH- 
donnée.  Tournefort  y  a  trouvé  quatre 
belles  colonnes  de  marbre  grisâtre,  doel 
les  chapiteaux  sont  à  double  rang  à 
feuilles  d'acanthe  ;  des  marbres  épars  aus 
environs  font  soupçonner  des  débris  ik 
vieux  temple,  peut-être  celui  de  Mer* 
cure,  l'un  des  dieux  les  plus  honorés 
par  les  Samiens. 

En  s'avançant  vers  l'est,  à  une  distano 
de  plus  d'une  lieue  de  Carlovassi,  on  ar* 
rive  à  la  petite  ville  de  Fourni,  célèbn 
par  ses  vases  et  ustensiles  de  poterie,  tm 
estimés  des  Romains.  «  Elle  a  deux  cecti 
maisons  et  une  église;  son  nom  lui  vittii 
des  fours  où  l'on  cuit  sa  poterie.  Lf^ 

(i)  Thcvenoty  Voyage  en  i655,  praoitfi 
partie ,  p.  ^07. 

(a)  Tournefort,  Foyage  an  LtpmM,  1 1 
p.  414. 


ILE  D£  SAMOS. 


ISl 


montàj^nes  qbi  s'élèvent  non  foin  de 
Fouroi,  et  qm  se  continuent  sur  une  Ion- 
sueur  de  SIX  lieues,  sont  couvertes  de 
forêts  dont  oo  tire  toute  sorte  de  bois 
pour  les  constructions  navales  et  civiles  ; 
les  châtaigniers  y  sont  surtout  si  nom- 
breux, que  leurs  fruits  sont  abandonnés 
à  ceux  des  habitants  qui  veulent  les  re- 
fueillir.  De  la  ville  de  Vourla ,  voisine 
tie  Sniyme  sur  le  continent,  une  colonie 
est  venue  fonder  une  petite  ville  sur  ces 
hauteurs  dans  Tendroit  le  plus  froid  de 
i*ile;  ces  Voorliotes  de  SanH)s  sont  pour 
ia  plupart  bûcherons  et  font  du  souoron. 
A  un  quart  de  lieue  est  l'église  de  Notre- 
Dame  du  Tonnerre  (1),  et  un  couvent  où 
rivent  ose  douzaine  de  moines.  On  dit 
quedans  les  champs  environnants  Fherbe 
est  pernicieuse  à  tous  les  animaux  qui 
ne  sont  pas  de  Tendroit  même. 

A  trois  lieues  à  Test  de  ce  monastère 
se  trottvela  petite  ville  de  Vatbi  ou  Vassi. 
Elle aquatre cents  maisons,  mal  construi- 
les  (2);  aon  port  regarde  le  nord-ouest. 
U  est  le  meilleur  de  File,  quand  le  vent 
du  oord,  auauel  il  est  exposé,  comme  tous 
les  points  de  cette  côte,  n'est  pas  trop 
violent.  On  y  donne  fond,  à  droite,  dans 
une  sorte  d'anse  formée  par  une  colline 
qoi  s'avance  dans  la  mer  (3).  Cest  à 
Carlovassi  et  à  Vathi  que  se  faisait 
presque  tout  le  commerce  de  File.  Sa  si- 
tuation, assez  favorable  pour  le  com- 
merce, et  les  avantages  d«  son  port  Font 
rendue  dès  l'antiquité  Tune  des  premières 
positions  deSamos;  elle  portait  alors  le 
oom  dHonusia.  L'oa*upation  princi- 
pale de  ses  habitants  consiste  dans  la 
pêche  des  éponges ,  que  Ton  trouve  en 
grand  nombre  dans  les  rochers  qui  bor- 
dent Samos.  Le  régime  de  ceux  qui  se 
livrent  à  cette  pèche  est  tout  à  fait  par- 
ticulier :  dès  Tenfance  on  les  maigrit  par 
une  diète  sévère  pour  les  rendre  propres 
à  ce  genre  de  travail.  Ils  plongent  aaus 
reau  tenant  à  la  bouche  uneéponge  imbi- 
bée d'huile ,  et  les  plus  maigres  s'habi- 
tuent, à  force  d'exercice,  à  y  rester  toute 
uae  demi-heure;  c'est  le  terme  exigé 

(()  ToOhiefort,  Voyage  au  Levant,  t.I, 

V'  429. 

(a)  Toiimefort  eslime  qu'il  y  a  à  Tathi 
qiiau%  oenis  inaiaoïu,  et  Pococke  cinq  ceots. 

(3)  9ococke  tOescript,  de  t Orient,  t.  IV, 
p.  397. 


pour  un  pécheur  accompli,  et  nul  n^  peut 
se  marier  qu'il  n'ait  acquis  ce  degré  aha* 
bileté  (1). 

Du  haut  de  la  montagne  sur  les  flancs 
de  laquelle  s'étendent  les  maisons  de 
Vathi  et  ses  six  églises ,  les  points  de 
vue  sont  variés  à  l'infîni  et  les  sites 
très- pittoresques.  D'un  seul  coup  d'œil 
on  embrasse  toute  l'étendue  du  golfe  de 
Scala-Nova,  ancien  golfe  d*Ëphèse,  qui 
forme  un  vaste  demi-cercle  terminé  au 
sud  par  le  cap  Trogyle  (auj.  Sainte* 
Marie)  et  le  mont  My cale  (auj .  Sam^um)^ 
et  au  nord  sur  les  promontoires  Myon- 
nèse  et  Coryoéion  et  la  presqu'île  de 
Glazomène.  Dans  le  lointain,  sur  le  der- 
nier plan ,  on  voit  ^e  dresser,  comme  un 
mur  continu ,  les  chaînes  de  montagnes 
qui  entourent  la  plaine  du  Caystre. 

Après  Vathi,  on  arrive  vers  l'ouest  à 
PalsBo-Castro,  ()ui  comprend  cent  mai- 
sons et  une  église.  Le  port  de  Boucaria 
est  à  une  lieue  de  ce  village.  La  nature 
avait  disposé  ce  lieu  de  manière  à  le 
rendre  très-commode  pour  l'établisse- 
ment de  salines  naturelles;  mais  la 
crainte  où  étaient  les  habitants  des  im- 

Iiôts  excessifs  des  Turcs  en  empêchait 
'exploitation,  et  ils  faisaient  venir  de 
Milo  et  de  Naxos  tout  le  sel  qui  se  eon* 
sommait  dans  l'île.  Dans  la  grande  plaine 
de  Piso-Campos ,  oui  commence  à  trois 
quarts  de  lieue  de  là ,  coule  un  ruisseau, 
qui  fait  tourner  plusieurs  moulins.  On  y 
cultive  du  bon  froment ,  du  coton  et  du 
maïs.  On  y  a  consacré  une  petite  ^lise 
à  l'apôtre  saint  Jean,  qui,  selon  la  tra- 
dition ,  visita  111e  de  Samos  avec  saint 
Paul.  A  une  lieue  au  nord  de  cette 
église  est  situé  le  village  de  Métélinous. 
C  est  une  colonie  venue  de  Lesbos,  ainsi 
que  son  nom  l'indique;  la  fontaine  qui 
s  y  trouve  est,  dit  Tournefort,  la  plus 
belle  de  Ttle.  Auprès  de  cette  source,  et 
contre  l'église,  on  a  enchâssé,  à  hauteur 
d'appui,  un  ancien  bas-relief  de  très-beau 
marbre,  qu'un  papas  découvrit  en  labou- 

(x)  Dallaway ,  Consiantinopte  ancienne  et 
moderne,  etv.^  t.  Il,  chap.  Il ,  p.  47.  H  cite 
le  témoignage  de  Bluot,  Voyagitur  au  Levant, 
Ces  détaik  sur  l'éducation  des  plongeurs  sont 
exacts  ;  mais  le  terme  d'unedemi-heureest  une 
exagération  ridicule  :  la  durée  de  leur  séjour 
sous  Teau  ne  dépasse  jamais ,  pour  les  plus 
yjgoureux,sept  ou  huit  minute?. 


23ii 


LnjNIVERSi 


rant  sa  terre;  \\  a  deux  pieds  quatre 
pouces  de  long,  sur  une  hauteur  de  quinze 
à  seize  pouces ,  et  trois  pouces  d*épai8^ 
seur;  il  contietit  sept  figui^,  et  repré- 
sente une  invocation  à  Eseulape  pour 
la  guérîsoik  d'un  personnage  considé- 
rable. Pococke  dit  y  avoir  iu  le  nom 
d*ApoHonius ,  et  Fune  des  figures  tieut  à 
la  main  la  feuille  d*une  plante  purgative 
qui  croît  paniû  les  focbers,  et  qu'où 
nomme  pascaltfa  (t).  Mététiuous  n'est 
qu'à  une  demi-lieue  de  Mégalè'^Ghora  ; 
et  c'estt  le  village  par  lequel  on  revient  a 
la  capitale,  après  avoir  fait  le  tour  de  nie. 
Là  population  répartie  dans  ces  pe« 
tltes  villes  et  dans  ces  villages  était  éva« 
luée  par  Toumefort  à  12,000  âmes. 
Georgirène  Tavait  portée  à  14  ou  15,000. 
Au  commencement  de  la  guerre  de  i'In'» 
dépendance  ce  chl^e  était  plus  que 
doublé,  par  suite  de  l'augmentation  du 
commerce  et  d'un  certain  retour  à  Tin-* 
dustrie.  Pendant  cette  guerre  et  après  sa 
conclusion,  l'île  de  Samos  reçut  des 
émigrations  assez  nombreuses ,  et  dans 
une  récente  histoire  de  l'empire  turc  (2), 
la  population  de  Samos  étaH;  évaluée  à 
55,000  habitants. 

11. 

HISTOIRE    DE    l'ÎLE    DE    SAMOS   DANS 
LES  TEMPS   ANGIExNS. 

COLOItlSATION  nti  L'ÎLE  ftM  SaMOS. 

•>—  Les  premières  traditions  relatives  à 
Samos  remontent  snix  temps  amtélnsto* 
riques,  à  l'époque  où  la  nature  achevait 
de  consolider  cette  tle  et  de  la  disposer 
pour  recevoir  des  hdlyitants.  Autrefois, 
dit  Ou  vieux  mythe  conservé  pur  Héra^ 
dide  de  Pont,  Samos  était  déserte;  et  il 
ne  s'y  trouvait  que  des  monstres,  appelés 
Néades,  dont  les  mugissements  {faisaient 
tremrbter  et  brisaieut  le  sol  (3).  Sans 
doute  âes  comniotions  volcatiiquee  au-> 
font  agité  l'île  et  donné  prétexte  à  ces 
fables.  Les  premiers  habitants  de  Ttle 
durent  être  des  Pélasges.  Eustathe  dit 
positivement  que  Samos  avait  été  habitée 
par  des  Pélasges,  et  que  Junon  était  ré- 

(i)  Toumefort,  l.  I,  p.  433;  Fôcocle, 
t.  lY,  p.  4i2. 

(à)  JucherauU  de  Saint-Denis,  ffistoire  dé 
VEfnplre  Ottoman ,  1. 1,  p.  194. 

{'^)  Voir  Pniiofka ,  Hes  Samiontm ,  p.  ro. 


vérée  dans  cette  lie  soud  le  nom  de  Pé* 
iasgia  (1).  ToiitefeiSf  Samos  paraltavoii 
été  assez  lardlveraest  peuplée,  conip»- 
vatlvement  aux  lles'voisiiies ,  et  surtout 
à  Lesbos,  d'où  elle  reçut  la  colonie  doat 
l'arrivée  commence  ks  temps  hisio- 


Macarée,rundesHéliMlM,  chassé  pour 
le  meurtre  de  son  frère  de  la  ville  d'O* 
lénum  en  lonie  (  plus  lanl  Achme),  daos 
le  Péloponnèse ,  se  fixa  smis  obstacle  à 
Lesbos;  une  eolonie,  venne  deTlies- 
salie ,  le  rejoignit ,  et  permîl  à  son  fils, 
Cjrdrolaus,  de  preadre  possession  de  Si- 
mos*  Cette  tle  nit  partagée  entre  les  eoi- 
uuérantt,  et,  eomme  tooteè  cdks  m 
domina  la  famille  de  MMarée«  porta  ie 
uom  d'île  des  Bienheureux  (3)*  A  la  ni«iBc 
époque,  ou  peu  de  temps  afffèsi  Toraek 
d'Apollon  lut  envoya  soâ  second  ^  son 
véritable  fondateur.  De  Pérlmède,  (ils 
d'Ofnée,  Phébix  eM  deiia  filles,  Asty- 
palée  et  Europe;  la  première  deviatr^ 
pouse  de  Neptune,  et  lui  donna  un  iib, 
Ancée,  aoî  rat  roi  des  Léléges  ;  à  son  tov 
Ancée  épousa  Samia^  la  nlk  du  fleuie 
Méandre,  et  il  en  eut  Eandos,  Sami» 
et  Halitherse  (8).  Ce  roi  des  Lë^es, 
peuple  uni  par  le  sang  aux  Pélasges  ainsi 
que  les  Cariens,  et  qui  porta  de  mèoM 
des  émigratioiis  dans  i  Asie  Mineure, 
avait  fondé  un  établissement  dans  i'iit 
de  Céphallénie,  et  lui  avnt  donné  le 
nom  de  Samos,  lorsque  le  ciel  lai  envoya 
eet  ordre  :  «  Aneée,^  veox  qu'au  lieu  éf 
Samos  tu  ailles  habiter  une  Hé  qoi  po^ 
tera  le  même  nom;  aujourd'hui  on  rap- 
pelle Phyllé  (4).  »  11  partit  avec  des  Ce 
phallénlens,  auxquels  se  joignireat  da 
Areadiens,  des  Thessahens  et  des  Io- 
niens, se  fixa  dans  le  séjour  que  Im  trût 
indiqué  l'oracle ,  donna  à  rNe  le  nm 
qui  fui  est  resté,  fonda  la  viUe  d'Asty- 
palée  en  nïémoire  de  aa  mèrOf  développi 
la  culture  de  la  vigne  et  l'agrieultQre. 
et  ne  quitta  l'Ile,  qvi  était  devenue  sa 
patrie,  que  pour  se  joindre  aux  héros 
conquérants  de  la  Toison  d'Or.  Apre  loi 
régna  son  fils ,  soit  qu'il  fui  né  dans  te 

(i)  Raoul  Rodiette,  dohntes  Grec^ttiSf  l 
p.  393. 
(a^  Diod.,  y,  a^  ;  Pompoahis  Mêla ,  n*  : 

;3) 


(5)  Le  poète  AsiOs  cité   (utf 

vn,4. 

(4)  Jarohlique ,  f^ie  df  Pythag^  I,  *.  * 


ILE  DE  BkUÔS. 


Ciys ,  mnl  qii*il  y  fttt  veftu  avee  une  eo* 
nie  de  Céphalléaieiis  et  d'habitant» 
(f Ithaque  (f}.  C'est  à  œtte  époque,  dont 
rbiitoire  est  bien  incerlaiue ,  qa'il  faut 
rapporter  la  domination  des  Carient 
dans  111e  :  la  plupart  des  auteurs  men*- 
Donnent  ee  feît  ;  us  disent  même  que  la 
doininatîoB  carienne  fut  la  plus  aneiennft 
à  Samos  «  mais  sans  nous  apprendre  s'il 
veut  imiptioii  riolente  ou  accord  et  par- 
tage amieal  entre  les  Ioniens  de  Cydro» 
laâs  et  les  Lélèges  (fAneée.  Kous  igno- 
rons de  méflie  le  rdie  que  Samos  jfoutf 
dans  la  guerre  de  Troie ,  si  toutefois  elte 
y  prit  part. 

Si  l'oD  veut  arriver  aux  faits  bien  po* 
sitifi  de  son  histoire,  il  faut  descendre 
jusqu'au  temps  du  grand  établissement 
des  Ioniens  en  Asie  Mineure.  Vers  Tan 
1188  avant  J.-C,  les  Ioniens  chassés  de 
TEgialée  avaient  cherelié  un  refuge  dansr 
TAttique.  A  ta  mort  du  roi  Codros ,  ein* 
(juante  ans  environ  après  leur  établisse-' 
nient  dans  ee  pays^Médon,  l'un  des  fils 
du  dernier  roi,  uivorisé  parla  Pythie, 
avant  été  nommé  archonte,  ses  frèrear 
allèrent  fonder  diverses  colonies.  L'uoi 
d'eux,  Néiée,  se  rendit  d'abord  à  Naxos, 
pois  dans  l'Asie  Mineure^  et,  après  avoir 
triomphé  de  la  résistance  des  Cariens, 
touda  la  ville  de  Milet  et  les  autres  citét 
de  la  confédéraitron  Ionienne  (2).  Tem- 
Inion  et  on  descendant  de  Xuthus,  Pro^ 
<*tès,  fils  de  Pityrée,  se  détachèrent  do 
*^rps  principal,  que  conduisait  I^éléc,  et 
descendirent  dans  Itle  de  Samos.  Les* 
Cariens  qui  l'habitaient  paraissent  leur 
avoir  opposé  monts  de  résistance  que 
<^x  du  continent.  Bientôt  un  accord  fut 
eoDclu ,  en  vertu  duquel  Ttie  et  même 
la  ville  principale  étaient  partagées  entre 
ks  anciens  rabitanis  et  les  nouveaux 
venus.  Une  partie  de  la  ville  prit  du 
Oeuve  Cbésius  ie  nom  de  Cbésie,  l'autre 
conserva  la  dénomination  antienne  d'As- 
typalée  (3).  Les  Ioniens  fondèrent  en 
Asie  Mineure  et  dans  les  îles  de  Ghios  et 
de  Samos  leurs  douze  ou ,  selon  Titrnve, 
kors  treize  villes ,  en  souvenir  de  leur 
séjour  dans  le  Péloponnèse  (4)  ;  puis  ils 

(i)  Strabon,  XIV,  c.  i. 

(a)  Étien^  VIU,  5;  Pausan.,  VU,  a. 

(3)  Pausan.^   VU,    4;   Strab.,  X,  5; 

irv,a, 

(4)  Hérodote,  î,  c  i4a^  compte  douit  villes* 


s^unTrent  parle  tien  IMéraltf  du  Panio* 

nium(]). 

RElATIOlftS  BB  SiklIOS  AVSC  ÉFHÈSA 

Bt  Paièkb.  — ^  Cette  institotioif  n'en!* 
pécha  pas  les  villes  nouvelles  de  deve*- 
nir  rivales ,  la  roésifltelligeneê  ne  tarda 
pas  à  éclater  entre  elles;  Épbèse  et  Sa- 
mos en  donnèrent  le  omiier  exemple. 
Les  Cariens  du  continent,  massacrés 
pfcndant  la  conquête ,  réduits  en  esda* 
vage,  voyant  leurs  femmes  et  Umn  filles 
devenues  la  proie  des  vainqueurs,  nour* 
rissaient  contre  eeuxH»  une  haine  pro* 
fonde,  et  cherchaient  l'occasion  de  se 
sèulever.  A  Samos,  att  eonferaire,  ils 
avaient  conservé  une  portien  du  terrl'^ 
toire ,  et  jotdssaient  des  mémos  droits 
que  les  nouveaux  venus.  Ce  fut  pottr  An^ 
oroclès,  chef  des  Épbéslens,  le  prétexte 
d'attaqncr  Léogoras,  qui  avait  suocédé  h 
son  père  Proclôs  dans  la  rovauté  de  Sa« 
mos  ;  Il  l'accusa  de  favoriser  lee  Cariens 
et  de  méditer  une  alHanoe  avee  eux  eomre 
la  cause  ionienne.  Les  Samiens  furent 
vaincus  ;  une  partie  de  cette  population , 
que  les  vicissitudes  de  la  guerre  avaient 
déjà  chassée  du  Péloponnèse  et  de  l'At* 
tique,  s'exila  encore  une  fois ,  et  alla  por- 
ter à  une  fie  située  en  face  des  rivages 
de  la  Thrace  le  nom  de  sadernière  patrie. 
Mais  avec  le  reste  de  ses  sujets  Léogo^ 
ras  r^ista  courageusement  à  cette  fata- 
lité qui  semblait  avoir  condamné  sa  race 
à  une  destinée  errante.  Forcé  de  quitter 
Samos ,  tl  se  réfugia  sur  le  continent ,  se 
fortifia  dans  la  ville  d'Ans»,  demandant 
au  pillage  des  moyens  de  subsistance, 
inquiétant  Androciès  et  les  Épbésiens. 
Enfin ,  après  dix  années  de  cette  exis* 
tence,  son  courage  persévérant  fut  récom-* 
pensé;  à  son  tour  il  expulsa  les  usurpa- 
teurs, et  put  rentrer  en  possession  de  la 
conquête  de  son  père  (i).  Ce  triomphe 
des  Ioniens  de  Samos  semble  avoir  res* 

Vitruve ,  IV ,  c.  i,  en  admet  une  trdiièaie, 
Méliie,  qui,  aj«iite*t-il,  déiesiét  foar  son 
orgueil ,  ne  subuste  pas  loDgieBipa* 

(i)  PamoniiiiD  était  le  non  d^on  teaorpki 
conatruit  en  oooudvb  par  les  douze  cités 
ioniennes,  et  où  tous  les  ans  chacune  d'el* 
les  envoyait  des  députés  pour  régler  les  in- 
térêts généraux  ;  il  s'élevait  sur  le  mont  My« 
cale ,  et  était  consacré  à  Neptune  Uéficonien. 
Hérodote,  I,  i43  et  148* 

(a)  Pausan.,  VII,  4  ;  Suidl^/Avsia  ;  Plut., 
Quesf.  Grec. ,  55  ;  Afhén.,  VIII,  p.  36 1. 


334 


LlimYERS. 


serré  les  tteiis  d^amfitié  qui  les  anissaieiit 
aux  Cariens.  Priène,  l'une  des  dix  villes 
du  eootÎDent ,  attaquée  par  ces  derniers, 
demanda  du  secours  aux  habitants  de 
Samos ,  au  nom  de  leur  commune  ori- 
gine ;  par  dérision,  au  lieu  des  vaisseaux 
et  de  1  armée  attendue,  Léogoras  envoya 
une  petite  barque.  Néanmoins,  les  Pné- 
niens  furent  vainqueurs;  maïs  une 
liaine  implacable  s'établit  entre  eux  et 
les  Samiens,  et  dès  ce  moment  commen- 
cèrent des  guerres  sans  fin  au  sujet  des 
limites  du  territmre  que  ceux-ci  préten- 
daient s'attribuer  sur  le  continent. 

ABNVE&SIMBNT  DB  la.  KOYÂUTi  II 

Samos.  —  Après  Léogoras,  Samos  dut 
continuer  à  être  gouvernée  par  des  rois 
pris  dans  la  même  maison;  mais  nous 
les  perdons  de  vue,  dans  un  intervalle 
de  trois  à  quatre  siècles,  jusqu'à  Ampbi- 
crate.  Cette  période ,  si  elle  n'est  pas  cé- 
lèbre dans  l'histoire  saniienne,  ne  fut 
cependant  pas  perdue  pour  l'accroisse- 
meut  des  forces  de  Ule.  C'est  ainsi  que 
704  ans  avant  J.-C.  le  Corinthien  Ami- 
iKMsIès,  qui  le  premier  avait  donné  aux 
vaisseaux  la  forme  qu'ils  conservaient 
encore  au  temps  de  Thucydide,  fut  chargé 
par  les  Sdmiens  de  leur  construire  quatre 
trirèmes  (1).  Adonnés  à  la  navigation^ 
héritiers  des  goûts  de  piraterie  ue  la  na- 
tion carienne,  les  maîtres  de  Samos 
apportaient  tout  leur  soin  à  l'entretien 
de  leur  flotte,  et  ce  fut  un  des  pre- 
miers peuples  qui  chez  les  Grecs  se 
rendirent  redoutables  sur  mer.  Am- 
phicrate  dès  son  arrivée  au  pouvoir 
(680  ans  av.  J.-C.)  porta' la  guerre  à 
l'extrémité  de  la  mer  Egée,  dans  nie 
d'Égine  ;  et  les  succès  et  les  revers  furent 
égaux  des  deux  côtés  (2).  Eu  même  temps 
^ue  les  Samiens  recherchaient  au  dehors 
a  fonder  une  puissance  maritime,  au  de- 
dans ils  étaient  agités  par  des  factions; 
le  peuple  et  les  grands  menaçaient  la 
royauté.  Nous  ne  savons  pas  si  entre 
les  factions  rivales  il  y  eut  une  lutte  de 
longue  durée  ;  mais  la  royauté  y  suc- 
comba ,  et  Amphicrate  fut  le  dernier  roi 
de  Samos.  Cette  tie,s'étant  déclarée  libre, 
se  donna  des  magistrats  appelés  Géo^ 
mores,  et  il  est  à  présumer  que  cette  ré- 
volution ne  s'accomplit  pas  sans  vio- 

(OTliUcjd.,I,G.  i3. 
(a)  Hérodote,  III,  Sg. 


iBDce,  pnisqn^iin  grand  sonlèvement  des 

esclaves  répond  à  ce  changement.  Mille 
esclaves  se  retirent  sur  l'Ampélus ,  et  y 
vivent  de  brigandages.  Après  six  années 
d'efforts  inutiles  pour  les  réduire ,  leurs 
andens  maîtres  sont  engagés  par  l'orade 
à  traiter  avec  eux,  et  pour  s*en  délivrer, 
ils  leur  abandonnent  des  vaisseaux ,  qui 
les  conduisent  à  Éphèse  (1).  Peut-être 
cette  révolte  de  leurs  prcjires  esclaves 
engagea-t-elle  les  Samiens  a  secourir  La> 
céuémone  durant  la  seconde  guerre  de 
Messenie  (2).  Dans  le  même  temps  la 
guerre  éclata  avec  les  Éoliens  établis  à 
Lesbos  :  les  Samiens  commencèrent  les 
hostilités  ;  mais  leur  gouverueiuent ,  eo- 
core  mal  affermi,  souffrit  de  cette  expé- 
dition :  un  de  leurs  généraux ,  que  la  fa- 
veur du  peuple  avait  portéà  cette  dignité, 
Syloson ,  fils  de  Calhtélès ,  s'empara  de 
la  tyrannie.  Peu  après  ils  intervinreat 
dans  un  différend  entre  Chalcis  et  Ér<>- 
trie  en  £ubée,  où  ils  prirent  parti  pour 
les  Chalcidiens ,  et  Miiet  pour  les  Ere- 
triens  (3).  Plus  tard ,  nous  les  trouvons 
arbitres  d'un  différend  entre  Chalcis  et 
Andros  au  sujet  d'Acanthe,  que  les  Au- 
driens  obtinrent  (4).  Démotélès,  qui  ré- 
gnait en  620 ,  périt  violemment ,  et  tes 
Samiens  revinrent  au  gouvememeat  des 
géomores. 

RÉVOLUTIONS  INTESTINES.  —  5lab< 

il  semble  que  l'administration  de  c£s 
magistrats  fut  tyrannique;  car  une  ré- 
volution liée  à  une  guerre  extérieure  ne 
tarda  pas  à  les  renverser,  l^s  Mégaheni 
avaient  attaqué  Périnthe,  colonie  df 
Samos,  et  avant  leur  expédition  se 
talent  munis  de  chaînes  pour  leurs  pri 
sonniers.  Les  géomores  envoyèrent 
leur  colonie  un  secours  de  trente  navires 
sous  les  ordres  de  neuf  généraux.  Deux 
des  navires  périrent  à  l'entrée  du  port, 
frappés  de  la  foudre;  mais  les  autres, 
unis  aux  Périnthiens,  furejit  victorieux  « 
et  les  Mégariens  perdirent  six  cents  pri- 
sonniers. Les  Samiens  de  l'expédition 
armèrent  les  vaincus ,  et,  revenant  à  Sa- 
mos avec  ce  renfort,  massacrèrent  les 
géomores ,  et  leur  substituèrent  Tauto- 

(i)  Athén.,  VI,  p.  267. 
{1)  Hérodote,  lU,  47, 

(3)  Id,  V.  99. 

(4)  Plut.,  Quest,  gr„  3o;  Ensèb.,  Ckrw,  « 
rOlyrop,  XXXII. 


1L&  ym  SAMOS. 


tîê 


rite  popidftire.  Qaelqo«*iiiii  dis  Mésa* 
riens  obtinrent  le  droit  de  cité ,  et  les 
cbatoes  qu*on  avait  prises  sur  eux  et  qui 
leur  avaient  servi ,  turent  à  cette  coca- 
sioD  consacra  dans  un  <kiifioe  particu- 
lier, qu'on  appela  Pédétès  (1).  Le  gou- 
vernement du  peuple  n*eut  pas  une 
loogue  durée.  Les  guerres  qu'il  entreprit 
ne  furent  pas  toujours  heureuses  :  depuis 
déjà  longtemps  les  hostilités  étaient  en- 
gagées sur  la  terre  ferme  avec  Priène  ;  les 
Samiens  éprouvèrent  un  grand  revers, 
et  perdirent  mille  hommes  dans  un 
combat. 

Entbbpbisss  BBS  Sâhiens.  —  Peu 
aprèscependant  ils  eurent  leur  revanche* 
lies  plus  nobles ,et  les  premiers  de  Priène 
SDOoonibèrenten  un  lieu  appelé  le  Chêne, 
ft  eette  ealamité  laissa  de  longs  souve- 
nirs dans  l'esprit  des  Priéniens  ;  le  sage 
Kas  parvint  seul  à  rétablir  la  paix  entre 
les  villes  rivales  (2).  Au  milieu  de  toutes 
ces  guerres,  la  vie  des  Samiens  était 
redevenue  une  vie  de  pirates,  et  dans 
leurs  relations  extérieures,  comme  sur 
I9  place  publique,  leur  seule  règle  de 
conduite  semblait  être  la  force  et  le  ca- 
price. Ils  s'emparèrent  d'un  présent  que 
le  roi  d'Egypte  Amasis  destinait  aux  La- 
oédéoioniens.  «  C'était  un  magnifique 
«  corselet  de  lin ,  orné  de  figures  d'ani- 
"  maux  tissues  d'or  et  de  coton;  chacun 
«  des  fils  de  cet  ouvrage  était  à  lui  seul 
«  un  cbef-d*(£uvre  de  patience  et  de  dé- 
•  lieatesse  (3)  ».  Ils  ravirent  ensuite  le 
cratère  que  les  Laoédémoniens  offraient 
à  Crésus  en  retour  d'un  riche  présent 
qu'ils  avaient  reçu  de  ce  prince.  Pé- 
riandre,  le  célèbre  et  nuissant  tyran  de 
Corintbe,  n'avait  pas  été  moins  outragé. 
Voulant  se  venger  des  Corcyréens,  qui 
avaient  fait  périr  son  fils  Lyoophron ,  il 
avait  envoyé  au  roi  de  Lydie,  Alyatte, 
trois  cents  en&nts  des  principaux  ci- 
toyens de  nie  pour  en  faire  des  eunu- 
ques. Le  navire  qui  les  conduisait  ayant 
relâché  à  Samos,  les  Samiens,  instruits 
du  dessein  de  Périandre,  entraînèrent  les 
jeunes  garçons  au  temple  de  Diane,  leur 
firent  embrasser  l'autel  en  suppliants  ;  et 
comme  les  Corinthiens  du  navire  s'op- 
posaient à  ce  qu'on  leur  portât  à  manger, 

(i)  Plut.,  Quett.  Or„  57. 
(a)Id.,  Ibid.,  ao. 

(^)  Hérodote,  m  y  47. 

16*  Livraison.  (Ilb  db  Somos.) 


ils  inatitaèisot  poitr  etix  une  fifile  itérée, 
où  les  gâteaux  du  sacrifice  leur  servi- 
rent  de  nourriture;  puis  quand  les  Co- 
rinthiens, se  furent  rembarques,  ils  re* 
conduisirent  les  enfants  dans  leur  pa- 
trie (1). 

HjSTOIBB  du  TYB1.N  POLYCBATE. — 

La  liberté  sans  limite  dans  laquelle  vi- 
vaient les  Samiens  offrait  trop  de  prise 
à  la  tyrannie  pour  subsister  longtemps; 
l'un  des  hommes  les  plus  fameux  de 
l'antiquité  la  renversa  :  ce  fut  Poly* 
crate,  qui,  autant  par  son  génie  que  par 
sa  fortune  singulière,  fut,  après  P}'tha* 
gore,  la  plus  grande  illustration  de  Sa- 
mos dans  les  temps  anciens. 

Il  était  filsd'Éacès,  et  avait  deux  frère«, 
Pantagoote  et  Syloson.  Les  trois  jeunes 

gens,  avides  de  puissance  et  fiers  de 
)ur  fortune  et  de  leur  crédit,  résolurent 
de  satisfaire  leur  ambition  aux  dépens 
de  la  liberté  publique.  Ils  s'adjoignirent 
un  petit  nombre  de  complices,  et  choisi- 
rent pour  l'accomplissement  de  leur  pro- 
jet la  fête  de  Junon.  Profitant  de  Tins* 
tant  où  les  principaux  citoyens,  prétsà  ac- 
complir le  sacrifice,  avaient  déposé  leurs 
armes  à  l'autel,  ils  les  égorgent,  puis 
s'emparent  des  lieux  fortifiés,  se  retran- 
chent dans  la  citadelle ,  et  avec  le  se- 
cours des  soldats  de  Lygdamis,  tyran 
deNaxos,  restent  maîtres  du  pouvoir  (2). 
Cette  usurpation  s'accomplit  la  cjua- 
trième  année  de  la  cinquante-neuvième 
Olympiade  (541  av.  J.-C.)i  ou,  selon 
Bentley  (3),  la  troisième  année  de  la  cin- 
quante-neuvième (666).  Les  trois  frères 
se  partagèrent  d'abord  le  pouvoir  :  Po- 
Ivcrate  prit  le  gouvernement  de  la  tribu 
d' Astypalée ,  et  donna  à  ses  frères  celle 
de  Cbese  et  celle  d'Aschrion.  Mais  leur 
bonne  intelligence  ne  dura  pas  long^ 
temps  ;  Pantagnote  fut  mis  à  mort,  Sy- 
loson exilé,  et  le  plus  habile  des  trois  fils 
d'Éacès  resta  maître  de  toute  l'Ile. 

Les  sages  mesures  que  prit  Polycrate 
pour  augmenter  les  forces  et  le  bonheur 
de  toutes  ses  entreprises  étendirent  sa 

(i)  Hérodote,  III,  48;  Diog.  Laert,  I, 
di.  vu ,  ft. 

(9)  Polvttn.  Stnt,^  I,  23. 

(3)  Theod.  Paoofka,  Res  Samior,;  Btfol. , 
iSft2,  p.  a9-3a.  M.  Panofka  admet  et  oon- 
firnie  par  de  nouveaux  raisoiiDeoients  l'opi» 
nion  de  Bentley. 

16 


%» 


L'UNIVERS. 


trée du  porC,  repoussa  les  ennemis,  le^ 

granuivit ,  et  en  6t  on  grand  carnage, 
énéreux  dans  cette  oceasicm,  il  fit  ÎAm 
des  fonérailles  somptueuses  à  deux  Spar- 
tiates ,  Archias  et  Lycopas,  qui  avaient 
trouvé  dans  le  odmbat  une  mort  glo* 
rieuse. 

Après  quarante  jours  de  siège,  les 
Lacédémonîens  n'avaient  fait  aucun  pro- 
grès ;  Polyerate  leur  distribua  une  grande 
quantité  de  monnaie  de  plomb  doré. 
Séduits  par  ce  présent,  ils  se  retirèrent 
vers  le  Péloponnèse;  leurs  alliés,  restés 
seuls,  s'exilèrent,  et  après  des  courses 
aventureuses  à  Siphnos,  qu'ils  mirent  à 
contribution,  et  à  rtled'Hydrée  près  du 
Péloponnèse,  ils  allèrent  fonder  en  Crète 
la  ville  de  Gydonie  (i). 

Rien  ne  semblait  pouvoir  porter  at- 
teinte à  la  prospérité  de  Polyerate  ;  ses 
ressources  s'augmentaient  chaque  jour, 
et  il  méditait  la  conquête  des  îles  et  de 
toute  rionie.  Mais  le  moment  fiettal  ap- 
prochait où  la  fortune  allait  lui  faire  ex- 
pier cruellement  son  bonheur  passé. 
Orétès,  satrape  de  Lydie,  résolut  de 
s'emparer  de  Samos  ;  il  était  excité  par 
les  railleries  de  Mitrobate,  gouverneur 
de  Dascylium,  qui  lui  reprochait  de 
n'avoir  pas  le  courage  d'attaquer  une  Ile 
dont  Polyerate  s'était  emparé  avec  quel- 
ques conjurés;  de  plus,  il  était  irrité  de 
ce  que  le  tyran,  recevant  un  jour  un  de 
ses  ambassadeurs,  n'avait  pas  daigné  lui 
répondre  ni  même  se  tourner  vers  lui. 
Orétès  savait  combien  Polyerate  était 
avide  de  richesses;  iliuifit  tenir  un  mes- 
sage ainsi  conj^  :  «  J'ai  appris  vos  vastes 
desseins,  et  je  sais  que  vos  ressources 
n'y  répondent  pas;  suivez  un  conseil  fa- 
vorable à  nous  deux  :  Gambyse  veut  me 
faire  mourir,  donnes*moi  une  retraite,  je 
viendrai  avec  mes  tfésors,  que  nous  par- 
tagerons, et  vous  aurez  de  quoi  conquérir 
toute  la  Grèce.  Si  vous  avez  quelque 
doute  au  sujet  de  mes  richesses,  envoyez 
quelqu'un  de  confiance,  à  qui  je  les  mon- 
trerai. »  ' 

Polyerate  envoya  son  secrétaire  Méan- 
drius.  Orétès,  pour  le  tromper,  fit  emplir 
huit  grands  coiSres  de  pierres,  que  Ton 
recouvrit  de  pièces  d'or.  Sur  le  rapport 
de  Méandrius,  Polyerate  voulut  partir; 
vainement  ses  amis  et  les  devins  tâchè- 

(x)  Hérodote,  III,  44. 


rentde  le  retenir.  Sa  fille,  tout  en  pleon, 
lui  dit  qu'elle  l'avait  vu  dans  un  songe 
sinistre  suspendu  dans  les  airs,  baigné 
par  les  eaux  du  ciel  et  exposé  aux  rayons 
du  soleil.  Il  persista  dans  sa  résolution. 
Arrivé  à  Magnésie,  il  fut  saisi  par  les 
aflOdès  d'Or^ ,  mis  à  mort  et  exposé 
en  croix  (  1'*  année  de  la  64®  olympiade. 
524ansav.  J.-G.  (1)). 

C'est  ainsi  que  périt  cet  homme  re- 
mar<iuable,  auquel  Samos  dut  en  grande 
partie  sa  gloire  et  sa  puissance;  on  pou- 
vait lui  reprocher  la  plupart  des  viees 
habituels  aux  tyrans,  mais  il  y  avait 
joint  d'éminentes  qualités,  l'habileté, 
l'amour  des  grandes  choses ,  le  got)t  da 
luxe  et  des  arts;  si  tyranniqne  que  fAt 
son  gouvernement,  il  développa  la  pros* 
pérjté  publique  comme  celui  de  Pisistrate 
dans  Athènes.  Plus  tard,  abandonnéeaui 
agitations  de  la  démocratie,  en  proie  aux 
factions  de  la  place  publique,  Samos  dut 
plus  d'une  fois  regretter  le  ^^ran,  qui  en 
échange  de  sa  liberté  douteuse  lui  avait 
donné  quarante  années  de  calme  et  de 
splendeur. 

MÉANniius.  —  Ceux  des  Samieos 
qui  avaient  accompagné  Polyerate  furent 
renvoyés  par  Orétès.  Méanarius,  chargé 
du  gouvernement  de  Hle  en  l'absence 
du  tyran,  réunit  aussitôt  l'assemblée  pu- 
blique, et,  après  avoir  élevé  un  autel  à 
Jupiter  Libérateur,  il  déclare  qu'il  n'a- 
busera pas  de  l'autorité  qu'il  a  dans  les 
mains ,  qu'il  a  toujours  désapprouvé  la 
puissance  que  Polyerate  s'est  arrogée 
sur  ses  égaux;  il  ne  demande  que  sii 
talents  des  biens  du  Wran  et  la  cbargp 
sacerdotale  dans  sa  nimille.  Mais  l'un 
des  principaux  Samiens  se  lève,  ui  ^^ 
proche  d'être  indigne  d'aucune  fonetion, 
et  lui  demande  de  rendre  compte  de  son 
administration.  Averti  des  dangers  qu'il 
courait  en  rentrant  dans  la  vie  privée, 
Méandrius  résolut  de  garder  le  pouvoir: 
il  se  retira  dans  la  citadelle ,  fit  venir  les 
principaux  citoyens  comme  pour  leur 
rendre  des  comptes ,  les  fit  saisir  et  en- 
chaîner. Puis ,  comme  il  était  toœbt* 
malade,  son  frère  Lycarète ,  s'emparant 
de  l'autorité ,  les  fit  mettre  à  mort  (3). 
Mais  ni  l'un  ni  l'autre  ne  devait  régutf  • 

Syloson.  —  Syloson,  firère  de  Poly- 

(x)  Hérodote,  III,  xao^iftd. 

(a)Id.,  m,  i4a,  i43. 


ILE  DE  SAMOS. 


â2§ 


crate,  afait  aoeompagné  Cambyse  dana 
son  eipédition  d*ï^ypte;  il  s'?  était  Hé 
d'amitié  avec  Darius,  fils  d*H])^taspe, 
alors  simple  eompgnon  du  roi ,  et  lui 
a?ait  fait  présent  d  une  rieht  chlamydede 
pourpre  qui  avait  attiré  ses  regards  (I). 
Quand  Darius  fut  devenu  roi ,  il  ehar- 
gea  Otanès,  un  de  ses  généraux,  de  con* 
duire  Syloson  à  Samos  et  de  J'y  établir. 
Les  troupes  perses  n'éprouvèrent  pas  de 
résistance  V  Méandrius  et  ses  partisans 
avaient  seulement  demandé  la  permis* 
sloo  de  se  retirer  avec  la  vie  sauve.  Mats 
tandis  que  les  Perses  étaient  assis  pai- 
siblement sur  la  place  publique,  Méan- 
drius, eicité  par  les  discours  de  Tun  de 
ses  frères,  Cbarilée,  fait  prendre  les 
armes  aux  troupes  enfermées  dans  la  ci- 
tadelle, ouvre  les  portes,  et  tue  un  grand 
Bombredes  Perses  les  plus  considérables. 
Cependant,  les  soldats  d'Otanès,  une 
fois  remis  de  leur  surprise ,  repoussent 
fadiement  les  aggresseurs. 

Méandrius,  se  voyant  perdu ,  s*enfuit 
par  un  souterrain  qu'il  avait  fait  prati- 
quer sous  la  forteresse,  s^embarque 
avec  tous  ses  trésors,  et  navigue  vers 
Laoédéraone.  Ceux  qui  ne  Taccompa- 
pèrentpas  furent  passés  au  fil  de  Tépée; 
Pile  entière  fut  ravagée  et  remise  presque 
dépeuplée  entre  les  mains  de  Syloson. 
ls$  cruautés  de  ce  nouveau  tyran  firent 
encore  périr  ou  forcèrent  è  Texil  un 
grand  nombre  de  Samiens,  et  c*est  alors 
qoe  naquit  ce  proverbe  :  «  Syloson  nous 
a  mis  au  large  (2)  ».  Les  esclaves  furent 
admis  à  repeupler  111e,  et  inscrits  moyen* 
oaot  cinq  statères  dans  la  classe  des 
hommes  libres  (3).  Otanès  lui-même, 
averti  par  un  songe  et  tourmenté  par  une 
maladie ,  lui  envoya  de  nouveaux  habi* 
taDts  de  nie  de  Lemnos  et  d' Antandros , 
de  Chalcédoine  et  de  Byzance.  Syloson, 
avancé  en  âge,  ne  dut  pas  gouverner 
longtemps  ;  on  n'a  aucun  détail  sur  sa 
fin,  qui  arriva  vers  620. 

ÉAcÈs.  —  Il  eut  pour  successeur  son 
fils  Ëacès.  Celui-ci  se  trouva  du  nombre 
des  Grecs  auxquels  fut  confiée  la  garde 
du  pont  de  Tlster,  lors  de  Texpédition 
des  Perses  en  Scytbie,  et  il  mérita  la 

(i)  Soldas,  y^^iç  ;  Élien,  lY,  5. 
(a)  Hérodote,  III,  ch.  14S-149;  Strab., 
^IV,  ch.  fy$  10;  Héraclid.  Pont., koXit.,  IL, 
(3)  Suidas ,  Y.  £a{&.  6  5îi(Mc. 


favenr  de  Darius  en  prenant  parti  pour 
Histiée  de  Milet  contre  Miltiaoe,  qui  vou- 
lait que  le  pont  fût  détrait  II  savait  bien 
que  si  Danus  périssait,  l'Ionie  pourrait 
recouvrer  sa  liberté,  mais  que  les  ty- 
rans, n'ayant  plus  d*appul,  seraient  ren- 
versés. Il  ne  put  cependant  pas  empê- 
cher ses  sujets  de  se  déclarer  pour  les 
Ioniens  révoltés.  Aristagoras ,  peu  sa- 
tisfait du  secours  qu'il  leur  portait  à 
r^ret ,  le  renversa ,  et  l'obligea  à  fuir 
auprès  de  Darius. 

Sàhos  pendant  là  bévoltb  d'Io- 
NTB.  —  Dès  ce  moment  Samos,  recons- 
tituée en  démocratie,  prit  une  part  ac- 
tive à  la  rébellion  de  1  lonie,  et  se  dis** 
tingua  particulièrement  dans  le  coni- 
bat  naval  qui  se  livra  auprès  de  Itle  de 
Cypre,  et  où  les  Ioniens  restèrrat  vain- 
queurs de  la  flotte  phénicienne.  Lors- 
que rionie  fut  menacée  directement,  les 
Samiens  fournirent  soixante  vaisseaux 
à  la  flotte  qui  devait  défendre  Milet  as- 
siégée. Après  les  cent  voiles  de  Chios  et 
les  soixante-dix  de  Lesbos,  c'était  le 
plus  fort  contingent  de  la  flotte ,  qui  tout 
entière  se  montait  à  trois  cent  cinquante- 
trois  trirèmes.  Mais  cette  fois,  au  lieu 
de  s'illustrer  comme  dans  le  précédent 
combat,  ils  trahirent  la  cause  commune. 
Leur  ancien  tyran  était  venu,  à  l'insti- 
gation des  généraux  perses,  les  provo- 
quer à  abandonner  leurs  alliés.  Fati- 
gués de  la  discipline  rigoureuse  que 
leur  imposait  le  Phocéen  Denys,  com- 
mandant de  la  flotte,  ils  écoutèrent  les 
propositions  d'Ëacès ,  et  dans  l'engage- 
ment général  tous  les  capitaines  de  vais- 
seau, à  l'exception  de  onze,  quittèrent  la 
ligne  de  bataille  et  s'enfuirent  vers  Sa- 
mos (1).  Leurs  compatriotes  accueilli- 
rent mal  cette  lâcheté  :  contenus  par  les 
Perses,  ils  ne  la  punirent  pas,  mais  ils 
gravèrent  sur  une  colonne  les  noms  glo- 
rieux de  ceux  qui  avaient  courageuse- 
ment combattu.  Plusieurs  des  habitants 
de  nie,  dans  la  prévision  du  retour 
d*Édcèset  de  ses  vengeances,  s'exilèrent  ; 
ils  acceptèrent  la  proposition  que  les  ha- 
bitants de  Zancle  en  Sicile  avaient  jfalte 
aux  Ioniens  de  bâtir  une  ville  sur  le  ter- 
ritoire qui  leur  appartenait  (2).  Ceux  qui 

(x)  Pausan.,  YII ,  xo. 
(a)  Hérodote,  Y,  iia;  VI  a,  i3,  aa,  «3. 
On  verra  à  Tarlkle  des  colonies  de  Samoa  ce 


idO 


.  '  LTJHIVERS. 


4emettrdr«nt  sièireiit  d«  itoiiVeatt  l« 
joug  û'ÈaeèBi  ramené  par  les  Phénicienft  ; 
aa  reste,  ils  durent  à  leur  trahison  d*étrè 
les  seuls  des  Ioniens  doût  les  temples  et 
les  monuments  fussent  épaiipnes.  I« 
tyran  rétabli  par  les  PerSes  fut  renversé 
par  eux  :  Mardooius  en  posssnt  par  TIo^ 
nie,  lorsqu'il  porta  la  guerre  en  Grèoe^ 
abolit  toutes  les  tyronoies  (l). 

SaMOS  PKNDAin  LBS  OUEBEES  MB«> 

BIQUES.  -^  Dans  les  guerres  Médiques, 
on  voit  Samos  se  diviser  en  deux  par** 
tis  :  les  citoyens  riches  et  puissants  tien- 
nent pour  les  Perses^  le  ppuple  tend  è 
fttvoriser  la  cause  de  la  Grèce.  Les  Sa*- 
miens,  avee  les  autres  Ioniens,  furent 
contraints  dé  fournir  aux  Perses  VéquU 
page  de  cent  vaisseoux  (S).  La  veiile  de  la 
bataille  de  Salamine ,  ils  envoyèrent  un 
messager  a  Thétnistoelé  pdur  l'avertir 
des  plans  de  Tennemi^  et  lui  promettre 
de  taire  défection  le  lendemain;  mais 
deux  de  leurs  chefs,  Tbéomestor  et  Phy- 
Jacus,  combattirent  pour  les  Perses  avèe 
«ne  ardeur  qui  leS  fit  distinguer.  Théo* 
mestor  obtint  la  tyrannie  de  sa  patrie  en 
échange  de  ses  services  (S).  Il  n'en  jouit 
pas  longtemps.  Après  la  victoire  de  9a«- 
Jamine  les  Samiens  témoignèrent  de 
plus  en  plus  de  leur  sympathie  pour  les 
OrecSà  L'armée  navale  des  Perses,  forte 
de  deux  cents  navires,  s'était  retirée  dans 
leurs  porté  ;  ils  rachetèrent  de  leur  a^ 
gent  cinq  cents  Athéniens  qu'elle  amenait 
prisonniers ,  les  retirèrent  et  leur  four* 
nirent  les  nwyens  de  retourner  chet  eux. 
Puis,  à  Tinsu  des  Perses  et  de  Théomes* 
tor,  ils  députèrent  vers  là  flotte  grée» 
que^  qui  se  tenait  à  Délos  sans  oser  s'a* 
venturer  plus  loin;  leur  ambassadeur 
Hégésistrate  détermina  par  ses  instances 
le  commandant  Léotjrcnidè  à  s'avaticet 
jusqu'à  Mycale,  où,  bien  que  désarmés, 
ils  secondèrent  leurs  alliés  de  tout  leur 
pouvoir  (4).  La  victoire  que  les  Grecs 
remportèrent  délivra  les  Samiens  de 
leur  tyran.  Les  confédérés,  reconnais- 
sant la  difficulté  de  protéger  d'une  ma-* 

que  devinrent  ces  Samiens ,  qui ,  ao  lieu  de 
fonder  une  ville  nouvelle,  s  emparèrent  de 
Znnde. 

(i)  Hérodote,  VI,  43. 

(a)  Diod.  de  Sic,  XI,  3. 

(3)  Héjt>dote,  Tin ,  S5. 

(^  Id*,  YIIl  el  tX ,  {Mssisi. 


Bière  dfidaoe  les  ioniens^  eurent  la  fm- 
sée  de  les  transporter  en  Grèee  pour  lis 
y  éteblîf  ^  à  la  plaee  des  peuples  qui 
avaient  soutenu  l'invamn  des  PeiM; 
mais  les  Atfaéniens  s'opposèrent  à  ee 
qu'on  déplaçât  leurs  eolonies;  les  ha- 
bitants de  Samos  conservèrent  leur  Ile, 
el  après  avoir  pr^té  le  serment  entrè- 
rent dans  l'alliance  grecque  (1).  Psum- 
Bias,  que  les  Spartiates  avaient  mis  è  la 
tête  de  la  flotte  confédérée,  se  rendit 
odieux  aux  ihsulaires,  qui  recoururent  à 
la  nroteetton  des  Athéniens ,  et  leur  dé- 
férèrent le  commandemeitt.  Aristide 
eondttisit  les  Samiens  contre  Dyxaoo^  : 
en  radine  temps  ils  prirent  part  soi 
succès  par  lesquels  Cimon  assurait  lêer 
indépendance.  Le  traité  de  449  leur  ga* 
rantit  la  jouissance  de  leur  liberté  et  là 
faculté  de  se  gouyerner  selon  leur  désir. 
SAHoa  ftotjs  hk  BoBiif Attoir  n'A- 
tHÈNBB.  —  Les  faits  qui  suivirent  don- 
nent à  penser  qu'ils  se  eonstitaèreot  sa 
oligarchie.  Dès  oe  moment  dans  Tbis- 
toire  intérieure  de  Samos  nous  retrou- 
vons une  lutte  continuelle  emre  les 
deux  éléments  aristooratft|ue  et  popu- 
laire; dans  rhistoire  extérieure,  te  ft- 
nouvellement  de  la  guerre  aven  les  au- 
tres Ioniens,  puis  avec  la  métropole.  Le 
commerce  et  l'industrie  prirent  à  ce  mo- 
ment chez  les  Samiens  un  dételoppe- 
ment  considérable  \  leurs  richeËsOi  s  l^ 
crurent,  leur  puissance  maritime  devlat 
telle  que  peu  s'en  fallut,  de  Tatluéc 
Thucydide,  qu'Athènes  ne  përdtt  l'em- 
pire de  la  mer  (S).  Tant  de  prtNAérité  ia- 
Stfiéta  les  fies  voisines^  moius  ratorliées 
e  la  fortune^  et  surtout  Athènes,  d'an* 
tant  plus  jalouse  que  Samos  était  « 
oolohie;  elle  résolut  de  s'opposer  I  eMI^ 
extension  de  forces ,  et  l'oecasiou  de  le 
faire  ne  tarda  pas  à  s'offrir. 

Le  différend  éternel  de  Samos  «ii 
sujet  des  terres  qu'elle  tenait  auorès  de 
Priène  se  renouvela  arec  les  Miiésiefli. 
qui  furent  vaincus.  Ils  recouramit  à 
Athènes  ;  celle<l ,  au  tiom  de  ses  droits 
de  métropole ,  intervint  avec  empress^ 
ment  ;  mais  les  Samiens  refbsèreot  et 
cesser  les  hostilités  et  de  Soumettre  le 
différend  à  l'arbitrage  des  Athéniens 
Cette  désobéissance  et  d'autres  motifs. 

(i)  Hérodote,  IX ,  fo5. 
(a)  Thucydide»  Tm,  ^6. 


ILE  DE  SAMOS. 


381 


30s(|ii€li  tioM  trduvdas  mué  le  non  ë« 
ia  célèbre  As^eefe,  firent  éelater  la 
gnérre.  YoM  quelques  lignée  du  rédl  de 
Platarqtie  à  oe  dujet  :  «  Périclès  fit  ûê* 

-  cerner  le  guerre  eo&tre  ceux  de  Samoe 

*  eti  faveur  de  eeun  de  Milet^  à  la  re« 
•*  Qtieste  d'Aspasia  (t),  à  cause  que  cet 
«deux  ditefe  atuient  guerre  ensemble 
«  pour  le  ville  de  Priéue,  et  estoient  lee 

<  SafUiens  les  plus  forts  :  mais  les  Atbé* 
«  niêus  leur  commaudètent  qu'ils  eus* 
«  «sut  à  laisser  la  rore  des  armes  et  à 

-  venir  plàiderleur  différent  deranteult 
«  pour  letir  en  estre  fait  druit  :  ee  qu'ils 

<  ne  voulurent  faire.  Par  quoy  Périclée 
«  ?  alla  4  et  y  abolit  le  gouvernement  du 

<  petit  nombre  de  la  noblesse^  prenant 
«  pour  oetages  dnuiiaâte  des  prineipauli 

•  personnages  de  la  ville  et  autant  d*enj 
>  tants ,  lesquels  il  meit  en  dépost  en 
«  risie  ôB  Leitmdâ  (i).  »  Ces  otages  el 
le  Perse  Pissuthttès,  qui  leur  était  atta- 
ehé,  voulurent  séduire  l'AtlténieU  à  prix 
d'argent;  mais  il  se  montra  incorrupti** 
ble.  Cependant  les  Samiens  recouvrèrent 
leurs  otages,  grâee  à  Pissuthnès,  et  se  ré^ 
voilèrent.  Périclès  retourna  ters  eux  9  ils 
firent  cotirageusement  tête  au  péril,  et  il 
y  eut  une  bataille  natale  près  de  l'île  de 
Tragia.  Périclès  avec  quarante  voiles  fut 
vainqueur  des  ennemis ,  qui  en  avaient 
Mixante^iX^et^  poursliitant  sa  victoire^ 
i)  assiégea  les  Samiens  daiis  leur  vllie« 
Geux-ei  résistèrent  ^  et  firent  des  sorties 
ftéfttiebtes.  tn  renfort  survint  à  Péri^ 
clés  ;  il  quitta  le  siège,  et  fit  voile  vers  la 
haute  mer,  à  la  reneoutre  de  plusieurs  na- 
vires phéniciens  qui  venaient  au  secours 
de  SamôB.  Mais  pendant  son  absence 
Métissus,  général  des  Samiens,  fit  nnè 
sortie  contre  les  navires  restés  an  siège 
de  la  ville  ;  les  Athéniens  furent  battus  ^ 
perdirent  plusieurs  vaisseaux ,  et  les  as-^ 
sièges  purent  s'approvisionner.  Dans 
lears  préoédemes  victoires  les  Athéniens 
avaient  imprimé  UneSamène  sur  le  front 
de  leurs  prisonniers;  en  représailles^  lèS 
Satniens  marquèrent  d'une  chouette 
ecH\  des  Athéniens  qu'ils  avaient  pria  (8). 

(1)  A.<^i>asie  était  de  MWeï. 

(a)  Plut.,  Pér,,  c.  a5. 

(3)  Suidas,  s.  v.  Sdt&T),  dit  que  ce  furent  les 
Alliénieiis  qui  marquèrent  leurs  prisonniers 
d'une  cliouette,  et  les  Samienis  d*iiùe  sadiène-, 
empreinte  de  leur  monnaie. 


A  la  noutelle  de  la  défaite  de  ses  lieu- 
tenants, Périclès  accourut.  Melissus  s'a> 
vança  à  sa  rencontre^  et  fut  repoussé  ; 
l'Atiiéuien  le  suivit,  et  convertit  lesién* 
en  bioeus.  Mais  Ti  m  patience  de  ses  sol- 
dats ne  put  s'accommoder  de  tant  de 
lenteur,  et  on  livra  à  la  ville  des  assauts 
fréquents^  dans  lesquels  les  machines  de 
guerre  nouvellement  inventées  (441)  et 
mises  en  usage  par  un  ingénieur  du 
nom  d'Artémon,  au  servies  de  Périclès, 
rendirent  de  grands  services.  Après  neuf 
mois  de  résistance  opiniâtre,  les  assié- 
gés cédèrent;  leurs  murailles  furent  ra- 
sées» tous  leurs  vaisseaux  leur  furent  re- 
tirés, et  une  rançon  considérable ,  paya- 
ble en  partie oomptant)  leur  fut  imposée; 
en  garantie  du  second  payement ,  ils  li- 
vrèrent des  otages  (1).  Le  Samien  Du- 
ris  aOcuse  le  générai  ati)énien  d'avoir 
usé  de  la  dernière  cruauté  envers  sea 
prisonniers  ^  d'avoir  traîné  à  Milet,  sur 
la  place  publique,  et  fait  mourir  de  faim 
et  achever  sous  le  bâton  les  capitaines 
et  les  soldats  des  galères  )  mais  les  né* 
négations  de  Plutarque4  le  silence  d'A* 
ristote,  d'£pliore,  de  Thucydide  et  le 
caractère  de  Périclès  repoussent  cette 
accusation.  De  retour  à  Athènes ,  le  gé- 
néral victorieux  prononça  Téloge  funèbre 
des  citoyens  morts  dans'  cette  guerre.  11 
fut  comblé  d'honneurs  ;  on  le  plaça  au- 
dessus  d'Agamemnon,  pour  avoir  sub- 
jugué en  neuf  mois  la  cité  la  plus  puis- 
sante de  rionie^  tandis  que  le  vainqueur 
de  Troie  était  resté  dix  ans  sous  les  murs 
d'une  ville  barbare.  Cependant,  l'orgueil 
et  la  haine  une  fois  assouvis  «  il  y  eut 
parmi  les  Athéniens  mêmes  quelques 
sentiments  de  compassion  pour  la  mal* 
beureuse  cité  que  Périclès  avait  sacrifiée 
aux  intérêts  politiques  de  sa  patrie.  Au 
milieu  de  la  foule  qui  félicitait  le  vain- 
oueur^  on  raconte  qu'Elpinice,  sœur  de 
Gimon  «  lui  reprocha  amèrement  d'avoir 
triomphé  non  des  Perses,  des  Phéniciens 
et  des  barbares,  mais  d'une  ville  sœur 
et  alliée. 

£n  effets  cette  entreprise ,  nécessaire 
pour  le  maintien  de  l'empire  d'Athènes, 
était  comme  le  prélude  oes  guerres  in- 
lestines  où  toute  la  Grèce  allait  s'enga- 
ger. Toutefois,  elle  eut  pour  résultat  ini- 

(i)  Plut.,  Péricl,,  48 et  suiv.;  Thucyd.,  1.  F, 
Ti5  et  suiv. 


239 


LUNIVERS* 


médiat  d'épouvanter  les  alliés  d'Athènes 
et  de  les  maintenir  sous  sa  dominatioD. 

SAMOS  pendant  la  6UBBBB  DU 

PÉLOPONNÈSE.  —  Périoiès  allant  relevé 
le  parti  populaire,  les  partisaos  de  Fo* 
ïigarchie  se  réfugièrent  a  Anasa,  et  servi- 
rent de  toutes  leurs  forces  les  Laoédé- 
moniens.  La  quatrièmeannée  de  la  guerre 
du  Péloponnèse,  les  Lesbiens  s'étant 
ouyertement  séparés  d'Athènes ,  la  jeté* 
rent  dans  un  grand  embarras.  Les  Sa- 
miens  d'Anœa  alunirent  aux  Gariens  ; 
et  quand  Lvsiciès,  général  athénieo, 
arriva  avec  douze  vaisseaux  pour  préle- 
ver le  tribut  chez  les  alliés ,  ils  ratta- 
quèrent,  détruisirent  en  partie  son  armée, 
et  le  firent  périr  (1).  Puis  ils  adressèrent 
au  général  de  la  flotte  péloponnésienne, 
Aleidas,  des  représentations  sur  la  ma" 
nière  dont  il  traitait  les  Ioniens  qu'il  avait 
fait  prisonniers  :  «  les  maltraiter  était , 
disaiént-ils,  un  mauvais  moyen  pour 
donner  la  liberté  à  la  Grèce,  et  ces  insu- 
laires n'étaient  que  par  nécessité  dans 
ralliance  d'Athènes  ».  Cette  petite  ville 
ff  Anœa,  très-fortifiée,  ne  cessa  d'inquié- 
ter les  Athéniens  tant  qu'ils  maintinrent 
rionte  dans  leur  obéissance  ;  tous  les 
mécontents  et  les  exilés ,  tous  ceux  qui 
ne  pouvaient  souffrir  leur  dominatioa 
s*y  réfugiaient,  et  de  là  favorisaient  la 
navigation  des  Péloponnésiens  en  leur 
envoyant  des  pilotes  (2).  Lorsque  les 
Athéniens  entreprirent  la  guerre  de  Si- 
cile ,  les  Samiens  les  y  accompagnèrent 
comme  sujets  et  tributaires  (3). 

Après  la  funeste  issue  de  cette  expé- 
dition (413),  les  luttes  intestines  entre  le 
{>euple  et  les  grands ,  c'est-à-dire  entre 
e  parti  d'Athènes  et  celui  de  Sparte,  se 
renouvelèrent.  Chios  s'était  soulevée,  et 
sa  défection  avait  jeté  les  Athéniens  dans 
iin  extrême  embarras.  Ceux-€i  se  résignè- 
rent aux  plus  grands  sacrifices,  et  firent 
partir,  sous  les  ordres  de  Strombichide, 
un  de  leurs  généraux,  huit  vaisseaux  pour 
Samos  ;  une  galère  samienne  se  joignit  à 
sa  flottille,  et  il  se  dirigea  vers  Téos.  Mais 
Chalcidée,  commandant  de  la  flotte  lacé- 
démonienne,  forte  de  vingt-trois  voiles, 
navigua  de  Chios  à  Téos.  Strombichide 
regagna  prudemment  Samos,  d'où  il  ne 

(i)  Thucydide,  m.  19. 
(«}M.,1V,  74, 
(3)  Id.,  VII ,  57. 


p«t  efispéeher  AksOriade,  mû  akns  an 
Lacédémoniens ,  de  souiéver  Milet;  Sa- 
mosfiutleeeatre  desopérations  de  la  flotte 
athénienne  pendant  toute  la  dernière 
partie  de  la  gnerre  du  Péloponnèse*  Les 
Athéniens,  intéressés  àcequ'ellekur  de- 
meurât entièrement  attachée,  y  vireot 
avec  plaisir  et  y  favorisèrent  nne  révola- 
tion  du  peuple  contre  les  grands;  trois 
vaisseaux,  venus  d'Atlièoes,  aidèrent  aa 
soulèvement  du  petit  peuple,  etdeux  cents 
des  plus  riches  citoyens  furent  égorgés, 
quatre  cents  envoyés  en  exil.  La  Cactioa 
victorieuse  se  partagea  les.  maisons  et  les 
terres  des  proscrits,  et  reçut  d'Athènes, 
par  un  décret,  le  titre  d'alliée  fidèle,  avec 
la  permission  de  vivre  désormais  sous 
ses  propres  lois.  Bile  prit  en  main  l'ad- 
ministration de  la  république,  et  n'eut 
aucun  commerce  avec  les  riches  qui  ha- 
bitaient la  campagne  (t).  Depuis  ce  mo- 
ment, les  Athéniens  n'eurent  pas  de  ^os 
constantsoutlen  que  Samos.  La  lângtieme 
année  de  la  guerre  du  Péloponnèse  (412), 
trois  mille  cinci  cents  hoplites,  Athénleos 
et  alliés  d'Athènes,  s'y  reunirent  pour  al- 
ler assiéger  Milet.  Phrynichus,  leurdief, 
remporta  une  victoire  sous  les  murs  de 
cette  ville,  et  se  refusa  à  courir  les  ha- 
sards d'une  bataille  contre  les  forces  da 
Péloponnèse  ^ui  venaient  à  sa  rencon- 
tre. Il  se  retira  à  Samos,  y  réunit  sa 
flotte ,  et  se  borna  à  des  courses  sur  les 
ennemis.  Les  Samiens  firent  de  leur 
côté  quelques  excursions  (2) ,  et  prirent 
un  certain  nombre  d'Érytbréens ,  aux- 

3uels  ils  donnèrent  la  liberté  a  la  con- 
ition  de  soulever  leur  patrie  contre  les 
Péloponnésiens.  Des  expéditions  nom- 
breuses continuèrent  à  inquiéter  les  en- 
nemis d'Athènes,  et  Ttle  fut  le  théâtre  des 
intrigues  d'Alcibiade  et  de  Phryniclius. 
Ce  dernier,  en  haine  d'Alcibiade,  qui 
alors  s'efforçait  de  rentrer  à  Athènes, 
proposa  au  général  Spartiate,  Astyo- 
chus ,  de  lui  livrer  l'armée  aUiéoienhe. 
Il  était  facile  de  la  surprendre  dans  Sa- 
mos, où  elle  se  tenait  et  qui  n'était  pas 
fortifiée.  Mais  Astyochus,  s'étant  rap- 
proché d'Alcibiade ,  dénonça  cette  tra- 
hison (3)  ;  Phrynichus,  pour  donner  le 
change  aux  Athéniens,  se  montra  résolu 

(1)  Thucydide,  VIII,  16-9  r. 

(a)Id.,Vni,a7. 

(3)  Id.,  Vin, 48. 


ILE  DE  SAMOS. 


2n 


à  défendre  6Mif8Mii86inêBt  raniié6  qii*ll 
s'était  proposé  de  livrer.  Il  apprit  Itii- 
méme  aux  soldats  que  les  ennemis  atta« 
queraidot  le  eamp,  et  les  engagea  à  re- 
ierer  les  nnirs  de  Samos*  Ils  obéirent , 
et  la  Tille  dut  à  la  haine  mutuelle  de 
deux  Athéniens  de  recouvrer  ses  mu- 
railles, abattues  par  Périelès. 

Sur  ces  entreniites  une  brusque  révo- 
lution éelata  à  Athènes  :  le  pouvoir  po- 
pulaire fiit  renversé  et  remplacé  par  un 
souTemement  de  quatre  cents  des  prin- 
àpaux  de  la  ville.  Un  changement  sem- 
blable faillit  s'effectuer  à  Samos,  où  ceux 
même  qui  d^abord  s'étaient  distingués 
par  leor  animosité  contre  Toligarchie 
eagagèrent  les  riches  à  rétahlir  cette 
forme  de  gouTernement.  Non  contents 
de  se  rappUquer,  ils  voulurent  la  faire 
adopter  par  les  habitants  des  fies  voi- 
naes.  Le  général  athénien  Pisandre, 
gnod  partisan  de  l'oligarchie  et  l'un  des 
promotears  de  la  nouvelle  révolution, 
ibt  envoyé  à  Tbasos  et  dans  d'autres  en- 
droits ,  pour  y  abolir  Fétat  démocra- 
tique. A  Samos,  trois  cents  citoyens  pri- 
not  en  main  la  direction  des  affaires, 
800S  les  auspices  du  général  athénien 
Cbannlnus  (t)  ;  mais  bientôt  une  conju- 
ratioD  se  forma  contre  eux.  Tous  les  gé- 
néraux d'Athènes  présents  dans  Ttle  n'é- 
taient pas  également  favorables  à  l'oli- 
Itarebie.  Léon  et  Diomédon  jouissaient 
Tun  et  r autre  d'une  grande  considération 
parmi  le  peuple;  et'ThrasyUe  et  Thra- 
sybole,  commandant  le  premier  un  corps 
d hoplites,  le  second  les  trirèmes,  se 
prêtèrent  aux  supplications  des  plus 
compromis  du  parti  populaire.  Ils  repré- 
sentèrent à  leurs  soldats ,  surtout  aux 
|H)mmes  libres  du  Paralus  (2)  qu'il  était 
iadigne  des  Athéniens  de  s'asservir  au 
pouvoir  des  plus  riches  ;  ils  les  entraî- 
nèrent dans  leur  complot.  Les  factions 
rivales  en  vinrent  aux  mains;  l'avantage 
lesta  au  peuple  :  trente  des  oligarques 
^rent  mis  à  mort,  trois  des  plus  eom- 
)romis  furent  exilés,  le  reste  obtint 

(i)  Thucydide,  VIII,  7S-74. 

(s)  Le  Panlos  était  une  galèr*  athénienne 
pedalement  dertinée  au  transport  dcc  dépu- 
atioQs  sacrées  et  des  objets  da  culte ,  quel- 
Mois  aussi,  comme  la  Salaminienne,  à  celui 

l«  crimineb  justiciables  des  tribuiMiux  d'A- 

bèoes. 


Î^riee;  et  d'est  aansi  que  les  prineipes  de 
a  démocratie,  d'autant .  plus  menacés 
ou'nne  grande  partie  du  peuple  s'était 
d'abord  montrée  contraire  à  leur  main- 
tien ,  prévalurent  et  continuèrent  à  gou- 
verner la  cité  sami^ne  (i).  Ce  succès 
obtenu,  les  Samiens  et  l'armée,  pleins 
de  joie,  voulurent  en  faire  part  à  Athè- 
nes ,  ignorant  le  triomphe  des  Quatre- 
Cents.  Chéréas,  l'un  de  ceux  qui  avaient 
montré  le  plus  de  vivacité  dans  toute 
cette  affaire,  partit  sur  le  Paralus.  M^is 
arrivé  dans  la  ville,  il  n'eut  que  le  temps 
de  se  cacher  ;  ses  compagnons  furent  mis 
aux  fers,  et  lui-même  ne  se  rembaorqua 
pas  sans  peine. 

De  retour  dans  l'Ile,  il  exagéra  la  si- 
tuation d'Athènes ,  et  montra  les  vain- 
queurs prêts  à  égorger  les  parents  des 
soldats  de  Samos.  Il  anima  si  bien  le 
peuple,  qu'il  fallut  toute  la  sagesse  des 
nommes  modérés  pour  le  contenir  et 
l'empêcher  d'exercer  sur  les  partisans  de 
l'oligarchie  de  cruelles  repr&ailles  pour 
des  méfaits  imaginaires.  Thrasylle  et 
Thrasybule  se  contentèrent  de  réunir  les 
soldats  et  les  citovens ,  et  de  faire  jurer 
par  les  plus  terribles  imprécations ,  sur- 
tout aux  partisans  de  Toligarchie,  qu'ils 
resteraient  attachés  à  la  constitution 
démocratique,  qu'ils  vivraient  dans  la 
concorde  et  poursuivraient  vigoureuse- 
ment la  guerre  du  Péloponnèse.  Tout 
ce  qu'il  y  avait  de  Samiens  en  âge  de 
porter  les  armes  prêta  ce  serment.  Ce 
nit  alors  un  antagonisme  déclaré  entre 
Athènes  livrée  aux  oligarques,  et  Samos, 
soutenue  par  l'armée  restée  démocra- 
tique. Celle-ci  voulait  maintenir  l'état 
populaire,  celle-là  amener  les  soldats  et 
les  Samiens  à  l'oligarchie.  Les  soldats 
ne  cédèrent  pas  ;  ils  se  donnèrent  à  Thra- 
sylleet  à  Thrasybule,  qui  leur  rappelèrent 
avec  complaisance  qu'ils  étaient  nom- 
breux ,  bien  armés,  et  qu'ils  possédaient 
Samos,  autrefois  la  rivale  d'Athènes.  En 
même  temps  ils  s'apprêtèrent  à  combattre 
les  Péloponnésiens ,  attentifs  à  profiter 
des  discordes  d'Athènes  et  de  1  armée. 
Samos  avait  à  ce  moment  beaucoup  re- 
levé ses  forces  navales  ;  car  Thucydide 
mentionne  quatre-vingt-deux  vaisseaux 
samiens,  avec  lesquels  les  généraux  d'A- 
thènes purent  braver  tous  les  efforts  du 

(x)  Thucyd,!  VIII,  76  et  suiv. 


^34 


L'UXlfBRi. 


chef  0«lbtMDtiéfiieii  Aitjnoiiitis  (l).  Thn- 
9fhme,  renforéé  d«  StroitiMcliMe,  coïk- 
liDUft  la  guèrré  eMéri9ufe^  et  en  mdiiie 
temps  négocia  te  tappeï  d'Aldblade* 

L'Armée  ne  tarda  pal  à  j  eoiSMntir,  et 
ë*eM  à  Bamoft  que  rAthéûfen  fit  sa  ré- 
eonelliattoti  a^eo  aea  eotnpatrïoiM.  Les 
Samietis  panagèf  ent  remhousiasine  qu'il 
tïè  tatda  pas  à  faite  naîtte.  Entre  autres 
hondeura,  Il  dbtitit  le  (iritilétfe  d*uile 
statue  datis  le  temple  de  Judon  a  e6té  de 
eelfe  de  la  déeese  (9).  Son  retour  ne  fot 
pâs  sans  utilité;  Il  tendit  aux  Athéniens 
de  la  tille  et  à  eent  de  Tarmée  le  ser- 
tice  d'empêcher  entre  eui  une  (soBtte 

civile  (S). 

Sftmos  loi  eervit  de  quartier  général 
dan^  ses  diverses  opérations  militairel, 
et  les  Samiens  eootintèrent  aut  Athé- 
niens leur  amitié  et  leura  services*  Ce  fut 
d  Samoa  que  la  flotte  athénienne  te  re- 
tira après  la  défaite  à  Ifotium  d'Antio- 
elius,  lienténadt  d*Aleibiade«  Conon  et 
ses  neuf  collègue»  tinrent  y  proidre  le 
Commandement  de  la  flotte  qu*nn  décret 
leur  conférait  en  remplacement  d'Ald- 
biade;  dix  taisseaux  Samiens  ae  Joigni- 
rent à  eeujt  qtl' Athènes  envoyait  contre 
CallicratidaS)  et  prirent  part  à  la  bataille 
déâ  Argitidses  (400)  (4).  Enfin,  nous  re- 
trouvons, sous  le  commandement  d*Hin- 
péus ,  général  de  rtle ,  les  Samiens  A  la 
bataille  d'iOgos-Potamoa.  Seuls  ils  ont 
suivi  jusqu'à  la  fin  la  fortune  d'Athènes  ; 
elle  est  prise,  ils  résistent  encore;  et 
c'est  contre  elle  que  Lysandre,  après 
atôir  établi  la  tyrannie  des  trente,  se 
dirige  avectoutes  ses  forces  navales.  Rien 
n'égala  le  désespoir  des  Athéniens 
quand  ils  tirent  qu'on  allait  leur  enlever 
cette  belle  colonie  ^  cette  alliée  fidèle  et 
constante.  Ils  supplièrent  Lysattdre  de  la 
leur  laisser;  mais  le  général  se  conten- 
te de  leur  demauder  s'il  était  juste  que 
ccut  qui  n'étalent  pas  leurs  maîtres  fus- 
sent les  maîtres  d'âutrui.  Le  laconisme 
cruel  de  cette  parole  plut  aux  Grecs,  qui 
en  firent  ce  proverbe  :  Cefui  qui  ne  èe 
possède  pas  même  t>eut  possédée'  Sa- 
fnos.  Après  la  défaite  âtÉ  Athéniens, 
la  défection  avait  été  générale;  la  fac- 

fij  Thucyd.,  Vllt,  79. 
(a]  Pausan.,t^,  c.  3. 
(3)Thucyd.,  Vin,  86, 
(4)  Xénoph.,  tletlt/i,,  t,  eb.  6. 


tlun  tke  odiiefl  à  Sumo»  unit 
enfin  venue  de  reconquérir  sa  supério- 
rité: elle  appela  de  toiu  aes  voeux  L;* 
sandre  et  les  Laeédémoniens  ;  mais  \fi 
peupICf  exaspéré  par  ses  revers,  égorgea 
tous  ses  ennemis,  ets'tppréta  à  soutenir 
un  siéf^  (1).  Lysaiidre  pressa  si  ^igoa- 
reusement  les  opérations  <  que  birotot 
il  fallut  capituler  et  se  rendre  à  la  seule 
oondition  que  tout  homme  libre  sorti- 
rait emportant  un  habit  \  les  propriétés, 
les  richesses  privées  et  publiques  furent 
à  la  discrétion  du  vainqueur  (4oa).  Ly- 
sandre  rappela  les  exilés  et  sea  fidèles  ai- 
llés d*Anœaf  établit  à  la  tête  des  affaires 
un  conseil  de  dix  magistrau ,  avec  bd 
commandant  lacédémonien,  Thoradui, 
qui  reçut  le  titre  d'barmoste ,  et  ae 
quitta  Samoa  qu'après  y  avoir  restauré 
le  parti  oligard]ique4  qui,  dana  sa  recoa- 
naissance ,  lui  consacra  une  statue  a 
Olympia.  Ceux  des  Samiens  qui  ne  pa- 
rent plier  leur  turbulenee  no  nouveau 
régime  s^exHèrent^  et  ces  bannis  allè- 
rent partout  chercher  du  service  et  r^ 
nandre  leur  activité;  c'est  aiaai  que  dans 
rexpédltion  do  jraneCyrUB4  noua  voyons 
l'on  d'eux,  Gaulitès^  obtenir  daoslei 
oonseils  du  prince  une  place  distiagaée 
et  raccompagner  jusqu'à  Guaaxa  (1). 

SAMOS  HBtOlIBfl  SOUa  l'iNfLUKRa 

D'Athàubs.  —  Lefouvemanaent  étaUi 
par  Lysandre  à  Samos  ne  dura  pas  pi» 
longtemps  que  la  tyrannie  constituée  ^ 
Athènes.  GonoUi  victorieux  à  Guide,  re- 
lève la  puissance  maritime  d'Athènes: 
H  accourt  aussitôt  à  Samos,  etrenvene 
l'harmoste.  Lesaneiennessyropathiesda 
peuple  pour  sa  métrop(4e  se  réveilieat 
avec  toute  leur  vivacité,  et,  oontme  hV 
eibiade  et  Lysandre,  Conon  a  lea  boa- 
neurs  d'une  statue.  Mais  il  quitte  111e, 
et  trois  généraux  Spartiates,  qui  se  ren- 
daient à  Rhodes  avec  sept  trirèmes,  f 
abordent  et  relèvent  la  uietion  des  no- 
bles. C'est  ainsi  que  la  malheureuse  as- 
mos,  agitée  entre  les  deux  partis,  con- 
sumant ses  forces  à  servhr  tantôt  Tua, 
tantôt  l'autre ,  se  déchirait  de  ses  pro- 
pres mains,  et  achevait  de  miner  re 
qui  avait  aurvécu  de  sa  puissance  à  tant 
de  guerres  et  de  oalamitéa.  L'un  des 
géo&aux  laeédénfonianat  Téleutias,  re- 

(i)  :iértopli.,  Bêiitft.,  ît,e.  «. 
(a)  Id.,  jtnai.f  ch.  VII, 


ILE  DE  S4M0S. 


195 


! 


ritt  de  Samos  tm  ittMdft  do  qwAffoeH 
vaissniit  podf  eombattK  les  AtliéDieiMi 
399)  (1).  Les  Samiêfil^  abètoéseï  déliKH 
nWséê  par  tmttês  ces  disMosioiM  intet^ 
tines,  suivaiefitla  femme  des  plus  forts* 
Bient<)t  là  paît  hotiteuie  d*Anialddas 
les  réijeta  soif  a  la  domination  Pêne  (897)4 
C^  nouveant  maftrèa  teiif  firent  aubir 
Je  cruelles  vMatiolli,  et  las  Athéaiend 
enx-m^ffles  ajoutèretlt  miii  miaèrea  de 
teor  andenne  alliée  en  j  faisant  des  deti-* 
entes  à  matn  armée,  pendant  la  daréé 
de  cette  dortiination.  ChaJIirlaa  manmi* 
vtaftâutmtr  de  riie  poor  s'emparer  de  sod 
port,  one  flotte  ennemie  en  gardait  retl« 
trée.  Il  ent  re<N)Ufs  h  un  stratagème  :  pitn 
siearsdeses  vaisseaux  passèrent  defam 
iesennemis,  et  les  provoquèrent  LesPeif'' 
ses  abandonnèrent  leur  position  pour  les 
«uiirre,  et  pottdant  de  temps  Chanrias  fit 
ivanoerle  gros  de  sa  flotte,  ets'empara  du 
«rt  (i),  Pétt  apfèSj  iDbierate  vint  piller 
Ile;  il  t  fit  Un  grafld  btitln^  et  se  retiraà 
Délos.  Les  Samiens  loi  envoyèrent  des 
députés  pour  raeheter  ce  quil  avait  pris. 
H  tes  aeeuéllie,  trstte  âree  eut,  puis  feioi 
(Titre  sttbttemeiit  rappelé  k  Atiiènes  ) 
'f^  Sâmiens  ne  s*éleniient  ni  ne  s'intialè* 
tant  de  lofl  départ;  lui  4  trompant  leuf 
hcooè  foi ,  Ait  fbroe  de  voiles  vers  leur 
il»,  en  tfoute  les  défeflaeurs  aans  dé^ 
iitflce,  répandus  dans  la  campagne* 
etefee  de  nouteaut  ravages,  et  emporte 
Jh  both)  plus  eonsidérable  (8). 

(Têst  rèrs  le  mém^i  temps  quisoerate^ 
Uchant  de  persuader  aux  AtnétiieBs  de 
^'emi^arer  de  toute  riie,  leur  disait  i  «  Les 
<^es  de  l'Asie  n'obéissant  qu'a? eo  répti*- 
gnanee  au  grand  roi ,  il  tant  prendre 
CMos,  Rbodes  et  Samos  avant  qu'elles  ne 
*ottnt  fortifiées  par  de  noufelles  garni- 
tons  (4)  ». 

C6  conseil  fîit  suivi.  Mille  mereenai- 
res,  commandés  par  TImotbée ,  allèrent 
attaquer  Samos  ;  mais  ils  ne  combat- 
tirent du'avee  mollesse  <  parce  que  leur 
!«^lde  n'était  pas  pâtée.  TImothée  trouva 
m  tessourees  dans  Ttle  assiégée  :  elle 
abondait  en  fruits  ;  il  y  fit  Une  descente , 
recueillit  et  fit  vendre  tout  ce  qu'il  put 
des  productions  du  sol ,  distribua  Tar- 

(0  Xénoph.,  Hellen.<,  IV ,  8. 
»  Frontin ,  Strat.j  I,  4,  i4. 
(3)  Polysliy  SiMt.f  m»  9,'  96. 
[h)  Uoct,^  Paneg^f  |8o. 


I^Bt  à  aea  soldatSi  et  prit  d'assaut  la 
▼ine(l).  Dans  la  guerre  socialCf  lorsque 
k  joug  d*Atbèhea,  redevenu  pesant, 
révolta  contre  elle  lea  Rhodiens,  les  ha- 
bitante de  Chios  et  les  Byzantins ,  Sa- 
mos  demeura  fidèle.  Une  flotte  de  cent 
vaisseaux  des  alliés  vint  l!attaquer  après 
avoir  dévasté  Lemnos  et  Imbros  ;  ils  ra- 
vagèrent nie ,  et  assiégèrent  sa  capitale 
par  terre  et  par  mer.  Pour  délivrer  cette 
ville,  Iphicrate^  Timotbée  et  Charès 
firent  diversion  en  ae  portant  vers  By- 
zance  ;  ils  y  rappelèrent  la  flotte  des  re* 
belles  (t).  Le  récit  de  Cornélius  I^é- 
|x)s(8)  donnerait  à  supposer,  bien  au 
contraire,  que  les  Samiens  avaient  aban- 
donné Athènes  ;  lea  trois  généraux,  dit- 
il  ^  assiégeaient  Samoa;  Ipbicrate  et 
TImothée  se  refusaient  à  une  bataille 
navale.  Charès  l'engagea  aeul  «  et  fut 
vaincu;  il  écrivit  à  Athènes  que  sans  ses 
eollègues  il  eût  pris  la  ville.  IMais  Cor- 
nélius N épos,  plus  éloigné  des  faits  que 
DiodorCf  et  biographe  peu  critique ,  est 
d'autant  moins  digne  de  foi  en  cette  cir- 
eonstanoe,  que  Pausanias  nous  apprend 
encore,  par  le  passage  déjà  cité  (4) ,  que 
Timotbée  obtint  des  Samiens  une  statue, 
et  ce  n'est  pas  en  les  assiégeant  qu'il  edt 
mérité  leur  reconnaissance*  Quoi  qu'il 
en  soit,  Atiiènes  continua  à  faire  acte  de 
aouveraineté  dans  111e  de  Samos,  et  y 
envoya  dans  ee  tempe-là  deux  mille  co- 
lons, que  Ton  pourvut  de  bonnes  ter- 
res (866  )  (6). 

Ainsi  Atiiènes  s'était  comme  incor* 
pore  rile  de  Samos  «  el  edle-ci ,  de  son 
edié,  renonçant  à  avoir  une  existence  à 
part  et  indépendante  1  fit  le  sacrifice  de 
toute  ambition^  et  retrouva  en  s' adon- 
nant au  commerce  des  jours  de  paix  et 
de  prospérité.  Philippe,  devenu  maître  de 
tonte  la  Grèce,  laissa  aux  Athéniens  la 
possession  de  cette  lie,  qui  était  devenue 
oomme  une  annexe  de  TAttique^  et 
Alexandre,  dit  Plutarque  (6),  confirma 
aux  Athéniens  la  concession  de  son  pire  et 
leur  abandonna  Samos  libre  et  florissante. 
Mais  lorsque,  vers  ses  dernières  années, 

'i)  Polysu ,  Sirat,,  III,  9 ,  10. 
vi)  Diod.,  XVI,  ai. 
[3)  Corn.  Nep.,  Timoth.^  3. 
(4)Ptasan.,  T,  3. 

(5)  Diod.  deSic,  Xyin,8. 

(6)  Plut.  Akx.y  aS. 


236 


LUmVBIS. 


il  rappela  par  un  décret ,  appliealile  à 
toute  la  Grèce,  les  exilés  dans  leurs  di* 
verses  villes,  les  Athéniens  ne  virent  pas 
revenir  sans  un  vif  mécontentement  les 
Samiens  qu'ils  avaient  dépossédés  pour 
taire  place  à  leurs  deux  mille  colons. 
Mais  en  présence  d'Alexandre  il  fallut 
se  taire  (1).  La  querelle,  suspendue  à  la 
mort  du  roi ,  fut  soumise  à  ses  succes- 
seurs ,  et  Perdiccas  rendit  aux  Samiens 
leurs  champs  et  leur  ville,  et  les  rappela 
après  plus  de  quarant^troisans  d'exil  (S). 
Polysperchon  se  montra  moins  favo- 
rable à  Samos  :  Texceptant  du  décret  de 
liberté  promulfrué  pour  toute  la  Grèce,  il 
la  rendit  à  Athènes,  parce  que  cette  ville 
la  tenait  de  Philippe  (8).  La  maltieu- 
reuse  île  disparaît  alors,  et  on  ne  sait 
si ,  dans  le  conflit  des  successeurs  d'A- 
lexandre, elle  prit  parti  pour  ouelqu'un 
d'entre  eux.  Un  Samien,  Tnémison, 
commande,  an  centre  de  l'armée,  les 
vaisseaux  légers  de  Démétrius  à  la  ba- 
taille navale  de  Salamine  ;  mais  Dio- 
dore  ne  dit  pas  s'il  était  envoyé  par  les 
Samiens  ou  s'il  était  venu  comme  sim- 
ple aventurier.  C'est  vers  celte  époque 
que  l'annaliste  samien  Duris  Kouverne 
cette  île ,  si  l'on  doit  ajouter  toi  au  té- 
moignage isolé  d'Athénée  (4). 

Au  milieu  des  grands  événements  sur- 
venusautour  d'eux  dans  la  Grèce  et  l'Asie» 
les  Samiens  et  les  Priéniens  n'avaient  pas 
déposé  leur  vieille  inimitié  ;  les  champs 
de  Barginétide  étaient  toujours  l'objet  de 
leurs  contestations,  et  les  guerres  se  suc- 
cédaient entre  eux  pour  les  limites  de  ter- 
ritoire. Les  marbres  d'Oxford  constatent 
la  persévérance  de  cette  querelle,  et  le 
voyageur  anglais  Ghandler  a  retrouvé  un 
document  qui  atteste  que  L3rsimaque  fut 
pris  pour  arbitre  par  les  Samiens  et  les 
Priéniens.  Ceux-ci  avaient  exposé  tous 
leurs  titres  à  la  possession  du  territoire 
de  Barginétide ,  et,  autant  qu'on  le  peut 
conjecturer  par  les  marbres  d'Oxford  et 
par  une  inscription  trouvée  dans  les  rui- 
nes du  temple  de  Minerve  à  Priène  (5), 
ils  eurent  gain  de  cause.  Mais  Samos 
en  appela  du  jugement  de  Lysimaque  à 


(i)Diod.,XVHI,8. 
a)Id.,XVm,i8. 
3)ld.,  XVin,56. 

4)  Paoofka»  Res  Sam.,  p.  98. 

5)  Ghandler,  imcriot,  ani,,  t«  I,  p.  i5. 


Ptoléoiée  Philopator,  qui  était  deveou 
son  maître ,  et  qui  entretenait  dans  m 
ports  une  flotte  considérable  (1).  Pto- 
iémée  confirma  aux  Priéniens  la  posses- 
sion du  champ  contesté,  (322). 
Samos  sous  l'influsrcb  et  la 

DOMINATION    DES  ROMAINS.  —  Après 

les  successeurs  d'Alexandre,  la  domina- 
tion romaine  s'étendit  sur  la  Grèce.  En 
l'année  200  nous  trouvons  Samos  dam 
l'alliance  de  Rome  avec  Attale  et  les 
Rhodiens,  et  un  ambassadeur  romaio 
dénonce  dans  le  sénat  de  la  ligue  Ëto- 
lienne  les  plaintes  des  Samiens  contre 
Philippe,  roi  de  Macédoine.  Celui-ci, 
pour-  'Se  venger ,  équipe  une  flotte ,  ei 
prend  Samos  (2) ,  dont  il  fait  le  centie 
de  ses  opérations  navales.  En  197  Sa- 
mos, avec  le  reste  de  la  Grèce,  recouvre, 
apr^  la  victoire  de  Flamininus ,  une 
ombre  de  liberté.  Bientôt  Antiochus, 
roi  de  Syrie,  fît  la  guerre  aux  Romains; 
la  commodité  du  port  de  Samos  et  sa 
situation  en  firent  encore  le  centre  des 
opérations  de  la  guerre  entre  les  Rho- 
dienset  les  Ronoains  d'une  part,  et  Antio- 
chus de  l'autre.  Les  Samiens  étaient 
fevorables  aux  premiers;  mais  Pausis- 
trate,  chef  des  forces  de  RbodeSf  tomba 
dans  un  piège  que  Polyxénidas,  amira 
d'Antiochus,  lui  avait  tendu  ;  pris  à  l'im 
proviste,  il  fut  vaincu,  et  n'eut  pour  sau- 
ver son  honneur  que  la  ressource  de 
mourir  courageusement  dans  le  combat. 
Samos»  incapanle  de  se  défendre  par  elle- 
même,  tomba  sous  la  dépendance  du 
vainqueur  (3).  Plus  préoccupée  de  la 
possession  de  son  petit  territoire  du  con- 
tinent que  de  sa  hberté,  elle  soumet  a 
Antiochus  son  étemel  différend  a?ec 
Priène,  et  les  limites  entre  les  deux  peu- 
ples sont  enfin  fixées.  Après  la  défaite 
du  roi  de  Syrie,  Samos  se  replaça  sans 
peine  sous  le  patronage  des  Romains. 

Nous  retrouvons  Samos  au  temps  où 
Aristonic  proteste  par  les  armes  contre 
le  testament  d' Attale,  roi  de  Pergamt; 
Beaucoup  de  villes  reconnaissent  œ 
prince  ;  mais  Samos  s'y  refuse ,  et  il  la 
prend  par  force  (4) .  A  sa  mort  (  1 29  a  vaot 
J.-G.  )  Samos  est  comprise  dans  les  villes 

(i)Polybe,  V,35. 
(a)  Id.,  XVI,  X. 

(3)  Appien',  De  Rek  Syr*,  si4* 

(4)  Florus,II,ao,4, 


ILR  DE  SAHDS. 


d*Asie  téAtàim  en  proAucei  romaine. 
Maû  plas  tard  elle  seoooe  ce  joug ,  el 
cette  alliée  iusqu'iei  fidèle  dee  Romains 
s'unit  à  Mithridate  (1).  Ge  soulèvement 
n'est  pas  heureux  ;  et  Sylla  le  lui  fiait  ex- 
pier durement.  U  était  encore  à  Samos 
«{uand  des  pirates  s'en  emparèrent ,  pil- 
lèrent la  ville  et  ruinèrent  le  temple,  jus- 
que là  respecté.  Ce  n'était  là  que  le  pré- 
Iode  des  longues  misères  dont  le  des- 
potisme des  gouverneurs  romains  et  les 
brif^Ddages  des  pirates  devaient  acca- 
bler llle  de  Samos.  Son  antique  renom- 
mée d'opulence  attirait  vers  elle  tous 
ceux  qui  étaient  avides  de  butin  :  procon- 
suls et  pirates  la  dévastèrent  à  l'envi. 
VerrèSy  lieutenant  de  Dolabdla  en  Asie, 
n'épaigna  ni  le  temple  de  Junon  ni  les 
balHtants  de  Samos.  Les  députés  sa- 
miens  allèrent  en  Asie  exposer  leurs 
plaintes  k  Gaf  us  Néron,  qui  leur  dit  que 
les  aceusations  de  ce  genre  se  portaient 
a  Rome;  ils  n'eurent  que  la  consolation 
(Tenteodre  une  sortie  âoquente  de  Cicé- 
ron  contre  le  spoliateur  (2).  L'adminis- 
tration bienfaisante  de  Quintus  Cioéron, 
préteur  en  Asie,  rendit  un  peu  de  calme 
3  Samos,  et  sembla  la  feire  renaître  (63 
avant  J.-C.  )  (8).  Mais  les  exactions  ne 
tardèrent  pas  à  recommencer  :  Antoine 
leur  ravit,  pour  Cléopâtre,  les  chefs- 
d'œuvre  de  sculpture  qu'ils  avaient  con- 
servés. Octave,  vainqueur  à  Actium ,  se 
déclara  le  protecteur  de  ceux  que  son 
ennemi  avait  opprimés  ;  il  passa  une  par- 
tie de  l'hiver  de  l'année  30  avant  J.-C. 
a  Samos,  et  lui  restitua  deux  de  ses  sta- 
tues (4).  Cette  tle  lai  plaisait ,  il  y  fit 
UQ  aeeond  séjour  ;  il  y  prit  les  insignes 
de  son  cinquième  consulat,  et  y  passa  les 
deux  hivers  des  années  21  et  20,  en  al- 
lant et  revenant  d'un  voyage  en  Orient. 
li  avait  été  rejoint  en  21  par  Tibère  (5). 
Mettant  le  comble  à  ses  bienfaits ,  Au- 
guste accorda  à  Samos  la  liberté  (6).  Ce 
tbt  alors  que  Samos  fit  une  acquisition 
J^ssez  importante.   L'iie   dlcarie  était 

(0  App.,  Ds  Bea,  Mithrid,,  6a,  63.  ;  Gioér., 
/"»  Manil.,  Xn. 
(a)  Cic,  M  Ferr.,  I,  ao. 

(3)  Cicér.  ad  Quint,  fralr,,  1,8,3,7. 

(4)  Suéton.,  Oelav.  XVII  j  App.,    Bell. 

*''/.,  IV,  4a. 

(5)  Suet,  Tib,,  XII, 

(6)  En^èb  ,  Chron,,  olyqjp,  CXC. 


presque  inlMMtée  :  des  Samieiis  s^  éta- 
Dlirent,  et  e»  exploitèrent  les  exoeUents 
pâturaoes.  D'autres  s*approprièrent  une 
partie  du  rivage  d'Éph^e.  Catigula  eut 
rintentlon  de  rétablir  le  palais  de  Poly- 
erate  (1).  Les  divers  empereurs  qui  se 
succédèrent  jusqu'à  Vespasien  respee* 
tèrent  l'apparence  de  liberté  <|u*Auguste 
avait  accordée  a  Samos.  Mais  en  70  le 
nouvel  empereur  fit  de  l'île  une  province 
romaine,  et  supprima  les  derniers  ves* 
tiges  de  son  indépendsmce. 

lU. 

COLONIES,  INSTITUTIONS,  BELIGTON, 
LITTÉBÀTUBE  DE  SAMOS  DANS  L'AN- 
TIQUITÉ. 

Colonies,  govmebce,  industbie. 
— Le  nombre  et  Timportance  des  colonies 
de  Samos  prouvent,  mieux  que  tout  autre 
témoignage,  l'activité  et  l'étendue  de  scm 
commerce ,  et  montrent  que  les  Samiens 
méritaient  peut-être  plus  que  les  Pho* 
céens  d'être  considérés  comme  les  pre^ 
miers  navigateurs  de  la  Grèce  (2).  La  pr^ 
mière  colonie  samienne  fut  celle  de  Samo- 
thrace,  fondée  lorsque  Androclès,  roi  des 
Épbésiens,  «ut  chassé  Léogoras,  fils  de 
Proclès,  vers  1 100  avant  J.^C.  Une  géné- 
ration après  l'établissement  des  Ioniens 
en  Asie  Mineure,  des  Samiens  dépcKSsé* 
dés  par  rétablissement  de  ce  prince  se 
réfugièrent  dans  cette  tle,  et  chancèrent 
son  nom  de  Oardanie  en  celui  de  Samoa 
de  Thrace  (S).  Antipbon  dit  à  ce  sujet  : 
«  Les  anciens  habitants  de  llle,  dont  nous 
descendons,  étaient  Samiens.  Ce  fut  la 
nécessité,  non  le  bon  plaisir,  qui  les  con- 
duisit dans  leur  second  séjour.  Un  ty« 
ran  les  avait  chassés  de  leur  patrie; 
après  avoir  exercé  des  pirateries  sur  la 
cote  de  Thrace,  ils  s'emparèrent  de  Dar* 
danie.  »  Le  géographe  Mélétius  ne  sem- 
ble pas  attnbuer  à  ce  fait  historique  la 
colonisation  de  Samothrace;  car  il  dit 
que  les  habitants  de  cette  tle  ayant  été 
secourus  par-  les  Samiens  dans  une  di- 
sette, leur  accordèrent  en  reconnaissance 

(i)  Tacite,  Jnn.,  IV ,  i4. 

(a)  R.  Kochette,  Colonies  Grecques,  ï\ , 
xo3. 

(3)  Suid.,  V.  £a(ioepàxTi;  Diod.  Sicul.,  Ill, 
§  V,  49;  TV,  43,  48;  cf.  Panofka,  Bes  Sam., 
p.  ao. 


LinOVXBi. 


\%  drpH  tf*ia««y«r  ehM  tni  qd^  ee^ 
iMiê.  iamothPMt  à  ipo  tour  répanitt 
ima  fMftit  du  •«  popolatm  sur  m  vivat 

gti  voitins. 

AaaM,  aattt  villa  q«ti  a  été  aouvMit 
meatioDoée  ëaiu  riiiataipe  ëa  fiamos,  fm 
fovtiflée  à  ia  wémaépoqMa  par  Léagam, 
^i  9>  était  réftigié.  EHa  davint  dapoti 
aa  tampi  la  ratraila  da  eaux  daa  Samiana 
qu'avait  aliasaéa  la  parti  populaiva;  al 
levaqaa  l*tla  aa  mit  dana  1  alnanoa  al  la 
dépendance  des  Athéniant ,  ta  colonia , 
jetée  dans  le  parti  contraire,  ne  cessa  de 
fomenter  des  troubles  dans  la  métro- 
pide  e(  da  chercher  l'ooc^sion  d\  faira 
Ujiîtrç  UO0  révoliitiod  oligarchique. 
•  Anaea,  dit  Etienne  de  Byzapce,  est  si- 
tuée sur  la  côte  de  Carie,  en  face  de  Sa- 
laaa;  son  nom  lui  viant  da  l'amuone 
AncM,qui  v  avait  été  nourna,  au  diva 
dPËphorus  rAnéan.  A  aatt»  viila  appâta 
kiant  TilluBtra  péripatétiden  et  hiitanaa 
MéBélaa  (I).  4 

La  fondation  de  Péiiatbe  doit  ra* 
mestar  à  la  méma  époque.  Lus  témei- 
^agaa  de  Plutarque  at  da  ioymaua  da 
Ohioa  ne  permettant  pas  de  douter 
qua  eatte  villa  ait  été  une  aolonia  aa* 
mienne.  Ella  parvint  à  un  defc^é  assaa 
élavé  da  prospérité  at  da  puissauaa;  aon 
allianaa  aveo  las  Athéniens  at  aa  véaia- 
tanea  aux  avinaa  da  Philippe  sont  laa 
pnnoipaux  événements  da  son  histoire. 

A  vingt  mlllesdePérinthe,  vers  la  sud, 
était  Bisantha,'  autva  eolonie  de  Bamos, 
at  patrie  du  poata  élé^iaqua  Phaidi- 
mus  (1).  Cette  villa  a  pris  plus  tard  le 
nom  da  Khaidestos.  Les  avantages  de  sa 
pétition  la  conservèrent  dans  un  état 
pirospère ,  malgré  les  révolutions  et  les 
siècles;  et  lorsque  Poooake  visita  les eôtes 
da  Thraea,  il  retrouva  la  colonie  samienne 
toujours  riche  en  vins  et  en  blés,  et 
encore  assez  florisaante  sous  le  nom  de 
Ahodosto  (8).  Les  Samieus  paraissent 
avoir  affectionné  les  odtes  fertiles  de  la 
Thraee;  ils  y  fondèrent  encore,  à  une 
époque  incertaine,  entre  Bisanthe  et  Pé- 
rinthe,HérSBum-Tieho8(cité  de  Junon); 
cette  ville  était  un  comptoir  samien,  qui 

(i)  Voyez  pour  toutes  les  citations  Pa- 
npfka,  Hes  Samiorum,  p.  ai  et  suiv. 

(a)  Étieii.  de  Byz.,  Y,  BicràvOt^  Poippon. 
Mêla,  II,  a. 

{%)  Description  de  r Orient ,  TII,  p.  14  ^. 


avait  na  tam^Ja  aonaMié  b  la  déesss 
protaatrica  da  Samoa. 

Vers  «26  Amftrgoa ,  tia  des  Gydaées, 
habitée  par  daa  Naxians,  raçul  une  eo- 
kmia  qua  le  gransmaînaa  Siauoiaa  aoM* 
naît  da  fianaoa,  sa  patrie  (t).  La  Lybia 
ftit  aussi  fipéquantéa  par  laîi  Samiana.  ils 
faadèraiit  dans  la  grande  Oa«a  une  ville 

3ui  «  appartient,  dit  Hérodote,  à  latiilm 
'Eschrion,  at  sa  trouva  à  sept  jaunies 
da  Thèbes  par  la  désert;  ae  liaa  parti 
la  nera  d'tla  Portunéa  (S)  ».  Da  Myaidt 
à  fiphèsa  la  rivage  asiatique  ap|>arttBiit 
à  Samoa;  las Épihésians  lui  armant  cMt 
la  petite  ville  de  Néapolis  au  éebasgt  ée 
Marathésium.  En  Lilieia,  die  aviit 
fondé,  an  faee  de  l'île  daCypre,  Na* 
gidos  et  Celendria,  qui  passaient  pour  kt 
plus  andennea  villaa  da  cette  «otitréi. 
Lea  Samiens  exilés  qui  saua  Polyerali 
avaient  inutilement  tenté  da  rentrer  par 
foroa  dans  leur  patrie  landèieiit  Cyde* 
nie  (la  Canée)  en  Crète,  ils  eansaorànat 
dans  cette  tla  un  temple  à  Dîaua-Dic- 
tyiina.  Pendant  sii  annéaa  letiv  éublii- 
semant  Ait  prospère;  mais  au  bout  de 
ea  temps  lea  JËgtuètaa,  qui  B'avaiaiit  pas 
déposé  leur  vieille  inimitié  aoaatra  Ici 
Samiens,  vinrent  les  attaquer  ;  vaincus 
dans  un  comhat  naval,  les  habitants  év 
Cydonie  allèrent  demander  à  Tltmlie  aoi 
troisième  patrie  t  ila  aa  vatiièrant  sa 
Gampanie  a  Die6sarohia,qui  devint  plui 
Urd  Putéoli  ou  Pouuelea  (S)  (êlS  arsat 
J.-C). 

Zanole  fût  la  dernière  eolwie  sa- 
mienne.  Thucydide  et  Hérodote  ne  s'a^ 
04)rdi*nt  pas  avec  Pausaniaa  au  sujet  éa 
la  fondation  de  eatte  villa,  lliue^dide  \i^ 
dit  que  Zanele  fut  d'abord  hamtée  par 
des  brigands  de  Cume  en  Eubéa,  puis 
par  d'autres  colons  du  mtma  pays  ;  plus 
tard  tes  Samiens  et  d^autres  loniena,  qui 
fuyaient  la  domination  des  Perses,  ebss- 
sèrent  ces  premiers  possasseura,  et  » 
mirent  à  leur  plaoe.  Dana  Hérodote  1h 
faits  sont  plus  circonstanaiés  :  après  Is 
bataille  de  Lada ,  diMl ,  ceux  dts  Sa- 
miens qui  ne  voulaient  pas  ralomber 
sous  le  joug  d'Ëacès  se  rendirent  à  ria- 

(1}  Suid.j  £(|L(j.Cac. 
(a)  Hérodote,  III,  a6. 
(3)  Hérodote,  lU,  â^;  Eiw^.,  ÇSunft,. 
olymp.  LXII. 
(4)Thnc.,Tr,4. 


ILE  BB  SASOS. 


)W 


wtalJOT  qm  !••  iMiMini  wint  dite 

auK  ioBMM  dt  tenir  à  Calactt  (8aQ4 
'Atnl)  j^r  )r  hâlir  iMawbte  UDt  fiUa; 
qiud  ils  inivèieat  en  Sioilt,  ils  apivi* 
mt  0110  lit  habitants  dt  ZancUi  étaiant, 
aiw iaur  ni  Scythàt,  ocaupéa  au  aiéfli 
d'uoa  viUa  YoitUMi.  Anaiilaa,  tmn  oe 
Rbfgium,  akm  an  guerre  a? ee  ba  Zan- 
cleflDs,  engagea  les  Samieos  à  aliandon* 
Bcr  leur  prejet  d^établisaeinant  à  OaJaaii^ 
et  à  t*einparer  de  Zaneie,  alors  sans  dé» 
feottor.  Ce  oonseil  plut  aux  Samiens  ; 
avtrtis  de  eette  perfioie,  oeux  de  Zanole 
appelèrent  à  leur  aeenurs  Hippoerate,  t^* 
nn  de  Gela.  Ce  prinee  aeoouFut  ;  naia 
jJ  fit  mettre  aux  tara  le  roi  de  Zancle  et 
KM  fpèie,  et  les  livra  aqx  Samians  aree 
iroUoentsdes  prinoipaux  de  la  ville.  Les 
dépouilles  fiiMBt  p^agées  de  la  sorte  t 
la  campagne  al  aee  productions  avee  la 
nieitié  des  naubles  et  des  eeclavee  Ait 
iivié  à  Hippoorate,  le  reste  appartint 
aux  exilés  de  Sames  (1).  La  mauraisefoi 
et  la  trabisoB  des  flamiens  forent  pu« 
oies  ;  ils  oeoupèrant  quelque  temps  Zan« 
cle  d*aeeord  avee  Cadmus,  ils  du  roi 
dépossédé  (•).  Mais  Anaxilas,  tyran  de 
fthégium,  lea  chassa  en  partie,  ouvrit  la 
ville  a  des  hommes  de  toute  raee,  et, 
easoq venir  de  la  patrie  de  ses  aneétres , 
loi  donna  le  nom  de  Measène  (8).  Fau^ 
^ias  nous  offre  encore  un  réoit  diffé^ 
iwt  11  reporte  à  une  époque  beaueoup 
plus  aneienne  les  ravagée  exereés  par 
d«t  pirates-soos  les  ordres  de  deux  chefs, 
Oatéroéne  de  Samos  et  Périéiée  do 
Chaleig;  il  suppose  rexistenoe  de  deux 
Anaxilas,  dont  le  premier  aurait  vécu 
aa  temps  de  la  deuxième  guerre  de  Mes* 
s^e.  Ce  tyran  de  Rhéglum  avait,  dit- 
il  i  appelé  les  Messéniens,  chassés  de 
leur  patrie ,  au  secours  de  Zancle,  pres« 
^  par  les  pirates ,  et  les  Messéniena 
vainqueurs  se  seraient  établis  dans  la 
ville  et  lui  auraient  donné  leur  nom.  Se* 
Ion  eette  version ,  Zancle  n'est  pas  une 
eoloDie  de  Samoa;  un  chef  de  pirates, 
m\ ,  est  Samien  (4). 
Le  coBuneree  des  Samiois  était  très- 
Ci  )  Hérodote,  vi,aa,  a3. 

Wld.,VU,  164. 

(S)Thucyd.,VI,S. 

(4)  P«asaiiias,  IV,  a3.  Voir  la  eritiqae 
de  cesUmoignagesdans  M.  Eaoul  Rochede, 
Colonies  Grev^u^s ,  TIf ,  4'»i. 


aaionnère«tla.Maditarranéa,atpDrtèimt 
dana  tous  les  paya  de  Tanainn  monde  les 
produits  de  Isqr  industrie;  et  les  profit» 
oonaidérables  de  leur  eoinmerae  expli- 
quent seuls  la  rapidité  avae  Inquelle  ils 
aa  relevaient  de  leur  désastre^  et  la  pioa- 
périté  où  ila  parvinrent,  malgré  de  «ont 
liniiellee  disaensinns.  Un  de  leurs  na« 
vigateuin,  Déxioréon,  avait  frit  voile  vem 
nie  de  Cypre  pour  y  oommeroer  ;  maif 
pendant  qu'il  a'naoupait  d'éebangea  »  it 
qéesse  Venus  l'avertit  de  n'emtarquer 
que  de  l'eau.  %  Il  auivit  ce  eonseil  :  des 
%  marehands,  mourant  deanif,lalttl 
«  achetèrent;  il  fit  un  |ain  aonaidérable, 
«  et,  plein  de  reeonnaissanen,  à  ann  ra* 
4  tour  dana  Samoa ,  il  éleva  lui  temple 
«  à  sa  proteetriaa  (t).  »  Il  y  avait  des 
9anûena  parmi  cea  pirates  Ioniens  et 
Cariena  avee  leaquela  Paamaùtiehua, 
dhassé  par  les  onze  raie  aee  eolièguea , 
les  expulsa  à  son  tour  et  s'établit  à  leur 
plaœ.  Psammitiofaua  et  ann  fila  lîéeban 
furent  de  grands  rais  ;  calques  ntratea 
Samiena  en  lee  pla^t  aur  le  tronn  ae 
trouvèrent  exercer  une  influanee  aingu* 
liera  sur  les  destinéee  de  TÉgypte.  Les 
alliésde  Psammitiehua  furent  réeompen* 
ses  par  une  ooneesaion  de  lenwa  situées 
près  de  la  mer,  aq-dessusde  Buhaata,  et 
dejeunea  Égyptiens  qui  leur  furent  eoup 
fiée  s'élevèrent  dans  la  eonnai|sauee  des 
usages  et  de  la  lan^pie  grecque  (tl).  GetU 
alliance  des  Égyptiens  el  des  Greoa,  eom« 
meooée  par  les  Samiena  soua  Psaouniti* 
ohns,fut  reeserréesous  Amasis,  qui  long- 
temps futl'ami  et  l'allié  parlieulierdfPo- 
lyerate.  Leroid*É^pt0aeoorda  anxGreos 
un  établissement  a  Naucvatia,  et  le  droit 
d*éiever  des  autels  à  leurs  dieux  particu- 
liers ;  les  Samiena  y  dressèrent  un  tem^' 
pie  à  Junon  (4).  De  tous  les  navigateurs 
de  SamoB,  les  deux  plus  célébrée  sontCo- 
lœus  et  Ëlpis.  Golœus  avait  abordé  à  rile 
de  Platée,  en  Lybie,  et  secouru  dans  une 
disette  unocolonie  des  babitantsdeThéra 
conduite  par  un  Crétm  du  nom  de  Co- 
robius.  Désirant  se  rendre  en  Egypte , 
il  avait  mis  à  la  voile  par  un  fort  vent 
d'est.  Le  vent,  ne  cessant  pas ,  l'emporta 

(x)  Cf.  Panoflui,  Res  Sam,,  p.  14. 
(a)  Plut.,  Quest,  Gr.,  54. 
(3)  Hérodote,  II,  t5jitâ4. 
(4)Id.,Il,  i7«. 


M> 


L'UfllVBB& 


par  Mh  les  oolonnes  dtkrwle ,  fiers  la 
ftiie  de  Tarteeeas,  où  jamais  avetto  Grée 
s'avait  abordé.  Les  profits  de  Golœns 
ftirent  si  considérables,  que  de  la  dtme 
de  son  gain,  s'élevant  à  six  talents  (à  peu* 
près  83,400  fîr.  ),  il  fit  fiiire  le  vase  d*ai* 
rain  en  forme  de  cratère  argoliqueorné 
de  têtes  de  ^ffoos,  et  soutenu  par  trois 
colosses  d'airain  de  sept  coudées ,  que 
Ton  Toyait  dans  le  temple  de  Junon  à 
Samos  (I).  Pline  nous  a  conservé  sur 
Rlpis  une  histoire  singulière.  Il  s*éteit 
tendu  en  Afrique;  à  peine  débarqué, 
il  vit  un  lion  s'avancer  vers  lui.  Plein 
d'effroi,  il  chercha  un  refuge  sur  un 
arbre,  en  invoquant  Bacchus  ;  le  lion  s*é- 
tait  approché ,  mais,  au  lieu  de  marquer 
aucune  colère,  il  tournait  ses  regards 
vers  l'homme,  et  semblait  l'implorer.  Un 
os  s'était  arrêté  dans  sa  mâchoire ,  et 
l'empêchait  de  prendre  aucune  nourri- 
tare.  Elpis  descendit,  et  le  délivra.  Le 
lion  ne  se  montra  pas  ingrat;  Pline  ra* 
conte  qu'il  entretint  de  gibier  le  navire 
de  son  libérateur  tant  qu'il  resta  près 
du  rivage.  De  retour  dans  sa  patrie ,  le 
Samien  consacra  à  Bacchus  le  temple 
qu'on  appela  Àiovûoou  x6x^v6toc  (de  Bac- 
obus  à  la  bouche  ouverte)  (2). 
>  Les  Samiens  ne  furent  pas  moins  in- 
dustrieux que  commerçante;  leurs  navi* 
res  ne  transmettaient  pas  seulement  aux 
autres  pays  les  riches  productions  d'un 
soi  fertile  ;  les  tissus  de  laines,  de  moel- 
leux tapis,  et  surtout  les  vases  fameux  de 
Samos,  étaient  l'objet  d'un  vaste  échange. 
Polycrate ,  à  qui  1  Ile  était  redevable  de 
presque  tous  les  éléments  de  sa  prospé- 
rité, y  avait  fût  élever  un  grand  nombre 
de  brebis  achetées  aux  Milésiens  ;  et  en 
peu  de  temps ,  grâce  au  développement 
de  l'industrie,  l^tapis  samiens  égalèrent 
en  célébrité  ceux  de  Milet.  Leur  répu- 
tation subsistait  encore  au  temps  de 
Théocrite  :  dans  les  cérémonies  sacrées 
on  déployait  ies  tapis  de  pourpre  plus 
doux  que  le  sommeil  fabriqués  avec 
les  toisons  de  Uilet  et  de  Samos  (3). 
La  poterie  samienne  était  d'un  usage  gé- 
néral chez  les  anciens;  elle  était  faite 
d'une  terre  particulière  appelée  géopha* 
nium,  qu'avait  trouvée  au  pied  du  Ger- 

(x)  Hérodote,  lY ,  i5a. 

(a)  Plin.,  HisL  Xat.,  VUI,  ai. 

(3)  Tbéocr.,  Id\U.  XV,  v.  195. 


eétas  Ott  SwDMD  do  MOU  de  IfaadnMt  ; 
un  de  ses  taureaux  l'avait  mise  à  # 
couvert  en  creusant  la  terre.  Mandro* 
bule,  enrichi  par  cet  heureux  haiaré, 
consacra  à  Junon  un  taureau  d'or;  Tas* 
née  suivante  il  offrit  à  la  déesse  un  tio* 
reau  d'argent,  la  troisième  année  un  tau- 
reau d'airain ,  et  ses  compatriotes  firest 
à  ce  sujet  un  proverbe  qu'ils  appli- 
quaient à  ceux  qui  allaient  de  moiosfo 
moins  bien  :  Comme  Mandrobuk  (1) 
Le  géophanium  sedivisait  en  aster  cl  col- 
lyre ;  il  avait  des  propriétés  médicinaies. 
Son  emploi  le  plus  important  était  la  fa- 
brication de  ces  vases  de  Samos  que  les 
anciens  ont  célébrés  à  l'envi.  Plus  r^ 
commandables  par  leur  utilité  que  par 
la  beauté  de  leur  forme,  ils  étaient  par* 
ticulièrement  en  usage  ches  les  pauvres. 
«  Pourquoi,  dit  Lactanoe,  n  honore 
t-on  pas  r inventeur  de  la  poterie?  eit-« 
parce  que  les  riches  méprisent  les  vasai 
de  Samos?  »  Plante,  Gicéron,  Pline oai 
parlé  des  vases  samiens.  Tibulle  s'adres- 
sent à  Tune  des  beautés  qu'il  célèbre, 
fût  ce  vœu  :  (que  pour  tout  luxe)  (m 
voie  à  tes  festins  joyeux  les  coupes  de 
Samos.  Cette  spécialité  de  Tioausthe 
samienne  était  plus  ancienne  qu*Ho- 
roère  (3);  elle  survécut  à  la  prospérité 
de  Samos ,  et  nous  avons  vu,  dans  li 
description  de  i'île,  qu'un  village  mo- 
derne a  retenu  le  nom  de  Fourni  des 
fours  où  se  cuit  encore  la  poterie. 

Les  Samiens  exploitaient  aussi  parmi 
les  produite  naturels  de  leur  Ile  ow 
pierre  propre  à  brunir  l'or,  qui  en  wéa» 
temps  était  regardée  comme  un  remède 
efficace  contre  les  affections  d'esto- 
mac, les  vertiges ,  la  folie  et  les  maoi 
d'yeux  (3).  Hérodote  remarque  qu'ils 
disaient  usase  d'une  mesure  particu- 
lière, la  coudée  samienne  (4). 

IifSTiTUTiofispoLiTiQUBS. — Samos, 
comme  le  reste  de  la  Grèce,  se  trouva  d'a- 
bord placée  sous  la  domination  des  rois. 
Aux  rois  succédèrent  les  géomores ,  et 
à  la  royauté  se  substitua  le  gouvernement 
républicain,  qui  fut  tantôt  populaire,  tâo- 
tôt  oligarcliique.  Dès  les  premiers  rots. 

(i)  Suid.,  ▼.  M  xà  MovSpoS. 
t    (a)  Yoyes  dans  la  vie  d'Hopière  par  Hcr»- 
dote  le  Chant  du  fonraeau. 

(3)  Pline,  Hist,  Pfat.,  XXX VI,  A(>< 

(4)  Hérodote,  lu,  16S, 


ILE  DE  SAMOS. 


S4t 


an  tempi  de  rétabliMament  ioDien  à 
Samos,  la  population  de  cette  tie  est  di« 
visée  en  deox  tribus,  eelie  du  Cbèse, 
deveoue  le  partage  de  PrOelèi,  chef  de 
l'iiiTasioD  ionienne,  et  celle  d*Âstypalée, 
demeurée  aux  Cariens.  Une  troisième 
thbu ,  qu'Hérodote  appelle  d'Eschrion, 
semble  s'être  formée  plus  tard  (1).  Ces 
tribus,  comme  on  le  voit,  n'étaient  pas 
seulement  des  circonscriptions  locales; 
ie  fond  de  cette  division,  à  Samos, 
comme  partout  ailleurs ,  repose  sur  la 
différence  des  races.  Les  tribus  (>arais« 
seot  composées  de  phratries,  qui  dans 
l'exercice  des  droits  politique ,  et  dans 
b  célébration  des  cérémonies  sacrées , 
établissaient  peut-être  entre  les  citoyens 
des  distinctions  et  des  catégories.  Ho- 
mère, débargué  à  Samos,  s'avance  au 
milieu  des  citoyens  qui  célébraient  la 
fêle  des  Apaturies  (2)  :  «  Étranger,  lui  dit 
on  habitant  de  l'tle,  viens  au  milieu  de 
potre  fête ,  les  phratries  t'invitent  à  te 
joindre  à  nos  sacrifices.  » 

Les  géomores ,  substitués  par  les  Sa- 
miens  à  leurs  rois,  furent  des  magistrats 
dont  le  caractère  et  les  fonctions  ne  sont 
pas  nettement  définis.  Il  y  avait  à  Syra* 
cuse  une  classe  de  citovens  appelés  Ga- 
mores  (8),  possesseurs  des  champs  et  des 
habitations.  Le  rapport  de  nom  semble* 
indiquer  une  analogie  avec  les  magistrats 
de  Samoa;  et  sans  doute  ce  sont  les  mê- 
mes citoyens  que  Xénophon  appelle  no- 
tables (y  va>p((jLouc)  et  Thucydide  puissants 
(^vdrouç)  (4).  Plutarqueles  appelle  les 
premiers  de  la  cité.  Cétait,  autant  qu'on 
peut  l'affirmer,  le  nom  donné  aux  ma- 
gistrats du  parti  oligarchique  dans  la 
première  période  de  sa  puissance.  Les 
géomores  étaient  assistés  par  un  con- 
seil appelé  le  sénat.  C'est  en  effet  dans 
le  sénat  que  ees  magistrats  furent  massa- 
crés par  les  Samiens  qui  avaient  fait 
parlie  de  Texpédition  de  Mé^are. 

Le  gouvernement  populaire  institué 

(i)HérDdole,in,26. 

(*)  Les  Apaturies  éiaienl  une  fête  religieuse 
fjàUxét  par  tous  les  louieos  originaires  de 
l'Atliqae;  die  avait  son  origine  dans  la 
victoire  remporlée  par  Mélanthus  sur  Xan- 
(bus,  chef  clés  Thébains ,  avec  qui  Alhèaes 
'"^t  en  guerre.  Voir  Hérodote,  1, 147. 

(3)  Hérodote,  YU ,  ï55. 

(4)  Xénoph.,  HeU.,  II,  a  ;  Thucyd.,  VIII, 
ai;  Plut.,  Ça«/.^r.,  57. 

16^  Uvraison.  (  Ile  de  Sâvos.  } 


aous  la  protection  des  Athéniens  se  eons* 
titua  à  rimltation  de  celui  de  la  métro- 
pole; le  peuple  se  réunissait  en  une 
grande  assemnlée  (ixxXvjafa);  ses.magis* 
trats,  choisis  par  le  hasard,  ou  élus  par 
le  suffrage  général,  étaient  les  éphédètes 
ou  éphètes  mentionnés  par  Hésycbius  (1) , 
sans  que  leurs  attributions  soient  spé- 
cifiées, et  les  prytanes  (2).  Le  rôle  de  ces 
derniers  variait  dans  les  diverses  villes, 
selon  que  la  constitution  était  oligarchi- 
que ou  populaire.  A  Samos  on  trouve 
aes  prytanes  aux  temps  où  la  forme  dé« 
mocratique  fut  en  vigueur,  ainsi  que 
dans  la  courte  révolution  oligarchique 
qui  mit  trois  cents  citoyens  puissants  à 
la  tête  des  affaires. 

MosuBS ,  Garagtèhb ,  Religion.  — 
L*histoire  ancienne  de  Samos  nous  mon- 
tre un  peuple  longtemps  énergique,  animé 
d'une  forte  haine  contre  les  tyrans  et 
d*un  grand  amour  de  la  liberté.  Ce  sont 
là  les  traits  généraux  de  Tesnrit  grec.  Il 
n'est  pas  nécessaire  de  rappeler  la  chute 
des  geomores,  les  luttes  contre  Polycrate, 
la  r&istance  généreuse  aux  armes  des 
Perses,  et  ce  combat  naval  près  de  Cypre 
où  les  Samiens  se  distinguèrent  entre 
tous.  La  trahison  des  chets  à  la  bataille 
de  Lada  ne  peut  flétrir  un  peuple  qui  s'en 
montra  inaigné.  Beaucoup  ae  Samiens 
préférèrent  un  exil  volontaire  à  la  domi- 
nation d^Éaoès  ;  les  autres  ne  craignirent 
pas,  après  Salamine,  de  rendre  à  Athè- 
nes cinq  cents  de  ses  concitoyens  pris  par 
les  Perses  ;  ils  entretinrent  des  intrigues 
avec  Léotychide,  chef  de  la  flotte  grec- 
que confédérée,  le  déterminèrent  à  ve- 
nir à  Samos  qu'il  croyait  plus  éloignée 
que  les  colonnes  cT Hercule  (3),  et  oien 
que  désarmés ,  ils  prirent  une  part  ac- 
tive à  la  bataille  de  Mycale ,  dont  ils 
avaient  préparé  le  succès.  Dans  les  temps 
modernes  qn  retrouve  chez  les  Samiens 
les  mêmes  dispositions.  Pendant  la  guerre 
de  l'Indépendance  Samos  a  été  la  pre- 
mière de  toutes  les  îles  à  s'engager  dans 
le  péril,  et  la  dernière  à  déposer  les  armes. 

Adonnés  au  commerce  et  à  la  navi- 
gation, les  Samiens  se  distinguaient  par 
une  certaine  activité  qui  les  faisait  re- 
nommer entre  tous  les  Ioniens.  Plusieurs 

(i)  Hésycb.,  V,  IftUxâi  ou  içétai. 

(1)  Chandier,  Inscripi,  anc,  1. 1,  p.  iS,  5. 

(3)  Hérodote,  VIII,  i3a. 

16 


249 


L*UMV£aS. 


illustrèrent  leur  patrie  par  des  ?ietoms 
à  Olympia  :  Eurymène,  bien  que  d*une 
très-petite  taille,  fbt  vainqueur  des  plui 
robustes  adversaires  pour  8*étre  nourri, 
selon  le  conseil  de  Pythagore,  de  viande 
au  lieu  des  figues,  du  lait  et  du  fromage 
qu'indiquait  une  vieille  prescription  (t). 
Églès  était  muet  ;  il  avait  été  vainqueur, 
un  autre  athlète  venait  d'être  proclamé; 
le  prix  allait  lui  être  ravi ,  Tindignation 
du  Sa  mien  lui  donna  la  parole  (3).  Hé- 
fiaciite  remporta  le  prix  à  la  143^  olym- 
piade (3)  ;  1  historien  Ouris  avait  obtenu 
a  la  107^  olympiade  le  prix  du  pugilat  des 
enfants  (4).  Enfin,  une  inscription,  placée 
au  bas  de  la  statue  de  Tun  des  vain- 
queurs, s'exprimait  ainsi  :  «  Les  Sa* 
miens  sont  les  meilleurs  athlètes  et  les 
plus  habiles  navigateurs  de  Tlonie  (5).  » 

Les  mœurs  publiques  s'amollirent 
beaucoup  sous  Polycrate,  et  les  fleurs 
samiennes  ne  contribuèrent  pas  peu  à 
leur  dégradation  ;  un  temps  vint ,  plus 
tard  encore,  où  Samos  n'eut  plus  guère 
de  réputation  oue  par  ses  courtisanes; 
on  cite  ChnritODiépharis,  qui  fut  aimée 
parDémétriusdePnalère,  et  Myrine,par 
Démétrius  Poliorcète.  Déjà,  longtemps 
auparavant,  Samos  avait  été  la  patrie  de 
IVhodope,  qui  fut  esclave  avec  Ésope,  au 
commencement  de  la  tyrannie  de  Poly- 
crate. Nico  et  la  belle  Bacchis  étaient 
aussi  de  Samos  (6). 

Religion  des  Samibns.  —  Samos 
était  célèbre  chez  les  anciens  par  le  culte 
qu'elle  rendait  à  Junon.  L'édifice  fa- 
meux qui  était  consacré  à  cette  déesse, 
et  dont  les  débris  rares  et  mutilés  atti- 
rent encore  les  voyageurs ,  a  été  décrit 
plus  haut.  Les  honneurs  rendus  à  la 
déesse  étaient  dignes  de  la  splendeur  de 
son  temple.  Il  y  avait  entre  quelques 
cités  de  la  Grèce,  et  surtout  entre  Sa- 
mos et  Argos ,  une  rivalité  sérieuse  au 
sujet  de  l'origine  de  Junon.  C'était ,  di- 
sait-on ,  le  navire  Argo  qui  avait  trans- 
porté à  Samos  l'image  et  le  culte  de  la 
déesse.  Mais  les  Samiens  assuraient 
qu'elle  était  née  dans  leur  île  ;  et  pour 

(i)  Diog.  Laert.,  TIII,  la. 

(a)  Valèr.  Max.,  I,  8. 

(3)  Eusèb.,  Chron,,  olymp.  CXLIU. 

(4)Pausan.,VI,  i3. 

(5)  Id.,  VII,  4. 

(6)  Voir   Alhcnée,   XUI,  XIV,  patcim. 


Sreove  ils  rappelaient  son  nom  antique 
e  Partbénia;  et  ils  disaient  que  le  fleuve 
Imbrasus  avait  aussi  porté  le  nom  de 
Parthénius ,  parce  que  la  reine  des  dieui 
s'était,  pour  la  première  fois,  montrée 
sous  les  touffes  a'osier  qui  bordaient  tes 
rives.  Cette  Junon  n'était  peut-être  ni 
Argienne,  ni  Samienne  d'origine.  Le  sa- 
vant ouvrage  des  Religions  deP Antiquité 
a  démontré  sa  parenté  avec  la  divinité 
adorée  à  Tyr,  sous  le  symbole  de  la  luae, 
et  la  grande  déesse  de  Babyione,  Mylitta, 
dont  elle  pouvait  bien  n'être  qu'une  re- 
production. L'osier  ou  le  saule,  l'agnus 
eastus  des  rivières,  était  dédié  à  la  même 
divinité ,  soit  à  Tvr,  soit  à  Samos.  La 
lune  était  aussi,  chez  les  Grecs,  l'astre 
afifecté  à  cette  déesse;  enfin,  les  rites 
mystérieux  que  l'on  observait  dès  les 
temps  les  plus  reculés,  et  jusqu'à  la  sta- 
tue informe  qui  représentait  alors  Is 
déesse,  tout  cela  se  retrouvait  à  Tyr  et  à 
Babylone.  Si  l'on  songe  aux  vieilles  rela- 
tions de  Samos  avec  Ta  Pbénicie  et  TO- 
rient,  on  conclura  sans  peine  que  c'est 
de  là  que  lui  est  venue  la  déesse  qu^lii* 
disait  née  chez  elle,  et  le  culte  qu'elle  lui 
rendait  (1).  Certains  jours,  appelés  lie- 
nxa,  ramenaient  en  son  honneur  une 
magnifique  solennité  :  des  vierges  et  de^ 
femmes ,  ornées  de  bracelets  et  de  dia- 
dèmes, s'avançaient  suivies  desguerriers. 
A  l'entrée  du  temple,  ceux-ci  déposaient 
leurs  armes  ;  on  nipandait  les  libations, 
et  les  vœux  et  prières  s'élevaient  vers 
la  déesse  pendant  que  les  prêtres  of- 
fraient le  sacrifice  public  sur  la  cen- 
dre des  cuisses  des  victimes  amoncelées 
en  forme  d'autel  (S).  Plus  tard  on  altërt 
le  caractère  primitif  de  cette  fête  en  as- 
sociant le  nom  d'un  homme  aux  bon* 
neurs  qu'on  rendait  à  la  déesse.  Les  oii« 

3 arques  établis  à  Samos  par  LysandrB 
onnèrent  à  ces  jours  consacrés  le  nom 
de  Lysandria  et  ajoutèrent  des  oombati 
aux  cérémonies  de  la  fête  (3).  Une  BUtr« 
fête  se  célébrait  encore  en  l'honneur  de 
Junon  ;  elle  avait  un  nom  distinct  et  uni 


(i)  MM.  Creuser  et  Guigoiâut,  RtUgions 
de  r Antiquité,  deuxième  partie,  t.  II,  p*  ^^ 

e«5. 

(a)  Atius,  dans  Atliéti.,  XUI ,  p.  5a5  f.j 
Polyaen.,  Si  rat,,  I,  a3;  Paosaa.,  V,  iS. 

(3)  Plut,  f^s.  XVin  ;  Suid.,  'Hpaîa  ;  ïh^, 
•ych.,  Au(jâv6p(a. 


ILE  DE  SAMOS. 


!2^ 


origine  partiealièrê  qiie  nous  a  oonser* 
vée  le  témoignage  d'Athénée.  Admète, 
fille  d*Eury8thée ,  roi  d'Argos,  forcée  de 
foir  le  royaume  paternel,  avait  trouvé 
un  refbçe  à  Samoa,  et  s'y  était  consacrée 
«I  servioe  de  Junon ,  dont  l'image  lui 
était  appara&;  les  Argiens ,  excités  par 
leur  jalousie,  et  voulant  rendre  Admète 
odieuse  am  Samiena,  engagèrent  à  prix 
d'argent  des  pirates  ô^rhéniens  à  déro- 
iwr  la  statue  de  la  déesse,  dont  la  garde 
était  eonfiée  à  la  fille  d'Eurystbée.  Les 
Tyrrhéniens  pénétrèrent  de  nuit  dans  le 
temple,  s'emparèrent  de  la  statue  et  la 
transportèrent  sur  leurs  vaisseaux.  Mais 
no  vent  contraire  les  retint  quand  ils 
voulurent  partir;  vainement  faisaient- 
ils  force  de  rames,  le  vent  plus  fort 
les  rejetait  sur  le  rivage.  Frappés  de 
crainte,  ils  comprirent  que  la  déesse 
allait  faire  tomber  sur  eux  ;5on  ressen- 
timeat,  et  pour  l'apaiser  ils  la  mirent 
à  terre,  lui  offrirent  des  libations  et  le 
vent  cessa  à  l'instant  même.  Au  matin 
Admète ,  ne  voyant  plus  la  statue  sur 
l'tiutel,  fvX  alarmée  ;  elle  s'écria  que  Ju- 
noo  s'était  enfuie,  chacun  se  mit  en 
quête,  et  l'on  trouva  l'image  sainte  sur 
)e  bord  de  la  mer.  Les  Samiens,  joyeux, 
allèrent  chercher  de  longues  branches 
d'osier,  ils  en  entourèrent  la  statue ,  la 
ramenèrent  ;  et  une  fête  annuelle,  appelée 
Tooea  (^e  des  liens),  consacra  le  sou* 
Tmir  de  cet  événement  (1).  Junon  n'a- 
vait pas  seulement  dans  l'île  le  temple 
qne  nous  avons  décrit,  cet  Heraeura  qui 
réunissait  tous  les  genres  de  magnifi- 
cenoes  ;  on  lui  en  avait  consacré  un  se- 
cond, à  (3)  Hipnonte,  à  vingt  stades  du 
rivage. 

Après  Junon ,  Diane  était  la  déesse 
Is  plus  honorée  à  Samos  ;  Apollon  par- 
tageait le  culte  rendu  à  sa  sœur.  Il  ne 
serait  pas  impossible  que  la  vénération 
pour  Diane  ait  été  chez  les  Samiens 
comme  un  reflet  du  culte  de  Junon.  Le 
livre  des  Religions  de  V Antiquité  nous 
montre  une  sorte  de  parenté  et  presque 
de  confusion  entre  les  deux  déesses,  qui 
l'une  et  Tautre  avaient  la  lune  pour  sym- 
^le.  Il  se  peut  aussi,  cependant,  que 
la  déesse  chasseresse  n'ait  dû  son  ctilte 
qu'à  elle-même,  dans  une  lie  où  la  chassa 

(i)  Hénodote,  dam  Ath.,  XV,  p,  67»  «. 
(»)  Panofka ,  Rcs  Sam.,  p.  58. 


fîit  avec  la  piraterie  la  première  res- 
source des  habitants.  Comme  Junon, 
Diane  porta  les  noms  A^Cheiia  et  d'Im- 
brasia  (1).  Son  temple  était  appelé  Tau- 
ropoUùn  :  il  servit  d'asile  aux  enfants 
de  Gorcyre,  lorsque  les  Samiens  les  arra- 
chèrent aux  envoyés  de  Corinthe,  et  c'est 
à  leur  occasion  que  fut  instituée  la  fête 
annuelle  où  des  chœurs  de  j^nes  gar- 

Fras  et  de  jeunes  filles  déposaient  sur 
autel  des  gâteaux  de  miel  et  de  sé- 
same (2). 

Le  culte  d'Apollon  était  fort  aneien 
au  dire  de  Pausanias  (8).  Dans  la  vie 
dePythagore,  Jambhque  raconte  qu'An* 
cée  reçut  de  ce  dieu  l'ordre  de  coloniser 
Samos  (4).  On  peut  croire  aussi  que  oe 
culte  arriva  dans  l'île  avec  Cydrolaus , 
apporté  parles  Lesbiens,  chez  qui  Apol- 
lon était  particulièrement  honoré.  On 
se  souvient  de  l'Ile  de  Rhénée,  consacrée 
par  Polycrate  a  Déios ,  et  de  ses  jeux 
Pythiens. 

Bacchus  avait  deux  temples  dans  l'tte  : 
celui  qu'Elpis  lui  avait  fait  bâtir  à  Sa- 
mos et  un  second  dans  la  petite  ville  de 
Gorgyre.  Le  Bacchus  samien  avait  des 
rapports  avec  celui  de  Samothrace. 

Neptune  était  honoré  dans  un  temple 
sur  le  promontoire  le  plus  oriental  de 
rtle ,  sa  situation  l'avait  fait  surnommer 
Neptune  du  rivage  (S) ,  et  le  prbmon- 
toire  s'appelait  Posidium. 

Mercure,  dieu  actif  du  commerce  et 
du  vol ,  eut  un  temple  à  Samos  à  une 
époque  très-reculée.  Léogoras,  au  retour 
de  son  exil  de  dix  années  à  Anaea,  le  lui 
avait  élevé;  et,  en  mémoire  des  pillages 
et  de  la  piraterie  qui  avaient  été  sa  seule 
ressource,  il  fut  admis  que  pendant  les 
fêtes  et  les  jours  consacrés  on  se  vole- 
rait réciproquement.  Ce  Mercure  était 
surnommé  Joyeux  (XaptS6tr,{)  (6). 

Après  la  mort  violente  de  Polycrate , 
Meandrius  éleva  dans  un  faubourg  de 
Samos  le  temple  de  Jupiter  libérateur. 
Les  temples  de  Vénus  étaient  nombreux  ; 
Dexieréon-lui  en  avait  élevé  un  à  çon  re- 
tour de  Cypre  :  les  courtisanes  athé- 

(x)  CaUim.,  Hymme  à  Dtan.,  V,  aaS. 
(a)  Hérodote,  m,  48. 

(3)  Pausau.,  U,  3r. 

(4)  Jamb.,  I,  ch.  ir. 

(5)  Hésycb.,  V ,  inaxTOuoc. 

(6)  Plut.,  Qttest,  Gr,,  55;  Pausan.,  VU,  4. 

J6. 


244 


L'UNIVERS. 


niennes  oui  avaient  suivi  Pédelès,  dans 
son  expéaition  contre  Samos,  lui  en  bâ* 
tirent  un  second  appelé  le  temple  de  la 
Vénus  des  Roseaux  (1).  La  féteaes  Éku' 
ikéries  avait  été  instituée  en  l'honneur 
de  TAinoar  et  de  sa  mère;  pendant  sa 
durée  la  licence  la  plus  al>solue  régnait 
à  Sanoos.  Enfin,  Minerve  et  Gérés  rece* 
valent  un  culte  et  jouissaient  d'honneurs 
établis  sans  doute  par  les  colons  de  TAt- 
tique. 

Beaux  Arts,  Littébàtube,  Philo- 
sophie. —  Les  arts  furent  cultivés  à  Sa- 
inos  avec  un  soin  particulier.  Le  grand 
nombre  des  édifices  religieux  qui  ornaient 
cette  île  et  les  objets  d'art  dont  ils  étaient 
décorés  attestent  le  développement  de 
Tarchitecture,  de  la  sculpture  et  de  la 
peinture  à  Samos.  L'architecture  y  fut 
surtout  florissante.  I^sSamiens  illustres 
dans  cet  art  sont  :  Rhœcus ,  qui  cons- 
truisit î'Héroeum ,  à  la  première  olym- 
piade (776),  ou  selon  une  opinion  plus 
accréditée  vers  la  vingtième  (700)  (2). 
Son  fils  Théodore  construisit  le  Laby- 
rinthe de  Lemnos.  Pendant  un  séjour  à 
Éphèse  il  conseilla  de  placer  des  char- 
bons dans  les  fondements  du  temple  de 
Diane,  que  l'on  construisait  alors,  afin 
d'éviter  les  inconvénients  de  l'humi- 
dité (3).  Vint  ensuite  Mandroclès,  qui 
jeta  sur  le  Bosphore  le  pont  de  bateaux 
sur  lequel  les  Perses  passèrent  pour  aller 
en  Scythie.  Darius,. satisfait  de  cet  ou- 
vrage ,  combla  Mandroclès  de  présents , 
dont  une  partie  fut  employée  à  faire 
peindre  pour  rHérœuhi  un  tableau  qui 
représentait  le  pont  avec  le  roi  Darius, 
assis  sur  son  trône  et  regardant  défiler 
son  armée.  L'inscription  en  était  ainsi 
conçue  :  «  Mandroclès  a  consacré  à  Ju- 
«  non  ce  monument  en  reconnaissance 
«  de  ce  qu'il  a  réussi  au  gré  de  Darius 
«  à  jeter  un  pont  sur  le  Bosphore.  Il 
«  s'est  par  cette  entreprise  couvert  de 
«  gloire,  et  a  rendu  immortel  le  nom  de 
«  Samos,  sa  patrie  (4)  ».  Les  nombreux 
édifices,  tant  civils  que  sacrés,  de  Samos 
témoignent  de  l'existence  d'un  grand 
nombre  d'autres  architectes  et  d'ingé- 

(i)  Athén.,  XIIJ,  57a,  f.  xaXdc(jLOi<;. 
(a)  Voir  la  discussion  de  M.  Panofka ,  Res 
Sam.,  p.  5i. 

(3)  Diog.  Laert.,IV,  8. 

(4)  Hérodote,  lY,  88. 


nieurs,  dont  les  noms  ne  nous  sont  pas 
parvenus. 

Le  même  Rhœcus  fut  sculpteur  en 
même  temps  qu'architecte  illustre.  Atcc 
et  après  lui  se  distinguèrent  ses  fils , 
Théodore  et  Teléclès.  Rhœcus  et  Théo* 
dore  furent  les  inventeurs  de  la  plas- 
tique. Théodore  avait  coulé  en  airain 
sa  propre  statue.  Cet  ouvrage  était  re- 
marquable, par  la  vérité  et  la  finesse  des 
détails.  Dans  la  main  droite  était  une  lime 
et  un  petit  quadrige  de  la  forme  la  plus 
exiguè  et  du  travail  le  plus  délicat.  L'in- 
vention de  la  règle,  du  tour  et  du  niveaa 
lui  était  encore  attribuée  (1).  De  concert 
avec  Teléclès ,  il  fit ,  à  l'imitation  des 
artistes  de  l'Egypte,  où  il  avait  demeure 
longtemps ,  une  statue  dont  une  moitié 
fut  exécutée  par  lui,  à  Éphèse,  et  Fautre, 
à  Samos  )  par  son  frère.  Les  proportions 
avaient  été  si  bien  prises  que  les  deux 
parties  rapprochées  semblaient  apparte- 
nir au  même  ciseau.  Un  second  Théo- 
dore, fils  de  Teléclès,  s'illustra  dans  les 
arts,  comme  son  père,  son  aïeul  et  son 
oncle,  et  mit  le  comble  à  la  gloire  de  S3 
famille^  11  fut  contemporain  de  Polycrate, 
et  grava  cette  bague  en  forme  de  cacbec 
dont  le  sacrifice  parut  au  tyran  la  com- 
pensation de  son  bonheur.  On  lui  attri- 
buait un  cratère  consacré  par  Grésu» 
dans  le  temple  de  Delphes  ;  ce  cratèit 
était  d'argent,  et  capable  de  contenir  sit 
cents  amphores  ;  le  travail  en  était  du 
goût  le  plus  exquis  (2).  Un  peintre  du 
nom  de  Pythagore,  à  peu  près  oonteni- 
porain.du  grand  philosophe,  s'adonoa 
aussi  à  la  sculpture.  On  voyait  de  lui 
au  temps  de  Pline  sept  statues  nues, 
auprès  du  temple  de  la  Fortune  de  eha- 
que  jour,  et  celle  d'un  vieillard  :  toutes 
étaient  des  œuvres  très-estime  (3).  A 
partir  de  ce  temps  les  noms  des  sculp- 
teursamiens cessent  d'être  connus;  mais 
les  statues  dressées  à  Alcibiade ,  Ly- 
sandre,  Ck)non,  Timothée  prouvent  que 
la  sculpture  continua  à  être  en  honneur 
à  Samos. 

Plusieurs  peintres  samiens  furent  cé- 
lèbres, et  les  encouragements,  les  cou- 

(x)  Pline,  Hist,  Nat.,  XXXIV,  19  «-^ 
passîm. 

(a)  Hérodote ,  1 ,  5  f . 

(3)  Pline,  Hùt.  Aa/.»  34>  i9i  Diog*  La«^' 
Tlir,  ru  de  Pythag.  " 


ILB  DE  SAMOS. 


346 


eoors  el  la  libéralité  des  habitants  de  Tile 
?  attirèrent  encore  des  étrangers  illus- 
tres. Calyphon  de  Samos,  contemporain 
de  la  première  guerre  médique,  peignit 
pour  Je  temple  de  Diane  à  Êpbèse  une 
Discorde,  qui  faisait  allusion  à  la  guerre 
des  Perses  contre  les  Grecs  (1).  Il  repré- 
senta ensuite  un  Patroele  que  des  femmes 
rerétaient  de  sa  cuirasse  (3).  Pline  men* 
tjonne  parmi  les  bons  peintres  un  nommé 
Théodore,  élève  deNicostbène,  dont  l'é- 
poque est  incertaine  (3).  Au  temps  de 
I>émosthène  florissait  Agatbarchus,  fils 
dEudémas  (4).  Parrbasius  d'Éphèse  vint 
à  Samos,  et  concourut  avec  Timanthe 
pour  un  Ajax  disputant  les  armes  d'A- 
chille. Mis  après  le  Samien ,  il  déclara 
être  affli$2:é  pour  le  héros  de  le  voir  une 
seconde  fois  vaincu  par  un  indigne  ad- 
versaire (5).  Timanthe  est  le  peintre  fa- 
meux gui  ne  trouvant  pas  une  expression 
assez  forte  de  la  douleur  d'Age memnon 
pendant  le  sacrifice  de  sa  fille,  lui  voila 
la  tête.  Nous  avons  vu  que  Pythagore  le 
sculpteur  avait  d'abord  été  peintre. 

Samos  eut  aussi  des  musiciens  :  le 
grand  Pythagore  avait  fait  une  étude  ap- 
profondie de  Part  musical  ;  et  selon  son 
système  Tensemble  du  monde  était  or- 
ganisé d*après  les  mêmes  lois  d  harmo- 
nie que  la  musique.  Le  Samien  Stésandre 
fut  le  premier  qui  à  Delphes  chanta  sur 
la  cithare  les  poèmes  dllomère  ;  vient 
ensuite  le  joueur  de  flûte  Télépbane , 
anquel  Ciéopâtre  fille  de  Philippe  fit 
élever  un  tombeau  sur  le  chemin  qui 
mène  de  Corinthe  à  Mégare  (6).  Trois 
ieunes  Samiennes  furent  aussi  célèbres 
parleurs  chants  et  par  leurs  danses  :  elles 
s'appelaient  Aristouique,  OEnanthe  et 
Agathocléa  (7). 

La  littérature  fut  aussi  cultivée  que 
les  arts  par  les  Samiens.  Cette  tle  eut 
ées  écrivains  originaux,  s'exprimant 
dans  un  dialecte  particulier.  L'idiome 
propre  aux  Samiens,  qui  était  Tune  des 
quatre  branches  du  dialecte  ionien,  de- 
vait se  ressentir  du  séjour  des  Gariens 

(i)  Paasanias,  "V^i  X9* 

(2)  Id.,  Ibid.,  a6. 

(3)  Plioc,  But.  Nat„  XXXV,  4o. 

(4)  PanoHta ,  p.  55. 

(5)  Pline,  HisL  Nat„  XXXV,  19-36. 

(6)  Paiisaniasy  I,  44. 

(7)  Panofka,  Res  Sam,,  p.  56. 


dans  rtle;  leur  langage,  moins  doux 
que  celui  des  Lydiens,  gardait  une  cer- 
taine parenté  avec  la  langue,  plus  rude, 
des  Gariens  et  des  Donens.  Si  Ton  en 
croit  Hésycbius  et  Suidas,  un  Samien, 
Callistrate,  aurait  inventé  les  vingt-quatre 
lettres  de  l'alphabet ,  qui  de  Samos  au- 
raient passé  en  Attique,  sous  Tarchon- 
tat  d*£uclide.  Les  plus  anciens  poètes 
de  Samos  sont  la  Sibylle  Hérophiie  (1), 
et  Asius,  fils  d'Amphiptolème,  auteur 
d*un  poème  généalogique  dont  Pausa- 
nias  a  recueilli  quelques  tragments.  Gréo- 
phyle,  poète  cyclique,  appartint  à  la  pé- 
riode où  les  chefs-d'œuvre  et  la  gloire 
d'Homère  firent  naître  un  grand  nombre 
d'imitateurs.  «  Il  avait  donné  l'hospita- 
lité à  Homère,  dit  Strabon  (2),  et  pour 
récompense  il  eut  l'honneur  de  publier 
sous  son  nom  le  poëmo  intitulé  la  Prise 
cPOEchcUie  ».  Gallimaque  assure,  dans 
une  épigramme  conservée  par  Strabon, 
que  cette  œuvre  appartient  bien  à  Gréo- 
phyle,  en  prêtant  au  poème  même  le  lan- 
gage suivant:  «Je  suis  l'œuvre  du  Samien 
«qui  jadis  reçut  ledi  vin  Homère;  je  pleure 
«  les  malheurs  d'Ëur^thus  et  de  la  blonde 
•  lolée  ;  on  me  qualifie  de  poème  homéri- 
«  que,  ô  Jupiter  !  quel  sujet  degloirepour 
«  Grcophyle  !  »  —  Plusieurs  auteurs  ont 
dit  que  Créophyle  fut  le  maître  d'Ho- 
mère. Prodicus,  né  aussi  à  Samos,  avait, 
au  dire  de  Glément  d'Alexandrie,  écrit 
une  descente  d'Orphée  aux  enfers.  On 
compte  encore  parmi  les  poètes  épiques 
Chœrile,  contemporain  d'Eschyle.  Il 
chanta  la  guerre  des  Perses  contre  les 
Grecs,  s'efforçant  de  rajeunir  par  un 
sujet  nouveau  et  attachant  la  poésie  épi- 
que, qui  commençait  à  vieillir.  Les  Athé- 
niens, charmés  du  sujet,  eurent  le  poète 
en  grande  considération.  On  lisait  dans 
les  écoles  ses  poèmes  avec  ceux  d'Ho- 
mère. Un  autre  Ghœrile,  poète  tragique, 
fut  contemporain  d'Alexandre  :  ses  mau- 
vais vers  étaient  récogi  pensés  chacund'un 
statère  d'or,  c'est  de  lui  qu'Horace  a  dit  : 

Grains  Alexandre  régi  mâgno  fait  lile 
Cbœrilus,  incaltis  qui  versfbuset  malenalis 
Rettulitacceptos  regale  ûumisma  PbillpposC»). 

Un  autre  poète,  I^icénœtus,  adressa 
cette  épigram  me  à  sa  patrie  :  «  Ge  n'est  pas 

(i)  Panofka,  Res  Samîorum,  p.  S 7  et  suit. 
(a)  Slrabon ,  XrX,  §  10. 
(3)  Hor.,  Epit,^  II,  ép.  i. 


246 


LUNIVERS. 


«  dans  ta  TiUe»  c'ait  att  milieu  descain- 
«  pagnes  que  je  veux  célébrer  mes  fes- 
«  tins,  réjouis  par  le  soufOe  du  zéphyr; 
«  C'est  assez  d^in  lit  de  feuillage.  Voici 
«  les  feuilles  de  Fagnus-castus ,  arbre 
«  emfaflumé  de  cette  terre.  Voici  Tosier, 
«  couronne  antique  des  Cariens.  Appor« 
<c  tez  te  vin  et  laljre  aimable  des  muses; 
«  plein  de  joie ,  réjoui  par  les  douces 
'«  (limées  de  la  liqueur  enivrante,  je  cban- 
«  terai  la  déesse  reine  de  notre  tie ,  la 
<i  noble  épouse  de  Jupiter  (1)  ».  Pausi* 
maque  avait  retracé  dans  ses  vers  This- 
toire  du  monde.  Asclépiade  est  appelé 
par  Tbéocrite  la  gloire  de  Samos  (2). 
Ëpœnœtus  composa  deux  poèmes ,  Tun 
sur  les  poissons ,  Tautre  sur  l'art  culi- 
naire. 

Il  faut  parler  d'Ësope  à  propos  des 
écrivains  de  Samos.  Le  célèbre  fabuliste 
de  Fantiquité  est  né  en  Phrygie  selon 
l'opinion  commune;  quelquefois  cepen- 
dant (8)  on  a  voulu  que  Samos  fût  sa 
patrie.  Il  est  au  moins  reconnu  qu'il 
passa  dans  cette  île  une  partie  de  sa  vie, 
et  que  c'est  là  qu'après  avoir  servi 
Xanthus  il  reçut  d'Iaamon,  son  second 
maître,  la  liberté.  Il  était  contemporain 
de  Grésus  (4).  Anacréon  de  Téos  appar- 
tient aussi  à  cette  île,  par  le  lon^  séjour 
qu'il  fit  auprès  de  Polycrate ,  qui  l'avait 
admis  dans  son  intimité.  Mais  de  tous 
les  hôtes  que  reçut  Samos ,  celui  dont 
elle  doit  le  plus  s'enorgueillir  est  Ho- 
mère. Devenu  aveugle  à  Colophon,  après 
bien  des  courses  et  des  vovages,  il  avait, 
selon  la  biographie  vulgairement  attri- 
buée à  Hérodote,  habité  tour  à  tour 
Cyme,  Phocée,  Chios.  Sa  destinée  er- 
rante le  mena,  lorsqu'il  était  déjà  vieux, 
dans  111e  de  Samos.  Bien  accueilli  par 
les  habitants ,  il  célébra  leur  hospitalité 
dans  ses  vers.  Cest  pour  des  potiers,  qui 
l'avaient  prié  de  s'asseoir  au  milieu  d'eux, 
qu'il  composa  le  Chant  du  Fourneau. 
Homère  passa  un  hiver  entier  à  Samos. 
Aux  nouvelles  lunes ,  il  allait  aux  mai- 
sons des  riches,  suivi  de  jeunes  enfants, 
et  il  chantait  les  vers  que  Ton  a  appelés 
Virésioné  ou  le  Rameau  :  C'était  le  chant 
du  suppliant  qui  frappait  à  la  porte  du 

i)  Nirénœtus,  cité  par  Athén.,  "XV. 
fa)  Théoc,  Idyl.,  VI,  40. 
Î3)  Suidas,  V ,  Atcion, 
[4)  Hérodote, n,i 34. 


liche,  et  qiâ  ûûsait  un  ipptl  à  sa  géné- 
rosité. L'nymne  d'Homère  se  transmit 
d'âge  en  âge  ;  et  quand  les  enfonts  de 
Samos  faisaient  la  qnéte  en  l'honneor 
d'Apollon,  Ils  redisaient  les  vers  de  H- 
résioné.  Cest  en  quittant  Samos  qu'Ho« 
mère  mourut  dans  llie  d'Ios  (1). 

Les  historiens  samiens  sont  Eugéos, 
antérieur  à  la  guerre  du  Péloponnèse,  Do- 
ris,  qui  vivait  trois  cents  ans  avant  J.-C. 
Il  écrivit  les  commencements  de  Tbis- 
toire  grecqoe  (3).  Les  fragments  de  sa 
histoires  qui  nous  ont  été  conservés  pai 
Athénée  (8)  abondent  en  détails  inutiles: 
ils  sont  dénués  de  critioue ,  mais  quel- 
quefois ils  contiennent  des  récits  ^ui  ne 
sont  pas  sans  charme  ;  il  lui  arrivait  par- 
fois d'insérer  des  vers  et  des  petits  poè- 
mes dans  ses  narrations.  Ciei^ron  vante 
son  exactitude  (4).  Outre  ses  histoires ,  il 
avait  écrit  des  annales  samiennes,  qu'os 
peut  particulièrement  regretter  ici,  et  m 
traité  sur  les  lois.  On  lui  attribuait  en- 
core des  livres  sur  Euripide,  sur  Sophocif 
et  sur  la  peinture.  Duris  eut  on  frère 
qui,  sans  atteindre  à  sa  célébrité,  ne  fut 
pas  sans  mérite;  il  s'appelait  Lyncée,  et 
s'adonna  à  la  littérature.  Il  avait  écrit 
des  histoires  égyptiennes,  où  se  retrou- 
vaient les  défauts  de  son  frère,  et  com- 
posé un  recueil  d'actions  mémorables  et 
d'apophthegmes  gui  ne  manquaient  pai 
d'intérêt;  un  traité  de  l'art  culinaire,  U 
festin  de  Lamia ,  le  iMinquet  des  roii 
Antigone  et  Ptolémée ,  enfin  une  cor- 
respondance adressée  à  Htppolocus  div 
ciple  de  Théophraste.  On  lui  attribuait 
des  critiques  sur  son  contemporain  \t 
comique  Ménandre  ,(5).  Denys,  autfor 
d'un  ouvrage  IIep\  KtSxXou,  écrit  en  pn$e, 
y  dissertait  sur  les  récits  fabuleux  qui 
formaient  la  matière  des  poèmes  épi- 
ques. Il  faut  le  distinguer  de  Denys  d^ 
Milet,  qui  a  composé  un  livre  du  niêmr 
titre;  on  l'a  quelquefois  confbnda  aver 
Denys  d'Alexandrie,  le  Périégète.  PIih 
sieurs  annalistes,  Alexis,  i£thiius,  M^ 
nodote,  complètent  la  liste  des  écrivaia» 
du  genre  historique. 

(i)  Hérodote,  ^te  d'Hom.,  c.  3i  el  suit. 
(2)  Diod.,  XV,6o. 

f3)  Voir  Alhén.,  XII,  VI,  passim  ;  Ptnoft»- 
p.  89. 

(4)  Cic,  adu4ttic.,Vl^  r. 

(5)  Panofka ,  Hes  Samionm ,  p.  93. 


ILE  DE  SAMOS. 


147 


RidM  en  poètes  et  en  historiens^  la 
petite  ile  de  Samos  fut  encore  la  patrie 
de  Pythagore  et  Je  berceau  d'Épicure. 
hthagore  descendait  par  ses  parents, 
Noésarque  ou  Mnémarque  et  Pytbédée, 
(TADcée,  le  héros  qui  avait  colonisé  Sa- 
mos  (!}.  Des  présages,  confirmés  par  la 
beauté  de  Tenfent,  ses  dispositions  mer* 
Tfilleuses  à  tout  apprendre  et  son  godt 
pour  les  arts  révélèrent  sa  grandeur  fu- 
ture. Son  père,  habile  graveur  de  bagues, 
qui  travaillait ,  dit  Diogène  de  Laerte , 
pour  rhonneur  plus  que  pour  le  profit^ 
Qe  négligea  rien  de  ce  qui  pouvait  con- 
tribuer à  Vinstru  ire.  Conduit  par  ses  af- 
faires à  Lesbos,  il  lui  lit  suivre  les  leçons 
de  Pbérécide  de  Syros  ;  ce  maîtrejnou- 
rut.  Miiésarque  revint  à  Samos  ;  et  son 
Gis  étudia  sous  Hermoda mante ,  petit- 
fils  de  Créophyle.  Bientôt  le  jeune  Py- 
thagore fut  curieux  de  voir  le  monde;  il 
commença  ses  voyages,  et,  parcourant 
la  Grèce  et  les  pays  barbares,  se  fit  ini- 
tier à  tous  les  mvstères.  Une  version, 
peu  accréditée  même  dans  les  temps  an« 
ciens,  prétendait  que  ce  n'était  pas  de 
plein  gré  qu'il  avait  été  en  Egypte;  il  se 
serait  trouvé  au  nombre  des  prisonniers 
de  Gambyse ,  et  aurait  été  racheté  par 
un  riche  Crotoniate  appelé  Gillus  (3). 
Diogène  de  Laerte  raconte,  avec  plus  de 
vraisemblance,  que  Polycrate  lui  donna 
pour  aller  dans  ce  pays  des  lettres  de 
recommandation.  Les  prêtres  égyptiens 
lui  enseignèrent  la  combinaison  des 
nombres  et  les  formules  rigoureuses  de 
)a  géométrie.   Chez  les  Chaldéens  il 
apprit  la  science  des  astres,  et  les  révo* 
jutions  précises  des  planètes;  il  pénétra 
jusqu'à  rinde,  visita  la  Perse,  et  revint 
par  rtle  de  Crète.  Lorsqu'il  rentra  dans 
sd  patrie,  riche  de  science  et  d'expérience, 
plein  des  idées  et  des  doctrines  qui  al- 
laient le  placer  parmi  les  sages,  Poly- 
crate était  au  comble  de  la  prospérité.  8i 
glorieuse  que  fOt  cette  tyrannie,  le  philo- 
sophe ne  put  la  subir  ;' il  quitta  Pile,  se 
réfugia  à  Crotone,  et  jamais  Samos  ne  re- 
vit son  illustre  citoyen  (580  av.  J.-G.)  («). 
Mélissus  de  Samos  fut  h  la  fois  phi- 
losophe et  homme  de  guerre.  Parménide 
avait  été  son  maître;  contemporain  de 

(i)  Jambliq.,  rie  de  Pjthag.,  ch.  a. 

M  Apulée,  riorid,^  XV. 

(3)  Diog.  laert.,  VDI,  ch.  i ,  i,  a,  3. 


Démoerited'Abdèreftd^Héraelite,  lient 
de  fréquents  entretiens  avec  ce  dernier. 
Ses  coneitoyens  l'aimèrent  pour  ses  ver- 
tus, et  lui  décernèrent  le  commandement 
de  leurs  forces  navales.  Nous  avons  vu 
qu'il  sut  pendant  quelque  temps  balan- 
cer l'habileté  et  la  fortune  de  Périclès. 
L'univers  était,  selon  lui,  infini,  immua- 
ble ,  immobile  ;  la  loi  du  monde  était 
simple  et  toujours  constante;  le  mouve« 
ment  n'existait  pas ,  ce  n'était  qu'une 
illusion,  il  ne  fallait  pas  chercher  de  dé- 
finition pour  les  dieux,  sur  la  nature 
desquels  on  n'a  ()ue  des  connaissances 
incertaines  (1).  Ëpieure  passa  sa  jeunesse 
à  Samos.  Lorsque  les  Athéniens  se  dé- 
terminèrent à  envoyer  une  colonie  dans 
cette  Ile,  parmi  ceux  que  désigna  le  sort 
se  trouvait  un  pauvre  maître  d'éoole  du 
bourc  de  Gargette  ;  il  s'appelait  Néoelèi. 
Néoclès  vint  s'établir  dans  son  lot  de 
terre  avec  un  enfant  qui  lui  était  nou- 
vellement né,  etquifutÉpicure.Parvenn 
à  l'âge  d'étudier  la  philosophie,  le  fils 
de  Néoclès  suivit  les  leçons  du  plato- 
nicien Pamphile  ;  mais  bientôt  il  quitta 
rtle,  et,  à  i'dge  de  dix-huit  ans,  il  alla 
se  faire  inscrire  k  Athènes  dans  la  classe 
des  éphèbes  (2).  On  cite  encore  parmi 
les  Sa  miens  célèbres  dans  les  sciences  ' 
Phocus,  auteur  d'une  astrologie  qui  mé- 
rita d'être  attribuée  à  Thaïes  de  Miiet  (S). 
Tels  furent  les  sages  de  Samos.  Cette 
terre  féconde  pour  la  philosophie  avait, 
dit^n ,  reçu  Socratedans  un  des  voyages 
de  sa  jeunesse. 

Monnaies,  MÉnATiLis.  -»  11  ne  sera 
pas  inutile  de  compléter  l'histoire  de  Sa- 
mos parla  description  des  médailles  de 
cette  île  qui  nous  ont  été  conservées. 
Quelques-unes  de  ces  pièces  servent  h 
justifier  des  faits  cpji  n  ont  été  avancés 
que  sur  leur  témoignage. 

Les  Sa  miens,  comme  tous  les  peuples 
commerçants,  durent  adopter  de  bonne 
heure  1  usage  des  métaux  monnayés 
pour  faciliter  les  échanges.  Ils  eurent 
une  monnaie  et  une  marque  particulière. 
Pour  les  plus  anciennes  monnaies,  ce  fut 
d'un  côté  une  tête  de  femme  et  te  mot 
CÀMIQN,  de  l'autre  un  paon  ;  ces  pièces 
rappelaient  exclusivement  la  déesse  pro- 

(i)  Diog.  Lacrt.,  IX,  4. 
(a)  Id.,  Xy  i,S|  3. 
(3)  Id.,  I,  a. 


%4» 


LVNIVERS. 


lectrice  de  l'île,  car  on  a  va  que  les 

{)aons ,  nourris  en  grand  nombre  dans 
'Hérœum ,  :étaient  consacrés  à  Junon. 
Plus  tard,  au  temps  de  sa  toute- puissance 
maritime,  Samos  représenta  uneSaméne 
sur  ses  pièces  d'argent,  comme  semble 
le  prouver  le  passade  de  Suidas  relatif 
à  Texpédition  de  Périclès  et  au  châti- 
ment réciproque  que  s'infligèrent  les 
Athéniens  et  les  Samiens.  Les  monnaies 
étaient  d*or,  d'aigent  et  d'airain,  même 
de  plomb  doré.  Parmi  les  médailles  les 
mieux  conservées,  il  en  est  une  qui  re- 
présente une  petite  lune  auprès  d'une 
tête  de  femme  ;  à  la  face  est  écrit  MHNH 
GAMIÛN,  au  revers  BEON  CÏNKAH- 
TON  (1).  Choiseul-Goufûer  en  reproduit 
une  à  peu  près  semblable  (2).  Elle  offre 
à  la  face  une  tête  de  femme  ou  de  jeune 
homme,  peut-être  Apollon,  au  revers 
un  paon  posé  sur  un  caducée,  un  sceptre 
et  le  monogramme  de  Junon.  A  partir 
des  relations  amicales  de  Samos  avec  la 
Libye,  et  de  l'aventure  d'Elpis,  on  voit 
souvent  figurer  sur  les  monnaies  une 
tête  de  lion  sur  la  face;  la  légende  porte 
HrHCIANAS  avec  G.  ou  CA.  Au  revers 
on  voit  un  bceuf  coupé  par  la  moitié 
et  le  mot  CAMIÛN.  Le  nombre  des 
médailles  représentant  un  lion,  un  tau- 
reau et  le  nom  de  Bacchus  est  assez  con-- 
sidérable.  Sous  les  premiers  Césars  les 
médailles  Samiennes  deviennent  plus 
rares.  De  Caracalla  àGallien  elles  sont, 
'  aucontraire,très-nombreuses;  elleàpor* 
tent  toujours  le  mot  GAMlûN  et  l'image 
d'un  paon  avec  un  sceptre,  ou  bien  la 
déesse  Junon.  Celle-ci  est  ordinairement 
représentée  comme  si  elle  présidait  à  la 
cérémonie  du  mariage,  couverte  d'un 
long  voile;  à  ses  pieds  coule  un  fleuve, 
peut-être  rimbrasus.  Certaines  mon- 
naies représentent  Méleagre  tuant  le 
sanglier;  au-dessus  Vulcain  faorique 
des  armes.  Fréquemment  sous  Gallien 
et  Gordien  on  trouve  un  homme  nu  qui 
lance  des  deux  mains  une  pierre  contre 
un  serpent.  Sur  certaines  médailles  Py- 
thagore  est  représenta  assis,  revêtu  d'un 
manteau;  il  touche  une  sphère  avec  sa 
baguette  ;  en  légende  est  écrit  nrOATO- 

(i)  Eckhel.,  Doctrin, num.,  t.  II,  p.  569. 
Cf.  Panofka,  p.  iS. 

(a)  Voir  dans  Tailas  r^uason  qui  précède 
les  vues  de  Samos. 


PHC  CAMIÛN.  Du  temMdoGordien  et  de 
Décius  datent  les  médailles  qui  portent 
nPOTQN  lONUC.  Enfin,  une  Concorde 
et  Alexandrie  d'Egypte ,  avec  cette  If- 
eende  :  CAMIÛN  KAl  AA££AN^EÛ> 
OMONOI A  ;  on  v  voit  aussi  Isîs  deboutcoo- 
verte  d'un  voile.  Il  est  à  remarquer  que 
parmi  ces  médailles  pas  une  ne  porte 
ou  la  figure  ou  l'indication  d'un  magis- 
trat public.  Cest  là  une  regrettable  la- 
cune, qui  nuit  à  la  connaissance  des  ins- 
titutions politi<iues  de  Samos  et  qui  a  du 
rendre  incertaines  et  réservées  nos  as- 
sertions à  leur  ^ard. 

IV. 

HISTOIRE  DB  SàMOS  PENDANT  LE 
MOYEN  AGE  ET  LES  TEMPS  MO- 
DERNES. 

SAMOS  sous  le  GOUVERNEMENT  III- 

PÉRIAL.  —  Après  l'époque  deVespasien, 
depuis  le  moment  où  Samos  fut  réduite 
en  province  romaine,  cette  tle  tombe 
dans  un  oubli  presque  complet.  On  ne 
retrouve  plus  son  nom  que  sur  quelque 
monnaies  impériales,  qui  nous  attestent 

Sue  Samos  avait  conservé  dans  le  sein 
e  l'empire  romain  une  position  digne 
de  son  ancienne  splendeur.  Mais  au  mo- 
ment où  commencent  les  invasions  des 
barbares,  le  silence  de  l'histoire  devient 
encore  plus  profond,  et  la  décadence  de 
Samos  et  de  tout  le  monde  grec,  retar- 
dée de  plusieurs  siècles  par  le  génie  po- 
litique des  Romains ,  s'accomplit  au 
milieu  de  calamités  dont  les  historiens 
byzantins  n'ont  guère  le  courage  de  nous 
transmettre  les  tristes  détails.  De  toutes 
les  fies  un  peu  importantes  de  la  m^r 
Egée,  Samos  est  la  plus  oubliée  des 
rares  annalistes deces  temps  misérables; 
et  nous  n'aurons  souvent  qu'à  mennoo- 
ner,  sans  renseignements  précis,  la 
part  qu'elle  a  dû  recevoir  des  calamités 
générales  de  cette  malheureuse  époque. 
Au  quatrième  siècle  de  l'ère  chrétienne 
les  désastres  de  tout  genre  précédè- 
rent, comme  de  sinistres  présages,  les 
incursions  des  b-irbares,  qui  commeore- 
rent  au  siècle  suivant.  Les  famines ,  la 
peste,  les  tremblements  de  terre  se  r^ 
nouvellent  à  de  courts  intervalles.  Bien 
ue  Samos  ne  soit  pas  mentionnée  parmi 


l 


es  villes  qui  souftrireot  le  plus  de  ces 
léaux ,  il  est  à  penser  qu'elle  n'en  fot 


ILE  JX  SAMOS. 


U9 


pas  enUèraDent  garantie.  Elle  dut  no- 
tamment souffrir  du  tremblement  <|ui, 
en  363  et  365,  se  fit  sentir  de  la  Sieile 
ao  Péloponnèse  et  à  FArabie  (1). 

Sous  les  règnes  de  Julien,  de  Valenti* 
oieo,  de  Valons,  tandis  que  les  préten- 
dants à  l'empire  se  disputaient  la  pour* 
pre  les  armes  a  la  main,  des  brigands 
tenaient  la  mer  Egée  et  tout  le  littoral 
de  TAsie  Mineure,  qni  avait  toujours  été 
le' repaire  des  pirates.  Samosdnt  leur 
servir  de  retraite  dans  ses  roehers  et  ses 
détroits,  et  la  première  souffirir  de  leurs 
ravages.  En  417  nouveau  tremblement 
de  terre  général  sur  les  cdtes  de  TAsie 
Mineure.  Trente  ans  plus  tard  ee  dé- 
sastre se  renouvelle,  et  ravage  encore 
plus  de  contrées  :  Constantinople  est 
bouleversée  ;  des  montagnes  s'écroulent, 
d'autres  sortent  du  milieu  des  plaines  ; 
la  mer  bouillonnant  engloutit  oes  tles, 
toutes  celles  de  la  côte  sont  maltraitées, 
et  des  secousses  se  font  sentir  six  mois 
dorant.  En  747  une  contagion  meur* 
trière  dévaste  particulièrement  les  lies, 
et  dure  trois  ans. 

Cest  vers  ce  temps  quetPempire  ayant 
été  partagé  en  thèmes ,  Samosdut  aux 
souvenirs  qui  se  rattachaient  à  son  nom, 
bien  plus  qu'à  Timportance  Qu'elle  avait 
conservée,  de  devenir  le  cneMieu  du 
seizième  thème  de  l'Orient,  qui  s'éten- 
dait sur  le  continent  depuis  Magnésie, 
Tralles,  Ëphèse,  Mvrine,  Téos,  Lébé* 
dos,  etc.,  jusqu'à  Adramytte,  et  qui  était 
divisé  en  deux<tirme«,  Êphèseet  Adra« 
mytie  (2), 

bcuBSions  DBS  SABEiiSiNS. — Bien- 
tôt aux  ravages  des  pirates,  qui  s'étaient 
postés  dans  les  écueils  et  sur  les  rivaees 
voisins  de  Saroos,  se  joignirent  les  fré- 
quentes incursions  des  Sarrasins.  Maî- 
tre de  la  Crète  en  824,  ils  se  répandirent, 
de  cette  tie  dans  toutes  celles  de  TAr- 
ehipel  qu'ils  ne  cessèrent  d'infester  sous 
Michel  11.  Sous  Michel  111,  l'Ivrogne, 
Petronas,  frère  de  l'ambitieux  Bardas, 
gouverneur  de  Lydie  et  d'Ionie,  et  par 
conséquent  de  Satnos,  est  chargé  du  soin 
de  repousser  les  courses  des  Sarrasins 
des  côtes  et  des  tles  de  sa  province.  En 
882,  sous  Basile,  une  flotte  arabe,  par- 

(x)  AoMniea-Marcellin ,  XXYI ,  ch.  lo. 
(i)  GoosUiiit  Porphyr.ydSs  r/iema/.,  I,daiu 
U  CoUact.  Byzant.  de  Niebubr.,  t.  III,  p.  41. 


tie  de  Ptle  de  Crète,  ravage  sur  son  pas* 
sage  toutes  les  îles  jusqu'à  l'Hellespont. 
Enfin  sous  Léon  VI,  en  888,  les  Sarra* 
sins  descendent  a  Samos,  et  font  prison- 
nier le  préteur  Paspala,  son  gouver- 
neur (1).  Quatre  chroniqueurs  nous  ont 
eonservé  une  mention  sèche  et  brève  de 
cet  événement,  qui  consomma  la  ruine 
de  Samos.  Nulle  nart  on  ne  sent  mieux 
que  dans  oes  froiaes  indications  des  an- 
nalistes byzantins  toute  l'apathie  et 
rimpuissancedu  gouvernement  du  Bas- 
Empire.  Cependant  l'Ile  ne  tarda  pas  à 
rentrer  sous  la  domination  grecque;  puis 
les  incursions  et  les  ravages  des  Sarra- 
sins recommencèrent.  En  904  presgue 
tous  les  habitants  de  l'Archipel  sont  for- 
cés de  fuir  derrière  les  remparts  de  Tbes- 
salonique;  mais  Thessalonique  est  prise 
avec  vmgt*deux  mille  de  ses  défenseurs. 
Cependant,  un  général  grec,  Himère,  bat 
l'ennemi  ;  prompts  à  prendre  leur  re- 
vanche, les  Sarrasins  arment  trois  cents 
vaisseaux,  en  donnent  le  commande- 
ment à  deux  chrétiens  renégats,  Daraien, 
émir  de  Tyr,  et  Léon  de  Tripoli.  Himère 
s'avance  à  leur  rencontre,  et  livre  combat 
auprès  de  Samos ,  dont  Romain  Léca- 
pêne  était  gouverneur.  I<a  bataille  fut 
acharnée  et  sanglante,  la  victoire,  long- 
temps disputée,  resta  aux  Sarrasins. 
Himère  n'échappa  qu'avec  peine,  et  se 
retira  à  Mitylène  (91 1  )(2).  Damien,  pour^ 
suivant  le  cours  de  ses  succès,  songea  à 
s'emparer  de  tout  l'Archipel.  Il  attaqua 
d'abord  une  ville  de  Carie,  Slrobèle, 
dans  le  golfe  Céramique;  mais  la  mort 
arrêta  l'exécution  de  ses  projets. 

Eu  960  Samos  vit  les  préparatifs  de 
la  grande  expédition  grecque,  qui,  sous 
les  ordres  de  Nicéphore  Phocas,  enleva 
Candie  aux  Sarrasins  (3).  Les  vaisseaux 
s'étaient  réunis  au  port  de  Pygèle,  au 
sud  d' Ëphèse.  Cinquante  ans  plus  tard, 
Basile  Argyre,  gouverneur  de  File,  fut 
choisi  pour  réprimer  la  révolte  des  ha- 
bitants de  Bari.  U  avait  pour  coliè^ 
Contoléon,  gouverneur  de  Céphallenie. 
Tous  deux*  furent  battus  par  Méii,  ci- 

(t)  Tbeopbanes  Contintiaïus ,  YI,  dans 
IViebuhr.,  p.  35?;  SiroéoD  magister,  p.  70Z  ; 
Georg.  le  Moine,  853. 

(a)  Lebeau ,  Bist,  du  BaS'Smp.^  liXXJI , 
$54. 

(3)  Zonare ,  in-fol.,  p.  196-197. 


350 


L'UNI  VSRS. 


toyen  de  la  viUe  rebelle,  le  même  qui, 
trahi  par  les  sieni,  prWé  de  sa  femme  et 
de  ton  fils,  liTrés  aux  Grees^  se  fit  l'auxi- 
liaire des  Normands,  et  contribua  à  rafir 
à  IVmpire  ce  qu'il  conservait  dans  Tlta* 
lie  méridionale.  Un  autre  gouverneur  de 
Samos,  David  d'Achride,  fut  vainqueur 
d'un  chef  russe,  Chrysochis,  parent  de 
Vladimir,  qui,  à  la  tête  de  quelques  bar- 
ques, avait  battu  le  préfet  maritime  d'A- 
bydos  et  s'était  avancé  jusqu'à  Lem« 
nos  (1028)  (1). 

L'Ile  de  8amo8  était  un  poste  diffioiie 
à  défendre.  On  lui  choisissait  pour  gon« 
verneur  des  hommes  de  guerre  expérj« 
mentes*  Quatre  ans  après  la  victoire  de 
Dafid,  nous  trouvons  encore  un  gou* 
verneur  de  Samos  à  la  tête  des  forces 
navales  de  l'Arohipel.  George  Théodo* 
raeane,  uni  à  Bérinoès,  gouverneur  de 
Chio,  livre  combat  aux  Sarrasins  dans 
les  Cyolades,  leur  prend  douze  vaisseaux, 
et  dissipe  le  reste  de  leur  flotte  (2).  Sous 
le  règne  de  Constantin  IX  Monomaque, 
que  l'impératrioe  Zoé  avait  tiré  de  son 
exil  à  Lesbos  pour  le  revêtir  de  la  pour* 

Irre,  Constantin,  parent  de  Michel  Y  Ca* 
apbate,  étant  devenu  suspect  au  nouvel 
empereur,  fut  relégué  à  Samos  (104a)(a), 
après  avoir  eu  les  yeux  crevés.  A  la  fia 
de  ce  même  siècle,  un  aventurier  ture^ 
Tzacbas,  s'étant  formé  une  marine  avec 
faided'un  habitant  de  Smyrne,  s'empara 
de  Phocée,  Clazomène,  Lesbos,  Chios  et 
Samos  (4). 

SàMOS  au  temps  DCS  CB0I8ADE8.  •— 

Bientôt  les  expéditions  de  Terre  Sainte 
amenèrent  les  chrétiens  occidentaux 
dans  les  mers  du  Levant.  Venus  comme 
auxiliaires,  les  Latins  furent  fendus  hos- 
tiles aux  Grecs  par  la  mauvaise  foi  d'A- 
lexis Comnène.  Ce  fot  entre  les  deux  races 
une  rivalité  continuelle,  tantôt  sourde , 
tantôt  déclarée,  pendant  tout  le  temps 
des  croisades.  Les  républiques  mar- 
chandes de  l'Italie  commencèrent  alors 
à  disputer  aux  Grecs  le  commerce  de  l'A- 
sie et  la  domination  des  îles  de  l'Archi- 
peL  On  vit  les  Pisans,  les  Génois,  puis  les 
vénitiens  faire  la  guerre  à  l'Empire;  les 

(x)  Lcbeaii ,  Hitt,  dm  Bùs^Bnutire,  LXXVT, 

§07. 

(a)  Id.,  iW.,  LXXVn,  $3. 

(3)  Zonare,  t.  II,  édîr.  de  Paris  ,  {>.  945. 

(4)  Id.,  t.  n,  p.  a$i. 


prétentioat  de  l'empterei»,  ht  pniasanec 
des  républiques  maritimes,  lee  rivaiitéi 
d'intérêts  donnaient  nécessairement  liea 
à  des  hostilités  dont  les  lies  de  l'Archipel 
étaient  souvent  le  théâtre.  A  l'année 
1124,  sous  Jean  Comnène,  Dominique 
Michel,  doge  de  Venise,  ayant  à  se 
plaindre  de  la  cour  de  Constantinople, 
qui  lui  avait  refusé  des  honneurs  qu'elle 
accordait  à  ses  prédécesseurs,  parcourut 
l'Archipel ,  à  la  tête  de  la  flotte  véni- 
tienne, et  il  saecagea  Rhodes,  Chios  et 
Samos  (I).  L'empire  grec  resta  en  po8< 
session  de  ces  lies,  que  les  Vénitiens  n'o^ 
eupèrent  qu'un  moment  ;  mais  ce  fut 
pour  les  perdre  d'une  manière  définitive, 
après  les  événements  qui  produisirent 
l'établissement  des  Latms  à  Constanti- 
nople,  ei»i204.  Samos  avec  Cliios,  Rho- 
des, Lesbos,  Lemnos,  et  toutes  celles  qui 
s'étendent  entra  Andros  et  le  eontineat 
devinrent  le  partage  des  Francs.  Mais  ob 
sait  combien  fut  prompte  la  décadence 
de  cet  empire  latin ,  fondé  par  les  croi- 
sés. Dès  1988  Jean  Ducas,  empereur 
de  Nicée,  reprît  Samos,  Rhodes  et  les 
principales  Iles  de  cet  parages  (9).  Depuis 
ee  moment  on  ne  parie  plus  de  Samos, 
qui  dut  rester  une  possession  des  empe- 
reurs byzantins.  Tandis  que  les  Génois 
ou  les  Vénitiens  combattaient  pour  la 
possession  de  Lesbos,  et  fondaient  une 
colonie  puissante  à  Chios,  on  ne  voit  pas 
qu'ils  aient  son^  à  la  conquête  de  Sa- 
mos. Sans  doute  toujours  en  proie  aux  ra- 
vages de  ces  ennemis  permanents  qui  fai- 
saient leur  séjour  dans  ses  deux  détroits^ 
peu  ou  peut-être  pas  cultivée,  déjà 
rendue  pestilentielle  par  raccumuiatioa 
des  eaux  dans  sa  plaine  orientale,  Samos 
voyait  chaque  jour  diminuer  le  nombre 
de  ses  habitants,  et  elle  n'avait  phis  au- 
cun des  avantages  cpi  auraient  pu  attirer 
les  étrangers  et  exciter  leurs  convoitises. 
SàMOS  sous  la  domination  dis 
TtJHGS.  —  En  1458  les  ravages  que  les 
Turcs  V  exercèrent,  après  s'en  être  em- 
parés, lui  portèrent  le  dernier  eoup.  Ses 
derniers  habitants  émigrèrent,  et  pen- 
dant un  siècle  les  bêtes  sauva^res  errè- 
rent seules  à  travers  les  forêts  abandon- 

(x)  Andrem  Danduli  Citron.,  IX,  c.  la  » 
p.  267. 

(a)  Nîoéphore  Grégoms ,  1. 1 ,  p.  »9  ;  Coll. 
Byz.  de  Siebubr. 


ILE  DE  SAMOS. 


251 


uêes  de  sas  moDtflgBes.  De  temps  en 
temps  quelque  leigneur  Ture  faisait  une 
desoeote  dent  Ttle  pour  s'y  livrer  au 
plaisir  de  la  «basse.  £oûn ,  vers  1650, 
ramiral  Kilidj«Ali,  frappé  de  la  beauté  du 
loUbtiBtdeéoltniatt  la  permission  de  re- 
peupler Samoa*  H  fit  à  eet  effet,  venir  un 
graDd  nombre  d'babitants  de  ,1a  côte  voi- 
iioe  et  de  Mitjlène.  A  la  mort  de  Kilidj- 
Ali,  cette  Ile ,  qui  était  devenue  sa  pro- 
priété, rentra  dans  le  domaine  du  sultan 
:iâ87).  Peu  à  peu  la  population  de  Sa- 
mos  augmenta;  les  villages  se  repeu- 
pièrent,  des  endroits  nouveaui  furent 
habités;  Tantique  industrie  de  la  poterie 
fut  exploitée  de  nouveau.  Un  peu  de  cul^ 
tore,  un  peu  de  commerce,  lui  redonnè- 
rent quelque  vie  et  quelque  activité.  La 
plupart  des  nouveaux  habitants  étaient 
Grecs,  etTile,  qui  avant  sa  dépopulation 
irait  un  évéqne  suffragant  de  Rhodes, 
tomba  dans  la  dépendance  du  patriarche 
deCottstantînople,  qui  la  faisait  adminis- 
trer par  un  vicaire. 

Cet  état  de  choses  dura  cent  ans. 
Puis  les  habitants  de  Samos ,  deman- 
dant avec  instances  un  archevêque,  il 
leur  fut  accordé,  et  U  eut  pour  sunragant 
révéque  de  Nicaria.  Mais  cette  dernière 
Ile.  étant  trop  pauvre  pour  entretenu: 
un  évéque»  U  fut  supprimé,  et  Tarcbe- 
léque  ae  Samoa  demeura  sans  suffra- 
gant. Ce  dignitaire  n'était  pas  élu  sans 
certaines  formalités  :  à  son  arrivée,  il 
montrait  son  firman;  les  Proesti,  pre- 
miers de  rile,  le  menaient  à  Téglise  ar- 
chiépiscopale, où  il  faisait  un  discours 
f%  doMiait  sa  bénédiction.  De  là  il  allait 
trouver  le  papas  de  chaque  église,  qui  lui 
remettait  un  présent  de  quinze  à  vingt 
piastres.  La  première  année  c)^a(|ue 
(Tf  lésiastique  lui  donnait  quatre  pias- 
tres, et  les  suivantes  deux.  Tous  les 
f<>nniers  payaient  la  première  année 
vinat-huit  aspres,  et  vingt-quatre  les 
mirantes.  Les  consécrations  et  les  ma- 
riages, la  bénédiction  des  eaux  et  des  trou- 
peaux fournissaient  le  surplus  des  reve- 
nus; les  laitages  et  les  fromages  du  jour 
de  la  bénédiction  appartenaient  à  Tarcbe- 
Téque.  Mégalè-Chora,  capitale  nouvelle 
de  rile,  dont  nous  avons  donné  la  des- 
eription,  devint  la  résidence  de  Tarche- 
véqoe.  C'était  là  qu'une  partie  des  habi- 
tants venaient  lui  demander  la  permission 
de  se  marier.  A  l'autre  extrémité  de  Sa- 


mos,  àCarlovassi,un  substitut  du  prélat 
était  chargé  d'accorder  cette  permission. 
Pour  f  obtenir  il  fallait  payer  une  pias- 
tre, deux  si  Ton  était  étranger,  trois  ou 
quatre  au  second  ou  au  troisième  ma- 
riage. Les  papas  étaient,  au  dire  de  Tour- 
netort,  d'une  ignorance  extrême;  plu- 
sieurs ne  savaient  même  pas  lire,  et 
célébraient  la  messe  en  la  récitant  par 
cœur. 

Telle  était  au  dix- septième  siècle 
Tadministration  religieuse  de  Samos, 
ainsi  qu'un  archevêque  lui-même  nous 
l'apprend  (t).  Elle  était,  on  le  voit,  asses 
onéreuse,  mais  ce  n'était  rien  en  oom* 
paraison  des  vexations  des  agents  turcs. 
Ceux-ci,  qui  faisaient  également  leur 
séjour  à  Mégalè-Chora,  étaient  le  cadi  et 
i'aga,  le  premier  chargé  de  la  justice  et 
le  second  du  commandement  militaire 
et  de  l'impôt.  L'archevêque  jugeait  en 
première  instance;  mais  l'appel  était 

Çorté  au  cadi.  Les  Samiens  payaient  aux 
urcs  plusieurs  sortes  de  contributions. 
D'abord  le  vacouf,  impôt  religieux  per^ 
pour  Tentretien  des  mosquées.  La  mos- 
quée de  Samos  avait  été  détruite  par  les 
Vénitiens  :  les  Turcs,  obéissant  à  un  pr»> 
eepte  de  la  loi,  ne  l'avaient  point  relevée; 
mais  les  habitants  de  Samos  étaient  res* 
tés  assujettis  au  vacouf  qui  se  percevait 
au  profit  de  la  mosquée  de  Tophana,  à 
Gaiata.  Ce  tribut  a'élevait  annuellement 
à  qualre*vingt  mille  piastres.  Les  autres 
impôts  étaient  :  le  karatch,  ou  capitation, 
exigible  des  hommes  mariés,  des  orphe- 
lins mâles  et  de  tous  les  étrangers  qui" 
abordaient  dans  Tlie.  Si  on  n'avait  pas 
d'argent,  il  fallait  vendre  son  bien  ou 
mendier  pour  satisfaire  à  Timpôt.  L'aga 
était  héritier  des  biens  de  tous  ceux  qui 
ne  laissaient  pas  d'enfants  mâles.  Les 
agas  turcs  étaient  en  général  ingénieux 
à  inventer  des  impôts  vexatoires.  C'est 
ainsi  que  le  jour  ou  il  devait  fiire  le  re* 
censément  des  troupeaux  l'aga  de  Sa* 
mos  s'adjugeait  tout  le  beurre  qui  se 
trouvait  dans  les  diverses  maisons;  de 
plus  il  exigeait  de  chaque  habitant  le 
don  d'uue  chèvre,  qu'il  forçait  de  rache» 
ter  cinq  ou  six  aspres.  une  année  il 
dtoanda  un  peu  de  soie  pour  sa  ceîn* 

(i)  Joseph  Georgirène.  Extrait  et  traduc. 
franc  dam  les  Noup»  Annal,  des  y^yages, 
première  iérie,  t.  XXY. 


252 


LUN1VERS, 


tare.  Les  habitants,  afin  r^e  se  le  concilier, 
lui  en  donnèrent  un  panier  ;  tons  les  ans 
il  en  exigea  la  même  aaantité,  arrêtant 
ainsi  1  essor  de  cette  inaustrie  naissante. 
Dans  la  crainte  d'un  soulèvement  contre 
ses  exactions,  il  entretenait  des  espions 
dans  toute  File,  et  les  proesU  des  vil- 
lages ne  rougissaient  pas  souventde  jouer 
ce  rôle  et  de  se  faire  les  délateurs  de  leurs 
compatriotes.  Les  agents,  quoique  pres- 
que tous  Samiens,  imitaient  son  exem- 
ple. On  les  appelait  musa/arides;  ils 
ne  cultivaient  pas  leurs  terres ,  mais 
les  affermaient  pour  vivre  auprès  de 
leur  maître,  dont  ils  servaient  sans 
scrupule  les  volontés.  A  la  moisson , 
l'aga  envoyait  chez  tous  les  colons  un  de 
ses  musaiarides,  qui  devait  être  logé, 
nourri,  défrayé  par  son  hôte;  le  musa- 
faride  était  chargé  de  faire  payer  la 
dtme  des  grains,  dont  il  évaluait  la  va* 
leur  à  son  gré;  la  dtme  se  payait  en  ar- 

gent.  Enfin,  le  vin,  l'eau-de-vie,  Thuile, 
I  soieétaientsoumis  à  une  redevance  (1  ). 
Quoique  accablés  d*exactions  par  le 
cadi,  Taga,  les  musafarides,  Tarchevêque 
même  et  les  papas,  les  Samiens  trou- 
vaient encore  dans  Theureuse  fécondité 
de  leur  soi  assez  de  ressources  pour  sub- 
sister et  faire  un  peu  de  commerce.  Cha- 
que année  ils  ex  portaient  pour  la  France, 
au  temps  deXournefort,  trois  barques 
de  froiuent,  une  barque  de  laine  et  une 
barque  de  fromage.  Les  melons,  les  pas- 
tèques ,  les  fèves,  les  ienUlles,  les  ha» 
rieots  fournissaient  abondamment  à  la 
subsistance  des  colons.  Dans  les  mon- 
tagnes s*élevaient  toujours  ces  beaux 
châtaigniers  dont  le  fruit  nourrissant 
était  la  ressource  des  plus  pauvres.  Les 

f perdrix,  les  grives,  les  bécassines ,  les 
ièvres  s'étaient  multipliés  sans  obstacle 
pendant  que  Sainos  était  demeurée  dé- 
■erte.  Enfin,  on  recueiilait  dans  Ttie  trois 
mille  barils  d'un  muscat  qui  eut  été 
excellent  avec  d'autres  procédés  de  fa- 
brication. Celui  de  Carlovassi,  mieux  pré- 
paré, était  le  meilleur  de  111e  et  se  con- 
servait une  année  entière.  Vathi  faisait 
aussi  le  commerce  des  vins.  Je  ne  parle 
pas  ici  de  la  pêche  des  éponges,  qui  sem- 
ble une  ressource  et  une  industrie  plus 
récentes.  A  Tépoque  du  voyage  de  Tour- 


nefort  le  costume  des  Samiens,  qui  n'a 
^lère  dd  changer  depuis',  ressemblait 
a  celui  des  Turcs  :  il  se  composait  d'une 
longue  robe  avec  une  ceintore  aux  reins 
et  un  surtout  léger.  Les  femmes  avaient 
une  robe  retenue  par  une  eeintnre  et 
sur  la  tête  un  morceau  de  toile  blanche. 
Les  jeunes  femmes  tressaient  leurs  che* 
veux,  noués  en  bas  par  une  chaîne  d*or 
ou  d'argent  pendante  sur  l'épaule.  Les 
Samiennes  avaient  un  grand  défaut,  trop 
commun  parmi  les  Grecs  actuels,  la  mai- 
propreté. 

GUBRRB  DB  L'mDBPBNDANCB;  I?r- 
SURRECTION  DB  S4M0S  (1831).  —  L'é- 
tat de  Samos  tel  que  nous  venons  de  le  re- 
tracer dura ,  avec  les  légères  modifica- 
tions que  le  temps  et  les  changements 
de  gouverneur  apportaient  seuls,  depuis 
l'époque  où  l'Ile  nit  repeuplée  jusqu'au 
temps  de  la  guerre  de  l'indépendance. 
Samos  y  prit  une  part  active.  Voici,  d'a- 
près M.  Raffenel,  quelle  était  la  situation 
de  cette  lie  au  moment  où  cette  guerre 
éclata  (1).  « ...  L'Ile  de  Samos  était  peu- 
plée de  Grecs  cultivateurs.  On  y  eoinptait 
environ  40,000  âmes;  elle  relevait  du 
gouverneur  d' Échelle-Neuve,  Ëlez-A^, 
qui  y  entretenait  un  cadi  et  quelques  ja- 
nissaires. L'tle,  entrecoupée  de  monta- 
gnes fort  élevées,  est  extitimenient  riche 
en  productions  végétales...  Toutes  les 
collines  sont  couronnées  de  plantations 
d'oliviers,  et  chaque  année  les  Européens 
y  font  des  chargements  d'huile.  Mais  les 
Samiens,  sans  marine ,  voyaient  passer 
tout  leur  commerce  en  des  mains  étran- 
gères ,  et  les  bénéfices  étaient  absorbes 
par  les  grands  propriétaires.  Aussi,  on 
peut  dire  qu'à  l'exception  de  quelques 
grandes  fortunes,  la  masse  des  Samiens 
était  malheureuse;  c'est  cependant  au 
milieu  de  telles  circonstances  que  Tin- 
surrection  y  éclata.  » 

L'assassmat  du  vénérable  patriarche 
de  Constantinople,  Grégoire,  fut  Tocca- 
sion  du  soulèvement.  I^ics  primats  de 
nie,  rassemblés  à  Vathi.  proclamèrent 
l'indépendance;  le  peuple  massacra  le 
cadi  et  ses  soldats,  depuis  longtemps 
odieux  par  leurs  iniquités ,  et  toute  la 
campagne  de  l'île  répondit  à  l'insurrec- 
tion des  villes.  Le  conseil  des  anciens. 


(i)  Toumefort ,  Voyage  au  Lepant,  t.  I ,  (i)  Hht,    complète  des  È9ènementt  de  la 

Detcripi.  de  Samos,  p.  404  cttutv.  Grèce,  deuxième  édit.,  t,  I,  p,  147. 


ILE  DE  SAMOS. 


368 


présidé  par  Tarehevéque,  âéeide  qu'on 
enrerrait  tout  de  suite  deux  des  archon- 
tes à  Psara  pour  y  faire  part  de  la  révo- 
lution gui  venait  de  s'opérer.  Les  consuls 
des  puissanees  chrétiennes,  pris  presque 
tous  parmi  les  habitants  de  Hle,  s'em- 
pressèrent de  sacrifier  une  position  qui 
les  mettait  sous  le  couvert  d'une  pro- 
tection étrangère  pour  se  dévouer  à 
leur  patrie.  En  peu  de  jours  6,000  hom- 
mes furent  armés;  quelques  Samiens 
qui  avaient  servi  dans  les  troupes  rus- 
ses, ou  pris  part  à  l'expédition  des  Fran- 
çais en  Egypte  se  chargèrent  de  l'ins- 
truction desrecnies.  L'insurrection  avait 
eu  lieu  au  mois  d'avril  ;  en  juin,  l'armée 
samienoe,  vaillante  et  bien  ordonnée, 
se  montait  à  10,000  soldats  (1).  La  nou- 
velle de  cet  heureux  soulèvement  dé- 
concerta les  Turcs  et  anima  les  Grecs, 
Saroos  ne  tarda  pas  à  devenir  le  refuge 
d'un  grand  nombre  de  proscrits;  on  y 
accourut  de  Scio,  de  Smyrne,  de  Scala- 
Kova.  Ce  concours  de  population  eut  un 
âcheux  résultat,  celui  aamener  la  di- 
sette ;  mais  les  Grecs  d'Uydra  et  d'  I  psara 
vinrent  au  secours  des  Samiens;  de  plus, 
les  craintes  qu'inspirait  la  nouvelle  des 
préparatifi  faits  par  les  Turcs  pour  la  ré- 
duction de  111e  en  éloignèrent  tous  ceux 
qui  n  étaient  pas  résolus  aux  dernières 
extrémités.  Les  femmes,  les  enfants, 
les  vieillards  furent  transportés  dans  les 
Iles  voisines;  il  ne  resta  à  Samos  que 
ceux  qui  pouvaient  la  défendre.  Le  nom- 
bre des  guerriers  s'était  assez  accru  par 
rémigration  pour  élever  rarmée  à  20,000 
hommes.  En  même  temps  Vatbi  fut  en- 
touré de  fortifications  ;  plusieurs  batte- 
ries s'élevèrent  à  1  entr^  du  port  ;  le 
reste  de  Ttle,  du  côté  du  continent,  était 
suffisamment  protégé  par  ses  rochers  à 
pic  et  ses  côtes  escarpées.  Un  accord 
pariait  renaît  en  même  temps  parmi 
les  autorité  populaires;  les  troupes 
étaient  pleines  a'ardeur;  Samos  était 
devenue  le  point  d'appui  le  plus  solide  de 
riosurrection  hellénique.  Cette  sage  et 
ierme  direction  du  mouvement  était  due 
a  révoque  de  Samos.  Mis  à  la  tôte  des 
adirés  par  ses  c(mcitoyens ,  il  n'usa  de 
son  autorité  que  pour  le  bien  et  le  sa- 

(i)  Poaqoeville,  Uist,  de  la  Régénèr.  de 
/«  Grèce ,  t.  III>  p.  x  et  •uiv.,  et  Haffeoel  » 
ouvr,  eité. 


lut  de  tous;  la  révolution  s'était  aeoom- 
plie,  grâce  à  lui,  sans  autres  violences 
que  celles  qu'il  n'avait  pas  été  possible 
d'empêcher  contre  les  Turcs. 
.  Pour  éviter  à  leur  Ile  les  misères  d'une 
invasion,  les  Samiens  résolurent  de  por- 
ter eux-mêmes  la  guerre  chez  les  Turcs  et 
d'ouvrir  la  campagne.  Deux  ou  trois  mille 
hommes  débarquèrent  pendant  la  nuit 
sur  le  continent,  etrapportèreut  un  butin 
considérable.  Une  semaine  après  ce  pre- 
mier succès,  les  Samiens  firent  un  second 
débarquement;  les  villages  de  la  côte 
d'Asie  furent  saccagés,  leurs  défenseurs 
massacrés,  et,  grâce  à  la  supériorité  de 
leur  tactique ,  les  Samiens  se  retirèrent 
sans  presque  avoir  éprouvé  de  pertes. 
Pendant  longtemps  ils  continuèrent 
leurs  incursions»  et  la  terreur  qu'ils  ins- 
piraient était  si  grande ,  que  tout  le  ri- 
vage était  abandonné  à  cinq  ou  six  heu- 
res de  marche  de  la  mer.  En  même  temps 
leurs  navires  rapportaient  de  tous  les 
ports  de  l'Europe  des  armes  et  des  mu- 
nitions de  guerre;  des  vaisseaux  légers 
couvraient  TArchipel,  et  répandaient  la 
terreur  parmi  les  Ottomans. 

Cependant  le  sultan  Mahmoud  prépa- 
rait tout  pour  une  répression  énergique. 
Cinq  vaisseaux  de  ligne  furent  équipes  et 
chargés  de  soldats;  le  lieu  de  leur  réunion, 
avant  d*attaquer  Samos,  était  Mételin. 
En  même  temps  plus  de  50,000  hommes 
étaient  réunis  à  Scala^Nova  (1).  Mais 
tous  ces  préparatife  furent  vains;  les 
Turcs  du  continent  se  dispersèrent,  après 
avoir  presque  détruit  Scala-Nova  ;  et  les 
vaisseaux  s'en  retournèrent  à  Constan- 
tinople,  après  que  l'un  d'eux,  de  soixante- 
quatorze  canons,  eut  été  détruit  par 
auatre  petits  bricks  grecs,  dans  le  golfe 
'Adramytte.  Les  Samiens,  délivrés  du 
péril  qu  les  avait  menacés,  sentirent 
croître  leur  audace  ;  les  succès  qu'ils  ob- 
tinrent au  commencement  de  1822  com- 
pensèrent la  double  défaite  de  Tamiral 
grec  Tombasis. 

Tentative  des  Samiens  subChios. 
—  Au  mois  de  mars  de  cette  année  ils 
tentèrent  une  entreprise  très-hasardeuse, 
qui  eut  les  effets  les  plus  désastreux. 
Depuis  déjà  longtemps  ils  méditaient 
ia  conquête  de  Scio  (  rancienne  Chios), 

» 

•    (x)  Raffenel,  tvénem.  de  ia  Grèce,  1. 1, 
ch.  viii. 


964 


LTKITERfi. 


et  entretenaient  danf  cette  Ile  ëee  intel* 
iigeneet.  Dans  les  premiers  Jours  de 
nars  ils  y  débarquèrent  trois  ou  quatre 
mille  hommes,  auiquels  se  joignit  un 
nombre  à  peu  près  éjgal  d'habitants  de  la 
campagne.  Cette  petite  armée  marcha  sur 
la  ville,  en  massacrant  tous  les  Turcs 
qu'elle  rencontrait  sur  son  passage.  In* 
capables  de  résister,  les  Turcs  se  retiré* 
rent  dans  la  citadelle  avec  les  principaux 
citoyens  sciotes  et  les  (irimats  qui  refn« 
salent  de  s'unir  aux  Samiens.  Ceux-ci,  in« 
dignes,  maltraitèrent  la  ville  et  bloqué* 
rent  étroitement  la  forteresse.  Le  sultan, 
instruit  du  nouveau  trait  d'audace  des 
habitants  de  Samos,  et  comprenant  toute 
l'importance  de  la  possession  de  Scio , 
ordonna  sur-le-champ  aux  pachas  et 

Souvemeurs  de  Tloaie  de  réunir  le  plus 
e  troupes  qu'il  leur  serait  possible.  Cin« 
qdante  mille  Turcs  se  rassemblèrent  à 
Tehesmé.  L'espoir  du  pillage ,  la  pro* 
messe  que  Scio  et  Samos  seraient  aban* 
données  à  leur  discrétion,  communiquè- 
rent aux  Barbares  la  plus  grande  ardeur 
pour  cette  expédition.  Le  capitan-pacha, 
commandant  de  l'expédition,  s'efforça 
d'abord  de  ramener  les  rebelles  par  l'in- 
termédiaire des  papas  et  de  deux  évéques 
qui  leur  furent  envoyés;  mais  autant 
les  premiers  de  l'Ile  étaient  favorables 
aux  Turcs,  autant  les  gens  de  la  cam- 
pagne s'étaient  jetés  avec  ardeur  dans 
le  parti  des  Samiens.  L'amiral  débarqua 
aussitôt  6,000  hommes  :  les  insuivés 
marchèrent  à  leur  rencontre  ;  mais  les 
Sciotes,  mal  exercés  au  combat,  prirent 
la  fuite  et  entraînèrent  les  Samiens  dans 
leur  défaite.  Les  Turcs,  vainqueurs,  mar- 
chèrent sur  la  ville,  détruisirent  tout  ce 
aue  les  Samiens  y  avaient  respecté,  et  en 
rent  un  monceau  de  cendres.  Logo- 
thetis,  chef  des  Samiens,  se  réfugia  avec 
sa  troupe  dans  les  montagnes;  quelques 
bandes  de  pillards  qui  s'étaient  risqués 
à  leur  poursuite  furent  taillés  en  pièces 
près  de  Néochori.  Mais  peu  de  jours 
après  les  Grecs  éprouvèrent  une  déroute 
complète  en  cet  endroit.  Méochori  fut 
dévasté,  comme  le  capitale  de  l'île,  et 
Scio  tout  entière  fut  couverte  de  ruines. 
Les  Samiens  bepoussent  toutes 

LES  ATTAQUES  DESTCBGB. — LcsTurCS, 

satisfaits  de  ce  succès,  songeaient  à  dé- 
barquer à  Samos  pour  lui  taire  subir  le 
même  sort.  Us  compRtaient  leurs  pré- 


paratifii  à  Scala^ova,  loraque  dm 
orulôts  grecs,  incendiant  le  vai«eu 
amiral  et  faisant  périr  le  eapitan-pad», 
détournèrent  de  l'île  le  péril  qui  la  mt- 
naçait.  Les  Samiens  recommencèrent 
alcHTS  leurs  incursions  et  leurs  ravages 
sur  le  continent.  La  victoire  des  Grecs 
à  Malvoisie,  les  éclatants  succès  da  ci- 

{)itaine  lorgaki  d'Ipsara,  redoublèrent 
a  confiance  des  Samiens.  Ces  hardis  io- 
aulaires  ne  cessaient  de  désoler  les  côtis 
de  l'Asie  Mineure;  ils  avaient  ruiné  tous 
les  villages  du  pachalîk  de  Scaia-Nora, 
et  les  Turcs  du  continent  avaient  fiii,  de 
puis  l'embouchure  du  Méandre  jusqo'au 
plaines  d'Éphèse.  Le  bonheur  an  Sa- 
miens avait  été  si  constant,  qu'ils  u 
mettaient  plus  de  bornes  à  leur  audace; 
il  n'y  avait  plus  d'ennemis  dans  les  plai- 
nes du  littoral  où  ils  avaient  eoutuan 
de  porter  leurs  ravB^;iis  résolurvot 
de  s^engager  en  avant  a  la  poursuite  dm 
Turcs. Le  25  octobredeux  mille  booiiBS 
débarquèrent  pendant  la  nuit,  et,  suivant 
le  cours  tortueux  du  Méandre,  nurebe 
rent  sur  la  ville  de  GuxeMIissar,  pour 
la  pilier.  Mais  le  traiet  était  trop  kwr: 
ils  furent  surpris  par  le  jour  à  deux  lieuei 
de  cette  ville.  Une  armée  turque,  coa- 
duite  par  l'aga,  fait  une  sortie,  et  s'avan» 
À  leur  rencontre.  Les  Samiens,  ne  se 
croyant  pas  assez  forts  pour  résisisr,  k 
retirent,  mais  en  saccageant  tout  sur  lear| 
passage.  La  petite  ville  de  Kéiibeii  d 
plus  de  vingt  hameaux  turcs  furent  df- 
truits  ;  cinq  mille  Turcs  furent  mastacrri 
ou  périrent  dans  les  flammes.  L'ap  n'a- 
vait pas  osé  poursuivre  vigoureusement 
les  Samiens  ;  ils  se  rembarquèrent  saai 
obstacle,  et  l'île  célébra  joyeusement  re 
triomphe. 

Ces  ravages  continuèrent  dans  leeoo- 
rant  des  années  18S2  et  1828  ;  le  rdie  de 
Samos  dans  la  guerre  de  l'indépendaiir^ 
était  rendu  considérable  par  cette  dlvtf 
sion  continuelle  de  ses  habitants,  de«^ 
nus  la  terreur  du  littoral  ennemi.  En  1824 
la  Porte  fit  les  plus  grands  efforts  pour 
en  finir  avec  l'insurrection  gre«jue 
Au  mois  d'avril  une  grosse  flotte,  com 
posée  en  partie  de  vaisseaux  nouvetie- 
ment  construits,  fut  rassemblée  dansi^ 
port  de  Constantinople,  pendant  qu'uw 
multitude  de  navires  de  l'Asie  et  de» 
ties  n'attendaient  aue  la  présence  du 
capttan-pacha  sur  les  côtes  d'Asie  Mi- 


ILE  DE  SAMOS. 


355 


neure  |iour  se  joindre  à  lui.  Le  projet 
decelm-ci  était  deréduirelpsara  d'aborclf 
Samo6  ensuite,  puis  tous  les  points  de 
l*ArchîpeI.  Mais  Samos,  habituée  par 
des  succès  continuels  à  ne  plus  crain- 
dre, méprisait  la  nouvelle  attaque  que 
méditaient  les  Turcs,  et  comptait  la  re- 
pousser comme  les  précédentes.  Bien 
peuplée,  se  recrutant  chez  elle,  suffisant 
à  l'entretien  de  son  armée,  administrée 
par  des  magistrats  qui  correspondaient 
avec  le  eouvernemeut  central  sans  dé* 
pendre  de  lui,  Samos  avait  le  bonheur 
a  être  à  l'abri  de  ces  discordes  qui  di- 
nsaieot  les  autres  Greos.  Son  arméat 
aguerrie  par  trois  années  de  combats, 
bien  disciplinée,  exercée  par  des  officiers 
habiles,  pouvait  défier  des  forces  turques 
beaucoup  plus  considérables  (1). 

L'amiral  ottoman  quitta  les  Darda- 
nelles au  commencement  de  mai,  et  ga- 
gna Mitylène ,  point  de  ralliement  ordi- 
naire des  flottes  turques.  De  là  il  envoya 
aux  habitants  de  TAsie  Mineure  une  pro- 
clamation par  laquelle  il  leur  ordonnait  de 
se  réunir  à  Scala-Nova  pour  envahir  Sa- 
mos. Dès  que  les  musulmans  furent  ras- 
semblés leur  premier  acte  fut  le  massacre 
des  malheureux  Grecs  qui  étaient  restés 
a  Smyrne  et  à  Scala-Nova.  Cependant, 
une  armée  turque  s'organisa  dans  les 
campagnes  d'Éphèse  pour  surprendre 
Samos.  Chaque  jour  le  désir  du  butin 
attirait  au  camp  de  nouveaux  soldats, 
qui  espéraient  piller  Samos  comme  on 
avait  pillé  Chios.  Le  capitan-pacha  avait 
promis  de  venir  avec  sa  flotte  aider 
au  débarquement;  mais,  retenu  par  la 
résistance  indomptable  du  ciief  Diamanti 
daos  le  petit  rocher  de  Scopélos,  sur  la 
côte  de  Thessalie,  il  se  faisait  attendre. 
Les  Turcs,  impatients  de  ces  retards, 
étaient  allés  en  foule  à  la  tente  du  vltir, 
et  l'avaient  sommé  de  leur  procurer  des 
barques  pour  passer  le  détroit.  Le  vizir, 
craignant  une  sédition ,  réunit  tous  les 
bâtiments  ^u'il  put  trouver,  et  les  mit  à 
leur  disposition.  Après  qu'on  en  eut  ras^ 
semblé  un  nombre  suffisant,  toute  la  sol- 
datesque turque  s*embarqua  pendant  la 
auit,  comptant  bien  surprendre  Samos. 
Mais  les  Samiens  étaient  sous  les  ar- 

(i)  RaCImal,  Bist.  complète  des  Évémemenie 
de  la  Grèce,  dMxièiM  édit.,  t.  UI,  ch.  n, 
p.  Sf-S». 


mes  ;  les  batteries  étainit  montées,  cbar 
que  anfiractttosité  du  rivasa  cachait  des 
soldats,  et  du  haut  des  rocAers  des  hom* 
mes  déterminés  se  tenaient  prêts  à  des» 
cendre  pour  incendier  les  chaloupes 
ennemies  et  intercepter  la  retraite.  Tout 
se  passa  selon  le  vœu  des  insulaires;  las 
barques  furent  presque  toutes  consu- 
mées ,  pois  cinq  mille  hommes  se  mon** 
trèrent  tout  à  coup,  en  poussant  de 
grands  cris  ;  les  détachements  de  la  eole 
accoururent,  les  Turcs,  culbutés,  dis- 
persés ,  furent  livrés  à  un  carnage  hor- 
rible. Quelques-uns  se  jetèrent  dans  les 
montagnes  ;  ils  y  furent  poursuivis  et 
traqués  comme  des  bétes  sauvages  ;  il 
en  périt  plus  de  six  mille.  La  ?ietoira 
n*avait  coûté  aux  Samiens  que  quelques 
soldats.  Ce  désastre  porta  un  ooup  mor- 
tel à  l'expédition  de  Scala-Nova  :  cent 
des  Turcs  (|ui  y  étaient  restés  s'enfui*- 
rent  dans  l'intérieur,  comme  si  les  vain- 
queurs de  Samos  eussent  été  à  leur  pour- 
suite. 

Ce  fut  seulement  après  la  double  ex- 
pédition d'Ipsara,  et  ^uand  cette  tie 
héroïque  eut  succombe,  ^e  l'amiral 
turc,  retiré  à  Mételin,  reprit  ses  projets 
contre  Samos.  Les  pacnas  de  l'Asie 
Mineure  reçurent  de  nouveau  l'ordre  de 
rassembler  leurs  troupes  à  Scala-Nova, 
où  lui-même  promettait  de  se  rendra. 
Les  Turcs  d'Asie  n'avaient  accueilli  cet 
ordre  qu'avec  terreur  ;  ils  se  souvenaient 
que  Samos  avait  été  depuis  son  insurreo- 
tion  le  tombeau  de  plus  de  vingt  mille 
Musulmans,  et  dans  toute  l'Anatolie 
«  aUer  à  Samot  »  était  passé  en  pro- 
verbe pour  dire  aller  à  la  mort  (1).  Ce 
découragement  général  nuisait  aux  vues 
du  pacha  :  il  n'avait  pas  assea  de  troupes 
de  débarquement  pour  entreprendre  seul 
l'expédition  ;  il  resta  à  Mételin,  dittéraot 
encore  l'exécution  de  ses  menaces.  Tout 
le  temps  du  Courban-Baïram  se  passa 
dans  la  rade  de  Mételin.  Enfin ,  ayant 
appris  au'un  corps  de  19,000  hommes 
venait  aétre  réuni  dans  la  plaine  d'É- 
phèse, le  capitan-pacha  sortit  en  mer,  et 
courut  vers  Scio,  pour  échapper  aux 
Grecs  qui  mouillaient  touiours  dans  les 
eaux  d'Ipsara.  Il  avait  dix-nuit  bâtiments 
de  guerre  et  quatre  fois  p4us  de  vais- 
seaux de  transport.  De  Scio  il  se  diri- 

(x)  Aafrenel,  I.  UI,  cfa.  vrt,p.  siSa. 


256 


LtJNIVERS. 


ri,  le  3  août  1834,  vers  Éphèse.  Mais  à 
hauteur  du  cap  Saint-Elie  on  vit  pa« 
rattre  une  flottille  de  vingt-cinq  ou  trente 
petits  navires  grecs.  Malgré  l'inégalité 
des  forces ,  le  brave  Saktouris ,  vice- 
amiral  de  la  flotte  de  Miaoulis ,  qui  les 
commandait ,  résolut  de  combattre.  Les 
Grecs  furent  vainqueurs  :  une  partie  des 
vaisseaux  turcs  fut  coulée  à  fond,  le 
reste  fut  chassé  jusqu'à  Smyrne  et  à 
Mételin.  L'expédition  de  Samos  était 
encore  ajournée.  Alors  Chosrou-Pacha, 
l'amiral  turc,  désespérant  de  s*en  empa- 
rer de  vive  force,  eut  recours  à  la  tra- 
hison. Samos  contenait  une  population 
d'environ  60,000  hommes  ;  tous  ses  ha- 
bitants n'étaient  pas  également  dévoués 
à  la  cause  de  l'indépendance.  Une  partie 
4es  Grecs  qui  s'étaient  retirés  à  Samos 
des  ties  voisines,  ou  du  continent,  n'a- 
vaient eu  que  le  désir  d'échapper  au  mas- 
sacre dont  ils  étaient  sans  cesse  menacés 
Sar  les  Turcs.  Il  y  avait  donc  trois  partis 
ans  la  population  de  Samos  :  l'un,  com- 
posé d'hommes  timides  et  prudents,  con- 
seillait la  fuite,  comme  unique  moyen 
de  salut;  l'autre,  parmi  lesquels  le  pacha 
cherchait  ses  traîtres,  demandait  la  sou- 
mission; le  parti  du  plus  grand  nom- 
bre était  celui  de  la  résistance.  Cepen- 
dant le  pacha  gasna  quelques  traîtres  ; 
mais  ils  furent  découverts  et  forcés  de 
prendre  la  fuite  pour  échapper  aux  me- 
naces de  mort  que  le  peuple  de  Samos 
proférait  contre  ceux  qu'il  appelait  le 
parti  turc. 

Le  capitanpacha,  voyant  échouer  ses 
intrigues,  forcé  cependant  de  faire  une 
tentative  sur  Samos  pour  obéir  à  son 
maître,  alla  radouber  ses  vaisseaux  à 
Mitylène.  Les  Turcs  rassemblés  par  son 
ordre  à  Smyrne  et  à  Scala-Nova  te  pres- 
saient de  hâter  son  expédition  ;  il  lui 
fallut  bien  reprendre  la  mer.  Ce  fut  le  9 
août  1824  qu  il  appareilla.  Les  Samiens 
avaient  mis  à  profit  le  répit  dû  à  la  vic- 
toire de  Saktouris  pour  renouveler Jeurs 
préparatifs  de  défense.  Les  femmes,  les 
enfants ,  tous  ceux  qui  au  moment  du 
péril  ne  pouvaient  être  d'aucun  secours, 
turent  transportés  au  centre  de  File.  On 
cacha  paiement  dans  les  |  montagnes 
les  munitions,  les  vivres,  les  choses  pré* 
cieuses.  Les  plantations  furent  arra- 
chées, les  villages  incendiés;  Vathi  elle- 
méiue ,  devenue  le  chef-lieu  de  l'Ile ,  fut 


détruite.  Lee  Samiens  dévasièient  leur 
tle  pour  ne  rien  laisser  aux  Turcs,  que 
l'amour  du  pillage  avait  attirés  noa 
moins  que  la  soif  de  la  vengeance. 

Le  10  août  l'amiral  turc  s'avan^  vers 
le  détroit  de  Samos  ;  son  plan  était  de 

Ç rendre  sur  ses  vaisseaux  en  passant  les 
'urcs  rassemblés  à  Éphèse,  de  les  jeter 
dans  rtle  à  Carlovassi,  et  d'attaquer  lui- 
même  par  mer.  Mais  Saktouris  fit  voile 
à  sa  rencontre,  et  le  déconcerta.  Un 

Fremier  combat  eut  lieu  le  1 1,  et  fut  à 
avantage  des  Grecs  ;  le  12  il  y  eut  uo 
engagement  général,  et  une  ruse  de  Sak- 
touris lui  assura  encore  le  succès  ;  pen- 
dant sept  journées  la  lutte  se  renouvela, 
toujours  favorable  aux  Grecs.  Le  19, 
malgré  ses  pertes  considérables,  le  Tore 
avait  encore  quarante-trois  vaisseaux  de 
guerre  et  autant  de  bâtiments  de  trans- 
port ;  il  résolut  de  finir  par  un  coup  hardi. 
Ses  vaisseaux  de  chaige,  prot^^és  par  li 
moitié  de  ses  vaisseaux  de  guerre,  avaient 
réussi  à  prendre  à  bord  la  plu|>art  de  ses 
soldats  du  continent  ;  ils  devaient,  pen- 
dant que  l'amiral  occuperait  Saktouris. 
jeter  les  Turcs  dans  l'île.  Mais  raoïira) 
Miaoulis,  attendu  par  lesiSamiens  comme 
un  libérateur,  allait  enfin  arriver;  an 
petit  navire  d'Hydra  en  avait  apporté 
la  nouvelle.  Pour  gagner  du  temj^,  Ih 
Samiens  feignirent  de  vouloir  capituler: 
le  croissant  fut  arboré  dans  llle ,  et  oo 
engagea  le  capitan-pacba  à  envoyer  uo 
parlementaire.  Celui-ci  fit  avancer  des 
chaloupes  ;  son  ewioyé  fut  retenu  quel- 
que temps  en  négociations,  puis  renvon 
sans  accommodement.  Chosrou,  en  h- 
reur,  voulut  commencer  aussitôt  i'atu- 
que.  Ses  troupes  prirent  terre  dans  une 
anse  isolée,  où  les  Grecs  n'avalent  qu'us 
petit  corps  d'observation. 

Mais  déjà  les  vaisseaux  de  Miaoulis 
étaient  arnvés  et  avaient  enj^agé  le  com- 
bat :  par  une  manœuvre  habile,  les  ami- 
raux grecs  coupèrent  la  ligne  ennemie,  et 
Saktouris  s'attaqua  directement  aux  vais- 
seaux turcs  qui  tentaient  le  débarque* 
ment.  La  bataille  filt  générale  et  très 
acharnée;  la  canonnade  se  faisait  entendre 
au  loin  sur  le  rivage ,  et  les  vaisseaux  et 
Samos  tout  entière  disparaissaient  dans 
un  vaste  nuage  de  fumée.  La  confusioo 
était  terrible  parmi  les  vaisseaux  turcs, 
dont  les  marins  étalait  peu  exercés  à  U 
manœuvre.  Leur  artillerie,  mal  dirigée, 


ILE  DE  SAMDS. 


257 


ne  Boiiiit  pntqne  qu'à  eux-mémeé  ;  tan- 
dis que  le  Ira  des  Grecs  faisait  dans 
leurs  équipages  les  plus  grands  ra?ages. 
Un  instant  cependant  les  Tures  eurent 
rsTantase  du  vent,  el  la  position  des 
Grées  aUait  devenir  eritique,  lorsque  les 
plas  braTes  capitaines  de  la  flotte,  Ca- 
naris, Vmikiotls,  Ranhalia,  Robotsis , 
s'élaneent  an  milieu  ues  Turcs  montés 
sur  leurs  bruMts  (1).  Canaris  s'avançait 
le  premier;  d'une  main  il  tenait  le  gou- 
vernail, de  Fautre  il  agitait  en  Pair  son 
bonnet  de  matelot,  il  aborda  une  fré- 
gate de  dnquantOKiuatre  canons,  y  mit 
le  feu ,  et  la  fit  sauter  avec  tout  son 
équipage.  Une  frégate  de  quarante-buit, 
un  brick  tunisien  de  vingt  canons  eu- 
rent le  même  sort  ;  les  Tures,  épouvantés, 
prirent  la  fîiite,  et  Samos  tut  encore  sau- 
vée. Les  Turcs  avaient  perdu  plus  de 
deux  mille  hommes  dans  la  bataille; 
trois  mille,  qui  avaient  été  débarc^ués, 
étaient  restés  sans  secours  à  la  merci  des 
Samiens  ;  trois  vaisseaux  avaient  été  brû- 
lés, deux  coulés  à  fond;  vingt  bâtiments 
de  charge  avaient  été  pris  ;  la  bataille  du 
cap  Santa -Marina  était  décisive  (2). 
Deux  nouvdles  victoires ,  dans  la  rade 
dHalicamasse  et  près  de  Ptle  de  Cbio, 
remportées  sur  les  débris  de  la  flotte  ot- 
tomane réunis  à  celle  des  Égyptiens, 
écartèrent  de  Samos  tout  danger.  Les 
troupes  restées  à  Scala-Nova  et  à  Ëphèse 
sedâ)andèreDt,  et,  retournant  dans  leurs 
foyers ,  allèrent  porter  à  l'extrémité  de 
Tempire  la  terreur  du  nom  grec  et  la  ré- 
putation guerrière  des  Samiens. 

La  conduite  des  Samiens  fut  toujours 
la  même  pendant  toute  la  durée  de  la 
guene  :  leur  résolution  et  leur  courage 
ne  se  démentirent  pas  un  seul  instant. 
Cependant  Flie  n'avait  que  peu  de  rap- 
ports avec  le  gouvernement  de  la  Grèce 
eoDtinentale.  Devenue  une  sorte  de  ré- 
publique indépendante,  elle  continuait  à 
se  suffire  à  elle-même;  elle  continua 
aussi  à  inquiéter  oendant  plusieurs  an- 
nées les  cotes  de  rAsie  Mineure  et  à  te- 
nir en  échec  les  Turcs  dans  la  partie 
oiientale  de  rArchipel. 

(i)  Âleiandre  Soutio,  Histoire  de  la  Rè" 
'^oitttion  Grecque;  PariSy  iSag,  p.  334. 

(s)  Raffcnel ,  t.  III ,  ch.  vu ,  p.  a6Sa75  ; 
Judienuli  de  Saint-Denis,  HUt,  de  V Empire 
Ottoman 1 1.  III,p.s47. 

17*  lÀvraiêon.  (  Ils  db  Samos.) 


ÉTAT   ACTUEL  DE  iMtB  DB  SaMOS. 

«—  Après  la  bataille  de  Navarin  (1837  ), 
lonque  l'intervention  des  trois  premières 
puissances  de  TEurope  eut  assuré  à  la 
Grèce  la  possession  de  la  liberté  pour 
laquelle  elle  avait  si  généreusement 
combattu,  un  instant  on  pensa  donner 
aux  îles  une  organisation  particulière 
et  en  former  un  Ëtat  séparé  sous  le  nom 
de  royaume  de  F  Archipel.  Mais  ce 
projet  n'eut  pas  de  suite.  Les  Sporades 
orientales,  parmi  lesquelles  Samos  tenait 
le  premier  rang,  trop  rapprochées  de 
Tempire  turc  pour  entrer  sans  diffi- 
culté dans  fassodation  Hellénique,  fu- 
rent rendues  à  la  Porte.  Mais,  par  égard 
pour  la  noble  conduite  des  habitants  de 
Samos,  on  insista  pour  gue  cette  tle  eût 
une  administration  spéciale,  et  pour  que 
son  gouverneur,  choisi  par  la  Porte,  fût 
pris  parmi  les  chrétiens  du  rit  grec.  Le 
gouvernement  turc  consentit  à  cette 
proposition;  et  si  Samos  n*obtint  pas  la 
reconnaissance  complète  de  son  indé- 
pendance,  du  moins  elle  ne  perdit  pas 
tout  le  fruit  de  ses  efforts  pour  la  con- 
quérir (1).  Beaucoup  de  ses  habitants; 
Ï>lu8  compromis  dans  la  guerre  contre 
es  Turcs,  ou  plus  impatients  d'un  ioug 
odieux,  quittèrent  Samos,  comme  a*au- 
très  Samiens,  qui,  dans  Tantiquité, 
avaient  préféré  l'exil  au  repos  dans  une 
patrie  opprimée  par  un  tyran.  Les  Sa- 
miens qui  allèrent  demander  en  Grèce 
des  établissements  y  reçurent  des  terres  ; 
mais  beaucoup  d'entre  eux,  mal  protégés, 
sans  argent  pour  les  premiers  frais  de 
leur  installation,  forcés  en  outre  d'indem- 
niser les  Turcs  expropriés  en  vertu  de 
la  convention  passée  entre  la  France, 
l'Angleterre  et  la  Russie,  furent  obligés 
de  retourner  dans  leur  tle,  qui  venait 
d'obtenir  son  gouverneur  particulier  et 
même  un  pavillon  distinct  (2).  Lors- 
qu'en  1830  M.  Poujoulat  (8)  a  touché 
à  rtle  de  Samos,  il  l'a  trouvée  assez  tran- 
quille, sous  la  nouvelle  administration. 
Les  Turcs  l'avaient  entièrement  aban- 
donnée à  elle-même.  H  y  régnait  bien 
encore  un  peu  d'exaltation.  Logothétis , 

(x)  Jueheraiilt  de  Saint-Denis,  Hisi,  des 
Ottomans ,  t.  III,  p.  368. 

(a)  Jucherault,  t.  III,  p.  397. 

(3)  MM.  Michaud  et  Poujoulat,  Corres- 
pond, d'Orient^  t,  lU  ,  p.  446. 

17 


"StSS 


LUNITERS* 


qui  avait  gouverné  Samoa  pendant  tonte 
la  guerre  de  l'indépendance  et  dirigé  les 
op&ations  de  son  énergique  résistanee, 
s'était  retiré  à  Nauplie,  d  où  il  adressait 
à  ses  compatriotes  d'ardentes  proclama* 
tions  et  proposait  un  projet  de  réformes. 
Pours'aocrMiter  davantage,  il  avait  pris 
le  nom  de  Lycurgue.  «  Toutes  les  fois  que 
la  Toix  du  nouveau  Lycurgue  se  fait  en* 
tendre,  dit  M.  Biichaud,  la  fermentation 
est  grande  dans  les  dix-huit  villages  de 
Samos.  Toutefois,  Tévégue  de  l'Ile,  les 
papas  et  les  caloyers,  qui  possèdent  plus 
de  la  moitié  des  terres,  voudraient  tem- 
poriser, car  il  leur  paraît  plus  raisonnable  ' 
ne  monrir  doucement  avec  les  Turcs  que  . 
de  vivre  quelques  jours  et  de  périr  en-  ^ 


suite  violemnent  avee  les  HeUènes.  » 
Depuis  vingt  ans,  la  situation  de  File  est 
à  peu  près  restée  la  même.  Le  tanàmat 
lui  a  laissé  sa  demi-indépendance;  elle 
n*est  pas  comprise  dans  le  ^ouvememeot 
de  TArcbipel,  et  elle  eontinne  à  former 
une  province  à  part.  Le  gouverneur 
actuel  de  Samos  est  le  prince  Kallimalus, 
ambassadeur  de  la  Porte  à  Paris.  Il  la 
fait  administrer  par  un  lieutenant,  quia 
beaucoup  de  peine  à  contenir  la  popu- 
lation, toujours  turbulente,  de  cette  tie. 
Au  reste,  Samos  est  aujourd'hui  bien 
peu  connue.  Les  touristes  évitent  cette 
lie  pauvre  et  remuante ,  et  je  ne  sais  sll 
serait  facile  de  la  parcourir  et  d'en  étu- 
dier la  véritable  situation  (1). 


(i)  M.  Rossa  TU  Samos  en  1841.  Mais  ce 
i)*est  qu'après  Tenticre  impression  de  cet  ar- 
ticle sur  Samos  que  j'ai  pu  me  procurer  la 
seconde  partie  de  son  Foyage  dans  les  lies 
Grecques,  Reisenaujden  GriecUuehen  Insein 
des  j4gaischen  Meeres  ;  von  doctor  Ludwig 
Ross.  Zweiter  band.  Stuttg.  und  Tub.  1843, 
Voyez  p.  139  la  lettre  XXFV*  écriii;  de  Sa- 
mos. Elle  contient  une  curieuse  étude  sur 
l'état  actuel  des  ruines  de  Tanlique  capitale 
de  rile«  Nous  regrettons  de  n'avoir  pu  profi- 
ter de  ces  .renseignements  dans  notre  notice  \ 
mais  nous  offrons  au  lecteur,  comme  com- 
pensation, une  reproduction  du  plan  de  ces 
ruines  qui  accompagne  la  lettre  de  M.  Ross. 
Cette  lettre  se  termine  par  quelques  indica- 
tions sur  rétat  de  Samos  en  1841.  A  cette 
époque  Logothétis  était  retiré  a  Athènes,  où  il 
occupait  dans  Tarmce  grecque  le  rang  de 
colonel.  Mais  le  nom  de  cet  homme,  qui,  selon 
M.  Ross,  avait  été  le  tyran  de  Samos  dans 
la  bonne  acception  classique  du  mot ,  n'était 
point  encore  oublié  des  Samiens,  qui  le  rOf 
grettaient  généralement.  Le  bey  de  Samos  était 
alors  le  Phanariote  Etienne  Bogoridis,  c|ui  avait 
mérité  la  faveur  du  sultan  par  sa  conduite  dans 
les  dernières  guerres  de  la  l^orteavec  la  Russie. 
Il  avait  été  recompensé  de  ses  services  par  le 
titre  de  prince  de  Samos.  «  Il  paye  par  an 
à  la  Porte  y  dit  M.  Ross  (p.  i53)y  un  tri- 
but de  400,000  piastres  (  un  peu  plus  de 
100,000  drachmes,  environ  100,000  francs). 


Il  a  pour  lui  la  dime  des  produits  du  sol  ei 
tous  les  autres  impôts ,  de  sorte  que,  déduc- 
tion faite  de  ses  frais  d'administration ,  il  lui 
reste  encore  en  bénéfice  une  jolie  petite 
somme ,  noch  ein  kûhsches  sûmmclien  idri. 
bleibt.  Il  laisse  son  île ,  qu'il  a  visitée  uot 
fois  ou  deux  sans  y  séjourner  longtemps ,  in 
soin  d'un  gouverneur  ;  mais  des  troubles  ayafai 
éclaté  dans  Tile  contre  le  dernier  gou\'errfeut 
et  ses  agents ,  le  prince  a  dû  le  remplam 
par  un  homme  plus  habile  et  plus  énergique. 
Puis  il  a  ordonné  le  bannissement  de  l'évcquc 
de  Samos  et  de  son  frère  l'abbé  du  monaa- 
tcre,  qu'il  regarde  comme  très-dangereu^. 
Néanmoins  ce  sera  toujours  un  problème  Ji'.- 
ficile  pour  des  Grecs  que  de  gouverner  Irun 
coreligionnaires  au  nom  de  la  Porte ,  et  dt 
faire  en  sorte  qne  cette  domination  ne  s<v 
pas  odieuse ,  et  qu'eux-mêmes  ne  paraissent 
pas  être  des  instniments  d'oppression.  DaB< 
les  troubles  de  Thiver  dernier  (  1840),  od  i 
fait  douie  prisonniers  qui  sont  nainteoaet 
au  bagne  de  Constantinople ,  et  Ton  eraiat 
queTahir-Pacha,  qui  doit  s'arrêter  à  Samos  a 
son  retour  de  Crète,  ne  fasse  de  nouvelles  ar- 
restations. »  Tel  était  l'état  de  Samos  il }  i 
dix  ans.  L'éloigoement  du  prince  CalUmaku. 
la  délégation  qu'il  donne  de  ses  pouvoirs  a 
un  gouverneur  résident,  les  derniers  trouliii'» 
dont  les  journaux  nous  ont  entretenus  il  v  j 
quelque  temps,  prouvent  que  la  situation  di 
cette  Ile  est  toujours  à  pou  près  la  même. 


ILE  DÉ  CHIO<*\ 


I. 


QE06BÀPH1B   ST    DESCBIPTION 
DB    GHIO. 

Noms  pbimitifs  db  Chio.  —  Llle 
de  Chio,  appelée  aujourd'hui  ^cio  ou 
tio,  a  reçu  aans  l'antiquité  dififéreuts 
noms,  dont  les  uns  se  rapportent  à  des 
traditions  mythologiaues,  et  les  autres 
à  la  configuration  même  de  lUe,  ou  à 
quelque  particularité  qu'elle  offrait  dans 
Its  temps  anciens.  Appelée  primitive- 
OieDt  Ophiusa  (5?ic),  nom  donné  ancien- 
nement à  plusieurs  autres  îles,  et  particu- 
lièrement à  Rhodes,  à  cause  des  serpenta 
doQt  elles  étaient  remplies,  elle  prit  en- 
suite celui  de  Chio  ou  Chia^  de  la  nym* 
pbe  Chione,  fille  dJOËnopiou,  premier 
roi  du  pays,  et  femme  aOrion.  C'est 
cet  Orion  qui,  d*après  la  tradition,  pur- 
gea rUe  de  ces  animaux  malfaisants,  et 
obtint  en  récompense  la  main  de  Chione. 
Suivant  d*atttres,  Tlle  aurait  emprunté 
loo  nom  à  Fenfant  né  de  cette  union,  et 
oominé  Chio  à  cause  de  la  grande  quanK 
tité  de  neige  (x^v)  qui  tomba  le  jour 
.de  sa  naissance.  Isidore  (2),  au  con- 
traire, fait  dériver  ce  nom  d'un  mot  sy- 
riaque, qui  signifie  mastic,  sorte  de  ré* 

(i)  Ouvrages  spéciaux  sur  Tile  de  Chio  ; 
I"  Jérôme  Justiniao ,  La  Description  «/  f  His- 
toire de  au  de  Scio  ou  Chio,  in-4«,  i5o6  ;  — 
2^  Fr.  Poppo  .  Béitrage  zur  Kunde  der  In- 
iel  Chios  und  ihrer  Geschichte,  Francfort- 
sur  l'Oder,  iSaa,  10-4»  ;  —  S»  Coray ,  Xia- 
x^i;  ipx^ioXoYia;  uXt)  ,  dans  le  troisième  vo- 
luine  de  ses  *\TaxTa,  Paris,  i83o,  in- 8°  ;  — 
4»  Kofod-Wille,  De  Rébus  CfUorim,  i838, 
Copenh.,  in-8«;  —  5*  G.  Eckenbrecher,  Die 
insel  Chios,  Berlin,  i84«,  ia-S";  —  6©  Blas- 
tus,  Histoire  de  Chios,  en  grec  moderne  ;  Syra, 
^^4o,  a  vol.,  avec  ce  titre  :  Xiaiià,  ^Tot  laTo- 
pt'a  TTÏç  vi^90v  XCou.  *Anà  vûv  àpxaiOxaTttV 
Xpâvuy  |iixp(  xi^ç  ixii  x8aa  y^vo^uvyic  xa« 
TouTTpoçîU  aiixfii  «oif  à  Twv  XoO^KWv  *  itnà 
Toû  laifioû  'AA.  M.  BXdaTOv. 

W  Isidore,  Or/^.,XJV,  6.  . 


sine  que  Tlle  produit  en  abondance. 
Cest  ainsi  que  les  Turcs  l'appellent  au- 
jourd*bi|i  Sakyz-Adasi^  c'est-à-dire, 
rtie  du  Mastic.  £lle  se  nommait  encore 
Pityusa^  à  cause  des  pins  qui  couvraient 
ses  montagnes  (n^ivc);  Macris,  à  cause 
de  sa  forme  oblongue,  et  enfin  ^thalia 
(a26diXT),  braise),  sans  doute  à  cause  de 
la  chaleur  de  son  climat. 

Situation  oéogbâphiqus.  —  Cliio 
s'étend  par  23®  30'  de  longitude  et  38""  30' 
de  latitude  dans  la  direction  du  nord  au 
sud;  elle  est  située  entre  les  îles  de  Les- 
bos,  au  nord,  de  Samos,  au  sud,  l'extré- 
mité méridionale  de  l'Ëubée,  à  l'ouest, 
et  la  presou'lle  de  Clazomène,  à  Test. 
Elle  n  est  Soignée  de  cette  dernière  que 
d'environ  une  lieue.  C'est  à  peu  près  la 
distance  qu'on  trouve  entre  le  nromon- 
toire  Posidium,  la  pointe  de  Vîle  qui 
se  rapproche  le  plus  du  continent ,  et 
le  promontoire  Argennum  (  auj.  capo 
Bianco  ),  qui  s'avance  à  l'est  sur  la  côte 
d'Erythrée,  dans  l'étroit  bras  de  mer 
resserré  entre  Chio  et  Clazomène. 

Dbsgjiiption  d£  l'île.  —  Chio  est 
une  des  plus  grandes  îles  qui  bordent  lé 
littoral  de  l'Asie  Mineure.  Elle  embrasse 
un  espace  d'environ  quarante  lieues  de 
eircuit.  Plus  large  au  nord  et  au  sud 

2u*au  centre ,  elle  se  resserre  à  cet  en- 
roit,  où  elle  ne  présente  guère  de  l'ouest 
à  l'est  qu'une  largeur  d'une  lieue  et  de- 
mie, (/est  cet  endroit  où  la  côte  occi- 
dentale de  l'île  forme ,  en  rentrant  dans 
les  terres,  comme  un  golfe  profond, 
qu'Hérodote  appelle  les  Creux  de  Chio 
(laiKoîXa). 

Dans  la  partie  septentrionale  de  l'île 
s'élève  le  mont  Pélineen  (auj .  mont  Elias), 
haut  de  deux  mille  cinq  cents  pieds  envi- 
ron, et  dont  les  ramifications  s'étendent 
h  travers  l'île  tout  entière ,  mais  en  s'a- 
baissant  en  pentes  plus  douces  à  me- 
sure qu'elles  s'avancent  dans  le  midi. 
Le  mont  Pélineen  projette  sur  les  côtes 
plusieurs  promontoires,  celui  de  Posi- 
dium ,  au  sud  de  la  ville  de  Chio ,  suf: 

17. 


360 


LTNIVERS. 


le  rivage  ocddental,  ainsi  appelé  da 
temple  de  Neptune  bâti  sur  son  sommet  ; 
celui  de  Phan»  (auj.  Capo  Mastico), 
au  sud-est,  avec  un  temple  d'Apollon 
surnommé  Phanéen,  de  même  qu  il  s'en 
trouvait  un  sur  le  mont  Pélinéen,  con- 
sacré à  Jupiter  Pélinéen  ;  celui  de  No- 
tium ,  à  la  pointe  méridionale  de  Ttle , 
comme  Tinoique  son  nom;  le  cap  Noir 
(auj.  cap  Saint-Nicolas),  à  l'extrémité 
nord-ouest,  vis-à-vis  de  Ttle  de  Psyra 
(auj.  Psara},  située  à  Quelque  distance 
vers  l'occident.  La  rivière  la  plus  con- 
sidérable est  le  Parthénius,  qui  coule  de 
l'ouest  à  Test ,  un  peu  au  sud  de  la  ville 
de  Chlo.  Grossie  par  les  pluies ,  en  hi- 
ver, cette  rivière  roule  ses  eaux  avec 
tant  d'impétuosité,  que  les  habitants  sont 
obligés  d^ïever  de  fortes  murailles  de- 
vant leurs  jardins ,  situés  sur  ses  deux 
rives  ;  mais  en  été  son  lit  est  souvent 
à  sec.  Dans  la  partie  basse  de  l'tle  ser- 
pentent çà  et  là  quelques  ruisseaux 
assez  forte,  même  en  été,  pour  mettre 
des  moulins  en  mouvement  ;  mais  dans 
la  partie  haute  on  ne  rencontre  que  des 
sources ,  qui  jaillissent  des  flancs  de  la 
montagne. 

CONTBÉBS  BT  YILLBS  PAINCIPAIES. 

—  Les  géographes  anciens  distinguent 
sur  la  cote  occidentale  trois  contrées  : 
celles  que  Strabon  appelle  Laïus  (auj. 
Lithilimenas,  ou  portde  pierres),  vers  le 
centre,  et  où  se  trouve  Néa-Moni  (nou- 
velle solitude),  monastère  construit  par 
Constantin  Monomaque  (1)  ;  les  Creux 
de  Chio ,  dont  nous  avons  déjà  parlé, 
im  peu  au  nord  de  la  dernière ,  a  l'en- 
droit le  plus  étroit  de  l'tle,  avec  une  ville 
ou  plutôt  un  petit  fort  du  nom  de  Po- 
lichua  ;  enfin,  en  avançant  toujours  vers 
le  nord,  Arvisia,  dont  les  vins  passaient 
pour  les  meilleurs  des  vins  grecs.  Ses 

Îirincipales  villes  sontBolissus  (auj.  Vo- 
isso)  et  Pitys  (auj.  Pityos).  Parmi  les 
autres  villes,  les  plus  importantes  après 
Chio  sont  Delphinium  (auj.  Port-Dau-, 
phin),  tout  près  de  Chio,  possédant  dans' 
les  temps  anciens  une  excellente  rade  ; 
Caucasa ,  port  situé  vraisemblablement 
non  loin  du  cap  Phanse;  Leuoonlum 
(auj.  Leuconia). 

(i)  Dalhway,  Constantinople  ancienne  et 
moderne  et  description  des  côtes  et  isies  de 
f  Archipel  et  de  ta  Troade ,  t  II ,  p.  78, 


Il  faut  citer  encore  le  port  des  Vieil- 
lards, dont  Élien  seul  fait  mention.  La 
Chiotes ,  suivant  cet  auteur,  y  nourris- 
saient des  poissons  pour  l'amusemeat 
des  vieillards;  de  là  le  nom  qu'il  portail 

La  villb  db  Chio.  —  De  toutes 
les  villes  que  nous  avons  mentionnées  la 
plus  importante  est  Chio  (auj.  Scio), 
située  au  centre  de  la  côte  orientale, 
avec  un  port  qui  dans  l'antiouité  pou- 
vait contenir  80  vaisseaux.  £lle  possé- 
dait deux  temples,  l'un  consacré  à  Mi- 
nerve Polioucnos,  la  déesse  tutélairede 
l'île  :  le  culte  de  cette  déesse  était  com- 
mun aux  Chiotes  et  aux  Athéniens,  dont 
ceux-là  étaient  les  colons  ;  l'autre,  dédié 
à  Bacchus ,  qui  était  naturellement  une 
des  divinités  les  plus  honorées  de  cette 
Ile  fitoonde  en  excellents  vins.  Chio,  qui 
dans  l'antiquité  fut  une  des  cités  les 
plus  importantes  de  la  confedératioD 
Ionienne ,  était  encore  avant  la  guerre 
de  rindépendance  une  des  belles  villes 
de  l'Archipel.  «  Sdo,  dit  Choiseul-Gouf- 
«  fier  (1),  est  la  ville  du  Levant  la  rnieu^ 
«  bâtie.  Ses  maisons,  construites  par  le$ 
«  Génoisetles  Vénitiens,  ontuneélégaotf 
«  et  des  agréments  au'on  est  étoDoe 

«  de  rencontrer  dans  r  Archipel 

«  L'aspect  de  son  port  est  très-agréabK 
«  et  ressemble  infiniment  à  celui  de 
«  Gènes.  Deux  finnaux  avancés  indi- 
«  quent  aux  vaisseaux  la  route  qu  ils 
«  doivent  tenir,  et  une  jetée,  aujourd*boi 
«  à  fleur  d'eau,  ferme  le  port  du  côte 
«  du  midi.  Ce  port  est  très-vivant;  01 
«  y  trouve  presque  toujours  quelques 
«  galères  du  grand-seigneur,  et  il  est 
c  d'ailleurs  fréquenté  par  tous  les  bâti- 
fe  ments  qui  vont  d'Éf^pte  à  Coastonti- 
«  nople.  » 

A  une  lieue  de  Chio ,  au  bord  de  Li 
mer,  et  au  milieu  des  masures,  se  trouve 
une  pierre  énorme,  qui  paraît  s'être  dé- 
tachée d'un  rocher.  Elle  ^t  de  forme 
ronde,  excepté  à  sa  partie  supérieure 
où  elle  est  aplanie  et  creusée.  Au-dessus 
et  au  milieu,  l'on  voit  comme  des  siéi;es 
taillés  dans  la  pierre  même,  et  dont  Tua 

(i)  ChoÎMml-Gouffier,  Voyage  dans  tfm- 
pire  Ottoman,  1. 1,  p.  i43.CbaDdlcr  dit  tfos  h 
▼ille  de  Scio  et  l«s  envirou ,  vus  de  la  Bcr, 
ressemblent  en  miniature  i  Gènes  et  à  sos 
territoire.  Foyage,  etc.,  t.  I,  p.  loS.  ^'^* 
aussi  Toumefort»  1 1,  p.  370. 


iij£  DE  cmo. 


»t 


est  plut  élefé  que  tons  les  antrw.  Siû- 
Tant  une  vieille  tradition ,  les  insulaires 
prétendent  que  c'est  l'endroit  où  Ho- 
mère enseignait  h  ses  diseiples  ou  dictait 
ses  vers,  et  pour  cette  raison  ils  rappel- 
lent encore  V École  d Homère  (1).  Ce 
curieux  monument,  ou  plutôt  ce  reste 
informe  de  quelque  monument  antic|ue, 
a  beaucoup  exercé  Fesprit  et  Fimagina- 
tion  des  voyageurs.  Quelques-uns  ont 
eoDJecturé  que  cet  endroit  était  autre- 
foisun  temple  deCvbèlcunedesdivinités 
de  nie.  Suivant  d'autres ,  en  ce  lieu  se 
serait  trouvé  le  sanctuaire  où  la  sibylle 
érytbréenne  rendait  ses  oracles.  Quoi 
qu'il  en  soit  de  ces  conjectures,  le  nom 
donné  à  cette  pierre  témoigne  de  la  pré- 
tention qu'ont  toujours  eue  les  Cbiotes 
d'être  les  compatriotes  d'Homère  (2). 

Climat,  Pboouctions  db  Chic.  — 
L'Ile  de  Cbio,  placée  sous  ce  beauciel  de 
TAsie  Mineure ,  jouit  du  plus  heureux 
climat  dont  un  pays  paisse  être  favo- 
risé (3).  Par  sa  position  au  milieu  de  la 
mer,  elle  est  préservée  des  fortes  chaleurs 
qui  régnent  dans  les  contrées  situées  sur 
la  même  latitude;  et  les  froids  de  l'hiver 
sy  font  à  peine  sentir  durant  quelques 
jours.  Les  vents  du  nord,  si  orageux  dans 
tout  le  reste  de  l'Archipel  pendant  les 
mois  de  juillet  et  d'août,  ne  soufflent 
dans  œtte  île  que  comme  une  brise  lé- 
gère. Grâce  à  ce  double  bienfait,  la  tem- 
férature  y  est  également  éloignée  de 
extrême  sécheresse  et  de  l'extrême  hu- 
midité. Nulle  part  l'air  n'est  plus  salu- 
taire à  la  respiration;  et  les  anciens,  ainsi 
que  tous  les  voyageurs]  modernes,  ont 
vanté  les  agréments  du  séjour  de  l'île  de 
Cbio. 

Sous  on  ciel  aussi  favorable,  sous 
l'influence  d'un  soleil  dont  la  chaleur 
est  si  heureusement  tempérée,  une  vé- 
gétation riche  et  variée  se  développe  dans 
nie.  Dans  l'hymme  d'Apollon  (4) ,  at- 


tribué à  Homère,  elle  est  appelée  tréS" 
ijiraêse,et  cette  épithète  n'est  ni  une  flat- 
terie ni  une  fiction  poétique.  Toutefois, 
en  beaucoup  d'endroits,  le  sol  est  pier- 
reux et  peu  favorable  au  labourage. 
Aussi  l'île  est-elle  peu  fertile  en  blé,  en 
orge  et  en  froment.  Mais,  en  revanche, 
elle  est  couverte  d'arbres  fruitiers,  et  elle 
produit  en  abondance  des  figues ,  des 
dattes,  des  amandes,  des  grenades,  des 
limons,  des  olives,  etc.;  la  culture  du  té- 
rébintbe  y  est  fort  étendue.  Le  céleri 
y  est  indigène  ;  et  c'est  un  jardinier  scîote 
qui  l'a  introduit  en  Europe  et  qui  en 
planta  les  premiers  pieds  dans  la  villa 
Albani  à  Rome. 

Mais  outre  ces  productions,  qui  presque 
toutes  sont  communes  à  l'île  entière,  il  y 
en  a  d'autres,  qui  sont  plus  particulières 
à  certaines  contrées,  et  qui  ai  visent  Cbio 
comme  en  trois  régions  distinctes.  Cest 
le  vin,  dont  l'espèce  la  plus  estimée  se 
récolte  au  nord,sur  le  penchant  du  mont 
Pélinéen;  ce  sont  les  oranges  et  les  ci- 
trons, qui  viennent  particulièrement 
dans  le  voisinage  de  la  ville  à  l'est;  enfin 
le  mastic,  sorte  de  résine  aromatique, 
recueillie  sur  un  arbre  appelé  lentisoue, 
qui  croît  dans  la  partie  sua-ouest  de  lile. 

Vin.  —  Les  vins  de  Cbio,  et  principa- 
lement celui  d'Arvisia,  canton  situé  à 
Touest  des  c6tes  de  Psyra,  jouissaient  dans 
l'antiquité  d'une  réputation  incontestée. 
Poètes  et  prosateurs  les  vantent  à  l'envi, 
et  Horace ,  qui  s'y  connaissait,  ne  les  a 
pas  oubliés  (1).  Chez  les  Athéniens,  qui 
ne  s'entendaient  pas  moins  en  bonne 
chère  qu'en  beaux  discours,  le  vin  d'Ar- 
visia passait  pour  le  plus  déUcat  des  vins 
grecs,  et  les  Romains  ne  paraissent  pas 
ravoir  dédaigné  à  côté  du  Faleme.  Mais 
ce  vin  n'était  pas  seulement  recherché 
pour  la  table.  Les  médecins  anciens  lui 
attribuaient  aussi  des  propriétés  médi- 
cales, et  le  faisaient  entrer  dans  une 


(0  Dapper,  les  Iles  de  l'Archipel,  p.  9i4; 
ChoiseuUGouffier,  I,  p.  x49-x5o. 
(ï)  Yoir  le   Voyage  de  Dallaway,  t,  H , 

p.  69. 

(3)  DaHaway ,  Constantinople ,  etc.,  t.  II , 
P-74. 

(4)  HoQi.,  Eymme  4  Apollon^  Y,  3S. 
KaiXCoç,  ^  vyjtfwv  XinocpoiTéTY)  clv  àXi  xetTou. 
*  Ce  ten  de  Hiymae  hoiiiéri<|ue,  qui  a 
oouroqné  Scio  reine  des  îles  de  la  mer  tigée, 


je  l'ai  la  écrit  en  lettres  d'or  au-dessus  du 
divan  où  nous  étions  assis,  Tarchevéqne  Pla- 
ton et  moi ,  au-dessous  d'une  carte  manus- 
crite, plus  large  que  correcte,  décrivant  assez 
confusément  les  soixante  et  seize  villages  de 
son  diocèse.  »  M.  de  Maroellus,  Ép'uodet 
ùttéraires  en  Orient ,  t.  II ,  p.  147. 

(i)  Horace,  0</e III,  19 ; Tirg.,  EgL  T, 
71  ;  Pline,  Hist.  Nut,^  XIV,  9,  i  ;  17 ,  i,  9  ; 
XXXrV ,  93 ,  4. 


^2 


LunnfERis. 


bomposition  destinéeà  guérir  les  ophthaK 


qu'on  ordonnait  le  vin  de  Ghio  à  Rome 
dans  les  maladies  de  l'estomac.  C'était  le 
vin  de  prédilection  de  César  :  Horten* 
sius  en  avait  dix  mille  pièces  dans  ses 
caves;  an  moment  de  sa  mort,  son  héri- 
tier s'empressa  de  les  recueillir  (1). 

Jabdins  de  Chic.  —  Non  loin  de  la 
viiJe  s'étend  une  vaste  forêt  d'orangers  et 
de  citronniers,  qui  produisent  annuelle- 
ment plus  de  vingft  millions  des  plus 
beaux  fruits,  et  dont  la  valeur  est  estimée 
environ  cinq  millions.  Cette  forêt  se  com- 
pose d'un  grand  nombre  de  jardins ,  en- 
clos de  hautes  murailles ,  et  renfermant 
chacun  une  fontaine  pour  l'irrigation  des 
arbres.  L'eau  de  ces  fontaines ,  tirée  au 
moyen  d'une  sorte  de  roue  d'épuisement, 
garnie  de  pots  de  terre  et  mise  en  mou- 
vement par  des  mulets ,  coule  dans  un 
grand  bassin  muré,  d'où  elle  se  distribue 
par  des  canaux  dans  de  petites  rigoles 
creusées  autour  des  arbres.  Pendant  la 
saison  des  fleurs  l'odeur  que  répandent 
ces  arbres  est  si  forte  Qu'elle  se  fait  sen- 
tir en  mer  à  une  grande  distance  de  la 
côte. 

C'est  dans  ces  jardins  que  sont  situées 
les  maisons  de  campagne  de  la  ville  de 
Chio.  La  plupart  d'entre  elles  ne  présen- 
tent plus  ^uère  que  des  ruines  depuis 
la  dévastation  de  l'île  par  les  Turcs  en 
1822.  Toutefois ,  même  en  cet  état,  elles 
témoignent  encore  de  la  prospérité  dont 
jouissait  Scio  avant  cette  époque,  si  bien 
que  M.  de  Lamartine,  qui  visita  depuis 
ces  jardins,  a  pu  dire  :  «  Je  ne  connais 
lien  en  Europe  qui  présente  l'aspect 
d'une  plus  grande  ricnesse  que  Scio.  » 

Mastic. — La  partie  sud-ouest  de  Ttle, 
celle  qui  produit  le  mastic ,  forme  avec 
la  précédente  un  contraste  frappant.  La 
terre  et  la  population  ont  un  tout  autre 
aspect.  La  campagne  est  moins  riante,  et 
les  habitants  n  ont  pomt  cet  air  de  bien- 
être  que  l'on  remarque  parmi  ceux  des 
environs  de  la  capitale.  Cependant  cette 
contrée  a  moins  souffertqiie toutes  lesau- 
très,  lors  de  la  guerre  de  Vindépendanœ. 
La  récolte  du  mastic  était  ponr  la  Porte 
un  revenu  considérable,  dont  eiie  n'eut 

(i)  Cf.  Tournefort,  Voyage  au  Levant,  I, 
37a  ;  Dallaway ,  t.  T,  p.  69. 


garde  de  se  priver  wt  dTliratlIesimigH. 
Cette  région  de  Im  échappa  ainsi  en 
partie  à  la  dévastation,  et  ses  babitaoti 
au  massacré.  D'ailleurs  les  paysans  da 
cantons  à  mastic  étaient  comme  les  serfs 
du  grand-sdgneur,  et  à  ce  titre  ils  furent 
épargnés,  ou  châtiés  moins nidemeot 
que  les  autres  insolaires.  Bien  que  œtte 
servitude  n'existe  plus  depuis  quelques 
années ,  nous  croyons  devoir  montrer 
ce  qu'elle  était  en  reproduisant  la  rela- 
tion suivante,  qui  renferme  d*ailleurs 
des  détails  curieux  sur  la  manière  dont 
se  fait  la  culture  et  la  récolte  du  mastic  : 

«  Les  villages  aux  environs  desquels 
se  trouve  le  mastic  sont  au  nombre  de 
vingt...  Les  arbres  de  lentisque  sont 
épars  çà  et  là  dans  la  campagne,  et  ap- 
partiennent au  grand-seigneur.  Il  a  a^ 
cordé  de  grands  privilèges  aux  paysans 
de  ces  villages,  pour  les  entretenir  et  faire 
la  récolte  du  mastic.  Ces  habitants,  quoi* 
que  chrétiens,  portent  le  turban  blanc^ 
comme  les  Turcs.  Ils  jouissent  d'ailleurs 
de  différents  privilèges:  ilsont  descloctits 
dans  leurs  ^lises ,  ils  ne  payent  pour 
tribut  que  la  plus  petite  des  taxes,  et  ils 
sont  exempts  de  tous  autres  droits,  im- 
positions et  corvées ,  de  quelque  nature 
que  ce  puisse  être.  Un  aga  particulier, 
qui  prend  tous  les  ans  cette  ferme  3 
Constantinople,  les  gouverne,  sans  qu'ils 
soient  soumis  à  la  juridiction  ordinaire 
de  rtie. 

«  Moyennant  ces  privilèges ,  Ils  sont 
obligés  d'entretenir  les  arbres,  de  bieo 
battre,  aplanir  et  balayer  le  terrain  qui 
est  dessous,  aux  approches  de  la  récolte, 
afin  que  le  mastic  qui  y  tombe  soit  clair 
et  net.  Us  sont  chargés  de  le  recaeîDir 
avec  des  pinces  sur  les  arbres,  et  arec 
la  main  quand  il  est  à  terre;  de  nettoyer 
celui  qu'ils  ont  ramassé  et  d'en  dter  la 
poussière  qui  s'v  attache  toujours,  mal- 
gré le  soin  qu'us  prennent  de  tenir  \i 
place  nette.  Lorsque  le  mastic  est  bien 
nettoyé,  ils  le  séparent  selon  ses  diOV- 
rentes  qualités. 

«  Le  plus  estimé  est  net ,  daîr  et  en 
larmes;  on  le  recueille  ordinairement 
sur  l'arbre,  avant  qu'il  en  coule  beau- 
coup, ou  qu'il  tombe  à  terre.  Toute  oeue 
première  qualité  va  au  sérail  do  sultan 
a  Constantinople.  Gelai  qui  a  été  ramasté 
au  pied  des  arores  est  toujours  mêlé  d*no 
peu  déterre  :  il  n'est  ni  dair  lÉeo  lar- 


LE  BE  GHIO. 


S6t 


mes,  maf s  «n  mcmeavx  longs,  informei 
et  looebes  ;  on  n'en  envoie  au  sérail  <nie 
Ï9  quantité  qai  manqae  à  la  premièni 
qualité  poaren  faire  soixante  mule  livres 
pesant.  Cest  la  taxe  que  l'aga  fermier 
doit  envoyer  tous  les  ans  au  sérail  du  sul* 
tan.  Chaque  village  est  taxé  à  trots  mille 
livres,  Tnn  portant  l'autre,  ou  à  deux 
mille  éeus  en  argent  comptant,  au  défont 
de  mastie  ;  et  comme  on  m  recueille  tou- 
jours beaucoup  davantage,  même  dans 
les  plus  mauvaises  années,  le  fermier 
achète  le  surplus  des  soixante  mille  li« 
Très  des  paysans  sur  le  med  de  quarante 
sous  et  quelque  ehose  de  moins  la  livre, 
€t  le  revend  ensuite,  par  privilège  ex* 
clusif,  trois  à  quatre  francs  ;  et  il  a  droit, 
non -seulement  de  saisir  tout  celui  ^uMl 
trouve  n'avoir  pas  passé  par  ses  mams , 
mais  encore  de  punir  les  paysans  qui 
Tont  vendu  en  contrebande.  11  peut  en- 
velopper dans  cette  punition  tous  les 
habitants  d*un  village,  quand  il  ne  peut 
connaître  le  particulier  qui  a  fait  la  con- 
trebande ;  c  est  ce  qui  oblige  ces  pay- 
sans à  s'observer  exactement  les  uns  les 
autres ,  et  à  fermer  pendant  la  nuit  les 
portes  de  leur  village  dans  tes  temps  de 
la  récolte,  afin  que  personne  n'aille  ra- 
masser le  mastic  sur  le  terrain  de  son 
voisin,  pour  en  faire  une  provision  qu'il 
pourrait  ensuite  vendre  à  loisir 

'  Depuis  le  commencement  de  la  ré* 
coite  jusqu'à  ce  que  le  fermier  ait  enlevé 
toute  cette  drogue,  il  y  a  des  gardes  jour 
et  nuit  aux  gorges  des  montagnes  par  les- 
quelles on  entre  dans  le  cap  Mastic.  Ces 
gardes  visitent  avec  soin  ceux  qui  pas* 
sent ,  afin  que  personne  n'en  emporte. 
Qnand  le  garde  de  Taga  fermier  vient  à 
la  ville  ,  il  est  accompagné  de  tambours 
et  de  flûtes ,  et  amené  par  les  paysans 
des  villages  qui  ont  recueilli  le  mastic; 
ils  vont  le  porter  au  château  avec  beau* 
coup  de  réjouissance. 

«  Quelquefois  l'aga  qui  prend  la  ferme 
du  gouvernement,  du  tribut  et  des  doua- 
nes de  rtle ,  prend  aussi  celle  du  mas- 
tic, dont  la  récolte  peut  monter  année 
commune,  à  cent-cinquante  mille  li- 
vres pesant...... 

a  On  distingue  quatre  sortes  d'arbres 
de  mastic ,  savoir  :  skinos,  skinos^m- 
pro$,  votomos  et  piscari, 

«  Le  ikinos  et  le  skînos-aspros  pro- 
duisent le  plus  beau  mastic  ^  c'est-à-dire 


le  plus  transparent  et  le  plus  sec  :  on  i'ap- 
pelte  mastic  mâle 

«  Le  votomos  a  les  feuilles  plus  petites, 
et  est  ordinairement  plus  étendu  que  les 
autres.  Il  est  le  seul  qui  porte  des  baies 
ou  graines,  qui  sont  assez  semblables  à 
celles  des  lentisques  sauvages.  On  en 
recueille  très-peu  de  mastic  ;  mais  il  est 
mâle  et  d'une  bonne  qualité 

«  Lepiscari  est  beau,  touffu,  et  forme 
une  espèce  de  buisson  qui  s'arrondit  en 
s'élargissant  jusqu'à  terre:  sa  feuille 
est  plus  large  que  celle  des  autres;  il 
est  le  plus  fécond  de  tous.  Son  mastie 
coule  SI  abondamment,  qu'on  en  ramasse 
quelquefois  des  morceaux  de  la  largeur 
d'un  écu  ;  mais  il  est  opaque,  mou,  se 
sèche  difficilement,  et  se  ramollit  à  la 
moindre  chaleur  :  aussi  est-ce  la  qua- 
lité la  moins  estimée.  Ce  mastic  est  ap- 
pelé mastic  femelle. 

«  Ces  arbres  fleurissent  tous  en  mars  ; 
leur  fleur  a  la  forme  d'une  grappe  :  il 
n'y  a,  comme  j'ai  dit,  que  le  votomos 
qui  porte  graine  (1).  »  On  les  cultive  au 
pied  comme  la  vigne.  Les  paysans  char- 
gés de  ce  soin  font  à  l'écoroe  de  la  ti^ 
des  incisions  en  croix,  d'abord  en  mai, 
puis  en  juin  et  enfin  en  août.  Cest  de 
ces  incisions  que  coule  la  résine  ou 
gomme  appelée  mastic  «  dont  les  dames 
turques  et  grecques  font  une  grande  cou* 
sommation.  Elles  en  mâchent  continuel^ 
lement  :  cette  drogue  donne  à  leur  ha- 
leine une  odeur  aromatique  qu'on  peut 
ne  pas  trouver  désagréable,  mais  qui  nuit 
beaucoup  à  la  beauté  de  leurs  dents.  » 

«Le  mastic  est  d'usage  en  médecine; 
il  entre  dans  plusieurs  remèdes,  et  se 
donne  en  pilules  pour  apaiser  les  maux 
d'estomac;  mais  les  arts  en  font  aujour- 
d'hui une  consommation  beaucoup  plus 
grande.  On  l'emploie  surtout  pour  com- 
poser les  vernis  clairs  [et  transparents  ; 
il  a,  sur  un  grand  nombre  de  drogues 
que  l'on  emploie  à  cet  usage,  l'avan- 
tage d'être  solubledans  l'essence  et  dans 
Tesprit  de  vin  (2).  » 

(i)  Galland ,  mémoire  fait  sur  les  lieux  eu 
1747,  et  cité  par  Choiseul-Gouffier,  f.  I, 
p. 144-148. 

(a)  Choiseul-Gouffier,  t.  I ,  p.  x48.  Cf. 
Tournefort,  I,  p.  357.  "V oyez  dans  Plioe,  XII, 
36,XXiy,  74,  I ,  la  production,  le  prix 
et  l'emploi  du  mastic  de  Goio  ches  les  anciens. 


M4 


UmiIVERS. 


Cette  partie  de  111e  qui  fDurnit  le  mai- 
tic,  pierreuse  et  presque  entièrement  sté- 
rile, produit  peu  de  blé  et  d'berbages. 
Il  en  est  de  même  de  toute  eette  âen- 
due  du  territoire  où  croissent  les  oran* 
gers  et  les  citronniers.  Aussi  l'Ile  ne 
renferme-t^llequ'une  petite  quantité  de 
terres  labourées  et  manque-t-elle  de  bé* 
tail.  Mais ,  en  revanche,  les  oiseaux  de 
passage  y  sont  extrêmement  nombreux, 
particulièrement  les  bécasses,  les  grives, 
le  merle,  Ja  caille  et  la  tourterelle.  Elle 
nourrit  surtout  «  une  si  grande  quan- 
tité de  perdrix,  au*il  n'y  a  point  d'endroit 
au  monde  où  Von  en  voie  tant.  On 
trouve  dans  certains  villages  de  grosses 
perdrix  rouges  et  privées Les  habi- 
tants en  tiennent  de  grosses  troupes  ou 
compagnies  qu'ils  élèvent  et  nourrissent 
comme  nous  élevons  en  ce  pays  les 
troupes  de  poules,  d'oies  ou  de  pigeons. 
Ils  leur  donnent  la  liberté  dès  le  matin 
de  voler  vers  les  montagnes  ou  dans  les 
champs  pour  y  aller  chercher  leur  nour- 
riture, et  l'on  permet  aue  leurs  perdreaux 
les  suivent,  afin  qu'elles  en  aient  soin. 
Mais  vers  le  soir  elles  s'assemblent  de 
nouveau  au  son  d'un  sifflet,  si  bien  que 
chaque  compagnie  ou  troupe,  qui  en  con- 
tient quelquefois  plus  de  trois  cents, 
se  retire  vers  son  gardien  ou  conduc- 
teur ,  et  le  suit  au  village.  Elles  sont  si 
bien  dressées  au  son  de  ce  sifflet,  que, 
bien  qu'elles  se  trouvent  quelquefois  six 
ou  sept  mille  ensemble  et  pêle-mêle , 
et  qu'elles  appartiennent  à  divers  maî- 
tres ,  elles  ne  manquent  Jamais  de  se 
séparer  pour  voler  vers  le  lieu  où  elles  se 
retirent  ordinairement,  dès  qu'elles  l'en- 
tendent (1).  » 

On  nourrit  aussi  dans  i'ile  une  grande 
quantité  de  vers  à  soie,  et  le  mieiau'on 
y  recueille  peut  le  disputera  celui  d'Hy- 
mette  et  d'Hybla. 

Les  chevaux  sont  un  luxe  des  plus 
riches  ;  mais  les  mules  et  les  ânes  sont 
assez  communs.  Les  renards  et  les 
lièvres  abondent  dans  les  montagnes  ; 
on  ne  rencontre  aucun  autre  animal  des 
forêts. 

Les  richesses  minérales  de  Scio  con- 
sistent principalement  en  marbres.  Les 
carrières,  assez  nombreuses  dans  la  par- 

(i)  Dapper,  lUs  Je  t Archipel  :  Ckio  au 
SciOf  P«  AI?» 


tic  montagneoM  ée  rtletenfiDonyasaieai 
dedîver8e6eouleurB(l).pyiiepeDseniêiM 
que  les  premiers  marbres  ta^etés  fu- 
rent trouvés  dans  lescarrièraB  de  Qno. 
«  Les  habitants  les  emplo^rèrent  aux 
murs  de  leur  ville  ;  et  ils  s  attirèrent,  dit 
Pline,  une  nlaisanterie  de  Cioâron  :  ils 
montraient  à  tout  le  mondeces  murailles 
comme  magnifiques  :  J'admirerais  bien 
plus,  dit-il ,  que  vous  les  eussiez  faites 
en  pierre  de  Tibur.  »  On  trouve  aussi 
différentes  espèces  de  terre,  et  particu- 
lièrement une  certaine  terre  de  nature 
savonneuse,  dont  les  femmes  turques  se 
servent  comme  d'un  dépilatoire,  et  quon 
emploie  dans  les  bains,  mêlée  avec  des 
feuilles  de  rose  (2).  Une  autre  terre, 
d'une  nature  argileuse,  très-commune 
dans  l'Ile,  a  de  tout  temps  été,  chez  les 
Chiotes ,  d'un  grand  usage  pour  les  os- 
▼rages  de  poterie ,  une  des  plus  impor- 
tantes branches  de  leur  industrie,  sur- 
tout dans  l'antiquité. 

HISTOIBE  ANCIETTNE  DB  CHIC. 
PBBHIB&S  HABITANTS  DB  ChIO  (I). 

—  Les  habitants  de  l'île  de  Cliio ,  aa 
témoignage  de  Strabon  et  d^Eustatbe, 
se  prétendaient  issus  des  Pélai^es  de 
la  Tbessalie.  Cette  tradition  populaire 
prend  un  caractère  historique  si  Ton 
rapproche  le  nom  du  mont  Pellinéen  de 
celui  de  Pelliné,  ville  de  Thessalie.  Ce 
rapprochement  confirme  l'assertion  de 
Slrabon  et  d'Eustathe  sur  l'origine  pé- 
lasgique  des  habitants  primitifs  de  File- 
A  ce  double  témoignage  s'ajoute  celui 
dËphore,  qui  dit,  dans  un  fragment 
conservé  par  Athénée,  que«  lespremieri 
habitants  de  Chio  furent  des  Pélasges 
qui,  échappés  au  déluge  arrivé  sous  Dcu- 
ealion,  émigrèrent  dans  cette  fie  >.  D'a- 
près ce  passasse,  la  première  colonisatioc 
de  Chio  aurait  donc  eu  lieu  dans  le  sei- 
zième siècle  avant  J.-C. 

Colonie  CBÉTOiSB.  -— Environ  desi 
siècles  plus  tard,  Oli^opion  vint  s'établir 

(i)  PUoe,  Hist.  Nat.,  XXXVI,  5,  3;  V. 
x38,  X. 

(a)  Pline,  XXXV,  56 ,  x.  Les  «icieBSci 
faisaient  le  inénie  iisâge. 

(3)  Baoul-Rochelte ,  Cohnies  Grtcqttts,  I« 
380;  II,  i63-iC4;IU,  79,95,98. 


ILE  DE  CHIO. 


365 


dans  nie,  à  la  tête  d'une  colonie  Cre- 
toise. Suivant  Théopompe  deChio,  cet 
OEnopion  était  fils  de  Bacebus  et  d'A- 
riane, par  Gonaéqaent  petit-fils  de  Minoa 
par  sa  mère.  Le  poète  Ion,  au  contraire, 
en  fait  un  fils  de  Thésée,  sans  doute  par 
une  fiction  poétique  destinée  à  flatter 
les  Athéniens ,  qui  avaient  couronné  une 
de  ses  tragédies.  Suivant  une  troisième 
version ,  rapportée  car  Diodore  de  Si- 
eile,  (Knopion  était  nls  deRhadamanthe 
et  frère  d'Eiythms.  Rhadamantbe,  s'é- 
tant  emparé  des  tles  de  la  mer  É^ée  et 
d*ime  partie  du  continent  de  TAsie  Mi- 
neure, permit  au  premier  de  régner  à 
Chio,  et  au  second,  à  Erythrée.  Dans 
toute  cette  généalogie,  la  feble  joue  évi- 
demment un  grand  rôle.  Toutefois ,  il 
n'est  pas  besoin  de  chercher  à  concilier 
ces  assertions  contradictoires  pour  cons- 
tater, d*une  part,  gue  la  colonie  amenée 
f>ar  Cffijiopion  était  partie  de  Crète;  de 
'autre,  que  les  relations  étroites  qui  exis- 
tèrent entre  Chio  et  Ér^rée  avaient 
leur  source  dans  une  origine  commune. 

C£nopion  était  accompagné  de  cinq 
fils  :  Talus,  Évanthus,  Mêlas,  Salagus 
et  Athamas.  Il  enseigna  aux  habitants 
la  culture  de  la  vigne  et  Tart  de  faire 
le  vîD.  La  colonie  qu'il  fonda  parait  avoir 
joui  d'une  certaine  célébrité,  puis<)ue 
Chio  est  appelée  la  ville  d^OËnopion 
dans  des  vers  du  poète  Critias  cités  par 
Athénée. 

D'antres  colons,  partis  de  Carie  et 
d'Eubée,  vinrent  s'établûr  dans  l'île  avec 
ragrément  d'Œnopion.  Après  la  mort 
de  ce  dernier  et  celle  de  ses  fils,  Amphi- 
clus  d'Histiée,  ville  de  TEubée,  fut  pro- 
clamé roi.  Son  règne  doit  avoir  com- 
meno§  vers  Tépoque  de  la  guerre  de 
Troie.  Uector,  son  arrière-petit^uis,  régna 
au  temps  de  l'arrivée  des  Ioniens  dans 
TAsie  Mineure,  vers  1130  avant  J.-C. 
Ce  fut  sans  doute  avec  leur  secours  qu'il 
chassa  de  llle  les  Cariens  et  les  Eubéens, 
expulsion  qui  paraît  avoir  été  suivie  im- 
médiatement de  l'établissement  d'une 
colonie  de  ces  nouveaux  venus,  qui  tout 
naturellement  entrèrent  dans  l'Amphic- 
tyonie  ionienne. 

Chio,  en  efifet,  fut  au  nombre  des 
douze  villes  qui  dès  l'ori^oe  firent 
partie  de  la  confédération  ionienne.  De- 
puis eette  époaue  jusqu'au  moment  où 
fes  rois  de  Lyoie  enerchèrent  à  étendre 


leur  domination  sur  les  Grées  de  r  Asie 
Mineure,  14iistoire  de  Chio  ne  présente 
aucun  événement  politique  hien  remar- 
quable. Cette  période  ne  laisse  pas  ce- 
pendant qae  d'offrir  un  certain  intérêt. 
La  situation  de  Chio  au  milieu  de  la 
mer  l'invitait  naturellement  au  com- 
merce. Elle  commença  à  se  créer  une  ma- 
rine, et,  au  milieu  de  la  prospérité  dont 
elle  jouit,  la  population  parait  s'être 
accrue  au  point  de  se  répandre  au  dehors 
et  de  fonoer  à  son  tour  des  colonies. 
Elle  envova  des  colons  à  Leuconia,  en 
Béotie,  ville  dont  elle  s'était  emparée  sur 
les  Coronéens  de  concert  avec  ceux  d'É- 
rytbrée.  Plus  tard  ces  derniers  cherchè- 
rent à  s'en  rendre  seuls  maîtres,  et  déjà 
les  Chiotes  étalent  sur  le  point  de  leur 
abandonner  cette  commune  conquête , 
lorsque  leurs  femmes  leur  firent  nonte 
de  cette  lâcheté ,  et  les  déterminèrent  à 
une  résistance  qui  amena  la  retraite  des 
£rythiéen8«  Cette  guerre  paraît  être  la 
même  que  celle  dont  parle  Hérodote  (1), 
et  dans  laquelle,  au  témoignage  de  cet 
historien,  les  Chiotes  eurent  pour  alliés 
les  Milésiens.  C'est  sans  doute  aussi  à 
cette  guerre  que  se  rapporte  le  strata- 
gème suivant,  que  mentionne  Frontin  (2)  : 
Les  Erythréens  avaient  placé  une  sen- 
tinelle dans  un  lieu  élevé,  afin  d'obser- 
ver les  mouvements  des  Chiotes.  Ceux- 
ci  la  tuèrent,  revêtirent  de  ses  habits  un 
des  leurs,  et  le  substituèrent  à  la  senti- 
nelle ennemie.  Les  Erythréens,  trompés 
Ear  cet  artifice,  tombèrent  dans  une  em- 
uscade.  Leuconia  ne  fut  pas  la  seule 
ville  de  Béotie  dont  s^emparèrent  .les 
Chiotes  et  les  Erythréens.  Us  prirent 
aussi  Copœ,  au  nord  du  lac  copaïs. 
L'ancien  nom  de  ce  lac  appelé  primiti- 
vement Leuconis  et  le  nom  de  la  ville 
de  Leuconia  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut,  empruntés  tous  deux  au  bourg  de 
Leuconium,  dans  l'Ue  de  Chio  ,  sem- 
blent indiquer  que  les  Chiotes  eurent 
dans  cette  colonisation  une  part  plus 
importante  encore  que  celle  des  Ery- 
tiiréens. 

Chio  depuis  la  ouerbe  d'Halyat- 
te  contre  milbt,  jusqu'a  la  bb- 

YOLTB   DE  L'IONIE,  DE  000  A  £04  AV. 

J.-C. —Enrichie  par  un  commerce  actif, 

(x)  Hérodote,  I,  iS. 

(a)  FrontÏD ,  Striittt^^  II,  5,  $  iS. 


266 


L'tmiVERSJ 


Chiû  était  devenue  assez  puissante  à 
l'époque  où  nous  sommes  arrivés,  c'est- 
à-oire  au  sixième  siècle  avant  I*ère  chré- 
tienne, pour  envoyer  un  secours  de 
troupes  aux  Milésiens,  ses  anciens  alliés. 
Depuis  Gygès,  qui,  le  premier  des  rois  de 
Lydie,  entreprit  de  subjuguer  les  Grecs 
des  côtes  de  l'Asie  Mineure ,  Milet  n'a- 
vait cessé  d'être  attaquée  par  ces  princes. 
Sadyatte  et  après  lui  son  fils  et  successeur, 
Halyatte,  en  poussèrent  le  siège  avec  vi- 
gueur ,  et  dans  cette  guerre,  qui  intéres- 
sait également  tous  les  Ioniens,  menacés 
dans  leur  indépendance,  les  Chiotes  fu- 
rent les  seuls  qui  secoururent  les  habi- 
tants de  Milet  (1).  Grésus  reprit  les  pro- 
jets de  ses  prédécesseurs  contre  les  Grecs 
de  rionie.  Cette  riche  contrée  était  une 

Ïiroiequi  tentait  les  rois  lydiens.  Toute- 
bis  la  soumission  des  villes  grecques  du 
continent  ne  suffit  pas  à  l'amnitieux  Gré- 
sus  :  «  Lorsqu'il  eut  subjugué  les  Grecs 
«  de  l'Asie ,  dit  Hérodote  (2),  et  qu'il  les 
«  eut  forcés  à  lui  payer  tribut,  il  pensa 
«  à  équiper  une  flotté  pour  attaquer  les 
«  Grecs  insulaires.  Tout  était  prêt  pour 
«  la  construction  des  vaisseaux,  lorsque 
«;Bias  de  Priène,  ou,  selon  d'autres, 
<(  Pittacus  de  IVIitylène ,  vint  à  Sardes. 
«  Grésus  lui  ayant  demandé  s'il  y  avait 
«  en  Grèce  quelque  chose  de  nouveau, 
<t  sa  réponse  fit  cesser  les  préparatifs, 
a  Prince,  lui  dit-il,  les  insulaires  achètent 
«  une  grande  quantité  de  chevaux,  dans 
«  le  dessein  de  venir  attaquer  Sardes  et 
«  de  vous  faire  la  guerre.  »  «  Grésus, 
«  cro)^ant  qu'il  disait  la  vérité,  repartit  : 
«  Puissent  les  dieux  inspirer  aux  insu- 
«  laires  le  dessein  de  venir  attaquer  les  ' 
«  Lydiens  avec  de  la  cavalerie!  —  Il  me 
«  semble,  seigneur,  répliqua  Bias,  que 
»  vous  désirez  ardemment  de  les  rencon- 
'^  trer  à  cheval  dans  le  continent,  et  vos 
K  espérances  sont  fondées  ;  mais  depuis 
«  qu'ils  ont  appris  que  vous  faisiez  équi- 
«  per  une  flotte  pour  les  attaquer,  pen- 
«  sez-vous  qu'ils  souhaitaient  autre  chose 
«  que  de  surprendre  les  Lydiens  en  mer, 
ft  et  de  venger  sur  vous  le3  Grecs  du  con- 
«  tinent  que  vous  avez  réduits  en  escla- 
•^  vage?  »  —  «  Grésus ,  charmé  de  cette 
«  réponse,  qui  lui  parut  très-juste,  aban- 
«  donna  son  projet,  et  fit  alliance  avec 

(i)  Hérodote,  l/i», 
(a)  Id.,  t,  a7. 


«  les  Ioniens  des  ttes.  i>  Ce  naff  dialogue 
prouve  assez  que  les  îles  grecques  de  la 
mer  É^ée  avaient  acquis  à  cette  époqpe 
une  puissance  maritime  imposante,  puis- 
qu'elle fit  respecter  leur  mdépenaanee 
par  le  roi  le  plus  redouté  de  l'Asie.  Or, 
de  toutes  ces  îles,  si  Ton  en  excepte 
Khodes  et  Samos,  Cliio  possédait  la  ma- 
rine la  plus  florissante. 

Mais  déjà  une  puissance  nouvelle 
s'avançait  sur  l'Asie  Mineure.  La  do- 
mination persane ,  qui  commençait  s 
s'étendre  a  l'orient,  sur  les  ruines  de 
l'empire  Chaldéo- Babylonien,  venait 
d'engloutir  du  côté  de  l'occident  b 
monarchie  lydienne  (548  av.  J.-C;. 
et  menaçait  d'envelopper  dans  ses  limi- 
tes, reculées  jusqu'à  la  mer ,  toutes  les 
colonies  grecques  de  la  côte.  Toutefois, 
les  insulaires,  comme  le  remarque  Héro- 
dote (t) ,  étaient  à  l'abri  des  attaques  de 
Cyrus;  les  Phéniciens  n'étant  pas  encore 
soumis  aux  Perses ,  et  ceux-ci  n^ayant 
pas  de  marine.  Les  Ghîotes ,  en  parti* 
culier,  ne  paraissent  pas  s^étre  prêo^ 
cupés  beaucoup  du  danger  auquel  les 
rapides  progrès  de  la  conquête  persani 
exposaient  leur  indépendance.  Toutes 
tiers  aux  soins  de  leur  commerce .  3i 
ne  prirent  qu'un  médiocre  intérêt  à  é 
qui  se  passait  sur  le  continent  à  quelqoi 
distance  de  leur  île.  Deux  faits  trahie 
sent  l'esprit  mercantile  qui  s'était  dfji 
emparé  de  ces  insulaires.  Pactyas,  ce  d^ 
positaire  infidèle  des  trésors  de  Grésus, 
avait  fait  soulever  les  Lvdiens  contre  C> 
rus,  et,  à  l'approche  de  Mazarès,  liei' 
tenant  de  ce  prince,  s'était  réfugié cbes 
les  Gyméens  qui  le  transportèrent  i 
Ghio.  «  Les  habitants  de  cette  île  1> 
«  rachèrent  du  temple  de  Minerve-Pi)- 
«  liouchos,  et  le  livrèrent  à  Maiarès,  a 
«  condition  qu'on  leur  donnerait  ^AU^ 
«  née,  pays,  de  la  Mysie,  vis-à-vis  et 
«  LesDos....  Depuis  cet  événement  il  « 
«  passa  beaucoup  de  temps  sans  que  là 
a  habitants  de  £hio  osassent,  dans  les 
«  sacrifices ,  répandre  sur  la  tête  deU 
a  victime  de  l'orge  d'Atarnée ,  ni  offrir 
A  à  aucun  dieu  des  gâteaux  faits  avec  deli 
«  farine  de  ce  canton;  et  on  excluait  dd 
«  temples  tout  ce  qui  en  provenait  [T,. 
Plutarque,  il  est  vrai,  nie  cette  honteuse 

(i)  Hérodote.  I,  i43. 
(a)  Id.y  I,  loo. 


ILE  DE  €HIO. 


wr 


iitntfitiôD;  mais  Son  \éfMAgtï9^  est 
nen  faible  en  présence  de  celui  d*HéTo- 
bte  confirmé  par  Pansanias  (1).  Le 
«coDd  fait  n'est  pas  à  beaucoup  près 
mssi grave;  mais  il  rérèle  aussi  une  po- 
itiqne  intéressée ,  et  nous  montre  que 
esChiotes,  à  cette  épooue  du  moins, 
talent  déjà  devenus  par-dessus  tout  des 
Qarchancis.  Les  Phocéens,  assiégés  par 
[arpage,  générai  de  Cvrus ,  et  réduits 
la  dernière  extrémité ,  avaient  aban- 
tonné  leur  ville ,  préférant  l'exil  à  Tes- 
Uva^e,  et  fait  voile  vers  Chio,  dans 
espoir  de  s'établir  dans  les  fies  OEnns- 
es  (2),  situées  au  nord-est  de  cette  der^ 
lière,  dont  elles  étaient  une  dépendance. 
lais  les  habitants  de  Chio  ne  voulurent 
as  les  leur  vendre,  dans  la  crainte 
^'ils  n'y  attirassent  le  commerce  et 
«e  leur  île  n'en  fût  exclue  (3). 
Favorisée  par  sa  position  au  milieu  de 
I  mer,  Chio  avait  pu  sauver  d'abord  son 
idépeudance.  Mais  déjà ,  par  les  con- 
uêtes  de  Cyrus ,  l'empire  persan  tou- 
bit  à  toutes  les  mers  gui  baignent  les 
(tes  de  TAsie.  La  Phénicie  faisait  partie 
'nne  de  ses  satrapies.  L'île  de  Cypre 
lleméme  avait  suni  le  joug.  Devenus 
insi  les  souverains  des  principaux 
euples  maritimes  du  continent  et  de 
Dflques  fies ,  les  rois  de  Perse  trouvè- 
ent  chez  ces  nouveaux  sujets  une  ma- 
|Qe  et  des  matelots  exercés  par  une 
ieille  habitude  de  la  mer.  Ils  en  firent 
is  instruments  des  conquêtes  qu'ils  en- 
«prirent  en  Afrique  et  en  Europe.  Cest 
insi  que  l'armée,  qui ,  sous  la  conduite 
€  Gamhyse ,  alla  soumettre  l'Ëgjpte 
lonta  des  vaisseaux  fournis  par  les  Cy- 
fiotes  et  les  Phéniciens  (  625  av.  J.C.  )  ; 
est  ainsi  encore  que  lorsque  Darius  I*^' 
ifigeaune  expédition  contre  les  Scythes, 
^obligea  les  Grecs  d'Asie ,  ceux  des  îles 
f  ceux  du  continent ,  à  fournir  un  con- 
fûgent  d'hommes  et  de  navires. 
Toutes  les  colonies  grecques  de  l'Asie 
tineure  étaient  en  effet  subjuguées,  et 
ormaient  une  des  satrapies  ae  l'empire, 
/utrele  satrape  chargé  de  l'administra- 
•on  générale  de  la  province ,  Darius  éta- 
'ut  dans  chaque  ville  un  gouverneur 
«rticulier,  choisi  soit  parmi  les  indl- 

(i)Pausanias,rv,35. 

^)  Aojourd'hni  les  ile&  Spalmadores. 

(3)  Hérodote,!,  i65. 


gènes ,  soit  parmi  les  PenM,  mais  tou- 
jours créature  d'autant  plus  dévouée  au 
roi  que  ces  petites  tyrannies  locales  ne 
pouvaient  se  maintenir  qu'eu  se  reliant 
étroitement  au  despotisme  central.  Cest 
ce  qui  apparaît  claùrement  dans  l'expé« 
dition  contre  les  Scythes.  Darius  avait 
fait  jeter  un  pont  sur  l'Ister,  et  en  avait 
confié  la  garde  aux  tyrans  ioniens.  Ea 
vain  les  Scythes,  qui  venaientde  disperser 
l'armée  persane,  les  pressèrent  de  rompre 
le  pont.  «  L'affaire  mise  en  délibération, 
«  Miltiade  d'Athènes ,  qui  était  comman- 
«  dant  et  tyran  de  la  Ghersonèse  de 
a  l'HelIespont ,  fut  d'avis  de  suivre  le 
«  conseil  des  Scythes  et  de  rendre  la  li« 
«  berté  à  Tlonie  ;  mais  Histiée,  tyran  de 
«  Milet,  s'y  opposa.  Il  représenta  qu'ils 
«  ne  régnaient  dans  leurs  villes  que  par 
«  Darius  ;  que  si  la  puissance  de oe  prince 
«  était  détruite,  ils  perdraient  leur  au* 
«  torité ,  et  que  lui-même  ne  pourrait 
«  plus  conserver  la  sienne  dans  Milet  ^ 
«  ni  les  autres  la  leur  dans  leurs  États  ^ 
«  les  villes  préférant  toutes  la  démocratie 
«  à  la  tyrannie  (1).  »  Tous  les  petits  ty» 
rans  de  Tlonie ,  et  parmi  eux ,  celui  ae 
Chio ,  nommé  Strattis ,  se  rangèrent  à 
l'avis  d'Histiée,  et  le  pont  fut  maintenu. 
RÉVOLTE  DE  l'Ioiiie  (604  av.  J.-C). 
—  Il  était  manifeste,  après  ce  qui  s'était 
passé  aux  bords  de  l'Ister,  que  les  Ioniens 
n'avaient  rien  à  attendre  de  leurs  gouver- 
neurs. Instruments  serviles  du  grand 
roi ,  ceux-ci  appesantissaient  le  joug  de 
la  domination  persane  de  tout  le  poids 
de  leur  propre  tyrannie,  tlne  double 
oppression  pesait  ainsi  sur  les  Ioniens; 
et  tandis  que  le  grand  roi,  résidant  à 
Suze ,  manifestait  de  loin  sa  puissance 
absolue  par  les  exigences  du  fisc,  les  sa- 
trapes leur  faisaient  sentir  un  pouvoir 
d'autant  plus  insupportable  qu'il  s'exer- 
çait de  près,  à  tout  instant,  et  directe- 
ment. Cet  état  était  trop  violent  pour  du- 
rer. La  conquête  avait  pu  courber  les 
Ioniens  sous  le  joug  ;  mais  même  telle 
que  Darius  l'avait  organisée ,  elle  ne  put 
laçonner  au  despotisme  asiatique  ce 
peuple ,  de  tous  les  Grecs  le  plus  pas* 
sionné  pour  la  liberté.  A  une  révolte  il 
ne  manquait  qu'une  occasion.  Athènes 
d'ailleurs ,  la  métropole  des  Ioniens  de 
l'Asie  Mineure,  venait  de  donner  l'exem- 

^i)  Hérodote,  IV,  137. 


368 


LUNIVEBS. 


t 


le  en  s'aflfrandiiisaiit  de  la  domination 
es  Pisistratides  (510  av.  J.-G.)-  Aussi 
lorsque  Aristagoras ,  ^an  de  Miiet ,  se- 
crètement excité  par  les  émissaires  d'His- 
tiée,  son  beau*père,  que  Darius  retenait 
à  sa  eour,  les  eut  appelés  à  la  liberté, 
un  soulèvement  général  éclata  aussitôt. 
Partout  les  tyrans  furent  massacrés  ou 
eiiassés,  et  la  liberté  rétablie.  Athènes  sou« 
tint  d^abord  la  révolte  des  Ioniens ,  et 
leur  envoya  vingt  galères,  qui,  jointes  à 
cinq  autres  que  fournirent  les  Érétriens , 
contribuèrent  à  la  prise  de  Sardes.  Mais 
après  ce  premier  succès  ces  deux  alliés 
se  retirèrent,  et  tout  le  poids  de  la  guerre 
retomba  sur  les  Ioniens.  Dans  cette 
guerre,  les  Cbiotes  fireatd'héroîques  ef- 
forts pour  la  cause  de  la  liberté.  Les 
forces  qu'ils  mirent  sur  pied  témoignent 
de  la  puissance  navale  à  laquelle  ils 
étaient  parvenus ,  grâce  à  Tactivité  et  à 
l'extension  de  leur  commerce.  De  tous 
les  Grecs  d'Asie  ce  furent  ceux  qui  équi- 
pèrent le  plus  grand  nombre  de  vais- 
seaux :  sur  les  trois  cent  cinquante-trois 
galères  qui  composaient  la  flotte.^eoque« 
Hs  en  fournirent  cent,  c'est-à-dire  envi- 
ron le  tiers.  Tous  ces  forces ,  réunies 
dans  l'île  de  Lada,  en  lace  de  Milet, 
étaient  destinées  à  secourir  cette  ville, 
assi^ée  par  les  Perses  (498  av.  J.-C.  ). 
Travailla  par  les  émissaires  du  grand 
roi,  les  Samiens,  les  Lesbiens  et  d'autres 
confédérés  abandonnèrent  la  cause  com- 
mune ,  et  se  retirèrent  avçc  leurs  vais- 
seaux. Cette  défection  n'ébranla  pas  le 
eoura^e  des  Cbiotes.  «  Parmi  ceux  qui 
«  soutmrent  le  combat,  dit  Hérodote  (1), 
«  les  habitants  de  Chio  furent  les  plus 
o  maltraités,  parce  qu'au  lieu  de  se  con- 
«  duire  en  lâches ,  ils  firent  des  actions 
«  très-éclatantes....  Us  s'aperçurent  de 
«  la  trahison  de  la  plupart  des  alliés  ; 
«  mais,  ne  voulant  pas  imiter  leur  lâcheté, 
«  ils  livrèrent  le  combat  avec  le  petit 
«  nombre  de  ceux  qui  ne  les  quittèrent 
«  point,  et  passèrent  et  repassèrent  entre 
«  les  vaisseaux  ennemis,  pour  revenir  de 
«  nouveau  à  la  charge ,  jusqu'à  ce  au'a- 
«  près  en  avoir  pris  un  grand  nombre, 
«  lis  eussent  perdu  la  plupart  des  leurs. 
«  Ils  s'enfuirent  alors  dans  leur  fie  avec 
«  ceux  qui  leur  restaient.  Mais  les  vais- 
«  seaux  qui  avaient  beaucoup  souffert, 

(0  Hérodote,  TI,  i5  et  x6. 


ne  poufant  les  suivre,  et  se  Toyask 
poursuivis,  s'enfuirent  vers  Myàle, 
où  ils  se  firent  échouer  ;  et  les  ayant 
laissés  en  cet  endroit,  ils  firent  le 


femmes  célébraient  alors  les  Thesioo- 
phories  (1).  Les  Éphésiens  n'étaieot 
pas  encore  instruits  de  ee  qui  était 
arriTé  à  ceux  de  Chio.  Voyant  ets 
troupes  entrer  sur  leurs  terres,  ils  si- 
magmèrent  que  c'étaient  des  brigands 
qui  venaient  enlever  leurs  femmes; et 
courant  tous  à  leur  secours,  ils  massa- 
crèrent ces  malheureux.  »  Les  Chiotcs 
n'étaient  pas  au  terme  de  leurs  désastres. 
Ayant  refusé  de  recevoir  Histiée,  oelui-ei. 
secouru  par  les  I^esbiens ,  leur  livra  ba- 
taille à  l'endroit  appelé  les  Creux  de 
Chio,  tua  un  grand  nombre  des  leurs, 
s'empara  de  Polichna ,  et  subjugua  tont 
le  reste  de  l'île,  d'autant  plus  &cilem«Dt 
qu'elle  était  épuisée  par  les  revers  pré- 
cédents. «  Ceux  de  Chio,  dit  Héro- 
«  dote  (2),  .eurent  des  présages  avant* 
«  coureurs  de  leur  désastre.  Irun  chorar 
c  de  cent  jeunes  garçons  qu'ils  avaient 
«  envoyé  a  Delphes,  il  n'en  revint  que 
«  deux  ;  les  quatre-vingt-dix-huit  autres 
«  périrent  de  la  peste.  Vers  le  même 
«  temps,  et  un  peu  avant  le  combat  na- 
«  val,  le  toit  d'une  école  de  la  Tille  tomba 
«  sur  des  enfants  à  qui  on  enseignait  ks 
«  lettres  ;  de  cent  vingt  qu'ils  étaient,  fl 
«  n'en  échappa  qu^un  seul.  Tels  furent 
«  les  signes  avant-coureurs  que  la  din- 
«  nité  leur  envoya.  » 
Chio  depuis  ls  coMiiENCEiffin 

DBS     GUERfiBS     VÉDIQUES    JUSQU'AC 

TRAns  DE  CiMON  (449).  —  Après  la 
prise  de  Milet ,  la  flotte  perse  n*eut  qu'à 
paraître,  devant  Chio  pour  la  faire  ren- 
trer dans  l'obéissance.  Strattis,  l'ancien 
tyran  de  l'île,  fut  rétabli ,  et,  dans  Tei- 
pédition  que  Darius  dirigea  contre  les 
Grecs  d'Europe,  elle  fut  contrainte  a 
fournir  son  contingent.  Mais  bientôt 
l'enthousiasme  que  la  victoire  de  Mara- 
thon avait  excité  dans  toute  la  Grèce 
se  communiqua  aux  colonies.  EoharJi^ 
par  les  succès  de  la  métropole  et  pnr  lu 

(x)  Fête  que  les  femmes  céUbraieDl  eo 
l'honneur  de  Cérès. 
(a)  Hérodote,  VI,  97. 


ILE  DE  CHIO. 


269 


défaite  des  Perses  «  sefit  eitoyens  de  Ghio 
entreprirent  de  délivrer  leur  (tatrie,  et 
s'eDgagèreot  par  un  serment  solennel  à 
tuer  le  ^ran  Strattîs.  L'un  des  eonjurés 
ayant  dénoncé  le  complot ,  les  six  autres 
De  renoncèrent  point  au  projet  d'affran- 
chir leurs  concitoyens,  et  allèrent  împlo* 
rer  pour  eux  les  secours  de  la  flotte 
grecque,  stationnée  près  d'JËgine.  L*ap- 
procbe  des  yaisseauz  grecs  ranima  le 
courage  des  Chiotes,  et  à  la  bataille  de 
Mycale  ils  combattirent  yaillammeat 
dans  les  rangs  de  leurs  libérateurs 
(479  ay.  J.-C.  ).  Pausanias  rapporte  qu*il 
a  lu  leurs  noms  gravés,  avec  ceux  des  au- 
tres alliés,  sur  le  piédestal  de  la  statue  de 
iapiter  à  Olvmpie  (1). 

La  bataille  de  Mycale  transporta  le 
théâtre  de  la  guerre  médique  de  la  Grèce 
sar  les  edtesde  l'Asie  Mineure.  Les  Grecs 
commencèrent  à  prendre  l'offensive.  Les 
Athéniens,  dissimulant  ou  ajournant 
leurs  proiets  de  domination ,  ne  eom* 
battirent  d'abord  que  pour  Taff rancbisse- 
ment  des  villes  grecques  encore  occupées 
par  les  barbares.  Investi  du  comman- 
dement de  la  flotte  combinée  d'Athènes 
et  des  alliés ,  Cîmon  parcourut  en  libé« 
rateur  la  mer  É^.  Dans  cette  guerre 
nationale,  les  Chiotes  se  montrèrent  les 
dignes  fils  de  la  Grèce.  Des  cent  galères 
fournies  par  les  alliés,  le  plus  grand 
nombre  leur  appartenaient.  La  part  ac- 
tive qu'ils  prurent  à  cette  expédition 
prouve  qu'ils  avaient  déi^  réparé  leurs  dé- 
sastres précédents,  et  rétabli  leur  marine, 
presque  rainée.  Aussi  lorsque  les  Ath^ 
Biens,  se  sentant  assez  forts  pour  agir  en 
mattries,  cbanj^èrent  en  subsides  d'ar- 
gent les  contingents  d'hommes  et  de 
vaisseaux  fournis  par  les  alliés,  et  ren- 
dirent amsi  ces  derniers  leurs  tributaires 
et  presque  leurs  sujets,  ils  respectèrent 
rindépâidance  de  Chio.  Par  le  traité 
de  449  ils  la  mirent  à  l'abri  des  attaques 
du  grand  roi ,  en  stipulant  qu'auctm 
vaisseau  perse  ne  pourrait  naviguer 
dans  les  mers  grecques,  depuis -le 
Pont-Euxin  jusqu  aux  côtes  de  la  Pam- 
phylie. 

Depuis  lb  tbàitb  db  Cimon  jus- 
qu'à  LA  FIN    DB    l'expédition    DB 

SiciLB  (441M13).  —  Les  victoires  de 
Tbémistode  et  de  Cimon  avaient  refoulé 

(i)PaiiiaiiiM,T,A3f 


les  Perses  en  Asie.  Le  traité  imoosé  par 
ce  dernier  à  Artaxerxès  avait  élevé  sur 
le  continent  de  l'Asie  Mineure,  entre  la 
Grèce  et  les  barbares ,  comme  un  rem- 
part de  villes ,  rattachées  plus  étroite- 
ment à  la  métropole,  et  le  long  du  li^ 
toral  une  barrière  d'îles,  sentinelles 
avancées  de  la  Grèce.  Délivrés  ainsi  des 
dangers  du  dehors ,  les  Grecs  trouvèrent 
dans  la  rivalité  d'Athènes  et  de  Sparte 
un  aliment  nouveau  à  leur  inquiète  ac- 
tivité. Aux  guerres  extérieures  succédé* 
rent  les  discordes  civiles.  Toute  la  Grèce, 
divisée  en  deux  camps,  se  partagea  entre 
les  Athéniens  et  les  Spartiates,  qui  se  dis- 
putèrent le  commandement,  l'exercèrent 
et  en  abusèrent  tour  à  tour.  Ettandis  que 
ces  deux  peuples,  épuisés  par  leur  lutte 
et  oubliant,  par  uue  égoïste  ambition, 
leur  rôle  national ,  mêlaient  à  leurs  dé- 
bats le  roi  de  Perse,  une  nouvelle  puis- 
sance s'éleva  en  Grèce,  et  l'hégémonie, 
se  déplaçant  une  troisième  fois ,  passa 
aux  mains  des  Thébains.  Cette  esquisse 
rapide  de  l'histoire  intérieure  de  la  Grèce 

Eendant  cette  période  est  nécessaire  pour 
ien  comprendre  les  vicissitudes  poli- 
tiques par  lesquelles  passa  Ttle  de  Cliio, 
depuis  l'époque  où  nous  sommes  arrivés 
jusqu'à  la  guerre  sociale.  Liée  désormais 
plus  intimement  à  la  société  grecque, 
cette  fie  éprouva  le  contre-coup  de  toutes 
les  révolutions  qui  s'accomplirent  dans  le  * 
sein  de  cette  société  si  agitée.  Ses  forces 
navales  faisaient  d'elle  une  alliée  utile, 
recherchée  par  chacun  des  peuples  ri- 
vaux qui  se  disputaient  le  premier  rang. 
C'est  ainsi  qu'elle  subit  successivement 
l'influence  ou  la  domination  d'Athènes  « 
de  Sparte  et  de  Thèbes. 

Ce  n'est  pas  tout.  La  lutte  dont  la  Grèce 
était  le  thefttre  entre  les  Athéniens  et  les 
Spartiates,  les  uns  représentant  l'élément 
ionien  ou  le  principe  démocratique,  les 
autresl'élémentdonenottle  principe  aris- 
tocratique, cette  lutte,  transportée  dans 
les  colonies  grecques  de  l'Asie,  y  formait 
deux  actions,  une  faction  populaire  dé- 
vouée à  Athènes  et  une  faction  oligar^ 
chique  tenant  pour  Sparte.  Chio  renfer- 
mait dans  son  sein  ces  deux  partis,  oui, 
au  milieu  des  attaques  auxquelles  leur 
patrie  était  en  butte,  ne  rivalisaient  que 
pour  le  choix  du  maître.  De  449  à  413 
les  Chiotes  furent  les  alliés  d'Athènes. 
Dans  les  expéditions  dirigées  contre  Sa- 


S70 


L13NIVERS. 


«108,  leurs  vaisseaijR  firent  partie  de  la 
flotte  qui  sovis  le  commandement  de  Pé* 
rielès  eomprima  la  révolte  de  oelte  fie 
(441  av.  J.-O*  Lorsque  éclata  la  guerre 
du  Péloponnèse,  ils  prirent  encore  parti 
pour  leur  métropole  et  fournirent  des 
vaisseaux  (431  av.  J.-C.  ).  Mais  quelques 
années  après,  la  faction  aristocratique, 
amie  des  Spartiates,  l'emportant,  ils 
méditèrent  une  défection;  et,  avertis 

Sar  les  récents  malheurs  des  Lesbiens , 
ont  la  rébellion  avait  été  cruellement 
difttiée ,  ils  fortifièrent  Chio,  et  préparé* 
rent  des  moyens  de  résistance.  Mais  ils 
n'eurent  pas  le  temps  de  mettre  leur 
projet  à  exécution.  Instruits  de  ce  qui  se 
passait,  les  Athéniens  les  contraignirent 
a  démolir  les  fortifications  qu'ils  avaient 
construites ,  et  à  prêter  de  nouveau  ser- 
ment de  fidélité.  Retenus  ainsi  par  la 
force  dans  Talliance  d'Athènes,  ils  la 
secoururent  de  leurs  vaisseaux  dans  le 
cours  de  la  guerre,  et  participèrent  à  l'ex- 
pédition de  Sicile  (415  av.  J.-C.  ). 
Chio  se  détache  d'Athènes  ,  n 

TOMBE  sous  l'influence  DE  SpABTS 

(418-394).  —  Le  mauvais  succès  de  cette 
expédition  et  raffaiblissement  d'Athènes 
déterminèrent  les  Chiotes  à  secouer  une 
alliance  qui  leur  pesait.  Les  intrigues  de 
Sparte  et  l'or  delà  Perse  travaillaientalors 
tous  les  alliés  des  Athéniens.  Les  Les- 
biens venaient  de  donner  l'exemple  de  la 
défection  en  traitant  avec  Agis.  «  Les 
«  habitants  de  Chio  et  d'Erythrée ,  qui 
«  n'étaient  pas  moins  disposés  à  la  aé- 
«  fection,  ne  s*adressèrent  point  à  lui, 
«  mais  à  Lacédémone.  Un  ambassadeur 
«  étaitaveceuxdelapartdeXissapherne, 
«  qui  gouvernait  les  provinces  maritimes 
«  au  nom  de  Darius,  filsd'Artaxerxès(l).» 
Il  s'agissait  de  déterminer  les  Spartiates 
Il  faire  partir  une  flotte  pour  soutenir  la 
révolte  «de  Chio.  Alcibiade  lui-même, 
alors  mêlé  aux  ennemis  de  sa  patrie,  en 
pressa  le  départ.  «  Les  Lacédémooiens 
ne  laissèrent  pas  d'envoyer  d'abord  à 
Chio  un  de  leurs  sujets ,  nommé  Phry- 
nis,  f>our  reconnaître  si  cette  république 
avait  autant  de  vaisseaux  qu'elle  en  ait- 
noncait,  et  si,  d'ailleurs,  ses  naovens  ré- 
pondaient à  ce  qui  en  était  punlié.  Le 
rapport  fut  qu'on  ne  leur  avait  annoncé 
que  la  vérité,  et  ils  reçurent  aussitôt 

<i)  Thucydide,  Vm,^. 


dans  leur  alliance  les  haUtants  de  Chio 
et  ceux  d'Erythrée,  Ils  décrétèrent  (k 
leur  envoyer  quarante  vaisseaux;  et, 
après  ce  que  les  gens  de  Chio  leur 
avaient  dé(»aré,  le  pays  n'en  avait  pas 
lui-même  moins  de  soixante.  lia  albieoi 
en  faire  d'abord  partir  dix ,  avec  Mélan- 
eridas,  qui  en  avait  lecommandemeDl; 
mais  comme  il  survint  un  tremblemeot 
de  terre  dans  la  Laeonie ,  ils  n'en  appa- 
reillèrent que  cinq  au  lieu  de  dix,  et  les 
murent  sous  le  commandement  de  Cbal- 
eidée,  au  lieu  de  Mélancridas...  Dès  le 
commencement  de  l'été  suivant  (412 
av.  J.-C),  les  habitants  de  Chio  M- 
citèrent  avec  empressement  TexpéditioD 
de  la  flotte.  Ils  craignaient  que  les  Athé- 
niens ne  vinssent  à  are  informés  de  leurs 
négociations;  car  toutes  avaient  ék 
conduites  à  Tinsu  d'Athènes.  Les  Lacé- 
démoniens,  sur  leurs  instanees,  dépé- 
chèrent à  Corinthe  trois  Spartiates,  pour 
faire  passer  promptement  les  vaisseaux 
par-dessus  l'isthme ,  dans  la  mer  qui  re- 
garde Atliènes ,  et  pour  donner  ordre 
que  tous  les  bâtiments,  tant  ceux  qu'A§is 
avait  préparés  pour  Lesbos  que  les  autres, 
fissent  voile  pour  Chio.  Trente-neuf 
vaisseaux  des  alliés  se  trouvaient  réuais 
dans  l'isthme....  Les  alliés  s'assemblè- 
rent à  Corinthe,  et  y  tinrent  oonseil;  ils 
décidèrent  de  commencer  par  se  rendre 
à  Chio,  sous  le.  commandement  de  Cl1a^ 
cidée...  Mais  les  Corinthiens  refusèreot 
de  partager  l'entreprise  avant  d'avoir 
célébré  les  jeux  isthmiques...  Agis  ne 
«'opposa  pas  à  leur  laisser  respecter  h 
trêve  qui  devait  durer  autant  que  la  so- 
lennité de  cette  fête;  mais  il  voulait  que 
l'expédition  de  la  flotte  se  fit  en  son  nom. 
Ils  n'y  consentirent  pas.  L'affaire  traîot 
en  longueur,  et  c'est  ce  qui  donna  le 
temps  aux  Athéniens  d'être  mieux  infor- 
més de  la  d^ection  de  Chio.  Us  envoyè- 
rent Aristocrate,  l'un  de  leurs  généraûs, 
en  porter  leurs  plaintes  dans  cette  île. 
Les  habitants  nièrent  le  fait;  et  comme 
alliés,  ils  reçurent  ordre  d'envoyer  de5 
vaisseaux  pour  gages  de  leur  fidélité.  Ils 
en  firent  partir  sept.  La  raison  de  cd 
envoi,  c'était  que  le  grand  nombre  ue 
savait  rien  de  ce  qui  se  tramait,  que  les 
chefs,  qui  étaient  dans  le  secret,  ne  vou- 
laient pas  se  faire  un  ennemi  du  peuple 
avant  d'avoir  pris  leurs  sûretés,  et  qu  ils 
ne  s'attendaient  plus  à  voir  «rriver  les 


ILKDECHia 


371 


Péloposnéaifintt  qui  tardMiit  à  le  miiii* 

trer(l).  » 

Ce|»eDdant,  après  la  célébration  des 
jeox  istbmiques,  la  flotte  péloponné- 
sienne  cingla  vers  Chio^  au  noniDre  do 
vingt  et  une  voiles.  Les  Athéniens  s'a- 
Taneèrent  à  sa  rencontre  avec  le  mémo 
nombre  de  vaisseaux;  mais, ne  se  fiani 
pas  aux  navires  de  Chic  qui  faisaient 
partie  de  leur  flotte,  ils  évitèrent  d'attirer 
leurs  ennemis  à  une  bataille.  Vaincus 
quelaue  temps  après  dans  un  combat 
naval,  les  Lacédémoniens  voulurent  re- 
noncer à  Texpédition  de  Tlonie.  Mais 
ils  avaient  trop  d'intérêt  à  soustraire 
rionie  à  ralliance  d'Athènes  pour  aban* 
donner  si  promptement  Tentreprise.  Le 
premier  moment  de  découragement 
passé,  ils  reprirent  Texécution  de  leur 
projet,  et  travaillèrent  à  la  fols  à  soulever 
rionie  et  à  s'assurer  l'appui  du  grand 
roi,  qui,  grâce  aux  dissensions  des  Grecs, 
allait  devenir  leur  arbitre.  Alcibiade  et 
Cbalcidée  furent  chargés  du  commande- 
ment de  la  flotte  destinée  à  la  guerre 
d'Asie.  «  Ils  eurent  des  conférences  aveo 
«  quelques-uns  de  leurs  confidents  de 
«  Chic,  qui  leur  conseillèrent  de  cingler 

•  vers  leur  ville,  sans  y  faire  annoncer 
«  leur  arrivée.  Ils  y  parurent  snbite- 
«  ment,  et  remplirent  de  surprise  et  d'ef- 
«  froi  la  faction  du  peuple  ;  mais  celle 

•  des  riclies  fit  assemoler  le  sénat.  Chio 
«  renon^  encore  une  fois  à  l'alliance 

•  d'Atbèaies  (2) Les  Athéniens  reçu* 

■  rent  bientôt  la  nouvelle  de  ce  qui  se 
«passait  à  Chio.  Us  se  regardèrent 
«  comme  environnés  d'un  danger  ter- 
'  rible  et  manifeste ,  et  ne  crurent  pas 
«  que  le  reste  des  alliés  voulût  se  tenir 
«en  repos,  quand  une  république  de 
'  cette  importance  se  livrait  à  la  défec* 

•  tien  (8).  o 

La  d^ection  de  Chio,  puissance  mari- 
time considérable,  portaiten  effetun  rude 
coup  aux  Athéniens,  dont  les  fbrces  con- 
sistaient surtout  dans  leur  marine.  Leur 
vengeance  ne  se  fit  pas  attendre.  Tandis 
qu^ils  firentleurs  préparatifs,  les  Chiotes 
aggravèrent  leurs  torts ,  en  faisant  sou- 
lever celles  des  villes  etdes  ties  ioniennes 
qui  se  trouvaient  encore  sous  la  demi* 

(i)Thuqrdide,VIIIi  Sio. 
{a)Id.,  THI,  14. 
(3)  Id.,  TUI,  i5. 


nation  ou  dans  ralUanee  d'Athènes.  Cest 
ainsi  au'iis  excitèrent  à  la  révolte  Lébédos 
etLesiMS.  Mais  Léon  et  Diomédon,  avec 
la  flotte  athénienne,  après  avoir  com* 

{mmé  le  soulèvement  dé  cette  dernière 
le,  vinrent  infester  Clûo  par  mer,  des- 
cendirent à  Cardamyle ,  au  nord  de  Ule, 
battirent  à  Bolyssos  ceux  de  Chio,  qui 
s'avancèrent  contre  eux,  en  tuèrent  un 
grand  nombre,  et  firent  soulever  les  pays 
voisins.  Ils  remportèrent  une  seconde 
victoire,  àPhané,  et  une  troisième,  à 
Leuconium.  «  Les  guerriers  de  Chio  ne 
se  montrèrent  plus  en  campagne,  et  les 
vainqueurs  ravagèrent  ce  pays  si  bien 
cultivé,  et  qui  n'avait  jamais  souffert  de* 
puis  la  guerre  des  Mèdes.  Car  de  tous  les 
peuples  que  je  connaisse,  ajoute  Thucy- 
dide, ceux  de  Chio  sont  les  seuls  après 
les  Lacédémoniens  qui  aient  uni  la  sa- 
gesse à  la  bonne  fortune...  Assiégés  du 
GÔtédela  mer  et  voyant  leur  paysdevasté, 
plusieurs  résolurent  de  remettre  leur  ville 
aux  Athéniens  (1).  » 

Mais  les  partisans  de  Sparte  redou- 
taient les  vengeances  de  ces  derniers. 
Ils  conjurèrent  le  péril  en  appelant  d'É< 
rj^thrée  Astyochus,  générai  lacédémo- 
nien,  qui  passa  dans  l'île,  et  fut,  quel- 
que temps  après,  remplacé  par  Pédante. 
Celui-ci  fit  périr  les  citoyens  favora* 
blés  aux  Athéniens.  Ce  massacre  affai- 
blit nie,  sans  faire  cesser  les  divisions. 
Les  deux  factions  s'observaient,  maia 
n'osaient  agir.  Aussi  les  Athéniens  pu- 
rent-ils faire  une  nouvelle  descente  sans 
reneontrer  de  résistance,  se  fortifier  k 
Delphinium,  et  assiéger  Cliio.  Pour 
comble  de  disgrflce,  les  esclaves  se  ré- 
voltèrent et  se  joignirent  aux  assiégeants. 
Pédarite  et  un  grand  nombre  d'habi- 
tants périrent  dans  une  sortie.  Enfin  un 
détachement  delà  flotte  péloponnésienne 
vint  au  secours  de  la  ville.  Les  Cliiotes 

Eurent  tenir  tête  aux  Athéniens.  Une 
ataille  sanglante  et  indécise  se  livra  sur 
mer,  et  bientôt  après  la  révolte  d'Abydoa 
et  de  Lampsaque  força  l'amiral  athénien, 
Strombichide ,  à  abandonner  le  siège 
pour  se  porter  sur  ces  deux  villes  (412 
av.  J.-C.  ). 

Mais  les  Athéniens  ne  devaient  pas 
renoncer  à  une  alliée  si  utile.  En  407  ils 
reprirent  Delphinium,  et  relevèrent  le 

(0  Thucydide,  YIII y  ai. 


37d 


LtTNIVERS. 


parti  pofNilaire.  Geox  de  la  foetion  op- 
posée furent  bannis  de  Ttle.  Cratésip- 
pidas,  amiral  lacédémonien ,  les  ramena 
dans  la  suite.  ,Ce  fut  alors  le  tour  de 
leurs  adversaires  politiques  de  partir 
pour  Texil.  Six  eents  de  ces  derniers, 
expulsés  de  leur  patrie,  tentèrent  un 
coup  de  main  sur  Atamé,  possession 
des  Cbiotes,  et  parvinrent  à  s  en  rendre 
maîtres.  De  ce  poste,  où  ils  se  retranchè- 
rent, ils  ne  cessèrent  d'infester  Gbio 
et  tonte  Tlonie,  jusqu'au  moment  où 
Dercyllidas  lesen  expulsa,  après  un  siège 
de  huit  mois  (  398  av.  J.-G.  ). 

Cependant  Delphinium  restait  au  pou- 
voir des  Athéniens,  qui  de  ce  fort,  le 
plus  important  du  pays ,  dominaient  et 
menaçaient  Ttie  tout  entière.  Mais  les 
Lacédémoniens  ne  leur  laissèrent  pas  le 
temps  de  s'y  fortifier.  Gallicratidas,  qui 
avait  succédé  à  Lysandre  dans  le  corn* 
mandement  de  la  flotte  péloponnésienne 
(  406),  s'en  empara ,  en  détruisit  les  mu- 
railles, chassa  les  Athéniens ,  et  fit  oc- 
cuper rtle  par  son  lieutenant  Ëtéonicus. 
Les  soldats  de  celui-ci,  manquant  de 
vivres  et  de  vêtements ,  formèrent  se- 
crètement le  dessein  de  se  rendre  maîtres 
de  la  ville  de  Chio  et  de  la  livrer  au 
pillage.  Ëtéonicus,  instruit  du  complot, 
en  empêcha  l'exécution. 

L'expulsion  des  citoyens  les  plus  con- 
sidéraMes  ou  les  plus  remuants  du  parti 

Sopulaire,  et  l'occupation  de  l'île  par  les 
partiates  faisaient  aésormais  des  Uiiotes 
les  alliés  forcés  des  Péioponnésiens.  A 
iEgos-Potamos  ils  combattirent  dans  les 
rangs  de  ces  derniers  avec  leurs  tri- 
rèmes. Trois  de  leurs  concitoyens ,  Cé- 
phisoclès ,  Hermophantus  et  Icerius,  pa- 
raissent être  signalés  parmi  les  plus 
vaillants,  puisque  Pausanias (1)  dit  avoir 
vu  à  Delphes  leurs  statues  à  côté  de 
celle  de  Lysandre,  le  vainqueur  des 
Athéniens  (  404  av.-J.-C.  ). 

Cette  victoire  remettait  aux  mains 
des  Lacédémoniens  l'hégémonie,  que  les 
Athéniens  possédaient  depuis  la  guerre 
médique.  Ils  enabusèrent  comme  avaient 
&it  cesdemiers  :  tout  en  faisant  la  guerre 
à  la  Perse ,  ils  travaillèrent  à  asservir 
la  Grèce.  Les  alliés  d'Athènes,  qu'ils 
avaient  soulevés  au  nom  de  la  liberté ,  s'a- 
perçurent bientôt  qu'ils  n'avaient  com* 

(i)  Pausanias,  Xt  iQ. 


battn  que  pour  changer  de  naîtra* 
Chio ,  comme  les  autres,  en  fit  la  triste 
expérience.  Aussitôt  apirès  la  batailk 
d'i£gos-Potamo8,  elle  lut  r^e  çxt  dii 
archontes  et  un  harmoste,  magistrats 
Imposés  par  Sparte  et  appuyés  d'uoe 
garnison.  Mais  bientôt  la  hgue  qui  avait 
renversé  la  domination  athénienne  se 
reforma  contre  celle  des  Lacédémoniens. 
La  dé&ite  que  ceux-ci  essuyèrent  à  la 
hauteur  de  Cnide ,  en  ruinant  leur  ma- 
rine, fut  suivie  d*un  soulèvement  presoue 
général  des  Grecs  de  l'Asie  Mineure.Cnio 
en  donna  le  signal  en  renversant  les  Dii 
et  en  chassant  la  garnison  laeédémo- 
nienne  (  894  av.-J.-C.  ).  Conon ,  à  la  tête 
de  la  flotte  victorieuse,  n'eut  qu'à  pa- 
raître poiur  la  rattacher  au  parti  dA* 
thènes  (1).  Thrasybule,  successeur  de 
Conon ,  y  affermit  la  domination  de  sa 
patrie  (890  av.-J.-C.  ). 
Rapports  db  Chio  aybg  Thsbes. 

—  Sparte  vaincue  et  ji^iblie,  Athèiies 
Jugea  que  la  première  place  était  vacante, 
et  songea  à  la  reprendre.  Sa  souveraineté 
s'étendait  de  nouveau  sur  presque  toute» 
les  lies  de  la  mer  Egée.  Mais  et  ^b^^ 
monie  et  les  Ues  lui  fîirent  disputées  par 
une  nouvelle  rivale.  Les  Tbéoaîns,  qui 
conquirent  la  première  sur  les  Spartiates, 
lui  enlevèrent  les  secondes.  Épaminoodas 
comprit  que  pour  assurer  à  sa  patrie  la 
prépondérance  sur  le  continent .  il  faliail 
lui  donner  l'empire  de  la  mer.  Il  fit  donc 
décider  |)ar  le  peuple  qu'on  éaui|K!rait 
cent  trirèmes,  et  qu'on  demanaerait  les 
secours  de  Chio,  de  Cos,  de  Rhodes  et  di 
Byzance.  Par  ces  deux  mesures  il  donoaAJ 
aux  Thébains  une  marine  et  il  afiEaibiis- 
sait  celle  d'Athènes,  que  les  progrès  me- 
naçants de  la  puissance  thébaine  avaieoll 
jetée  dans  l'alHance  de  Lacédémone.  Les 
Athéniens,  alarmés  de  ces  projets,  es* 
Bayèrent  en  vain  d'y  m^re  obstacle. 
Ëpaminondas  parcourut  la  mer  Êgé^t 
mit  en  fuite  leur  flotte,  commandée  pari 
Lâchés ,  et  obtint  pour,  sa  patrie  l'al- 
liance de  Chio  et  des  trpis  autres  citrs 
maritimes  (2)  (  366  av.-J.*C.  }. 

GUBBBB  SOCIALE  (  355-856av.  J.-C  i 

—  La  puissance  de  Thèbes  ne  dura  ^ 
la  vie  d  un  homme.  Éparoinondas  mort, 
il  ne  se  rencontra  aucun  Thébain  ea 

(i)  Diodore  de  Sicile,  XTV,  84. 
(a)  M.,  XV ,  79. 


ILE  DE  CHIO. 


273 


pablede  lêeontimier.  Sparte  pot  respirer, 
et  Athènes  reprendre  ce  qu'elle  avait 
perdu.  Cbio,  Cos  «  Rhodes  et  Byzance 
forent  de  nouveau  soumises.  Cette  fois 
la  domination  athéoiennefut  plus  tyran- 
nique  que  jamais,  et,  comme  il  arrive 
d'ordinaire,  elle  se  détruisit  par  ses 
excès  mêmes.  Lassés  de  payer  les  fêtes 
que  Charès,  le  Géon  de  cette  époque, 
prodiguait  au  peuple  avec  l'argent  des 
Dtats  tributaires,  Cbio  et  les  trois  autres 
villes  se  soulevèrent,  proclamèrent  leur 
indépendance ,  et  s'unirent  pour  la  dé- 
fendre. Cbio ,  qui  avait  donné  le  signal 
derinsurrection,  fut  attaquée  la  première 
par  Charès  et  Chabrias.  Ce  dernier  par- 
vint à  forcer  l'entrée  du  port,  et  s'y  fit 
tuer.  La  vigoureuse  résistance  des  ha- 
bitants sauva  la  ville.  Pendant  que  les 
Athéniens  préparaient  une  seconde  ex- 
pédition, les  Chiotes  équipèrent  avec 
leurs  alliés  cent  trirèmes,  ravagèrent 
Imbros,  Lemnos,  assiégèrent  Samos, 
puis  volèrent  au  secours  de  Byzance, 
attaquée  par  Charès,  auquel  Iphicrate  et 
Timothée  venaient  d'amener  un  renfort 
de  soixante  calères.  Les  deux  flottes 
étaient  en  prâence  dans  l'Hellespont; 
et,  roalsré  une  tempête,  Charès  voulait 
donner  la  bataille.  L'opposition  dlphi- 
crate  et  de  Timothée  lui  fut  un  prétexte 
de  les  accuser  de  trahison.  Resté  seul 
(hargé  de  la  conduite  de  la  guerre ,  il 
jugea  qu'il  trouverait  plus  de  profit  à 
mettre  ses  troupes  à  la  solde  d' Artabaze, 
satrape  révolté  de  Tlonie.  Ochus,  roi 
de  Perse,  se  déclara  alors  Tallié  des 
villes  confédérées ,  et  força  Athènes  à 
reconnaître  leur  indépendance  (  356  ). 
Ghio  dbpdis  la  fin  de  la  oi}£Bns 

SOCIALE  jusqu'à  LA  ITOBT  d'AlEXAN- 

i»BE  lr  Gbatvd  (  356-323  av.  J.-C.  ).  — 
Pendant  ^ue  les  Athéniens  travaillaient 
a  ressaisir  l'hégémonie,  que  les  Spar- 
tiates et  les  Thébains  avaient  successi- 
vement laissée  tomber  de  leurs  mains , 
^t  à  ramener  sous  leur  loi  les  cités  mari> 
times  de  l'Asie  Mineure,  annexe  indis- 
pensable de  toute  puissance  qui  aspirait 
â  dominer  sur  le  continent,  Philippe, 
roi  de  Macédoine,  commençait  à  mani- 
fester ses  prétentions  à  la  domination 
universelle  du  corps  Hellénique.  11  ve- 
nait de  s'emparer  d'Amphipolis  et  de 
Crenide,surles  côtes  deXlirace.  Bientôt 
mattre  des  Tbermopyles ,  la  clef  de  la 

18* Livraison.  (Ile  de  Chic.) 


Grèce  centrale,  déclaré  protecteur  de  Mé- 
gare,qui  commande  l'entréedu  Pélopon- 
nèse sur  ristbmede  Corinthe,  il  se  porta 
sur  Périnthe  et  sur  Byzance,  qui  ouvrent 
le  chemin  de  l'Asie  Mineure  par  la  Pro- 
pontide  et  le  Bosphore.  En  voyant  s'éten- 
dre vers  l'Orient  cette  nouvelle  puissance, 
qui  déjà  pesait  sur  la  Grèce,  Chio  s'alar- 
ma pour  son  indépendance ,  reconquise 
tout  récemment  au  prix  des  plus  grands 
efforts.  Rassurée  désormais  du  coté  des 
Athéniens,  également  menacés,  elles'allia 
avec  ces  ennemis  de  la  veille .  et  joignit 
ses  trirèmes  à  leur  flotte  pour  défendre 
Byzance ,  assiégée  nar  une  armée  macé- 
donienne. Cette  ville  fut  sauvée,  et  Phi- 
lippe dut  abandonner  ses  projets  sur  la 
Propontide  (  340  ).  Mais  aeuk  ans  après 
(338)  la  victoire  de  Chéronée  mettait 
la  Grèce  aux  pieds  du  roi  de  Macédoine. 
L'année  suivante  le  conseil  amphic- 
tvonique  le  proclamait  généralissime 
des  (jrecs  contre  la  Perse.  Alexandre 
hérita  de  cette  guerre,  dont  le  caractère 
tout  national  faisait  du  roi  de  Macédoine 
le  véritable  représentant  des  intérêts  gé- 
néraux de  la  Grèce.  Athènes  et  Sparte 
s'étaient  fait  de  leurs  victoires  sur  les 
Perses  un  moyen  d'asservir  la  Grèce.  A 
l'inverse  de  ces  deux  républiques ,  la 
Macédoine  commença  par  établir  sa  su- 
prématie sur  la  Grèce,  pour  tourner 
ses  forces  réunies  contre  la  Perse.  De 
cette  différencede  desseins  et  de  conduite 
il  résulta  que  les  Grecs ,  ralliés  sous  le 
simple  commandement  d'un  même  chef, 
conservèrent  plus  de  liberté  civile  et 
politique  sous  la  suprématie  de  la  Macé- 
doine que  sous  l'hégémonie  des  Athé- 
niens et  des  Spartiates. 

Chio,  alors  sous  Tinfluence  du  parti 
populaire,  devait  nécessairement  se 
déclarer  pour  un  prince  qui  respectait 
les  institutions  des  peuples,  et  qui,  d'ail- 
leurs, promettait  aux  Ioniens  d'établir 
dans  leurs  villes  le  gouvernement  démo- 
(^ratique.  Mais  ceux  du  parti  opposé  ne 

{)urent  se  résigner  à  leur  défaite.  Contre 
eurs  adversaires  ils  appelèrent  les  Perses  ; 
et,  pour  soustraire  leur  patrie.au  com- 
mandement d'Alexandre, ils  la  livrèrent 
au  despotisme  de  Darius.  L'histoire  a 
conservé  les  noms  des  traîtres.  Suivant 
Arrien  (1),  ApoUonide,  Phisinus,  Mé- 

(i)  Arrieni  Expédit,   tTAlex.,   HT,   a, 

18 


274 


L'UNIVERS. 


gareus  et  quelques  autres  ouvrirent  l'en- 
ttée  de  llle  à  Memnon ,  et  se  saisirent 
du  pouvoir  par  la  violence.  Quinte- 
Curce  (1)  n'en  nomme  que  deux:  Apol- 
lonide  et  Atbénagoras.  D'après  lui ,  les 
partisans  du  roi  de  Macédoine  auraient 
eu  te  dessus ,  et  chassé  ou  du  moins  écarté 
les  autres  du  gouvernement  ;  mais  Phar- 
nabase,  satrape  de  Darius,  rendit  le 

{pouvoir  aux  cleux  traîtres ,  se  saisit  de 
eurs  adversaires  politiques,  et  laissa  une 
{garnison  dans  l'île.  Sur  ce  dernier  point 
es  deux  historiens  sont  d'accord  (2). 
Après  la  bataille  d'Issus  (333),  Phar- 
nabase ,  craignant  que  les  Ghiotes ,  en- 
hardis par  la  victoire  d'Alexandre, 
ne  se  soulevassent ,  se  rendit  en  toute 
bâte  dans  l'tle  avec  douze  trirèmes 
et  1 ,500  hommes.  Mais  le  parti  popu- 
laire chassa  les  Perses  ou  plutôt  les 
livra  à  Hégéloque ,  amiral  macédonien, 
et  avec  eux  non-seulement  les  traîtres 
que  nous  avons  cités  plus  haut,  mais 
encore  les  tyrans  de  Mitylène  et  de  Mé- 
tbjmne ,  Charès  et  Aristonicus.  Selon 
toute  apparence,  Chio  reçut  alors  gar- 
nison macédonienne;  car  en  336  elle 
envoya  une  députation  à  Alexandre  pour 
fie  plaindre  des  vexations  que  ses  soldats 
exerçaient  sur  les  habitants  (3).  11  est 
brobable  qu'Alexandre  ne  fit  pas  droit 
a  ces  plaintes.  Le  rappel  des  proscrits 
politiques ,  en  vertu  du  décret  de  324, 
rendait  d'ailleurs  la  présence  d'une  gar- 
nison nécessaire. 

Après  Alexandre,  Chio  subit,  comme 
presque  toute  la  Grèce,  la  domination  de 
ses  successeurs.  Alors  la  vie  politique 
semble  s'éteindre  peu  à  peu  chez  ces 
insulaires.  Ils  s'adonnent  exclusivement 
au  commerce ,  heureux  d'obtenir,  au  mi- 
lieu de  tant  d'ambitions  rivales ,  la  tran- 
quillité et  la  sécurité  nécessaires  pour 
leur  négoce.  Enveloppée  dans  les  parta- 
ges et  oans  les  conquêtes  successives  des 
rois  de  Syrie,  d'f^gypte,  de  Macédoine 
et  de  Pergame,  Chio  eut  pendant  un  siè- 
cle le  sort  de  toutes  les  colonies  grecques 
de  TAsie  Mineure,  que  les  successeurs 
d'Alexaudre  s'adjugeaient  et  s'enlevaient 
tour  à  tour.  Pour  la  revoir  mêlée  d'une 

S  6  ;  Il ,  I  ;  Diodore  de  Sicile,  XVII ,  39 ,  a, 
(i)  Q.  Cnrt.,  IV,  5,  §6. 
(a)  Arrien,  iùiJ.,  II,  i3,  4. 
(3)  Q.  Curce,  IV,  8,  §  xa« 


manière  active  aux  événements  poli- 
tiques ,  il  faut  se  trans^rter  à  répèqiK 
où  la  domination  romaine  eommence  à 
s'étendre  sur  l'Orient. 

GHIO  passe   sous   la  DOMINATIO!! 

BEs  Romains.  —  Quand  les  Romaîas 
se  présentèrent  en  Asie  comme  les  protec- 
teurs ou  les  libérateurs  des  cités  grecques, 
ils  n'eurent  pas  de  peine  à  attirer  les 
habitants  de  Ghio  dans  leur  parti.  Ceux- 
ci  s'étaient  brouillés  avec  Philippe  lit, 
roi  de  Macédoine,  qu'ils  avaient  vaine- 
ment essayé  de  réconcilier  avec  les  Éto- 
liens.  Menai^s  parce  prince,  ces  itisulairef 
se  liguèrent  avec  Attale  et  les  Rhodiens, 
attaqués  par  le  roi  de  Macédoine,  et 
prirent  part  à  la  bataille  navale  queoe 
dernier  perdit  près  de  leur  fie  (205). 
Dès  lors  ils  furent  de  toutes  les  guerres 
des  Romains.  Dans  la  guerre  contre 
Antiochus  (l90),Ghio  servit  d'entrepôt 
aux  Romains  pour  leurs  convois  d  Italie, 
et,  en  recompense  de  sa  fidélité,  elle 
obtint  des  terres ,  et  fut  tenue  auprès  da 
sénat  en  singulier  honneur  (f).  Ces 
terres  dont  parlent  Tite-Live  et  Polybe 
étaient  sans  doute  Atarnée,  l'auctehne 
possession  de  l'Ile. 

Mais  dès  cette  guerre  les  Chiotes  pu- 
rent reconnaître  que  ce  pompeux  titre 
d'allié  du  peuple  romain  eoàtait  cher. 
Ghio  était  trop  riche  pour  ne  pas  tenter 
l'avidité  des  légiotinaires.  Aussi  fut-elle 
pillée  comme  une  ville  ennemie.  Après 
le  tour  des  soldats ,  vint  celui  des  ma- 
gistrats ;  Yerrès  lui  enleva  ses  plus  belles 
statues  (2),  et  Cicéron  cite  Chio  parmi 
les  villes  dont  les  dépouilles  enrichirrat 
les  villas  des  grands  de  Rome. 

Ces  odieuses  exactions  jetèrent  Chio, 
comme  tous  les  autres  Grecs  d'Asie,  dans 
le  parti  de  Mithridate  ;  m^is  ce  priace 
ne  sut  pas  conserver  ses  alliés.  Ayaiil 
conçu  un  violent  dépit  contre  ceux  de 
Ghio  pour  une  raison  futile ,  il  les  didiia 
cruellement  (3).  Zénobius ,  un  de  ses 
lieutenants,  surprit  Tîle  de  nuit,  em- 

Korta  toutes  ses  places  fortes,  désarmâtes 
abitants ,  et  se  fit  donner  2,000  talents. 
Sous  prétexte  qu'il  manquait  quelque* 
chose  à  la  somme ,  il  les  réunit  au  théâtre, 


(i)  Tite-tivc,  XXXVU ,  a;  ;  XXXTIIÏ, 
39;  Pol>b.,XXrr,  a 7,  6, 

Îa)  Cic,  in  f^err.,  acl.  Il,  ont.  VI ,  J  9- 
3)  App.|  Dell,  âlitfir,  a5,  46^  61. 


i 


ILE  DE  CHIO. 


276 


l 


les  fit  cerner  par  ses  soldats,  et  les  emroya 
à  Mithridate  qn\  les  transporta  sur  les 
bords  du  Pont  (  86).  Sylla  dans  le  traité 
u'il  imposa  l'année  suivante  à  Mithri- 
ate  stipula  qu'ils  seraient  rétablis  dans 
leur  patrie,  et  déclara  Chio  yilie  libre 
et  alliée. 

Lucullus ,  Pompée ,  César ,  Auguste, 
Tibère  e|  leurs  successeurs  ratinèrent  le 
décret  de  Sylla.  Tibère  visita  deux  fois 
Chio,  avant  et  après  son  avènement, 
et  Taida  de  son  argent  à  réparer  les  dom- 
ina|;es  occasionnés  par  un  tremblement 
'Je  terre.  Pline  l'ancien  l'appelle  encore 
Chio  libre (1).  »  Mais  vers  cette  époque 
>>spasien ,  sous  prétexte  que  les  Grecs 
avaient  désappris  à  être  libres ,  leur  en- 
leva l'ombre  d'indépendance  qui  leur 
restait,  et  Chio  fut  comprise  dans  la 
province  des  îles,  dont  elle  ilt  partie  jus- 
qu'à la  nouvelle  division  de  l'empire , 
9QUS  Constantin. 


in. 


KKSUHE  DE  L  HISTOIRE   DE  CHIO  PBN- 

dàkt  les  temps  MODEENES. 

ÉTAT  DE  Chio  pendant  les  pbe- 

XIEBS  SIECLES  DE  L'ÈBE  CHRÉTlE^fNE. 

—  La  plupart  des  tles  grecques  gagnèrent 
beaucoup  à  échanger  une  liberté  précaire 
et  agitée  contre  Te  repos  et  la  prospé- 
rité que  la  paix  romaine  (2)  assura,  pen- 
dant tant  de  siècles,  aux  peuples  conquis 
par  les  liions.  Au  moment  où  Chio  fut 
réunie  à  l'empire,  elle  venait  d'éprouver 
tes  effets  de  la  libéralité  du  roi  des  Juifs, 
Hérode,  au!  ne  s'était  sans  doute  mon- 
tré si  généreux  envers  cette  tle  et  les  au- 
tres Grecs  d'Asie  que  pour  complaire  aux 
Romains.  Dans  un  des  voyages  que  ce 
prince  fit  en  Occident,  pour  courtiser  ses 
jrotecteurs,  Auguste  et  Agrippa,  il  passa 
plusieurs  jours  dans  l'île  de  Chio  (3). 
'  Plusieurs  des  habitants,  dit  Josèphe, 
i>  vinrent  saluer,  et  il  leur  lit  de  ma- 
cnîfiques  présents.  Ayant  vu  que  les 
halles  de  la  ville,  qui  étoient  très-grandes 
et  très-belles,  avoient  été  ruinées  durant 

(0  Pline,  Hhi.  Nai.,  V,  38. 
(^)   Expression    de   Pliue,    Hist,   Nat,. 
XX VU,  x,a. 

(3)  Josèphe,  Ant,  Jud.,  XVI,  a,  a, 
p.  683,  trad.  d'ArnauU  d'Andilly,  t.  m, 
P    8a. 


la  guerre  de  Mithridate,  et  que  les  habi- 
tants n'avoient  pas  le  moyen  de  les  faire 
rebâtir,  il  donna  plus  d'argent  qu'il  n'en 
falloit  pour  cette  dépense,  et  les  exhorta 
de  travailler  promptement  à  rétablir  leur 
Tille  en  sa  première  beauté...  Il  paya 
aussi  au  trésorier  de  l'empereur  ce  que 
ceux  de  Chio  dévoient,  et  assista  toutes 
les  autres  villes  dans  leurs  besoins.  i» 
(  24  avant  J.-C.) 

A  partir  de  cette  époque,  Chio,  comme 
toutes  les  autres  îles  ou  villes  grecques, 
n'a  plus  d'existence. politique;  et  l'his- 
toire la  perd  de  vue  pendant  plusieurs 
siècles.  On  ne  sait  pas  comment  s'opéra 
dans  cette  tle  l'établissement  du  chris- 
tianisme, qui  s'y  montre  trionnq)hant  au 
quatrième  siècle ,  comme  dans  tout  le 
reste  de  l'empire  romain.  Nul  doute  que 
l'Évangile  ne  fut  introduit  de  bonne  heure 
dans  c^tte  tle ,  que  côtoya  saint  Paul  et 
qui  se  trouvait  si  voisine  des  Églises 
apostoliques  de  l'Asie  Mineure  (1).  Mais 
la  première  mention  qui  soit  faite  de 
l'Église  de  Chio  ne  remonte  pas  au  delà 
du  cinquième  siècle.  En  449,  Tryphon, 
évéque  de  Chio,  assista  à  ce  prétendu 
concile  que  l'on  a  flétri  justement  du 
nom  de  brigandage  d'Épnèse  et  où  la 
violence  fit  triompher  l'iiérésie  d'Euty- 
chès.  Trois  ans  après  (451),  le  même 
évéque  parut  au  cinquième  concile  œcu- 
ménique, celui  de  Chalcédoiue,  où  fut 
condamnée  définitivement  la  doctrine 
des  monophysites.  On  voit  encore  fi- 
gurer les  noms  de  deux  évêques  de  Chio, 
Georges  et  Théophile,  dans  les  actes  des 
sixième  et  septième  conciles  œcumé^ 
niques  (2).  Dans  Tiiistoire  politique,  l'île 
de  Chio  est  entièrement  oubliée;  mais 
au  huitième  siècle,  quand  les  Arabes  lan- 
cèrent leurs  Hottes  dans  la  Méditerranée 
et  poussèrent  leurs  ravages  jusqu'à  Cons- 
tantinople,  nul  doute  que  Chio  n'ait  eu 
sa  part  des  maux  qui  fondirent  alors  sur 

(i)  «  Lon  donc  qa*il  nous  eut  rejoints  à 
Asson ,  nous  le  primes  et  nous  allâmes  à  Mi- 
Ijrlène.  De  là,  continuant  notre  route,  nous 
arrivâmes  le  lendemain  vis-à-vis  de  Chio.  Le 
jour  suivant  nous  abordâmes  à  Samos  ;  le  jour 
d'après  nous  arrivâmes  à  Milet ,  car  Paul  avait 
résolu  de  passer  Éphèse  sans  y  prendre 
terre,  etc..  »  Act.  des  Apôtres,  XX,  i5. 

(2}  Lequien,  Oriens  Cfwistianus,  U  ïf 
!>.  93r, 

18. 


376 


UUNIVBRS. 


toQtes  les  tieg  de  TArehipel.  Après  les 
grands  armements  descaliies,  vinrent  les 
courses  continuelles  des  pirates  sarra- 
sins de  Crète  et  d'Afrique,  contre  les- 
quels les  empereurs  de  Constantinople 
soutinrent  une  lutte  acharnée  durant 
cent  trente-huit  ans. 

Expéditions  des  Tubcs  contbe 
Chio.  —  Quand  les  Arabes  eurent  dis- 
paru des  mers  de  la  Grèce,  les  Turcs  les 
infestèrent  à  leur  tour  pendant  des  siècles, 
avant  de  s*y  établir  tout  à  fait  en  maî- 
tres. Au  temps  d'Alexis  Comnène  la 
puissance  des  Seldjoucides  s^était  éten- 
due sur  toute  TAsie  Mineure,  et  débor« 
daitdéjà  sur  les  Iles.  L'an  1089,  le  Turc 
Zakhas  ou  Tzachas,  autrefois  prison- 
nier, devenu  ensuite  chef  de  pirates, 
profitant  de  Téloignement  de  l'empereur, 
occupé  à  combattre  les  Patzlnaces,  par- 
courut l'Archipel,  et  infesta  les  côtes  et 
les  tles  de  l'Asie.  Mattre  de  Clazomène 
et  de  Phocée,  Zakhas  fit  voile  vers  Chio, 
et  s'en  rendit  maître  par  un  coup  de 
main.  Du  fond  de  la  Tnraoe,  où  il  com- 
battait les  barbares ,  Alexis  ordonne  à 
!Nîcétas  Castamonite  de  lever  une  flotte 
et  de  poursuivre  le  pirate.  Nicétas  obéit; 
mais  au  premier  combat  il  fut  vaincu, 
et  perdit  presque  tous  ses  vaisseaux. 

Une  seconde  flotte  fut  équipée  à  l'ins- 
tant et  confiée  à  Dalassène,  parent  de 
l'empereur.  Dalassène,  prenaut  le  temps 
où  Zakhas  était  allé  à  Smyrne,  débar- 
que à  Chio;  et  assiège  la  ville,  où  le  pirate 
turc  avait  déposé  tout  son  butin.  Vive- 
ment pressés  par  Dalassène,  les  Turcs 
qui  dérendaient  la  place  demandèrent  à 
capituler  ;  Dalassène  y  consentit ,  pour 
sauver  la  ville  du  pillage  dont  la  me- 
naçaient ses  soldats.  Pendant  les  pour- 
parlers, Zakhas  aborde  de  l'autre  coté  de 
rtle,  h  l'occident.  Il  débarque  ses  troupes, 
et  marche  à  la  ville  avec  huit  mille 
hommes,  suivi  de  sa  flotte,  qui  côtoie  le 
rivage.  La  flotte  grecque,  commandée 
parOpus,  accourut,  dans  l'intention 
de  livrer  bataille  aux  Turcs.  Intimidé 
par  leurs  forces  et  leur  attitude,  Opus 
retourna  h  Chio  sans  oser  engager 
l'action.  De  son  côté,  Zakhas  mettait  en 
déroute  l'armée  de  Dalassène,  et  la  for- 
çait à  se  réfugier  derrière  ses  retran- 
chements. Mais  apprenant  qu'on  faisait 
de  grands  armements  à  Constantinople, 
Zflknas  jugea  à  propos  de  retourner  è 


Smyrne,  son  quartier  général,  afio  d> 
préparer  une  nouvelle  expédition.  Apres 
son  départ,  Dalassène,  qui  avait  ravi- 
taillé sa  flotte  et  refait  son  armée,  re- 
tourna devant  la  ville  de  Chio ,  et  s'u 
rendit  maître  (1). 

Après  s'être  emparé  de  Chio  et  y  avoir 
mis  garnison,  Dalassène  était  retouroé 
à  Constantinople.  Mais  cette  expédition 
n'avait  pas  rendu  la  sécurité  aux  îles  de 
l'Archipel.  Zakhas  avait  fait  construire 
de  nouveaux  vaisseaux ,  et  recommenec 
ses  courses.  Pour  recouvrer  Smyroe  et 
les  autres  points  occupés  par  le  redou- 
table pirate,  Alexis  leva  des  troupes  de 
terre  et  de  mer.  Jean  Ducas  fut  placé  a 
la  tête  de  l'expédition ,  et  Dalassène  re- 

Sut,  sous  ses  ordres,  le  commandement 
e  la  flotte.  Ce  grand  armement  ba- 
laya l'Ardiipel ,  et  en  chassa  tous  les  na- 
vires de  Zakhas,  qui  demanda  la  pm  et 
se  renferma  de  nouveau  dans  sa  ville  de 
Smyrne  (2)  (1092). 

Jusque  là  les  empereurs  byzantins 
n'avaient  eu  à  combattre  dans  l'Arclû- 
pel  que  les  Sarrasins  ou  les  Turcs. 
A  partir  des  croisades,  ils  trouvèrent  dfs 
rivaux  redoutables  dans  les  Latins  ood- 
dentaux ,  qui  s'étaient  d'abord  présentés 
comme  auxiliaires.  Les  cités  commer- 
çantes d'Italie ,  Gênes,  Pise,  Florence 
et  Venise  eurent  bientôt  des  comptoirs 
à  Constantinople,  et  dès  le  douzième 
siècle  leur  mutuelle  jalousie  et  leurs  pré- 
tentions créèrent  de  grands  embarrasaui 
empereurs  d'Orient.  En  1 171  (3),  sous  le 
règne  de  Manuel  Comnène ,  la  guerre 
éclata  entre  les  Grecs  et  les  Vénitiens.  Le 
1^'  septembre  1 173  le  do^e  Vital  Micbieli 
entre  dans  l'Archipel,  a  la  tête  d'une 
flotte  de  cent  galères  ;  et  après  une  ten- 
tative sur  riie  deNégrepont,  il  passa  dans 
celle  de  Chio.  11  s'empara  de  la  capitale, 
et  avec  elle  de  i'ile  entière.  Ce  fut  là  k 
seul  exploit  du  doge  vénitien.  Assailli 
par  la  flotte  des  Grecs,  chassé  par  elle 
d'île  en  île,  de  Lesbos  à  Leronos  et  de 
Lemnos  à  Scyros,  il  rentra  à  Venise  avec 
les  débris  de  son  expédition.  Mais  qua- 
rante ans  plus  tard  (1204)  le  succès  de  la 
quatrième  croisade  permit  aux  Vénitiens 

(i)  Lebeau ,  Hist,  du  Bas^Mmphre ,  t.  XV , 
p.  aa6. 

(a)Id.,  t.  XV,p.  a6i. 
0}M.,  t,  XVI,259. 


ILE.  D£  CUIO. 


277 


de  mettre  la  main  sur  presqae  tout  TAr- 
chipel.  Ils  s'adjugèrent  File  de  Cbio,  qui 
ne  retourne  aux  Grecs  qu'après  les  ex- 
ploits de  Vatace,  qui  releva  le  pavillon  by- 
zantin dans  l'Archipel  et  qui  prépara  la 
rhatede  l'empire  Latin  de  Constantino- 
ple.  Cependant  les  Grecs  s'étaient  rétablis 
a  Gonstantinople  ;  mais  leur  empire  s'af- 
faiblissait de  plus  en  plus,  perdait  chaque 
lourde  nouvelles  provinces,  etu'avaitpas 
la  force  de  défendre  le  reste.  Sous  le  rè- 
gne d'Andronic  II ,  un  jeune  et  hardi 
afenturier,  Roger  de  Fior,  chef  d'une 
troupe  de  Catalans,  avait  seul  arrêté  les 
Turcs-Ottomans  et  sauvé  l'empire  d'une 
iovasioB.  Quelques-uns  de  ses  gens  s'é- 
taient chargés  ae  défendre  l'tle  de  Chio  ; 
mais  ils  se  la  laissèrent  enlever  par  les 
Turcs.  La  prise  de  Chio  pouvait  entraî- 
ner après  elle  les  conséquences  les  plus 
fimestes.  Comme  elle  se  trouvait  sur  la 
route  de  Gonstantinople,  l'ennemi  ne 
pouvait  plus  facilement  inquiéter  cette 
capitale  et  couper  ses  communications 
avec  les  autres  possessions  de  l'empire, 
situées  dans  la  partie  méridionale  de  l'Ar- 
chipel. La  perte  de  cette  tle  si  impor- 
tante fit  grand  bruit;  on  n'entendait  de 
toutes  parts  que  des  murmures  et  des  cris 
contre  les  Catalans;  et  le  fils  du  vieil 
Ândronic,  le  jeune  Michel,  récemment 
associé  à  l'empire,  profita  de  cette  cir- 
constance pour  faire  éclater  toute  sa  Ja- 
lousie contre  Roger  de  Flor,  que  ses 
exploits  venaient  de  faire  élever  au  rang 
de  César.  Quelques  semaines  après,  Roger 
fut  assassiné  a  Andrinople  (1307)  par 
l'ordre  et  en  la  présence  de  Michel  (1). 
Tentatives  des  Génois  sua  l'Ile 
BE  Chio.  —  L'empire  recouvra  bientôt 
la  possession  de  Chio;  mais  ce  fut  pour 
la  reperdre  encore.  Les  divisions  de  la 
famille  impériale  et  les  embarras  causés 
par  les  attaques  des  Turcs  permirent  à 
QQ  noble  génois ,  Benoit  Zacharie,  un 
des  instigateurs  de  la  révolte  des  Sici- 
liens contre  Charles  d'Anjou,  de  se  ren- 
dre maître  de  Chio.  Le  vieil  Andronic 
se  vit  obligé  de  dissimuler  cet  afjfront. 
11  consentait  même  à  laisser  au  Génois 
la  pleine  jouissance  de  sa  conquête, 
pourvu  que.  rîle  fiit  toujours  reconnue 
comme  taisant  partie  du  domaine  de 
l'empire.  Benoît  se  soumit  volontiers  à 

0  Lel^eau ,  XIX ,  p.  :y. 


cette  condition  ;  mais  il  ne  tint  aucun 
compte  des  engagements  qu'elle  impo- 
sait, et  il  se  conduisit  à  Cnio  en  véri- 
table souverain.  Son  fils,  Martin  Zacha- 
rie, qui  lui  succéda,  affecta  encore  une 
plus  grande  indépendance.  11  enleva  des 
murailles  et  des  portes  de  la  ville  les  ar- 
moiries impériales,  et  y  substitua  les  sien* 
nés;  il  jeta  les  fondements  d'une  foirte 
citadelle,  destinée  àcontenir  les  Grecs  du 
dedans  et  à  repousser  ceux  du  dehors. 
Cependant  Andronic  III,qui  avaitdétrôné 
son  aïeul  en  1328>  résolut  d'agir  pour 
reprendre  Chio.  Il  ordonna  à  Martin  de 
cesser  les  travaux  commencés,  le  me- 
naçant de  lui  déclarer  la  guerre,  s'il 
n'onéissait  sur-le-champ.  Les  Génois , 
puissants  alors  dans  l'empire,  qu'ils  sem- 
blaient dominer  du  haut  de  leur  colonie  de 
Galata  (1) ,  affectaient  un  grand  mépris 
pour  les  Grecs,  etbravaient  en  toute  occa- 
sion l'autorité  de  leur  empereur.  Martin, 
loin  d'interrompre  la  construction  de  sa 
citadelle ,  la  poussa  avec  plus  d'activité. 
Aussitôt  Andronic  met  une  flotte  en 
mer,  et  en  prend  lui-même  le  comman- 
dement. Martin  ne  s'attendait  pas  à  tant 
de  résolution  ;  mais  il  était  trop  tard  pour 

(i)  a  Michel  Paléologue,  en  reconiiaiuaDce 
des  secours  qu*il  avait  reçus  d*eux  pour  re- 
couvrer sa  capitale ,  leur  a^ait  abandonaé  k 
sonveraineté  du  faubourg  de  Fera  ou  Gala(a , 
\is-à-visde  Coustantinopley  de  l'autre  côté  du 
port.  Tous  les  Génois  y  avaient  transporté 
leurs  comptoirs ,  et  sous  le  règne  d* Andronic 
l'Ancien  ,  ils  avaient  entouré  leur  ville  nais- 
sante d'abord  d*une  double ,  ensuite  d'une 
triple  enceinte  de  murs.  Fera,  qui  s'étendait 
entre  les  collines  et  le  golfe  sur  une  longueur 
quatre  fois  plus  grande  que  sa  largeur,  avait 
déjà  quatre  mille  quatre  cents  pas  de  tour. 
Ses  maisons ,  élevées  en  terrasses  les  unes  au- 
dessus  des  autres,  avaient  toutes  la  vue  de  la 
mer  et  de  Gonstantinople.  Chaque  aunée  on 
voyait  s*accroitre  leur  nombre  et  leur  magni- 
ficence ;  et  si  l'empire  çrec  n'avait  pas  eiifin 
succombé  sous  les  calamités  qui  le  frappaient 
coup  sur  coup ,  en  moins  d'un  siècle  la  ville 
£énoise  aurait  égalé  en  splendeur  et  en  popu- 
lation la  capitale  de  l'Orient.  »  Sismondi, 
République*  Italiennes ,  t.  VI,  p.  93.  Four 
légitimer  leurs  prétentions  sur  l'île  de  Cbio, 
les  historiens  génois  affirment  qu' Andronic 
Paléologue  la  donna  à  Gènes,  en  récom|)enstt 
du  secours  qu'il  eu  reçut  contre  les  Yénitiensj 
l'an  12  îf». 


278 


L*UNIVBRS. 


désarmer  Tempereur.  Il  se  prépara  à  la 
défense,  et  s'enferma  dans  Chio  avec  huit 
cents  homnnes  bien  aguerris,  déternninés 
comme  lui  à  combattre  jusqu^au  dernier 
soupir.  Mais  son  gouYernement  était 
odieux  aux  habitants  de  Tile.  Un  riche 
Grecde  Chio,  Benoit  Calothète,  avait  pré- 

S are  un  soulèvement  ;  il  éclata  à  rarnvée 
e  Tem  pereur .  Le  propre  frère  de  Martin, 
Benoît  Zacharie ,  qui  commandait  une 
forteresse  située  à  un  mille  de  la  ville 
de  Chio,  la  livra  à  Tempereur;  et  Tu* 
surpateur,  abandonné  de  tous ,  prit  le 
parti  de  venir  se  livrer  avec  sa  troupe 
a  la  discrétion  d'Andronic.  Les  Chiotes 
étaient  si  animés  contre  lui,  qu'ils  Tau- 
raient  massacré  sous  les  yeux  de  Tem- 
pereur  si  celui-ci  n*eût  réprimé  leur  fu- 
reur par  son  autorité.  Andronic  se  con* 
tenta  de  condamner  Martin  Zacharie  à 
une  prison ,  où  il  ne  lui  manqua  que  la 
liberté  ;  ses  troupes  furent  enrôlées  dans 
Farmée  impériale,  et  les  habitants  de 
Chio  furent  déchargés  de  tous  les  impots 
onéreux  dont  Martin  les  avait  accablés. 
Andronic  s^était  proposé  de  donner  à 
Benoit,  frère  de  Martin,  le  gouverne- 
ment de  rîle  qu'il  lui  avait  fait  recouvrer. 
Mais  ce  Génois ,  aussi  orgueilleux  que 
son  frère,  ne  voulut  pas  consentir  à  re- 
connaître les  droits  de  l'empereur  à  la 
suzeraineté  de  Chio.  En  vain  Andronic 
épuisa  toutes  les  voies  de  la  douceur  pour 
le  ramener  à  des  dispositions  raison* 
Dables,  il  n'y  put  parvenir;  et  Benoît  se 
retira  furieux  et  menaçant  dans  l'éta- 
blissement de  Galata.  Andronic  n'avait 
point  osé  le  chasser,  par  crainte  des  Gé- 
nois. Il  quitta  Chio,  après  y  avoir  établi 
une  forte  garnison,  et  ravoir  pourvue  de 
toutes  les  choses  nécessaires  à  sa  défense. 
U  savait  combien  il  fallait  redouter  le 
courroux  de  Benoît  Zacharie.  £n  effet, 
celui-ci ,  ayant  pris  à  sa  solde  tous  les 
vaisseaux  qui  se  trouvaient  à  Galata, 
vint  faire  une  descente  dans  l'Ile,  et  en- 
treprit d'emporter  la  ville  d'assaut.  On 
r^ista  vigoureusement.  Benoît  fut  re- 

Îoussé  après  une  perte  de  trois  cents 
lommes;  il  se  retira,  la  rage  dans  le 
cœur,  et  il  mourut  au  bout  de  sept  jours, 
dans  une  attaque  d'épilepsie  (1)(1329). 
Conquête  db  Chio  far  les  Gé- 

(i)  Lebean ,  Uist,  du  Sas-Empire,  U  XIX, 
p.  407. 


If  018  (1346).  •*  Cependant  cette  lie  de 
Oiio,  tant  de  fois  perdue  et  recouvrée  par 
les  Grecs ,  devait  enGn  rester  définitive- 
ment aux  Génois.  «  Trente-deux  oobleâ 
Génois,  forcés  de  quitter  leur  patrie 
pour  se  soustraire  aux  fureurs  de  la  fac- 
tion qui  y  dominait  alors,  résolanot 
de  se  former  ailleurs  quelques  établisse- 
ments où  ils  pussent  être  à  Vabri  des  per- 
sécutions de  leurs  concitoyens.  Ils  équi- 
pèrent à  leurs  frais  une  flotte  de  trent^ 
deux  bâtiments ,  et  firent  voile  vers  File 
de  Chio ,  dans  l'intention  de  s'en  empa- 
rer. Les  Grecs  la  défendirent  d'abord 
avec  beaucoup   de  courage  :  ils  espé- 
raient recevoir  de  Constantinople  d<$ 
secours  ;  mais  il  n'y  avait  ni  argent  dans 
les  coffres ,  ni  vaisseaux  dans  les  ports. 
ni  personne  en  état  de  commander  sot 
mer.  Tout  ce  que  put  faire  Timpératrirt 
douairière,  mère  du  faible  Jean  Paleiv 
logue  PS  en  faveur  des  habitants  d* 
Chio  fut  de  leur  envoyer  quelques  pro- 
visions de  bouche.  Elle  chargea  de  cette 
oonimission  un  seigneur  grec ,  appelé 
Phaséolate,  qui  avait  mérité  sa  confiaon. 
Phaséolate  arriva  trop  tard.  Les  Grecs 
de  Chio ,  après  avoir  fait  la  plus  belle 
défense,  avaient  été  obligés  de  céder  à  h 
faim ,  qui  les  dévorait  (1).  »  Ainsi  fut 
fondée  dans  nie  de  Chio  cette  colonie 
de  nobles  Génois  qui  résnaient  dans 
cette  île,  tandis  que  dans  leur  patrie  ils 
étaient  en  butte  aux  persécutions  du  parti 
démocratique.  D'autres  Génois  avaient 
aussi  occupé  la  ville  de  Phocée.  Les 
Grecs  furent  impuissants  à  réprimer  Iff 
tentatives  de  ces  hardis  marchands,  qé 
les  défendaient  et  les  insultaient  tour  i 
tour. 

Gènes,  comme  Athènes  autrefois,  st 
créait  un  empire  florissant  sur  les  côte 
de  l'antique  lonie.  La  suzeraineté  et 
Chio  fut  enlevée  à  l'empire  Grec  par  Id 
vainqueurs,  et  attribuée  à  leur  patne 
Mais  ils  se  contentèrent  de  ce  simpif 
hommage ,  et  voulurent  rester  indépêfi- 
dants  dans  leur  conquête.  «  Depuis  er 
temps ,  dit  Dapper,  Chio  devint  puis- 
sante et  riche,  et  fut  gouvernée  en  formf 

(i)  Lebeaa,  td.,  t.  XX,  p.  aoa.  d- 
Agost.  Justianiano.  Castigatissimi  Annal*: 
Genoa^  in-foK,  Oenoa ,  i537,  i34  a  ;  t'ber  1 
Foglietia,  Historiœ  Genuensium  lÀhri  A7/i 
Genoa,  x685,in-fol.,  x37  b. 


ILE  DE  CHIO. 


279 


de  répubiîque  sous  Tautorité  des  Ma- 
honsy  autrement  appelés  Maunèses, 
premiers  nobles  de  la  maison  de  Justi« 
Diani ,  qui  Favoient  achetée  de  la  répu- 
blique des  Gênes,  où  ils  tenoient  un  des 
premiers  rangs^  et  en  laquelle  ils  avoient 
pris  naissance.  On  voit  encore  leurs 
armes  sur  plusieurs  maisons  de  la  ville. 
Os  Mahons,  ou  Maunèses,  consistoieut 
principalement  en  vingt -quatre  per- 
sonnes qui  avoient  soin  du  gouverne- 
ment de  rtle.  On  en  choisissoit  tous  les 
deux  ans  un  pour  podeiiat  ou  chef  de 
justice ,  qu\  pr^idoit  sur  les  affaires  ci- 
viles et  criminelles  de  toute  Tîle ,  et  a  voit 
pour  lieutenant  un  iurisconsuUe.  On 
choisissoit  aussi  tous  les  six  mois  quatre 
présidents  directeurs,  quiprenoient  con- 
naissance ,  coDÎointement  avec  le  podes- 
tat, de  toutes  lesiiffaires  civiles  de  Tîle, 
et  prononçoient  sur  toutes  les  affaires 
criminelles,  qui  dévoient  indispensable- 
ment  être  portées  devant  eux.  Il  y  avoit 
outre  cela  douze  conseillers  établis,  que 
les  présidents  consultoient  comme  leurs 
adjoints  dans  toutes  les  affaires  de  con- 
séquence. Pour  ce  qui  est  des  autres 
menues  affaires  et  petits  différends,  ils 
étoient  portés  devant  deux  autres  juges, 
qui  étoient  établis  pour  connaître  de  tout 
ce  qui  ne  dépassoit  pas  vingt  écus.  11  y 
avoit  deux  seigneurs  Mabons  qui  avoient 
la  surintendance  du  mastic,  si  bien  qu'il 
étoit  défendu  à  toute  personne,  sous 
peine  de  la  vie,  d'en  amasser  ou  d'en 
vendre  sans  leur  permission.  Il  y  avoit 
aussi  un  capitaine  du  guet  pouir  la  garde 
de  la  nuit ,  et  quelques  autres  moindres 
officiers  (I).  » 

Sous  ce  gouvernement  Chio  devint  la 
plus  prospère  et  ta  plus  florissante  de 
toutes  les  Iles  de  F  Archipel.  Les  Turcs 
lui  tirent  éprouver  d'abord  quelques 
dommages.  En  1294,  le  sultan  fiajazet 
la  fit  ravager  par  une  flotte  de  soixante 
navires,  qui  dévasta  aussi  les  côtes  et  les 
lies  adjacentes.  Mais  en  1451,  après  la 
prise  de  Constantinople,  les  colons  Gé- 
nois de  Chio  achetèrent  la  paix  de  Ma- 
homet H,  moyennant  un  tribut  de  dix 
niille  ducats.  Cet  engagement  assurait 
jux  llahons  leur  indépendance ,  le  droit 
de  négocier  dans  les  Etats  du  grand  sei- 


gneur, et  de  continuer  à  s^approvision- 
ner  en  Asie  Mineure,  car  les  produits 
de  rUe  étaient  insuffisants  pour  sa  nom- 
breuse population. 

Chio  sous  la  dohtnation  des 
ToBCS  OTTOMANS  (1660).  —  Les  Génois 
gardèrent  Chio  environ  deux  cent  vin^ 
ans.  Mais  au  temps  de  la  mort  de  Soli- 
man V^  elle  fut  conquise  par  les  Turcs, 
qui  jusque  là  s'étaient  contentés  de  la 
tenir  c<Tmme  tributaire.  En  1365  l'a- 
miral turc  Piali-Pacha  avait  échoué  au 
siège  de  Malte,  où  s'étaient  retirés  les  che- 
valiers de  l'Hôpital  depuis  qu'ils  avaient 
perdu  Rhodes.  Gênes  leur  avait  envoyé 
des  secours  :  furieux  de  son  écliec,  Piali- 
Pacha  s'en  prit  aux  Génois ,  dont  il  alla 
enlever  la  colonie  de  Chio.  Le  14  avril 
1566  il  parut  devant  cette  tle^  à  la  tête 
d'une  flotte  de  soixante  galères.  Les 
nobles  Génois  de  Cbio,  qni,savaient  l'art 
de  gagner  les  vizirs  et  les  pachas  turcs, 
envoyèrent  à  Piali  de  riches  présents,  que 
celui-ci  accepta  sans  renoncer  à  son  des- 
sein. En  effet,  il  invita  tous  les  primats 
de  nie  à  venir  le  voir  à  son  bord  ;  et  à 

Seine  ceux-ci  furent- ils  arrivés,  qu'il  les 
t  jeter  dans  les  fers  et  transporter  à 
Cafta.  Ces  malheureux  n^obtinrent  leur 
liberté  qu'au  bout  de  quatre  années, 

grâce  à  ]  intervention  du  pape  Pie  V  et 
e  l'ambassadeur  français  (1).  Bientôt  la 
plupart  d'entre  eux  rentrèrent  dans  leur 
lie,  et  y  retrouvèrent  leurs  biens  et  leurs 
dignités.  Quoique  réunie  à  l'empire  turc, 
Qïio  conserva  des  privilèges  et  une  liberté 
que  les  Ottomans  ne  laissaient  à  aucune 
autre  de  leurs  conquêtes. 

Une  agression  des  Florentins  avertit 
les  Turcs  qu'il  était  nécessaire deprendre 
plus  de  précautions  pour  la  déiense  de 
cette  possession.  En  1 595  une  escadre 
envoyée  par  Ferdinand  r^,  srand-duc 
de  Toscane,  vint  attaquer  le  château  de 
Cbio,  sous  la  conduite  de  Yirginio  Ur- 
sino.  Les  Toscans  s'en  emparèrent. 
Mais  une  tempête  força  Ursino  à  s  éloi- 
gner de  ces  parages.  Il  laissa  cinq  cents 
hommes  dans  la  forteresse.  Attaoués  par 
les  Turcs,  le  lendemain  même  de  la  re- 
traite de  leur  giânéral,  ces  cinq  cents 
hommes  furent  tous  passés  au  fll  de 
l'épée.  Les  Turcs  plantèrent  leurs  têtes 


(0  D^pper,  Description    de  l'Archipel, 


(i)  De  Uammer,  Empire  Ottoman,   TI, 
3o5. 


280 


LUOTVERS. 


sur  les  créneaux  de  la  forteresse,  où  on 
les  voit  encore  aujourd'hui,  dit  Dap- 
per  (1).  Depuis  ce  temps  les  Turcs  mi- 
rent garnison  dans  la  citadelle ,  et  en 
défendirent  Taccès  aux  chrétiens.  Ils  au- 
raient même  changé  toutes  les  églises  en 
mosquées,  et  aboli  le  service  de  la  reli- 
gion chrétienne  dans  cette  île,  sans  Tin- 
tervention  de  Savary  de  Brèves ,  ambas- 
sadeur de  Henri  IV ,  qui  apaisa  par  ses 
sollicitations  le  courroux  du  sultan  Mus- 
tapha IL  On  laissa  donc  aux  Latins  et 
aux  Grecs  leurs  églises  et  leurs  couvents. 
A  la  fin  du  dix-septième  siècle,  une 
nouvelle  tentative  faite  par  les  Vénitiens 
pour  recouvrer  cette  tte,  qu'ils  avaient 
possédée  autrefois,  devait  encore  coûter 
aux  Chiotes  une  partie  de  leurs  anciennes 
libertés.  En  1694  les  Vénitiens  réussi- 
rent à  s'emparer  de  la  ville  et  deHie 
entière;  mais  ils  furent  trahis  par  les 
Grecs  indigènes,  qu'animait  toujours  une 
haine  invétérée  contre  TËglise  latine. 
L'occupation  vénitienne  fut  de  peu  de 
durée.  En  1696Mezzo-Morto,  Africain 
renégat,  capitan-paeba  de  la  flotte  tur- 
que ,  investit  Tile,  et  la  réunit  de  nou- 
veau à  l'empire  ottoman.  Les  Grecs,  qui 
avaient  sacrifié  toutes  les  autres  consi- 
dérations au  désir  de  triompher  des  La- 
tins, furent  récompensés  de  leur  perfidie 
par  la  suprématie  que  le  gouvernement 
turc  leur  attribua  sur  les  catholiques  ; 
ceux-ci  furent  poursuivis  comme  dissi- 
dents, et  persécutés  pour  se  soumettre 
au  rituel  grec.  Alors  disparurent  les  der- 
nières traces  de  la  domination  génoise , 
et  bientôt  Ton  ne  compta  pas  plus  d'un 
millier  de  catholiques  romams  dans 
l'île  de  Chio  (2).  Les  Grecs  de  cette  Ile 
conservèrent  les  bonnes  grâces  du  gou- 
vernement turc  pendant  tout  le  dix-nui- 
tième  siècle,  et  au  commencement  du 
dix-neuvième.  Au  moment  de  l'insurrec- 
tion hellénique,  Chio  était  redevenue 
aussi  prospère ,  aussi  riche  peut-être,  et 
certainement  plus  heureuse  que  dans 
les  plus  beaux  temps  de  l'antiquité.  Son 
commerce  était  actif  et  étendu ,  son  in- 
dustrie florissante,  son  a^culture  pros- 
père. La  capitale  et  les  villages  de  Chio 

(i)  Dapper,  Description  de  tjérchûfel, 
p.  2,24.  Dapper  écrivait  au  dix- septième  siècle. 

(a)  Dallaway ,  Cùrutaniinoph,  etc.,  t.  IX , 
p.  67. 


étaient  en  harmonie  avec  râéganceda 
ses  paysages.  Bibliothèque,  cabinet  d'ar* 
chéologie,  collège,  impnmerie,  hôpitaui, 
établissements  de  santé,  lazarets,  ri«o 
ne  manquait  à  cette  cité,  avec  laquelle 
les  campagnes  rivalisaient  debooheur 
et  de  prospérité  (1).  Telle  était  €hio 
en  1820.  Trois  ans  plus  tard  cette  mal- 
heureuse ville  s'abîmait  dans  le  sang  et 
sous  les  ruines.  Racontons  brièveoKDt 
les  principales  péripéties  deoeUeterribic 
catastrophe. 
Destbuction  db  Sgio  pendari  u 

GUEBBE  DE  l'indépendance  (1822).- 

lx>rsque  éclata  la  guerre  de  rindépeo- 
dance  (2),  vingt-cinq  vaisseaux  hydriotei 
et  psariotes ,  commandés  par  Tomba* 
sis  (3),  parurent  devant  Scio  le8  mai  1821, 
et  la  pressèrent  vivement  de  prendre  part 
à  la  lutte  contre  les  Xures.  Les  Sciotes 
ne  répondirent  pas  à  cet  appeL  Desio*- 
téréts  puissants  leur  liaient  les  mains.) 
Leurs  négociants  répandus  dans  les  villes  j 
turques  y  possédaient  de  nombreux  et- 
importants  établissements.  La  fortune 
de  ces  derniers  se  trouvait  ainsi  à  U 
merci  des  Turcs.  Ce  n'est  pas  tout.  Un 
grand  nombre  de  familles  sciotes  étaient 
établies  dans  toutes  les  parties  de  remiBre 
ottoman  ;  Smyme  et  Constantinople  ren- 
fermaient la  fleur  même  de  la  jeune^sfi 
de  Scio.  A  la  première  tentative  d'in- 
surrection toutes  ces  richesses, toutes 
ces  existences  étaient  sacriGées.  Les 
Sciotes  jugèrent  que  ce  serait  trop  paver 
une  indépend ance  livrée  d'ai  lleurs  aux  ha- ' 

sards  d'une  lutte  inégale.  Devant  de  pa- 
reilles considérations  de  plus  belliquem 
eussent  senti  fléchir  leur  résolution. 

Toutefois ,  malgré  l'attitude  fmûm 
de  la  population  et  les  déclarations  des 
démogérontes ,  le  gouverneur  prit  àes 
dispositions  pour  maintenir  lile  àiAS 
l'obéissance.  Aussitôt  après  l'appaii- 
tion  de  la  flotte  de  Tombasis,  il  poon)* 
qua  le  Mésas ,  ou  conseil  de  déonge^ 
routes  ;  et ,  moitié  par  la  ruse,  dk^ 
par  la  force ,  il  réunit  dans  lacitadcik 

(i)  Pouquevillcy  Histoire  de  U  Kègôntra- 
tion  de  la  Grèce,  t.  Ill,  p.  4^3. 

(2)  Eckenbrecber,  Lie  itisel  Chiost  p<  ^ 
etsuiv.  ,  , 

(3)  Voyez  dans  PouqueviUe ,  Histoire  d*  « 
Grèce,  n,  p.  48$,  la  prodimaUon  de  Tom- 
basis aux  Goiotes. 


ILE  DE  CUIO. 


281 


trente  des  principaux  dtoyens ,  sous  pré- 
texte de  délibérer  avec  eux ,  et  les  retint 
enfermés  avec  les  démogérontes.  Ils  du- 
rent servir  de  ga^es  à  la  tranquillité  pu- 
blique. Tout  ce  qu*i]s  purent  obtenir,  ce 
ht  d'être  tirés  des  prisons  malsaines  où 
ils  étaient  détenus  pour  être  gardés  à  vue 
)ans  un  café  turc.  Âu  bout  de  quelques 
ours,  le  nombre  de  ces  otages  fut  porté  à 
|aarante-8ix.  Les  villages  où  se  récolte 
k  mastic  fournirent  aussi  les  leurs ,  au 
sombre  dedouze.  Les  cinq  démogérontes 
It  les  chelis  des  corporations  obtenaient 
leuls  Fautorisation ,  pendant  le  jour, 
f  aller  vaquer  à  leurs  affaires.  Plus  tard 
reote-deux  autres  citoyens  prirent  la 
place,  pour  un  mois,  des  quarante^siz 

Cemiers,  et  ces  malheureux  alternèrent 
la  sorte,  durant  une  année,  jusqu*à 
h  destruction  de  Scio.  L'archevêque  et 
Fun  des  diacres,  détenus  dans  la  ci- 
ladelle ,  n'eurent  même  pas  ce  privilège, 
rt  leur  captivité  se  prolongea  sans  in- 
terruption jusqu^à  l'époque  fatale.  Malgré 
toutes  ces  mesures ,  la  tranauillité  de 
nie  ne  parut  pas  encore  suffisamment 
larantie  au  gouvernement  turc ,  et  de 
iouveaux  otages  furent  envoyés  dans 
les  prisons  de  Constantinople. 

Cependant  Tombasis  s'était  éloigné  de 
Scio  avec  sa  flotte;  mais  les  Grecs  pou* 
valent  revenir  en  forces  :  il  importait 
qu'ils  trouvassent  les  habitants  désarmés 
et  nie  ^en  gardée.  Le  gouverneur  or- 
donna en  conséouence  que  toutes  les 
armes  lui  fussent  livrées,  et  demanda  des 
troujies  au  divan. 

^  BientôtarrivèrentderAsiemilleTurcs 
annés;c'étaiteomme  unehorde  sauvage, 
sans  chef,  sans  discipline,  et  qui  désola 
rtle  par  le  pillage  et  le  massacre.  Telle 
fut  la  terreur  qu'elle  inspirait,  que  les 
habitants  n'osmnt  plus  descendre  dans 
la  rue,  ni  même  se  montrer  aux  fenêtres. 
Un  srand  nombre  s'enfuirent  aux  extré- 
mité de  l'île.  Tout  commerce  avait 
cessé ,  et  les  vaisseaux  qui  approvision- 
naient la  ville  n'arrivant  pas  de  l'Asie 
Mineure ,  la  crainte  d'une  îamine  mit  le 
comble  au  désespoir  de  ce  malheureux 
peuple,  déjà  poiKsé  à  bout  par  tant  de 
sounranees.  un  soulèvement  paraissait 
imminent,  et  il  aurait  éclaté  sans  nul 
doute,  si  les  déniogérontes  n'avaient 
pris  soin  de  pourvoir  à  la  8u))sistance  des 
pauvres. 


Enfin,  après  bien  des  négociations,  les 
Sciotes  décidèrent  le  divan  à  faire  passer 
dans  l'île  une  milice  r^lière.  Onze 
cents  hommes  y  furent  envoyés  sous  la 
conduite  de  Bachet-Pacba.  La  horde 
asiatique  fut  dispersée.  Scio  se  crut  dé- 
livrée; elle  n'avait  fait  aue  changer  d'op* 
presseurs.  Aux  excès  o'une  soldatesque 
brutale  succédèrent  ceux  du  despotisme 
militaire.  Général  et  soldats  traitèrent 
l'île  en  pays  conquis.  Bachet  la  frappa 
d'une  contribution  extraordinaire ,  im- 
posa aux  habitants  l'entretien  des  troupes 
et  vida  lesgreniers  publics.  Les  personnes 
comme  les  fortunes  furent  à  la  merci 
de  ce  farouche  tyran.  Aux  taxes  arbi- 
traires se  joignirent  les  plus  rudes  cor- 
vées. L'oppression  prit  toutes  les  formes. 

Tout  à  coup  se  repandit  le  bruit  qu'on 
armait  à  Samos  pour  la  délivrance  de 
Scio.  Cettenouvelleconsterna  les  Sciotes. 
Ils  comprirent  qu'une  pareille  tentative 
entraînerait  infailliblement  leur  perte. 
Le  péril  était  grand  ;  l'archevêque  Platon 
et  les  démogérontes  cherchèrent  à  le 
conjurer  en  faisant  recommander  partout 
aux  populations  une  attitude  calme  et 
passive.  Des  envoyés  parcoururent  dans 
ce  but  tous  les  villages.  En  même  temps 
le  mésas,  après  avoir  pris  l'avis  au 
pacha,  fit  partir  pour  Samos  un  citoyen 
chargé  de  vérifier  la*  nouvelle  qui  avait 
jeté  1  île  entière  dans  l'émoi.  En  ce  mo- 
ment on  apprit  que  dix-huit  Samiens  ve- 
naient de  débarquer  sur  la  côte  septen- 
trionale. Des  soldats  furent  aussitôt  dé- 
tachés à  leur  poursuite  ;  mais  avant  qu'ils 
les  eussent  atteints ,  les  démogérontes 
furent  instruits  qu'une  flotte  samienne 
cinglait  vers  l'île.  Le  samedi  22  mars 
1822,  au  matin,  elle  jeta  l'ancre  non  loin 
de  la  ville,  et  déposa  à  terre,  sous  le  feu 
de  son  artillerie,  deux  mille  hommes, 
commandés  par  le  Samien  Lycurgue 
Logothetis. 

Cette  entreprise ,  conseillée  et  dirigée 
par  des  aventuriers,  aggrava  la  situation 
de  Scio  et  précipita  sa  ruine.  En  vain  les 
Psariot^,  ces  courageux  soldats  de  l'in- 
dépendance grecque,  s'y  étaient-ils  op- 
posés, l'avis  d'un  paysan  sciote.  An* 
tonios  Burnias,  l'avait  emporté.  C'était 
un  ancien  soldat,  qui  avait  servi  sous 
Bonaparte,  en  Egypte.  Sans  talents  mili- 
taires, d'un  patriotisme  douteux,  it  ré- 
solut de  délivrer  Scio.  Il  s'était  lié  b 


382 


LTJNI¥ERS« 


SamoB  avec  quatre  autres  Sdotes,  qui 
avaient  fui  dans  cette  ville  aprè8  avoir 
fait  bangueroute  à  Smyrne.  Ce  fut  à 
rinstigation  de  ces  cinq  aventuriers  que 
Lycurgue  entreprit  son  expédition. 

Le  premier  acte  de  ces  singuliers  li- 
bérateurs, dès  qu*il8  eurent  mis  le  pied 
sur  ie  territoire  de  Scio,  et  rejeté  dans  la 
citadelle  six  cents  soldats  envoyés  contre 
eux ,  fut  de  piller  la  ville  qu'ils  venaient 
délivrer.  Il  est  vrai  qu'ils  commencèrent 
par  les  maisons  turques  et  les  mosquées; 
mais  les  riches  magasins  des  négociants 
sciotes  eurent  leur  tour,  et  pendant  les 
dix-neuf  jours  que  dura  Toccupation  de 
rtle  par  les  Samiens,  ceux-ci  ne  cessèrent 
d'envoyer  à  Samos  les  dépouilles  de 
leurs  malheureux  alliés. 

Cependant  régnait  dans  le  peuple  la 
plus  vive  agitation.  Bientôt  elle  se  com- 
mnnic|ua  à  tous  les  villages.  Une  multi- 
tude innombrable  de  paysans,  armés  de 
bâtons  et  de  fourches,  fondit  sur  la 
ville ,  et  entraîna  la  population  urbaine. 
Des  prêtres  parcouraient  cette  foule, 
revêtus  de  leurs  habits  sacerdotaux  :  des 
croix  étaient  promenées  par  la  ville, 
l'encens  fumait  dans  les  rues,  enfin 
des  psaumes  étaient  entonnés,  mêlés 
d'hymnes  patriotiques.  Cette  foule  trans* 
portée  d'un  si  vif  enthousiasme  était- 
elle  au  moins  prét^  au  combat  ?  était- 
elle  décidée  à  conquérir  les  armes  à  la 
main  cette  liberté  qu'elle  invoquait  dans 
ses  chants  ?  Malheureusement  elle  n'é- 
tait rien  moins  que  belliqueuse.  A  la 
moindre  apparence  de  péril  son  en- 
thousiasme faisait  place  à  la  terreur.  An- 
noncait-on ,  sur  quelque  vague  rumeur , 
que  les  portes  de  la  citadelle  s'ouvraient  ; 
aussitôt  elle  se  dispersait,  se  reformait, 
puis  se  dispersait  encore. 

Tel  était  l'état  des  esprits ,  lorsque 
Lycurgue  vint  à  Seio,  accompagné  d'An- 
tonio Bumias.  Avec  des  forces  insigni- 
fiantes, le  Samien  prit  au  sérieux  son  titre 
de  généralissime  des  troupes  grecques , 
et  trancha  du  maître  absolu  dans  cette 
ville,  dont  il  s'annonçait  comme  le  libéra- 
teur. Établi  dans  le  palais  archiépiscopal, 
où  il  fixa  sa  résidence ,  il  manda  les  dé- 
mogérontes  ainsi  que  quelques-uns  des 
principaux  citoyens,  déclara  abrogée  la 
constitution  en  vigueur,  et  remplaça  les 
déroo^érontes  par  six  éphores. 

Mais  c'était  peu  de  renverser  un  gou- 


vernement et  d'en  établir  un  autre,  il 
fallait  des  forces  pour  attaquer  les  Turcs, 
fortement  retranchés  dans  la  citadelif. 
On  en  envoya  demander  à  Psara  et  2 
Corinthe.  Les  Psariotes  fournirent  vio^ 
barils  de  poudre,  deux  pièces  d*artiilerù 
sans  boulpts,  et  équipèrent  six  vaisseaui 
de  guerre  destinés  a  porter  secours  2 
Scio.  Le  ffouvernement  grec  établi  t 
Corinthe  oécida  qu'on  enverrait  deui 
mortiers  avec  cinq  oatteries  de  siège,  ei 
^u'un  certain  nombre  de  pbilbellèoei 
iraient  diriger  les  opérations  militaires. 
Mais  lorsque,  après  treize  jours  de  prépa- 
ratifs et  huit  jours  de  traversée ,  ces  se* 
cours  arrivèrent  à  Psara ,  Scio  était  déj) 
détruite. 

Dans  cet  intervalle ,  en  effet ,  les  Sa- 
miens attaquèrent  la  citadelle.  Les  Turci 
répondirent  en  bombardant  la  ville,  et 
pendant  que  leurs  feux  nourris  répan- 
daient la  mort  et  la  destruction ,  les  as- 
siégeants furent  contraints  d'éteindre 
les  leurs,  faute  de  munitions.  Bientôt 
même  la  division  éclata  parmi  ces  der- 
niers. Lycurgue  et  Burnias,  d'accord 
pour  s'emparer  de  Tautorité ,  ne  s'enteo- 
dirent  plus  dès  qu'il  s'agit  de  l'exercer. 
Chacun  d'eux  voulut  commander ,  Yat 
s'appuyant  sur  les  Samiens,  l'autre  sur 
la  multitude.  Il  n'y  eut  plus  ni  accord 
dans  le  conseil  ni  ensemble  dans  l'action. 
Alors  commença  la  défectioo  des  Sa- 
miens ;  ceux  d'entre  eux  qui  ne  déser- 
tèrent point  se  montrèrent  plua  ardent! 
au  pillage  qu'au  combat. 

Dans  cette  situation  un  grand  nombn 
de  familles  riches  résolurent  de  fuir. 
Une  lettre  menaçante  de  Burnias  en- 
joignit aux  éphores  de  s'opposer  par  tous 
les  moyens  à  ce  dessein.  Ombrageux  et 
tyranni'que ,  il  ne  se  contenta  pas  d'em- 
prisonner les  principaux  citoyens  pour 
les  empêcher  de  prendre  la  fuite;  il  éta- 
blit une  sorte  d'inquisition  domiciliaire 
Jour  et  nuit  il  fit  visiter  les  maisons  ài 
ceux  chet  qui  il  soupçonnait  TîntentioD 
de  fuir.  Les  éphores  nrent  ce  qu'ils  pu- 
rent pour  adoucir  les  maux  de  cette  ty- 
rannie tracassière  et  violoite.  Ils  s'oocû- 
pèrent  d'approvisionner  la  ville,  d*j 
introduire  des  armes ,  d'organiser  une 
armée  et  de  fonder  un  nouvd  ordre  po- 
litique. Tous  ces  efforts  furent  inutiles. 
L'heure  suprême  approchait. 

C'était  le  jeudi  11  avril  1823.  On  at- 


ILE  DE  CHIO. 


283 


lendait  encore  les  secours  de  la  Grèce. 
Tout  à  coup  parut  devant  Scio  la  flotte 
torque,  composée  de  trois  navires  à  trois 
poDts,  vingt- six  frégates  et  corvettes  et 
un  graud  nombre  de  vaisseaux  de  trans- 
port. Elle  était  commandée  par  le  ca- 
pitaD-pacha  Kara-Ali  (1). 

En  apprenant  ce  qui  se  passait  à  Scio , 
ie  sultan  avait  prononcé  trois  mots  ter- 
ribles \  feu,  fer  y  esclavage.  C'était  l'arrêt 
de  Scio.  H  eut  un  commencement  d'exé- 
cution à  Constantinople.  Les  trois  otages 
envoyés  dans  cette  ville  et  presque  tous 
les  Sciotes  qui  y  habitaient  furent  mis  à 
mort. 

La  flotte  jeta  l'ancre  tout  près  de  la 
ville,  et  ouvrit  le  feu.  Q  n'y  eut  point  de 
résistiince.  Les  Samiens  coururent  vers 
leurs  vaisseaux,  et  prirent  la  fuite.  Quant 
aux  habitants,  emportant  ce  qu'ils  avaient 
de  plus  précieux,  ils  cherchèrent  un 
refuge  dans  les  montagnes  ou  dans  les 
consulats  européens.  Alors  les  Turcs 
descendirent  à  terre ,  et  le  sac  de  la 
ville  et  les  massacres  commencèrent. 
Bientôt,  attirée  par  les  richesses  de  Scio 
et  la  beauté  de  ses  femmes ,  une  mul- 
titude sauvage  accourut  des  côtes  de 
TAsie  Mineure,  et  s'abattit  sur  la  ville 
comme  sur  une  proie.  Avides  et  san- 
guinaires, ces  barbares  pillèrent,  brû- 
lèrent, tuèrent  sans  relâche  ni  merci. 
Tous  les  hommes  au-dessus  de  douze 
«iDs ,  les  femmes  au-dessus  de  quarante, 
les  enfants  au-dessus  de  deux  furent 
passés  au  fil  de  l'épée.  Le  reste  ne  fut 
«épargné  que  pour  être  vendu.  Ceux  qui 
avaient  trouvé  un  asile  dans  les  consulats 
purent  voir  une  soldatesque  en  furie 
De  faire  trêve  aux  massacres  que  pour 
pousser  devant  elle  des  troupeaux  de 
leinmes,  de  jeunes  filles  et  d'enfants 
destinés  à  l'esclavage. 

Après  la  ville,  vint  le  tour  des  villages; 
h  dévastation  s'étendit  jusqu'aux  mon- 
tagnes. Un  grand  nombre  de  fugitifs,  qui 
n'avaient  pu  être  recueillis  sur  les  vais- 
saux  envoyés  par  les  Psariotes,  s'y 
étaient  cacnés.  Four  les  arradier  de  ces 
retraites,  le  capitan-pacha  eut  recours  à 
un  artifice  odieux.  Il  ordonna  aux  consuls 

(0  PouquevUle ,  UI ,  p.  468  ;  Al.  Souizo, 
Histoire  de  la  Rèvoludon  grecque  ,  p.  xgi- 
£ckenbrecher,  p.  $7 ,  Appelle  l'amiral  turc 
le  pacha  DulsiuoUs. 


et  à  Tarchev^ae  d'annoncer  aux  Sciotes 
qu'ils  pouvaient  obtenir  leur  grâce  en 
retournant  dans  leurs  demeures  et  en 
faisant  leur  soumission.  Pour  qu'on  ne 
doutât  pas  de  la  sincérité  de  la  déclara- 
tion il  montra  un  prétendu  firman  du 
sultan.  Aussitôt  les  consuls  firent  publier 
partout  la  nouvelle  de  cette  amnistie. 
Les  fugitifs  livrèrent  leurs  arpies,  et 
soixante-dix  d'entre  eux  vinrent  remer- 
cier en  leur  nom  le  capitan-pacha. 
Tous,  jusqu'au  dernier , furent  pendus, 
le  même  jour,  aux  mâts  des  vaisseaux.  Le 
lendemam  l'archevêque  Platon  et  tous 
les  autres  otages,  au  nombre  de  soixante- 
et-quinze,  eurent  le  même  sort.  Quant  à 
ceux  qui  sur  la  foi  de  Tamnistie  promise 
étaient  descendus  des  montagnes ,  ils  fu- 
rent massacrés  ou  réduits  en  esclavage. 

Seuls  jusque  alors  les  vilbges  où  sjb 
récolte  le  mastic  avaient  été  épargnés. 
Une  attaque  du  Psariote  Canaris ,  qui 
brûla  le  vaisseau  amiral  de  l'ennemi 
dans  le  port  de  Scio,  et  la  mort  du  ca- 
pitan-pacha, qui  périt  dans  cette  circons- 
tance avec  deux  mille  de  ses  soldats,  dé- 
chaînèrent sur  cette  partie  de  Plie  la 
fureur  des  Turcs.  La  vengeance  fut 
cruelle  ;  plusieurs  villages  furent  détruits 
de  fond  en  comble. 

On  ne  saurait  dire  avec  certitude  com- 
bien ,  dans  ces  lugubres  journées ,  péri- 
rent de  Sciotes,  combien  furent  faits 
esclaves.  Toutefois  il  est  permis  d'affirmer 
que  le  nombre  s'en  élevait  au  moins  à 
trente  mille.  Quant  aux  vingt  mille 
sauvés  par  les  Psariotes  et  à  ceux  qu'avait 
recueillis  les  consuls ,  ils  se  dispersèrent 
dans  toutes  les  parties  du  monde.  Six 
mille  se  rendirent  à  Trieste;  d'autres 
allèrent  s'établir  également  dans  des 
villes  oi^  habitaient  des  Sciotes;  un 
grand  nombre  se  fixèrent  en  Grèce,  ou 
gagnèrent  Londres ,  Manchester ,  Li  ver- 
pool.  Astrakan,  Téhéran,  et  même  l'A- 
mérique et  les  Indes.  Il  n*en  resta  à 
Scio  qu'environ  dix  mille,  presque  tous 
pauvres. 

Toute  vie  cependant  ne  s'éteignit  pas 
dans  cette  population  décimée;  Scio 
sortit  peu  à  peu  de  ses  ruines.  Mais  sur 
ce  sol,  qui  ofnrait  autrefois  l'aspect  d'une 
si  grande  prospérité,  la  vengeance  des 
Ottomans  a  laissé  des  traces  qui  ne  sont 
pas  encore  effacées. 


284 


L'UNIVERS. 


IV. 


TABLEAU  GÉNÉBAL  DE  LA  CIVILISA- 
TION DANS  L*fLB  DE  CHIO  AUX 
TEMPS  ANCIENS  ET  MODERNES. 

P0PULATI0N,ESGLAVES. — ^NOUSavODS 

VU  de  quels  éléments  se  composait  Ja  po* 
pulatiou  primitivede  Cbio.  Cette  popula- 
tion Ait  entièrement  renouvelée  vers  le 
milieu  du  douzième  siècle  avant  Tère 
chrétienne,  par  suite  de  rétablissement 
des  Ioniens  dans  llle.  Les  Spartiates  et 
\es  Thessaliens  laissèrent  subsister  dans 
les  pays  dont  ils  prirent  possesion  les  ha- 
bitants qu'ils  y  trouvèrent  établis,  mais 
en  les  réduisant  en  esclavage.  Chez  eux 
il  y  eut  des  vainqueurs  et  des  vaincus, 
des  citoyens  et  des  esclaves  ;  les  premiers 
avalent  leurs  Hilotes ,  les  seconds  leurs 
Pénestes.  Mais  les  Ioniens  quiVétabli- 
rent  à  Chio  suivirent  un  mode  de  con- 
quête différent  :  ils  expulsèrent  les  an- 
ciens colons ,  et  s'y  substituèrent  dans 
toute  rétendue  de  rile.  Chez  eux  il  n'y 
eut  que  des  vainqueurs,  des  hommes  li- 
bres. Or,  c'était  mie  nécessité  des  sociétés 
antiques  qu'il  y  eût  des  esclaves.  Les 
Chiotes  surtout  ne  pouvaient  s'en  passer. 
Peuples  de  marchands,  ils  avaient  besoin 
de  bras  pour  leur  commerce  et  plus  en- 
core pour  l'agriculture ,  dont  ils  étaient 
distraits  par  leurs  affaires.  Aussi,  en  eu- 
rent'ils  de  bonne  heure.  Après  les  Spar- 
tiates et  les  Thessaliens,  chez  qui  l'escla- 
vage fut  le  ré.sultat  même  de  la  con- 
quête, les  Chiotes  furent  les  premiers  des 
Grecs  qui  se  servirent  d'esclaves.  Ils 
allaient  les  adieter  à  Délos,  marché  fa- 
meux où  venaient  se  pourvoir  tous  les 
Ioniens  de  l'Asie  Mineure. 

Obligés  d'en  employer  un  grand  nom- 
bre, les  Chiotes  les  traitaient  fort  du- 
rement, et  se  vengeaient  par  l'oppression 
de  la  crainte  que  cette  multitude  leur 
inspirait.  Aussi  de  nombreux  soulève- 
ments éclatèrent.  Vers  Tan  600  avant 
J.-C,  l'esclave  Drimacus  excita  ses 
compagnons  a  la  révolte,  se  mit  à  leur 
tête,  et  ravagea  l'tle.  Après  avoir  résisté 
avec  succès  aux  Chiotes,  il  conclut  avec 
eux  un  traité  des  plus  singuliers.  Il  s'en- 

Sageait  à  ne  prendre  et  à  ne  laisser  pren- 
re  à  ses  hommes  que  ce  qui  serait  néces- 
saire  à  leur  subsistance  et  à  n'accueillir 
désormais  comme  esclaves  fugitifs  que 
ceux  qui  auraient  essuyé  de  mauvais  trai- 


tements de  la  part  de  leur  maitre.  Uoti 
autre  insurrection  servile  fut  encore] 
plus  funeste  à  Chio  ;  ce  fut  celle  qui 
éclata  lors  du  siège  de  la  ville  par  les 
Athéniens  pendant  la  guerre  de  Pélo- 
ponnèse (412  avant  J.-C.).  Les  esclaves 
en  armes  se  joignirent  aux  assiégeants,  et 
firent  le  plus  grand  mal  à  llle,  déjà  dé- 
chirée par  deux  factions  rivales. 

Aujourd'hui  la  population  de  Scio 
est  de  38,000  âmes.  Elle  se  compose  de 
Grecs,  d'Italiens  et  de  Turcs.  Les  pre- 
miers, qui  en  forment  la  plus  grande 
partie,  sont  au  nombre  de  35,000,  les 
Italiens  d'environ  1,000  et  les  Turci 
de  2,500. 

Avant  la  guerre  derindépendance  Scis 
renfermait  100,000  habitants.  Telle  est 
du  moins  l'opinion  répandue  dans  File; 
car,  d'après  une  statistique  faite  par 
l'archevêque  de  Scio  Platon,  Tfle  n  au- 
rait compté  à  cette  épooue  que  78,000 
habitants.  Dans  ce  nombre  24,000  ao- 
raient  appartenu  à  la  ville,  à  savoir 
20,000  Grecs,  1,500  Italiens  et  2,50« 
Turcs  ;  50,000  aux  villages  et  tous  Grecs; 
4,000  aux  Jardins,  à  savoir  3,000  Grec 
et  1,000  Italiens.  Quoi  qu'il  en  soit,  i 
résulte  de  cette  statistique  que  riosur* 
rection  de  1822  coûta  à  l'Ile  plus  de  it 
moitié  de  ses  habitants. 

Les  Italiens ,  toujours  désignés  sous 
le  nom  de  Catholiques,  sont  les  descen- 
dants des  Génois  qui  dominèrent  dans 
l'île  pendant  deux  siècles  (1346-1566}. 
Comme  ils  s'unissent  rarement  par  des 
mariages  avec  les  Grecs,  ils  ont  conservé 
leur  type  ainsi  que  les  principaux  traits 
du  caractère  national.  Ils  sont  aussi  res- 
tés fidèles  à  la  religion  de  leurs  pères,  et 
l'antipathie  oui  rqB;na  longtemps  entn 
les  Latins  et  les  Grecs  divisa  é^alenieol 
les  Grecs  et  les  Italiens  de  Scio.  Tou- 
tefois ,  ces  derniers  parlent  la  langue 
grecque. 

GouvBBNfiHENT.  — Pour  le  gouver- 
nement de  Chio  dans  l'antiquité,  il  nous 
reste  peu  de  chose  à  dure.  T^ous  avou 
vu  en  effet  que  les  chefs  des  différen- 
tes colonies  qui  s'établirent  successive- 
ment  dans  Tue  y  exercèrent  héréditai* 
rement  la  royauté.  Lorsque  Chio  entr^ 
dans  la  confédération  Ionienne,  elle  con- 
tinua d'être  régie  par  des  rois.  Ces  rois, 
comme  ceux  des  autres  villes  ionleBoes, 
relevaient  du  roi  d*Éphèse,  qui  exerçait 


ILE  D£  GHIO. 


28r> 


une  sorte  de  sazeraineté  sur  les  autres. 
Ces  princes  n'avaient  rien  de  commun 
avec  les  t3nrans  imposés  plus  tard  par  la 
domination  persane.  Leurs  attributions 
se  bornaient  a  commander  les  armées,  à 
tenir  les  assemblées,  à  rendre  la  justice  et 
à  présider  aux  sacrifices  publics.  Ils  n'é- 
taient guère  que  les  che£s  d'un  peuple 
libre.  D'ailleurs  les  Cbiotes,  comme  tous 
les  Ioniens,  étaient  naturellement  portés 
vers  le  gouvernement  populaire;  l'in- 
dustrie et  le  commerce,  auxquels  ils  se 
livraient  ayec  tant  d'activité,  fortifièrent 
encore  chez  eux  l'amour  et  le  besoin  de 
la  liberté.  Réunis  en  assemblée ,  les  ci- 
toyens délibéraient  sur  les  affaires  ^ui 
concernaient  l'Ile.  Quant  à  celles  qui  m- 
téressaient  la  confédération  tout  entière , 
elles  se  traitaient  an  Panionium,  ou  as- 
semblée générale  des  Ioniens  de  l'Asie 
Mineure. 

FiNAivcBS,  TAXES.  —  L'histoire  ne 
nous  apprend  pas  à  quelle  somme  s'é- 
levaient les  finances  de  l'Ëtat,  ni  de 
quelle  manière  elles  étaient  administrées, 
jtous  savons  seulement  que  des  taxes 
étaient  imposées  sur  les  produits,  et  que 
rimportation  et  l'exportation  des  objets 
du  commerce  étaient  soumises  à  cer- 
tains droits.  Anstote  (1)  nouç  apprend 
encore  qu'il  existait  une  loi  d'après  la- 
quelle cnaque  fois  qu'un  emprunt  se 
faisait,  le  préteur  et  l'emprunteur  étaient 
tenus  d'inscrire  leurs  noms  ainsi  que  la 
8omme  sur  un  registre  public.  Les  frais 
de  l'enregistrement  étaient  pour  l'État 
une  source  de  revenus,  qui  cnez  un  peu- 
pie  commerçant  devait  être  assez  abon- 
dante. Le  gouvernement  avait  encore  un 
autre  moyen  de  se  procurer  de  l'argent 
quand  il  en  avait  besoin  :  il  décrétait  que 
les  débiteurs  verseraient  dans  le  trésor 
public  l'argent  qu'ils  devaient  à  leurs 
n-éanciers ,  et  aue  l'Ëtat  payerait  à  ces 
derniers  l'intérêt,  jusqu'au  moment  où  il 
serait  en  mesure  de  leur  rembourser  le 
capital. 

GouVEBIfEUENT  ET  ADHmiSTRA- 
TIO^  DE  LA  SCIO  MODEBNE.  —  SOUmlS 

à  la  Turquie,  les  babitants  de  Scio,  s'ils 
ne  jouissent  pas  de  l'indépendance  po- 
litique, conservent  cependant  une  liberté 
eivile  très-étendue.  Cette  remarque, 
toutefois,  ne  s*applique  pas  n  l'tle  tout 

'^  Aristotp  ,  Économtqtfes ,  U,  12. 


entière.  Les  villages situésdans  la  contrée 
où  se  fait  la  récolte  du  mastic  ainsi  que 
quatre  autres,  Daphonas.Vasiiioniko,  Ca- 
ryœ,  et  Uagios-Georgios  (Saint-Georges), 
sont  placés  sous  l'autorité  immédiate  du 
gouverneur  turc  et  soumis  à  certaines 
corvées.  Nous  avons  vu  plus  haut  dans 
quelle  condition  se  trouvaient  les  pre- 
miers, qui  sont  au  nombre  de  vingt  et  un. 
Quant  aux  quatre  autres ,  les  trois  pre- 
miers sont  obligés  d'entretenir  les  aque- 
ducs qui  approvisionnent  d'eau  la  ville 
de  Scio ,  et  le  quatrième  de  fournir  la 
chaux  pour  les  constructions  militaires. 
Mais  telle  n'est  pas  la  situation  de  la 
ville  de  Scio  et  des  quarante  et  un  vil- 
lages qui  en  dépendent.  Sauf  une  cer- 
tame  taxe,  assez  modérée,  ils  sont,  dans 
tout  ce  qui  concerne  leur  gouvernement, 

{)resque  entièrement   indépendants  de 
'autorité  turque. 

Celle-ci  est  représentée  dans  l'tle  par 
un  gouverneur  envoyé  deConstantinople, 
un  commandant  du  château  et  un  cadi 
ou  juge.  Le  pouvoir  qu'ils  exercent  au 
nom  de  la  Porte  est  singulièrement  li- 
mité, dans  la  ville  et  ses  dépendances,  par 
les  droits  et  les  prérogatives  du  gouver« 
nement  local.  A  la  tête  de  celui-ci  se 
trouvent  cinq  magistrats,  appelés  démo- 
gérontes ,  dont  trois  grecs  et  deux  ca- 
tholiques ;  fnais  cea  deux  derniers  n'ont 
qu'une  médiocre  influence.  L'élection  de 
ces  n)agistrats  a  lieu  tous  les  cinq  ans, 
le  15  février.  Lesélecteurs  sont  d'anciens 
démogérontes  et  les  chefs  des  congré- 
gations. Pour  être  éligible  il  faut  des- 
cendre d'une  des  familles  considérables 
de  Scio,  dont  les  membres  se  donnent 
entre  eux  le  titre  à' archontes.  L'éligibi- 
lité n'est  soumise  qu'à  cette  condition,  et 
n'est  pas  attachée  à  la  possession  d*un 
bien  tonds  ou  d'une  fortune  quelconque 
en  argent.  L'élection  faite ,  elle  est  no- 
tifiée au  cadi,  qui  la  confirme.  Mais  ce 
n'est  là  qu'une  simple  formalité;  le  cadi 
ne  peut  refuser  la  confirmation.  Il  a 
tout  au  plus  la  faculté  d'exclure  tel  ou 
tel  des  élus  ;  encore  n'en  use-t-il  jamais. 
Le  collège  des  cinq  démogérontes  se 
nomme  mesas.  Élu  par  le  concours  des 
libres  volontés  des  citoyens  placés  sot^s 
son  autorité,  le  mésas  est  avant  tout  un 
pouvoir  national,  établi  pour  défendre 
les  droits  et  les  privilèges  de  la  ville  et 
de  ses  dépendances.  C'est  par  son  in- 


286 


LimiVERS. 


termédiaire  que  le  gouvernement  turc 
se  met  en  rapport  avec  cette  partie  de 
rîle;  c^est  lui  qui  fait  obtenir  justice 
aux  habitants  maltraités  ou  lésés  par 
les  Turcs ,  en  déférant  les  plaintes  qui 
lui  sont  adressées  à  Tautorité  turque  de 
nie  et,  au  besoin,  au  divah  lui-même. 

Les  pouvoirs  du  mésas  sont  très-éten- 
dus.  Investi  de  la  puissance  législative, 
il  exerce  aussi  le  pouvoir  judiciaire  et 
forme  la  plus  haute  cour  Je  justice.  Il 
juge  en  matière  civile  et  criminelle. 
Toutes  les  peines  décernées  par  lui ,  le 
gouvernement  est  obligé  de  les  laisser 
infliger  sans  informer.  Toutefois  y  il  ne 
peut  prononcer  la  peine  de  mort,  droit 
réservé  au  cadi,  qui  est  tenu  cependant, 
quand  il  veut  Texercer,  de  demander  Tas- 
sentiment  du  mésas.  t)e  la  juridiction 
suprême  de  celui-ci  ressortissent  le  tri« 
bunal  de  commerce  et  le  tribunal  mari- 
time, qui  jugent  comme  lui  en  première 
et  en  dernière  instance,  ainsi  que  les  ar- 
bitres appelés  à  décider  dans  les  afjfaires 
litigieuses. 

Les  démogérontes  doivent  encore  veil* 
1er  à  ce  que  llle  soit  toujours  suffisam* 
ment  jpourvue  de  vivres;  soustraire  aux 
spéculations  le  commerce  du  blé  et  du 
bétail,  oui  viennent  en  grande  partie  de 
TAsie  Mineure,  et  empêcher  que  les  pau- 
vres ne  manquent  du  nécessaire. 

Ajoutons  que  ces  magistrats ,  comme 
les  anciens  censeurs  romains,  exerçaient 
avant  la  guerre  de  Tlndépendance  une 
certaine  surveillance  sur  les  mœurs.  Ils 
avaient  le  droit  de  punir  les  actions  oui 
leur  paraissaient  contraires  à  la  morale, 
et  d'arrêter  les  progrès  du  luxe.  Us  por- 
tèrent même  un  jour  une  loi  qui  interdi- 
sait rimportation  des  étoffes  précieuses 
pour  habillements,  Tusage  des  diamants 
et  des  châles  perses. 

Outre  les  déinogérontes,  il  v  avait  au- 
trefois une  assemblée  des  notables,  qu*ils 
étaient  tenus  de  convoquer  dans  certaine 
circonstance.  Mais  cette  assemblée  ser- 
vait plutôt  à  appuyer  qu'à  resteindre  leur 
autorité.  Cette  autorité,  le  mésas  l'a  tou- 
jours exercée  d'une  manière  intègre, 
ferme  et  sage.  Aussi  fut-il  toujours  craint 
et  resuecte,  et  jamais  les  habitants  de 
Scio  n  eurent  à  user  du  droit  qu*ils  pos- 
sèdent de  révoquer  de  leurs  fonctions 
ceux  des  démogérontes  qui  ont  failli  à 
leur  mandat« 


Uautorité  des  démogérontes  s*étend 
sur  toutes  les  églises  de  la  ville  et  des 
villages  qui  en  dépendent.  L*archevêque 
lui-même  relève  d*eux,  non-seulement 
pour  le  temporel,  mais  même  dans  cer* 
taines  attributions  de  la  juridictloa  ce* 
clésiastique.Cest  ainsi  qu'il  ne  peut  pro- 
noncer d  excommunication  qu'avec  leur 
consentement,  et,  ce  qui  paraît  plus  sin- 
gulier encore ,  sur  la  décision  des  tri- 
bunaux de  commerce  et  de  marine,  qui 
ont  le  droit  d'appliquer  la  sentence.  Éq 
matière  de  discipline  ecclésiastique ,  ki 
pouvoirs  spirituels  de  ce  prélat  sont 
plus  étendus.  Il  peut  déposer  les  prêtres 
aélinauants ,  et  même  les  mettre  eu  pri- 
son aans  sa  métropole.  Quant  à  soq 
élection,  elle  est  faite  par  les  patrianbes 
de  Gonstantinople,  lesquels  consultent 
toutefois  les  vœux  des  principaux  bbi- 
tants  de  Scio. 

La  liberté  religieuse  dont  jouit  Scio 
n'est  pas  moins  grande  que  sa  liberté 
politique  et  civile.  Aucun  des  peuples 
soumis  aux  Turcs  ne  possède  autant 
d'indépendance,  autant  de  privilége>; 
nulle  part  le  despotisme  turc  ne  se 
fait  moins  sentir  ;  nulle  part  les  droits 
des  vaincus  ne  sont  aussi  étendus,  aussi 
respectés.  Plusieurs  causes  expliqueut 
la  douceur  de  la  domination  ottomarje 
dans  cette  île.  Lorsqu'elle  se  soumit  aui 
Turcs,  un  Grman  du  sultan  lui  garautii 
un  grand  nombre  de  privilèges,  que  U 
fermeté  et  la  sagesse  de  ses  ma^istrais 
nationaux  lui  ont  conservés.  Ajoutoii^ 
Funiou  patriotique  qui  règne  parmi  Irî 
citoyens  ;  leurs  richesses  acquises  par  ua 
commerce  actif,  et  Tusa^e  nabile  qii'u^ 
savent  eu  faire  dans  l'intérêt  de  leur  pa- 
trie et  pour  le  maintien  de  leurs  droùi. 
Ils  ont  toujours  à  Constantinople  un  ou 
plusieurs  des  plus  considérables  de  leurs 
concitoyens,  à  qui  ils  fournissent  Targeut 
nécessaire  pour  acheter  la  faveur  dts 
membres  les  plus  influents  du  divan.  Pjt 
là  il  arriva  en  tout  temps  que  le  gou- 
verneur envoyé  dans  l'île  fut  obligé  (ie 
se  conformer  à  la  volonté  des  habitanti; 
s'il  y  résistait,  il  sufBsait  d^une  plainte 
adressée  à  Constantinople  pour  le  faire 
immédiatement  révoquer.  C'est ceque les 
gouverneurs  savaient  d'avance,  et  ils  ré- 
glaient leur  conduite  en  conséqueoet- 
Avant  la  guerre  de  l'indépendance,  \& 
Chiotes  employaient  encore  un  autre 


ILE  Dft  CHIO. 


287 


moyen'pour  neutraliser  rinflaencedeletir 
gouvernear.  Afin  d*empécher qu'il  ne  fUt 
rorrompn  par  des  particuliers,  il  fut  dé- 
fendu expressément  de  lui  rendre  visite. 
Un  citoyen  était-il  appelé  auprès  de  lui , 
il  fallait  qu'il  demandât  l'autorisation 
des  démogerontes,  et  qu'à  son  retour  il 
leur  fit  connaître  le  motif  pour  lequel 
il  avait  été  mandé.  Les  démogérontes  et 
les  chefs  des  corporations  pouvaient  seuls 
le  visiter  librement. 

Ces  mof  eus  tout  pacifiques  employés 
par  les  Cniotes  pour  se  maintenir  dans 
une  sorte  d'indépendance  à  l'égard  de  la 
Porte  constrastent  singulièrement  avec 
«eux  dont  usaient  les  tfydriotes.  Ceux-ci 
s'exerçaient  journellement  au  maniement 
des  armes,  et  se  créèrent  une  marine  mar- 
chande dont  les  nombreux  navires  pou- 
vaient devenir  au  besoin  des  vaisseaux 
fie  guerre.  Aussi  avant  l'insurrection  au- 
cun Turc  n'osait  mettre  le  pied  sur  leur 
territoire  ;  et  au  plus  fort  de  la  guerre 
de  l'Indépendance  les  Turcs  n'eurent 
c'irde  de  tenter  une  attaque  sur  l'Ile.  Les 
Chiotes,  au  contraire,  soit  qu'au  milieti 
delà  prospérité  dont  ils  jouissaient  sous 
le  gouvernement  turc  ils  eussent  ou- 
blié que  leur  Indépendance  n'était  que 
précaire,  soit  que  1  esprit  mercantile  eât 
absorbé  chez  eux  tout  esprit  guerrier,  les 
Chioies  n^ligèrent  de  se  créer  une  force 
militaire.  Leurs  richesses  et  leur  ha- 
bileté protégèrent,  il  est  vrai,  leurs  liber- 
tés tantqu'ils  restèrent  soumis  à  la  dohii- 
nntion  ottomane;  mais  au  jour  de  la  lutte 
lis  s'aperçurent  au'il  faut  quelque  chose 
de  plus  à  un  peuple  qui  veut  s'affranchir. 

Religion.  —  La  religion  des  Chiotes 
dins  l'antiquité  ne  diffère  en  rien  de 
lelle  des  autres  peuples  grecs.  Colons 
d'Athènes,  ils  se  placèrent  sous  la  pro- 
tection particulière  de  Minerve,  la  di- 
vinité tutélaire  de  leur  métropole.  Ils 
adoraient  également  Jupiter,  oui  du  mont 
Pelinéen,  où  il  avait  un  temple,  fut  sur- 
poramé  Jupiter  Pélinéen;  Apollon,  dont 
ils  allèrent  célébrer  la  fête  à  Délos,  avec 
les  autres  Ioniens;  Bacchus,  qui  ne  pou- 
vait manquer  d'adorateurs  dans  l'île  qui 
produisait  les  meilleurs  vins  de  la  Grèce; 
enOn  Vénus,  la  divinité  la  plus  honorée 
3  Chio,etdont  le  temple,  d'une  grande 
magnificence,  était  desservi  par  un  grand 
Dombre  de  femmes  d'une  remarquable 
beauté. 


Les  habitants  chrétiens  de  la  Scio 
moderne,  tous  de  l'Église  greco-schisma- 
tique,  se  distinguent  parleur  zèle  pour 
la  pratique  extérieure  de  la  religion.  Ils 
vouent  surtout  aux  saints  une  adoration 
particulière,  au  poin t  qu'un  voyageur  (1) 
raconte  avoir  entendu  des  Grecs  du  peuple 
faire  ce  naïf  aveu  :  «  Tout  comme  nos 
ancêtres,  les  anciens  Grecs,  nous  avons 
un  grand  nombre  de  divinités,  saint 
George,  saint  Isidore,  etc.  » 

Avant  la  guerre  de  Tindépendance,  la 
ville  de  Scio  avait  soixante-six  églises^  et 
les  villages  plus  de  six  cents.  L'tle  en 
possède  encore  un  grand  nombre  au- 
jourd'hui ;  elle  renferme  aussi  neuf  cou- 
vents, dont  un  surtout  mérite  d'être  cité  : 
c'est  celui  de79éa*Moni.  11  est  situé  au 
centre  de  File,  dans  une  plaine  solitaire, 
entoura  de  montagnes  couvertes  de 
pins.  L'église,  monument  du  onzième 
siècle,  porte  l'empreinte  du  caractère 
religieux  de  cette  époque.  t)ans  la  cou- 
pole sont  représentes  en  mosaïque ,  sur 
un  fond  doré,  le  Christ,  les  douze  apôtres 
et  la  troupe  céleste  des  anges.  Cette  mo- 
saïque ne  diffère  en  rien,  quant  au  pro- 
cédé employé  par  l'artiste,  de  celle  de 
la  coupole  de  Sainte-Sophie  à  Coustanti- 
nople.  Dans  les  deux  monuments  les 
morceaux  rapportés  de  verre  coloré 
dont  sont  formées  les  figures  sont  d'une 
entière  conformité. 

Avant  l'insurrection  il  y  avait  dans  ce 
couvent  plus  de  quatre  cents  moines  ;  au- 
jourd'hui iis  ne  sont  plus  qu'au  nombre 
de  guatre-vingts.  Ils  s'occupent  parti- 
culièrement de  culture.  Leurs  posses- 
sions territoriales  forment  la  sixième 
partie  de  nie;  et' ils  les  auraient  sans 
doute  agrandies  encore,  si  un  décret  des 
démogérontes  ne  leur  avait  interdit  de 
nouvelles  acquisitions  de  territoire. 

Moeurs.  —  Au  contact  des  peuples 
asiatiques,  les  Cbiotes  connurent  tous  les 
raffinements  de  la  civilisation  orientale. 
Dans  la  molle  et  voluptueuse  tonie  ils 
se  distinguèrent  par  leurs  mœurs  ef- 
féminées ,  et  leur  goât  excessif  pour  les 
plaisirs.  Ce  goût  s^lliait  admirablement 
chez  eux  à  l'esprit  mercantile  ;  le  com- 
merce alimentait  le  luxe ,  et  ils  ne  savaient 
as  moins  bien  jouir  de  leurs  richesses  que 
es  acquérir.  La  triste  philosophie  d'Epi- 

(i)  f^kenbiTcher,  Die  tnsel  Chics ,  p.  3o. 


288 


L'UNIVERS. 


cure,  enseignée  avec  éclat  à  Chio  par  Mé- 
trodore,  nefîit  pas  chez  eux  l'objet  de  spé- 
culations abstraites;  mais  ils  savaient  la 
pratic|uer.  Vivre  à  la  façon  des  Chiotes 
signihe  dans  Pétrone  (1)  vivre  dans  la 
mollesse  et  dans  les  plaisirs.  Ils  se  firent 
surtout  une  grande  réputation  de  gastro- 
nomie. Leur  supériorité  dans  Part  d'as- 
saisonner les  mets  a  été  célébrée  par  un 
poète  comique  (2)  :  leurs  cuisiniers  étaient 
renommés  et  recherchés.  L'un  d'eux, 
Nérée,  est  mentionné  parmi  les  sept  fa- 
meux cuisiniers  dont  le  poète  Euphron 
a  transmis  les  noms  à  la  postérité,  non 
sans  les  comparer  aux  sept  Sages  de  la 
Grèce. 

Imitateurs  des  Lydiens,  peuple  des 
plus  efféminés  de  l'Asie  et  grands  inven- 
teurs de  jeux  de  hasard ,  les  Chiotes  pri- 
rent leurs  costumes  et  leurs  jeux.  Ils 
paraissent  avoir  été  d'habiles  joueurs , 
puisqu'au  jeu  des  osselets  le  mot  chiote 
était  synonyme  de  coup  heureux. 

Ils  portaient  aussi  les  cheveux  coupés 
d'une  manière  particulière  ;  et  l'on  disait 
se  faire  tondre  et  épiler  à  la  façon  des 
Chiotes. 

Les  vicissitudes  politiques  que  oe  peu- 
ple eut  à  subir  dans  l'antiquité  ne  chan- 
gèrent pas  ses  mœurs.  Dans  les  temps 
modernes  aussi ,  les  Chiotes  surent  con- 
cilier le  goût  des  plaisirs  avec  leur  acti- 
vité commerciale.  Avant  la  guerre  de  l'in- 
dépendance les  bals  étaient  fréquents  et 
brillants  à  Scio.  «  On  ne  fait ,  ait  Piétro 
«  Della-Valle,  que  chanter,  danser  et 
«  converser  avec  les  dames.  »  Celles-ci 
y  avaient  conservé  leur  antique  beauté. 
Tous  les  voyageurs  s'accordent  à  leur 
rendre  ce  témoignage,  a  Malgré  le  séjour 
<<  d'un  grand  nombre  de  Turcs  dont  la 
«  ville,  dit  Choiseul-GoufÛer  (3),  les 
«  femmes  y  jouissent  de  la  plus  grande 
«  liberté.  Elles  sont  gaies ,  vi?es  et  pi- 
«  quantes.  A  cet  agrément  elles  ioin- 
«  araient  l'avantage  réel  de  la  bçauté,  si 
a  elles  ne  se  défiguraient  par  l'habille- 
«  ment  le  plus  déraisonnable  et  en  même 
«  temps  le  plus  incommode.  On  est  dé- 
«  sole  de  voir  cet  acharnement  à  perdre 

(i)  ^ ptiero  vitam  Chiam  gessi ;  Pétrone, 
Satyricon,  chap.  63. 

(a)  Athénée ,  XII ,  p.  5a4. 

(3)  Choiscul-Gouffier,  I,  p.  i5o,  i5i.  Cf. 
Chaudler,  I,  p.  109;  Dalla way,  II,  p.  8r. 


«  tous  les  avantages  que  leur  a  d<»nes  h 
ft  nature...  Elles  forment  un  spectacle 
a  charmant,  lorsque,  assises  en  foule  sur 
«  les  portes  de  leurs  maisons,  elles  tra* 
«  vaillent  en  chantant  :  leur  gaieté  natu- 
«  relie  et  le  désir  de  vendre  leurs  ou- 
A  vrages  les  rendent  familières  avec  les 
«  étrangers,  qu'elles  appellent  à  i'envi. 
«  et  qu'elles  viennent  prendre  par  h 
«  main  pour  les  forcer  d'entrer  chez 
«  elles.  On  pourrait  les  soupçonner  d'à- 
«  bord  de  pousser  peut-être  un  peu  loin 
«  leuv  affabilité;  maison  aurait  tort. 
«  nulle  part  les  femmes  ne  sont  si  libres 
«  et  si  sages.  » 

Mais  la  beauté  n'est  pas  la  seule  qua- 
lité des  femmes  chiotes  :  elles  ont  um 
merveilleuse  aptitude  pour  tous  les  tra- 
vaux domestiques.  Elles  s'occupent  avef 
une  rare  sollicitude  du  bien-être  de  leun 
lAaris  et  de  leurs  familles.  Leur  mérile 
en  cela  est  d'autant  plus  grand  ,  qu'ellfs 
n'ont  presque  jamais  d'époux  de  leur 
choix.  Loin  de  consulter  l'inclination  de 
leurs  filles,  les  parents  promettent  sou- 
vent leur  main  dès  leur  plus  tendre  jeu- 
nesse. Il  n'est  même  pas  rare  de  voir  des 
fiancées  au  berceau.  Frappé  de  cette  sin- 
gulière coutume,  un  voyageur  contem- 
porain (1)  demanda  sielïe  ne  donnait 
pas  bien  souvent  lieu  à  des  liaisons  cou- 
pables. A  Cette  plante,  lui  répondit-on, 
qui  en  Europe  empoisonne  tant  d'exis- 
tencelï ,  ne  réussit  pas  sur  le  sol  chiote.  ^ 
Il  est  remarquable  que  ces  unions  con- 
tractées sans  que  l'on  tienne  compte  du 
sentiment,  qui  partout  ailleurs  les  forni! 
et  les  cimente,  sonten  général  heureuses. 

Ajoutons  que  les  Chiotes  sont  hospi- 
taliers et  polis.  «  11  n'est  autre  ville,  dit 
ft  dans  son  vieux  langage  Belon,  cité  par 
«  Dalla  way  (2),  où  les  gens  soient  plus 
«  courtois  qu'à  Chio.  Aussi  est-ce  U 
R  lieu  de  la  meilleure  demeure  que  ^v 
«  chions  à  notre  gré.  »  Ce  témoignage 
est  toujours  vrai. 

Commerce  ,  industbir.  —  Cette  vif 
de  jouissances  raffinées  était  favorisé" 
chez  les  anciens  Chiotes  par  d'immenses 
richesses ,  fruit  d'un  commerce  actif  et 
étendu.  Ce  fut  là  aussi  la  source  du  bien- 
être  et  de  la  demi-indépendance  dont 
jouirent  les  Chiotes  sous  legouvernement 

(i)  Eckenbrecher,  Die  Jnsel  ChioSf  p.  r 
(1)  Dallaway ,  t.  II ,  p.  Sa. 


ILK  DE  CaiO. 


2S9 


tare,  jasqo'à  Tépoqne  de  leur  insarree* 
tioo.  L'esprit  commercial  en  effet  a 
toujours  formé,  dans  Tantiquité  et  dans 
les  temps  modernes,  le  fonds  même  du  ea- 
raetère  national  de  ces  insolaires.  Deux 
causes  nous  expliquent  cette  tendance  : 
la  position  de  Cbio ,  située  au  milieu  de 
la  mer,  entre  TEurope  et  l'Asie,  sur 
cette  grande  route  maritime  du  oom- 
nMrce  ancien ,  invitait  naturellement  ses 
habitants  au  négoce;  d*autre  part,  la 
oaturede  leur  tle,  dont  le  sol  pierreux  est 
peu  propre  à  l'agriculture,  leur  en  faisait 
en  queloue  sorte  une  nécessité.  Aussi  eu- 
reot-ilsae  bonne  beureune  marine.  Leurs 
raisseaux  visitaient  les  Cyclades,  les  Spo- 
rades,  le  Pont ,  les  côtes  de  la  Phénicie, 
tout  le  littoral  de  la  Méditerranée ,  le 
long  duquel ,  en  suivant  la  route  par- 
courue par  les  Phéniciens  et  couverte  de 
leurs  colonies,  ils  étendirent  leurs  rela- 
tions eommerdales  jusqu'aux  extrémités 
de  la  presqu'tle  Ibérigue,  avec  la  Grèce, 
Carthage,  la  Cyrénaïaue,  la  Sicile ,  la 
Sardaigne,  la  colonie  phocéenne  de  Mar- 
seille et  les  cités  maritimes  de  l'Espagne. 
Mais  ce  fut  surtout  vers  TÉgypte  que  se 
dirigèrent  leurs  courses,  lorsque  ce  pays, 
déjà  ouvert  aux  Grecs  par  Psammitichus 
(656  av.  J.-C.  ),  6it  sorti  définitivement 
de  son  isolement  sous  le  rè^e  d'Amasis 
(570  av.  J.-G.  ).  Ge  roi,  qm  rompit  avec 
les  préjugés  nationaux  au  point  d'épou- 
ser une  Grecque  de  Gjrrène,  céda  aux 
Grecs  la  ville  de  Naucratis,  sur  la  branche 
çanopique  du  Nil,  pour  servir  d'entrepôt 
à  leur  commerce  en  Egypte,  et  leur  per- 
mit d'ériger  dans  ses  Etats  des  temples 
à  leurs  divinités.  L'un  de  ces  temples , 
nommé  Helléoium,  le  plus  beau  de  tous, 
fut  bâti  avec  l'argent  de  neuf  villes  grec- 
<)aes,  parmi  lesquelles  figurait  Gbio.  Les 
Chiotes  paraissent  même  avoir  fondé  des 
établissements  particuliers  en  Egypte. 
Selon  toute  apparence ,  la  ville  aopelée 
par  Polyen  (1  )  la  Gbio  égyptienne  fut  une 
de  leurs  colonies.  Etienne  de  Byzance  dit 
positivement  qu*il  y  avait  enl^gypte  une 
ville  appelée  Gbio,  qui  prit  plus  tard  le 
nom  de  Bérénice. 

Le  commerce  des  Ghiotes  était  ali- 
ineDté  par  les  productions  variées  de  l'tle 
H  par  rindostrie  active  des  habitants. 
lis  excellaient  surtout  dans  la  tisseran- 

(0  Polyen,  Strmtag.,  II,  s8. 

IIH  Livraiëon.  (Ils  db  Chio.) 


derie  et  dans  la  fabrication  d'ouvrages 
de  poterie,  de  vases  d'argile,  une  des 

Êrincipales  branches  de  leur  industrie, 
lais  1  article  le  plus  important  de  leur 
commerce  étaitleur  vin,  si  renommé  dans 
l'antiquité  et  si  digne  encore  aujourd'hui 
de  sa  vieille  réputation.  Ils  trafiquaient 
aussi  des  produits  d'autres  pays,  et  ti- 
raient encore  parti  de  leur  marine  en 
louant  leurs  navires  à  des  oommer^nts 
étrangers. 

Gette  activité  commerciale  des  Ghiotes 
reçut  au  moyen  âge  une  nouvelle  impul- 
sion des  Génois,  et  nese  ralentitpoint  Jus- 
au'à  l'époque  de  la  guerre  de  1  indépen- 
anoe.  Lorsque  éclata  cette  guerre ,  Scio 
était  encore  une  des  plus  importantes 
places  de  commerce  de  l'Archipel.  Elle 
avait  des  comptoirs  dans  les  principales 
villes  de  l'Europe ,  de  l'Asie  et  de  l'Afri- 
que, à  Amsterdam,  Marseille,  livoume, 
Trieste,  Malte,  Moscou,  Vienne,  Odes- 
sa, Gonstantinople,  Smvrne,  Aleian- 
drie,  etc.  Une  seule  tle  dans  l'Archipel 
pouvait  rivaliser  avec  elle  ;  c'était  la  pe^  ' 
titetled'Hydra,qui  bravait  sur  son  rocner 
aride,  derrière  sa  flotte,  la  puissance 
ottomane.  Hydra  avait  en  effet  sur  Gbio 
l'avantage  de  posséder  une  marine  assez 
importante.  Réunis  dans  de  communes 
entreprises  commerciales,  les  Hydriotes 
fournissaient  les  vaisseaux ,  les  Sciotes 
les  capitaux.  Ges  derniers  s'entendaient  à 
merveille  aux  opérations  financières;  ils 
étaient  d'habiles  et  de  hardisspécuiateurs. 

La  guerre  de  1833  est  venue  porter 
on  ruae  coup  à  leur  commerce;  elle  n'a 
pas  été  moins  fatale  à  leur  industrie. 
Gelle-d  n'était  ni  moins  florissante  ni 
moins  active  que  le  commerce.  En  1780 
il  y  avait  dans  l'tle  jusqu'à  mille  deux 
cents  manufactures  de  soie.  Quoique  l'Ile 
ne  produisit  pas  moins  de  25,000  kilogr. 
de  soie  par  an,  il  fallait  en  importer 
une  grande  quantité  de  la  Thrace  et  de  la 
Syrie  pour  suffire  à  l'activité  des  fabri-  ; 
cants  et  aux  besoins  du  commerce.  Gette 
branche  si  importante  de  ^'industrie  des 
Sciotes,  déjà  en  décadence  au  commence* 
ment  du  siècle,  fut  presque  entièrement 
détruite  par  la  guerre.  Les  autres  eurent 
le  même  sort.  11  faut  excepter  pourtant 
la  menuiserie  et  la  maçonnerie ,  qui  en- 
core aujourd'hui  occupent  im  grand  nom- 
bre d'habiles  ouvriers.  Dans  le  village 
d'Euthymlani,  par  exemple,  presque  tous 

19 


290 


UPHIFTOS. 


les  hommes,  au  nombre  49  quatre  oepts, 

soDt  maçoDS  ou  taill^ur^  de  pierre. 

Mais  (fans  aufMiD  art  ]e$  Sciotfîs  n'ap- 
portèrent autant  de  perfipction  que  d^ps 
rhorticulture.  Tous  les  voyageur^  ont 
admiré  le  $oin  et  le  goût  avec  lequel  sont 
cultivés  les  jardins  situés  aux  envirops 
de  la  ville.  Aqssi  les  Spiotes  se  sqnt-ils 
fait  dans  tout  rOrient  une  grai^dp  ré- 
putation comnie  horticulteurs  ;  et  ayant 
la  guerre  de  Tindépendance  la  plupart 
des  granfis  de  la  Turquie  avaient  des 
jardiniers  sciotes. 

TMBS,  sciBNcss  BT  ABTS.  —  Plaoée 
au  foyer  m^ipede  la  civilisation  çrecaue, 
Chio  participa  au  mouvement  mtellec* 
tuel  qui  de  rlonie  se  propagea  dans  û 
Grèce.  Poésie,  philosophie,  histoire, 
arts,  sciences,  tous  les  genres  dans  les- 
quels s'exerça  le  génie  crée,  si  fécond  et 
si  original,  furent  cultivai  avec  éclat 
dans  cette  tle.  Parmi  les  sept  villes  qui 
se  disputèrent  la  naissance  d'Honoère, 
Chio  paratt  avoir,  avec  Smyrne,  les 
meilleurs  titres  à  cette  glorieuse  reven- 
dication. Mous  n'avons  pas  à  revenir 
sur  une  question  tant  de  fois  débattue; 
nous  nous  bornerons  à  rapporter  les 
principaux  témoignages  en  faveur  de  la 
prétention  de  Chio.  Le  plus  impprtant 
de  ces  témoignsKes  est  celui  du  poète 
lui-même,  auiditdans  son  hymneà  Apol- 
lon qu'il  habitait  Chio  fi).  Si  cet  hymne, 
attribué  à  Homère  du  temps  de  Tbucy* 
dide,  qui  le  cite  (2),  n'est  point  de  l'au- 
teur de  riliade ,  comme  l'ont  prétendu 
quelques  critiques ,  il  n'est  pas  douteii|: 
qu'il  ait  été  compoisé  à  une  époque  très* 
rapprochée  de  celle  où  vécut  HomèDS. 
Théocrite  appelle  ce  poète  le  chantre  de 
Chio  (3),  et  l'historien  Massaliote  £a- 
thymène  le  fait  naître  dans  cette  île  (4). 
Suivapt  une  tradition  rapportée  par  Stra* 
bon  (6),  Lycurgue,  le  législateur  de 
Sparte,  aurait  rencontré  Homère  à  Chio. 
£nfin,  l'historien  chiote  Hypermène 
raconte  que  ses  compatriotes  condam* 

(i)  ...  TuçXàç  ^p»  otxet  8è  Xltù  fvt  irai- 
icoXoifo'aiQ ,  Hjrmme  à  jtpolion,  v.  172.  D'a- 
près la  traditioa ,  Homère  habitait  Bolissus. 

(a)  Thucydide,  III,  104. 

f  3)  Théocrite,  IdyL,  vn^  47»  et  XXII,  918. 

[4)  Clément  d'Alexandrie,  I ,  p.  Sa;. 

[5)$Cr«boa,X,  p.  48a. 


lièrent  à  une  ameDiie  df  l  ,099  dracbm 
Fesclave  (l'Qomèr^  pour  fivoir  ni^lig^  w 
brûler  le  cadavre  de  spn  m^Ûif  •  4jou(pii 
que  c'est  dans  cette  île  q^e  parurent  poBr 
la  première  fois  ces  rapsodes  coddui 
SOMS  le  nom  i'Homéri^,  qui  paroop* 
raient  les  villes  d^  la  Grèpe  réciuut  des 
fragment^  des  poèmes  homériquea. 

L'orgueil  qu'inspira  aux  ancieps  Chio* 
tes  la  croyance ,  fondée  ou  non ,  qu^Ho- 
fnère  pa^uit  daps  leur  tle  s'est  trpps- 
mis  à  leiirs  descendants.  Cest  comoie 
un  héritage  de  gloire,  que  les  habitants 
^e  Tile  n  ont  jamais  cessé  de  revendb 
qper.  Ce  rocher  dont  nous  avons  parle 
plus  haut,  débris  informe  d^  quelque  an- 
tiqpe  monument,  et  appelé  ïpcQle  dHo- 
fn^re,  témoigne  combien  est  restée  vi- 
vace  et  populaire  la  tradition  qui  leur 
donne  pour  compatriote  le  plus  grand 
poète  de  l'antiquité.  Et  si  «  au  milieu  de 
témoignages  contradictoires*  la  critique 
pe  p^ut  pas  fixer  avec  plus  de  certitude  1« 
lieu  que  la  date  de  la  naissance  d  Ho- 
mère, du  moins  est-il  hors  de  doute  qiiù 
séjpMrna  longtemps  à  Chio.  L'influen» 
que  son  ^énie  y  f^j^evf^  sur  les  esprits  et 
1  émulation  qu'il  sicita  chez  ce  peuple* 
(i  amoureux  du  beau ,  attirèrent  autour 
de  lui  un  grand  nombre  de  disciples  et 
d'imitateurs.  De  là,  san>  dout^,  la  tra- 
dition relative  à  V£cQ(e  if  Homère.  L'un 
de  pes  disciples,  le  rapsode  Cyna^bus, 
a  m4me  été  considéré  quelquefois  comme 
l'auteur  de  l'hymne  d  Apollon- 
Chip  eut  aussi  spn  poète  tragique  : 
Ion,  contemporain  de  Sophocle,  composa 
douze  tragédies, suiyant d'autres  trenu 
ou  même  quarante. 

Zenon  et  Épicpre  eurent  des  disciples 
célèbres  dans  l'île.  Aristiope  et  Aristoa 
y  enseignèrent  la  philosophie  stoïcienne, 
et  Métrpdore  l'épipuréisme. 

Parmi  les  historiens  se  font  remar- 
quer :  Xénomède ,  oui  vécut  quelque 
temps  avant  la  guerre  du  Péloponnèse,  d 
Tbéopompe,  contemporain  d  Alexandiv 
le  Grand.  Suivant  Suidas  (I),  ce  dernier 
composa  un  abrégé  de  rhistolre  d'Héro- 
dote, en  2  livres,  une  histoire  de  Phi- 
lippe, roi  de  Macédoine ,  en  72  livres ,  et 
une  histoire  grecque  en  11  livres.  Théo- 
crite, son  ami,  était  à  la  fois  histoneo, 
philosophe,  rhéteur  et  poète. 

(i)  Suidas,  au  mot  Tséosoicfs* 


ILE  DE  CHIO. 


291 


Scymnus,  vers  le  eommepfefntnt  ^u 
premier  siècle  avant  J.-C,  composa  im 
ouvrage  degéo^raphie  en  vers  îambiqoei, 
qu'il  dédia  à  Nieomède ,  roi  de  Bithynie* 
Dans  les  741  vers  qui  nous  en  restent, 
Dous  voyons  qu'il  fit  la  description  de  la 
Grèce,  de  la  Sicile ,  d'une  ^ande  partie 
de  ritalie,  de  Cartbage  et  ^es  autres 
contrées  de  rAfriqup ,  pays  qu^il  avait 
lui-même  parcourus. 

Dans  les  art3  se  distînsuèrent  plan- 
m,  coot^ipporaip  d'Alyatte ,  roi  ^e  Ly- 
jlie,  et  aiiteiur  d^upe  coupe  dont  ce  pripce 
b  présent  au  temple  de  Pelppes  ;  Mala^, 
iOD  filçMipoiadès  ^t  sop  p^tit-fils  A(i- 
Iberoiu^,  tq^^  ^tatu^ires ,  sfin^i  flU^qn 
lutre  Anihermfi^  ^t  J^oupalpç,  tous  qeiix 
|IJs  du  premier  Â^tberipus.  Ils  recqrept 
er^  \p  milieu  du  çixièn]^  siècle  ^vqpt 
.;€.  pausaniaç  (f)  cite  de  ^oppalqs,  h  |a 
vissUtualre^tarcbit^p^p,  dies  statue^  ^n 
Ift représentant  Içs  Grâces,  placée^  f)^f|s 
t  teinule  de$  Pprie^  à  Srpyrqp,  pt  jjne 

totuedpisi  pprtuqp,  faite  égalerpen^  P^^*^ 
eue  ville.  À|i  temps  dp  Plin^  ranci.er{ , 
|P  grand  pombr^  de  statu^^  ^es  ^fi^\ 
fèrcvs  se  voyaient  à  Rome  (2).  Çnfîn  f  ^'p- 
pnii^  cite  deux  autres  ^tatpairç's,  pos- 
rate  et  sqn  fils  Ppnti^$  (^24  ay.  J.-C.), 
OQt  cet  î^pteur  a  vu  Ipi-piéme  depx  §t|- 
»es  à  Qlympie  (?). 

Diqn  pt  pémqcrite  (44p  av.  J.-C-) 
MenfJir^nf  pé|^))r^$  compie  rnusipien^- 
U^  çpijpnpes  au$9t  fpr^nt  cultivées 
r^c  succfi«.  Hippp<:ratf9>  di$cip)p  ge 
létrodore  ^l  QEnqpfp^,  contemporain 
p  Déojojrit^,  obisQryçir^nt  leç  ^hprjo- 
P^^  céleç^s.  C^  derpipr  fit  {^  premier 
)Bnaitre  auj^  precs  pp  3y3tjèn>^  açtro- 

Ïiique  f|ttri|)ù^  àPytbfîgqre,  priais  doqt 
t  pept-êtpre  liiji-miêpjp  l'auteïfr 
CeUe  QPtiyj^é  intellect upil^  np  s'est  pjs 
lienlje  d<ip§  les  tppip  pipd^rnes.  %n 
fil2  les  %iipte^  fqpdpfeqt  îinp  école, 
l'il$  dotpreqt  h)}pralement ,  et  qpi  ^^' 
lit  lii^ptôt  célèbre  en  Ûn>nt.  Avant  la 
Mructiop  ^f^  |a  yill§  elle  poniptait  sept 
nts  éco|jj9f§,  p^ripi  le^qqpls  deux  pepis 
ïaogerç. 


(i)  Païuanias  ,  lY ,  3o. 
«)  Pline  r Ancien  »  XXXT  J ,  4. 
<3)Paasiaits,  VI,  io5-io6;  Albéo^,?!» 
a66;  Pline  FaDcien,  XX.Xiy,  8,  5  et  19. 


I 


Quatorze  professeurs  étaient  chargés 
de  l'instruction  primaire,  et  huit  ou  dix 
de  l'enseignement  supérieur,  qui  compre- 
nait la  métaphysique,  la  logique^  la  théo< 
logie,  la  rhétorique,  l'histoire,  les  ma- 
thématiques ,  la  physique  et  la  chimie. 
Parmi  les  langues  anciennes  le  grec, 
et  parmi  les  modernes  le  français  ejt  le 
turc,  y'ét^iept  particulièrement  ensei- 

§nés,  et  parmi  les  arfç  d'agrément,  le 
essin  et  ja  musique. 

L'école  était  placée  $ou$  la  haute  sur* 
yeillpppede  quatre  directeurse^  de  quatre 
ènhores ,  choisis  parmi  les  citoyen^  lès 
plus  consicjéréç.  L'çiiseignement  était 
gratuit.  Ceux  des  élevés  qui  se  distin- 
guaient particulièrement  étaient  envoyés 
aux  frais  de  l'État  dans  les  universités 
fraof^aises  ou  allemandes,  pour  y  com- 
pléter 1^'urs  études.  Ces  derniers  étaient 
Je  pl^s  90'uveq^  des  enfants  pauvres  du 
(étrangers  ;  car  les  riches  envoyaient  çë- 
néralefnent  leurs  fils ,  à  l^âge  de  treize 
ou  dé  quatorze  ans,  appjrendre  le  corn* 
pierce  à  Copstantjnopre  où  à  Smyrne. 

ti'éçqjé  possédait  une  l>i^liothèque 
qui  avant  la  guerre  de  Findépendance 
ifenfërqiait  environ  dopze  mille  volumes. 
F^ar  lès  soins  de  ]Coray  (1),  Scioeut  aussi 
ûnp  iniprimerie,  doq|;  les  presse^  avaient 
été  œm mandées  à  Paris. 

L'éducation  des  filles  étai(  presque  en- 
tièrement négligée.  Dans  les  meiilepres 
mqispns,'l'^s  ^emi^es  ne  savaient  bien 
souvent  qî  ^criré  ni  lire  ;  ignorance  sip- 
gulière  chez  un  peuple  si  cultivé ,  mats 
que  les  Sciotes  consioéraient  comme  très- 
salutaire,  l'écriture  suivant  eux  ne  ser- 
vant aux  jeunes  filles  qu'à  entretenir 
des  correspondances  pmoureuses.  Au 
reste,  lepr  esprit  naturel,  leur  rnteljf- 
gence  ouverte  suppléaient  jusqu'à  un  cer- 
pin  point  au  défaut  ^'instruction,  et 
(eurs  mères  les  formaient  avec  le  plus 
grand  soin  à  tous  les  travaux  domestiques. 

(x)  Goray  éta  jt  né  à  toyrne,  l«  a  9  avril  1748,, 
mais  son  père  était  de  Scio ,  et  cett^  île  peut' 
revendiquer  coipiqe  qn  de  se»  enfunts  le  p^s 
célèbre  philologue  de  la  Grèce  moderne.  Du 
r(&8te,  la  France  fut  sa  seconde  patrie  :  il  vint 
s'y  établir  ep  178a,  et  il  y  moiirnl  en  i833. 
Voyez  la  notice  sur  la  vie  et  ies  ouvra^irs  4e 
Diamapt  Coray  par  M.  L.  de  Sinner,  Bio^an 
ph'te  Universelle,  t.  LXt. 


10. 


ILE  DE  PSARA 


« 

L'tle  de  Psara  est  mentionnée  dans 
Strabon,  Pline  et  Etienne  de  Byzaaoe 
sous  le  nom  de  Psyra;  Homère  l'appelle 
Psyrié  (1).  D'anciennes  cartes  nuirines 
la  nomment  Ipséra  ou  Pissera.  Aujour- 
d'hui on  rappelle  indistinctement  Psara 
ou  Ipsara,  qui  n'est  autre  que  le  nom  an- 
cien légèrement  altéré,  il  est  à  peine  fait 
trois  ou  quatre  fois  mention  de  cette  lie 
dans  Tantiquité.  Homère  indique  sa  po- 
sition. «  Les  uns  voulaient ,  dit  lïestor 
racontant  à  Télémaque  son  retour  de 
Troie,  que  nous  prissions  au-dessus  de 
Chio ,  en  côtoyant  la  petite  lie  de  Psyrié, 
que  nous  laisserions  à  gauche,  et  les 
autres  proposaient  de  prendre  entre  Chio 
et  le  mont  Mimas.  »  En  effet,  Psara 
est  située  à  Touest  de  Cbio,  à  vingt  milles 
environ  du  cap  Meiaena  ou  de  Saint-XHi- 
colas  (2}.  Strabon  ne  lui  donne  gue  qua- 
rante stades  de  circuit,  ce  qui  fait  cinq 
milles  ;  mais  Pococke  lui  a  reconnu  en- 
viron dix-huit  milles  de  tour.  Strabon 
nous  apprend  encore  que  Psyra  avait  une 
ville  du  même  nom,  et  Suidas  qu'elle 
était  si  stérile,  (|u'on  n'^  trouvait  même 
pas  la  vigne,  qui  croit  si  facilement  dans 
rArc1ii[)el.  C'est  à  peu  près  là  tout  ce  que 
l'antiquité  nous  a  transmis  sur  cette  île, 
qui  dut  toujours  être  une  dépendance  de 
Chio  et  parta^r  ses  destinées. 
^  Au  dix-septième  siècle  cette  île  fut  vi- 
sitée par  Pococke,  qui  rappelle  Ipsara. 
£lle  est  escarpée  et  remplie  de  rochers 
au  nord  et  à  l'est,  dit  ce  voyageur;  elle 
a  environ  six  milles  de  long,  sur  trois  de 
large.  Elle  a  dans  son  voisinage,  à  l'ouest, 
quelques  îlots,  dont  le  plus  considérable, 
de  deux  lieues  de  tour,  s'appelle  Antipis- 
séra.  Au-dessous  de  cette  tie,  dit  Dap- 
per  (3)^  il  y  a  une  fort  bonne  rade  du 

(i)  Odyss.,  ïll,v.  171;  cf.  Slrab.,  XIV, 
645,  6  ;  taiichn.,  m,  18a  ;  Pline,  Hist.  Nat,, 
T,36,3. 

(a)  Pococke ,  Description  de  t Orient ,  IV, 
355.  Selon  Chandler  la  distance  n  est  que  de 
six  milles,  t.  II,  p.  a 85. 

(3)  Dapper,  Deicr,  de  fjirchipelf  p.  2^9, 


côté  du  midi,  en  cinglant  vers  la  vil! 
qui  est  une  grande  baie  située  entre  I 
lies  d'ipsara  et  d'Antipissera,  où  les  m 
seaux  peuvent  venir  se  mettre  à  Tanf 
sur  un  fond  sablonneux  de  dix  à  dou 
brasses  d*eau ,  à  l'abri  de  tous  les  veo 
d'orient,  d'occident  et  du  nord-oaes 
et  y  entrer  et  sortir  de  deux  côtés,  : 
nord  et  au  sud ,  sans  peine  et  saos  dai 
ger.  Cette  baie  contient  la  petite  ilei 
Saint-Dimitri,  qui  ajoute  encore  à  la  si 
retétiu  mouillace.  «  Psara  s'aunonee  i 
navigateur  cinglant  vers  l'Anatolie  pi 
une  montagne  de  dnq  cent  quaraDt^sf| 
mètres  d'élévation,  appela  Saint-fJii 
La  coupe  de  cette  île  est  abrupte.  1 
formée  par  des  masses  rocheuses  di^fl 
sèment  coloriées,  contre  lesquelles! 
roersebriseavecfracas.  Inaccessibledai 
la  plus  grande  partie  de  son  littoral.! 
faut  un  pilote  expérimenté  pour  en  paj 
courir  la  circonférence  et  arriver  au  m 
Son  massif,  qui  est  partout  décharnée 
hérissé  de  montagnes  grisâtres  frappe 

Ear  les  rayons  du  soleil,  présente  le  t 
leau  éblouissant  de  maisons ,  dV  " 
et  de  chapelles  blanchies  à  la  ck 
dont  l'éclat  étonne  l'étranger.  Maiij 
pénétrant  dans  l'intérieur  de  111e,  ill 
trouve  au  fond  des  vallées  quelques  ' 
riers,  des  vignes,  des  figuiers,  qui 
noncent  la  force  v^étative  partout 
y  a  de  la  terre.  Elle  y  est  rare,  etj 
n'est  à  proprement  parier  qu'un  dét  " 
de  roches  entraîné  par  les  pluies 
les  endroits  encaissa.  Quand  on 
court  sa  surface  où  il  n'existe  ai 
chemin,  il  faut  traverser  des  cot( 
calcaires,  des  espaces  sablonneux  et 
lants ,  des  ravins  desséchés  et  raboli 
entremêlés  de  quelques  champs  mal 
tivés,  qu'on  rencontre  à  de  grandes 
tances  (1).  » 

Avant  l'époque  de  son  illustrât] 
Psara  n*avait  qu'environ  mille  babiu 
tous  Grecs,  tous  laboureurs,  popnl^l 

(i)  Pouqueville,  Voyage  de  h  CA 
]•  XX,c5,  t.  yif  p.  3o8. 


ILE  DE  PSARie. 


998 


paHvre  et  énergique.  Ils  se  gouvernaient 
eux-mêmes,  et  payaient  directement 
leur  capitation  au  capitan-pacha ,  qui 
jouissait  du  revenu  des  îles.  La  ville  mit 
composée  de  petites  maisons  d'un  seul 
étage  et  assez  mal  bâties.  Elle  avait  un 
liiâteau  fort,  en  ruines  au  tempe  de  Po- 
cocke;  une  cathédrale  dédiée  à  saint 
Nicolas  :  toutes  les  églises  de  Ttle  avaient 
des  cloches  ;  il  n*y  avait  que  cinq  prêtres 
dans  rtle  ef  quelques  caioyers. 

Au  commencement  du  dix-neuvième 
liècle,  la  petite  villede  Psara,  jusque  là  si 
<^)scure>  acquiert  une  importance  inat- 
tendue, et  devient  l'une  des  cités  les  plus 
florissantes  de  TArdiipel  et  de  toute  la 
Grèce.  La  population  de  Psara,  aupara- 
vant si  restreinte,  augmentée  par  des 
émigrations  d'Albanais  (1),  s'était  adon- 
née au  commerce,  avait  acquis  de  grandes 
richesses,  et  possédait  une  manne  im- 
posante. La  ville  de  Psara  prit  alors  un 
aspect  tout  nouveau;  elle  s'embellit  de 
Tastes  et  élégantes  demeures,  construites 
dans  le  goût  européen.  «  Son  enceinte 
embrassait  le  versant  d'une  colline  et 
une  surface  littorale  qui  avoisinait  le 
port  et  les  chantiers.  Une  métropole  or- 

(i)  Le  peuple  appelé  Albanais  par  les  £a- 
ropéeDs,  Arvanitès  par  les  Grecs ,  Araaoutes 
par  les  Turcs  el  les  Arabes,  ne  se  désigne  lui- 
même  par  aucune  de  ces  dénominaiions.  Les 
Itofflmes  de  cette  nation  s*appeUent  SchTpé- 
tars.  Pouqueville  regarde  les  Schypetars 
comme  des  tribus  venues  de  l'Albanie  du 
Caucase,  qui  s'établirent  vers  le  douzième 
iiècie  avant  l'ère  chrétienne  en  Illyrie  et  en 
Spire.  Celte  raœ  s'est  conservée  pure  de  tout 
nélaDee  dans  ces  contrées  montagneuses,  où 
H>rès  la  diute  de  l'empire  romain  et  au 
icmps  des  invasions  des  barbares  et  des  con- 
quêtes des  Turcs,  elle  a  glorieusement  lutté 
^ur  son  indépendance.  Après  Scanderberg , 
>1  bllut  se  soumettre.  Une  partie  de  la  nation 
embrassa  l'islamisme;  c'étaient  ceux  de  la 
pbioe.  Les  habitants  des  cantons  montagneux 
lie  la  Chimère,  de  Souli  et  de  Parga  conservè- 
(ent  leur  foi  et  leurs  mœurs.  Une  partie  ce- 
||eodaot  fut  obligée  d'émigrer^  et  la  Morée  et 
UtUqoe  se  couvrirent  de  villages  albanais. 
Cofin,  quelques-uns  allèreut  cbercher  un  asile 
(t«u  les  îles  d'Hydra,  de  Spezzia,  de  Poros, 
de  Salamine ,  de  Psara  et  jusqu'en  Chypre. 
^'o^ez  les  intéressants  chapitres  de  Pouque- 
ville sur  les  mœurs  grossières  et  tout  à  fait 
Qomériques  des  Sefaypétars.  Voyage  de  la 
'î'èce,  Hv.  Vm,  t.  ni ,  p.  196,  ai a^  etc. 


née  des  dons  des  habitants ,  où  la  prière 
continuelle  réunissait  les  fidèles  à  toutes 
les  heures  du  jour  isuivant  leurs  occupa- 
tions, des  rues  propres,  des  maisons 
annuellement  recrépies  avaient  &it  de 
Psara,  dont  la  création  improvisée  datait 
de  1806,  la  première  échelle  de  l'Orient. 
Ses  insulaires,  attentifs  au  développement 
de  leur  industrie  maritime,  avaient 
agrandi  ou  plutôt  creusé  un  portspacieux 
en  élevant  des  dignes,  et  en  pratiquant 
des  constructions  sous-marines;  ils  tou- 
chaient au  moment  de  posséder  un  arse- 
nal, lorsque  rinsurrection  de  la  Grèce 
éclata.  Riches  de  vaisseaux  qui  faisaient 
le  déses[K)ir  des  ingénieurs  européens  par 
la  supériorité  de  leur  construction,  les 
Psariens  parurent  les  premiers  au  champ 

d'honneur  contre  les  infidèles In* 

fortunés  !  ils  ont  vécu  !  et  quelques  écueils 
de  la  mer  Egée  possèdent  maintenant 
les  débris  d'une  population  de  vingt  et 
un  mille  habitants  et  de  huit  mille  ma- 
telote (I).» 

Ce  fut  au  mois  d'avril  1831  aue  la 
guerre  de  l'indépendance  hellénique 
commença,  à  la  fois  en  Moldavie  par 
la  prise  d'armes  du  prince  Hynsilantis , 
et  en  Morée  par  l'insurrection ae  Fatras. 
Les  îles  de  r  Archipel  se  laissèrent  bien- 

"  (i)  Pouqueville,  Voyage,  l,  VI,  p.  309. 
Je  reproduis  à  dessein  ce  langage ,  qui  fait 
comprendre  la  profonde  impression  produite 
alors  en  Europe,  et  principalement  en  France, 
par  la  catastrophe  ae  Psara,  et  en  général  par 
tous  les  désastres  de  la  guerre  de  l'indépen- 
dance. Mais  on  n'aurait  pas  une  idée  exacte 
de  Texagération  des  sympathies  enthousiastes 
de  ce  temps-là  pour  la  cause  heUénique,  si  je 
ne  citais  aussi  cette  invocation  dithyrambique 
de  PouqueviUe  à  la  mémoire  de  Psara  et  aux 
roAnes  de  ses  habitants.  «  Ile  vénérable  de 
Psara,  mon  cœur  est  saisi  d'un  trouble  iovo- 
lontaire  en  articulant  ton  nom  auguste.  Ta 
fortune  commençait  lorsque  j'abordai  sur  tes 
plages  en  1 799,  et  j^ai  vécu  plus  longtemps  que 
ta  population  de  robustes  Albanais.  Avant  de 
raconter  un  jour  tes  désastres,  si  la  muse  de 
l'histoire  me  rendant,  au  seuil  de  la  vieilleise, 
où  je  suis  arrivé ,  sa  cithare  et  sa  voix ,  m'ac- 
corde des  }ovun  de  grâce  pour  pleurer  les 
malheurs,  je  veux  faire  connaître  le  rang 
que  tu  tenais  dans  la  Grèce.  Psara ,  tn  n'é* 
tais  rien  par  toi-même  ;  mais  tu  as  nourri  des 
héros  dont  la  mémoire  retentira  jusque  dans 
la  postérité  U  plus  reculée;  leur  souvenir  ne 
passera  pas  comme  l'ombre  fugitive.  • 


294 


L^OKIYSHS^ 


tdt  étitrflldAr  dAM  1è  moa?enieiit  gêné- 
rai.  P^afa  leur  donna  Texemple.  «  Le 
péril  est  imminent,  écrivaient  les  té- 
tfarqnefl  de  Ttle  aui  sénateurs  d'Hydra! 
Il  n'f  â  i^lus  de  temps  à  perdre.  Le  di> 
van  a  résolu  le  désarmement  général  de^ 
Grecs  ;  et  la  marine  n'étant  pas  eiembte 
de  cette  disposition,  tous  ne  souffri- 
rèx  pas  sans  doute  dU*on  arrache  de 
nos  mains  <]tiatfe  mille  canons  et  plus 
de  solxatite  mille  fusils,  fruit  de  tant 
d'épargnes  et  de  traraux,  que  notls  ne  de* 
vous  cédef  qu'afee  la  vie ,  puisqu'èn  leé 
livrant  nous  la  perdrons  avec  eux  (i).  « 
Aussitôt  Hvdra ,  Spetzia  armèrent  en 
gueité  f  et  feurs  navires,  réunis  à  «eut 
dePsara,  parèouruteni  tdut  r  Archipel  « 
sousIeeommaddementdei'HydrioteJao^ 
qUés  TonibasiS,  pout  entraîner  les  ad- 
ttès  lies  dans  la  cause  dfe  rindé|]iedâaDce. 
Pendaut  trdis  ans  les  bricks ,  les  saed- 
léVei,  les  brûlots  de  Psara,  conduits  par 
d'Intrépides  mSrihs,  Jéauitsls^  JéanariS, 
Hadii-Anguélis ,  Anagnotis-Apddtolos  ^ 
Cdnaris ,  te  terrible  brûlotier ,  furent 
isonstamment  aux  prises  avec  l'ennemi^ 
aUdtiel  itâ  Ûtêtit  éprouver  les  plus  grands 
domma|es.  loM^ue  Ttle  de  Chio ,  que 
les  Saimehs  étaient  parvenus  à  ebthpro- 
nëttfé  avec  lea  Tures,  fui  attaquée  par 
la  flotte  de  Kara-Ali,  ce  fut  à  Psara  que  les 
Orëte  de  rassemblèi'état  pour  la  défèndrè. 
JÀ  leâ  na^arijUès  grècâ  tihreiit  tiri  ctin- 
seil  de  guerre,  dans  lequel  ils  résolurent 
de  lancer  à  la  faveur  dé  la  îiUit  deux 
brdlots  contre  les  navires  ottomans  (2). 
Constantin  Canaris  et  ôeorges  Pipinos 
furent  chargés  a'.exécuter  cette  hasar- 
deuse entreprise.  Elle  réussit  au  delà  de 
teute  espérance;  mais  Ghio  ne  fut  pas 
sauvée  (juin  1812  ).  Quant  aux  marins 
de  Psara  i  ils  continuèrent  leurs  courses 
dans  toute  la  Méditerranée,  poussant 
Tandaee  au  point  de  donner  la  chasse 
aux  vaisjseaiix  tutea  jusque  êbuÈ  les  cà- 
BbhÈ  dë^  bârddtielles ,  rppandaiit  Is  tëN 
reUr,  ()ar  lëUi^  lHciirsl6iissbudàineâ,sur 
tout  le  littoral  de  PAèlë  Midëurë;  et,  hofi 
contents  de  dévàStet  lëâ  village^  iiiâbd- 
métanâ  ae  llonie,  les  Psariotes  se  baiis- 

(z)  PouqueVillei  Bistbin  «U  la  GrécBf 
Uj  445. 

(a)  Pouquerille^  ffittoire,tic.^  III,  p.  5 17  ; 
Aie  Sotitzo ,  But4  de  la  Réyotuihn  Grecque  p 
p.  197. 


formant  fiMdemenl  en  iMnrsaiieai  inquîi 
taient  tous  les  navires  qui  négoeiaieni 
dans  le  Levant  «  et  mirent  iea  eonsub 
européens  qui  résidaient  à  Smyrne  dans 
la  nécessité  de  leur  adresser  une  iettri 
par  laquelle  ils  les. conjuraient  d'épar- 
gner lé  commerce  de  cette  ville. 

Enfin,  «  le  suitau,  dit-on^  fatigue 
des  plaintes  continuelles  qui  lui  venaient 
des  côtes  de  llonie,  ravagées  sans  cess6 
par  les  IpsarioteSt  s'était  fait  présenter 
une  mappemonde  pour  y  voir  ce  que 
c'était  qu'lpsara  ;  il  fut  si  frappé  de  1  exi- 
guïté de  cette  tle^  qu'il  dit  avec  mépris  : 
«  Otez-lnoi  de  la  cafte  cette  petite  ta- 
«  che;  dites  à  mon  eapitan-pacha  d'at- 
«  tacher  cette  roche  à  aoa  vaisseau  et 
«  de  me  l'amener*  » 

«  La  bontagne  de  Saint-Nicolas,  gar- 
nie de  batteries ,  une  mer  hérissée  de 
resoifs  et  presque  toujours  orageuse, 
reodaieiit  le  port  d'Ipsara  ^'ttn  accès 
difficile  aux  eUhemiSf  taiidîs  qu'uue 
chaîne  de  rochers,  qUi  traverse  1  île  d« 
nord  au  sud,  offrait  aux  Ipsariotes  dVx- 
cellenteS  positions.  A  Ja  nouvelle  des 
prêparati&  de  Topal-Pacha,  lès  séna- 
teurs d'Ipsara,  pdUssés  par  un  oiauvais 
^énie,  firent  les  dispositions  les  plus 
imprudentes.  Tandis  qu'ils  devaient  se 
servir  d'Iiné  partie  des  bâtimeiits  pour 
écarter  l'ennemi  et  tenir  l'autre  en  ré- 
sèfve,  i\k  leà  dégamûrënt  de  tout  leur 
grêëtheiit;  et  Vdiilaht  par  là  s'ôttfr  tout 
moyen  de  rétraite .  ils  se  nrivèrënt  de 
téur  principale  force.  0e  plus .  au  lieu 
de  se  borner  à  la  défense  de  la  ville . 
ils  aissémihèrent  maladroitemëht  jus- 
que sur  les  Boints  les  plus  inaoofdalles 
le  peuple  et  les  nombreux  étrangers  qui 
se  trouvaient  dans  l'île.  Enfin ,  ils  con- 
fièrent le  poste  le  pius  important  à  on 
capitaine  albanais ,  nommé  Kotas  1  et  à 
son  lieutenant,  Kanlt)élia8t  tous  deux 
vehdiis  a  l'amiral  turc. 

«  Le  27  jutU  1834 ,  au  lever  de  l'ao- 
rofè ,  Topal-Pacha ,  M\fï  de  douse  fré- 
gates, tint  reeonnmtre  Iea  difféftats 
pointa  de  l'îië  où  le  débafçtbèment  pour- 
rait s'opérer,  et  s'eti  alld  vétk  lecbuchet 
du  soleil ,  après  avoir  è&àuyé  ouelquës 
inutiles  cadonnades  des  Grées.  £é  3  juil* 
let,  il  revint  avec  un  si  grand  nombre 
de  bâtiments  de  guerre  et  de  transpott, 
qu'au  dire  de  Kanaris,  cet  espace  de 
mer  qui  sépare  Ipsara  de  Uit|rlèae  n'of* 


ILE  t)E  PdJtRA. 


995 


frâit  qu'dn  pont  imttlëiise.  11  reiïâ  pen- 
dant touu  la  nuit  eil  fepbs  ^  û^et  éiéÈ 
fanaux  alluméâ  d  tdti^  leâ  liiâts  pblir 
éuter  une  sùrpflsê.  Le  lendemain,  a^ 
flotte  fut  diviâeè  en  deat  coltiUilëk  ;  H 
plus  nombi-eijâë  9ë  ^oHà  sut  la  pdintë 
b  pitiâ  foniâéé  du  port,  et  l'autre  s*d- 
vaDça  vers  Pansé  qdé  défenddiëcli  Kota^ 
et  Karabelias.  tandis  que  la  prehiiêl-ë 
faisait  une  jfausse  attaaue,  la  seconde, 
à  la  faveui*  o^tioë  épfaissè  fuiliée  produite 
par  une  déeharge  générale  de  son  artil- 
lerie ,  mit  à  terre  quatorze  mille  hom- 
mes, la  plupart  Alnanais  d*élite  de  la 
tribu  des  Guègues ,  et  commandés  par 
un  chef  habile,  Ismael  Pliassa. 

«  Les  ennemis  entrent  dans  un  défilé; 
ils  grimpent  sur  les  rochers,  et  s'em- 
parent aune  batterie.  Kotas  et  Kara- 
belias se  trouvaient  sur  un  poste  qui  la 
dominait;  ils  désertent ,  ils  sont  bientôt 
massacrés  par  les  Turcs,  qui  ont  cou- 
tume de  profiter  de  la  trahison  et  de 
pUDJr  le  traître.  Au  bout  de  quelques 
lieures  toutes  les  positions  sont  forcées, 
cinq  cent  TÎngt-trois  Ipsariotes,  huit 
œnts  Rouméliotes,  cent  vin^t-cinq  Sa- 
miens  succombent,  après  avoir  fait  mor- 
dre la  poussière  à  quatre  mille  Albanais. 
Ismael  Pliassa  marche  en  avant,  et  pé- 
nètre dans  la  ville;  chaque  rue,  chaque 
maison  est  disputée,  enlevée  et  reprise  ; 
les  femmes ,  leurs  nourrissons  dans  les 
bras ,  se  jettent  dans  les  flots  ;  ceux-ci 
cherchent  un  asile  à  bord  de  leurs  vais- 
seaux ,  ceux-là  courent  s'enfermer  dans 
le  château  de  Paléocastron,  situé  sur  la 
iDODtâpne  de  Saint- Jean  ;  ils  s'entassent 
dans  les  galeries,  construites  sur  une 
vaste  pooârière.  Les  Turcs  viennent  les 
assiéger  ;  la  mitraille  que  vomit  le  fort 
balaye  leur  arm^.  Leur  ra^e  redouble; 
ils  escaladent  les  murs ,  mais,  repoussés 
avec  uue  perte  considérable,  ils  offrent 
une  capitulation.  Un  pavillon  paraît  sur 
les  tours,  c'est  celui  dlpsara;  les  por- 
tes s'ouvrent,  les  Albanais  s'y  précipi- 
tent. On  entend  ces  cris  :  «  Feu!  feu! 
vive  la  patrie  !  »  Le  sol  s'ébranle  avec 
unfiracas  horrible;  trois  mille  Ipsario- 
tes, quatre  mille  mahométans  périssent 
engloutis  par  l'explosion.  Les  restes  de 
la  population  dlpsara,  navigant  sur 
des  bâtiments  sans  gouvernail ,  se  font 
jour  à  travers  les  ennemis,  et  se  sau- 
vent à  Syra, 


«  La  chute  d'ipsarà  ébranla  toute  la 
Qthce;  un  cri  dé  vengeance  retentit 
ddhs  tout  l'Archipel;  le  danger  com- 
mun tdDpfochsi  tous  les  partis,  et  le  feu 
de  la  olâeorde  ^'assoupit  pour  quelque 
tempà.  Théodd^  Ghloeotroni^  écrivit  à 
CondoUriotis  que  le  péril  de  la  patrie  le 
faisait  (Yasser  pdMessui  toute  autre  con- 
sidération, et  qu'il  mettait  bas  les  armes. 
Le  gouvernement  Gt  son  entrée  à  Nau- 
plie ,  et  de  là  prit  les  plus  sages  mesu- 
res pour  repousser  l'ennemi.  Le  peuple 
d'Hydra  se  précipita  dans  le  monastère 
où  se  tenaient  les  séances  du  sénat  ;  un 
marin  s'avança  vers  les  sénateurs,  et  leur 
cria  :  <  Que  faites-vous  ?  L'tle  d'Ipsara 
«  n'est  plus  qu*un  amas  de  cendres.  Quel- 
«  les  précautions  avez-vous  prises  ?  Est-ce 
«  à  nous  autres  matelots  à  vous  donner 
«  des  conseils  ?  Nous  savons  pendant  la 
«  paix  savourer  le  vin  dans  les  cabarets, 
«  et  dans  la  guerre  nous  jeter  au  milieu 
<  des  flammes.  Que  notre  escadre  s'ap- 
«  prête  à  l'instant;  vous  verserez  votre 
«or,  nous  notre  sans,  et  la  patrie  sera 
«  sauvée.  »  En  moins  ae  deux  heures  cin- 
quante bricks  furent  équipés;  les  uns  y 
apportèrent  des  vivres,  d'autres  des  mu- 
nitions ;  tous  se  disputèrent  à  qui  s'em- 
barquerait le  premier  :  on  leva  l'ancre, 
et  Ton  mit  à  la  voile  au  son  religieux 
des  cloches. 

«  La  même  impulsion  fut  imprimée 
à  Spetzîa  et  aux  autres  îles  de  1  Archi- 
pel. Toutes  les  chaloupes  se  convertirent 
en  bâtiments  de  guerre;  la  mer  Egée 
iut  en  tous  sens  sillonnée  par  deux  cents 
bâtiments  de  toutes  grandeurs  ;  des  feux 
allumés  sur  tous  les  rochers,  en  guise 
de  télégraphes,  éclairèrent  les  moindres 
mouvements  des  ennemis. 

«  Le  15  juillet  la  flotte  grecque,  forte 
de  quatre-vingts  voiles,  parut  devant  Ip- 
sara;  à  son  aspect  trente-cinq  bâtiments 
turcs,  qui  se  trouvaient  dans  le  port, 
coupèrent  leurs  amarres ,  et  gagnèrent 
la  haute  mer  :  «  Opprobre,  s'écria  Miaou- 
«  lis  du  haut  de  la  poupe  !  opprobre  à  toi, 
«  Mehemed-Gazi-Topal-Pacha  !  »  Il  se 
met  à  la  poursuite  des  barbares;  il  les 
atteint,  et  leur  détruit  neuf  galiottes  ; 
puis  il  revient,  s'approche  d'Ipsara,  et, 
s'adressant  avec  le  porte-voix  aux  capi- 
taines des  vaisseaux  qui  le  suivent  :  «  Au 
«  rivage,  camarades  !  »  leur  crie-t-il.  Onze 
cents  marins  f  les  tromblons  à  la  main , 


296 


L*UNIV£ES. 


se  jettent  dans  les  canots ,  débarquent 
précipitamment,  égorgent  les  Turcs  dé- 
laissés dansFîle,  et  se  rendent  maitres 
de  la  YÎlle  et  de  Palà>castron  (1)  »  Psara 
reprise,  les  Grecs  allèrent  combattre 
pour  le  salut  de  Samos,  dont  ils  éloignè- 
rent la  flotte  turjiue  et  Tescadre  égyp- 
tienne ,  qui  Tavait  rejointe.  Samos  lut 
préservée  des  désastres  qu'elle  avait  a^ 

(i)  AI.  SouUo,  Histoire  de  U  Bêvoluiian 
grecque,  p.  396. 


tirés  sur  Cbio,  et  qui  venaient  de  fondre 
sur  Psara.  Mais  m  Psara ,  ni  Cbio,  ni 
Samos ,  ne  devaient  jouir  de  cette  indé- 
pendance pour  laquelle  elles  avaient 
tant  combattu  et  tant  souffert.  Toutes 
trois  retournèrent  à  leurs  anciens  maî- 
tres ,  et  Psara ,  après  un  moment  de 
malheur  et  de  gloire,  est  retombée  pour 
toujours  peut-être  dans  robscurité  où 
elle  avait  été  de  tout  temps  ensevelie,  et 
d*où  il  lui  a  coûté  si  cher  de  sortir. 


.> 


.K,.\ 


ILE   DE  LESBOS 


(I) 


DfiSCBIPTIO»  ETGÉOGBAPHIB  DBL*îtB 
BB  lESBOS. 

Position  db  cette  Ile.  —  Lesbos 
(Hételin,  MédiJli)  est  une  des  plus  gran* 
des  et  des  plus  belles  tles  de  1  Archipel. 
Elle  s'étend  par  Z9*  !(/  latitude  nord , 
li*  longitude  est,  dans  la  direction  du 
nord  aa  sud  le  long  des  côtes  de  TAna- 
toUe,  depuis  le  promontoire  Co/ofii(anc. 
Cani^  jusqu'au  cap  Baba  (anc.  I<ectum) , 
à  une  distance  égale  de  Ténédos  et  de 
Chlo.  La  golfe  d'Adramitti  la  sépare 
de  l'Asie,  sans  lui  Ater  la  vue  de  ses  ad- 
mirables rivases. 

Au  nord  b  côte  rougefttre  .du  cap 
Baba  s'aTance  dans  la  mer,  dominée  par 
une  citadelle  turque;  puis,  en  suivant  la 
vaste  courbure  dugolfe,  on  rencontre  As- 
SOS,  avec  les  ruines  de  ses  trois  temples, 
de  son  théâtre,  de  sa  jetée  gigantesque, 
Antandros,  où  s'embarqua  Énée  ;  6hry8a , 
la  ville  d'Apollon  Smintbien  et  de  la  belle 
Briséis.  Il  faut  s'avancer  à  quatre  mille 
toises  du  rivage  pour  «ttemdre  Adra- 
mitti,  queles  flots  baignaient  autrefois; 
cité  Qorissanteencore  aux  derniers  temos 
de  fempire  oec,  aujourd'hui  bourgaoe 
chétivcau  nulien  d'une  admirable  plaine, 
a  Tombre  de  coteaux  couverts  de  vignes 

(0  On  peut  consolter  pour  lei  temps  an- 
ciens rexœltente  monographie  de  pfehn  : 
Usbtaeonim  Liber,  in-S®,  xSaO,  Berlin;  — 
Zander,  Beitrage  zur  Kunde  der  Intel  Les^ 
bos,  in-4%  1897,  Hambourg.  Ces  deux  ou- 
\raees,  réunis  et  fondus  ensemble,  ont  été 
traduits  en  grec  moderne  sous  ee  titre  :  Ta 
Ae«Ssaxà  {toi  t«Ti*p(a  ttic  vifi^ou  AidSov , 
lUTaçpaa^éîga  âx  toû  XaxivtxoUy  iiwu^- 
^^98  |itTà  Swfopttv  icpoodifixflAv  "mX  ixdo- 
^im  vici  EOotaO/bu  FcciapYidSou  toO  Ata- 
^ov  ;  IMff^n,  XS49,  in-S*.  Les  additions  du 
inKfaicteQr  se  réduisent  à  bien  peu  de  cbose, 
et  consistent  dans  la  vie  de  Théophraste  par 
Cony,  «Ile  dn  philosophe  Benjamin  tt  quel- 
ques instsriptioBs  prises  dans  BcecUi» 


et  d'oliviers.  Enfin  le  long  de  la  côte,  et 
en  laissant  sur  la  route  Pelle-Kévi  (l'an- 
cienne Koripbas)  et  Cisthéna,  on  ar- 
rive à  des  rumes ,  habitées  par  des  pau- 
vres familles  qui  n'ont  pas  voulu  quitter 
la  terre  natale.  C'est  là  que  naguère  en- 
core s'élevait  Kydonia  ou  Cydonie  (Ai- 
wall),  Tandenne  Héraclée,  qui  renfer- 
mait au  commencement  de  ce  siècle  près 
de  trente  mille  habitants,  un  beau  col- 
lège dirigé  par  des  maîtres  formés  à 
Paris,  et  où  afiluait  la  jeunesse  grecque. 
La  giierre  de  l'indépendance  a  tout 
anéanti.  —  «  Toute  cette  contrée ,  dit 
«  M.  Choiseul-GouffierU), exposée  au 
«  midi,  à  couvert  des  vents  du  nord  par 
«  une  muraille  de  hautes  montagnes, 
«  et  partout  arrosée  des  eaux  qui  en  dé- 
«  coulent ,  est  peut-être  le  plus  beau  et 
«  le  plus  fertile  pays  de  la  terre.  » 

Entre  Lesbos  et  le  continent,  au  sud 
de  Kydonia,  se  trouve  im  groupe  d'tles, 
connu  dans  l'antiquité  sous  le  nom 
des  Hécatonnèses,  aujourd'hui  désignées 
par  celui  de  Musconisi,  à  cause  d'un 
polype  Qu'on  y  pèche  en  abondance,  et 
dont  Toueur  n*est  pas  sans  rapport  avec 
celle  du  musc.  Une  ancienne  chaussée, 
réparée  à  neuf,  de  470  mètres  de  lon- 
gueur sur  4  de  largeur  relie  Kvdonîa  à  la 
J)etite  lie  de  Gromidonisi.  On  nranchit  de 
à,  au  moyen  d'un  pont  volant,  im  bras 
de  mer  étroit  et  peu  profond ,  et  l'on 
arrive  à  la  plus  oande  île,  que  les  an- 
ciens nommaient  Pordo-séléne,  ou  Poro- 
séléné.  On  y  voyait  autrefois  une  ville 

3ui  était  admise  dans  la  confédération 
e  l'Éolie,  et  un  temple  consacré  à  Apol- 
Ion.  Encore  aujourd'hui  on  rencontre 
Quantité  de  ruines ,  au  milieu  d'arbres 
nruitiers.  Cest  avec  la  pierre  de  ces  rui- 
nes qu'on  a  rétabli  la  âianssée  détruite. 
Les  Musconisi  sont  au  nombre  de  trente- 
deux,  dont  lesprincipales,  Gappano,  Des- 
ealia ,  Codon ,  Pera ,  Mosco,  Lio ,  An- 

(i)  Voyage  piuoresaue  dans  l'empire  Ot- 
nan ,  t.  IT,  1 34,  a*  édition. 


ioman 


997 


298 


L*nPllVERS« 


ghestri,  Pjrrgos,  sont  très-bien  ctflti^ëësl 
et  très-fertiles. 

Au  sud  des  Musconisi,  sur  les  côtes 
mêmes  de  l'Anatolie,  en  face  la  pointe 
la  plus  méridionale  de  Lesbos,  se  trou- 
vent trois  petites  ties  connues  autrefois 
sous  lenom  d*Arginuses,  et  fameuses 
par  la  défaite  des  Spartiates ,  comman- 
dés par  CallicrMidàs.  Les  arldlëti^  dësl-* 
gnàient  àdàst  ëOtis  lé  tiàth  dé  L6dcstï  Iti- 
sulad  (leâ  im  Blaiichei)  ifb\i  grbè  ro- 
chers placés  sur  \ék  c6tes  de  iMiàÈ ,  âtt 
nord-ést  dé  Mttiietié. 

Ué  SiMènè  (i)  pHc^iéill  tkÉM  ati 
sébtièriiè  tàtïg  {1)  mm  lés  ^tiâ  gtaûM 
Ûek  cbnnùef.  Agâthéltiefë  feit  tttiH 
àaékèà  A'M,  éi  M  âSàigilë  iûnk  H 
troisiëihâ  1^  stbtihAii  (jtâcê.  11  é^  A'aiU 
lèui-ô  ikocbri  âVec  St^aboij  (jdtir  dt- 
tribtiëf  H  LêSbdS  ts)  1  Idd  ^tad^s  die  fbUr, 
tandis  qUT#âtj)ë,  tidi  dWdihdifë  suit 
ëjtà^ëinélit  Strdbbn,  âë  Répare  ici  dé  soU 
f{iiidë,  et  iié  itcbiiMi  à  ftlè  Ûbé  itfod 
^tddèl  t4l.  De  tidS  iddfè  M.  Ldpië  8 

ti^dd^i  iiH  àtàm  Ai  m  ad  dëg^^,  ed 

stilvSldt  ii&ki  i^xilicteifiëtlt  le  CbHitilir  deâ 
cJtë^,  ^t  fâpdd^âptèâdê»  ttiësurèSrtiolni 
riftpureU^ëS. 

b^efillëi  tdm  de  l^flé  semble  dVditf 
fssî  dili  était,  dit-oli,  celui  d^Unë  dé 

11.  Ah   ''  ■■^ 


âeâ  kli 


ârttvéèdëâ  t^ëlâ^gëâ.  elle 


mima,  et  lë  rdl  à  dul  elle  étl  était  ré- 
lètàblë.  AU  dibdièbt  dû  Lëâbu^  sùccêdd 
sbd  bëâd-bèfë,  Mclbâtë,  elle  prit  lé  ndU 

è  mm ,  du*ëiié  botk  âdtaiit  toute 
hiamtê  |f  lëquë,  Jdâdù'â  l'ébdguë  id: 

cëHaJBe  dû ëllëie ëhàngëa  pm cëlUi  dé 
MMénê.  sd  cdbltdlë.  Ëd^tdtHe,  dUl 

vivait  dii  Ammm  «lêcië ,  db^ë^ë  m 

dëtië  iMnSfoMfidtiott  à^dit  eu  liétt  tlé- 
ihlÈ  fim  de  tedip^. 
Dé  de  fd^ëtit  poidt  19  d*aillètufs  léS 

(t)  Ariit,  Dt^l  K4<r|Mv,  t.  I,  p.  399^ 
iii-4''  I  éditi<m  Bekker. 

(%)  Bboiirl»  fufuki  d«  «ytle  ôpinioitf  croit 
IrMlter  Torigifle  da  nom  de  ^^bo«  ^ans  le 
nM(  pbéaieîen  feum^  qui  signifie  <^/.  (  ^0f  as 
le  Dictionnaire  ae  Trévoux,  au  mot  Lbsbos.  ) 

S  Quarante  et  une  lieues. 
Toir  Pline  V,  ^z,  qui  doritie  une  me- 
sure i  peu  près  équivalenie. 


sediés  éfénoihfalatibns  aue  porta  LesboJ 
On  l'appela  encore  quelquefois  Himer^ 
par  allusion  à  ses  mœurs  dissolues  ;  L^; 
sia,  à  cause  de  ses  forêts;  iEthiope, 
souvenir  de  la  domination  que  Ton 
tribue  sur  cette  fie  aux  Amazones  ^  01 
ginaires  de  FËthiopie;  i£gira,  du  n 
â*if^rus,  une  des  villes  au  nord-«st 
Mytilène,  etc.  Tous  ces  noms  se  reacofri 
trent  plus  fréquemment  dans  les  fantaF 
slë'â  des  pbëfes  ^(le  d^hs  les  récits  félN 
diques  de  Thistoire ,  et  lé  seul  nom  sê-l 
TÎedx  (]U'alt  porté  Lesbos  est  eelui  qu'dlr 
illustra  pendant  plus  de  dix  siècles,  il 
qb'ellè  a  repris  de  nos  jours.  | 

Gbooéaphik  yhtsi^us.  —  Cétut 
uile  tradition  ddmiife  de  plusieurs  b» 
torteni  mie  l6rs  de  la  commotion  m 
brisa  les  rarrières  du  Pont-Eiixio,  et  ni 
ouvrit  le Bosphorede  Thraoe^  rirrupiioo 
sdbite  dé  ses  fkfts  dans  la  mer  É^r 
détacha  Lesbos  dil  cdutifient.  Dans  cr 
système,  les  groupes  des  Iles  voisin» 
ne  seraient  que  les  sommets  de  moiiU- 
gnes  iubmérgéesi  ajrjint  fait  auUretois 
partie  de  la  ehatné  de  Tlda.  L'aspect 
physique  de  Lesbos  est  tout  à  fait  pro- 
pre à  confirmer  tiétte  opinion.  ^'liUe| 
part  {  en  rffet ,  de  eôtes  plus  inégales  et{ 
plus  toumientéesi  et  à  rinténeuf ,  de  tri* 

Ses  plus  madtfefltea  ée  l'aotion  rioieoie 
es  tolcdns: 

Lesbos  est  pftnxmraede  Tegt  àroaestei 
du  ftchrd  ab  sud  par  denx  chaînes  de  mt» 
t3iinès{  que  leà  aneimis  aêsiffosient  smi 
dinérents  noitisi  Les  plus  eonsidérabia 
étaient  lë  mtfbt  Lépéthym^us  «  à  1>^* 
Ordytenoé  ou  Onfyiffiua  (l)  à  Touest, 
Créon  au  centre  et  Oiympos  eu  sud.  Ûi 
mentionne  encore  les  monts  Macistui, 
Syléus  (3) ,  Tantalus  (3).  Le  Lépétiiym- 
nus  était  de  toui  ,le  plus  élevé  et  aussi 
le  plus  remar(juable.  On  v  yoyaitiav 
témoignage  de  Tbistorien  lesbten  B^ 
sile,  un  temple  d'Apollon  «  et  une  cil^ 
pelle  du  béros  Lépétbfnmus,  qui  doa- 
HHitson  nom  à  la  montagne.  Palamèdêi4; 
y  aval  t  aussi  tm  temple  et  peut-ltre  néïï» 
00b  tombeau.  C'est  sur  le  Upélbymnos. 
ati  fflptim  tM  Tb0oplmtte{  4116  s*ét^ 

i)  f  béopbr,,  Jï««.  ^tantar.,  ÙL  lÔ. 
)  §|rab.,  Irilil  ;  irâuclm.,.t.  Ill,  p.  i3o. 

!£t.  de  Èjzance  :  xdvxeuo;. 
^hilostrate.  .Éctoic,  p.    9x6,  élit* 
Olear.;  Xzeuès,  ad  Lycopbron.,  3é4-xo97- 


ILE  I^Ë  tkËSfièS. 


}lit,  pottr  observé»  M  fetM,  Valàtb- 
nome  Matricétââ. 

Ces  chaînes  de  montagnes,  prdlob- 
^eant  ledrs  ramifications  jusqu'à  Id  me^, 
ibraiaièint  aux  tfois  extrémités  de  l*llë 
trois  càfs  :  à  l*ëât  le  cap  ArgenOuiM^ 
Iroit  en  Ùtsè  le  solM  d'Adramjttibnij 
1  l'oueSt  le  cap  Sigrïiim  ;  enfin ,  au  sda 

Les  diriienâioiis  de  lesbd^tle  Idi  pef^ 
Detteht  j^ik  d'avoir  de  srandi  fleuve^  ; 
nais  on  V  trbdve  de  nomorèuit  toftent S, 
i  \H  âdKrcèà  abondent  partout.  Ld  teiri- 
{^rature  y  ëtâli  ki  dducè,  le  cliHiât  Èï 
iâlub^ë .  qUe  leâ  ancienit  eti  dvdient  fdlt 
i&ede^iiéS^bHttdéës. 

rHodtlt:i:ioAs.  —  filâlfrfé  ld  ridiufë  à% 
0h  sol,  Le^bos  dvdlt  été  de  tOui  tëblbâ 
ïtiomfflée  potir  Sa  fécondité;  ÈeivàtiééÈ 
profondes,  Sèé  vdâtes  blalfiei,  Ses  HcbëS 
lollines  se  èoilVraient  d'une  puissante 
régétâtion.  Ld  blé  de  Lè^bos  éiaii  eêlè- 
tl^,^Hoht  le  blé  d'Éréids,  dtil  ÈHt  ikÉ 
tiboûâies  hièttdit  uil  é|fi.  «  La  ÎMtiê  ld 
:  t)lus  parfdite ,  cëlie  nul  est  ptépAtéé 

avec  le  trbtbent  le  tfluà  pdf  A  lé  p\uÉ 
beail ,  est  à  LeSbdS ,  à  Êrésu» ,  Sdf  ^a 
>  co!lio6  battue  ba^  m  (lots.  La  bëi^é  dd 
ciel  oe  régalé  pas  ètl  bldbëfaetif  :  li  MU 
dieutdlâbgefit  dd  ^dih,c'éât  lit  ^ë 
vient  Tacheter  MèrfeUrè  (1).  * 

la  trutté  Vehdit  dbbddaftldlëilt  Jlilr  M 
«iine  de  Tld^ëà,  et  ddni  le  bbthbi  M 
Mes,  rû  y  aiait débordement,  m  éddî 
D  répàbdâient  là  grdlnë  lusqUé  Sût  tbdi 
t  territoire  (2)  de  Mit^fëlië.  Leâ  fiidii- 
Ignés  dé  LftbciS,  {dUteS  dltibfagêéii  de 
3rêts ,  foîiriiiSSaieht,  et  àti  dëlâjé  bolS 
écesâaire  )  la  ëobâtf  ilëtltiii  dèS  bdtil-és  ; 
!  h^tre ,  lé  cht^ ,  lé  bld  }^  étdlàsalettt 
artwit,  lé  pin  Sdrtolif^dtdut  de  Ptt- 
ba ,  et  Pline ,  âptéS  thédphhâStë ,  rd^* 
ôrte,c6mfne  une  pKfticulifHté  fèniilf- 
llaUê,  qiie  le  fëudtadi  dévbt-é  ëèS  fdfêtS: 
lies  repodSSetebt  d'ellëS-fiiertieS  (3).  Lëi 
loDtagnèS  de  rîiè  cbiitebdlëiit  ënctt^ë 
ûêpUlSabléâ  càifièfëS,  d'btl  lëi  dti* 
léiis  tirdiéfit  Un  ibarbtê  tâdbété  de  ëod- 
urs  diTè^ëâ,  et,  bùbidttë  BlbS  bHlh , 
uifné  par  le§  St^tUdlreS  à  l'êgâl  dû  (4) 

(i)  ArcheftUate ,    cité  par  Aliiénée,  III, 

.  iir. 

(a)  Fline^  XIX ,  c.  iiix. 

n^  IH     YVT     c.  iix. 


(3)  Id. ,  XVI ,  c.  : 

(4)  ld.,  XXXVI , 


c.  VI, 


rfiftrteê  dé  TbdMI.  OU  j  ttmttàt  dtiàsi 

fd^atë  (1)  et  une  pierre  noiée  (t)  que 
Yoh  noîhrtidit  lesUad. 

Stli*  les  cdtéS»  lë6  bdles  ptofimdes 
érëtisëéS  pAt  la  tiatbfe  étâiedt  peuplées 
dé  doiSSonS  d'éspëèès  tdM  et  ^ber- 
ébél,  dbdt  ld  pëëhè  flUWentalt  le  oom- 
diéroë  des  LëSbiedS.  Les  buttrès  de  Mi- 
tylède  d'aVdiëht  i^ds  dé  rtvdies. 

Cbnltbë  {Productions  singulières  (S), 
Pline  pldëè  fil  LesbbS  FéritigiOD  blane, 
àifpéié  par  lèS  LdUtiS  Thërbe  uni  eent 
tdés.  L'hbditdë  qtli  ifodvdk  cette  blant» 
ddbs  ëërtdibëS  eobdltlob^  éfadt  sQr  de 
Sëflllfëèiirdër,  et  ce  Ait  là^  dlt-dn^  le 
bbilhëuf  dé  PbdOtt  dObt  ê'éptii  29d|ibo. 

fibfid  TbëdbHrdSte  et  i^iide  (4)  déctitem 

Ibngdërtlëfit  rdffate  étbbintdS  (ewminim 
éuHpàUi  dé  Llndë)  <|ui  croissait  par- 
tledllëi-ëmëbt  m  roM ymndS.  La  pousse 
db  ëSt  ed  décëbibf ë,  ld  fldrdismi  du  pfln- 
terbpS.  LëS  fëttlllël  tiëudent  le  milieu 
dbtre  lëà  fëulllëS  de  rolitiet  et  eelléH  du 
rffëdddiëf.  Ld  fletif,  d'Ubë  Odeur  fortes 
ressemblé  d  la  vidlëttè  bldtt(*he.  Le  ffuit 
et  les  fëuitiéd  de  cet  drbfë  sont  ttfl  pbi- 
son  mortel  dodt  léS  flbîmfldA. 

Mais  oë  dtii  fdiSdit  surtout  la  rtebeSse 
d%  rflé;  (fftélt  sbta  tiii  { ëë  vib  de  Lës- 
bdS  bdë  tbUS  léS  bbëtèS  obt  èbflUté  : 

«  Pbût  Yokté  dernlëf ë  e^pe ,-  preuëe- 
i  fbdi  d'ttfl  f ib  tiëUi  i  blëbobi  tf&t  les 

«  dus  i  tfddt  vdUs  bduf tfUHleÉ  ld  tétd 
d  bdididé  d'tibë  bldbcbë  gUlrldtlde  de 
é  aMÈ,  du  vtfi  bé  d  LëSlfc>8{  rtle  btft- 
i  tbë  pd^  lëS  flots.  Gëlbi  qui  tlOtrS  vHttit 
é  dé  Bj^bloS^  de  ld  Pbédlelëf  teffë  sd- 
«  crëë^  éëHëdje  le  prise;  bsis  Je  u'dl 
«  gaf de  de  le  èoW|£irët  i  eeltti4â  !  tar 
«  fi  tbUt  d'abbrtt  VOUS  f  dOfitët  SafiS  t 
A  tïn  mu  lë  Vib  dUi  seutblë  avoir  le  bluS 
i  (Îb  fUbiei^  ëé  b'ëSt  tfds  oëlul  de  Lesbos. 
i  Lë  Sien ,  11  lë  trouve  ddbs  Sd  vieillesse 

«  btJmë.  Mais  bulfëiÉ  toojotif s ,  et  vddS 

«  bie  dièë2  quel  ëst  lë  ibëliieur.  Ce  b'ëst 

«  ûibs  du  Vifi,  c'est  de  rfttUbfuisle.  Que 
d  m  fdbfdfubs  f Bibs  et  bdvdrds  se  uio- 

A  duëtit  et  diSëUt  :  de  luue  le  MUS  d<U- 

«  éiedi  est  ehcUtë  lé  vib  de  Pbftuieie  ! 

I  Je  b'y  ilréndS  gdtUë;  Et  li  Vill  de 

(i)Wlii.,1tXlVl!,fc.LiV. 
(a)  ld.,  XXXII .  c  Lxii. 

(3)  ld.,  xlll .  fc.  II. 

(4)  Theophr.,  m ,  c.  itin  *  Plidë ,  XlII , 
38,1, 


8«e 


LUMIVEaS. 


«  TbaA»  aussi  esl  généreux.  Quand  du 
«  moins  il  a  vieilli  maintes  belles  an- 
«  nées!  Je  sais  plus  d'une  autre  ville  en- 
«  core  où  la  vigne  ruisselle  aux  vendan« 
«  ges,  dont  je  fois  cas,  qu'il  ne  tient  au'à 
«  moi  de  nommer.  Mais  aucun  vie,  c  est 
«  tout  dire ,  aucun  n'est  comparable  au 
«  vin  de  Lesbos.  Après  cela,  il  y  a  dea 
«  cens  qui!  aiment  a  vanter  ce  qui  vient 
«  de  chez  eux  (1).  »  Cet  enthousiasme 
du  gastronome  émérite  était  partagé  de 
toute  l'antiquité.  On  renommait  surtout 
les  coteaux  de  Méthymne  et  d'Érésus , 
pour  le  goût  délicieux  et  le  parfum  ex- 
quis de  leurs  vendanges.  Les  vignes  de 
ticsbos  n'étaient  pas ,  comme  en  Grèce 
et  en  Italie,  entrelacées  aux  ormeaux  ou 
aux  (peupliers.  Elles  s'appuyaient  sur 
des  pieux  peu  élevés  ou  traînaient  à 
terre  :  «  Car  (2)  les  vignes  du  vignoble 
«  de  rtle  sont  toutes  basses ,  au  moins 
«  non  eslevées  sur  arbres  fort  haultz, 
«  tellement  que  les  branches  pendent 
«  jusques  contre  terre ,  et  s'estendent 
«  cà  et  là  comme  lierre,  si  qu'un  eoÊint 
a  ae  mammelle,  par  manière  de  dire, 
«  atteindroit  aux  grappes.  » 

Le  vin  de  LesTOS  était  recommandé 
par  les  médecins  à  leurs  malades  comme 
un  fortifiant  (8)  ;  les  anciens  lui  trou- 
vaient naturellement  un  goût  de  mer 
qu'ils  prisaient  beaucoup  et  que  l'art  n'ob* 
tenait  des  autres  vins  au'à  grand'  peine. 
Tous  ces  mérites  lui  donnaient  le  plus 
grand  prix.  Les  Romains ,  qui  avaient 
leur  Faierne,  le  délaissaient  pour  le  vin, 
de  Lesbos ,  que  se  disputaient  aussi  les 
marchés  de  la  Grèce  et  de  TËgypte. 

Angibhnes  villes  db  Lesbos — « 
Avec  tous  ces  éléments  de  prospérité, 
Lesbos  dut  vite  se  couvrir  de  cités  floris- 
santes. C'est  au  nord  du  cap  Malée ,  sur 
la  côte  orientale  de  l'île  que  s^élevait 
Mitylène  (4).  «  C'est  une  forte  ville, 
«  belle  et  grande,  environnée  d'un  ca- 
«  nal  d'eau  de  mer,  qui  flue  tout  à  l'en- 
tt  tour,  sur  lequel  il  y  a  plusieurs  ponts 
tf  de  pierre  blanche  et  polie,  tellement 
«  qu'on  diroit  à  la  voir  que  c'est  une 
«  isle  et  non  pas  une  ville.  »  Longus  ne 

(i)    Archesuvte,  cité  ptr  Athénée,  I, 
cb.  u,  p.  a  3. 
(a)  Longus,  II,  trad.  d'Amyot. 
(3J  Pline,  XIV,  c.  VII. 


parle  dans  ce  passage  que  de  raocieone 
ville,  située  en  effet  dans  une  petite  De 
d'environ  un  mille  de  circuit,  enfacedt 
la  ville  neuve,  placée  sur  la  côte  roêoK 
de  Lesbos.  Celle-ci  s'étendait  daosb 
plaine  qui  longe  la  mer  et  sur  la  collin 
qui  s'élève  au  midi.  De  là  elle  dominait 
un  territoire  des  plus  riches  et  des  piis 
fertiles.  Dans  cette  position  MitylèDe  se 
trouvait  avoir  deux  ports  communiquant 
par  un  étroit  canal  et  protégés  en  partie 
par  l'île  qu'occupaient  les  quartiers  de 
la  ville  antique  :ie  premier  au  mi<li,|i«' 
tit  et  ouvert  ;  le  second  au  nord ,  vasti, 
profond  et  défendu  par  une  jetée.  Il  était 
malheureusement  aussi  ouvert  au  nord* 
est  et  battu  ainsi  par  le  vent  qui  Tenait 
des  côtes  d'Asie.  Mais  la  ville  elle-ménK 
souffrait  encore  bien  plus  de  certaios 
désavantages  de  sa  situation ,  qui  par- 
fois rendaient  le  séjour  de  Mytilène  in- 
supportable. «  Les  vents  du  midi  et  k 
«  nord-ouest,  dit  Vitruve  (1),  y  prodni- 
«  sent  différentes  maladies;  le  veutdt 
«  nord  les  cuérit  ;  mais  alors  il  est  ou- 
€  possible  de  rester  sur  les  places  m 
<i  dans  les  rues ,  tant  le  firoid  y  est  n- 
«  goureux!  »  Néanmoins  la  grandan 
de  l'enceinte  de  Mitylène,  la  beauté <ie 
ses  édifices,  le  nombre  et  l'opuieDced-' 
ses  habitants  (2)  l'ont  toujours  fait  regar- 
der comme  la  capitale  de  Lesbos.  Elit 
comptait  parmi  ses  monuments  les  pic 

Splendides  le  Prytanée,  et  le  tbeâtn. 
ont  Pompée  prit  le  modèle  pour  le  re- 
produire à  Rome. 

En  descendant  vers  le  sud,  on  fran- 
chit le  cap  Malée.  La  côte  se  cireuse  alofs 
et  s'enfonce  profondément  dans  les  ter- 
res en  formant  un  golfe,  au  fond  daque^ 
s'élevait  la  ville  d'Hiéra.  Cette  ville  èuit 
déjà  détruite  du  temps  de  Pline.  Il  ea 
était  de  même  au  temps  de  StraixHi 
de  la  ville  de  Pyrrha ,  qui,  à  rexocp* 
tion  d'un  faubourg,  était  complétenKct 
anéantie.  Elle  n'avait  jamais  eu  d'aiileim 
grande  importance.  Elle  était  sitoée;Hi 
nord-ouest  d'Hiéra ,  au  iKûnt  le  moio) 
large  de  Lesbos,  à  l'endroit  où  Hie  s^' 
ble  se  tordre  .sur  elle-même,  et  rappi^ 
cher  ses  deux*  extrémités ,  pour  former 
un  golfe  profond  et  presque  fermé.  L0 

(i)  Vilniv.,  I,  c.  1. 
(a)   Barthélémy,  Toydye  ttJnec/umL. 
ch.  III. 


ILE  bE  LESBOS. 


80t 


eaux  de  ee  golfe  sont  si  froides ,  seloh 
Aristote(l),  au'en  hiver  les  poissons 
8*en  Tonttoos,  a  l'exception  du  goujon,  et 
s'en  retiennent  arec  le  printemps.  Cest 
dans  œ  golfe  que  viennent  pondre  tous 
les  prâsons  qui  vivent  sur  les  odtes  de 
Lesoos ,  tant  ceux  du  golfe  même  que 
ceux  de  la  pleine  mer. 

Entre  le  golfe  de  Pyrrha  et  la  ville 
d'Ërésos  s'avançait  le  promontoire  Brisa, 
que  surmontait  une  statue  de  Bacchus* 
}jà  ville  d'ÉrésuSy  située  sur  une  colline, 
descendait  jusqu'à  lamer,etavaitun  port. 
De  là  on  arrivait,  en  suivant  la  côte,  au 
eapSigrium, puisa  la  ville  d'Antissa  (3), 
ainsi  aommee  de  ce  qu'elle  avait  été 
fondée,  au  temps  où  Lesbos  s'appdait 
Issa,  sur  une  petite  tie,  depuis  reunie  à 
la  côte  voisine.  A  l'extrémité  nord-ouest, 
en  face  tes  deux  villes  de  Polymédium 
et  d'Assus,  situées  à  une  distance  de 
soixante  stades  sur  le  continent  asiatique, 
se  troavaît  Méthymne,  la  seconde  villa 
de  nie,  qui  pendant  quelque  temps 
avait  essayé  de  disputer  le  premier  rang 
à  Mitylène.  Malheureusement  les  histo*' 
riens  anciens  ne  nous  ont  laissé  absolu* 
ment  aaeun  détail  ni  sur  sa  grandeur  ni 
sur  ses  monuments.  Sur  le  territoire  de 
Méthymne  s'élevait  la  ville  de  r^apé,  et 
n<m  loin  de  là  sans  doute  Arisba ,  une 
des  shc  srandes  villes  que  les  Éoliens 
avaient  fondée  à  Lesbos.  Les  Méthym^ 
néens  l'anéantirent,  en  réduisirent  les 
liabitants  en  esclavage ,  et  s'emparèrent 
du  territoire,  qu'ils  réunirent  à  celui  de 
leur  cité.  Enfin,  en  se  rapprochant  de  Mi- 
tylène, on  trouvait  encore,  à  vingt  stades 
de  Pyrrha,  Œgyrus ,  et  plus  bas  Aga- 
mède,  villes  inconnues,  dont  la  dernière 
n'existait  déjà  plus  au  temps  de  Pline. 

Quelques  commentateurs  ont  parié 
aussi  d  une  ville  qui  aurait  porté  le  nom 
de  Lesbos;  mais  ou  elle  n'exista  jamais, 
ou  elle  disparut  si  vite  qu'elle  n  a  laissé 
aucune  trace  dans  l'histoire. 

Lesbos  moderne,  ou  Mételin.  — 
En  mer,  l'Ile  de  Mételin  se  présente  sous 
un  double  aspect.  Sur  la  côte  occiden- 
tale ce  ne  sont  de  loin  que  montagnes 
incultes ,  collines  rudes  et  pelées ,  pré- 

(()  Hîst.  des  Animaux^  1 1»  p.  6ai  ;  Bek- 
Ver.  Toir  aossi  p.  548,  6o3,  544  i  où  le 
in^e  «dieur  indique  d'autres  particulwiléi. 

(a)  OTidc,  Métm.,  XT,  aS;, 


eipices  et  rochers  nus;  le  voyageur  qui 
vient  de  Gonstantinople  ou  de  Smyrne 
s'en  éloigne  à  toutes  voiles ,  de  peur  que 
la  tramontane  ne  le  surprenne  en  vue 
de  rtle  et  ne  le  force  à  s'y  réfugier.  Mais 
si,  au  contraire,  doublant  la  pointe  de 
terre  (capo  San'Maria  ou  AmcUl\  qui 
s'avance  du  côté  du  port  Olivetti,  on 
s'enfonce  dans  le  canal  qui  sépare  l'île 
de  l'Asie ,  il  n'est  point  d'aspect  plus 
pittoresque  et  plus  enchanteur  que  la 
eôte  de  Mételin. 

«  (t)  Des  bois  de  pins  et  de  chênes 
«  couronnent  la  cime  des  montagnes  ;  au 
«  penchant  des  coteaux  Jusqu'à  la  mer, 
«  on  ne  voit  que  des  forêts  d'oliviers , 
«  des  terres  couvertes  de  moissons , 
«des  vignes  au  pampre  vert,  des  jar- 
«  dins  plantés  d'orangers  et  de  m}[rte8. 
«  Des  villages  bien  bâtis ,  des  maisons 
«  élégantes  et  peintes  en  rouge  se  mon* 
«  trentçà  et  là  entre  les  arbres  touffus.  « 

«  (2)  Après  avoir  eu  si  longtemps  des 
«  vents  contraires ,  je  me  plaignais  que 
«  notre  vaisseau,  poussé  alors  avec  rapi- 
«  dite  par  un  vent  en  poupe  me  dérobât 
«  trop  promptement  cette  vue  enchan- 
«  teresse.  »  Au  milieu  de  ces  paysages 
apparaît  la  capitale  de  nie,  Mételin,  l'an- 
tique Mitylène,  qui  n'est  plus  aujour- 
d'hui qu'un  grand  village.  L'île  d'autre- 
fois est  maintenant  réunie  à  la  terre  par 
un  isthme,  sur  lequel  est  bâtie  la  ville,  qui 
s'étend  de  là  sur  les  deux  côtés  du  rivage 
et  jusqu'à  la  montagne.  Un  beau  pro- 
montoire escarpé  du  côté  de  la  mer  au 
nord-ouest,  et  en  pente  douce  vers  la 
ville,  sépare  deux  havres  très-coramodes, 
mais  que  la  négligence  des  Turcs  laisse 
encombrer  par  les  sables.  Le  plus  grand, 
qui  est  encore  aujourd'hui  fort  beau , 
n'a  plus  à  son  entrée  que  douze  ou  treize 
piecb  de  profondeur,  et  deviendra  bien* 
tôt  impraticable.  Il  est  dominé  par  un 
magnihque  château  fort  (S) ,  l'un  des  ou- 
vrages  les  plus  étendus  et  les  plus  pnrfaits 
qu'ait  laissés  le  Bas-Empire  ou  la  domina- 
tion des  Vénitiens.  Il  est  défendu  par  deux 
rangs  de  murailles  à  créneaux,  tort  été-* 

(i)  Michaud  et  Poujoulat,  Correspondance 
d'Orient,  t.  I. 

I  (a)  Didot ,  Notes  d'un  'voyage  fait  dans  le 
Cevant,  p.  368. 

(3)  Dailaway ,  Gonstantinople  ancienne  et 
moderne,  t.  II ,  p,  199.. 


î-WI¥F¥i 


aptrpfpi^  pjnfl  pu  Mj  c§»Ujaw?§airef, 
£  étajf  pop  ^spèp6  0^  f  ||lp ,  gt  |p  noifl 

ppjpi  de  Wéffilm.  pafij  )^s  jjerïupre^  (l) 

«HÇWS  >y»P  W  MWli  PP  j»  P»  i'if}^ 
d  élever  autour  de  la  ville  ppj^  fiii|fail  ^| 

^  gr^i^dy  frpis  y  pt  aux  d&cp«  def  habi- 
tantf  ;  q^\^  pp  Dp  P^ut  ppnnpr  à  pç  po^- 
S4pf  QM^r^gp  Je  npi?i  4^  forti|ipat|Qas. 
Le?  rues  de  W^feljq  pqpt  étjrpiù?  ef  ga- 
lei^;  pUp  se  ppn^ppppp^  4e  7Qp  fpaj^onf 
gfpcflW»  5  4P0  tprqpep  ;  on  y  tfpuvp  ^9 
P'H»  9ft  P»  40  &piï|ï^  JMÎy»;  eq  tfluj 
a  Pfu  BW  9  OH  10,opp  h?f)ifants, 
D'aiUeMry,  aupuq  mopufpeqt)rproa|rf)||a- 
We,  aupuiip  ip[)9gp  dp  i^  gmfïpuj  ^pti- 
QHP.  Lpç  çuiqes  ip^mp  opt  p&i.  qéjà  du 
to?JR8  (?)  ftp  Ppcppkp  p^  4p  Tpnfpefrr); 
OP  P  f  voy^l^  flup  rfps  trpugpps  depolon- 
npf ,  la  plMPfipWp  jp^r^re  ftlapp,  flpplflups- 
ufîff  gris  cpnfJrp  pu  dp  gr^P  f.  panpejees 
^P  1)^PP$  arpit^  QP  po  ^pirP  qs,  pp  nom- 
brp  inprpy^We  pp  cl^ppùp^p^t,  4e  fn§eç , 

d^.  fiJ^o^^J^u»»  d^  fragpîeq»  cJ'»P?r 
»r»PQPps  plps  pp  piDÎp^  iï)uti|ép^.  ftiep 
#  U)p(  fcpla  pp  ^p  rejFpiiyp  ip^iotppan^, 

fit  11  y  a  IPPg^^fPR?  t|wa  qpp  1^  ypy^: 
gpprs  C9}  sp  piaigDPpt  dp  )ppr  dpg^ppQin* 
tpnieq^  A  ppine  rpppontrQ-t-pueacorp 

fe|(]pp9  r^r^ç  rtpbriP  de  cq|Qii|ipg  p^  dp 
ap»f^HJf>  prèf  ri»  château  fyn  ;  dan« 
.,  yjlip.  Mf  rP»pp^  d  MPP  felige  dédipp 
a  $afpt  |lQch,  pâtip  aypp  les  jr^^tps  d  Pff 
tpptplp  d'AppIlop  dpp(  les  cqlpflpps  gi- 
sçpt  a  îwre;  ^  l-pp^rép  de  Jéglisp  épi^- 
copale,  upp  pbaUe  i^ptipi^p  4*pp  spq) 
I^Iqp  dp  mpjfbrp  planp ,  curipmie  pajr  ^pp 
f^pMqpitp  p(  çpp  ^ràv^il ,  qui  ppf^p  ce^fp 
Ifi^nptjpp,  citéppiur  touç  jps  yoyagpqrs  : 
chaw  Uç  p.ofamqn^  fifi  <te  l^spQï^ipix; 
ep(ip ,  dap3  upp  piosquép ,  ua  piarl^rp 
eç^m,  flup  la  tradition  dpppp  oppip^p  (p 

cerpuell  de  Sapbo.  Ep^rp  le^  moutagn^ ç, 
à  une  lieue  et  demie  au  midi  de  Méteun, 

(i)  Michaod  etPoujouIat,  Cqrrespondanc^ 
d'Orient,  t.  m,p.  3P7. 

(a)  Tournefort,  t.  I,  p.  ^$8.  (P^ria, 
1707,  in-i".) 

(3}DalIawayy  n,  p.  i3o, 


F^Jîf,.y!'!*??.,f.?.Ç???i-*^!?^f 


)opté9  4'H^  trpifièipe  Pimg  pp  \\T^n\ 
^u  nord  t  ft  (jf PÎ  »^^  à  ùpH  ôr^  dt! 
i  villp,  unpb^Ile  pqloppaap,  qomlei 
piédestaux  sont  de)^put  ppcorp ,  condui-| 
s^\  à  dep  bfiijç  cfiqpd? ,  dopf  Tçau  es: 
beapf^qup  plus  salée  qup  pellp  ^p  Ifi  mer.! 
Qtqqi  ^ujpurd'bui,  comme  ^P^^^^i^* 
§P"t  pijQprf  ^fès-frpqpênîp§. 

,  ^Èfm  4?  Wfp^fû  9p  R9|rt  oum\ 

(pu  Ifiefo)  e^t  fie^  pjqs  pmorpsquci. 
Ppndjipl  plupifiurç  MMrpf  la  ^fpptp  g  ou-, 
Yfp  ^  iw^fj^  dp  ricbe$  plantations  d'oii-l 
yiprs,  protpgéç  p  Ippjr  rapjnp,  sçlooli 
pipdp  du  pay?,  par  dp  ppljtp?  €pcekiti| 
4e  pipwpç  ;  4p$  cptpap j  cppverl?  de  ïr 
gnes,  fl6$ppis,  pt  4e  tpWRS  en  ien;j» 
f  P W  '?  KHejlP  )a  <^Pr»  qui  Pépètre  dau 
Ips  tprreç  p(  fprfpp  dp  pçijtfs  pp#p*  d'un 
grapippx  aspect. 

Lp  ppr^  ùliyetti  a  $on  ouy^turp  pqs 
4p  Ifi  ppin^p  pnenfalp  4p  i'jrp,  à  §ix  Upi* 
i|M  nprd  du  cap  Çqlom,  qi^i  §  pyapcç  di 
pontmpnt  pe  r^natqlipap  uprd*  )L  eptrti 
pp  esf  ai^spjs  diffipi'p  i  f t  «  étfpite  qu  ùHi 
ne  la  dpqouvrp  pas  fapupm^fl^  de  la  ïm-l 
iJnp  {pis  francipe^ ,  Ips  4P"^  poiotps  ii( 
tPfre  qui  pn  fqrméqt  rpmbopcliure  ^  jî 
fapprpciyppt  fi\  $e  recoujrbppt  en  d^qui. 
dp  sortp  qp'on  np  yp|t  plus  d  issue.  Cifl 
dirait  ajpc^  un  jpli  lac  dont  ips  bords, 
fjpguliprpfppnt  gracjepx  \  s'prrpndis$erii 

fihtrp  d^?  niontagQes  e^  des  forêts  do- 
iyjefV.  jD'ps^  spp$  ponte  un  des  plu$  vas- 
{P^  W^i  flP^  l^iii^tpr^  ait  fprinés,  pui»- 

Îp'|l  fioptippdrait  aispmpnt  toutes  te 
|pt(p§  de  ri^ufppe  (1).  Il  a  plqs  dedcui 
ippps  dp  long  gup  qnp  liepp  de  lorï^e, 
§\,  pn  pppt  y  dopppr  huA  partout  sur 
gpinzp  pp  ^ize  b|rasseç  U  pau. 

)?pp)r  aller  du  port  au  vîUagp,  00  tra- 
yprspune  plaine  magnifjquiî,cQuyerte  d'o- 
liviers d'une  grps^pur  rppiarquable  î3;i 
ppis  on  gravfi  la  montf|^np,  couverte  de 
yigpe?'  et  d'arbrp?  irHftipfs.  Le  village 
est  daps  unp  bpprpq^e  np^itiop.  1^  0^ 
bitapts,  Grecç  popr  la  plupfurt,  oiU 
r^if*  aisé  et  pontept  ;  le  cômmprce  du 
golfe  fournit  à  tous  leurs  besoins, es 

^i)  Djdpt,  Notes  ^tm  Vojog^^  p.  3é. 
(aj  f'oiil^nief ,  Voyage^  en  Oriçitf  de  t»' 
nu  i8ai  ai  ^g^^,  UÏfg*  ^^ 


iLB  m  himos. 


303 


)|MiIe  Wi^nvM  «  qu'ils  fybpiqu^n^  iUlc- 

QiémM.  ft  I^  i)4Mffl«pt»  (i)  )»  viAf)a0pt 

<  r«ca9i)lir  1^ ,  m^lsr^  lp#  malédictions 

•  de;  Ture9«  et  malgré  1^  pinq  ou  i||x 

«  douane,  qui  spot  p\m^  à  trois  bSP- 
«  nîs  de  marche  ds  Ms^elip.  » 
De»  iteQtJei:»  déliÂJeus,  secp6iit«Pt  SAVS 

le  f^iiiJUgp  de  myrtes  tQfiftqs,  ou  sus- 
peadii$  aii-des8ii9  d^  imifi»  pittArtfflue», 

oooduiMQ^  à  Fq4A  Cplppi  ()^rip}i«  Pyr- 
rhsus  ).  C'fist  une  tW-g?3RdQ  9P^,  peu 
fréapeniée,  qui  ^*eK4Qee  h  près  de  gue- 
tte lieii^  dws  )es  \^m%  >  mr  upe  lieue 
de  lai^.  4m  fopd  s'pum  une  y^ite 
piaioe,  qui  produit  4i)qud4ipiuenl  du  t>lj^ 
du  eutop,  dep  uliseg,  des  Qgues  et  des 
légumes  de  toutes  eejiiàpas.  Ou  y  prouve 

plusieurs  yilisges,  qui  suuitrès-peu  han- 
tés (8).  i^'air  y  est  m\è  ;  le^  Hèvres  iuter- 
mitteatoe  et  les  Mvyes  pMtri4e«  y  sppt 
à  demeure ,  comme  la  lèpre*  l^es  prq- 

priétaires  des  champs  évitept  d'y  f^ouf- 

oer,  et  s*étdhlis»eut  soit  À  Méteiia^  soit  à 
Molivo.  Il  n>  a  eu  ept  eudroit  que  des 
colons  salariés. 

£n  snivaut  le  c£te ,  le  Ipog  des jnuu- 
tagnsssaus  v^utipo,  op  trouve  ^isiP 
(  Ërésue  )  ^  située  eujourd'bui  à  pris  de 
deux  iieues  de  la  mer.  C'est  uu  boutg 
de  deux  cents  maisoQS ,  entouré  de  quel- 
ques champs  d'orge  ou  de  frpmsnt ,  Â^ 
vignobles  et  de  plaptatious  d'oliviers. 
Depuis  le  bord  dp  la  mer  jusqu-au  péa- 
cl)ant  des  colUues  au  sud-est  d-frissot 
OD  ne  voit  partout  que  ruines  ou  tv^ft 
mentede  marbres  puliquea*  G  est  |^  qM> 
uit  Êrésus;  il  est  facile  en(»>re  de  suivie 
la  trace  de  ses  mpraiUes.  A  un  quart 
d'heure  de  la  mer  se  présentent  les  rui- 
nes d'une  chapelle  grecque»  bâtie  elle- 
même  aYce  d'anciennes  ruines-  f  De 

<  quelque  cMé  (3)  qu-on  porte  9es  pas» 
«CD  rencontie  des  chapiteaux  et  de 

<  vieux  débris ,  des  colonnes  de  marbre 

•  blsoc  ou  de  grenit  enpore  debout*  • 
Près  de  là ,  du  cdté  de  la  mer,  s'élère 

une  petite  montagne  de  forme  conique, 
baignée  an  midi  par  les  flots.  A  çon  spm 
met  était  coasunûte  rancienne  citadelli 


le 


(i)I>idot,p.  371. 

{i)  Olivier,  Voyagé  dans  tMmpin  Otio* 

u ,  1. 1,  p.  a65,  iQ-4^. 

(3)  Midieud  et  Ponjpeist,  t,  I,  p.  3aa« 


iTÉr^.  Oene  les  iHbm  ihm  tqur 
yeiUe  un  musulman»  chargé  par  Pesa  au 
yillege  designajer  les  payireii  qui  entrent 
dans  la  beie  d'Srieso*  L'ancien  port  a  dis- 

Iierq  ;  la  m^r  chaque  jour  se  rptiredevant 
es  tables  amoncelés  par  les  vents  qui 
descendent  des  montais  et  par  la  pe- 
fite  {rivière  CaHagr^,  qui  à  queiaue  dis- 
taqce  de  Ip  baie  va  se  perdre  gans  un 
étang  couvert  de  roseaux. 

Au  nord  d'Éresso  se  trouée  un  fort  bon 
port,  formé  par  de  petites  ties.  L'entrée 
sepleptriionate  en  est  basse  p%  ét|»ite , 
et  les  grands  vaisseaux  n'y  peuvent  pé- 
nétrer que  du  midi-  Entre  la  pointe  mé- 
ridionele  et  le  port  méiue  s'élève  un 
grand  «  et  haut  rocher,  epvirenné  4e 
F  plusieurs  eutres  à  fleur  d*eau  (i)  «. 
Quand  spuSle  le  vent  du  nord,  le  vent 
renvoyé  nar  fset  obstacle  rend  l'abord 
très-diffictle  aux  veie^ux. 

Toute  cette  côte,  d'pn  aspect  inculte 
et  sombre,  s^'égaye  en  approchent  vers  le 
nord.  Lea  montegnes»  noires  et  dessé- 
ebéps  »  se  couvrent  de  verdur^.  Les  val- 
lées» jusque  là  sapvsgeSf  se  garnissent 
d*arbres;  la  végétation  repérait»  et  de- 
vient de  plus  en  plus  riche  et  vigoureuse. 

Sur  le  bord  de  la  mer»  dans  une  petite 
plaine,  ceinte  de  montagne  volcaniques, 
se  trouve  Pétra-  IC^  est  que  petite  bour- 
gade près  d'up  port  très-peu  fréquenté, 
qui  doit  «on  nom  à  un  gros  rocher  gra* 
nitique  isolé  au  milieu  pu  village-  ^Jn^ 
vingtaine  4p  fomill^s  grecques  ou  mu- 
eulmanes  en  composant  |a  population. 

En  suivant  la  plaine  au  nord  on  prrive 
à  Uolivo  (  Méthymne)»  Mfie  ap  bord  de 
ie  mer  »  sur  le  penchant  dune  colline 
poomo^ée  de  rochers  dp  basalte.  Les 
maison^  s'écl^eionnent  en  degrés  pitto- 
resques sur  les  flancs  du  coteau,  qui, 
par  une  pente  douce,  s'abaisse  vers  le 
couchant,  et  forme  à  la  pointe  de  l'île  une 
espèce  de  plaine  peu  étendue,  mais  très- 
fer  tjlp.  C'eçt  là  qu'éta|t  l^értypipe;  les 
fondements  des  murailles  au  midi  de 
la  montagne, des  décombres  d*aoegrosse 
tour,  à  quatre  milles  vers  l'orient  sur  le 
rivage,  et  (es  rqines  d'un  bain,  c'est  là 
tout  ce  qui  reste  pour  en  attester  Teni- 
placement.  Le  cap  sur  lequel  est  Molivo 
forme  »  avec  la  petite  pointe  de  terre  qui 
est  au  midi,  une  baie  au  sud-est,  pcoté* 

(1)  Dapper,  Peseripi,^  têc,,  p.  e33. 


S04 


L'OHIVERS* 


gée  eontre  les  veatM  par  une  petite  tk. 
Au  miliea  de  la  ville  s'élève  ua  rocher 
inaocessible  de  tous  côtés,  excepté  au 
nord,  où  les  habitants  avaient  coutume 
de  se  réfugier  avec  tous  leurs  biens,  quand , 
ils  étaient  attaqués  par  les  corsaires.  — 
La  position  de  Molivo  est  une  des  plus 
belles  de  Tlle.  L*air  pur  dont  on  y  jouit, 
Tadmirable  spectacle  que  présente  la 
côte  de  l'Asie  et  les  vastes  contours  du 

Solfe  Adramitti  font  de  cette  ville  un 
es  séjours  préférés  des  Turcs.  Molivo 
compte  à  peu  près  deux  mille]  cinq  cents 
habitants. 

Tout  le  reste  de  la  côte  qui  s'étend 
'à  l'orient,  de  Molivo  jusqu'à  Mételin, 
est  d'un  aspect  délicieux.  Mais  c'est  un 
pays  délaissé,  sans  culture,  sans  com- 
merce. Au  milieu  de  cette  belle  nature, 
à  peine  rencontre-t-on  quelque  pauvre 
village  inconnu,  ouelque  masure  chétive 
de  pâtre  ou  de  pécheur;  toute  l'activité 
de  rtle  a  reflué  vers  Mételin. 

Si  maintenant  on  pénètre  dans  l'inté- 
rieur du  pays  (  bien  peu  de  voyageurs 
ont  eu  ce  courage  ) ,  ce  sont  des  mon- 
tagnes tristes  et  noires,  couvertes  d'é- 
paisses forêts,  ou  affreusement  désolées  ; 
des  vallées  semées  de  pins,  de  chênes, 
d'oliviers:  de  rares  plaines  aux  épis  jau- 
nissants ;  quelques  champs  de  coton  ou 
deealamboc  ;  ça  et  là  des  plants  de  tbvm 
et  de  serpolet,  ou  d'autres  herbes  ché- 
tives ,  flétries  par  la  tramontane  ;  par- 
fois, à  l'approche  d'un  village  isolé,  de 
gracieux  vallons  parsemés  de  jardins 
rustiques  ou  de  masures  aux  murailles 
de  terre,  de  profondes  allées  de  tamaris 
ou  de  lauriers-roses,  et  de  longs  peu- 
pliers au  bord  d'un  ruisseau;  puis  la 
montagne  recommence,  et  les  cnemins 
horribles ,  à  travers  le  roc  ou  le  lit  des 
torrents. 


II. 


HISTOIRE  AI9GIE17IIB    DB  tESBOS. 
ANCIBNlfBS   TBABIT10R8.    —  L'hiS- 

toire  de  Lesbos,  comme  l'histoire  de 
toutes  les  cités  grecques,  n'a  pour  origine 
que  des  traditions  incertaines  ou  de  fabu- 
leux rédts. 

Llle  était  déserta,  dit-on  (1),  quand 
y  aborda  Xanthus ,  fils  de  Triopas.  Parti 


(i)  Dîod.  de  Sicile» T,  8i. 


d'Argos ,  à  la  tête  dHine  colonie  de  Pé« 
lasges ,  il  se  dirigea  vers  la  Lyde .  y  de- 
meura quelque  temps,  puis,  emmenant 
avec  lui  ses  compagnons ,  il  vint  débar- 
quer à  Lesbos.  Dès  ce  moment  rfie,ap' 
pelée  jusque  là  Issa,  prit  le  nom  de  Pé- 
lasgie.  Sept  générations  s'étaient  à  peine 
écoulées  que  le  déluge  de  Deucalira 
inonda  la  Grèce.  Lesbos  eut  surtout  i 
souffrir  de  cette  catastrophe,  et  sa  popo- 
lation  fut  anéantie.  Elle  ne  fut  pas  long- 
temps à  recevoir  de  nouveaux  habitants. 
Macare,  l'un  des  Héliades,  ayant  tuésoa 
frère ,  ^T'exila,  et  vint  s'établir  à  Lesbcs, 
dont  la  beauté  l'avait  séduit.  11  ameasit 
d'Achaîe  une  colonie  composée  partia 
d'ioniens,  partie  d'hommes  de  toatti 
races ,  accourus  de  tous  côtés  autour  de 
lui.  A  peine  installé  dans  sa  nouvelk 
résidence,  Macare,  grâce  aux  richesses 
de  nie  et  à  la  justice  du  gouvemermot 
qu'il  y  établit,  se  trouva  assez  puissant 
pour  conquérir  les  tles  voisines  et  œ 

eirtager  les  terres  à  ses  compagnons, 
ientôt  la  colonie  se  grossit  par  l'arrivée 
de  nouveaux  émisants.  Lesbus,  Gis  ds 
Lapithès,  conduit  par  l'oracle,  aborde 
dans  llle,  et  est  accueilli  avec  amitii 

Sar  Macare  y  dont  il  épouse  la  fille.  Ln 
eux  peuples  se  mêlent,  et  vivent  frater- 
nellement. Alors  Macare  songe  à  étendre 
sa  domination  :  il  envoie  à  Cos  un  de 
ses  fils,  un  autre  à Chio;  un  troisième, 
Cy  drolaûs,  se  dirige  vers  Samos,  en  divise 
les  champs  à  sa  troupe,  et  r^ne  paisi- 
blement sur  l'tie.  Enfin  Leueîppe,  astt 
unegrandemultitudede  colons,  uébarqui 
à  Rhodes  :  l'Ile  était  presque  déserte;  le 
petit  nombre  d'habitants  qu'il  y  trouve 
l'accueillent  avec  empressement.  Partout 
la  domination  de  Macare  est  acceptée 
sans  r^stance.  Le  bonheur  en  effet 
dont  jouissaient  ses  États  semblait  ^ 
un  don  de  ces  dieux  dont  on  le  disait 
descendu  (1)-  Le  continent  de  l'Asie  à  ee 
moment  même  était  en  proie  à  des 
fléaux  de  tous  oenres;  les  tremblemeoU 
de  terre,  les  déluges,  puis  la  famine, 
suite  naturelle  du  trouble  des  éléments^ 
puis  la  peste,  en  avaient  fait  une  solitude. 
Pendant  ee  temps  les  tles,  rafraîchies 
par  les  vents  de  mer,  couvertes  de  riches 
moissons ,  se  remplissaient  d'une  popu- 
lation accrue  sans  cesse  par  de  oouvell«9 

<i)  Hésiode ,  cité  par  Diodore ,  V ,  8>* 


ILE  DE  LESBOS. 


305 


eoknîeg.La  totUité  des  terres,  Theu- 
reose  situation  des  eampagnes ,  l*excef- 
leDce  d*un  air  pur  et  toujours  renouvelé 
temblait  en  avoir  ùàt  le  séjour  de  la 
richesse  et  du  bonheur.  Aussi  les  Iles  qui 
formaient  le  royaume  de  Macare  furent- 
îll«s  bientôt  connues  sous  le  nom  d'Jles 
Fortunées  (1).  Le  créateur  de  cette  féli- 
i\é  voulut  la  rendre  durable ,  et  publia 
m  constitution  qu'il  appela  le  Lion, 
somme  pour  lui  donner  la  force  de  Fa- 
ûmal  dont  il  lui  donna  le  nom.  A  la 
nort  de  Macare,  Lesbus,  son  gendre  « 
toi  succéda,  et  Ttle  prit  dès  lors  le  nom 
leLesbos. 

La  tradition  parle  |>lus  tard  d'une 
Imazone,  Mvrine,  qui  aurait  conquis 
Lesbos  et  fondé  Mitylene ,  en  l'honneur 
le  sa  soeur.  Mais  ce  n'est  là  qu'un  de 
xs  souvenirs  poétiques  qu'on  retrouve 
Rir  toute  cette  cdte  de  l'Asie,  à  Cyme, 
i  Smyme ,  à  Êphèse ,  et  qu'aucun  histo- 
lien  o*a  pris  la  peine  de  préciser. 

Puis  viennent  les  temps  de  la  guerre 
le  Troie.  Lesbos  était  alors  une  des  lies 
es  plus  riches  et  les  plus  florissantes  de 
i  mer  Egée.  Ulysse  (3)  v  aborda  avec 
es  Grecs.  Défié  au  oomnat  du  pugilat 
lar  Phiiomélide ,  le  roi  inhospitalier  de 
(^bos,  il  le  tua,  aux  applaudissements 
le  l'armée  confédérée.  Achille  (3)  non 
dos  n'oubUa  pas  Lesbos  dans  Us  courses 
iventureuses  par  lesquelles  il  préluda 
hsiégedcTIroie.  11  paraît  que  lorsqu'il 
Aorda  dans  Itle ,  elle  avait  passé  on  ne 
ait  comment  sous  la  domination  des 
[roveos  ;  elle  faisait  partie  du  royaume 
le  Priam ,  et  était  gouvernée  en  son  nom 
Mr  le  roi  Phorbas.  Achille  le  tua,  et 
nmemi  captive  sa  fille  Diomédé.  I^ics 
«maociers  des  âges  suivants,  enjolivant 
e récit  d'Homère,  ont  raconté  que  les 
Mbitants  de  Méthymne  opposaient  à 
iebille  la  plus  vive  résistance ,  quand 
iû  secours  inattendu  lui  vint  de  la 
nlle  même.  Pisidioe  (  c'est  ainsi  qu'ils 
^^nient  la  fille  du  roi  ),  ayant  tu  le 
KTOsdn  haut  des  murailles,  une  violente 

(0  Max^wv  v^9ot.  On  y  comprenait  sous 
»  nom  LedxM ,  Ghios ,  Samos ,  Cos  et  Rho- 
«•  (Diod.,   y,   Sa;   Pompooius   Mêla, 

,  W Hoai.,//iW.,  XXIV,  544;  Odris.,  IV, 
^i  ;  Eustmth,,  ihid. 
(3)  Hon.,  llùid.,  IX,  66o. 

30*  Uvraiion.  (lu  dk  Lesbos.) 


passion  s'empara  de  son  cœur.  Elle  dé* 
pécha  sa  nourrice  vers  Achille ,  promet- 
tant de  lui  livrer  la  ville ,  s'il  s'engageait 
par  serment  à  la  prendre  pour  épouse  (I  ). 
«  £lle  lui  livra  les  clefs  de  sa  patrie... 
«  Elle  eut  le  coeur  de  voir  en  face  ses 
«  parents  frappés  par  la  lance  de  l'en- 
«  nemi  et  le  cortège  des  femmes  esclaves 
«  entraînées  aux  vaisseaux  étrangers  ;  et 
«  tout  cela  pour  devenir  la  fille  de  Thétis, 
«  la  déesse  des  mers,  pour  entrer  dans  la 
«  famille  des  Êaddes ,  pour  habiter  le 
«  palais  de  Phthie ,  épouse  honorée  du 
«  plus  grand  des  hommes  ».  Mais 
Achille  une  fois  maître  de  la  ville,  in- 
digné de  cette  action  odieuse,  fit  lapider 
Pisidice  par  ses  soldats.  —  Homère  (2) 
nous  montre  encore  Ménélas,  au  retour 
de  Troie,  s'arrétant  à  Lesbos  avec  Dio- 
mède,  «  incertains  s'ils  devaient  naviguer 
a  au-dessus  de  Tâpre  Chio,  en  côtoyant 
«  l'île  de  Psyrie  et  la  laissant  à  leur 
«  gauche,  ou  naviguer  au-dessus  de 
«  Chio  près  du  promontoire  élevé  de 
tt  Mimas  ». 

Colonie  bolibnnb;  lbs  Pbnthi- 
LiDBs.  —  La  guerre  de  Troie  fut  dans 
toute  la  Grèce  suivie  de  bouleversements 
politiques ,  résultats  naturels  d'une  lutte 

2ui  avait  remué  tant  de  passions  et  tant 
e  peuples.  A  la  suite  des  mouvements 
violents  qui  survinrent ,. des  populations 
alors  vivant  sur  le  continent  européen, 
les  unes  se  trouvèrent  réduites  en  escla- 
vage, et  disparurent;  les  autres  y  jetées 
hors  de  leurs  demeures,  cherchèrent 
une  nouvelle  patrie.  C'est  l'époque  des 
erandes  migrations,  et  c'est  l'époque  où 
fut  renouvelée  toute  la  côte  de  l'Asie  Mi- 
neure et  en  particulier  Lesbos.  Une  (3) 
colonie  part  d'Argos,  dirigée  par  Oreste, 
qui  meurt  en  Arcadie  ;  Penthilus,  son  fils, 
la  conduit  à  Aulis  pour  y  préparer  une 
flotte;  il  est  rejoint  en  Beotie  par  une 
partie  des  habitants  de  la  contrée  et  par 
un  certain  nombre  des  conquérants  Béo- 
tiens ,  revenus  avec  les  Éoliens  d'Ame. 
Le  gprand  nombre  de  ces  derniers  ou 
leur  influence  dominante  fit  que  l'émi- 
gration, composée  primitivement  d'A- 

(i)  Partbéaiiu.  Narraiiones  amaionœ, 
(Mjrtfio^raphif  ea,  Westermann,  p.  173). 

(^)Odys„  m,  169. 

(3)  Straboo  y  Xni ,  p»  CSa  \  Tauchn.,  Il , 
x36. 

30 


806 


L'UNIViaS. 


ehéens  fut  considérée  dès  lors  comme 
une  émigration  éolienne  (1).  Mais  Pen- 
tbilus  ne  put  la  conduire  que  jusqu'en 
Tbrace.  Échélatus,sonfils,traTersel  Hel- 
lespont,et  s^aTanee  jusqu'à  Gyzi<|ue  (cent- 
quinze  ans  après  la  cuerredeTroie).  Enfin 
Graîs,  fils  d'Échélatus,  renent  dans  la 
Péloponnèse  recruter  de  nouTcaui  colons 
parmi  les  Acbéens  et  les  anciens  habi* 
tants  de  la  Laconie;  et  retournant  en 
Asie  Y  il  s'avance  à  l'aide  de  ces  renforts 
jusqu'au  Granique  ;  de  là  il  passe  avee 
d'autres cheft  dans  l'île  de  Lesbos,  dont  il 
s'empare  (cent-trente  ans  après  la  guerre 
de  Troie).  Une  quatrième  bande,  sous  la 
direction  de  Cléoûs  et  de  Malaûs,  des- 
cendants d'Agamemnon ,  s'établissait 
vinct  ans  plus  tard  sur  la  cdte  de  l'A- 
sie Mineure,  et  y  fondait  Gyme.  Cest 
ainsi  que  les  Eoliens  se  trouvèrent 
roattres  de  Lesbos  et  des  rivages  voisins. 
Leurs  plus  anciennes  villes  sur  le  con« 
tinent  furent  Cyme,  Larisse,  Néon- 
ticbos,  Temnus,  Cilla ,  Notiuiii ,  CMËgi- 
rœssa,  Pitane,  JSges,  Myrine,  Orynee, 
Smyme,  qui,  an  témoignage  d'Héro- 
dote (S),  ne  fut  occupée  que  plus  tard  par 
les  Ioniens.  Les  onse  premières  villes , 
jointes  à  cinq  villes  de  Lesbos  et  à  une 
autre  ville  des  Hécatonnèses,  formèreitt 
ensemble  une  confédération,  dont  furent 
exclues  les  villes  secondaires,  qai  s'étaient 
élevées  près  de  rida.  Les  cinq  cités  de 
Lesbos  qui  y  participaieiit  étaient  Biity- 
lène,  Méthvmne,  Antissa ,  Érésuset  Pyr- 
rha.  Arisba  (3)  était  déjà  tombée  an 
pouvoir  des  Méthymnéens  ;  les  autres , 
telles  qu'Issa,  Penthilé,  Xantbus,  Napé, 
Lesbos,  si  jamais  cette  dernière  a  existé, 
n'avaient  aucune  importance. 

Bientôt  le  continent  voisin  dut  rece- 
voir tout  l'excédant  de  population  et  de 
richesses  qui  sortit  de  Lesbos  et  de 
Cyme,  ces  métropoles  des  villes  éo- 
liennes.  Tout  l'espace  compris  entre 
Cyzique  et  le  Caîcus,  jusqu'à  THermus 
même,  se  couvrit  de  leurs  colonies. 
Toute  la  Troade  était  peuplée  d'établisse- 
ments lesbiens;  des  elles  mityléniennes 

(x)  Certains  auteurs  veulent  que  Pentliilus 
et  même  Oreste  soient  allés  jusqu'à  I^esbos. 
Piadare  Nem,,  XlyV.  34  ;  Pausaniat ,  III , 
a-i,  etc. 

(a)  Hérodote ,  I ,  c«  i49* 

(3)  Id.  I,  i5i. 


bordaient  tontes  lea  ottes  dn  golfe  d'A* 
dramytte;  c'étaient  Gorypbantls,  Hé- 
radée,  Attée,  et  bien  d'autres,  que 
Strabon  ne  mentionne  pas,  Antandroi, 
Assus,  Gar^pra,  Adramyttium,  Cilla, 
Chrysa;  Sigée  et  Achiileum  avaient  etc 
construites  par  les  Mityiéniens  avec  la 
débris  d*Ilion.  Tout  ee  pays  étoit  Us- 
bien  par  la  population,  les  moeurs,  Iri 
intérêts;  et  les  insulaires  de  Lesbos 
avalent  quelque  raison  de  le  revendiqwi 
contre  les  prétentions  des  Atbéaiens. 
Enfin,  jusque  dans  la  Chersonèse,lci 
habitanu  de  Sestos  et  de  Madytoi  r- 
connaissaient  pour  leurs  aïeux  les  Eo- 
liens de  Lesbos. 

A  Lesbos,  comme  dans  le  reste  de  b 
Grèce ,  il  est  vraisemblable  que  la  pre- 
mière forme  de  gouvemeuMat  fut  li 
royauté  Les  descendants  des  aneiett 
rois  formaient  à  Mitylèae  la  fanilk 
puissante  des  Penthilidee«  du  nom  it 
ce  Penthilus,  fils  d'Oreste,  que  la  tradi- 
tion faisait  mourir  à  Lesbos,  et  à  qui 
l'on  rendait  les  plus  srands  bonoeurs. 
enorgueillis  de  la  noblease  et  de  ïm- 

Suite  de  leur  race,  les  Penthilides  se  res- 
irent  insupportables  aux  Mitylénienst 
et  un  jour  qu'ils  parcouraieat  les  mts 
en  frappant  à  coups  de  massue  ceux 
qu'ils  rencontraient,  Mé|^ès,  aiiéde 
ses  amis,  les  assaillit^  et  un  massacra  (11* 
Dimensions  dbs  Lbbbibns;  Gov- 

VBBNBMBNT  DB  PiXt  ACOS,  —  Par  Ï€k* 

tiaotion  de  cette  famille  où  ae  reeruUJt 
la  royauté,  toutes  les  esnàranccs  et 
toutes  les  baines  se  trouvèrent  rani- 
mées. Dans  chaque  ville  des  factions  s  ^ 
levèrent,  et  la  lutte  s'engagea  entre  le 
parti  populaire  et  le  parti  dea  craods. 
Cbaque  cito]^en  se  crut  le  droit  de  goa- 
verner  sa  cité,  et  cbaquB  cité  celui 
d'être  la  première  de  111e.  Méthymae 
tint  longtemps  tête  à  Biitykne ,  et  Hitr* 
lène,  enfin  victorieuse  et  souveraine,  ua 
impitoyablement  de  sa  victoire.  Les  lois 
les  plus  rigoureuses  furent  portées  eoat» 
les  vaincus  ;  toute  liberté ,  toute  partici- 
pation au  gouvernement  fut  enlevée  aux 
autres  cités  \  la  moindre  révolte  fut  sévè- 
rement punie  ;  toute  défection  entraiaait 
un  châument  terrible  (!S0.  La  ville  coa- 
pable  était  vouée  à  l'ignorance  ;  défeni^ 


(^ 
l 


i)  Aristote,  PoUtiq., 
Il)  Élien,  yil|  c*  sr. 


I.,  ir,9,  !•. 


ILE  DE  LESBÔS« 


toi 


ait  frite  dV  aypNlidre  à  lire  aux  en- 
Dts.  Mitylène,  épuisée  par  son  despo- 
me  même,  devient  à  sou  tour  la  proie 
)  urans  qui  se  fucoèdent  sans  obstacle. 
QUI,  secondé  par  Cids  et  Antiménide , 
I  frères  du  poète  Alcée ,  Pittacus  dé- 
rre  sa  patrie  en  égoraeantMélancbrus, 
ni  roppriniait(  61  S).  Ensuite  commeoce 
ne  période  complètement  inconnue  de 
ittes  intestinei  ;  on  désordre  efifroyable 
pe  à  Mityltoe.  Après  des  fictoires  et 
es  défaites  saccessives  du  parti  popu- 
lire,  des  tyrannies  d*un  Jour  aussitôt 
WTersées ,  on  retrooTc  Alcée ,  le  chef 
B  parti  des  grands,  qui ,  exilé ,  s'est  mis 
la  tête  des  autres  proscrits,  et  tente  de 
entrer  de  force  dans  sa  patrie.  Alors 
»  Mityléniens ,  dans  l'intérêt  de  la  de- 
nse commune,  défèrent  de  leur  plein 
ré  la  tyrannie  à  Pittacus.  Cette  tyrannie 
jw  ne  donnait  pas  la  Tiolence ,  mais  les 
Bres  suftrages  des  citoyens,  avait  un 
Offi  chez  les  Grecs  :  c'était  l'asym- 
>ne  (1).  «  Elle  différait  de  la  royauté 
chez  les  barbares,  non  pas  pour  n'être 
pas  fondée  sur  les  lois,  mais  pour 
<  D'être  pas  héréditaire.  Car  les  uns 
'  afaieot  l'autorité  pour  tout  le  temps 
de  leur  vie,  et  les  autres  ne  l'avaient 
que  pour  un  temps  limité  et  pour 
^rtainsB  entreprises  déterminées.  » 
?<Ucu8,  nommé  pour  repousser  les  ban- 
Mi  accomolit  rigoureusement  cette  en- 
<'^i[ue;  il  honora  sa  victoire  par  une 
Bûistie  complète ,  et,  une  (bis  sa  patrie 
Hivée,  il  obéit  à  la  loi  en  déposant  le 
•W'oir  (  591  ).  Ses  concitoyens  furent 
««tôt  obligés  d'avoir  de  nouveau  re- 
UIP  à  sa  sagesse.  Les  Athéniens  prê- 
tant que  le  territoire  d'Ilion  n'appar- 
Jtait  pas  phis  aux  Éoliens  qu'aux  autres 
*^qoi  avaient  pris  part  avec  Ménélas 
^destruction  de  Troie ,  s'étaient  em- 
BJ*  de  Sigée.  Les  Mityléniens  se  rcnfer- 
r^nt  dans  les  murs  d'Achilléum,  et 
Jjjwent  la  euerre.  Elle  durait  depuis 
PKtempe  déjà,  et  chaque  jour  les  partis 
■tenaient  aux  mains;  c'est  dans  un 
^«es  combats  qu' Alcée,  le  poète  qui 
T  "**  :  «  Il  est  beau  de  mourir  dans 
g*  combate  » ,  tourna  le  dos  en  lais- 
p  son  bouclier  aux  Athéniens,  qui  le 

^'Urisioie,Po/i/i>.,   m,  9,  5;  Den. 
iV'J  Hérodote,  V,  94-95. 


suspendirent  à  Sigée  dans  le  temple  de 
Minerve.  Enfin  Pittacus,  nommé  général 
par  les  Mityléniens,  provoque  en  combat 
singulier  Phrynon,  le  général  ennemi, 
et  I  enveloppant  (1)  d'un  filet  qu'il  te-* 
nait  caché  sous  son  bouclier ,  le  perce  de 
son  poignard.  Cest  un  des  traits  les  plus 
admirés  des  anciens.  Quelque  chose 
d'aussi  beau ,  sans  doute ,  c'est  le  désin- 
téressement  que  montra  le  sage  en  se 
dépouillant  oes  honneurs  pour  aller 
vivre  dans  la  retraite.  Les  Mityléniens 
foulaient  à  toute  force  lui  fedre  accep- 
ter  de  vastes  champs  et  lui  assurer  une 
existence  opulente.  «  T9on,  leur  dit- 
11  (2),  non,  ne  me  forcez  pas  à  prendre 
nne  fortune,  cause  de  haine  et  objet 
d'enrie  pour  la  foule.  Tai  assez  de  cent 
arpents:  cela  doit  bien  suffire  et  à  la 
simplicité  de  marie  et  à  votre  reconnais- 
sance ».  11  Técut  dans  cette  retraite, 
Saisible  et  content,  refusant  les  présents 
e  Crésus,  et  (S)  l'éclairant  de  ses  conseils» 
aimé,  honoré  de  tous,  inspirant  à  ses 
concitoyens  le  goût  de  la  sagesse  par  ses 
préceptes  et  ses  exemples.  Lorsqu  il  était 
au  pouvoir,  il  ne  s  était  pas  ému  des 
grossières  injures  d' Alcée,  et  il  s'était 
contenté  de  lui  répondre  par  cette  excel- 
lente maxime:  «  Ne  médis  pas  d'un 
ami ,  d'un  ennemi  non  plus  ».  Au  faite 
de  la  puissance,  entouré  de  courtisans, 
il  avait  résisté  à  l'ivresse  de  Tune  et  aux 
séductions  des  autres,  et  il  disait  :  «  Le 
tyran  est  le  plus  méchant  des  animaux 
sauvages;  mais  des  animaux  domes- 
tiques, c'est  le  flatteur  «.  Souverain  à 
Mitylène,  comme  il  voulait  sa  patrie 
heureuse  et  grande,  il  s'attadia  toujours 
à  faire  régner  la  loi  sur  la  volonté  de 
tous,  sur  la  sienne  propre.  En  butte  aux 
haines  de  ses  adversaires,  à  leurs  calom- 
nies, à  leurs  complots,  à  ceux  qui  lui 
conseillaient  la  vengeance,  il  répondait  : 
«  Une  punition  me  laisserait  du  repentir. 
Je  sais,  mes  amis,  quelque  chose  (jui 
yaut  mieux  encore  :  le  pardon  v.  Enfan, 
retiré  dans  son  petit  domaine,  il  occu- 

(i)  Diogen.  Laerœ,  Pittae,,  74;  Fe»tus,  au 
mot  EsTiAAxo,  p.  93;  Suidai ,  au  mot  lliT- 
Tax6ç;  Poljren,!,  a5;  Hérodote  nVo  parle 
pas.  Ce  qui  indigne  beaucoup  Plutarque  (de 
la  malignité  iC Hérodote,  c  xv.  ). 

(a)  Coroél.  Népof,  Thraif5,f  i* 

(3)  Hérodote,  I,a7> 

90, 


808 


L*nMIVERS. 


paitsa  vieillesse  aux  rustiques  travaux, 
et  loDgtemps  les  femmes  de  Lesbos  ré« 
pétèrent  à  l'ouvrage  le  refrain  popu« 
faire  (  1)  :  «  Travaille ,  travaille ,  ô  meule  ; 
Pittacus^ussi  travaillait,  le  roi  de  Mity- 
lène  la  Grande  ».  11  vécut  ainsi  jusqu  à 
rage  de  soixante-dix  ans,  selon  les  uns, 
de  cent  ans,  selon  les  autres  ;  et  quand  il 
mourut,  ses  concitoyeDS  lui  élevèrent 
un  magnifique  tombeau. 

Les  Athéniens  et  les  Lesbiens 
SB  disputent  Sigbb.  —  Cependant  la 
guerre  de  Sigée  n'était  pas  terminée  par 
la  mort  de  Phrynon.  Mais  Périandre, 
tyran  de  Gorinthe ,  offrit  son  arbitrage. 
Il  fut  accepté  ;  et  sa  décision  aj^ant  été 
que  les  oeux  fmrties  garderaient  ce 
qu^elles  se  trouvaient  posséder,  Athènes 
resta  maltresse  de  Sigée. 

Les  Lesbiens  prirent  ensuite  parti 
pour  Milet,  qui  était  en  guerre  avec  Po- 
lycrate ,  tyran  de  Samos  (568).  Toutes 
leurs  forces  furent  mises  sur  pied  pour 
défendre  leur  alliée.  Un  comoat  naval 
se  livra;  Polycrate  (2)  en  sortit  vain- 
queur, et  les  Lesbiens,  prisonniers,  fu- 
rent condamnés  à  creuser  les  fossés  qui 
devaient  entourer  Samos. 

C'est  vers  cette  époque  que  le  roi  d'E- 
gypte, Amasis  (8),  ouvrant  ses  ports 
aux  étrangers ,  donna  à  ceux  qui  vou- 
lurent s'établir  dans  le  pays  la  ville  de 
INaucratis.  Ceux  qu'un  intérêt  seulement 
passager  attirait  pour  le  commerce  re* 
curent  des  emplacements  pour  y  cons- 
truire des  autels  et  des  temples  à  leurs 
dieux.  Onze  cités  se  réunirent  pour  éle- 
ver à  frais  communs  un  temple  magni- 
fique. Des  cités  éoliennes,  Mitylène  seule 
consentit  à  y  contribuer. 

A  la  mort  de  Périandre ,  les  Mitylé- 
niens  s'étaient  empressés  de  reprendre 
Sigée.  A  peine  au  pouvoir,  Pisistrate 
l'enleva  de  nouveau  aux  Mityléniens, 
pour  la  donner  à  son  fils  naturel ,  Hé- 
gésistrate.  Il  s'ensuivit  des  guerres  sans 
fin,  qui  n'eurent  pour  résultat  que  d'as- 
surer aux  Athéniens  leur  conquête. 

Lesbos  sous  là  domination  des 
Pebsbs.  — Cependant  Gyrus  avaitachevé 
de  soumettre  la  Lydie  ;  plus  d'une  fois 
déjà  il  avait  sommé  les  Ioniens  et  les 

Îx)Plu(.,  Bantjuet,  c.  ii. 
a)  Hérodote,  m,  39. 
(3)M.,  n,  178. 


Éoliens  d'abandonner  le  parti  de  Gré> 
sus  ;  il  se  résolut  enfin  (1)  à  leur  déclarer 
la  guerre.  Retenu  lui-même  par  l'expédi- 
tion qu'il  entreprenait  contre  BabsrioM. 
il  confia  le  soin  de  soumettre  les  dtés 
rebelles  à  Mazarus  d'abord ,  puis  à  Uar- 

Sagus.  Les  Grecs  du  continent,  après 
es  prodiges  de  valeur ,  furent  forcés  de 
déposer  les  armes,  et  les  insulaires,  sans 
attendre  lê  vainqueur,  envoyèrent  leur 
soumission.  Lorsque  Cambyse  enfahit 
l'Egypte ,  il  avait  dans  mq  armée  b 
flotte  lesbienne  (2).  Les  Égyptiens,  vain- 
cus, s'étaient  renfermés  dans  Mempbis. 
et  faisaient  bonne  contenance.  CambjK 
leur  envoya  un  héraut  perse  monté  sur 
un  vaisseau  de  Mitylène.  Les  Égyptiens, 
sans  respect  pour  le  caractère  sacré  ^ 
l'ambassadeur,  se  répandent  par  troa- 
pes  hors  de  la  ville,  entourent  le  navire, 
massacrent  les  hommes  qui  le  montaient, 
et  les  coupent  en  morceaux.  Camby% 
maître  de  Mempbis ,  vengea  le  meurtre 
de  ses  alliés  en  punissant  de  mort  du 
des  principaux  ^BQ^ptiens  pour  cbacea 
des  matelots  égorgéi.  Quand  Darius, 
fils  d'Hystaspe,  marcha  contre  les  Se^ 
thés  (61  S),  les  Éoliens  de  Mitylèoe  1a 
suivirent  encore.  Ils  étaient  commandes 
par  Coès,  fils  d'Ërxandrus.  Cest  lui 
qui  persuada  à  Darius  de  ne  poiat  cou* 
per  le  pont  jeté  sur  l'ister ,  mais  d  es 
confier  la  garde  aux  Ioniens  (8).  Dariii 
promit  de  se  souvenir  de  ce  bon  conseil 
Une  fois  de  retour  à  Sardes ,  il  accorda 
à  Coès,  sur  sa  demande,  la  tyrannie  de 
Mitylène.  Celui-ci  n'en  jouit  pas  lon^ 
temps.  L'expédition  des  Perses  eontn 
Naxos  ayant  échoué,  les  villes  gree^es, 
à  l'instigation  d'Aristagoras,  essayersv 
de  s'affranchir  des  étrangers^etcommesi 
cèrent  par  se  débarrasser  de  leurs  tyran9.| 
Coès,  livré  par  Aristagoras  aux  Mityiej 
niens,  fut  tratnéhors  de  la  villeet  lapidt' 
La  guerre  ainsi  commencée ,  les  Le^ 
biens  Ta  soutinrent  avec  éneiigie.  Leto 
coopération  était  une  des  plus  utiles  à  il 
cause  de  l'indépendance;  car  la  marioi 
de  Mitylène  à  cette  époque  n'avait  pK 
d'égale.  Quand,  cédant  aux  conseils  d> 
ristagoras ,  les  Poconiens  (4) ,  que  Mé^ 


(i)  Hérodote,! y  141,  160,  169, 17t. 

(a)Id.,in,  i3.x4. 

(3)  rd.,rV,97;V,  ii,3«,37. 

(4)IdMV,9«. 


ILE  DE  LESBOS. 


309 


baze  avait  déportés  en  Pbry^gie,  entrepri- 
rent de  rerenir,  malgré  Darius,  dans  leur 
f latrie,  Lesbos  fournit  des  vaisseaux  qui 
es  portèrent  à  Dorisque,  d*où  ils  purent 
rej^agner  par  terre  la  Poeonie.  Quand 
Histiée,  chassé  de  Milet,  rebuté  de  Chio, 
se  réfugia  à  Mit^lène ,  les  Lesbiens  lui 
donnèrent  huit  trirèmes,  avec  lesquelles 
il  alla  croiser  à  Byzance,  s'emparant  de 
tous  les  navires  ennemis ,  qui  sortaient 
du  Pont-Euxin  (1)^  Enfin,  quand  le 
Panionium  eut  résolu  de  réumr  toutes 
les  forces  grecques  pour  tenter  la  for- 
tune  d'un  combat  décisif  près  de  la  pe- 
tite !le  de  Ladé,  Lesbos ,  seule  des  co- 
lonies éoliennes,  envoya  ses  vaisseaux, 
au  nombre  de  soixante-dix ,  à  la  confé- 
dération de  rionie.  Mais  placée  dans 
Tordre  de  bataille  près  des  Samiens,  qui 
firent  lâchement  défection ,  sa  flotte,  se 
trouvant  tout  à  coup  à  découvert,  fut 
forcée  de  prendre  la  fuite  et  d'aban- 
donner la  victoire  (494).  Milet  fut  sacca- 
gée et  anéantie.  A  cette  nouvelle,  Histiée^ 
qui  croisait  à  Byzance,  remet  à  Bysalte 
TAbydénien  le  soin  des  affaires  de  rliel- 
iespont,et,  suivi  des  Lesbiens  qui  étaient 
à  son  service,  fait  voile  pour  Cnio  :  reçu 
en  ennemi,  il  aborde  oe  vive  force,  et 
s'empare  de  Tlle  tout  entière. 

<  L'armée  navale  des  Perses  passa 
>  Thiver  à  Milet ,  et  ayant  mis  en  mer 
«  Tannée  suivante ,  s'empara  sans  diffî- 
«  culte  de  toutes  les  îles  yoisines  du  con- 
«  tinent ,  telles  que  Chio ,  Lesbos,  Téné» 
«  dos.  A  mesure  qu'ils  occupaient  une 
■  Ile,  les  barbares  en  prenaient  tous  les 
«  habitants  comme  au  filet,  et  voici  quel 
«  moyen  ils  employaient.  Ils  formaient 
tt  une  chaîne  en  se  donnant  la  main 
«  d'homme  àhomme,  et  partant  du  bord 
«  de  la  iner,  au  nord ,  ils  s'avançaient 
«  vers  le  midi.  En  marchant  ainsi  sur 
«  toute  la  longueur  de  l'île ,  rien  ne 
«  pouvait  leur  échapper,  et  ils  chas- 
'  saient  comme  du  gibier  les  hommes 
«  qu'ils  rencontraient..  Ce  genre  de 
«  chasse  n'était  pas  praticable  sur  le 
«  continent  (3).  »  Ainsi  la  soumission 
de  Lesbos  était  achevée  quand  Xerxès 
déclara  la  guerre  à  la  Grèce;  et  elle  dut 
comme  tous  les  autres  Grecs  d'Asie  sui- 
vre le  grand  roi,  dans  son  expédition 

(i)  Hérodote,  YI,  5  et  «uiv. 
Wld.,  VI,  3r. 


en  Europe.  Selon  Hérodote,  les  Éo- 
liens  fournirent  soixante  vaisseaux  à 
Xerxès,  et  quarante  seulement,  seloa 
Diodore  (1). 

Lesbos  soiîs  la  domination  b'A* 
THÈNBS.  —  Après  Mycale  et  Platée,  les 
Lesbiens,  comme  tous  les  autres  insulai- 
res, formèrent  une  liguedéfensive  et  offen- 
sive avec  les  Grecs  d'Europe.  Les  Lesbiens 
en  particulier  accompagnèrent  les  Athé- 
niens au  siège  de  Sestos,  que  défendaient 
les  Éoliens  de  la  Chersonese,  et  la  ville 
conquise  ils  reprirent  à  leur  tour  le 
chemin  de  leur  patrie  (2). 

La  guerre  s'étant  élevée  au  sujet  de 
Priène  entre  Milet  et  Samos ,  les  Milé- 
siens  appelèrent  Athènes  à  leur  secours.- 
Périclès  débarque  à  Samos ,  y  rétablit 
le  gouvernement  populaire,  et,  laissant 
une  garnison ,  emmène  cent  otages  à 
Lemnos.  Ce  fut  bientôt  à  recommencer. 
Les  Samiens  fugitifs  rentrèrent  dans 
leur  île',  parvinrent  à  enlever  furtive- 
ment leurs  otages  de  Lemnos ,  et  se  dé- 
clarèrent en  pleine  révolte.  Une  nouvelle 
expédition,  commandée  par  Périelès  et 
d'autres  généraux,  se  dirige  sur  Samos. 
Le  poète  Sophocle,  un  de  ses  collèçies, 
est  cnargé  d'aller  demander  des  renforts 
aux  allia.  Lesbos  et  Chio  fournissent  leur 
contingent,  qui  est  de  vingt-cinq  vais-  ' 
seaux  (3),  auxquels  elles  en  ajoutèrent 
bientôt  trente  autres.  Les  Samiens,  après 
une  résistance  de  neuf  mois,  furent  en- 
fin forcés  de  céder,  d'abattre  leurs  mu- 
railles ,  de  livrer  leurs  vaisseaux  et  de 
frayer  200  talents.  Après  Samos,  ce  fut 
e  tour  des  autres  alliés  d'Athènes;  pro- 
fitant habilement  de  leurs  dissensions, 
par  la  ruse  ou  par  la  force,  elle  sut  les 
amener  à  faire  tous  successivement  Ta- 
bandon  de  leurs  vaisseaux ,  de  leur  ar- 
gent, de  leur  liberté.  Chio  seule  et  Lesbos 
snrent  se  défendre  contre  ses  empiéte- 
ments. Lesbos  naturellement  était  en 
garde  contre  Athènes;  quand  les  cir- 
constances ou  un  intérêt  passager  la  je- 
tait dans  son  parti ,  un  irrésistible  ins- 
tinct la  portait  à  se  défier  d'elle ,  et  à 
Tabandonner  au  premier  jour  (4)  ;  car, 

(i)  Hérodote,  VU,  igS;  DimI.SicQl.,  IX, 
io6. 
(a)  Thucydide,  1 ,  89. 

(3)  Id.,  I,  ii5-ii6-xi7;  Athénée,  XIII. 

(4)  Thucydide,  III,  lo-ii-it. 


zta 


\ 


VUNPTEMS. 


eomnie  dit  Thucydide ,  il  ne  peot  exis* 
ter  d'amitié  sûre  et  durable  entre  dee 
particuliers  Y  ni  aucune  alliance  entre 
républiques,  sans  conformité  de  mœurs* 
Or  la  forme  du  souvemement  de  Les- 
bos  était  oligarchique;  aussi,  même 
avant  la  guerre  du  Péloponnèse,  les  Les- 
biens  avaient-ils  offert  à  Laoédémone 
de  passer  dans  son  alliance  ;  mais  celle- 
ci  ne  les  avait  pas  accueillis  alors  (1). 
Au  commencement  de  cette  guerre ,  ils 
se  trouvaient  donc  encore  du  parti  d'A« 
thènes,  comme  alliés  autonomes  (2), 
fournissant  des  vaisseaux,  mais  point 
émargent.  Ils  prirent  part  avec  Cbio  à 
Texpédition  des  Athéniens  contre  Épi« 
daure  et  Potidée  (8)  (431). 

KÉYOLTS    DE    MlXYLJ^NS  <428).   -^ 

Mais  aussitôt  après  Tinvasion  des  Pélo« 
poDnésiens  dans  TAttique ,  Mitylène  se 
déclara  en  pleine  révolte.  Les  Thébains^ 
alléguant  une  origine  commune,  Fa  valent 
entraînée  à  cette  démarche.  On  s*^  prépa- 
ra  longtemps  ;  on  releva  les  murailles ,  on 
construisit  des  vaisseaux ,  on  combla  les 
ports  ;  on  fit  venir  du  Pont-Euxin  des 
archers,  du  blé,  tout  ce  qu*il  Mait 
pour  soutenir  un  long  siège  (4).  Cepen- 
dant, de  Ténédos,  ennemie  des  Lesbiensi 
de  Méthymne,  sa  rivale  humiliée,  de  Mi* 
tylène  même  des  avis  nombreux,  dictés 

gar  une  basse  envie  ou  par  des  intérêts 
lessés  arriraient  chaque  jour  à  Athè*- 
aes  (6).  Il  était  temps  d'accourir  si  l'on 
ne  voulait  pas  perdre  Lesbos. 

Les  Athéniens,  qui  avaient  beaucoup 
Bouftert  de  la  çeste  et  de  la  guerre,  reçu- 
rent avec  effroi  la  nouvelle  de  ce  fâcheux 
événement,  et  se  refusèrent  d*abord  à 
croire  ce  qu'ils  avaient  tant  de  raisons  de 
redouter.  Ils  envoient  sur-le-champ  des 
délégués  à  Mitylène ,  et  n'ayant  pu  faire 
suspendre  les  préparatifs  de  guerre ,  ils 
commencèrent  par  retenir  dix  trirèmes 
auxiliaires  de  Mitylène  qui  pour  lors  se 
trouvaient  anPirée,  eten  mirent  leséqui- 
pages  sous  bonne  garde.  Puis ,  voulant 
prendre  les  devants,  ils  envoyèrent  sou- 
dain quarante  vaisseaux  qui  se  trouvaient 
prêts  a  mettre  en  mer  pour  le  Pélopon- 

i)  Thacydtde,  m ,  a>i3. 
[a)  Id.,  II ,  9. 

3)Id.,  n,56;  VI,3i. 
[4)Id.,ni,3. 
(5)  Aristote,  Politiq,,  V,  3,  3. 


nèse.  Le  eommandanc  de  eelte  ilotte 
était  Gléippide,  fils  de  Dinias,  et  dcm 
autres  généraux  l'assistaient  (  1  ).  Oo  np- 

Sorta  aux  Athéniens  qu'U  y  avait  bon 
e  la  ville  de  Mitylène  une  fête  en  l'hoD- 
neur  d'Apollon  de  Malée,  célébrée  par 
tout  le  peuple  des  Mitylénieos.  Oo  pou* 
vait  espérer  de  les  surprendre  en  les  at- 
taquant à  l'improviste.  Les  vaisseaux 
partirent;  mais  un  partieuUer  ayant 

rissé  d'Athènes  en  Eubée,  vint  à  pied 
Géreste,  y  trouva  un  vaisseau  nur- 
ehand  qui  mettait  à  la  voile  «  et  parmi 
vent  favorable  arrivant  le  troisième  jour 
à  Mitylène,  il  y  annonça  l'expédition.  La 
habitants,  au  lieu  de  sortir  pour  eélé- 
brer  la  fête  d'Apollon,  placèrent  dei 
postes  sur  la  côte,  et  se  remirent  aiee 
plus  d'ardeur  qu'auparavant  aux  travatii 
commencés.  Les  Athéniens  arrivent,  h 
Toient  attendus,  font  leurs  proposiiioBt 
à  la  ville.  Les  Mltyléniois  Uvrenmt  leon 
vaisseaux ,  raseront  leurs  murailles,  ih 
non  la  guerre  est  déclarée.  Sur  le  nkt 
des  Mityléniens,  les  hostilités  eomroeih 
cent.  Bientêt  à  la  grande  Joie  des  deux 
partis,  qui  veulent  également  gagner  d» 
temps  pour  doubler  leurs  foross,  uq  ar- 
mistice est  conclu.  Des  ambassadeurs  de 
Mitylène  partent  pour  Athènes,  en  même 
temps  qu^ine  trirème,  évitant(3)adroite' 
ment  la  flotte  athénienne,  en  transportait 
d'autres  à  Lacédémone.  Athènes  ne  veut 
rien  céder  :  MitylèneseSéeide  à  aoutenirla 
guerre;  les  autres  vUles  de  LeadlK»  étaieot 
dans  sa  cause.  Méthymne  seule  avait 
pris  le  parti  contraire ,  et  avec  Imbros, 
Lemnos  et  quelques  autres  des  iles  voi- 
sines, s'était  rangée  du  edté  d'Athènes. 
Une  sortie  des  Mityléniens  échoue; 
force  est  d'attendre  les  secours  que  pro- 
met Laeédémone;  one  seconde  tiireinf 
part  pour  les  presser.  Les  A  théoiens  sossi 
profitent  de  l'inaction  de  leurs  ennemis. 
Aux  deux  côtés  de  la  ville  ils  fortifient 
deux  camps,  et  établissent  des  croisières 
devant  les  deux  ports  :  la  mer  était  ainsi 
complètement  interdite ,  mais  tonte  la 
campagne  était  libre. 

Cependant  les  députés  envoyés  sur  la 
première  trirème  étaient  arrivés  à  La- 
eédémone, et  de  là  àOlympie,  où  les  La* 
oédémoniens  leur  avaient  donné  rendei- 

(i)  Thucydide,  m,3. 
(a)  Id.,  111,4. 


ILED8U5SSOS. 


SU 


fom  poBr  expoior  aux  aUiéf  Tobjet  de 
leormiMioo  (I).  L^astembléey  aectptant 
leurs  propoiitions,  leçut  lei  Lesbieiui 
dans  ralfianoe  oommaoe  :  il  fut  arrêté 
qu'on  16  réunirait  au  plus  vite  dans 
rifithme  pour  faire  une  invasion  dans 
TAttique.  Les  Laeédémoniens  y  furent  les 
premiers ,  et  se  mirent  à  préparer  les 
machines  pour  trstner  les  vaisseaux  et 
les  transporter  de  la  mer  de  Corintbe  à 
la  mer  CLAtbènes,  afin  d^attaquer  à  la 
fois  par  terre  et  par  mer.  On  espérait 
ainsi  par  une  invasion  subite  faire  rap- 
peler la  flotte  qui  pressait  Lesbos.  Mais, 
sans  s'inquiéter  de  ces  préparatifs  menfr 
^nts,  les  Athéniens  arment  sur-le>ehamp 
erat  vaisseaux ,  qu'ils  envoient  croiser  le 
long  de  risthme,  faisant  montre  de  leurs 
forces,  et  opérant  sans  obstacle  des 
descentes  dans  le  Péloponnèse.  Les  La» 
cédémonîens,  ne  vovant  point  arriver 
les  alliés,  reprirent  le  chemin  de  leur 
pays. 

Vers  la  même  époque  les  Mityléniens, 
avec  leurs  troupss  auxiliaires,  font  par 
terre  une  expéditioii  contre  Méthymne; 
Tentreprise  échoue.  Alors,  passant  par 
Antissa,  Érésns,  Pynha,  ils  font  par- 
tout renforcer  les  murailles,  et  se  hâtent 
de  rentrer  chez  eux.  A  leur  tour,  les 
Méthymniens  marchent  contre  Antissa; 
mais  oattus  et  repousses,  ils  ont  peine  à 
rcf^agner  leur  vUte.  A  ces  nouvelles,  les 
Athéniens  s'empressent  d'envojrer  des 
renforts  pour  accélérer  la  conclusion  des 
événements.  Mille  hoplites  partent,  au 
mois  de  septembre ,  sous  le  commande* 
ment  de  Pachès,  ils  d'Épicure  (3).  Ces 
hoplites,  remplissant  eux-mêmes  les 
fonctions  de  rameurs  sur  les  vaisseaux; 
arrivent  bientêt  devant  Mitylène,  et  Ten* 
vironnent  d'un  mur  de  cireonvallation. 
Mitylène  se  trouve  alors  bloquée  par  terre 
et  par  mer. 

Au  mois  de  mars  arriva  le  lacédémo- 
nien  Salaethus  (8).  Il  avait  débarqué  à 
Pyrrha,  et  il  avait  pénétré  dans  Mytilène 
sans  être  aperçu.  Il  annonçait  Tinvasion 
imminente  de  l'Attiqne,  en  même  temps 
que  rarrivée  prochaine  de  quarante  vaia- 
seanx  Spartiates.  Les  assiégés  se  rani- 
mèrent un  peu  à  ces  nouvelles.  En  effet, 

(i)  Thucydide,  m,  8-i4-x5-i6. 
(a)M.,m,  i8. 
(3)  Id.,  III ,  a5. 


l'Attiqne  fut  envahie  par  Gléomène  et 
affireutement  ravagée  (1).  Mais  les  Athé- 
niens s^obstinaient  devant  Mitylèae ,  et 
les  vaisseaux  tant  attendus  de  Sparte 
n'arrivaient  pas.  Us  étaient  partis  cepen- 
dant ;  mais,  au  lieu  de  faire  force  de  voiles, 
ils  s'étaient  arrêtés  à  d'inutiles  captures, 
et  perdaient  un  temps  précieux.  Salas- 
thus  lui-même  désespérait;  ce  retard  lui 
semblait  inexplicable ,  et  voulant  essayer 
d'une  résolution  suprême ,  il  fait  donner 
des  armes  à  tout  le  peuple  pour  tenter 
une  sortie  générale  contre  les  Athéniens. 
Mais  alors  ce  fut  bien  un  autre  danger. 
liC  peuple,  une  fois  armé,  refusa  d'o- 
béir plus  longtemps,  se  prit  à  accuser 
les  riches,  à  dénoncer,  comme  toujours, 
des  accapareurs  de  blé ,  à  se  rassembler 
en  masse,  menaçant,  si  la  famine,  qu'il 
imputait  aux  manœuvres  de  VéàsAgJooà 
ou  de  la  trahison,  ne  cessait  sur  llieure, 
de  livrer  la  ville  aux  Athéniens  (2). 
Les  chefs,  impuissants  à  conjurer  le  pé- 
ril ,  essayèrent  au  moins  de  le  détourner 
de  leur  tête  en  envoyant  des  ambassa- 
deurs au  camp  ennemi  pour  capituler 
à  ces  conditions  :  ils  se  livreraient  à 
merci  ;  l'armée  athénienne   prendrait 
immédiatement  possession  de  la  ville  ; 
les  Mityléniens  enverraient  à  Athènes 
implorer  la  clémence  du  peuple  vain- 
queur. De  son  côté,  Pachès  s'engageait  à 
attendre  le  retour  de  Tambassade  et  les 
ordres  de  la  mère  patrie  (  avril  437  ) .  Les 
citoyens  compromis  par  leur  zèle  pen- 
dant la  guerre,  saisis  de  frayeur,  se  réfu- 
gient au  pied  des  autels.  Pachès  les  ras- 
sure, promet  de  ne  leur  faire  aucun  mal, 
et  les  met  en  dépêt  à  Ténédos  en  atten- 
dant Tordre  d'Athènes.  11  envoie  ensuite 
recevoir  la  reddition  d' Antissa  ;  puis , 
apprenant  que  les  vaisseaux  laeédémo- 
niens ,  arrivés  trop  tard  au  secours  de 
Mytilène,  longeaientla  côte  mal  défendue 
de  rionie  avec  l'intention  d'y  débarquer, 
il  se  lance  à  leur  poursuite,  les  chasse 
Jusqu'à  l'tle  de  Patmos,  et  s'en  revient 
content,  ayant  hâte  d'achever  sa  con- 
quête. De  retour  à  Lesbos  (9),  il  soumet 
Êrèsus,  et  Pyrrha,  prend  le  Lacédémo- 
nien  Salaethus,  cachée  Mitylène,  et  l'en- 
voie à  Athènes  avec  tous  les  Mityléniens 

!i)  Thacydide,ni,26. 
a)Id.,  in,a7-a8. 
3)  Id.,  m ,  3^, 


313 


L'UNIVERS. 


qu^il  ayait  laissés  à  Ténëdos,  et  tons 
ceux  qu*il  regardait  comme  les  chefs  de 
la  défection.  Puis,  libre  et  maftre  assuré 
de  nie  tout  entière,  il  s'occupa  d'y  re- 
mettre Tordre  et  d'organiser  la  servi- 
tude. 

Salsthus,  à  peine  arrivé  à  Athènes, 
maleré  ses  offres  de  service,  fut  mis  sur- 
le-champ  à  mort.  Le  peuple,  convoqué  à 
l'agora,  délibère  sur  le  sort  du  reste  des 
Mityléniens.  Ciéon  monte  à  la  tribune; 
démagogue  violent  et  farouche,  il  s'a- 
dresse aux  passions  de  la  multitude  et 
parle  à  ses  mauvais  instincts.  Il  propose, 
et  l'on  vote  d'acclamation ,  que  tous  les 
Mityléniens  en  âge  de  porter  les  armes 
seront  mis  à  mort ,  les  femmes  et  les 
enfants  vendus.  Des  dépotés  sont  en- 
voyés à  Mitylène  pour  porter  an  préfet 
des  troupes  l'ordre  d'exécuter  la  loi.  Mais 
chez  ce  peuple  aux  sentiments  vi&  et 
mobiles  la  colère  ne  pouvait  durer  :  Cléon 
était  à  peine  descendu  de  la  tribune,  que 
déjà  la  générosité  athénienne  avait  repris 
le  dessus  et  ramené  les  esprits  à  Tindul- 
gence.  Sur  les  instances  des  citoyens,  une 
nouvelle  assemblée  est  convoquée  parles 
magistrats;  et  malgré  Cléon,  qui  essaye 
de  défendre  le  décret  de  la  veille,  la  8en« 
tenoe  est  rapportée ,  et  l'on  s'empresse 
d'envoyer  une  seconde  trirème  pour  at- 
teindre celle  qui  portait  l'ordre  de  l'exé- 
cution ,  et  qui  déjà  avait  un  jour  et  une 
nuit  d'avance.  L^  députés  de  Mitylène, 
inquiets  sur  le  sort  de  leurs  compatriotes , 
approvisionnent  largement  le  vaisseau 
de  farine  et  de  vin ,  et  promettent  de 
grandes  récompenses  à  l'équipage  s'il 
devance  l'autre  vaisseau.  Les  matelots 
firent  telle  diligence ,  au'à  la  fois  ils  ra- 
maient et  mangeaient  de  la  farine  pétrie 
avec  du  vin  et  de  l'huile;  ils  dormaient 
et  ramaient  tour  à  tour.  Par  bonheur 
aucun  vent  ne  fut  contraire  ;  le  premier 
▼aisseau ,  chargé  d'une  horrible  mission , 
ne  s'était  point  hâté  d'arriver.  11  venait 
d'entrer  dans  le  port,  et  Pacfaès  tenait 
encore  en  main  la  dépêche,  quand  sur- 
vint le  second  vaisseau,  apportantl'ordre 
contraire. 

Cependant  le  châtiment  fut  terrible; 
ceux  que  Pachès  avaient  envoya  à 
Amènes  comme  partisans  de  Sparte 
furent  mis  à  mort,  quoique  au  nombre 
de  plus  de  mille.  Les  murs  de  Mi- 
tylène furent  rasés,  la  flotte  confisqDée; 


le  territoûw  de  111e ,  eeloi  de  tfélliym» 
excepté,  divisé  en  trois  miUe  lots;  troii 
cents  furent  réserrés  pour  les  Dieu,  le 
reste  fut  distribué  à  des  colons  athé- 
niens ,  à  qui  le  sort  les  fit  échoir  en  p»- 
tage.  Mais  les  Lesbiens  les  prirent  à 
ferme,  et,  sons  la  condition  de  payer 
annuellement  deux  mines  d'argent  pour 
chaque  lot,  ils  cultivèrent  eux-mêmes 
la  terre.  Toutes  les  villes  que  HitylèM 
possédait  sur  le  continent  (1),  Anos, 
Antandrus,  Rhœtium,  etc.,  passèrentaia 
Athéniens ,  et  leur  obéirent  désomuii 
Bien  que,  suivant  Thucydide,  les  dé- 
rouques  (  xXiipotSxot»  les  colons  choisis  pv 
le  sort  )  aient  été  réellemeut  envoyés,  il 
n'est  pas  vraisemblable  que  deux  mille 
sept  cents  Athéniens  soient  restés  à 
Lesbos  ;  ils  eussent  alors  difficilemeH 
laissé  la  totalité  des  terres  i  cultiver  aux 
Lesbiens.  Un  grand  nombre  sans  doute 
repartit  ;  les  autres  restèreut  enganiisoD . 
et  formèrent  probablement  avec  les 
anciens  habitants  la  communauté  du 
peuple.  Les  États  formés  par  les  dé- 
rouques  retournaient  par  diverses  voies 
à  un  assujettissement  aussi  grand  que 
les  alliés  dépendants,  avec  cette seuk 
différence  qu'ils  renfinmaient  des  d- 
toyens  ayant  le  droit  de  cité  dans 
Athènes  (2). 

Au  printemps  de  la  hnitiènie  anaéc 
de  la  euerre  du  Péloponnèse ,  les  habi- 
tants de  Lesbos,  et  le  nombre  en  était 
grand  9  aui  après  la  conque  des  Athé- 
niens s'étaient  enfuis  pour  éviter  la 
servitude,  prennent  à  leur  solde  des 
troupes  auxiliaires  du  Péloponnèse,  ea 
rassemblent  d'autres  sur  le  contineot,  et 
s'emparait  de  Rhœtium ,  d'Antandros, 
uu'ils  fortifient  pour  s'assurer  un  refuge 
dans  leurs  sorties  contre  les  AthéDieos. 
A  cette  nouvelle  Démodocus  et  Aristide. 

3ui  commandaient  la  flotte  athénien» 
estinée  à  recueillir  les  tributs,  arrifeot 
de  l'Hellespont  à  f<nt»  de  voiles ,  et  aprè> 
plusieurs  combats  s'emparent  d'Antafl- 
drus,  mettent  à  mort  une  partie  d» 
exilés ,  et  ne  partent  qu'en  laissant  dans 
la  ville  une  forte  aarnison.  La  seizième 
année  de  laguorredu  Péloponnèse  (416). 

""  (i)  Les  villes  Actées,  oomme  la  «ppebi«fii 
les  Grecs» 

(a)  Bœckh.,  Économ,  Pçtiti^,  des  Athé- 
niens, t.  n,  p.  911. 


ILE  DE  LESBOS. 


3ia 


deux  vaisseaox  lesbiens,  pent-étre  de 
MétbjmDe,  prennent  part  à  Texpédition 
des  Athéniens  contre  Mélos  (t).  L'année 
suivante ,  la  flotte  de  Méthymne  accom* 
pagne  encore  la  flotte  d'Atnènes  contre 
Sfracuse.  Méthymne  était  assujettie  à 
fournir  des  vaisseaux,  mais  sans  payer 
de  tributs,  tandis  qne  ceux  de  Ténédos 
et  d'iSnos  étaient  tributaires.  «  Ces 
«  peuples  éoliques  faisaient  forcément  la 
«  guerre  contre  des  Béotiens ,  leurs  fon- 
«  dateurs,  Éoliens  aussi,  gui  étaient 
t  alliés  de  Syracuse  (2)  ». 
Conduite  des  Lesbiens  pendant 

LES  DBBNIÈBES  années  DE  LA  GUERBE 

BU  PÉIOPONNÀSE.  —  A  la  nouvelle 
du  désastre  des  Athéniens  en  Sicile, 
leurs  alliés  cherchèrent  de  tous  côtés  à 
faire  défection .  Sollicité  par  les  Eubéens , 
Ads,  roi  de  Lacédéroone,  alors  à  Dé- 
céTie,  sur  le  territoire  de  TAttique ,  se 
préparait  à  leur  porter  secours ,  quand  il 
reçut  une  députation  des  Lesbiens,  qui 
le  suppliaient  de  prêter  aide  à  leur  ré- 
volte contre  Athènes.  Cédant  à  leurs 
prières  et  à  celles  des  Béotiens ,  qui  font 
cause  commune  cette  fois  avec  eux  et 
promettent  dix  vaisseaux ,  Agis  ordonne 
a  la  flotte  laoédémonienne  qui  se  diri- 
geait sur  FEubée  de  passer  à  Lesbos; 
mais  le  ^nd  nombre  des  alliés  qui  bri- 
guaient a  Tenvi  les  secours  tout-puis- 
sants du  vaînquenr,  ayant  jeté  Tirréso- 
lution  dans  les  conseils  de  L^cédémone, 
une  troisième  destination  fut  donnée  à 
la  flotte.  11  fbt  arrêté  par  rassemblée 
générale  qu'on  ferait  voile  d^abord  pour 
Chio,  sous  le  commandement  de  Chai- 
cidéus;  de  là  on  passerait  à  Lesbos  (8). 
Mais  avant  que  tout  pût  être  prêt, 
Athènes  était  avertie ,  envoyait  sa  flotte 
ao-devant  de  la  flotte  lacéaémonienne, 
et,  renfermant  dans  le  port  de  Pirœus 
sur  la  côte  de  la  Corinthie,  dégoûtait 
pour  quelque  temps  Sparte  d*envo3'er 
aucune  expédition  en  Asie.  Les  habi- 
tants de  Cliio  continuent  alors  l'entre- 
prise  commencée,  et  se  dirigeant  avec 
treize  vaisseaux  sur  Lesbos,  font  sou- 
lever Métbvmne,  où  ils  laissent  quatre 
▼aisseanx;  le  reste  de  la  flotte  se  dirige 
▼ers  Méthymne,  et  y  proclame  Tindé- 

(k)  Thucydide,  y,  84. 
(a)ld.,"Vn,57. 
(3)  Id.,  Ym ,  5  à  14. 


pendance.  Mais  les  Athéniens,  com- 
mandés par  Léon  et  Diomédon,  arrivant 
à  rimprovîste  avec  vingt-cinq  trirèmes 
dans  le  port  de  Mit^lène,  y  surprennent 
les  vaisseaux  de  Chio,  et,*après  une  vi- 

§oureuse  résistance,  s'emparent  enfin 
e  la  ville.  Astyochus,  stratège  des  La- 
cédémoniens,  qui  avec  quatre  vaisseaux 
avait  pris  part  à  l'entreprise  des  habitants 
de  Chio,  essaye  en  vam  de  lutter  contre 
la  fortune  d'Athènes.  Il  fait  insurger 
Ërésus,  arme  les  hoplites  de  sa  flotte, 
et  les  envoie  par  terre  à  Antissa  et  à 
Méthymne ,  pour  rendre  le  courage  aux 
habitants.  Mais  comme  tout  lui  était 
contraire  à  Lesbos,  il  est  forcé  de  se 
rembarquer.  Llle  tout  entière  rentra 
bientôt  sous  la  domination  des  Athé- 
niens (1). 

La  même  année,  au  mois  d'octobre, 
une  nouvelle  tentative  de  révolte  eut 
lieu  (2).  Une  députation  des  Lesbiens 
vint  chercher  Astyochus,  qui  se  trouvait 
aux  environs  de  Cyme  et  de  Phocéc; 
mais ,  dégoûté  par  son  échec  récent  et 
par  le  peu  d'empressement  que  témoi- 
gnaient les  alliés,  il  passa  à  Chio  sans 
céder  à  ces  instances.  Une  seconde  dé- 
putation l'y  vint  trouver,  et  n'eut  pas 
plus  de  succès.  Lesbos,  pour  cette  année, 
resta  donc  sans  conteste  au  pouvoir  d'A- 
thènes; mais  l'année  suivante  (411),  an 
mois  de  iuillet,  Érésus  lui  échappa,  pour 
la  troisième  fois.  Des  proscrits  de  Mé- 
thymne, des  plus  considérables  de  la  cité, 
ayant  fait  passer  de  Cyme  à  Lesbos  une 
cmquantaine  d^hoplites,  qu'ils  s'étaient 
associés ,  et  quelques  mercenaires  réunis 
sur  le  continent,  en  tout  à  peu  près 
trois  cents  hommes,  s'en  vinrent  d'abord 
attaquer  Méthymne;  mais  à  deux  re- 

J crises  la  garnison  athénienne  de  Mity- 
ène  accourut,  et  les  repoussa  ;  alors,  tra- 
versant la  montagne,  ils  se  rejetèrent  sur 
Érésus,  et  s'en  emparèrent  (8).  Thra- 
syllus ,  le  général  Athénien,  accourt  avec 
cmquante-cinq  vaisseaux;  il  se  trouve 
devancé  par  Thrasybnle,  qui  avec  dnq 
vaisseaux  s'était  porté  au  point  menacé. 
Deux  navires  qui  revenaient  de  l'Helles- 

rnt  et  ceux  de  Méthymne  s'étant  joints 
cette  flotte,  11  se  trouva  en  pea  de 

(i)  Thucydide,  YIIl,  a«-a3. 

(a)  Id.,  Vin,  3a. 

(3)  Id.,  Yin,  190.^  . 


114 


L'UNIVERS. 


tmpg  joîiiftla-fept  bâtiaenU  réaiug 
deraok  Érégus ,  montée  par  de  nombreux 
soldats,  et  munis  da  toutes  les  ma* 
ebines  de  guerre  (1).  Maïs  Mindare  et 
la  flotte  laeédémonienoe  qui  était  à 
Gbio  étant  partis  pour  rUellespont, 
les  Athéniens  levèrent  en  toute  bâte  le 
siège  pour  poursuivre  un  plus  dange* 
feux  ennemi*  Érésus  se  trouva  donc  ainsi 
délivrée  d'une  manière  inespérée,  et 
jouit  quelque  temps  de  l'autonomie  ;  elle 
la  perait  bientôt  sans  doute .  mais  aucun 
historien  n'en  6ii  t  mention  d^une  manière 

précise. 

Au  mois  de  iuiUel  (410)  Thrasylius, 
général  des  Atnéniens  «  vaincu  près  d'Ê» 
phase  par  Tissapherno  et  les  Syracusains, 
passe  a  Lesbos;  mais  comme  il  entrait 
au  port  de  Métbyinne ,  il  aperçoit  les 
vingt-cinq  g^ères  victorieuses  de  Syra- 
cuse :  il  se  précipite  sur  elles,  en  prend 
quatre  avec  leur  équipage,  et  poursuit 
le  reste  jusqu'à  EpbJse,  d^où  elles  étaient 
parties  (2). 

BATAILU     DBS    tl«t    AA0I1IUSBS 

(406).  **  La  ¥ingt-sisième  année  tle  la 
guerre  du  Péloponnèse,  Callicratidas, 
successeur  de  Lysandre,  riche  de  Tar* 
«ent  fourni  par  Milet  etnar  Gbio,  qui 
a  elle  seule  paie  cinq  draoïmes  à  chaque 
soldat,  frit  voile  vers  Méthymne.  ville 
ennemie.  Lee  habitants  lui  en  retusent 
l'entrée..  Ils  étaient  gardés  par  une  gar- 
nison athénienne,  et  les  magistrats  qui 
pour  lors  dirigeaient  les  affaires  tenaient 
contre  Sparte  (8).  Callicratidas  emporte 
la  ville  de  vive  force ,  et  la  livre  au  pil- 
lage ;  les  esclaves,  réunis  sur  la  place  pu- 
blique, sont  vendus  à  l'enean.  tes  alliés 
voulaient  qu'on  vendit  de  même  tous 
les  habitants  :  «Tant  que  jeseraigénéral, 
répondit  Callicratidas ,  il  ne  sera  pas  dit 
gwun  Grec  a  été  aiservi  et  que  i'aie  souf- 
nrt  ce  crime.  »  Le  lendemain  il  congédia 
avec  la  garnison  athénienne  tout  ce  qui 
était  de  condition  libre.  En  vain  Conon, 
cheC  de  la  flotte  athénienne ,  essaye  de 
porter  secours  aux  Lesbiens;  ses  torées 
sont  trop  inégales  pour  qu'il  ose  as  mesu- 
ver  avec  l'ennemi.  Il  parvient  à  atteindre 
Mitjrlèoc,  toujours  poursuivi  par  Oilli- 
crandas,  qui  avec  soiiante-dix  galères 


(x^iThocydide^VIIT,  zo3. 
a) Xénoph.,  Hist,  grteq,,  I ,  a,  za.  ' 
3)ld.»I,6,  x3,  i€« 


î 


essaya  de  lui  dittpuier  l'entrée  du  poit 
Conon  est  forcé  ^accepter  le  combat ,  « 
perd  trente  vaisseaux ,  dont  l'équipage 
parvient  cependant  à  gagner  la  Van, 
Callicratidas  qui  n'a  pu  empêcher  Conoi 
de  se  réfugier  dans  le  port  de  Mitylèset 
l'y  bloque  de  toutes  parts.  Tandis  cm 
ses  vaisseaux  interdisent  la  mer,  il  m 
venir  par  terre,  de  Méthymne  et  à 
Chio,  ae  nombreux  renforts,  qui  eaftr- 
jnent  les  troupes  d'Athènes.  Bien  u 
manque  ni  à  la  flotte  ni  au  camp  lacé 
démonien  :  l'argent  de  Cyrua  suffit  i 
tout,  Con<m  était  à  l'extrémité.  Ln 
vivres  diminuaient  chaque  jour;  il  a'»* 
vait  aucun  moyen  d'en  Caire  vanir  de  li 
ville,  qui  regorgeait  d'habitants,  et  mé 
espoir  d'en  recevoir  d'Athènes,  oui  igp» 
rait  sa  position  désespérée  (1).  11  ttsM 
à  tout  prix  de  sortir  de  ce  mauvais  pai. 
Choisissant  dans  sa  flotte  les  deux  meil- 
leurs voiliers ,  il  les  arme  avant  le  ioa 
de  rameurs  choisis,  de  soldats  d'oiir. 
et  les  lance  à  travers  la  flotte  lacé^ 
monienne  ;  un  de  ces  vaisseaux  est  prifé 
l'autre  s'échappe,  et  regagne  AtbeiKS 
£n  peu  de  jourri,  Diomédon  arrive  dm 
le  ^olfe  de  Mitylène  avecdouxe  galères? 
mais  Callicratidas  les  charge  à  FiiupnK 
viste,  en  prend  dix,  et  force  les  m 
autres  à  s  enfuir. 

Athènes  epprend  ce  nouvel  échte; 
elle  foit  un  enort  énergique  pour  wt 
ver  Conon;  l'envoi  d'une  flotta  deceril 
dix  vaisseaux  est  décrété  à  runanimili 
Tous  les  gens  en  Age  de  porter  W 
armes  s'embarquent,  hommes  libm 
et  esclaves.  La  cavalerie  presque  toK 
entière  foit  partie  de  rexpéditioo.  Ai 
bout  d'un  mois ,  tout  s'était  trouvé  préu 
les  soldats  armés,  la  flotte  oonstroitr. 
équipée  en  guerre.  On  met  à  la  voti^ 
Samos  en  passant  fournit  dix  mlèrfs; 
trente  autres  viennent  s'y  joindre,  en- 
voyées par  le  reste  des  alliés.  Cântoa- 
quante  voiles  composent  biantêt  Is  flour 
athénienne.  Callicratidas ,  appresas: 
l'arrivée  de  rennemi,  laisse  txoomoi  »\ 
aiége  avec  cinquante  vaisseaux ,  et  * 
mettant  en  mer  avec  cent  vmgt  aotni. 
va  attendre  les  Athéniens  au  csp  Malte 
de  Lesbos.  Ceux-ci  passoent  la  nnit  m 
Arginuses.  Le  lendemain  les  deux  flotta 

(i)  Xéoopb.,  I,  6,  x8 ,  19, 94 ;  fM»  ^ 
Sicile,  XIII,  79. 


ILE  DE  LESBDS. 


»U 


l'anordèfeat.  ht  pilolo  4«  Callicratidas , 

Hermon  de  Mégare,  voyant  que  les  Athé» 
oieos  étaient  de  beaucoup  les  j^ua  nom- 
bRUXfloi  représenta  qu'il  lerait  bien 
prat-étre  d'enter  le  combat  :  «  Qu'ira* 
porte  ma  mort  à  Laoédémone ,  répond 
Caiiicratidae ,  c'est  ma  fuite  qui  la  dé« 
iiionorerait.  »  £t  il  donne  le  signal  du 
tombât.  La  lutte  dura  longtemps  entre 
iei  deux  flottes ,  d'abord  serrées  et  ligne 
»ntre  ligne,  puis  dispersées.  Au  pre« 
■ier  choc  de  son  vaisseau ,  Cailicratidas 
hmbe  dans  la  mer  oui  l'engloutit.  Enfin 
fajie  droite  des  Péloponnésiens  est  en* 
i»cée;  une  partie  s'enfiiit  à  Chio.  Le 
rtus  ^nnd  nombre  gagne  Phocée.  Les 
ItfaénieDs,  vainqueurs,  retournèrent  aui 
ir^DUfles;  ils  avaient  perdu  vingt-cinq 
pleres  avee  les  équipages^  à  Texeeption 
Tun  petit  nombre  d'Hommes  qui  put 
mndre  terre.  Mais  du  c6té  dss  Pelopon- 
iéiiens ,  le  désastre  était  bien  autrement 
pué.  Neuf  vaisseaux  lacédémoniens 
«aient  péri  sur  dix  qui  avaient  combattu  ; 
nn  alliés  en  perdirent  plus  de  soixante. 
ttéonice,  qui  enfermait  Gonon,  en  ap* 
tenant  la  mort  et  la  défaite  de  son  gé* 
Éral ,  se  bâta  de  lever  le  siège ,  et  d'en* 
Dyer  sa  flotte  à  Cbio;  puis,  brûlant  son 
unp,  il  gagna  Héthymne  avec  l'armée 
«terre  (t).  Gonon ,  enfin  libre,  prend 
imer,  et  par  an  bon  vent  s'en  vient  rsA- 
Dntrer  la  flotte  athénienne  qui  arrivait 
^  Arginnses.  Elle  s'arrêta  quelque 
Mops  à  Mity iène ,  puis  en  repartit  pour 
e  rendre  à  Samos. 

SlTUàTIOH    POLITIQUE  BI  LUSBOS 

>o  QUATiiàiffi  siitoLB.  —  Après  la 
ataille  d'jfigos^- Potamos ,  Lysandre 
vec  deux  cents  voiles  aborda;  à  Lesbos, 
nposa  un«  constitution  oligarchique 
Bx  Tilles  de  l'tle,  entre  autres  à  Mity- 
ioe,  et  fit  reconnaître  la  suprématie  de 
Médémone  (9).  Ce  ne  fut  pas  pour  long- 
Nnpg.  Après  la  victoire  de  Gnide ,  Mi^ 
flàDe  fut  une  des  Tilles  qui  rentrèrent 
ans  ralliance  d'Athènes  (8).  Le  reste 
e  Tîle  refusa  de  suivre  son  exemple. 
!n  390 ,  Thrasybule  entreprit  de  rendre 
Athènes  cette  importante  possession. 
I  commence  par  enrôler  à  Mitylène  les 

(i)  XénepfaoD,  I,  6,   37-38;  Diodore, 

:ni,  79. 

(a)  Xénopb.,  n ,  a ,  5. 
(3)  Diod^  XrV,  84. 


iMBnisdesdilfiéffaiteseités^  s'y  étaient 
téfogiés  i  et  leur  associe  lei  plus  bravea 
des  Mityléniens;  il  promet  à  eeux-ci  la 
souveraioeté  de  Lesbos,  aux  proscrits 
on  retour  assuré  dans  leurs  foyers,  aux 
soldatsdesa  flotte  abondanceet  richesse. 
Bu  premier  pas  il  marche  contre  Mé- 
thymne.  Thérymaque,  gouverneur  de  la 
ville  pour  les  Lacédémoniens  réunit  ses 
soldats  aux  Méthymniens  et  aux  bannis 
de  Mitylène,  et  va  jusqu'aux  frontières 
au-devant  de  l'ennemi.  Il  est  tué  dans 
le  combat;  ses  soldats  sont  mis  en  dé* 
route,  et  Métbymne  ouvre  ses  portes. 
Les  autres  villes  tombent  au  pouvoir  du 
vainqueur,  les  unes  de  foroe ,  les  au- 
tres de  leur  plein  gré  (1). 

La  traité  a  Antaicidas  enlève  de  nou* 
veau  Lesbos  aux  Athéniens.  A  la  fa* 
veur  de  ce  traité,  Laoédémone  parvint  à 
vétabiir  son  autorité  sur  toute  la  Grèce. 
Les  villes  de  LariKM  furent  du  nombre 
de  celles  qu'elle  soumit  d'abord  ;  mais 
bientôt,  lassées  de  cette  tyrannie  rude  et 
superbe  (9) ,  elles  réclamèrent  à  l'enri 
Tanoienne  alliance  des  Athéniens  (878)* 

Après  la  paix  eondue  entre  les  Grrees 
par  l'intervention  d'Artaxerxès  (876), 
Lesbos  semble  avoir  joui  de  l'autonomie. 
Lors  de  l'alliance  nouvelle  qui  réunit  les 
Athéniens  et  les  Lacédémoniens  (860), 
il  est  probable  qu'elle  revint  sous  la  do« 
nipation  d'Athènes,  ^t 

LiSBOS  PASSE  sons  Lk  DOMINATION 

DBS  MAGSDOiriBRa.  -**  Après  la  guerre 
aodale,  on  retrouve  le  régime  oiigarohi- 

aue  établi  à  Mitylène  (8).  Sans  doute  Tin- 
uence  du  grand  roi  était  pour  beaucoup 
dans  cette  nvolution.  Mais  après  le  pas» 
isgedu  Granique,  Alexandre  reçut  dans 
son  alliance  les  I«e$biens,  et  ebassa  le 
parti  des  grands.  Au  prlntempsde  Tannée 
384,  Momnon  le  Rhodien,  rassemblant 
une  nombreuse  troupe  de  mercenaires 
et  une  flotte  de  trois  cente  vaisseaux 
bien  équipés,  se  dirigea  d'abord  contre 
Chio;  de  là  passant  à  Lesbos,  il  n'a 
pas  de  peine  i  se  rendre  mahre  d'Antissa, 
de Méthymne,  de  Pyrrha,  d'Érésus  ;  mais 
Mitylène,  grande,  riche,  défendue  par 

• 

(i)  Xéoopfa.,  rv ,  8 ,  a8,  3o. 

WDîod.,XV,a8. 

r3)  Démosthèoe ,  Disc,  contre  Ut  Béot*^ 
t.  II,  p.  274,  éd.  Bekker;  pour  la  délivrance 
4es  RhodUtUf  p.  X76, 


zté 


wmvERSi 


debonsremparUet  une  population  nooH 
breuse  et  deddée,  ferma  ses  portes,  et 
scatint  le  si^e.  Memnon  renferme  d'ua 
double  retranchement  dominé  par  cinq 
citadelles;  une  partie  de  la  flotte  bloque 
le  port  de  Mityfene  ;  le  reste,  se  portant 
au  cap  Sîgrium,  intercepte  les  secours. 
Sur  ces  entrefaites  une  maladie  emporte 
Memnon,  qui  laisse  le  commandement  à 
Autophradate  et  à  Pbarnabaze,  son  fils. 
Le  siège  n'est  point  interrompu  ;  la  fe- 
mine  se  met  dans  la  ville  :  Mitylène  est 
forcée  d'accepter  les  conditions  impo- 
sées par  l'ennemi  :  Les  exilés  rentreront 
dans  leur  patrie ,  et  recevront  la  moitié 
des  biens  qu'ils  possédaientà  leur  départ. 
Les  colonnes  sur  lesquelles  était  gravé  le 
traité  conclu  avec  le  roi  de  Macédoine,  se- 
ront abattues  par  la  main  des  Mityléniens. 
Mitylène  reviendra  à  l'alliance  persane  ; 
d'ailleurs,  les  mercenaires  fournis  par 
Alexandre  seront  libres  de  partir.  Ces 
conditions  sont  acceptées  ;mais  à  peine 
entrés  dans  la  ville,  Autophradate  et 
Phamabaze  introduisent  une  garnison 
perse,  avec  Lycomédon  le  Rhodien  pour 
chef,  et  im{K)sent  aux  citoyens  la  tyran- 
nie de  Dio^ène ,  l'un  des  exilés  revenus 
avec  les  vamqueurs  ;  non  contents  de  ces 
violences,  ils  mettent  sur  la  ville  une 
contribution  énorme,  qu'ils  se  font  payer 
par  force  (1). 

En  332,  Hégélochus,  chargé  par 
Alexandre  de  délivrer  les  tles  grecques 
tombées  sous  la  domination  des  Perses , 
s'empare  de  Chio.  Aristonicus ,  tyran  de 
Méthymne,  ignorant  ce  qui  s'était  passé, 
et  prenant ,  sur  la  foi  des  gardiens  du 
port ,  la  flotte  d'Hégélochus  pour  celle  de 
Phamabaze,  aboidc  à  Chio  avec  cinq 
vaisseaux  de  pirates,  et  est  fait  prison- 
nier. Aussitôt  Hégélochus  fait  voile  vers 
Lesbos ,  et  met  le  siège  devant  Mitylène  : 
elle  était  défendue  par  une  garnison 
perse  de  deux  mille  hommes.  L'Athé- 
nien Gbarès,  qui  la  commandait,  livre  la 
ville  pour  avoir  la  vie  sauve.  Les  autres 
cit^  serendentsan^  tenter  de  résistance  ; 
et  Hégélochus  en  conduit  les  tyrans  à 
Alexandre.  Celui-ci  se  contente  de  ren- 
voyer chacun  d'eux  à  la  ville  qu'il  op- 
E rimait;  les  citoyens  les  précipitent  du 
aut  des  murailles.  Pour  récompenser 
la  fidélité  des  Mityléniens,  Alexandre 

(i)  Arrieo ,  U ,  i,  r,  o  ;  Oiod.,  XVH,  ag. 


leur  rend  leurs  otages  et  double  leur  ter- 
ritoire (1). 

Laomédon  et  Ébioyius  aupsés 
d'Albxând&e.  —  On  peut  voir  sans 
invraisemblance  dans  cette  faveur  dont 

Jouit  Mitylène  une  preuve  de  Tin- 
luence  puissante  exercée  à  cette  épo- 
2ue  sur  le  jeune  roi  par  Laomédon  et 
Irijgyius ,  tous  deux  Mityléniens.  Con- 
traints sous  le  règne  de  Philippe  à  fuir 
de  Macédoine ,  Alexandre  ne  les  anti 
rappelés  que  pour  les  combler  d'hoD- 
neurs.  Laomédon ,  qui  connaissait  te 
deux  langues,  la  langue  barbareet  la  laa- 
fiue  grecque,  avait  été  mis  à  la  tête  de 
Barbares  prisonniers,  Éricyius,  delà  ca- 
valerie des  alliés;  et  cest  à  ee  titn 
qu'il  prit  part  à  la  bataille  d'Arbelles  [ï,. 
Lors  de  la  marche  d'Alexandre  à  traicn 
l'Hyrcanie,  Érigyius  fut  chargé  de  con- 
duire les  bagages  et  les  chars  (3).  Bien- 
tôt, avec  Artabaze  et  Caranus ,  il  reçut 
la  mission  de  ramener  à  l'obéissanoe  ies 
Ariens  révoltés  (4).  Une  lutte  aeharoec 
s'engagea;  les  barbares  soutmrent  le 
choc  des  armées  macédoniennes  iusqo'i 
ce  qu'Érigyius  s'attaauant  corps  a  cor» 
à  Siatibarzane ,  le  général  ennemi,  m 
enfonça  son  javelot  dans  la  poitrine,  et 
rétenait  à  ses  pieds.  A  c^te  vue,  ks 
barbares  prirent  la  fuite  (329).  Quand 
Alexandre  soumit  au  consdl  de  ses  anus 
le  projet  de  franchir  l'Iaxarte  (5)  et  de 
faire  la  guerre  aux  Scythes,  Ér^ius  fin 
un  de  ceux  qui  s'opposèrent  avec  le  plus 
d'énergie  à  cette  expédition  stérile.  li 
mourut  dans  le  même  temps  que  Phi* 
lippe,  frère  de  Lvsimaque,  et  Alexandic 
Ini  fit  de  magninques  funérailles  (6). 

Quant  à  Laomédon,  après  la  mort 
d'Alexandre,  il  obtint  le  gouvernemeot 
de  la  Syrie.  Û  le  ^arda  dans  la  nouvelk 
division  des  provinces  faites  par  Aotipi- 
ter;  mais  Ptolémée,  s'étant  rendu  niaitR 
de  rjËgypte ,  envoya  contrôla  Syrie  ses 
général  Nicanor,  qui  vainquit  Laomodoa 
et  le  dépouilla  (7). 

(i)  Arriea,  III,  a,  4,  6,  7,  9;  Quin'e- 
Curce,  rv,  5,  S,  i5,  22. 

r»)  Diod.y  XVn,  57  ;  Arrien ,  m,  n,  i:- 
'3)  Arrien,  111,23,6. 

[4)  Diod.,  XYII,  83  ;  Arrien ,111,28,  h 
5;  Quinie-Curce,  TII,  4,  33,  3S. 

(5)  Quinte-Gurce,  TU  »  7  ,  2r. 
?6)Id.,Yin,  2,40. 

(7)  Diod.  stctti.,  xym  y  3  »  39, 43. 


ILE  DE  LESBOS. 


817 


LB8»08  passe  sous  Là  DOKINATIOIT 

DES  Romains.  —  Après  la  mort  d'A- 
laandre,  le  silence  eomiDeDce  à  se  faire 
dans  rhistoire  de  Lesbos.  Il  faut  glaner 
daos  les  historiens,  sur  les  médailles  et 
les  inseriptions,  dans  les  débris  et  les 
raines  de  sa  grandeur  passée,  une  trace, 
DD  souvenir  d*existence. 

Pol vbe  nomme  une  fois  Mitylène  pour 
rappeler  qu'elle  travaille  à  conclure  la 
pjx  entre  Philippe  et  les  Étoliens  (1). 
IJne  autre  fois,  c^est  Méthymnequi  devra 
être  dédommagée  par  Prusias  des  pertes 
éprouvées  pendant  une  guerre  entre 
ce  prince  et  Attale  (2).  Antissa  a  Tau- 
daee  de  recueillir  et  d'aider  un  général 
de  Perses,  roi  de  Macédoine,  pour  lors 
eo  guerre  avec  Rome  (3).  Aussitôt  La* 
béon  est  chargé  d'anéantir  la  ville  cou- 
pable ,  et  d'en  transporter  les  habitants 
a  Métbymne  (4).  Un  mot  de  Pline  atteste 
le  succès  de  l'expédition  romaine. 

Cependant  la  cause  de  Mithridate  est 
devenue  la  cause  de  toute  l'Asie.  Un  en- 
trainement  irrésistible  détache  chaque 
jour  les  villes  de  l'alliance  romaine.  Les 
Lesbiens  suivent  l'exemple  général.  Ils 
appellent  Mithridate,  et,  exagérant  tout 
d  abord  leur  zèle,  ils  livrent  à  ses  soldats 
Aqoillius,  qui,  vaincu  et  malade,  s'était 
réfugié  à  Mitylène  (5).  Après  la  défaite 
de  Mithridate,  Mityl^e  refusa  de  poser 
les  armes.  Minucius  Thermus  la  prit,  et 
la  saccagea.  C'est  dans  cette  expédition 
que  Jules-César  mérita  une  couronne 
ôvique  (6). 

Plus  tard,  Théophane  de  Mitylène, 
ami  intime  de  Pompée  (7) ,  obtint  de  lui 
b  liberté  pour  sa  patrie.  Pompée  vint  à 
Mitylène  en  63.  Il  j  assista  aux  jeux  et 
aux  combats  de  poésie,  dans  lesquels  on 
ne  célébra  que  ses  exploits.  Le  théâtre 
de  Mitylène  lui  plut;  et  il  en  fit  prendre 
le  plan  pour  en  construire  un  dans  Rome 
du  même  genre,  mais  plus  mnà  et  plus 
vaste.  Après  la  bataille  de  Pharsale, 

(i)Poljb.,  XI,  5,  r. 
(i)Id.,  XX.Xin,  11,8. 
<3)Id.,  XLV,  3r. 

(4)  Pline,  V,  3 r.       •' 

(5)  Appien,  G,  de  Mithridate ,  e,  xzi; 
"VelLPiiere.,  U,i8. 

(6)  Suet.,  C€M,,  c.  a. 

(7)  TeU.  Pai«re.y  n»  i8;  Plut.,  ^m  de 
Pompée,  4a. 


Pompée  vint  chercher  à  Mitjflène  Gor- 

nélie  et  son  fils ,  qu'il  y  avait  déposés 
loin  du  tumulte  des  armes;  mais  il  se 
refusa  à  toutes  les  instances  des  citoyens, 
et  ne  voulut  pas  entrer  dans  la  ville  (1). 
LA  même  bienveillance  que  Pompée  avait 
trouvée  à  Mi^lène ,  son  fils  Sextus  l'y 
retrouva» aussi  vive  et  aussi  dévouée, 
quand,  vaincu  lui-même  par  Agrippa ,  il 
vint  demander  asile  à  Lesbos  (2).  A 
son  tour,  Affrippa^  qui  devait  plus  tard 
être  le  ^enore  d'Auguste,  s'indignant 
de  se  voir  préférer  M.  Marcellus,  vint 
chercher  à  Mitylène  un  asile  contre 
les  disgrâces  de  la  fortune  (3).  Dans  sa 
retraite  il  combla  les  Mityléniens  de  bien- 
faits, et  la  ville  lui  éleva  un  monument 
de  sa  reconnaissance.  Sur  le  rivage  de 
I>esboson  a  trouvé  cette  inscription  (4)  ; 

LE    FEDPLB 

Ai;  DIEU  8A€VEUR  DE  LA  VILLE  HARC08  AGRIPPA 

LE    BIENFAITEUR    ET    LE   FONDATEUR. 

Germanicus,  désigné  consul ,  passe  à 
Lesbos  (  18  après  J.-C.  )  avec  sa  fenune 
Agrippine,  oui  devint  pendant  son  sé« 
jour  aans  l'Ile  mère  de  Julie  (5).  Des 
médailles  en  consacrent  le  souvenir  (6). 

Enfin  peu  à  peu  l'histoire  se  tait  tout 
à  fait.  De  nombreuses  médailles  de  Mi* 
tylène,  de  Méthymne,  d'Érésus,  frap- 
pées en  honneur  des  princes  ou  en  sou- 
venir d'événements  sans  importance, 
attestent  seules  encore  l'existence  de  ces 
cités.  Les  autres  villes  de  l'Ile  ne  don- 
nent pas  signe  de  vie.  Lesbos  est  désor- 
mais pour  des  siècles  immobile  et  silen» 
cieuse,  sous  la  domination  des  Romains. 

m. 

STAT  POLITIQUE ,  SOCIAL ,  1NTBLLEC-» 
TUEL  DE  LESBOS  PENDANT  LES 
TEMPS   ANCIENS. 

ÉTAT   politique;  GOUVBfiNEHENT. 

—  De  l'état  politi(]ue  de  Lesbos  pendant 
cette  longue]  série  de  siècles  que  nous 

(c)  Appien,  SeiL  civ.,  II,  83;  Plut.,  c.  74i 
75  ;  Lucain ,  V ,  7^5  ;  YTII ,  108. 

(2)  Dioç.  Cass.,  XLIX,  17. 

(3)  Tacit.,  AnnaL,  XIV,  53  ;  Suet.,  Au- 
gust.f  c.  66. 

(4)  ChtshuU.,  Antiq.  Asiatiq,,  p,  iS6* 
(ô)  Tacit,  Annal.,  U,  54. 

'  (6)  Eckhel.,  PI.  I,  voL  XI,  p.  5o5. 


919 


LURIVERS* 


▼enonfl  de  parodorir,  oe  qtie  ntma  sa** 
▼01»  eat  bien  peu  de  chose.  Les  ▼iolen« 
ees  des  guerres  étrangères  ou  la  con« 
fusion  des  diseordes  civiles  remplissent 
à  peu  près  toutes  les  pages  de  son  his- 
toire. Ses  villes  étatent-elles  en  paix 
avec  Athènes,on  Sparte,  ouïe  grandRoi, 
qu'elles  tournaient  aussitôt  leurs  armes 
les  unes  contre  les  autres ,  et  qu'ellet 
s'épuisaient  dans  de  continuelles  dis* 
sensions.  Une  rivalité  acharnée  existait 
entre  Métbjmne  et  Mitylène;  c'eût  été 
pour  elles  un  déshonneur  de  défendre 
la  même  cause,  fût-ce  celle  de  l'indé- 

Kndance  ;  et  les  luttes  ne  cessaient  entre 
i  cités  rivales  que  pour  donner  à  cha- 
cune d'elles  le  temps  d'étouffer  les  dis- 
cordes intestines  qui  les  déchiraient. 
Là>  comme  par  toute  la  Grèce,  c'était  Té- 
ternelle  lutte  des  petits  contre  les  grands, 
des  pauvres  contre  les  riches,  du  [peuple 
contre  les  nobles  familles  réunies  et: 
coalisées.  Dans  ces  alternatives  de  victoi- 
res ou  de  défaites,  signalées  dans  chaque 
parti  par  le  massacre  ou  l'exil  des  vain- 
cus ,  la  cause  qui  avait  le  dessous  cher- 
chait des  secours  à  l'étranger.  Sparte 
était  la  protectrice  invoquée  par  l'oli- 
garchie, et  le  peuple  désarmé  et  opprimé 
adressait  ses  vœux  à  la  démocratie  d'A- 
thènes. Ainsi  s'expliquent  ces  change- 
ments subits  de  fortune  et  d'alliances 
qui  à  chaque  guerre  faisaient  de  Lesboa 
ranxiliaire  d'un  nouveau  parti. 

Après  l'abolition  de  la  royauté,  on 
trouve  des  prytanes  à  Mitylène  (1)  et 
à  ftrésus  (S).  H  est  probable  qu'il  eu 
était  de  même  dans  toutes  les  villes  de 
Lesbos  ;  mais  on  ne  sait  quelles  étaient 
les  fonctions  de  ces  prytanes.  Plusieurs 
inscriptions  parlent  d'un  sénat  fonction- 
nant concurremment  avec  l'assemblée 
du  peuple  ;  le  premier  indice  de  cette 
institution  remonte  à  peine  au  temps 
d'Alexandre  le  Grand.  Les  autres  monu- 
ments nous  montrent  le  peuple,  décer- 
nant seul  des  honneurs  aux  mnds  ci* 
toyens.  Sous  les  empereurs,  u  est  sou- 
vent aussi  fait  mention  de  stratèges. 
Étaient -ce  seulement  des  che&  mili- 

(i)  Athénée ,  X,  p.  4a5  a;  Spoii.,  MUcell, 
ErutUt,,  p.  348. 

(a)  Phanias ,  d*]héMU ,  avait  fut  un  ou- 
vrage sur  les  prytanes  de  m  patrie.  (  Afhén., 
VIII,  p.  395  a,  ) 


talres,  ou  bien  encore  des  magistiils 
«vils  ?  On  ne  le  sait  pas. 

Lois;  MOBUBS.  —  Que  dire  de  la  lé- 
gislation des  Lesbiens?  une  ou  deux  kM 
sont  connues  à  peine.  Les  fautes  coid> 
mises  en  état  d'ivresse  étaient  passibles 
d'une  double  peine  (  1  ).  Défense  était  ùitt 
d'aller  aux  funérailles  d'un  étranger  (a  ; 
les  parents  seuls  y  étaient  admis.  — Ce 
deux  lois  sont  de  Pittacus.  Ne  fiaut-il  pai 
aussi  regarder  comme  une  institutwi 
publique  cette  fête  consacrée  de  toai 
temps  à  la  beauté,  dans  laquelle  les  feoi- 
nes  de  Lesbos  se  réunissaient  dans  1« 
temple  de  Junon,  et  où  l'on  couronaait 
la  plus  belle.  «  Agamemnon,  dit  Ulym 
à  Achille,  te  donnera  encore  sept  femmei 
habiles  dans  les  beaux  ouvrages,  sefA 
Lsabiennes^  qu'il  avait  choisies  pour  lui, 
lorsque  toi-même  t'emparas  de  Lesboi, 
,  bien  bâtie,  et  qui  remportèrant  alors 
sur  toutes  les  femmes  le  prix  de  U 
beauté  (8).  v  Ga  passage  d'Homère  sem- 
ble indiquer  que  déjà  ce  concours  eus* 
tait  du  temps  de  la  guerre  de  Troie. 

Quoi  qu'il  en  soit,  fesfenHnes  de  Lesbos 
(mt  tou|ours  eu  dans  l'antiquité  um 

Sande  réputation  de  beauté  et  d'esprit  : 
ir  éducation  ajoutait  a  la  force  «t  a 
la  vivacité  de  leurs  facultés  inteUectuet- 
les,  et  les  mceurs  publiques  à  Lesboi 
leur  permettaient  de  se  produire  au  àfè- 
hors  et  d'exercer  par  tous  leurs  dosf 
naturels  une  grsnde  inOuence  dansl«ar 
patrie.  «  Les  JÈoliens  et  les  Doriens  m 
usaient  plus  noblement  que  leurs  (rèrai 
d'Athènes  ou  d'Ionie....  Ils  ne  reofier- 
maient  pas,  comme  eux,  les  fernani 
dans  le  gynécée  ;  ils  cultivaient  leur  es- 
prit, et  ne  craignaient  point  de  les  vos 
s'élever  à  la  gloire  littéraire.  U  y  a^ait 
à  Sparte  même  des  associations  fémi- 
Bines  que  présidaient  les  femmes  l«ê 
plus  en  renom  parleurs  vertus  et  leurs 
talents,  et  où  les  jeunes  filles  se  for- 
maient aux  nobles  manières,  en  roétiw 
temps  Qu'elles  apprenaient  à  chanter  et 
à  bien  dire.  A  LesDOs...  l'éducation  des 
femmes  avait  un  caractère  plus  poé- 
tiqueetplusrelevéencore....  Les  fenioies 
n'y  rougissaient  pas  de  leurs  taleats; 

(f)  Arist.,  Poû/.,  n,  a,  9;  Ptat,  Bm* 
quet,  XIIL 
(a)  CicércQ ,  âm  lms,fi ,  «•  aS» 
(3)  Hom.,  //.,  IX  y  273. 


ILE  DE  LESBOS. 


S19 


eHes  s'en  vftataieiitaree  fierté,  etrigno^ 
ranee  même  opulente,  même  entourée 
de  luxe  et  <f honneurs,  ne  trouTait  pas 
l^ee  défaut  elles  (1).  »  Par  malheur 
eette  liberté ,  oetle  culture  intelleetuelie 
ne  servirent  pas  à  les  rendre  meilleures. 
Les  femmes  de  Lesbos  a?aîent  une  détes- 
table réputation,  et  &%  nombreux  témoi- 
inages  nous  attestent  la  corruption  et  la 
lierversité  de  leurs  mœurs.  Il  est  difficile 
Je  croire,  plus  difficile  enoore  de  prou** 
rerquelesLesbiennesontété  calomniées* 

PoBTJtt  nn  Lbsbos.  ^  Il  ne  faut  pas 
l'étonner  si  la  poésie  parut  de  bonne 
leure  et  s'éleva  à  une  grande  perfection 
èez  06  peuple  riche,  élégant  et  cultivé. 
L'ile  de  Lesbos,  si  obscure  aujourd'hui, 
l'a  pas  dans  toute  l'antiquité  d'autre 
fivale  peut-être  qu'Athènes,  à  qui  rien 
n  reate  ne  peut  être  comparé. 

Ûo  raoonte  que  la  tête  et  la  Ijnre  d'Or- 
ibée ,  jetées  dans  FHèbre  par  les  Mé* 
Mdea,  avaient  été  portées  par  le  Heure 
wqo'à  la  mer  et  poussées  de  là,  par  les 
ourants,  sur  la  cote  d'Antissa  à  Lesbos. 
Jb  son  limpide  de  la  lyre  remplissait  la 
aer,  les  lies,  et  les  grèves  battues  pas 
K  flots.  A  ees^ bruits  inconnus^  les  na> 
litants  accourent  et  recueillent  la  tête 
rOrphée;  la  lyre  mélodieuse  fut  placée 
lins  le  même  tombeau ,  et  elle  enehan- 
lit  les  roches  insensibles,  et  les  flots 
eteniissants.  Depuis  ce  temps  les  fêtes 
t  les eiiansons  divines  habitent  dans  cette 
le;  c'est  la  bien-aimée  des  Muses  (9). 
^a  tête  d'Orphée  rendait  des  oracles,  et 
on  délaissait  les  temples  de  Claros,  de 
irynée  et  de  Delphes  pourienir  consul- 
er  le  prophète  de  Lesbos  (8).  Apollon 
yait  béni  eette  terre  où  Ton  rendait  tant 
'honneurs  à  aes  favoris,  et  il  doua  de 
ens  spéciaux  les  musiciens  et  les  poètes 
ui  y  naissaient.  Il  n'était  pas  jusqu'aux 
ossiguols  qui  ne  chantassent  avec  plus 
le  cliarme,  soua  les  ombrages  frais  de 
«esboB  (4). 

(i)  Pierron ,  Bist,  de  la  Littéral,  Grecq,, 
.  r46. 

(a)  Stobée ,  LXII ,  p.  899  ;  Ovid.,  S/rt., 
^1 ,  5o. 

(3)  Philostnt.»  FU  ifjéfoiL  éU  Tymnss, 
^f  14. 

(4)  Toyes  une  pbtttanto  réfutation  de  eette 
igeode  dans  let  Èpuodet  littèrairet  en 
>nent,  de  M.  de  SSwceUus,  U,  236. 


«  Cette  gracieuse  légende  avait  son 
fondement  sans  nul  doute  dans  les  tra- 
ditions domestiques  de  la  nation.  Les 
Éoliens  de  Lesbos  étaient  venus  de  l'an- 
cienne Béotie,  c'est-à-dire  du  pays  des 
Muses  et  des  aèdes  piériens  ou  thraoes. 
£n  apportant  dans  leur  nouveau  séjour 
les  rudimenu  de  la  poésie,  ils  y  avaient 
apporté  aussi  le  respect  de  ces  noms  sa- 
cr& ,  qui  étaient  comme  le  symbole  des 
premiers  efiforts  du  génie  poétique  et 
de  ses  premières  merveilles;  il  n'est  donc 
pas  surprenant  qu'ils  aient  rendu  des 
honneurs  particuliers  à  la  mémoire  d'Or- 
phée, et  qu'ils  aient  cru  sentir  revivre 
en  eux-mêmes  l'inspiration  de  l'antique 
aède  (1).  » 

Tbbpàndu.  —  Le  premier  tdes  suc- 
cesseurs d'Orphée  que  désignent  des 
témoignages  certains  est  Terpandre,  le 
contemporain  de  Gallinns  et  de  Tyrtée 
(696). 

Terpandre  naquit  à  Antissa  (2),  et 
descendait,  dit-on,  d'Hésiode  ou  même 
d'Homère.  Il  Ait  le  premier,  au  témoi- 
gnage d'Hellanicus,  qui  remporta  le 
prix  aux  jeux  Camiens,  dont  l'institution 
remonte  à  la  vingt-sixième  Olympiade, 
(676)  et  fut  couronné  quatre  fois  aux 
jeux  Pythiques  (3).  Une  sédition  s'étanC 
élevée  à  Lacédémone,  l'oracle  d'Apollon 
conseilla  aux  habitants  de  faire  venir 
un  poète  de  Lesbos.  Terpandre  était 
alors  en  exil  pour  un  meurtre  dont  on 
l'accusait.  Appelé  par  les  Spartiates ,  il 
fut  si  bien  inspiré  qu'à  sa  voix  la  dJs« 
corde  s'évanouit,  et  les  citoyens  s'eno^ 
brassèrent  en  fondant  en  larmes  (4).  Les 
Lacédémoniens  gardèrent  en  si  haute 
estime  le  génie  de  Terpandre ,  qu'ils  le 
placèrent  au-dessus  de  tous  les  autres 

{loétes,  et  que  le  plus  grand  éloge  que 
'on  pût  obtenir  à  Sparte,  c'était  d'être 
mis  après  lechantre  de  Lesbos.  Terpan- 
dre demeura  longtemps  dans  sa  patrie 
adoptive;  il  enseigna  aux  Dorions  les 

(x]  AI.  Pierron,  Sut.  de  la  Uu.  Grecq, ^ 
p.  137. 

(a^  Diodore  et  Tzelzès  veulent  que  ce  soit 
à  Methymne;  d*autres  le  font  ménie  origi- 
ui^îre  d'Ame  ou  de  Cymes ,  ce  qui  n'empê- 
cherait pas  d^aiUcan  qu'il  ne  fût  Lesbien. 
(  Suidas.  ) 

(3)  Plutarq.,  Sur  la  Musi^ae,  c  4. 

(4)  Id.,  ihid.,  c.  42  ,  «to. 


830 


LUNIVERS* 


8008  plos  dûQX  de  la  musique  Lydienne, 
et  en  ajontant  à  la  lyre  trois  eordes  nou- 
velles, il  loi  permit  d'exprimer  toutes 
les  nuances  du  sentiment.  Il  s'en  vante 
lui-même  dans  ondes  fragments  qoi  nous 
sont  restés  «  :  Pour  nous,  dédaignant 
«  le  chaut  à  quatre  sons,  nous  enton- 
«  nerons  des  nymnes  nouveaux  sur  le 
«  pborminx  à  sept  cordes.  »  On  pré- 
tend que  pour  cette  innovation  Ter- 
pandre  fat  cité  (1)  au  tribunal  des  Ëpho- 
res,  et  condamné  à  une  amende  :oe 
qui  ne  s'accorde  guère  ni  avec  la  recon- 
naissance que  1^  Spartiates  professaient 
pour  le  poëte  qui  avait  assoupi  leurs 
discordes,  ni  avec  le  respect  qui  leur  fit 
conserver  si  fidèlement  rusage  de  cette 
Jyre  inventée  par  Terpandre. 

Une  autre  innovation  de  Terpandre 
fut  d'appliquer  a  ses  poésies  et  aux  ou* 
vrages  d'Homère  des  récitatifs  d'un 
mode  constant  et  déterminé  (2).  «  Mais  il 
ne  s'était  pas  borné  à  perfectionner  la 
dédamatiou  des  aèdes  et  des  rhapsodes. 
lies  airs  guerriers  que  chantaient  les 
Lacédémoniens ,  ces  nomes  qu'ils  te- 
naient pour  la  plupart  de  Terpandre, 
devaient  être  autre  chose  que  des  chants 
épiques.  Les  noms  d'orthien  et  de  tro- 
cnaïque,  sous  lesquels  sont  mentionnés 
deux  de  ces  nomes,  sutBraient  à  prouver 
que  Terpandre  s'était  servi  de  quelques- 
uns  des  mètres  inventés  de  son  temps. 
Il  y  a  d'ailleurs  un  fragment  de  Terpandre 
uniquement  spondaïque,  et  non  moins 
grave  par  le  ton  du  style  que  par  la  forme 
de  la  versification  :  «  Jupiter,  prindpede 
«  tout,  ordonnateur  de  tout,  Jupiter, 
«  c'est  à  toi  que  j'adresse  cecommence- 
«  ment  de  mes  hymnes  (3).  » 

Enfin,  on  attribue  encore  à  Terpandre 
l'invention  de  ces  chansons  de  table  que 
les  Grecs  nommaient  scoUes.  Quand  la 
coupe  s'était  vidée  à  plusieurs  reprises, 
on  se  passait  de  main  en  main  la  lyre,  et 
l'on  applaudissait  le  convive  qui  savait 
le  mieux  faire  parler  la  Muse.  Le  sujet 
^'«étoit  laissé  au  choix  du  poëte,  le  rhythme 
Se  pliait  plus  d'une  fois  aux  exigences  de 
rinspiration.  Terpandre  fut  sinon  l'in- 
venteur de  ce  genre  de  poésie,  au  moins 

(i)  Plut,  inst,   des   Lacédém,,  p.  a5i , 
édit.  Hutten. 
i%\  U.,  Sur  la  Musique  »  III ,  7; 
(3)  PierroD ,  p.  139. 


•un  des  premiers  qui  y  produlsireQt  da 
che&-d'œuvre  (1). 

Abion.  — L'éooledeTerpandreseooQ- 
tinua  dans  de  nombreux  disciples  qui  n 
conservèrent  les  traditions.  Elieseroblait 
cependant  s'éteindre,  quand  toot  à  txxf 
elle  brilla  d\in  plus  vif  éclat  dans  ou 
génération  nouvelle,  représentée  par 
Arion(638). 

Il  était  de  Méthymne,  et  passa  vm 
grande  partie  de  sa  vie  à  Corinthe ,  à  b 
cour  du  tyran  Périandre.  De  là  Q  se 
rendit  en  Italie  et  en  Sicile,  où  il  s'es- 
richit  (2).  On  connaît  la  légende  qui  k 
fait  revenir  dans  sa  patrie  porté  par  o 
dauphin  qu'avaient  attiré  les  aons  de  a 
lyre.  On  prétend  qu'Arion  lui-mè» 
avait  consa<a^  le  souvenir  de  cet  évéM* 
ment  par  une  statue  élevée  à  ses  fraie 
dans  le  temple  d* Apollon,  et  Elieu  nom 
a  conservé  un  hymne  (3),  les  seuls  na 
oui  nous  resteraient  du  poëte  s% 
étaient  authentiques,  où  Arion,  s'adres- 
sant  à  Neptune ,  rappelle  te  secours  qa 
lui  sauva  la  vie.  Quelque  peu  de  croyaius 
que  mérite  cette  histoire,  l'antiquiti 
toot  entière  v  a  ajouté  foi,  et  l'a  ori^ 
brée  par  le  génie  de  ses  artistes  et  de 
ses  poètes. 

Il  n'est  pas  probable,  quoi  qu'en  di* 
Hérodote,  ou' Arion  ait  inventé  le  di- 
thyrambe. Ce  chant  consacré  à  Baceba 
existait  depuis  longtemps,  mais  désor 
donné  et  tumultueux;  Arion  en  r^a  b 
rhythme  et  la  cadence,  ajouta  un.rédt0i 
se  racontait  les  aventures  du  dieu  M 
on  célébrait  la  fête,  et  forma  un  éKOS 
qui  dansait  autour  de  l'autd.  On  ne  sai 
même  s'il  ne  mêla  pas  à  ces  danses  vM 
sorte  d'action  tragique,  que  leprés» 
talent ,  dit-on ,  des  satyres. 

Voici  venir  d'autres  poètes,  qui  coati* 
nuent  dignement  la  gloire  de  ces  pàa 
de  la  lyre  et  de  la  mélopée  antique. 

Leschàs.  —  Leschès,  filsd'Eschfi^ 
nus,  étaitnéàPyrrha  ouàMitylène(4:J 
était  un  peu  plus  âgé  qu'Arion,  poiapio 
florissait  vers  l'an  664.  Cest  un  de  ces 
poètes  cycliques,  produits  par  le  gétf 

(i)  On  peut  voir  lur  Terpandre  ks  •*- 
moires  de  Burette,  Acadiaùe  deslmscnfùoai, 
tome  X ,  ancienne  série. 

(9}  Hérod.,  I,  ai;  Oppien,T,  iSo^cK. 

f 3)  Ëlien ,  XU ,  c.  45,  ÈisU  des  Amm. 

(4)  PaoMUi.}  X I  a6-a7« 


% 


ILE  DE  LEâBOS. 


d2f 


fHomère,  qui  9endi>laient  ^étre  proposé 
de  compléter,  en  fimitant,  Toeuvrede 
leor  divin  maître.  Le  poëme  de  Lescbès 
arait  quatre  livres,  et  se  nommait  la 
Petite  Iliade:  «  Je  chante  liion, et  la 

■  Dardanie  féeonde  en  coursiers,  où 

■  souffrirent  mille  maux  les  Grecs  ser- 

■  viteurs  de  Mars.  »  Dans  ce  poème  il 
racontait  la  dispote  entre  Ajax  et  Ulysse 
|K)Qr  posséder  les  armes  d'Achille ,  l'ar- 
rivée de  Pbiloctète  devant  Troie,  la  mort 
de  Paris,  le  mariage  d'Hélène  et  de  Déi- 
phobe,  la  mort  d'Eurypyle,  fils  de  Télé- 
phus,  tué  par  Néoptoleme,  le  cheval 
if  Ëpéus ,  rentrée  d'Ulysse  à  Troie  sous 
un  déguisement,  ses  intrigues  avec  Hé- 
lène ,reolèvement  du  Palladium  et  enfin 
le  sac  d'Ilion.  Il  nous  reste  plusieurs 
fragments  de  Leschès,  assez  arides  et 
peu  dienes  d'intérêt.  Cependant  son 
poème  fut  la  source  féconde  uù  vinrent 
s'inspirer  de  grands  poètes  des  âges  pos« 
térieurs.  Pindare  et  Virgile  furent  de 
Kux  qui  ne  dédaignèrent  pas  d'y  puiser 
brgement  ;  et  la  Muse  des  tragiques  atb€# 
Diensy  trouva  souvent  de  grandes  scènes 
tt  de  nobles  tableaux. 

Alcbe.  —  Alcée  était  de  Mitylène.  De 

«  deux  frères,  Cicis  et  Antimenide,  qui 

liaient  aidé  Pittacus  à  renverser  le  t^rran 

MélaDchrus ,  le  dernier  s'était  particu- 

ièrement  illustré  en  combattant  pour 

es  Babyloniens,  et  Alcée  avait  consacré 

iDe  de  ses  plus  belles  odes  à  célébrer 

eur  gloire.  Le  poète  lui-même  quittait 

ouventia  lyre  pour  l'épée,  et  sa  maison, 

emplie  d'armes  guerrières,  semblait  être 

iutôt  la  demeure  d'un  soldat  que  celle 

m  enfant  des  Muses.  Fort  sans  doute 

e  sa  conscience ,  et  de  son  courage , 

laintes  fois  éprouvé,  il  avait  accepté 

aiemeut  sa  mésaventure  deiSigée,  et  les 

ulleries  des  Athéniens  sur  la  perte  de 

)Q  bouclier.  Banni ,  à  la  suite  de  la  dé- 

ûie  du  parti  aristocratique,  dont  il 

lait  un  des  champions  le  j^us  éner^ques , 

fît  maints  voyages ,  qu'il  pnt  pour 

Met  de  ses  chanU ,  et  il  alla  jusqu'en 

vpte.  Puis  ayant  cru  l'occasion  ravo- 

Be ,  il  réunit  les  bannis ,  et  envahit  sa 

Mrie.  Mais  Pittacus  le  repoussa,  et, 

iiqueur,  il  proclama  une  auuûstie.  Il 

i  probable  qu'Aloée  mourut  à  Lesbos. 

Alcée,  homme  de  parti  avant  tout, 

^  put  sentir  tout  ce  qu'il  y  avait  de 

lad  dans  la   simplicité  de  Pittacus. 

21''  Livraison.  (Ile  de  Lesbos. 


Ses  odes  politiques ,  que  les  anciens  ad- 
miraient surtout,  étaient  des  satires 
pleines  de  fiel  et  d'outrages,  de  ces  ou- 
trages honteux  pour  celui-là  seul  qui 
s'abaisse  à  s'en  servir.  Quand  il  aura 
bien  ri  des  pieds  plats,  du  ventre, 
des  engelures  de  Pittacus,  le  sage  n'en 
avait  pas  moins  sauvé  deux  fois  sa 

Satrie,  qu' Alcée  n'avait  jamais  su  défen- 
re  (1).  On  sent  trop  souvent  le  dépit  et 
la  colère  là  où  Ton  n'aurait  voulu  en- 
tendre que  les  nobles  inspirations  du 
patriotisme.  Mais  quand  il  chantait  les 
combats,  quand  il  poursuivait  la  ty- 
rannie de  ses  invectives  ardentes ,  quand 
il  représentait  le  vaisseau  de  la  patrie , 
battu  par  les  tempêtes  civiles,  près  de  s'en- 
foncer dans  les  flots,  Alcée  avait  trouvé 
des  accents  dignes  de  son  génie ,  et  l'an- 
tiquité tout  entière  avait  rendu  hom- 
mage à  la  grandeur  des  j)ensées ,  à  la 
verve,  à  l'émotion  du  poète.  Quintilien 
compare  le  style  rapide  et  magnifique 
d' Alcée  au  style  d'Homère  (2).  Horace 
fait  plus  ;  il  l'imite,  et  le  traduit  souvent. 
Cependant  la  muse  menaçante  d' Alcée 
savait  sourire  quelquefois ,  et  de  retour 
des  camps  ou  de  l'exil ,  s'asseoir  à  un 
joyeux  banquet  pour  chanter  les  dieux  du 
plaisir.  La  perte  de  ses  poésies^  quoique 
beaucoup  moins  estimées  que  les  odes 
politiques,  ne  laisse  pas  d'être  regrettable 
encore.  On  y  eût  entendu  le  chef  farouche 
de  l'aristocratie  soupirer  pour  Sapho, 
devenue  tout  à  coup  msensible.  «  Cou- 
ronnée de  violettes ,  ô  Sapho ,  au  sourire 
s!  chaste  et  si  doux ,  je  veux  dire  quelque 
chose,  mais  la  honte  me  tient.  »  Et 
Sapho  :  «  Si  tu  avais  la  passion  du  bien 
et  du  beau ,  et  si  la  langue  n'eût  pas 
conçu  quelque  chose  de  mauvais,  la 
honte  ne  couvrirait  pas  tes  yeux ,  mais 
tu  parlerais  sur  ce  qui  est  juste.  » 

Alcée,  comme  tous  les  aedes  primitifs , 
avait  consacré  une  partie  de  ses  onants  au  x 
dieux.  Il  reste  de  lui  quelques  fragments 
d'hvmnes  à  Apollon ,  à  Mercure ,  à  Vul- 
cain.  Les  odes  d' Alcée  se  distinguent  par 
les  innovations  qu'il  introduisit  dans  le 
rhythme.  «  Les  mètres  lyriques  d'Alcée 

(i)  Dioe.  Lacrce  (  Fia  dé  Pittacus)  rap- 
porte les  différenta  mots  grecs  créés  par  Al- 
cée pour  les  besoins  de  sa  violente  polé- 
mique. 

(a)  inst,Orat,  Xy  i. 

)  21 


823 


LIJinVERS. 


sont  fort  variés,  et  il  est  pvdiaMe  mie  la 
plupart  étaient  de  son  invention.  Il  est 
certain  du  moins  que  la  strophe  nommée 
alcaïque....  était  inconnue  en  Grèce 
avant  Aicée.  Cette  strophe  est  une  des 
plus  heureuses  combinaisons  possibles 
des  anciens  pieds,  dactyle  et  spondée, 
avec  le  trochée  etl'iambe  ;  elle  est  courte, 
nette,  et  preste,  et  je  ne  sache  rieu  de 
mieux  approprié  à  Texpression  des  sen- 
timents passionnés,  rien  de  plus  animé, 
rien  enfin  de  plus  lyrique  (1).  » 

Sàpho.  —  Sapho  était  née  à  Mity- 
lène>  vers  Tan  61 2.  Son  père,  qu'elle  per- 
dit à  l'âge  de  six  ans,  se  nommait  Sca«> 
mandronyme,  sa  mère  Cléis.  Sapho 
épousa  un  riche  habitant  d'Andros,  Cer« 
colas ,  dont  elle  eut  une  fille,  «  sa  belle 
enfant,  sa  Cléis  chérie,  dont  la  beauté 
égale  la  beauté  des  fleurs  dorées.  »  On 
induit  d'un  mot  de  la  Chronique  de  Paros 
qu'ayant  pris  part  à  la  conspiration  d' AU 
cée  et  d'Antiménide  contre  Pittacus, 
elle  fut  forcée  de  a^exiler  de  Mitylèoe. 
Peut-être  trouvât-elle  quelque  temps  an 
asile  à  Érésus ,  d'où  elle  passa  en  Sicile. 
On  ignore  à  quelle  époque  elle  y  mourut* 

Quoiqu'il  en  soit, les  anciens  égalèrent 
Sapho  aux  plus  grands  poètes,  et  lui 
rendirent  des  honneurs  extraordinaires. 
Partout  on  voyait  son  image ,  sur  les 

{ places  publiques,  dans  les  musées,  dans 
es  bains,  dans  les  temples.  On  admirait 
surtout  dans  le  Prytanée  de  Syracuse 
une  statue  d'airain ,  chef-d'œuvre  de  Si- 
lanion,  enlevée  plus  tard  par  Verres. 
Enfin,  les  Mityléniens,  compatriotes  de 
Sapho,  et  les  habitants  d'Érésus,  soit 
qu  ils  revendiquassent  sa  naissance,  soit 
qu'ils  eussent  souvenir  de  son  séjour  dans 
leur  cité ,  lui  décernèrent  Thonueur  de 
figurer  sur  leurs  monnaies  (2). 

ÊRiNNÂ.  —  On  connaît  les  noms  de 
plusieurs  des  compagnes ,  des  élèves  de 
Sapho  :  Anagora  la  AUlésienne,  Gongyla 
de  Colophon,  Eunica  deSalamine;  mais 
celle  qui  détentes  obtint  le  plus  de  gloire 
est  Érinna ,  morte  à  dix«neuf  ans.  Elle 
était  aussi  de  Mitylène,  ou  du  moins  elley 

Sassa  sa  vie.  Erinna  y  composa  un  poème 
e  trois  cents  vers  :  La  Quenouille.  Elle 
l'avait  conçu,  assise,  occupée  à  manier 

(t)  Al.  Pierron,  p.  144. 
(a)  Arisfote,  Rhéloriq.,  11,  23;  PoUux«, 
On.,  rx.,  84;  cf.  Pierron,  p.  144  et  wiiv. 


la  quenouille  «n  te  fiiseau.  à  V'vam  et 
sa  mère ,  qui  lui  défendait  de  cultiver  la 
poésie.  «  Ce  n*est  pas  là  un  long  ouvra^ 
«dit  uneépigramme  de  l'Anthologie, 
a  c'est  l'ouvrage  d'une  vierge  de  dîx-neuf 
«  ans.  Mais  que  d'autres  ne  surpasse-t-il 
«  pas  !  Ah  !  si  la  mort  n'était  venue  si 
«  vite,  est-il  un  nom  qui  eûtégalé  le  sien?» 
Êriuna  mourut  au  début  de  sa  gloire 
naissante»  avant  d'avoir  eu  le  temps  de  U 
confirmer  par  d'autres  chefs<d*œuvre  (1). 
Musici]U<s-,PiiBYisis,STC.  — Après 
cette  glorieuse  génération  qui  avait  pro 
duit  Arion,  Alcée,  Érinna,  Sapho,  Li 
décadence  commence'pour  la  poésie  les- 
bienne. Alitylène ,  la  patrie  des  chantres 
inspirés  et  des  aèdes  mélodieux,  est  aussi 
la  patrie  de  Phrynis,  qui  partageait  avee 
Cinésias  d'Athènes  et  Timothée  de  Milet 
le  reproche  d'avoir  liâté  hi  ruine  de  I*art 
Musical  (2). 

.  Phrynis,  selon  l'historien  Ister,  aurait 
été  d'abord  cuisinier  chez  Hiéron  le  Tj- 
lan,  qui,  s'intéressant  à  ses  premiers 
essais,  fît  cultiver  ses  talents  par  lesroeil- 
leurs  noaitres.  Aristoclite,  un  des  des- 
cendants de  Terpandre ,  Ait  son  mato 
de  cithare,  et  Phrynis  profitais!  biend: 
ses  leçons,  qu'il  fut,  dit-on,  le  premier 
qui  remporta  le  prix  de  cet  instrumeo: 
aux  Panathéuées  (457).  Plus  tard  il  tui 
vaincu  dans  la  même  lutte  par  Timotbér 
de  Milet.  S'étant  présenté  à  LacédéinoiK 
avec  sa  cithare  à  neuf  cordes ,  i'Éphort 
Ecprepès  se  mit  en  devoir  d'en  cou^<er 
deux,  lui  laissant  seulemcAit  le  choit 
entre  celles  d'en  haut  et  celles  d'en  b3>. 
Jus<)u'au  temps  de  Phr>'nis  (3),  des  rè^ik  <; 
sévères  présidaient  à  la  composition  6-  < 
morceaux  de  musique  faits  pour  la  r; 
thare  et  au  jeu  de  cet  instrument.  LW» 
devait  être  composé  sur  un  certain  mo;lc 
partir  d'une  certaine  corde  de  la  citharr-. 
y  revenir  souvent,  s'y  terminer;  chaqt;<^  ' 
son  s'entonnait,  chaque  corde  se  pinivut 
toujours  d'une  seule  et  unique  manière 

(i)  On  attribue  cependant  eneore  à  Énsiu 
un  hymne  à  la  Forcé  (elç  t^v  ^{av)v  ),  plr:a 
de  |)<)ésie  et  d'inspiration;  nais  il  est  i-i  ^^ 
probable  que  le  titre  doit  se  traduire  ûièu  : 
jà  Rome;  ce  qui  en  reporte  la  compotilioe 
beaucoup  plus  tard. 

(»)  Yoir  Burette,  Jc^tL  Jts  Inscrif.  .^ 
t.  X ,  p.  »2«. 

(3)  Burette)  îMem» 


ILE  BE  IMSBOt. 


^9^K' 


et  si  parfois  on  adfnettâît  mielqiwfl  ov- 
Demeots ,  ils  étaient  fixes  et  invariables 
pour  chacun  des  sons  où  on  les  daignait 
souffrir.  Phrynis^  abandonnant  ce  ton 
austère  et  grave  de  la  rpélopée  grecque, 
commença  par  ajouter  deux  eordes  nou- 
velles à  la  lyre,  qui  depuis  Terpandreen 
avait  sept,  et,  rompant  la  cadence  simple 
et  retenue  de  Tancienne  école,  amollit  et 
fatigua  la  voix,  jusque  alors  simple,  de  la 
musique  dans  un  embarras  d'inflexions 
et  (l*intonation3  doocerenses.  «  Qui  vous 
a  pu  mettre  ()ans  ce  bel  état ,  ma  sœur  ? 
dit  la  Justice  à  la  Musique ,  qui  arrive 
en  habita  de  l^mme.  le  corps  tout 
meurtri....  Hélas,  c'est  Mélanippide,  qui 
a  commencé  à  m 'énerver...  Puis  Ciné- 
sias ,  ce  maudit  Athénien ,  avec  ses  in- 
flei^ions  de  voix  placées  contre  toute  har- 
mouie  daps  les  strophes,  m'a  perdue  et 
défigurée ,  au  point  quMl  en  est  'de  ses 
dithyrambes  comme  des  boucliers  :  on 
n'en  voit  ni  la  droite  ni  |a  gauche.  Vous 
n'auriez  jamais  dit  cela.  Mais  Phrynis 
en  m'entravantdans  je  ne  sais  quels  rou- 
lements qui  lui  sont  particuliers ,  en  ma 
faisant  flephir,  pirouetter  à  son  gré,  m'a 
mise  à  la  mort  pour  vouloir  trouver  dans 
cinq  eordes  douze  harmonies  différen- 
tes. V  Ainsi  parle  la  musique  dans  une 
comédie  de  Pnérécrate  (1)  ;  et  il  faut  bien 
croire  que  Phrynis  avait  quelque  talent, 
puisqu'elle  ajoute  :  «  Toutefois  ce  n'était 
'^  pas  assez  pour  moi  qu'un  tel  homme! 
'  car  la  faute  faite ,  il  ta  rachetait.  Mars 

«  c'est  Timotbée  qui  m'a  achevée « 

Les  noms  qui  se  présentent  après  le 
jioni  de  Phrynis  sont ,  peu  s'en  faut , 
inconnus  ;  c'est  Agénor,  de  Mitylène,  qql 
fonda  une  école  de  musique  ;  c'est  Denys, 
également  de  Mitylène,  surnommé  Bras 
de  ciiir,  ou  le  Cordonnier,  Il  avait  écrit 
plusieurs  poèmes  épiques,  dont  l'un  était 
intitulé  :  {'Expédition  de  Bacckus  et  de 
jï/meri?e;sixlivresde5  Argonautes ,  en 
prose,  ainsi  qu'un  recueil  de  Récits  My* 
thologiques.  Denys  semble  avoir  joui 
dune  certaine  réputation,  et  son  autorité 
^^  souvent  invoquée  par  le  scoliaste 
d'ADollonius  de  Rhodes,  et  même  par 
piodore  de  Sicile.  On  ne  sait  d'ailleurs 
le  temps  où  il  vécut;  mais  ce  doit  être 
«  une  époque  assez  reculée.  On  ignore 
de  même  le  temps  de  Théolyte ,  de  Mé- 

(î)  PluUrq. ,  Sur  la  JHtmq.y  ch.  xxx . 


thymne.  AMnée  cite  tBols  vera  d'uae  ' 
histoire  ^Baoohu8(|ii'ii  lui  atlrikw;  on 
croit  qu'il  avait  composé  enoore  en  wm 
l'histoire  de  Lesbos  ou  de  Méthjrmiie. 
•r-  iCsobrioB,  de  Afitylène,  aoottOfiagQa 
Alexandre  dans  ses  expéditions;  e'était, 
un  poète  épique,  le  familier,  l'ami  îd* 
time  d'Aristote.  Enfin  on  cotmaft  qoelt 
guea  épi^rammes  et  un  soolie  d'Alphée 
de  Mitylène,  et  les  noms  de  XénopbaBe, 
peëte  antique,  ée  Crioagoras,  auteur 
d'épigrammes ,  d'Afehytas  et  de  Grati- 
nus,  fous  deux  rousieiens ,  le  premier  de 
Mitylène,  le  second  de  Méthymne. 

HlSTORlBNS  :  HBLLA^IflGOS,  MY HSILB, 

Tetbophanb,  eto.  —Le  plus  ancien  his- 
torien qu'ait  produit  Lesbos  est  Heila- 
Rions,  qui  naquit  à  Mitylène,  en  4M,  et 
mourut  en  41^.  Quoiqu  il  ait  été  aoeusé 
souvent  de  négligence  ou  de  partialité , 
les  fragments  qui  nous  restent  de  lui 
font  regretter  ce  qu*on  a  perdu.  Les 
anciens  citent  de  cet  auteur  un  nombre 
considérable  d'ouvrages  ;  mais  la  plupart 
semblent  n'être  que  des  parties,  des  ebapl« 
très  d'histoires  particulières.  Hellanicua 
avait  éerit  «  dans  le  genre  de  Fhérécyde 
et  d'Héeatée  des  descriptions  ethnogra* 
phi(|ues ,  des  généalogies ,  des  chroniques 
nationales  et  étrangères.  Un  de  seséorita 
intitulé  :  ks  Prétresses  de  Junond'Âfyos 
contenait  la  liste  de^  femmes  qui  avaient 
desservi,  dès  la  plus  haute  antiauité,  le 
sanctuaire  de  Junon,  et  le  récit  des  évé- 
nements plus  ou  moins  authentiques  aux- 
Suels  s'étaient  mêlées  ces  prêtresses  eu 
ontd'Argos  avait  été  le  théâtre  (1).  » 

Myrsile  ou  Mjrrtile  était  de  Méthym- 
ne. L'époque  ou  il  vécut  est  tout  à  fait 
incertaine.  Il  avait  écrit  une  histoire  de 
Lesbos,  fort  estimée.  Strabon,  Pline,  De* 
nys  d'Halicarnasse  et  bien  d'autres  invo- 
quent et  confirment  son  autorité  (S). 

Herméas,  de  Méthymne,  avait  composé 
une  histoire  de  Sicile  depuis  les  temps 
les  plus  reculés  jusqu'à  la  première  année 
de  la  101«  Olympiade  (376  ). 

Heraclite  était  auteur  d*une  histoire 
de  Macédoine. 

Charès  de  Mitylène  avait  écrit  au  moln^ 
dix  livres  sur  les  actions  d'Alexandre  ; 
Atlïéiiiée,  Plut^rque  citent  souvent  son 

(x)  Alex.  Pierron,  p.  ao3. 
(i)  Strabou ,  I,  i  ;  Pline ,  Bist,  Nat,,  IIT> 
7 ,  IV ,  12  j  Deo.  d^Haltc.,  I ,  «3 ,  aS. 

31. 


as4 


L*UinV£RS. 


ouvrage  (1).  Athénée  en  nppcHte  même 
de  nombreux  fragments.  On  voit  par  ces 
passages  que  Charès  ne  s^était  pas  borné 
à  raconter  sèchement  les  exploits  du  roi 
de  Macédoine ,  mais  qu'il  avait  mis  tous 
ae&  soins  à  recueillir  toutes  les  notions 
possibles  sur  les  pavs  conquis.  Le  style 
de  Gbarès  est  clair ,  él^ant  ;  les  morceaux 
(fue  nous  possédons  de  lui  sont  des  plus 
intéressants  (3). 

Théophane  de  Mitylène  est  de  tous 
jes  historiens  de  Lesbos  le  plus  célèbre 
par  son  génie  comme  par  les  services 
qu*il  renmt  à  sa  patrie.  Tout  à  la  fois 
historien,  poëte,  et  homme  d'État ,  il 
eut  la  gloire  d'avoir  pour  ami  Pompée, 
qui  lui  demandait  souvent  conseil  et 
1  interrogeait  dans  toutes  les  affaires 
d'importance  (8).  L'époque  précise  de 
sanaissance,  commeles  commencements 
de  sa  vie  sont  ignorés.  A  peine  sait-on 

2u'il  était  d'une  famille  plébéienne  (4). 
Quoique  sa  liaison  avec  Pompée  ait  dû 
se  former  de  bonne  heure,  Théophane 
n'apparatt  pour  la  première  fois  sur  la 
scène  que  dans  la  guerre  contre  Mithri- 
date ,  dont  il  raconta  Thistoire.  Pohipée , 
charmé  de  cet  ouvrage  (5),  décerna  à  son 
auteur  le  titre  de  citoyen  romain  en 
présence  de  toutes  ses  légions.  G'eft 
dans  cette  histoire  sans  doute  que  Théo- 
phane, se  vantant  d'avoir  vu  les  papiers 
de  Mithridate,  accusait  Rutilius  Rufîis, 
rhomme  le  plus  honnête. de  son  siècle, 
d'avoir  donné  au  roi  vaincu  le  conseil 
d'^orgerlesRomains(e};cette  calomnie, 
qui  avait  i>our  but  de  venger  Pompée 
des  révélations  produites  contre  son 
père  par  Rutilius,  n'eicita  que  l'indigna- 
tion et  le  mépris  public.  A  son  retour 
en  Italie ,  Pompée ,  cédant  aux  instances 
de  Théophane ,  eut  la  complaisance  de 
visiter  Mitylène.  Il  y  fut  reçu  avec  les 
plus  grands  honneurs  chaque  année  : 
on  y  célébrait  des  jeux ,  où  se  récitaient 

(i)  Plut.,  Alex,,  ao,  a4  ;  Plioc.,  17 ,  etc. 

(2)  Toir  nolamment  Alhéoée ,  XII ,  XIII, 
MI  passim.        , 

(3)  César,  Gwr,  c/W/.,  UI,  c.  i8;Strab., 

xin. 

(4)  C'est  ce  qaH>D  n^admet  pas  toujours , 
tant  8*eD  feut,  mais  ce  qui  nous  semble  res- 
sortir du  passage  de  Ciceron  :  Ad  Atticum, 
y^Epist,,  7.  / 

.   (5)  Val.  Max.,Tni,  14,  3. 
(6)  Plut.,  FU  iU  Pompée ,  37. 


diverses  pièces  de  poésie;  cette  fois  elles 
roulèrent  toutes  sur  les  grandes  action 
de  Poînpée.  Touché  de  cet  accueil  flat- 
teur (1),  Pompée  rendit  à  Mitylène  ses  ' 
anciens  privilèges.  Cette  amitié  illustre 
avait  mis  Théophane  en  rapport  avec 
les  principaux  Romains;  il  avait  des  r^ 
lations  avec  Atticus,  et  par  lui  avec 
Gicéron.  L'an  59  avant  J.-G.,  il  fut 
chargé  de  porter  à  Ptolémée  Aulète  le 
décret  du  sénat  qui  lui  con'firmait  la 
souveraineté  de  1  Egypte.  On  le  soud- 
çonna  d'avoir  dans  cette  ambassade 
sacrifié  les  intérêts  de  la  république  à 
ceux  de  Pompée.  «  Timagene  assure 
que  Ptolémée  abandonna  ses  États  sans 
y  être  forcé ,  et  le  tout  à  la  persuasion 
de  Théophane,  qui  en  cela  se  proposait 
uniquement  de  procurer  à  Pompée  U 
commandement  d'une  armée  et  de  nou- 
veaux moyens  de  s'enrichir  >.  Platarque 
rejette  cette  opinion  de  Timagene  (1, 
mais  par  estime  pour  les  sentiments  dé- 
sintéressés de  Pompée,  et  non  pour  le 
caractère  de  Théophane.  Gelui-ei  n'était 
pas  marié,  ou  au  moins  n'avait  pas  d'en- 
tants, quand  il  s'embarqua  pour  TË* 
ffvpte.  Autrement,  il  se  serait  bien  gard^ 
oadopter  Cornélius  Ralbus,  qui  par  Li 
devenait  son  héritier. 

Théophane  eut  le  bonheur  de  con- 
tribuer plus  tard  au  rappel  de  Cioéron, 
proscrit,  et  enfin  dans  la  guerre  civile, 
il  embrassa  le  parti  de  Pompée ,  et  pr 
ses  avis,  décidés  et  résolus ,  il  fit  tonioer 
tout  espoir  de  réconciliation.  Après 
Pharsale,  les  raisons  de  Théophane  pré- 
valurent, et  Ton  prit  la  route  d'Egypte, 
où  la  mort  attendait  Pompée  (3).  Après 
l'assassinat  du  dictateur ,  on  ignore  ce 
qu'il  devint.  Il  est  probable  qu'il  mourut 

{)eu  après  la  mort  de  Pompée.  Les  Mit}- 
énienSfL  reconnaissants  de  l'immense 
service  qu'il  leur  avait  rendu ,  lui  accor- 
dèrent les  honneurs  divins.  On  possède 
plusieurs  médailles  qui  représentent  ses 
traits.  Le  plus  important  et  le  plus  cu- 
rieux des  ouvrages  de  Théophane  était 
sans  contredit  rhistoire  des  guerres  de 
Pompée.  11  n'en  reste  que  quatre  frai;- 
ments ,  trois  dans  Strabon ,  qui  témoi- 
gnent du  soin  et  de  l'exactitude  de  Tau- 


i 


i^  Plut,  Fie  de  Pompée,  4^. 
a)  Id.,  ihid.^  53. 
(3)  Id..  iàid.f  76. 


ILE  DE  LESfiOS. 


n& 


teor,  «ile  quaftiième,  dans  Plalarqoe» 
qui  aa  reste  a  largement  usé  de  eel 
ouvrage  dans  la  vie  de  Pompée.  Dio- 
gène  Laerce  cite  de  Théophane  un  livre 
tfe  la  Peinture  9  sorte  d'histoire  des 
peintres;  quant  à  ses  poésies,  il  n*en 
reste  gue  deux  épigrammes  dans  TAn- 
tbologie(l}. 

Les  descendants  de  Théophane  rem- 
plirent des  postes  éminents,  et  son  fils 
et  sa  petite -fille,  Marcus  Pompeîus 
Macer  et  Pompeia-Macrina  eurent  la 
gloire  d*étre  persécutés  par  Tibère.  Con- 
damnés à  Texil,  ils  se  donnèrent  la 
mort  (2). 

Philosophes  :  Pittacus;  Théo- 
PHBASTE,  etc.  —  Pittacus  n*était  pas 
seulement  le  plus  grand  citoyen  de  Mi- 
tylène ,  c'était  aussi  un  poète  éminent, 
comme  Selon,  son  contemporain  et  son 
émule.  On  sait  par  Suidas  et  par  Diogène 
Laerce  quMl  avait  composé  plus  de  six 
cents  vers  élégiaques.  Il  avait  aussi  adres- 
sé un  discours  en  prose  à  ses  concitoyens 
pour  leur  conseiller  le  respect  des  lois. 
Comme  philosophe,  c'était  un  de  ces  hom- 
mes d'une  vertu  pratique  et  exemplaire, 
simple  et  accessible  à  tous,  indulgent  en- 
vers les  autres,  désintéressé,  fidèle  à  sa 
parole,  humain,  prévoyant,  habile  au 
besoin;  c'était  ce  que  les  Grecs  appe^ 
laient  un  sage. 

Épieure  à  trente-deux  ans  vint  à  Mi- 
tylène,  et  y  établit  une  école,  qu'il 
laissa  par  son  testament  à  Hermacnus, 
fils  d'Agémarque.  Aristote  aussi  s'établit 
deux  ans  à  Mitylène  ;  son  disciple  le  plus 
aimé  et  le  plus  illustre  fut  Theophraste. 

Théophraste  était  né  à  Ërésus  (371). 
C'était  le  fils  d'un  foulon,  nommé  Mé- 
lantas.  Il  eut  pour  premier  maître  Al- 
cippe,  son  concitoyen,  qui  jeune  encore 
se  rendit  à  Athènes  pour  suivre  les  le- 
çons de  Platon  ;  c'est  là  qu'il  se  Ua  avec 
Aristote,  qui  avait  à  peine  douze  ans  de 
plus  qoe  lui.  Quand  plus  tard  le  chef 
du  Lycée  fut  forcé  de  fuir  à  Chalcis,  pour 
se  soustraire  à  une  accusation  d'impiété 
portée  contre  lui,  il  choisit  Théophraste 
pour  lui  succéder ,  de  préférence  à  Eu- 
dame  de  Rhodes.  La  renommée  de  Théo- 

^  (i)  Voir  sur  Théophane  in  mémoire  dé 
l'abbé  Sévin ,  Jcad,  des  JtucripLy  t.  XIY , 
p.  143. 
(ï)Tacit.9^m».,  Tlyxe. 


phraste,  déjà  si  grande  dans  toute  la 
Grèce,  accrue  par ce^ choix  éclatant, 
attira  de  toutes  parts  de  nombreux  au- 
diteurs, avides  de  recueillir  ses  leçons. 
Simple,  mais  entraînant  dans  son  lan* 
gage ,  de  mœura  austères  et  d'un  abord 
aimable,  dans  un  temps  où  Athènes, 
épuisée  par  vingt-sept  ans  de  guerre  et 
deux  révolutions ,  vo}[ait  ses  places  pu- 
bliques ,  son  théâtre  vides  et  silencieux , 
il  eut  la  gloire  de  réunir  autour  de  lui 

1>lus  de  deux  mille  élèves,  et  parmi  eux 
efils  d' Aristote,  f^ioomaque,  Ménandre 
le  poète  comique ,  et  Démétrius  de  Pha- 
1ère.  Forcé  un  instant  de  s'exiler  d'A- 
thènes pour  obéir  à  la  loi  de  Sophode, 
oui  proscrivait  toute  philosophie  et  tonte 
école  non  approuvée  par  l'État,  il  y  ren- 
traLl'année  suivante  quand  le  peuple  eut 
rapporté  la  loi.  Théophraste  refusa  cons- 
tamment les  offres  du  roi  d'Egypte  Pto- 
lémée ,  et  celles  du  roi  de  Macédoine 
Gassandre,  et  mourut  à  quatre-vingt-cinq 
ans,  entouré  de  ses  élèves ,  dans  sa  pa- 
trie d'adoption.  Toute  la  ville  d'Athènes 
assistait  à  ses  funérailles.  Il  laissa /par 
son  testament,  presque  tout  son  bien 
aux  deux  fils  de  son  frère ,  et  sa  biblio- 
thèque, qui  contenait  celle  d' Aristote,  à 
Nélee,  son  disciple.  On  sait  qu'elle  tomba 
oisuite  dansjes  mains  d'Apellicon  de 
Téos ,  puis  de  Sylla,  qui  sauva  de  la  des- 
truction ce  précieux  dépôt.  —  Théo- 
phraste avait  écrit  plus  de  deux  cents 
ouvrages,  dont  Diogaie  Laerce  donne  les 
titres  :  ils  traitaient  de  la  gran^maire,  de 
la  logique,  delà  rhétorique,  de  la  poésie, 
de  la  musique ,  des  mathématiques ,  de 
la  morale  et  des  sciences  naturelles.  Nous 
avons  quelques  fragments  de  l'Histoire 
des  Animaux ,  un  traité  des  Pierres ,  et 
surtout  l'Histoire  des  Plantes,  le  traité 
des  Gause!^  de  la  Végétation ,  et  le  livre 
des  Garactères.  Mais  ce  dernier  ouvrage 
n'est  à  vrai  dire  qu'un  recueil  de  frag- 
ments extraits  par  des  copistes  plus  ou 
moins  habiles  du  véritable  ouvrage  de 
l'auteur.  Get  ouvrage  était  une  poétique 
ou  une  rhétorique  a  la  manière  d' Aris- 
tote. Ges  fragments  mêmes,  réunis  en- 
semble et  précédés  d'une  préface  apo- 
cryphe ,  suffisent  pour  nous  donner  une 
idée  du  talent  de  Théophraste.  Tandis 
qu' Aristote,  ^n  maître,  se  borne  à  des 
traits  généraux  et  embrasse  l'ensemble 
de  la  vie  humaine ,  Théophraste  prend 


9M 


vmavms. 


iiiihoiiinie,doiit  il  £ût  mn  tfpe;ik  KenM 
en  scèlM,  il  le  fait  agir  et  parier,  puis  le 
dessine  et  le  déerit  en  détail.  Les  trnts 
sont  absez  bien  dnoisis,  les  observations 
fines  et  piquantes,  le  style  aisé  et  r»- 
)pide.  Ce  qui  manqne  surtout ,  c'est  la 
naîTeté.  Le  livre  est  d'ailleurs  ptein  de 
t^naeîgnenMnls  curieux  sur  les  oieeurs 
du  teuQps. 

Ph8Biasd*Érésus,amideTbéophn8tei» 
dont  la  vie  d'ailleoips  est  oomplétenenl 
ignorée ,  avait  composé  cin(|  livres  sur 
les  plantes ,  deux  sur  les  poètes ,  un  sut 
la  Mort  des  tyrans,  trusteurs  livres  con*- 
tre  les  sophistes,  deax  livres  sur  les  prf- 
tanes  d'Érésus ,  et  plusieurs  autres  ou*» 
vrages,  souvent  cités  par  l'antiquité.  On 
trouve  eoiDore  du  temps  de  Théopfarastes 
Échéoratide  de  Méthjnmne  et,  bIus  tard^» 
CratippuS  de  Mityiène  s  regardé  par  &• 
céron  comme  le  chef  des  péripatéàcienA. 
Il  était  dans  la  députation  qw  vint,  après 
Phareale,  prier  Pompée  d*aborder  èLe9> 
bos,  et  il  chercha  en  vain  &  te  consoler  en 
lui  pariant  des  dieux.  Les  philesophes 
Aris^ote,  Prâxiphane,  Primigène  étaient 
aussi  de  Mityiène,  ainsi  ^ne  Lestonax. 
Ce  del-nier  vivait  sous  Auguste.  Il  avait 
étudié  la  philosophie  à  réoote  de  Timé* 
crate.  Doué  d*un  certain  talent,  il  emsef- 
gna  avec  beaucoup  de  suoeèsTélo^uenoe, 
c'est-À-dire  la  rhétorique.  On  possède  en- 
core deux  des  discours  ^u'ii  donnait 
sans  doute  à  ses  élèves  ^mme  àèê  tm^ 

^  dèles  à  imiter.  Son  fils  Potamon  fut  Thé- 
ritier  de  ses  talents  et  de  sa  réputatioto^ 
Il  enseigna  la  rhétorique  à  Rome,  et  jouit 
de  la  foveurde Tibère.  Quand  ilvoulmri- 
venirà  Mityiène,  Tempereur,  pour  sauve* 

.  garde,  lui  donna  une  lettre  écriée  de  sa 
main.  Elle  ne  contenait  que  ces  mois: 

'  «  C'est  Potataion,  ^Is  de  LensboMix.  (SI 
«  quelqu\in  osait  lui  faire  tort,  quil  voie 
«  s*il  est  de  force  à  me  faire  la  gueite.  « 
—  Potamon  avait  écrit  plusieurs  ou* 
vrages,  unf«ntre  entras  sur  Alextfkidin 
le  Grand ,  et  les  éloges  de  Brutus  et  de 
Tibère.  On  connaît  encore  les  noms 
d'iË&chine,  de  Catlias,  de  Seamen,d'A- 
dsBus,commentateur8  ou  granmaitiens, 
tous  quatre  de  Mityiène. 

Pour  n'oublier  aucun  cent^  de  gloire, 
citons  encore  Lesbot^emfis,  ieseutscolp- 
teur  qu'ait  produit  Lesbos ,  Ariston  et 
Euniens,  célèbres  dseleurs  de  Mityiène  ; 
HéruclHe,  esoMnotenr.  qu*ÂlexsAi<M 


emoMaalt  aiM  lui  dauu  ues  cau^pagM^ 
enôn  Léon,  qui  ne  trouva  janiais  ses 
égal  aux  échecs. 

IV. 

USTÔIRE  nS  Ii'IlB  DB  LlSBOSPSVnÂRI 
LUS  TBHP8  MODB&ITBS. 

ÉTAT  DE  LBSBOS  SOUS  LA  DOMIRÀ- 
TION  DES  EMPËBEURS  BYZANTINS.  - 

Lesbos,  comprise  après  Tbéodose  dan 
l'empire  d*Orieïit ,  vécut  paisible  et  oa- 
bliée  tant  que  la  domination  byzantine 
fut  solide  et  bien  affermie  (1).  Mais  dès 
que  les  barbares  commencèrent  à  s'aven- 
turer  sur  les  mers  de  T Archipel ,  ebaqw 
guêtre  nouvelle  lui  apporta  dés  malheurs 
nouveaux.  Placée  sUr  le  chemin  des  cou- 
reurs de  mer,  qu*elle  abrihiit  derrière  sfs 
cdtes  immenses ,  elle  ressentait  cha(}ue 
secousse  donnée  h  Tempire.  Sa  situation 
attx  pof-tes  des  Dardanelles ,  en  face  de 
l'Asie,  en  faisait  lé  but  du  premier  ambi- 
tieux qui  visait  aU  trône  de  Byzance,  ou 
de  Tavide  étranger  qui  ne  cherchait  que 
le  pillage.  Les  premiers  siècles  du  moyen 
âge  ne  présentent  qu\ine  succession  con- 
fuse d'invasions  et  de  tremblements  de 
terre ,  qui  semblent  également  se  pro- 
duire à  des  intervalles  réguliers.  Lesbos 
dut  à  souffîrir  surtout  des  Sc}'lbes  ei 
376,  des  Esclavons  en  769,  des  Sarrasios 
d'Espagne  et  d' Afrique  en  82 1 ,88 1 , 1 035. 
des  Russes  en  864  ,  1027.  Quelques  faits 
épars  dans  les  Byzantins  viennent  de 
temps  en  temps  interrompre  la  mooo- 
tonie  de  cette  désastreuse  histoire. 

On  lit  dans  Procope  que  Bélisaire 
avait  fait  transporter  à  Bvzance  les  pri- 
sonniers vandales ,  et  qu  on  les  en>oja 
dans  l'Orient  pour  combattre  les  Perses. 
En  538,  quatre  cents  d'entre  eux,  eo 
arrivant  à  Lesbos ,  se  révoltent,  forcent 
les  matelots  à  se  détourner  de  leur  route, 
et,  se  dirigeant  d^abord  vers  le  Pélopon- 
nèse ,  parviennent  à  gagner  T Afrique. 
leur  terre  natale  (2).  Ea  741   les  pro- 

(i}  Gonsta^tio  Porphyrogénèle  la  pUtr 
daus  le  dix-septième  tbèiue  ae  VEmpirt  d'O- 
rient, IÇ  6£(i.a ,  Ta  xaXovuievov  àIyoTov  'i- 
Uyo;,  t.  in,  p.  4i,  édîl.  Nieb.  fille  eul 
deux  évéchés,  à  Mityiène,  et  à  MétltjmiK. 
relevant  de  la  )prot4iiOe  de  Rhoées;  L«pea, 
t.  T,  col.  ^53,961.  rej,  pNto  haet,  |>.  i)3- 

(a)  Prooope,  Guerre  des  Fandaies,  I.  D» 
c.  z4, 1. 1,  p.  47«>  édtt  Benàk 


ILE  DE  LESBOS. 


827 


diges  dv  temps  d*Orphée  se  renonvellent  :^ 
les  reliques  de  Sainte-Euf^hémie,  jetées 
à  la  mer  par  le  fanatisme  iconoclaste  de 
CoDStantm  Copronyme,  sont  portées 
doucement  par  les  flots  jusqu'aux  riva- 
ges d'Érésus ,  où  la  piété  des  habitants 
les  recueille  a?ec  honpeur  (1).  —  Le 
commencement  du  neuvième  siècle  vit 
se  terminer  à  Lesbos  une  grande  infor- 
tune. Après  s'être  élevée  de  la  pauvreté 
au  trône  de  Gonstantinople  et  avoir  un 
moment  songé  à  la  main  de  CtiarVema- 
gne,  Fimpératrice  Irène  est  détrônée 
par  l'hypocrite  Nicéphore  et  reléguée  ft 
Prinkipo,  puis  à  Lesbos  (  S02).  La ,  pri- 
sonnière et  gardée  à  vue,  elle  manquait 
du  nécessaire ,  réduite  à  filer  pour  ga- 
gner sa  vie.  Elle  mourut  l'année  suivante, 
et  fut  enterrée  à  Lesbos  même,  dans  un 
monastère  qu'elle  avait  fondé.  Les  Grecs, 
oubliant  les  tristes  exemples  qu'elle  avait 
donnés  au  temps  de  sa  puissance,  et 
touchés  par  le  délaissement,  la  misère 
et  le  repentir  de  ses  derniers  jours,  Pont 
mise  au  rang  des  saintes,  et  célèbrent  sa 
fête  le  15  août  (2). 

La  septième  année  du  règne  de  Mi- 
chel (849),  le  patriarche  Ignace,  qui  re- 
prochait sans  cesse  au  César  Bardas  ses 
honteuses  amours  avec  Eudoxie,  sa  bru, 
ayant  osé  lui  refuser  les  sacrements ,  est 
arraché  de  l'autel,  et,  après  d'affreuses 
tortures ,  relégué  à  Mit}Mène.  Mais,  plus 
heureux  quTrène ,  il  ne  termina  pas  ses 
jours  dans  cet  exil  (S).  En  ^45  la  dis- 
corde et  les  crimes  de  la  famille  impé- 
riale rejettent  à  Lesbos  une  nouvelle 
race  de  proscrits.  Etienne  et  Constantin, 
fîls  de  Romain  Lécapène,  s'étaient  à  peine 
emparés  du  trône  en  jetant  leur  père 
dans  un  cloître,  qu'à  leur  tour  ..'Is  sont 
Inversés  pat  leur  beau-frère  Constan- 
tin Vïl  Porphyrogénèfle.  Saisis  tous  deux 
à  table,  tous  deux  sont  tondus ^(' faits 
moines.  Etienne,  relégué  dans  Vile  de 
^oconèse,  puis  à  Rhodes,  est  en  On 
déporté  à  Mitylène.  il  y  vécut  dix-beuf 

(i)  Michel  Glycas,  AnnaiM^  pari.  IV, 
p.  %Zoy  in-S**.  Zoaaras  dit  qu'elles  furent 
poiusées  vers  les  rivages  de  lîeinnos  et  non 
de  Lesbos.  Actuellemeni  eDes  «out  à  Cous- 
lantiûople.  Toir  une  note  de  Banduri,  //n- 
ftrïum  Orientale,  L  II,  p.  672. 

(a)  Voir  la  rU  d'Irène,  par  Vaâihé  Millol. 

(3)  Simèon  IMagi^uar,  p.  667,  in-8». 


ans ,  sans  impatience ,  sans  r^ets.  £n* 
fin ,  un  samedi  saint ,  au  retour  de  la 
messe,  où  il  avait  communié ,  il  tomba 
mort,  empoisonné  par  ordre  de  Timpé- 
ratrice,  à  qui  il  feisait  ombrage  (1).  — 
Quelques  années  plus  tard ,  tandis  que 
Tempereur  Jean  Zimiscès  était  occupé 
à  repousser  les  Russes ,  éclate  la  révolte 
de  Bardas  Phocas  (971).  Llle  de  Lesbos 
était  le  principal  fo^er  de  l'agitation. 
Léon  Curopalate,  père  du  général  re- 
belle ,  exilé  par  l'empereur  à  Mitylène , 
était  parvenu  à  entretemr  de  là  des  rap- 
ports avec  Etienne,  évéque  d*Abydos, 
et  par  son  entremise  il  promettait  aux 
Matcédoniens  honneurs  et  argent  pour 
les  soulever  contre  Zimiscès.  Celui-ci, 
averti  à  temps,  ordonna  qu'on  lui  cre- 
vât les  yeux  (3).  Mais  le  soldat  chargé 
de  son  supplice,  soit  qu*il  se  fdt  senti 
saisi  de  pitié  pour  une  si  grande  infor- 
tune ,  soit  que  Tempereur,  se  repentant 
de  cet  ordre  sévère,  Teât  lui-même  se- 
crètement adouci,  épargna  sa  victime. 
Les  paupières  de  Léon  étaielit  restées 
saines,  et  sa  rue  intacte.  Aussi  Tannée 
suivante  il  parvint  à  corrompre  ses  gar- 
des et  à  s'enfuir.  Arrêté  tout  d'abord 
à  Constantinople,  avant  de  pouvoir  don- 
ner suite  à  ses  projets  ambitieux ,  il  fut 
cette  fois  livré  a  des  a^nts  sdrs,  qui  Ta- 
veuglèrent  sans  miséricorde ,  et  de  là  fl 
fin  relé^  à  Calonimi  Besbicns)  (3). 

Au  siècle  suivant ,  Lesbos  vit  encore 
d'autres  illustres  victimes  des  caprices 
de  la  fortune.  Constantin  Monomaque 
ét^it  depuis  sept  ans  gardé  à  vue  à  Mi- 
tylène ,  quand  un  ordre  arrivé  de  Cons- 
tantinople vint  changer  sa  fortune.  Sa 
passion  pour  Timperatrice  Zoé  avait 
causé  sa  perte.  Zoé,  débarrassée  de  son 
époux  par  la  violence ,  rappelait  son  fa- 
vori, le  nommait  gouverneur  de  la  Grèce, 
et  bientôt  après  s'unissait  à  lui  (1 1  juin 
1042).  A  son  tour,  Constantin  Monoma- 
que put  se  venger  de  ses  ennemis.  L*eu- 
ntrque  Jean ,  frere  de  l'empereur  Michet 
le  Paphlagonien ,  vivait  au  delà  du  Bos- 
phore, dans  un  monastère.  Monomaque, 
qui  lui  impu^it  son  exil,  le  fit  trans- 
porter à  Mitylène,  avec  ordre  de  lui  cre- 

(i)  Thèophrastes  CoutiDuatus,'VX,pu  439; 
Lebeau ,  t.  XIT,  74,  c.  a,  édit.  Saint-Mvtiflu 

(a)  Léon  Diacre ,  TIU,  i ,  a. 
-  (3)  Id.,  IX ,  3  ,  p.  145. 


zus 


wjmms. 


?er  les. yeux.  Jean  mottrut  douze  jours 
après  (t)  (12  mai  1043). 

iNGUfisiONs  DES  TuBcs.  —  Au  mi- 
lieu des  guerres  qui  agitèrent  Tempire 
à  la  fin  du  onzième  siècle,  un  aventurier 
turc,    nommé   Tsachas,   (assemblant 
garante  barques  et  des  matelots  expé- 
rimentés, se  prit  à  courir  rArchipel  et 
à  en  .ravager  toutes  les  côtes.  Pbocée, 
Ciazomènes  tombent  entre  ses  mains. 
Fier  de^es  succès,  il  mande  alors  offi* 
cîeusement  au  gouverneur  de  Lesbos , 
Alopus ,  qu'il  va  se  présenter  avec  toutes 
ses  forces.  Il  lui  conseillait,  s'il  était 
sage,  de  lui  laisser  la  place  libre, ou  si- 
non qu'il  le  ferait  pendre.  Alopus  ne  se 
le  fit  pas  dire  deux  fois,  et  partit  de  nuit 
pour  Gonstantinople.  Tsachas  vint  à 
Lesbos,  et  llle  tout  entière  fut  à  lui.  Il 
ne  trouva  de  résistance  qu'à  Métbymne, 
gui  soutint  un  siège.  Mais  Tsachas,  ne  la 
jugeant  pas  digne  du  temps  qu'elle  lui 
ferait  perdre ,  se  rejeta  sur  Chio,  qu'U 
conquit  sans  peine  (2).  A  ces  nouvelles, 
l'empereur  Alexis  Gomnène  (1089)  arme 
une  Botte,  et  la  confie  à  Nioétas  Cas- 
tamonite.  A  la  première  rencontre.  Ni- 
cétas  est  vaincu,  et  laisse  une  partie  de 
ses  vaisseaux  au  pouvoir  de  Tsachas. 
Une  seconde  flotte  impériale,  comman- 
dée par  Constantin  Dalassène,  va  repren- 
dre Chio,  et  retourne  en  toute  hâte  à  Cons- 
tantinople  pour  porter  secours  à  l'em- 
pereur contre  les  Scythes.  Alexis,  enfin 
lib  jpe  de  ce  côté,  se  retourna  vers  Tsachas, 
qm  déjà  se  faisait  nommer  empereur  et 
prenait  Smyrne  pour  capitale  de  son  era- 
pire  (3).  Cette  fois  il  eut  pour  adversaiira 
Jean  Ducas,  le  vainqueur  des  Scythes. 
Ducas  commandait  en  personne  l'armée 
de  terre,  et  Dalassène  qui,  sous  sa  di- 
rection ,  conduisait  la  flotte ,  avait  or- 
dre de  longer  le  rivage  en  modérant  la 
marche  des  vaisseaux,  de  telle  sorte  que 
1  armée  et  la  flotte  pussent  aborder  a  la 
fois  à  Milylène.  Dès  gue  Jean  Ducas  fut 
d^arqiié,  on  se  mit  aux  travaux  du 
siège.  Galabaze ,  frère  de  Tsachas ,  dé- 
fendit la  ville.  Tsachas  lui-même  accou- 


(0  Zonare,  t  II,  p.  aSi  ;  1.  XVII ,  c.  aa, 
edit.  de  Paris,  in-fol. 

(a)  Anne  Gomnène,  VH,  p.  ao5  et  sui- 
vante; edit.  de  Paris,  in-folio.  i65r.  Toye» 
plus  haut,  p.  S7  6.  ^ 

(3)Id.,IX,p.  a45. 


rut  bientôt.  Pendant  trois  mois'  on  le 
l)attit  presque  tous  les  jours.  Tsachas 
se  décida  pourtant  à  parler  de  paix. 
Il  ne  demandait  qu'à  se  retirer  libre- 
ment à  Smyrne ,  promettant  de  respec- 
ter les  Mityléniens  et  de  n'en  emmeoer 
aucun  avec  lui.  Il  y  eut  suspension  d'ar 
mes  ;  un  traité  fut  juré  de  part  et  d'ao- 
tre,  on  échangea  des  otages.  Mais  des 
incidents  inattendus  ranimèrent  les  hai- 
nes^ et  les  défiances  :  la  paix  fut  viol^; 
et  l'amiral  grec,  malgré  Jean  Ducas,  qui 
voulait  respecter  les  serments  donn^, 
se  mit  à  la  poursuite  de  Tsachas,  l'at- 
teignit ,  détruisit  la  flotte  turque  et  en 
massacraleséquipa^es.  Tsachas  eut  peine 
à  s'échapper,  déguisé  en  matelot.  Après 
cet  exploit,  Dalassène  vint  rejoindre  Du- 
cas, et  tous  deux,  ayant  reçu  la  sou- 
mission de  Samos  et  des  îles  voisines, 
retournèrent  à  Gonstantinople  (1092). 
Incursions  des  Yénitibn s  ,  des 
Catalans  ,  dbs  Génois.  —  Lesbos  était 
à  peine  remise  de  cette  guerre ,  que  la 
rupture  de  Venise  avec  l'empire  grec 
attira  sur  cette  île  de  nouveaux  enD^ 
mis.  Les  Vénitiens  s'irritant  d'une  in- 
sulte faite  à  leur  doge,  se  répandent  dans 
1  Archipel.  En  1128  Dommique  Michieli 
met  à  feu  et  à  sang  Scîo  et  Lesbos ,  et  ne 
lève  l'ancre  qu'en  emmenant  une  mul- 
titude d'enfants  des  deux  sexes,  pour  les 
vendre  comme  esclaves. 

Les  historiens  font  mention,  vers  cette 
époque,  d'un  intrigant  lesbien ,  qui ,  par 
son  esprit  rusé  et  persévérant,  avait  su 
s  élever  d'un  rang  infime  à  la  hauteur 
d  une  grande  fortune.  L'eunuque  Tho- 
mas ,  né  à  Mitylène,  d'une  famille  misé- 
rable ,  fut  élevé  sans  soin,  et  comme  ii 
convenait  au  sort  qui  lui  semblait  ré- 
servé. Son  ardente  ambition  le  poussa  à 
Byzance.  II  y  vécut  quelque  temps  du 
métier  de  chirurgien,  ne  pratiquant  d'ait 
leurs  qée  la  saignée.  Mais  son  adresse, 
sa  complaisance ,  son  esprit  plurent  aux 
malades.  On  le  recommanda  ;  il  s'intro- 
duisit au  palais;  admis  auprès  de  Hm- 
pératrice ,  il  entra  bientôt  chez  l'empe- 
reur. Manuel I,  gui  réetmt  alors  (Il 70), 
comprit  le  parti  qu'il  pouvait  tirer  de 
son  talent  pour  l'intrigue  ;  il  l'employa 
dans  les  affaires ,  les  n^ociations,  les 
ambassades.  Les  honneurs  vinrent  en 
foule,  les  richesses  avec  les  honneurs.  Non 
content  d*étre  riche,  Thomas  voulut 


ILE  DE  LE8B0S. 


3)9 


DoMe;  malt  Hatnguè,  par  laquelle 
I  espérait  arriver  à  ce  terme  suprême  de 
ion  ambitioo,  ayant  échoué,  il  tomba  en 
iisgrâce,  et  ftit  enfermé  dans  la  prison 
fu  palais,  où  il  resta  jusqu'à  sa  mort.  — 
lest  là  le  seul  nom  quait  à  nous  pré- 
enter dans  tout  le  moyen  âge  la  patrie 
TAloée  et  de  Pittaous,  de  Tbéopbraste 
it  de  Potamon  (1). 

Lors  du  partage  des  terres  de  Tem- 
)ire  grée  entre  les  Français  et  les  Yéni- 
iiens,  plusieurs  ties  de  r Archipel,  Les- 
)os  entre  autres ,  échurent  aux  Fran- 
ais  (1204).  Mais  après  la  bataille  de 
^émanène,  où  Robert  de  Ck)urtenay  fut 
aincu ,  Jean  Ducas  Yatace ,  le  vain- 
[oeur,  s'empare  des  côtes  de  TAsie ,  et 
Q  plein  hiver  passe  à  Lesbos ,  qu'il  re- 
fend sans  résistance.  Une  paix  conclue 
1  même  année  restitue  cette  possession 
mportante  à  l'empire  latin  de  Constan- 
inople  (1214).  Mais/la  guerre  ayant  re- 
iris ,  après  maintes  alternatives  de  suc- 
és et  ae  revers ,  Vatace  assure  défini- 
jvement  à  l'empire  grec  de  lïicée  la 
ossession  de  Chio ,  Samos  et  Lesbos 
1247).  Douze  ans  plus  tard,  le  fils  de 
^atace,  Théodore  Ducas  Lascaris,  meurt 
ans  les  bras  de  i'évéque  de  Mitylène^ 
m  confesseur  (1269)  (2). 
En  1305,  des  aventuriers,  connus 
)a8  le  nom  de  Catalans  ou  Almogavares, 
iennent,  sous  la  conduite  de  Roger  de 
lor,  se  mettre  au  service  de  l'empire 
rec.  Mais,  presque  aussi  cruels  que  les 
drcs  qu'ils  allaient  combattre,  ils  ran- 
mnent  chemin  faisant  les  provinces  de 
Mirs  nouveaux  alliés.  Partout  où  ilssen- 
lient  de  l'or  (8) ,  qu'il  appartint  à  un 
loine,  à  un  prêtre  ou  à  un  officier  im- 
érial,  ils  l'arrachaient  par  des  menaces 
e  mort  et  des  tortures.  Qui  n'avait  point 
e  richesses  à  livrer  payait  de  sa  vie  le 
lalheur  d'être  indigent.  C'est  ce  qi)i  ar- 
tvaà  l'infortuné  Macbrama,  à  Mitylène, 

(i)  Jean  Ciimame ,  YII ,  p.  997,  in-S<»  ; 
kétas»  yi, c.  X, ete.  Lesbosa  fourni  enooreà 
Bostantinof  le  deux  patriarches ,  Pacbomius 
atûiaty  qm  t'étani  emparé  par  la  TioleoGe 
B  pauiarcat  fut  à  ion  tour  expulsé  et  eiilé 
Rhodes ,  sous  le  règne  du  sultan  Sélim ,  et 
aphael  de  Méthymne  (i6o5). 
(a)  Ephroemiusy  V,  9*57  ;  Gregor.  Acro- 
al.,  Çhronocompend.f  n.  74. 
(5)  Geor;^  Fiadiyvère ,  V,  p.  43?  ;  in-8*. 


C'était  un  des  principaux  ofttdeiv  impé- 
riaux, tout-pmssant  dans  la  ûveiur  du 
S  rince.  Il  avait  sa  demeure  habituelle  près 
u  Scamandre;  dans  la  terreur  causée 
par  les  invasions  des  barbares ,  les  po- 
pulations, pleines  de  confiance,  s'étalent 
réfugiées  spontanément  sous  sa  protec- 
tion, et  il  était  resté  dépositaire  des  ri- 
chesses de  ceux  qui  émigraîent.  Mais\ 
forcé  de  fuir  à  son  tour ,  u  était  passé  à 
Mitylène ,  avec  le  reste  des  habitants  de 
Ja  cote.  A  l'arrivée  des  Catalans,  il  fut  le 
premier  désigné  à  leur  avidité.  Il  est  pris, 
enchaîné;  on  lui  impose  pour  rançon 
cinq  mille  pièces  d'or.  En  vaiu  protes- 
te-t-U  qu'il  ne  peut  les  payer  ;  après  mille 
tortures ,  il  est  décapité. 

En  1336,  sous  le  règne  d'Andronic  III, 
le  Génois  Dominique,  fils  d'André  Cata- 
nes,  qui  tenait  de  la  faveur  de  l'empe- 
reur le  gouvernement  de  la  nouvelle 
Phocée ,  se  voyant  maître  d'immenses 
richesses,  que  lui  apportait  la  succession 
de  son  père ,  songea  à  s'emparer  de  Les- 
bos et  a  s'y  .faire  une  principauté.  Les 
chevaliers  de  Rhodes  et  le  prince  des 
Cyclades ,  Nicolas  Sanudo ,  se  joignirent 
à  lui.  Mitylène,  dans  la  terreur  et  la  sur- 
prise d'une  attaque  inattendue,  livrée 
peut-être  par  la  trahison,  fut  emportée 
sans  peine.  On  se  préparait  à  s'en  par- 
tager les  richesses  et  à  conquérir  le  reste 
de  nie ,  quand  Catanes  introduisit  par 
ruse  une  garnison  dans  Mitylène  ;  et  de- 
venu seul  maître  de  la  ville,  il  refusa  d'y 
recevoir  ses  alliés.  A  lui  seul  il  avait 
fourni  dix  trîrèmesà  la  confédération,  les 
chevaliers  quatre,  les  Cyclades  sept. 
Catanes  se  sentait  donc  aussi  fort  que 
Sanudo  uni  aux  Rhodiens.  Outrés  de  ce 
manque  de  foi ,  les  alliés  repartirent  sans 
vouloir  entendre  aucunejproposition.  Ca- 
tanes commença  par  chasser  de  Mity- 
lène les  anciens  habitants,  et  faisant 
venir  sa  femme  et  ses  enfants,  qu'il  avait 
laides  à  Phocée ,  il  prit  le  parti  de  s'é- 
tablir dans  sa  nouvelle  conquête.  Toutes 
les  autres  bourgades  et  tous  les  châteaux 
de  riie  se  rendirent  sans  résistance. 
Érésus  seule  et  Méthymne  repoussèrent 
victorieusement  toutes  les  attaques  (1). 

A  ces  nouvelles,  Fempereur,  qui  se 
trouvait  alors  à  Constantinople,  entra 
dans  une  violente  colère,  et  reprocha  vi- 

(i)  Nicépbore  Grégoras,  1.  XI,  t.  Jf  p.  $%5. 


S30 


VXSKVfwié 


vemeAt  aux  Génois  lent  fouti>eiri6«ttear 
parjure.  Pois  il  fit  ses  préparatifis  de 
gaerre.  En  vingt  Jours  une  flotte  de 
quatTB- vingt-quatorze  vaisseaux,  dont 
vingt-quatre  étaient  à  deux  et  trois  ran^ 
de  rames ,  se  trouva  prfite  à  partir.  Sui- 
vaient d*autres  navires ,  portant  les  sol- 
dats de  terre ,  les  vivres  et  les  machines 
de  guerre  (1).  A  Tépoque  de  la  canicule, 
dans  la  saison  où  les  vents  du  septentrion 
se  précipitent  sur  la  mer  inférieure,  l^em- 
pereur  mit  à  la  voile  avec  toutes  ses  for- 
ces, et  sedirigeasur  Mitylène  (2)  (13S7). 
A  la  hauteur  de  Gallipoii,  des  édaireuns 
découvrirent  la  flotte  impériale,  etTan- 
noncèreht  aux  vaisseaux  génois.  On  n'é- 
tait pas  en  force  pour  combattre.  Cinq 
trirèmes  ftirent  chargées  de  porter  des 
renforts  et  des  vivres  à  Calloni,  vilie  (S) 
alors  très-opuletite  de  Lesbos.  Le  reste 
de  la  flotte  alla  couvrir  Miiylène.  L'em- 
pereur, abordant  à  Érésus,  félicita  les 
habitants  de  leur  fidélité,  qu'il  promit 
de  récompenser ,  et  se  dir^ea  sur  Chio. 
Le  long  de  la  côte,  une  de  ces  vigies 

{>lacées  sur  tes  hauteurs  pour  dénoncer 
'approche  des  vaisseaux ,  héla  la  flotte 
au  passage  :  A  qui  ta  flotte?  —  On  ré- 
pondit que  c'était  celle  de  Tempereur» 
montée  par  l'empereur  lui-même.  — 
Mais  les  trirèmes  oe  Caltoni ,  à  qui  donc 
sont-elles?  repartit  le  veilleur.  —  L'em- 

Sereur  crut  comprendre  que  toute  la 
otte  ennemie  qiril  savait  a  Mitylèue, 
s'était.transportée  à  Calloni,  et  il  fit  vi- 
rer le  bord  pour  l'atteindre,  il  n'y  trouva 
que  les  cinq  trirèmes  échouées  à  terre , 
vides  et  sans  maîtres.  Il  fit  donner  la 
chasse  aux  matelots,  réfugiés  dan^  les 
bois,  et  repartit  emmenantses prises.  Son 
oncle,  Alexis  Philanthropène ,  resta,  à 
Lesbos  avec  ui)  nombre  suffisant  de  ca- 
valiers et  de  soldats.  Toutes  les  villes 
de  nie,  proie  facile  du  premier  venu, 
se  rendirent  à  lui.  îllui  Mut  faire  cinq 
mois  le  siège  de  Mitylène,  à  qui  on  avait 
laissé  le  temps  de  se  pourvoir  et  de  se 
fortifier.  Enfin,  erâce  à  son  esprit  conci- 
liant et  aux  nonibreuses  largesses  faites 
aux  mercenaires  delà  garnison  ennemie, 
Philanthropène  parvint  à  remettre  les 
choses  dans  leur  premier  état  et  à  faire 

il)  CaDtticuzène,  tl,  c.  29,  p.  477  ;  iu-S^. 
a)  ?4ic.  Grégoras ,  XI ,  c.  3 ,  p.  533. 
Xi)  fcttfcttenûyfc,  t  ,p.  îi^  ,iii-8*. 


rentrer  Ffle  toot  entière  aoes  roHb 
sanoe  de  l'empire  grec. 

LbSBOS    socs    le    «OCVCBNEVnr 
DS   tA    CAMILLE   1>BS   GaTEIUZI.  - 

En  1955  Lesbos  changea  de  maître. 
Jean  Paléologue  P',  pour  récomf^pn» 
François  Oftte)u£fo,  qui  Tarait  aidé  i 

Ï Purger  TArchipel  des  pirates  t^hih 
ui  donna  en  mariage  la  princesse  Marie, 
aa  sœur ,  et  pour  dot  rH«  de  Lesbos. 
Aussitôt  après  la  noce,  les  deux  épos 
partirent  pjour  Mitylètic  (1).  Peu  i  m 
les  possessions  du  prince  génois  s*a(ti» 
rent  de  la  ville  d'Aïnos,  des  llesdl» 
bros ,  Thasos ,  Lemnos ,  Sannothra^Ta 
H  eut  peine  à  protéger  tout  son  tsS 
domaine  contre  les  ineurstons  coot^ 
rouelles  des  Turcs.  SousOrkan,  Oomo» 
bç^,  émir  des  cites  d'Ionte,  ravage  Le^ 
bos  (2).  Sous  Amurat  ï*^,  Tounis,  effidi 
des  janissaires,  assiège,  mû  sanssuMs^ 
Méthy  mne  (8) .  Bajatets'y  prit  autremfll 

Ïrour  réduire  les  insulait«s.  «esennwwsî 
I  leur  coupa  fes  vivres  ;  à  peine  est-il  rai 
tre  de  ta  côte  asiatique,  qu^il  intetdittfnl 
exportation  de  blé  du  continent  dans  !i 
îles ,  spécialement  dans  les  ttes  de  Le« 
nos,  Rhodes,  Chio  el  Lesbos  [\t9^ 
On  en  était  là  lorsmie  se  Ihnra  la  bataii 
de  Nicopolis,  où  le  duc  de  I9evers4 
tant  d^utres  restèrent  prisonniers  ad 
mains  de  Bajazet.  Jacques,  fils  de  Pns 
ÇDis  Gateluzio,  lui  avait  swxédé  soh 
souveraineté  de  l^e.  Ce  mouH  va^m 
baron ,  ûtd  étoît  assez  en  la  gratti 
amour  ae  VAmorah^  intervint  awli 
sire  d'Abydos  en  faveur  des  captiftJ 
resta  même  en  gage  pour  le  sîit  de  0» 
t^.  vn  sien  cousin ,  qui  nnalade  et  t?^ 
faible  pour  suivre  l'émir,  était  dem«id 
à  Brousse,  oà  il  mourut  peu  après  A 
Quand  le  prix  de  la  rançon  eut  étéanA 
aun  conmiun  accord  à  2Q0,tNK)  docais, 
les  sires  de  Mételin  et  d' Abydos  en  fîr«l 
leur  dette,  et  en  répondirent  àfémir  »': 
et  quand  les  prisonniers  eurent  lear 
ooii§é  et  délivrance,  Jaofuee  Gatelsad 
«rinlkfl  ohereher  àBroMse,  «  âttait«t- 


i; 


i)  Ducas ,  c.  Xtt ,  p.  46,  în-8^. 
(a)  Padi^èrfe,  Iv,  c.  29;  Ti  c-^' 
Ducas,  vn ,  p.  a7,  in-8*. 

(3)  Chaloondyie ,  X ,  prinerpio. 

(4)  Freissard,   édinon  Bnchon,  in-^' 
t.  XIII ,  p.  4a8-4Bo. 

(5)  Dac»,  XTtl,  p.  5ft,  in-S** 


iixsBimos. 


Ml 


fMëèMt  fit  niof  tes  jjâHéoB  d6  HdteHn^ 

E'^tiBrentà  pMt.  8\  ftireat  le  oiftoitt 
Nev«rs«t  louB  m  séignMn  de  Frmée 
eçus  à  graMi  foie.  La  dame  de  Méte^ 
ia,  femme  an  ail  seigaeiir,  étoU  amàt 
trente....  ei  m  tint  4a  bbatie  damé 
bien  parée  et  heiidrée  quand  elle  vit 
àÀt  «n  son  Miel  le  tiomie  de  Neven^ 
wssiire  Henfy  de  Bar,  meflanreOid  de 
I  Tnéiboaf He  et  Xùv/a  lee  autrea ,  et  en 
it  mcmlt  téfeute  \  et  les  recMîtKt  jeyen* 
Bnent  et  dotteetoeot,  et  «eordoMia  de 
m  ki  polbtt  à  leair  faif«  plaisir.  Rt 
lemilfeMeiit  elle  f«vétit  tous  les  sei* 
inrs  de  FVant^,  et  rafratehit  et  renoo» 
Ma  de  HiMireantfi  drapa,  liages >  et  de 
Ées  et  vétilles  de  fins  draps  de  Dames, 
ehm  Tot-deMiatiee  et  eoutmae  de  Grèce, 
tâprèi  tetts  les  sei*vitiMrs  des  sefigtieim^ 
bflèeii  èelen  aoti  état  de  deiffé  en  die* 
né;  ^  ie  fit  la  dstaie  pleinement  ben- 
fmtii  sans  tien  fépergiier.  De  ^imi  les 
e^inrslui  soufentton  gré.,  et  diran 
nmi  bien  d'elle  tti  MeomMandaat  son 
tftt  et  ordonnanoe ,  et  aussi  dn  bon  ser- 
benrde  MéteUii  et  du  seîgntenrd'Abyde, 
ai  les  honoroient  tant  ^*ils  pouvoienl 
ilear  administroient  tons  leurs  néœssi» 
i9.»Qaand  onsutauetes  seignevs  fran* 
lis  se  tenaient  à  Méwalin,  Jeu&tfues  de  Bnh 
nemoDt,  marédiaide  Rliedes,  équipa 
Nixealères,  f^  vint  SKHievani  d'ent. 
Et  depuis  qn'il  fat  venu,  il  se  rafrafeblt 
aatre  jours ,  et  ett  etnquième  les  gal« 
les  futeot  toutes  prêtes  et  ebargées  de 
oMonDanee  et  peurn^aoee  nouvelles 
ts  seicnenft  de  n'aBoe,  dentelles  Ai* 
sntrafratchies.  Le  MX>mtede  Nererseft 
s  seigneurs  de  France,  wâ  aves  hd 
ioient  prirent  eovisé  de  la  dame  dé 
lételîD,  et  la  remeraèrênt  grandeeleat, 
t  aussi  firetl^iis  les  seigneurs  de  leofs 
itofaits  et  eoartoisies  à  desservir  nu 
imps  à  ^nir  ;  ^  par  spécial  le  cornes 
e  Nevers,  qui  clienéieit  de  éous ,  «s  ék* 
Ht  et  obHgeeft  de  bonne  volonté  à  dira 
Bmdementtenu.  La  datneà  Ions  oommee 
ien  pourvue  tépondfl  sa^^ameiM,  et  ainsi 
i  firent  les  départies.  Si  entrèrent  tes 
eigneurs  de  France  es  gaUées  asi  port 
t  Mételin ,  et  josques  la  tant  q«*ils  in*' 
^l  dedans  la  mer,  le  sire  de  Mételin 
s  eonvc^  de  paroles  et  de  vue,  ^t  puis 
^rnaifnafriere....  (1).  • 

(i)  iProUitod ,  t .  UV ,  p.  5a  ei  soîv. 


Il  est  à  «roice  que  «es  prévenances  et 
ses  égards  étaient  peu  m  goût  de  Ba» 
jOBet;  aussi  les  seigneurs  génois  ne  le 
£nsaîent*ils  que  pour  complaire  au  rW 
ée  France,  car  tans  ce  moyen  Us  n!en 
euêsent  Hem  /aU  (1).  Mais  Pallié  qu'ils 
recherebaient  était  loin,  et  le  barbare 
n'avait  quVin  pas  à  faire  pour  s'emparer 
de  OBS  richesses,  qu'il  convoitait,  Les 
seignears  génois  pour  conjurer  le  dan- 
ger  de  ce  terrible  voisinage  redoublèrent 
de  lèle  et  de  servilité.  Quand  Tamerka^ 
vainqueur  de  Bajaaet,  se  fut  emparé  de 
Smyme  (  1403  ),  ieseeigneurs  de  Lesbos, 
épouvaatély  vinrent  ae  reconnattre  trib»* 
taires  ^Q  Tartare^  et  se  firent  honneur 
de  recevoir  de  Mobamoset-MirM,  son  pe* 
tit-fila^  un  riche  sceptre  d*or,  en  échange 
des  sompt^ux  présents  qu'ils  lui  ap^Mr* 
talent  (S).  Quand  Mahomet  1^'  vint  à  son 
tour  souoiettieSmyme,  révoltée  (  Hid  ), 
les  seigneurs  de  Lesbos  étaient  dans 
cette  fbule  de  vassaux  empressés  qui 
vinient  le  #eroher  snr  le  contmefit^  pour 
M  apporter  lenr  trftrat,  et  renouvelev 
leur  nommai^,  fin  1435>  ils  étaient 
enoare  à  Êpheee ,  ^  Amurat  II  avait 
convoqué  tous  ces  vassaux  d'Europe 
et  d'Asie.  Mais  s'ils  retardèrent  ainsi 
leur  mine,  ce  ne  fn  psn  pour  long» 
temps» 

Le  métropolitain  de  MéteKn  assista  au 
concile  de  BMe  (  14é6)^«t  prit  place 
aiprès  ceux  de  Trébiaonde^  de  Cyzique , 
de  Nioéeetde  Nicooiédie. 

Le  fi  décembre  (  1441  )  Mételin  était 
en  Mes;  Oéenges  PhAntsa ,  l'Iiistorieft» 
venait  de  débarquer  avec  OMasion  d'oc^ 
eomplir  les  fiançaiUes  du  César  Con^ 
lantin  (3)  et  d'FiCatérsna,  «Ile  ée  Notaraa 
l^dléologue  Oalehin«  prince  de  TSIe;  et 
le  2V  juiHetanîtaat  Constantin  ltti*méme 
vewait  sur  les  galères  im^iériales  célébrer 
temanage.  Il  repartit  bientôt,  laissant 
dans  ile  palais  de  son  bcou^përe  sa  jeune 
éponos;  H  «a  reviift  chercher  4'année 
suivante,  pour  la  cendaire  è  Lemno», 
eè cHe devaH mourir  (4).  En  1444 !& 


(i)  FVoffMrrd,  îM. 


moBs,  xvn , p.  ^5,  iae«. 

^3)  Phik  isÊtA  rem^peieiir  GomisntiR  XJÏ 
Dm^uèft,  Kfvete  ^  tlinl  renopirs  grée  dé 
tieMUndDepfo. 

(4)  Georg.  Phrant2a\  II ,  c.  19 ,  p.  xga  ; 
in-S\ 


89) 


L13inVERS. 


Èise  de  Mitylèae  étant  sami  pastear,  par 
mort  de  Dorothée,  le  pape  Eugèiie  IV 
nomina  à  sa  place  Léonard  deCbio.  Deux 
ans  plus  tard  le  même  pontife  loi  donna 
pour  mission  d'aller  auprès  de  Tempe- 
/eur  Constantin,  que  des  liens  de  famille 
rattachaient,  comme  nous  rayons  dit,  au 
prince  de  Lesbos,  renouveler  et  confirmer 
ralliance  des  deux  Églises  Grecque  et  La* 
tine ,  conclue  an  concile  de  Florence.  Il 
était  trop  tard.  Cette  réunion,  opérée  le  1 3 
décembre  1453,  n'arrivait  plus  à  tempe 
pour  empêcher  Mahomet  n  d'anéantir 
rempire  de  Constantinople ,  qui  avait  re- 
fusé jusque  là  les  secours  de  l'Occident. 
Après  la  prise  de  la  capitale  de  l'empire, 
Léonard  se  réfugia  à  Cnio,  d'où  il  envoya 
au  pape  le  récit  authentique  dea  événe- 
ments auxquels  il  avait  assisté.  Il  revint 
Il  Lesbos,  et  y  resta  jusqu'à  la  prise  de 
l'île  par  les  Turcs.  Il  n'attendit  pas  long- 
temps. 

A  l'avènement  de  Mahomet  II  (  1451  ) 
les  ambassadeurs  de  MéteA,  comme 
ceux  de  Rhodes  et  de  Chio,  étaient  venus 
le  féliciter  à  Andrinople  (1).  Le  80  juin 
1455,  Doria  Gateluzio,  prince  de  Lesbos, 
mourut.  Le  1^'  aoât  suivant  l'historien 
Ducas ,  qui  tenait  un  rang  considérable 
à  la  cour  de  Mételin ,  partit  pour  porter 
au  sultan  et  les  tributs  de  Tannée  pour 
les  Iles  de  Lesbos  et  de  Lemnos,  et  les 
hommases  du  nouveau  prince.  Admis 
tout  d'abord  à  Taudience,  il  obtint  la  ûi« 
veur  de  baiser  la  main  du  sultan  et  de 
s'asseoir  en  face  de  lui  jusqu'à  ce  qu'il  eût 
achevé  de  dtner.  Les  vizirs  comptèrent 
l'argent  qu'il  apportait,  puis,  feignant 
d'ignorer  la  mort  du  vieux  prince  de 
Metelin ,  ils  s'informèrent  de  sa  santé.  — 
«  Elle  est  bonne,  répondit  Ducas,  et  il 
vous  salue.  —  rïous  parlons,  dirent  les 
vizirs,  du  vieillard.  —  Mais,  repartit 
Ducas,  il  jr  a  quarante  jours  quil  est 
mort.  Le  prince  actuel  est  depuis  six  ans 
reconnu.  Son  père,  épuisé  par  la  maladie, 
lui  avait  dès  lors  et  spontanément  confié 
les  affaires:  et  il  a  eu  déjà  Tfaonneur 
deux  fois  d'apporter  à  Constantinople 
ses  adorations  au  grand  sultan,  »  —  £t 
les  vizirs  :  «  Laissons  cela.  Aujourd'hui 
il  n'v  a  qu'un  moven  de  «e  dire  prince 
de  Métehn,  c'est  de  venir  et  de  recevoir 
ce  titre  du  très-sublime  sultan.  Va  donc 

(x)  Ducat  9  XXXIII ,  p.  a33,  io-S*. 


à  ton  mattre,  et  revîtes  avec  loi.  SisM 

il  sait  oequ'il  doit  attendre.  »  Ilûdlutfi 

Ikicas  repartit  et  amenât  le  nouvel 

prioceà  la  cour  du  sultan,  qu'il  eutgraa 

peine  à  atteindre  près  d'izlati  cbez  ii 

Bulgares.  La  réception  du  premier  joi 

fut  des  plus  gracieuses.  Mais  le  kndc 

main  tout  changea.  Les  vizirs,  pariu 

au  nom  de  Mahomet ,  exigèrent  la  cessio 

de  Tbasos  ;  il  fallut  l'accorder  ;  pois  i 

double  tribut  :  «  Hélas  1  disait  le  jeua 

«  prince ,  Lesbos  tout  entière  est  à  voat 

il  mais  ne  me  demandez  paa  Timpa 

«  sible.  »  On  se  contenta  d'aosmenk 

le  tribut  d'un  tiers;  au  lieu  de  tnl 

mille  écus  (1),  il  en  fallut  payer  quata 

mille.  Le  sultan  rappela  de  plus  au  Gt 

nois  qu'il  avait  à  sacoûarge  la  surveillaaei 

de  l'Archipel  et  des  côtes  Asiatiques  de 

puis  fiaîram  (  Assos  )  jusqu'au  RrimaU 

(  le  Caîcus  ),  le  rendant  responsable  é| 

toutes  les  pertes  éprouvées  par  les  raifr 

seaux  turcs  dans  ces  parages.  Ces  coodi; 

tiens  acceptées,  bon  gré  mal  gré,  il  offi' 

à  son  vassal  et  aux  principaux  offic» 

des  vêtements  d'honneur.  Gateluzio  r 

partit  enfin'pour  Mételin,  content  d*â 

être  quitte  h  si  bon  marché  et 

le  Dieu  qui  l'arrachait  aux  mains  du 

bare  (2).  A  peine  était-il  de  retour, 

la  flotte  ottomane  jeta  l'ancre  en  vue 

Mételin.  £ile  revenait  de  faire  une 

tative  impuissante  sur  Rhodes ,  et  é 

montée  par  le  capitan«pacha ,  Da 

Ducas,  par  ordre  du  prince,  fit  sen 

à  l'amiral  turc  un  magnifique  repas 

bord.  Déjà,  lors.de  son  passage,  Haam 

s'était  arrêté  dans  les  eaux  de  MétdUt 

s'étant  6iiC  cependant  un  scrupule  d'efr 

trer  dans  le  port ,  de  peur  d'exciter  du 

troubles  dans  la  ville.  Duc^s  s'était  l^ 

alors  avec  lui  d'une  étroite  amiti«  ft; 

lui  avait  remis  les  dons  de  chaque  aa* 

née.  C'étaient  huit  habits  de  soie  m 

de  laine,  6,000  florins  d'argent,  vic^i 

bœufs,  cinquante  moutons,  plus  à\ 

huit  cents  mesures  de  vin ,  du  pain,  J 

biscuit,  dix  quintaux  de  froment  et  à-^l 

légumeà  à  foison.  La  flotte  n'avait  pr.* 

le larce  qu'après  un  séjour  de  quarante 

huit  neures.  Ces  prévenances  ne  p«- 

(i)  Selon  Ducas  Sdon  Chaksondi^fe  * 
était  annueilement  de  deux  mille  sutcR» 
d'or.  X ,  p.  5a G  ,  in-8".  i 

(a)  Ducas ,  XLTV ,  p.  3aS>33i ,  iii4*.      1 


1LEDEUESM5. 


S» 


nt  neo  oôiiM  les  éutrisa  arrêtés  du 

ytaD  (1). 

CONQUÉTB     DS    It'ÎLB    DE    LB8B0S 

IX  LBS  TuiGff.  -—  Mahomet  avait  oon- 
mi  à  s'arrêter  dans  ses  exigences,  et  à 
)  pas  s'emparer  de  Lesbos  pou^  l'heure. 
aïs  il  enleva  de  force  au  jeune  prince  la 
HJTelie  Phocée  d'abord ,  puis  Lemnos , 
le  de  ses  prindpaies  dépendancee,  et 
s  l'année  suivante  les  prétextes  ne 
toquèrent  pas  de  s'attaquer  directe- 
eot  à  lui.  En  1457,  onze  trirèmes,  en- 
tées par  le  pape  Gallixte  III,  arrivèrent 
insFArchipel,  montées  par  de  hardis  pi- 
tes,  et  s'emparèi:!ent  de  Lemnos,  deSa- 
othrace,  de  Thasos.  Il  est  à  croire  aussi 
le  les  Gateluzi  ne  devaient  pas  mettre 
tind  zèle  à  réprimer  les  brigandages  des 
rates;  le  commerce  des  esclaves  qui  en 
soltait  leur  rapportait  d'assez  gros 
béfiees.  Partant  de  Lesbos  pour  piller 
s  mers,  les  corsaires  y  revenaient  à  leur 
se  chargés  de  butin,  conduisant  de  nom- 
'rases  prises;  ils  faisaient  alors  les 
rts,  et  celle  du  ducde  Lesbos  n'était  pas 
plus  mince  (2).  Mahomet,  irrité  de  la 
hduiteéquivoque  du  prince  deMéteiin, 
ivoya  contre  lui  une  flotte  considérable, 
nmandéepar  Ismael.  Encouragés  par 
I  paroles  et  Texempte  d'une  jeune  nlle 
spirée,  les  Lesbiens  attendirent  de 
Ni  ferme,  et  anéantirent  complètement 
nnée  musulmane.  La  victoire  fut 
'e,  que  le  pape  la  fit  annoncer  dans 
Dtes  les  cours  chrétiennes ,  pour  j  ré- 
literlezèle  endormi.  Le  sultan,  oc- 
pé  ailleurs,  laissa  pendant  cinq  ans 
poser  son  ressentiment  ;  mais  vers  la 
[de  Tété  1462,  à  son  retour  de  Ya- 
!Qie,  il  songea  au  vassal  qui  recevait 
isi  ses  armées. 

Mételin  était  alors  gouvernée  par 
^las  Gateluzio,  qui  pour  s'empa- 
t  du  pouvoir  avait  étranglé  son  firere 
iminique  (3).  Mahomet ,  pour  se  faire 
I  parti  dans  Hle  même,  s'annonça 

(i)  Ducts,  c.  XLin,p.  3ai  ;  p.  3a6,  in-8®. 
[»)  Chalcondyle ,  X,  p.  Sxq,  ia-8«. 
(3)  Dominique  avait  épousé  Marie  Justi- 
mi,  fille  dun  riche  habitant  de  Cbio. 
irie  ayant  été  atteinte  de  la  lèpre,  il  refusa 
lutamoient  de  se  séparer  d'elle ,  garda  le 
»e  lit,  la  même  table,  et  fut  tué  dans  ses 
is.  Annali.,,  di  Genoa  per„,  Giusiirùanoi 
«loa,  i537,iji.4«»,  folioao6,  5, 


comme  le  ve&genr  du  pruiee  assassiné. 
Soixante  galères  et  sedt  navires,  char^ 
gés  d'un  grand  noinbre  de  canons, 
de  mortiers,  et  de  plus  de  deux  mille 
boulets  de  pierre,  arrivèrent  sous  les 
mursde  Mételin,  conduits  par  Mahmoud- 
Pacha.  £n  même  temps  Mahomet  ame- 
nait par  terre  plusieurs  milliers  de  ja- 
nissaires. Il  donna  ses  instructions  a 
son  lieutenant,  surveilla  les  travaux 
commencés,  et,  confiant  dans  l'activité 
éprouvée  de  Mahmoud,  il  repassa  sur 
le  continent.  La  ville  assiégée  était  en 
état  complet  de  défense.  Nicolas  Gate- 
luzio commandait  dans  la  citadelle,  son 
cousin  Lucio  dans  la  ville  proprement 
dite.  Cinq  mille  soldats,  vinst  mille  ha- 
bitants ,  déterminés  à  se  défendre,  se 
tenaient  derrière  les  murailles.  Après 
un  bombardement  de  vingt-sept  jours; 
la  partie  de  la  cité  nommée  Melanu- 
dUm  (1),  se  trouva  ruinée;  mais  le  cou- 
rage de  ses  défenseurs  repoussa  tous  les 
assauts.  Mahmoud,  impuissante  vaincre, 
eut  recours  à  l'intrigue.  Des  offres  fu- 
rent faites  à  Ludo,  qui  défendait  la 
ville.  La  promesse  delà  souveraineté  de 
l'Ile  le  tenta.  La  ville  fut  livrée  aux 
Turcs.  Nicolas ,  pressé  dans  la  citadelle 
consent  à  partir,  si  on  lui  assure  une 
existence  honorable.  Mahmoud  promet 
tout;  mais  il  exige  que  Nicolas  mstalle  * 
lui-même  les  troupes  ottomanes  dans 
les  différents  postes  de  l'Ile. 

Cependant  Mahomet  lui  épargna  cette 
humiliation;  il  fit  grâce  aux  deux  Gé- 
nois, qui  vinrent  l'implorer  à  Constan- 
tinople.  11  installa  dans  l'Ile  deux  cents 
janissaires  et  trois  cents  soldats,  étalant 
saisi  à  Mételin  trois  cents  corsaires, 
auxiliaires  des  Génois ,  il  les  fit  scier 
en  deux.  Il  fit  ensuite  trois  catégories 
des  habitants  de  l'Ile  :  1®  la  classe  pauvre, 
qui  resta  dans  la  ville;  2^  la  classe 
moyenne,  qu'il  donna  en  propriété  aux 
janissaires  ;  3<*  la  classe  des  riches,  qu'il 
envoya  à  Constantinople  (2).  Pour  lui- 
même,  il  se  réserva  dans  les  familles 
nobles  huit  cents  tilles  et  garçons  choisis.  . 
La  population  de  l'Ile  fut  ainsi  à  peu  près 
renouvelée.  Une  partie  même  des  an- 

(i)  Ducas,  p.  346 ,  in-8<>. 

(9)  Cbalcondyle,  Ducas ,  elc;  De  Uammer, 
H'uL  de  C  Empire  Oitoman,  t.  III,  p.  9} 
et  suiv. 


3a4 


LIIMVBBS. 


eiens  faahtoM  fai  ament  •hÉeen  #y 
rester,  fat  bientôt  «psès  traMporléft  pe» 
Kilidi^  Ali -Pacha  à  Samos,  qu'it  s'agk^ 
sait  oe  rcfieupler  (1).  Kn  revanehe,  une 
feule  d^étràageFft  viareat  l'é^htir  à  Mé- 
telia.  Parmi  ces  detaieri  se  trouvait 
le  epahis  roumiliote  Yaeoub  d^Yénié- 
jéwardar,  qui  vint  se iier  dans  ia  oa|ùtale 
de  l -lie  avee  ses  ^atre  ils  Ishak,  Ou- 
reodj ,  Ktiiar  ou  Kluureédin  et  Elias. 
Le  preaoier  se  fit  eommerçant,  les  troia 
antres  corsaires;  Slias  périt  dans  un 
combat  oontve  les  chevaliers  de  Saint- 
Jean  ;  les  deux  autres  devinrent  les  cor* 
•  saires  si  fomeux  sous  le  nom  de  Barbe« 
rovs8e(S). 

Quant  aux  Oatéluzî ,  ils  ne  jouirent 
pas  longtemps  de  la  bienveillance  du 
vain<}ueur.Lucio,  qui  était  restéà  Lesbos, 
fut  mandé  bientôt  a  Constantinople  seus 
rincolpation  d'avoir  converti  un  jeune 
enfant  à  la  religion  chrétienne.  Il  y  ré- 
pondit en  se  faisant  circonciFe ,  et  son 
cousin  rimita.  La  réponse  parut  bonne, 
et  Mahomet  eut  Talr  de  s'apaiser;  mais 
bientôt,  sous  le  plus  léger  prétexte,  il  leur 
fit  à  tous  deux  trancher  la  tête  (  146S  ). 

Efforts  bes  chbbtiens  pouh  be- 
CONQUÉBIB  Lesbos*.  —  La  conquête 
de  rile  fut  complète  et  définitive;  mais 
c*était  une  place  trop  importante  pour 
que  la  possession  n'en  fût  pas  longtemps 
encore  contestée  par  les  armes  chré- 
tiennes. Le  jour  de  Pâques  1464,  Orsato 
Ghistiniano,  successeur  de  l'amiral  vé- 
nitien Loredano,  fait  une  descente  à 
Mételin ,  dont  il  assiège  la  capitale  pen- 
dant six  semaines.  Le  15  mai  un  der- 
nîr  assaut  est  repoussé ,  et  l'approche 
d'une  flotte  considérable ,  conduite  par 
Mahmoud-Paeha,  force Famiral  vénitien 
à  lever  le  siège  (3).  Il  se  rembarqua,  em- 
menant avec  lui  tous  les  Grées  qu*fl  put 
recueillir.  H  alla  les  déposer  à  Négp^ 
pont,  et  revint  le  10  juillet  jeter  TancNre 
au  port  San-Théodoro ,  où  rattendaient 
encore  de  nombreux  proscrits. 

En  1600  l'amiral  français  Raves- 
tein ,  nommé  gouverneur  cle  Gènes  par 

(i)  Tfoavelies  Annales  des  Voyages ,  pre- 
mière série,  t.  XXV  :  Géographie  de  Samos. 

^a)  De  Hammer,  t.  V ,  p.  a37. 

(3)  Uistoria  Veneta  di  Alessandro  Maria 
TitiMli,  nobile  Yeneto  ;  iM",  Venelia,  i68o, 
t.  II,  p.  662. 


ItMàk  XII,  é^piMMftioliMiVa 
dans  les  mers  de  l'Orient.  Ses  dh-luÉ 
vaisseaux  se  réunissent  à  tffente-qaitrr 
trirèmes  vénitkmies  qu'ils  leneontreai 
et  d'un  cooMiiun  eeoeedonlittt  veile  sv 
Mételio.  La  ville  soutenait  le  siège d^ 
puis  vin^^t  jours  ^  quand  Korkond,  gos- 
veraenr  de  Magnésie,  aeeourt  aree  kt 
nombreux  rentbrts.  A  eon  appvnehe,  Ri- 
vestein  repart,  sans  attendre  l'aiTivée  k 
vingl<rneut  voiles  que  hii  amenait  li 
grand-mahre  de  Hbedes.  A  la  b» 
teur  de  Cérigo,  la  flotte  ^rqnpisf  ,wr- 
prise  par  un  ouragan,  périt  presqie 
tout  entière  (t). 

ÉTAT  BB  Lvesas  sens  la.  bohuii- 
Tioii  DES  TiJBCS.  -^  Dèa  tara  Métefai 
fut  à  Tabri  de  toute  agreesion  de  ce  gtsw 
Respectée  par  les  galères  européesncs. 
elle  n*eut  plus  guère  à  souffrir  que  k 
ces  corsaires  asiatiques  qu'elle  avait  s 
longtemps  protégés.  La  population  ^ 
rile,  presque  entièrement  renouvelée, 
s'attacha  à  ses  derniers  mettras ,  et  pni 

Sarti  peureux  au  besoin.  Rn  156a b 
otte  du  sandjak  de  Mételin ,  eoimiuft* 
dée  par  Mustafa-Qeg ,  <prend  part  a  il 
conquête  de  Tile  de  I^erbé  (ranoieDoe 
Méninx  ^  ou  Ile  des  lotopbages).  Mof- 
tafb«Beg  fut  même  un  instant  géocrt- 
lissime  de  la  flotte  turque  tout  eatieit 
En  1565  cinq  cents  spahis  et  dMx  sa- 
leras de  Mételin  se  trouvaient  dans  ^â^ 
raée  qui  tenta  inutilement  de  presdn 
Malte.  Enfin  à  hi  bataille  ée  Lépaoft 
(1671)  peu  s*en  fallut  que  Mahmoui 
sandjak  de  Mételin,  ne  décidât  la  defui" 
des  chrétiens.  Survenant  à  propos  >t«^ 
cinq  vaisseaux  au  secours  de  ramiral  tur' 
il  fiit  sur  le  point  de  faire  prisonm^rs  !(* 
trois  chefs  de  la  flotte  alliée.  L^arrivét  n 
toute  hâte  de  l'arrière-garde,  eoni«i3J> 
dée  par  .Santa-Croce,  vint  chai^rb 
fortune.  Mahmoud  périt  dans  Taelioi 
En  teas,  au  eommencement  de  la  d^ 
oadenee  ottomane,  profitant  de  loutit 
les  tentatives  d'usurpation  et  de  ^anâ^ 
chie  militaire  qui  agitaient  CoBst>c> 
tinople^  Elias -Pacha,  gouveroeDr  ^ 
Karasi,  s'était  prociaoïé  en  pleiiie  r^ 
volte  contre  la  Perte.  Deux  de  ses  lin* 
tenants,  Kara-MahmoudetSari-OuasiL 

(i)  Rîzanis,  Senatas pojnUique  GenneBS.' 
Merum  domi  forisque  gestantm  Hittor.e, 
Anvers  y  t^5^y  in-rolioy  p.  404.; 


lu  iXf  IWÊOS. 


«16 


à  }a  lélièi  tMmieoandér«)ilc»,tt4îii- 
flèreot  par  son  ordre  sur  Métetia.  Mais 
les  habitants  résistèreBt  à  rusurpatkm, 
et  tes  deux  ebefs  furent  exterminés  avec 
tous  leurs  soldats. 

Cest  à  la  hauteur  de  MéteUn  que  se 
rencontrerait  eir  109S  la  flotte  vénitien- 
ae  et  la  flotte  turque,  commandée 
celle-là  par  Dolfino,  eelle-ei  par  Me zao- 
Morto.  La  bataille  n'eut  qu'un  résultat 
douteux,  et  les  deux  anûraux  s'attribuè- 
rent la  vietoire. 

Le  dix-bultièine  sièeie  ne  nous  oflve 
iDcun  fait  remarquable  à  recueillir.  Lis 
corsaires  qui  s'abritent  d^rière  les  Mua- 
oonisi,  ou  dans  les  profondeurs  du  golfe 
d'Adramitti ,  s'enhardissent  et  ravagent 
firéqueoimeDt  les  côtes  de  l'Ile.  Ils  pas- 
sent de  l'Asie  sur  de  petits  bateaux , 
l'embusquent  derrière  les  rochers  et 
iaus  les  bois ,  pillent  et  s'en  retour- 
•ent  impunément  (1).  £n  1766  la  ville 
le  Métehn,  que  de  violents  tremblements 
le  terre  avaient  réduite  depuis  longtemps 
Il  n'être  plus  qu'une  ehétive  bourgade 
in  comparaison  de  sa  grandeur  pas» 
lée  (2),  manque  d'être  anéantie  par  une 
leroière  secousse  qui  ébranle  rile  dans 
ioute  son  étendue.  Au  commencement 
lu  dix*neuvième  siècle  c'est  le  feu  qui 
a  détruit  tout  entière;  on  relève  chaque 
bis  les  ruines ,  on  rebâtit  à  la  place  où 
i*on  habitait  la  veille,  mais  sans  ordre, 
»ns  précautions  ;  sans  que  le  désastre 
lu  jour  serve  de  leçon  pour  le  lende- 
nain. 

LesBOS  au  TBMPS  de  la  OUEBIS 
»B  L'iNDfiPBMBANGB.  -^  Quasd  éclatS 

Insurrection  grecque ,  les  raias  de  Ma* 
lelin  étaient  de  beaucoup  inférieurs  ea 
lOQibre  aux  Turcs.  Us  furent  tous  dév 
larmes  sans  résistance.  Les  plus  riches, 
loupi^noés  d'être  en  seoret  favorables 
rla  cause  de  Tindépendance ,  furent 
mset  décapités.  Llle,  considérée  dès 
m  comme  un  poste  sûr,  devint  Fen- 
irepôt  général  et  le  rendez-vous  de  le 
narine  ottomane.  Cependant  l'un  des 
premiers  exploits  des  Ùydriotes  se  passa 
^r  les  côtes  de  Mételin.  La  flotte  turque 
t'y  était  donné  rendez-vous  ;  elle  n'y  ar- 

(ï)  Pocodke,  t.  IT,  p.  S83. 

())  Bcnedetto  Bordonne ,  lÀho  nél  quaU 
»  ragkm  de  tuêtê  Flsoiâ  del  Monda,  oimrB 
^Itolario,.,  im-folia,  i547  ,  W.  $x,^ 


rive  que  pemiuivie  p9jt  erâMenlix 
bricks  de»  insurgés,  et  eut  le  .temps  à 
peine  de  se  réfugier  dansle  port  Olivetii. 
Di](-huît  brOlots  grecs  s'anprêtent  à  l'y 
aller  chercher.  Sur  l'ordre  ae  l'amiral  ot- 
toman, un  eeoseilde  guerre  s'assemble 
en  toute  hâte.  Il  s'agit  de  sortir  de  ce 
mauvais  pas.  La  flotte  turque,  comptant 
oinq  vaisseaux  de  ligne,  quatre  frégates, 
quatre  corvettes  ne  ae  croit  pas  de  forée 
i  livrer  bataille;  et  tandis  que  ramirai 
grec,  ohangeant  de  desseisk,  se  retire 
vers  Samos,  pour  engager  les  emieiius 
à  prendre  le  large,  un  vaisseau  ture, 
portant  soixaate^quatorze  canons ,  fait 
force  de  voiles  pour  aller  chérir  du 
secours  à  Coastantinople.  Il  avait  tra- 
versé le  golfe  d'Adramitti,  et  louchait 
déjà  au  cap  Baba ,  quand  quatre  bricks , 
envoyés  en  éclaireurs,  l'atteignent  et  lui 
barrent  le  passage.  Le  vaisseau  turc 
veut  rebrousser  chemin ,  et  se  lance  à 
pleines  voiles  dans  le  port  Sigri  ;  l'eau 
lui  manque  ;  il  s'échoue.  Les  Grées  s'a* 
vancentsurlui,  d'avant  et  d'arrière,  par 
brigades  de  deux  bricks ,  portant  cna- 
cuu  douze  canons  et  150  nommes  d'é- 
quipage; et  tandis  que  le  vaisseau  en* 
nemi,  immobile,  fait  teu  de  toutes  pièces, 
ils  l'abordent  dirigés  par  un  vieux  marin. 
Papa  Nicolas ,  qui  avait  assisté  à  l'ineen* 
die  de  Tohesmé;  ils  s'y  cramponnent, 
clouent  dans  son  immense  carène  des 
chemises  de  soufre  et  de  ^udron ,  et  y 
mettent  le  feu.  Quelques  instants  après 
le  vaisseau  turc  éclate  et  saute  avec  ses 
neuf  cent-cinquante  niatelots.  A  peine 
une  barque  montée  parquelquas  hommes 
parvint-elle  à  gagner  la  terre.  A  cette 
nouvelle  l'amiral  ottoman,  qui  manquait 
de  résolution  pour  combattre,  en  trouve 
pour  fuir  et  donne  l'ordre  vde  regagner 
Constantinople  (  mai  1821  )  (1). 

Par  ce  brillant  début  les  Grecs  prélu- 
daient aux  triomphes  qui  les  atten- 
daient à  Ténédofi.  Mais  ils  ne  teotèient 
pas  de  descentes  à  Mételin;  ils  ae  oen« 
tentaient  de  croiser  le  long  des  côtes, 
bien  défendues,  bien  surveillées ,  et  ne 
se  hasardaient  quesur  le  continent,  où  le 
butin  éuitabeaidaïkt  et  facile  et  les  villes 


.  « 


(i)  PouqutriUe  ,  Mist.  de  la  BégétièfOt,  dé 
h  Grèce ,  t.  UI ,  p.  i3;  Juohtnull  d«  atioN 
Denif,  Uist.  de  f£mpin  OUoman,  t.  Vil, 

P- 147. 


M6 


L'nNiyB&& 


iiud  protégées  «En  janvier  1828  les  ma- 
telots d'Ipsara ,  pénétrant  dans  le  golfe 
d*Adramiti ,  enlèvent  de  riches  maga- 
sins tares  déposés  aux  Mosconisi,  et 
parviennent  à  débarquer  à  Sigri.  Mais  la 
garnison ,  aidée  des  musulmans  des 
campagnes,  interoe|;>te  toute  communi- 
cation avec  les  chrétiens.  Dans  l'impos- 
sibilité de  s'établira  terre,  force  est  oe  se 
rembarquer.  Une  trentaine  de  Grecs  res* 
tent  morts  sur  la  plage.  A  peine  les  as- 
saillants partis,  un  massacre  général  des 
raias  commence  à  Sigri  et  à  Molivo.  Les 
chrétiens ,  co  ons  pour  la  plupart ,  et  ré- 

f)andas  dans  les  champs ,  se  réfugient  sur 
es  montagnes.  L'Olympe  surtout  se  peu- 
ple'de  fugitifs.  Mais  les  marins  d*I(»ara 
en  partant  avaient  promisau  vizir,  campé 
alors  àMételio,  de  revenir  lui  faire  visite. 
Une  grande  expédition  grecque  est  réso- 
lue. On  comptait  [sur  des  mtelligenoes 
dans  nie ,  sur  les  proscrits  des  monta- 
gnes, sur  le  courage  des  opprimés,  sur 
la  fortune  de  la  bonne  cause.  Au  com- 
mencement d'octobre,  deux  escadres 
abordent  à  Mételin ,  Tune  au  port  Sigri, 
l'autre  à  Coloni.  4,000  soldats  se  préci* 
pitent  à  terre  ;  tout  ce  qui  est  musulman 
tombe  sous  leurs  coups.  La  petite  armée 
grecque  est  bientôt  plus  que  doublée  par 
les  auxiliaires  <iui  lui  arrivent  de  toutes 
parts.  Elle  se  divise  :  la  moitié  marche  sur 
Molivo;  le  reste  ravage  la  campagne.  En 
peu  de  jours  le  nord  de  l'tle  est  aux 
chrétiens  ;  c'est  pour  eux  le  moment  de 
la  venceanct.  Les  vainqueurs  font  par- 
tout place  nette  sur  leur  passage  :  d'a- 
bominables représailles  ensanglantent 
tout  le  pays. 

Cependant  l'aga  de  Tile  rassemble  des 
troupes,  et,  sans  plus  attendre ,  marche 
au-déVant  des  Grecs .  1 2,000  hommes  sont 
bientôt  réunis  sous  ses  ordres  ;  chaque 
jour  grossit  cette  armée  des  fuyards  de 
Sigri  et  deColoni.  Leschrétiens,  atteints 
deux  fois,  sont  deux  fois  battus  ;  ils  sont 
contraints  de  laisser  la  plage  et  de  repren- 
dre le  large.  Avec  eux  partent  tous  les 
proscrits  qui  peuvent  les  suivre.  Ceux  que 
leur  malheureux  sort  condamne  à  rester 
regagnent  leurs  montagnes;  mais  là, 
soutenus  par  l'espérance  de  secours  pro- 
chains, ils  ne  déposent  pas  les  armes, 
et  entretiennent  une  guerre  de  partisans 
contre  les  Turcs  de  la  plaine.  Ge  fut  là 
le  seul  avantage  que  retira  la  cause  grec^ 


que  d'une  expédition  si  heureosesient  m 
commencée.  De  temps  en  temps  les  hii 
dis  insulaires  d'Ipsara.  tentaient  ' 
quelque  course  nouvellej  pillant  la  ro 
rançonnant  les  villages  ;  mais  les  Tu 
étaient  maîtres  du  pays.  Dans  la  se 
année  1824  leur  flotte  vient  s'y  ralli 
deux  fois.  Lors  derexpédîtiondeSamos, 
les  bâtiments  de  transport  et  une  diri- 
sionde  guerre  y  restèrent  en  penni- 
nence.  L'amiral  ottoman  ne  sortait  jv 
mais  qu'à  regret  de  cette  bonne  rade  et 
Mételin ,  où  il  était  à  l'abri  des  brûlot» 
des  Grecs.  A  la  paix  définitive,  Mételii{ 
resta  à  l'empire  ottoman,  oommetouts 
les  autres  lies  grecques'de  l'Asie  Mineurf 
Situation  agtubllb  db  l'île  ot 
Lbsbos.  —  S'il  est  une  terre  qui  poii^ 
la  trace  des  funestes  cfifets  de  la  conquM 
ottomane,  c'est  Mételin.  Ses  campagaeil 
autrefois  si  fertiles,  sontdevenaesdesoia^ 
rais  ou  des  déserts,  et  l'on  ne  voit  pi» 
que  des  ruines  sur  l'emplacement  de  soi 
antiques  cités..  De  ces  treize  cents  châ- 
teaux, qu'y  laissait,  dit-on,  la  doinj 
nation  génoise ,  de  cette  prospérité  À^ 
la  désignait  encore  à  un  auteur  du  da 
septième  siècle  (2)  pour  y  placer  Tid 
de  sa  république  aristocratique ,  il 
reste  plus  que  d'informes  débris.  C 
une  possession  oubliée,  dont  on  ne  parij 
au  divan  que  lorsqu'il  s'agit  d*y  nomimT 
un  gouverneur  ou  de  lever  un  inipt'i 
La  population  générale  de  l'île  montra 
peine  a  60,000  habitants,  dont  les  Tufti 
forment  la  majorité.  Les  Grecs  dissénî* 
nés  dans  Itle ,  rares  dans  les  villes ,  pltf 
nombreux  dans  les  campagnes ,  vi^ert 
dans  un  grand  dénûment.  Mais ,  coinini 
tous  les  paysans  grecs,  ils  se  sont  farfi 
des  mœurs  simples ,  et  savent  suppori«f 

Satiemment  la  misère.  Leur  plus  grasi 
éau  était  la  fiscalité  des  Turcs  ;  il  n >  i 
pas  longtemps  encore  que  l'aga  comptât 
les  gerbes  de  la  moisson  ;  que  les  geriiei 
battues  il  mesurait  le  blé  ;  que  le  mu- 
zelim  de  l'île  venait  ensuite  prendre  U 
dîme,  lever  la  capitation,  puis  fixer  li 

(i)  Raffenel,  Récit  des  derniers  Ére^ 
menis  de  la  Grèce ,  t  H,  p.  «65;  Po«q»f 
ville ,  t.  m ,  p.  3o5. 

(3)  RepubticA  di  Lcsbo ,  omro  dtUe  H^ 
gione  di  Siato  in  un  Daminio  Ârisiocrûkc^ 
iÀhri  X,  deir  abbate  D.  VicouoSciinldi  Ci 
sÎDeose  \  Sologne,  184^,  uti%% 


ILE  DE  LESBOS. 


êS7 


prix  des  d^aréet  el,  boû  gré  malgré,  les 
acheter  au  taux  qu'il  lui  plaisait  dUndi- 
quer.  Ainsi  faisait^on  de  toutes  les  réool* 
tes.  Les  dernières  réformes,  en  assignant 
aux  officiers  un  traitement  fixe ,  ont  à 
peine  arrêté  ces  abus. 

Au  milieu  d'une  telle  o()pre5sîon ,  le 
r;iractère  national  des  habitants  s'était 
dépravé.  De  commerçants  qu'ils  étaient 
jadis ,  ils  s'étaient  faits  pirates  ou  voleurs 
de  mer.  Aimables,  hospitaliers  au  temps 
k  leur  liberté  antique ,  ils  étaient  deve* 
nus  farouches,  et  leur  visage  même ,  type 
ie  la  beauté  grecque,  s'est  empreint 
iune  expression  sinistre,  qui  etfraye 
;t  surprend  les  voyageurs.  «Sei{;neurs 
Pères,  disait  l'évéque  grec  aux  nussion* 
luiires  jésuites ,   prêchez  mes  peuples 
aotquil  vous  plaira,  vous  ne  ferez  pas 
m  si  vous  les  faites  gens  de  bien;  car 
ai  bien  de  la  peine  à  en  venir  à  bout  (1).  » 
ËJifiQ  le  proverbe  Grec  dit  :  «Les  Athé- 
liens ,  les  Chypriens  ne  sont  pas  bons  ; 
saisies  Mltyléniens,  non  plus  (3).  »  Les 
emmes  y  sont  toujours  belles  ;  mais,  dit- 
)n,  elles  ne  sont  guère  moins  sobres  ^ue 
ie  les  dépeignait  autrefois  la  malignité 
Ihéoienne  (3).  La  coquetterie  a  eu  plus 
le  puissance  ici  que  le  patriotisme  ;  et  tan- 
tis  que  rien  dans  le  costume  actuel  des 
tommes  ne  reproduit  celui  des  temps  an- 
iqoes,  il  est  tel  village  de  Ule,  à  Erisso, 
Calioni,  à  Molivo  même,  où  les  vête- 
nents  des  femmes  rappellent  au  voya- 
eur.  par  leur  grâce  et  leur  élégance,  qu'il 
st  dans  le  pays  de  Sapho  et  d'Érinna. 
^  Pétra  le  costume  est  plus  sévère ,  et 
e  borne  à  une  ample  robe ,  assez  sem* 
niable  à  celle  des  caloyers.  En  général  la 
oiffure  est  d'une  forme  peu  gracieuse  ; 
'est  une  espèce  de  cône  renversé  que  les 
romes  ajustent  avec  art  sur  leur  tête  et 
u'elles  recouvrent  de  voiles  précieux  (4). 

(t)  Noaveaus  Uémotres  des  Missio/u  de 
^Société  de  Jésus  dans  le  Levant ,  p.  86 , 

(3)  Didot,  Notes  d'un  Voyage  dans  le 
''ont,  p.  369. 

(3)  Pococke,  t.  IV,  3Sa. 

(4)  William  WiUmanD,  Trapels  in  Turkejr, 
iie  Hînor,  Srria,  and  across  ihe  Désert 
ito  Egypt,  during  the  jears  1799»  1800, 
«^i8or;...  London,  x8o3,  iD-4",p.  455. 
î.  Didot,  Notes  tTun  Voyage  au  Levant , 
•  370;  Micbaud  etPoujoulat,  CorreÊpon- 

^fif€,  t.  ni. 

22*  Ur raison,  (Ile  de  Lssbos.) 


Le  sol  de  Ttle  est  toiyours  puissant  et 
fertile,  et  ne  demande  qu'à  être  cultivé 
pour  produire.  On  trouve  encore  abon- 
damment dans  les  montagnes  le  pin , 
l'arbousier ,  l'andrachné  •  le  lentisque , 
letérébinthe ,  le  laurier,  le  myrte  ,  Ta* 
fluuscastus,  i*orme,  le  platane,  le  hêtre, 
le  cyprès.  Dans  les  jardins ,  les  statices 
sinués ,  aux  larges  feuilles ,  à  la  tige  ailée, 
les  scableuses,  les  fleurs  purpurines  des 
lavatères ,  la  fleur  gracieuse  d^une  espèce 
de  safran ,  fort  r^erché  pour  le  fard 
des  dames  (carf/iamt/s  corymbosus)  s*é* 
talent  derrière  des  haies  de  pbyllirea , 
arbuste  toujours  vert ,  que  Ton  cultive 
en  palissades  et  en  bosquets  (1).  Les  oli- 
viers ,  principale  richesse  de  l'Ile ,  s*y 
élèvent  jusqu'à  quinze  toises  de  hauteur.. 

Les  forêts  sont  pleines  de  cerfs ,  de 
gazelles,  et  de  chevaux  sauvages,  bas 
et  trapes ,  comme  dit  Bélon  (3) ,  «  qui 
«  sont  néanmoins  si  fermes  des  pieds 
«  et  des  jambes ,  qu'il  est  surprenant  de 
«  les  voir  grimper  et  courir  avec  un 
«t  homme  sur  le  dos  par  les  montagnes 
«  et  les  rochers  et  vers  des  lieux  si  ru- 
«  des  et  si  raboteux  qu'à  peine  les  chè- 
«  vres  y  pourroient  monter.  On  en  trans- 
c  porte  une  fort  ^ande  quantité  à  Cons- 
«  tantinople  (3).  "»  M.  Arnoul,  intendant 
des  galères  à  Marseille  «  en  envoya  six 
«  à  Monseigneur  le  Dauphin,  pour  ser- 
«  vir  d'attelage  à  sa  calèche.  On  n'a  voit 
«  point  encore  vu  en  Francc/de  chevaux 
«  si  petits  et  en  même  temps  si  forts 
«  pour  leur  taille.  «  Du  reste,  les  bœufs 
et  les  moutons ,  le  gros  et  le  menu  bé^ 
tail  abondent  partout  à  Lesbos. 

Le  blé  y  est  toujours  excellent  et  fort 
recherché  des  Turcs.  Les  raisins  sont 
délicieux  ;  les  Turcs  en  font  un  raisiné 
qu'ils  affectionnent,  et  les  Grecs,  de 
reau-de-vie.  Les  insulaires  exposent  les 

(i)  Enumeratio  Plantarum  quai  in  insu/is 
Jrchipelagi  detejùt  ac  collegit  Duinont  d'Ur- 
ville;  Paris,  x  63a,  in  8°. 

(a)  Les  Observations  de  plusieurs  singula- 
rite»  ei  choses  mémorables,  trouvées  en 
Grèce ,  JÊsie ,  Judée,  Egypte,  Arabie  et  aU" 
très  pays  estranges,  rédigées  en  trois  livres 
par  Pierre  Belon;;  du  Mans,  in-xa.  En  Anvers, 
de  rimprimeriede  Christophe  Plantin»  i555y 
1.1,  fol.  147  verso,  c.  Vil,  livre  rarement  cité, 
plus  souvent  copié  :  Pooocke ,  Dapper  entrjB 
autres,  y  puisent  sans  cesse. 

(3)  Dapper,  p.  a 3 5. 

23 


8rt 


L'UNIVERS. 


frappes  ottHs  féserv^nt  eu  soleil  pen- 
aat  plusieurs  joars  de  suite,  pour  don* 
ner  au  Tin  plus  de  force  et  de  defuoeur. 
Us  SBYent  encore  lui  fsâre  prendre  de 
la  couleur  avec  des  baies  de  sureau  ou 
d*hièble;  mais  préparé,  conservé  sans 
soin  et  sans  art,  le  vin  de  Lesbos,  quoi- 
que payé  fort  cher  k  Constantinople,  n'a 
point  soutenu  son  antique  réputation. 
Les  richesses  du  sol ,  si  faciles ,  si 
abondantes  ont  détourné  ies  habitants 
du  commerce.  La  navigation  est  à  peu 
près  abandonnée.  Méteiin  seule  nW 
|)as  absolument  sans  industrie;  elle  cou* 
tient  une  douzaine  de  manufactures  de 
SBVon ,  dont  les  pfus  belles  sont  eeiles 
du  pacha ,  un  chantier  qui  tous  les  dix 
ans  donne  un  vaisseau,  et  {4usieurs 
bazars ,  assez  bien  fournis ,  et  très-fré- 
mientés.  Mais  c*est  tout ,  et  le  reste  de 
lile  se  borne  à  exporter  d'Immenses  car- 
gaisons d'huile  d'olive,  d'une  qualité 
médiocre ,  des  sardines ,  du  tabac ,  des 
pipes.  Les  figues  de  Molivo,  enfilées  en 
eolliers ,  se  vendent  partout  l'Archipel, 
et  sont  fort  recherchées. 


UnecontcMie  Iweale,  (|aMal»datenfis 
où  los  habitants  se  livraîeAt  tous  lu 
marine,  accordait  en  dot  à  la  fille  ataéf 
rbéritaice  de  la  Aimilie  avee  la  maison 
paternelle.  LeelergédeConstantinopie, 
aidé  du  clergé  et  de  revenue  delléteiin, 
est  parvenu,  à  grand'peine,  i  la  modifier 
de  la  manière  suivante  :  l'atnée  praul 
le  tiers  de  l'héritage  ;  le  second  enfant,  !f 
tiers  des  biens  qui  restent  après  la  psi; 
de  l'atnée;  le  troisième  ,  le  tiers  de  ce 
nue  lui  ont  laissé  les  autres:  Celte  r^ 
Forme  date  à  peine  du  comaoeBoeai»: 
de  ce  siècle* 

Mélelin  ou  Midilli  est  un  des  sis  it- 
vas  que  comprend  le  gouvernement  de 
Djézaîr  (c'est-à-dire,  des  tiasde  rAr* 
chipe!) .  Un  gouverneur,  sous  le  nom  d< 
I^asir  y  représente  le  sultan.  Il  y  a  i 
Méteiin  un  juge  de  premier  tmng  l  doal 
les  appointements  mensveis,  d'aprrs 
l'ordonnance  de  Mahnumd  il^  sont  àt 
400  aspres;  et  un  des  dix-sept  bure»si 
de  santé  institués  spécialement  poar 
combattre  ta  lèpre  dans  tout  t'empin 
ottoman. 


ILE  DE  ÏÉNÉDOS. 


Description  db  l'îlb  dm  Tbhs- 
D06.  (1)  —  Ténédos,  appelée  enoore 
aujourd'hui  Ténédo  par  ies  Grecs,  et 
Boghaz-Adassi,  ou  Ile  du  détroit,  par  les 
Turcs,  est  située  en  face  de  la  c6te  de  l'an- 
cienne Troado ,  dont  elle  est  séparée  par 
un  détroit,  qui  a  selon  Strabon  quarante 
stades  de  lai^^eur  (:2).  Le  même  auteur  ne 
donné  à  eette  Ile  que  quatre-vingts  stades 
de  circonférence,  mais  elle  en  a  bien  le 
double.  Selon  Pline  (3),  Ténédos  est 
située  à  cinquante-six  milles  au  nord  de 

(x)  Tayez  sur  cette  Ue  dans  l*antiquité  la 
monographie  de  Lud.  de  Hemmer,  Respuhlha 
Tefteaiorum,  Logd.  Batav.,i735.Cf.  Dapper, 
Descr.y   p.  «36;  Pococke,  Voyage  y  t.  IV, 

^SSÎ;  Tonniefort,  I ,  p.  îga;  DaHaway, 
,  p.  ?o4  ;  Chandler,  I ,  p.  34  ;  Michaud  é. 
Potijtjulal ,  ni ,  p.  i66,  etc. 

(a)  Strab.,  XIII,  éd.  Taiichn.,  Ill,  îi^. 
(3)  Pline ,  Hist.  Nat.,  V ,  S9. 


Lesbos,  et  à  douze  milles  au  sud  à 
promontoireSisçée,  qui  formerentréf  m 
détroit  de  l'Hellespont,  appelé  plus  ts^ 
détroit  de  Gallipoli  et  enfin  des  Data 
nelles.  Ténédos  serait  asses  arroaiH 
si  elle  n'avait  une  pointe  qui  s  ailooi:^ 
vers  le  sud-ouest  ;  ses  rivages  sont  prui 
de  rochers  qui  la  rendent  presque  parlM 
inabordable  ;  son  territoire  est  moni^ 
gneux  et  pierreux ,  peu  fertile  en  ^:^' 
et  en  légumes;  mais  la  ▼tgoe  y  réussi 
parfaitement. 

Tous  les  voyageurs  modernes  laj 
cordent  à  faire  l'éloge  du  rnowat!* 
Ténédos.  «  Je  ne  pardonnerai  \w\j 
d^%  anciens ,  dit  Tournefort .  de  0- 
Toir  pas  fait  le  panégj'rique  de  *- 
liqueur,  eux  qui  ont  affecté  de  eâéb** 
les  vins  de  Scio  et  de  Lesbos.  Oo  t 
saurait  les  excuser  en  disant  qu^oQ  ^ 
cultivait  pas  la  vi^eà  Téuédos  dan^r 
temps-là;  il  est  aisé  de  prourer  Icc* 


ILE  DE  TËNËDOS. 


M9 


traire  par  la  médaille  de  Ténédos  où 
Ton  voit  à  côté  de  la  hache  à  deux  tran* 
chants  ane  branche  de  vigne  chargée 
(Tune  belle  grappe  de  raisin.  »  Le  vin 
ordinaire  de  Ténédos  ressemble  un  peu 
au  vin  de  Bordeaux  ;  mais  il  ne  supporte 
pas  la  mer  et  ne  se  conserve  pas  long- 
îem|>s  dans  lés  caves.  Du  haut  du  pro- 
montoire le  plus  élevé  de  l'île ,  on  en 
aperroit  toute  la  surface  sillonnée  de 
rote^ux  couverts  de  petites  vignes  basset 
et  cuhivées  è  peu  près  comme  dans  nos 
''•'inïoblçs  de  la  Bourgogne,  avec  cet 
avantage  que  n!  la  grêle  ni  la  gelée  ne 
viennent  jamais  détruire  la  récolte.  De 
ee  point  de  vue ,  le  spectacle  de  la  mer  et 
des  terres  environnantes  est  grandiose 
et  varié  ;  «  à  Touest,  dit  Dallaway,  Lem- 
nos  et  son  volcan  épuisé  forment  un 
e6ne  immense ,  dont  la  pointe  perce  les 
eteux;  au  nord-ouest  sont  les  fies  d'Im- 
bros  et  de  Samothrace;  et  au  delà,  des 
fommets  de  montagnes  plus  élevées  qui 
les  dominent,  l'entrée  de  THellespont, 
et  un  peu  plus  loin  le  cap  Sigée  et  toute 
la  forêt  au  long  de  laquelle  Alexandrie 
est  située,  et  la  chatne  de  montagnes  de 
rida.  On  ne  distingue  le  mont  Athos 
qu'an  soleil  couchant  à  Pouest.  » 

Outre  ses  vins,  Ténédos  produit  d'ex» 
eellcnts  melons.  On  n'jr  voit  guère  d'au- 
tres arbres  que  des  figuiers  et  des  aman- 
diers. Elleest  remplie  de  perdrix  rouges, 
beaucoup  plus  grasses  que  les  ndtres, 
mais  moins  délicates  ;  et  dans  le  temps 
du  passage  des  cailles  tout  le  territoire  est 
rouvert  dfc  ces  oiseaux  voyageurs.  L'eau 
de  Ténédos  est  excellente.  Dans  toutes 
les  parties  de  Pfle  il  y  a  des  sources; 
mais  on  n'y  retrouve  pins  cette  fontaine, 
dont  parle  Pline  (1),  qui  au  solstice 
d'été  débordait  toujours  de  trois  heures 
ànx  heures  de  nuit. 

Dans  l'antiquité ,  Ténédos  avait  une 
ville  appelée  Éolis  ou  Éolica,  deux 
ports,  un  temple  d'Apollon  Sminthien , 
comme  l'atteste,  dans  Homère  (2),  Fin- 
vocation  du  prêtre  Chrysès.  On  sait 
l'origine  de  ce  surnom,  tout  local,  donné 
au  dieu  de  Delphes.  Des  mulots,  que 
les  Cretois,  les  Tro^^ens,  les  Éoliens  ap- 
pellent ajifvOoi ,  faisaient  de  grands  ra- 
vages dans  la  plaine  de  Troie.  On  con- 

(i)  Pline,  n,  To6,  9. 

(a)  Cf.  Sinh,,  hc.  eitr,  Hom.   //.,  1 ,  3S. 


BnltaPoraele  de  Delpties^qui  «rdoniia 
de  sacriBer  à  Apollon  Sminthien.  Noui 
avons  deux  médailles  sar  lesquelles  sont 
reorésentés  des  mulots  avec  la  tête  ra* 
dîee  d'Apollon.  Pococke  croît  que  oe 
temple  d  Apollon  Sminthien  était  sur 
la  belle  esplanade  qui  est  au  pied  du 
château,  qui  domine  encore  la  vilte  ac- 
tuelle, et  où  il  a  vu  éperses  sur  le  sol 
Elusieurs  colonnes  cannelées  de  marbre 
lanc  d'environ  deux  pieds  et  demi  de 
diamètre.  Du  reste  on  ne  retrouve  pres« 
que  aucun  vestige  de  l'ancienne  Eoliea, 
dont  la  prospérité  datait  du  temps  de 
la  guerre  de  Troie ,  et  dont  la  décadence 
et  la  ruine  sont  antérieures  à  l'ère  chré- 
tienne. Un  sarcophage,  quelques  ins- 
criptions, des  monnaies,  aes  trônions 
de  colonnes  cannelées,  des  fragments 
de  piliers,  des  morceaux  de  pavé  de 
marbre,  tels  sont  les  seuls  débris  que 
l'on  ait  retrouvés  sur  le  sol  de  Ténédos. 
Et  encore,  que  de  villes  antiques  n'ont 
pas  laissé  autant  de  souvenirs  i 

La  ville  actuelle  de  Ténédos  est  petite 
et  mal  bAtie;  elle  n'a  pas  trois  mille 
habitants,  avec  la  garnison  du  fort. 
Cest  là  toute  la  population  de  Téné- 
dos; cardans  toutes  les  autres  parties 
de  rtle  il  n'est  pas  un  seul  lieu  qui  soit 
habité.  La  ville  compte  à  peu  près  au- 
tant de  Grecs  que  de  Turcs  ;  aussi  a-t-elle 
une  mosquée  et  une  église.  Ténédos  est 
adossée  à  un  cotenu  que  domine  une 
forteresse  de  forme  triangulaire ,  bâtie 
par  les  Turcs:  Elle  est  environnée  de 
tbrtes  murailles  de  pierre  de  taille,  et 
garnies  de  -quelques  tours.  Autrefois  le 
château  était  la  seule  partie  de  la  ville 
habitée  par  les  Turcs.  Le  port  de  Té- 
nédos était  formé  par  un  môle  qui  est 
aujourd'hui  entièrement  couvert  par  les 
eaux  ;  mais  on  a  entassé  de  grosses 
pierres  sur  ses  fondations,  et  eltes  ser- 
vent à  amortir  les  vagues.  Une  chaîne  de 
montagnes  entoure  le  bassin.  Au  midi  on 
voit  une  rangée  de  moulins  à  vent  et 
un  petit  fort. 

On  a  parlé  très -diversement  du 
port  de  Ténédos.  Virgile  le  traite  fort 
sévèrement,  et  déclare  que  les  vais- 
seaux n'y  trouvent  qu'un  méchant  abri, 
statio  malefida  carinis  (I).  Mais  voici 
Dapper  qui  dit  que  Ténéd09  a  un  fort 


(i)  Virg.,  JS//.,  II ,  24* 


22. 


840 


L'UNIVERS. 


boD  port  pour  des  saîques  et  d'autres 
tarques  turques  de  moyeuDe  gran- 
deur, de  même  que  pour  d'autres  bâ- 
lioients  légers.  Seulement  les  grands 
navires  n'y  peuvent  mouiller;  mais  les 
vaisseaui  des  anciens ,  et  surtout  ceux 
du  temps  de  la  guerre  de  Troie,  pou- 
vaient s'y  trouver  fort  à  Taise.  Chand- 
1er  lest  encore  plus  favorable.  Le  port 
de  Ténédos,  dit-il,  o£fre  un  abri  com- 
mode aux  vaisseaux  destinés  pour  Cons* 
lantinople,  et  ils  trouvent  dans  la  rade 
un  mouillage  sûr  pendant  les  vents 
étésiens  ou  vents  contraires ,  ainsi  que 
dans  le  ^s  temps.  D'un  autre  côté, 
Pouquevilie  affirme  que  Ffle  de  Té- 
nédos  n'a  qu'un  mauvais  port  (1);  Po- 
Gocke  était  aussi  de  cet  avis.  Il  est  cer- 
tain que  Ton  fréquente  peu  le  port  de 
Ténédos  ;  la  plupart  des  vaisseaux  que 
les  vents  retiennent  à  l'entrée  des  Dar* 
danelles  vont  mouiller  dans  la  rade  qui 
est  près  du  continent.  Voilà  donc  des 
témoignages  qui  peuvent  rétablir  Tauo 
torité  de  Virgile ,  et  je  conseille  d*y  re- 
garder à  deux  fois  avant  de  contredire 
son  assertion  à  cet  égard. 

HiSTOIRB  ANCIENNE  DE  TbnÉDOS  ; 

SA  FONDATION.  —  On  lit  daus  Diodore 
de  Sicile  (2).  a  L'île  dé  Ténédos  fut 
peuplée  de  la  manière  que  nous  allons 
exposer.  Tenès,  fils  de  Cycnus,  roi  de 
Colone,  dans  la  Troade,  était  un  homme 
distingué  par  son  courage.  Ayant  ras- 
semblé un  certain  nombre  de  colons ,  il 
partit  du  continent,  et  vint  occuper  Ttle 
appelée  Leucophrys ,  oui  était  située  en 
face  et  déserte.  Il  en  aistribua  le  terri- 
toire à  ses  sujets;  ily  fonda  une  ville  et 
rappela  de  son  nom  Ténédos.  Il  gouverna 
sagement ,  et ,  comblant  les  habitants 
de  bienfaits,  il  s'acquit  pendant  sa  vie 
une  grande  réputation ,  et  mérita  après 
sa  mort  les  honneurs  divins.  On  lui  éleva 
un  temple ,  et  on  institua  en  son  hon- 
neur des  sacrifices  dont  Tusage^a  subsisté 
jusqu'à  ces  derniers  temps.  »  Voilà  le 
fait  dépouillé  de  tous  ses  ornements; 
mais  les  Ténédiens  avaient  une  légende  au 
sujet  de  leur  Tenès (3). Cycnus,  aisaient- 
ils,  était  fils  de  Neptune;  il  épousa 

(x)  Voyage  de  la  Grèce  ,  VI ,  3oi. 

(a)  Diod.  Sicul.,  V ,  S3  ;  Cic,  Aa/.  ûeor., 
III,  i5.  »     ».     »        » 

(3)Paiisan.,  X,  14,  i. 


Prodëe,  sœur  de  Calétor,  qui  fut  iw 

gar  Ajax  dans  le  temps  qu'il  voulut 
rûler  les  vaisseaux  de  Protésilas.  De 
ce  mariage  étaient  nés  un  fils  et  unt 
fille ,  Tenes  et  Hémithée.  Après  la  mort 
de  Proclée,  Cycnus  épousa  PhiloDome. 
fille  ^e  Cragasus.  Devenue  belle-mèn 
de  Tenès ,  Philonome  conçut  pour  s 
jeune  homme  une  passion  crimiDelie; 
repoussée  par  Tenes,  comme  Pbèdif 
par  Hippofyte,  elle  passa  de  ramourâ 
ta  fureur,  et  se  plaignit  à  son  époat 
que  son   fils  avait  voulu  foutra^. 
Etienne  de  Byzance  ajoute  qu'elle  pro* 
duisit  pour  témoin  un  joueur  de  flâu 
de  sa  cour.  Cycnus ,  confiant ,  comm 
Thésée,   dans  la  vertu  de  sa  femme, 
ordonna  le  supplice  de  Tenès.  Il  le  fit 
enfermer  dans  un  coffre  et  jeter  sli 
mer,    avec  sa    sœur  Hémithée,  qu 
voulut  partager  son  sort.  Le  coire 
flottant  sur  la  mer,  fut  poussé  par  hi 
vagues  sur  la  câtede  Ttle  de  Leuoopbni. 
Tenès  en  devint  roi ,  et  Tappefa  Té- 
nédos. Bientôt  Cycnus  est  détrompe:  i. 
reconnaît  l'innocence  de  son  fils,  etsf 
rend  à  Ténédos  pour   se  réconcilier 
avec  lui.  Mais  Tenes  ne  veut  point  par- 
donner; et  bien  loin  de  recevoir  soopn 
repentant,  il  va  au  port  et  coupe  a^ee 
une  hache  le  câble  qui  tenait  atucbé  If 
vaisseau   de  Cycnus.  Plus  tard, cette 
hache  fut  consacrée  dans  le  temple  de 
Delphes  par  le  Ténédien  Péridytus,  ^t 
les  Ténédiens  en  consacrèrent  deux  dai» 
îe  temple  de  leur  ville. 

Ces  aventures  firent  du  bruit,  et  donip- 
rentlieu  à  deux  proverbes.  Quand  on  vou- 
lait parler  d'un  faux  témoin,  on  disait  qar 
c'était  un  joueur  de  flûte  de  Téuédo^. 
Tev^ioç  a^XiJTY);;  et  Ton  citait  la  hache  de 
Ténédos  lorsqu'il  étaltquestioo  d'une  af- 
faire qu'il  fallait  décider  sur-le-champ, 
ou  cfuand  il  s'agissait  de  rendre  une 
justice  prompte  et  rigoureuse.  Durestr, 
le  proverbe  de  la  hache  de  Ténédos  av^il 
encore  une  autre  origine.  Le  roi  Teces 
était  un  sévère  justicier  ;  il  avait  ordonoc 
gue  la  hache  et  le  bourreau  fussent  tou- 
jours près  du  juge  pour  exécuter  je 
coupable.  Aristote,  cité  par  ÉtienDe  « 
Byzance,  donne  encore  une  autre  expli- 
cation. Il  dit  qu'un  roi  de  TénéJrt 
ayant  porté  une  loi  qui  condamnait  ^^ 
adultères  à  être  décapités  avec  la  bdcbt>. 
le  premier  qui  encourut  ce  châliintflî 


ILE  DB  TÉNÉDOS. 


t4f 


îjt  son  propre  fils.  Le  géographe,  ajouts 
ju'on  représenta  sur  les  médailles  de  Ttle 
es  têtes  des  deux  coupables  adossées ,  et 
lu  rêver»  la  hache ,  instrument  de  leur 
npplice.  Goltzins  a  donné  le  type  d'une 
emblable  médaille ,  dont  l'interpréta- 
ion  a  fort  oecupé  des  safants  qui  n'ont 
m  voulu  se  contenter  de  celle  (f  Etienne 
le  Byzance. 

Une  autre  question,  plus  importante 
lans  le  sujet  qui  nous  occupe,  serait  de 
avoir  guelle  était  la  situation  politique 
le  Ténedos  avant  l'époque^de  Tenès,  qui 
Qt  contemporain  de  la  guerre  de  Troie, 
it  que  l'on  ne  peut  raisonnablement  re- 
larder  comme  le  premier  fondateur  de 
1  ville  de  Ténédos,  ainsi  que  le  fait 
)iodore  de  Sicile.  Gomment  supposer, 
&  effet,  aue  Ténédos  se  soit  tout  à 
oop  élevée  de  l'état  d'Ile  déserte  à  la 
ODdition  de  cité  riche  et  célèbre ,  ainsi 
ue  l'atteste  Virgile  quand  il  fait  dire  à 
toée: 

£it  in  eonspeeta  Tenedos.  notlstlma  fama 

lasali,  dlvet  opam ,  Priaml  dam  régna  manebant  ? 

^tte  prospérité  ne  peut  s'expliquer 
lue  par  l'existence  d'une  population  in- 
lostrieuse  et  commerçante ,  antérieure 
rémigration  de  Tenes.  D'ailleurs ,  la 
égende  relative  à  ce  héros  nous  le 
Bootre  accueilli  par  les  habitants  de  l'tle, 
jQÎt  charmés  de  sa  beauté  et  de  ses 
ertu9,  le  proclament  leur  roi.  Cette  po- 
QJation  primitive  de  Ténédos  devait  être 
n  communauté  d'ori^ne  avec  celle  des 
l^tes  et  des  ties  voisines.  I>e  plus ,  si 
'on  remarque  que  parmi  les  noms  an- 
iens  de  cette  Ile,  qui  s'est  appelée  tour  à 
ourCalydna,  Lyrnessus,  Leucophrys, 
n  trouve  aussi  celui  de  Phénice,  on  en 
K>arra  conclure  qu'elle  reçut  un  établis* 
«ment  de  Phéniciens.  Son  heureuse 
ituation  à  l'entrée  de  THellespont  dut 
a  faire  rechercher  de  ces  hardis  navi* 
jateurs,  qui  ftirent  autrefois  les  mattres 
iD  commerce  de  toute  la  Méditerranée; 
'\  il  y  a  lieu  de  croire  qu'ils  ne  négli- 
gèrent pas  cette  importante  position. 
Mart  va  jusqu'à  donner  une  origine 
^nieienne  au  nom  de  Ténédos,  qu'il 
3it  dériver  de  Ten-edan,  qui  signifie 
lans  la  langue  des  Phéniciens  argile  ou 
^erouge,  dont  il  prétend  que  l'on 
^sait  dans  cette  tie  une  excellente  po- 
t^e,  semblable  à  cielle  de  Samos.  Je 


n'admets  pas  cette  étymologie,  quisup^ 

Rriroe  l'histoire  de  Tenès,  parce  qu'une 
igende,  même  une  légende  grecque,  a 
plus  d'autorité  à  mes  veux  ^qu'une  con- 
jecture d'érudit  systématique.  Mais  je 
ne  renonce  pas  à  croire  a  l'établisse- 
ment dans  Ténédos  d'un  comptoir 
phénicien,  par  lequel  s'expliquent  très* 
bien  la  célébrité  et  l'opulence  de  cette 
fie  au  temps  de  la  ^erre  de  Troie  (1). 
La  grande  expédition  des  Grecs  contre 
la  cité  de  Priam  vint  arrêter  le  cours  de 
cette  prospérité;  ils  ravagèrent  Téné- 
dos, lorsque  Tenès  y  régnait  encore  ;  ce 
prince  périt  de  la  main  d'Achille,  et  les 
insulaires  portèrent  une  loi  qui  défendait 
de  prononcer  le  nom  d'Achille  dans  le 
temple  de  celui  qu'ils  regardaient  comme 
leur  fondateur. 

C'est  de  Ténédos  que  Virgile  fait 
partir  les  deux  prodigieux  serpents  qui 
traversent  la  mer  pour  venir  dévorer 
Laocoon  et  ses  fils  : 

Ecce  aotcm  Remlnl  a  Tenedo  tranqatlla  per  alta 
(  Horrcaro  réfèrent  )  Imme nais  orbibvs  angaes 
Incambimlpelago,  parilerqae  ad  UUora  tenduof. 

C'est  aussi  derrière  les  hauteurs  de  Té- 
nédos que  la  flotte  grecque  alla  se  ca- 
cher, pour  faire  croire  aux  Trorens 
qu'elle  avait  regagné  les  rivages  de  la 
Grèce  et  préparer  le  succès  de  Ja  ruse 
d'Ulysse  : 

Hoc  se  provectt  deserto  In  llUore  condant.  '""  ] 

Le  souvenir  de  ces  poétiques  aventures  , 
rendu  impérissable  par  les  beaux  vers 
de  Virgile,  s'empare  aussitôt  de  l'es- 
prit du  voyageur  qui  s'arrête  un  instant 
a  Ténédos ,  pendant  l'aller  ou  le  retour 
du  chemin  de  Constantinople.  Impatient 
de  vérifier  les  détails  de  ces  fictions,  qui 
l'ont  charmé  autrefois,  par  l'étude  oes 
contrées  qui  en  furent  le  théâtre ,  il  de- 
mande s'il  n'y  a  pas  dans  l'tle  quelques 
serpents  dont  la  forme  et  la  vue  puis- 
sent rappeler  les  traditions  de  l'épopée. 

(r)  M.  Baoul-Rochette,  Hist.  de  rÈtablis- 
sèment  des  Colonies  Grecques,  II,  148 >  «^o, 
donne  à  Ténédos  une  origine  Cretoise,  «  Les 
villes  de  Cilla,  de  Chrysé,  de  Ténédos,  cé- 
lèbres dans  rhistoire  poétique  par  le  culte 
qu'elles  consacraient  eiclosivement  à  Apollon, 
paraissent  appartenir  i  rémigration  cratoise 
qui  s'éublit  en  Troade.  »  Mais  la  Crète  elle- 
même  n'toit-elle  pas  une  Ile  à  moitié  pbc- 
Dicienne  ? 


%a 


VUKPKBB: 


On  lui  répond  qu'il  n'y  a  pas  de  replilet 
à  Téiiédos.  Que  s'il  veut  savcMr  où  la 
flotte  dM  Groea  ae  eacba  la  veille  du  aac 
d'ilion ,  on  lui  montre  une  petite  anse 
entre  cteui  rochers  nus  qui  s'élèvent  sut 
le  rivage,  mais  où  douze  petites  barques 
pourraient  à  peine  trouver  place  (1).  Si 
von  s'avise  d'entre tew  les  Ténédiensdes 
souvenirs  hércâques  de  Priam^et  d'Heo- 
tor ,  d'Affamemnon  et  d'Achille  et  de  la 
catastro^e  d'Ilion^dont  la  plaine  s'é- 
tend sous  leurs  jreux,  on  n'en  obtient  pas 
de  réponse.  Tout  ce  qu'ils  savent  en  fait 
d'histoire  des  temps  passés,  e'est  que  lea 
Russes,  à  la  fin  du  siècle  dernier,  ont 
fait  une  descente  dans  l'tle ,  alors  asses 
âorissantOt  et  devenue  misérable  depuis 
les  ravalées  de  cette  invasion.  Le  peuple 
grec  a  presque  entièrement  oublié  ses  an* 
tiquité,  à  la«  connaissance  desquelles 
on  est  si  familiarisé  dans  notre  Décident. 
En  Grèce  il  n'y  a  qu'un  petit  nombre 
de  lettrés  qui  s'en  souviennent  et  qui 
puissent  en  parler  raisonnablement; 
dans  ce  pays  tout  est  ruîpé,  tout  est 
détruit,  daiis  la  mémoire  des  hommes 
comme  sur  la  surface  du  sol.  Quant  à 
ces  petits  mécomptes  du  touriste  qui 
veut  retrouver  dans  la  réalité  tous  les 
décors  du  théâtre  de  la  poésie  antique, 
n'est  une  juste  punition  d'une  curiosité 
indiscrète.  £n  voyage,  il  ne  faut  pas  f 
regarder  de  trop  près  avec  les  poètes ,  ni 
leur  demander  ce  qu'on  n'est  en  droit 
d'attendre  que  des  historiens  et  des 
géographes.  Qu'on  lise  leurs  fictions 
dans  le  même  esprit  avec  lequel  elles  ont 
été  composées ,  sans  trop  s  embarrasset 
de  ces  vérifications  exigeantes  qui  sou- 
vent préparent  au  voyageur  lettré  de  fâ- 
cheuses déceptions. 

Établissement  bbs  Éoiibns  a.  Tk- 
NÉDOs  (1210).  —  Ebruite  par  les  Grecs, 
Ténédos  fut  plus  tard  repeuplée  et  re- 
levée p;ur  eux.  Vingt  ans  avant  le  retour 
des  Héraelides  dans  le  Péloponnèse  , 
J'au  1210  avant  l'ère  chrétienne  selon 
la  chronologie  de  Larcher,  commença 
rémigration  éolienne.  La  première  ex- 
pédition fut  conduite  par  Pisaodre ,  un 
dea  priacipaui  eitoyeos  de  Lacédémone, 
et  même  par  Oreste,  que  Pindare  lui 
aasofiie  «  et  qui  aurait  conduit  «  sur  les 

(i)  Ukkiiid  et  Faiijaiifait ,  in,  9^7  ;  ÛKp- 
per,  Description ,  etc,  p.  a  3  8. 


mes  de  Ténédos  me  toeupe  éaliinBi 
aux  armes  d'airain  (1).  »  Mais  il  eA 
eertain  qu'Oreate  mourut  en  Areadie, 
dans  un  âge  trcs-avaneé ,  et  paisible 
possesseur  du  trooe  de  ses  pèies.  Restt 
Pisandre,  qui  aeul  oolomaa  Ténédos  d 
en  fit  une  cité  éolienne.  «  HellaoieM, 
dans  le  premier  livre  de  aes  ÉoUqmt 
parlait  de  l'émigration  de  Pisandre,  su 
laquelle  il  na  noua  nste  plus  d'autra 
documents  que  eem  que  )e  viens  de  dlfl 
d'après  Pindare  et  son  seobaste.  Ct 
pendant  Ténédos  fut  touioura»  dès  oelit 
^o<9ae«  eomptée  au  Bombre  dts  co- 
lonies éolie&Me;  les  fragments  puUiâ 
par  Httdson  lui  dennent  l'épilbètt  d'e> 
lieone;  Penys  le  Pénégète  applique 
spécialemati  à  oatta  île  aussi  biea^u'i 
celle  de  Lesbos  le  titre  d'îles  en  ijt 
liens;  et  son  eommentateur  <bt  ^e Té- 
nédos re^liemiait  une  ville  éolifose, 
témoignage  qol^il  avait  ta»  iHt» 
dote  (2).  » 

L'émigration  éolienne  continua  à  $^ 
porter  du  côté  où  elle  avait  pris  sa  pre- 
mière direction.  Pendant  un  siècle  elie 
versa  une  nombreuse  pofulatian  greM 
sur  les  edtes  de  la  llysie  et  mos  m 
Uns  volaines.  Ainsi  se  lorma  Vamç^ 
tyonie  éolieone^  qui  ae  eomposaitè 
Ténédos,  la  plus  ancienne  de  toutes,  de 
oinq  villes  de  Lesbos»  de  k  capitale  da 
Hécatonèses,  de  Temnos,  Cilla,  Ne- 
tium,  iËgireesaa,  PKana,  OÉges,  Myràa 
et  Gryneum  sur  le  eontânent  Les  ai- 
aemblées  générales  de  ces  villes  q^'^ 
rodote  appelle  AîoXétav  scéXsiç  ^x«ûu«  1^^ 
anciennes  villes  des  Ëoliens,  seteaaieal 
dans  le  temple  d'Apollon  Grynéeo  (}• 
Les  autres  cités  éoliennes  peatérieafa 
h  la  foode^n  de  cette  an»pbictyeBieDT 
furent  jamais  admises. 

État   sb    TiRÉDeia    bifum  u 

SlXlàMS  8IBCLE  jusqu'à  L'àBB  cw* 

TiBif  NI.  —  Après  l'époque  de  rétafaii- 
sèment  des  Êoiiens,  Ténédos  ne  repnali 
dans  l'histoire  qu'au  sixième  siècle,  » 
temps  où  la  domination  des  Perses  ^> 
tablit  sur  les  Grecsr  d'Asie  Mineure  << 
des  îles.  Les  Éoliens  avaient  prii  ^ 
à  la  révolte  d'Icaie;  les  habitaats  ôe 

(i)  Pittd.,  iV^.,  XI,  44;  et  le  ScoL 
(9)  Raoul-Roohette,  Coi.  Cngf.,  U.  44^- 
Bérodoie,  I»  z5t. 
(a>  Aaoul-llochette ,  CoL  Gm^^  in,  i^ 


ILE  BX  TtXIÉQOS. 


«48 


les  araienl  MNitano  riasiirreetioii  des 
nlles  da  continent,  auxquelles  let  uoie- 
ssieDt  tes  Mens  de  leurs  amphietyosies. 
Lm  îles  échappèrent  à  la  conquête  de 
i^njs,  qulBe  possédait  point  de  mariiie  ; 
nais  leur  liberté  suocomba  après  la 
Kitaille  de  Lada ,  oè  les  Perses  furent 
moqueurs.  Darius  arait  à  sa  disposition 
es  forces  de  Ja  marine  phénicienne.  Il 
ixistait  une  antique  riralité  entre  les 
PfoéntcieDset  lesGrees,  qui  se  disputaient 
jppuis  tant  de  sièeles  le  commerce  de  la 
Méditerranée.  GrâceàcesdirisionSt  les 
Perses ,  nation  purement  continentale, 
mrent  assuiettir  et  contenir  l'un  par 
l'autre  ces  deux  peni^es  commerçants* 
l^uand  la  révolte  de  rlonie  eut  été  corn- 
^mée  (408),  la  flotte  des  Perses  se 
répandit  sur  les  côtes  d'Asie,  et  enre- 
lappa  toutes  les  Sporades.  Ténédos  fut 

E:ise  dans  ce  grand  coup  de  filet  (1). 
Ile  sDivit  Xonès  dans  son  expédition 
contre  les  Grecs  et  fournit  son  contîn* 
Kent  dans  les  quarante  nawes  que  hii 
nvvoyèrent  les  Éoliens  asiatiques  (2). 
Après  les  batailles  de  Salamine  et  de 
Hyeale,  eHe  ftt  naxtie'de  l'empire  mari- 
time fondé  par  les  Athéniens,  qui  bien- 
lét  comprit  nnllo  citésde  l'Europe^de  l' A- 
lie  et  des  Iles.  Ces  villes  étaient  de  trois 
Mortes  :  t^  les  villes  sujettes,  2*  les  villes 
alliées  riescokmies.  Ténédos étaitdela 
première  classe^  et  fut  assujettie  à  un 
tribut  (3).  (Test  sans  doute  à  cetteépomio 
9^e  se  rapporte  la  médaille  de  Ténédos 
où  Ton  voit  reropreinte  d'une  chouette. 
IfsTénédiens  vestèrent  fidèlesaux  Athé- 
"i^Bs  pendant  toute  la  guerre  du  Pélo- 
ponnèse; ils  leur  dénoncèrent  la  révolte 
de  Lesbos ,  ils  fournirent  des  oontingents 
pour  l'expédition  de  Syraeuse.  Soumise 
a^  Lacédémoniens  après  la  chute  d'A- 
Inènes,  T^iédos  rentra  dans  la  con- 
fédération athénienne  en  378.  Sparte, 
joi  avait  alors  sur  les  bras  à  la  fois 
]nèbf s  du  côté  de  la  terre  et  Athènes 
»Q  e^é  de  la  mer,  perdit  son  double 
^pire  continental  et  maritime.  Dans  ce 
[^Oit,  Ténédos  fut  ravagée  par  Nico- 
^^^  lieutenant  du  Spartiate  Antal- 
^as,  qui  tira  de  cette  lie  une  grosse 
^ntribution.  Les  généraux  athéniens 


0  Hérodote,  VI,  3i. 
WDiod.Siciil;.XI,  3. 
P)Thucy«de,vn,67, 


aeeonmrent  de  Tbasu&et  de  Samotbrace 
pour  la  seeoiHrir  (1);  mais  ils  ne  purent 
arriver  à  temps  :  Nicoloque  avait  resagné 
Abjdos,  après  avoir  fait  aux  insulaires 
tout  le  mal  qu'k  avait  pu. 

Déjà  affaiblie  par  la  guerre  sociale 
(368)  (2),  la  domination  d'Athènes  sur 
les  tl^  d'Asie  fut  tout  à  fait  renversée 
par  les  pipgrès  de  la  Macédoine  et  l'expé* 
dition  dfAraxandre  en  Asie.  Les  Téné- 
diens  se  donnèrent  à  ce  prince,  etco»« 
sacrèrent  des  stèles  en  son  honneur. 
Pendant  la  diversion  que  le  Rbodien 
Memnon  lit  dans  la  mer  Egée ,  pour  la 
replacer  sous  l'autorité  du  grand  roi, 
T^iédos  fut  reprise  par  les  Perses  (3). 
La  mort  de  Memnon  fit  éeliouer  cette 
tentative ,  si  habilement  conçue ,  et 
Alexandre  apprit  en  Egypte  que  Té- 
nédos ,  qui  n  avait  cédé  aux  Perses  qu'à 
contre-ceeor ,  s'était  replacée  sous  sa 
domination  (4). 

11  est  difficile  de  dire  précisément 
quelle  fut  la  condition  de  Ténédos  peu* 
dam  les  conflits  suscités  par  l'ambition  et 
les  rivalitésdes  successeurs  d' Alexandre. 
Gbmme  la  plupart  des  tles  de  la  cdto 
d'Asie ,  elle  parvint  sans  doute  à  eon» 
server  sa  liberté  civile  et  intérieure,  tovl 
en  subissant  le  patronage  des  rois  qui 
s'emparèrent  successivement  de  la  domi- 
nation des  contrées  occidentales  de  l'Asie 
Mineure,  l.es  Séleucides  d'abord ,  et  en-^ 
suite  la  dynastie  de  Pergame.  Au  temps 
où  les  Romains  commencent  à  se  mêler 
des  affaires  des  Grecs  asratiaues,  Té- 
nédos parait  entraînée  dans  le  raoure- 
ment  général  qui  portait  ceux-ci  vers  un 
peuple  dont  ils  attendaient  leur  déli- 
vrance. Il  est  plus  d'une  fois  fait  mention 
de  cette  lie  dans  les  guerres  maritimes  par 
lesquelles  se  prépara  la  chute  des  dynas- 
ties de  Macédoine  et  de  Svrie  (5).  Sa 
position  y  attirait  souvent  les  escadres 
des  puissances  belligérantes,  et  son  port 
recevait  continuellement  les  navires  des 
Romains,  des  Rhodiens  et  des  rois  de 
j^ergame. 

Après  la  formation  de  la  province 

^i)  Xénopli.,  Hellen,,  Y,  i. 
(a)  Voyez  plus  haut,  p.  iio. 
(3)  Arrien  ,  £xp,  d'AL,  II ,  a ,  a. 
(4)Id.,  7^/^.,  m,a,  3. 
(5)  Polybe,  XVI,  34 ,  i  ;  XXVII ,  6 ,  i5  ; 
Xite-Live,  XXXI,  i6;  XUY,  98. 


U4 


L'UniTEBS.       l 


d'Asie  (t29),  Ténédosfutàla  dispontioB 
des  Romains,  qui  ne  lui  laissèrent  qu'une 
ombre  de  liberté.  Yerrès,  qui  dévasta 
tout  Tarchipel,  comme  un  pirate,  ex- 
torqua aux  Ténédiens  des  sommes  d'ar- 
Î;entcoDsidérables,  et  leur  enleva,  malgré 
eurs  supplications  et  leur  désespoir, 
la  statue  ae  Ténès ,  héros  fondateur  de 
leur  cité ,  qui  était  un  ehef-d'qeuvre  de 
sculpture  (1).  C'est  près  de  Ténédos 

?ue  peu  de  temps  après,  en  73  avant 
.-C,  LucuUus  détruisit  une  partie  de  la 
flotte  que  Mithridate  envoyait  en  Italie 
au  secours  de  Spartacus  (2),  et  dont  il 
acheva  le  reste  auprès  de  Lemnos  ;  ex- 
ploit que  Gicéron  célèbre  en  termes  ma- 
gnifiques. On  sait  encore  par  Cicéron 
que  les  Ténédiens  adressèrent  des  récla- 
mations à  Rome  pour  obtenir  le  maintien 
de  leurs  immunités,  souvent  violées  sans 
doute  par  les  gouverneurs  romains, 
comme  le  prouve  la  conduite  de  Verres* 
«  La  liberté  des  Ténédiens,  dit-il  dans 
une  lettre  à  Quintus ,  a  donc  été  tran- 
chée à  la  ténédienne,  par  la  hache! 
^cepté  Bibuius  et  moi,  Calidius  et  Fa- 
vonius,  personne  n'a  dit  un  mot  pour 
eux  (8).  »  Cette  allusion,  suffisante  pour  le 
frère  de  Cicéron,  qui  était  au  courant  des 
affaires  de  Ténédos,  est  incomplète  pour 
nous,  et  nous  laisse  incertains  sur  la  dé- 
cision prise  par  le  sénat  au  sujet  des 
réclamations  de  cette  cité.  Mais  peu  im- 
porte notre  ignorance  sur  ce  point  :  la 
sujétion  de  Ténédos  nous  apparaît  ici 
tout  entière,  et  bien  longtemps  avant 
d'être  déclarée,  avec  les  autres  îles ,  sous 
Vespasien,  province  de  l'empire,  Té- 
nédos était,  comme  elles,  à  la  discrétion 
du  peuple  romain,  devenu  par  sa  politique 
et  ses  armesle  protecteur  et  le  maître  de 
tous  les  Grecs  du  continent  et  des  îles. 
TÉRSDOS  àpuès  l'sbe  chbbtienne. 
—  Le  premier  évéque  connu  de  Ténédos 
est  Diodore  ou  Dioscore,  qui  assista  au 
concile  de  Sardique  (347),  assemblé  sous 
la  protection  de  l'empereur  Constant,  et 
où  l'on  condamna  l'arianisme.  Au  siècle 
suivant  A  nastase,  évéque  de  Ténédos,  se 
signale  par  son  zèle  à  combattre  l'héré- 
sie de  Nestorius,  qui  distinguait  en  Jésus- 
Christ  deux  personnes  comme  deux  na- 

COCic,  re/r.,  I,  19. 

(a)  Id.,  Pro  Mm\^  ià;pro  uirck.^  9, 

i?)là.^Qd  Quint,,  n^  ïi. 


tares ,  et  niait  i'ànion  substantielle  de  h 
divinité  et  de  l'humanité  dans  le  Sauveur. 
Au  concile  de  Chaicédoine  (4i»i ,)  qui  con- 
damna Ëutyehès,  auteur  de  l'hérésie  des 
monophysites ,  parah  l'évêque  Floreo- 
tius,  dontla  juridiction  s'étendaità  la  fois 
sur  Ténédos,  Lesbos,  et  d'autres  Églises 
voisines  (I).  Ce  diocèse  dépendait  de  h 
province  ecclésiastique  de  Rhodes. 

Au  sixième  siècle,  l'empereur  Justinien 
fitconstruire  à  Ténédos  un  magasin  pour 
y  déposer  les  blés  apportés  d'Alexandrie, 
lorsque  les  vaisseaux  qui  en  étaient 
chargés  seraient  arrêtés  par  les  veau 
contraires  à  rentrée  de  l'Hellespoot.  Ce 
magasin  était  un  vaste  bâtiment  de  deui 
cent  quatre-vingts  pieds  de  long  sur  qua- 
tre-vingt-dix de  iaige.  Par  ce  moyen  les 
cargaisons  faites  dans  les  ports  d'Eg}'pte 
risquaient  moins  de  se  perdre,  et  le 
grain  se  conservait  sans  avarie  jusqu'à 
ce  i|u'U  pût  être  transporté  aaos  la 
capitale. 

Dans  la  suite,  Ténédos  éprouva  dif- 
férentes vicissitudes  pendant  les  troubles 
du  Bas-Ëmpire.  Elle  rutsouventsaecagé; 
par  les  pirates  qui  infestèrent  si  long- 
temps l'Archipel  ;  les  Arabes  ne  l'épar- 
gnèrent  pas  dans  leurs  courses  vies  Véni- 
tiens s'en  emparèrent  après  la  quatrième 
croisade  ;  Vataoe  la  leur  reprit.  Kile  fut 
ensuite  exposée  aux  incursionsdes  Turcs, 
qui  sous  le  rè^ne  d'Othman,  en  1307, 
commencèrent  a  dévaster  toutes  les  ile» 
de  la  Méditerranée ,  depuis  le  Bosphore 
jusqu'au  détroit  de  Gibraltar  (3). 

I^Iéanmoins  Ténédos  resta  iusqu'afi 
quinzième  siècle  au  pouvoir  des  chré- 
tiens. En  ia$3,  Jean  Paiéologue  P^ 
chassé  de  Constantinople  par  Jean  Can- 
tacuzène,  se  réfugia  dans  rUe  de  T^ 
nédos  avec  son  second  fils.  Manuel,  et  sa 
femme,  Hélène.  Cantacuzèneavait  résote 
de  dépouiller  les  Paléologues  et  d^assurer 
le  trône '>à  sa  maison,  u  fit  proclamer 
empereur  son  fils  Matthieu  ;  mais  ii  fal- 
lait qu'il  fût  couronné  par  le  patriarclM 
de  Constantinople,  et  l'on  eonnaissait 
rattachement  de  Calliste  au  jeune  Paiéo- 
logue. ^Néanmoins ,  Cantacuzène  essaya 
de  le  ffagner  ;  il  lui  envoya  une  dépota- 
tion,  dont  faisait  partie  Josèphe,  évéoue 
de  Ténédos.  Mais  rien  ne  put  ébranler 

(i)  Lequien,  Or.  CttrisL,  1. 1 ,  col  948. 
(9)  Hammeri  HUl,~d€4  O/^om.,  t,I,p-92 


ILE  DE  TÉNÉDOS. 


S45 


CaJIiste.  «  PoMqiMTOOsètes  n  opioifltre, 
loi  dît  révéqtie  d*Aino8,  il  ne  reste  plus 
ju'à  oommer  un  autre  patriarche. — C'est 
lout  ce  que  je  souhaite ,  répliqua  avec 
rivacrté  Tinflexible  prélat.  »  Calliste 
fat  déposé  par  une  assemblée  d'évéques 
lévoués  à  Cantacuzène;  car  cette  Église 
grecque,  qui  ne  voulait  pas  se  réunir 
lu  saint-fiiége,  était  à  la  merci  du  pou* 
roir  temporel.  Le  patriarche  déposé  se 
«tira  à  Téoédos,  auprès  du  inrince  pour 
equet  il  s*était  sacriué. 

Deux  ans  après,  Jean  Paléologue  ren- 
irait  triomphant  à  Constantinople,  et 
ilantacuiène  s'enfermait  volontairement 
iaos  un  monastère  (1866).  En  quittant 
réoédos,  Paléologue  en  avait  confié  le 
{OU  vemement  à  un  Italien  appelé  Martin. 
Dr,  les  Grecs  voyaient  avec  jalousie  les 
Latins  s'établir  dans  leur  Hé  et  y  devenir 
^ios  riches  et  plus  puissants  qu'eux. 
L*un  des  principaux  Grecs  deTénédos, 
Perçamène, engagea  ses  compatriotes  à 
ie  révolter  contrerempereur  pour  se  dé< 
Mirrasser  des  Latins.;  Au  premier  bruit 
ie  cette  conspiration,  Jean  Paléologue 
iquipa  plusieurs  oilères,  et  fit  voile  vers 
réoedos.  Dès  qu  il  parut ,  tout  rentra 
ians  Tordre;  les  habitants  seaoumirent, 
it  livrèrent  Pergamène,  que  Tempereur 
iovoya  à  Thessalonique  pour  y  être 
enfermé  dans  une  étroite  prison.  Jean 
Paléologue  resta  dans  Tile  pendant  quel- 
lue  temps,  pour  y  éteindre  iusqu^aux 
lemières  étincelles  de  la  rébellion  (1). 

Cependant  ces  dissensions-des  princes 
^ecs  avaient  favorisé  les  progrès  des 
furcs.  Cantacuzène  les  avait  appelés 
m  Europe  :  ils  dominaient  sur  les  deux 
rives  de  l'Hellespont;  le  commerce  des 
Italiens  était  menacé  de  perdre-  ses 
roies  de  communication.  Les  Vénitiens 
voulaient  au  moins  s'assurer  Ténédos, 
qui  était  à  la  fois  un  rempart  contre  les 
lures  et  un  établissement  très-propre 
à  protéger  leur  commerce  dans  l'Ar- 
cbi  pel  et  dans  |9  mer  Noire.  Ils  chargèrent 
Nicolo  Faliero,  leur  bayle  ou  consul  à 
Constantinople,  de  proposera  l'empereur 
de  leur  céder  Ténédos.  Mais  Jean  Pa* 
léologue  ne  voulut  point  consentir  à 
cette  cession ,  quelque  avantageuses  ^ue 
dissent  les  offres  qui  luv  furent  faites 

(i)  LebMQ,  Hi$t.  duBtu^Empire,  h  CXIV, 
L  XX,  p^  S26. 


(1364);  mais  peo  de  temps  après  il  se 
vit  forcé  d'abandonner  cette  tfe ,  sans 
compensation.  Renversé  du  trône  par 
une  révolte  de  son  fils  Andronic,  et 
jeté  en  prison ,  Jean  Paléologue  s'était 
adressé  pour  trouver  les  moyens  de 
recouvrer  sa  liberté  au  Vénitien  Carlo 
Zeno.  Venise  était  particulièrement  inté- 
ressée à  cettedélivrance  ;  car  la  rébellion 
du  jeune  Andronic  était  soutenue  par  les 
Génois ,  dont  elle  favorisait  les  intérêts 
commerciaux  (1877).  Pour  stimuler  le 
zèle  de  Carlo  Zeno,  l'empereur  captif  lui 
envoya  un  diplôme  signé  de  sa  main , 
par  fequel  il  cédait  aux  Vénitiens  cette 
Ile  de  Ténédos,  dont  ils  convoitaient  la 
possession  depuis  si  longtemps,  et  qu'il 
avait  refiisé  de  leur  vendre  à  des  condi- 
tions avantageuses.  Il  y  avait  alors  à 
Constantinople  ime  escadre  de  dix  ga- 
lères, chargée  d'escorter  le  convoi  des 
marchandises  de  la  mer  Noire  et  com^ 
mandée  par  Marc  Justiniani.  Dès  que 
Carlo  Zeno  lui  eût  remis  la  concession 
impériale,  Justiniani  se  hâta  de  cingler 
vers  Ténédos.  L'officier  grec  qui  com- 
mandait dans  rtle  ne  fit  aucune  difficulté 
de  la  livrer,  en  voyant  la  si^ature  de 
l'empereur  son  maître.  Justiniani  établit 
dans  la  capitale  de  l'ile  une  forte  gar- 
nison; puis  il  remit  à  la  voile  pour 
Venise.  Le  sénat  vénitien  fit  équiper  des 
renforts,  et  décida  que  Carlo  Zeno  et 
Antonio  Venieri  seraient  chargés  du 
gouvernement  et  de  la  défense  de  cette 
importante  acquisition. 

Cependant  les  Génois  de  Galata,  ap- 
prenant ce  qui  venait  de  se  passer,  en 
conçurent  de  vives  inquiétudes:  Us  sen- 
taient que  les  Vénitiens,  devenus  maîtres 
dé  Ténédos ,  pourraient  profiter  de  la 
position  de  cette  tie  pour  leur  intercepter 
toute  communication ,  non*seulement 
avec  Gènes,  leur  métropole,  mais  encore 
avec  presque  toutes  les  nations  de  l'Eu- 
rope, et  que  leur  commerce  en  souffrirait 
un  préjudice  inappréciable.  Ils  se  con- 
certèrent avec  Andronic,  qui  avait  aussi 
de  vife  ressentiments  contre  les  Vénitiens. 
On  équipa  une  flotte  de  vingt-deux  ga- 
lères; Andronic  en  prit  le  commande- 
ment, et  vint  mettre  le  siège  devant  Té- 
nédos (novembre  1877).  Mais  la  bravoure 
de  Carlo  Zeno  et  de  ses  soldats  lui  fit 

Srouver  de  telles  pertes,  qu'il  fut  bien- 
t  obligé  de  se  rembarquer  honteuse* 


Z4Ù 


VXaOfEM^ 


ment  a»^  &e&»lU(és  tes  Géiiois  (1).  IUm 
ceux-ci  De  se  tinreot  pas  pour  batius; 
la  guerre  continua  entre  G  eues  et  Venise, 
et  devint  générale.  Gènes  se  dédommagea 
de  son  échec  sur  Ténédos  |^r  la  prise  de 
Famagouste;  elle  pressa  si  vigoureuse* 
ment  les  hottilités,  que  Venise  se  vit  à 
deux  doig^  de  sa  perte.  Mais  Victor  Pî* 
sani  sauva  sa  patrie  par  la  victoire  éè 
Cbioua  (1 580),  q ui  détermina  les  Génois 
à  consentir  à  la  naix.  Elle  fut  conclue  à 
Turin,  au  mois  aaoôt  U8U  sous  la  mé* 
'diation  du  comte  de  Savoie.  Par  ce  traité 
Veaise  gardait  Ténédos;  mais  elle  était 
oUigée  d*ea  dét»olir  les  fortifications. 
Ce  ae  fut  que  deux  ans  après  <|ue  oett« 
convention  de  la  paix  de  Turm  reçut 
une  entière  exécution  (3). 

Téoédoe  fut  enlevée  aux  Vénitiens  par 
Mahomet  II.  Ua  ne  désespérèrent  pas 
de  la  recouvrer.  Pendsmt  la  guerre  de 
Candie,  la  flotte  vénitienne  reparut  dans 
TArcbipeUet  s'empara  en  1655  de  Té« 
nédoe^  après  un  siège  de  quatorae  ^ours* 
L'Uellespont  lut  bloque  :  le  pnx  des 
vivres  renchérit  subitement  à  Constan* 
tinople;  Foque  de  riz  monta  à  cent  dn* 

Suante  as^s ,  et  le  prix  de  toutes  les 
enrées  suivit  une  progression  pro* 
portionnée(»>.  Les  Turcs  guipèrent  une 
ik>tte  de  treote-deux  gaières  pour  dé- 
bloquer les  Dardanelles  et  reprendre 
Téièedoe  ;  mus àdeux  reprises  diuérentes 
un  furieux  vent  du  Nord  lee empêcha  de 
prendre  trmrei»  et  ils  ne  purent  rien  faire 

(i)  Lebeau ,  Miti.  du  Bas^EmpU^,  1.  LXY, 
t. XX,  p.  4i5,  44B. 

(a)  Oa  irMive  dîns  le  sixièsM  ve)oa«  dm 
lÀbri  dei  P^m  acpt  pièeci  reblivea  à  la  dé* 
moliiioD  eu  fortificàiieii»  de  Téaédos.  Le 
tratlé  de  Tu  ris  seiri  de  baie  à  kws  ces  dor 
ciuBeoU  s  qui.  sont  publiés  dans  le  dUième 
voluine  de  ÏUisLoire  des  OUomam  de  M.  de 
Uammer,  conune  pièces  justificatives.  Le  re- 
cueil des  Libri  Pactorum  ou  Libri  comme- 
moralîum,  désigoés  plus  commuuément  sous 
les  noms  de  Paiti  ou  Commemoriali,  se  trouve 
à  Veuisey  dans  les  archives  qui  occupent  les 
dépendances  de  l^ncien  couvent  de  Santa 
Maria  gtotiosa  de^  Prtfri,  Il  se  compose  de 
neuf  vtHuines  ki-fol.  dent  Bf.  de  Mas*  Latrie 
vient  de  publier  réoemment  le  catolegue; 
Teyec  ArdwH*  det  Misdûtm  tetemtififtieê, 
jui»  xSSi. 

(î)  Hamutr,  MbêK  de*  OUom^,  X»  3g^; 
Dtpper,^sâ9. 


de  to«fie  l'aimée.  Ce  ne  fui  fu'en  16S7 
ott'ils  purent  forcer  le  Vénitien  Lore- 
dano  y  qui  défendait  la  place  avec  um 
garnison  de  sept  cents  hommes,  à  m 
rendre  à  eonipositioa.  Depuis  ce  temps 
Ténédos  ne  sortit  plus  oes  mains  dei 
Ottomans.  Les  Grecs  de  cette  ile  u 
prirent  pas  part  à  la  guerre  de  Fiode- 
peodance  i  Ténédos  resta  la  onneii^ak 
station  navale  des  Turcs  penoant  ctttt 
guerre  ;  Okais  le  9  oovemmre  1S23  W« 
flotte  y  fut  Incendiée  par  Canaris. 

«  Nous  étions  deux  brûlots  poiurro- 
pédition  de  Ténédos,  dirait  Canaris  iub 
capitaine  ai^lais^ui  hnterrogieit  sur  ort 
exploit ,  un  Urfdriote  eS  moi.  Les  gard^ 
«tteede  Ténédos  nous  voieet  sansilé- 
fiance  doubler  un  des'caps  de  Vile.  Koot 
Mortions  pavillon  turc,  et  poraissiofli 
inir  la  poursuite  de  ^luélques  bâiiaieiii 
grecs.  Obligée  de  passer  entre  la  tcni 
et  lee  vaisseaux  turcs ,  il  ose  fut  impca^ 
sible  de  m'accroeber  oomone  la  prewieri 
fois  au  iMkseoir  de  ramiral.  Je  proêtai 
donc  du  mouvement  de  la  vague  pou 
faire  entrer  mon  beaupré  dans  la  àê 
sabords  du  navire  turc,  et  dès  quil  à< 
•insi  engegé^  j'y  mis  le  feu  en  criaol 
aux  Ottomans  :  Comuâ,  voits  V9ik 
brûlés  comme  à  CMos  l  La  terreur  « 
répandit  aussitôt  parmi  eux;  fortba* 
reusemeot,  car  mon  brûlot  ne  s*ctaM 
pas  bien  enflammé ,  je  remontai  à  bon 
pour  y  mettre  «ne  seconde  fois  le  fe«« 
et  je  pus  me  retirer  dane  mon  eioâl 
•ans  aucun  danger,  car  ils  ae  tirèM 
pas  même  un  ooun  de  fusil.  »  Le  va* 
eeau  amiral  s'embrasa  avec  une  tris 
rapidité,  que  de  plus  de  deux  iniu 
bonraiea  gui  le  montaient»  le  eapit» 
pacha  et  une  trentaine  dû  siens  pi^ 
vittrent  seuls  à  se  déteber  »  la  nMt 
Cependant,  le  second  brûlot»  cofluBas^ 

Kr  mydriote  Cyrtaque,  mettait  lefcsi 
MA  des  [dus  gras  navires  de  la  fiott 
turque;  les  camma,  qui  s'échaoIiefiM 
tirent  suceesBivementouparberdèo,^ 
qnd^ues^una,  efaargée  de  boulets  et  d> 
bus,  nropa^ent  rhacendie.  Les  sol^Q 
delà  iorterease,  eroyant  les  Grecs cef* 
dans  le  pert  de  Ténédos,  canoimeat  ir* 
vaisseaux  musulmans.  Ceiix-«i  aort^i' 
confusément  de  la  rade,  sebrisaBt,  sto- 
cendiant  les  uns  les  autres.  Dans  * 
canal  de  Ténédos,  ils  sont  assaillis  i^ 
une  violente  tempête.  Pendant  qM"^ 


ILES  Dfi  liA.  FAQPOIfTIDE* 


M7 


ruits  ie  dâ>attttiail  au  miiiea  de» 
laiume^et  dea  floU»  les  équipages  des 
irdlote ,  formant  un  total  de  dix-sept 
lommes^  assistaient  à  la  destruction  dd 
•à  Qotte  du  sultan.  Les  deux  vaisseaux 
ncendiés  par  les  bràlots  sautèrent  avec 
iD  é|K>uvanlatle  fracas;  deux  frégates  et 
mecorvetto,  abandonnées  de  leurs  équir 
fages,  fuient  ea^KU^tées  par  les  courants 
us^u'aux  atteifagjBs  de  Paros;  d^autres 
lénrent,  corps  et  biens  ;  deux  autres 
régates  et  douze  bricks  firent  cote  sur 
es  plages  de  la  Troade.  «  0  Ténëdosl 
'eoédos!  s'écrie  Pouque?ille(l],  s'exaU 
aat  par  le  récit  de  cette  œuvre  de  de&> 
rocUon,  ton  «ocn  rendu  célèbre  par  la 
vre  d'Homère  «t  da  Virgile,  ne  peut  plus 
Ire  oublié  qm»d  on  parlera  de  la  gloiro 
les  enfants  des  Grecs.  »  Quant  au^  Grecs 
le  Ténédos,  ils  restèrent  entièrement 
traa|;ers  à  oetaathousiasme«  et«e  bou- 
:èreut  pas  plus  qu'auparavant.  Leur  Uft 
lemeura  sous  la  domination  des  Turcs. 

(i)  UUi.  de  la  Régêiiêration  de  la  Grèce^ 
.  iX»«.  I,  LiVy  p«sai. 


Lorsque  MM.  Michaud  et  Poviioulat  visi* 
tèrent  l'Orient*  en  1830,  ils  trouvèrent 
les  Ténédiens  très-satisfaits  de  leur  con- 
dition» a  Les  Grecs  de  Ténédos  ne  res« 
semblent  point  à  ceux  aue  nous  avions 
TUS  sur  les  côtes  d'Asie;  la  révolution  de 
Morée  ne  les  occupe  point;  ils  paraissent 
plus  tranquilles  et  plus  heureux.  II  v  a 
quelques  mois  que  la  Porte  a  mande  à 
Stamboul  quatre  primats  de  Ténédos, 
pour  savoir  si  les  Grecs  avaient  des 
plaintes  à  former;  les  primats  ont  ré* 
pondu  que  la  population  grecque  de  Ttle 
était  contente  du  gouvernement  (IX  » 
Ces  gena-là>  du  resta»  sont  fort  pauvresi. 
Ils  n'ont  aucun  genre  d*industrie;  ils 
vivent  du  commerce  da  leur^  vins*  et 
quand  leurs  vendantes  sont  finies,  ils 
n'ont  plus  rien  à  faire ,  et  ils  passent 
leur  temps  au  café.  Mais  enfin  si  cbétive 
que  soit  leur  existence,  ils  ont  le  bon 
esprit  de  s'en  contenterv  et  cela  vaut 
mieux  pour  leur  bonheur  que  toutes  lei 
richesses  qju'ils  n'ont  pas. 

(x)  CorrcsfK,  d'Orient  y  \,  llï,  a68. 


ILES  DE  Là  PROPONTIDE. 


Après  Ténédos,  si  Ton  se  dirige  v<ev8 
e  Nord,  en  longeant  la  Troade,  ob 
vcrçoit  sur  la  gauche  un  petit  groupe 
nifs  basses,  que  les  anciens  appelaient 
es  Calydoos  ou  les  Laguses ,  et  que  les 
ieiUes  cartes  marines  d^i^naient  sous  le 
KMu  d'îles  Mavarea,  Maona,  ou  Maoros. 
'M%  sont  nommées  dans  des  cartes 
tilis  réeentes  Taoueban*Adassi  ou  ties 
^  Lapins,  traduetion  du  nom  de  La* 
nses,  qoe  les  anciens  leur  avalent 
ioooé  peur  désigner  les  seuls  babi*» 
sols  qu*on  y  trouve  (1).  «  Puis  THelles- 
KMt  prend  son  essor;  la  mer  presse  la 
erre ,  battant  de  son  flot  tourbillonnant 
a  barrière  qui  l'arrête,  et  arrachant 
lùirope  dur  Asie  »  (»).  L^Hellespont  est 
!e  détroit  qui  met  en  communication  la 

(0  Dapper,  Description   de  t  Archipel, 
(>;  Plin.,  Misi.  NaL»  V,  4«,  U 


m«r  Egée  et  la  Propontidc ,  autrement 
dites  l'Arcbipel  et  la  mer  de  Marmara. 
On  rappelait  encore  détroit  de  Gallipoli, 
ou  bras  de  Saint-Georges  ;  mais  aujour- 
d'hui on  le  désigne  commuDément  par 
le  nom  do  détroit  des  Dardanelles.  A 
l'entrée  <lu  détroit  sont  les  caps  Sigée  en 
Asie,  et  Mastusia  en  Cliersonèse  de 
Tbraee,  aujourd'hui  cap  Janissari  et  eap 
Grego.  Plus  loin ,  le  détroit  se  resserre 
et  la  e^te  d'Asie  projette  vers  l'Eurooe  le 
cap  Trapesa,  aujourd'hui  eap  Berbief, 
sur  lequel  était  située  la  ville  d'Abydos, 
vis-à-vis  de  Sestos,  qui  occupe  la  côte 
de  Thrace.  En  cet  endroit  Vaellespont 
n'a  que  sept  stades  de  large  (  \2StS  mè- 
tres) (1).  Cétuit  là  que  s'e£fectiiait  ord*- 
naireineot  du  temps  des  anciens  le 
passage  d'Europe  en  Asie;  c'est  là  que 
Xerxès  établit  ce  pont  de  bateaux  sur  le- 

(i)  Plin.,  Mist.  Nai.,  IV»  <$,  it.^ 


348 


L'UNIVERS. 


3uel  son  immense  armée  franchit  ce  bras 
e  mer  qu'il  a  appelé  si  justement  une 
rivière  salée.  Les  anciennes  Dardanelles 
occupent  l'emplacement  de  Sestos  et 
d'Abydos.  Plus  tard  à  l'entrée  du  détroit, 
sous  Mahomet  IV,  au  milieu  du  dix- 
septième  siècle,  les  Turcs  construisirent 
les  nouvelles-Dardanelles,  ou  château 
d'Europe  et  château  d'Asie,  afin  de 
compléter  là  défense  de  ce  détroit  qui 
ouvre  aux  flottes  ennemies  le  chemin  de 
Gonstantinople.  En  1717  Alexis  Orloff, 
qui  venait  de  brûler  la  flotte  des  Turcs  à 
Tchesmé  et  de  détruire  le  château  de 
Ténédos,  voulut  forcer  les  Dardanelles. 
Elles  furent  défendues  par  un  Français, 
le  baron  de  Tott,  qui  ht  élever  de  nou« 
velles  fortifications  sur  les  deux  rives  du 
détroit.  Néanmoins  tous  ses  travaux 
de  défense  sont  réputés  peu  formidables'; 
et  c'est  dans  le  droit  des  gens  et  dans  la 
politique  du  système  européen,  qui  in- 
terdit le  détroit  aax  navires  de  guerre , 
que  réside  la  vraie  garantie  de  Tinviola- 
bilité  des  Dardanelles. 

Les  rives  de  l'Hellespont  présentent 
une  suite  d'admirables  points  de  vue. 
«  Rien  n'est  au-dessus  de  Taspect  que 
nous  avions  le  soir,  dit  Dallaway ,  du 
lieu  où  notre  vaisseau  était  à  l'ancre ,  et 
d'où  nous  voyions  les  deux  châteaux 
opposés.  L'air  était  doux  comme  dans 
le  printemps ,  et  les  feuilles  des  arbres 
commençaient  à  revêtir  leur  couleur 
d'automne.  Environ  une  lieue  au-dessus 
des  châteaux,  le  canal  tourne  si  con- 
sidérablement et  sa  direction  est  tel- 
lement dissimulée,  qu'on  croit  voir  un 
lac  immense  dont  les  bords  sont  garnis 
de  villes  et  de  villages  ^yec  leurs  tours 
et  leurÎB  minarets;  des  vignobles  et  des 
troupeaux  de  chèvres  sont  répandus  sut 
les  pentes  des  montagnes;  enfin  l'on 
aperçoit  tous  les  accidents  de  la  scène 
la  plus  pittoresque.  Dans  le  centre  est 
une  belle  baie,  dont  les  eaux  semblent 
enfermées  par  le  promontoire,  de  sorte 
qu'on  n'aperçoit  pas  qu'elles  débouchent 
dans  la  mer  de  Marmara.  En  cet  endroit 
l'épithète  de  large  Hellespont,  qu'Ho- 
mère donne  au  détroit,  peut  n'être  pas 
considérée  comme  une  licence  poétique, 
surtout  si  on  l'entend  d'une  largeur 
relative  et  coqaparée....  A  mesure  que 
le  vent  nous  âvorisait,  nous  avancions 
dans  notre  voyage.  Nous  observions  que  ' 


la  côte  d'Asie  était  la  mieux  cultivée  et 
la  plus  agréable  pour  la  variété  de  la 
verdure  et  la  beauté  de  ses  contours 
formés  en  ouelque  sorte  par  les  racines 
du  mont  laa  se  prolongeant  jusqu'à  h 
mer  (I).  » 

Voici,  selon  Pline,  quelles  sont  Ie> 
îles  de  la  Propontide.  «  En  face  d^ 
Gyzique ,  Élaphonnesus ,  d'où  vient  k* 
marbre  de  Gyzique,  appelée  aussi  Nébris 
et  Proconnesus;  puis  Ophiuse,  Âear- 
thus,  Phœbé,  Siîoçelos,  Porphyrior? 
Halone  avec  une  ville;  Delphada,Pf- 
lydora,  Astacœon,  avec  une  ville;  — 
en  face  deNicomédie,  Démon  nésos;  au 
delà  d'Héraclée,  en  face  de  la  Bithj-nie. 
Thynias,  que  les  barbares  appellent 
Bithynia;  Antioohia  en  face  de  rile  h 
Rhyndacus,  Besbicus,  de  dix-huit  miiie 
pas  de  tour;  Élaea,  les  deux  Des  Rbc* 
dussa,  ÉrébinthodeSt'Mégaié,  Chalcitb. 
Pityodes  (2).  » 

ÎLE  DB  PBOGONIfSSB. 

De  toutes  ces  îles,  dont  plosiears  sooi 
aujourd'hui  inhabitées,  ounliëes  et  s^iu 
nom,  la  plus  considérable  est  raoeieobf 
Procoonese,  qi^e  l'on  appelle  maiDteoaal 
Marmora  ou  Marmara.  Scylax  distiogst 
Proconnèse  d'Elaphonèse,  llevoisinf, 
plus  petite  et  plus  rapprochée  de  ii 
côte.  Strabon  signale  deux  Proconnèse. 
l'ancienne  et  la  nouvelle,  mais  on  cf 
sait  pas  bien  s'il  entend  parler  de  àm 
villes  OU'  de  deux  Iles  différentes  {Z\ 
Quoi  qu'il  en  soit,  l'Ile  «ctnelle  de  Ùas^ 
mara  est  située  à  l'entrée  de  la  Propofi* 
tîde,  à  qui  elle  a  donné  aujourd'hui  sot 
nom  ,  et  se  présente  sur  la  droite  au  rt- 
vigateur^ui  débouclie  des  Dardaneiie. 
comme  une  masse  de  rochers  escarpée 
Cette  île  est  assez  fertile,  mais  peu 
habitée.  Elle  était  renommée  dans  fai- 
tiquité  pour -ses  abondantes  carrièns^ 
marbre,  qui  fournirent  à  laconstnietkc 
de  tant  d'édifices  (4),  et  d'où  on  tira  tout 
le  marbre  qui  fut  employé  dans  les  m.' 
numents  de  Gonstantinople. 

Au  septième  siècle  avant  l'ère  r brr 
tienne ,  Proconnèse  reçut  une  colo&- 

(i)  Dallaway,  Constantinople,  etc.,  H,  i' 
(a)Plin.,  V,44. 

(3)  Strab.,  XIII;  Taucbn.,  m,  93. 

(4)  PUn..  KXXVI,  6;  XXXVU,  7a 


ILES  DE  LA  PftOPONTIDE. 


849 


niilésHmiie,  eofliaie  tottles  les  villes 
il^s  côtes  voisines ,  Cyzique,  Priapus, 
Abydos,  Pereote,  etc.  Plus  tard  elle  fut 
:»cciipée  par  une  oolonie  athénienne,  dont 
rétablissement  nous  est  attesté  par  le 
^rand  £tymologue  (I).  Après  la  repres- 
iion  de  la  révolte  des  Ioniens ,  Pto* 
.^oDoèse  fut  prise  et  brûlée  par  les  Phé* 
liciens  de  la  flotte  de  Darius  (2).  Après 
a  guerre  mëdique ,  elle  fit  partie  de 
empire  maritime  des  Athéniens;  mais 
M>Q  histoire  se  perd  au  milieu  des  événe- 
Qents  généraux  de  Thistoilre  grecque. 

Proeonnèse  est  la  patrie  d*Aristée, 
)oëte  épiqoe  qui  avait  voyagé  chez  les 
>eythe8  et  qui  avait  composé  un  poëme  en 
ruis  livres  sur  la  guerre  des  Arimaspes 
ivec  les  Gryphons,  peuples  du  Nord  de 
T.arope  au  sujet  desquels  Aristée  dé- 
)ita  et  accrédita  beaucoup  de  fables. 

Aristée  de  Proeonnèse,  nls  de  Cays- 
Tobius,  dit  Hérodote  (3),  écrit,  dans  son 
;oeme  épique ,  qu'inspiré  par  Phébus., 
i  alla  jusque  chez  les  Issédous  ;  qu'au- 
les<;us  de  ces  peuples  on  trouve  les  Ari* 
naspes,  qui  n'ont  qu'un  œil;  qu'au  delà 
oDt  lesGryphons  qui  gardent  For,  etc... 
)n  a  vu  ae  quel  pays  était  Aristée, 
ijoute  l'émiaent  conteur,  mais  je  ne 
fois  pas  passer  sous  silence  ce  que  j'ai 
>'iï  raconter  de  lui  à  Proeonnèse  et  à 
>zique.  Aristée  était  d'nne  des  meil- 
eures  familles  de  son  pays;  on  raconte 
(Q'il  mourut  à  Proconnèsié,  dans  la  bou- 
iqae  d*on  foulon  où  il  était  entré  par 
)a<nrd;  que  le  foulon  ayant  fermé  sa 
H)titique,  alla  sur-le-champ  avertir  les 
^irents  du  mort  ;  que  ce  bruit  s'étant 
bientôt  répandu  par  toute  la' ville ,  un 
>zicénien,qui  venait  d'Artacé,  contesta 
"pUe  nouvelle,  et  assura  qu'il  avait  ren- 
contré Aristée  allant  à  Cyzique  et  qu'il 
ui  avait  parlé  ;  que  pendant  qu'il  sou« 
enait  son  dire  avec  force,  les  parents  du 
nort  se  rendirent  »la  boutique  du  foulon 
iree  tout  ee  qui  était  nécessaire  pour 
wrter  le  défunt  an  lieu  de  la  sépulture  ; 
nais  que  lorsqu'on  eut  ouvert  la  maison, 
m  ne  trouva  Aristée  ni  mort  ni  vif; 
iue  sept  ans  après  il  reparut  à  Pro- 
'onnèse ,  il  y  fit  ce  poëme  épique  que  les 
jrees  appellent  mamtenant  Arimaspiest 

(()  Raoul  Rochette,  CoL  Grec^  lU,  a54. 

(î)  Hérodote,  VI,  33. 

[i]  Id.,  IV,  i3,  mw.;  Plul.,  Rom.^  aS. 


et  qu'il  disparut  pour  la  seconde  fois.  » 
Ce  n'est  pas  tout,  trois  cent  Quarante 
ans  après  cette  seconde  disparition, 
Aristée  vivait  encore,  et  Hérodote  re- 
trouva la  trace  de  son  passage  chez  les 
Grecs  d'Italie.  «  Les  Mélapontins  con- 
tent, dit-il,  qu'Aristée  leur  ayant  apparu 
leur  commanda  d'ériger  un  autel  à 
Apollon,  et  d'élever  près  de  cet  autel 
une  statue  à  laquelle  on  donnerait  le  nom 
d'Aristée  de  Proeonnèse;  qu'il  leur  dit 
qu'ils  étaient  le  seul  peuple  des  Italiotes 
qu'Apollon  eût  visité  ;  que  lui-même,  qui 
était  maintenant  Aristée,  accompagnait 
alors  le  Dieu  sous  la  forme  d'un  corbeau, 
et  qu'après  ce  discours  il  disparut.  Les 
Métaix>ntins  ajoutent  qu'ayant  envoyé  à 
Delphes  demander  au  Dieu  quel  pouvait 
être  ce  spectre,  la  Pythie  leur  avait  or- 
donné d'exécuter  ce  qu'il  leur  avait  pres- 
crit, et  qu'ils  s'en  trouveraient  mieux;  et 
gue  sur  cette  réponse,  ils  s'étaient  con- 
tormés  aux  ordres  qui  leur  avaient  été 
donnés.  On  voit  encore  maintenant  sur 
la  place  publique  de  Métaponte,  près  de 
la  statue  d'Apollon,  une  autre  statue  qui 
porte  le  nom  d'Aristée,  et  des  lauriers 
qui  les  environnent.  Mais  en  voilà  assez 
sur  Aristée.  » 

Ce  fut  pendant  le  moyen  âge  que  Pro- 
eonnèse prit  le  nom  de  Marmara  ou 
Marmora,  qu'elle  donna  aussi  à  la  Pro- 
pontide.  On  a  pensé  qu'elle  fut  ainsi  ap- 
pelée à  cause  de  ses  carrières  de  marbre. 
Selon  d'autres,  ce  nom  lui  vint  de  Geor- 
ges Marmora,  prince  de  la  famille  des 
Comnènes,  à  qui  la  souveraineté  de  Pro- 
eonnèse fut  concédée  en  1234  par  Em- 
manuel Comnène,  despote  et  duc  de  la 
Morée.  Les  lettres  patentes  contenant 
cette  investiture  méritent  d'être  rap- 
portées. En  voici  la  traduction  telle  qu'on 
la  trouve  dans  le  livre  de  Dapper  (1). 

Emmanuel  Comnène^  par  la  grâce  du  Dieu 
tout-puissant  duc  au  Péloponnèse,  des- 
pote de  Romanie  et  défenseur  de  Tem- 
pi  re  des  Grecs  : 

Sachant  qn'il  n'y  a  rien  de  si  juste  que  de 
prendre  soin  que  ceux  qui  exécutei\t  avec 
fidélité  et  avec  lèle  les  ordres  des  Prinees  et 
4es  Rois»  et  les  servent  soivsnt  les  désirs  de 
leor  cœur,  en  soient  récompensés  par  toutes 
sortes  d'honneurs  et  de  présents  ;  et  princi- 
palement ceux  qui,  s'ex posant  à  toutes  sortes 

(i)  Deserifty  cUs  lies,  p.  49i' 


S50 


L'IiMlVERS. 


de  dangers  4«riiil  lê  eftors  d*oiie  ernellê 
guerre,  n'oaC  poial  é|nrgBé  le«  Tie,  et  oat 
pané  lear  jeunette  m  Mctice  de  leur  eoi* 
pereuf  dans  la  guerre  4|u'ii  avait  à  soutenir 
contre  des  enoemis  barbares  et  infidèles  : 
c^est  aussi  ce  que  nous  faisons,  honorant  de 

Présents  ceux  qui  nous  ont  assisté  de  tout 
mr  ponToir,  dans  la  guerre  qu'on  avait  en- 
treprise contre  nous ,  partout  oli  la  nécessité 
de  Ma  afAdrea  Ta  demaïKié. 

Ayant  donc  recooM  que  le  piaciptl  his- 
trument  dont  Dieu  s'est  servi  pour  notre 
défense  a  été  le  très-noble  et  très-magnanime 
seigneur  George  Marmora,  le  plus  illustre 
rejeton  de  noble  race;  ce  seigneur  généreux» 
Ironorable ,  vertueux  et  célèbre  par  son  cou- 
rage, qnî  est  rempli  de  prudence,  de  sagesse 
et  de  la  connaissaDee  des  belles  choses,  qui 
a  iMNivent  mépiisé  la  mort  en  s^exposant 
vokwlairenient  à  divers  périls  pour  le  bien 
de  notre  empire,  et  priocipaiement  lors- 
que, étant  accouru  en  toute  diligence  à  notre 
secours,    nous   obttnmes   sur  les  Français 
cette  célèbre  victoire  par  laqnelle  nous  les 
ctiassAmes  de  notre  vHie  capitole  et  de  toutes 
les  terres  de  notre  «mpire:  nous  lui  cédons 
pour  jamais  Ttle  de  Prooenaèse,  avec  toutes 
ses  places  et  contrées;  en  outre,  une  autorité 
abfi<nlue,  et  puissance  de  vie  et  de  mort  sur 
tous  ceui  qui  y  habitent,  et  inspection  sur 
toutes  choses   selon  son  bon  plaisir,  sans 
aucun  empêchement,  et  sans  qn'ancon  des 
habitants  s'y  puisse  jamais  opposer,  on  de* 
mander  eompte  u«  «kiger  de  pension.  Mais 
nous  la  lui  donnons,  afin  qu'il  en  jouisse  en 
propt«,  et  ses  descendants  après  lui,  couima 
s'il  en  était  le  premier  fondateur.  Nous  avons 
môme  d*autres  raisons  de  lui  faire  ce  présent; 
en   ce   que  le  très-clément  empereur  Em- 
manuel de  glorieuse  mémoire  donna  celle 
Ihs  il  très-  noble  et  très-magnanime  seigneur 
Jean  Camoène,  grand^pèœ  de  George  sus- 
nommé; «e  qu'il  fit  graver  sur  une  médailie 
d'or,  avec  certaines  réserves  et  obligation  de 
le  secourir  dans  tous  ses  besoins  et  dans 
toutes  les  guerres  qu'il  aurait  à  soutenir.  C'est 
poanfuoi  nous  voulons  aussi  &  présent  faire 
la  même  chose,  savoir  qu'en  temps  de  guerre 
quatre  vaisseaux,  que  nous  aurons  fait  bAtlr , 
soient  pourvus  comme  il  faut  de  rameurs,  de 
soldats  et  d'armps  de  l'île  même ,  |)our  dé- 
fendre Tempire  et  empêcher  qu*ll  ne  puisse 
êlre  envahi  par  aucun  ennemi. 

Donné  et  scellé,  comme  de  coutume,  dans  ' 
notre  cour  royale,  et  ratifié  par  une  bulte 
d'or,  délivrée  au  susdit  George,  le  douzième 
du  mois  de  juillet  la  septième  indiction  de 
TaoBée  6732,  suivant  les  Grecs,  et  de  la  nais- 
aanee  de  Notre-Sauvenr  1224. 

ËSHAITOBI.  GOMNÈME,  duC 

Aujourd'hui  Marmara  n'est  qu'un  as- 
-fiez  gros  bourg,  avec  un  bon  port.  Il  y  a 


dans  l'Os  à*mttm  vfttagts  :  IMatn  «t 
Camfato,  entiromiés  é^Wk  payage  assn 
agréable  €td*anaspMCpitl«r«sque;Kbs> 
aaki  ,aiitre  rillage  de  Ule,  dont  les  babt- 
tants;  tous  Grées,  voulant  ae  soastrairr 
à  la  oapitatkNi,  dédaTèreat  au  nède 
dernier  qu'ils  étaient  prêts  à  se  fnre  mo- 
sulmans.  Mais  la  Porte ,  ne  foulant  pi« 
encourager  les  progrès  de*  ristanusisf 
aux  dépens  du  revenu  puMie,  et  erai- 
gnant  lee  suites  de  est  exemplo,  adoei^f 
leur  inoposition  ;  décîsioâ ,  ajoute  Dal- 
laway  (1),  à  qui  j'empruaie  oe  fait  ^  qvi 
montre  la  connâssanee  que  les  Ture« 
ont  du  caractère  des  Gffecs  n)oderr*<s 
Ceux  des  Greqs  qui  sont  employés  daos 
les  carrières  de  marbre  jouissent  de  quel- 
ques exemptions ,  d*après  la  même  poli- 
tique qui  est  pratiquée  dans  ifle  de  0\n 
pour  la  population  employée  &  la  enltiirp 
de  l'arbre  à  mastie. 

Selon  Dat>per  ,  il  y  avait  dans  IHe  de 
Marmara  plusieurs  eouvents  et  ermi- 
tages qui  pourraient  bien  passer  en  Eu- 
rope pour  des  abbayes  et  des  prieuré! 
Ces  couvents  et  ces  ermitages  étaîenî 
habités  par  des  ealojers  qui  y  oIkct- 
▼aient  une  discipline  rort  rigoureuse. 

ttss  ToiBniBS  ]>n  mIlKhaba. 

Marmara  est  la  plus  considérable  d*ufi 
petit  groupe  d'îles  situées  en  face  du  ri- 
vage de  la  Mysie  et  au  nord-ouest  de  L 
presqu'île  de  Cyzique.  Ces  îles  sont  : 

Avésia ,  qui  est  la  plus  grande  après 
Marmara.  File  a  un  bourg  principal  du 
même  nom ,  et  deux  autres  oourgs,  doni 
Fun  s*appelle  Aloni  et  Tautre  A/abàioi . 
e'est-à-dire  le  bourg  des  Arabes,  pâme 
qu'il  n'est  habité  que  par  des  Arabes  ^i 
leurs  descendants.  Avésia  doit  éirerî»:* 
Halonede  Pline;  elle  est  située  à  Touost 
de  la  presqu'île  de  Cyzique,  en  fao* 
d'Artaki*  Ëlleest  désignée  sur  plusieurs 
cartes  sous  le  nom  dlTe  Liman-PaciM. 

Coutallif  à  l'ouest  de  la  précédente, 
est  d'une  médiocre  grandeur;  elle  a  un 
village  du  même  nom. 

Gadaro,  oui  est  la  plus  petitede  toutes, 
a  plusieivs  nourgs  et  lieux  habités,  aver 
quelques  couvents  de  caloyers.  On  y 
trouve  eu  abondance  du  blé,  du  vin,  des 
fruits,  du  coton  »  du  bétail  et  des  pÂtD> 

(x)  ComtftintiHople,  etc.)  t.  D,  litS«  ' 


ILES  DE  LA  PHOrôNTIDE. 


»1 


âges  ;  la  pêche  y  est  aussi  fort  abon» 
lante.  G^e  mer  entretient  une  grande 
[uantité  de  poissons ,  dit  Dapper  (1)  ;  ee 
[xjî  est  nn  grand  avantage  pour  les  Twcs 
1  pour  les  Grecs,  qui  se  nourrissent  beau- 
oup  plus  de  poisson  que  de  chair.  On 
roit  en  été  une  grande  quantité  de  ces 
)oissons,  et  surtout  de  marsouins  et  de 
lauphitis,  nager  par  troupes  au  traven 
le  la  mer  de  Marmara  pour  se  rendre 
ians  la  mer  Ivoire ,  d'^où  ils  reviennent 
)our  passer  l^hiver  dans  la  mer  de  Mar- 
nara  et  TArchipel. 

Plus  loin,  vers  Test,  Ton  trouve  Hle 
incieonement  appelée  Be^icos,  aujour- 
Thuî  Kalohmni  ou  Calonimi.  Pline  la 
)Uoe  à  Tembpuchure  du  Rhyndacus,  et 
ui  donne  dit-hnit  mille  pas  de  tour.  Elle 
^st  vis-à-vis  le  cap  Bouz-Bouroun ,  au* 
:refois  Posidinm,  qui  sépare  les  deux 
îolfes  deMoudania  etdlsmid,  autrefois 
!olfe  de  Cia  et  golfe  de  Nicomédie.  La 
incr  jette  sur  les  rivages  de  cftte  île  et 
5ur  les  cdtes  voisines  une  matière  légère 
pomme  derécume,  qu'on  vend  fort  cher  à 
Venise  et  en  plusieurs  autres  endroits. 
On  trouve  aussi  cette  écume  de  m€fr 
dans  les  lies  voisines  de  THellespont ,  et 
leshabitants  dlmbros  et  deLeronosTap- 
pellent  en  langue  vulgaire  arkeli  (2). 

ttss  ma  pbuvcss. 

Cest  un  groupe  dalles  situées  à  Tauttte 
extrémité  de  la  Propontide ,  a  l'entrée  du 
Bosphore  de  Thrace,  au  sud-est  de 
CoQstantinopie.  Les  anciens  les  appe- 
laient les  lies  Démonèses;  dans  la  ^eo- 
grcvhie  moderne  elles  jportent  diffé- 
r<'Dtes  dénominations  :  fies  de  Papas- 
^dossi  ou  Papadonisia,  c'est-à-dire  îles 
des  Prêtres,  à  cause  des  nombreux  cou- 
vents qui  s'y  trouvaient  ;  îles  des  Prin- 
cesses, parce  que^  dit-oo,  les  princesses 
grecques  de  la  famille  impériale  qui  gar- 

(i;  Dapper,  Description,  p.  ^91. 

(a)  Dapper,  p.  496.  Ob  se  TÎsitBpliK  ces 
des  ;  je  MMA  obligé  de  m'en  leair  eux  nencei- 
gucneats  fournis  per  Dapper,  qtii  f ivait  du 
n«te  claM  un  ieropf  où  ces  parages  éiaieat 
Bueiu  conoos  qu'aujourd'hui.  On  manque 
d'une  lionne  description  des  îles  de  la  Pre- 
poQiide  et  de  leur  état  actuel.  Ce  serait  une 
eieiirsion  facile  à  faire  de  Técole  d'Athèneii , 
»'(  elle  offrait  BsseE  d'intérêt  littéraire  et  ar- 
r^colngiqne  pour  qn'on  dât  rentreprendre. 


dident  le  oélftèt  y  srraient  Ifo&dé  ëes 
monastères  et  y  embmssaîent  to  v<e  reli- 
gieuse ,  Tsole^Rosse  ou  ties  Rounes,  dans 
de  vieilles  cartes  marines  ita4iemies;6D- 
fin  ties  des  Princes,  qui  est  le  nom  par  le- 
quel on  les  désigne  communément  au- 
jourd'hui, et  qui  leur  vient  sans  douta  des 
fréquents  séjours  qu'y  faisaient  autrefois 
les  princes  des  difrerentes  dynasties  qni 
régnèrent  sur  le  BaihEmpire. 

Des  hauteurs  de  Galata,  du  Chanip 
des  Morts  par  exemple ,  les  tlea  des 
.  Princes  terminent  fort  agréablement  un 
point  de  vue  admirable;  et  quoique  pla- 
cées à  dnnze  milles  de  distance  ^  on  les 
aperçoit  distinctement.  Elles  «ont  âii 
nombre  de  quatre  priiidpalM,  entourées 
d'autres  petits  Ilots,  qu*on  ne  volt  pasde 
là  ;  et  leur  situation  neut  être  dépeinte  à 
nn  Anglais  en  lui  disant  qu*il  n'a  qu'à 
se  représenter  l'Ile  de  MTIglit  vue  de 
Portsmouth,  partagée  en  quatre  îles  très- 
Toisines  les  unes  dés  antres  (1). 

Proté,  la  première,  appelée  Tinaki  par 
les  Turcs,  est  couverte  de  bruyères  et  sans 
culture.  Elle  a  environ  ttoia  milles  de 
tour  ;  son  port  est  comblé,  et  la  ville  aimi 
que  deux  monastères  sont  déiruitf.  L'Ile 
a  deux  hauteurs,  l'une  au  nord^  Itetre 
nu  midi.  On  y  voit  encore  deux  larges  ci- 
ternes, mii  étaient  à  l'usage  des  convcnts. 

Plus  oas,  vers  le  sud ,  sont  les  Mots 
d'Oxya  et  de  Platys.  Oxya  est  un  rocher 
pointu ,  plus  élevé  que  les  coiliBts  de 
€onstantmople ,  et  inaccessible  dans  la 
plus  grande  partie  de  sa  oifooofiérenoe. 
On  y  voit  des  citernes,  des  traces  d'anti- 
que habitation;  certains  empereurs  v 
construisirent  un  château,  oui  leur^rvit 

S  lus  d'une  fois  de  retraite  dans  les  trou- 
les  de  leur  capitale.  On  y  pêche  en 
abondance  des  huîtres  fort  délicates. 
L'île  de  Platys,  qui  en  est  voisitte,  est 
basse  et  unie  comme  une  plaine. 

L'île  Antigoniest  presque  anssi  stérile 
que  Proté ,  elle  est  formée  de  rochers, 
qui  sont  couverts  d'arbousiers,  de  ro- 
marins et  du  lada  on  sestus,  qui  porte  la 
gomme  appelée  ladanum.  On  y  voit,  sur 
une  hauteur,  des  ruines  eottMérables, 

(i)  Tous  ces  détails  sur  les  (les  des  Grinces 
sont  empruntés  &  Dallairay,  t.  Il,  p.  9t5,  et  à 
Dapper,  p.  491.  Toy ez  aussi  dans  les  Woyagts 
de  Walpole,  t.  I,  p.  84 1  et  t.  H,  p.  7,  des 
relations  des  doctenrt  Hiint  et  tMiarp» 


33} 

parmi  lesqaelIesoD  distingoe  des 
et  le  dôme  d'une  grande  ëglise. 

A  nn  mille  plus  loin  on  trouve  Kalké , 
anciennement  Chalcitis,  ainsi  nommée  à 
cause  d'une  mine  de  cuivre  autrefois  en 
grande  estime  pour  la  qualité  du  métal. 
Selon  Aristote,  il  y  avait  dans  le  temple 
d' A  poUon  à  Sicyone  une  statue  faite  de  ce 
métal.  Etienne  de  Byzance  appelle  cette 
Ile  Démonésus,  nom  que  quelaues-uns 
donnent  à  tout  le  groupe,  et  il  dit  gu'on 
y  trouve  du  borax ,  de  ror  et  le  corona- 
rium ,  qu'on  employait  beaucoup  en  col- 
lyre pour  les  yeux.  Pierre  Gilles,  voyageur 
français  qui  visita  le  Levant  par  Tordre 
de  François  P%  dit  avoir  vu  a  Kalké  %de 
grands  morceaux  de  scories  de  cuivre 
et  de  borax,  et  conjecture  qu'avec  un 
examen  attentif  on  retrouverait  la  mine 
iïor  dont  les  anciens  font  mention.  L'île 
de  Kalké  a  trois  grands  monastères,  qui 
étaient  encore  très-florissants  à  la  nn 
du  dernier  siècle.  Une  température  déli- 
cieuse ,  des  vues  variées  à  l'infini  et  tou- 
jours pittoresques,  et,  plus  que  cela,  l'ab- 
sence des  Turcs,  étaient  des  motifs  suffi- 
sants pour  y  attirer  beaucoup  de  Grecs 
riches ,  qui  venaient  v  habiter  de  fort 
beaux  appartements  dans  les  bâtiments 
des  couvents,  pendant  le  printemps  et 
l'été.  C'est  dans  cette  tle  que  l'empereur 
Manuel  passait  l'été  avec  sa  nièce  Théo- 
dora.  L'abbé  Sévin  visita  ces  monastères 
en  1729  pour  y  rechercher  des  manus- 
crits; et  quoiqu'il  en  ait  trouvé  plus  de 
deux  cents,  aucun  n'avait  trente  feuilles 
entières  de  suite.  De  la  montagne  où 
est  situé  le  monastère  de  la  Sainte- 
Trinité,  on  a  une  vue  admirable  sur  la 
mer,  terminée  par  tout  l'ensemble  de 
Constantinople  et  du  rivage  opposé.  La 
beauté  de  ce  spectacle ,  surtout  au  cou- 
cher du  soleil,  est,  dit  Dalla way,  au-des- 
sus de  toute  expression  par  le  discours 
et  du  pouvoii;méme  du  plus  riche  et  du 
plus  heureux  pinceau.  Près  du  grand 
monastère  de  Panagia,  on  .remarque  la 
tombe  de  sir  Edouard  Barton,  le  pre- 
mier ambassadeur  anglais  à  la  Porte, 
envoyé  par  la  reine  Elisabeth  ,  qui  mou- 
rut dans  cette  tle,  le  25  décembre  1597, 
a  l'âge  de  trente-cinq  ans.  Dapper  a  re- 
produit son  épitaphe.  Il  est  à  croire  que 
ce  monument  existe  encore. 

Prinkipo  est  la  plus  grande  des  îles 
de  ce  groupe  et  la  plus  éloignée  vers  (e 


L*UNiyEllS« 


golfe  de  I9icomédie.  Elle  a  pareîlleneot 
ses  couvents,  ressemblant  beaucoup  aux 
autres  dans  leur  plan  et  par  leur  belle 
situation  sur  les  hauteurs.  Elle  a  de  plus 
l'avantage  d'avoir  un  village  plus  peuplé, 
quelques  bols  et  quelques  vignobles.  O 
sont  des  bois  depms,  d'une  assez  grande 
étendue  ;  on  en  fait  du  charbon  et  des 
cendres  pour  les  engrais.  Cestdanscette 
île  que  Nicéphore  reléeua  l'impératrice 
Irène,  qui  sv  retira  dans  un  cooto: 
qu'elle  avait  fait  construire.  Prinkipo  i 
soixante  stades  ou  huit  milles  de  tour; 
elle  surpasse  en  hauteur  toutes  les  \\h 
circonvoisines. 

Au  commencement  du  dix-huiiièw 
siècle,  sous  Acbmet  IH,  le  vizir  Djin- 
Ali-Pacha,  homme  violent,  propos 
d'obliger  tous  les  ministres  étrangers  i 
faire  leur  résidence  dans  les  îles  des 
Princes ,  au  lieu  d'habiter  Péra  ;  nuis  ii 
ne  put  remporter  sur  leur  résistaoY. 
C'est  avec  des  vues  plus  nobles  et  plu» 
utiles  que  Raghib-Pacba,  vizir  de  Mus- 
tapha 111,  (1757)  avait  formé  le  projet 
(rétablir  un  lazaret  à  Antigoni,  o« 
'on  aurait  envoyé  les  malades  attaques 
de  la  peste,  pour  affaiblir  les  ravages 
de  cette  terrible  maladie  à  Constantino- 
ple. Sa  mort  en  1765  a  empêché  Teie 
cution  de  ce  plan  salutaire. 

Aujourdhui  les  tles  des  Princes  sont 
très-tréquentées  par  les  Francs  établis  : 
Constantinople,  ^ui  y  vont  de  temps ^ 
temps  s'y  divertir,  ou  «'y  reposer  da 
tracas  des  affaires.  Tous  les  voyag^rn 
s'empressent  de  visilerce  petit  arcnipeî.  «^ 
gracieusement  encadré  entre  les  côtps  é- 
P  Europe  et  de  l'Asie.  Un  service  irr»- 
lîcr  de  bateaux  à  vapeur  rend  facile  r« 
prompte  cette  traversée,  qui  n'est p!i!b 
qu'une  partie  de  plaisir,  et  qui  autretoîs . 
a  cause  des  caprices  d'une  mer  souTi-rt 
agitée ,  dégoûtait  par  beaucoup  de  h.'- 
sards  et  de  lenteurs. 

LES  BOGHBS  CYANBSS* 

Le  Bosphore  ou  canal  de  Constant'- 
nople,  qui  conduit  delà  Propontidedan^ 
le  Pont-Euxin  ou  mer  Noire,  se  termifl' 
par  deux  promontoires,  dont  l'un.  Ire? 
Ancyreum,  est  situé  en  Asie,  et  l'aotr?. 
le  cap  Panium ,  forme  la  pointe  de  FKa- 
rope.  Près  de  ces  deux  caps  se  trou^en- 
deux  groupes  de  rochers,  quelesanoiec 
appelaient  les  Iles  Cyanées  ou  Symple* 


ILES  DE  LA  PROPONTIDE. 


358 


gades ,  et  qui  doivent  une  certaine  céié- 
orité  aux  poètes  qui  ont  chanté  les  aven- 
tures de  Jason  et  des  Argonautes. 

Ces  deux  groupes  de  rochers  sont  très- 
rapprochés  de  chacun  des  deux  conti* 
uents ,  et  sont  séparés  par  un  assez  laree 
iutervalle,  de  sorte  que  s'ils  offrent  quel- 
ques dangers ,  ils  ne  sont  pas  un  obstacle 
à  la  navigation.  LesCyanées  d'Asie,  qui 
sont  près  du  Fanal ,  ne  sont  autre  chose 
que  les  pointes  d'une  île  ou  d'un  écueil 
séparé  de  la  terre  ferme  par  un  petit 
détroit ,  lequel  reste  à  sec  quand  la  mer 
est  calme  et  se  remplit  d'eau  à  la  moin- 
dre bourrasque.  Alors,  dit  Tourne- 
furt  (0,  on  ne  voit  que  la  pointe  la  plus 
élevée  de  l'écueil,  les  autres  étant  cacnées 
sous  l'eau,  et  c'est  ce  qui  rend  ce  pas- 
sage si  difficile.  Aussi  le  roi  Phinée,  que 
les  Argonautes  avaient  délivré  des  har- 
pies et  qui  leur  donna  une  généreuse 
hospitalité,  conseil la-t-il  à  Jason  de  ne 
passer  à  travers  les  Cyanées  que  par  un 
beau  temps  :  •«  Autrement,  disait-il,  votre 
navire  Ai^o  se  briserait ,  fût-il  de  fer.  » 
Mal^  ces  avertissements,  les  Argo- 
nautes coururent  de  grands  risques 
dans  ce  passage.  Leur  vaisseau  s'accro- 
ri)a  si  fort  sur  ces  rochers ,  qu'il  fallut 
que  Minerve  descendît  du  ciel  pour  le 
pousser  de  la  main  droite  dans  l'eau ,  tan- 
dis qu'elle  s'appuyait  de  la  gauche  con- 
tre les  parois  du  rocher. 

Dans  les  fictions  des  poètes,  les  Cyanées 
n'offrent  pas  seulement  les  dangers  des 
éeueils  oniinaires ,  qui  est  de  briser  les 
navires  que  le  vent  ou  les  courants  leur 
jettent.  Comme  on  les  supposait  flottant 
wus  les  eaux ,  ou  se  promenant  le  long 
ries  côtes ,  s'entre-choquant  les  uns  les 
entres,  ce  qui  les  avait  fait  nommer 
Symplégades,il  était  presque  impossible 
d'éviter  leur  rencontre ,  et  elles  inspi- 
raient un  indicible  effroi  aux  navigateurs. 
Cette  tradition  sur  la  mobilité  des  Cya- 
nées, qui  devinrent  fixes  après  le  passage 
des  Argonautes,  peut  n'être  qu'un  embel- 
ii:>seinent  de  la  poésie,  ou  une  exagération 
à?i  marins,  qui  aiment  à  en  conter  sur  ce 
qu'ils  ont  vu  et  éprouvé,  ou  bien  le  sou- 
venir altéré  de  quelque  révolution  phy- 
Mque  qui  aura  pu  remuer  et  déplacer  ces 
éeueils.  Il  y  a  encore  beaucoup  d'autres 
explications  probables.  Voici  celle  de 


Pline  :  ^  La  fabte,  dit-il,  rapporte  que  les 
Cyanées  se  heurtaient  l'une  l'autre  :  c'est 
que,  séparées  par  un  intervalle  étroit , 
on  ne  les  voit  distinctes  ç|ue  de  face  en 
entrant  dans  le  Pont-Euxm ,  et  qu'elles 
semblent  s'être  réunies  pour  peu  que  les 
yeux  aient  pris  une  direction  oblique  (1  ) .  » 
Tournefort  a  une  autre  manière  de  se 
rendre  compte  de  la  fiction  des  poètes  : 
tout  cela  était  fondé ,  selon  ce  voyageur, 
sur  ce  qu'on  voyait  paraître  et  disparaître 
les  pointes  de  ces  rochers,  suivant  que  la 
mer  les  couvrait  dans  la  tempête  ou  les 
laissait  voir  dans  le  calme.  On  ne  publia 
qu'ils  s'étaient  fixés  qu'après  le  voyage  de 
Jason,  parce  qu'apparemment  on  les  cô- 
toya de  si  près,  qu'on  reconnut  enfin 
qu'ils  n'étaient  pas  mobiles. 

Les  îles  Cyanées  d'Europe ,  de  même 
que  celles  d'Asie,  ne  sont  proprement 
qu'une  île  hérissée ,  dont  les  pomtes  pa- 
raissent autant  d'écueils  séparés  lors- 
que la  mer  est  fort  agitée.  Le  bras  de 
mer  qui  est  entre  cet  îlot  et  le  fanal  d'Eu- 
rope n'est  que  de  trois  cent  cinquante 
pieds.  Il  est  souvent  à  sec.  Sur  la  plus 
naute  des  cinq  pointes  de  cet  écueil  s'é- 
lève une  colonne  à  qui  on  a  donné  sans 
raison  le  nom  de  Pompée.  On  reconnaît 
facilement  que  la  base  et  le  fût  n'ont  pas 
été  fiits  l'un  pour  l'autre.  La  colonne  a 
douze  pieds  oe  haut  et  se  termine  par 
un  chapiteau  corinthien.  Quoique  sur  la 
base  on  lise  cette  inscription  : 

CAG8ARI   AUGV8T0  E.    CL.  ANNIDfVS  L.    P.  CL4 

FRoirro. 

ce  n'est  point  une  raison  suffisante  de 
croire  que  ce  monument  était  primitive- 
ment consacré  à  Auguste.  Denys  le  Pé- 
riégète  nous  apprend  que  les  Romains 
avaient  consacré  sur  les  Cyanées  un  au- 
tel à  Apollon.  La  forme  de  cette  base,  ses 
ornements  qui  sont  des  festons  de  lau- 
rier et  des  têtes  de  bélier,  conviennent 
mieux  à  un  autel  qu'à  un  piédestal  de 
colonne.  Ce  n'est  que  plus  tard  que  ce 
monument  aura  changé  de  destination , 
et  qu'il  aura  été  surmonté  d'une  colonne 
élevée  en  l'honneur  d'Auguste. 

Les  poètes,  comme  Apollonius  de 
Rhodes,  Valerius  Flaccus,  Lucain,  Mar- 
tial ,  Ovide,  ne  voient  dans  les  Cyanées 
ou  les  Symplégades  que  des  rochers , 


{tf  Toumeforr,  Voyage  au  Levant^  lï,  149,  (i)  Plin.,  IV,  27. 

23«  Livraison,  (  Ilb  de  la  Propoî^tidb.  ) 


38 


Sô4 


i;UNiVEÎlS. 


concurreiitia  saxa.  Les  géographes, 
Strabon,  Pline,  Denys  le  Perluète, 
les  appellent  des  lies  ;  ce  qui  est  égale- 
ment juste ,  selon  le  sens  que  Ton  veut 
donner  à  ces  deux  dénominations.  On 


comprend  suffisamment  la  significatif 
du  nom  de  Symplégades.  Le  nom  de 
Cyanées  vient  de  1  aspect  de  ces  rochert 
qui  sont  d'une  couleur  grisâtre ,  et  tirant 
sur  un  bleu  plus  ou  moins  fonoé. 


ILE  DE  LEMNOS. 


Desgbiption  be  lIlbdbLemnos  (1  ). 
—  L'île  appelée  Lemnos  par  les  anciens 
et  Stalimene  dans  les  temps  modernes 
est  située  sous  le  23^  degré  de  longitude 
et  par  SO*"  20'  de  latitude  nord.  C'est  fa 

Ï»lus  considérable  des  lies  qui  occupent 
e  fond  de  la  mer  Egée,  dans  le  voisi- 
nage des  côtes  de  la  Thrace.  Pline  lui 
donne  cent  douze  milles  de  tour  (2); 
elle  a  environ  quinze  lieues  de  longueur, 
d'orient  en  occident,  sur  cinq  à  six  de 
large,  du  nord  au  sud.  Elle  est  en  face 
de  Ténédos  à  Test,  et  du  mont  Athos  à 
l'ouest.  Plusieurs  auteurs  anciens  ont 
observé  que  l'ombre  de  cette  montagne 
s'étend  jusau'a  l'île  de  Lemnos,  et  qu'au 
jour  du  solstice  elle  vient  sur  la  place 
de  Myrine,  la  principale  ville  de  l'île 
dans  la  partie  du  couchant.  Le  voyageur 
français  Bélon  a  observé  ce  phénomène, 
au  seizième  siècle,  a  L'île  est  étendue 
plus  en  longueur  qu'en  largeur,  dit-il , 
d'orient  en  occident,  de  sorte  que  quand 
le  soleil  se  va  coucher ,  l'ombre  du  mont 
Athos  qui  esta  plus  de  huit  lieues  de  là, 
vient  respondre  sur  le  port,  et  dessus 
le  bout  (te  l'isle  qui  est  au  côté  sénestre 
de  Lemnos  ;  chose  que  observasmes  le 
deuxième  jour  de  juin.  Car  le  mont 
Athos  est  SI  haut  qu'encore  que  le  soleil 
ne  fût  bien  bas,  néanmoms  l'ombre 
touchoit  la  sénestre  corne  de  l'île  (8).  » 
11  n'y  a  dans  tout  ce  passage  qu'un  point 
inexact,  c'est  l'évaluation  de  la  distance 
du  mont  Athos  à  Lemnos,  que  Bélon  a 
beaucoup  trop  réduite.  De  leur  côté  les 

(i)  Car.  Khode,  Res  Lemniacœ  ;  Yrati»- 
laviœ,  1829,  in-S**;  Bayle,  Dietionnaire  his' 
torique^  au  mot  Lemnos. 

(2)  Plin.,  IV,  aoS;  Strab.,  H,  p.  ia4; 
VII,  p.  35o. 

(3)  l'clon.,  Observations,  etc.,  1,  I,  ch.  26, 


auteurs  anciens  ont  été  au  delà  de  b 
réalité  :  Pline  évalue  cette  distance  2 
quatre-vingt-huit  milles,  et  Plntarque  a 
sept  cents  stades  (1).  «  Je  sais  bien,  dit 
Plutarque  dans  un  de  ses  Dialogues,  quf 
ni  l'un  ni  l'autre  de  nous  n'a  esté  en  Tilf 
de  Lemnos,  mais  aussi  que  l'un  et  l'autn 
a  bien  souvent  oui  dire  ces  vers  : 

Lr  mont  Albot  cooTiIra  le  côté 

Ua  bcraf  qut  est  dedans  Lemnos  planté. 

Car  l'ombre  de  cette  montagne  atteint 
rimage  d'un  bœuf  de  bronze,  qui  est  ra 
Lemnos,  s'estendant  une  longueur  par 
dessus  la  mer  non  moindre  que  de  sept 
cents  stages  (2).  »  Le  vers  cité  ici  par 
Plutarque, 

"âOcoc  )iaXvi|;ei  nUupà  Ay)(&v{o[(  Po6c, 

était  devenu  proverbial,  et  s'appliquait  3 
tous  ceux  qui  tâchaient  d'obscurcir  !j 
gloire  et  la  réputation  des  autres  par 
leurs  calomnies. 

L'aspect  de  cette  île  est  fort  diversifie 
Le  terrain  y  est  très-inégal  ;  le  rivage  est 
couvert  de  rochers ,  l'intérieur  parsenw 
de  collines  et  de  montagnes.  On  y  trout*^ 
aussi  des  champs  assez  vastes  et  ïÀtà 
cultivés.  I^es  montagnes  de  Lemnos  oQt 
peu  d'élévation  :  on  remarque  seule- 
ment de  loin  deux  sommets  s'élevaoi 
au-dessus  de  la  surface  de  Tile^  qui,  ^ue 
de  la  mer,  paraît  basse  et  unie.  L'une 
de  ces  hauteurs  est  le  mont  Mosjchle. 

(i)  Voir  &  ce  sujet  la  longue  dissertation  àt 
Choiseul-Gouffier  sur  la  hauteur  do  nioçt 
Athos  et  la  distance  de  l'ile  de  Leoioos,  qu'à 
évalue,  diaprés  des  calculs  de  DeUmbr&,  U 
première  à  7i3  toises,  la  seconde  i  53,»oc 
toises ,  égalant  69,967  pas  romains,  ou  n> 
lieues  environ,  f^oyage  en  Grèce^  t.  Il,  p.  U©- 

(2)  Plut.,  dialogue  Dr  fade  in  orbe  iai^t 
c.  22,  irad,  d'Amyot. 


Ile  D£  LEMNÔâ. 


855 


nommé  par  Hésychîils  et  Ntcander,  et 
qui  romistaitdes  flammes.  Il  est  souvent 

Question,  dans  les  anciens,  de  l*ardente, 
e  la  brûlante  Lemnos.  Aassi  avait-elle 
été  appelée  iEtbalie  (AfOu>,  brûler  ),  à 
cause  de  sa  nature  volcanique.  «'  Nous 
aperçûmes  du  côté  de  LÎemnos,  dit 
Pauteur  du  Foyage  éPAnachanU,  des 
flammes  qui  8*élevaient  par  intervalles 
dans  les  airs.  On  me  dit  qu'elles  s*é- 
cbappaient  du  sommet  d*nne  montagne; 
que  llle  était  pleine  de  feux  souterrams; 
^u'on  y  trouvait  des  sources  d*eaux 
chaudes,  et  que  les  anciens  Grecs  n*a- 
raient  pas  rapporté  ces  effets  à  des 
iauses  naturelles.  Vulcain,  disaient-ils , 
)  établi  un  de  ses  ateliers  à  Lemnos;  les 
Cpclopes  y  forgent  les  foudres  de  Jupiter. 
kw  bruit  sourd  qui  accompagne  quelque- 
fois Téruption  des  flamnr)es,le  peuple  croit 
.'ntendre  les  coups  de  marteaux  (1).  » 
>tte  tle  n*a  point  de  rivières,  mais 
pielques  ruisseaux  et  de  nombreuses 
iources.  L'une  d'elles,  voisine  de  la  ville 
apitale,  que  les  Turcs  appellent  Lemno 
)u  Limio ,  et  les  chrétiens  Stalimène 
ik  tiv  A7j{Avov),  jaillit  d'un  rocher  d'où 
'lie  tombe  en  cataracte ,  se  répand  en- 
uiie  dans  la  campagne,  qu'elle  arrose 
n  divers  sens ,  et  coule  jusqu'aux  murs 
le  la  ville  et  à  la  mer,  où  elle  vient  se 
terdre. 

Pboductions  de  l'Ile  de  Lemnos. 
-  La  partie  orientale  de  Ttle  est  fort 
ride.  C'est  à  celle-là  seule  que  peuvent 
'appliquer  les  traits  de  la  description 
|De  Fénelon  donne  de  Lemnos ,  quand  il 
ait  dire  à  Philoctète  :  «  Je  demeurai 
resque  pendant  tout  le  siège  de  Troie, 
eul,  sans  secours,  sans  espérance,  sans 
oulagement,  livré  à  d'horribles  dou- 
eurs,  dans  cette  île  déserte  et  sauvage, 
ù  je  n'entendais  que  le  bruit  des  vagues 
ie  la  mer  qui  se  brisaient  contre  les  ro- 
hers.  »  La  partie  du  couchant  et  du 
nidi  est  mieux  arrosée  et  plus  ver- 
loyante.  En  général ,  l'Ile  est  fort  dé- 
ourvue  de  bois  de  chauffage  et  de  cons- 
niction.  Les  habitants  font  du  feu  avec 
es  tiges  d'asphodèles  et  d'autres  plantes 
iesséehées.  A  défaut  de  forêts,  les  arbres 
ruitiers  y  viennent  bien  :  on  y  trouve 
es  figuiers,  des  noyers,  des  amandiers, 
nais  fort  peu  d'oliviers.  Dans  le  voisinage 

(i)  Barthel.,  Ànaeharsis,  t.  I,  c.  a. 


du  bourg  Rapanidi ,  vers  la  pointe  nord 
de  l'Ile,  se  trouvent  des  hêtres  qui  for- 
ment le  seul  bois  de  l'Ile,  et  dont  les  in- 
sulaires tirent  cette  espèce  de  tan  qu'on 
appelle  la  vallonée  (1).  Les  champs  cul- 
tivés de  Lemnos  produisent  en  abon- 
dance du  vin,  des  céréales  et  des  légumes. 
Lebétail  y  est  nombreux  ;  mais  plusieurs 
espèces  de  serpents  y  infestent  les  cam- 
pagnes. 

Terbe  sigillée  ou  de  Lemnos.  — 
Les  habitants  de  Lemnos  avaient  un 
remède  contre  les  morsures  des  reptiles 
venimeux,  c'était  la  fameuse  terre  si- 
gillée, qui  servait  à  tant  d'usages,  et  qui 
est  encore  fort  recherchée  des  Turcs  et 
des  Grecs.  Cette  terre  de  Lemnos  est 
rougeâtre,  semblable  à  cette  craie  que 
les  anciens  appelaient  sinopis,  parce 
qu'on  la  trouvait  dans  des  cavernes 
voisines  de  Sinope,  et  qui  était  très-em- 
ployée dans  la  peinture  et  la  médecine, 
a  Quelques-uns,  ajoute  Pline,  ont 
prétendu  que  la  sinopis  n'était  qu'une 
rubrique  de  seconde  qualité;  ils  ont  en 
effet  regardé  comme  rubrique  de  pre- 
mière qualité  la  terre  de  Lemnos  :  celle- 
ci  approche  beaucoup  du  minium,  et  elle 
a  été  très-vantée  chez  les  anciens,  ainsi 
que  l'Ile  qui  la  produit  ;  on  ne  la  vendait 
que  cachetée  ;  cequi  la  fit  appeler  sphragis. 
On  l'emploie  en  couche  sous  le  vermillon, 
ou  en  mélange.  En  médecine  on  en  fait 
grand  cas.  En  Uniment  autour  des  yeux, 
elle  adoucit  les  fluxions  et  les  douleurs 
de  ces  organes  ;  elle  empêche  le  flux  de 
l'égilops;  on  l'administre  à  l'intérieur, 
dans  du  vinaigre,  contre  l'hémoptysie  ; 
on  la  fait  boire  aussi  pour  les  affections 
de  la  rate  et  des  reins,  et  pour  les 
pertes  ;  on  l'emploie  de  même  contre  les 
poisons'  et  contre  les  blessures  faites 
parles  serpents  terrestres  et  marins; 
aussi  entre-t-elle  dans  tous  les  anti- 
dotes (2).  »  Dioscorldeet  Galîen  se  sont 
aussi  occupés  des  propriétés  de  la  terre 
de  Lemnos ,  sous  le  rapport  médical. 
Galien  même  se  rendit  dans  cette  Ile 
pour  étudier  l'extraction,  la  nature  et 
les  applications  de  cette  terre,  et  il  re* 

(i)  Dapper  donne,  d'après  Béton,  quelques 
dcinils  assez  intéressants  sur  les  producliuiis 
végétales  de  Lemnos.  Description,  p.  244. 

(a)PIin.,  Hist.  ^rt/.,XXXV,  14  ;  XXX  VIII, 
a4;XXÏX,33. 

23. 


356 


L'UNIVERS. 


connut  qu'elle  avait  la  propriété  de  gué- 
rir les  plaies  invétérées,  les  morsures  des 
vipères,  et  qu'elle  avait  de  puissantes 
vertus  pour  remédier  à  certains  cas  d'em- 
poisonnement ^1). 

On  trouvait  la  terre  sigillée  dans  une 
colline  située  à  quatre  portées  de  trait 
de  la  ville  d'Héphaestia,  dans  la  partie 
orientale  de  Lemnos.  Cette  colline  était 
célèbre  par  la  tradition  qui  rapportait 
qu'elle  avait  reçu  Yulcain  précipité  du 
ciel.  L'extraction  de  cette  terre  se  faisait 
avec  certaines  cérémonies  auxquelles 
présidait  un  prêtre  de  Vulcain.  Au  temps 
de  Dioscoride,  on  la  mêlait  avec  au 
sang  de  bouc,  qui  lui  donnait  la  consis- 
tance d'une  pâte  dont  on  formait  des 
petits  pains,  sur  lesquels  on  imprimait 
avec  un  cachet  la  figure  d'une  chèvre. 
Cette  empreinte  ne  fut  pas  toujours  la 
même ,  et  elle  varia  selon  les  temps  ;  à 
une  certaine  époque  on  y  avait  marqué 
l'image  de  Diane.  Mais  jusque  dans  les 
temps  modernes ,  l'extraction  de  la  terre 
sigillée  est  restée  pour  les  Lemniens  une 
sorte  de  solennité  religieuse.  Bélon  ne 
put  en  être  témoin  ,  parce  que  cette  cé- 
rémonie n'avait  lieu  au'une  fois  Tan,  le 
6  août  ;  il  se  contenta  ue  visiter  la  colline 
du  sein  de  laquelle  on  tirait  ce  précieux 
produit.  Cette  colline  est  près  du  village 
de  Cochino  et  d'une  petite  chapelle,  ap- 
pelée Sotira.  Mais  il  se  fit  raconter  tous 
les  détails  de  cette  fête  par  les  gens  du 
pays,  et  il  les  reproduit  de  la  manière 
suivante  :  «  Les  plus  grands  person- 
nages  et  les  principaux  de  Tisle  s'as- 
semblent, tant  les  Turcs  que  les  Grecs, 
prêtres  etcaloières,  et  vont  en  cette  petite 
chapelle,  nommée  Sotira,  et  en  célébrant 
une  messe  à  la  erecque,  avec  prières; 
vont  tous  enseniole  accompagnez  des 
Turcs,  montent  sur  la  colline,  qui  n'est 
cju'à  deux  trajets  d'arc  de  la  chapelle  et 
font  beicher  la  terre  par  cinquante  ou 
soixante  hommes ,  jusques  à  tant  qu'ils 
l'ayent  découverte,  et  qu'ils  soyent  venus 
à  la  veine  :  et  quand  ils  sont  venus 
jusques  à  la  terre,  alors  les  caloières  en 
remplissent  quelques  turbesou  petits  sacs 
de  poil  de  bestes,  lesquels  ils  baillent 
aux  Turcs  qui  sont  là  présents,  savoir 
au  soubachi  ou  au  vayvode  ;  et  quand 
ils  en  ont  prins  autant  qu'il  leur  en  faut 

^    (  i)  Galen.y  De  SimpL  Mcd,  temp,^  F.  IX ,  c. 2, 


pour  cette  fois,  alors  et  dès  rbeure 
même  ils  reforment  et  recouvreat  la 
terre  par  les  ouvriers  qui  sont  eneorelà 
pr^ents.  £n  après  le  soubachi  envoyé  la 
plupart  de  la  terre  qui  a  esté  tirée,  au 
Grand  Turc  à  Constantinople.  Le  reste 

il  la  vend  aux  marchands Ceux  fui 

assistent  quand  on  la  tire  de  sa  veine 
en  peuvent  bien  prendre  chacun  qoelqoe 
petite  quantité  pour  leur  usage;  mais 
ils  n'en  oseroyent  vendre  qu'il  fust  scea. 
Les  Turcs  BOnl  moins  scrupuleux  que 
les  Grecs  et  que  beaucoup  d'autns 
nations.  Ils  permettent  que  les  Grecs 
chrétiens  facent  leurs  prières  sur  la 
terre  scellée  en  leur  présence,  et  eoi 
mesmes  assistent  et  aydent  aux  Grées. 
£t  s'il  est  vray  ce  que  nous  en  ont  dit 
les  plus  vieux,  telle  façon  de  faire  d'afoir 
éleu  un  seul  jour  en  un  an ,  leur  fut 
introduite  du  temps  que  les  Vénitiens 
dominoyent  à  Lemnos  et  aux  isles  de  ia 
mer  Egée  (1).  »  Comme  au  temps  dts 
anciens,  cette  terre,  réduite  en  petiis 
pains ,  est  marquée  du  sceau  du  Grand 
Seigneur  ;  et  du  sérail  elle  se  répand,  par 
cadeaux  ou  par  commerce ,  dans  toute 
l'Europe. 

Gbogbaphib  POLrriQiJB.  —  L'Ile 
de  Lemnos  avait  deux  villes ,  d'où  ehe 
tirait  le  surnom  de  Dipolis  ;  l'une  se 
nommait  Hephsestia,  à  l'est  :  de  VulcaïD, 
appelé  par  les  Grecs  Héphaestos  ;  l'autre 
était  Myrine ,  à  l'ouest.  La  première  e>t 
aujoura  hui  le  village  de  Cochino.  Bélon 
croit  que  le  château  de  Lemnos  »t 
élevé  sur  les  ruines  de  la  seconde.  Cette 
île  était  célèbre  par  son  labyrinthe,  Tuh 
des  quatre  monuments  de  ce  genre  dont 
les  anciens  fassent  mention.  Celui  d*E- 
gypte  était  le  premier,  celui  de  Crète  le 
second;  le  troisième  est  le  labyrinthe 
de  Lemnos,  et  le  quatrième  celui  dltaliet 
construit  en  Ëtrurîe  par  l'ordre  de  Por- 
senna.  Le  labyrinthe  de  Lemnos,  dit 
Pline  (2),  est  semblable  aux  trois  autre; 
seulement,  il  est  plus  remarquable,  a 
cause  de  ses  cent  cinquante  colonnes, 
dont  les  fûts  dans  Fateiier  étaient  si  par- 
faitement suspendus  qu'un  enfant  suf- 
fisait pour  faire  aller  le  tour  où  on  les 
travaillait.  Il  a  été  construit  par  les  ar- 
cliitectes  Smilis,  Rhaecus  et  Théodore. 

(i)  'Rfi\OT\t Observations^  I.  I,  ch.  29, P-  '^•• 
(a)  Pline,  XXXVI,  19,  6. 


ILE  DE  LEMNOS. 


357 


11  en  subsiste  encore  aujourd'hui  des 
restes,  misérables  il  est  vrai ,  mais  ceux 
de  Crète  et  d'Italie  ont  entièrement  dis- 
paru. »  Au  temps  de  Béion,  au  seizième 
siècle,  il  ne  restait  plus  aucun  vestige 
do  labyrinthe  de  Lemnos. 

Cocbino  a  un  fort  beau  port.  On  y 
voit,  dit  Dapper  (1),  un  vieux  château, 
oui  est  presque  entièrement  démoli,  et 
aont  les  murailles,  battues  par  les  flots 
de  la  mer,  tombent  tous  les  jours  en 
ruine.  La  capitale  de  Ttle,  appelée 
Lemno,  Limio  ou  Stalimène,  est  située 
sur  le  penchant  d'une  colline  qui  vient  se 
terminer  au  bord  de  la  mer,  et  qui  en  est 
environnée  des  deux  côtés.  Le  coteau 
sur  lequel  la  ville  est  bâtie  est  environné 
de  vieilles  murailles,  et  porte  à  son 
sommet  un  château  autrefois  séjour  de 
la  garnison  turoue  et  du  gouverneur. 
L'accès  de  ce  château  est  très-difficile , 
de  sorte  qu'il  est  beaucoup  plus  fort  par 
son  assiette  que  par  ses  fortifications. 
Les  coteaux  qui  environnent  la  ville  sont 
couverts  de  vignes,  dont  l'aspect  justifie 
l'épithète  d  !i[insX6£(7aa,  donnée  à  Lemnos 
par  Quintus  Calaber  (2).  Au  temps  de 
Bélon  cette  île  était  bien  peuplée  et 
très-florissante  ;  on  y  comptait  soixante- 
quinze  villages ,  habités  par  des  Grecs , 
riches,  laborieux,  et  adonnés  à  l'agri- 
culture. Ses  ports  étaient  £réc|uemment 
visités  par  les  négociants  italiens,  et  sa 
géographie  moderne  est  plus  connue  que 
l'ancienne  et  a  une  plus  riche  nomen- 
clature. Les  anciens  ne  nous  ont  conservé 
que  le  nom  du  cap  Hermœum,  qui  est  la 
pointe  septentrionale  de  l'île  ;  c'est  au- 
jourd'hui le  cap  Blava.  Les  voyageurs  et 
géographes  modernes  nous  donnent  les 
noms  du  cap  Stala  au  sud-est,  du  cap 
Koudia  au  sud-ouest  et  de  la  pointe 
Palaeo-Castro  au  nord-ouest.  Ils  donnent 
à  la  montagne  qui  est  près  de  Lemno 
le  nom  de  Therma,  et  ils  énumèrent  les 
ports  Paradis  au  nord-est,  Koudia  au 
sud,  qu'une  presqu'île  formée  par  le 
mont  Saint-Antoine  sépare  du  port  Saint- 
Antoine,  vaste  golfe  qui  creuse  profon- 
dément la  côte  sud  de  Lemnos  et  qui  la 
sépare  presque  en  deux  parties  (3). 

(0  Dapper,  Description,  p.  a43. 
(a)  Quint.  Calab.,  IX,  337. 
(3)  Voyez  VjdtUu  du  Vofoge  de  Choiseul- 
Gouffier,  planches  4a  et  14. 


TaADITIONS  MYTHOLOGIQUES  ;  VUL- 

GAIN  A  Lemnos  ;  grimes  des  Lem- 

NIENNES  ;  LES  ARGONAUTES.  -^   Il  ne 

suffirait  pas  que  Lemnos  ait  eu  un  volcan 
pour  expliquer  les  roervei  lieuses  légendes 
relatives  au  séjour  de  Yulcain  dans  cette 
île.  Beaucoup  d'autres  îles  de  l'archipel 
ont  eu  des  volcans ,  sans  avoir  eu  de 
Yulcain.  Dans  le  culte  de  Yulcain  il  ne 
faut  pas  voir  seulement  l'adoration  d'une 
force  de  la  nature ,  mais  aussi  la  déifi- 
cation d'une  puissante  industrie  de  l'hu- 
manité, qui  fut  de  bonne  heure  établie 
et  florissante  àLemnos.  Selon Hellanicos 
et  lescoliaste  d'Homère,  les  habitants 
de  cette  île  furent  les  premiers  c|ui  s'appli- 
quèrent à  forger  des  armes.  C'était  parmi 
les  armuriers  de  Lemnos  qu'Homère 
poui'ait  avoir  trouvé  le  type  de  ce 
«  divin  forgeron  d'une  taille  prodigieuse, 
tout  noir  de  cendre  et  de  fumée,  qui 
boite  des  deux  côtés,  et  qui  avec  ses 
jambes  frêles  et  tortues  ne  laisse  pas 
de  marcher  d'un  pas  ferme  (1).  »  Après 
cela,  comme  le  feu  et  les  arts  viennent 
du  ciel ,  c'est-à-dire  de  Dieu,  Homère 

Î)ouvait  très-bien  supposer  ou  répéter  la 
égende  qui  racontait  comment  Yulcain 
était  tombé  du  ciel.  C'est  ce  qu'il  fait 
deux  fois  et  de  deux  manières  différentes. 
L'une  de  ces  traditions  rapporte  que 
Junon,  honteuse  de  la  difformité  de  son 
fils,  le  précipita  du  ciel;  qu'Eurynonie 
et  Thétis,  filles  de  l'Océan,  le  cachèrent 
sous  les  eaux ,  et  le  sauvèrent.  Ailleurs 
il  est  dit,  dans  V Iliade,  que  Jupiter  prit 
Yulcain  par  le  pied,  qu'il  le  jeta  hors 
du  ciel,  et  qu'étant  descendu  tout  le 
jour,  le  Dieu  tomba  dans  l'île  de  Lemnos 
au  coucher  du  soleil  ;  qu'il  était  à  demi 
mort,  et  que  les  habitants  lui  donnèrent 
des  soins  et  le  ranimèrent.  Yalerius  Flac- 
cus,  dans  ses  Ârgonautiques,  reproduit 
cette  dernière  tradition,  qui  devint  po- 
pulaire (2),  et  dont  les  Lemniens  racon- 
tèrent encore  à  Bélon,  en  1548,  les  prin- 
cipaux détails. 
Vulcain  s'établit  à  Lemnos ,  où  on 

(i)  Hom.,  niade,  l  XVIU ,  v.  410; 
Cf.  Lucien,  VIU,  x5;  Dialogue  des  Dieux, 
On  trouvera  plus  bas,  au  chapitre  de  Samo- 
thrace ,  un  article  sur  le  culte  des  dieux  Ca- 
bires. 

(a)  Hoin.,  Iliade,  I,  591  ;  Yal.  Flac,  Ar- 
ffon.,  II,  78. 


35d 


LTJN1VËRS. 


Tavait  bien  reçu.  Il  y  monta  une  forge; 
ii  T  épousa  Vénus.  Mars  survint,  sé- 
duisit la  femme  du  forgeron.  Le  soleil 
dévoila  cet  odieux  adultère,  et  Yulcain, 
enchaînant  les  deux  coupables,  montra 
leur  crime  à  tous  les  dieux.  Les  femmes 
de  Lemnos,  qui  étaient  encore  ver- 
tueuses, blâmèrent  très-sévèrement  la 
conduite  de  Vénus.  La  déesse,  irritée,  les 
frappa  d'un  fléau  qoi  éloigna  d'elles  leurs 
époux.  Ces  femmes,  iurieuses  de  leur 
abandon,  commirent  alors  le  premier 
de  ces  crimes  lemniens,  ïçn(a  Âi!(xi»ia,  qui 
inspirèrent  dans  l'antiquité  tant  d'hor- 
reur, et  qui  servaient  à  caractériser 
toute  action  atroce  (1).  Elles  massacrè- 
rent tous  les  hommes  de  l'île.  Ce  meurtre 
fut  exécuté  pendant  la  célébration  des 
mystères  de  Bacchus,  dont  les  fêtes 
réunissaient  et  fanatisaient  les  femmes, 
d'ailleurs  excitées  au  mal  par  la  colère 
de  Vénus.  Une  seule,  Hypsipyle,  sauva 
son  père  Thoas ,  en  le  cachant,  la  nuit 
du  massacre,  dans  le  temple  de  Bacchus. 
Thoas  était  alors  roi  de  l'île,  et  fils  de 
Bacchus  et  d'Ariane,  ce  qui  suppose  l'é- 
tablissement d'une  colonie  Cretoise  à 
Lemnos.  L'action  d'Hypsipyle  étant  res- 
tée secrète,  les  Lemniennes  la  prirent 
pour  reine. 

Quelque  temps  après,  les  Argonautes, 
montés  sur  le  navire  Argo,  et  réunis,  sous 
la  conduite  de  Jason,  pour  l'exoédition 
de  Colchide,  abordèrent  à  rite  de 
Lemnos.  Les  Lemniennes,  craignant  une 
invasion  des  Thraces,  leurs  ennemis,  et 
bien  décidées  d'ailleurs  à  ne  pas  recevoir 
auprès  d'elles  les  premiers  venus ,  ac- 
coururent tout  armées  sur  le  rivage, 
pour  s'opposer  à  l'invasion.  Mais  quand 
elles  surent  qu'elles  avaient  affaire  aux 
héros  de  l'expédition  de  la  Toison-d'Or, 
elles  les  accueillirent  dans  leur  île  (2). 
Elles  les  y  retinrent  pendant  deux  ou 
trois  ans.  Jason ,  devenu  l'époux  d'Hyp- 
sipyle, en  eut  deux  fils.  Conçus  et 
Thoas.  C'est  ainsi  que  l'île  se  repeupla. 
Cependant  Hercule ,  qui  seul  de  toute 
l'expédition  avait  eu  la  force  de  de- 
meurer dans  le  vaisseau,  reprocha  à  ses 
conipagnons  d'oublier  leur  entreprise 

(x)  Voyez  tous  les  détails  et  tontes  les  ci- 
tations dans  l'article  de  Ratlb. 

(2)  Apollonius,!,  773;  Ovid.,  ffer,  Epîst,, 
VI;Valer.  Flacc.,II,  v.  370. 


au  milieu  des  plaisirs ,  et  H  les  fbrca  à  se 
rembârqaer  (1). 

Bientôt  les  femmes  de  Leriinos  ayant 
découvert  qu'Hypsipyle  avait  sauve  son 
père  du  massacre,  voulurent  la  mettre 
a  mort.  Hypsipyle  prit  la  fuite;  mais  elle 
fut  rencontrée  en  mer  par  des  pirates,  et 
vendue  par  eux  comme  esclave  hounlee 
à  Lycurgue,  roi  d'Argos. 

Les  descendants  des  Argonaotes  et 
des  Lemniennes  s'appelèrent  les  Mi- 
fiyens,  nom  d'une  race  ou  tribu  pélas- 
gtque  établie  à  lolcos  en  Thessalie  et  à 
Orchomène  en  Béotre,  et  dont  il  est 
naturel  de  retrouver  le  nom  dans  tous 
les  lieux  où  elle  fonda  des  colonies. 

Philoctètb  a  Lemnos.  —  Une 
génération  après  l'expédition  des  Argo- 
nautes, la  Grèce  entière  prit  les  armes 
Ï^our  conquérir  la  ville  de  Troie.  Phi- 
octète,  lami  d'Hercnle,  l'héritier  de 
ses  flèches ,  sans  lesquelles  on  ne  pouvait 
renverser  la  puissante  cité  de  Priam, 
foartit  avec  les  héros  armés  pour  venger 
rinjure  de  Ménélas.  En  passant  dans 
rtle  de  Lemnos,  il  se  blessa  au  pied  avec 
une  de  ces  flèches  d'Hercule,  trempées 
dans  le  sang  de  l'hydre  de  Lerne.  Les 
Grecs,  ne  pouvant  l'emmener  avec  eux 
dans  cet  état ,  l'abandonnèrent  dans  nie 
de  Lemnos,  où  les  prêtres  de  Vnlcain 
devaient  le  guérir  au  moyen  de  la  ferre 
Sigillée.  Selon  Philostrate,  il  fut  «  in- 
continent guéri  par  le  moyen  de  cette 
terre  lemnienne,  qu'on  tire  au  propre 
endroit  où  Vulcain  jadis  cheutdu  ciel  >; 
de' sorte  qu'il  ne  souffrit  pas  à  Lemnos 
ces  longues  douleurs  dont  les  poètes  ont 
tant  parlé.  Dans  leurs  fictions,  dans 
Sophocle,  par  exemple,  que  Fénelon  a  si 
admirablement  imité,  Lemnos  est  uoe 
terre  stérile  et  solitaire.  On  n'y  tient 
aucun  compte  de  l'établissement  de  Li 
colonie  des  Minyens  qui  avait  suivi  le 
massacre  de  tous  les  hommes  de  llleet 
qui  l'avait  repeuplée  (2).  «  H  n'y  a  ni 

(i)  Sophocle  avait  traité  toute  celte  histoire 
dans  la  tragédie  des  Lemniennes,  Voy.  Sopk,^ 
Didot,  p.  3a  X. 

(1)  Du  reste,  toutes  ces  contradictîoDs  s*ex- 
pliqueDty  si  l'on  admet,  comme  le  prétendeot 
plusieurs  auteurs,  que  ce  n'est  pas  âêns  1% 
de  Lemoos,  mais  sur  le  rocher  de  Chrysè,  que 
Philoctète  (ai  abandonné  par  les  Grecs.  Cet 
îlot  était  situé  en  vue  des  côtes  de  Lemiitf< 


ILE  DE  LEM.NOS. 


850 


port,  ni  commerce,  ni  hospitalité,  ni 
nomme  qiii  y  aborde  volontairement. 
On  D'y  voit  que  les  malheureux  que  les 
tempêtes  y  ont  jetés ,  et  on  n'y  peut 
espérer  de  société  que  par  des  naufrages  ; 
eoeore  même  ceux  qui  venaient  en  ce 
lieu  n*osaient  me  prendre  pour  me  ra- 
mener ;  ils  craignaient  la  Colère  des  dieux 
et  celle  des  Grecs  (1).  »  Jamais  en  réa- 
lité Lemnos  n*était  devenue  un  si  affreux 
désert;  mais  quel  puissant  moyen  pour 
émouvoir  sur  Vabandon  et  les  douleurs 
de  Philoctète  que  le  triste  tabligatt  de 

Voici  ce  que  nous  en  apprend  Choiseul- 
Gouffier,  t.  II,  p.  i3i.  «Sur  cet  éciieil  inha* 
bité  Jason  et  les  hardis  Argonauies  avaient 
élevé  un  autel  avant  de  s'engager  dans  le  Pont- 
EuxÎD,  dont  ils  allaient  les  premiers  braver 
les  dangers.  Hercule  et  Philoctète  avaient 
les  premiers  sacrifié  sur  ce  même  autel,  lors 
de  leur  expédition  contre  Troie.  Les  oracles 
prescrivirent  aux  Grecs  réunis  sous  Aga> 
memnon  de  mériter  par  les  mêmes  sacrifices 
id  protection  des  dieux.  C'est  en  leur  indiquant 
cet  autel,  et  en  essayant  de  le  dégager  des 
ronces  qui  le  couvraient ,  que  Philoctète  fut 
piqué  par  un  serpent  et  délaissé  par  le  conseil 
du  perfide  Ulysse,  durant  dix  années  de  souf- 
frances et  de  misère.  Du  temps  d'Appien,  c'est- 
à-dire  au  commencement  du  second  siècle,  on 
montrait  encore  dans  cette  île  déserte  Tautel 
de  Philoctète,  sa  cuirasse,  un  serpent  d'airain, 
et  des  bandelettes,  témoins  des  longues  dou- 
leurs du  héros.  Mais  Pausanias,  qui  écrivait 
peu  d'années  après,  nous  apprend  que  l'ile 
nit  engloutie  dans  le  même  temps  où  l'ile 
d'Hiéra  sortit  du  sein  des  eaux ,  c'est-à-dire 
vers  l'an  197  avant  J.-C,  époque  que  j'ai 
déterminée  en  décrivant  l'ile  de  Santorin.  « 
Ainsi  tout  ce  que  les  poètes  ont  inventé  an 
sujet  de  Lemnos  conviendrait  parfaitement 
au  rocher  inhabité  de  Ghrjsé.  La  disparition 
de  cet  écueil  doit  être  attribuée  au  travail  des 
(eui  sous-marins  qui  ont  entraîné  aussi  toute 
U  partie  volcanique  de  Lemnos  où  l'on  ne  re- 
trouve plus  ni  les  cratères,  ni  les  laves  ({u'elle 
avait  jadis.  Mais  elle  est  entourée  de  récifs 
et  de  bas-fonds  qui  ne  sont  autre  chose  que 
celle  portion  de  l'ile  maintenant  affaissée 
sous  les  eaux.  «  C'est  là  qu'était  le  volcan , 
dilChoiseuI-Oouffier;  les  feux  intérieurs  ont 
miné  les  fondements  de  ce  promontoire 
maintenant  recouvert  par  les  flots  ;  la  mon- 
tagne brûlante  qui  menaçait  d'anéantir  l'ile 
entière  a  péri,  et  elle  a  entraîné  dans  sa  chute 
les  terres  voisines.  » 
(i)  Télémaque,  l.  XV, 


cette  terre  inhospitalière,  où  le  héros  dé- 
laissé  gémit  pendant  dix  ans  loin  du 
commerce  de  ses  semblables.  Et  ce- 
pendatit  cette  Ile  sauvage,  si  repoussante 
tant  que  Philoctète  y  souffre,  il  la 
regrette  quand  il  doit  la  quitter,  et  Part 
de  récrivain  sait  presque  nous  la  rendre 
aimable  et  chère  par  ces  plaintifs  et  tou- 
chants adieux  :  «  Adieu,  cher  antre! 
Adieu,  nymphes  de  ces  prés  humides  :  je 
n'entendrai  plus  le  hruit  sourd  des  vagues 
de  cette  mer  !  Adieu,  rivage  où  tant  do 
fois  f  ai  souffert  les  injures  de  Va\rl 
Adieu,  promontoires  où  Ëcho  répéta 
tant  de  fois  mes  gémissements  !  Acfieu, 
douoesfontaines!  oui  mefiltes  si  amères. 
Adieu,  ô  terre  de  lemnos!  » 

Les  Pblasges  tybrhéniens  s*é- 
TÀBLissEi^T  A  Lemnos  (1160).  —  Les 
premiers  habitants  de  Lemnos  sont 
appelés  par  Homère  et  Strabon  les  Sin- 
tiens:  c'était  une  tribu  d'origine  thrace, 
qui  parlait  une  langue  (1)  que  le  poète 
qualifie  de  barbare;  ce  qui  n'empêche 
pas  qu'on  ne  puisse  les  rattacher  à  la 
nation  pélasgique,  qui  peupla  la  première 
toutes  ces  îles  et  les  contrées  voisines. 
Les  Minyens,  descendants  des  Argo- 
nautes, qui  dominèrent  ensuite  àLeshos, 
appartiennent  aussi  à  la  même  race. 
Enfin,  quelque  temps  après  la  guerre.de 
Troie,  Lemnos  reçoit  une  nouvelle  co- 
lonie de  Pélasges,  qui  portent  le  nom 
particulier  de  Tyrrhénietis.  Selon  Hé- 
rodote, ces  Pélasges,  qui  avaient  cons- 
truit la  muraille  de  la  citadelle  d'A- 
thènes, ayant  outragé  les  filles  des  Athé- 
niens, furent  chassés  par  ces  derniers, 
et  allèrent  se  réfugier  dans  Tlle  de 
Lemnos  (2).  L'arrivée  de  ces  nouveaux 
colons  força  les  Minyens  à  émigrer  ;  ils 
se  retirèrent  en  Laconie,  où  ils  furent 
accueillis  avec  hospitalité,  en  considé 
ration  de  Castor  et  Pollux,  les  héros 
tvndarides  qui  avaient  fait  partie  de 

I  expédition  des  Argonautes,  et  qui 
comptaient  parmi  les  ancêtres  de  ces 
Myniens.  Lemnos  ne  fut  pas  la  seule 
contrée  où  les  Tyrrhéniens  s'établirent. 

II  paraît  certain  qu'une  nation  appelée 
les  Tyrrhéniens,  et  à  laquelle  on  donne 
souvent  l'épithète  de  Pélasgique,  avait 

'  (i)  Hom.,  7/iW<0, 1, 594;  Od.^  VIII,  agi  ; 
Strab.,  X,  p.  457. 

(a)  Hérod.,  VI,  13;  ;  IV,  gS, 


360 


L'UNIVERS. 


occupé  autrefois  les  côtes  occidentales 
de.  FAsie  Mineure  et  les  îles  voisines. 
Stfabon  prouve,  par  les  témoignages 
d'un  grand  nombre  d'auteurs,  que  les 
contrées  de  TAsie  voisines  de  la  Lydie, 
qui  rej^urent  plus  tard  tant  de  colonies 
helléniques ,  avaient  eu  d'abord  des  Pé- 
lasges  pour  habitants.  Ces  Pélasges 
s'appelaient  les  Tyrrhéniens  ou  Tyrsé- 
niens.  Anticlide,  cité  par  Strabon,  disait 
que  c'étaient  les  Pélasges  de  Leinnos  et 
d'Inibros  qui  avaient  suivi  Tyrrhénus  en 
Italie.  Porphyre,  dans  la  Fie  de  Pytha^ 
gore,  disait  que  Mnésarque,  père  de  ce 
philosophe ,  était  originaire  de  cette  na- 
tion tyrrhénienne  qui  occupait  Lemnos, 
Imbros  et  Seyros.  On  pourrait  prouver 
encore  par  d'autres  témoignages  Texis- 
tence  de  cette  tribu  pélasgique  des  Tyr- 
rhéniens étabhe  au  nord  de  TArchipel, 
nation  maritime ,  industrieuse ,  com- 
roer^te,  qui eutsans doute  d'étroites 
relations  avec  la  dynastie  lydienne  des 
Atyades,  et  dont  elle  accompagna  Tun 
des  princes  en  Italie,  où  l'on  retrouve  une 
puissante  nation  tyrrhénienne,  évi- 
demment d'origine  asiatique. 

Ce  qui  nous  permet  d'introduire  ici  ces 
considférations  générales,  qui  paraissent 
étrangères  à  l'émigration  des  Pélasges 
de  l'Attique ,  c'est  ^ue  Plutarque  les 
appelle  des  Tyrrhéniens,  et  que  c'est 
toujours  ce  nom  qui  domine  toutes  les 
fois  qu'il  est  question  dans  les  anciens 
auteurs  de  la  population  primitive  de 
Lemnos  et  des  ties  circonvoisiues  (1). 

Ces  Pélasges  tyrrhéniens  de  Lemnos, 
irrités  contre  les  Athéniens,  qui  les 
avaient  chassés ,  cherchèrent  les  moyens 
de  se  venger  d'eux.  «  Comme  11^  con- 
naissaient très-bien  leurs  jours  de  fête , 
dit  Hérodote ,  ils  équipèrent  des  vais- 
seaux à  cinquante  rames,  et,  s'étant 
mis  en  embuscade,  ils  enlevèrent  un 

frand  nombre  d'Athéniennes  qui  cèle- 
raient la  fête  de  Diane  dans  le  bourg 
de  Brauron.  Ils  remirent  ensuite  à  la 
voile,  et  les  menèrent  à  Lemnos ,  où  ils 

(i)  Plut.,  De  Millier,  vin,,  YIII,  p.  247  ; 
Thuc,  IV,  109.  Les  Tyrrhéoiens  uous  |)araiso 
sent  être  une  tribu  de  la  grande  race  pélas- 
gique, particulièrement  eu  rapport  avec  TAsie 
Sar  le  commerce  et  la  navigation.  Voyez  les 
éveloppements  de  cette  opinion ,  dans  VU' 
nivers,  Italie  attc^X,  I,  p.  19. 


les  prirent  pour  leurs  concubines.  De 
ces  unions  illégitimes  naquirent  beau- 
coup d'enfants,  à  qui  leurs  mères  appri- 
rent la  langue  et  les  usages  d'Athènes. 
Ces  enfants  ne  voulaient  pas,  par  cette 
ralBon ,  avoir  aucun  commerce  avec  ceux 
des  femmes  des  Pélasges  ;  et  si  quelqu'uu 
d'entre  eux  venait  à  en  être  frappé ,  ils 
accouraient  tous  à  son  secours,  et  s<* 
défendaient  les  uns  les  autres.  Ils  se 
croyaient  même  en  droit  d'être  leurs 
maîtres,  et  ils  étaient  bien  plus  forts. 
Le  courage  et  l'union  de  ces  enfants 
firent  faire  de  sérieuses  réflexions  aui 
Pélasges.  Quoi  donc!  se  disaient-ils  dans 
leur  indignation,  s'ils  sont  déjà  d*aoeor«i 
pour  se  donner  du  secours  contre  les 
enfants  des  femmes  que  nous  avons 
épousées  vierges,  s'ils  tâchent  dès  à  pré- 
sent de  dominer  sur  eux,  que  ne  feroot- 
ils  pas  quand  ils  auront  atteint  ïtsa 
viril  !  Ayant  pris  là  dessus  la  résolution 
de  tuer  tous  les  enfants  qu'ils  avaient  tus 
des  Athéniennes  ils  exécutèrent  ce  pro- 
jet ,  et  massacrèrent  aussi  les  mères  e2 
même  temps.  »  Tel  fut  le  second  de  ccs 
crimes  atroces  uni  ont  rendu  prover- 
biale la  cruauté  des  Lemniens.  (  H39, 
selon  la  chronologie  de  Larcher.  ) 

Après  ce  massacre,  la  colère  des 
dieux  ne  tarda  pas  à  se  fabre  seni;r. 
«  La  terre  cessa  de  produire  des  fruits, 
continue  Hérodote,  et  les  femmes  et  les 
troupeaux  devinrent  stériles.  AflUgés 
par  la  famine  et  par  la  stériUté  de  leur^ 
lemmes,  les  Lemniens  envoyèrent  j 
Delphes  prier  le  dieu  de  les  délivrer  de 
leurs  maux.  La  Pytliie  leur  commandj 
de  donner  aux  Athéniens  la  satisfactiou 
que  ceux-ci  jugeraient  à  propos  d^exiger. 
Les  Pélasges  se  rendirent  à  Athènes , 
et  promirent  de  subir  la  peine  qu  ou 
leur  imposerait  en  réparation  de  leur 
crime.  Les  Athéniens  dressèrent  un  lit 
dans  le  Prytanée  avec  toute  la  magnifia 
cence  possible ,  et,  ayant  couvert  uar 
table  de  toutes  sortes  de  viandes  et  de 
fruits,  ils  dirent  aux  Pélasges  de  leur 
livrer  Tlle  de  Lemnos  dans  le  même 
état  où  était  cette  table.  Nous  vous  U 
livrerons ,  reprirent  les  Pélasges ,  lors- 
qu'un de  vos  vaisseaux  arrivera  par  im 
vent  de  nord-est  de  votre  pays  a  Lem- 
nos, en  un  seul  jour.  Ils  firent  cetie 

(1)  Hérodote,  VI,  139. 


ILE  DE  LEMrïOS. 


361 


réponse,  parce  que  rAttîque  étant  située 
au  midi  de  Lemnos ,  et  à  une  distance 
considérable  de  cette  tie,  il  leur  pa- 
raissait impossible  de  faire  un  si  long 
trajet  en  un  jour  par  un  vent  de  nord- 
est.  » 

COKQUâTE  DE  l'ÎLE  DE  LeMNOS  PAE 

L£S  Athéhiens  (510).  —  Pour  le  mo- 
ment les  choses  en  restèrent  là ,  et  les 
Péiasges  tyrrhéniens  continuèrent  à 
occuper  Lemnos  jusqu'au  temps  des 
guerres  médiques,  sans  que  pendant 
cette  longue  suite  de  siècles  il  soit  ja- 
mais parlé  d'eux  et  de  |,eur  ile.  Mais  les 
Athéniens  n'oublièrent  ni  la  vengeance 
qu'ils  avaient  à  tirer  des  Péiasges  de 
Lemnos,  ni  la  prédiction  qui  leur  avait 
été  faite,  et  ^ui  devait  se  réaliser  d'une 
façon  singulière. 

'Pendant  la  tyrannie  de  Pisistrate, 
Miltiade  l'ancien,  fils  de  Cypsélus,  riche 
Athénien  qui  remporta  aux  jeux  Olym- 
piques le  prix  de  la  course  des  chars , 
et  qui  descendait  d'i£acus,  avait  fondé 
une  principauté  dans  la  Chersonèse  de 
Thrace  (1).  A  sa  mort,  en  531 ,  son  ne- 
veu Stésagoras ,  fils  de  Cimon ,  lui  suc- 
céda dans  le  gouvernement  de  cette  pos- 
session importante,  par  laquelle  Athènes 
commençait  l'établissement  de  son  em« 
pire  maritime.  Quelque  temps  après,  Sté- 
sagoras ayant  péri  de  mort  violente, 
les  Pisistratides  envoyèrent  dans  la  colo- 
nie son  frère  Miltiade  pour  le  rempla- 
cer (.SI 5).  C'était  bien  malgré  eux  qu'ils 
confiaient  un  tel  pouvoir  à  un  homme 
dont  ils  avaient  assassiné  le  père  (2); 
mais  la  famille  de  Miltiade  était  trop 
bien  affermie  dans  la  Chersonèse  pour 
que  la  jalousie  des  Pisistratides  pût 
songer  à  l'en  déposséder.  Cependant 
Miltiade ,  sachant  tout  ce  qu'il  avait  à 
craindre  de  ses  puissants  et  soupçon- 
neux ennemis ,  résolut  de  se  mettre  à 
labri  de  toute  tentative,  et  de  se  donner 
en  Chersonèse  une  autorité  égale  à  celle 
des  Pisistratides  à  Athènes.  C'était  un 
liomme  aussi  rusé  que  brave,  etqui,  avant 
de  remporter  la  victoirede  Marathon,  s'é- 
tait sigualé  plutôt  par  des  traits  d'adresse 
que  par  des  actions  d'éclat.  Dès  qu'il  fut 
arrivé  en  Chersonèse ,  il  songea  donc  à 
s'emparer  de  la  tyrannie.  Sous  prétexte 

(0  Hérodote,  YI,  $4  et  suiv. 
.  W  Id.,  VI,  xo3. 


d'honorer  la  mémoire  de  son  frère,  il 
affecta  de  se  tenir  renfermé  dans  son 
palais,  comme  s'il  eût  été  inconsolable 
de  sa  perte.  Aussitôt  tous  les  principaux 
citoyens  du  pays  s'assemblent,  et  vont 
le  trouver,  pour  essayer  de  le  distraire 
de  sa  douleur.  Les  voyant  réunis  sous  sa 
main,  Miltiade  les  fait  arrêter,  prend 
une  garde  de  cinq  cents  mercenaires , 
et  devient  maître  aîbsolu  dans  la  Cher- 
sonèse. 

C'est  alors  que  Miltiade  se  vit  en  état 
de  remplir  la  condition ,  en  apparence 
impossible,  que  les  Lenmiens  avaient 
mise  à  leur  soumission ,  et  de  satisfaire 
la  vengeance  de  ses  compatriotes.  La 
Chersonèse  de  Thrace ,  où  régnait  de- 
puis longtemps  sa  famille,  pouvait  être 
appelée  une  terre  athénienne,  et  elle  se 
trouvait  à  peu  d'heures  et  au  nord  des 
lies  Pélasgiques  d'Imbros  et  de  Lemnos. 
Il  passa  donc  en  un  jour,  à  la  faveur  des 
vents  étésiens ,  de  la  ville  d'Ëléonte  dans 
l'ile  de  Lemnos ,  et  il  somma  les  Péias- 
ges de  sortir  de  leur  tle.  Les  habitants 
d'Héphaestia  obéirent;  mais  ceux  de 
Myrine ,  ayant  répondu  à  Miltiade  qu'ils 
ne  reconnaissaient  pas  la  Chersonèse 
pour  1  Attique ,  ils  soutinrent  le  siège 
jusqu'à  ce  qu'ils  se  vissent  forcés  de  se 
rendre  (1)  (510).  Bientôt  après,  Miltiade 
se  vit  enlever  sa  conquête.  Darius ,  roi 
de  Perse,  ayant  échoué  dans  son  expé- 
dition contre  les  Scythes,  avait  chargé 
son  général  Mégabase,  et  après  lui  Ota- 
nès ,  de  lui  soumettre  toute  la  partie 
orientale  de  l'Europe,  c'est-à-dire  la 
Thrace  et  la  Macédoine.  Otanès  ne  se 
borna  pas  à  ces  conquêtes  sur  le  conti- 
nent ;  il  soumit  aussi  les  îles  du  nord  de 
la  mer  Egée.  Avec  l'aide  d'une  escadre 
fournie  par  les  habitants  de  Lesbos ,  il 
attaqua  les  îles  d'Imbros  et  de  Lemnos , 
dont  la  population  était  encore  toute  pé- 
lasgique.  Lemnos  ne  se  rendit  pas  sans 
une  vive  résistance  :  elle  fut  remise  à 
Lycarète ,  frère  de  Mœandrius ,  tyran  de 
Samos  (â). 

Miltiade,  trop  compromis  avec  les 
Perses  pour  rester  dans  la  Chersonèse , 

(i)  Hérodote,  VI,  i4o.  Cf.  Le  récit  de 
Cornélius  Nepos,  Milt.,  x,  qui  diffère  de  celui 
d'Hérodote  sur  plusieurs  points. 

(a)  Diod.  Sic,  X,  196  y  i^/-a^.;  Hérod., 
y,a6. 


362 


WmiERS. 


fut  obligé  de  se  iréfngier  à  Athènes,  qui 
perdit  momentanément  ses  possessions 
de  Thrace  et  des  tles.  Mais  après  leurs 
grandes  victoires  de  Marathon  et  de  Sa- 
lainine ,  les  Athéniens  s'emparèrent  de 
Tempire  de  la  nier  Egée ,  et  ils  n'eurent 
pas  de  peine  à  se  rétablir  dans  I^emnos 
et  Imbros,  qui  furent  dès  lors  comme  des 
annexes  du  territoire  de  TAttique.  La 
population  de  ces  deux  îles  devint  tout 
athénienne  de  langage,  de  mœurs  et  de 
coutumes  (f).  Les  Pélasges  tyrrhéniens 
furent  expulsés  entièrement  ou  se  mêlè- 
rent aux  colons  qui  vinrent  d'Athènes. 
A  partir  de  cette  époque  les  tles  de  Lem- 
nos,  d'Imbros,  et  même  de  Scyros,  res- 
tent invariablement  rattachées  à  la  do- 
mination d'Athènes ,  qui  ne  perdit  ces 
possessions   que  lorsau'elle  cessa^  elle- 
même  d'être  une  cite  libre.  Dans  la 
guerre  du  Péloponnèse,  les  soldats  d'Im- 
ros  et  de  Lemnos  sont  de  toutes  les 
entreprises  des  Athéniens.  Us  servent 
dans  le  sié^e  de  Mitylène,  dans  l'expédi- 
tion de  Spnaetérie ,  dans  les  campagnes 
en  Chalcidique  contre  Brasidas,  dans 
la  grande  expédition  de  Sicile  (2).  Après 
iEgos-Potamos ,  405,  Lysandre  enlève 
ces  îles  aux  Athéniens ,  et  Conon  les  leur 
rend  après  la  bataille  de  Cnide  (396). 
Aux  négociations  du  traité  d'Antalcidas, 
les  Athéniens  obtinrent  qu'on  leur  lais- 
serait la  possession  de  ces  trois  îles.  Lem- 
nos ,  Imbros  et  Scyros  furent  exceptées 
en  leur  faveur  de  tet  affranchissement 
général  de  toutes  les  cités  grecques 
que  proclamait  la  politique  perQde  de 
Sparte  et  de  la  Perse  (387). 

Dans  la  guerre  Sociale,  Lemnos  et 
Imbros  restèrent  fidèles ,  ainsi  que  les 
colons  samiens.  Les  alliés  les  en  puni- 
rent par  des  ravages.  Cent  vaisseaux  de 
Cos,  de  Rhodes ,  de  Byzance  et  de  leurs 
auxiliaires  parcoururent  la  mer  Egée, 
maltraitant  partout  ceux  qui  persévé- 
rèrent dans  leur  attachement  aux  Athé- 
niens. Lemnos ,  Imbros  et  Samos  furent 
les  îles  qui  souffrirent  le  plus  de  cette 
expédition  (3).  Après  la  guerre  Lamia- 
qie  (322),  où  ils  turent  vaincus  par  An- 

(ij  Thuc,  Vni,  57  ;  ce  furent  les  Lemniens 
d*AthèDe8  qui  consacrèrent  la  Minerve  de 
Phidias,  rojr,  Pausan.,  I,  aS,  1, 

(1)  thuc.,  m,  i  ;  IV,  a8  ;  V,  8;  VIT,  58. 

(3)  Diod.  Sicul.,  XVI,  ai,». 


tlpater,  les  Athéniens  perdirent  toot  « 
qni  leur  restait  de  leurs  possessions 
extérieures.  Leurs  colons  forent  chassés 
de  Samos ,  et  on  leur  enleva  Lenmos, 
Imbros  et  Scyros. 

Détachée  d'Athènes,  Lemnos  (ut 
beaucoup  à  souffrir  des  prétentions  dts 
divers  princes  qui  se  disputaient  la  sd* 
nrématie  de  la  Grèce,  et  efaerebaient] 
rasservir  tout  en  lui  promettant  la  li- 
berté. Elle  changea  plusieurs  fois  de 
mains,  occupée  tantôt  par  Cassandre. 
fils  d'Antipater ,  tantôt  par  Déméuio^ 
fils  d*Antigone  (  1).  Enfin  elle  resta  à  b 
Macédoine. 

Après  la  défaite  de  Persée  (168  im\ 
Jésus-Christ),  les  Athéniens,  qui  étaient 
en  faveur  auprès  des  Romains ,  se  firent 
rendre  leur  possession  de  Lemnos,  ro 
damation  que  Polybe  trouve  très-fao* 
dée ,  puisque  Lemnos  leur  avait  app3^ 
tenu  autrefois  (2).  Bientôt  après  (146. 
la  Grèce  fut  réduite  en  province  romaiw ; 
Athènes  perdit  encore  sa  possession  âe 
Lemnos,  et  cette  fois  c'était  pooraf  j> 
mais  la  recouvrer. 

On  ne  connaît  aucune  médaille  q« 
porte  le  nom  de  Lemnos;  celles  que 
Choiseul-Gouffier  a  fait  graver soutd'Hc* 
phaestia.  Deux  de  ces  médailles  repré- 
sentent un  tête  de  femme  et  un  bélier; 
au  revers  de  la  troisième  est  unetorcht 
entre  deux  bonnets,  symboles  de  Castor 
et  de  Pollux. 

Lemnos  bans  les  temps  hodib- 
NES.  —  Après  les  temps  anciens,  lliH- 
toire  de  Lemnos  n*orfre  plus  riendt 
remarquable.  On  ne  sait  rien  sur  ta 
révolution  religieuse  qui  y  substitua  le 
nom  de  Jésu<*Christ  au  culte  de  Minent^ 
et  des  dieux  Cabires.  Au  quatriéiuf 
siècle  Lemnos  était  chrétienne.  Aa  coa* 
cile  de  Nicée  figure  Strat^ius,  évéquf  ^ 
Lemnos.  Héphœstia  fut  aabord  le  sieee 
de  l'évéché  de  Lemnos.  Plus  tard  ce  fat 
Stalimène.  An  dix-septième  siècle  1>- 
véque  de  Tlle  résidait  au  monastère  àt 
Saifit-Paul,  prèsduboui^deLivado-Cbt>- 
rio  (3).  Les  Annales  ecclésiastiques  n* 
content  comment  en  790 ,  sous  le  rèfiv 
de  Constantin  et  dlrène ,  on  fit  la  trans- 
lation du  corps  de  sainte  Euphémie  de 

(i)  Diod.  Sicul,  XIX,  68;  XX,  4<>- 
(a)  Polyb.,XXX,  i8;Vilniv.,  I.  VÎI,«;:. 
(3)  Lequien,  Oriens  Cftnst,,  1. 1,  coL  o5i. 


ILE  DE  LEMHOS . 


ses 


Lemnos  àChalcédoine.  Cette  sainte,  qui 
îvait  souffert  le  martyre  dans  cette  der- 
nière ville,  en  307,  pendant  la  perséco- 
:ioD  de  Galerius.  était  honorée  dans  ton- 
£S  les  églises  crOrient.  Les  habitants 
te  Lemnos  virent  avec  repet  qu'on  leur 
lolevait  ces  précieuses  rehques  ;  ils  réda- 
nèrent  avec  vivacité,  et  en  vinrent  près- 
|u'à  un  soulèvement.  La  prudence  de  leur 
iréque  les  calma ,  et  assura  Texécution 
les  ordres  de  Tempereur  et  de  Tarasius, 
latriarche  de  Gonstantinopie. 
Lemnos,  appelée  communément  Sta- 
îmène  dans  les  écrivains  du  moyen  âse, 
It  partie  de  Tempire  grec  jusqu'à  ré- 
loque  de  la  quatrième  croisade.  En* 
oite  elle  fut  disputée  aux  Byzantins 
lar  les  Vénitiens  et  les  Génois.  Au  qua- 
przième  siècle ,  elle  fit  partie  du  petit 
^(at  que  les  Gateluzi  avaient  fondé  à  Mé- 
élin.  Mais  alors  les  Turcs  Ottomans 
lommençaient  à  infester  FArchipel  et  à 
»iller  toutes  les  ties  grecques.  Les  capes 
xcitaient  continuellement  les  princes 
hrétiens  à  se  réunir  et  à  s*armer  poui^ 
epousser  les  infidèles.  Us  n^étaient  en- 
endus  que  par  ceux  qui  étaient  intëres- 
es  à  ces  guerres ,  comme  les  Génois  et 
es  Vénitiens.  Seuls,  les  chevaliers  de 
Ihodes  étaient  animés  du  zèle  de  la  re- 
igion ,  et  combattaient  comme  soldats 
le  la  foi.  Leurs  galères  parurent  souvent 
[ans  les  eaux  de  Lemnos  et  des  îles  voi- 
ines ,  et  y  eurent  de  fréquents  engase- 
nents  avec  l'ennemi.  En  1457,  Pexpéai- 
ion  dirigée  par  Louis ,  patriarche  d'A- 
[uilée ,  à  Tinstigation  de  Callixte  III,  no 
lut  empêcher  la  chute  des  Gateluzi  (1), 
|ue  Mahomet  II  dépouilla  en  1462.  Les 
éoitiens  défendirent  Lemnos  encore 
|endant  quelques  années.  Les  Turcs 
assiégèrent  l'an  1475 ,  et  furent  con- 
raiots  de  lever  le  siège.  Ce  fut  alors 
(u'éclala  le  grand  courage  d'une  fille 
lomméMaruTla.  *  M.  Moreri,  ditBayle, 
tn  a  fait  mention  ;  mais  il  a  cru  fausse- 
pent  qu'elle  vivait  dans  le  quatorzième 
'lècle.  Il  ajoute  que  Mahomet  II  enleva 
^te  Ile  aux  Vénitiens.  Gela  n'est  point 
'xact,  puisqu'il  ne  l'obtint  que  par  un 
faite  de  paix ,  l'an  1478  (9).  Les  Véni- 
iens  la  conquirent  l'an  1656;  les  Turcs 

(0  Voy.  plus  haut,  p.  333. 
(a)  Toy.  Vîanoli,  iefl  ffisfona  Ventta, 
orne  4. 


la  reprirent  Tannée  suivafite,  après  un 
long  si^e.  > 

Après  la  destruction  de  la  flotte  otto- 
mane à  Tchesmé  (1770),  l'escadre  russe, 
repoussée  des  Dardanelles,  alla  former 
le  siège  de  la  citadelle  de  lemnos.  Has- 
san-bey ,  qui  fut  depuis  capitan-pacha , 
la  délivra  par  un  coup  de  main  d'une 
audace  extraordinaire.  Sans  bâtiment 
de  guerre,  sans  une  seule  pièce  de  ca* 
non ,  il  s'engage  dans  cette  téméraire 
entreprise  avec  trois  mille  volontaires 
déterminés ,  montés  comme  loi  sur  de 
chétives  barques.  Une  seule  frégate  d'ob- 
servation suffisait  pour  détruire  cette 
escadre  singulière.  Mais  les  Russes  n'a- 
vaient pris  aucune  précaution  pour  sur- 
veiller fa  mer.  Hassan  débarque  sans  être 
aperçu,  et  marche  au  camp  des  assié- 
geants, qu'il  culbute  aussitôt.  Rien  ne  lui 
résiste,  il  poursuit  jusqu  au  port  Saint- Au* 
toine  les  fuyards,  qui  se  précipitent  dans 
leurs  vaisseaux,  et  les  Turcs,  maîtres  du 
terrain ,  voient  l'escadre  ennemie  lever 
l'ancre  et  s'éloigner  à  toutes  voiles. 

C'est  dans  Gnoiseul-Goufifier  que  se 
trouvent  les  derniers  renseignements  sur 
rtle  de  liCmnOs,  qui  a  été  peu  visitée  dans 
ces  derniers  temps.  «  L'Ile  de  Lemnos, 
dit-il,  est  une  des  mieux  peuplées  de 
l'Archipel,  en  raison  de  son  étendue  ;  et, 
d'après  des  renseignements  assez  pro« 
bables,  si  je  ne  puis  dire  parfaitement 
sûrs,  il  paraît  nue  l'on  peut  porter 
jusqu'à  trente  mule  le  nombre  de  ses 
habitants. 

«  Le  port  de  Myrina,  ou  de  Lemnos , 
offre  tous  les  avantages  que  l'on  peut 
désirer;  la  ville  l'entoure  et  un  fort 
avancé  le  protège.  On  y  construit  des 
bâtiments  ae  toutes  espèces,  et  même  des 
vaisseaux  de  guerre  avec  des  bois  ap- 
portés des  cotes  de  la  Thrace  et  de  la 
Macédoine.  Le  fort  est  ordinairement 
occupé  par  une  très-faible  garnison 
turque  :  le  reste  de  llle jouit  assez  pai- 
siblement des  abondantes  productions 
du  sol  le  plus  iertile;  et  de  nombreux 
troupeaux  se  multiplient  dans  toutes  les 
parties  qui  ne  sont  pas  aussi  favorables 
a  la  culture.  De  vastes  prairies  s'étendent 
au  nord  du  port  de  Moudros  ;  ce  sont 
sans  doute  ces  pâturages  ^ue  Strabon 
appelle  Eubœa,  nom  qui  mdique  un 
endroit  propre  à  nourrir  des  boeufs.  A 
i'or|ent  je  cette  prairie  sont  des  teri'alns 


864 


L'UNIVERS. 


luoDtueux,  couverts  de  vignes,  où  Ton 
rencontre  plusieurs  villages,  qui  n*ont 
pas  été  déterminés  sur  le  terrain,  et  que 
Ton  n*a  pas  placés  sur  la  carte  (1).  » 

Ile  d'imbbos. 

L1le  que  les  anciens  ont  appelée 
Imbros  ou  Imbrus,  qui  se  nommait  £m- 
baro,  Lembro,  In[)bro,dans  les  temps  mo- 
dernes, est  située  à  vingt-cinq  milles  à 
Touest  de  la  Ghersonèse  de  Tnraee  (2). 
Piine  lui  donne  soixante-douze  milles  de 
circuit.  Elle  est  arrosée  par  un  cours 
d*eau  appelé  Tllissus.  Cette  île  est  haute 
et  montueuse,  et  Homère  lui  donne  Té- 
pithètede  IlaiTcaXoédair),  laRocailleuse  (3), 
cependant  elle  s'élève  moins  que  Sa- 
mothrace  au-dessus  de  la  mer,  puisque 
Jorsqu'on  sort  de  THellespont ,  on  dé- 
couvre par-dessus  nied'Imbros  le  mont 
Saoce. 

Imbros  a  suivi  constamment  le  sort 
des  îles  voisines.  Comme  celies*ci,  elle 
fut  consacrée  aux  dieux  Cabires;  elle  fut 
occupée  par  les  Pélasges  tyrrhéniens  et 
conquise  par  les  Athéniens  (4),  qui  la 
gardèrent  aussi  longtemps  que  Lemnos. 
Philippe  la  leur  avait  enlevée;  Antigonela 
leur  rendit.  Elle  retomba  plus  tard  sous 
la  domination  des  rois  de  Macédoine, 
puisque  nous  voyons  les  Romains  sti- 
puler dans  le  traité  qu'ils  imposèrent  à 
Philippe,  après  la  bataille  de  Cyno- 
céphale, qu  Imbros  serait  rendue  aux 
Athéniens  avec  Delos  et  Scyros  (5).  An- 
tiochus  le  Grand  passa  à  Imbros  quand 
il  se  rendit  en  Grèce  dans  Tesperance 
d'enlever  ce  pays  à  l'influence  ro- 
maine (6),  et  Ovide  s'y  arrêta  quelque 
temps,  lorsqu'il  quitta  Rome  pour  se 
rendre  au  lieu  de  son  exil  (7). 

Dans  les  temps  modernes  l'histoire 
d'Imbros  est  aussi  stérile  que  dans  l'an- 
tiquité. Le  P.  Lequien  déclare  qu'il  n'en 
est  fait  aucune  mention, dans  les  Annales 
Ecclésiastiques,  et  que  le  siège  épis- 
Ci)  Choiseul-Gouff.,  To^a^d  Pittor.  de  la 
Grèce,  t.  II,  p.  137.  Voir  la  carte,  qui  est 
très-complète,  à  la  planche  14  de  l'Atlas. 

il»)  PUn.,  V.  a3,  7. 

(3)  Hom.,  //.,  xm,  33. 

4)  Hérod.,  VI,  140. 

(5)  Til.-Liv.,  XXXIII,  3o, 

6)  Id.,  XXXV,  43. 

(7)  Ov,,  Trist.f  r,  10. 


ii 


copal  d'Imbros  y  est  entièrement  oo- 
blié  (1).  Dans  les  derniers  temps  du  Bas- 
Empire,  Imbros  fut  disputée  aux  em- 
pereurs grecs  par  les  républiques  luah- 
times  de  l'Italie,  qui  nen^ligeaieotries 
pour  s'assurer  des  positions  avanu- 
geuses  dans  l'Archipel.  Comme  Lemno< 
et  Samothrace,  elle  fut  enlevée  aux  de- 
niers Paléologues  par  la  famille  G3t^ 
luzi ,  qui  déjà  régnait  à  Lesbos ,  et  qs 
fut  dépouillée  de  toutes  ses  possessiori 
.  par  Mahomet  II.  Alors  Lucio  GaUtuL 
était  prince  d'Imbros  et  de  Lemno:. 
Lucio  avait  aidé  son  parent  Nicolas, 
princedeLesbos,  a  détrôner  et  à  étranglff 
son  frère  Dominique.  Ces  deux  perfides 
reçurent  un  châtiment  mérité;  vaiDcti> 
et  dépouillés  par  Mahomet,  ils  furest 
emmenés  captifs,  et  envoyés  ausup 
plice,  après  avoir  enduré  de  cruels  tour- 
ments. Depuis  ce  temps  cette  île  est 
restée  aux  Turcs. 

Imbros  contient  aujourd'hui,  disait 
ChoiseuI-GoufGer,  trois  mille  habitants 
distribués  dans  ouatre  villages.  Celui  qui 
porte  le  nom  de  l'île  est  situé  sur  la  cù's 
orientale,  et  près  d'une  anse  où  l'oa 
mouille  par  quinze  et  vingt  brasses. 
Non  loin  de  là  Ton  reconnaît  les  ruiiks 
de  l'ancienne  ville  et  les  vestiges  du 
temple.  «  Des  bateaux  prêts  à  exportf: 
les  productions  de  rtie,  ou  oue  (e 
mauvais  temps  a  forcés  d'y  relâcner.  \t 
bruit  des  ouvriers  qui  en  radoubent  ou 
gui  en  construisent  d'autres,  et  ks 
pécheurs  rentrant  avec  une  riche  récolte 
de  rougets,  de  dorades  et  de  coquillagei. 
dont  chaque  enfant  vient  solliciter  si 

S  art ,  répandent  un  peu  de  mouvemeu: 
ans  le  petit  port  d'Imbros  (2).  »  Dans 
l'intérieur  on  trouve  toutes  les  hauteurs 
couronnées  de  bois,  où  abondent  des 
animaux  de  toutes  espèces ,  surtout  df$ 
sangliers,  lièvres  et  lapins.  «  Un  gentil- 
homme flamand  de  notre  vaisseau, 
disent  Spon  et  Wheler  (3),  y  alla  a\ec 
son  fusil  et  son  chien,  et  en  moios  de 
deux  tieures  il  tua  un  sanglier  et  use 

(x)  «  Epitcopum  uuUum  hujus  reperi,  qoi 
in  ea  remotiori  evo  sederit,  «ed  nec  in  uila 
episcopalum  notitia  oocurrit  Imbnis.  >  Or, 
Christ. ^  t.  I,  col.  gSr. 

(a)  Choiseul-Gourûer,  Voyage,  t  II. 

(3)  Spon  et  Wheler,  Voyage  ttltelief  tic^ 
1. 1,  p.  aoa,  éd.  de  L^on;  1678. 


ILE  DE  SAMOTHAAGE. 


865 


lieaTee  ses  quatre  marcassins.  »  Toute 
Ded'Inibros  est  un  charmant  pays.  Au 
M  des  hauteurs  boisées  s'étendent  des 
allées  délicieuses  et  de  fraîches  prairies, 
ai  pourraient  nourrir  de  nombreux 
roupeaux.  Des  eaux  abondantes  y  entre- 
ennent  une  belle  végétation,  et  l'on  peut 
y  re[X)ser  à  Tombre  de  figuiers  chargés 
e  fruits,  de  myrtes,  de  lauriers-roses; 
t  de  vieux  ceps  qui  embrassent  le  tronc 
t  les  branches  des  plus  hauts  platanes 
)Dt  parvenus  déjà  depuis  un  siècle  à 
urs  sommets,  les  chargent  et  les  dé- 
}rent  de  raisins,  et  n'en  ressortent  que 


pour  passer  sur  les  cimes  voisines. 
Sous  les  Turcs,  Imbros  a  été  long- 
temps un  lieu  d'exil  pour  les  pachas, 
comme  PAthos  pour  les  patriarches,  et 
Mitylène  pour  les  princes  grecs.  Le 
célèbre  vizir  Baltadji  Mehemet,  qui  en- 
ferma Pierre  le  Grand  sur  les  bords  du 
Pruth,  y  fut  relégué,  après  une  disgrâce 
que  provoquèrent  les  réclamations  de 
Charles  XII .  Tranquille  sous  la  domi- 
nation musulmane,  Imbros  n'a  pris 
aucune  part  à  la  guerre  de  l'indépen- 
dance. 


ILE  DE  SAMOTHRACE. 


Description  de  l'îlbdb  Samo- 
bbacb;  ses  différents  noms.  — 
e  root  composé  de  Samothrace  n'était 
is  en  usage  du  temps  d'Homère,  quiap- 
ille  cette  île  la  Thracienne  Samos,  ou 
Samos  de  Tbrace ,  pour  la  distinguer 
i  la  Samos  voisine  des  côtes  d'Ionie.  Il  ne 
désire  par  le  nom  seul  de  Samos  que 
rsqu'il  énumère  avec  elle  quelqu'une 
is  îles  environnantes ,  comme  Imbros 
Lemnos  ;  ce  qui  sert  à  éviter  toute  con- 
sion  (1).  Les  poètes  latins  se  servent  or- 
aairementde  la  dénomination  homéri* 
le,  et  le  nom  de  Threicia  Samos  revient 
ovent  dans  les  vers  de  Virgile  et  d'O- 
de (2).  La  fusion  de  ces  deux  noms  était 
|à  opérée  du  temps  d'Hérodote ,  qui , 
rivaDt,  comme  Homère,  dans  le  dia- 
ete  ionien,  emploie  le  mot  Samothrace. 
as  tard  celui  de  Samothrace  prévalut , 
resta  seul  usité  des  géographes  et  des 
storiens.  D'après  Strahon  (3),  cette 
I  aurait  porté  primitivement  le  nom  de 
élite ,  nom  commun  ,  comme  celui  de 
imos,  à  plusieurstles  delà  Méditerranée, 
irtains  scoliastes  lui  donnent  aussi 
loi  de  Leucosia,  ou  Leueonia,  ou  Leu- 
Dia.  Enfin ,  selon  Diodore,  elle  aurait 

(i)  Hom.,  //.,  XIII,  la;  XXIV,  78, 

(a)  Virg.,  JEn,,  VU,  208;  Ov.,  TriH,,  I, 

►,  ao. 

(3)  Strab.,  X,  p.  47a. 


eu  pour  premier  nom  celui  de  5Saonèse, 
que  lui  donna  Saon,  son  premier  roi. 
Strabon  ne  croit  pas  gue  Samothrace  ait 
dû  son  nom  à  rétablissement  de  colons 
venus  de  la  Samos  ionique.  «  Une  opi- 
nion plus  probable ,  dit-il ,  est  que  Samo- 
thrace fut  originairement  nommée  Samos, 
f»arce  que  le  terme  Sami  déedgne  des 
ieuxélevés,  tel  qu'est  le  terrain  de  Samo- 
thrace. Quelques-uns  veulent  que  cette 
dénomination  primitive ,  Samos ,  dérive 
du  nom  des  Saji,  peuples  thraces ,  qui 
jadis ,  occupant  toute  la  côte  continen- 
tale dont  Samothrace  n'est  pas  éloignée , 
s'étaient  pareillement  établis  dans  l'île. 
Ces  Saji,  selon  certains  auteurs,  ne  dif- 
fèrent point,  soit  des  Sapœi,  soit  des 
Sinti,  appelés  Sinties  par  Homère  (1).  » 
Samothrace  est  située  au  nord-ouest 
d'imbros,  à  trente-huit  milles  au  sud  des 
côtes  de  Thrace ,  et  presqu'en  face  l'em- 
bouchure de  l'Hèbre.  Elle  a  trenie-deux 
milles  de  tour.  Cette  lie  n'est,  à  propre- 
ment parler ,  que  la  base  de  l'immense 
cône  qui  la  surmonte,  et  que  l'on  appelle 
le  montSaoce,  dont  la  cime,  plus  élevée, 
dit>on,  que  celle  de  l'Athos ,  domine  de 
sa  hauteur  de  cinq  à  six  mille  pieds 
toutes  les  îles,  toutes  les  mers  et  toutes 
les  côtes  environnantes.  Ayssi  Neptune 
pouvait-il  du  haut  de  cette  montagne 

(1)  Strab.,  X,  p.  45;,  Irad.  fr.,  I.  IV. 


300 


LUKIVËES. 


regarder  le  combal  dei  Grecs  et  des 
Troyens.  «  Car,  dit  Homère,  de  là  od 
découvrait  le  mont  Ida ,  la  ville  de  Priam 
et  les  vaisseaux  des  Grées.  »  On  s^est  de- 
mandé quelquefois  si  Homère  était  resté 
fidèle,  dans  œ détail,  à  la  vérité géogra* 
pbique,  eton  en  a  quelquefois  douté. 
Voici  un  témoignage  qui  doit  suffire 
pour  mettre  désormais  Texactitude  du 
poète  à  l'abri  de  toute  contestation.  «En 
entrant  dans  la  plaine  de  Troie,  une 
cbarmante  surprise  vint  frapper  mes 
yeux.  Pendant  notre  séjour  à  Constanti- 
nople,  nous  avions,  Methley  et  moi, 
pâli  ensemble  sur  la  carte.  Nous  étions 
tombés  d'accord  sur  ce  point,  que,  quel 
qu'ait  été  d'ailleurs  le  véritable  empla- 
cement de  Troie,  le  camp  des  Grecs  de- 
vait se  trouver  presqu'en  face  de  l'inter- 
valle que  laissent  entre  dles  les  tles  d'Im- 
bros  et  de  Ténédos , 

MeooTj'^f  uçTevfôoio  xa\  ^'IjxSpou  TcaiTcaXoéoar];. 

Mais  mon  camarade  Methley  (qui  regor- 
geait d*Homère  »  et  l'adorait  de  toute  la 
sincérité  de  son  cœur)  me  fit  souvenir 
d'un  passage  de  F  Iliade  où  Neptune  est 
représenté  regardant  la  scène  des  grands 
combats  qui  se  livraient  devant  Troie 
(Utis  sur  te  plus  haut  sommet  de  Samo- 
tkrace.  Et  cependant  Samothrace,  selon 
notre  carte ,  nous  paraissait  rester  non- 
seulement  hors  de  la  vue  de  la  Troade  , 
mais  encore  tout  à  fait  cachée  derrière 
Imbros,  tie  plus  grande,  qui  s'allonge 
précisément  en  travers  de  la  ligne  droite 
tirée  de  Samothrace  h  Ilion.  Tout  en  ad- 
mettant dévotement  que  le  grand  agU 
tateur  de  notre  globe  aurait  fort  bien 
pu  des  profondeurs  même  de  son 
royaume  aiuré  voir  ce  qui  se  passait  sur 
notre  globe ,  je  n'en  pensais  pas  moins 
que,  voulant  choisir  une  place  d'où  l'on 
vît  Taction ,  le  vieil  Homère ,  si  positif 
dans  ses  énoncés,  si  ennemi  de  toute 
mystification  et  de  toute  tromperie , 
aurait  dû  assigner  à  Neptune  une  sta- 
tion que  l'on  pût  apercevoir  de  la  plaine 
de  Troie  ;  et  il  me  semble  que  cette  con- 
frontation des  vers  du  poète  avec  la  carte 
et  la  boussole  avait  un  peu  ébranlé  ma 
foi  en  ses  lumières  géographiques.  — 
Cest  bien;  maintenant  j'arnve  sur  les 
lieux.  J'avais  en  effet  à  droite  Ténédos 
et  Imbros  à  gauche ,  comme  dans  ma 
carte  ;  mais  voilà  qu'au-dessus  dlmbros , 


bien  loin  par-delà ,  dans  le  de ,  se  dm- 
sait  Samothrace,  la  ^rite  de  NepUiiit. 
Tout  était  donc  ainsi  qu'Homère  ranU 
déterminé.  La  carte  'avait  de  son  càté 
parfoitement  raison;  mais  elle  ne  pos- 
vait ,  comme  le  poète,  examiner  la  venté 
tout  entière.  Voilà  comment  sont  vaiocsl 
et  feusses  les  conjectures  purement  hu- 
maines ,  et  comment  contrôles  souveraios  | 
arrêts  d'Homère  viennent  se  briser  tout^ 
les  incertitudes  et  tous  les  doutes  (l  >.  > 
L'Ile  de  Samothrace  n'offrait  auco 
avantage  pour  le  commerce.  Elle  n*arait 
pas  de  port,  à  moins  qu'on  n'appelle  de] 
ce  nom  le  mouillage  de  Cérès,  le  Déjm- 
trium ,  qui  est  situé  sur  le  rivage  septeo* 
trional ,  en  face  de  la  Thrace,  et  près  dih 

2uel  on  croit  reconnaître  les  ruioes 
'i|n  temple  de  péméter.  Aussi  Pline  lai 
donne-t-u  l'épithète  d'importuosissima. 
Son  territoire  était  peu  fertile.  Elle  pro- 
duisait cependant  une  espèce  d'oignoai 
renommée.  On  y  trouvait  aussi  vat 
plante  médicinale  appelée  le  peuceda- 
num.  a  La  tise  en  est  menue,  dit  V\itt, 
longue,  semblable  au  fenouil,  garnie  il 
feuilles  près  de  terre  ;  la  racine ,  noire, 
épaisse,  d'une  odeur  forte,  juteuse.  1 
crottsur  les  montagnes  couvertes  débets. 
On  le  tire  de  terre  à  la  fin  de  Tautomoe. 
On  recherche  les  racines  les  plusteodm 
et  les  plus  longues.  On  les  coupe  de 
quatre  doigts  en  quatre  doigts  avec  di 

ftetitç  couteaux  d'os,  eton  les  laisse rei^n 
eur  suc  à  l'ombre....  Ce  suc,  ainsi  qui 
la  racine  et  sa  décoction,  entre  daos 
beaucoup  de  compositions  médicameii* 
teuses;  toutefois*  c'est  le  suc  qui  a  le  pitf 
de  vertu  :  on  le  délaye  avec  des  amandes 
amères  ou  de  la  rue ,  et  on  le  prend  ^ 


(t)  Eothen;  Paris,  1846.  «  Ce  voja^i 
malgré  son  épigraphe  et  son  tilre  gree^  s'v> 
lotgne,  comme  par  système,  des  souTeoirs  di 
l*antiqaité,  et  parle  aussi  peu  que  poasibte  de 
tout  ce  qui  fut  jadis.  L'autear  affecte  de  nie» 
trer  partout  et  à  pro|ios  de  toQt  uu  esprit 
original,  sceptique  et  piquant.  Son  téwoisûpe 
en  faveur  d'Homère,  arraché  à  la  cooscieit» 
du  touriste,  n  en  serii  donc  que  plus  flolteor  A 
plus  apprécié.  »  J'emprunte  ce  jugenrot  ^ 
le  livre  intitulé  Eothen,  ainsi  que  b,tr^'<^ 
lion  du  passage  cité  ci -dessus,  aux  Éffi^f 
littéraires  en  Orient  de  M.  de  Marcdlos,  It 
99,  savante  et  spirituelle  fauUtsie,  qui  abosi' 
en  piquants  détails,  dont  je  profite  tonjwn 
è  roccasioa. 


ILE  D£  SAMOTHRAGË. 


867 


mson  contre  le  venin  des  serpents.  H 
;araDtit  aussi  ceux  qui  s'en  frottent 
ivecde  Thuile.  «  Les  hauteurs  boisées  de 
ielteile  étaient  peuplées  de  chèvres  sau- 
nages. On  mentionnait  aussi  une  pierre 
le  Samotbrace,  qui  était  noire,  légère  et 
eoiblable  à  du  bois;  Piine  n'en  indique 
lasTusage.  Le  seul  produit  de  l'industrie 
les  habitants  de  cette  Ile  était  cesanneaux 
e  fer  appelés  Samothracia  férrea  ^  qui 
talent  ornés  d'or,  et  dont  les  esclaves 
imalent  à  se  parer  (1). 
Dépourvue  de  marine,  de  commerce, 
'industrie,  Samotbrace  a  dû  toute  sa 
éiébrité  à  ses  mystères  religieux  et  aux 
Dtiques  traditions  qui  s'y  rapportent.  A 
époque  de  cette  grande  révolution  pfay- 
ique  où  les  eaux  du  Pont*Ëuxin  se 
Dirent  violemment  en  communication 
vec  la  mer  Egée,  les  hauts  sommets 
e  Samotbrace  devinrent  l'asile  de  l'an- 
que  religion.  Ce  grand  bouleversement, 
Itfôté  par  Platon,  par  Pline  et  par 
Irabon,  avait  laissé  dans  la  mémoire  des 
eupiesdes  souvenirs  profonds,  transmis 
ms  la  forme  légendaire  particulière  à 
s  temps,  et  dont  Diodore  de  Sicile  nous 
conservé  les  principaux  traits.  «  Les 
imothraces,  dit  cet  historien,  racontent 
d'avant  les  déluges  arrivés  chez  les 
itres  nations,  il  y  en  avait  eu  chez  eux 
D  très-grand ,  causé  par  la  rupture  de 
terre  qui  environne  les  Cyanées,  et  par 
lite  de  celte  qui  forme  l'Hellespont. 
ePont-Ëuxin  ne  formait  alors  qu'un 
e  tellement  ^ossi  par  les  eaux  des 
euvesqui  s'y  jettent,  qu'il  déborda, 
nsa  ses  eaux  dans  l'Hellespont,  et 
londa  une  grande  partie  du  littoral  de 
àsie.  Une  vaste  plaine  delà  Samotbrace 
it  convertie  en  mer  ;  c'est  pourquoi 
ngtemps  après  quelques  pécheurs  ame- 
utent dans  leurs  filets  des  chapiteaux 
î  colonnes  de  pierre,  comme  s'il  y  avait 
1  ià  des  villes  submergées.  Le  reste 
»  habitants  se  réfugia  sur  les  lieux  les 
us  élevés  de  l'île.  Mais  la  mer  conti- 
nant  à  s'accroître ,  les  insulaires  invo- 
iierent  les  dieux  ;  et ,  sauvés  du  péril , 
s  marquèrent  tout  autour  de  l'île  les 
iiites  de  l'inondation,  et  y  dressèrent 
s  autels  où  ils  offrent  encore  aujour- 

(i)  Allién.,  I,  aS;  Pliii.,  XIX,  3a,  i; 
XT,  70, 1  ;  XXXIU,  6,  7  ;  XXXVII,  67,  i; 
«T.,  R,  r,,  II,  I,  5j  Lucrel,,  VI,  1043, 


d'hui  des  sacriflces.  Il  est  donc  évident 
aue  la  Samotbrace  a  été  habitée  avant  le 
déluge  (1).  » 

Les  mêmes  traditions  racontent  en- 
suite comment  se  recomposa  la  société 
humaine,  désorganisée  par  ce  déluge. 
Saon ,  fils  de  Jupiter  et  d'une  nymphe, 
ou,  selon  d'autres,  de  Mercure  et  deRhé- 
née,  rassembla  les  hommes  dispersés, 
leur  donna  des  lois ,  et  distribua  la  po- 
pulation de  Samotbrace  en  cinq  tribus, 
auxquelles  il  imposa  les  noms  de  ses  cinq 
fils.  Bientôt  après,  Samothrace  vit  naître 
Dardanus ,  lasion  et  Harmonie ,  enfants 
de  Jupiter  et  d'Electre,  une  des  Atlan- 
tides.  Dardanus  alla  en  Asie  jeter  les 
fondements  de  la  ville  de  Troie  et  du 
royaume  des  Dardaniens.  «  Jupiter,  vou- 
lant  également  illustrer  le  second  de  ses 
fils ,  lui  enseigna  les  rites  des  mystères. 
Ces  mvstères  existaient  déjà  ancienne- 
ment dans  l'île ,  ils  furent  alors  renou- 
velés d'après  la  tradition  ;  mais  personne 
excepté  les  initiés  ne  doit  en  entendre 
parler.  lasIon  paraît  y  avoir  le  premier 
admis  des  étrangers ,  ce  qui  rendit  ces 
mystères  très-célèbres.  Plus  tard ,  Cad- 
mus,  fils  d'Agénor,  cherchant  Europe, 
arriva  chez  les  Samothraces,  fut  initié,  et 
épousa  Harmonie,  sœurd'Iasion.  Ce  jfut 
le  premier  festin  de  noces  auquel  les 
dieux  assistèrent.  Cérès,  éprise  dlasion, 
apporta  le  blé  en. prient  de  noces, 
Mercure  la  lyre ,  Mmerve  son  fameux 
collier,  un  voile  et  des  flûtes  ;  Electre 
apporta  les  instruments  avec  lesquels 
on  célèbre  les  mystères  de  la  grande 
déesse  des  dieux ,  les  cymbales  et  les 
tympanons  des  Orgies.  Apollon  joua  de 
la  lyre,  les  muses  de  leurs  flûtes,  et  les 
autres  dieux  ajoutèrent  à  la  magnifi- 
cence de  ce  mariage  par  des  acclama- 
tions de  joie.  Ensuite  Cadmus,  selon 
l'ordre  d'un  oracle,  vint  fonder  Thèbes 
en  Bèotie.  lasion  épousa  Cybèle ,  et  en 
eut  un  fils,  appelé  Gorybas.  Après  la  ré- 
ception d'Iasion  au  rang  des  dieux,  Dar- 
danus, Cybèle  et  Corvbas,  apportant  en 
Asie  le  cuite  de  la  mère  des  dieux ,  vin- 
rent aborder  en  Phrygie....  Les  mythes 
disent  que  Plutus  lut  fils  d'Iasion  et 
de  Cérès  ;  mais  le  vrai  sens  est  que  Cé- 
rès ,  par  suite  de  sa  liaison  avec  lasion , 
lui  avait  donné,  aux  noces  d'Harmonie, 

(i)  Diod.  Sicol.,  V,  47  etsuiv*;  ef.l.  III,  SS. 


368 


L'UNIVERS. 


le  blé ,  source  de  la  richesse.  Mais  les 
détails  des  cérémonies  saintes ,  on  ne 
les  révèle  qu'aux  initiés.  On  dit  que 
ceux  qui  participent  h  ces  mystères  sont 

f»lus  pieux,  plus  justes  et  en  tout  meil- 
eurs.  Cest  pourquoi  les  plus  célèbres 
des  anciens  héros  et  des  demi-dieux  fu- 
rent jaloux  de  s'y  faire  initier.  lasion , 
les  Dioscures,  Hercule  et  Orphée,  qui  y 
étaient  initiés ,  ont  réussi  aans  toutes 
leurs  entreprises,  grâce  à  l'assistance  des 
dieux.  « 

Des  mystères  de  Samothbagb; 
LES  DIEUX  Cabires.  —  Cc  passagcdo 
Diodore  est  un  exemple  de  la  confusion 
et  de  l'incertitude  qui  régnent  dans  pres- 
que toutes  les  légendes  religieuses  des 
Grecs,  et  surtout  dans  celles  qui  ont 
rapport  aux  mystères  des  dieux  Cabires 
de  Samothrace  et  des  lies  voisines  d'Im- 
bros  et  de  liCmnos.  On  ne  doit  pas  s'at- 
tendre à  voir  dans  cette  histoire»  si  géné- 
rale, des  Iles  grecques  une  étude  spéciale 
sur  ce  stijet,  auquel  les  anciens  ne  com- 
prenaient plus  rien  du  tout,  surtout 
a  mesure  qu'ils  s'éloignaient  des  temps 
primitifs,  et  qui  reste  encore  une  énigme 
pour  les  savants  modernes.  «  Ce  qui  con- 
cerne les  Cabires,  disait  Fréret  au  siè- 
cle dernier,  est  un  des  points  les  plus 
importants  et  les  plus  compliqués  de  la 
mythologie  grecque  ;  les  traditions  qui 
les  regardent  sont  tellement  confuses  et 
si  souvent  opposées  les  unes  aux  autres, 
que  l'analyse  en  paraît  à  peine  possible. 
Les  anciens  eux-mêmes  se  contredisaient, 
faute  de  s'entendre,  et  les  modernes,  en 
accumulant  avec  plus  d'érudition  que 
de  critique  leurs  différents  témoignaces, 
ont  embrouilla  la  matière  au  lieu  de  l'é- 
claircir  (!)«.  Fréret  avait  certes  plus  de 
critique  que  ses  devanciers  et  non  moins 
d'érudition;  et  cependant  il  n'est  arrivé 
h  aucun  résultat  déQnitif ,  et  sa  disser- 
tation n'a  paru  de  nature  à  décourager 
personne.  Après  lui  des  hommes  fort  sa- 
vants, fort  habiles,  MM.  Schelling,  Welc- 
ker,  O.  Mûller,  Gerhard ,  sans  compter 
le  livre  de  Creuzer  et  de  M.  Guigniaut, 
sont  revenus  sur  celte  question,  en 
ont  étudié  tous  les  détails ,  Vont  retour- 
née dans  tous  les  sens,  ont  tenté  des  so- 
lutions ,  érigé  des  systèmes  spécieux , 
sans  jamais  avoir  réussi  à  convaincre  le 

(i)  ^cad,  dts  Inscriptions 9  t.  XXYII, 


lecteur  qu'ils  avaient  dit  le  vrai  etledtr- 
nier  mot.  Il  faut  bien  en  croire  sur 
ce  point  le  savant  rapporteur  de  \m 
ces  travaux  de  Térudition  allemande. 
M.  Guigniaut ,  qui  termine  ses  analyse^ 
critiques  par  cette  réflexion,  que  les  roo* 
tradictions  de  tous  ces  systèmes  ne  jos- 
tîGent  que  trop  :  «  En  quittant  ce  sujet 
.des  Cabires  et  des  Dioscures,  si  atta- 
chant pour  le  mytholo{:ue  par  sa  diffi- 
culté même  et  sa  complication,  qui  tient 
aux  racines  les  plus  cachées  de  la  reli* 

F  ion  des  Grecs,  a  son  double  lien  avec 
Orient  et  avec  l'Occident,  et  oui  a 
exercé  dans  des  sens  si  divers  de  s 
grands  esprits ,  des  savants  si  profonds 
et  si  ingénieux  ,  nous  ne  pouvons  noiB 
défendre  d'une  pensée  qui  n'est  sans 
doute  que  l'aveu  secret  de  notre  fa^ 
blesse,  c'est  que  le  problème  n'est  point 
et  ne  sera  peut-être  jamais  complett- 
ment  résolu  (1).  » 

Après  une  telle  déclaration,  on  coo* 
prendra  pourquoi  nous  n'essayerons  fusl 
de  donner  à  notre  tour  une  solution  qnr 
de  plus  habiles  que  nous  n'ont  pas  troo- 
vée,  ni  même  de  reproduire  les  priDcipaia 
systèmes  enfantés  pendant  cette  grandi 
discussion  scientifique,  oui  en  délimtiit 
est  restée  stérile,  puisqu'elle  n'a  pas  en- 
core produit  ses  conclusions.  Cepeodafli 
nous  ne  pouvons  abandonner  ce  sa]tti 
sans  soumettre  à  Tappréciation  du  le^ 
teur  les  passages  les  plusdécisi£5d^a&' 
ciens  auteurs  sur  la  nature  des  dieo^ 
Cabires ,  adorés  dans  les  îles  dont  n<«< 
venons  de  présenter  l'histoire.  Le  pici 
remarquable  de  tous  les  récits  de  raat* 
quité  sur  les  Cabires  nous  parait  étrec* 
lui  de  Phérécyde,  non-seulement  à  cai^i 
de  l'époque  relative  de  cet  écrivain,  nn;; 
parce  que  son  témoignage  s'accord''-' 
merveille  avec  les  doctrines  égyptienne 
et  phéniciennes.  Suivant  lui  les  Cabim 
sont  enfants  d'Héphaestus  ou  de  VulraJ^ 
et  de  Cabira,  fille  de  Protée.  Cesti: 
trois  êtres  femelles  (les  nymphes  O^^- 
rides)  qui  reçoivent  un  culte  dans  \^ 
lies  de  Lemnos,  Imbros  et  les  villes  dei: 
Troade.  Us  portent  des  noms  pleins  d^ 
mystère.  Le  vieil  historien  Acusila-i^ 
connaît  également  Cabira  comme  feiui»* 
d'Héphaestus;  il  cite  trois  Cabires, (t 

« 

(r)  Religionsde  CAntiquitéy  I.U,3'pai^  • 
p.  XtQ9, 


ILE  DE  SAMOTHRACË. 


369 


trois  nymphes  Cabirides.  Voilà  Togdoade 
sacrée  des  Égyptiens  et  des  Phéniciens. 
La  seule  différence,  e'«st  qu'ici  Plitha- 
Sid}k  et  Esnion,  pères  des  sept  Cabi- 
res,  sont  présentés  sans  épouses ,  peut- 
Hreà  titre  d'androgynes  engendrant  de 
Ifur  propre  substance ,  selon  la  croyance 
iDtique  des  Orientaux.  D'ailleurs ,  nous 
le  connaissons  pas  exactement  la  gé- 
léalogie  des  Cabires  primitifs.  On  peut 


Telle  est  la  curieuse  indication  de  Mna 
séas,  enfouie  sous  le  fatras  d'un  sco- 
liaste,  et  qui  nous  laisse  entrevoir  dans 
la  doctrine  primitive  de  Samothrace  le 
dogme  de  la  Trinité,  qui  forme  le  fond 
des  plus  anciennes  religions  de  l'Asie. 
Mais,  transportées  en  Grèce,  cette  notion 
et  toutes  les  autres  vérités  précieuses  que 
révélait  l'enseignement  des  mystères 
furent  peu  à  peu  étouffées  sous  un  mon- 


nroire  que  déjà  ils  avaient  été  hellénisés     ceau  d'erreurs,  entassées  par  l'ima^ina- 
ui  Grâ:e  au  temps  de  Phérécyde;  l'idée     tion  et  la  subtilité  du  plus  inventif  et 


bndamentale  d'une  ogdoade  divine  n'en 
iabsiste  pas  moins.  »  Seulement,  en  des- 
feodant  de  l'Orient  dans  la  Grèce,  ces 
lotions  tbéo(^oniques  s'éloi^nant  de  leur 
lource,  c'est-a-direde  l'enseignement  di- 
rÎD  d'où  l'homme  avait  reçu  la  religion 
mmitive ,  s'appauvrissent  et  perdent  de 
eur  grandeur.  En  effet ,  le  dieu  andro- 
Vfue  des  Orientaux  est  bien  supérieur  au 
iouple  divin  des  Hellènes,  qui  dès  l'ori- 
pne  trahissent  leur  tendance  à  l'anthro- 
lomorphisme. 
Dans  le  sooliaste  d'Apollonius  de 
Hhodes  on  trouve ,  d'après  l'historien 
Hnaséas ,  un  précieux  fragment  des 
logmes  originaux  de  Samothrace,  qui 
larair  emprunté  à  un  ordre  d'idées  plus 
k\é  encore  que  celui  del'ogdoade.  «  Ce 
«ont  d'abord  les  noms  véritables  d'une 
riade  de  divinités,  que  voici  :  Jxiéros, 
ixiokersios,  Axiokersa.  À  cette  triade 
ient  s'ajouter  un  dieu  subordonné,  ap* 
)elé  Casmilus.  Tous  ces  noms  parais- 
«nt  décidément  orientaux,  et  voici  main- 
«nant  les  étymologies,  plus  ou  moins 
raisembiables,  que  l'on  en  donne.  Axié- 
os  8igDiGe  en  égyptien  le  Tout-Ptas" 
oiit ,  le  Grand,  et  ne  saurait  être  que 
^luha  ou  Hepbsstus-Vulcain.  La  secon- 
le  personne,  Axiokersos,  veut  dire  le 
mnd  fécondateur  :  ce  doit  être  Arès- 
tlars,  la  planète  nommée  en  langue 
ïtyptienne  Erto$i ,  mot  qui  présente  la 
liéme  idée.  Axiokersa  est  conséquem- 
nent  la  grande  fécondatrice  y  Aphro- 
liteou  Vénus, compagne  de  Mars.  Quant 
lu  quatrième  personnage,  Casmilus» 
'^ga  l'explique  aussi  d'après  l'égyptien, 
ttraduitson  nomletot^  sage;  Bochart, 
vec  plus  de  probabilité ,  l'avait  rappro- 
bédé  l'hébreu  Cosmiel,  qui  signifie  un 
ercileur,  un  ministre  de  Dieu  (1).  » 


(0  Relifflonsde  tÂnt.,  1,  II,  p.  agi  et  suiv. 

24*  livraison,  (  Ile  db  Samothragb.  } 


du  plus  disputeur  de  tous  les  peuples. 
A  la  fin  des  temps  du  paganisme  le  culte 
des  Cabires  (de  l'iiébraïco-phénicien 
Kabirim  y  les  pids.^ants,  lesjorts;  6&ol 
piyaXoi,  xpTjaTo\ ,  ôuvaxol)  pouvait  bien 
encore  être  pour  Germanîcus  un  objet 
de  curiosité  (I};  mais,  déchus  de  leur 
grandeur  première ,  réduits  à  des  pro- 
portions mesquines  par  les  fictions  de 
ta  mythologie,  ces  dieux  puissants ,  ces 
dieux  forts ,  n'étaient  plus  aux  yeux  du 
vuleaire  que  les  deux  fils  de  Jupiter  et  de 
Léda,  les  deux  jumeaux  Castor  et  Pollux. 
Histoire  àngienne  de  Samothba- 
CB.  —  On  sait  fort  peu  de  chose  sur 

(i)  Tac,  Ann.,  Il,  54.  Choiseul-Gouffier 
fait  à  ce  sujet  cette  sage  réflexion,  dont  il  ne  me 
parait  pas,  du]reste,  avoir  compris  toute  la  por* 
ice.  «  Les  connaîasaDces  yulgaires,  dit- il,  ont 
besoin  d'observation,  d'expérience,  et  ne  s'af- 
fermissent que  par  des  tâtonnements  ;  ce  n'est 
donc  qu'à  la  longue  qu'elles  se  dégagent,  se 
complètent  et  parviennent  à  cette  clarté  qui  les 
consacre.  Celles,  au  contraire,  qui  ont  pour 
objet  la  dïviuiié^  quelles  que  soient  les  sources 
(Toh  elles  découlent  ^  ne  sauraient  être  plus 
simples  que  dans  leur  origine.  Elles  n'ont  rien 
à  espérer  du  temps.  Il  ne  peut  que  les  altérer,  w 
Par  le  temps  on  ne  peut  entendre  ici  que  les 
hommes;  et  il  n'est  que  trop  vrai  que  les  eon» 
naissances  qui  ont  pour  objet  la  eimnité  ne 
])euvent  que  s'altérer  entre  leurs  mains ,  et  se 
tarir  tout  à  fait,  s'ils  ne  reviennent  sans  cesse 
puiser  à  la  source  d'où  elles  découlent.  C'est  ce 
que  démontrerait  suffisamment  l'histoire  de 
tous  les  peuples  civilisés  de  l'antiquité,  où  le 
progrès  de  1  esprit  humain  dans  les  connais* 
sances  de  l'ordre  naturel  corre|pond  toujours 
à  un  amoindrissement  considérable  de  toutes 
les  notions  de  l'ordre  surnaturel.  De  là,  ait 
milieu  de  ces  richesses  de  l'industrie  et  de  la 
science ,  cette  indigence  morale  et  religieuse 
qui  a  précipité  ces  civilisations  incomplètes 
vers  leur  décadence. 


34 


870 


L'UNIVERS. 


riiistoire  de  cette  tie  dans  rantiauité. 
Le  fùnd  de  sa  population  était  pélasgi- 

3ue,  comme  çemi  des  îles  d'Imuros  et 
e  Lemnos.  t>es  Ioniens  de  Sanios  s'y 
établirent  au  onzième  siècle ,  et,  confon- 
dus avec  les  Pétasges ,  ils  restèrent  in- 
dépendants jusqu'au  temps  des  guerres 
mediques  (l).  A  cette  époque  les  Samo- 
thràces  possédaient  aussi  la  côte  de  la 
Thrace  située  en  face  de  leur  île ,  où  ils 
occupaient  plusieurs  villes  fortes ,  telles 
ûuè  Salé,  Zone,  Serrhion  et  Mésambrie. 
Après  Texpédition  de  Darius  contre  les 
Scythes  (508],  ils  se  reconnurent  sujets 
du  grand  roi.  Les  vaisseaux  de  Samo- 
thrace  combattirent  contre  les  Grecs  à 
Salamine,  et  le  courage  qu'ils^  déployè- 
rent datis  cette  action  contribua  a  con- 
fondre les  calomnies  des  Phéniciens, 
4ui  accusaient  les  Ioniens  de  lâcheté. 
Du  haut  du  mont  ^Egaléon,  Xerxès 
avait  vu  un  vaisseau  samothrace  atta- 
ouer  un  vaisseau  athénien  et  le  couler 
a  fond.  En  même  temps  un  vaisseau 
éginète  avait  attaqué  ce  navire  samo- 
thrace et  Pavait  brisé;  mais  les  Sarao- 
thraces  avaient  ëii  le  tecnps  de  se  jeter 
Bur  le  navire  ennemi,  et  comme  ils 
étaient  excellents  archers,  ils  chassè- 
rent à  coups  de  flèches  les  marins  égi- 
nètes,  et  s'emparèrent  de  leor  bâtiment^ 
qui  avait  coulé  le  leur  (2).  Cet  exploit 
sauva  les  Ioniens ,  et  les  capitaines  phé- 
niciens f&rent  déca()ités,  comme  calom- 
niateurs. 

Quand  les  Athéniens  devinrent  maîtres 
de  la  mer  Egée,  Samothrace  recon- 
nut leù^  domination.  Une  inscription  ci- 
tée dansles  Éléments  cTÉpiaraphie  grec- 
que de  Franz  nous  apprena  quelle  payait 
a  Athènes  un  tribut  de  2,400  drachmes. 
Samothrace  subit  les  mêmes  vicissitude^ 
que  les  îles  voisines  4  tour  à  tour  perdue 
et  recouvrée  par  les  Athéniens,  elle 
leur  fut  définitivement  enlevée  par  Phi- 
lippe, et  resta  à  la  Macédoine  jusqu'au 
temps  des  Romains.  Elle  Savait  plus 
d'indépendance;  mais  ses  mystères  des 
dieux  Cabires  lui  conservaient  un  reste 
de  célébrité.  Le  temple  de  Ces  divinités 
était  un  lieu  d'asile.  Arsinoé,  sœur  de 
Ptolémée  Céraunus,  s^y  réfugia  après  le 

(i) Uérod.»  II,  5ï  ;  VII,  Sg,  xo8.  Voy.  pluf 
haut,  pagea37. 
(a)  Hor.,  YIII,  loï. 


meurtre  deses  deux  fils  (1).  Lonaue  As- 
tbiochns  Épiphahe  s'empara  de  1  Ëgrpte 
(170),  Ptolémée  Physoon  se  retira  a  Sa- 
mothrace avec  tons  ses  trésors,  tandis 
que  son  frère  Ptolémée  VI,  Philofflétcr. 
restait  prisonnier  du  roi  de  Syrie  ;} . 
Cette  île  appartenait  alors  à  Persée,  qci 
bientôt  après,  vainea  à  Pydna,  etd^ 
pouillé  de  son  royaume,  courut  aussi 
chercher  un  asile  dans  le  sanctnaire  vé- 
néré des  dieux  de  Samothrace.  H  trans- 
portait avec  lai  2,000  talents ,  qui  loi 
restaient  de  ses  trésors,  et  il  était  a^ 
compagne  du  Cretois  Êvandre,  aisent 
fidèle  et  dévoué ,  qui  autrefois,  sur  Tor- 
dre de  son  mattre,  avait  essayé  d'assas- 
siner Eumène,  roi  de  Pergame,  dans  k 
temple  même  de  Delphes. 

Aussi  les  dieux  de  Samotbraee.  qw 
Piutarcjue  appelle  les  Dioscures,  rvfih 
sèrent-ils  de  protéger  ces  suppliants  s^ 
eriléges.  Peu  de  temps  après  l'arrine 
du  roi  dans  l'île,  un  jeune  Romain  dt 
distinction,  Atitius,  qui  se  trouvait  alon 
à  Samothrace,  se  présenta  sur  la  piy? 
publique  de  la  ville,  où  le  peuple  était  ar 
semblé  avec  ses  magistrats.  «  Samothr?- 
ce6,  nos  hôtes,  s'écria-t-il ,  est-il  ^m 
Ou  faux  que  cette  tle  soit  sacrée,  et  r>f 
son  territoire  soit  ^out  entier  auguste  ft 
inviolable,  comme  la  renommée  lepu- 
nlie?  »  Il  n'y  eut  qu'une  voix  pour  ^^ 
pondre  que  Samothrace  était  bien  nul- 
lement une  tle  sainte.  «  Pourquoi  docc. 
reprit  alors  Atilius,  la  laissez-vous  v:> 
1er  par  un  meurtrier  encore  souillé  tli 
sang  du  roi  Eumène?  Pourquoi,  aorrY* 
pris  de  la  formuledes  sacrifices,  qui  écarte 
de  l'autel  tous  ceux  qui  n'ont  pasl^ 
mains  pures,  permettez-vous  que  leur  ^ 
toairesoit  profané  par  un  assassiotoiii 
eonvertde  sang?  »  Cette  accusation  ^f 
désignait  que  le  Cretois  Êvandre,  n)3$ 
le  Romain  savait  combien  elle  embarras- 
serait Persée ,  dont  Êvandre  n'avait  f t^ 
âue  l'instrument.  Il  y  avait  à  Saffl<>- 
Srace  un  tribunal  chargé  de  juger  coJ^ 
qui  s'étant  rendus  coupables  auo  <^' 
criléffe  avaient  pénétré  dans  Tenceinî' 
sacrée  du  temple.  Théondas ,  roi  de  s- 
mothrace,car  les  insulaires  doonaicj^ 
ce  titre  à  leur  premier  magistrat,»^ 
assigner  Êvandre  devant  le  tribafl.i 

(i)  Justin,!.  XXrV,  3. 

(a)  Polyl).,  XXVIII,  17;  XXÏX,  i,» 


ILE  DE  SARlOTHRACE. 


371 


Prévoyant  toutes  les  conséquences  de 
celte  affaire ,  Persée  engagea  Évandre  à 
échapper  par  une  mort  volontaire  à  une 
condamnation  inévitable.  Évandre  se 
montra  disposé  à  mourir  ;  mais  il  fît  en 
secret  des  préparatifs  pour  assurer  sa 
fuite.  Persée  en  fut  informé ,  et,  craignant 
d'attirer  sur  sa  tête  le  ressentiment  des 
Samothraces,  qui  Taccuser aient  d'avoir 
K)ustrait  le  coupable  au  châtiment ,  il 
lui  Gt  donner  la  mort.  Mais  par  ce 
neuftre  Persée  devenait  responsable 
lu  sacrilège  dont  Ëvandre  était  accusé; 
1  se  chargeait  du  forfait  de  sa  victime, 
iuquei  il  ajoutait  le  sien ,  et  il  se  trou- 
vait, dit  Tite-Live,  avoir  profané  les 
leux  temples  les  |>lus  respectés  de  Tuui- 
ers.  Persée  savait  qu'il  devenait  à  son 
our  justiciable  du  tribunal  sacré  de  Sa- 
nothrace;  mais  son  argent  le  sauva. 
1  corrompit  le  roî  Théondas ,  qui  an- 
louça  au  peuple  qu'Êvandre  s'était  don- 
é  la  mort.  Mais  les  Samothraces  ne 
[y  trompèrent  pas  :  un  cri  d'horreur 
'éleva  contre  le  roi  assassin  de  son  der- 
lier  et  plus  fidèle  serviteur ,  et  Vile  en- 
ère  passa  aux  Romains.  Persée  comprit 
u'il  ne  lui  restait  plus  de  ressource  que 
ans  une  prompte  fuite  (1). 
Cependant  Cnéus  Octavius,  ouîcom- 
9andait  la  flotte  de  Paul  Emile,  étant 
bordé  à  Samothrace,  ne  voulut  point, 
ar  respect  pour  les  dieux,  violer  l'asile 
e  Persée.  Mais  il  s'occupa  de  lui  ôter 
a  moyens  de  s'embarquer  et  de  s'en- 
lir.  P^éanmoins  Persée  gagna  secrète- 
lent  un  Cretois,  nommé  Oroandès,  qui 
rait  un  petit  vaisseau ,  et  l'engagea  à 
!  recevoir  à  son  bord ,  lui  et  ses  riches- 
is.  Oroandès  en  usa  envers  lui  à  la  cre- 
use; il  embarqua  à  la  faveur  de  l'obs- 
iirité  tout  ce  aue  Persée  avait  de  pré- 
eax,  et  lui  ait  de  se  rendre  vers  le 
litieu  de  la  nuit  au  port  voisin  du  pro- 
iontoire  de  Dérbétribm ,  avec  ses  en- 
intset  ceux  de  ses  setvitèurs  qui  lui 
aient  indispensables.  Persée  parvint 
'ec  beaucoup  de  peiiie  à  sortir  de  sa  re- 
aiteet  à  gagner  le.boi-d  de  la  mer; 
lais  il  n'y  trouva  pas  le  navire  :  Oroan- 
^s  avait  mis  à  la  voile  le  soir  même, 
nportant  les  richesses  dii  roi.  Le  jour 
unmeoçait  à  poindre,  tout  espoir  était 
irdu.  Persée  se  met  à  fuir  vers  l'en- 

(0  iite-Live,XLV,  5,6. 


ceinte  sacrée.  On  l'aperçut  cette  fois; 
mais  il  avait  gagné  son  lieu  de  refuge 
avant  que  les  Romains  pussent  l'attein- 
dre. Persée  avait  encore  avec  luises  en- 
fants et  quelques-uns  de  ses  serviteurs  ; 
mais  Octavius  ayant  promis  une  amnis- 
tie pleine  et  entière  a  ceux  qui  l'aban- 
donneraient, alors  la  désertion  devînt 
générale,  et  Ton  de  Thessalonique,  à  qui 
Persée  avait  confié  ses  enfants,  les  livra 
aux  mains  d'Octavius.  Ce  dernier  coup 
réduisit  Persée  au  désespoir,  et,  renon- 
çant à  disputer  plus  longtemps  sa  li- 
berté, il  vint,  dit  Plutarque,  comme  une 
bête  féroce  à  qui  on  a  enlevé  ses  petits , 
se  rendre  lui-même  à  la  discrétion  de 
ceux  qui  tenaient  ses  enfants  en  leur  pou- 
voir (1).  Il  sortit  du  tfem^ïlë  èh  accdsant 
la  Fortune  et  les  dieux  d'avoir  été  sourds 
à  ses  prières;  il  oubliait  par  combien  de 
mauvaises  actions  il  s'étdit  rendu  indi- 
gne de  la  protection  de  ces  dieux,  qu'il 
avait  tant  de  fois  outragés. 

Après  la  conquête  de  la  Macédoine,  Sa- 
mothrace passa  sous  la  ddmiriation  des 
Romains,  qui  la  laissèrent  se  gouverner 
par  ses  lois.  Au  premier  siècle  de  l'ère 
ishreiienne^  Pline  l'appelle  encore  une 
ville  libre.  Au  temps  de  la  guerre  de  Syl- 
la  contre  Mithridate  (85),  les  pirates,  qui 
infestaient  déjà  toute  la  mer  Egée,  pil- 
lèrent le  temple  de  Samothrace,  dont  le 
trésor  contenait  de  nombreuses  et  ri- 
ches offrandes.  Et  ce  n'étaient  pas  seu- 
lement les  Grecs  qui  avaient  enrichi  le 
trésor  des  dieux  Cabires ,  les  Romains 
aussi  y  avaient  contribué ,  puisque  l'on 
voit  Marcellus  consacrer  dans  ledt 
temple  des  statues  et  des  tableaux  pris 
au  pillage  de  Syracuse.  Aussi  les  pi- 
rates purent- ils  enlever  de  Samothrace 
un  butin  de  la  valeur  de  mille  ta- 
lents (2). 

Samothrace  dans  les  temps  mo- 
dernes. —  La  religion  chrétienne  en 
détruisant  toutes  les  superstitions  du 
paganisme ,  et  notamment  les  mystères 
de  Samothrace,  enleva  à  cette  tie  ce  qui 
avait  fait  sa  célébrité  pendant  les  temps 
anciens.  Aussi  à  partir  de  l'ère  chrétienne 
Samothrace  h'a  plus  d'histoire.  Elle  fait 
partie  de  l'ein pire  grec  jusqu'en  1204. 

(i)  Pliitarqiie,  Paul-Emile ,  a6. 
\i)  Plut. y  Marc,  3o;  Pompée,  a4;  App  j 
Miihr,,  63. 

94, 


ârs 


LUNIVERS- 


Alors  elle  passe  aux  Vénitiens,  et  devient, 
ainsi  que  quelques  îles  voisines ,  le  pa- 
trimoine de  la  famille  Dandolo.  Recon- 
quise par  Vatace,  elle  est  encore  enle- 
vée aux  empereurs  grecs  par  les  princes 
de  Lesbos,  de  la  famille  des  Gateluzi, 
Elle  resta  entre  leurs  mains  depuis  le 
quatorzième  siècle  jusqu'en  1462,  épo- 
que à  laquelle  ce  petit  État  fut  conquis 


par  Mahomet  II  (1).  Depuis  ce  temu 
Samothrace,  appelée  désormais  Saman 
drachi  ou  Mandrachi,  est  restée  soumis? 
à  la  domination  des  Ottomans,  qni  h 
dévastèrent  impitoyablement  pendant  b 
guerre  de  Tindépendance. 

(i)  Voir  les  détails  de  celte  histoire  pla< 
haut,  p.  33o. 


ILE  DE  THASOS 


(«) 


3 


GÉOGRAPHIE    ET    DESGBIPTION   DE 

TsiLSOs. — L'île  de  la  mer  Egée  la  moins 
visitée ,  la  moins  connue  de  nos  jours ,  et 
ui  renferme  incontestablement  le  plus 
e  vestiges  de  son  ancienne  splendeur, 
est  celle  de  Thasos.  Cette  île,  appelée 
queli^uefois  Édonis,  Aeria,  iEtnria, 
Ogygia,  Chrysé,  est  le  plus  communé- 
ment désignée  sous  le  nom  de  Thasos  ou 
Tltassos ,  qu'elle  a  gardé  jusqu'à  présent 
«  avec  quelque  peu  aaltératîon,  ditDap- 
per ,  étant  connue  sous  celui  de  Tasso 
parmi  les  Turcs ,  les  Italiens  et  les  Grecs 
d'aujourd'hui  ».  Thasos  est  située  en 
face  des  côtes  de  Thrace,  dont  elle  n'est 
séparée  que  par  un  canal  d'environ  deux 
lieues,  tout  près  de  l'embouchure  du 
Nestus.  A  Touest,  elle  a  devant  elle  la 
côte  de  Macédoine  et  le  golfeduStrymon. 
Pline  la  place  à  vingt-deux  milles  d'Ab- 
dère  et  à  soixante-deux  milles  du  mont 
Athos  (2).  Sa  longueur  d'orient  en  occi- 
dent est  de  quinze  milles  d'Italie  et  son 
circuit  de  quarante. 

L'île  de  Thasos  est  peut-être  la  plus 
fertile  de  la  mer  Egée.  Les  anciens  l'a- 
vaient surnommée  le  rivage  de  Gérés 
(  'Âx-d)  À7]{17!tûo().  Elle  abondait  en  vin 
comme  en  blé  (3).  Pline  place  le  vin  de 

(i)  Dissertations  spéciales  sur  Thasos  :  Has- 
selbach,  />«  hisula  Thaso;  Marbourg,  x83o, 
in-8°.  —  Prokesch  d'Osten,  DelC  isola  di 
Tmo  ,  dans  les  Dissertazioni  délia  pontificia 
Academia  romana  di  Arclutologia,  t.  YE, 
p.  i8z;Roma,  x835,  iQ-4°. 

(a)  Dapper,  Description ,  p.  a53;  Pline, 
Uist.  Nat,,  rv,  a3,  8. 

(3)  Le  climat  de  Thasos  est  fort  variable, 


Thasos  à  côté  de  celui  de  Chic.  On  arai: 
transporté  en  Italie  des  plants  du  rnuso^ 
de  Thasos,  appelé  aussi  vigne  apian'. 
parce  que  les  aoeilles  en  sont  très-friandes 
La  vigne  a  la  propriété  merveilleuse  *i 
contracter  la  saveur  des  plantes  voisines 
à  Thasos,  et  c'est  toujours  à  Pline  (^ 
j'emprunte  ces  détails ,  on  semait  eatrei« 
vignes  Tellébore,  ou  le  concombre  S3 
vage ,  ou  la  scammonée.  On  disait  ao: 
que  Thasos  produisait  deux  espèces  à 
vins  à  propriétés  contraires  ;  Tune  pro"* 
quant,  Tautre  chassant  le  sommeil.  ' 

mais  en  général  doux  et  humide ,  ce  qtu 
très'favorable  à  la  végétation.  Voyez  dasi 
collection  des  œuvres  d*Hippoerate  le  prra 
et  le  troisième  livre  des  Épiacmies,  où  bc 
titulion  atmosphérique  de  Thasos  penis^ 
plusieurs  années  est  décrite  et  mise  n  nf 
port  avec  Télat  sanitaire  de  la  population 
Toici  un  échantillon  des  observations! 
par  le  médecin-naturaliste  qui  a  compoA 
curieux  traité,  et  qui  dut  longtemps  sc§oai 
à  Thasos.  «  Dans  Hlede  Thaaoa,  dofintl 
tomne,  vers  Téquinoxe,  et  pendaiii  qif 
pléiades  furent  sur  Thorixon  »  pluies 
dantes,  doucement  coniinues,  avec  les 
du  midi  ;  hiver  austral,  petits  vents  du 
sécheresse;  en  somme,  tout  l'hiver  cul  vm 
parence  de  printemps.  Le  printemps,  à 
tour,  eut  des  vents  du  midi,  des  fraidieun 
de  petites  pluies.  L'été  fut  en  général  nua^ 
et  sans  eau  ;  les  vents  étésiens  ne  souffle 
que  peu,  avec  peu  de  force  et  sans  rfguljnif. 
Vieut  ensuite  la  description  des  raabdie»  î 
cales  causées  par  tontes  c«s  cireoostaDces  i 
mospbériques.  OEuwres  complètes  d'Hv* 
crate,  trad.  de  M.  Littré,  t.  II,  p.  59S,  LU 
45  et  suiv. 


ILE  DE  THASOS. 


373 


rhasiens  appelaient  thériaque  une  vi- 
^e  dont  le  vin  et  le  raisin  sont  un  re- 
nède  contre  les  morsures  de  serpent.  On 
aisait  à  Thasos  un  bon  vinaiffre,  qui  en- 
rait  dans  la  composition  de  méracium , 
iorte  de  collyre  très-employé  pour  les 
naladiesdes  yeux  (1).  Thasos  avait  aussi 
les  bois  de  construction  et  des  arbres 
hiitiers.  On  cite  surtout  les  amandes 
lecettetle.  Etle  était  riche  en  productions 
ninérales.  Son  marbre  servit  pendant 
oute  FantiquJté,  et  était  aussi  recherclié 
tes  sculpteurs  que  des  architectes.  On  y 
rouvait  des  opales  étincelantes,  de  Tes- 
lèce  appelée  pxderos ,  qui  est  la  plus 
)eUe,  et  des  améthystes,  gui  du  reste 
l'étaient  ni  bien  pures  ni  bien  esti* 
nées  (2).  Mais  la  plus  grande  richesse 
le  Thasos  consistait  dans  ses  mines  d'or, 
juiavec  celle  deScapté-Hylé,  sur  la  côte 
oisine ,  rapportaient  au  temps  d*Héro- 
lote  de  deux  à  trois  cents  talents  par  an. 
'  J'ai  vu  aussi  ces  mines ,  dit  Thistorien 
oyageur.  Les  plus  admirables  de  beau* 
»up  étaient  celles  que  découvrirent  les 
Phéniciens,  qui,  sous  la  conduite  de  Tha- 
(OS ,  fondèrent  la  ville  à  laquelle  il  donna 
ioo  nom.  Les  mines  de  cette  ile  décou- 
erte  par  les  Phéniciens  sont  entre  Cœ- 
lyresetle  lieu  nommé  Jilnyres.  Vis-à-vis 
té  Samothrace  est  une  grande  montagne 
iue  les  fouilles  précédentes  ont  détruites. 
Tel  est  Tétat  actuel  des  choses  (3).  » 
Diaprés  cette  indication  d'Hérodote,  les 
géographes  modernes  placent  les  mmes 
le  Thasos  du  côté  de  Samothrace.  M.  de 
Prokesch,  c|uia  parcouru  tout  ce  rivage, 
léclare  qu'il  n'a  trouvé  de  ce  côté  aucun 
restige  des  anciennes  exploitations. 
Les  habitants  de  cette  île  fortunée  furent 
pendant  longtemps  puissants  et  libres. 
Us  ruines  encore  subsistantes  de  leur 
nté  montrent  quelle  fut  son  importance 
et  sa  splendeur.  Thasos  était  située  sur 
la  côte  septentrionale  de  l'ile,  sur  des 
collines  qui  dominent  une  rade  assez  spa- 
neuse,  que  couvre  l'îlot  de  Thasopoulo. 
f  u  pied  des  collines ,  au  fond  de  la  rade, 
était  le  port  des  Thasiens.  Les  ruines 
de  la  ville  s'appellent  aujourd'hui  Pa- 

(i)  Pline,  XJV,  4,  4  ;  x6,  x  ;  19,  7  ;  a*f  «  ; 
xixrvr,  a7,  I. 

W  Idem,  XV,  a4,  5;  XXXV ï,  5,  i; 
XXXVII,  aa, a;  40,  1. 

(3)  Hérod.,  VI,  47. 


Iseo-Castro,  et  le  port  Pyrgo ,  d'une  tour 
vénitienne,  construite  avec  d'antiques 
pierres  de  marbre.  Outre  ce  débris  du 
moyen  âge,  on  voit  encore  les  restes 
de  l'ancien  môle  du  port,  qui  pouvait 
contenir  cinquante  grands  bâtiments.  Au* 
jourd'hui  il  est  presque  comblé  de  sable, 
et  le  môle  est  à  fleur  d'eau.  Çà  et  là  sur  le 
rivage  on  voit  des  tombeaux  décorés  de 
quelques  ornements  de  sculpture. 

Au  pied  de  substructions  en  belles 
pierres  de  marbre,  comme  celles  du 
môle,  s'étendaient  l'arsenal  et  le  chan- 
tier de  construction,  sur  une  superficie 
de  cinq  à  six  cents  toises.  La  ville  pro- 
prement dite  occupait  trois  collines,  que 
séparent  de  profonds  ravins.  Toutes  ces 
trois  hauteurs  sont  couvertes  de  ruines. 
Celle  du  nord  était  l'acropole  de  la  ville; 
elle  a  été  habitée  jusque  dans  ces  der- 
niers  temps,  comme  le  prouvent  des  restes 
d'église  et  de  maisons  qu'on  voit  dans 
son  enceinte.  Cette  citadelle  servit  aux 
Vénitiens ,  qui  y  firent  des  réparations ,  et 
qui  y  ouvrirent  une  porte  nouvelle,  que 
1  on  reconnaît  à  sa  construction  gros- 
sière et  au  lion  de  Saint-Marc  sculpté 
dessus  (1).  En  descendant  de  la  troisième 
de  ces  hauteurs  vers  le  sud ,  par  un  esca- 
lier taillé  dans  le  marbre  du  rocher ,  on 
aperçoit  les  carrières  d'où  furent  tirées 
toutes  les  pierres  qui  servirent  à  la  cons- 
truction de  l'acropole  et  de  l'enceinte  de 
la  cité.  En  contmuant  à  descendre  cet 
escalier,  qui  suit  le  mur  d'enceinte ,  on 
rencontre  une  porte  antique,  d'un  aspect 
imposant,  uneides  plus  belles  ruines  de  ce 
genre  qui  nous  soient  conservées ,  et  que 
Ton  peut  comparer ,  préférer  même  à  la 
porte  de  Mycènes ,  ou  à  celles  de  Salo- 
nique ,  d'Éphèse  ou  de  Nicée.  Toute  la 
longueur  des  murs  encore  débout  est  de 
deux  mille  six  cents  pas.  Au  sud-ouest 
fie  trouve  la  nécropole  de  l'ancienne 
Thasos,  qui  occupe  une  vallée  verdoyante, 
de  quinze  cents  pas  de  longueur  sur 
trois  cents  à  six  cents  de  largeur.  On  v 
voit  une  centaine  de  sarcophages ,  placés 
sur  de  grands  degrés ,  superposés  les  uns 
aux  autres.  Tous  ces  sépulcres  ont  été 
ouverts  et  dévastés,  et  ils  servent  sou- 
vent de  réfute  ^px  pâtres  de  111e.  Au- 
cune autre  nécropole  grecque  n'est  aussi 

ri)  Voy.  daoslemémoiredeM.  deProLescb 
la  descrip.  de  toutes  cetrainety  p.  x84tt>alv« 


374 


JL'UNIYERjS. 


bien  conservée,  si  ce  n'est  celle  de  la 
ville  d*Assos,  sur  le  golfe  d'Adramitti. 

Les  hauteurs  situées  à  l'est  de  Taero- 
pôle  offrent  encore  des  ruines  imposantes, 
au  milieu  desquelles  croissent  le  lierre 
et  la  vigne  sauvage.  De  toutes  ces  émi- 
nences  on  domine  l'île  presque  tout  en- 
tière ,  qui  vous  apparaît ,  ainsi  que  le  di- 
sait le  poète  Archiloque ,  comme  un  dos 
d'âne  couvert  de  forêts  sauvages ,  et  Ton 
découvre  au  loin  ta  Samothrace,  et  les 
plaines  de  Pbilippes,  où  périrent  Brutus 
et  Gassius ,  et  le  mont  Pàngée  et  TAthos 
et  la  vaste  mer. 

Aujourd'hui  la  population  de  Thasos 
est  dispersée  dans  neuf  villages,  qui  sont, 
en  partant  de  Pyrgos ,  Panagia  ou  Lei- 
nan  au  sud  ;  il  est  situé  au  milieu  de  hau- 
teurs boisées  et  est  arrosé  par  des  eaux 
limpides  et  abondantes.  A  une  lieue  au 
sud  est  Potamia,  au  pied  des  montagnes. 
A  cinq  heures  de  marche  de  Leinan  se 
trouve  Theologo,  le  plus  gros  bourg  de 
l'île.  A  une  demi-lieue  au  nord-ouest  de 
Theologo  est  Castro,  placé  comme  un 
nid  d'aigle  sur  des  rochers.  A  une  demi- 
lieue  à  l'ouest  de  Castro  on  rencontre 
Mariess ,  dans  une  vallée  plantée  de  pins. 
A  trois  lieues  au  sud-est  Kaisarakl.  Puis, 
h  deux  lieues  de  distance,  Cassarvith,  où 
l'on  voit  des  ruines  antiques.  Au  nord- 
ouest,  après  deux  heures  de  marche,  on 
arrive  à  Volgaro,  qui  est  situé  au  milieu 
d'une  prairie  couverte  de  beaux  platanes. 
£nfin ,  de  la ,  en  une  demi-heure ,  on  re- 
tourne, parune  route  vénitienne, à  Pyrgo, 
oui  complète  le  nombre  des  villages  de 
1  lie. 

RÉSUHC  DE  L*niSTOIBB  DB  THASOS. 

—  L'île  de  Thasos  avait  reçu  son  nom  et" 
ses  premiers  habitants  d'une  colonie 
phénicienne,  qui  s'y  était  établie  vers  le 
temps  de  Cadmus ,  au  seizième  siècle 
avant  l'ère  chrétienne  (1).  Le  nom  d'É- 
donis,  qu'elle  porta  dans  les  anciens 
temps,  donne  à  penser  qu'elle  fut  aussi 
occupée  par  des  Édoniens  de  la  Thrace. 
£lle  reçut  une  colonie  de  Pariens ,  que 
conduisit  Télésiclès ,  père  du  poète  Ar- 
chiloque. Cet  établissement  aut  avoir 
lieu  dans  la  15^  olympiade,  vers  Tan  720 
ikvant  l'ère  chrétienne.  Déjà  depuis  long- 
temps, ceux  de  Paros  avaient  des  relations 

(i)  M.  Raoul  Rochelle,  Colonies  Grecques^ 
n,  9.î>6;  Pansan.,  V,  25,  ii  j  Hérod.,ni,  ^4. 


intimes  avec  les  Thasiens,  ptûsqu'oD 
voit  dans  Pausanias  qu'une  pmressedt 
Paros ,  nommée  Cléobée ,  porta  la  pr^ 
mière  à  Thasos  le  culte  de  Gérés ,  et  que 
cette  prétresse  était  contemporaioe  d? 
Tellis,  de  qui  descendait  Archiloque  à  b 
troisième  génération.  De  même,  les  Phé- 
niciens avaient  établi  dans  cette  ile  le 
culte  de  Melcarthou  FHercule  TjTiea, 
dont  Hérodote  visita  le  temple. 

A  Thasos ,  comme  dans  l'île  de  O'pn 
et  tant  d'autres  de  la  MàJiterranée ,  !rî 
Phéniciens,  qui  avaient  devancé  les  Grées, 
se  trouvèrent  dépossédés  par  eux,  lorsque 
l'activité  de  la  race  hellénique  eut  pm 
son  essor.  Les  ressources  qu'ils  trou- 
vaient dans  les  produits  de  leurs  mine* 
d*or  permirent  aux  Thasiens  desedoomi 
une  puissante  marine  et  de  se  livrer  à  es 
commerce  étendu,  qui  augmenta  leuR 
richesses.  Thasos  était  renommée  pour 
son  opulence,  et  on  lui  donna  le  sumoi- 
de  Chrvsé.  Elle  s'était  entourée  de  fortf$ 
murailles,  et  c'est  dans  ses  cbantierï 
que  l'on  construisit  les  premiers  vais- 
seaux longs  pontés  (1).  C'est  avant  le^ 
guerres  Médiques  qu*il  faut  placer  > 
poque  de  la  plus  grande  prospérité  (kf 
Thasiens,  qui  formaient  alors  une  rrpu 
blique  indépendante ,  gouvernée  par  de: 
Prytanes.  Ce  fut  alors  aussi  qu'ils  foc- 
dèrent ,  sur  les  côtes  voisines ,  de  Don> 
breuses  colonies,  savoir  :  Parium  ^ 
Troade,  ville  déjà  fondée  par  Parité, 
neveu  de  Dardanus;  Datum,  au  pieddi 
mont  Pangée  ;  toutes  les  cités  du  r'w^^j 
de  Thrace  opposé  à  leur  île  ,  qu'flér- 
dote  désigne  sans  les  nommer  :  Galri- 
sus ,  près  du  Strymon ,  dont  la  pretnie: 
fondation  remonterait  à  l'époque  pbéûi- 
denne,  puisqu'on  l'attribue  à  Galepsiis, 
fils  de  Thasos  ;  Œsyme ,  voisine  de  i: 
précédente,  et  également  fort  andenne. 
puisque  Homère  en  fait  mention  ;  enfla 
Lissus  et  Strymé,  dans  le  voisinage  de 
Mésambrie.  Au  delà ,  la  côte  apparteoau 
aux  habitants  de  Samothrace. 

La  première  attaque  contre  l'indépen- 
dance des  Thasiens  fut  dirigée  par  Hii- 
tiée  de  Milet,  qui  après  la  répression  ût 
la  révolte  d'Ionie  s'étaitfaitcliefdebaode, 
et  cherchait  partout  du  butin.  Thasoï 
était  une  riche  proie  :  il  vint  l'assiégfr; 
mais  il  leva  le  siège,  par  crainte  de  b 

(i)  Ilérod.,  VI,  46;  Plin.,  VIÎ,  5;,  i;. 


ILE  DE  THASPS. 


875 


flotte  phéqicieDne  (497}.  LesThasiens, 
m  aTaîent  repoussé  Histiée,  ne  purent 
échapper  à  la  domination  des  Perses.  Ils 
se  soumirent  à  Mardonius ,  sans  essayer 
de  résister  (493).  Darius  leur  ordonna 
d'abattre  leurs  murailles  et  de  lui  livrer 
tous  leurs  vaisseaux,  qui  furent  conduits 
)  Abdère.  L'expédition  de  Xerxès  ache- 
ra  d^épuiser  les  ressources  des  Thasiens, 
\m  trouvèrent  ainsi  le  terme  de  leur 
prospérité. 

Bientôt  la  puissance  maritipie  d'A- 
J)èDes  délivra  la  mer  Èoj^  de  la  domi- 
nation des  Perses,  par  laquelle  les  Phé* 
]icieDs  espéraient  se  relever  et  repren- 
ire  leur  ancienne  supériorité  commer- 
:lale.  Thasos  entra  à  titre  d'alliée  dans 
a  confédération  dont  les  Athéniens  se 
ireot  les  chefs.  Mais  bientôt  un  différend 
l'éleva  entre  Thasos.  qui  voulait  conser- 
er  son  indépendance,  et  Athènes ,  qui 
impiétait  tous  les  jours.  La  querellé 
x)inmença  au  sujet  des' mines  et  des 
comptoirs  des  Thasiens  sur  les  côtes  de 
rhrace(l].  Les  Athéniens  envoyèrent 
me  flotte  contre  Thasos,  furent  victo- 
ieux  dans  ua  combat  naval,  et  firent  une 
lescente  dans  Ttle  (466).  Alors  les  Tha- 
liens  implorèrent  le  secouirs  de  Lacédé- 
Done,  qui  s'apprêtait  à  faire  une  diver- 
ilooen  Attique,  lorsqu'un  tremblement 
le  terre  et  la  révolte  des  Messéniens  re- 
inrent  ses  guerriers  dans  le  Pélopon- 
lèsc.  Abandonnés  à  eux-mêmes,  les 
rbasiens  résistèrent  encore  pendant 
rois  ans;  mais  enfin  il  fallut  se  ren- 
tre. Les  Athéniens  les  contraignirent 
I  détruire  leurs  murailles,  à  livrer  leurs 
[aisseaux,  h  céder  leurs  mines  et  leurs 
ilablissements  du  continent,  et  à  payer 
m  tribut  (  463  av.  J.-C.  ).  Ce  fut  le 
lernier  coup  porté  à  l'indépendance  et 
I  la  prospénté  de  Thasos,  que  les  Perses 
!t  les  Atnénlens  avaient  aocablée  tour  à 
our. 

Pendant  la  guerre  du  Péloponnèse, 
rbasos  servît  de  poste  inilitaire  aux 
athéniens  pour  défendre  leurs  posses- 
noDs  de  Thrace  et  de  Macédoine.  Cest 
à  que  Thucydide,  l'historien,  trouva 
'escadre  avec  laquelle  il  arrêta  les  pro- 
grès de  Brasidas  dans  la  Chalcidique. 
-ependant  les  Thasiens  supportaient 
impatiemment  le  joug;  ils  le  secouèrent 

1 0  Tkucyd.,  I,  loo*  Diod.  Sic,  XI,  70, 


après  l'expédition  de  Sicile,  e|  entrèrent 
danslepartidesLacédémoniens(411)(l). 

Mais  la  domination  de  Lacédémone 
fit  regretter  celle  d'Athènes.  D'ailleurs, 
Thasos  était  une  fie  ionienne,  et  c'était 
toujours  aux  Athéniens  que  revenaient 
ces  cités  maritimes,  ces  Aes  de  la  mer 
Egée ,  quand  elles  avaiept  reconnu  leur 
impuissance  h  se  conserver  libres.  En 
393  les  partisans  d'Athènes  reprirent 
le  dessus,  et  Thasos  fut  livrée  à  Thra- 
svbule  (2).  Philippe,  père  d'Alexandre, 
I enleva  aux  Athéniens,  et  elle  resta 
à  la  Macédoine  jusqu'au  moment  où  les 
Romains,  vainqueurs  à  Cynoscéphale , 
forcèrent  Philippe  III  à  rendre  la  li- 
berté aux  cités  grecques  qu'il  possé- 
dait. Thasos  fut  affranchie  par  te  dé- 
cret (3) ,  et  resta  libre ,  sous  le  patro- 
nage (\es  Romains ,  jusqu'au  tempç  où 
les  îles  furent  réduites  en  province.  Dès 
lors  11  n'est  plus  question  de  Thasos 
dans  l'histoire.  Cependant  il  en  est  fait 
mention  dans  l'histoire  des  guerres  ci- 
viles qui  suivirent  la  mort  de  césar;  elle 
servit  de  quartier  général  à  la  flotte  de 
Brutus  et  de  Cassius  ;  et  après  la  pre- 
mière bataille  de  Philippes,  où  Cassius 
périt,  Brutus  fit  porter  son  corps  dans 
i'tle  de  Thasos,  ou  Ton  célébra  ses  funé- 
railles ,  loin  de  la  vue  des  soldats,  que 
cette  lugubre  cérémonie  aurait  décou- 
ragés (4). 

Thasos  est  la  patrie  de  Polygnote,  l'un 
des  plus  grands  peintres  de  rantiquité. 
Son  père,  Agiaophon,  était  peintre  lui- 
même,  et  il  tut  le  premier  maître  de  son 
fils.  «  Polygnote,  dit  Pline,  fut  le  pre- 
mier qui  peisnit  les  femmes  avec  des  vê- 
tements brillants ,  leur  mit  sur  la  tête 
des  mitres  de  différentes  couleurs;  il 
contribua  beaucoup  aux  progrès  de  la 

Eeinture,  car  le  premier  il  ouvrit  la 
ouche  des  figures,  il  fit  voir  les  dents, 
et  introduisit  Texpres^ion  dans  les  vi- 
sages, à  la  place  de  rancieone  roideur.  Il 
y  a  de  lui  dans  le  portique  de  Pompée 
un  tableau  placé  jadis  (Jevant  la  curie  de 
Pompée.  Il  a  peint  le  temple  de  Delphes, 
à  Athènes  le  portique  appelé  Pœcile  ;  et 

(i)Thucyd.,  IV,  104;  VIII,  64;  Xénoph,, 

(2)  Démosth.,  ^(fv,  Lept,,  474. 

(3)  Polyb.,  XVIII,  3  r. 

(4)  App.,  BelL  civ,,  IV,  114. 


376 


LUNIVERS. 


il  a  travaillé  gratuitement  à  ce  dernier 
ouvrage  avec  Micon,  qui  se  Ot  payer. 
Aussi  Polyffuote  eut-il  plus  de  considé* 
ration* ;  et  les  Amphictyons ,  qui  for- 
maient le  conseil  générai  de  la  Grèce , 
décrétèrent  qu'il  aurait  des  logements 

gratuits  (1).  •  Polygnote  florissait  vers 
I  00^  olympiade  (  420  ans  avant  J.-C.  ). 
Un  autre  peintre  de  Thasos,  Nesée^  fut, 
dit-on ,  maître  de  Zeuxis. 

C'est  à  Thasos  aussi  que  naquit  le  fa- 
meux athlète  Théagène,  qui  remporta  c| ua« 
torze  cents  couronnes  dans  tous  les  jeux 
publics  de  la  Grèce.  Aussi  avait-il  une  im- 
mense réputation  :  on  le  disait  fils  d'Her- 
cule Thasien.  On  lui  dressait  partout  des 
statues.  Après  sa  mort,  un  de  ses  rivaux 
s'étant  mis  à  injurier  une  de  ses  statues  à 
Thasos,  celle-ci  se  détacha  de  sa  base, 
tomba  sur  cet  homme,  et  l'écrasa.  Les  fils 
du  mort  potirsuivirent  la  statue  juridique- 
ment, et,  conformément  à  une  loi  de  Dra- 
cou,  les  Thasiens  reconnurent  la  statue 
coupable  d'homicide,  et  la  firent  jeter  à 
la  mer.  Mais  quelque  temps  après  étant 
affligés  d'une  grande  famine,  et  ayant 
consulté  l'oracle  de  Delphes,  ils  la  firent 
retirer  de  la  mer,  et  lui  rendirent  de 
nouveaux  honneurs  (2). 

La  richesse  de  Thasos  est  attestée  par 
les  nombreuses  médailles  d'or  et  d*argent 
qui  nous  en  restent.  Ces  médailles  re- 
présentent tantôt  Baccfaus ,  tantôt  Her- 
cule, ou  bienCérès;  elles  portent  la  lé- 
gende SKLiO^  ou  BAZIQN  (3). 

Thasos  avait  joué  un  certain  rôle  dans 
le  temps  que  la  Grèce  était  libre.  Assu- 
jettie par  les  Romains,  elle  disparaît  tout 
à  fait  dans  l'immensité  de  leur  domina- 
tion. Même  silence  sur  Thasos  pendant  la 
plus  grande  partie  des  siècles  du  Bas-Em- 
pire. Reléguée  dans  un  coin  reculé  de 
l'Archipel,  elle  doit  sans  doute  à  cette  po- 
sition ravantage  d'échapper  à  tant  de  dé- 
vastations qui  affligèrent  les  autres  îles. 
Cependant  les  Vénitiens  s'en  emparèrent 
en  1204  ;  elle  fut  donnée  à  la  famille Dan- 
dolo ,  et  l'on  y  voit  encore  des  vestiges 

(i)  Plin.,/f/j/.  yat.,  XXXV,  35. 

(a)  Pausan.,  VI,  x  i. 

(3)  Eckliel,  Ihctr,  J\ftm,  vet,,  t.  H,  p.  6a. 


de  son  occupation.  Elle  retourna  aux 
Grecs ,  quand  leur  empire  fut  restauré 
par  Vatace  et  Michel  Paléoloffue.  Occupée 
ensuite  par  les  princes  Gateluzi  de  Les- 
bos ,  elle  leur  fut  enlevas  par  le  conque* 
rant  de  Constantinople,  en  1463  (1). 

Depuis  ce  temps  Thasos  est  restcepai- 
siblement  soumise  aux  Turcs ,  qui  ont 
assez  doucement  traité  sa  populatioD. 
Comme  ses  habitants  n'inspiraient  au- 
cune défiance,  ils  n'ont  rien  eu  à  souf- 
frir pendant  la  guerre  de  TindépendaDce. 
Ils  sont  tous  &recs  ;  on  ne  voit  aum 
Musulman  parmi  eux.  Leurs  neuf  vil- 
lages comptent  mille  vingt  maisons,  ha- 
bitas par  quatre  à  cinq  mille  personnes. 
Toutes  les  familles  sont  dans  l'aisaocf 
Leur  île,  féconde,  produit  en  abondance 
tout  ce  qui  est  nécessaire  à  la  vie,  et  ils 
exportent  des  bois  de  construction,  dfi 
vin ,  du  maïs,  de  l'huile  et  du  miel.  Ls 
mœurs  de  ces  insulaires  sont  douces  ei 
hospitalières.  Les  femmes  y  sont  bdles: 
leur  costume  est  resté  conforme  aux  tn» 
ditions  antiques  :  elles  portent  une  tu- 
nique bleue,  à  manches,  et  agrafée  as 
cou  ;  au-dessus  un  vêtement  plus  Bsa^, 
d'un  bleu  plus  foncé,  sans  mandies^q» 
se  drape  autour  de  la  taille,  et  qui  fonoc 
en  retombant  ces  beaux  plis  qu'oc  ad- 
mire dans  les  statues  antiques.  Am 
jours  de  fête,  elles  ajoutent  a  ces  vél^ 
ments  un  surtout  rouge,  ouvert  par-<l^ 
vaut  et  qui  descend  jusqu'aux  genoux. 
Leur  coiffure  est  un  oonnet  rouge,  r^ 
tombant  sur  le  front,  de  la  forme  du 
bonnet  phrygien,  et  entouré  d*une  bande 
d'or,  qui  ressemble  à  un  diadème.  Vut 
de  Thasos  est  la  seule  où  cette  belle  « 
simple  coiffure  se  soit  conservée. 

Je  le  répète,  u'après  M.  de  Prokeseb. 
(ancien  ministre  d'Autriche  enOr^s: 
aujourd'hui  ambassadeur  à  Berlin  ),  att' 
île  n'est  qu'imparfaitement  connue,  et 
mérite  d'être  explorée  attentivement.  ïks 
fouilles  habilementdirigées  V  produiraieo: 
sans  doute  d'Importantes  d^urertes  ,3  - 

(i)  Voyez  plus  haut,  d.  33o,  33a. 

(a)  Voyez  aussi  de  M.  de  Prokesdisesi>eA^ 
wurdigkeiten  und  JCrinuenntgen  oêu  OridCt 
m,6ïi. 


ILES  DU  NORD  DE  L'ÈUBÉÊ. 


Au  nord  de  Fîle  d*Eubée  et  à  Test  de 
a  Thessalie  on  rencontre  un  groupe 
rîles,  qui  semble  être  comme  un  pro- 
SDgement  interrompu  de  la  chaîne  du 
^élion.  Ces  îles,  qui  sont  au  nombre  de 
leof ,  à  ne  compter  ^ue  les  plus  eonsi- 
lérables  et  celles  à  qui  on  peut  assigner 
les  noms ,  étaient ,  en  commençant  par 
e  nord,  Irrhésia,  Gér<mtia,  Polyaigos 
uSolymnia,  Péparèthe,  Ikos,  Scandile, 
lalonese   Sciatnos  et  Scyros. 

Les  trois  premières  n'ont  ni  géogra- 
phie ni  histoire  ;  elles  correspondent  au- 
Durd'hui  aux  troisIlesd'Arsoura-Nisi,  ou 
le  Plane,  de  Joura-Nisi,  ou  île  du  Diable, 
t  de  Pélérisse  ou  Pelagnisi. 

PsPAEBiHE.  —  Péparèthe  est  plus 
onoue  dans  Fantiquité  ;  elle  était  renom- 
née  pour  ses  vins  et  son  huile.  Pline  (1) 
!it  qu'elle  était  surnommée  Evœnus, 
2lo'.voç.  Elle  avait  une  ville,  située  sur  son 
irage  oriental ,  et  qui  s'appelle  aujour- 
Thui  H  Dromi,  ou  Chéliaromia,  Ce- 
tendant  la  concordance  de  la  géographie 
Bcienne  et  de  la  moderne  est  fort  dif- 
icile  à  établir  pour  ces  petites  Iles  obs- 
iires,quise  confondent  les  unes  avec 
es  autres  et  auxquelles  les  cartes  assi* 
[nent  des  positions  différentes.  Selon 
es  unes  Péparèthe  serait  llle  actuelle  de 
ianio ,  dans  d'autres  elle  est  appelée  Se- 
idromi,  ou  Pi  péri.  Ailleurs  on  trouve  le 
lom  de  Pipéri  donné  à  un  petit  tlot  si* 
aé  à  l'est  ae  Joura-Nisi ,  et  qui  ne  peut 
tre  l'ancienne  Péparèthe.  Furbiger  lui 
bone  actuellement  le  nom  de  âkope* 
)  (2) ,  tandis  que  pjour  d'autres  Scopelo 
eprésenteraitrancienne  Halonèse.  Il  y 
n  a,  au  contraire,  qui  mettent  Halonèse 
l'endroit  où  nous  plaçons  Péparèthe. 
lais  sur  tous  ces  points  il  n'y  a  qu'in* 
ertitude,  et  je  ne  sais  si  l'on  pourra  ja- 
iais  parvenir  à  quelque  résultat  définitif 
ar  ces  questions,  oui  du  reste  ne  valent 
uère  llionneur  aune  discussion  (8). 

(i)Plin.,rV,a3,  7. 

(a)  Bandiueh  eUr  ali,  Geogr, ,  t.  Ill,  p.  i  oa a. 

{})  Oo  ne  peut  rien  inférer  de  précis  des 

^gueséaumératioQsqiie  Su*abou  et  Pline  font 


Cette  tie  dut  appartenir  aux  Athéniens 
dans  le  temps  qu  ils  eurent  la  domination 
de  la  mer  Egée  ;  elle  leur  fut  enlevée  par 
la  Macédoine.  On  voit  dans  Polybe  (1) 
qu'Attale,  roi  de  Pergame  et  allié  des 
Romains,  y  fit  une  descente,  et  que  Phi> 
lippe  III  le  repoussa.  Ce  prince  avait  fait 
établir  à  Péparèthe  des  signaux  de  feu 
qui  l'avertissaient  de  tous  les  mouve* 
ments  des  flottes  ennemies.  Ces  signaux 
de  feu,  télégraphes  des  anciens,  exis« 
taient  dès  le  temps  de  la  guerre  de  Troie, 
comme  on  le  voit  dans  Y^gamemnon 
d'Eschyle ,  où  la  sentinelle  placée  sur  le 
toit  de  la  maison  du  roi  d'Argos  «  épie 
sans  cesse  le  signal  enflammé,  ce  feu, 
éclatant  qui  doit  annoncer  que  Troie  est 
prise  ». 

HALOivksB.  —  Halonèse,  dont  la  po* 
sition  est  souvent  confondue  avec  celle 
de  Péparèthe,  doit  être  prise  au  sud  de  la 
précédente.  Telle  est  du  moins  la  place 
que  lui  donne  Kieppert,  dont  le  grand 
Atlas  hellénique  me  sert  de  guide.  For« 
biger  lui  donne  le  nom  de  Khiliodroniia. 
Mais  Khiliodromia  ou  Sélidromi  nous  pa- 
raît être  plutôt  Péparèthe;  et  Halonèse 
doit  correspondre  à  l'Ile  appelée  aujour- 
d'hui Scopelo.  Quoi  qu'il  en  soit  de  sa  po- 
sition,  Halonèse  a  sur  toutes  ses  voisines 
l'avantage  d'être  le  sujet  principal  d'un 
discours  qui  se  trouve  dans  la  collection 
des  harangues  de  Démosthène  (2).  Il  est 
vrai  q^e  Libanius  prétend  qu'il  n'est  pas 
de  Démosthène ,  mais  d'He^ésippe ,  un 
autre  orateur  du  temps.  Ce  discours  était 
une  réponse  à  une  lettreque  Philippe  avait 
adressée  aux  Athéniens,  au  suiet  d'Halo- 
nèse.  Halonèse  appartenait  depuis  des 
siècles  aux  Athéniens  ;  elle  avait  été  ré- 
cemment occupée  par  des  pirates.  Phi* 
lippe ,  plus  puissant  et  plus  actif  qu'A- 
thènes, où  l'on  parlait  plus  qu'on  n'aftis- 
sait,  les  en  chassa,  et  garda  l'île  pendant 
quelque  temps;  puis,  sur  les  rédama- 

de  ces  îles.  Cf.  Plin.,  loc.  c  ;  Strab.,  IX,  p.  43<>* 
^i)  Poiyb.y  X,  4a;  M.  de  Marœllus,  Épi' 

soie  s,  II,  p.  75. 

(a)  Dem.,  deHalon,  p.  75,colI.Didot,  p.4o. 


S78 


L'UNIVERS. 


tions  da  peuple  athénien ,  il  écrivit  une 
lettre  où  u  se  prétendait  légitime  posses- 
seur d'Halonèse ,  ajoutant  quMl  était  prêt 
h  en  faire  présent  au  gouvernement  a'A« 
thènes.  Cest  à  cette  offre  insultante  que 
répondait  le  discours  de  Démosthène  ou 
d'Hégésippe;  l'orateur  y  soutient  que 
Von  ne  derait  pas  recevoir  Halonese 
des  mains  de  Philippe  comme  un  don» 
mais  comme  une  restitution.  Mais ,  se- 
lon l'usage ,  on  discourut  beaucoup  sur 
l'Agora,  et  Haionèse  resta  au  roi  de  Ma- 
cédoine. 

Aiijourd'hui  Scopelo  et  tout  le  groupe 
voisin  appartiennent  au  royaume  de 
Grèce.  Elle  est  le  cheMieu  de  Téparchie 
de  ce  nom ,  qui  fait  partie  de  la  monar<« 
ehie  de  l'Ëunée. 

SciATHOS.  —  Llle  de  Sciathos,  dit 
Dapper ,  est  encore  appelée  Sciatho  et 
Sciathi  par  les  Italiens ,  et  Scietta  dans 
les  cartes  marines.  Elle  est  située  à  deux 
lieues  à  Textrémité  septentrionale  de 
Scopelo  ou  Haionèse  et  à  la  même  dis- 
tance du  cap  Saint-George  ou  Sépias,  qui 
termine  la  chaîne  du  mont  Pélion,  au- 
jourd'hui Zagora.  Elle  a  vingt-deux  ou 
trente  milles  d'Italie  de  circuit.  C'est  une 
tle  rocailleuse  et  stérile.  Dans  le  temps 
de  l'invasion  de  Xerxès,  les  Grecs  avaient 
étahli  à  Sciathos  trois  vaisseaux  d'obser- 
vation et  des  signaux  de  feu.  Aussi  en 
est-il  souvent  question  dans  Hérodo- 
te (1),  pendant  tout  le  récit  des  combats 
de  l'Artémisium. 

Sciathos  fut  possédée  successivement 
par  les  Athéniens  et  les  Macédoniens; 
quand  la  Macédoine  succomba  sous  les 
coups  des  Romains  et  de  leurs  alliés, 
Sciathos  fut,  comme  toutes  les  lies  de 
ce  groupe,  en  butte  aux  attaques  d'At- 
tnle,  des  Rhodiens  et  des  Romains  con- 
fédérés. Alors  Philippe  III  prit  ses  pré- 
cautions. «  Sciathos  et  Péparèthe ,  dit 
Tite-Live  (3),  villes  qui  n'étaient  pas 
sans  importance  et  pouvaient  offrir  a  la 
flotte  ennemie  une  conquête  utile  et  fruc- 
tueuse ,  furent  détruites  par  ordre  du 
roi.  »  Après  que  les  Romains  eurent  con- 
quis la  Macédoine,  ils  négligèrent  beau- 
coup toutes  ces  petites  tira,  qui  devinrent 
le  repaire  des  pirates.  Fendant  la  guerre 
contre  Mithridate  (87),  Bruttius  Sura 

(i)  Hérodote,  VII,  179,  i8i,  iSajVUr,  7, 
(a;Tile-l.ive,  XXX,  29. 


leur  reprit  Sciathos  (1),  el  EL  couper  les 
mains  a  tous  ses  prisonniers.  Mais  alors 
la  piraterie  infestait  toute  la  Méditerra- 
née, et  pour  un  point  où  elle  était  ré> 
primée,  elle  jouissait  de  l'impunité  dans 
cent  autres.  Pompée  débarrassa  les  mers 
de  ce  fléau,  66  avant  Jésus-Christ  (3;. 
Pendant  la  guerre  de  rindépendaooe 
Sciathos  servit  de  refuge  aux  Grecs  de 
Ffle  d'Ëubée  (3);  aujourd'hui  elle  fait 
partie,  comme  les  îles  voisines,  de  Te- 
parchie  de  Scopelo. 

Icos  ;Sga.ndile.  —  Ces  deux  Iles  sont 
situées  à  l'est  de  Péparèthe ,  dans  la  di* 
rection  de  Scyros.  La  première  s'appelle 
aujourd'hui  Sarakino  ou  Péristéri,  et 
l'autre  Scangero  ou  Scantzoura ,  ou  «• 
core  Scanda ,  selon  Dapper.  Dans  ces 
trois  noms  on  reconnaît  du  reste  Tan 
cienne  dénomination,  plus  ou  moins d- 
térée.  Dans  Scylax,  on  voit  que  Tile 
d'Icos,  toute  petite  qu'elle  est,  renfermait 
deux  villes ,  ce  qui  l'avait  fait  sunioin< 
mer  Dipolis.  Toutes  ces  tles  sont  entou- 
rées de  rochers  et  d'écueils,  qui  rendent 
la  navigation  très-difficile  dans  cette 
partie  de  l'Archipel.  L^  Vénitiens  oc- 
cupèrent  ces  îles  avant  les  Turcs,  et  le 
commerce  italien,  qui  les  fréquentait 
beaucoup  alors,  les  a  depuis  abisindoD- 
nées.  On  peut  voir  dans  Dapper  des  dé- 
tails assez  circonstanciés  sur  la  naviga- 
tion de  ces  parages  (4). 

ILB  DE  SGYBOS. 

Scyros  doit  son  nom  à  son  sol  inépl 
et  rocailleux.  Au  moyen  âge  elle  fut  ap- 
pelée par  les  Italiens  San-Georgio  di 
Sciro  ou  simplement  Sc}to,  nom  quVile 
porte  encore  aujourd'hui.  Elle  est  situce 
au  nord  de  l'île  d'Ëubée,  et  à  Test  ds 
groupe  dont  nous  venons  d'énumérerles 
principales  îles.  Elle  s'étend  du  nord  as 

(i)  App.,  Beli.  JUitfw.,  ag.  Vojei  d*» 
Beîi.  civ.,  V,  9,  la  générosité  d'Antoine  à  Tfr 
gard  des  Athéniens,  auxquels  îl  restitue  ces  1* 

(a)  Eckhel  donne  les  types  et  les  légenie*  | 
des  monnaies  de  Haionèse ,  d'Irrbesia,  de  Pf 
parèlhe  el  de  Sciathos.  Toycz  aussi  d»* 
Bœckh,  Corp,  Inscr.,  t.  II,  p.  f?*,  unei»»- 
cription  en  Thonneur  de  S€ptiine-Sé«»«f 
trouvée  à  Sciathos. 

(3)  Poiiqucvillc,  But.  dé  la  Grèce,  ïVA}9- 

(4)  Dapper,  Description,  etc.,  p.  tSS  ^ 
«iiîv.  Voir  aussi  Btiondelmenti ,  Ijèerliu^^ 
rnm,  p.  i3o. 


ILES  DU  NORP  DE  L'EUBÉE. 


879 


sud,  par  32<»  1(/  de  longitude  et  SO""  50' 
de  latitude ,  sur  nue  lODgueur  de  cinq  à 
six  ]ieues.  Ses  c^tes  sont  extrêmement 
découpées ,  et  )ës  vaisseaux  y  trouvent 
tellement  un  abri.  Cette  île  est  fort  éle* 
m;  elfe  a  deux  sommets  qui  la  domi- 
Dent  à  ses  deux  extrémités,  le  mont  Go- 
ehila  au  sud  et  le  mont  Saint-Ëlîe  au 
nord.  Elle  est  terminée  au  sud  par  le 
cap  Rena.  Son  principal  cours  d'eau  est 
le  Céphise ,  qui  se  jette  dans  une  baie, 
mr  la  côte  occidentale  de  Ftle.  Sur  cette 
beie,  dont  quelques  tlots  défendent  Ten* 
trée,  et  qui  forme  un  grand  port,  était 
l'ancienne  ville  de  Scyros  (1).  La  princi- 
pale richesse  de  Scyros  consistait  dans 
tes  carrières  de  marbre  de  diverses  cou- 
eurs.  Elle  avait  des  mines  d'argent,  où 
*on  trouvait  le  sit  foncé ,  matière  colo-* 
rante  employée  dans  la  peinture.  Les 
^aux  qui  coulent  dans  ses  mines  et  ses 
Sjrrières  ont  la  propriété  de  pétrifier 
oQs  les  arbres  qu'elles  arrosent.  Les  an- 
»eDs  s'étonnaient  beaucoup  de  la  pro- 
priété singulière  d'une  pierre  de  Scyros 
|tti  flottait  sur  Feau  sous  un  grand  vo* 
ume,  et  qui  tombait  au  fond  quand 
4ie  était  réduite  en  fragments  (2). 

Les  chèvres  de  Scyros,  selon  Strabon, 
tonnaient  un  excellent  lait;  mais  elles 
iraient  le  défaut  de  renverser  souvent 
es  vases  où  on  venait  de  les  traire.  Aussi 
ippeiait-on  chèvres  de  Scyros  les  gens 
|ui  ne  savaient  pas  soutenir  leur  bonne 
onduite  et  chez  qui  de  grands  défauts 
enaient  se  mêler  a  de  bonnes  qualités. 
'^D  somme,  Scyros  était  une  île  pauvre  et 
hétive;  et  quand  on  voulait  donner  l'i- 
lée  de  quelque  chose  de  misérable  on  di- 
2it  proverbialement  :  Cest  le  royaume 
(f  Scyros, 

L'île  de  Scyros  fut  primitivement  ha- 
«tée  par  des  Pélasges  et  des  Gariens; 
nais  elle  n'a  pas  d'histoire  avant  le 
^ne  du  roi  Lycomède,  qui  doit  toute  sa 
«lébrité  aux  souvenirs  de  Tliésée  et  d' A- 
hille.  Thésée,  devenu  odieux  aux  Athé- 
liensj  «  s'embarqua  pour  Scyros  :  »  il 
«nsait,  dît  Plutarqoe ,  y  avoir  des  amis, 
!t  il  possédait  dans  l'île  quelques  biens 
>aieniels.  Lycomède  était  alors  roi  do 

(i)  PloL,  m,  i3,  47.  Voy.  Forbigéf,  III, 
».  II 38. 

WPlIn.,  II,  ro6,  i3;  XXXI,  «o,  i; 
^UlII    56,  i;  XXXVI,  56. 


Scyros.  Thésée  alla  le  trouver,  et  le  pria 
de  lui  rendre  ses  terres ,  dïwMX  (jm  son 
intention  était  d'v  faire  son  séjour;  il 
lui  demanda ,  suivant  d'autres ,  du  se» 
cours  contre  les  Athéniens.  Lyeonràde, 
soit  pour  la  crainte  que  hii  inspirait  la 
renommée  d'un  tel  homme,  soit  dans  )• 
but  de  complaire  à  Ménesthée ,  le  cob* 
doisit  sur  les  montagnes  de  file,  soi-dl* 
sant  pour  lui  montrer  de  là  ses  terres , 
et  le  précipita  du  haut  des  rochers.  Thé* 
sée  périt  dans  la  chute.  Quelques-QfiB 
disent  qu'il  tomba  en  faisant  un  feux 
pas,  comme  il  se  promenait  après  sou- 
per ,  selon  son  usage.  Personne  dans  le 
temps  ne  tint  compte  de  sa  mort.  Après 
les  guerres  Médiques,  Phédon  étant  ar- 
chonte, la  Pythie  ordonna  aux  Athé* 
niens,  qui  l'avaientconsultée,  de  recueil- 
lir les  ossements  de  Thésée,  de  leur 
donner  une  sépulture  honorable ,  et  de 
les  garder  avec  soin.  Mais  il  n'était  pas 
facile  de  s'en  saisir,  ni  mémo  de  recon* 
naître  le  tombeau,  à  cause  de  la  férocité 
des  barbares  de  rîle,  qui  n'avaient  au- 
cun commerce  avec  les  autres  peuptos. 
Cependant  Gimon,  s'étant  rendu  mattre 
de  Scyros,  â*occupait  activement  de  cette 
recherche,  lorsqu'il  aperçut,  dit-on, 
un  aigle  qui  frappait  à  coups  de  bec  sur 
une  sorte  de  tertre,  et  y  fouillait  avee 
ses  serres.  Gimon,  saisi  tout  à  coup 
comme  d'une  inspiration  divine,  fit 
creuser  en  cet  endroit ,  et  on  y  trouva 
la  bière  d'un  homme  d'une  graniiietaitle, 
et  à  côté  un  fer  de  pique  et  tme  épée. 
Gimon  fit  charger  ces  restes  sur  la  tri- 
rème. Les  Athéniens,  ravis  de  joie,  ieor 
accueillirent  avec  des  processions  et  des 
sacrifices  ;  c'était  comme  si  Thésée  lui- 
même  fût  revenu  dans  la  ville.  »  Le 
temple  qu'ils  élevèrent  alors  en  l'hon- 
neur de  Thésée  se  voit  encore  au  pied 
de  l'Acropole,  et  c'est  le  mieux  con- 
servé de  tous  les  anciens  monuments  de 
la  Grèce. 

Lycomède  régnait  encore  au  temps 
de  la  guerre  de  Troie  (1184).  Achille 
avait  fait  alliance  avec  lui,  en  épousant 
sa  fille  Déidamie ,  dont  il  eut  un  fils, 
Kéoptolème  ou  Pyrrhus ,  gui  fut  élevé 
dans  rttede  Scyros.  Des  poètes  bien  pos- 
térieurs à  Homère  supposèrent  qirA- 
chilîe  avait  été  caché  à  Scyros  par  sa 
mère  Thétis ,  qui  voulait  le  dérober  afix 
dangers  de  h  gqerre  de  Troi^,  Ceé  la 


S80 


L'UNIVERS. 


légende  cbautée  par  Suce  daas  VAchilr 
léide»  «  Sur  les  rochers  qui  bordent  la 
mer,  et  où  les  vagues  retentissent,  Thé- 
tis,  inquiète,  délibère  en  elle-même  pen- 
dant la  nuit,  et  cherche  dans  sa  pensée 
le  pays  où  elle  doit  cacher  Achille.  La 
Tbrace  est  Irès-rapprochée sans  doute, 
nais  trop  belliqueuse;  la  Macédoine, 
trop  sauvage;  Athènes,  trop  amie  de  la 
gloire  ;  Sestoe  et  les  ports  d' Abydos  sont 
trop  accessibles  aux  vaisseaux.  Restent 
les  Cydades.  Mycone  et  Sériphe  lui  dé- 
plaisent, ainsi  que  Lemnos,  injuste  en- 
vers le  sexe  masculin,  et  Délos,  vjsitée 
de  tous  les  peuples  du  monde.  La 
cour  du  paisible  Lycomède,  les  nom- 
breuses jeunes  filles  et  les  bruits  joyeux 

du  rivage  de  Scyros Voilà  Tabri  qui 

plaît  pour  son  enfant  à  la  craintive 
mère(l).  » 

Au  lieu  de  cette  fade  et  fausse  légende, 
voyez  la  vigoureuse  tradition  des  temps 
homériques.  Achille,  soit  au*il  ait  épou- 
sé ou  non  Déidamie,  fille  ae  Lycomède, 
vient  assiéger  Scyros,  où  régnait  alors 
le  roi  Enyée.  Il  prendcette  ville,  àlaquelle 
Homère  donne  si  justement  Tépubète 
d'aÎKsXa  ;  il  la  pille ,  et  parmi  le  butin 
se  trouve  la  belle  Ipbis ,  qu'il  donne  à 
son  ami  Patrocle.  Sur  le  point  de  mar- 
cher contre  Troie,  il  y  laisse  son  filsP^éo- 
ptolème  (2).  «  Hélas,  s*écrie-t-il,  quand 
Patrocle  n'est  plus,  je  n'aurais  pas  été 
plus  sensible  à  la  perle  de  mon  fils  qu'on 
élève  à  Scyros,  si  tant  est  que  mon  cher 
Néoptolème  vive  encore  :  j'avais  toujours 
espéré  que  je  périrais  seul  sur  ce  rivage, 
que  tu  me  survi  vrais,  mon  cher  Patrocle, 
(jue  tu  t'en  retournerais  à  Phlhie,  que 
tu  prendrais  mon  fils  à  Scyros,  que  tu 
le  mènerais  dans  mon  palais,  et  que  lu  le 
mettrais  en  possession  de  mon  royau- 
me. »  Ce  fut  Ulysse  qui  alla  chercher 
Néoptolème  à  Scvros  pour  le  mener 
contre  Troie,  où  il  avait  son  père  à  ven- 
ger. Le  jeune  homme  partit  emmenant 
une  troupe  de  belliqueux  habitants  de 
Scyros  (3). 

D'après  le  scoliaste  d'Homère,  cet 
Ënyée,  dépouillé  par  Achille,  était  le  chef 
d'une  colonie  de  Cretois.  Cette  émigra- 
tion, dit  M.  Raoul  Rochette  n'était  sans 

(x)Slace,^tr/«7A,  I,  aro. 

(2)  Hom.,  IL,  IX,  €68;  XIX,  3a6. 

(d)  Id.,  Odfis.,  XI,  509. 


doute  qu'un  détachement  de  la  odoiûe 
qui ,  sous  les  ordres  de  Stapbylus ,  s'éta- 
blit dans  les  fies  de  Péparetne  et  d'Icus, 
au  témoignage  de  Seymnus  de  Cbio.  11 
est  certain,  diaprés  de  nombreuses  ia- 
dicationSy  que  les  Cretois,  unis  aux  Ca- 
rions, dominèreut  dans  ces  parages  avant 
la  guerre  de  Troie.  Peut-être  avaient-ils 
renversé  Lycomède  à  Scvros  :  ce  qui  au- 
rait attiré  les  armes  a'Achille  contre 
cette  tie.  Au  retour  de  la  guerre  de 
Troie,  Néoptolème  trouva  ses  Etats  hé- 
réditaires envahis  par  Antiphus  et  ies 
Dorions.  Le  vieux  Pelée,  captif,  était 
allé  périr  misérablement  dans  l'île  de 
Cos.  Dépouillé  de  ses  États,  Pyrrhus  se 
décida  à  en  conquérir  d'autres.  Il  avait 
des  droits,  du  chef  de  sa  mère,  sur  File  de 
Scyros  ;  mais  cette  île  était  alors  occupée 
par  des  rebelles  ou  des  étrangers  :  il  œ 
put  s'en  emparer,  et  il  passa  en  £pire(r. 
Au  huitième  siècle,  selon  Scymous. 
Scyros  et  les  îles  voisines  de  Péparèthe 
et  de  Sciathos  étant  reconnues  désertes, 
les  Chalcidiens  les  repeuplèrent  tou- 
tes (2).  Plus  tard  Scyros  fiit  occupée 
1)ar  les  Dolopes.  Ce  fut  aux  Dolopesque 
es  Athéniens  l'enlevèrent,  la  troisième 
année  de  la  77^  olympiade  (  469  avant 
J.-C).  Voici  comment Plutarque raconte 
cette  conquête,  qui  fut  opérée  parCim  c 
«  Scyros,  dit-il,  était  habitée  par  des  Dolo- 
pes, gens  peu  entendus  dans  la  culture  des 
terres,  et  qui  infe&taient  de  tout  temps  1. 
mer  par  leurs  pirateries.  Us  allèrent  ménie 
jusqu'à  dépouiller  ceux  qui  abordaitot 
chez  eux  pour  y  trafiquer.  Des  mar- 
chands thessaliens,  ^ui  étaient  à  rancre 
dans  le  port  de  Ctésmm ,  furent  pilles 
par  eux  et  jetés  en  prison  ;  mais  ils  roov 
pent  leurs  chaînes,  s'évadent,  et  voifl 
dénoncer  cette  violation  du  droit  des 
gens  aux  amçhictyons.  La  ville  fut  coq- 
damnée  à  dédommager  les  marcbaïKb 
de  la  perte  qu'ils  avaient  faite.  Le  peu- 

{lie  refusa  de  contribuer,  et  soutint  qw 
'indemnité  devait  être  payée  par  cetiv 
qui  avaient  pillé  les  marcnands.  Les  cor- 
saires ,  qui  craignaient  d'être  fores  i 
payer,  écrivirent  à  Cimon,  et  le  pressè- 
rent de  venir  avec  sa  flotte  prendre  pos- 
session de  la  ville,  qu'ils  lui  remettraient 

(i)  Raoul  RodieUe,  Cof^  Gre«q.,  t.  H 
i57,  379. 

(a)  Id.,  ihid,,  Il(,  p.  2io3. 


ILES  DU  NORD  DE  L*EUBEE. 


S8I 


entre  les  mains.  Cimon  y  alla ,  s'empara 
de  nie ,  en  chassa  les  Dolopes ,  et  rendit 
libre  la  mer  Egée  (1).  » 

Scyros  fut  enlevée  aux  Athéniens  à  la 
suite  de  la  guerre  du  Péloponnèse  ;  mais 
elle  leur  Ait  rendue  par  le  traité  d'Antal- 
ddas  (387).  Après  la  mort  d'Alexandre 
le  Grand,  Amnes,  excitée  par  Démos- 
tbène,  souleva  la  Grèce  contre  la  Macé- 
doine; mais  elle  succomba  dans  la  guerre 
Lamiaque,  et  Antipater  la  |)riva  de  ses 
dernières  possessions  maritimes ,  entre 
autres  de  Scyros,  qui  dès  lors  appartint 
aux  Macédoniens.  Après  la  bataille  de 
Cynosoéphale,  Quintius  Flamininus  la 
rendit  aux  Athéniens  (2). 

Il  n*est  pas  nécessaire  de  dire  que  cette 
Ile  fiit  ensuite  soumise  à  l'empire  ro« 
main,  puis  à  celui  des  Grecs.  André  et 
Jérôme  Ghizi  se  rendirent  les  maîtres  de 
Scyros  après  la  prise  de  Constantinople 
par  les  Fnmçais  et  par  les  Vénitiens. 
Elle  passa  sous  la  domination  des  ducs 
de  Naxos.  Guillaume  Carcerio  en  fit  la 
conquête,  et  la  laissa  à  ses  descendants* 
Son  petit-fils  Nicolas  Carcerio,  neuvième 
duc  de  r  Archipel,  en  fît  fortifier  le  châ- 
teau avec  beaucoup  de  soin,  sur  Tavia 
que  les  Turcs,  qui  commençaient  à  pas* 
ser  des  côtes  <r Asie  en  Grèce,  avaient 
dessein  de  s'en  emparer,  pour  avoir  une 
retraite  dans  TArchipel  (1345).  Les 
Turcs  vinrent,  en  effet;  mais  ils  furent 
si  vigoureusement  reooussés,  qu'il  n'en 
resta  pas  un  seul.  On  voit  encore  les 
ruines  de  ces  fortifications,  que  les  Turcs, 

(  i)  W«l.,  Chm.,  vni,  4  ;  Thuc,  1, 98  ;  Diod., 
SicuL,  XI,  60,  2. 
(a)  Tit.-Liv.,  XXXIII,  3o. 


qui  en  furent  maîtres  depuis  la  destruc- 
tion du  duché  de  Naxos,  ont  laissées  pé- 
rir (1).  Sc}TOsn'a  qu*un  seul  village;  il 
est  situé  sur  un  rocher  escarpé,  a  dix 
milles  du  port  Saint-Georses.  Outre  ce 
port ,  qui  est  spacieux  et  d'un  très-bon 
mouillage,  il  y  a  encore  dans  cette  tle 
le  portoé^  Trois-Bovches,  où  l'on  pénètre 
par  trois  passages,  que  forment  deux 
Ilots  placés  à  son  entrée.  Le  monastère 
deSamt-Georges,  situé  près  du  villaoe, 
possède  une  image  d'argent,  en  feuille 
très-mince,  sur  laquelle  on  a  ciselé  gm» 
sièrement  saint  Georges  et  représenté  ses 
boiracles  :  cette  feuille,  qui  a  près  de  qua^ 
tre  pieds  de  hauteur,  sur  environ  deux 
pieds  de  largeur,  est  clouée  sur  une  pièce 
de  bois  qui  a  un  manche  comme  une 
croix  et  que  l'on  porte  comme  une  ban- 
nière. C'est  cette  image,  échappée,  dit-on, 
à  la  fureur  des  iconoclastes,  qui  opère 
tant  de  miracles  et  qui  châtie  surtout 
ceux  qui  n'accomplissent  pas  les  vœux 

âu'ils  ont  faits  à  saint  Georaes  (3).  L'Ile 
e  Scyros  produit  assez  de  blé  et  d'or&e 
pour  la  subsistance  de  ses  habitants; le 
vin  forme  sa  principale  richesse;  elle 
est  abondamment  pourvue  de  bois, 
lentisques,  myrtes,  chênes  verts,  lauriers- 
roses,  pins.  On  y  trouve  de  nombreux 
troupeaux  de  moutons,  beaucoup  de  gi- 
bier, des  perdrix  surtout,  et  toutes  les 
roches  donnent  des  fontaines  d'une  eau 
excellente 

Aujourd'hui  elle  appartient  à  la  Grèce, 
et  fait  partie  de  l'éparchie  de  l'Eubée. 

(r)  Tournefort,  f^oy,  du  Levant,  I,  44?. 
(a)  Id.,  1. 1,  p.  449  ;  Sauger,  Histoire  nou- 
velle des  Ducs  de  V Archipel,  p.  177. 


ILE  D'EUBEE. 


I. 

DÈSCBlPtiôlt  Èi  HISTOIBE  DE  LltB 
b'ETJBÉB  PBNDANt  LtS  TEMtS  AN- 
CIENS (1). 

Oboobâphib  génébalb;  popula- 
tion. —  M  plus  grande  des  iles  de  la 
mer  Ë^ée,  l!£ubée,  se  prolonge  du  uord-^ 
ooestau  sud-ouest,  parallèlement  à  toute 
Féteodue  actuelle  des  côtes  orientales  de 
la  Grèce  du  nord,  depuis  le  golfe  de  La- 
Hila  jusqu'à  la  pointe  du  Sunium ,  ou 
peu  s'en  faut.  Tres-voisinedu  continent, 
elle  en  soit  à  fea  près  les  csontours ,  et 
semble,  au  delà  de  l'étroit  canal  qui  l'en 
sépare,  en  continuer  le  dévdoppement, 

(i)  Tout  ce  travail  sur  la  géographie  et 
l'histoire  de  l'Ile  d*£ub«e  pendant  les  temps 
anciens  n*ett  que  la  reprodoclion  abrégée 
d'un  tnémoire  de  M.  Girard ,  membre  de  TÉ- 
eole  Francise  d' Athènes.  Ce  mémoire  a  été 
publié  intégralement  dans  le  deuxième  volume 
des  Arcidves  des  Musions  scientifiques;  c'est 
là  que  je  renvoie  pour  les  citalious  et  certains 
développements.  Chargé  par  TAcadémie  des 
Inscriptions  et  Belles- Lettres  it explorer  tilt 
dEubée  et  de  la  décrire  exactement ,  M.  Gi- 
rard Ta  parcourue  en  tous  sens  dans  trois 
voyages  sncoessifs,  et  nous  en  a  donné  ainsi 
la  description  la  plus  exacte  et  la  plus  complète 

3 ne  nous  avons.  Je  suis  heureux  d'avoir  pu 
isposer,  grâce  à  Tobligeance  de  mon  confrère, 
de  cette  intéressante  étude,  qui  ajoutera  tant 
<l*intérét  a  mon  livre,  et  qui  fera  connaître  à  ses 
lecteurs  toute  l'importance  des  travaux  d'ex- 
ploration entrepris  sur  le  sol  de  k  Grèce  par 
les  membres  de  l'École  Française  d'Athènes. 
Yoyex  encore  sur  l'Sle  d'Eubée  :  Pelugk, 
Renan  Euboiearum  Spécimen,  1829,  in-4°. — 
Dans  la  collection  de  Walpole,  Travels  in  va- 
rious  Countnes  ofthe  East,  a  vol. in-4°,  z8 1 8, 
la  relation  du  docteur  Sibthorp ,  t.  II,  p.  34, 
et  la  Description  des  Ruines  au  mont  Ocha, 
par  Hawkins,  t.  II,  p.  a85.  —  Une  Disserta- 
tion d'Ulricbs  sur  le  temple  de  Junon  du  mont 
Ocha,  insérée  dans  les  Annali  delt  Instituto 
di  Correspondenza  Archeologica,  184a,  p.  5, 
— Dans  les  KUine  Schriften  de  F.  G.  Welcker, 
t.  III,  p.  376,  se  trouve  un  article  qui  résume 
tous  les  travaux  des  archéologues  sur  les  ruines 
du  mont  Ocha, 


en  même  temps  qti*eUe  efi  termine  oon$- 
tamtnent  rhorizoû  par  la  ligne  belle  H 
tariée  de  ses  hauts  sommets.  Elle  «t 
considérée  par  les  géologues  coDinie  V 
prolongement  méridional  de  la  ehaîM 
de  l'Olympe  ;  elle  se  dirige  dans  le  foéne 
sens.  Sa  longueur^  mesurée  par  les  an- 
ciens ,  atteint  le  chiffre  de  douze  cents 
stades,  c'est-à-dire  environ  qaaranl^ 
huit  lieues:  sa  lârgetir,  fort  inégale, 
s'élève  au  plOs  à  celui  de  cent  cinquante 
^ades  (six  lieues],  et  descend  souvent 
beaucoup  au-dessoiis.  Sa  constitution  est 
montagneuse,  comme  celle  de  toutes  les 
fies  grecques  :  dans  les  bouleversements 
ou  les  modifications  du  globe ,  c'est  par 
les  tnontagnes  qu'elles  se  sont  fait  josr 
au  milieu  de  la  mer,  ou  ont  tcsistéaseï 
envahissements.  Mais  dans  aucune  île 
peut-être  il  n^est  plus  facile  de  saisir 
d'une  manière  générale  le  travail  d'en- 
fantement de  la  nature,  et  de  recoib 
naître  jusqu^à  quel  point,  en  formant 
une  nouvelle  terre,  elle  a  pu  marquer 
d*avance  aux  hommes  où  et  comment 
ils  devaient  y  vivre  et  s*y  développer. 

Au  centre  de  TEubée ,  au  point  où  elie 
se  rapproche  le  plus  du  continent, sem- 
ble avoir  porté  surtout  l'effort  de  cette 
création  ;  là  s'est  élancée  en  forme  (ie 
pic  la  plus  haute  montagne,  le  Delpbi 
actuel  (1,743  mètres);  et  en  méo» 
temps,  comme  pour  lui  fournir  une 
base  suffisante,  l'île  s'est  développée 
dans  sa  plus  grande  largeur,  en  éten- 
dant vers  Ja  Béotie  les  plaines  destinées 
à  former  les  territoires  de  Chalcis  et  d't* 
rétrie. 

A  ce  système  central  du  Delphi  se  r^^ 
tache,  pour  ainsi  dire,  la  charpente  di 
reste  de  111e.  Vers  le  sud  descend  une 
chaîne  secondaire ,  dont  les  plans  irre- 

§uliers  sont  étroitement  resserrés  des 
eux  côtés  par  la  mer,  jusqu'à  eequils 
aient  joint  la  masse  des  sommets  de  YO- 
cha ,  qui  terminent  Hle  en  rélargissant 
de  nouveau.  Au  pied  de  cette  montagne, 
et  au  fond  d'une  baie  favorablemeot 
tournée  vers  l'Attique  et  les  Cjdades, 
devait  s'élever  Carystos. 


ILE  D'EUBÉÉ. 


3ë3 


l)u  côte  du  nord  le  rétrécissement 
le  TËubée  est  beaucoufi' moins  sensible. 
^  haute  chaîne  du  Kdndili  longe  la 
ôte  occidentale»  et  presque  partout  s'é- 
*ve  à  pic  de  la  mer  ;  son  dernier  pro- 
ongement  va  former  à  Touest ,  au  delà 
a  golfede  Upso^  la  presqu'île  de /^i^AO' 
'a;  dans  la  direction  opposée,  elle  étend 
es  ramifications  jusqu  au  promontoire 
'Artémisium,  ouvrant  ainsi  sur  le  canal 
e  Trikéri  une  belle  plaine  et  de  riches 
ailées.  Cette  prtie  était  naturellement 
ésîgnée  au  développement  d'Oréos ,  la 
uatrième  ville  de  TEubée  qui  ait  un 
om  dans  l'histoire. 

Ainsi  une  disposition  de  la  nature 
aralt  avoir  déterminé  au  centre  de 
lie  et  à  ses  deux  extrémités  les  trois 
oints  qui  devaient  acquérir  de  Timpor- 
ance.  On  serait  même  tenté  d'attribuer 

un  soin  providentiel  ce  fait ,  que  ces 
ositions  sont  marquées  dans  le  voisi- 
age  et  en  regard  du  continent.  En  cé- 
éral,  les  côtes  orientales  sont  inbafai- 
ibles,  ou  toutau  moins  désavantageuses 
l'habitation.  Le  Delphi  plonge  dans  la 
}er  Egée ,  dont  il  est  plus  voisin ,  les 
entes  abruptes  de  ses  grands  contre- 
)rts.  Entre  cette  montagne  et  l'Ocha , 
peine  dans  une  pareille  étendue  se  pré- 
ente-t-il  une  rade  mal  abritée  auprès 
e  vallées  d'une  importance  secondaire; 
elles  de  Koumi;  et  de  même,  en  re- 
montant versFArtémisium,  on  ne  trouve 
vère  de  place  que  pour  le  petit  port 
'une  ville  obscure  «  1  antique  Cérinthe. 
LQ  contraire,  c'est  sur  les  rivages  de 
ouest  et  du  nord,  près  du  canal  d'Eu- 
ée  ou  de  celui  de  Trikéri,  que  se  dé- 
eloppent  les  plus  grandes  plaines ,  de 
Qéme  que  s'y  élèvent  |les  villes  histo- 
iques;  en  même  temps  les  ports  et  les 
brissûrs  s*y  multiplient.  On  oirait  même 
[ue  ces  rivages  ont  modifié  leur  nature 
uivant  l'importance  des  pays  continen- 
aui  qu'ils  regardent  :  ainsi,  tandis 
[u'en  face  de  la  Locride  et  des  parties 
es  plus  obscures  de  la  côte  béotienne, 
Bs  falaises  escarpées  du  Kandili  s'inter- 
ompentà  peine  un  instant  entre  la  plaine 
^  Chalcis  et  la  baie  de  Lipso,  Chalcis , 

rétrie ,  Catystos  et  d'autres  villes  in- 
^rmédiaires  sont  situées  vis-à-ris  de 
'Attli^ue  on  à  la  hauteur  de  Thèbes  et 
les  points  principaux  de  la  Béotie. 

Telle  est,  d'une  manière  générale ,  la 


contexture  de  l'Eubée.  (Test  un  des  pajs 
les  plus  heureusement  dotés  par  la  na- 
ture;  il  offre  une  étonnante  variété  de 
productions  et  de  richesses  :  les  céréales 
de  toutes  sortes,  qui  dans  le  nord  et 
dans  le  midi  sont  magnifiques;  la  soie, 
le  coton,  la  garance;  le  vin,  dont  le 
centre  fait  un  commerce  considérable; 
les  produits  des  troupeaux,  célèbres 
dès  rantiquité,  n'en  eût-on  pour  preuve 
que  le  bœuf  type  ordinaire  des  mon- 
naies anciennes  de  toute  l'île  ;  les  bois 
de  construction,  fournis  par  les  grandes 
forêts  du  nord  ;  des  mines  de  cuivre  et 
de  fer,  fameuses  chez  les  anciens;  des 
lignites,  exploités  par  les  modernes  ;  l'a- 
miante et  d'autres  minéraux  précieux; 
enfin,  des  sources  chaudes,  d'une  effica- 
cité reconnue. 

Aussi  l'Eubée  fut-elle  habitée  dès  les 
époques  les  plus  reculées.  C'est  d'abord 
la  mythologie  qui  se  charge  de  la  peu- 
pler. Dans  les  traditions  obscures,  dont 
il  ne  nous  est  parvenu  que  des  lam- 
beaux ,  on  distingue  deux  catégories. 

Les  unes  se  rattachent  à  la  formation 
volcanique  de  Tlle.  L'Eubée  se  ressent 
des  luttes  des  Titans  et  des  Centi mânes, 
dont  les  montagnes  voisines,  l'Othrys, 
le  Pélion  et  l'Ossa  en  Thessalie,  et  les 
champs  de  Phlégra ,  dans  la  presqu'île 
dePallène,  furent  le  théâtre.  Elle  semble 
particulièrement  consacrée  à  un  Centi- 
mane  vainqueur ,  Briarée ,  dont  le  culte 
se  conserva  sous  ce  nom  à  Carystos ,  et 
sous  celui  d'OEgéon  à  Chalcis.  Elle  re* 
couvre  les  demeures  profondes  du  mons- 
tre, dans  lesquelles  elle  le  sent  encore 
s'agiter.  Elle  est  également  le  séjour  du 
géant  Tityos ,  qui  y  reçoit  la  visite  de 
Khadamante,  conduit  par  les  Pbéa- 
ciens.  Tityos  était  honoré  dans  l'île ,  où 
un  héroum  lui  était  consacré;  et  on  y 
montrait  un  antre  appelé  Élarium,  du 
nom  de  sa  mère.  Le  fils  du  titan  Phaéton 
fonde  Ërétrie.  Enfin  Orion,  fils  de  la 
Terre,  fut  élevé  en  Eubée,  ou  s'y  rendit 
en  venant  de  Sicile.  La  ville  d'Oréosi 
d'après  une  étymologie,  lui  doit  son 
nom.  Située  entre  les  bois ,  des  monta- 
gnes et  la  mer,  elle  méritait  d'être  choi- 
sie par  ce  héros,  amant  de  Diane  et  pro* 
tége  de  Neptune.  Ces  deux  divinités, 
auxquelles  )e  mythe  d'Orion  se  rattache, 
furent  en  Eubée  l'objet  d'un  culte  par* 
ticulier. 


384 


L'UNIVERS. 


Ces  légendes  sur  les  géants  sont  jus- 
tifiées par  ce  que  nous  savons  des  révo- 
lutions physiques  de  TEubée.  C/est  sans 
doute ,  comme  le  croyaient  les  anciens , 
Tune  de  ces  révolutions  qui  la  sépara  du 
continent  béotien ,  et  forma  ce  canal ,  le 
plus  étroit  que  Ton  connaisse.  Cette  ex* 
plication  est  plus  vraisemblable  que  la 
tradition  ranportée  par  Lucien,  d  après 
laquelle  Fidée  de  percer  Fisthme  de 
Corinthe  aurait  été  inspirée  à  Néron 
par  le  souvenir  d'un  roi  des  Achéensquî 
creusa  FEuripe.  Pline  prétend  qu*un 
tremblement  de  terre  arracha  de  FEubée 
rtle  de  Céos,  qui  fut  presque  entière- 
ment dévorée  par  les  flots.  Nous  trou- 
vons dans  Fantiquité  d'autres  témoigna- 
is ,  dont  plusieurs  appartiennent  déjà 
a  Fhistoire.  Des  villes  furent  submergées 
ou  détruites  en  partie,  des  rivages  dé- 
chirés ,  comme  les  falaises  du  Kandili 
ou  les  ravins  de  FOcha  Fattestent  au- 
jourd'hui par  leur  aspect  aussi  certai- 
nement que  les  écrits  des  anciens.  Main- 
tenant encore  des  secousses  fréquentes 
se  font  sentir  à  Chalcis. 

Les  secondes  traditions  mythologi- 
ques semblent  avoir  été  apportées  en 
Ëubée,  principalement  par  les  Curetés 
de  Ftle  de  Crète.  Elles  ont  d'abord  rap- 
port aux  premières  années  de  Jupiter  et 
de  Junon  ;  ces  deux  divinités  s'unissent 
sur  le  mont  Ocha.  Les  Curetés  viennent 
avec  Jupiter,  qui  les  laisse  pour  garder 
Ftle  et  le  temple  de  Junon  ;  puis  FEtibée 
devient  le  théâtre  des  jalousies  de  la 
déesse,  parce  (|U*elle  recèle  les  fruits  des 
amours  du  roi  des  dieux.  Dans  une  ca- 
verne située  du  coté  de  la  mer  Egée  (1), 
et  appelée  rétable  de  la  vache.  Bob; 
^My  lo,  métamorphosée,  enfante  Épa- 
phus.  Son  gardien ,  Argus  le  Panoptès, 
est  tué  par  Mercure  dans  un  lien  qui  em- 
prunte a  ce  souvenir  le  nom  d^Jrgoura. 
Aristée  reçoit  en  Eubée,  des  mains  des 
femmes  thébaines  fugitives,  la  dste  mys- 
tique qui  renferme  le  jeune  Bacchus ,  et 
le  fait  élever  par  sa  fille  Macris.  Cette 
nymphe'  s'attire  ainsi  le  courroux  de  Ju- 
non ,  qui  la  chasse  de  File. 

Id,  dans  le  mythe  d' Aristée,  est  le 
lien  des  traditions  Cretoises,  avec  d'au- 
tres ,  qui  sont  communes  à  toutes  les 

(i)  Peot-étre  sur  le  mont  Dirphis,  le  Del- 
phi actuel ,  où  JanoQ  était  honorée. 


Cyclades  et  font  de  Diane  et  d'Afoi 
Ion  les  plus  antiques  divinités  de  cesm 
On  vient  de  voir  que  dans  le  mythe  d'O 
rion  le  culte  des  Enfants  de  la  Terre  et 
de  la  mer  se  rapprochait  également  d; 
celui  de  Diane. 

Aristée,  fils  d'Apollon  et  de  la  nymphe 
chasseresse  Cyrène,  partage  plusieurs 
des  attributions  de  son  père ,  et  est  quel- 
quefois confondu  avec  lui  dans  les  hon- 
neurs religieux  dont  il  est  l'objet.  Cest 
Apollon,  oienfaiteur  des  hommes  sar 
la  terre,  et  se  mêlant  à  leur  vie  de  dIo' 
près  qu'il  ne  convient  au  plus  brillapi 
liabitant  du  ciel.  Aristée  oi^aniseiayie 
pastorale,  enseigne  aux  hommes  le  soin 
des  troupeaux ,  Part  d'élever  les  abeilles 
et  d*extraire  l'huile  du  fruit  de  FollTier. 
il  protège  chez  eux  Fenfanee  de  Ba^ 
chus;  comme  sa  mère,  qui  dompte b 
lions ,  il  chasse  et  extermine  les  ani 
maux  malfaisants;  comme  son  père, il 
connaît  les  vertus  des  herbes  salataird 

Tous  ces  attributs  conviennent  par 
faitement  à  FEubée,  pajs  de  pâtnrass 
et  de  diasse,  riche  en  vignes  et  en  oli- 
viers, où  le  nord  et  le  midi  produiseDi 
un  miel  célèbre,  et  dont  une  montagne, 
l'antique  Téléthrion ,  était  fameuse  par 
ses  plantes  médicinales.  Une  ville  d? 
Nisa ,  complètement  inconnue  du  reste. 
avait  conservé,  comme  souvenir  du$é 
jour  de  Bacchus,  une  propriété  meneil' 
leuse  :  un  jour  suffisait  à  la  vigne  pour 
fleurir  et  porter  des  grappes  mûres. 

Au  milieu  de  cette  mythologie  cou 
fuse,  que  les  Grecs  eux-mêmes  se  son- 
daient  peu  de  mettre  en  ordre,  siToa 
en  juge  d'après  l'incohérence  de  leuii 
témoignages ,  Fhistoire  a  d^'à  eomoeo- 
oé.  Les  Curetés  sont  une  colonie  cH^ 
se.  Dans  un  temps  qui  n'est  pins  qo; 
demi  fabuleux ,  Minos  passe  poar  avoir 
dominé  sur  les  mers  et  conquis  oo  p»- 
plé  le  plus  grand  nombre  iKsCjrdades- 
L'Eubée  fut  évidemment  compnsediB$ 
ce  grand  mouvement  de  colonisatioaiet 
en  garda  des  traces  plus  durables  qo*av* 
cune  autre  île. 

A  une  date  contestée,  soit  antérioire 
à  Minos ,  soit  postérieure  au  règne  de^ 
prince  et  même  à  la  guerre  de  Troie, 
des  Cariens  et  des  Pnénidens  oeeop^ 
rent  les  tles.  Il  s'établit  des  PhéoicieBS 
en  Eubée,  dit  Strabon,  qui  foonit  âssi 
un  argument  à  la  première  o^nioo.  U 


ILE  D'EUBEE. 


365 


voisinage  de  Thaïes  donne  de  la  valeur 
à  la  tradition  ou'ii  rapporte.  La  colonie 
des  Curetés  a  dû  être  la  dernière  ou  la 

Îriocipale.  Ils  prirent  plus  tard  le  nom 
'Abantes,  d'Abas,  petit-fils  du  second 
Êrechthée  et  prince  ionien,  qui  régna 
>ur  Ttie;  et  il  semble  que  même  sous  des 
naitres  étrangers  ils  aient  formé  la  plus 
^aode  partie  de  la  population ,  car  Ho- 
nère  nous  montre  au  sié^e  de  Troie  les 
ibantes  d*Éléphénor  fidèles  à  la  cou- 
ume  dont  les  Curetés  tiraient  leur  nom, 

Mais  la  population  qui  finit  par  domi- 
ner en  Eubee  est  celle  des  Ioniens  ve- 
ms  de  TAttique.  Ils  s'établirent  dans 
*lie  en  plusieurs  fois  :  d*abord  sous  le 
'ègne  du  premier  Érecbthée,  dont  le 
ils,  Pandorus,  passe  pour  le  fondateur 
le  Chalcis.  Vers  la  même  époque,  Jlclus 
!t  Cothus ,  fils  de  Xuthus,  dont  Strabon 
ait  à  tort  des  chefs  de  colonies  posté- 
ieures  à  la  guerre  de  Troie,  s'établis- 
leot  dans  Êrétrie,  et  fondent  Cérinthe 
lans  le  nord.  EIlops ,  leur  frère  ou  fils 
lion,  fonde  EUopie  à  Textrémité  sep- 
entriooale,  et  possède  toute  cette  par- 
ie. Des  établissements  subséquents  con- 
irmèrent  la  prédominance  de  la  race 
onienne,  particulièrement  dans  le  centre 
!t  dans  le  nord. 

Les  deux  principales  villes  du  sud , 
^rystos  et  Styra ,  tondée  par  des  Dryo- 
)es  de  Tbessalie,  gardèrent  toujours  leur 
>opulation  primitive.  La  première  tirait 
ion  nom  d*un  fils  de  Chirou,  venu  pro- 
bablement de  la  Phthiotide.  Il  était  na- 
urei  Que  l'Eubée  reçût  des  habitants  du 
lord  de  la  Grèce,  dont  elle  était  voisine. 
Tebt  de  la  Phthiotide  que  lui  vinrent  les 
'lolieos,  à  une  époque  reculée;  plus  tard 
Is  s'y  arrêtèrent  aussi,  lors  de  leur  émi« 
ration  générale,  sous  la  conduite  de 
^enthilus,  soixante  ans  après  la  guerre 
le  Troie.  Ils  occupèrent  même,  à  une 
late  incertaine,  une  grande  partie  de 
'île.  Les  Perrhèbes  contribuèrent  à  la 
oiidation  d^Histiée,  ancien  nom  d'Oréos. 

Le  Péloponnèse  fournit  aussi  son  con- 
ingent  à  la  population  de  TEubée.  Une 
radition  veut  que  le  héros  Eurytus ,  roi 
rOËchalie  en  Messénie,  soit  venu  mou- 
ir  dans  cette  île,  après  que  son  royaume 

ut  été  ravagé  par  Hercule.  Le  premier 
lom  d*Érétrie  Mélanéis  viendrait  de 
tlélanéos,  père  d^Eurytus,  et  celui-ci 

25*  Livraison.  (Ile  de  l'Eubéb.) 


serait  mort  dans  une  autre  OEchalie, 
qu^il  aurait  fondée  sur  le  territoire  de 
cette  ville.  Des  Doriens  d*Élide  et  des 
Triphyliens  de  Maciste  s'établirent  à 
Erétrie. 

Enfin,  en  même  temps  que  les  Do- 
riens, lesÉoliens  et  les  Ioniens,  il  semble 
que  la  quatrième  branche  hellénique  ait 
eu  aussi  ses  représentants  en  Eubfe.  Une 
ville  y  portait  le  nom  d*i£gée,  comme 
celle  d'Achaïe ,  et  était,  comme  son  ho- 
monyme ,  consacrée  à  Neptune.  Cette 
double  communauté  de  noms  et  de  tra- 
ditions religieuses  est  au  moins  une  pré- 
somption. Lucien  parle  d'un  roi  des 
Achéens  en  Eubée. 

De  toutes  ces  traditions  sur  les  origi- 
nes de  la  population  de  TEubée  sont  ve- 
nus la  plupart  des  différents  noms  de 
nie  :  Macris,  nom  que  l'on  explique 
aussi  par  sa  forme  allongée;  Eubxa, 
que  les  étymologies  mythologiques  font 
venir  ou  de  la  grotte  dlo  (Booc  a&Xi[), 
origine  bizarre,  ou  de  la  nymphe  Eubée, 
fille  d'Asopus,  le  principal  fleuve  de  la 
Béotie,  et  que  les  explications  naturelles 
attribuent  à  ses  pâturais  et  à  ses  cul- 
tures ;  Asopis ,  dénommation  fréquente 
chez  les  poètes;  AbarUèsi  Ocha,  nom 
qu'elle  emprunte  à  sa  montagne  la  plus 
poétique;  Chalcis,  qu'elle  doit  à  un 
autre  nom  de  la  nymphe  Eubée,  ou  à 
ses  mines  de  cuivre. 

La  forme  longue  et  la  position  géo- 
graphique  de  l'Eubée  la  divisent  natu- 
rellement en  trois  parties  :  le  centre,  le 
nord  et  le  sud  ;  divisions  que  l'histoire  a 
consacrées,  comme  nous  Tavons  indiqué 
plus  haut. 

PREMIÈRE  PARTIE. 
CENTRE  DE  L'EUBÉE. 

Chalcis.  —  Lorsque  des  montagnes 
voisines  de  Thèbes  ou  de  Tanagre  on  re- 
garde le  canal  d'Eubée,  on  le  voit  succes- 
sivement se  rétrécir ,  disparaître  dans  ses 
propres  détours,  puis  tout  à  coup,  réduit 
aux  proportions  d'un  fleuve  étroit,  passer 
entre  des  fortifications ,  sous  les  arches 
d'un  pont.  Jusque  sur  ce  pont  s'avance 
une  petite  ville  turque ,  présentant  ses 
tours  et  ses  murailles  crénelées,  dessinant 
sur  le  del  ses  minarets,  blanche  et  gra- 
cieuse d'aspect.  Cette  vue  a  un  charme 
tout  particulier,  mais  aussi  elle  montre  en 

23 


886 


LtJTifVERS* 


un  instant  tout  ce  que  ChaloîB  a  de  aédui- 
sant  et  de  remarquable  :  Teffet  que  pro- 
duit de  loin  son  caractère  oriental ,  sa 
merveilleuse  position  sur  l'Eoripe.  De 
près ,  comme  il  arrive  trop  souvent  en 
Orient,  on  éprouve  une  impression  toute 
différente  :  l'intérieur  du  Kastro^  pour 
employer  Texpression  grecque ,  est  sale, 
misérable  et  triste;  il  rturerme  peu  de 
maisons  habitables  et  beaucoup  de  ma- 
sures en  ruine.  La  ville,  il  est  vrai,  8*est 
transportée  presque  tout  entière  dans 
un  grand  faubourg  qui  s'étend  au  nord 
et  à  Test.  Là  est  le  port,  le  marché, 
tout  le  mouvement  du  commerce  et  de 
rindustrie  ;  là  se  construisent  les  nou- 
velles et  les  plus  belles  habitations.  Mais 
cependant  Tensemble  n*a  rien  que  de  fort 
ordinaire  dans  un  pays  où  les  villes  ra- 
ient rarement  beaucoup  de  nos  villages 
dé  France.  Autour,  la  plaine,  les  hau- 
teurs sont  sèches  et  nues. 

Qui  reoonnattraiticila  ville  décrite  par 
Bicéarque  au  moment  où  y  vivait  Aris- 
tote?  la  colline  ombragée  où  elle  s'éle- 
vait, et  les  nombreux  monuments  or- 
nés de  statues  et  de  peintures,  les  gym- 
nases, les  portiques,  les  temples,  les 
théâtres  qui  remplissaient  une  enceinte 
de  soixante-dix  stades(l)  ?  On  cherche-, 
rait  inutilement  le  moindre  débris  de  cette 
ancienne  splendeur.  Aujourd'hui  tout  se 
borne,  en  lait  de  monuments,  à  ce  qu'ont 
laissé  les  conquérants  qui  se  sont  disputé 
Clialcis  depuis  le  moyen  âge.  Le  toit  élevé 
et  oointu,  la  tour  carrée  et  les  fenêtres 
gothiques  d'une  église,  attestent  la  pos- 
eession  vénitienne  avant  la  conquête  de 
Mahomet  II,  en  1470;  plusieurs  mos- 

auées ,  dans  la  ville  extérieure  comme 
ans  le  Kastro ,  ruinées  ou  converties  en 
églises  et  en  caserne,  élèvent  encore 
leurs  minarets  tronqués,  souvenirs  de 
l'occupation  des  Turcs  ;  enOn  les  forti- 
fications rappellent  aussi  bien  ceux-ci 
que  les  Vénitiens,  à  qui  elles  ont  tour  à 
tour  nui  et  servi.  Le  lion  de  saint  Marc 
figure  dans  plusieurs  endroits  an-des- 
sous de  créneaux  turcs.  Peut-être  un 
observateur  expérimenté  reconnattrait-il 
dans  la  construction  de  plusieurs  tours 
carrées  la  trace  des  possesseurs  francs  du 
treizième  siècle. 
.  Le  Kastro,  situé  sur  un  promontoire, 

(i)  Environ  trois  Itenes. 


décrit  à  peu  près  un  triangle  dont  lé 
sommet  aboutit  au  pont ,  et  que  la  mer 
protège*  de  deux  cotés.  Au  troisiètue 
côté,  le  mur  d'enceinte  est  entoure 
d'un  fossé,  que  Ton  passe  sur  deux  poDb 
pour  arriver  à  deux  portes.  Pour  mini 
défendre  l'accès  de  la  ville,  les  Turcs. 
au  commencement  du  eiècle,  avaiffit 
élevé  un  rempart  de  terre  muni  de  pa- 
lissades, qui  fermait  tout  le  promoB- 
toire  et  le  traversait  de  l'une  i  Tautre 
des  deux  baies  qu'il  sépare.  On  le  fraDdat 
encore  aujourd'hui  par  une  por(^  pou 
aller  à  Ërétrie.  . 

Le  pont  est,  comme  de  juste,  le  poiot 
le  plus  fortifié.  Il  est  double,  rEorip? 
étant  divisé,  par  un  rocher,  ea  (km 
parties  inhales.  Sur  la  plus  étroite,  q:- 
est  seule  profonde,  est  jeté  un  poote^. 
bois ,  d'une  trentaine  de  pieds  de  Ion: 
Il  aboutit  d'un  côté  à  la  porte  du  K&- 
tro,  pratiquée  dans  une  tour  ^u\(> 
vance  en  dehors  du  mur  d'enceinte, e: 
de  l'autre  au  rocher.  Ce  pont  pouvait  sr 
lever,  au  temps  des  Tiurcs,  pour  laîgr 
passer  les  navires;  il  est  mamtenant  is- 
mobile.  On  avait  eu  l'idée  fort  naturflk 
de  le  rétablir  dans  son  ancien  état;  famé 
d^  avoir  donné  suite,  on  prive  le  eoo' 
merce  d'une  communication  précieuse. 
et  Chalcis  d'un  revenu  consiaérabie. 

Sur  le  rocher  s'élève  un  petit  fort  car- 
ré, en  partie  constmit  par  les  Vénitien 
lors  de  leur  première  oocupatioD.  O 
ronelli,  dont  le  voyage  a  été  publié  k 
1686,  un  an  après  la  prise  de  rCégrepos: 
par  Moro^ini,  parle  d^ine  tonrvénilieoc: 
au  pied  de  laquelle  on  passait  après 
avoir  traversé  le  grand  pont,  et  où  re5 
tait  encore,  au-dessus  de  la  porte,  ! 
lion  de  saint  Marc,  cnioique  la  posses- 
sion des  Turcs  datât  de  deux  cents  ans 
o'est  sans  doute  la  tour  ronde  qucc 
voit  aujourd'hui  à  l'angle  nord-ooes! 
Le  reste  est  de  construction  turque. 

On  passe  le  grand  bras  de  TEoripe  scr 
un  pont  en  pierre ,  d^une  clnquautaiw 
de  pieds,  qui  communique  avec  lepcf*' 
fort  par  un  pont-levis.  Il  touche  la  côtr 
béotienne  au  pied  d'une  petite  montaer  - 
qui  surmonte  la  forteresse  ttnrque  àf 
kara-Baba. 

Pont  db  l'Eubipe.  —  Il  a  exeîf 
dès  l'antiquité  un  pont  sur  r£unf< 
mais  assez  tard,  soit  que  les  Chalcidiec5 
n'osassent  pas  entreprendre  an-d«s8S 


ÎLK  D'EUBÉE. 


387 


de  leurs  courante  mystérieux  un  trarail 
qui  n*eût  été  qu^un  jeu  pour  te  puis- 
sant génie  des  Romains  ou  pour  Tîndus- 
trie  moderne,  soit  que  ce  petit  peuple 
rrijt  son  indépendftnce  fnenaeée  par  une 
commmiieation  si  direete  aveo  le  conti- 
nent. Nous  Tojons  en  effet  dans  Thu- 
cydide que  les  premiers  travaux  sur 
rKorîpe  datent  de  la  vingt  et  unième  an- 
née de  la  guerre  du  Péloponnèse,  à  un 
moment  ou,  les  Eubéens  ayant  con- 
traeté  une  aUianee  avec  Thèbes  contre 
Athènes,  le  pont  devait  toucher  une 
terre  amie.  L^entreprise  fut  énergique- 
ment  secondée  par  les  Béotiens,  qui 
Braient  intérêt  à  ce  que  «  TEubée  tât 
tie  pour  les  autres,  continent  pour  eux.  » 
On  eon«ttt  le  projet  de  combler  en  grande 
partie  rEuripe  au  moyen  de  deux  je- 
tées établies  sur  chaque  rivage,  de  ma- 
nière h  ne  laisser  de  place  que  pour  le 
pissage  d^un  vaisseau,  et  on  l*exécuta 
avec  une  ardeur  inouïe.  Toutes  les  villes 
béotiennes  se  mirent  à  l'œuvre  ;  tons  les 
citoyeas,  et  même  des  étrangers  dorai - 
«liés,  eurent  ordre  d^y  contribuer.  A 
Textrémité  de  chacune  des  deux  jetées 
furent  élevée  des  tours ,  et  des  ponts 
dp  bois  furent  placés  sur  le  canal  mter- 
médiaire.  Au  commencement,  le  géné- 
ral athénien  Tbéramène,  envoyé  avec 
trente  vaisseaux,  tenta  de  s'opposer  au 
travail  ;  mais  la  multitude  des  défenseurs 
le  contraignit  de  s'éloiener. 

Du  témoignage  de  DÎodore  paraissent 
résulter  plusieurs  conséquences  :  des 
deux  ponts  actuels ,  le  plus  petit  seul  a 
succédé  au  pont  antique  ;  à  la  place  du 
plus  grand  s'avançait  la  jetée  du  rivage 
béotien,  qui  aura  été  détruite  par  Fim- 
pétuosité  de  TEuripe  ;  le  peu  de  profon- 
deur du  grand  bras  au-dessous  des  ar- 
ehes  en  est  une  preuve;  le  petit  fort 
bâti  sur  rilot ,  qui  peut-être  n'est  qu'un 
reste  de  la  jetée  béotienne,  et  la  tour  en 
saillie,  dans  laquelle  est  percée  la  porte 
du  Kastro,  tiennent  la  place  des  fortifi- 
cations élevées  pendant  la  guerre  du  Pé- 
loponnèse. 

Pendant  Texpédition  d'Alexandre  en 
Asie,  les  Chalcidiens  fortifièrent  le  pont 
avec  des  tours,  des  murailles  et  des  por- 
to, et,  pour  mieux  en  défendre  l'accès, 
enfermèrent  dans  l'enceinte  de  leur  ville 
je  Canéthus,  situé  sur  le  continent.  Se- 
lon toute  probabilité,  le  Canéthus  est  le 


nom  ancien  de  la  montagne  occupée  par 
lehrlKara-Baba, 

Tite-LIve  fait  trois  fois  mention  du 
pont  de  l'Euripe,  et  remarque  que  son 
existence  rend  l'accès  de  Cnalcis  plus 
'  facile  par  terre  que  par  mer. 

Stranon  parle  d'un  pont  de  drux  pîc- 
thres,  c'est-à-dire  de  deux  cents  pierls. 
Ce  chiffre,  supérieur  à  la  largeur  actuelle 
de  l'Euripe  devant  Chalcis,  ferait  sup- 
poser que  de  son  temps ,  sous  le  règne 
o'Auguste,  les  anciens  travaux  avaient 
été  remplacés  par  d'autres,  ou  plutôt  11 
prouve  1  inexactitude  du  renseignement  : 
Il  n'est  pas  probable  que  TËuripe  ait 
été  élargi,  puis  réduit  plus  tard  aux  pro- 
portions qu'on  lui  voit  aujourd'hui. 
Comment,  d'ailleurs,  Strabon  ne  parle- 
t-îl  pas  de  la  petite  île  de  l'Euripe,  qui 
devait  certainement  exister  alors  si  le 
travail  béotien  était  détruit? 

Le  pont  existait  au  temps  de  Pline. 

Sous  le  règne  de  Justinien  il  était 
remplacé  par  une  communication  acci- 
dentelle qu'on  établissait  au  moyen  de 
planches.  Ce  fait  paraît  encore  indiquer 
que  l'Euripe  avait  gardé  la  mCme  lar- 
geur depuis  l'époque  de  Thucydide;  car 
on  ne  conçoit  guère  que  des  planches 
aient  pu  être  jetées  et  retirées  facilement 
au-dessus  d'une  grande  étendue. 

L'FuRiPR.  —  L'Euripe  proprement 
dit  n'est  une  la  partie  la  plus  étroite 
du  canal  d  Eubée,  comprise  entre  la  mu- 
raille occidentale  du  Kastro  et  le  pieçi 
du  mont  Kara-Baba.  Ce  nom  d'Euripe, 
qu'une  célébrité  particulière  a  spéciale- 
ment attribué  au  canal  de  Chalcis,  dési- 
gnait dans  l'antiquité  les  détroits  très- 
resserrés  où  un  courant  se  faisait  sentir, 
comme  ceux  de  Messine  et  de  Byzance, 
ou  simplement  des  bras  de  mer  étroits, 
comme  ceux  c^ï  séparaient  Cnidc  et 
Mitylène  des  cotes  qui  leur  sont  oppo- 
sées. Il  était  également  applique  au  ca« 
nat  plein  d'eau  qui  entourait,  à  Sparte, 
le  Plataniste.  On  sait  que  les  Romains 
pratiquaient  des  euripes  dans  les  jeux 
du  cirque.  C'étaient  des  canaux  artifi- 
ciels dont  la  disposition  variait  :  Hélio- 
gabale  donna  une  naumachie  sur  des 
euripes  remplis  de  vin. 

Le  flux  et  le  reOux  de  l'Eurine,  Tun 
des  phénomènes  les  plus  merveilleux  de 
la  nature,  ont  vivement  frappé  Timagi- 
nation  des  anciens.  Les  naturalistes,  Tes 

25. 


388 


LUNIVERS. 


poètes,  comme  les  historiens  et  les  géo- 
graphes ,  n*ont  pas  manqué  une  occa- 
fiion  de  les  citer.  L'Ëuripe  a  même  eu 
cet  honneur,  réservé  exclusivement  aux 
choses  remarquables ,  de  passer  à  Fétat 
de  métaphore  usuelle  pour  désigner,  par 
exemple,  les  caprices  <run  homme.  Gom- 
ment se  fait-il  qu*une  préoccupation 
aussi  vive  et  aussi  constante  n'ait  pas 
amené  sinon  une  explication ,  qui  est 
encore  à  trouver  aujourd'hui,  au  moins 
une  observation  plus  attentive.' 

La  croyance  gâiérale,  invariablement 
reproduite  par  les  poètes  latins  curieux 
d'une  fiausse  érudition  géographique, 
c'est  qu'il  y  avait  sept  changements  de 
courant  pendant  le  jour,  et  autant  pen- 
dant la  nuit.  Tite-Live  seul  combat  cette 
opinion,  et  prétendque  l'Euripe  est  pous- 
se au  gré  du  vent,  tantôt  d'un  côté,  tan- 
tôt de  l'autre.  Pline,  tout  en  suivant  la 
tradition  commune,  croit  que  le  mouve- 
ment (ssstus)  s'arrêtait  trois  jours  par 
mois,  pendant  la  septième,  la  huitième 
et  la  neuvième  lune.  Les  premières 
observations  sérieuses  qui  aient  été  pu- 
bliées sont  celles  du  jésuite  Babîn  au  dix- 
septième  siècle.  Elles  concilient  les  deux 
opinions  extrêmes  sur  la  régularité  ou 
Tirrégularité  constante  de  l'Euripe,  et 
diffèrent  peu  de  ce  témoignage  de  la  com- 
mission de  Morée  :  «  On  sait  seulement 
«  que  pendant  les  six  premiers  jours 
«  de  la  lune,  puis  du  quatorzième  au 
M  vingtième,  et  pendant  les  trois  der- 
«  niers,  les  marées  sont  régulières;  tan- 
«  dis  que  pendant  tous  les  autres,  c'est- 
«  à -dire  au  septième  au  quatorzième 
«  et  du  vingtième  au  vingt-cinquième , 
«  elles  sont  tellement  irrq^ulières,  c|ue 
n  le  nombre  s'en  élève  quelquefois  jus- 
«  qu'à  onze,  douze,  treize  et  même  qua- 
«  torze  dans  Tespace  de^ringt-quatre 
«  heures.  » 

Aristote,  qu'une  tradition  suspecte 
fait  mourir  volontairement  dans  FEuripe, 
du  désesj^oir  de  n'avoir  pu  en  pénétrer 
la  cause,  n'en  prononce  qu'une  fois  le 
nom,  en  invoquant  le  phénomène  de 
ses  marées  comme  un  exemple  popu- 
laire à  l'appui  d'une  théorie  sur  le  flux 
et  le  reflux  de  la  matière  subtile  à  la- 
quelle il  attribue  les  tremblements  de 
terre. 

L'Euripe,  sous  le  rapport  militaire, 
estun  des  principaux  points  de  In  Grèce, 


et  de  rimportanoe  attachée  à  sa  pos- 
session a  dépendu  en  grande  paitie  This- 
toire  de  Chalds.  L'Eubée  et  ChaleiseD 
particulier  lui  doivent  leur  nom  moder- 
ne :  EgripOy  Egripo^nisi  (ËSpt«s,  Eo- 
ripos  ).  Dans  la  seconde  guerre  roédiqw. 
1^  Grecs  avaient  songé  à  y  concenmr 
leur  défense,  et  fondaient  sur  la  posi- 
tion de  l'Euripe  les  mêmes  espérancK 
que  sur  celle  des  Thermopyl^.  Lon- 
oue,  malgré  leurs  efforts,  les  Perses  sS 
turent  engagés,  le  rétrécissement  a- 
traordinaire  du  détroit  inspira  des  ii- 
quiétudes  au  commandant  de  la  flotte. 
M^abate  ;  se  croyant  trahi  et  atUréda» 
un  bras  de  mer  sans  issue,  il  fit  tuerie 
Béotien  Salganéus,  qui  lui  servait  <ir 
guide.  Ce  souvenir  était  consacré  par  k 
nom  d'une  petite  ville  située  à  Teotne 
de  l'Euripe,  autour  d'un  tombeau  qw 
Mégabate,  détrompé,  avait  fait  élèvera 
sa  victime. 

PoBT  DE  Ghàlcis.  —  Des  deux  baies 
qui  avoisinent  l'Euripe  et  entourent  les 
murs  du  Kastro,  celle  qui  est  au  ssd 
n'est  facilement  navigable  que  pour  le 
barques.  En  face,  la  côte  iMotienoeest 
baignée  par  une  baie  beaucoup  plus 
grande,  aont  le  nom,  port  Fowto  (de 
poiSpxa,  boue),  indique  le  peu  de  pro- 
fondeur ;  elle  est  presque  fermée  (Tdi 
côté  par  l'Euripe,  de  l'autre  par  uo  ca- 
nal à  peu  près  aussi  resserré.  A  peu  de 
distance,  au  sud,  sur  une  prèqoî^ 
pierreuse^  comme  du  temps  d  Homm. 
s'élevait  Aulis.  La  baie  seplmtriooaie 
de  Chalcis,  dans  l'antiquité  comme  »* 
jourd'hui,  formait  le  port  ;  on  le  nomnr 
maintenant  Hagios  Minas.  L'eau  y  eâ 
profonde  jusqu'au  pied  des  murs,  gr»d 
avantage  pour  le  commerce.  Autrefois, 
de  même  qu'aujourd'hui ,  le  bazar*  \t 
marché  principal,  touchait  au  port,  oos- 
velle  facilité  pour  le  transport  des  mar- 
chandises que  la  mer  apportait  (f  ey^ 
même  des  deux  côtés  jusqu'à  la  maisoo 
des  marchands,  ou  pour  récouleinest 
des  produits.  Aussi  Chalcis  voyait-eUe 
se  presser  sous  ses  mura  des  naviRS 
étrangers.  Rien  ne  justifie  la  terrible  des- 
cription de  Tite-Live,  qui  représeoteee 
port  agité  nuit  et  jour ,  soit  par  des  oo* 
ragans  furieux  qui  s'élancent  des  baut^ 
montagnes  des  deux  rivages,  soitparje 
mouvement  de  l'Euripe,  qui  se  préapite 
comme  un  torrent.  Il  faut  senleinfiitre- 


ILE  D^EUBÉE. 


ftS9 


eonoattre  que  tout  le  eaoa!  de  TEubée 
est  sujet  à  de  violents  coups  ae  veut. 

Points  i>b  là  yillb  antiqub  bt 
1)b  son  tbrbitoibb  cités  dans  lbs 
auteubs  ancibhs;  tbaditions  di* 
vBfiSES.  —  L'Euripe  et  ie  dessin  de  ses 
Tirages,  voilà  tout  ce  que  le  temps  nous 
a  laissé  de  Clialeis  ;  c  est-à-dire  qu'il  en 
a  emporté  tout  ee  qu'il  pouvait.  L'ima- 
giDation  même  ne  peut  pas  reconsti- 
tuer d'une  manière  précise  la  ville  an- 
cienne, faute  de  témoignages  antiques. 
La  seule  position  indiquée  dans  la  des- 
cription générale  de  Dioéarque  est  celle 
de  TAgora,  qui  était  contiffué  au  port. 
Elle  était  grande  et  ornée  oe  trois  por- 
tiques. On  y  voyait  encore  du  temps 
de  Piutarque  un  tombeaa,  surmonté 
d*une  ^ande  colonne,  élevé  par  les 
Chalddiens  en  l'honneur  de  Cléomaque 
dePharsale,  qui  était  mort  en  combat^ 
tant  pour  eux  contre  les  Érétriens. 

Le  même  auteur  nous  transmet  en- 
core une  autre  tradition  en  nous  dé- 
signant un  autre  point  :  des  tombeaux 
placés  le  long  de  la  route  qui  conduisait 
de  la  ville  a  TEuripe  faisaient  donner 
à  l'endroit  où  ils  étaient  le  nom  de  té» 
puiiure  des  enJarUs^  6  naRkov  xdE^oç. 
Quelle  pouvait  are  cette  route,  puisque 
plusieurs  témoignages  nous  montrent  la 
riilc  ancienne,  comme  la  moderne,  tou- 
chant à  TEuripe  et  pressée  des  deux  cô- 
tés par  la  mer?  Voici  la  tradition  :  Lors- 
que Cothus  et  i£clus  vinrent  habiter  dans 
TEubée,  occupée  en  grande  partie  par 
les  Éoliens,  un  oracle  avait  prédit  au 
iremier  qu'il  réussirait  dans  son  entre- 
)ri8e,  et  qu'il  aurait  l'avantage  sur  ses  en- 
nemis, s'il  achetait  le  sol.  Cothus,  étant 
iescendu  à  terre  avec  peu  de  monde, 
encontra  des  enfants  qui  jouaient  sur 
e  rivaee  :  il  s'approche  d'eux  d'un  air 
Menveillant,  se  mêle  à  leurs  jeux,  et 
eur  montre  des  jouets  étrangers  ;  puis 
iuand  il  voit  leurs  désirs  excités,  il  leur 
lit  qu'il  ne  leur  en  livrera  les  objets 
fu'en  échange  d'un  peu  de  terre.  Aussi- 
ôt  les  enfants  ramassent  des  poignées 
le  sable,  qu'ils  lui  donnent,  prennent  les 
ouets,  et  s'en  vont.  Instruits  de  ce  oui 
'était  passé,  et  se  voyant  envahis  par  des 
nnemis,  les  Éoliens  tuèrent  les  enfants. 
Test  des  tombeaux  de  leurs  victimes 
iont  il  s'agit. 

Il  ne  serait  pas  plus  facile  de  déter- 


miner la  position  de  la  célèbre  Aréthu- 
se,  la  sainte  fontaine,  comme  l'appelait 
un  antique  oracle.  Strabon  rapporte  qu'à 
la  suite  d'un  tremblement  de  terre  les 
bouches  de  l'Aréthuse  se  fermèrent ,  et 
que  quelques  jjours  après  seulement 
ses  eaux  se  frayèrent  un  autre  passage* 
11  se  peut  que  la  répétition  de  la  même 
cause  l'ait  fait  disparaître  pour  toujours. 
Cette  source,  dans  l'antiquité,  était  assez 
abondante  pour  suffire  a  la  population 
de  Chalcis.  Sous  la  domination  des  Ro- 
mains ,  elle  semble  avoir  été  l'ohjet  de 
leurs  soins  et  de  leur  magnificence.  On  y 
admirait  des  poissons  apprivoisa ,  des 
mulets,  des  anguilles  parées  de  pcaulants 
d'oreille  en  or  et  en  argent,  qui  ve- 
naient recevoir  de  toute  main  les  en- 
trailles des  victimes  et  des  fromages 
frais.  Elle  fournissait  une  eau  fraîche  et 
saine,  mais  un  peu  saumâtre.  Ce  dé- 
faut était  beaucoup  plus  sensible  dans 
les  autres  sources  qui  entretenaient  les 
ombrages  de  la  ville.  C'est  sans  doute 
pour  cette  raison  que  les  Vénitiens  et 
peut-être  avant  eux  les  Romains  avaient 
eonstruit  l'aqueduc  qui  développe  der- 
rière le  Kastro  la  ligne  de  ses  arches 
ruinées. 

Les  seuls  restes  de  l'époque  grecque 
sont  des  tombeaux,  qu'on  trouve  enfouis 
dans  les  jardins,  en  dehors  de  la  ville 
basse,  et  surtout  taillés  dans  le  rocher 
d'une  petite  montagne  qui  est  située 
tout  pres  de  Chalcis,  au  bord  de  la  mer. 
La  route  d'Érétrie  passe  au  pied  sur 
une  chaussée  turque  ruinée  et  envahie 
|>ar  les  eaux.  Deux  sources  abondantes 
en  sortent  par  plusieurs  bouches,  et  se 
mêlent  immédiatement  à  la  mer  dans 
de  petits  marécages;  la  carte  de  l'état- 
major  a  voulu  reconnaître  en  elle  la 
fontaine  Aréthuse.  Le  sommet  de  la 
montagne  est  occupé  à  la  fois  par  une 
ruine  vénitienne  et  par  quelques  débris 
helléniques. 

EnviBONS  DB  Chalcis.  -*  Derrière 
cette  montagne  est  la  seule  partie  des  en- 
virons de  Chalcis  qui  ne  soit  pas  nue 
et  desséchée.  Cest  une  petite  plaine 
plantée  de  vignes,  comme  l'indique  son 
nom  Ambélia^  où  ont  poussé  queiaues 
beaux  oliviers,  restes  des  grandes  plan- 
tations qui  entouraient  la  ville  ancienne. 
Elle  est  arrosée  par  un  cours  d'eau  qui 
va  se  jeter  dans  la  mer,  à  un  petit  pro- 


89a 


L'UmVERS, 


okontoiretrès-rapprocbé  de  la  odte  béo< 
tienne;  ce  point  a  été  choisi  par  les 
Turcs  pour  y  construire  le  fort  Bourzi^ 
qui  commande  l'entrée  méridionale  de 
TEuripe.  Le  colonel  Leake  fait  de  cette 

5 laine  le  territoire  de  l'ancienne  Lélante, 
ont  la  possession  fut  entre  les  Cbalci- 
diens  et  les  Ërétriens  le  sujet  d'une  lutte 
acharnée.  La  plaine  de  Lélante,  men- 
tionnée par  Homère  et  connue  par  ses 
vignobles,  est  en  efifet  placée  par  Strabon 
dsms  ie  voisinage  de  Gbalcis ,  et  était 
traversée  par  un  fleuve  du  même  nom. 
Le  tremblement  de  terre  qui  boucha 
la  fontaine  Aréthuse  dura  «  jusau'à  ce 
«  qu'il  se  fût  ouvert  au  milieu  ae  cette 
«  plaine  un  torrent  de  boue  enflam* 
«  mée.  »  Cette  tradition,  rapportée  par 
Strabon,  semble  constater  la  naissance 
des  sources  chaudes  dont  il  parle  ail* 
leurs,  et  dont  il  dit  ^ue  Sylla  fit  usage. 
Personne  aujourd'hui  ne  connaît  Texis* 
tence  d'eaux  tliermales  dans  le  voisinage 
de  Ghalois.  Sans  doute  le  désir  de  don* 
ner  un  nom  ancien  à  une  ruine  belle* 
nique  située  près  du  village  de  Sténi,  aa 
pied  du  sommet  prindpaïdu  Delphi, a 
fait  former  avec  le  pays  voisin  le  déme 
des  Lélantiens.  Cette  dénomination  ad* 
ministrative  paraît  tout  arbitraire. 

La  plaine  aAmbéUa  touche  au  sud  à 
la  plame,  plus  grande,  de  f^asiliko,  gros 
village,  au  milieu  duquel  s'élève  une  tour 
carrée,  ouvrage  des  Francs  ou  des  Véni- 
tiens, et,  au  nord,  k  la  plaine  de  Chalds 
proprement  dite.  Celle-ci  est  séparée  par 
quelques  collines  seulement  d'une  autre, 
plus  étendue,  en  partie  cultivée  par  les  ha- 
oitants  de  plusieurs  villages,  et  enfermée 
emre  la  mer  et  les  contre-forts  du  Deê- 
phi  à  l'est  et  ceux  du  Kandéii  au  nord. 
La  seconde  montagne  se  détache  de  la 
première  pour  aller  rejoindre  le  canal 
d'Eubée ,  près  du  village  de  Politika,  à 
quatre  ou  cinq  lieues  de  Chalcis.  Au 
nord-est  de  la  plaine  la  plus  septentrio- 
nale, une  hauteur  régulière,  qui  est  si- 
tuée À  l'extrémité  d'une  petite  chaîne , 
paraît  désigner  par  sa  forme  et  par 
sa  position  i'emplaeement  de  l'acropole 
d'où  a  dû  primitivement  dépendre  le 
territoire  environnant,  avant  que  la  do- 
mination de  Chalcis  ne  se  fût  étendue 
sur  tous  les  lieux  voisins.  Au  moins  pa- 
raît-il certain  que  là  a  dû  s'élever  une 
dea  petites  villes  incranues  qu'on  est 


obligé  de  supposer,  pour  ne  pas  fût 
de  l'Ëubée  ancienne  une  solitude.  Au- 
près sont  une  tour  du  moyen  Age  ruinée 
et  quelques  cyprès  isolés  qui  apparte- 
naient sans  doute  à  un  djiflik  turc.  A 
Quelques  pas  du  petit  village  de  Aostré- 
i,  on  voit  dans  un  champ  uneooloDBc 
cannelée  et  unohapiteau  ionique,  qa'oi 
est  obligé  de  remarquer,  tant  les  moio> 
dres  traces  de  l'art  antique  sont  rares 
dans  toute  l'île. 

Ces  trois  plaines  à^yémbélia,  de  Ft- 
siUko  et  de  Kaêtréia^  ont  dû  fonaer. 
sur  le  rivage  du  canal  d'Eubée,  le  ter- 
ritoire de  Chalcis  au  temps  de  son  iode* 
pendanoe.  Jusqu'où  cette  ville  a-t-elle  pi 
étendre  ses  possessions  dans  rinténeor 
du  Kandili  et  du  Delphi ,  e'est  ce  qu'oi 
ne  saurait  déterminer.  Il  paraît  prooaUe 
qu'elles  comprenaient  la  masse  pnoci- 
pale  de  la  seconde  de  œs  montaf(oci. 
parvenaient  ainsi  jusqu'à  la  mer  Ëi^ 
et  partageaient  a  vec  Ërétrie  le  pays  com- 
pris aujourd'hui  euM  le  cap  de  Kmm 
et  ie  mont  Ochthomia.  Le  Bomd'in 
seul  point  nous  est  conservé ,  sans  aa- 
eune  indication  topographique,  ^r^oi- 
ra,  petite  ville  d'où  Phoeion  fit  veair  da 
chevaliers  athéniens  pendant  la  guffit 
de  Tamynes.  Par  conséquent,  elle  devait 
être  entre  Chalcis  et  Erétrie. 

La  division  actuelle  attribue  à  1'^* 
chie  de  Chalcis  tout  le  versant  oectdeii- 
tal  du  Delphi  jusqu'à  Fathya,  prèi  de 
l'ancienne  Ëréârie  au  sud ,  et  une  gnoie 
partie  du  nord  de  l'Eubée  jusqu'à  ^ok* 
doiidi  et  Limmi,  Cet  ensemble  fon» 
cinq  démes  :  ceux  des  CkahidiêRS.é» 
lÀlanHeniy  des  OEgéêm,  des  Kirni- 
liens  et  des  Psariens,  et  est  habité  ptf 
une  population  de  91,000  âmes. 

HisTOiXE  DB  Chalcis.  — Chaloi  i 
toujours  été  la  principale  ville  de  TEih 
bée ,  et  à  plusieurs  époques  en  a  repré- 
senté à  elle  seule  toute  rimpoitaiMe> 
Dans  les  premiers  temps,  comme  au^ 
d'hui,  elle  en  a  partagé  le  nom;  ^ 
s'est  appelée  Euùée,  oomnM  toute  file 
Son  nom  le  phis  connu  loi  a  été  dôme 
par  Comoé  ou  Combé,  fille  d'Asepus- 
qui  portait  elle-même  aussi  ceux  et 
Chalcis  et  d*Eubée.  Une  étymolooc 
fait  venir  Chalcis  du  mot  chakoM  (  7^' 
xoç,  cuivre),  parce  que  ces  habitants tn* 

vaillèrent  les  premiers  oe  métal.  0* 
l'avait  aussi  appelée  Hypoeh«leis,det2 


OaE  D'fiDBtE. 


391 


poàtioD  au  pied  du  mont  Chaleis,  et 
Strmphèle,  StiSuu^yiXo^  ,  même  nom  que 
celui  de  la  ville  pélas^que  d^Arcaïue, 
Stympbala.  Enfin,  du  tempe  d*Ëtienne 
de  Byzanee  on  U  nommait  Halicarna. 

Occupée  d'abord  par  les  Curetés  ou 
Abantas,  o*est  sous  ce  dernier  nom, 
comme  les  autres  villes  énumérées  par 
Homère,  qu'elle  envoie  ses  guerriers  au 
siège  de  Troie,  et  comme  elles,  on  peut 
croira  qu'elle  obéissait  à  Gbaloodon,  puis- 
que le  fils  de  celui-ci,  Élépbéuor ,  était 
reconnu  comme  chef  commun  de  Fez- 
peditioQ.  Plusieurs  opinions  anciennes 
attribuent  sa  fondation  à  Pandorus,  fils 
d'Érechthée,  longtemps  par  conaé^uent 
avant  la  guerre  de  Troie.  Posténeure« 
ment  à  ce  fait,  elle  se  ressentit',  avant 
le  reste  de  l'île,  de  Finvasiou  des  Ioniens 
attiques  partis  sous  la  conduite  d*iEclus 
et  de  Cothus. 

Un  roi  des  Curetée,  Phorbas ,  fut  tué 
dans  une  guerre  par  le  second  Ërech- 
tbée;  et  une  dynastie  s'établit  à  partir 
d'Aioon,  fils  du  vainqueur,  qui  fut  lui* 
même  père  d'Abas,  grand-père  de  Chai* 
codoQ  et  aïeul  d'Éléphénor.  Cbalcodon 
vainquit  dans  une  ^erre  les  Tbébains, 
et  lei  jssujettit;  mais  lui-même  fot  tué 
à  Leoctres,  dans  un  autre  combat,  et  les 
Tbébains,  commandés  par  Amphitryon, 
recouvrèrent  leur  indépendance.  LedeN 
Qier  roi  de  Chalcis,  Amphidamas,  con- 
temporain d'Hésiode,  fut  tué  dans  un 
ies  combats  qui  se  livrèrent  au  sujet  de 
Léiante.  Mais  cette  merre  de  Leiante, 
>ien  qu'elle  soit  un  des  faits  les  plus  re* 
narquables  des  premiers  temps  de 
'histoire  grecque ,  ne  répond  pas  à  une 
iate  mieux  déterminée  que  répoque  de 
a  vie  du  poète.  Le  nom  d'Hésiode  en 
ndique  seulement  la  haute  antiquité. 
Ce  qu'il  y  a  de  particulier  dans  cette 
utte,  c'est  que  pendant  tout  ee  grand 
Btervalle  qui  sépare  les  guerres  médi- 
tues  de  la  guerre  de  Troie  elle  seule 
présente  le  spectacle  de  plusieurs  pen- 
*Jes  grées  associés  peur  un  but  com- 
mun :  le  reste  de  la  Grèce  se  divisa  pour 
e  ranger  du  côté  de  Cbalcis  ou  d'Éré- 
rie;  on  vit  même  figurer  dans  les  deux 
•artis  Samos  et  Milet ,  une  tle  éloignée 
t  une  ville  de  l'Asie  Mineure.  Une  ins- 
ription  curieuse,  qui  existait  encore  du 
Mops  de  Strabon  dans  le  temple  de 
)iane  Amaiysia,  prts  d'Érétrie»  prouve 


racbarnement  des  deux  ennemis;  elle 
défendait  l'usage  des  projectiles,  et  or- 
donnait de  combattre  de  près  ;  c'était 
la  tradition  des  belliqueux.  Abantes. 

La  bonne  intelligence  se  rétablit .  on 
ne  sait  comment,  entre  les  deux  villes; 
mais  elles  tombèrent  pour  toujours  de 
ce  haut  degré  d'importance  oui  avait 
mis  un  instant  chacune  d'elles  à  la 
tête  d'une  moitié  de  la  Grèce. 

A  la  royauté  succéda  dans  Chalcis  le 
gouvernement  aristocratique.  Les  pre- 
miers citoyens,  chefs  de  TÊtat,  portaient 
le  nom  d'Hippobotes,  et  devaient  être 
assez  riches  pour  nourrir  des  chevaux. 
Cette  aristocratie  de  chevaliers  subsista 
longtemps  au  milieu  des  révolutions  in- 
térieures qui  agitaient  la  ville  et  des 
vicissitudes  qu'elle  subit.  On  la  voit 
mentionnée  immédiatement  avant  les 
guerres  médiques ,  et  soixante  ans  plus 
tard,  sous  Périclès,  qui  la  ruine.  Peut- 
être  pourtant  en  retrouve-t-on  encore 
les  derniers  restes  au  moment  où  la 
guerre  d'Aehaïe  se  termine  par  la  ré- 
duction de  la  Grèce  en  province  ro- 
maine: il  est  alors  question  de  la  cava- 
lerie cbalcidienne ,  impitoyablement 
massacrée  par  les  Romains. 

L'histoire  ne  nous  détaille  pas  toutes 
les  dissensions  qui  de  la  forme  aristo- 
cratique jetèrent  les  Chalcidiens»  tant 
3u'ils  eurent  un  gouvernement  à  eux, 
ans  des  alternatives  de  démocratie,  d'o- 
ligarchie et  de  tyrannie.  Deux  ou  trois 
noms  de  tyrans,  qu'il  faut  placer  avant 
ou  peu  après  les  guerres  médiques ,  ne 
rappellent  aucune  date  précise  :  Anti- 
léon ,  à  la  tyrannie  duquel  succéda  Toli- 
garchie  ;  Phaxus ,  qui  fut  tué  par  le  peu- 

1>le  ;  eu  même  temps  furent  massacrés 
es  citoyens  de  la  première  classe  :  ce 
fut  donc  une  révolution  démocratique. 
Probablement  avant  tous  les  deux,  Tyn- 
nondas,  antérieur  à  Selon,  à  qui  les 
Chalcidiens,  dans  un  moment  de  fa- 
tigue, avaient  oSert  la  tyrannie.  Plus 
tard,  les  influences  étrangères  vinrent 
encore  ajouter  aux  troubles  du  gouver- 
nement. 

Toute  cette  période  peu  connue  de 
l'histoire  de  Chalcis ,  qui  s'étend  depuis 
ses  rois  jusqu'à  la  fin  du  sixième  siècle, 
fut  pour  cette  ville ,  comme  pour  toute 
rEubée ,  la  plus  florissante.  L'extension 
extraordinaire  de  ses  colonies  atteste  à 


3d3 


L'UNIVERS. 


la  fois  sâ  puissance  maritime,  le  déve- 
loppement de  sa  population  et  l'activité 
du  caractère  de  ses  habitants.  Les  dis- 
sensions qui  la  déchiraient,  loin  de  ra- 
lentir ce  mouvement  de  colonisation,  l'ac- 
crurent encore,  en  portant  les  vaincus  et 
les  mécontents  à  s*expatrier ,  et  Chaicis 
devint  une  des  métropoles  les  plus  fé- 
condes de  toute  la  Grèce. 

Colonies  de  Chalcis.  —  C'est  de 
cette  ville  que  partit  la  plus  ancienne 
des  colonies  que  la  Grèce  envoya  vers 
rOccident;  elle  alla  fonder  Cumes  en 
Italie,  dès  le  onzième  siècle  avant  Jésus- 
Christ.  Strabon  lui  donne  pour  chefs  Mé- 
gasthène,  de  Chalcis,  et  Hippoclès,  de 
Cumes  en  Asie;  mais  comme  il  résulte 
des  témoignages  de  Velléius  Paterculus 
et  d'Eusèbe  quç  la  fondation  de  Cumes 
en  Italie  précéda  celle  de  Cumes  en  Asie, 
il  se  peut  qu'Hippoclès  soit  venu  d'une 
autre  ville  de  Cumes  en  Eubée.  Cumes 
d'Italie  fonda  elle-même  Nola  et  Abel» 
hj  Dicearchi  et  FalœpoUs  (I>ïaples) 
dans  ritalie;  et  dans  la  Sicile,  Zancle, 
Tauromenium ,  CaUipolU  et  Euhœa. 
Mais  c'est  surtout  au  huitième  siècle  que 
Fesprit  aventureux  des  Chalcidiens  se 
développe  en  multipliant  les  entreprises 
lointaines.  Il  fut  aidé  par  la  situation  de 
la  Grèce  à  cette  époque ,  agitée  elle  aussi 
par  des  révolutions,  et  particulièrement 
parla  situation  du  Péloponnèse,  où  plus 
d'une  ville  voulut  échapper  à  l'oppres- 
sion lacédémonienne.  Chalcis ,  dont  la 
population  eût  été.  insuffisante,  a  dd 
souvent  demander  aux  pays  étrangers 
des  compagnons  et  les  entraîner  à  la 
suite  de  ses  chefs.  Ses  émigrations  se  re- 
portent versIaSicileet  l'Italie.  En  Sicile 
elle  ionétNcixoSy  dans  la  première  année 
de  la  onzième  olympiade.  Six  ans  après, 
LeonUwhfh  est  fondée  parles  Chalcidiens 
de  Théoclès ,  déjà  chef  de  la  colonie  de 
Naxos  ;  Catane ,  par  ceux  d'Évarehus. 

Les  Chalcidiens ,  associés  à  des  Mes- 
séniens,  fondent  Rhegium,  Ils  vont  aug- 
menter la  population  de  Zancle  et  celle 
d'Himère,  sa  colonie,  où  ils  se  confon* 
dent  avec  les  Syracusains ,  d'origine  Co- 
rinthienne. 

En  même  temps,  ils  opèrent  un  mou- 
vement encore  plus  important  vers  la 
Thrace,  où  les  appelle  un  certain  Théo- 
dus.  Trente-deux  villes  leur  durent  leur 
existence;  elles  formèrent  plus  tard  une 


confédération,  à  la  téta  de  laquelle  fat 
Olynthe.  La  presqotlede  la  Chalddiqw: 
a  pris  son  nom  de  ces  colonies.  Érétrit 
contribua  à  peupler  l'Athos.  Enfin  Oial- 
cis  fut  la  métropole  des  îles  d'Ioa ,  de 
Sériphe  et  de  Péparètbe. 

Ce  nombre  inouï  des  colonies  de  Chal- 
cis en  même  temps  que  les  agitations 
intérieures  qui  en  étaient  les  causes  de- 
vaient l'épuiser  et  l'affaiblir.  On  voit  ce- 
pendant par  l'importance  que  les  Athé- 
niens attachaient  à  une  victoire  rempor- 
tée sur  elle  dans  les  dernières  années 
du  sixième  siècle,  qu'à  cette  époque  elle 
était  encore  une  ville  puissante. 

Les  Chalcidiens  s'étaient  unis  ain 
Béotiens  pour  attaquer  Athènes,  au  mo- 
ment où  sa  liberté  naissante  était  me- 
nacée par  le  roi  de  Sparte  Clëonw&e. 
Une  fois  délivrée  de  ce  pressant  dan^. 
Athènes  songea  à  punir  l'agression  des 
deux  peuples  alliés.  Une  double  victoire 
remportée  le  même  jour  sur  les  Béo- 
tiens, près  dei'Euripe,  et  dans  rEubée 
même  sur  les  Chalcidiens ,  procura  an 
Athéniens  une  vengeance  éclatante  :  ils 
laissèrent  quatre  mille  colons  sur  les 
propriétés  des  Hippobotes,  retînnuc 
quelque  temps  enchatnés  les  prisoD- 
niers  qu'ils  avaient  faits,  et  ne  leur  ren- 
dirent la  liberté  que  pour  une  rançon 
de  deux  mines  par  tête  (506).  Cesaeôes 
d'Athènes  fut  la  première  marque  sen- 
sible de  raocroissement  de  sa  puissance. 
Il  semble ,  d'un  antre  côté,  avoir  porté 
un  coup  décisif  à  la  prospérité  de  Chal- 
cis. Du  moins  est-on  surpris  du  rôle  se- 
condaire que  cette  ville  joue  bientôt 
après  dans  les  guerres  médimies.  Chal- 
cis, la  métropole  de  tant  de  colonies 
lointaines,  est  obligée  d'emprunter  dts 
vaisseaux  à  Athènes  pour  paraître  à  Ar- 
témisium  et  à  Salamine.  Cependant  le 
nombre  de  vingt,  qui  lui  est  nécessaire, 
lui  conserve  même  alors  son  rang,  aa 
moins  en  Eubée. 

Situation  db  Chalcis  bt  su  es- 

nBRAL  DB  l'île  D'EUBBB  APRBS  LSS 
GUBBBBS    MÉDIQUBS.    — 

l'indépendance  de  Chalcis  et  de  Ti 
en  général  n'existe  plus,  et  les  cârcoos- 
tances  particulières  où  sont  jetées  ks 
différentes  villes  de  l'Ile  ne  suffisent  pas 
pour  leur  composer  one  histoire  qu 
leur  appartienne  en  propre.  Pour  Cbal* 
cis,  comme  pour  les  autres,  la  proiee- 


ILE  D*£UBÉ£. 


39S 


Uond^Atbènes,  après  l'esDulsion  des 

Perses,  s'était  cbangëe  en  aoinination. 
Toute  TEubée  se  révolta  après  la  vie* 
toire  des  Béotiens,  à  Coronée  sur  Toi- 
midas,  général  athénien.  'Périclès  passa 
dans  lUe  avee  cinq  cents  vaisseaux  et 
eioq  mille  hommes,  et  la  soumit  tout 
entière.  Cbaleis  fut  en  particulier  l'objet 
de  sa  vengeance.  Il  chassa  les  Hippobo- 
tes, et  partagea  leurs  propriétés  à  deux 
mille  colons.  Il  consacra  aans  la  plaine 
de  Lélante  des  temples  à  Minerve,  et 
afferma  le  reste  du  territoire  :  les  loyers 
furent  inscrits  sur  des  colonnes  placées 
près  du  Portique-Royal  ;  les  captifs  fo- 
rent retenus  enchaînes  en  prison  (446). 

Pendant  la  guerre  du  Péloponnèse , 
la  possession  de  l'Eubée  était  ae  la  plus 
haute  importance  pour  les  Athéniens , 
tt  sa  perte  leur  porta  un  coup  foneste. 
lorsque,  d'après  le  conseil  de  Péridès, 
ils  quittent  la  camps^e  pour  se  ren- 
fermer dans  la  ville  ^  c'est  principale- 
ment  dans  cette  tle  qu'ils  envoient  leurs 
troupeaux.  Cest  elle  qui  les  approvi- 
Qonne,  et  quand  l'occupation  de  Décé* 
ie  par  les  Laeédémoniens  intercepte  la 
route  de  l'Euripe,  Athènes  ^  privée  de 
vssources  et  bloquée,  est  réduite  à  la 
)lus  grande  détresse» 

Aussi  les  Athàiiens  entretiennent-ils 
loe  flotte  pour  garder  l'Eubée,  soit 
entre  les  incursions  des  Béotiens  et  des 
iOcriens,  soit  contre  les  vaisseaux  du 
Péloponnèse.  Cest  une  victoire  navale 
ui  décide,  dans  la  21*  année,  la  con- 
liéte  de  l'Eubée  par  les  Laeédémo- 
ieos  :  toute  l'tle,  sauf  Oréos,  se  sou- 
ive  et  reçoit  leur  organisation.  Pendant 
)ute  cette  période,  Cbalds,  qui  garde  (e 
Mivenirde  Texpédition  de  Périciès, 
Nie  un  rôle  complètement  passif.  Les 
balcidiens  ne  sont  les  soldats  d'aucune 
iuse  ;  Athènes  préfère  qu'ils  ne  soient 
as  organisés  pour  la  guerre  et  ne  f our* 
issent  que  des  contributions  d'argent, 
est  de  cette  manière  qu'ils  concourent 
l'expédition  de  Sicile. 
L'Eubée  n'était  pas  destinée  à  rester 
)us  la  domination  de  Sparte;  ses  mat- 
es les  plus  naturels  étaient  les  deux 
"ands  peuples  dont  elle  était  voisine, 
s  Athéniens  et  les  Thébains.  Elle  com- 
ittit  avec  eux,  et  partagea  leur  défaite 
Coronée  (993).  De  même  aussi,  peu  de 
mps  après  elle  était  associée  aux  suc- 


cès d'Épaminondas  et  le  suivait  deux 
fois  dans  le  Péloponnèse.  A  près  le  déclin 
si  rapide  de  la  puissance  thébaine ,  elle 
tombe  dans  une  période  d'«^itation  qui 
ne  se  termine  que  par  la  donunation  ma- 
cédonienne. 

Athènes  tenta  d'y  rétablir  son  influen- 
ce, d'abord  en  luttant  contre  les  Thé- 
badns,  puis  bientôt  en  combattant  un 
ennemi  plus  dancereux,  qui  devait  l'em- 
porter par  l'habileté  de  sa  politique,  plus 
encore  que  par  les  armes.  Démostbène 
fit  les  plus  grands  efforts  pour  empêcher 
Philippe  de  Cadre  de  cette  lie  «  une  for^ 
teresse  menaçante  pour  sa  patrie  »  et  de 
consommer  une  conquête  fatale  à  la  li- 
berté de  la  Grèce. 

Alors,  par  un  rare  privilège ,  l'his- 
toire de  1  Eubée  pendant  quelques  an- 
nées se  lit  dans  les  pages  éloauentes 
des  deux  plus  grands  orateurs  d'Athè- 
nes ,  Démostbène  et  Eschine ,  qui  dans 
leurs  luttes  oratoires  tirent  de  la  con- 
duite au'ils  ont  tenue  pour  la  liberté  de 
cette  tle  d'inépuisables  motifiB  d'accu- 
sation ou  d'apîologie.  Néanmoins,  c'est 
une  triste  histoire.  Les  luttes  de  partis, 
les  intrigues,  les  exemples  de  vénalité 
et  de  trahison  se  multiplient  dans  chaque 
ville  au  point  de  rendre  la  connaissance 
de  la  vérité  presque  impossible;  le  ré- 
sultat seul  n'est  pas  douteux,  c'est  la 
malheureuse  situation  du  pays  où  se 
passent  ces  misérables  scènes.  Voici 
quelques  faits  qui  se  dégagent  de  cette 
confusion. 

En  358,  les  tyrans  Mnésarque  et  Thé- 
mison  dominaient,  le  premier  à  Chalcis, 
le  second  à  Érétrie.  Tous  deux  avaient 
commis  des  actes  d'agression  contre 
Athènes,  Thémison  surtout,  en  s'em- 
parant  d'Oropos  au  mépris  de  la  paix 
(865).  Cependant,  lorsque  plus  tard  ils 
sont  menacés  par  les  Th!^ains,  Athènes 
les  secourt  avec  la  plus  grande  activité; 
trois  jours  lui  sufusent  pour  terminer 
son  expédition.  Démostbène,  qui  y  con- 
tribua comme  triérarque ,  rappelle  sou- 
vent ce  succès,  et  le  propose  comme  un 
exemple  de  salutaire  énei^e  à  ses  apa- 
thiques admirateurs.  Il  répète  les  vives 
exhortations  par  lesquelles  Timothée  fit 
décider  l'entreprise  d'enthousiasme  : 
«Vous  délibérez  quand  les  Thébainssont 
«  dans  l'Ile  1  vous  ne  remplissez  pas  la 
•  mer  de  vos  galères  1  vous  ne  vous  élanr 


994 


Lt}NIVER& 


«  ces  |>fts  dèi  maintenant  pour  courir 
«auPirée! » 

Cette  première  expédition  d'Àtliànes 
semble  avoir  été  suivie  presque  aussitôt 
d'une  seconde,  dirigée  dans  Je  même 
but  et  contre  les  mêmes  ennemis.  £s« 
cbine  en  perle  avee  autant  d'éloges  : 
«  £n  oinq  jours  tous  seeourâtes  les 
«  Eubéens  de  vos  vaisseaux  et  de  voira 
«  armée;  en  moins  de  trente  vous  ohas- 
«  sâtes  les  Thébsins,  réduits  à  capituler.  » 

Diodore,  au  contraire,  représente 
cette  guerre  comme  le  résultat  des  di* 
visions  des  Eubéens ,  dont  les  uns  ap- 
pellent le  secours  de  Thèbes ,  les  autres 
celui  d'Athènes.  11  dit  qu'elle  se  traîne 
dans  de  petits  engagements  où  Tavan* 
tage  est  partagé ,  et  que  les  deux  partis, 
fatigués  et  rumés,  finissent  par  faira  la 
paix. 

Dès  lors  le  parti  thébain  disparatt 
presque  complètement  i  et  est  remplacé 
en  Eubée  par  celui  de  Philippe.  Grâce 
aux  soldats,  à  l'argent,  aux  promesses 
du  roi  de  Macédoine  ^  les  troubles  aug- 
mentent, les  tyrannies  se  succèdent  et 
s'établissent  plus  fermement;  les  anibi* 
tieux  se  multiplient  et  changent  impu* 
demment  de  parti,  suivant  Tavantage 
du  moment.  Telle  est  la  conduite  de  Cal* 
lias,  dis  de  Mnésarque ,  l*homme  le  plus 
influent  de  Cbalds.  Gallias  agitcontre  les 
intérêts  des  Athéniens ,  puis  obtient  son 

girdon,  c'est*à-dire  revient  à  leur  oaute. 
ientôt  après,  «  sous  prétexte  d'assem^ 
«  bler  à  Chalcis  un  congrès  eubéen ,  dit 
<t  Eschine,  il  arme  l'Eubée  centre  Athè- 
«  nés,  et  se  fraye  un  chemin  à  la  tyran* 
«  nie.  Espérant  l'appui  de  Philippe ,  il 
«  court  en  Macédoine,  s'attacne  aux 
«  pas  du  prince  et  compte  parmi  ses  &- 
«  vorJs.  Ensuite  il  l'offense,  s'enfuit,  et 
«  se  jette  dans  les  bras  des  Thébains.  Il 
a  les  abandonne  aussi ,  plus  variable 
a  dans  ses  tours  et  retours  que  rËuri{)e, 
«  dont  il  habitait  les  bords,  et  il  tombe 
«  entre  la  haine  de  Thèbes  et  celle  de 
«  Philippe.  Alors  11  achète  rallianee 
«  d'Athènes.  «Telest jpourtantl'homme 
que  Démosthène  est  vareé  d'associer  à 
ses  efforts.  C'est  son  ami,  de  même  que 
les  tyrans  protég[és  par  Philippe ,  Cil* 
tarque  et  Philistide  ,  sont  ceux  d'Ës- 
chine. 

Athènes  pendant  ce  temps  n'a  d'autre 
politÉque  que  d'attaquer  lee  partisans  de 


Philippe  et  de  sonteofar  tons  eeox  fà  tt 
déclarent  contre  loi.  Ainsi  die  repoad 
imprudemment,  et  malgré  l'avis  de  Dé- 
mosthène lui*même,  à  l'appel  de  Pin- 
tarque,  tyran  d'Érétrie,  oui  se  voyait 
menacé  pîar  le  prince  maeédonieo.  En* 
gja^és,  près  de  Tamynes,  dans  oae  po- 
sition diffidle,  sans  espérance  de  sefloun 
ni  par  mer  ni  par  terre ,  pn»sés  à  la  fois 

Kr  les  ennemis  au'iis  sont  venus  eooh 
ttre,  et  par  Caliias  et  son  frère,  Tiih 
rostbène,  qui  arrivent  avec  des  mem- 
naires  de  Phocide  pour  les  écrasa,  lo 
Athéniens  m  sortent  de  tant  de  périls 
que  par  une  victoire  inespérée  de  Pho- 
cion,  leur  général  (841).  Aussi  la  nou- 
velle de  ce  succès  causa-t*elle  la  plus 
grande  joie  à  Athènes;  Esdiioe  es  fut 
le  porteur,  et  fut  couronné  pav  le  peupii: 
unecourr  !ie  lui  avait  déjà  été  deeena 

Êar  les  diefs,  stw  le  lieu  même  du  obb- 
at. 

Cette  expédition  des  Athéniens  fut 
stérile  pour  leur  influence.  PboeioD, 
après  avoir  été  obligé  de  diasser  Pin* 
tarque  d'Érétrie,  abandonna  oette  wilii 
à  ses  dividons.  La  tyrannie  de  Piutai- 
que  y  est  bien  vite  remplacée  par  «Ik 
des  trois  prindpaux  partisans  de  Plu- 
lippe,  Hipparque,  AutomédondGlttf- 
que.  Leur  protecteur,  en  les  établinut 
sur  les  Érétriens,  envoie  Hippeaica 
avec  mille  soldats  étrangon  détraiie  i«i 
murs  de  Porthmos,  point  fortifié  daos 
le  voisinage  d'Érétrie. 

C'est  à  ce  moment  qiM  Démosllièu 
déploie  en  Eub^  la  plus  grande  aetiuif  : 
c*est  alors  qu'il  veut,  comme  le  répéuii 
ironiquement  Eschine  ,«par  l'dlianoedt 
Thèbes  et  de  l' Attique ,  élever  sur  la 
frontières  d'Athènes  un  rempart  dai- 
Fun  et  de  diamant.  Il  faut  croire,  mal- 
gi<é  les  attaques  de  son  ennemi  poli* 
tique,  à  la  pureté  de  ses  intentioos  d 
même  au  succès  dont  elles  furent  d> 
bord  suivies.  Athènes  le  reconnut  eo 
lai  décernant  une  couronne;  et  si  Ton 
met  en  doute  la  valeur  de  ce  ttnioi- 
gnage,  trop  prodigué  en  effet  pour 
n'être  pas  suspect,  on  doit  avoir  coa* 
fiance  dans  la  tradition  honeraUc 
qui  s'est  établie  cbea  lea  andens  w 
sujet  de  la  oonduite  du  grand  onteor. 
Démosthène  réussit  donc  à  ergadser 
une  alliance  générale  de  tente  l'Eab^ 
avec  Athènes.  Chidda  éttit  à  la  tâe  es 


ILE  I>*BUBÉB. 


99& 


36tt6  espèee  àteonÊiééntion  enbéenne  ; 
:esi  dans  ses  mun  que  m  tenaient 
les  assemblées  générales.  Érétrie  et 
)réos  prirent  part  à  Fentreprise.  Malbeu- 
eosement,  soit  par  les  lenteurs  des 
ithéoiens,  soit  par  l'aseendant  de  la 
brtuoe  de  I^lippe ,  soit  surtout  par 
a  profonde  corruption,  du  pays»  oe 
projet  échoua.  Ërétrie>  même  sous  la 
jnrsonie  de  Glitarque,  et  Oréos  payé- 
«Dt  ohaeune  exaetement  einq  talents, 
eur  part  de  la  contribution  générale  de 
outes  les  villes  d'f:ttbé8{40  talents). 
)n  ne  sait  œ  que  devint  cet  argent 
ntre  les  mains  de  Callias,  l'organisa* 
eur  de  Tentreprise ,  et  là  sa  bornèrent 
0U8  les  résultats.  A  Qréos,  Tamour  de 
a  patrie  et  do  la  liberté  semble  vivre 
ivec  plus  d'énergie;  mais,  ruinée  par  la 
luerre  contre  Philippe,  épuisée  corn* 
^létement  par  cette  oontributionde  cinq 
alents,  déchirée  par  des  factions,  enfin , 
[uaod  l'ennemi  est  sous  ses  murs,  elle 
tti  est  livrée  par  Pbilistide  et  par  le  resta 
lu  parti  maoMonien.  Pbilistioe,  en  pos- 
essiondela  tyrannie,  établit  son  au* 
oiité  par  des  violences.  Érétrie  reste 
ous  la  domination  du  tyran  Clitar* 
[ue,  et  deux  tentatives  Qu'elle  fait  plus 
ard  pour  veceuvrer  sa  liberté  n'abou- 
ineot  qu'à  rendre  son  asservissement 
ilus  complet  et  plus  dur.  Philippe  punit 
tt  Êrétrieos  en  leur  prenant  leur  terrî* 
oiie  et  en  le  faisant  occuper  par  des 
roopes  étrangères,  d'abord  sous  la  cou* 
'nite  d'Ëurylocbus,  puis  sous  celle  de 
^arrnénion.  La  victoire  de  Cbéronée 
}38),  remportée  surTbèbes  et  sur  Athè- 
nes, confirma  la  domination  macédo^ 
tienne  en  Eubée. 

Sous  le  règne  d'Alexandre  TËubée 
l'a  pas  d'histoire;  après  sa  mort  elle 
stf  comme  ^ute  la  Grèce,  disputée 
ttrses  généraux.  Possédée  d'abord  par 
^Dtipater,  elle  resta  presque  constam- 
oent  entre  les  mains  de  Cassandre, 
i)algié  deux  oonquêtes  momentanées 
l'Ântigone  et  de  Démétrius  Polioroètei 
i  il  la  transmit  avec  son  royaume  à  ses 
successeurs.  Le  nom  de  l'tle  est  compté- 
ement  oublié  au  milieu  des  agitations 
ndwéquentes  de  la  Grèce,  et  ne  reparaît 
)lu8  qu'au  moment  de  l'arrivée  des  Ro* 
nains. 

,  A  partir  d'Alexandre,  seule  de  toute 
^£ubée,  Chakis  voit  grandir  son  \w^ 


portance  par  le  fait  môme  de  rabaisse- 
ment général  de  la  Grèce.  La  Grèce, 
perdant  son  rang  de  puissance  active , 
est  devenue  elle-même,  comme  l'Eubée , 
une  proie  disputée  par  des  matures  étran- 
gers.  De  là  vient  la  valeur  des  oositions 
avantageuse^  pour  une  conquête  géné- 
rale du  pays.  Cbalcis ,  de  même  que 
Déroétriade  et  Corinthe,  est  appelée  par 
Philippe^  ennemi  des  Romains,  une  des 
trois  chaînes  de  la  Grèce.  Son  rôle 
consiste  surtout  à  recevoir  de  ses  mai-» 
très  des  garnisons  que  lui  enlèvent  les 
prétendus  libérateurs  de  la  Grèce,  pour 
donner  un  témoignage  éclatant  de  leur 
sincérité.  £lle  est  ainsi  délivrée  par 
Démétrius  Poliorcète  et  plus  tard  par 
Flamininus ,  après  la  proclamation  so* 
leunelle  qu'il  fit  faire  aux  jeux  isthmi- 
ques. 

Pendant  la  première  guerre  de  Ma* 
eédoine,  un  coup  de  main  rendit  G.  Clau» 
dius  Centhon  maître  de  Cbalcis,  au'ûne 
navigation  heureuse  lui  permit  ae  sur-» 
prendre  la  nuit  (200)  :  les  greniers  de 
Philippe  sont  incendiés,  les  prisonniers 
Qu'il  avait  placés  dans  cette  ville,  comme 
dans  le  lieu  le  plus  sdr,  délivrés;  les 
Romains,  trop  raibles  pour  garder  leur 
conquête,  se  retirent  après  1  avoir  sao- 
oagM.  Philippe  accourt  de  Démétriade, 
mais  n'arrive  que  pour  voir  fumer  les 
ruines  de  Cbalcis,  à  demi  brûlée.  «  Il  y 
laisse  quelques  hommes  pour  ensevelir 
les  morts ,  »  et  se  porte  en  toute  hâte ,  h 
travers  la  Béotie,  sur  Athènes,  occupée 
par  les  Romains.  Il  ne  peut  la  prendre, 
mais  lui  fait  supporter  de  barnares  re- 
présailles :  il  incendie  le  Lycée,  le 
Cynosarge ,  détruit  les  tombeaux ,  les 
temples,  les  statues,  et,  dans  son  ardeur 
de  vengeance,  fait  briser  jusqu'aux 
pierres  des  monuments  renversés. 

Après  la  guwre  contre  Philippe ,  c'est 
naturellement  le  parti  romain  qui  do« 
mine  à  Cbalcis.  Au  commencement  de 
la  lutte  contre  Antiochus,  en  193 ,  il  fit 
échouer,  avec  le  secours  d'Érétrie  et  de 
Carystos ,  une  tentative  de  Thoas ,  ehef 
des  Étoliens.  il  résista  de  môme  au» 
instances  d' Antiochus,  qui  vint  se  pré<> 
senter  aux  portes  de  la  ville,  et  qui  fut 
obligé  de  partir  sans  en  faire  le  siège  « 
faute  de  troupes  suffisantes.  Mais  le  roi 
de  Syrie  revint  bientôt  avec  des  forces 
phis  eoBsidérableSt  et  cette  fois ,  msJgré 


39G 


L'UNIVERS. 


tes  efforts  des  partisans  de  Rome ,  qui 
furent  eux-mêmes  obligés  de  quitter 
Chalcis,  les  portes  furent  ouvertes  sans 
résistance.  Quelques  soldats  romains, 
dans  le  petit  fort  de  rEuripe,  et  des 
Acliéens,  à  Salganéa,  sedéfendirent  seuls. 
Ce  succès  entraîna  la  soumission  de 
toute  TEubée.  Antiochus  passa  l'hiver 
à  Chalcis,  et  y  donna ,  à  cinquante  ans 
passés,  le  ridicule  spectacle  de  son  amour 
et  de  ses  folies  pour  une  jeune  Cbalci- 
dîenne ,  nommée  Eubée ,  qu*il  épousa. 

Malgré  les  promesses  des  Romains  et 
rétalage  de  leulr  générosité ,  Chalcis  eut 
à  souffrir  plus  d'une  fois  de  Toppression 
des  préteurs  destinés  à  la  protéger  ;  elle 
porta  ses  plaintes  au  sénat,  qui  en  tint 
compte  et  entoura  d'égards  son  ambas- 
sadeur.  Miction,  le  plus  chaud  partisan 
de  l'alliance  romaine.  Néanmoins,  dans 
la  guerre  d*Achaïe  on  voit  les  Chald- 
diens  entraînés  à  la  suite  des  Béotiens 
et  vaincus  avec  eux  aux  Thermopytes 
par  Q.  Cœoilius  Metellus.  Ils  payèrent 
cette  révolte  contre  des  maîtres  trop 
puissants  par  la  destruction  de  leur  ville 
et 'une  amende  de  cent  talents,  qu'ils 
payèrent  de  moitié  avec  les  Thébains. 

L'Eubée  fut  comprise  dans  la  pro« 
vince  romaine  d'Achaîe.  Au  siècle  sui« 
vaut  elle  fut  soumise,  avec  toutes  les 
Cyclades,  à  Mithridate  par  son  lieutenant 
Archélaûs.  Ce  fut  la  dernière  de  ses 
épreuves  ;  plusieurs  siècles  de  tranquil- 
lité lui  furent  désormais  assurés  sous 
)a  domination  de  Rome.  L'empereur 
Justinien,  en  faisant  réparer  ses  forti- 
fications,  la  mit  en  état  de  jouer  pen- 
dant le  moyeu  âge  le  rôle  auquel  t'ap- 
pelait d'ailleurs  sa  position. 

Telle  est  dans  Tantiauité  l'histoire  de 
la  principale  ville  de  l'Eubée ,  histoire 
vide,  malgré  tant  de  vicissitudes;  rare- 
ment intéressante ,  quoique  le  sort  de 
toute  nie  V  ait  souvent  été  attaché ,  et 
qu'elle  ait  été  impliquée  elle-même  dans 
les  luttes  les  plus  importantes  de  la 
Grèce.  Ce  fut  la  destinée  de  ce  mal- 
heureux pays  de  l'Eubée ,  que  tous  ses 
éléments  de  prospérité,  la  richesse  du 
territoire,  les  avanta^^  de  position, 
n*aboutisent  qu'à  en  faire  une  proie  ar* 
demment  disputée.  Les  discordes  civiles, 
les  mouvements  désordonnés  des  factions 
consumèrent  les  forces  des  villes  :  au- 
cune ne  put  élever  une  puissance  asae^ 


solidement  établie  ni  se  constituer  mw 
existence  assez  forte  pour  se  garder  qik 
place  au  moment  du  développement,  si 
prompt  et  si  énergique,  des  grandes 
villes  de  la  Grèce.  Les  maîtres  se  sum- 
dent  dans  l'île,  rien  ne  s*y  éudilit  etoy 
^ tombe  que  parla  force;  et  dans  toutes 
"ces  luttes  dont  elle  est  le  théâtre  iloN 
a  jamais  de  victoire  pour  elle,  il  n'y  a 
que  les  dévastations  et  les  calamités. 
Les  efforts  de  ses  habitants  se  perde&t 
dans  des  intrigues  misérables  ou  de 
calculs  d'ambition  personnelle  ;  elle  est 
déchirée  par  des  partis  qui  travaitlcot 
pour  des  étrangers.  Tout  germe  d'iode 
pendance  est  de  bonne  heure  étouffées 
elle ,  comme  tout  élan  de  rintelligroa 
arrêté.  Aussi  de  cette  histoire  agiM 
n'a-t-elle  conservé  ni  la  triste  gloire  qui 
reste  aujourd'hui  à  d'autres  provinces 
de  la  Grèce,  celle  des  ruines;  ai  les 
illustres  souvenirs  du  développeinat 
artistique  et  littéraire.  Les  pierres  s  j 
sont  écroulées  et  dispersées,  au  poûk 
qu'elles  nous  laissent  à  peine  non  pe 
un  seul  fragment  reconnaissabie  d'à 
beau  monument,  mais  deux  ou  trots 
murs  de  villes,  dont  les  restes  ne  préserr 
tent  q[u'un  aspect  firoid  et  sans  grandeur. 
Chalets,  la  première  cité  de  itle.Ca- 
rystos ,  Oréos  ont  disparu  sans  laisser 
d(B  traces  ;  et,  à  défaut  de  ruines,  on  d^ 
manderait  inutilement  à  l'Eubée  ob 
chef-d'œuvre  littéraire,  ou  même  un  de 
ces  noms  populaires,  quoique  déposicdcs 
par  le  temps ,  que  nous  révérons  sur  l3 
foi  de  l'admiration  antique. 

Hommes  illustbbs  ds  l'Eubée.- 
Chalcis  cependant  semblait  desunee  i 
occuper  une  place  brillante  dans  le  dffe- 
loppement  du  génie  grcNC.  Elle  était  la  pa- 
trie de  Linus,  mystérieux  représentaci 
des  âges  les  plus  reculés.  Quand  la  poésx 
née  en  Thraoe  tend  à  descendre,  parie 
Parnasse,  l'Hélicon  et  Tbèbes,  t«s^ 
Athènes ,  une  tradition  veut  au'eile  se 
soit  rencontrée  à  Chalcis  avec  la  poésie, 
plus  douce ,  née  en  lonie ,  et  que  œm 
ville  ait  été  le  théâtre  de  ieurhitte: 
Hésiode,  l'élève  d'Orphée,  et  Hotnère. 
le  poète  de  Smyrae,  s'y  seraient  livré  n 
combat  poétique ,  où  le  premier  aoia^ 
été  vainqueur;  jugement  que  le  senti- 
ment postérieur  de  l'esprit  grec  n'a  p» 
confirmé.  Le  poète  d'Ascra  parle  hii- 
même  avec  orgueil  de  son  trioaiplKi 


ILE  D'EUBÉE 


a»7 


lans  nommer  ses  rivaux,  et  dit  qu'il  a 
!onsacré  aux  muses  de  l'Hélicon  le  tré- 
pied proposé  comme  prix  de  la  victoire 
lar  lesOlsd'Ampbidamas.  A  l'élue  de 
^ausanias  on  voyait  encore  près  de  la 
ontaine  Aganippe  le  trépied  d'Hésiode. 
Plus  tard,  Chalcis,  et  avec  elle  Ërétrie, 
ans  rester  étrangères  au  mouvement 
l'Athènes,  leur  voisine,  qui  est  devenue 
1  patrie  presque  unique  des  arts,  de  la 
ioésie  et  de  Féloquence ,  ne  font  que  le 
uivre  d*assez  loin  ;  ensuite,  elles  se  rat* 
achent  à  l'éooled'Alexandrie  quand  cette 
ille  prend  le  rôle  glorieux  d'Athènes. 
A  la  première  époque,  Chalcis  fournit 
'orateur  Isée,  qui  développe  son  talent 
oiD  de  sa  patrie,  et  va  recevoir  des  leçons 
fisocrate  pour  en  donner  lui-même  à 
)é[nostHène;  et  un  peintre,  Timagoras, 
[ni,  dans  une  lutte  de  peinture  aux  jeux 
mythiques,  vainquit  Panœnus,  frère  de 
Phidias  et  artiste  célèbre,  et  chanta  lui- 
néine  sa  victoire.  Érétrie  produit  le  poète 
ragique  Achœus,  rival  d'Agathon,  et  le 
|hilosophe  Ménédème,  l'un  des  pères  de 
'éclectisme,  celui  qui  dispute  à  Phédon 
'honneur  d'avoir  fondé  l'école  d'Ëlide. 
E)ans  les  arts  on  ne  connaît  de  cette 
illle  que  le  nom  du  peintre  Philoxénus 
!t  celui  du  sculpteur  Philésias.  Le  chef- 
fœavre  du  premier  représentait!  une 
rictoire  d'Alexandre  sur  Darius;  il  avait 
défait  pour  Gassandre,  roi  de  Macé* 
^oine.  Pline  le  vante  beaucoup,  et  parie 
aassi  d'un  tableau  du  genre  comique 
où  était  représenté  le  restin  de  trois 
Bilènes.  Philoxénus  appartenait  à  une 
école  qui  se  piquait  de  peindre  avec  une 
surprenante  rapidité.  Il  perfectionna 
i^  procédés  anciens,  et  en  trouva  de 
nouveaux.  Philésias  était  l'auteur  d'un 
Ixeuf  en  bronze,  consacré  à  Olympie  par 
ïes  Erétriens. 

Pendant  la  période  Alexandrine, 
Chalcis  seule  représenta  le  mouvement 
littéraire  de  l'Eubée.  Elle  vit  naître  Ly- 
<^phron,  l'un  des  poètes  les  plus  préten- 
tieux de  la  pléiade  qui  brilla  à  la  cour 
<^e  Ptolémée-Philadelphe  :  ses  tragédies 
étaient  d^à  des  énigmes  pour  Tzetzès, 
^U8  le  Bas- Empire;  Euphorion,  qui 
|Ut  bibliothécaire  à  Antiocbe,  auteur  d'é- 
'égies,  d'épigrammes,  historien  etgram- 
i^airien  ;  enfin  Thistoriographe  Philippe. 

l^^n  somme,  ni  l'Eubée  ni  Chalcis 
^Q  particulier  n'ont  eu  de  vie  qui  leur 


appartînt  en  propre ,  pas  plus  sous  le 
rapport  intellectuel  que  sous  le  rapport, 
politique.  Chalcis  a  fourni  un  faible  con- 
tingent aux  grands  centres  qui  l'ont 
attirée.  Il  est  à  remarquer  cependant 
que,  soit  par  l'agrément  de  sa  position 
au  milieu  de  sources  ombragées,  au 
bord  de  l'Euripe  et  près  des  grandes 
villes  de  Thèbes  et  d'Athènes,  soit  à 
cause  du  caractère  et  des  dispositions 
de  ses  habitants,  ce  fut  un  séjour  aimé 
des  étrangers.  Théognis,  au  sixième 
siècle,  quitta  plus  d'une  fois  pour  Chalcis 
Thèbes,  sa  résidence  habituelle  depuis 
qu'il  avait  abandonné  Mégare,  sa  patrie. 
Aristote,  poursuivi  par  l'hiérophante 
Eurymédon,  vint  y  chercher  la  tranquil- 
lité, et  V  finit  sa  vie.  Dans  son  testa- 
ment, il  laisse  à  Herpyllis,  sa  fille  adop- 
tive^  un  logement  a  Chalcis,  près  de 
son  jardin.  #n  sait  que,  par  sa  mère,  Aris- 
tote était  d'origine  cbalcidienne.  C'est 
également  dans  cette  ville  que  vint 
mourir  le  philosophe  Bien,  originaire 
d'Olbia  sur  les  bords  du  Borysthène. 
Après  une  vie  fort  impie,  elle  le  vit 
à  son  dernier  moment  s'efforcer ,  par 
une  foule  de  pratiques  religieuses ,  de 
désarmer  la  colère  des  dieux. 

Dicéarque  vante  les  Chalcidiens,  la 
pureté  de  leur  race  et  de  leur  langage, 
leur  amour  des  arts ,  leur  nature  géné- 
reuse et  libérale,  qui  avait  résisté  a  l'ia- 
fluence  avilissante  de  la  servitude,  et 
cite  à  l'appui  de  son  jugement  un  vers 
du  poète  Philiscus  :  «  Chalcis  est  ha- 
«  bitée  par  la  vraie  et  bonne  race  des 
«  Hellènes ,  xP')<'t<>^^  o^p'  l<r^  i\  XaXx\ç 

Les  Chalcidiens  étaient  primitivement 
célèbres  par  leur  habileté  dans  le  ma- 
niement de  la  lance.  On  représente  les 
premiers  Abantes  comme  une  race  guer- 
rière,qui  méprisait  dans  la  guerre  l'usage 
de  l'arc  et  de  la  fronde,  mais  combattait 
de  près  l'épée  à  la  main. 

A  tant  de  qualités  il  faut  opposer  un 
défaut,  si  nous  en  croyons  les  railleries 
des  poètes  comiques  sur  Tavarice  des 
Chalcidiens,  passée  en  proverbe.  Cette 
disposition  avait  pu  être  développée  par 
le  commerce,  qui  florissait  chez  eux, 
grâce  à  la  position  de  leur  ville.  Aux 
époques  les  plus  agitées  de  leur  histoire, 
leurs  affaires  n'étaient  point  interrom- 
pues ;  il  y  avait  à  Chalcis  de  très-grandes 


SM 


LUmVBRS. 


fortunes.  Lors  dd  la  tentative  de  TÉto* 
lien  Thoas ,  c*est  un  riche  marchand  ^ 
Hérodote  Gianus ,  qui  favorise  le  plue 
cette  entreprise. 

.  f.BBTBiE.  —  Au  8Ud-est  de  ya$iUko, 
après  avoir  suivi  pendant  trois  heures 
tin  chemin  resserré  entre  la  mer  et  les 
dernières  pentes  du  mont  Olymbos,  on 
trouve,  à  l'entrée  d'une  plaine,  la  ville 
d*Érétrie.  Un  rocher  escarpé  se  détache 
des  montagnes  qu'on  vient  de  longer, 
et  s'avance  du  côté  de  la  mer;  c'est 
l'emplacement  de  l'antique  acropole.  Au 
bas  s  étend  jusqu'au  rivage  la  ville  mo- 
derne Ahtria^  ^AXérpia ,  comme  l'appel- 
lent les  habitants.  C'est  on  curieux 
exemple  des  entreprises  avortées  du 
gouvernement  ^ec.  Il  a  sérieusement 
songé  à  ressusciter  l'ancienne  rivale  de 
Ghaïcis;  sur  un  espace  suffisant  pour 
une  grande  ville ,  il  a  dessiné  un  plan , 
tracé  des  rues  larges  et  régulières; 
mais  il  a  négligé  de  dessécher  un  marais 
voisin,  et  les  (lèvres  ont  arrêté  le  déve* 
loppement  de  la  nouvelle  fondation.  Il 
en  résulte  un  ensemble  singulièrement 
trifite  :  sur  ce  vaste  terrain  sont  dissé- 
minées des  ruines  toutes  réoentes,  et  de 
distance  en  distance  sont  quelques  niai-> 
sons  habitées  ;  dans  une  seule  partie , 
elles  se  suivent  à  des  intervalles  assez 
rapprochés  pour  former  à  peu  près  un 
côté  d'une  rue.  Cependant,  malgré  la 
persistance  du  fléau,  un  certain  nombre 
(le  constructions  récentes  indiquent  de 
nouvelles  et  courageuses  tentatives 
d'habitation;  et  même  nulle  part  en 
Eubée ,  sauf  à  Chalcis ,  les  maisons  ne 
sont  plus  belles. 

Le  mur  d'enceinte  de  l'acropole  avec 
ses  tours  carrées  reste  en  grande  partie; 
on  en  suit  la  ligne  sur  toute  la  pente 
orientale  de  la  hauteur  ;  à  l'ouest  il  est 
remplacé  suffisamment  par  des  rochers 
escarpés.  C'est  une  forte  position ,  dé- 
fendue d'un  côté  par  un  marais,  et  de 
l'autre  par  un  ravin  profond.  Au  pied 
de  l'acropole,  à  l'est,  à  l'ouest  et  surtout 
au  sud ,  jusque  stir  remplacement  de 
la  ville  moderne,  des  traces  de  murs  et 
de  constructions  antiques  couvrent  un 
grand  espace ,  mais  nulle  part  elles  ne 
s'élèvent  à  un  pied  au-dessus  du  sol. 
Bu  côté  occidental,  sur  une  colline 
artificielle,  est  un  théâtre,  tourné  vers 
la  mer  :  à  peine  recounatt-on  quelques 


C 'erres  des  gradins  au  mUieu  désherbes; 
forme  seule  subsiste. 

Il  j  avait  eu  dans  l'antiquitédeux  villes 
d'Érétrie ,  celle  que  les  Perses  ont  rec- 
versée  et  celle  qui  fut  oonstniite  apréf 
leur  départ.  On  a  cru  à  tort,  d'après  ud  pas- 
sage de  Strabon  mal  à  propos  pris  au  pie  i 
de  la  lettre,  que  ces  deux  Erétries  étaient 
située  à  une  assez  grande  distance  l'un^ 
de  Tautre ,  et  la  nouvelle  au  nord-oueM 
de  l'ancienne.  Il  n'en  est  rieu;  Ifsdeui 
Erétries  se  sont  également  placées luar 
et  l'autre  sous  la  protection  de  cette 
acropole  gu'on  voitenoore  aujourd'hui. 
fui  existait  avant  l'invasion  des  Perses,  et 
qui  a,  en  partie  au  moins,  survécu  i 
leur  destruction;  seulement  la  ville  an- 
cienne s'étendait  au  pied  et  à  Test,  et  1. 
ville  nouvelle  s'est  élevée  à  cote,  i 
l'ouest  et  au  sud.  On  pouvait  ainsi  voir, 
comme  dit  Strabon,  auprès  de  la  $e 
oonde  Érétrte  les  fondations  de  la  pr^ 
mière.  La  plaee  occupée  par  les  débris 
antiques  est  assez  étendue  pour  justiiici 
cette  assertion. 

Bien  certainement  Érétrie  renferou 
autrefois  de  nombreux  monuments  ;  sob 
Importance  parmi  les  villes  secondaire» 
de  la  Grèce  ne  permet  pas  d'en  douter. 
Mais  ni  les  témoignages  des  anciens,  dI 
jusqu'ici  ceux  des  ruines  n*en  ont  ganit 
aucun  souvenir.  Cette  mosaïque  trotiver 
en  construisant  une  maison  prouve  sei 
lement  que  les  Romains  avaient  aiisc 
cette  position  d'Érétrie,  au  bord  de  la  ait: 
et  en  vue  des  côtes  douces  et  verdoyantes 
de  l'Attique.  Sans  aucun  «toute,  do 
fouilles  am^raientd'autresdécooîefîes 

du  même  genre. 

Amaaynthb.  —  Amarynthc  était  js 
bourg  situé  à  sept  stades  des  murailles 
d'Érétrie.  La  principale  déesse  de  ITu- 
bée  y  recevait  les  plus  grands  honneur$ 
Dans  la  fête  qui  se  célébrait  à  répçxj^:' 
de  la  plus  grande  prospérité  d'Érétrie  ti- 
guraient  eu  procession  trois  mille  liop: 
tes,  six  cents  cavaliers  et  soixante  ch^^ 
Pendant  la  guerre  de  Macédoine,  on  wi  ' 
les  Carystiens  prendre  part  anniK>"' 
ment  à  cette  solennité.  C'est  daos  'f 
temple  que  se  conservaient  les  art^j  >^ 

f)lus  importants ,  comme  celui  qui  fit ^i^ 
es  conditions  du  combat  dans  la  guerre 
de  Lélante.  Le  culte  de  Diaoe-AmaiT* 
sia  se  célébrait  également  avec  beaueo^P 
de  pompe  en  Attaque. 


ILE  VJOJBtE. 


Cérès  élait  honorée  à  ËiéCrIe  ;  PltIta^ 

SueflOQfi  transmet  une  dreonstanee  par* 
culière  de  son  culte  et  nne  tradition  ea- 
rieuse.  Lts  femmes  érétriennes  feisaient 
cQira  1m  Tiandea  an  soleil,  et  non  pas  au 
feu ,  et  n'adressaient  pas  à  la  déesse  Tin- 
rocation  d'usage  sous  le  nom  de  Galligé* 
nie,  peot-étre  en  soutenir  de  oe  qu'en  ce 
liea,  au  moment  où  les  captives  emme* 
ném  de  Troie  par  Agamemnoo  eé\é* 
braient  les  Thesmopbories,  le  vent  ft- 
vorabie  s^était  élevé  et  les  avait  obligées 
de  laisser,  pour  partir ,  le  sacrifice  ma* 
cbevé. 

HiSTOiBB  d'ÉbétbIe.  «^  La  Grèce 
est  le  seul  pa;jr8  où  des  villes  aient  pu , 
l'élevant  à  côte  les  unes  des  autres,  coti* 
server  une  existence ,  un  développement 
et  une  prospérité  à  part.  Nulle  part  ce 
fait  n'est  plus  frappant  qu'à  Érétrie,  si- 
tuée à  cinq  lieues  de  Ghalcis.  Quoique 
le  mouvement  général  de  la  politique  en 
(irèce  ait  plus  d*une  fois  lié  son  sort  à 
t^elui  de  la  ville  principale  de  nie ,  peu* 
iant  de  nombreux  siècles ,  jusqu'à  la  do- 
mination romaine,  elle  forma  un  État 
léparé,  et,  sous  le  régime  delà  tyran-* 
lie  comme  sous  celui  de  la  république , 
ilie  resta  indépendante  de  sa  voisine. 
^  On  sait  déjà  comment  elle  fut  peuplée. 
Sortout  ionienne  d'origine,  elle  em* 
irunta  son  dernier  nom  au  dème  at- 
ique  des  firétriens ,  plutôt  sans  doute 
[u'à  Érétrius,  fils  du  Titan  Phaéton. 
auparavant  elle  avait  porté  celui  de  Mé- 
anéis  et  celui  û^Arotria,  qui  faisait  sans 
loute  allusion  à  nne  richesse  de  terri* 
oire  dont  les  landes  actuelles  ne  donnent 
uère  l'idée. 

La  colonie  d'Éléens  qu'elle  avait  reçue 
une  époque  incertaine  avait  été  assez 
onsidérable  pour  y  laisser  une  habitude 
eprononelation  que  raillaient  les  poètes 
omiques  d'Athènes,  et  que  Platon  re- 
aarquait.  Elle  consistait  à  multiplier 
ors  de  l'usage  la  lettre  R  au  milieu  et  à 
1  fin  des  mots. 

La  guerre  de  Lélante  est  un  témoi- 
nage  de  l'importance  qu'avait  acquise 
^.rétrie  dès  le  début  des  temps  histo- 
iques.  Ses  nombreuses  colonies  dans  le 
lord  et  sa  domination  sur  plusieurs  lies, 
Dtre  autres  sur  celles  d'Andros,  de  Té- 
os  et  de  Céos ,  en  sont  une  nouvelle 
reuve.  Sa  constitution ,  aristocratique 
e  la  même  manière  et  à  la  même  époque 


qoeeelle  de  GhaMe,  lut,  comme  dans 
œtte  ville,  changée  par  des  révolutions. 
A  une  date  inconnue ,  Diagons ,  offensé 
par  on  des  chevaliers  à  l'occasion  d'un 
mariage ,  renverse  leur  oligarchie.  Néan- 
moins, un  fait  démontre  qu'Érétrie  fat 
primitivement  moins  éprouvée  que  sa 
rivale  par  les  agitations  politiques:  c'est 
qu'elle  garda  pendant  qulnae  ansi'em- 
pire  de  la  mer ,  et  ne  le  transmit  à  Égine 
que  dix  ans  avant  l'invasion  des  Perses. 

De  même  que  Ghalcis,  vers  cette 
époque ,  elle  est  l'alliée  de  Thèbes  contre 
Athènes.  Cest  dans  ses  murs  que  Pisis* 
trate,  chassé  par  Mégaclès,  trouve  asile 
et  prépare' son  retour. 

Sa  puissance  sur  mer  devait  être  pour 
elle  une  cause  de  ruine ,  en  lui  permet- 
tant d'aller  provoquer  les  Perses  en  Asie 
Mineure.  Par  reconnaissance  pour  les 
Milésiens,  ses  anciens  alliés  dans  la 

{guerre  de  Lélante ,  elle  Joignit  cinq  ga- 
eres  aux  vingt  que  les  Athéniens  en« 
voyèrentau  secours  deMilet.  De  là  vint 
le  ressentiment  de  Darius  contre  les 
Érétriens.  C'est  contre  eux  que  sont  of- 
ficiellement dlrisées  la  première  expé- 
dition que  fit  échouer  une  tempête  près 
du  mont  Athos,  et,  trois  ans  après,  la 
seconde.  Celle-ci  devait  réussir  aux  moins 
contre  Érétrie.  Mais  déjà  les  dissensions 
civiles  et  la  trahison  devaient  être  de 
moitié  dans  le  succès  des  Perses.  A  l'ap- 
proche des  ennennis ,  parmi  les  citoyens , 
tes  uns  parlaient  de  se  réfugier  dans  les 
montagnes,  les  autres  sonsealent  d'a- 
vance à  livrer  la  ville.  Cepenoant  le  parti 
des  bons  citoyens  semble  l'emporter  ; 
les  Erétriens  restent  renferma  dans 
leurs  murailles,  et  se  défendent  six  jours 
avec  énergie.  Le  septième ,  deux  traîtres , 
Euphorbe  et  Philagros,  ouvrent  les 
portes  AUX  assiégeants  ;  triste  manifes- 
tation des  causes  honteuses  qui  devaient 
empêcher  Érétrie  de  reprendre  jamais 
un  rang  parmi  les  peuples  de  la  Grèce , 
490  av.  J.  C. 

La  venseance  des  Perses  fut  complète; 
la  ville  fut  pillée  et  brûlée  avec  ses 
temples ,  en  souvenir  de  l'incendie  des 
Saraes,  et  les  habitants  emmenés  en 
esclavage.  Darius  avait  dit  qu'il  voulait 
voir  desesyeux  les  Erétriens  prisonniers  : 
Datis  et  Artapheme ,  à  leur  retour  en 
Asie ,  les  lui  amenèrent  à  Suse.  Le  roi 
de  Perse  se  contenta  cependant  de  leur 


400 


L'UMVKRS. 


ass^er  poor  séjour  un  de  se^  domaines 
appelé  Ardérioca ,  dans  le  paysjde  Cissia, 
à  deux  eent  dix  stades  ae  Saze.  Ils  y 
vécurent  et  y  restèrent  Grecs  pendant 
plusieurs  siècles.  Cent  soixante  ans  plus 
tard  9  Alexandre  j  trouvait  leurs  descen* 
dants  encore  Gdeles  aux  institutions  et 
à  la  lan^e  de  leur  patrie.  Cependant 
uneparUedes  habitants  d*Érétrie  avaient 
échappé  à  la  déportation.  Ils  revinrent, 
rebâtirent  leur  cité,  combattirent  avec 
ardeur  contre  les  Perses ,  et  pendant  l'in- 
vasion de  Xerxès,  alors  que  Chalcis 
n'avait  pkis  de  marine ,  Éretrie  s'était 
assez  relevée  pour  se  faire  représenter 
par  sept  vaisseaux  à  Artémisium  et  à 
Salamine.  Elle  envoyait  à  Platée ,  avec  le 
concours  de  Styra ,  six  cents  combat- 
tants. 

Ërétrie  avait  assez  souffert  pendant 
les  guerres  médiques  pour  avoir  sa  part 
de  cette  liberté  si  péniblement  défendue 
contre  les  barbares.  Aussi  subit-elle  à 
regret  la  domination  d'Athènes  ;  et  quand 
la  défection  devint  possible ,  c'est  elle 
qui  en  donna  le  signal.  Avant  même 

Î|ue  la  révolte  ne  fût  déclarée ,  elle  aida 
es  Béotiens  à  prendre  Oropos;et  elle 
hâta  par  ses  instances  l'arrivée  de  la 
flotte  péloponnésienne ,  dont  la  victoire 
oombla  ses  vœux.  Les  Athéniens  n'avaient 

{m  réunir  que  trente-six  vaisseaux  contre 
es  quarante^eux  navires  péloponnésiens* 
Les  ruses  des  Ërétriens  contribuèrent 
puissamment  à  assurer  la  victoire  à 
leurs  ennemis.  Les  Athéniens  furent 
complètement  défaits  dans  la  bataille 
navale  qui  se  livra  entre  Érétrie  etOropos; 
tous  ceux  d'entre  eux  qui  se  réfugièrent 
à  Érétrie ,  comme  dans  une  ville  amie , 
Airent  massacrés ,  et  vingt-deux  de  leurs 
vaisseaux  furent  pris  (411). 

On  a  vuoommentËrétrie  s'était  réservé 
son  triste  rôle  pendant  cette  période  d'in- 
trigues et  de  calamités,  qui  aboutit  à  la 
domination  macédonienne.  Désormais , 
associée  au  destin  général  de  toute  l'île, 
elle  changea  de  mattres  avec  elle.  Pen- 
dant la  guerre  des  Romains  contre  Phi- 
lippe ,  comme  tous  les  points  fortifiés 
de  l'Eubée,  elle  reçut  une  garnison  ma- 
cédonienne ,  et  fut  prise  en  198  par  les 
Romains.  Trois  flottes  l'assiégeaient  à 
la  fois,  une  romaine,  une  autre  rho- 
dienne ,  et  la  troisième  amenée  par  le 
roi  Attale.  L'attaque  fut  poussée  avec 


la  nlu^  grande  vifiaMt  »  et  là  défense  M 
d'aoord  très-éniïgîque ,  grâce  à  la  pré- 
sence des  soldats  macédoniens,  qui  fai- 
saient aussi  peur  aux  assiégiés  que  l«s 
Romains.  Mais  les  Érétriens  eommeo- 
cèrent  à  céder ,  quand  ils  apprirent  qu'ils 
n'avaient  plus  de  secours  a  attendre  6f 
Plûloclès ,  le  commandant  placé  par  Phi 
lippe  à  Chalcis.  Us  envoyèrent  des  on« 
teurs  h  Attale,  pour  implorer  son  pardor 
et  son  alliance  ;  en  même  temps  ils  se 
relâchèrent  de  leur  vigilance  hsmitoelle 
Le  général  romain ,  L.  Quintius  «  frère 
du  consul  Flamininus,  en  proGta  pow 
prendre  Érétrie  d'assaut  et  pour  la  piller. 
Mais  le  pillage  produisit  peu  d*or  etd'ar- 
gent;  la  malheureuse  ville  n*en  était 
pas  à  sa  première  ruine.  Une  gamisoo 
romaine  succéda  h  la  garnison  de  Phi- 
lippe ,  puis  fut  renvoyée  trois  ans  pius 
tard,  lorsque»  par  l'influence  de  Fianu- 
ninus ,  il  eut  été  décidé  ou'Érétrie  joui- 
rait, elle  aussi*  de  la  liberté  solennel 
lement  rendue  à  la  Grèce.  Il  avait  rié 
question  de  faire  cadeau  de  cette  ville, 
ainsi  que  d'Oréos ,  à  Eumène  »  fils  d'Aï- 
taie. 

On  voit  qu'après  la  conquête  défioi- 
tlve  de  Rome  elle  avait  été  donnée  aox 
Athéniens;  car  Auguste  l'enleva  à  ce 
peuple,  pour  le  punir  de  ce  qu'il  avai! 
suivi  le  parti  d* Antoine. 

A  cette  époque  Érétrie  était  compté 
tement  déchue  de  son  ancienne  impor 
tance,  même  relativement  au  reste dr 
l'Ile ,  et  était  loin  de  disputer  à  Chairts 
le  premier  rang.  Déjà ,  deux  siècles  ao* 
paravant ,  lorsque  les  Romains  la  pripent, 
ne  se  doutant  pas  de  sa  prospérité  passée, 
ils  étaient  étonnés  de  trouver  dans  uœ 
ville  aussi  petite  et  aussi  faible  autant 
de  tableaux ,  de  statues  et  autres  œu\ns 
d'arts.  Nous  avons  vu  en  effet  que  si  U 

{proximité  d'Athènes  avait  été  ninestea 
'indépendance  des  Érétriens ,  ils  avaiest 
dû  à  son  influence  un  certain  amour  Jtf 
arts  et  même  quelaues  noms  célèbres 
dans  l'antiquité.  Deleurs/ichesses  artis- 
tiques ou  littéraires  »  nous  ne  possédoos 
aucun  reste  ;  en  somme,  c'est  un  peopk 
que  nous  ne  connaissons  pas. 

TBBBITOIBB  et  nÉPBNDAIfCBS  D*£' 

BÉTBiE.  —  La  plaine  d'Érétrie  s'étead 
environ  pendant  deux  heures  le  long  àt 
la  mer  :  au  bout  de  ce  temps ,  elle  nu- 
contre  Ijfin  de  la  chaîne  du  Delphi,  qoi 


ILE  D*£UBEE. 


401 


la  borne  à  Test;  à  Touest ,  derrière  la 
ville,  une  ramification  de  la  niéme  chaîne, 
l'Oiymbos,  descend  de  même  jusqu'au 
rivafçe ,  et  ainsi  se  trouve  enfermé  dans 
un  triangle  irrégulier  le  territoire  im- 
médiat de  Tanciennecité.  A  proprement 
parier,  il  n*y  a  pas  de  plaine;  des  mou* 
rements  de  terrain  assez  doux  montent 
rr^Iièrement  depuis  le  bord  de  la  mer 
usqu'aux  montagnes.  Ce  ne  sont  en 
p'ande  partie  que  des  landes ,  occupées 
)ar  quelques  villages,  dont  le  plus  im* 
wrtant  et  le  plus  oriental  est  f^athya, 
iitué  à  peu  de  distance  du  rivage,  mais 
léjà  sur  la  hauteur. 

PoBTHM os.  —  C'est  dans  cet  espace 
lu'il  £aut  chercher  la  position  de  Porth- 
nos,  place  fortifiée,  aont  il  est  souvent 
juestion  dans  Démosthène.  Philippe  en 
îliassa  les  Ërétriens  et  en  détruisit  les 
nurs.  Son  nom  paraît  indiquer  qu'elle 
itait  au  bord  de  la  mer,  et  son  impor- 
ance  pour  la  liberté  des  Ërétriens  ne 
termet  pas  de  croire  qu'elle  ait  été  éloi- 
|née  de  leur  ville.  Deux  positions  satis- 
ODt  à  cette  double  condition  :  une 
letite  éminenee ,  surmontée  d'un  reste 
le  tour  ronde,  à  moitié  chemin  environ 
ntre  flrétrieet  f^aihya^  et,  au-dessous 
le  ce  dernier  points  une  colline  plus  cou* 
idérable,  où  l'on  volt  maintenant  quatre 
xi  cinq  chapelles  ruinées.  Cette  colline 
le  porte  aucune  trace  de  murs  ni  de 
ortiQcations;  mais  on  y  trouve  de  nom- 
ireui  fragments  de  marbres  antiques, 
tt  même  quelques  sculptures,  romaines 
I  est  vrai,  enclavées  dans  les  murs  des 
hapeiles,  et  plusieurs  pierres  helléni- 
[ues,  éparses  au  pied,  à  peu  de  dis- 
ance.  Ce  dernier  emplacement  semble 
)ius  probable,  comme  ayant  plus  de 
aleur  au  point  de  vue  militaire  :  il 
louvait  défendre  une  entrée  de  la  plaine, 
le  même  que  l'acropole  d'Ërétrie  défen- 
lait  Tautre. 

De  cette  colline  on  se  rend,  à  l'est, 
l^ns  la  plaine  à*jéUvéri,  par  un  de  ces 
nemins  dont  le  nom  grec,  Kakiskala, 
lit  la  nature.  Pressé  entre  la  mer  et 
■Qe  montagne  escarpée ,  c'est  pendant 
Hus  de  deux  lieues  une  alternative  de 
Doutées  et  de  descentes  rapides  sur  les 
t)chers,  tantôt  an  niveau  de  l'eau, 
antôt  beaucoup  au-dessus.  D'anciens 
nocs  de  pierre  soutiennent  le  rivage. 
'1  entrée.  Cétait  évidemment  une  routé 

^*  Livraison.  (Ilb  d'Eubée.) 


antique.  AHvM  est  un  gros  village,  qui^ 
d'une  hauteur  où  il  est  placé,  domme 
une  plaine  riche,  mais  en  partie  ma- 
récageuse. A  l'ouest  sort  de  la  monta- 
gne un  torrent,  qui  arrose,  au  bas  du 
village,  des  vignes  et  des  jardins.  Si  on 
le  suit ,  en  descendant  vers  la  mer,  on 
trouve  bientôt ,  sur  sa  rive  droite,  dans 
une  partie  à  peu  près  inculte,  des  ruines 
de  tours  carrées,  d'une  construction  an- 
cienne, qui  marquent  une  ligne  d'en- 
oeinte  au  pied  d'une  montagne  rocheuse, 
et  en  apparence  inhabitable. 

Tahynes.  —  L'emplacement  antique 
indiqué  par  ces  ruines  est  probablement 
celui  de  Tamynes,  ville  dépendant  d'Ë- 
rétrie ,  qui  donna  son  nom  à  un  champ 
de  bataille  mentionné  dans  l'expédi- 
tion dirigée  par  Phocion  au  secours  de 
Plutarque.  A  Tamynes  était  un  temple 
d'Apollon  suivant  Strabon,  et  suivant 
Etienne  de  Byzance  un  temple  de  Ju- 
piter. Les  sommets  Toisins,  ceux  par 
conséquent  qui  séparent  la  plaine  d*A- 
livéri  de  celle  d'Ërétrie,  formaient  le 
mont  Cotylé,  consacré  à  Diane.  C'est 
peut-être  a  cette  divinité  qu'était  élevé 
un  petit  temple  qu'on  voit  sur  la  crête 
de  la  montagne,  au-dessus  du  village 
actuel  de  Parthéni.  Les  premières  as- 
sises de  la  cella  sont  conservées. 

Dans  le  voisinage  de  Tamynes ,  et 
probablement  du  coté  d'Ërétrie ,  étaient 
Cbcerées  et  iC^lia,  points  du  territoire 
érétrien  que  virent  aborder  les  Perses. 

D'Aiivéri  dépend  un  petit  port;  à  peu 
de  distance ,  au  sud ,  s'élève  un  tort 
vénitien ,  sur  l'un  des  premiers  et  des 
plus  bas  sommets  des  montagnes,  qui 
rejoignent  la  mer  à  cet  endroit  pour  ne 
plus  la  quitter  avant  la  plaine  de  Stoura, 

Si  l'on  trace  par  la  pensée  une  ligne 
ù^Alivéri  au  cap  OcMhonia,  vers  le 
nord-est,  entre  cette  ligne  et  le  versant 
oriental  du  Delphi,  sera  comprise  la  ré- 

§ion  la  plus  peuplée  de  toute  l'Ile.  Au- 
essus  d  Alivéri  même,  jusqu'à  la  petite 
chaîne  qui  jomt  le  Delphi  aux  monta- 
gnes de  Dystos,  les  mouvements  doux 
et  variés  du  sol ,  de  beaux  chênes  verts 
et  de  nombreux  villages  heureusement 
situés  dans  la  verdure  des  arbres,  com- 
posent un  fort  joli  pays.  L'intérieur 
des  montagnes ,  qui  depuis  Chalcis  pa- 
raissaient âpres  et  desséchées  du  coté 
de  la  mer ,  reproduit  dans  de  frais  ra-> 

20 


402 


L'UNIVERS. 


vins  toutes  les  richesses  de  la  végétation 
grecque. 

En  redescendant  vers  Test,  du  eôté 
de  la  mer  Egée,  on  tombe  au  pied  du 
mont  Ocbtbonia,  dans  une  longue  vallée 
cultivée  en  partie. 

Cette  montagne  domine  plusieurs 
villages ,  dont  le  plus  considérable  est 
Âvlonari.  Ses  maisons  vont  rejoindre, 
par  des  jardins,  les  grands  platanes  qui 
ombragent  le  lit,  presque  toujours  des- 
séché, d'un  fleuve,  tributaire  fort  avare 
de  la  baie  de  Koumi.  Près  des  jardins 
est  une  ^lisedeSaint-Dimitri,  célèbre 
dans  le  pays,  ainsi  qu'une  autre,  consa- 
crée à  saint  Jean,  qui  est  séparée  de  la 
première  par  une  colline.  Toutes  deux 
sont  de  construction  byzantine,  comme 
un  grand  nombre  d'autres  en  Grèce; 
mais  une  tradition  particulière  les  re- 
commande  à  l'admiration  des  habitants  : 
elles  seraient  le  résultat  d'une  lutte  de 
talent  entre  deux  ffrands  artistes  dont 
l'un  était  l'élève  de  l'autre  ;  et  le  maître, 
vaincu,  serait  mort  de  dépit.  Une  hau- 
teur voisine  est  couverte  de  morceaux 
de  briques,  traces  communes  aux  ruines 
modernes  et  aussi  aux  ruines  anciennes. 
Peut-être  appartenaient-elles  à  un  village 
récemment  détruit,  peut-être  sont- ce 
les  derniers  débris  de  I  antique  OEchalie, 
la  ville  fondée  sur  le  territoire  d'Érétrie 
par  le  héros  Eurytus.  Il  est  certain  que 
toute  cette  vallée  a  dû  nourrir,  dans 
l'antiquité,  des  habitants  ;  mais  le  si- 
lence complet  des  auteurs  anciens  au 
sujet  d'une  grande  partie  de  l'Eubéenous 
réduit  aux  conjectures  les  plus  vagues. 

Une  autre  vallée  aboutit  également  à 
la  baie  de  Koumi;  mais  celle-ci  lui  ap- 
porte le  tribut  constant  d'un  courant 
véritable.  Cest  peut-être  l'un  des  deux 
fleuves  nommés  par  Strabon  comme  les 
principaux  de  Fîte ,  dont  l'un  ayait  la 
propriété  de  rendre  blanches  les  brebis 
qui  s'y  abreuvaient  ;  l'autre,  celle  de  les 
rendre  noires.  L'embouchure  de  ce 
fleuve  est  voisine  d'une  petite  montagne, 
r  OxyUihos^  terminé  par  un  sommet  très* 
aigu,  comme  l'exprime  son  nom,  sur  la 
pente  et  au  pied  de  laquelle  restent  quel- 
ques pierres  de  l'époque  hellénique.  Il 
prend  sa  source  dans  le  Delphi ,  des- 
cend vers  le  sud-est ,  puis ,  faisant  un 
grand  détour,  remonte  un  peu  vers  le 
nord  pour  se  jeter  dans  la  mer. 


L'antiquité  n'a  laissé  aucun  souvenir 
dans  la  vallée  qu'il  arrose,  non  plus 
que  sur  les  hauteurs  voisines;  maisaulie 
part  les  monuments  de  la  domioatioo 
iranque  ne  se  multiplient  d'une  maDièn 
plus  remarquable.  Déjà  les  défilé  et 
les  montagnes  derrière  Chalcis ,  GÂyrn- 
no,  dans  la  plaine  d'Érétrie,  le  port 
d'Mivéri,  Bélousia,  à  l'entrée  des  moa- 
tagnes  de  Dystos,  AvUmaH»  et  de  nom- 
breux points  dans  tout  le  centre  de  nie, 
montrent  encore  les  demeures  fortifiées 
des  seigneurs  dn  moyen  âge.  Mais  ici, 
sur  chacune  des  rives  trèâ-habitées  du 
fleuve,  chaque  village  est  dominé  parss 
tour,  et  il  n'y  a  guère  d'éminence  ni  (k 
valléie  voisine  où  de  pareilles  ruioes  m 
s'élèvent. 

Indépendamment  de  l'effet  qu*elies 
produisent,  toute  cette  partie  a  par  eiie- 
même  un  curieux  aspect.  C'est  une  suc- 
cession de  collines  formées  de  terrains 
blanchâtres  sur  lesquelles  croissent  des 
vignes  innombrables.  C'est  la  ricbaȎ 
du  pajrs  :  il  fournit  en  quantité  ua  rm^ 
vais  vm,  qui  n'en  est  pas  moins  robjtt 
d'un  commerce  considérable,  particu- 
lièrement avec  i'Anatolie  et  avec  la  mer 
Noire  :  aussi  les  villages  y  abondeat-iis; 
Kastrovokt,  Konistrœs,  les  plus  Im- 
portants, semblent  même  avoir  dé^' 
cette  ligne  imperceptible  aux  yeui  d'ua 
étranger  qui  sépare  en  Grèce  une  îi;^ 
d'un  village ,  et  avoir  acquis  des  droiL^ 
au  premier  titre.  Mais  la  ville  incon- 
testée de  tout  ce  côté  de  l'île,  c'est  Ao««'. 
dont  la  situation  est  la  plus  refuar- 
quable. 

KouHi.  —  Le  Delphi ,  après  aro*; 
étendu  vers  l'orient  sa  pointe  la  pins 
avancée  et  formé  ainsi  le  cap  de  A'ovk*. 
arrête  le  développement  de  ses  somnir^^ 
abruptes  et  de  ses  ravins  impraticable: 
qu'il  a  longtemps  prolongés  vers  )* 
nord,  et  descend,  par  des  plans  de  pla^ 
en  plus  doux,  jusqu'à  la  vallée  d'Ail? 
nan.  Ainsi  est  produite,  depuis  le  ca^^ 
de  Koumi  jusqu'au  cap  Ocbtfaonia,  cette 
suite  de  hauteurs  et  de  collines  qui  s> 
baissent  successivement,  et  qui,  diQ' 
leurs  vallées  ou  sur  leurs  pentes,  offrtci 
des  points  nombreux  à  l'halntatioD.  Pr^^ 
cisément  à  l'endroit  où  ce  changem^^' 
s'opère  dans  la  nature  du  pays,  an  ^^^ 
de  montagnes  inaccessibles,  et  à  1  ti- 
trée de  la  partie  habitable ,  s^élèfe  u 


ILE  D'£UBÉE. 


408 


TiJlede  ATminii,  qui  jouit  de  Favantage, 

uojque  sor  toute  cette  côte ,  d'un  port 
sinon  excellent,  du  moins  capable  de 
servir  d'abri.  Par  là  elle  est  maîtreese  du 
eommeroe  de  tout  le  paya  environnant. 
£ile  n*est  pas  bâtie  au  nord  de  la  mer, 
mais  elle  oomine  le  rivage  du  haut  d'un 
plateau  qu'entoure  presque  complète- 
ment un  cercle  de  montagnes,  et  ou 
l'on  ne  pénètre  que  par  des  défilés  étroits, 
entre  des  murailles  de  rochers.  Cette  pe- 
tite ville,  irrtoilièrement  bâtie,  est  en- 
tourée de  cultures  et  de  jardins,  et  a 
vue  sur  la  mer  et  sur  l'Ile  de  Sejrros.  Plu- 
sieurs villages,  qui  occupent  alentour 
les  ravins  &  la  pente  des  montagnes , 
sont  considérés  comme  ses  dépendant 
ces ,  ses  makkalas ,  nom  turc  qu'ils  ont 
conservé.  Cet  ensemble  représente  une 
population  d'environ  quatre  mille  habi- 
tants. Leur  principale  mdustrie,  comme 
celle  de  leurs  voisins ,  est  l'exploitation 
de  la  vigne.  Ils  fournissent  aussi  un 
certain  nombre  de  marins.  Quelques 
maisons,  auxquelles  on  descend  par 
les  détours  d'un  chemin  rapide,  forment 
le  port. 

Sur  la  cdte  septentrionale  du  cap  de 
Koumi ,  et  aundessus  du  monastère  du 
Saint-Sauveur  C^yioc  Zcuntp)  i  un  rocher 
est  occupé  par  une  forteresse  véni- 
tienne. A  peu  de  distance  on  trouve  du 
minerai  de  fer,  témoignage  d'un  des  pro- 
duits antiques  de  llle.  Mais  Koumi  pos- 
sède particulièrement  une  richesse  géo- 
logique inconnueou  négligée  des  anciens, 
sur  laquelle  lé  gouvernement  grec  avait 
fondé  des  espérances;  il  l'avait  même 
jugée  diçne  d  une  exploitation  organisée 
sons  sa  direction,  qm  fonctionne  encore 
à  demi  :  ce  sont  des  mines  de  lignites 
d'une  très-grande  étendue  (i).  Leurs 
eouches  sont  recouvertes  d'un  calcaire 
argileux  dont  les  plaques ,  en  se  sépa- 
rant, montrent  des  pétrifications  de 
poissons  et  de  plantes. 

Lb  Delphi.  —  De  Koumi  l'on  re- 
vient à  Chalcis  par  une  route  presque 
constamment  admirable,  en  traversant, 

(x)  Voir  les  extraits  d'un  rapport  adressé 
en  1846  à  M.  Piscatonr,  ministre  pléaipoten' 
tiairc  de  France ,  sur  les  lienites  de  Koumi , 
insérés  dans  Touvrage  intitulé  Étude  éco- 
nomique de  la  Grèce,  par  Casimir  Leconte, 
P-  429. 


à  un  ooint  très-élevé,  la  crête  du  Del- 
phi. On  y  retrouve  tous  les  jolis  détails 
que  présentent  les  montagnes  de  Grèce 
quand  elles  sont  boisées  ;  trop  de  places, 
malheureusement,  sont  brûlées  et  dé- 
pouillée» par  les  bergers  pour  nourrir 
leurs  troupeaux.  La  vue  embrasse , 
entre  les  deux  mers  de  l'Eubée,  toutes 
les  montagnes  du  midi  de  llle  ;  leurs 
divers  plans  se  superposent  jusqu'au 
double  sommet  de  rOcna ,  qui  les  do- 
mine toutes ,  et  borne  l'horizon  avec 
sa  ligne  dentelée. 

La  masse  du  Delphi,  en  s'étendant 
vers  le  nord,  couvre  la  partie  la  moins 
accessible  et  la  moins  peuplée  de  toute 
111e.  Près  du  sommet  le  plus  élevé 
après  le  pic  principal,  est  le  monastère 
de  StropancBs  ;  de  rares  villages  se  ca- 
chent dans  les  ravins.  Ces  lieux  n'ont 
jamais  existé  pour  l'histoire.  Mais  Ton 
est  étonné  que  l'ensemble  de  la  mon- 
tagne et  le  grand  effet  que  produit  la 
vue  des  rivages  privilégiés  de  l'Atti^ue 
et  de  la  Béotie  n'aient  pas  plus  vive- 
ment touché  les  anciens.  Ils  lui  ont 
même  refusé  son  titre  incontestable 
de  plus  haute  montagne  de  Ttle;  et, 
loin  de  nous  lésuer  sur  elle  aucune  de 
ces  poétiques  légendes  qu'elle  semblait 
faite  pour  mspirer,  c'est  à  peine  s'ils  nous 
ont  transmis  l'antique  nom  ûeDirpkys 
ou  de  Dirpié, 

OBUXIÈMB  PARTIS. 
NORD  DE  L'EUBÉK. 

AsPBCT  pu  PAYS.  —  Il  faut  faire 
commencer  le  nord  de  l'Eubée  à  partir 
de  l'endroit  où  le  Kandili,  fermant  une 

Sande  plaine  qui  dépend  encore  de 
lalcis,  va  joindre  le  canal  et  lui  faire 
un  rivage  escarpé.  Là  est  la  limite  d'un 
nouveau  pays.  Au-dessous,  l'tle  renfer- 
me sans  doute  beaucoup  de  points 
verts  et  boisés,  principalement  dans 
l'intérieur  de  TOcha  ;  mais  l'aspect  gé- 
néral est  celui  de  la  sécheresse.  Au-des 
sus,  au  contraire,  s'étend  une  région 
de  forêts  qui  couvrent  de  leur  puissante 
végétation  les  pentes  des  montagnes 
et  enferment  dans  des  cercles  de  verdure 
de  belles  vallées.  Toute  cette  partie  est 
an  magnifique  ensemble  qui  réunit  les 
beautés  habituelles  de  la  Grèce  du  oen« 
tre  et  du  sud  et  les  richesses  plus  vi- 

26. 


4M 


LUNIVERS. 


goureoses  de  certaines  proTÎnoes  s^teO'* 
triooales,  de  la  Doride,  par  exempte,  et 
du  nord  de  la  Tbessalie  Dana  les  vallées 
domine  Farbre  des  fleuves  grecs,  le  pla- 
tane; mais  il  y  atteint  d'immenses  pro- 
portions, et  se  presse  le  long  des  rives, 
au-dessus  desquelles  il  pencne  ses  bran- 
dies énormes.  Sur  les  montagnes  s'é- 
lèvent surtout  des  forêts  de  pms  sécu- 
laires, dont  la  vieillesse  ou  le  vent  a 
étendu  de  temps  en  temps  les  grands 
eorps  sur  le  sol.  Ce  ne  sont  malheureu- 
sement pas  les  seules  causes  de  mort 
pour  ces  beaux  arbres  :  il  faut  encore 
y  ajouter  les  ravages  faits  par  l'exploi- 
tation des  bois  de  construction  et  ceux 
du  feu  mis  par  la  malveillance.  Plu- 
sieurs endroits  conserveront  toujours  les 
traces  d'une  vengeance  barbare  exercée, 
il  y  a  peu  d'aune,  en  représailles  de 
l'application  d'un  code  forestier  peut- 
être  trop  sévère  pour  le  pays.  Cependant 
le  nord  de  rEubee  garde  de  quoi  défier 
encore  lon$[temps  une  industrie  impré- 
voyante, smon  les  efforts  irrésistibles 
des  incendiaires. 

Outre  les  pins,  les  sommets  se  cou- 
ronnent aussi  de  grands  chênes,  sur- 
tout vers  le  nord-ouest.  Qu'on  se  figure 
tous  ces  bois  garnissant  les  formes  di- 
verses des  montagnes,  plus  abruptes 
vers  l'ouest,  plus  douces  du  côté  opposé  ; 
qu'on  y  mêle  les  cimes  plus  humbles  des 
chênes  verts  et  des  arbousiers,  et  toutes 
les  richesses  de  la  basse  v^étation  delà 
Grèce  ;  qu'on  y  joigne  les  effets  de  grands 
rochers  aux  couleurs  éclatantes,  aux 
ombres  transparentes  et  mystérieuses  ; 
autour  de  tous  ces  beaux  détails,  qu'on 
se  représente  les  magnifiques  horizons 
formés  soit  dans  111e  même,  par  les 
hauts  sommets  du  Delphi  et  du  Kan- 
dili,  sur  lesquels  se  détache  la  sombre 
verdure  des  sapins ,  soit  par  les  poé- 
tiques montagnes  du  continent  voisin , 
le  Parnasse, Te  Pélion,  l'Olympe,  soit 
enfin  par  la  mer,  qui  sépare  i'Ëubée 
des  rivages  étrangers,  ou  se  perd  au  loin 
avec  le  ciel  ;  surtout  qu'on  répande  sur 
tous  ces  ensembles  la  lumière  de  la 
Grèce ,  tour  à  tour  si  resplendissante 
et  si  douce,  et  l'on  concevra  l'infinie 
variété  des  grandes  scènes  et  des  ta- 
bleaux gracieux  que  compose  avec  ces 
éléments  la  puissante  imagination  de 
la  nature. 


Avec  ces  beautés  sau^ag^,  l'Eubée 
septentrionale  présente  dans  plusieurs 
parties,  surtout  près  du  canal  de  Tri- 
Kéri,  les  productions  d'un  sol  remar 
quablement  fertile,  les  cultures  les  plus 
variées,  de  belles  plantations  d'oUvieR 
qui  s'élèvent  particulièrement  derrièie 
Boviœs ,  vers  le  nord  de  la  eôte  ood- 
dentale.  Aussi  les  propriétaires,  grecs 
ou  étrangers,  y  sont-ds  nombreux  ;  et  les 
biens  des  derniers  possesseurs  turcs ,  à 
mesure  qu'ils  sont  abandonnés,  passent 
vite,  ou  tout  entiers  entre  les  mains  des 
acquéreurs  assez  riches,  ou  morcelés 
entre  celles  des  paysans. 

Oreos;  Histibb.  —  Le  territoiic 
immédiat  de  la  principale  ville  du  nord 
de  FEubée  est  une  belle  plaine  que  les 
montagnes  forment  en  s^éloignant  du 
rivage  de  la  mer  de  TrikérL  En  izet 
fsX  Ta  pointe  de  l'antique  Pfatbiotide 
et  l'entroe  du  golfe  de  Folo;  mais  il  s'é- 
lève .quelques  difficultés  sur  la  position 
de  la  ville  antique.  D'abord,  quelle  était 
cette  ville  ?  Les  anciens  auteurs,  aux- 
quels il  faut  recourir,  la  nomment  tan- 
tôt HUtiée^  tantôt  Oréos,  en  nous  as- 
surant que  le  second  nom  a  succédé 
au  premier.  D'un  autre  côté,  à  une 
certaine  époque  ils  paraissent  disUo- 

Saer  deux  villes ,  et  au  même  moment 
s  désignent  les  habitants  d^Oréos  sous 
le  nom  d'Histiéens.  Gomment  résoudre 
ces  difficultés?  Y  a-t-il  eu  deux  villes, 
n'y  en  a-t-il  eu  qu'une  seule  ?  S'il  y  eo  a 
eu  deux,  quelle  était  la  position  de  dia- 
cune  d'elles? 

Ces  difficultés  sont  plutôt  apparentes 
que  réelles.  L'examen  attentît  des  au- 
teurs anciens  nous  prouve  qu'Histiée  et 
Oréos  sont  deux  villes  distinctes.  L'explo- 
ration des  localités  confirme  cette  con- 
clusion ,  en  nous  montrant  qu'il  y  a 
sur  ce  rivage  les  emplacements  de  deux 
cités. 
L'emplacement  le  plus  naturel  et  le 

{»lus  apparent ,  celui  qui  est  près  du  vil- 
âge  actuel  ^  Oréos  t  fut  celui  où  s>- 
tablirent  les  premiers  maîtres  de  toute 
cette  partie  de  l'Eubée  :  c'est  Tacropple 
d*Histiée,  la  ville  homérique  aux  raisins 
abondants,  ::oXuoTdcpuXoc;  autour,  dans 
la  plaine,  croissaient  comme aujourd'hoi 
les  vignes  qui  lui  ont  valu  cette  éfù- 
thète.  Elle  a  donné  primitivement,  et 
jusqu'à  une  date  assez  avancée,  son 


ILE  D*EUBÉ£. 


405 


nom  a  tout  le  nord  de  Tlle,  qui  s'est  ap* 

pelé  Histiéotide. 

Oréos  était  dans  la  montagne,  dr- 
eoostanee  d'où  lui  est  venu  son  nom 
(SfKK,  montagne),  et  au  bord  de  la 
mer  ;  conditions  remplies  par  la  position 
d'une  hauteur  fortifiée,  située  à  Touest 
de  la  plaine  précédente,  et  qui  dépend 
des  oernières  ramifications  du  Kan- 
dili,  e*e8t-à*dire  du  groupe  des  mon- 
tagnes du  eSipLithada,  l'antique  Ce- 
nsom. 

Oréos  n'était  au  commencement  qu'un 
dème,  une  dépendance  d*Histîée,  et  le 
nom  d'Oria  ne  s'appliquait  qu'à  son 
territoire  particulier.  Une  villo  d'El* 
lopie,  fonaée  d'après  la  tradition  par 
£IJops,  fils  d'Ion,  dans  l'Oria,  était  donc 
voisine  d'Oréos.  Peut-être  mémo  était-ce 
la  même  ville;  du  moins  les  Ellopiens 
et  les  Orites  semblent-ils  plusieurs  fois 
confondus,  et  il  paraît  probable  que  le 
nom  d'Ellopie  désignait  toute  cette  partie 
montagneuse  qui  forme  au  nord  l'extré- 
mité occidentale  de  l'Eubée. 

Cette  distinction  d'Oréos  et  d'Histiée 
subsiste  longtemps,  et  est  fidèlement  ob- 
servée par  les  historiens.  C'est  à  Oréos 
que  Periclès  envoie  deux  mille  Athé- 
niens, après  avoir  ruiné  Histiée  et  dé- 
possédé les  Histiéens  exilés.  Oréos, 
ville  athénienne,  reste  fidèle  à  Athènes 
pendant  la  guerre  du  Péloponnèse;  si 
les  colons  qui  l'habitent  sont  désîrâés 
par  le  nom  d'Histiéens,  c'est  que  Fan- 
cienne  dénomination  donnée  par  la 
ville  principale  prévaut  encore  et  est 
commune  à  tous  les  habitants  de  la  pro- 
vince, quelle  que  soit  leur  ville  par- 
ticulière. Quand  il  s'agit,  au  contraire, 
de  la  haine  conservée  par  les  Histiéens 
contre  Athènes,  depuis  le  traitement 
que  leur  a  fait  subir  Pérîclès,  c'est  His- 
tiée elle-même  que  nomme  Diodore. 
Jusqu'au  temps  delà  guerre  de  Thèbes  et 
de  Sparte,  la  distinction  d'Oréos  et  d'His- 
tiée est  toujours  nettement  marquée  dans 
les  auteurs  anciens. 

Mais  à  partir  de  cette  époque  s'a- 
complissent  les  événements  qui  produi- 
sent la  réunion  de  ces  deux  cités ,  et  la 
substitutiondu  nom  d'Oréos  à  celui  d'His- 
tiée. Préparée  par  la  tyrannie  de  Néo- 
§ène,  cette  réunion  fut  achevée  par  celle 
e  PhOistide,  quelque  temps  après  la  ba- 
taille de  Leuctres.  Dès  lors  disparaissent 


les  noms  d'Histiéens,  d'ElIopiens ,  sou- 
vent usités  dans  les  géographes  et  les 
historiens;  celui  des  Ontes  seul  subsiste, 
et  désigne  à  son  tour  les  habitants  de 
tout  le  pays.  Les  Orites  de  Démosthène 
occupent  le  quart  de  FEubée  ;  et  pour 
lui  il  uy  a  que  la  ville  d'Oréos.  Elle 
seule  désormais  existe  dans  Thistoire. 

Ainsi,  l'acropole  voisine  du  village 
actuel  d'Oréos  a  été  successivement 
celle  d'Histiée ,  puis ,  à  partir  de  la  do- 
mination macédonienne,  dont  la  tyran- 
nie de  Philistide  est  le  commencement , 
celle  d'Oréos.  C'est  elle  qui  fut  assi^ée 
et  prise  d'abord  par  Sulpicius  et  Attale, 
puis  par  Apustius  et  le  même  roi,  pen- 
dant la  guerre  contre  Philippe.  Tite- 
Live,  à  propos  de  ces  sié^,  nous  donne 
des  détails  sur  la  topographie  de  la  ville 
antique.  Il  dit  que  Facropole  était  dou- 
ble ;  que  ses  deux  parties  étaient  séjparées 
par  une  vallée  jusqu'où  s'étendait  la 
ville,  et  qu'entourait  un  mur  fortifié; 
que  les  murailles  de  Fune  d'elles,  qu'il 
désigne  sous  le  nom  de  citadelle  mari- 
time, arx'  maritima,  dominaient  le 
port  et  communiquaient  avec  le  rivage 
par  un  chemin  souterrain ,  cuniculus, 
que  défendait  une  tour  à  cinq  étages  ; 
enQn  que  Fautre  citadelle  s'élevait  au 
milieu  de  la  ville,  urbis  média. 

Les  lieux  s'acoordent-ils  avec  ces  in- 
dications? 

La  citadelle  maritime  occupait  la 
bauteur  détachée  où  sont  les  fortifica- 
tions modernes  ;  car  entre  cette  hau- 
teur et  la  mer  le  terrain  est  unifor- 
mément plat;  l'autre  devait  occuper  la 
colline  sur  la  pente  de  laquelle  est  le 
village  actuel  ;  et  l'intervalle  de  ces  deux 

1)oints  formait  la  vallée  défendue  par 
e  mur  de  la  ville.  Mais  il  y  a  une  dif- 
ficulté, c'est  que  la  distance  qui  sépare 
delà  mer  Facropole  la  plus  voisine, 
un  quart  de  lieue  au  moms ,  est  bien 
grande  pour  permettre  de  dire  que  ses 
murs  dominaient  le  port.  Peut-être  une 
observation  la  résoudra-t-elle.  Cette 
partie  Intermédiaire  entre  la  mer  et  Fa- 
cropole est  marécageuse,  et  toute  la 
plaine  voisine  est  un  sol  d'alluvion  : 
il  est  donc  certain  que  la  mer  s'est 
avancée  autrefois  beaucoup  plus  loin 
dans  les  terres.  En  Grèce,  il  y  a  plus  d'un 
exemple  du  rapide  accroissement  des  ri- 
vages sous  l'influence  de  cette  cause. 


406 


LUNIVERS. 


Sur  le  continent  voisin ,  le  plus  frappant 
est  fourni  par  la  vallée  du  Spercnius , 
où  une  plaine  marécageuse  d*une  lieue 
de  long,  en  se  formant  auprès  du  dé- 
filé desTbermopyles,  l'a  fait  disparaître. 

Histoire  d Histibb  bt  dObéos. 
—  Selon  la  mythologie,  la  première  de 
ces  villes  fut  fondée  par  Théroïne  Histiée, 
fille  du  Béotien  Hyriéus  et  sœur  d 'Oréos. 
A  une  époque  incertaine,  Histiée  fut 
ruinée  et  occupée  par  les  Perrhèbes ,  et 
ses  habitants,  transportés  en  Thessalie, 
y  peuplèrent  THistiéotide ,  qu'ils  nom- 
mèrent. Lors  des  grands  mouvements 
de  la  race  ionienne,  Ellops,  fils  d'Ion, 
vint  fonder  Ellopie  près  d'Oréos,  et  régna 
sur  tout  le  pays.  Histiée  reçut  encore 
d'autres  colonies  ioniennes,  peut-être 
une  du  dème  attique  desHistiéens,  à 
laquelle  elle  a  pu  devoir  son  nom.  Elle- 
même  envoya  dans  Hle  de  Chio  Âm- 
phiclus,  à  la  tête  d'une  colonie.  Un  des- 
cendant d'Amphiclus,  Hector,  roi  de 
rtle,  en  chassa  des  Abantes,  venus  aussi 
autrefois  d'Eubée ,  et  j  établit  ainsi  la 
domination  de  la  race  ionienne. 

Histiée  envoya  son  contingent  an 
siése  de  Troie.  Il  n'est  plus  question 
d'elle  avant  les  guerres  médianes.  Son 
territoire  fut  le  premier  envani  par  la 
flotte  de  Xerxès  et  vit  les  premiers  ef- 
forts des  Grecs  pour  résister  à  leur  for- 
midable ennemi.  Par  la  nécessité  de 
leur  position,  les  Histiéens  devaient  être 
sacrifiés.  Sans  doute  ils  donnèrent  la 
plus  forte  part  de  ces  trente  talents  qui 
décidèrent  les  Grecs  à  ne  pas  abandon- 
ner leur  position  prèsd'Artemisium. 

Quand ,  après  de  glorieux  efforts ,  la 
retraite  de  la  flotte  fut  décidée,  sûrs  du 
traitement  qui  les  attendait  de  la  part 
des  barbares,  ils, en  eurent  comme  le 
prélude  en  voyant  leurs  troupeaux 
égorgés  par  les  Grecs ,  à  qui  Thémistocle 
avait  conseillé  de  ne  pas  laisser  cette 

firoie  aux  ennemis.  Ainsi  furent  punis 
es  Eubéens  "d'avoir  négligé  cet  oracle 
de  Bacis  :  «  Songe ,  lorsqu'un  barbare 
<(  imposera  à  la  mer  un  joug  de  papy- 
«  rus ,  à  éloigner  de  l'Eubée  les  chèvres 
«  bêlantes.» 

Pour  toutes  les  périodes  suivantes, 
l'histoire  d^Histiée  et  d'Oréos  nous  est 
déjà  presque  entièrement  connue.  Elle 
est  nécessairement  écrite  dans  celles  de 
Cbalcis  et  d'Érétrie ,  aux  époques  où  des 


influences  étrangères  pèsent  puissam- 
ment sur  toute  llle.  Les  points  qui  s  y 
rattachent  spécialement  ont  trouvé  leur 
place  naturelle  dans  les  récits  précédenti, 
ou  viennent  d'être  indiqués  dans  la  dis- 
cussion des  textes  qui  conoementles  em- 
placements antiques. 

Comme  les  deux  vill^  principales  du 
centre ,  Oréos  et  Histiée  furent  dédû- 
rées  par  des  troubles  et  agitées  par  des 
révolutions.  Aristote  nous  apprend  que 
dans  la  première  l'oligarchie  fut  dé- 
truite par  un  certain  Heracléodore ,  dé- 
mocrate imprudemment  élevé  à  la  dignité 
d'archonte;  et  que  dans  la  seconde, 
après  les  guerres  médi(|ues ,  la  querelle 
de  deux  ifrères  au  sujet  d'un  héritage 
suffit  pour  entraîner  tout  le  peuple  a 
leur  suite  dans  deux  factions ,  celle  des 
riches  et  celle  des  pauvres,  partagés 
d'après  la  fortune  de  chaque  frère. 

Soumise  aux  Athéniens  à  l'époque  do 
développement  de  leur  puissance,  on 
sait  comment  Histiée  fut  punie  de  sa 
révolte  par  Pérldès.  Elle  s^était  attire 
ces  rigueurs  en  tuant  tous  les  hommes 
d'un  vaisseau  athénien  qu'elle  avait  pris. 
C'est  à  ce  moment  qu'Oréos  obtient  pour 
la  première  fois  de  l'importance ,  grûee 
à  cette  colonie  de  mille  Athéniens  sui- 
vant Thucydide,  de  deux  mille  suivant 
Théopompe,  qui  succédèrent  dans  la 
possession  du  territoire  aux  Histiéens 
chassés.  De  là  s'établissent  entre  cette 
ville  et  les  Athéniens  des  rapports  plus 
étroits;  pendant  la  ^erre  au  Pélopon- 
nèse, elle  est  leur  alliée,  et  non  pas  leur 
sujette. 

Sous  la  domination  lacédémoniennc 
il  ne  semble  pas  que  son  importance, 
au  moins  relative,  ait  beaucoup  décru, 
puisqu'à  l'époque  de  la  fusion  des  deux 
populations  c  est  le  nom  d'Oréos  qui 
prévaut  dans  la  ville  et  dans  toute  l'Eu- 
bée septentrionale.  Mais  en  réalité,  au 
moment  où  l'influence  macédonienne 
s'inaugurait  par  la  tyrannie  de  Pliilis- 
tide,  la  situation  du  pays  était  des  plus 
misérables.  Déchiré  lon^emps  par  les 
dissensions  des  citoyens ,  il  s'était  vu  soc- 
oessivement  ravagé  par  les  Atliéniens  qu'y 
avait  conduits  Chaorias  au  oommeQO^ 
ment  delà  période  béotienne  (378),  et  par 
les  troupes  de  Philippe  avant  la  trahison 
de  Phillstide. 

Au  commencement  de  la  premiàe 


ILE  D'EUBÉE. 


407 


guerre  des  Romains  contre  la  Macédoine, 
les  Orites  souffrirent  du  brigandage  des 
Ëtoliens.  Deux  fois  assiégés  par  les  Ro- 
mains ,  leurs  portes  furent  ouvertes  aux 
ennemis  par  trahison  dans  le  premier 
siège;  après  le  second  si^e ,  pendant  le- 
quâ  ils  s'étaient  énergiquement  défen- 
dus, tombés  sous  la  domination  ro- 
maine, ils  virent  leur  ville  détruite  de 
fond  en  comble  par  Atilius.  Plus  tard , 
Oréos  est  oomplétementoubliée  parPhis- 
toire  de  l'antiquité. 

A  répoque  de  Pausanias,  l'ancien 
nom  d'Histiée  était  encofe  quelquefois 
employé.  C'est  le  seul  qui  ait  Jamais 
paru  sur  les  monnaies;  cette  circons- 
tance suffisait  pour  l'empêcher  de  périr. 

ViLLBS  ET  POSITIONS  ANTIQUES  l>B 
L'HlSTlBpTlDB  ET  DU   IfOBD  DB  L'EU- 

BÉE.  —  La  ville  moderne  du  nord  de 
rEubée  est  Xérochori;  après  Gbalcis  et 
Koumi,  c'est  la  plus  considérable  de 
nie.  Siège  d'éparcnie,  elle  ne  comprend 

Sue  deux  dèmes,  ceux  des  Histiéens  et 
es  Edepsiens,  qui  ne  forment  euère 
qu'une  population  de  huit  mille  nabi- 
tants.  Aussi ,  sur  plusieurs  points ,  son 
administration  est-elle  rattachée  à  celle 
de  Chalcis.  Proportionnellement,  c'est 
la  partie  la  plus  riche  de  TEubée  et  celle 
dont  rÉtat  tire  les  plus  gros  revenus  ;  ils 
sont  surtout  produits  par  les  céréales. 
Les  Histiéens  actuels  labourent  leurs 
fertiles  plaines  avec  des  buffles  emprun- 
tés à  la  Tbessalie.  Elles  sont  arrosées 
par  un  large  torrent ,  le  plus  considérable 
de  toute  cette  partie ,  qui  passe  près  de  la 
ville  moderne.  * 

Artbhisium.  —  A  partir  de  ce  tor- 
rent, les  montagnes  recommencent, 
mais  douces  et  basses.  Dans  leurs  fn- 
cieuses  vallées,  non  plus  que  sur  les  jolis 
Hvaffes  qu'elles  forment  en  descendant  au 
borade  la  mer ,  aucune  position  antique 
ne  nous  est  indiquée  jusqu'au  cap  Pon- 
dihi,  l'ancien  Artemisium,  situé  à  l'ex- 
trémité orientale.  Sur  ce  cap  était  un 
temple  de  Diane  Proseoa.  Mais  il  doit 
sa  célébrité  aux  premières  luttes  navales 

aue  les  Grecs  osèrent  soutenir  contre  la 
otte  des  Perses.  Il  fut  témoin  de  toutes 
les  péripéties  de  ce  drame,  si  vivement 
dépeint  par  Hérodote;  il  assista  aux  al- 
ternatives d'épouvante ,  d'espérance ,  de 
découragement  des  Grecs  ;  il  les  vit  enfin 
aller  attaquer  on  ennemi  qui  les  méprisait, 


et  suppléer  si  énergiquement  par  leur 
courage  à  l'infériorité  du  nombre,  qu'en 
apprenant  leur  retraite,  les  barbares 
doutaient  de  la  nouvelle  et  qu*ils  pou- 
vaient à  peine  en  croire  leurs  yeux  quand 
ils  vinrent  la  vérifier  à  Artemisium. 
On  chercherait  vainement  aujourd'hui 
sur  les  rochers  et  près  des  sources  de  ce 
glorieux  rivage  cet  appel  pathétique  que 
Thémistode  ,  avant  de  partir ,  y  avait 
adressé  au  nom  des  Grecs  à  leurs  frères 
d'Ionie ,  dans  le  double  but  de  les  émou- 
voir et  de  les  rendre  suspects  à  Xerxès. 
Les  pierres  du  temple  ae  Diane  ont  de 
même  disparu. 

De  l'antique  Artemisium  au  petit  port 
PéUki ,  sur  une  étendue  d'une  dizaine 
de  lieues ,  on  avance  au  milieu  d'un  ma- 
gnifique pays  :  du  haut  des  montagnes 
se  succèdent  des  vues  sur  la  Thessalie^ 
sur  les  plans  de  l'Otbrys ,  sur  le  Pélion 
avec  ses  villages  grecs ,  sur  TOlympe  qni 
confond  avec  les  dernières  lignes  au  ciel 
la  couronne  blanche  de  ses  sommets, 
Sciathos  et  les  lies  du  nord  de  la  Grèce, 
et  enfin  sur  la  vaste  étendue  de  la  mer; 
c'est  un  superbe  horizon  qui  se  déroule 
peu  à  peu,  depuis  l'OEta  jusqu'aux 
grandes  montagnes  de  TEubée  elle- 
même.  De  distance  en  distance,  des  vil- 
lages occupent  des  plateaux  sur  les  hau- 
teurs, les  creux  ombragés  des  vallons  :  le 
principal  est  Hagia-Anna.  A  peu  de 
distance,  ausud>est,  est  le  mtiPéléki, 

GBBiif  THE. — Près  deremoouchure  et 
sur  la  rive  droite  d'un  fleuve  s'avance , 
pressé  entre  la  mer  et  une  petite  plaine, 
un  rocher  allongé  et  de  médiocre  éten- 
due, qui  forme  un  plateau  détaché. 
Plusieurs  restes,  particulièrement  à 
l'extrémité  qui  est  tournée  vers  le  nord- 
ouest,  y  désignent  remplacement  d'une 
ville  ancienne.  Ces  restes  consistent  en 
quelques  assises  de  murs  d'une  cons- 
truction grossière.  Du  côté  de  la  mer, 
les  rochers  sont  assez  escarpés  pour 
se  passer  de  fortifications  artificielles. 
Il  est  facile  de  reoonnattre,  à  la  surface 
également  nivelée  et  à  l'apparence  de 
la  petite  plaine  qui  est  de  l'autre  côté 
de  l'acropole,  qu'elle  est  un  produit 
d'alluvions  :  les  terres  apportées  par 
le  fleuve  voisin  ont  pu  s'arrêter  et  s'ac- 
cumuler facilement  dans  ce  demi-cercle 
de  rochers  qui  l'entoure.  \ye%  degrés 
taillés  sur  la  pente  de  l'acropole,  à  1  en- 


408 


L'UNIVERS. 


trée  de  cette  plaine ,  semblent  annon- 
cer Texistence  d'un  ancien  port  à  cette 
même  place  :  ils  ne  sont  pas  circulai- 
rement  disposés  et  ne  peuvent  avoir  ap- 
partenu à  un  théâtre. 
Ce  peu  de  pierres  encore  debout  re* 

i)résente  toutes  les  ruines  du  nord  de 
'£ubée.  Aussi  était-il  important  de 
leur  donner  un  nom.  On  leur  a  conféré 
sans  contestation  celui  de.  Tantique  Ce- 
rînthe,  qui  fut  fondée  par  Tlonien  Go* 
thus ,  dés  le  temps  d'Érechthée ,  et  qui 
envoya  des  guerriers  au  sié^e  de  Troie. 
Plusieurs  motifs  viennent  a  l'appui  de 
cette  opinion  :  Tépithète  particulière 
qu'Homère  donne  à  Gérintne,  l^oXoç, 
(sur  la  mer),  et  encore  mieux  celle  qu'em- 
ploie Scymnus ,  hoikia  (  dans  la  mer  ) , 
sont  pleinement  justifiées  par  le  rocher  de 
l'acropole  en  question,  qui  formait  au- 
trefois une  presqu'île.  D  après  d^anciens 
témoignages  rapportés  par  Eustathe,  les 
ruines  de  Cérintne  étaient  baignées  par 
la  mer. 

Strabon  nomme  auprès  de  Gérinthe 
le  Boudoros  :  or,  le  fleuve  voisin  de 
l'acropole  étant  le  plus  considérable  de 
toute  l'Eubée,  mérite  assurément  l'un 
des  cinq  noms  cités  par  le  géographe. 
Depuis  Homère,  Gérintlie  ira  pas 
d^histoire  ;  elle  fut  sans  doute  de  bonne 
heure  détruite  et  abandonnée.  Quels 
que  fussent  ses  beautés  et  ses  avantages 
naturels,  le  rivage  oriental  de  Fîle  n'é- 
tait pas  destiné  à  voir  prospérer  ses 
habitants  :  c'est  du  continent  voisin  que 
J'Eubée  a  tiré  toute  son  existence. 

Le  Boudoros  est  formé ,  une  demi- 
lieue  avant  son  embouchure,  par  la  réu- 
nion des  deux  plus  grands  cours  d'eau 
Su'il  y  ait  dans  l'île  :  aussi  les  érudits 
u  pays  oiit-ils  songé  à  faire  de  ces 
fleuves  le  Kiréus  et  le  ^iléus,  nommés 
par  Strabon;  leur  rapprochement  ren- 
drait plus  frappant  le  contraste  des  deux 
propriétés  diiférentes  que  leur  attri- 
buait la  superstition.  Mais  cette  accu- 
mulation de  noms  antiques  n*est  qu'une 
hypothèse  gratuite. 

FBESQU'lLB  DB  LiTHABA.  —  La  pres- 

3u'!le  de  Lithada  est  une  exception 
ans  le  nord  de  l'Ëubée;  ses  montagnes 
nues  et  ses  rochers  arides  n'admettent 
pas  la  riche  et  puissante  végétation  du 
pays  voisin.  Elle  s^avance  en  pointe  jus- 
que dans  le  golfe  Maliaque ,  et  toudie 


presque  la  côte  de  Fascienne  Loeride 
Epicnémidienne.  La  baie  profonde  de 
Lipso,  en  creusant  son  rivage  méri- 
dional ,  forme  l'isthme  étroit  qui  Tunit 
au  continent. 

Gbnjeum.  —  Le  promontoire  qui  ter- 
mine cette  presqu'île  est  l'antique  Ce- 
naeum,  nom  qui  paraît  avoir  été  étenda 
à  la  presqu'île  elle-même.  Sur  ce  pro- 
montoire était  un  temple  de  Jupiter  Cé- 
néen,  où  sacrifiait  Hercule  lorsque  Dé- 
janire  lui  envoya  la  tunique  de  Nessas. 
A  peu  de  distance  paraissent  dans  la 
mer  de  petits  îlots  oe  rochers  :  ee  soot 
les  îles  Lichades  de  l'antiquité.  Du  haot 
des  montagnes  de  Lithada  on  Toit  près 
de  soi  les  sommets  de  l'OEta  et  la  seèoc 
delà  tragédie  des  Trachiniennes ;  on 
domine  en  même  temps  la  belle  vallée 
duSperchiusjusqu'aux  premièresebalnes 
du  Pinde. 

Il  semble  que  la  presqu'île  de  Lithada 
et  le  tour  de  la  baie  de  Lipso  aient  été 
les  points  occupés  d'abord  par  la  co- 
lonie ionienne  d'Ellops,  et  aient  formé 
la  partie  principale  de  ranctenne  Ello- 
pie.  Hérodote  raconte  que  les  soldats  de 
Xerxès,  après  avoir  quitté  Artemisiuiii 
et  pris  possession  d'Histiée,  vinrent  ra- 
vager les  bourgs  maritimes  de  l'Ellopie. 
Ges  bourgs  maritimes  ne  seraient-ils  pas 
ces  petites  villes  obscures  qui  peuplaieot 
les  rivages  voisins  du  Genaeum?  Les 
eaux  ellopiennes,  dont  parle  Pline, 
étaient  probablement  celles  d'Êdepse. 
l'unede  ces  villes,  et,  en  supposant  même 
qu'elles  aient  été  différentes ,  il  est  na- 
turel de  les  placer  dans  la  seule  partie 
du  nord  de  nie  où  l'on  trouve  des  sour- 
ces thermales. 

SouBGEs  d'Édepsb.  —  Ges  sourees 
sont  remarquables,  tant  par  leur  situation 
que  par  leur  nature.  A  l'entrée  orientalede 
la  baie  de  Lipso ,  au  bord  de  la  mer  et 
au  pied  de  montagnes  sauvages ,  on  les 
voit  sourdre  en  plusieurs  endroits.  Elles 
jaillissent  de  terre  verticalement  en  une 
multitude  de  petits  jets  qui  semblent 
poussés  par  des  chaudières  souterraines. 
Les  courants  qu'elles  forment  disp> 
raissent  bientôt  sous  un  sol  de  soufre 
qu'ils  exhaussent  tous  les  jours,  puis, 
après  un  court  trajet,  arrivés  à  une  eoce 
escarpée  ettailléaà  pic,  ilss'élanoent  par 
des  boudies  nombreuses,  et  tombent 
dans  la  mer  en  cascades  abondantesi 


ILE  D*£UBÉ£. 


40» 


iQ  milieu  d'un  nuage  de  fumée  blanche. 
>s  eaux  sont  très-chaudes,  et  passent 
K)ur  très^fficaces.  Une  masure  déla- 
)rée  sur  le  rivage  représente  un  éta- 
ilissement  de  bains ,  qui  attire  quelaue- 
bis  des  malades  grecs.  Cétaient  dans 
'antiquité  les  bains  d*Hercule.  Cest  pro- 
lablement  là,  plutdt  qu'à  Lélante,  que 
ijlla  vint  se  fiure  soigner. 

Ces  sources  ont  une  correspondance 
^dente  avec  celles  des  Thermopyles , 
itoées  à  peu  de  distancesur  le  continent. 
Itrabon  rapporte  les  effets  d'un  trem- 
tlement  de  terre,  à  la  suite  duquel  les 
ources  chaudes  d'Ëdepse  et  des  Ther- 
Dopyles  s'arrêtèrent  pendant  trois  jours. 
ia  même  temps  la  plus  grande  partie 
les  ties  Lichades  et  du  Geiosum  nirent 
ubmergées. 

La  ville  d'Ëdepse,  qui  devait  sa  célé- 
Hrité  à  ses  eaux  thermales ,  ne  pouvait 
las  être  éloignée  de  celles  qu'on  voit 
iQJourd'hui.  Le  gros  vilisj^e  de  Lk>so^ 
lont  le  nom  semble  dériver  d'Ëdepse 
AfôchH),  situé  à  une  lieue  de  là ,  n'est 
«ut-etre  pas  assez  rapproché.  Beau- 
oup  plus  près  des  sources,  une  ool- 
ine  par  sa  forme  et  sa  position  convien- 
Irait  à  une  acropole  aiitique.  Les  débris 
iQciens  ou'on  trouve  de  ce  cêté  se  bor- 
lent  à  ces  colonnes  de  marbre  dans 
ioe  ehapdle  ruinée,  au  bord  de  la  mer 
t  un  peu  au  nord  de  Lipso. 

Sur  une  hauteur  voisine  d'Ëdepse  de- 
vait être  la  ville  de  Dhtm,  nommée  par 
lomère  /VCou  alnh  moXCcOpov  ;  car ,  d'a- 
irès  te  témoignage  de  Pline,  une  source 

pétrifiait  la  terre  ;  et  auprès  était 
Uoènes  Diades,  fondation  athénienne. 
>ium  dut  avoir  une  certaine  impor- 
anoe,  puisqu'elle  envoya  son  contingent 
Troie.  De  ses  murs  était  sortie  une  co- 
onie  qui  s'établit  en  Éolide. 

La  ville  de  Périas,  nommée  par  Stra- 
on  en  même  temps  qu'Ëdepse,  était 
eut-être  dans  une  position  voisine. 

Depuis  la  baie  de  Lipso  jusqu'au  vil- 
age  de  Politika,  les  falaises  du  Kan- 
liii  et  de  la  montagne  qui  les  continue 
ers  le  nord  se  rapprochent  tellement 
iu  rivage,  que  la  route  n'est  pas  prati- 
able  au  bord  de  la  mer  pendant  plus 
ie  deux  ou  trois  lieues.  A  chacune  des 
leux  extrémités  de  cet  intervalle,  deux 
K>ints  présentent  une  certaine  étendue 
le  plaine ,  ou  des  pentes  plus  douces. 


Il  n'y  a  pas  à  hésiter  :  c'est  là  qu'il  faut 
marquer  les  deux  seuls  emplacements 
anciens  qui  nous  soient  désigna  sur 
cette  côte,  savoir  :  Orobise  et  iËgse. 

Obobije.  —  Le  plus  septentrional  est 
celui  é'Orobiœ,  occupé  aujourd'hui  par 
le  petit  village  de  Roviaes.  Outre  que 
la  ressemblance  des  noms  est  frappante, 
la  situation  est  d'ailleurs  indiquée  par 
un  fait  que  rapporte  Thucydide.  Pen- 
dant la  sixième  année  de  la  guerre  du 
Péloponnèse ,  un  tremblement  de  terre 
détruisit  à  la  fois  un  fort  bâti  dans  l'Ile 
d^Atalante  et  Orobis;  la  mer  envahit 
et  submergea  une  partie  de  la  ville.  Le 
village  actuel  de  Roviaes  est  précisément 
en  face  de  la  baie  d'Atalante.  A  Oro- 
bise ,  dit  Strabon ,  était  un  orade  très* 
véridique  d'Apollon  Séiinontien. 

Mqjr, — La  seconde  position  antique 
est  celle  d'^gas,  probablement  près  du 
lieu  occupé  par  le  villageactnel  de  Umni, 
et  comme  lui  au  bord  delà  mer,  d'après 
répithète  de  Stace,  «  humiles  iEgas  ». 
A  iEgae  d'Eubée,  comme  à  celle  d'Achaîe, 
il  y  avait  un  temple  de  Neptune  ;  il  était 
bâti  sur  la  montagne  voisine.  Strabon 
veut  qu'iEgée  d'Ëubée  soit  désignée  par 
Homère  dans  ses  vers  du  treizième  chant 
de  rUiade,  où  il  dit  que  «  Neptune  vint 
«  à  iKgée,  où  est  son  palais  magnifique 
«  au  fond  de  la  mer,  et  y  arrêta  ses 
«  coursiers». 
Limni  est  en  grande  partie  habitée 
ar  des  marins  et  par  des  pêcheurs; 
es  habitants  cultivent  aussi  des  vignes 
sur  les  coteaux  voisins,  et  font  du  char- 
bon. 

Tous  les  noms  anciens  que  l'on  ren- 
contre dans  l'Eubée  sont  sur  ses  ri- 
vages; malgré  son  étendue,  de  même 
Sue  les  petites  lies,  c'est  de  la  mer,  c'est 
e  l'extérieur  qu'elle  semblait  attendre 
ses  ressources  et  sa  vie.  N'étant  pas 
elle-même  un  centre,  elle  n'était  connue 
qu'autant  qu'elle  était  en  rapport  avec 
les  étrangers  ;  ce  qui  restait  dans  l'inté- 
rieur des  terres  y  était  enfoui.  C'est 
ainsi  que  l'on  .ignore  quels  ont  été  les 
habitants  de  cette  charmante  vallée 
ù^  Ackmtt-Âga  j  qui  se  cache  entre  la 
plus  haute  partie  de  la  chaîne  du  Kan- 
dili  et  les  dernières  ramifications  du 
Delphi.  Elle  est  pourtant  traversée  par 
la  route  qui  menait  directement  d'Oréos 
à  Chalcis. 


P 
le 


410 


L'UNIVERS. 


Cette  route  pendant  Foeeupation  des 
possesseurs  modernes  et  les  guerres 
qui  les  agitaient  avait  une  grande  im- 
portance; aussi  était-elle  sur  un  point 
remarquablement  fortifiée.  Pendant  une 
demi-heure  elle  est  étroitement  serrée 
entre  l'un  des  plus  magnifiques  ravins 
de  la  Grèce,  si  riche  en  beautés  de  ce 

genre,  et  les  rochers  escarpés  d'une 
aute  montasne.  Sur  le  sommet  pres- 
qae  inaccessinle  de  cette  montagne  s'é- 
lèvent les  ruines  d'une  grande  enceinte 
et  ses  tours  carrées.  Dans  l'intérieur, 
au  milieu  des  buissons  et  des  grands 
arbres  qui  ont  tout  envahi ,  on  distin- 

Sue  deux  citernes  et  quelques  débris 
e  maisons.  Du  côté  opposé  a  la  route , 
la  forteresse  est  protqo^ée  par  un  préci- 

Kice  sauvage.  Là ,  dans  cette  position 
ardie  jusqu'à  l'invraisemblance,  au 
milieu  de  cette  vaste  citadelle ,  un  sei> 
gneur  du  moyen  âge  pouvait  vivre  avec 
un  nombreux  entourage  de  chevaliers , 
en  sûreté  contre  toute  attaque,  ou  bien 

guetter  de  loin»ses  ennemis  et  descen- 
re  pour  leur  fermer  le  défilé.  On  se 
souvient  encore  dans  le  pays  d'avoir 
vu  au  point  le  plus  étroit  de  la  routé 
une  porte  pratiquée  entre  la  côte  à  pic 
de  la  montagne  et  un  rocher  escarpé 
qui  s'avance  au-dessus  du  ravin.  Telle 
est  la  force  naturelle  de  cette  position  « 
que  cette  porte  fermait  véritablement 
rentrée  de  tout  le  nord  de  l'Ëubée. 

TAOlSliME  PABTIB. 
SUD   DE  L'EUBÉE 

Cabystos.  —  Garystos  est  une  des 
plus  jolies  villes  delà  Grèce,  non  qu'elle 
soit  mieux  bâtie  ou  réponde  plus  qu'au- 
cune autre,  il  s'en  faut  de  beaucoup ,  à 
l'idée  qu'éveille  en  Europe  le  nom  de 
ville;  mais  les  conditions  particulières 
dans  lesquelles  elle  est  construite  lui 
donnent  un  aspect  singnlltoment  ori- 
ginal et  agréable.  Au  fond  de  la  baie 
circulaire  qui  lui  emprunte  son  nom , 
VHaçioi  JUoi,  l'Ocha  des  anciens, 
dresse  à  ^us  de  quatorze  cents  mètres 
son  pic  pnncipal,  laissant  tomber  brus- 
quement d'une  telle  hauteur  ses  pen« 
tes  abruptes  et  ravinées.  Un  mamelon 
escarpé,  de  forme  régulière  et  coni- 

300 ,  se  détache  en  avant  d'un  ravin  et 
omine  la  plaine,  qui  s'étend  pendant 


une  demi-lieue  environ  jusqu'au  rifMc 
C'est  là  bien  certainement  <}ue  s'estd^ 
vée  Tacropoie  de  la  ville  ancienne, quoi- 
que les  travaux  des  Francs,  des  YéoitieBS 
et  des  Turcs,  en  succédant  à  la  tra- 
dition antique ,  en  aient  &it  diqarahte 
toutes  les  traces.  Le  Castro  actuel  en- 
ferme dans  une  enceinte  triangulaire 
une  partie  de  la  pente  méridionale,  et 
la  coupe  par  les  lignes  superposées  de 
ses  murailles  et  de  ses  tours,  juaquu 
sommet,  qu'occupe  la  forteresse.  Uau 
l'intérieur  sont  un  grand  nombie  (k 
maisons  ;  la  pierre  dont  elles  sont  biti6 
a  conservé  du  sol  où  elle  a  été  amdM 
une  couleur  rougeâtre,  qui  de  toia 
donne  à  leur  ensemble  un  aspect  au- 
logue  à  celui  du  quartier  turc  de  Smynt, 
et  justifie  le  nom  vénitien  de  Casio- 
Rciso, 

La  ville .  à  proprement  parler,  n  ett 
pas  autre  chose  que  le  Castro  ;  il  y  a  me 
vingtaine  d'années  c'est  là  que  se  tm- 
valent  les  princinales  habitations  da 
Turcs,  mattres  du  pays.  Aujourdliui. 
au  contraire,  l'enceinte  fortifiée  ett 
presque  abandonnée,  et  la  plupart  dss 
maisons  y  sont  en  ruines.  Presque  toott 
la  population  habite  des  espèces  de  foa- 
bourgs  ou  machalas  *,  où  l'on  conçoit 
sans  peine  que  la  vie  leur  soit  |h« 
agréable.  Ces  faubourgs  longent  de 
chaque  côté  la  montagne,  dont  ils  suîTfiil 
les  mouvements,  s'amtant  surtout  àm 
les  ravins  où  coulent  des  sources  nom- 
breuses et  abondantes.  Ce  sont,  eo  alitft 
du  sud-est  au  nord-ouest,  Aétos,  Pi^ 
daki,  MUiy  Pcdxa  Khora  au-dessoos  dr 
l'Acropole,  MékoumidaaU'dttsiaB,^ 
dés,  KafyvkL^  Nikasi  et  Laia.  Le  pisi 
grand  des  oesquartiers  est  eeluide  Miii 
Il  occupe  le  ravin  principal  »  qu'on  r 
traverse  sur  un  pont  et  pierre  grand 
pour  la  Grèce,  et  commumque  plus  ^ 
cilement  que  les  autres  avec  la  dta- 
delle. 
Là  chaque  maison  a  son  jardin  et  se 

Êerd  au  milieu  de  la  verdure  et  des  l^ 
res  ;  il  y  a  deux  ans ,  avant  l'hiver  d^ 
sastreux  de  1850 ,  les  orangers  et  les  ci- 
tronniers y  étaient  magnifiques;  dans  b 
partie  la  plus  basse,  ou  les  eaux  des  di- 
verses sources  se  réunissent  daas  bb 

(f)  Dénomination  turque  encore  en  vsi^ 
à  Carysios  et  même  i  K.oumi. 


ILE  D'EtiBÉE. 


411 


eao  ravin*  au  milieu  des  accidents 
une  v^étation  Tariée,  de  superbes 
tôles  baignent  leur  pied  dans  Teau  du 
irrent. 

C'était  au  bord  de  la  mer ,  à  Fendroit 
%  est  le  port,  que  le  gouvernement  grec 
ml  voulu  élever  la  ville  officielle , 
largée  de  faire  revivre  la  ville  et  le  nom 
itiques;  un  des  officiers  d'état-major 
ivoVés  par  la  France  pour  faire  la  carte 
}  Grèce  fut  prié  d'eu  tracer  le  plan. 
lais  ce  projet  est  bien  loin  d*étre  exé- 
ité  ;  à  peine  commence-t-on  à  bâtir 
iielques  maisous.  On  comprend  que 
s  Carystiens  se  décident  difficilement 
échanger  pour  l'habitation  d'une 
âge  dé^uverte  et  brâlée  par  le  soleil 
séjour  frais  et  vert  de  leurs  jardins , 
il  ils  ont  d'ailleurs  tout  ce  qu'il  leur 
nt  pour  vivre  et  où  la  ville  existe  de 
it  pour  eux.  Le  port  est  médiocre  et 
lal  abrité  contre  le  vent  du  nord-ouest. 
La  plaine  de  Carystos ,  qui  s'étend  en 
hphithéâtre  du  cap  Paximadi  à  l'ouest 
I  cap  Mandélo  à  Test  est  bien  cultivée  ; 
le  est  formée  d'une  terre  riche,  et 
ios  être  d'une  très-grande  étendue, 
le  suffit  amplement  avec  les  jardins  aux 
esoins  des  habitants.  Elle  est  arrosée 
ir  deux  cours  d'eau  principaux  :  l'un, 
Mégab-Revmay  vient  de  l'ouest,  et 
(  jette  dans  la  mer  à  l'extrémité  de  la 
laine,  après  avoir  contourné  les  mon- 
pes  du  cap  ;  l'autre  est  le  résultat 
^  divers  torrents  qui  coulent  autour 
s  la  citadelle ,  et  il  a  son  embouchure 
fès  du  port.  Dans  le  territoire  où  la 
ille  antique  devait  trouver  le  plus  de 
issources,  il  faut  comprendre,  outre 
!tte  plaine,  une  belle.et  gracieuse  vallée, 
ni  n'en  est  séparée  que  par  un  petit  col 
t  la  continue  presque  en  montant  ver» 
'  nord-ouest.  Cinq  ou  six  jolis  villages, 
ont  le  plus  élevé  et  le  principal  est  Mé- 
<<ona^  la  dominent  sur  la  hauteur. 
Carjrstos  est  le  dief-lieu  d'une  des  trois 
^rcbiesdel'Eubée.  Des  divisions  admi- 
tttratives  y  rattachent  tout  le  pays  jus- 
Q'à  Koumi  d'un  côté  et  jusau'à  AUvéri 
e  I'autre,réparti  entre  cinq  dèmes ,  ceux 
^KyméeM,ûe&  Cotyléens,  des  Co- 
Strient ,  des  Sttfriens  et  des  Dystiens^ 
piquels  il  feut  ajouter  celui  des  Carys- 
|^A.f.  Cet  ensemble ,  beaucoup  plus  con- 
idérable  que  ne  l'ont  jamais  été  les  pos- 
ions de  la  viUe  antique ,  est  peuplé 


de  plus  de  22,000  habitants.  Dans  ce 
nombre  sont  comprises  quelques  familles 
turques,  qui  habitent  encore  la  citadelle. 
Les  anciens  propriétaires  ont  presque 
complètement  disparu  ;  ils  ont  dû  quitter 
leurs  délicieux  jardins,  où  la  vie  leur  était 
si  douce  :  peu  à  peu  Ils  ont  vendu  ce 
qu'ils  possédaient  dans  un  pays  où  ils  ne 
sont  plus  les  maîtres.  Toute  une  admi- 
nistration est  installée  à  Carystos.  L'ins- 
truction y  est  donnée  à  deux  degrés  par 
deux  maîtres  d'école. 

Dans  le  territoire  immédiat  de  la  ville, 
qui  forme  le  dème  des  Carystiens,  la 
dépopulation  est  peut-être  moins  sen- 
sible que  dans  le  reste  de  l'île.  Les  Alba- 
nais y  occupent  une  vingtaine  de  villages, 
dont  la  plupart  ne  se  composent  que  de 
quelques  maisons.'Le  plus  considérable 
est  Piatanistos ,  situé  dans  le  principal 
des  ravins  qui  se  dirigent  vers  l'est  entre 
le  cap  Mandéh  et  le  cap  Dor. 

Il  reste  quelques  débris  de  l'ancienne 
Carystos  dans  le  quartier  nommé  Paima' 
Khora,  Immédiatement  placé  au-dessous 
de  la  citadelle,  il  représente  parfaitement 
la  situation  ordinaire  des  villes  antiques 
par  rapport  à  leur  acropole;  ce  sont 
deux  culées  d'un  pont  autrefois  jeté  sur 
le  cours  d'eau  ^ui  arrose  ce  quartier , 
un  petit  autel  circulaire  trouvé  dans  un 
jardin ,  et  quelques  inscriptions ,  qui  sont 
enclavées  dans  des  murs.  On  voit  près 
du  port  quelques  fondations  de  cons- 
tructions anciennes;  sur  la  rive  du  petit 
fleuve  dont  l'embouchure  est  voisine, 
quelques  fragments  de  marbre  taillés  an- 
noncent l'emplacement  d'un  monument 
antique.  Parmi  d'autres  débris,  qu'on 
trouve  près  du  Mégalo-Revma,  la  figure 
du  serpent  consacré  à  Esculape  tracée 
sur  une  pierre  y  a  fait  supposer  l'exis- 
tence d'un  temple  de  ce  dieu. 

En  somme,  il  reste  bien  peu  de  chose 
de  l'antique  Carystos,  qui,  à  en  juger  par 
le  silence  des  écrivains  anciens,  n'a  ja- 
mais dâ  être  une  ville  remarquable.  Sa 
principale  illustration  dans  l'antiquité 
vient  de  ses  carrières  de  marbre.  Les 
colonnes  carystiennes  furent  en  grande 
estime  chez  les  Romains, et  souvent  cé- 
lébrées par  leurs  auteurs.  Pline ,  d'après 
Comelius-Nepos,  rapporte,  comme  un 
fait  qui  fit  scandale,  la  prodigalité  de 
Mamurra ,  contemporain  de  César  et  de 
Catulle,  qui  le  premier  fit  &ire  toutes 


412 


LUNIVERS. 


les  colonnes  de  sa  maison  toot  entières 
en  marbres  de  Luna  et  de  Garvstos.  Le 
marbre  carystien  est  un  cipoilin  vert, 
qui  semble  bien  inférieur  pour  la  qua- 
lité du  grain  ou  pour  la  beauté  de  la  cou- 
leur à  tant  d'autres  qui  ont  également 
orné  la  capitale  du  monde.  On  serait 
tenté  d'en  attribuer  uniquement  le  fré- 

fuent  usage  à  la  richesse  des  carrières , 
la  facilité  d'y  tailler  des  blocs  considé- 
rables d'un  seul  morceau,  et  à  Tavantage 
qu'offirait  pour  le  transport  la  proximité 
de  la  mer.  Mais  l'admiration  des  anciens 
n'est  pas  douteuse  ;  ils  étaient  frappés 
de  cette  disposition  des  veines  du  marbre, 
qui  leur  représentait  la  couleur  et  lés 
ondulations  des  flots. 

Il  est  facile  de  retrouver  aujourd'hui 
les  carrières.  Il  y  en  a  près  d'Âétos ,  où 
se  voient  d'énormes  colonnes  delà  déta- 
chées et  à  moitié  dégrossies  sur  place.  La 
montagne  renferme  d'autres  carrières, 
plus  considérables,  au-dessus  de  MiU; 
on  peut  y  voir  une  colonne  qui  ne  tient 
plus  au  rocher  que  par  un  point.  Le 
marbre  carystien  se  trouve  en  abondance 
dans  toute  la  partie  occidentale  de  la 
montagne,  entre  Caryste  etStoura,  et  les 
restes  d'exploitation  antique  y  sont  fré- 
quents. 

Carystos  était  célèbre  par  un  autre  pro- 
duit de  son  territoire,  l'amiante,  que 
Strabon  définit  avec  admiration  une 

Sierre  que  l'on  peut  carder  et  tisser,  et 
ont  on  fait  des  serviettes  qu'on  jette 
dans  le  feu  pour  les  nettover.  Avec  ce 
fait ,  Solin  rapporte  la  fable  d'oiseaux 
merveilleux  qui  volent  impunément  à 
travers  les  flammes;  cmrieux  excès  de 
l'Imagination  populaire,  une  fois  frao- 
pée  par  le  spectacle  de  l'impuissance  ae 
la  plus  temble  force  de  la  nature.  On 
trouve  encore  aujourd'hui  de  l'amiante 
sur  une  petite  colline  près  de  Mélissona, 
et  surtout  dans  les  environs  de  Stoura  : 
il  y  vient  sous  forme  d'eCQorescence,  à  la 
surface  du  sol ,  sur  la  hauteur  et  même 
au  bord  de  la  mer ,  circonstance  rare 
aux  yeux  des  géologues.  Il  n'y  a  plus  de 
traces  d'une  exploitation  tentée  au  der- 
nier siècle. 

Théophraste  et  après  lui  Pline  vantent 
une  espèce  de  froment  carystien,  que  le 
dernier  appelle  bimestre.  11  poussait 
avec  une  raïudité  merveilleuse,  était 
mûr  quarante  jours  après  avoir  été  semé, 


OcbiJ 


et  donnait  un  grain  plus  lourd  et  phi! 
ferme  que  celui  du  blé  ordinaire.  Il  n'a 
est  plus  question  aujourd'hui.  1 

A  toutes  ces  richesses  perdues  on  \à\ 
gligées,  qui  faisaient  l'orgueil  de  k«s 
ancêtres,  les  Carystiens  actuels  n*flÉ 
opposent  qu'une,  et  encore  n'est-dk 
l'oDJet  que  d'un  commerce  bien  restreai 
et  n'a-t-elle  pas  étendu  sa  célébrité  ai 
delà  de  l'Orient  :  c'est  leur  miel  de  rost 
Près  du  petit  village  de  KaUantm,  d» 
un  des  ravins  septentrionaux  de  IT 
les  abeilles  le  composent  avec  une  pi 

Srécieuse  des  montagnes  qull  n'est 
onné  à  tous  les  printemps  de  prodi 
avec  un  égal  bonheur.  Sous  la  d< 
tion  turque,  ce  miel  parfumé  parta^a 
avec  le  mastic  de  Chio  rbonneur  d\ 
réservé  pour  le  harem  du  sultan, 
jourd'hui  que  toute  exclusion  jal< 
a  cessé,  il  est  difficile  de  se  le  pi 
pur. 

HlSTOIBB  DB  CabYSTOS.  —  Oo 

déjà  que  Carystos  fut  fondée  par 
Dryopes,  auxquels  se  mêlèrent  plus 
des  Ioniens ,  et  qu'une  tradition  ai 
l'origine  de  son  nom  à  un  fils  de 
La  table  lui  donne  pour  premier 
Briarée,  et  une  légende,  aeœptée 
l'antiquité,  y  fait  r^er  au  temps 
guerre  de  Troie  Nauplius ,  père  de 
lamède  :  au  moins  possédait-il  à  peu  4 
distance  le  cap  Capnarée.  Elle  est  nod 
mée  dans  le  dénombrement  de  riUadfl 

Son  histoire  est  inconnue  avant  \à 
guerres  médiques.  Dès  le  oommeDccfad 
de  la  lutte ,  sa  position ,  ^ui  rassimildl 
aux  CjTclades  et  la  plaçait  sur  la  rca 
des  vaisseaux  perses,  f'exposa  à  1^ 
premières  attaques.  Assiégée  et  prise  pal 
Datis  et  par  Artapheme»  il  lui  fallct, 
comme  à  la  plupart  des  lies ,  suivre  daa 
la  seconde  guerre  Xerxès  à  Salanucft 
Après  avoir  d'abord  souffert  de  roec» 
pation  des  barbares ,  elle  fut  ensuite  ne 
time  de  la  fourberie  de  Thémisiode,  qd 
lui  venditchèrement  des  promesses  mn* 
teuses  de  sécurité,  et  de  la  vengeanei 
des  Grecs,  qui  vinrent  ravager  son  tem 
toire, 

Hérodote  parle  d'une  suene  qii*ffii 
soutint  seule  contre  les  Atmkùens  après 
le  combat  de  Mycale  :  c*est  sans  doou 
celle  que  mentionne  Thucydide,  au  id» 
ment  des  expéditions  de  Cimoo  et  de  i  V 
crolssement  de  la  puissance  d'Athènes. 


de 


ILE  D'EUBEE. 


41S 


dit  qo*d1e  se  termina,  avec  le  temps, 
r  on  accord.  Ce  fait  prouve  qu*à  cette 
oque  Carvstos  avait  une  existence  in- 
|)eDdaDte  au  reste  de  TEubèe,  et  qu'elle 
lit  parvenue  à  un  certain  degré  de 
osperité.  Hais  bientôt ,  comme  toute 
le,  elle  fat  rangée  sous  la  domination 
iiénieane.  Elle  ne  joua  aucun  rôle 
rticuUer  pendant  toute  la  période  de 
guerre  du  Péloponnèse.  On  voit  les 
rystiens,  dans  la  septième  année, 
ivre  les  Athéniens  dans  une  expédi* 

0  sur  le  territoire  de  Corinthe  et  par* 
^r  la  victoire  deNicias.  Ils  fournirent 
ir  contingent  forcé  à  l'expédition  de 
!iie.  Dans  la  vingt  et  unième  année 
iiènes  avait  assez  de  confiance  en  eux, 

assez  besoin  de  troupes  étrangères, 
or  garder  dans  ses  murs ,  parmi  ses 
Tenseurs ,  trois  cents  de  leurs  citoyens 
nés,  qui  se  mêlaient  assez  intime- 
tatà  ses  dissensions  pour  entrer  dans 
complot  des  Quatre  Cents  contre  le 
lat.  On  ne  voit  pas  cependant  que  les 
rystiens  aient  fait  exce|)tion  au  mou- 
ment  de  toute  File,  qui  fit  défection 
a  de  temps  après.  Dans  les  pério^ 
s  suivantes  ils  partagèrent  le  sort  de 
lobée  en  général,  et  passèrent  avec  elle 
os  la  domination  macédonienne.  Pen- 
Dt  la  première  guerre  de  Macédoine, 
ir  territoire  fut  ravagé ,  puis  leur  ville 
ise  sans  résistance  par  une  flotte  des 
)iDains.  Enfin,  après  avoir  eu  leur 
rt  de  la  liberté  illusoire  proclamée  par 
iffiininus  aux  jeux  istnmiaues,  ils 
èrent  définitivement  se  pérore  parmi 

1  nombreux  sujets  de  Rome.  Sous  Au- 
ste,  Carystos  était  devenue ,  ^âce  à 
chute  d'Érétrie,  la  seconde  ville  de 
epar  son  importance  et  par  sa  richesse. 
Un  médecin,  Diodes,  qui  vécut 
siècle  après  Hippocrate  et  le  suivit 

médiatement  dans  l'estime  des  an- 
!&8  ;  Antigone,  contemporain  de  Pto- 
Bée  Philadeiphe,  qui  composa  des  vies 
loromes  célèbres  et  sous  le  nom  du- 
el nous  avons  un  recueil  d^histoires 
Veilleuses  (  ^oropCcov  ^ncpoSd^cov  ouvo- 
Ipi);  voilà  les  seuls  noms  de  Garys- 
Bs  qui  soient  parvenus  jusqu'à  nous« 
orne  rien  oublier ,  ajoutons  un  athlète 
^bre,  Giaucus,  descendant  du  dieu 
irin  dont  il  portait  le  nom ,  dit  Pau- 
lias.  On  sait  quelle  gloire  attachaient 
i  villes  anciennes  à  une  victoire  rem- 


portée aux  jeux  solennels  de  la  Grèce. 
La  statue  de  Giaucus  figurait  dans  1*  Altis 
à  Olympie.  C'était  un  monument  de  son 
premier  triomphe,  sur  lequel  une  légende 
a  été  conservée.  Il  avait  commencé  par^ 
travailler  à  la  terre.  Son  père ,  Démilus, 
le  voyant  un  jour  se  servir  de  sa  main 
comme  d'un  marteau  pour;raju8terlesoc 
de  sa  charrue,  admira  cette  preuve  de 
force,  et  eut  l'idée  de  le  conduire  à  Olym- 
pie  pour  y  disputer  le  prix  du  pugilat.  Au 
commencement,  Giaucus,  inexpérimenté 
dans  l'art  de  combattre,  avait  le  désa- 
vantage; mais  il  entendit  retentir  à  ses 
oreilles  cet  encouragement  paternel  : 
«iJEn&nt,  frappe  comme  sur  la  char- 
•  rue;  »  et  Giaucus  frappa  si  fort  que  sa 
victoire  fat  immédiatement  décidée.  Une 
fois  entré  dans  la  carrière  d'athlète,  il 
poussa  plus  loin  qu'aucun  de  ses  con- 
temporains la  science  de  l'art  où  il  avait 
d*abord  vaincu  sans  étude. 

L'OcHÀ  ET  SES  RUINES.  —  Le  nom 
ancien  de  VHagioS'Itias ,  Ocha ,  se  ren- 
contre chez  presque  tous  les  auteurs  qui 
ont  £adt  de  l'Eubéeune  description  géné- 
rale ou  même  partielle.  Etienne  de  By- 
zanoe  lui  attribue  les  origines  les  plus 
diverses  et  les  plus  bizarres.  Il  le  iait 
venir  ou  bien  de  l'union  de  Jupiter  et  de 
Junon  (ôxela),  dont  cette  montagne  a 
été  témoin,  ou  bien  de  la  vertu  fécon- 
dante qu'y  éprouvaient  les  brebis  (^X8u6- 
PLsva),  ou  bien  enfin  d'un  aliment  appelé 
ox>i  par  les  Acbéens.  Eustathe  donne 
une  autre  étymologie,  tirée  du  sens  de 
l'adverbe  ^va,  synonyme  d'l(6xu>ç,  qui 
exprime  l'idée  de  supériorité ,  la  mon- 
tage de  rOcha,  d  après  une  fausse 
opmion  des  anciens ,  s'elevant  au-dessus 
de  toute  l'Ile. 

L'Ocha  renferme  les  ruines  les  plus 
curieuses  qu'il  y  ait  en  Eubée  ;  la  prin- 
cipale, un  temple,  mérite  même  une 
Ï^lace  particulière  parmi  les  restes  de 
'antiquité  grecque.  Sur  le  plus  haut  et 
le  plus  méridional  des  deux  sommets 
de  la  montagne,  qui  est  en  même  temps 
le  plus  voisin  de  Carystos ,  une  petite 
plate-forme  s'est  naturellement  formée 
entre  deux  masses  de  rochers  qui  la  pro- 
tègent au  nord-est  et  au  sud-ouest.  Elles 
lui  laissent  ainsi  la  vue,  d'un  côté ,  sur 
les  Cyclades,  de  l'autre,  sur  une  autre 
partie  de  la  mer  Egée  et  sur  toute  la 
suite  des  rivages  et  des  montagnes  de 


414 


L'UNIVERS. 


PËubée  jusqu'à  la  chaîne  du  Delphi, 
dont  le  pic  se  dresse  en  face.  Cette  belle 
position  a  été  choisie  par  les  antiques  et 
obscurs  constructeurs  du  temple.  Je 
^▼ais  essayer  de  donner  une  idée  de  leur 
œuvre ,  nien  que  privé  du  secours  indis* 
pensable  des  connaissances  spéciales. 

C'est  un  édifice  carré,  ayant  en  lon- 
gueur une  quarantaine  de  pieds  et  en- 
viron la  moitié  en  largeur.  Les  murs, 
qui  paraissent  avoir  conservé  leur  hau- 
teur  primitive,  ont  à  peu  près  neuf  pieds. 
H  est  orienté  de  manière  à  oe  que  les 
deux  façades  longues  r^ardent  le  sud 
et  le  nord. 

Les  parties  vraiment  remarquables 
de  cette  construction  sont  la  porte  et 
la  toiture.  La  porte  est  au  milieu  de  la 
longue  façade  qui  est  tournée  vers  le 
micli  ;  elle  a  vue  par  conséquent  sur  les 
Cyclades,  dont  les  plus  méridionales 
sont  dans  son  axe.  Deux  grandes  pierres, 
minces  et  larges  se  dressent  de  chaaue 
côté  et  servent  de  chambranles;  elles 
supportent  un  linteau  en  deux  morceaux 
dont  rélévation  au-dessus  du  sol  est  de 
six  pieds  au  plus  :  la  largeur  moyenne 
de  la  porte ,  qui  est  plus  étroite  en  haut 

2 n'en  bas ,  peut  être  de  trois  pieds  et 
emi.  Toutes  ces  parties  sont  régulière- 
ment taillées;  on  distingue  même  une 
petite  moulure  sur  le  côté  externe  de 
répaisseur  des  diambranles. 

Le  linteau  est  surmonté  d'une  énorme 
pierre  disposée  en  pente,  de  manière 
a  s'avancer  un  peu  en  saillie  au-dessus 
de  la  porte  du  coté  extérieur,  et  à  s'éle- 
ver de  là  dans  la  direction  générale  du 
toit.  Du  côté  intérieur  de  rédifice  elle 
est  soutenue  par  deux  pierres  placées 
elles-mêmes  sur  les  extrémités  du  lin- 
teau, au-dessus  duquel  elles  laissent 
maintenant  un  vide.  Mais  pour  com- 
prendre cette  disposition ,  et  pour  en 
saisir  l'effet,  il  faut  d'abord  connaître 
l'arrangement  de  la  toiture. 

Le  toit  est  formé  de  grandes  plaques 
de  rocher,  qui,  s'appuyant  sur  chacun 
des  quatre  murs,  se  superposent  et  mon- 
tent en  pente  douce.  Cette  pente  est 
déterminée  par  deux  lignes  de  pierres 
qui  s'étegent  elles-mêmes  entre  les 
murs  et  le  premier  rang  de  tuiles,  et  ne 
sont  visibles  que  de  l'intérieur  du  tem- 
ple. l<es  tuiles  qui  partent  des  angles 
des  murs  prennent  une  forme  et  une  di* 


reetion  concentriques,  et  ainsi  tooM 
tendent  à  se  réunir  à  une  arête  e» 
traie,  comme  dans  les  toite  ordinaire 
de  nos  maisons  actuelles.  Seulement 
trois  éteges  de  ces  immenses  tuiles  w 
dû  suffire  pour  atteindre  le  sommet  di 
toit ,  et  l'on  en  compte  au  plus  uoe  m 
zaine  de  rangs  juxtaposés  sur  un  gna 
côté.  Quelaues-unes  semblent  uniqo» 
ment  placées  dans  un  but  d'équilibn 
pour  peser  sur  les  pointe  de  jonctitM 
des  différente  étages,  ce  qui  parait  ia 
diquer  dans  la  toiture  une  double  épais 
seur. 

La  grande  pierre  qui  est  au-desn 
du  linteau  de  la  porte  s'avance  à  dl 
seule  plus  loin  que  les  deux  étages  à 
tuiles  qui  restent  seuls  de  œ  côté. 

Dans  Tintérieur  du  tennple ,  les  oii 
tériaux  des  murs  sont  beaucoup  pli 
petite  qu'à  l'extérieur.  Le  plafond  m 
lormé  des  tuiles  mêmes  de  la  toitim 
auxquelles  il  faut  ajouter  les  deux  éts 
ges  de  pierres  qui  les  soutiennent  ii 
térieurement  au-dessus  des  murs 
déterminent  la  pente  du  toit.  Ges}? 
eit  simple,  et  l'on  en  conopraid'  k 
sultat  :  le  plafond  n'est  autre 
que  ia  sailliede  plusieurs  lignes  de  pienj 
superposées.  A  mesure  qu'il  s'élève  .J 
saillie  augmente  et  Tépaisseurdes  pierd 
diminue;  la  construction  et  l'efiét  y  ■ 
gnent  en  légèreté;  ainsi  si'atténue  '4 
contraste  peu  naturel,  produit  par  h 
titesse  des  matériaux  intérieurs 
murs  et  par  les  dimensions  écrasai 
des  pierres  du  plafond. 

Ce  temple  est  une  œuvre  primitive  j 
grossière;  malheureusement,  à  den 
de  la  valeur  (|u'il  n'a  pas  par  lai-mèm^ 
on  ne  peut  lui  accorder  une  place  imps 
tante  dans  l'histoire  de  larL  On  s 
reconnaît  le  commencement  d^auod 
de  ces  traditions  qui,  dans  un  eerciei 
apparence  borné,  ont  produit  les  pi 
beaux  chefs-d'œuvre  derarchitectorv^ij 
tique.  Cest  simplement  un  exemple^ 
construction  laissé  par  un  âge  trd 
reculé  :  à  ce  point  que ,  pour  ne  pi 
admettre  une  petite  exception  à  cet  «i 
chatnement,  si  remarquable  et  si  a 
tureliement  logique ,  que  présente  i 
Grèce  le  développement  des  arts.^ 
pourrait  songer  a  se  demander  s^il  s*u 
ici  d'un  temple  ;  mais  le  doute  n*est  p^ 
possible.  QueL  autre  but  qu'un  but  i^ 


a 


ILE  D^EUBÉE. 


415 


igieas  aarait  fait  construire  un  mo- 
oment  sur  cet  emplaeetnent  inhabi- 
ibie?  On  sait  d^ailleurs  que  le  culte 
es  divinités  grecques  a  consacré  sou* 
ent  des  sommets  beauooun  plus  éle- 
és  encore  que  celui  de  l'Ocha,  ceux 
u  Taygète  et  de  FOlympe,  par  exemple. 
De  plus,  quelque  Mrbare  que  soit 
édifice  en  question,  on  doit  y  constater 
ertains  efforts  pour  atteindre  à  une 
erfection  relative,  et  pour  en  feire  une 
laison  digne  d'un  dieu.  Ce  fait  ressort 
'une  comparaison  de  ce  temple  avec  les 
airesruines  de  l'Ocha,  et  d'où  il  résulte 
ne  le  temple  a  peut-être  été  le  chef- 
'œuvre,  bien  roodesteil  est  vrai,  d'un  art 
estiné  à  disparaître  sans  bruit ,  comme 
I  race  elle-même  qui  l'avait  créé. 
En  effet,  à  quelques  lieues  de  là,  der- 
ière  Stoura ,  dans  un  coin  de  la  rami- 
cation  de  l'Ocha,  qui  remonte  vers  le 
ord,  se  cache  une  ruine  que  tout  le  pays 
mnatt  sous  le  nom  de  la  maison  au 
^agoHy  parce  qu'on  la  rejgarde  comme 
(  séjour  de  ffénies  malfaisants.  Aussi, 
KO  peu  d'haibltants  consentent  à  y  con- 
luire  les  voyageurs. 

U  maison  du  dragon  est  un  en- 
nnbie  de  trois  monuments  adossés  à 
I  montagne  et  symétriquement  dis« 
osés  :  deux  s'avancent  parallèlement  et 
tissent  entre  eux  un  mtervalle  égal  à 
t  largeur  du  troisième,  qui  est  placé 
B  arrière  et,  par  suite  de  la  pente  du 
nain ,  un  peu  au-dessus.  Les  deux  pre- 
iKrs  sont  les  copies  réduites  et  gros- 
ires  du  temple  de  l'Ocha.  Cest  exao- 
neot  le  même  système  de  constrution, 
tais  avec  des  matériaux  beaucoup  plus 
^ts,  plus  mal  joints  et  plus  mal  tail- 
t,  quand  ils  le  sont.  Comme  pour 
■npjéter  la  ressenïblanoe  et  pour  mar- 
ier jusqu'à  quel  point  il  était  donné  à 
^'  architecture  barbare  de  résister 
Fiction  du  temps,  l'état  de  conserva- 
^  des  toitures  est  aussi  le  même  : 
jtont  les  pierres  du  sommet  qui  ont 
^,  sans  cependant  qu'il  en  résulte 
large  ouverture.  Les  portes,  percées 
milieu  de  deux  des  longs  cotés,  se 
'^  face  et  ouvrent  par  conséquent  sur 
^ace  vide  qui  sépare  les  dfeux  mo- 
ments. La  porte  du  troisième  y  donne 

idernier  estune  petite  rotonde,  cons- 
Ke,  malgré  cette  différence  de  forme, 


d'après  les  mêmes  principes.  Les  tuiles 
de  la  toiture ,  disposées  en  rayons  et 
plus  larges  à  la  base  qu'au  sommet , 
montent  vers  on  centre  commun  que 
devait  remplir  une  pierre  de  forme  cir- 
culaire ;  elle  manque  seule  aulourd'hui. 
On  conçoit  quelle  doit  être  l'espèce  de 
coupole  qui  résulte  de  cette  disposition , 
et  quel  en  est  l'effet  intérieur.  Comme 
les  plafonds  des  monuments  carrés, 
elle  est  formée  de  rangs  de  pierres  su- 
perposées ,  dont  chacun  suit  une  pente 
douce ,  dont  la  saillie  augmente  et  dont 
l'épaisseur  diminue  à  mesure  qu'ils  ap- 
prochent du  sommet.  Cette  construction 
présente  une  analogie  sensible  avec  celle 
du  Trésor  d'Atrée  à  M^^cènes. 

Qu'était-ce  que  ces  trois  monuments? 
Faut-il  voir  dans  le  principal  un  trésor, 
et  dans  les  deux  constructions  acces- 
soires les  demeures  des  familles  pri- 
vilégiées de  ses  gardiens.  Ou  bien  fera- 
t-on  de  leur  ensemble  le  palais  d'un  an- 
cien roi,  composé  des  parties  destinées 
à  l'habitation  et  d'une  salle  solennelle 
de  conseil  ou  d'apparat  :  merveille  d'in- 
dustrie admirée  de  la  peuplade  barbare 
campée  à  l'entour  ?  Ou  bien,  sans  cher- 
cher si  loin,  se  tirera-t-on  d'affaire  par  le 
mot  de  temple,  si  oommode  pour  dési- 
gner les  restes  inexpliqués  de  l'antiquité 
ffrecque?  Toutes  ces  hypothèses  sont 
paiement  bonnes  ou  plutôt  également 
mauvaises ,  parce  qu'à  toutes  les  bases 
manquent  également.  Ruines  sans  nom, 
témoignages  mystérieux  de  l'existence 
ignorée  d^n  peuple  obscur ,  ces  hum- 
bles monuments  ont  seulement  le  mé- 
rite de  constater  les  efforts  et  les  progrès 
des  hommes  qui  ont  construit  le  tem- 
ple de  l'Ocha,  et  de  confirmer  la  haute 
antiquité  de  cet  édifice. 

A  côté  du  temple  de  TOcha  est  une 

Ïietite  chapelle  consacrée  à  saint  Élie , 
e  patron  des  pics  les  plus  élevés  de  la 
Grèce  et  le  successeur  ordinaire  d'A- 
pollon, divinité  particulièrement  ho- 
norée des  Eubéens.  Cest  à  ce  Dieu  par 
conséquent  que  le  temple  a  pu  être  dé- 
dié. Tr^-grossièrement  construite  avec 
des  éclats  de  roches ,  la  chapelle  n'en 
est  pas  moins  le  but  d'un  pèlerinage 
annuel,  dernier  reste  peut-être  d'une 
tradition  antique,  qu'accomplissent  tous 
les  habitants  de  Carystos  et  des  villages 
environnants,  le  jour  de  la  fête  du  saint. 


416 


LUMIYERS* 


C'est  pour  eux  une  oartie  de  plaisir 
autant  qu'un  acte  de  aévotion  ;  en  des- 
cendant de  la  chapelle,  les  j^roupes  s'ar- 
rêtent dans  un  grand  bois  de  châtai- 
gniers qui  s'étend  sur  une  des  pentes 
occidentales. 

L'Ocha,  lorsqu'on  a  passé  cette  partie 
âpre  et  nue  qui  domine  Carystos,  offre 
aux  yeux  une  nature  toute  'différente  * 
et  découvre  des  richesses  de  végétation 
et  une  variété  d'effets  que  le  premier 
aspect  ne  faisait  pas  soupçonner.  Un 
des  effets  les  plus  beaux  est  celui  que 
présente  un  petit  vallon  situé  à  une 
grande  hauteur,  à  l'est  et  au  bas  du  pic 
principal.  Les  rochers  gris  de  ce  som- 
met au-dessus  de  toute  la  scène,  au  milieu 
quelques  énormes  troncs  de  châtai- 
gniers brûlés  au  temps  de  la  guerre  de 
rindépendance,  et  sur  plusieurs  des 
pentes  environnantes  de  grands  chênes 
verts  qui  se  détachent  en  noir  sur  un 
sol  blanchâtre,  suffisent,  avec  certaines 
conditions  de  lignes  et  de  couleurs  qu'au- 
cune plume  ne  pourrait  rendre ,  pour 
donner  à  l'ensemble  de  ce  petit  désert 
un  charme  singulier  et  un  air  de  gran- 
deur. Le  caractère  général  de  la  mon- 
tagne est  sévère.  Presque  toujours  les 
arêtes  hardies  de  ses  flancs  conser- 
vent une  nudité  imposante;  mais  les 
profonds  ravins  qui  la  sillonnent  ren- 
ferment le  plus  souvent  de  gracieux  dé- 
tails que  la  nature  ne  se  lasse  pas  de 
varier  avec  une  fécondité  inépuisable  :  des 
cascades  ombragées  de  grands  platanes, 
des  torrents  dont  les  détours  disparais- 
sent au  milieu  de  la  jolie  végétation  des 
chênes  verts  et  des  arbousiers ,  et  d'har- 
monieux mélange  de  verdure  qui  mon- 
tent sur  les  pentes ,  autour  des  petites 
maisons  éparses  dont  se  composent  les 
rares  villages  de  l'Ocha. 

Lbs  caps  Gébbstb  et  Gaphabéb. 
—  Dans  toute  cette  partie ,  les  souvenirs 
antiques  n'illustrent  que  les  deux  caps 

2ui  fa  terminent  au  sud  et  au  nord ,  le 
reraestos  et  le  Capharée ,  maintenant 
Mandela  et  Capo-Doro,  Leur  position 
est  bien  nettement  indiquée  par  les  au- 
teurs anciens. 

Le  nom  deGeraestos  s'appliquait  aussi 
à  un  petit  port  bien  abrité  par  le  cap  et 

{»ar  les  montagnes  voisines.  U  était  cé- 
èbre  dans  l'antiquité,  malgré  le  voi- 
sinage de  celui  de  Carystos,  soit  parce 


que  le  mouillage  y  était  plus  aâr ,  toit 
parce  qu'il  se  trouvait  pins  direetenent 
sur  la  route  de  la  Troade  et  de  B^rzanee, 
pour  les  navigateurs,  qui  venaient  de 
t'Attique  ou  du  Pélopoouèse.  Gersitos 
reçut  Nestor,  Diomede  et  Ménélas  an 
retour  de  Troie.  C'est  dans  ce  raênieport 

âu'AgésUas  rassembla  ses  troupes  avast 
e  partir  pour  son  expédition  d'Asie.  Les 
avantages  de  sa  situation  pour  ie  com- 
merce et  pour  les  opérations  militaires 
sont  prouvés  par  plusieurs  textes.  Auprèi 
de  Gersestos  était  un  temple  de  NeptuiK, 
d'une  grande  célébrité.  Son  iroportanee 
est  attestée  par  Strabon. 

Là  aussi  avait  été  enseveli  PAtiiéoia 
Hermolycus ,  qui  de  tous  les  Gms 
s'était  le  plus  distingué  au  combat  d« 
Mycale.  U  avait  été  tué  dans  une  guirre 
entre  les  Athéniens  et  les  Carystiens. 
Du  tombeau  d'Hermolycus ,  pas  piui 
que  du  temple,  on  ne  trouve  aujourd  bui 
de  traces  reconnaissables.  Le  port  s*ap- 
pelle  le  port  Castri^  nom  venu  sau 
doute  de  quelques  misérables  fortifi- 
cations vénitiennes  ou  turques,  dont  on 
voit  les  ruines  stir  un  petit  promonloln 
qui.  le  ferme  au  nord. 

Etienne  de  Byzance  fait  de  Geraestes 
le  nom  d'un  fils  de  Jupiter  ;  il  donne 
aussi  l'origine  du  nom  de  Caphar». 
mais  d'une  manière  bizarre,  si  foo 
songe  aux  souvenirs  éveillés  par  le  lien 
auquel  il  s'appliquait.  Ka^r^psuc  viendrait 
de  kaOxjpevK ,  nom  primitif  d*nne  radr 
(l7c(v£iov)  «  où  les  Eubéens  faisaient  pu- 
rifier les  naviffateurs  ».  S'agissait-il  de 
cérémonies  religieuses  ou  d  uœ  espèce 
de  quarantaine? 

On  connaît  la  vengeance  deNaaplius. 
le  naufrage  de  la  flotte  grecque  et  la 
mort  dramatique  du  fils  d'Oîlée.  A  partir 
de  ce  moment  les  écueils  de  Capoaitr 
ont  eu  leur  réputation  bien  établie  obet 
les  poètes  et  même  chez  les  historieu. 
Ces  traditions  semblent  s'être  const^ 
vées  dans  le  nom  expressif  de  hui^ 
fago^  qui  a  précédé  le  nom  acM. 
Les  habitants  assurent  qu'un  courant 
se  dirige  des  Dardanelles  sur  le  eap 
Dor;  ils  s'appuient  sur  ce  fût,  qu*i|» 
trouvent  assez  fréquemment  sur  le  ri- 
vage des  débris  de  naufrages  loistaios. 
Ce  phénomène  avait  aidé  les  projet^ 
de  Nauplius  ;  il  a  pu  en  nr^arer  re.\f> 
cution  a  son  aise^  car  du  haut  de  b 


ILE  D'EtJBÉE. 


411 


noDtagiM  gui  domine  le  ap ,  on  rai 
08(]ii'8iix  Iles  de  Ptara  et  de  Chio 
i  jusqu'à  la  oAte  d'Anatolie.  Dans  un 
"ayon  moins  étendu,  on  est  frappé  du 
urieux  effet  produit  par  la  suite  des 
ivages  escarpés  de  Tlle,  dont  les  lignes  t 
iiTersement  coupées,  tombent  à  pic  dans 
a  mer,  les  unes  derrière  les  autres,  de- 
rais  le  pied  même  du  cap  jusqu*à  la 
K)iote  de  Koomi,  en  face  de  n\e  de  Scy- 
os.  A  peu  de  distance,  au  delà  d*une 
laie,  s'élève,  sur  le  petit  promontoire  de 
^fùiagra,  une  fortification  importante 
Toù  Venise  surveillait  autretois  les 
oers  qui  lui  appartenaient.  On  dit  qu'au* 
irès  sont  des  mines  de  cuivre,  ou  Ton 
eeonnatt  des  traces  d'exploitation  an* 
ique.  Le  Capharée  est  aujourd'hui  oc- 
«pé  par  deux  petits  villages;  on  y  cul- 
ive  un  tabac  estimé  en  Grèce. 

Ruines  situées  entre  les  caps 
ÎBR^ESTOS  ST  Capharée.  —  Entre  ces 
leux  caps,  dont  aucune  ruine  ne  rap- 
lelle  aujourd'hui  les  noms  anciens, 
leux  Tavins  renferment  des  restes  an* 
iques,  qui  en  échange  ne  se  rattachent 
I  aucun  souvenir  :  ce  sont  les  ravins 
le  PlatanistoM  et  de  Kapsouli.  Le  pre* 
Dier  est  le  principal  et  le  plus  beau  de 
oute  la  montagne ,  de  même  que  Pla* 
aoistos  en  est  le  village  le  plus  impor- 
ant.  A  quelques  minutes  de  ce  village , 
ior  le  nva^e  gauche  du  torrent,  se 
rouve  la  ruine,  appuyée  contre  la  pente 
le  la  montagne. 

Cest  un  grand  soubassement  destiné 
I  supporter  une  plate-forme  parallèle- 
^mme,  et  se  dirigeant,  dans  le  sens 
le  sa  plus  grande  lon^ur,  de  l'ouest 
i  Test.  A  cause  de  la  disposition  du  ter- 
aio,  il  n'a  jamais  eu  que  trois  faces , 
loDt  deux  sont  vite  arrêtées  dans  leur 
léveloppement  par  le  mouvement  du 
iol.  La  face  méndionale,  la  plus  consi- 
iérable,  est  en  grande  partie  encore  de- 
)out.  Elle  avait  au  moins  deux  cents  pieds 
le  long;  sa  hauteur,  qui  s'est  conservée 
lans  presque  toute  l'étendue  de  l'édifice, 
nVn  dépassait  pas  une  quinzaine.  La 
instruction  est  régulièrement  formée 
le  grosses  masses  schisteuses ,  plus  lar- 
ges que  hautes.  Il  faut  distinguer  dans 
ie  monument  deux  parties  :  l'une,  qui 
reste  tout  entière  et  comprend  à  la  fois 
le  mur  occidental  et  la  moitié  du  mur 
nd  jusqu'à  l'angle  sud-ouest,  est  mieux 

37*  livraison.  (  Ile  de  d'Eubée.  ) 


'/ 


taillée  et  polie  exléiieoreinent.  A  l'angle 
surtout  se  voit  une  espèce  de  plinthe 
à  deux  étages,  faite  en  pierres  plus  pe- 
tites et  proportionnellement  plus  basses. 
On  distincte  près  de  la  ligne  de  jonc- 
tion de  cette  partie  de  mur  avec  l'autre 
une  inscription  en  caractères  archaï- 
ques, irré§fulièrement  tracés,  qui  a  é^ 
recueillie. 

La  seconde  partie  de  la  construction, 
oui  est  à  moitié  détruite  et  comprend 
1  autre  angle ,  est  beaucoup  plus  gros- 
sière; le  plus  souvent  la  surface  des 
pierres  n'est  pas  polie;  quelques-unes 
dépassent  même  la  ligne  de  l'angle. 

Le  caractère  de  toute  cette  ruine  et 
finscription  qu'elle  a  conservée  attes- 
tent une  antiquité  qu'on  ne  peut  f^re 
remonter  moins  haut  que  le  septième 
siècle.  Tout  ce  qu'on  peut  dire  de  ce 
vaste  ensemble,  c'est  qu'il  servait  sans 
doute  à  former  une  enceinte  religieuse. 
Dans  la  partie  nord-ouest,  une  chapelle 
seule  oftre  quelques  restes;  un  de  ces 
murs  paraît  être  le  mur  en  place  d'un 

Eetit  temple  :  les  matériaux ,  petits  et 
ien  ajustés ,  sont  en  marbre  ;  au  bas 
est  sculptée  une  moulure.  Une  fouille ., 

2ui  permet  de  voir  ce  détail ,  n'a  fait 
écoovrir ,  d'après  le  témoignage  d'un 
paysan,  qu'un  petit  vase. 

Les  autres  ruines ,  celles  du  ravin  de 
KapsouUy  sont  connues  en  Eubée  sous  le 
nom  d'Archambolis  (  'Apx,a{a  n6Xic ,  la 
ville  antique),  et  produisent  sur  l'ima- 
gination des  gens  du  pays  un  effet  qu'ex- 
plique leur  position  extraordinaire. 
Quand  on  arrive  de  Dramesi,  l'un  des 
villages  intermédiaires  entre  Platanistos 
et  ces  ruines ,  on  voit  tout  à  coup  se 
creuser  à  ses  pieds  un  ravin  extrême- 
ment profond  et  étroit  ;  des  rochers 
escarpés,  dont  les  déchirures  se  corres- 
pondent d'un  côté  à  l'autre,  semblent 
prêts  à  s'emboîter  de  nouveau,  s'il 
pouvait  se  faire  qu'un  effort  immense 
les  rapprochât;  au  moins  gardent-ils 
des  traces  frappantes  du  bouleversement 
qui  les  a  séparés  autrefois  pour  livrer 
passage  au  torrent  qui  roule  au  fond  : 
tel  est  remplacement  de  la  ville  an- 
cienne. De  l'autre  coté  du  torrent,  à  une 
trentaine  de  pieds  au-dessus,  on  aperçoit 
les  restes  de  cette  cité  suspendus  sur  une 
saillie  de  rocher  inaccessible.  Ce  sont 
quelques  constructions  carrées ,  gros* 

27 


4iS 


i/tmivÈAK 


fiièrement  formées  avec  la  pîéite  de  lâ 
montagne  voisine,  qui  se  détadte  en 
plaques  dures  et  minces.  Petites  et  ados- 
sées à  une  pente  rapide ,  il  n'en  reste 
que  les  murs  d'appui ,  qui  du  côté  du 
ravin  peuvent  s*éievef  à  une  dizaine  de 
pieds.  Il  serait  difficile  de  décider  s'il 
rduty  Toir  des  maisons  ou  des  essais 
de  fortifications.  Peut-être  s  est-on  pro- 
posé les  deux  buts  :  car  on  ne  peut  guère 
expliquer  que  par  la  crainte  dit  danger 
ridée  singulière  (]ui  a  porté  les  anciens 
habitants  à  choisir  cette  position  dé  pré- 
férence à  d'autres,  beaucoup  plus  natu<> 
relies ,  dans  des  parties  plus  larges  du 
même  ravin.  Le  voisinage  de  la  met 
i^it  penser  aux  pirates.  Il  est  probable 
que  ces  étranges  demeures  ont  été  de 
bonne  heure  abandonnées ,  et  l'on  y 
comprend  mieux  gue  partout  ailleurs 
le  silence  de  l'histoire.  Après  un  dernier 
détour  des  rochers  qui  cachent  ces  rui- 
nes, le  torrent  arrive  à  la  mer.  On 
trouve  sur  le  rivage  des  ossements  pé- 
trifiés ,  nouvelle  preuve  de  la  révolution 
géologique  qui  a  produit  ce  *  ravin  dé- 
chiré. 

Points  antiques  voisins  de  Cà- 
BYSTOS.  — Dans  le  voisinage  immédiat 
de  Carystos  et  de  la  masse  principale 
de  rOcha  doivent  ^e  placer  quelque^ 
noms  anciens.  Entre  Amarynthe.  dépen- 
dance d'Érélrie,  et  Carystos ,  1  énumé- 
ration  de  Ptolémée  nomme  le  Port  du 
Lion.  La  désignation  est  vague  :  peut- 
être,  à  défaut  d'indication  plus  sûre, 
peut-on  s'aider  d'une  tradition  rapportée 
par  Héraclide  de  Pont  : 

a  Les  Nymphes,  dit-il,  habitaient  au- 
«  trefois  cette  île  (Céos),  riche  en  sources  ; 
«  mais  un  lion  les  ayant  effrayées ,  elles 
«  s'enfuirent  à  Carystos.  De  là  vient  qu'un 
«  promontoire  de  Céos  s'appelle /!s  Z,tan.  » 
De  ce  texte  ne  pourrait-on  pas  induire 
à  la  fois  la  position  du  cap  de  TEubée  et 
l'origine  de  son  nom?  Des  deux  caps 
oui  avoisinent  Carystos,  celui  qu'on 
désigne  aujourd'hui  sous  le  nom  de  Paxi- 
maaa  est  situé  entre  cette  ville  et  l'em- 
placement d'Amarynthe  ;  c  est  en  même 
temps  le  point  de  TEubée  le  plus  rap- 
proclié  de  Céos.  Les  Nymphes  ont  donc 
pu  y  aborder  et  y  consacrer,  comme  à 
Céos,  par  ce  nom  dû  Lion ,  le  souvenir 
de  leur  exil  et  de  sa  cause.  Les  rivages 
du  cap  Mandéli ,  point  le  plus  meri« 


diofiaf  de  FEubèe ,  ponaieni  le  nom  de 
Leuôé'Actéy  rif  âge  Blanc. 

Position  des  Cbbux  ou  Gceia.  — 
Un  point  plus  difficile  à  déterminer  est 
celui  que  plusieurs  textèâ  aneiens  dési- 
gnent sous  le  nom  de  Coda  d'Eubée, 
xk  KotXa.  Cette  dénomination  a  été  pto- 
sfeurs  fois  appliquée  dans  rantiqiiîté 
à  des  vallées  profondes  et  à  des  défilés 
encaissés.  Eii  Eiibée  il  s'agit,  si  Ton 
peut  s'exprimer  ainsi,  de  certaines  con- 
cavités du  rivage ,  qu'il  faille  entefidre 
bar  là  une  disposition  générale  déforme 
dans  une  assez  grande  étendue  des  cdtfs. 
on  bien  un  ensemble  de  plusieurs  petite! 
anses. 

Hérodote  raconte  que  deux  eents  vas- 
seaux  détachés  de  la  flotte  perse,  postée 
aux  Aphètes  sur  la  côte  de  la  Magnésie, 
pour  faire  le  tour  de  l'Eubée  et  pénétm 
dans  l'Euripe  par  le  sud,  à  Tinsu  <ks 
Grecs ,  furent  assaillis  par  la  tenipdf 
en  Êice  des  Cœla  d'Eobée  et  brisés  contre 
les  rochers;  et  il  remarque  Qu'ils  sorf 
f rirent  plus  que  le  reste  de  la  flottf . 
parce  qirils  étaient  en  pleine  mer.  O 
texte  semblerait  indiquer  que  les  Cœli 
étaient  ou  sur  le  rivage  orienta! ,  ou  tout 
au  moins,  pour  ne  pas  exagérer  la  ts- 
leur  des  mots  grecs,  sur  la  côte  occiden- 
tale au-dessous  de  Styra,  point  à  partir 
duquel  le  canal  se  resserre  beaucoup 

Dans  les  Troyennes  d'Euripide,  Mi- 
nerve, préparant  avec  Neptune  le  nau- 
frage des  Grecs  au  Capharée,  Texhorte 
à  remplir  de  morts  les  Cœla,  qu'il  faut 
sans  doute  reconnaître  dans  son  exprîs- 
§ion  xoî^ov  Eù6o{aç  [ivybv.  Voilà  une  in- 
dication plus  précise ,  bien  que  diez  m 
poète ,  et  elle  s'accorde  avec  la  pr«^ 
dente  :  il  n'est  pas  invraisemblable  qc^ 
les  vaisseaux  des  Perses  se  soient  brise 
au  point  le  plus  périllenx  de  leur  I>^ 
vigation. 

Longtemps  après,  conservant  la  même 
tradition ,  Dion  Chr}'SOstome ,  dans  sa 
Pastorale  du  Chasseur  y  fait  aborderas^ 
Cœla  un  naufragé  qui ,  en  venant  ai 
Chio,  a  brisé  son  vaisseau  sur  les  ny 
chers  du  Capharée. 

Cette  position  paraît  encore  désigna 
ar  d'autres  textes.  Ptolémés  nommr 
es  Cœla  après  GeraeStos  et  le  Capharre: 
et  son  interprète,  Agathodémon,  le 
place  dans  sa  carte  un  peu  au  nord  de 
ce  dernier  cap.  Le  nom  y  serait  suffi- 


l 


ILE  ITEUBÉE. 


41$ 


tammetit  josiiAé  parles  anfractuontés 
iscarpéesdti  rita^j^. 
Tite-Iive  prononce  le  nom  des  Gcela, 
t  en  parle  loi  aessi  comme  d'un  Ue» 
langereox  peur  les  marins,  tinus  sus- 
)ecius  nautii.  A  cause  de  la  crainte 
lu'ils  inspirent,  la  flotte  romaine,  après 
a  prise  d'Oréos,  se  hâté  de  retourner 
u  Pirée  avant  les  tempêtes  de  Féquinoxa 
'automne.  €e  passage  ne  contient  au- 
an  renseignement  topographique  ;  mais 
omme  à  cette  époque  Chalds  était  au 
loufoir  de  Philippe,  en  guerre  avec  les 
lomains,  on  peut  conclure  que  leur 
lotte  ne  prit  pas  le  chemin  de  TEuripe, 
|ai  lui  était  fermé,  et  que  par  consé- 
«ent  dans  le  récit  de  Tite-Live ,  les 
kela  doivent  être  sur  la  côte  orientale. 
D'un  autre  cdté,  Strabon  appelle  Cœla 
I  partie  des  cdtes  d'Euhée  comprise  entré 
iulis,  ou,  suivant  une  autre  leeon,  entre 
Sialcis  et  les  points  voisins  de  Gerses* 
os.  D'autres  textes  viennent  au  secours 
ecelai  du  géographe  ancien,  et  donnent, 
lans  un  sens  anakcue,  une  indication 
ilos  précise.  Valèrc^axime  et  après  loi 
iOcam  racontent  la  mort  du  Romain 
Lppius  près  des  Cœla.  Pendant  la  lutte 
e  César  et  de  Pomoée,  désireux  d'en 
opnattre  Tissue,  il  ^adressa  à  la  pj- 
liie  de  Delphes,  qui  lutfit  cette  réponse  : 
K^ette  guerre  ne  te  concerne  en  rien  ; 
tu  occuperas  les  Goela  d'Ëubée;  NihU 
ad  te  hoc^  Romane^  belluni  :  Eubcea 
Cœla  obtinebU.  »  Sur  la  foi  de  cet 
racle  ambigu,  il  s'imagina  qu'Apollon 
û  désignait  une  retraite  ou  il  allait 
ivre  à  l'abri  de  tout  danger ,  et  se 
ûre,  dit  Lucain,un  royaume  paisible 
u  milieu  du  fracas  d'une  guerre  où  se 
disputait  Tempire  du  monde.  Ces  espé- 
ances  égoïstes  furent  trompées;  il  alla 
■Kmrir  de  maladie  près  des  Cœla  avant 
I  bataille  de  Pharsale,  et  y  fut  enseveli. 
l!'estla  manière  dont  il  prit  possession  de 
e  rivage,  et  réalisa  la  prédiction  du  dieu. 
,  Les  Cœla,  pour  Valère-Maxime,  sont 
itoés  entre  Carystos  et  Rhamnonte,  le 
loint  de  la  côte  attique  le  plus  rappro- 
^  de  TEubée;  ainsi  ils  comprenaient 
a  baie  de  Styra  et  celle  qui  est  fermée 
n  sud  par  les  îles  Pétalides. 
^  £n  résumé,  on  a  sur  la  position  des 
^la  d*Eubée  des  indications  tellement 
apposées  qu'on  serait  tenté  de  les  ap- 
>»qaer  à  deux  parties  différentes  de  la 


ménle  Us.  Pour  sortir  d'indécision ,  U 
ihudrait  être  autorisé  par  quelque  mo- 
nument antique,  par  exemple  par  le 
tombeau  d'Appius;  mais  sur  toute  la 
côte  méridionale  d'Éubée  les  monuments 
sont  rares  ou  muets. 

Mâbma&ion.  —  Marmarion,  où 
Strabon  indique  des  carrières  de  marbre 
earystien  et  un  temple  d'Apollon  Mar* 
marinos,  ne  pouvait  être  aue  sur  le  ri- 
vage de  la  baie  qui  est  située  derrière  les 
lies  Pétalides.  «  De  là,  dit-il,  on  passe 
<  k  Hal»-Araphénides.  »  C'était  en 
effet  le  point  correspondant  de  la  côte 
de  l'Attique.  Aujourd'hui  encore,!quand 
la  traversée  est  difficile  jusqu'au  port 
de  Carystos,  c*est  dans  cette  baie  que 
les  marins  vous  conduisent.  On  aborde 
près  d'un  petit  village  nommé  Mar* 
mara.  Ce  nom  n'est  point  un  souvenir 
de  Marmarion,  mais,  comme  le  nom 
antique,  il  doit  évidemment  son  origine 
au  voisinaffe  des  carrières. 

Le  temple  de  Marmarion  est  une  nou« 
velle  preuve  du  culte  particulier  rendu 
en  Eubée  à  Apollon  et  à  Diane.  Les 
Carystlens  se  réunissaient  aux  Érétriena 
pour  eélébror  la  fête  de  Diane  Ama- 
rysia.  Une  tradition  rapportée  par 
Hérodote  montre  le  zèle  avec  lequel  ils 
honoraient  cette  déesse.  Un  envoi  sacré, 
destiné  à  Délos  par  les  Hyperboréens , 
fut  transmis  de  peuple  en  peuple  et  tra- 
versa ainsi  toutel'Eubée.  Les  Carystiens, 
qui  le  reçurent  les  derniers  de  l'Ile,  le 
transportèrent  jusqu'à  Ténos ,  quoique 
Attdros  fût  plus  rapprochée. 

Sttba.  —  Cette  ville  était  située  sur 
le  canal  d'Eubée,  à  l'entrée  d'une  petite 
plaine,  la  plus  considérable  que  l'on 
trouve  à  l'ouest  de  Carystos.  Le  rivage^ 
jusque  là  presque  toujourr  très-escapé, 
s'abaisse,  les  montagnes  se  reculent  vers 
l'est,  et  en  même  temps  l'tle  se  resserre. 
Nulle  part  elle  n'est  plus  étroite,  si  l'on 
excepte  l'isthme  qui  précède  au  nord  la 
presqulle  de  Lithaaa;  à  une  journée 
de  là  seulement,  à  partir  d'^/ireri,  elle 
se  développe  de  nouveau  pour  atteindre 
en  largeur  sa  plus  grande  étendue^ 

De  la  ville  antique  il  ne  reste  que  les 
deux  premières  assises  d'une  tour  car* 
rée ,  à  partir  de  laquelle  l'acropole  a  dû 
suivre  la  pente  d'une  colline  étroite  et 
allongée  oui  s'appuie  sur  la  montagne. 
Au  bas,  au  côté  de  la  plaine,  sont  beau* 


430 


L*DMVER5. 


coup  de  tombeaux.  Dn  edtë  opposé  est 
UD  petit  port  bien  fermé,  dont  un  écueil 
rend  la  sortie  difficile  par  le  vent  da 
nord;  il  sert  d'échelle  à  la  ville  mo- 
derne de  Stoura. 

L'emplacement  antique  est  complè- 
tement abandonné  ;  Stoura  s'est  élevée 
dans  une  position  plus  commode  et 

{>lus  saine,  à  une  lieue  des  rochers  de 
'acropole  ancienne  et  des  marais  du  ri- 
Tage.  De  la  ville,  ou  plutAt  du  village 
de  Stoura  proprement  ait,  en  dépendent 
plusieurs  autres,  qui  sont  considérés 
comme  ses  fauboui^ ,  de  même  qu'à 
Koumi  et  à  Carystos.  Cet  ensemble, 
qui  fournit  au  plus  le  chiffre  de  quinze 
cents  habitants ,  occupe  une  situation 
agréable,  sur  les  dernières  pentes  >de  la 
montagne,  où  des  cultures  et  des  landes 
couvertes  d'une  jolie  végétation  se  par- 
tagent un  soi  accidenté.  De  grands 
champs  d'orge  et  de  maïs  sont  au  bord 
de  la  mer.  Un  cours  d'eau  assez  consi* 
dérable  coule  au  bas  des  villages  mo- 
dernes, et  va  chercher  son  embouchure 
à  peu  ,  de  distance  de  l'acropole  i^an- 
tique. 

RniNBS  DU  MONT  Kuosi.  —  Quand 
on  vient  de  Carystos ,  si ,  au  lieu  de  des- 
cendre à  Stoura  par  les  pentes  boisées 
qui  y  conduisent,  on  suit  la  crête  de  la 
montagne  oui  tourne  du  côté  de  l'est ,  on 
trouve  sur  le  point  le  plus  élevé,  aujour- 
d'hui le  mont  Kliosi,  un  fragment  de 
mur  ancien.  Ce  sont  quelques  grosses 
pierres,  irrégulièrement  taillées,  qui  Joi- 
gnent deux  parties  de  rocher  très-escar- 
pées, étroites ,  hérissées  de  pointes  et  en 
ap|)arence  inhabitables.  Auprès  est  une 
petite  chapelle  consacrée  à  saint  Nicolas, 
le  patron  des  marins,  autour  de  la- 
quelle les  bergers  ont  construit  contre  le 
rocher  des  abris  grossiers  pour  leurs 
troupeaux.  Malgré  la  singularité  de  cette 
situation,  il  faut  reconnaître  là  une 
acropole  ou  tout  au  moins  une  for- 
tification antique;  elle  était  destinée 
sans  doute  à  servir  de  poste  d'observa- 
tion plutôt  que  de  retraite  en  temps  de 
guerre.  On  pourrait  supposer  que  là 
turent  les  demeures  premières  des  Sty- 
riens,  avant  qu'une  civilisation  plus 
avancée  et  une  sécurité  plus  constante 
leur  eussent  permis  de  descendre  au 
bord  de  la  mer  et  d'y  rechercher  les 
avantages  du   commerce.  Les   ruines 


qu'on  voit  sur  le  rivage  n'appartamk 
pas  à  une  antiquité  tra-reeulée. 

En  face  de  la  baie  qui  creuse  le  ri- 
vage, à  partir  de  Slyra,  est  une  petite 
tle  qui  partage  le  nom  de  la  villeactaelie. 
Cest  l'île  antique  d'i&iléa,  où  Hippias 
laissa  les  prisonniers  âétriens  avant  de 
conduire  les  Perses  à  Marathon ,  dont 
le  cap  se  voit  à  peu  de  distance. 

HiSTOifiB  BB  Stysa.  —  Styra,  de 
même  que  Carystos,  fut  fondée  par  les 
Dryopes ,  chassés  du  Parnasse  par  Her- 
cule. Plus  tard ,  elle  reçut  des  cdoDies 
de  la  Tétrapole  marathoaienne,  et  es 
particulier  du  dème  des  Styrieos.  Sans 
importance  par  elle-même,  elleeoofoBd 
constamment  son  histoire  tantôt  arec 
celle  de  Carystos,  dont  elle  dépeodaitoa- 
turellement ,  tantôt  avec  celle  d*Ërétne. 
Elle  est  citée  dans  le  dénombrement  de 
riliade  ;  elle  put  envoyer  au  siège  de 
Troie  les  habitants  de  la  maison  à 
Dragon.  L'époque  des  guerres  médiques 
est  sa  période  oe  gloire  :  à  un  moment 
où  Carystos  est  forcée  de  suivre  Xenès 
et  où  Chalcis  emphmte  des  vaissean 
aux  Athéniens,  les  Styriens  foumisseat 
à  la  flotte  d'Artémisium  et  à  celle  de 
Salamine  deux  vaisseaux  qui  leur  appar- 
tiennent. 11g  figurèrent  à  Platée,  et  leur 
nom  était  écrit  sur  le  piédestal  d'Olym- 
pie  à  côté  de  celui  des  Érétriens,  aui- 

riels  ils  s'étaient  réunis  pour  enyom 
Platée  six  cents  hommes.  Plus  tard. 
on  les  voit,  sous  la  domination  athé- 
nienne, contribuer  à  l'expédition  de  Si- 
cile. Ils  payaient  à  Athènes  un  trlM 
annuel  de  onze  cents  drachmes.  Dans  la 
guerre  lamiaque,  leur  ville  fiit  détruite 
par  le  sénéral  athénien  Phédros.  Do 
temps  de  Strabon,  leur  territoire  était 

devenu  la  possession  des  Ëréurieos. 

Si  à  plusieurs  époques ,  et  partieuiiè- 
rement  à  la  dernière,  dont  s'occupe  llii^ 
toire,  nous  voyons  les  Êrétriens  maîtres 
de  Styra,  il  n'est  pas  douteux  qu'ils 
n'aient  eu  plus  souvent  encore  sous  leur 
autorité  les  points  intermédiaires  eotit 
cette  ville  et  la  plaine  d*jéticéri,  qui 
semble  avoir  toujours  appartena  à  ^ 
territoire.  De  Stoura  à  AUoérh  les  inoo- 
tagnes  occupent  presque  tout  Tétrort 
espace  que  1  île  dispute  à  la  user.  Qq<^ 
ques  villages  cependant  ont  pu  s'y  élever- 
Le  principal,  Armyropoiàmoiy  qt» J 
environ  une  centaine  de  maisoas  es 


ILE  D'£UBÉE. 


431 


joliiiiait  dtaé  dans  un  vallon,  anqoel' 
conduit  un  beau  rafin.  Sur  le  pic  le 
plus  élevé  des  montagnes  voisines  se 
voit  un  palaeo-kastro  vénitien ,  et  un  pea 
plus  au  nord ,  près  de  Zarka ,  est  une 
tour  hellénique  également  placée  sur  la 
hauteur,  et  qui  est  peut-être  l'antique 
Zarétra  prise  par  Phocion. 

Ruines  de  Dystos.  —  A  deux  heures 
d'Armyroçotamos ,  vers  le  nord-ouest , 
est  une  ruine  relativement  importante, 
dans  laquelle  on  s'accorde  à  reconnaître 
Taotlque  Dystos.  On  donne  aujourd'hui 
ee  nom  à  un  petit  village  albanais ,  où 
sans  doute  aucune  tradition  ne  l'a  con- 
servé. Dans  une  plaine  assez  grande, 
presque  entièrement  inculte ,  et  en  par- 
tie marécageuse,  s'élève  une  ancienne 
acropole.  Elle  occupe  une  hauteurisolée, 
de  forme  conique,  qui  s'avance  du  côté 
de  l'ouest  et  du  nord  dans  un  petit  lac. 
On  suit  toute  la  ligne  du  mur  d  enceinte 
sur  la  pente  qui  descend  vers  la  plaine; 
on  la  voit  à  partir  des  ruines  de  la  porte 
principale  monter  de  chaque  côté  ^  sur- 
tout vers  le  sud ,  jusqu'à  ce  qu'elle  ait 
rejoint  des  rochers  escarpés,  qui  du  côté 
du  lae  suffisaient  à  la  défense.  Cette 
%ne  est  double  vers  l'est.  La  construc- 
tion des  murs  est  polygonale  ;  <^est  un 
mélange  bien  agencé  de  grandes  pierres 
d'une  épaisseur  médiocre,  et  de  petites , 
en  moins  grand  nombre,  qu'a  lournies 
le  rocher  même  de  l'acropole,  tout 
entier  formé  d'un  marbre  blanc  possier. 
De  distance  en  distance  sont  des  tours 
carrées  dont  le  travail  est  plus  régulier 
quecelui  des  murs. 

la  porte  principale,  qui  esta  peu  près 
complète ,  est  remarquable  par  les  dé- 
tails de  sa  construction,  et  offire  en  même 
temps  un  curieux  exemple  des  premières 
oombinaisonsdes  Yaubans  antiques.  Elle 
est  percée  dans  un  petit  mur  qui  joint 
perpendiculairement  une  tour  au  mur 
aenceinte,  et  en  face  d'une  seconde 
tour,  qui  s'élève  à  peu  de  distance;  de 
telle  sorte  que  les  assaillants  ne  pou- 
vaient y  arriver  qu'en  tournant  et  en 
^'exposant  à  recevoir  par-devant  et  par- 
derrière  les  projectiles  /des  ennemis 
placés  sur  les  tours.  Cette  porte  est  laree, 
évasée  par  le  bas,  et  construite  avec  des 
pierres  plus  grandes  et  plus  régulières 
que  celles  des  murs.  Le  hnteau  est  d'un 
Mul  bloc.  lies  deux  pierres  qui  le  sou- 


tiennent s'avancent  en  itoillle  de  chaque 
côté ,  sur  l'épaisseur  de  la  porte,  et  sont 
taillés  de  manière  à  représenter  des  es- 
pèces de  consoles  grossières. 

On  trouve  plus  au  sud  une  autre  porte 
plus  petite  et  plus  sibple.  Percée  d*a* 
près  une  disposition  analogue,  elle 
donne  entrée  dans  un  ouvrage  dé  for- 
tification, d'où  l'on  ne  pénètre  dans  l'a- 
cropole que  par  une  seconde  porte,  plus 
petite  encore,  dont  l'axe  est  perpendi* 
culaire  à  celui  de  la  première.  Ainsi 
l'on  n'arrivait  dans  l'enceinte  (|u'après 
avoir  changé  deux  fois  de  direction. 

L'acropole  renferme  plusieurs  ruines 
de  constructions  antiques,  des  fondations 
diverses,  les  premières  assises  d'un  édi- 
fice carrer,  mais  surtout  des  restes  fort 
curieux  situés  au-dessus  de  la  petite  porte. 
Voici  en  quoi  ils  consistent. 

Un  mur  formé  d'énormes  matériaux 
soutient  la  pente  de  la  montagne,  et  cet 
appui  solide  sert  de  fond  à  plusieurs 
maisons  dont  on  reconnaît  les  chambres, 
petites  et  nombreuses.  Autant  qu'on 
peut  en  suivre  le  plan ,  ces  chambres 
semblent  le  plus  souvent  n'ouvrir  que 
sur  des  couloirs  communs.  On  voit  un 
grand  nombre  de  portes,  toutes  avec 
leur  linteau.  On  entrait  dans  la  prin- 
cipale maison  par  une  porte  placée  la- 
téralement tout  près  du  mur  d'appui. 
Extérieurement,  cette  maison  est  cons- 
truite, comme  les  tours,  avec  de  grosses 
pierres.  Trois  des  chambres  qu'elle  ren- 
ferme, à  l'intérieur,  offrent  une  dispo- 
sition remarquable,  qui  parait  annoncer 
une  intention  d'élégance  :  parallèlement 
construites,  chacune  d'elles  a  une  double 
porte,  dont  les  deux  parties  sont  séparées 

f}dx  une  pierre  mince  dressée  vertica- 
ement  et  se  présentant  en  face  sur  l'é- 
paisseur. Au-dessus,  les  différents  lin- 
teaux suivent  une  même  ligne. 

L'ensemble  de  ces  ruines  porte  le  ca- 
ractère d'une  antiquité  reculée;  sans 
prétendre  leur  assigner  une  date  plus 
précise,  on  peut  les  rapporter  à  l'épo- 
que intermédiaire  entre  la  guerre  de 
Troie  et  le  sixième  siècle. 

Cette  forte  acropole  porte  des  traces 
d'occupation  plus  moderne.  Une  partie 
du  mur  d'enceinte  a  été  réparée,  et  au 
sommet  s'élève,  au  milieu  de  débris  de 
murs ,  une  tour  franque  en  ruine.  Un 
fragment  de  Théopompe  nous  apprend 


4Sfi 


LinflTE&& 


qqa  Philippe,  k  para  d'Alexandre ,  fit 
«tancer  soq  armée  contre  la  ville  de 
!^sl08  en  venant  d'Érétrle. 

Le  lac,  après  avoir  baigné  le  pied  du 
rocher  jde  Tacropole,  long^  la  montagne 
à  l'ouest  pendant  une  demi-lieue;  il  est 
profond  dans  toute  cette  partie,  et  y 
-communiquait  autrefois  avec  la  mer  par 
un  catavothre  aujourd'hui  bouché.  Du 
côté  opposé,  il  se  termine  dans  des  ma< 
récages.  Dans  la  plaine  sopt  semés  deu^ 
ou  trois  pauvres  villages  coranne  celui 
de  Dystos ,  auprès  desquels  on  remar- 
que quelques  oliviers.  Les  montagnes 
qui  renferment  de  tous  côtés  sont  grises, 
et  le  rocher  s'y  montre  sous  de  maigres 
buissons  :  tout  cet  ensemble  est  triste 
d'aspect.  ' 

La  plaine  de  Dystos  communique 
d'un  coté,  par  une  route  dans  les  mon- 
tagnes, avec  la  plaine  &Âiivéri,  et  de 
l'autre,  par  un  petit  col,  avec  la  vallée 
é!AvlonarL  On  rentre  ainsi  dans  la 
partie  centrale  de  l'Eubée ,  par  laquelle 
nous  avons  commencé  la  description 
géographique  et  l'histoire  ancienne  de 
cette  île. 

II. 

PBÉCIS  HISTOBIQUB  SUBL'ÎLE  d'EUBÉB 

pbndant  le  moyeit  age  et  les 
temps  hodebnes. 

L'Eubbe  jusqu'à  Constantin  Poe* 
PHYBOGÉNBTB.  —  Gommc  la  plupart 
des  Iles  de  l'Archipel  célèbres  dans  1  an- 
tiquité, l'île  d'Eubée  disparaît  de  l'his- 
toire après  la  conquête  romaine  et  pen- 
dant presque  tout  le  moyen  âge.  Dans 
les  premiers  siècles  de  fère  chré- 
tienne tout  ce  qu'on  en  sait  se  borne  à 
quelques  renseignements  officiels  sur 
son  administration  politique  et  religieu- 
se. Ainsi  on  sait  que  sa  capitale,  Chalcis, 
eot  d'assez  bonne  heure  un  évéque,  qui, 
d'abord  attaché  au  siège  métropolitain 
de  Corinthe ,  devint  plus  tard  premier 
suffragant  d'Athènes  (i).  L'un  de  ce^ 
prélats  fut  le  Syrien  Anatolius,  men- 
tionné parmi  cens  qui  assistèrent  au 
eondle  convoqué  à  Alexandrie  par  saint 
Atfaanase,  quelques  années  après  la 
mort  de  Constantin.  Parmi  ses  suoces- 

(i)  Leqtiien,  Orient  Chritty  t.  II,  col.  axa- 


mm ,  Jeatt  OaoMSoène  se  distUtti»  fa 
quelques  discours  sur  les  mystères  4e 
la  religion  chrétienne,  et  en  943  Gorges, 
qui  occupait  le  siège  épiscopal ,  eut  le 
bonheur  de  retrouver  un  manusehtde 
Jean  Chryspstome  contenant  des  eipii- 
oations  de  TËvangile  (1). 

Quant  à  l'état  politique  de  rile,il 
dut  être  en  tout  pareil  a  celni  des  îles 
voisines  :  un  gouverneur,  nommé  direc- 
tement par  l'empereur,  radministrait,  et 
depuis  359,  époque  à  laquelle  Constance 
avait  établi  à  Constantinopleun  préfet  de 
la  ville,  les  appels  de  l'Eubée  ^  de  toute 
la  mer  Egée  ressortissaient  de  ee  magis- 
trat (S).  A  l'époque  de  la  division  de 
l'empire  en  tlièmes ,  llle ,  avec  les  Cj- 
dades  et  Égine ,  fut  rangée  dans  le  ciu* 
quième  thème  d'Europe  (3),  qui  compre- 
nait toute  la  Grèce. 

EKTKEPBISBS  des  SaBBASINS  S0I 

l'Eubée.  —  Dans  les  sièdes  qui  suffi- 
rent l'hégire,  l'tle  d'Eubée  ne  put  écliap- 
per  aux  mcursions  des  Musulmans,  bies 
que  bar  sa  position  géographique,  rap- 
prochée du  continent  grec,  elle  setroo- 
vât  moins  exposée  à  leurs  courses  qoe  h 
Crète  ou  la  Sicile.  En  880 ,  sous  le  lèç&e 
de  Basile,  un  chef  musidman,  émir  de 
Tarse  en  Cilicie ,  Esman ,  animé  parles 
succès  de  ses  coreligionnabres ,  qui  s  ê- 
taient  emparés  de  Syracuse,  vint  mettre 
le  siège  devant  Chalcis ,  sur  l'Euripe. 
OEniatès,  gouverneur  de  la  Grèce,  ras- 
sembla les  troupes  de  sa  provinee,  et  mit 
la  ville  en  état  de  défense.  L'atuque  et 
la  résistance  forent  également  vives;  les 
Eubéens  ne  le  cédèrent  pas  en  oouiase 
aux  soldats  qui  étaient  venus  à  leur  se- 
cours ;  ils  firent  un  heureux  eoiploi  du  fa 
grégeois,  en  usage  dans  les  sièges  depsis 
environ  deux  cents  ans;  et,  malgré  la 
persistance  du  dief  ennemi ,  ils  uireat 
vainqueurs.  Esman  périt  dans  un  dernier 
assaut,  et  les  Musulmans,  taillés  enpiè* 
ces,  retournèrent  avec  précipitatioo  eo 
Cilicie  (4). 
Pbbmiàbbs  xsntatiybs  sis  ViSh 

TIENS  POUR  SfEXPABEB  DB  L'ËDliB* 

(i)  Monlfaneon,  Paléogr»,  p.  44» 
(a)  Lebeau,  Hist.  da  Bai-Smpm,  éw. 
Saint-Martin,  1.  H,  p.  974. 

(3)  Const.  PoiphTrog'ife  T/mmc/.;  lib.^ 
èdit.  Niebahr.  t.  lÛ,  p.  5i. 

(4)  Lebeau,  mu»4^  fiat-Mmpire,  t.  ^^ 


ILE  P'£UB£E. 


in 


-*  L*n6  cfËubée  fat  exposée  aux  n- 
fages  des  Sarrasins ,  surtout  dans  la  pé- 
riode  où  œux-ct  furent  possesseurs  de 
la  Oète.  Au  temps  des  croisades ,  de 
nouveaux  ennemis  de  Tempire  tenté- 
nnt  de  s'en  emparer;  ce  furent  les  Vé- 
nitiens, En  1171  Venise  prépara  contre 
Tempire  un  armement  formidable  «  sous 
le  commandement  du  doge  Vital  Micbie* 
li.  La  flotte  Tint,  après  quelques  ravages, 
débarquer  ses  troupes  dans  1  Ëubée.  Tou- 
tes les  places  de  111e  étaient  en  état  de 
défense  ;  cependant,  le  gouverneur,  soit 
par  crainte,  soit  pour  gagner  du  temps, 
engagea  les  Vénitiens  à  députer  vers 
Tempereur.  Manuel  traîna  les  négocia? 
lions  en  longueur;  la  peste  se  déclara 
dans  nie,  et  sévit  particulièrement  dans 
Tarmée  vénitienne.  Le  doge ,  craignant 
Que  les. Grecs  n'eussent  empoisonné  les 
fontaines,  fit  rembarquer  ses  troupes. 
Cest  vers  cette  époque  que  Ttle  d'£ubée 
commença  à  s'appeler  Negrepont,  dé» 
nomination  dont  rorigtne  a  été  indiquée 
plus  haut. 

COMHBHCBlfSNTS    DB  LA  IXOMINÀ- 

TiON  TBNITIBNNB.  -—  La  quatrième 
croisade  arracha  aux  Grecs  les  îles  de 
i'Ârchipel^  comme  tout  le  reste  de  l'em- 
pire. Venise ,  n'étant  pas  encore  assex 
lorte  pour  conserver  les  possessions  con- 
sidérables que  lui  assignait  le  traité  de 
partage,  accorda  à  tout  Vénitien  le  droit 
des'emparer  des  Iles  et  des  villes  grecques 
des  côtes  (  1207  ).  C'est  ainsi  que  Marc 
Dandolo  fonda  le  duché  de  Gallipoli  : 
un  noble  véronais ,  Ravin  ou  Régnier 
Careerio ,  s'associa  avec  lui  et  s'empara 
de  rtle  de  Negrepont.  Quelques  années 
après ,  menace  dans  sa  conquête  par  une 
flotte  vénitienne,  il  reconnut  la  supré- 
matie de  la  république  et  gouverna  sous 
son  autorité.  Une  inscription  latine  pla- 
cée sur  rune  des  murailles  du  palais 
de  Chalcis  nous  apprend  qu'à  l'année 
1278  les  Vénitiens  exerçaient  leur  do- 
mination par  l'intermédiaire  d'un  bailli 
et  de  conseillers  (1).  Dès  les  premiers 
temps  delà  conqu^e  de  Négrefiont  par 
Careerio  et  de  la  domination  vénitienne, 
la  grande  affluence  des  Latins  dans  Ttle 
fit  remplacer  Tévéque  grec  de  Chalcis  par 
un  éveque  du  culte  romain  (2). 


SIB09  DB  CHàXi:i8  on  IHBÛBBPOlf  7 

PAB  LES  GÉNOIS.  —  Les  avantages  que 
Venise  retirait  de  la  possession  de  TAr- 
cbipel  et  du  commerce  de  la  mer  Noire 
lui  furent  disputés  par  les  Génois;  et  en 
1851  l'amiral  Paganino  Doria  vint 
mettre  le  siège  devant  Chalcis.  L'année 
précédente,  onze  galères  génoises  qui  se  ^ 
rendaient  à  Caffa  avaient  été  détrui- 
tes ou  prises  par  les  Vénitiens.  Doria 
voulut  venfler  cet  échec,  et  se  mit  à  la 
poursuite  ofe  l'amiral  Pisani ,  qui  com- 
mandait dans  l'Archipel  à  la  tête  de 
vingt  galères.  Pisani  se  réfugia  à  Cons- 
tantioople  avec  trois  vaisseaux ,  et  son 
vice-amiral,  avec  les  dix -sept  autres,  se 
retira  dans  le  port  de  Chalcis ,  où ,  avec 
l'aide  des  Eubéens,  il  se  mit  en  état 
de  défense.  Les  Génois ,  n'ayant  pu  for- 
cer l'entrée  du  port ,  en  entreprirent  le 
blocus,  et  assiégèrent  la  ville  ducété  de 
terre ,  à  l'aide  de  fortes  macliines.  La 
peste  se  mit  parmi  les  troupes  véni- 
tiennes, et  la  république  se  voyait  hors 
d'état  de  les  secourir,  quand  Pierre  IV 
d'Aragon  prit  parti  pour  Venise,  et  en- 
voya ^e  Barcelone  une  flotte  vers  Ne- 
grepont. Doria  n'attendit  pas  l'armée 
combinée  des  Vénitiens  et  des'  Espa* 
gnols;  il  leva  le  siège  (1). 

PbISB    DB     NÉGBBPOIfT     PAB     LBS 

TuBCs.  —  Aucune  entreprise  depuis 
celle  des  Génois  ne  semble  avoir  menacé 
dans  rtle  de  Negrepont  la  domination  vé- 
nitienne. Mais,  après  la  prisedeConstan- 
tinople,  Mahomet  lî  destina  un  vaste  ar- 
mement contre  Negrepont,  pour  mettre 
un  terme  aux  ravages  que  les  Vénitiens 
ne  cessaient  d'exercer,  de  cette  Ile,  sur  les 
lies  et  les  côtes  environnantes.  £n  1466 
Nicolas  Canale ,  amiral  vénitien ,  avait 
fait  une  descente  en  Thessalie  et  ravagé 
une  grande  étendue  de  territoire  ;  puis 
Tannée  suivante,  avec  vingt-six  galères, 
il  avait  pillé  Lemnos,  Imbros,  la  ville 
d'Éno ,  et  emmené  deux  mille  captiOs  à 
Negrepont.  Mahomet  II  s'engagea  par 
un  voeu  solennel  à  chasser  les  Vénitiens 
de  l'Archipel ,  et  il  commença  immé- 
diatement ses  préparatifs.  Avant  que  les 
Turcs  se  fussent  emparés  des  passages 
de  l'Euripe,  Canale  fortifia  Chalcis,  et 
y  transporta  tout  ce  qu'il  put  rassem- 


(i)Voîrriiucr.dansDapper,p.s9t.p.3t3.         (x)  Matteo  Villanî,  1. 1,  c.  S4,  iS  ;  Y.  11^ 


(a)  Leqoien,  Oriens  d 


ipper,p.ii9 
hnsi.  t.  If, 


col.  9iC.      ch.  a6et  34. 


4Î4 


LTTNIVERS. 


Mer  de  vivres;  mais  la  garnisoii ,  soas 
les  ordres  du  capitaine  Luigi  Calvo,  du 
provéditeur  Jean  Bondomîerr,  et  du  po 
destat  Paul  Ërizzo ,  était  insuffisante. 
Mahomet  arriva  en  Béotie  avec  une  armée 
de  terre  qu'on  porte  à  cent-vingt  mille 
hommes,  fit  jeter  des  ponts  sur  l'Eu» 
ripe^  passa  dans  l'Ile,  et  lit  battre  Chai- 
cis  par  cinquante-cinq  canons  de  gros 
cambre.  £n  luéme  temps,  sa  flotte,  corn- 
posée  de  trois  cents  vaisseaux  et  de  cent 
trente  galèreà,  s*empara  de  tout  le  détroit, 
ferma  rentrée  du  port  de  Ghalcis,etoom* 
mença  de  son  côte  le  siège.  A  cette  nou* 
Telle,  le  sénat  vénitien,  qui  considérait 
TIégrepont  comme  le  centre  des  posses- 
sions de  la  république  dans  l'Archipel , 
fit  armer  le  plus  de  galères  qu'il  lui  fut 
possible,  et  les  envoya  à  Nicolas  Canale 
avec  ordre  de  tout  tenter  pour  délivrer 
i'tle.  Trois  assauts  avaient  déjà  été  livrés, 
lorsque  Canale,  rompant  les  chaînes  qui 
fermaient  l'Euripe,  parut  en  face  de  la 
ville.  Chalcis  pouvait  être  délivrée  :  les 
hésitations  de  l'amiral  perdirent  tout. 
Une  partie  de  sa  flotte  seulement  l'avait 
suivi.  Il  voulut,  mal^é  les  conseils  et 
l'audace  de  ses  principaux  officiers,  at- 
tendre le  reste  de  ses  vaisseaux.  Cepen- 
dant ,  Mahomet  livrait  à  la  ville  deux 
terribles  assauts  consécutifs.  Les  Chal- 
cidiens  se  défendirent  avec  letiernier 
courage;' ils  se  firent  tous  tuer  en  'pré- 
sence des'voiles  vénitiennes,  qui  ne  bou- 
geaient pas .  Lorsque  Canale  se  déter- 
mina à  faire  un  mouvement ,  les  Turcs 
étaient  entrés  dans  la  viUe  sur  un  mon- 
ceau de  cadavres  (t 2 juillet  1470);  deux 
des  chefs  vénitiens  avaient  péri  les  armes 
à  la  main,  le  troisième,  Paul  Erizzo,  en- 
fermé dans  la  citadelle,  se  rendit  sous 
condition  d'avoir  la  vie  sauve;  Mahomet 
le  fit  sder  par  le  milieu  du  corps.  Après 
la  prise  de  la  capitale ,  les  Turcs  eurent 
peu  à  faire  pour  s'emparer  du  reste  de 
l'Ile.  A  Venise ,  l'indignation  fut  univer- 
selle contre  Canale  :  vainement  cet  ami- 
ral tenta  de  racheter  sa  honte  par  une 
attaque  sur  Négrepont,  il  fut  repoussé, 
et  son  successeur,  Pierre  Mocenigo,  con- 
duisit la  flotte  dans  les  ports  de  la  Mo- 
rée  (1).  Toutes  les  tentatives  que  firent 
par  la  suite  les  Vénitiens  pour  reprendre 

(i)  Pour  tout  ce  liége  voir  Sitmoadi,  Hist, 
dts  RépubUif,  liai,  t.  VU,  p.  6-j4. 


cette  tle  éebooèreQt;  leur  aminl  Gri- 
mani,  envoyé  pour  la  recouvrer,  à  la  tête 
d'une  flotte  <Ansidérable,  ne  sut  nas 
même  sauver  Lépante,  assi^ée  pai^  les 
Turcs  (1499). 

NbGREPONT    sous    L'ABXIllISTmA- 

TiON  DBS  TUBCS.  —  La  dominatioD 
vénitienne  fut  favorable  à  lile  de  Né^re- 
pont  ;  la  république  avait  laissé  le  titre 
de  souverain  dans  l'île  à  Ravin  Careerio, 
qui  je  transmit  à  ses  enfiBunts  ;  mais  elle 
eut  soin  d'adjoindre  à  ces  maîtres  nomi- 
naux ses  propres  magistrats,  qui  étaient  : 
un  provéditeur  chargé  du  gouvernement 
général  et  de  l'administration  financiérf , 
un  podestat  préposé  à  la  justice  et  un  ea- 
pitaine  placé  a  la  tête  des  troupes.  A  cette 
époque  l'île,  bien  cultivée ,  rendait  eo 
abondance  du  blé,  du  vin  et  du  ootoo; 
des  troupeaux  nombreux  peuplaient  de 
vastes  et  beaux  pâturages;  les  laines  et 
les  fromages  guon  en  tirait,  Thuile  et 
le  miel  recueillis  par  toute  1  lie,  en  étaient 
les  principaux  objets  d'exportation.  Ea- 
fin,  outre  les  villes  principales  elles  gros 
bourgs,  on  comptait  huit  cents  villages. 
La  domination  turque  changea  tout  ;  à  la 
vérité  Mahomet,  frappé  de  l'importance 
de  nie  pour  ses  possessions  grecques, 
en  fit  la  capitale  d  un  vaste  sandpakat, 
qui  comprenait  9  avec  l'Ile  de  Négrepoot, 
les  vallées  du  Spercfaius,  du  Mavro  Pata- 
mos  (Céphise),  de  l'Asopns,  des  cantons 
maritimes  de  Boudonitza  et  Talanta, 
de  la  Phocide,  l'Attique  et  la  M^- 
ride. 

Mais  là ,  comme  dans  les  autres  con- 
quêtes musulmanes,  l'administration  (ut 
arbitraire  et  eut  une  action  funeste.  La 
classe  grecque  fut  opprimée,  surdiargée 
d'impôts ,  h vrée  au  caprice  des  Turcs ,  et 
réduite  à  abandonner  l'agriculture  pour 
chercher  un  peu  d'indépendance  et  qud- 
ques  ressources  dans  le  pâturage.  Il  j 
avait  un  proverbe  au  seizième  siècle  qui, 
pour  signaler  un  homme  injuste  et  de 
mauvaise  foi ,  l'appelait  Turc  de  Nègre- 
pont  (1).  Le  capitan-bacha,  comman- 
dant général  de  la  flotte  ottomane,  rési- 
dait à  N^repont;  au-dessous  de  lui  uq 
kyaîa ,  ministre  général ,  était  duugé  da 
soin  des  afiaires  en  son  absence,  pois 

(f)  Hist  Nouv,  des  anciens  Ducs  de  f  Ar- 
chipel, y,  107,379.  JucherauU  de  Sttat-Deois, 
U'ut^  de  Temp,  Ot^maa,  t,  I,  p.  11 3, 


ILE  D*EUBEE. 


4U 


desbeys  étaient  jupéposés  au  gooTerne- 
ment  des  diverses  places  de  i'fle.  Les 
Turcs  fortifièrent  la  ville  de  Négrepont, 
l'agrandirent  et  élevèrent  un  château  d^ 
vaDt  le  port;  eux  seuls  et  les  juifs  habi- 
taient Tintérieur  de  la  ville,  les  chré- 
tiens étaient  répartis  dans  les  faubourgs  ; 
la  population  entière  pouvait  être  de  14 
à  15,000  flmes.  Les  jésuites  avaient  été 
autorisés  à  entretenir  à  Négrepont  une 
maison  coil^iale  pour  l'éducation  des 
jeunes  insulaires;  les  Turcs  y  avaient 
construit  pour  Texercice  de  leur  culte 
Quatre  mosquées,  deux  dans  la  ville, 
deux  dans  les  faubourgs,  et  leur  cain* 
tan-pacha  occupait  le  château,  autrefois 
élevé  par  les  Vénitiens  pour  le  provédi- 
teur(l). 

Corduitedeshabitànt8DeNé6be- 
pont  pendant  l*insnbbbction  gbeg- 
QUE.  —  I^  domination  turque,  plus  ou 
moins  t^rannique  selon  le  caractère  ou 
les  caprices  des  gouverneurs  envoyés  par 
lesuitan,  se  nriaintint  dans  Itle  de  rïégre- 
pont jusqu'à  Tépoquede  la  grande  insur- 
rection grecque.  En  1821,  animés  par 
Texemple  et  le  contact  des  Athéniens,  qui 
iraient  pris  part  au  soulèvement,  les  habi- 
lants  de  Négrepont  arborèrent  l'étendard 
national.  Cette  tle  n'avait  qu'un  très-petit 
lombre  de  Turcs  commis  à  la  garde 
les  forts  ;  ils  s'y  retirèrent  au  premier 
iignal  du  mouvement  populaire.  Le  peu- 
île,  sachant  qu'ils  avaient  eu  la  pré- 
aution  de  s'approvisionner  d'armes  et 
le  munitions ,  ne  les  y  inquiéta  pas,  et 
«contenta  d'observer  la  citadelle.  La 
eonesse  de  llle  prit  les  armes,  et  alla  se 
oindre  aux  Grecs  du  Continent  à  la  voix 
l'une  femme ,  Modéna  Mavrc^énle,  qui 
léciara  que  sa  main,  destinée  à  un 
lomme  libre,  serait  le  prix  du  vainqueur 
les  Turcs  (2).  Modéna,  issue  d'une  noble 
amille  qui  pendant  de  Ions»  siècles  avait 
ossédé  des  fiefs  dans  rfle  d'Eubëe, 
vait  été  élevée  à  la  cour  de  Constanti- 
lODle,  où  sa  famille  était  en  possession 
te  la  charge  de  drogman.  Son  père  avait 
té  égorge  par  l'ordre  du  sultan.  Depuis 
ette  époque  la  jeune  fille  vivait  retirée 
ans  rfle  de  Mycone.  Ce  fut  elle  qui,  au 
Doment  de  l'insurrection,  souleva  cette 

(i)  Dapper,  p,  a9oa9r. 
(a)  Raffenel,  Bist,  eompl,  des  tvén,  d«  ia 
frèee,  1. 1,  p.  98. 


lie  et  rEobée  (1).  Les  Turcs  enfermés 
dans  les  deux  villes  de  Négrepont  et  Ca« 
rystos  s'y  défendirent  avec  opiniâtreté  ;  à 
plusieurs  reprises ,  ces  places  reçurent 
des  renforts  du  continent ,  et  les  Grées 
essuyèrent  plus  d'un  revers  devant  les 
murs. 

ÉCHEC  BES  GbECS  DEVANT  CaBYS- 

Tos.  —  En  1822,  un  des  capitaines  der^ 
leuiherO'Laconie^  Elias,  (ûb  de  Pietro- 
Bey,  qui  déjà  s'était  illustré  à  la  prise 
de  Tripolitza ,  débarqua  à  la  tête  de  sei^ 
cents  nommes  près  de  Carystos,  qu  il 
vint  assiéger.  Mais  ses  soldats ,  empor- 
tés par  une  valeur  imprudente,  s'enga- 
gèrent trop  avant  ;  ils  furent  accablés 
par  la  multitude  de  leurs  ennemis ,  et 
Elias  fut  obligé  de  se  donner  la  mort 
pour  ne  pas  tomber  vivant  au  pouvoir 
des  Turcs  (2). 

Siège  de  Nbgbepont  pab  les 
Gbbcs.  —  Les  Hellènes  ne  pouvaient 
cependant  renoncer  à  la  conquête  de 
deux  places  qui  par  leur  position  com- 
mandaient la  Beotie  et  rAttique.  De 
Négrepont,  les  Turcs,  s'ils  n'étaient  ré> 
duits ,  pouvaient  aisément  descendre  sur 
le  rivage  opposé  et  le  ravager.  Carystos, 
à  l'extrémité  méridionale  de  Ttie,  était 
un  point  de  ralliement  pour  les  flottes 
de  Constantinople.  Cétait  leur  ro^te 
pour  se  rendre  sur  les  côtes  du  Pélo- 
ponnèse ,  et  elles  pouvaient  également 
Îr  débarquer  les  troupes  destinées  contre 
a  Grèce  septentrionale.  Cependant  on 
pressait  plus  vivement  encore  le  si^e  de 
riégiepont  que  celui  de  Carystos.  Une 
armée  de  Maniotes,  qui  avaient  puis- 
samment contribué  à  la  réduction  de 
l'acropole  d'Athènes,  formait  l'élite  des 
troupes  grecques  réunies  devant  la  ca- 
pitale de  l'Eubée.  La  peste  et  la  famine 
joignaient  leurs  ravages  à  ceux  de  la 
guerre  dans  la  garnison  musulmane.  Le 
pacha,  d'autant  plus  découragé  qu'il 
avait  connaissance  des  derniers  revers 
de  la  flotte  turque  à  Malvoisie ,  offrit  aux 
assiégeants  de  se  rendre.  Mais  Pietro- 
Bey  avait  pris  la  direction  du  siège  et 
juré  de  venger  la  mort  de  son  fils  par  le 
massacre  de  tous  les  Turcs  de  Négrepont. 
Ce  terrible  serment  ne  fut  pas  exécuté  : 

(i)  Ponqueville.  But.  de  la  Rêgéntr.  de  la 
Grèce,  »«  édit.,  t  U,  p.  5o5. 
(a)  Id.,  IM,  t.  m,  1.  TI;  eh.  vn»  p.  a9d. 


496 


i.>iB)inrE%9i 


uo  eommimire  du  gonveniament  ma, 
d'Athènes  proposer  aux  défenseurs  de 
ia  ville  une  capitulation;  cinq  mille  des 
habitants  en  profitèrent  pour  se  réfugier 
sur  le  continent;  la  garnison  turque, 
restée  seule ,  refusa  de  céder,  et  continua 
h  défendre  la  citadelle  (1).  De  son  côté, 
i^un  des  principaux  chefs  hellènes,, 
-Ulysse,  pressait  le  blocus  de  Carystos. 
Uranmoms,  la  guerre  sur  le  continent 
ralentit  les  opérations  militaires  dans 
111e.  Méhémet-Chousrou-Pacha ,  sorti 
de  Constantinople  à  la  fin  d'avril  18ii8 
avec  quarante  bâtiments  de  guerre  de 
toutes  grandeurs,  ravitailla  la  place  de 
Carystos,  et  débarqua  troismille  nommes 
sur  la  côte.  Animés  par  ce  renfort,  les 
Turcs  de  Carystos  firent  une  sortie  géné- 
rale ;  les  Grecs,  pris  d'une  terreur  pa- 
nique, se  dispersèrent.  Au  lieu  de  les 
poursuivre,  les  musulmans  se  répandi- 
rent dans  les  villages  voisins,  et  les  pit* 
lèrent;  puis  ils  ne  craignirent  pas  de 
s'enfoncer  par  petites  troupes  dans  les 
gorges  de  la  chaîne  de  montagnes  qui 
traverse  r£ubée«  Les  cbetis  grecs  profi- 
tèrent de  cette  imprudence  pour  se  jeter 
sur  leurs  ennemis ,  dont  un  grand  nom* 
bre  furent  massacres  ;  le  reste  regagna  la 
ville,  et  quelques  jours  après  le  blo- 
cus de  Carystos  était  rétabli  (3). 

DÉFAITE    BBS    MUSULMANS    DAHS 

l'Eubéb.  —  Cependant  Joussouf,  pacha 
de  Précovetcba ,  avait  été  chassé  de  La- 
risse,  et  battu  en  Béotie.  Pressé  avec  les 
débris  de  son  armée  contre  le  rivage ,  il 
parvint  à  gagner  le  pont  qui  traverse 
rEuripe  et  à  se  jeter  dans  Ttle  de  Né- 
pepont.  Cette  arrivée  imprévue  surprit 
les  troupes  grecques  occupées  au  siège 
de  la  citadelle,  et,  avant  qu'elles  eu»* 
sent  pu  se  reconnaître  et  chercher  un 
refuge  dans  les  montagnes,  le  pacha 
leur  tua  trois  cents  hommes.  L'armée  de 
Joussouf  et  les  troupes  de  la  citadelle  se 
réunirent,  et  remportèrent  craelques  au- 
tres avantages.  Un  village  âirétien,  qui 
n'avait  pas  été  abandonné ,  fut  livré  au 
pillage  et  ses  habitantsfurent  massacrés; 
toute  nie  semblait  retombée  sous  la 
domination  turque.  Mais  l'un  des  cfaels 
les  plus  braves  et  les  plus  renommés 

(i)  Raflfenel ,  Ar/A.  iie  la  Grèce  y  t.  Il, 
p.  a36-a4o. 


4es  Hellènes ,  Diamanti9»  se  tfouTait  es 
ce  moment  à  Carystos,  dont  il  était  hua 
presser  le  siège  après  une  victoire  rem- 

{portée  à  Catavothra.  A  la  nouvelle  de 
^arrivée  de  Joussouf  dans  FEubée,  il  se 
met  à  la  tête  d'environ  3,000  homnies. 
Grecs  de  Ttle  et  soldats  qu'il  avait  m- 
menés  de  Thessalie,  et  marche  coDt» 
les  Turcs.  D'abord ,  il  essaya  d'attim 
l'ennemi  dans  les  .montagnes,  où  h- 
vantage  de  la  position  pouvait  compen- 
ser rinfériorité  du  nombre.  Le  pacha 
se  refusa  à  Ty  suivre  ;  forcé  de  com- 
battre en  ligne  y  Diamantis  descendit 
en  plaine,  le  5  août  1823,  et  mza 
sa  petite  armée  en  bataille  devant  u.k 
bourgade  grecque  qui  venait  d'étir  ra- 
vagée par  des  soldats  de  Joussouf.  Le 
combat  fut  long  et  acharné;  les  Musul- 
mans, quoique  plus  nombreux,  furent 
contraints  de  céder  à  l'impétuosité  de 
leurs  adversaires.  Youssouf  combattil 
bravement,  .et  sut  protéger  sa  retraite 
avec  deux-cents  cavaliers  bulgares  qjt 
l'avaient  suivi.  Le  surlendemain  il  poîta 
avantageusement  les  restes  de  son  anof^ 
dans  un  village  qu'il  avait  à  demi  ruine, 
et  couvrit  sa  position  de  quatre  pièits 
de  campagne  placées  sur  les  rives  escar- 
pées d'une  petite  rivière,  dont  le  coursi? 
protégeait.  Diamantis,  aussi  prudent  qof 
courageux,  sut  contenir  llmpétuosite 
de  ses  troupes,  et  passa  quelques  jouis 
en  observation.  La  cavalerie  turque,  «* 
hardie  par  l'inaction  apparente  de  ietc 
ennemi,  faisaiit  des  incursions  jusQ» 
dans  sou  camp;  mais  une  DuitDiânua^ 
tis  fit  creuser  de  vastes  fossés  recouTeru 
de  terre  et  de  sable,  et  deux  jours  après 
quand  les  Bulgares  passèrent  la  rivière. 
leurs  clievaux  vinrent  s'abtroer  daosK 
piège  des  Grecs,  qui  firent  ungra» 
nombre  de  prisonniers.  Pendant  on  œotf 
encore,  Diamantis  différa  d'atuiquerl^ 
musulmans;  enfin,  quand  il  leur  eut  loi; 
pire  une  complète  sécurité,  il  sonp^ 
tourner  leur  ligne  de  défense.  Ce  lot  J 
nuit  du  5  septembre,  qu^après  ai^ 
allumé  dans  son  campde  grands  feoio 
laissé  quelques  soldats  pour  dissimotf 
son  mouvement,  il  se  mit  en  niarcbe^ 
travers  les  montagnes.  Il  était  eo  tq<  <^ 
camp  de  Youssouf  deux  heures  avant  le 
jour  :  l'attaque  n'eut  lieu  qu'au  lever  <îa 
«ol^il  ;  les  ennemis,  pleins  de  sécun|^ 
étaient  encore  endormis.  Ils  furent  pr«- 


< 


iVÊmasâE. 


4M 


^u»is  iHMsaeréf.  LayiotDiMëei  GoN» 
at  telJe ,  qae  1«  chef  eoaemi  s^enCuit 
eul,  fiaD9  armes  avee  «iiielqius  Bul^am 
ers  Nésrepont  Le  eommaiulaiil  de  cette 
lace  refusa  deroH?rir  aax  Aiyarda.  Youi- 
iNif  eut  la  lâcheté  d'abandooper  lee  dé- 
ris  de  80B  armée  et  de  s'y  réfugier  seul. 
loelques  ceotaÎDes  de  Tures  avec  son 
euteaaiH  piurvinreot  à  repasser  le  dé- 
roit,  et  regagnèrent  péniblement  la 
liessalieCl). 

Expéditions  d'Ulyssb  bu  Edbsb. 
-Après  sa Tietoire,  Diamaotis repassa 
or  le  continent ,  laissant  un  corps  de 
oopes  dans  FEabée.  L'année  suivante , 
B24,  Ulysse,  quisTait  pris  ses  cantonne^ 
lems  dans  TAttique,  franchit  l'Eniipe, 
t  essaya  de  surprendre  Négrepont,  où 
B  Turcs ,  après  la  défaite  de  Youssouf , 
raient  eoooentté  toutes  les  forces  de  \à 
Kovinoe.  Son  projet  échoua  ;  les  enne- 
lis  avaient  été  prérenns  et  se  tenaient 
«r  leurs  ffardes.  Ulysse  s'établit  alors 
dtour  de  m  TîUe  pour  en  faire  le  blocus, 
emparant  des  ehevaux  des  enneniis , 
lassacrant  lears  maraudeurs  et  s'effor* 
mt  toujours  y  mais  en  vain ,  de  les  atti* 
ïï  à  une  affaire  générale.  Enfin,  pour 
lettre  Négrepont  en  état  de  pourvoir  elie- 
léme  à  sa  délivrance,  il  enrégimenta  la 
nmesse  de  Ttle,  la  disciplina,  lui  four- 
it  des  armes  et  des  munitions ,  et  lui 
onna  pour  l'exercer  et  Faguerrir  une 
ivision  de  ses  troupes  ;  puis  il  la  diri« 
ea  sur  Carystos,  qui  fut  bloquée  comme 
légrepont.  Depuis  le  commencement  de 
insurrection  dans  l'tle  d'Eubée,  les 
uns  n'avaient  cessé  d'occuper  Nègre- 
ont  et  Carystos,  où,  plus  d'une  fois  ré- 
oits  à  l'extrémité,  ils  étaient  toujours 
arvenos  à  se  maintenir.  Carystos,  moins 
)rtifiée  que  Négrepont,  se  rendit;  mais 
is  discordes  des  cne£s  de  la  Grèce  con* 
auèrent  à  protéger  les  Turcs  enfermés 
ans  rtégrepont.  Ulysse,  privé  de  ren- 
)rts ,  et  rappelé  sur  le  continent  par 
s  intérêts  de  la  guerre  générale,  ne  put 
emparer  de  cette  ville. 
Behnibrs  étsnbments  db  là 
UBRKB  EN  EuBBB.  —  Lcs  Turcs  pro- 
tèrent  de  l'abandon  forcé  de  l'Eubée 
ftr  Ulysse  pour  y  faire  une  nouvelle 
entative.  Un  lieutenant  de  Dervisch- 

(0 Raffenel, J^f^^/tfm.  delà  Grèce,  t.  II, 
.371-381, 


paeha,  établi  tas  la  presque  tfo Volo, 
travem  lé  détroil  dans  des  barques  four- 
nies par  les  Turos  de  Ifégrepoftt,  s'em- 
para de  tontes  les  parties  non  fortifiées 
de  rUe,  et  bloqua  les  chrétiens  dans  Ca- 
rystos (joiUet  18B4).  U  eât  pu  reprendre 
■oette  place  ;  mais  il  i>référa  tenter  un 
coup  de  main  sur  Athènes.  Battu  dans 
la  plaine  de  Marathon ,  Il  fut  pris,  et 
fluelques  soldats  seulement  regagnèrent 
rtle ,  qui  ne  resta  pas  longtemps  en  leur 
pouvoir.  Ulysse  y  reparut,  et  s'empara  de 
tout  le  pays,  à  l'exception  de  Négrepont, 
que  peut-être  il  eût  forcé  à  se  rendre  si 
des  uesseins  ambitieux  et  les  préoccupa- 
tions d'unedéfection  prochaine  n'eussent 
afiidbli  son  ardeur  (t).  Gouras,  oui  lui 
succéda  dans  le  gouvernement  de  la  pro- 
vince d'Athènes,  ne  put  empêcher  les 
Tures  de  reprendre  le  dessus  en  Eubée. 
Ilss'emparèrentdeCarystos,  sur  laquelle 
le  colonel  Fabvier  et  le  chef  d^c^dron 
Regnault  de  Saint-Jean  d'Aneely  firent, 
en  marsl 826,  une  tentative intructueuse. 
Ils  avaient  d'abord  remporté  quelques  * 
succès  et  forcé  les  Turos  àseréfiigier  dans 
la  fSrteresse,  quand  un  renfort  inattendu 
de  deux  mille  nommes  leur  survint.  Les 
Turcs  reprirent  ToifeDsive,  coupèrent  à 
leurs  ennemis  toute  retraite,  etvsans  un 
prompt  secours,  que  les  Grecs  d'Ipsara, 
d'Hydra  et  de  Syra  envoyèrent,  tous  les 
hommes  de  l'expédition  eussent  péri  (2). 
L'ÎLE  d'Eubbejiéumie  à  la  Gbège  ; 
SON  ÉTAT  ACTUEL.  •—  Ce  fut  la  der- 
nière tentative  armée  des  Grecs  dans 
l'Ile  de  N^repont.  Les  discordes  de  leur 
gouvernement,  leurs  revers  consécutifs 
sur  le  continent  permirent  aux  Turcs  de 
NégrepontetdeCarystosde  s'étendre  par 
toute  l'île ,  et  ils  en  restèrent  maîtres 
jusqu'à  l'époque  où  ,  grâce  à  la  triple 
intervention  de  la  France,  de  l'Angle- 
terre et  de  la  Russie,  et  à  la  victoire  de 
Navarin,  la  liberté  hellénique  fut  con- 
sacrée. Il  fut  résolu  dans  les  conférences 
de  Londres  que  l'Eubée  appartiendrait, 
avec  les  Cyclades,  au  nouvel  État.  Cette 
décision  était  déterminée  par  la  situation 
géographique  de  nie,  qui  ne  permettait 
pas  qu'elle  pût  être  laissée  aux  mains 

(i)  Kaffenel,  Êvén,  en  Grèce,  t.  lïl. 

(a)  Mémoires  hislor,  et  miliL  sur  les  Épén, 
de  la  Grèce,  de  x  8 aa  à  1827,  par  Jourdain^ 
t  ir,  p.  «40. 


4aB 


mnoTEBS. 


des  moiolmaïus ,  sans  ooe  r«»ttaiiee  et 
rindépendanee  de  la  Grèce  fassent  in- 
oessamment  ooropromises  et  meDaoees. 
Cette  décision  devait  grandement  con- 
tribuer à  la  dépopulation  de  TEubée  ;  car 
l€S  musulmans  y  étaient  seuls  détenteurs 
et  eultivateurs  ae  la  terre,  les  chrétiens  « 
dans  tout  le  cours  de  leur  domination, 
n'ayant  trouvé  d'autre  moyen  d'échap- 
per aux  exactions  de  toutes  sortes  que  de 
fi^adonner  à  la  vie  pastorale.  II  fut  à  la 
vérité  résolu,  lorsque  le  traité  définitif 
replaça  Samos  sous  la  domination  des 
Turcs,  que  ceux  des  Samiens  qui  cher- 
cheraient un  asile  en  Grèce  obtiendraient 
des  concessions  de  terre  dans  Néerepont  ; 
mais  la  nécessité  où  on  les  mit  de  aésin- 
téresser  les  musulmans  propriétaires  du 
soi  rendit  ces  donations  illusoires.  Pres- 
que tous  refusèrent,  et  depuis  Texput- 
sion  des  Turcs  TUe  est  devenue  en 
beaucoup  d'endroits  un  véritable  dé- 
sert (1). 

Aujourd'hui  la  grande  île  d'Eubée,  qui 
a  repris  son  nom,  compte,  en  y  compre- 
nant la  population  de  l'éparcbie  de  Sco- 
pélo,  69,550  habitants  au  lieu  de  300,000 

(i)  Jocherault  de  Saint-Denis,  Au/,  de 
Vemp.  Ottoman,  t.  III,  p.  36?  et  396. 


ficelle  eut  au  tempe  de  sa  prospérlU 
lie  forme  une  nomarcbîedcmtlaeapitak 
est  Gbalds,  et  sesubdivise en  quatre  épar- 
chies,  dont  trois  {K>ur  TEuMe,  savoir  : 
Chalcis,  Xérochori,  Carystos,  et  celle  de 
Scopélo  pour  le  groupe  des  Iles  tlies- 
saliennes.  Chacune  de/es  éparcbiesa 
un  chef-lieu  du  même  nom.  On  oodçoîi 
qu'avec  une  si  faible  population  la  plos 
grande  partie  du  territoire  de  TEob» 
reste  inculte.  L'agriculture  n'est  dére- 
loppée  que  sur  quelques  points  du  litto- 
ral, principalement  dans  les  avirons  de 
Chalcis  et  de  Carystos.  L«  montagnes 
de  l'intérieur  ne  sont  habitées  que  par 
des  pâtres,  qui  suivent  leors  troupeam 
de  pâturage  en  pâturage.  Le  gouveiw- 
ment  actuel  de  la  Grèœ  a  fiiit  quelque; 
efforts  pour  ranimer  l'a^cultore  es 
Eubée  :  il  a  ordonné  le  dessediemeoida 
marais  de  Chalcis ,  il  a  fait  greffer  les 
oliviers  sauvages ,  il  a  tracé  des  roote» 
qui  doivent  conduire  d'Athènes  au  chrf- 
lieu  de  l'Ile;  mais,  malgré  ces  looabte 
tentatives ,  cette  grande  et  belle  lie  d*Eii- 
bée  offrira  encore  longtemps  la  trace 
des  maux  qu'elle  a  soufferts  depaistrois 
siècles,  avant  que  de  retrouver  toasts 
éléments  de  son  ancienne  prospérité. 


LES  (GYCLADES<*>. 


tm 


I. 

*^*0TIORS  GBNÉBALSS  SUR  LÀ  GBOGBA- 
PHIB  BT  L*HISTOIBB  DBS  CYCLADBS. 

Noos  désignoiui  par  le  nom  de  Gy- 
Jades  le  groupe  des  tles  de  rArcbipel 
(ai  est  compris  eotre  les  Si*  40^  et 
t4«  2(jf  de  loDgitude  et  35»  40'  et  38»  de 
atidude  noraf,  et  nous  y  réunirons 
ODtes  les  tles  du  golfe  Saroniqne  et 
elles  qui  avoisineot  les  cAtes  de  TAr- 
("olide  (1).  La  petitesse  de  ces  tles»  leur 
e$semblance  d'aspect  et  de  nature, 
8ur  concentration  dans  un  eoîn  de  la  mer 
[Kée,  leur  proximité  du  rivage  de  la 
irèce  d'Europe ,  la  nullité  historique 
lu  plus  grana  nombre,  et  la  similitude 
b  leurs  destinées  dans  les  temps  anciens 
i  modernes,  telles  sont  les  principales 
usons  qui  nous  ont  déterminé  à  leur, 
ppliquer  spécialement  cette  dénomi- 
ation  de  Cydades ,  dont  l'emploi  n'a 
imais  été  bien  défini,  et  que  les  géogra* 
beset  les  voyageurs  étendent  quelque- 
Ms  à  tontes  les  tles  de  la  mer  Egée  (3), 
'Otre  groupe  des  Gvclades  se  composer» 
onc  des  lies  rangées  dans  l'ordre  sui- 
Uit,  à  partir  de  Ta  pointe  méridionale 
e  TEubée:  Andros,  Ténos,  Gyaros, 
éos,  Hélène,  Cythnos,  Syros,  Délos, 
bénée,  Nlvconos,  Sériphos,  Syphnos, 
Haros ,  Paros ,  Antiparos  ,  Naxos , 
Imolos,  Mélos,  Polyaigos,  Pholégan- 
nos,  Sikinos,  los ,  Amorgos ,  Astypa- 
e,  Anaphé,  Théra,  la  plus  rapprochée 
i  la  Crète  au  sud;  et,  en  suivant  les  si- 
losités  du  continent  hellénique,  nous 
Qcontrerons  Salamine,  Ëgine,Calaurie, 
ydria ,  Typarénus  et  quelques  écueils 
Ilots  que  nous  signalerons  en  passant. 

ASPBGT  GBNBBAL  DBS  GYCLÀDBS.  — 

L'aspect  de  presque  toutes  les  Gycla- 
»,  dit  Villoison,  au  premier  abord  est 

(x)  Yoyez  toute  la  bibliographie  relative 
1  Cvclades  dans  les  indications  de  Forbiger, 
mdùuchderaiten  Géographie,  t2IIyp,Z9a4, 
(a)  Voyei  plus  haut,  p.  19a, 


uniforme.  On  n'aperçoit  en  arrivant  que 
des  rochers  pelés,  secs  et  arides,  souvent 
taillés  à  pic; plusieurs  n'ont  pas  de  port» 
mais  seulement  une  rade,  une  calanque 
pour  les  barques,  les  caigues,  les  saccc^ 
lèves  et  autres  petits  bâtiments.  A  l'ap- 
proche du  premier  bateau  on  voit  accou- 
rir une  foule  d'oisifs  qui  s'empressent  de 
▼ouscrier  de  toutes  parts  t(  ^lÂ^xa?  quel* 
k$  nouvelles  f  et  qui  se  hâtent  de  recevoir 
les  lettres  qu'apportent  le  xapa66xup^  ou 
patron  de  tûirque,  et  qui  les  mteroeptent 

souvent  ou  les  lisent  à  la  dérobée 

Les  anciens  avaient  coutume  de  placer 
Quelques-uns  de  leurs  temples  assez  près 
de  la  mer,  comme  celui  d'A  poUon  Jiglète 
à  Anaphe,  ou  Namfi,  d'Esculape,  que 
j'ai  retrouvé  à  Astypalie  on  Stampalie» 
d'autant  plus  que  les  villes  anciennes  , 
étaient  proches  du  rivage.  Maintenant 
la  crainte  des  corsaires,  qui  ont  souvent 
dévasté  l'Archipel,  a  force  les  insulaires 
à  bâtir  leurs  villages  sur  le  haut  d'une 
montagne,  quelquefois  à  une  ou  deux 
heures  de  distance  de  la  marine.  G'est  ce 

Sue  firent  les  premiers  Grecs,  au  rapport 
e  Thucydide.  Les  modernes  ont  cons- 
truit  de  petites  chapelles  assez  près  du 
bord  de  la  mer;  c^est  là  qu'on  se  met  à 
l'abri  quand  on  veut  s'épargner  la  peine 
de  monter  au  villaee.  G  est  aussi  la  de- 
meure la  plus  ordinaire  des  matelots 
qui  restent  au  port....  Le  chemin  qui 
mène  au  village  est  ordinairement  rude 
et  escarpé ,  et  quelquefois  même  dange- 
reux et  fort  long La  première  chose 

qu'on  aperçoit  en  arrivant  dans  les  bourgs, 
c'est  une  longue  file  de  moulins  à  vent, 
placéeà  l'entrée  du  village.  Les  rues  sont 
ordinairement  étroites,  inégales;  la  plu- 
part ne  sont  pas  pavées,  et  sont  pleines  de 
noue  dans  l'niver,  le  seul  temps  de  l'an- 
née où  il  pleut  dans  l'Archipel*  On  y 
rencontre  à  diaque  pas  des  cochons,  des 
poules.  Dans  quelques  tles,  les  escaliers 
avancent  dans  la  rue  et  en  occupent  la 
moitié.  Tontes  les  maisons  ^nt  cou- 
vertes d'une  terrasse,  revêtue  d'une  co«- 


489 


«Mrfond  pKt  tBsA  de  cMb  a?ee  celle  des 
Pélasspes,  est  un  fait  incontestable)  prin- 
cipalement en  ce  qui  concerne  ce  que 
BOUS  appelons  les  Çyclades.  Deux  on 
trois  lies  seulement,  comme  Mélos  et 
Théra,  échappèrent  anx  Ioniens,  et  fu- 
rent pHBuplées  par  des' colons  d'origine. 
dorienne.  Mais  ce  n*est  là  qu'une  excep- 
tion, qui  ne  détruit  pas  le  fait  général.  Le 
passage  d'Isocrate  qui  vient  d'être  cité 
Qonfîrme  l'assertion  d'Hérodote,  qui ,  à 
son  tour,  trouve  sa  preuve  dans  mille  ren- 
seignements de  détails.  Hérodote  dit  lui- 
même,  en  parlant  de  quelaues  peuples 
insulaires ,  tels  que  ceux  de  Géos ,  de 
Ifaxos,  de  Siphnos,  de  Sériphos,  d'An- 
dros  et  de  Ténos,  qu'ils  étaient  Ioniens 
et  originaires  d Athènes,  Thucydide, 
dans  le  curieux  dénombrement  des  peu- 
ples entratnés  par  Athènes  dans  l'expé- 
dition de  Sicile,  nomme  la  plupart  !de 
oes  insulaires,  et  assure  également  qu'ils 
étaient  Ioniens  et  sortis  d'Athènes. 
«  Velléius  Paterculus  (1),  entre  antres 
tles  qui  furent  occupées  par  la  colonie 
ionienne,  cite  celle  d'Andros,  de  Délos, 
de  Ténos  et  de  Paros,  et  il  ajoute  :  aUas- 
aue  içnobiles ,  expression  par  laquelle 
il  désigne  sans  doute  le  reste  des  Gy- 
dades.  Enfin,  le  scoliaste  anonyme 
de  Denys  le  Périégète  non- seulement 
nomme  toutes  les  Çyclades  où  s'établi- 
rent les  colonies  ioniennes ,  mais  encore 
il  cite  les  noms  des  chefs  qui  conduisi- 
rent ces  colonies.  Ce  passage ,  un  des 
plus  curieux  que  les  anciens  nous  aient 
conservés,  est  aussi  le  seul ,  à  ma  con- 
naissance, où  nous  trouvions  ces  lu- 
mières. Le  chef  de  la  colonie  conduite 
à  Géos  se  nommait  Thersidamas  ;  à  Siph- 
nos ,  Alcénor  ;  à  Délos,  Antiochus  ;  à 
Sériphe,  Éteoclès;  à  Naxos,  Archétime 
et  Teuclus;  à  Rhénée,  Delon;  à  Scyros, 
Hippomédon  ;  à  Mycone,  Uippocles  ;  à 
Andros,  Cenœthus  et  Èur^lochus;  à 
Cythnos,  Cestor  et  Céphallenus  ;  à  Pa- 
ros Glythius  et  Mêlas.  L'île  d'Amorgos 
fut  la  seule  où  les  Athéniens  n'envoyè- 
rent pas*  directement  une  colonie  de 
leur  sein.  Ce  furent  les  Naxiens  qui  s'y 
établirent.  » 

Cette  émigration  ionienne  s^effectua 
Fan  1130  avant  l'ère  chrétienne.-  A 
cette  époque  l'Attique  était  enconû)rée 


d'halntants;  elle  avait  reçu  tous  ks 
peuples  fuyant  l'invasion  des  Dorinset 
des  Héraclides  dans  le  Péloponnèse. 
Aussi  toute  cette  population,  se  sentant 
trop  à  l'étroit  dans  la  stérile  Attique, 
ne  tarda  pas  à  s'écouler  vers  les  tles  et 
l'Asie  Mineure.  L'ambition  de  régDcr 
ayant  divisé  les  fils  de  Codnis,et  laPj- 
tbie  ayant  favorisé  de  son  suffrage  1^ 
prétentions  de  Médon,  Nélée  et  ses  au 
très  frères  résolurent  de  s'expatrier,  et 
devinrent  naturellement  les  chefs  de 
tous  ceux  qui  se  trouvaient  disposés  à 
émigrer.  Ainsi  un  fonds  primitif  de  race 
pélasgique,  sur  lequel  se  soperpaçeDt 
aes  établissements  de  peuples  naTiga- 
leurs.  Phéniciens,  Cretois,  Carîens,le 
tout  recouvert  ensuite  d'une  sorte  (H- 
nondation  de  colonies  d'Ioniens,  race 
sortie  peut-être  du  vieux  tronc  des  Pé* 
lasges,  tels  sont  les  éléments  qui  compo- 
sèrent la  population  des  Cydades  et  en 
général  de  presque  toutes  les  îles  de  b 
mer  Egée  (i). 
Situation   histobiquk  des  Ct- 

CLABES    PENDANT    l' ANTIQUITÉ.  - 

Prise  dans  le  sens  géographique  )a  dé- 
nominatioû  de  Çyclades  est  absolun)ent 
fausse  ;  dans  le  sens  politique  et  re!' 
gicux  elle  est  rigoureusement  exartt. 
et  ce  sens-là  est  le  seul  vrai  et  priniit^ 
vement  accepté  et  compris  par  les  Grecs 
Les  Çyclades  formaient,  en  effet,  c^ 
cercle  ou  confédération,  ou  Amphio- 
tyonie,  dont  l'île  de  Délos  était  lecentr, 
et  où  tous  les  insulaires  envoyaient  des 
théories  sacrées  aux  Pan^ajynes,  ou  a- 
seniblées  générales.  Il  est  à  croire,  av^* 
M.  Bronsted ,  que  la  véritable  cause  Je 
la  discordance  notable  des  anciens  re- 
lativement au  nombre  df  les  désigné^? 
sous  le  nom  de  Çyclades  et  oompn' 
ses  dans  le  groupe  délien ,  c*est  qo" 
les  amphictyons  aéliens,  on  les  mem- 
bres decette  fédération  dlles  y  entnieî* 
ou  s*en  retiraient  selon  que  la  bg»J 
était  favorisée  ou  opprimée.  Quoi  qoi 
en  soit,  il  y  a  beaucoup  de  faits  qui  au(-> 
risent  a  croire  qu'il  s'était  formé  o« 
bonne  heure'  entre  ces  tles  une  fédéra- 
tion qui  ne  dépendait  .d'abord  ni  o  ^' 
thènes  ni  des  villes  d'Asie  unies  oar  I« 
Panionia.  Cette  confédération  formait 
sans  doute  une  amphictyonie  paiticii' 


(t)  Raoul  KocheUe,  Col,  Greeq,^  III,  p.  So.         (i)  Bronsted,  De  V^e  «U  Céos,  p.  56. 


LES  CYCLADES. 


4U 


,  et  Dâot,  oa  le  aanetiuâredMdivi- 
lités  ddîennes,  eo  était  le  centre. 

Au  reste,  sur  ce  point ,  comme  sur 
Dut  ce  qui  regarde  rétat  historique  des 
lyciades  avant  le  sixième  siècle ,  on  en 
st  réduit  k  de  simples  conjectures* 

Avant  la  guerre  des  Perses,  dit  encore 
I.  Bronsted,  on  trouve  peu  de  données 
raiment  historiques  sur  les  Cyclades. 
lepeodant  cette  période  reculée  fut  le 
împs  de  leur  plus  grande  prospérité, 
les  petites  républiques  insulaires,  en 
ossession  de  Tautonomie  dans  toute 
acception  du  mot,  virent  se  dévelop- 
er  leur  industrie  et  leur  activité  com- 
wrciale  par  leurs  relations  avec  les 
llies  grecques  d*Asie  Mineure,  et,  après 
"sammitioius,  avec  l'Egypte.  »  Mais  les 
rogrèsde  la  domination  des  Perses,  en 
roublant  la  paix  qui  s'était  maintenue 
Dtre  les  États  civilisés  de  l'Europe  et 
e  TAsie,  apporta  de  grands  change- 
lents  dans  la  situation  des  Cyclades, 
t  leur  prépara  un  nouvel  ordre  de 
hoses. 

A  la  fin  da  sixième  siècle  elles  furent 
ttaquées  par  les  Perses.  Aristagoras, 
eveu  d'Histiée  de  Milet,  avait  entraîné 
s  satrape  de  Lydie  dans  une  expédition 
ontre  Naxos,  en  lui  faisant  espérer  la 
oumission  de  toutes  les  Cyclades.  Cette 
Dtreprise  échoua,  et  fut  suivie  de  la  ré- 
cite d'Ionie,  qui  fbrça  les  Perses  à  ajour- 
ler  leurs  projets  contre  la  liberté  des 
les.  Après  avoir  replacé  la  Grèce  d'Asie 
DUS  sa  domination,  Darius  envoya  con« 
re  Athènes  Datis  et  Artapheme,  avec 
ordre  de  soumettre  en  passant  les  Cy« 
lades.  De  toutes  ces  ties  il  n'y  eut  que 
(axos  qui  eut  à  souffrir  de  la  rigueur 
es  Perses;  Délos  fut  traitée  avec  un 
eligieux  respect,  et  le  reste,  excepté 
iphnos,  Sériphos  et  Mélos ,  avait  con- 
iré  l'orage  en  faisant  une  prompte  sou- 
lission  et  en  donnant  des  otages.  Cest 
iasi  que  les  Perses  dominèrent  quelque 
^mps  dans  ces  parages.  Après  la  bataille 
e  Marathon,  Miltiade  entreprit  de  leur 
oiever  ces  fies  ;  mais  il  échoua  devant 
'aros,  et  dans  les  dix  années  qui  s'écou- 
nrent  depuis  l'entreprise  de  Datis  et 
Artapheme  jusau'à  la  crande  expédi- 
OQ  deXerxèset  la  bataille  de  Salamine, 

n'y  eut  rien  de  changé  dans  la  situa- 
on  des  Cfdades  à  l'é^  de  la  Perse  : 
es  insuhaies  foomiient  dix-sept  ?»s- 

38*  UvraUom  (LbsGtclapbs). 


•eaux  à  la  Sotte  de  Xenès  (l).Maisdè8 
que  les  armes  grecques  eurent  obtenu 

?uelques  succès,  les  insulaires  rejetèrent 
alliance  forcée  et  peu  naturelle  de  la 
Perse,  et  s'engagèrent  résolument  dani 
la  cause  de  rindépendance.  Dans  les 
combats  de  l'Artemisium,  les  vaisseaux 
de  Céos  combattent  dans  les  rangs  de  la 
flotte  grecque.  A  Salamine  il  se  trouve 
déjà  des  vaisseaux  de  six  ou  de  sept  des 
Cyclades,  savoir,  de  Naxos,  Céos,  Çyth- 
uos,  Sériphos,  Siphnos  et  Mélos,  et  une 
trirème  de  Ténos  échappée  des  rangii 
des  Perses,  la  veille  de  la  bataille  (2), 
Aussi  le  nom  de  toutes  ces  îles  figu- 
rait-il slorieusement  sur  le  trépied  con- 
sacré a  Delphes  par  les  peuples  grecs 
gui  avaient  pris  part  à  cette  mémorable 
journée.  ^  -mi 

Après  la  victoire  de  Salamine,*  les 
Grecs  poursuivirent  la  flotte  perse  à 
travers  les  Cyclades;  et  ThémLstocle, 
avec  son  activité  ordinaire  et  son  habi* 
leté  i»eu  sccupuleuse,  se  hâta  de  profiter 
des  circonstances  pour  étendre  1  empire 
maritime  de  sa  patrie  et  augmenter  sa 
fortune  privée  aux  dépens  des  lies  qui 
s'étaient  laissé  entraîner  à  trahir  la 
cause  commune.  «  Je  viens  à  vous» 
disait  Thémistocle  aux  habitants  d'An- 
dros,  avec  deux  divinités  puissantes,  la 
Persuasion  et  la  I^écessité.  —  Ifous 
en  avons  deux  autres,  répondirent-ils, 
qui  ne  quittent  jamais  notre  tie,  la  Pau- 
vreté et  Vlmpuissance.  »  Les  Athéniens 
se  bornèrent  pour  cette  fois  à  assiéger 
Andros,  qui  résista,  et  à  rançonner  les 
îles  les  plus  compromises  avec  les  Per- 
ses. Ce  n'était  là  que  le  prélude  de  la 
domination  qu'ils  aevaient  bientôt  im- 
poser aux  Cyclades. 

L'année  suivante,  479,  les  Grecs  vain- 
quirent Mardonius  à  Platée.  Après  la 
bataille,  tous  les  peuples  qui  y  avaient 
pris  part  consacrèrent  une  statue  à  Ju- 
piter Olympien.  Le  voyageur  grec  Pau- 
sanias  vit  cette  statue,  dont  il  aonne  une 
description  très-détaillée,  et  copia  l'ins- 
cription qui  l'accompagnait.  C'est  l'acte 
le  plus  authentique  qui  nous  ait  été 
conservé  sur  la  composition  de  Tarmée 
confédérée  qui  remporta  la  victoire  de 
Platée.  Cette  inscription  donne  une  liste 

ri)  Hérodote,  TU,  96. 

(a)  Bronsted,  //e  de  Céos,  ^  7». 


434 


ttrwVEtts. 


de  viDgt-sept  cités,  parmi  lesquelles  six 
£tats  des  Cyclades,  savoir  :  les  Géiens, 
lesMéiiens,  Iqs  TénieDS,les  Naxiens, 
les  Cythniens,   et   les  Éginètes   (!}• 

Tant  que  la  guerre  médique  avait  été 
défensive  et  continentale,  Sparte  avait 
conservé  Thégémonie  ou  le  commande* 
ment  suprême  des  forces  coalisées  de  la 
Grèce.  Afais  bientôt  la  gnerre  changea 
de  caractère  ;  elle  Ait  transportée  dans 
les  îles  et  sur  les  côtes  d'Asie  Mineure, 
et  elle  devint  tout  agressive  de  la  part 
des  Grecs,  et  presque  exclusivement 
maritime.  Alors  la  supériorité  de  la  ma- 
rine athénienne  devait  amener  le  dépla- 
cement de  rhégémonie.  La  retraite  de 
Léotychide ,  roi  de  Sparte ,  qui  laissa 
les  Athéniens  diriger  seuls  le  siège  de 
Sestos,  et  travailler  à  Taffrancbissement 
qes  Grecs  d'Asie  et  des  lies,  Torgueil  et 
les  excès  de  Pausanias  contribuèrent  à 
dégoûter  les  alliés,  qui  se  Jetèrent  dans 
les  bras  d'Athènes,  et  se  rangèrent  sous 
le  commandement  d'Aristide  et  de  Ci* 
ipon. 

D'ailleurs,  ce  n'était  pas  de  la  grande 
oité  dorienne  du  Péloponnèse  que  les 
Iles  et  cités  d^Asie,  presque  toutes  ionien- 
neS)  pouvaient  attendre  leur  délivrance. 
Pans  «a  conseil  tenu  à  Samos  après  la 
bataille  de  Mycale,  les  Péloponnésiens 
avaient  déclaré  qu'il  était  impossible  de 
proiéger  et  de  défendre  continuellement 
Im  Ioniens,  et  ils  avaient  proposé  de  les 
Uansporter  dans  d'autres  établissements. 
I^es  Athéniens  n'avaient  point  été  de  cet 
avis,  et  ils  avaient  soutenu  qu'il  ne  con- 
tenait pas  aux  Péloponnésiens  de  déli* 
bérer  sur  le  sort  de  leurs  colonies  (2). 
Ceux-ci  n'y  contredirent  pas,  et  laissèrent 
à  la  métropole  êtes  Etats  Ioniens  le  pa- 
tironage  de  toutes  les  cités  maritimes, 
que  la  communauté  d'origine  et  d'inté- 
rêt rapprochait  tout  naturellement  d'A- 
thènes. Toutes  les  Cyclades  entrèrent 
dans  cette  alliance,  dont  Aristide  (»ga- 
Disa  les  conditions  en  477. 11  ré^la  Tea 
eontingents  que  chaque  cité  devait  four- 
Air  pour  l'entretien  de  la  guerre  contre 
les  narbanes.  Alors  fut  établi  chez  les 

(t)  Patisan.,  V,  *3,  x.TeteeâMis  Brmi- 
ftted,  p.  xoi,  la  conciliation  de  cette  inscrip- 
tion avec  la  liste  d'Hérodoie,  i|m'  ne  ootofeie 
que  viDgi-qmire  peuples  réunil  à  Plafeéeu 

(a)  H^od.,  rs,  95. 


Âthéhlens  la  magistratui^  des  Hellino' 
famés,  chargés  de  recevoir  les  trlbats, 
dont  le  montant  fut  fixé  d'abord  à  460 
talents  (2,484,000  francs)  ;  le  trésor  flit 
déposé  à  Délos,  Tancien  centre  de  la  000- 
fédération  des  Cyclades ,  et  les  assem- 
blées générales  durent  se  réunir  autour 
du  temple  d'Apollon  (1). 

Dans  le  commencement,  les  Athé- 
niens administrèrent  avec  justice  et  mo- 
dération tes  affaires  de  la  ligue  helléni- 
que; mais  bientôt  leur  pouvoir  dégéDén 
en  une  oppression  qui  devint  presqu*aassi 
odieuse  que  celle  des  Perses.  Le  trésor 
commun  fût  transporté  de  Délos  à  Atb6 
pes  ;  la  contribution  fut  portée  de460i> 
ientsà  600.  Les  assemblées  deDélosioD- 
bèrent  eu  désuétude.  «  La  cessation  delà 
diète  de  Délos  entraîna  une  autre  ioD<> 
vation.  En  formant  la  confédération,  In 
alliés  avaient  très-certainement  déÂdé 
que  ladiètejugerait  les  affaires  fédérales. 
Ce  droit  do  haute  Juridiction  passa  de 
t)élos  à  Athènes  avec  la  girde  du  trésor 
commun.  Mais  cette  juridiction,  bon)^' 
sans  doute  dans  Tongine  à  toute  cause 
regardée  comme  une  infraction  à  FaV 
tiance ,  empiéta  sur  la  juridiction  cirile. 
Cet  empiétement  fût  favorisé  par  res- 
sentiment des  petites  cités ,  qui  se  trou- 
vèrent ainsi  protégées  contre  la  violtcr^ 
des  grandes  ;  et  par  l'idée ,  familière  ûot 
Grecs  malgré  leur  égoîsme  mumcip^i' 
d'une  justice  quelquefois  diercbée  tt 
rendue  liors  de  leurs  murs  (2)  ».  lj«* 
ques-unes  des  îles  puissantes  de  llonif. 
Samos,  Chio,  Lesbos,  protestèr^tcostn 
les  empiétements  successifs  de  la  \0- 
sance  d'Athènes;  mais  les  petites  Q- 
clades  s'en  accommodèrentfaciletnent,^ 
acceptèrent  volontiers  son  autorité jwîi' 
claire,  comme  d^  elles  avaient recoo» 
sa  suprématie  politique.  Dans  la  gU'^> 
du  Péloponnèse,  toutes  ces  îles^eioe&tt 
Ëgine  et  Mélos,  que  les  Athéniens  ruï- 
xierent,  restèrent  Gdèlement  attachées* 
la  fortune  d'Athènes,  dont  elles  ne  fW 
séparées  qu'après  la  bataille  d'^os  1^ 
tamos  (405). 

Mais  elles  regrettèrent  rallianceatij 
nknne  quand  elles  eurent  éprouve  >f 
rigueurs  de  la  domination  spartuaf 


<t)  Thttcyd.,  i,  fl6. 

cb.  xin. 


Mriy»  MMff  «TMfw»  f.  ••^ 


LES  CYCLAMS. 


435 


Aassi,  lorsimiie  les  talents  «t  Factivité  de 
Conon  f^^i^icrate ,  de  Chabiias ,  de  T1- 
mothée  earent  remoûté  Athènes  à  son 
ranç ,  les  Cydaxles  se  replacèreQt  smtt 
la  direction  et  leur  ancienne  métropole. 
Ainsi  se  reforma  le  second  empiine  athé- 
nien, qui  opposa  DémostAiène  et  Pho- 
cion  à  Philippe ,  et  qui  fut  renversé  pat 
le  triomphe  de  la  Macédoine.  A  partir  de 
cette  époque ,  les  Cyclades,  qui  avaient 
perdu  plus  (}tte  jamais  leur  autonomiey 
furent  obligées  dte  dépendre,  comtne  de 
petits  satellites,  soit  de  ta  dynastie  de 
Macédoine,  soit  de  eelle  des  Ptoléméeft 
li'Égypte. 

La  célébré  inscription  d' Adula ,  ^e 
l'on  doit  an  natigateur  Cosmas  Indice- 
pleustès,  attribue  à  Ptolémée-PiiiladeU 
phe  la  souveraineté  des  Cyelades.  Quel- 
lemps  après ,  les  LagideS  furent  privés 
le  la  plupart  de  leurs  possessions  mari* 
timespariesroisde  Syrie  et  de  Macédoi- 
ne :  les  rois  de  Pergame  et  les  Rhodienft 
se  créèrent  des  marines  assez  imposan- 
ts; lesÉtoliens  étendirent  leurs  pirate* 
iesjusaue  dans  la  mer  Egée.  Les  Gy- 
ïlades  aevinrent  la"  proie  de  toutes  ces 
Puissances  ennemies ,  parmi  lesquelles 
loroinait  la  Macédoine.  Chacune  se  fit 
^  part.dans  ce  groupe  d^îles,  vouées  dé* 
jormais  à  la  servitude.  Cependant  Délos^ 
'lie  sainte,  continuait  à  être  Tobjet  de  la 
vénération  des  neuples  et  de  la  munifi- 
cence des  rois.  Les  Lagides,  les  Séleu» 
!ides,  les  roisde  Macédoine  l'embellirent 
fédifices  consacrés ,  et  remplirent  son 
îésor  de  riches  offrandes.  Quand  le^ 
Romains  eurent  abattu  toutes  les  puis- 
anees  grecques  d'Asie  et  d'Europe,  ils 
lélivrèrent  les  Cyelades  des  garnisons 
étrangères  ;  quelques-unes  seulement  fil- 
ent cédées  aux  Athéniens ,  qui  s'étaient 
aitsles  flatteurs  du  sénat.  Les  autres 
devinrent  libres ,  et  Délos  continua  à 
tre  entourée  d'hommases.  Bien  plus, 
près  la  ruine  de  Corintne,  en  146,  les 
iomalas  avant  accordé  la  franchise  an 
>ort  de  Délos ,  celte  lie  devint  le  centre 
la  commerce  de  la  mer  Egée ,  et  le  prin- 
ipai  marché  d'esclaves  du  monde  an- 
ien  (i).  Cette  prospérité  dura  jusqu'au 
emps  de  Mithridate.  Ce  prince ,  aprèà 
^oir  chassé  les  Romains  de  l'Asie  (  88  ), 

(r)  M.  Wallon ,  Bistoîre  de  T Esclavage 
^ans  t antiquité,  t.  II,  p.  45,  47- 


rendit  ses  flottes  dans  !a  mèsr  figée, 
et  Arehélâûs ,  «fou  f^iéral ,  »MMhit  Dé* 
les  et  la  plupart  des  Cycladeâ,  qui  flirreM 
données  à  Athènes,  où  l'on  avait  ^m« 
brassé  ié  parti  du  roi  de  Pont.  Mais  Diélbs , 
attachée  à'  rafliance  totbaine ,  se  hâta 
d'y  revenir  à  la  première  oecasioi^,  et  Se 
crut  en  Sûreté  sons  h  protection  d^nné 
garnison  de  Romains.  Cependant  elle  ne 
put  édiapner  à  la  vengeance  implacable 
deMithriuate.  La  ville  fut  renversée  de 
fond  en  comble  par  Ménophane ,  lieute- 
nant du  roi  de  Pont,  les  habitants  égor^tîs, 
le  temple  d'Apollon  dévasté ,  et  la  statue 
du  dieu  fut  jetée  à  la  mer.  Tout  fut 
détruit,  et  depuis  cette  époque  Dëldé 
ne  fiit  plus  qu^lnë  plage  désolée. 

Après  la  défoite  de  Mithridate .  qui 
occupa  tour  à  tour  les  armes  de  sylfà , 
de  Lucullus ,  de  Pompée  ^  l'empire  de  là 
mer  fut  assuré  aux  Romains,  qui  la  t)ùr- 
gèrent  de  la  piraterie.  Le  repos  succéda 
a  ces  guerres  jfbrteuses  dont  les  ties 
avaient  tant  eu  à  souffrir,  et  les  Cyelades 
purent  s'adonner  librement  et  en  paix 
au  commerce,  à  l'ombré  de  cette  protec- 
tion romaine  qui  les  sauva  en  les  assu- 
jettissant. Sous  Vespasien  elles  f\iredt 
converties  en  province  romaine ,  màié 
leur  prospérité  se  maintint  jusqu'au 
temps  où  l'empire  Commença  a  s'affili* 
blir. 

Cest  au  quatrième  siècle  de  Tèré  chré- 
tienne que  les  barbares  se  montrant  pour 
la  première  fois  dans  l'Archipel.  Lei^ 
Goths ,  les  Scythes  ravagent  les  Cyela- 
des, en  376,  sous  l'empereur  Valens. 
Après  la  division  de  l'empire  romain , 
les  Cyelades  font  partie  de  l'empire  d'O- 
rient, dont  les  mattres  ne  peuvent  leur 
assurer  qu*une  insuffisante  protection 
contrôles  courses  des  Sarrasins.  En  727,' 
les  lies ,  où  tant  d'alises  et  de  monas- 
tères avaient  succédé  aut  anciens  tem- 
ples, se  révoltèrent  contre  Léon  11- 
Saurien,  qui  avait  ordonné  partout  la 
destruction  des  saintes  iinages.  Cosmai 
fut  mis  à  la  tête  de  la  rébellion  et  pro* 
clamé  empereur;  maïs  il  périt  att  siégé 
deConstantinoplc,  et  Léon  Fîconoclaste 
rétablit  son  autorité  par  des  supplices. 
En  769  irruption  des  Esclavons,  qui  dé* 
vastent  plusieurs  Cyelades.  En  821 ,  souè 
Michel  le  B^e,  les  Sarrasins  d'Ëspa? 
gne  y  répandent  le  pillage,  s'installent 
eft  Crète,  d'où  pendant  cent  trente^cinq 

28. 


/ 


486 


L'UNIVERS. 


ans  ils  inquiètent  eontinaellement  les 
malheureuses  Cydades,  vouées  pour  des 
siècles  aux  ravages  des  barbares  et  des 
pirates. 

Après  la  conquête  de  Gonstautinople 
par  les  guerriers  de  la  quatrième  croi- 
sade, les  Cyclades  furent  comprises  dans 
le  lot  qui  échut  à  la  république  de  Ve- 
nise. Mais  cette  république,  embarrassée 
de  ses  acquisitions,  et  ne  pouvant  elle- 
même  se  charger  du  soin  de  réduire  et 
d'administrer  tant  de  possessions  disper* 
sées  dans  une  vaste  mer,  fit  proclamer 

3 u'elle  donnerait  en  fief  à  ceux  qui  vou- 
raient  bien  les  conquérir  les  lies  dont 
ils  se  seraient  rendus  maîtres.  Ce  dé- 
cret jeta  l'émulation  la  plus  vive  parmi 
la  noblesse  vénitienne;  séduits  par  Tes- 
poirde  devenir  souverains,  des  seigneurs 
opulents  ou  aventureux  firent  des  ar- 
mements à  leurs  frais,  et  commencèrent  ^ 
la  conquête  des  fies.  Ils  y  formèrent 
plusieurs  duchés,  dont  quelques-uns  du- 
rèrent plusieurs  siècles.  André  et  Jérôme 
Ghizzi  prirent  les  îles  de  Tine,  de  Scy  ros, 
Scopelos,  Mycône,  où  existent  encore 
des  familles  de  ce  nom ,  et  peut-être  de 
leurs  descendants  ;  Raban  ou  Ravin  Car- 
cerio ,  gentil-homme  véronais ,  se  ren- 
dit mattre  d'une  bonne  partie  de  Négre- 
pont  ;  les  Pisani  s'établirent  à  Néa  ou 
Eamnisia  près  de  Lemnos,  les  Querini  à 
Astypaiée;  enfin  Marc  Sanudo  compléta 
l'établissement  du  régime  féodal  dans 
les  Cyclades  en  s'emparant  de  Naxie, 
qui  devint  sa  résidence,  de  Paros,  An- 
tiparos,  Milo,  FArgentière,  Sifanto, 
Policandro,  Nanfio,  Nio  et  Santorin 

il207).  L'empereur  Henri,  successeur 
e  Baudoin  au  trône  de  Constantinople , 
donna  à  Sanudo  le  titre  de  duc  de  l'Ar- 
chipel et  de  prince  de  l'empire.  Toutes 
ces  tles  soumises  à  la  domination  des 
ducs  de  r^axie  s'appelaient  en  ^rec 
DucanisiQj,^  et  plus  tard,  par  corruption, 
DodécanUia  y  les  douze  fles.  Les  ducs 
régnèrent  dans  les  Cyclades  pendant 
plus  de  trois  cents  ans,  et  cette  dynastie, 
composée  des  maisons  Sanudo  et  Crispo, 
compta  vingt-et-un  ducs,  dont  nous 
donnerons  1  énumération  à  l'article  de 
Kaxos.  En  1666,  Sélim  II  détruisit  cette 
principauté,  qu'il  donna  d'abord  au  juif 
Alichel  Nâssy,  après  lequel  ces  îles  re- 
levèrent immédiatement  du  grand-sei- 
gneur* 


Les  Cyclades  furent  traitées  avec  asm 
de  ménagements  par  les  Turcs.  La  Porte 
n'y  envoya  ni  ofnciers  ni  gouverneurs 

Eour  y  présider  en  son  nom  ;  c'était  d'a- 
ord  l'intention  du  Divan,  et  chaque 
île  considérable  eut  son  bey  et  son  ôdi 
qui  la  gouvernait.  Mais  les  Vénitiens 
et  autres  armateurs  chrétiens,  qui  cou- 
raient ces  mers,  en  enlevèrent  un  si  erand 
nombre  qu'ils  allaient  vendre  à  Malte  ou 
à  Livourne,  que  les  Turcs  prirent  le 
parti  de  ne  plus  résider  dans  ces  Iles 
et  de  ne  les  gouverner  aue  de  loin.  De- 
puis ce  temps,  chaque  île  forma  comme 
une  petite  république  qui  élisait  tous  les 
ans  ses  magistrats  appelés  épUropes. 
Ces  épitropes  avaient  des  attributions 
très-étendues  ;  ils  rendaient  Injustice, 
ils  levaient  le  tribut  <^u'on  devait  payer 
au  srand  seigneur.  Des  que  le  capitân- 
pacha  paraissait  avec  sa  flotte  à  Drio, 
port  situé  au  sud-est  de  lUe  de  Paros. 
ils  allaient  le  trouver  et  lui  porter  Tim- 
p6t  de  leurs  îles  respectives.  En  se  sou- 
mettant aux  Turcs,  les  insulaires  du 
duché  de  Naxie  obtinrent  une  capitula- 
tion, ou  ahd-naméj  qui  leur  assurait  le 
libre  exercice  de  la  religion  chrétienne , 
avec  le  droit  d'avoir  des  cloches  «  de  ré- 
parer leurs  églises  et  de  les  réédifier  s'il 
était  nécessaire  (I). 

Quelle  que  fût,  du  reste,  la  conditioa 
des  insulaires  grecs ,  sous  la  domination 
des  Turcs,  ils  n'en  restèrent  pas  moins 
fidèles  aux  deux  sentiments  oui  devaient 
produire  plus  tard  le  réveil  ae  la  natio- 
nalité hellénique,  c'est-à-dire  le  désir 
de  la  liberté  et  la  haine  de  rislamisroe. 
Lorsque  la  révolution  éclata  »  il  y  avait 
longtemps  que  des  projets  d'insurrection 
couvaient  sourdement  dans  le  cœur  des 
Grecs.  Déjà  ils  avaient  fait  une  première 
tentative  en  1770,  à  l'instigation  d« 
Catherine  II,  impératrice  de  Russie,  qni 
les  poussait  à  un  mouvement,  pour 
réaliser  ses  ambitieux  desseins  contre 
l'empire  ottoman.  Sur  la  foi  d*ane  vieille 
prédiction  accréditée  parmi  eux,  que  Tem* 

Eire  turc  devait  être  détruit  paruneoatioa 
londe,  les  Grecs  regardaient  les  Rus- 
ses comme  leurs  futurs  libérateurs.  A 
Tarrivée  des  secours  promis  par  Catbe- 


(i)  Voyez  le  texte  de  cette 
dans  VHisloire  de  Santorin  de  Vi 
p.  609. 


|iîlaUtioa 


LES  GTCLADES. 


417 


rioe  n»  ilsprirent  les  armes  ;  an  eertaîn 
Dombre  d'insulaires  passa  en  Morée, 
poor  soutenir  les  opérations  d'Alexis 
Orlofî;  mais  la  mésintelligence  divisa 
bientôt  les  alliés,  et  les  Grecs,  revenus  de 
leurs  espérances,  et  s'apercevant  que  les 
Rosses  ne  song^ient  qu'à  les  compro- 
mettre avec  les  Turcs,  ajournèrent  pour 
un  temps  plus  favorable  leur  soulève* 
ment  définitif.  Les  Russes  continuèrent 
ia  guerre  avec  de  grands  armements; 
et  en  1774  ils  s'emparèrent  des  tles 
de  TArdiipel,  qu'ils  occupèrent  en  partie 
pendant  quatre  ou  dnq  ans. 

Cependant  la  domination  des  Turcs  se 
rétablit  dans  les  Cyclades,  et  le  temps  qui 
précéda  l'explosion  de  la  guerre  de  l'm- 
dépendance  lut  pour  quelques-unes  deces 
SIes  une  époaue  de  prospérité  qui,  au  lieu 
de  les  attacner  davantage  au  gouverne- 
ment de  la  Porte,  augmentait  leur  désir 
de  s'affranchir,  en  leur  en  fournissant 
les  moyens.  Pourtant,  toutes  les  îles  ne 
se  précipitèrent  pas  avec  empressement 
dans  le  mouvement  insurrectionnel.  Ex* 
cepté  les  plus  riches  et  les  plus  puis- 
santes ,  comme  fiydra  et  Spetzia ,  qui 
sacrifièrent  avec  enthousiasme  leur  pros- 
périté présente  à  l'espoir  incertain  de  la 
liberté ,  la  plupart^  hâiitèrent  à  rompre 
avec  les  Turcs,  dont  Thabitude  rendait 
ia  domination  assez  douce ,  et  plusieurs 
ne  s'y  laissèrent  entraîner  que  malgré 
elles.  Aussi  l'ancien  état,  d*où  Ton  sor- 
tait si  violemment ,  inspira  à  bon  nombre 
d'insulaires  des  regrets  qui,  dans  les 
commencements  anarchiques  de  la  ré- 
volution grecque ,  ont  fait  plusieurs  fois 
maudire,  dit  un  témoin  oculaire  (1), 
la  nouvelle  liberté  qu'on  venait  de  con- 
quérir. L'augmentation  des  taxes,  des 
actes  de  violence  et  de  brigandage  que 
rien  ne  pouvait  réprimer,  l'anéantisse- 
ment des  institutions  locales ,  les  usur- 
pations et  la  tyrannie  de  chefs  aventu- 
reux ,  qui  s'imposaient  par  la  terreur  à 
des  populations  trop  paisibles  à  leur 
gré ,  le  soulèvement  des  Grecs  contre 
les  catholiques,  des  pauvres  contre  les  ri- 
ches, Tanarchie,  la  misère,  résultats 
nécessaires  du  déchaînement  de  pas- 
sions quelquefois  généreuses ,  toujours 
violentes ,  tels  furent  les  maux  qui  fon- 
dirent sur  les  Cyclades,  et  qui  accom- 


pagnèrent pour  elles  le  douloureux  en* 
tantement  de  la  liberté  hellénique. 

Après  la  première  période  de  la  guerre 
de  l'indépendance,  si  singulièrement 
mélangée  d'héroïsme  et  de  crime,  de 
grandeur  et  de  misère  (1821-1827), 
où  ia  Grèce  sortit  du  néant ,  mais  où  elle 
resta  dans  le  chaos ,  commence  le  travail 
d'organisation  de  tous  les  éléments  dont 
le  nouveau  peuple  grec  devait  se  compo- 
ser. Ce  fut  la  bataille  de  Navarin  qui 
sauva  les  Grecs  d'une  ruine  totale  et 
inévitable,  qui  raffermit  Tautorité  chan- 
celantede  leur  gouvernement.  Déjà  Capo- 
d'Istria  avait  été.appelé  à  la  direction  des 
affaires.  «  Soutenu  par  la  France ,  l'Ao- 
gleterre,  et  la  Russie,  cet  homme  fait 
disparaître  tous  les  pirates  qu'on  disait 
.encouragés  par  la  politique  des  puis- 
sances ârangères ,  établit  le  gouverne- 
ment sur  de  nouvelles  bases ,  remplit 
peu  à  peu  tous  les  postes  d'hommes 
plus  intègres ,  moins  farouches  et  moins 
Barbares.  Dès  lors  (1830)  la  police  est 
mieux  réglée  .et  mieux  servie,  la  justice 
mieux  administrée ,  les  lois  sont  mieux 
observées,  les  crimes  mieux  réprimés, 
et  le  bon  ordre. qui  règne  alors  partout, 
et  auquel  il  a  commencé  à  accoutumer 
la  nation ,  promet  de  jour  en  jour  à  la 
Grèce  un  avenir  plus  heureux,  et  toute  la 
tranquillité  des  États  civilisés  (1).  » 

Le  21  septembre  1831,  Capo-d'Istria 
meurt  assassiné  par  deux  des  Mavromi- 
chalis ,  en  entrant  dans  l'église  de  Saint- 
Spiridion ,  à  Nauplie.  Alors  l'anarchie 
recommence;  les  prétentions^  rivales, 
les  animosités  personnelles  des  che£s  en- 
tretiennent le  désordre;  la  commission 
provisoire  présidée  par  Condouriottis 
ne  peut  se  faire  obéir;  l'Assemblée  natio^ 
nale  de  Pronoia  ne  peut  enfanter  une 
constitution.  «  Justement  préoccupées 
de  l'avenir  d'une  nation  qui,  par  son 
inexpérience,  compromettait  les  fruits 
de  son  héroïsme ,  les  trois  puissances 

Ï protectrices,  la  France,  l'Angleterre, 
a  Russie,  s'étaient  concertées  depuis 
longtemps ,  et  avaient  décidé  que  la  cou- 
ronne de  la  Grèce,  constituée  en  mo- 
narchie héréditaire,  serait  offerte  au 


(t)  L*abbé  Pèeues,  ibidn/^,  S^i-ôn'j^ 


(x)  L*abbé  Pègues,  ibid,,  p.  64x» 


^9% 


vomtMà 


MIsétl ,  4f ïM  lé  pkéMml  Ospè-d*^tffiâ  ; 

dans  des  tues  d'dmbitioû  petflomiellet 
aviiil  puissamment  oontrîbdé  m  nius 
Qtt  f^Htieë  LéôpoAd.  La  cOBfé^edoe  rfè 
ïiOodt^s  se  tourna  triors  du  eôté  de  lA 
Bavière,  dobt  le  roi,  dit-en,  avait ^ttt 
désirer  la  eôurorine  helléni^foe  podr  son 
second  fils ,  le  priAee  Otboti.  Ce  prlnes 
fyt  en  effet  prcksiamé  souveraiu  par  le 

Srotoeole  dû  Id  fétriet  1839,  et  il  dé* 
àr(]ua  à  Nadplie ,  le  6  féVrier  1893 ,  au 
ft)ilieu  des  acelamëtiOns  d'mi  peuple  qui 
commençait  à  se  lasser  dme  soi-disant 
indépendance  pdltti^e,  <}ui  tie  pi^odbisalt 
«fue  Tanarchie,  et  d'Ude  prétendue  fl^ 
Derté  individuelle,  qui  avait  pour  cortège 
k  stérilité  du  sol  et  la  fiiisère  des  fa* 
milles  (1)  ».  A  sou  avénemèbt  lerei  Otlioe 
était  encore  mineur  ;  peudënt  tiugt-huit 
iiiois,la  régence  fut  exeivée  par  MM  Mau- 
rer,  Abel  et  Armattsberg.  Le  fjuifc 
1885  le  roi  fut  déclaré  majeur.  Quel- 
ques mois  auparavant ,  décembre  1884  » 
)e  siège  du  gouvernement  aVàit  été  trans- 
féré de  Nauplie  à  Athènes.  EU  1848,  à 
la  suite  d'un  mouvement  insUrreetion- 
àel  dont  Tarmée  donna  le  signal,  le  gou- 
vemement  de  la  Grèce  devint  consti- 
tutionnel ;  et ,  après  les  travaux  d'une 
assemblée  nationale ,  la  constitution  qui 
régit  aujourd'hui  le  royaume  hellénique 
fut  publiquement  acceptée  pdr  le  roi 
Othon,  et  promulguée  le  80  mars  1844. 
Ainsi,  après  vingt  siècles  de  vicissitudes, 
après  avoir  obéi  tout*  à  tour  à  toutes 
les  puissances  qui  ont  dominé  dans  le 
Iicvant,  après  avoir  subi  toutes  les  inva- 
sions  des  barbares  qui  Font  ravagé,  les 
Cjelades ,  par  un  retour  aussi  heureux 

âu'inattendu ,  se  retrouvent  rattachées 
e  nouveau  à  Athènes,  leur  ancienne  mé- 
tropole, deveuue  la  capitale  d'un  gou- 
vernement mille  fois  plus  ddlix  et  plus 
équitable  que  celui  que  les  vainqueurs 
de  Marathon  et  de  Salamine  avaient  im- 
posé à  leurs  alliés. 

u. 

l^àAtlCUtÀBITés  SUR  tSS  GYCLADBS. 
tLB  n^ANDltOS. 

A  dix  milles  au  sud-est  au  cap  Gé- 
reste,  pointe  méridionale  de  FEul^e,  se 
trouve  rile  d* Andros,  qui  a  quatre-vingt- 

(z)  C.  Leconte  Étude  Économique  de  h 
Crècê,  p.  4i. 


•sUs  mittes  de  tottr.  Flfaito  «MteièDB  ta 
autres  noms  «tépithètes  poétiques  :  Gau- 
f tM^,  Antandros ,  Lasia ,  Nonagna ,  Hy- 
drussa ,  Épagris  (1).  Le  noni  d'Andros 
kii  vint  d'Andréas  sa  d' Andros.  D'après 
Conoo,  cet  Andros  était  fils  d'Anius, 
fils  d'Apollon  et  de  Creuse  ;  selon  Dkh 
dore,  o*etaltun  des  i^énéraiix  que  Rha- 
damante  établit  danseettelle,ao  tenifs 
de  la  doroinatlen  des  Cretois  sur  lis 
Cyelades.  Andros  avait  «ne  capitale  d« 
mdme  nom  située  sur  la  côte  slid-ouest , 
{Hrès  du  port  Gaurion ,  aojounfhul  Cas- 
rio.  On  en  voit  remplacement  a  raidroît 
appelé  Palépolis,  où  il  reste  des  quartiers 
de  murailles  très-solides,  surtout  dan 
un  lieu  très«remarquable,  où  suivant  les 
apparences  était  la  citadelle  «loot  Tite- 
Liveiait  mention.  L'édiÛce  le  plus  con- 
sidérable de  cette  belle  dté  éUtt  le  tem- 
ple de  Bacehus,  la  principale  divioiié 
d'Andros. 

Cette  lie  renferme  des  plaines  et  d^ 
valléesd'uoegrandefécotiaité.  LapUiae 
de  Livadia,  qui  est  à  gauche  de  Cato-Cas- 
tro^  l'ancienne  fbrteresse  des  Tares,  est 
plantée  d'orangers,  de  citronniers,  de 
mûriers,  de  jujubiers,  de  grenadiers  et  d« 
dguiers.  A  droite,  on  entre  dans  la  vallée 
de  Méguitez,  aussi  agréable  que  l*autre, 
et  arrosée  de  ces  Mlles  sources  qsi 
viennent  des  environs  de  la  Madona  de 
Cumulo,  chapelle  fameuse,  tout  an  liaut 
de  la  vallée.  La  ville^aetuelle  d*Andros 
est  sur  la  côte  nord-est  de  l'Ile.  Touni6 
forténumère  les  vingt-six  villagesde  nie, 
dont  il  évalue  la  population  à  4,000  âmes 
seulement. 

Dans  rantiquité  Andros  a  partagé  te 
sort  de  toutes  les  Cyclades.  Au  sixièioe 
siècle  ses  habitants  étaient  soauûs  aux 
Naxiens,  et  ils  furent  les  premiers  à  em- 
brasser le  parti  des  Perses.  Après  la  ba- 
taille de  Salamine  Thémistoele  s>n  eai- 
para  de  vive  force  :  elle  fut  assez  maltraité 
parles  Athéniens,  puisque  Pérldès  y  en- 
voya une  colonie  de  950  hommes.  Dans 
la  guerre  du  Péloponnèse  eUe  se  donM 
aux  Spartiates.  Alcibiade  es$a5-a  vaiD^ 
ment  de  la  reprendre;  les  insulaires,  reo- 
fermés  dans  le  flMrt  deGaurium,  loi 


(x)  Pliii.,  IV,  ai,  i;  cf.  t'ourliefort,  I, 
p.  347  ;  Diippery  p.  269  ;  Foibiger,  BûiA. 
der  ait.  Geogr,,  QI^  iOft4;  CboiswI-GW- 
fier,  1.  t  y  «te,- 


LE»  crauAovs. 


m 


tèmt  ReeMifkiMr  pur  tw  AlMpifUt^ 

soamise  ensuite  an  t9k  éé  Maeédoine« 

elle  fiik  bientèl  après  ▼WeiMDt  disputée 

par  les  socoesseun  d'Aleiamlre.  Ptolé- 

mée  Lagosi  s'étanf  présenté  dans  1a  oaer 

£gée  poory  combattre  Finflaeaced' And- 

sone  et  de  son  fils  Démétrios,  promit  la 

liberté  aux  Andriens.  La  garnison  d*An- 

tigooe  fat  obligée  de  se  retirer,  et  la  ville 

d'Aodros  reeoufra  son  indépendance. 

Pendant  la  guerre  contre  Pbilippe  lil , 

Andros,  qui  était  revenue  a  k  Macé- 

doioe,  fut  assiégée  par  Attale  et  les  Ro* 

mains.  Ils  s'en  emparèrent,  et,  selon 

leurs  conventions  y  le  bntin  fut  donné 

aux  Romains,  et  le  roi  de  Pergame  garda 

rile.  Quand  les  Romains  héritèrent  du 

rojaunie  de  Pergame,  129,  Andros  passa 

entre  leurs  mams,  et  y  resta  jusqu'au 

temps  des  empereurs  grées. 

Quelque  temps  après  la  prise  deCk>ns- 
tantinople  (1304).  Marino  Dandolo  se 
saisit  de  111e  d'Andros.  Elle  fut  ensuite 
possédée  par  la  maison  de  Zéno ,  et  don- 
née pour  dot  à  Cantiana  Zéno,  épouse 
deCaoursin  de  Sommariva,  comme  le  re- 
marque le  P.Sauger,  dans  laVieaeJacques 
Crispo,  onzième  duc  de  Naxie.  Gaourôn, 
troisième  du  nom  et  septième  seigneur 
d' Andros  9  fut  dépouille  par  Barberons- 
se;  maisàlasollicitudederambassadenr 
de  France,  Soliman  n  le  rétablit  dans 
^n  domaine.  Jean«François  de  Somma- 
riva  fut  le  dernier  seigneur  de  cette  tle; 
^  ses  sujets  du  rit  grec,  après  avoir 
'oulu  ras8a8siner,sedonnereotauz  Turcs 
)our  se  délivrer  tout  à  fait  de  la  domi- 
jation  des  Latins.  Dans  la  guerre  de 
'iodépendance,  A|idros  se  souleva  en 
néme  temps  que  les  Psariotes  ;  et  Ton 
'  massacra  les  Turcs  qui  y]  résidaient. 
>Ue  tle  forme  aujourd'hui  une  épar- 
hie  de  la  nomarcbie  des  Cyelades.  Ses 
abitants  vivent  du  produit  db  leurs 
ignés  et  de  leurs  oliviers  ;  ils  possèdent 
eaucoup  d*arbres  fruitiers  ;  on  y  trouve 
lus  d'orge  ^ue  de  froment,  ils  font  des 
iqueurs  spiritueuses  avec  le  fruit  de 
arbousier  et  du  mûrier  noir.  Leur 
rineipale  richesse  consiste  dans  la  ré- 
Dlte  de  la  soie. 


tUI  l»BrVM0S<|)i 


Un  canal  aiiî  n'a  pas  plus  d'un  mlllô 
de  largeur  sépare  Andros  de  Tlle  de  Té« 
nos  (T^voc,  Tino,  Tine);  mais  on  ne 
peut  le  franchir  qu*ea  calque ,  cal  le^ 
six  rochers  oui  en  occupent  le  milieu  en 
interdisent  le  passage  aux  gros  bâti.- 
ments.  Ténos  a  été  appelée  Hydrussa , 
nie  couverte  d'eau;  Ophiussa,  Hle  aux 
serpents,  fîésychlus  prétend  que  le  mot 
detéuia,  vipère, vient  du  nom  de  Ténos'. 
JBochard  fait  dériver  Tenos,  ou  Tanos  en 
dialecte  dorien,  du  phénicien  Tannoth, 

Sui  signifie  serpent  ef  dragon.  Mai£ 
itieune  de  Ryzance  fait  venir  ce  nom  de 
celui  d'un  certain  Ténos,  qui  s*y  établit 
le  premier. 

Ténos  a  sohante  milles  de  tour  ;  elle 
est  creusée  circulairement  en  forme 
d'entonnoir  très*éva&é*,  eOe  sMtend  du 
.nord» ouest  au  sud-est,  tout  hérissée 
de  montagnes  pelées,  mais  la  mieux 
cultivée  de  rArcnipel.  Au  dire  de  Str<i- 
bon ,  rancienne  Ténos  avait  une  petite 
ville;  rien  ne  subsiste  de  son  beau 
temple  de  Neptune ,  témoignage  de  la 
reconnaissance  des  habitants,  délivrés 
jadis  par  ce  dieu  des  serpents  qui  cou- 
vraient leur  île.  Des  monnaies  de  Ténos 
représentent  un  trident  autour  duquel 
est  enroulé  un  serpent;  d'autres  por- 
tent une  grappe  de  raisin  et  la  tête  de 
Jupiter- Ammon.  Le  bourg  de  Saint-Ni- 
colo,  capitale  actuelle  de  Tine,  est  bâti 
sur  les  ruines  de  l'ancieaue  ville.  Au 
lieu  de  port ,  il  n'a  qu'une  méchante 
plage  qui  regarde  le  sud,  et  d  où  l'on  dé- 
couvre Syros.  A  une  bonne  heure  de  che- 
min du  bourg ,  est  l'ancienne  forteresse 
vénitienne,  située  sur  le  sommet  le  plus 
élevé  de  l'Ile ,  et  de  très-difûcile  accès. 
Un  peu  avant  d'arriver  au  château, 
dont  il  ne  reste  que  des  débris,  on  tra- 
verse un  village  qni  est  tout  à  fait  aban- 
donné; quelques  maisons  en  ruines 
Sortent  encore  les  écussons  armoiries 
e  leurs  anciens  propriétaires.  Du  haut 
de  ce  rocher  on  découvre  une  partie  des 
Cyelades,  et  la  vue  s'étend  jusqu'à  Sa- 
œos  et  aux  côtes  d'Asie  ;  on  plane  sur 
toute  Ptle,  dont  on  distingue  parfaite- 

(i)Marluky-ZÉllûay,  royale  à  Tme^  Br- 
vis,  1809;  A]«zit  de  Tâloo,  l'iU  dé  Tine;  Jlf «• 
««f  iUê  Dém Mondes,  iS43, 1. 11, 787, 


44« 


L'UMIVK&S. 


ment  lei  creux,  be  relieCi  et  lei  sinnod- 
tés.  «  A  défout  de  forêts ,  dit  un  voya- 
geur, les  coteaux  sont  retétus  dun 
grand  nombre  de  figuiers  et  de  mûriers 
qui»  sans  atteindre  Jamais  une  haute 
croissance ,  n*en  donnent  pas  moins  un 
ton  vert  et  riant  au  paysage.  Une  soixan- 
taine de  villages  blancs,  à  toits  plats ,  et 
d'églises  avec  leurs  clochers  en  forme 
de  minarets,  qui  annoncent  TOrient,  se 
dressent  au  milieu  de  ces  arbres  et  se 
détachent  vigoureusement  sur  leur  som- 
bre feuillage.  Un  ruisseau,  pompeuse- 
ment nommé  Fiumè^  traverse  Itle  et 
la  féconde.  Au  lever  d^un  beau  soleil  de 
mai ,  tout  cela  était  éclatant  de  lumière 
et  de  verdure;  toutefôiâ,  la  fertilité  de 
Ténos  u^est  remarquable  que  par  le  con 
traste  gu*elle  oppose  à  la  désolation  des 
Ues  voisines  ;  son  éclat  n'est  que  rela- 
tif. »  Elle  n'est  la  plus  verdoyante  des  Cy- 
olades  que  parce  qu'elle  est  la  plus  cuiti- 
vée,etsouvent  en  dépit  de  la  nature.  «  A 
défaut  de  terre,  on  y  laboure  les  pierres  ; 
et  nous  pûmes  voir  que  des  champs  de 
blé  ou  aorge  chétifs  et  un  assez  bon 
nombre  de  figuiers  récompensent  le  tra- 
vail des  habitants  :  ce  jour-là,  ils  faisaient 
leur  récolte.  Ces  pauvres  Grecs  coupant 
avec  peine  la  paille  rabougrie  qui  crott 
dans  leurs  petits  champs  entourés  de 
murailles,  nous  faisaient  tristement 
songer  à  nos  belles  moissons  de  France, 
si  animées ,  si  joyeuses.  » 

Les  anciens  Téniens  étaient  fort  adon- 
nés à  la  navigation.  Leur  tie  possède  à 
son  cdté  nord-est  un  port  appelé  Porto- 
Palermo,  où  les  plus  grands  vaisseaux 
peuvent  mouiller  à  Taise.  Toutes  les  mé- 
dailles de  Ténos  représentent  des  attri- 
buts maritimes,  Neptune,  le  trident, 
les  dauphins.  Nous  avons  vu  la  condi- 
tion de  Ténos  dans  l'antiquité ,  oii  les 
Athéniens  la  possédèrent ,  avant  qu'elle 
passSX  aux  Romains.  Dans  les  temps  mo- 
dernes ,  Tine  est  longtemps  restée  au 
pouvoir  des  Vénitiens.  André  Ghizzi  se 
rendit  mettre  de  cette  tIe  l'an  1207  et 
les  Turcs  ne  purent  s'en  emparer  qu'en 
1714.  Barberousse  faillit  la  surprendre 
en  1&87,  lors  de  'sa  grande  expédition 
dans  r Archipel .  Mais  les  habitantsle  for- 
cèrent à  abandonner  son  entreprise.  En 
1570 ,  sous  Sélim  II ,  au  moment  de  la 
guerre  deChypre,  huit  mille  Turcs  débar- 
quèrent dans  1  fie,  la  piilènfflt,  sans  pou- 


foir  É'enipareir  de  la  ^fartsreise.  Dsv 
«ns  après  Tine  fèt  ezpMée  à  une  troi- 
dème  IneorBion  des  Tores;  et  ces  nu- 
ques se  renouvelaient  à  chai|ii6  guene 
qui  éclatait  entre  Venise  et  la  Porte. 
«  Dans  la  dernière,  dit  Tourncfort, 
Mezzo  Horto ,  capitan-paeha ,  écrint  m 
provéditeur,  à  la  noblesse  et  au  dense 
de  l'fle  qu'il  feroit  mettre  tout  le  pavs  à 
feu  s'ils  ne  lui  payoient  pas  la  eapitatH»; 
on  répondit  qu'il  n'avoit  qu'à  venir  la 
recevoir;  et  lorsqu'il  parut  avec  ses  ga- 
lères, le  provéditeur  Moro,  bon  homoie 
de  guerre ,  fit  sortir  mille  ou  douze  cents 
hommes  des  retranchements  delà  roanoc 
à  San-Nicolo.  Ces  troupes  empéchéreot 
par  leur  grand  feu  qu*on  n'abordât,  et  le 
eapitan-paeha,  vovant  gu'on  s'y  prenoit 
de  si  bonne  p^ce,  fit  retirer  ses  galères.  • 

Les  Vémtiens  n'entretenaient  pas  ée 
troupes  réglées  dans  cette  Ile;  mais  ilseï 
avaient  organisé  les  habitants  en  milices 
que  des  exercices ,  de  fréquentes  remei 
tenaient  en  haleine,  et  qui  pouvaiesi 
fournir  cinq  mille  hommes  au  premier 
signal.  Quand  T  urnefort  visita  nk,  il 
ne  trouva  dans  la  forteresse  ou*une  gar- 
nison de  quatorze  soldats  mal  vêtus,  a 
nombre  desquels  étaient  sept  dcsertain 
français.  Les  Vénitiens  tinrent  boa  i 
Tine  jusqu'en  1714.  Le  provéditeur  d'a- 
lors, Bemardo  Baibi,  était  un  homiK 
sans  courage  et  sans  résolution.  Il  s*ef> 
fraya  à  l'apparition  des  vaisseaux  lurci; 
et  malgré  les  prières  et  les  larmes  à» 
habitants,  qui  à  grands  cris  deons* 
daient  à  se  défendre,  il  se  raidit  à  b 
première  sommation.  On  le  laissa  s'esh 
barquer  avec  sa  garnison,  et  il  arriva  à 
Venise,  où  il  fut  condamné  a  passer  a 
prison  le  reste  de  sa  vie.  Mais  Tisc 
était  perdue  pour  la  république,  et  dcv 
cents  familles  tiniotes  forent  déportées 
sur  les  côtes  d'Afrique. 

Le  long  séjour  des  Vénitiens  daai 
Tine  y  fit  prévaloir  la  religion  catÏMiy- 
que.  La*  population  grecque  n'y  avait  pti 
d'évéque ,  et  ses  prêtres  recevaient  lear 
dimissoire  de  l'évéque  latin.  Dans  kf 

Ïirocessions  le  cierge  latin  avait  toujours 
e  pas  sur  le  clergé  grec  On  eoi^lait 
dans  Itle  cent  vingt  prêtres  latins,  sa 
établissement  de  jàuites ,  et  deux  ceoo 
papas  grecs  ayant  pour  chef  oa  proHh 
papas.  Ainourd'hui  enoore  Tine  est  li 
plus  catholique  de  toutes  les  Çyeiiiei- 


i 


LES  GTCLADES. 


441 


Sur  nue  population  é'eantûà  viofft 
mille  âmes,  on  oompto  plus  de  huit 
mille  eathofiques,  établis  la  plupart  dans 
la  partie  septentrionale  de  Ptle,  tandis 
que  les  Grecs  occupent  le  ctfté  sud. 

Au  moment  où  éclata  la  guerre  de 
l'indépendance ,  les  Grecs  de  Téoos  se 
soulevèrent  spontanément.  Quand  Tar* 
chinaTarque  Tombasi»se  présenta  pour 
les  entraîner  dans  la  confédération ,  il  y 
trouva  la  population  groupée  autour  du 
labanim  et  tout  en  artfles.  L'évéque  grec 
avait  dirigé  le  mouvement.  Les  Latins 
refasèrent  ây  prendre  part,  et  se  retire» 
rentà  Xinara,  qui  servit  aussi  d'asile 
à  Taga  musulman.  Le  lEèle  des  Tiniotes 
se  soutint  pendant  toute  la  guerre; 
leurs  barques  pontées  servirent  aux  croi- 
sières, ou  furent  transforméesen  brûlots; 
malgré  leur  détresse,  ils  payèrent  exacte- 
ment les  contributions.  I^eur  île  devint 
le  refuge  d'une  multitude  de  fuyards  ; 
aussi  sa  population  en  reçut  derae- 
croissement.  Elle  est  aujourd'hui  plus 
considérable  qu^au  siècle  dernier.  Ses 
ressources  sont,  dureste,toujoursàpeu 
près  les  mêmes;  son  industrie  capitale 
est  encore  celle  de  la  soie.  Dans  ces 
derniers  temps,  cette  tle  s'est  enrichie 
du  pèlerinage  célèbre  de  l'Évangélis- 
tria.  En  1824  on  découvrit  une  image 
de  la  madone  enfouie  en  terre;  cette 
découverte  fit  grand  bruit  dans  toute 
l'Eglise  grecque  ;  des  quêtes  furent  faites 
de  tous  côtés  par  les  papas,  et  leur  pro- 
duit fut  si  considérable  qu'on  put  élever 
la  vaste  et  magnifique  église  de  Notre- 
Dame  de  la  Bonne'Nùuvelie  et  le  cou- 
vent de  l'Annonciation,  qui  sont  les  plus 
beaux  édifice8;de  la  Grèce  moderne,  et  où 
tous  les  ans  les  pèlerins  arrivent  en  foule 
les  îles,  de  la  Grèce  et  de  l'Asie  Mineure. 

ILE  DB  eYAKOS. 

Cette  tle,  appelée  aujourd'hui  Ghhura, 
foura,  est  située  entre  Andros,  Céos  et 
Syra,  et  n'est  séparée  de  ces  îles  que  par 
les  distances  de  douze  ou  dix-huit  mil- 
es. Pline  lui  donne  douze  milles  de  tour, 
^  cette  mesure  est  fort  exacte.  Cette 
le  n'eA  qu'un  aflfreux  rocher,  inhabité 
i  inhabitable.  Elle  avait  autrefois  une 
!ité;  mais,  au  rapport  de  Pline,  les  ha- 
ntants en  furent  chassés  par  de  gros 
nuiots,  qui  sont  restés  jusque  aujoor- 
rhui  uMxm  du  terrain.  Du  reste,  ces 


anifliaux  hiisiant  asajye  ehèie  s»  leur 
rocher;  après  la  retraite  des  Gyariena, 
Us  se  mirent,  au  dire  de  Théophraste,  à 
ronger  du  fer ,  ce  qui  fait  croire  à  Tour- 
nefort  qu'il  y  avait  des  mines  de  ce  mé* 
tal  à  Gyaros. 

«  Joura,  continue  ce  voyageur,  est 
tout  à  fait  abandonnée  aujourd'hui  ^  et 
l'on  n'y  voit  aucuns  vestiges  d'antiquité. 
Il  est  vrai  qu'elle  a  toujours  été  fort 
pauvre.  Strabon  n'y  trouva  qu'un  ché- 
tif  village,  habité  par  des  pécheurs,  dont 
l'un  fut  députée  Auguste,  après  la  ba- 
taille d'Actium.,  |K)ur  obtenir  une  dimi- 
nution de  leur  tribut,  réglé  a  cent  cin- 
quante deniers.  Nous  nous  rappelâmes 
l'idée  de  cette  misère  à  l'aspect  de  trois 
malheureux  bei^rs  qui  mouraient  de 
faim  depuis  dix  ou  douze  jours  ;  ils  se 
présentèrent  à  nous  hâves  et  décharnés, 
et  sans  autre  cérémonie  allèrent  cher- 
cher dans  notre  caïque  le  sac  au  biscuit 
Qu'ils  avalèrent  sans  mâcher,  quelque 
dur  qu'il  fût,  avouant  qu'ils  étoient  con- 
traints de  mander  leur  viande  sans  pain 
et  sans  sel  depuis  que  le  mauvais  temps 
n'avoit  pas  permis  aux  bourgeois  de  Sy- 
ra,  leurs  maîtres,  de  leur  envoyer  le 
secours  ordinaire.  » 

On  comprend  tout  ce  qfi'il  y  a  d'af- 
freux dans  la  nécessité  de  séjourner  à 
Joura.  Sous  Tibère  il  fut  question  d'en 
faire  un  lieu  â*exil  pour  les  criminels 
d'État  Tacite  rapporte  qu'on  proposa 
dans  le  sénat  d'y  reléguer  Silanus ,  et, 
dans  un  autre  procès,  Vibius.  Mais  par 
deux  fois  Tibère  rejeta  ce  châtiment, 
comme  inhumain,  alléguant  que  cette  Oe 
n'offrait  aucune  ressource,  qu'elle  man- 

auait  d'eau,  qu'elle  était  inhabitée  ;  et  II 
t  préférer  Cythère  et  Amorgos  (1).  Phi- 
loctète  avait  trouvé  sur  la  côte  déserte 
où  on  l'abandonna  une  grotte  et  une 
claire  fontaine.  Le  malheureux  relégué 
à  Gyaros  n'y  aurait  pas  même  rencontré 
un  abri  :  un  tel  exil  eût  été  une  condam- 
nation à  mort.  On  se  borna  donc  à  parler 
de  relégation  à  Gyaros,  jamais  on  n'y  en- 
voya  personne;  seulement  cette  menace 
passa  dans  l'usage  familier,  et  devint 
comme  proverbiale,  ainsi  que  l'atteste 
ce  versdeJuvénal. 

Aade  aUqnid  brevlbai  Gyarii  etcareere  di- 
8i  vis  ««e  aUqolf.  (gi 

,  (f)  Tac.»  ^JM.,  m,  6a ,  69}  IV,  3o*t 


m 


LtmVJDMU 


l«s  fèhips  modernes.  OetfetteM  conrte^ 
eomme  le  dH  Juféirol,  malsMMz  élftée; 
âte  présente  Ywifé^  d'une  griMse  «Km^ 
tagne  qui  sort  de  la  mer. 

Ii«BDB<»OS(l). 

Llle  de  Céos  rK&i)<),  aujoard'hui  Zéa, 
appelée  mielquefois  Ces  Ofo  Qanos ,  est 
située  à  rouest  de  la  précédente  et  an 
sud  de  l*Ëubée,  dont  Pline  raconte 
qu'elle  fut  séparée  par  un  tremble- 
ment de  terre.  Cette  tle  est  déforme 
â  peu  près  ovale  :  son  terrain,  rocail* 
leux,  s*élève  graduellement  jusqu'aa 
point  central,  ou  se  trouve  le  mont  Elie, 
qui  domine  rîle  entière,  et  d*où  la  vue 
détend  au  loin  sur  la  mer,  PAttique  et 
les  Cyclades.  La  cime  du  mont  Ëlie 
est  à  570  mètres  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer,  et  elle  se  trouve  exactement  en 
latitude  à  87"^  87'  et  en  longitude  orien- 
tale de  Paris  à  22*  1'.  «  Cette  tle  char- 
mante .  dit  Bronsted,  s'annonce  au  pre- 
mier anord  comme  fertile  et  bien  culti- 
vée :  elle  abonde  en  vins  d^une  très-bonne 
qualité,  en  miel,  que  beaucoup  de  per- 
sonnes préfèrent  même  à  celui  d'Hy- 
mette ,  en  excellents  fruits ,  tels  que  ft- 
gues ,  citrons ,  oranges ,  etc.  Outre  ces 
articles  de  commerce,  la  soie  et  la  vallo- 
nee,  fruit  d'un  très-beau  chêne  (^aXavidc), 
dont  le  gland  s'appelle  valani  (PaXdvt),  et 
la  gousse  de  celui-ci ,  qui  sert  de  tan , 
velanidi  (peXav^Si)  sont  au  nombre 
des  objets  d'exportation  les  plus  consi- 
dérables. A  l'égard  de  la  vallonée,  Tour- 
nefort,  dans  son  estimable  ouvrage,  est 
entré  dans  des  détails  suffisants.  »  Le 
beau  climat  de  cette  tle,  sa  température 
salubreet  bienfaisante  pour  les  hommes, 
les  animaux  et  les  plantes,  la  fertilité  qui 
en  résuite  sont  souvent  vantés  par  les 
anciens.  L'abondance  de  ses  eaux  l'a- 
vait fait  surnommer  T^DoOotfot  ;  ces  vers 
des  Géorgiques  de  Tirgile  : 

Et  oaltor  nemorom.  coi  ptocoia  Ceoe 

Ter  oeotam  nlvel  tondent  dameta  Javeocl, 

font  allusion  à  la  beauté  de  si^  pâtu- 
ngBB.  Bronsted  a  réuni  dans  un  supplé- 
ment de  sa  notice  sur  Céos  tous  les  té- 
moignages des  anciens  à  cet  égard  (2). 

*  (t>  De  Vue  d*  Céos,  ptfr  le  cfaeraKer  Bron- 
sted; iD-4<»  Paris,  x8a6. 


DfcéavfQC^  9cyi«(»  StiriionetPliM^ 
iduÉi  fue  les  compilateurs  pktt  téonu, 
fitepbaDQs  de  Bjtance  et  Soklis,  sV 
cordent  à  domer  à  Céos  la  qu^iieatioi 
de  TrcpdnoXtf,  111e  aux  qwAre  tîUcs. 
Ils  ne  dj^èreut  pas  non  pins  sur  les 
noms  de  ces  quatre  cités;  o'étaieni  Ca^ 
tbsa,  Posessa,  Gofettos  on  Goressia,  et 
lulis  ou  loulis.  Carthcea  et  Iulis  n 
étaient  les  [^ns  considérablef  ;etStr8boD 
ainsi  que  Pline  rapportent  que  lorsque 
Poeeasa  et  Coresflla  furent  détruites,  les 
habitants  de  la  première  se  refogièrentà 
Garthsaa  et  oanx  de  la  seconde  à  Iulis; 
Ptolémée  ne  donne  que  trois  villes  ï 
Céos,  savoir  :  Coressos»  hiliset  Cartbsa. 

Les  explontions  et  les  fouilles  dr 
M.  Bronsted  ont  déterminé  d'ooe  «• 
nière  certaine  remplacement  de  ce 
quatre  villes*  Avant  loi  on  plaçait 
au  sud,  à  Tendroit  appelé  Th  Mi, 
les  mines  dlulis;  les  inscriptions  qui 
a  trouvées  dans  ks  vestiges  runteoDie 
d'Apollon  démontrent  que  cet  en|Na- 
eement  était  celui  de  Gaitbœa.  La 
restes  de  Poeessa  se  retrouvent  à  Cous- 
douro^  au  sud*ouesl  de  i*île.  La  ville  i6 
tuelle  de  Zéa  occupe  le  revers  oord-ouat 
du  montÉlie,  et  oorrespondà  raodeoae 
lonlis,  dont  on  retrouve  de  noml^resi 
restes,  colonnes,  chapiteaux  «  iDScrif- 
tiens ,  tombeaux,  etc.  A  un  quart  de 
lieue  de  la  viUe  est  un  lioa  eoiossai. 
taillé  sur  place  dans  un  roeber,  et  dont 
voici  les  pSroportions  :  depuis  Je  nei  a 
passant  sur  le  front  et  le  long  de  fes- 
chÎDe,  jusqu'à  la  naissance  de  laqueoe, 
vingt-bnit  pieds;  de  la  gueule  ea  pas- 
sant du  côté  droit  du  eou,  jusqu^a  b 
partie  supérieure  de  la  crinière ,  oss 
pieds;  de  Fartiouiation  de  la  jambe  de 
devant  jusqu'au  milieu  de  réebiaei 
c'est-à-dire  la  hauteur  de  la  partie  antê 
rieure  du  corps,  neuf  pieds.  Ce  iioQ  eâ 
nottché  sur  le  flanc  gauche;  il  dresse  la 
tète,  etregarded'un  oeil  inquiet  et  mena- 
çant. «  Les  nymphes,  dit  Héraclide  de 
Pont,  habitaient  anciennement  eetteîiCt 
riche  en  sources;  mais  un  lioo  lesajaoi 
effrayées,  elles  s'enfuirent  à  Gansie  :  de 
là  vient  qu'un  promontoire  de  Céos  s'ap- 
pelle liions.  »  Il  est  à  croire  que  ce  oi^ 
the,  absolumentlocai,  serattaeheà  reof- 
tence  du  curieux  monument  9ue  fi«* 
venons  de  décrire»  La  quatrième  fie 
de  Ûéna^  Goreaiia»  «htm^o»!  ^  f"' 


LES  CYCLA0ËS. 


letuel  àe  Zéa  :  c'était  àtifti  f  aûckfft  port 
Hulis.  L'éloigDement  de  la  ville  ré* 
K}nd  aiix  TiDct-eiiiq  $Xaâe$  de  Strabon. 
jes  traces  de  rancienne  bourgade  de  Co* 
essia  se  retfoutent  en  cet  endroH;  -et 
'Élixos,  dont  parle  le  même  aotetli',  est 
e  ruisseau  qui  se  précipite  de  la  mon- 
agoe  devant  la  Tille  de  2(éa ,  continue 
serpenter  dans  les  profondeurs  dii  ra- 
in,  reçoit  d'autres  petits  ruisseaux,  et  se 
ette  enfin  dans  la  mer,  près  des  mâga^ 
ins  actuels,  dans  la  partie  méridionale 
la  bassin  de  ce  port. 
Le  port  de  Zéa  est  un  des  plus  benux 
le  TArcbipel,  et  des  plus  heureusement 
itués  pouf  le  commerce.  Mais  les  habi« 
ants  de  Zéa  ont  toujours  préféré  l'agri-. 
ultnre  à  lai  navigation  ;  et  ils  ont  laissé 
d'autres  le  soin  de  venir  chercher  leurs 
ruits,  leurs  pins ,  leur  vallotiée  et  leur 
oie.  Il  n*^  a  plus  qu'une  ville  dans  Ttle, 
elle  de  Zéa,  située  à  une  lieue  du  port  ; 
Ile  compte  cinq  cent  cinquante  mai- 
ODS  et  trois  mule  habitants.  Le  pays 
st  assez  bien  cultivé,  et  l'on  voit  çà 
t  là  dans  les  campagnes  des  granges 
n  petites   maisons   rustiques    appe- 
lés xaXu6ia  où  les  paysans,  qui  de- 
Qeurent  tous  à  la  ville,  passent  le  temps 
es  semailles,  des  récoltes,  ou  des  au^ 
res  grandes  opérations  agricoles  qui 
BS  retiennent  dans  les  champs. 
Signalons  encore,  pour  achever  la  des- 
nption  topographique  des  antiquités  de 
^,  la  tour  nellénioue  du  couvent  de 
aiute-Marine,  qui  s  élève  dans  la  cour 
u  cloître.  Elle  est  carrée;  ses  côtés  ont 
ingt-quatre  pieds  de  largeur;  sa  hau- 
iur  est  considérable  ;  elle  est  bâtie  de 
locs  rectangulaires  d'une  espèce  d'ar- 
oise,  joints  artistement  sans  l'aide  du 
lortier.  Elle  est  divisée  en  trois  étages, 
l  Tancien  escalier  existe  encore  en  par- 
e.  C'est  assurément  la  plus  belle  tour 
Qtique  de  ce  genre  qui  existe  actuelle- 
ment en  Grèce.  A  un  quart  de  lieue  au 
ord  d'Agia-Marina,  on  voit  encore  stir 
eux  petites  collines  des  ruines  de  deut 
Qtres  tours  antiques  de  la  même  cons- 
uction. 

Avant  rétablissement  de  la  coloriiè 
mienne,  Géos  avait  reçu  ses  premiers 
jbitante  de  l'Arcadie  et  de  la  LocHde. 
étaient  Aristée  etCéos  qtii  étaient  vé- 
Qs  dans  cette  tle ,  le  premier  avec  de& 
arriiasieiu,  te  B6Cdbâ  tn^eH  im  bM- 


Mits  de  nmiptm  HM  AmUetfMatt 
pas  seulennent  dnhéfoi.  «'était  àvMi  M 
personnagedlf  In,  et  M  lé^de,  q«'Mi  r^ 
trouve  en  tant  de  Hettt,  ett  Tliemilîe,  t» 
Béotte,  en  Etibée  {i)^  en  ArsiKile,  à  Cy* 
rêne,  en  Safdâigtte,.eii  Sicile,  I  Govgnr<s 
était  indigène  à  CéM,  et  y  ftdttit  le  ibnd 
des  eroyatioés  rel%ieu8eedeé  inrabitMi» 

Partout  oâ  s'éUblit  le  eulte  d'Aristée, 
le  mythe  tiouë  montre  que  «  oe  flb  me^ 
teilleux  d'Apollon  et  de  Cyrioe  a  bien 
mérité  des  mortel!  :  l*'  en  organteaût  la 
vie  pastorale,  la  ooddolte  des  treupeauXf 
et  en  enseignant  à  reeneillir  le  lait  peur 
en  faire  le  fromage,  et  en  général  pour 
en  tirer  parti  ;  3*  en  appienant  k  tnroryer 
les  olives  et  à  en  extraire  de  l'huile; 
8*  en  inventant  les  roelies  et  Fart  «Pe- 
loter les  abeilles  ;  4*  en  perfeetionnaiit 
fart  de  la  chasse;  en  extirpant  par  la 
fbree  et  par  des  moyene  idgénien  les 
animaux  ennemis  de  Thonmie,  et  ea 
protégeant  par  les  mémee  moyent  et 
contre  la  fureur  des  bétes  iadvee  les 
animaux  domestiques  et  les  plantations  ; 
6*  en  recherchant,  d'après  m  lnstnie*> 
tions  de  son  père,  les  qualités  Mtatairei 
des  herbes  (S).-» 

Particulièreroent  eil  ee  qtfl  coneeme 
Géos,  Aristée  éleva  tlil  adet  I  Jupiter 
ikmseique ,  ou  Pluvieux.,  lur  une  ta<m* 
tagne  de  cette  Hé,  où  il  mit  été  appelC 
eomme  prêtre  et  favori  dee  dietix^  hrt" 
que  Sirius  brûiait  tout  dans  te$  CyeUh 
des,  Aristée  fit  cesser  ee  ftéati  en  of^ 
frant  un  sacriice  au  dieu  dispensateur 
de  l'humidité  et  à  Sinus ,  et  les  vents 
étésiens  vinrent  rafriilehir  les  bommee^ 
les  animaux  et  les  plantes.  Ahisi  tonte 
rarchéologiem^rtboiogifoe  des  Géiene  e 
pour  objet  prmdpal  ee  héroi  de  Ai 
bonté  et  de  la  bienfàUcmce  ('Apieto< , 
'Apt^atoç)  auquel  sont  etieii  àssoeiét 
son  divin  père  Phébes,  le  grand  dieu 
des  Gyclades,  et  le  joyeox  Baeelfae,  et  lei 
nymphes  qui  servent  ordlnaireaieiit  de 
cort^  à  ces  divinités.  Vë^t  Sirioe, 
la  grappe  de  raislil  et  l'abeille  q«i  figu- 
rent sur  la  plupart  des  médailles  de  Geos 
se  rapportent  a  ces  légendes  et  sent  leè 
symboles  de  la  rellgioii  de  cette tie.  QaaiiC 
aux  detix  autreii  cdtes  qui  if iûtrowie^ 
jtent  aussi  à  Géo»,  (fM^MIre  le  cttHa 

(i)  Toy.  plus  haut,  p.  384. 

(9)  Bronsted,  lU  et  èëotf  jh  iU   .  . 


444 


LDKIVERS» 


d'AphrodMe,  partenUer  à  la  ville  dlulis, 
•t  le  culte  de  Miaerve,  établi  sur  la  côte 
ocoideiitale  de  TSle,  ils  ne  s^annoncent 
pas  couune  indigènes;  ils  paraissent 
avoir  été  introduits  plus  tard  a  Géos,  et 
être  dUmportation  étrangère. 

lïous  avons  dit  plus  haut  quelle  fut  la 
condition  de  Géos  dans  Tantiquité;  mais 
cette  tle  offre  encore  quelques  particula- 
rités dignes  de  remarque.  D'après  les  au- 
teurs les  plus  dignes  de  foi.  parmi  lesquels 
se  trouve  au  moins  un  témoin  oculaire, 
il  était  d*usage  chez  les  Géiens  que  les 

Sens  très-vieux  des  deux  sexes,  qui  hors 
*état  de  se  livrer  à  Tacti  vite  et  aux  jouis* 
sanoes  de  la  vie.  n'en  sentaient  plus  que 
le  fardeau,  se  détruisissent  par  le  poi* 
son ,  alhi  de  faire  place  à  leur  postérité. 
«  JTai  vu  cette  coutume  observée  dans 
111e  de  Géos,  dit  Valère-Maxime  (1),  à 
répoque  où,  allant  en  Asie  avec  Sextus 
Pompée,  j'entrai  dans  la  ville  de  lulis. 
11  arriva  qu'une  femme  de  la  plus  haute 
distiuction,  mais  extrêmement  âgée,  ré- 
solut, après  avoir  rendu  compte  à  ses 
concitoyens  des  motifs  qui  la  faisaient 
irenoncer  à  la  vie,  de  mourir  par  le  poi- 
son. Elle  se  flattait  d'ailleurs  que  la  pré< 
•enoe  de  Pompée  donnerait  plus  d'éclat 
à  sa  mort.  Sa  prière  fut  accueillie  par 
œt  illustre  personnage,  qui  joignait  à 
toutes  les  vertus  le  mérite  de  la  plus  rare 
humanité.  U  alla  donc  la  trouver,  lui 
tint  ces  éloquents  discours  qui  coulaient 
de  sa  bouche  comme  d'une  source  in- 
tarissable; et  après  de  longs  et  vains 
efforts  pour  la  détourner  de  son  dessein, 
il  se  râolut  à  le  lui  laisser  accomplir. 
Cette  femme,  plus  que  nonagénaire, 
mais  parfaitement  same  d'esprit  et  de 
corps,  était  couchée  sur  son  lit,  <]ui  sem- 
blait paré  avec  plus  de  soin  qu'à  l'ordi- 
naire. S'appuyant  alors  sur  le  coude  : 
«  Sextus  Pompée,  lui  dit-elle,  puissent 
les  dieux  que  je  quitte,  et  non  ceux  que 
je  vais  trouver,  m'acquitter  envers  vous 
qui  n'avez  dédaigné  ni  de  m'exhorter  à 
livre  ni  de  me  voir  mourir  1  Pour  moi, 
^ui  ai  toujours  vu  la  fortune  me  sourire, 
Je  veux,  dans  la  crainte  que  l'amour  de 
la  vie  ne  m'expose  à  des  retours  cruels, 
échanger  le  reste  de  mes  jours  contre 
«nefinbienheoreose,  qui  me  permet  de 
laisser  après  moi  deux  filles  et  sept  pe- 


tits-fils.  »  Ensuite  elle  exhorta  ses  «• 
fants  à  la  concorde ,  leur  distribua  ses 
biens,  remit  à  sa  fille  aînée  tous  les  ob- 
jets sacrés  du  culte  domestique ,  prit 
d'une  main  ferme  la  coupe  ou  était  le 

{>oison,  fit  des  libations  à  Mercure,  ea 
e  priant  de  la  conduire,  par  un  chemii 
facile,  dans  la  plus  heureuse  région  des 
enfers,  et  but  avidement  le  mortel  breh 
vage.  Elle  indiqua  successivemeDt  de 
quelles  parties  de  son  corps  le  froid  sein- 

f>arait,  et  quand  elle  l'eut  senti  ^er 
es  entrailles  et  le  cœur,  die  pria  ses 
filles  de  lui  rendre  le  dernier  devoir  et 
lui  fermant  les  yeux ,  puis  elle  nous  eoo- 
gédia.  Malgré  la  stupeur  où  nous  jeta 
un  spectacte  si  nouveau,  nous  dous  re- 
tirâmes les  yeux  remplis  de  larmes.  » 

Voilà  ce  qui  restait  au  premier  sieck 
de  l'ère  chrétienne  de  cet  ancien  et  Ur- 
bare  usage  des  Géiens  qui  avait  été  eu- 
bli  pour  éviter,  dit-on ,  renoombremefit 
d*une  trop  grande  population.  Os  ïhsl- 
la  ires,  qui  mouraient  si  facilement,  s'sf- 
fligeaient  peu  de  la  mort  des  leurs;  !(s 
hommes  ne  prenaient  pas  le  deuil,  et  m 
se  rasaient  pas  la  barbe  quand  ilsanient 
perdu  un  de  leurs  proches.  Seules  ies 
mères  portaient  un  an  le  deuil  pour  h 
mort  d  un  enfant  en  bas  âge.  £d  p^ 
rai  on  ne  faisait  pas  grand  cas  de  h  ^le 
dans  cette  lie  :  Strabon  rapporte  qje 
les  Athéniens  levèrent  le  siège  de  lob 
parce  qu'ils  apprirent  qu'on  avait  resc- 
lu  de  taire  mourir  tous  les  enfants  d'ut 
certain  âge. 

L'éducation  des  femmes  était  sé^êR 
à  Géos  ;  on  ne  leur  permettait  pas,  m 
jeunes  gens  non  plus ,  Fusage  du  ^> 
avant  le  mariage.  Le  séjour  desùlle) 
céicnnes  était  interdit  aux  courtisanes  et 
aux  loueuses  de  flûte. 

Géos  est  la  patrie  de  plusieursbomnes 
illustres  de  l'antiquité  :  Simonide  oaqa^ 
à  lulis ,  en  556  ;  il  vécut  la  plus  gno^< 
partie  de  sa  vie  à  Athènes,  ou  il  mooni 
en  467,  comblé  de  gloire  et  d'années.  li 
chanta  les  héros  et  les  dieux.  Baorfav 
lide ,  autre  poète  lyrique,  neveu  de  Si- 
monide, rival  de  Pindare,  florissait  wfs 
la  77*  olympiade,  472  avant  J.-C.  p 
philosophe  et  sophiste  Prodicos,  é(^ 
ment  natif  d'Iulis,  était  contemporaiDiK 
Démocrite  et  d'Hippocrate.  Cestdeiia 
qu'est  l'apologue  d'fiercule  sollicité  a 
Ut  fois  parle  Vtce  et  laVerta,  Théraioeoe 


LES  GYCLADES. 


446 


fbt  son  disciple.  Athénée  lui  reproche 
ivec  raison  les  vices  de  son  élève.  £ra- 
Dstrate ,  célèbre  comme  médecin ,  écri- 
rain  et  fondateur  d'une  école  partien- 
lière  de  médecine ,  florissait  en  même 
temps  qu*Épicure,  vers  les  120®  et  126* 
)l][mpiades  (300-380  avant  J.-G).  Son 
mneipal  ouvrage  paraît  avoir  été  un 
iraité  sur  toute  la  médecine,  'H  ki^X  t&h 
(a66Xcov  RDCEY(iaTe(a.  Enfin  le  lulien 
iriston,  pnilosophe  péripatéticien  et 
«rivam,  vivait  dans  le  milieu  du  troi- 
iième  siècle  avant  notre  ère  (1). 

L'histoire  ancienne  de  Céos  se  con- 
ioDd  avec  celle  d'Athènes,  à  laquelle  elle 
appartint  presque  sans  interruption 
lepuis  les  guerres  médiques  jusqu'au 
temps  de  l'empire  romam.  Elle  passa 
aisuite  dans  le  domaine  des  empereurs 
precs.  «  Je  ne  sais,  dit  Tourneiort,  en 

Celle  année  elle  fut  annexée  au  duché 
Nazie  ;  mais  Pierre  Justiniani  et  Do* 
ninique  Michel  s'en  emparèrent  sous 
'empire  d'Henri  II,  empereur  latin  de 
^nstaotinople.  Le  P.  Sauger  a  remar- 
|ué  que  pendant  les  guerres  des  Véni- 
lens  et  des  Génois,  Nicolas  Carcerio, 
leuvième  duc  de  l'Archipel»  s'étant  dé* 
:laré  pour  les  premiers ,  Zia ,  qui  étoit 
le  sa  dépendance,  fut  assi^ée  par  Phi- 
ippe  Doria,  gouverneur  de  Scio  ;  sa  gar- 
Hson,  qui  n'étoit  que  de  cent  hommes, 
e  rendit  à  discrétion  dans  la  citadelle  du 
tourg.  M.  Ducanee ,  qui  rapporte  cette 
xpédition  à  l'année  1553,  a  cru  que  l'Ile 
le  Zia  appartenoit  aux  Génois;  mais  il 
aut  mieux  s'en  tenir  au  P.  Sauger,  qui 
examiné  sur  les  lieux  les  archives  de 
faxie.  Zia  fut  ensuite  rendue  aux  ducs 
le  l'Archipel,  qui  la  conservèrent  jus- 
u'à  la  décadence  de  leur  État.  Jacques 
^ispo,  le  dernier  duc,  la  donna  en  dot  à 
a  sœur  Thadée ,  épouse  de  Jean-Fran- 
ois  de  Somme-Rive,  huitième  et  der- 
ier  seigneur  d'Andros ,  dépouillé  par 
iarberousse,  sous  Soliman  II  (2).  » 
Quand  Tournefort  visita  cette  Ile,  il  la 
rouva  bien  cultivée  et  dans  un  état  as* 
il  prospère.  Il  n'y  avait  que  cinq  ou  six 
imiUes  du  rit  latin.  Tout  le  reste  appar* 
mait  à  l'Éfflise  grecque.  Le  clergé  y 
tait  très-riche  et  les  moines  v  avaient 
inq  beaux  couvents.  Aujourdhui  toute 

(x)Broiuted,  Ile  de  Céos,  p.  67. 
(2}  Tournefort ,  Foy^age^  1. 1,  333, 


cette  piospérité  est  bien  déchue.  La  ré- 
colte de  la  soie,  la  fabrication  de  capots 
de  poil  de  chèvre,  et  la  caprification,  dont 
Tournefort  décrit  au  long  les  curieux 
procédés,  telles  sont  les  principales  oc- 
cupations des  insulaires  de  Zéa^ 

Les  Zéotes  se  sont  toujours  montrés 
très-impatients  du  joug  des  Turcs.  Dès 
l'an  1787  un  habitant  de  cette  fie,  Lam- 
bros  Catzonis,  était  placé  par  l'impéra- 
trice Catherine  à  la  tête  de  l'escadre 
de  corsaires  grecs  qui  devait  courir 
contre  les  Turcs  sous  pavillon  russe;  le 
port  de  Zéa  devint  le  rendez-vous  de 
tous  les  aventuriers  patriotes  de  l'Archi- 
pel. Aussi  en  1821  Zéa  embrassa  avec 
ardeur  la  cause  de  l'indépendance,  et 
vengea  la  mort  du  patriarche  Grégoire 
par  le  massacre  de  quinze  musulmans. 
Les  Zéotes  prirent  une  part  très-active 
à  toutes  les  opérations  de  la  guerre,  et 
leur  courage  contribua  à  démentir  l'épi- 
thète  de  Taouchatu  (lièvres),  dont  les 
Turcs  flétrissaient  depuis  des  siècles  les 
insulaires  de  TArchipel.  Zéa  est  aujour- 
d'hui la  seconde  éparchie  du  départe- 
ment des  Cyclades. 

tut  n'HSLiNB. 

Cette  lie,  rocailleuse,  basse  et  plus 
longue  aue  large,  est  à  douze  milles  de 
Zéa,  si  l'on  compte  d'un  cap  à  Tautre , 
et  elle  est  séparée  du  cap  Colonne  ou 
Sunium  par  un  canal  qui  n  a  que  sept  ou 
huit  milles  de  largeur.  La  forme  de  cette 
île  lui  avait  valu  le  nom  de  Maoris  ^  et 
aujourd'hui  encore  elle  s'appelle  Macrth 
nUit  lie  longue.  Strabon  assure  qu'on  la 
nommait  autrefois  Cranaé,  l'Ile  rude , 
mais  qu'elle  reçut  le  nom  d'Hélène  après 
que  Paris  y  eut  conduit  cette  belle 
Grecque,  qu'il  venait  d'enlever,  ainsi 
qu'Homère  le  lui  fait  dire  à  lui-mê- 
me (1).  Euripide,  dans  sa  tragédie  6' Hé' 
ïène,  avait  aussi  adopté  cette  tradition. 
Hécatée,  Pausanias  suivaient  une  indi- 
cation différente.  D'après  ces  auteurs, 
l'île  de  Cranaé,  où  Paris  conduisit  d'a- 
bord Hélène ,  était  vis-à-vis  de  la  ville 
et  du  port  laconien  de  Gythium  ;  et  l'tle 
pierreuse  du  cap  Sunium  aurait  été  ap- 
pelée Hélène  parce  que  cette  princesse 
y  aurait  abordé  en  revenant  en  GrècCi 
«près  la  destruction  de  Troie, 

(OHon.^//.,  ni,444* 


4éi 


L*UltlVËft6. 


% 


lUe  &(t  auioanfkii  éans  le  mène  état 
ue  Strabon l'a  décrite,  <f esVà-dire qoe 
est  un  rocher  sans  habitanls;  ondeu- 
teniH  inéme  qu'elle  en  ait  JamaSs  eu  b! 
Goltzltn  ne  mentionnait  deux  mâlail- 
les  qui  portent  sa  légende.  Macranlsi 
est  reïevee  ep  dos  d'Ane  pat  une  «réte  de 
r6e)iers  fort  hérissée ,  et  percée  de  gran- 
des oufertures  par  où  on  passe  d'un 
cdté  à  Fautre.  £ue  n'a  qu'une  méchante 
cale  dont  l'entrée  regarde  t'eet;  à  peine 
y  trouve-t-on  de  l'eau  a  boire  ;  cep«idant, 
au  dire  de  Toumefort,  c'est  Tîte  la  plus 
agréable  de  l'Archipel  pour  l'herborisa- 
tion; les  plantes  ▼  sont  plus  grandes , 
plus  ftratcnes  et  plus  belles  que  partout 
ailleurs.  Cest  là  qu'on  trouve  Vnelian" 
themvm,  que  Pime  appelle  Vheleniumy  et 

Sn'il  dit  avoir  été  produit  par  les  larmes 
'Hélène. 

Macronisi  n'est  plus  maintenâtot  qu'un 
pâturage  appartenant  aux  Zéotes.  Les 
cavernes  de  ses  rivages  servent  de  re* 
traite  à  des  veaux  marins  «  qui  pendant 
certaines  saisons  y  font  durant  la  nuit 
un  vacarme  épouvantable.  Dès  que  le 
jour  paraît  ils  quittent  leur  lieu  de  re- 
pos, et  se  plongent  dans  la  mer. 

ILri  ni  GTtHHOS. 

tille  que  les  anciens  ont  appelée  Cy- 
thnos  ou  Cyihnus,  du  premier  qui  y 
conduisit  des  colonies ,  portait  aussi  le 
nom  û'^Ophiusa  et  de  Dryopis;  mais 
die  est  à  présent  désignée  sous  le  nom 
de  Thermia,  qui  lui  a  été  donné  h  cause 
de  certaines  eaux  chaudes  et  sulfureuses 
qu'on  y  volt  sourdre.  Par  corruption,  on 
par  confusion  du  O  avec  le  6,  on  dit  sou- 
vent Phermia  ou  Phermina.  Les  eaux 
chaudes  de  Thermia  sont  voisines  du 
port  ;  elles  sortent  pat-  pi  usieors  sources^et 
forment  uti  petit  ruisseau  qui  va  se  ren- 
dre dans  la  mer  ,d'oû  elles  viennent,  «  car 
elles  sonttrès-salées,  et  s'échauffent  sans 
doute  en  traversant  la  terre,  parmi  des 
mines  de  fer  ou  des  matières  ferrud- 
neuses;  ces  matières  sont  les  véritables 
causes  de  la  plupart  des  eaux  chaudes; 
celles  de  Tnermia  blanchissent  l'huile  dd 
tartre,  et  ne  causent  aucun  changement 
à  la  solution  du  sublimé  corrosif,  non 
|>lu&  que  les  sources  chaudes  de  Proto* 
tlialassa  à  Mllo ,  lesquelles  sont  inoom* 
parablement  plus  chaudes  que  celles  dont 
nous  parions.  Lesùttdensrains  de  Ther- 


mia étoittit  an  Mitte*  ds  là  «allée;  « 
y  voit  enoore  le  mie  d'inrénrw 
bâti  de  briMct  et  de  pierres,  avec  obi 
petite  rigole  par  le  moyen  de  lasoeBe 
reau  du  gros  bouillon ,  se  distmoit 
où  l'on  Toakoit  :  ees  eaux  ont  caniené 
leur  Verto(l  )  ».  Loqgl»apBnégli§éeip(fr 
dent  l'oceupution  musulmane,  ees  «n 
sont  redevenues  assez  fréqwnfiéeiëeiHBi 
rétablissement  du  royaume  de  Grèot 
Les  anciens  estimaient  neaneoup  ]es6«- 
maces  de  brebia  qu'on  fiiisaitèCylliDQg. 

On  trouve  à  Gytfaiioe  les  raines  de  dcn 
anciennes  villes,  Hébréocastro  et  Paléo* 
Castro.  Hâliréoeastio»  on  la  Tilk  éa 
Joi6,  est  au  sud-ouest  mr  le  boiià 
la  mer  et  sur  le  penchant  d'une  laonta- 
goe,  auprès  d'un  poit  où  il  y  aval  ■ 
petit  éeueil;  on  reoomi^  à  la  graÉtev 
et  à  la  magniûcence  de  ces  ruiaei  ft 
c^était  une  puissante  cité,  et  odie  nm 
dont  Dicéarque  fidt  mention.  Pilé^ 
Castro  est  dans  la  partie  méridioe^  à 
111e,  et  la  vîlk^  qua  est  tout  è  fait  atai* 
donnée,  n'est  pas  si  ruinée  que  raotit, 
mais  on  n'y  trouve  ni  maii^ras  ni  aoesv 
restes  de  magnificence.  La  ville  aetoelit 
de  Thermia  est  au  nord-ouest  de  llle. 
près  du  port  de  Sainte4rène,  et  sur  li 
pente  d'une  hauteur  asset  oonsidéraUe. 
Plus  bas  se  traivent  le  village  deSiba 
e^  le  port  Saint-Ëtienne. 

L'histoire  de  Cythnos  se  eonfomi  aret 
celle  des  autres  (>clades.  €^hna^  no 
héros  éponyme,  était  probablement  aa 
chefde  Dryopes  venus  ueStmenEubei- 
Oes  Dryopes  de  Cythnos  aiièrent  foadir 
un  établissement  en  File  de  Cyore.  Wti 
ftiit  mention  dans  Hésychlus  aVine  ex- 
pédition d'Amphitryon,  père  d'Hercule, 
a  Cythnos ,  dont  il  extermina  p<^ 
tous  les  habitants.  De  là  l'expressioopro' 
verbiale  de  Cùktmîèéi  de  CyihMt,  pour 
exprimer  un  grand  malheur.  Le  plosoé* 
lèbredesCythniensfutle  peîBUreQrditf. 

Îuiflorissait  versla  114^  olympiade(SlS\ 
u  temps  d'Alexandre  le'Grand.  L^on* 
teur  Hortensius,  dit  PUne  (2),  dosu 
144,000  sesterces  (30,340  fr.)  de  son  ta* 
bleau  des  Argonautes ,  poor  leqoel  i 

(i)  Toumefort,  ^  3aS;  MxpAEt.  ScUnC- 
fi/fue,  m,  p.  zg  ;  M.  Landerer,  ftepi  w»  h 
KuOvcp  Oep(u»v  (>8àTtt>v.  Leaf^0y<^<leRo% 
Fiedler,  etc. 

(a)  Pfio.,'  iXXV,  6. 


Les  CYCLAbés: 


w 


ît  oODStruire  exprès  un  bâtiment  (tans 
;a  villd  de  Tuscùlum.  G*est  à  Cytbnos 
p'un  des  imposteurs  qui  voulurent  se 
aire  passer  pour  Néron  termina  sa  des- 
loée.  C'était  un  esclave  liàbile.à  chanter 
tt  û  jouer  de  la  lyre ,  et  qui'  avait  les 
eui ,  la  cheveUire  de  Néron  et  son  ex- 
iressioD  de  féroeité.  Accompagné  d'une 
roupede  dupes  et  de  vagabonds  Jl  s*em- 
larqua  pour  soulever  rOrient.  La  tem- 
|ête  le  jetaà  Cythnos,où  Une  tarda  pas  à 
Ire  saisi  et  mis  à  mort  par  Tordre  d*As- 
irénas,  gouverneur  de  la  Galatie  et  de  la 
'amphylie  pour  Galba(]}. 

Après  le  gouvernement  des  empereurs 
;recs  et  celui  des  ducs  de  Naxie,  Thermia 
ombaau  pouvoir  desTurcs.  Au  commen- 
ement  du  dix-huitième  siècle  cette  île 
enfermait  6,000  habitants,  tous  grecs. 
!xcepté  dix  ou  douze  familles  latines  qbi 
ivaient  pour  pasteur  un  vicaire  de  Tévê- 
{ue  de  Tine.  La  situation  de  Tévéque 
;rec  était  assez  prospère.  Il  y  avait 
(ulDze  ou  seize  églises  a  Thermia,  dont 
a  principale  était  dédiée  au  Sauveur. 

Uilede  Thermia  n'est  pas  escarpée 
ommela  plupart  des  fies  de  T  Archipel  \ 
on  terroir  est  bon  et  bien  cultivé.  On 
'  recueille  peu  de  froment ,  beaucoup 
l'orge,  assez  de  vin  et  de  figues  pour  les 
iabitaQts,du  très-bon  miel,  mais  pres- 
[ue  pas  d'huile.  On  y  travaille  la  soie  et 
e  coton,  et  on  y  fait  ces  voiles  Jaunes  dont 
es  femmes  des  îles  se  couvrent  la  tête. 
Thermia  est  très-abondante  en  gibier, 
urtout  en  perdrix ,  qu'on  porte  en  cases 
lUx  marches  des  îles  voisines.  £lle  rut 
me  des  premières  à  s'insurger  contre  les 
Tores  après  la  mort  du  patriarche  Gré- 
[oire. 

tiB  DB  srTBV(S). 

JSjra  ou  Syfos,  comme  l'appelaient 
n  ancieiiSf  est  située  presaue  au  centra 
les  Cydades,  par  ^V  22"  de  latitude  et 
â*"  35'  de  longitude  d«  méridien  de  Paris. 

(î)Tac.,i5r«f.,  11,8,9. 

{t)  L'ooyrage  le  plus  considérable  sur  6yni 
>t  le  )itre  iiilitolë  :  Traité  complet  mr  hf 
MUs,  wec  utu  méthode  noweUe  de  ks 
|»«Wiier,  teile  qu'elle  se  praUque  à  Srra, 
UiU  VjLnhipel^  pheédéd'tm  précis  hista^ 
^  et  évammtifue  de  cette  Ue,  p«r  Tabbi 
WiiRocoa,  Tieairo  géacnl  deSyca,  3  vol,. 
«»•»";  Paris,  1790. 


Sa  longueur  M  îièrft-^MléBl  M  iaé^ié^ 
est  d'environ  quatorze  milles ,  et  sa  itr^ 
geur  de  Pouest  à  Test  de  six  à  sept  millM  \ 
ce  qui  lui  donne  ati  moinsquarante  miltal 
de  côtes ,  quoIqu^on  ne  les  estime  coni* 
munément  qu'a  trente-six  dans  le  fAyt. 
Elle  était  déjà  renommée  du  temps  d*H<w 
mère,  par  sa  fertilité  en  blé  et  en  vin , 
par  le  grand  nombre  de  ses  bestiaot, 
par  ta  pureté  et  la  salubrité  de  îMn  air^ 
et  pair  un  monument  astronomique  q«i 
y  indiquait  les  solstices  et  les  équnoxes» 
«  Au  delà  de  Tîte  d*Ortygîe ,  dit  Eumée 
racontant  ses  aventures  à  Ulysse,  est  udr 
île  appelée  Syrie,  si  Jamais  vous  atee  en- 
tendu ce  nom.  C'est  danii  (iette  tie  q«0' 
se  voient  les  conversions  du  S(^il.  E^é" 
n'est  pas  très-grande,  mais  elle  est  très- 
fertiie;  car  on  y  nourrit  de  grands  trou- 
peaux debœufs  et  de  moutons,  et  elle  pôtte 
beaucoup  de  vin  et  de  froment.  Jamais 
la  famine  n*a  désolé  s^  peuplés,  et  les 
maladies  contagieuses  n*y  ont  jamais 
fait  sentir  leur  venin.  Ses  habitants  ne 
meurent  que  lorsqu'ils  sont  parvenus  à 
une  extrême  vieillesse,  et  alors  c'est 
Apollon  lui-même  ou  sa  sœur  Diane  qéi 
terminent  leurs  Jours  avec  leurs  dotioés 
flèches.  Il  y  a  dans  cette  tte  deux  villes' 
qui  partagent  tout  son  territtnre.  Mon 
père  Ctésius  tils  d'Ormène,  et  sembtalrfe 
aux  immortels,  en  était  roi  (1).  » 

Il  n'y  a  rien  à  ajouter  a  ce  tableau ,  si 
rapidement  tracé  et  pourtant  si  complet. 
Ce  qu'on  sait  de  Syra  dans  les  temps  po8« 
térieurs  confirme  tout  ce  que  dit  Homèrd' 
de  la  patrie  du  fidèle  Eumée.  Quant  à 
sa  stérilité  actuelle,  c'est  un  effet  del'in- 
curie  des  hommes  et  de  l'action  dU' 
temps^  trop  de  raisons  nous  en  rendent 
compte,  pour  qu'on  se  croie  autorisé  à 
taxer  Homère  d'inexactitude. 

C'est  encore  à  Homère  quenoui  devouf 
le  récit  le  plus  intéressant  sur  l'ancieit 
état  de  Syros  au  temps  de  ses  rois ,  et 
sur  la  situation  générale  des  ties  et  des 
côtes  de  la  Méditerranée  orientale ,  à  Té^ 
poque  où  les  Phéniciens  et  les  Grecs  a>a 
disputaient  l'exploitation  par  le  commeros 
et  fa  piraterie.  «  Un  jour ,  continue  fiu^ 
mée,  quelques  Phéniciens ,  gens  célèbres 
dans  la  marine  et  grands  trompeurs: 
abordèrent  à  nos  côtes,  apportant  dafiM 
leurs  Taisseaux  mille  parures,  tl  y  ataif 

(i)  Hom.,  O^fs.,  XY,  4oa,  ' 


4«! 


L'UinVER& 


«lori  dans  le  iiaUiis  de  mon  père  une 
fèmot  phénicienne,  grande,  belle,  et 
t^-habile  à  toutes  sortes  de  beaux  ou- 
vrages. Ces  Phéniciens  séduisirent  cette 
femme  par  leurs  fourberies.  Un  jour 
qu'elle  lavait  des  vêtements  près  de  leur 
vaisseau,  l'un  d'eux  s'unit  d  amour  avec 
die.  £t  quelle  femme,  même  la  .'plus 
vertueuse,  résiste  aux  voluptés  ?  On  lui 
demanda  ensuite  qui  elle  était  et  d'où 
elle  était.  £Ue  indiqua  aussitôt  le  pa- 
lais de  mon  père,  et  dit  :  «  Je  me  glo- 
«  rifie  d*étre  de  Topulente  Sidon.  Je  suis 
«la  fille  d'Arybas,  homme  très-riche 
«et  très-puissant;  mais  des  corsaires 
«  Taphiens  m'enlevèrent  comme  je  re- 
«  venais  des  champs,  et  m'emmenèrent 
«  dans  l'Ile  de  Syrie,  où  ils  me  vendirent 
«  à  cet  homme,  qui  donna  de  moi  un 
«  grand  prix. —  Mais,  lui  répondit  le  Phé- 
«nicienqui  l'avait  abusée,  voulez- vous 
«  venir  avec  nous,  pour  vous  retrouver 
«  dans  votre  maison  et  revoir  votre  père 
«  et  votre  mère  ;  car  ils  vivent  encore  et 
«  sont  toujours  riches? — Je  le  veux  bien, 
«  repartit  cette  femme,  si  toutefois  vous 
«  me  promettez  tous  avec  serment  de  me 
«  ramener  chez  moi  sans  me  faire  nul 
«  outrage.  »  — Tous  aussitôt  firent  léser- 
«  ment  qu'elle  demandait  ;  après  quoi  elle 
«  leur  dit:  «  Tenez  maintenantce  complot 
«  secret,  et  qu'aucun  de  vous  ne  s'avise  de 
«  m'aborder  ni  de  me  parler,  soit  dans  le 
«  chemin,  soit  à  la  fontaine,  de  peur  que 
«  quelqu'un  ne  le  voie  et  ne  coure  au 
«  palais  le  rapporter  au  vieillard,  qui, 
a  entrant  d'abord  en  quelque  soupçon , 
«  ne  manquerait  pas  de  me  charger  de 
«  ehatnes  et  de  trouver  les  moyens  de 
«  vous  faire  tous  périr.  Quand  votre 
«  vaisseau  sera  chargé,  vous  n'aurez 
«  qu'à  m'envoyer  un  message  pour  m'en  . 
«  donner  avis.  Je  vous  apporterai  tout 
«  l'or  que  je  trouverai  sous  ma  main.  Je 
«  tâcherai  même  de  vous  payer  un  prix 
«  encore  plus  grand  pour  mon  passage; 
«  car  j'élève  dans  le  palais  le  jeune  prince, 
«  gui  est  déjà  fort  avisé  et  qui  commence 
«  a  sortir  avec  moi  :  je  vous  l'amènerai. 
«  En  quelque  contrée  que  vous  vouliez 
«  l'aller  vendre,  vous  en  aurez  un  prix 
«  convenable.  »  En  finissant  ces  mots  elle 
les  quitte,  et  s'en  retourne  dans  le  pa- 
lais. Ces  Phéniciens  demeurèrent  en- 
core un  an  entier  dans  le  port,  d'où  ils 
venaient  tou9  les  jours  à  la  ville  vendre 


leurs  marchandises  et  acheter  des  pro- 
visions. Quand  le  vaisseau  eut  sa  diar^e 
et  fut  en  état  de  s'en  retourner,  ils  dé- 
pêchèrent un  de  leurs  matelots  à  eette 
femme  pour  l'en  avertir.  Cétait  un 
homme  très-rusé,  qui  vint  dans  le  palais 
de  mon  père  comme  pour  j  vendre  no 
collier  d  or  entrelacé  de  brins  d'ambre. 
Toutes  les  femmes  du  palais,  et  ma  mère, 
le  maniaient,  l'examinaient,  et  en  ol- 
fraient  une  certaine  somme.  Cependant 
le  fourbe  fit  signe  à  notre  Phénicienne, 
et  s'en  retourna  au  vaisseau.  En  même 
temps,  cette  femme  me  prend  par  Is 
main,  et  me  mène  dehors.  En  sortant, 
elle  trouva  dressées  dans  le  vestibule  les 
tables  où  mon  père  traitait  ceux  qui  gou- 
vernaient avec  lui.  Elle  prit  aussitôt  trois 
coupes,  les  cacha  dans  son  sein,  et  con- 
tinua sa  route.  Je  la  suivais  sans  me 
douter  de  rien.  Après  le  soleil  ooucbé, 
et  les  chemins  étant  déjà  couverts  de 
ténèbres,  nous  arrivâmes  au  port,  où 
était  le  vaisseau  des  Phéniciens.  Ils  noos 
font  embarquer  promptement  et  mettent 
à  la  voile,  poussés  par  un  vent&vorable 

Sue  Jupiter  leur  envoya.  Nous  voçiâmes 
ans  cet  état  six  jours  et  six  DUits.  Le 
septième  jour,  Diane  décocha  ses  flèches 
sur  la  Phénicienne,  qui*  mourut  tout 
d'un  coup,  et  tomba  au  pied  du  mâL 
On  la  jeta  dans  la  mer,  où  elle  servit  de 
pâture  aux  poissons.  Je  restai  seul ,  le 
cœur  affligé  ;  sur  le  soir,  le  même  vent 
nous  poussa  à  Ithaque ,  où  Laerte  m'a- 
cheta. » 

Après  les  temps  héroïques,  il  n  est 
fiailt  dans  l'histoire  aucune  mentioii  de 
llle  de  Syros.  Le  seul  nom  dont  os 
ait  conservé  le  souvenir  est  eeloi  du 
philosophe  Phérécyde,  qui  fut  le  mattn 
de  Pythagore,  et  qui  naquit  dans  la  qua- 
rante-cinquième olympiade,  doot  la  pre- 
mière année  répond  à  l'an  69B  avant 
J.-G.  Phérécyde  était  du  noanbre  de 
ces  philosophes  que  les  Grecs  app«laieflft 
AutoBiSèsiTou^,  c'est-à-dire  qui  se  satU 
instruits  eux'mémes,  «  On  assure,  éi 
Hésychius,  qu'il  n'eut  aucun  maître, 
mais  qu'il  se  poussa  lui-même  dans  les 
sciences ,  après  avoir  trouvé  quelques 
ouvrages  cachés,  ou  commentaires  se- 
erets  des  Phéniciens,  »  Le  savant  Hoet, 
évéqued'Avranches,  résont  ainsi,  dansss 
Pr^raUon  Évangéiique^  la  queslionde 
savoir  quels  sont  ces  livres  ^tonbèreBl 


LES  CYCLAUnS. 


44» 


ifltrelasfflanisdeniéréevde.  «  Phéfé^-' 
le,  dit-il,  fût  disciple  des  Egyptienset  des 
^haldéens,  mais  surtout  des  PhénidenSy  ■ 
les  livres  secrets  desquels  od  dit  qa*il 
ira  Qae  grande  connaissance  des  choses 
Urines,  n'ayant  point  eu  d'ailleurs  d*au- 
res  maîtres.  Jentends  par  ces  livres  se- 
rets  des  Phéniciens  ceux  de  Moïse, 
luxquels  Juvénal  donne  le  nom  d'^/r- 
anum.  On  les  attribue  aux  Phéniciens, 
jui,  comme  je  Tai  déjà  remarqué  plus 
Tune  fois ,  sont  souvent  pris  dans  les 
uteurs  profanes  pour  les  Juifs ,  leurs 
oisins  ;  ou  bien  on  peut  entendre  par 
à  récrit  de  Sanchoniaton,  qui  avait  été 
Iré  des  livres  de  Moïse.  »  Sans  être- 
assi  explicite  sur  ce  point,  Bocbart 
l'hésite  pas  à  regarder  les  Phéniciens 
omme  les  maîtres  de  Phérécyde.  Ay^ 
luvé  sur  le  témoignage  d'Homère,  il 
tablit  que  les  Phéniciens  faisaient  de 
ongs  séjours  dans  Hle  de  Syros;  qu'ils 
ui  avaient  donné  son  nom ,  et  qu  ils  y 
valent  répandu  dès  la  plus  haute  an*^ 
iquité  leurs  connaissances  astrono' 
niques.  «  Cest  de  là,  ajoute>t-il,  qu'il 
aat  tirer  l'eiplication  de  Tpona\  ^Xfoio , 
t  il  est  aisé  de  voir  que  c'est  4X(otp6iciovy 
'héliotrope,  c'est-dniire  le  cadran;  et 
)ar  là  Homère  nous  apprend  que  les 
Phéniciens  avaient  fait  dans  cette  île  un 
adran,  dont  le  style  ou  aiguille,  par  le 
Doyen  de  son  ombre,  indiquait  les  soi* 
tices;  et  comme  (fêtait  une  chose  fort 
'are  et  merveilleuse  dans  ces  temps-là, 
lomère,  fort  curieux  et  bien  instruit  de 
OQs  ces  points  d'antiquité,  le  marque 
omme  une  rareté  qui  distinguait  cette 

le -,  et  il  y  a  bien  de  l'apparence  que 

«cadran,  que  Phérécyde  fit  à  Syros  ne 
ut  fait  que  sur  les  dé^uvertes  des  Phé- 
ticiens.  »  On  sent  bien  que  sur  ces 
[uestions-là  les  plus  savants  hommes 
le  peuvent  donner  que  des  hypothèses,  et 
|u'oo  ne  peut  établir  de  conclusions  cer* 
aines.  Void  un  mot  du  scoliaste  d'Ho- 
aère  qui  contrarie  bien  la  supposition, 
Drt  raisonnable  du  reste ,  de  Bochart  : 
On  dit  qu'il  y  a  à  Syros  une  caverne 
lu  soleil,  par  le  moyen  de  laquelle  on 
emarque  les  conversions  de  cet  astre.  » 
1  ne  s  agit  plus  ici  d'un  héliotrope  ou 
adran  artificiel,  mais  d'une  grotte,  qui, 
omme  le  puits  de  Syène,  était  disposée 
le  manière  à  marquer  les  conversioosdu 

29'  Livraison,  (  les  Cyclades.) 


sdieit;  ou  la  positiiin  de  son  ombra  «ux 
solstices.  Mais  ce  mot  du  scoliaste  n'est 
aussi  Ivi^méme  qu'un  on-dit,  ou  peut- 
être  encore  qu'une  hypothèse. 

La  mort  de  Phérécyde  est  diversement 
racontée.  Selon  Diogene-Laerce  il  périt  à 
Delphes,  où  il  se  précipita  du  haut  des  ro- 
chers du  mont  Corycius.  Selon  d'autres, 
il  mourut  d'une  afireuse  maladie,  qu'É- 
lien  décrit  de  la  manière  suivante  :  «  Phé- 
récyde, maîtrede  Pythagore,  étant  tombé 
malade,  transpirait  d'abord  une  sueur 
chaude  et  semblable  à  des  mucosités, 

Îai  le  jeta  ensuite  dans  la  pbthiriase. 
outesses  chairs  se  réduisirent  en  poux, 
la  corruption  s'y  mit,  et  il  finit  ainsi  ses 
jours.  »  Défîffuré  par  cet  horrible  mal , 
Phérécyde  s'était  enfermé  dans  sa  mai- 
son, et  ne  recevait  plus  personne.  Un  de 
ses  amis  s'étant  présenté  à  sa  porte 
pour  savoir  comment  il  se  portait,  Phé- 
ricyde  lui  fit  voir  par  un  trou  son  doigt 
tout  décharné,  et  lui  dit  que  tout  le  reste 
de  son  corps  était  de  même.  Diodore  de 
Sicile  raconte  que  Pythagore,  apprenant 
raffiictioQ  de  son  anciisn  maître,  quitta 
ritalie  pour  le  rejoindre  à  Délos ,  où  il 
était  tombé  malade;  qu'il  l'assista  jus- 

2u'à  ses  derniers  moments,  et  qu'il  lui 
onna  une  honorable  sépulture.  On  a 
retrouvé  parmi  les  antiquités  de  Syros 
un  buste,  d'une  belle  et  grave  expression, 
que  les  archéolosues  se  plaisent  à  re- 
garder comme  celui  du  philosophe  Phé- 
récyde. 

Gicéron  loue  ce  philosophe  d'avoir  en- 
aei^éle  nreroierl  immortalité  de  l'âme  ; 
mais  Suidas  l'accuse  d'avoir  créé  le  sys- 
tème de  la  métempsycose. 

fiyra, comme  les  autres  Cyclades,  obéit 
successivement  aux  Perses,  aux  Athé- 
niens, aux  Macédoniens, aux  Romains, 
aux  empereurs  byzantins,  aux  ducs  de 
l'Archipel  et  enfin  aux  Turcs.  Sous  ces 
derniers  maîtres,  Syra  devint  le  refuge 
d'un  grand  nombre  de  familles  franques 
chassées  des  lies  voisines ,  qui  y  appor- 
tèrent la  religion  et  le  rit  romain,  et  en 
firent  lUe  la  plus  catholique  de  TArchi- 
pel.  «  Pour  sept  ou  huit  familles  du  rit 

grec,  dit  Tournefort,  on  y  compte  plus 
esix  mille  Âmes  du  rit  latin;  et  lorsque 
les  Latins  s'allient  avec  les  Grecs ,  tous 
les  enfants  sont  catholiques  romains  ;  au 
lieu  qu'à  Naxie,  les  garçons  suivent  le 

29 


450 


L*UICIVEa& 


rit  dd  père,  et  1m  fillei  ctàii  de  la 
mère.  Où  est  redevable  de  loua  ces  biena 
aux  pères  eapuelua  français,  mission- 
naires  apostoliques,  fort  aimés  daoa  cette 
tle,  et  fort  appliqués  à  iostruire  un  peuple 
porté  au  bien ,  honnête ,  ennemi  déclaré 
des  Yoleurs,  plein  de  bons  sentiments, 
et  si  laborieux ,  qu*on  ne  saurait  reposer 
dans  cette  tie  la  nuit,  à  cause  du  nruit 
universel  des  moulins  à  bras  que  cha* 
cun  exerce  pour  moudre  son  blé,  et  le 
jour,  à  cause  des  rouets  uni  servent  à  filer 
le  coton.  La  maison  etréglisedescana- 
cins  sont  assez  bien  bâties;  la  bannière 
de  France  arborée  au  coin  de  leur  ter- 
rasse nous  réjouit;  et  le  père  Jacinthe 
d*Amiens ,  homme  d'esprit ,  substitut  du 
consul  de  Franee  à  Tme,  nous  reçut 
avec  tous  les  agréments  possibles.  Oes 
pères  dirigent  vingt-cinq  relisieuses  du 
tiers  ordre  de  Saint-Francis,  filles  d'une 
vertu  exemplaire,  quoique  non  cloî- 
trées. Les  Grecs  n*ont  que  deux  églises 
dans  Syra,  desservies  par  on  papas.  Il 
n*y  a  de  Turcqn*un  cadi;  encore  vient- 
il  se  réfugier  chez  les  capucins  lorsqu'il 
paratt  quelque  corsaire  autour  de  1  Ile* 
On  y  élit  tons  les  ans  deux  administra- 
teurs. En  1700  lacapitation  et  la  taille 
réelle  montaient  à  4,000  écus.  » 

L'évéque  de  Syra  est  nommé  par  la 
cour  de  Rome  et  placé  sous  la  protection 
de  la  France. 

Ce  fut  sous  Louis  XIII  que  fat  fon-» 
dée  à  Syra  la  maison  des  capucins;  sous 
Louis  XV  les  jésuites  s'y  établirent. 
Après  la  destruction  de  Tordre,  les  laza* 
ristes  les  remplacèrent.  Tous  les  catho- 
liques répandus  dans  l'empire  ottoman 
reconnaissaient  alors  le  t(à  de  France 
pour  leur  protecteur;  cette  protection 
s'étendait  particulièrement  sur  ceux 
qui  suivent  le  rit  latin,  et  les  habi- 
tants de  Syra  en  particulier  en  ont  de 
tout  temps  ressenti  les  heureux  efPeta. 
A  La  reconnaissance  des  Svriotes  envers 
le  roi  de  France,  dit  l'abbe  délia  Rocca, 
se  manifeste  à  Syra  de  la  manière  la 

f>lus  éclatante:  on  pourrait  même  dire 
a  plus  incroyable.  Quoi  de  plus  sin^- 
lîer  en  effet  que  d'entendre  au  miheo 
des  peuples  livrés  à  l'erreur,  dans  les 
églises  et  chapelles  particulièrea  retentir 
au  loin  le  chant  mélodieux  du  Domine, 
salvum  fac  regem.  £t  pour  qu'on  ne 


piusie  ■em^MBdie  mr  le  nom  de  ee- 
I«i  qui  est  Totijet  de  cette  prière,  on  y 
ajoute  oes  mots  :  Nostrum  Ludoci- 
cum  (i).  »  Les  navires  français  trou- 
vaient tomoara  chez  les  Syriotes  Vit- 
cueil  le  plus  empressé  et  tous  les  se- 
cours néoessaîrea  dans  le  cas  de  peste, 
d'inoendie,  de  tempête,  ou  lorsqu'ils 
étaient  attaqués  par  des  pirates. 

Cette  protection  toute  spéciale  leav^ 
dée  parla  France  è  111e  de  Syra  s'éUa- 
dit  indirectement  à  tous  les  iosulaiRi 
de  l'Archipel  lorsde^insurrectioogR^ 
que.  A  l'abri  des  horreurs  de  b  guerre, 
oomme  cliente  de  la  France,  la  catho- 
lique Syra  devint  le  lieu  d^asile  de  touta 
les  populations  des  tlea  où  les  Turcs 
avaient  porté  leurs  ravages.  Au  pied  de 
la  montasnequi  domine  randenneSp 
latine ,  il  se  forma  une  aggloroératiop 
de  fugitifs ,  venus  ^le  toutifles  Iles  roi- 
aines,  qui  en  peu  de  temps  donna  nais- 
sance à  une  cité  nouvelle,  où  l'on  compir 
aujourd'hui  plus  de  quatre  mille  mai- 
sons, des  éelises,  des  hdpitaax  et 
des  écoles  publiques  daoa  lesquelles  se 
réunissent  quatorze  à  quinze  cents  a< 
fants.  Les  Chiotes.  les  Ipsariotes,  les 
Hydriotes  ont  le  plusooDtribuéàfiM^ 
nir  la  population  de  la  ville  d'Henao- 
polis ,  qui  compte  environ  3^000  imes. 
et  qui  est  maintenant  le  port  le  plus  fré- 
quenté de  l'Archipel,  le  centre  du  oom- 
meroe  de  la  Greoe  et  son  priadpai 
chantier  de  conatru<^ion  maritiine.  ^e^ 
noK)poliB,  la  ville  de  Mercure  ou  duoooh 
sDerce,  est  après  Athènes  la  pretHÎèK 
cité  du  nouveau  royaume  grec  £Ue  est 
aituée  au  bord  de  la  mer  «  à  k  base  àt 
rocher  dont  ranâeoae  Syra  occupe  too* 
jours  le  sommet,  et  où  réside  encore  us 
évéque  latin,  délégué  apostolique  de 
aaint«Biége,  et  toqjours  protégé  ^  sw- 
tenu  par  la  Fiance  (3)« 


i; 


!z)  Traité,  e/c,  t.  î,  p.  9^. 
a)  Surtout  par  TOEuvre  de  la  Propagiù' 
de  la  Foi,  qui  est  communes  tonte  hcitboi»- 
citéy  mais  où  la  France  conlriboe  i  die  seét 
pour  les  deux  tiers.  J*ai  extrait  da  dcrvcr 
compte  rendu  des  opérations  dt  la  socicir 
tout  ce  qui  a  rapport  am  Elcs  de  b  Grèee.  t 
n*est  pas  hors  de  propos  de  produire  id  ce* 
chiffres,  qui  donneront  une  idée  de  h  àt^ 
tioa  de  rÉgUae  btine  dtnt  le  Levnt,  nàt 


LES  CYCLADES. 


461 


Ces  deux  ties«  que  les  Grecs  moder* 
068  appellent  DUi^  et  que  les  anciens 
distÎDffuaieot  par  les  noms  depeiUe  et  de 
grande  Délos,  à  cause  de  la  di£féreooe 
de  leurs  dimeosioas ,  ne  sont  plus,  de* 
puis  bien  dessièdeSf  quedeux  méchants 
éeueilB  tout  à  fiiit  abandonnés.  Mais  le 
sourenir  de  ee  qu'elles  ont  été  jadis  rend 
à  jamais  leur  nom  impérissable,  recom- 
loande  leur  histoire  aux  recîierches  in* 
fatigables  des  savants,  et  attiresans  cesse 
vers  leurs  débris  les  explorations  des 
pèlerins  de  la  science  antique.  Depuis 
plusieurs  siècles,  la  petite  Délos,  Tilesa* 
crée  d'ApoUon,  et  la  grande  Délos  ou 
Rhénée,  sa  nécropole,  ont  été  visitées  par 
de  nombreux  voyageurs,  qui  ont  eu  à 
constater,  les  uns  après  les  autres,  les 
progrès  de  la  destruction  de  leurs  ruines, 
contre  lesquelles  se  sont  cocyurées  Tao- 
tioD  du  temps  et  la  main  des  hom- 
nés.  Je  laisserai  parler  ici  le  dernier 
d'eatreeux  (t),  dont  la  relation  réunit 

l'éteadae  dei  resioureet  miMt  par  IVeuvre  à 
ia  dispoMiion  d«ft  établisMnwiits  cathoUques 
qu'elle  soiUieal  en  parlie. 
Il  a  été  recueilli  dans  lei  lies  grecques  : 

UocitedeSm.     Mr,nABMlUMias     mifir.  »  e. 

—  4flTlM,%H%»         -^        es    lyTM        J» 

—  deZaote,  1,19a      78 

—  de  Sdo,  f  ,«it  piAstres         &=     tM      is 

Il  a  été  distribué  dans  ces  îles  : 

A  HP  Albertt ,  éréqw  4«  Sjul  et  délégua  fr. 

apostolique  pour  U  Grèce  < is,ooo 

A  la  mission  des  RR.  PP.  eapndns  i  Syra .      soo 

Alli»Zalonl,eTéqat4le'niie i,MO 

Aex  Bâssioas  de  la  ««pegate  de  Jdsns  en 

Crèce 7^0 

A  Hr  Castetll,  arebeTègne  de  llaxle. .  .  :  .    i,mo 

AlirCiieailla,é*è4MdeSaiktDrtB i^oee 

A  k  Maison  des  Jaiarisles  et  étabUssemenU 

des  soeurs  de  ctiarité  A  Santorlo ^.^fioo 

A  la  mtssloti  des  RR.  PP.  capodos  ft  Faros.  'a^seo 

A«  dioeèw  de  Zante aae 

A  linalMB  4et  RR,  PP.  espnciaf  A  CdpJu* 

lonle 2,800 

A  h  maison  des  RR.  pp.  eapndns  dans  llle 

de  andle. , 

AMf  JoattidaBt,  érd^ae  de^Sdo 

A  la  maison  des  RR.  pp.  loincnrs  réfonnéa 

a  Rbodes ;   i^^mo 

A  la  mataon^det  RR.  pp.  mtaeurs  réfdnét 

A  M étella. , 4-g^ ,  ; 

KlBsiona  de  llte  de  Oiyprc. e^   ' 

Vo/es  Jnnales  de  U  Propt^gadon  <U  U 

^oi,  mai  i85a,  p.  166;  compte  rendu  de 

année  x85i. 
(i)  M.  Ch.  Rcnoit ,  mon  ancien  confrère  à 


à  Texaetitnde  des  détails  archéologiques 
rintérét  de  la  description  et  Tagrement 
des  impressions  personnelles. 

DeSCEIPTION  D£S  BUmES  DB  Dstos. 

«  Cette  dévastation  de  Délos  dépasse 
tout  oe  qu'on  peut  imaginer ,  et  le  cœur 
se  serre  en  promenant  ses  yeux  sur  ce 
morne  rocher,  où  pas  une  ruine  même 
n^est  restée  debout,  mais  où  toute  pierre 
a  été  renversée  y  hrisée,  réduite  en  me- 
nus éclats.  Tout  s'est  conjuré,  depuis 
quelques  siècles,  pour  en  faire  dispa- 
raître les  vestiges  de  quelque  valeur, 
que  Spon  et  Wheler  y  trouvaient  encore 
en  si  grande  quantité  quand  ils  visi- 
tèrent cette  tle  en  1676 ,  et  Toumefort 
au  commencement  du  dix-huitième  siè- 
cle. La  curiosité  impie  des  savants  et 
des  amateurs  d*anti(]uités  n^a  pas  été 
moins  fatale  aux  ruines  de  Délos  gue 
la  barbarie  des  habitants  des  lies  voisi- 
nes exploitant  ces  ^ands  débris  comme 
des  carrières  :  car  u  y  a  plus  de  mille 
ans  que  les  gens  de  MvKonos ,  de  Sy- 
ros,  de  Ténos  viennent 'y  chercher  des 
matériaiu  pour  bâUr.  Les  pierres  étaient 
toutes  taillées  ;  à  quelques  vestiges  de 
aculpture  on  les  reconnaît  parfois  aux 
environs  y  maçonnées  dans  les  murailles 
des  plus  sales  masures  ;  et  non  loin  de 
l'emplacement  du  temple  s'élève  encore 
un  vieux  Ibur  à  ehaux  dans  lequel  ont 
été  calcinés  bien  des  statues  et  oes  mar- 
bres précieux ,  destinés  à  faire  du  mor- 
tier. Les  derniers  débris  conservant 
ouelque  figure  et  oui  n'avaient  pas  été 
aepuis  longtemps  déjà  transportés  à  Ve- 
nise ou  à  Constantinople ,  ou  pillés  par 
des  bâtiments  russes  ou  anglais,  ont 
servi,  il  y  a  vingt-cinq  ans,  a  la  cons- 
truction d'une  grande  église  que  j'a- 
vais vue,  quelques  jours  auparavant, 
dans  rtle  voisine  de  Ténos.  Las  magni- 
fiques linteaux  des  portes  en  man)re 
blanc  qu'on  y  admire  onl]  été  enlevés 
ici  du  temple  d'Apollon.  Le  gouverne- 
ment du  roi  Othon,  à  peine  constitué, 


réooled'Atlièiies,  qui  a  iaiéré l'i 
liée  dont  je  donne  ici  l'ibnigé,  daiu  les  w/rc/ii- 
^ftsdes  Misdons  ^cientjfiquôt  de  juillet  iSbu 
On  pe«t  eoBsidter  eoeore  Dapper,  p.  36  j; 
Tournefoii,  I,  «67;  Tabbé  sihier,  ffistoirf 
de  tiU  de  Délos  ^  Acad.  des  Xucr.,  Ill,  376  ; 
Schweocky  DeUaca,  m-4S  x^aS,  etc.  Ci 
Forbiger,  Handbuch,  TIT^  p.  1037. 

29. 


MÊ 


452 


L*tNlVERS. 


s*est  empressé,  il  est  vrai,  d'interdire 
dans  toute  la  Grèce  cette  dévastation  sa- 
crilège ;  mais  ici  il  était  trop  tard  :  il 
n'y  avait  plus  rien  à  sauver. 

«  Le  temple  d'Apollon  s'élevait  aux 
bords  du  canal  qui  sépare  Délos  de  Rhé- 
née,  vis-à-vis  de  recueil  qu'on  appelle 
aujourd'hui  la  grande  Rbematia ,  et  qui 
était  autrefois  consacré  à  Hécate.  Les 
monceaux  de  fragments  du  marbre  le 

{>lus  blanc  de  Paros ,  dont  le  sol  est  au 
oin  couvert,  indiquent  encore  quelles 
furent  les  proportions  de  cet  édifice 
immense ,  construit  à  la  même  époque 
oue  les  grands  temples  de  l'acropole 
d'Athènes  :  qnelques  chapiteaux  dori- 

aues  mutilés ,  des  tronçons  de  colonnes 
e  plus  d'un  mètre  de  diamètre  permet- 
tent même  de  le  restaurer  en  partie  par 
la  pensée.  Lés  colonnes  de  la  Cella  étaient 
rondes  et  cannelées  dans  toute  leur  cir- 
conférence; mais  les  tambours  des  gros- 
ses colonnes,  qui  formaient  le  périmètre 
du  temple,  au  lieu  d'être  cylindriques; 
quelques-uns  du  moins,  sont  ovales,  et 
seulement  cannelés  sur  les  deux  côtés  les 
plus  arrondis.  Quel  fut  le  dessein  de 
l'architecte?  Quelle  illusion  voulait-il 
produire  ainsi?  On  sait  avec  qudle 
science  profonde  et  délicate  les  artistes 
du  ^and  siècle  combmaient  dans  leurs 
momdres  détails  les  lignes  de  leurs  édi- 
fices, selon  de  mystérieuses  harmonies. 
Les  études  de  nos  jeunes  architectes  sur 
les  ruines  du  Parthénon  et  des  Propy- 
lées leur  révèlent  chaque  jour  quelquW 
de  ces  merveilleux  secrets  de  l'an  an- 
tique, que  l'art  moderne  n'avait  pas 
soupçonnés  jusque  alors.  Malheureuse- 
ment à  Délos  on  ne  peut  guère  qu'en- 
trevoir le  problème,  sans  trouver,  avec 
s!  peu  de  restes  mutilés ,  les  moyens  de 
le  résoudre. 

«  Avec  les  débris  de  ce  temple  se  con- 
fondent presque  les  ruines  de  rimmense 
portique  quePhilippe  III ,  roi  de  Macé- 
doine ,  avait  consacré  à  ApoUon ,  et  qui 
s'étendait  du  côté  du  sud  le  long  du 
rivage,  dans  un  espace  de  cent  cinquante 
pas  environ.  On  y  distingue  quelques 
«normes  chapiteaux  doriques  en  beau 
marbre  gris  sans  veines  et  du  ^in  le 

Ï>lus  fin,  des  fragments  de  frise  avec 
eur  trigiyphes,  des  architraves ,  dont 
le  dessus  avait  été  creusé  sans  doute 
pour  les  rendre  plus  légères  ,  et  sur  plu- 


sieurs desquelles  on  recueille  «neoie  ees 
mots  mutilés :<l>lAiniI....  BA.  IAEÛ2.... 
OAAQNI ,  restes  de  rinseription  votive, 
PhitippeJUs  de  Démitrfm;  roi  de  Ma- 
cédoine^ à  JpoUan;  «afin,  de  nom- 
breux tronçons  de  colonnes  dcnriques, 
de  près  d'un  mètre  de  diamètre  à  leur 
base ,  lesquelles  n^étaient  cannelées  que 
dans  les  deux  tiers  supérieurs  de  leui 
hauteur,  et  taillées  à  pans  seulement 
dans  leur  partie  inférieure.  Hais  je  se 
veux  point  m'arréter  à  ces  ruines,  quoi- 
qu'elles soient  les  plus  considérables  de 
Délos  ;  on  en  trouve  une  minotieQse  de- 
eription  dans  les  livres  de  Spon  et  de 
Toumefort ,  qui  les  ont  vues,  il  y  a  j^os 
d'un  siècle  et  demi,  bien  pins  entières 
qu'elles  ne  sont  aujourd'hui. 

«  On  croit  que  c'est  à  Tentonr  de  ces 
édifices  que  se  groupaient  le  ten^fde  de 
Latone ,  xh  Av^xÇov,  dont  parle  Stralion, 
la  chapelle  d'Aphrodite^  que  Theée 
avait  érigée  jadis  sur  œ  rivage  à  son  re- 
tour de  Crète,  le  temple  d'JrtémiM,  et 
maints  autres.  Gettecitédes  temples  était 
enveloppée  d'un  même  bois  sacré,  que 
peuplaient  par  milliers  des  statues  de 
marbre  ou  de  bronse.  Quel  spectacle! 
lorsque  entrant  dans  lecanalaux  eaux  d'é- 
meraude,  les  théores  entendaient  au  loin 
les  psBans  sacrés  montantau  ciel  avec  Ten- 
cens  et  la  fumée  des  sacrifices  ;  qniand  ds 
apercevaient,  à  travers  le  feniUage  dn 
saintbosquet,  ces  temples  étincdauts  de 
l'éclat  de  leurs  marbres  et  des  vives  ooo- 
leurs^  dont  ils  étaient  peints  ;    qnutà 
alentour  ils  entrevoyaientcette  noultnude 
de  statues ,  ce  peuple  de  dieux  et  de  hé- 
ros, sous  les  ombrages  des  palmien. 
des  myrtes  et  des  lauriers-roses!  Mais 
aujourd'hui ,  pas  une  colonne  debout  ea 
ces  lieux,  pas  un  tronçon  de  statae, 
pas  un  arbre,  pas  seulement  un  palmier, 
pour  marquer  l'endroit  où  Latone  mil 
au  jour  Apollon  et  Artémis  ;  ricu  que  de 
basses  broussailles,  des  lentisqoes  naics 
rampant  sur  les  décombres,  et  où  les  pi- 
tres de  Myconos  viennent  parfois  faire 
pattre  leurs  moutons  et  leurs  chèvres. 

«  Lorsqu'on  1423  l'Italien  Bondel- 
monte  visita  Délos.  il  trouva  eneor^ 
couchées  par  terre  d'innombrables  sta- 
tues, et  parmi  elles  une  statue  co- 
lossale, qu  il  essaya  en  vain  de  redres- 
ser avec  tous  les  ensins  de  ses  galères. 
Tous  ces  restes  de  l'art  antique  ont  éi<* 


LES  CTCLADES. 


463 


piliés  et  dispersés  depuis  dans  tous  les 
coins  da  monde.  Il  n*en  tleiaeore  qu'un 
éDormefragment,  encore  reconnâissable, 
de  la  gigantesque  statue  cPJpoUon ,  qui 
avait  étonné  Bondelmonte ,  et  qui  jadis 
)vait  été  érigée  au  seuil  du  temple  par 
les  habitants  de  Naxos,  après  la  guerre 
Médique.  C'est  un  torse  énorme  depuis 
le  cou  jusqu'à  la  ceinture;  j'ai  mesuré 
fane  épaule  à  l'autre  S^^^SO.  Tout  à 
!ôté  de  ce  débris,  que  les  chaufourniers 
l'ont  pu  entamer ,  gît  up  gros  bioe  carré 
le  6  mètres  de  long  v  9°^,50  de  large 
!t  ]°*,25  d'épaisseur,  éridé  au  centre, 
equel  a  certainement  appartenu  au  pU- 
testai  de  la  statue,  est  on  y  lit  encore 
sur  un  des  cdtés  l'inscription  votive 
USIOI  AnOAAûM.  L'Ionie  entière 
luivit  l'exemple  des  Naxiotes  :  en  ces 
onrs  d'allégresse  où  Atliènes  victo- 
ieuse  restaurait  le  vieux  culte  de  Délos, 
!ités  et  partîcaliers  venaient  à  Tenvi 
!ODsacrer  dans  ille  sainte  un  monument 
le  lear  reconnaissance.  C'est  auprès  de 
a  statue  colossale  de  Maxos  que  ïe  pieux 
Vicias  érigeait  son  palmier  de  bronxe 
loré  :  voisinage  fotaf  1  ce  palmier,  bien- 
6t  déraciné  par  la  tempête,  tomba  sur 
e  colosse  et  le  renversa.  Depuis  oe 
emps  la  statue  est  demeurée  par  terre, 
intiere  encore  au  temps  de  Bondel- 
nonte,  mais  depuis  sans  cesse  muti* 
ée  par  des  amateurs. 
<  Quand  on  quitte  ce  lieu  des  sanc* 
naires,  pour  remonter  le  canal  vers  le 
lord,  et  suivre  ensuite  le  rivage  cpii  re- 
garde Ténos,  on  marche  au  milieu  des 
iiines  de  la  vilk  même  de  Délos,  ville 
adis  magnifique  (à  en  juger  encore  par 
es  débris  ),  qui,  desœndant  des  pentes 
la  mont  Cyntbos,  s'étendait  le  long  de 
a  plage  septentrionale.  Là ,  depuis  la 
lestmction  de  la  population  antique , 
inlle  population  nouvelle  n'est  venue, 
»)mme  en  d'autres  lieux  de  la  Grèce, 
'ecouvrir  de  ses  constructions,  ainsi 
nie  d'une  alluvion,  le  sol  d'autrefois, 
l^los  d'un  quart  de  la  ville  subsisterait 
^core,  comme  une  autre  Pompéi,  si 
Tavides  exploiteurs  n'étaient  venus  de- 
)m  deux  siècles  en  bouleverser  les 
'estes  de  fond  en  comble,  les  uns  pour 
^chercher  des  trésors,  les  autres  des 
reliques  de  Vaari  antique,  d'autres,  enfin, 
pour  en  tirer  des  matériaux  à  bâtir.  Les 
pierres  des  angles  surtout  ont  été  arra- 


chées pour  être  employées  ailleurs  :  il 
ne  reste  phis  ^ère  que  des  tas  de  moel- 
lons d'un  schiste  micacé  ou  d'un  granit 
1>leu,  que  fournissaient  les  carrières  ou- 
vertes au  pied  du  Cynthos;  et  ^  et  là 
quelques  fni^;ments  d'un  beau  marbre 
blanc  sur  lesquels  on  distingue  des  traces 
de  couleur.  Nul  doute  que  ees  décombres 
ne  recouvrent  encore  maintes  choses 
précieuses,  des  morceaux  de  sculpture, 
itUntéressantes  mosmques  ;  toutau  moins 
pourrait-on,  en  déblayant  avec  soin,  re- 
connaître en  plus  d'un  endroit  le  plan 
d'une  maison  antique.  Par  places  se  dres- 
sent encore  en  efiet  des  trônç(Hi«  de  co- 
lonnes en  granit,  de  un  à  deux  pieds  de 
diamètre,  qui  par  leur  solidité  et  la  gros* 
sièreté  de  la  matière  ont  édmppé  aux 
ravageurs.  Elles  sont  le  plus  souvent  par 

groupes  de  huit  ou  douze  ensemble,  et 
isposées  de  façon  à  former,  ici  un 
porticpie  extérieur,  ailleurs  la  galerie 
mtérieure  d'une  cour.  On  en  compte 
ainsi  par  centaines  dans  l'tle.  Sous  la 
plupart  de  ces  maisons,  on  remarque 
une  citerne  recouverte  par  une  voûte  on 
simplement  par  des  travées  de  granit, 
selon  qu'elle  est  plus  ou  moins  large. 
C'est  qu'à  Délos,  comme  dans  beaucoup 
de  ces  îlots  volcaniques  de  l'Archipel, 
l'eau  était  rare.  Le  ruisseau  de  Vlnopat 
ne  pouvait  suffire  aux  besoins  des  ha- 
bitants, et  il  y  fallait  suppléer  en  recueil- 
lant les  eaux  pluviales.  Cet  fnopos  lui- 
même,  aujourd'hui  ou'est-il  devenu? 
Après  bien  d'autres,  f  ai  cherché  vaine- 
ment ce  ruisseau  ;  il  a  disparu  et  rendu 
l'île  à  son  aridité  première.  On  se  de- 
mande même,  en  considérant  ces  lieux, 
s'il  a  jamais  pu  exister  ;  car,  lors  même 
queleCvnthos,  aujourd'hui  si  brûlé  des 
traits  d^ipollon,  aurait  été  jadis  cou- 
ronné d'arbres,  comment  une  île  si  pe- 
tite, et  presque  entièrement  formée  de 
•granit  et  de  calcaire,  aurait-elle  pu  avoir 
un  vrai  cours  d'eau,  ou  seulement  une 
fontaine  intarissable?  Les  citernes  ef- 
fondrées que  l'on  voit  partout  montrent 
assez  que  les  habitants  n'y  comptaient 
guère;  et  j'incline  à  penser  avec  Tour- 
nefort,  lequel  suivait  en  cela  déjà  l'avis 
de  Pline,  que  cet  Inopos,  dont  Strabon 
a  fait  une  vraie  rivière  (sans  doute  d'a- 
près les  poètes,  qui  depuis  l'antiquité 
ne  cessaient  de  l'enfler  de  leurs  vers }, 
n'était   autre  chose  que  cette  source 


454 


1  nriwivifnfi 

&•  UilIVJBiliO* 


profonde  qaoa  v<nl  à  la  pointe  que 
forme  Ttle  vr«  le  nofd^est,  Tîs-à'Vig  de 
MykoAoe.  C'est  une  sdrte  de  piûts  de 
dnq  ou  six  mètres  entiroa  de  diamètre, 
etifnrmé  en  partie  par  des  rochers,  en 
partie  par  une  moraille;  le  i^eau  de 
reau  y  varie  suivant  les  saisons ,  et  quel* 
quefois  riiiverla  source,  dit-on,  inonde 
mr'Hdesstts  ses  bords.  De  là,  sans  doute, 
la  tf  aille  légMide  qui  mettait  oetle  source 
Intermittente  en  oommunieation  mjrsté» 
rieuse  avee  le  Nil,  le  fleuve  saeré,  et  lui 
en  faisait  suivre  les  «rues.  £n  Grèce 
œs  traditions  ne  périssent  pas,  elles  se 
transforment  :  auiourd'bur  c'est  du 
Jourdain  que  les  haiHtants  de  Mykonos 
fimt  venir  cette  eau  merveflleuse. 

«  Aussi  vainement  vous  chereberies 
encore  les  eaux  de  ee  petit  lac  dreu* 
laire,  Tpoxoei^c  ^^vt^^  su  bord  duquel 
Latone  mit  ses  deux  «ifànts  au  monde. 
De  bonne  heure,  à  ce  quMl  semble,  ce 
lac  s'était  desséché;  et  les  anciens,  <|ui 
ne  manquaient  jamais  pour  construire 
limrs  stades  ou  leurs  théâtres ,  de  profiter 
de  la  disposition  naturelle  des  heux  en 
firent,  en  le  rectifiant,  un  amphithéâtre. 
Car,  en  continuant  k  suivre  la  ctfte  sep«> 
tentrionale  de  nie,  on  reconnaît  aisé* 
ment,  à  peu  dedistanee  de  la  mer,  l'ancien 
Ht  du  marais  sacré,  que  l'art  a  trans* 
formé  en  un  amphithéâtre  ovale ,  mais 
d'une  courbe  im^lière,  plus  arrondie 
du  côté  de  Test,  vers  l'ouest  plus  aplatie. 
Un  petit  mur  assez  bien  conservé,  d'un 
mètre  environ  de  hautenr,  en  borde  le 
pourtour;  au-dessus,  sur  un  tertre  en 
pente,  se  rangeaient  drculairement  des 
cradiDS  de  marbre  blanc.  Mais  les  mar- 
bres ont  été  arrachés;  de  petits  buissons 
de  lentisques  revêtent  seuls  aujourd'hui 
les  bords  de  la  corbeille.  Le  fond,  par- 
faitement sec  quand  je  le  vis,  mais  re- 
vêtu d'une  fine  couche  de  salpêtre,  attes- 
tait que  cette  enceinte  pouvait  bien  encore 
être  inondée  pendant  Thiver.  Yollà  sans 
doute  pourquoi  Toumefort  a  signalé  œ 
petit  bassin  sous  le  nom  de  naumachU. 
Mais  évidemment  cet  espace  était  trop 
étroit  pour  les  luttes  navales  ;  et  d'ail- 
leurs a  quoi  bon  une  naumachie  artifi- 
cielle, à  quelque  cent  pas  seulement  du 
'canal  de  Rhenée,  qui  semble  si  merveil- 
leusement propre  à  de  tels  spectacles  P 
Ce  ne  fut,  selon  toute  probabilité,  qu'un 
amphithéâtre  ordinaire,  destiné  aux  jeux 


publies ,  et  dent  la  eonslnietioo  peut 
bien  remonter  aux  beaux  joart  de  te 
Grèce.  Le  lae  saeré  ft'avait  plu  d'eau , 
mais  ne  devait  pas  pour  eela  s'effseer  : 
l'art  s'en  empara,  et  en  consacra  la  place. 
En  poussant  plus  loin,  juMufà  la 
eôte  orientale,  qai  regarde  Mj^onos, 
on  est  arrêté  pîar  des  mines  mnmsmm 
taies,  que  Toumefort  a  signalées^  maii 
dont  le  sagaee  M.  Ross  a  le  premier, 
je  crois ,  retrouvé  le  sens.  Là  si'élevait 
un  ^jwinase  complet,  avee  aon  stade  et 
son  portique.  Le  siade  s'étoftdaît  leloog 
de  la  mer,  du  nord  an  and,  sur  une  lon- 
gueur de  900  mètres  et  une  largeur  de 
90  environ.  Adossé  du  côté  droit,  on  oc- 
cidental, contre  un  tertre  qui  en  sup- 
portait les  gradins,  il  teit  ouvert  on 


oôté  de  Torient  et  dégarni  de  baocs; 
lement,  de  ce  côté,  et  an  nâlieu  de  la 
longueur,  on  avait  bâti  en  pierres  une 
tribune,  longue  d'environ  quarante-cinq 
pas,  et  qui  pouvait  avoir  trois  ou  qoatit 
rangs  de  si^b^.  C'était  done  un  stade 
à  un  seul  coté,  eridtov  {m^T  nkapS.  Ae 
stade  se  rattachait  unporU^we  en  mar> 
bre  bleu  mat,  dont  les  ooionnea  étaient 
surmontées  et  unies  entre  elles,  non  par 
les  plates-bandes  ordinaires ,  mais  par 
des  arceaux  taiiiéi  d'une  seuls  pieee , 
et  mesurant  1",68  de  long,  l*,oa  de 
hauteur,. et  0'*,48  d'épaaseur.  Rien 
n'est  demeuré  debout  de  set  édifice ,  et 
les  fragments  ne  sont  plus  ni  assez  nom- 
breux ni  asses  entiers  pour  é&«  rrle^ 
vés.  Le  tout,  du  reste,  m'a  p«ru  d'un 
travail  médiocre,  et  doit  être  une  oeuvre 
des  bas  siècles.  Une  inscription»  jadis  ^^ 
trouvée  parmi  ces  ruines,  et  qui  depus 
a  disparu,  nous  apprend  qne  Dâos  était 
rederable  de  son  gymnase  au  roi  Mi- 
tliridate  Ëvergète,  le  père  du  grasd 
Mithridate.  Gelui>ci  avait  aussi  en  es 
lieux  sa  statue,  ainsi  que  Tattestait  use 
autre  inscription,  recueillie  autrefon  sur 
la  base  même  du  piédestal.  Cette  stame 
lui  avait  été  érigée  par  le  gynanasiarque 
Dionysios,  pour  perpétuer  le  soufcnir 
des  bienfaits  dont  ee  prince  avaiteom- 
blé  Délos  :  singulière  ironie  du  destin . 
qui  dans  le  saeeagede  l'ilesainte, ordonne 
par  Mithridate  pendant  aa  guerre  avec 
Rome,  n'a  laissé  subsister  ope  ee  monu- 
ment de  reconnaissance  à  rtmpitDyabie 
exterminateur! 
«  Jamais  depuis  cette  villene  s'est  le- 


LES  CT<XAPSS. 


4&S 


levée  deeottB  épttof aniable  raine,  eà  die 
l'étaitsoDdtmement  abtoiée,  oomme  par 
un  tremblemeot  da  tem  :  aussi  quelques 
naisMis  nouvaioit-eUeB  être  eneore^ 
ivaot  les  touilles  du  dernier  sièele ,  dans 
'état  de  roîneoùelles  se  trouvaient  au  len- 
lemain  de  fca  eatastropbe.  Au  pied  du 
[^yntboB,ett  remuant  des  décombres, 
ma  rencontré  plusieurs  statuettes  de 
narbre  inaehevéles,  qu'on  peut  ?o&r  au- 
oord'bui  à  Athènes,  el  sur  lesquelles 
I  est  intéressant  d'étudier  les  |»i9cédés 
echniquesdes  anciens  dans  la  statuaire. 
j'(KQvre  interrompue  rappelle  que  Tar- 
iste  a  été  sans  doute  arrêté  dans  son 
rarail  par  la  vengeance  de  Ménophanès, 
.omnie  par  on  coup  de  foudre. 

«  Le  mont  Cynikos,  dont  je  m'étais 
approché,  s'élève  presque  au  centre  de 
lie,  un  peu  plus  près  toutefois  de  la 
âte  orientale.  Cestune  colline  formée, 
onune  tout  le  reste  du  sol.  d'un  granit 
»leu  à  gros  grain,  rempli  de  quartz, 
le  granules  de  fer  oxydulé  et  de  gros 
ristaux  de  feldspath.  J'évaluai  sa  hau« 
eur  à  150  mètres  environ  :  ce  n'est  doue 
in*uue  bien  petite  émincnce  en  compa- 
irisott  de  ces  puissantes  montagnes  dont 
e  hérissent  Im  lies  voisiaes.  Mais  qu'im< 
crte?  elle  domine  dans  l'imaginatioii 
es  hommes  sur  toute  cette  couronne 
e  montagnes  gigantesques  et  obscures  t 
)  Mase  a  granm  le  (Smthos  jusqu'au 
iel.  ren  fis  d'abord  le  totir.  Sur  ses 
an<»,  vis-à*vis  Rhenée ,  mais  en  indi- 
antun  peu  vers  Icsud-ouesC,  s'adossait 
i  théâtre,  dans  une  de  ces  situations 
harmanies,  telles  que  les  Grecs  les 
avaient  èhoisir  pour  charnier  les  yeux 
endant  la  durée,  souvent  si  prolongée, 
e  leurs  spectacles  dramatiques. 

«  Ce  théâtre,  comme  tous  ceux  de  la 
Irèce,  forme  un  immense  hémicycle^, 
u  même  un  peu  plus  :  car  ici  (chose  re- 
larquable)  le  demi-cerrie  commence  à  se 
^fermer,  en  se  rapprochant  de  la  scène, 
ses  deux  aMes.  Il  est  taillé  en  étagesdans 
D  repli  de  la  colline,  et  complété  am 
eux  extrémités  de  son  pourtour,  ou  le 
se  a  manqué,  par  unebeliecoastruction 
e  marbre.  Sur  les  gradins  se  retrouvent 
ncore  par  endroits  les  tablettes  de  mar- 
re blanc  dont  ils  étaient  revêtus;  usais 
n  général  cette  ruiM  a  été  dévastée 
Drame  tout  te  reste,  et  l'on  dirait  d'une 
leiKe  carrière  abaaddanée.  Au-^devant 


de  rhémiqrde,  sous  l'emplacement  du 
icpooxifyiov,  on  a  défoncé,  en  fouiDant, 
une  vaste  citerne  divisée  en  neuf  grands 
compartiments,  qui  s'étendait  dans  toute 
la  laraeur  de  la  scène,  et  oui  sans  doute 
était  oestinée  à  recueillir  les  eaux  de  ce 
OGÔn  de  la  montaffne. 

«  En  partant  ou  théAtre,  je  tournai 
vers  le  sud  de  la  colline,  etf  y  reconnus 
les  earrières  d'où  les  anciens  habitants 
de  l'Ile  avaient  tiré  leurs  pierres  de  bâ- 
tisse :  les  coins  de  for  dont  les  ouvriers 
se  servaient  pour  en  détacher  les  blocs 
sont  encoro  empreints  sur  le  rocher. 
J'achevai  mon  circuit,  sans  rien  remar- 
quer aux  flancs  de  la  montagne ,  jusqu'à 
ce  que  j'arrivasse  à  une  ruine  impo* 
santé  qui  s'^ève  à  mi-côte  du  côté  du 
nord-ouest  :  c'est  la  Porte  de  pierre 
(comme  on  l'appelle),  où  le  colonel 
Leake  a  voulu  voir  l'entrée  d'un  trésor, 
et  que  d'autres  ont  prise  pour  la  porte 
d*une  enceinte  sacrée  qui  aurait  entouré 
le  Cvntbos,  mais  qui  m'a  semblé  bien 
plutôt  avoir  appartenu  à  un  adyton.  Je 
gravis  par  là  au  sommet  de  la  colline , 
et  j'y  trouvai  confondus  avec  des  débris 
plus  groeaiers  les  restes  mutilés  d'un 
temple  d'ordre  ionique,  des  volutes  de 
diapiteaux  brisés,  des  bouts  d'archi- 
traves, des  tronçons  de  colonnes  non 
cannelées.  Avec  les  débris  de  ce  temple, 
mêlés  à  de  gros  blocs  de  granit ,  on 
avait  reconstruit  au  moyen  âge  sur  ce 
plateau  un  château ,  oui  ceignait  de  ses 
murs  crénelés  toute  la  platenbrme ,  et 
qui  a  été  détruit  à  son  tour. 

«  Je  suis  resté  assis  jusqu'à  la  nuit 
sur  cette  dme  du  Cynthos,  sans  pouvoir 
rassasier  mes  regards  de  ce  vaste  hori- 
son,  ni  mon  âme  de  tous  les  souvenirs 
que  ces  lieux  rappellent.  Mon,  je  ne 
saurais  jamais  rendre  l'impression  de 
ce  spectacle,  que  mes  yeux  n*oublieront 
jamais  :  les  plus  glorieuses  des  Cydades, 
Ténos,  Syros,  Paros,  I^Taxos,  qui  reçut 
Bacehtts  enfant  sur  son  sein,  toutes 
comme  autant  de  nymphes ,  soulevant 
leur  chevelure  d'or  au-dessus  de  Tazvr 
des  eaux,  et  menant  leur  choeur  harmo- 
nieux autour  de  llle  sainte  : 

Jk  piv  9csp\  t^  dpf  (rc  vvfooc 
K6xXov  liR>f!4<'«v'co,  taXi^  ÏP^^  ^ifMpeStf- 

[XovTô(l), 

(i)  ÇsUimaq»  Hymne  à  Délos,  v,  3oo. 


456 


L'UNIVERS, 


et  sous  mes  pieds  Détos ,  que  le  Posei* 
don  des  abhnes  fit,  d'un  eoûp  de  trident, 
sortir  des  eaux,  pour  servir  d'asije  à 
Latone.  La  nuit,  qui  était  venue,  en 
effaçait  peu  à  peu  la  désolation  actuelle. 
C'était  une  de  ces  belles  nuits  si  corn* 
munes  en  Grèce,  qui  n*ont  pas  de  ténè- 
bres  :  le  ciel ,  dans  Tabsence  de  la  lu- 
mière, reste  limpide ,  et  on  lirait  à  la 
clarté  des  étoiles.  Yoiià  Tbeure  favo* 
rable  en  ce  pays  pour  voir  les  mines , 
noyées  dans  une  demi-obscurité  vague  et 
fantastique ,  qui  les  voile  sans  les  ca- 
cher ;  heure  de  rêverie,  propice  à  l'illu- 
sion, où  les  souvenirs  du  passé  revien* 
nent  en  foule  à  Timagination ,  sans  être 
troublés  par  le  spectacle  trop  saisissant 
des  misères  actuelles.  ïe  remontais  le 
cours  des  siècles  écoulés;  j'étais  entière- 
ment sous  le  charme;  et  quand  je  rele- 
vais la  tête,  le  ciel  achevait  mon  illusion, 
avec  ses  constellations  immuables  qui 

fuidaient  déjà  autrefois  Latone  vers  ces 
ords. 

Sur   IBS    BITINITBS   BT  LB  CITLTB 

DB  DéLOS.—  «  On  sait  que  les  anciens 
habitants  de  la  Grèce  ont  été  témoins 
de  la  naissance  de  Délos,  qui  fut  comme 
le  fruit  des  dernières  convulsions  de 
cette  mer,  souterrainement  travaillée 
par  des  volcans.  Depuis  longtemps  déjà 
la  plupart  des  fournaises  qui  avaiem 
embrasé  les  Cyclades  étaient  éteintes. 
Vaincus  enfin ,  les  Géants ,  fils  de  la 
Terre,  restaient  écrasés  sous  les  rochers 
de  l'Eubée ,  du  Ténare ,  de  Sériphos ,  de 
Théra,  de  Mélos.  Zeus  réenait  sans  par- 
tage sur  le  monde  pacifié.  Dans  ran- 
tique  champ  de  bataille  du  titan  É^éôn, 
on  ne  ressentait  plus  qu'à  des  inter- 
valles de  plus  en  plus  éloignés  quel- 
ques rares  secousses,  comme  pour  rap- 
peler que  là  s'était  livrée  celte  lutte  for- 
midable des  puissances  de  la  terre  en 
insurrection  contre  le  eiel,  ^ui  avait 
laissé  dans  les  traditions  religieuses  un 
îneffiaçable  souvenir.  Alors  on  voyait 
soudain,  au  milieu  des  tempêtes,  surgir 
sur  les  flots  des  îles  nouvelles  (comme  il 
en  parut  maintes  fois  depuis  aut  environs 
de  Santoriii  ou  sur  les  côtes  de  Sicile), 
lesquelles  disparaissaient  ensuite.  Délos 
sembla. ainsi  s'essayer  à  plusieurs  re- 
prises :  on  croyait  qu'elle  errait  sur  les 
vagues.  «  Libre  de  tous  liens,  tu  flottais 
sur  la  mer,  dit  Callimaque Mrâ  de* 


puis  que  to  as  offert  à  Apolkm  on  aiik 
pour  y  naître,  les  nautomers  t'eut  donné 
h  nom  caractéristique  de  Délos,  para 
que  tu  ne  flottais  plus  mystérieme,  et 
due  tu  fixas  enfin  tes  racines  m  nâUeB 
des  flots  de  la  mer  £gée(1)  » 

«  Il  n'est  pas  de  mon  sujet  de  raconter 
ici  avec  Callimaque  les  terreacs.  de  La- 
tone cherchant,  a  travers  la  Grèee ,  des 
rives  du  Pénée  aux  vallons  de  i'Aieadîe, 
une  retraite  secrète  pour  j  déposer, 
à  l'abri  de  Fimplacable  jalousie  d*Hcn, 
le  double  fruit  son  amour  avec  Zeus. 
Cest  ainsi  que  la  légende,  mvtholosîqoe 
aimait  à  raconter  les  difficultés  quêtait 
rencontrées  jadis  le  coite  d'ApoUom  et 
d'Artémis  pour  s'introduire  en  Grèee. 
Proscrite  d  abord  dans  tous  les  lieux  où 
elle  essayait  de  s'établir,  par  la  vieille 
religion  pélasgique  des  dieux  agraires, 
eette  religion  étrangère  fut  forcée  de  se 
réfugier  sur  une  roche  déserte*  qui  s'é- 
tait soulevée  la  veille  du  sein  des  men, 
et  de  s'y  envdopper  de  mystère  (d'où 
peut  être  le  nom  ne  At^-r^),  jusaa'aa  jov 
où  elle  devait  éclater  enfin  dans  eette 
Ile  de  la  manifestation  (Aî|Xo«),  et  s'im- 
poser à  la  Grèce  à  genoux.  Cest  me 
question  pleine  d'obsmrité,  gae  celle  de 
savoir  ce  qu'était  onginaireiiMiit  et 
d'où  venait  ee  culte  que  la  Grèee  re- 
poussait d'abord,  et  qu'elle  a  Ifaû  par 
adopter,  en  le  transformant  sdcm  ses 
génie.  Qu'était-ce  que  œs  divinités  étran- 
gères, auxquelles  la  Grèce  a  domié, 
comme  a  tous  ses  dieux»  la  forme  ho^ 
maine,  et  dont  elle  a  traduit,  suivant 
son  usage,  les  mystiques  ^mbolfs  en 
légendes  romanesques,  pour,  les  fiire 
entrer  dans  la  famille  des  dympieiis? 
Selon  toute  vraisemblace ,  c'était  la  re- 
ligion orientale  du  Soleil  et  de  la  Lune; 
et  quiconque  a  suivi  la  emtroverae  ce- 

gagée  par  les  plus  savants  mythologaes 
e  l'AUemagoe  sur  l'origiae  du  oilte 
d'Apollon  et  d'Artémis  n'hésite  pas« 
malgré  les  métamorphoses  que  ces  di- 
vinités ont  subies»  àreoonnanre  que  ee 
dieu  auteur  de  la  lumière  (Xuxii^cv^;;, 
d'une  jeunesse  éternellement  florissante, 
au  visage  resplendissant,  à  la  cfaevelaie 
d'or,  aux  traits  enflammés,  n'a  pu  être 
primitivement  que  le  Soleil  ;  et  qu'^à  son 
tour  c'est  la  Lune  elle-même  que  xap- 

(i)  CatlinAq.»  Bymme  è  Détos,  v.  3& 


DES  GTCLADES. 


457 


SDe  toofeonr  cette  seBur  divine  de  Pliœ* 
s,  oomme  lui  eans  hymen,  comme 
lai  armée  de  flèches ,  qui  réjpiait  sur 
les  femmes  H  termioait  leur  vie. 

«  Quelques  traditionsohsGures  s'étaient 
»nservées  à  l>élos  sur  l*antique  instilu- 
ioD  de  ce  culte  dans  File.  Les  rites  du 
auetoaire  y  avaient  été  réglés ,  dit-on, 
m  Olen,  le  prêtre  inspiré  venu  de 
fiycie  ou  du  pays  des  Hyperboréens,  et 
le  rieux  cantiques  chantés  aux  fêtes  Sfh 
eoDelles  étaient  attribués  à  ce  prophète. 
)n  gardait  aussi  à  Délos  le  souvenir  de 
eones  prétresses  gui  jadis  y  auraient 
tpporté  cette  religion  des  régions  hy- 
Krboréennes  habitées  par  lesbionds  Ari- 
naspes.  Hérodote,  dans  son  histoire,  a 
teueilU  cette  tradition ,  et  nomme  Ai^é 
it  Opis  ces  vierges  saintes ,  qui  auraient 
iceompagné  Apollmi  et  Artémis  aux  ri- 
vages de  Délos  ;  et  de  son  temps  encore, 
)ar  la  route  même  qu'avaient  suivie 
adis  les  filles  de  Boree,  ces  peuples 
)6rdQs  du  Nord  envoyaient  aux  létes  du 
lieu  mitbiea  leurs  offrandes  envelop- 
pées dans  de  la  paille  de  froment ,  les- 
[oelles,  transmises  à  travers  la  Scythie 
Qsqu'à  Dodone ,  étaient  portées  de  là  au 
;olte  Maliaque,  puis,  par  l'Ëubée,  à 
^lystos  4  et  enfin  a  Délos.  Cette  légende 
st  reproduite  à  peu  près  dans  les  mêmes 
ermes  par  Callimaque,  qui  appelle  les 
vierges  Arimaspes  Hécaergé ,  Oupis  et 
^Mxo,  noms  dans  lesquels  il  est  facile 
le  reconnaître  queloues-unes  des  épi- 
bètes  mystiques  d'Apollon  Ixd^epYo^, 
0^^,  et  d' Artémis,  invoquée  souvent 
oos  le  titre  d'OlSict^,  c'est-à-dire  Toeil 
le  la  nuit.  Délos  avait  voué  un  culte  à 
a  mémoire  de  ces  mystérieuses  étran- 
;ères  :  on  répandait  sur  leurs  tombeaux 
a  cendre  des  victimes,  et  \e&  jeunes 
illes  avant  leur  mariage  y  Ceâsaient  Tof- 
rande  de  leur  chevelure  coupée.  Ainsi 
a  Grèce,  quoique  toujours  si  jalouse 
le  rautocbtnome  de  ses  dieux ,  reoon- 
laifisait  que  ee  culte  d'Apollon  jet  d'Ar- 
émis  lai  avait  été  apporté  du  dehors , 
ttlefadsait  descendre,  dans  son  igno- 
^noB,  de  ces  régions  septentrionales  à 
lemi  fabuleuses,  d'où  plus  tard  le  mys- 
jérieox  Abaris ,  le  prêtre  des  expiations  » 
levait  venir  encore  parler  au  nom  de 
^hœbtts. 

«  Il  serait  téméraire  de  pousser  cette 
recherche  pbs  loin  :  au  delà,  il  n'y  a 


Shis  que  de0  ceajoetures.  Dès  le  temps 
'Hérodote  le  pays  des  Uyperboréens 
n'était  déjà  plus  qu'une  chimère.  Toute- 
fois, j'ajoute  que,  dans  ma  pensée  (en 
donnant  cette  opinion  sous  toutes  ré- 
serves) ,  cette  rehçion  pourrait  bien  être 
descendue  originairement  de  ces  mon* 
tagnesde  la  Perse  haute ,  où  aujourd'hui 
encore  quelques  tribus  proscrites  de 
Guèbres  pratiquent  l'adoration  du  soleil, 
de  la  lune,  de  la  terre ,  du  feu,  de  Feau 
et  des  vents ,  professée  il  y  a  plus  de 
trois  mille  ans  en  ces  lieux  par  les 
mages.  Cette  religion  des  astres,  pres- 
que aussi  vieille  en  Orient  que  le  monde, 
rétendit  à  l'Occident  et  au  Nord ,  et 
c'est  par  la  Thrace  sans  doute  qu'elle 
s'efforça  de  pénétrer  en  Grèce.  Puis , 
plus  tard ,  lorsque  après  bien  des  révo- 
lutions les  Grecs,  reconnaissant  l'unité 
de  leur  race,  entreprirent  de  mettre  en 
harmonie  leurs  diverses  croyances  re- 
ligieuses et  de  réconcilier  leurs  dieux 
ennemis,  la  facilité  de  Zeus  à  de  clandes^ 
tines  amours  offrait  toujours  aux  théo- 
logiens une  ressource  commode  pour 
étendre ,  selon  le  besoin ,  la  famille  des 
immortels.  Du  commerce  obscur  du 
père  des  dieux  avec  la  mystérieuse  Léto 
naquirent  Apollon  et  Artémis ,  et  peu  à 
peu  ces  enfants  d'une  mère  étrangère , 
dans  la  fréquentation  de  l'Olympe  hel- 
lénique, perdirent  ce  qui  leur  restait  de 
leur  physionomie  orientale*  Ils  sont  de- 
venus Grecs,  et  pourtant  ils  semblent 
se  souvenir  toujours  que  l'Asie  fut  leur 
berceau.  Dans  le  partage  des  dieux  d'Ho- 
mère entre  les  deux  armées  aux  prises 
sous  les  murs  de  Troie,  Apollon  et 
Artémis  protègent  les  fils  de  laPhrygie. 
Bien  des  siècles  plus  tard ,  les  Perses , 
inondant  de  leurs  flottes  la  mer  des  Gy- 
clades  dans  leur  guerre  contre  la  Grèce , 
semblèrent  reconnaître  et  respectèrent 
dans  la  religion  de  Délos  leur  religion 
nationale.  On  sait  qu'à  l'approche  des 
barbares,  qui  partout  ailleurs  dévastaient 
Jes  sanctuaires ,  les  Déliens  s'étaient  en- 
fuis, mais  Datis,  le  chef  de  la  flotte 
persane,  les  rappela  dans  leur  Ile  avec 
des  paroles  amies,  et  fit  brûler  trois 
cents  talents  d'encens  surTautel  d'A- 
pollon. 

«  Le  temple  de  Délos  avait  été ,  dès 
les  plus  anciens  temps ,  l'un  des  lieux 
de  pèlerinage  les  plus  fréquentés  de  la 


466 


LUmVERfiL 


Qrèoe.  C'était  te  sanotOBire  oeoiHnio 
d€8  peuples  de  raee  ionienne,  eomme 
était  Delphes  ponr  les  Dorieas  ;  et  ses 
iétes ,  où  l'on  voyait  aceonrir  les  députés 
de  toutes  les  dtés  ioniennes  dispmées 
en  Attique,  dans  le  Péloponnèse,  las 
tles  de  la  mer  Bgée  et  sur  les  riTages  de 
TAsie  Mbenre^  formaient  le  lien  d'une 
sorte  de  eonfédération  religieuse  et  po* 
litique  (1).  Thucydide,  qui  mentionne  ee 
eoneottrs  antique  des  Ioniens  à  Déios , 
et  les  spectaeles  de  musique  et  de  gjrm- 
nastique  où  leurs  villes  envoyaient  des 
diœurs ,  s'appuie  ft  ce  sujet  de  l'autorité 
du  vieil  Homèride ,  auteur  de  l'hymne  à 
Apollon  :  «  O  Pboobus ,  tu  chéris  sur- 
tout Délos,  où  se  rassemblent,  avec 
leurs  enfants  et  leurs  chastes  épouses , 
les  Ioniens  aux  robes  traînantes;  tu  te 
plais  aux  jeux  qu'ils  célèbrent  eh  ton 
nonneur  ;  tu  aimes  à  les  voir  s'exercer 
au  pugilat;  tu  jouis  de  leurs  danses  et 
de  leurs  chants.  »  A  la  fin  de  la  guerre 
médique,  lorsque  Athènes  voulut  entrat«> 
ner  toutes  les  dtés  ioniennes  dans  une 
grande  confédération  dont  elle  serait  la 
tête ,  elle  s'attadia  à  rendre  aux  fêtes  de 
Bélos  leur  éclat  d'autrefois ,  afin  de  fidre 
de  l'île  sainte  le  centre  et  le  lien  de  l'al- 
liance. Gomme  Jadis,  c'était  aux  eoleifr- 
nités  du  dieu  que  se  réunissaient  alors 
les  députés  des  villes  confédérées  pour 
discoter  les  intérêts  de  l'union;  c^est 
dans  le  trésor  de  son  temple  qu'on  dé- 
posait la  contribution  commune,  jusqu'à 
ce  que  Périciès ,  s'enhardissant  à  ta  for- 
tune de  sa  patrie,  tmnsporta  le  trésor 
dans  le  Partbénon,  et  à  l'alliaiice  sub- 
stitua la  domination  d'Athènes.  Mais 
en  même  temps  quMls  retiraient  à  eux 
la  puissance ,  les  Athéniens  restkuaient 
aux  fêtes  de  Délos ,  longtemps  négligées , 
leur  ancienne  splendeur ,  et  y  ajoutaient 
encore.  Les  jeux  ouinquennaux  d'autre- 
fois furent  rétablis  par  eux  après  la 
pested' Athènes,  et  l'on  y  joignit  le  spec- 
tacle nouveau  de  courses  de  chevaux  (9). 
Llle  sacrée  fut  alors  purifiée  solennelle- 
ment ,  on  enleva  tous  les  cercueils  qui 
s'y  trouvaient,  pour  les  transporter  sur 
la  plage  opposée  de  Rhénée ,  et  l'on  dé- 

(x)  Voy.  plus  haut.  p.  432. 

(a)  Toyez  la  brillante  description  de  ces 
fêtes  dans  le  76"  cha|Mtre  de  Barthf  lemy  ; 
Voynge  à  DéUi  et  am  CycMes, 


etéA  q«'à  l'amitr  BMwants  m 
sur  le  point  d'aeconeher  seraient  égik* 
BMnt  transportés  sur  œ  nvêgt^  aie 
que  nul  homoie  désormais  ne  naquit  ot 
ne  mourût  dans  la  tem  sainte.  » 

Ils  du  Rhihbb.  —  «  On  rseonaak 
toujours  dans  Rfaenée  Ttle  des  tombesai. 
Cette  île,  appelée  ai:|joord'bai  la  grande 
Délos,  n'est  (eomue  nous  Pavons n) 
séparée  de  la  petite  Délos  que  par  ua 
étroit  eanal,  d'un  demMmlle  envin»  k 
large ,  qui  se  dirige  du  nord  au  sud, d 
dont  l'entrée  et  la  sortie  tant  défiendiia 
par  deux  écueîls,  la  petita  et  la  gnaée 
Rhématia.  Je  n'ai  pu  parcourir  que  ta 
rapidement  la  dté  des  morts ,  maisf  n 
vu  qu'elle  n'avait  guère  été  plus  rsipee- 
tée  que  la  cité  des  dieux.  Depuis  mens 
que  Touniefort  l'a  visitée  eue  a  asofi 
bien  des  dérastations  aoui^lles.  Ce  vof> 

§eur  y  comptait  caonre  par  ceniaiDes 
es  espèces  d*autels  iqrliiMliiqnes  onéi 
de  têtes  d'animaux  et  de  gubrlandeséi 
toits  et  de  fleurs.  Pour  mol  j'en  ai  r^ 
trouvé  à  peine  une^ânqnantaiue,  dans  k 
plus  triste  état  de  dégradation;  à qod- 

3ues  restes  dlnscriptioDS  ionèbns  \ù 
â,  malgré  leur  fome,  y  xeoonnaltie 
des  monuments  tumulaires.  Alentoar 
le  sol  est  jonché  de  débds  innomfarahki 
d'architecture,  roulant  pêle-mêle  diai 
les  décombres.  La  séeropole  s'étenéat 
le  long  de  la  plage  qui  ngarde  Dâot. 
C'est  une  lon^  suite  de  cfaaod^ies  sos- 
tenraines ,  qui  s'eufoneent  dans  le  fl«( 
du  rocher ,  et  dont  le  devant  teuleraen 
était  bâti  ;  quelques*unes  sont  voûtées  « 
mais  la  plupart  nBowvertei  d'un  toit 
plat,  toutes  revêtues  de  atue  à  rix** 
rieur.  L'entra  est  tonmée  v«n  FeiM; 
un  couloir  partage  par  k  ndiieu  cb- 
cune  de  ces  maisons  des  ouirts,  cCde 
chaque  eêté  sont  rangés  quatre  ou  » 
longs  et  écroiU  saroopbaaep.  AneaDede 
ces  sépultures  n'est  resiae  învialésjflB 

L marche  sur  des  ceuverdea  de  tosofees 
isés  j  dont  beaucoup  élaisnl  plati  << 
quelques-uns  taillés  «a  forme  4e  lait  i 
quatre  pans  avec  on  petit  plaina  as 
centre  pour  y  poser  une  nraa  on  v 

buste.  —  Cette  désolatioB  des  toan^ 
à  Rhenée  m'attrista  plus  eoeaia  qas  eii< 

des  temples  à  Détos.  La  laytiNiioi'^ 

grecque  n'est  plus  qu'un  soufeairpa^ 

Bque  pour  notre  imarinatîoa,  awisf 

religion  des  tombeaux 


D£S  GTCaLADES. 


4M 


Imeot  la  religion  d«  nos  âmes.  lei, 
mnme  à  Délos ,  noUe  babilatîoD  ;  je  n*y 
ii  rencontré  qu'un  vieux  ehevrier  de 
Ifykonos,  laid,  sale,  qui  ne  rappelait 
mère  Apollon  gardant  les  troupeaux 
rAdmèie.  » 

Ilb  db  MYKOirOS. 

Llle  de  Mrcone  est  an  nord-est  de 
}éios,  dont  elle  est  séparée  par  un  canal 
[Qi  n'a  que  trois  milles  de  largeur,  depuis 
e  cap  Aiogomandra  de  Myeone  jusqu'à 
a  plus  proche  terre  de  Delos.  Cette  lie 
1 36  milles  de  tour;  elle  est  à  80  milles 
leNaxîe,  à  40  de  Niearia  età  1S  du 
wrt  de  Tine.  Elle  a  toujours  conservé  le 
oéme  nom,  roalçré  les  différentes  alté- 
Btions  qu'il  a  subies  :  Micpli,  Michono, 
Hicheno,  Miœna,  L'tle  de  Myeone  est 
bn  aride  et  ses  montagnes  sont  peu  éle* 
«ées-Les  deux  plus  considérables  portent 
eaom  de  Saint-Ëlie  :  Tune  est  près  du 
apTmllo  à  l'entrée  du  canal  de  Myeone 
t  de  Tine;  l'autre  est  à  Pextrémité  de 
Ifycone,  vis-à-vis  Tragonisi.  Le  nom  de 
yimattoSf  que  Pline  donne  à  la  plus 
tante  montagne  deltle,  convient  éga- 
ement  à  tontes  les  deux,  puisque  chacune 
I  le  sommet  fendu  en  deux  parties.  IVaB- 
iennes  fables  rapportaient  que  Myeone 
tait  le  tombeau  de  géants  dé&its  par 
iercule;  de  là,  dit  Strabon,  le  proverbe 
^0'  Onb  (ibv  Mdxovov ,  Totd  est  dan$ 
f y  cône  y  pour  désigner  ceux  qui  traitent 
e  choses  différentes  sons  un  même  titre, 
'aurais  voulu  que  Strabon  me  fit  corn- 
rendre  le  rapport  de  ce  proverbe  an 
lythe  des  g&ùts  ensevelis  à  Myeone. 
«s  habitants  de  cette  tie  étaient  chauves 
e  bonne  heure  ;  mais  Pline  a  exagéré 
a  disant  qu'ils  naissent  sans  cheveux, 
paraît  certain  qu'ils  étaient  de  grands 
arasites  ;  Arehilocrae  et  le  comique  Crâ- 
nas leur  en  font  le  reprodie ,  mais  ce 
eraier  les  excuse  sur  la  pauvreté  de 
nr  tle. 

Cependant  Myeone  n'est  pas  sans  res- 
)urces.  On  y  trouve  assez  d'orge  pour 
s  habitants,  beaucoup  de  figues,  peu 
olives,  d'excellents  raisins,  de  bons 
omages  mous,  des  herbes  salutaires, 
ne  incroyablequantité  de  gibier,  cailles, 
§cas8es,  tourterelles,  lanins,  becfigues, 
iii  permet  à  ^étranger  n'y  faire  bonne 
1ère  pourvu  qu'il  ait  son  cuisinier;  car, 
tt  Toumefort,  les  Gretss  n'y  entendent 


rien.  Llle  m«ique  de  boisât  d'eau;  il 
n'y  a  qu'un  puits  pour  toute  la  ville,  qui 
renferme  environ  trois  maille  habitants. 
Cette  ville  regarde  l'ouest;  son  port  est 
fort  découvert ,  mais  le  golfe  qui  i'avoi- 
slne  est  bon  pour  le  mouillage  des  gros 
vaisseaux.  Le  port  d'Ornos  est  adossé 
au  golfe  de  Myeone.  Les  autres  ports 
de  nie  sont  le  port  Palermo,  qui  est  fort 
grand,  mais  trop  exposé  aux  vents  du 
nord ,  et  le  port  Sainte -Anne,  qui  est 
aussi  très-ouvert,  et  qui  regarde  lesud-est. 
11  n'y  a  rien  de  particulier  à  dire  de 
rhistoire  de  Myeone,  Son  fondateur  fut 
un  certain  Myconos,  fils  d'>Enius,  fils 
de  Carystus  et  de  Rhyas.  Elle  fut  sou- 
mis^ par  Datis  et  Artapherne ,  et  fit  en- 
suite partie  de  l'empire  athénien.  Au 
moyen  âge  elle  fut  conquise  par  André 
Ghizzi,  après  la  quatrième  croisade;  puis 
elle  devint  une  possession  des  ducs  de 
If  axie.  Elle  fut  comprise  avec  Zea  dans  la 
dot  de  Tbadée,  fille  de  Jean  Crispo,  ving- 
tième duc  de  Farchipel,  lors  de  son  ma* 
riage  avec  François  de  Sommerive.  Les 
Vénitiens  s'en  emparèrent  ensuite,  et  la 

glacèrent  sous  legouvernement  du  prové- 
iteur  de  Tine.  Elle  leur  fîit  enlevée  par 
Barberousse,  qui  la  soumit  à  Soliman  IL 
Myeone  possède  de  nombreuses  égli- 
ses, toutes  grecques,  et  plusieurs  monas* 
tères,  dont  plusieurs  sont  abandonnés  au- 
iourd'hui.  Les  femmes  de  cette  Ile  sont 
Mies,  et  avaient  un  costume  tout  particu» 
lier,  dont  on  peut  voir  la  description  dans 
Toumefort.  Lors  de  l'insurrection  greô- 
que,  les  gens  de  Myeone,  qui  sont  très* 
bons  marins,  entraînés  par  l'enthou* 
siasme  d'une  femme ,  Modéne  Mavro^ 
génie ,  rouirent  leurs  navires  à  Tescadre 
que  commandait  Tombasis,  et  qui  fut 
augmentée  ainsi  de  vingt-deux  bâti- 
ments armés  de  cent  trente-deux  ca* 
nous.  En  182!!  le  capttan-pacha  ordon* 
na  unedesoente  dans  File  de  MyconcL 
Les  Myeoniens,  conduits  par  Mavrogé- 
Bte ,  qui  avait  à  venger  la  mort  de  son 
père,  repoussèrent  avec  viguenrles  mu- 
eulmane ,  qui  laissèrent  sur  la  place 
dix-sept  morts  et  soixanta  blessés.  Ai 
rétablissement  de  la  paix ,  Myeone  fut 
comprise  dans  le  noti^aan  royaume  hel- 
lénique. 


460 


UUMIVEIUEI. 


ILS  DR    IVIXOS  (1). 


Naxosaujourd'huiNixia,lNaxia,Naxie, 
fut  nommée  du  nom  d*un  chef  de  Ca- 
tlens  qui  s'y  établit.  On  Tappela  aussi 
Stron^le,  la  ronde,  Dia»  la  divine, 
Dionj^sias,  File  de  Dionysos  ou  Bacchus. 
Bochart  fait  dériver  le  mot  de  r^axos 
du  pliénicien  Nacsa  ou  Nicsa,  qui  signi- 
fie une  offrande.  Quelques  étymologistes 
§recs  donnent  en  effet  ce  sens  au  mot 
e  Naxos,6ans  toutefois  lui  attribue)^  une 
origine  orientale.  Naxosest  située  au  23* 
d^é  1(/  de  longitude  et  sous  le  37^  degré 
de  latitude,  à  six  ou  sept  lieues  au  sud  de 
Délos  et  de  Mycone.  £Ile  est  à  Test  de 
Paros,  au  nord -est  d*Amorgos,  et  au 
sud-ouest  de  I^icaria.  L'aspect  des  côtes 
est  loin  d'annoncer  la  beauté  de  Tinté- 
rieur  de  cette  tle.  «  Mais  si  Ton  avance 
dans  les  terres,  on  trouve  des  vallées  dé- 
licieuses, arrosées  de  mille  ruisseaux,  et 
des  forêts  d'orangers,  de  figuiers  et  de 

frenadiers.  La  terre  par  $a  fécondité  sem- 
le  prévenir  tous  les  besoins  de  ses  ha- 
bitants. Elle  nourrit  une  grande  quan- 
tité de  bestiaux  et  de  gibier.  Le  blé, 
l'huile ,  les  figues  et  le  vin  y  sont  tou- 

iours  abondants.  On  y  recueille  aussi  de 
a  soie.  Tant  d'avantages  l'avaient  fait 
nommer  par  les  anciens  la  petite  Sicile. 
Tous  les  poètes  Pont  célébrée.  Properce, 
dans  son  poème  à  Baccbus  loi  dit  : 

BttlMpermediam  beneotentt  flamiiM  Naxoo, 
Unde  taom  potaot  KaxU  torJtw  marom. 

Athénée  compare  ses  vins  aux  neetar 
des  Dieux.  C'est  en  effet  de  tous  les  Tins 
de  Grèce  celui  c|ui  m*a«paru  le  plus  mé- 
riter sa  réputation;  maisil  estsi  délicat, 
au'on  ne  peut  le  transporter  même  aux 
es  les  plus  voisines  (3).  « 
Malheureusement  Naxos  n'a  pas  un 
bon  port  ;  le  principal ,  le  port  (Tes  Sa- 
lines, ne  peut  servir  pour  les  gros  bâ- 
timents; les  autres,  eenx  de  âdados, 
Panormo,  Saint- Jean-Triaiigata ,  Phî- 
loUmnarez,  Potamidès  et  Apollonasont 
plus  petits  enoore  ,  et  mal  exposés.  Ce- 
pendant Naxos  fStit  un  trafic  considé- 
rable en  orge ,  vins ,  figues ,  coton ,  soie , 

(i)  Distertaiions  spéciales  sur  Naxos  : 
Guill.  Engd,  Quœstiones  Naxîcœ;  Goth., 
x835,  in'8*>;Erii.  Gurtiiis,  Ueber  Naxos; 
Berl.,  1846. 

(9)  Cboiaeul-Gouffier,  I,  65. 


Jin,  firoBiiage,  aeh  booHfi,  iiioiitoDS,'m» 
•  lets,  émeriet  huile.  Elle  est  richeeulMii 
et  «nobarbon  ;  on  ytrouvedalaudanoo. 
La  péohe  est  trea-abondante  sur  se 
côtes.  Les  plus  riches  plaineasonteelks 
de  I^axie,  d*Angarer,  de  Carcbi,  èi 
Sangri ,  de  Sideropétra ,  de  Fotamidà, 
de  Livadia ,  ainsi  que  les  vallées  de  Me- 
lanès  et  de  Pérato.  On  trouve  dans  lo 
auteurs  anciens  les  noms  des  deux  pia 
hautes  montagnes  de  Naxie ,  DiioA  a 
centre  «  Coronon  au  nord-est  Ce  sost 
aujourd'hui  les  monts  Zia  et  Corn»; 
la  première  était  consacrée  à  JufNtfl^ 
comme  le  prouve  cette  inscription  ^'01 
y  a  trouvée: 

OPOS  AIOS  MHAQIIOr, 

«  Montagne  de  Jupiter  eomenateff 
de$  troupeaux  »  :  l'autre  rappelait les- 
fanoe  de  Baochus  et  la  nymphe  Goroms. 
l'ooe  de  ses  nourrices.  L'andeoae  vk 
de  Naxos  était  située  sur  la  cdteBori- 
ouest,  qui  regarde  vers  Délos.  Sa  bei* 
avait  fait  donner  à  Tile  le  non  de  Ce- 
lipoliê.  11  reste  pea  d'antiouités  dus 
cette  ile.  A  une  portée  de  fiisu  de  b  nik 
s'élève  un  petit  éeueil  sur  lequel  00  dit 
qu'était  bbnstruilun  temple  de  Baechvs: 
il  en  reste  une  belle  ptMrte  de  marbrt. 
parmi  quelques  grosses  pierres  de  rnéiv 
nature  et  queloues  nx>rceaux  de  gnmL 
Au  milien  de  la  ville  actuelle  se  ttow 
une  tour  carrée ,  seul  débris  du  pain 
des  anciens  ducs.  Non  Imn  de  là  n 
montre  la  grotte  où  Ton  prétend  qw  lei 
bacchantes  célébraient  leurs  orgies.  As 
commencement  du  dix-huitièmes^ 
Tournefort  comptait  dans  lllceonroi 
quarante  villages ,  et  il  n'en  éfsluat 
la  population  qu'à  8,000  âmes. 

«  L'tle  de  Naxos  changea  soatff"^ 
d'habitants.  Les  premiers  dont  le  »•* 
venir  ait  été  conservé  dans  rbistoiif 
sont  les  Thraces  ;  et  Ton  peut  présunfr 
qu'unis  aux  Pélasges  dans  plusieoisdf 
leurs  établissements,  ils  s'y  fixèreot  œ> 
jointement  avec  eux.  Selon  une  tradioci 
rapportée  pr  Etienne  de  Bjzaoce  H 
par  Eustatne ,  elle  avait  reçu  postni»- 
rement  une  colonie  d'ÉléenSfComaufi* 
dée  par  un  fils  d'Endymion.  Naiscelv 
qui  V  laissa  le  plus  de  traees,  ^ 

au'elle  ne  fut  pas  la  dernière, ce iîitcd^ 
es  Cariens,  unis  sans  doute  aux  Crétois. 
Ou  fait  même  dériver  le  nom  de  cectf 


LES  CÏCLAIXS. 


4êi 


k  de  eeloi  (Tun  if>i  des  CnrieiSb  Mais 
xrnime  Soidas  et  le  scolîaste  de  Pin- 
lare  font  roeotion  d*uiie  ville  de  Naxos 
'0  Crète,  il  est  très^probabie  que  cette 
lernière  fut  la  métropole  de  l'autre ,  et 
ui  donna  son  nom  «  comme  il  paratt  que 
e  fiit  l'usage  des  colonies  .Cretoises  de 
«ite  époque  (t).  » 

Diodore  et  Pausanîas  nons  ont  conservé 
Passez  riches  détails  sur  les  temps  £abn- 
mx  de  l'histoire  de  Naxos.  D'aprte  ces 
^géodes,  lecbef  de  la  colonie  desThraces 
(ait  Batès,  fils  de  Borée;  les  Thraces 
«  trouvant  pas  de  femmes  dans  l'Ile  en 
lièrent  enlever  sur  le  continent ,  dans 
»  Etats  d'Aloeus ,  dont  ils  prirent  la 
nnme  et  la  fille  ;  les  deux  fils  d' Alœns  « 
Hus  et  Ephialtes ,  punirent  les  ravis- 
rars  en  s'emparent  de  riie.  Mais,  après 
vr  mort,  les  Thraces  restèrent  maîtres 
e  Dia,  qu'une  sécheresse  les  contrai- 
nitâabandomier  plus  tard.  Après  eux 
tarent  les  Gariens  et  Naxos,  qui  eut  pour 
Mcesseur  son  fils  Leueippus;  celui*ci 
stpère  de  Smardius,  sous  le  règne  du- 
oel  Thésée,  revenant  de  Crète  avec 
triane,  aborda  dans  l'tle,  où  il  aban- 
onna  la  fille  de  Mines  à  Baccbus,  dont 
!8  menaces  l'avaient  épouvanté  dans 
n  sonçe. 

h  dirai  comme  Toumefort  :  ce  n'est 
»  iei  le  lieu  de  débrouiller  l'histoire 
e  Baccbus.  Les  habitants  de  Naxos  pré- 
sidaient que  ce  dieu  avait  été  nourri 
wi  eux,  et  qu'il  les  avait  comblés  de 
*ates  sortes  de  biens.  On  comprend 
De  le  culte  du  dieu  dont  le  principal 
tribat  était  de  présider  à  la  vigne  se 
Ht  facilement  établi  dans  une  tle  où 
i  arbuste  croissait  en  abondance ,  et 
oduisait  d'excellenu  vins.  Indépen« 
loiment  de  cette  raison  toute  naturale, 
;  suffisante  à  défaut  d'autres  pour  ex- 
iQuer  la  dévotion  des  habitants  envers 
dieu  qui  les  avait  si  libéralement  do* 
St  il  faut  remarquer  que  Baochns  était 
le  des  principales  divinités  de  la  Thrace 
de  la  Crète,  qui  tontes  deux  avaient 
onii  à  Naxos  sa  première  population, 
ne  fois  fixés  dans  cette  Ile,  les  colons 
races  et  Cretois  approprièrent  leur  re- 
ppn  à  la  nature  de  leur  nouvelle  patrie  ; 
de  tous  les  dieux  qu'ils  connaissaient , 
>  lui  donnèrent  pour  divinité  princi- 

(0  Raoul  Rochelle,  Col,  Grecq,,  11,  tS^, 


pale  le  dlea  de  la  ^ngnS ,  detat  111e  res- 
sentaitla  protection  tonte  particu)ière(f}« 
Les  médailles  de  Naxos  rappellent  toute 
la  fécondité  xie  ses  vignobles  et  le  culte 
qu'on  y  rendait  à  Bacchus.  Des  trois 
pièces  gravées  dans  l'atlas  de  Choiseul- 
Gouffier,  la  première  représente  la  tête 
de  Bacchus,  avec  la  barbe,  ornée  d'un 
diadème  et  de  feuilles  de  lierre  ;  au  re- 
vers le  nom  des  Naxiens,  et  le  vieux  Si- 
lène accroupi,  tenant  un  vase  et  un 
thyrse.  Sur  la  seconde  on  voit  la  tête 
du  même  dieu,  couverte  de  pampres  et 
de  raisins  ;  au  revers,  un  vase,  un  thyrse, 
et  un  nom  de  ma^rat  joint  à  celui  des 
habitants.  La  troisième  ofire  d'un  côté 
la  tête  de  Bacchus  jouant,  orné  de  lierre  ; 
de  l'autre.  Silène  appuyé  sur  une  outre, 
tenant  un  vase  et  une  branche  de  lierre. 

Au  onxième  siècle  avant  l'ère  chré- 
tienne ,  Naxos ,  comme  toutes  les  autres 
Gyclades,  reçut  des  colons  ioniens.  Se- 
lon Élien  (3) ,  lorsque  Néiée  partit  pour 
l'Asie,  des  vents  contraires  le  forcèrent 
de  relâcher  à  Naxos,  et  s'opposèreot  ^ 
oe  qu'il  remit  à  la  voile.  Les  devins ,  con- 
sultés sur  ce  prodige ,  lui  dirent  qu'il 
fallait  pour  rendre  les  dieux  propices  à 
son  expédition ,  la  purger  de  tous  ceux 
9ui  n'y  apportaient  pas  des  mains  et  des 
intentions  assez  pures.  Pour  parvenir  à 
les  découvrir,  il  feignit  de  s'être  rendu 
lui-même  coupable  d'un  homicide,  et 
d'avoir  besoin  d'être  purifié.  Ceux  à  qui 
leur  consdence  reprochait  quelque  for^ 
fait  semblable ,  entraînés  par  l'exemple 
de  leur  chef,  se  séparèrent  du  reste  de 
l'armée,  etNélée  connut  alors  ceux  dont 
il  devait  se  débarrasser.  Il  les  laissa  à 
Naxos ,  où  ils  s'établirent ,  et  partit  avec 
le  reste  (3). 

Au  sixième  siècle  les  Naxiens  étaient 
les  plus  riches  et  les  plus  puissants  de 
tous  les  insulaires  des  Cydades.  Quoique 
leur  llefûtdépourvuede  ports,  ils  avaient 
une  belle  marine,  parce  qu'ils  possé- 
daient les  llesd'AndrosetdeParos,dont 
les  ports  sont  excellents.  Ils  pouvaieat 
lever  huit  mille  hoplites.  Mais  Naxos j 
comme  tout  État  grec,  Était  déchirée  par 

(i)  Yoyez  les  ReUgîons  de  VAntl^ultét 
t.  m,  et  les  notes  et  éclairdssenientf  da 
livre  VU*. 

(a)  iElian.,  Hîsi.  Far,,  VIU,  5. 

(3)  Raoul  BodieUe,  Col,  Grecq,^  Vt,  8r. 


464 


UUÎXIYEMS. 


sm  erimed  el  l*héiittt|«  de  'ses  vtoeii. 

Il*  Jacques  Crispo,  flts  de  François, 
ent  à  luttefr  contre  ses  frères,  dont  ram- 
bition  jeta  le  désordre  dans  ses  États. 
Le  P.  Sauger  dit  de  eeprince,  qu'il  avait 
de  la  valeur  et  de  la  pmdence,  et  qu'il 
était  assez  homme  de  bien  pour  un 
Crispo.  Il  mourut  sans  enfants,  en  1488. 

12*  Jean  Crispo,  son  frère,  lui  suc* 
eéda.  Ce  prince,  d^une  oompiexion  déli- 
este,  ne  manquait  ni  de  râleur,  ni  d'ex- 
périence, ni  même  de  probité  et  de 
Donne  foi ,  «  vertus  dont  on  se  piquait 
fort  peu  dans  sa  famille  »  (1).  Par  ses 
qualités  il  sut  rétablir  l'ordre  dans  ses 
Etats. 

IS»  Jacques  II  Crispo  succéda  à  son 
père,  à  l'âge  de  dix-huit  ans.  Ce  fut  sous  ce 
prince  que  Mahomet  II  s'empara  de  Cons* 
tantinople.  Les  Vénitiens ,  dont  il  était 
l'allié,  obtinrent  quUl  serait  reconnu  par 
le  sultan  pour  duc  de  l'Archipel  et  pour 
ami  et  allié  de  la  Porte.  Jaâ]ues  II  mou* 
rat  de  pfathlsie,  la  deuxième  année  de  son 
mariage,  âgéde  vingt*cinq  ans. 

14»  Sa  veuve  accoucha  quelque  temps 
après  d'un  Qls,  qui  fut  appelé  Jean-Jac- 
ques Crispo.  Mais  cet  entant  mourut  h 
treize  mois  ;  et  sa  mort  laissa  l'État  dans 
le  dernier  désordre. 


soixante  ans.  Après  un  règne  très-court. 
Il  laissa  le  trône  à  s(m  neveu,  le  seigneur 
de  Santorin. 

IG»  François  II  Crispo ,  seizième  duc , 
fut  pendant  tout  son  règne  engagé 
comme  allié  de  Venise  dans  les  guerres 
soutenues  par  cette  république  contre  les 
Ottomans.  Il  ne  manquait  pas  de  mé- 
rite; et  il  rendit  de  grands  services  aux 
Vénitiens.  Il  mourut  en  1473. 

17«  Jacques  III  Crispo  s'allia  avec 
David  Comnène,  empereur  de  Trébi- 
zonde.  A  sa  mort  (t4Si)  il  laissa  le 
trône  à  son  frère,  au  préjudice  de  sa  fille, 
mariée  à  Dominique  Pisani. 

18**  Jean  II  Crispo ,  frère  du  précé- 
dent, mourut  après  cinq  ans  d'un  r^ne 
troublé  par  les  révoltes  de  ses  sujets 

(1487). 

19*  François  III  Crispo ,  son  fils ,  qui 
lui  succéda,  fut  obligé  de  prendre  les 

(r)  ï.e  p.  S«ign-,  f.  arg. 


armés  pour  Vente,  qui  véuétdeisMK 
encore  lâie  fois  avec  la  Pdete.  Il  sedis- 
tingua  dans  cette  guerre,  et  ODoent 
quelques  années  après  le  rétsUissemeit 
de  la  paix,  vers  1510. 

20*  Jean  III  Crispo,  son  fils,  liériia 
de  ses  États  et  de  son  attacbemeat  poor 
Venise.  Ce  fut  sous  ce  prince  que  le  d» 
ché  de  Nazos ,  depuis  longtemps  ea  dé- 
cadence ,  reçut  de  la  main  des  Turcs  le 
coup  morteL  Barberousso  fit  une  des- 
cente à  Maxie  en  158S,  l«  saccagea  à'm 
extrémité  à  l'autre.  Le  vieux  duc  oe  poi 
survivre  à  ce  désastre. 

21»  Son  fils  Jacques  IV  Crispo  i  qœ 
lui  succéda,  vitlnentôt  se  coosomocr 
la  ruine  de  sa  maison. 

«  Le  duché  de  Maxie  se  trouvait  mb 
Jacques,  son  dernier  duc,  dansaode- 

Êiorable  état  (f).  Depuis  la  desceotede 
;arberousse,  qui  avoit  dévasté  Ttiédc 
Naxie,  sous  le  ducpréoédent,  ce  quiai«t 
rendu  tributaire  le  môme  due  die  6,OU0 
éeus  d'or  par  an,  depuis  ce  Vtmpa 
dis-je,  les  Grecs  ne  voulurent  plus  k 
obéir,  ni  contribuer  aux  dépenses  publi- 
ques. Le  duc  étoit  sans  ar^t,  sans  rai» 
seaux ,  et ,  selon  la  destinée  ordïRiire 
des  malheureux,  sans  appui.  Mais  quai^ 
il  nuroit-eu  tout  cela ,  on  peut  dire  qitf. 
de  l'humeur  dontÂl  étoit,  il  n'en  auroii 
pas  moins  avancé  sa  ruine  et  celle  de 
toute  sa  maison.  Le  danger,  qui  rérciltett 
qui  inquiète  les  autres,  seoinloitcomBv 
1  avoir  assoupi  ;  il  nesongeoit  uniqaeniHt 
qu'il  ses  plaisirs,  et  pour  avoir  de  qsa 
y  fournir  il  n'y  eut  point  de  violeoofi 
auxquelles  il  ne  se  portât.  Les  nobki 
qui  composoienl  sa  petite  cour  b> 
toient  pas  en  cela  plus  sages  que  loi;  m 
eût  dit  que,  se  sentant  sur  le  bord  ànyt^ 
cipice,  ils  se  bâtoèent  de  mettre  à  pm'^ 

Kur  leurs  plaisirs  le. peu  de  teai|»4>' 
ir  restoit.  Ce  n'étoit  dans  toute  1  ilie  er 
Nnxie  que  débauches  et  dîssolulioas  eoi- 
tinueiles;  ces  scandales  avoieot  nènt 
pas^é  jusqu'aux  gens  d*^ise.  Le  dir 
souffroit  qu'ils  vécussent  «kns  un  d<sû^ 
dre  qui  fait  horreur.  Aussi  la  eol** 
de  Dien  ne  tarda-t^elle  pas  à  éclater  stf 
l'indigne  souverain  qui  doaooit  Imi  ^ 
ces  abominations  <3)« 

(i)  DelU  Rooca,  Pnleù  kùioriifn.'  é^- 
son  Traité  sur  Us  AbàUts,  I,  p.  ai. 
(a)  «  On  voit  par  là  qa'H  est  toii}o<*r>  ''*' 


LES  GYCLADËS. 


4C& 


«Les  GfMS,  raYis  de  troover  dans 
K  veiatioiM  de  leurs  dues  et  dans  les 
ordres  des  Latios  de  quoi  autoriser 
)  haine  furieuse  qui  les  exeitoit  toujours 
ontre  eux  formèrent  sourdement  le 
irojet  dechanger  de  maître;  et  les  choses 
lièrent  si  loin,  qu*enfin,  après  plusieurs 
élibérationssecrèteSyilsenvoyèrentdeux 
lépotés  à  la  Porte,  pour  se  plaindre  des 
iolences  de  Jacgues  Crispo,  et  deman- 
er  au  grand-seigneur  un  duc  qui  fût 
lus  di^ne  de  les  commander.  Le  départ 
«s  députés  et  leur  dessein  ne  purent 
Ire  si  secrets,  que  Crispo  n'en  eut  con- 
dissance.  Il  crut  devoir  aller  lui-même 
près  eux  à  Gonstantinople;  et  comme 
I  n'ignoroit  pas  qu'à  la  Porte  tout  se 
lisait  à  force  d'argent,  il  eut  soin  de 
erteravee  lui  12,000  écus,  sur  les- 
^els  il  oomptoit  extrêmement.  Mais 
es  députés  de  Naxie  étoient  déjà  écoutés, 
tsa  perte  étoit  résolue.  A  peine  fut-il 
irivé,  que,  sans  avoir  égard  a  la  dignité 
te  sa  personne ,  il  fut  dépouillé  de  tous 
es  biens  et  jeté  en  prison.  Il  y  demeura 
inqousix  mois,  et  n'en  put  sortir  qu'à 
> sollicitation  de  ses  sujets,  qui  avoient 
)>prig  que  Sélim  II ,  successeur  de  So* 
iman,  vouloit  leur  donner  un  juif  pour 
Qaftre.  Us  mirent  tout  en  usage  pour 
empêcher  et  obtenir  le, rétablissement 
to  Crispo-,  mais  il  n'y  avoit  plus  d'espoir, 
'e  sultan  venoit  de  donner  le  duché  à 
emémejoif,  Jean  Michez,  dont  il  avait 
çça  de  çrands  services,  et  qu'il  fut  bien 
ûe  de  récompenser. 

■  Le  duc  prétendu  n'osa  pourtant  ja- 
mais venir  lui-même  dans  l'Archipel; 
l  se  contenta  d'y  envoyer  un  gentil- 
lomine  chrétien,  espagnol  de  naissance, 
lommé  François  Goronello,  qui  gou- 
erna  sous  son  nom.  Jamais  duc  n'avoit 
incoreété  plus  chéri  ni  plus  respecté  que 
je  le  fat  Goronello  durant  tout  le  temps 
le  800  administration,  qui  nefinit  qu'avec 
Bivie.  11  maria  Goursin,  son  fils,  avec  une 
[esnièces  de  Jacjques  Crispo.  Sa  famille 
est  perpétuée  jusqu'à  nos  jours,  et  a 
voduit  des  sujets  d'un^rand  mérite. 
^près  la  nomination  de  Jean  Michez , 
-rispo  et  ses  enfants  se  réfugièrent  à  Ve- 
"«e.  La  république  les  reçut  avec  de 

picUcomtpiioQ  générale d<is  mœurs  eal  la- 
^ni-coureiir  de  la  perte  des  ÉUU.  »  (  iVp/« 
f<  f abbé  Délia  Jiocca.) 

^*  Livraison.  (Lbs  Cycladks.  ) 


gmides  'marques  de  isompassion  et  de 
tendresse;  et  comme  ils  étoient  dénués  de 
tout,  on  leur  assigna  des  fonds  suffisants 
pour  les  faire  subsister  d'une  manière 
conforme  à  leur  naissance  et  au  rang  il- 
lustre qu'ils  avoient  tenu.  Le  malheureux 
duc  n'eut  pas  la  consolation  d'en  jouir 
longtemps;  il  mourut  bientôt,  accablé 
d'ennuis  et  de  reerets;  et  cette  famille, 
autrefois  si  considérable  en  Orient,  est 
entièrement  éteinte.  »  Ainsi  finit  la  sou* 
veraineté  de  l'Archipel,  l'an  1566,  après 
avoir  été  plus  de  trois  cents  ans  entre  les 
mains  des  princes  latins.  Le  juif  Mi- 
chez ne  la  garda  que  peu  d'années  ;  et 
depuis  elle  a  toujours  relevé  immédiate- 
ment du  erand-seigneur. 

Après  la  chute  du  duché  de  Naxos , 
les  nobles  latins  continuèrent  à  séjour- 
ner dans  cette  île;  ils  occupaient  la  partie 
haute  de  la  ville,  c'est-à-dire  le  château 
construit'par  le  premier  duc.  Les  Grecs, 
qui  étaienten  bien  plus  grand  nombre,  en 
occupaient  la  partie  basse,  depuis  le  châ- 
teau jusqu'à  la  mer.  La  haine  des  nobles- 
ses ^ecque  et  latine  fut  lon^emps  irré- 
conciliable; elles  ne  contractaient  pas  d'aï- 
liances  entre  elles  ;  elles  se  surveillaient  de 
si  près  et  avec  tant  de  jalousie,  que  les 
Turcs  n'avaient  pas  lieu  d'appréhender 
de  révolte  dans  cette  tle.  «  Dès  qu'un 
Latin  se  remue,  dit  Tournefort,  les  Grecs 
en  avertissent  le  cadi  ;  et  si  un  Grec 
ouvre  la  bouche,  le  cadi  sait  ce  qu'il 
a  voulu  dire  avant  qu'il  Tait  fermée.  » 
Les  nobles  naxiotes,  surtout  les  femmes, 
étalaient  un£aste  ridicule.  Il  y  a  deux  ar- 
chevêques dans  l'ile,  l'un  grec,  l'autre 
latin.  Le  clergé  latin  de  riaxos;était 
considérable  et  riche  autrefois.  Il  y  avait 
un  chapitre  attaché  à  la  cathédrale  ;  une 
maison  de  jésuites ,  un  couvent  de  ca- 

Sucins.  Aujourd'hui  il  n'y  a  plus  que 
es  lazaristes  à  Naxos.  L'Ile  était  remplie 
d'alises  grecques  et  de  monastères  basi- 
liens.  £n  1700  les  habitants  payèrent 
aux  Turcs  5,000  écus  de  capitation,  et 
5,500  écus  de  taille.  Un  cadi,  unvaivode 
et  sept  ou  huit  familles  étaient  les  seuls 
musulmans  qui  résidassent  ordinaire- 
ment à  Naxie. 
Malgré  les  divisions  des  deux  races 
ui  occupaient  Naxie,  ou  plutôt  à  cause 
e  ces  divisions  même,  les  Grecs  de  Tile 
se  jetèrent  avec  ardeur  dans  la  guerre 
de  l'Indépendance.  De  son  côté,  la  no- 

80 


l 


466 


LimiYEM. 


blesse  latine  se  retoaseba  dans  aea  fou- 
relleSt  et  resta  fidèle  au  grand-seigoeur. 
Néanmoins  le  plus  grand  norofare  des 
habitants  de  Tîle  étant  Grecs,  Raphto- 
poulo,  chef  du  mouvement ,  put  réunir 
un  bataillon  de  huit  cents  hommes,  avec 
lequel  il  s*embarqua  pour  soutenir  Tin- 
surrection  des  Candiotes.  Ceux  qui  ne 
combattirent  pas  acquittèrent  les  rede- 
vances avec  empressement,  et  les  descen- 
dants de  la  noblesse  des  croisades  fini- 
rent par  fournir  aussi  leurs  contin- 
gents (1).  Après  la  guerre,  JSme  fut  dé- 
tachée dePempire  ottoman  et  donnée  au 
royaume  grec,  où  elle  forme  maintenant 
une  éparâûe  du  département  des  Cy- 
clades. 

Naxie  est  entourée  d'Ilots  et  d^écueils, 
principalement  au  sud-est,  vers  ladireo- 
tion  d  Amorgos  :  ce  sont  les  îles,  Leian- 
dros,  Nicasia ,  Phakussa ,  Schœnussa , 
Donusa  ou  Héradée ,  appeliées  auiour- 
crhui  Sténosa,  Acariès,  Karosou  Ghera, 
Schinosa  et  Raklia.  Du  reste,  toutes  ces 
Iles  sont  désignées  souvent  par  le  nom 
général  de  groupe  des  fies  Kouphonisia. 

ÎLB  DE  PÀBOS. 

Paros,  Tune  des  plus  célèbres  d'entre 
les  Gyclades,  est  située  à  Touest  de 
Nazos,  dont  elle  est  séparée  par  un  canal 
de  sept  milles  de  largeur.  Elle  est  à  38 
milles  au  sud  de  Délos ,  et  à  25  milles 
à  Test  de  Siphnos.  Pline  dit  qu'elle  est 
moitié  moins  grande  que  Naxos,  à  laquelle 
il  donne  75  milles  de  circuit.  Elle  garde 
.encore  auiourd'hui  son  nom  de  Paros, 
le  seul  qu'elle  ait  porté  communément. 
Cependant  on  lui  a  aussi  donné  quel- 
quefois d'autres  dénominations,  telles 
que  celle  de  Platéa.  Minoa ,  Démétrias, 
Zacvnthus,  Hyria,  Hyléessa  etCabarnis. 
Ce  dernier  nom  lui  vint,  dit  la  légende, 
d'un  certain  Cabarnus,  qui  donna  con- 
n;>issance  à  Cérès  du  ravissement  de  sa 
fille  Proserpine  par  Pluton.  Les  prêtres 
de  Cérès  étaient  appelés  Cabarniens  par 
les  insulaires  de  Paros  (3).  Bochart  pré- 
tend que  Cabarnis  est  un  nom  phéni- 
cien, qui  signifie  sacrifier.  Paros  est  fer- 
tile en  céréales  ;  elle  est  bien  cultivée , 
dit  Tournefort  ;  on  y  nourrit  beaucoup 

(i)  Pouqueville ,  AVtoire  de  la  Régénéra^ 
tton ,  t.  HT,  IV  ;  passim. 

(«)  Dapper,  Descript.,  p.  séow 


de  troupeaux;  le  oouimeMt  y  ûomàsk 
en  froment,  orge,  vin,  léguBes..  aésame, 
coton.  On  trouve  beaucoup  de  fruits,  et 
du^gibier  en  abondance. 

Dans  l'antiquité ,  ce  qu'il  y  avait  de 
plus  recheroM  à  Paros  «  c'était  sa 
marbre.  11  y  en  avait  de  deux  sortes; 
l'une  servait  aux  arehiteetes,  l'autre  an 
sculpteurs.  «  Les  carrières  dont  les  sh 
eiens  ont  extrait  les  marbres  pour  la  cobs- 
tniction  de  plusieurs  temples,  eouuite 
oelui  d'£sculape  à  Paros  et  d'Apollon  i 
Délos,  sont  situées  sur  le  ooont  Biarpêse, 
au-sud  de  la  ville  de  Naussa.  Ces  car- 
rières ne  sont  qu'à  une  demi-heure  ai 
nord  de  la  ville  de  Parkia,  raDcàein^ 
Paros.  A  une  demi-heure  pk»  loin  ^ 
trouvent  situées  les  carrières  qui  four- 
nissaient le  marbre  fameux  recherebe 
avec  tant  de  soin  par  les  soulpteun  4^ 
l'antiquité.  Les  premières  carrières,  qui 
appartiennent  aujourd'hui  à  la  eommiae 
de  Parkia,  ont  toutes  été  exploitées  a 
del  ouvert  :  j'en  ai  comoté  jusoa'â  cesi 
cinquante.  La  quantité  de  Mocs  fv 
traits  de  ces  nombreuses  carrières  et- 
'  passe  de  beaucoup  eelle  qu'<»it  foumieks 
carrières  du  Pentelique.  LescanièRs  qui 
ont  fourni  aux  sculpteurs  de  Tantiqiaifr 
ce  marbre  dont  la  couleur ,  d'après  Pla- 
ton, était  agréable  aux  dieux,  sont  sl 
nombre  de  trois.  Elles  sent  sîtuces  à  d:\ 
minutes  au  nord  du  monastère  de  SaiQt> 
Mynas,  dans  une  ^orge  au  ftod  de  b< 
quelle  roule,  eahiver,uii  torreol  imp^ 
tueux  qui  va  se  jeter  à  la  naer  près  de  u 
villede Naussa.  Deux  de  ces  eanrières  sc«: 
percées  dans  le  mamelon  même  sur  le 
haut  duquel  se  trouve  un  mouliai  à  vt«t 
appartenant  au  monastère  ;  rautrs  s*eu- 
vre  de  l'autre  côté  du  torrent,  sur  un  wf - 
sant  du  mont  Marpèse  qui  s'étend  du 
sud-est  au  nord-ouest  (i)  ». 

Cette  dernière  carrière  est  la  ptas'rirttf 
en  fiions  de  marbre  à  grain  tres-fei;  ks 
uns  sont  d'une  blancheur  éclatante  u»- 
vea  Parosy  dit  Virgile),  d'âne  eristitJH 
sation  tout  à  fait  saecharolde;  lesastn^ 
sont  un  peu  jaunes,  et  {Hrésentent  cct:^ 


(i)  Note  extraite  d*uii  mémoire 
i844,  &  la  demande  da  ministre  de  l^innek- 
qui  songeait  à  faire  employer  les  marlvM  «V 
Faros  poor  le  tombeau  de  l'empcnor  Ns^*- 
léoa.  Toycs  Leoonte,  Éuuk  «c 
la  Grèce  p  p.  44o. 


LES  CYCLADES. 


467 


couleur  et  cette  transparence  qui  a  tant 
de  charme  dans  les  statues  antiques. 
ÛD  voit  dans  cette  carrière  une  galerie 
dont  Texploitation  a  été  à  peine  com- 
mencée, dans  Tantiauité.  On  y  a  trouvé 
une  grande  quantité  de  ces  lampes  qui 
servaient  à  éclairer  les  travailleurs  dans 
l'obscurité,  et  qui  avaient  fait  donner  à 
ce  marbre  le  nom  d^lychnites  lapis,  ou 
hi^aioç  XWoç,  pUrreextraiteàlalampe. 
De  tous  côtés  on  aperçoit  sur  ses  parois 
les  traces  d'une  exploitation  comme/icée 
et  brusquement  interrompue.  Ici  des 
blocs  sont  à  moitié  détacha  ;  là  sur  le 
mur  un  sculpteur  ou  un  entrepreneur 
a  gravé  son  nom  et  le  nombre  de  pieds 
romains  qu'il  avait  sans  doute  le  droit 
d'extraire: HERMO.  Loccc.  Lxxatvi.  il 
f  a  six  inscriptions  de  ce  genre;  ce  qui 
prouve  que  cette  galerie  était  en  pleine 
exploitation  à  Tépoque  romaine.  Deux 
shemins  devaient  servir  à  diriger  les 
blocs  extraits  de  la  carrière,  soit  vers  le 
K)rt  de  Naussa,  soit  vers  celui  deParkia  ; 
nais  il  n'en  reste  aujourd'hui  aucun  ves- 
ige.^ 

Llle  de  Paros  est  pourvue  d'excellents 
>orts  :  à  Touest  le  port  Parkia  ou  Pare- 
ibia ,  près  de  la  viUe  de  ce  nom ,  qui 
ccupe  remplaoement  de  Tantique  Paros, 
(ont  les  débris  ont  servi  à  la  cité  mo- 
eroe.  Aanord,  le  portde  JNaussa,  moins 
aste  que  celui  ae  Milo,  mais  mieux 
brité ,  mieux  défendu ,  d'une  situatiou 
lus  avaalagmise.  Naussaa'est  qu'un  trèa- 
etit  village.  Sainte-Marie  est  le  meil- 
lir  port  oe  l'île  :  la  plus  grande  flotte 
peut  mouiller  en  sûreté,  et  plus  oom« 
iodément  que  dans  celui  d'Agoula, 
n  en  est  tout  près.  On  estime  tort  le 
m  de  Drio,  sur  la  côte  ouest.  C'était 
que  venait  ordinairement  stationner  la 
>tte  turque.  On  y  trouve  de  belles  sour- 
s  pour  faire  aiguade.  Outre  Parkia, 
\  principaux  villages  de  l'île  sont  Gos- 
11,  Lefkis,  Marmora,  Chepido,  Kéfalo, 
Dragoula.  Au  siècle  dernier,  Tourne- 
rt  disait  que  Paros  était  habitée  par 
ille  cinq  cents  familles  ;  sa  situation 
3  guère  changé  à  cet  égard. 
Ses  premiers  habitants  furent  peut- 
e  des  Phéniciens;  ensuite  vinrent  des 
étois  et  des  Arcadiens.  Le  nom  de 
noa,  qu'elleavaitporté  d'abord,  atteste 
e  colonie  fondée  par  Minos,  ou  par  des 
6ts  de  ce  prince,  auxquels  Diodore, 


donne  pour  chef  un  certain  Alcée.  Cet 
Alcée  fonda  une  ville  de  Minoa  sur  la  côte 
occidentale  de  l'île.  Selon  ApoUodoroi 
Minos  était  à  Paros  quand  il  apprit  la 
la  mort  de  son  fils  Androgée,  tué  par  les 
jeunes  Athéniens,  jaloux  de  sa  supério- 
rité aux  jeux  des  Panathénées.  Le  même 
mythologue  nous  apprend  que  cette  île 
était  au  pouvoir  d'autres  fils  de  Mjnos , 
£urymédon,  Chrysès,  Néphalion,  Phi- 
lolaûs,  lorsqu3  Hercule  la  visita-  Deux 
des  compagnons  du  héros  ayant  été  tués 
par  les  Mlnoïdes ,  Hercule  les  assiégea 
dans  leur  ville.  Les  meurtriers  ne  se  ra- 
chetèrent qu'en  cédant  à  Hercule  deux 
des  leurs,  à  son  choix.  Il  choisit  les  deux 
fils  d'Androgée  (l).Le  chef  de  la  colonie 
arcadienne  qui  vint  à  Paros  s'appelait 
Parus,  et  c'est  de  lui  que  l'île  reçut  son 
nom.  Plus  tard  Clythius  et  Mélos  s'y  éta- 
blirent avec  des  Ioniens.  Au  huitième 
siècle  Paros  était  assez  puissante  pour 
envoyer  une  colonie  dans  l'île  de  Tha* 
SOS  (2). 

Au  temps  des  guerres  médiques  elle 
obéisait  à  Naxos  ;  elle  fut,  comme  elle, 
soumise  par  les  Perses,  avec  lesquels 
les  Pariens  combattirent  à  Marathon. 
Après  sa  victoire,  Miltiade  accourut 
pour  châtier  ces  insulaires.  Paros  fut  as- 
siégée par  terre  et  par  mer  ;  les  habitants, 
effrayés  des  progrès  de  l'ennemi,  deman- 
dèrent à  capituler;  mais,  ayant  aperçu 
un  grand  teu  du  côté  de  Mycone,  ils 
s'imaginèrent  que  c'était  le  signal  de 
rai:rivée  des  Perses ,  et  ils  ne  voulurent 
plus  entendre  parler  de  capitulation; 
o'est  ce  qui  a  donné  lieu  au  proverbe , 
tenir  sa  par  oie  à  ta  manière  des  Pariens, 
âvocTcapidC^iv.  Du  reste,  Hérodote  et  Cor- 
nelius-Nepos  diffèrent  beaucoup  sur 
les  détails  de  ce  siège.  Ils  s'accordent 
seulement  à  dire  que  Miltiade  échoua 
dans  cette  entreprise ,  et  que  ce  fut  la 
cause* de  sa  disgrâce  (490).  Après  la 
bataille  de  Salamme,  Thémistocfe,  plus 
heureux,  força  Paros  à  se  reconnaître 
tributaire  d'Athènes.  Agitée  par  des  dis- 
sensions intestines  pendant  la  guerre  du 
Péloponnèse ,  Paros  fut  rendue  à  elle- 
même  après  la  chute  de  l'empire  athé- 
nien. Elle  fonda  une  colonie  dans  l'Ile 
de  Pharos,  en  Adriatique,  avec  l'aide  de 

(x)  ApoU.,  Bibl,  Grec,  II,  5.  9,  3. 
(a)  Voyez  plus  haiU,  p.  374. 

30. 


468 


L'UNIVERS. 


Denys  l'Ancien  (1).  Puis  elle  se  rap* 

f brocha  d'Athènes,  qui  la  défendit  contre 
es  attaques  d'Alexandre,  tyran  de  Phè- 
res.  Les  Macédoniens ,  les  Lagides,  Mi- 
thridate,  les  Romains  l'occupèrent  les 
uns  après  les  autres.  Enfin,  les  empereurs 
grecs  en  furent  les  maîtres  jusqu'au  temps 
que  Marc-Sanudo  fonda  le  duché  de  l'Ar- 
chipel, dans  lequel  Paros  était  comprise. 
Elle  en  fut  démembrée  par  Florence  Sa- 
nudo,  duchesse  de  l'Archipel,  qui  la 
donna  pour  dot  à  Marie,  sa  iille  unique, 
épouse  de  Gaspard  de  Sommerive.  Ce- 
lui-ci aspirait  à  la  souverainté  de  l'Ar- 
chipel ;  mais  François  Grispo  le  força 
à  se  contenter  de  la  possession  de  Paros: 
Quelques  années  après,  Paros  passa  dans 
la  maison  des  Yenieri ,  par  le  mariage 
de  François  Yenieri  avec  l'héritière  des 
Sommerive.  Ce  François  est  le  grand- 
père  de  ce  femeux  Yenieri  qui  ne  céda 
rtle  de  Paros  à  Barberousse,  capltan- 
pacha,  sous  Soliman  II ,  que  parce  qu'il 
se  trouva  sans  eau  à  Képhalo ,  dans  le 
fort  Saint-Antoine.  Paros  prosoéra  sous 
le  gouvernement  des  Turcs.  Elle  possé- 
dait la  plus  belle  église  de  l'Arcnipei , 
celle  de  Katapoliani,  dédiée  à  la  Pana- 
gîa,  près  de  Parkia.  Les  Latins  y  étaient 
peu  nombreux  :  néanmoins  les  capucins 
y  avaient  un  Joli  couvent,  qui  a  été  dé- 
truit par  les  Albanais  au  service  de  la 
Russie.  Les  Russes  ont  fait  beaucoup  de 
mal  à  cette  île  pendant  la  guerre  de  1770. 
Ils  avaient  choisi  le  port  de  Naussa  pour 
en  faire  le  rendez- vous  de  leurs  forces  ; 
ils  y  avaient  construit  des  casernes  pour  lo- 
ger 4, 000  Russes,  1,000  matelots,  12 ,000 
Albanais,  3,000  Grecs.  Le  séjour  de  ces 
troupes  fit  fuir  les  habitants,  et  livra  l'île 
aux  dévastations  de  la  soldatesque.  Immo- 
biles lors  de  l'expédition  des  Russes, 
les  insulaires  n'eurent  pas  besoin  d'ex- 
eitation  étrangère  pour  se  soulever  en 
1821.  Paros  se  signala  dès  le  commen- 
cement de  l'insurection  :  elle  envoya 
dans  le  Péloponnèse  un  contingent  de 
soldats  qu'on  vit  figurer  au  siège  deTri- 
politza,  sous  la  conduite  de  Constantin 
Trantas  et  de  Toussaint,  fils  de  Démétrius. 
Aujourd'hui  Paros  relève  de  l'éparchie  de 
Naxos. 

De  tout  temps  les  habitants  de  Paros 
ont  toujours  passé  pour  gens  de  bon 


sens  ;  et  les  Grecs  des  tles'voisines  les 

Srennent  souvent  pour  arbitres  danslean 
ifférends.  Hérodote  les  connaissait  déjà 
comme  tels ,  puisqu'il  raconte  que  ks 
Milésiens,  ne  pouvant  vivre  en  paixeotre 
eux,  eurent  recours  à  l'arbitrage  de  quel- 
ques sages  Parîens.  Ceux-ci  visitèrent  \i 
campagne  de  Milet,  et  nommèrent  ad- 
ministrateurs de  la  ville  les  habitants 
dont  les  terres  leur  parurent  les  mîm 
cultivées  (1)  ;  persuadés  avec  raison  que 
ceux  qui  savaient  administrer  leurs  biens 
sauraient  gouverner  la  chose  publique. 
Cette  solidité  de  bon  sens  pratique  fjit 

Elus  d'honneur  aux  Parîens  que  iaoek^ 
rite  que  leur  fie  devait  à  ses  marbres, 
où  même  à  ses  galettes,  pour  parier 
comme  le  comique  Alexis,  cité  par  Atne- 
née.  ft  Fortuné  vieillard  ,  toi  qui  habiif's 
l'heureuse  Paros,  ton  Ile  a  deux  pro< 
duits  qui  l'emportent  sur  les  produits 
des  autres  îles  :  le  marbre  pour  les  dienii 
et  les  galettes  pour  les  mortels.  ■ 

Cependant  le  plus  célèbre  des  Paneos, 
Archiloque ,  fait  peu  d'honneur  à  sa  pa* 
trie: 

ArchUochom  proprio  rabies  armavit  iami» 

Dans  sa  fureur ,  Archilo(|ue  invectinit 
si  cruellement  ses  ennemis,  qu'il  les  ré- 
duisait au  désespoir.  Lycambe  et  ses 
enfants  ne  purent  survivre  à  ses  ootra^ 
Du  reste,  ce  poète ,  qui  avait  prostitue 
ses  talents  à  fa  satyre  personnelle ,  k 
se  ménageait  pas  plus  oue  les  autres. 
«  On  lui  reproche ,  dit  Elien ,  d'avoir 
mal  [)arlé  de  lui-méaie;  sans  loi  nous 
n'aurions  jamais  su  qu'il  était  Je  ûh 
d*une  esclave;  qu'il  avait  abandooie 
Paros ,  sa  patrie  ;  que  pauvre  et  déooe 
de  tout  à  Thasos ,  il  y  avait  maltraite 
ses  hôtes ,  exercé  des  haines  violeotes. 
se  défiant  et  médisant  de  ses  amis  comax 
de  ses  ennemis,  s'avouant  adultère,  sei^• 
suel,  lâche,  etc.  »  A  ces  traits,  que  j'affi^ 
blis ,  dit  M.  de  Marcellus,  nécroiraitH>o 
pas  reconnaître  Jean-Jacqu«s?  Aussi 
ajoute-t-il  spirituellement  :  «  J'ai  Qvsàitss 
ma  tête  que  le  poète  de  Paros  n  etot 
pas  seulement  l'inventeur  des  îarnwSj 
assez  mal  famés,  mais  encore  qo*il3^^' 
créé  les  Confessions,  genre  de  litléraRi"' 
relevé  sans  doute  par  la  pieuse  bamiut** 
de  saint  Augustin,  mais  dont  ses  or;^^ 


(i)  Diod.  Sîcul.,  XIII,  47  ;  XV,  i3,  34. 


(r)  Hérodote,  V,  a 5. 


LES  CYCLaDES. 


469 


I 


km  émoles  ont  tant  abusé  depuis  (1).  » 
Quelques  fragments  d' Archiloque  don- 
neot  une  haute  idée  de  son  talent  ;  il  y 
en  a  même  qui  expriment  de  grandes 
et  nobles  pensées  morales;  ce  qui  prouve 
qu'il  savait  prendre  tous  les  tons.  Mais 
en  somme  on  peut  dire  comme  Bayle  : 
«  S'il  n'est  presque  rien  resté  des  ou- 
vrages d' Archiloque ,  c'est  plutôt  un 
gain  qu'une  perte  par  rapport  aux  bonnes 
mœurs  ;  »  car  il  n'y  a  rien  de  si  dange- 
reux qu'un  poète  de  talent  qui  sait  semer 
^à  et  là  quelques  belles  maximes  sur  un 
ond  de  corruption  et  de  méchanceté. 
Archiloque  çécut  méprisé  de  ses  contem- 
porains; il  mourut  comme  il  le  méri- 
tait, assommé  par  un  Naxien  dont  il 
avait  dit  du  mal.  Archiloque  est  le 
pins  remarquable  i;Dais  non  le  seul  des 
hommes  illustres  de  Paros.  Événus  se 
distingua  dans  la  poésie  élégiaque;  Sco- 
pas,  Agoracrite ,  élève  de  Phidias,  dans 
la  sculpture  ;  c'est  lui  qui  sculpta  la  Né- 
Diésis  de  Rhamnonte  (2)  ;  Arcésilas  et 
Nicanor,  contemporains  de  Polygnote , 
(}tii  comme  lui  turent  des  premiers  à 
peindre  en  cire  et  à  l'encaustique.  Paros 
a  toujours  son  marbre^  mais  elle  n'a  plus 
ses  artistes.  On  ne  voit  dans  cette  île , 
disait  déjà  un  voyageur  du  dernier  siècle, 
que  de  misérables  faiseurs  de' salières 
et  de  mortiers,  au  lieu  de  ces  grands 
seulpteursqui  ont  tiré  des  chefs-dxeuvre 
de  ses  carnères.  Les  médailles  de  Paros 
offrent  tantôt  une  tête  de  femme ,  ou 
une  chèvre,  avec  le  nom  de  Ttle  et  du 
magistrat ,  tantôt  uoe  tête  de  Méduse 
avec  un  taureau. 

On  regrette  de  ne  pas  savoir  le  nom 
lie  l'auteur  de  la  plus  curieuse  antiquité 
lui  ait  été  découverte  à  Paros  :  je  veux 
)arler  de  ce  célèbre  monument  de  chro- 
lologie  appelé  indistinctement  marbres 
l'Oxford  ou  d'Arundel ,  ou  chronique 
le  Paros.  C'était  un  Français,  le  savant 
'eiresc,  conseiller  au  parlement  d'Aix , 
iui  avait  ordonné  à  Paros  les  fouilles 
i'où  on  tira  ces  marbres  avec  plusieurs 
ntres  inscriptions.  Le  commissionnaire 
le  Peiresc,  Sampso,  était  sur  le  point 
le  faire  embarquer  cette  collection  dans 
e  port  de  Smyrne  lorsque  ses  ennemis, 
u  ses  créanciers  le  mirent  en  prison. 

(i)  Épisodes  ÎUlàralres,  1. 1,  p.  ao5, 
C2)PUn.,  XXX"VI,4,6. 


Un  agent  de  Thomas  Etovrard ,  comte 
d'Arundel  et  de  Surrey.  acheta  pour  lé 
compte  de  son  maître  la  précieuse  car- 

faison  de  Sampso,  et  les  marbres  de 
*aros  furent  envoyés  en  Angleterre  en 
1627.  L'année  suivante,  le  savantSelden 
envoya  à  Peiresc  l'édition  et  le  commen- 
taire Qu'il  avait  fait  des  marbres  d'A- 
rundel. C'était  le  nom  qu'on  donnait  au 
monument  que  Peiresc  avait  attendu  avee 
tant  d'impatience.  Il  reconnut  aussitôt 
)e  trésor  qui  avait  été  détourné  de  ses 
mains  ;  mais  cet  excellent  homme ,  chez 
qui  l'amour  de  la  science  était  plus  fort 
que  ramour*propre ,  se  consola  facile- 
ment de  la  perte  de  ^es  marbres  quand 
il  vit  l'usage  qu'on  en  faisait  en  Angle- 
terre. La  chronique  de  Paros  contient 
les  principales  époques  de  l'histoire 
grecque ,  à  commencer  depuis  Cécrops , 
fondateur  d'Athènes,  jusqu'au  temps 
d'Alexandre.  Elle  embrassait  un  inter- 
valle de  1318  ans,  et  se  prolongeait  jus- 
qu'à l'an  263  avant  J.-C.  Mais  le  temps 
a  détruit  les  dernières  époques  et  occa- 
sionné dans  le  corps  de  l'inscription  des 
lacunes  qui  .ont  fait  le  tourment  de  ses 
interprètes,  Selden,  Palmer,  Lydiat, 
Marsham ,  Prideaux ,  Bentlev ,  MafTei , 
Dodwell,  Maittaire ,  et  Boeckh  (1). 

ÎLE  D'OLIABOS  ou  ANTIPABOS. 

Antiparos  est  l'ancienne  tle  d'Oliaros 
dont  parlent  Pline,  Strabon,  Etienne  de 
Byzance  et  Héraclide  de  Pont.  Ce  der- 
nier ajoute  que  les  Sidoniens  y  fondè- 
rent une  colonie.  Sa  stérilité ,  son  peu 
d'étendue,  le  petit  nombre  de  ses  habi- 
tants l'ont  vouée  aux  dédains  des  histo- 
riens et  des  géographes  de  l'antiquité, 
gui  ne  connaissaient  pas  cette  grotte 
fameuse  à  laquelle  elle  doit  aujourd'hui 
une  Juste  céléorité.  Cette  tle  est  a  dix-huit 
stades  de  Paros  :  c'est,  dit  Tournefort, 
un  écueil  de  seize  milles  de  tour ,  plat , 
bien  cultivé,  lequel  produit  assez  d  orge 
pour  nourrir  soixante  à  soixante-dix 
familles  enfermées  dans  un  méchant 
village  à  un  mille  de  la  mer.  Le  port 
d' Antiparos  n'est  bon  que  pour  des  bar- 
ques et  des  tartanes ,  mais  les  grands 
vaisseaux  peuvent  mouiller  dans  le  canal 

(i)  Voyez  dans  la  coUect.  grecque  de  A.  F. 
Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grœcorttm, 
l.  Ij  t\y Introduction ,  p.  535. 


470 


L'UNIVERS. 


de  Parcs  où  se  trouvent  les  rochers  de 
Strongilo ,  de  I>espotico  et  plusieurs 
autres  écueils  sans  nom. 

L'entrée  de  la  grotte  est  à  quatre 
milles  du  village ,  à  près  d*un  mille  et 
demi  de  la  mer ,  à  la  vue  des  îles  de  Nio , 
de  Sikino,  de  Policandro,  qui  n*en  sont 

2u'à  trente-cinq  ou  quarante  milles, 
^est  une  voûte  de  rochers  assez  basse, 
et  qui  n'a  d*abord  rien  d'imposant.  AU 
milieu  est  une  colonne  naturelle .  à  la< 
quelle,  dit  Ghoiseul-Gouffier,  a  qui 
j  emprunte  la  description  de  cette  grotte, 
nous  attachâmes  la  corde  qui  devait 
faciliter  notre  descente  et  assurer  notre 
retour.  Passant  «ensuite  sur  la  droite , 
on  tourne  en  suivant  une  pente  assez 
douce ,  qui  ramène  au-dessous  de  la  co« 
lonne  ;  on  trouve  alors  une  cavité  par  la- 
quelle on  s'introduit;  puis  tenant  la  corde 
on  se  laisse  couler  perpendiculairement 
à  six  ou  septuiedsde  profondeur,  sur  une 
petite  plate-torme.  (Test  là  ce  que  Tour- 
nefort  appelle  un  précipice  horrible.  Il 
débute  ainsi  par  une  exagération ,  à  la- 
quelle répond  parfaitement  la  suite  de 
son  récit.  Ce  judicieux  écrivain  s'est  un 
peu  oublié  dans  la  description  de  la 
grotte  d'Antiparos;  et  il  y  a  beaucoup  à 
rabattre  de  ce  qu'il  en  raconte.  D'autre^ 
auteurs  sont  tombés  après  lui  dans  des 
exagérations  bien  plus  ridicules.  De  la 
plate-forme  dont  il  a  été  parlé  plus  haut, 
on  descend  par  nn  talus  fort  roide  à  en- 
viron vingt-trois  mètres  de  profondeur  « 
et  on  arrive  sur  un  rocher  dont  la  partie 
supérieure  est  arrondie  en  forme  de  cul 
de  lampe.  Cest  Tendroit  le  plus  difficile 
et  le  seul  qui  puisse  paraître  dangereux  ; 
car  si  l'on  glisse  à  droite ,  on  risque  de 
tomber  dans  des  précipices  sans  fond, 
pe  là  on  descend  à  pic  la  hauteur  de 
douze  ou  quinze  pieds ,  avec  une  corde 
ou  une  échelle.  Lorsqu'on  a  franchi  cet 
endroit,  on  continue  à  descendre  par 
une  pente  extrêmement  roide ,  en  ap- 
puyant toujours  sur  la  gauche,  pour  évi- 
ter les  abtmes  qui  sont  sur  la  droite  ; 
peu^'à  peu  la  pente  s'adoucit,  et  à  la  moi- 
tié de  cette  galerie  la  corde  devient  tout 
à  fait  inutile.  Enfin,  après  avoir  tourné 
un  gros  rocher  qui  semble  d'abord  fer- 
mer le  passage ,  on  entre  dans  la  salle 
qui  termine  ce  souterrain.  Quoique  de 
toutes  les  grottes  connues  celle  d'Antî- 
paros  soit  la  plus  vaste  et  la  plus  riche, 


elle  est  cependant  loin  de  répondre 
aux  descriptions  pompeuse^  qu'en  ont 
faîtes  quelques  voyageurs  ;  ils  sembleot 
ouvrir  le  palais  du  Soleil,  et  leur  ima- 
gination exaltée  dépeint  une  arcbitcc* 
ture  de  cristal  dont  les  fiices  lisses  et 
brillantes  varient ,  renvoient  et  multi- 
plient la  clarté  des  flambeaux.  «  Od  se 
croit  transporté,  dit  un  auteur  moderne, 
dans  les  grottes  de  Thétis ,  au  jour  des 
noces  de  Pelée.  »  Ce  langa^  poétiauf 
est-il  celui  delà  vérité?  doit-il  être  celui 
du  voyageur?  Mais  si  les  produciioos 
qui  se  trouvent  dans  la  grotte  d'Antipa- 
ros  n'ont  pas  tout  l'éclat  qu'on  leursu{r 
pose,  elles  n'en  sont  pas  moins  iotém* 
fiantes,  par  les  formes  variées  et  les  co> 
trastes  piquants  que  leur  prête  une  i^- 
mation  toujours  incertaine,  toujours  di- 
versifiée par  le  hasard.  Les  stalactite 
produites j)ar  l'infiltration  des  eaux  tom- 
bent des  voûtes  en  pendentifs  coniqu»: 
les  stalagmites  que  la  cristallisation  pro- 
duit par  en  bas  s'élèvent  du  sol  en  dlTtf* 
tant  la  même  forme.  Quelquefois  leir 
accroissement  en  sens  inverse,  rap- 
proche stalactites  et  stalagmites,  les 
joint  ensemble  et  forme  des  coioDoes 
ijui  s'achèvent  et  se  perfectionneot  ptu  i 
peu.  La  pièce  la  plus  remarquable  it 
cette  salle  souterraine  est  la  superU 
stalagmite  qui  occupe  la  salle  d'Antipa- 
ro&f  et  que  l'on  nomme  l'autel,  depuis  que 
M.  de  Nointel,  ambassadeur  de  Im^ 
XIV  à  la  Porte,  y  fit  célébrer  la  messedf 
minuit,  Tan  1673 ,  comme  on  l'appreod 
par  cette  inscription,  qu'on  y  lit  encore  : 

nic  ipse  cintiSTVft  Anrvir 

SnrS  NATAU  Dll  BSHIA  IIOCTI  CSLEnnî» 
UDGLXXIU 

Cette  stalagmite  a  vingt-quatre  pie  1< 
de  hauteur;  sa  base  a  environ  >ir:^ 
pieds  de  diamètre.  Toute  cette  partie  d>: 
souterrain  est  remplie  de  congélaaoc5 
dont  les  formes  variées  présentent  u» 
espèce  de  décoration ,  et  peuvent  avv;* 
servi  de  prétexte  aux  peintures  eia:** 
rées  des  voyageurs.  Plusieurs  mas^ 
de  cette  même  substance,  étendues  en 
longs  rideaux ,  tiennent  do  leur  peudV 

Î)aisseur  une  transparence  dont  on  pt 
ouir  à  Taide  de  quelques  torches  adrai- 
teuient  disposées.  Mais  cette  lumière, 
ou  plutât  cette  lueur  n'a  jaoïais  aoruo 
éclat.  Ces  concrétions ,  quelques  fonnes 


LES  GT€IADBS. 


471 


jû'ûieê  aient  aftootén,  «ont  toatcs 
ernes  et  opagneB;  leur  smfaee  ené» 
ieure ,  souvent  mamelonnée ,  toojoun 
aboteuse ,  usée  par  le  eontaet  de  Fair 
!t  corrodée  par  Tadde  qu'il  contient^  n« 
wat  jamais  offiir  un  spedaele  qui  né 
leut  être  que  du  domaine  de  la  féerie  ^ 
it  que  beaucoap  y  sont  allée  eherchet 
or  la  parole  menteuse  des  voyageurs 
|ii11b  ont  eu  la  patience  de  lire  et  la 
implicite  de  croire  (1).  Jssmi'an  tempg 
le  1  ambassadeur  de  Nointel ,  personne 
l'osait  plus  descendre  dans  oe  souter- 
ain,  que  les  Grecs  n'avaient  connu  eux- 
Démes  que  fort  tard ,  et  qui  était  rede» 
enu  ignoré  depuis  des  siècles.  Depuis 
673  il  a  été  fréquemment  visité;  maii 
1  n'est  encore  qu'incomplètement  eon- 
ro;  la  deimlère  salie  est  environ  à  deux 
ent  cinquante  pieds  de  profondeur  oer- 
)endiculaire  :  mais  on  dit  qu'elle  n^est 
)a8  l'extrémité  de  oe  vaste  souterrain, 
(ui  s'étendrait  sous  les  eaux  jusqu'aux 
les  voisines  (9). 

ÎLB    DB  SIPHHOS. 

L1Ie  appelée  anciennement  Slphnos 
m  Siphanos ,  a  été  nommée  par  corrup- 
ion  Siphano,  Siphana  ou  Siphanto, 
i)lie  avait  porté  aussi  dans  rantiauité  les 
loms  de  Méropia  et  d'Acis  ;  elle  reçut 
le  Siphnos,  (ils  de  Sunius,  celui  de  Siph- 
los,  qu'elle  porta  depuis.  Elle  est  si- 
uée  à  l'ouest  de  Paros ,  et  elle  a  selon 
^line  vingt-huit  milles  de  circuit  ;  mais 
les  géograplies  modernes  lui  donnent 
usqu'à  Quarante  milles  de  circonfé- 
ence.  Uile  de  Siphnos  jouit  d'un  cli- 
iiât  très-sain.  On  y  voit  des  vieillards 
le  cent  vingt  ans.  Quoiqu'elle  soit  cou- 
erte  de  granit  et  de  marbre,  elle  est 
értile  et  bien  cultivée.  £Ue  abonde  en 
rains,  en  vignes,  en  fruits,  en  huile, 
t  en  gibier.  On  v  recueille  une  soie 
rès-recberchée.  Elle  était  célèbre  au- 
refois  par  ses  mines  d'or  e^  d'argent  ; 
Dais  à  peine  sait-on  aujourd'hui  où 

(i)  Choiceul-Gouffier,  Foyage^  t,  I^  p.  ii5 
t  suiv. 

(tt)  CeUe  grotte  célèbre  appartient  aujour- 
lliui  à  M.  Piscatory.  Elle  lui  a  été  donnée 
ar  la  famille  grecque  qui  la  possédait,  et  qui 
ai  a  cédé  set  litres  de  propriété,  Alors  qu'il 
itait  ministiw  plénipotentiaire  de .  France  en 
jrèce. 


flHeÉ  s»  trouvaient.  Le  plomb  y  est  aussi 
feit  commun.  On  y  faisait  du  temps  des 
aneieni,  avec  une  pierre  molle  particu- 
lière à  rtle,  des  vases  qui  supportaient 
très-bien  le  feu.  Les  gobelets  (noTiipia) 
de  Siphnos  étaient  aussi  fort  recher- 
chés. L'ancienne  ville  de  Siphnos  s'ap- 
pelait Apollooia;  elle  était  située  sur 
la  côte  nord-est,  vis-à-vis  d'Antiparos  et 
du  rocher  de  Prépésinthos, aujourd'hui 
Despotiko.  Il  n'en  reste  plus  rien.  Tour- 
nefort  signale  pour  toutes  ruines,  dans 
cette  île,  les  restes  d'un  temple  de 
Pan ,  et  quelques  sarcophages  çà  et  là 
dispersés.  La  ville  actuelle,  appelée 
Kastro,  occupe  remplacement  de  l'an- 
cienne. Elle  a  un  port,  très-fréquenté 
au  dix-septième  siècle.  Outre  le  port  de. 
Castro,  on  cite  encore  ceux  de  Faro, 
de  Vathi ,  de  Kitriani ,  et  de  Klronisso. 
Au  siècle  dernier  Siphanto  possédait 
plusieurs  villages  et  une  population  éva- 
luée à  5,000  âmes.  Elle  était  couverte 
de  couvents ,  de  chapelles  ;  et  elle  avait 
un  grand  monastère,  où  les  femmes  de 
l'Archipel  qui  voulaient  entrer  en  reli- 
gion venaient  faire  leurs  vœux. 

Son  histoire  est  celle  de  toutes  les 
Gyclades.  Pour  toute  particularité), 
nous  trouvons  dans  Hérodote  (1)  que 
cette  île,  très-florissante  au  sixième  siècle 
avant  J.-C,  tomba  en  décadence,  au 
temps  de  Polycrate,  tyran  de  Samos. 
Des  Samiens  exilés  étaient  venus  s'y 
réfugier;  mal  reçus  par  les  Siphniens, 
ils  leur  firent  la  guerre,  et  les  mirent  a 
contribution.  Puis  leurs  mines  d'or  et 
d'argent  furent  détruites  par  une  inon- 
dation. Ils  avaient  refuse  de  payer  la 
dtme  à  Apollon  Delpliien  :  le  dieu  les 
ruina  par  cette  calamité.  Il  paraît  que 
les  Siphniens  étaient  de  mauvaise  foi 
envers  les  dietix  comme  envers  les 
hommes  ;  lupvidl^Eiv  signifiait  mdnq[uer 
de  parole.  Le  plus  haut  sommet  de  Vtle 
s'appelle  THagios  Ilias. 

Après  avoir  appartenu  aux  Romains 
et  aux  Byzantins,  Siphanto  fut  con- 

auise  par  Sanudo,  et  fit  partie  du  duché 
e  rArchipel.Plus  tard  elle  en  fut  sépa- 
rée, et  elle  passa  à  la  famille  Coronia , 
puis  à  la  famille  Gozadini,  qui  la  posséda 
jusqu'au  temps  où  Barberousse  en  fit 
la  conquête.  Les  Gozadini  avaient  aussi 

(i)  Hérodote,  III,  57,  58. 


47d 


LTIMIVERS. 


la  seigneurie  de  Thermia ,  et  Tennefort 
raconte  que  de  son  temps  le  eonsiil  de 
France  à  Sîphanto,  M.  Guion ,  conser- 
vait encore  le  cachet d*Angelo  (^ozadini^ 
seigneur  de  Siphanto  et  Thermia ,  oui 
avait  succédé  à  Otuly  de  Coronia,  nls 
de  Yandoly  Coronia  de  Bologne,  qui  s*é- 
tait  établi  dans  Tlle  au  milieu  duquator- 
zième  siècle. 

iLBBBSEaiPHOS.' 

Sériphos  (  Serpho,  Serphou,  Ser- 
phanto)  au  nonl- ouest  de  la  précé* 
dente,  dont  elle  est  séparée  par  un  bras 
de  mer  de  12  milles  de  large.  Mais  d'un 
porta  Vautre  la  distance  est  de  24  milles  ; 
Pline  ne  lui  donne  que  douze  milles 
de  circuit,  elle  en  a  cependant  plus  de 
trente-six.  Cest  une  ne  terriblement 
rocailleuse  et  escarpée;  elle  contient 
des  mines  d'aimant  et  de  fer  ;  mais  elle 
est  stérile;  il  n*y  vient  qu'un  peu  d'orge 
et  de  vin.  Cependant  on  trouve  des  oi- 
gnons fort  doux  et  très-nourrissants,  que 
les  habitants  cultivent  parmi  leurs  ro- 
chers, dans  de  petits  fonds  humides.  Ces 
oignons  sont  l'orgueil  des  Sériphiens,  qui 
n'ont  rien  autre  chose  à  faire  valoir 
dans  leur  pauvre  fie;  aussi  aYait-on  d'eux 
et  de  leur  pays  l'idée  la  plus  méprisante. 
«  Quand  même  il  serait  né  dans  llle  de 
Sériphe,  dit  Origène  répondant  à  Celsus, 
qui  reprochait  à  Jésus-Christ  sa  naissance, 

guand  même  il  serait  né  le  dernier  des 
ériphiens  (1),  il  faut  convenir  qu'il  a 
fait  plus  de  bruit  dans  le  monde  que 
les  Thémistode,  que  les  Platon,  que  les 
Pythagore,  que  les  plus  sages  des  Grecs, 
que  les  plus  grands  de  leurs  rois  et  de 
leurs  généraux.  »  Il  ne  faut  pas  chercher 
d'antiquités  dans  Sériphos ,  qui  n'a  ja- 
mais été  puissante  ni  magnifique.  Ce- 
pendant son  port  est  excellent  ;  et  c'est 
une  des  bonnes  relâches  des  Cyclades.  Il 
n'y  a  dans  Ttle  qu'un  bourg  du  même  nom, 
et  un  méchant  hameau  appelé  San-Ni- 
colo.  Il  y  avait  autrefois  le  couvent  de 
Saint-Michel,  situé  au  nord  de  l'île,  dont 
les  caloyers  possédaient  les  meilleures 
terres,  ainsi  que  le  méchant  flot  de  Ser- 
i)ho-Poulo.  Les  anciens  prétendaient  que 
les  grenouilles  de  Sériphos  étaient  muet 

(i)  Contra   Cels,,  1,  I;  A  p.  Tournefort., 
ly  x8o. 


tes;  delà  le  proverbe:  Ceêivnept- 
noiiiiie  de  Séripkoi  ^  pour  désigner  «a 
sot  aui  ne  sait  rien  dirà. 

Sériphos  étaitcélèbre  par  les  traditiocs 
mythologiques  relatives  à  Persée  (l). 
Acrisius  ayant  découvM  la  naitsance 
de  Persée,  le  fit  enfermer  avec  sa  raèn> 
Danaé  dans  une  caisse,  etoidoniia  qa*0D 
les jetfltdans la  mer.  Cette caissefotpous- 
aée  jusqu'à  Sériphos,  où  des  pêeoeors 
la  tirèrent  de  l'ean  avec  leurs  filets.  Di^ 
lys,  qui  régnait  alors  dans  oette  fie,  a^ 
eueilut  parfaitement  Danaé  et  son  fils. 
Mais  Polydecte,  son  frère,  voulant  épou- 
ser Danaé,  Persée,  qui  avait  été  oblige 
d'aller  combattre  Les  Gorgones,  rappoitj 
de  cette  lutte  la  tête  de  Méduse,  avec  Li- 
quelle  il  pétrifia  Polydecte  et  les  Séri* 
phiens.  Cest  ainsi  qu'il  délivra  sa  mère; 
c'est  ainsi  que  se  formèrent  les  affreiu 
rochers  de  Sériphos. 

L'histoire  de  Sénphos  n'est  pas  longue 
à  Caire.  Cette  tie  tut  ooeopée  par  la 
Ioniens  venus  de  l'Attique.  £lle  refusa 
aux  Perses  l'hommage  de  la  terre  et  de 
l'eau.  Elle  eombattit  àSalamine.  Sous 
les  Romains,  Sériphos  devint  un  lies 
d'exil.  L'orateur  Cassius  Sévénis  arait 
été  relégué  par  Auguste  dans  llle  de 
Crète  sous  Tibère.  Comme  cet  orateur 
se  livrait  toujours  à  son  goût  pour  Va- 
trigue  et  la  médisance,  il  fat  condamné 
à  l'exil  ;  et  on  l'envoya  finir  ses  jourssar  le 
rocher  de  Sériphos,  Saxo  seriphU)  con- 
senuit  (2).  Sénphe  passa  suocessivemeot 
sous  la  domination  des  Grecs,  des  Francs 
et  des  Turcs.  En  1700  les  Séripliiensoe 
payaient  que  800  écus  pour  toute  eoa- 
tributîon.  L'tle  de  Sériphos  est  restée 
une  des  plus  misérables  de  tout  rA^ 
cliipel. 

ÎLB  BB  GIMOLOS, 

Cette  petite  île,  aujourd'hui  nommée 
l'Argentière,  des  mines  d'argent  qu'on 
y  exploita  jadis,  est  située  au  sud  de  Sén- 
phos et  de  SI  phnos,  et  à  une  lieue  au  nord 
de  Milo.  Elle  n'a  que  dix-huit  milles  on 
six  lieues  de  circonférence.  Le  sol,  extrê- 
mement aride,  est  dépourvu  de  source; 
on  n'y  trouve  que  de  l'eau  de  dtenx, 
ou  celle  qu'on  va  chercher  à  Hilo.  Les 

(i)  ApoUod.,  IX,  4;  Pberecy  Fr.,  a6;  A^ 
ligions  de  l'Jniiquilé,  1.  Vin,  c«  %m 
(a)  Tacit,,  Ânn.^W^  21. 


LES  CYCLABGS. 


479 


mooti,  les  Tailées  «t  t<Aite  la  eampagne, 
dépouillés  d'artues,  n'offrent  pas  un  seul 
ombrage  eontre  les  ardeurs  du  soleil. 
Les  Vénitiens  poidant  leurs  soerres 
contre  les  Turcs  coupèrent  tous  les  oli- 
viers f  et  causèrent  un  dommage  irré- 
parable à  l'île.  Ce  ne  sont  partout  que 
eoilines  hérissées  de  rochers,  dépouillées 
de  verdure,  des  vallées  où  croissent  de 
tristes  arbrisseaux  et  des  buissons  épi- 
neux. Elles  sont  la  plupart  couvertes 
d'une  argile  blanche  et  grasse,  que  les 
anciens  appelaient  la  terre  cimolée  et 
que  les  habitants  emploient  en  guise  de 
savon,  pour  blanchir  leur  linge.  Il  n*y 
a  qu'an  pauvre  village  dans  FArgentière 
et  une  population  évaluée  au  siècle  der- 
nier à  cinq  cents  personnes.  On  n'y  sème 
de  Torge  et  du  coton  qu'aux  environs 
du  village  :  la  vigne  n'y  fournit  des  rai- 
sins qoe  pour  manger  ;  le  vin  vient  de 
Milo.  «  Cette  Ile  est  devenue  tout  à  fait 
pauvre,  dit  Tomefort,  depuis  que  le  roi 
ne  souffre  plus  de  corsaires  français  au 
Levant  L'Argentière  étoit  leur  rendez- 
vous;  et  ils  y  dépensoient  en  débauches 
horribles  ce  qu'ils  venoientde  piller  sur 
les  Turcs  :  les  dames  en  profitoient; 
plies  ne  sont  ni  des  plus  cruelles  ni  des 
plus  mal  faites.  Tout  le  commerce  de 
cette  lie  roule  donc  sur  cette  espèce 
lie  galanterie  sans  délicatesse  qui  ne 
»)nvient  qu'à  des  matelots  (1  ).  »  Cimolos 
avait  été  appelée  Écfainuse ,  l'île  aux  Vi- 
pères; on  n'y  voit  plus  aucun  reptile 
le  cette  espèce. 

Il  n'est  (Ms  fait  mention  de  Cimolos 
ians  l'histoire  ancienne.  Cette  Ile  a  tou- 
ours  suivi  la  destinée  de  Mélos.  Dans  le 
"enversement  de  l'empire  des  Grecs  par 
es  Latins ,  Marc  Sanudo  la  réunit  au 
iuché  de  Naxie.  Elle  se  trouva  ensuite 
oveloppée  dans  la  conquête  de  l'Ar* 
'hi|)el  parBarberousse.  Les  Musulmans 
i'osèrentl'babiter,  par  la  crainte  des  cor- 
aires  qui  la  hantai^t  ;  mais  tous  les  ans 
es  habitants  de  l'Argentière  payaient 
aille  écus  de  capitation  au  capitan-pacha» 
otre  les  présents  que  ses  agents  leur 
xtorquaient.  «  Pendant  mon  séjour  en 
e  pays,  dit  Savary ,  j'étais  logé  chez 
f .  Brest,  vice-oonsul  de  France.  C'est 
in  homme  de  beaucoup  d'esprit;  il  a  un 

(i)  Toiinief.f  I,  p.  i4«;  Savary,  Lettres 
vr  la  Grèce,  p.  35 1. 


caractère  fermé  et  une  flmegéoéreuse.  Il 
connaît  parfaitement  tous  les  ports  de  la 
Méditerranée,  et  a  servi  souvent  de  pi- 
lote aux  vaisseaux  que  la  France  en- 
voyait dans  ces  parages.  Il  s'est  fait  adorer 
des  habitants»  en  les  sauvant  du  pillage 
des  corsaires,  et  en  intercédant  aupiès 
des  officiers^que  le  grand  amiral  envoyait 
pour  les  mettre  à  contribution.  Aussi 
peut-on  le  regarder  comme  le  roi  de  l'île, 
comme  le  chef  de  cette  petite  république. 
Cet  honnête  homme,  qui  habite  1  Ar- 
gentière  depuis  plus  de  quarante  ans , 
s'y  est  étabb.  Il  a  deux  fils,  qui  ont  beau- 
coup navigué.  Ils  sont  bien  élevés,  bon^ 
marins,  parlent  parfaitement  le  français, 
l'italien,  le  grec,  le  turc  et  paraissent  di- 
gnes de  succéder  à  leur  père  ».  Ils  lui 
ontsuccédé  en  effet  ;  ils  ont  même  agrandi 
leur  petite  principauté,  pour  ainsi  dire , 
en  s'établissant  à  Milo,  ou  les  Brest  repré- 
sentent encore  honorablement  la  France, 
comme  les  Albv  à  Santorin.  Il  y  a  dans 
les  Cyclades  plusieurs  familles  consu- 
laires françaises  ou  italiennes,  dont  la 
situation,  relativement  très-importante, 
rappelle,  sauf  les  différences  des  temps, 
celle  des  familles  féodales  du  temps  aes 
croisades.  Les  gens  de  l'Argentière,  qui 
sont  bons  pilotes,  ont  arboré  l'étendard 
de  la  Croix  pendant  la  guerre  de  l'In- 
dépendance. 

Ilbds  mblos. 

De  l'Argentière  on  voit  à  découvert 
rtle  de  Mélos  (1)  (M^Xo<  ) ,  qui  n'en  est 
éloignée  que  d'une  demi-lieue.  On  la 
nomme  actuellement  Milo  ou  le  Mile. 
On  voit  dans  Etienne  de  Bj^zance  et 
Festus  qu'elle  fut  appelée  ainsi  par  Mé- 
los, navigateur  phénicien.  D'autres  veu- 
lent que  ce  nom  lui  ait  été  donné  à  cause 
des  meules  à  moulin  qu'on  y  trouve  en 
fort  grande  quantité.  Le  nom  de  Byblos, 
qu'elle  a  aussi  porté,  atteste  encore  l'oc- 
cupation de  cette  tle  par  les  Phéniciens. 
On  la  désignait  encore  aussi  quelquefois 
par  les  noms  ou  épithètes  de  Zépnyria , 
Mimallis,  Siphnis  et  Acytos.  Cette  fie 
a  presque  la  lorrae  d'un  arc  fortement 
tendu.  Pline  dit  qu'elle  est  la  plus  ronde 

(x)  Dapper,  Descrîpt»,  p.  358  ;  Toumef., 
1,  145 ;  Savary,  Lettres,  p.  356;  Choiseul- 
GoufGer,  I^  14  ;  De  Prokescb,  Fiedler,  Lea- 
ke^etc.  ;  Expédition  de  Morée,  III  xa« 


474  LTmiVERS. 

de  tontes  les  tlès.  fille  a  ênviroti  soixante  Mais  ttM»  tal  débfii  TQl|Bira  ii$ 
milles  de  circonféreiice.  Dans  sa  partie  rien  anpràs  du  ^sf-d'œnn^  et  aoilp- 
méridionale  elie  est  dominée  par  deux  ture  anUqueqtti  porte  le  noai  deYé&w 
hautes  montagnes ,  dont  la  plus  életéé  de  Milo ,  et  que  poaaède  sotte  moiée 
s*appelle  le  mont  Saint-Élie  et  l'autre  lé  national.  Cette  statue  fut  trovfét  par 
mont  Calamo.  Son  port  est  le  plus  beau  un  paysan  gros  qni  blohait  dans  un  jar- 
des  Cyclades.  Il  s^onvre  yers  le  nord-  dîn  situé  à  oina  emts  pas  eufiroii  ik 
ouest,  s'avance  dans  les  terres,  en  for^-  l'amphitbéâtre.  il  déeoavtil  ea  remuant 
mant  diverses  sinuosités ,  et  s^élargfl  la  téfte  une  sorte  dé  lanfedoemciit  soa- 
tout  à  coup  en  un  spacieux  bassin.  Lei  terrain  dont  la  eonstnicti^o  était  «h 
vaisseaux  de  toute  grandeur  peuvent  y  fouie  de  six  à  bdi^  ffieds  aa-denoos  da 
moufllet  à  l'abri  de  tous  vents,  et  la  sol.  Ayant  déblayé  celle  rliina,  il  y  trou- 
flotte  la  plus  nombreuse  s'y  trouverait  va  péie-méle,  et  oonfasteent  eondbéi, 
fort  au  large.  Au  sud  elle  a  un  autre  port,  trois  Hermès, des  nioroeavx  de  maibrei 
plus  petit,  appelé  port  Saint-Dominique,  une  plintbe  portant  des  iaseriptions  4 
L'ancienne   viue  de  Mélos  était  si*  demi  eon^rvées,  et  la  statue  oe  Vénes 
tuée  au  fond  du  port,  à  l'est,  sur  les  séparée  en  plusieurs  morceaux.  Céuit 
hauteurs  qui  le  dominent.  Les  restes  è  la  fin  de  février  ISfiO.  Le  paysan  grée, 
d'antiquités  qu'on  y  trouve  sont  :  au  sud  qui  se  doutait  bien  qu'il  avait  tramé 
de  la  ville  actuelle,  à  peu  de  distance  de  autre  chose  que  des  pienree  ordimires, 
la  mer,  et  sur  le  penchant  de  ces  hau-  proposa  à  M.  Brest,  af^  eonaulaire  de 
teurs,  une  partie  de  murs  d'enceinte,  France  à  Milo,  l'aouoisîtioD  de  la  statue 
de  construction  polygonale ,  les(;|uels  à  un  prix  très^mouique.  aialbeiireuae* 
n'ont  subi  presque  aucune  dégradation]  ment  M.  Brest  «  avant  de  condiire  le 
sur  une  petite  montagne  conique ,  ou  marché ,  crut  devoir  deoaander  des  or- 
était  sans  doute  l'Acropole,  des  gradins  dres  au  marquis  de  Rivière,  ambassa- 
de marbre  blanc,  et  bien  conservés,  an*  deur  du  roi  h  Constantinople.  De  là  des 
I)artenant  à  un  théâtre  qui  paraît  n'avoir  retards,  qui  faillirent  eompromectre  k 
amais  été  terminé,  car  on  remargue  en-  succès  de  la  négodaton  et  priver  la 
core  les  tenons  qui  opt  servi  pour  la  pose  France  de  la  possession  de  eette  atatne. 
des  marbres;  non  loin  de  là  quelques  En  effet,  tandis  que  le  marquis  de  Ri- 
corniches  de  style  romain  et  d'un  asseoit  vière  envoyait  M.  de  Mareelliis  poor 
mauvais  godt.  On  voit  aussi,  en  tour-  faire  en  son  nom  l'aoquisitieQ  de  le  su 
nant  autour  de  cette  ancienne  acropole,  tue  et  des  marbtfs  déterrés  à  Milo,  les 
une  partie  de  mur  régulièrement  bâti,  primats  de  l'Ile  résolurent  de  donner  la 
et  au-dessous  un  plateau  sur  lequel ,  statue  à  un  prince  grec  en  grand  etéàn 
parmi  les  constructions  modernes,  on  à  Gonstantînople,  et  amateur  d'antlqui- 
remarque  quelques  fragments  de  marbre  tés.  Au  moment  où  M.  de  Mareellus  a^ 
qui  font  supposer  qu'a  cet  endroit  il  y  rivait  à  Milo,  le  38  mai,  il  eut  ia  douleur 
avait  autreiois  un  temple.  Près  de  là,  de  voir  passer  la  statue  sur  on  eenotqe 
un  peu  au-dessus  du  mur  d'enceinte,  la  transportait  à  bord  d*liii  bfttiaieot 
sont  des  tombeaux  creusés  dans  le  roe  grec  portant  pavillon  ture.  Mais  il  ne  si 
de  la  montasne.  Enfin,  il  existe  au  sud^  tint  pas  pour  battu;  et  à  forée  de  per* 
est,  tout  à  lait  sur  le  bord  de  la  mer^  sévéranoe  et  de  eourage ,  en  employant 
d'anciennes  ruines ,  qtii  sont  probable-  tour  à  tour  la  menaee,  les  promesses  et 
ment  des  restes  du  port  de  l'antique  les  libéralités ,  il  (Mirviftt  a  renouer  k 
Mélos.  La  découverte  de  tous  ces  ves*  marché  commencé  autrefois  avee  ie 
tiges  a  servi  à  déterminer  la  position  de  paysan  ^ree,  à  désintéresser  les  primats, 
cette  ancienne  cité,  sur  une  colline  qui  a  intimider  le  papas  qni  s'était  porté 
regarde  l'entrée  de  la  rade,  et  qui  est  au  acquéreur  pour  le  prinee  grée ,  et  a  re- 
sud  de  Castro  ou  Sixfours,  bourg  mo*  conquérir  le  chef-d'ceovre  qu'il  s'âait  v« 
derne  élevé  au  haut  du  pic  qui  domine  sur  le  point  de  perdre.  Tranaporte  à 
cette  partie  de  l'île,  et  nommé  ainsi  par  bord  de  la  goélette  VEstafeUB^  la  statue 
nos  marins  provençaux,  parce  qu'il  leur  arriva  en  France  après  quatre  mois  de 
rappelait  l'aspect  d  un  village  du  même  navigation.    EJIe  nit   ou^rte   an    roi 
nom  situé  auprès  de  Toulon,  Louis  XVIII  par  le  marquis  do  Biviéte; 


LES  CtCLADËS. 


475 


ie  a  été  enjhitte  déposée  au  imiisêe  dw 
ntigues  da  Louvre,  dont  elle  est  auiour^ 
hai  la  pièce  la  plus  précieuse.  Cette 
atue  a  deux  mètres  ttente<-hiiit  milli* 
lètres  de  hauteur,  six  pieds  trois  pou- 
.'s  trois  lij^ies.  Elle  est  d'an  beau 
larbre  de  Pah>s,  à  petit  grains ,  que 
s  sculpteurs  désigrient  soiis  le  nom  de 
rechetto.  On  a  supposé  que  la  déesse 
lait  représentée  au  moment  ofi  elle 
lent  de  recevoir  la  pomme  de  Pflrîs,  et 
a  l'a  surnommée  f^enus  Fietrix,  L*ab- 
înce  de  ses  deux  mains,  qui  n'ont  point 
té  retrouvées ,  empêchera  toujours  de 
onner  une  solution  définitive  à  cette 
uestion  (1). 

Pendant  longtemps  Ttle  de  Miio  a  été 
îrtile  et  florissante.  Jusqu^au  milieu  du 
tècle  dernier  elle  produisait  en  abon- 
ance  du  blé,  du  vin,  des  fruits,  et  elle 
ossédait  environ  vingt  mille  habitants, 
ournefort,  gui  la  visita  en  1700,  en  fait 
me  description  très-avantngeuse.  «  La 
erre,  sans  cesse  échauffée  par  des  feux 
outerrains,  y  produit  presque  sans  se 
eposer,  du  blé,  de  l'orge,  du  coton,  des 
ins  exquis  et  des  melons  délicieux. 
iaint-Elie,  le  plus  beau  monastère  de 
Ile,  situé  dans  l'endroit  le  plus  élevé, 
«t  entouré  d'orangers ,  de  citronniers  , 
le  cèdres  et  de  figuiers.  Une  source 
ilK)ndante  en  arrose  les  jardins.  Les 
)liviers,  rares  dans  les  autres  parties, 
«ont  multipliés  autour  du  monastère. 
Les  vignobles  d'alentour  donnent  d'ex- 
cellents vins.  En  un  mot,  toutes  les  pro- 
luetions  de  111e  sont  d'une  bonté  que 
ien  n'égale.  On  estime  beaucoup  ses 
)erdrix,  ses  cailles,  ses  chevreaux,  ses 
>gneaux ,  et  cependant  on  les  achète  à 
f es- bon  marche.  » 

A  la  fin  du  dix-huitième  siècle  la  si- 
tuation de  Milo  était  bien  changée.  «  Si 
W.  Tournefort  revenait  à  Milo ,  dit  Sa- 
^ary,  il  ne  retrouveroit  plus  la  belle  île 
|«'il  a  décrite.  11  y  verroit  encore  Faluil 
le  plume  aux  filets  argentés,  suspendu 
m  voûtes  des  cavernes,  des  morceaux 
je  soufre  pur  qui  remplissent  les  fentes 
^es  rochers,  une  foule  de  sources  miné- 
■^âles,  des  bains  chauds,  et  les  mêmes 

(i)  Sur  lu  statue  antique  de  Vénus  VCcliîxs 
P^  M.  de  Qarac.  Voyez  aussi  la  notice  de 
M.  Quairemère  de  Quincy  ;  M.  de  Marcellus, 
«o«ven/V*  de  t Orient,  t.  I,  p.  a3t. 


fëa\  qikî  de  séo  téÉbpi  échMifitoisnt 
le  sein  de  la  tef re  et  la  rendoient  si  fé- 
conde (f  ).  Mais  au  lieu  de  cinq  mille 
Grecs  payant  la  capitation  (ce  qui,  avec 
les  autres  habitants ,  peut  former  vingt 
mille  fimes)  il  ne  reneontreroit  aojour* 
d'hui,  sur  une  surface  de  dix*huit  lieues 
de  dreonférenee,  qu'environ  sept  oeots 
habitants.  Il  gémiroit  de  voir  les  meil- 
leures terres  sans  culture  et  les  vallées 
fertiles  changées  en  marais.  Depuis  dn- 

3uante  ans,  le  Mile  a  entièrement  ehangé 
e  face.   » 

Quand  Choiseul*Goufller  visita  cette 
Ile,  il  en  trouva  la  population  dans  l'é* 
tat  le  plus  misérable.  «  Ces  malheureux, 
dit-il,  sont  iaunes  et  bouffis  \  leur  ventre 
énorme,  et  leurs  Jambes,  horriblement 
enflées ,  leur  permettent  à  peine  de  se 
traîner  dans  les  décombres  de  leur  ville, 
belle  autrefois,  et  qui  n'est  plus  qu'un 
monceau  de  mines.  L'origine  de  cette 
influence  pestilentielle  me  paraît  re^* 
monter  précisément  à  l'époque  du  nou- 
veau volcan  qui  s'ouvrit  un  chemin  dans 
les  eaux,  en  face  de  Santorin,  et  vomit 
une  île  nouvelle  à  travers  un  torrent  de 
flammes  avec  un  bruit  et  des  secousses 

2ui  ébranlèrent  toutes  les  villes  voisines, 
let  embrasement  souterrain  s'est  sans 
doute  propagé  jusqu*à  Milo,  par  les  ma- 
tières combustinles  que  la  terre  y  ren- 
ferme, et  qui  sont  elles-mémeè  une  con- 
tinuation des  mêmes  couches  qui  ont 
donné  lieu  à  la  formation  des  volcans. 
Les  vapeurs  malignes  qui  s'exhalent  de 
ces  immenses  soupiraux  infectent  l'air, 
en  diminuent  le  ressort,  et  reproduisent 
sans  cesse  son  influence  destructive. 
Les  parties  voisines  du  port  et  de  la 
ville,  où  les  émanations  sont  plus  abon- 
dantes ,  en  ont  ressenti  d'abord  les  fu- 
nestes effets.  Peut-être  ces  feux,  se  com- 
muniquant ainsi  successivement,  ooeu- 

(i)  Toutes  les  richesses  géologiques  de  Milo 
et  sa  formatioD  volcanique  sont  compléiement 
décrites  dans  Toiirneforl,  et  surtout  dans  un 
article  de  M.  Sauvage,  ingénieur  des  mines. 
Voir  dans  les  jinnales  des  Mines  y  4*  série, 
t.  X ,  p.  69,  l'article  intitulé  Description  géo' 
logique  de  Milo ,  oà  M.  Sauvage  établit  que 
cette  lie  doit  avoir  la  même  origine  que  les 
environs  de  Naples ,  que  Vile  d*Isdiiâ,  et  que 
ses  terrains  trachytes  sont  contemporains  de 
œux  des  champs  phlégréenB. 


476 


L'UNIVERS. 


peront-ite  toute  la  sorCaoe  de  Ttle ,  et 
oorrompant  partout  l'air  qu'on  y  respire, 
fimront*Us  par  dévaster  deux  ou  trois 
villages  éloignés ,  qui  jusqu'à  présent 
n'ont  paï  été  aussi  maltraités  ?  »  Les 
prévisions  de  Choiseul-Gouffier  se  sont 
malheureusement  réalisées  ;  Miio  est 
devenue  aujourd'hui  presque  une  soli- 
tude, et  sa  population  ne  s'élève  pas  au 
delà  de  trois  mille  âmes. 

L'excellence  du  port  de  Mélos  y  avait 
de  bonne  heure  attiré  les  Phémciens, 
dans  le  temps  où  ils  étaient  les  maîtres 
du  commerce  de  la  mer  Egée,  oue  les 
Grecs  leur  enlevèrent  plus  tara.  Mais 
tandis  que  le  reste  des  Cvclades  fut  oc- 
cupé par  les  Ioniens,  Mâos  fut  occupée 
par  une  colonie  dorienne.  L'an  U 16  les 
Minyens  de  Lemnos  et  d'Imbros ,  que 
les  Spartiates  avaient  reçus  chez  eux  et 
établis  à  Amycles,  abandonnèrent  la 
Laconie  avec  les  Doriens,  'qui  y  étaient 
venus  après  la  conquête  du  Péloponnèse, 
et  qui  n*avaient  pas  été  accueillis  en 
frères  par  les  compagnons  des  Héracli- 
des  (1).  Cette  émigration,  commandée 
par  Polis  et  Crathœis,  se  dirigea  vers  la 
Crète;  mais,  arrivée  à  la  hauteur  de  Mé- 
los, elle  y  jeta  une  portion  des  Doriens 
qui  s'y  établirent  avec  Crathœis.  Cest 
oe  là,  dit  Conon,  que  les  Spartiates  s'at- 
tribuent la  fondation  de  Mélos,  et  en 
considèrent  les  habitants  comme  un 
peuple  qui  leur  est  uni  par  le  sang.  Hé- 
rodote et  Thucydide  donnent  paiement 
n  cette  île  le  nom  de  colonie  laeédé- 
inonienne. 

Cet  établissement  dorienà  Mélos  sub- 
sista pendant  sept  cents  ans.  Dans  la 
guerre  médique,  les  Méliens  refusèrent 
de  se  soumettre  aux  Perses,  et  restèrent 
fidèles  à  la  cause  nationale.  N'ayant 

5 oint  été  délivrés  par  les  Athéniens 
'une  servitude  qu'ils  avaient  su  re- 
pousser, les  Méliens  ne  reconnurent  pas 
la  suprématie  athénienne,  et  ils  se  main- 
tinrent constamment  dans  l'alliance  de 
leur  métropole.  Cette  courageuse  fidé- 
lité attira  sur  eux  la  vengeance  des  Athé- 
niens, c|ui  ne  pouvaient  souffrir  que  cette 
fie  dorienne  restât  plus  longtemps  indé- 
pendante, au  milieu  de  toutes  les  Cy- 
clades  subjuguées  par  eux.  Déjà,  au 
commencement  de  la  guerre  du  Pélo- 


ponnèM,  Nicias  avait'  £rft  une  . 
a  Mélos  et  ravagé  l'Ile  sans  pouvoir 
prendre  la  place.  Quelques  années  après, 
en  416,  les  Athéniens  y  renvoyèrent  ur^ 
flotte  de  trente-huit  ^lères,  et  une  ar- 
mée de  trois  mille  hommes  commandée 
par  Cléomène  et  Tisiasl  Avaat  de  com- 
mencer le  siège,  ces  généraux  eurent 
avec  les  Méliens  une  conférence,  qui  ne 

Ïmt  amener  aucun  accommodement.  Oo 
a  trouve  tout  au  long  rapportée  dans 
Thucydide  (1).  «  Pour  donner  le  meil- 
leur tour  possible  à  notre  négociation, 
dirent  les  Athéniens,  partons  crun  pria- 
dçe  dont  nous  soyons  vraiment  con- 
vamcus  les  uns  et  les  autres,  d*an  prin- 
cipe aue  nous  connaissons  bien ,  ponr 
l'employer  avec  des  gens  qui  le  connais- 
sent aussi  bien  que  nous  :  c'est  que  les 
affaires  se  règlent  entre  les  hommes  par 
les  lois  de  la  justice ,  quand  une  égale 
nécessité  les  oblige  à  s'y  soumettre; 
mais  que  ceux  qui  l'emportent  en  puis* 
sance  font  tout  ce  qui  est  en  leur  pou  voir, 
et  que  c'est  au  faible  à  céder.  —  Kous 
ne  craignons  pas  non  plus ,  disent-ils 
plus  loin,  que  la  protection  ditrîne  nouK 
abandonne.  Dans  nos  principes  et  dans 
nos  actions,  nous  ne  nous  écartons  ni 
de  l'idée  aue  les  hommes  ont  conçue  de 
la  divinité  ni  de  la  conduite  qulls  tien- 
nent entre  eux.  Nous  croyons ,  d'après 
l'opinion  reçue,  que  les  dieux ,  et  nous 
savons  bien  clairement  que  les  hommes, 
par  la  nécessité  de  la  nature,  domineot 
partout  où  ils  ont  la  force.  Ce  n  est 
pas  une  loi  que  nous  ayons  faite;  ce 
n'est  pas  nous  qui  les  (Hremiers  nous  h 
sommes  appliquée  dans  l'usage,  nous 
en  profitons  et  nous  la  transmettons 
aux  temps  à  venir  :  nous  sommes  bien 
sûrs  gue  vous ,  et  qui  que  ce  fût ,  av^* 
la  puissance  dont  nous  jouissons,  tien- 
driez la  même  conduite.  »  «  La  théorie 
de  la  force,  dit  à  ce  propos  M.  Dumy, 
a  été  rarement  exprimée  d*une  manière 
aussi  nette.  Au  reste,  ajoute-t-il  avec 
beaucoup  de  raison,  rien  ne  prouve  que 
ce  dialogue  ait  réellement  eu  lien.  Thu- 
cydide a  peut-être  voulu  réduire  en  for- 
mules ,  en  maximes ,  la  politique  oui 
alors  était  instinctivement  suivie  par  les 
deux  partis.  Cest  précisément  un  des 
faits  pour  lesquels  Denys  d'Halieamasse 


(i)  Raoul  Rochelle,  Col,  Greeq,;  III ,  59.         (i)  Thucyd.,  V,  85. 


LESGYCLADES. 


477 


lui  reproche  d'avoir  à  dessein  calomiiié 
la  vitle  qui  Tavait  ailé  (1).  » 

Après  ces  pourparlers  inatiles,  les 
ibefs  athéniens  ccAnmencèrent  les  opé- 
ations  du  siège  ;  mais  les  Méliens  ren- 
versèrent teurstravanx.  Enfin,  Philoerate 
lyant  amené  nn  nouveau  secours  d*A- 
hènes ,  les  insulaires  forent  obligés  de 
«  rendre  à  discrétion.  On  délibéra  à 
Uhènes  sut  leur  sort,  et  rassemblée  du 
)euple,  réalisant  les  effroyables  théories 
tmises  dans  la  conférence ,  condamna 
ous  les  Méliens  à  mort.  Ce  fut  Alci- 
(iade  qui  fit  passer  cet  horrible  décret. 
tous  les  habitants  de  Mélos  furent  mas- 
acres,  excepté  les  femmes  et  les  enfants, 
[ne  Ton  mena  en  esclavage  en  Attique. 
^s  Athéniens  envoyèrent  une  colonie , 
romposée  de  cinq  cents  de  leurs  compa- 
Tiotes  ;  mais  cette  colonie,  établie  par 
a  violence,  ne  demeura  pas  longtemps 
I  Mélos  ;  et  les  enfants  des  Méliens , 
|ui  avaient  grandi  dans  l'esclavage, 
arent  rétablis  par  Lysandre ,  aussitôt 
près  la  guerre  du  Péloponnèse,  dans  la 
K)ssession  de  Hle  qui  avait  appartenu  à 
«nrs  pères.  Mais  il  faut  bien  qu'Athènes 
*ait  reprise  plus  tard,  puisque  les  mé- 
lailles  de  Mélos  portent  tontes  la  chouette 
)u  ta  Palias  athénienne. 

Mélos  eut  ensuite  le  même  sort  que 
es  autres  Cyclades ,  c'est-à-dire  qu'elle 
omba  sous  la  domination  des  Macédo- 
tiens,puis  des  Romains  (2),  et  enfin 
ous  celle  des  empereurs  grecs.  Mare 
>anudo  joignit  cette  tle  au  duché  de 
^axie,  en  1207.  Elle  en  fut  ensuite  dé- 
achée  par  Jean  Sanudo ,  sixième  duc  de 
Archipel ,  qui  céda  cette  tle  au  prince 
'larc ,  son  frère  ;  celui-ci  la  donna  pour 
ot  à  sa  fille  Florence,  qui  épousa  Fran- 
ois  Crispe .  Ce  Crispo  ,  qiu  descendait 
les  anciens  empereurs  grecs,  s'empara 
le  tout  le  duché  de  Naxie ,  en  faisant 
ssassiner  19  icolas  Caroerio,  qui  en  était  le 
leuvièmeduc.  Milofut  conquise  par  Bar- 
«rousse,  et  réunie  à  remnire  ottoman, 
ivec  tout  le  duché  de  l'Archipel,  en  1537. 

Sous  ce  nouveau  régime ,  Milo  conti- 
>ua  à  prospérer.  Les  Miliotes,  qui  étaient 

(ï)  V.  Duruy,  Hist.  Grecque,  p.  353. 

(a)  Voyez ,  sur  le  nombre  el  Timportance 
les  Juifs  ctablis  à  Mélos  sous  les  empereurs , 
losèphc,  Ant,  Jud„  XVII,  la;  SelL  Jud., 


bons  matelots,  servaient  de  pilotes  à  la 
plupart  des  navires  étrangers.  La  domi- 
nation des  Turcs  s'y  faisait  à  peine  sen- 
tir, et  nie  était  devenue  le  rendez*vous 
des  corsaires  français  qui  tenaient  les 
mers  du  Levant  et  y  inquiétalentparune 
guerre  incessante  le  commerce  des  Ot- 
tomans. «  On  y  parle  encore,  dit 
Tournefort ,  ^  des  snindes  actions  de 
MM.  de  Bennevilie  Téméricourt,  du 
chevalier  d'Hocquincourt,  du  marquis  de 
Fleuri,  d'Hugues  Cruvelier,  du  cheva- 
lier d'Entrechaut,  de  MM.  Pousselfli'O* 
range,  Lauthier,  et  antres  qui  amenoient 
leurs  prises  dans  cette  tle ,  comme  à  la 
grande  foirede  l'Archipel.  Les  marchan** 
dises  s'y  donnoient  à  bon  marché ,  les 
bourgeois  les  revendoient  à  profit,  et 
les  équipages  des  vaisseaux  y  oonsom- 
moient  les  denrées  du  pays.  »  En  1677 
un  Miliote,  bon  corsaire  ,  appelé  Jean 
Capsi,  se  rendit  maître  de  l'tle,  et  fut  ac- 
cepté par  ses  compatriotes  comme  juge 
et  chef;  cette  espèce  de  règne  dura  en- 
viron trois  ans.  Les  Turcs,  qui  avaient 
à  recommencer  sans  cesse  la  conquête 
des  fies  de  l'Archipel,  parurent  en  1680 
dans  le  port  de  Milo.  Avec  un  peu  de 
ruse  le  capitan-pacha  sut  attirer  dans 
sa  ^lère  Jean  Capsi,  que  la  bonne  fortune 
avait  étourdi.  Dès  qu'il  se  fut  livré ,  le 
capitan  le  fit  charger  de  chaînes ,  et 
quelques  jours  après  on  pendait  à  Cens- 
tantinople,  à  la  porte  du  bagney  le  petit 
roi  de  Milo  (1).  Depuis  cette  époque 
les  Turcs  surveillèrent  cette  tle  avec 
plus  de  soin,  et  la  traitèrent  avec  plus 
de  rigueur.  Savary  croit  que  c'est  au 
despotisme  de  la  Porte  et  à  sa  police  dé- 
testable qu'il  faut  attribuer  la  destruction 
de  Milo.  Il  se  trompe  assurément ,  et 
la  condition  matérielle  des  Miliotes  ne 
changea  pas  sensiblement  depuis  la  ten- 
tative de  Jean  Capsi ,  avant  le  temps  où 
les  conditions  physiques  du  sol  et  de 
l'atmosphère  de  Milo  furent  boulever- 
sées. Depuis  cette  révolution  volcanique, 
nie  tomna  dans  cet  état  de  misère  que 
nous  avons  retracé  plus  haut,  et  dans  la- 
quelle elle  végète  encore. 

Autour  de  Milo  se  groupent  plusieurs 
petites  lies,  qui  en  sont  comme  des  frag- 
ments détachés.  A  l'entrée  du  port  sont 
deux  petits  écueils  appelés  Acraries , 

(i)P.  Sanger,  Histoire  nouvelle,  p.  319. 


478 


yunivï3i9* 


les  éminences.  Au  nenl-ûiiM  s'élève^ 
Gomine  uu  pain  de  sucre,  le  rocher  qoe 
les  Francs  appellent  AntimUo ,  et  les 
Grecs  Remomilo.  Paximadi  et  Prasonidi 
sont  deux  autres  tles,  situées  en  face  le 
oap  sud  de  Milo,  qui  est  la  pointe  du 
8aint-Élie;  les  Peignes  ou  Peteni  et  Hle 
Saint-Georges  sont  du  côté  oriental.  Au 
nord-est  de  Milo,  et  à  Test  de  TArgen- 
tière,  se  trouve  la  petite  île  de  Poiyaegos, 
appelée  plus  tard  par  les  Grecs  Poiioo,  et 

Sarles  Francs  tle  Brûlée.  Il  y  a  encore 
'autres  petits  éeneils  autour  de  Milo; 
mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  les  énu* 
mérer.  Ceux  qui  voudraient  connaître 
la  navigation  de  ces  parages  doivent  con- 
sulter les  cartes  marines,  où  tout  est  in* 
diqué  avec  une  exactitude  scrupuleuse. 
Encore  faut*ii  toujours  prendre  un  pi- 
lote grec  dès  qu'on  s'aventure  dans  cette 
mer  dangereuse  de  l'Archipel. 

ÎLE  DE  PHOLÉGANDACS. 

Cette  île ,  appelée  aujourd'hui  Poli- 
candro,  est  située  au  sud-est  de  Milo. 
Elle  reçut  son  nom  et  ses  |>remters  ha- 
bitants'd'une  colonie  Cretoise  qui  y  fiit 
amenée  par  Pholégandrus ,  fils  de  Mi- 
nos.  L'épithète  de  litèr\^ ,  tle  de  Fer , 
lui  est  donnée  par  Aratus ,  à  cause  de  sa 
nature  rude  et  âpre;  en  effet,  Policandro 
est  toute  hérissée  de  rochers.  Bochart 
fait  venir  son  nom  du  mot  phénicien 
Phelekgundari,  qui  signifiecontrée  pier- 
reuse. «  Cette  tle  n'a  point  de  port,  dit 
Tournefort  ;  nous  débarquâmes  le  2  oc- 
tobre à  la  cale ,  dont  rentrée  regarde 
l'est-sud-est.  Le  bourg,  qui  en  est  à  trois 
milles  du  côté  du  nord-est ,  assez  près 
d'un  rocher  effroyable,  n'a  d'autres  mu- 
railles <}ue  celles  qui  forment  le  derrière 
des  maisons ,  et  contient  environ  coot 
vingt  familles  du  rit  erec ,  lesquelles 
en  1700  payèrent  pour  la  capitation  et 
pour  la  taille  réalle  1020  écus.  Quoiaue 
cette  tle  soit  pierreuse ,  sèche ,  pelée , 
on  y  recueille  assez  de  blé  et  assez  de  vin 
pour  l'usage  des  habitants.  Ils  manquent 
d'huile ,  èi  l'on  y  sale  toutes  les  olives 
pour  les  jours  maigres.  Le  pays  est  cou- 
vert de  tithymale ,  arbrisseau  que  l'on  y 
brûle  faute  de  meilleur  bois.  Llle  d'ail- 
leurs est  assez  pauvpe,  et  l'on  n'ycom- 
nueroe  qu'en  toiles  de  coton.  » 

Au  moyen  âge  cette  île  fit  partie  du 
duché  de  Naxie.  lies  ducs  y  construi- 


airent  90  ohAleau  fort,  Osti»i  tir  Tm- 

I lacement  de  l'andanne  viUe>  ^uiportàt 
e  même  nom  aue  l'île.  On  voit  à  mm 
aujourd'hui  quelques  vestiges  de  la  iorte- 
resse  desSanudo.  PolicanMlro  possédait 
autrefois  quelques  jolies  chapelles, etHis- 
truites  en  partie  avec  les  restes  des  édi- 
fices anciens.  Il  y  a  une  belle  ffoVie  diBs 
ee  rocher  qui  supportait  le  Castro.  Elle 
a  son  issue  vers  la  mer  ;  mais  en  n  t 

1>eut  entrer  qu'en  temps  de  calme ,  rt 
es  flots  sont  souvent  agités  en  «t  es- 
droit  (1), 

ÎLE  DE  SIKINOS. 

Sikinos  (Sfxtvoc,  Xlxfjvoc),  aujourdluu 
Sikino,  est  située  à  l'est  de  Pholé^ 
dros.  Dans  le  canal  qui  les  sépare  k 
trouvent  plusieurs  îlots,  dont  le  plos  a»- 
sidérable,  appelé  Cardiotissa  était  peu- 
être  l'ancienne  Lagousa  de  Strabon.  U 
y  avait  sur  cet  écuell  une  chapelle  de  Is 
Dainte-Yierge ,  où  les  habitants  des  Ttf 
voisines  venaient  en  célébrer  la  féteavK 
de  grandes  réjouissances.  Sikioos  l'a^ 
pela  aussi  OEnoé,  à  cause  de  sa  fertibtf 
en  vin.  «  Il  y  a  encore  assez  de  vio  àsu 
Sikino,  dit  Tournefort,  pour  mériter  soc 
ancien  nom;  beaucoup  de  figues,  pevdt 
coton.  Les  figues  fraîches  sont  excel- 
lentes ;  il  n'en  est  pas  de  mëmedessècfae». 
parce  qu'on  les  passe  par  le  fourpoorl^ 

garantir  des  vers.  Cette  île,  qui  n  est  911*2 
uit  milles  de  Nio,  etqoinaoQ'eovim 
vingt-milles  de  tour,  s'étena  du  ss^ 
ouest  au  nord -est,  assez  étroite  d'ailleeR 
quoique  éle? ée  en  montagnes  ;  elle  ootf 
parut  bien  cultivée.  Le  froment  qu'on  ! 
recueille  passe  pour  le  meilleur  de  TAr- 
chipel.  »  L'île  de  Sikino  n'a  point  4 
port,  mais  une  mauvaise  cale  appelée  S»- 
Burnias ,  située  au  sud-est  ;  quand  on  ) 
mouille,  il  faut  tirer  les  caîques  à  tare* 
pour  qu'ils  soient  en  sdreté.  Le  boor^. 
qui  porte  le  même  nom  que  llle,  estsur 
une  hauteur  à  l'ouest-sud-ouest,  toet 
près  d'une  roche  effroyable  qui  v^ 
et  semble  tomber  dans  la  mer.  sàsfi^ 
est  dominée  par  deux  montapes  :  Tflt- 
cienne  ville  était  sur  le  penehaot  de  u 
montagne  septentrionale.  An  bord  j* 
la  mer ,  on  voit  les  restes  d'un  tecn^ 

(i)  Voyei  daasBoeckh,  loscrivt,  Gr*tj.»jî* 
quatre  inscriptions  de  PholégaDdn»S|  n***^*-' 
a446. 


I  - 


LES  CyCLÀDES. 


479 


(TApolkm-PylÉite  lor  laquelM.  Ross 
a  nTamment  disserté  (1). 

Cette  fie  arait  reçu  son  doid  de  Sici- 
nus,  fils  de  Tboas,  fila  de  Baccbus  et 
d'Ariane.  Après  le  massacre  de  tous  les 
hommes  de  Lemnos  parleurs  femmes, 
Thoas,  sauvé  par  H^psipyle,  se  sauva 
dans  nie  d*OEiioé,  où  il  rut  bien  reçu 
par  la  nymphe  qui  Thahitait.  Il  en  eut 
un  fils,  applelé  Sidnus ,  qui  donna  son 
nom  au  pays.  Sikines  n*a  pas  d'bistoire 
particulière;  elle  eut  le  sort  de  toutes  les 
autres  Cyelades.  Autreisième  siècle  elle 
fit  partie  du  duebé  de  Naxie.  £ile  fut  en- 
suite réunie  à  Tempire  Ottoman.  En 
1700  elle  était  encore  très-fréquentée 
par  des  corsaires  français,  dont  plusieurs 
sVétaientétablisety  avaient  pris  femmes 
malgré  les  défenses  du  roi,  qui  avait  or- 
donné que  nul  de  ses  sujets  ne  se  marie- 
rait dans  le  Levant  sans  la  permission  de 
son  ambassadeur  ou  de  quelqu'un  de 
ses  délégués.  Dans  les  ferres  des  Russes 
Sikino,  ainsi  que  Policandro ,  fut  rava- 
gée par  àes  pirates,  et  tomba  dans  le  mi- 
sérable état  où  la  vit  Ghoiseul'Goulfier, 
et  où  elle  se  trouve  encore.  Elle  appar- 
tient aujourd*bui  au  royaume  de  Grèce. 

ÎLB  d'ios. 

L1le  d*Ios,  aujourd*bui  Itio,  avait 
été  appelée   primitivement  Pbœnice; 

3uantf  les  Ioniens  s'y  établirent ,  ils  lui 
onnèrent  le  nom  d  los.  £lle  est  située 
a  rinjgt-quatre  milles  au  sud  de  Kaxie, 
a  Irait  milles  à  Test  de  Sikino,  à  trente 
milles  au  nord  de  Tbéra  ou  Santorin. 
Kio  a  quarante  milles  de  circonférence  ; 
elle  est  montagneuse  et  surmontée  de 
deux  principaux  sommets.  Ofi  y  voit 
plusieurs  bons  ports  :  celui  qui  est  au- 
dessous  du  bourg  sur  la  côte  sud-ouest 
^t  un  des  meilleurs  de  TArchipel  ;  vers 
Testest  le  port  Manganari,  qui  peut  aussi 
recevoir  les  plus  grands  vaisseaux.  le 
territoire  de  Nio  est  bon  pour  les  cé- 
réales; mais  rile  manque  de  bois  et 
d'hoile.  Au  temps  de  Tournefort  elle 
était  asses  bien  cultivée.  L'ancienne 
^ille  d'ios  occupait  probablement  le 
méine  terrain  que  le  bourg  actuel,  c'est- 
^resur  la  hauteur,  à  quelque  distance 

(0  Dans  le  XuntéL  1S37,  u«  xo3,  l/e6er 
^n  Temptl  des  ApoUo  Pyt/iiiu;  Boeckh , 
hser,  Grœcq,,  M,  1447. 


de  la  marine.  On  lit  en  efCet  dans  la 
vie  d^Homère  que  les  habitants  d*Ios 
descendaient  de  leur  ville  pour  donner 
des  soins  à  ce  grand  poète,  qui  était 
tombé  malade  dans  leur  port.  C'est  à 
cet  événement,  vrai  oq  supposé,  qu0 
nie  dlos  doit  toute  sa  célébrité.  Voici 
le  récit  que  nous  en  donne  Tauteur, 
quel  ^u'il  soit,  de  la  vie  d'Homère,  atr 
tribuee  faussement  à  Hérodote,  a  Au 
commencement  du  printemps,  Ho- 
mère voulut  partir  de  Samos  pour  se 
rendre  à  Athènes.  11  mit  à  la  voile  avec 

Quelques  Samiens,  et  aborda  à  Tile 
'los.  Ils  ne  débarquèrent  pas  à  la  ville, 
maissur  le  rivage.  Homère,  se  voyant  atta- 
qué par  une  maladie  grave ,  se  fit  porter 
a  terre.  Les  vents  contraires  ne  permet- 
tant pas  de  continuer  la  navigation ,  on 
resta  plusieurs  Jours  à  l'ancre.  Homère 
reçut  la  visite  de  quelques  habitants  de 
rtJe  d'Ios,  qui  ne  l'eurent  pas  plus  tdt  en- 
tendu parler  qu'ils  furent  pénétrés  d'ad- 
miration.... Homère  mourut  de  cette 
maladie  à  los.  II  fut  enterré  sur  les 
bords  de  la  mer  par  ses  compagnons  de 
voyage  et  par  ceux  des  habitants  d'ios 
qui  I  avaient  fréquenté  pendant  sa  ma- 
ladie. Longtemps  après ,  et  lorsque  ses 
poèmes,  devenus  publics,  furent  admi- 
ra de  tout  le  monde,  les  habitants  d'Ios 
inscrivirent  sur  la  tombe  ces  vers  élégia- 

Î|ues  :  ft  La  terre  recèle  ici  dans  son  sein 
a  tête  sacrée  du  divin  Homère  «  dont 
la  poésie  a  illustré  les  héros  (I).  »  Stra- 
bon,  Pline,  Pausanias  (2)  parlent  de 
ce  tombeau  d'Homère  dans  i'tle  d'Ios. 
Ce  dernier  aioute  qu'on  y  montrait 
aussi  celui  de  Clymène,  sa  mère,qui  était 
née  dans  cette  Ile.  Du  reste,  los  était 
aussi  du  nonâbre  des  sept  villes  qui  se 
disputaient  l'honneur  d'être  la  patrie 
d'Homère;  et  Aulu-Gelle  prétend  qu'A- 
ristote  a  écrit  qu'il  était  né  dans  l'Ile 
d'Ios  (3).  •  Quoi  qu'il  en  soit ,  dit  Tour- 
nefort, nous  cherchâmes  inutilement 
les  restes  de  ce  tombeau  autour  du  port; 
on  n'y  voit  qu'une  excellente  source 
d'eau  douce,  qui  bouillonne,  au  travers 
d'une  auce  de  marbre ,  à  un  pas  seule- 
ment de  reau  salée.  » 

(i)  Fie  <t Homère,  cfa.  34. 
(a)  Strab.,  X,  4*4;  Plin.,  IV,  a3,  a  ;  Pau- 
tto.,  X,  a4,  a. 

(3)  AuKGell.ylII,  ii. 


480 


L^UNIVERS. 


Pendant  roccupation  des  Cyelades 
par  les  Russes,  lors  de  la  goerre  de  1 770, 
un  officier  hollandais  au  service  de  la 
Russie,  ayant  eu  occasion  de  débarquer 
à  Nio,  y  fît  quelques  recherches ,  et  en 
rapporta  quelques  marbres.  Puis  toutes 
les  gazettes  du  tennips  annoncèrent  que  le 
comte  Pusch  van  Klrienen  avait  retrouvé 
le  tombeau  d'Homère.  Une  dissertation 
publiée  en  1 778  par  cet  officier  hollandais 
ne  put  persuader  les  savants  de  l'au- 
thenticité de  cette  découverte ,  qui  alla 
grossir  le  nombre,  déjà  bien  grand 
alors ,  des  bévues  ou  des  supercheries 
archéologiques  (1).  Mais  voici  une  tra- 
dition locale  sur  la  sépulture  d'Homère 
à  Nio ,  qui  vaut  presque  la  découverte 
des  débris  matériels  de  son  tombeau. 
Elle  a  été  recueillie  par  M.  de  Marc^l- 
lus ,  de  la  bouche  d'un  pilote  grec  qu'il 
fait  parler  en  ces  termes.  «  Vous  aper- 
cevez sans  doute,  seigneur,  là  bas,  à  ren- 
droit  où  le  rivage  de  Nio  paraît  s'avan- 
cer vers  nous,  un  petit  tertre  couvert 
d'arbrisseaux.  C'est  le  tombeau  d'une 
vieille  femme  qui  vivait  il  y  a  bien  long- 
temps ;  elle  avait  une  petite  maison,  loin 
du  village,  où  elle  s'était  retirée  avec  son 
fils.  Les  forbans  pénétrèrent  une  nuit 
dans  la  cabane;  ils  égorgèrent  la  mère, 
et  ils  crevèrent  les  yeux  du  fils.  Après 
leur  départ,  cet  homme,  malçré  sa 
cruelle  blessure,  eut  le  courage  d  enter- 
rer sa  mère  à  l'endroit  que  vous  voyez. 
Puis,  quittant  son  lie,  il  alla  mendier  par- 
tout l'Archipel.  Gomme  les  aveugles  ai- 
ment la  musique ,  il  apprit  à  jouer  du 
théorbe,  et  il  composa  des  chansons 

gu'il  répétait  dans  toutes  les  villes  de  la 
rrèce.  Ceux  qui  les  ont  entendues  di- 
sent qu'elles  sont  plus  belles  que  celles 
du  pauvre  Riga ,  et  PetraM  de  Lesbos 
n'est  si  fameux  aujourd'hui  que  parce 
qo^il  les  sait  et  les  chante  presque  tou- 
tes; cet  aveugle  devint  vieux,  et  cepen- 
dant il  chantait  encore.  Enfin  il  mourut; 
on  dit  qu'il  a  voulu  être  enseveli  là , 
près  de  sa  mère ,  dont  nous  venons  de 
dépasser  le  tombeau  (3).  » 

'(i)  Voyez  dans  les  Kleine  Schriften  de 
Wclcker  deux  articles  sur  cette  prétendue  dé- 
couverte :  Grab  und  ScliuU  Homers  in  Jos, 
twd  di9  Betrugereien  des  Grafen  Pusch  van 
Xrunen  ,  t.  III ,  p.  184. 

(a)  M.  de  Marcellus,  Souvenirs  de  tO- 
rient,  I,  p.  273. 


Comme  les  autres  Cydades,  Rio  ap> 
partint  successivement  aux  AtliénieBs, 
aux  sucoesseum  d'Alexandre ,  aux  Ro- 
mams  et  aux  empereurs  grecs.  Apres  b 
conquête  de  ConstantÎDople,  en  iset. 
Mare  Sanndo  la  réunit  à  son  duché  de 
Naxie.  Cette  He  n'en  fut  démemlirëe  que 
par  Jean  Crispo ,  douzième  due ,  qui  \i 
donna  au  prince  Marc,  son  frère.  Ce  prince 
fit  bâtir  un  château  fort ,  sur  la  hau- 
teur, à  deux  milles  au-dessus  du  port. 
{)our  prot^er  Nio  contre  les  pirates  et 
es  mahométans.  Puis,  voyant  que  lis 
terres  de  l'Ile,  quoique  natarelleineot 
fertiles ,  demeuraient  incultes  faute  d^ 
laboureurs,  il  y  attira  des  familles  al- 
banaises, qui  la  repeuplèrent.  Km  pa&a 
ensuite  entre  les  mains  de  la  famille  Pi- 
sani,  par  le  mariaj^e  d'Adrieiuie  Sanndo. 
fille  unique  du  pnnoe  Marc, avec  Louis 
Pisani ,  noble  vénitien.  Après  Texp^K 
tion  de  Barberoussedans  FArcbipel,  Nm 
se  soumit  aux  Ottomans,  1587.  En  \7v>'i 
ses  habitants  payèrent  2,000  écus  de  o- 

Eitation,  et  8,000  pour  la  tiiUe  réelie. 
l'excellence  de  ses  ports  en  fit  un  desren* 
dez-vous  des  corsaires  et  des  armateun 
chrétiens  :  aussi  les  Turcs  rappelaient- 
ils  la  Petite- Maite.  On  n'oubliera  jamais 
dans  Nio,  dit  Tournefort,  les  grandes 
actions  des  chevaliers  d'Hocquinooun 
et  de  f  émérieourt,  oui  firent  tant  df 
mal  aux  Turcs  dans  la  guerre  de  Can- 
die (1).  Le  célèbre  Tourvilie  fit  ses  piv- 
mières  armes  sous  les  auspices  du  cèe- 
valier  d'Hoequincourt.  Les  pilotes  de 
Nio  passaient,  avec  ceux  de  Uilo,  pour 
être  les  plus  habiles  de  tout  le  lievanL 
Choiseul-Gouffier  vante  les  moeurs  Imi- 
veillantes  et  hospitalières  des  habîuni^ 
de  Nio,  qui  aujourd'hui  encore  est  oif 
des  plus  jolies  et  des  plus  agréabto 
villes  de  la  province  grecque  des  Cf* 
clades. 

ÎLE  d'àmobgos. 

Cette  fie  a  été  appelée  sncoessîveoieat 
Hypéra,  Patagé  ou  Platagé,  Pankaift 
Psvchia,  Amorgos,  Morgo  ou  Mur^- 
Elle  est  située  au  nord-est  de  Nio,  sa 
sud-est  de  Naxos,  à  quarante  milles  es* 
viron  de  chacune  d'elles.  Da|)per  lui 
donne  quatre-vingts  milles  dedrcooft^ 
rence,  ce  qui  paratt  exagéré;  niais  i^ 

(i)  Voyez  le  P.  Sauger,  p.  «i6. 


LES  CTCLADES. 


481 


idffre  dd  trente-six  mfllee  d<miié  par 
rournefort  me  semble  à  son  toar  trop 

€dait(1). 

Cette  Ile  8*étend  en  longueur  dn  nord- 
!St  aa  sud-ouest;  elle  est  horriblement 
searpée  du  côté  du  sud-est;  à  l'ooei- 
lent  le  terrain  est  plus  bas  et  moins 
ocailleux  :  aussi  ce  canton  s*appelai^il 
latomérie.  Cest  de  ce  côté  que  sont  les 
bamps  cultivés.  Amorgos  est  assez  fer- 
l)e  en  huile ,  en  vin  et  en  blé  ;  on  y  pou- 
ait  subsister  facilement  :  c'est  pour 
ela  que  Tibère  y  envoya  en  exil  Vibius 
lerenus,  plutôt  qu'à  Gyaros.  Autrefois 
ItDorgosk possédait  trois  cités,  qui  sont 
lommées  par  Etienne  de  Byzance ,  sa- 
oir  :  Arc&ine,  Minoa,  i£giale,  toutes 
itoées  sur  le  rivage  occidental ,  dans  la 
^atomérie.  iSgiale  était  au  nord ,  près 
[u  port  appelé  aujourd'hui  oort  Sainte- 
iDne,  Minoa  au  centre,  au  tond  du  port 
/athy,  et  Arcésina  à  la  pointe  sud. 
Von  loin  d*iGgiale  s'élevait  un  temple 
le  Minerve  Poiiade ,  dont  on  a  retrouvé 
[oeiques  vestiges.  La  ville  actuelle  d'A- 
Rorgos  est  à  trois  milles  du  port  Vathy , 
tâtie  en  amphithéâtre,  autour  d'un  ro- 
iher  où  s'élevait  le  vieux  château  des 
lues  de  l'Archipel.  Sur  la  droite  du 
tort  on  voit  les  ruines  de  l'ancienne 
il!e  de  Minoa. 

Le  nom  de  cette  cité,  qui  paraît  avoir 
té  la  principale  de  l'île,  suffit,  à  dé- 
aut  de  témoignage  positif,  pour  nous 
apprendre  qu' Amorgos  fut  colonisée 
ar  les  Cretois.  Plus  tard  elle  reçut, 
ion  pas  directement  d'Athènes,  mais 
leNaxos,  une  colonie  ionienne.  Enfin, 
D  864,  des  Samiens  vinrent  s'y  établir, 
0U8  la  conduite  d'un  chef  appelé  Sim- 
)ias,  à  qui  Suidas  donne  la  qualification 
e  grammairien  (2).  Cest  assurément 
1  ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux  dans  cette 
idication  du  lexicographe.  11  est  à 
eine  fait  mention  d'Amorgos  dans 
histohre  ancienne.  Elle  partagea  le  sort 
ommun  à  toutes  les  autres  Cyclades , 
ans  qu'il  se  soit  conservé  à  son  sujet 
ucun  souvenir  particulier.  Ses  habi- 
mts  paraissent  avoir  été  adonnés  uni- 
oement  aux  arts,  aux  lettres  et  à  l'in- 

(i)  Dapper,  p.  1 84  ;  Tournef.,  I,  a34  ;  Le 
'.  Saugrr  dit  qti'elle  n'a  pas  plus  de  cia- 
[nante  milles  de  tour,  p.  I04« 

(3)  Raoul  Rochelle,  CqL  Grêcq^,  m,  i5r. 

3I«  lÀin-aison,  (Les  Cyclades.) 


dustrie.  I^es  médailles  d'Amorgos  sont 
empreintes  d'un  côté  de  la  tête  d'Apol- 
lon, de  l'autre  de  la  sphère  et  du  corn* 
pas.  Cette  Ile  fut  la  patrie  du  poète 
lambique  Simonide,  6  tC^v  2<£ii6u>v  ttoit)* 
tv[c ,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  le 
célèbre  Simonide  de  Céos,  que  Strabon 
appelle  6  MeXotcoi^c  (l).  C'était  à  Amor- 
gos oue  se  fabriquait  une  étoffe  qui  por« 
tait  le  nom  de  nie,  de  même  que  la 
couleur  rouge  dont  elle  était  teinte. 
Cette  couleur  était  probablement  tirée 
du  suc  d'une  espèce  de  lichen  très-com- 
mun sur  les  rocners  de  nie ,  et  qui  sert 
encore  au  même  usage  (2). 

Amorgos  fut  comprise  dans  le  duché 
desSanudo,  qui  la  munirent  d'une  bonne 
forteresse.  Quand  François  Crispo  eut 
traîtreusement  assassiné  Carcerio ,  les 
habitants  d'Amorgos  refusèrent  de  le 
reconnattre,  et  se  défendirent  dans  la 
citadelle  ;  mais  ils  furent  obligés  de  ca- 
pituler. Sous  les  Turcs  cette  tle  jouit 
d'une  grande  liberté;  elle  savait  bien  se 
défendre  contre  les  oirates ,  qui  redou- 
taient le  courage  et  la  hardiesse  de  ses 
habitants.  «  Ces  insulaires,  dit  le  P.  Sau- 
ger,  surpassent  les  Grecs  de  l'Archipel 
en  beaucoup  de  choses.  Us  sont  plus 
grands  de  corps,  plus  hardis  et  plus  cou- 
rageux.JIs  sont  extrêmement  unis,  bien 
différentsen  cela  des  autres  Grecs.  S'il 
survient  entre  eux  (]uelque  démêlé,  il  y  a 
dans  le  bourg  trois  vieillards  qui  sont 
comme  les  juges,  et  qui  terminent  sur-le- 
champ  tous  les  procès,  sans  que  personne 
ose  enappeler  à  un  autre  tribunal...  Il  y  a 
dans  Amorgos ,  dit-il  encore,  deux  cho« 
ses  curieuses  à  voir  :  la  première  est  le 
monastère  de  Notre-Dame,  la  seconde 
l'urne  de  saint  George ,  oui  n'est  guère 
moins  fameuse  dans  tout  l'Archipel  que 
l'image  de  Scbiro  (8).  »  Ces  deux  mer- 
veilles d'Amorgos  sont  longuement  dé- 
crites par  Tournefort  et  le  P.  Sauger,  (]ui 
les  ont  vues  dans  toute  leur  célébrité. 
Aujourd'hui  tout  cela  est  bien  déchu  : 
rtle  entière  n'a  plus  que  2,600  habitants 
et  est  devenue  inculte  et  déserte  dans  sa 
plus  grande  partie. 

(i)  Strab.,  X ,  éd.;  Tauchn.,  II,  SSg. 
(a)  Tournef.,  P^oy,  dans  le  Lev,^  I,  a33. 
(3)  Voyez  plus  haut,  p.  38 1  ;  cf.  P.  Sau- 
ger, p.  195,  et  Touroefbrt,  T,  a35. 


81 


4$) 


LUNIVEES. 


tLKD*ÀSTVPÂLlf8. 


Cette  île  est  située  au  sud-est  d'Amor* 
gos,  à  l'occident  deUle  dé  Gos,  dont  elle 
est  séparée  par  ua  bras  de  mer  de  sept 
lieues.  Strabon  la  place  à  huit  cents 
stades  de  Ghaloia,  et  Pline  à'cent  vingt- 
cinq  milles  de  Cadistus,  yiUê  de  Crète. 
Il  lui  donne  quatre-yingt-buit  milles  de 
circonférence.  Astypalft  se  compose  de 
deux  massifs  de  montagnes,  réunis  Ton 
à  l'autre  par  un  isthme  très«étroit,  qui 
à  Fendroit  où  il  Test  le  plus  n'a  que  cent 
soixante-trois  pas  de  largeur  (1).  La 
mer,  qui  vient  baigner  les  deux  côtés  de 
l'isthme,  forme  au  nord  et  an  sud  deux 
baies  profondes.  La  ville  est  située  dans 
QD  renfoncement  de  la  baie  du  sud ,  el 
voisine  de  la  portion  occidentale  de  l'île. 
Elle  a  conservé  son  ancien  nom  d'Aft- 
typalée,  que  les  navigateurs  italiens  ont 
transformé  en  celui  de  Stampalie.  Cette 
ville  est  surmontée  d'une  acropole  que 
couronne  un  château  du  moyen  Age.  On 
V  voitde  nombreuses  églises  etchapelles, 
a  la  construction  desauelles  on  a  em- 
ployé des  débris  d'édinces  anciens.  On 
y  trouve  beaucoup  de  fragments  anti- 
ques et  d'inscriptions  (2). 

Dès  les  premiers  temps  Astypalée  fut 
occupée  par  les  Phéniciens.  D'antiques 
traditions,  rapportées  par  Etienne  de 
Byzance,  font  d' Astypalée  la  fille  de 
Phénix,  fils  d'Agénor  et  frère  de  Cad- 
mus.  Astypalée  eut  de  Neptune  un  fils 
appelé  Ancée,  qui  devint  roi  des  Lélèges, 
et  gui  fonda  des  colonies  à  Samos  et  en 
Asie  Mineure (8).  Ainsi,  Astypalée  était 
un  des  anneaux  de  cette  chaîne  d'éta- 
blissements maritimes  jetés  par  les  Phé* 
nieiens  sur  la  Méditerranée,  depuis  Cy- 
pre  jusqu'à  Gadès. 

Plus  tard  les  Cariens  s'y  établirent  ;  et 
enfin  elle  reçut  une  colonie  dorienne  de 
Mégare.  Sous  ces  différentes  domina- 
tions, Astypalée  changea  plusieurs  fois 
de  nom;  elle  fut  appelée  tour  à  tour 
Pyrrha,  Pylaea,  et  la  Table  des  Dieux  ou 
OecûvTpiTCE^a,  parce  qu'elle  était  couverte 
de  fleurs,  dit  Etienne  de  Byzance.  Ëo 
effet,  cette  île  est  d'une  grande  fertilité. 

(i)  Kou,  Reii€n,y  H,  56. 
(a)  Boeckhy  Inscr,  Gracq,,  a4S3-a5oo. 
(3)  Paiisan.,  vn,  4,  i  ;  Roj§,  p.  58 ;  Raeid 
Rochelte,  Col.  Greeq.f  II,  ^57. 


Qb  y  iwifrit  d*MC»|leiiti  cbMns ,  et 
on  y  fait  une  péelie  oonsidémlile.  Les 
escargots  d'Astypalée  étaient  très-re- 
nommés chez  les  anciens.  On  s^en  ser- 
vait pour  les  maux  de  goig^,  les  mala- 
dies de  Testomac,  rbemoptysie  et  pour 
certaines  maladies  de  femmes  (1). 

Astvpalée  n'a  pas  d'histoire  partin- 
lière  dans  rantiouité.  £Ue  fut  la  patrie 
de  l'athlète  Cleomède.  «  Cétait,  dit 
Plutarque,  un  homme  d*une  tailk  et 
d'une  force  extraordinaires,  maia  sujet  à 
des  accès  de  démence  et  defîireur,  poh 
dant  lesquels  il  s'était  souvent  poité  à 
des  actes  de  violence.  Un  jonc  il  entra 
dans  une  école  d'enfants,  et  rompit  par 
le  milieu,  d'un  coup  de  poing,  la  co- 
lonne qui  soutenait  le  comble;  le  toit 
s'écroula,  et  tous  les  enfantsfurcDtéera- 
ses.  Cleomède  voyant  qu'on  courait 
après  lui,  se  jeta  dans  un  arand  caiïn 
qu'il  ferma ,  et  dont  il  tint  le  couvenlf 
si  fortement  que  plusieurs  personnes, 
en  réunissant  leurs  efforts,  ne  purem 
venir  à  bout  de  l'arracher.  li  £allut  Ui- 
ser  le  cofhre;  mais  on  n'y  trouva  point 
l'homme,  ni  mort  ni  vif.  L'étonnement 
fut  extrême,  et  l'on  envoya  consulter 
Forade  de  Delphes.  Voici  ce  aue  dit  la 
pythie  :  Cleomède  tTAstypaiée  est  U 
aernier  des  héros  (2).  »  On  loi  éleva  des 
autels.  Achille  recevaitaussi  à  As^palet 
des  honneurs  divins. 

Au  moyen  âge  Astypalée,  qui  avait 
été  ruinée  par  les  ravages  des  Tares,  fst 
restaurée  par  un  noble  vénitien ,  Jean 
Qoirini,  qui  s'y  établit  au  commence- 
ment du  quinzième  siècle  (8),  et  qé 
prit  le  titre  de  comte  d'AstypakSe,  eoaiei 
AsHneaSf  comme  le  porte  une  iaserip* 
tion  de  141 3,  qu'il  fit  graver  sur  la  mt^ 
pelle  de  son  château-fort.  Plus  tard  As- 
typalée fut  conquise  par  les  Tores.  Elle 
se  souleva  pendant  la  guerre  de  riodé- 
pendance;  mais  elle  fut  rendue  à  U 
Porte  par  la  conférence  de  Londres,  oui 
fixa  les  limites  du  royaame  gvee.  Elle 
£ait  partie  du  liva  de  Rhodes.  Cest  à 
Astypalée  (1828)  que  périt  rbéroiqot 
Bisson,  lieutenant  de  vaisseau  de  b 
marine  française.   Bisson    sTait  eu 


(1)  Win.,  Tin,  59,  %  ; 
tii  ;  43,  3. 

Îai  Plutarq.,  Rcrn^  aS. 
3)  Rots»  Inêêlr,^  p.  59. 


it,  t:  i5. 


LES  CrOUADES. 


'488 


'hsrgé  de  oamfnaader  m  petit  brick  eo- 
evé  aux  pirates  aae  poursuiTait  TeS" 
adre  de  Famiral  ae  Rigny.  H  fut  sur* 
iris  sur  ce  petit  bâtiinent ,  et  avec  six 
lomines  d'équipage  seulement,  dans  le 
H)rt  de  Blaltesaoa  à  Astypalée,  par  deux 
rattes  (longs  bateaux  ),  montés  chacun 
lar  une  cinquantaine  de  pirates.  Bisson, 
près  une  défense  désespérée ,  préféra 
e  faire  sapter  a?ec  son  navire ,  plutôt 
jue  de  tomber  aux  mains  de  ces  bri- 
jmùa  (1). 

Anapbé  fut  appelée  d'abord  Memblia-* 
os,  du  phénicien  Membliarès,  Fun  des 
»mpagDons  de  Gadmus  dans  »ea  voya- 
;es  entrepris  pour  rechercher  sa  sœur 
'.urope.  Anapné  fut  donc,  comme  tant 
l'autres  Iles  de  rArchipel ,  occupée  pri« 
oitivement  par  un  établissement  pné- 
licien.  Bochart  fait  même  dériver  ce 
lom  d'Ànaphé  d'un  mot  phénicien  oui 
ignifîe  ombragé,  obscur,  à  cause  âeu 
oréu  épaisses  et  touffues  qui,  au  té- 
nolgnage  d'Apollonius,  couvraient  alors 
ette  île,  aujourd'hui  toute  pelée.  Ce- 
tendant  les  Grecs  revendiquent  pour 
Bur  langue  l'étvmologie  de  oe  nom, 
t  prétendent  qur  Anapbé  vient  d'ivoupat- 
E(v ,  comme  Délos  de  ^Xoîiv ,  parce  que 
ette  Ile  s'était  un  jour  subitement  mon- 
rée,  s'élevant  du  fond  delà  mer.  De 
os  jours  cette  Ile  s'appelle  indistincte- 
aent  Nanfio ,  on  Anaphi.  Elle  est  située 
Dtre  Astypalée  et  Tnéra,  mais  beau- 
oup  plus  rapprochée  de  cette  dernière. 
Test  une  des  plus  petites  Cyclades  ;  elle 
l'a  que  dix-huit  milles  de  tour.  Elle  est 
ans  port  ;  mais  elle  a  des  sources  abon- 
antes,  qui  pourraient  la  féconder  si  elles 
talent  employées  utilement.  Comme  Dé- 
)s,  Anapné  était  consacrée  à  Apollon, 
ui  y  avait  un  temple,  dont  les  restes 
obsistent  encore.  «  Du  côté  de  la  ma- 
ine,  vers  le  sud,  en  allant  à  la  cha- 
>elle  de  Notre-Dame  du  Roseau ,  on 
oit  sur  un  petit  tertre  les  ruines  du 
emple  d'Apollon  iSglète,  ou  brillant 
e  lumière.  Strabon ,  qui  parle  de  ce 
emple,  ne  dit  pas  à  quelle  occasion  il  fut 
•âti;  c'est  Gonon  de  qui  nous  l'appre- 
M)ns  :  suivant  oet  auteur ,  U  flotte  de 

(i)  L'ahbé  Pèguei,  Btêtaire  de  [Santorin, 
».  635. 


Jason  revenant  de  la  Colchide  fut  bat- 
tue d'une  si  furieuse  tempête ,  qu^on 
eut  recours  aux  prières  et  aux  vœux. 
Apollon  vint  de  fort  bonne  çrâce  au  se 
cours  de  tant  de  héros;  la  foudre,  qui 
tomba  du  ciel ,  fit  sortir  du  fond  de  la 
mer  une  île  pour  les  recevoir.'  On  y 
dressa  un  autel  à  Apollon,  sauveur  des 
Argonautes  ;  ce  dieu  fut  remercié  parmi 
les  verres  et  les  pots  ;  Médée  et  les  aames 
de  sa  cour  firent  les  honneurs  de  la 
fête  ;  le  vin  et  la  joie  leur  inspirèrent 
de.belles  saillies,  «  et  surtout,  dit  Conon, 
on  ne  manqua  pas  de  railler  les  héros , 
sans  doute  sur  la  peur  qu'ils  n'avoieot 

Su  cacher  dans  la  tempête.  Les  héros 
e  leur  côté  n'étoient  nas  muets.  Toute 
la  nuit  se  passa  en  railleries  piquantes. 
Je  ne  sais  qui  laissa  par  écrit  cette  his- 
toire dans  Anapbé.  Mais  Conon  assure 
gu'après  que  .cette  île  fut  peuplée,  les 
abitants  en  célébrèrent  tous  les  ;ans 
l'anniversaire;  on  y  sacrifioit  à  Apollon  : 
le  vin  n*y  étoit  pas  épargné,  et,  sui- 
vant l'esprit  de  l'mstitution,  les  plaisan^ 
teries  n'y  étoient  pas  npn  plus  oubliées  ; 
les  Grecs  sont  aomirables  pour  s'escrit 
mer  à  ces  jeux  d'esprit.  Les  ruines  de  cq 
temple  consistent  en  quelques  mor- 
ceaux de  colonnes  de  marbre  qui  en  indi- 
quent la  situation  ;  on  y  voit  une  belle  ar-» 
chitrave  de  même  pierre,  sur  laquelle  ily 
a  eu  une  inscription  fort  longue;  maip 
elle  est  si  usée,  qu'à  peine  connoit-on 
qu'il  y  ait  eu  des  caractères  sur  ce  mar** 
bre.  On  a  bâti  à  quelques  pas  de  là  une 
chapelle  des  débris  du  temple;  la  car- 
rière de  marbre  en  est  tout  proche ,  du 
côté  de  la  mer,  au  pied  d'une  des  plus 
effroyables  roches  qui  soit  au  mondé , 
et  sous  laquelle  est  bâtie  la  chapelle  de 
la  Vierge.  On  voit  aussi  dans  ce  quartier 
les  ruines  d'un  bel  édifice  de  marbre  « 
qui  ne  paroît  pas  de  la  première  anti- 
quité, mais  du  temps  des  ducs  de 
Naxie  (1).  » 

Nanfio  est  en  effet  une  des  îles  qui 
firent  partie  du  duché  de  TArchipel. 
Jacques  Crispo,  douzième  duc,  la  donna 
en  apanage  à  son  frère  Guillaume,  qui  y 
fit  bâtir  la  fDrteresse  qu'on  voit  sur  le 
rocher  qui  domii^  le  bourg.  Après  la 
mort  du  petit  duc   Jean-Jaoqu^  »  soq 

(i)  Toumefort,  f^oyttge  du  Levant,  I» 
p.  276, 

81 


484 


LtJNIVERS. 


neveu  Guillaume  devint  duc  de  Naxie. 
Sa  fille  unique,  Florence  Grispo ,  resta 
dame  de  Nanflo ,  et  111e  ne  fut  réunie  au 
duché  qu'après  sa  mort. 

Sous  les  Tares  les  Nanfiotes  payaient 
en  1700  cinq  cents  écus  pour  toutes 
sortes  de  droits.  Population  pauvre  et 
paresseuse,  tout  leur  négoce  consistait 
en  oignons,  en  dre  et  en  miel.  Ils  culti- 
Taieot  assez  de  vignes  et  de  blé  pour 
leur  consommation.  Mais  presque  par- 
tout on  ne  yoit  que  des  chardons  et 
des  épines,  sur  une  terre  excellente  de 
sa  nature.  On  prétend  que  cette  terre 
est  mortelle  aux  reptiles.  Pour  du  bois, 
dit  Tournefort,  je  ne  crois  pas  qu'il  y 
en  ait  assez  pour  faire  rôtir  les  per« 
drix  que  l'on  y  pourrait  manger.  On  en 
détruit  les  œms  au  printemps  pour 
préserver  la  moisson.  Malgré  cette  pré* 
caution ,  ces  oiseaux  y  sont  en  prodi- 
gieuse quantité.  La  race  en  est  ancienne. 
Elles  sont  venues  d'Astypalée.  S'il  faut 
en  croire  Athénée ,  un  habitant  de'^cette 
tle  n'en  porta  au'un  couple  à  Anaphé  ; 
mais  il  multiplia  si  fort  que  les  habi- 
tants faillirent  en  être  chassés.  C'est  de- 
puis ce  temps-là  peut-être  qu'ils  se  sont 
avisés  d'en  casser  les  œufs.  Au  temps 
de  la  guerre  de  l'indépendance  les  insu- 
laires d'Anaphé  armèrent  leurs  caïques, 
et  combattirent  bravement  contre  les 
Tares.  Cette  tle  fait  aujourd'hui  partie 
du  royaume  de  Grèce,  dont  elle  est  un 
des  points  les  plus  éloignés. 

Ilb  db  thbba  ou  santobin  (1). 

«  Le  premier  aspect  de  cette  Ile  de 
Santorin  est  efn'a]^ant.  Vous  êtes  au  cen- 
tre du  vaste  cratère  d'un  volcan,  dont 
la  mer  a  ébréché  les  bords  par  intervalles 
pour  se  précipiter  dans  cet  abîme  sans 
lond.  Autour  Je  vous  s'élève  une  noire 
couronne  de  falaises  escarpées ,  entière- 

(i)  Tonlela  partie  descriptive  de  cet  ar« 
tide  sur  Santorin  est  empruntée  aux  Prafr» 
nunts  £un  Voyage  dans  t Archipel,  publiés 

J^ar  mon  confrère  et  ami ,  M.  Ch.  Benoit,  dans 
es  Archive*  des  Missions  Scientifiques,  novem- 
bre i85o.  Yoyez  pour  Thistotre  et  la  stalis- 
tique  de  Santorin  :  Tabbé  Pègue*,  Histoire 
€t  phénomènes  du  Folean  et  des  Hes  voictt' 
niaues  de  Santorin,  in-S®,  1B41;  De  Ci* 
gaila,  Ttvixifj  9TaTtawxi?i  'rilc  vVj^ou  6ifip«c, 
în-S*. 'Ev   *£p(iLov7coXei  y  i85o. 


ment  rompues  en  trois  èndrnts, 
forment  la  ciroonférenoe  de  ce  cratm 
immense,  d'une  lieue  et  demie  ao  moins 
de  diamètre.  Et  au  milieu  de  ce  lac  in- 
fernal s'entassent  en  désordre  quelqiKs 
montagnes  de  lave,  un  pâe-mele  de  ro- 
ches de  basalte  et  de  trachyte,  que  la 
derniers  efforts  du  volcan  ont  soulem 
au-dessus  des  eaux,  et  qui  sont  comme 
les  soupiraux  encore  mal  éteints  de  la 
fournaise. 

«  Cette  île,  ainsi  déchirée,  fut  pourtao) 
dans  les  temps  les  plus  anciens  appelée 
ia.  Belle  (KaXÀ((rr7))  ;  on  la  nommait  aussi 
l'île  Ronde  (StpoyyuXuJ),  ce  <{ui  ferait 
croire  que  la  catastrophe  qui  la  brisa 
ainsi  en  plusieurs  flots,  et  en  abîma  le 
centre  sous  les  eaux,  fut  postérieure  i 
rétablissement  des  premières  colonia 
phéniciennes.  A  quelque  .époque,  du 
reste,  <|uesoit  arrivée  cette  première 
révolution,  il  est  facile  aujoùrdliui, 
à  la  Tue  des  flancs  déchira  de  ces  6- 
laises^de  retrouver  toute  l'histoire  de 
cette  île  volcanique  dans  ces  anctees 
figes  mêmes  dont  les  hommes  n'ont 
conservé  aucun  souvenir. 

«  A  une  époque  antérieure  à  toute  his^ 
toire,  alors  que  brûlait  dans  toute  son 
activité  cette  grande  chaîne  de  volcans, 
qui  depuis  l'Auvergne  et  le  Yivaraissi 
prolonge  le  long  des  Apennins  à  trafers 
toute  1  Europe  méridionale  et  la  Médi- 
terranée, et  dont  les  îles  de  Mik>  et  de 
Santorin  furent  sans  doute  le  dernier 
enfantement,  un  cratère,  s'âevantda 
fond  de  la  mer  au  centre  même  de  ee 
grand  bassin  que  forment  aujourdlni 
les  îles  de  Théra  et  de  Thérasta ,  éeiaâ 
au-dessus  des  eaux,  et  commença  sa  li- 
che  infernale.  Il  vomit  d'abord  des  mas- 
ses considérables  de  laves  et  de  cendres, 
dont  les  couches ,  en  se  répandant  au- 
tour de  sa  bouche,  se  superposaient  ré- 
gulièrement les  unes  sur  les  autres,  et 
fi  forma  ainsi  une  grande  île  circulaire, 
dont  la  périphérie  s'élevait  par  une  peste 
douce  au-dessus  de  ia  mer,  et  montait 
vers  le  cratère  en  formant  une  sorte  de 
dôme  d'au  moins  700  mètres  de  baot 
Le  dernier  effort  do  Titan  fat  der^ 
jeter  une  pluie  monstmeose  de  eeadm 
et  de  pierres  ponces,  qui  recouvrit  loat» 
la  surface  de  nie  d'une  couche  blsn- 
châtre^  dont  l'épaissevr  varie  de  7  à  is 
mètres  environ.  Alors  le  travail  de  ia 


LES  CYCLADES. 


485 


sréation  fat  aeheTé  :  le  volcan  put  ren- 
trer dans  son  repos.  Il  suffisait  désor- 
nais  de  Fair  et  de  la  pluie  du  ciel  pour 
aire  de  ces  débris  yolcaniques  une. terre 
«rtile ,  propre  à  recevoir  les  hommes 
!t  à  subir  la  cotture. 

«  C'est  alors  que  le  Phénicien  Gadmus, 
[oi  courait  les  mers  à  la  recherche  d*Eu- 
ope,  sa  soeur,  charmé  par  la  beauté  de 
ette  fie ,  y  fonda  une  première  ville, 
ont  il  laissa  le  gouvernement  à  M em- 
»liarès,  son  parent,  pour  poursuivre  sa 
oute  vers  la  BéoticMaiscedôme  volcani- 
|ue  était  miné.  Voilà  que  tout  d'un  coup 
i  cratère  même  s'effondre,  entraînant 
vec  lui  dans  l'abtme  tout  le  centre  de 
Ile,  et  ne  laissant  plus  que  des  rebords 
brèches,  tds  qu'on  les  voit  encore  au- 
)urd'hui.  Du  coté  de  l'orient ,  et  sur  les 
ieax  tiers  presque  de  la  circonférence , 
étendrtle  prinetpaledeThéra,  qui  forme 
omme  un  grand  croissant;  au  nord- 
uest  est  nie  deThérasia  ;  au  sud-ouest, 
t  entre  les  deux,  la  petite  lie  d'Aspro- 
lisi.  Au  milieu  de  ces  débris  de  l'an- 
ienne  Galliste,  la  mer  forme  depuis  ce 
empsuD  vaste  canal,  large  de  plus  d'une 
ieue,  oui  se  dirige  du  nord  au  sud-ouest 
ntre  d'affireux  escarpements,  et  semé 
eulement  au  centre  de  quelques  noirs 
lots  d'une  époque  postérieure. 

«  Je  ne  fais  point  là  une  téméraire 
ODjecture  sur  les  anciennes  révolutions 
e  cette  île  :  on  y  retrouve  en  efifet  les 
races  encore  toutes  fraîches  de  sa  ter- 
ibie  histoire,  telles  au'on  les  aurait  pu 
oir  au  lendemain  de  la  catastrophe, 
lue  du  centre  de  ce  bassin  on  regarde 
vec  attention  de  part  et  d'autre  cette 
^échirure  circulaire,  ces  falaises  de 
'héra,  de  Thérasia  et  d'Aspronisi,  qui 
e  dressent  perpendiculairement  à  plus 
e  200  mètres  encore  au-dessus  du  gouf- 
re,  et  Ton  reconnaîtra  des  deux  côtés 
ans  les  flancs  déchirés  de  ces  îles  une 
Qtière  symétrie  de  couches  horizontales 
J  diverses  couleurs,  rouges,  grises,  ver- 
atres,  noires,  jaunâtres  et  blanches, 
|ui  se  correspondent  à  une  même  hau- 
'Ur  et  dans  un  ordre  semblable.  On 
'6  peut  douter  en  voyant  ainsi  à  nu  ces 
Ratifications  routières,  qu'elles  n'aient 
>rmé  une  seule  lie  dans  Forigine. —  Les 
derniers  habitants  avaient  sans  doute 
èri  dans  cette  épouvantable  ruine.  Une 
^nde  colonie,  860  ans  environ  après 


la  première,  vint  de  Lacédémone  s'éta- 
blir à  son  tour  dans  cette  tle,  sous  la 
conduite  de  Tbéras ,  un  descendant  de 
Cadmus.  Tbéras,  après  avoir  régné  à 
Sparte  au  nom  des  enfants  de  sa  sœur, 
dont  il  était  le  tuteur,  quand  il  fallut 
leur  remettre  la  royauté,  quitta  le  pays, 
et,  à  la  tête  de  quelq^ues  aventuriers  de 
Sparte  et  des  exilés  minyens  depuis  long- 
temps déjà  établis  en  Laoonie ,  il  alfa 
chercher  fortune  ailleurs.  Il  s'arrêta 
dans  l'île  de  Galliste,  bien  déchue  alors 
de  sa  première  beauté ,  et  y  bâtit  une 
ville,  à  laquelle  il  donna  son  nom.  Gal- 
liste s'appela  désormais  Théra  (dijpa),  ou 
le  Monstre  sauvage^  nom  qui  lui  conve- 
nait bien  mieux  depuis  sa  dernière  catas 
tropbe,  et  qu'elle  conserva  jusqu'à  la  fin 
du  troisième  siècle.  Gar  c'est  seulement 
alors  que  l'Ile,  devenue  chrétienne,  prit 
le  nom  de  Sainte- Irène ^  sa  patronne, 
lequel,  en  se  corrompant,  est  devenu 
plus  tard  Sanforîn. 

«  Mais  depuis  la  résurrection  de  la 
Grèce,  l'administration  s'est  montrée 
justement  jalouse  de  restituer  aux  villes 
relevées  leurs  anciens  noms.  Quand  on 
a  en  effet  une  telle  histohre ,  on  ne  sau- 
rait trop  faire  pour  en  ranimer  et  en  con- 
sacrer les  flrands  souvenirs.  C'est  ainsi 
qu'on  a  relevé  une  ville  de  Sparte  an 
pied  du  Taygète;  et  qu'on  en  a  fait  le 
chef-lieu  de  la  nomarchie  de  la  Laconie, 
afin  qu'un  tel  nom  ne  disparût  pas  de 
la  carte  de  la  Grèce.  Pareillement,  comme 
on  ne  pouvait  changer  le  nom  de  San- 
torin ,  on  rendit  du  moins  à   la  ville 

Çrincipnle  de  l'île  son  nom  antique  de 
hira,  ou  Phira  {^^)  avec  l'altération 
éolienne. 

«  Gette  ville  est  située  an  centre  in- 
térieur du  croissant,  au  bord  de  la  fa- 
laise, où  elle  se  tient  suspendue  comme 
des  nids  d'hirondelles  au  sommet  d'un  . 
mur.  De  petites  maisons  blanches ,  et 
bâties  en  dômes  ou  en  terrasses ,  sem*- 
bJent  se  soutenir  en  étaee  les  unes  snr 
les  autres,  et  en  s'accrochant  aux  moin- 
dres saillies  des  rochers,  courent  le 
long  de  la  crête  avec  une  effrayante  har- 
diesse. On  dirait  que  la  ville,  en  se  pres- 
sant au  bord  de  rabUne,  craint  de  riea 
dérober  à  la  culture  de  ces  champs  d'ime 
merveilleuse  fertilité,  qui  du  bord  éé  la 
falaise  descendent  en  pente  donoe  du 
cdté  de  l'orient  jusqu'à  la  mer^ 


486 


L^UNIVERS. 


a  Les  bâtiments  ne  peurent  mouiller 
au  pied  de  cette  falaise,  que  couromie 
Phira;  car  à  quelques  pieds  du  roc  où 
Ton  débarque  commence  une  mer  sans 
fond.  On  n7  arrive  qu'en  canot  Aubâsde 
ce  mur  de  rochers  onne  trouve  qu'un  quai 
étroit  de  béton  rompu  par  la  lame ,  qui 
y  déferle  toujours  avec  violence,  et  quel- 
ques huttes  voûtées  en  forme  de  tom- 
beaux qui  s'enfoncent  autant  que  pos- 
sible  sous  lés  excavations  de  la  monta- 

fne,  pour  s'abriter  contre  les  avalanches 
e  roches  qUe  les  orages  détachent  par- 
fois de  la  couche  bidîme  de  cendres  où 
éles  étaient  enchâssées.  Une  rampe 
étroite,  taillée  dans  le  flanc  vertical  de 
la  falaise,  grimpe  en  zigzag  jusqu'à  la 
vUle.  De  là,  quand  le  temps  est  somhre 
et  que  le  vent  du  sud-ouest  soulève  dans 
Tabîme  sur  lequel  on  est  suspendu  des 
vagues  noires  et  bordées  d'écume,  c'est 
un  spectacle  à  donne):  le  vertige.  Assu- 
xément  il  V  a  dû  avoir  en  tout  temps  de 
terribles  légendes  sur  les  divinités  sou- 
terraines de  ces  lieux. 

«  Lesécueils  vomis  du  fond  du  gouffre 
où  s'était  jadys  abîmé  le  centre  de  l'Ile , 
dans  les  convulsions  postérieures  du 
volcan,  sont  de  différentes  époques,  re- 
lativement fort  récentes.  La  dernière 
même  de  ces  petites  tles ,  et  de  beau- 
coup la  plus  considérable,  n'a  commencé 
à  apparaître  qu'en  1707  :  on  la  nomme  I9 
Nouvelle  ou  encore  la  Grande  Ile  brûlée 
(Nia  ou  MefiX?)  E(xu(&£vt));  elle  est  au 
milieu  du  groupe.  Au  sud-ouest  de  celle- 
là  s'étend  la  Vieille  Ue  brûlée  (UâXa/a 
£au(iiv7}},  dont  l'origine  remonte  au  se- 
cond siècle  avant  l'ère  chrétienne.  Enfin 
la  Petite  Ile  brûlée  (Mixp^  Kau^v?]},  si- 
tuée au  nord-est  de  la  grande ,  date  du 
oommenoement  de  l'empire  romain.  Les 
catastrophes  qui  ont  accompagné  la  for- 
mation de  ces  écueils  sont  nettement 
déerites  dans  les  histoires  contempo- 
«ttinecu 

«  Strabon  mentionne  l'éruption  de 
la  PokMrCalmenit  qu'on  s'accorde  à 
fixer  à  l'année  où  Philippe  III,  roi  de 
Maeédoine,  entamait  avec  Rome  des  né- 
Coeiatioiis  pour  la  paix  (01.  cxly,  4;  197 
av.  J.GO*  «  Entre  Théra  et  Thérasia., 
dit-îl,  des  flammes  commencèrent  pen- 
dant quatre  jours  à  jaillir  du  fond  de 
l'abtme  :  toute  la  mer  était  en  fieu.  Au 
milieu  de  cet  embrasem^t,  une  île  for- 


mée de  blocs  de  lave  montait  bm  à  peo, 
comme  soulevée  par  une  macbliM  :  €àt 
avait  douze  stades  é»  dreoit.  Quand 
cet  enfjamtement  terrible  eut  eessé,  les 
Rhodiens,  les  premiers,  qui  étiientatos 
les  maîtres  de  la  mer,  (tôrentappiodxr 
de  ce  nouvel  écueil  et  y  élever  une  cha- 

«ûXt^FosMon  Jsphaleioê  >.  »  Cette 
e  fut  nommée  FUe  Sainte^  Icpd^  à  came 
de  sa  mystérieuse  origine.  J'y  dierehab 
inutilement  quelques  vestiges  du  temi 
élevé  par  les  Rhodiens,  jene  trouvaÉsi 
(à  la  même  place  sans  doute)  qv 
misérable  cnaoelle   de  Saint-Nieolai, 
qui  sert  actuellement  de  Quarantaine. 
«  Deux  siècles  et]  demi  plus  tard  (46 
ap.  J.  G.) ,  sous  le  règne  de  Claude,  uœ 
second  île  de  traehyte ,  la  âUera  Cof* 
meni,  dans  une  nouveUe  ooùYukiOQ  da 
volcan,  monte  à  son  tour  sur  la  oMf  à 
deux  mille  mètres  envlrou  au  nord-eft 
de  la  première;  on  Fa  nommée  VUe  De- 
vine (6e(a).  Dans  les  temps  qui  suivi- 
rent ,  le  volcan  continua  à  aàter  IHe 
entière,  tantdt  soulevant  gueiqoe  noa- 
velle  montagne  de  lavé,  qui  s'ajouta  aai 
écueils  déjà  termes,  tantôt  abtmam  dans 
la  me(  des  plages  de  l'île  jad»  bâties, 
maintenant  submergées.  Mais  ces  moa- 
vements  n'ont  laisse  dans  les  sumpums 
que  des  traces  obscures.  Seulement,  on 
sait  ^ue  sous  le  règne  de  Léon  risaurieo, 
en  726,  la  plus  ancienne  des  dentles, 
rHiéra,reçutdenotables  accroissenents, 
encore  reconnaissables  aujovard^hui  : 
c'est  un  énorme  cône  formé  de  bloes  de 
traehyte,  quis^élèveau  nord-est  de  lHot 
Dés  lors  le  Titan  s'est-il  rendormi,  pour 
ne  se  phis  réveiller  que  sept  cents  ans 
plus  tard?  ou  y  eut-il  dans  eet  inter- 
valle mal  connu  de  nouvelles  secousses? 
On  ne  sait.  Jusqu'au  milieu  du  quin- 
zième siècle,  on  n^en  trouve  plus  sueuae 
mention  dans  l'histoire. 

ft  Mais  de  ce  moment  les  phénoBoè- 
nes  volcaniques  se  midtiplieat  autour 
de  Santorin.  Cest,  en  1457  (3S  nov.) 
un  tremblement  de  terre  qui  agite  Tune 
des  Caîmènes,  la  soulève  eaeore  au- 
dessus  de  la  mer,  et  en  détache  d'éDor* 
mes  blocs,  qui  retombent  dans  raiMme; 
c'est,  en  1570,  un  abaissement  sMl  de 
la  côle  méridionale  de  Itle,  qui 
les  ruines  d'£leusis;  c'est,  en  1879) 

(i) Strabon,!,  8, p. 91. 


LES  CnrCXiAOES. 


48r 


joorte  éruptioD  ooi  agrandit  le  eône  de 
oalèTementqtie  Pon  voit  encore  au  sud 
e  la  Micra  CcAmeni. 
<  Maisles  deox  plus  mémorables  érup^ 
ions  des  temps  modernes  sont  celles 
e  1650  et  de  1707.  Dans  la  première , 
n  eât  dit  que  le  volcan  cherchait  às'ou* 
rir  un  cratère  loin  de  son  foyer  ordi- 
aire.  Après  plusieurs  jours  de  trem- 
lements  de  terre  (16  sept.))  on  ?it  en 
ebors  du  golfe,  entre  le  capGoloumbos, 
itué  an  nord-est  de  Hle  de  Nio  et  d'A* 
lorgopoulo,  monter  à  la  surface  de  la 
ler  an  flot  nouveau,  formé  de  ponces 
mtes  blanches.  Ce  laborieux  soulève- 
leot  fat  suivi  longtemps  encore  de  se* 
oosses  violentes,  d^explosions  de  flam- 
les,  de  tempêtes.  La  mer  envahit  avec 
ireur  les  piages  basses  situées  à  l'est 
e  Santorin,  et  y  dispersa  entièrement 
s  ruines  antiques  de  Périssa  et  de  Ca* 
larl,  qu'on  n'avait  pas  encore  reconnues. 
*^ofîo,  après  quelques  mois,  ces  convul- 
ions  s'apaisèrent;  mais  Ttle  nouvelle 
Tait  disparu,  ne  laissant  d'autres  tra- 
es  qu'une  immense  quantité  de  ponces^ 
ue  les  vents  balayèrent  par  tout  i'Ar* 
hipel.  Le  Titan,  après  cet  avortement, 
e  reposa  encore  pour  un  demi-siècle  ; 
lais  ce  fut  pour  édater  bientât  plus 
Brrible  et  plus  puissant  que  jamais. 
A  23  màll707,  unnouveau  cratère  s'ou* 
rant  soudain  sur  la  mer,  vis-à  vis  du 
ratère  éteint  de  la  Micra  Cctlmeni^ 
s  mit  pendant  un  an  à  vomir  sans  re- 
Icbe  des  torrents  de  fîimée,  de  flam- 
165,  de  cendres,  de  pierres  rouges,  qui 
{tombaient  dans  la  mer  à  plus  d'une 
emi-lieue  de  là.  Llle  entière  de  San- 
)nn  chancelait  dans  ses  fondements  ; 
I  terre  tremblait  avec  d'effrayantes  dé- 
vastions; la  mer  était  furieuse:  c'était 
ne  scène  de  la  fin  du  monde  :  on  mou- 
lit  de  frayeur.  Cela  dura  un  an:  à  par<> 
r  de  l'année  suivante,  les  explosions 
^vinrent  plus  rares.  Une  dernière  érup- 
on  éclata  encore,  le  14  septembre  1711  ; 
ais  c'était  le  suprême  enort  de  cet  en- 
ntement  volcanique.  Une  nouvelle  tle 
î  laves  plus  considérable  oue  toutes 
s  autres ,  venait  de  sortir  de  la  mer, 
ute  ftimante  encore.  C'était  la  MegaU 
2imeni.  On  constata,  après  l'éruption, 
le  llle  entière  de  Santorin  s'était 
hissée;  maisles  falaises  surtout  nta 
squelies  la  ville  de  Phiia  est  bâtie 


descendirent  de  plusieurs  mètres,  comme 
l'attestent  encore  des  réduits  qu'on 
avait  creusés  dans  |le  tuf  à  cinq  ou  six 
pieds  au-dessus  du  niveau  de  l'eau,  pour 
servir  de  magasins ,  lesquels ,  à  aemi 
noyés  aulourdliai,  ne  servent  plus  qu'à 
remiser  fes  barques  des  pêcheurs.  On  a 
aussi  remarqué  que  depuis  cette  épo- 
que rtle  de  Milo,  si  fertile  encore  et  si 
populeuse  au  temps  où  Toumefort  la 
visitaft ,  commença  à  être  empoisonnée 
par  ces  vapeurs  sulfureuses  qui  en  ren- 
dent aujourd'hui  le  dlmat  malsain  et  le 
sol  ingrat. 

«  Maintenant  le  volcan  semble  éteint 
sous  les  fournaises  des  îles  brûlées.  Peu^ 
être  cependant  ne  fait-il  que  sommeiller 
encore.  Peut-être  ces  ddmes  de  noir  ba- 
salte s'entr'ouvriront-ils  pour  desérup* 
tiens  nouvelles  .'On  peut-être est-oequel- 

Î|ue  nouvel  (îlot  qui  viendra  édater  sur 
a  mer.  Au-devant  de  la  Petite  Cafmeni, 
les  pêcheurs  ont  observé  un  plateau  de 
rochers^  encore  noyé  sous  les  eaux,  qui 
monte  d'année  en  année.  La  sonde  don- 
nait encore  trente  mètres  pour  le  point 
le  plus  élevé  de  cet  écueil,  au  commence- 
ment du  siècle  :  le  sommet  n'était  plus 
qu'à  huit  mètres  de  profondeur  en  1880, 

3u'à  cinq  mètres  en  18ft4. 11  semble  que 
epuis  ce  temps  le  soulèvement  se  soit 
ralenti.  On  remarque  aussi,  au  sud-est 
de  la  Megali  CaXmeni^  une  grande  ta- 
che jaunâtre  qui  se  prolonge  au  loin  sur 
le  sombre  axur  de  la  mer;  c'est  une 
source  d'eau  ferrugineuse  trèa-puissante, 

2  ni  Jouit  d'une  propriété  shaguiière.  Tout 
âtiment  qui  vient  mouiller  pendant 
quelques  jours  dans  ces  eaux,  en  sort 
tont  brillant,  avec  son  doublage  entiè- 
rement nettoyé  de  la  rouille  qm  le  salis- 
sait. On  dit  aussi,  dans  le  pays,  que 
cette  source  est  comme  Tévent  ou  la 
soupape  de  sûreté  du  volcan,  et  mie 
toutes  les  fois  que  la  tache  jaune  ois- 
paralt  sur  la  mer ,  il  faut  /attendre  à 
quelque  tremblement  de  terre.  » 

Si  l'on  détourne  son  re^rd  du  spec- 
tacle sublime  et  horrible  àia  fois!  c|irof- 
fire  le  golfe  de  Santorin,  pour  le  diriger 
vers  la  surface  même  de  llle,  cette  nou- 
velle perspective  forme  avec  l'autre  un 
contraste  extraordinahre ,  qui  produit  la 

Ïdus  agréable  surprise.  La  vue,  récréée  à 
'instant ,  s'élance  avec  plaisir  sur  les 
champs  de  vignes  qui  se  développent 


48S 


L'UMVEIIS. 


en  pente  douce,  pendant  Tespaee  de  plu- 
sieurs milles,  depuis  lesborqs  du  préci- 
pice, que  Ton  contemple  d*uu  cAte  avec 
effroi,  jusqu*d  l'autre  rivage,  aue  borde 
une  mer  parsemée  d'îles  nriiiantes,  et 
sur  laquelle  l'œil  se  repose  dans  une 
douce  contemplation.  Mais  c'est  surtout 
du  mont  Saint-Élie,  au  sud  de  Ttle,  que 
le  point  de  vue  est  le  plus  magnifique. 
Cette  montagne  a  environ  sept  cents 
mètres  de  hauteur.  A  l'extrémité  de  sa 
croupe,  le  Saint-Élie  se  divise  pour  proje- 
ter à  l'est  le  promontoire  Saint-Ëtienne, 
et  au  sud-ouest  celui  d'Exomytis.  Entre 
le  cap  Saint-Ëtienne  et  le  mont  Saint- 
Élie  est  le  Messavouno,  sur  lequel  se 
trouvent  les  ruines  deTancienne  cité  de 
Théra.  A  l'ouest  s'élance  le  mont  Acro- 
tiri;  au  nord  s'élèvent  les  monts  Méro- 
TÎgli  et  Kokkino-Vouno.  Ces  montagnes 
dominent  quatre  belles  et  fertiles  plai- 
nes, couvertes  de  vignobles,  que  Ton 
appelle  la  plaine  de  Messa,  celle  de  Mé- 

SaloohiNrio,  celle  d'Emporion,  et  celle 
'Êpanomérie. 

Lia  terre  de  Santorin  est  d'une  nature 
toute  particulière  :  «  Presque  partout 
Je  sol  est  formé  d'un  tuf  épais  de  {ponces 
assez  dur  à  entamer.  On  croirait  d'a- 
bord que  cette  terre  ne  saurait  jamais 
rien  produire  ;  mais  quand  on  Fa  péni- 
blement défrichée,  elle  devient  cen- 
dreuse, légère  et  excellente  pour  la  vi- 
gne. C'est  que  ces  pierres  spongieuses 
au  temps  même  des  plus  grandes  séche- 
resses conservent  encore  à  un  décimètre 
de  profondeur  une  certaine  humidité 
sufniBante  pour  les  petites  plantes.  Point 
de  haute  végétation  sans  doute  ;  je  n'ai 
▼u  partout  que  des  arbres  cbéti&  et  ra- 
bougris, excepté  à  la  ville  pourtant,  où 
Ton  trouve  quelques  beaux  oliviers,  des 
figuiers  et  des  cyprès,  qui  n'y  grandis- 
sent qu'à  force  de  soins.  Mais  en  pleine 
terre,  la  ?igne.  Forge,  le  coton,  viennent 
à  merveille.  Cependant  la  culture  du 
coton  et  de  Forge  diminue  chaque  an- 
née :  c'est  la  vigne  qui  envahit  tout.  A 
peine  aujourd'hui  récolte«t-on  assez  de 
coton  pour  la  consommation  de  l'île,  et 
assez  d'orge  pour  nourrir  seulement  le 
quart  de  la  ponulation.  Hors  le  vin,  tout 
manque  donc  a  Santorin;  il  faut  tout 
acheter  des  îles  voisines  :  habits ,  chaus- 
sures, bétail,  froment,  charbon,  lin,  fer, 
planches ,  bois  de  construction  pour  les 


navires  et  les  tonneaux,  tout  vient  éa 

dehors.  Parfois  même,  dans  les  temps 
de  sécheresse,  auand  les  citernes  sont 
épuisées  et  que  les  deux  uniques  sources 
qu'on  trouve  dans  Fîle,  cachées  sous  un 
repli  schisteux  du  Mesa-Youno,  sont  ta- 
ries, il  faut  aller  cherchex  de  Feau  douce 
à  Nio  et  à  Amorgos.  La  vigne  lait  dose 
Funique  richesse  de  lile  :  aussi  Fy  cui- 
tive-t-on  avec  le  plus  grand  soin.  Les 
ceps  sont  plantés  en  quinconce  à  huit 
pieds  les  uns  des  autres,  afin  qu'ils  puis- 
sent étendre  leurs  racines  à  leur  aise 
dans  ce  sol  léger.  Quelques-unes  de  ces 
souches  ont  {fus  de  deux  cents  ans,  et 
sont  encore  pleines  de   vigueur.  On 
coupe  les  branches  près  du  tronc  cha- 
que année,  et  l'on  ramène  les  nouTeiles 
pousses  à  l'entour  en  forme  d'entos- 
noir.  En  même  tem|)s  que  cela  eoi- 
|>éche  le  cep  de  s'épuiser  en  jets  inu- 
tiles, cela  permet  de  semer  dans  Finter- 
valle  des  pieds  un  peu  d'orge,  qu*oa 
coupe  à  la  fin  d*avril,  pour  en  nourrir 
les  oétes  de  somme.  —  On  distingue  id 
plus  de  soixante  espèces  de  raisins.  L*es- 
pèce  dominante  est  VassyrticoHy  g[ros 
raisin  noir,  dont  on  fait  le  vin  ordinaire. 
Ce  vin,  fort  estimé  en  Russie,  et  trop 
peu  connu ,  à  mon  avis ,  en  Occident , 
ressemble  assez  à  nos  ix>ns  crus   du 
Ehin,  ou  encore  au  madère,  avec  un  lé- 
ger arrière-goût  de  soufre.  Mais  rien 
surtout  n'est  comparable,  comme  vin 
de  dessert,  au  vinosanlo  blanc  ou  rou^ 
de  Santorin  :  il  se  fait  avec  nn  raisn 
nommé  mavro  tragano,  qu'oq  laisse 
exposé  pendant  quinze  jours  an  soleil 
sur  les  terrasses  des  maisons  avant  de 
le  porter  au  pressoir.  Au  bout  d*un  an, 
c'est  une  liqueur  exguise ,  mais  capi- 
teuse, qui  surpasse  les  meilleurs  mal- 
voisies de  FArcliipel,  et  même  le  mus- 
cat de  Samos  (1).  »  Cest  principalement 
aux  Russes  que  se  vendent  les  vins  de 
Santorin.  Il  s'en  débite  pour  dnq  cent 
mille  drachmes  dans  le  senl  port  de 
Taganrok,  au  fond  de  la  mer  d*Asof. 
Une  quarantaine  de  bricks,  une  soixas- 
talne  de  goélettes  sont  occupées  annuel- 
lementpourl'exportation  de  cette  denrée, 
qui  entretient  la  prospérité  de  U  maiine 
marchande  de  ces  insulaires. 

(r)  M.  Ch.  Benoiti  Jrchivu  des  JÊtissions, 


r 


LES  GTCLAIHBS. 


469 


On  Toit  que  Santorin  est  restée  oe 

K'elle  était  autrefois,  une  des  fies  les 
is  prospères  du  groupe  des  Cyciades. 
)o  ne  conoatt  que  les  noms  de  trois  de 
M  anciennes  cités;  ce  sont  celles  de 
Aéra,  d'Eleusis,  et  d'Œa.  Théra  éuit 
iCuée  sur  la  pente  de  Mesa-Vouno  (1). 
tOn  trouve  sur  cette  montagne,  écri- 
fait  encore  le  P.  Richard  au  dix-sep* 
lème  siècle,  les  ruines  d'une  belle  et  an- 
kone  Tille.  Cest  un  prodige  de  voir  la 
,7andeur  des  fùerres  dont  les  murailles 
ont  bâties.  Parmi  ces  ruines*  se  sont 
rouvées  de  belles  colonnes  de  marbre 
ont  entières  et  de  riches  sépulcres, 
nais  surtout  quatre  tombeaux  qui  ne  le 
!éderaient  en  rien  à  ceux  de  nos  rois, 
Plusieurs  statues  taillées  à  la  romaine 
)isent  sur  le  sol,  etc.  »  Les  gens  du 
lays  parlent  encore  des  innombrables 
narbres  qu*on  a  enlevés  de  ces  lieux 
lu  siècle  dernier,  statues,  bas*re]ie£s, 
lutels,  tombeaux,  fragments  de  comî* 
ihes,  colonnes  entières  :  on  en  remplis- 
sait des  raisseaux.  Pendant  la  guerre 
ie  1770,  qui  rendit  un  moment  les 
lusses  maîtres  de  FArchipel,  des  offi* 
aers  de  cette  nation  firent  à  leur  tour 
les  fouilles  assez  heureuses,  et  empor* 
èrent  sur  leurs  vaisseaux  une  prodi* 
lieuse  quantité  de  marbres,  de  bas-re- 
iefr,  d'inaorîptlons  (3;.  M.  Fauvel,  qui 


♦■I 


.^4 

.■  I* 

(z)  De  Cigalia,  p.  41;  l'abbé  Pègaea, 
.  i3. 

(a)  Malgré  toutes  ces  dévastations,  on  pour- 
iit  faire  encore  à  Santorin  des  fouilles  très- 
roduetives.  On  y  trouve  des  mines  de  tous 
^és.  n  y  a  qoeiqaes  années ,  M.  Alby,  qui 
lerce  héréditaireraeot  dans  cette  lie,  comme 
s  Brest  a  BAilo ,  la  diarge  d'agent  consolaire 
i  la  France»  a  trouvé  diuu  un  de  ses  cbamps 
le  belle  statue  de  femme  drapée  à  la  grec- 
le ,  et  très-bien  conservée.  On  Ta  appelée  la 
use  de  Santorin,  eomme  on  dit  la  Tenus  de 
ilo.  Il  me  semble  avoir  entendu  dire  à 
.  Albj  lui-même  que  c'était  M.  Raoul  Ro- 
leUe  qui  avait  ainsi  nommé  sa  statue,  et  fait 

rapprochement  si  glorieux  pour  elle  et 
obablement  un  peu  flatteur.  Au  reste,  ht 
use  de  Santorin  peut  être  belle  sans  Fêtre 
tant  que  la  Ténus  de  Mik»  ;  elle  pourrait  ne 
s  soutenir  la  comparaison ,  et  êire  digne  de 
ntriboer  èromenent  d'on  musée,  liais  les 
s  grecques  mterdiaent  âonueUeniait  PeiP 
rtation  des  antiques ,  et  il  faut  renoncer  à 
spéranee  de  cette  nouvelle  conquête. 


fut  longtemps  consul  de  France  à  Athè* 
nés,  sut  encore,  après  tant  d'autres,  re- 
cueillir id  quelques  beaux  morceaux  de 
sculpture,  et  enfte  autres  une  mère  qui 
allaite  son  enfant,  sujet  touchant  trouvé 
dans  un  tombeau.  Mais  on  peut  penser 
si  après  tant  de  fouilles,  le  sol  est  bou- 
leversé de  fond  en  comble.  Ce  n'est  plus 
qu'un  tas  de  décombres,  parmi  lesquels 
on  retrouve  çà  et  là  quelque  fût  de 
colonne  brisée,  un  bout  de  chapiteau  ou 
de  statue  presque  méconnaissable,  par- 
tout  aussi  des  fondations  de  quelques 
petites  maisons  aujourd'hui  rasées  jus- 
qu'au niveau  du  soi,  et  qui  ne  laissent 
plus  voir  que  leurs  citernes  défoncées, 
au  fond  desquelles  un  myrte  ou  un  fi- 

Suier  croît  par  aventure.  Quelques  en- 
roits  même  sont  labourés  et  semés 
d'oige  (Ij.  La  nécropole  de  Théra,  dont 
les  tombeaux  sont  creusés  dans  le  roc, 
comme  ceux  de  l'Egypte,  comme  ceux 
de  Gyrène,  colonie  des  Théréens,  est 
signalée  par  M.  Ross  comme  très-im- 
portante pour  l'histoire  de  l'architeo- 
ture.  On  a  trouvé  dans  ces  ruines  de 
nombreuses  inscriptions,  mais  presque 
toutes  de  l'époque  des  Césars.  La  vule 
d'OËa,  qui  occupait  l'emplacement  de 
Camari,  celle  d'Éieusis,  qui  était  au  pied 
de  l'Exomiti,  sont  aujourd'hui  submer- 
gées. On  trouve  encore  deux  villes  abî- 
mées dans  la  plaine  de  Périssa,  une 
autre  en  ruine  au  cap  Couloumbo ,  el 
une  septième  cité  à  moitié  engloutie  à 
l'extrémité  septentrionale  de  Thérasia. 
Dès  les  temps  héroïques  Théra  était 
devenue  une  cité  assez  florissante  pour 
fonder  à  son  tour  des  colonies,  et  entre 
autres  la  ville  de  Cyrène,  tant  célébrée 
dans  les  Pythiques  de  Pindare.  Médée 
s'arrétant  a  Théra  en  avait  prédit  la 
future  grandeur  :  «  Êcoutez-moi,  avail- 
elle  dit,  enfants  des  héros  et  des  dieux  ; 
apprenez  qu'un  jour  de  cette  terre  4)at- 
tue  des  flots  sortira  la  fille  d'Épaphi^, 
qui  ira  jeter  les  racines  d'une  eue  chère 
aux  mortels  non  loin  du  temple  de  Ju- 
piter Ammon.  Au  lieu  des  dauphins  aux 
rapides  nageoires,  ses  habitants  lance- 
ront des  cavales  légères  \  au  lieu  de  ra- 
mes ils  manieront  le  frein,  et  au  lieu  de 
vaisseaux  ils  conduiront  des  chars  aussi 
vite  que  la  tempête.  Cette  fsveur  dudes- 

(i)  MrçhhKê  de*  âfumnSf  I,  61  d. 


490 


liUinVERS. 


tin  finira  par  rendre  Tbém  la  mère  de 
plusieurs  grandes  dtés,  etc.  (1).  »  La  pré- 
diction de  Médée  se  réalisa.  Crynus^  fils 
d'iEsanius,  roideThéra,«tâix-8eptième 
descendant  de  Théras,  alla  consoiter 
Folracle  de  Delphes,  acoempagiié  de  Bat*» 
tus,  fils  de  Polymnesté,  dIesoÎBndantdes 
Minyens.  La  Pvthie  déclara  qu'il  fallait 
envoyer  une  colonie  en  Libye,  et  Battus 
fut  désiré  pour  la  conduire.  Mais  on 
ne  savait  pas  le  chemin  de  la  Lybie,  et 
cet  ordre  rat  négligé.  Bientôt  la  sèche* 
resse  désola  Thera,  et  ram^ia  Grynus 
aux  pieds  de  l'orade,  qui  donna  les  mê* 
oies  instructions.  Alors  on  s'informa  de 
la  position  de  la  Libye,  et  un  teinturier 
en  pourpre  dltanos,  ville  de  Crète,  ap« 
pelé  Corobius ,  se  chargea  d'en  montrer 
le  chemin  à  Témîgration,  qui  partit  sous 
le  commandement  de  Battus.  Cest  dans 
Hérodote  ^u'il  faut  lire  les  détails  de 
cette  histoire ,  et  toute  la  merveilleuse 
légende  relative  à  l'enfance  de  BaV 
tus  (9),  fondateur  de  la  florissante  dté 
de  Gyrène,  681  avant  J.-G.  Quelle  taX 
la  fortune  de  Théra  dans  les  temps  qut 
suivirent  f  On  rignore  à  peu  près.  Il 
paraît  qu'elle  consentit,  comme  les  au^ 
Ires  'Oyciades,  à  faire  hommage  au  roi 
des  Perses,  puisque  Hérodote  ne  la  rangé 

rs  parmi  celles  qui  osèrent  se  dérober 
cette  humiliation.  Mais  n'ayant  pas 
voulu  reconnaître  la  suprématie  d  A*> 
thènes,  elle  resta  fidèle  à  Sparte,  sa  mé* 
lrepole,'et  on  ne  voit  pas  que  cette  résis^ 
tance  de  Théra  ait  attiré  sur  elle  comme 
sur  Mélos .  le  courroux  des  Athé- 
tiiens  (3).  Plus  tard  Théra  fut  réunie  à 
Fempire  romain  (4),  puis  elle  passa  aux 
Grecs ,  qui  la  gardèrent  jusqu'à  la  qua« 
trième  croisade. 

Santorin  fit  partie  du  duché  de  Naxie. 
Mais  Jean  Grispo,  qui  en  fut  le  dou"- 
zième  duc,  la  céda  au  prince  Nicolas, 
son  frère,  que  Ton  appela  le  seigneur  de 
Santorin.  Elle  fit  retour  au  duché  après 
la  mort  de  Guillaume  Grispo ,  quin* 
îième  duc,  lequel  par  son  testament 


<i)Pind.,Py/A.,IV. 


»lioûft  et  des  mé- 
daillés de' Santorin  datent  du  temps  des  em- 
pereurs. Voyez  Tabbé  Pègues,  p.  90  et  suiv.; 
Bœkh.y  Inscr,  Grecq,,  H,  a448-*47G- 


nomma  pour  successeur  le  secteur  de 
Santorin,  son  neveu.  Elle  fut  ensuite eo< 

gigée  au  seigneur  de  Nio  par  Jaques 
risno,  diX'Septième  duc  de  rArcbipei, 
qui  tut  obligé  d'emprunter  des  sommes 
excessives  pour  soutenir  la  guerre  cootr^ 
Mahomet  II,  dans  cette  fameuse  ligw 
où  il  était  entré  avec  les  Vénitietts  et  k 
roi  de  Perse.  Enfin,  Santorin  se  rendit  & 
Barberou6se,soti8  Soliman  n  (1637).  Les 
principaux  catholiques ,  la  noblesse  de 
rlle,  continuerait  à  habiter  dans  le  Cas- 
tro de  Scaorus  ou  Soaro,  ancienne  ré- 
sidenoe  des  seigneurs  de  file.  Ce  châ- 
teau, dont  on  attribue  la  oonstnietioD  i 
im  sénateur  romain  exilé ,  occnpaii  b 
pointe  d'im  promontoire  <]ui  se  détacbe 
de  l'escarpe  affreuse  qui  emironae  te 
golfe,  et  il  semble  suspeodu  sur  rabime 
qui  l'entmire  à  moitié.  G'est  là  aussi  qw 
rétablirent  les  jésuites  en  146i,  appe- 
lés par  révêque  Sophiano,  qui  leur  doo* 
na  la  place  de  la  cbap^le  ducale  poar 
y  bâtir  une  église.  Mais  depuis  la  révo- 
lution  tous  les  babitanta  de  Searo  se 
sont  transportés  à  Phira.  Aujcurd'bai 
Scaro  n'ofire  plus  que  des  mines,  et  le 

Idateau  qui  le  simporte,  ébranlé  par 
es  tremlneinents  de  terre*  semble  tai* 
même  sur  le  point  de  disfurattre  dans 
rabtme.  Pyiw»*  Aerotiri,  Épaneinéne« 
aneiennes  villes  fortifiées  coimne  Scaro, 
sont  habitées  encore  ;  mais  on  ne  peat 
décider  non  plus  d'une  manière  oertaiDe 
ai  leur  fondation  remonte  à  l'antiquité. 
Les  Turcs  se  montrèrent  toujours 
modérés  envers  les  habitants  de  Saoto- 
lin,  si  00  n'est  en  temps  de  guerre  avec 
les  chrétiens,  et  surtout  avec  Venise,  m 
fit  plusieurs  tentatives  pour  repreadn 
cette  tie  (l)< 

Apertcesmomemsdeerîse,  où  1» 
Turcs  devenaient  exigeants  et  rigourev. 
par  précaution  et  par  défiance,  Santo- 
rin Jouissait  d'une  entière  liberté  dn)e 
et  religieuse.  On  n'y  payait  en  tout  que 
la  somme  de  quatre  mille  piastres,  qui* 
selon  la  valeur  de  notre  monnaie,  pou- 
vait valoir  à  cette  époque  une  vii^Q^ 
ou  une  trentaine  de  miOe  francs.  S  k 
chittre  augmenta  ensuite  quant  aux 
espèces,  fl  ne  ÛtauereprâBentertoujouis 

la  sosime  primitive  quant  à  la  vaktf  tt- 
Iriasèque.  Aussi  SaaiOiiai  eut  de  la  peise 

(x)  L'abbé  Fègttea,  p«  lr^7. 


LES  CTQtAlftS. 


49i 


prendre  put  à  rlfiilirrMIicm  contre 
»  Turcs.  Les  eatholi(|ue8  y  formeieot 
lors  le  tien  de  la  popalation.  SatisAits 
elatolértnce  des  Turcs,  ils  redoutaient 
iotôt  qu*ii8  ne  désiraient  de  voir  le 
riomphe  de  la  cause  belléni^ue.  Chose 
ÎDgalière!  autrefoîÉi  les  Grecs,  en  haine 
es  Latins,  qui  les  dominaient,  s'étaient 
^tés  d^eux-mémes  dans  la  servitude,  eii 
ontriboant  presque  partout  à  fatoriser 
)s  progrès  des  Turcs.  Aujourd'hui 
étaient  les  Latins  qui  aimaient  mieux 
ester  soumis  à  la  Porte  que  de  vùlt  M 
îrecs  s'affranchir  et  récamir  leur  siipré« 
latie.  Mais  la  populatioi^  grecque  s'était 
romnMée  ;  et  tes  iMtholiqiies  se  sotimi- 
ent  par  crainte  des  violences  dont  ils 
ommeoçaîent  à  être  victimes.  Aujour- 
l'hui  Santorin  fait  partie  du  royaume 
ree.  Elle  forme  avec  Nio ,  Amorgos  et 
LDaphé  une  éparchie  dont  Phira  est  le 
faef'lieu.  D'apràt  la  nouvelle  division 
dministrative  établie  par  le  gouverne- 
Dent  grec,  Santorin  a  été  distribuée  en 
uatre  démarchies,  qui  comprennent 
iuinze  villes  ou  villages.  La  première 
lémarehie  est  celle  de  Tbéra,  au  cen- 
le;  la  seconde  celle  de  Calliste,  au  sud  ; 
a  troisième  celle  d'Emporion,  au  sud- 
'uest;  la  quatrième  celle  d'OEa,  au' 
lord. 

c  Chaque  démarchie,  sous  un  seul 
[ouvemeur,  repr^ente  à  peu  près  ce  que 
ont  nos  communes  en  France,  avec  un 
lémar^ue,  $i(uapxo(»  assisté  d'un  conseil 
DUQidpal  ;  il  est  comme  nos  maires, 
nais  avec  des  attributions  un  peu  plus 
tendues.  11  y  a  encore  un  conseil  géné- 
al,  où  toutes  les  démarchie»  envoient 
tes  membres  municipaux,  choisis  par  le 
«ople  dans  une  assemblée  des  plus  im- 
XKes  de  la  commune.  Ce  conseil  déli- 
re sur  toutes  les  affaires  qui  intéres* 
ieotllle  entière;  alors  le  démarque  de 
rhéra  en  est,  après  le  gouverneur  »  le 
vemier  membre,  et  en  son  absimce 
irésidentde  droit.  Les  afitres  autorités 
le  nie  sont  :  un  receveur  général,  eîo- 
^xtù^;  un  receveur  de  contributions, 
?opo(,  pour  toutes  les  démarchies;  un 
uge  de  paix,  e2pT)voS{xT)(  ;  un  receveur  de 
loaanes,TcX6vT]{;  un  brigadier  de  gen- 
iarmerie,  icoXtxipX^^  *  ^^^  quatre  gen- 
larmes,  x<»po?{^oi;  ^fin  un  commis- 
saire de  police,  èvtâvop;,  dont  les  attri- 
iHiUons  sont  quelquefois  confondues 


avec  celles  du  maire  de  Thé^,  qai  patàlt 
et  répriilie  certains  délits.  Tout  Grec  de 
nation,  comme  aussi  tout  étrangev  na* 
luralisé,  peut  être  admis,  sans  distîna' 
tion  de  rang  ou  de  religion,  à  toutes  les 
fonctions  publiques.  Les  catholiques  nés 
en  Grèce  sont  tous  regardés  comme  su» 
jets  forces.  Les  lettres  de  naturalisation 
s'obtiennent  après  trois  ou  quatre  ans  dé 
fésidence  dans  le  pays,  et  chaque  com- 
munepeutlesaooorder  (1).  »  L*fiedeSan^ 
torin  possède  aujourdiiul  une  populaiîoii 
de  ia,073  habiunts  (9).  On  n'y  comptu 
plus  que  683  catholiques,  résidant  pre»^ 
que  tous  à  Phira^  ainsi  que  Pévéque  et 
son  chapitre.  La  notvelle  eMhédrale  la^ 
tine  a  été  consacrée  en  189^ ,  sous  l'in-^ 
vocation  de  Saint- Jean-Baptiste.  Le  cha- 
pitre se  compose  de  sept  chanoines.  Il 
y  a  dans  cette  ville  trois  maisons  reli- 
gieuses :  celle  des  missionnaires  laza- 
ristes, celle  des  Dames  de  Saint-Domi- 
nique et  celle  des  Sceurs  de  la  Ghadté, 
établie  en  1841  pour  l'éducation  des 
jeunes  filles,  pour  le  soin  et  le  soulage- 
gement  des  pauvres  et  des  malades. 

Cette  maison  de  Saint-Lazare  établie 
à  Phira  est  vraiment  la  providence  des 
pauvres  du  pays  :  grecs  ou  catholiques. 
Tes  soeurs  trouvent  le  moyen desouiager 
tous  les  nécessiteux,  sans  acception  de 
croyances.  Une  pharmacie  parfaitement 
montée  est  attachée  à  l'établissement; 
tme  jeune  sœur  fort  instruite  y  distribue 
les  remèdes  gratuitement,  panse  chaque 
jour  tous  les  infirmes  qui  s  y  présentent, 
et  va  chez  les  malades  prodiguer  ses  soins 
avec  ses  consolations. 

«  Cest  un  grand  plaisir,  dit  M.  Ch.  Be- 
nott,devisiterendétaileetétablissement, 
où  sont  réunies  une  soixantaine  déjeunes 
filles  appartenant  aux  meilleures  familles 
catholiques  de  la  Grèce  continentale  et 
des  lies  ;  salles  d'études ,  classes ,  ou- 
vroirs ,  dortoirs ,  y  sont  tenus  avec  un 
ordre  et  une  propreté  exquis  :  partout  un 
air  d'aisance,  de  simplicité  élégante,  de 
bonheur,  qui  charme.  Ces  petites  filles , 
en  même  temps  qu'elles  v  apprennent 
tout  ce  qui  fait  une  solide  éducation, 
viennent  se  former  ici,  sous  la  direction 
de  nos  sœurs,  à  des  habitudes  de  pro- 

(i)  L*«bbé  Pègues ,  Histoire  de  Santorin, 
p.  3o9. 
(a)DeGigaUa,p.4e. 


^ 


4» 


L*UJ!fIVJSBâr 


pfeté,  d^ëoo&omie,  de  tiaTail ,  m' Mm 

ÇDrteroQt  un  jour  dans  leurs  ménages, 
outes  parlent  un  peu  le  français  ;  quel- 
Sues-unes  commencent  à  récrire  assez 
ien.  On  se  croirait  presque  en  France 
dans  cette  maison  de  Santorin.  Du 
reste,  catholiques  ou  grecs,  tous  vivent 
en  bonne  intelligence,  animés  des  mê- 
mes sentiments  de  foi  vive  et  de  piété 
sincère,  et  le  zèle  reli^euxqui  éclate 
ailleurs  en  un  fanatisme  mtolérant 
tourne  ici  en  charité  fraternelle.  Cest 
que  ces  insulaires  comprennent  qu'ils 
sont  placés  immédiatement  sous  la  main 
de  Dieu,  dont  la  colère  s*est  tant  de  fois 
appesantie  sur  la  population  de  cette 
roche  volcanique,  encore  agitée  aujour- 


d'hui de  eommoftloni  seotembies.  Ht 
entendent  chaque  jour  cette  tmble  le- 
çon, et  ils  en  sont  toujours  Uhi4^; 
nulle  part  en  Grèce  on  n'est  plus  gran 
et  plus  religieux  que  dans  cette  Ue.  Ausâ 
la  prière  reste  en  honneur  chez  ce  peu- 
ple, parce  qu*il  croît,  et  cette  croyance 
est  de  la  vraie  science ,  que  c*est  k 
prière  ^ui  désarme  la  colère  de  Diea,« 
qui  retient  depuis  cent  quarante  ans  k 
volcan  enchaîné  (1).  » 

Au  sud-ouest  de  Santorin  est  la  petite 
lie  appelée  Christiane,  que  les  andeai 
nommaient  Ascania. 

(i)  Jreltms  tU^  Stusùms,  t«  I,  p.  Ssi 


•*< 


<       « 


ILES  DU  GOLFE  SARONIQUE. 


La  mer  de  Myrtos  eo  s'enfonçant 
BtreTAttique  et  ïe  Péloponnèse  forme  le 
Dlfe  Saroaique,  aujourd'hui  golfe  d*É- 
ioe  ou  d'Atbièoea,  ainsi  nomnoé,  dit-on« 
e  Saron ,  roi  de  Trézène ,  qui  s'y  serait 
oyé.  Ce  golfe  commence  au  cap  Su- 
ium,  baigne  les  côtes  de  TAttiaue ,  de 
I  Mégaride,  de  la  Corinthie,  et  del'Ar- 
olide,  et  se  termine  au  cap  ScvUœum 
Skjiiî  ) ,  à  la  pointe  de  la  Trézenie.  Le 
olfe  Saronique  tut  autrefois  le  centre  de 
I  plus  grande  activité  commerciale; 
!orintbe,  Ëgine,  Athènes  y  avaient  leurs 
orts ,  se  le  disputèrent  et  y  dominèrent 
Hir  à  tour.  Gomme  toutes  les  mers  grec- 
ues,  celle-ci  est  parsemée  d'iles  nom- 
reuses;  mais  à  part  deux  d'une  certaine 
tendue,  Égine  et  Salamine,  dont  la  pre* 
lière  a  seule  une  véritable  importance 
istorique ,  les  autres  ne  sont  que  des 
ochera  ou  des  tlots  dont  nous  n  aurons 

indiquer  que  la  position  et  les  noms. 

Bklbina.  —  Lorsque  l'on  quitte  la 
ser  des  Cydades  pour  se  diriger  vers 
Lthènes,  on  trouve  en  pleine  mer,  à  quel- 
ttes  lieues  au  sud  du  cap  Sunium  et  à 
ouest  des  tles  de  Géos  et  de  Gythnos , 
ne  Ile  haute  et  passablement  longue, 
ue  les  anciens  avalent  appelée  Belbina. 
^lle  est  désignée  dans  les  cartes  mo« 
ernessous  le  nom  deSaint-Georges  d'Ar- 
ora.  Les  vieilles  cartes  italiennes  ou 
ollaodaisesla[nommaientSan*Giorgiode 
Albero ,  ou  autrement  le  Ghapeau-du* 
ordinal,  à  cause  de  la  figure  qu'elle  pa- 
ait  avoir  quand  on  la  regarde  de  lom. 
lette  tle  est  escarpée  ^et  raboteuse. 
Quand  on  la  voit  de  loin ,  dit  Dapper , 
Ue  parait  toute  de  tertres  et  de  coteaux  ; 
t  comme  elle  s'élève  plus  haut  que  toutes 
es  autres  lies  d'alentour ,  on  la  peut 
lutôt  et  plus  facilement  découvrir  (1).» 
'6  docteur  Ross  a  trouvé  cette  tle  habitée 
•ar  uu  riche  Uydriote,  qui  la  cultive  avec 
es  serviteurs,  et  qui  y  récolte  beaucoup 
ie  vin  et  de  blé.  Belbma  appartient  à  la 

(0  Dapper,  Deicr,,  p.  ayi  ;  Ross,  Instlr», 


famille  de  cet  Hydriote  depuis  plus 
d'une  sooantaine  d'amiées ,  où  elle  lui 
fut  donnée  par  le  capitan-pacha  de  cette 
époque. 

Ilb  de  Pàthoglb.  —  En  suivant  la 
côte  de  l'Attique ,  à  partir  du  cap  Su- 
nium ,  on  rencontre  d  abord  Tile  ae  Pa- 
trocle,  DaxpéxXou  v^ao^ou  x^^^>  petite 
île  déserte,  ditPausanias(l),  ainsi  nom- 
mée parceque  Patrocle,  amiral  de  Ptolé- 
mée  Lagus,  envoyé  par  ce  prince  au  se* 
cours  des  Athéniens  contre  Démétrius, 
fils  d'Antiffone,  en  fit  son  quartier  gêné* 
rai  et  s'y  fortifia.  Gette  tle  est  appelée 
aujourd'hui  Gaidaronisi^VW^wa,  Anes, 
ou  encore  Ebanonisi^  lIled'Ëbèoe,  par- 
ce que  cet  arbriseau ,  dont  le  bois  dur  et 
noir  était  employé  par  les  anciens  à  de 
fréquents  usages ,  y  croissait  abondam- 
ment. On  l'appelait  aussi  île  Provençale. 

Eii^BUSA.  —  A  l'ouest  de  la  précé- 
dente, au  delà  du  golfe  d'Anaphiyste , 
est  l'Ile  connue  sous  le  nom  d  Ëlisso  , 
qui  est  appansmment  celle  que  Strabon 
appelle  Eleusa  ou  Eleoussa,  et  qu'il  place 
vis-à-vis  le  promontoire  d'Astypalée.  On 
la  trouve  d&ignée  dans  quelques  cartes 
sous  le  nom  d  île  Française  ou  Élisa. 

Phauea.  —  Get  Ilot  est  placé  par 
Strabon  à  l'extrémité  du  cap  Zoster;  il 
est  appelé  aujourd'hui  Phetcida ,  FaU 
coudl ,  ou  Phléga. 

GoMBONissA.  —  On  désigne  ainsi, 
un  petit  groupe  de  cinq  rochers  situés  à 
la  pointe  d'Halai-Exomdès.  On  les  ap- 
pelle aussi  Halicasou  Selicas,  les  salines. 

fLB  DE  SALAHINB. 

Cest  la  plus  grande,  mais  non  la  plus 
importante  des  lies  du  Golfe  Saronique. 
Toutefois,  la  victoire  remportée  par  Thé- 
mistocle  dans  le  détroit  de  cette  île  et 
de  l'Attique  l'a  rendue  à  jamais  célèbre. 
Avant  de  porter  le  nom  que  la  défaite  de 
Xerxès  a  illustré,  Salamine  avait  été 
appelée  Skiras,  Gychréa  ou  Gychria,  du 
héros  Gychréus ,  et  Pity  ussa ,  a  cause  de 

(x)  Pausao.,  T,  I,  I  ;  35,  x. 


494 

w 
m  ■ 

la  grande  qtiAtttité.de  pins  qiir  croissent 
sur  ses  montagnes.  Elle  est  située  au 
fond  du  golfe  Saronique ,  tout  près  du 
rivage  d'Eleusis ,  et  encore  plus  près  de 
la  cote  de  la  Mégaride.  Le  détroit  qui 
la  sépare  de  T  Attique  n*a  que  deux  stades 
dans  sa  moindre  largeur  et  quinze  dans 
sa  plus  grande.  Cette  lie  a  cinqfuante 
milles  (un  peu  plus  dequinae  lieues)  de 
droonnrenoe.Strabon  lui  donne  soixante- 
dix  ou  quatre-vingts  stades  de  longueur. 
Salaminee^ d'une  forme  très-irréguiière; 
elle  est  creusée  vers  son  côté  sud-onest 
par  une  baie  profonde,  qui  forme  an  port 
magnifique  et  qui  lui  donne  la  forme 
à^'^^ti  fer  a  cheval.  De  là  le  nom  de  Cou- 
/èfiri,  qu'elle  a  porté  sous  le  domination 
des  Turcs.  Toute  sa  partie  sud-est  est 
très-montagneuse.  G*est  là  que  croissent 
les  pins  dont  les  habitants  recueillent  la 
poix ,  et  le  ientisque  dont  ils  brûlent  la 
cendre  pour  en  faire  du  savon.  La  partie 
nord-ouest  a  des  plaines  et  des  coteaux 
fertiles,  qui  ne  demandent  qu'une  bonne 
calture.  Elle  était  arrosée  autrefois  par 
deux  petits  cours  d'eau  que  Strabon  ap- 
pelle te  Boearus  ou  Be^atios  et  le  Ce» 
phise. 

L'ancienne  Salamine ,  celle  de  Téla- 
mon,  était  située  à  la  pointe  méridionale 
de  nie ,  en  face  d'Égine.  Plus  tard  cette 
position  fut  abandonnée,  à  cause  de  l'in^ 
suffisance  de  son  port,  pour  celle  du 
i41lage  actuel  d'Amnelaki.  La  noutelle 
Salamine  vint  s'établir  à  la  pointe  nord- 
ést ,  au  fond  d'un  port  assez  commode 
et  spacieux  situé  vis-à-vis  du  Plrée ,  à 
rouest.  On  y  retrouve  quelques  vestiges 
de  Tancienne  cité  :  au  nord  de  la  mer, 
des  pierres  du  quai  ;  à  Ambélaki ,  des 
tombeaux,  quelques  Inscriptions  funé- 
raires, des  cîppes,  des  fragments  de 
pierres  taillées  (1).  A  la  pointe  du  cap 
Cvnosura  ,  qui  s'alloi^e  au  nord-est 
d  Ambélaki ,  se  trouvent  plusieurs  îlots, 
dont  le  plus  considérable  est  celui  de 
Psyttalie(Lipsocoutalie)  qu'on  suppo- 
sait être  fréquenté  par  le  dieu  Pan. 

Les  premières  traditions  relatives  à 
Ftle  de  Salamine  se  confondent  avec  celles 

3 ni  concernent  Égine;  et  nous  y  revien- 
rons  à  propos  de  cette  dernière.  Elles 
font  de  Salamine  et  d'Égine  de^x  des 


L'UNIVERS. 

douze  fflles'dufleQve  AsopusdelaPhlii- 
sie,  et  de  Métope,  fille  du  Ladon  (!l 
Neptune,ayant  enleyéSalamine,  latrau- 
porta  dans  l'tle  qui  porte  son  nom ,  et 
en  eut  un  fils  appelé  Cychréus  on  Gen- 
chréus ,  qui  délivra  le  pays  d'un  terrible 
serpent  qui  l'infestait.  Cette  léoende  in- 
dique bien  èlairement  l'étaDussemeot 
d'une  colonie  de  Phllonte  dans  SalamiiM 
et  sa  parenté  avec  les  Éginètes.  (>ffar^ 
le  premier  roi  on  héros  de  lllê,  donss 
sa  fille  Glaucé  en  mariage  à  Télarooa, 
fils  d'Éaqne ,  roi  d'Egine ,  et  banni  par 
son  père  pour  SToir  blessé  son  frère  nv 
Phocus,  en  Jetant  le  disqfoe.  Aprâ  b 
mort  ou  la  fuite  de  Cyehrâs,  qui,  «k» 
quelques-uns ,  fut  chassé  ëe  ses  Éob 
par  Énryloque,  et  devint  prêtre  de  Gé- 
rés à  Eleusis,  Télamon  régna  daasra«. 
Télamon  est.un  des  plus  oélèbKs  hém 
de  cette  fameuse  famille  des  Éacides^s 
chantée  par  les  poètes.  Il  était  frère  int 
Pelée ,  père  d'Achille.  Il  prit  part  à  Tn- 
pédltion  des  Argonautes.  11  aceooipasn 
Hercule  au  premier  siège  de  Troie.  He^ 
cule  lui  donna  pour  épouse  Hésion. 
fille  de  Laomédon,  sœur  dePriam.  Piff 
tard  il  épousa  encore  Péribéf ,  fille  d'Aï 
cathons.  Il  eut  pour  fils  Teocer  et  Ajai. 
Après  le  second  siège  de  Troie,  irrr*^ 
contre  Tèucer,  qui  reyenait  sans  son  frêff 
Ajax,  il  le  banmt  de  sa  prfeence.  Team 
alla  fonder  Salamine  dans  Itle  de  Cypn. 

Après  l'extinctloB  de  la  famille  de 
Ëacides,  Salamine  retomba  dans  Tobs- 
cttrité.  Atliènes  s'en  empara,  mais  Mé- 
gare,  deyenue  puissante,  lui  disputa  c?ttf 
possession,  paiement  importante  poff 
ces  deux  cités.  Au  temps  ae  la  teatatiff 
de  Cylon,  M^re  eut  le  dessus,  et  elleefi- 
leva  Salamine  aux  Athéniens  (61)).  L« 
Athéniens  firent  de  grands  efforts  pon^ 
la  reprendre  ;  mais  découragés  par  koff 
pertes,  ils  y  renoncèrent  entièrement,  « 
même  ils  décrétèrent  la  peine  de  ^^ 
contre  celui  qui  oserait  proposer  de  re- 
commencer une  entreprise  désespêwt 
Selon,  qui  était  de  Salamine,  résonitK 
relever  te  courage  de  ses  concitoyens  T> 

Indigné  d'une  telle  honte,  et  vojafit 
d'ailleurs  que  les  jeunes  gens  ne  demao* 
daient  qu^un  prétexte  derecommeDcer  li 


(i)  Chandler,  Vorage,  t.  ni,p.  aro;  Pro- 
kewh,  Denkwurdigk,  t.  n,  p.  356,  707. 


(x)  Diod.  Sicul.y  IV.  79. 


t)  Thirlwaîl ,  Bist.  de  la  Grèce  aaf»*** 
cb.  XI. 


ILES  DU  flOLPE  SARONIQUE. 


495 


^erre,  et  qu'ils  n'étaient  retenus  qae  par 
a  crainte  de  la  loi,  n  imagina  de  contre* 
'aire  le  fou,  et  fit  répandre  dans  la  ville  • 
)ar  les  gens  mêmes  de  sa  maison  »  qu'il 
ivait  perdu  l'esprit.  Cependant  il  avait 
!omposé  en  seeret  une  élé^e,  et  l'aTaîl 
ipprise  par  cœur,  et  un  jour  il  sortit 
brusquement  de  chez  lui ,  un  chapeau 
m  la  tête,  et  courut  à  la  place  pubii- 
rae.  Le  peuple  Py  suivit  en  foule  ;  et  là , 
)olon ,  monté  sur  la  pierre  des  ^rocla- 
nations,  chanta  son  élégie  ^  qui  corn- 
nence  ainsi  : 

le  Tieni  on  héros  de  la  bdie  Stlamine.  [Tim. 
uiliead'uji  diMX>iin,J*ai  composé  pour  vous  des 

le  poème  est  appelé  Salamine,  et  con- 
ient  cent  vers,  qui  sont  d'une  grande 
)eamé.  Quand  Soion  eut  fini ,  ses  amis 
ipplaudirent,  Pisistrate  surtout  encou* 
âgea  sibien  les  Athéniens  à  suivre  son 
■vis  que  le  décret  fut  révoqué  et  la  guerre 
léclarée. 

«  Voici  sur  cette  expédition  la  tradi- 
ion  vulgaire.  Selon,  ditPluUrque  (1), 
It  voile  avec  Pisistrate,  vers  Coliade, 
)ù  il  trouva  toutes  les  femmes  athé- 
nennes  rassemblées  pour  faire  à  Gérés 
in  sacrifice  solennel.  De  là  il  envoie  à 
ialamine  un  homme  de  confiance ,  qui 
«donne  pour  un  transfuge ,  et  propose 
>Qx  Mégariens  s'ils  veulent  s'emparer 
les  premières  femmes  d'Athènes,  de 
)artir  avec  lui  pour  Coliade.  Les  Méga- 
iens,  sur  sa  parole,  dépêchent  à  l'heure 
néme  un  vaisseau  rempli  de  soldats. 
5olon  ayant  vu  le  vaisseau  sortir  de  Sa- 
smine,  fait  retirer  les  femmes,  et  ac- 
•oulre  de  leurs  vêtements ,  de  leurs  coif- 
Ufss,  de  leurs  chaussures,  les  jeunes 
^ens  qui  n'avaient  point  encore  deoarbe. 
^ux-ci  cachèrent  des  poignards  sous 
eursrobes,et  allèrent,  d'après  son  ordre, 
ouer  et  danser  sur  le  rivage,  jusqu'à 
'«queles  ennemis  fussent  descendus  h 
•^erreetquele  vaisseau  ne  pfit  échapper, 
^pendant  les  Mégariens,  abusés  par  ce 
Wacle ,  débarquent,  et  se  précipitent 
\  "envi  pour  enlever  les  prétendues 
emmes;  mais  ils  furent  tous  tués,  sans 
P  H  en  réchappât  un  seul ,  et  les  Athé- 
wens  firent  voile  vers  l'île,  et  s'en  empa- 
rèrent en  un  instant. 

*  I>'autres  prétendent  que  ce  fat  un 


autre  moyen  de  surprise  qu'employa  So- 
ion. D'abord  l'oracle  de  Delphes  lui  au- 
rait dit  :  «  Rends-toi  propices  par  tes 
«  offrandes  les  héros  indigènes,  patrons 
«  du  pays,  ceux  que  les  champs  de  l'Aso* 
«  pus  enferment  dans  leur  sein,  et  dont 
«  les  tombeaux  regardent  le  couchant.  » 
Solon  passa  donc  de  nuit  à  Salamine , 
et  immola  des  victimes  aux  héros  Péri- 
phémus  et  Gyehrée.  Ensuite  les  Athé- 
niens lui  donnèrent  trois  cents  volon- 
taires, à  qui  ils  avaient  assuré,  par  un 
décret,  le  gouvernement  de  l'île,  s'ils 
s'en  rendaient  les  maîtres.  Solon  les 
embarqua  sur  un  certain  nombre  de  ba- 
teaux de  pécheurs  escortés  par  une  galère 
à  trente  rames ,  et  alla  jeter  l'ancre  vers 
une  pointe  déterre  qui  regardé  FEubée. 
Les  Mégariens  qui  étaient  à  Salamine 
n'avaient  eu  sur  sa  marche  que  des  avis 
vagues  et  incertains  ;  ils  coururent  aux 
armes  en  tumulte,  et  envoyèrent  un 
vaisseau  à  la  découverte.  Le  vaisseau 
s'approcha  de  la  flotte  des  Athéniens,  et 
fut  pris.  Solon  mit  aux  fers  les  Méga- 
riens qui  le  montaient ,  et  les  remplaça 
par  les  plus  braves  de  sa  troupe,  il  en- 
joint à  ceux-ci  de  cingler  vers  Salamine 
en  se  tenant  le  plus  couverts  au'ils  pour- 
raient ;  lui-même  il  prend  le  reste  de 
ses  soldats ,  et  va  par  terre  attaquer  les 
Mé^riens.  Pendant  qu'il  en  était  aux 
mains  avec  eux,  les  Athéniens  du  vais- 
seau surprirent  Salamine,  et  s'en  empa- 
rèrent. 

«  Il  y  a  des  usages  qui  semblent  cou* 
firmer  ce  rédt.  Tous  les  ans  un  vais- 
seau partait  d'Athènes  et  se  rendait  sans 
bruit  à  Salamine.  Des  habitants  de  l'île 
venaient  au-devant  du  vaisseau ,  tumul- 
tueusement, en  désordre;  et  un  Athé- 
nien s'élançait  sur  le  rivage,  les  armes 
à  la  main ,  courait ,  en  jetant  de  grands 
cris ,  du  côté  de  ceux  qui  venaient  de  la 
terre.  C'était  au  promontoire  de  Scira- 
dium,  et  l'on  voit  encore,  non  loin  de  là, 
un  temple  de  Mars  que  Solon  fit  bâtir 
après  avoir  vaincu  les  Mégariens. 

«  Tous  ceux  qui  n'avaient  pas  péri 
dans  le  combat  restèrent  libres,  par  lo 
bénéfice  du  traité.  Cependant  les  Méga- 
riens s'obstinaient  à  vouloir  reprendre 
Salamine.  Les  deux  peuples  se  firent  ré- 
ciproquement tous  les  maux  qu'ils  pu- 
rent; mais  à  la  fin  ils  prirent  les  La- 
cédémoniens   pour   aroitres    et  s'en 


496 


L'UNIVERS. 


rapporteront  à  leur  dédsion.  On  dit  gé* 
néralement  que  Soton  allégua,  dans  la 
dispute ,  Tautorité  d'Homèro  ;  qu*il  in- 
tercala des  vers  dans  le  dénombrement 
des  vaisseaux,  et  lut  ainsi  devant  les 
juges  :  «  Ajax  amena  de  Salamine  douze 
a  vaisseaux ,  et  les  rangea  au  lieu  où 
«  étaient  les  phalanges  athéniennes.  » 
Mais  les  Athéniens  traitent  ce  récit  de 
conte  puéril;  ils  assurent  que  Solon 
prouva  clairement  aux  juges  que  Pbi- 
léus  et  £urysaoès,  fils  dAjax,  ayant 
reçu  le  droit  de  cité  dans  Athènes, 
avaient  abandonné  leur  île  aux  Athé- 
niens, et  8*étaient  établis  en  Attique 
Tun  à  Braurone,  Tautre  à  Mélitte,  et 
que  Philéus  avait  donné  son  nom  au 
dème  des  Philaïdes,  d*où  était  Pisis- 
trate. 

«  Solon,  pour  détruire  plus  sûrement 
la  prétention  des  Mégariens,  se  fit  un 
ar^ment  de  la  manière  dont  on  enter- 
rait les  morts  à  Salamine ,  qui  ressem- 
blait à  Tusage  d'Athènes,  et  qui  diffé- 
rait de  celui  de  Mégare.  Les  Mégariens 
tournaient  les  morts  dû  côté  du  levant 
et  les  Athéniens  vers  le  couchant.  Il 
est  vrai  qu'Uéréas  le  Mégarien  soutient 
qu*on  tournait  à  Mégare  le  scorps  des 
morts  du  côté  du  couchant;  il  ajoute  de 
plus  qu'à  Athènes  chaaue  mort  avait  un 
cercueil  séparé,  et  qu  à  Mégare  on  en 
mettait  trois  ou  quatre  dans  un  même 
cercueil.  Mais  on  prétend  que  Solon  eut 
pour  lui  des  .oracles  de  la  Pythie,  dans 
lesquels  le  dieu  donnait  à  Salamine  le 
nom  dlonienne.  Ce  procès  fut  jugé  par 
cinq  Spartiates  :  Critolaîdas,  Amom- 
pharétus,  Hypséchidas,  Anaxilas  et 
Cléomène.  » 

Trente  ans  après,  en  4$0,  les  Grecs 
confédérés,  et  forcés  à  vaincre  par  Thé- 
mistocle,  remportaient  sur  la  flotte  des 
Perses  cette  célèbre  victoire  de  Sala- 
mine qui  commença  la  délivrance  delà 
Grèce,  mie  la  bataille  de  Platée  acheva 
bientôt.  Un  oracle  de  Bacis  avait  prédit 
ce  grand  événement  en  termes  formels. 
K  Quand  ils  auront  couvert  de  leurs 
vaisseaux  le  rivage  sacré  de  Diane  et  ce- 
lui de  Cynosure,  et  que,  pleins  d*un  fol 
espoir,  ils  auront  saccage  Filtustre  ville 
d'Athènes,  la  veneeance  des  dieux  répri- 
mera le  Dédain,  fils  de  Tlnsolence,  qui, 
dans  sa  fureur ,  s'imagine  faire  retentir 
Tunivers  entier  de  son  nom  :  l'airain  se 


mêlera  avec  l'airain,  et  Hais 
glantera  la  mer.  Alors  le  fils  de  Saturne 
et  la  Victoire  respectable  amèaeroat 
aux  Grecs  le  beau  jour  de  la  liberté. 
Aussi ,  ajoute  le  sage  Hérodote,  quand 
je  réfléchis  sur  les  événements  qui  se 
sont  accomplis,  je  ne  puis  contester  U 
vérité  des  oracles,  et  je  ne  cberdie  poiat 
à  les  détruire  lors(|u'iIs  s'énoncent  d^uoe 
manière  aussi  claire  que  celui-là,  et  je 
ii'approuve  point  que  d'autres  le  fu- 
sent (1).  »  En  effet,  Xerxès,  après  avoir 
brûlé  Athènes,  avait  réuni  sa  flotte  daos 
la  rade  de  Phalère ,  et  il  fut  cooveoa 
dans  un  conseil  de  goerre  qu'on  atta- 
querait celle  des  Grecs,  qui  s'était  ré«- 
niedans  la  baie  de  Salamine,  derrière Ia 
pointe  de  Gynosure.  Le  bruit  se  répao- 
dit  bientôt  que  ceux-ci  avaient  formé  le 
projet  d'abandonner  leur  position^  et  de 
se  disperser  derrière  les  côtes  du  Pélo- 
ponnèse. C'était  Thémistocle  qui ,  crai- 
gnant de  voir  le  faisceau  si  mal  joint  des 
Grecs  se  rompre  par  la  division  encore 
plus  que  par  la  peur,  avait  secrètement 
donne  ce  faux  avis  à  Xerxès,  pour  qaU 
se  hâtât  d*attaquer,  et  que  les  confédérés 
fussent  mis  dans  la  nécessité  de  oooi- 
battre ,  alors  qu'ils  étaient  encore  réa- 
nis.  Ce  stratagème  désespéré  eut  un 
plein  succès.  L  immense  flotte  des  Per- 
ses déplo)[a  ses  lignes  sur  tout  le  ri- 
vage depuis  Munycme  jusqu'à  Cynosure, 
et  ferma  le  détroit.  L'îlot  de  P^ttaik 
fut  occupé  par  un  corps  d'élite  de  rerses 
qui  devaient  recueillir  ceux  des  leurs  qui 
seraient  en  détresse,  et  achever,  au  ooo- 
traire,  les  ennemis  qpi  viendraient  s v 
réfugier.  Xerxès  avait  fait  dresser  son 
trône  sur  le  revers  de  l'Égaléon ,  pour 
assister  au  combat  et  jouir  de  la  victoire 
qui  semblait  certaine. 

«  Bientôt,,  dit  Eschyle,  le  jour  aux 
blancs  coursiers  répandit  sur  le  moad« 
sa  resplendissante  lumière;  à  cet  îds- 
tant  une  clameur  immense,  modulée 
comme  un  cantique  sacré,  s'élève  daas 
les  rang^  des  Grecs;  et  l'écho  des  ith 
chers  de  l'île  répond  à  ces  cris  par  Yk* 
cent  de  sa  voix  éclatante.  Trompés  daas 
leur  espoir,  les  barbares  sont  saisis 
d'effroi;  car  il  n'était  pas  Tannooce 
de  la  fuite  cet  hymne  samt  que  chan- 
taient les  Grecs  •  Pleins  d'une  audace 

(i)Héi"0d.,  yui..77. 


ILES  DU  GOLFE  SARONIQUE. 


497 


Me,  ib  86  prédpitaieDt  au  combat. 
Le  son  de  la  trompette  enflammait  en- 
»re  les  oonrages.  Le  signal  est  donné.; 
soudain  les  rames  retentissantes  frap- 
lent  d*an  battement  cadencé  Fonde 
lalée,  qui  frémit;  bientôt  leur  flotte  ap- 
>araît  tout  entière  à  nos  yeux.  L*ai1e 
Iroite  marchait  la  première  en  bel  ordre; 
l«e  reste  de  la  flotte  suivait ,  et  ces  mots 
«tentissaîent  au  loin  :  «  Allez,  ô  fils  de 
Grèce,  délivrez  la  patrie ,  délivrez  vos 
:  enfants,  vos  femmes ,  et  les  temples 
des  dieux  de  vos  pères,  et  les  tom- 
beaux de  vos  aïeux  :  un  seul  combat 
va  décider  de  tous  vos  biens  !»  A  ces 
ris  nous  répondons  par  le  cri  de  guerre 
les  Perses  :  Il  n*y  a  plus  à  perdre  un 
nstant.  Déjà  les  proues  d  airain  se 
leurtent  contre  les  proues ,  un  vaisseau 
;rec  a  commencé  le  choc  :  il  fracasse  les 
igrès  d'un  vaisseau  phénicien.  Ennemi 
entre  ennemi ,  les  deux  flottes  s'élan- 
«nt.  Au  premier  effort,  le  torrent  de 
'armée  des  Perses  ne  recula  pas.  Puis, 
ntassés  dans  un  espace  resserré ,  nos 
nnombrables  navires  ne  furent  les  uns 
K>ur  les  autres  d'aucun  secours.  Ils 
^entrechoquent  mutuellement  de  leur 
«c  d*airain  ;  ils  se  brisent  les  uns  les 
utres  leurs  rangs  de  rames,  tandis  que 
a  flotte  grecque ,  par  une  manœuvre 
labile,  les  enveloppe,  et  porte  de  tous 
9Ôtés  ses  coups.  Nos  vaisseaux  sont  ren- 
ersés';  la  mer  disparaît  sous  un  amas 
le  débris  flottants  et  de  morts  ;  les  ri- 
âges,  les  écueils  se  couvrent  decadavres. 
Tous  les  navires  de  la  flotte  des  bar- 
bares ramaient  pour  fuir  en  désordre  : 
lomme  des  thons ,  comme  des  poissons 
ru'on  vient  de  prendre  au  filet ,  à  coups 
le  tronçons  de  rames,  de  débris  de  ma- 
Irîers ,  on  écrase  les  Perses ,  on  les  met 
lo  lambeaux.  Enfin  la  nuit  montra  sa 
looribre  face  et  nous  déroba  au  vain- 
[ueur.  Je  ne  détaille  point;  à  énumérer 
ou  tes  nos  pertes,  dix  jours  ne  suffi- 
aient  pas.  Sachez  seulement  que  jamais 
iQ  un  seul  jour  il  n'a  péri  une  telle 
Dultitude  d'hommes. 

«  Artembarès,  le  chef  de  dix  mille 
'^valiers,  a  été  tué  sur  les  rochers  es- 
arpés  de  Silénie.  Dadaoès,  qui  oom- 
nandait  mille  hommes,  firappé  d'un 
ioup  de  lance,  est  tombé  de  son  bord, 
rénagon ,  le  plus  brave  de  tous  les  guer* 
riers  nactriens,  est  resté  dans  cette  tie 


d'Ajax  tant  battue  par  les  vagues.  Li- 
lée,  Arsame,  Argeste,  abattus  tous  les 
trois  sur  les  rivages  de  Ttle  chère  aux 
colombes,  se  sont  brisés  la  tête  contre 
les  rochers....  Gelui  qui  commandait 
à  trente  mille  cavaliers  montés  sur  des 
ooursiers  noirs,  Matallos  de  Chryse,  est 
mort;  sa  barbe  rousse ,  épaisse,  au  poil 
hérissé,  dégouttait  de  son  sang;  son 
corps  s'est  teint  de  la  couleur  de  )a 
pourpre.  Le  mage  Arabes ,  Artame  le 
Bactrien  ne  sortiront  plus  de  l'âpre  con- 
trée.. Ah!  la  ville  de  Pallas  est  une 
ville  inexpugnable!  Athènes  contient  des 
hommes  :  c'est  là  le  rempart  invin- 
cible! » 

Cest  ainsi  que  dans  Les  Perses  d'Es- 
chyle le  courrier  raconte  à  la  reine 
Atossa ,  la  mère  de  Xerxès,  tous  les  dé- 
tails de  cette  journée  si  lamentable 
pour  le  grand  roi ,  si  glorieuse  pour 
Athènes.  Aussi  le  poète  n'omet  rien  de 
ce  qui  signale  Athènes  dans  cette 
grande  action ,  et  à  côté  du  stratagème 
héroïque  de  Thémistocle,  il  raconte 
l'exploit  d'Aristide  dans  lUe  de  Psvtta- 
lie  :  «  Cette  jeunesse  de  Perse,  si  oril- 
lante  par  son  courage,  si  distinguée  par 
sa  noblesse,  par  sa  fidélité  au  roi,  a  pé- 
ri misérablement  d'une  mort  sans  gloire. 
Une  tIe  est  en  face  de  Salamine,  petite, 
d'un  accès  difficile  aux  vaisseaux ,  où  le 
dieu  Pan  mène  souvent  ses  chœurs. 
Cest  là  que  Xerxès  envoie  ses  guerriers. 

Sjnand  la  flotte  des  ennemis  serait  en 
ëroute ,  ils  devaient  faire  main  basse 
sur  tous  les  Grecs  qui  se  réfugieraient 
dans  l'île,  et  recueillir  ceux  des  leurs 
qu'y  jetterait  la  mer.  Il  lisait  mal  dans 
1  avenir.  Les  dieux  donnèrent  la  vic- 
tohre  à  la  flotte  des  Grecs;  et  ce  jour- 
là  môme  les  vainqueurs,  armés  de  toutes 
pièces,  débarquent  dans  Itle,  la  cernent 
tout  entière  :  les  Perses  ne  savent  plus 
par  où  fuir;  la  main  des  Grecs  les 
é^ase  sous  une  grêle  de  pierres;  ils 
tombent  percés  par  les  flèebes  des  ar- 
chers ennemis.  Pois  les  assaiUants  s'é- 
KKcent  tous  ensemble  d'un  même 
nd;  ils  fra|>pent,  ils  hachent;  tous 
sont  égorgés^  jusqu'au  dernier.  Xerxès 
sanglote  à  l'aspect  de  cet  abtme  d'infor- 
tunes; car  il  était  assis  en  un  lieu  d'où 
l'armée  tout  entière  se  découvrait  à  sa 
vue  :  c'était  une  colline  élevée ,  non  loin 
du  rivage  de  la  mer.  Il  déchire  ses  véte- 


32«  Utraison,  (  Iles  i>u  Golfb  Saboniqué.  ) 


32 


498 


LUNIVÈtlS, 


mentSf  il  pousse  des  cris  dé  désespoir, 
et,  doDDant  le  signal,  il  fuit  avec  son 
armée  de  terre,  précipitamment,  en 
désordre  (1)*  » 

Après  la  délivrance  de  la  Grèce ,  Sala- 
mine  reste  soumise  ou  plutôt  réunie  à 
Athènes,  qui  Tavait  peuplée  de  ses  co- 
lons. Aussi,  pendant  la  tyrannie  des 
Trente ,  des  Salaminiens  (2),  unis  à  ceux 
d*Ëleusis,  conspirent  pour  le  rétablisse- 
ment de  lia  liberté.  Jusque  sous  les  em- 
pereurs romains  Athènes  garda  Sala- 
mine,  qui  ne  lui  fut  enlevée  qu*avec  les 
derniers  restes  de  son  indépendance.  Au 
mo^en  âge  Salamine  subit  les  mêmes 
vicissitudes  que  l'Attique.  A  partir  du 
treizième  siècle  elle  fut  comprise  dans 
le  duché  d'Athènes,  qui  relevait  de  la 
principauté  d^Acbaïe,  et  qui  appartint 
successivement  aux  La  Roche,  aux 
Brienne,  aux  Catalans,  à  Frédéric  H 
Barberousse  et  aux  Acciauoli  de  Flo- 
rence. François  Acciauoli  la  possédait 
lorsaue  IVIalîomet  II  conquit  le  duché 
d'Athènes,  en  1456.  Depuis  ce  temps  jus- 
qu'à la  guerre  de  Tindépendance  Sala- 
mine  est  restée  au  pouvoir  des  Turcs.  £q 
1676  les  habitants  de  Salamine,  ainsi  que 
ceux  d'Egineet  de  Porosou  Gilaune, 
s'étaient  cotisés  pour  racheter  ducapitan- 
pacha,  de  qui  ils  relevaient,  l'affranchis- 
sement de  tout  redevance.  Cette  fran- 
chise leur  avait  été  vendue  sept  cent  qua- 
tre-vingt-cinq piastres.  Ils  sont  demeu- 
rés libres  depuis  ce  temps- là  (3). 

Au  temps  de  l'insurrection  grecque, 
comme  au  temps  de  l'invasion  de  Xer* 
xès,  les  Grecs  du  ooiitinent,  fuyant  l'ap- 
proche des  Turcs,  se  réfugièrent  dans  l'ne 
de  Salamine  avec  les  images  des  saints 
et  les  objets  sacrés  de  leurs  ^lises. 
R  Réunis  aux  populations  d'Eleusis  et 
de  Condura,  les  Grecs  vivaient  campés 
par  familles  au  milieu  d'une  tle  Aour» 
riciére  iPabeiUes,  mais  qui  ne  fournit 
presque  rien  aux  besoins  des  hommes. 
Le  couvert  d'un  olivier  rabougri ,  l'om- 
bre d'un  rocher,  les  grottes,  étaient  des 
lieux  enviés,  qu'on  tirait  parfois  au  sort 

(i)  fesehyle,  Pertes,  trid.  de  M.  A.  Picr- 
ron  ;  voyez  pour  compléter  le  rédt  d'Eschyle 
celui  d'Hérodote,  TIII,  84  et  suiv. 

(a)  Diod.  Sicul.,  XIV,  3« ,  4  ;  Raool  Ro« 
chette^  Coi,  Grecq,,  IV,  65. 

(3)  Dapper,  Descr.,  p.  a83. 


pour  abhter  les  Vieillards,  les  malades, 
les  femmes  et  les  enfants.  On  éprouvait 
les  plus  cruelles  privations,  et  û  plus 
pressante  de  toutes  était  la  sofC  (1).  • 
Ce  fut  dans  cette  situation  que  Tamiral 
Halgan,  qui  croisait  dans  ces  parases 
avec  la  Gtterrî^re,  trouva  les  Grecs  réu- 
nis à  Salamine.  Le  rapport  qu'il  ea  fit  à 
son  gouvernement  contribua  pour  beau- 
coup à  augmenter  l'enthousiasme  au^ex- 
citait  en  France  la  cause  des  Hellènes. 
Plus  tard ,  Colocotroni,  chef  du  pouvoir 
exécutif,  s'installa  dans  cette  Ile,  dont  h 
position  était  si  avantageuse  pour  cou- 
vrir à  la  fois  le  Péloponnèse,  et  diriger 
les  opérations  de  la  guerre  dans  la  Grèce 
centrale  et  en  £ubée.  Cependant  Ma- 
vrocordato,  son  rival,  restait  àXrlpo- 
litza  avec  le  corps  législatif,  dont  il  était 
le  président.  En  1823,  après  la  démis- 
sion de  Mavrocordato,  le  sénat  alla  re- 
trouver à  Salamine  le  clief  du  pou\olr 
exécutif  (2),  et  tout  le  gouvernemeot  fut 
concentré  dans  cette  seule  fie,  sauf  Ta- 
mirauté  d*Hydra.  Le  nombre  des  réfa- 
giés  augmentait  aussi  tous  les  jours.  On 
en  compta  bientôt  plus  de  200,000  (3.  ; 
maisladifficultédesapprovisionnements 
en  força  une  partie  à  se  transporter  sur 
Égine,  Calaurie  et  les  côtes  de  TÉpiddu- 
rie.  Salamine  ne  resta  pas  longtemps  le 
siège  du  gouvernement  hellénique;  à  la 
fin  de  1823,  les  circonstances  étant  de- 
venues plus  favorables,  il  quitta  cette 
position  de  fugitif,  et  vint  s'installer  une 

f)remière  fois  a  Nauplie.  Pendant  toute 
a  durée  de  cette  guerre  les  Tares  ne 
purent  pénétrer  une  seule  fois  à  Sala- 
mine. Aujourd'hui  cette  île  fait  partie 
de  la  nomarchie  de  l'Attique  et  Beotie. 
Le  bourg  principal,  et  presque  unique, 
de  cette  lie,  ^ui  a  repris  son  ancien  oom, 
est  Coulouri.  Il  est  situé  au  pied  d'une 
montagne  appelée  Hagios-Ilias ,  et  au 
fond  de  cette  baie  magulCque  qui  donne 
à  l'île  la  forme  d'un  m  à  cheval.  Cou- 
louri a  deux  mille  habitants,  pécheurs, 

(z)  t^oiiqtievflle ,  B'uL  dé  ht  ÊUgém,  tU  tm 

(1)  Idem.  Jhid,,  IT,  p.  393. 

^3)  Ceit  lé  chiffre  donné  ptr  FMifaetîik; 
iiiiu  Mn  histoire  ti*eM  Qu'une  hyperhole  ffln- 
tinnette.  L'higoumèm  du  couvent  de  Sati- 
nûe  n\  évalué  le  Bonibie  des  rifagiés  ^*a 
70,000;  ce  qui  est  plus  probable. 


ILES  DU  GOLFE  SÀRONIQUE. 


499 


marchands  de  poix  et  de  résine,  bate- 
liers, laboureurs,  population  d^origine 
albanaise.  On  y  trouve  des  églises  or- 
oées  d'assez  jolies  peintures  byzantines, 
principalement  celles  de  Saint  André  et 
de  Saint-Dimitri.  Mais  ce  quMl  y  a  de 
plus  curieux  à  visiter  aujourd'hui  dans 
rile  de  Salamine,  c'est  le  monastère  de 
Phanéroméni. 

Ce  vaste  couvent  est  situé  à  la  pointe 
Dord-ouest  de  Tile^  tout  urès  du  détroit 
ou  dpaua  qui  la  sépare  ou  rivage  de  la 
Mégaride,  et  que  Ton  traverse  avec  un 
bac.  Dans  une  grande  cour  carrée  »  au 
milieu  de  bâtiments  de  toutes  formes  et 
de  toutes  grandeurs,  et  qui  servent  a  Tha- 
bitationdes  moines,  à  leurs  travaux  d'a- 
griculture, à  rinstallation  des  malades 
ou  des  prisonniers  qu'ils  sonteharçés 
de  soigner  ou  de  garder,  car  en  Grèce 
un  couvent  est  aussi  un  bdpital  ou  une 
prison,  s'élève  l'église  de  la  Panagia,  la 
plus  grande  sans  contredit  de  la  Grèce 
actuelle,  avec  celle  de  Tinos,  mais  bien 
plus  intéressante  et  plus  précieuse  que 
cette  dernière,  à  cause  de  la  grande 
quantité  de  peintures  dont  elle  est  dé- 
Corée,  historiée  à  l'intérieur.  «  J'avais 
lu  dans  le  voyage  de  M.  Pouqueville,  dit 
le  savant  investigateur  des  antiquités 
gothiques  et  byzantines ,  M.  Didron» 
que  la  grande  église  de  la  Panagia-Pha- 
néroméoiy  à  Salamine,  était  complète- 
ment couverte  de  fresques,  et  que  le 
nombre  des  figures  qu'on  y  voyait  pein- 
tes s'élevait  à  cent  cinquante  mille. 
L'exagération  est  effrayante,  on  le  sent 
bien.  Cependant,  ce  nombre  étant  écrit 
en  toutes  lettres  et  non  en  chiffres,  on 
ne  pouvait  croire  à  une  erreur  typogra- 
phique ;  l'hyperbole  même  indiquait  par 
sa  monstruosité  que  la  quantité  de  ces 
peintures  devait  être  considérable.  £f-  - 
lectivement ,  lorsqu'on  entre  dans  cet 
^ifice  par  un  soleil  de  deux  heures  de 
l'après-midi,  ainsi  qu'il  nous  est  arrivé, 
avec  une  lumière  qui  éclaire  également 
Téglise  tout  entière»  on  est  bien  près 
d'absoudre  M.  PpuqueviUe  (i).  l^lgré 

(i)  Ttà  fn  constater  par  inm<4ikéme  l'effet 
saisissant  de  ce  iplettdtde  ipecuele,  pendant 
inon  passage  à  Salamine,  en  1847.  Je  me 
souvient  ^ae  l'higoumène  du  couvent,  le 
^'  Auxentioi,  qui  nous  fit  la  réception  la  plut 
cordiale,  vint  nous  chercher    mes  comp»* 


l'habitude  au*on  peut  a^oir  de  compter 
les  figures  d^entablement,  00  les  person- 
nages qui  tapissent  un  monument,  on 
est  étourdi  à  la  vuedeces  figures  hautes 
depuis  six  pieds  Jusqu'à  six  pouces,  qui 
s'alignent  le  long  des  murS,  qui  s'enrou- 
lent autour  des  archivoltes,  qui  escala- 
dent les  tambours  des  coupoles,  qui  se 
promènent  au  pourtour  des  absides,  qui 
sortent  de  partout,  s'enfoncent  dans 
toutes  les  longueurs,  et  montent  à  toutes 
lés  hauteurs.  Cependant,  il  faut  rabattre 
singulièrement  du  nombre  donné  par 
M.  Pouqtieville;  car  tous  les  person- 
nages ,  comptés  avec  la  meilleure  envie 
de  n*en  passer  aucun,  ne  s'élèvent  qu'à 
trois  mille  dnq  cent  trente,  ou  à  troiâ 
niille  sept  cent  vingt  -  quatre^  en  y 
ajoutant  les  cent  vingt-six  qui  déco- 
rent la  chapelle  adjacente ,  ou  les  reli- 
gieux font  l'office  quotidien.  Mais  ce 
nombre  ramassé  dans  un  petit  espace 
TOUS  enlève  de  surprise  à  la  première 
vue  ;  il  peut  justifier  M.  Pouqueville , 
oui  n'avait  pas  le  temps  de  compter  ces 
ngures  une  à  une,  ainsi  que  je  l'ai  fait. 

«  La  quantité  de  ces  figures  est  du 
plus  haut  intérêt  ;  mais  leur  disposition 
générale  et  l'arraneement  de  tous  les 
groupes  en  particulier  importent  plus 
encore.  La  cathédrale  de  Cnartres,  Tu- 
nique en  ce  genre ,  est  habitée  à  Tinté- 
rieur  et  à  l'extérieur  par  neuf  mille  fi- 
gures peintes  et  sculptées.  Tous  ces 
êtres,  créés  par  l'art,  sont  disposés  dans 
un  ordre  remarquable  et  suivant  lequel 
défile  régulièrement  sous  nos  yeux  Tnis- 
toire  figurée  de  la  religion ,  depuis  la 
création  Jusqu'à  la  fin  du  monde,  en 
passant  par  les  patriarches,  les  luges, 
les  rois  et  les  prophètes  ;  par  la  vierge 
et  Jésus-Christ  ;  par  les  apôtres,  les  mar- 
tyrs, les  confesseurs  et  tous  les  saints. 
Cet  ordre  est  exactement  le  même,  et  se 
montre  aussi  complet  sur  les  fVesques 
de  Salamine.  Il  était  naturel ,  puisqu'il 
est  chronologique. 

«  Mais  entre  Salainine  et  Chartres  oki 
constate  de   singulières  analogies.  A 

gnons  de  voya^  et  noi ,  âa  marnent  q«e  te 
soleil  cdmncn^t  à  tUaminer  l'inlérietr  da 
ré^iie,  où  il  Boni  accompagna  pour  jouir 
de  notre  sui|»riM  et  de  notre  adiniratio%  qui 
ne  lui  manquèrent  pet,  non  plus  que  noe  ro* 
roercîments. 

39. 


koo 


LUNIV£RS. 


Chartres,  commeaSalamine,  le  Juge- 
ment deroier  est  à  rentrée  de  l'église , 
contre  la  paroi  occideutale,  tandis  qu'une 
grande  Vierge,  tenant  l'enfaut  Jésus^  se 
montre  à  l'orient,  au  fond  de  l'apside. 
A  Salamine ,  comme  à  Chartres ,  l'An- 
cien Testament  se  développe  sur  le  côté 
gauche  de  l'église;  le  Nouveau  sur  le 
côté  droit.  Ce  système  de  décoration , 
épars  ou  incomplet  dans  les  autres 
^iises  byzantines  que  nous  avions  visi- 
ta jusque  alors,  nous  le  trouvions  con- 
centré et  parfaitement  développé  dans 
ce  curieux  édifice  de  Salamine.  Du  reste, 
à  Salamine  chaque  personnage  ressem- 
ble exactement  au  même  personnage 
peint  à  Athènes,  en  Livadie,  ou  en  Mo- 
rée;  chaque  tableau,  lorsqu'il  représente 
le  même  sujet ,  est  partout  traité  et  dis- 
posé de  même.  Les  saints  portent  des 
banderoUes  sur  lesquelles  sont  écrites 
des  sentences  tirées  de  leurs  ouvrages 
ou  de  leur  biographie;  aux  tableaux 
sont  attachées  des  inscriptions  extraites 
de  l'Écriture  Sainte,  dont  ils  offrent  les 
histoires.  Ces  sentences  et  ces  inscrip- 
tions sont  presque  les  mêmes  partout. 
«  Si  de  nos  jours  en  France ,  où  nos 
grands  peintres  sont  assez  instruits,  un 
seul  artiste  était  chargé  de  figurer  dans 
un  monument,  dans  la  cathédrale  de 
Paris,  je  suppose ,  l'histoire  universelle 
de  la  religion  exposée  par  les  héros  et 
tes  faits  de  cette  histoire^  il  est  douteux 
qu'il  pût  exécuter  une  aussi  vaste  com- 
position sans  faire  des  études  longues 
et  approfondies.  Je  dis  plus,  nous  n'a- 
vons pas  un  seul  peintre  capable  de 
mener  à  bien  un  pareil  travail  ;  il  n'y  en 
a  pas  un  seul  assez  instruit  et  assez  fort 
pour  porter  un  pareil  fardeau.  Mais  à 
Salamme  on  n'a  pas  seulement  peint  des 
personnages  et  figuré  des  scènes;  on 
y  a  encore  baptise  les  individus  et  les 
traits  historiques  au  moyen  d'inscrip- 
tions ou  d'épigraphes  qui  les  désignent 
ou  les  expliquent,  et  ces  épigraphes  sont 
extraites  de  toute  la  Bible  d'abord ,  et 
ensuite  d'une  grande  quantité  de  livres 
religieux.  Les  Œuvres  des  Pères ,  la 
Vie  des  Saints,  le  Grand  Ménologe  du 
Métapbraste  ontétémisàcontribition. 
Sur  la  banderole  que  tient  saint  Jean 
Damascène  est  écrite  une  sentence  ti- 
rée des  ouvrages  de  ce  grmid  docteur; 
if  en  est  de  lâme  pour  saint  Grégoire 


de.Nazianze,  samt  Basile,  saint  Jean 
Chrysostome  et  pour  tous  les  autres. 
La  difficulté  augmente  ainsi,  et  la 
science  que  devrait  posséder  l'artiste 
français  chargé  d'un  pareil  travail  oe 
se  trouverait  assurément  chez  personne. 
Quel  homme  devait  être  ce  peintre  de 
Salamine  pour  avoir  accompli  une  pa- 
reille entreprise  !  Je  ne  revenais  pas  de 
mon  étonnement,  que  mes  compagnons 
partageaient  au  plus  haut  degré. 

«  J  interrogeai  les  moines  du  couvent, 
surtout  les  plus  instruits,  et  je  n'en  pus 
rien  tirer.  Enfin,  sur  la  paroi  occiden- 
tale de  réglise,  à  l'intérieur,  je  vis  une 
inscription  que  portait  un  ange  peint,  et 
dont  voici  la  traduction  : 

1735. 

«  Ce  temple  Ténérable  et  sacré  a  élé 
a  peint.. ^.  par  la  main  de  Gorgioa  Maroos,  de 
«  la  ville  d  Argps,  avec  Paide  de  ses  élèves, 
«  NIcolaos  Beaigelos,  Georgalds  et  AaioiiiL  » 

«  Qu'était-ce  que  ce  Georges  Mare? 
Un  grand  homme  assurément.  Sa  patrie 
est  Argos ,  d'où  j'arrivais,  et  qui  est  à 
deux  journées  seulement  de  Salamine. 
Il  peignait  en  1735,  à  cent  quatre  ans 
seulement  du  jour  où  je  faisais  des  ques- 
tions sur  lui  et  sur  ses  élèves,  et  ner- 
sonne  ne  put  me  répondre.  Cependant 
j'étais  à  Salamine,  dans  l'église  raémeiHi 
il  avait  dû  passer  sa  vie,  et  je  m'adres- 
sais à  des  moines  dont  les  prédécesseurs 
immédiats  avaient  été  te  contemporains 
du  peintre.  Rentré  dans  Athènes,  je 
pris  auprès  des  hommes  les  plus  ins- 
truits des  informations  sur  Marc  d'Ar- 
gus et  ses  trois  élèves  :  toutes  mes  ques- 
tions restèrent  sans  réponse  (1).  » 

Certes  il  y  a  lieu  de  s'étonner  de  Pou- 
bli  profond  dans  lequel  est  tombé  le 
peintre  savant  et  habile  qui  a  fait  nne 
telle  œuvre,  dans  un  siècle  aussi  rap- 
proché du  notre.  Mais  le  mystère  s'expli* 
que  dès  qu'on  sait  que  les  artistes  de  Fé- 
cole  de  peinture  byzantine,  dont  le  mont 
Athos  est  encore  aujourd'hui  le  centre, 
sont  tous  des  religieux  instruits  dans 
leur  art,  par  un  enseignement  traditioo- 
nel,  travaillant  obscurément  dans  l'in^ 
teneur  des  monastères ,  sans  nul  souei 
d'une  réputation  personnelle  quMlsn*ont 

(i)  M;  Didron ,  JbRyuie/  Jtiamogrtfl» 
Ohrétiênif€\  Introd.,  p.  ix  et  saiv. 


ILES  DU  GOLFE  SARONIQUE. 


sot 


aucun  motif,  aucune  occasion  de  désirer 
et  d'acquérir,  et  ne  voyant  dans  l'art 
qu'ils  exercent  qu'un  moyen  d'ensei- 

§ner  la  religion  et  de  procurer  la  gloire 
e  Dieu.  Leur  condition  actuelle  est 
restée  la  même  que  celle  de  ces  nom- 
breux  artistes  inconnus  du  moyen  âge 
qui  ont  sculpté  les  portails ,  qui  ont 
peint  les  vitraux  de  nos  cathédrales  et 
dont  on  admire  les  œuvres  sans  même 
savoir  leurs  noms.  Il  est  du  plus  haut 
intérêt  d'observer  dans  les  couvents  du 
mont  Athos  les  derniers  vestiges  de  ces 
moeurs  de  l'art  chrétien,  fondé  par  l'É- 
glise, et  qui  a  instruit  et  charmé  nos  an- 
cêtres, dont  les  œuvres,  longtemps  mé- 
connues et  dédaignées  pardes  générations 
uniquemententiehées  de  l'antiquité  grec- 
que et  latine  (1),  reprennent  peu  à  peu 
leurs  droits  sur  les  esprits  d^agés  des 
préjugés  d'une  éducation  exclusive  et 
incomplète,  et  dont  les  principes,  les 
règles,  les  traditions,  les  procédés  re- 
deviennent Tobjet  d'une  étude  enthou- 
siaste, d'où  ce  grand  art  chrétien  peut 
espérer  de  voir  sortir  à  son  tour  sa 
propre  renaissance  (2). 

La  fondation  du  couvent  n'est  pas  de 
beaucoup  plus  ancienne  gue  l'exécution 
des  peintures  de  son  église.  Elle  est  de 
la  fin  du  dix-septième  siècle,  et  fut  dé- 

(i)  U  ne  s'agit  pas  id  bien  entendu  de  notre 
cpoque,  où  toutes  ces  questions  d^artsont  plus 
largemeni  comprises  que  dans  les  deux  der- 
niers siècles. 

(3)  M.  Didron  a  publié  sous  le  titre  de 
Manuel  tT leonograpfiie  Chrétienne  le  livre 
d'après  lequel  tous  les  peintres  du  mont  Athos 
apprennent  et  pratiquent  leur  art.  Cet  ou- 
vrage, dont  chacun  aeux  possède  un  manu- 
scrit qu'il  étudie  sans  cesse,  est  intitulé  *Ep|ii)- 
ve(a  Ttîc  Ccsypof  tx^C*  Guuk  de  ia  Peinture, 
Il  a  été  rédi|^  à  une  époque  ancienne  par  le 
moine  Denys,  peintie  du  couvent  de  Fouma, 
près  d*Agrapna,  en  Thessalie,  qui  s'était 
lomé  par  l'étude  des  peintures  de  Pansélinos, 
le  plus  célèbre  des  artistes  du  mont  Athos , 
qui  vivait  au  onzième  siècle.  Ce  traité  s'est 
complété  de  siècle  en  siècle  jusqu'à  notre 
cpoque,  et  résume  ainsi  tout  l'ensemble  du 
>ysteine  de  la  peinture  grecque.  J'ai  pu  me 
convaincre  par  une  comparaison  attentive 
^«c  quelle  exactitude,  sauf  quelques  déroga- 
jy  PM  importantes,  le»  prêicriptioas  de  ce 
Qvn  avaient  été  obtki  véct  par  Georgios  Mar- 
cosdansrexécQtioii  des  peiatarasdeSalamine. 


terminée  par  la  découverte  d'une  image 
de  la  sainte  Vierge.  On  raconte  que  Lam- 
bros,  paysan  de  Mégare,  s'endormit  un 
jour  en  travaillant  dans  son  champ. 
Pendant  son  sommeil,  la  sainte  Vierge 
lui  apparut  et  lui  ordonna  d'aller  cher- 
cher son  ima^e  et  de  lui  élever  une 
église.  Trois  fois  de  suite,  Lambros  eut 
cette  vision  merveilleuse,  toujours  dou- 
tant ,  et  n'v  obéissant  pas.  £nfin  mena- 
cé d'un  cnâtiment  à  la  quatrième  ap- 
parition, il  se  décida  à  se  conformer 
aux  ordres  pressants  qu'il  recevait.  Il 
alla  fouiller  à  l'endroit  indiqué ,  dans 
Salamine,  et  v  construisit,  en  1683,  le 
convent  et  l'élise  de  la  Panagia  Pha- 
néroméni  (^avspopivi]),  la  sainte  Vierge 
de  l'apparition.  Lambros  se  fit  moinç 
dans  le  monastère  qu'il  avait  fondé ,  et 

Ï)rit  le  nom  de  Laurentios.  Son  fils  atnét 
e  père  Joachim,  dirigea  la  communauté 
après  lui.  Il  fitcontmuer  les  travaux  com- 
mencés par  Laurentios  et  exécuter  la  dé- 
coration de  l'église.  Laurentios  était 
mort  en  1707  :  u  est  vénéré  comme  un 
saint  dans  cette  communauté  dont  il  est 
le  fondateur,  et  une  messe  fut  composée 
en  son  honneur  par  un  moine  de  Pnané- 
roméni.  Dans  ces  derniers  temps,  l'évéque 
d'Athènes,  lïéophyte,  a  retouché  cette 
messe  et  en  a  publié  le  texte,  en  le  ihisant 
précéder  d'une  vie  du  saint  d'où  sont  tî* 
rés  tous  ces  détails. 

Aujourd'hui  le  couvent  de  Salamine; 
bien  déchu  de  son  ancienne  prospérité , 
ne  contient  plus  qu'une  ringtaine  de 
moines,  dont  les  occupations  sont, 
comme  pour  tous  les  ealoyers  grecs,  les 
exercices  de  dévotion  et  les  travaux  de 
l'agriculture. 

Des  hauteurs  de  Salamine  on  aper- 
çoit, en  jetant  les  yeux  vers  les  côtes  de 
la  Gorinthie  et  de  rArgolide ,  le  golfe  Sa- 
ronique,  parsemé  de  rochers,  décneils, 
dllots,  auxquels  il  est  bien  difficile 
d'assigner  leurs  noms  anciens,  et  qui 
n'ont  pas  tous  des  nome  modernes.  Ce 
sont  :  a  l'ouest,  près  du  Pérama  de  Mé- 
gare, les  Méthondes,  aujourd'hui  les  Ré- 
vitiouses,  deux  rochers  qui  dominent  les 
hauteurs  du  couvent  de  Phanéroméni; 
au  sud,  à  la  pointe  de  la  vieille  Salamine, 
les  Ëleusai,  aujourd'hui  tles  Pelesteria , 
ou  Liansa  ;  Crangion  à  l'ouest  du  groupe 
préeédent,  peut-être  Fractèra  ;  Dendros, 
Kaîkiai,  Selaebusa,  qui  oorrespondent 


«)2 


i^TjHnnpRs- 


sans  doute  au^  Penténisi^.  Aspis,  Cen- 
chréfs,  dont  l'une  des  deux  est  Vte- 
brseo-Castro.  Tous  ce3  îlots  sontinhabir 
tés  ;  tour  à  tour  écueils  bu  abris ,  selon 
les  caprices  des  vçnts  et  des  flots,  pouf 


les  nombreux  calques  qui  çiloimeiit  le 

golfe  d'Êgine  (1).        ^ 

(x)   Forbiger,  Handà,  der  ah.    Geop-.y 
pr,  1017.'  ' 


ILE  d'é;gine. 


Position  géographique  de  l'île 
d^Égive.  —  Au  centre  du  golfe  Saroiiî- 

Î|ue,et  au  milieu  d'un  rempart  d'écueils, 
ortiGçaiioq  naturelle  sortie  des  flots  à  la 
voix  d*Ëaque,  suivant  la  tradition  my- 
thiqueque  rapporte  Pausanias  (1),  s*élèv^ 
rtled'E^ne,  A^y^va,  aujourd'hui  Égina^ 
ou  EngUk,  Autour  sont  semées  quel* 
ques  petites  lies,  qui  faisaient  sans  qoute 
pacti^  du  royaume  à'jEQcus  {yEacicUa 
Tfçna  »  Ovîd.  ),  et  dont  les  plus  consi- 
dérablea  sont  Pltyonèse  et  Cécryphalée, 
^etuellement  Anghiatri  et  Kyra,  à 
l'ouest  9  verit  la  côte  de  l'Épidaurie.  L9 
di^nce  d'Égine  aux  trois  rivages  de 
VÉpidauric^delaCorinthieetderAttiqua 
9'est  pa»  exactement  de  lOQ  stades, 
fOWQie  le  dit  $trabon;  mais  on  doit 
QOq^pt^r  du  port  de  Tîle  27  kilomètres  ^ 
ou  146  stades  olympiques,  au  port  de 
filégare;  41  kilomètres,  qu  220  stades, 
9U  port  de  Genchrée;  29  kilomètres,  ou 
167  stades ,  au  Pirée;  et  26  kilomètres , 
PU  140  stades,  au  port  d'Êpidauie. 

La  latitude  du  mont  Gros,  ou  pic 
fiaiot-^ie,  le  potnl  joulminaist  de  l'île, 
et  de  37"*  41'  52^  9"';  sa  longitude  à 
r^ouest  du  oiéridien  de  Paris  est  de 
SI»  9'  W  6''',  et  iià  hauteur  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer,  ^34*'*,  2.  Lasurfaoe  de 
cette  Ile,  qui  lutta  contre  Athènes  et 
lui  disputa  l'empire  de  1^  mer,  est  à 
peine  ae  06  kilomètres  carrés.  Sa  cîtt 
conférence  étmt  évaluée  à  liM)  stades 
par  Strabon  et  à  20  milles  par  Pline  (2). 

AnCIENHBS  ï&ÀDITIONS.  HI8TQIBE 

IPBIMITIVE  D'f.GiHE.  — :  L'bîstoîre  d'& 
gine  remonte  à  l'époque  mythique  de  la 
Gièoe.  Les  chants  de  Bindqre  (3),  où  se 

(x)  PMttaiat,  n,  94* 

(a)  Pidtlon  Boblsye,  Detçnpfiam  itÉ^m^, 

(3j  Pind,!  Ifém.,  m-T«|,  et  Isthm.,  Vf. 


trouve  racontée  comt^e  daus  Içs  épopées 
d'Homère,rbistoire  poétiqueet  l^endaîre 
deri)ellade  |)rimitive,  nous  montrent  les 
Ëginètes  d^à  célèbres  dans  les  siècles 
héroïques.  Eaque  et  ses  descendants  les 
Éacides,  Jélamon,  Pelée,  Achille,  Néopto- 
lème  reviennent  sans  cesse  dans  les  odes 
qu'il  consacre  à  chanter  la  gloire  des 
Ëginètes  v^queurs  aux  jeux  publics  de 
la  Grèce  :  et  grâce  aux  poétiques  récit» 
du  lyrique  tbébain ,  les  traits  les  plus  ia- 
iéressants  des  traditions  nationales  d'É- 
gine  nous  ont  été  conservés. 

L^ancien  nom  de  Ttle  était  C^Done  (1). 
La  traditioi^  ipythique  rapporte  que 
Jupiter  eqieva  l^ne,  fille  d^Asopus, 
fleuve  de  la  Phliasie ,  et  la  transporta 
dans  l'île  d'OEnone,  jusque  là  déserte. 

Cette  Ile  reçut  alors  du  dieu  le  nom 
de  la  nymphe  Ëgine ,  qui  l'y  rendit 
père  d'Éaque.  La  roble  ajoute  que  Ja- 
pîter,  voulant  donner  des  sujets  à  son 
fils,  changea  les  fourmis  en  hommes, 
et  fit  nattre  ainsi  le  peuple  des  Myrmi- 
dons.  Une  autre  tradition  fai^  venir  ce 
nom  4e  i^  ^îo  çôuterr^ine  des  premiers 
habitants  de  llle,  qui  avaient  creusé  leur 
sol  ingrat,  en  avs^ient  retiré  la  terre  pour 
en  faire  une  sorte  de  mariage,  et,  fa- 
iilisant  ainsi  les  rochers  quHU  habi- 
taieut ,  ^^taient  logés  dans  m  eavenai 
doublement  utilisées  par  leur  ûdus- 
iFie  (2). 

Ottf^iedMûller,  dans  ses  /P^rHieltoi, 
prélude  de  son  grand  ouvrage  sur  les 
Doriens  (8),  croit  reconnaître,  à  traven 

(i)  PiQd.,  Uihm.,  VH,  m  i  Oéà^  JCâr.. 

(9)  Slraban ,  YIU,  ^6>  «d«  Cu^ 

(3)  Oufr.  M6UfE»  j^gmtÉimt,  p.  t%  ctMir. 

Cf.  Haoïd  aoah«tt«|  CoL  Giwf,,  H,  iS?; 

M.  H.  Foitoiil,  dû  IJHm  Alklmfm^  Ma 


ILES  DU  GÛUR&  SAllONIQUE. 


668 


lei  vagDtt  iadieilkoBB  de  oaa  légendes, 
la  trace  de  deia  oolcmiflatioDs,  IHine 

rtie  de  Phlionte,  el  Taotre  de  la  Phthie. 
pense  que  BudioD ,  venB  des  oAtea 


ments  demeurent  enveloppée  de  doute 
et  de  téaèi»es,  et  les  traditions  ne  com- 
mencent à  présenter  quelque  elarté  qu'au 
noffleiit  où  elles  font  mention  d'Eaque 
et  de  ses  desoendants. 

Ëaque  était  le  plus  pieux  des  prinees. 
Ottfried  liûller  l'appelle  a\<ee  raison  le 
Noma  de  la  Grèce.  Lorsqu'on  avait 
un  différend  à  terminer ,  une  demande 
à  adresser  aux  dieux  par  une  voix  pro- 
pice, c'était  aux  pieds  d'ÉaquequeFonao- 
eourait  de  toutes  les  vallées  et  de  toutes 
les  plages.  Ovide  parle  d'une  peste  dont 
les  prières  de  ce  roi  délivrèrent  les  Grecs. 
An  rapport  de  Pausanias,  la  Grèce, 
depuis  longtemps  désolée  par  la  sé- 
cheresse, ^ait  ràluite  à  une  stérilité  fu* 
neste.  Les  Grecs  envoyèrent  consulter 
Tcuracle  de  Delphes  sur  la  cause  de  cette 
calamité,  et  sur  les  moyens  de  la  oonju- 
1er.  La  Pythie  leur  répondit  qu'il  fallait 
apaiser  Jupiter  irrité,  et  ajouta  que  les 
prières,  pour  être  exaucées,  devaientétre 
offertes  au  dieu  par  Éaoue.  Chaque  ville 
envoya  doue  des  ambassadeurs  à  oe 
pnnee,  qw,  après  avoir  offert  des  sacri- 
fices et  adreMé  des  prières  à  Jupiter 
Panbellénien ,  obtint  enfin  de  la  pluie 
pour  la  terre  desséchée.  Pausanias,  qui 
vivait  sous  If  aro-Aurèle,  avait  vu  encore 
à  Égine  un  antique  tombeau  de  marbre, 
snr  lequel  étaient  représentés  les  dé- 
putés de  la  Gr^  délivrée  du  fléau  par 
IHotereessiondu  fils  de  lafnymphe  Aso- 
pide.  La  mémoire  d'Éaque,  après  sa 
mort,  fut  télkement  vénérée,  que  les 
croyances  rdigieuses  le  placèrent  parmi 
les  trois  Juges  des  enfers  (1). 

fiaqoefutle  seul  roi  d'Egine.  Il  avait 
trois  fils  :  Pelée  et  Télamon ,  nés  de 
la  nymphe  Eudéis,  et  Phocus,  né  de 
Psammatbée  ,  ille  d'un  roi  d'Argos  (S). 
Phocus,  jouant  au  palet  avec  ses  frères, 
fut  tué  par  Pétée.  Eaque,  au  déaespoir, 

foin  de  Fart  grec  diaprés  Uj  martres  d'É- 
gine,  I,  aS. 

(3)ApoUodore,IIIyXl,7. 


chassa  de  ae^  royaume  ses  deux  fils 

aînés.  Les  fils  de  Phpcus  allèrent  éta- 
blir leur  demeure  dans  la  Phooide,  dont 
ils  étendirent  le  territoire  jusqu'à  celui 
des  Minyens  d'Orchomène,  et  jusqu'à 
Scarphée  dans  la  Locride.  Pelée  passa 
dans  la  Thessalie,  où  il  retrouva  Mé- 
nœtius ,  son  oncle ,  ^i  le  reçut  dans 
son  royaume  de  Phthie  ;  il  fît  partie  de 
Texpraition  des  Argonautes ,  combattit 
les  Amasones,  épousa  Thétis,  et  devint 
le  père  d'Achille.  Après  la  guerre 
de  Troie,  ^éoptolème,  fils  d'Achille, 
fonda  le  royaume  d'Èpire.  Télamoa 
n'alla  pas  aussi  loin  que  Pelée;  il  s'ar- 
rêta à  Salamine,  dont  il  devint  roi.  II. 
fut  aussi  associé  aux  exploits  des  Ar- 
gonautes, participa  aux  travaux  d'Her- 
cule, triompha  avec  lui  de  Laomédon  ^ 
roi  de  Troie,  épousa  la  fille  du  vaincu, 
et  en  eut  deux  fils,  Aiax  et  Teuoer.  Ajax, 
le  cousin  d* Achille,  rat  après  lui  le  plus 
▼aillant  des  Grecs;  il  disputa  les  armée 
du  fils  de  Bélée  à  Ulysse ,  qui  lui  fut  pré» 
léré;  dans  sa  fureur,  il  se  tua,  donnant 
ainsi  le  premier  exemple  de  suicide 
dont  l'histoire  fasse  mention.  Teucer, 
qui  se  présenta  devant  son  père  sans 
avoir  vengé  son  frère,  fut  chassé  par 
lui,  et  alla  conquérir  Ttle  de  Chypre  (1)- 
«  Ainsi ,  dit  M.  Fortoul,  de  ce  point 
imperceptible  de  la  Grèce,  qui  s'appelle 
Égme,  est  sortie  toute  la  race  des  héros 
qui  ont  préludé  aux  illustrations  poli- 
tiques de  la  Grèce.  Tous  ces  grands 
hommes  portent  le  nom  général  d'É»* 
eides.  Leurs  images  sont  déposées  dans 
les  temples  d'Égine,  et  ont  la  réputatioq 
de  rendre  les  Éginètes  indomptables. 
La  veille  de  la  bataille  de  Salamine  les 

trecs  envoient  prendre  les  imases  des 
acides  pour  les  porter  au  conÀbat ,  et 
les  Grecs  sont  vainqueurs  (3)  ». 

Pbospbbixb  d'Éginb.  —  Lorsque 
l'invasion  dorienne,  provoquée  par  les 
Héraclides,  bannis  du  Péloponnèse, 
vint  renouveler  la  fhce  de  la  Grèce  et 
interrompre  les  progrès  de  cette  civilisa- 
tion naissante  qu'elle  devait  à  ses.  rap- 
ports avec  rÉgypte  et  rOrient ,  ÉgIne 
reçut  de  nouveaux  habitants.  Une  co- 

(x)  Hérodote,  TIII,  46^  Pausanias,  Q 
39,  5;  Cf.  Raoul  Rochette,  Coi,  Greeq,^ 

II,  9X8. 

(a)  De tjrt egkAiienmgm,! ,  p.  aS. 


504 


L'UMVMS. 


bitants   de  TUe  eurent  bientôt  opéré 
une  Âision  complète  avec  les  nouveaux 

{)088esseur8  ;  ils  quittèrent  à  tout  jamais 
eur  premier  nom  de  Myrmidons,  pour 
prendre  celui  d*Ëginètes  (  Aî^cv^xai),  de- 
vinrent Doriens  de  moeurs  et  de  lan^ge, 
etreeonnurent  pour  métropole  Épidaure, 
dont  ils  acceptèrent  la  souveraineté. 
Au  nombre  des  successeurs  des  Héra- 
clideSf  qui  avaient  conquis  le  Pélopon- 
nèse, figura  Phidon ,  roi  d'Argos,  oui 
vivait  vers  l'an  895  av.  J.-C  Parmi  les 
différentes  institutions  qu'on  attribue  à 
ce  prince  on  doit  compter  celle  de  la 
monnaie,  dont  il  passe  pour  Tinventear, 
et  dont  il  donna  le  pnvilége  à  Ëgine; 
d'où  l'on  peut  conclure  que  cette  lie 
taisait  partie  de  ses  États  et  que  les  arts 
y  étaient  déjà  cultivés  avec  succès  dès 
cette  époque. 

Ëgine,  placée  à  l'entrée  du  golfe  Sa- 
ronique,  était  environnée  des  villes  les 
plus  florissantes  par  leur  industrie  et 
par  leur  commerce  :  Athènes,  Eleusis, 
Mégare,  Corinthe ,  Épidaure,  Trœzène. 
Elle  avait  devant  eiie,  du  côté  de  la 
mer,  les  Cyclades,  la  Crète,  Rhodes 
et  Chypre,  placées  entre  la  Grèce  et 
l'Asie  ;  cette  île  se  tronyait  ainsi  sur  la 
route  que  suivaient  les  nombreux  na- 
vires qui  allaient  des  tles  de  l'Archipel 
an  continent  de  la  Grèce,  et  du  con- 
tinent aux  lies  de  la  Méditerranée   et 
aux^entrepôts  de  la  mer  Ivoire.  Égine 
possédait  sur  sa  côte  occidentale  trois 
ports  contigns.  Le  plus  fréquenté ,  sui- 
vant Pausanias,  âait  celui  près  du- 
quel s'élevait  le  temple  de  Vénus.  Outre 
ks  avantages  de  leur  position,  les  £gi- 
nètes  étaient  encore  poussés  vers  les  en- 
treprises maritimes  par  le  peu  d'étendue 
et  de  fertilité  de  leur  territoire.  Aussi 
les  voit-on  de  bonne  heure  tourner  leurs 
efforts  du  côté  de  la  navigation.  Dès  le 
temps  de  la  guerre  de  Troie,  Égine  pos- 
sédait une  marine,  et  ses  navires  allèrent 
à  cette  expédition,  sous  la  conduite  du 
vaillant  Diomède  (1).  Antérieurement  à 
cette  époque,  elle  avait,  comme  la  plu- 
part des  autres  îles,  exercé  la  piraterie. 
Mais  elle  y  avait  renoncé  depuis  que 

(x)  Toy,  Homèra.y  //.  Il, ,  56a  et  «iiiv. 


Minos,  à  la  tête  des  flattes  eiétoins,  avait 
rétabli  la  police  et  la  sûreté  des  mers  (i). 
Plustard,  les  Éginètes,  pour  se  rendre  «I 
Élide ,  avaient  doublé  plusieurs  fins  le 
capMalée,  célèbre  par  mille  naufrages, 
et  celui  du  Ténare,  dont  l'aspect  seul 
faisait  pâlir  les  navigatems  grecs  ks 
plus  expérimentés.  De  bonne  heure  la 
marine  d'Égine  laissa  loin  derrière  elle 
eelle  des  autres  puissances  de  la  Grèee 
occidentale.  Cette  supériorité,  elle  la 
devait  à  la  hardiesse  de  ses  marias  et 
à  l'habileté  de  ses  constructeurs.  Tandis 
que  les  autres  Grecs  n*avaient  encore 

âuedes  vaisseaux  ronds,  Égine  possédait 
es  galères  longues,  dont  les  rames 
étaient  plus  lottg|ne8  aussi,  et  dont  la  pnme 
et  la  poupe  étaent  travaillées  aveenae 
scienee  et  un  art  déjà  assez  avancés.  La 
Éginètes  étendirent  au  loin  leurs  ope- 
rations  commerciales  :  ils  fondèrent  Çf- 
donie,  dans  l'tle  de  Crète,  déjà  peaplée 
de  colonies  doriennes,  et  envoyèreat 
unecoloniechezles  Om6ricseDllalie(}). 
Bientôt  aussi  ils  se  dirigèrent  vers  Iff 
côtes  de  l'Egypte ,  à  l'époque  où  lepba* 
raon  Amasis,  s'attacbant  k  développer  les 
relations  que  ses  prédécesseurs  avaient 
établies  entre  les  Grecs  et  les  Égyp- 
tiens, épousa  lui-même  une  GreeqiKt 
et  lui  fit  présent,  pour  ses  compatrioies. 
du  port  de  Naneratis,  qui  devait  aerrir  | 
d'entrepôt  à  leur  oommeroe.  n  aaigaa, 
suivant  Hérodote,  à  ceux  qui  nen»-  i 
draient  pas  fixer  leur  séjour  dans  ei 
port,  et  qui  ne  voyageraient  en  tgf^ 
que  pour  leur  commerce,  des  emplao^ 
ments  pour  y  établir  leurs  comptôind 
pour  y  élever  des  temples.  Déjà  te  Si- 
miens s'y  étaient  installés.  Les  É^iaèia 
imitèrent  leurexemple,  et  prirent  a  tdcbe 
de  les  effacer  par  leur  magnificenee.  G» 
deux  peuples  s'étaient  reneoatrés  pis- 
sieurs  fois  sur  la  Méditerranée,  oè  iev 
rivalité  les  mit  souvent  aux  prises.  Les 

S  roues  des  navires  samiens  captanes 
ans  un  combat  naval,  l'an  618  av.  J.  C. 
et  consacrées,  àÉ([ine,  dans  letem|iledr 
Minerve,  attestaient  que  les  Égmètts 
avaient  eu  l'avantage  W  dans  la  latte. 

L*lle  des  Éacides  prenait  donc  naf: 
parmi  les  puissances  politiques  de  h 

(i)  Thucyd.,  1, 4f 

(a)  Stnbon ,  YU^  376,  B,  ad.  Os. 

(3)  Hérodote,  m,  59. 


ILES  DU  GOLFE  SARONIQDE. 


505 


Grèce.  Jusque  alors  les  Égiuètes  avaient 
reconnu  la  souveraineté  d*Épidaure,  et 
lears  procès  étaient  ju^^és  par  les  triba- 
naux  de  cette  ville.  Mais  ce  rdle  secon- 
daire et  dépendant  ne  pouvait  plus  con- 
venir ni  à  leur  ambition  ni  à  leur  pros- 
périté toujours  croissante.  Bientôt  l'or- 
gueilleuse colonie  allait  se  révolter 
contre  sa  métropole,  ravager  son  terri- 
toire,enleversesdieux,etdu  mémecoup 
commencer  contre  Athènes  cette  guerre 
implacable,  qni,  née  avec  la  haine  de  la 
race  dorienne  contre  la  race  ionienne, 
devait  traverser  rinvasion  Persique,  et 
ne  se  terminer  que  par  l'anéantissement 
des  Éginètes.  Un  motif  religieux  servit 
de  prétexte  aux  hostilités.  Les  Épidau- 
riens,  affligés  d'une  grande  stérilité, 
avaient  consulté  l'oracle  de  Delphes.  Le 
dieu  leur  avait  ordonné  d'ériger  à  Da- 
mia  et  Auxesia^  divinités  qui  étaient  les 
mêmes  que  Gérés  et  Proserpine»  des 
statues  sculptées  en  bois  d'olivier  sau- 
^ge.  Les  Epidauriens ,  persuadés  que 
les  oliviers  cfe  l'Attique  étaient  les  plus 
sacrés,  demandèrent  auit  Athéniens 
d'empnmter  cette  offrande  à  leur  sol. 
Les  Athéniens  y  consentirent,  à  la  con- 
dition que  tous  les  ans  les  Épidauriens 
amèneraient  des  victimes  à  Minerve 
Polias  et  à  Ërechthée. 

Rivalité  d'Ëoins  et  b'Athànss. 
—  Ce  pacte  religieux  et  politique  était 
fidèlement  observé ,  lorsque  les  Éginè- 
tes, devenus  maîtres  de  la  mer,  arniè- 
rent  une  flotte,  déclarèrent  la  guerre 
aux  Épidauriens,  ravagèrent  leur  ter- 
ritoire, et  enlevèrent  les  statues  consa- 
crées, qu'ils  placèrent  dans  un  lieu  ap- 
pelé OÉa,  environ  à  vingt  stades  de  leur 
ville.  Après  s'être  ainsi  emparés  des  di- 
vinités protectrices  de  leur  métropole, 
ils  consacrèrent  à  chacune  d'elles  des 
cboréges,  'et  instituèrent  en  leur  hon- 
Denr  des  sacrifices,  et  des  chœurs  de 
femmes  qui  s'adressaient  des  invectives, 
3  TiroitatiOA  des  cérémonies  oteervées 
\  Épidaure.  Les  Épidauriens  depuis 
l'eâlevement  des  statues  sacrées  ces- 
sèrent de  s*acquitter  des  sacrifices  dont 
is  étaient  convenus  avec  les  Athé- 
liens.  Aux  menaces  d'Athènes,  Épi- 
iaure  répondit  que  tant  qu'elle  avait 
possédé  les  divinités  tutélaires,  les  en- 
gagements avaient  été  remplis,  mais  que 
iésormais  les  Éginètes,  qui  les  avaient 


ravies ,  devaient  payer  le  tribut.  Les  , 
Athéniens  envoyèrent  à  Égine  deman- 
der les  statues;  les  Éginètes  accueil- 
lirent la  réclamation  par  un  défi.  Une 
flotte  athénienne  vint  bientôt  opérer  une 
descente  dans  Itle  et  tenter  de  repren- 
dre à  main  armée  les  statues  contestées. 
Les  Éginètes»  avertis  du  projet  d'A- 
thènes, avaient  fait  une  alliance  avec  les 
Argiens,  qui  s'embarquèrent  à  Épidaure, 
et  vinrent  réunir  leurs  forces  a  celles 
d'Égine.  Ils  tombèrent  à  l'improviste 
sur  les  Athéniens,  au  moment  où, 
croyant  ne  rencontrer  aucune  résis- 
tance, ils  avaient  passé  des  cordes  au- 
tour des  statues  et,  cherchant  à  les  enle- 
ver de  leur  base,  les  avaient  contraintes 
à  s'agenouiller  sous  leurs  efforts,  pos- 
ture, ajoute  Hérodote  (1),  qu'elles  ont 
conservée  depuis  cette  époque.  Les 
dieux,  irrités  d'une  telle  profanation, 
firent  trembler  la  terre  sous  les  pas  de 
l'armée  sacrilège ,  qui  fut  anéantie  aux 
lueurs  de  la  loudre.  Un  seul  homme 
survécut  pour  aller  annoncer  à  Athènes 
la  vengeance  céleste  ;  et  encore ,  pour 
que  l'expiation  fût  complète,  au  moment 
où  il  racontait  ce  désastre,  les  femmes 
de  ceux  qui  avaient  été  de  l'expédition 
s'attroupèrent  autour  de  lui,  et  lui  de- 
mandant compte  de  la  mort  de  leurs 
maris,  le  firent  périr  en  le  piquant  avec 
les  agrafes  de  leurs  robes.  L'atrocité  de 
cette  action  parut  aux  Athéniens  encore 
plus  déplorable  que  leur  défaite  même, 
et  ne  sachant  quelle  autre  punition  infli- 
ger aux  coupables,  il  les  obligèrent  à 
prendre  les  habits  des  Ioniennes.  Elles 
portaient  auparavant  l'habillement  do- 
rien.  On  changea  donc  leur  ancien  vê- 
tement en  tuniques  de  lin,  afin  de  sup- 
primer les  agrafes  homicides.  Les  Ar- 
giens 9  au  contraire,  ainsi  que  les  Égi- 
nètes, en  souvenir  de  cette  action ,  qui 
complétait  leur  vengeance,  décidèrent 
qu'à  l'avenir  leurs  ûmmes  porteraient 
des  agrafes  une  fois  et  demie  plus  grandes 
qu'auparavant;  que  la  prmcipale  of- 
frande des  femmes  aux  déesses  Damia 
et  Auxesia  consisterait  en  agrafes  consa- 
crées ;  que  dans  la  suite  on  n'offrirait 
à  leur  temple  aucune  chose  qui  vint  de 
l'Attique,  pas  même  un  vase  de  terre, 
et  que  dans  les  sacrifices  aucune  libation 

(f)  Hérodote,  V,  79-9^. 


506 


1IAJÇÏV?I13. 


ne  pourrait  être  faite  qu'avec  des  coupes 

^  du  pays.  Telles  jfurent  les  premières 
hostilités  d'Ëgine  et  d* Athènes  ;  ainsi 

fmt  naissance  la  haine  de  ces  deux  o)- 
és,  que  la  religion,  Tinstinct  de  races 
ennemies,  et  surtout  \^  rivalité  d*indu8- 
trie,  d'art  et  de  commerce  devaient 
constamment  mettre  aux  prises. 

Aprèa  la  réduction  de  Chalcis  en  Hubée 
par  les  Athéniens  (  606  av.  J.-C-  ]i  les 
Thébain^,  cherchant  à  tirer  vengeance 
de  ce^te  victoire,  envoyèrent  cpuçult^ 
le  dieu  de  Delphes.  I^  Pythie  leur  ré- 
pondit qu'ils  nf  pourraient  se  vengeV 
par  çux-mémes,  et  leur  oon^eill^  dç  s'^*- 
dresser  h  leurs  plus  proches-  Le  peuple 
s'assembla,  et  les  avis  se  partagèrent  ^^r 
la  questÎQB  de  savoir  quel  peuple  dési- 
gpait  ainsi  Toracle.  Un  citove^  se  îeYfi 
s'écriant  :  «  Égine  et  Thébé,  nlies  d'Asoi- 
pua,  étaient  sœurs.  Le  dieu  vous  or- 
donne de  prier  les  £g\oètes  0e  nous 
venger.  »  Les  Théb^ins  envoyèrent  in>- 
médiatement  demander  le  secours  des 
citoyens  d'Égine.  Ceux-ci,  Gers  de  leurs 
richesses ,  et  auimés  par  leur  ancièniie 
inimitié  contre  Athènes,  &e  rendirent 
'  au)(  prières  des  Thébains,  et,  sans  au- 
cune 4pcldration  de  guerre ,  commencè- 
rent immédiatement  les  hostilités.  LeiM^ 
flotte  vint  opérer  une  descentei  dan3 
l'Attique ,  et  en  dévasta  les  câtefi.  Les 
Athéniens  se  préparaient  a  tirer  vei^- 
ge^nce  de  cette  agression,  lorsa^'il 
survint  de  pelphes  un  oiracle  qui  leur 
ordonnait  de  suspendre  le  châtiniêAt  des 
$ginètes  pendant  trente  ans  à  coqipter 
de  leurs  nreinières  insultes.  Si,  après 
avoir  élevé  u^  ten^ple  à  -^açuç,  ils  les 
attaquaient  la  trente  et  ùni^e  ^nQée , 
l'oracle  leur  promettait  la  vic^oire^  Les 
Athéniens  construisire^t  le  temple,  et  at- 
tendirent (1).  Ce  fut  d^ns  rintervaile 
de  cette  tr^ve  entre  les  dei|x  fkttis- 
sances  rivales  (493  av.  J.-Q.  )  que  les 
hérauts  de  Parius  vinrent  demanuer  en 
son  nom  aux  Grecs  la  ^rre  et.  Teau  en 
signe  de  soumission.  Plusieurs  peuples 
du  continent  et  la  plupart  des  insi^lairea 
obéirent.  L'oligarcoie  d'Égine,  dorienne 
de  mœurs  et  d'instincts,  et  par  oona^ 
quent  eimemie  de  la  démocratie  ieftieh- 
ne,  que  le  grand  roi  voulait  châtier,  se 
(tentait  plus  disposée  à  s'unir  aux  Perses 

(i)  Hérodote,  "V,  79  et  mtxu 


qu'à  les  combattre  :  elle  donna  au  Va 
tenant  de  Darius  le  gase  de  servitude. 
A  peine  cet  acte  fut-il  connu  dans  h 
Grèce,  que  les  Athéniens  accusèrent  à 
Sparte  les  l^gînètes  de  trahison  envers  h 
Grèce.  Sur  cette  accusation  (492  av.  J- 
C.},  Qéomène,  fils  d'Anaxandridas,  rai 
de  Sparte,  passa  à  Éj^iae  pour  arrêter  les 
instigateurs  de  la  défection.  Comme  il 
se  disposait  à  les  saisir,  toute  Faristû- 
cratie  de  rile  s'y  opposa,  et,  entre  tous. 
Grios,  fils  de  Polycrite,  qui,  agissori: 
d'après  le  conseil  de  Démarate,  Tâuire 
roi  de  Lacéd^mone,  lui  dit  qu'il  neic- 
mènerait  impunément  aucun  bu- 
tant d'Égine  ;  au'il  agissait  ainsi  sau 
Taveu  de  Ta  république  de  Sparte  et  seu- 
lement k  rinstigation  des  Athémess. 
qui  l'avalent  gagné  à  prix  d'argea; 
qu'autrement  il  serait  vec^u  avec  Fautre 
roi  pour  les  arrêter.  Cléomène,  étoonf 
de  cette  opposition  énergique,  lui  de- 
manda $on  noiQ,  «  Je  m'appelle  Criûs 
dit  rÉginète.  —  c  Eh  bien,  Crios,  rep- 
tit  Cléomène,  arme  bien  tes  cornes, es: 
tu  auras  à  lutter  contre  un  rude  adm* 
(faire.  9  Qrios  en  grec  signifie  ^er  il. 

Cléomène,  ayaiit  réussi  à  faire  dépo- 
ser Démarate»  fit  nommer  roi  à  sa  pla» 
Léotychide ,  et  marcha  avec  luicontrr  le 
Éginetes.  Ceux-ci,  voyant  venir  cootrr 
eux  les  deux  rois  de  Laoédémone,  ne  ent- 
rent pas  devoir  tenter  une  nlus  losg^e 
résistance.  On  choisit  dix  «es  citoyes' 
les  plus  distingués  par  leur  naissance  et 
par  leurs  Richesses,  et  ils  forent  nm 
entre  les  Qiains  des  Athéniens,  kin 
plus  grands  ennemis*  Parmi  ces  ouges 
se  trouvait  Crios ,  dojut  Cléoqiène  it- 
tait  ainsi  vengé  (491  av.  J.-C*}  W- 

Après  la  mort  de  Gléàmèoe»  les  Éfi- 
nètes  envoyèrent  à  Snarte  â&&  dépuks 
pour  acouser  Léotycnide  au  sujet  à 
la  détention  de  leurs  otages  k  Àiix- 
fies.  Les  juges  s'étant  asseoddés  déci- 
dèrent que  les  Éginètes  avamt  été  trai- 
tés indignen^ent  par  Léotjrchîde,  et  k 
condamnèrent  à  être  remis  entre  lecn 
mains.  Lee  ÉginèteSf  oraigiMu&t  aaoB 
jour  la  colère  des  Soartîatei  iw  vuit  a 
se  réveiller,  énoncèrent  i  T^xéeutkœ 
du  jueement,  ^  condition  que  Léotv 
chideles  suivrait  à  ÀUmeapoDr  faire 

<z)  Hérodote,  TI»  49f  l«- 
(a)  Hérodote»  YJ,  ^X 


ILES  DU  GQl^  0^OinQU£. 


ÂQ7 


lélivrer  leurs  eondtojens.  Ce  prince 

lia  vainement  redemander  aux  Athe- 
liens  les  otages.  Les  Éginètes  alors  se 
isposèrent  à  se  venser.  S'étant  mis  en 
(iiDuscade,  ils  enlevèrent,  à  la  hauteqr 
\a  promontoire  Sunium ,  La  Théoris, 
ette  galère  à  einq  rangs  de  raques  qtp 
DUS  les  ans  allait  a  Délos  accomplir' le 
oeu  de  Thésée,  et  mirent  aux  fer^  lés 
itoyens  les  plus  distingués  d'Athèpes, 
;ui  montaient  levaisseau.  Les  Athéniens 
airent  tout  en  œuvre  pour  tirer  ven- 
eance  de  cet  attentat.  Ils  soulevèrent  la 
éroocratie  d'Égine  contre  Toligarcbie 
ui  la  gouvernait.  Nicodrome,  citoyen 
ppartenant  à  l'aristocratie,  mécontent 
lèses  compatriotes,  s'était  a*abord  ban* 
i  lui-môme  de  sa  patrie.  Instruit  des 
rejets  des  Athéniens,  il  leiîr  promit  de 
îur  livrer  Égine.  Au  jour  ait ,  Nico- 
rome  s'empara,  ainsi  ^uMl  avait  été 
onvenu  dans  le  comolot,  de  cette  par- 
ie d'Êgine  qu'on  appellait  la  vieille  ville, 
fais  la  flotte  d*  Athènes,  forte  cependant 
e  soixante-dix  yaisseaux,  s^  trouva  trop 
iiférieure  à  celle  des  Éginètes  pour  li- 
rer  le  combat  :  l'insurrection  futécra- 
ée.  Nicodrome  s'enfuit  sur  une  barque 
luqu'à  Suniuni,  où  il  trouva  uu  asile,  et 
anstocratie  égînète  répondit  à  la  ré- 
cite par  le  massacre.  Exaspérée  i  la  foi^ 
ar  la  haine  et  par  le  succès,  elleaccom- 
lit  un  sacrilège  qui  laissa  parmi  les 
îrecs  un  loq^  et  odieux  souvenir.  Conim^ 
n  conduisait  au  supplice  sept  cents 
ommes  du  peuple  qui  avaient  été  faits 
risonnierSfUn  d  ei^tre  eux  s'échappa  des 
ens  qui  le  retenaient,  et  se  réfugia  dans 
!  temple  de  Cérès-Thesmophore.  Il  sai- 
t  le  marteau  de  la  porte,  et  s'y  tint  forte- 
lent  attacbé.  Les  exécuteurs  réunirent 
m  leurs  efforts  pour  lui  faire  lâcher 
rise.  Comme  on  n*y  pouvfiit  réussir, 
qu'il  fallait  à  la  fois  ooserver  le  droit 
asile  et  satisfaire  la  vengeance  des 
rands,  on  scia  au  fugitif  ses  mains  sup- 
liantes,  et  elles  restèrent  attachées  à  la 
)igiiée  delà  porte  pendant  que  le  mal- 
Bureux  fut  traîné  au  supplice.  Les  no- 
es,  dit  Hérodote  (1],  ne  purent  expier 
1  tel  sacrilège  par  aucun  sacrifice,  et 
rent  chassS  de  Ttle  avant  d'avoir 
>aisé  la  colère  de  Cérès-Thesmophore. 
La  flotte  des  Atfiénieas,  renforcée  de 

(0  Hérodote,  IV,  85,  93. 


quelque  vaisseaux  de  GQ|riutbe,  sedécida 
enfin  à  livrer  le  combat  ;  elle  rèmpqrta 
une  victoire  complète,  et  les  Éginètes 
furent  réduits  à  implorer  le  secours  des 
Argiens,  qui  permirent  seulement  à 
mille  volontaires,  commandés  par  £u- 
rybate ,  de  passer  au  service  d'Égine. 
Cette  petite  armée,  défejte  dans  Ttle 
par  les  Athéniens ,  fut  exterminée  pres- 
que entière,  après  avoir  perdu  son  chef. 
Mais  la  flotte  d'Égine  reprit  le  dessus  ; 
profitant  de  la  négligence  et  de  la  con- 
fiance extrêmes  dès  Athéniens ,  elle  les 
surprit,  les  mit  en  déroute,  et  enleva 
quatre  vaisseaux  avec  les  troupes  qui  les 
montaient  (1). 

Ce  fut  au  milieu  de  ees  alternatives  de 
victoires  et  de  défaites  des  deux  puissances 
rivales  que  Xerxès  entraîna  contre  la 
brèce  toutes  les  forces  de  l'Asie.  Les 
Grecs,  réconciliés  par  le  danger  com- 
mun, coururent  aux  armes ,  et  lorsque 
la  flotte  médique  pénétra  dans  le  golfe 
dTÉgine,  ellen'v  trouva  que  des  ennemis. 
A  la  iournée  de  Salanûne,  le  30  septeni- 
bre  de  l'an  480  av.  J*-C..  ce  furent  lés 
quarante-deux  trirèmes d'Èsine,  les  meil- 
leures voilières  de  toute  la  Grèce,  dit  lié-  ^ 
rodote  (2),  qui  décidèrent  la  victoire. 
Elles  occupaient  Taile  droite  de  la  flotte 
confédérée  (8).  Le  reste  de  la  mariue 
éginète  avait  été  laissé  en  croisière  pour 
protéger  Tîle. 

Au  moment  où  les  Perses,  mis  ei; 
fuite  ^  tâchaient  de  gagner  le  port  de 
Phalere,  les  Éginètes,  pmcés  dans  le  dé- 
troit, les  reçurent  avec  vigueur.  Poursui- 
vis; impitoyablement  par  les  Athéniens , 
les  barbares  n'échappaient  à  leurs  armes 
que  pour  tomber  sous  les  coups  des  Égi- 
nètes. 

Parmi  les  Grecs  gui  se  signalèrent  à  la 
journée  de  Salamine  nous  retrouvons 
un  descendant  de  Crios,  cet  opiniâtre 
ennemi  d' Athènes.  Polycrite ,  son  fils, 
avait  attaqué  un  vaisseau  sidonien  et  le 
pressait  vivement.  Au  plus  fort  de  l'en- 
gagement paraît  Thémistocle,  lancé  à  \a, 
poursuite  des  Perses.  Polycrite  reconnaît 
le  vaisseau  amiral  d'Athènes  à  la  figure 
dont  il  est  orné.  Il  appelle  alors  à  haute 
voizThémistocle,  et,  sans  cesser  de  eom- 

(i)  Hérodote,  lY,  85-93. 

(aj  Hérodote ,  VIII,  46. 

(3)  Diodore  de  Sicile ,  XI,  1^ 


508 


L1MVER8. 


battre  :  «  Chef  des  Athéniens,  lui  erîe- 
t-il,  reconnais  l'attachement  qu'Athènes 
reproche  aux  Éginètes  pour  les-  Mèdes.  » 
A  ces  mots  il  s'élance  à  l'abordage  sur 
le  vaisseau  sidonien ,  et  s'en  empare. 

Après  la  victoire ,  on  décerna  le  prix 
de  la  valeur  aux  Éginètes.  Au  second 
)rang  vint  Athènes  (1).  Ces  héros  de  la 
Journée  de  Salamine  n'étaient  pas  seule- 
ment épris  de  la  gloire;  restés  fidèles  à 
leur  instinct  commercial,  ils  surent  ti- 
rer profit  de  leur  triomphe.  Les  prémices 
de  rimmense  butin  ayant  été  envoyées  à 
Delphes,  les  Grecs  demandèrent  au  dieu, 
au  nom  de  tous  les  confédérés,  s'il  en 
avait  reçu  de  complètes  et  qui  lui  fussent 
agréables.  Le  dieu  répondit  qu'il  en  avait 
reçu  de  tous  les  Grecs,  excepté  des  Égi- 
nètes, dont  il  exigeait  un  présent,  parce 
qu'ils  s'étaient  distingués  entre  tous  au 
combat  de  Salamine.  Sur  cette  réponse, 
les  Éginètes  furent  contraints  de  fiiire 
leur  tardive  offrande,  et  consacrèrent 
au  dieu  trois  étoiles  d'or  élevées  sur  un 
mât  d'airain  (2),  hommage  forcé  et  peu 
coûteux.  Ils  conservèrent  ainsi  la  plus 
grande  partie  des  dépouilles  médiques, 
et  ils  grossirent  encore  leur  lot  par  une 
habile  spéculation  que  leur  suggéra  leur 
esprit  mercantile.  Après  la  bataille  de 
Platée  (479  av.  J.-G.),  les  Ilotes 
charaés  par  Pausanias  de  réunir  en  un 
seul  lieu  tout  le  butin  fait  sur  les  bar- 
bares en  détournèrent  une  grande  partie, 
qu'ils  vendirent  aux  Éginètes.  Ceux-ci 

{)rofitant  de  l'ignorance  de  ces  esclaves, 
eur  achetèrent  des  masses  d'or  au 
même  prix  que  si  c'eût  été  du  cuivre  (3). 
La  puissance  d'Égine  était  arrivée  à 
son  apogée.  L'île  comptait  au  moins 
5,000  citoyens.  A  cette  population  libre 
et  indigène  il  faut  ajouter  un  grand 
nombre  d'étrangers  domiciliés  et  une 
multitude prodigieused'esclaves,  qui  s'é- 
levait au  nombre  de  470,000,  si  le  cal- 
cul d'Aristote  dans  Athénée  est  exact  (4). 
Cette  prospérité  devait  nécessairement, 
une  fois  le  danger  commun  évanoui,  ra- 
nimer les  rivalités  des  deux  peuples.  Les 

(i)  Hérodote,  VIII,  91,  ga,  9$. 
(a)  Hérodote,  Vm,  laa. 

(3)  Hérodote ,  IX ,  79. 

(4)  AthcD.  Deipn^  liv.  VI,  ch.  xx  ;  —  Voy. 
aussi  Bœck,  économe  poUdaue  dts  MlU^ 


Athéniens  tournèrent  tous  leon  efforts 
vers  l'accroissement  de  leur  marine.  ïs 
eurent  iusan'à  quatre  cents  trirèmes 
Alors  Athènes  pouvait  écraser  Épœ. 
Tous  les  moyens  lui  furent  boos  pov 
satisfaire  sa  vengeance;  die  dépl^^à 
l'égard  de  son  antique  ennemie  on  a 

frand  acharnement,  qu'il  devintSproH^ 
ial,  et  qu'Aristote  en  fait  on  exeiopk 
de  lieu  commun  dans  sa  Rhétorique  ;ii. 
Ce  fut  entre  les  deux  dtés  une  gun 
d'extermination.  Périclès  avait  dit,  m 
parlant  d'Égine,  qu'il  fallait  détnâi 
cette  taie  placée  sur  l'œil  du  Piréeffl. 
Dès  que  la  guerre  eut  recommencé,  A 
fut  marqua  par  d'atroees  cruautés  ;kp 
Athéniens  firent  couper  le  pouce  de  s 
main  droite  à  tout  Émnète  lait  prtaoft- 
nier,  afin  de  le  mettre  dans  rimpossibilil 
de  se  servir  delà  lance,  sans  pourtant  q« 
cette  mutilation  l'empêchât  de  manjab 
rame  sur  les  galères  athéniennes,  oui 
serait  emoloyé  comme  esclave  (3).  Ei 
présence  cr un  tel  adversaire,  les  Éguièta 
auraient  dû  faire  cesser  leurs  différeodL 
Loin  de  là ,  leur  cité  se  déchirait  de  sef 
propres  mains,  et  préparait  par  ses  ësr 
sensions,  la  victoire  d'Athènes. 

En  457  (av.  J.-C. }  les  Athéniens ,  00a- 
mandés  par  Léocrate,  liYrèrait  à  h 
flotte  éginète  une  bataille  décisive.  U 
victoire  des  Athéniens  fut  com|^ète,tf 
soixante  et  dix  trirèmes  capturées  sa 
l'ennemi  en  furent  le  prix  ;  ils  pourscifv 
rent  jusqu'à  terre  les  vaincus,  et  mrst 
mettre  le  siège  devant  la  ville  (4).  Ls 
Éginètes  firent  une  défense  héroïque  é 
dâespérée.  Tous  leurs  efforts  éœoJr 
rent  devant  l'acharnemoit  des  Atl»- 
niens.  En  vain  les  Péloponnésîens  fir«ct- 
ils  passer  à  Égine  trois  cents  bopliles  )i 
occui>èrent  les  hauteurs  de  la  Géranjf  ; 
en  vain  les  Corinthiens,  alliés  d^Éginc^s* 
sayèrent-iisune  diversion,en  opérant  me 
descente  dans  la  Mégaride ,  les  Athé- 
niens, malgré  la  faiblesse  à  laquelle  le^r^ 
duisaient  les  troupes  nombreuses  qoD» 
avaient  en  Egypte,  ne  rappelèrent  pa 
un  soldat  d'Égine.  Leurs  entants  et  leur^ 
vieillards  prirent  l'épée,  quittèrent  Athè- 
nes, et  allèrent  secourir  M^are  sous  le 


i 


x)  ArisL,  Mftêi^  liv.  If,  ch.  xxii. 

a)  Pluiarque,  Pêrielèj,  8  ;  Démosikiae,  : 

(3)  Cioéron ,  i/e  OjfciU  ,  Kt.  III ,  di.  u. 

(4)  Diodoro  de  Sicile ,  XI,  7S. 


ILES  DU  GOLFE  SÀ&ONIQUE. 


fioe 


Hunandement  de  Uyoonkies  (1).  EnÛn 
s  Eginètes,  réduite  à  la  dernière  extré- 
lité,  durent  consentir  à  une  capitula- 
on  :  ils  furent  contraints  de  raser  leurs 
lurailles  et  de  payer  au  vainqueur  un 
ifaut  annuel  (2). 

Quelque  temps  après,  la  guerre  du 
éloponnèse  éclata  ;  Égine  reprit  quel- 
oe  espérance.  Pendant  le  si^e  de  Poti* 
ie(430av.  J.-C.)  les  Éginètes  avaient 
araillé  secrètement  avec  les  Gorin- 
ilens  à  hâter  la  rupture  de  Sparte 
;  d'Athènes  (8).  Les  Athéniens,  ins- 
uitsdeces  manœuvres,  les  accusèrent 
)  conspirer  avec  Lacédémone ,  opère- 
nt une  nouvelle  descente  dans  rîle , 
lassèrent  sans  pitié  les  habitants^ 
œmes,  enfants  et  vieillards,  et  distri- 
lèrent  leurs  terres  aux  colons  ou  clé- 
^ques,  citoyens  pauvres  de  TAttique , 
(on  envoyait  habiter  le  territoire  des 
iIdcus.  Les  Lacédémoniens,  en  haine 
Athènes ,  et  par  reconnaissance  des 
cours  qu'ils  avaient  reçus  des  Ëginètes 
rs  de  l'insurrection  des  Ilotes,  ac- 
leiliirent  les  fugitifs,  et  leur  dou- 
ant pour  séjour  Thyrée,  dont  le  ter- 
toire  fertile  confine  à  TArgolide  et  à  la 
iconie ,  en  descendant  jusqu'à  la  mer. 
ue  partie  des  Éginètes  sV  établirent; 
s  autres  se  dispersèrent  aans  le  reste 
>  la  Grèce  (4).  Mais  peu  d'années  après 
ur  établissement  à  Thyrée  les  Athé- 
cns  les  attaquèrent  de  nouveau.  A 
(ir  approche,  les  Éginètes  abandon- 
!feot  le  mur  de  fortification  qu'ils 
Qstruisaient  sur  le  bord  de  la  mer, 
tentèrent  de  défendre  la  ville  haute. 
}andonnés  d'une  partie  de  la  garnison 
^démonienne ,  ils  succombèrent  bien- 
^  dans  cette  lutte  désespérée.  Les 
^éniens  débarquèrent  avec  toutes 
irs  forces,  accablèrent  les  assiégés 
os  leur  nombre,  et  réduisirent  la  ville 
cendres,  après  Favoir  mise  au  pillage* 

emmenèrent  prisonniers  tous  ceux 
3,  soldats  d*Ëgine  qui  n'avaient  pas 
ri  dans  l'action,  et,  revenus  à  Athè- 
^  ils  les  livrèrent  au  bourreau  (5). 
lelques  années  plus,  tard   (404  av. 

iOThucydidc,I,io5. 
1»)  Id.,  I,  loS, 
P)Id..I,67. 

»  W.,  rv,  57  et  suiv. 


!.-€.)«  après  la  journée  d'i^os-Pota* 
mos ,  quand  le  vaisseau  paralien  arriva 
apportant  la  désastreuse  nouvelle ,  et 
annonçant  Tarrivée  de  Lvsandre,  on  se 
souvint  du  massacre  cies  Éginètes  : 
«  Cette  nuit-là  personne  ne  dormit ,  dit 
Xénophon;  ils  pleuraient  les  morts, 
et  se  demandaient  comment  les  Lacé- 
démoniens allaient  venger  leurs  amis 
les  citoyens  d'Égine  exterminés  (1). 
Lysandre,  maître  d'Athènes,  réunit 
les  débris  épars  delà  population  éginète, 
et  les  rétablit  dans  leur  patrie. 

L'île  d'Égine  recouvra  alors  un 
semblant  de  nationalité,  pâle  reflet  ce- 
pendant de  sa  splendeur  évanouie.  Ré- 
duite à  subir  la  protection  dominatrice 
de  son  ancienne  alliée,  elle  devint  tribu- 
taire de  Sparte,  et  dut  accepter  la  tutelle 
d'un  harmoste  lacédémonien.  Ses  ma* 
rins  formèrent  les  équipages  des  flottes 
lacédémoniennes,  et  elle  devint  un  cen- 
tre d'opérations  maritimes  contre  l'Atti» 
que.  Protégés  par  la  puissance  de  Sparte , 
les  corsaires  d'Égine  firent  la  course  con- 
tre les  navires  d  Athènes,  et  allèrent  en- 
lever jusque  dans  le  Pirée  les  trirèmes, 
,  les  vaisseaux  de  commerce  et  les  barques 
de  pécheurs.  Mais  bientôt  Athènes  se 
releva  de  son  abaissement,  et  reprit  sa 
supériorité  sur  Égine,  qu'elle  rendit  de 
nouveau  tributaire,  après  la  victoire  na- 
vale remportée  à  Naxos  sur  les  Lacédé- 
moniens par  Chabrias  (376  av.  J.  G.}- 

Depuis  cette  dernière  et  suprême  lutte 
contre  les  armes  athéniennes  jusqu'à  la 
réduction  de  la  Grèce  en  province  ro- 
maine, l'existence  d'Égine  se  révèle  à 
peine  dans  l'histoire.  Lors  du  siège 
d'Athènes  parCassandre  (319  av.  J.C.), 
ce  prince  fait  de  cette  Ile  sa  place  d'ar- 
mes; elle  reste  sous  la  domination  des 
rois  de  Macédoine  iusquc^vers  l'an  233 
av.  J.  G.,  époque  a  laquelle  elle  entre 
avec  Athènes  dans  la  Ligue  acbéenne. 

Enfin,  lors  des  guerres  des  Romains 
contre  Philippe,  après  avoir  tenté  un  essai 
de  résistance,  les  Éffinètes  sont  réduits 
à  la  prière.  Ceux  crentre  eux  qui  n'a-, 
valent  pu  trouver  leur  salut  dans  la 
fuite  se  présentent  en  suppliants  devant 
le  général  romain,  Pobiias  Sulpitius, 
pour  obtenir  de  lui  la  permission  d'en- 
voyer des  députés  vers  leurs  alliés,  afin  de 

(i)  Xénopkon,  Heliéniques,  W^i. 


510 


t'UiviVERS. 


rassemblerlebrilcde  letirrdoçon.  PubUus 
leur  fdit  d'aDord  durement  sentir  leur 
défaite  et  leur  impuissance.  Le  lende- 
main, cependant,  ayant  réuni  touâ 
les  capti&,  il  leur  dît  que  les  Ëginètès 
Ile  sont  dignes  d'aucune  pitié;  mais  due 
ciependant,  par  considération  pour  les 
autres  Grecs,  il  leur  permet  de  donnelr 
à  quelques-unâ  d'entré  èUx  la  mission  dé 
recueillir  Targent  néees$àiré  à  leur  ra- 
chat (1).  La  rançon,  il  paraît,  ne  put 
être  réunie,  et  les  débris  de  ce  peuple 
qui  avait  possédé  470,000  esclaves  tu- 
rent livrés  comme  appoint  d'un  traité, 
parle  Romain  Sulpitiuâ,  àUxËtOliens, 
qui  les  vendirent  aii  roi  Attale  pour  la 
faible  somme  de  30  talents  (environ 
160,000  francs)  (2). 

Dans  toute  la  suite  de  cette  guerre , 
Égîne  servit  de  quartier  eénéràl  aux  Ro* 
mains,  à  Attale,  auxRbooiens,  dans  leurâ 
opérations  maritimes  éontre  la  Macé- 
doine. Après  la  chiite  du  royaume  de 
Pergame,  elle  tomba  sous  la  domina- 
tion du  sénat,  qui  lui  laissa  son  adminis- 
tration particulière.  Plus  tard  Marc-An- 
toine fit  don  de  Tile  aux  Athéniens,  qui 
l'avaient  flatté  (3). 

Cette  période  obscure  de  l'histoire  d*Ë- 
gine  a  été  éclaircie  de  la  manière  la  plus 
heureuse  par  les  récherches  de  M.  Phi- 
lippe Lebas,  dans  son  savant  travail  sur 
une  inscription  grecque  d'Égine,  extrait 
du  tome  II  des  Nouvelles  Annales  pu* 

(i)Polybe,IX,4a. 

(a)  Polybe,  XXIII,  8. 

(3}  Dàpner  (Description  des  lies  detArehi' 
pel)  parle  d'uo  tremblement  de  terre  qui  aurait 
renversé  la  capitale  de  Tile,  et  touché  de 
compasssion  Tempereur  Tibère  au  point  qu'il 
aurait  accordé  aux  habitants  une  immunité 
d'impôts  de  trois  ans.  Ce  malheur  fut  peut* 
être  le  seul  qui  manqua  dani  la  longue  iérïé 
d'infortunes  que  pah»>urttt  Ëgine  depuis  sa 
déebéance.  CesihjBptim,  vilie  de  TAchaîe, 
confondue  par  quelques  traducteurs  de  Tacite 
avec  Égire ,  ville  du  môme  pays,  et  de  là,  par 
similitude,  avec  Égine,  qne  se  rapporte  le  tait 
que  nous  venona  d'énonofs*.  (Voy.  Tacite» 
jâtmahÊ,  IT,  i).  )  En  terraÎBant  cette  note» 
noes  voyons  qœ  nouft  nous  sommes  rencon* 
tréevec  M.  Ph.  P.  Lebei»  qei  avait  oonstaté  U 
même  erreur,  et  Tavait  rectifiée  dans  son 
travail  sur  une  inscription  grecque  d'É^ne,' 
extrait  des  Annales  de  tlnstitut  Arekéolo-' 
gique. 


bliées  par  la  seetioh  française  de  r/«- 
stitut  archéologique,  «  11  me  reste,  dit- 
il,  à  résumer  en  peu  de  mots  les  difl6 
rentes  questions  qtli  ont  été  discutas 
dans  ce  mémoire,  et  à  constater  qoeOei 
nouvelles  lumières  rarchéoiogie  et  rk- 
tbite.  doivent  aux  deux  déaretsqaeje 
viens  d*examiner. 

«  On  ignorait  jusqu^iei  quelles  araiol 
été  ieë  destinées  politiques  de  111e  dt- 
gine  depuis  405  avant  J.-G  jusqu'à  1^ 
poque  ou  elles'associa  à  lallgueacDéeDX. 
On  savait  bien  qii^en  376  elle  était  es- 
core  dans  la  cotidition  où  Tavait  pla^ 
Lysandre  après  la  bataille  d'i£sos-Pot?* 
mos,  puisque  le  Spartiate Pouis  Tint; 
mdtiiller,  et  tint  ae  là  Athènes  assié- 
gée (  1!).  On  avait  bien  aussi  quêtais 
soupçon ,  d'après  un  passage  d'Aristote. 
que  'Charès,  en  367,  l'avait  reodoe  i 
Atbènes:  et  TËginétique  d'Isocrate,  qoi 
suppose  des  relations  intimes  entre Érj>« 
et  Athènes ,  Texil  de  Demosthèoê  : 
Égine,  d'où  il  tut,  par  ordre  dapic- 
vemement,  ramené  en  Attique  sur  biv 
galère  de  l'Etat  (2) ,  enfin  l'asile  qo'H)- 
péride,  Aristonique  de  Marathon,  Hh 
mérée ,  frère  de  Démetrios  de  Phalcre. 
et  d'autreâ  encore  vinrent  chercher  it& 
V^aceium^^oh  Archias  les  arraeha,s>3f; 
par  force,  soit  par  ruse (3),  prétaierttà 
cette  opinion  quelque  vraisemblaoc^: 
mais  comme  ensuite  l'histoire  montrât 
Égine  occupée  par  ceux  des  sueoessecrs 
d'Alexandre  qui  furent  en  guerre  anc 
Athènes,  et  leur  servant  d'arsenal  et ik 
pbint  d'attaque ,  les  uns  avaient  supp^^ 
qtie  le  fait  en  question  se  rapportai!  i 
une  autre  époque  (4),  d'autres  Tavalart 
considéré  comme  incertain  (5  ). 

«  Aujourd'hui,  ce  me  semble,  d*apr^ 
les  nouvelles  liunièreS  que  jette  sureeitt 
question  le  décret  en  l'nonneur  dastn* 
tége  pergaménien,  il  n'est  plus  pem^ 
de  douter  qu'Égine  n'ait  été  recoDijui^' 
par  Athènes  en  367  ,  grâce  au  coura^ 
et  aux  talents  militaires  de  Charés.^^ 

(i)  Xén.,  HeU.,  liv.  V,  ch.  w,  %  6i. 
(a)  Plut.,  Vie  de  Dém.^  cb.  xxTt  et  w^ 

(3)  Ibid.,  ch.  xxviii,  et  Arrien,  Sacc.  /  ^ 
lex.,  dans  la  Bibl.  de  Photins,  Ms.  ICII 

(4)  Toy.  Gasaub.  sur  Polyb.,  p.  <'^; 
Gronov.  Wesseling  sur  Hérod.,  p.  T?' 
Schneider  sur  Xén.,  HeU»t  p.  «>9. 

(5)  Tojr*  M.  MâUefy  p.  191. 


ILES  DU  GOLFE  SARONIQUE. 


511 


xïnsert^,  tttalgfélès  tentative  de  té- 
rolte  des  habitants,  grâce  à  la  fermeté 
!t  à  rénergie  de  ce  général  ;  que  dans 
;e8  jours  malheureux  où  Antipater  per* 
iécuta  les  derniers  défenseurs  de  la  lî- 
}erté  d*Athènes,  cette  île  appartenait 
iDcore  aux  Athéniens;  qu*à  partir  de 
ette  époque  y  souvent  oecupée  de  vive 
orce,  mais  toujours  temporairement, 
antôt  par  Cassandre,  tantôt  par  Démé> 
rius ,  Egine  dut  relâcher  de  plus  en  plus 
e  lien  qui  Tunissait  à  Athènes,  sans 
ependant  le  rompre  entièrement.  Ausçi 
a  voyons-nous ,  dès  qu'Athènes  est  dé- 
ivrée  par  Aratus ,  s'unir,  sans  doute  à 
m  exemple ,  aux  Achéens,  dont  le  chef 
léroîcjue  vient  de  rendre  Tindépendance 
la  vilie  de  Périciès.  Bien  Qu'affranchie 
n  quelque  sorte  par  Textreme  faiblesse 
u  est  tombée  Athènes,  et  par  ce  dernier 
cte  qui  la  fait  entrer  comme  état  libre 
lans  une  confédération  puissante^  Égine 
l'en  consenre  pas  moins  Torganisatioa 
t  les  institutions  que  Charès lui  a  don* 
iées,et  la  pt'udeute  politique  des  rois  de 
^ergame,  quand  ils  l'achètent  des  Èto- 
îens,  ne  change  rien  en  apparence  à  cet 
lat  de  choses  .qui  se  maintient  pendant 
Dut  le  temps  de  leur  domination.  Seu- 
iment  un  gouverneur  militaire ,  envoyé 
ar  eux ,  représente  leur  autorité  dans 
ile,  et  leur  en  garantit  Tobéissance.  De 
!ur  c<)té,  les  habitants  apportent  à  leurs 
istitutlons  religieuses  quelques  modi- 
cations,  qui  ont  pour  but  de  flatter  leurs 
ominateurs.  Lorsque,  en  130  avant 
•C,  le  dernier  reieton  des  Attalides 
Jt  succombé  sous  les  efforts  de  Rome« 
?ine,  qui  sans  doute  lui  était  restée 
Jèle,  est  envahie  par  les  anciens  par- 
saas  de  la  ligue  achéenne ,  probable- 
eot  Doriens  pour  la  plupart ,  qui  s*é- 
ieot  exilés  lors  de  l'arrivée  d'un  maître. 
ne  révolution  politique  s'opère  dans 
le  :elle  redevient  dorienne,  et  reste 
m  cette  situation  malgré  la  guerre  de 
ithridate,  malgré  les  incursions  des 
rates,  jusqu'au  jour  où  Antoine  la 
Qd  aux  Athéniens ,  qu'Auguste  en  dé* 
mille  peu  après.  Alors  TTle  recouvre 
mtonomie  jusque  sous  Vespasien,  qui 
lui  enlève  eaeore  une  fois;  mais  Ha- 
len  la  lui  rend,  et  elle  en  iouissail 
icore  sous  le  règne  de  Caracalla. 
«  Ainsi  avec  le  seul  secours  de  quelques 
iscriptions ,    passablement   mutilées , 


j'ai  pu,  avec  une  tiflMnè  efertityaé, 
restituer  aux  Éginètes  près  4t  six  cents 
années  de  leur  histoire  (1  ).  Je  m*estime 


(i)  C'est  ce  que  rendra  aemible  le  tableau 
chronologique  luivant  y  ou  j'indique  par  un 
astérisque  les  dates  qui  ne  sont  que  conjectu- 
rales : 

Av.  J.-C.  367.  %iné  est  f%cdnquise  par 
Charès,  oui  y  reste  probablement  quel- 
qties  anneips  en  statioii  àtéc  la  fldtte  athé- 
nienne. —  Rétablissement  de  la  démo- 
CTZXïvt  et  dés  institutions  athéniennes. 

*366.  Unb  conspiration  éthte  ;  elle  est  com  • 
primée. 

3s4.  Bémosthètie  exilé  à  tgmh.  Plut.,  bem,, 
ch.  xiVi. 

3!i3.  n  est  rappelé,  et  ramené  sur  Vkh  tais- 
seau  envoyé  par  le  gouvernement.  îbfdeih, 
ch.  XX vu. 

32».  Hypéride  est  tué  &  Égine.  ihid,, 
ch.  xxvrzi. 

3 18.  Cassandre  force  les  Éginètes  à  s'associer 
h  lui.  Diod.  Sic,  liv.  XTHI,  ch.  i.xtx. 

3o^.  Démétrius,  sorti  d'Égine  et  de  Salamine, 
s'empare  du  Pirée.  Polven,  liv.  lY,  ch.  vn, 
S  5.  Cf.  P!ut.,-i>em.,  cB.  Viir. 

229.  Athènes  est  délivrée  du  joug  macédo- 
nien par  Aratus.  Égine  s'uttit  à  la  ligue 
achéenne.  Plut.»  Arat.,  ch.  xxxiv. 

axi.  Elle  est  prise  par  Sulpiciuâ  et  par  les 
Étoliens,  qui  en  chassent  satas  doute  une 
garnison  macédonienne. 

an.  Égine  et  m%  habitants  sont  achetés  par 
Attale  I*'  au  proconsul  Sulpicîus  et  aux 
Étoliens.  Polybe,  XXÎII,  8.  —  Émigration 
de  la  population  dorienne.  Toyez  p.  i34 
et  139.  ; 

*aio.  Attâle  envoie  un  de  ses  gardes  du  corps 
pour  gouverner  llte  en  son  nom. 

ao8.  Attale  vient  à  Égine.  Tite-Iive,  XXVÏI, 
3o.  Il  y  passe  l'hiver  avec  P.  Snlpicius* 
Ibid.  33,  et  XXVHI,  5. 

207.  P.  Sulpicius  ramène  la  flotte  ft  Égine. 
Tite-Live,  XXVIII,  7. 

aôi.  Attale  et  les  Rhodiens,  après  avoir 
poursuivi  Philippe  III.  qui  se  retire  en 
Macédoine,  vont  mouiller  à  Égioe,  et  de 
là  le  roi  se  rend  à  Athènes ,  où  il  est  comblé 
d*honneurï. Polybe,  XTl,  a5,  et  Tite-Live, 
XXXI,  14.  Il  retourne  auprès  de  sa  flotte, 
et  va  chasser  les  earnisons  macédonienne^ 
qui  occupent  les  lies.  Tite-Live,  ibid^^  xSf. 
Il  s'arrête  ensuite  ï  Égine  pour  attendre 
les  députés  que  de  cette  tlé  il  à  envoyés 
en  Étolie.  Ibid, 

*aoo  Philétère,  fils  d'Attàle»  est  envoyé 
conune  stratège  à  Égiue. 


M2 


LUNIYEaS. 


d'autant  plus  heureux  d*un  pareil  résul* 
tat ,  que  jusqu'ici  la  plus  ^nde  obscu- 
rité avait  régné  sur  cette  époque,  mal- 
gré les  recEerches  consciencieuses  du 
savant  à  jamais  regrettable  qui  le  pre- 
mier s'est  occupé  de  reconstituer  les  ar- 
chives d'une  contrée  non  moins  illustre 
dans  les  fastes  de  la  régénération  de  la 
Grèce  aue  dans  l'histoire  de  cette  lutte 
solennelle  et  décisive  où  ses  guerriers 

198.-  AUale  passe  Thiver  à  Egine.  Tite-Iive» 

xxxn,  39. 

197.  Atlale  est  confirmé  dans  la  possession 
d^Égine  à  la  paix  conclue  par  les  Romains 
avec  Philippe  III. 

i^a.  Eamène  s'arrête  longtemps  à  Egine , 
incertain  s*il  doit  retourner  en  Asie  pour 
défendre  ses  États  contre  Antiochus  ou 
l'ester  auprès  des  Eomains.  Tite-Live, 
XXXVl ,  4a. 

186.  Gassandrê  proteste  contre  la  vente  d'É- 
gincy  et  demande  que  Tile  soit  rendue  à  la 
ligue  acbéenne.  Polvbe,  XXIII,  8,  9. 

17a.  Eumène,  attaque  et  blessé  par  lès  émis- 
saires de  Persée,  se  réfugie  à  Égine.  Tite- 
Live,XUI,  16. 

*i7i.  Philétère  est  r&ppelé;  il  est  remplacé 
par  CléoUy  garde  du  corps  du  roi. 

*i55.  Décret  des  Éginètes  en  Thonneur  de 
Gléon. 

*x3a.  Le  stratège  pergaménien  d*Égine  se 
déclare  pour  Aristonique. 

*t3i.  Il  lui  envoie  des  secours  levés  en 
Acbnle. 

*i  3o.  Défaite  d' Aristonique.  —  Les  Romains 
rétablissent  en  Grèce  les  confédérations 
xttTà  £6voc,  celle  des  Achéens  exceptée. 
Ces  confédérations,  qui  sont  doriennes, 
favorisent  le  retour  des  bannis  d'Egine. 

^129.  Retour  des  Doriens  à  Égine;  révolu- 
lion  dans  nie. 

Sft  et  suiv.  L'île  d^Égine  est  envahie  par  les 
pirates  ;  la  ville  résiste. 

*6e.  Décret  en  l'honneur  de  ragoraoome  Dio- 
dore. 

4r.  Antoine  donne  Égine  aux  Athéniens» 
Réaction  athénienne. 

3o.  Auguste  hiverne  i  Égine;  il  écrit  de 
cette  île  aux  Athéniens. 

1 1-74.  Auguste  enlève  Égine  aux  Athéniens. 
Elle  reste  libre  sous  Yespasien. 

74.  Égine  perd  son  autonomie  sous  Ycspa* 
aien. 

lài.  EHe  la  recouvre  sous  Adrien. 

i6x-x8o.  Elle  en  jouit  encore  sons  Març« 
Aurèle. 

X  96-9 1 X .  $oos  Septime-Sévère. 

a  r  x-2  T 7 .  Sous  Caracalla. 


mériteront  k  prix  delà  Tafeur  à  Sala- 
mine.  » 

Egine  bans  les  temps  modernes. 

Sous  les  empereurs  grecs,  Émne  tra- 
verse obscurément  les  lones  siècles  qui 
s*écou1ent  entre  l'invasion  des  bsuitares  et 
les  croisades.  Ce  n'est  qu'après  la  prise 
de  Gonstantinople  par  Banaouin  et  la 
croisés  en  1204  qu'il  est  de  nouveau 

Suestion  de  cette  île.  Lors  du  paitas? 
e  l'empire  grec,  elle  échut  à  la  répubti- 
Sue  de  Venise,  et  Galeas  Blalatesta,  gen- 
re d'Antoine  le  Bâtard,  seigneur  d'A- 
thènes, prit  le  titre  de  prince  or£gtne(t;. 
Venise  y  envoya  ses  provéditeors,  comoir 
autrefois  Sparte  y  avait  placé  ses  Aor- 
mostes,  et  sous  l'impulsion  d'une  répu- 
blique de  marchands  le  génie  d'Épx 
se  réveilla  encore  ime  fois.  On  vit  r^ 
nattre  à  la  fois  sa  population  et  soi 
commerce  ;  elle  alimenta  avec  Venise,  a 
suzeraine,  les  comptoirs  deTyr,BérjlP. 
Alep,  Gonstantinople,  Sinope,  Trrl»- 
zonde,  et  les  villes  commerçantes  située 
aux  embouchures  du  Phase  et  du  Ta- 
nais. 

Au  seizième  siède,  les  Tures  ravirai 
à  Venise  cette  possession;  c'était  le  txmp 
où  sur  toutes  les  plages,  dans  tous  te 
replis  de  la  Méditerranée  le  croissaoi 
faisait  la  guerre  à  la  croix.  Soliman  11 
venait  (l'an  1536  du  Christ)  de  mettre  ei 
mer  une  flotte  de  400  voiles,  qid  devais 
porter  la  guerre  en  Italie.  Il  alla  d'abon: 
ravager  Corcyre,  et  dirigea  ensuite  s 
route  vers  Égine.  Par  son  ordre,  le  et 

Eitan- pacha  Barberousse,  le  ternUr 
éros  des  sanglantes  légendes  de  Te 
poque,  parut  un  matin  avec  toutes  s» 
voiles  devant  le  port  de  l*tle  (IW 
Il  envoya  un  héraut  au  gouverneur  pooi 
le  sommer  de  se  rendre.  Sur  aon  rm 
l'attaque  commença.  En  vain  les  É^ 
tes  opérèrent  une  sortie  dans  laquelieiis 
firent  un  immense  carnage  des  Turcs  - 
écrasés  par  le  nombre  sans  cesse  renais- 
sant de  leurs  ennemis,  ils  furent  ew 
traints  de  se  replier  dans  la  citadel)« 
Mais  la  ville  et  la  forteresse  furent  a 
quelaues  heures  réduites  en  coadres  pv 
rartitlerie  de  Barberousse.  Tous  le 
bomoies  forent  massacrés  jusqn'aa  àet 

(i)  Daru,  Hisi,  de  Venise ,  IV,  5;. 


IL£S  DU  GOLFE  SARONIQUË. 


518 


lier,  et  let  femnm  et  les  enfants  trans- 
)orté8  avec  le  butin  à  Constantinople  (f  ). 
l.'amiral  tare  disait  à  cette  occasion  que 
a  conquête  de  la  plupartdes  lies  de  l'Ar- 
ihipel  tombées  en  son  pouvoir  n'aurait 
le  valeur  à  ses  yeux  qu  autant  qu*il  se- 
ait  maître  d'Êgine.  Lorsque  François 
riorosini  la  reprit  pour  Venise,  en  iG54, 
Ile  était  entièrement  livrée  à  la  barbarie 
nusulmane,  et  servait  de  repaire  aux 
orsaires  de  TArchipel.  La  ville  même 
*était  déplacée;  elle  avait  quitté  le  bord 
le  la  mer,  pour  se  transporter  au  cen- 
re  de  Itle,  en  gravir  les  rochers  et  se 
raDsformer  à  leur  sommet  en  une  forte* 
esse  redoutable,  que  ruinèrent  les  Véni- 
ieos.  En  1 695,  Morosini,  secondé  par  Sé- 
lastien  Mocenigo,  préfet  du  golfe  Adria- 
ique ,  releva  les  ruines  de  la  ville  qu*il 
ivait  détruite,  et  construisit^pour  défen- 
Ire  rentrée  du  port  contre  les  Turcs,  une 
oor  qui  existe  encore.  Puis  il  transporta 
lans  file  une  partie  des  habitants  du  Pi- 
"ée,  dont  il  avait  rasé  la  forteresse.  Ye- 
)ise  vengeaitÉginedesdévastations  d'A- 
hènes.  En  1699,  après  une  longue  guerre 
)ù  Tempire  ottoman  vit  commencer  sa 
)ériode  de  décadence,  le  traité  de  Car- 
owitz,  qui  réglait  les  possessions  des 
Turcs,  de  Tempereur  et  de  la  république 
le  Venise,  laissa  à  cette  dernière  la  sou- 
'erainetédel11ed'Égine(3). 

Eofin ,  en  1714  Ttle,  dont  la  prospérité 
x)mmeo<^it  à  renaître,  sous  la  protec- 
ion  vénitienne,  se  rendit  sans  coup  fé- 
ir  aux  Turcs,  subjuguée  par  Feffroi 
|ue  lui  causèrent  les  massacres  de  Co- 
inthe  (3).  Depuis  cette  époque  Égine , 
'insi  que  le  reste  de  la  Grèce ,  ne  fit  que 
>âyer  des  tributs  et  fournir  des  esclaves 
I  la  Turquie,  jusqu'au  moment  où,  levant 
étendard  de  la  croix  avec  les  marins 
IHydra  et  d'Ipsara,  les  Éginètes  donnè- 
ent  le  signal  de  l'insurrection ,  et  com- 
nencèrent  cette  guerre  justement  appe- 
lé Ja  guerre  de  Tindépendance.  Le  8 
uin  1828  le  comte  Jean  Capo  d'Istrias, 
>i'ocIamé  président  du  gouvernement 
jellénique,  en  établit  le  siège  à  Égine, 

ou  il  le  transféra  à  r^auplie  en  juin 
1^29.  Aujourd'hui  Égine  est  une  épar- 

(0  Dapper»  Desetiption  dés  Iles  de  VAt' 
^''fP'i,  p.  aSo. 
(a)  Dwu,  HUi.  de  Venise,  XXXIV,  S. 
(î)  Dwn .  id.^  id. 


ehie  du  département  de  rAtti^pie  et 
Béotie. 

BTAT  DS  t A  CIVILISATION  DANS  lIlB 

d'bginb. 

GOMMBBCB  DBS  ÉGINBTBS.    —  L'tle 

d'Égine,  dont  nous  venons  de  suivre  les 
luttes  Doiitiques  depuis  les  premiers 
temps  ae  l'histoire  grecque ,  dut  princi- 
palement sa  prospérité  à  Taetivité  du 
génie  de  ses  habitants,  à  la  fois  commer- 
çants, industriels  et  artistes.  Comptoir 
commun  de  la  Grèce  (I),  Égine,  qui 
jusqu'à  la  guerre  du  Péloponnèse  con- 
serva la  liberté  de  commerce  avec  Athè- 
nes (3) ,  voyait  se  centraliser  chea^  ses 
irapézites  ou  banquiers  tontes  les  trans- 
actions des  peuples  ses  voisins.  bSa- 
sage  de  la  monnaie  avait  été  importé 
chez  les  Éginètes  par  Phidon,  roi  d'Ar- 
ffos  (3) ,  et  le  change  était  resté  une  des 
Dranches  les  plus  importantes  de  leurs 
profits  commerciaux.  La  monnaie  d'Ë* 
gine  était  généralement  plus  forte  que 
celle  d'Athènes,  ainsi  que  nous  l'apprend 
Julius  Pollux  (4)  :  «  La  drachme  ^né- 
tique  était  plus  forte  que  la  drachme  at- 
tique ,  car  elle  valait  aix  oboles  (on  sait 
que  la  drachme  attique  valait  six  obo- 
m),ljes  Athéniens  rappelaient  drachme 
^ûi6  (forte),  ne  voulant  pas  la  nom- 
mer drachme  d'Égine,  par  haine  des 
É^nètes.  »  Le  même  auteur  ajoute  plus 
lom  :  «  Le  talent  attique  valait  soixante 
mines ,  mais  le  talent  éginète  en  valait 
cent,  selon  la  proportion  établie.  »  Ce 
fait  peut  donner  une  idée  de  la  richesse 
métallique  des  Éginètes. 

Les  vaisseaux  d'Égine  allaient  cher- 
cher dans  les  ports  de  la  Syrie  et  de  l'E- 
gypte la  soie,  les  épices,  les  aromates, 
Pivoire,  les  perles,  les  pierres  précieu- 
ses, les  substances  tinctoriales  de  l'Inde  ; 
les  riches  étoffes  de  soie,  d'or  et  d'ar- 
gent de  l'Assvrie  et  de  la  Perse;  les  par- 
fums de  l'Ara'bie;  les  éclatants  tissus,  les 
vases  de  bronze,  et  autres  objets  prove- 
nantdes  fabriques  phéniciennes  ;  les  blés, 

(i)  Voy.  Schol.  Aristoph.,  ad  Mon.,  363. 
(a)  XéoophoD,  Helléniques,  liv.  T. 

(3)  Le  type  des  anciennes  monnaies  d'É- 
Sine  était  ordinairement  une  tortue  on  une 
tète  de  bélier.  (  Yoy.  Ottfr.  Millier,  JEgine- 
tica ,  p.  56y  88  et  Ruiv.  ) 

(4)  Jul.  Pol.,  Onom.y  IX,  76,  86.  ' 


33*  Livraison.  (  Iles  du  Golfb  Sabonique.  } 


S3 


514 


LUNITEKS. 


le  lin,  brttt  et  ouvré,  le  papyra»,  le  na- 
tron,  les  poteries  fines,  les  verreries  co- 
lorées ou  gravées,  et  les  dattes  de  l'E- 
gypte ;  les  esclaves  noirs ,  Fi  voire ,  la 
poudre  d*or  et  les  parfums  de  TÉthiopie, 
et  enfin  les  précieuses  marchandises  de 
rinde  et  de  la  Perse,  arrivant  par  le 
Phase  et  la  mer  Casnienne  dans  les  ports 
de  la  mer  Noire,  aoù  les  navires  égi- 
nètes  emportaient  aussi  des  fourrures, 
des  pelleteries,  des  poissons  salés,  de 
la  poix,  des  cordages,  du  bois  de 
construction,  du  bétail ,  des  laines,  des 
blés,  de  la  cire,  du  miel  et  des  escla- 
ves (1).  Ëgine,  dont  les  habitants  ne  mé* 
prisaient  aucun  moyen  de  s'enrichir, 
avait  aussi  donné  à  la  fabrication  et  ali 
commerce  des  poteries  une  eitension  qui 
lui  avait  valu  dans  l'antiquité  Tépitheta 
de  x^TpdiKdXtc ,  marchande  de  tnartiH*^ 
tes  (2).  Les  ouvriers  d'Êgine  possédaient 
aussi  àundegrétrès-avanoérartde  la  mé- 
tallurgie, et  Pline  rapporte  que  bien  que 
111e  ne  renfermât  pas  de  mines  de  cuivre, 
ses  habitants  travaillaient  ce  métal  avec 
un  art  admirable.  Il  ajoute  qu'à  Égiuese 
trouvait  un  boeuf  de  cuivre  si  bien  fondu 
et  ciselé  qu'on  le  porta  à  Rome  pour  le 
placer  au  milieu  6n  forum  boarium  (3). 

Il  serait  assez  difficile,  fMir  suite  du  dé- 
fantdedocumentsauthentiques,  d'évaluer 
d'une  manière  bien  exacte  l'étendue  des 
richesses  de  111e;  on  peut  néanmoins 
s'en  faire  une  idée  en  calculant  la  valeur 
des  esclaves  qu'elle  possédait.  Selon  Xé- 
nophon  et  d^autres  écrivains,  le  prix 
moyen  d'un  esclave  était  de  quatre  mU 
nés;  ainsi  les  auatre  cent  soixante*dix 
mille  esclaves  d  Ëgine  représentaient  un 
capital  d'environ  174  millions  de  notre 
monnaie.  Cette  somme  était  énorme 
dans  un  temps  où  une  fortuite  de  70 
à  100  talents  (890  à  660  mille  francs) 
passait  à  Athènes  pour  considérable  (4). 

Les  Lbttrbs  ▲  Éoinb.  —  Égine 
retentit  des  accords  sublimes  de  la  lyre 
de  Pindare.  Ce  chantre  de  la  gloire  y 
vint  célébrer  au  foyer  de  Lampon ,  un 
des  plus  illustres  citoyens  de  rîle,  les 

(x)  Henri  La  Blanchetaù,  Notice  historique 
sur  Egine,  pag.  ao  et  suiv.   ^^ 

ia)  JuIiusPoltux,  Onom,^  Ttl,  197. 
3)  Pline, ^/J^  JVfl/.,  XXXTV,  a. 
(4)  Henri  La  Blanchetaîs,  Notice  ^  etc, 
p.  aa. 


TletoiiM  que  les  fils  de  ee  dvnier,  Py- 
thias  et  Phyladdas,  avaient  remportés 
aux  Jeux  Iféméens  et  Istbmiques.  Pni 
d'années  séparaient  cette  solennM  de  h 
bataille  de  Salamine*  Le  poète  saisit 
cette  oocasfon  pour  exalter  la  valeur  dei 
Éginètes  dans  les  temps  héroïques  et  à 
l'époque  actuelle.  Après  avoir  rappelé 
les  héros  dont  les  exploits  inspirent  ks 
chants  de  la  Muse  dans  les  autres  cités 
de  la  Grèce,  il  s*exprime  ainsi  :  ■  Mais 
c'est  dans  OËnone  qae  sont  eé\€Ms  }«s 
grands  coeurs  d'Éaque  et  de  ses  enfants; 
ceux  qui  marchent  avec  Hercule  et  1« 
Atrides  ont  deux  fois  renversé  par  kun 
armes  la  ville  des  Troyens.  Muse,  preods 
maintenant  ton  essor,  et  redis-moi  qui  a 
tué  Gyenus ,  qni  a  tué  Hector,  el  Fintré- 
nide  chef  des  Ëthiopiens ,  Metnnoo  a 
l'armure  d'airain  ;  dis-moi  qui  blessa  de 
sa  lance  le  vaillant  Télèphe  sur  les  nres 
du  Calcus.  Le  nom  de  la  patrie  des  ac- 
teurs de  tant  d'exploits  est  dans  tonte* 
les  bouches .  C'est  Ë^ne ,  111e  noble  rt 
gracieuse,  Égine ,  qui  depuis  longtemps 
s'élève  comme  une  tour  puissante ,  for- 
tifîée  par  des  vertus  trop  hautes  pour 
qu'on  puisse  y  atteindre.  Ma  lanzof . 
déliée  par  la  Muse,  pourrait  faire  enten- 
dre encore  plus  d'un  trait  à  sa  louassf  : 
et  aujourd'hui,  pour  les  travaux  de  MaH 
j'aurais  le  témoignage  de  la  ville  d^Ajn. 
de  Salamine ,  sauvée  par  les  marins  ep- 
nètes  dans  cette  inonclation  de  barbares. 
où  d'innombrables  bataillons  tombaieBt 
comme  une  grêle  sanglante.  (1)  • 

Nous  ne  rapporterons  pas  ici  la  liste 
des  vainqueurs  olympiones,  enjbnts  d'Ë- 
gine,  dont  Pindare  célèbre  les  palmes 
Alcimédon  et  Timosthène ,  tous  desv 
frères  et  tous  deux  vainqueurs  ;  Aristo- 
mène  le  lutteur  ;  Sogenâ ,  eouronné  as 
pentathle  ;  Dinis,  le  néros  de  la  eoors^ 
du  stade,  ettantd*autresdontlechantiY 
thébain  a  fait  parvenir  les  noms  jnsqn^a 
nos  jours.  Nous  rappellerons  gn'Égiof. 
rivale  en  tout  d'Athènes,  avait  comioe 
elle  un  stade,  et  que  Pindare  met  as 
nombre  des  hauts  raits  qui  ont  illostre  le 
célèbre  athlète  Diagoras  le  Rhodien  les 
six  victoires  qu'il  remporta  auxjeuxcel^ 
brés  dans  llie  en  Thouneur  d'Éaque  \t^ 

il)  PiwL,  Jsttim,^  rV,  V,  ▼.  34, 45- 
(a)  Pind.,  Olymp.,  Tilt;   Py/A-,  TIII. 
Ném,im\Ném,  VIII;  0/yii^.,TIT,  t5i-*i 


ILES  DU  60LF&  SARONIQUÏ:. 


êîB 


Sgine,  dont  la  déchéance  donna  liea 
a  proverbe  grec  :  «  Il  est  comme  £gine  : 
I  a  mis  an  monde  ses  meilleurs  enfanta 
s  premiers  (1),  »  fut  à  Tépoque  de  sa 
uissance  la  patrie  et  le  séjour  des  es« 
rits  les  plus  distingués  de  la  Grèce.  Si 
on  prenait  an  sérieux  ce  que  dit  Aris- 
ophane  dans  ses  Jchaméens,  v.  653,  il 
ttrait  été,  comme  enfant  ou  habitant  de 
Ile  d*Égine,  la  cause  réelle  de  Tinsis- 
ance  que  les  Lacédémoniens  mettaient 
revendiquer  la  possession  de  cette  tle. 
•uiTant  lui ,  le  puissant  monarque  de 
Asie  lui-même,  connaissant  Tutile  et 
évère  franchise  avec  laquelle  le  célè- 
re  comique  parlait  aux  Athéniens,  au* 
ait  dit  aux  ambassadeurs  de  Lacédé- 
noue  que  le  peuple  qui  possédait  un 
lareil  conseiller  ne  pouvait  manquer 
l'obtenir  des  succès  constants  dans  la 
,iierre.  «  Voilà  pourquoi,  dit-il,  les  La- 
«démoniens  f)oussent  à  la  paix,  et  re- 
endiquent  Égine,  non  qu'ils  tiennent 
)educoup  à  cette  Ile,  mais  afin  de  vous 
Bvir  le  poète  qui  tous  donne  de  si  sa* 
utaires  conseils.  »  Selon  l'auteur  crée 
inonjmede  la  vie  d'Aristophane ,  dans 
antiquité,  les  uns  le  considéraient 
orameÊginète,  parce  que  son  père  était 
[éà  Égine,  les  autres  parce  qu'il  y  rési- 
lait  le  plus  souvent,  qu  il  y  avait  des  pro- 
priétés. Un  de  ses  scoliastes  nous  ap- 
jrend  même  que  ses  biens  provenaient 
lu  lot  qui  lui  était  échu  dans  le  partage 
ait  des  terres  des  Éginètes  (2),  après 
eur  réduction  nar  les  Athéniens.  Peut- 
tre  la  crainte  de  perdre  ces  fruits  de  la 
onquéte  était-elle  le  motif  réel  qui  l'en- 
iaçeait  à  occuper  la  scène  de  la  conser- 
^tion  d'Égine.  La  manière  assez  équi« 
oque  dont  il  s'exprime ,  peut-être  à 
'«ssein,  peut  prêter  à  cette  dernière  in- 
erprétation.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  paraît 
«tain  que  le  grand  comique  athénien 
jait  de  puissants  intérêts  qui  l'atta* 
njient  à  l'île  des  Éacides. 
Le  célèbre  médecin  grec  Paul  Êginète, 

(i)  Suidas,  t.  ni,  p.  43<s  éd.  Kûst.  '— 
nogenianus,Vn,38. 

W  n  était  dénique,  xh\ço^xp(i ,  nom  qui 
e  donnait  à  ceux  qui  étaient  entrés  par  le 
'i^u  de  conquête  en  poaaesaion  des  terres  des 
Jinciu ,  partage  qui  se  faisait  par  la  voie  du 
r^  («Xîipeç).  voy.  Bftckb,  Ee&nom,  pol. 
f«*  Athéniens,  liv  Ifl,  ch.  i8. 


qui  vivait  au  millea  du  leptlènte  tifeelt 
après  J.-C,  et  qui  a  tracé  un  abré|^  d« 
toute  la  médecine  en  sept  livres,  ouvrage 
estimé  encore  de  nos  jours ,  était  né  è 
Égine,  d'où  II  prit  le  nom  d*i£gineta.  Du 
reste,  l'histoire  des  letti es  et  des  seienoei 
à  Égine  offre  bien  des  lacunes  et  exige- 
rait des  recherches  toutes  spéciales. 

HlSTOIBB  dbl'âbt  ÉOINériQUB.  — 

L'histoire  de  l'art  éginétique  est  mien 
connue  par  les  témoignages  des  aneiens , 
et  surtout  par  les  monuments  qui  nou9 
en  restent  (1). 

Lorsaue  Pausanlas  fit  son  voyage  en 
Grèce,  A  admira  près  du  port  de  nie  un 
théâtre  d'une  belle  architecture,  dit-il,  et 
semblable  (>our  la  grandeur  et  le  style  à 
celui  d'Épidaure.  Derrière  le  tbéfltre 
s'étendait  le  stade,  dont  l'un  des  côtés 
était  appuyé  au  théâtre.  Au  même  en- 
droit s  élevaient  trois  temples  peu  dis-* 
tants  Tun  de  l'autre,  et  consacrés  le 
premier  à  Apollon ,  le  second  à  Diane, 
et  le  troisième  à  Baochus  (2).  A  quelque 
distance  on  apercevait  le  temple  d'Es- 
culape,  où  l'on  déposait ,  ainsi  que  nous 
l'apprend  Aristophane  (3),  les  malades 
qui  venaient  demander  au  Dieu  lui-même 
la  santé  que  ses  disciples  n'avaient  pa 
leur  rendre.  Le  voyageur  cite  ensuite 
un  temple  de  Vénus,  un  temple  d'Hécate» 
la  divinité  la  plus  honorée  oes  Éginètes, 
un  temple  d'Apbœa ,  sujet  d'un  hymne 
de  Pindare,  et  enfin,  dans  l'endroit  le 
plus  apparent  de  la  ville ,  VjEaceum 
(A'axcrov),  temple  en  marbre  blanc,  élevé 
en  rhanneur  d  Eaque.  Sous  le  péristyle 
étaieat  appendues  les  couronnes  rempor- 
tées dans  les  jeux  gymniques  (4),  et  se 
trouvaient  les  bas-reliefs  représentant 
les  députatioQS  envoyées  à  Êaque  pen- 
dant la  sécheresse  qui  désola  la  Grèce  (5). 
Ce  temple  contenait  aussi  èans  doute 
les  statues  des  Éacides  (6).  Dans  l'en- 
ceinte existaient  de  toute  antiquité  un 

(i)  Yoy.  VMUtoirâ  dé  VArt  grée  d'après 
les  marbres  it Égine  et  la  description  ae  la 
Gljrpioifièque  de  Munich ,  dans  le  livre  de 
M.  H.  Fortouly  De  CArt  en  Allemagne, 

(a)  Pausanias,  II,  24-3o. 

!3)  Aristophane,  Us  Guêpes,  Y,  132. 
4)  Pind.,  Nem.^  V,  53  ;  Schol.  Apollon. 
Kh.,  IV,  x^70. 

(5)  Pausan.,  11^  39. 

(6)  Ottfr.  Mûller,  JEgînerica  f  p.  16 1. 

sa 


$16 


L'UNIVERS. 


Vivier  et  un  autel  peu  élevé  au-dessus  do 
sol.  Suivant  une  tradition  mythique,  cet 
aotel  renfermait  le  tombeau  d  Éaque. 
Hérodote  parie  aussi  d'un  temple  de 
Gérés Thesmophore  (i).  Enfin,  au  nord- 
est  de  la  ville,  sur  le  sommet  d'une  mon- 
tagne, dont  les  premiers  escarpements 
s'avancent  dans  la  mer,  s'élevait  le 
temple  de  Jupiter  Panhellénien.  dont  les 
ruines,  él^antes  colonnes  aorienues 
encore  debout,  peuvent  donner  une  idée 
de  la  gracieuse  et  simple  architecture 
de  l'édifice.  Suivant  les  Éginètes,  tous 
ks  monuments  de  leur  île  remontaient 
à  Éaque.  Ils  racontèrent  à  Pausanias  la 
tradition  suivant  laquelle  c'était  ce 
prince  oui  avait  élevé  le  temple  à  Jupiter. 
Il  est  plus  vraisemblable  de  conjecturer 
avec  Ottfried  Mûller,  dans  ses  jEgine^ 
UcGy  que  sur  les  débris  de  l'antique  et 
primitif  édifice  d'Éaque  s'était  élevé  ce 
nouveau  temple,  dont  les  élégantes  rui- 
nes n'offrent  guère  de  ressemblance  avec 
le  premier  et  rude  style  dorique,  dont  on 
a  retrouvé  des  traces  à  Coriuthe  et  à 
Sicyoue.  L'art  et  l'opulence  d'une  riche 
cité  s'étaient  réunis  pour  enrichir  le 
sanctuaire  du  dieu,  et  le  nouveau  tem- 
ple, rebâti  sur  les  ruines  uélasgiques , 
orné  d'un  colosse  d'or  et  d'ivoire,  fait 
probablement  avec  le  butin  de  Salamine 
et  de  Platée,  avait  été  réédifié  après  la 
ffuerre  médique,  et,  comme  le  pense  Ott- 
nried  Mûller,  avait  changé  son  ancien  nom 
d'Hellénien  contre  celui  de  Panhellénien, 
symbole  de  la  délivrance  et  de  la  frater- 
nité passagère  des  Grecs. 

En  1811,  M.  Cockerell,  architecte 
de  la  banque  de  Londres,  M.  le  baron 
Haller  de  Hallerstein,  MM.  Forster  et 
Linck  exploraient  l'tle  d'  Ëgine,cherchant 
à  reconstruire  Tantiquité  avec  ses  ruines. 
£n  faisant  des  fouilles  parmi  les  débris 
du  temple  de  Jupiter  Panhellénien ,  ils 
découvrirent,  cacnéesà  peine  sous  quel- 
ques pieds  de  terre,  dix-sept  figures  en 
ronde  bosse,  ayant  appartenu  au  fronton 
de  ce  temple.  Ils  les  firent  transporter  à 
Rome;  Tnorwaldsen  les  restaura,  et  le 
roi  Louis  de  Bavière,  alors  prince  héré- 
ditaire, les  acheta  au  prix  de  10,000  du- 
cats, pour  en  faire  don  à  son  pays.  L'é- 
tude ae  ces  figures,  qui  font  maintenant 
partie  de  la  cHyptothèque  de  Munich ,  et 


sont  connues  sous  le  nom  de  nurbro 
d'Égine,  est  venue  jeter  un  noaveau  jour 
sur  l'histoire  de  l'art  grec 

Dès  l'époque  de  Dédale,  personnage 
à  moitié  mythologique,  auguel  la  ville 
de  Minerve  attribua  l'inventioii  des  arts, 
pendant  que  Samos  inventait  la  plas- 
tique, la  Crète  et  Sicyone  Fart  de  sculpter 
le  marbre,  Ëgine,  rivale  en  tout  d'A- 
thènes, voyait  nattre  et  grandir  Fécole 
de  ses  artistes.  Smilis  et  ses  élèves  fu- 
saient leurs  premiers  essais  de  seulptoiv 
sur  bois  (Çoava).  Pausanias  cite  avec 
éloge  une  statue  de  bois  représentant 
Junon ,  sculptée  par  cet  artiste,  et  pla- 
cée dans  le  temple  de  la  déesse  à  Samos. 
Il  avait  vu  aussi  à  Elis,  dans  le  temple 
de  Junon ,  des  statues  des  saisons  par 
Smilis  (1);  enfin,  près  de  Tégée,  n 
Laconie,  il  admirait,  dans  le  temple 
de  Diane  Limnatide,  une  statue  rep^^ 
sentant  la  déesse,  et  faite  en  iMif 
d'ébèue.  «  Cestun  ouvrage,  ajoale4-il, 
dans  le  style  connu  sous  le  nom  d'É- 
ginétique  »  (2). 

Les  noms  des  artistes  Éginètes  cités 
par  ce  voyageur,  artiste  lui-même,  et 
qui  a  enr^istré  avec  soin  tout  ce  qui  « 
rattache  aux  productions  des  arts  dam 
la  Grèce,  sont  presoue  aussi  nombres! 
que  ceux  de  l'école  d'Athènes.  Cest 
d'abord  Gallon,  auteur  de  la  statue  de 
Minerve  Sthéniade ,  dans  la  dtadelle 
de  Trézène  (3) ,  élève  de  Tectaus  cc 
d'Angelion,  de  Técole  de  Smilis,  et  que 
les  témoignages  contradictoires  de  PÛne 
et  de  Quintihen  placent  avant  la  bataille 
de  Marathon  ou  après  celle  d'iEgos-BD- 
tamos;  Glaudas,  qui  fit  les  statoes 
de  plusieurs  athlètes  vainqueurs  dans 
les  jeux;  Anaxagoras,  statuaire,  qsi 
paraît  avoirvécu  sous  Caissandre  ;  Mjroo. 
auteur  de  la  statue  d*Hécate,  qui  onui! 
le  temple  de  cette  déesse  dans  llte; 
Philotimus,  Ptolicbus,  Sérambos*  Si- 
mon, Synnoon,  élève  d*Aristoclès, 
statuaires  ;  Théopropus,  sculpteur  et  foe- 
deur,  dont  on  voyait  un  taureau  de 
bronze  dans  le  temple  de  Delphes  (4i. 
En  avant ,  et  bien  au-dessus  de  eette 

(i)  Pausaoias,  VU,  4;  Y,  17. 

(a)  Id.,  Vm,  53. 

(3)Id.,  JI,3a. 

(4)  PausaBÏts,  Yf  s«-93  ;  r  i,  14, 27, 17, 9- 

—  X,  9. 


ILES  DU  GOLFE  SAROraQUE. 


&17 


»&[fératioD  cl*artistes,  Pausanias  cite 
^atas,  dont  il  parle  plus  en  détait ,  au- 
quel il  reconnaît  une  véritable  supré* 
fnatie,et  qui,  il  le  déclare  formellement, 
«  n'est  inférieur  à  aucun  de  ceux  qui 
>ont  sortis  de  l'école  d'Athènes  fondée 
par  Dédale  ».  Ouatas  était  contempo- 
rain d'Hégias  d'Athènes  et  d'Agéladas 
J'Argos(l],  le  maître  de  Phidias,  et  vivait 
;ntre  la  guerre  des  Perses  et  celle  du 
Péloponnèse  (  de  la  72^  à  la  88^  olym- 
piade, 490-431  av.  J.-G.  ).  Les  œu- 
vres  de  cet  artiste,  à  la  fois  pein- 
:re,  statuaire  et  fondeur,  étaient  ré- 
pandues et  recherchées  dans  toute  la 
[jrèce.  «  Les  Phigaliens  avaient  obtenu 
le  lui  qu'il  leur  Ht  une  statue  de  Gé* 
'es.  »  (2)  La  Sidie  montrait  aux  voya- 
geurs son  Hercule  et  ses  statues  des 
léros  grecs  qui  se  présentèrent  pour 
combattre  Hector  après  son  défi;  le 
liouciier  d'Idoménée  portait  cette  ins- 
cription :  «  Ces  ouvrages  sont ,  ainsi 
jue  beaucoup  d'autres,  le  fruit  du  tra- 
r  eil  du  savant  Ouatas,  à  qui  l'tle  d'Égine 
ionna  le  jour.  »  Plusieurs  statues  ofrer- 
;es  au  temple  de  Delphes  par  les  Ta- 
*entins  étaient  dues  à  son  ciseau;  enfin, 
>n  admirait  de  lui  à  Platée  deux  ta- 
bleaux, l'un  représentant  le  combat 
rÉtéocle  et  Polynice,  l'autre,  placé 
lans  le  temple  de  Minerve  Aréa ,  ayant 
)Our  sujet  la  première  expédition  des 
^giens  contre  Thèbes  (8).  Ce  maître, 
évidemment  l'un  des  plus  distingués  de 
'art  grec,  appartenant,  par  son  époque 
t  par  son  talent,  à  la  brillante  période 
[Q  illustra  Phidias ,  peut  être  considéré 
tomme  le  plus  glorieux  repr^ntant  de 
'art  éginétique.  Rival  de  l'école  d'A- 
hènes  pour  la  perfection  de  la  forme , 
I  était  resté  fidèle  à  la  nationalité  de 
on  art ,  et  c'était  souvent  aux  œuvres 
les  vieux  maîtres  éginètes  de  la  femille 
le  Smilis  qu*il  allait  demander  des  ins- 
tiratlons.  La  vue  d'une  de  ces  anciennes 
tatues  de  bois  lui  avait  donné  l'idée  de 
e  mettreàcouler  lebronze  (4).  et  il  avait 
ait  de  œ  métal,  pour  les  haoitaots  de 
^ergame,  une  statue  colossale  d'Apol- 
[>n,  aussi  remarquable  par  ses  dimen- 

(f  )PaiMaiiiat,  YIIIi  4a. 
(a)  Id.,  ibid. 

(3)  Pausanias,  X,  4*  S* 

(4)  PwuÊum^  VUI,  4«« 


fiions  que  par  son  exécution.  Pausanias 
insiste  sur  ce  fait ,  intéressant  pour  la 
filiation  des  artistes  éginètes,  et  l'un  des 
anneaux  qui  peuvent  servir  à  rattacher 
la  chaîne  des  origines  de  l'art  d'Égîne 
à  l'histoire  et  à  l'étude  des  œuvres  de  la 
seconde  manière  de  son  école. 

Malgré  les  progrès  qu'avait  faits  l'art 
grec  vers  la  50^  olympiade ,  il  se  res- 
sentait encore  de  la  démarche  chance- 
lante et  embarrassée  de  l'enfance.  Le 
style  primitif,  enchaîné  par  toutes  les 
difficultés  pratiques  de  l'exécution ,  se 
reconnaissait  toujours  dans  la  raideur 
et  l'absence  de  naturel  des  attitudes, 
dans  la  gêne  des  agencements ,  et  dans 
le  défaut  de  mouvement  des  person- 
nages. Joignons  à  cela  la  loi  imposée  à 
tout  art  qui  commence,  et  dont  les 
premiers  essais  sont  toujours  destinés 
a  célébrer  la  partie  sacrée  et  mythique  de 
l'histoire  des  peuples;  reconnaissooa 
eette  tradition  originelle,  hiératique, 
conventionnelle  et  inaltérable  que  nous 
retrouvons  plus  tard  dans  les  œuvres 
byzantines  de  l'art  chrétien ,  et  dont  les 
artistes  s'affranchirent  avec  effort  au 
temps  de  la  Renaissance.  ^Dans  les  pro- 
ductions de  l'art  grec,  le  type  conven- 
tionnel se  répétait  surtout  dans  la  ma* 
nière  de  traiter  la  figure ,  la  chevelure, 
la  barbe  et  les  vêtements.  L'art  ne  com- 
mence guère  à  sortir  de  cette  voie  toute 
tracée  que  vers  la  58*  olympiade,  lorsque 
l'usage  s'établit  de  doter  les  cités  de  la 
Grèce  de  la  statue  des  athlètes  couronnés 
dans  les  jeux  gymniques.  On  sait  l'ion 
portance  que  les  Grées  attachaient  à 
ces  triomphes,  et  les  images  sculpturales 
durent  reproduire  avec  le  plus  d'exae- 
titude  possible  les  belles  formes  des 
athlètes  vainqueurs.  Une  voie  plus 
large  ftit  donc  ouverte ,  et  les  artistes  se 
bâtèrent  de  s'y  élancer,  ils  commeoeè- 
rent  à  s'écarter  de  ce  respect  qui  oom- 
mandait  de  conserver  religieusement  le 
type  primitif  et  conventionnel  dans  la 
représentation  des  dkux  et  des  héros 
mythiques.  Sous  l'influenee  d'un  réa- 
lisme plus  édairé,  fétude  des  tonmes 
du  corps  fit  de  grands  progrès,  ks 
personnages  sortirent  de  cette  immobi- 
lité primitive,  caractère  des  œuvres  de 
l'Egypte  ^  et  enfin  la  révolutioD  opéiée 
par  les  statues  d'athlètes  dans  la  lepré-- 
sentation  de  la  forme cbes  les  morlels, 


5ia 


LOmiVEBS. 


s'étendit  aum  à  la  reproduction  des 
images  sacrées  des  dieux.  Toat  en  obéis- 
sant à  cette  impulsion  générale  donnée 
à  Fart  grec,  chaque  école  dut  nécessai- 
rement oontinuer  à  marcher  dans  sa 
voie,  et  perfectionner  mais  conserver 
sa  manière  caractéristique.  C'est  ce  que 
Pausanias  ne  mangue  pas  de  reconnaître, 
et  souvent  il  distingue  le  style  éginér 
tique  de  l'ancien,  style  attique,  et  tous 
deux  du  style  égyptien.  Un  passage  du 
voyageur  gjrec  est  tellement  positif  et 
concluant  a  cet  égard,  qu'il  pourrait 
presque  suffire  a  constater  l'existence  du 
style  éginète.  Parlant  d'un  Hercule  gui 
se  trouvait  à  Erythrée  en  lonie,  il  dit  : 
«  Cette  statue  ne  ressemble  ni  à  celles 
qu'on  appelle  éginètes,  ni  à  celles  qui 
appartiennent  aux  plus  anciennes  sta* 
tues  attiques.  Si  elle  a  un  autre  carac» 
tère ,  c'est  exactement  le  caractère  égy p« 

tien(l).  » 
L'existence  de  l'école  d'Égine  et  de 

son  style  particulier  n'était  dope  nulle- 
ment douteuse;  définir  et  caractériser 
aa  manière  était  chose  difficile.  Les  ar- 
chéologues de  la  France  et  de  l'Allema- 
gne étudièrent  la  question,  sans  pou* 
voir  la  résoudre  d'une  manière  bien  po- 
sitive, foute  de  données  suffisantes,  et 
surtout  de  monuments  authentiques  et 
complets  à  étudier.  Winckelmann  s'est 
IxHmé  à  reconnaître  rexistenoe  d'une 
éeole  éginétique,  sans  en  déterminer 
les  principes;  Quatremère  de  Quincy 
l'a  assimilée  au  style  étrusque.  La  d^ 
^eonverte  des  marbres  d'Ëgine  a  permis 
aux  historiens  de  l'art  de  quitter  le  ter- 
rain des  conjectures,  et  de  juger  les 
artistes  éfijnàtes  sur  leurs  œuvres.  A  la 
première  inspection  de  ces  statues,  il 
•8t  fadle  de  constater  dans  la  manière 
dont  les  corps  sont  étudiés,  dans  1  ai- 
sance, le  naturel  et  hi  vigueur  de  toutes 
leurs  attitudes,  une  habileté,  une  science 
que  la  main  d'un  artiste  fort  exercé 
pouvait  seule  atteindre.  On  est  en  même 
temps  frappé  d'un  contraste  pénible 
dans  la  façon  dontsont  traitées  les  têtes, 
les  cheveux ,  la  barbe  et  les  vêtements  ; 
en  esn  choqué  tout  d'abord  par  l'immo- 
bilité de  la  physionomie  oes  person- 
nages. CS'est  qu'ici  reparaît  la  tradition  : 
les  héros  leprésentés  par  Tartiste  ap- 

(i)Km»nin,yiI,  3,5. 


nartiennent  à  l'histoire  mythique  de  la 
Grèce;  ils  sont  placés  sur  le  fronton 
d'un  temple;  le  fype  hiératique,  eon* 
ventionnel,  a  ûû.  être  religieusement 
conservé.  Cette  réunion  de  la  perfectioa 
et  de  l'imperfection  de  l'art  dans  une 
même  œuvre  est  ce  oui  caractérise  la 
seconde  manière  de  1  école  ég^iète,  ei 
l'on  peut  reconnaître  ici  le  zpÔTzoç  li;;  Ip- 
Yaob(6A{Yivatb(xaXo6{jievoç&xb  'E^JjJvuv, 
«  le  faireappelé  é^nétique  parles  Grecs  », 
ainsi  que  s  exprime  Pausanias  (1). 

Conformément  au  génie  de  la  raee 
dorieone,  à  laquelle  ils  anpartenaîeot, 
les  Éginètes,  tout  en  accueillant  les  pro- 

frès  du  naturalisme  dans  l'exécution  des 
ifférentes  parties  du  corps  de  leurs  per- 
sonnages, étaient  restés  religieux  oliser- 
vateurs  du  type  traditionnel  établi  par 
le  dogme  dans  les  traits  caractéristiqQcs 
des  statues  consacrées  au  culte,  la  tête, 
la  chevelure ,  la  barbe  et  le  eostume 
Les  Attiques.  au  contraire,  entraînes 

far  la  mooilité  propre  à  la  race  ionienne, 
tendirent  l'imitation  de  la  nature  à  b 
fi^re  entière ,  sans  pouvoir  œpendam 
triompher  de  cette  roideur  particulière 
dans  les  attitudes  qui   caractérise  ta 

Eériode  de  l'art  attique  renfermée  entre 
I  60"  et  la  80®  olympiade  (2). 
Description  des  mabbebs  d^Éginx. 
—  JHous  emprunterons  la  description 
des  marbres  d'Égine  au  livre  De  fjrt 
en  Allemagne.  àm&  leqoel  M.  Hîppol}te 
Fortoul  a  su  Étire  révéler  par  Part  tons 
ses  secrets  à  l'érudition.  Lire  ces  paga. 
c'est  avoir  sous  les  yeux  l'oeuvre  même, 
un  des  plus  curieux  et  des  plus  admira- 
bles monuments  de  i*art  grec.  Il  est  im- 
possible de  foire  avec  un  meilleur  guide 
une  visite  à  la  Glyptothèque  de  Mumdi  : 
«  Au  centre  du  fronton,  dansnnrecule- 
ment  dont  les  règles  de  l'architecture  et 
celles  de  lasculpture  s'aooordeotà  procb- 

fx)  Pausan.,  YIII,  53,  zi. 

(a)  Voy,  Vfa^er,  Jugement  sar  tes  Su- 
tues  (tSgine,  accompagné  de  remarqt» 
sur  VHîstoire  de  tJrt  par  ScfaeBiiig,  iSr;  ; 
Hirt,  dans  les  AnaUoÊes  de  Woif^  UP  ci- 
hier,  p.  167;  et  Misègum  dé  im  Sâmmeite 
chez  Us  Anciens,  p.  08;  Thiflnch,  ^«mA- 
thée,  I,  p.  z37)  Qtifr.  U9^kr.  jàgmetic, 
àà„  p.  9S  et  tuiv.,  el  Manutl  de  t^r€kèek' 
gie  de  tAri,  p.  6ft;  MvpMiim  etimtijbfee 
deMorée^  teot.  AfcttéoUt  U  JIL 


ILES  DU  GOLFE  SÂE019IQUE. 


519 


ner  la  néMflsité,  s'étèveMinenre,  teofiot  !• 
x>acher  d*une  niain ,  la  lanoe  de  l'autre. 
La  tête  de  la  déesse  est  couverte  d'un 
masque  qui  repose  sur  une  chevelure  dont 
es  petites  boucles  sont  rangées  par  éta- 
pes ;  sa  robe  à  longs  plis  droits  et  sym^ 
riques  rappelle  le  tra?ail  antérieur  des 
itatues  de  bois;  ses  yeux  sont  fendus  en 
imande^  légèrement  relevés  par  les  coins: 
»mnie  ceux  des  autres  statues ,  on  les 
lirait  empruntés  à  l'art  chinois.  Sur  les 
èvres,  dont  les  segments  sont  minces  et 
lurs ,  et  dont  les  extrémités  sont  égale* 
npnt  tirées  en  haut,  s'épanouit  un  sourire 
|ui  erre  aussi  sur  toutes  les  autres  figures; 
ïnfin,  comme  dans  celle-ci,  le  men- 
:on  est  étroit  et  aigu.  Ainsi  que  M.  Qua- 
remère  de  Quinov  Tavait  pressenti,  c'est, 
le  la  tête  aux  pieds,  une  fiffure  semblable 
1  celles  qu'on  avait  Jusque  ce  jour  des- 
(ées  dans  les  productions  de  l'art  étrus- 
|ue,  et  que  V^inckelmann,  le  premier, 
ivait  soupçonné  pouvoir  tout  aussi  bien 
tppartenir  à  l'ancien  style  grec. 

«  Aux  pieds  de  Minerve,  et  devant 
^lle,  sont  deux  guerriers  nus;  l'un 
:ombe  mourant  en  arrière ,  l'autre  s'é- 
ance  et  se  penche  vers  lui  pour  le  se- 
»urir;  c'est  aa-dessus  et  au  delà  d'eux 
lu'apparah  la  déesse.  Le  premier  de  ces 
guerriers  a  reçu  le  nom  de  Patrocle;  son 
ïasque,  <]ui  a  quitté  sa  tête  à  moitié, 
aisse  voir  une  srande  partie  de  sa  che- 
velure, pareille  a  la  perruque  dont  Mi- 
lerve  est  affublée  ;  ses  lèvres  sourient 
^n  rendant  l'âme,  comme  celles  des 
guerriers  qui  l'entourent*  Celui  qui  le 
(ecourt  ne  porte  point  de  casque  sur  sa 
été  bouclée;  en  sorte  qu*il  est  entière- 
Tient  nu.  L'absence  de  toute  espèce  de 
âgne  ayant  empêché  qu'on  ne  lui  don- 
lit  un  nom  historique,  on  l'a  tout  sim- 
plement appelé  un  héros.  A  gau^e,  der- 
*ière  Patrocle ,  on  voit  Hector  qui  vient 
le  le  frapper.  11  est  debout,  nu,  et  porte  le 
>ouclier  d'une  main;  de  l'autre,  qu'il 
tient  haute,  il  brandissait  sans  doute 
e  fer  qui  a  tué  son  ennemi.  Sa  tête,  plus 
)elle  que  celle  des  autres ,  semble  indi- 
)uer  sa  supériorité.  Son  casque  laisse 
roir  la  partie  antérieure  de  la  chevelure 
souciée  qui  lui  cache  le  front.  La  barbe 
le  son  menton  lui  donne  un  air  plus 
nâle;  mais  comme  elle  est  sensinle- 
nent  potatue,  et  qu'à  la  forme  bointue 
(Vinekeimann  a  attaché  le  seul  iudiee  à 


peu  près  certain  oui  pût  faire  distinguer 
les  œuvres  du  style  étrusque  de  celles  de 
l'ancien  style  grec ,  il  s'ensuit  qu'il  est 
désormais  difnciie  d'établir  une  diffé- 
rence essentielle  entre  Tun  et  l'autre  de 
ces  deux  arts.  Pour  faire  pendant  à  Hec- 
tor,  et  à  droite  du  héros  qui  vient  au  se- 
cours de  Patrocle ,  se  trouve  un  autre 
guerrier,  debout  comme  le  fils  de  Priam, 
nu  comme  lui,  et  comme  lui  portant  la 
barbeau  menton,  le  casque  en  tête,  le 
bouclier  au  bras.  C'est  ce  personnage 
qui  a  reçu  le  nom  d' Aiax,  fils  de  Télamon. 
La  manière  dont  il  est  opposé  à  Hec- 
tor rend  cette  désignation  très -vrai- 
semblable. 
«  La  dénomination  des  autres  che£s  re- 

Erésentés  derrière  ceux-ci  n'est  pas  aussi 
kcile  à  justifier.  Les  deux  héros  qui  sui- 
vent immédiatement  d'un  côté  Hector, 
de  l'autre  Ajax,  sont  a  genoux,  les 
carquois  suspendus  à  leur  flanc,  et  une 
de  leurs  mains  levée  à  la  hauteur  de 
l'œil  ne  permettent  pas  de  douter  que 
leur  autre  main  ne  tînt  un  arc.  A  la 
différence  des  guerriers  précédents,  qui 
sont  nus ,  ceux-ci  sont  vêtus;  leur  poi- 
trine est  prise  dans  une  casaque  collante, 
leurs  jambes  sont  enfermées  dans  une 
aorte  de  pantalon  qui  adhère  complète- 
ment à  la  peau,  et  qui  descend  jusqu'à 
la  cheville.  On  ne  saurait  méconnaître  à 
ces  traits  des  archers  d'Orient,  et  c'est 
là  une  des  raisons  sur  lesquelles 
M.  Mûller  se  fonde  pour  rapporter  à  la 

Serre  des  Perses  le  sujet  de  ce  fronton. 
\  vêtement  de  ces  sagittaires  est,  il  est 
vrai ,  plutôt  phrygien  que  perse;  mais, 
Winckelmann  l'a  dit ,  les  artistes  grecs 
employaient  le  costume  de  Phrysie  in* 
differemment  à  la  place  de  tous  les  an- 
tres costumes  étrangers.  Les  casques  de 
ces  deux  guerriers  ne  ressemblent  point 
à  ceux  des  autres;  celui  du  guerrier  qui 
est  placé  à  droite  derrière  Ajax  ofoe 
surtout  une  forme  bizarre,  que  sa  pointe 
brisée  a  permis  de  prendre  pour  un  bon* 
net  phrygien,  et  c'est  aussi  sans  doute  oe 
qui  a  déterminé  les  antiquafavs  bavarois 
a  appeler  du  nom  de  Paris  l'archer  qui 
en  est  ooiffé.  Le  ^errior  qui  lui  sert 
de  pendant,  et  qui  est  placé  derrière 
Hector,  a  reçu  In  nom  de  Teueer,  frère 
d'Ajax,  quoique  son  costume  ne  diffère 
gom  de  celui  de  Paris.  Teueer  et  Paris 
«ont  appuyés  des  deux  cAtés  par  deux 


520 


L'UNIVERS* 


autres  guerriers,  plus  inclinés  qu'eux,  et 
qui,  aussi  à  genoux,  mais  pliant  l'épaule, 
au  lieu  de  Ta  renverser  en  arrière  pour 
tirer  la  flèche,  secondent  leur  attaque 
la  lance  à  la  main.  A  Munich,  on  a 
donné  le  nom  d'Ajax ,  fils  d^Oïlée ,  au 
ffuerrier  qui  accompagne  Teucer,  celui 
d'Énée  au  guerrier  qu)  suit  Paris.  Vien- 
nent enfin,  aux  deux  angles  extrêmes  du 
fronton,  deux  guerriers  renversés  en 
arrière.  Blessés  mortellement ,  ils  sont 
tombés ,  mais  ils  ne  cessent  pas  de  sou» 
rire;  leurs  casques  s'échappant  de  leur 
tête ,  dans  la  chute ,  ont  laissé-  leur  che- 
velure bouclée  sedéployerenlonguesnat- 
tes  jusque  sur  le  milieu  de  leurs  épaules. 
Ces  deux  figures,  dont  la  maigreur  a 
ouelque  chose  de  plus  doux  et  de  plus 
lémiuin  que  celles  des  autres  person- 
nages, n'ont  pas  reçu  de  nom  particulier. 
Quoique  ces  deux  statues  puissent  avoir, 
auprès  de  certains  esprits,  le  tort  d'être 
profondément  marquées  d'une  manière 
particulière ,  elles  sont  entre  les  plus  ad- 
mirables morceaux  qu'on  puisse  voir; 
elles  réunissent  la  grâce  à  l'austérité , 
l'harmonie  au  mouvement;  elles  sont  le 
type  de  cette  beauté  qui  résuite  d'une 
grande  quantité  de  nombres  différents 
ramenés  à  l'unité  par  un  rapport  simple 
et  mystérieux. 

«  Du  fronton  antérieur,  ou  occidental, 
il  ne  reste  que  quatre  figures  ;  elles  sont 
l^rement  plus  fortes  que  celles  que  je 
viens  de  décrire  ;  elles  sont  néanmoins 
encore  inférieures  à  la  taille  ordinaire  de 
l'homme.  C'est  à  l'inclinaison  extrême 
des  frontons  doriens ,  dont  l'angle  est 
plus  obtus  que  celui  des  autres  oidres 
d'architecture ,  qu'il  faut  surtout  attri- 
huer  cette  proportion  des  statues.  Les 
conjectures  faites  pour  désigner  ces  qua* 
tre  figures  me  paraissent  excessivement 
arbitraires.  Celle  qui,  de  toutes,  est  la 

{»lus  digne  d'admiration  est  connue  sous 
e  nom  du  héros  blessé;  elle  est  renver- 
sée sur  le  dos ,  couchée  dans  son  bou- 
clier, où  elle  s'agite  encore  pour  com* 
battre,  et  où  sa  main  brandissait  sans 
doute  une  arme  inutile.  L'unité  qui  règne 
dans  la  divergence  multipliéd  de  ses  li* 

Snes  et  l'harmonie  qui  natt  sans  efforts 
e  l'agitation  même  de  ses  membres 
devraient  être  longuement  méditées  par 
les  artistes  qui  accusent,  de  nos  jours  « 
le  repos  absolu  de  l'art  antique,  et  qui 


en  chereoant  le  mouvemenc  oublient  de 
poursuivre  la  grâce  et  la  beauté. 

«  Indépendamment  de  ces  statues ,  et 
avec  elles,  on  a  trouvé  à  È^uae  daix  sta- 
tuettes oui  donnent  lieu  aux  plus  co- 
rieuses  oissertations  ;  elles  sont  en  tout 
semblables  l'une  à  l'autre,  si  ce  n*est  que 
leurs  draperies  sont  combinées  de  ma- 
nière à  ce  qu'elles  se  servent  mutuel* 
lement  de  pendant.  Toutes  deux  relèvent 
de  la  main  leurs  longues  robes  à  plis 
symétriques  et  verticaux.  M.  Coekerâi , 
qui  a  dessiné  une  restauration  du  tem- 
pie  de  Jupiter  Panhellénieii ,  les  a  pla- 
cées au  sommet  de  l'angle  extérieur  da 
f nmton ,  et  il  a  supposé  qu'elles  y  sa- 
vaient d'accompagnements  à  l'dbros  qu 
couronnait  tous  les  ornements  du  t€in- 
pie.  Les  savants  allemands  ont  salué 
ces  deux  déesses  du  nom  de  Damia  et 
d'Auxésia(l}.  » 

Ces  statues,  ainsi  que  le  aïonuroeot 
qu'elles  décoraient,  paraissent  devoir  ap- 
partenir à  l'époque  de  Tart  sree  gui  est 
renfermée  entre  la  victoire  de  Salamine 
et  la  réduction  des  Éginètes  |iar  les 
Athéniens,  c'est-à-dire  de  la  7&*  a  la  SO^ 
olympiade,  de  l'an  480  à  Tan  4M  avant 
J.-C. 

11  existe  au  Louvre  une  épreuve  moulée 
des  marbres  d'Égine.  Ils  ont  été  gravés 
par  les  soins  de  M.  de  Clarac,  &os  h 
neuvième  livraison  de  son  grand  ouvrajEe 
sur  notre  musée  de  sculpture. 

ÉTAT  JLGTUBL  DE  ïHui  D'ÉGINS.  — 

Malgré  les  révolutions  opérées  par  ks 
siècles  dans  les  terrains  volcaniques  qui 
composent  le  sol  d'Égine,  les  écuals 
dont  elle  était  entourée ,  et  ^oe  cééè* 
brent  les  historiens  de  l'antiquité,  soet 
encore  debout  et  rendent  ses  abords 
dangereux,  même  pour  les  p^ts  bâti- 
ments de  la  marine  grecque.  La  fonoc 
générale  de  File  est  un  trapèze  eompiis 
au  sud  entre  les  caps  Perdica  et  Hagios 
Antonios,  et  au  nord  entre  le  cap  du 
Tumulus  et  le  cap  Tourlo ,  qui  regarde 
l'Attique.  Son  sol  présente  trots  fwma* 
tions  distinctes  :  les  calcaires  seooa- 
daires ,  les  trachytes,  et  le  terrain  ter- 
tiaire. Éfiine  doit  être  divisée  eo  trois 
régions  physiques  :  la  plaine,  qui  oc- 
cupe la  partie  du  nord-ouest,  les  eol- 

(i)  Bf .  H.  FortMil,  Ih  tjiH  em  AUmmgm, 


ILES  DU  GOLFE  SÀRONIQUE. 


621 


lines  au  nord -est  et  les  montagnes  aa 
sud. 

La  ville  nonvelle,  située  sur  le  bord 
ie  la  mer,  dans  ia  partie  nord-ouest  de 
[fie ,  occupe  en  grande  partie  l'empla- 
:;ementde  Tancienne  ville  des  Éaciaes; 
slle  est  exposée  au  couchant,  et  décrit 
jn  demi-cercle  autour  du  rivage.  A  Tex- 
trémité  de  Tune  des  jetées  qui  ferment 
!e  port,  on  voit  encore  la  tour  construite 
m  1693  par  Morosinî.  Le  mouillage  de 
a  rade  est  mauvais;  les  navires  de  la 
narine  militaire  sont  obligés  de  jeter 
l'ancre  à  mille  ou  quinze  cents  mètres 
iu  rivage.  La  ville  est  mal  construite; 
es  rues,  irrégulières,  sont  bordées 
le  maisons  basses,  à  toit  plat,  et  presque 
;outes  bâties  en  bois  et  en  terre  battue. 
Les  seules  constructions  que  Ton  puisse 
;îter  sont  le  lazaret,  la  grande  église, 
ine  grosse  tour  carrée  appelée  Pyrgos 
ie  Favier,  du  nom  de  rillustre  pbil- 
lellène  français,  et  TOrphanotrophion, 
nrmnase  fondé  pour  Féducation  des  or* 
inelins  de  la  Grè«^  par  le  comte  Capo 
ristrias  lorsquMl  était  président  du  gou- 
rernement  hellénique ,  installé  à  Égine 
m  1838.  Si  les  édifices  modernes  de 
*île  n'offrent  que  peu  d'intérêt,  en  re- 
ranche  les  reêards  de  l'artiste  et  du 
voyageur  s'arrêtent  à  chaque  instant  sur 
fadmirables  ruines,  traces  glorieuses  de 
^ancienne  civilisation  hellénique.  Ce 
»ont  les  débris  du  temple  de  Vénus  au 
>ord  de  ia  mer,  ceux  des  travaux  sous* 
narinsqui  composaient  le  port  secret  ou 
»ché  (x(Nn7tb{  Xi(j.9fv)  qui  était  derrière 
e  temple  et  dont  parle  Pausanias  (1)  ; 
es  restes  de  l'aqueduc  qui  approvision- 
lait  d'eau  toute  la  ville;  les  cryptes, 
;ité  souterraine,  composée  de  chambres 
;épulcrale8 ,  où  les  anciens  Eginètes  dé- 
Kïsaient  leurs  morts  ;  les  ruines  de  Pa- 
aeocbora ,  cette  citadelle  scellée  comme 
me  aire  d'aigle  au  faite  d'un  rocher, 
uinée  et  reconstruite  par  le  Vénitien 
Horosini ,  et  qui  datait  de  l'époque  où 
es  habitants,  pour  échapper  aux  pl- 
ates de  rarehipel,  avaient  etécontraints 
l'abandonner  le  bord  de  la  mer,  et  de 
e  réfugier  dans  les  escarpements  du 
entre  oellle;  enfin,  sans  parler  des 
utels  antiques,  des  élégantes  colonnes, 
es  frontons  éeroulés  et  des  marbres 

(OPi|QMB*»ll,  94y3o. 


précieux  dont  le  sol  est  semé,  ce  sont  les 
restes  du  temple  de  Jupiter  Panhellénien, 
où  l'on  a  retrouvé  ces  marbres  d'Égine, 
l'une  des  pages  les  plus  intéressantes  de 
l'histoire  de  l'art  grec.  Du  milieu  des 
ruines  du  temple,  on  aperçoit  au  sommet 
de  l'une  des  montagnes  voisines  le  riche 
monastère  de  la  Panagia  (la  sainte  Vie^ 
ge),  d'où  s'élèvent  maintenant  vers  le  ciel 
les  prières  de  l'Ëgine  chrétienne.  C'est 
un  grand  édifice  carré,  sans  autre  ouver- 
ture à  l'extérieur  qu'une  porte  suscepti- 
ble d'une  vigoureuse  défense.  Les  moines 
{possèdent,  dit-on,  les  deux  tiers  des  terres 
abourables  de  Ttle. 

Une  des  plus  merveilleuses  perspec- 
tives de  l'archipel  est  Thonzon  qui  se 
déroule  du  sommet  du  mont  Oros ,  ou 

Sic  Saint-Élie.  De  cette  plate-forme, 
levée  de  580  mètres  au-dessus  de  la  mer, 
la  vue  s'étend  sur  le  golfe  entier  de  TAt- 
tique,  et  embrasse  à  la  fois  le  cap  Su- 
nium,  les  montagnes  de  l'Attigue,  de 
l'Eubée  et  de  laBéotie,  Salamine,  les 
monts  de  la  Mégaride,  l'Isthme,  l'Acro- 
oorinthe,  les  sommets  de  TArgolideiA 
de  l'Épidaurie,  les  cimes  de  Méthana, 
le  cap  Scylleum,  et  le  rocher  d'Hydra. 

Dans  ia  ville,  et  dans  toute  la  plaine 
qui  s'étend  à  ses  pieds,  le  climat  d  Égine 
est  sain  et  tempéré  ;  la  cdte  orientale  au 
contraire  est  ravagée  par  des  fièvres  mor- 
telles. 

En  1839  la  population  de  l'Ile  a  été 
évaluée  par  M.  Scharnost  à  9,000  habi- 
tants. Le  plus  grand  nombre  se  com- 
pose de  fugitife  de  l' Attique,  de  ia  Morée, 
de  Chio  et  d'Ipsara.  lies  Ipsariotes  for- 
ment la  partie  la  plus  riche  de  la  popu- 
lation *  les  Athéniens,  au  contraire,  sont 
plongés  dans  la  plus  déplorable  misère. 

La  culture  à  Égine  reçoit  peu  de  dé- 
veloppements :  l'Ile  ne  produit  plus 
qu'en  très-faible  quantité,  suffisante  à 
peine  à  sa  consommation ,  ces  figues  et 
ces  amandes  autrefois  célèbres.  Ses  ré- 
coltes consistent  surtout  en  céréales, 
produits  très-incertains,  à  cause  des  sé- 
cheresses qui  régnent  le  plus  souvent. 
C'est  encore  du  commerce  que  111e  tire 
ses  ressources  les  plus  positives;  ou  y 
rencontre,  comme  dans  l'ancienne  Ëgiae, 
une  nombreuse  classe  de  marchanos  et 
de  brocanteurs,  dignes  descendants  de 
ceux  qui  après  la  bataille  de  Platée  ache- 
tèrent aux   ilotes  l'or  des  dépouilles 


439 


LUmVERS. 


perstqQes.  Au  pied  du  nooiit  TMhaskali 
existent  aussi  quelques  familles  de  p<H 
tiers,  héritiers  de  Tantique  industrie  na- 
tionale, et  qui,  mettant  en  œuvre  les 
fines  argiles  qu'ils  renoontrent  sous  leurs 
pas,  ont  su  reproduire  avec  asses  de 
bonheur  les  vases  antiques,  dont  ils  oa( 
étudié  les  modèles  (1). 

Ilb  ns  Calauaib. 

D'Ëgine  à  Calaurie,  aujourd'hui 
Poros,  on  compte  à  peine  deux  heures 
de  navigation  par  un  bon  vent.  Cette 
tle  touche  presque  à  la  côte  de  la  Tré- 
zénie,  dont  elle  n'est  s^rée  que  par 
un  canal  de  quatra  stades  selon  Stra* 
bon,  de  cinq  cents  pas  selon  Pline» 
Entre  Poros  et  la  presqu'ilede  Methana 
est  un  boghaz  de  deux  ou  trois  milles  de 
largeur,  qui  est  comme  l'entrée  de  la 
rdcle  de  Poros,  vaste  bassin  bien  abrité 
par  les  hauteurs  de  l'tle  et  les  câtes  de 
l'Argolide.  Au  fond  de  cette  rade  se  pr^ 
sente  la  ville  de  Poros,  qui  s'élève  en 

gradins  sur  la  partie  inférieure  de  111e. 
ette  partie  de  llte  de  Calaurie  forme 
comme  un  appendice  rattaché  à  la 
masse  de  111e  par  un  isthme  très-bas 
et  fort  étroit.  C'était  sans  doute  autre- 
fois une  petite  tle  distincte ,  celle  de 
8phœria,  où  iCthra,  fille  de  Pitthée,  roi 
de  Trézène,  et  mère  de  Thésée  «  fut 
séduite  par  Neptune ,  et  où  elle  éleva 
un  temple  à  Minerve  Apaturie  (2). 
Poros  contient  troi  milles  habitants.  On 
y  a  établi  l'arsenal  de  la  marine  militain 
du  royaume  grec.  Les  habitants  en  sont 
de  race  albanate,  et  les  femmes  y  ont 
conservé  le  costume  hydriote  dans  tonte 
son  originalité. 

Après  avoir  franchi  l'isthme  qui  unit 
Sphseria  à  Calaurie,  on  monte  peu  à  peu 
le  long  du  rivage  par  un  chemin  rocail- 
leux et  sinueux  qui  vous  mène  au  mo- 
nastèrede  Poros,  rundeeplusconsidéra- 
bles  et  des  plus  agréablement  situés  de 
la  Grèce.  Ce  couvent  oceupe  la  partie 
central^  d*un  ravtai  qui  débouche  ven 
la  mer,  et  qui  en  se  resserrant  à  peu  de 
distance  du  rivage  ae  rattache  au  système 
général  des  mcmagnes  de  111e.  A  quel* 
ques  pas  du  couvent,  en  remontant  le 

(  i)  Toy.  DetenpHon  êtÉgim,  par  PuiUoo* 
fioblaya. 

(a)  Plat.,  Dm.,  «9, 


ravin  par  un  chemin  iMrdé  de  pins  et 
d'oliviers,  on  rencontre  une  source 
d'une  eau  limpide  et  salutaire ,  appelée 
la  C(o$oK^  mJY^  »  s^  vertus  menreilleuses 
sont  célèbres  au  loin  ;  elles  attirent  de 
nombreux  pèlerins  au  couvent,  qui  a  nhs 
le  nom  de  cette  source.  L'eau  qui  oes- 
cend  du  haut  des  rochers  est  reçue  dont 
un  vaste  bassin  de  pierre.  Les  ombra- 
ges, le  murmure,  le  sitede  cette  fontaine 
sont  pleins  de  charme.  De  là  on  aper- 
çoit les  côtes  de  la  Trézénie,  oouvertei 
oe  bois  de  citronniers,  la  mer,  qui,  res- 
serrée d'abord  comme  un  lac  entre  Tik 
et  le  continent ,  s'ouvre  vers  la  gauche, 
se  déploie  au  loin  dans  un  horizon  sass 
bornes,  et  à  l'extrémité  de  TArgolide  b 
pointe  de  l'ile  d'Hydra, 

Au  centre  de  llle,  en  un  lieu  appelé 
aujourd'hui  Palati,  se  trouyent  les 
rumes  du  célèbre  temple  de  Neptune 
de  Calaurie.  Le  chemin  qui  y  eonduitest 
très-inégal ,  tantôt  montant ,  tant^  des- 
cendant selon  les  sinuosités  da  terrain, 
ou  plutôt  des  rochers  tapiaMs  de 
verdure  à  travers  lesquels  on  circsk. 
L'emplacement  de  ces  ruines  est  ua 
plateau  élevé,  ondulé,  dominant  la  mer 
de  olusieurs  côtés  et  dominé  lui-méoie 
par  les  deux  plus  hauts  sommets  de  Ffle, 
i'Hagios  Uias  et  la  Yi^lia.  Ce  pUteau, 
d'où  la  vue  a'éteod  jusqu'aux  rivages 
de  l'Attique ,  est  comme  le  ool  qui  mit 
ces  deux  pointes.  Les  prenoières  ruinei 
qu'on  y  rencontre  sont  celles  du  tensple. 
Il  ne  resteque  lessubstruetions,  formant 
une  enceinte  carrée,  à  fleur  de  tom; 
cà  et  là  on  voit  ses  débris  épais,  m 
fragment  de  marbre  pentéliquet  aa 
morceau  de  marbre  hymettiea,  on  petit 
chapiteau  dorique  en  trachite ,  aorte  de 
«ierre  qui  avec  la  serpentine  fMnne 
la  masse  de  l'tle  de  Poros  (1).  Tout  à 
rentour,  juaqu'au  pied  du  mont  Saiai- 
£lie,on  voit  des  substmctions  de  nai- 
aons,  des  débris  de  pienes  pour  soateair 
la  terre  et  les  champs  cultivés,  des  moi^ 
ceeux  de  céramique,  pots,  tuiles  «  iadK 

2uant  l'existence  d*nne  ville  qui  a  ddae 
irmer  autour  du  temple,  trèe-Mqoemé 
des  Qrecs.  Aussi  Calaurie  avaift-eUeies«^ 
nom  de  Posidonia.  Touleibis  FiiiMimiii 
iraeontfl  qu'elle  avait  d*aboid  s^ipHnesa  à 
Laiene,  cl  Délos  i  Neplyne»  d  qu'ils  m 

(i)  Boblaye,  Empéd.  de  More»,  p.  59. 


ILES  DU  GOLFE  SiRONlQUE. 


^29 


avaieotfaitréehaiitt  entre  eux.  Ce  tem« 
pie  de  Neptune  de  Calaurie,  dont  les  dé- 
bris ont  servi  à-  la  construction  des  cou- 
vents de  Porcs  et  d*Hydra ,  est  à  Jamais 
illustre  par  la  mort  de  Démosthène. 

«  Arcbias ,  informé  que  Démostliène 
avait  trouvé  an  asile  dans  le  temple  de 
Neptune    à  Galaurfe,  dit  Plutarque, 
^assa  dans  Itle  sur  de  petits  bateaux,  et, 
étant  débarqué  avec  une  troupe  de  soldats 
thraces ,  il  voulut  persuader  à  Démos- 
thène de  sortir  du  temple  et  de  venir  avec 
loi  trouver  Antipater,  affirmant  qu'il  ne 
loi  ferait  aucun  mal.  Mats  Démosthène 
ivaiteu,  la  nuit  précédente,  pendant 
)on  sommeil  un  songe  étrange.  Il  avait 
cru  se  voir  luttant  contre  Arcbias  à  qui 
louerait  le  mieux  une  tragédie  :  pour 
Taetion,  c'était  lui-même  qui  Tempor- 
tait,  mais  son  rival  triompha  par  la 
ichesse  des  costumes  et  des  décorations. 
Aussi  Arcbias  eut  beau  fiiire,  dans  ses 
iiscours,  un  grand  étalage  d'humanité, 
Démosthène ,  levant  les  yeux  sur  lui , 
»sis comme  il  était  :  «  Ài«hias,  dit-il. 
amais  je  n*ai  cm  à  tes  paroles  quand 
0  louais  ton  râle  au  théâtre,  tu  ne 
ne  teras  pas  davantage  croire  aujourd'hui 
i  tes  promesses.  »  A  cette  réoonse 
irchias  s'emporte  et  commence  à  IRna* 
!er.  «  Maintenant,  reprit  Démosthène, 
u  parles  en  homme  inspiré  par  le  tré- 
)i6a  de  Macédoine;  tout  à  l'heure  ce 
l'était  que  le  langage  d'un  comédien  : 
ittends  donc  an  peu  que  j'aie  écrit  chez 
noi  pour  donner  mes  derniers  ordres. 
'^n  disant  ces  mots,  il  se  retira  dans  l'in- 
érieur  du  temple;  puis,  prenant  ses 
ablettes  comme  pour  écrire,  il  porta 
e  roseau  à  sa  bouche  et  le  mordit,  ceste 
|ui  lui  était  habituel  quand  il  méditait 
u  composait  quelque  discours.  Après 
y  avoir  tenu  quelque  temps,  il  se 
ouvrit  de  sa  robe,  et  pencha  la  tête. 
ss  soldats  qui  se  tenaient  à  la  porte  du 
smple  se  moquaient  de  ce  qu'ils  pre* 
aient  pour  de  la  pusillanimité,  et  le 
raitaient  de  lâche  et  de  mou.  Arcbias 
'approcha  de  lui,  et  l'engagea  à  se  lever; 
t  fui  répétant  les  mêmes  propos.,  il  lui 
romit  derechef  sa   rentrée  en  grâce 
uprès  d' Antipater.  Démosthène,  qol 
entit  que  le  poison  avait  produit  tout 


son  effet,  se  découvrit,  et,  fixant  ses 
regards  sur  Arcbias  :  «  Tu  peux  mainte- 
«  nant,  lui  dit-il,  jouer  le  rôle  de  Créon 
«  dans  la  tragédie,  et  faire  jeter  ce  corps 
«  sans  sépulture.  O  Neptune  I  ajouta-* 
«  t-il,jesorsencore  vivant  de  ton  temple; 
«  mais  Antipater  et  les  Maoédomens 
«  n'ont  pas  laissé  ton  sanctuaire  même 
«  pur  de  leurs  profanations.  >  Comme 
il  disait  ces  mots,  il  se  sentit  trembler 
et  chanceler  :  il  demanda  qu*on  le  sou- 
tînt pour  marcher;  et,  au  moment  où 
il  passait  devant  l'autel  du  dieu  il 
tomba,  et  rendit  l'âme  en  poussant  un 
soupir.  (1)  » 

C'est  là  le  seul  fait  important  de  l'his* 
toire  de  Calaurîe ,  qui  était  une  dépen- 
dance de  Trézène,  et  qui  partagea  toutes 
les  destinées  de  sa  métropole.  Aujour- 
d'hui c'est  Trézèoe  oui  n^Bst  qu'un  mU 
semble  village  (Damalos),  et  c'est  Poroa 
gui  domine  sur  toute  la  c6te  voisine* 
Les  bois  de  citronniers  qui  bordent  la 
pointe  septentrionale  de  l'Argolide  ap« 
partiennent  aux  gens  de  Poros.  Des 
massifs  de  figuiers  et  d'oliviers  forment 
les  abords  de  ce  bois,  où  Ton  circule 
par  de  petits  sentiers  couverts,  bordés 
d'eaux  vives  et  murmurantes;  on  s'é- 
lève peu  à  peu  sur  les  pentes  du  rivage,  et 
le  bois  s'épaissit  de  plus  en  plus.  Arrivé 
sur  la  plate-forme  oui  le  domine,  on  jouit 
d'un  spectacle  edâianteur,  on  a  devant 
ses  yeux  Poros,  la  mer  unie  et  brillaute, 
le  cap  Colonne,  la  cAte  vaporeuse  de 
rAtti9ue,  et  à  ses  pieds  le  bois  de  ci- 
tronniers, qui  forme  depuis  la  colline 
jusqu'à  la  mer  comme  un  tapis  de  ver- 
dure dorée,  et  qui  parfume  Pair  de  ses 
douces  exhalaisons.  C'est  un  des  endroits 
les  plus  délicieux  du  monde ,  où  l'on 
retrouve  le  type  de  ces  gracieuses  des- 
criptions aue  les  anciens  faisaient  des 
Champs-Elysées  : 

Devenere  loooc  latos  et  amena  vlreta 
Portunatoram  nsmornm  MaMqoe  beatas. 

.  Aujourd'hui  Poros  ou  Calavria  est  le 
chef-lieu  de  l'éparchie  de  Trézène, 
section  du  département  de  TArgolide  et 
Corinthie. 

(i)  FaïusD.)  U ,  33,  x. 


ILES  DU  PÉLOPONNÈSE. 


Les  ties  qui  bordent  les  côtes  du  Pé* 
loponnèse  sont  peu  nombreuses,  peu 
considérables,    et   sauf  deux  d'entre 
elles ,  Hydra  et  Spet2Îa ,  qui  ont  joué 
momentanément  unrdle  important  dans 
la  guerre  de  l'indépendance,  toutes  les 
autres  sont   sans  histoi*'e.   Nous   au- 
rons dit  tout  ce  (|u*il  en  faut  savoir, 
quand  nous  aurons  indiaué  leur  situation 
géographique.  Voici  rénumération  de 
ces  îles  en  suivant  les  côtes  du  Pélopon- 
nèse depuis  le  cap  Scyliaeum,  qui  mar- 
que la  sortie  du  golfe  Saroniaue  :  à  la 
pointe  du  cap,  les  trois  îles  u'Haliusa , 
dePityusaet  d'Aristera,  aujourd'hui  tles 
des  Corsaires;  en  face  de  rHermionie , 
Hydréa  (  Hydra  ),  Apéropia  (  Hydron 
ou  Dhoko),  Trikrana  (Trikéra),  Tipare- 
nos  (Spetzia) ,  Kolonis  (  Speziepoulo)  ; 
dans  le  golfe  d'Argos  :  Epbyra  (  Hypsiié, 
ou  île  du  Diable) ,  Iriné  (  Gavouro  ou 
Garonisi  ),  Pityusa  (  île  du  Port-Tolon)  ; 
au  sud  du  Péloponnèse,  à  la  pointe  de  la 
Messénie;  Théganussa  (Isola-di-Cervi), 
les  deux  fies  OEnusses  ,aujourd'hui  Sa- 
plenza  et  Cabrera  ;  à  Touest  :  les  îles  de 
Sphactérie  (Sphagia),  de  Prote(Prodano)  ; 
et  dans  la  pleine  mer  :  les  Stropbades, 
aujourd'hui  Stribali.  Quant  à  Cvthère, 
(|ui  est  au  sud-ouest  du  cap  Malée,  nous 
1  omettons    dans   cette   énumératîon, 
parce  qu'elle  se  trouvera  réunie  dans 
le  chapitre  des  îles  Ioniennes  (1). 

Ilbs  »'Hyi>ea  st  db  Spstzia  (2). 

Cest  à  peine  si  pendant  les  temps 
anciens  il  est  fait  mention  de  ces  îles 
deux  ou  trois  fois  dans  Pausanias, 
dans  Pline ,  dans  Etienne  de  Byzance . 
Hérodote  parle  d'Hydra  pour  nous  ap- 
prendre qu'elle  appartenait  aux  Hermio* 
mens,  auila  donnèrent  aux  Samiensexilés 
par  Polyerate  (8),  que  ceux-ci,  ne  vou- 
lant pas  s'y  établir,  l'engagèrent  aux 
Trézéttiens  pour  une  somme  d'argent. 
Même  silence  sur  Hydra  et  Spetzia  pen- 
dant le  moyen  âge  et  les  temps  modernes 

(x)  Toy.  Forbig.,  Handb,  der  ali.  Geogr., 
m,  p.  xoi6. 
(a)  Les  Grecs  écrivent  ee  nom  niTCa<« 
(3)  Hérod.,  UI,  Sq. 


jusqu'à  la  fin  du  dix«buitièmesiècle.  Mais 
a  cette  dernière  époque,  après  les  événe- 
ments de  1770,  des  colonies  albanaises  s*v 
établissent,  et  l'on  commence  à  parler  de 
ces  deux  rochers  jusqu'alors  îiiG(Minus.Lr 
commerce  de  la  Méditerraaée  passe  ec 

Jurande  partie  par  les  mains  de  ces  insu- 
aires :  leurs  navires  fréquentent  tous  ks 
ports.  Une  nouvelle  puissance  maritiiiK 
vient  de  naître.  Villoisonavait  remaripwa 
fait,  etlesignaleainsi  dans  ses  maiuiserit& 
que  j'ai  eu  déjà  l'occasion  de  dter.  >  La 
manne  grecque,  dit-il  (1),  est  plus  ooa- 
sidérable  maintenant  qu'elle  n^  jamais 
été.  Les  patentes  données  aux  xapoocx^ 
piSe^,  ou  patrons  de  barque,  par  le  vicain 
de  Myconede  la  part  du  grand  maître  de 
Malte  détruisent  la  caravane  et  le  com- 
merce des  Français.  Autrefois  on  était 
obligé  d'avoir  recours  à  eux  exciusll^ 
ment,  parce  que  les  Grecs  et  les  Tufts 
craignaient  d  être  pris  par  les  corsaires. 
Il  n'y  a  guère  d'Iles  à  présent  qui  n'aioi 
plusieurs  caïques,  saccolèves,  auffioiB> 
six  à  sept.  La  petite  Hydra  seule  en  i 
deux  cents.  Ce  sont  les  nieiilears  mari- 
nieUMe  la  Grèce ,  et  ceux  qui,  connais- 
sant le  mieux  l'Archipel,  vont  le  pies 
vite  et  perdent  le  moins  de  temps  Ce  qti 
fait  d'ailleurs  que  les  capitaines  firançai» 
ne  peuvept  pas  soutenir  la  eoncurrence. 
c'est  quiis  dépensent  beaucoup  pljtf 
pour  leur  nourriture  et  pour  celle  d^ 
leur  équipage,  que  les  Grecs,  qui  m  I 
mangent  que  de  mauvais  biscuit  gâtf 
et  des  olives  pourries,  et  point  de  vin.       | 

«  Hydra  est  un  rocher  aride,  qui  ae 
produit  rien,  et  où  l'on  ne  vit  que  par  k  | 
commeroe.Ceux  d'Hydra  font  à  présent  le  ' 
commerce  d'Ancône,  de  Naples,  de  T^  , 
nise,  de  l'Egypte,  de  la  merKoire,  etvoot  j 
jusqu'à  Marseille.  A  Hydra  il  naît  plusde 
garçons  que  de  filles  ;  et  on  les  emploie  à  j 
la  marine  dès  l'âge  le  plus  tendre.  Les  ' 
xopaCoxupiBec  bydriotes  sont  plus  res- 
pectés de  leurs  matelots  que  les  autre;, 
se  font  obéir  avec  plus  d'autorité,  eî 
sont  exacts  à  remplir  leurs  engage* 
ments.  »  On  peut  en  dire  autant  de  ceux 


(i)  Mss.  Tilloison ,  BUfL  Haiio^,  3«a  ,  y 


ILES  DU  PÉLOPONNÈSE. 


£d5 


le  Spetzia  etd^Ipsara,  dont  les  babi- 
ants  partageaient  avec  les  Hydriotes 
is  bénéfices  da  commerce  du  Levant  et 
e  la  mer  Noire. 

«  Certaines  causes  générales,  qu*it  est 
i  propos  d'indiquer  ici ,  avaient  contri- 
lué  à  entretenir  chez  les  Grecs  de  TÂr- 
hipel  la  pratique  de  la  mer,  et  cet  in* 
tinct  de  fa  navigation  que  leur  inspire 
es  Tenfance  leur  situation  géograpbî* 
ue. 

«  A  Toriffinedes  conquêtes  maritimes 
es  Turcs ,  les  prisonniers  de  guerre  ra« 
aaient  seuls  à  bord  des  galères;  mais 
vand  les  galères  du  sultan  devinrent 
lins  nombreuses,  on  recourut  aux  rayas 
^ecs,  et  on  en  plaça  sur  les  flottes  à 
instar  des  forçats.  Plus  tard,  la  rigueur 
ieTislamisme,  qui  interdit  de  conner  la 
éfense  du  troue  des  califes  à  des  mé- 
réants,  céda  devant  la  nécessité;  parla 
aison  qu'on  avait  remplacé  les  navires 
I  rames  par  des  bâtiments  à  voiles ,  on 
leosa  que  ceux  qui  n'avaient  été  que 
ameurs  pouvaient  devenir  matelots.  La 
Turquie  se  trouva  si  bien  du  concours 
les  marins  grecs ,  qu'elle  donna  en  fief 
es  îles  au  capitan-pacha ,  à  l'effet  d'in* 
éoder  le  plus  possible  la  population 
le  ces  lies  à  sa  marine;  et  comme  à 
ipelque  chose  malheur  est  bon,  les 
rrecs  sous  le  courbach  et  le  bâton 
les  Turcs,  acquirent  encore  une  au- 
lace  nautique  qui  leur  servit  plus 
ard  (1).  » 

Cette  exploitation  des  insulaires  de 
'Archipel  au  profit  de  la  marine  turque 
muvait  produire  et  entretenir  parmi 
«tte  population  un  personnel  nomnreux 
le  manns  exercés  ;  mais  il  fallait  d'au- 
res  causes  pour  les  mettre  en  état  de  se 
réer  une  puissance  maritime  indépen- 
lante  et  imposante. 

Pendant  longtemps  les  îles  grecques 
l'eurent  d'autres  navires  que  les  cor- 
aires  qui  parcouraient  les  mers  du  Le- 
vant, et  qui  à  une  certaine  époque  at- 
aquaient  les  pavillons  dont  Venise  re- 
ioutait  la  concurrence  commerciale.  La 
jiraterie  que  Venise  entretenait  dans 
'Archipel  avait,  du  reste,  son  analo- 
gue dans  les  mers  d'Amérique,  où  la 

(i)  Be  Scgur-Diipeyron.  La  marine  mat" 
■hande  grecque  dans  C Archipel.  Revue  des 
ifitv  Mondes.  Oclobre  1839,  t.  XX,  p.  ip6. 


Franoe  ne  répugnait  pas  à  mettre  à  profit 
le  courage  et  l'audace  des  flibustiers.  Mal- 
gré tous  leurs  efforts,  les  Vénitiens  ne  pu* 
rent  empêcher  les  Anglais  et  les  Français 
de  s'introduire  dans  le  commerce  du  Le- 
vant, dont  les  Français  étaient  presque 
les  maîtres  à  la  fin  au  dix-huitième  siè- 
cle (1)  ;  mais  la  révolution  française  ruina 
le  commerce  de  Marseille ,  et  laissa  le 
champ  libre  à  ses  rivaux.  Il  y  avait  donc 
un  grand  vide  commercial  à  coipbler, 
puisque  Marseille  et  ses  navires  ne  fré- 
quentaient plus  les  mers  du  Levant. 
Alors  la  marine  marchande  des  Grecs, 
dont  Villoison  signalait  déjà  l'essorquei- 
ques  années  auparavant,  prit  des  accrois- 
sements consioérables.  A  Hydra ,  à  My- 
cone,  à  Andros,  à  Santorin,  a  Spetzia  on 
groupa  de  petites  sommes.  Les  Sciotes, 
qui  avaient  des  capitaux,  cherchèrent  des 
marins  pour  utiliser  leur  argent,  et  les 
Spetziotes  se  présentèrent.  On  con- 
struisit tant  bien  que  mal  des  navires 
qui  allaient  prendre  du  blé,  soit  dans 
les  ports  de  la  Méditerranée ,  soit  dans 
les  ports  de  la  mer  Noir«,  et  qui  le  por- 
tèrent, selon  les  temps  et  selon  les  cir- 
constances à  Livoume,  à  Marseille,  ou 
à  Gènes,  malgré  les  escadres  et  les 
blocus.  On  doublait ,  on  triplait  les  ca- 
pitaux dans  un  voyage;  et  au  retour^ 
avec  l'argent  gagné,  on  construisait  de 
nouveaux  navires.  Les  disettes  de  1813 
etde  1816  redoublèrent  l'ardeur  des  ma- 
rins grecs,  et  portèrent  la  richesse  et  la 
prospérité  des  ties  à  ce  point  que  lors 
de  1  Insurrection ,  Hydra,  Ipsara  et 
Spetziacomptaientplus  de  trois  cents  na» 
vires  marchands ,  qui  tous  devinrent  des 
navires  de  guerre  et  luttèrent  contre  les 
escadres  turques. 

Depuis  près  d'un  demi -siècle  des 
projets  d'anranchissement  et  des  idées 
d'indépendance  fermentaient  dans  toute 
la  Grèce.  Déjà  les  Hellènes  s'étaient 
agités  à  Tapparition  des  Russes  dans 
r Archipel  en  1770;  puis  ils  avaient 
compté  sur  l'ambition  d'Ali-Pacha  de 
Janina,  avec  lequel  ils  furent  sur  le 
point  de  se  liguer  contre  le  sultan  Mah- 
moud, leur  ennemi  commun.  En  1815 
commença  le  mouvement  des  hétérîes  ; 
et  en  1821  l'insurrection  éclata  dans 

(ï)  Volney,  Voyage  m  Egypte ^  cb.  x;  «» 
Syrie  ^  cb.  xtt. 


536  L'tnnTE&S. 

les  proyinees  du  Danobe  et  é&  Morée.  Cependant  les  èheb  dKpnra  et  de 
Alors  les  Hydriotes  et  les  Spetziotes  Spetzia  s'entendent  arec  eeux  d*Bydra, 
lurent  entraînés  par  ce  mouvement,  dont  qui  devient  le  centre  de  riosorrection 
fis  n'auraient  peut-être  pas  donné  le  maritime.  On  prend  des  mesures  pour 
signal,  mais  dans  lequel  ils  s'engagèrent  soulever  tout  rArchipel  :  on  rassemble 
râolument(2).  £n  ce  moment  un  déma-  toutes  les  forces  navales  dont  on  pem 
gogue ,  Antoine  iEconomos ,  excite  le  disposer  pour  le  moment ,  soixante-cinq 
peuple  d'Hydra  contre  les  riches:  Les  vaisseaux  d'Hydra,  cinquante  de  ^pet- 
trésors  des  Condoiuriotis ,  des  Tom*  zia,  trente*cin(^d'lpsara,et  on  étitpour 
bazis,  des  Tzamados,  des  Boudouris  et  navarque  ou  amiral  de  la  flotte  confédérée 
de  tant  d'autres  Hydriotes, qui  dans  la  Jacob  Tombazis,  qui  met  aussitôt  à  h 
suite  seront  prodigués  pour  la  délivrance  Voile  pour  faire  msurper  Chio  et  de- 
de  la  Grèce,  sont  menacés  du  pillage  fendre  Samos.  Les  sucera  remportés  par 
par  une  multitude  effrénée  (i).  Mais  le  l'escadre  grecque  sur  la  marine  torqije, 
|eune  Antoine  Criésis,  Tun  des  plus  les  progrès  de  D.  Hypsilantis  dans  le  Pé- 
mtrépides  capitaines  d'Hydra,  dispersa  loponnèse  avaient  pour  toujours  rompu 
les  insurgés,  et  força  leur  chef  à  se  ren-  les  liens  qui  enchaînaient  les  Grecs  an 
dre.  Après  avoir  contenu  l'explosion  joug  des  Turcs.  Le  13  janvier  1823  Ha- 
populaire  par  leur  fermeté ,  les  grands  vrocordatos  et  Négrios  réunissaient  à 
d*Hydra  s  attachèrent  à  en  prévenir  le  Épidaûre  les  représentants  de  la  nation, 
retour  par  leur  dévouement  à  la  cause  et  lui  donnaient  une  constitution  répa- 
de  Tindependance.  Lazare  Condouriotts  blicaine  ,  dont  on  ne  put  Janoais  tirs 
donna  Texemple  par  ces  nobles  paroles,  un  gouvernement  replier.  Maïs  b 
«  Depuis  trente  ans ,  dit-il ,  je  travaille  guerre  maritime  continuait  avec  phB 
pour  amasser  des  trésors  ;  je  m'estimerai  de  vigueur  que  jamais.  Le  conseil  d^ami- 
heureux  s'ils  peuvent  aujourd'hui  servir  rauté  qui  siégeait  à  Hydra  venait  d« 
à  l'indépendance  de  mon  pays.  Je  suis  remplacer  Jacob  Tombaris  par  Aodn 
certain  que  tous  les  riches  d'H^dra  par-  Miaoulis,  qui  osa  le  premier  amouter  les 
tageront  mes  sentiments  ;  mais  s'ils  re*  Turcs  sur  mer  en  bataille  rangée.  U 
culent  devant  des  sacrifices  d'argent ,  ne  les  chassa  des  cdtes  du  Péloponnèse ,  et 
vous  découragez  pas  :  je  suis  en  état  il  leur  fit  expier  cruellement,  par  les 
de  faire  à  moi  seul  toutes  les  dépenses  ravages  de  ses  brûlotiers,  le  massacre  de 
de  la  marine  (3).  »  Chio  (1). 

Quelque  temps  après,  la  flotte  targue. 

(x)  Voy. pltishaiit.p.  aû4.  commandée   par  Abdallah-Pacha,   fit 

(a)  Poucjuev.,  U,  436  ;  Alex.  Soutzo,  p.  71.  voile  vers  le  Péloponnèse,  pour  anéantir 

(3)  Voici  l^éiat  approximaiif  des  offres  pécu-  les  deux  îles  dont  les  richesses  et  les  Tais- 

ïliaires  que  les  riches  d'Hydra  ont  faites  dans  seaux  offraient  à  la  république  gl«cqw 

toni  le  coure  de  cette  révolution  :  d'inépuisables  ressources .  Dans  lanoit 

tes  frères  Lazare  et  Georges  du  19  septembre  1822  la  vigie  de  Spetxû 

Coudouriotis t,5oo,ooo  fr.  signala  la  présence  de  l'ennemi.  La  prise 

Les  frères  Stamatis  et  Basile  de  cette  île  par  les  Turcs  aurait  entraîné 

Boudouris .'»5o,ooo  celle  d'Hydra  et  la  ruine  de  tootes  les  for- 
La  famille  de  Tzamados. .  .  .  400,000  ces  maritimes  delà  Grèce.  Mais  les  insa- 
Les  frères  Jacob  et  Emmanuel  laires  étaient  sur  leursgardes.  Les  points 

Tombasw 35o,ooo  les  plus  accessibles  étaient  défendus  par 

Jean  Orlandos 3oo,ooo  ^es  postes  échelonnés  sur  le  rivage ,« 

t^iI;,f«„°^'T:«;  ^Ji^^-        '"^  ^'^^^^  croisait  avec  cinquante  brkks 

c^  Li*^  .««  «««  ^•«^«û^  '^  c^tes  de  nie.  A  la  nouveUe 

Ses^fràr^^'ISIiJoi^  W  Nil     '"^'"^  ^^  ^'arrivée  des  Turcs,  U  marcha  à  leur 

colas  iEconoios.  , «00,000  rencontre,  et  engagea  un  grand  comtel 

Le  beau-père  du  capitaine  Sal-  ^^^^^^  ^^^  ^«S  femmes  d*Hfdra  et  de 

sinis a5o,ooo  Spetzia  regardaient  avec  anxiété  du  haut 

▲nagnosie  PhonM .'  11.1 .'     xSoiooo  de  leurs  rochers.  La  valeur  de  Criésis 

Toy.  Soutzo,  BUtoiré  tU  la  Rivoludom 
Grecque ,  p.  107;  (i)  Voy.  plus  haut ,  p ,  ft83« 


ILES  DU  PÉLOPONNÈSE. 


527 


tf»iura(  aux  Grecs  h  Tietoire,  an  Instant 
ompromise.  Aprèscettedéfdite,  la  flotte 
urque  se  retira  dans  le  golfe  de  Nau- 
tile. De  noQYelles  tentatives  dirigées  de 
louveau  contre  Spetzia  ne  forent  pas 
Au»  heureuses  que  la  première;  et  le 
»acha,  craignant  de  voir  sa  flotte  entière- 
nent  consumée  par  les  brûlots  de  Ca* 
laris  et  de  Pipénas,  abandonna  les  côtes 
lu  Péloponnèse,  et  se  retira  vers  TAsie, 
lonteusement  chassé  par  les  Grecs  à 
ravers  les  Iles  derArenipel.  L'infati^- 
lie  Miaoulis  ne  cessa  de  harceler  Famirai 
ure  jusque  dans  les  eaux  des  Dardanelles, 
•t  il  détruisit  une  partie  de  sa  flotte 
lans  la  rade  de  Ténédos  (1). 

Jusque  là  tout  avait  favorisé  les  pro- 
ets  des  Grecs,  et  la  fortune  n'avait  cessé 
le  leur  sourire  ;  mais  tout  à  coup  la  si* 
uation  change  d'aspect.  La  discorde  9 
usqoe  là  contenue  à  grand'peine,  éclate 
>artoat.  Les  primats  du  Péloponnèse , 
es  généraui  rouméliotes,  les  sénateurs 
rHydra ,  forment  différents  partis  ;  Co* 
oootronis  et  Mavroeordatos  se  disptx^ 
:ent  le  pouvoir.  Hypsilantis,  las  des  ith 
Tîgaes  de  ses  adversaires  ,  se  condamne 
I  l'inaction.  Le  sénat  est  sans  président, 
e  corps  exécutif  sans  autorité,  et  Tami* 
pauté  d'Hydra  en  rupture  ouverte  avec 
e  gouvernement  (2).  Malgré  leurs  dis* 
;en8ions,  les  Grecs  purent  encore  dé<* 
mire  Tarmée  de  Dram-Ali,  envoyé  pour 
'econquérir  la  Morée,  1828.  Mais  Tannée 
suivante,  1824,  Ibrahim,  fils  de  Méhé* 
net' Ali ,  pacha  d'Egypte,  le  plus  puis* 
tant  et  le  plus  redoutable  des  vassaux 
lu  sultan  ,  envahit  la  péninsule  avec 
me  forte  armée.  Depuis  ce  moment  les 
iffaires  des  Grecs  allèrent  en  déclinant. 
Leurs  dissensions,  de  plus  en  plus  achar- 
]ées,  leur  faisaient  ouolier  la  défense  de 
a  nationalité  à  peine  reconquise.  Au 
TiîHeu  de  cette  agitation  funeste,  la 
ïhute  d'ipsara  produisit  une  terrible  et 
ialutaire  impression,  en  ramenant  les 
^rees  sur  le  champ  de  bataille.  De  bril- 
lants faits  d*armes  vengèrent  la  ruine  des 
t)raves  Psariotes,  et  la  flotte  ottomane 
'ut  encore  obligée  de  se  retirer  après 
je  grandes  pertes  devant  Tescadre  des 
[irecs. 

Tant  de  services  rendus  a  la  cause  na- 

(i)  Voy.  pins  haut ,  p.  $46. 
(1)  Al.  SouUo,  p.  293. 


tionale  avaient  placé  les  Hydriotes  à  la 
tête  du  gouvernement.  George  Condou- 
riotis  avait  été  nommé  par  le  sénat  pré- 
sident du  conseil  exécutif.  Condouriotis 
réprima  les  mouvements  des  primats  du 
Péloponnèse»  Zaïmis,  Sistinis,  les  De- 
lianis,  Londos,  Notaras,  Colocotronis, 

3ui  furent  mis  en  jugement  et  transférés 
ans  l*!le  d'Hvdra.  Cette  mesure  réta- 
blit pour  quelque  temps  le  calme  dans 
la  Grèce,  qui  ressentit  pour  la  première 
fois,  sous  le  président  Condouriotis,  les 
bienfaits  d'un  bon  gouvernement.  Mais 
dès  Tannée  suivante,  1825,  la  rivalité 
naissantede  Mavroeordatos  et  de  Colettis 
avait  déjà  rallumé  partout  les  feux  de  la 
discorde. 

Aussi  Ibrahim-Pacha ,  qui  s*était  re- 
tiré dans  nie  de  Candie ,  reparut  en 
Morée,  avec  la  ferme  résolution  de  faire 
dé^nitivement  la  conquête  de  ce  pa- 
chalik,  que  le  sultan  avait  ajouté  au 
vaste  ffouvemement  que  son  père  possé- 
dait d^à.  Cette  fois  ni  Condouriotis  par 
terre  ni  Miaoulis  par  mer  ne  purent  dé* 
fendre  Modon  etr^avarin.  Sphactérie  fut 
emportée  par  Soliman-bey  le  8  mars. 
Dans  cette  affaire  Hydra  perdit  plusieurs 
de  ses  braves  capitaines,  et  surtout  Tra- 
mados,  qui  ne  le  cédait  qu'à  Miaoulis.  Ce- 
lui-ci vengea  la  mort  de  son  ami  en  brû- 
lant une  partie  de  la  flotte  égyptienne 
mouillée  à  Modon,  dont  la  poudrière  fut 
incendiée  et  les  magasins  et  fortifications 
en  partie  détruits.  Cette  victoire  n'empê- 
cha pas  Navarin  de  succomber;  il  fallut 
rendre  Coiocotronis  à  la  liberté  pour  ra- 
mener Tardeur  guerrière  des  Moraïtes, 
qui  ne  voulaient  pas  combattre  sous  un 
autre  chef.  Tandis  que  tes  Grecs  luttent 
péniblement  sur  terre  contre  Ibrahim,  les 
Hydriotes,  informés  gue  Méhémet-Ali  a 
juré  d'anéantir  leur  fie,  vont  le  braver 
jusque  dans  le  port  d* Alexandrie.  Cana- 
ris et  les  autres  brûlotiers  poussèrent 
leurs  brûlots  contre  des  navires  ^ui 
étaient  à  Tancre  devant  le  palais  du  vice- 
roi;  mais  le  vent  contraire  repoussa  ces 
machines  incendiaires,  qui  se  consumè- 
rent inutilement.  Poursuivis  par  les  na- 
vires du  port,  les  brûlotiers  régnèrent 
l'escadre  que  commandaient  Tombasis 
et  Criesis,  et  qui  rentra  le  25  août  dans 
le  port  d' Hydra,  d'où  elle  était  sortie  It 
4  du  même  mois.  Quoique  le  but  de  l'en- 
treprise ait  été  manqué,  elle  n'en  est 


538 


L'UNIVERS. 


pas  moiofl  digne  d^étre  consignée  dans 
les  annales  de  cette  guerre  comme  une 
des  preuves  les  plus  éclatantes  de  Fin- 
trépidité  des  marins  grecs. 

Cependant  cette  lutte  inégale  et  trop 
prolongée  épuisait  les  ressources  de  l'aris- 
tocratie d*Hydra.  Depuis  longtemps 
son  commerce  était  ruiné  :  le  peuple, 
qui  autrefois  trouvait  facilement  à  tra- 
vailler età  vivre  quand  les  affaires  étaient 
florissantes,  n'ayant  plus  d'autre  profit 
gue  le  butin  fait  dans  les  courses  en  mer, 
était  tombé  dans  le  dénûment  et  mur- 
murait contre  ses  chefs.  André  Zaîmis, 
chef  des  pnmats  péloponnésiens,tra  vail  - 
lait  à  fomenter  une  insurrection  qui  pût 
perdre  les  Gondourlotis.  Elle  éclata  en 
'  effet  dans  les  premiers  jours  de  décem- 
bre 1825.  A  différentes  reprises  les  plé- 
béiens d'Hvdra  se  rassemblèrent  dans  la 
place  pubfique,  au  son  du  tdcsin;  ils 
insultèrent  les  Gondourlotis,  et  menacè- 
rent de  mort  les  autres  primats  de  File, 
s'irritant  ou  s'apaisant  au  gré  des  me- 
neurs secrets  qui  les  dirigeaient  à  leur 
gré.  C'était  comme  au  temps  des  républi- 
ques de  Tancience  Grèce,  ou  raristocratie 
et  la  démocratie  étaient  toujours  aux 
prises.  Les  primats  d'Hydra  parvinrent 
a  rétablir  la  tranquillité  dans  leur  fie, 
et  les  Condouriotis,  pour  éviter  le  retour 
d'une  pareille  crise,  provoquèrent  la 
réunion  d'une  assemblée  nationale  à 
Hermion.  De  son  côté  Zaïmis  organise 
un  congrès  à  Égine  :  les  deux  assemblées 
sedisputent  la  prépondérance,  tandis  que 
Karaîskakis  et  ses  amis,  voulant  mettre 
fin  à  l'anarchie,  déférèrent  la  présidence 
de  la  république  grecque  au  comte  Jean 
Capo-d'Istri^s,  1826.  Sous  ce  nouveau 
gouvernement,  Athènes  fut  prise  par  les 
Turcs.  Karaîskakis  fut  tue  dans  les 
marais  de  Phalère  en  combattant  pour 
la  défense  de  cette  place,  dont  la  prise 
entraînait  la  perte  de  la  Grèce  centrale. 
Ibrahim  était  sur  le  point  d'achever  la 
conquête  de  la  Morée.  Il  ne  restait  plus 
aux  Grecs  que  les  rivages  de  l'Argolide 
et  les  îles  de  l'archipel  occidental.  L'in- 
dépendance hellénique  allait  succomber 
dans  cette  lutte  trop  inhale;  elle  fut 
sauvée  par  l'intervention  armée  des 
trois  puissances  chrétiennes.  La  France, 
la  Russie  et  l'Angleterre  résolurent  enfin 
de  fenir  en  aide  aux  Grecs  épuisés.  La 
bataille  de  l^avarin,  1827,  anéantit  la 


marine  turque  sur  les  côtes  de  l'ÉBde. 
En  1828  une  armée  française  sous  la 
ordres  du  général  Maison  diassa  les 
Égyptiens  de  la  Morée,  et  en  assura  Tia- 
dépendance.  A  partir  de  ce  moment,  te 
Bydriotes,  les  Spetziotes  et  les  antres 
insulaires  se  retirent  de  la  lutte,  oua'j 
remplissent  qu'un  rôle  secondaire,  lais- 
sant le  champ  libre  aux  généraux  allié, 
qu'ils  se  sont  conciliés  par  leur  héroïque 
constance,  et  qui  leur  assurent  enfin  la 
possession  de  cette  liberté  politique  pov 
laquelle  ils  avaient  tout  sacrifié.  Cepen- 
dant les  puissances  qui  s'étaient  eoteo* 
dues  pour  délivrer  la  Grèce  ne  {KHivaicat 
tomber  d'accord  pour  la  constitaer  dé- 
finitivement. La  présidence  de  Ca|M>- 
d'Istrias  fut  encore  agitée  par  des  dis- 
sensions intestines.  Qaand  on  s'aperçst 
qu'il  affectait  le  pouvoir  absolu  et  qui) 
se  livrait  exclusivementàrallianoerusKt 
les  hommes  les  plus  éminents  du  pays 
se  séparèrent  de  lui.  Le  Magna  se  déclara 
indépendant  ;  Hydra  suivit  cet  exemple. 
Les  Russes  marchèrent  pour  le  souteoir; 
ils  attaquèrent  Hydra  et  Porcs,  où  état 
réunie  la  flotte  grecque,  que  ses  laario! 
incendièrent  pour  ne  point  la  laisser 
tomber  aux  mains  de  reonemi,  ISaodt 
1831 .  Le5octobresuivant,Cap<Hristhis 
fut  assassiné.  L'anarchie  déchira  cdoor 
la  Grèce  pendant  les  premiers  mois  de 
1832  ;  mais  la  paix  lui  tut  rendue  bko\k 
par  la  proclamation  du  roi  OthoOiqo 
prit  possession  de  son  royaume  le  14jao- 
vier  1833  (1).  Hydra ,  Spetzia  et  les  li- 
tres îles  des  côtes  de  l'Argolide  furest 
comprises  dans  le  nouvel  État  grec.  Elks 
forment  aujourd'hui  deux  éparchies  de 
département  de  l'Argolide  et  Corinlhie; 
mais  elles  ont  englouti  dans  cette  ter- 
rible guerre  de  l'indépendanœ  leur  m»- 
rine  et  leur  prospérité  commerciale,  doot 
il  est  bien  difficile  d'espérer  et  de  pié- 
voir  jamais  le  retour. 

Les  tles  du  Golfe  Argolique,  Ephvn. 
Irine,  Pjtyusa,ne  sont  nommées  qoe  par 
Pline  et  Pomponius  Mêla  (3). 

Théganusa.  est  mal  à  propos  piaotf 
par  Pline  dans  le  Golfe  de  Laeode. 
Cest  peut-être  cette  erreur  qui  a  pro- 

(0  Bachon,  iJt  Grèce  eaiHtmemiâk  *t  I* 
Moriie,  p.  159. 

(a)PliD.,  lY,  19,  i5;  Pomp.  Uchi  H* 
7,10. 


ILES  DU  PÉLOPONNÈSE. 


629 


doit  celle  de  plusieurs  cartes  modernes, 
où  nie  de  Cervi  est  mise  à  Kouest  du 
cap  Saint- Ange,  au  nord  deCérigo,  à  la 
place  de  la  presque  tle  que  les  anciens 
appelaient  Onugnathos.  Théganusa  ou 
Cervi  est  en  face  le  cap  Akritas ,  au- 
jourd'hui cap  Gallo,  qui  forme  avec  le 
cap  Matapan  l'autre  extrémité  du  Golfe 
de  Coron  ou  de  Messénie  (1). 

Les  OËnusses.  —  Cest  un  f>etit 
groupe  de  trois  tles,  situées  à  la  pointe 
sud-ouest  de  la  Messénie,  presque  en 
face  de  Modon  et  de  Tancienne  rade  de 
Phoenicus.  Les  deux  plus  grandes  de  ce 
groupe  s'appellent  aujourcTbui  Sapienza 
et  Cabrera;  la  troisième  et  la  plus 
petite ,  nie  Verte,  est  placée  entre  les 
deux  autres.  Os  ties  ont  été  concédées 
au  royaume  de  Grèce  lors  de  sa  com- 
position par  les  trois  puissances  pro- 
tectrices. 

Ile  de  Sphàctsbie.  —  Cette  tle, 
appelée  aujourd'hui  Spha^ia  (2),  sert 
de  barrière  et  de  rempart  a  la  rade  de 
Pylos,  qui  porte  maintenant  le  nom  de 
Navarin.  Elle  a  quinze  stades  de  lon- 
gueur :  elle  était  autrefois  couverte  de 

(i)  Plio.,  lY,  19,  5;  Mêla,  H,  7,  xo*;  Ptol., 
III,  16,  a3. 

(a)  Les  anciens  lui  donnaient  aussi  ce  nom  ; 
on  le  trouve  dans  Xénophon,  HelL,  YI ,  a  » 
3i;  Sirab.,  VIII,34«. 


bois  ;  ce  n'est  plus  maintenant,  comme 
tant  d'autres  îles  grecques,  qu'un  rocher 
nu  et  inhabité.  Sphactérie  a  été  illustrée 
pr  deux  faits  d  armes  séparés  Pun  de 
l'autre  par  un  intervalle  de  plus  de  deux 
mille  ans.  L'un  est  la  prise  de  cette  tle 
par  Cléon  et  les  Athéniens,  pendant  la 
guerre  du  Péloponnèse,  l'an  425  avant 
Père  chrétienne;  l'autre  est  la  batnille 
navale  de  Navarin ,  où  la  flotte  turco- 
égyptienne  fut  défaite  par  les  flottes 
combinées  de  la  France,  de  l'Angleterre 
et  de  la  Russie  en  1827.  En  1825,  elle 
avait  été  prise  par  les  Égyptiens ,  que 
commandait  Soliman- Bey,  malgré  la 
vigoureuse  défense  des  Urecs,  qui  y 
firent  des  pertes  cruelles.  C'est  dans  ce 
combat  que  périt  le  piémontais  Santa* 
Rosa,  à  qui  un  cénotaphe  fut  érigé  dans 
une  caverne  de  Hle,  à  l'endroit  où  il 
avait  succombé  les  armes  à  la  main  (1). 
PaoTB ,  aujourd'hui  Prodano ,  est  au 
nord  de  Sphactérie,  tout  près  de  la  cdte 
de  Messénie.  Elle  est  restée  une  fie 
déserte ,  comme  au  temps  de  Thucy- 
dide (2),  qui  est,  je  crois,  le  seul  histo- 
rien qui  en  &sse  mention. 

(i)  Yoyez   rarticle   sur  Santa -Rosa  de 
M.  Cousin,  Revue  des  Deux  Mondes,  mars 

»Thuc.,IV,  i3. 


34«  Livraison.  (Iles  du  PEL0P0?iiiÈSE.) 


34 


V. 


ILE  DE  CRETE 


(1) 


I. 

Description    bt    géographie    dk 
l'île  de  Cbète. 

Novs  yniKiTiFs.  -*-  Llle  de  Crète  t 
appelée  p^r  les  Vénitiens  Candie  et  par 
le»  Grecs  d'aiyourd^bui  Icriti,  porta 
dans  rantiquite  un  grand  nombre  de 
noms.  Elle  s'appela  Macaronesos  et 
Aeria^  à  cause  de  la  douceur  de  sa  tem- 
pérature et  de  la  beauté  de  son  climat; 
Dolichéy  pour  sa  forme  oblongue,  enfin 
Cbthaonia,  Telchinia  et  Idaea.  Quant  au 
nom  de  Crète  lui-même,  qui  a  prévalu, 
il  serait  difficile  d'en  indiquer  d'une  ma- 
nière précise  rorigine,tant  les  historiens 
et  les  étymologistes  anciens  sont  peu 
d'acccord  sur  ce  point.  Suivant  les  uns, 
il  viendrait  de  Curetés ,  comme  Telchi- 
nia vient  de  Telchines,  deux  peuples  qui 
jouent  un  rôle  considérable  dans  la  civili- 
sation et  l'histoire  primitives  de  cette  fie. 
Suivant  d'autres,  la  Crète  aurait  été appe- 
]éeainsidunomdelanympheCréta,l  une 
des  Hespérides.  Au  dire  d'Eusèbe  (1) , 
Crès,  indigène,  premier  roi  de  Crète  > 
lui  aurait  donné  son  nom.  Enfin ,  Dio- 
dore  de  Sicile  (2)  rapporte  qu'Ammon, 
«  pressé  par  la  famine,  se  réfugia  en 
Crète,  où  il  épousa  Créta,  l'une  des  filles 
de  Curetés ,  alors  régnant ,  et  qu'il  fut 
reconnu  roi  de  cette  île,  qui,  nommée 
auparavant  Idaea ,  fut  appelée  Crète,  du 
nom  de  la  femme  du  roi.  » 

Position  astbonomique  et  géo- 
gbaphique.  — La  Crète,  la  plus  grande 
des  îles  de  l'Archipel,  est  comprise  entre  : 

(i)  Ouvrages  spéciaux  sur  Tile  de  Crète  : 
MeursiuSy  Creta,  etc;  Hoeck,  Kreia,  3  vol. 
in-8*>  ;  Manso ,  Sparta  ;  Car.  Fred.  Newman, 
Creticarum  rrrum  spécimen,  Gott.  iSao; 
Sainte^Croix,  Des  anciens  gouvernements /é- 
dératifs;  Mannert,  Geogr.y  VUI,  p.  675,7a7  ; 
Toyages  de  Pococke,  Tournefort,  Olivier,  Sa- 
vary ,  Sonoini ,  Torres-y-Ribera,  Cockerell, 
Sieber,  et  Pashley;  Boschini,  //  Regno  di 
Candia.,  allas,  in-fol. 

(i)  Eus.,  in  Chron,  Can, 

(3)Diod.,  ni,  71. 


lat.  nord  94»-85<»  et  long,  est  Si* -24*. 
Elle  s'étend  sur  une  longueur  d'eovirao 
140  kilom.  depuis  le  promontoire  Corj- 
eos  (  aujourd'hui  Capo  Buso)^  à  Touest, 
jusqu'au  promontoire  Sidéro»  à  Test 
Mais  sa  plus  grande  largeur,  entre  k 
promontoire  Dium  (aujourd'hui  Capo 
Sassoso)  et  le  promontoire  Métailum 
(aujourd'hui  Punta  Matala)  n*est.  qur 
d'environ  40  kilom.  Au  sud  elle  est  bai- 

Î;née  par  la  mer  Libyenne,  et  au  nord  par 
a  mer  de  Crète  (aujourd*hui  canal  dt 
Cérigo  et  mer  de  Candie)  et  la  oier  Dr- 
pathienne  (aujourd'hui  canal  deScarpan- 
to),  qui  la  séparent  de  Cythère  (aujour 
d'hui  Cérigo  ),  des  C^clades  et  de  b 
petite  tle  de  Casos  (aujourd'hui  Cazo; 
Située  entre  la  Grèce,  la  Cyrénaîque  et 
la  Phénieie,à  peu  près  à  égale  disun« 
de  l'Europe ,  de  l'Afrique  et  4e  l'Asie, 
l'île  de  Crète  était  comme  le  point  àt 
contact  de  ces  trois  continents,  et  V 
centre  de  l'ancien  monde. 

Aspect  OBNBRiLL  ;  descbiptioi« 
PES  CÔTES.  —  Cette  île  présente  un  cir- 
cuit très-irrégulier.  Ses  cotes,  particuliè- 
rement au  nord ,  sont  fort  découpées  et 
à  quelques  endroits  profondément  creu- 
sées par  la  mer.  Aussi  est-elle  loin  d'a- 
voir dans  toute  son  étendue  la  même 
largeur.  La  côte  occidentale ,  depuis  V 
cap  Corycos  au  nord -ouest,  jusquau 
cap  Criu-Metopon  (  aujourd'hui  Capo- 
Crio  ou  Saint-Jean)  au  sud -ouest,  e$t 
d'environ  32  kilom.  A  partir  du  premier 
de  ces  promontoires,  les  terres  rentxost 
considérablement,  et  font  place  à  use 
baie  profonde ,  pour  projeter  de  non- 
veau  dans  la  mer,  à  quelque  distance 
de  là ,  vers  l'est,  une  assez  grande  pres- 
qu'île qui  se  termine  au  promontoire 
Psacum  (aujourd'hui  Capo  Spada).  t« 
peu  plus  loin ,  Tile  se  rétrécit  de  noo- 
veau  jusqu'à  l'embouchure  du  PycDOS 
(iaujourdhui  Canaea).  Là  se  détaebt* 
une  péninsule  qui  s'arrondit  sensiWe- 
ment  en  s'avançant  dans  la  mtf,  et  ne 
tient  au  continent  que  par  un  istbae 
fort  étroit,  resserré  entre  les  bouches  du 


ILE  DE  CRKTE. 


m 


VytmÊË  à  Tonestet  le  goUe  d^  Amphimala 
(aojoord'hui  Golfodella  Snda)  à  Test 
Cette  péninsole  se  termine,  au  nord,  au 
cap  Ciamum  ou  Gydoniam  (aujourd'hui 
Capo-Maleca  on  Aerotiri).  Au  cap  Dre- 


jusqu 

matrium  (aujourd'hui  Armiro).  Entre 
les  bouches  de  ce  fleuve  et  celles  de  Maa- 
satia  (aujourd'hui  Me^la-Potamo)  on 
ne  compte  que  16  liiloin.  Depuis  cet  en« 
droit  la  côte  se  relève  progressivement 

S'  squ'au  can  Dium.  Entre  ce  cap  et  le  cap 
étallum ,  la  pointe  la  plus  méridionale 
de  rile ,  celie-ei  atteint  sa  plus  grande 
largeur,  évaluée  à  environ  40  kilom.  A 
partir  du  cap  Dium  la  côte  va  de  nou- 
veau se  rétrécissant  graduellement  jus- 
qu^au  promontoire Cétium  (aujourd'hui 
capSaint-Zuane).  A  cet  endroit  la  mer 
8*engoufïre  fort  avant  dans  les  terres  et 
creuse,  entre  ce  dernier  cap  et  le  cap  Si- 
t)re,  une  large  et  profonde  baie,  ayant  la 
rorme  d'un  triangle  dont  le  sommet  se 
trouve  près  d  Istros.  Ici  l'on  ne  mesure 
plus  qu  environ  10  kilom.  de  largeur; 
c'est  l'endroit  où  les  deux  côtes  sont  le 
plus  rapprochées.  Celle  que  baigne  la 
mer  libveane  est  loin  d'être  aussi  cou- 
pée de  baies,  aussi  hérissée  de  pro- 
montoires. Elle  s'étend  de  Testa  l'ouest, 
sur  une  ligne  à  peu  près  droite ,  du  cap 
Ampelos  (aujourd'hui  Capo-Naero)  jus- 
qu'au cap  Métailum.  A  partir  de  cette 
poiate  jusqu'au  cap  Criu-Métopon,  elle 
présente  plus  d'inégalités,  sans  être  tou- 
tefois assez  accidentée  pour  mériter  une 
description  détaillée. 

MoNTÀGNBs  fiT  CAPS.  —  Commc  en 
général  toutes  les  Iles  de  l'Archipel ,  la 
Crète  est  traversée  par  une  longue  ehatne 

?ui  court,  de  l'est  à  l'ouest,  d'un  rivage  h 
autre.  Cette  chaîne  se  compose  de  trois 
montagnes  bien  distinctes  qui  s'en  dé- 
tachent en  saillie ,  et  semblent,  au  pre- 
mier aspect ,  former  autant  de  massifs 
isolés  ;  mais  qui  n'en  sont  pas  moins 


centre,  et  les  Monts  Blancs  (Leucaori , 
aujourd'hui  Asprovouna  ou  Monts-Spha- 
Kiottid),  à  l'ouest. 

L'Ida,  la  Haute -Mùniaqne^  s'élève 
au  milieu  de  l'Ile  à  l'endroit  on  elle  est 


le  plus  large.  Cest  un  éoome  uiawu^ 
qui  atteint  une  hauteur  de  1,900  toises 
au-dessus  de  la  surface  de  la  mer.  De 
son  sommet,  couvert  d'une  neige  éter- 
nelle, on  aperçoit  les  deux  mers,  Cy- 
thère.  Mélos,  plusieurs  autres  tles  de 
l'Arehipel,  et  même  Rhodes,  les  côtes 
de  l'Asie  Mineure  et  celles  de  la  Laoo*' 
Die.  Vers  la  moitié  de  sa  hauteur,  où  ii 
présente  une  base  de  forme  conique,  ii 
s'élève  entièrement  isolé;  mais  de  son 
pied  partent  dans  toutes  les  directions 
de  nombreuses  branches  qui  le  retient , 
à  l'est  et  à  l'ouest,  aux  deux  autres  grou- 
pes. Une  de  ces  branches  se  dirige  vers 
le  nord,  et  se  termine  au  cap  Dium,  après 
avoir  elle-même  envoyé  à  l'ouest  un 
contre-fort  qui  s'étend  jusqu'au  fleuve 
Oaxes.  Une  autre  court  au  nord-est, 
jusqu'au  fleuve  Triton;  une  troisième, 
a  l'ouest,  va  rejoindre  les  monts  Blancs, 
aux  sources  de  l'Ârmiro  ;  une  quatrième, 
au  sud-ouest,  sépare  le  fleuve  Êlectra  du 
mont  Cédrias.  Au,8ud,  l'Ida  baigne  son 
pied  dans  le  Lethaios ,  et  borde  la  riche 
plaine  de  Gortyne.  Son  versant  oriental 
s'abaisse  sensiblement,  et  ne  se  relie  que 
par  de  légères  ondulations  à  une  mon- 
tagne du  territoire  de  Cnossos ,  située  à 
égale  distance  de  l'Ida  et  du  Dicté,  mais 
rattachée  au  premier  par  les  géographes 
anciens.  Enfin ,  un  autre  bras  dfe  rida 
s'étend  jusqu'au  fleuve  Pothéreus ,  qui 
sert  de  limite  entre  cette  montagne  et  le 
Dicté  au  sud-est ,  comme  le  fleuve  Gérâ- 
tes au  nord-est. 

Ainsr  que  l'Ida,  le  Dicté  se  détache  de 
la  grande  arête  qui  parcourt  i'fle  à  égale 
distance  des  mers  de  Crète  et  de  Libye, 
auxauelles  il  touche  également  parles 
nononreuses  ramifications  qu'il  incline 
vers  les  deux  côtes.  Cette  montagne  est 
moius  élevée  que  l'Ida  et  les  monts 
Blancs.  Elle  forme  comme  deux  groupes 
distincts.  Le  premier  s'étend  jusqu^au 
cap  Cétium  et  la  ville  de  Hiérapytna,à 
l'est;  le  second,  séparé  du  précédent  par 
un  petit  fleuve  qui  arrose  Istros ,  couvre 
la  partie  la  plus  orientale  del'fle,  où  il 
forme  les  caps  Sitye ,  Sidéro  et  Samo* 
nium  (  aujourd'hui  C.  Salamo). 

A  l'autre  extrémité  de  Tlle ,  derrière 
les  fleuves  Massatia  et  Armiro,  qui  wt- 
vent  de  limite  occidentale  à  l'Ida,  s'é- 
lèvent les  monts  Blancs  (  Leuka  ),  ainsi 
nommés  soit  à  cause  de  la  couleur  blan« 

34« 


531 


LurayEAS. 


«hêtre  de  leurs  roehârs,  qui  consistent 
en  pierres  caieaires ,  soit  à  cause  des 
neiges  qui  couvrent  leur  cime  pendant 
une  grande  partie  de  l'année.  Cette  mon- 
tagne atteint  presque  la  hauteur  de  l'Ida. 
Du  nœud  central  rayonnent  dans  toutes 
les  directions  plusieurs  branches ,  dont 
les  plus  considérables  sont  :  le  mont  Co- 
ryeos,  qui  se  termine,  au  nord-ouest,  an 
promontoire  de  ce  nom  ;  le  mont  Tityros, 
au  sud-ouest,  qui  s*étend  jusqu'au  cap 
Criu-Métopon  ;  le  mont  Dictinéos,  qui 
finit  au  cap  Psaeum  (aujourd'hui  cap 
Spada),  au  nord;  le  mont  Béréeynthos, 
au  centre  ;  enfin  le  mont  Cadistos ,  aux 
sources  de  l'Amphimatrium. 

Flbuvss.—-  La  chaîne  qui  court  d'une 
extrémité  à  l'autre  de  l'Ile  de  Crète,  la 
partage  naturellement  en  deux  grands 
versants,  l'un  septentrional  et  tributaire 
de  la  mer  de  Crète ,  l'autre  méridional 
et  tributaire  de  la  mer  de  Libye.  Au 
premier  appartiennent  :  le  Jardanus  et  le 
I^cnus  (aujourd'hui  Cauea),  dans  la 
région  des  monts  Blancs;  l'Amphima* 
trium  (aujourd'hui  Armiro),  TOaxes  (au- 
jourd'hui Arcadi-Fiume),  le  Tetthrys 
(aujourd'hui  Gasi),  le  Triton  (aujour- 
d'hui Geofiro),  l'Amnisos  (aujourd'hui 
Cartero),  et  le  Cœratos  (aujourd'hui 
Aposoiemi),  dans  la  région  de  l'Ida; 
la  partie  de  l'île  où  s'élève  le  Dicté  n'est 
arrosée  que  par  quelques  cours  d'eau 
sans  importance.  Tous  les  fleuves  con- 
sidérables du  versant  méridional  appar- 
tiennent à  la  r^on  de  l'Ida  ;  ce  sont,  de 
Touest  à  l'est  :  Te  Massatia  (aujourd'hui 
Meala  Potamos),  l'Electra  (  aujourd'hui 
Gaiignl),  le  Lethacus  ou  (ilutôt  le  Le- 
thaios  (  aujourd'hui  Malogniti),  et  ie  Po- 
thereus  ou  Gatarractus  (aujourd'hui 
Zuzuro). 

DrVISIONS  NATITBELLBS  ET  POLITI* 

QUSs.  —  Llle  de  Crète  est  partagée  na- 
turellement par  ses  montagnes  en  trois 
r^ons  distinctes  :  celle  de  l'est,  ou  du 
Dicté  ;  celle  du  centre ,  ou  de  l'Ida ,  et 
cellede  l'ouest,  ou  des  monts  Blancs.  Cha- 
cune de  ces  contrées,  avec  sa  montagne 
particulière  et  sa  grande  cité ,  se  détache 
si  nettement  des  deux  autres,  que  cette 
division  physique  est  devenue  de  bonne 
heure  la  division  politique  de  Ule.  11  ne 
fiiudrait  pas  toutefois  prendre  ce  mot 
dans  son  acception  rigoureuse.  La  Crète 
n'ayant  guère  connu  ^  dans  l'antiquité, 


l'unité  politique ,  ne  présente  à 
époque  de  son  histoire  ancienne  les  di- 
visions r^lières  d^un  État  oonspacte.  Il 
faut  aller,  pour  y  en  trouver,  jusqu'aux 
temps  de  la  dommation  vénitienne.  L'ile 
fut  alors  partagée  en  châtelleoies  (cas- 
telli  )  :  il  y  eut  celle  d' Amari,  de  Sphakia, 
de  Milo-Potamo ,  de  Temenos ,  de  Mira- 
bello,  etc.  Les  Turcs,  qui  ^en  rendireot 
maîtres  en  1669,  la  divisèrent  en  quatre 
pachalilLS  :  ceux  de  Candie,  de  la  Canée, 
de  Rethimo  et  de  Setia.  Ce  dernier  fut 
supprimé  dans  la  suite. 

ViLLBS  DE  LACaÈTB  ÀHCIENHB.— 

L'antiquité  a  célébré  les  cent  villes  de 
la  Crète.  Poètes  et  historiens  se  sont 
accordés  sur  ce  point  (1).  Meursius  en 
cite  même  iusqu  à  cent  vingt  (3).  Mais 
diverses  calamités  en  firent  disparaltie 
un  grand  nombre.  Déjà  Bomère,  qui  daas 
VJUade  célèbre  la  Crète  auxcemt  vitia, 
n'en  mentionne  plus  dans  VOdffstée 
que  quatre-vingt-uix  (3).  Dix  villes,  en 
effet,  furent  détruites  de  fond  en  comble 
dans  une  guerre  civile,  après  la  cboif 
de  Troie.  SouslesempereursYaientinka 
et  Valens,  un  tremblement  de  terre  ea 
renversa  plus  de  cent  (368  ap.  J.-C) 
SousGratien,  une  grande  partie  de  'île 
fut  submergée  par  une  Inondation.  S*il 
faut  en  croire  le  commentateur  de  Vir- 
gile les  cent  villes  auraient  été  successi- 
vement réduites  à  vingt  et  à  deux,  Coos- 
SOS  et  Hiérapytna  (4).  Aujourd'hui  de 
toutes  ces  cités  il  ne  reste  que  des  ruines 
Villes  de  la  bégion  oribrtàlb. 
— Lyctos,  au  pied  du  Dicté,  unedesplos 
anciennes  villes  de  la  Crète.  Rhéa  y  fst 
envoyée,   suivant  la  tradition,   pour 
donner  le  jour  à  Jupiter.  Dans  la  suitr. 
Lyctos  fut  une  puissante  colonie  lacé- 
démonieime ,  et  lutta  contre  Cnossos, 
dont  les  habitants  la  surprirent  et  la  dé- 
truisirent. Les  Lyctiens  fugitifs  trourè- 
rent  un  asile  hospitalier  chez  les  Lam- 
piens.  Les  autres  villes  de  o^te  oontrrf 
étaient  :  Chersonesos,  port  de  Lycto& 
sur  la  mer  de  Crète;  Olus,  Miletos ,  Laio 
ou  Camara ,  au  nord  ;  Arcadia;  Miaoi 
Lyction,  un  des  meilleurs  ports  de  lH' 

(i)  Hom.,  //.,  U,  649;  Virg.,  £«..  II^ 
106;  Hor.,  OtL,  lU,  17;  Pline,  IV,  12. 
(a)  Meurs.,  Creia,  lib.  lyCap.  v  et  X99. 

(3)  Hom.,  Odjrs,,  XIX*  169. 

(4)  Servius,  a^i&i«,  III,  106. 


ILE  DE  CRÈTE. 


US 


dans  les  temps  aneiens;  Istros;  Oieroe, 
avec  un  temple  de  Diane  ;  Étea ,  Itanos, 
à  l'est;  sur  la  eôte  méridionale  on  re* 
marquait  Hiérapytna,  au  pied  du  mont 
Sacré ,  un  des  premiers  sanctuaires  du 
culte  de  Zeus  ;  aussi  sa  fondation  est-elle 
attribuée  à  Corybas,  l'un  des  Curetés; 
Erytiiraea  etHjstssurles  promontoires 
Krytbraeum  et  Dictanim,  qui  s'avancent 
dans  la  mer  de  Libye;  enfin  à  l'ouest, 
Apollonia,  sur  le  cap  Zephyrium  (  au- 
jourd'hui Ponta  di  Tigani}. 

Villes  db  la  région  gbntb  alb.  — 
Cest  autour  de  l'Ida  que  se  trouvaient 
les  villes  les  plus  anciennes  et  les  plus 
considérables  de  l'ile.  C'est  d'abord  Cnos- 
SOS.  Aux  lieux  où  les  dernières  hauteurs 
de  rida  s'abaissent  en  riants  coteaux 
vers  la  mer  de  Crète,  s'élevait  la  grande 
cité  deMinos.  Deux  fleuves,  rAmni- 
SOS  et  le  Cératos,  une  mer  immense  et 
une  haute  montagne ,  formaient  comme 
ujpe  magnifique  ceinture  autour  de  celte 
vijle  célèbre,  dont  les  environs  rappe- 
laient aux  Cretois  les  plus  augustes 
traditions  de  leur  antique  religion.  Là 
était  le  berceau  de  Jupiter,  là  son  tom- 
beau, dont  les  Cretois  montrent  encore 
aujourd'hui  les  ruines  sur  une  éniinence 
appelée  le  mont  Icare  (i).  Là  coulait  le 
Triton ,  sur  les  bords  duquel  tomba  le 
cordon  ombilical  du  Dieu ,  lorsque  les 
Curetés  l'emportèrent  au  moment  où  il 
venait  de  naître ,  événement  qui  fit  cou- 
sacrer  cet  endroit  sous  le  nom  d'Ont- 
phalos  (Nombril),  et  la  campagne  en- 
vironnante sous  celui  A^OmphaMwn  (2). 
Là  enfin,  sur  les  rives  du  Théron, 
furent  célébrées  les  noces  de  Jupiter  et 
de  Junon.  Ces  traditions  ne  permettent 
pas  de  douter  que  Cnossos  ne  dût  son 
origine  à  une  des  colonies  qui  s'établirent, 
dans  les  temps  les  plus  reculés ,  autour 
de  rida,  et  qu'elle  ne  fût  un  des  pre- 
miers sanctuaires  du  culte  primitif  des 
Cretois.  Mais  l'époque  de  sa  plus  grande 
puissance  fut  le  règne  de  Minos.  £lle 
devint  alors  la  capitale  de  i1le.  Après 
l'établissement  des  colonies  doriennes , 
elle  se  maintint  encore  au  premier  rans. 
Elle  aspira  même  à  dominer  sur  l'île 
entière ,  et  s'unit  dans  ce  but  avec  Gor- 
tyne.  Mais  dans  la  suite  elle  éprouva 

(i)  Savary,  Lettres  sur  la  Grèce  ^  p.  194. 
(a)  Dîod.  V,  70. 


des  reven  dont  elle  ne  se  releva  jamais 
oitièremeot.  Après  la  conquête  de  l'tle 
par  Métellus,  elle  reçut  une  colonie  ro- 
maine. La  treizième  année  du  règne 
de  Néron  (67  ap.  J.-C),  un  tremble- 
ment de  terre  la  détruisit  de  fond  en 
comble.  Elle  ne  s'est  pas  relevée  de  ses 
ruines.'  «  Des  monceaux  de  pierres, 
d'anciens  murs  à  moitié  démolis ,  des 
restes  d'édifices,  et  le  nom  de  Cnossou,  » 
que  l'emplacement  qu'elle  occupait  a 
conservé ,  font  seuls  connaître  le  lieu  où 
s'élevait  la  superbe  vUie  de  Minos. 

Cnossos  avait  deux  ports  sur  la  côte 
septentrionale  :  Heracléion  et  Amnisos , 
le  premier  à  l'^idroit  où  s'élève  aujour* 
d'bui  Candie,  le  second  à  l'embouchure 
du  fleuve  du  même  nom. 

Sur  le  versant  opposé  de  l'Ida,  à  l'en- 
droit où  commence  la  riche  plaine  que 
bordent,  au  nord,  cette  montagne  et 
le  Lethacos  ou  Lethoeos,  était  située  la 
ville  de  Gortyne.  Le  nom  de  Larissa , 
qu'elle  portait  primitivement,  atteste  une 
origine  pélasgique.  Elle  dominait  sur 
toute  la  plaine  qui  s'étend  au-dessous 
d'elle.  La  se  trouvaient  Phœstos  et 
Rhytion ,  villes  déjà  célèbres  au  temps 
d'iiomère;  Pyraothos,  Lisia,  Bœbc, 
Matalia,  Bienna;  Métallon  etLébéna, 
deux  ports  sur  la  mer  Libyenne,  et 
peut-être  les  seuls  de  la  côte  méridio- 
nale dans  les  temps  anciens. 

Gortyne  possédait  plusieurs  temples 
célèbres  ;  celui  d'Apollon  était  en  grande 
vénération  parmi  les  Grecs.  Cette  ville 
avait  plus  de  huit  kilomètres  de  circuit. 
Ses  rumes,  dispersées  sur  un  grand  espace 
de  territoire,attestent  encore  aujourd'hui 
son  étendue.  Parmi  ces  ruines  011  re- 
marque une  porte  de  ville,  en  grosses 
briques  et  à  large  façade  ;  au  delà ,  un 
double  rang  de  piédestaux  dont  la  base  . 
plonge  dans  le  sol  :  on  dirait  les  porti- 
ques d'un  temple;  plus  loin ,  une  église 
à  moitié  en  ruines,  d'une  architecture 
simple,  sans  colonnades,  et  dont  la 
construction  paraît  remonter  aux  pre- 
miers temps  du  christianisme. 

A  l'ouest  de  Gortyne  et  de  Cnossos , 
on  trouvait  encore  ithaucos,  sur  la  rive 

Sauchedu  Pothéreus;  Lycastos,  au  pied 
u  mont  Argoeos  ;  Prsssos ,  sur  le  Po- 
théreus, ville  habitée  primitivement  par 
les  Étéocrètes,  et  détruite  dans  la  suite 
par  ceux  d'Uiérapytna.  Elle  avait  un 


534 


LTiaVlSBS. 


temple  de  Jupiter-Dietéen.  De  l'antre 
côté  de  rida,  il  faut  citer  Rhytimna 
(auj.  Rétimo),  Éleutbéra ,  Oaxos  SQr  le 
fleuve  de  ce  nom  ;  Aulon  y  Éleutherna , 
Sybritia,  et  Psychium  ;  enfin,  sur  la  cdte 
septentrioDale,  Dium,  Cytœlon,  Ma< 
tium,  et  Apollonia.  De  toutes  ces  villes 
nous  ne  connaissons  guère  que  les  noms. 
Villes  de  là  bbgion  oggideh- 
TALE.  —  Ce  que  Lyctos  était  pour  la 
région  du  Dicté,  et  Cnossos  pour  celle 
dérida,  Cydonia  (auj.  la  Ganée)  Tétait 
pour  celles  des  monts  Leuca  :  le  princi- 
pal centre  politique  et  le  siège  des 
premiers  habitants  de  la  contree  des 
Cydoniens.  Elle  s*élevait  entre  le  Jor- 
danos  et  le  Pycnos.  Les  traditions  cré* 
toises  lui  donnaient  pour  fondateur 
Minos.  Mais  son  titre  oe  Mère  des  vil- 
les semble  indiquer  une  ori^ne  plus 
ancienne.  Homère  ne  la  cite  point;  mats 
il  mentionne  les  Cydoniens,  qui  furent 
sans  contredit  les  premiers  fondateurs 
de  cette  ville  (I).  Cydonia  ne  s*éleva  pas 
à  la  puissance  de  Cnossos  et  de  Gor- 
tyne  ;  mais  elle  venait  immédiatement 
après  elles  ;  et  au  milieu  des  rivalités  de 
ces  cités ,  elle  assurait  toujours  la  su- 

f)rématie  à  celle  dont  elle  embrassait 
e  parti  (2). 

A  Fouest  de  Cydonia ,  le  long  de  la 
côte  septentrionale,  s*étendait  la  région 
pergaméenne.  Là  se  trouvait  Pergamos, 
où  mourut,  dit-on,  Lycurgue,  le  lé- 
gislateur de  Sparte.-  Les  traditions  ne 
s'accordent  pas  sur  l'origine  de  cette 
ville  :  Virgile  lui  donne  pour  fondateur 
Énée  (3).  Suivant  Velléius  Paterculus, 
elles  aurait  été  bâtie  i)ar  Agamemnon , 
en  mémoire  de  la  prise  de  Troie  (4). 
Plus  au  nord,  sur  le  flanc  oriental  du 
mont  Dictynnien,  était  située  Dictynna, 
avec  un  temple  de  la  déesse  Britomartis, 
qui  était  aussi  connue  sous  le  nom  de 
Dictynna.  A  Test  de  cette  ville ,  sur  le 

tolfe  d*Amphimala  (auj.  Goifo  délia 
uda)  :  Amphimala,  Cisamos  (auj. 
Cisamo),  port  d'Aptère,  ville  située  plus 
à  l'ouest;  au  sud  des  précédentes  : 
Polychna,  Lappa  ou  Lampa,  fondée, 
dit-on,  par  Agamemnon.  Elle  reçut  dans 

(i)Hoin.,  Odjrs.,  XIX ,  176, 
(a)  Polybe,  IV,  55. 
(3)uE/i.,  m,i33, 
(4)  VeU.  Paterc.,  I ,  x. 


lite 


sef  murs 

truetion  de  leur  ville  par  lesi 
Phoenix,  port  sur  la  mer  Libyenne; 
Tarrba  et  Èlyroe,  deux  dei  prindpavx 
centres  du  culte  d* Apollon  dans  eette 
partie  de  l'fle.  Cette  dernière  ville  passait 
pour  la  patrie  de  Tbalétus,  poète  lyri- 
que, antérieur  à  Homère  ;  elle  avait  pon 
port  Syia  sur  la  mer  de  Libye;  Phala- 
sama,  port  sur  la  côte  oecideDiale, 
près  des  îles  Mylœ;  enfin  PolynrfaéQia, 
au  sud  de  la  précédente ,  avec  un  temple 
de  Britomartis.  Cest  dans  cette  nlle 
gue ,  suivant  la  tradition,  Aflamemnoa, 
jeté  par  la  tempête  sur  les  cotes  de  Tik, 
offrit  un  sacrifice  aux  Dieux. 

ViLLBS  FBIHGIPiXia  DB  LA  CaÈTI 

KODBBNB. — Candie^  la  RandaksdfS 
Arabes,  près  de  l'embouchure  du  Géo- 
firo,  sur  remplacement  de  rancienoe  Hé- 
racléion,  à  douze  kilomètres  de  l'île  deDia 
(Standia),  et  à  quatre  du  villaoe  de  CDei* 
sou,  situéaumiiiettdesruiDesdei'antiqtte 
Cnossos,  dont  il  a  gardé  le  nom.  Attaquée 
par  les  Turcs  en  1646,  Candie  soutint  tto 
siège  célèbre ,  et  ne  capitula  qu'en  1670. 
Devenus  maîtres  de  cette  ville  impor- 
tante, les  Turcs  réparèrent  rapidemeot 
les  ravages  de  oe  long  siège.  «  Les  muis 

3ui  Tentourent ,  disait  un  voyageur  da 
ernier  siècle,  ont  plus  d^une  lieue  de 
circuit,  sont  bien  entretenus,  etdéfendoi 
par  des  fossés  profonds  ;  mais  ils  ne  sont 
couverts  d'aucun  fort  extérieur.  Da 
côté  de  la  mer,  elle  est  inattaquable, 

Sarœ  que  les  vaisseaux  n'ont  pas  asseï 
e  fond  pour  s'en  approcher.  Caodie 
est  le  siège  du  gouvernement  lure.  La 
Porte  y  envoie  ordinairement  un  padu 
à  trois  queues.  Les  principaux  offietenet 
les  divers  cor|is  de  la  milice  ottomaoe  j 
sont  rassembles.  Cette  ville  ricbe,  ooflu- 
mer^nteet  bien  peuplée  pendant  qneks 
Vénitiens  la  gouvernaient,  est  bieodé- 
cbue  de  son  ancienne  puissance.  Le  port, 
qui  forme  un  joli  bassin  où  lesnafirci 
sont  à  l'abri  de  tous  les  vents,  se  oomble 
de  jour  en  jour.  11  ne  reçoit  plus  mv 
des  bateaux  et  de  petits  bâtiments  allé- 
gés d'une  partie  de  leurs  marebandises. 
Ceux  que  les  Turcs  fr^nt  à  Oodieioot 
obligés  d'aller  presque  sur  leur  lest  at- 
tendre leur  chargement  dans  les  portt 
deStandié....  Candie,  embellie  parles  Vé- 
nitiens, percée  de  rues  droites,  ornées  de 
maisons  bien  bftties ,  d'une  Mk  piaœ 


ILE  D£  CaitflE. 


S» 


et  d'une  fontaine  magnifique,  ne  ren* 
ferme  dans  sa  Teste  enceinte  qu'on  petit 
nombre  d'habitants.  Plusieurs  quartiers 
sont  presque  déserts....  Les  mahomé* 
tans  ont  eonterti  la  plupart  des  temples 
chrétiens  en  mosquée».  Cependant  ils  ont 
laissé  deux  ^lises  aux  Grecs,  une  aui 
Arméniens ,  et  une  synagogue  aux 
Juifs  (I)  ». 

La  seconde  place  de  l'tle  est  la  Ganée, 
sur  l'emplacement  de  Tancienne  Qjrdo* 
nia,  dont  on  trouve  encore  des  ruines 
dans  les  eirvirons.  Cette  tille,  bâtie  par 
les  Vénitiens,  qui  la  perdirent  en  1645, 
n'a  pas  plus  de  deux  milles  de  circuit. 
Mais  depuis  que  les  ports  de  Gira-Pétra« 
de  Canule  et  de  Retimo  sont  comblés , 
presque  tous  les  n^ociants  se  sont  re- 
tirés dans  ses  murs,  et  l'on  y  compta  au 
moins  16,000  habitants. 

I^on  loin  de  la  Canée ,  on  troute  la 
Suda,  sur  le  golfe  de  ce  nom,  le  meilleur 
port  de  rile  ;  Cisamo  (Cisamos  ) ,  sur  ce 
même  golfe  ;  Grabuse,  fort  bâti  sur  un 
éeueil,  et  qui  résista  longtemps  aux 
Turcs;  Paléocastro ,  qui  paratt  occuper 
remplacement  de  l'ancienne  Aptère; 
plus  à  l'est,  sur  les  côtes  méridionales,  Gi- 
ra-Pétra  rappelle  Hiérapytna.  Sur  la  côte 
opposée,  au  sud  du  cap,  est  située  Spina« 
Looga,  forteresse  et  port,  sur  la  mer  do 
Crète.  Enfin,  entre  TArmiroet  l'Arcadi- 
Fiume  s'élève  Retimo  (Rhytimna),  à 
l'entrée  d'une  riche  plaine  que  bordent 
au  midi  les  dernières  hauteurs  de  l'Ida* 
Cette  ville,  la  troisième  de  l'Ile,  est  la 
résidence  d'un  pacha.  Sa  population  est 
d'environ  6,000  habitants. 

Cestà  trois  kilomètres  d'Areadi qu'est 
situé  le  célèbre  monastère  de  ce  nom.  «  Il 
semble,  dit  Toumefort  (S),  que  ce 
couvent,  qui  est  le  plus  beau  et  le  plus 
riche  de  tous  les  monastères  de  Tlle,  ait 
retenu  le  nom  de  l'ancienne  ville  d'Ar- 
cadia....Du  temps  des  chrétiens,  Ar^ 
cadia  fut  honorée  du  troisième  évéché 
de  i'fle  :  il  n'v  reste  plus  qu'un  grand 
couvent,  situe  dans  une  plame ,  en  ma" 
nière  de  plate^forme,  sur  la  hauteur 
d'une  montagne,  au  pied  du  mont  Ida. 
Oh  aborde  à  cette  plate-forme  par  une 
agréable  vallée,  partagée  en  vergers,  vi- 

(0  Savary,  Lettres  Sur  la  Grèce,  XÏI, 
p.  x86  et  suiv. 
(a)  Tournefort,  Foyoge  du  Levant,  p.  5i. 


m»  et  terres  labour2d>]es,  couvert»  dans 
les  lieux  incultes  de  ohénea  verts,  do 
kernoès,  d'érables  ^  de  Phililyrea,  de 
myrthes,  de  lentisques,  térébinthes^  pis* 
taehiers,  lauriers  francs,  cyprès,  storax^ 
Les  eaux  y  coulent  de  toutes  parts*  On 
y  reconnaît  encore  l'ancienne  Crète.  La 
maison  d'Arcâdi  est  gprande  et  bien  bâ- 
tie :  l'église  à  deux  nefs,  enrichies  de 
tableaux  gothiques.  N'est-il  pas  biea 
surprenant  que  les  Grecs ,  dont  les  pères 
ont  si  bien  imité  la  nature ,  aient  enfin 
donné  dans  le  goût  des  Goths*  qui  la 
copiaient  si  mal  ?..«.  On  compte  près 
de  centreligieuxdansce  monastère,  deux 
cents  à  la  campagne,  occupés  à  cultiver 
leurs  fermes....  •  -—  «  Parmi  oe  grand 
nombre  de  religieux  il  se  trouve  peu  de 
prêtres.  La  plupart  n'entrent  point  dane 
les  ordres  sacrés,  ils  servent  dans  l'état  do 
frères,  et  sont  employés  aux  plus  rudee 
travaux  deragrieulture  (1).  »— *«  La  cave 
est  un  des  plus  beaux  endroits  du  mo- 
nastère t  il  n'y  a  pas  moins  de  deux  cents 
pièces  de  vin,  dont  le  meilleur  est  marqué 
au  nom  du  supérieur,  et  personne  n'ose* 
rait  y  toucher  sans  son  ordre.  »  Ce  mo«^ 
nastère  possède  des  terres  immenses,  qui 
s'étendent  jusqu'à  la  mer,  du  côté  de 
Retimo,  et  que  les  nombreux  caloyeri 
ou  religieux  qui  l'habitent  cultivent  avec 
soin;  l'huile,  le  vin,  les  blés,  la  cire  qu'ils 
recueillent  diaque  année,  montent  a  dee 
sommes  considérables. 

Climat.  -*-  «  De  tous  les  pays  que  j'ai 
habités,  dit  Savary  (d) ,  il  n'en  est  point 
dont  la  température  soit  aussi  saine, 
aussi  agréable  que  celle  de  Crète.  Lee 
chaleurs  n'y  sont  jamais  excessives ,  eC 
les  froids  violents  ne  se  font  point  sentir 
dans  la  plaine.  Pendant  une  apnée  d'ob- 
servations faites  à  la  Canée ,  j'ai  remar- 
qué qu'à  compter  du  mois  de  mars  jus- 
qu'au commencement  de  novembre, 
le  thermomètre  ne  variait  que  depuis 
90  jusqu'à  27  degrés  au'dessus  du  terme 
de  la  glace....  D'ailleurs,  dans  les  jours 
les  plus  chauds  de  l'été,  l'atmosphère 
était  rafratchie  par  les  vents  de  la  mer. 
L'hiver  proprement  dit  ne  commence 
qu'en  décembre ,  et  finit  en  janvier. 
Pendant  cette  courte  saison ,  la  neige 
ne  tombe  jamais  dans  la  plaine ,  et  ra- 

(i)  Savary,  Lettre  XXVI,  p.  a 39. 
(1)  Lettre  XXI,  p.  966. 


Mi 


L*17NIV£RS. 


rement  on  y  voit  la  surfiBice  de  l'ofta  ge- 
lée... On  a  donné  le  nom  d'hiver  à  ces 
deux  mois ,  parce  qu*a1or8  il  tombe  des 

Sluies  abondantes,  que  te  ciel  se  couvre 
e  nuages  et  qu*on  y  éprouve  des  vents 
du  nord  très- violents,  mais  ces  pluies 
sont  utiles  à  Tagricalture.  Les  vents  chas* 
sent  les  nuages  vers  les  hautes  monta- 
gnes, où  se  forme  le  dépôt  des  eaux  qui 
fertiliseront  les  campagnes ,  et  Thabitant 
des  plaines  ne  souffre  point  de  ces  in- 
tempéries passagères.  Dès  le  mois  de 
février  la  terre  se  pare  de  fleurs  et  de 
moissons.  Le  reste  de  Tannée  n'est 
presque  qu'un  kieau  jour...  Le  ciel  est 
toujours  pur  et  serein  :  les  vents  sont 

doux  et  tempérés Les  nuits  sont  fort 

belles.  On  y  goûte  une  fraîcheur  déli- 
cieuse.... Aux  charmes  de  cette  tempé- 
rature se  joignent  d'autres  avantages 
2ui  en  augmentent  le  prix.  Llle  de 
rète  n'a  presque  point  de  marais. 
Les  eaux  n'y  restent  guère  stagnantes. 
Elles  coulent  du  sommet  des  montagnes 
eu  ruisseaux  innombrables ,  et  forment 
çà  et  là  des  fontaines  superbes  ou  de 
petites  rivières  qui  se  rendent  à  la  mer... 
Aussi  l'air  n'est  point  chargé  des  va- 

Êeurs  dangereuses  qui  dans  les  contrées 
umides  s'élèvent  des  lieux  marécageux.  » 
Cette  douce  température ,  cet  air  sa- 
lubre,  qui  firent  appeler  la  Crète  MacU' 
ronésos,  l'Ue-Fortuuée ,  étaient  appré- 
ciés dans  l'antiquité.  Hippocrate  en- 
voyait ses  malades  se  rétablir  dans  cette 
tie.  Encore  aujourd'hui  l'influence  de  ce 
climat  privilégié  se  fait  remarquer  dans 
la  haute  statùre,'la  forte  constitution  et 
la  longévité  des  Candiotes. 

II. 

HISTOIBE   DE    L'ILE    DE  GBÈTB    PEN- 
dant les  temps  anciens. 

Habitants  pbimitifs  de  l'ilb  db 
Cbbtb.  —  Les  Cretois,  comme  tous  les 
peuples  en  général ,  plaçaient  leur  berceau 
dans  les  lieux  mêmes  ou  s'est  développée 
leur  civilisation.  Ils  se  prétendaient  auto- 
chthones.  Quoi  qu'il  eu  soit  de  cette  pré* 
tention,  c'est  daus  Homère  que  nous  trou- 
vons la  première  et  la  plus  importante 
mention  de  l'ancienne  population  de  l'tle. 
«  Au  sein  des  mers,  dit  le  poète  (1) , 


est  la  Crète ,  contrée  riche  et  fertife, 
battue  de  tous  côtés  par  les  flots.  Elle 
amne  population  immense ,  qui  habite 
quatre-vingt-dix  villes.  Là  sont  des 
peuples  divers  et  de  lances  diverses  : 
des  Achéens,  des  Étéocretes,  des  Cydo- 
niens,  des  Doriens,  et  des  Pélasges.» 

L'époque  qu'Homère  a  ea  vue  ici  est 
celle  du  règne  de  Minos.  Il  énunoère  les 
dl£férents  peuples  qui  habitaioit  Tileau 
temps  de  ce  prince.  Quant  à  Tordre 
chronol<^îque  dans  lequel  ils  sont  venus 
s'y  établir,  il  ne  faut  pas  le  diercber 
dans  ce  passage.  Le  poète  se  contente 
de  signaler  la  diversité  de  leur  origine* 
laquelle  se  révèle  dans  la  diversité  de 
leurs  idiomes.  Nous  trouvons,  en  eâiet. 
ici  trois  groupes  de  population  bien  di^ 
tincts  :  l<>  des  Étéocrètes  et  des  Cydo- 
niens ,  2**  des  Pélasges,  3*  des  Dorieos 
et  des  Achéejis. 

Les  Étéocrètes  sont  généralement  con- 
sidérés comme  autochthones.  Leur  nom 
d'Étéocrètes  (  vrais  Cretois  )  prome 
Qu'ils  passaient  aux  veux  des  Grecs  pour 
être  nés  sur  le  sol  même  de  Tlle.  11  leor  a 
été  évidemment  donné  pour  les  distia- 
guer  des  peuples  venus  du  dehors.  Le» 
Etéocrètes  habitaient  aux  environs  de 
l'Ida  et  du  Dicté.  Praesos,  à  soixante 
stades  de  la  côte  méridionale,  était  leur 
principal  centre.  Mais  il  est  probable 
u'ils  occupèrent  aussi  l'autre  versant 
es  deux  montagnes  jusqu'à  l'époque 
de  l'invasion  dorienne.  Refoulés  alors 
dans  le  midi ,  ils  furent  longtemps  saoi 
se  mêler  aux  autres  peuples  de  Itle. 
Cette  espèce  d'isolement  que  perpétuait 
leur  orsueil  national ,  et  que  £avorisait 
si  bien  leur  établissement  entre  Tldaei 
le  Dicté  au  nord ,  et  la  mer  Libyenne  ao 
sud,  durait  encore  après  la  'mort  de 
Minos.  Seuls,  avec  les  Polichnites,  m 
ne  prirent  point  part  à  l'expéditioa 
de  Sicile,  entreprise  pour  venger  ce  hé- 
ros (1). 

Comme  les  Étéocrètes,  les  QrdonieiB 
passaient  pour  indigènes,  bien  qu'ils oe 
fussent  pas  compris  sous  la  dénooiiiu- 
tion  de  vrais  Cretois.  Us  domÎDaieot 
dans  la  partie  occidentale  de  File.  Çydo- 
nie  était  leur  principale  ville.  Ils  hono- 
raient particulièrement  la  déesse  Brito- 
martis,  et  avaient  aussi  leur  idjoaie 


2 


(i)  Hom.,  Odfs.f  XIX,  174  et  suit. 


(i)  Hérodote 9  TII,  170, 


ILE  DE  CRÊTE. 


W 


Mt>pre  ,  dont  quelques  termes  nous  ont 
ité  conserrés.  Le  nom  de  Britomaitisap* 
lartient  à  œ  dialecte ,  et  signifie  douce 
ierge  (1). 

A  côté  de  ces  peuples,  que  nous  pou* 
ODS  considérer  comme  autocbtbones 
*u  tout  au  moins  comme  les  plus  an* 
lens  habitants  connus  de  l'île,  se  pla- 
entdes  Pélasges,  venus,  selon  toutes  les 
robabllités,  de  rArcadie.  Il  n*est  guère 
pssible  de  déterminer  Tépoque  précise 
e  leur  arrivée  en  Crète.  Mais  ils  y  pré- 
édèrent  certainement  de  plusieurs  siè- 
les  les  Hellènes ,  qu'amena  Teutamos 
ers  1415,  et  parmi  lesquels  se  trouvé- 
emmêlés  d'autres  Pélasges.  Quant  aux 
eux  où  ils  s'établirent,  ce  fut  principa- 
îmeat  la  plaine  où  s'élevait  Gortyne. 
!ette  ville  elle-même,  comme  nous  Fa- 
ons vu ,  portait  primitivement  le  nom 
élasdque  de  Larissa,  ainsi  qn'une  au- 
re  ville,  qui  fut  dans  la  suite  réunie  à 
liérapytna  (3).  Des  restes  de  construc- 
ions  cyclopéennes  attestaient  le  passage 
ur  le  sol  Cretois  de  cette  première  oolo- 
ie  de  Pélasges. 

Cette  colonie  n'est  pas  la  seole  que 
eçut  la  Crète  dans  ces  temps  reculés. 
>eux  autres  races ,  également  célèbres , 
ans  l'antiquité,  par  leurs  systèmes  re- 
gieux  et  leur  civilisation  précoce,  vin- 
sut  mêler  leur  sang  et  leurs  idée»  aux 
abitants  primitifs  de  cette  lie  :  les  Phry- 
iens  et  les  Phéniciens.  Les  premiers  ne 
3nt  autres  que  les  Dactyles-ldéens  et 
!s  Curetés.  Ces  noms  appartiennent 
tutôt  à  la  théoloffie  qu'à  l'histoire  de 
ancienne  Crète.  Ils  désignent  une  co- 
)nie  sacerdotale  venue  des  environs  du 
)ont  Ida,  en  Pbrygie,  et  qui  apporta  en 
rète  les  idées  religieuses  et  les  arts  de 
Asie  occidentale.  L'arrivée  de  cette  co- 
>nie  remonte  à  une  si  haute  antiquité, 
u  elle  est  souvent  confondue  avec  la  po- 
ulation  primitive  de  l'Ile.  «  Les  prê- 
tera habitants  de  Crète ,  dit  Diodore 
e  Sicile  (8) ,  demeuraient  aux  environs 
u  mont  Ida ,  et  s'appelaient  Dactyles- 
3éens.  »  Nous  verrons  ailleurs  Tin- 
uence  de  cette  colonie  sur  la  religion  et 
^  civilisation  primitives  de  l'île. 

L'influence  des  Phéniciens  ne  fut  pas 

(O^oy.Hoeck,  Kreta^  I,  p.  46. 

i^)  Kaoul-Kochette,  CoL  Gr^  I,  p.  5. 

(3)  Diod,  Sicul,  V,  64,  3. 


moins  tfrMide.  Leur  préseoee  en  Crète 
se  révde  particulièrement  dans  deux 
mythes  importants.  Quand  Hercule  se 
rendit  dans  l'ibérie  pour  enlever  les  va- 
ches de  Géryon ,  qui  paissaient  sur  les 
cdtes  de  ce  pays,  il  rassembla  ses  troupes 
dans  l'île  de  Crète;  «  car  cette  île  est 
avantageusement  située  pour  faire  partir 
de  là  des  années  sur  toute  la  terre.  Les 
Cretois  accueillirent  Hercule  avec  de 
grands  honneurs  ;  et ,  pour  leur  témoi- 
gner sa  reconnaissance ,  il  purgea  Tlle 
des  bêtes  féroces  ;  c'est  depuis  lors  qu'on 
n'y  trouve  plus  ni  ours,  ni  loups,  m  ser- 
pents, ni  d'autres  animaux  semblables. 
Il  voulut  aussi  par  cette  action  illustrer 
un  pays  où  Jupiter  était  né,  et  où  il  avait 
été  élevé  (1).  »  Parti  de  cette  île ,  Her- 
cule relâcha  en  Libye ,  la  paroourut  jus- 
3u'à  l'Océan  qui  baigne  Gadès ,  et  éleva 
eux  colonnes  sur  les  bords  de  l'un  et 
de  l'autre  continent.  Cette  légende  de 
l'Hercule-Tyrien  ne  permet  pas  de  douter 
que  les  Phéniciens  n'aient  de  bonne 
heure  fondé  des  établissements  en  Crète. 
Les  avantages  de  la  situation  maritime 
de  cette  île  devaient  frapper  ces  entre- 
prenants navigateurs.  Située  sur  la 
grande  route  commerciale  qu'ils  parcou- 
raient ,  elle  pouvait  servir  de  relâche  à 
leurs  vaisseaux  et  de  centre  à  leur  colo- 
nisation. C'est  de  la  Crète,  en  effet, 
comme  on  le  voit  dans  cette  légende , 
que  les  colonies  phéniciennes  se  répan- 
dirent dans  les  contrées  de  l'Occident , 
sur  les  côtes  de  l'Afrique  et  de  l'Espace. 
L'autre  mythe  n'a  pas  une  moins  im- 
portante siffnîfication  historique.  Nous 
voulons  parler  de  l'enlèvementd'Europe. 
Jupiter,  dit  la  fable ,  sous  la  forme  d  un 
taureau,  transporta  Europe,  fille  de 
Phœnix,  de  la  Phénicie  en  Crète.  Eu- 
rope, on  le  sait,  est  la  personnification 
du  culte  de  la  Lune.  Elle  s'unit  avec 
Jupiter,  le  dieu  indigène  de  la  Crète.  Cet 
hvmen  des  deux  divinités  n'est  autre 
chose  que  le  symbole  do  l'alliance  des 
deux  religions,  phénicienne  et  Cretoise, 
et  de  la  fusion  des  anciens  habitants  avec 
les  nouvelles  colonies. 

Quant  aux  lieux  où  s'établirent  ces  co- , 
lonies,  pour  les  déterminer  il  suffit  de 
suivre  en  quelque  sorte  la  trace  du  my« 
tbe ,  et  de  recueillir  les  souvenirs  qu  il 

(i)  Diod.  Sicul.,  IV,  17,  3. 


5ia 


LUmVERS. 


a  ieméi  sur  le  Ml  eiétois.  Or^  loas  ees 
souvenir!  fie  groupent  aux  euvirons  de 
Gortyne.  C6St  en  defloendant  le  eonra 
du  Lethœes  qu'Europe  s'eit  rendue 
dans  eette  Tille ,  située  sur  oé  fleuve. 
]Non  loin  de  là  s'élevait  le  plaune  dont 
le  feuillage  étendit  comme  un  voile  de 
verdure  sur  ses  premières  amours  avec 
Jupiter.  Ûortyne  elle-même  s'appela  an* 
cienoeroent  HeUotU  ou  HeUotiay  d'un 
des  noms  d^Europe  (1).  Enfin,  il  reste 
de  cette  ville  des  monnaies  sur  lesquelles 
oe  mythe  est  figuré.  Nul  doute  qu'elle  ne 
fdt  le  prindpai  eentre  de  la  eoloniiatioa 
pMnicienne  en  Crète.  Mais  elle  ne  fut 
pas  le  seul.  Cette  colonisation  paraît 
s'être  étendue  sur  la  plus  grande  partie 
de  la  région  orientale  de  l'île.  Des  mon- 
naies de  Phoestos,  ville  située  à  Test 
de  Gortyne,  sont  marquées  à  l'effigie 
d'un  taureau,  et  la  fondation  d'Itanos, 
à  l'extrémité  orientale  de  l'tle ,  est  at- 
tribuée à  un  Phéttiden. 

Tous  ces  peuples  furent  confondus  par 
les  Grecs  sous  la  désignation  commune 
de  Barbareê.  Hérodote  (3)  donne  en- 
core  aux  Cretois  de  l'époque  de  Minos 
cette  qualiOcation,  qui  exclut  tout  élé* 
ment  neiténique  de  la  population  à  la« 
quelle  elle  s'applique.  Cependant  nous 
avons  vu  des  Donens  et  des  Acbéens 
mentionnés  par  Homère  parmi  les  an- 
ciens habitants  de  l1le ,  et  plusieurs  bto* 
toriens ,  s'appuyant  sur  ce  passade  de 
l'Odyssée ,  parlent  d'une  colonie  dorienne 
en  Crète,  antérieure  d'environ  trois 
siècles  à  la  ^erre  de  Troie.  Cette  co- 
lonie ,  conduite  par  Teutamos  ou  Tec« 
tanios,  fils  de  Dorus,  serait  partie  des 
environs  du  mont  Olympe  ^  et  aurait  été 
renforcée  par  des  Aehéens  de  la  Laconie, 
des  Ëoliens  et  même  des  Pélasges  (9). 
«  Quant  aux  établissements  partieullers 
formés  par  cette  colonie ,  nous  n'avons 
aucune  lumière.  Stopbylus,  eité  par 
Strabon ,  dit  que  les  Doriens  se  fixèrent 
dans  les  régions  les  plus  orientales  de 
l'tle.  Quoi  qui!  en  soit,  on  ne  peut 
douter  des  progrès  rapides  qu'obtint 
cet  établissement,  puisque  Minos,  qui 
réunit  l'Ile  entière  sous  sa  domination , 

(i)  Steph.  Byz.,  V;  rôpruv. 
(s)  Hérodote,  I,  17$. 
(3)  Diod.,  IV,  60;  V,  80;  Strabon,  X, 
p.  789. 


descendait  de  Teatan«>s  ;  et  œ  li *  est  qv'è 
cette  colonie  que  les  hsdtitaats  de  II 
Crète  durent  l'avantage  d'être  compté, 
dès  l'époque  de  ce  prince ,  au  nonèn 
des  ncUions  heUéniqves  (1).  » 

De  nombreux  témoignages  attesteei 
la  réalité  de  cette  colonie.  Mais  il  eit 
difficile  de  les  concilier  aTee  ee  qm 
nous  connaissons  des  Doriens.  Les  éou- 
grations  de  ce  peuple  sont  poetérieura 
ae  près  d'un  siècle  à  la  prise  de  Trok. 
Elles  ne  commencent  que  rers  1104. 
Jusqu'à  cette  époque,  il  resta  cantonsé 
dans  les  montagnes  de  la  Drropide.  Il  pa- 
rait peu  vraisemblable  d'ailleurs  aa'au 
colonie  de  ce  petit  peuple  soit  allée,  1 
travers  la  Heliade  et  le  Péloponnèse, 
s'établir  dans  une  des  ties  les  plus  n»- 
ridionales  de  la  mer  intérieure  ^  à  sk 
époqueoù  les  Lâèges  et  les  Cariens  en- 
mêmes  ,  adonnés  de  si  bonne  beore  1 
la  navigation ,  commençaient  à  peine  i 
lancer  leurs  barques  sur  la  mer,  et  i 
exercer  la  piraterie  d'une  Ile  à  Taubv. 
Ajoutons  que  Teutamos  ne  figure  m^ 
part  dans  les  vieux  mythes  de  la  Crète, 
et  que  son  nom  ne  se  trouTO  pas  dus 
la  plus  ancienne  généalogie  des  rois  éi 
cette  tle.  Cette  colonie  parait  avoir  été 
imaginée  pour  rattacher  Minoa ,  le  facn» 
national  de  la  Crète,  aux  Doriens,  qui 
ne  s'établirent  dans  l'tle  qu'environ  dm 
siècles  après  sa  mort.  On  donne  a 
effet  à  Teutamos  pour  fils  Asténos,  qm 
épousa  Europe  après  Jupiter,  et  adopu 
les  fils  du  dieu ,  Minos,  Rhadamaatbe 
et  Sarpédon.  Puis  à  Minos  lui-même  on 
fait  épouser  Itoné,  fille  de  Lyctios,  para 
que  Lyetos  fut  une  des  plus  oélebr» 
colonies  doriennes  de  l'tle.  Enfin  Ljm- 
tos,  né  de  cette  union,  devient 'père 
d'un  second  Minos ,  celtn  qui  deaûiu 
sur  les  mers.  L'intention  de  faire  i% 
Minos  un  Dorlen  est  évidente.  Elle  n 
plique  la  colonie  de  Teutamos,  Imagioée 
par  l'orgueil  dorlen ,  ainsi  que  les  dcss 
Minos ,  l'un  fils  de  Jupiter,  l'autre  de 
Lycastos  (2). 

Mais  si  la  Crète,  dans  les  lenpi 
antérieurs  a  Minos ,  demeura  étranger» 
aux  Hellènes,  elle  compta  du  mcaa 
parmi  ses  habitants  deux  peufrfes  qui 
flottaient  en   quelque  sorte  entre  k 

(1)  Raoul-Rochette,  Cd.  Grecq.,  p.  7^7i> 
(a)  Cf.  Hoeck,  Kreta,  U,  p.  i5  etsuir. 


ILE  DE  CaiÊTE. 


$9ê 


Donde  barbare  et  le  monde  grée,  et 
lui  firent  connaître  de  bonne  beore 
ux  Cretois  la  langue  et  la  relieion  de 
)  Grèce.  Nous  voulons  parler  des  Ga- 
ieos  et  des  Lélèges.  Nous  verrons  plus 
oio  leurs  rapports  avec  Minos.  Long- 
emps  avant  le  règne  de  ce  prince  us 
urent  mêlés  aux  Cretois  ;  et  ils  faisaient 
ans  doute  partie  de  oette  quatrième 
lasse  formée  d'an  mélange  de  barbares 
ont  parle  Diodore  (1).  Les  rapports 
le  la  Crète  avec  ces  deux  peuples ,  de* 
luis  longtemps  en  contact  avec  le  monde 
rec  marquèrent ,  en  queloue  sorte,  son 
lassage  de  la  barbarie  à  la  civilisation 
dlénique. 

La  Cbètb  avaiit  Mi90s.  —  Deux 
«uples  indigènes ,  les  Étéocrètes  et  les 
)ydonieos;  plusieurs  peuples  de  colons, 
es  Pélasges,  des  Phrygiens,  desPhé- 
iciens,  peut-être  même  des  Égyptiens  ; 
n6n  des  Cariens  et  des  Lél^es,  tels 
ont  les  divers  éléments  de  la  popu  la- 
ion  de  la  Crète  à  Fépoque  où  paraît 
linos. 

Minos,  qui  est  une  des  personnifica^ 
ions  de  la  royauté  héroïque ,  n'est  pas 
3  premier  roi  de  Crète.  Cet  honneur 
evient  à  Jupiter,  frère  d'Uranus.  Ju* 
iter  eut  dix  enflants ,  nommés  Curetés. 
>eux  de  ces  derniers,  Crès  et  Mélitheus 
égnèrent  successivement  après  lui.  En 
e  temps-là,  dit  la  l^ende,  Ammon,  ro! 
'une  partie  de  la  Lmye,  vint  chercher 
n  refuge  en  Crète.  Il  avait  épousé  Rhéa, 
ile  d'Uranus  et  sœur  de  Saturne  et  des 
Qtres Titans.  «  En  visitant  son  royaume , 

trouva,  près  des  monts  Cérauniens, 
ne  fille  sinculièrement  belle ,  qui  s'ap- 
elait  Amalthée.  Il  en  devint  amou- 
eux,  et  en  eut  un  fils ,  Bacchus ,  d'une 
eamé  et  d'une  force  admirables...  Crai- 
nant  la  jalousie  de  Rhéa,  Ammon  cacha 
vec  soin  cet  enfant ,  et  le  fit  trans- 
orter  secrètement  dans  la  ville  de 
^yse,  située  dans  une  Ile  environnée 
ar  le  fleuve  Triton.  Le  Jeune  Bacchus 
fut  instruit  dans  les  plus  belles  scien- 
^— •  Il  aimait  les  arts,  et  inventa  plu* 
leurschoses  utiles.  Étant  encore  enfant, 
l  découvrit  la  nature  et  Tusape  du  vin , 
n  écrasant  des  raisins  des  vignes  sau* 
âges...  Sa  renommée  s*étant  répandue 
>anTii  les  hommes ,  Rhéa,  irritée  contre 

(t)  Diod.,  V,  So. 


Ammon,  résohit  de  s'emparer  de  Bae» 
chus.  Mais  ne  réussissant  pas  dans  soa 
entreprise,  elle  quitta  Ammon ,  et,  re« 
tournant  auprès  des  Titans,  ses  firàres, 
elle  épousa  son  frère  Saturne.  Geiui*ci, 
à  rinstfigation  de  Rhéa ,  marcha  contre 
Ammon  et  le  défit  en  bataille  rangée. 
Pressé  par  la  famine,  Ammon  se  réfugia 
en  Crète.  Là,  il  épousa  Créta,  fille  de 
Curetés,  alors  régnant ,  et  il  fut  reconnu 
roi  de  cette  tle....  »  Saturne  et  les  Titans 
Ty  poursuivirent.  Mais  Jupiter  envoya 
des  soldats  égyptiens  au  secours  d' Am- 
mon ,  et  la  guerre  s'allumant  dans  eette 
tle,  Bacchus,  Minerve  et  quelques  au- 
tres dieux ,  y  accoururent.  Il  s'y  livra 
une  grande  bataille.  Bacchus  resta  vain- 
queur, et  tous  les  Titans  furent  tués. 
Après  cela,  Ammon  et  Bacchus  échan« 
gèrent  le  séjour  terrestre  contre  les  de- 
meures des  immortels,  et  Jupiter  régna , 
selon  la  tradition ,  sur  tout  runivers  (i). 
Crès ,  son  fils ,  lui  succéda  en  Crète  et 
donna  son  nom  à  Tîle.  Ensuite  Meur- 
sins  signale  une  lacune  considérable 
dans  la  série  des  rois  de  Crète.  «  Ëusèba, 
dit*il,  ne  mentionne  aucun  roi  entre 
CrèsetCydon,  c'est-à-dire  durant  un  es- 
pace de  trois  cent  quatre-vingt-seize 
ans  (2).  « 

Toutefois,  parmi  les  nombreux  roisqui 
onf  dû  se  succéder  dans  ce  long  inter« 
valle,  Meursius  dte  Cécrops,  en  s'ap- 
puyant  sur  le  témoignage  de  Gotfried  de 
Yiterbe  (8).  Plante  semble  confirmer 
eette  assertion  en  appelant  la  Crète  l'ik 
de  Cécrops  (4).  Puis  vient,  après  un  es- 
pace de  temps  qu'il  est  impossible  de  dé* 
terminer.  Cydon,  qui  aurait  régné,  sut* 
vant  Eusebe,  dans  la  quatre-vingt-dixiè* 
me  année  de  la  servitude  des  Hébreux 
en  Egypte  (5),  c'est-à-dire  vers  le  milieu 
du  dix-huitième  siècle  avant  J.-C  Ce 
Cvdon  immola  sa  fille  Eulimène,  pour 
obéir  à  un  oracle.  Mais  ce  fut  un  autre  roi 
de  ce  nom  qui  fonda,  longtemps  après,  la 
ville  de  Cydon  et  lui  donna  son  nom  (6). 
A  ce  prince  sucoéda  Aptère,  fondateur 

(i)Diod.,m,68,7i-73. 

(i)  Meurs.,  Creta,  lib.  III,  cap.  u 

(3)  Meurs.,  i6ld.,  lib.  III,  cap.  ii. 

(4)  Ceeropia  insula;  Plaute,  In  Trintanmo, 
act,  rv,  80.  IX,  ▼.  S3. 

(5)  Meurs.  1.  c. 

(ô)  Sleph.,  ?.  KuSwvia. 


«40 


LUNIVERS. 


de  la  Tille  de  ce  nom,  et  contemporain 
de  Moïse.  Puis  vient  Lapés ,  à  qui  on 
donne  pour  successeur  le  Dorien  Teu« 
tamos,  qui  amena  en  Crète  une  colonie 
d*Hellènes  et  de  Pélasfçes,  et  devint  roi 
de  rtle.  Il  épousa  la  OUe  de  Gréthès,  et 
en  eut  un  fils  nommé  Astérios.  C'est 
pendant  le  règne  de  ce  dernier  aue  Ju- 
piter enleva ,  dit-on,  Europe ,  fille  d*un 
roi  phénicien,  la  transporta  en  Crète,  et 
eutaelle  trois  fils,  Minos,  Rhadamanthe 
et  Sarpédon.  Astérios  épousa  Europe 
après  le  dieu;  et^  comme  il  n'avait  point 
d  enfants ,  il  adopta  ceux  de  Jupiter,  et 
leur  laissa  son  royaume  (1).  Sarpédon 
passa,  suivant  la  tradition,  en  Asie,  avec 
une  armée,  et  conduit  la  Lycie.  Évandre, 
son  fils,  lui  succéda  dans  ce  royaume. 
Rhadamanthe ,  si  fameux  comme  juge 
aux  enfers,  et  appelé  même  par  Diodore 
de  Sicile  l^lateur  des  Cretois,  domina 
sur  une  grande  partie  des  îles  de  la  mer 
Egée  et  du  littoral  de  l'Asie.  Quant  à 
Sfinos,  il  régna  en  Crète  même,  épousa 
Itone,  fille  de  Lyctios,  et  en  eut  Lycaste. 
Parvenu  au  trône,  Lycaste  épousa  Itone, 
fille  de  Corybas,  et  engendra  le  second 
Minqs ,  que  quelques«uns  disent  fils  de 
Jopiter. 

Cette  généalogie,  donnée  par  Diodore 
de  Sicile  (2) ,  diffère  en  plusieurs  points 
de  celle  qui  nous  a  été  transmise  par  les 
logographes.  On  y  aperçoit  Teffort  que 
nous  avons  déjà  signalé,  de  rattacher  les 
Dorions  à  Minos.  Comme  nous  avons 
vu  une  colonie  dorienne  comptée,  contre 
toute  vraisemblance,  parmi  les  anciens 
habitants  de  la  Crète,  nous  trouvons  ici 
on  prince  dorien,  Teutamos,  ajouté  aux 
souverains  de  Tlle,  et  donné  pour  père 
à  Minos.  Pour  la  même  raison  on  fait 
épouser  à  celui-ci  Itone,  fille  du  Dorien 
Lyctios.  L'ancien  mythe  donnait  pour 
femme  à  Minos  Pasiphaé.  Mais  celle-ci 
étant,  et  par  son  nom  et  par  son  origine, 
étrangère  à  la  race  donenne,  on  supposa 
un  premier  Minos,  à  qui  Ton  fit  épouser 
la  Dorienne  Itone.  Ainsi  s'expliquent  les 
deux  Minos ,  dont  le  premier  est  repré- 
senté comme  législateur,  et  le  second 
comme  dominateur  des  mers,  et  séparés 
l'un  de  l'autre  par  une  génération  entière. 
Toutefois,  il  est  à  remarquer  que  dans 

(x)  Diod.,  IV,  6o;  ApoUod.,  III. 
(a)  Wod.,  I.  c; 


un  autre  passage  de  Diodore  de  Sdlt. 
il  n'est  question  que  d'un  seul  Minos, 
fils  de  Jupiter  et  d'Europe,  et  à  la  (bs 
législateur  et  conquérant.  Ajoutons  gs 
ni  Homère,  ni  Hésiode,  m  les  poètes 
ou  les  logographes  qui  vinrent  après  col 
ni  Platon,  ni  Aristote,  ni  Straboa,» 
font  mention  de  deux  princes  de  ce  aoa 
D'ailleurs  l'unité  ou  la  dualité  dans  a 
personnage  est  d'une  médiocre  inapoT' 
tance  historique.  Qu'il  y  ait  eu  on  oo 
deux  Minos,  une  chose  est  hors  de  doute. 
c'est  que  dans  les  deux  siècles  qui  pn- 
cédèrent  la  guerre  de  Troie,  ce  nom  et 
mine  toute  1  histoire  de  la  Crète,  et  u 
trouve  souvent  mêlé  à  celle  de  la  Grès 
elle-même  (1400-1200). 

Jusqu'à  Minos  nous  avons  été  a 
pleine  mythologie.  Avec  lui  noussos* 
mes  loin  d'en  sortir  entièrement.  Lliis- 
toire  est  encore  dans  les  légendes.  SI 
est  nécessaire  de  l'en  d^ager,  il  n'est 
ffuère  possible  de  l'en  séparer  tout  à  fait- 
Nous  rapporterons  donc  telles  que  dos 
les  trouvons  dans  les  historiens  ancie&i 
les  légendes  relatives  à  ce  personoa^. 
sauf  à  détacher  ensuite  de  ce  fond  mer* 
veilleux  les  faits  d'une  réalité  historiqiie 
incontestable. 

RÈGNE  DB  MiNOS.  —  (  Dcux  ^Déra* 
tiens  avant  la  ^erre  de  Troie,  c'est*a- 
dire  vers  le  milieu  du  quatorzième  siède 
avant  J.-C.) 

Minos  n'est  pas  seulement  le  repré- 
sentant et  comme  la  personnification  de 
la  royauté  héroïque  en  Crète;  son  nom 
domine  presque  toute  l'histoire  de  cette 
île.  Avant  lui  tout  l'intérêt  est  oonceth 
tré  dans  les  mythes  religieux.  Nous  n 
voyons  en  scène  que  les  dieux,  llnv' 
pas,  à  proprement  parler,  de  peuple 
Les  diftérentes  races  qui  habitent  i  ti^ 
s'effacent  en  quelque  sorte  derrière  b 
sanctuaires  de  leurs  divinité,  qui  seule 
agissent  et  se  meuvent ,  tandis  que  L 
uation  reste  immobile.  Aussi  nul  évé- 
nement important,  nulle  entreprise di- 
tionale  qui  témoigne  d'un  comnieoe^ 
ment  de  vie  politique.  Avec  Minos  toat 
change.  L^  dieux  font  place  aux  béros. 
A  une  sorte  de  théocratie  succède  l 
royauté  héroïque ,  telle  que  nous  la  re- 
trouvons en  Grèce,  avec  ses  légende^ 
merveilleuses  sans  doute,  mais  auss 
^vec  son  caractère  humain  et  sa  réalité 
historique.  Minos  marque  admirai)^ 


ILE  DE  CRETE. 


44t 


ment  la  transition  entn)  eet  deux  ordres 
le  choses.  II  tient  encore  au  premier  par 
»n  origine ,  et  il  appartient  déjà  au  se- 
!ond  par  ses  actes.  Il  est  fils  du  dieu 
^eus  et  de  la  déesse  Europe,  époux  de 
a  déesse  Pasiphaéy  et  père  de  plusieurs 
iivinités  qui  se  rattachent ,  comme  ces 
ieux  dernières,  au  cycle  mythique  de  la 
une  et  du  soleil  ;  mais  en  même  temps 
t  Dous  apparaît  comme  le  type  du  lé- 
jislatear  ancien,  et  comme  le  fonda- 
eur  d'une  grande  puissance  maritime. 
ious  ces  deux  derniers  points  de  vue,  il 
!st  du  domaine  de  Thistoire.  Sans  doute 
i  u'est  pas  l'auteur  de  toutes  les  lois 
|u  on  lui  a~  quelquefois  attribuées ,  le 
léros  de  toutes  les  aventures  qu'on  a 
Dises  sur  son  compte.  Gomme  la  pé- 
iode  à  laquelle  il  appartient  est  la  seule 
ipoque  glorieuse  de  rnistoire  des  Cretois, 
m  a  rapporté  à  son  règne  tout  ee  que  ce 

KÎU|  ' 

mi 
Uais 

)art  véritable  parmi  tant  d'événements, 
^t  son  œuvre  propre  dans  une  constitu- 
ion  qui  s'est  développée  avec  le  temps , 
1  est  du  moins  incontestable  qu'il  a 
onde  en  Crète  un  certain  ordre  poli* 
ique,  et  rendu  cette  lie  puissante  au 
lehors  par  sa  marine  et  ses  colonies. 
vn  un  mot,  dépouillé  du  merveilleux 
|ui  entoure  son  nom,  et  réduit  aux 
proportions  humaines ,  Minos  reste  le 
léros  national  et  le  législateur  de  la 
>ète. 

Nous  avons  vu  quels  peuples  occu- 
aient  cette  île  à  Tépoque  où  se  place 
B  règne  de  Minos.  Entre  eux  nul  lien 
N)litique.  Différents  d'origine,  de  lan- 
gue et  même  de  religion ,  ils  trouvaient 
neore  dans  la  nature  même  de  l'île, 
oupée  partout  de  hautes  montages, 
ioe  nouvelle  cause  d'isolement.  Suivant 
)iodore,  MinosetRhadamantbe  seraient 
orrenus,  après  de  longs  efforts,  à  ra- 
neoer  ces  diverses  races  h  l'unité  (1). 
itrabon  (2) ,  de  son  côté,  rapporte  que 
iinos  divisa  l'île  entière  en  trois  par* 
ies,  dans  chacune  desquelles  il  fonda 
me  ville.  Mais  la  fondation  de  ces  villes, 
|Qi  furent  Cnossos,  Cydonia  et  Gortyne 
uPhaesto8,est  incontestablement  an* 

(i)Diod.,V,  So. 

(a)  Slrabon,  X ,  p.  73o. 


térieure  au  règne  de  Minos.  Quant  à  la 
division  de  la  Crète  en  trois  parties , 
elle  ne  paraît  avoir  d'autre  origine  que 
la  division  naturelle  de  cette  île  en  trois 
régions.  L'unité   politique  dont  parle 
Diodore  n'a  pas  existé  davantage.  Ja* 
mais  la  Crète  n'y  atteignit  complète- 
ment. Elle  fut  à  toutes  les  époques,  sous 
le  rapport  politique,  ce  qu'elle  était 
physiquement,  morcelée  entre  plusieurs 
peuples,  toujours  isolés   les  uns   des 
autres,  souvent  même  en  lutte  entre 
eux.  Toutefois,  si  Minos  lui-même  ne 
forma  pas  de  l'Ile  entière  un  Ëtat  com- 
pacte, s'il  n'en  réunit  pas  toutes  les 
parties  sous  une  loi  commune,  du  moins 
sa  domination  s'étendit-eile  sur   une 
grande  portion  du  territoire ,  et  en  au- 
cun temps ,  ni  avant  ni  après  son  règne, 
la  Crète  n'approcha  autant  de  l'unité. 
Il  régna  sur  tout  le  centre  de  l'île,  où 
Cnossos,  sa  capitale,  exerçait  une  sorte 
de  suprématie  sur  toutes  les  villes  qui 
s'élevaient  autour  de  l'Ida  et  du  Dicté. 
La  mention  particulière  qu'Homère  fait 
de  cette  cité  (1) ,  l'opinion  qui  y  plaçait 
l'origine  de  la  fameuse  constitution  Cre- 
toise (2) ,  enfin  l'importance  qu'elle  ti- 
rait du  culte  national  de  Zeus,  dont 
elle  était  le  principal  sanctuaire,  ne  per- 
mettent pas  de  douter  qu'elle  ne  fût,  au 
temps  de  IVlinos,  un  centre  politi(]uetrè8- 
considérable.  Mais  la  région  occidentale; 
celle  où  s'élevait  Cydonia,  paraît  être  res- 
tée étrangère  à  la  domination  et  même 
à  l'influence  de  ce  prince.  Cette  partie 
de  l'île  avait  et  conserva  son  idiome  et 
son  culte  particuliers;  elle  conserva  sans 
doute  aussi  une  existence  politique  dis- 
tincte. Des  villes  même  du  centre,  telles 
que  Proesos,  se  maintinrent  dans  une 
sorte  d'indépendance.  C'est  du  moins  ce 
qui  semble  résulter  d'un  passage  d'Hé- 
rodote, où  cet  historien  npus  apprend 
que  les  Prœsiens  et  les  Poîichniens  ne 
prirent  point  part  à  l'expédition  que  les 
Cretois  firent  en  Sicanie,  pour  venger 
la  mort  de  Minos  (3). 

Puissance  mabitimb  db  la  Cbètk 
sous  Minos.  —  Quoi  qu^l  en  soit, ce 
prince  fit  de  la  Crète  os  qu'elle  n'avait 
pas  été  avant  lui ,  un  Ëtat.  Il  concentra 

i 


i)//.,  Il»  645. 

a]  Plat.,  de  Leg,,  I,  i. 
(3)  Hérodote,  VII,  170. 


ê49 


LimiVBBS, 


ses  foreec  juMjo'alon  é|wrtê8,  et  les 
dirigea  vers  la  mer.  La  mer  était  Télé- 
ment  naturel  des  Cretois.  Toat  les  y  ap- 
pelait. La  situation  de  leur  tle,  une 
grande  étendue  de  côtes,  des  ports  nom- 
breux, de  vastes  forêts,  tout  ee  qui 
excite  aux  entreprises ,  navales  et  déve- 
loppe chez  un  peuple  le  génie  maritime 
se  réunissait  pour  tourner  vers  la  mer 
Tactivité  et  l'ambition  de  ces  insulaires. 
«  La  nature,  dit  Aristote  (1),  semble 
avoir  placé  Hle  de  Crète  dans  la  position 
la  plus  favorable  pour  tenir  Tempire  de 
la  Grèce.  £lle  domine  sur  la  mer  et  sur 
one  grande  étendue  de  çays  maritimes , 
que  les  Grecs  ont  choisis  de  préférence 
pour  7  former  des  établissements.  D*un 
eôté  elle  est  près  du  Péloponnèse  ;  de 
l'antre  elle  touche  à  l'Asie ,  par  le  voi* 
ainage  de  Triope  et  de  llle  de  Rhodes. 
Cette  heureuse  position  valut  à  Minos 
l'empire  de  la  mer.  » 

Cette  grande  puissance  maritime  est 
attestée  par  de  nombreux  témoignages. 
Cest  un  fait  qui  a  tous  îes  caractères 
d'un  fait  historique.  «  De  tous  les  sou- 
verains dont  nous  ayons  entendu  parler, 
dit  Thucydide  (2) /Minos  est  celui  qui 
eut  le  plus  anciennement  une  manne.  Il 
était  maître  de  la  plus  grande  partie  de 
la  mer  qu'on  appelle  maintenant  Hellé- 
nique; il  dominait  sur  les  Cyclades,  et 
forma  des  établissements  dans  la  plupart 
decestles.  d 

Mais  cette  domination  ne  s'établit  pas 
sans  lutte.  Différents  peuples ,  à  cette 
ë^que,  couvraient  cette  mer  de  leurs 
vaisseaux ,  et  occupaient  ces  fies.  Les 
Phéniciens,  les  Cariens  et  les  Léièges 
étaient  adonnés  à  la  navigation  dès  la 
plus  haute  antiquité.  C'étaient  d'aven- 
tureux corsaires,  oui  lançaient  leurs 
barques  d'une  tle  à  rautre  ,*ou  les  pro- 
menaient le  long  des  côtes,  qu'ils  déso- 
laient de  leurs  bri$;andagcs.  Dans  un 
temps  où  la  force  et  le  courage  étaient 
considérée  par-dessus  tout,  ce  métier 
n'avait  rien  de  déshonorant  (8).  Le  pi- 
rate était  même  peut-être  plus  estimé 
que  le  marchand.  D'ailleurs  ces  deux 
professions  étaient  souvent  exercées  si* 
inultanément.    Jusqu'au  temps   de  la 

(i)  Ariit.,  Polit.,  II,  8. 

(a)  ïluic,  I,  4;  cf.  Hérodote,  m,  laa. 

(3)Thur.,  I,  7. 


f^oem  de  Trate^  et  aneere  toaglemp* 
après ,  la  piraterie  ae  lie  étroiteoMst  m 
eommeree  maritime.  Elle  est  aviei  taieo 

Sue  le  n^oce  l'objet  de  la  Bavigatk» 
ans  les  mers  de  la  Grèce,  et  lea  mèam 
hommes  trafiquent  et  pillent  tout  à  h 
fois.  Aussi ,  nulle  sûreté  sar  œi  inen. 
La  plupart  des  Iles  étaient  deveoues  des 
repaires  de  brigands.  Tontes  les  ooman* 
nications  étaient  interceptées.  Minos  il 
cesser  cet  état  de  choses.  Il  rendit  b 
navigation  plus  libre,  déporta  ks  oui- 
faiteurs  qui  occupaient  les  Iles,  et  y  ee- 
voya  deseolonies  (1).  Dans  la  plupart  des 
Cydades  il  forma  anisi  des  établîBe- 
ments  qui  remplacèrent  csux  des  Oh 
riens ,  des  Lél^es  et  des  Phéniôcfis. 
Toutefois  si  ce  dernier  peuple  disparaît 
presque  complètement  de  la  mer  £|sée 
pendant  tout  le  temps  oue  dura  la  puis- 
sance maritime  des  Cretois ,  il  n'en  est 
pas  de  même  des  deux  premiers.  On  les 
trouve  comme  auparavant  stir  les  men 
helléniques,  dans  les  Iles  et  sur  les  côui 
de  l'Asie  Mineure,  mais  étroîtenm! 
unis  aux  Cretois.  Ils  ont  cessé  d'être  ks 
rivaux  de  ce  peuple,  pour  s'associer  à  se 
entreprises  et  à  sa  colonisation.  Qu'ils 
aient  cependant  subi  la  loi  de  la  vi^ 
toire ,  c'est  ee  dont  le  passage  suivaiK 
d'Hérodote  ne  permet  pas  de  douter.  «  Le» 
Cariens ,  dit  cet  historien ,  avaient  écr 
anciennement  sujets  de  Minos  ;  on  les 
appelait  Léièges.  Ils  habitalast  alen 
m  ties ,  et  ne  payaient  aucune  sorte  ée 
tribut....  Mais  ils  fournissaient  à  Mioo^ 
des  hommes  de  mer  toutes  les  fois  quM 
en  avait  besoin  (9).  »  Comment ,  en  ff- 
fet ,  ce  prince  aurait-il  pu  entre|inndrf 
toutes  ses  expéditions  avee  les  seuls 
Cretois ,  sans  épuiser  son  petit  royauuie, 
s'il  n*avait  assiigetti  les  peuples  vaiocsi 
à  une  sorte  d'impôt  du  sang  ?  Ponrertte 
même  raison ,  il  leur  dut  fiure  leur  part 
dans  les  nombreux  établissements  qQ*jl 
forma.  Ainsi  s'expliquent  l'union  étroite 
des  Cariens  et  des  Cretois,  et  le  méime 
des  deux  peuples  dans  les  ooloniesfoodMS 
par  ces  derniers. 

COLONIBS  CaÉTOISVS  A0  TBVFS  Dt 

Minos.  —  L'établissement  de  ees  colo* 
nies  est  sans  contredit  un  des  prinripsax 
événements  de  rhistoire  des  Orécois.  I) 

(i)Ibid.,  8. 

(«) Hérodote,  1, 171. 


ILE  UE  CRÈTE. 


Ut 


mplit  là  plat  belle  ipe^oe  de  le«r 
cistence  politique.  Ce  peuple,  jusqu'à- 
»rs  TeDfermé  daos  son  île ,  où  se  pour- 
livaUobsearénieiit  la  lente  formation 
e  sa  nationalité,  composée  de  tant  d'élé- 
lents  divers ,  se  répand  tout  à  coup  ao 
ehors ,  prend  possession  de  la  mer  qui 
environne ,  et  envoie  dans  tontes  les 
ireetions  des  colonies  qui  vont  porter 
a  civilisation  sur  les  côtes  de  l'Asie 
linenve,  dans  les  lies  de  la  mer  Egée, 
n  Grèce  et  Jusqu'en  Italie.  Minos  corn* 
leDce  ce  grand  mouvement  colonial , 
m  se  continue  après  lui  pendant  les 
eux  siècles  qui  précèdent  la  guerre  de 
'roie. 

La  première  colonie  partie  de  la 
)rète  sous  le  règne  de  Minos  paratt 
voir  été  celle  qui  fonda  Milet.  Elle  eut 
ourchef  Miletos,  on  des  principaux 
itoyens  de  la  Crète ,  sans  doute  chassé 
le  rite  avec  les  partisans  de  Sarpédon, 
|ui  avait  vainement  disputé  le  trône  à  Mi« 
i08.  Milétos  détMirqua  d*abord  dans  Tile 
le  Samos;  de  là  il  passa  sur  le  continent 
t)i8iD,  où  il  bâtit  Oii^conte,  ville  oui  dans 
a  suite  fut  réunie  par  un  pont  i  Milet. 
y^près  une  tradition  plus  généralement 
laivie,  Milétos,  admis  par  les  Cariens  et 
es  Lélèges  à  habiter  parmi  eux  avec  ses 
>étoi8,  donna  bientôt  à  la  nouvelle  ville, 
ippelée  avant  lui  Anactoria ,  le  nom 
)e  Milet,  qui  lui  est  resté.  Ce  premier 
établissement  donna  naissance  aux  deux 
iiles  deCaunis  et  de  Biblis. 

Après  avoir  contribué  à  rétablisse* 
nem  que  Milétos  fonda  en  Carie,  Sar- 
)^on  passa  dans  la  Myliade,  pays  appelé 
lepuis  Lycie.  «  L'influence  de' la  civili* 
talion  Cretoise  apportée  dans  cette  con- 
tée par  les  compagnons  de  Sarpédon 
iurait  encore  au  temps  d'Hérodote,  puis- 
ni'à  cette  époque  les  Lyciens  suivaient 
iDcore  en  partie  les  lois  de  Crète  (1).  » 
^  oolonies  s'étendirent ,  vers  le  nord , 
lor  la  côte  appelée  depuis  lonie.  L'une 
i'etiesallafonderenPbocideZélia,  Cilla, 
^bryse  et  Ténédos.  Colophon  dut  aussi 
'OQ  origine  à  une  colonie  erétoise  L*é« 
Ablisseinent  formé  par  cette  colonie 
(«vint  sans  doute  très^florissant,  puisque 
M  Ioniens,  en  venant  à  leur  tour  pren* 
Ire  possession  d'une  partie  du  littoral  de 
'Asie  Mineure ,  consentirent  à  partager 

(OKaonl-IlocheUe   Col.  Gr„  II,  p.  170. 


avec  les  Cretois  de  Coloplioii  11 
et  le  gouvernement  de  cette  ville.  Ery- 
thrée rapportait  également  son  oricine  à 
une  colonie  Cretoise,  dont  le  chef  Éry- 
thrus,  fils  de  Rhadamanthe,  lui  donna 
son  nom ,  que  la  colonie  ionienne  lui 
conserva. 

A  la  même  époque  OEnopion ,  fils 
d'Ariane  et  de  Minos,  conduisit  une  co- 
lonie dans  l'Ile  de  Chio.  Une  foule  d'au- 
très  îles  de  la  mer  Egée  furent ,  dans 
cette  même  période ,  occupées  et  colo- 
nisées par  les  Cretois  :  telles  que  Délos, 
Andros,  Paros,  Naxos,  Amorgos,  Casos 
Scyros ,  Lernnos  et  beaucoup  d'autres. 
«  Le  prince  qui  présidait  à  rétablisse- 
ment de  ces  colonies  avait  fixé  son  sé- 
jour sur  le  continent  asiatique.  La  dou- 
ceur et  l'équité  de  son  gouvernement  ne 
contribuèrent  pas  moins  efficacement 
que  les  armes  de  Minos  à  raffermisse- 
ment de  cette  vaste  domination  (l). 
«  Rhadamanthe,  dit  Diodore  (9),  possé- 
dait de  nombreuses  tles  et  une  partie  du 
littoral  de  l'Asie  ;  toutes  ces  contrées 
s'étaient  livrées  volontairement  à  lui  sur 
la  réputation  de  sa  justice.  » 

Rhodes  aussi  reçut  une  colonie  eré- 
toise, mais  longtemps  après  les  îles  qne 
nous  venons  de  citer.  Cette  colonie  eut 
pour  chef  Althémène,  fils  de  Catrée,  pe- 
tit-fils de  Minos.  Condamné  par  le  destin 
à  tuer  son  père ,  ce  prince  s'exila  avec 
une  troupe  de  volontaires.  Il  aborda  à 
Camire ,  dans  Ftle  de  Rhodes ,  et  éleva 
sur  le  mont  Atabyre,  d'où  Ton  aperçoit 
la  Crète,  le  temple  de  Jupiter-Ataoyrien. 
Il  fut  lui-même  honoré  des  habitants  ; 
mais  il  ne  put  échapper  à  la  loi  du  des- 
tin. Imoatient  de  retrouver  son  fils, 
Catrée  fit  voile  pour  Rhodes,  et  périt 
atteint  d'une  flèche  mi'Althémène  loi 
lança  sans  le  reconnaître  (8). 

Sur  te  continent  de  la  Grèce,  Delphes 
parait  aussi  devoir  sa  fondation  à  une 
colonnie  erétoise.  Dans  l'hymne  à  Apol- 
lon ,  attribué  à  Homère,  on  voit  qne  tes 
premiers  prêtres  du  temple  de  cette  ville 
nirent  des  Cretois  (4).  Ce  fut  sans  doute 
vers  la  même  époque  qu'une  autre  co- 

(i)  Raoul -Rochelle ,  Col,  Or,,  I.  c. 
{1)  Diod.  V,  79. 

(3)  Diod.,  V,  69. 

(4)  Hom.,  Àd.  Àpol,,  V.  3SS  et  iqq.,  535 
el  sqq. 


544 


L1JrfIT£R& 


lonie  «  MNIA  la  conduite  du  Cretois  Tet* 
Ux,  fonda  Ténare,  en  Laeonie  (1 }. 

Mais  ee  ne  fut  pas  seulement  dans 
les  lies  de  la  mer  Egée  et  sur  les  côtes 
iKBiignées  par  cette  mer  que  s'établirent 
des  colonies  Cretoises.  Minos  entreprit 
d'étendre  son  empire  sur  la  partie  occi* 
dentale  de  la  Méditerranée.  C'est  dans 
ce  but  qu'il  porta  ses  armes  en  Sicile. 
Suivant  la  tradition ,  Dédale ,  menacé 
de  la  colère  de  Minos  pour  avoir  favo* 
risé  le  commerce  secret  de  Pasiphaé  avec 
le  Minotaure,  s'était  enfui  dans  cette 
fie,  et  avait  trouvé  asile  auprès  de  Coca- 
lo8 ,  roi  des  Sicaniens.  A  cette  nouvelle, 
«  Minos  éauipa  une  flotte  considérable, 
et  vint  relâcher  près  d'Agrigente,  dans 
un  endroit  qui  re<^t  de  lui  le  nom  de 
Minoa.  Après  avoir  fait  débarquer  ses 
troupes ,  il  envoya  des  messages  pour 
engager  le  roi  à  lui  livrer  Dédale.  Co- 
calos  invita  Minos  à  un  entretien ,  lui 
promit  de  le  satisfaire ,  et  le  reçut  bos« 

Eitalièrement;  Cocalos  lui  donna  un 
ain,  et  l'y  fit  tenir  si  longtemps,  que 
Minos  étouffa  de  chaleur.  Cocalos  ren- 
dit son  corps  aux  Crélois,  en  leur  faisant 
accroire  que  Minos  était  mort  pour  être 
tombé  malheureusement  dans  un  bain 
d'eau  chaude.  Le»  soldats  enterrèrent  le 
corps  du  roi  avec  pompe,  et  élevèrent  en 
son  honneur  un  tombeau  double.  Ils 
déposèrent  les  os  dans  la  nartie  la  plus 
secrète  de  ce  monument;  aans  la  partie 
ouverte,  ils  consacrèrent  une  chapelle 
à  Vénus.  Les  indigènes  ont  vénéré  ce 
monument  pendant  plusieurs  généra- 
tions, en  y  sacrifiant  à  Vénus ,  comme  si 
c'était  le  temple  de  cette  déesse.  A  une 
époque  plus  récente ,  pendant  la  fonda- 
tion d'Agrigente ,  on  démolit  le  tombeau 
de  Minos,  on  découvrit  ses  ossements, 
et  on  les  rendit  aux  Cretois  (2).  • 

L'impulsion  donnée  par  Minos  ne 
s'arrêta  pas  après  sa  mort.  Ceux  qui 
l'avalent  suivi  en  Sicile  ayant  perdu 
leurs  vaisseaux ,  restèrent  dans  cette  île, 
et  j  fondèrent  une  ville  qu'ils  appelèrent 
Mmoa ,  en  mémoire  de  leur  roi.  Quel- 
ques-uns errèrent  dans  Tintérieur  du 
pays  ;  et,  après  avoir  rencontré  un  em- 
placement naturellement  fortifié,  ils  y 
élevèrent  une  ville  qu'ils  appelèrent  En- 

(r)IUoul-Rocbette,  Col,  Gr.,  Il,  p.  172. 
(a)  Diod.,  IV,  79. 


gyon,  du  nom  d'un  misMaa  qui  la  tn* 

versait  fl). 

D^autres  colonies  vinrent  te  joindre 
à  eux.  Toutes  les  villes  de  Crète,  à  Tex- 
ception  de  Polichna  et  de  Proeeos,  piireat 
part  à  cette  nouvelle  expédition,  entre- 
prise pour  venger  la  mort  die  Minei. 
Arrivés  en  Sicanie,  les  Crélois  asiê- 
gèrent  Camicos.  Mais,  après  cinq  au 
d'inutiles  efforts ,  ils  furent  contraints 
par  la  famine  de  lever  le  siège.  Une  lem- 
oéte  les  assaillit  alors  sur  les  eâtes  de 
riapygie,  et  brisa  leurs  vaisseaux.  Prives 
ainsi  des  moyens  de  retourner  dans  les 
patrie ,  ils  restèrent  dans  le  pays  *  et  y 
bâtirent  la  ville  d'Hyria.  Us  prirent  alors 
le  nom  d'IanygesMessapiens,  et  d'in- 
sulaires ils  devinrent  habitants  de  terre 
ferme  (3). 

Cette  colonie  en  fonda  d'autres  dans 
la  suite,  telles  que  Bnindusium.  Klie 
occupa  aussi  Tarenteet  son  territoire; 
car,  lorsque  Phalante  vînt  s'établir  dans 
cette  ville  avec  des  Lacédémoniens,  il 
fut  obligé  d'en  chasser  les  Cretois. 

Une  partie  de  la  colonie  iapygieoBe 

auitta  1  Italie  méridionale  à  la  suiu 
e  troubles  domestiques,  s'avan^  k 
long  de  la  mer  Adriatique ,  neoctia 
dans  la  Macédoine ,  et  s'établit  dans  uo 
canton  appelé  Bottiène,  du  nom  de 
Botton,  chef  de  cette  émigration.  •  Le 
nom  des  Cretois  se  conserva  fort  kmat- 
temps  dans  la  Macédoine^  puisque  Jcjm 
Cantacuzène  fait  mention  d'un  lieu  appelé 
Cretensium  au  voisinage  de  Thess3< 
Ionique,  et  par  conséquent  dans  ua 
canton  peu  éloigné  de  Pancienne  Bot- 
tiène (3).  » 
SucgbssbursdbMinosjusqu^a  L'i- 

POQUS  DB  l'BIIIGBATION    DORi£51l£ 

(1184-1040  avant  J.-C.)  ^Le  rè^^ 
Minos  fut  l'apogée  de  la  royauté  heroHnie 
en  Crète  et  de  la  puissance  de  cette  île 
Après  lui  l'une  et  l'autre  commencent  j 
décliner.  Deucalion*  son  fils  et  ses 
successeur,  soutint  une  guerre  malheu- 
reuse contre  Thésée,  roi  d'Athènes,  qui 
avait  refusé  de  lui  livrer  oe  même  Dédàk 
que  Minos  avait  déjà  poursuivi  en  Sicile. 
Catréus,  autre  fils  de  ce  prinee,  régaa 
ensuite  sur  les  Cretois.  Il  donna  sa  fille 

(t)  Diod.,  Le. 

l'a)  Hérodote ,  TU,  170. 

(3)  Racol-Rochette,  Coi.  Gr.,  U,  p.  iS^ 


ILE  DE 

lérope  eu  mariage  à  PliilbèDes,  fila 
bseur  d'Atrée  et  père  d'Agamemnoo 
t  de  Ménélâs.  Cette  tradition ,  oui  rat- 
lelie  les  Atridea  à  Ja  race  de  Minos, 
hnoigne  dea  rapports  <^ui  existaient  déjà 
vant  la  guerre  de  Troie  entre  la  Crète 
l  le  Péloponnèse. 

Cette  guerre  rendit  ces  rapports  en* 
ore  plus  étroits.  La  Crète  y  prit  une 
art  considérable  (1).  Ses  prmces,  Ido- 
lénéc  et  Mérion,  l'un  fils  de  DeucaJioUy 
autre  de  Molos,  et  tous  deux  petits-fils 
e  Minos,  y  figurent  au  premier  ranj; 
es  héros  grecs.  Idoménée  prétendit 
léme  partager  le  commandement  avec 
igamemnon.  C'est  à  ce  prix  qu'il  mit 
'abord  ses  secours.  Ses  propositions 
jrant  été  rejetées  |^r  les  Grecs  assemblés 
Aulis,  il  n'en  joignit  pas  moins  leur 
rmée  à  la  tête  des  Cretois.  «  Ceux  qui 
abitent  Cnossos  et  Gortyne  entourée 
e  remparts,  et  Lyctos ,  et  Milétos ,  et 
1  blanche  Lycastos,  et  Phaestos  et 
ihytion,cités  bien  peuplées,  et  les  autres 
ui  occupent  la  Crète  aux  cent  villes, 
larchaient  sous  la  conduite  du  vaillant 
doménée  et  de  Mérion,  semblable  à 
homicide  Mars.  Quatre-vingts    noirs 

aisseaux  les  suivaient  (2) Après  la 

rise  de  Troie,  Idoménée  ramena  en 
Irète  tous  ceux  des  siens  qui  avaient 
cbappé  aux  combats;  nul  d'entre  eux 
le  périt  dans  les  flots  (3).  » 
C'est  sans  doute  sur  ce  passage  de 
Odyssée  ^ue  Diodore  de  Sicile  s'appuie 
lorsqu'il  dit  qu'Idoménée  et  Mérion  re- 
iorent  heureusement  dans  leur  patrie,  où 
Is  reçurent,  après  leur  mort ,  une  ma- 
Tiifique  sépulture  et  les  honneurs  im- 
nortels.  «  On  montre  à  Cnossos  leur 
ombeau  avec  cette  inscription.  «  Pas- 
sant, tu  vois  ici  le  tombeau  d'Idomé- 
Dée  de  Cnossos,  et  moi ,  Mérion ,  fils 
de  Molos ,  je  repose  auprès  de  lui.  > 
;^s  Cretois  les  honorent  par  des  sacri- 
ices  comme  des  héros  célèbres  ;  et  dans 
1^  dangers  de  la  guerre,  ils  invoquent 
eurs  secours  (4).  » 

Suivant  une  autre  tradition ,  Idomé- 
1^1  en  partant  pour  la  guerre  de  Troie, 
urait  confié  l'administration   de  son 

(0  Hérodote, yn,  171. 
(«)Uom.,  //.,  II,  645  etsqq. 
(3)Id    0^y,.,m,,9i. 
(4)  Diod.,  V,  79. 

35'  Livraison,  (île  de  Crète.) 


CRÈTE.  545 

royaume  à  Leucos,  son  fils  adoptif. 
Celui-ci  fit  périr  la  femme  et  la  fille  de 
son  bienfaiteur,  et  s'empara  du  trône. 
Idoménée,  obligé  de  fuir,  aborda  sur 
les  côtes  de  la  Calabre ,  et  y  fonda  Sa- 
lente  (1).  Celte  colonie  devint  mère  de 

{)lusieurs  autres ,  telles  que  Lapiae ,  non 
oin  de  Bnindusium,  de  Castrum  Mi* 
nervae,  de  Callipolis  et  peut-être  même  de 
Vienne  en  Gaule.  Cette  même  émigra- 
tion grossit  aussi  la  population  des  an- 
ciennes colonies  Cretoises  de  l'Italie, 
Celles-ci  occupèrent  alors  toute  la  partie 
de  la  péninsule,  connue  anciennement 
sous  le  nom  d'Iapygie.  Quant  à  Idomé- 
née, les  traditions  ne  s'accordent  pas 
sur  le  lieu  de  sa  mort.  Diodore ,  comme 
nous  l'avons  vu ,  le  fait  mourir  en  Crète , 
d'autres  en  Italie  ou  même  en  lonie. 
Quoi  ou'il  en  soit,  la  guerre  de  Troie 
eut  pour  la  Crète  les  mêmes  conséquences 
que  pour  tous  les  Ëtats  grecs.  Cette  île 
avait  jeté  sur  les  côtes  de  F  Asie  Mineure 
la  meilleure  partie  de  sa  population. 
Ce  fut  une  première  cause  d^auaiblisse* 
ment.  Il  y  en  eut  d'autres.  En  l'absence 
de  ses  pnnces,  le  lien  politique,  qui  unis- 
sait ses  peuples  sous  l'antique  scep- 
tre de  Minos,  se  relâcha.  Dans  les 
troubles  qui  suivirent  le  retour  d'Idomé- 
née ,  après  la  chute  de  Troie ,  ce  lien 
acheva  de  se  dissoudre,  et  en  Crète 
comme  dans  le  reste  de  la  Grèce,  l'an- 
cienne royauté  disparut  dans  les  divîr 
sions  et  dans  l'anarchie.  Aux  décliire- 
ments  politiques  s'ajoutèrent  d'autres 
calamités;  la  peste  et  la  famine  rava- 
gèrent l'Ile  et  achevèrent  de  la  dépeu- 
pler (2). 

Colonies  dobibnnes  en  Cbète. 
(1049,  avant  J.-C.  )  —  Telle  était  la  si- 
tuation de  la  Crète  lorsaue  les  Doriens , 
sous  la  conduite  des  Héraclides ,  enva- 
hirent le  Péloponnèse  (1 104  avant  J.-C), 
cette  invasion,  en  déplaçant  la  plupart 
des  peuples  helléniques,  produisit  le 
plus  grand  mouvement  colonial  dont 
l'histoire  grecque  fasse  mention.  Une 
foule  d'émigrations  grecques  sillonnèrent 
la  mer  intérieure  dans  toutes  les  direc- 
tions, et  allèrent  s'établir  dans  les  Iles 
et  sur  les  continents  voisins.  La  Crète 

(x)  Virg.,  ^n,f  lll,  v.  isii  et  400  ;  Serv., 
od  yirg,9  I.  c. 

(9)  licrodote,  VIT,  171. 


54G 


L'URiVEkS. 


où  s'étaient  déjà  teneontrées  e^  fomloes 
ensemble  tant  de  races  diterses,  vit 
alors  se  mêler  à  sa  population  Félément 
hellénique,  qui  devait  absorber  tous  les 
autres.  Épuisée  d'habitants,  hors  d'état 
par  son  affaiblissement  et  ses  divisions 
de  résister  à  une  invasion ,  rapprochée 
d'ailleurs  des  côtes  du  Péloponnèse,  elle 
devait  naturellement  attirer  une  partie 
de  ces  peuples  que  la  Grèce  bouleversée 
rejetait  de  son  sein ,  et  qui  cherchaient, 
au  hasard  des  vents,  une  autre  patrie. 
La  première  de  ces  colonies  fut  celle 
que  conduisirent  Polis  et  Delphos,  en* 
viron  soixante  ans  après  le  retour  des 
Héradides  (vers  1049  avant  J.-C.  ).  Elle 
partit  des  environs  d'Amyclée»,  en  La- 
conie.  L'Achéen  Philonomos ,  qui  avait 
livré  Lacédémone  aux  Dorlens,  avait 
obtenu  ce  territoire  pour  prix  de  sa 
trahison,  et  Favait  peuplé  de  Mînyens 

Sue  les  Pélasges  avaient  chassés  des  tles 
e  Lemnos  et  d'Imbros.  Ceux-ci  s'étant 
révoltés  trois  générations  après,  Sparte 
les  envoya  sous  la  conduite  de  chefs 
doriens ,  fonder  une  colonie  en  Crète. 
Cette  colonie ,  dont  une  partie  s'établit 
dans  111e  de  Mélos,  occupa  en  Crète 
presque  toute  la  rédon  du  Dicté,  où 
8*élevait  Lyctos,  et  le  versant  méridio- 
nal de  rida ,  où  s'étendait  la  plaine  de 
Gortyne, jusqu'à  Thérapnœ,qui  paraît 
avoir  marqué ,  du  côté  de  l'ouest ,  l'ex- 
trême limite  des  établissements  qu'elle 
forma  dans  rtle.  Lyctos  fut  le  plusimpor- 
tantde  ces  établissements.  C'est  la  grande 
cité  dorienne.  Nulle  part,  en  Crète, 
l'ordre  politique  et  social  fondé  par  les 
Doriens  ne  s'établit  aussi  complètement 
que  dans  cette  ville  ;  nulle  part  la  civili- 
sation apportée  par  ce  peuple  ne  se 
maintint  aussi  longtemps. 

La  colonie  qui  prit  possession  Je  Lyc- 
tos parait  avoir  abandonné ,  en  grande 
partie  du  moins,  aux  anciens  habi- 
tants, réduits  sous  le  nom  de  Périè- 
2ues  à  la  condition  de  sujets  »  la  ville  de 
rortyne,  ainsi  que  la  plaine  où  s'éle- 
vaient Rhvtios ,  Phœstos,  Pyranthos,  Py- 
loros,  Boebe,  Béné,  Holopyxos,  etc.  Ces 
villes,  si  l'on  excepte  Gortyne,  n'eurent 
jamais  aucune  importance  politique.  Si- 
tuées dans  cette  plaine  fertile  qu'arrose 
le  Lethseos ,  elles  furent  habitées  prin- 
cipalement par  la  population  sujette, 
à  laquelle  le  fierDonen  abandonnait  dé- 


dal^aeuiement  la  tem  à  cultiver, 
qu'il  se  réservait  à  lai-méme  Yt 


tiDéi 

Sun  se  reservait  a  lu-meme  i exaraei 
es  droits  politiques,  les cfaangBS publi* 
quesetla  profession  des  armes,  coom 
les  seules  occupations  dignes  de  la  oo* 
blesse  de  sa  raee.  On  eomprepd  aisé- 
ment, d'après  cela,  que  l'aotivité  poK* 
tique  fût  oonoentrée  aans  quelauei  diés 
où  s'était  concentré  davantage  le  pespk 
vainqueur  et  souverain,  qui  seul  fiNrnait 
l'État. 
Une  autre  oolonie  dorienne  oecupi  la 

Sartie  occidentale  de  la  Crète,  la  n^ 
es  monts  Blancs.  Cette  colonie,  oon- 
duite  par  Althémène  «  fils  de  Cissos,ra 
d' Argos ,  se  composait  d'Aehéens  partis 
d'Argos  et  de  Corinthe»  et  d'Êoliottde 
cette  dernière  ville.  Elle  bâtit  plutieurs 
villes  dont  la  fondation  est  atthboée  i 
Agamemnon  lui-même ,  qu'une  teopéie 
avait  jeté  sur  les  côtes  de  la  Crète,  a 
son  retour  de  Troie  (1).  Ces  villes  m 
Mycènes ,  Pergame  et  Laoïpa  ou  Uppi 
Cydonia  ftit  également  occupée  par  cette 
colonie  ainsi  que  Polyrrhenia,  aorli 
côte  occidentale. 

D'autres  villes^  telles  qu'Aulon  aux 
sources  de  l'Armiro,  Étéia  au  sud-est. 
dont  les  noms  rappellent  des  villes  de  b 
Laoonie,  et  qui  ne  se  rattachent  à  m- 
cune  des  deux  émigrations  piéoédeotei 
attestent  une  plus  grande  extensioD  de 
la  colonisation  dorienne  en  Crète. 

Cette  colonisation  changea  la  (aoedt 
rtle.  Elle  devint  entièrement  doheojie 
Sa  langue,  ses  moeurs ,  sa  eonstitutioo 
politique,  son  organisation  sociale,  ^ 
dans  sa  civilisation  porta  désonnais 
l'empreinte  du  génie  dorten.  Cette  n* 
pide  transformation  fut  ûngulièreiiMSt 
facilitée  par  l'aflGoiiblissement  dans  leqoei 
était  tombée  la  Crèto  à  l'airivée  des 
Doriens.  Ceux-ci  trouvèrent  la  pteprt 
des  villes  presque  désertes.  Ils  reooaf^ 
lèrent  en  partie  la  populafiioD  ^«iiee 
par  l'immense  effort  ^u^le  avait  Dit  au 
temps  de  Minos  et  décimée  dspoii  pv 
les  aiscordés  civiles. 

Là  Crète  DoniBirNB  (1049;-!^ 
avant  J.-C.  ).  —  L'invassion  de  la  Cièie 

Kr  les  Doiioiib  fut,  ainsi  «ne  aotf 
vous  vue,  le  contre-coup  de  riDvasiim 
du  Péloponnèse.  Ils  ne  coDqnireDt  pis 
cette  île,  comme  la  LacMiie,  en  eon» 

(x)  Yell,  Paterc,  I,  i. 


ILE  DE  CRÈTE. 


Ui 


a  lurtiMi,  80QS  la  direcHon  de  efaefii 
omnraiis,  et  d'un  seul  coup.  Mais  ilg 
occupèrent  successivement ,  par  émi* 
rations  partielles;  ils  y  formèrent  des 
tablissementa  isolés.  Aussi  la  colonisa- 
on  dorienne,  bien  qu*elie  s'étendit 
iir  rtle  entière,  n'en  fit-elle  pas  un 
léme  État.  La  Crète  resta  divisée.  Les 
îfférentet  colonies,  dispersées  dans  les 
rincipales  villes ,  demeurèrent  séparées 
»  unes  des  autres,  sans  autre  lien 
u'une  origine  commune ,  et  un  ordre 
olitique  à  peu  près  semblable.  Chaque 
ilie  avec  son  territoire  forma  un  Etat 
articulier. 

Ainsi  morcelée,  cette  tle  ne  fit  plus 
ien  de  ^rand.  Elle  ne  fiaratt  plus  guère 
ésormais  dans  rbistoire  que  comme 
De  pépinière  de  soldats  mercenaires  et 
n  repaire  de  pirates.  Ses  archers  et  ses 
rondeurs  recherchés  pour  leur  adresse, 
ombattent,  moyennant  salaire,  pour 
ras  les  peuples  et  toutes  les  causes.  Les 
•rétois  ne  prennent  pas  d'autre  part 
ux  événements  qui  s'accomplissent  en 
rrèce,  à  quelque  distance  de  leurs  côtes, 
id  guerre  Médique  et  celle  du  Pélopon* 
èse  les  trouvent  également  indifférents, 
•ollicités  par  les  députés  des  Grecs  à 
rarnir  des  secours  pour  repousser 
Cerxès ,  ils  s'en  font  dispenser  par  l'o- 
acte  de  Delphes.  «  Insensé  I  leur  ré* 
oodit  la  Pythie,  vous  vous  plaignes 
es  maux  que  Minos  vous  a  envoyés 
tans  sa  colère  à  cause  des  secours  que 
ous  donnâtes  à  Ménélas,  et  parce  que 
0U8  aidâtes  les  Grecs  à  se  venger  du 
apt  d'une  femme  que  fit  à  Sparte  on 
•arbare,  quoiqu'ils  n'eussent  pas  contri- 
<ué  à  venger  sa  mort ,  arrivée  à  Cami* 
os;  et  vous  voudriez  encore  les  se- 
ourirl  Sur  cette  réponse  les  Cretois 
efusèrent  aux  Grecs  les  seeonrs  qu'ils 
eur  demandaient  (1).  » 

Gomment,  après  cela  se  seraient*ils  in- 
eressés  à  la  rivalité  d'Athènes  et  de 
parte  !  Cette  guerre,  qui  pa^ionna  tous 
^  peuples  grecs ,  et  fit  naître  même 
'ans  les  tles  deux  partis ,  l'un  dévoué  à 
?  cité  ionienne ,  l'autre  à  la  cité  do* 
lenne ,  cette  guerre  ne  fut  pour  les  Cré- 
ais qu'une  occasion  de  gain.  Ils  n'y 
«rurent  qu'une  fols ,  dans  l'expédition 
>^  Sicile,  et  ce  fut  en  qualité  de  merce- 

(0  Hérodote,  711,169. 


naires.  Doriens ,  ils  se  mirent  à  la  solde 
des  Ioniens.  «  11  arriva ,  dit  Thucy- 
dide ,  que  les  Cretois,  qui  avaient  fondé 
Gela  avec  les  RhodienSi  firent  la  guerre, 
non  pas  en  faveur  de  leur  colonie,  mais 
oontre  elle ,  et  non  par  inclination,  mais 
pour  gagner  l'a^nt  qu'on  leur  of- 
frait (1).  » 

Cette  indi^rence  des  Cretois,  en  pré- 
sence des  grands  événements  dont  la 
Grèce  est  le  théâtre,  explique  le  peu 
d'intérêt  qu'offre  leur  histoire  à  cette 
époque.  Cet  intérêt  va  s'affaiblissent.  La 
Crète  s'isole  de  plus  en  plus  du  monde 
heUéniaue.  U  faut  aller  jusqu'à  la  der- 
nière période  de  l'existence  politique  des 
peuples  grecs  pour  la  retrouver  en  rap- 
port avec  eux.  Alors  elle  apparaît,  mêlée 
aux  luttes  intestines  dans  lesquelles  la 
Grèce  épuise  ses  dernières  forces.  Elle 
intervient  dans  ces  discordes  avec  ses 
propresdivisions.  Au  commencement  du 
second  siècle  avant  J.-C.  elle  renfermait 
jusqu'à  dix-sept  États  distincts  :  Istos, 
Arcadia,  Lato,  Prsesos,  Rhaucos,  Cnos- 
sos,  Sybritia,  Eleutberna,  Oaxos,  Lappa, 
Gvdonia,  Polyrrhenia,  Lyctos,  Gortyne» 
Uierapytna ,  Olûs  et  Allaria. 

Parmi  ces  villes  Cnossos,  Gortyne, 
Cydonia  et  Lyctos  étaient  toujours  les 
plus  considérables.  Mais  aucune  d'elles 
n'était  assez  puissante  pour  dominer 
sur  les  autres  et  se  faire  le  centre  po« 
litique  de  l'Ile.  Cnossos,  qui  n'avait  pas 
oublié  qu'elle  avait  tenu  le  premier  rang 
au  temps  de  Minos,  aspirait  à  ressaisir 
sa  suprématie.  Elle  s'allia  dans  ce  but 
avec  Gortyne  >  et  soumit,  avec  le  secours 
de  cette  ville,  la  plus  grande  partie  de 
rUe.  Mais  alors  un  parti  nombreux  sa 
forma  contre  elle.  L  tle  entière  se  par- 
tagea en  deux  camps.  Les  Étoliens  et 
les  Rhodiens  d*un  côté ,  Philippe  et  les 
Achtois  de  l'autre,  intervinrent  dans 
cette  guerre,  qui  n'a  d'autre  intérêt  que 
de  montrer  les  sanglantes  rivalités  et 
les  déplorables  déchirements  du  monde 
grec,  qui  ne  doivent  finir  que  dans  la 
paix  romaine.  Laissons  Polybe  racon- 
ter lui-même  toutes  ces  discordes.  «  Les 
haliitants  de  Cnossos,  unis  à  ceux  de 
Gortyne ,  avaient  soumis  à  leurs  lois  la 
Crète  entière,  à  l'exception  des  Lyctiens. 
Irrités  de  les  voir  seuls  indociles^  ils 


(t)Thttey.,  VII,57. 


86. 


64$ 


L^UNIVERS. 


résolarent  de  1«8  combattre  «  afin  de  les 
détmire,  et  d'imposer,  par  un  tel  exem« 
pie ,  au  reste  de  la  Crète.  Les  oonfédé- 
rés  agirent  d*abord  contre  les  Lyctiens 
avec  aceoid  ;  mais  bientôt  quelque  sujet 
frivole  éveilla  leur  susoeptibilité,  et 
comme  c'est  Tordinaire  en  Crète ,  ils  se 
divisèrent.  Les  Polyrrhéniens,  les  Ce» 
rètes ,  les  Lampions,  les  Oriens ,  et  avec 
eux  les  Arcadiens  se  détachèrent  des- 
Cnossiens,  etr^olurent  de  secourir  les 
Lyctiens.  Parmi  les  habitants  de  Gor^ 

g  ne  elle-même ,  les  plus  âgés  étaient 
vorables  à  Cnossos ,  les  plus  jeunes 
aux  Lyctiens  ;  de  là  des  divisions  nou- 
velles. Les  Cnossiens,  en  présence  du 
mouvement  soudain  opéré  parmi  leurs 
alliés,  se  hâtèrent  d'appeler  d*Étolie, 
comme  alliés,  mille  solaats.  Aussitôt  Irâ 
Gortyniens,  partisans  de  Cnossos ,  s'em- 
parèrent de  la  citadelle,  y  introduisirent 
les  Cnossiens  et  les  Étoilens,  bannirent 
onepartiedesjeunes gens,  tuèrent  l'autre, 
et  livrèrent  enfin  à  Cnossos  leur  ville 
entière. 

a  Or,  un  jour  les  Lyctiens  étaient 
sortis  en  masse  pour  quelque  expédition 
sur  le  territoire  ennemi  :  les  Cnossiens, 
avertis  à  temps  de  cette  circonstance , 
s'emparèrent  de  Lyctos,  restée  sans  dé* 
fense ,  envoyèrent  a  Cnossos  les  femmes 
et  les  enfants,  mirent  le  feu  à  la  ville, 
la  détruisirent  de  fond  en  comble ,  et 
après  l'avoir  impitoyablement  dévastée, 
regagnèrent  leurs  foyers.  Les  Lyctiens, 
de  retour  de  leur  campagne ,  à  la  vue 
d'un  tel  désastre,  furent  saisis  d'un  si 
violent  désespoir,  qu'aucun  d'eux  n'eut 
le  cœur  de  rentrer  dans  sa  patrie  en 
ruines;  tous  en  firent  le  tour,  après 
avoir,  par  de  longs  gémissements  et 
d'abondantes  larmes ,  déploré  leur  sort 
et  celui  de  leur  pays ,  et  se  réfugièrent 
sur  le  territoire  des  Lampiens.  Ils  y  re- 
çurent l'accueil  le  plus  flatteur  et  le  plus 
empressé,  et,  devenus,  en  un  jour,  de 
citoyens  qu'ils  étaient,  étrangers  et  ban- 
nis, ils  allèrent  avec  leurs  alliés  com- 
battre les  Cnossiens.  Ainsi  périt,  par  un 
roup  inattendu  et  terrible,  Lyctos,  cette 
colonie  de  Lacédémone ,  cette  alliée  d'A« 
thènes  par  le  sang,  la  ville  la  plus  an- 
denne  de  la  Crète,  celle  oui  formait, 
aans  contredit ,  les  citoyens  les  plus  dis* 
tingués  de  Itle  tout  entière. 

«  Les  Polyrrhénîens,  les  Lampiens 


et  leurs  alliés,  voyant  lesCDossMsiTap- 
puver  sur  les  fiteliens,  n'avaient  p» 
oublié  oue  ceux-ci  étaient  eanemis  éa 
roi  Philippe  et  des  Achéens.  Us  es- 
voyèrent  donc  des  ambassadears  a 
Adiaïe  et  en  Maoédoiiie,  pour  demander 
secours  et  alliance.  Les  Adiéens  et  Phi- 
lippe les  admirent  à  leur  amitié,  et  leur 
envoyèrent  comme  subsides  trois  eeoii 
Iliyriens  •  commandés  par  Platore,  dm 
cents  Achéens  et  cent  Pboddlens.  L'ar- 
rivée de  ces  troupes  avança  beaucoup 
les  af&ires  des  Polyrrhénieoset  daeoa> 
fédérés.  £n  peu  de  temps  ils  enfermèrent 
dans  leurs  murs  les  Êleutbemiens,  ks 
habitants  de  Cydonia,  les  Aptériens,et 
les  forcèrent  à  quitter  le  parti  de  Coos- 
Bos  pour  partager  leur  propre  forluoe. 
Ces  succès  obtenus ,  ils  envoyèrent  à 
Philippe  et  aux  Achéens  ciiHf  cents  Cre- 
tois. Les  Cnossiens  en  avaient  peu  au- 
paravant fait  partir  mille  pour  I  £tolie. 
et  ainsi  les  Cretois  se  trouvèrent  mâés 
des  deux  côtés  à  la  guerre  achéenne.  Les 
exilés  gortyniens  s'étaient,  dans  luter 
valle,  emparés  du  port  des  Phestieos. 
Us  avaient  même  avec  une  singultcie 
audace  occupé  celui  de  Gortyne,  et  de 
cette  position  ilsbelligéraient  contre  leurs 
concitoyens  (1).  » 

Les  deux  partis  paraissent  s'être  rap- 
prochés quelque  temps  après,  et  avoir 
également  accepté  la  protection  de  Phi- 
lippe (  216  avant  J.-C.  ).  Mais  cette  paît 
et  l'influence  macédonienne  durèrent 
peu.  Philippe,  en  guerre  avec  les  RIid- 
diens,  sollicita  vainement  les  Cretois  a 
entrer  dans  son  allianœ  ;  ils  refusèreat 
de  prendre  parti  pour  lui,  etchargèreot 
même  les  piytanes  de  placer  la  libâtéde 
leur  tle  sous  la  protection  des  Rbo* 
diens  (206).  Nous  les  voyons  ensuite 
faire  cause  commune  avec  Mabis,  et 
l'admettre  de  moitié  dans  leurs  pirate- 
ries. Ils  lui  fournirent  des  mercenaires 
qui  servaient  de  satellites  à  ce  enie)  ty- 
ran. Celui-ci  traquait  alors  partout  lés 
proscrits  de  Sparte.  «  Dans  la  ville  où 
ils  se  retiraient,  il  achetait  «  sous  le  cou- 
vert d'hommes  non  suspects,  les  mai- 
sons contiguës  à  celles  que  ees  info^ 
tunés  occupaient,  etenvoyait  des  Cretois 
qui,  pratiquant  des  trous  dans  les  murs 

(x)  Polybe,  lY,  53  et  suiv.,  trad.  de  M. 
Bouchot. 


ILK  im  CRÈTE 


fii^ 


mitoyens,  lançaient  par  ces  tranchées 

jes  flèches  et  tuaient  ainsi  les  exilés , 

ioit  couchés ,  soit  debout  (t).  » 

Pendant  ce  temps  les  divisions  inté- 

ieures  continuaient.  Dans  ces  guerres 

Je  surprises  que  ces  perfides  insulaires 

^e  faisaient,  embusqués  derrière  leurs 

noDtagnes ,  aucun  coup  décisif  ne  pou- 

rait  être  frappé.  Les  guerres  ne  finis- 

aient  jamais.  «  La  (lerpétuité  des  guerres 

iviles  et  les  excessives  rigueurs  des  ha- 

)itaDts  entre  eux ,  font  qu'en  Crète  le 

lommencement  et  la  fin  sont  même 

rhose  lorsqu'il  s'agit  de  troubles;  et  ce 

(ui  semblerait  ailleurs  une  exception  est 

ians  ce  pays  habitude  (2).  »  Plutarque 

)ous  donne  une  idée  de  la  manière  dont 

es  Cretois  se  combattaient.  «  Lorsque 

^bilopœmen  était  en  Crète ,  guerroyant 

iaps  le  camp  des  Gortyniens  (  201  ) ,  ce 

)*était  plus  le  capitaine  péloponnésien 

3u  arcadien ,  faisant  une  guerre  noble 

'i  franche;  il  avait  adopté  la  manière  des 

>étois  ;  il  usait  contre  eux  de  leurs  ex- 

)édients  et  de  leurs  ruses ,  de  leurs  em- 

)âcbes  et  de  leurs  coups  de  main  à  la 

lérobée  (3).  » 

Cependant  des  essais  d'association 
)olitique  furent  parfois  tent^.  En  pré- 
ence  d'un  danger  commun ,  quandT  un 
nnemi  extérieur  menaçait  l'Ile,  les 
>étois  faisaient  trêve  à  leurs  discordes, 
t  s'unissaient  en  une  sorte  de  fédération 
onnue  sous  le  nom  de  syncrétisme. 
)n  ne  saurait  déterminer  l'époque  où 
ette  association  se  forma  pour  la  pre- 
mière fois.  Elle  existait  déjà  au  temps 
e  la  guerre  de  Rome  contre  Persée , 
orsque  les  Rhodiens ,  flottant  entre  le 
éoat  et  le  roi  de  Macédoine,  cherchèrent 
se  fortifier  de  l'alliance  Cretoise  contre 
outes  les  éventualités.  «  Ils  adressèrent 
es  ambassadeurs  en  Crète  pour  renou- 
eler  leur  ancienne  alliance  avec  tous  les 
■rétois,  et  les  engager  à  examiner  l'état 
es  choses,  à  s'unir  à  eux,  et  à  avoir 
îs  mêmes  amis  et  les  mêmes  ennemis. 
is  députèrent  aussi  vers  chaque  ville  en 
articulier  des  commissaires  chargés  de 
^péter  ces  conseils  (4).  » 
L'union  cessait  avec  le  danger.  Bien- 

(i)Polybe,XIII,  7. 
W  Id.,  XXV,  9. 

(3)  P/uf.,  Pfûiop,,  c.  xuf. 

(4)  Polylje,  XXnr,  4.  ... 


tdt  les  divisions  recommençaient  L'u* 
nité  nationale  reconnue  impossible,  U 
se  forma  des  associations  partielles.  Des 
villes  dont  les  territoires  se  touchaient 
s'unirent  entre  elles.  Ainsi  firent  Prœ- 
sos  et  Hiérapytna,  cette  dernière  ville  et 
Gortyne,  Lato  et  OlCis,  Cydonia  et 
Apollonia.  L'association  reposait  sur  une 
sorte  d'isonomie.  Les  citoyens  de  chacun 
des  Ëtats  confédérés  jouissaient  dans 
l'autre  d'une  entière  égalité  de  droits.  Ils 
avaient  mêmes  charges,  mêmes  immuni- 
tés que  ceux  de  l'État.  Toutes  les  lois,  en 
un  mot,  étaient  communes  au  citoven 
et  à  l'allié  (1). 

L'alliance  était  conclue  de  la  manière 
la  plus  solennelle.  Les  villes  se  liaient 
par  serment,  en  présence  de  leurs  cos- 
mes.  Les  serments  étaient  gravés  sur 
des  tables  placées  dans  un  temple ,  au- 
près de  la  statue  d'une  divinité  vénérée , 
comme  pour  prendre  celle-ci  à  témoin 
de  la  foi  jurée.  Mais  on  peut  voir  par 
un  exemple  que  rapporte  Polybe  quel 
cas  les  Cretois  faisaient  de  ces  serments 
ai  solennellement  prêtés.  «  Les  Cydo- 
niates  commirent  à  cette  époque  (171  ) , 
le  plus  épouvantable,  le  plus  horrible, 
le  plus  noir  des  forfaits.  Bien  que  les 
perfidies  soient  assez  communes  en  Crète, 
celle  que  nous  allons  dire  semble  l'avoir 
emporté  sur  toutes  les  autres.  Les  habi- 
tants de  Cydonia  étaient  unis  aux  Apol- 
loniates,  non-seulement  par  l'amitié, 
mais  par  le  droit  de  cité  et  par  la  com- 
munauté de  tout  ce  que  les  hommes 
appellent  droits.  Les  tables  où  leur  ser- 
ments étaient  gravés  se  trouvaient  auprès 
de  la  statue  de  Jupiter-ldéen.  Cependant, 
au  mépris  de  la  toi  jurée ,  lis  envahirent 
la  ville  d' Apollonia,  tuèrent  les  hommes, 
pillèrent  leurs  biens,  et  se  partagèrent 
ensuite  les  femmes,  les  enfants,  la  ville 
et  le  territoire  (2).  » 

Il  est  permis  de  croire  que  ce  n'était 
IK>int  là  un  fait  isolé.  Ainsi  les  tenta- 
tives d'association  partielle  entre  les 
villes  ne  réussirent  pas  mieux  que  cellse 

(x)  KotvcdvCa  icdvtQoy  t«&v  év  tok  &vSp6- 
notc  vO(uCo(ftlvc0V  Stxofwv.  Polybe,  XXVIÏ, 
i5;  Cf.  Hceck.  Kreta,  III,  p.  47a  et  aoiv.  ; 
et  Boekb,  Grœearum  Uucripùonum  Corpus, 
Creta, 

(a)  Polybe,  XXVII,  i5  ;  cf.  Diod.,  f'/v^. 
excerpt,.  De  Virt,  et  Fit, 


55Ô 


VURtitMé 


qoi  avaient  été  filles  poor  amener  l'fle 
entière  à  une  certaine  unité.  La  Crète, 
morcelée  par  ses  montages  ^  habitée 
par  nn  peuple  sans  espnt  national  et 
sans  autre  intérêt  général  que  celui  de 
la  défense  commune  contre  les  ennemis 
extérieurs,  était  condamnée  aux  divi- 
sions; et  elle  ne  devait  retrouver  un 
peu  d*union  qu'à  ses  derniers  jours,  pour 
résister  aux  Romains. 

Rapports  db  la  Gbète  ▲ybg 
Rome,  jusqu'à  la  conquête  db 
CETTE  Ile  (190*66  avant  J.*C.)- 

Florus  dit  un  peu  légèrement  aus 
Rome  attaqua  la  Crète  par  le  seul  desîr 
de  vaincre  cette  tle  célèbre  (1).  Rome 
avait  bien  d'autres  motifs.  La  soumis- 
sion de  la  Crète  complétait  l'œuvre  de 
sa  conquête  dans  la  Méditerranée  orien* 
taie.  Cette  mer  n'était  pas  romaine  tant 
qu'un  peuple  libre  y  pouvait  lancer  ses 
vaisseaux.  La  Crète  d'ailleurs  offrait  une 
admirable  position  militaire  d'où  il  serait 
facile  de  surveiller  à  la  fois  la  Grèce  sou- 
mise,  l'Asie  et  l'Egypte  à  soumettre. 

Les  griefs  ne  manquaient  pas.  Dans 
leurs  guerres  en  Orient  les  Romains 
avaient  rencontré  les  archers  crétois  sur 
presque  tous  les  champs  de  bataille. 
Philippe  et  Nabis  avaient  recruté  leurs 
armées  de  ces  mercenaires  à  la  solde 
de  tous  les  ennemis  de  la  république. 
Dès  ce  moment  le  sort  de  la  Crète  fut 
comme  décidé.  Déjà  dans  le  traité  que 
Flamininus  dicta  au  tyran  de  Lacédé- 
mone ,  il  fut  stipulé  «  qu'il  ne  conser- 
verait sous  sa  dépendance  aucune  ville 
de  l'île  de  Crète,  et  qu'il  remettrait  aux 
Romains  celles  qu'il  y  possédait;  qu'il 
s'abstiendrait  de  toute  alliance  et  de  toute 
guerre  avec  les  Crétois.  (2)  »  Après  la 
défaite  d'Antiochus,  le  préteur  Q.  Fabius 
Labéon  passa  dans  Ttle  avec  une  flotte 
(190).  On  avait  répandu  le  bruit  qu'il 
s*^  trouvait  un  grand  nombre  de  prison- 
niers romains  réduits  à  la  eondition 
d'esclaves.  C'était  Tépoque  où  les  Cydo- 
niates  étaient  en  pierre  avec  les  Gorty- 
niens  et  les  Cnossiens.  Fabius  fit  som- 
mer les  habitants  des  diverses  villes  de 
déposer  les  armea^  de  rechercher  par 
toute  File  et  de  lui  livrer  les  prison- 
ttiera ,  enfin  de  lui  envoyer  des  députés 

(i)Flontt,nt,7. 
(a)  liv.  XXXIT,  35.' 


pour  traiter  avec  lu  des  afiEihres  qui  in- 
téressaient à  la  fois  les  Cretois  et  les 
Romains.  «  Les  Crétois  furent  efira^ 
de  la  menace  d'une  guerre.  L*île  eniiefe 
renvoya  quatre  mille  prisoimiers,  et  Fa- 
bius, sans  avoir  rien  fait  d'autre ,  obtint 
pour  cette  seule  raison,  les  honneus 
du  triomphe  naval  (1)«  » 

Ces  honneurs  décernés  pour  une  pa- 
reille expédition  témoignent  sssez  de 
rimportanoe  que  le  sénat  attachait  à  li 
conquête  de  la  Crète.  Cependant  ki 
guerres  civiles  continuent.  «  Les  Gùt- 
tj^niens,  jaloux  d'abattre  de  toute  ma- 
nière la  puissance  des  Cnossiens,  avaient 
entamé  le  territoire  de  ces  derniers... 
Une  ambassade ,  ayant  pour  chef  Ap- 
pius,  rétablit  la  concorde  entre  les  deux 
cités  rivales  (S)  (185).  »  JMouvelle  in- 
tervention en  174  ;  Q.  Minudus  arrive 
dans  l'Ile  aveo  dix  vaisseaux  et  £But  cesser 
les  hostilités.  Celles-ci  reoomniencent 
bientôt  après  avec  acharnement ,  cette 
fois  entre  les  Çydoniates  et  les  Gortj- 
niens.  Les  premiers  demandent  des  se- 
cours à  Ëumène  qui  leur  envoie  soa 
lieutenant  Léon  avec  trois  cents  hoe^ 
mes.  Us  livrent  à  cet  officier  les  defs  de 
leur  ville  et  s'abandonnent  à  sa  discré- 
tion (3).  L'année  suivante  a  lieu  Fodieuse 
surprise  d'Apolionie  par  les  Çydoniates 
(i71). 

Cependant  Rome,  qui  jusqu^alors 
s'était  contentée  d'intervenir  comme 
médiatrice  dans  les  dissensions  de  fUe, 
commençait  à  changer  de  rdle,  son  Lan- 
gage devenait  impmeux.  Elle  pariait 
déjà  en  maîtresse.  Les  Crétois  avaient 
fourni  à  Persée  plus  d'archers  qu'aui 
Romains;  sur  les  menaces  du  sénat,  ils 
s'empressèrent  d'envoyer  une  ambassade 
à  Rome  pour  se  justifier  (170).  «  Les 
ambassaaeurs  des  Crétois  représoitèreot 
qu'ils  avaient  envoyé  en  Macédoine  k 
nombre  d'archers  qu'avait  exigé  d^cux 
le  consul  P.  Lidnius;  mais,  eoreme  ils 
se  virent  forcés  de  convenir  qu'ils  en 
avaient  un  plus  grand  nombre  sous  k» 
étendards  de  Persée  aue  sous  ceux  des 
Romains,  il  leur  fut  répondu  que  quand 
les  Crétois  prouvwaient  de  roanicfe  à 
ce  qu'on  n'en  pût  douter,  qu'ils  prdé- 


(i)  Liv.,  XXXVIÏ,  Co. 
(a)Polybc,XXra,  rô. 
(3)  Id.,  xxvni,  iS. 


ILE  DB  CaÈTE^ 


«61 


aient  ramitlé  dtt'people  remaia  à  celle 
la  roi  Persée,  le  sénat  romain,  de 
on  eôté,  leur  ferait  la  réponse  qu'il 
lonvenait  de  faire  à  des  alli^  sur  lesquels 
»n  pouvait  compter;  qu'en  attendant, 
Is  annonçassent  à  leurs  concitoyens, 
[ue,  pour  plaire  au  sénat,  il  fallait  qu'ils 
appelassent  chez  eux ,  le  plus  prompte- 
nent  possible,  tous  ceux  de  leurs  sol- 
lats  qui  étaient  au  service  du  roi  Per« 
ée  (l).  » 

Au  milieu  de  leurs  discordes  et  en 
présence  des  exigences  menaçantes  de 
Vome,  les  Cretois  trouvèrent  encore 
noyen,  par  leurs  pirateries,  d'attirer 
ur  eux  les  armes  de  Rhodes  (  155).  Des 
ieux  côtés  on  demanda  des  secours  aux 
Lchéens.  Antipbate  de  Gortvne  fut  dé« 
mté  vers  eux.  L'assemblée  était  ràinie 

Corinthe.  Les  Achéens  penèbèrent 
Tabord  pour  les  Rhodiens.  «  Antipbate, 
I  cette  vue,  demanda  une  nouvelle  au* 
lienre  que  le  stratège  lui  accorda,  et 
on  langage  fut  plus  noble  et  plus  sérieux 
[u'on  ne  pouvait  l'espérer  diin  Cretois. 
!ln  effet,  ce  jeune  député  n'avait  rien  du 
caractère  de  sa  nation.  Il  avait  su  écbap- 
)er  aux  perverses  maximes  de  l'éduca- 
ion  Cretoise.  Les  Acbéens  applaudirent 
I  sa  franchise ,  d'autant  plus  que  son 
)ère  Télémaste  était  venu ,  suivi  de  cinq 
;ents  Cretois ,  faire  bravement  la  guerre 
contre  Mabis  avec  les  Acbéens.  Cepen- 
lant,  après  le  discours  d'Antiphate,  ils 
\e  montraient  encore  disposés  à  secoQ- 
ir  de  préférence  les  Rhodiens ,  lors- 
|ue  Caliicrate  s'écria  qu'on  ne  devait 
ii  faire  la  guerre  ni  envoyer  des  se* 
!0urs  à  qui  que  ce  fût  sans  Tagré- 
nent  des  Romains  (2).  «  Cet  avis  l'em- 
)orta. 

La  guerre  n'en  continua  pas  moins 
mtre  les  deux  tles.  Elle  ne  paraît  pas 
ivoir  été  à  l'avantage  des  Rhodiens. 
[^eur  amiral  Astymède  se  rendit  à  Rome 
;n  qualité  d'ambassadeur.  «  Introduit 
lansle  sénat,  il  parla  longuement  de  la 
guerre  avec  la  Crète.  Le  sénat  prêta  à 
;es  discours  une  sérieuse  attention;  et 
aussitôt  Quintus  partit  comme  député 
pour  mettre  un  terme  à  ces  hostili- 
tés (3).  » 

(x)  liy.,  Xlin,  7. 

(a)Polybe,XXXm,i5. 
(3)Polybe,ibid. 


Rome  n*interT6Dait  encore  que  ponr 

pacifier.  Le  moment  de  conquérir  ne 
lui  semblait  pas  venu.  Fidèle  a  sa  poU« 
tique  patiente,  elle  laissait  la  Crète  user 
.elle-même  ce  qui  lui  restait  de  forces. 
Sa  proie  était  sûre,  Rome  pouvait  at« 
tendre.  D'ailleurs,  dans  l'état  d*anarcbi0 
et  de  troubles  où  se  trouvait  llle,  il  eût 
fiillu,  après  l'avoir  subjuguée,  y  main* 
tenir  une  armée  permanente ,  et  Rome, 
avait  alors  besoin  de  ses  forces  sur 
d'autres  points.  La  présence  des  légions 
eût  été  d'autant  plus  nécessaire,  que  la 
Crète  était  devenue  un  centre  de  pira« 
terie.  Ses  habitants  étaient  retournes  au 
métier  qu'ils  avaient  exercé  avant  Mi- 
nos.  Ce  prince  avait  fait  cesser  leurs 
brigandages ,  en  les  constituant  jusqu'à 
un  certain  point,  un  corps  de  nation» 
et  en  leur  oonnant  l'empire  de  la  mer. 
Ils  avaient  alors  intérêt  à  réprimer  les 
pirateries  des  Cariens  et  des  Léléges. 
Mais  à  l'époque  où  nous  sommes  par- 
venus ,  l'absence  de  tout  grand  intérêt 
national  et  les  guerres  civiles  les  avaient 
de  nouveau  jetés  sur  les  mers.  Leur  Ile 
était  devenue  après  la  Cilicie  une  se- 
conde pépinière  de  pirates  (  1  ).  lis  fai- 
saient cause  commune  avec  les  Oliciens 
et  tous  les  aventuriers  qui  infestaient  la 
mer  Intérieure  et  menaçaioit  de  servir 
de  lien  entre  Sertorius  et  Mitbridate. 
Les  Cretois  fournirent  même  des  secoun 
au  roi  de  Pont  (3  ).  C'était  par  trop  bra- 
ver la  puissance  romaine.  Dès  103  la 
Cilicie  avait  été  attaquée  par  l'orateur 
Mare-Antoine.  Dansuneautre  expédition, 
Servilius  avait  pris  et  détruit  plusieurs 
de  ses  villes  (79-76).  En  77  ce  fut  le 
tour  de  la  Crète.  Le  préteur  Marcus 
Antonius,  le  père  du  triumvir,  conduisit 
contre  elle  une  flotte  «  avec  une  telle 
espérance  et  même  une  telle  confiance, 
qu  il  portait  plus  de  chaînes  ^ue  d'armes 
sur  ses  vaisseaux.  Il  fut  pm\  de  sa  folle 
témérité.  Les  Cretois  lui  enlevèrent  la 

ÏAuB  grande  partie  de  sa  flotto,  pendirent 
es  prisonniers  aux  antennes  et  aux 
cordages,  et,  déployant  toutes  leurs 
voiles ,  regagnèrent  leurs  ports,  comme 
en  triomphe  (  3  ).  *  Cette  victoire  valut 
aux  Cretois  une  paix  honorable.  Mal^ 


U)  V\uï.,  Pompée  f  c. 
(a)Flortii,  m,  7» 
(3)  Fioriis,  ibid. 


XXIX. 


smt 


L*ÛII]V£ftS. 


heurèusénidnt  elle  était  eandae  par  le 
préteur,  sans  Taveu  du  sénat  et  du  peu- 
ple ,  et  Rome  n'avait  pas  l'habitude  de 
traiter  en  vaincue.  Elle  ne  pouvait  ao 
oepter  la  honte  de  l'entreprise  téméraire 
du  préteur.  Les  Cretois  le  comprirent 
bien ,  et  ils  résolurent  de  conjurer  To- 
ra^e  :  «  Dans  un  conseil  réuni  pour  dé- 
lilSrer  sur  les  intérêts  de  l'État,  les  plus 
Agés  et  les  plus  sages  proposèrent  d  en* 
voyer  des  députés  à  Rome ,  de  se  dé- 
fendre des  crimes  qu'on  leur  imputait, 
et  d'essayer  d'apaiser  le  sénat  par  des 
caresses  et  des  prières.  Les  Cretois  en- 
voyèrent donc  en  députation  à  Rome 
les  citoyens  les  plus  distingués.  Ceux-ci, 
visitant  tous  les  sénateurs  indistincte- 
ment dans  leurs  maisons ,  s'adressaient 
d'une  voix  suppliante  à  ceux  qui  jouis- 
saient de  quelque  autorité  dans  le  sénat. 
Enfin,  ils  furent  introduits  dans  l'as- 
semblée, se  justifièrent  habilement  des 
crimes  dont  on  les  accusait ,  et ,  après 
avoir  rappelé  en  détail  les  services  qu'ils 
avaient  rendus  à  Rome ,  ainsi  que  leur 
ancienne  alliance,  ils  finirent  par  prier 
les  sénateurs  de  rétablir  les  Cretois  dans 
l'ancienne  amitié  et  alliance  de  Rome. 
Le  sénat  écouta  ces  discours  avec  bien- 
veillance, et  rendit  un  décret  par  lequel 
les  Cretois  étaient  absous  de  toutes  les 
accusations ,  et  reconnus  alliés  et  amis 
de  la  république.  Mais  Lentulus-,  sur- 
nommé Spinther,  fit  en  sorte  que  ce 
décret  ne  reçût  pas  son  exécution  (1).  » 
Dans  le  sénat  il  fut  encore  souvent 
question  des  Cretois.  On  ne  pouvait  ou- 
blier qu'ils  avaient  fait  cause  commune 
avec  les  pirates.  «  Cest  ce  qui  déter- 
mina le  sénat  à  publier  un  décret,  d'a- 
près lequel  les  Cretois  devaient  envoyer 
a  Rome  tous  leurs  bâtiments,  jusqu'aux 
embarcations  à  quatre  rames,  remettre 
en  otage  trois  cents  citoyens  des  plus 
considérables,  livrer  Lastnènes  et  Pana- 
rès,  et  payer,  comme  une  dette  pu- 
blique, quatre  mille  talents  d'argent 
(  vingt-deux  millions  )  (â).  » 

«  Les  Cretois,  informés  de  la  teneur 
de  ce  décret ,  se  réunirent  en  conseil. 
Les  plus  sages  étaient  d'avis  qu'il  fallait 
se  soumettre  à  tous  les  ordres  du  sénat  ; 
mais  Lasthènes  et  ses  partisans ,  qui  se 


sentaient  eo«pablee«  enâgoirent 
envoyés  à  Rome,  et  dV  are  punis;  ils 
excitèrent  donc  le  peuple  à  détendre  son 
antique  liberté  (1).  » 

Le  sénat  résolut  alors  d'en  finir  avec 
la  Crète.  Le  consul  Q.  Coecilius  Mélel- 
lus  fut  chargé  de  la  guerre  (69).  U  dé- 
barqua avec  trois  légions  près  de  Cydo- 
nia.  Lasthènes  et  Panarès  avaient  oiga- 
nisé  la  résistance.  Une  armée  de  vingt- 
quatre  mille  hommes  était  réunie  sons 
leurs  ordres.  Elle  fut  mise  eo  déroule 
sur  le  territoire  de  Cydonia.  BléteUas 
s'empara  de  cette  ville,  puis  de  Cnossos, 
de  Lyctos  et  de  plusieurs  autres.  Il  fut 
implacable  pour  les  vaincus.  Les  assiégés 
se  tuaient  plutôt  que  de  se  rendre  à  luL 
Pour  se  venger  de  tant  de  cruautés  les 
Cretois  imaginèrent  de  lui  enlever  rhon- 
neur  de  subju^er  l'île,  en  appelant 
Pompée  pour  lui  faire  leur  soaaûssion. 
C'était  au  moment  où  Pompée  venait 
d'être  investi  du  commandement  des 
mers  et  de  toutes  les  cotes  de  la  Médi- 
terranée. «  Les  Cretois  députèrent  vers 
lui  pour  le  supplier  de  venir  dans  leur 
lie,  qui  faisait  partie  de  songouveme- 
ment...  Pompée  accueillit  leur  demande 
et  écrivit  à  Métellus  poiir  lui  défendre 
de  continuer  la  guerre.  Il  manda  aussi 
aux  villes  de  ne  plus  recevoir  les  Mdres 
de  Métellus ,  et  envoya  pour  comman- 
der dans  rîle  Lucius  Octavius,  un  de 
ses  lieutenants  (2).  «  En  voyant  sa 
conquête  lui  échapper ,  Métellus  pour- 
suivit la  guerre  avec  une  nouvelle  vi- 
gueur. Il  redoubla  de  cruauté ,  et  n*é- 
pargna  même  plus  ceux  qui  s^élaieot 
soumis  à  lui.  Octavius  prit  alors  ouver 
tement  parti  pour  les  Cretois.  Arrivé 
dans  l'ile  sans  armée,  il  s*en  forma  use 
de  tous  les  aventuriers  qui  se  présen- 
taient, mais  il  ne  put  tenir  la  campagne 
contre  Métellus.  Celui-ci  acheva  la  sou- 
mission de  l'île,  et  obtint  les  honneurs  <hi 
triomphe  avec  le  surnom  de  Crehau 
(66  avant  J.-C.) 

L'existence  politique  de  la  Oète. 
depuis  la  guerre  de  Troie,  avait  été 
sans  gloire ,  sans  intérêt.  Elle  honora 
du  moins  ses  derniers  jours  par  une 
défense  courageuse.  Sa  r&i^nce 
avait  duré  trois  ans.  Sa  défaite  illus- 


(x)  Diod.,  excerpt.,  (k  Legai,,  p.  63i,  632. 
(a)  Ibid. 


(i)  Ibid. 

(a)  Plut,  Pompée,  c.  xxa. 


ILE  DE  €R£TE. 


^t 


ra  un  des  grands  noms  de  Rome  (1). 
C00SSO8  reçQt  colonie  romaine,  et  fut 
a  résidoioe  des  gouTemeurs  de  Tîle. 
lelle-d,  réunie  à  la  Cyrénaïqoet  forma^ 
00s  Auguste,  une  province  sénato* 
iaie ,  et  nit  gouvernée  par  un  préteur. 
i\[e  eut  ensuite  un  proconsul ,  puis  un 
(uesteur,  que  Tibère  y  envoya  la  pre* 
nière  année  de  son  règne.  Sous  Adrien, 
ille  eut  de  nouveau  un  proconsul,  et 
oasSeptime*Sévère  un  questeur.  Quand 
'empire  fut  divisé  en  préfectures,  elle 
ùt  gouvernée  par  un  consulaire,  et  com- 
>rise  dans  la  préfecture  d'Illyrie.  Sous 
^nstantin,  elle  fut  séparée  de  la  Cyré- 
laïque,  et  après  lui  elle  fit  partie  des 
provinces  assignées  à  Constance  (2). 

m. 

rABLEÂU  GBNSRAL  DB  hk  CITILISÂ* 
TION  CBÉTOISB  DÀKS  LES  TBKPS  AN- 
CIENS. 

Institutions  politiques  de  la 
]rète  ancienne.  -  •  Dans  les  institu- 
ioQs,  comme  dansThistoire  proprement 
lite  de  la  Crète,  un  seul  nom  aomine , 
t'est  le  nom  dcMinos.  Minos  est  le  légis- 
ateur  de  la  Crète,  comme  il  en  est  le  né- 
os.  On  lui  a  attribué  les  lois  qui  régirent 
;etteîle,  comme  on  lui  a  fait  honneur  de 
outes  les  grandes  choses  que  les  Cretois 
mt  accomplies  durant  l'espace  de  deux 
iècles.  On  a  fait  de  lui  comme  le  type 
lu  législateur.  Homère  et  après  lui  Pla- 
on  nous  le  montrent  s'entreteuant, 
eus  les  neuf  ans,  avec  Jupiter,  son  père, 
t  rédigeant,  d'après  les  réponses  du 
lieu,  les  lois  qu'il  donna  à  son  peuple  (3). 

Les  Doriens ,  venus  trois  siècles  plus 
ard,  recueillirent  cette  tradition  ;  comme 
Is  rattachèrent  Minos  à  leur  race, 
Is  en  firent  aussi  leur  législateur.  Ce 
ut  sous  Tinvocation  de  son  nom  vé- 
iéré  qu'ils  placèrent  les  institutions  qu'ils 
ipportèrent  ou  qu'ils  fondèrent  dans 
île.  Cependant  tout ,  dans  ces  institu- 
ions, porte  Tempreinte  du  génie  dorien. 
i)t  si  l'ancienne  constitution  ou  plutôt 
es  vieilles  coutumes  ne  disparurent  pas 
complètement  après  rétablissement  des 

(i)  Creta  dédit  magnam,  mafiM  drdit  Arrica  nomea  , 
Scipio  qood  vicior,  qoouqae  Meteilus  babet. 

Mart.,  Il,  %. 

(a)  Cf.  Meursiiis,  Creta,  lib.  III,  cap.  6. 
(3)  0(/js^,  XIX  ;  Plat,  De  Leg,,  I, 


colonies  doriennes ,  c'est  cIkz  les;  Périè- 
ques,  parmi  les  vaincus  et  les  sujets  ^ 
qu'il  en  faut  chercher  la  traoe.  L'exis* 
lence  même  de  cette  classe  inférieure 
témoigne  d'un  ordre  politique  entière- 
ment nouveau,  né  de  la  conquête. 

Population.  Condition  pbs  vain- 
eus.  Pbbièqubs,  Mnoîtbs,  Clabo- 
TBS. — Sujets  bt  bsclaybs.  La  division 
des  habitants  en  guerriers  et  en  labou-* 
leurs  est  la  base  de  tout  État  dorien.  Elle 
apparaît  en  Crète  aussitô^près  l'établis- 
sement des  colonies  venues  du  Pélopon- 
nèse. Suivant  Âxistote,  l'existence  de  ces 
deux  classes  distinctes,  l'une  agricole, 
l'autre  militaire,  remontée  la  plus  haute 
antiquité.  «  Sésostris,  dit-il ,  rétablit  en 
Egypte,  Minos  en  Crète,  et  cette  institu- 
tion se  maintient  encore  dans  l'un  et  l'an- 
tre pays  (1).  »  Ainsi  c'est  Minos  qui  au- 
raitétabli  cette  division.  Mais  il  n'est  pas 
douteux  qu'Aristote  n'ait  en  vue,  dans 
ce  passage,  les  Périèques,  les  Mnoïtes  et 
les  Clarotes.  Or,  avant  l'époque  d'Ho- 
mère^  on  ne  trouve  nulle  trace  d'un  pa- 
reil classement  des  habitants.  Nulle 
part,  dans  ce  poète,  on  n'aperçoit  des 
distinctions  sociales  aussi  marquées,  des 
différences  de  condition  aussi  tranchées. 
C'est  dans  les  États  doriens  qu  elles  ap- 
paraissent pour  la  première  lois ,  long- 
temps après  la  guerre  de  Troie.  Sans 
doute,  de  très-bonne  heure ,  nous  voyons 
dans  la  société  grecque,  des  peuples  ré- 
duits par  d'autres  peuples  à  une  condi- 
tion inférieure.  C'est  ce  qui  arriva  dans 
l'Attique  après  l'invasion  des  Ioniens, 
et  dans  le  Péloponnèse  après  celle  des 
Achéens.  Mais  ni  dans  l'une  ni  dans 
l'autre  de  ces  deux  contrées,  la  con- 

Suéte  n'eut  pour  résultat  cette  profonde 
échéance  sociale  des  vaincus  >  cette  ri- 
goureuse distinction  dans  les  conditions 
et  dans  les  travaux  de  la  vie.  En  Attique 
les  laboureurs  avaient  leur  noblesse;  et 
dans  le  Péloponnèse  les  plus  nobles  s'a- 
donnaient à  l'agriculture  et  à  d'autres 
travaux  que  dédaigna  plus  tard  le  fier 
Dorien.  Il  en  fut  de  ménae  en  Crète. 
Bien  des  races,  comme  nous  l'avons  vu, 
se  sont  mêlées  dans  cette  île.  Nulle  ne 
fut  tenue  par  l'autre  dans  une  pareille 
dépendance.  Entre  elles,  entière  égalité 
de  droits.  Les  différents  peuples  étaient 

(i)  Polit, y  Vîl,  9  cl  xo. 


U4 


L'UNIVERS. 


établis  Ito  uns  à  eité  des  autant^  sans 
ces  rappdits  de  vainqueur  à  ▼aincu,  de 
aouveram  à  sujet.  En  uii  mot,  point  de 
dassement  rigoureui,  point  de  hiérar^ 
chie  iociale,  si  i*on  ezeepte  i'esdaTage 
proprement  dit,  qui  se  trouve  à  toutes  les 
époques  dans  lessodétés  andennes. 

Vainement  on  alléguerait  la  colonie  de 
Teutamos.  Kût^Ue  existé,  qu'elle  n'eût 
pas  été  assez  nombreuse  pour  fonder  dans 
un  pays  aussi  peuplé  que  l'était  alors  la 
Crète  un  ord#  de  choses  qui  ne  s'éta*- 
blit  et  ne  se  '  maintint  que  par  la  force. 
D'ailleurs,  on  sait  que  ce  fîit  seulement 
après  leur  établissement  dans  le  Pélo* 
ponnèse  que  les  Doriens,  vainqueurs  des 
Achéens ,  se  constituèrent,  du  droit  de 
la  victoire,  en  race  dominante ,  et  ré- 
duisirent les  anciens  habitants  à  l'état 
de  sujets  et  d'esdaves. 

Ce  qu'ils  firent  dans  le  Péloponnèse,  ils 
le  fircttit  également  en  Crète.  Dans  cette 
tle,  comme  sur  le  continent  grec,  le 
glaive  du  Dorien  marqua  le  front  du 
vaincu  du  signe  de  la  servitude.  Il  y 
eut  une  race  noble,  souveraine  et  op- 
pressive, formant  seule  l'État,  avant 
seule  des  droits  politiques,  composant 
l'assemblée  du  peuple  et  le  sénat,  rem- 
plissant, en  un  mot,  toutes  les  charges 
publiques;  et,  au-dessous  d'elle,  une 
race  en  quelque  sorte  déchue,  exdue  de 
la  cité  et  vouée  à  la  glèbe.  De  cette  der- 
nière classe  la  loi  ne  s'occupe  que  pour 
régler  ses  rapports  avec  ses  maîtres*, 
pour  organiser  la  servitude. 

Cette  classe  comprenait  les  Périèqyes^ 
les  Mnoîtes,  et  les  Aphamiotes  ou  Cla- 
rotes, 

La  condition  des  Périèques  était  la 
même  en  Crète  qu'en  Laconie  ;  et  elle 
offre  beaucoup  d  analogie  avec  celle  des 
vUlani  du  temps  de  la  domination  vé- 
nitienne dans  rtle.  Ils  formaient  la  po- 
pulation sujette.  Quand  le  Dorien  prit 
possession  de  fîle,  il  abandonna  aux  an- 
dens  habitants  une  partie  des  terres, 
moyennant  tribut.  Leur  situation,  d'ail» 
leurs,  ne  paraît  pas  avoir  été  bien  mal- 
heureuse. S'ils  n'avaient  point  de  droits 
politiques,  du  moins  les  laissait-on  vivre 
d'après  leurs  anciennes  coutumes.  En 
possession  de  la  plus  grande  partie  du 
sol,  ils  iMNivaient  encore  s'enrichir  par 
l'industrie  et  le  commerce ,  que  leurs 
vainqueurs  dédaignaient. 


Au-diiioiia  de  eeitio  dine,  à  u«  dspi 
bien  inférieur,  se  trouvaient  les  MtiMa. 
Comme  les  Périèques  ils  appaflmaieBt 
à  la  race  vaincue;  et  ils  nirefii  sans 
doute  réduits  à  une  condition  plus  dore 
pour  avoir  rédsté  plus  longtemps  os 
pour  s'être  révoltés  contre  les  «onqai- 
rants.  Leurorigineestdonela  même  qui 
odle  des  Hiiotes.  Comme  osax-tt«  ils 
étaient  les  esclaves  de  l'Ëtat.  Chaque 
ville,  en  effet,  s'était  réservé,  sprès  la 
conquête,  une  certaine  portion  de  ter- 
ritoire, qui  formait  le  domaine  public 
Une  partie  du  produit  de  oes  tencs  était 
affectée  aux  sacrifices  et  au  cnlls  des 
dieux,  l'autre  aux  repas  eomnniiis.  il  fal- 
lait des  bras  pour  cultiver  ces  tenres.  Os 
y  employa  les  Mnoîtes.  Ceux-ci  dififê- 
raient  toutefois  en  un  point  des  Hiloles, 
Ces  derniers  étaient  tout  à  la  fois  lei 
esclaves  de  r£iat  et  des  partieolicn; 
les  Mnoîtes  ne  servaient  que  FÉtat  (l). 
En  cela  leur  situation  était  meilleure 

2ue  celle  des  Aphamiotes  ou  Ciaroies, 
k)mm6  les  Mnoîtes ,  oeux-d  étaient  at- 
tachés à  la  glèbe;  mais  à  la  différeoee 
des  précédents,  ils  étaient  voués  au  sep 
vice  des  particuliers.  Chez  les  Oétois, 
ainsi  ^ue  chez  les  Spartiates ,  à  cdté  du 
domame  de  l'État,  il  y  avait  des pro» 
priétés  privées  ;  c'est  a  ces  propriétés 
que  les  Clarotes  se  trouvaient  attachés. 
Leur  nom  de  parèques  {ndpovmi)  sem- 
ble indiquer  qu'ils  habitaient  sur  les 
terres  de  leurs  maîtres.  Quant  à  leur 
origine,  elle  est  vraisemblablement  b 
même  que  celle  des  Mnoîtes,  avec  cette 
différence^  qu'après  avoir  été  pris  à  b 
guerre  ils  forent  partagés  au  sort,  ooma» 
l'indique  leur  nom  de  Ciaroies,  Leur 
condition,  plus  misérable  que  celle  dci 
autres  esclaves,  parce  qu'ils  dépeiulaieiit 
du  caprice  d'nn  seul,  était  œpendast 
moins  intolérable  que  celle  de  rHilote. 
On  leur  laissa  leur  culte  national.  Ib 
avaient  même  leurs  satumal^.  A  li 
fête  d'Hercule,  ils  étaient  servis  par  leors 
maîtres,  et  pouvaient  même  les  battre. 
Athénée  rapporte  qu'une  fête  semblable 
se  célébrait  à  Sparte  (2}. 

A  ces  trois  classes  d'e^aves  indigèMi 
il  faut  ajouter  ceux  qui  s'achetaient  ao 

(i)  Hœck,  Kreta,  t.  III,  p.  3o  ctsniT. 
(a)  Athéo.,  lY,  p.  1)9;  O.  Bfviier,  Sml  U, 
p.  tSS, 


ILBBB  CRÈTE. 


«« 


[éluyrt,  et  qm  pour  oette  râiioii  l'on 
ppelait  Chrymmètes  (xpwR6vi)toi).  Leur 
lomtyre  dAt  être  peu  eoiuidérable  dans 
m  pays  dont  tonte  rancielme  popnla* 
ion  sTait  été  réduite  en  esclavase* 
Is  étaient  employés  aux  traraux  oo* 
nestiques.  Quant  à  leur  condition,  elle 
le  difrérait  en  rien  de  celle  des  esclaves 
e  même  origine  dans  le  reste  de  la 
yrèee.  On  distinguait  encore  les  thé^ 
'apontes  (Oepdbceov),  espèce  de  yalets 
'armes;  les  erçatanei  { iprfixfù^Bç)  et 
?s  eataeaufes  (xotxoau^ca)  ^  esclaves 
hargés  de  brûler  les  corps  morts,  et 
ravoir  soin  des  sépultures.  Ils  formaient 
me  classe  à  part,  et  jouisnient  même 
le  certains  privilèges  (1). 

En  général ,  l'esclavage  fut  moins  dur 
n  Crme  qu*à  Sparte.  Aussi  n'y  eut*il 
oint,  dans  cette  tie,  de  révoltes  d'escla* 
es  ,  comme  à  Laeédémone ,  où  THllote 
tait  toujours  prêt  à  proflter  des  cala- 
nités  publigues  pour  tirer  vengeance 
le  Toppression  de  ses  maîtres.  Aristote 
herche  à  expliuuer  cette  différence. 

L»es  pénestes  tnessaliens  ont  souvent 
a  usé  des  troubles  en  Thessalie;  il  en 
5t  de  même  des  Hilotes  de  Lacédé* 
none  ;  tous  ces  esclaves  spéculent  sans 
esse  sur  les  désastres  publics.  11  n'en 
st  pas  de  même  en  Crète.  Péut*étre 
?s  Cretois  doivent-ils  cet  avantage  à  des 
irconstances  locales.  Lorsque  les  pe- 
its  États  de  cette  tie  se  font  la  guerre, 
Is  ne  favorisent  jamais  la  révolte  des 
<;claves,  attendu  qu'ils  en  ont  aussi 
[ont  la  condition  est  la  même.  Mais 
es  Lacédémoniens  ont  pour  voisins  et 
ouvent  pour  ennemis ,  les  peuples  de 
A  rcadie,  de  l' Argolide  et. de  la  Messénie, 
[ui  n*ont  point  d'Hilotes.  Il  en  est  de 
néroe  des  Thessaliens.  Pendant  leurs 
:uerres  contre  les  Achéens,  les  Magné- 
iens  et  les  Pérrhébiens,  qui  n'ont  point 
te  pénestes,  ceux-ci  ont  souvent  cons- 
lire  (3).  »  Rien  n'est  plus  dangereux 
>our  Tesclave,  comme  le  remarque  un 
ustorien  distingué  (8),  que  de  faire  peur 
1  son  mettre.  En  Crète  reselavage  suivit 
n  quelque  sorte  le  morcellement  terri- 
orial.  Chacun  des  nombreux  États  de 
«tte  lie  ayant  ses  esclaves,  ceux-ci  ne  se 

(i)  Hœck,  Kreta,  t.  III,  p.  k2. 
(3)  M.  Domy,  Hist.  Gr.  p.  54. 


tnmvèrent  point  concentrés  en  aussi 
grand  nombre  qu'en  Laconie ,  sur  un 
même  point  du  territoire.  Il  en  résulta 
que  leurs  mattres,  ayant  moins  à  crain* 
are,  ne  les  traitèrent  pas  aussi  dure- 
ment.  C'est  sans  doute  pour  toutes  ces 
raisons,  qu'on  ne  trouve  pas  la  cryptie 
chez  les  Cretois. 

CONSTETUTION  GRÉTOISB.  —  NOUS 

venons  de  voir  les  résultats  de  la  con- 
quête dorienne  en  ce  qui  concerne  les 
vaincus.  Entrons  maintenant  dans  l'É- 
tat dorien  lui-même.  Ici  encore  nous 
trouverons  bien  des  traits  de  ressem- 
blance avec  Sparte.  Il  n'y  a  pas  moins 
de  rapports  dans  la  constitution  poli- 
tique de  la  Crète  avec  celle  de  Lacedé- 
mone,  que  dans  l'organisation  sociale 
et  la  condition  des  personnes  dans  les 
deux  États.  Mêmes  peuples,  mêmes 
[principes  de  gouvernement ,  mêmes  ins« 
titutions.  Cette  ressemblance  a  frappé 
les  anciens.  Cailisthènes,  Éphore,  Aris- 
tote et  Platon,  l'ont  signalée.  Essayons 
de  l'expliquer. 

Une  constitution  comme  celle  que  Ly- 
cur^e  donna  à  Sparte,  réglant  toute 
la  vie  d'un  peuple,  même  dans  ce  qu'elle 
a  de  plus  intime ,  n'est  pas  une  création 
du  législateur.  Avant  d'être  formulée 
et  décrétée,  elle  existe,  comme  en  germe, 
dans  les  mœurs  et  les  idées  du  peuple 
qu'elle  est  appelée  à  régir.  C'est  l'œuvre 
du  législateur  de  tirer  en  quelque  sorte 
des  entrailles  d'une  nation  le  code  qui 
doit  régler  ses  destinées.  Ainsi  fit  Ly- 
curgue  :  ses  institutions  eurent  sans 
doute  une  immense  influence  sur  Tesprit 
publie  des  Spartiates;  elles  fixèrent  leur 
existence  politique;  elles  furent  comme 
la  loi  suivant  laquelle  se  développa  le 
génie  national  de  ce  peuple.  Mais  par 
cela  même  elles  devaient  être  profondé- 
ment empreintes  de  ce  génie.  Puis,  une 
pareille  constitution  ivest  point  non 
plus  l'ouvrage  d'un  jour;  elle  ne  se 
forme  point  pour  ainsi  dire  tout  d'une 
pièce.  De  vieilles  coutumes,  une  pre- 
mière ébauche  d*organisation  la  pré- 
cèdent et  la  préparent.  Il  n'est  pas  dou- 
teux que  longtemps  avant  Lycurgue  les 
Doriens  n'eussent  un  certain  ordre  po- 
litique analogue,  sur  bien  des  points,  à 
celui  qu'il  établit  à  Lacédémone.  Ainsi 
s'expliquent  les  ressemblances  de  la 
constitution  Cretoise  avec  celiede  Sparte. 


^56 


LTJMVERS. 


îa  Crète  reçut  des  colonies  doriennes 
près  de  deux  siècles  avant  Lycurgue. 
Ces  colonies  apportèrent  dans  nie  leurs 
(ioutumes  nationales ,  leurs  institutions , 
qui  se  comnliquèrent  des  rappiorts  nou- 
veaux nés  de  la  conquête.  Uordre  de 
choses  qu*elles  établirent  de  la  sorte  était 
entièrement  constitué  lorsque  Lycnrgue 
vint  en  Crète.  Il  s*y  arrêta  longtemps , 
et  particulièrement  à  Lyctos,  la  plus 
considérable  des  colonies  doriennes  de 
I*île.  ft  II  observa  avec  soin  les  institu- 
tions du  pays  et  conversa  avec  les  per- 
sonnes le  plus  en  renom.  Il  approuva 
fort  quelques-unes  de  leurs  lois,  et  les 
recueillit  pour  en  faire  usage  quand  il 
serait  à  Sparte  (1).  »  Toutefois  il  ne  fau« 
drait  pas  chercher  ici  une  organisation 
politique  bien  régulière.  «  En  se  repré- 
sentant la  Crète  comme  un  gouverne- 
ment aristocratique  et  fédéral,  il  ne  faut 
pas  prendre  ces  mots  dans  la  plénitude 
de  leur  sens.  Nous  n'assistons  pas  au  dé- 
veloppement complet  d'une  société  ré- 
fuliere,  mais  à  des  essais  d'ordre  et  de 
onne  police ,  souvent  interrompus  par 
des  révolutions.  Ce  point  capital  indiqué 
par  Aristote  (2)  a  trop  échappé  aux  mo« 
demes,  même  à  Montesquieu.  La  Crète 
est  le  chaos  fécond  dans  lequel  Sparte 
chercha  quelques  principes;  mais  elle* 
même  ne  put  s'asseoir  et  se  pondérer. 
La  raison  de  ces  orages  était  la  rivalité 
des  villes.  Quand  Tune  d'elles  conquérait 
la  suprématie,  c'était  le  despotisme; 
quand  elles  luttaient  ensemble,  sans 
avantage  décisif  pour  aucune,  c'était  l'a- 
narchie (3).  » 

«  Dans  chaque  ville,  ajoute  le  même 
écrivain,  il  y  avait  à  la  tête  des  af- 
faires dix  magistrats;  ils  s'appelaient 
y.6<j^i,  casmesy  tirant  leur  nom  de  l'or- 
dre même ,  et  de  la  nécessité  de  le  faire 
régner,  tant  se  manisfesta  toujours  dans 
les  cités  Cretoises  un  incorrigible  pen- 
chant à  la  sédition  (4).  »  Aristote ,  qui 
compare  les  cosmes  aux  éphores  de 
Sparte,  fait  remarquer  que  l'institution 
des  premiers  avait  de  plus  graves  ineoo- 
vénients  que  celle  des  seconds.  «  Même 

(i)  Plut.,  rie  de  Ljc, 
(a)  PoliL,  ir,  7. 

(3)  Lerminier,  Hîst.  des  Lègislat,  et  des 
constit,  de  la  Grèce  ant..  I,  p.  67  et  suiv. 

(4)  ^^. 


tiee,  dit^il,  dans  le  mode  tfâeetioa; 
c'est  le  hasard  qui  dédde  du  choix  ;  mais 
on  ne  retrouve  pas  en  Crète  l'avanuge 
politique  que  l'on  remarque  à  Lacédé 
mone.  A  Sparte ,  tous  les  eitovens  oit 
droit  à  l'éphorie,  et  l'espoir  d  arriver  1 
eette  éminente  dignité  attache  le  peuple 
au  gouvernement  En  Crète,  les  eosocs 
ne  sont  pas  choisis  parmi  le  peuple  » 
tier;  car  l'éliga>ilité  est  la  prérogatîR 
de  certaines  familles  (1).  » 

tt  Comme  ils  succédaient  à  Fautonté 
royale,  ils  en  eurent  les  prérogatives  : 
ils  commandèrent  les  troupes,  ooodi- 
rent  les  traités ,  administrèrent  8oav^ 
rainement  la  cité,  avec  un  pouvoir  ar^ 
bitraire  sur  les  personnes  et  les  ehoso. 
A  cette  sorte  de  despotisme,  incoatcs- 
table  débris  de  la  royauté,  les  mam 
Cretoises  donnèrent  un  singulier  oootn- 
poids.  Quand  des  cosmesroèconteotakil 
par  leur  conduite  quelques-uns  de  lesn 
collègues  ou  des  particuliers,  on  les 
chassait.  Ils  pouvaient  aussi  à  leur  wr 
venance  abdiquer  le  pouvoir.  Ce  ném 
pas  la  loi  qui  régnait,  mais  la  volooie 
des  hommes,  qui  n'est  pas  une  règle  sâir. 
Les  Cretois  avaient  aussi  l'habitude,  ai 
plus  vif  de  leurs  divisions ,  de  recourir  3 
une  sorte  de  monarchie  provisoire  pov 
se  faire  plus  facilement  la  guerre  entre 
eux....  (2).  » 

Les  fonctions  des  cosmes  duraient  uc 
an.  Sortis  de  charge,  ils  prenaient  pbcc 
dans  une  assemblée  de  vieillards  qu 
composaient  le  9énat,  Les  membres  et 
ce  conseil  paraissent  avoir  été,  eom» 
à  Sparte,  au  nombre  de  trente.  Lev 
autorité  était  viagère  et  irrespcmsable. 
de  plus ,  ils  n'avaient  pas  de  loi  ecntr 
et  décidaient  arbitrairement  de  to«te$ 
les  affaires  (S). 

Les  résolutions  prises  par  lescosofr 
et  par  les  sénateurs  étaient  soumises  a 
une  assemblée  générale,  où  tous  les  a* 
toyens  étaient  admis,  et  avaient  droit dr 
suffrage.  Mais  cette  assemblée  n  avait 
aucune  initiative  politique.  Son  droit  « 
bornait  à  ratifier,  sans  discussion,  « 
qui  lui  était  proposé  (4). 

Le  peuple  n'avait  donc,  de  fuit,  auoDtt 

(i)  Polit,,  II,  s.  I 

(a)  Lermioier,  Sist  des  Lig^  t.  L 

(3)  Arist.,  Polit.,  II,  S. 

(4)  ArisL  Ihid.  j 


ILE  DE  CRÈTE. 


W 


lart  aa  goiiTeriiement.  Tout  le  pouvoir 
tait  concentré  aux  mains  des  oosmes  et 
u  sénat.  Cette  oligarchie  ne  pouvait 
tre  supportée  longtemps  par  ce  peuple 
emuant,  naturellement  attaché  à  la  li- 
lerté ,  et  chez  qui  les  agitations  politi- 
[Qes  contribuaient  à  entretenir  ce  senti- 
nent.  Au  temps  de  Polybe ,  il  s'était 
léjà  opéré  un  changement  considérable 
ans  rÉtat  :  toutes  les  magistratures 
talent  devenues  annuelles ,  et  le  gou- 
ernement  démocratique  (1).  Des  monu- 
nents  antérieurs  d'environ  un  derai-siè* 
le  à  rhistorien  que  nous  venons  de  citer, 
ttestent  déjà  cette  révolution.  Il  y  a  un 
léplacement  complet  de  la  puissance 
|oiitique.  Celle-ci  a  passé  des  cosmes  à 
'assemblée  du  peuple ,  devenue  souve- 
aioe.  C'est  à  elle  que  s'adressent  main- 
enanl  les  ambassadeurs  des  États  étran- 
;ers',  à  elle  seule  appartient  le  droit  de 
égler  les  relations  extérieures ,  de  for- 
ner  des  alliances ,  de  conclure  des  trai- 
es. Si  dans  ces  traités  les  cosmes  sont 
lonimés,  c'est  uniquement  parce  que 
eors  noms  servent  a  marquer  Tannée 
m  ils  sont  conclus.  Cest  le  peuple  qui 
tipale,  qui  dicte  les  conditions  ;  lui  seul 
end  des  décrets.  Ceux-ci  sont  copiés  par 
e  secrétaire  de  l'assemblée,  et  déposés 
laas  un  temple.  Notiûcatiou  en  est  don- 
lée  aux  cosmes ,  qui  apposent  à  l'acte  le 
ceau  de  la  nation.  Souvent  le  peuple  est 
eul  mentionné  comme  décernant  des 
écompenses ,  élevant  des  monuments. 
Quelquefois  le  protocosme  est  chargé  de 
^  soins ,  mais  alors  c'est  au  nom  du 
)euple  qu'il  les  exécute. 

l>échus  de  leur  ancienne  puissance , 
es  cosmes  sont  devenus  entièrement  dé- 
|endants  de  l'assemblée,  dans  l'exercice 
e  leurs  fonctions.  Pouvoir  responsable, 
■s  sont  justiciables  du  peuple,  et  peu- 
ent  être  traduits  devant  le  tribunal 
«mrnun  que  les  États  confédérés  for- 
[ïent  entre  eux.  Tout  citoyen  a  le  droit 
le  les  accuser.  Ils  sont  tenus  de  porter 
>  la  coimaissance  de  tous  le  pacte  par 
eqnel  les  deux  cités  se  sont  unies  ;  d  en 
î«rveiller  l'exécution  ;  d'en  donner,  cha- 
ire année,  lecture  au  peuple;  de  dres- 
îer  les  colonnes  sur  lesquelles  sont  gra- 
'«s  les  articles  du  traite  ;  de  faire  don- 
^«r  satisfaction  au  citoyen   qui  a  été 

(i)  Polyb.,  YI,  46. 


maltraite  ou  dépouillé  dans  la  ville  al- 
liée ,  etc.  S'ils  manquent  à  quelqu'un  de 
ces  soins,  ils  sont  passibles  d  une  amende 
déterminée ,  payée  à  titre  d'indemnité  à 
l'État  confédféré.  Ainsi,  à  l'inverse  des 
Éphores  de  Sparte,  qui,  réduits  d'abord 
aux  plus  modestes  attributions,  finirent 

f)ar  devenir  la  première  magistrature  de 
'État,  les  oosmes,  tout- puissants  dans 
le  principe ,  ne  furent  plus  à  la  tin  que 
les  ministres  responsables  du  peuple. 

Ajoutons,  toutefois,  qu'ils  conservent 
encore  la  présidence  des  tribunaux  et  la 
direction  des  débats  judiciaires.  Mais  les 
juges  sont  tirés  de  rassemblée  du  peu- 

{)le ,  soit  par  la  voie  du  sort,  soit  par  Té- 
ection.  Comme  le  gouvernement  lui- 
même,  la  justice  a  reçu  une  organisa- 
tion démocratique. 

Le  sénat ,  aussi  bien  que  les  cosmes , 
a  subi  les  conséquences  de  la  révolution 
populaire.  Il  a  perdu  toute  importance 
politique.  Ses  membres  ne  sont  plus 
nomm^  à  vie ,  mais  pour  un  an  seule- 
ment. Quant  à  leurs  attributions ,  il  se- 
rait difficile  de  les  déterminer  avec  quel- 
que précision  ;  sur  ce  point  on  en  est  à 
peu  près  réduit  à  des  conjectures.  Ils 
paraissent  avoir  été  chargés  de  la  police, 
dans  les  fêtes  publiques ,  et  de  la  sur- 
veillance ainsi  que  de  l'éducation  de  la 
jeunesse.  Il  y  û  loin  de  ces  fonctions 
tout  honorifiques  à  l'autorité  dont  le 
conseil  des  anciens  se  trouvait  autrefois 
revêtu. 

Nous  sommes  partis  de  l'oligarchie  ; 
nous  aboutissons  à  la  démocratie.  Deux 
siècles  séparent  les  deux  ordres  politi- 

8ues  tels  que  nous  venons  de  les  décrire, 
[ue  s'est-il  passé  durant  ce  long  espace 
de  temps?  Par  quels  changements  suc- 
cessifs s'est  opérée  la  révolution  .'On  l'i- 
fnore.  Elle  ne  s'est  pas  faite,  sans  doute, 
rusquement ,  sans  ces  transitions  par 
lesquelles  les  peuples  passent  d'ordinaire 
d'une  forme  ae  gouvernement  à  la  forme 
opposée  ;  mais  le  défaut  de  documents 
ne  permet  pas  de  suivre  la  marche  de 
cette  révolution  ni  le  développement  pro- 
gressif de  la  constitution  Cretoise.  On 
peut  croire,  toutefois,  que  ce  dévelop- 
pement n'eut  pas,  dans  les  villes  de  Crète, 
la  régularité  imposante  que  l'on  reroar* 
que  dans  le  mouvement  des  institutions 
chez  d'autres  peuples.  L'état  violent  de 
ces  villes,  leurs  perpétuelles  agitations, 


6flS 


L'UNIVERS. 


leurs  guerres  sans  fin ,  rendent  invrai* 
semblable  un  effort  soutenu  du  peuple , 
pour  arriver  graduellement,  de  conquête 
en  conquête,  a  la  souveraineté  politique. 
Quoi  qu*il  en  soit,  la  démocratie  fut  aussi 
Impuissante  que  Toligarchie  à  rendre  à 
la  Crète  ce  qu'elle  avait  perdu  depuis 
Minos  :  Tordre  et  la  paix  à  Fintérieur, 
ta  nuissance  au  dehors. 

CoUTtMBS,  HEPÂS  PCBLICS,  lÉDU* 

CATION ,  MOBUBS.  —  «  Tous  les  ius- 
tincts  des  sociétés  qui  commencent  se 
développèrent  dans  la  Crète  avec  éner- 
gie. Les  Cretois  aimaient  le  mouvement, 
la  chasse,  la  fatigue,  la  lutte;  ils  vi- 
vaient en  commun,  et  se  partageaient  les 
biens  de  la  terre.  Ces  dispositions  et  ces 
habitudes  firent  le  fond  des  institutions 
Cretoises.  Le  travail  du  législateur  fut  de 
confirmer  les  mœurs  sur  certains  points  ; 
sur  d'autres ,  de  les  redresser  ou  de  leur 
imprimer  une  impulsion  vive.  Il  faut 
se  représenter  les  lois  dites  de  Minos 
comme  des  coutumes  qui  ne  furent  ja- 
mais écrites  (1) ,  comme  des  traditions 
qui,  à  travers  la  suite  des  générations, 
s'altérèrent. 

«  Entrons  dans  une  des  villes  de  Crète, 
à  Lyctos ,  et  nous  aurons  le  spectacle  de 
la  vie  en  commun.  A  Lyctos ,  chacun 
contribuait  du  dixième  de  ses  produits  à 
l'entretien  de  l'association  dont  il  était 
membre,  et  aussi  aux  revenus  de  la  ville. 
Cette  contribution  était  répartie  par  les 
chefs  de  la  cité  entre  toutes  les  familles. 
Les  citoyens  se  trouvaient  partagés  en 
petites  sociétés  appelées  dfvBpia;  le  soin 
des  repas  communs  était  confié  à  une 
femme  qui  dirigeait  le  service  de  trois 
ou  quatre  esclaves  publics  dont  chacun 
s'adioignait  deux  porteurs  de  t)ois,  xa- 
Xof  opoi  (2). 

«  Dans  toutes  les  villes  de  Crète,  il  y 
avait  deux  édifices  publics  dont  l'un , 
consacré  aux  rejpas,  se  nommait  dv 
Spetov,  et  dont  Tautre,  servant  d'asile 
aux  étranffers,  s'appelait  xoifLTjXTjpiov. 
Dans  rédioce  où  se  taisaient  les  repas , 

(x)  Cest  ce  qni  rend  si  plaisante  la  méprise 
de  HérauU  de  Sécheiles,  qui,  pour  rédiger 
la  eoDstitution  de  1793,  demandait  qu*on  lui 
envoyât  de  la  Bibliothèque  nationale  la  vo- 
lume des  lois  de  Miuos.  (  Note  de  M.  Ler* 
miuier.  ) 

(3)  Athén.;  Deipnos,  lib.  lY,  aect,  aa. 


Aaient  dressées  deux  tables  dites  hospi- 
talières ,  où  les  étrangers  s'asseyaient 
Les  autres  tables  étaient  destinées  aux 
citoyens.  On  donnait  une  part  égale  à 
chacun  des  convives;  setuement.  Ici 
jeunes  gens  n'avalent  qu'une  moitié  de 
part  de  viande,  et  ne  touchaient  à  aucun 
autre  mets.  On  plaçait  sur  la  taUe  m 
vase  de  vin,  mêlé  d'ean,  totis  les  oonvives 
en  buvaient,  et  après  le  repas,  on  en  ap- 
portait un  autre.  Les  enfants  n'avaient 
pour  eux  qu*tin  seul  vase  où  Tean  se 
mêlait  avec  le  vin:  aux  hommes  et  am 
vieillards  le  vin  n'était  pas  mesuré.  La 
femme  qui  présidait  à  rordonnance  da 
repas  choisissait  les  meilleors  moroeam 
et  les  faisait  servir  à  ceux  qui  s'étaient 
distingués  par  leur  valeur  ou  leur  pni- 
dence.  Après  le  repas  1  on  délibérait 
sur  les  affaires  publiques,  pnison  raooa- 
tait  les  grandes  actions;  on  louait  ceux 
qui  s'étaient  illustrés  par  leur  courage; 
on  les  proposait  pour  modèles  à  la  jeu- 
nesse (1). 

c  La  guerre,  en  effet,  était  le  but  de 
toutes  les  institutions.  Sur  ce  point  Pla- 
ton et  Aristote  ne  se  contredisent  pas. 
Notre  l^islateur,  dit  Clinîas  le  Cretois, 
l'un  des  interlocuteurs  de  Platon,  a 
voulu  tout  ordonner  pour  la  guerre;  fl 
s'est  aUaché  à  nous  faire  comprendre 
que  sans  la  supériorité  dans  les  com- 
bats ,  ni  les  richesses ,  ni  la  culture  de» 
arts  ne  nous  serviraient  de  rien ,  puis- 
que les  biens  des  vaincus  passent  entre 
les  mains  des  vainqueurs  (2).  Aristote 
a  remarqué  gu'en  Crète,  comme  à 
Sparte,  et  aussi  comme  diez  les  Scvthes, 
les  Perses,  les  Thraces  et  les  Celtes, 
l'homme  était  un  soldat  vivant  sous  une 
discipline  uniforme ,  dans  une  commu- 
nauté continuelle  de  nourriture ,  de  pé- 
rils  et  de  plaisirs ,  toujours  prêt  a  nur- 
cher,  à  combattre;  il  n'était  estimé  que 
sll  était  hardi,  vigoureux,  i^e  ot  adroit. 
La  prudence  et  le  repos  restaient  le  par- 
tage de  la  vieillesse. 

«  Dès  qu'ils  savaient  lire,  les  en£uits 
apprenaient  les  poèmes  renformant  les 
lois ,  xbbi  Ix  Tûv  v6|Aiuv  <i^^  (3) ,  avec  les 
éléments  de  musiaue,  et  ils  étaient  sou- 
mis à  un  xésdûe  oont  la  sév érité  n'était 

(z)  Athén.,  Ihid. 

1a)  De  Ugibus,  lib.  L 
3)  Smb.,  lib.  X,  cap.  lY  « 


ILE  DB  CRÊTE. 


§69 


idoncie  dans  ^oetind  saison.  Têtus  de 
oauvaises  casaques,  les  petits  Cretois 
aangeaient  assis  parterre,  se  servaient 
es  uns  les  autres,  et  servaient  aussi  les 
lommes  faits.  Devenus  plus  grands,  ils 
Diraient  dans  les  compagnies,  èrfOjon . 
iont  chacune  avait  un  conducteur  choisi 
arini  les  jeunes  gens  de  leur  âge  les 
lus  distingués  par  leur  naissance  ou  le 
redit  de  leurs  ramilles.  Les  chefs  des 
ompa^es  menaient  ceux  qu'ils  com- 
landaient  à  la  chasse,  à  la  course  :  ils 
vaient  sur  eux  presque  l'autorité  d'un 
ère ,  et  punissaient  les  récalcitrants.  A 
es  jours  marqués,  les  compagnies  se  li- 
raient bataille  aux  sons  de  la  flûte  et  de 
i  lyre  ;  les  enfants  s'attaquaient  les  uns 
îs  autres ,  tantôt  avec  leurs  mains,  tan- 
}t  avec  des  armes.  C'est  ainsi  qu'on  les 
ressait  à  la  guerre. 

«  Les  villes  de  Crète,  comme  les  autres 
ités  de  la  Grèce,  eurent  des  édifices  pu- 
lies  ,  des  gymnases  consacrés  aux  exer- 
ices  du  corps;  plus  tard  on  y  joignit 
eux  de  l'esprit.  Là  les  corps,  dépouillés 
e  tout  vêtement ,  contractaient  de  l'a- 
iiité,  de  la  souplesse;  là  aussi  les  mœurs 
cuvaient  se  corrompre.  Platon  a  signalé 
»  avantages  et  les  inconvénients  des 
ymnases«  qui  développaient  le  courage, 
t  aussi  pervertissaient  l'usage  des  plai- 
irs  de  l'amour  tel  que  l'a  réglé  la  na- 
lire(l),  » 

Ces  désordres  étaient  très-répandus 
hez  les  Cretois.  Ils  passaient  même  pour 
n  avoir  les  premiers  donné  l'exemple, 
^'amour  du  sexe  masculin  n'avait ,  à 
eurs  yeux,  rien  dont  on  eût  à  rougir, 
^tte  habitude  dépravée  avait  tellement 
nvahi  leurs  mœurs,  que  c'était  un  dés- 
tODneur  pour  un  jeune  homme  de  n'être 
as  aime  d'un  autre  adolescent.  En 
«rète,  il  se  faisait  des  enlèvements  de 
sunes  garçons,  comme  ailleurs  déjeunes 
[lies.  La  manière  dont  la  chose  se  pra- 
iquait  est  assez  singulière.  Le  ravisseur 
vertissalt  quelques  jours  d'avance  les 
mis  du  jeune  nomme  qu'il  se  propo- 
ait  d'enlever.  Au  jour  fixé,  il  exécutait 
B  rapt  en  leur  présence.  Au  bout  de 
eux  mois,  durant  lesquels  les  plaisirs 
ie  la  table  et  de  la  chasse  étaient  mêlés  à 
«ux  de  l'amour,  l'adolescent  enlevé  re- 


tournait  ches  les  siens  avec  les  jHfésents 
qu'il  avait  reçus.  C'étaient  en  général 
un  habit  de  guerre,  uneooupe  et  un  bœuf, 
qu'il  immolait  ensuite  à  Jupiter.  Ceux 
gui  avaient  été  l'objet  d'un  enlèvement 
étaient  tenus  en  grand  honneur.  Dans 
les  courses  et  dans  les  antres  réunions  so- 
lennelles, ils  avaient  la  première  place. 
Ils  se  paraient  avec  une  sorte  d'orgueil 
du  vêtement  qu'ils  avaient  reçu  en  pré- 
sent, et  même  à  un  âge  plus  avancé,  ils 
le  portaient  encore  comme  une  marque 
de  l'amour  qu'ils  avaient  inspiré.  La  loi 
encourageait  les  unions  contre  nature, 
parce  quelles  étaient  un  obstacle  à  l'ac- 
croissement de  la  population.  Pour  la 
même  raison  elleautonsaitledivorce(l). 

Aucun  peuple  n'a  été  aussi  maltraité 
par  les  historiens  que  les  Cretois;  aucun 
n'a  laissé  une  réputation  aussi  triste. 
Cette  réputation  est-elle  méritée.'  mal- 
heureusement il  n'est  pas  |)ossible  d'en 
douter.  L'opinion  des  anciens  sur  ce 
point  est  unanime.  L'inimitié  des  Athé- 
niens ne  suffit  pas  à  l'expliquer.  Sans 
doute  il  est  dangereux,  comme  le  re- 
marque Plutarque,  de  s'attirer  la  haine 
d'une  ville  qui  sait  parier  (2).  Mais  les 
poètes  athéniens,  qui  n'étaientjamais  plus 
applaudis  que  quand  ils  maltraitaient 
Minos  et  les  Cretois,  ne  firent  pas  seuls 
la  mauvaise  réputation  de  ces  derniers. 

Plusieurs  causes  expliquent  la  dégra- 
dation du  caractère  national  et  la  dépra- 
vation des  mœurs  publiques  chez  les 
Cretois  :  l'absence  die  tout  intérêt  géné- 
ral capable  de  les  porter  aux  grandes 
choses  et  de  diriger  leur  actl  vi  té  vers  quel- 
que but  glorieux  ;  les  perpétuelles  guer- 
res civiles,  dans  lesquelles  ils  rivalisaient 
entre  eux  de  ruses .  de  perfidies,  aussi 
bien  que  de  cruauté;  enfin  leur  vie  de 
forbans  et  de  mercenaires,  qui  développa 
chez  eux  tous  les  vices  attachés  à  ces 
deux  métiers. 

Parmi  ces  vices  Tavarice,  la  perfidie 
et  le  mensonge  sont  les  traits  les  plus 
saillants  et  comme  le  fond  même  de 
leur  caractère.  Les  Cretois  étaient  par- 
dessus tout  cupides.  «  L'argent  est  en 
si  grande  estime  auprès  d'eux  qu'il  leur 
paraît  non-seulement  nécessaire,  mais 
glorieux  d'en  posséder.  Bref,  l'avarice 


(x)  Lerminier,  Hist.  des  légiilat,  et  des 
ortstit,  de  la  Gn  ant,  1 1 ,  p.  75  et  soiv. 


(i)  Arist.,  Poiit,,U,S. 
(2)  Plut.  rî«  de  Thésée. 


560 


LUNIVEBS. 


ei  ramoor  de  Tor  soDtsi  Inen  établis  dana 
leurs  mœurs,  que  seuls  dans  ruDÎTers 
les  Cretois  ne  trouvent  nul  gain  iUégi- 
time(l).  » 

Voici  un  trait  qui  les  peint  admirable- 
ment. «  Dans  la  guerre  sociale  un  Cre- 
tois vint  trouver  le  consul  Julius  (Cé- 
sar), et  s'offrit  comme  traître  :  Si  par 
mon  aide,  lui  dit-il,  tu  remportes  sur 
les  ennemis,  quelle  récompense  me  don* 
neras-tu  en  retour  ?  Je  te  ferai,  répon- 
dit César,  citoyen  de  Rome,  et  tu  seras 
en  faveur  auprès  de  moi.  A  ces  mots  le 
Cretois  éclata  de  rire,  et  reprit.  Un  droit 
politique  est  chez  les  Cretois  une  niai- 
serie titrée;  nous  ne  visons  qu'au  gain, 
nous  ne  tirons  nos  flèches,  nous  ne  tra- 
vaillons sur  terre  et  sur  mer  que  pour  de 
Fargent.  Aussi  je  ne  viens  ici  que  pour 
de  1  argent.  Quant  aux  droits  politiques, 
^ccorde-les  à  ceux  qui  se  les  dispu- 
tent et  qui  achètent  ces  fariboles  au 
prix  de  leur  sang.  »  Le  consul  se  mit 
a  rire,  et  dit  à  cet  homme  :  «  Eh  bien , 
si  nous  réussissons  dans  notre  entre- 
prise, je  te  donnerai  mille  drachmes  en 
récompense  (2).  »  Voici  un  autre  trait 
rapporté  par  Polybe.  Il  s'agit  d'un  cer- 
tain Bolis.  «  Cétait  un  Cretois  qui  de- 
puis longtemps  occupait  à  la  cour  d'A- 
lexandrie le  rang  de  général . . .  Sosibe  sut 
le  gagner  en  quelques  entrevues...  Il  lui 
dit  qu'il  ne  saurait  en  nulle  circonstance 
complaire  à  Ptolémée  d'une  manière 
plus  certaine  qu'en  imaginant  le  moyen 
de  sauver  Achéus  (vivement  pressé  par 
les  armes  d'Autiochus).  Bolis  répondit 
qu'il  y  réfléchirait...  Après  deux  on  trois 
jours  de  réflexion,  il  revint  vers  Sosibe, 
et  lui  déclara  qu'il  prenait  sur  lui  cette 
affaire  :  Il  avait  habité  Sardes  assez 
longtemps,  et  connaissait  parfaitement 
les  localités  ;  d'ailleurs  Canibyle,  chef 
des  Cretois  au  service  d'Autiochus,  n'é- 
tait pas  seulement  pour  lui  un  compa- 
triote, mais  encore  un  parent  et  un  ami. 
Or,  Cambyle  et  ses  troupes  étaient  pré- 
posés à  la  garde  d'un  des  ouvrages  avan- 
cés placés  derrière  la  citadelle ,  en  un 
endroit  qui  ne  pouvait  recevoir  aucune 
fortification,  et  qui  n'était  protégé  que 
par  la  présence  continuelle  de  Cambyle 
et  de  ses  gens...  Sosibe  remit  à  Bolis 

(i)  Polybe,  VI,  46. 

(a)  Diod.,  Kxcrrpt,  Vaiic,  p.  xiS-iao, 


assez  d'argent  pour  qu^il  ne  Im  en  DUi- 
qu^t  pas  dans  son  entreprise,  et  lui  pro- 
mit des  récompenses  mamifiiiiues  s'il 
réussissait.  Dès  lors,  prêt  a  apîr, Bolis, 
sans  tarder  davantage,  se  mit  en  mer 
muni  de  lettres  de  recommandation  et  de 
dépêches  secrètes  pour  Nicomaque,  i 
Rhodes,....  et  aussi  pour  MélancooK^a 
Éphèse.  C'était  par  eux  qu'Aehéus  était 
en  rapport  avec  Ptolémée,  et  qu'il  eo- 
tretenait  en  général  ses  intrigues  ao  de- 
hors. 

«  De  Rhodes  il  se  rendit  à  Ëpbèse, 
fit  part  de  ses  desseins  à  Nicomaque  et 
à  Mélancome,  et  envoya  un  de  ses  offi- 
ciers, Arien,  demander  une  entrevue  î 
Cambyle....  Cependant,  Bolis,  avec  l'as- 
tuce raffinée  d'un  Cretois,  pesait  soi- 
gneusement toutes  les  chances  de  succès 
et  combinait  ses  artiGces.  Le  joar  de 
l'entrevue  arriva,  il  donna  à  Cambyie 
une  lettre,  et  sur  cette  lettre ,  ils  disca 
térent  eu  vrais  Cretois.  Il  ne  fut  ques- 
tion ni  du  salut  d' Achéus  en  danger,  oi 
de  la  fidélité  à  garder  envers  ceax  qoi 
s'en  étaient  remis  à  leur  parole;  ils  ne 
songèrent  qu'à  leur  sûreté  et  à  lesrs 
propres  intérêts.  Aussi ,  ces  deux  bom- 
mes  au  cœur  également  perfide  fureal 
bientôt  d'accord.  Il  fut  convenu  qo^ils 
se  partageraient  d'abord  les  dix  taleau 
remis  par  Sosibe,  puis  qu'ils  instrairaieal 
Antiochus  de  leur  dessein,  et  8'enga£^ 
raient  à  lui  livrer  Achéus  s'il  voulait  les 
soutenir,  et  s'ils  recevaient  en  outre  de 
l'or  sur-le-champ  et  des  promesses  di- 
gnes de  leurs  services.  »  Antiochus  ac- 
cepta la  proposition  avec  joie,  et  Bolis 
se  rendit  auprès  d' Achéus.  Celui-ci  se 
montra  défiant,  et  prit,  pour  se  garaDtir 
de  la  fraude,  toutes  les  précautions  pos- 
sibles ;  «  mais  il  avait  oublié  qu'il  faisait 
le  Cretois  avec  des  Cretois,  »  et  malgré 
sa  prudence,  il  tomba  dans  le  piège  et 
fut  livré  à  Antiochus  (1). 

Il  serait  aisé  de  multiplier  les  exemples 
de  ce  genre.  Ceux  que  nous  avons  atn 
ne  sont  pas  des  faits  exceptionnels,  lis 
tiennent  au  caractère  de  la  nation.  Ce 
caractère  était  tellement  dépravé  que  Po- 
lybe cite  comme  une  exception  remar- 
quable Antiphate  de  Gortyne,  dépote 
vers  les  Achéens  pour  leur  demander 
des  secours  contre  les  Rhodiens.  «  C< 

(r)  Poîybe,  vm,  t8  cl  s«îv. 


ILE  DE  CRÈTE. 


J5B1 


îeone  dé|MTt<  n'ivalt  rien  âa  earaetère 
de  sa  nation.  II  avait  su  échapper  aux 
perverses  maximeg.  de  Féducation  er^ 
toise  (1).  »  «  Il  serait  impossible,  dit 
ailleurs  le  même  historien ,  en  exceptant 
quelques  TiUes,  de  trouver  des  mœars 
privée  plus  corrompues  que  celles  des 
Cretois,  et  par  suite  des  actes  publics 
plas  injustes  (3).  •  On  sait  que  leur  nom 
était  devenu  synonyme  de  menteur;  il 
était  pass^  en  proverbe  qu*il  est  permis 
de  oretis^r  avec  un  Cretois,  npbc  Kpr^xk 

Religion  dis  Cretois.  La  religion 
des  Cretois  est  la  même  que  celle  des 
autres  peuples  g[recs;  elle  s*est  formée 
de  la  même  manière,  a  subi  les  mêmes 
modifications;  elle  a  passé  par  iea  mêmes 
phases ,  péri  pour  les  mêmes  causes  et 
dans  le  même  temps.  11  semble  donc 
qu'il  nous  suffirait  de  renvover  le  lec- 
teur à  la  partie  de  cette  collection  de 
rUnirers  qui  traite  de  la  religion  hellé- 
nique en  général,  pour  qu'il  pût  avoir 
uue  idée  exacte  et  complète  de  la  reli- 
gion adoptée  et  suivie  en  Crète.  Il  y  au- 
rait pourtant  une  lacune  grave  dans 
notre  étude  sur  la  Crète ,  si  nous  nous 
bornions  à  cette  indication  sommaire. 
Sans  doute  la  religion  Cretoise  ne  pré- 
sente aucune  difiarence  essentielle  avec 
la  religion  hellénique,  ni  dans  sa  nature, 
ni  dans  sa  forme  ;  mais  la  Crète  reven- 
diquait rhonneur  d'avoir  été  le  berceau 
du  grand  dieu  de  la  Grèce,  deZeuSy  que 
les  Latins  ont  nommé  et  que  nous  ap- 
pelons d'après  eux  Jupiter.  Déplus, une 
multitude  de  légendes  particulières  à  l'Ile 
de  Crète  sont  dignes  d'intérêt,  et  méri- 
tent de  notre  part  un  examen  sérieux. 
C'est  pour  ces  deux  moti£s  que  nous 
croyons  devoir  consacrer  un  chapitre 
spécial  à  la  religion  Cretoise. 

Selon  les  tbéogonistes  les  plus  accré- 
dités, Ouranos,  ou  le  Ciel,  avait  d'abord 
régné  sur  le  monde.  Il  fut  le  plus  an- 
cien des  dieux,  avec  la  Terre,  sa  com- 
pagne. Après  lui  vint  son  fils,  Cronos, 
chez  les  Latins  Saturne.  Cronos,  devenu 
fort,  détrôna  Ouranos,  prit  sa  place, 
puis  épousa  Rhéa,  sa  sœur.  Mais,  soit 
qu'un  oracle  le  lui  eût  annoncé,  soit 
que  le  sentiment  de  son  propre  crime 

(x)Polybe,XXXin,  i5. 
(a)  Id.,  rv,  8. 

86*  Livraison.  (Ils  de  CniTS.) 


lui  fit  craindre  on  soH  pareil  à  eel^i 
qu'avait  éprouvé  Ouranos ,  il  résolut  de 
supprimer  tous  les  enfants  mâles  qu'il 
aurait  de  Rhéa,  de  peur  que  l'un  d  eux 
ne  vtnt  à  le  renverser  du  pouvoir  suprê- 
me. Rhéa  eut  successivement  plusieurs 
fils:  aussitôt  n^,  aussitôt  dévorés  par 
Cronos.  L  ambition  est  impitoyable;  mais 
l'amour  d'une  mère  est  ingénieux.  Étant 
accouchée  de  Jupiter,  Rhéa,  pour  sait 
ver  son  nouveau-né,  le  coniSa  aux  Cu- 
retés ,  ses  fidèles  serviteurs,  et  ne  donna 
à  son  mari  qu'une  grosse  pierre,  bien 
emmaillotée.  Le  vieux  Cronos,  soit  que 
sa  vue  fût  affaiblie  par  l'âge,  soit  que  sa 
voracité  politique  l'ait  aveuglé  dans  cette 
circonstance,  prit  la  pierre  pour  fen- 
fant,  et  en  fit  ce  qu'il  avait  fait  de  ses 
autres  rejetons.  Ce  premier  succès  en- 
hardit Rhéa;  elle  renouvela  son  strata- 
gème, et  Cronos  y  fut  si  bien  trompé, 
oue  Neptune,  Pluton,  Junon  et  Cerès 
échappèrent  à  sa  dent  redoutable  et  vé- 
curent pour  devenir  immortels. 

Jupiter  avait  été  porté  dans  une  grotte 
cachée  à  tous  les  regards  :  comme  ses 
vagissements  et  ses  cris  auraient  pu  le 
déceler  aux  oreilles  de  son  père,  les 
Curetés,  ses  sauveurs ,  eurent  soin  de  se 
livrer  aux  danses  les  plus  bruyantes , 
tandis  qu'Araalthée  et  Mélissa,  les  deux 
nourrices,  faisaient  de  leur  mieux  nour 
calmer  le  dieu  enfant  et  le  tenir  en  repos. 
Grâce  à  tous  ces  dévouements ,  Jupiter 
échappa,  grandit.  Dès  qu'il  fut  fort,  U 
s'unit  à  Neptune  et  à  Pluton ,  et  tous 
trois  renversèrent  Cronos,  qui  se  vit  ré- 
duit à  mendier  l'hospitalité  de  l'exil  au- 
près d*un  roi  du  Latmm. 

Voilà  comment  Homère  et  Hésiode 
exposent  le  mythe  ;  voilà  quelle  fut  la 
croyance  de  toute  la  Grèce.  Disons  main- 
tenant quelle  était  celle  des  Cretois. 
D'abord,  ils  prétendaient  que  Jupiter 
était  né  dans  leur  fie;  que  Rhéa  l'avait 
caché  sur  le  mont  Dicté ,  avant  de  le 
donner  aux  Curetés,  qui  habitaient  au- 
tour du  mont  Ida.  Ils  montraient  l'antre 
joù  le  Dieu  avait  été  nourri.  Lorsque  les 
Curetés  emportèrent  l'enfant,  ajoutaient- 
ils  ,  le  cordon  ombilical  tomba  près  du 
fleuve  Triton;  aussi  consacra-t-on  cet 
endroit  sous  le  nom  d'OmphaloSy  et  la 
campagne  environnante  s'appela  Om- 
phaiion. 

Ainsi  la  Crète  se  vantait  d'avoir  été 

36 


umnvns, 


k  beveéiu  de  Jnpiter.  St  Mt  hoimêot 
flattait  son  orgueil  national  au  poiut 
que  pour  confondre  les  prétentiona  ri* 
valea  des  autres  pays,  elle  alla  jusqu'à 
BBontrer  le  tombeau  du  dieu.  Jupiter, 
suivant  cette  nouvelle  série  de  légeedea, 
aurait  été  roi  de  l'Ile,  et  y  serait  mort 
Cest  pourquoi  les  Gnossiens  lui  fai- 
saient des  sacrifices  funèbres.  Faute  de 
pouvoir  s'approprier  exclusivement  le 
dieu ,  on  en  faisait  un  homme. 

Cette  tradition,  particulière  aux  Gr^ 
lois,  souleva  contre  eux  les  colères  et  les 
réclamations  du  monde  hellénique  tout 
entier.  La  Grèce  se  scandalisa,  non  sans 
raison,  de  voir  qu'un  de  ses  peuples 
osât,  dans  un  acàsde  folle  vanité,  dé- 
capiter l'Olympe,  et  que  du  Jupiter 
d'Homère  et  de  Phidias,  du  Dieu  qui 
ébranle  le  monde  par  le  mouvement  de 
ses  sourcils,  on  ftt  un  simple  mortel, 
un  roitelet  comme  Inachus,  Pelée  ou 
Midas.  De  là  vint  aux  Cretois,  assure 
Callimaque ,  leur  renom  de  fourberie  et 
de  mensonge.  Nous  avons  vu  qu'ils 
avaient  d'autres  titres  encore  à  cette 
réputation. 

On  nous  pardonnera  d'avoir  insisté 
sur  ces  vieux  récits  mythologiques,  et 
l'on  ne  nous  fera  pas  un  crime  de  ne 
leur  accorder  qu'un  médiocre  respect. 
Noi^s  suivons  en  de  telles  matières  l'o- 
pinion, si  sage  et  si  mesurée,  de  Strabon. 
«  Je  me  suis  un  peu  arrêté  à  ces  fables, 
dit-il,  parce  qu'elles  touchent  la  reli- 
gion, et  que  lorsqu'il  s'agit  des  dieux, 
Il  faut  rechercher  les  croyances  anciennes 
et  les  traditions  mythologiques  ;  car  les 
anciens  ont .  indiaué  sous  l'enveloppe 
de»  fables  ce  qu  ils  ont  pensé  sur  la 
nature  des  choses.  Il  n'est  pas  possible 
d'expliquer  exactement  les  énigmes; 
mais  quand  on  rassemble  cette  multi- 
tude de  traits  fabuleux,  qui  tantôt  s'ac- 
cordent entre  eux,  tantôt  se  contredi- 
sent, on  peut,  en  les  comparant,  dé- 
couvrir plus  aisément  la  vérité  qu'ils 
cachent.  Ainsi,  lorsqu'on  feint  que  ceux 
qui  servent  les  dieux  et  que  les  dieux, 
eux-mêmes  se  plaisent  à  courir  sur  tes 
montagnes  et  se  livrent  à  l'enthousiasme, 
e>st  probablement  par  la  même  raison 
qui  a  fait  imaginer  qu'ils  habitent  les 
deux ,  d'où  ils  manifestent  leur  provi- 
dence, soit  par  des  signes  qui  présagent 
l'avenir,  soit  de  quelque  autre  manière. 


En  atteC ,  les  aelarM  woê  Isa  mtom 
mènent  à  la  découvarte  dea  métainf, 

SAx  de  la  chasse,  mix  nanheielMi  i  _ 
verses  ehoaca  utiles  à  la  vie,  et  l'aa- 
thonsiasme  tient  au  merveilleox  en  cé- 
rémonies religieiiaesY  dea  diviiiMioBaft 
des  pteatigaa,  » 

Qu'y  a-t-il  de  wai  dans  cea  légfdss.» 
qtiels  éléments  foonissait-eUai  à  liiit- 
toire?  Fréret  nous  parait  avoir  poii  les 
prinoipea  fondamantaui  de  tmittt  anti- 
que solide  dans  une  telle  questma  ion- 
gu'il  dit  :  «  Le  lieu  de  la  naiaaanee  de 
I  plupart  des  divinités  paStmiaa  aéra 
ealui  où  ce  culte  a'était  éùitii  d'akoid, 
eu  celui  qui  en  fut  eoBuna  la  oantae.  Les 
aventurée  de  eea  dieux  aeront  FUsioire 
de  rétabUssemeat  de  leur  culte;  leurs 
combati,  leurs  exploita ,  aeront  Isa  op- 
poshions  qu'auront  trouvées  les  prédS- 
cateurs  de  ce  culte  et  les  divtvses  ré- 
volutions qu'il  a  essuyées  (l).  » 

En  appliouant  les  rè^es  établiaa  par 
Fréret  aux  légendes  qui  noua  oeeapeat 
ici,  nous  arrivons  à  des  ooneluaiooa  ss- 
Bon  certaines,  au  moins  vraiaenaMaUcs. 
Ainsi ,  l'on  ne  peut  douter  que  dès  les 
temps  les  plus  recalés  Zeua  ou  Jupiter 
ne  rat  en  Crète  le  dieu  par  exeollcoce, 
la  divinité  nationale.  Ce  qui  n'est  pas 
moins  évident ,  c'est  que  le  culte  de  Zeus 
ne  s'étendit  que  peu  à  peu ,  et  ne  doni^ 
sait  dans  les  temps  primitift  que  sur 
une  partie  de  Itle ,  principalemeat  au- 
tour du  Dicté  et  de  rida.  Ainsi  la  ville 
de  Gnossos,  dont  la  fondation  est  attri- 
buée aux  Curetés,  et  qui  Ait  la  eapitale 
de  l'Ile  sous  Miaos ,  était  à  cette  époque 
la  métropole  religieuse.  «  Miaos,  dit 
Homère,  le  parèdre  de  Jupiter,  y  régna 
neuf  années.  »  Là  était  l'antre  du  dieu . 
son  sanctuaire  et  son  tombeau  (9).  C*eat 
à  Gortjrne  que  la  fable  plaçait  les  anuMirs 
de  Jupiter  et  d'Europe.  Rbéa  était  ac- 
couchée à  Lyctos,  et  la  eapitale  des 
Etéocrètes,  Proesos,  avait  un  teasple 
consacré  à  Jnpiter  DIetéen.  Hiérapytaa 
avait  également  adopté  le  culte  du  dieu . 
puisque  la  fondation  de  cette  ville  élaK  i 
attribuée  à  Corybas,  Ton  des  Curetés. 
Itanos,  à  l'extrémité  orientale  de  I1l#, 
se  donnait  une  origine  semblable,  et 

(i)  Mém,  de  VJcad,  des  /user,,  t.  XLVII. 
p.  38. 

(a)  Plut.,  de  Leg.^  I. 


ILE  ra  CKtiE. 


tes 


f^vait  8tif  Ms  moBnaiaa  la  tête  de  Ju« 
piter.  Biennos  avait  aom  temple  Bieor 
nien.  A  l'ouest  de  Tlda,  Éleutbéria  et 
Oaxoi^  appelée  auisi  Aaoa,  marquent  la 
limite  oeeideutale  où  s'arrêtait  le  oulle 
de  Jupiter.  Il  eiiatesans  doute  des  moih 
naiea  de  C^donia,  d*Apteraet  de  Polyr* 
renies,  fim^pées  à  l^effigie  du  dieu  ;  mais 
ces  monnaiea  appaptiennent  à  des  temps 
postérieurs.  Ces  villes  adoraieut  princi-» 
paiement  Diane,  Diotpna  et  Apollon. 
Jamais  le  culte  de  Jupiter  ne  fut  le  oultp 
dominant  dans  Tonest  de  Ttle.  Il  eut 
toujours  son  siège  le  plus  important  au 
centre,  dana  Jea  environs  deadeui  cé- 
lèbres eaontagnes  de  la  €rète,  à  Gnoasoa, 
à  Gortyne,  à  Lyckos ,  à  Prasos  et  à  Hié« 
rapvtna. 

Il  ne  nous  sera  pas  plus  diifieile  d*ev 
pHquer  le  mythe  du  détrônemeot  de 
Cfonos.  ApfdiquQna  la  règle  donnée  par 
Fréret.  Ce  mythe  aignifte  aue  le  culte 
de  Zeus  avait  été  précédé  dans  Ttle  dç 
Crète  par  une  religion  plus  anoieni^e, 
qui  finit  par  auceomber.  M.  de  Sainte* 
Croii  va  jusqu'à  préciser  la  durée  de 
la  lutte  qui  s^étanlit  entre  les  deux 
eultes.  11  la  iie  à  dix  ans.  Il  est  plus  im« 
portant  peu^tre  de  se  demander  quel 
était  le  culte  de  Cronos.  Toutes  les  tra- 
ditions noua  représentent  ce  dieu  eonune 
un  dieu  aangumaire.  Plusieurs  témoi- 
gnages ne  permettent  pas  de  douter  qu*à 
une  époque  fort  ancienne  la  cruelle 
pratiqua  de  sacrifier  a  la  divinité  des 
victimes  humaines  n^existât  ehez  lea 
Cretois.  Il  paratt  même  qu'en  Crète, 
comme  en  Phénicie,  ces  victimes  étaient 
ordinairement  des  enfants.  Ainsi  la  chute 
de  Cronos  ne  fut  pas  autre  chose  que 
«elle  d'un  culte  eruel  et  sanguinaire,  que 
remplaça  une  religion  plus  douce. 

D'où  vient  cette  religion  nouvelle? 
2eus  est-il  indigène  ou  étranger?  Et  s'il 
est  étranger,  est-il  égyptien,  phénicien 
ou  phrygien?  La  l^ende  le  présente 
nomme  nls  de  Cronos,  et  Torgueil  na- 
tional a  fait  les  plus  grands  efforts  pour 
faire  de  Zeus  un  Cretois.  En  sorte  que 
la  religion  nouvelle  serait  sortie  des  en* 
trailles  mêmes  du  pays,  comme  le  dieu 
du  sein  de  Rbéa.  Mais  il  nous  paraît 
bien  difficile  d'admettre  une  telle  exnli* 
cation.  Que  faudrait- il  supposer  en  effet? 
Qu'uuQ  réactioii  énergique  se  serait  faite 
contre  le  culte  barbare  pratiqué  dana 


toute  réieiidue  de  Mie,  que  le  en  de 
l'humanité,  violée  ohaque  jour  par  ces 
saerifioes  sanglants,  aurait  été  asaez  puis* 
sant  pour  triompher  de  riffnorance  o| 
de  la  peur,  ces  deux  mères  des  antiques 
çûperstitiona.  Mais  les  choses  ne  se  pas* 
sent  guère  de  la  sorte.  LHiistoire  ne  noua 
montre  pas  un  seul  progrès  dans  lea 
mœurs  généralea  d'une  soeiété  qui  n'ait 
été  précédé  d'un  progrès  de  rintelligenee 
publique.  Il  faudrait  que  la  dvilisaiion 
de  la  Crète  fût  autoehthoue  pour  que  le 
culte  de  Zeus  le  fût  aussi.  Or  il  n*est  pat 
possible  de  nier  les  rapports  nombreux 
et  pour  ainsi  dire  permanents  de  la 
Crète  avec  la  Phénicie  et  l'Asie  Mineure. 
La  Crète  n'a  pu  éohapper  à  rinfluenee 
de  ces  deux  pays,  et  ses  institutions  reli« 
giei^sea,  comme  les  autres,  doivent  por« 
ter  Tempreinte  de  leurs  civilisations. 
Le  oulte  de  Zeuf  n'est  donc  pas  plus 

Îue  celui  de  Cronos  d'origine  erétoise. 
àut  porte  à  croire  qu'il  est  venu  d'O- 
rient. Bien  entendu  que  le  même  nom 
B*a  pas  représenté  à  toutes  les  époques 
la  même  divinité.  Le  Zeus  primitif  tenait 
évidemment  au  naturalisme  oriental; 
phis  tard  il  se  rattacha  étroitement  au 
système  anthropomorphique  de  la  Grèce. 
Que  rinfluence  des  mythes  phéniciens 
se  soit  exercée  en  Crète,  c'est  ce  que 
montre  la  légende  d'Europe.  Pour  l'in- 
flueneedea  mythes  phrygiens,  il  suffit 
d'indiquer  l'identité  des  légendes  rela- 
tives à  Zeus  et  à  Rbéa ,  la  ressemblance 
des  Curetés,  des  Dactyles  et  des  Cory* 
bantes,  ressemblance  telle  que  toute 
l'antiquité  les  a  confondus. 

Il  est  donc  probable  que  dans  l'tle  de 
Crète,  comme  dans  les  autres  pays  hel' 
léniques,  la  religion  pétasgique  domina 
d*abord ,  barbare  dans  ses  rites  et  san« 
guinaire  dans  ses  pratiques.  C'est  cette 
époque  que  la  légende  appelle  le  règne 
de  Cronos.  Dans  la  suite,  grâce  aux 
rapports  qui  s'établirent  entre  la  Crète 
et  1  Orient,  une  religion  plus  humaine 
s'introduisit,  et  finit  par  l'emporter.  C'est 
ce  que  la  légende  appela  la  victoire  de 
Zeus  sur  son  père  Oonos. 

Ce  premier  point  établi,  nous  avens 
à  étudier  une  des  questions  les  plus  em<^ 
barrassanteset  les  plus  controversées  de 
la  mythologie  erétoise  ;  nous  voulons 
parler  des  Dactyles  Idéeos,  des  Curetés 
etdesCorybantes. 

36^ 


664 


LtJNIVERS. 


Laissons  de  cdié  les  Dactyles  Idéens. 
Si  Ton  n'a  pu  leur  attribuer  pour  patrie 
rtle  de  Crète,  cela  tient»  selon  toute  ap« 
parence,  à  Tbomonymie  des  deux  mon- 
tagnes saintes  de  la  Crète  et  de  la  Phry- 
Sie.  Mais  le  témoignage  de  Sophocle, 
*Êphore ,  de  Diodore,  de  Strabon  et  de 
Saint-Clément  d'Alexandrie  nous  auto- 
rise à  les  regarder  comme  Phrygiens* 
Selon  Sainte-Croix»  «  les  Dactyles  «  les 
Cabires,  lesTelcbines,  etc.,  furent  les 
premiers  instituteurs  des  sociétés,  et 
|KHir  affermir  leurs  établissements  ils 
eurent  soin  de  les  mettre  sous  la  pro- 
tection de  cérémonies  religieuses,  et  de 
les  entourer  du  voile  du  mystère.  »  Ce 

Îui  est  certain,  c'est  qu*on  attribuait  aux 
dactyles  l'invention  du  fer  et  de  Tairain, 
uu'ils  exerçaient  la  médecine ,  et  que, 
dans  le  but  d'accroître  leur  influence,  ils 
avaient  recours  aux  prestiges  et  aux  en- 
chantements. 

Quant  aux  Corybantes,  Sainte-Croix.les 
croit  phrygiens.  «  Les  Corybantes,  dit-il, 
étaient  remarquables  par  leur  force.  Ils 
fabriquaient  les  armes  défensives,  cul- 
tivaient la  musique  et  la  danse.  »  On  ne 
compta  d'abord  cjue  trois  Corybantes, 
comme  trois  Cabires  et  trois  Dactyles. 
Les  trois  anciens  Corybantes  étaient 
Cvrbas  ou  Corybas,  Pyrrhicus  et  Idoeus. 
Mais  ces  noms  sont  évidemment  forgés. 
Celi^i  de  Corybas  ne  se  rapporte  pas 
plus  à  un  être  réel  que  ceux  d'Ion ,  de 
Dorus  et  d'Achéus,  auî  personnifient  la 
diversité  à  la  fois  a  la  parenté  des  races 
helléniques.  Le  nom  de  Pyrrhicus  se  rap- 

Sorte  à  la  danse  pyrrhique,  et  pour  celui 
'Idonis,  qui  n'y  reconnaît  le  mont  Ida? 
'  Tout  en  admettant  avec  Sainte-Croix 
qoe  les  Corybantes  sont  Phrygiens, 
nous  devons  reconnaître  avec  Lobeck  (i) 

Su'ils  ont  eu,  dès  la  plus  haute  antiquité, 
e  fréauents  rapports  avec  les  Curetés. 
Lobeck  convient  d'ailleurs  que  la  ques- 
tion des  Dactyles  et  de  leurs  confrères 
les  Curetés  et  les  Corybantes  lui  semble 
<t  inexplicable  et  peu  claire  même  pour 
les  anciens  »• 

Arrivons  aux  Curetés,  qui  paraissent 
apnartenir  plus  particulièrement  à  la 
Crète.  D'après  quelques  récits  que  rap- 
porte Diodore,  les  Curetés  sont  les  dix 


fils  d'un  i«i  de  Crète  nommé  Jupiter. 
Après  eux  vinrent  neuf  autres  Carèbn, 
indigènes  ou  descendants  des  premiers , 
mais  qu'on  représente  comaie  pâtres, 
chasseurs  ou  inventeurs  des  amaes.  Se- 
lon d'autres  auteurs,  cités  par  Strabon, 
c'est  Rhéa  qui  fit  venir  de  Pbrygie  des 
Curetés,  ou  oien  ce  nom  fut  pris  par  les 
Telchines  Rhodiens  qui  vinrent  s*établir 
en  Crète ,  ou  encore  les  Curetés  étaient 
les  mêmes  que  les  Corybantes ,  à  moins 
qu'on  n'aime  mieux  suivre  une  autre 
version  et  les  faire  descendre  des  Dac- 
tyles. 

Voilà  quelles  sont  sur  les  Curetés  les 
opinions  des  plus  anciennes  mytbolo- 
'  gies.  Au  milieu  d'un  tel  chaos  Je  té- 
moignages, il  nous  semble  difficile  d*ar- 
river,  sur  tous  les  points  qui  concernent 
l'histoire  des  Curetés,  à  une  certitude 
absolue.  Aussi  les  critiques  modernes  ne 
sont-ils  pas  moins  divergents  d'opinioa 
que  les  auteurs  anciens.  Ilous  aTons 
déjà  dit  le  désespoir  de  Lobeck.  Le  pré- 
sident de  Brosses  se  tire  d'afifaire  à 
force  d'esprit.  Son  opinion  est  assez  in- 
génieuse pour  être  citée  :  «  Les  Cure- 
tés, dit-il,  sont  les  andens  prêtres  de 
cette  partie  de  l'Europe  voisine  de  TO- 
rient  et  de  la  Grèce ,  assezsemblables  aux 
Druides  des  Celtes,  aux  Salions  desSa- 
bins ,  aux  sorciers  ou  jongleurs  de  La- 

Sonie,  de  Nigritie,  ou  à  ceux  des  sauva^ges 
e  l'Amérique,  de  la  Sibérie,  du  Kamt- 
chatka. C'est  assez  vainement  qu'on  a 
beaucoup  disputé  sur  leur  véritable  pa- 
trie, puisqu'on  trouve  de  ces  sortes  de 
Srêtres  partout  où  la  crovanoe  grossière 
es  religions  sauvages  faitle  fond  des  pré- 
jugés populaires  ;  mais  le  plus  célèbre  de 
ces  collèges  de  prêtres  était  en  Orète.  » 
Sans  nier  l'analogie  et  les  rapports 
des  Curetés  avec  les  Dactyles  Idéens  et 
les  Corybantes ,  il  nous  semble  que  les 
plus  nombreux  et  les  plus  importants 
témoignages  s'accordent  à  les  présenter 
comme  Cretois.  Maintenant  qu'étaient- 
ils  dans  l'origine  ?Très-probanlement  ils 
formaient  une  caste  sacerdotale,  et  do- 
minaient dans  111e  par  la  légitime  in- 
fluence de  la  supériorité  intellectuelle  et 
morale.  Cest  à  eux  qu'on  attribuait  les 
premiers  travaux  de  défrichement  (i). 


(i)  Lobeek,  Jglaophamut,  Orphica,  Elett-        (i)  Primt  cultores  Cret»  esse   dicnntor. 


*ina,  passim. 


Senr.  adJ^ndd^, 


ILEDEGRETE. 


W 


L'un  d^etix ,  JaBiom ,  avait  ea  eommeroe 
avocCérèSidit  la  légeDde,daD8  un  cbamp 
neuf  qui  veDait  de  recevoir  trois  labours, 
et  de  ce  commerce  était  oé  Plutus  :  belle 
et  simple  allégorie,  qui  ne  veut  dire  rien 
autre  chose  si  ce  n*est  que  le  labourage 
produit  la  richesse.  Un  autre  Curète, 
Philomèle ,  frère  de  Jasion ,  inventa  la 
charrette,  et  Cérès,  en  récompense, 
le  plaça  au  ciel ,  où  on  le  nomme  le 
Bouvier,  comme  Jasion  et  Triptolème 
avaient  formé  la  constellation  des  Gé- 
meaux. 

Le  rôle  des  Curetés,  dans  le  premier 
développement  de  la  civilisation  en  Crète, 
ne  se  borna  point  là.  Diodore  les  repré- 
sente  comme  pâtres  et  éleveurs  d'abeil- 
les. Les  deux  nourrices  de  Jupiter  fu- 
rent Amalthéeet MéJissa,  c'est-à-dire  une 
chèvre  et  des  abeilles.  Ce  sont  aussi  les 
Curetés  qui  inventèrent  les  épées  et  les 
casques.  Tout  cela  répond  bien  à  Tidée 
que  nous  nous  en  faisons  comme  d'une 
caste  sacerdotale  associée  à  une  tribu 
guerrière,  qui  mit  sous  le  patronage 
d'un  nouveau  culte ,  celui  de  Zeus,  ses 
premiers  essais  d'agriculture  et  d'in- 
dustrie. 

Rien  ne  peut  nous  donner  une  idée 
plus  claire  de  ce  qu'étaient  les  Curetés 
que  l'histoire  d'Épiménide.  C'était  un 
Cretois ,  qu'on  fit  venir  à  Athènes  pour 
purifier  la  ville ,  souillée  par  des  crimes 
et  des  profanations.  «  On  le  disait  fils 
de  la  nymphe  Balte,  et  on  racontait  sur 
lui  de  mystérieuses  histoires.  Dans  sa 
jeunesse,  un  jour  que  son  père  l'envoya 
a  la  recherche  d'une  brebis  égarée,' il 
entra  dans  un  antre  écarté,  pour  évi- 
ter la  chaleur  du  jour.  Le  sommeil  l'y 
surprit.  11  y  dormit  cinquante-sept  ans. 
Tout  était  étrange  et  imposant  aans  sa 
personne  :  ses  longs  cheveux,  son  re- 
gard sombre  et  profond,  la  solennité  mys- 
^rieuse  de  ses  gestes,  sa  gravité  orien- 
tale; jamais  on  ne  l'avait  vu  manger.  Il 
avait  une  merveilleuse  connaissance  des 
choses  de  la  religion  et  de  la  nature.  Il 
connaissait  toutes  les  propriétés  des 
plantes.  Inspiré ,  il  lisait  dans  l'avenir  : 
sorte  de  [>rétre  et  de  prophète  (1).  » 

Quant  il  eut  accompli  son  œuvre ,  on 
voulut  le  combler  de  présents.  Il  n'em-^ 
porta  qu'une  branche  de  l'oliviei  de  Mi- 

(c)  Duruy,  Uut,  Gr„  p.  94. 


aerve  et  un  traité  d'allianee  entre  Athè- 
nés  et  Cnossos,  sa  patrie. 

Plus  tard  les  Curetés  ne  furent  plus 
que  des  initiateurs  de  mystères.  Ces 
mystères  se  pratiquaient,  selon  Sainte- 
Croix,  près  de  l'antre  où  Ton  croyait  que 
Jupiter  avait  été  élevé.  Ils  commençaient 
par  des  purifications,  faites  au  moyen 
des  pierres  que  la  foudre  avait  frappées. 
L'initié,  couronné  de  la  laine  d'un 
agneau  noir,  couchait  le  matin  étendu 
sur  le  rivage  de  la  mer,  et  la  nuit  sur  les 
bords  d'un  fleuve  voisin.  Tout  habillé 
de  laine  noire ,  il  était  ensuite  introduit 
dans  l'antre  nommé  Idéen ,  et  il  y  de- 
meurait trois  fois  neuf  jours.  La  céré- 
monie était  terminée  par  un  sacrifice  fu- 
nèbre, offert  à  Jupiter. 

Il  nous  reste,  pour  en  finir  avec  les 
Curetés,  à  dire  quelques  mots  de  la 
danse  pyrrhique,  dont  on  leur  attribuait 
l'invention.  Mais  Lobeck  a  très-bien  fait 
voir,  dans  son  introduction  aux  mystè- 
res d'Eleusis,  que  l'usage  d'honorer  la 
divinité  par  des  danses  n'est  point  par- 
ticulier à  tel  ou  tel  pays ,  mais  commun 
â  tous  dans  certaines  époques  de  civili- 
sation. Les  Curetés  dansaient  en  l'hon- 
neur de  Jupiter,  comme  ^les  Saliens ,  à 
Rome,  en  l'nonneur  de  Mars  et  les  Galles 
en  rhonneur  de  la  Bonne  Déesse.  Mais 
au  lieu  que  les  mouvements  des  Galles 
étaient  frénétiques,  sans  règle,  et  leurs 
cris  discordants,  la  danse  des  Curetés 
était  décente ,  mesurée,  et  leurs  chants 
harmonieux. 

Après  Zeus,  père  et  o^anîsateur  de 
la  nature,  le  soleil  et  la  lune  »  principes 
et  agents  de  la  lumière  étaient  à  Tépo- 

3ue  Minoique  les  principales  divinités 
e  la  Crète.  Les  noms  de  la  race  de  Mi* 
jios,  surtout  ceux  des  femmes,  leur  sont 
empruntés.  Ainsi  Europe ,  mère  de  Mi- 
Bos,  est  fille  de  Téléphasa  ou  Télépha 
(celle  qui  luit  au  loin);  sa  femme  est 
Pasiphaé  (celle  qui  luit  pour  tous), 
fille  du  soleil.  La  monstrueuse  union  de 
cette  dernière  avec  le  taureau  marin 
n'est  sans  doute  qu'une  allégorie  fondée 
sur  la  croyance,  si  répandue  chez  les 
anciens,  qu'à  l'influence  du  soleil  sur 
la  lune  se  rattache  la  fécondité  de  la 
terre. 

Nous  touchons  m  à  Tuno  des  plus  cu- 
rieuses légendes  de  la  mythologie  grec- 
que. Minos  avait  eu  de  Pasiphaé  quatre 


999 


LinnvB&& 


drogée;  et  autant  defilles,  Acallé^,  Céo- 
âke,  Ariane  «t  Phèdre.  Astérios>  toi 
de  i*!le ,  étant  venu  à  roourîir  sans  lals*- 
ser  d'enfants,  Minos  prétendit  À  la  royair- 
té ,  soutenant  quelles  dieux  la  lui  avaient 
tonnée.  ' 

Pour  te  'ptt>liVer,  il  ajouta  qu'il  ob- 
tiendrait d'eux  ee  qu'il  leur  demande- 
rbit.  Sur-le-champ  il  se  met  à  l'œuvre» 
fiiit  un  sacrifice  à  Neptune ,  et  le  prie 
d'envoyer  de  là  mer  un  taureau ,  pro* 
mettant ,  mais  tout  bas ,  de  le  lui  im- 
moler. Le  dieu  fit  aussitôt  sortir  de  la 
mer  un  taureau,  et  comme  il  se  le  croyait 
destiné,  il  l'envoya  de  haute  taille  el 
d\in  embonpoint  admirable.  Grâce  à 
ce  miracle ,  Minos  fut  roi.  Mais  le  tau<^ 
reau  était  si  beau  qu'il  le  mit  dans  ses 
pâturages,  et  eu  sacrifia  iln  autre.  Le 
dieu,  irrité,  se  vengea  en  rendant  le 
taureau  Sauvage,  et  Pasinhaé  amoureuse 
du  taureau.  Pour  satisfaire  sa  passion , 
la  reine  eut  recours  à  Dédale,  qui,  exilé 
d* Athènes  pour  un  meurtre,  avait 
tarouvé  asile  et  protection  auprès  de  Mi-^ 
Uos.  L'ingénieux  artiste  construisit  une 
vache  de  bois ,  creuse  en  dedans ,  mon- 
tée isur  des  roulettes ,  y  ajusta  la  peau 
d'une  vache  nouvellement  éebrcnée, 
jplaça  le  mannequin  dans  un  endroit  où 
le  taureau  avait  coutume  de  paître ,  ei 
y  cacha  Pasiphaé.  Grâce  à  ce  strata* 
gème,  la  reine  eut  de  l'animal  divin  un 
nls  qu'elle  appela  Astérios,  mais  qui  est 
plus  célèbre  sous  le  nom  de  Minotaure. 
Astérios  avait  depuis  la  tête  jusqu'aux 
épaules  la  figure  d'un  taureau,  y  corn* 

S  ris  les  cornes  ;  pour  le  reste  du  corps , 
ressemblait  à  un  homme.  Mtnos  se  re« 
Sentit  alors  d'avoir  offensé  les  dieux,  et 
ans  une  si  étrange  conjoncture  il  con» 
sulta  les  oracles.  D'après  leur  réponse 
le  Minotaure  fût  enfermé  dans  le  laby^ 
rinthe  construit  par  Dédale  (l). 

Afin  de  pourvoir  h  la  subsistanée  du 
monstre,  ou  lui  donnait  en  pâture  leisi 
jeunes  garçons  et  les  jeunes  filles  que 
les  Athéniens  étaient  obligés  d'envoyer 
chaque  année  au  roi ,  en  expiath>n  du 
meurtre  d'Androgée.  Telle  est  du  moins 
la  version  la  plus  tragique.  «  Mais,  sui- 
vant Philochorus,  les  Cretois  ne  conve- 
Uaient  pas  de  ee  fett.  Ils  diraient  que  le 

(1)  ApoUod.,  ni,  z. 


Lal^tinthe  était  une  pttea  où  Pona'i* 
▼ait  d'autre  mal  que  de  ne  pouvoir  s'a* 
fuir  quand  on  y  était  enfermé.  Miaoi, 
ajoutaient*ils,  avait  institué  en  l'hoa* 
neur  de  son  fils  des  combats  gynmiqMi, 
où  les  vainqueurs  reeevaient  pour  prix 
ees  enfants,  qui  restaient  jusqu'à  cet 

instant  détenus  dans  le  Labyrinthe 

Aristote ,  dans  sa  Rapplique  des  M- 
Uéenê,  ne  croit  pas  non  plus  q«e  ces 
enfants  fussent  mis  à  mort  par  MIbos, 
mais  qu'ils  vieillissaient  en  Crète,  »• 
servis  a  des  travaux  mercenaues.».  «  Os 
voit,  au  reste )  ajoute  spiritiiellemiiiit 
Piuiarque,  combien  il  est  dangereux  ik 
s^attirer  la  haiue  d'une  vUto  qui  sait  ^ 
1er  et  qui  cuUive  les  arts.  Minos  a  toa- 
iours  été  décrié  et  couvert  d'Mtrages  m 
les  théâtres  d'Athènes.  Rien  ne  lai  a 
eervi  d'avoir  été  appelé  par  Hésiode  k 
plus  ^and  des  rois ,  et  par  Homère  le 
familier  de  Jupiter.  Les  poètes  uragiqoes 
ont  prévalu;  et  du  haut  des  tréteaux  de 
la  scène  ils  ont  fait  pleuvoir  stH  lui  Top- 
nrobre.  Ils  l'ont  &it  pai^r  pour  un 
nomme  dur  et  violent;  et  pourtant  Mi* 
nos  est,  à  les  entendre ,  le  roi  et  le  lé> 

§islateur  des  enfers ,  tandis  que  Rbi- 
amanthe  n'y  est  que  l'exécuteur  des  ar- 
rêts portés  par  Minos  (i).  » 

Ibut  le  monde  connaît  6e  qui  seivit, 
la  victoire  de  Thésée  sur  le  Minotaure, 
les  malheurs  d'Ariadne  et  de  Pfaèdte. 
Nous  n'insisterons  donc  pae  davantage 
sur  cette  légende* 
Nous  avons  à  peu  ^tèa  épolaé  teutee 

3ue  les  auteurs  anciens  notis  effarât 
'intéressant  sur  l'ancienne  retlgloa  des 
Cretois.  Il  nous  resterait  è  éffe  ewils 
changements  elle  subit  à  la  suite  deVkh 
vasion  des  Dorions,  alors  que  les  dig- 
nités helléniques  s^inuroduisi^eot  dans 
rUede  Crète;  mais  ce  serait  reeomaiencer 
l'exposé  général  de  la  tèllgloil  greeifMe 
et  nous  engager  dans  des  liéfeleppe- 
Uients  qui  excéderaient  les  bûmes  de  oet 
ouvrage. 

DteS     ARTS    UTILES    ET    LtBteAPt 

icu£2  LES  CuÉTOks.  -^  Le  géuic  derten 
était  essentiellement  poKli^^e  et  ^M^ 
rier.  Il  savait  fonder  des  iustitatioi^i 
(constituer  un  État,  former  des  éAeVcos 
et  des  soldats  ;  maie  hors  de  là ,  Il  wt 

(c)  Plut.,  rie  de  Thésée,  tnd.  d*Al. 
Pierron. 


ILS  DE  CRtEE. 


MT. 


cY)mm«  frdppé  d«  nérillté.  Eu  Crète, 
comme  à  Sparte,  il  n'a  créé  qa'ane  chose: 
r£tat ,  e*est*à-din  une  sorte  de  sociélé- 
macbitae ,  que  rien  n'eût  animée  sans 
les  agitations  de  la  ^e  public)ue.  L'intfns* 
trie  et  le  commerce,  qui  répandent  dans 
une  société  le  mouvement  et  la  fie, 
manquaient  presque  entièrement  ft  cet 
État  ;  les  arts  qui  y  ftirent  eultirés  se 
rattachent  par  leur  origine  et  par  leuf 
caractère  à  la  cifilisation  primitive  de 
riie.   les  Doriens  en  ner^ionnèrent 

aueiqties^uns ,  tels  que  la  musique  et  la 
anse  ;  mais  ce  fut  tout. 

iNDUStRIE  BT  GOHtffiâCS.  —  L'în- 

dustrie  chez  les  Cretois  aurait  été  pres'* 
que  entièrement  nulle,  si  oes  insulaires 
n'avaient  de  très-l)onne  heure  et  dans 
tous  les  temps  tiré  parti  de  leur  habi- 
leté à  manier  l'arc,  en  se  vendant  à  tous 
ceux  qui  voulaient  les  acheter.  Les  ar- 
chers mercenaires  de  la  Crète  se  trou- 
vent,  dans  l'antiquité ,  sur  presque  tous 
les  champs  de  bataille,  et  u  n'était  pas 
rare  d'en  rencontrer,  dans  une  même 

fuerns,  à  la  solde  des  deux  partis,  com- 
attant  les  uns  contre  les  autres.  Leur 
adresse  dans  le  maniement  de  l'are,  les 
profits  qu'ils  en  retiraient  créèrent  leur 
s^ule  industrie  active,  la  fabrication  de 
cette  arme*,  ils  n'en  connurent  ou  du 
moins  ils  n'en  exercèrent  pas  d'autre. 
U  est  triste  qu^un  pareil  usaee  alimente 
toute  l'industrie  d^m  peuple;  mais  il 
n'en  pouvait  être  autrement  chez  un 
peuple  qui  faisait  de  la  guerre  même  sa 
principale  industrie. 

Là  ou  rindusirie  manque,  le  com- 
merce qu^elle  alimente  ne  saurait  étr^ 
bien  actif  :  la  Crète  en  effet  ne  foX  ja- 
mais un  Ëtat  eômnoerçânt.  Cependant  ^ 
par  sa  position  maritime  sur  la  grande 
voie  des  peuplés  marchands  de  Tanti* 

guité,  par  Ses  potts  nombreux,  elle  sem- 
lait  destinée  à  devenir  un  important 
centre  de  comtnetce.  Mais  elle  ne  tirt 
jamais  parti  de  ses  avantages  naturels. 
Avant  Mlnos ,  les  Cretois  ne  songeaient 
à  s'enrichir  que  Car  la  piraterie.  Sous 
son  règne  leur  activité  se  tourna  encore 
vers  la  mer,  mais  pour  conquérir  e%  pour 
fonder  des  colonies.  L'impulsion  donnée 
par  ce  prince  dura  jusqu  à  l'époque  de 
ta  guerre  de  Troie.  Tinrent  ensuite  les 
Doriens  :  mais  l'esprit  ée  ce  peuple  n'é- 
tait pas  favorable  aux  entreprises  tram- 


merdales.  Le^ommeree  vit  de  raetivîté 
individuelle,  et  ne  peut  se  passer  de  l'ai- 
g[tttUon  du  besoin.  Dans  un  État  où  i'a<i» 
tivité  de  l'individu  s'absorbe  dans  la  vie 
publique  du  citoyen,  où  une  classe  au- 
jetle  est  chargée  de  fournir  aux  besolnc 
du  peuple  souverain,  il  ne  saurait  y  avoir 
de  commerce.  D'ailleurs,  l'état  de  guerre 
permanent  dans  leauel  s'agitaient  cou» 
vulsivement  les  villes  de  Crète  ne  leur 
permettait  pas  d'entretenir  au  dehors 
des  relations  commerciales  étendues  et 
suivies.  La  paix  et  la  séeurité  sont  néces» 
sairesà  ces  sortes  de  transactions.  L'une 
et  l'autre  ont  toujouis  également  man- 
qué aux  cités  Cretoises.  Enfin  pour  sa» 
tisfaire  leur  amonr  du  gain,  ces  insu- 
laires avaient  deux  ressources  :  meroe« 
naires  ou  pirates,  ils  se  vendaient  à  toue 
ceux  qui  les  payaient  ou  se  mettaient  à 
écumer  les  mers. 

Lbtt&es  bt  Abts.  *-  Dans  les  iet<^ 
très  la  Crète  n'a  produit  que  quelquee 
noms  :  Dictas  f  de  Cnossos.  contempe* 
rain  de  la  guerre  de  Troie.  Il  suivit  loo^- 
ménée  au  siège  de  cette  ville,  et  conii* 
sna  dans  des  Éphémérides  en  vers  lee 
événements  dont  il  était  témoin.  Ho- 
mère emprunta  sans  doute  à  ce  poème 
quelques-unes  des  légendes  dont  il  eom^ 
posa  riliade.  Quand  Dictjrs  n'aurait  tm 
d'autre  mérite  que  d*avoir  fourni  des 
matériaux  à  la  grande  épopée  grecque , 
H  faudrait  enedre  le  mentionner.  Une 
guerre  qui  n'a  pas  le  merreilleux  de  la 
guerre  de  Troie,  mais  où  la  légende 
tient  encore  une  place  considérable ,  a 
inspiré  un  autre  poète  crétois.  Mianos 
de  Béné  ou  de  Ceré  a  composé  sur  les 
guerres  de  MMSénie  un  poème  épique^ 
qu'a  suivi  Thistorien  Pausanlas.  A  cee 
noms  il  faut  ajouter  Thalétas,  poêle 
lyrique,  dont  nous  parlerons  plus  loin; 
Hfbriaw,  auteur  de  Soolies;  lephon^ 
de  Cnossos,  qui  mit  en  vers  1^  réponses 
des  oracles;  HéracMét  et  PéteUiéét, 
tous  deux  historiens;  Lncilius,  de  Tar» 
rha,  auteur  d'un  commentaire  sur  V^r* 
gonixutiqwB  d'Apollonius  de  Rhodes  ;  en* 
fin  le  eâèbt«  philosophe  soeptit^ue  yEné* 
aidévhey  de  Cnossos  >  eui  a  écrit  hait 
iivns  de  D(itmr$  pyrrhoniens^ 

Dans  les  arts  la  Crète  andenbe  oc* 
cupe  un  rang  plus  distingué  que  dans 
les  lettres.  L'art  dans  cette  île  remonte 
aux  temps  fabuleux,  li  se  lie  étreite* 


Ma- 


LlTHIVJEttâ. 


mentaux  légendes  merveilleuse»  de  rage 
héroïque.  De  là  son  caractère  tout  rdi* 
sieux.  Dédale  en  est  l'inventeur  et  comme 
ra  personnification;  c'est  à  lui  que  les 
Grmîs  rapportaient  non-seulement  tous 
les  monuments  réels  ou  imaginaires 
auxquels  se  rattachaient  quelques-unes 
de  leurs  landes  primitives,  mais  même 
les  ouvrages  d'art  qu'on  trouvait  dans 
Itle  aux  temps  historiques. 

«  Dédale  était  Athénien  d'origine ,  et 
de  la  famille  des  Érechthéides ,  car  il  était 
fils  de  Métion ,  petit*fils  d'fiupalame,  et 
arrière -petit -fils  d'Érechthée.  Dédale 
surpassa  par  ses  talents  tous  les  hommes. 
Il  s'appliqua  surtout  à  l'architecture,  à 
la  sculpture  et  à  l'art  de  travailler  les 
pierres.  Inventeur  de  plusieurs  instru- 
ments utiles  dans  les  arts,  il  construisit 
des  ouvrages  admirables  dans  beaucoup 
de  pays  de  la  terre  (I).  »  Il  visita  l'Egypte, 
et  le  plus  beau  des  propylées  du  temple 
de  Vulcain,  à  Memphjs,  passait  pour 
son  ouvrage,  a  Ce  monument  lui  acquit 
tant  de  gloire,  que  l'on  plaçiai  dans  ce 
même  temple  sa  statue,  faite  de  ses  pro- 
pres mains.  Enfin,  son  habileté  et  ses  in- 
ventions furent  si  renommées  qu'on  lui 
a  rendu  les  honneurs  divins  ;  et  on  mon- 
tre encore  aujourd'hui ,  dans  une  des 
Iles  situées  en  face  de  Memphis,  un 
temple  de  Dédale,  en  grande  vénération 
dans  le  pays  (3).  •  Une  oaralt  pas  dou- 
teux que  Dédale  n'ait  étuaié  les  procédés 
de  l'art  égyptien  ;  mais  il  les  perfectionna 
en  les  imitant.  L'art  chez  lui  se  rap- 
proche davantage  de  la  nature;  c'est  en- 
core Tart  égyptien,  mais  déjà  vivifié  par 
le  génie  grec  Chez  les  Ëgyptiens  mt 
subit  l'iniiuenoe  de  rimmâ)ilité  des  ins- 
titutions. Leurs  statues  manquaient  de 
souplesse  et  de  grâce;  la  vie,  que  l'artiste 
grec  sut  si  bien  faire  circuler  dans  les 
veines  du  marbre,  ne  les  animait  pas. 
«  Les  statues  de  Dédale,  au  contraire, 
étaient  tout  à  fait  semblables  à  des  êtres 
animés;  elles  voyaient, elles  marchaient, 
en  un  mot  elles  avaient  tout  le  maintien 
d'un  corps  vivant.  Le  premier  il  avait 
fait  des  statues  ayant  les  veux  ouverts, 
les  jambes  écartées, [les  bras  étendus; 
car  avant  lui  les  sculpteurs  représen- 
taient leurs  statues  ayant  les  yeux  fermés 


(i)Diod.,IV,76. 
(a)  Diod.,  I,  97. 


et  les  bras  pendants  el  toSUs  au  06- 

tés  (l).  »  • 

£xilé  d'Athènes  par  suite  d'un  meur- 
tre. Dédale  se  réfîi^  en  Crète,  où  sa 
grande  renommée  lui  acquit  l'amitié  du 
roi  Minos.  Cest  dans  cette  île  qu'il  exé- 
cuta ses  j^lus  fameux  ouvrages  :  la  va- 
che de  bois  au  moyen  de  laquelle  Pasi- 
phaé  put  avoir  commerce  avec  le  tau- 
reau aont  elle  était  devenue  amoureuse; 
et  le  labyrinthe  dans  lequel  fut  oileraié 
le  Minotaure,  monstre  né  de  cette  union. 
Suivant  Diodore  (2)',  Dédale  construi- 
sit ce  labyrinthe  sur  le  modèle  de  celui 
d'Egypte.  Mais  déjà  du  temps  de  cet  his- 
torien cet  édifice  avait  entièrement  dis- 
paru. Hoeck(3)  veut  qu'il  n'ait  jamais 
existé,  et  que  ce  prétendu  labyrinthe 
n'ait  été  autre  chose  qu'une  de  ces  grot- 
tes creusées  par  la  nature  dans  les  pro- 
fondeurs des  rochers ,  demeures  souter- 
raines des  premiers  habitants  de  l'He, 
s'il  faut  en  croire  la  tradition.  Tel  fat 
l'antrede  l'Ida,  où  les  Curetés  cachèrent 
et  nourrirent  Jupiter  enfant.  Quoi  ou'il 
en  soit,  la  Êible  ou  Minotaure  a  renon  le 
labyrinthe  de  Crète  aussi  célèbre  que  ce- 
lui de  l'É^pte.  Des  voyageurs  moder- 
nes l'ont  visité  (4).  Voici  la  description 
au'endonneSavar3r.  «  Lechemio  qui  con- 
duit à  ce  lieu  mémorable  est  rude  et 
escarpé;  il  nous  fallut  monter  i>endant 
près  d'une  heure.  Enfin  nous  arrivâmes 
a  l'entrée.  Nous  avions  apporté  le  fil 
d'Ariane ,  c'est-à-dire  une  ficelle  de  qua- 
tre cents  toises  de  long,  que  nous  atta- 
châmes à  la  porte,  ^ous  y  plaçâmes 
deux  janissaires  pour  la  garder  et  avec 
défense  de  laisser  entrer  personne.  L'ou- 
verture du  labyrinthe  est  naturelle  et 
peu  large.  Quand  on  s'est  un  peu  avancé 
dans  l'intérieur,  on  trouve  un  grand  es- 
pace parsemé  de  grosses  pierres ,  et  cou- 
vert aune  voûte  plate  taillée  daos  Fàiais- 
seur  de  la  montagne.  Pour  se  oonouire 
dans  ce  lieu  ténébreux,  chacun  de  nous 
tenait  un  gros  flambeau.  Deux  Grecs 
portaient  le  peloton  de  ficelle,  qu'ils  dé- 
roulaient ou  ployaient  suivant  les  cir- 
constances/ r^ous  nous  égarâmes  d'a- 
bord dans  diverses  allées  sans  issue,  et 

(f)Diod.,IV,  7«. 

(a)  Oiod.,  I,  97  et  61. 

(3)  Hoeck,  Kreta,  1. 1,  p.  56. 

<4)  Belon    Tournefort,  Pokocke,  elc. 


ILE  DECRETE 


(m 


illUIiit  rerenir  sur  nos  pas.  Enfin,  nous 
trooTâmes  le  eanal  véritable  :  il  est  à 
droite  en  entrant;  on  y  monte  par  nn 
sentier  étroit ,  et  Ton  est  oblisé  dy  ram* 
per  sur  les  pieds  et  les  mains  l'espace  de 
cent  pas,  parée  que  la  vodte  est  extré* 
moment  basse.  Au  bout  de  ce  conduit 
étroit  le  plafond  s'exhaussa  tout  à  cou(>, 
et  nous  pûmes  marcher  debout.  Au  mi< 
lieu  des  ténèbres  épaisses  qui  nous  envi- 
ronnaient, des  routes  nombreuses  qui 
s'écartaient  de  chaque  côté  et  se  croi- 
saient en  différents  sens ,  les  deux  Grecs 
que  nous  avions  loués  tremblaient  de 
frayeur.  La  sueur  déeoutait  de  leur 
front,  et  ils  ne  voulaient  pas  avancer, 
à  moins  que  nous  ne  fussions  à  leur 
téCe. 

«  L.es  allées  que  nous  parcourions 
étaient  ordinairement  hautes  de  sept  à 
huit  pieds.  Leur  largeur  variait  depuis 
six  jusqu'à  dix,  et  quelquefois  davantage. 
Tontes  sont  taillées  au  ciseau  dans  le 
rocher,  dont  les  pierres,  d'un  gris  sale, 
sont  posées  par  couches  horizontales. 
En  quelques  endroits  de  grands  blocs 
de  ces  pierres,  à  moitié  détachés  de  la 
voûte ,  semblent  prêts  à  tomber.  11  fal- 
lait se  baisser  pour  passer  dessous,  au  ris- 
que  d'être  écrasé  par  leur  chute.  Les 
tremblements  déterre,  très -fréquents 
dans  l'île,  ont  sans  doute  causé  ces  dé- 
gâts. 

«  Nous  errions  ainsi  dans  ce  dédale, 
dont  nous  cherchions  à  connaître  toutes 
les  sinuosités;  lorsque  nous  anons  par- 
couru une  allée,  nous  entrions  dans  une 
autre.  Souvent  nons  étions  arrêtés  par 
un  cul-de-sae.  Quelquefois,  après  de 
longs  détours ,  nous  étions  étonnés  de 
nous  trouver  au  carrefour  d'où  nous 
étions  partis.  Alors  nous  avions  em- 
brassé a?ec  notre  corde  une  grande 
étendue  de  rocher;  il  fallait  la  replier  et 
revenir  sur  nos  pas.  il  n'est  pas  pos- 
sible de  décrire  combien  ces  routes  sont 
multipliéœ  et  tortueuses.  Les  unes  for- 
ment des  courbes  qui  conduisent  insen- 
siblement à  un  grand  vide  soutenu  par 
d'énormes  piliers ,  et  d'où  partent  trois 
ou  quatre  rues  qui  mènent  à  des  lieux 
opposés.  D'autres,  après  de  longs  cir- 
cmts,  se  divisent  en  plusieurs  rameaux. 
Celles-ci  se  prolongent  fort  loin,  et, 
terminées  par  le  rocher,  obligent  le 
voyageur  de  retourner  en  arrière.  Nous 


raardnons  avec  précaution  dans  les  re- 
plis de  ce  vaste  labyrinthe,  au  milieu  des 
ténèbres  étemelles  qui  l'habitent,  et  dont 
les  flambeaux  ont  peine  à  percer  l'obs- 
curité. L'imagination  y  crée  des  fantô- 
mes ;  elle  se  figure  des  précipices  creu- 
sés sous  les  pas  du  curieux,  des  monstres 
placés  en  sentinelle,  en  un  mot  mille 
chimères  qui  n'existent  pas 

«  Après  nous  être  promenés  pendant 
longtemps  dans  l'antre  épouvantable  du 
Blinotaure,  nous  arrivâmes  à  l'extrémité 
de  l'allée  qu'avait  suivie  Toumefort. 
Nousy  trouvâmesunegrandesalle,  ornée 
de  chiffres,  dont  les  plus  anciens  ne  re- 
montent pas  au  delà  du  quatorzième 
siècle.  Une  autre,  à  peu  près  sembla- 
ble, est  à  droite.  Chacune  peut  avoir 
vingt -Iquatre  à  trente  pieds  en  carré. 
Nous  avions  déployé  presque  toute  notre 
ficelle  pour  y  arriver,  c'est-à-dire  parcou- 
ru environ  quatre  cents  toises.  Je  ne  pa^ 
lerai  pas  dés  excursions diversesque  nous 
fimes.  Nous.restâmes  trois  heures  dans  le 
labyrinthe,  et  nous  ne  cessâmes  de  mar- 
cher, sans  pouvoir  nous  flatter  d'avrâ 
tout  vu.  Je  crois  qu'il  serait  impossible 
à  un  homme  d'en  sortir,  s'il  y  était  aban- 
donné sans  fil  et  sans  flambeau.  Il  s'é- 
garerait  dans  mille  détours.  L'horreur 
u  lieu ,  l'épaisseur  des  ténèbres,  porte- 
rait la  frayeur  dans  son  âme ,  et  il  péri- 
rait misérablement  (1).  » 

Revenons  à  Dédale.  Son  nom  do- 
mine toute  l'histoire  de  l'art  en  Crète; 
il  appartient  à  cette  île  par  ses  ouvrages. 
Tous  ceux  que  mentionne  Pausanias,  si 
Ton  excepte  la  statue  d'Hercule,  à  Tbè- 
bes ,  et  celle  de  Trophonius,  à  Lébadée, 
furent  exécutés  par  lui  en  Crète.  On  cite 
particulièrement  la  statue  de  Brltomar- 
tis  à  Olûs,  celle  d'Athénée  à  Cnossos, 
enfin  une  statue  de  Vénus  qu'Ariane  em- 

Sorta  en  suivant  Thésée,  et  dont  celui-ci 
t  don  au  temple  d'Apollon,  à  Délos. 
On  attribue  encore  à  Dédale  la  construc- 
tion d'un  temple  consacré  au  culte  de 
Britomartis.  Enfin  on  le  fait  l'inventeur 
des  différents  instruments  et  outils  em« 
ployés  dans  l'exécution  de  ces  sortes 
d'ouvrages  :  tels  que  la  scie,  la  hache , 
la  sonde,  le  foret,  et  même  la  colle  et 
le  ciment  (2). 

(i)SavarY,  Lettres  sur  la  Grèce,  p.  ao^a  1 3, 
(a)  Uoeck ,  Kreta,  t.  III,  p.  3^i  et  tuiv. 


STO 


LirniVERS. 


Mtts  ifWM  Aip  dit  plue  h«yt  qyt 
Tart  duiB  la  premièn  périoda  dé  boo 
AétHiloppemeiit  était  tritaliire  de  la 
ratiaion  ;  ii  le  fot  enoore  loiMtempai  Uil 
siècia  avant  Phidiaa,  rinnoeoce  rali» 
^raae  domioail  encore  doea  la  atetnaire» 
Durant  tout  aa  premier  ége^  Tart  gret 
le  aymIioHse  en  qudmie  aorte  dana  le 
nona  de  Dédale.  Nombre  de  atatuea  éêê 
lemM  poBlérieurB  lui  aont  attribuées  ; 
at  il  eat  conaidéré  eoonme  le  mattrâ 
oottuimn  de  toua  lea  artiatea.  C'eat  ainai 
que  D^ce^lo^et  Sc^iU$y  qui  fécurent 
fera  le  mlifeu  du  aixième  aiècle  avant 
J>G.,  passaient  pour  iea  élèfasv  Tom 
deux  étaient  Gfétois.  Suivant  Pline,  ito 
fiit^tieapMniiers  qui  ulUérent  le  mer* 
bie.  Ambraeie ,  AtgOs  et  Giéotie  étaient 
rempliea  de  taurs  atatues.  Ils  eurent 
autM  de  ubmbfeut  élèvea,  parmi  lea* 
quels  ou  eite  partieutièfement  Anglim 
et  T^eMsee»  Lea  edmirablea  buatea 
d'ApoHoii  Déllen,  tenant  les  trois 
Gréées  dâua  ea  maiti  >  aottt  attribués  k 
cae  derttiera.  Eiiésim,  u/Mn  toute  appa* 
fén<9e  leur  eontemporain,  ftii  paiement, 
suivant  la  tradition  ^  formé  par  Dédale^ 
Né  ft  Athènes ,  il  suivit  son  mettre  eu 
Crète;  Parmi  M  statue»  t>n  dte  uiie  MU 
nerve  en  ivoire,  ^ui  ee  voyait  à  Aléa^ 
en  Arcadie.  A  la  même  école  apparte» 
naieut  encore  Chirù9&phx>i  et  Arisf»»' 
clés.  Ce  dernier  était  né  à  Gydottitt^  L*é> 
pem^  où  il  vécut  est  incertaine;  on  sait 
seuieme&t  que  de  son  temps  Zande  uli» 
vaft  pàs  encore  rscu  le  nom  de  Memne; 
il  fleurit  donc  nvêut  la  eecw^uée  guents 
de  MéBséfiie. 

L'architectttVè  paraît  avoir  produit 
moins  de  noms  (célèbres  que  la  sta^ 
tdaiire  ;  mais  elle  Ait  illusMè  par  un  clle^ 
d*«»tlvl^.  thèfiiphiyin  ée  Cnossos ,  el 
M^a^tt^,  son  fils,  cotosttiifsitent  le 
temple  de  Di&fte  è  Éphè^,  sur  les  ptt)^ 
poHiohs  de  l\>rdre  ioblquè.  L^antiqui^ 
admirs  cet  édiftce ,  qui  fut  um  des  isept 
rtfefyHHes  dû  mondé  (l). 

(ÛMntnè  les  deux  afht  dont  tttms  te> 
m)iis  de  parler ,  la  musique  èl  la  daftsè 
se  mt&èhaSètit  Moltement  au  cdlie% 
Leur  origine  élaR  toute  religieuse  :  ells 
remoutail  aux  Curètes.  Oéux^ci,  comme 
nous  Tavons  vu ,  imaginèrent  de  fohnef 
autour  de  l'antre  où  ils  cachaient  le  petit 


lupiter^  des  efaaaun  brufams,  pour 
en^iécber  le  voraee  Gitmoa  d'aQlewt 
les  vaaiaaeBMQts  de  l'Snfint  Ui  îMli* 
tuèrent  une  aorte  dedanae  arasée,  éoHt 
Tusage  s'est  conservé  daba  la  Grêla  do' 
rlenne.  La  iidte  jouait  égalenaent  «a 
rdie  important  dans  le  eulta  de  Zms. 
Mais  bleu  que  la  danse  et  la  tumique  i 
ostte  époque  reeulée  ne  manquaiact 
ni  de  cadenee  ni  d'harmonie^  c<les  nt 
méritant  le  nom  d'arts  que  lonqea 
Thalétas  eut  inventé  le  rhfthme  créMs. 
Thalétaa,  deOortyne,  éuit  comenpe* 
rain  de  Lyeurgue,  qui  t  puidant  son  aé* 

Kur  en  Grète^  ae  fit  instruire juar  taii  du 
Is  de  Mines.  «  C'était  un  poète  lyriqee; 
inais  eouB  le  eouvert  de  la  poésie  M 
remplissait ,  au  fond ,  la  charge  d*ua 
excellent  législateur»  Ses  odes  étalent 
autant  d'eihortatiens  à  l'obéiasonee  et  à 
la  concorde  )  soutenues  du  nombre  et  de 
Tharmottie,  pleines  à  la  fois  de  gratiié 
et  de  éharmeS)  et  qui  adoucissaient  îMia- 
aiblement  les  esprits  des  ayditeurs, 
leur  inspiraient  l'amour  du  bien,  et 
faisaient  cesset  les  haines  qui  les  divi- 
saient <1).  *  La  tradition  attribue  à  b 
Ijrre  de  Thatétas  eue  puisaataee  meneil- 
ieuae.  Appelé  à  Laoedémono^  d'apièi 
un  oracle  d'Apolloa  Pythien^  fi  arrêts 
bar  ses  accords  enchanteurs  les  ravagit 
de  la  peste  qui  désolait  cette  viNe.  Peut* 
être  ne  faut-il  voir  ici  qu'une  allégorie. 
Sparte,  vers  rSpoque  où  Ljrcurgike  en- 
ufeurit  de  fixer  aa  oanstitutioD)  était 
pleine  de  troubles,  comme  les  riHes  * 
la  Grète.  La  lyie  de  Thalâ»  aurait-eUe 
sxereé  sur  les  esprits  è  Laoédémone  h 
mémeinflueoce  que  dans  cette  Me?  St 
teette  conjecture  ne  parait  pas  trop  ha- 
Saidée^  if  ne  serait  pas  sans  tnsérêt  de 
raupreeher  Thalétas  d'Éphné^kle,  ap- 
pelé à  Athènes  dans  des  dreonstanoai 
semblables ,  et  m^parant  tes  voies  à  fls^ 
Ion,  comme  Thalétas  les  prépara  i  Ly- 
liiutgtte. 

De  la  religion  la  musique  et  le  daase 
devaient  eécessaûrement  passer  dsB 
rédocatiou  et  dans  les  fasMttides  doies 
tiques.  Les  Grétois  étaient  panfeotiète* 
Aient  passionnés  peur  la  datiBe*  Les  plus 
DObles  îiy  livraiettt  avec  tfdeUr.  Lesja»- 
flies  gens  xsôMbsiitaieftit  SUEM  eux  ea  daa^ 
saut.  Celte  datisê  mHfMPè  appelée  Pft» 


(t)rimiVe,  Hb.  Ilt;Mh)e,  VIÎ,  5^» 


^i)  rtlt.,  P^e  île  tjrt^ 


ILB  IMS  dàÉTE. 


Cfl 


rhique,  et  ébi^ï  nous  avMê  d^fi  parïé  à 
pro))osaesGtirète9,q<iinnTMtèfeQt,  s'eâl 
conservée  dans  les  tetiijps  modernes,  ehet 
les  Sphakbtes. 

IT. 

l'île   de   CBSTS  ^ENDÀNt  Lti  MOYËlï 
AGE  ET  LES  TEMPS  MODSANfiS.   , 

La  Crète  est  parftii  le^  Mes  gteequDS 
ime  de  celles  qui  ont  eu  le  plus  de  eelé- 
brité  pendant  le  tout»  du  moyeâ  âge», 
son  étendue,  ses  Hchesses  natureltes ,  sa 
position  intermédiaire  entre  ritalle  et 
\lexandirte,  alofs  entrepôt  du  eommete» 
je  rorieut,  eh  tttùt  de  bonkie  heure 
la  proie  d&è  Sarrasins,  et  la  désignèreut 
)i  Fambition  des  Génois,  des  Yénitiens  et 
les  Turcs. 

riENNft.  —  C  est  à  saint  PaUl  que  re* 
nonte  la  prédication  de  TËvangite  dani^ 
?ette  tle.  Se  rendant  à  Rome,  le  saint 
ipôtre  aborda  en  Crète,  y  fit  quel(}uea 
conversions,  et  laissa  son  disciple  Titus 
lUx  nouveaux  Bdèies,  en  lui  enjoignant 
le  continuer  son  oeuvre  et  de  donner 
les  évéques  aux  diverses  cités;  Tadmi* 
lislration  des  premiers  préiats  fut  heu^ 
-e use,  (st  Philippe,  successeur  de  Titus, 
parvint  h  dètt)urner  les  persécution^  et 
ï  garder  son  troupeau  contre  Thérésle. 
^pendant  un  de  Ses  successeurs,  Cyriile, 
'ut  mis  h  mort  dans  la  persécutibn  dé 
r^èce  ou  dans  celle  de  Dioclétien;  éaûvé 
les  flammes  par  un  premier  mirade,  il 
}ut  plus  tard  là  tête  tranchée  (1).  Le  siège 
Tiétropolitain  de  Crète  fut  établi  à  Oo^ 
y  ne;  par  la  suite  un  grand  nombre  de 
ailles  ,  Gnosse,  Hiérapetra,  Arcade  oU 
\.rcadié,  Fappâ,  Pliœnix,  fiéraclée, 
5ubrite,  Apolionië,  Éleutheme,  Cher- 
ionèse,  Cyaonle  (la  Canée),  Cissame  et 
înfm  t^antane  devinrent  sièges  suf- 
ragants. 

COMBtk]^CÊMÉ?i¥    Dés    iNCtRStOirS 

iJÉiAôBS  EN  CnÈTÈ.  —  H  n'est  guèr% 
luestion  de  rttè  de  Crètê  dans  les  troid 
)reiln1ers  sièdes  du  moyen  âgé*  soumise 
I  Tautorité  d'un  gouverneur  impérial , 
îlhs  Amnistiait  H  «apniÈe  de  ce  maître 
)resque  absolu,  et  de  loin  en  l9tii  éprow- 

(x)  Lequien,  Ôr,  ÙkrisU,  ï.  Il,  col.  a6Qt.  Cf. 
Haminius  Cornelins,  Cr«t€t  Sacra,  Ven.,  T755, 
i  voly  in-4**.  1. 1^  p.  xaS,  ig^. 


vait  Ui  «ôliM-ooyp  des  qnenllei  Mi^ 
gieuses  de  Constalitiiiopl«.  CasiAliiii 
que  sous  Constantin  y  CopronynM^  èon 
gouverneur,  Théophane  Lardai^rei  pMt 
plaire  à  l*émpereur,  se  distingua  entn 
tous  les  courtisans  par  ses  eruamés  en^ 
V«r8  les  catholiques  (i).^ats  dès  le  pm» 
mier  siècle  de  rhégire  elle  ne  put  ëohapi' 
per  aux  ravages  des  Sarrasins.  En  698, 
pendant  le  grand  siège  de  Constantinopte 
par  Moat iah ,  sous  Constantin  IV ,  deux 
Arabes,  Abd-Allah^  fils  deCaïs,  et  Ph»^ 
datas,  firent  une  incursion  en  Crète, 
et  y  séjournèrent  tout  Thiver.  En  n6) 
Sous  Anastase ,  un  dief  eélèbre  exer^ 
de  grands  ravages  sur  les  edteê  dé  V\Hs 
H  peut-être  même  s'empam  d'une  partie 
de  son  territoire. 

GÈAttl)  ËtAnttlssÉKfeiti:  DÉS  Mt> 
stJLttAtvs.  -^  C'est  vers  %26  que  Ttle  de 
Crète  tomba  t>our  un  long  espace  de 
tiBmps  au  pouvoir  des  Musulmans.  Lés 
Sarrasins  a'Ëspagnë ,  mettant  à  profit  tefc 
troubles  que  la  rébellion  de  Thomas 
avait  excita  dans  l'empire^  armèrent 
vingt  vaisseaux,  et,  sous  la  conduite 
d*ADouhafe  Omar  (2),  ravagèrent  sons 
obstacle  les  GydadeS.  et  de  là  passèrent 
en  Crète.  Séduits  par  la  beauté  du  climat 
et  la  fertilité  du  territoire,  ils  résolurent 
de  s'y  fixer;  on  rapporte  même  ique  I^ 
chef  musulman,  ravi  d'admiration  a  Tas- 
pectde  ces  riantes  campagnes,  crut  voir, 
en  descendant  sur  le  nvage ,  la  terre  dé- 
licieux où  coûte  h  lait  et  le  miel  et  que 
Mahomet  promet  à  ses  croyants.  Toute- 
fois, cette  année,  824,  Abouhai^se  borna 
à  exercer  quelqui&s  ravages,  puis  il  re* 
tourna  en  Espagne  cherener^u  renfort. 
Uannée  suivante  il  revint,  et ,  pour  fixer 
irrévocablement  ses  soldats  sur  cette 
terre,  il  brûla  ses  vaisseaux,  et  établit  sur 
la  côte  un  camp  fortifié.  Midiel  II  tentii 
de  disputer  aux  Sarrasins  leur  conquête  ; 
Phoiîn,  grand  écuyer  et  commandant 
des  armées  d'Orient,  fût  chargé,  de  con- 
cert avec  Damien,  d'arracher  la  Crèt»  à 
Ses  envahisseurs  ;  mais  les  déUît  géné- 
raux furent  battus.  DamièU  pérft,  et 
Photin ,  ô^échappant  presque  seul ,  allia 

•  (i)  Lébeau»  édit.  I^aini-Martib ,  t.  1.11, 
p.  a63. 

(a)  Zonare,  liv.  XV,  t.  II,  p.  iSg;  Cedre- 
nus,  t.  II,  p.  5oH  ;  t)e]gi!ilènes,  wst,  des  Huntf 
\.  i,  p.  Sa8. 


§n 


LUiqvcits^ 


{Hwteff  lai-méme  à  GoDStautinopte  la 
nouvelle  de  son  désastre. 

Oaigine  du  nom  db  Candie.  —Les 
vainqueurs,  campés  d*afoord  sur  le  rivage 
oœiaental,  songèrent  à  fonder  un  éâ- 
l>lisseinent  durable.  Ils  choisirent,  d'a- 
Arès  les  indications  d*un  habitant  de 
rile,  un  lieu  sur  le  bord  de  la  mer,  qu'ils 
entourèrent  d'un  vaste  retranchement, 
en  arabe  handak;  la  ville  qui  s'éleva 
sur  cet  emplacement  conserva  ce  nom, 
^ui  s'est  modi6é  en  celui  de  Candie  et 
plus  tard  s'est  étendu  à  l'Ile  entière  (1). 
De  ce  Ueu  ils  s'emparèrent  de  tout  le 
pays  voisin,  et  bientôt  vingt-neuf  villes 
furent  en  leur  pouvoir;  une  seule,  que 
l'histoire  ne  nomme  pas ,  se  défendit  du 
pillage ,  et  en  se  soumettant  conserva 
aes  usages  et  l'exerdce  de  la  foi  chré- 
tienne. Partout  ailleurs  le  mahoniétisme 
fut  établi ,  les  églises  furent  converties 
en  mosquées,  et  la  plupart  des  habitants, 
peuple  Ignorant  et  grossier,  embrassè- 
jrent  la  religion  des  vainqueurs.  Parmi 
ceux  qui  persistèrent  dans  leur  croyance 
on  cite  le  saint  prélat  Cyrille  ;  pour  la 
deuxième  fois  un  évoque  de  ce  nom  su- 
bit le  martyre  en  Crète  (2);  aussi  le  nom 
de  saint  Cyrille  est-il  resté  longtemps 
dans  une  vénération  singulière  parmi  les 
liabitants  de  File. 

Nouvelles  TEriTATivEs  de  Mi- 
chel Il  POUB  BEPBENDBE  LA  CbÈTE. 

—  Basile,  successeur  de  Cyrille  au  siège 
épiscopal,  s'enfuit  à  Constantinople,  et 
fiihorta  l'empereur  à  ne  pas  laisser  une 
possession  aussi  considérable  que  la  Crète 
au  pouvoir  des  infidèles.  Michel  II  envoya 
une  nouvelle  armée,  portée  par  une  flotte 
de  soixantë'-dlx  vaisseaux,  sous  les  ordres 
de  Cratère,  gouverneur  de  Cibyre.  Le 
débarquement  fut  heureux;  le  général 
grec  fut  même  vainqueur  dans  une 
sanglante  bataille.  Mais  il  ne  sut  pas 
profiter  de  son  succès;  il  laissa  son  ar- 
mée passer  la  nuit  en  réjouissances.  A  la 
faveur  du  désordre,  les  Sarrasins  firent 
Irruption  dans  le  camp  des  Grecs ,  tail- 
lèrent l'armée  en  pièces ,  prirent  le  gé- 
néral ,  qui  d'abord  s'était  échappé ,  le 
mirent  en  croix ,  et  pendant  cent  trente- 
cinq  ans,  jusqu'à  Romain  Porphyro^é- 
nète,  la  Crète  resta  en  leur  pouvoir, 

(i^  Gedrenus,  t.  II,  p.  Sog. 

(a)Lequien,  Orient  Christ,,  t.  II,  co).  363. 


Elle  devîntcomme  le  centre  des  pirateries 
arabes;  un  proverbe  du  temps  de  Cons- 
tantin Porpbyrogénète  témoigne  com- 
bien les  Sarrasins  l'avaient  naidue  re- 
doutable ;  on  disait  :Jil  y  a  trois  méchants 
happas  (K)  :  la  Cappadoce,  la  Crète  et  b 
Gilicie  (1).  C'est  aussi  à  la  dominatioii 
musulmane  qu^on  doit  de  ne  pas  voir 
figurer  la  Crète  dans  le  livre  des  thèmes 
de  cet  empereur  grec. 

Suite  db  la  doiunation  dss  Sas- 
KASiNS.  —  Parmi  les  expéditions  da 
Sarrasins  de  Crète,  on  signale  une  des- 
cente et  des  ravages  en  Thrace,  et  leur 
grande  victoire  maritiroeprès  deTbasos 
sous  le  règne  de  Théophile,  à  rannée 
831  (2).  Dix  ans  plus  tard,  une  nouveUe 
tentative  des  Grecs  pour  recouvrer  cette 
tie  échoua  encore.  L'impératrice  Théo- 
dora  entreprit  d'illustrer  sa  régence  par 
le  recouvrement  de  la  Crète.  Dans  h 
deuxième  année  du  r^e  de  son  ib 
Michel  III ,  elle  fit  équiper  une  flotte 
nombreuse;  mais  les  ruses  des  Sarra- 
sins et  les  troubles  de  la  cour  de  Coqs- 
tantinople  firent  échouer  cette  expédi- 
tion (3).  A  cette  époque  les  Musulmans 
couraient  la  Méditerranée  en  tous  sens. 
£n  881 ,  sous  Basile,  après  la  conquête 
de  Syracuse  par  les  Sarrasins  dUtalîe, 
Sael ,  émir  de  Crète ,  envoya  un  de  ses 
meilleurs  capitaines,  Phot,  avec  vingt- 
sept  vaisseaux  et  un  srand  nombre  de 
navires  légers,  ravager!' ArchipNd  et  me- 
nacer Constantinople;  mais  oette  flotte 
fut  défaite  et  presque  entièrement  dé- 
truite par  le  feu  grégeois.  Le  même  chef 
musulman  subît  une  seconde  dâEaite  as 
golfe  de  Corintlie  (4).  Ces  revers  n^em- 
péchèrent  pas  les  Sarrasins  de  oontiouer 
leurs  incursions  sur  les  côtes  de  la  Grèce 
et  de  l'Asie ,  et  en  958  ils  repoussèreot 
une  tentative  de  l'empereur  Constan- 
tin VIT  sur  leur  île.  Un  Paphlagonien, 
qui  ne  devait  son  élévation  qu'à  de 
basses  intri^es,  Constantin  Gongyle. 
avait  été  mis  à  la  tête  de  Fexiiédîtioo, 
que  son  incurie  et  son  incapacité  firait 
écliouer  entièrement  (5).  Cependant  le 


(i)  Consl.  Forpbyrogéoète, 
C  III,  p.  ai. 

(a)  Lebeau,  t.  XIII,  p.  93. 
(3)  Lebeau,  t.  XIII,  p.  169. 
(4)îd.,  p.  3i4-3i5. 
(5)  Lebean,t.  XIT^p.  34.* 


Nieb«kr. 


ILE  DE  CRÈTE. 


i67t 


terme  de  la  dominattoB  Arabe  appfo» 
chait  :  deux  années  pins  tard,  soua  ie 
i^ne  de  Rofflain  II ,  if icéphore  Phoeai, 
depuis  emperenr,  et  alors  run  des  meil- 
leurs géniaux  de  l'empire,  résolut  de 
leur  arracher  la  Crète. 

PÎICBPHOAB  BBPKJIN]>  h^lhR  BB  CrÀ- 

TB  AUX  Sarrasins.  ^  Le  générai 
grec  eut  d*abord  à  triompher  du  mau* 
vais  vouloir  des  ministres  de  l'empereur 
et  de  la  crainte  qu'inspirait  le  peu  de 
succès  des  préoéoentes  tentatives.  Dès 
que  son  avis  eut  prévalu  dans  le  conseil, 
il  hâta  ses  préparatifs  ;  leur  grandeur 
montre  quelle  crainte  on  avait  des  Sar- 
rasins Cretois  dans  tout  Tempire  :  des 
troupes  furent  réunies  d'Asie,  ae  Thrace, 
de  Macédoine  ;  on  fit  même  venir  des 
auxiliaires  de  Russie  et  d'Esclavonie,  et 
une  flotte  considérable  se  rassembla  au 
port  d'Épbèse.  Les  musulmans,  effrayés, 
prirent  mal  leurs  mesures  de  défense; 
ils  n*empéchèrent  pas  le  débarquement, 
et  furent  battus;  Nicéohore  marcha  aus- 
i|it6t  vers  leur  capitale,  Candie.  Quel- 
aues-uns  des  descendants  ^es  anciens 
chrétien^  vinrent  le  joindre  ;  il  forma 
autour  de  la  ville  un  vaste  camp  re- 
tranché, et  pressa  le  si^e.  L'émir  arabe, 
Curupe,  tenta  d*abora  de  se  défendre 
par  ses  propres  ressources,  et  battit 
raéme  un  corps  ennemi  commandé  par 
un  des  meilleurs  chefs  grecs,  Nicéphore 
Pastilas ,  qui  périt  dans  le  combat.  Mais 
enfermé  dans  la  ville,  réduit  presque  à 
l'extrémité,  il  recourut  à  l'assistance  des 
Sarrasins  d'Espagne  et  d'Afrique.  Ce 
fut  en  vain;  ceux-ci  abandonnèrent  les 
Cretois  à  leur  mauvaise  fortune.  Néan- 
moins, comme  Candie  était  dans  une 
très-forte  position,  Nicéphore  convertit 
le  siège  en  blocus ,  après  avoir  vaincu  et 
massacré  une  armée  arabe  qui,  de  Tin* 
térieur  de  l'tle,  s'apprêtait  à  secourir  la 
ville.  Le  blocus  dura  dix  mois,  et  les 
ieux  armées  eurent  à  soulfrir  d'une 
^aode  disette  de  vivres;  les  Sarrasins 
surtout  furent  maltraités  par  la  famine. 
Enfin,  malgré  leur  courage  ils  furent  con- 
traints de  céder  dans  un  assaut  décisif 
de  Farmée  grecque.  La  plupart  furent 
massacrés ,  et  les  richesses  qu'un  siècle 
et  demi  de  pillage  avait  entassées  dans 
la  ville  devinrent  la  proie  de  leurs  enne- 
mis. Nicéphore  fit  raser  les  murs  de 
Candie  construisit  sur  une  hauteur  voi- 


sine une  feneveëse  qui  la  tint  en  reepeel, 
et  ne  quitta  File  qu'après  nne  entière 
soumission  de  tontes  les  villes  Cretoi- 
ses, 961  (1).  De  retour  à  Constantinople, 
Nicéphore  fut  accueilli  comme  l'un  des 
plus  fermes  soutiens  de  l'empire,  et  la 
joie  fut  universelle.  L'empereur  reçut 
honorablement  l'émir  Curupe ,  que  tout 
son  courage  n'avait  pu  sauver,  et  il  en« 
voya  en  Crète  un  moine  arménien  ^  Ni- 
con,  pour  ramener  les  habitants  an 
christianisme. 

L'iLB  DE  CbÀTS  jusqu'à  l'ÉPOQUB 
DE  LA  DOMINATIOn  YBNITIBIIIIB.  — - 

La  eonouéte  de  Nicéphore  Phoeas  ie> 
plaça  rtle  de  Crète  sous  la  domination 
grecque  jusqu'à  l'époque  de  la  quatrième 
croisade.  Sous  le  règned' Alexis Comnène 
elle  se  révolta;  deux  Cretois,  Carycas  et 
Rliapsomate,  avaient  soulevé  l'un  une 
partie  de  la  Crète,  l'autre  l'île  de  Chypre. 
Jean  Ducas  prit  la  route  de  la  Crâe.  A 
son  arrivée  llle  était  soumise  :  les  Cre- 
tois restés  fidèles  à  l'empereur  s'étaient 
réunis  contre  le  rebelle,  et  l'avalent  mas* 
sacré  (2). 

A  l'épioque  de  la  quatrième  croisade, 
lorsque  les  Francs  et  les  Vénitiens  se 
partagèrent  l'empire  Grec,  Candie  fàt 
assignîée  à  Boniface ,  marquis  de  Mont- 
ferrât  et  roi  de  Thessalonique.  Par  une 
convention  du  12  août  1204,  il  l'échan- 
gea avec  les  Vénitiens  contre  des  terres 
{>lus  rapprochées  de  sa  capitale,  et  cette 
le  devint  la  possession  la  plus  importante 
de  la  répuoliqne  dans  la  Mediterra* 
née  (3). 

Tentatives  DES  Génois  et  de  Mabc 
Saivudo,  duc  de  l'Abchipel,  sue 
Candie.  —  Les  Vénitiens  ne  conser- 
vèrent pas  cette  tie  sans  contestations. 
Les  Génois,  jaloux  de  leur  puissance,  et 
désirant  leur  enlever  un  poste  si  avanta- 
geux pour  ie  commerce  du  Levant,  ga- 
gnèrent quelques  Candiotes,  et  les  portè- 
rent à  la  rébellion  ;  puis  ils  envoyèrent 
le  capitaine  Veterani  et  un  marin  Pierre 
Maille,  sumonuné  le  Pécheur,  depuis 

(x)  Lebeau,  t.  XtV,  p.  43- 5o.  On  peut 
consulter  sur  cette  guerre  importante  de  Crète 
Hn  poëme  en  cinq  chanU,  dédié  i  Nicéphore , 
par  Théodore  le  Diacre. 

(a)  Anne  Comnène ,  liv.  IX. 

(3)  Ducange,  Bût.  de  Const,  saas  les  «m- 
pereurs  fronçait ,  I.  I,'ch.  xxi,  p.  7. 


êfé 


I/UtfI?BElS* 


4M«t6  da  MaillM,  qui  aVinpavèniil  é'iiB 
fiort  de  111e,  n^j  fortifièrent,  et  p«r  dee 
«pomesses  et  ai»  préeeata  comuiiiiifent 
M  prinoifiaux  ehefe  grecs.  Lei  Véiii* 
tieni  pnrent  dans  une  emhuaeade  Vete- 
faal,  et  la  peaditeBl;  aa  fat  la  sip^ud 
d'une  inauivactian  générala  dana  l'île. 
A  eeMa  na^Talle,  la  sénat  dépêcha  un 
«ouaeau  oons  de  Ironpaa,  aqua  la  aom* 
«laqdemaBtdeTapulo,  qui  Ait  le  pteoiiar 
akieda  Candie.  Tepule,  ne  se  juMfint  pas 
assez  fort  pour  apaiser  la  lévâne,  ima* 
gina  da  recoufir  à  MafaSanado,  anâen 
aujet  da  la  vépubliqne,  qui  s^était  vécem* 
Aient  établi  à  Maies  avee  le  titre  de  due 
da  r  Archipel.  Sanudo  intervint;  les  Vé* 
Bitiens  le  re^rent  avee  empressement, 
•t  rintreduinrent  dana  la  capitale  da 
rtla;  mats  la  duc  de  Naxos  traita  seerè* 
tansent  avee  Pierre  Maille ,  a'angageaat 
à  conquérir  111e  et  à  la  partager  avec 
fiênea,  qui  devait  sa  réaarver  la  partie 
oeddantale  et  lui  garantir  la  poasessian 
du  resta.  Cette  intngue,  favoriaée  par  un 
OraededistiDotion,  Sevaste,  réuasit  dans 
Candie  :  les  soldats  vénitiens  forent  en 
grand  nombre  masaaorés,  etTepulo  seré- 
nigia  dans  Retimo,  où  il  eût  m  forpéilé 
napituler,  sans  le  secours  inattendu  d'un 
^Mirps  d*armée,  envoyé  de  Venise,  sous  la 
eom mandement  de  Dominique  Quirini. 
Tapulo  reprit  Toffensive,  força  Sanndo 
à  lever  la  siège  de  Retimo,  et,  profitant 
de  la  négligence  de  sea  adversaires, 
a'empara  d'une  porte ,  mal  gardée ,  de 
Candie.  La  ville  entière  fut  reprise, 
l^.tienneSanudo,  frère  de  Marc,  fait  pri* 
Bonnier;  Pierre  de  Maitloc  ne  s'échappa 
que  diffioilement  avec  ses  galères  gé« 
noises,  et  lUe  entière  rentra  sous  la 
puissance  des  Vénitiens  (t). 

LlsVsiflTlBNSBIlTOFEIfTVNI  GOLO* 

«IB  À  Ca.n]>ib.— Mais  de  nouvelles  Intri- 
gues de  la  part  des  Génois  et  les  résistant 
eea  locales  que  les  Vénitiens  éprouvèrent 
dans  tout  le  cours  du  treizième  siècle 
déterminèrent  le  sénat  de  la  république 
à  envoyer  une  colonie  chea  les  Candie* 
tes.  Pour  qu'un  nombre  suffisant  de  Vé- 
nitien»  prtt  part  à  c^tte  émigration,  on 
offrit  aux  colons  le$  plu9  grands  avau<< 
tages  .Cinq  cent  quarante  familles  sa 
transportèrent  à  Candie,  Dès  leur  arri^ 

•  (i)  Le  p.  aaoger,  ffht,  noupeik  des  atKttns 
Ducs  de^fAwck'tpelf  Paris,  1698,  p.  i/i-aa. 


-vée  en  les  mil  en  poaaêsskn  éle  cent 
trente*deux  fiefti  de  naubert  on  «d^vi* 
leries  et  de  quatre^sent  huit  flefe  d'é- 
euyers.  A  la  tête  de  la  colonie,  «n  étebUt 
un  due  pour  représenter  le  doge.  Il  éta% 
élu  tous  les  ans  par  le  grand  eenseit  de 
Venise,  et  asrialé,  comme  lui ,  nar  deux 
conseillers  supérieurs.  De  inone  qal 
Venise ,  çn  voyait  à  Candie  des  jv^ 
detproprio,  lea  açigneurç  de  la  nuit, 
eeuxde  la  paix,  le  petit conaeil  ou  sei> 
gneurte,  le  grand  chancelier,  et  le  grand 
conseil,  qui;  comme  à  Venise ,  fï^t  dé- 
claré noMe  et  héréditaire.  Aussi  «  lon- 
qu^en  1669  )a  ville  de  Candie  fut  prw 
par  Iqs.  Turcs,  et  e|ue  I9  colonie  m  es- 
levée  à  la  ré|mbliquey  les  membres  de 
ee  conseil ,  rappelés  dans  l^  mé^ôpole, 
forent  considérés  comme  nV  ayant  pas 
perdu  leurs  drpits  héréditaires;  tons  les 
nobles  Candiotes  ftirent  déelaris  nobles 
vénitiens  et  inscrits  en  cette  raalî^  sar 
le  Livre  d'Or  (1). 

SUITB    nn  IL4     nOMTIf iTfOR  ^  vi- 

KiTiBifNB,  —  La  colonisation  de  Can- 
die doubla  pour  Venise  l'impoitsmce  de 
cette  lie  ;  elle  devint  le  centre  des  opéra- 
tions maritimes  contre  les  O«ofe. 
Marco  Ruzzini,  amiral  vénitien,  prit,  à 
la  hauteur  de  Négrepont,  neuf  galères 
chargées  de  marchandises,  et  les  condui- 
sit à  Candie;  mais  le  commandant  de  b 
flotte  génoise,  Filinplpo  Doria,  le  pour- 
suivit jusque  dans  Iç  port  de  cette  ville, 
en  força  l'entrée,  et  reprit  ses  vaisseaux, 
en  IS.^0.  En  18^2,  Pisani,  an^iral  véni- 
tien, ayant  encombré  les  hôpitaux  dr 
Candie  des  malades  et  des  blessés  de  sa 
dernière  campagne^  gne  peste  terrible 
sévit  dans  l'Ile ,  et  ac  communiqua  aoi 
▼aisseaux  du  Génois  Paganino  Doria, 
qui  était  venu,  avec  une  flotte,  chercher 
PIsani  jusque  sous  les  murs  de  Candie 
pour  le  combattre  (S). 

La  perte  de  Négrepont  ajouta  encore 
à  rintérêt  que  Venise  mettait  dans  la 
possession  dfe  Candie.  Le  successeur  de 
Nicolas  Canale,  Tamiral  Pierre  Moeé* 
nigo,  Y  concentra  les  forc^  vénitiennes 
pour  tenter  qne  entreprise  sur  Ptle  de 

(1}  Ce  paMape  «$t  emproaté  à  Tifût,  da 
ttép,  ItaL  d?  Sismondi ,  t  II ,  p«  399  ,  qui  t 
sqtvi  presqu*uDiqueinent/«  Livr€  des  Cotisa- 
tutions  Fénidennes  de  Vellor  Sandi. 

(a)  Sismondi ,  t.  IV,  p.  i6a-i63. 


iLB  DE  cutrrE. 


m 


CàiffÊ^  en  14rs,  M^  maître  de  Mleosiei 
y  liitrodiùfit  uae  gavoison  et  un  grand 
nonibrid'archerserétoi8,qui,  à  eetteépo* 
que,  conservaient  eneore  leur  aneienne 
vépntation  d'hièUeté.  En  1474,  le  sultan 
Mahomet  II  fit  pour  prendre  Gandiedes 
préparatifs  considérables  ;  mais  eette 
elpedttion  Ait  détoovnée  de  son  but  et 
enaployée  au  siège  de  la  ville  de  Gaffa, 
^e  les  Génois  possédaient  en  Grimée. 

PBBHinBES     TBNTATIYBS    SBBISD* 
BBS  DES    TDBOS  OONTBB    CàNBIB. -«« 

Candie  résista  à  toutes  les  entreprises 
des  Turosjosque  vers  le  milieu  du  dix-sep- 
tième siècle.  £n  t044,  sous  le  règne  du 
faible  Ibrahim ,  le  grand  vizir,  1  entre* 
prenant  Méhémet- Pacha,  résolut  d'arra* 
«her  cette  tie  à  la  domination  vénitienne. 
Le  premier  prétexte  nue  prit  le  ministre 
pour  renouveler  les  nostilités  oontre  la 
république  fut  une  agression  des  ehe<^ 
valiers  de  Malte  oontre  une  flotte  turv 
que.  Il  fit  aux  Vénitiens  un  srief  de  ee 
que  les  vaisseaux  de  Tordre  étaient  ve- 
nus mouiller  avee  leur  capture  sur  les 
notes  de  Candie,  et,  sans  déclaration  de 
guerre  ouverte,  il  rassembla  dans  tous 
les  ports  musulmans  une  flotte  et  une 
armée  considérables.  De  son  oété,  la  ré- 
publique  lit  armer  une  escadre  de  vingt* 
trois  galères  à  Candie,  et  ordonna  d*y  ras* 
eembler  les  miliees  de  111e  et  de  rétablir 
parmi  elles  la  discipline,  désorganisée 
par  une  longue  paix.  La  flotte  formida- 
Dle  réunie  par  Méhémet-Paeha  parut  se 
diriger  sur  Malte  ou  la  Sioile;  mais  lors* 
qu'elle  fut  à  hauteur  de  Candie,  le  mir 
nistre  turc  fit  arrêter  à  Oonstantinople 
le  balle  de  Venise,  et  déroula  unesérie  de 
prétendus  griefs  que  Tempire  ottoman 
avait  contre  la  république.  On  ignorait  en* 
oore  cette  arrestation  à  Venise  lorsque  Ton 
apprit  que  le  24  juin  1645  les  cinquante 
mille  soldats  que  portait  la  flotte  musuif 
mane ,  commandée  par  le  capitan-pacha 
Jussuf,  avaient  pris  terre  ô  la  pointe  occi- 
dentale de  nie,  près  de  La  Canée,  et 
qu*aussitét  après  leur  débarquemenf 
Ils  s'étaient  emparés  du  fort  Saint-Théo- 
dore, Tun  des  postes  importants  de  cette 
r^fon.  Le  capitan-pacha  établit  soe^ 
quartier  général  à  Casal-Galata ,  et  vint 
mettre  le  si^e  devant  la  Canée ,  place 
en  assez  mauvais  état,  où  le  gouverneur 
avait  Jeté  à  la  hâte  quelques  mille  hom- 
niea  dies  nouvelles  recrues. 


ÉYAT  BB  Vitn,  —  Véld  qnefle  était 
alors  la  situation  militaire  de  Plie  :  on  y 
comptait  sept  points  flMrtiflés,  tous  sur 
la  edte  septentrionale.  Les  Grabqses 
étalent  des  châteaux  situés  dans  les  fles 
qulteuehenl  le  oap  le  plus  occidental; 
ensuite,  en  eetoyaat  la  mer,  on  iTouvçtt. 
La  Canée ,  en  ee  moment  Investie  par  les 
fbrees  turoues.  Tout  près  de  La  utinée, 
au  fbnd  d  un  golfe  qui  s*avance  beau* 
eouB  dans  les  terres,  était  le  port  de  la 
Suda.  C'était  le  que  se  trouvaient  le^ 
farces  vénitiennes,  con^rposées  de  vingt 
et  quelques  galères  et  de  treiae  vais- 
seaux, sous  les  ordres  d'Antoine  Capella. 
Cet  amiral,  stationné  à  quelques  lieues 
de  l'armée  turquCt  ne  pouvait  ni  enga- 
ger le  oombat  contre  des  forces  bien  su- 
périeures en  nombre,  ni  se  Jeter  dans 
La  Canée,  où  il  eut  couru  le  risque  d'être 
bloqué  et  de  rendre  sa  flotte  inutile. 
Plus  loin  vers  Test  était  Retimo,  puis 
Candie,  capitale  de  llle,  et  résidence  du 
gouverneur  Antoine  Cornaro ,  qui  ras» 
semblait  à  la  hâte  quelques  moyens  de 
défense.  Vis-à-vis  le  port  de  Candie ,  à 
cinq  ou  six  lieues  en  mer,  était  la  petite 
tle  de  Standia  (Dia),  poste  avancé  et  bon 
mouillage  surtout  pour  les  gros  vais- 
seaux. A  l'est  de  Candie,  à  l'extrémité 
d^un  cap,  la  forteresse  de  Spina-Longa 
s^avancait  au  loin  dans  la  mer  :  enfln,  h 
la  pointe  orientale  de  l'île  étaient  la  place 
et  le  port  de  Settia.  On  voit  que  le  gou 
verneur  militaire  et  l'amiral  étaient  tro 
Soignés  Pun  de  Tautre,  et  pouvaient  di 
flcilement  faire  concourir  leurs  efforts 
pour  la  défense  de  Tlle.  De  plus,  le  peu- 
ple était  en  général  peu  affectionné  à  la 
république,  qui  depuis  quelque  temps 
evait  augmenté  les  tmpéts  et  rendu  ^ 
domination  vexatolre. 

Pbisb  db  Lk  Caniés.  —  Cependant 
le  capitan-pacha  avait  vivement  pressa 
La  Canée,  et  s'était  emparé  de  cette  place 
après  un  slé^  de  cinquante-sept  Jours. 
Les  assiégés  avaient  déplo^  une  cons- 
tance et  un  courage  h  toute  épreuve  ;  le 
17  août  1645  eut  Heu  l'assaut  générai. 
Les  débris  de  la  garnison  chrétienne 
soutinrent  encore  sur  la  brèche  un  der- 
nier combat  de  sept  heures  ;  enfin  elle 
capitula,  et  sortit  de  la  place  le  32  avee 
permission  de  rejoindre  les  forces  véni- 
tiennes dans  le  port  de  La  Suda.  Cette  con- 
quête livrait  aux  Turcs  800  pièces  de  ca* 


p 


«79 


L^UHIVEBS. 


noD  Y  et  leur  donnait  un  point  d'appni 
pour  leur  armée,  répandue  dans  llie,  et 
un  port  où  ils  pouvaient  (aire  venir  des 
hommes  et  des  munitions.  Mais  on  dit 

3u'ils  avaient  perdu  vingt  miiie  soldats 
ans  ce  seul  siège.  De  son  côté,  Venise 
feisait  les  plus  grands  efforts  pour  sauver 
nie,  si  fortement  menacée  :  le  clergé 
accordait  une  partie  de  ses  revenus,  les 
dignités  du  putriciat  étaient  livrées  aux 
simples  citoyens  en  échange  de  dons  pé- 
cuniaires, lie  commandant  de  la  flotte, 
Capello,  do  la  capacité  n*inspîrait  pas 
assez  de  confiance,  fut  remplacé  par 
Jérôme  Morosini.  Le  nouvel  amiral  re- 

St  le  titre  de  généralissime.  11  ravitailla 
L  Suda,  ordonna  à  tout  ce  qu'il  y  avait 
de  bâtiments  dansPUe  de  le  rejoindre, 
et  à  la  tête  d'une  flotte  de  cent  vaisseaux 

Rrovoqua  les  ennemis  à  une  bataille, 
lais  diverses  circonstances  empêchèrent 
cette  bataille  d'avoir  lieu.  Les  alliés  des 
Vénitiens  se  retirèrent  dans  leurs  ports 

S  Dur  y  passer  l'hiver;  de  son  côte,  la 
otte  turque  regagna  Constantinople, 
et  la  campagne  de  1645  se  termina  de  la 
sorte,  tout  à  fait  à  l'avantage  des  mu- 
sulmans :  ils  s'étaient  rendus  maîtres  de 
l'une  des  places  fortes  de  l'tle,  et  l'île  en* 
tière  était  menacée. 

DiVBBS  BYBNBMSNTS  PBNDANTLB8 
DBUX  ANNBBS  SUIYARTBS.  —  LCS  Cam- 

pagnes  de  1646  et  1647- n'eurent  rien 
de  décisif;  cependant  elles  se  termi- 
nèrent à  l'avantase  des  Turcs  plutôt 
Îu'à  celui  des  Vénitiens.  Jérôme  et 
liomas  Morosini  bloquèrent  inutile- 
ment La  Canée  et  firent  une  croisière  sans 
résultat  dans  les  Dardanelles.  Jean  Ca- 
pello, nommé  à  son  tour  généralissime^ 
ne  sut  rien  entreprendre  de  décisif,*  et 
les  Turcs  commencèrent,  malgré  sa  pré- 
sence, à  investir  les  places  de  Retimo  et 
de  La  Suda.  La  France  envoya  un  secours 
de  neuf  vaisseaux  à  la  république,  qui,  en 
échange  de  ce  bon  ofnce ,  inscrivit  le 
cardinal  Mazarin  sur  le  livre  de  la  no- 
blesse; mais  Capello  ne  profita  pas  de  ce 
renfor.  Il  fut  rappelé  et  mis  en  accusa- 
tion. Son  successeur,  l'amiral  Grimani. 
soutint  une  suite  de  combats  heureux  k 
Négrepont,  àChio,  à  Mitylène;  mais  les 
Turcs,  £avorisés  par  quelques  coups  de 
vent,  ravitaillèrent  deux  fois  La  Canée. 
Au  commencement  de  1648,  Tamiral 
Crimani  périt  dans  une  affreuse  tempête. 


SuifitsombieiPvingMinltdes 
6  la  république.  Son  sucoessenr,  Léo- 
nard Monoenigo,  concentra  ses  força 
autour  de  l'île,  mais  ne  put  entraver  les 
progrès  des  ennemis  et  le  ravitaiHemeflt 
constant  de  La  Canée  et  de  Retimo,  doot 
ils  venaient  de  ^'emparer. 

COHKBNGBMBNT  DU  SIBGBDlCiS- 

j>iB.  —  Au  commencement  de  164S  les 
Turcs  furent  assez  forts  pour  mettre  k 
siège  devant  la  capitale  de  Itle.  Une  li- 
gne de  circonvallation  entoura  la  plan, 
et  la  tranchée  fut  ouverte.  Les  Tara  se 
montrèrent  fort  pressants  dans  les  pie^ 
miers  temps  de  ce  sié^  mémorable,  qoi 
devait  durer  plus  de  vingt  années.  Trois 
assauts  consécutifs  fnrent  livrés  par  le 
capitan*pacha  Yussuf;  maris  le  braie 
Moncenigo  opposa  la  plus  courage 
résistance.  On  dit  que  vingt  mille  Tuns 
périrent  devant  la  place  pendant  les  sn 
premiers  mois  du  siège  ;  te  pacha  fot  n* 
duit  à  se  fortifier  dans  son  camp  pour 
attendre  des  raiforts.  Un  effort  de  plas, 
vingt  mille  hommes  débarqués  dans  lUe, 
et,  a  ce  moment.  Candie  ponvaitétie 
sauvée.  Mais  Venise  hésita;  Taviide 
cesser  une  guerre  dispendieuse  et  (f  a- 
bandonner  la  colonie  tut  ouvert  et  dis- 
cuté dans  le  sénat;  il  y  edt  prévalosi 
on  n'eût  appris  que  le  sultan  Ibrabi» 
venait  d'être  déposé,  puis  étranrié.  U 
nouvelle  cour  ne  se  montra  pas  nron- 
ble  à  la  paix  et  aux  demandes  que  fireot 
les  Vénitiens  d'une  cessation  des  hosti- 
lités et  d'une  restitution  des  prises  réci- 
proques ;  cependant  le  courage  et  les  es- 
pérances de  la  république  furent  relevés 
par  l'annonce  d'une  grande  victoire  na- 
vale remportée  par  ses  vaisseaux  sor  les 
Turcs  dans  la  rade  de  Foschia,  l'an- 
cienne Phocée,  à  l'embouchure  de  ^He^ 
mus.  Une  armée  turque  était  toujours, 
pendant  ces  diverses  opérations,  campée 
devant  Candie,  et  poussait  vivement  le 
siège.  Les  chrétiens  défendaient  de  lear 
côté  la  ville  avec  intrépidité;  un  ménf 
bastion  fut  pris  et  repris  jusqu'à  qua^ 
fois  :  les  ouvrages  étaient  aussitôt  roi^ 
que  construits  et  recommencés  <^e  oé^ 
traits.  LesTurcsetlesVénitiensmioaiçot 
la  terre  chacun  de  leur  côté  ;  il  vm 
souvent  qu'une  mine  fit  explosioD  au  nu- 
lieu  d'un  combat  acharné.  Les  Véoitieos 
soutenaient  uneguerre  si  active  au  miuen 
des  plus  cruelles  privations;  roaislagv' 


njEUE  CRETE. 


6n 


aifen  de' Candie  était  bien  insuffiâïinte 
pour  repousser  les  assiégeants.  Les 
Turcs  s'âaîent  étendus  jusqu'à  Textré- 
mité  orientale  de  l'Ile,  et  commençaient 
Je  siège  de  Settia.  Dans  ees  conjonctures, 
le  sénat  de  la  république  prit  la  résolu- 
tion de  transporter  la  guerre  au  cœur 
des  pays  ennemis,  et  de  détruire  les 
forces  de  la  Turquie  dans  les  Darda- 
nelles. 

Batahxbs  ràtalbs  bt  vigtoi- 
BBS  BBS  YÉRiTiBiis.  — L'cxécution  de 
oe  hardi  projet  fax  confiée  à  Ri?a,  le 
▼ainqneur  de  Foschia,  et  au  génâralid- 
sûne  Moncooijgo.  Riva  gardait  les  Dar* 
danellesl;  il  laissa  passer  la  flotte  enne- 
mie. Honeenigo  atteignit  le  capitan-pa« 
cha  à  Paros,  lui  prit  dix  vaisseaux,  dont 
l'im  portait  soixante  canons,  en  brûla 
cinq,  et  fit  4  à  5000  prisonniers.  Par  cette 
Tictoire  les  Yénitiais  devenaient  maîtres 
de  rArchipel.  Mais  les  dâ>ris  de  la 
flotte  turque  se  jetèrent  encore  dans  La 
Ganée .  et  y  dénarquèrent  des  secours. 
Bfalgré  sa  victoire,  le  généralissime  fut 
remplacé  par  Pierre  Fosoolo.  Lorsque  ce 
nouveau  cnef  arriva  à  Candie,  la  misère 
et  les  privations  avaient  jeté  le  désor- 
dre dans  quelques  corjps  d'armée;  il  eut 
à  réprimer  une  sédition  des  Albanais, 
qui  menaçaient,  si  leur  solde  n'était 
augmentée*,  de  livrer  aux  ennemis  deux 
bastions  dont  la  garde  leur  avait  été 
confiée.  Aussitôt  après  avoir  augmenté 
les  moyens  de  défense  de  Candie,  Fos- 
colo  se  mit  sur  mer  à  la  poursuite  du 
capitan-pacha,  qu'il  força  à  se  réfugier 
à  Rhodes  après  avoir  perdu  quelques 
▼aisseaux. 

SUITB    BU    SIÉGB.  —  MONGBNIOO 
BEPBBND  LB  GOMMANDBXBNT. —  LcS 

années  1663  et  1053  se  passèrent  sans 
événements  décisifs;  Moncenieo  fut  de 
nouveau  mis  à  la  tête  de  toutes  les  forces 
de  la  république  dans  l'Archipel.  L'année 
suivante,  huit  vaisseaux  vémtiens,  com* 
mandés  par  l'amiral  Joseph  Delphine, 
soutinrent  contre  toute  la  flotte  turque 
le  plus  disproportionné  et  le  plus  glo- 
rieux combet  de  toute  cette  guerre.  Us 
ne  se  rendirent  pas,  mais  ils  sombrèrent 
ou  sautèrent  tous,  à  l'exception  du  bâti- 
ment amiral,  qui  échappa  après  des  pro- 
diges de  valeur.  L'in^alité  des  forces 
était  trop  grande  entre  Venise,  épuisée 
d'hommes  et  d'argent,  et  la  Porte,  qui 

87*  Uvraisan,  (  Ilb  db  db  Cbbtb. 


chaque  année  pouvait  venouv^r  ses 
vaisseaux  et  ses  soldats.  La  républi- 
que demanda  à  tous  les  États  des  se- 
cours :  à  la  France,  à  FEspagne ,  à 
Gromwell,  alors  protecteur  de  1  Angle- 
terre, au  pape  et  même  au  grand-duc  de 
Moscovie.  Tous  se  bornèrent  pour  le  mo- 
ment à  des  voeux  stériles.  Sur  ces  entro- 
iaites  le  brave  Monceni^  mourut  ;  il  eut 

S»ur  successeur  par  intérim  François 
orosini,  dont  cette  guerre  a  illustre  le 
nom. 

YlGTOIBBS  If  AYALfiS  DBS  VbnITIBNS 

BN  1055, 1050  BT  1067.  — Les  YénitiensL 
remportèrent  trois  grandes  victoires  au 
passage  des  Dardanelles;  Lazare  Mon- 
ceniço,  frère  du  généralissime  qui 
venait  de  mourir,  prit  aux  Turcs  trois 
vaisseaux,  en  brûla  onze,  en  coula  neuf 
à  fond  après  un  combat  de  six  heures. 
Le  30  juin  1050,  le  même  général  avait, 
au  même  endroit,  tué  aux  Turcs  dix  mille 
hommes,  leur  avait  fait  cinq  mille  pri- 
sonniers, et  s'était  emparé  de  quatre- 
vingts  bâtiments.  La  république  n'avait 
Serau  que  quatre  vaisseaux  dans  ces 
eux  grandes  batailles.  Le  vainqueur 
des  Dardanelles  fut  désigné  pour  rem- 
placer définitivement  son  frère.  En  1057 
il  remporta  aux  Dardanelles  une  troi- 
sième victoire,  aussi  complète  que  les  aiu* 
très  ;  mais  un  affreux  accident,  l'incendie 
du  vaisseau  amiral,  etla  mortdel'amlral 
Moncenigo  même  arrêtèrent  de  nouveau 
les  succès  de  la  république,  dont  les  vic- 
toires restèrent  sans  résultats;  Candie 
était  moins  pressée  depjois  ces  dernières 
campagnes,  mais  elle  était  toujours  as- 
siégée, et  le  sort  de  l'tle  entière  dépen- 
dait de  sa  résistance. 

•  SbCOUBS  BRYOYBS  PAB  la  FBAJIfGB 

9T  LA  Sayoib.  —  De  nouveaux  efforts 
furent  faits  par  la  république,  et  de 
nouvelles  prières  furent  adressées  aux 
puissances  chrétiennes  pour  obtenir  des 
secours*  La  France  accorda  en  1000  qua- 
tre mille  hommes  ;  le  duc  de  Savoie  four- 
nit aux  Vénitiens  deux  régiments  com- 
mandés par  le  marquis  de  Ville,  habile 
homme  de  guerre;  néanmoins  les  opéra- 
tions tratnSentencore  ea  longueur  pen- 
dant quelques  années.  En  1005  un  coup 
de  mam  fut  inutilement  tenté  sur  La  Gak 
née  ;  les  troupes,  fatiguées  par  une  traver- 
sée lon^e  et  pénible  et  incommodées  par 
une  ploie  battantCi  furent  repoussées  ;  le 

)  37 


578 


I/UniVERS* 


malais  <le  ¥ill6  petékt  milfion  quatre 
eents  hommes,  et  eondaisit  son  armée 
dans  un  camp  retranché ,  sous  le  canon 
de  la  place  de  Candie.  Après  afoir  essayé 
inutilement  pendant  quelques  mois  de  te- 
nir la  campagne,  cette  petite  troupe  fat 
forcée  de  se  retirer  à  l*iu>ri  des  fortifica- 
tions, mai  1666. 

Là  eVEBBB   DB  CANDIB   DBVIEIfl! 

PLUS  ACTIVE,  1667.— Les  TttTes,lasde6 
longueurs  du  siège  deCtindie,  lésolurent 
de  leur  c6té  de  terminer  la  guerre  en  re- 
doublant d'activité.  Le  grand-vizir  Kiu- 
pergli  vint  en  personne  prendre  le  eonn 
mandement  de  Tarmée  musulmane;  de 
leur  côté ,  les  Vénitiens  rendirent  le  titre 
de  eénéraVissime  à  François  MorosInL 

Quelques  tentatives  deconeiliatton  entre 
enise  et  la  Porte  avaient  déjà  eu  lieu 
dans  les  années  précédentes  ;  les  négo* 
dations  recommencèrent  avant  ces  der- 
nières et  décisives  campagnes,  mais  elles 
n'aboutirent  à  aucun  résultat.  Les  hos- 
tilités ne.tardèrent  pas  à  recoramenoer, 
et  Tarmée  assiégeante  se  trouva  portée  à 
quarante  mille  combattants  et  huit  mille 
pionniers;  dans  la  suite  elle  s'éleva  jus* 
qu'à  soixante-dix  mille  hommes. 

La  ville  assi^ée  n'avait  que  neuf  milla 
défenseurs;  François  Morosini,  venant 
prendre  en  personne  la  direction  de» 
opérations  militaires ,  y  amena  environ 
trois  mille  hommes  encore.  Il  avait  sous 
lui  le  marquis  de  Ville,  les  provéditeurs 
Bernard  Nani,  Donato,  Pisani,  tous  les 
grands  noms  de  la  ré|)ublique,  le  prové- 
diteur  des  vivres,  Justiniani,  et  quelques 
volontaires  illustres,  Spar  commandant 
dePinfanterie  auxiliaire,  le  chevalier 
d'Harcourt  et  MM.  de  Maisonneuve, 
Langeron,  Montausier,  de  Oanges. 
L'enceinte  de  la  ville,  flanquée  de  sept 
bastions,  était  très-forte.  Les  fossés 
étaient  laides  et  profonds;  il  j  avait  sur 
les  remparts  plus  de  quatre  cents  ca- 
nons, et^dans  la  ville  des  munitiOBB 
considérables  de  guerre  et  de  bouche. 

Opébations  du  shIgb.  -*  Le  29 
mai  1667  le  grand- vizir  vint  étiiblir  son 
quartier  général  devant  la  place;  son 
artillerie  lançait  des  boulets  de  plus  de 
cent  livre»,  ses  canons  étaient  les  plus 
gros  au*on  eât  encore  vus  en  Europe; 
il  fit  laire  des  lignes  parallèles  dans  ses 
tranchées,  et  il  ne  se  passa  phis  un  jour 
qui  ne  fût  marqué  par  quelque  eatsra*- 


ptùiédeB  assiégeais  et  cmelqiit  «Mnbil 
meurtrier.  De  part  et  d  antre  ^  les  tra- 
vaux se  firent  avec  une  incroyable  acti- 
vité. Morosini  avait  élaMi  son  toj^mest 
sur  un  bastion  ;  de  ce  point  il  douinait 
l'attaque  et  veillait  à  la  défense;  du  33 
mai  au  18  novembre  il  y  eut  vingt-deux 
assauts,  dix-sept  sorties ,  et  de  part  et 
d'autre  la  mine  joua  six  cent  ifix-lrait  lois. 
La  garnison  perdit  dans  cette  campagne 
(piatre  cents  officiers,  trois  ibilto  deux 
cents  soldats;  Parmée  Ottenrane  eut 
vingt  mille  hommes  tués  (1). 
*  Des  deux  côtés  la  fatine  était  ei- 
tréme;  la  peste  régnait  ckms  le  camp 
des  Turcs;  la  saison  des  pluies  ralentit 

K^ur  quelques  mois  les  nostilMs.  Les 
usulmans  mirent  ce  temps  à  profit  poor 
réparer  leurs  pertes  et  faire  venir  de 
nouveaux  secours;  ks  assiégés  DaisaieBt 
des  prodiges  de  valeur,  et  supportaiest 
sans  se  plaindre  tous  les  travaux  et  toii' 
tes  les  misères ,  mais  il  ne  kar  veaait  pas 
de  renforts.  L'Europe  assistait  à  eetts 
grande  lutte  avec  une  curiosité  hmé^ 
et  égoïste;  seulement»  quelques  braves 
seigneurs,  comme  le  mMquisdeLa  Fewl* 
lade,  vinrent  mettre  leurépée  aa  sernei 
de  la  république  vénitienne. 

Pbo&bès  pn  siBOB.  «<-  Lee  Tores 
étaient  maîtres  d'un  bastios;  ils  entre» 
prirent  un  travail  immense,  qjoi  consis- 
tait à  élever  un  m6le  à  rentrée  dn  port 
pour  en  battra  la  passe  et  pour  foudroyer 
la  ville,  assez  fafble  de  ce  côté.  Ga  in«e 
temps  le  vizir,  qui  savait  que  sHI  était re* 
nou»é  il  serait  mis  à  mort.par  le  snltaB, 
nt  donntf  àla  place  trtNsassaatsooasécu» 
tifs.  Dans  l'un  d'eux,  il  perdit  deux  mills 
hommes.  Les  dangers  oe  la  ville  s'aug- 
mentaient chaque  jour;  lesalliéadeVé» 
nise  avaient  peu  de  bonne  vol<Mité ,  et  ss 
retiraient  avant  la  fia  de  la  eampagne  ;  les 
jeunes  Français  amenés  par  M.  de  Ls 
Feuillade  voiàttrent  faire  «ne  sortie  et 
commettre  au  hasard  <f  un  eonîbfl^  tout  ls 
reste  de  la  gnme.  MorosÎBi  sV  opposa 
prudemment;  ils  risquèrent  néamiioias 
cet  exploit  téméraire,  et  après  des  predi* 
gesde  courage  ils  rentrèrent  ay»it  pcsdo 

(i)  Mémoires  de  Ducros ,  PhtKbcrt  Jarry 
et  autres  témoins  oculai.res  càé$  par  Bi.  Dots 
dans  son  Bhstoire  de  P^énisâ^  d*oti  9»Qt  ti- 
rés teu»  les  matértaox  de  ee  récit,  t.  TV 

u  xxjun,  p.  szs^jS^, 


ILË  Dfi  CRÈTE. 


W9 


un  erand  nombre  des  leurs,  parmi  les- 
quels les  comtes  deVillemor,  de  Tavan- 
nes,  un  jeune  fils  du  marquis  de  Féne- 
lon.  Cet  exploit,  au  moins  aussi  inutile 
que  brlflant ,  réduisit  à  presque  lien  le 
secours  amené  par  le  due  de  La  Feuil- 
lade  ;  les  débris  de  cette  troupe  se  rem- 
barquèrent peu  de  jours  après. 

Louis  XIV  ENTOIB  Ulf  SBCOUBS  BB 

SIX  11 iLLB  HOHMBS. — Oïl  était  au  oom* 
mencement  de  l'année  1609  :  les  dé« 
fenseurs.  de  Candie  étaient  épuisés ,  et 
cependant  ils  persistaient  dans  leur  hé- 
roïque résistance;  les  Vénitiens  tentèrem 
auprès  des  cours  étrangères  un  suprême 
effort.  Un  parent  de  Morosini  intéressa 
Louis  XIV  au  sort  des  chrétiens  qui  se 
défendaient  si  héroïquement  contre  les 
infidèles.  Le  grand  roi  se  laissa  toucher, 
et  fit  partir,  aussitôt  après  Farrivée  du 
duc  de  La  Feuillade  à  Toulon,  douze  ré- 
giments d'infanterie,  trois  cents  chevaux 
et  un  détachement  de  sa  garde,  en  tout 
six  mille  hommes  sur  vingt-sept  bâti- 
ments escortés  par  quinze  vaisseaux  de 
guerre.  De  son  coté,  le  pape  Clément  IX 
suppiima  plusieurs  couvents  sur  le  ter- 
ritoire de  la  république,  et  permit  de 
vendre  leurs  biens  pour  en  appliquer  le 
produit  au  service  de  TAtat.  Une  partie 
du  trésor  de  Saint-Marc  reçut  la  même 
destination,  et  une  grande  flotte  véni- 
tienne put  ravitailler  la  place  et  y  jeter 
une  nouvelle  garnison.  Morosini  et  le 
provéditeur  Cornaro  donnaient  l'exem- 
ple du  plus  pur  patriotisme  ;  ils  s^étaient 
dépouillés  de  toute  leur  fortune  person- 
nelle pour  payer  les  soldats.  Ce  fut  au 
milieu  de  ces  circonstances  que,  le  19 
juin  1669,  la  flotte  française,  sous  les  or- 
dres du  duc  de  Beaufort,  l'ancien  roi  des 
HaUes,  débarqua  ses  troupes  de  t^re 
commandées  par  le  duc  de  Navailles. 

SOfiTIB   HA.LHBUREU8B  DBS  FBAN- 

CAis.  —  Cette  fois  encore ,  comme  avec 
fe  duc  de  La  FeuilMe,  les  Français  nui- 
sirent eux-mêmes  au  succès  de  l'expé- 
dition par  leur  imprudence  et  leur  cou- 
rage présomptueux.  La  plupart  des 
troupes  furent  débarquées  de  nuit  ;  les 
mousquetaires  voulurent  attendre  le 
jour  pour  passer  sons  les  batteries  des 
Turcs ,  témérité  n^eurtrière  pour  eux  et 
tout  à  fait  inutile.  Morosini  avait  prié 
les  chefs  de  l'expédition  de  s'employer 
pour  iaire  une  diversion  du  côté  de  La 


Canée,  afin  d'y  atlârer  iea  Tuics  et  de 
laissée  la  garnison  Mbre  d*agir  de  sou 
côté.  Ces  avis,  dictés  par  rexperienoe,  ne 
ftifent  pas  écoutés.  Les  nouveaux  hôtes 
entrèrent  dans  la  ville,  et  voulurent  faire 
une  sortie  dès  le  lendemain.  Rien  n'était 
prêt  pour  oette  onératioD;  Morosini  es- 
saya vainement  de  les  détourner  de  ce 
d^ein.  Il  fut  foroé  de  les  laisser  faire. 
Le  25  juin,  les  Français,  ayant  à  leur  téta 
les  deux  che&  de  l'expédition,  Navailles 
et  Beaufort,  un  Choiseul ,  un Castellaiie 
et  un  Colhert,  se  précipitant  sur  un  eorpa 
de  troupes  qu'ils  aperçoivent  dans  Tom- 
hue  ;  c'était  un  détaohement  d'Allemands 

2ui  était  sorti  pour  les  appuyer.  Revenus, 
e  oette  méprise ,  ils  ae  jettent  dans  le 
lefranchement,  que  les  Turcs  abandon- 
nent; mai»  quelques  barils  de  poudre  sau- 
tent. LesPrafljfaiseKHentmarohersurun 
terrain  miné  ;  ils  s'^ffirayent,  la  confusion 
se  met  dans  les  rangs ,  la  panique  et  la 
déroute  deviennent  génétales.  Alors  les 
Turcs  reviennent  au  combat,  foudroient 
et  massacrent  le  troupe  française,  dont 
les  débris  rentrent  avec  peine  dana  les 
murs;  cinq  cents  hommes  avaient  péri, 
parmi  lesquels  le  duo  de  Beaufort. 

Lbub  dbpaht.  —  Découragé  par  ce 
revers,  que  lui  seul  avait  eansé  par  acm 
imprudence,  le  duo  de  Navailles  résolut 
de  quitter  IHIe.  Vainement  Morosini  le 
supplia  de  ne  pas  déserter  un  poste  que 
sans  lui  il  deviendrait  impossible  de  dé- 
fendre ;  vainement  il  invoaua  des  rai- 
80B»d'bonneur  et  déloyauté,  et  leckraé 
et  toute  la  garnison  mâèrent  leur»  prie* 
ves  aux  signes  ,^Navailie8  quitta  Caîndie 
le  21  août.  Tout  ce  qui  n'était  pas  véni* 
tien  fit  comme  les  Français  ;  Allemands, 
Maltais,  Italiens,  ils  partirent  tous,  sans 
même  laisser  à  Mowsini  trois  mille  hom- 
mes qu'il  demandait  pour  prolonger.sa 
défense  jusqu'à  Phiver. 

ÉTAT  BB  CAnniB.  —  La  place  n'é- 
tait plus  qu'un  monceau  de  ruines ,  dé- 
fendue par  quatre  mille  habitants  et  une 
r lignée  de  nraves  qui  avaient  survécu 
69  assauts,  80  sorties,  et  à  l'explosion 
de  2,000  mines;  dO,000  chrétiens ,  plus 
de  100,000  Turcs  avaient  péri  devant  la 
place.  Morosini,  bien  que  sans  pouvoirs 
pour  traiter  de  la  part  de  la  répubèique, 
préféra  s'exposer  aux  accusations  &  sa 
patrie,  souvent  injuste  et  jalouse,  plutét 
que  de  laisser  périr  dans  un  dernier  as» 

37.* 


580 


L'UWIVERS. 


saut  les  quelques  soldats  qui  lui  res- 
taient, et  de  tout  perdre  par  une  opiniâ- 
treté inutile. 

MOBOSINI  CAPITULE.  —   II  eU^OJà 

un  émissaire  à  Kiupergli  pour  eonvenir 
d'un  traité  de  paix.  Les  pourparlers  du- 
rèrent du  38  août  au  6  septembre  1669; 
la  fermeté  du  généralissime  et  son  cou- 
race  imposaient  tellement  aux  ennemis, 
qirils  lui  accordèrent  des  conditions 
avantaceuses  pour  Venise,  dans  une 
place  démantelée  et  sans  défenseurs ,  dont 
un  assaut  las  eût  infEÛlliblement  rendus 
maîtres.  U  fut  convenu  que  les  Vénitiens 
abandonneraient  Candie ,  et  il  leur  fut 
accordé  douze  jours  pour  leur  embar- 
quement; ils  emportaient  leurs  armes, 
à  Texception  de  I  artillerie  de  siège  ;  les 
halntants  étaient  libres  d'aocom^a^er 
la  garnison;  File  devait  appartenir  a  la 
Turquie  ;  les  Vénitiens  y  conserveraient 
trois  ports  :  Les  Grabuses,  Spina  Longa 
et  La  Snda.  avec  les  îles  qui  en  dépens 
dent.  La  république  devait  garder,  en 
échanse  de  cette  cession,  ses  conquêtes 
en  DaTmatie  et  en  Bosnie. 

Abandon  db  Candis  par  les  Vé- 
nitiens, STPEBTE  des  TBOIS  POBTS. — 

Le  traité  conclu  par  Morosini  fut  accueilli 
avec  mécontentement  à  Venise,  mais 
ratifié,  vu  l'impossibilité  de  continuer 
la  guerre.  Ces  conditions  étaient  d'ail- 
leurs les  plus  honorables  qu'on  pût  obte- 
nir, et  Acfamet  K.iupergli  ne  les  avait  ac- 
cordées qu'à  cause  de  son  estime  (person- 
nelle pour  Morosini;  quinze  bâtiments 
et  unequarantainede  chaloupes  transpor- 
tèrent les  Vénitiens  Candiotes  ainsi  que 
les  restes  de  la  gainis<m.  La  fortune  s'a- 
charna contre  ces  malheureux;  assaillis 
par  une  tempête  et  jetés  sur  la  côte  d'A- 
nique,  ils  périrent  on  devinrent  esclaves 
dans  les  États  barilMires^ues. 

Venise  se  montra  moins  généreuse  que 
le  sultan  envers  le  héros  du  siège  de 
Candie  ;  Mahomet  avait  offert  à  Morosini 
un  présent,  que  celui-ci  refusa.  U  se 
trouva  dans  le  sénat  un  accusateur,  qui 
fit  mettre  le  général  en  jugement  pour 
avoir  traité  sans  autorisation  préalable. 
Morosini  eût  été  condamné  si  les  éven- 
tualités d'une  guerre  nouvelle  n'eussent 
rendu  ses  services  nécessaires.  A  ce 
siège ,  le  plus  mémorable  dont  il  soit  fait 
mention  en  Europe  dans  une  loi^pie 
série  de  sièdes,  Venise  avait  sacnfiè 


sa  puissance.  La  cnerre  de  CandOe  avait 
coûté  à  la  république  126,000,000  de 
ducats,  sa  dette  s'était  accrue  de 
64,000,000. 

Venise  ne  conserva  pas  lonotami^  ks 
points  que  le  traité  de  1669  lui  laissait 
dans  Tue;  Les  Grabuses  furent  livrés 
aux  Turcs  avant  la  fin  du  dix-a^tième 
siècle  par  la  trahison  de  son  gouverneur, 
qui  reçut  en  échange  une  tonne  de  se- 

âuins  ;  puis  des  traités  partiealiers  abao- 
onnèrent  aux  musulmans SudaâSpina- 
Longa,  dans  le  commencement  du  siècle 
suivant. 

ÉTAT  DE  lIlB  sous  I.A.  DOMI- 
NATION YÉNITIBNNE.  —  Yenisc  avait 
possédé  la  Crète  pendant  Feqnce  ds 

{>rès  de  cinq  sièdes;  nous  avons  vu  que 
e  gouvernement,  constîtaé  à  l'image 
même  de  celui  de  la  république  vém- 
ti^ne,  était  composé  d'un  due  «ssisié 
de  deux  conseillers  supérieusa,  d'na 

grand,  d'un  petit  conseil  et  de  toute  b 
iérarchie  judiciaire  de  la  mélropolf. 
Cette  périoue  de  la  domination  véoi- 
tienne  fut  pour  l'tle  l'épo^e  de  sa  plos 
grande  prospérité;  l'agricoltore  y  fut 
encouragée ,  et  la  Crète  approTîsionoa 
de  blé  Venise,  comme  autrefois  elle  en 
avait  fourni  Rome  ;  son  commeree  pro- 
fitait, sous  la  protection  de  Venise,  ài 
monopole  des  transactions  entre.IXhiait 
et  l'Occident;  quelques  VMca  ferrées, 
en  petit  nombre,  mais  les  seules  que 
111e  possède  encore  aujourd'hui  ,  furent 
construites;  des  ponts,  souvent  d'une 
architecture  hardie ,  furent  Jetés  sur  ks 
torrents  que  l'hiv»  grossit  et  fait  dé- 
border ;  enfin ,  outre  la  capitale  et  les 
villes  diocésaines,  la  Crète  comptait 
neuf  cent  quatre-vingt-seise  villag» 
florissants. 

Malgré  les  éléments  de  prospérité  que 
Venise  avait  apportés  à  la  Crète ,  die 
n'y  avait  pas  sans  peine  établi,  pois  main- 
tenu son  autorité.  Les  montagoanis  et 
la  partie  occidentale  de  Itle  s*étaieat 
surtout  distingués  par  leur  longoe  ré- 
sistance. 

Les  Sphakiotbs  sous  lbs  domi- 
nations YBNITIBNNB  ET  TUBQOE.  — 

Retirés  dans  les  gorges  de  la  longue 
chaîne  de  montages  a  laquelle  aon  as- 
pect neigeux  a  tait  donner  le  nom  de 
monts  Blancs,  et  qui  se  termine  pur  ks 
caps  Buso  et  de  Spada,  ces  hardis  in- 


ILE  DE  CaBTE. 


«81 


nhing,  appdte  flpbtkioM«  do  nom  de 
leur  bourgs  Sphidua,  avaiem  bravé  pen- 
dant plot  d'un  sièele  les  forces  que  Ve* 
Bîae  ne  œisall  de  diriger  contre  eux ,  et 
leur  loonie  résistance  avait  déterminé 
renvoi  os  eette  colonie  qui  rattacha 
eompléteBient  Candie  à  la  république. 
Mais  alors  même  ils  refusèrent  de  se 
mêler  aux  nouveaux  arrivants ,  et  évi« 
lèrent  le  contact  des  Vénitiens,  comme 
autrefois  ils  avaient  fiii  celui  des  Grecs 
et  des  Sarrasins.  A  la  longue ,  leur  ré- 
sistance cessa;  mais  ils  continuèrent  à 
se  livrer  à  la  piraterie,  avec  Tautonsation 
des  magistrats  vénitiens',  qui  se  bor- 
naient à  entretenir  chez  eux  un  inspec- 
teur, et  les  traitaient  avec  les  plus 
grands'égards  (i). 

La  domination  turque  les  trouva  tels, 
et  ne  changea  rien  à  leurs  habitudes; 
ils  continûment  à  vivre  dans  leurs  mon- 
tagnes, à  parler  un  dialecte  plus  voisin 
de  la  langue  primitive  que  le  reste  des 
Candiotes,  à  vivre  de  pirateries,  de 
chasse  et  de  la  vente  de  quelques  fro- 
mages faits  du  lait  de  leurs  chèvres. 
Lorsque  le  voyamur  Belon  les  visita , 
ils  étaient  les  meilleurs  archers  de  Tlle. 
Plus  tard  ils  se  servirent  du  fusil  avec  la 
même  habileté;  et  à  la  fin  du  dix-hui- 
tième^siècle  on  retrouvait  encore  chez 
eux  la  pyrrhique,  cette  vieille  danse  de 
la  Grèce  particulièrement  en  honneur 
cbes  les  Curèles  (2).  Revêtus  d'une  robe 
coartcserrés  par  une  ceinture,  les  jambes 
prises  dans  de  longues  bottnies ,  un  car- 
quois plein  de  flèches  sur  l'épaule ,  un 
arc  dans  la  main,  une épée au  côté,  on 
les  voyait  s'élancer  en  trois  mesures, 
tantôt  seuls;  tantôt  deux  à  deux,  se 
poursuivant,  se  rejoignant,  se  formant 
en  cerde  et  accompagnant  la  cadence  de 
leurs  pas  du  choc  de  leurs  épées  contre 
leurs  boucliers. 

Longtemps  les  Sphakiotes  échappè- 
rent au  earach^  contribution  imposée 
par  les  Turcs  au  reste  de  111e;  mais 
vers  177e  les  musulmans  semèrent 
parmi  eux  la  division,  et  les  attaquèrent 
sous  prétexte  qu'ils  voulaient  livrer  111e 
aux  Eusses.  Comme  toujours,  ils  eussent 

dans  leurs  montagnes, 


<t    |i  JlTIll 


(t)  Bappcr,  Deseript.  é»$  Ilêtde  l'Jrehi* 
peî,  p.  4io,  434,  455. 

(s)  Sa^ary,  Litirtê  uar  ta  6rie«,  p.  309. 


si,  pendant  que  les  hommes  oombat- 
taieot  courageusement,  les  jeunes  gens, 
séduits  par  lel  présents  de  leurs  ennemis, 
ne  les  eussent  eux-mêmes  introduits  par 
des  sentiers  détournés  sur  les  sommets 
de  leurs  montagnes;  des  villages  furent 
détruits,  beaucoup  d'habitants  massa- 
crés. Les  femmeset  lies  en&uts,  emmenés 
en  captivité,  furent  vendus.comme  es- 
claves dans  les  différentes'  parties  de 
l'empire  turc. 

État  obnbral  db  lIi^b  sous  lbs 
TUECS.  — Les  Turcs  ont  introduit  avec 
eux  dans  les  pays  dont  ils  se  sont  suc- 
eessivemeot  emparés  le  désordre,  l'ar- 
bitraire et  les  vexations  de  toute  nature. 
Les  Candiotes,  qui  avaient  subi  impa- 
tiemment le  joug  de  Venise,  essavèrent  à 
I^nsiears  reprises  d'échapper  a  la  ty- 
rannie turque.  Descruautés  impitoyables 
comprimaient  les  moindres  soulève- 
ments ;  et  la  j[K)pulation  était  livrée  sans 
défènse«aux  msultes  d'une  milice  insu- 
bordonnée, qui  parfois  n'épargnait  pas 
ses  propres  chefs.  C'est  ainsi  qu'en  1688 
le  gouverneur  de  lUe,  SouNFikar-Pacha« 
fut  massacré  par  les  soldats  révoltés  ft). 
La  plupart  du  temps  le  pacha,  satisfait 
de  détourner  sur  une  population  Inof- 
fensive la  turbulence  de  ses  troupes,  en- 
courageait tous  les  excès  an  lieu  de  les 
punir.  D'ailleurs,  comme  le  gouverne- 
ment de  Candie  était  l'un  des  plus  im- 
portants et  des  plus  lucratifii  de  I  empire, 
il  était  confié  à  des  Èivoris  du  sultan,  qui 
ne  devaient  leur  élévation  qu'à  l'intrigue, 
et  qui,  pour  en  tirer  le  meilleur  parti 
possible,  pressuraient  les  habitants.  Par- 
fois un  acte*  de  justice,  venu  de  la  Porte, 
atteignait  le  coupable  quand  les  exactioas 
étaient  trop  criantes;  c'est  ainsi  qu'en 
1728  le  defterdar  de  Candie,  Osman- 
Effendi,  fut  mis  à  mort  pour  avoir  dé- 
sorganisé par  ses  déprédations  le  service 
des  fermages,  et  plus  encore  pouic  avoir 
falsifié  quatre  firmans  et  contrefait  les 
«sas  de  la  chancellerie  et  Jusqu'au  chif- 
fre du  sultaiu(3).  Mais  un  châtiment 
isolé  ne  remédrait  pas  à  la  misère  des 
populations;  et  alors  même  qu'un  des 
premiers  ioQctionn9ires  était  puni ,  la 
tyrannie  individuelle  des  musulmans 

(i)  De  Hammer,  BiU.  de  rXmp.  Otimâm, 
t.  XII,  p.  357. 
(9)  Hammer,  t.  XIY,  p.  909. 


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sur  les  chrétiens  était  sans  bornes.  Si 
un  Turc  désirait  la  fille  d*un  Grec,  il 
épiait  le  moment  de  la  sarpreûdre  hors 
de  la  maison  paternelle,  et  l'emmenait 
de  force  sans  que  la  famille  eût  aucttrt 
recours  sur  le  ravisseur.  Au  commen- 
cement de  ce  siècle,  Famiral  ParsevaU 
Beschénes,  reçu  à  La  Canée  dans  une 
famille  juive,  apprit  que,  par  erainte 
des  Turcs,  les  femoies  n'étaient  pas  sor- 
ties de  la  maison  depuis  dix-huit  ans. 
Vers  1780  il  était  encore  interdit  aux 
Grecs,  à  l'exception  de  l'archevéâue, 
d'entrer  à  cheval  dans  les  villes.  L'évéque 
de  La  Canée  brava  un  jonr  cette  pres- 
cription ;  les  Janissaires  qui  gardaient  la 
fOTie  par  laquelle  il  entra  se  crurent 
msultés  :  ils  ameutèrent  la  soldatesque , 
racontèrent  leur  affront ,  et  résolurent 
de  brûler  l'évéque  avec  tous  les  prêtres. 
Déjà  ils  passaient  à  l'exécution  de  ce  des- 
sein, quand  le  pacha  intervint,  et  calma 
lès  janissaires  par  la  publication  d'un 
flrman  qui  interdisait  à  tout  Grec,  de 
((uelqùe  état  qui!  fût,  de  coucher  dans 
les  murs  de  La  Canée.  La  déf^se  fût 
rigoureusement  observée.  Tous  les  soirs 
les  malheureux  sortaient  par  la  porte  de 
Retimo,  et  allaient  chercher  un  asile  dans 
là  caitipagne;  ceux  qui  ne  pouvaient  pas 
louer  line  chambre  n^avaient  d'autre  re- 
fbge  que  la  terre  ou  le  creux  des  rochers. 
Les  femmes  iseules  restèrent  dans  la 
ville)  les  Toh»  voulurent  bien  faire 
cette  etception  en  leur  faveur  (1).  Sous 
tant  d'oppression,  la  culture  fut  aban- 
donnée, le  cothmçrce  cessa,  partout  la 
liiisère  Succéda  à  Topulence  ;  les  popula- 
tions iPàvitirent;  la  lèpre  fit  des  victimes 
nombreuses  paritli  les  Grecs  pauvres 
des  plaines,  réduits  jpar  le  délaissement 
du  sol  à  se  noun'ir  (folives ,  de  poisson 
salé  et  de  fromage;  puis  la  destruction 
des  lazarets  établis  par  les  Vénitiens 
pour  faire  quarantaine  pel'mit  à  la  peste 
de  s'introduire,  et  ce  fléau,  favorise  par 
le  climat  tempéré  de  l'île,  parcourait  leâ 
provinces  et  y  exerçait  Quelquefois  ses 
ravages  pendant  dix-huit  mois  de  suite. 

GotJTBRIIf  EMfitVT  TtJBG  ET  ADMINIS- 
^BATION  RELIGIEUSE.  —  LeSUltSU  éta- 
blit en  Crète  trois  pachas;  à  Candie,  à  La 
Canée,  et  à  Retimo.  Le  premier,  à  trois 
qMQes,  était  une  sorte  oe  vioe^roi,  su- 


iririeiir  a«  dem  aMet;il  a«iitriHpie> 
tion  des  fortt  et  dasarscoan ,  nMmii 
aux  emplois  militaires,  et  désigaaii  )m 
beys  cbai^  du  «nivemeiMiit  dn  è- 
verses  places  de  111e.  Au-dessoiis  do 
beys  il  y  avait  un  ehfttelaia  et  trois  ofli* 
ciers  généraux,  pour  l'artillerie,  la  a- 
Valérie  et  les  janissaires.  Dana  leeoBSèU 
du  padia  entraient  un  kyaia,  ministit 
^nérai  des  affaires  et  oea  srâM,  le 
janissaire^ga ,  ceioneft  §éaérai  dei  trou 
pes ,  chargé  prineipaletnent  de  la  Dolice, 
deux  topi-baehi  (eoonnandaats  o'aitii- 
lerie),  un  defterdar ,  trésorier  géBcnl, 
un  garde  du  trésor  ioipériai  et  ks  pre- 
miers ofilders  de  ramée.  Le  poum 
du  sérasquler^tfha  était  abeolu,  et  ses 
décisions  prises  dans  ee  eooaeîi  niii- 
taire  ne  comportaient  pas  d'appel.  Les 
gBoa  de  loi  étaient  le  maphti ,  chef  su- 
prême de  la  religion,  et  le  eadi  :  le  pre- 
mier interprétait  les  lois  qui  regarseat 
le  partage  des  biens  entre  les  eaftnts, 
les  successions,  les  mariages,  et  prs- 
nonçatt  sur  tout  ce  qui  ooneeme  le  ht 
musulman  ;  le  cadl  reiaévail  les  déeian- 
tions,  les  plaintes  «  les  donations  des 
particuliers  et  Jugeait  les  différents.  Les 
gouvernements  de  La  Caaéeet  deRetiaM) 
étaient  constitués  sur  le  modète  deedui 
de  Candie.  En  1786  les  garniaons  tB^ 
ques  de  ces  trois  places  se  montaient  à 
eliviron  qcdnze  mille  honnnea  :  la  popa- 
lation  musulmane  de  111e  était  a  peu 
près  de  deux  cent  mille  âmes;  les  Ones. 
dont  le  nombre  diminuait  oftuoM  an- 
née dans  une  proportion  eeiisidcrable, 
n'étaient  plus  que  cent  oùigiuaite  mille. 
Dans  les  temps  de  sa  srospOTité,  la  Crèie 
avait  compté  plus  d'un  raillkm  deox 
cent  mille  habitants  (l).Swr  les  eentôn- 
quante  mille  Grées,  sofxante^nq  nulle 
payaient  le  earach.  Les  impôts  établis 
sur  les  chrétiens  étaient  de  dwux  sortes: 
un  septième  du  produit  de  toote  terre, 
et  le  caraoh,  on  capitation,  payé  par  les 
chrétiens  mâles  ati^lesBas  de  seize  ans: 
cet  impôt  était  de  eânq  piastres  et  deux 
médins  (dix-sept  francs  environ  ).  L'iah 
p4t  fi^nder  pouvait  se  payer  en  natare, 
soit  avec  du  blé,  du  Ha  ou  du  ootoa. 
Parmi  les  produite  Industriels,  la  soie 
était  imposée  d'un  médin  Tonee.  U 
genvernement  eeelésiasliqae  de  Candie 


(i)  SavàTj,  Leitrég  sur  ia  Grèce,  p,  »6a,  (f)  Ssvary,  M,  p.  dSt-dS^. 


ILBUBOariE. 


m 


éltit  tMi  CQMliUlfl  I  le  iw#wift  i» 
CodBtMUtliiaple  nomaiMt  raroherl^iMi 
eeluiHU  déttéiiait  ieêévéquaif  d  c<8der« 
meift  ki  eoiéa  des  paioines*  L'ardw- 
véqoe ,  otitm  Im  kevemM  de  son  dioeèM, 
recevait  tous  les  ans  une  aouiDie  des 
évéqaes,  qui,  pour  acquitter  le  tribut  de 
leur  méiropMitain  au  grand'aeignettr, 
imposaieat  iea  ausona  ehrétiennea  de 
âoq  médina.  Les  revenus  des  évéques 
consisiaiettt  en  eontributions  volontai* 
ras,  plus  une  mesure  de  froment,  de  via 
el  d^buile;  un  droit  était  aussi  prélevé 
sur  ehaqtte  mariage.  Si  une  ehrétienne 
époasaît  un  Turc,  elle  était  exelne  de  la 
oonununion  jusqu'à  sa  mort«  et  peur 
obtenir  le  viatiqtôe  elle  derait  renoneer 
•  son  mah.  La  multiplicité  des  impôts 
reiif^leux  et  de  ceui  i|ue  les  Turcs 
avaient  étâblin  fit  que^  pour  en  étra 
exempts^  un  |(rand  nombre  de  cbrétiens 
renoncèrent  a  leur  religion  ;  cent  vinat 
ans  aprds  la  conquête  musulmane  Te 
nombre  des  renégats  était  considéra* 
ble  (1). 

ÉTAT  0B  LA  CbÉTB.  GuIUU  DB 
L'iiII>BPKIJ>AHQB.    GOMXBIfCElIBIfTS 

DB  l'imbubbbction.  —  Lcs  misèrcs 
de  la  population  Cretoise  semblent  avoir 
radoeolé  dans  le  eommcncement  du 
dix-neUTième  siècle;  l'oppression  des 
a^s  était  à  son  eomble.  Les  Turcs  can* 
dictes  araientdabs  tout  l'empire  un  re« 
nom  de  férocité  qui  n'était  que  trop 
fondé*  Malgré  tant  de  misère  et  d'op^ 
probrss,  les  Candiotes  ne  participèrent 
pas  dès  le  orinGipe  à  l'insurrection  greo* 
que;  TexAs  même  de  leurs  maux  les 
avait  plongés  dans  une  sorte  d'apathie) 
qu'ils  ne  commencèrent  à  secouer  qu'en 
juin  1691  (B).  Ce  mois  avait  été  signalé 
par  le  massacre  d'une  foule  de  chrétiens, 
surtout  dans  la  partie  septentrionale  de 
l'ile;  plusieurs  ecclésiastiques  avaient 
été  pendus ,  les  églises  avaient  été  pro* 
fanées.  Le  24  Juin  un  massacre  presque 
général  dés  Grecs  eut  lieu  à  La  Canée,  et 
les  barbares  se  crurent  assez  fbrts  pour 
exiger  une  dans  tout  le  midi  de  l'Ue  les 
peuplades  rendissent  les  amaes.  Mais  lé 

(x>Pôcs<io1l««  Dêtitripi.  éé  fOtUnt,  t,lT| 
p.  3xa,  3<9« 

(ti)  Pouqueville,  Régénér,  de  la  Grice^ 
a^  cdit.  t  lU.  p.  56;  Bafraoel,  But.  cùinpl, 
des  Êvén,  de  la  Grèce,  t.  I,  p.  334- 34a. 


Bsidî  éttft  ostta  Mrtîe  montagneuse  que 
nous  avons  déjà  vue  habitée  par  les 
Spbakiotes;  depuis  1770  ils  étaient  tri- 
butaires de  la  Porte,  mais  jamais  ils 
ne  s'étaient  reconnus  s^iets;  et  surtXNit 
ils  eussent  considéré  comme  la  plus 
gnuAde  honte  l'abandon  de  leurs  armes« 
Pès  aue  les  chefs  de  Sphakkia  eonnureni 
les  desseins  des  Turcs,  ils  députèrent 
Tcrs  les  Abadiotes  leurs  voisinsi  descen* 
dants  des  Sarrasins  dès  le  neuvièoM 
siècle,  qui  consentirent  à  s'unir  à  eux 
contre  les  Turcs.  Alors  les  deux  tribus 
alliées  descendirent  dans  la  plaine,  au 
nombre  de  neuf  cents  soldau.  A  cette 
nouvelle,  les  musulmans  marchèrent  à 
leur  rencontre;  ils  furent  battus  et  obli- 
gés de  se  renfermer  dans  La  Canée 
(2  juillet  1821). 

Aussitôt  aue  l'insurrection  de  Sphakia 
fut  connue  J'îleentièrearbora  l'étendard 
de  la  croix»  et  courut  aux  armes.  Un 
Cretois  dé  noble  famille,  ^i  avait  feint 
d'end)rasser  le  mabométisme,  Kour- 
moalis,  se  met  a  la  tête  des  insurgés 
de  Retimo  :  partout  les  Turcs  sont 
battus  en  rase  campagne  et  contraints 
de  s'enfermer  dans  les  places  fortes; 
l'insurrection  semblait  contagieuse,  les 
vallées  de  Mirbel ,  de  Messaria,  les  vil- 
lages riverains  de  la  rivière  Platania 
s'étaient  soulevés  (1).  Moins  d'un  mois 
après  (les  premiers  troubles,  les  Greot 
étaient  maîtres  de  File  prescne  entière  et 
les  pachas  étaient  bloqués  oans  Candie, 
La  Canée  et  Aetlmo.  Ces  réSulUtt  éuient 
dus  en  partie  à  l'activité  et  au  courage 
du  jeune  Cretois  Antoine  Mélidone. 

A  la  nouvelle  du  soulèvement  de 
Candie,  il  était  secouru  d'Asie  Mineure 
à  la  iéte  de  tous  les  Candiol»  qui  s'y 
trouvaient  dispersés.  Enhardi  par  les 
premiers  succès  de  rinBURe.çtiOB,  11 
eon^t  le  projet  de  traverser' la  panîa 
septentrionale  de  la  Crète  encore  gndée 

f^ar  les  musulmans,  de  la  sonlcYer,  et 
à,  comme  dans  le  midi ,  d'enfermer  les 
ennemis  dans  les  forteresMs.  Le  village 
de  Monie  fut  sa  première  conquête,  puis 
la  place  d'Armyros ,  où  il  prit  douse 
eanons;  Bryssina  tomba  encore  en  son 
pouvoir.  ARethemnajl  massacreje  Tuiu 
Getimalis,  l'un  des  brigands  les  plus  fié» 
roces  et  des  plus  redoutés  de  la  contrée; 

(i)  Pouqaerille,  id.,  p.  37-43« 


M4 


LDHIVEtS. 


âeox  armées  ottomanM  sont  taillées  oo 
pièces  à  Janacari  et  à  Mérone;  une  tioi* 
sième  Mrd  toute  son  artillerie  et  ses  ba- 
gages a  TbronoGlissidi.  APhourphoura, 
If  élidone  est  surpris  et  enveloppé  subi- 
tement par  l'armée  du  pacha  de  Mega* 
locastron.  En  quelques  instants  il  range 
ses  soldats  en  bataflie,  et  commence  m 
premier  la  chane;  le  pistolet  dans  une 
main,  le  sabre  dans  rautre,  il  court  ea 
avant,  se  tient  au  milieu  du  feu ,  jette 
par  son  intrépidité  la  confusion  parmi 
ras  ennemis ,  les  enfonce  et  les  poursuit 
Jusque  dans  Megalocastron.  Le  lende- 
mam  un  détachement  tore  qui  avait  osé 
sortir  est  massacré  presque  entièrement, 
et  deux  jours  après  cette  victoire  est 
suivie  d'une  autre.  Le  pacha,  plein  d'ad- 
miration pour  tantde  valeoretde  succès^ 
sollicite  de  Mélidone  la  permission  de 
le  voir.  «  Dans  quelques  jours,  répond 
le  Cretois,  tu  seras  prisonnier  dans 
ma  tente,  et  tu  auras  le  loisir  de  me 
contempler.  »  Ce  ne  fut  pas  une  vaine 
bravade  :  le  pacha  devint  captif  des 
Grecs. 

La  renommée  des  exploits  de  Méli- 
done s'était  répandue  par  toute  llle;  il 
était  l'idole  des  populations,  et  son  en* 
tréedans  les  villages  était,  chaque  jour 
un  triomphe.  Tant  d'honneurs  excitè- 
rent l'envie  de  Rhoussos,  chef  des  Spha* 
kiotes.  Rhoussos  voulut  se  défaire  de 
Mélidone,  et  lui  fit  savoir  qu'un  corps  de 
troupes  ennemies  était  campé  dans  le 
bourg  d'Abadia,  à  deux  lieues  de  Phour- 

Ehoura.  U  comptait  sur  la  témérité  du 
éros  Créteis  et  sur  le  nombre  des  en- 
nemis, beaucoup  plus  considérable  <]u'il 
ne  l'avait  &itdire.  Mais  Mélidone  pnt  si 
bien  ses  mesures  que,  à  la  tête  de  trois 
oents  hommes,  ilégcurgeapresque  tout  le 
détechement  ennemi,  et  revint  au  camp 
avec  trente  charges  de  biscuit  et  douze 
tonneaux  de  poudre.  L'animosité  de 
Rhoussos  ne  fit  que  s'accroître;  il  convia 
son  adversaire  a  un  festin:  celui-ci  ac- 
cepta sans  défiance  ;  insulté  par  le  chef 
Spbakiote,  accusé  d'ambition  et  de  sour- 
des menées,  il  se  justifia  en  quelques 
paroles,  pleines  de  noblesse,  adressées 
aux  soldats,  et  se  retira  accompagné  des 
aodamations  des  Sphakiotes  mêmes, 
qui  lui  promettaient  avec  serment  de 
combattre  et  de  mourir  pour  lui.  La  fu- 
reur de  Rhoussos,  abandonné  des  siens, 


ne  eoMMt  plus  de  bévues;  il  Mpril  4s 
vouloir  une  récoBcyiatifln,  et,  ètm  l'en- 
trevue, fendit  la  tète  à  Mélidrae.  Le 
héros  mourut  an  miUeu  des  gémisse- 
ments et  des  refpreto  des  soldate  et  de 
toute  la  pepttlatmn  erétoîse^ai  espérait 
en  lui  un  luoérateor  (1). 

SUGCks  BT  XBTBB8  SES  GbBGS  IW 
CEBTB.I  APHBin»ALL08  HT  TOICBAfflS. 

-*  Cette  mort  jeta  laeonsteniatkm  panai 
les  Cretois.  Rhoussos ,  dHme  intr^idiié 
sauvagedans  les  combats,  était  hicapaUe 
de  remplacer  un  tel  chef;  les  ennemiSi 
toujours  bloqués  dans  les  villes  fortes, 

Î mouvaient  être  secouius  et  reprend»» 
'avantege  si  on  ne  prassait  les  opén- 
tions  militaires.  LesJCrétois  reeourawt 
au  gouvernement  général  pour  aveir 
un  chef.  Un  homme  qui  avait  reoAi 
quelques  services  à  l'indéf^endaDce 
grecque,  Michel  Comnène  A^^iendsi* 
los,  fut  envoyé  de  Morée.  Ce  noofeso 
général  déplut  par  son  extérmr  dif- 
forme. Il  torma  une  junte  «  publia  en 
code  militeire,  une  formule  de  serment, 
et  adressa  au  peuple  des  prodamatkns; 
mais  il  ne  sut  prendre  auenoe  mesoe 
efficaee,  et  laissatrespirer  les  amicRÉi. 
Plein  d'idées  ambitieuses,  et  lattacbaat 
sa  famille  à  la  dynastie  des  Ommènes, 
il  se  regardait  comme  le  vioe-roi  de  la 
Crète,  parhmt  de  prâever  à  atm  pnit 
les  impêta  qu'avant  llnsurneetiom  les 
musulinans  avaient  étebtis  aor  Itle ,  et 
de  réclamer  le  tribut  des  Sphakiotes. 
Fatigués  de  ce  chef,  cenz-ei  rmonènst 
son  rappel;  et  pour  le  reroplaeer  deasan- 
dèrent  un  officier  firançais  de  distia^ 
tion,  Baleste,  qui  vint  acoomps^sné  ds 
plusieurs  Philhàlèaes.  Dès  aoa  armée, 
le  capitaine  Baleste,  apprenant  que  les 
Tmrcs  équipaient  à  Alexandrie  une  flotte 
destinée  à  agir  en  Ciète,  pressa  le  8^ 
de  La  Canée,  battit  le  padia  de  Rétiara 
et  le  força  à  s'enfermer  dans  la  ville. 
Le  37  avril  1S39,  il  battit  les  Turcs  sur 
terre  et  sur  mer;  après  les  affirem  dé- 
sastres de  Chio,  if  envoya  un  de  ses 
officiers  dans  cette  tte  reeneillir  cens  des 
habitente  qui  avaent  échappé  sm  nuu- 
sacre  général.  Au  milieu  de  mai,  la 
flotte  ^grptienne  dont  la  Crète  avait  été 
longtemps   menacée  débarqua   douie 

(i)  Aies.  Soiilio,  Bisi.  de  Ut  RémAtL  Gret^ 
que,  f,  143-157. 


iLB  BB  caùnTE. 


nffle  Tttf»  dani  nie*  Le  Mptafaiefran- 
;ai8  réunit  loates  l66  forées  des  Grées» 
k  marcha  à  la  reneontre  des  ennemis. 
[1  allailreinporter  ane  vieloireeoniplètef 
orsque  Comnène  Apiwndallos  prit  la 
fuite,  entratuantrarmée,  déjà  maîtresse 
lu  ehamp  de  bataille.  Balesle  périt ,  en 
cherduint  à  rallier  ses  soldats  (t). 

Après  sa  mort  tout  alla  mal  :  on  lui 
donna  pour  sueoesseor  un  Spartiate,  qoi 
n*avait  ni  ses  talents  ni  son  oovrage  dé- 
sintéressé. Un  détachemeat  de  la  flotte 
^yptiemie  ravitailla  Rétimo;)  la  plaee, 
jusque  alors  pranée  virement,  fat  déga- 
gée, la  ganûson  fit  des  sorties  heoreoses, 
et  tous  les  Tores  musolmansde  lllere* 
prirent  la  campagne.  Libre  deeeeAté,  le 
ebef  égyptien,  ismael,  marcha  contre  Far- 
mée  grecque  qui  assiégeait  Candie*  Pris 
à  l*impro?i8te,  Mano ,  son  chef,  fit  une 
vigoureuse  résisttmoe  ;  mais  il  fut  forcé 
de  battre  en  retraite,  laîBsantdeux  mille 
hommes  sur  le  terrain  (a).  Heureuse- 
ment pour  les  Grecs  de  Candie,  l'habile 
Ismafei  ftat  rappelé.  Les  Turcs,  livrés  à 
eux-mêmes,  ne  suivirent  pas  ses  derniers 
conseils  ;  ils  abandonnèrent  le  plat  pays, 
et  rentrèrent  dans  les  places  fortes.  Les 
Grecs  reprirent  TofiGuisive;  Mano  re* 
descendit  des  montagnes  avec  une  nou- 
velle  aimée,  et  recommença  lesi4ge  de 
Rétimo.  Candie  fut  bloquée  :  les  Spha- 
kiotes  n'osèrent  pas  assiéger  cette  ville, 
réputée  imprenable,  mais  ils  tentèrent 
de  la  réduire  par  la  famine.  £n  même 
temps,  des  navires  de  Casos,  rocher 
voism  de  Candie ,  et  dont  les  marins  s'é* 
talent  rendus  redoutables,  croisaient 
devant  la  place  pour  en  interdire  Taocès 
aux  vaisseauf  neutres,  qui  à  plusieurs 
reprises  avaient  seeoumleaTurcs  contre 
les  Grecs,  et  pour  signaler  rapproche 
des  forées  musulmanes.  Dans  les  pre* 
miers  jours  d'octobre,  les  a£Eaires  des 
clurétiens  étaient  entièrement  rétablies; 
leurs  armées  étaient  maîtresses  de  111e , 
Candie,  Rétimo  et  La  Canée  étaient  blo* 
quées  par  terre  et  par  mer;  si  legouver* 
nement  central  eut  fait  un  efifort  et  en- 
voyé de  Tartillerie  et  des  ingénieurs, 
llie  entière  était  acquise  à  la  cause  bel- 

(i)  Pmiqm^îBe,  Régénérai,  dé  la  Grèce, 
tIII,p.  990,  Sfi. 

(9)  Raffenel  »  Dêrn,  trén,  dé  la  Grèce, 
tn,p.  14^149* 


léttique  (1).  M*  le  ttèhe  ApheiAilo», 
dont  la  mite  avait  compromis  une  Ma 
les  armes  grecques  et  fut  périr  Bakale, 
commandait  encore.  U  semblait  s*ap* 
pUquer  à  ralentir  les  opérations  die  ta 
guerre,  et  des  indices  presque  certains 
donnaient  à  penser  qu'il  était  vendu  an 
musulmans.  Pour  la  troisième  fois  les 
Grecs  demandèrent  son  remptaceasent; 
le^^uveraement  céda,  et  donna  aux  Cre- 
tois pour  les  commander,  avec  le  titre 
«d'harmoste,  Tombasis,  d'Hydn,frèredtt 
navarque,  brave  et  dévoué  comme  lui. 
Son  arrivée  releva  les  affûres  ;  au  neis 
defévrier  1833,  La  Canée  entra  en  accom- 
modement, et  cette  importante  forleresse 
eâtcapitule  sans  l'apparition  d'une  flotte 
Ottomane,  qui  renuit  l'espérance  aux  mh 
siég^  (2)*  Alors  tout  dédina;  les  Sph»> 
kiotes  retournèrent  dans  leurs  villages, 
pour  la  récolte  des  olives  ;  le  siège  de  La 
Canée  lut  abandonné.  Cependant  uns 
escadre  égyptienne  se  rendant  àConstan* 
tinople  avait  touché  à  Casos  (S),  massaeré 
les  habitants  de  œtte  lie,  ruiné  ses  villa- 
ges, et  se  dirigeait  sur  la  Crète.  Les  vais- 
seaux entrèrent  dans  la  rade  de  Candie 
à  rinsn  des  chrétiens,  débarquèrent  six 
miUe  hommes,  auxquels  se  k^^nirent  les 
gurnisons  de  Rétimo  et  de.  La  Canée 
Cette  troupe  s'avança  dans  les  monta- 
gnes.  surprit  trent»«ix  villages ,  massa* 
cra  femmes  et  enfioits,  brfia  tout,  et 
reprit  le  chemin  de  ses  vaisseaux  après 
avoir  fait  périr  près.de  vingt  mille  cnré- 
tiens.  Huit  cents  soldats  sphakiotes, 
trop  faibles  pour  résister  à  l'invasion, 
avaient  cherné  un  refuge  dans  la  vasta 
grotte  de  Stomarambelios.  Les  Tures,  ne 
pouvant  les  y  forcer ,  amassèrent  à  l'en* 
née  des  matières  combustibles,  et  les 
asphyxièrent  avec  toute  la  population  de 

Ïdusieurs  villages  ;  jamais  Candie  depuis 
'insurrection,  n'avait  essuyé  de  telles 
pertes.  Tombasis,  instruit  trop  tard  de  la 
descente  des  ennemis,  et  désespérant  de 
ralUer  les  Sphakiotes,  décounigés ,  prit 
avec  lui  les  soldats  pétoponnésiens,  et  à 
la  tête  de  cette  faible  troupe  courut  aux 
Tures,  surprit  un  de  leurs  détaebementSt 
et  le  détruisit 

(x)  Raffend,  t.  n ,  p.  a54-ft56. 
(a)  Ibid^  p.  334»   Ponqueville;  t.  IV, 
p.  191. 
(5)  Voycs  pli»  haut ,  p.  i^^ 


Wi^Wi 


LummSé 


tiens;  la  populatioB  eotièrB  éesoendifc 
dM  fiiMtagm»,  a«8aiUitl66  Turcs  ëans 
l«tr  marche  rétmsradA  aur  Héiimo»  et 
taiir  tua  seol  mille  BOiimiea.  Mais  eadé- 
aaelre  «les  Mrbares  Bé  réparaH  pas  les 

Eea  ooneidérablta  des  Grecs*  Tora*- 
s  eiH  reenûs  au  gouverneiBeal  ceiir 
traU  qmlm  eipédia  trois  ixâlle  faoïnmes  s 
aveece  reniart  il  |Mit  Irepiendreks  sièges 
de  La  €aii^  et  deRétimo  (1). 

&CPÛITIONS  XD&CO-BftYP'ElUfNBS 

BN  €BiiB.  -^  De  aoB  eàték  le  sultan 
labea  Méhéntet-Aii  oontte  la  Crète  :  le 
paeba  d'JÊgjpte  fit  activement  de  grands 
ppéparatift  ooatre  eette  île,  dont  la 
Forte  hii  avait  sans  doute  promis  ie 

rvemenoeat  (9).  Cinquante  DÉtiments 
transport  partirent  au  commen* 
eement  de  juillet  des  oôtss  de  Chypre 
ponr  jet^  dix  mille  soldats  tiircs  ^ 
eptl[ptiims  sur  ies  rivages  de  Candie  ;  ils 
ëèatent  escortés  par  huit  frégates  et 
fdusieurs  briks,  lâmael'ûibraltar  était 
obàraé  dn  oommandçment,  en  attendant 
le  fils  dn  viisfr-roi,  Ibrlànn,  qui  devait 
en  personne  présider  aux  opérationsi 
Bour  kl  secondé  fois^  Ismael  ravagea  rilot 
de  Cases  ;  puis  il  didiarqua  sur  la  plage 
de  Rétimo.  La  longueur  de  la  guerre  ^ 
l^itemative  des  âueeès  et  des  revers,  Té* 

EoiesMcnt  des  deux  partis  avaient  ralenti 
m  hostilités  en  Crète  ;  l'arrivée  d'Is* 
omel  les  ranima.  Ge  général  incorpora 
dans  soh  arâtiée  les^tioupes  qui  avaient 
gardé  Rétimo  et  La  Onée,  renouvela 
E»  garnisons  de  ces  places,  et,  A  la  tête 
d'eiivirmi  dolize  mille  ftwmdoes,  s'avança 
à  la  renobBtre  des  Sphakiotes.  Cenx-ci 
oherchèrent  une  retraite  dans  leurs  mon* 
tagnes;  Jamael  lâs  suivit  jusqu'au  pied 
dû  rida  V  s'efforcent  de  les  séduire  par 
des  éesissaires  et  de  les  amener  à  se 
aoUtaetM  volontûrement  au  vice-roi 
d'Ëgy^.  Cette  eonduite  artificieuse  al^ 
lait  avoir  un  plein  sueeàs.  Vainement 
dans  les  délibérations  dn  sénat  spha- 
hiote  vne  mânorilé  couragense  luttait 
QQBtr»  la  transaction  avec  Te  ehef  enne- 
mi ;  vainement  Tombasis ,  indigné  et 
suppliant,  rappelait  à  ses  eompagnona 
leurs  engagements  envers  la  Grèce  ;  les 
Sphakiotes  allaient  traiter,  lorsque  tout 

(i)  Raffenel,  t.  III,  p;  i5-2o. 
W  ^^«'m  P*  107. . 


i 


àoe«|»  OU  «ipiil  «lie  VamiOà  é^Bfim^ 
Saàteoris,.*avait^  dans  doss  violoites, 
détruit  la  flotte  égyptienne ,  et  qu'il  ve> 
naît  de  débarquer  dans  Itle.  En  méoie 
temps  une  seaition  avait  éelalé  dans 
l'iarmée  d'Ismael.  A  eette  double  noo- 
veJle,  les  négoeiati<Mi8  eesee^t.  Le  ehd 
égyptien  tente  TewalndB  des  flOrasi 
db  rida.  Partout  les  Sphakiotes  «  bm 
inférieurs  en  nombroi  «ppoeeKt  une  in- 
domptable résistance.  Lalntte  don  bail 
onrs,  avec  un  aobarnement  sans  parai; 
es  rÉvini  étaient  inondés  de  sang»  des 
milliers  de  eadawes  joncbaieul  le  sol; 
mais  sur  lotis  les  points  les  Greea  tfaicat 
.gardé  l'avantage»  Lee  débrie  de  rarmée 
d'Ismael  rega^^ètent  avec  peine  RétiaM», 
bloqué  par  la  division  de  .Sakbmria;  là 
Sfbakie  était  délivrée  de  l'invaeieB. 
(piques  jours  après  ces  eiieeàB,  uae 
nouvelle  flotte  turque  parut  voce  le  cap 
Spada  c  ێbBiit  le  nee^amiral  ottonao, 
qui  se  rendait  de  la  station  de  Patvar  à 
Mételin;  Saktonrts  eeunit  à  aa  reneea- 
tre,  dispersa  sa  flottOi  et  lui  prit  bait 
vaisseaux  (1). 

SOUMUUSIOH  BB  hk  CBBSB  AUX  MU- 
SU  LMAits.  — '  Après  eette  vietosre ,  Ssk- 
touris,  rappelé  par  ses  concitojfeBB,  quitta 
niOi  et  sondépart  fol  £ital  aux  chxétieBt. 
Ceux  des  navires  turcs  qui  a?niett 
échappé  à  Saktouris  ttouvèreui  mi  re- 
foge  dans  les  porto  de  Rétinao  et  de  La 
Canée»  et  fournirent  à  Ismael  des  fintes 
suffisantes  pour  reprendre  l'ofiBsosive 
contre  des  ennemis  épuisés  par  le» 
succès  oudmes,  réduits  à  lédiBSodea  rea- 
somraes ,  et  toiyours  loraés  ée  oombËttie 
des  ennemis  nouveaux.  HynvaUiiBBiN 
ans  que  la  terre  n'avait  ét6.<mswpeucée. 
Leseouragetix  Candiotes  étatentrédmli, 
pottr  vivre,  aux  irimiiHitionB  niftuicllfis 
du  soL  Un  grenu  nombre  des  focnicn 
étaient  morts  dans  les  oombata  degaatre 
campamies  consécutives;  lea  Hsnames, 
les  enmnts  offiraient  le  speotade  d^ne 
misèvBsans  égale,  et  Ibmbasîa  demandait 
vainement  quelqims  secom»  au  geaver 
nement  central.  Cest  dans  eea  cobjobo* 
tures  qu'Ismael  reaooM&dnqa  lea  hostî- 
liiés  a  veo  des  tnMqieB  fintebes }  at  naalgié 
tant  de  désavantages  les  Sphakiotes  ré- 
i^stèrent  eDq<«e,  et  TomMsie  Ht  tout 
ce  qu'on  devait  attendre  de  son  patiXH 

(i)  Raffenel,  t.  III,  p.  x66«iS3» 


liji  uêhkêste. 


étailtropâûM»;  toojourt  bututi» %\kà9é 
déeoatages,  pois  se  dinpoTM  par  las 
montagnK;  u«rt  il  s'y  eoi  plus  de 
^erre  :  les  défenseur*  de  la  liierté 
BYaieBt  dtflpam»  les  forteressio  étaieiit 
au  pouvoir  des  masulmaas,  Itle  peuiait 
BeaAt>ler  aoomise.  Tembasis  quitta  eette 
terre,  théâtre  de  sa  Ttleer^  eu  sa  pré* 
sence  n'était  plas  utile;  il  se  rsadit  à 
Hydra*  irais  à  Asapbé,  où  il  aMHurut  de 
la  peste  (septembre  1824 )• 

Candie  devint  TaMeual  des  Égyptiens, 
et  c'est  là  qu'ils  rastembièrent  les  trou'^ 
pes  destinées  à  l'invaiioD  du  Pélopon- 
nèse (t).  Parmi  les  GréUns,  un  ^rand 
nombre  abandobnèrent  leur  patne,  et 
allèrent  sur  le  eontinent  prendre  do  ser» 
viee  dans  Parmée  aetire  ;  on  les  retrouve 
au  premier  rang  dans  les  eombats  li- 
vrés pendant  les  années  suivantes  par  le 
brave  Karaiskakis  et  le  œlonel  Fabvier. 
En  1 826  un  bataillon  de  ees  insulaires  fu*^ 
ffitifs  partit  deNauplie,  sous  leeomman* 
aeroent  de  Manuel  Antoniades  et  de  De- 
metrius  Galergis ,  et  lit  une  tentative  sur 
Candie,  dont  oeux  forteresses,  Oarabusa  et 
Kyasamos,  tombèrent  en  leur  pouvoir  (2). 
Ceux  des  chrétiens  qui  étaient  demeurés 
dans  rtle  rdFusèrent  de  revenir  babiter 
la  plaine }  eaehésdans  les  montagnes, 
toujours  en   armes,  ils  n'attendaient 
qu'an  moment  fiivorable  pour  reprendre 
ouvertement  les  hostilités.  Mais  ee  mo- 
ment ,  ils  l'espérèrent  en  vain;  lorsque 
les  puissànees  européennes  intervinrent 
dans  le  démêlé  de  la  Porte  Ottomane 
et  de  la  Grèce,  Candie  ne  fut  pas  au 
nombre  des  îles  annexées  au  nouvel 
État.  Comme  Samos,  après  avoirsoutenu 
aussi  eourageusement  qu'elle  la  cause  de 
l'indépendance,  elle  fut  saoriGée  et  n* 
jetée  sous  la  domination  musulmane.  Le 
paeha  d'Egypte  continua  à  y  exercer  son 
mfluenoB ,  et  à  l'année  18Sa  un  firman 
deconeession  remit  à  Mébémet*Ali  tous 
les  droits  de  la  Sublime  Porte  sur  Can* 
dîe.  Ce  n'étidt  pas  le  sert  que  méri- 
tsient  les  chrétiens  de  l'Ile,  et  ils  prêtes* 
tèrent  par  les  «rmes,  se  Soulevant  sans 
sesse  et  faisant  aua  musulmans  uns 
guerre  aehaméSé 

(0  nifféiit^  u  m,  p.  %84-ase, 

(a)  Jsehenurtt  de  Saiat-Oenis ,  Bist,  de 
fEmp.  Omm,,  t«  III,  p«  «65. 


ÉkAlII  Aevlwi..«^Les  eenlèesmeati^* 
soit  partiels,  sait  génénua,  fusant  répvi** 
SÉés  avec  une  rigueur  teUe,  qu'ils  fu*' 
vent  ffédni  tSi  au  bent  de  quelques  années, 
à  n'être  plus  que  des  actes  isolés  de  1n»« 
gândage.  Le  rétablisasmeat  de  la  tran«^ 
quUlitS  en  Crète  est  dû  àla  fiBrmetéée 
rhemme  qai  la  gouverne  depuis  vingt 
ans,  l'Albanais  Mustapba-Paeba,  qneMé* 
héniet-AJi  envoya  dans  oette  île  en  1889» 
Doué  d'une  viveintelUgenee,  à  laquelle, 
il  joint  une  grande  temeté  de  earaotère 
et  le  dian  rareehes  les  musulmaiis  de  se 
Êûre  obéir,  le  gouverneur  a  apporté 
dans  le  sort  des  nabiiants  des  amélio* 
rations  réelles,  ets'est  appUqué  è  relever 
raçricttltnre.  Fermé  par  tfébémeWAli,  il 
avait  appris  ce  que  l'oo  peut  gagner  au 
commerce  des  Buropéens;  il  se  confor* 
ma  en  partie  à  leurs  usages,  sut  prendre 
un  extérieur  poli  et  élégant;  il  sut  disoi». 
pliner  la  milice  turque  et  lui  foire  ac« 
cepter  son  ioog.  La  vie,  l'honneur  et  la 
propriété  d  un  Grec  ont  été  mis  seus  la 
protection  de  la  loi;  et  la  moindre  in» 
mction  àeetégardesl  pttmeaévèremeBt«- 
Les  Albanais,  cette  milice  si  redoutée^ 
dans  tout  l'empire,  a  dû  quitter  en  abor» 
dant  le  sol  eietois  ses  goûts  d'insuber- 
diaatiett  et  de  pillage;  c'est  a  eux  que  la- 
police  de  rtle  a  été  oonfiée,  et  ils  j  em- 
ploient  aasee  de  aèle  et  de  vigilance 
pour  que  le  voyageur  isolé  puisse  par*» 
courir  de  nuit  comme  de  jour  le  pays 
en  pleine  sécurité.  Les  chrétiens  n^ont 
pas  fait  le  sacrifice  de  leur  plus  chère 
espérance  :  ils  atteadeot  du  temps  et  des 
circonstances  la  liberté;  mais  prévenus- 
par  les  exemples  terribles  que  Mousta- 
pha  a  d^à  faits  de  Tinutilité  d'un  soulè* 
vement,  et  n'ayant  plus  a  craindre  les 
horribles  violences  qui  étaient  trop 
fréquentes  avant  l'insurrection,  ils  sup* 
portent  patiemment  le  présent.  Le  gou- 
verneur a  affecté  a  leur  égard  l'impar- 
tialité, et  les  a  placés  dans  les  mêmes  con- 
ditions  que  les  Turcs  pour  les  actes  de  la 
vie  civile  ;  pourtant  cette  égalité  est  plus 
nominale  que  réelle,  et  on  se  trompe^ 
ralt  si  on  pensait,  sur  la  foi  d'un  calme 
apparent,  que  les  Grecs  et  les  Turcs  ont 
dépesé  leurs  vieilles  haines  :  les  deux  ra* 
ees  sont  aussi  ennemies ,  aussi  irrécon* 
eiUables  que  par  le  passé  ;  mais  Mousta* 
pha  les  contient»  et  c'est  là  son  mérite 
principal.  Sur  bien  d'autres  points  sot 


LUNVIlUk 


manemi  inoeniplèfce;  «nilmialfoeUttit 
d^toe  Tami  de  la  elviliaatkm,  H  a  projeté 
des  am^orations  indispensables»  ù& 
Iraosrdes  plans  de  routes,  des  eousirwe- 
tiens  de  ponts;  mais  rien  n'a  été  eiéea* 
té  :  partout  les  ruines  que  le  temps  et  la 
gnerre  ont  faites  subsistent  sur  lile,  ap- 
pauTrie  et  dépeuplée.  Des  soins  tout  pcôr- 
sonnels,  des  préooeupations  de  fortune 
oecupent  trop  le  gouvemeur.  Nous  avons 
dit  ailleurs  que  tes  ponts  et  les  cbemins 
datent  presque  tons  de  l'époque  véni- 
tienne; on  ne  les  répare  pas,  et  dans  la 
saison  des  pluies  les  comnranications 
les  pins  néeessaires  sont  suspendues  tant 
gue  les  rivières  ne  *8ont  pas  goéables. 
Chaque  hiver  quelque  voyageur  périt 
dans  les  torrents,  et  il  n'v  a  guèrô  de 
routes  que  celles  que  le  pied  des  nommes 
ou  des  animaux  a  battues  à  force  de  les- 
fréquenter.  Gdles  que  les  Vénitiens  ont 
autraois  construites  et  pavées  sont  de* 
venues,  fauted'entretien,  plus  impratica- 
bles encore  que  les  autres,  et  aux  abords 
des  trois  grandes  villes,  là  où  l'afOuenca 
des  ivoyageurs  est  plus  grande,  elles 
sont  devenues  des  cloaques  et  des  fon- 
drières. 

PopuLÀTion.  RissouBCBS.  Indu»- 
TKiB.  —  Autant  qu'il  est  permis  de 
fixer  le  chiffire  de  la  population  dans  un 
pays  dont  la  statistique  n'a  pas  été  feite 
depuis  de  très-longues  années,  on  peut 
évaluer  que  de  cent  mille  âmes,  où  elle 
était  descendue,  elle  est  remontée  par 
accroissement  naturel  et  par  suite  du  re- 
tour des  émigrés  à  environ  eent  soixante 
mille,  dont  quarante  mille  musulmans. 
De  ces  habitants,  les  sept-huitièmes  sont 
adonnés  exclusivement  aux  travaux  d'à- 
gricultnre.  Les  produits  annuels  delà 
terre  s'élèvent  à  une  valeur  de  18  mil- 
lions de  francs  ;  l'impôt  foncier,  qui  est  le 
dixième  des  produits,  rapporte  1,460,000 
francs.  La  partie  montagneuse  de  l'Ile,  qui 
occupe  à  peu  prâ  un  tiers  de  son  étendue, 
est  en  grande  partie  déserte ,  et  des  deux 
autres  tiers  un  seul  est  cultivé,  faute  de 
bras.  Rien  n'est  d'un  plus  triste  aspect, 
lorsqu'on  parcourt  ces  campagnes,  que  les 
fermes  désolées  eties  maisons  des  villages 
en  ruines.  11  n'est  pas  rare  de  traverser 
des  bourgs  qui  comptaient  trois  ou  quatre 
cents  habitations,  smr  lesquelles  une 
trentaine  seulement  sont  restées  debout* 
Dans  le  rtiyon  même  des  grandes  villesi 


de  La  Gniée  par  eaMomle,  il  eal  dss  vil* 
lagesqui,  comme  au  wndeaciaia  de  la 
guerre,  ne  sont  qu'un  monceau  de  dé- 
combres •  Il  en  sera  lonetraips  aîni ,  car 
la  Crète,  autrefois  si  florissante,  a  plis 
d'habitations  que  d'habitants*  Jjà  pot 
de  conunerce  et:d'indnstrieq[ui,  avec  l'a- 
griculture, fournit  aux  besmns  dm  ha- 
bitants passe  efttièremant  par  les  mains 
des  chrétiens  ;  delà  une  uéeadcaeo  né- 
cessaire et  un  appauvrisseraenl  em»- 
dérable  pour  la  race  turque.  Dans  Fé* 
tat  où  ee  trouvait  l'ile  avant  la  guerre 
de  l'indépendance,  il  suflsait  d'étn  mu- 
sulman pour  mettre  en  ré^uisîlioD  les 
biens,  lafortnneet  mémelaviedesGrees; 
aujourd'hui  il  n'ai  est  plus  de  même,  et 
le  raya  eiige  un  salaire  en  énhdiMÈ^  éa 
labeur  qu'on  lui  demande  ;  sa  proiunélé  et 
sa  personne  sont  inviolables.  Le  ansnà' 
man,  qui  méprne  les  soins  et  les  tmvan 
mercantiles,  volt  tous  les  jours  soa  paAii- 
moine  décroître;  et  si  une  fois  il  est  obli- 
gé  de  recourir  aux  emprunts,  rusure, 
rune  des  plaies  de  la  Crète,  avito  dévore 
ce  qui  lui  rate.  Puis,  par  une  BBcame 
qui  contribuée  ruiner  les  ransolmans, 
la  Porte  est  rentrée  depuis  quelques 
années  dans  la  possession  des  revenoi 
de  plusieurs  vilk^^'elie  avait  aiiénéi 
en  faveur  des  janissaires  ou  des  agas,  aa 
temps  où  la  guerre  de  l'indépeDdanec 
rendait  impossible  la  pereeptioii  des  im- 
pAts,  et  l'indemnité  qu'elle  paye  est  lois 
d'équivaloir  à  ces  revenus,  qui  faiMôest 
la  ndiesse  d'un  grand  nominre  de  fuml« 
les  turques.  Les  Grecs,  de  leur  côté»  sonc 
laborieux,  économes,  asses  indosttienx, 
toujours  prêts  à  profiter  des  embams 
dans  lesquels  se  trouvent  leois  vaisins 
Turcs,  et  désireux  surtout  d'acquérir  la 
propriété  du  sol  qu'ils  ont  kit^femfi 
labouré,  ensemencé  pour  autrui.  Man 
souvoit  ils  sont  oUigés  pour  compléter 
rargentnécessaireàliicfaatd*un  moneou 
deterrederecourir  à  l'usure,  et  Tusur 
exige  vingt  pour  cent;  ilest  peu  de  Giees 
dont  la  maison  et  le  champ  soîeot  li- 
bres d'hypothèques.  U  n'exiate  pas  es 
Crète  de  grandes  fortunes,  àjpaiteeiiede 
l'ags^qwestoottsidéraMe.  Celui  qui  ea 
biens  et  ea  argent  réunit  60,000  naBes 
est  riche,  et  dans  l'tle  entière  en  ae 
compte  passix  personnes  qiB  aisBt  à  ellei 
960,000  francs.  La  terre  leml  nependanr 
dix  pour  cent  au  paysan  qui  la  cvdtive, 


ILE  D£  GRBTE. 


ÙSU 


et  daBs  les  Tilles  le  loyer  est  de  huit  à 
dix  pour  cent  du  prix  d^aeliat. 

Tel  esl  rétat  actuel  de  Ftle  de  Candie, 
que  la  nature  avait  destinée  à  être  par 
sa  position  géographique  et  par  la .  ri- 
chesse de  ses  productions  Tun  des  plus 
riches  pays  du  monde.  Sa  eondition,  au- 
jourd'hui moins  misérable  que  pendant 
de  longues  années ,  laisse  encore  beau* 
eoup  à  désirer,  et  l'avenir  doit  à  cette 
Ile  la  réalisation  de  bien  des  promesses, 
la  réparation  de  bien  des  calamités. 

V. 

APPENDICE  SUE  L'BTA.T  DE.  L'àGEI- 
CULTUBB  ET  LES  PEODUCTIOIVS  DE 
l*1le  de  GEETE  (1). 

Bbsgbiption  du  Tchifflik  ou 
febue  candiote.  —  Le  tchifilik, 
considéré  sous  le  rapport  de  ses  cons* 
tructions,  se  divise  en  trois  parties  :  la 
première  contient  les  appartements  du 
maître,  qui,  lorsqu'il  n'a  pas  sa  résidence 
habituelle  sur  son  domaine,  s'y  rend  du 
moias  très-fréquemment.  Cette  partie 
ordinairement  est  composée  de  deux  ou 
trois  chambres  seulement ,  en  forme  de 
kiosgue  élevé;  elles  sont  percées  de 
nomoreuses  fenêtres  sur  tous  les  côtés, 
et  au  bas  de  ces  fenêtres,  dans  l'inté- 
rieur,  des  canapés  s'étendent  le  long  du 
mur  pour  tous  meubles;  une  natte  cou- 
vre le  plancher.  D'autres  fois  toutes  les 
commiMlités  dont  les  maisons  turques 
sont  susceptibles  y  sont  réunies,  parti- 
culièrement quand  la  maison  renferme 
le  haremlik  et  le  salemlik.  Le  premier, 
destiné  aux  femmes,  est  absolument 
séparé  du  second,  que  le  propriétaire 
habite  et  où  il  reœit  ses  amis.  A  cette 
partie  sont  unis  des  enclos  fermés  de 
murailles  et  plantés  d'arbres  fruitiers, 
qui  le  plus  souvent  sont  des  orangers  et 

(x)  Je  dois  cet  intéressant  chapitre  à  M.  Hi- 
ticr,  ancien  consul  de  France  k  La  Canée,  au- 
jourd'hui consul  à  Dublin.  Je  ne  saurais  trop 
reconnaître  la  rare  complaisance  avec  laquelle 
M.  Hitîer  a  mis  à  ma  disposition  le  manus- 
crit où  il  aconsi^  les  résultats  de  ses  obser- 
vations sur  l'île  de  Candie,  qn*il  a  longtemps  ha- 
bitée, et  qu*il  a  miens  étudiée  qtt*aucun  voya- 
geur ne  peut  le  faire  enpaasant.  Cest  aussi  à 
ses  renseignements  que  je  dois  presque  tout  ce 
qui  précède  sur  Tétat  actuel  de  Vile  de  Candie. 


des  dAnniers.  La  seconde  division  de 
la  ferme  comprend  les  habitations  des 
hommes  de  travail,  les  étables,  les  ré- 
servoirs, les  citernes  et  les  fumiers.  On 
trouve  quelquefois  un  second  enclos  at- 
tenant à  ces  bâtiments.  Les  familles  qui 
servent  dans  la  ferme  en  font  leur  Jar- 
din. La  troisième  partie  contient  les 
celliers  à  huile  et  à  vin ,  les  emplace- 
ments pour  les  pressoirs ,  les  cuves  à 
faire  le  vin,  les  greniers,  les  magasins 
à  provisions,  etc.  Les  chambres  desti- 
nées aux  serviteurs  sont  construites  de 
manière  à  former  un  ou  deux  côtés  de 
la  cour  principale  ;  elles  sont  basses , 
étroites,  éclairées  par  une  fenêtre  uni- 
que, trop  petite  pour  donner  un  libre 
accès  à  i  air  et  à  la  lumière.  Quelque- 
fois le  sol  est  d'une  ou  deux  marches 
plus  bas  que  le  pavé  de  la  cour.  Le  toit 
en  terrasse,  formé  de  poutres  mal  équar- 
ries  et  recouvertes  de  roseaux  et  de 
branches  d'arbres,  sur  lesquelles  on 
étend  une  sorte  de  pisé  en  terre  ai^- 
leuse,  défend  mal  ces  demeures  contre 
les  pluies  abondantes  de  l'hiver.  Les 
murailles  sont  bâties  en  pierres ,  ci- 
mentées avec  de  la  terre  mêlée  aux  ré- 
sidus de  chaux  et  de  soude  des  savon- 
niers, et  l'air  extérieur  se  fait  souvent 
jour  au  travers.  Telles  sont  les  habita- 
tions où  vivent  dans  des  espaces  de  quel- 
ques mètres  carrés  des  familles  compo- 
sées de  quatre  et  six  individus.  Pour 
meubles  ils  ont  quelaues  vases  en  po- 
terie grossière,  destines  à  la  cuisson  des 
aliments,  une  ou  deux  mauvaises  chai- 
ses, des  tapis  en  lambeaux  placés  sur 
des  planches  pour  servir  de  lit,  et  où 
chacun  se  couche  tout  vêtu  et  les  chaus- 
sures aux  pieds.  Leur  nourriture  ré- 
pond à  l'aspect  misérable  qui  les  en- 
toure :  elle  se  compose  d'un  pain  d'orge 
mal  cuit,  de  légumes  cuits  ou  crus, 
d*olives  au  sel  ou  à  Thuile.  Ils  ont  de 
l'eau  pour  boisson.  L'usage  de  la  viande 
leur  est  à  peu  près  inconnu.  Il  faut  dire , 
il  est  vrai,  que  cette  nourriture  est  celle 
de  tous  les  paysans ,  même  des  proprié- 
taires aisés,  car  le  Cretois  est  sonre, 
sauf  le  goût  qu'il  a  pour  le  vin. 

Les  étables  sont  plutôt  des  espèces 
de  hangars.  L*on  y  attache  les  ani- 
maux au  retour  du  travail ,  devant  une 
auge  à  peine  dégrossie-,  souvent  même 
au  lieu  d'auge  on  se  sert  de  quelques 


690 


LUHIVEIS. 


grosses  pierres  réunies  de  mffiièrd  à 
laisser  entre  eHes  un  espaee  vide  où  l^on 
jette  la  paille  et  l'orge  qui  doit  servir  à 
la  nourriture  des  bestiaux.  Les  celliers , 
les  magasins  ne  sont  pas  mieux  entrete* 
nus.  Tout  y  est  confondu  péle*méle , 
partout  règne  une  d^oâtante  malpro- 
preté. Les  citernes  reçoivent  le»  eaux 
pluviales  amenées  des  terrasses  par  des 
tuymi  enterre  cuite.  Ce  sont  les  mieux 
alimentées;  car  quelques-unes  ne  le 
sont  qu*au  moyen  d*eaux  venue»  des 
champs  voisins  par  des  pentes  mena* 
gées.  A  moins  craroir  passé  un  temps 
assez  Ions  pour  déposer  la  terve  qu'elles 
ont  entraînée  avec  elles ,  ces  eaux  sont 
bourbeuses  et  troubles.  Les  citernes 
sont  construites  avec  un  ciment  formé 
de  chaux  et  de  brique  pilée  qui  se  dé- 
truit promptement. 

L'ensemole  entier  des  constructions 
a  rarement  été  élevé  sur  un  plan  uni- 
forme :  elles  ont  été  le  plus  souvent 
ajoutées  les  unes  aux  autres  selon  le 
caprice  du  mattre  et  ses  besoins.  Le 
plus  souvent  encore  leur  étendue  n'est 
proportionnée  ni  à  la  valeur  de  la  fer- 
me ni  à  la  fortune  du  maftre,  du  nH)ins 
à  sa  fortune  présente,  forcé  qui!  a  été 
de  se  défaire  successivement,  soit  d*une 
vigne,  soit  d'un  champ,  soit  d'une  par- 
tie de  ses  oliviers.  Alors  elles  tombent 
en  ruines,  qu'on  ne  répare  pas  ;  et  les 
hommes  et  les  animaux  se  réàigient  au 
fîir  et  là  mesure  dans  les  parties  qui 
restent  habitables.  On  peut  mmierque 
sur  dix  fermes  il  n'en  est  pas  deux  aux* 
quelles  on  ne  doive  appliquer,  pour  Ten* 
semble  et  pour  les  détails,  la  descrip- 
tion que  Ton  vient  de  feire  de  l'une 
d'elles. 

Les  terres  dépendantes  de  ces  fermes 
s'étendent  autour  de  la.  maison  d'habi*' 
tation,  ou  n'en  sont  que  peu  éloignées  : 
ce  sont  des  champs  a  céréales,  des  vi- 
gnes, et  surtout  des  terrains  plantés  eo 
oliviers.  Mais  comme  le  plus  souvent  le 
choix  n'a  pas  présidé  à  la  réunion  de 
ces  différents  terrains,  et  que  quand 
le  choix  a  pu  avoir  lieu,  aucune  con- 
naissance agricole  ne  l'a  dirigé,  la  mé- 
tairie est  rarement  formée  des  éléments 
nécessaires  pour  en  faire  une  véritable 
et  utile  exploitation  rurale  ;  on  n'a  tenu 
aucun  compte  du  rapport  que  les  di- 
verses productions  (levaient  avoir  en- 


treeUes.  Dans  un  pays  où  d'orâinaiceh 
terre,  faute  de  soins  inteUimiits,  ne 
donne  une  bonne  téctAtB  qirone  Èm 
sur  deux  années,  on  n'a  pas  an  «ntie- 
méier-  la  culture  des  denrées  de  manièn 
à  ce  qoe  Fabondanœ  de  l'une  snppléfti 
àl'iasQfflsanee  derantra.  Lamétam, 
è  proprement  parler,  n'est  doue  die- 
même  qu'une  agrég^tioa  d'un  Bomhn 
plus  on  moins  grand  de  sbaoi^;  maii 
le  fsvmier,  aeec  les  naoyans  dent  il  di» 
pose,  et  qui'  lui  pennattmisBt  '^appli- 
quer un  peu  d'industrie  et  de  scienee 
à  la  culture  de  ses  terres,  ne  fait  rien  de 
mieux  sur  ce  point  que  le  pauvre  pro- 
priétaire d'un  champ  isolé. 

La  plus  grande  partie  de  ces  Ibones 
ne  sont  pas  administrées  ni  exploitées  par 
le  maître  lul-raéme.  Il  s'y  fait  représa- 
tec  par  un  délégué  nomme  sontkKkL 
C'est,  comme  onle  voit;  un  reste  de  Tan* 
cieqneliâbitude  des  beys>  Cet  intendant, 

Sjiii  n'a  d'autres  occupatioQS  que  celles 
e  la  surveillance,  dirige  les  serviteun 
et  lait  exécuter  les  travaux  ordognés  par 
le  maftre,  auquel  il  vient,  à  des  époques 
rapprochées,  rendre  compte  de  sa  Ges- 
tion. Le  soubacbi  n'a  pas  de  salaire  fie; 
il  prélève  la  dîme  sur  tout  ce  qui  revient 
au  propriétaîjse.  Après  lui  vient  le  mé- 
tayer-, l'homme  obarigé  de  la  culture  de 
la  terre  et  qui  la  tieo(  à  oioitié.  Les 
conditions  qui  le  lieiU  au  propriétaire 
sont  celles-ci  :  après  la.i;écolte.  le  fisc 
ayant  prélevé  sa.  part,  qpi  est  du.  dixième 
i^  produits^  et  le  propriétaire  repris  la 
quanlUé  de  sentences  qu'il  a.  fourmes^  le 
teste  est  divisé  en  deu;c  pa|;ts«  dont  Tune 
est  pour  le  propriétaire  et  l'autre  pour 
le  métayer.  Le$  frais  de  culture  et  les 

Sages,  des  dome^iques  sont  à  la  ebai^ 
u  propriétaire;  le  mélaj^ec  étendant 
doit  fournie  les  boeuft ,  et  quand  ils  ap^ 
partienoenjt  m  propriétaire,  eelui<i 
prend  toute  la  paule  de  la  récolte,  sans 
partage.  L'affermage  proprement  dit  et 
moyennant  une  somme  d'ai^ent  fixe 
Q'est  pas  coomi  en  Crète. 

Les  serviteurs  employés  dans  les  fer- 
mas, et  en  aénéral  dans  les  maisons  tur- 
auessontoe  deux  sortes  :  des  hommes 
ne  oendition  lil^e,  (f  enagent  leurs 
bras  moyennant  salaupa,  et  ow  enetave^ 
^1  n'y  a  que  les  Tuiosqui  aieni  des  ca- 
devis.  L2spriid'une«skive,ennso9wns, 
est  de  600  francs.  L'intéi^  de  Fw^gent 


q«i«fiijrrE. 


état  d%  geisM  9«n  ««^t,  «l  rnaag^ 
ayant  eonsacré  que  presque  toujours  au 
bout  de  dix  ans,  et  à  de  certaine»  oc- 
casions solennelles  pour  le  mattr«t  tel- 
les qu'un  managa,  un  déoàs  dans  sa 
maison^,  on  donuat  la  liberté  à  resdavev 
il  résulte  que  son  travail  de  dix  années 
a  coûté  de  treize  à  quatorze  cents  francs; 
il  faut  V  joindre  les  frais  de  nourriture 
et  d'batulleinent  :  et  Von  peut  calculer 
ainsi  que  rescl^ve  revient  à  160  francs 
environ  par  an.  (Test  pay^  cher  le  trar 
vail  d'un  serviteur  génécaleroent  peu  in» 
telligent. 

Les  gages  des  serviteurs  de  eondi* 
tion  libre  sont  de  10  i  1$  francs  par 
mois.  Le  propriétaire  ne  leur  fournit 
aucune  nournture;  seulement  ils  ont 
la  faculté  d'amener  leur  famille  à  la 
ferme,  où  elle  loge  avec  eu^.  Dans  quel- 
ques contrées  t  les  serviteurs  sont  au 
contraire  nourris  et  vêtus  par  le  pro- 
priétaire; ils  reçoivent  dans  ce  cas  6  à 
7  francs  par  mois  en  ^^rgent.  Dana  les 
moments  de  grands  travaux,  outre  les 
domestiques  eqgagés  à  Tannée,  on  loue 
des  journaliesB^dontlapayeestdel  t^ 
p£ur  jour.  A  Tépoque  oe  la  récolte  des 
olives,  on  rassemble  des  femmes  CA 
graiMl  nombre  pour  eu  faire  la  cueil- 
lette. BUes  sont  soumises  durant  leus 
travail  à  la  surveillance  continuelle  d'un 
homme  de  la  ferme.  Leur  salaire  esl 
payé  en  i^ati^re;  il  est  ordinairement  des 
deux  septièmes  de  l'huile  (uroduite  par 
les  olives  que  chacune  a  ramassées.  Ia 
ramasseuse  se  nourrit  à  ses  frais,  de 
plus  elle  doit  nourrir  l'ouvrier  qui  bre^a 
tes  olives  au  pressoir  pendant  le  temple 
qu'il  travaille  pour  elle;  mais  ea  reloue 
celui-ci  doit  transporter  l'huile  qui  lui 
revient  à  la  viUe  voisine. 

A  rexceptiou  des  serviteurs  eooypiioyée 
dans  les  fermes,  et  sauf  les  nègres  escla- 
ves dan^  les  maisons  turques,  les  pe- 
tits agriculteurs  en  Crète  n'ont  pas  da 
domestiques  proprement  di^«  Us  exploi- 
tent leur  terre  par  eux-aUnoes  et  avee 
l  aide  de  leur  famille.  S'ils  sont  obligés 

1  ^^'^ipindre  des  serviteurs,  ce  sont 
plutôt  de^  aides,  des  eocf^ateurSt  qui 
^t  appelés  à  partager  les  travaux  et 
qui  en  partagent  les  profits.  Ces  hom- 
oies  sont  rarement  payés  eu  aig^t;  ih| 
vivent  dans  un  état  de  parfaite  égalité 
Avec  le  n^dure;  leur  e^««c^  «91  ^9H 


muue,  flsoBft  leantfoMetrftTMDi  et  les 
mômes  plaisirs. 

BBS  <mAMV«.  —  Les  animiux  de  tn»* 
vail  em^eyés  eu  Crète  sont  h  bmuf , 
l'âne  et  le  mulel ,  raremenl  le  eheva^ 
dont  on  se  sert  eepeodiwt  qudqinlbis 
au  pressoir  pour  tourner  la  mewe,  o« 
dans  lescbampe  anxpriseB  d'eau ,  pour 
tourner  la  roue  des  nuits.  Le  laboQ»* 
rege  s'opère  avee  des  nmiifii  eielnaivi^ 
ment  ;  malgré  les  serrioes  qu'on  bn  4» 
mande,  et  qu'il  rend  si  largement,  le  bcsef 
n'est  l'objet  d'aucune  attentîoii,  d'auemi 
soin  véritable.  On  n'en  élè? e  Mien  Crète^ 
ou  du  moinson  n'en  élève  qn  en  très-petit 
nombre;  et  foute  de  pftturegee*  dent  île 
auraient  besoin  sans  doute  bous  grandir 
et  se  développer*  les  indiviaus  nés  dans 
rtle  même  portent  dès  la  première  §k 
nération  des  signes  évidents  d'aflbiUii* 
sèment  et  de  décroissanee.  La  plupart 
de  oeux  dont  on  se  sert  en  Crète  vnai 
nent  d'Anatolie.  La  raoe  généralemeot 
en  est  petite,  faible;  leur  nourriture  se 
composedepaillehac)MSk,debléettfeff8«^' 
de  lupin*  de  semences  de  eotnitttaie 
prineipalement  de  eiesrols,  one  l'on  fiil 
meoérer  dam  f  eau  pteadant  nuit  on  dii 
heures,  et  qu'on  leur  donne  presque  ex^ 
dusivement  iiendant  la  samn  des  tra- 
vaux.* Lee  bœufs  sont  employés  à  In 
ebarme  par  eouple.  Co«ine  ea  ne  prend 
pas  un  souci  sufisent  de  lear  appei* 
reillagCt  il  en  résulte  qee  le  ph»  rort 
fatigue  le  plus  faible  :  le  travail  en  souf- 
fre et  les  animaux  en  pitiesent.  On  n'c^ 
attelle  jamais  plee  de  deux  à  ebefu^ 
ebarrue.  ils  sont  attivcbés  «i  îougper  le 
ool.  Le  travail  eommeoce  le  malm,  e) 
ne  cesse  qu'au  soir.  Faute  des  soIbb  qus 
kur  seraient  nécessaires,  surtout  anm 
le  travail,  ils  sont  sans  viguear  à  feuH 
vrage,  et  s'épuisent  Yite. 

L'âne  el  le  mulet  servent  mn  trans- 
ports. On  &it  porter  à  l'àsA  ee  qm  ese 
nécessaire  au  travail  des  obamps.  O» 
charge  sur  lui  les  petites  provisimia 
achetées  A  la  i4lle;  en  l'eanploie  même 
eu  labour  des  terres  légètee.  Le  omM 
porte  les  £wrdeeux  plus  lourds,  tels  mse 
les  produits  a|9Fieoka,  des  champs  cm 
bord  à  la  ferme  et  ensuite  de  leteoae  ^ 
la  viUs.  Il  eerl  surtout  de  osonture 
pour  les  voyages.  L'âne  et  le  mkt  i 
trèS'noeabreuK  ea  CMtsb 


vxnxtvtÉs. 


Les  Cretois  emploient  on  assez  grand 
nombre  d'instniments  dans  leur  cul- 
tare;  il  est  facile  de  croire  qu'ils  sont 
tons  informes  et  grossiers.  On  va  dire 
le  nom  et  autant  que  possible  décrire  la 
forme  partîcolière  de  ces  instruments 
anisi  que  rusage  que  Pon  en  fait. 

VaueM,  ladiarme^leplus  important 
ées  instruments  de  l'agriculture,  est 
ifiiae  simplicité  remarquable  :  c^est  un 
«nivB  en  Dois  à  deux  oreilles  sans  veiv 
•oir,  sans  ooutre  et  sans  roues;  elle 
sorte  un  soc  étroit  en  forme  de  lance, 
dont  non-seulement  les  pointes  et  les 
o6tés  sont  tranchants ,  mais  qui  de  plus 
a  un  sommet  élevé  et  coupant  :  elle  n'a 
ou'un  seul  mancheron,  ce  qui  rend  sa 
clireeticm  difficile;  le  timon  en  est  sus* 
pendu  au  joug  au  mojen  de  deux  an- 
neaux de  fer  mdliilei  ou  d'une  lanière 
en  cuir.  Ce  joug  sans  régulateur  est  une 
iimple  pièce  de  bois ,  qui  repose  sur  le 
flon  des  boeufs  en  avant  du  garot.  Il 
y  est  fixé  par  des  chevilles  passées  de 
manière  à  emboîter  le  cou  de  l'animal, 
et  attachées  sous  la  g<wge  au  moyen 
d'une  baguette  pliante,  qui  se  recourbe 
et  s'introduit  dans  les  trous  des  che- 
villes. 

Le  vérédri  est  l'aiguillon  à  l'aicte  du- 
quel le  laboureur  conduit  ses  bœufis; 
son  extrémité  inférieure  est  garnie  d'un 
croc  en  fer  qui  sert  à  débarrasser  la 
charrue  de  la  terre  qui  y  adhère. 

Le  voiossiri ,  employé  fréquemment 
pour  les  cultures  du  printemps,  est  une 
planche  très-épaisse  attachée  en  travers 
an  joug,  au  moyen  de  deux  cordes  qui 
nassent  dans  deux  anneaux  en  fer  fixés 
à  sa  surfeee  supérieure.  Cette  planche 
vemplace  la  herse  et  le  rouleau;  quand 
il  en  fait  usage,  le  laboureur  monte 
dessus. 

Le  icaped  est  une  houe,  dont  la  lame, 
^diangulaiie,  est  laige  de  quatre  à 
cinq  ponces;  die  est  montée  sur  un 
manche  Ions. 

La  seaHaa  est  une  autre  sorte  de 
konCf  employée  principalement  dans  la 
enltuie  de  la  vigne.  Elle  a  également  un 
manche  long»  mais  elle  est  aune  forme 
presque  triangniaire. 

Le  toico  est  unebêche  triangulaire,  à 
koidsammdis  et  à  angles  aigus.  Elle  est 
<»mnancbéeji  un  manche  long,  qui  poite 


à  quelques  pouces  an^essus  dn  fer  um 
petite  traverse,  sur  laquelle  on  appuie  le 
tiied,  pour  faire  pénétrer  la  lame  dans 
la  terre. 

Le  manaro  scaUda  est  une  espèce  de 
doloire,  dont  on  se  sert  pour  couper  les 
racines  et  briser  les  mottes.  La  lame  ea 
est  longue  et  étroite,  avec  un  marteao 
de  l'autre  côté. 

TjC «cînari  sert  aux  mêmes  usages;  il 
est  de  la  même  forme,  avec  des  dunen- 
sions  plus  petites. 

Le  trava  dadWieras  n'est  autre  qw 
la  serpette,  à  lame  forte  et  l^s^rement  re- 
courbée à  sa  pointe  ;  elle  sert  à  couper  Is 
bois  et  les  broussailles  épineuses. 

Le  vohsHriàpierres  est  une  planche 
épaisse,  arrondie  à  l'une  de  ses  extrémi- 
tés, par  laquelieelle  est  attachéeau  joug, 
moyennant  une  corde  qui  passe  par  on 
anneau  en  fer.  La  surfece  de  cette  plan- 
che est  sillonnée  d'entailles  qui  traver- 
sent son  épaisseur,  et  dans  lesgueUes  oa 
introduit  des  silex  (  pierrres  à  feu  )  tnn- 
chants,quifontsaiilieà  la  face  infériewc 
Cette  planche,  sur  laqudle  monte  le  con- 
ducteur ,  traînée  par  des  bœufs  Ion  dt 
dépiquage,  sert  à  couper  la  paille  et  à  6- 
ciliter  la  séparation  du  grain. 

Le  valuU  estuneespèM  de  tamisa  peu 
percé  de  trous  assex  larges,  à  Paide  do- 

?uel  on  sépare  le  grain  des  d^iris  de 
épi.  Il  tient  lieu  du  van,  qui  est  ineonno. 
La  trin€u:ki  est  une  rourehe  en  bois 
à  trois  dents,  plates  par-dessus  eit  trias- 
gulaûres  par-dessous. 

Les  Cretois  ont  en  outre  quelques  ins- 
truments qui  ne  dififèrent  des  nôtres  «m 
par  leur  forme  ni  par  l'usage  auqud  oo 
les  emploie,  tel  que  la  serpe,  lahaaie,la 
faucille,  les  pelles  en  Dois,  etc.,  ete.  H  n'y 
a  en  Crète  ni  voitures  ni  chariots;  loos 
les  transports  se  font  à  dos  d'âne  ou  de 
mulet.  Dans  l'intérieur  des  fermes,  eo 
ne  connaît  ni  la  brouette  ni  rien  qui  j 
ressemble. 

Opbbations  agucolbs.  —  lA 
description  particulière  et  détaillée  des 
différentes  opérations  agricoles  trou- 
vera sa  place  quand  il  sera  questioa 
des  divors  produits  de  l'Ue.  On  dira  akn 
quels  sont  les  procédés  de  culture  et 
d'industrie  appliqués  à  chacun  d'eux. 
Cependant  il  est  ceitahies  opèratioas 
générales  communes,'par  exemple,  à  la 
prodaetion  de  tontes  les  cérénics.  EDci 


ILE  D£  CRÈTE. 


tleoiMBt  \e  premier  rttig  dans  ee  qui 
ooDstitue  une  bonne  ou  mauvaise  agri- 
culture. On  va  dire  eomment  elles  sont 
firatianées  en  Crète.  Les  principales  sont  : 
e  labourage, l'ensemencement,  la  ré- 
e(dte,  remploi  de  Tendais,  et  dans  un 
pays  chaud  les  irrigations,  (es  assole- 
ments ,  le  sarclage,  etc.,  etc. 

Le  labourage  est  sans  contredit  de 
toutes  les  opérations  de  Tagriculture  la 
plus  importante.  De  sa  nature  et  du  bon 
emploi  des  engrais  dépend  ea  grande 
partie  la  richcMe  plus  ou  moins  abon- 
dante des  récoltes  ;  les  conditions  d'un 
hoïk  labourage  sont  la  profondeur  à  la- 

3uelle  la  terre  est  remuée,  la  rectitude 
es  sillons,  qui  doivent  être  d'égale  lar- 
geur et  également  espacés  entre-eux.  Le 
laboureur  crétois  est  loin  de  satisfaire  à 
ces  conditions.  Laterre  n*est  ordinaire- 
ment remuée  que  d'une  manière  superfi- 
cielle, et  quoique  la  charrue,  par  sa  cons- 
truction, pût  facilement  pénétrer  à' une 
profondeur  de  huit  pouces  environ,  lela- 
noureur  n'en  donne  guère  plus]  de  qua- 
tre à  cinq  à  ses  sillons.  Qu'il  ait  affaire 
à  une  terre  dure,  à  une  terre  franche  ou 
à  une  terre  légère,  son  procédé  ne 
change  pas.  Ce  n^est  que  dans  la  culture 
du  jardinaee,  des  melons,  des  pastèques, 
par  exemple ,  qui  se  cultivent  en  plein 
champ,  qu'il  y  apporte  des  soins  oiffé- 
rents.  Dans  ce  cas  il  passe  la  charme 
jusqu'à  six  fois  et  en  tous  sens ,  et  a 
chaque  fois  le  traîneau,  leoo/6<nri,pour 
ameubler  la  terre.  Le  premier  labour 
estde trois  àguatre  pouces, mais  succes- 
sivement le  ter  est  allongé  jusqu'à  por- 
ter le  dernier  labour  à  une  profonaeur 
de  huit  pouces. 

La  charrue  est  tirée  par  une  paire  de 
boeufs  que  le  laboureur  dirige  sans  gar- 
çon de  charrue;  quelquefois  cependant 
un  très-jeune  enfant  en  fait  t'oface.  Les 
sillons  sont  très-courts,  inégaux  et  à  des 
distances  inégales  entre  eux,  ce  qui  laisse 
dans  le  terrain  des  places  non  remuées.  A 
chaque  tournée  le  laboureur  débarrasse 
sa  charrue  de  la  terrequi  s'y  est  attachée, 
et  ce  travail  joint  au  temps  que  les  tour- 
nées prennent  lui  fait  perdre  un  quart 
au  moins  de  la  journée.  L*étendue  de 
terre  qu'un  laboureur  peut  préparer  en 
un  jour  est  :  s'il  a  à  rompre  une  terre 
dure,  d'un  sixième  d'hectare  environ  ; 
une  terre  franche,  un  tiers  d'hectare-,  et 

88*  lÀoraison,  (  Ile  de  Cbètb.  ) 


5|S 

une  terre  légsàre,  deux  tiers  d'hectare. 

La  même  charrue,  telle  qu'elle  a  été 
décrite,  est  employée  indistinctement 
dans  les  terrains  en  plaine  et  dans  les 
terrains  en  pente. 

Les  semailles  sont  faites  à  la  main,  en 
tirant  la  semence  d'un  sac  lié  à  la  cein- 
ture. La  main  suit  le  mouvement  du 
pied  droit.  Le  blé  et  les  semences  de  la 
plupart  des  céréales  jBont  recouvertes  à 
la  charrue;  d'autres*,  plus  menues,  le 
sont  a  la  houe. 

La  récolte  de  blé ,  orge,  avoine,  et  en 
général  de  toutes  ces  céréales,  se  fait  à  la 
faucille;  l'usage  de  la  faux  est  inconnu. 
Les  tiges  sont  coupées  bas,  car  la  paille 
sert  de  fourrage  et  tient  lieu  de  foin, 
qui  n'existe  pas.  Cependant  dans  quel- 

Î|ues  localitésles  tiges  sont  coupées  par 
e  milieu,  et  la  partie  inférieure  des 
éteules  abandonnées  forme  une  sorte 
d'engrais.  Généralement  la  récolte  des 
céréales  a  lieu  quand  le  ^ain  est  déjà 
trop  avancé  dans  sa  matunté;  d'où  ilra- 
suite  que  soit  en  coupent  l'épi ,  soit  en 
transportant  les  geroes  à  1  aire ,  il  se 
perd  neaueoup  de  grain. 

L'aire  à  battre  est  un  espace  circulaire 
de  trente  à  garante  pieds  dediamètre, 
situé  en  plein  air  et  légèrement  enfoncé 
en  terre.  Cette  aire  est  faite  d'argile  bien 
manipulée;  la  sprface  est  dure  et  polie; 
on  y  répand  le  blé  par  couche  d'un  ou 
deux  pieds,  et  l'on  ^rène  Pépi  en  le  fai- 
sant fouler  aux  pieds  du  bétail  qui  maiw 
che  circulairement  traînant  derrière  lui 
\tvolosnriki^mte8.  Quand  des  hom- 
mes eux-mêmes  ne  montent  pas  sur 
cette  machine  à  égrener ,  on  la  charge 
de  grosses  pierres  ou  de  toute  autre  ma- 
tière pesante.  Le  grain  ensuite  se  net- 
toie en  le  jetant  di'un  point  de  l'aire  à 
l'autre  avec  de  larges  pelles  en  bois.  On 
choisit  pour  cette  opération  un  jour  où 
il  fait  du  vent.  Autrement  on  vanne  le 
grain  avec  le  tamis  désigné  sous  le 
nom  de  votuii. 

L'emploi  de  l'engrais  est  tellement 
néglij^é  en  Crète,  qull  y  a  peu  de  chose  à 
en  dire.  Quelques  prodmts  végétaux  et 
animaux  sont  les  seuls  employés  à  cet 
usage.  Autour  des  villes  ou  a  commencé, 
et  depuis  peu  de  tçmps  seulement^  à 
profiter  des  immondices  pour  en  faire  des 
engrais;  encore  beaucoup  de  proprié- 
taires, même  de  ceux  dont  les  champs 

38 


«94 


VUHIVEftS. 


9ont  voiiîQg  des  viUes^  ne  60iig«iit>îla 

K8  à  tirer  parti  deoette  ressouree.  Plus 
in  dans  l'intérieur  des  terres  on  pour» 
trait  dire  que  le  fumier  est  ineonnu* 
Celui  que  r  on  recueille^  mai  préparé,  el 
auquel  on  n'a  pas  laissé  le  temps  de  se 
former  et  d*entrer  en  état  de  oécompo-» 
sitiont  est  jeté  sur  la  terre  sans  soin  et 
en  trop  petite  quantité  pour  produire 
d'utiles  effets.  L'usage  n'est  pas  de 
former  dans  les  étaUes  et  les  écuries 
une  litière  pour  les  animaux  avec  de  la 
l^lle  étalée  sous  leurs  pieds.  11&  se  cou- 
obent  sur  leurs  excréments  desséchés 
et  pulvérisés,  et  Ton  se  trouve  ainsi  pri- 
vé de  la  source  abondante  dont  nos 
cultivateurs  tirent  la  plus  grande  partie 
de  leur  fumier;  mais  il  existe  en  Crète, 
dans  diverses  parties  de  l'île,  des  produits 
minéraux,  fluviatilesj  marins,  qui  se* 
raieut  facilement  réunis.  Us  restentabao* 
donné»,  tantsur  ce  point,  réputé  essentiel 
pour  toute  bonne  agriculture,  la  routine 
a  conduit  à  une  insouciance  profonde. 

S  Quelquefois  cependant  comme  moyen 
'engrais on brûleles  éteulesdes  champs 
moissonnés  très-haut,  des  branchages^ 
des  boitilles,  de  petits  arbustes  dans  les 
lieux  ou  ils  croissent  abondamment.  Lee 
terres  fécondées  par  œs  cendres  produi- 
sent pendant  trois  ou  quatre  amiées,aprè8 
quoi  elles  sont  mises  en  jachère,  et  al* 
tendent  que  les  arbustes  aient  repoussé 
Dour  que  Ton  y  mette  de  nouveau  le 
feu.  On  verra  que  l'on  fait  également 
usage  pour  fumer  quelques  arbres  du 
marc  des  olives.  Cet  engrais  serait  ex« 
eellent  ;  il  abonde  en  Crète,  et  il  est  dé- 
plorable que  l'on  ne  sache  pas  en  tirer 
un  meilleur  parti. 

L'extir[)ement  des  mauvaises  herbes 
et  le  nettoiement  du  sol  sont  de  même 
Tobjet  detrès*peu  desoins.  Le  premier  se 
fiut  cependant  en  coupant  les  plantes 
nuisibles  avec  la  fandlle  ou  en  les  ar- 
rachant à  la  main ,  et  le  second  en  sar^ 
clant  et  donnant  des  façons  à  la  houe. 
Les  fèves,  les  blés soBt  houés  une  ou 
deux  (ois.  Le  lupin  n'est  pas  sarclé; 
mais  le  sésame,  le  tabac,  le  coton  sont 
sarclés  et  houés.  La  herse  étant  incon- 
nue ,  elle  n'est  pas  employée  à  ces  opé** 
rations.  Aussi  dans  les  lieux  eu  les  bras 
fipiit  peu  nombreux ,  et  presque  partout  ils 
font  défaut  en  Crète,  le  sarclage  n'a 
pas  lieu.  Le  chardon  et'  la  nielle  crois- 


sent abendemaient  I  eetle  demièie  ao 
point  d'entrer  quelquefois  pour  un  bai- 
tièmedans  le  grain. 

La  jachère  est  prati^ée  en  Grêle 
comme  on  l'a  vu  et  toreément  pratî^aée; 
car  la  terre  que  l'engrais  ne  renouvelle 
pas  s'appauvrit  promptement.  La  je* 
chère  toutefois  n'est  pas  régulière;  el 
quoique  l'on  ne  sache  pas  suivre  un 
système  d'assolement  intâligeniet  édm- 
ré,  on  n'en  a  pas  moins  appris  par  une 
sorte  d'expériei^ce  à  changer  les  culture^ 
de  manièjre  à  faire  produire  au  ael  le 
plus  longtemps  possible.  Ainsi  le  blé 
succède  à  l'orge ,  oelle-ei  à  l'avoiiie ,  cl 
la  rotation  a  lieu  jusqu'à  ce  que  le  ter- 
rain, entièrement  épuisé,  ne  donne  plus 
que  deux  fois  la  semence.  Alors  on  l'a^ 
bandoftne  pendant  une  ou  deux  aanées, 
et  on  le  remet  en  culture  en  rensemen- 
çant  de  coton  et  de  sésame.  Cette  pre- 
mière culture,  bienquepeu  productive»  est 
très-utile  au  sol ,  qui  est  par  là  bt«i  di 
visé,  et  oui,  dans  cette  condition^  reçoit 
tout  l'été  la  fécondante  influence  dm 
rayons  du  soleil. 

Quand  lecultivateur  maison  terrain  en 
jachère,  il  lui  donne  un  premier  labour 
en  octobre  ou  novembre,  puis  au  prin- 
temps un  second  en  travers  du  preauer. 
Quand  la  jaclière  dure  deux  annéas,  il 
recommence  la  même  opération  aux 
mêmes  époques,  et  la  terre  se  tronve 
ainsi  parfaitement  renouvelée  pour  le 
moment  des  semailles,  où  eUe  reçoit  an 
dernier  travail. 

Dans  les  pays  chauds  et  dana  ceux 
principalement  où  les  pluies  cessent  de 
tomber  au  commencement  du  printemps 
pour  ne  reparaître  qu'à  la  mi-octobre  « 
ainsi  que  cela  est  en  Crète,  les  irrigations 
sont  un  des  éléments  indispensableB  dt 
toute  bonne  agriculture*  Elles  ont  clé 
autrefois  fort  soignées  en  Crèta.  Des 
restes  de  travaux  hydrauliques  qaa  Ton 
retrouve  dans  toutes  les  parties  da  Itle 
en  sont  le  ténaoignage.  Mais  le  lenapa  et 
le  défaut  d'entretien  ont  fiât  qiia  les 
canaux  à  ciel  ouvert  se  sont  comblés  et 
que  les  conduits  en  mafonneria  aaot 
tombés  en  ruines.  Ce  n'est  fcucre 
qu'aux  environs  des  vilks  que  TaD  a 
songé  à  les  maintenir  en  bon  étal.  On 
y  était  contraint  par  la  néoessîlé  d'avoir 
de  l'eau  pour  les  besoins  doroestiqaes 
des  habitants;  il  en  fixUait  égalenent 


ILEMCatlE. 


[MUT  Fanoiage  teitttfaè^iiiMtiottt 
v«Bt  prés  de  om  miïAm,  et  dobt  la  pofwh 
lation  de  Tiie  tire  à  pea  près  lo«t  e^ 
aa*eU«  «oBfCMnmeenfrttitileteiil^gamei. 
Partout  ailleurs  Teaii  fait  eouyeni  dé* 
&Qti  oQD  pae  seulemeat  aux  besoioè 
de  ragEiooltttre,  maiae&oove  à  ceux  dei 
bommee  et  surtoutà  eaax  des.beatiaui. 
Cependant  la  nature  avait  sinen  abod^ 
dammant,  du  meiiie  sufifisammeiitpoiu^ 
vu  la  Crète  de  rivières  et  desoarcee; 
ipais  le  eomplet  déboisemeiit  des  mim* 
tagtiea  a  deseecbé  les  rivi^s  qui  en  àm» 
celMJaieDt,  et  dans  les  Ue<ix  bas  les  eaux 
des  sources  ae  perdent,  par  suite  de  la 
destrnetieB  desrésertolrs  el  deSeenaux 
4ui  élaâsnit  destinés  à  les  reeavoii.  Quant 
aux  courants  t  soit  naturels  soit  artifi^ 
eielSf  qui  continuent  à  subsister^  voici  les 
lois  qui  en  règlent  Tusage  et  la  diairibu-i 
tion. 

Les  rivières  sont  abandumées  à  kl 
discrétion  de  qui  veut  s'en  servir,  soit 
en  V  élevant  dea  moulina^  soit  en  y 
pratiquant  des  canaux  de  dérivation^i 
L'autorité  n'y  met  empêchement  d'au- 
cune sertCf  et  ne  réclame  encan  droit  à 
titre  de  propriétaire  public.  Chacun  scu^ 
lenMnt  demeure  ifesponsable  des  ddm*» 
mages  qu'il  peut  causer  à  ses  voisins* 

La  jouissance  des  eaux  des  sources^ 
réunies  ordinairement  dans  nn  réservoir 
commun,  près  dulieu^où  dies  orcnnent 
naissanoe  et  dirigées  ensuite  «ans  dss 
cananxdedietv&ntion,  est  au  contraire 
une  propriété  privée^  à  Isquelle  nul,  ssh 
cepte  les  ajrant^roit,  ne  peut  prétendre^ 

Kas  plus  qu'au  champ  ou  à  tont  autre 
ien  qui  ne  lui  appartient  pas.  Lei 
constructions  életées  pour  la  eooserv»* 
tien  et  la  distribution  de  ces  eanx  en« 
tre  les  propriétaires  remontent ,  à  ce 
qu'il  parait,  à  des  tempstrèa*anoiens9 
on  croit  dans  le  paysqn  ellss  sont  ant^ 
rieuresà  l'arrivée  des  Vénitiens  dans 
rue.  Les  règiemimts  d'administration  el 
le  tnode  de  partage  des  eaux  entre  lee 
rivjHrains  ,  s'il  faut  en  croire  l'opinioil 

Eliqne,  dateraient  egaknieDi  de  cette 
pie  reculée.  Les  travavx,  outre  le 
rvoir,  se  compoeent  d'un  canal  prin? 
eipal,  qui  sert  de  lit  à  cette  rivièire  aitii« 
eielle,  et  d'im  nombre  pltta  eu  moine 
considérable  d'autres  csimux,  ph»  pt«* 
tils,  qui  dee  champs  voisins  aboptimenl 
SHtses.deuxrivee,etqnisnHt  iepeàneun 


tfirfîyrtioiipKlprelientâiti.  Unefleire. 
mobua,  ftisant  office  de  vanne«  mte* 
oe|^  leur  comaaanikiatfton  avec  leasBttl 
piineipal  a»  poim  oà  ila  viennent  Ien 
foindiè;  les  non  et  les  antres  sont  don»», 
tniâs  en  picRee  eimentéas  aven  de  Ja 
peoszokaiCL  U  dûnckisiDn  des  canaux» 
•nlargenres  profbndemr^eclieaanoiit. 
des  cahaoÉ  d'urvigation,  est  invariaMet- 
ment  fiaée  naur  cnaonn  d'enx.  On  namn 
prend  oné  les  titres  snv  isaqdali  elle  m 
p«  étse  établie  originairemsnt  n^existeift 
plus  ;  raaià  la  notoriété  putttiqna  Ta  con<4 
saeirée ,  et  las  e»f  artageants  ne  muMii** 
raient  pas  qu'a*  v  dérogeAt«  Le  volnmè 
d'eau  qui  oeurt  datas  le  canal  prineink' 
n'étant  jamais  tsès«o6naidéraMe  f  ci  ien 
canaux  d'irrigation  étant  ovdinairenMnl 
idrt  nombreux^  on  a  dvriaé«lr dniit d« 
prise  non  pas  en  tant  d'benses  parjémv 
nstts  antaflt^d*beniei  pat  semaaio.  Go 
droit  se  nomme  moàiomrAé  Un  canal 
latéral  petit  avoir  droit  à  une  on  pAw 
sieors  nimnoarùié  Quand  l'béure  de  In 
moarofint  arrive  pour  un  oanal^  soq 
ptol^étaire  lève  la  mené  nsoèila  qui 
10  sepire  du  canal  oèincipal  dtet  il  a 
en  le  soin  de  barrer  les  eaux  nn  peu  an^ 
dessous,  et  il  les  reçoit  pendant  le  tenipp 
auquel  il  a  droit;  ce  tempe  passé  ci 
l'heure  d'nne  autre  nnwaonrd  étant  vo« 
nne^c^eM  à éelni  b  qui  elle  appartieni 
de  veiller  à  détruire  le  barrage  élevé  an4 
dessus  de  lui,  à  fomer  lé  caiial  dil 
propriétaire  supérieur  et  à  >o«i^  le 
sien.  Les  canaux  de  déritation  desscT'' 
vebt  souvent  dans  leor  ooum  d'astres 
rifloles,  qui  prennent  leurs  eaux  do  la 
même  manière  que  l'on,  vient  de  dbra 
que  ces  canaux  Inprenaioit  de  la  bvàp* 
aie  principato. 

Lee  travaux  de  réparation  à  ftiiro 
an  réservoir  commun  sont  à  la  «barge 
détone  ceux  qui  participent  aux  edn«4 
ehaoon  en  proportion  de  ses  num&owâ9i 
Sa  le  canal  principal  se  dégrade,  les 
frais  de  réparation  pèsent  sur  les  p^o- 
priémires  des  canaux  de  dérivatl«0pia>i 
ces  au^lessusdtt  point  eodomnuigéc  Leè 
infipactlonsauxreglements  sur  les- prions 
d*eau  sont  punies  de  cinq  à  six  Jours  db 
prison.  *    > 

De»  PnoDOGvions  n  t/kM  en 
CnJETB.  —  Le  climat  de  la  Orèté  Oit  iéi 
gnlier,  sec,  put*  et  chaude  Eai  été  la 
chaleur  dans. les  plaines  l'y  élèvera  wâ 

88. 


L'UNIVERS. 


degfé  e&oMéBtàAt.  Le  thamioinètre  y 
iD0iiteà40et45  degrésoentigrades  au 
lolêil ,  80  à  89  à  roinbre,  et  ces  eha* 
fcyrs  pendant  pinceurs  mms  ne  sont 
Janfàis  adoudea  parles  pluies.  Le  ciel  do- 
rant toQt  ce  temps  reste  sans  nuages  et 
aonstamnaent  d'un  bleud'azur.  Lesnuita 
alors  sont  admirables;  ee  sont  de  vraies 
nuits  de  l'Orient,  ealmes»  blanches  et 
transparentes;  elles  aaaènent  ordinaire- 
nent  d'diondantes  rosées.  En  hiver, 
ifest^-dire  du  m<»s  de  novembre  à  la 
En  du  mois  de  février ,  les  pluies  sont 
fréquentes,  souvent  torrentieiles  peu* 
dant  plusieurs  jours.  Biais  dans  oette 
■tison  même  le  ciel  reprend  souvent 
sa  sérénité,  et  il  n'est  pas  rare  qu'il  la 
garde  quinze  à  vin§[t  jours  consécutifs, 
aortout  au  mois  de  janvier.  Au  mois  de 
flftvrier,  quand  le  soleil  se  dégage  des 
nuages,  il  est  déîà  ohaud  et  incommode. 
Du  reste,  le  fifoid  n'est  jamais  rigou- 
lenx  en  Crète  ;  on  pourrait  dire  nieme 
^'il  ne  s'y  fiadt  pas  sentir ,  car  la  tem* 
pérature  en  moyenne  se  maintient  à 
S  degrés  au-dessus  de  zéro  ;  elle  est  de 
13  et  16  quand  les  jours  sont  beaux* 
Ou  parle  ici  de  la  température  telle 

Sn'elle  existe  aux  bords  de  la  mer  et 
ans  les  plaines,  car  en  hiver  la  neige 
couvre  les  montagnes.  £lle  commence 
àtember  vers  la  fin  d'octobre,  et  elle  se- 
iournesurlescimes  élevées  jusque  vers 
la  fin  d'avril.  Certains  pics  en  gardent 
toute  l'année  dans  leurs  anfractuosités. 

Soand  les  vents  soufiSeat  de  cette  partie, 
s  portent  au  loin  un  air  rafrateni.  T^ 
ville  de  La  Canée  jouit  de  cet  avantage, 

E'  »  à  sa  proximité  des  oMmtagnes  de 
kia.  Elle  leur  doit  aussi  d'être  mieux 
ée  que  d'autres  parties  de  l'tle 
«outre  le  khamsin,  qui  deux  ou  trois  fois 
ebaque  année  arrive  des  cotes  de  la 
Barbarie,  et  qui,  bien  que  tempéré  par 
son  passage  sur  la  mer,  n'en  apporte  pas 
moins  en  Cràte  une  chaleur  âouCDiote. 
La  surface  du  pays  est  irrégulière, 
moatueuse;  elle  a  peu  de  plaines,  mais 
des  vallées  en  grsnd  norninre  et  très- 
siebes.  Le  soi,  mêlé  presque  partout  à 
des  débris  de  roches,  est  varié  :  aii^eux 
et  schisteux  en  quelques  lieux,  mais  gé- 
néralement léger  et  sablonneux,  il  repose 
r  un  iMid  calcaire. 
Lea  productions  naturelles  et  spon* 
oeee  pays  sont  :  quelques  nois 


etelfS-semés  de  ehéuêSfferk^i'yeum: 
ces  arbres  sont  tous  rabougris,  sans  vi- 
gueur, et  le  peu  qui  eurestetend  cbacpw 
jour  à  disparaître;  mais  on  peut  croire 

Sue  sur  ce  point  111e  a  beaucoup  chaoffé 
e  ce  qu'elle  était  autrefois;  à\»  a  dà 
être  tres-boisée  dans  ses  parties  monta- 
gneuses, et  le  tarissement  de  ses  ao- 
ciennes  rivières  provient  sans  doute  de 
la  disparition  des  forêts  :  aujourd'hui 
die  nen  a  phis  une  seule;  des  earont' 
iders  dans  les  parties  voisines  de  la  mer; 
detrès-beaux  chênes  à  f^alhnée,fm  de 
Rétimo  :  des  oliviers  sauvage*  ;  des  jUa^ 
tanes,  dont  l'essence  parait  être  très- 
appropriée  au  sol  de  Itte,  car  on  les  rea- 
eontre  partout;  des  pins  à  pigtums  ci 
et  là,  et  plus  nombreux  dans  les  provinoes 
de  l'est;  dans  les  provinces  extrêmes  de 
l'ouest,  des  châtaigniers;  à  la  poiate 
orientale  de  l'Ile,  un  bois  de  pabnien. 
Quoique  les  arbres  de  ce  bois  ne  doo- 
nent  pas  de  fruit,  l'existence  d'un  bois  de 
palmiers  en  Crète  est  eu  cto-méne 
tres-remarquable.  On  rencontre  en  effet 
des  palmiers  isolés  sous  des  climats  fiki 
septentrionaux,  mais  non  des  palmieit 
réunis  en  grand  nombre  et  formant  on 
véritable  bois;  ceux  de  Crète  saaX  asso- 
rément  les  derniers  que  l'on  trouve  ca 
s'éloignant  des  riions  tropicales. 

Les  autres  arbres  que  la  terrt  prodoit 
d'elle-même  sont  le  néflier  et  le  meri- 
sier des  bois;  le  poirier^  le  pommier  et 
le  prunier  sauvages;  mais  tous  en  petite 
quantité.  Parmi  les  ariimstes,  outre  oo 
certain  nombre  d'arbrisseaux  ^neox, 
qu'il  est  superflu  de  nommer,  il  y  a  le 
laurier  daphné^  le  katrier-rose  ^  le 
myrte,  Varbousier^  la  brugén.ha 
myrtes  en  Crète  sont  renommés,  et  ib 
méritent  de  l'être  :  on  dte  surtout  ceux 

2ui  croissent  aux  environs  de  La  Canée 
ans  une  vaste  plaine  que  l'on  nomme 
la  vallée  des  myrtes;  mais  chaque  par- 
tie de  la  Crète  en  possède.  Ils  tormeot 
des  bosquets  toufbis  et  élevés.  Vn 
homme  à  cheval  qui  les  traverse  dispa- 
raît souvent  aoua  leurs  branches.  La 
feuille  du  myrte  sert  au  tannage^àla 
préparation  des  peaux  pour  ehaossorei. 
Le  laurier-rose  atteint  oe  dooseà  qoifltf 
pieds  de  hauteur;  il  pousse  dans  le  lit 
des  torrents  et  le  long  de  tous  les  eoioi 
d'eau,  qui  en  autonme  ressemblestaian 
à  de  kmgs  rubans  de  fleurs.  Dans  qod* 


ILEDSCBftlB. 


9m 


qms  locaKtéi ,  on  met  1m  laoriers-nMct 
en  ooupes  r^iéee,  et  lear  bois  s'emploie 
à  faire  du  charbon,  qoi  est,  il  est  ^rai^ 
de  fort  manvaiee  qaaiilé.  La  (n^yére 
couvre  le  flanc  de  certaines  collines  sur 
un  espace  quelquefois  de  plusieurs 
milles.  Chaque  trochée  est  un  épais  buis- 
son ,  haut  de  cinq  à  six  pieds  ;  sejrfées 
les  unes  contre  les  autres,  elles  devien« 
nent  des  fourrés  impénétrables.  Quand, 
▼ers  la  fin  du  printemps ,  ces  brayères 
sont  en  floraison,  on  croirait,  à  unecer* 
taîne  distance,  que  l'on  a  sous  les  yeux 
une  immense  nappe  de  neige.  On  ne 
saurait  dire  quelle  sorte  d*âonnement 
et  d'admiration  l*on  é|NrouTe  la  pre- 
mière fois  que  ce  beau  spectacle  tombe 
sous  le  regard.  Le  iawrier  daphnie  très- 
commun  dans  les  terrains  secs  et  pier- 
reux, pousse  desieta  vigoureux  et  élevés. 
Il  y  en  a  de  plus  de  dix-huit  pieds  de  hau- 
teur. Les  paysans  tirent  parti  de  cet  ar- 
buste; ils  en  distillent  une  huile  essen- 
tielle fort  odorante,  dont  ils  font  grand 
usage  pour  eux-mêmes,  et  dont  on  6ut 
des  envois  à  Bengasi ,  Tripoli  et  Tunis. 
Parmi  les  plamtes,  on  compte  le  cUte,  le 
dictante^  le  sqfiran,  le  ricin,  etc.,  etc.; 
il  en  sera  question  plus  bas.  Il  n'y  a  nas 
d'herbages  naturels  en. Crète,  si  ce  nest 
peut-être  dans  une  des  provinces  de 
l'ouest.  Partent  ailleurs  les  terres  sèches 
ne  produisent  qu'une  herbe  rare  et 
courte,  sur  les  bords  des  chemins  et  des 
fossés.  Dans  les  terres  mouillées  et  ma- 
récageuses, il  ne  pousse  que  des  roseaux 
et  d'autres  herbes  aquatiôues. 
Les  productions  artincielles,  celles 
ui  sont  dues  au  travail  et  à  l'industrie 
e  l'homme,  constituent  l'agricultuie 
proprement  dite.  A  ce  titre  eVis  denoan- 
dent  à  être  passées  en  revue  en  détail  et 
à  être  traitées  avec  un  certain  dévelop- 
pement; quoique  l'ordre  dans  lequel  on 
va  énumérer  et  exposer  ce  qui  se  rap- 
porte à  chacune  d'elles  ne  soit  peut* 
être  pas  toujours  par&itement  métho- 
dique, on  a  cherclie  autant  ^e  possible 
à  procéder  par  groupes  et  a  introduire 
dans  chacun  d'eux  les  matières  qui  se 
rapprochaient  entre  elles  par  la  ressem- 
blance ou  l'analogie. 

Les  oéréales  tiennent  le  premier  ranc 
parmi  les  objets  sur  lesquels  TagricuE 
ture  s'exerce. 
Les  oéréales  cultivées  en  Crète  sont  : 


3 


Le  W»  dont  il  y  a  deux  espèees,  toutes 
deux  d'hiver.  Le  grain  de  I  une  est  dur, 
corné)  d'un  iaune  rougefttre;  celui  de 
l'autre  est  blanc  et  touire.  Tous  deux 
sont  à  barbes;  le  dur  est  cultivé  sur  les 
montagnes,  le  tendre  dans  les  plaines. 
Les  semailles  se  font  après  les  premières 
pluies  de  novembre,  et  sont  générale- 
ment tenninées  partout  vers  la  fin  de 
décembre.  Il  existe  un  autre  blé ,  dit  de 
mars,  dur,  gris,  et  à  barbes  également; 
il  se  sème  du  16  février  au  16  mars, 
mais  il  est  peu  cultivé,  car,  pour  réussir, 
il  exige  un  terrain  tiès-approprié  et  un 
labour  profond.  On  a  vu  aue  la  cbarrua 
ne  porte  guère  au  delà  ue  cinq  pouces 
de  profondeur.  Le  blé  est  fréquemment 
attaqué  de  la  rouille,  mais  très-rarement 
de  la  carie,  de  l'ergot  jamais.  On  n^ 
chaule  pas  la  semence  ;  on  ne  chaule  da 
reste  celle  d'aucune  céréale. 

La  quantité  de  semence  est  d'un  bec* 
tolitre  et  demi  par  hectare.  Commune* 
ment  la  récoite  est  de  six  à  sept  fois  la 
semence ,  souvent  de  deux  à  troia  seu- 
lement; mais  quand  on  sème  sur  ua 
champ  qui  a  été  précédemment  emblavé 
de  coton  ou  de  sésame ,  on  obtient  dix 
ou  douze  fois  la  semence. 

Le  rendement  en  farine  est  d'ordi- 
naire des  trois  quarts  du  poids  du  blé. 

On  calcule  que  la  récolte  du  blé;  année 
moyenne,  en  Crète  est  de  huit  millions 
de  kiiogranunes  environ,  dont  quatre 
millions  dans  la  province  de  Candie, 
sept  cent  mille  dans  la  province  de  Ré- 
timo.  et  trois  millions  trois  cent  mille 
dans  la  province  de  La  Canée. 

Le  prix  moyen  du  froment  est  de 
16  fr.  60  c.   les   cent  kll. 

Le  seigie  est  cultivé  en  Crète,  maison 
très-petite  quantité.  On  le  sème  dans  les 
parties  montagneuses,  sur  les  terres  schis» 
teuses.  Le  meilleur  est  celui  d'automne. 

Vorge  est  le  graiu  dont  la  culture  est 
la  plus  générale.  On  le  sème  dans  toutes 
les  parties  de  l'Ile  et  en  quantité  assez 
considérable,  car  sies  usages  sont  nom- 
breux. Le  paysan  en  fait  sa  nourriture  ha- 
bituelle; en  outre,  les  chevaux,  les  mu« 
lets,  les  fines  le  mandent  pendant  une 
grande  partie  de  l'année  ;  on  le  mâe  à  cet 
effet  à  la  paille.  La  paille  de  l'orge  est 
courte,  mais  fine  et  belle;  on  ne  la  sert  du 
reste  aux  animaux,  ainsi  que  toutes  les 
autres  pailles,  que  brisée  et  hachée  ea 


698 


irQgiivn& 


mentis  rriormmii  :  <mIa  prbtf  ttrt  dti  mode 
de  battage  iodiqiié  plot  baut.  La  vaHété 
de  l'orge  préférée  en  Crèle  est  eelle  d^bl» 
ver.  Il  y  a  cependant  aussi  des  orges  de 
mars.  On  emploie  deux  beetolitrss  un 
quart  de  sem€lkiee  par  heetare;  la  réeolte 
m  quelquefois  de  quinze  féis  la  semence, 
mate  le  plus  ordinairement  de  huit  à  dix. 
La  récolte  annuelle  est  detrelM  millions 
de  kilogrammes,  «uxquels  la  pvotineo 
de  Candie  participe  pour  cinq  millions 
ein^  eeni  mille,  celle  de  Réamo  pour 
trois  ndllions,  et  celle  de  La  Canée  pour 
quatre  ndliions  cinq  cent  mille.  Le  prix 
moyen  de  l'orge  est  de  tt  francs  les 
Mxantetdix  kil.  (I). 

Âvùine.  Cest  l'espèce  dils  atolne 
éammune.  Elle  est  semée  aux  premières 

Êies  ;  en  général  avant  le  blé.  La  quan- 
de  semence  d*avoine  par  hectare 
est  la  même  que  celle  de  forge  ;  le  ren- 
dement est  le  même  aussi.  La  récolte 
annuelle  est  de  sept  millions  de  kilo* 
grammes  :  la  pronnoe  de  Candie,  cinq 
millions;  celle  de  ftédmo,  deux  cent 
iliille,  et  celle  de  La  Canée ,  un  million 
huit  cent  mltlc.  Le  prix  moyen  des  cent 
killogrammes  est  de  10  fr. 

La  moisson  de  fontes  ces  céréales  est 
terminée  au  mois  de  juin. 

Le  îHâfs  n'est  cultiré  que  dans  tes^ 
eliamps  arrosables.  Celui  que  l^en  sème 
est  la  variété  dite  mais  de  Grèce,  à 
fpains  jaunes,  qui  ne  produit  qu*un  épi, 
rarement  deux. 

Excepté  dans  la  province  de  Candie, 
eèsa  cmtnre  feit  partie  des  assolements, 
ofi  ne  le  plante  dans  les  autres  parties 
de  lUe  que  pour  nréparer  ia'semaille  des 
haricots.  LépiemicueiHiavantsa  niatu» 
lité,  eties  grains  en  sont  mangés  bouillis 
en  grillés.  On  en  donne  aussi  quelque*^ 
fois  aux  vplallles.  L*égrenage  des  épis 
mûrs  qt|i  sopt  gardés  pour  la  «emence 
ie  f^lt  à  la  main.  Les  champs  implantés 
de  mais  sont  souvent  arrosés,  mais  ja« 
A>ai8  fumés  :  la  récoite  annuelle  est  de 
cent  mille  kilogrammes  ;  produits  exclu* 
slvement  par  la  province  de  Candie.  Le 
prix  moyen  est  de  90  fr.  les  cent  kilo- 
Krammes. 

Le  H«j  le  sàrghi,  le  mUkt,  le  sar^ 

(!  J  Ces  chiffres,  qui  ne  peuvent  être  qu'ap- 
prûximatife,  font  le  résiritat  d'informations 
iHQtttiettses  et  multipliées.  - 


fuiiti,   iti  tgiMim  mnl   insonnas. 

On  ensemence  en  Grète  une  aasex 
grande  quantité  dn  champs  ani^ptef  et 
«eases,  mêlés  d'an  qqart  d  or^s,  et  semés 
ivis-dra.  La  «ésolte  de  cm  diamps  est 
mangée  en  vert  et  avant  La  matitiité.  An 
mais  de  mai  et  d'avril ,  on  y  parqoe  les 
animaux,  qui  mangent  ia  planta  aur  pied  ; 
ou  bien  on  la  coupe  pour- la  leur  portera 
réeurie.  Cas  champs  larmeat  M  aenis 
Hoorragss  da  la  Crète.  Il  n'y  a  oas,  ainsi 
qu'on  ra  dit,  deoâturagas  ni  pnnrios  na- 
turelles, et  il  wf  a  pas  de  ptairiea  ar« 
tificieiles,  tellet  qu9  sainfoin ,  trèfle, 
hiseme,  etc. 

-  Le  produit  en  argent  dea  tams  ainsi 
ensemencées  peut  élne  évalué  à  IdMM^ 
fr.,  qui  se  lépavtisaent  ainsis  S8^000  fr. 
la  province  de  Candie,  38^000  la  pro- 
vince de  Rétimo,  et40,600«elinde  Canée. 

Parmi  les  plantes  céréales  m  cultive: 
*  1^  Les  semences isrintUBOB  suivantes: 

lAfèvé.  La  ftve  proprement  dite  ne  ss 
cultive  pas  en  grand  :  on  s'ecoupe  da- 
vantage d'une  sorte  de  févevola  ;  elle  est 
assez  répandue,  bien  qu'elle  ne  réuisisie 
pas  par&itement,  soit  que  l'orDbnnche  la 
détruise,  soit  que  le  fumier  dont  elle  a 
besoin  soit  mal  préparé  et  înégalenwnt 
distribué  sur  le  tenraln.  La  rénolte  an- 
nuelle des  fèves  est  de  deux  miltions  de 
kil.  :  Candie  fournissant  huit  eent  cin- 
quante mille,  Rétûno  qaatro-viagt-dîi 
mille,  et  La  Canée  «i  million  aoisaaie 
mille. 

Le  prix  des  eeni  kHogrammea  est  de 

ITJ&P. 

Les  haricots  ne  Bont  cultivés  que  dans 
les  jardins,  pour  toc  eonaooiniéa  en 

VCfl. 

9^  Les  racines  nourriasantsa .  le  topî 
nambour  et  la  pomme  de  ferre» 

Le  topinamooutesX  en  abondance  aur 
les  marchés,  mais  la  poauna  éè  Hittt 
est  une  importation  récente  à  La  Canée 
et  à  Candie.  Des  Européens  et,  à  leur  ins* 
tigation,  quelques  gens  du  pays -ont  frit 
d«B  essais  de  cetle  culture,  et  les  essais 
ont  été  asscK  haireux  pour  qno  lea  cul- 
tivaleurs  fassent  engaum  à  les  continMr. 
I^sus  les  terrains  de  nie  ou  è  pea  près 
paraissent  être  favorables  à  la  culture  ds 
èette  racine.  En  irisant  ehohc  de  mux 
cpî  lui  conviendraient  lemieux^ellerto- 
sirait  à  merveille,  et  serait  dhme  grande 
feflttottme  dans  un  paya  oà  to  prodnetion 


ILE  DB  CMkTE. 


des  «éréaltt  mk  Mn  de  suffire  aux  be- 
soins des  habitants.  Où  pourrait  surloul, 
comme  on  Ta  fait  dans  quelques  jardins, 
planter  des  espèces  hâtives  en  octobre, 
après  quelques  pluies  qui  tombent  à 
sette  époque,  et  avobr  la  rëeolte  en  arril 
3t  mai.  Quant  aux  autres  qualités,  dans 
les  localités  où  les  champs  me  sont  pas 
abrités  contre  les  vents  violents  d'ouest 
et  de  sud-ouest,  on  ne  peut  tes  planter 
|u'aux  mois  de  février  et  de  man.  Alors 
les  chaleurs  et  le  défaut  de  pluie  ont 
pour  effet  de  dessécher  les  tiges  avant 
la  floraison,  oui  a  lieu  au  mois  de  juin, 
et  il  ffiut  se  hâter  de  récolter;  autrement 
Tardeur  extrême  du  soleil  au  nrois  de 
juillet  tue  le  fruit.  On  ne  pourrait  pro- 
longer leur  séjour  en  terre  et  par  suite 
leur  végétation  qa*aa  moyen  de  profonds 
labours,  qui  leur  feraient  brater  la  sé- 
cheresse et  leur  permettraient  de  fleurir 
et  de  conduire  leurs  fruits  à  maturité; 
Bilors  on  obtiendrait  sans  doute  de  belles 
et  bonnes  récoltes. 

Les  légumes  sont  : 

Le  cnou  de  plusieurs  espèces .  le 
poireau  et  le  chouftêwr^  1\iq  au  fruit 
blanc,  et  l'autre  de  couleur  violacée; 
les  artichauts,  dont  on  ensemence  de 
grands  terrains  et  dont  on  fait  en  outre 
des  bordures  aux  champs  qui  avoisluent 
les  villes  et  les  villages  ;  le  concombre, 
qui  se  consomme  en  quantité  très-con- 
sidérable ;  le  melon,  qui  vient  en  plein 
champ,  mais  qui  n'est  oue  d'une  qualité 
inférieure;  là  pastèque,  wMt,  très-grosse 
et  bonne,  et  qui  a  sur  le  melon  l'avantage 
de  se  conserver  saine  pendant  plusieurs 
mois;  la  courge^  le  potiron,  la  tomatey 
fort  bonne  et  en  grande  abondance:  ïau» 
àergine,  te  gombo^  fruit  açiueux,  de  peu 
de  saveur,  ce^qui  n'empêche  pas  <jue 
les  Cretois  en  soient  très-friands  ;  \*epi* 
nard,  le  eerfeuU,  te  pourpier;  point 
à^ oseille;  des  salades  médiocres  et  d'ail- 
leurs peu  cultivées,  si  ce  n'est  dans  quel- 
ques jardins  auprès  des  villes.  On  ne  les 
fait  jamais  blanchir;  les  habitants  pré- 
fèrent les  manger  vertes. 

Parmi  les  racines  lumineuses,  on 
a  la  carotte^  très-bonne  dans  les  Jardins 
qui  avoisinent  la  ville  de  Candie,  et 
partout  auteurs  dans  111e  de  fort  mé- 
diocre qualité;  la  betterave,  qui  au- 
jourd'hui réussit  mat  :  cependant  dans 
cin  temdn  frais  et  bien  ameubiéf  la  bette- 


rave à  suere  et  ehamnêlre  pourrait  Itie 
semée  en  mars,  résister  aux  chaleurs  de 
l'été ,  se  développer  dans  la  saison  des 

euies  et  donner  en  mars  et  avril,  avant 
floraison,  des  racines  énormes  ayant 
de  grandes  qualités  saccharines  ;  la  rave, 
le  radis,  Vcignon,  Vail,  etieehùu-navet. 

En  général ,  et  sauf  de  très-rares  ex- 
ceptions, tous  ces  légumes  soot  de  qua- 
lité inférieure  :  non  pas  sans  doute  que 
la  terre  n'en  puisse  produire  de  bons  ; 
mais  l'industrie  qui  leur  serait  néces- 
saire manque  à  ceux  qui  les  cultivent. 
On  suit  la  routine;  et  bien  qu'autour 
d'eux  des  iardùriers  voient  oes  fruits 
meilleurs  dans  les  champs  de  quelques 
Européens,  ils  ne  s'informent  pas  même 
d9S  procéda  auxquels  on  en  est  rede- 
vable ;  bien  plus,  ils  dédaignent  ces  fruits 
meilleurs ,  par  grossièreté  de  goût  d'a^ 
lK>rd  et  ensuite  par  orgueil  :  quelque 
singulier  que  puisse  parattre  ce  senti* 
ment  en  pareil-propos,  ils  donnent  la  pré- 
férence a  leurs  herbes  insipides.  Nos  pè- 
res, disent-ils,  se  contentaient  de  œlles- 
là ,  pourouoi  ne  nous  en  contenterions* 
nous  pas  r  Ces  Européens  nous  fatiguent 
avec  leurs  prétentions  de  valoir  mieux 
que  nous  en  toutes  choses.  Cest  aux 
Turcs  surtout  oue  l'on  entend  tenir  ce 
langage,  et  ce  n  est  pas  de  la  bouche  des 
gens  du  peuple  qu'il  sort  le  plus  fré- 
quemment. 

La  valeur  en  ar^t  des  légumes  cul- 
tivés chaque  année  peut  s'estimer  à 
400,000  fr.  :  80,000fr.  dans  ta  province 
de  Candie;  dans  celle  de  Rétimo  60,000, 
et  270,000  dans  celie  de  La  Canée. 

Les  plantes  oléifères  se  réduisent  à 
deux  ou  trois  ;  aucune  même  n'est  cul- 
tivée en  vue  de  l'huile  que  l'on  pourrait 
en  extraire.  L'olive  en  donne  si  abon- 
damment dans  rtle,  que  l'on  ne  songe 
pas  à  en  demander  à  d'autres  sources  : 
bien  plus,  les  Cretois  répugnent  à  l'im- 
portation de  toute  plante  oléagineuse 
dans  leur  pays.  Un  secret  instinct,  et 
déjà  l'expérience,  leur  apprend  que  ces 
graines  amènent  insensiblement  la  dé- 
préciation du  produit  de  leurs  oliviers. 
J)ansleur  ignorance,  ils  ne  comprennent 
pas  qu'il  ne  dépend  pas  d'eux  d'arrêter 
cette  concurrence,  qui  malgré  eux  sera 
faite  par  d'autres  pays;  que  quant  à  ce 
qui  regarde  la  Crète,  ce  ne  sont  pas  les 
changements  de  graines  dont  tel  négo«- 


i/unafOis. 


cîant  de  MarseUie  pourrait  8*y  ai^rovi- 
sionner  qui  empêcheraient  ceux  gui  font 
le  commerœ  des  huiles  de  continuer  à 
lui  en  demander  selon  leurs  besoins,  et 
qa*ainsi  il  y  a  sottise  à  se  priver  des 
avantages  dun  nouveau  produit  qui  au* 
mit  pour  effet  de  compenser  les  pertes 
dont  la  culture  de  Tolivier  est  menacée. 
Ce  raisonnements!  simple  dépasse  la  por- 
tée de  rinteiligence  des  gens  de  ce  pays. 
Les  seules  plantes  oléifères  actuefle* 
lement  connues  et  cultivées  sur  une  fai- 
ble échelle  sont  :  le  sésame,  dont  les 
graines  s*emploient  à  saupoudrer  la  pâte 
e  certains  petits  pains ,  ou  dont  on  ex- 
trait l'huile  pour  en  faire  quelques  pâtis- 
series au  levant  On  donne  en  mars  et 
en  avril  i^usieurs  labours  aux  champs 
destinés  a  cette  culture,  et  vers  le  l*"'  de 
mai  on  sème,  sur  un  nouveau  labour,  le 
sésame  à  raison  de  deux  kilogrammes 
par  hectare  ;  on  recouvre  la  graine  au 
moyen  du  volossiri.  Quand  la  récolte 
réussit,  ce  qui  n'arrive  pas  toujours,  car 
quelquefois  la  graine  ne  lève  pas.  on 
peut  obtenir  de  dix  à  douze  hectolitres 
par  hectare.  Cette  graine  est  exposée 
aux  attaques  d'une  espèce  particulière 
de  moucherons  qui  détruisent  le  sommet 
de  la  tige  au  moment  de  la  floraison* 
En  général  on  tarde  trop  à  semer  et  on 
ne  consacre  aucun  engrais  à  cette  plante, 
qui  en  aurait  besoin. 

La  production  totale  du  sésame  ne 
s'élève  guère  au  delà  de  cinq  à  six 
mille  kilolitres;  il  se  vend  45  fr.  les  70 
kilolitres. 

Le  lin,  qui  est  d'une  espèce  dégéné- 
rée, ne  produit  qu'une  filasse  courte  et 
f  rosse,  et  ne  donne  pas  en  graine  au  delà 
e  trois  fois  la  semence,  quoique  les 
champs  où  on  lesème  soient  de  ceux  pour 
lesquels  les  cultivateurs  ont  le  soin  de 
réserver  leur  engrais.  Les  semailles  se 
font  dans  le  courant  du  mois  d'octobre, 
sur  deux  ou  trois  labours.  On  le  sème  à 
raison  de  quatre  hectolitres  par  hectare. 
La  production  annuelle  du  lin  est  de 
soixante  mille  kilogrammes  :  trente-huit 
mille  à  Candie ,  quatorze  mille  à  Ré- 
timo,  et  huit  mille  environ  à  La  Canée. 

Le  rendement  de  la  graine  est  com- 
munément d*un  poids  double  de  celui  de 
la  matière  textile.  La  récolte  de  la 
graine  est  donc  de  cent- vingt  nulle  kilo- 
grammes. 


Le  Uo  se  Tend  80fr.  les  oeiitkil.,el 

la  graine  20  tt. 

Le  ricin  croît  naturellement  dans 
l'île  ;  mais  les  graines  ne  sont  pas  ré- 
coltées. 

La  culture  du  chanvre  est  inconnue, 
et  comme  plante  textile  et  comme  plante 
oléagineuse.  Le  pavot,  dont  on  ne  s'est 
jamais  occupé  jusque  ici,  va  être  pro- 
chainement essayé 

Comme  plante  textile  on  a  le  coton, 
cultivé  dans  queloues  plaines  et  princi- 

Ealement  dans  celles  qui  avolsinent  les 
ords  de  la  mer.  Plusieurs  causes  con- 
tribuent à  rendre  cette  culture  peu  pro- 
ductive. La  première  et  la  principale,  à 
laquelle  il  serait  facile  de  remédier,  pro- 
vient delà  graine  même  que  l'on  emploie. 
Cette  graine  est  celle  d'une  espèce  abâ- 
tardie :  le  défaut  d'engrais,  le  peu  de 
profondeur  des  labours ,  l'époque  avan- 
cée à  laquelle  se  font  les  semailles,  du 
l^^au  15  mai  environ,  et  que  l'on  recule 
ainsi ,  afin  de  ne  pas  être  obligé  au  sar- 
clage, sont,  après  la  mauvaise  qualité  de 
la  semence,  les  autres  causes  de  la  dé- 
térioration de  la  plante.  Il  est  rare  que 
l'on  arrive  à  récolter  deux  cent  cm- 

Suante  kilogrammes  de  coton  dans  un 
ectare.  Il  est  vrai  que  le  paysan  tire 
en  outre  parti  de  la  graine,  qui  ger- 
mée  sert  de  nourriture  aux  bœufs. 

Cependant  si  on  choisissait  de  bonnes 
qualités,  et  si  surtout  on  donnait  à  cette 
plante  exigeante  les  soins  qu'elle  de- 
mande; si  on  anticipait  l'époque  des  se- 
mailles, afin  de  les  taire  profiter  des  pe- 
tites pluies  qui  ordinairement  tombent 
vers  la  fin  d  avril,  il  y  aurait  de  beaux 
profits  à  attendre  de  cette  culture.  Telle 
qu'on  la  pratique  maintenant,  elle  a  plu- 
tôt pour  objet  de  donner  une  dermèn 
préparation  aux  champs  déjà  reposés 
par  une  ou  deux  années  de  lacbère,  et 
de  les  approprier  pour  l'année  suivante 
à  un  ensemencement  en  blé.  La  graine 
de  coton,  que  l'on  sème  à  la  volée,  est 
d'ordinaire  mélangée  avec  des  graines 
de  pastèques,  de  melons  et  de  mais.  La 
récolte  annuelle  du  coton  est  de  quatre- 
vingt  mille  kil.  :  soixante  mille  dans  la 
province  de  Candie,  quatorze  mille  dans 
celle  de  Rétimo,  et  six  mille  dans  celle 
de  La  Canée.  Le  prix  moyen  du  ootoa 
est  de  110  francs  les  cent  kiL 
La  garance  est  la  seule  plante  tînelo* 


OjEubcbèie. 


riale  «xistant  eà  CSrète.  La  coltore  en  a 
été  essayée  par  deux  propriétaires  seule* 
ment.  Les  essais  ont'été  faits  en  petit  ; 
mais  ils  ont  réussi ,  et  on  pourrait  les 
étendre.  La  garanee  trouverait  beaoeonp 
de  terrains  qui  lui  ooovieodraient  autant 
que  ceux  de  l'Asie  Mineure ,  dont  elle 
est  on  des  riches  produits.  Seulement, 
comme  la  sécheresse  en  Crète  est  plus 
forte  qu'en  Anatolie ,  elle  demanderait 
tieaueonp  de  soins  ;  il  lui  faudrait  ceux 
qa'on  Im  donne  dans  le  eoratat  Venais- 
sin,  et  l'on  ne  peut  pas  les  attendre  des 
Cretois. 

La  province  de  Candie  produit  seule 
de  la  garance  environ  1,000  kil.,  qui  se 
vendent  SOO  francs  les  100  kil. 

Le  tabac  est  peu  cultivé  en  Crète.  Ce- 
pendant cette  plante  peut  rendre  de 
1 ,800  à  3,000  kil.  par  hectare.  Les  semis 
ont  lieu  sur  planche  en  janvier  et  dans 
les  lieux  aorités.  En  avril,  on  les 
transplante  à  trois  ou  quatre  pieds  de 
distance ,  dans  un  champ  auquel  on  a 
donné  jusqu'à  cinq  labours.  On  arrose 
chaque  pied  avec  une  dissolution  de 
famier  de  brebis.  Les  sarclages ,  les  bi- 
nages ont  lieu  à  la  houe.  La  récolte  se 
fait  feuille  par  feuille,  ce  qui  rend  cette 
culture  fort  chère;  et  comme  d'ailleurs 
aucun  cultivateur  n'a  de  local  assez 
vaste  pour  faire  sécher  les  feuilles ,  la 
culture  du  tabac  se  borne  à  quelques 
ares ,  que  certains  propriétaires  y  consa* 
crent  autour  de  leurs  demeures.  Le  tabac 
de  la  Crète  est  d'une  qualité  inférieure; 
celai  de  Rétimo  a  cependant  quelque 
réputation. 

On  rencontre  quelques  autres  plantes 
pour  l'usage  domestique  qui  sont  h  Tétat 
de  nature.  On  mentionnera  en  première 
ligne  : 

Le  ciste  de  Crète,  qui  produit  le  lai* 
danumou  laudanum  du  commerce.  C'est 
une  substance  visqueuse  et  odorante,  oui 
transsude  et  forme  un  enduit  sur  les 

I'eunes  tiges  et  sur  les  feuilles  de  Tar- 
)ri8seatt^  On  le  ramasse,  pendant  les 
fortes  chaleurs  de  l'été,  en  passant  sur 
le  ciste  à  plusieurs  reprises  un  fouet 
formé  de  plusieurs  lanières  de  cuir. 
Quand  ces  lanières  sont  chargées  de 
laudanum  Y  on  l'enlève  en  les  ratissant 
avec  un  couteau,  et  on  le  met  en  pains. 
Un  homme  peut  en  recueillir  jusqu'à  un 
kilogramme  et  demi  par  jour.  On  en  re- 


cueille eBvjimieoo  ky.  dans  la  promee 
de  Candie  et  126  dans  eelle  de  Rétimo. 
Le  prix  fait  est  de  6  francs  26  oentimei 

le  kil. 

Le  dictame,  dont  on  récolte  de  pe- 
tites quantités,  et  seulement  dans  les 
montagnes  de  Sphakia.  Le  dictame,  ce* 
lui  de  Crète  wincipalement,  était  autre* 
fois  fort  reenerché,  à  cause  des  vertus 
médicales  qu'on  lui  attribuait.  Aujour- 
d'hui il  a  perdu  sa  réputation ,  et  il  ne  se 
trouve  plus  que  dans  quelques  pharma- 
cies. Cependant  les  quantités  que  Ton 
recueille  sont  facilement  vendues  au  prix 
de  4  francs  le  kil. 

Les  autres  plantes  de  cette  classe  sont 
la  régiiâie,  la  sauge ,  VabsUUhe^  le  sch 
fran,  qui  existe  dans  le  pays,  mais  n'est 
presque  pas  recueilli.  La  guimauve,  la 
menthe ,  la  mélisse  se  trouvent  en  pe* 
tite  quantité  dans  quelques  jardins. 

Abbbbs  ▲  FBUiTs.  —  lïous  arrivons 
à  une  des  ^andes  sources  de  la  richene 
du  pays.  Diverses  sortes  d'arbres  y  con- 
tribuent pour  une  large  part.  Le  carou- 
bier,  le  chêne  à  vaUonéej  le  mûrier, 
ïoranger^  la  nigne  particulièrement  y 
apportent  chacun  leur  contingent;  maïf 
VoUvier  surtout  y  fournit  abondamment, 
et  a  lui  seul  plus  que  tous  les  autres  en- 
semble. L'huile  que  l'on  en  retire  peut 
être  estimée,  année  commune,  à  une  va- 
leur de  7,000,000  de  francs.  D'autres 
arbres  fruitiers  ajoutent  leurs  produits  « 
quoiqu'en  moindre  importance ,  à  ceux 
que  l'on  vient  de  nommer  :  ce  sont  le 
châtaignier f  Yamandier,  le  pommier, 
le  poirier f  le  noyer^  le  ceriàer  bigar* 
reautier^  qui  sont  en  Crète  des  arbres  de 
plein  champ;  et  dans  les  vergers,  le 
figuier,  le  pécher,  Vabricotier^  le  pru- 
nter,  et  d'autres  encore.  On  va  traiter  de 
ducun  d'eux,  en  suivant  le  rang  d'im- 
portance qu'ils  occupent  dans  les  res- 
sources du  pays. 

Volivier  couvre  les  campagnes  de  la 
Crète;  il  est  la  véritable  richesse  du  pays; 
il  en  fait  aussi  l'ornement.  Grâce  à  cet 
arbre,  l'œil  trouve  à  se  reposer  sur  des 
masses  de  verdure  dans  un  pays  qui 
sans  cela  ne  présenterait  durant  la  plus 
grande  partie  de  Tannée,  quand  les  ré- 
coltes ont  été  enlevées ,  que  des  aspects 
d'une  désolante  ariijité;  mais  partout,  et 
à  chaque  changement  d'horizon,  on  dé* 
couvre  des  bois  d'oliviers,  dont  quelques» 


ïTBtmasi:  '^ 


«M  l'étendèat  ièr  in  él^«nde|»liitlèan 
ntflief  ;  et  «e  ne  sont  pac  Ui,  eoimne  en 
9vonHMe,'par  «Mit)|il«Y  des  ârbret  arér 
les,  bas,  earnis  d'un  rare  feuillage  a  la 
couleur  MmehAlre.  Les  oUviars  en 
evètesont  vigcnumni ,  leur  tronc  a'élève 
à  prèe  de  huit  pêeda  «n-desaut  de  la 
terre ,  aeuTeot  deui  tiemnea  réunis  ne 
j^pviendrme&t  pas  à  en  embrasser  la 
cireooféreaee.  (Son  branchage  est  loufâi^ 
presque  régulier;  il  n'est  pas  rare  qu'il 
atteigne  vingt  et  tnnte  pieds  de  b«a«- 
ftnr.  Ses  leuilles  sont  d'un  beau  vert; 
iMbenreosement  les  Cretois  ne  savent 
pas  sur  ce  point ,  non  plus  que  sur  les 
autres,  mettre  è  profit  la  Ubmlité  dont 
hinaturea  ueéent ers  eux.  Ons'en repose 
0or  elle  du  soin  de  produire,  et  l'indue- 
trie  ne  tni  vient  geère  en  aide.  Les  soins 
donnés  en  Crète  à  l'olivier  ee  bornent  à 
labourer  la  terreoû  ile6tj|ilânté;leehamp 
jteçeU  deux  y  quelquefois  tiois  labonrs 
à  la  fAïamie,  de  février  en  avril  ;  apnès  le 
dernier  on  passe  sur  la  terre  la  planche 
qui  sert  de  herse  »  et  Fon  ettttid  la  1 6- 
oolte.  On  ienere  absolument  ee  que  c'est 
que  la  taille,  eombien  elle  est  néiBesBake 
a  l'arbre,  et  quels  avantages  on  en  rett* 
verait.  Elaguer  les  brandi  gourman- 
des de  manière  à  ee  que  Teir  oircule 
plus  librement,  que  les  fruits  soient 
mieux  exposés  au  soleil  et  que  la  sève 
se  fixe  dans  les  parties  puissantes ,  per« 
sonne  n^y  songe,  personne  même  ici  ne 
serait  en  état  de  le  faire  d'une  manière 
intelligente  etsére.  On  seeontented'euf 
lever  et  souvent  très^mparfaitement  les 
branehes  mortes  ;  on  ne  coupe  pas  tou<^ 
fours  celles  qui  naissent  an  pied  deTar- 
bre  et  finissent  par  l'entourer  d'un  buis» 
son.  L'engrais  ii^est  pas  plus  en  usage 
que  la  tailie  ;  seulement  on  dépose  au 
pied  des  arbres,  non  pas  de  tons,  mais 
de  quelques-fins ,  à  tour  de  rdie  et  è  des 
années  aintervalle,  (lu  mars  des  olives, 
et  cela  en  masses  t^les,  que  Tarbre  en 
est  le  plus  souvent  Incommodé. 
;  Cependant  qudmies  propri^aiffes , 
mfeut  avisés,  ont  oivfsé  ces  tas  d^en* 
grais;  ils  les  pnt  répartis  sur  la  surface 
ent^re  du  terrain  ;  et  ils  ont  été  récom- 
pensés par  des  réeoHes  plus  abondantes 
et  de  meilleure  qualité.  L'exemple  n'a 
pas  profité  à  leurs  voisins;  ils  se  sont 
obstinés  dans  leurs  anciens  errements. 
Xussi  est-ii  rare  qne  ies  oiivieni  predui** 


asntdeoK  annéis  éé  mile  nn  CMie.  U 
ne  irat  compter  quo  sttr  ées  féasètsi 
qui  alternent  de  ëênx  ans  en  deux  ans. 
lia  rénaite  des  olives  se  ftit  de  deux 
manieras  :  dans  eertnÏBeB  cootrseï  sa 
emploie  la  gaule  pour  Us  ahatlse,  et  os 
les  reçoit  sur  des  draps  étendus  su  piid 
de  l'arbre.  Mais  généralement  ïm^ 
est  de  les  reoueiiljr  à  la  main,  et  pov 
osla  on  attend  que  la  maturité  les  ail  &it 
toutes  tomiier,  de  telle  sorte  qo'ooc 
grande  paetie  des  fruits  séfomme  long- 
temps sur  la  terre,  exposée  à  l'humidité 
des  rosées  et  à  la  dessiccation,  quand  le 
soleii  vient  ensuite  les  frapper.  Il  en  ré- 
sulte un  très^and  déohat  dans  le  pro- 
duit de  la  récotte.  De  plus ,  les  obvci 
trop  mdres  donnent  une  hutte  trop 
grasse^  fiorte  et  ranoe,  même  quand  elle 
6it  nouvelle^  La  récolte  se  fait  depuis  le 
mois  de  septonbre  jniqa'en  février  et 
mars,  selon  les  localités  et  lesespèoo 
d'olives.  Ce  sont  des  fommes  et  des  |es- 
nés  filles  qui  sont  cbaigéra  de  ks  n- 
masser;  quand  cbaeune  d  elle  en  a  réasi 
une  quantité  snfflsente,eUe  la  porte  dam 
le  magasin  du  propriétaife ,  où  eikes 
fait  un  tas  partieulier,  jusqu'au  moneot 
où  on  le  portera  au  ppessw,  ee  qui  n'a 
lieu  quelquefois  qu'au  bout  de  quatre  on 
six  mois.  Pou»  éviter  la  isnnentaUM 
qui  pourrirait  les  olives,  no  les  eoum 
de  sel  marin;  mais  leur  propre  poids  Un 
pvesse;  Tean  de  végétation  suinte  de 
toutes  parts  dans  le  tas,  et  ma^  le  sel 
il  s'y  forme  un  principe  de  foinsbtBtioB 
qui  diminue  d'autant  ia  partie  boileeis 
et  communique  à  ce  qui  en  resta  use 
seveur  fiers  ot  fort  désagréable.  On  sait 
qu'en  Provence,  pour  remédier  à  ees  ia* 
oonvénients,  on  oonstraitun  faux  plso* 
cher  percé  de  trous  sur  lequel  ou  pisoe 
les  Olives,  et,  en  établissant  sous  ce 
faux  plancher  un  grand  eooraat  d*air, 
on  parvient  à  empéâiw  la  fermeatatioB. 
Ce  serait  prendre  une  peine  vaine  ^ee 
de  recommander  ici  de  sembtaMes  pié- 
cautions.  Mais  le  prinei|>al  domina^ 
supporté  par  les  piopriétatRS  d'oiivios 
lors  de  la  récolte  des  olives  n'a  pas  potf 
cause  les  usages  et  Iss  procédés  peu  is* 
tellieents  i\m  l'on  vient  de  signaler;  il 
résmte  surtout  du  manque  de  naussce- 
ses;  même  dens  les  annéss  de  récoHe 
moyenne,  le  nombre  n'en  set  nas  saS- 
sant  pour  leoneiHir  tous  les  mritt;  ^ 


ILS  ai 

Inis  lat  aanéM  éténnimÀe^  ^mUaâB 
|y«  plus  â\m  qnwi  ifto  petd ,  faute  éi 
(ras;  dons  cet  aMéet^  la  ramanauie» 
ivid«ment  raobaroliéa ,  a«  Imq  dis  deux 
eptièmes  qu'on  lui  abattdoBue  urdi* 
lairtmenl  pour  sa  psft  sur  ta  qurnitHé 
|u*ell6  a  reouaillis,  rsçôit  ia  titra.  Da 
«ate,  les  profits  qu^le  retira  da  et  ira- 
rail  sont  toujours  (aiililas,  et  le  travail 
st  très-dur.  La  rifpenr  de  la  aaiaoo,  U$ 
Dtempéries  de  Pair  et  les  philas  féut 
|ue  plus  d*aaa  jouruéa  est  une  jouraée 
le  p^Des  et  de  aouffraneas.  Une  bonue 
ravailleuse  ne  ramasse  guère  d'otÎYes 
iu  delà  de  oe  qui  peut  fournir  trois  cent 
reate  kilograMmes  d*huite,  souvent 
nofns.  Sa  put  eaiculéé  au  tiers  est  dana 
e  cas  de  eent  dix,  qui  au  prix  de  60 
«mimes  le  kilogramme  lui  Talent  de 
K)  à  70  francs  pour  einq  moia  eQviron 
letraTaiL  Toutes  eependaot  attaodent 
mpatiemment  le  temps  de  la  réoelte,  Uni* 
es8*y  pressent,  les  Jeunes  filles  sunxwt: 
»utre  la  petite  somme  qu'elles  rappor* 
eroot,  Q*eBt  te  moment  d'un  peu  de  li- 
berté ,  du  travail  en  oommun  pendant  le 
our  et  dee  veillées  afeo  leurs  eaoseries 
esoir. 
Le  moulitt  à  tHdle  est  à  une  ou  deux 
)ierre8,  suivant  l'iroportanee  des  réeol  tes 
lu  lieu  oà  II  est  établi.  Les  olives  sont 
écrasées  par  une  aoeule  ttès^esante,  qui 
oume  vertîealement ,  mue  par  un  obé- 
rai ou  par  un  mulet.  Lorsqu'elles  sont 
broyées  et  réduites  en  pâte,  cette  pflt» 
st  mise  dans  des  sacs  en  crin  et  plaoée 
ious  une  forte  presse  k  vis.  Au-dessous 
ia  plateau  de  cette  presse  est  une  jarre 
n  terre,  Skéeà  demeure  dans  le  sol  al 
rfaeée  pour  recevoir  l'bniie  qui  aPdoouie. 
^  temps  en  temps  cette  jarre  est  iddée, 
^huile  est  versée  dans  des  outres  dites 
i*une  Mua  de  cbèvre  retournée  le  peil 
n  deelans ,  et  tranaporiée  soit  dans  lei 
nagasins  de  la  pvopnété,  soit  immédiaio- 
nent  à  la  ville  voisine.  Le  mare  qm*  reste, 
it  qui  contient  beaucoup  d'buUe  encore, 
ist  abandonné  nendant  une  vingtaine  de 
ours  dans  un  lieu  où  on  Tentasse  en  la 
tressant  avec  forée,  et  ci  il  i^échauflé 
^romptement.  Alors  on  le  soumet  du 
louveau  à  Taction  de  lu  meule  etàceHe 
le  la  presse  ensuite.  Hn'vapaadeuiev* 
in  à  recense.  Le  produit  de  cette  seoande 
ntraction  est  joint  daa»  les  tines  à  celui 
1«  la  pMaière.  'Jtouu  i'Mlede  C»èle«e 


r:*j- 


âdNriq«s  éé  U  HMlme  maHre:  Ottcnm4 
^sond  combien  ces  uroeédésaont  viciettx  t 
lia  eut  pour  cfEst  ue  mêler  enaernbèalet 
deux  oatorea  dliuile  bien  distincfees  que 
Mira  eontient»  celle  de  la  pulpe  et  eeUo 
dm  noyaux.  La  dernière  coqtmunique  an 
tout  quciqim  chose  de  sou  âcrro,  et 
disnoae  l'huile  I  une  prompte  mncidtlé« 
Tout  ae  réimit  donc  pour  faire  du 
Ffamle  de  €rète  une  buile  nuuaéaiboDcla 
et  à  peu  près  immangeable:  réeolte  des 
fruits  déjà  débiviorés,  Inaaâlsance  dee 
moyens  de  conaorvation  en  attendant 
qu'ils  aoiCQt  portés  au  precsoir,  grossiè- 
rslé  des  procédés  de  fiibrioation  ;  auaai 
n'est^elie  propre  qq'à  la  fabrication  du 
aavon.  Le  paysan  cependant  s'en  sert 
comme  aliment;  il  en  fait  une  grande 
eonaommation,  et  jamais  il  ne  lui  cal 
venu  à  l'esprit  d'amettorer,  quoique  cela 
kii  ssrait  trèa*faeile«  la  pajrtio  qvil  ré» 
aerve  à  ses  usafpes  domsstiqueB.  Oopm 
quelques  années^  des  habitante  dm  vil« 
les,  mais  en  petit  nombre,  l'ont  tenté:. 
tts  font  cueiilir  les  olives  a  ia  main  sue 
l'arbre  avant  qu'ellss  aient  atteint  totttc 
leur  maturité ,  et  ils  ebcisisscnt  ceilea 
qui  sont  de  phn  belle  apparence.  L'huile 

Si'ellea  donnent  est  de  itoane  qualité , 
jà  aaaei  agréable  augo^,  quoique  eoB» 
aarvaat  encore  quelque  diosa  de  rftereté 
et  de  ramertume  qu'elle  doit  au  maie 
de  sa  fidirioation. 

Lea  fruits  d'une  variélé  d'olives  sonè 
spécialement  destinés  à  être  gardés  oob* 
fitt,  et  les  babitantsde  la  Crète,  les  Gieac 
principaleflMnt,  durant  leurs  nombetmc 
et  lon^  carêmes ,  n'ont  aauvunt  d'autro 
nourriture  que  oea  oli  vis  eoQservées  dans 
le  sel  marin.  Ëllus  eent  désagréables  a» 
|odt,  et  leurs  prapriélés  malaaiMSocea* 
sionaent  de  nombreuees  maladies.  Ce^ 
pendant  il  existe  des  procédés  airaplea 
et  fadles  de  préparer  pour  les  obves 
une  bonne  conservation,  ceux  entra  au** 
Ires  qui  portent  le  nom  de  picholène8.r 
lia  sont  inoannus  ou  du  moins  ils  ne 
sont  pas  pratiqués  en  Orèei,si  cen'cst 
dans  les  maisons  de  quelques  Européens, 
qui  n'ont  pas  d'imitateurs. 

Quelque  nombreux  que  les  clivicrt 
scient  encore  en  Crète,  cet  arbiu  ay 
ahiai  que  toutes  les  autres  productions 
de  rtlc,  souffert  de  l'état  de  guerre  et  de 
dévastation  qui  a  si  lengtemperuaié  le 
|»ya  :  l'imamme  plaine  qui  t'éiMd^mui 


LIUUVMSi 


les  mare  de  Gmdie  «n  était,  dilmii ,  0011* 
verte  autrefois;  il  n'y  en  a  plue  un  leiii 
aujourd'hui  :  tous  ont  été  détruits  pen- 
dant le  siège  de  la  ville.  D'autres  parties 
de  rtle  en  ont  été  de  même  plus  ou 
moms  dépeuplées.  La  reproduction  se- 
rait aisée.  Au  snA  de  l'Ile  on  trouve  de 
très-grandes  quantités  d'oliviers  sauva- 
ges «  qui  ||rené8  avee  de  bonnes  varié- 
tés, soumis  à  la  taille  et  à  des  labours 
réguliers,  donneraient  en  peu  d'années 
de  belles  réeoHes.  Le  pacha,  il  y  a  dix 
ans,  a  fait  l'acquisition  d'un  terrain  où 
l'on  comptait  vingt  mille  pieds  de  ces 
plants  sauvages.  Onen  ffrene  une  partie 
chaque  année,  et  le  produit  d*une  seule 
récolte  de  la  partie  actuellemoat  en  ran- 
port  l'a  couvert  de  la  totalité  du  prix  dV 
chat.  Ailleurs,  là  où  il  n'y  a  pas  d'oliviers 
sauvages,  on  pourrait,  soit  ]iar  marcottes 
ou  boutures ,  soit  par  semis ,  former  des 
pépinières  el  multiplier  les  olivettes  ;  piu» 
aieurs  l'ont  lait  et  le  font  encore  chaque 
année,  mais  en  faibles  proportions.  Il 
frut  le  redire  encore,  les  bras  manquent 
à  la  Crète,  leur  défout  arrête  tout  pro- 
nrès  sérieux  ;  et  puis  l'olivier  met  près  da 
nuit  a  douze  ans  avant  de  donner  une 
récolte  véritable.  Or,  quels  sont  les  hom- 
mes en  Crète  qui  ont  pris  assez  de  con- 
fiance pour  compter  sur  un  avenir 
ajourné  à  douze  années. 

La  production  annudle  de  l'huile  est 
de  dix  à  onze  millions  de  kil.,  ainsi  ré- 
partis :  la  province  de  Candie  en  pro* 
duit  quatre  millions  cin(|  cent  mille, 
celle  de  Rétimo  deux  millions  cinq  cent 
cinouante  mille,  et  celle  de  La  Canée  trois 
millions  cinq  cent  mille.  Le  prix  moyen 
peut  être  fixé  à  71  francs  les  cent  kil., 
c'est  donc  une  valeur  de  7  à  8  millions 
de  francs  que  Ttle  retire  annuellement 
du  produit  de  ses  oliviers. 

St  la  vigne  ne  tient  pas  après  l'olivier 
le  second  rang  dans  les  produits  de  la 
Crète,  il  ne  dépendrait  que  de  ses  habi- 
tantsdeFv  placer;  car  dans  toutes  les  par- 
ties de  nie  le  sol  est  merveilleusement 
propre  à  cette  culture.  La  vigne  réussit 
partout;  elle  donne  partout  des  fruits 
eieeilents  :  dans  certains  cantons  eUe  en 
donne  d'une  quitté  vraiment  remarqua» 
ble,  les  uns  pour  être  mangés  à  la  main, 
les  autres  pour  le  vin  que  l'on  en  tire. 
Cependant,  on  lésait,  la  vigne,  pour 
prospérer,  exige  des  soins  uMaUpUés  et 


inteUigenli.  La  &iiitaliMi  da  m,  fort 
simple  en  elle-même  quand  il  ne  s*êf^ 
que  d'obtenir  du  vin,  devfont  on  art  cmi 
les  peuplesindustrienx,  et  cet  art  la  trans- 
forme. £n  Crète  la  culture  de  la  vigne 
est  à  peu  près  abandonnée  àette-méme, 
si  on  la  compare  à  ceQe  de  beaucoup 
d'autres  pays  ;  les  procédés  de  la  fabrica- 
tion du  vin  surtout  y  sont  grossiers,  Isls 
qu'on  doit  les  attendre  d'hmpmes  à  qm 
toute  science  est  étrangère  et  qu'aucune 
émulation  ne  stimule.  Vienne  le  jour 
où  des  ouvriers  habiles  prendront  ea 
main  cette  cul  ture  ettoutes  les  opérations 

2ui  s'y  rattachent,  et  bientôt  les  vins 
e  la  Crète  acquerront  dans  le  Levant, 
plus  au  loin  peut-être,  une  gramieet  jusic 
réputation.  Dès  à  présent  on  y  complB 
une  vingtaine  de  crus  différents,  recber* 
chés  parmi  les  autres.  Us  sont  tons  très* 
spiritueux,  se  bonifient  beaucoup  ea 
vieillissant;  roaÎB  ce  que  l'on  noounek 
bouquet  leur  manque  presque  toujoun. 
On  ne  réussira  ûmais  a  en  Caire  des  vins 
légers  propres  à  l'usée  ordlnake  de  li 
table  ;  mais  des  geùë  entendus  en  etoc 
matière  sont  d'avis  qu'ils  deviendraiefit 
facilement  des  vins  de  dessert,  dont  k 
goût  se  rapprocherait  de  ceux  de  Maisala 
et  même  aes  vins  d'Espagne.  Gomme 
rfispagne,  la  Crète  produit  des  vins  sea 
et  d  autres  doux  et  liquoreux. 

Les  plants  de  vignes  sont  géoérale- 
ment  i^césà  undeml*mètre  de  *t»^MM^ 
l'un  de  l'autre;  ils  forment  des  lignes 
parallèles  d'un  mètre  de  laigenr.  Le  cep 
est  tenu  très-bas  ;  les  sarments,  abaodon- 
nésà  eux-mêmes,  rampent  sur  le  aol.  Ce- 
pendant dans  quelaues  parties  de  nie  la 
vigne  est  accolée  à  des  platanas  trèi- 
élevés,  Qu'elle  couvre  de  ses  fouUles  d 
de  ses  fruits;  la  tife  s'élance  alotsk 
long  du  tronc  de  l'anbre  à  plusde  trcme 
piedÎB  de  hauteur  et  souvent  n^a  pas 
moins  d'un  pied ,  un  pied  et  demi,  ds 
circonforenoe.  Dans  les  environs  de  Cai^ 
die  elle  est  liée  à  des  treilles  semblablef 
à  celles  d'Italie,  mais  plus  baraes.  Le 
terrain  destiné  à  être  |3anté  de  vigaei 
reçoit  plusieurs  labours  à  la  chame, 
mais  wesX  pas  défoncé.  Chaque  aanés 
ensuite,  la  vigne  reçoit  en  mars  deux 
labours  à  la  noue  très-superficieis  et 
destinés  seulement  à  détruire  les 
vaises  plantes  plutôt  ^u'à  donner 
véritable  eulluie.  Avssi  la  vîgneeag»» 


ILE  DE  CRÈTE. 


•elle  près  de  saptèhuit  années  atantd'en* 
rer  en  rapport.  Mais  quand  elte  a  atteint 
on  accroissement,  elle  dédommage  am- 
lement  le  propriétairede  Targent  qu'elle 
11  a  coûté  :  une  bonne  vigne  peut  nen- 
re  de  trois  à  quatre  hectolitres  de  ?ln 
ar  Journée;  et  on  compte  trente-six 
suraées  par  hectare.  Une  vigne  dans 
es  conditions  se  vend  jusau'l  135  fr. 
)  journée,  surtout  dans  la  nroximité 
les  villes,  où  il  se  fait  une  très-grande 
onsommatîon  de  raisin  dans  la  saison. 

La  vendange  se  fiiit  lorsque  le  raisin 
st  arrivé  à  sa  parfaite  maturité.  Les 
rappes  destinées  à  faire  du  vin  sont 
>ute8  cueillies  en  même  temps,  sans 
istlnetion  des  espèces,  quelquefois  mé- 
âes  ensemble  dans  le  même  champ  et 
ransportées  dans  les  cuves  en  maçon- 
erie  de  deux  à  trois  mètres  de  proibn* 
leur,  et  de  dnç  à  six  de  largeur.  Ces 
uves  sont  fabriquées  en  plein  air,  aux 
ieux  les  mieux  exposés  au  sbieil.  Quand 
s  raisin ,  que  Ton  abandonne  pendant 
ix  à  douze  jours  et  dans  leouel  en  ouel- 
[ues  lieux  on  mêle  du  plâtre  et  ae  la 
ésine,  a  opéré  sa  fermentation,  on  le 
ouïe  aux  pieds,  et  le  jus  s'écoule  dans 
tes  jarres  placées  à  demeure  et  enfoncées 
lans  la  terre  au-dessous  d'une  ouverture 
pratiquée  à  la  citerne.  Le  raisin  est  en* 
uite  soumis  à  une  presse  portative  tres- 
sasse, de  petite  dimension  et  fixée  par 
les  éerous  à  une  taige  pierre  dreulaire. 
Tout  le  jus  obtenu  est  versé  dans  des 
onneaux,  d'où  on  le  soutire  après  quar- 
ante jours.  Le  mare  sert  à  faire  des 
aux-de-vie  d'une  qualité  très-médiocre« 

Tous  les  raisins  de  la  Crète  ne  sont 
)a8  destinés  à  faire  du  vin.  Outre  ceux 
fui,  comme  on  Ta  dit,  sont  cueillis 
K>ur  être  apportés  frais  sur  les  marchés 
les  villes  et  être  mangâi  à  la  main , 
lans  certaines  provinces  toute  la  ré- 
oite  est  employée  à  fiiire  des  raisins 
ees  :  on  les  exporte  en  quantités  assez 
onsidérables  à  Tunis  et  a  Alexandrie; 
Is  servent  à  faire  des  sorbets,  que  l'on  a 
'usage  de  Mn  en  Turquie  pendant 
*été.  Les  grams  sont  petits,  peu  charnus 
it  trop  desséchés.  L'espèce  de  la  vigne 
l'a  pas  été  choisie  d'aïUears  en  vue  de 
*emploi  que  l'on  voulait  faire  de  soft 
ruit;  el  quoiqu'il  vienne  ici  dans  les 
rOles  des  caisses  de  raisins  sees  de 
fanjrae,  de  ceux  priocipaleiiientditssol- 


tani  de  Karabonmoo,  bien  supérieurs 
assurément  à  ceux  de  Crète,  personne 
n'a  tenté  de  faire  l'essai  du  plant  qui 
les  produit,  personne  non  plus  n'a  songé 
à  s  informer  du  mode  de  leur  piéuh 
ration,  pour  la  substituer  à  oelie,  roit 
imparfBite,  dont  on  a  Thabitude. 

La  récolte  annuelle  du  vin  est  de 
quatre-vingts  à  quatre-vingt-dix  mille 
hectolitres,  dont  quarante  mille  dans  la 
province  de  Candie ,  quinze  mille  dans 
celle  de  Rétimo,  et  trente  mille  dans 
celle  de  La  Canée.  La  fabrication  de 
l'eau-de-vie  est  de  cinq  mille  hectolitres 
environ,  deux  mille  dnq  cents  à  Candie, 
mille  trois  cents  à  Rétimo,  et  deux  railte 
cinq  cents  à  La  Canée.  Le  prix  du  vin 
est  de  19  fr.  l'hectolitre,  et  60  fr.  celui 
de  l'eau-de-vie. 

Le  mûrier.  En  Crète,  c'est  le  marier 
blanc  dont  la  feuille  sert  à  la  nourriture 
des  vers  à  soie.  Dans  un  ou  deux  cen- 
trais on  donne  la  préférence  au  mûrier 
noir,  qui  a  une  feuille  très-épaisse.  On 
a  fait  quelques  essais  du  mûrier  muiti* 
caule;  mais  sa  feuille  est  trop  délicate 
pour  résister  aux  •  vents  d'ouest,  qui 
rè|nent  une  partie  de  Tannée,  et  au 
pnntemps  surtout,  avec  violenoe.  Il  n'7 
a  pas  de  champs  plantés  en  mûriers.  On 
ne  trouve  même  que  fort  rarement  ces 
arbres  formant  bordure  sur  les  Uiières 
des  propriétés,  lis  sont  disséminés  ^  et 
là  autour  des  habitations,  où  on  les 
abandonne  à  leur  végétation,  sans  les 
soumettre  à  une  taille  régulière.  AuMi 
deviennenMls  de  fort  grands  arbres  ;  el 
comme  on  ne  se  sert  pas  de  l'échelle 
pour  cueillir  la  feuille,  et  que  Ton  ne 
prend  aucune  précaution  que  celle  de 
nnstinct  pour  se  garantir  des  chutes, 
elles  sont  très*fréquentes  et  dangereu- 
ses. Depuis  quelques  années  on  a  planté 
en  Crète  beaucoup  de  mûriers  ;  et  cette 
partie  de  réconomie  rurale  est  un  vé* 
ritable  progrès.  Cependant  la  réussite 
de  l'arbre  est  fort  chanceuse  ;  car,  outre 
la  nécessité  où  l'on  est  de  le  piéserverde 
la  dent  des  bestiaux,  il  faut  l'arroser 
souvent  pendant  l'été  de  la  premiers 
année;  et  dans  toutes  les  localités  on 
B*a  pas  toujoursde  l'eau  à  sa  dispositîiMi  : 
beaucoup  de  jeunes  plants  se  dessèchent 
ainsi  sur  pied.  On  ne  greffe  pas  le 
mûrier;  on  le  laisse  crorare  tel  qu'il  « 
été  rapporté  de  la  pépinière. 


<M) 


I/DIRVmS. 


Viwimtm  «écteote,  Mm  foc  trà»* 
peu  impoctaate  «ttcoret  ett  égiid  à  e» 
qu'elle  pourrait  être  «  mais  qui  6baq¥« 
année  prend  de  raeeioîeseinentt  tient 
une  grande  plaee  dans  les  travaui:  inté« 
rieurs  des  ménages  en  Crète.  Les  moBUce 
du  pays  astreigtiènt  tes  femnies  torquee 
à  une  rédusisB  absolue^  et  les  femmes 
greioqaes  sHes^ménH»  à  une  vie  sédentaire* 
et  rmée.  Las  unes  et  les  autres  trou* 
lent  dans  Télève  du  ver  à  seie  et  dans 
la  prépaf  ation  de  la  soie  une  oocupation 
Insrattre  et  at>pr0priée  à  leurs  habitudes; 
aussi  esi-il  pea  oe  fandiies  de  naysans, 
d*oû  il  ne  aorte  pas  chaque  année  anel- 
oaes^iieveHix  désole*  Jusqu'à  présent 
1  induatiia  sérioole  n'a  pas  eu  plus 
d'eiteoskm»  Auean  étahlissement  ne, 
s'est  formé  où  Ton  s'y  consacre  exdu* 
flifMMnt»  U  n'y  a  pas  de  magnaneries; 
ohaque  psopriétaire  a  deux  ou  trois  mû'* 
rieca  an  pins  dans  les  ehamps;  il  élève 
ohes  kâ  autant  de  veis  à  soie  que  la  re- 
faite de  ces  mdriers  peut  le  lui  permettre. 
Voici  quels  sont  les  procédés  en  usage. 
<  Dans  les  parties  basses  de  l'Ile,  et  c'est 
là  où  le  mifrier  réussit  le  miaux,  l'in- 
cubatâon  des  vers  à  scie  commence  au 
Sf  marSi  Dans  les  parties  élevées,  die 
n^a  lien  que  quinae  ou  vingt  jours  plus 
tard.  Au  jour  fixé  \m  Tusage^  et  toujours 
i&vnriiA>lemettt  suivi,  les  marnes  qu4 
doivent  s'occuper  de  l'éducation  des 
vers  à  soie  placent  et  portent  ensuite 
nuit  et  jour  la  graine  entre  leurs  seins 
jusqu'à  son  édosion  totale,  qui  n'exige 
pas  moins  de  quinae  jours.  Pendant  les 
deux  ptemiera  â^es  «  les  vers  sont  nour^ 
ris  avec  les  feuilles  les  plus  tendres^ 
entièrea  et  très-rarement  coupées  en 
uMHceaux;  au  trmsième  âge  à  peu  prèSi 
les  vers  sent  distribués  sur  des  eaneties 
de  quatre  à  cinq  pieds  carrés^  formées  de 
reeeenx  elreeeuverts  de  bouse  de  vaehe« 
Les  eanettes,  dispesées  quelquefois  en 
deux  ou  trois  étages ,  sont  placées  dans 
mepartie  derbamlationqueron  sépare 
anigneusement  du  reste  par  uneeloisoi 
de  resteux  el  de  brouaBaiUes.  Getie 
fféeautipaa  pour  cAHet  de  pnver^  autant 
que  possible,  les  vers  d'air  et  de  lumière; 
maifi  on  lapiénd  aurtoul,  afin  delessoua^ 
amire  aux  regards  des  curieux  dont  on 
ledonte  le  matuMÙ  œil.  Ce  qui  n'em* 
l^âihe  pas  que  Ton  n'attribue  à  cette 
maligne  infimaiee,  si  apprébendée  en 


Cràtf  ^  tous  les  accid»ts  et  les  nnbdia 
que  i atmosphère  viciée^  l'entasseiDe&t 
et  la  malpropreté  produisent  fréquan- 
ment  Lorsque  les  canettes  rempusseiit 
une  chambre  entière,  on  en  tient,  pov 
les  mêmes  motifs,  la  porte  et  les  ud- 
très  continueliemeptlerniées,  et  Dersonv 
autre  que  les  femmes  à  qui  reaaeatioD 
des  vers  est  coao^  ne  peut  v  entrer. 

La  nourriture  est  dismbaeeaux  vers 
deux  fois  par  jour,  sans  interroptioD  ei 
sans  avoir  égara  à  leur  chaageineBt 
d'Âge  :  il  en  résulte  que  tes  vers  qui  soot 
en  mue  sont  quelquefois  étoufSs  sm 
les  feuilles,  ou  qu'au  OMuns  ils  eo  souf- 
frent beaucoup.  £n  général  la  feuille  est 
donnée  au  moment  même  où  elle  rieot 
d'être  cueillie,  et  encore  toute  brûlaote 
du  soleil  qui  la  frappait.  Il  est  rare  que 
les  canettes  soient  nettoyées  :  on  ne  se 
décide  àeoiever  l'épaisse  litière  «{uiki 
couvre  que  quand  Tétat  maladif  da 
vers  l'a  rendue  tellentent  humide,  ipieli 
feuille  se  salit  rien  qu'à  être  posée 
dessus.  Cette  méthode  vicieuse  a  pour 
^et  d'amener  la  mort  de  près  de  la 
moitié  des  vers  à  i'éj^que  où  ils  eo- 
trent  dans  leur  cinquième  Ige,  et  «hh 
ven  en  deux  ou  trms  jours  le  pa3fui 
se  voit  privé  du  fruit  de  sespeuKS.Il 
n'en  renoncera  pas  plus  pour  cela  ras- 
née  suivante  à  ses  usa^ ,  et,  au  lictt 
d'adopter  des  procédés  dulEéreats  et  meii' 
leurs,  il  se  contentera  de  frire  proooB" 
eer  des  exorcismes  par  son  fwa.  Quel- 
quefois ,  pour  prévenir  la  maladie  àa 
vers,  on  les  arrose  de  vin,  mais  très-lrgè- 
rement.  Enfin,  quand  te  vers  coouins- 
eent  à  monter,  on  garnit  les  eaoettes 
de  bruyères  ;  et  comme  les  vers  ne  sost 
pas  tous  du  même  âge^  on  en  étoafi 
un  grand  nombre,  ou  bien  on  cisseà 
nourrir  ceia  qui  sont  plus  jeuaes,  i( 
qui  alors  ne  filent  qu'^n  cocon  trèi-BK» 

On  voit  combien  il  y  aurait  decto 
gementa  et  d'araélioralions  néeessaini 
à  introduire  dans  l'élève  des  ven  à  soit 
en  Crète. 

Quand  les  eooons  ont  bien  réasD,  * 
calcule  que  six  kilogrammes  de  ooootf) 
ï^ien  séehés  au  soleil,  dçuvent  doooerai 
^age  un  kilogramme  de  aoie.  Sitôt  q» 
tes  oQUons  soiH  récoltés,  on  les  partei 
«M  monlip  établi  à  cet  ^et  socs  a 
eorbre  aux  environs  du  vUla^e.  On  aâ 
4g|)a  laftMWstiueaasasiàndeiV^ 


ILE  Iffi  GRÈte. 


^HPV 


M  de  oôcons;  et  lé  fllear  prend  ârdc 
me  baguette  le  brin  de  vingt  a  vlngt-cin^ 
x)con8  pour  en  former  le  fil.  Leli  frais 
lu  filage  sont  del  te,  50  ^  )fr.  le  kilog. 
)n  choisit  nat'mi  les  plus  Ix^nx  les  eo- 
x)ns  destina  h  donner  la  graine,  qui  ^ 
mie  sur  les  feuilles  de  laurier-rose. 

En  général,  une  femille  de  paysans 
mi  s'occupe  de  vers  à  sole  récolte  de 
ieux  à  quatre  kHoarammes  de  soie  f;ar 
innée;  rarement  elle  va  au  delà  de  six. 
Quelques  riches  agas  turcs  dans  leurs 
xïhifniks,  où  ils  ont  les  femmes  et  les 
nfants  des  serviteurs  attachés  à  la  cul- 
are  des  champs,  arrivent  à  produire  de 
minze  à  vingt  kilogrammes,  qui  sont 
livisés  par  moitié  entre  le  propriétaire 
it  tes  femmes  qui  se  sont  occupées  de 
'éducation  des  vers.  Le  propriétaire  a 
là  fournir  la  graine,  la  nourriture  et 
e  local,  qui  généralement  est  celui  où  on 
immagasine  les  olives. 

La  récolte  de  la  soie,  qui  depuis  dix 
innées  a  augmenté  de  plus  d'un  tiers,  est 
Talaée  maintenant  h  vingt-six  mille  kilo- 
;rammes  environ.  La  province  de  Candie 
m  fournit  seize  mille,  celte  de  Rétimo 
iDq  mille,  et  celle  de  La  Canée  autant, 
.e  prix  du  kilogramme  est  de  26  fr. 

Le  caroubier  vit  dans  les  plus  mau- 
vaises terres,  au  milieu  des  rochers,  où 
oute  culture  serait  interdite.  Dans  la 
)rovince  de  Rétimo  et  dans  celle  de 
]aodie  surtout,  il  y  a  des  plaines  d'une 
t  deux  lieues  carrées  où  Ton  ne  voit 
|ue  des  caroubiers.  Ils  y  sont  venus  na- 
urellement  ;  mais  ils  y  sont  clair-semés 
[uoiqu'il  serait  très-facile  de  transfor- 
ner  ces  plaines  en  véritables  bois.  Tout 
imoar  ues  arbres ,  en  effet ,  la  graine 
rai  en  tombe  fait  pousser  des  trochées, 
iODt  il  suffirait  de  couper  les  branches  en 
aissant  la  branche  principale,  qui  de^ 
iendrait  un  arbre.  On  néglige  cette 
impie  opération  ;  sur  trente  trochées , 
ur  cinquante  peut  être ,  on  en  châtre 
me  à  peine.  Le  caroubier  pousse  trop 
entement;  on  serait  trop  longtemps  a 
ittendre  ses  fruits.  Cet  arbre  cependant 
)st  d*un  bon  produit  pour  ceux  qui  en 
)ossèdent.  Le  rendement  d*un  bon  arbre, 
innée  commune,  est  de  soixante  kilo. 
p*amroes  environ;  et  il  ne  demande 
mcun  soin,aueun  entretien  :  seulement 
a  peine  d'en  cueillir  les  fruits  quand 
Is  sont  mûrs. 


R  n^y  à  dès  caroubiers  que  âtni  demi 
provinces  :  oelledeCandie,d<nit  la  récolte 
annuelle  est  estimée  a  uti  million  Yroi^ 
cent  mille  kilogrammes,  et  celle  dé  Ré'* 
timo,  qui  en  produit  un  million  cent  mille. 
La  récoite  totale  est  doùc  de  deux  mil* 
lions  quatre  cent  mille  kilogrammes. 

Les  cent  kilogrammes  se  vendent  an 
prix  moyen  de  5  fr. 

Le  cnêne-vattotiéê ,  qui  n'existe  que 
dans  les  environs  deRéiimo,  mériterait 
ainsi  que  le  carroubier  d'être  multiplié 
dans  tous  les  lieux  où  il  peut  croître,  et 
plusieurs  parties  de  nie  paraissent  être 
d'un  terrain  approprié  à  son  essence. 
Non  plus  que  le  carroubier,  il  n'exiee  ni 
soins  de  culture  ni  avances  de  fonds;  et 
non-seulement  son  fruit,  recherché  potnf 
le  tannage  des  peaux,  est  d'un  rapport 
considérable  et  certain,  mais  rarbi*e 
par  lui-même  est,  arec  le  phtane ,  le 
plus  beau  que  Tile  produise  ;  sa  XmWt 
élevée ,  son  branchage  touffu  embellis- 
sent les  lieux  oà  il  existe.  Il  fournirait, 
soit  pour  les  savonneries ,  soit  pour  les 
usages  domestiques,  un  bois  de  chauffage 
excellent,  meilleur  encore  pour  le  char- 
ronnage  et  la  charpente ,  et  cette  res^- 
source  serait  précieuse  dans  un  pays  où 
le  bois  manque  et  où  l'on  est  obligé  de 
s'approvisionner  du  dehors.  La  vailonéê 
qn  un  chêne  en  pleine  vigueur  peut  donnet 
va  quelquefois  jusqu'à  huit  cents  et  raille 
kilogrammes;  communément  elle  est  de 
deux  cent  cinquante  à  trois  cents.  La  ré- 
colte annuelle  est  de  cinq  cent  mille  kilo* 
grammes,  tous  fournis  par  la  province 
de  Rétimo.  Les  cent  kilogrammes^sé 
vendent  24  fr. 

Les  amandiers  existent  dans  tontes 
les  parties  de  ffle  ;  mais  ils  ne  sont  eit 
abondance  que  dans  le^  cantons  du  sud- 
est,  dont  ils  constituent  un  des  princi* 
paux  produits.  La  qualité  des  trois 
espèces  qui  s'y  trouvent  est  bonne  ;  maie 
celle  à  écorce  tendre  produit  le  fruit  le 
plus  estimé. 

La  récolte  annuelle  des  a  mandes,  écoroe 
enlevée ,  est  de  soixante-dix  mille  kilo- 
grammes :  les  cent  kilogrammes  se  ven- 
dent! 30  fr. 

Le  poirier  et  le  pommier  doux  ne 
sont  à  bien  dire  cultivés  que  dans  letf 
montagnes  du  canton  de  Lassitl.  Ih  y 
sont  très-nombreux  ;  leurs  fruits ,  ^é 
Ton  estime  dans  le  pays,  n'en  softf 


eœ 


L'uiavEas. 


pas  moins  d*ime  qualité  fort  médiocre. 

La  récolte  amiuelle  des  pommes  est 
de  cent  mille  kil.,  et  celle  des  poires  de 
cinquante  mille.  Le  prix  moyen  de  Tun 
et  de  l'autre  de  ces  fruits  est  de  5  fr.  les 
cent  kilogrammes. 

Le  châtaignier  est  Tarbre  des  cantons 
de  SéliDo  et  de  Kissamos.  Grâce  à  ces 
beaux  arbres  et  aux  pâturages  que  Ton 
rencontre  dans  les  provinces  de  Touest, 
les  seules  de  111e  ou  il  y  en  ait,  la  cam-^ 
pagne  offre  à  Fœil  des  aspects  variés 
et  qui  rappellent  ceux  de  TAuvergne. 
Les  fruits  du  châtaignier  y  sontfort  wros 
et  d'une  bonne  chair.  On  en  envoie  dans 
toutes  les  lies  environnantes  et  à  Cens- 
tantinople,  mais  surtout  en  Grèce.  Le  sol 
des  cantons  de  Kissamos  et  de  Sélino 
est  arrosé  par  des  sources  nombreuses  ; 
et  l'humidité  qu'elles  entretiennent  est 
une  des  causes  qui  y  font  prospérer  le 
châtaignier.  Les  cent  kilogrammes  de 
châtaignes  se  vendent  10  fr.  :  on  évalue 
la  récolte  à  neuf  cent  soixante  mille  kil. 

Paçmi  les  arbres  des  vergers,  les  seuls 
qui  méritent  d'être  mentionnés  sont  l'o- 
ranger  et  le  cUronnier,  Us  sont  en 
Crète  d'importation  récente.  Les  pre- 
miers y  ont  paru  il  y  a,  dit-on,  seule- 
ment cinquante  à  soixante  ans.  De  cette 
époque  à  eeile  où  nous  sommes  ils  se 
sont  fort  multipliés,  et  chaque  année 
leur  nombre  tend  à  s'accroître.  Tout  y 
sollicite  la  rapide  croissance  de  cet  arbre, 
qui  commence  à  donner  des  fruits  dès 
la  cinquième  année  :  sa  gracieuse  beauté 
et  plus  encore,  pour  les  gens  que  ce 
cl^me  touche  moins  que  ne  le  font  des 
avantages  réels  et  positifs,  les  bénéfices 
dont  il  est  la  source.  Un  oranger  en  olein 
rapport  peut  produire  de  deux  mule  à 
trois  mille  oranges.  Les  variétés  de  Foran- 
gersontToranger dePortugai  et  l'oranger 
turc.  Les  fruits  en  sont  aussi  délicieux 
que  beaux.  Il  n'est  pas  rare  que  deux  ou 
trois  oranges  suffisent  à  former  le  poids 
d'un  kilogramme.  Il  y  a  des  oranges  ber- 

Samottes ,  mais  en  petite  quantité.  Les 
Ivers  citronniers  sont  le  cédrat,  le  pon- 
dre ,  le  calotin,  et  le  limonier  doux.  Ces 
arbres  sont  cultivés  surtout  aux  environs 
de  La  Canée  et  dans  auelques  villages 

Eres  de  Candie.  Ils  font  rornement  d^  ces 
eux,oùsouvent  ils  couvrent  des  terrains 
de  plusieurs  ares  d'étendue  ;  leur  culture 
est  très-soignée  ;  c'est  même  en  Crète  le 


seul  arbre  qui  eoit  léellemiBnt  enltifé. 
On  taille  les  orangers;  on  les  greffe 
pour  améliorer  les  espèces,  et  on  leur 
oonne  des  arrosages  repétés,  à  Faide  de 
rigoles  qui  conduisent  l'eau  dans  de 
larges  fossés  creusés  au  pied  des  arbres. 

Les  oranges  de  Crète  sont  exportées 
en  grande  quantité  à  Constautinople  et 
h  Athènes.  Dans  ces  deux  villes  les  mar- 
chands crient  :  Oranges  de  Crète  I  comme 
à  Paris  on  crie  :  Chasselas  de  Fontaine- 
bleaul  Les  bateaux  sur  lesquels  on  les 
envoie  commencent  à  partir  dès  le  mois 
de  décembre. 

La  production  annuelle  est  trois  mil- 
lions de  fruits.  L'oranger  n'existe  guère 
que  dans  la  province  de  La  Canée.  Le 
mille  d'oranges  se  vend  13  fr.  60  cent 

Les  autres  arbres  à  fruits  sont  le  prm* 
nier,  le  cerisier  à  bigarreaux,  le  Juju- 
6t^r  commun,  Y  abricotier,  lepécker, 
le  cognassier,  le  figuier,  le  noyer,  le 
grenadier.  Tous  les  fruits  de  ces  arbres, 
si  l'on  excepte  ceux  du  figuier,  n'ont  ni 
saveur  ni  goût.  Ce  sont  bien  plutôt  des 
fruits  sauvages  que  des  fruits  cultivés. 
On  peut  répeter  a  leur  occasion  ce  qui  a 
été  dit  à  l'occasion  des  légumes.  Les  ha- 
bitants de  la  Crète  ne  savent  pas  dis- 
tinguer un  bon  fruit  d'un  fruit  mauvais. 
Pour  ne  pas  être  accusé  d'exagératioD, 
bien  que  la  remarque  soit  fondée  ^  on 
ne  dira  pas  qu'ils  préfèrent  celui  qui  est 
mauvais  à  celui  qui  est  bon,  mais  du 
moins  dédai^ent-ils  de  prendre  le  peu 
de  peine  qu'il  leur  en  coûterait  pour  se 
procurer  celui-ci. 

D'après  l'énumération  que  Ton  vient 
de  faire  des  arbres  qui  existent  en  Crète, 
arbres  forestiers  et  arbres  fruitiers,  os 
voit  que  Itle  manque  du  bois  nécessaire 
aux  besoins  des  habitants.  On  peut  dire 
Qu'il  n'y  a  ni  bois  de  chauffage,  ni  bois 
de  charpente,  ni  bois  de  construetiao. 
Plus  des  deux  tiers  de  ces  différentes 
espèces  de  bois  qui  se  consomment  en 
Crète  viennent  en  effet  du  dehors.  Ce- 
pendant on  construit  de  petits  bâtiments 
avec  des  chênes  et  des  sapins  du  pajs. 
Ces  mêmes  bois  et  le  cyprès  serrent  a 
faire  des  poutres  et  des  solives.  Il  v  s 
également  du  chêne  et  du  sapin  que  l'oii 
emploie  comme  bois  de  chaufnû^.  Oa 
trouve  enfin  à  faire  un  peu  de  ^arbcA 
avec  de  l'yeuse»  de  l'arbousier  et  du  Uu* 
rier-rose. 


i;.Ë  DE  CRËTË. 


fm 


Dbs  ahimaux  doxbbtiqubs  blb- 
vÉs  BN  Gbbtb*  —  Aux  chevaux,  mu- 
ets, boenû  et  ânes,  qui  ont  déjà  été  nom- 
nés,  il  faut  joindre  les  moutons,  les 
;bèvres  et  les  cochons. 

Les  chevaux  de  la  Crète  étaient  en 
grande  réputation  dans  les  temps  an- 
ciens. Buffon  dit  qu'on  les  estimait  pour 
eur  vitesse  et  leur  agilité.  II  fait  la  re- 
narque  que  maintenant  on  s'en  sert  peu 
lans  le  pays  même,  à  cause  de  la  trop 
grande  aspiérité  du  terrain  qui  est  pres- 
que partout  inégal  et  fort  montueux.  En 
général  l'observation  est  vraie.  Dans  le 
)ays  on  leur  préfère  en  effet  les  mulets 
Dour  les  voyages  ;  on  ne  se  sert  que  très- 
3eu  souvent  du  cheval  lui-même.  Quand 
e  cheval  est  de  bonne  race,  on  se  hasarde 
ivec  lui  sur  les  chemins  les  plus  sca- 
)reux  et  les  plus  difficiles  :  sa  construc- 
ion  solide ,  ra[>lomb  de  ses  extrémités 
Hir  le  terrain  lui  permet  de  courir  à  tra- 
ders les  pierres  sans  danger  pour  le  ca- 
ralier  et  sans  fatigue  pour  lui;  c'est  que 
e  cheval  de  Crète  a  de  grandes  qualités  : 
I  a  de  la  frsuachise  et  de  la  liberté  dans 
«s  allures  ;  cPune  taille  un  peu  ramassée 
il  de  médiocre  hauteur,  il  a  des  muscles 
)rononcés,  et  il  porte  une  vigueur  sou- 
tenue dans  l'exercice;  la  forme  de  ses 
arrêts  est  remarquable  ;  on  peut  la  juger 
surtout  quand  le  cavalier,  ainsi  que  les 
Turcs  en  ont  l'habitude,  le  lance  et  l'ar- 
'éte  tout  court  sans  qu'il  bronche,  et  cela 
]uelquefois  sur  un  pavé  inégal  et  désuni. 

Une  allure  fort  recherchée  en  Crète,  et 
|ui  doit  être  celle  du  moins  de  tous  les 
chevaux  que  l'on  peut  appeler  chevaux 
le  luxe,  est  l'amble.  Il  est  assez  singu- 
ier  que  l'usage  de  cette  allure,  qui  force 
e  cheval  araser  la  terre  de  très- près,  et 
|ui  par  là  même  avait  toujours  oaru  exi- 
ger un  terrain  parfaitement  égal,  ait  été 


ihevaux  de  la  Crète  la  soutiennent  avec 
)ersévérance.  Seulement,  à  la  différence 
le  nos  chevaux  amhles,  qui  doivent  al- 
onger  la  jambe  de  derrière ,  ceux  de  la 
^rète  la  portent  au  point  même  où  celle 
le  devant  est  tombée  ;  non  plus)  d'ail- 
eurs  que  les  chevaux  ambles  de  nos 
>ays,  ils  ne  doivent  posséder  aucune  au- 
re  allure.  Ils  ne  vont  jamais  au  trot  ni 
iu  galop.  Les  plus  prisés  et  les  plus  es- 

Z^* Livraison,  (Ile  de  Crète.) 


timés  parmi  les  chevaux  de  cette  allure 
sont  ceux  qui  Font  de  naissance  :  ceux- 
là  demandent  beaucoup  moins  de  peines 
et  de  soins  pour  qu'oik  ta  leur  développe. 
Avec  tous  ses  avantages  de  vitesse  et  de 
douceur,  les  poulains  qui  ne  la  tiennent 
pas  de  race  et  auxquels  on  veut  la  don- 
ner sont  soumis  à  des  marches  quoti- 
diennes pendant  lesquelles  ils  portent  aux 
pieds  de  derrière  des  anneaux  de  plomb 
entourés  de  drap ,  ayant  de  plus  cnaque 
pied  de  derrière  attaché  par  une  forte 
corde  au  pied  de  devant  correspondant. 
L'écuyer  chargé  de  les  former  les  monte 
ainsi  entravés,  et,  par  tels  ou  tels  mouve- 
ments du  mors  ou  de  l'éperon  que  son 
art  lui  enseigne,  il  les  assouplit  à  l'allure 
désirée.  On  envoie  chaque  année  de 
Crète  à  Constantinople  un  certain  nom- 
bre de  chevaux  ainsi  dressés ,  et  il  y  en 
a  toujours  de  spécialement  destinés  aux 
écuries  du  grand-seigneur. 

De  temps  immémorial  il  a  régné  dans 
tous  les  p£^s  de  l'Orient  un  prejugé  bi- 
zarre, d  après  lequel  on  attache  une 
grande  importance  à  de  certains  signes 
ou  marques  qui  s'offrent  à  l'œil  sur  la 
robe  d'un  cheval.  Cette  opinion  se  re- 
trouve en  Crète  ;  et  quoiqu'elle  ne  soit  pas 
particulière  au  pays,  il  a  paru  qu'il  n'é- 
tait pas  hors  de  propos  d'en  dire  un  mot, 
et  d^autant  plus  que  les  propriétés  at- 
tribuées à  ces  signes  varient  selon  les 
lieux.  On  dira  donc,  mais  fortbrièvement» 
quels  sont  à  cet  égard  les  préjugés  des 
Cretois.  £n  Crète  on  ne  tient  guère 
compte  que  des  mauvais  signes,  de 
telle  sorte  qu'un  cheval  qui  ne  porte 
aucun  de  ceux  réptités  tels  n'est  plus 
jugé  que  d'après  ses  qualités  réelles. 

Parmi  les  signes  mauvais,  et  qui, 
quand  ils  existent,  sont  d'un  funeste 
présage,  non  pas  seulement  pour  l'ani- 
mal ,  mais  encore  pour  son  maître ,  on 
distingue  les  trois  suivants  comme  prin- 
cipaux :  La  balsane,  quand  la  marque  al- 
terne, c'est-à-dire  se  lait  voir  sur  un  pied 
et  point  sur  l'autre.  La  balsane  encore, 
même  quand  elle  porte  régulièrement 
sur  les  quatre  piedjs,  mais  n'est  pas  pure, 
et  se  trouve  cendrée  ou  tacheta  de 
points  noirs  ;  enfin  un  double  épi  sur  le 
nront,  si  surtout  ces  deux  épis  sont  placés 
verticalement  l'un  au-dessus  de  l'autre. 

On  calcule  qu'il  y  a  en  Crète  six 
mille  cinq  cents  chevaux  environ  :  quatre 

39 


«10 


L^UNIVERS. 


mine  dans  la  proTincê  de  Candie,  cinq 
oeitts  dans  celle  de  Kétimo  et  deux  mille 
dans  celle  de  La  Canée.  Llle  se  remonte 
de  cheTaax  en  en  faisant  venir  de  FA- 
natolie  an  nombre  de  six  à  huit  cents  par 
année.  Le  prix  moyen  d*un  cheval  est 
de  125  fr.;  les  bons  chevaux  sont  de  8  à 
400  fr.;  mais  ceux  qui  vont  Tamble  mon 
tent  jusqu'à  1,000  fr.,  et  en  général  on 
peut  dire  qu'un  cheval  dressé  a  l'amble, 
toutes  autres  qualités  étant  égales  d'ail- 
leurs, se  vend  un  tiers  de  plus  au-dessus 
de  ce  ou'il  se  vendrait  s  il  n'avait  pas 
cette  aUure. 

Les  mulets  de  Crète  sont  en  général 
de  très-beaux  et  de  très-bons  animaux; 
leur  pas  est  doux,  aisé  et  rapide  :  beau- 
cpup  sont  comparables  aux  mulets  d'Es- 
pagne et  de  nie  de  Malte  ;  leur  corsage 
est  gros  et  rond ,  la  croupe  est  pendante 
vers  la  queue,  mais  pleine  et  large ,  les 
jambes  sont  menues  et  sèches,  la  poi- 
trine ample,  le  col  long  et  voûté,  la  tête 
sèche  et  petite.  Les  plus  beaux  mulets 
du  pays  sont  le  produit  de  l'âne  et  de 
la  jument.  Souvent  la  jument  de  bonne 
race  amblée  donne  un  mulet  qui^a  na- 
turellement cette  allure  ;  on  la  tait  pren- 
dre comme  aux  chevaux,  et  par  les  mê- 
mes moyens,  aux  mulets  qui  ne  l'ont  pas. 
Les  principaux  parmi  les  Turcs,  qui  ja- 
mais ne  font  de  route  un  peu  longue 
qu'à  dos  de  mulet,  ont  tous  un  mulet 
qui  va  l'amble. 

Les  mulets  servent  à  la  selle  et  aux 
transports  des  denrées.  Cet  animal  est 
d^autant  plus  précieux  dans  ce  pays,  que 
les  chemins  seraient  inabordables  dans 
certains  lieux  à  toute  autre  monture 
chargée  :  si  l'on  était  privé  de  son  aide, 
les  transports  deviendraient  souvent  im- 
possibles. 

Le  nombre  des  mulets  en  Crète  est 
de  douze  mille  environ  :  cinq  mille  cinq 
cents  dans  la  province  de  Candie,  mille 
huit  cents  dans  celle  de  Rétimo  et  cinq 
mille  dans  celle  de  La  Canée.  Le  prix 
moyen  d'un  mulet  ordinaire  est  de 
180  fr.;  quelques-uns  des  meilleurs  se 
vendent  1,000  et  1,200  fr.  U  faut  d'ail- 
leurs appliauer  au  prix  des  mulets  qui 
vont  Tamble  l'observation  que  l'on  a 
faite  sur  le  prix  des  chevaux. 

On  en  tire  de  l'Anatolie  environ  3  à 
400  chaque  année. 

Les  ânes  sont  abondants;  on   en 


compte  près  de  quarante  mifle  dans 
rtle;  leur  prix  moyen  est  75  fir.  Ilssost 
de  médiocre  stature,  et  servent,  eomme 
on  Ta  dit,  au  transport  de  provisions 
et  fardeaux  peu  pesants. 

La  race  des  moutons  de  Grète  est 
commune,  petite,  à  lame  grosnère.  Ils 
trouvent  leur  vie  dans  des  terrains  pies- 

2 ne  nus  et  pierreux,  où  croissent  ooe 
erbe  peu  élevée  et  de  courts  athnsseaux 
dont  ils  broutent  les  feuilles.  Le  nombre 
des  troupeaux  et  la  quantité  de  bêles  qui 
les  composent  sont  nécessairement  res- 
treints,  dans  chaque  localité,  par  suite 
du  peu  de  nourriture  qu'ils  peuvent  y 
prendre,  et  à  cause  de  la  rareté  des  her- 
bes ,  qu'ils  ne  trouvent  à  manger  que 
brin  à  brin  ;  mais  détendue  du  sol  qui 
leur  est  fivré  supplée  à  rabôndance  qui 
leur  manque  partout.  Cependant  dorant  ' 
Tété,  alors  que  la  chaleur  a  desaéebé  la  i 
terre,  ces  animaux  pâtissent  :  on  les 
mène  dans  cette  saison  sur  les  ^rlies 
montagneuses  du  pays,  qui  étant  incul- 
tes se  couvrent  de  petits  arbustes  qui 
fournissent  à  l'animal  un  peu  de  nour- 
riture, mais  très-insufBsante.  Aussi  le  \ 
lait  manque-t-il  absolument  en  Crète  | 
pendant  près  de  huit  mois  de  Tannée. 
Aux  premières  pluies  de  novembre ,  la 
terre  reverdit ,  les  troupeaux  descendent 
dans  les  plaines  ;  et  ils  prennent  promp- 
tement  une  chair  grasse  et  abondante. 
Le  lait  des  brebis  est  excellent,  et 
elles  en  donnent  en  grande  qoantitd 
La  beauté  du  climat  de  la  Crète  où . 
comme  on  l'a  dit,  rarement  le  firotd  se 
fait  sentir,  permet  de  laisser  les  trou- 
peaux dehors  nuit  et  jour.  Quand  les 
pluies  reviennent  assez  fortes  pour  les 
mcommoder,  on  les  conduit  vers  les  ro- 
chers; et  ils  s'abritent  dans  les  grottes, 
qui  y  sont  en  grand  nombre.  En  aucune 
saison  on  ne  les  garde  à  l'étable;  en  au- 
cune saison  ils  n^ont  d'autre  nourriture 
que  celle  qu'ils  trouvent  à  pattre. 

Quand  le  moment  vient  de  iaire  cou- 
vrir  les  brebis ,  on  a  l'usage  de  diviser 
le  troupeau,  afin  de  donner  aux  mères 
un  espace  plus  étendu  proportionnelle- 
ment à  leur  nombre.  Aussitôt  que  les 
agneaux  sont  sevrés  et  commencent  a 
pouvoir  vivre  de  l'herbe  seule  qu*ils 
paissent,  on  en  forme,  pendant  un  mots 
ou  deux,  un  troisième  troupeau,  isolé  des 
mères  :  au  bout  de  ce  temps  une  partie 


ILE  DE  CaiETE. 


m 


éwa^ÉMwtettfHidai;  et  k  teste  gentre 
drasle  troopeau  eomimiii. 

La  viande  consommée  en  Crète  étani 
prineipalenieBt  de  la  viande  de  moutont 
les  troupeaux  sont  élevés  en  vue  de  la 
eonsommation  journalière  du  pays;  leur 
ehair  est  fade  et  sans  goût,  ainsi  que  eela 
est  du  reste  dans  tous  les  pavs  ebauds^ 
La  laine  sert  è  fabriquer  des  draps  gros* 
siers,  qui  se  font  dans  chaque  mm%%  et 
dont  les  paysans  se  vêtissent  presque  es* 
clusivement  ;  on  en  emploie  une  partie 
à  faire  des  sacs  pour  les  usages  domes- 
tiques et  surtout  pour  y  renfermer  le 
savon  exporté  au  dânirs. 

Quant  au  lait,  on  en  fait  des  fromages 
assez  estimés  en  Turquie.  Ceux  de  Spna- 
kia  passent  pour  lêa  meilleurs.  Près  des 
villes,  on  vend  le  lait  en  nature,  ou  bien 
encore  on  en  fait  une  sorte  de  caillé, 
voughourt^Ajm  est  fort  roehercbé,  sdl 
a  raison  des  qualitèi  grasses  qu*il  ren- 
ferme ,  soit  à  cause  des  procédés  em* 
ployés  pour  le  faire ,  procédés  partieu- 
fiers  à  la  Crète.  La  eonsommation  de  ce 
laitage  ainsi  préparé  est  considérable 
dans  le  pays,  eton  enfait  des  expéditions 
jusqu'à  Constantinople. 

L*élève  des  troopeaux'de  brebis  est  fort 
productive  :  un  troupeau  de  cent  têtes, 
étant  calcnlé  coûter  650  fr.,  rapporte 
en  lait,  fromage,  laine  et  agneaux  de 
450  à  500  fr.  environ  par  année.  Ce  pro- 
duit se  partage  par  moitié  entre  le  pro* 
priétaire  et  le  berger;  et  Ton  voit  ainsi 
qu'en  moins  de  trois  années  le  proprié* 
«lire  est  rentré  dans  la  somme  débour-* 
sée  pour  le  prix  d'achat. 

Il  y  a  en  Crète  près  de  six  cents  cin- 
quante mille  têtes  de  brebis  ainsi  répar- 
ties :  trois  cent  soixante  mille  dans  la 
province  de  Candie,  dans  celle  de  Rétimo 
Quatre-vingt-dix  mille  et  deux  cent  mille 
dans  celle  de  La  Canée.  Le  prix  moyen 
d'une  brebis  est  de  6  fr.  50  cent. 

La  laine  recueillie  est  de  sept  cent  mille 
kil.  ;  elle  se  vend  60  fr.  les  cent  kil. 

Le  nombre  des  moutons  élevés  dans 
l'Ile  ne  suffit  pas  aux  besoins  des  habi- 
tants V  il  s'en  importe  du  dehors  chaque 
année  environ  douze  à  quinze  mille,  qui 
viennent  de  l'Anatolie  et  de  la  Barbarie. 

Les  chèvres  sont  mêlées  quelquefois 
aux  troupeaux  de  brebis.  Le  plus  sou- 
vent elles  forment  des  troupeaux  isolés  : 
il  n'y  a  rien  de  particulier  à  en  dire  ;  si 


partent  cet  aniniri  est  dwtracteiir,  on 

comprend  qu'il  doU  l'être  beaucoup  plus 
dans  un  pays  où  il  n'existe  aucune  me- 
sore  d'ordre  pour  la  garde  des  proprié* 
tés*  Aussi  les  dégAts  causés  nar  les  chè* 
vres  ont-ils  contribué  pour  oeaucoup  à 
la  destruction  des  arbres  de  toutes  sortes. 
Leur  poil  s'emploie  à  faire  des  sacs  et  la 
plus  grande  partie  des  cordes  dont  les 
paysans  ont  besoin.  Le  prix  ordinaire 
d'une  chèvre  est  de  5  fr* 

Leur  nombre  est  de  deux  cent  uua* 
rante  mille  :  cent  soixante  mille  dans  là 
province  de  Candie,  soixante-dix  mille 
dans  celle  de  Rélimo  et  dix  mille  dans 
celle  de  La  Canée. 

La  quantité  de  fromage  produite  par 
le  lait  réuni  des  chèvres  et  des  brebis  est 
annuellement  de  deux  millions  cinq  cent 
mille  kil.  ;  il  se  vend  70  fr.  les  cent  kil. 

Les  peaux  de  ces  animaux  se  cor- 
roient dans  le  pays.  D'une  partie' de 
celle  des  chèvres,  on  fait  des  outres  pou» 
le  transport  de  Thuile  et  du  vin  ;  enfin* 
on  exporte  au  dehors  pour  Trieste  et 
Smyme  de  vingt -cinq  à  trente  mille 
peaux  sèches  d'agneaux  et  de  chevreaux 
an  prix  de  40  à  50  fr.  la  pièce. 

Les  caehoni  s'élèvent  dans  de  cer- 
tains villages  où  d'ordinaire  il  n'y  a  que 
des  Grecs  pour  habitants.  Ils  ne  sont  pas 
réunis  en  troupeaux.  Dans  les  maisons 
qui  en  possèdent,  on  ne  leur  donne  au- 
cun soin  particulier  ;  ils  vaguent  çà  et 
là  autour  des  habitations  et  dans  la  cam- 

Sagne,  se  nourrissant  de  toutes  les  or* 
ures  qu'ils  renconUrent.  Comme  ils  ne 
reçoivent  aucun  aliment  approprié  et 
fait  pour  bonifier  leur  chair,  elle  est  gé- 
néralement flasque,  d'un  goût  insipide 
et  dépourvu  de  graisse  :  elle  ne  ressem- 
ble en  rien  à  la  cnair  des  cochons  de  nos 
contrées  ;  il  est  fort  commun  de  la  trou- 
ver affectée  de  ladrerie,  ce  qui  n'em- 
pêche pas  les  habitants  d'en  faire  usa^e. 

Le  nombre  des  cochons  élevés  en  Crète 
est  estimé  être  de  (]uarante  à  quarante- 
cinq  mille  :  dix-huit  mille  dans  celle  de 
Candie,  dix-mille  dans  celle  de  Rétimo, 
et  douze  mille  dans  celle  de  La  Canée. 

Le  prix  moyen  d'un  cochon  est  de 
15  fr. 

Les  peaux  de  quelques-uns  de  ces  ani- 
maux, mais  en  petit  nombre,  sont  em- 
ployées à  faire  des  chaussures. 

Pour  compléter  la  nomenclature  des 

89. 


^ii 


LUNITERS. 


animaiix  élerés  pat  lês  Cretois,  il  faot 
mentionner  les  abeilles. 

Les  abeiUa  sont  ordinairement  pia* 
eées  dans  les  enclos  qui  font  partie  de 
la  ferme  ou  dans  les  ctiamps  voisins 
les  mieux  abrités  contre  les  vents  ;  elles 
•ont  pour  ruches  des  paniers  renversés 
ou  des  vases  en  terre  cuite,  semblables 
à  de  grands  pots  à  fleurs,  qui  ont  à  leur 
base  un  petit  trou  pour  le  passage  des 
abeilles ,  et  dont  Touverture  supérieure 
est  formée  par  une  planche  sur  laquelle 
ils  reposent. 

Le  miel  de  Crète  était  estimé  dès  les 
temps  les  plus  andenSf  et  ses  ^alités 
actuelles  sont  encore  aujourd'hui  celles 

3ttl  lui  ont  valu  sa  grande  réputation 
^autrefois.  lia  nourriture  des  abeilles  se 
composant  exclusivement  du  suc  des 
heroes  et  plantes  aromatiques,  si  abon- 
damment ré[>andues  dans  le  pays,  leur 
miel  en  acquiert  un  goût  très-parfumé, 
peut-être  un  peu  trop  prononcé.  Quel- 
ques parties  de  111e,  parmi  les  monta- 
gneuses prindpalement,  sont  citées  pour 
la  supériorité  de  celui  qu'elles  produi- 
SHit;  on  en  fait  des  envois  assez  con- 
sidérables à  Constantinople* 

La  récolte  du  miel  dans  llle,  par  an- 
née, est  évaluée  à  cent  cinquante  mille 
kil.  :  soixante  dix-mille  dans  la  province 
de  Candie,  <iuarante  mille  dans  celle  de 
Rétimo  et  vingt-huit  mille  dans  celle  de 
La  Canée;  les  cent  kil.  se  vendent  70  fr. 

La  production  de  la  cire  est  communé- 
ment du  dixième  du  poids  du  miel  ;  elle 
est  donc  de  quatorze  mille  kil.  environ  par 
année;  elle  se  vend  360  fr.  les  cent  kil. 


Il  y  a  pea  de  ciMss  à  iUre  des  lô* 
lailles  de  la  Crète,  et  les  tettsejgnemeati 
recueillis  sur  cet  objet  ne  permetbiient 
lias  que  Ton  en  pariât  avec  quelque  m» 
titude.  A  bien  dire  d'ailleurs,  il  n'y  a 
pas  d'antres  volailles  que  des  ponàet  et 
des  dindes;  ces  dernières  assez  nom- 
breuses  et  d'une  chair  excellente,  quoi- 
que l'on  ne  prenne  aucun  soin  psitica- 
lier  pour  les  élever  et  pour  les  eaprais- 
ser.  Les  canards  et  les  oies  n'existeot 
pas,  si  ce  n'est  peut-être  quelques  indi* 
vidus  de  ces  espèces  que  l'on  trouve 
isolés  çà  et  là  ;  le  climat  et  la  tene  de 
Crète  sont  trop  secs  pour  convenir  à  ces 
animaux. 

Mais  un  mollusifue  que  l'on  doit  citer 
comme  étant  l'objet  Me  quelques  soins 
et  la  source  de  qudques  proûts  pour 
les  villageois  de  la  province  de  Candie, 
est  le  limaçon.  On  en  ramasse  des  quan- 
tités assez  considérables,  et  chaque  an- 
née on  en  charge  plusieurs  barques  que 
l'on  envoie  dans  Jes  lies  de  l'Archipel, 
où  les  Grecs  en  font  une  grande  consom- 
mation pendant  leurs  carêmes  :  on  les 
entasse  dans  de  vastes  paniers,  fabriqués 
exprès  pour  ces  expéditions.  Quand  oo 
doit  les  manger,  il  est  d'usage  de  les  en- 
graisser en  les  nourrissant,  pendant  une 
ou  deux  semaines,  de  son  et  de  fvine. 
Ils  se  dégorgent  alors,  et  acquièrent, 
dit-on,  un  goût  assez  agréable  et  qui  est 
fort  prisé  dans  le  pays.  U  y  en  a  de 
trois  espèces,  distinguées  par  la  diffé- 
rence de  leur  grosseur;  la  moyenne  est 
la  plus  abondante  et  la  petite  est  la 
plus  estimée. 


ILES  IONIENNES  '\ 


I. 


GBOGBAPHIB  DBS  ILB8  lONlBNNBS. 

Lorsque,  venant  de  l'orientou  de  rooci- 
dent  et  se  dirigeaut  au  nord  vers  le  ca- 
nal d'Otranto,  on  quitte  la  Méditer- 
ranée  pour  s'engager  dans  T Adriatiaue, 
on  aperçoit  à  sa  droite  la  côte  d'Italie  9 
à  sa  gauche  des  niasses  confuses  qu'on 
prendrait  à  distance  pour  les  rochers  du 
continent  de  la  Grèce  et  4®  TÉpire,  et 
qui  n'est  autre  chose  que  le  groupe, 
s^aliongeant  irrégulièrement  du  midi 
au  nord,  des  Iles  Ioniennes*  Il  semble 
que  ces  tles,  séparées  du  continent  par 
une  faible  distance,  aient  été  laissées  là 

Ïtar  les  déluges  antiques,  impuissants  à 
es  submerger. 

CoBFOu . — La  première  de  ces  îles,  au 
nord  ,  et  la  plus  importante  par  son 
étendue  et  sa  population  est  celle  de 
Corfou ,  la  Corqrre  des  anciens.  Cette 
lie  est  d'une  configuration  à  peu  près 
triangulaire  etsa  circonférence  est  d'envi- 
ron soiiante  lieues  ;  du  nord  au  sud ,  sa 
longueur  peut  être  de  vingt  lieues  ;  et  de 
l'est  à  l'ouest,  sa  plus  grande  largeur, 
de  dix  lieues.  Elle  tait  face,  du  côté  de 
l'est»  à  la  province  turque  appelée  Delvino» 

(t)  Je  ne  puis  donuer  à  Thistoire  de  tles 
Ioniennes  tous  les  développements  qu^elle 
comporte.  L'étendue  déjà  considérable  de  ce 
volume  m'obligea  abréger  ce  dernier  chapitre. 
Je  renvoie  pour  plus  de  détails  aux  principaux 
ouvrages  qui  traitent  de  l'histoire  de  ces  iles: 
Andréa  Marmora ,  Historia  di  Cor/d,  Yen., 
1673  y  in-4*;  Grasset  Saint  Sauveur,  Voyage 
historique,  etc,  dans  les  if  es  et  possessions  ci-de- 
vant 'véHit'iennes  du  Levant,  Paris,  an  vif,  3  vol. 
in- 8^;  Mustoxidi,  lUmtrazioni  Corciresif  Mi- 
lano,  18x1-1814,  a  vol.  in  8°;  Christ.  MuHer, 
yoyage  en  Grèce  et  dans  Us  Iles  Ioniennes, 
trad.  de  Léon  Astouin,  Paris,  iSaa,  in-S^; 
de  Bosset, Par^a  and  The  loman  Islande, 
London,  i8aa,  in-S*';  Bory  de  Saint- Vincent, 
Histoire  et  Description  des  Iles  Ioniennes, 
Paris,  i8a3,  ia-8o;  Keudrick,  T/te  lonian 
islands,  z82a,  in-8«,  avec  carte,  etc.,  etc. 


r'  est  comprise  dans  le  gouvernement 
l'Albanie  ;  elle  regarde  à  l'otust  la 
Terre  d'Otrante,  dont  elle  est  séparée 
par  le  canal  de  ce  nom.  On  trouve  ai»- 
tour  de  Corfou  plusieurs  îlots  qui  en  dé- 
pendent, et  qui  n'ont  aucune  impor- 
tance* 

La  capitale  de  l'tle  porte  le  même 
nom,  et  s'élève  en  ampnithéfltre  sur  la 
côte  orientale,  vis-à-vis  l'Albanie.  Elle 
a  ane  population  d'environ  quinze  mille 
habitants,  et  l'tle  tout  entière  en  compte 
h  peu  près  soixante-dix  mille.  A  l'excep- 
tion de  la  ville  de  Corfou,  on  ne  trouve 
dans  l'île  que  des  villages. 

Le  climat,  comme  celui  de  toutes  les 
Iles  Ioniennes ,  est  doux ,  mais  variable, 
et  quelquefois  malsain,  à  cause  des 
vents  violents  de  l'est  et  du  nord.  Plu- 
sieurs cours  d'eau ,  dont  le  plus  consi- 
dérable est  le  Mensogni ,  sillonnent  l'Ile 
en  divers  sens. 

On  trouve  dans  l'île  du  marbre  d'une 
qualité  inférieure,  du  soufre  et  d'assez 
mauvais  charbon  de  terre.  Il  y  a  aussi 
quelques  salines  d'un  produit  médiocre. 
Le  vin,  le  blé  etTolive  sont  les  princi- 

Kux  produits  de  la  culture,  ainsi  que 
range  et  le  citron. 

Paxo.  —  En  s'éloignant  de  Corfou ,  et 
eu  continuant  au  sud,  on  rencontre  Paxo, 
qui  est  plutôt  une  îlot,  bien  qu'elle 
compte  parmi  les  Ioniennes;  elle  s'é- 
tend en  longueur  du  nord-est  ou  sud- 
ouest,  et  peut  avoir  six  lieues  de  tour. 
Sous  les  rapports  du  climat  et  des  pro- 
duits, Paxo  n'offre  rien  d'intéressant. 
Les  habitations  sont  disséjninées  dans 
rsie,  à  l'exception  d'un  groupe  de  mai- 
sons placé  en  face  du  port«  que  l'on 
nomme  Porto-Gai.  La  population  est 
estimée  à  dix  mille  âmes. 

SàiiiTE-MAUBB.  —  En  suivant  tou- 
jours, dans  la  direction  du  midi,  les  côtes 
d'Albanie,  on  arrive  à  Sainte-Maure,  île  à 
peu  près  ronde ,  et  d'une  circonférence 
de  près  de  vhigt  lieues.  Saint-Maure  est  à 
l'entréedu  golre  d' Arta,quisépare1'Alba- 
nie  de  la  Grèce.  La  capitale  oe  l'île  s'ap* 


ttl4 


li'UMlVfiRJk 


pelle  Aroaxiehi,  petite  ville  dont  le  nom 
est  aujourd'hui  presque  abandonné  pour 
oelui  de  Sainte-Maure;  elle  a  une  for- 
teresse qui  domine  la  ville.  En  faeé  de 
cette  ville  s'étend  une  vaste  plaine,  d'une 

grande  fertilité,  produisant  des  grains 
e  toute  espèce,  de  fhuile,  du  vin,  du 
linotooufene  de  magnifiques  orangers  et 
dttfODiiien.  Les  habitants  font  le  com* 
meice  du  sel;  la  population  de  l'tle  est 
il'envîMn  vii^  mille  âmes. 

-  Osite  tie  est  la  Leuoade  des  anciene. 

-  Thiaki.  —  Vient  ensuiteXhiaki,  ao- 
trefoisIthaque,patried*Ulvs8e.  Sa  figure 
est  un  earre  long  échancré  et  sa  ciroon- 
férenced'environ  dix  lieues.  Cette  lie  est 
environnée  d'éeneils  et  de  rochers  dan- 
gersuxpoar  la  navigation.  Elle  a  un  port, 

r*  est  d'un  exeelient  mouillage.  En  fàot 
port  s'élève,  aux  flancs  de  la  mon- 
tagne, le  village  le  plus  important  de 
nie,  village  dont  les  maisons,  enamphi- 
théâtrs,  viennent  jusqu'au  rivage.  L*tle 
produit  du  blé  et  autres  grains  et  de 
beaux  raisins  de  Gorinthe.  Elle  est  su* 
jette,  comme  presque  toutes  les  Ionien* 
nés,  aux  tremblements  de  terre.  La 
population  est  d'environ  dix  mille  ha- 
bitants, répandus  dans  six  ou  sept  ag- 
Sfloméretions,  dont  la  plus  importante, 
située  en  faoe  du  port,  se  nomme  Vathi. 

G^PHALONiB.  —  C'est  après  Corfou 
la  plus  considérable  des  Iles  Ioniennes. 
Elle  est  située  à  l'embouchure  du  golfe 
ée  Patres,  en  ftce  de  la  célèbre  place  de 
Missolonghî.  Elle  a  soixante  lieues  de 
circuit  et  une  configuration  à  peu  près 
ronde.  Son  port  est  vaste,  et  une  escadre 
entière  j  serait  en  sllreté;  il  s'appelle 
le  oort  de  Saint^Théodore.  La  capitale 
de  llle  est  Argostoli;  il  y  a  encore  deux 
autres  petitee  villes,  Lixuri,  et  Axo,  où  se 
trouve  une  fbrteresse.  On  compte  dans 
cette  tIe,  outre  ces  trois  petites  villes, 
cent  trente  villages  ou  hameaux;  et  la 
populatîKm  tout  entière  dépasse  celle  de 
uorfou»  et  atteint  quatre-vingt  mille 
ftmee. 

L'tle  de  Céphalonie- est  en  grande 
partie  couverte  de  rochers  arides  ;  ce- 
I>endant  il  reste  beaucoup  de  terrains  cul- 
tivables, d'une  extrême  fertilité.  Les 
principaux  produits  sont  les  raisins  secs 
deConnthe,dont  on  récolte  pour  la  valeur 
de  sept  à  huit  millions  de  livres,  et  les 
iuiiles  d'olive,  donton  fiit  commerce.  Le 


coton  j  esll  aussi  eultivé  avecsueoès,  ainsi 
que  la  soie,  gui  est  estimée. 

Géphalonie  est  sujette  aux  tremble- 
ments de  terre;  dans  1  espace  de  seize  ans, 
de  1786  à  1752,  il  y  en  eut  trois,  qui  y 
firent  des  ravages  considérables. 

Zantb.  — L'Ile  de  Zante,  l'ancienne 
Zacynthe ,  située  au  sud  de  Céphalonie, 
n'en  est  séparée  que  par  un  canal  de 
quatre  lieues  ;  elle  eût  ùce,  vers  Toneot, 
à  la  Morée,  à  l'ancienne  partie  du  Pél(H 

Sonnèse  qu'on  appelait  Élide.  Elle  est  de 
gure  semi-circulaire  et  d'une  cireonfé- 
rence  de  vingt  lieues  à  peu  près  ;  elle 
s'étend  de  ouatre  à  cinq  lieues  en  lar* 
geur,  et  de  six  à  sept  Heues  en  longueur. 
La  capitale  de  Itle  porte  le  même  nom; 
e*est  une  ville  située  sur  la  cdte  orien* 
talc  de  rile  ;  elle  est  d'un  bel  aspeet, 
mieux  bâtie  que  les  autres  villes  ionien- 
nes et  défendue  |>ar  une  forteresse. 
Elle  a  une  population  d'environ  quinze 
mille  âmes,  et  itle  tout  entière  renfermeà 
peu  près  einquanteHâiiq  mille  habitants. 
On  compte  dans  Ptle  une  cinquantaine 
de  villages. 

Zante,  comme  ses  voisines ,  a  essuvé 
de  terribles  tremblements  de  terre.  Efle 
a  des  sources  de  goudron ,  des  eaux  mi- 
nérales ,  des  salines ,  des  plantes  médi- 
cinales. Les  autres  produite  sont  :  le 
vin ,  le  grain,  Tbuile  d'olive ,  le  raisin 
deCoriDthe,dont  onfait  commerce.  Le 
terrain  est  très-fertile. 

Le  climat  est  variable ,  mais  tempéré; 
H  ressemble  beaucoup  au  climat  de 
Corfou.  Zante  est  surnommée  ia  fleur 
du  levant, 

CÉRieo.  —  La  septième  des  Iles 
Ioniennes  que  l'on  rencontre  en  se  di- 
rigeant au  sud-est,  après  avoir  doublé 
le  cap  Matapan ,  à  la  pointe  de  la  Mo- 
rée, est  nie  de  Cérigo,  l'ancienne  Cy- 
thère,  oii  Ton  plaçait  le  séjour  de  Vénus. 
Elle  a  vingt  lieues  de  circonférence. 

A  part  la  récolte  du  blé  et  autres 
grains ,  Ttle ,  qui  est  rocheuse,  ne  four- 
nit prévue  aucune  production  ;  les  ha- 
bitants en  sont  fort  pauvres.  Elle  est 
sujette  à  des  coups  de  vent  très^violcntt, 
qui  causent  toujours  de  grands  dom- 
mages. Cependant  le  climat  en  est  très- 
tempéré.  La  ville  de  Cérigo,  appelée 
aussi  Modara ,  située  à  l'ouest ,  sur  une 
colline ,  h  environ  une  demi-lieue  du 
rivage  de  la  mer ,  est  peu  considérable; 


ILES  lONIfiHNES. 


614 


elle  est  défendoe  par  un  fort.  La  po» 
pidatMA  de  la  ville  et  des  trente  villages 
ou  hameavi  réfuindue  dans  Tlle  est  éva- 
luée à  dix  mille  âmes. 

Telles  sont  les  sept  lies  appelées  au' 
jourd^hui  loniemies ,  auxquelles  il  faut 
joindre  un  grand  nombre  allots,  moins 
importants  «  dont  les  principaux  sont  : 
Merlera ,  Fano,  Samotnraki,  Antipaxo, 
Meganisi,  Gérigotto,  etc.,  qu'il  suffira 
d^énumérer  en  passant.  Ajoutons  aussi 
quelques  détails  sur  les  Strophades  on 
Strivali ,  que  nous  avons  déjà  mention- 
nées  plus  haut,  et  qui  font  également 
partie  de  la  république  ionienne,  placée 
aujourd'hui  sous  le  proteetorat  de  TAn* 
gleterre.  Les  Stropnades  sont  placées 
par  Strabon  (1)  à  quatre  eents  stades  du 
continent,  à  l'ouest.  Ce  sont  deux  petites 
îles,  qui  n'ont  de  célébrité  que  par  une 
légende  des  temps  héroïques.  Elles'étaient 
le  séjour  des  Harpyes.  Ces  monstres , 

Sue  fa  fable  représente  avec  un  visage 
e  femme,  un  corps  de  vautour  et  des 
ongles  crochus,  étaient  nés  de  Thaumas 
et  d'Éleetre.  Elles  étaient  au  nombre  de 
trois  :  Aello,  Ocypète  et  Celéno.  Au 
temps  de  l'expédition  des  Argonautes , 
elles  tourmentaient  Phinée,  roi  de 
Thraee,  en  venant,  au  moment  de  ses 
repas  enlever  les  viandes  à  peine  ser* 
vies,  et  souiller  tous  les  mets,  d'une 
odeur  infecte.  Calais  et  Zétbès,  fils  de 
Borée,  les  forcèrent  à  fuir,  et  leur  donnè- 
rent la  chasse  jusqu'à  ces  deux  petites 
Iles ,  où  ils  les  abandonnèrent  pour  re- 
joindre leurs  compagnoDS.  De  là  le 
nom  de  Strophades  ou  lies  du  Retour, 
qui  leur  fut  donné  (3).  Virgile  suppose 
qu'Énée  et  ses  compagnons  furent  as- 
saillis par  ces  monstres,  en  relâchant 
aux  Strophades,  après  la  prise  de  Troie, 
et  que  Céléno  lui  fit  de  terribles  prédio- 
tions(8).  On  ne  sait  trop  ce  que  les  poè- 
tes ont  voulu  désigner  par  cette  rapa- 
cité importune  des  harpyes  :  ils  ont  peu^ 
être  personnifié  ainsi  les  pirates,  ou  les 
vents  violents  et  malsains. 

(i)  Stnb.,yiII,  p.  359.,  éd.  Tmtcba.,  II., 
p.  108. 
(a)  Apollon.,  Jrg,,  U,  i^ô. 


U. 


BiSUSÉ    HISTORIQUE    SUB    LBS     IlES 
lONlENNlS. 

Les  Iles  Ioniennes  ayant  été  long- 
temps séparées  et  indépendantes  les  unes 
des  autres,  surtout  dans  l'antiquité, 
U  est  impossible  de  mener  de  front 
leur  histoire.  Nous  sommes  donc  obli- 
gé d'établir  des  divisions,  comprenant 
Phistoire  spéciale  de  chaque  lie  jus- 
qu'au temps  oh  elles  se  trouvent  réu- 
nies sous  une  domination  commune. 
Outre  ces  divisions  d'espace,  pour  aind 
dire ,  nous  sommes  obhgé  d'établir  des 
divisions  de  temps ,  comprenant  les  do- 
minations successives  sous  lesquelles 
elles  ont  pa&Ȏ.  Nous  eommencerons  par 
l'histoire  de  Corfou. 

COBGTBX. 

Teups  fabule  dx.  —  Temps  hb- 
BOÎQUBS.  —  L'île  de  Corfou  a  eu  plu- 
sieurs noms;  elle  s'est  appelée  succes- 
sivement Drepanum,  Schéria  et  Cor- 
cyre;ce  dernier  nom  est  celui  qu'elle 
a  porté  dans  toute  l'antiquité.  La  my- 
thologie grecque  V  a  placé  quelques-unes 
de  ses  sânes  ûBuleuses.  C'est  là  que 
Jupiter  et  Neptune  auraient  vidé,  lun 
armé  de  sa  faulx ,  l'autre  de  son  trident, 
une  vieille  querelle  qui  les  divisait  : 
Neptune  fut  vaincu.  C'est  là  aussi 
qu  aurait  régné  glorieusement  un  fils  de 
Neptunei  appelé  Phéaee ,  qui  donna  son 
nom  aux  hanitanu  de  l'île  (1).  Pbéace 
régnait  encore  lorsque  Jason ,  revenant 
de  l'expédition  de  Colcblde  avec  Médée^ 
relâcha  à  Corcyre.  Il  fut  bien  accueilli 
par  Pbéace,  qui  le  protégea  contre  i£étès, 
roi  dlolcos. 

Plus  tard,  après  la  guerre  de  Troie, 
Ulysse  fut  Jeté  par  la  tempête  sur  les 
rivages  de  Cforcyre,  où  régnait  Alcinoûs. 
Homère  raconte  avec  détails  l'accueil  que 
fit  Alcinoûs  au  fils  de  Laerte  (2).  Nau- 
sicaé,  fille  d'AJcinous,  s'étant  éprise  d'a- 
mour pour  ce  héros  naufragé,  celui-ci, 
dont  la  prudence  égalait  la  sagesse ,  ré- 
solut de  quitter  l'île;  il  retourna  à  Itha- 
Î|ue,  où  il  retrouva  la  vertueuse  Péné- 
ope  et  son  fils  Télémaque. 

Les  historiens  commencent  enfin  à 


(i)  Diodorede  Sidle,  IV,  72. 

(a)  Homère,  Odyss.,  livre»  VI  et  VII. 


ei6 


LTTMIVERS. 


donner  Quelques  notions  plus  certaines 
sur  nie  de  Gorcyre.  Une  colonie  de  Co- 
rinthiens vient  s'y  établir  sous  la  con- 
duite de  Chersicratès ,  vers  la  dix-sep- 
tième olympiade.  Ils  bâtirent  une  ville 
dont  parlent  Thui^dide  et  Xénophon, 
et  qui  était  nommée  Cbrysopolis. 

Temps  histobiques.  —  Les  Cor-, 
cyréens,  comme  toutes  les  peuplades 
grecques,  eurent  le  génie  de  la  conquête 
et  de  la  colonisation  lointaine.  Ils  fon- 
dèrent deux  colonies  importantes,  Épi- 
damne  et  Apollonie.  Leurs  premières 
guerres  eurent  lieu  contre  les  Corin- 
thiens; ils  les  défirent  dans  une  bataille 
navale ,  à  la  suite  de  laquelle  la  paix  fut 
rétablie  entre  eux. 

Lyoophron,  leur  dernier  roi,  étant 
mort ,  les  Corcyréens  substituèrent  à  la 
royauté  le  gouvernement  républicain. 
Cette  révolution  s'opéra  en  même  temps 
que  celle  qui  renversa  les  Pisistratides 
à  Athènes. 

Vers  Tan  480,  Xerxès ,  roi  de  Perse, 
menaçant  TOccident  d*une  invasion^ 
une  ligue  fut  conclue  entre  tous  les  États 

g'ecs  contre  le  redoutable  monarque, 
es  Corcyréens  entrèrent  dans  la  ligue, 
et  équipèrent  soixante  vaisseaux  bien 
armes.  Mais  soit  crainte  de  s'attirer  les 
colères  de  Xerxès,  soit  espoir  de  profiter 
de  la  ruine  des  Grecs,  ils  restèrent 
neutres ,  s'avancèrent  jusqu'à  Pylos,  où 
ils  apprirent  cette  victoire  fameuse  rem- 
portée par  Thémistocle  sur  la  flotte  des 
Perses.  Cette  conduite  indigna  la  Grèce, 
et  particulièrement  le  Péloponnèse,  dont 
Corcyre ,  par  sa  position  géographique» 
semblait  laire  partie.  Thémistocle  ayant 
essuyé  l'ingratitude  de  ses  concitoyens, 
malgré  ses  services  et  sa  gloire,  se  retira 
à  Corc^TC,  où  il  fut  'accueilli  avec  de 
grandes  démonstrations  de  joie  et  de 
respect.  T^éanmoins  les  Athéniens  n'en 
gardèrent  point  rancune  aux  Cx>rcyréens, 
et  ceux-ci  bientôt  vinrent  implorer  leur 
secours  contre  la  ligue  de  tout  le  Pélo- 
ponnèse, qui  ne  pouvait  leur  pardonner 
leur  neutralité  dans  la  grande  guerre 
contre  les  Perses. 

GUEfiBBS   DBS    COBGYBÉETVS    AVEC 

LES  Corinthiens.  —  C'étaient  les  Co- 
rinthiens surtout  qui  montraient  les  dis- 
positions les  plus  hostiles  aux  Corcy- 
réens, et  c'étaient  eux  qui  avaient  fo- 
menté la  ligue  du  Péloponnèse  contre 


ces  insulaires.  La  tfuerre  ^enjmea  à 
l'occasion  de  la  colonie  d'ÉfMnmiie, 
que  les  Corinthiens  prétendaient  poi- 
séder.  Épidamne  en  effet  se  plaça  sons 
la  protection  de  Corinthe,  qui  «ivoya  des 
troupes  et  des  vaisseaux  à  cette  ooloaie. 
Sohante-quinze  vaisseaux  et  deux  mille 
hommes  forent  mis  à' la  disposition  des 
Épidamniens.    • 

De  leur  côté ,  les  Coreyréens  équipè- 
rent soixante-dix  vaisseaux,  montes  par 
des  hommes  à  qui  lamor  était  familière, 
et  quarante  de  ces  vaisseaux  s'avancè- 
rent au-devant  de  la  flotte  oorinthieiuie. 
Les  insulaires ,  habiles  à  la  manœavre, 
battirent  leurs  ennemis,  et  À  la  nouvelle 
de  cette  défaite,  Épidamne  se  reddit 
aux  vainqueurs.  En  mémoire  de  es 
triomphe,  les  Corcyréens  égorgèrent 
leurs  prisonniers,  sur  un  cap  élevé  de 
son  île. 

Les  habitants  de  Leucade  (Sainte- 
Maure)  et  de  Céphallénie,  avaient  pris 
parti  pour  les  Corinthiens  contre  les 
Corcyréens  :  ceux-ci  s'avancèrent  avec 
leur  flotte  vers  Leucade;  mais  les  Go- 
tinthiens,  réunis  pour  couvrir  cette  fie, 
qui  était  leur  alliée,  refusèrent  Je  com- 
bat et  temporisèrent.  Alors  les  Corcy- 
réens firent  retraite;  et  comme  il  voyaient 
le  sénat  de  Corinthe  faire  de  noaveaox 
préparatifs ,  ils  envoyèrent  des  dépotés 
a  Athènes  demander  des  secours.  Pé- 
rictès  détermina  les  Athéniens  m  Êiveor 
de  leur  demande  ;  une  alliance  fut  cou* 
due  entre  les  deux  peuples. 

A  cette  nouvelle,  Corinthe  met  en 
mouvement  une  flotte  considérable, 
composée  de  cent  cinquante  vaisseaux; 
tes  Corcyréens  n'avaient  oue  cent  dis 
vaisseaux,  et  les  secours  d^Athènes  n'é* 
talent  pas  arrivés  ;  néanmoins  ils  ne  re- 
fusèrent pas  la  bataille,  et  ils  remportè- 
rent une  nouvelle  victoire,  mais  peu  dé- 
cisive; et  les  Corinthiens  se  dispissaiest 
à  offrir  une  nouvelle  bataille,  lorsque 
l'arrivée  de  trente  voiles  athéniennes  les 
mit  subitement  en  retraite. 

Mais  cette  retraite  cachait  de  ooo- 
veaux  projets.  Ils  resserrèrent  leur 
alliance  avec  les  autres  États -du  Pélo- 
ponnèse, gagnèrent  a  leur  cause  les  La- 
cédémoniens,  Perdiocas,  roi  de  Macé- 
doine, quelques  villes  de  Sicile  et  dltalifi 
e\  tirent  révolter  contre  Athènes  Saoïos 
et  Byzance.  Mais  les  Athéniens,  uais 


ILES  IONIENNES. 


«I« 


aux  C<NrevréeD8,  avaient  en  mer  cent 
soixaate-mx  vaisseaux ,  aoi  tinrent  en 
échec  les  forces  combinées  de  la  ligue 
et  battirent  dans  une  rencontre  la  flotte 
isolée  des  Leucadiens. 

Tboublbs  intbbisubs  a  CoaGYBB 
(427,  425).  C'est  à  la  suite  de  cette  cam«* 
pagne  que  commencent  à  Gorcyre  les 
divisions  intestines;  TÉtat  se  sépare  en 
deux  factions,  celle  du  peuple  et  celle 
des  nobles.  On  sème  dans  le  peuple  la 
défianee  contre  Athènes,  et  Pithias,  le 
chef  du  sénat,  qui  était  du  parti  d'Athè* 
nés,  est  un  jour  massacré  avec  soixante- 
dix  sénateurs.  Athènes  était  alors  Tob- 
jet  dn  ressentiment  de  toute  la  Grèce. 
Les  Corcyréens  lui  ayant  témoigné  de  la 
défiance,  etayant  massacré  ses  partisans, 
furent  abandonnés  par  elle  ;  et  comme 
ils  lui  avaient  envoyé  des  députés ,  ces 
députés  furent  reçus  avec  dédain  et  mis 
en  prison. 

Dans  cette  lutte  on  vit  Lacédémone 
prendre  parti  pour  les  nobles,  et  Athènes 
pour  le  peuple.  Athènes  envoya  dna  cents 
hommes  au  secours  du  parti  populaire  ; 
mais  les  Lacédémoniens  arrivèrent  avec 
touteuneflotteausecoursdesnobles.Une 
bataille  s'engagea  en  vue  de  Gorcyre. 
Forcés  à  la    retraite   par  Nicostrate, 
général  athénien,  les  Lacédémoniens  re- 
parurent bientôt  avec  des  forces  supé* 
rieures,  et  assiégèrent  Corcyre  par  terre 
et  par  mer.  Mais ,  n'observant  aucune 
discipline,  ils  se  répandirent  dans  Ftle, 
commirent  des  brigandages  et  détermi- 
nèrent la  réconciliation  des  nobles  et  du 
peuple.  En  même  temps,  ils  apprirent 
qu'une  flotte  athénienne,    commandée 
par  des  chefs  braves  et  expérimentés, 
s'approchait.  Les  Lacédémoniens  se  re- 
tirèrent devant  cette  flotte ,  et  abandon- 
nèrent  les  nobles.  Alors,  malgré  la  ré- 
conciliation  récente  du  parti  démocra- 
tique avec  le  parti  des  nobles,  le  peuple 
de  Corcyre,  à  la  vue  des  Athéniens,  ses 
protecteurs,  ne  chercha  plus  que  la  ven- 
geance, et  n'écouta  que  son  ressentiment, 
l^e  parti  des  nobles  fut  massacré,  les 
maisons  incendiées;  de  ce  parti  il  ne 
s'échappa  que  cinq  cents  citoyens,  qui  se 
réfiigierent  dans  1  Épire. 

Cà  cinq  cents,  aidés  parles  Épirotes, 
firent  tout  à  coup  irruption  à  Corcyre; 
malgré  leur  courage,  ils  sont  faits  pri- 
sonniers, et  malgré  les.  Athéniens,  qui 


voulaient  les  sauver,  ils  sont  livrés  au 
bourreau.  On  n'en  épargna  que  qudques- 
nns ,  qui  furent  mis  en  esclavage. 

Le  calme  se  rétablit  enfin  à  Corcyre. 
Les  Athéniens  en  profitèrent  pour  ras- 
sembler dans  le  port  une  flotte  de  cent 
trente-quatre  vaisseaux,  montée  par 
cinq  mille  hommes,  et  destinée  à  opérer 
un  débarquement  en  Sicile  (415).  Midas, 
AlcibiadeetLamachus,  la  commandaient. 

Cette  flotte  s'étant  éloignée  pour  cette 
expédition ,  les  Lacédémoniens  se  pré- 
sentèrenten  vue  de  Corcyre  ;  mais  les  Cor< 
cyréens,  dans  leur  désespoir,  firent  des 
prodiges  de  valeur,  et  battirent  leurs  enne- 
mis. Timothée,  Athénien,  venu  à  leur 
secours,  rétablit  le  calme,  et  rendit  le 
gouvernement  au  parti  populaire. 

Dans  les  guerres  qu'Athènes  eut  en« 
suite  à  soutenir  soit  en  Sicile,  soit  con- 
tre Lacédémone,  soit  contre  les  colonies 
révoltées,  les  Corcyréens  se  montrèrent 
ses  fidèles  alliés.  A  la  paix  conclue  entre 
Athènes  et  Lacédémone  sous  la  média- 
tion d'Artaxerce,  roi  de  Perse,  les  Corcy- 
réens jouirent  des  bienfaits  de  cette 
paix ,  et  se  livrèrent  au  commeree. 

Corcyre^ervit  de  retraite  à  Aristote, 
qui,  pendant  son  séjour  dans  eette  Ile, 
y  reçut  la  visite  de  son  élève  Alexandre. 

Corcyre  dégénéra  bientôt  de  son  an- 
tique puissance.  Elle  fut  assiégée  et 
prise  par  A^athocie  (817),  tyran  de  Syra* 
cuse;  maisle  vainqueur  abandonna  cette 
possession  pour  tourner  ses  armes  con- 
tre l'Afrique. 

Pyrrhus,  roi  d'Épire,  ce  redoutable 
ennemi  des  Romains,  (280)  attaqua  Cor- 
cyre, dont  il  avait  besoin  pour  l'exécution 
de  ses  projets  sur  l'Italie.  Repoussé  une 
première  lois,  il  finit  par  s'en  emparer. 
Dans  la  guerre  contre  l'Italie,  il  tira  des 
secours  ae  Corcyre,  qu'il  sut  habilement 
ménager.  La  guerre,  qui  désolait  à  ce 
moment  l'Italie  et  la  Grèce,  redonna  aux 
Corcyréens  du  courage  et  à  leur  île  de 
l'importance.  Ils  méditèrent  une  expédi- 
tion sur  l'Ile  de  Crète,  y  firent  une  des- 
cente, mais  furent  à  la  fin  obligés  de  l'a- 
bandonner. 

Alors  les  Corcyréens  s'attachèrent  à 
développer  leur  marine  commerçante,  et 
s'adonnèrent  auxarts.  Malheureusement 
ils  eurent  à  lutter  contre  un  ennemi 
nouveau,  qui  leur  faisait  en  détail  une 
guerre  acharnée  ;  cet  ennemi,  c'étaient 


ei9 


L'UlfI?£RS. 


Ici  pinilBgiUjrrkBS,  sur  lesquels  Hgmt 
alorii  «ne  .femme  avide  et  cruelle,  du 
nom  de  Teuta.  Réduits  à  leurs  seules 
forées,  lesCorcyréeus  furent  impuissants 
dans  cette  lutte,  où  leurs  hardis  agres- 
seurs exeeilaieBt  par  la  vélocité  de  leurs 
navires  et  Theureuse  témérité  de  leurs 
attaques.  Les  Goreyréens  virent  souvent 
iMirs  navires,  leurs  marchandises,  leurs 
richesses  devenir  la  proie  de  ces  auda- 
cieux et  infstigahles  pirates. 

Alois  les  Goreyréens  songèrent  à  imi- 
ter Texemplede  toute  la  Grèce.  Corc^rre 
fit  comme  Athènes,  son  ancienne  alliée  ; 
elle  accepta  la  domination  romaine.  £lle 
envoya  à  Rome  des  députés  chargés  de 
demander  au  sénat  sa  protection.  Le 
sénat  ne  savait  pas  repousser  de  pareil- 
les demandes  ;  les  députés  rapportèrent 
à  Corcyre  la  protection  du  sénat  et  la 
domination  de  Rome. 

ÉTAT  ttBN BBA£«  Nous  avons  pçu  de 
chose  à  dire  des  institutions  politiques 
de  Corcyre.  Cétait  le  gouvernement  ré- 

Ïiuhlioain  dans  sa  plus  grande  simplicité. 
1  y  avait  chaque  année  une  assemblée 
générale  du  peuple,  qui  élisait  quatre 
chefs  ou  prytanes  chargés  d'administrer 
et  de  rendre  la  justice  ;  les  prytanes 
avaient  chacun  leur  spécialité. 

Les  dieux  particulièrement  invoqués 
à  Gorcyreétaient  Jupiter,  Neptune,  Mer* 
cure  et  Apollon.  Sur  les  médailles  qui 
témoijgnent  de  leur  culte,  les  insulaires 
gravaient  d'un  côté  la  tête  du  dieu  in- 
voqué, de  l'autre  des  emblèmes  8ignifi« 
catife,  un  trident,  une  galère,  un  trépied, 
une  grappe  de  raisin,  un  cheval,  une  va» 
cfae,etc.  Il  reste  un  assez  grand  nombre  de 
ces  médailles  dans  les  musées  de  Venise* 
Les  mœurs  des  Goreyréens  n'ont  pas 
la  politesse  et  l'élégance  des  mœurs 
grecques  et  surtout  athéniennes  ;  elles 
restèrent  rudes ,  et  ces  insulaires  n'ex- 
cellèrent généralement,  que  dans  les 
exercices  du  corps  :  ils  ont  fourni  beau- 
coup d'athlètes  aux  jeux  olympiques. 

GORCYmESOUS  LA.  DOMINATIOlf  RO- 

MÀifiB.  — £nse  plaçant  sousia  protec- 
tion de  Rome ,  le  but  des  Goreyréens 
était  de  se  mettre  à  l'abri  des  briganda- 
ges des  pirates  iliyriens.  En  effet,  le  sénat 
envoya  deux  ambassadeurs  a  Tenta, 
reine  des  Iliyriens,  pour  l'inviter  à  faire 
cesser  toute  agression  contre  les  nou- 
veaux alliés  des  Romains.  Tenta,  irritée 


du  langage  de  l'un  des  ambassadeurs, 
le  6t  assassiner,  et  en  même  temps  une 
Hotte  considérable  fut  mise  en  mer. 
Gette  flotte  attaqua  immédiatement  £pi- 
damne,  colonie  corcyréenne;  puis  elle 
se  présenta  devant  Gorc^re  et  offrit  la 
bataille  aux  Goreyréens  a  la  hauteur  de 
l'île  de  Paxo.  Les  Goreyréens  furent  dé- 
faits ,  et  le  général  illyrien,  DémétriuSi 
assiégeant  Gorcyre,  s'en  empara. 

11  était  temps  que  les  Romains  arrivai> 
sent  au  secours  des  insulaires,  réduits  es 
servitude.  Le  consul  Fulvius  s'avança 
avec  deux  cents  voiles,  tandis  qu'on  au- 
tre général  romain,  Aulus  Posthuroius, 
envahissait  par  terre  rillyrie,àla  tétede 
vingt  mille  lH>mn)es  d'infanterie  et  de 
deux  mille  chevaux.  Démétrius,  rendu 
suspect  à  la  reine  Teuta ,  qui  venait  de 
faire  mettre  sa  tête  à  prix ,  fît  alors  ua 
pacte  avec  les  Romains;  il  hvra  Cor- 
cyre  au  consul,  qui ,  libre  de  ce  côté,  fit 
sa  jonction  avec  Aulus  Posthumius.  Les 
Iliyriens  furent  poursuivis  à  outrance; 
la  reine  Teuta ,  qui  avait  violé  le  droit 
des  gens  en  faisant  assassiner  un  en- 
voyé romain,  s'enfuit  dans  l'intérieur 
du  pays.  Les  Romains,  dont  les  forces 
étaient  nombreuses,  envahirent  toute 
rillyria,  et  enassurèrent  la  conquête  ;  une 
partie  devint  province  romaine,  uoe 
autre  partie  fut  donnée  à  Démétrius, 
pour  recompenser  le  service  qu'il  avait 
rendu  en  livrant  Gor<^e  à  Fulvius. 

Gette  conquto  achevée ,  Posthuoiios 
se  rendit  à  Gorcyre,  et  y  rétablit  le  bo8 
ordre,  l'empire  des  lois  et  le  culte  des 
dieux.  Il  plaça  un  chef  à  la  tête  du  sé- 
nat, et  il  oéclara  les  insulaires  amis  ds 
gmple  romain,  politique  habile  qae 
ome  employa  souvent  vis-à-vis  des 
peuples  qu'eue  s'adjoignait  par  les  ar- 
mes ou  qui  se  donnaient  è  c^e.  Il  leur 
laissa  même  quelques  vaisseaux,  et  les 
Goreyréens  devinrent  des  alliés  Gdeks 
et  reconnaissants  (339). 

FinSIilTR   DBS  GORCYRBBMS.  —A 

cette  époque,  Rome  se  trouvait  dans  ooe 
des  situations  les  plus  critiques  qu'offie 
sa  longue  et  sanglante  histoire  :  Annibal 
venait  de  remporter  la  victoire  de  Canoës 
(216)  ;  Phiiippe,roi  de  IVIacédoine,  se  pré- 
parait à  une  expédition  en  Itahe;  Ht- 
hrrien  Démétrius  avait  en  même  t^ 
mi  défection.  Cependant  le  oonsul  tat 
lius  commença  par  replacer  sous  le  joug 


ILES  lOmSNNES. 


«10 


Itlyrie,  et  par  en  diasser  Démélriut. 
jtR  Goreyréens  eomkMitttfent  smii  ses 
Irapeaux  ;  ils  s'opposèrent  aussi  à  Texp 
(édition  du  roi  de  Macédoine,  et  s'adjoi- 
inirent  au  oonsui  Flamîninus  contre  et 
oi,  qui,  sentant  son  impuissance  contre 
es  Romains,  leur  demanda  la  paix. 
Persée,  fils  de  Philippe,  rompit  cette 
ait,  qui  était  humiliante  pour  la  Maeé- 
loine,  et  dans  un  premier  combat  déAt 
es  Romains,  inféneurs  en  forces.  Mais 
ts  reprirent  bientôt  le  dessus  avec  Paul* 
ilmiie,  qui  arriva  à  Goreyre  pour  agir  de 
à  contre  Persée.  Les  Goreyréens  four* 
tirent  un  seeours  considérable.  Paul- 
'^mile  livra  une  bataille  sanglante  aux 
lacédonietts,etle8  écrasa.  Peisée,  vaincu 
t  prisonnier,  lut  amené  par  Paul-Émile 
Corcyre,  où  il  jr  eut  une  entrée  triom« 
thaïe;  après  quoi  Paul-Émile  emmena 
I  Rome  le  roi  captif,  qui  mourut  bien* 
ôt  à  Albe. 
Une  nouvelle  prise  d'armes  des  Ma- 
édoniens  ramena  les  Romains,  corn- 
nandés  par  Quintus  Métellus.  Les  Ro- 
nains  furent  vainqueurs ,  avec  l'active 
oopération  des  Goreyréens. 
La  guerre  s*étant  engagée  oitre  Rome 
tla  Grèce,  les  Gorcvreens  ne  furent 
)as  moins  fidèles  à  leurs  alliés  dans 
«tte  guerre  nouvelle,  où  ils  se  retrouvè- 
ent  aux  prises  avec  leurs  vieux  ennemis 
es  Gorinthiens,  qui  avaient  assassiné 
es  envoyés  de  Rome.  Les  Goreyréens 
irirent  place  dans  les  légions  du  consul 
iummius.  Gorinthe  succomba ,  fut  en* 
ièrement  rasée,  et  la  Grèce  taX  sou- 
Qise  (H6). 

Plus  tard,  dans  les  guerres  civiles, 
lorcyre  se  rangea  du  parti  de  Pompée; 
lie  devint  en  quelque  sorte  le  centre 
e  ses  opérations  navales.  Marcus  Bi- 
ulus,  son  lieutenant ,  stationnait  dans 
on  port  avec  cent  voiles,  et  lui-même, 
ecevant  de  tous  cOtés  des  renforts .  se 
3naità  Éçidamne,  colonie  isorcyréenne. 
lésar,  qui  avait  passé  la  mer,  se  retira 
evant  les  forces  supérieures  de  son 
Ival ,  et  prit  position  à  Pharsale.  On 
onnaît  Fissue  de  cette  bataille  célèbre  : 
'ompée,  vaincu,  se  retira  en  Egypte,  où 
fut  assassiné.  Gaton,  à  la  nouvelle  de 
e  désastre .  vint  à  Gorcyre,  où  il  trouva 
iicéron  et  le  jeune  Gneus  Pompée ,  fils 
e  Tillustre  vaincu.  Ils  se  dispersèrent 
ans  toutes  les  directions  (48). 


Les  Goreyréens  implorèrent  aloii  la 
ciémtnœdeGéear,  qui  leur  pardonna.  La 
mort  de  César  jeta  Coreyre  dans  de 
nouveaux  embarras.  Octave,  à  la  non* 
valle  de  la  mort  de  son  oncle ,  quitta 
Apollonie,  colonie  ooreyréenne,  paaaa 
par  Gorcyre ,  et  ae  rendu  à  Rome  par 
Brundusium.  La  guerre  éclata  bientôt, 
et  Bf  Htus  et  Cassiua ,  ayant  quitté  l'I- 
talie,  arrivèrent  l'un  à  Ë^idamne,  Vdsa^ 
tre  à  Apolionie ,  les  deux  colonies  oor* 
cyréeones.  Les  Goreyréens  prirent  parti 
pour  eux ,  ils  défirent  même  Dolabella, 
lieutenant  d'Octave;  mais  Brutus  d 
CassiuB  ayant  été  battus  par  Antoine  et 
Octave,  les  Goreyréens  ae  soumirent,  et 
ce  fut  dans  cette  Ile  qu'eut  lieu  le  ma- 
riage d'Antoine  avec  Oetavie,  souir  de 
son  colite,  laquelle  demeura  niusleurs 
années  à  Coreyre,  pendant  les  cam* 
pagnes  d'Antoine  en  Orient. 

Danslalutted'Octavecontre  Antoine, 
Gorcyre  embrassa  le  parti  de  ce  dernier 
(81).  Octave  s'en  vengea  en  rassiégeaot 
et  en  la  puniasantavec  rigueur.  La  ba* 
taille  d*Actium  mit  lin  aux  aouffraiioes 
qui  résultaient  pour  les  Goreyréens  des 
guerres  civiles  de  Rome. 

Depuis  cette  bataille  jusqu'à  l'avéne* 
ment  de  Omstantin,  1  histoire  de  Gor- 
cyre présente  peu  d'intérêt.  Kous  voyons 
oue  Germanicns  y  passa  lorsque  Tibère 
renvoya  en  Orient,  et  qu'après  sa  mort 
tragique  son  épouse  Agrippine,  re* 
tournant  à  Rome  avec  les  oendres  de 
GermanieQs ,  y  séfoiurna  quelque  temps 
et  y  reçut  les  plus  grands  honneurs. 

Sous  Caligula,  les  Goreyréens  en* 
voyèrent  à  Rome  quatre  députés  solli* 
citer  de  l'empereur  un  adoucissement  à 
leur  sort.  Cet  empereur  les  accueillit 
avec  bonté  :  Coreyre  vit  ses  fers  allé^, 
ses  privilèges  rendus  et  sa  liberté  réta- 
blie. 

De  cette  époaue  date  l'introduction  de 
la  reli§^  cbretienne  à  Gorcyre.  Ce  fo- 
rent saint  Jason,  évêque  d'Icône,  et  saint 
Sosipatre,  évêquede  Tarse,  qui  tentèrent 
la  conversion  des  Goreyréens.  Malgré 
la  persécution,  il  y  eut  bientôt  dans  1  Ûe 
de  nombreux  prosélytes. 

Jusqu'au  règne  de  Dioclétîen ,  This- 
toire  de  Gorcyre  est  à  peu  près  nulle;  on 
voit  seulement  que  les  Goreyréens  com- 
battent dans  les  lapons  impériales. 

Lorsque  les  Gotbs  envahirent  la  Ma- 


4» 


L'UNIVERS. 


«édoiiw  et  TËpire,  les  Goroyrée&fl  et 
quelques  autres  villes  (grecques  levèrent 
une  armée,  et  remportèrent  un  avantage 
signalé  sur  oes  barbares.  Mais  cette  vie» 
toirefut  suivie  d'une  peste  terrible,  qui 
ravagea  Farmée  et  la  popubtion;  un 
autre  fléau  remplaça  celui-là.  La  perse- 
eution  de  Dioclétien  contre  le  christia- 
nisme  se  fit  sentir  cruellement  à  Gorcyre* 
Plus  tard ,  Hélène ,  mère  de  Constantin 
le  Grand,  débarqua  deux  fois  à  Gorcyre, 
et  donna  sa  protection  aux  insulaires , 
qui  avaient  tous  adopté  la  religion  chré- 
tienne. 

CoBFOU  sous  l'Empibb  d'Oaiert. 
-—  A  la  mort  de  Constantin  le  Grand 
(336),  Corcyre  fit  partie  des  fttats  de  son 
second  fils ,  Constant.  Les  Corcyréens 
combattirent  en  sa  faveur  contre  Cons- 
tantin, son  frère,  qui  fut  vaincu  à  Aqutlée, 
et  contre  les  Goths,  qui  renouvelaient 
incessamment  leurs  incursions.  Dans  la 
lutte  de  Constance,  empereur  d'Orient, 
contra  l'usurpateur  Magnenoe,  les  Cor- 
cyréens prirent  parti  pour  l'empereur 
d'Orient,  et  en  retour  de  ce  service  leur 
république  obtint  de  grands  privilèges. 

Lorsque  Tempereur  Gratien  accourut 
d'Occident  au  secours  de  l'Orient,  tou- 
jours menacé  par  les  Goths ,  il  s'arrêta 
a  Corcyre,  y  trouva  une  flotte  et  deux 
mille  soldats,  qui  se  distinguèrent  contre 
les  barbares  et  contribuèrent  à  leur  dé* 
iaite.  Pour  témoi^er  aux  Corcyréens  sa 
reconnaissance,  il  séjourna  dans  leur 
lie  au  retour  de  cette  campagne  (875). 

Corcvre  se  signala  encore  sous  Théo« 
dose  11  ;  ce  furent  quatre  mille  de  ses 
soldats  qui  prirent  Ravenne,  occupée 
par  les  ennemis  de  l'empereur. 

Après  la  (xrise  et  le  sac  de  Rome  par 
Gensérlc,  roi  des  Vandales  (455),  Cor- 
cyre eut  à  essuyer  la  cruauté  de  ces  bar- 
bares :  elle  fut  ravagée  par  eux  en  même 
temps  que  la  Sicile  et  ta  Grèce,  à  Tex- 
ception  toutefois  de  la  ville  elle-même, 
qui  se  défendit  courageusement.  Gen- 
séric  ayant  été  battu  par  Basiliscus, 
Corcyre  jouit  de  la  paix  jusqu'au  r^e 
de  Justinien. 

Sous  cet  empereur,  son  général  Béli* 
saire  passa  à  Corcyre,  et  enrôla  sous  ses 
drapeaux  la  jeunesse  corcyréenne  pour  sa 
grande  expédition  d^Itaiie  contre  les 
Goths.  Bélisaire  reprit  sur  eux  Naples 
et  Rome  (59&).  Alors  les  Goths,  sous  la 


eonduHe  de  Vitigès,  vioratt 
Rome  y  au  nomlnfe  de  cent  einqoaÉla 
mille.  Bélisaire  soutint  pendant  deux 
ans  leurs  terribles  assauts,  et  les  (brea 
enfin  à  la  retraite.  Les  Gcurcyréeiis  se 
signalèrent  particulièrement  à'eette  dé- 
fense. Bélisaire,  poursuivant  ses  succès, 
serra  de  près  Vitigès,  qui  faisait  retraite, 
assiégea  Ravenne,  où  il  s'était  retiré,  et 
s'en  empara;  mais  il  fut  rappelé  à  Cons- 
tantinople,  dis^acié  et  remplacé  par 
l'eunuque  Narses. 

Totila,  successeur  de  Vitigès  (441), 
ravagea  la  Grèce ,  et  Corcyre  n'échappa 
point  à  sa  vengeance.  Les  ravages  de 
Totila  furent  interrompus  par  Narsès, 
qui  battit  les  Goths  sur  mer  et  sur  terre. 

Plus  tard,  sous  l'empereur  Maurice 
(542),  nous  retrouvons  les  Corcyréens 
s'armant  contre  les  barbares,  et  entre  an- 
tres contre  les  Dalmates;  ils  équipèrent 
à  leurs  frais  une  flotte,  qu'ils  mirent  ai 
service  de  l'Empire.  Nous  les  retrou- 
vons encore  à  la  bataille  de  Modène 
contre  les  Lombards,  où  ils  méritèrent 
spécialement  les  éloges  de  l'empereor 
Héraclius  (610),  qui  avait  pour  eux  la 
plus  grande  estime. 

A  cette  époque  commencent  les  ra- 
vages des  Sarrasins ,  qui  envahirent  la 
Grece  et  (Corcyre.  Dans  une  bataille  na- 
vale ,  livrée  par  Constant  11  à  ces  pirates, 
Corcyre  compta  cinquante  vaisseaux 
équipés  à  ses  nrais.  Constantin  Pogonat, 
fils  de  Ck>nstant,  ne  fut  pas  moins  heu- 
reux que  son  père  contre  les  Sarrasins, 
et  la  flotte  corcyréenne  lui  6it  de  b 
plus  grande  utilité. 

Constatons  ici  que  Corcyre  dans  ces 
temps  malheureux,  et  au  milieu  de  ces 

fuerres  épouvantables  qui  désolent  le 
as-£mpire,  ne  cherche  son  salut  qu'en 
elle-même.  Elle  crée  une  Hotte ,  non* 
seulement  pour  se  protéger,  mais  encore 
pour  secourir  les  empereurs ,  dont  elle 
reste  ralliée  fidèle.  Cette  flotte  com- 
mence par  défaire  en  plusieurs  rencon- 
tres les  Sarrasins;  puis  sa  simple  appa^ 
rition  finit  par  les  intimider,  ce  qui 
arrive  sous  Justinien  11  (705).  Léon 
risaurien,  empereur  de  Constantinople, 
étant  assiégé  dans  sa  capitale  par  les 
Sarrasins,  les  Corcyréens  n'attendent 
pas  qu'on  leur  demande  des  secours. 
Pendant  qu'ils  se  défendent  eux-mêmes 
contre  d'autres  ennemis,  ils  détacheat 


ILES  lOIOENKES. 


-Bn 


ine  partie  de  leof  flotte  vers  Constaii* 
iDople^eteonlribiieiità  sa  délivrance. 
Mus  tard,  maigre  ce  graad  service,  les 
^rcyréens  forint  acàd>lés  d'impôts  et 
naltraités  par  cet  empereur. 

Nous  void  arrivés  à  l'époque  de  Ni* 
éphore  et  de  CharleoaagDe.  Dans  la 
utte  de  Teropire  d'Orient  et  de  l'empire 
l'Occident,  Corcyre,  qui  a  créé  avec 
«tienoe  une  véritable  puissance  navale, 
este  fidèle  à  l'empire  d'Orient.  Sa  flotte 
léfait  celle  de  Pépin  dans  l'Adriatique; 
Ile  s'oppose  elle-même  au  passage  des 
bulgares  en  Italie.  Sous  un  successeur 
le  Nieéphore,  cette  même  flotte  débar- 
|ue  près  de  Gonstantinople  huit  mille 
lommes ,  qui  se  joignent  à  l'armée  de 
'empereur  et  contribuent  puissamment 
i  la  sanglante  défaite  des  Bulgares. 

Sous  les  empereurs  Théophile,  Mi- 
hel,  Basile,  Léon  VI  et  Constantin  VH 
820-913),  les  mêmes  gages  de  fidélité 
;ont  donnés  à  l'empire  par  les  Gorcy- 
éens.  Us  offrent  à  Théopnile  leur  flotte 
!t  leurs  soldats  contre  les  Sarrasins.  Les 
mpériaiu  furent  battus  dans  le  golfe  de 
>otone,  et  les  Sarrasins,  vainqueurs, 
>ortèrent  partout  le  fer  et  le  feu.  Mais 
^orc^re  ne  désespère  pas  de  son  salut; 
issiégée  par  les  vainqueurs ,  elle  se  dé- 
énd  avec  vigueur,  et  repousse  les  assié* 
géants. 

Elle  fiiit  alliance  avec  Venise,  dont 
a  marinese  développe  dès  cette  époque  ; 
eurs  flottes  combinées  joignent  les  Sar- 
asins  dans  l'Adriatique,  et  leur  font  es* 
uyer  une  défaite  complète.  L'empereur 
iasile  leur  en  témoigne  sa  reconnais- 
ance  en  leur  octroyant  des  privilèges. 
Corcyre  envoie  ses  soldats  a  Nicétas, 
;énéral  de  l'empereur  Léon  VI  (886); 
es  soldats  assistent  à  la  victoire  qu'il 
emporte  sur  les  Sarrasins. 

£lle  envoie  également  des  secours  à 
Constantin  VU  (91 2)  contre  les  Bulgares» 
|ui  assiégeaient  Gonstantinople.  Qua- 
jnte  vaisseaux  corcyréens  se  joignent 
i  la  flotte  impériale,  et  les  Bulgares  sont 
orcés  de  se  retirer.  L'empereur  les  ré- 
compense par  l'ingratitude,  et  les  accuse 
le  rébellion.  Saint  Arsène,  leur  évéque, 
entreprend  le  voyage  de  Gonstantinople 
»our  les  défendre,  et  le  fait  revenir  à 
l'autres  sentiments.  Saint  Arsène  comp- 
e  parmi  les  prélats  les  plus  vertueux  et 
es  plus  illustres  de  ce  temps. 


Cette  fidélité  eonstate  deë  Goreyréena 
à  l'empire  se  maintient  sous  les  r^iea 
suivants,  dans  les  guerres  que  les  emp^ 
reurs  ont  à  soutenir  contre  les  Sarra- 
sins. Phocas  utilisa  à  différentes  reprises 
ce  précieux  concours.  Gorcyre  devint 
même  la  place  d'armesde  l'empire  contre 
les  Sarrasins,  et  fut  le  siège  des  opénh 
lions  militaires  des  empereurs  Basile  et 
Constantin  (9S9,1095).  C'est  avec  leur 
flotte  que  le  pape  Sergius,  le  prince  de 
Capoue  et  Guillaume,  baron  de  Nor- 
mandie, transportent  leurs  soldats  en 
Sicile  et  forcent  les  Sarrasins  à  évacuor 
cette  lie. 

Depuis  Constantin  VIII  jusqu'à 
Alexis  Comnène ,  l'histoire  de  Gorcyre 
se  mêle  dans  les  mêmes  proportions  à 
l'histoire  de  l'empire  d*Orient;  mais 
elle  ne  présente  aucun  fait  digne  de  re- 
marque. 

Les  Corcyréens  reparaissent  avec 
quelque  éclat  dans  la  lutte  de  l'Orient 
contre  les  Normands  Robert,  Bobé- 
mond  et  Roger.  Dans  cette  lutte,  Du- 
razzo  (ancienne  Épidamne)  assiégé 
par  Bohémond,  est  défendue  victorieuse- 
ment par  une  garnison  corcyréenne. 
Sous  rempereur  Emmanuel  Comnène 
(1143),  Gorcyre,  toujours  fidèle,  fut  as- 
siégée par  Roger  II,  comte  de  Sicile.  Ce 
S  rince  s'en  empara,  par  l'inhabileté 
'Argio  Christoforite ,  qui  la  défendait. 
Mais  Roger  U  étant  mort ,  l'empereur, 
sentant  toute  l'importance  d'une  place 
qui  était  en  quekj^ue  sorte  la  clef  de  l'O- 
rient, vint  assiéger  la  garnison  nor- 
mande, et  reprit  la  place  sur  Guillaume, 
fils  de  Robert.  Il  en  fit  réparer  les  forti- 
fications ,  et  donna  aux  Corcyréens  de 
grandes  marques  de  sa  bienfaisance, 
es  insulaires  élevèrent  à  cet  empereur 
une  statue  avec  cette  inscription  : 

À  Emmanuel  Comnène 

Empereur  très-heureux, 

Vainqueur  des  tyrans  Siciliens, 

Corcyre  dédie  ce  Monument 

De  ses  triomphes. 

La  puissance  des  Vàiitiens  grandissait 
au  mdieu  des  luttes  des  grands  États. 
Emmanuel  leur  demanda  des  secours 
ccmtre  Guillaume  de  Sicile;  ils  re- 
fusèrent. De  là  une  déclaration  de 
guerre  de  l'empire  à  la  répubiiaue  vé- 
nitienne. Mais  cette  guerre  ne  fut  pas 


L'UMTIRS. 


de  longue  dvrée.  Snwnnuel  fit  là  paix 
avec  Venise,  et  à  la  suite  de  oeHs  paix 
il  ériffea  en  duché  Coreyre,  rÉpùrè  el 
rÉtolIe,  qu'il  donna  à  son  fib  naturel 
Alexis. 

Le  duc  Alexis,  ayant  en  des  démêlés 
avec  Tempereur  Anàronic),  appela  à  son 
secours  les  Iforroands  de  Sidle.  Mais 
Goreyre,  qui  avait  en  horreur  les  Nor- 
mands, ne  voulut  pas  les  recevoir,  et 
ferma  ses  portes  à  Alexis  lui-même.  Ce 
prince  ayant  été  fait  fkisonnier,  l'emp^ 
reur  Andronic  s'empara  du  duché  qui 
hti  avait  été  donné  en  apanage,  et  en- 
voya ses  lieutenants  occuper  Goreyre. 
Mais  sur  ces  entrefaites,  Andronic  fîit 
déposé,  Alexis  rendu  à  la  liberté  et  re* 
mis  en  possession  de  Goreyre  et  de  son 
duché ,  dont  une  nouvelle  révolution  de 
palais  le  chassa  pour  le  reléguer  dans  un 
mojoastère. 

Le  duché  fut  maintenu  entre  les  mnns 
deson  fils  Michel. 

G'est  sous  son  règne  que  s'effectua 
la  quatrième  croisade  (1304).  Les  croisés 
s'arrêtèrent  à  Goreyre  ;  c'est  de  là  qu'ils 
se  dirigèrent  sur  Constantinople  et  dé- 
trônèrent Alexis,  pour  le  remplacer  par 
Isaac  Ange.  Michel  garda  son  duché. 

Pendant  que  Baudouin  était  élu  em- 
pereur de  Constantinople  par  les  croi- 
sés, le  duché  passait  a  Michel  n,  fils 
de  Michel  I*'.  Michel  fortifia  Goreyre, 
de  façon  à  la  rendre  redoutable;  il  for- 
tifia également  plusieurs  places  du  con- 
tinent et  spécialement  Durazzo. 

Il  eut  pour  successeur  son  fils  Mi- 
chel III;  mais  son  oncle  et  son  tuteur, 
Théodose ,  prince  belliqueux  et  entre* 

f prenant,  le  chassa,  lui  et  sa  mère,  et  se 
ivra  à  sa  passion  pour  la  suerre.  A  la 
tête  d'une  armée  de  Corcyréens  et  d*É- 
pirotes,  il  battit  les  Latins,  s'empara  de 
Thessalonique,  et  conquit  diverses  par- 
ties de  la  Grèce. 

Mais  ayant  attaqué  les  Bulgares ,  il 
fut  vaincu,  fait  prisonnier,  et,  rendu 
bientôt  à  la  liberté ,  il  rétablit  dans  ses 
Ëtats  son  neveu  Michel  III.  Michel  fixa 
sa  résidence  à  Goreyre,  fortifia  1*  Arta,  et 
bâtit  le  fort  de  Butrinto;  il  éleva  aussi 
plusieurs  églises. 

Il  eut  pour  successetnr  Michel  lY ,  qui 
épousa  Marie  Lascaris,  fille  de  l'empe- 
reur Théodose ,  empereur  sans  États , 
puisque  Gonstantinople  était  au  pou- 


voir des  Latins.  La  doe  IfleM  lY  eol 
deux  filles  de  ce  mariage,  Hélène,  mi 
épousa  le  If  ormand  Manfred,  roi  de  Si- 
cile, et  Anne,  qui  épousa  le  prinoe  d'A- 
chaïe.  Ënorsnetlli  de  ces  bnllastes  al- 
lianoes,  Michel  IV  prit  le  titre  de  des- 
pote de  Goreyre  y  d'Épire  et  d*Êlolie; 
il  prétendit  même  à  l'empire ,  du  ebcf 
de  sa  femme  Marie  Lasearis.  Acbod- 
pagné  de  ses  gendres,  il  marcha  sor 
Gonstantinople,  oà  régnaient  avee  fû- 
blesse  les  deux  fils  de  Baudouin ,  sous 
la  tutelle  d'an  Paléologue.  Mais,  se 
oroyant  trahi  par  ses  gendres,  le  prince 
d' Acheté  et  le  roi  de  Sicile,  il  prit  su- 
bitement la  fuite,  et  son  armée  suivit 
son  exemple.  Les  gendres,  ainsi  aban- 
donnés, soutinrent  nésnmoins  la  choc 
de  Tarmée  impériale;  mais  Un  fsnoi 
délaits  :  le  prince  d'AcÉisîe  resta  pri- 
sonnier, et  Manfred  ne  s'échappa  qu'avec 
des  peines  infinies.  Ge  dernier  périt 
malheureusement  dans  sa  lutta  comtn  le 
célèbre  Gharles  d'Anjou,  qui  a^eospan  de 
ses  États  (1964). 

Alors  Michel  IV ,  sfaperjwvat  de  sa 
faute,  voulut  la  réparer;  il  forma  une 
armée  nouvelle,  composée  daGoreyréns 
et  d'Ëpirotes,  marera  une  seconde  fois 
sur  Gonstantinople,  et  battit  Alexis, 
général  de  l'empereur  Michel  Paléelo- 
gue.  Mais  il  ne  profita  pas  de  sa  vie- 
foire,  et  conclut  la  paix  avec  l'empcrrar 
d*Orient.  Gette  paix  ne  dura  pas  long- 
temps. Paléologue  était  un  prioee  aai- 
Intienx  et  remuant;  la  guem  reooai- 
mença  de  nouveau ,  et  les  armées  de 
deux  souverains,  sans  en  venir  à  nae 
bataille ,  ravagèrent  simuttanéarient  la 
frontières  de  l'Empire  et  les  frmitiéns 
du  duché.  Midiel  IV  mourut  aa  mibes 
de  ces  hostilités.  Il  partagea  ans  États 
entre  ses  enfants;  et  l'un  de  ses  bâ- 
tards ,  le  prince  Jean,  qu'il  aIflMît  beau- 
coup,  eut  pour  sa  part  Gongrre  et  «ae 
province  de  l'ÉtoHc 

GoRPon  sous  tBs  bois  Bn  Naplis. 
—  Sur  les  sollicitations  de  Baocioais . 
chassé  de  Gonstantinople  par  Paléole- 
gue,  Gharles  d'Anjou  ,  roi  de  Naptes. 
avait  armé  cent  galères  et  vingt  vais- 
seaux contre  Tempire  d'Orient.  Il  ^em- 
para d'abord  de  Dorazaso ,  et  il  détacba 
contre  Goreyre,  son  neveu,  Louis  # Au- 
)ou.  Après  une  résistance  oà  la  bra- 
voure aes  Gorcyréens  se  manifesta  arec 


ILES  lOKIDniES. 


échu,  la  fille  m  méRt.  Il  partit  eons- 
tant»  d'après  les  diroiriqueursyoaeee 
fut  le  peuple  qui  capituia,  malgré  la  no* 
blesse,  âecidm  k  s'ensevelir  sous  les  rui- 
nes de  la  plaee.  Charles  reçut  l'hom* 
mage  de  la  ville  et  de  tonte  la  popula* 
tioD  de  nie;  il  eonfirnia  leurs  privilèges, 
unis  il  établit  un  gouvemeroent  de  trois 
juges,  dont  Tautorité  était  illimitée, 
autorité  qui  dégénéra  lûentdt  en  ty- 
rannie. Les  habitants  supportèrent  ce 
|oug  avec  impatience;  mais  ils  furent 
surtout  blessés  par  la  conduite  de  leur 
évéque,  qui  abandonna  le  nte  grec  pouf 
embrasser  le  rite  latin.  Ce  changement 
ne  put  entraîner  les  Gorfiotes,  qui, 
comme  tous  les  Grecs,  étaient  opiniâtre- 
ment attachés  au  schisme.  Du  reste,  lis 
demeurèrent  fidèles  à  leurs  nouveaux  sou- 
verains ;  car  la  fidélité  est  le  trait  do- 
minant de  leur  caractère  dans  leurs  re- 
lations, soit  avec  les  Romains,  soit  avec 
l'empire  d*Orient,  soit  avec  les  rois  de 
Naples ,  soit  plus  tard  avec  la  républi- 
que de  Venise.  Depuis  Texpulsion  de 
leur  dernier  duc,  Jean,  de  la  famille  des 
Comnène,  eette  fidélité  à  la  maison 
d*  Anjou  ne  se  démentit  pas  un  instant. 
Dans  la  longue  guerre,  oe  cette  maison 
illustre  à  tant  de  titres  contre  les  prin- 
ces d'Aragon ,  les  Corfiotes  n'abandon- 
nent jamais  sa  cause,  et  nous  les  voyons 
résister  avec  énergie  et  avec  succès  auk 
armes  de  Jacques  d'Aragon,  qui  avait 
reçu  l'investiture  du  royaume  de  Sicile  et 
des  possessions  ioniennes. 

Les  Albanais,  héritiers  fidèles  des 
vieilles  traditions  des  Illyriens,  com- 
mençaient alors  eette  vie  d'excursions 
et  de  brigandages  avec  laquelle  ils  n*ont 
pas  rompu ,  même  de  nos  jours.  Phi- 
lippe, trère  de  Charles  le  Boiteux 
[1285),  roi  de  Naples ,  s'opposa  à  leurs 
excursions,  et  ce  fut  surtout  avec  les  Co^ 
Dotes  qu'il  les  tint  en  respect.  Pour  ce 
service,  Philippe  fut  investi  par  son 
frère  Charles  de  la  principauté  de  Cor- 
fou,  où  il  fut  accueilli  avec  amour.  Leur 
attachement  à  cet  Angevin,  dont  les 
qualités  aimables  égalaient  les  talents 
militaires,  se  manifesta  vivement  lors- 
qu'une ligue  des  Aragonais,  des  Génois 
et  des  Vénitiens  le  menaça  dans  sa 
principauté.  A  leur  tête,  il  résista  à  ces 
puissants  ennemis,  secourut  Charles 
son  frère,  étendit  sa  principauté  dans  la 


Grèce,  où  il  II  pluslMirs  toa<|RêleB.  Bdut 
téuHHgner  aux  Corfiotes  sa  reconnais- 
saoee,  le  doc  Philippe  leaexempita  de  tout 
impôt. 

Malheoreusement  Philippe  fut  tiaM 
par  la  fortune,  dans  une  expédition  di- 
rigée oontre  la  SieHe  an  profit  de  son 
neveu  Robert  de  Calabre ,  fils  de  son 
frère  Charles.  Il  fat  battu  et  fait  pri- 
sonnier par  Frédéric,  roi  de  Sicile.  Sa 
captivité  dura  jusqu'à  la  conclusion  de 
la  paix  entre  Ciarles  et  Frédéric,  et  il 
revint  alors  h  Corfou,  où  il  fit  exécuter 
des  travaux  destinés  à  protéger  l'île  et 
la  ville  contre  l'étranger.  Il  s'attacha 
la  noblesse  corfiote  en  mettant  à  la  tête 
de  ses  forces  navales  un  noble  corfioto, 
Nicolo  Barbo ,  et  après  lui  Vincent  de 
Trani.  Un  autre  noble  corfiote ,  Ai« 
mouette ,  fut  placé  à  la  tête  de  l'admi- 
nistration de  la  Justice  et  chargé  en 
même  temps  de  la  direction  des  tra- 
vaux publies.  La  police  de  la  ville  fut 
organisée;  dans  une  assemblée  gé- 
nérale ,  on  procédait  par  l'élection  au 
choix  des  gouverneurs  dans  les  établis- 
senïents  de  terre  ferme  ;  deux  trésoriers 

généraux  furent  créés  pour  la  gestion 
es  finances  ;  il  y  eut  trois  intendants  de 
la  santé,  et  une  inspection  sévère 
É'exerça  sur  toutes  les  branches  de  Tad- 
ministration  publique. 

Philippe  laissa  deux  fils ,  dont  Patné, 
Louis,  eut  la  principauté  de  Tarente,  et 
dont  le  seconu,  Robert,  entra  en  posses- 
sion de  Corfou,  à  charge  d'hommage  ait 
roi  de  Naples.  Charles  le  Boiteux ,  roi 
de  Naples ,  avait  eu  pour  successeur  son 
fils  Robert  (1809).  Celui-ci,  étant  mort 
sans  enfant  (1343  ),  avait  laissé  sa  cou- 
ronne à  sa  nièce  Jeanne.  Mariée  à  un 
fils  du  roi  Charles-Robert  de  Hongrie, 
Jeanne  le  fit  étrangler  à  Capoue,  et 
épousa  en  secondes  noces  son  cousin 
Louis,  prince  de  Tarente,  et  firère  de 
Robert,  prince  de  Corfou  (  1349). 

Robert  gouverna  cette  tie  avec  dou- 
ceur, et  à  sa  mort  en  transmit  la  posses- 
sion à  Philippe  II,  son  fils.  Ce  prince 
ne  fit  aucune  action  ;  ce  que  l'on  peut 
constater  sous  son  règne,  c'est  la  ten- 
dance à  favoriser  la  religion  grecque , 
professée  par  la  majorité  des  Gorfiotes. 

Ce  prince  étant  mort  sans  enfants , 
Corfou  dut  retourner  sous  la  domina- 
tion immédiate  des.rois  de  Naples.  Mais 


034 


VmmERS. 


l6  royaume  fut  livré  pendant  de  km- 
gœi  années  à  tontes  les  horreurs  de  la 
guerre  df ile,  et  les  Corfiotes  songèrent 
a  se  soustraire  à  cette  domination ,  que 
leur  rendaient  plus  lourde  encore  des 
impôts  onéreux  et  d'insupportables 
vexations.  Us  chassèrent  de  Gorfou  la 
garnison  et  Fadministration  napolitai- 
nes» et,  pour  couronner  cet  acte  d*indé- 
pendance  nationale,  ils  rétablirent  le 
régime  républicain ,  qui  les  avait  long- 
temps gouvernés  sous  Itf  Grecs,  les  Ro- 
mains et  les  empereurs  d'Orient. 

Paxos. 

Les  antiques  traditions   prétendent 

Sue  rtle  de  Paxos  a  fait  autrefois  partie 
e  rile  de  Gorcyre ,  dont  elle  aurait  été 
séparée  par  un  de  ces  tremblements  de 
terre  si  fréquents  dans  les  îles  Ionien- 
nes. Elle  a  absolument  les  mêmes  pro- 
duits et  la  même  qualité  de  terroir. 

Paxos  n'a  pas,  à  proprement  parler, 
d'histoire  ;  elle  a  été  dans  tous  les  temps 
uoe  dépendance  de  Gorfou,  et  en  a  suivi 
toutes  les  révolutions. 

Pline  donne  à  cette  île  le  nom  d'E* 
ricusa  ;  on  ignore  d'où  lui  vient  le  nom 
de  Paxos.  Elle  resta  longtemps  inhabi- 
tée. Dans  la  belle  saison,  les  Gorcyréens 
y  envoyaient  paître  leurs  troupeaux,  et  ce 
sont  probablement  des  pasteurs  qui  en 
furent  les  premiers  habitants.  La  popu- 
lation s'en  accrut  avec  le  temps,  et  subit 
toutes  les  phases  par  lesquelles  passa  la 
population  de  Gorcyre. 

Dans  les  guerres  interminables  que 
les  Gorcyréens  eurent  à  soutenir,  Paxos 
avait  un  port  qui  servit  quelquefois  de 
refuge  à  leurs  forces  navales  et  cjuel- 
quetois  aussi  aux  forces  de  l'ennemi.  Ge 
port  est  devenu  plus  tard  un  véritable 
nid  de  pirates. 

Paxos  appartint  successivement  aux 
Romains ,  aux  empereurs  d'Orient,  aux 
rois  de  Naples  et  aux  Vénitiens.  Les  Na- 
politains  y  bâtirent  un  petit  port,  dont 
on  voit  encore  l'enceinte. 

Les  Paxinotes  appartiennent  à  la  re- 
ligion grecque  ;  son  clergé  dépendait  du 
protopapa  (le  Gorfou;  il  y  avait  une  cha- 
pelle presque  par  chaque  habitation. 

Paxos  avait  trois  ou  quatre  familles 
aisées,  qui  sous  la  domination  véni- 
tienne achetèrent  à  Venise  des  titres 
de  comtes  et  de  chevaliers;  ces  nobles 


étaient  vêtue  à  la  liraii(aîae  :  Usii^mraii 
jamais  d^influenœ  sur  les  habitaiits  de 
rîle. 

Il  n'y  avait  point  d'administration 
ni  même  de  conseil  dans  cette  île;  de 
temps  en  temps,  à  des  intervalles  irré- 
guliers t  et  selon  le  besoin  des  cireons- 
tances,  les  princes  du  pays  s'assein- 
blaient  et  délibéraient.  Seulement ,  Ton 
de  ces  primats,  désigné  par  le  provédi- 
teur  vénitien  de  Gorfou ,  veillait  à  h 
police  du  pays.  Ge  primat,  appelé  aussi 
capitaine ,  avait  sous  ses  orares  quatre 
enseignes ,  qui  percevaient  les  droits  à 
Porto-Gai  et  dans  les  autres  mouillages; 
ils  commandaient  la  milice,  composée 
des  paysans,  et  rendaient  la  justice  tant 
au  criminel  qu'au  civil. 

Leucàde. 

Temps  fabuleux  et  héboiques. 

—  L'Ile  de  Sainte-Maure  a  porté  primi- 
tivement les  noms  de  Néritis  et  de  Leu- 
càde. Homère  place  les  Leucadiens  sous 
les  ordres  d'Ulysse,  au  siège  de  Troie. 
Virgile  fait  débarquer  Énéedaos  leur  lie  : 

Âtox  et  LeuctiUs  nimhoia  cacHmiaa  moMti», 
El/ormidatusnaulis  aperitur  ApoUo. 
HuHC pelimus  fesri  etparvœ  succedimus  mt- 

{bi  {I?. 

Ge  temple  d'Apollon,  bâti  sur  le  sommet 
du  promontoire  de  Leucade ,  eut  dans 
les  temps  anciens  une  grande  oélélnité. 
Cest  là  que  les  amants  malheureux  ve- 
naient implorer  le  secours  du  dieu,  et 
la  guérisou  de  leurs  souffrances.  Us  se 
précipitaient  dans  la  mer  du  haut  d'uo 
rocher  :  c'est  ce  qu'on  appelle  le  aaut  de 
Leucade.  La  tradition  attribue  à  Vénus 
l'origine  de  ce  singulier  usage.  La  déesse 
pleurait  la  perte  d  Adonis,  et  le  cherchait 
par  toute  la  terre.  Elle  le  trouva  mort 
dans  le  temple  d'Apollon  Erythrée. 
Apollon,  touché  de  sa  douleur,  la  con- 
duisit sur  .le  haut  de  la  roche  de  Leu- 
cade, et  lui  conseilla  de  se  ieter  dans  les 
flots,  où  elle  trouverait  roubli  de  sa 
douleur.  Cétait  aussi  de  cette  manièn 
que  Jupiter,  irrité  par  les  refus  de  Ju- 
non,  éteignait  lés  feux  de  son  amour  et 
acquérait  la  force  de  résister  aux  char- 
mes de  la  déesse.  Sapho  fut,  dit-on,  b 
première  des  mortelles  qui  tenta  le  saut 
de  Leucade. 

(i)^o.,ini  «74. 


ILES  IONIENNES. 


Longtemps  on  préomîta  du  haut  de 
ce  rocher  les  criminels  coodamnés  à 
mort.  On  leur  couvrait  le  corps  avec  des 
plumes  longues  et  fortes,  et  on  attachait 
à  tous  leurs  membres  un  grand  nombre 
d*oiseaux,  pour  les  soutenir  dans  l'air  et 
diminuer  la  rapidité  de  la  chute.  Des  bar- 
aues  étaient  préparées  pour  les  retirer  des 
flots.  Les  survivants  avaient  leur  grâce. 

TsKPs  HiSTOKiQUEs.  —  Les  Leuca- 
diens  ne  restèrent  pas  étrangers  aux 
ouereUesde  la  Grèce.  Ils  prirent  part  à 
la  guerre  de  Corcyre  contre  les  peuples 
du  Péloponnèse.  Ils  entrèrent  aussi  oans 
la  ligue  des  Grecs  contre  Philippe  de 
\f  acédome.  Lorsque  Dion  entreprit  son 
expédition  contre  Denys,  tyran  de  Sy- 
racuse, il  reçut  de  Leucade  un  renfort 
le  troupes  conduit  par  Timonides. 

Les  Leucadiens  perdirent  leur  indé- 
[lendanoe  dès  que  Rome  envahit  la  Grèce. 
Ils  n'opposèrent  qu'une  faible  résistance 
lux  armes  de  Flamininus,  et  n'imitèrent 
3as  le  courage  des  Céphaloniens.  Ils 
lisparaissent  alors  pour  ainsi  dire,  et 
semblent  comme  absorbés  dans  l'unité 
le  la  domination  romaine. 

Sous  l'empire  d'Orient ,  dont  elle  fai- 
lait  partie,  Sainte-Maure  partagea  les 
ristes  vicissitudes  qui  firent  tomber  en 
lécadence  cet  empire  et  le  livrèrent  suc- 
sessivement  aux  barbares  du  Nord ,  aux 
Latins  et  enfin  au  Turcs.  Pendant  cette 
lécadence,  elle  fut  ravagée  plusieurs 
!bis  par  Genséric,  par  Attila  et  par  les 
LfOmbards. 

En  1229,  dans  l'expédition  entreprise 
K>ntre  la  Grèce  par  quelques  nobles 
vénitiens  et  italiens ,  elle  fut  conquise 
m  même  temps  que  Janina  par  le  comte 
le  Tochis,  et  fit  partie  de  la  principauté 
le  cette  famille  aventureuse  jusqu'à 
Léonard  II ,  qui  fut  chassé  par  Amurat. 
[>ans  l'histoire  de  Zante  et  de  Céphalo- 
lie,  nous  avons  placé  les  détails  de  la 
utte  des  comtes  de  Tochis  avec  l'empire 
ottoman. 

L'Ile  de  Sainte-Maure  était;définiti- 
cément  au  pouvoir  des  Turcs  depuis 
1479,  Tannée  où  Lepn,  général  de  Ma- 
lomet  II,  s'en  était  emparé  et  l'avait 
ravagée.  Dans  la  grande  guerre  des  Vé- 
litiens  contre  les  Turcs,  au  oommence- 
sement  du  seizième  siècle,  Pesaro, 
amiral  vénitien,  s'empara  de  Sainte- 
Vlaure,  qui  à  la  paix  fut  de  nouveau 

40«  Um-aison.  (  Iles  Ioniennes.  ) 


02$ 


rendue  aux  Turcs.  Jusqu'en  1684 ,  sous 
la  domination  ottomane,  Sainte-Maure 
n'est  signalée  que  comme  un  repaire 
d'affreux  pirates  qui  désolent  l'Archipel, 
les  tles  et  les  côtes  voisines.  En  1684, 
la  guerre  ayant  recommencé  entre  Ve- 
nise et  les  Turcs ,  le  général  Morosini 
attagua  Sainte-Maure^  et  s'en  empara  dé- 
finitivement. 

A  l'est  de  Sainte-Maure  se  trouvent  les 
lies  appelées  autrefois  Taphies  et  Télé- 
boïdes,auiourd1nii  Méganisi  et  les  For- 
mighe. 

géphallsnie. 

Temps  fabuleux;  temps  hbboî- 

Sicss.  —  Les  premiers  habitants  connus 
e  Céphallénie  ou  Céphalonie  sontles  Té- 
léboens.  Il  est  difficile  de  déterminer  l'o- 
rigine de  ce  peuple.  Suivant  Strabon  ,  il 
aurait  été  chasse  du  continent  par  Achil* 
le^  postérieurement  au  sléee  de  Troie  ; 
mais  ce  récit  n'est  pas  d^accofd  avec 
la  tradition  homérique.  Pausanias  ra- 
conte que  nie  des  Téléboens  dut  à  l'A- 
thénien Céphalus  son  nom  de  Cépha- 
lonie.  Les  Téléboens  avaient  assassiné 
les  frères  d'Alcmène ,  femme  du  Thé- 
bain  Amphytrion.  Thèbes  voulait  ven- 
ger cette  injure.  Elle  accepta  les  servi- 
ces d'un  proscrit,  Céphalus,  chassé  d'A- 
thèues  pour  avoir  tué  sa  femme  Pro- 
cris. Le  banoi  s'empara  de  l'île,  s'y 
établit,  et  l'appela  de  son  nom.  C'est 
durant  cette  expédition  que  Jupiter  sé- 
duisit Alcmène. 

La  famille  de  Céphalus  régna  pen- 
dant dix  générations ,  jusqu'à  Tabdica- 
tion  de  Cnalcinus  et  de  Detus,  qui,  sur 
l'ordre  de  la  Pythie ,  quittèrent  nie  pour 
retourner  en  Attique.  Alors  succède  à 
la  royauté  une  sorte  de  république  fé- 
dérative.  Les  quatre  villes  principales 
de  l'île  forment  des  États  séparés  et  in- 
dépendants, alliés  seulement  pour  la 
défense  commune.  Déjà  se  développe 
par  des  progrès  rapides  la  puissance 
navale  de  c&&  insulaires.  De  nombreux 
vaisseaux  fréquentent  leurs  ports,  et  sur- 
tout celui  de  Oané ,  où  débarquèrent, 
suivant  la  légende ,  Jason  et  les  Argo- 
nautes. 

Les  Céphaloniens  prirent  une  part 
importante  an  siège  de  Troie.  Ils  y  fu- 
rent conduits  par. Ulysse.  Homère 
vante  leur  habileté,  leur  valeur,  et  la 

40 


«M 


L*OïflVÉAS. 


Bèfttité  éo  leiin  vaisteaux,  dolit  las  pou- 
pes et  les  proues  étaient  peintes  avec  un 
m  adttiireble. 

CéPHALONiS  DANS  LBS  GÛËBRfiS  Bfi 

laGaècb.  —  Dans  la  fnierre  qui  éclata 
entre  Corcyre  et   Corinlhe,  les  Cé- 

I^halonienss'^e  déclarèrent  d^abord  contre 
eurs  voisins,  qui  étaient  sahs  doute  aussi 
leurs  rivaux.  La  ville  de  Paie  fournit 
quatre  vaisseaux  aux  Corinthiens.  Mais 
lorsque  Athènes  se  fiit  prononcée  en  ùt- 
Vèur  de  Corcyre,  les  Céphaloniens  dian* 
gèrent  de  parti  ;  ils  s'attirèrent  ainsi  la 
vengeance  de  leurs  premiers  alliés.  Co- 
rinthe  envoya  contre  eux  quarante  na- 
vires ;  noaîs  elle  éclioua  misérablement 
dans  cette  expédition.  Céphabnie  resta 
fidèle  à  la  cause  d*Athènes.  C'est  à  ti- 
tre d^alliée  et  d^aoxiliaire  que  nous  la 
voyons  intervenir  dans  les  querellés  de 
la  ferèce.  Malgré  les  progrès  de  sa  puis- 
sance, elle  n'eut  point  d'ambition  per- 
sonnelle ,  et  sans  faire  abandon  de  ses 
Intérêts  et  de  son  honneur,  elle  sut 
éviter  les  périls  ^orieux  du  premier 
«ing. 

CONtJtJÊTE  T)B  L'ÎLt  PAB  LÏS  RO- 
MAIN s.— L'indépendance  deCéphalonie 
devait  succomber  sous  la  puissance  de 
Rome;  mais  elle  succomba  dignement. 
Tandis  que  la  plupart  des  cités  de  la 
Grèce  allaient  au-devant  de  la  servitude, 
Céphalonie  repoussa  les  armes  du  con- 
sul T.  Quintus  Flamininus  ;  et  pour  sou- 
mettre la  seule  ville  de  Same  ou  Sa- 
mos  il  fallut  à  Marcus  Fui  vins  un  siège 
de  quatre  mois.  Samos  fut  rasée  de  fond 
en  comble  H  ses  habitants  vendus  à 
l'enchère.  Tite-Lîve,  qui  a  raconté  les 
détails  du  siège,  fait  fénumération  des 
richesses  apportées  devant  le  consul. 
Cétaient  deux  cents  couronnes  d'or  du 
poids  de  dix  livres;  quatre-vingt-trois 
mille  livres  d'argent;  deux  cent  qua- 
rante-trois livres  d'or;  oent  dix-huit 
pièces  de  monnaie  athénienne;  dix 
mille  quatre  cent  vingt-deux  pièces  ma* 
eédoniennes;  deux  cent  quatre-vingt- 
Irofs  statues  de  bronze;  daux  cent  trente 
de  marbre;  une  quantité  prodigieuse 
d'armes  et  de  machines  de  guerre; 
plus  les  sommes  distribuées  aux  tri- 
buns, aux  chevaliers,  aux  centurions,  aux 
soldats  même.  Ce  tableau  suffira  pour 
indiquer  suffisamment  combien  la  pros- 
périté des  Céphaloniens  s'était  dévelop- 


pée par  les  arts  de  la  paît,  et  spéciale- 
ment par  la  navigation  et  le  oommeree. 
Leur  histoire  particulière  finit  au  sié&e 
de  Samé.  A  partir  de  la  victoire  de 
Fulvius  rtle  de  Céphalonie  est  eom* 
prise  dans  les  possessions  romaines; 
en  364  de  l'ère  chrétienne  elle  passe 
sous  la  domination  de  l'empire  d^ 
rient. 

Pendant  cette  période  l*htS(totf«  de 
Céphalonie  reste  tres-obscore,  et  l'on  n'a 
à  ce  sujet  que  des  données  rares  et  in- 
certaines. D'après  le  chroniqueur  Jean 
Martius ,  Céphalonie  dans  la  eratide  In- 
vasion des  barbares ,  serait  oevenue  la 
proie  des  Lombards. 

Les  Lombards  ayant  été  èhassés  ^ 
talie  par  Cliarlemagne ,  vers  l'an  900, 
on  suppose  que  Cépluilonle  ffa  recou- 
vra alors  son  nidépeudanoe,  oufetottrua 
à  l'empire  d'Orient. 

Le    PBTIfCB    DU    TAnBHÏB.    —    Eîl 

1125  elle  appartenait  aux  empereurs 
d'Orient,  quand  les  Vénitiens,  an  mi- 
lieu des  guerres  4e  la  Terre  Sainte,  et 
è  la  faveur  de  la  déplorable  faiblesse  de 
l'empire,  s'emparèrent  do  château  de 
Céphalonie;  mais  Ils  ne  prirent  pas  en- 
core définitivement  possession  et  Vfk. 
En  effet,  en  1207,  Tempereur  Baudouin 
donna  plusieurs  ties  grecqties  et  entre 
autres  Céphalonie  au  prmoe  de  Tarente, 
Gains ,  qui  l'avait  suivi  à  la  croisade. 
Mais  Baudouin,  renversé  par  Paléoi^ue, 
ayant  appelé  lés  tols  angevins  de  Na- 
pies  à  sou  secours,  et  uneguerre  sansfti 
s'étant  engagée  dans  ces  contrées, 
guerre  où  toutes  les  ambitions  s6  croi- 
saient, où  toutes  les  prétendons  se  ma- 
nifestaient par  les  armes ,  où  les  con- 
quérants grècs  ou  latins  se  soccédaient 
les  uns  aux  autres  avec  tme  prodieîease 
rapidité,  Oalus  jugea  prudent  tTaivoxr 
un  point  d'appui  sur  lequel  il  pût  comp- 
ter. Il  s'adressa  à  ia  république  de  V^ 
nise  (  121 5  ))  se  plaça  sous  sa  protection, 
et  lui  paya  tribut. 

Lï:s  CotftES  Dï  ToCHiS.  —  En 
12:29  nous  vovons  plusieurs  nobles 
vénitiens,  dmgk  par  on  Napolitain,  le 
comte  de  Tochis ,  aller  à  la  cooquêie 
de  certaines  parties  de  ia  <^rèee.  Lp 
comte  de  Tochis  s'empara  de  Sainte- 
Maure,  de  Janina  et  de  plusieurs  autres 
villes.  Vers  cette  épqtîc  les  rois  angfr 
vins  de  Kaples  farsaient  la  goerre  à 


ILES  lONIENïfES. 


«27 


Tempire  d'Orient,  et  les  aventuriers 
qu'ils  avaient  à  leur  solde  ravageaient 
les  cdtes  de  la  Grèce  et  les  frontières  de 
Tempire;  les  tles  Ioniennes  eurent 
beaucoup  à  souffrir  de  ces  ravages, 
malgré  le  protectorat  vénitien  qui  cou- 
vrait plusieurs  d'entre  elles.  A  la  fin  de 
cette  guerre ,  quatre  de  ces  tles,  Cépfaa- 
lonie,  Zante,  Sainte-Maure  et  Ithaaue- 
restèrent  au  comte  Charles  de  Tocnis, 
successeur  de  celui  ^i  avait  pris  Janina. 

Le  comte  de  Tochis  aimait  la  euerreet 
les  aventures,  eomme  son  prédécesseur. 
Il  voulut  reprendre  Janina ,  qui  avait 
fait  retour  à  rempire,  et  que  l'empereur 
Jean  Cantacuzène  avait  donnée  à  un  cer- 
tain Spata.CeSpata,  souverain  de  Janina, 
appela  lui-même  contre  un  de  ses  voisins 
le  comte  Charles  de  Tochis,  qui  vint  à 
son  secours  avec  son  frère,  Léonard 
de  Tochis.  Charles  de  Tochis  fut  vain- 
queur, épousa  la  fille  de  Spata,  et  hérita 
de  la  principauté  de  son  beau-père. 
C'était  une  conquête  solide;  car  l'empe- 
reur Emmanuel  II  lui  en  donna  linves^ 
titure  régulière. 

A  la  mort  de  Charles  et  de  son  frère 
Léonard,  Charles  II  prit  possession  de 
la  principauté  ;  mais  il  fut  chassé  des 
États  de  terre  ferme  par  Tempereur 
turc  Amurat,  et  réduit  à  ses  posses- 
sions insulaires ,  composées  de  Cépha- 
lonie,  Zante  et  Sainte-Maure. 

On  sait  que  les  comtes  de  Tochis 
étaient  déjà,  pour  ces  lies,  tributairesde 
Venise.  Amurat  exigea  qu'ils  fussent 
aussi  ses  tributaires,  et  quils  ne  fissent 
aucun  acte  de  souveraineté  sans  l'agré- 
ment du  gouvernement  turc. 

Léonard  II ,  fils  de  Charles  II,  ayant 
méconnu  cette  suprématie  des  empe- 
reurs turcs,  s'attira  leur  colère.  Le 
sultan  envoya  contre  lui  vingt-neuf 
vaisseaux  et  une  armée  de  débarque* 
ment.  Léonard  s'enfuit  à  Inaptes ,  et  de 
là  à  Rome.  Les  Turcs  arrivés  dans  les 
Iles  Ioniennes  s'y  livrèrent  aux  plus 
grandes  cruautés,  et  malgré  l'interven- 
tion de  Venise,  les  dépeuplèrent,  passant 
les  uns  au  fil  de  l'épée,  réduisant  les  autres 
en  esclavage.  Puis  ils  mirent  une  forte 
garnison  à  Céphalonie,  et  se  retirèrent. 

Antoine  de  Tochis,  frère  de  Léonard, 
aidé  des  rois  de  Pïaples,  fit  plus  tara 
une  tentative  sur  Céphalonie,  mais  il 
eut  contre  lui  les  Vénitiens  et  les  Turcs  ; 


il  lut  tuédans  un  coihlmt,  et  Céphalonie 
fttt  replaoée  de  nouveau  sous  la  domina- 
tion ottomaiie. 

Au  oommencemeat  du  aeizièmo  sî^ 
de ,  Bajazet  déclara  la  guerre  aux  Véni« 
tiens.  Ceux-ci  réumrent  loiirs  forces  à 
celles  des  Esoagools,  et  vinrent  assiéger 
Céphalonie ,  les  VénitîeM  aous  la  ccm* 
duite  de  Pesaro,  les  Espagnols  soua  lo 
eoramandement  de  GoirâdveFeroandèe. 
Le  ehâteav  de  Céphalonie  était  gardé 
par  six  cents  Turcs  et  une  Ibrte  artillerie  : 
le  siège  ftit  long  et  meurtrier;  mais, 
attaqués  par  des  forces  sonéneuraa  , 
les  Turcs  finirent  par  suoeomoer,  et  fa* 
rent  en  majeure  par^  masaaeréa,  IPe» 
saro  prit  possession  définitive  de  Itie  au 
nom  de  la  républîqiie  vénilienue,  et 
Franeeseo  Leone  en  ftt  le  premier  pre* 
véditeur.  Depuis  oette  époque  iusqu*à 
la  chute  de  la  république ,  Céphalonie 
n'a  cessé  de  faire  partie  des  jKMseaaiona 
vénitiennes  dans  le  Levant 


S 


Ltle  d'Ithaque  n'a  pour  ainsi  dire 
as  d'histoire  -.  elle  a  partagé  la  fortune 
e  Céphalonie ,  sa  puissante  voisine.  Le 
nom  d'Ulvsse  l'a  seul  illustrée.  Cest 
dans  rtle  dlthaque  que  régna  le  fils  de 
Laerte;  c'est  là  que  vécut  Pénélope, 
é'est  là  que  le  héros  revint  châtier  les 
débauches  et  l'insolence  des  préten- 
dants. Sans  Homère,  qui  l'a  chantée  et 
qui  peut-être  la  visita,  cette  fie,  peu 
étendue,  et  à  peine  peuplée,  aurait 
complètement  éctiappé  aux  regards  et  à 
l'attention  des  historiens.  Voisine  de 
Céphalonie,  dont  elle  fut  une  dépen- 
dance ,  elle  en  suivit  toutes  les  révoln- 
tions,  appartint  successivement  aux 
Komains,  à  l'empire  d'Orient,  aux  com«> 
tes  de  Tochis  et  aux  Turcs,  et  enfin  aox 
Ténitiens. 

Il  faut  lire  rodyssée  pour  connaîtra 
l'ancienne  Ile  d'Ithaque;  quanta  l'état 
actuel  de  Thialii,  il  est  exactennent  et 
complétementdécrildanslclivrede  Wil- 
liam Gell  (1). 

A  l'est  d'Ithaque,  on  aperçoit  dans  le 
lointain  les  sommets  rocailleux  des  an- 
ciennes Echinades,  aujourd'hui  les  Iles 
Curzolaires. 

(i)  W.  GeTl.,  The  Geography  tuid  Anti- 
qmUês  oflthaca  /London,  i3o7,  in-4^ 

40. 


LTJNIVERS* 


Zactnthb. 


Temps  héroïques.  -—  Les  Achéens 
sont  les  premiers  habitants  connus  de 
f  île  de  Zacynthe.  Selon  la  légende ,  elle 
dut  son  nom  à  Zacynthus,  fils  du  Troyen 
Dardanus.  On  place  vers  Tan  2580  f  ar- 
rivée de  la  colonie  conduite  par  ce 
héros.  Un  siècle  après ,  Zacynthe  aurait 
à  son  tour  envoyé  en  Espagne  une  partie 
de  sa  population.  Cest  à  cette  émi^a- 
tlon  que  Sagonte  rapportait  son  origine. 

Au  siège  de  Troie,  les  Zacynthiens 
combattent  sous  les  ordres  d*Ulysse.  En 
Tabsenoe  du  fils  de  Laerte,  les  princes 
auxquds  il  a  confié  le  gouvernement  de 
nie  se  rendent  indépendants ,  et  vont  à 
Ithaque  partager  avec  les  autres  pré- 
tendants les  dépouilles  du  héros.  Us 
ont  aussi  leur  part  dans  le  châtiment, 
lorsque  Ulysse  reparaît  avec  son  fils  Té- 
lémaque  pour  venger  les  outrages  faits 
à  Pénélope. 

Suivant  une  tradition,  rapportée  par 
Denys  d'Halicamasse,  Ënée  aurait  reçu 
à  Zacynthe  une  généreuse  hospitalité ,  y 
aurait  bâti  un  temple  à  Vénus  et  célébré 
des  jeux  magnifiques. 

Temps  histoaiques.  —  L'histoire 
de  Zacynthe  commence  avec  la  guerre 
du  Péloponnèse.  Sommés  par  Athènes 
de  prendre  les  armes  contre  Lacédé- 
mone,  les  Zacynthiens  refusèrent  de 
s'engager  dans  la  querelle  des  deux  villes 
rivales;  mais  ils  furent  bientôt  con- 
traints de  renoncer  à  leur  prudente  neu- 
tralité. Les  Athéniens,  commandés  par 
Tolmidas,  débarquèrent  dans  nie,  et 
lui  imposèrent,  sous  le  nom  d'alliance , 
leur  impérieuse  domination.  Les  2^cin- 
tliiens  durent  paver  un  tribut  en  argent 
et  en  soldats.  Néanmoins ,  ils  restèrent 
Hdèles  à  Athènes ,  jusqu'à  ce  que  le  gé- 
néral athénien ,  Timothée  se  fut  avisé 
d'avoir  recours  à  la  force  pour  réinté- 
grer dans  l'île  de  Zacinthe  plusieurs 
exilés.  Us  se  révoltèrent,  et  firent  appel 
aux  Laoédémoniens ,  déjà  occupa  à 
soutenir  la  noblesse  de  Corcyre  contre 
le  peuple  de  cette  île ,  que  soutenait  de 
son  côté  la  démocratie  athénienne.  Jus- 
que là  les  Zacynthiens  avaient  été  les 
alliés  des  Corcyréens  ;  en  se  rangeant 
du  parti  de  Lacédémone,  les  Zacyn- 
thiens se  firent  de  leurs  voisins  de  u)r- 
cyre  des  ennemis;  car  la  faction  des 
nobles  fut  exterminée  dans  Corcyre,  et  je 


parti  populaire  trïomphant  ne  paidoiuia 
point  aux  Lacédémomens  et  aux  Tjàm- 
thiens  leur  intervention. 

Thucydide  rapporte  que  Zacynthe  r^ 
vint  à  l'ail  iance  athénienne.  Lacédémone 
en  fut  irritée,  et  médita  une  vengeanee 
cruelle.  Cnémus,  alors  général,  eoin- 
mandant  une  flotte  de  cent  voiles  et 
mille  hommes  de  débarquement,  fît  ir- 
ruption dans  llleet  la  ravagea.  Alors  les 
Zacynthiens  en  appelèrent  à  leur  dé- 
sespoir; ils  firent  une  résistance  si  0|m- 
niâtre,  qu'ils  forcèrent  Cnémus  à  se  re- 
tirer avec  perte. 

Dion,  chassé  de  Syracuse  par  Denys 
le  Tyran,  s'était  retiré  dans  le  Pélopon- 
nèse. Lorsqu'il  entreprit  de  délivrer  sa 
patrie,  c'est  à  Zac)[ntne  qu'il  fixa  le  ren- 
dez-vous des  conjurés.  Les  habitants 
secondèrent  ses  projets.  Après  un  repas 
magnifique  et  un  sacrifice  solennel  dans 
le  temple  d'Apollon,  huit  cents  hommes 
qui  formaient  toute  l'armée,  s^embar- 
quèrent  sur  trois  vaisseaux  bien  appro- 
visionnés de  vivres  et  de  munitions. 
L'appui  de  Zacynthe  facilita  le  succès  de 
cette  expédition  téméraire;  mais  si  les 
Zacynthiens  eurent  l'honneur  de  oontri- 
l)uer  à  la  chute  du  tyran,  ils  souillèrent 
leur  gloire  par  une  infime  trahison  :  ils 
assassinèrent  le  libérateur  de  Syracuse. 
C'était  le  jour  de  la  fête  de  Proserpîne; 
une  troupe  de  Zacynthiens,  enrôles  par 
l'Athénien  Callippus,  enveloppe  la  d^ 
meure  de  Dion.  Les  uns  se  tiennent  en 
dehors,  et  gardent  la  porte;  les  autres 
pénètrent  sans  armes  dans  la  maison. 
Dion  était  tranquillement  assis  dans  une 
salle  intérieure ,  su  milieu  d*un  groupe 
d*amis.  Les  noeurtriers  se  jettent  sur  lui 
pour  l'étouffer.  Surpris  par  une  attaque 
imprévue,  abandonné  sans  défense  par 
les  hôtes  qui  l'entourent  et  que  leor 
lâcheté  rend  complices  du  crime,  il  se 
débat  seul  contre  tous.  La  lutte  fut  lon- 
gue et  cruelle.  Pour  achever  la  victime, 
il  fallait  une  épée,  Dion,  presque  étouffé, 
refusait  de  se  rendre  et  de  mourir.  En- 
fin ,  après  une  horrible  attente ,  un  cer- 
tain Lycon ,  de  Syracuse,  jeta  par  la  fe- 
nêtre un  poignard,  qui  permit  aux  assas- 
sins de  consommer  leur  crime. 

Domination  bouàinb.  —  Ce  fiii 
Lœvinus  qui  le  premier  porta  dans  nie 
de  Zacynthe  les  aigles  romaines  (214}.  Il 
y  trouva  une  vigoureuse  résistance.  Mai» 


ILEà  lONIENrteS. 


S20 


les  ZaeyDthiens  ne  pouvaient  longtemps 
tenir  tête  au  peuple-roi  ;  ils  se  soumirent, 
abandonnèrent  le  parti  de  Philippe,  et 
rentrèrent  dans  la  ligue  des  Étoliens. 
liorsque  le  roi  de  Macédoine  recom- 
mença la  guerre  contre  Rome  et  ses  al* 
liés  (300),  c'est  par  la  conquête  de  Za« 
cynthe  qu*il  ouvrit  la  campagne.  11  céda 
la  possession  de  File  à  Aminander,  roi 
des  Âthamanes,  et  obtint  en  échange 
le  libre  passage  sur  les  terres  de  ce  prince. 
Aminander  confia  le  gouvernement  de 
Zacynthe  à  Philippe  de  Mégalopolis; 
celui-ci,  rappelé  en  Grèce  pour  conduira 
contre  les  Romains  Farmée  des  Atha- 
manes, alliés  d^Antiochus,  fut  remplacé 
par  Hiéroclès  d'Agrigente.  La  défaite  du 
roi  de  Syrie  à  la  batailledes  Thermopyles 
amena  la  ruine  d'Aminander.  Philippe, 
profitant  des  circonstances»  s'empara 
du  pays  des  Athamanes  ;  il  méditait  la 
con^étede  Zacynthe;  mais  Hiérocl^ 
prévint  ses  projets,  et  vendit  Ftle  aux 
Achéens.  (Test  alors  que  Titus  Quintius 
Flamininus  vint  imposer  la  paix  aux  peu- 
ples grecs.  Dans  le  conseil  de  la  ligue 
achéenne ,  il  réclama  la  possession  de 
Zacynthe ,  comme  appartenant  de  droit 
aux  Romains,  vainoueurs  et  héritiers 
d'Aminander  (196).  L'île,  de  nouveau 
soumise  à  Fautorité  de  Rome ,  n'atten- 
dit pour  se  révolter  que  le  départ  de 
Flaminius  ;  elle  s'unit  de  nouveau  à  la 
confédération  des  Étoliens.  Vainement 
fot-elle  punie  de  cette  défection ,  par 
une  invasion  de  G.  Livius;  elle  s'associa 
de  nouveau  à  la  résistance  de  la  ligue. 
Vaincue  par  le  consul  Fulvius,  elle 
sauva  du  moins  son  indépendance;  mais 
elle  ne  sut  pas  la  conserver  longtemps. 
Elle  la  perdit  dans  Fasserrissement  gé- 
néral de  toute  la  Grèce,  après  le  triom- 
phe de  Mummius  sur  les  Achéens  (146). 
Incorporée  dans  la  province  d'Achaîe, 
File  de  Zacynthe  eut  toujours  le  même 
sort  que  le  reste  de  la  Grèce. 

Zacynthe  ne  se  ressentit  pas ,  comme 
l'île  de  Gorcyre ,  des  guerres  civiles  qui 
marquèrent  la  fin  de  la  république  ro- 
maine. Tandis  que  Gorcyre ,  à  qui  sa 
position  et  son  importance  interdi- 
saient le  droit  de  rester  neutre,  prenait 
successivement  parti  pour  Pompée  con- 
tre César,  pour  Brutuset  Cassius  contre 
Antoine  et  Octave,  et  en  dernier  lien 
pour  AntoinecontreOctare,  nous  voyons 


au  contraire  que  Zacynthe,  ainsi  que 
GéphalOBÎe  et  les  autres  îles  ioniennes 
jouissaient  d'un  calme  profond.  Seule- 
ment Zacynthe  est  souvent  un  asile  ou« 
yert  aux  proscrits.  Les  victimes  des 
grandes  guerres  civiles  de  Rome  vien- 
nent y  chercher  un  abri  contre  les  ven- 
geances de  parti. 

Zacynthe  sous  les  empereurs  n'a 
plus  de  rôle  dans  Fhistoire;  elle  est 
admiqistrée  par  un  lieutenant  impérial  ; 
et,  suivant  le  caractère  du  maître  et  du 
lieutenant,  Zacynthe  est  plus  ou  moins 
libre,  plus  ou  moins  tyrannisée.  Les 
habitants  se  plaisent  à  consacrer  par  des 
médailles,  dont  plusieurs  existent  en- 
core, le  souvenir  de  ceux  qui  ont  mérité 
leur  reconnaissance,  Marc-Aurèle  par 
exemple,  l'impératrice  Faustina  la  jeune 
et  Fempereur  Géta. 

ZAGYNTHB  SOUSL'BMPinBd'OniRNT. 

—  Zacynthe,  lors  de  la  division  de  l'em- 
pire entre  les  fils  de  Théodose,  passa 
sous  la  domination  des  empereurs  d'O- 
rient. Elle  continua  à  jouir  de  la  paix 
la  plus  complète  jusqu'aux  invasions  des 
barbares.  Après  le  sac  de  Rome  par 
Genséric,  on  sait  aue  ce  redoutable  chef 
des  Vandales,  débordant  sur  la  Sicile 
et  la  Grèce,  ravagea  ces  contrées.  Eo 
passant  de  Sicile  en  Grèce,  les  Vandales 
n'oublièrent  pas  les  Iles  Ioniennes,  qui 
se  trouvaient  sur  leur  passage  :  Zaoyn* 
the,  Géphalonie,  Gorcyre  furent  dévas* 
tées.  Zacynthe  éprouva  de  nouveau  le 
même  sort  lorsque  Attila  se  jeta  sur  la 
Grèce  avec  son  innombrable  armée. 
Plus  tard,  à  l'époque  des  excursions  des 
Sarrasins,  Fîle^  presque  sans  défense, 
devint  aussi  plusieurs  fois  la  proie  de  œs 
barbares  du  Midi,  comme  elle  avait  été 
auparavant  la  proie  des  barbares  du 
Nord. 

liBS  COMTBS  DB  TOCHIS.  —  En  1929 

plusieurs  nobles  vénitiens  et  napolitains 
dirigèrent  une  expédition  contre  la 
Grèce.  Ils  avaient  à  leur  tête  le  comte 
de  Tochis.  Ils  s'emparèrent  de  Zacyn- 
the, de  Sainte-Maure  et  de  Géphalonie, 
et  les  comtes  de  Tochis,  adjoignant  à 
ces  îles  quelques  parties  de  la  terre  ferme 
qu'ils  avaient  conquises,  en  firent  une 
principauté. 

Ges  comtes  eurent  des  guerres  à  soa- 
tenir  contre  leurs  voisins  du  continent 
grec.  En  1336  Charles  de  Tochis  s'em- 


6M 


VUJXVŒMé 


iMra  â'soe  partie  de  TÀlbaBie,  éf)ousa 
la  fiUe  d*ua  tyran  de  ee  pays»  et  à  la 
mort  de  ee  tyraa  tint  du  chef  de  sa 
femme  TinopcHrtaBte  place  de  Janiuay 
dont  il  reçut  d'ailleurs  Tinvestiture  ré- 
gulière des  maios  de  Teropereur  Em* 
manuel  IL  A  la  mort  de  Charles  TochiSi 
son  frère  Léonard  lui  succéda  «  et  Léo« 
sard  eut  lui-même  pour  successeur  son 
ÛU^  nommé  Charles  comme  son  oncle* 
C'était  un  prince  ^r,  hautain  et  dur; 
ses  sujets  de  terre  ferme  se  plaif;nirent, 
et  se  placèrent  sous  la  protection  d'A- 
nurat.  Les  Turcs  dépossédèrent  le  comte 
Charles,  et  le  forcèrent  à  se  retirer  dane 
ses  possessions  insulaires,  Zacynthe» 
Oépbalonie  et  Sainte*Maure.  De  plus» 
Charles  dut  leur  payer  un  tribut,  comme 
ii  leiaisait  déjà  pour  Venise,  et  livra  en 
otage  son  fils  Léonard,  que  Mahomet 
fit  enfermer  au  sérail. 

Ce  Léonard,  qui,  sorti  du  sérail,  suc- 
céda à  son  père,  ne  conserva  pas  long- 
temps sa  principauté.  Il  dut  s'enfuir 
devant  les  Turcs,  et  il  se  réfugia  à  Na- 
pies  et  ensuite  à  Rome,  où  il  mourut 
misérablement. 

DBetlUGXION  DB  ZAHin  PAA  LES 

Tunes.  —  Mais  ce4te  fuite  de  Léonard 
ne  préserva  pas  les  lies  de  sa  princi- 

Sauté  de  la  vengeance  des  Turcs.  La 
otte  turque  commença  par  s'emparer 
de  Oéphalonie,  puis  elle  se  présenta  de- 
vant SUcynthe,  et  la  somma  dese  rendre. 
Pierre  Broaltus,  commandant  dans  l'île 
depuis  le  départ  du  comte  Léonard  « 
résolut  de  se  défendre.  Il  comptait  sur 
les  seoours  des  Vénitiens,  dont  les  forces 
navales  croisaient  dans  la  Méditerranée 
sous  le  oommandement  d'Antoine  Lo- 
rédan.  Loredan  se  présenta  en  effet 
devant  Zacynthe,  et  réclama  pour  les  su- 
Jets  vénitiens  qui  habitaient  l'île  le  bé^ 
Héfice  de  leur  nationalité.  Le  général 
turc  reconnut  la  justesse  de  cette  ré- 
damation,  et  suspendit  les  hostilités  jus- 
qu'au départ  des  sujets  vénitiens.  Un 
grand  nombre  d'habitants,  profitant  de 
estteooeaslon  favorable,  abandonnèrent 
l'île  en  même  temps  que  les  nationaux 
de  Venise.  Les  infortunés  qui  restèrent 
furent  presque  tous  crasses  au  fil  de 
l'épée  ;  Zacynthe  fut  dépeuplée,  et  devint 
eemblable  a  une  lie  déserte.  C'est  alors 
q[iie  les  Turcs  la  cédèrent  aux  Véni- 
tiens moyennant  une  sooune  d'argent* 


GYTHfeBS. 


Cvthère  (Cérigo),  occupée  d^abord 
par  les  Phéniciens,  quiy  établirent  leculte 
d'Astarté  ou  de  Vénus,  fut  peuplée  en- 
suite par  une  colonie  de  Lacédémonieos. 
Son  histoire  primitive  n'est  pas  conaue. 
La  tradition  place  dans  cette  île  le  pa- 
lais d'Hélène  et  de  Ménél^.  Parmi  lo 
ruines  qui  couvrent  la  côte,  on  remarque 
une  grotte  taillée  dans  le  roc  en  forme 
de  voûte.  Cette  grotte,  selon  la  légende, 
aurait  servi  aux  bains  d'Hélène. 

Dans  la  huitième  année  de  la  guerre 
du  Péloponnèse,  les  Athéniens  firent 
une  descente  à  Cy  thère  ;  dix  vaisseaox 
entrèrent  dans  le  port.  Le  bourg  de 
Scandée  se  rendit  sans  résistance;  mais 
la  ville  se  défendit  avec  courace.  Forcés 
de  céder  au  nombre ,  les  hanitants  se 
retirèrent  dans  la  forteresse,  et  deman- 
dèrent à  capituler.  Ils  obtinrent  la  \\t 
sauve,  à  condition  de  reconnaître  la 
domination  d'Athènes.  Pour  assurer  la 
soumission  de  l'île,  Nicias,  (]ui  comman- 
dait les  Athéniens,  fit  sortir  de  la  pis» 
tous  les  Lacédémoniens,  et  les  euferma 
loin  des  cotes,  dans  l'intérieur  du  pays. 
La  possession  de  Cythère  donnait  à 
Athènes  beaucoup  d^vantages.  De  oe 
poste,  gardé  par  une  forte  garnison r 
elle  menaçait  continuellement  la  Laco- 
nie.  C^est  de  là  que  partit  rex^itiofl 
dirigée  contre  Épidaure  la  Limérienne  et 
contre  Thyrée,  asile  des  Esinètes.  Dans 
cette  ville ,  les  Athéniensnrent  prisoa- 
niers  un  certain  nombre  de  Cythériens 
restés  fidèles  au  parti  de  Lacedémone, 
et  les  traitèrent  avec  plus  d'humaoïte 
que  les  Éginètes  :  ceux-ci  furent  tous 
passés  au  fil  de  Vépée;  les  Cythériens 
furent  seulement  relégués  dans  de  petites 
îles  de  la  mer  £g^. 

Cvthère  ne  resta  pas  longtemps  sous 
la  domination  athénienne;  elle  futr^ 
couvrée  par  Lacédémone.  Elle  servit  de 
retraite  au  roi  Ciéomène,  lorsque  ce  ré- 
formateur aventureux  fut  obligé  de  fiiir 
à  l'approche  d'Antigone  Doson,  roi  de 
Macédoine. 

EÀle  suivit  le  sort  de  Sparte  et  se  sou- 
mit, avec  le  reste  de  la  Grèce,  à  Tautorite 
du  peuple  romain. 

A  vrai  dire ,  l'île  de  Cythère  n'a  point 
d'histoire  ;  elle  n'a  joué  qu'un  rôle  pas- 
sif dans  les  révolutions  qui  ont  agite  la 


lU^  lONENNES. 


631 


rMé  h^lénj^ie,  pwvUnt  eUe  eut  une. 
populatioii  inteUigeote  et  amie  des  arts. 
PauMiiias  a  conaervé  le  nom  du  Cy  thé* 
rien  Hermogène,  auteur  d'une  statue 
de  Vénus  qui  décorait  une  fontaine  de 
Corinthe.  Un  autre  Cythérien^  le  poète 
lyrique  Philoxène«  se  laissa  condamner 
aux  earrières,  plutôt  que  de  louer  de 
nuiu  vais  vers  composés  par  Denys,  tyran 
de  Syracuse. 

Le  temple  de  Vénus  à  Cytbère  est  un 
monument  fameux  dans  Tantiquité.  Cest 
à  Cythère,  suivant  Hésiode,  que  Vénus, 
au  sortir  des  eaux,  fut  portée  |)ar  les 
zéphirs  dans  un  diar  de  coquillage. 
Cette  légende  était  f  dit-on  ,^ représentée 
dans  le  temple  de  la  déesse/On  y  voyait 
aussi,  près  de  Vénus,  Hélène,  la  plus 
belle  des  Grecques,  enlevée  par  Paris. 
Comme  Tile  de  Chypre ,  Cythère  était 
vouée  au  culte  d'Aphrodite ,  ce  qui  lui 
a  valu  k  certaines  époques  les  hom< 
mages  de  bien  des  poètes.  Aujourd'hui 
le  triste  rocher  de  Gérigo  ne  répond 
guère  à  Tidée  qa'en  donnent  et  que 
s'en  font  les  auteurs  et  les  amateurs  de 
poésie  erotique. 

Cythère,  jusqu'à  la  possession  vénî* 
tienne,  passa  par  toutes  les  dominations 
qu'eurent  à  subir  le  Péloponnèse  et  les 
autres  îles  ioniennes.  Rien  de  partieu* 
lier  n*s  marqué  le  passage  de  ces  domi- 
nations. Sous  Tempire  d'Orient,  saint 
Théodore,  originaire  de  la  ville  de  Coron 
dans  le  Péloponnèse ,  vint  dans  l'Ile  de 
Cérigo,  où  il  vécut  en  ermite.  C'est  en 
l'honneur  de  ce  saint  et  pour  consacrer 
le  souvenir  de  ses  nombreux  miracles 
que  Romain ,  empereur  de  Constanti- 
Rople,  fit  ériger  è  sesf  rais  l'église  grecque 
qui  occupe  le  centre  de  l'île  (1208). 

A  la  chute  de  l'empire  de  Constanti- 
nople,  Cérigo  devint  la  possession  de 
princes  psrticuliers,  comme  Cépbalonie 
et  Zante  étaient  tombées  aux  mains  des 
comtes  de  Tochis.  Dans  la  guerre  de 
Venise  centre  les  Turcs  elle  passa  sous 
la  domination  vénitienne. 

Au  sud -est  de  Cérigo  se  trouve  la 
petite  tie  de  Cérigotto,  l'ancienne  ifigia* 
ta,  qui  de  tout  temps  a  été  habitée  par 
une  population  de  marins  et  de  pirates. 


m 


LES  tLBS  I0N1EN1VB8  SOUS  LA  DOMINA- 
TION DB  TBNISB. 

COBf  OU  SE  DONNi  AUX  VÉNITISN». 

— CorfoUy  délivrée  de  la  domination  des 
rois  de  Pîaples ,  ne  conserva  pas  long- 
temps son  indépendance.  C'était  une 
proie  trop  riche  et  trop  facile  pour  ne 
pas  tenter  l'ambition  des  puissances 
maritimes  qui  se  disputaient  l'empire 
de  la  Méditerranée:  Gênes  commen^ 
l'attaque.  Impuissante  à  se  défendre, 
Corfou  se  jeta  dans  les  bras  de  Venise. 
Les  coi^ditions  de  cette  soumission  vo^ 
lontaire  furent  ainsi  réglées  entre  les 
députés  de  l'Ile  et  le  sénat  de  la  répu^ 
blique  : 

l"*  Le  ffouvemeur  vénitien  sera  in- 
vesti de  l'autorité  civile,  politique  et 
militaire; 

S"*  là  justice  sera  administrée  sui- 
vant les  lois  vénitiennes  ; 

3°  L'île  fournira  un  contingent  de 
troupes ,  déterminé  pr  le  gouverneur  ; 

4»  I^e  conseil  de  la  noblesse  conser- 
vera le  droit  de  nommer  aux  différents 
emplois  tant  pour  la  police  du  pays  que 
)our  son  approvisionnement,  mais  tou* 
,  ours  sous  l'autorité  du  représentant  de 
a  république; 

5*"  L'Église  conservera,  sous  le  n)éme 
contrôle,  la  libre  possession  de  ses  biens; 

6^  Les  propriétaires  des  biens  nobles 
et  en  roture  ne  seront  point  troublés 
dans  leur  possession; 

7^  La  république  ne  pourra  dans 
aucun  cas  vendre  ou  céder  à  une  puis- 
sance étrangère  l'île  de  Corfou,  qu^elie 
s'engageait  a  protéger  et  à  défendre  en 
tout  et  toujours. 

Le  premier  gouverneur  vénitien  fut 
Marin  Malipierre  ;  il  prit  le  titre  de  baile 
et  provéditeur  général. 

LuTTB    GONTKB    LES  TUBCS.  —  A 

partir  de  ce  moment  (1386),  l'histoire 
de  Corfou  se  confond  avec  celle  de  Ve- 
nise. Détachons,  du  tableau  général  des 
luttes  soutenues  par  la  république  con- 
tre les  Turcs,  les  faits  particuliers  qui 
se  rapportent  à  notre  s«vet. 

Après  la  prise  de  Constant! nople 
(i4&a),  Maliomet  11  étendit  sa  conquête 
vers  l'ouest.  Deux  corps  d'armée  mirent 
le  siège  devant  Parga  et  devant  Bu- 
trinto.  Ces  deux  postes  furent  défendus 


632 


L'UNIVERS* 


avec  succès  par  lesCorfiotes;  ainsi  que 
les  châteaux  de  Strivali  et  de  Rigoassd. 
Les  insulaires  eurent  tout  rhonneur  de 
cette  victorieuse  résistance.  Venise  ne 
put  leur  envoyer  aucun  secours  ;  bientôt 
elle  conclut  la  paix  avec  le  sultan  (1456). 
Ce  fut  une  trêve  de  peu  de  durée.  Les 
Turcs  reprirent  les  hostilités,  et  s'avan- 
cèrent du  côté  de  l'Épire.  Cette  fois  en- 
core ils  furent  arrêtés  par  le  courage 
des  Corfiotes,  près  de  Butrinto.  Corfou 
leur  opposa  de.ux  mille  hommes  armés  à 
ses  frais.  £n  1463  elle  leva  une  troupe 
de  mille  hommes  à  sa  solde.  Elle  envoya 
une  galère  et  quelques  petits  bâtiments 
à  Tattaque  de  Mételin.  Enfin,  sous  la 
conduite  du  baile  Molinq ,  les  insulaires 
-firent  une  incursion  en  Épire.  Dans  la 
flotte  envoyée  par  Venise  au  secours  de 
Négrepont  (1469),  Ftle  fournit  encore 
plusieurs  galères.  En  récompense  de 
ses  services ,  elle  obtint  [que  le  conseil 
de  la  noblesse  nommât  les  commandants 
des  vaisseaux  équipés  aux  frais  des  ha- 
bitants. C'est  qu'en  effet  c'était  une 
lutte  personnelle  qu'elle  soutenait  contre 
les  Turcs.  En  1480  les  infidèles  firent 
une  irruption  en  Calabre;  Venise,  liée 
par  un  traité  avec  la  Porte ,  garda  la 
neutralité;  les  Corfiotes  envoyèrent  un 
grand  nombre  de  petits  bâtiments  aux 
secours  de  Monopoli,  assiégée. 

La  république  ne  pouvait  pas  con- 
damner ces  excès  de  zèle  et  se  montrer 
ingrate  envers  des  sujets  si  dévoués. 
Elle  apporta  dans  l'administration  de 
rtle  quelques  réformes  salutaires.  Les 
provéditeurs  et  conseillers  eurent  ordre 
de  maintenir  les  privilèges  et  préroga- 
tives de  la  communauté,  sous  peme 
d^une  amende  de  cinq  cents  ducats  et  de 
la  perte  de  tout  emploi  pendant  cinq 
ans. 

Après  la  conclusion  de  la  paix  avec 
Baiazet  (1503),  le  sénat  accorda  à  la 
noblesse  de  Corfou  la  nomination  des 

fouverneurs  de  Parga  et  de  Butrinto. 
\VL  1528  il  fit  de  nouvelles  concessions; 
les  syndics  obtinrent  la  liberté  de  con- 
voquer rassemblée  de  la  noblesse ,  sans 
que  le  gouvernement  pût  y  mettre  obs- 
tacle. Au  sénat  seul  fut  attribué  le  droit 
de  casser  les  décisions  de  cette  assem- 
blée; il  fut  décrété  que  tous  les  trois 
ans  des  censeurs  seraient  envoyés  de 
Venise  *à  Corfou  pour  écouter  les  plaintes 


des  habitants,  qui  d'aiUeurs  pouvaiat 
s'adresser  directemaat  au  séiiat.  EdUb 
on  accorda  à  la  communauté  un  Kmia 
assez  étendu  pour  v  constmire  des  ma- 
gasins où  devait  être  déposée  une  cer- 
taine quantité  de  blé.  Les  syndics  en 
avaient  l'administration.  Les  marchands 
qui  achetaient  les  blés  de  Fanaro  et  de 
Panorme  ne  purent  les  exporter  à  Ve- 
nise, Qu'en  payant  à  Corfou  quinze  pour 
cent  de  la  valeur  de  leurs'cbargeraents. 
Un  trait  caractéristique  des  moeurs  du 
temps ,  c'est  Tordonnance   qui  Migt 
les  jui6  d'habiter  un  quartier  séparé  et 
leur  défend  d'acquérir  des  biens-fonds. 
Cette  mesure,  sollicitée  par  les  Corfiotes, 
fiit  accueillie  peut-être  avec  plus  de  fa- 
veur que  les  règlements  qui  assuraient 
la  défense  et  les  approvisionnements  du 
pays. 

Siège  db  Corfou  pàb  Babbe- 
BOussE  (1 587). — Jusqu'en  15S7  la  lutte 
de  Corfou  contre  les  Turcs  ne  présente 
aucun  événement  digne  d'attention.  Le? 
insulaires  n'ont  pas  eu  encore  à  subir 
les  désasttes  de  Finvasion.  Cest  Solîtnan 
qui  le  premier  entreprend  la  conquête 
de  leur  territoire. 

Corfou  n'avait  pas  une  garnison  con- 
sidérable; mais  elle  se  croyait  protégée 
par  la  flotte  vénitienne,  que  commandait 
Pesaro,  et  par  celle  de  Charle&Quint, 
sous  les  ordres  du  Génois  André  Doria  : 
elle  attendit  avec  courage  Tassaut  de 
Barberousse. 

Le  siège  fut  long  et  terrible.  Pesaro 
n'avait  pas  eu  le  temps  d'approTisionner 
la  ville;  la  flotte  turque  fermait  le  port 
11  fallut  jeter  hors  des  murs  les  vieil- 
lards, les  femmes,  les  enfants,  toutes 
les  bouches  inutiles.  Cette  mesure  dé- 
sespérée permit  aux  troupes  de  prolon- 
ger leur  résistance.  Malgré  l'approdie 
de  Soliman ,  qui  vint  établir  son  camp 
sur  la  côte  d'Epire,  malgré  rénergie  de 
Barberousse,  les  Turcs  se  lassèrent 
d'une  lutte  sans  fin  et  sans  résultat.  Une 
épidémie  occasionnéepar  les  fatigues,  les 
mauvais  temps  et  la  lamine,  acheva  de 
les  décourage.  Soliman»  cédant  ans 
murmures  de  ses  soldats,  donna  Tor- 
dre de  lever  le  siège. 

Corfou  devait  tarder  longtemjts 
traces  sanglantes  du  passage  de 
rousse.  La  campagne  était  dépeuplée; 
dans  la  ville,  presque  toute  la  noblesse 


ILE6  IONIENNES. 


éi# 


avait  péri  les  armes  à  la  main.  Poar  la 
reoijplaeer  on  dut  faire  un  choix  parmi 
l«s  familles  da  second  ordre  qui  s*étaient 
le  plus  distinguées.  Telle  était  la  d& 
treaae  des  habitants,  que  Venise  dut  leur 
fournir  du  grain  pour  les  semailles  et 
des  bœufe  pour  le  labourage.  La  paix 
était  nécessaire  pour  réparer  tant  de 
maux;  elle  fol  signée  en  1639. 

Sous  le  règne  de  Sâim  les  hostilités  re- 
commencèrent. En  1571  la  flotte  chré« 
tienne  sortit  du  |K>rt  de  Gorfou;  plusieurs 
des  vaisseaux  qui  la  composaient  avaient 
été  équipés  par  les  insulaires;  ils  pri- 
rent une  eloneuse  part  è  la  victoire  rem- 
portéeprwdes  ties  Curzolari  (  anciennes 
Ëehinades  ).  Gorfou  était  le  rendez^vous 
des  Yénitiens  et  de  leurs  alliés  ;  elle 
se  plaignit  des  désordres  commis  par  les 
soldats  et  les  marins,  et  le  sénat  dut  écou- 
ter aes  réclamations.  On  bâtit  des  caser- 
ncS  pour  la  troupe,  ^i  jusque  alors  avait 
logé  chez  les  habitants.  Une  nouvelle 
incursion  des  Turcs,  commandés  par 
Sirvan-Pacba ,  fit  comprendre  à  la  répu- 
blique la  nécessité  d'augmenter  les  fortifi- 
cations de  la  ville.  Martenin^o  fot  chargé 
de  la  mettre  en  état  de  résister  à  toute 
attaque  ;  il  construisit  la  nouvelle  for- 
teresse ,  qui  couvrait  Gorfou  du  côté  de 
terre.  Elle  était  placée  sur  une  hauteur, 
vis-à-vis  du  mont  Abraham ,  où  Barbe- 
rousse  avait  établi  ses  batteries  dans  le 
dernier  siège. 

Les  besoins  de  la  défense  n'attirèrent 
pas  seuls  Fattention  du  sénat,  un  décret 
assura  aux  propriétahres  le  droit  de  ven- 
dre librement  les  fruits  de  leurs  domai- 
nes, les  bestiaux  et  les  provisions  de  toute 
nature.  Les  intendants  de  la  santé  furent 
autorisés  à  juger  et  à  nunir  toutes  les 
contraventions  aux  règlements  de  salu- 
brité publique.  Le  mont-de-piété,  ré- 
cemment établi,  fot  fermé  de  quatre 
elefii  difEéraites  ;  chacun  des  trois  ad- 
ministrateurs en  eut  une;  la  quatrième 
fot  remise  au  provéditeur  général.  Trois 
sénateurs  ruèrent  le  tarif  des  droits 
pour  les  écritures  en  justice.  A  ces  ré- 
formes viennent  se  joindre,  comme 
toujours,  de  nouvelles  rigueurs  contre 
les  juifi ,  de  nouveaux  privilèges  accor- 
dés à  la  noblesse. 

Gorfou,  sous  une  administration  in- 
telligente, se  relevait  peu  à  peu  de  ses 
ruines;  sa  prospérité  semblait  près  de 


renaître  :  un  fléau  terrible  vint  arrêter 
ces  heureux  progrès  :  en  1617  la  peste 
se  répandit  dans  la  ville.  La  populace 
fit  condamner  et  mettre  à  mort  un  offi- 
cier suspect  d'avoir  apporté  la  conta- 
gion. Les  ravages  de  l'épidémie  cessè- 
rent, dit-on,  le  jour  des  Rameaux.  Dans 
une  procession  solennelle,  on  avait  exposé 
les  reliques  de  saint  Spiridion.  On  at- 
tribua la.cessation  de  la  peste  à  son  in- 
tervention ,  et  l'on  continua  à  prome- 
ner chaque  année,  à  la  même  époque, 
les  reliques  du  saint  qui  avait  sauvé  Gor- 
fou. 

Pendant  le  dix-septième  siècle  les 
Gorfiotes  ne  cessèrent  pas  de  prendre 
part  à  la  lutte  contre  les  infidèles;  ils 
loumirent  à  la  république  de  l'argent, 
des  troupes,  des  vaisseaux,  et,  pour 
encourager  les  dons  volontaires,  ils  ac- 
cordèrent même  les  titres  et  les  privi- 
lèges de  la  noblesse  à  tous  ceux  qui 
payaient  une  certaine  somme  pour  les 
mis  de  la  guerre.  Bien  défendue,  bien 
fortifiée,  Gorfou,  depuis  l'échec  de  Bar- 
berousse ,  semblait  oraver  la  haine  des 
Turcs.  La  conquête  de  la  Morée  par 
Aehmet  III  vint  enfin  troubler  la  sécu- 
rité des  îles  Ioniennes.  Venise,  menacée 
dans  ses  dernières  possessions  du  Le- 
vant, invoqua  lesecoursdela  chrétienté^ 
prit  à  sa  solde  des  troupes  étrangères , 
et  renforça  la  garnison  de  Gorfou.  Le 
comte  de  Schulembourg^  élève  du  prince 
Eugène,  fot  chargé  du  commandement. 

Ge  fot  le  5  juillet  1716  que  parut  la 
flotte  ottomane.  Les  deux  escadres  de 
la  république  ne  purent  lui  fermer  le 
passage,  et  trente  mille  hommes  débar- 
quèrent dans  nie.  Le  siège  commença 
par  l'attaque  des  hauteurs  qui  dominent 
Gorfou.  Une  fols  maîtres  des  monts 
Abraham  et  Saint-Sauveur,  les  Turcs 
tentèrent  l'assaut  de  la  place.  Gontinuçl- 
lement  repoussés  penoant  vingt  jours, 
ils  enlevèrent  enfin  les  premiers  postes, 
pénétrèrent  jusque  dans  la  place  d'ar- 
mes ,  et  appliquèrent  les  échelles  aux 
angles  bas  de  la  forteresse.  Le  combat 
dura  plus  de  six  heures  avec  une  in- 
croyable furie.  Les  femmes  portaient 
secours  aux  assiégés ,  et  les  moines  mê- 
me, le  crucifix  a  la  main,  couraient 
aux  remparts,  ou  se  jetaient  dans  la 
mêlée.  Enfin,  une  vigoureuse  sortie  ter- 
mina cette  stfiglaiite  journée.  Pressés  de 


m 


huwfms* 


loutoAtéihi  le»  «BMinis  teUttenteft  re« 

traite,  «t  prirent  tous  les  postes  qu'ils 
venaient  de  prendre.  Une  tempête  qui 
s'éleva  pendant  la  nuit  acheva  de  mettra 
le  désordre  dans  leur  caow.  Saisis  d'unn 
terreur  panique,  ils  s^mbarquèrent 
précipitamment  et  abandonnèrent»  poui 
aeoélérer  leur  fuite,  l'artillerie  et  les 
bagages.  En  quarante-deui  jours  iUr 
avaient  perdu  quinze  mille  hommes. 

Venise  récompensa  dignement  la  va* 
leur  et  Thabilete  de  Scbulembourg.  Q 
re^  une  épéa  enrichie  de  pâerreries  el 
une  pension  annuelle  de  huit  mille  du** 
oatS}  on  lui  éUva  une  statue  en  markre 
sur  U  i^laee  de  la  vieille  fcurterease  i  el 
9V  le  piédestal  6it  gravée  Tinseription 
suivante  : 

MATHIA   lOBANEra 
COMItr  SCULBMBQROIO 
StJHMO  tBBBBSTBICM 
COIPIABUM  PBiEFEGTO 
CHBISTIAN>e  BBIPUBLtGJB 
IN  COBCYB JS  OBSIDIOIVB 
F0BT1SSIMO  ASSEBTOBI 
ADHUC  TITBKTI  SENA 
TUS  ANNO  H.  DCC.  XTH. 

lA  paix  de  PassarowiUi  (31  juillet 
1718)  mit  fin  k  la  guerre  des  Vénitiens 
et  des  Turcs.  Dès  lors  rien  ne  troubla 
plus  la  tranquillité  de  Corfou,  qui  oo»* 
tinua  d'appartenir  à  la  république  jus* 
qu'à  Toecupation  de  Venise  par  les 
Francis  (1797).  M.  Widman  fut  leder-> 
nier  provéditeur  général. 

Cest  en  1499  que  Pesaro^  génâral 
des  Vénitiens ,  s'empara  de  Gé|iDalonie, 
La  garnis^»  turque  ne  put  tenir  contre 
des  forées  supérieures.  François  Leone 
fut  Aommé  provéditeur  de  toute  l'île* 
Elle  a  fait  partie  des  possessions  véni-* 
tiennes  dans  le  Levant  jusqu'à  la  oliute 
de  la  république.  Outre  Corfou  et  Gé- 
ptialonie ,  ces  possessions  comprenaient 
Thiaki^  dépendance  habituelle  de  Gé< 
phaloniCt  Paxos,  Sainte*Maure,  Zanta 
et  Céri^.  Corfou  était  la  capitale;  c'est 
U  que  résidait  toute  l'administratioa 
centrale-,  chaque  Ue  avait  son  provédi» 
teiur  particulier  «  subordonné  au  prové^ 
diteur  général.  Ô^\m  de  Cépbalonie  était 
envoyé  de  Venise,  nommé  par  le  sénal 
et  tiré  du  corps  de  la  noblesse  vénitien* 
ne.  Le  gouverneur  de  Thiaki  était  élu 
par  le  conseil  d'Argosloli,  parmi  les  n^ 


Ues  céyhalooitfikl- Pmem  éUU  89«s  Piift- 
pection  spéciale  du  provéditeur  delà 
forteressede  Corfou.  Sainte«Maure,  prise 
sur  les  Turcs  en  1403,  bientôt  aban» 
donnée ,  phse  de  nouveau  en  16d4  et  de 
nouveau  abandonnée  en  1715,  reeou* 
vrée  enfin  en  1710,  et  conservée  par 
Venise  jusqu'à  l'arrivée  des  Fianous, 
Sainte-Maure  était^gouvemée  par  ieus 
nobles  vénitiens  que  le  sénat  désignait 
tous  les  deux  ans.  L'un,  nomsaé  fira- 
néditeur  extraorcUnaire,  avaivle  oon- 
mandement  des  troupes,  l'autorité  po» 
litique  et  administrative,  et  Ja  déeisien 
des  procès  quand  l'une  des  parties  était 
un  étranger  ou  un  habitant  d'une  autre 
Ile.  L autre,  h$>rovédUeur  onlnialra, 
jugf ait  les  affaires  âviles  et  cnflûnelks 
entre  les  habitants  de  Sainte^Maure.  Le 
sénat  nommait  aussi  le  nrovédiieur  et 
Las  deux  conseillers  de  l  île  de  Zante; 
ils  étalât  toujours  ^s  dans  la  no- 
blesse vénitienne.  Ils  avaient  les  naénai 
fonctions  et  le  même  rang  que  les  le* 
présentants  de  la  république  à  Géphakh 
nie.  Enfin,  Cériffo  avait  également  un 
provéditeur  et  c»ux  conseillera  nobles 
de  Venise,  renouvelés  tous  les  ëem  aas 
par  le  sénat 

On  le  voit,  l'aristooratie  vAnitienna 
s'était  réservé  dans  toutes  ses  possea- 
sions  la  haute  admimstn^tioB  eivila, 
politiipie  et  militaire,  L'adninistratian 
municipale  était  seule  abandettoée  aux 
habitants.  Cest  la  n<d)leise  du  pa^  qui 
en  remplissait  toutes  les  diaraes. 

Les  nobles  censervèrent  loiigtemsa 
la  liberté  de  s'assembler  et  lo  privil49sde 
conférer  eux-mêmes  la  noblesse;  maia 
la  crainte  des  oonspifatfams  déiemuns 
le  sénat  à  ne  plus  auloriser  les  réunions 
des  Corfiotes  qu'en  présence  ém.  prové- 
diteur général ,  et  à  s'attribuer  le  droit 
de  nommer  des  nobles  sans  la  pntiei- 
pation  du  conseil  de  Corfou.  Qiaque  n- 
née,  ce  eonsal ,  coeaposé  de  oent  cin- 
quante membres,  était  élu  daae  nue 
assemblée  générale.  11  nsmmail  aux 
diverses  chaiiges  de  l'âe*  Le  première 
était  celle  des  syndics,  au  «Hnhre  de 
trois.  Les  syndics  avaieet  dans  leun 
altributiotts  une  partie  de  la  police, 
Tinspection  des  magasins  de  blé  et  des 
vivres  qui  se  débilaieec  dans  ke  mar- 
chés, la  décision  des  procès  juefu'à  k 
semme  de  dix  eequiast  la  védficeiâan 


ILES  KffSBVmS. 


6a6 


rapproTiaîonneoMnt  des  greniers  pu- 
blics, etc.  Ils  avaient  le  droit  d^assister 
Mix  jugements  portant  peine  de  mort, 
d'exiger  la  révision  des  procès  criminds 
et  noiefloe  de  les  annuler;  mais  ee  pri- 
vilégQv  sans  être  aboli,  tomba  en  dé* 
suétude.  Les  honneurs  de  la  cbaitte 
oonsistaieiit  à  Siocompagner  le  provédi* 
teur  général  dans  tontes  les  cérémonies 
pubu^nee ,  à  la  tête  de  la  noblesse  du 
paye,  et  immédiatement  après  le  der-* 
nier  des  nobles  vénitiens.  Les  syndics 
avaient  le  premier  rang  parmi  les  sujets 
de  ia  répnDlique* 

Après  les  syndics  venaient  les  trois 
intendants  de  la  santé  {provedUoriaUa 
Hmità),  qui  avaient  la  direction  du 
lasaret ,  les  trois  juges  de  première  ins- 
tance, les  trois  administrateurs  du  mon^ 
de-piété ,  les  trois  inspecteurs  des  rues . 
et  les  trois  ju^es  de  paix ,  chargés  de 
ooncilier  les  différends;  enfin,  les  gou* 
vemeun  de  Parga ,  de  Paxos  et  du  châ- 
teau Saint- Ange;  mais  ceux-ci  ne  rece- 
vaient d'ordre  que  du  provéditeur  de 
la  forteresse,  lieutenant  du  provéditeur 
général.  Toutes  ees  places  étaient  gra- 
tuites et  honorifiques;  elles  étaient  ex« 
dusiveraent  réservées  à  la  noblesse. 
Dânitotftesles  îles,  les  noblesjouissaieni 
des  mêmes  privil^es,  sauf  à  Paxos,  oà 
il  n'y  avait  noint  de  conseil  permanent* 
Les  nobles  de  Cépbalonie,  quand  ils  se 
trouvaient  à  Gorlou,  avaient  le  droit  de 
voter  dans  les  assemblées  du  conseil  ;  les 
Corfiotes  jouissaient  de  la  même  pré* 
rogative  à  Cépbalonie.  Les  habitants  de 
Sainte-Maure  ayaient  un  corps  de  no- 
blesse très-nombreux,  qui  se  réunissait 
chaque  année,  au  mois  d'avril,  pour 
élire  les  syndics,  les  juges,  les  inten- 
dants de  santé,  ete.  En  1788,  le  prové- 
diteur général  Erizzo  réduisit  eette  as- 
semblée à  cinquante  membres.  Les 
magistrats  sortis  de  charge  Tannée  pré- 
cédente et  les  habitants  reçus  docteurs 
en  droit  a  runiversité  de  Padoue  assis- 
taient aux  séances  du  conseil.  L'assenn 
biée  était  soumise,  comme  celle  de  Cor- 
fou  ,  à  rinspeetion  du  provéditeur. 

Éa  réalité  f  les  fies  loniames,  dans 
les  derniers  temps  de  la  domination 
vénitienne  furent  traitées  comme  des 
previnces  oonquises;  c'étaient  des  do- 
maines «ploites  par  Tavidité  du  sénat 


et  de  Tanstoepcatie.  <iL  I^ursoue  la  nerte 
d*une  partie  de  ses  États  et  Ta  décaoence 
de  sa  marine  militaire  eurent  rétréci 
les  ressources  de  la  république  peut 
remploi  d'un  crand  nombre  de  nobles 
sans  fortune ,  le  gouvernement  des  tles 
futpartasé,  sousllnspection  du  provédi- 
teur génâral,  entre  une  infinité  ae  patri-. 
ces  vénitiens.  La  plupart  de  ces  agents» 
non-seulement  sans  fortune»  mais  ré- 
duits souvent  à  la  misère  et  chargea 
de  famille ,  n'avaient  que  des  appointe- 
ments très-médiocres  ;  ils  étaient  oblige 
par  leur  place,  et  plus  encore  par  la  sotte 
opinion  attachée  à  leur  qualité  de  nobles 
de  Venise,  à  faire  une  certaine  figure» 
par  conséquent  à  des  dépenses.  Ils  par- 
taient de  Venise  fortement  imbus  de  la 
prévention  que  la  place  qui  leur  était 
confiée  était  pour  leur  avantage,  et  non 
pour  celui  des  insulaires  qu'ils  allaient 
gouverner.  Aussitôt^  qu'un  noble  véni- 
tien' était  nommé  à  un  emploi ,  on  cal- 
culait publiquement  à  Venise  même  les 
somdies  qu'il  devait  en  retirer.  »  Ainsi 
s'exprime  un  témoin  oculaire  qui  a  vu 
de  près  et  touché  du  doigt  tous  les  res- 
sorts de  l'administration  vénitienne  dans 
les  îles  du  Levant.  Empruntons  au  même 
auteur  un  exemple  qui  suffit  pour  ca- 
ractériser ce  régime  de  concussions  et 
de  rapines.  «  Un  provéditeur  arrivait  de 
Venise  I  muni  d'une  certaine  somme  en 
sequins,  souvent  prêtée  par  des  iuife* 
Ces  sequins  étaient  distribués  aux  habi- 
tants de  la  campagne,  obligés  de  rendre 
à  la  fin  de  l'année  le  double  de  ce  qu'ils 
avaient  reçu  ;  s'ils  ne  remplissaient  pas 
cet  engagement,  l'année  suivante  ce 
qu'ils  devaient  payer  était  doublé,  et 
toujours  ainsi  en  doublant  d'année  en 
année.  Le  remboursement  ne  se  faisait 
point  en  argent.  Des  fruits  de  son  tra* 
vail  le  paysan  était  obligé  de  solder  sa 
dette  avec  son  oppresseur.  Celui-ci  an 
réglait  le  prix.  En  vain  le  cultivateur 
représentait-il  que  seg  bras  suffisaient 
pour  le  nourrir,  en  vain  voulait-ii  éviter 
d'accepter  une  somme  qu'on  avait  l'im- 
pudence de  lui  présenter  comme  un 
secours,  son  refus  était  un  acte  de  ré- 
bellion. Traîné  dans  les  prisons,  il  su- 
bissait la  loi  que  lui  imposait  la  cruelle 
avance.  » 

Une  des  sources  les  plus  abondantes 
pour  l'avidité  des  gouverneurs  étaient  les 


tm 


LTJWIVBRSi 


poursuites  pour  erimes  f  État.  Le  se- 
crétaire  du  provéditeur  général  était 
Tagent  spécial  de  Finquisition  de  Venise. 
Des  trous  pratiqués  dans  le  mur  de  la 
maison  au  il  habitait  correspondaient 
à  des  boites  intérieures,  ou  chacun 
pouvait  jeter  des  dénonciations.  Le  se- 
cret était  assuré  aux  délateurs,  a  L'in« 
quisition  de  Venise,  dit  l'auteur  déjà 
dté  (1))  entretenait  dans  les  fies  une 
,  infinité  d^espions  chargés  de  surveil- 
ler non-seulement  la  conduite  des  insu- 
laires, mais  même  celle  des  représen- 
tants de  la  république  :  le  nombre  de 
ces  vils  agents  est  le  thermomètre  le  plus 
SÛT  de  la  corruption ,  de  la  faiblesse  et 
de  la  décadence  d'un  gouvernement.  En 
résumé,  la  maxime  fondamentale  de 
Taristocratie  vénitienne  était  de  tenir 
les  provinces  éloignées  de  la  capitale 
dans  un  état  d'oppression  et  de  démo- 
ralisation oui  en  assurassent  l'obéis- 
sance servile  et  les  missent  hors  d*état 
de  secouer  le  joug.  » 

Sous  une  telle  administration  ragri- 
culture,  l'industrie,  le  commerce  de- 
vaient nécessairement  dépérir. 

A  la  fin  du  dix-huitième  siècle ,  Cor- 
fou  ne  pouvait  nourrir  ses  habitants. 
Le  vin  et  les  céréales  étaient  loin  de 
suffire  aux  besoins  de  la  consommation. 
Vainement  une  loi  de  Venise  donnait- 
elle  la  propriété  d'un  terrain  laissé  en 
friche  pendant  cinq  ans ,  à  celui  qui  dé- 
noncerait cet  abandon  :  les  bras  man- 
quaient pour  la  culture.  Sauf  quelques 
troupeaux  de  chèvres,  le  bétail  man- 
quait aussi  presque  absolument.  11  en 
était  de  même  dans  toutes  les  autres  îles. 

A  Corfou,  les  huiles  et  le  sel  étaient 
les  seuls  articles  de  commerce.  Le  pro- 
duit principal  en  huile  d'olives  s'é- 
levait, année  commune,  à  deux  oent  cin- 
quante mille  jarres,  du  prix  de  1  i  francs 
diaque  en  monnaie  de  France.  Déduc- 
tion faite  de  la  consommation  des  ha- 
bitants, le  commerce  de  Fhuile  était 
évalué  à  deux  millions  de  francs.  La 
somme  totale  des  exportations  n'était 
guère  supérieure;  en  y  joignant  le  sel 
^80,000  francs),  les  liqueurs,  les  pote- 
ries, etc.,  elle  montait  à  2, 180,000  fr. 
L'huile  et  le  sel  étant  exclusivement 

(1)  Grasset  Saint- Sauveur,  Vo^ogt  dans 
les  iltê  Fenitiennes,  etc,  II,  p.  97. 


réserva  à  Venise,  la  valeur  des  articles 
dont  le  commerce  était  libre  8*élevât 
à  100,000  francs. 

L'huile  était  soumise  àunedonane  qui 
variait  suivant  la  qualité  de  l'expédi- 
teur; 15  pour  100  pour  le  Gorfiote,  16 
p.  100  pour  le  Vénitien,  18  p.  100  pour 
l'étranger;  soit,  en  moyenne,  f  &  p.  100; 
produit  total  :  *         220,000  fr. 

Le  sel  payait  9  p.  100  et  rap- 
portait :  7400 
Le  reste,  à  4  pour  100  :         4,000 

Total  des  droits  prélevés  à    

l'exportation  231,200  fr. 

L'huile  était  i  Paxos,  comme  à  Corfou,  la 
production  principale  (  trente-cinq  mille 
jarres,  d'une  valeur  de  385.000  fr.,  a 
11  fr.  la  jarre);  elle  entrait  aussi  dans 
l'exportation  de  Zante  pour  une  valeur 
de  60,000  à  70,000  fr.  La  vraie  ri- 
chesse de  nie  de  Zante,  c'ét^ûoit  les 
raisins  dits  de  Gorinthe.  On  en  récol- 
tait année  moyenne  de  neuf  à  dix  mil- 
lions  de  livres,  à  10  seqmns  (110  (r.) 
le  mille.  Cette  denrée,  ties-recberchée, 
payait  à  l'exportation  des  droits  énor- 
mes. La  douane  était  d'abord  de  9  p.  100  ; 
on  y  ajouta  un  droit  de4  sequins  (44  fr.) 
par  millier;  puis,  sous  le  nom  de  tuh 
vissimo,  une  nouvelle  impoâtion  de 
2  sequins  par  millier.  Les  oioits  et  lei 
fîrais  de  transport  doublaieut  le  prix  de 
la  marchandise.  Le  raisin,  comme 
l'huile,  devait  être  expédié  à  Venise. 

La  somme  des  importations  était  su- 
périeure à  celle  des  exportations  ;  la  dif- 
rérence  pour  CoHbu  seulement  était 
480,000  liv. 

Pour  les  céréales  et  les  bestiaux, 
Corfou  était  tributaire  de  la  Turquie; 
l'importation  s'élevait  à  plus  de 
1,500-,000  francs.  Les  vêtements,  les 
articles  de  luxe ,  etc.,  venaient  de  Ve- 
nise (100,000  fr.  ),  de  Trieste,  de  I> 
voorne ,  et  de  divers  autres  ports  de  la 
Méditerranée. 

Les  marchandises  iinportées  de  Ve- 
nise payaient  6  p.  100  ;  celles  de  prove- 
nance étrangère,  8  pour  100;  le  produit 
total  des  droits  d'importation  était  de 
196,000  francs.  En  y  joignant  d31  «SOS 
francs  pour  l'exportation,  ou  obtient 
pour  tous  les  droits  sur  le  oommeree. 
Je  chiffre  de  437,300  francs.  Les  im- 
pôts répartis  sur  la  popolatioo  ne  rap- 
portaient pas  la  rooitté  de  eette 


ILES  lONIËIWES. 


«17 


La  république  de  Venise  retirait  au 
plus  600,000  livres  de  iHe^de  Corfou  ; 
^oe  n'était  paa  assez  pour  subvenir  aux 
dépenses  administratives  et  militaires  : 
il  fallait  chaque  année  suppléer  au  dé- 
ficit. Ainsi  se  retournaient  contre  dle- 
méme  les  faux  calculs  de  son  avidité. 

L'Empire,  la  France,  TËspagne, 
l'Angleterre,  la  Hollande,  Naples  et 
Raguse  avaient  des  consuls  résidant  à 
Zante.  Presque  tous  étaient  indigènes. 
C'étaient  des  espèces  de  courtiers  sans 
traitement  fixe.  En  1778  la  France  en- 
voya dans  les  lies  Ioniennes  un  consul 
général,  spécialement  chargé  de  proté- 
ger notre  commerce  national  contre  les 
courses  des  pirates.  Ce  fut  dans  des 
vues  toutes  contraires  que  la  Russie 
envoya  ses  agents  dans  les  Iles;  elle  fit 
de  Corfou  le  centre  de  ses  intrigues 
contre  les  Turcs. 

!Nous  avons  vu  que  dans  l'antiquité 
Corcyre,2^cynthe  et  Céphalonie  avaient 
une  puissance  maritime  considérable  ; 
les  lies  Ioniennes  ont  toujours  conservé 
une  population  de  marins  habiles,  achar- 
nés contre  les  Arabes  au  moyen,  âge, 
contre  les  Turcs  dans  les  temps  moder- 
nes. Celle  de  Céphalonie  était  au  dix- 
huitième  siècle  la  plus  nombreuse  et  la 
plus  active.  Quand  les  Russes,  par  la 
possession  de  la  Crimée ,  se  furent  as- 
suré la  navigation  et  le  commerce  de  la 
mer  Ivoire,  un  ^and  nombre  de  Cépha- 
loniotes  arborèrent  le  pavillon  russe. 
Leurs  vaisseaux,  qui  jusque  alors  ne  na- 
viguaient que  dans  le  golfe  Adriatique , 
la  Méditerranée  et  le  Levant,  s'avancè- 
rent au  delà  des  Dardanelles,  jusqu'à 
Cherson,  où  ils  faisaient  un  commerce 
trés-avanta^eux.  Leurs  principales  res- 
sources étaient  la  contrebande  et  la 
piraterie.  Dans  sa  lutte  contre  les  Turcs, 
Catherine  II  sut  mettre  à  profit  l'audace 
et  l'avidité  de  ces  corsaires.  C'est  dans 
les  Iles  Ioniennes  que  le  pirate  grée 
Lambro  Cazzoni  recruta  la  plus  grande 
partie  de  ses  équipages.  Il  leur  faisait 
arborer  le  pavillon  russe,  sous  les  yeux 
même  des  provéditeurs  vénitiens,  dont 
la  connivence  était  assurée. 

Outre  l'attrait  du  pillage,  un  motif 
religieux  poussait  les  insulaires  au  ser- 
vice de  la  Russie.  La  religion  grecque 
domine  danç  les  Iles  Ioniennes. 

A  Corfou,  sous  les  YénitienS;  le  rit 


Jatin  était  suivi  par  le  représentant  et 

les  fonctionnaires  de  la  remiblique  ;  le 
rit  grec  par  la  masse  des  luSbitants. 
I^  protopapa  de  Corfou,  grand  proto- 

Sapa  des  lies ,  était  élu  dans  une  assem- 
lee  du  clergé  et  de  La  noblesse.  Il  de- 
vait appartenir  à  une  famille  noble  et 
abrégée  au  conseil.  Il  relevait  immé- 
diatement du  patriarche  de  Constan- 
tinople.  et  possédait  tous  les  pouvoirs 
épiscopaux  pendant  cinq  années.  Les 
principales  sources  de  son  revenu  étaient 
tes  mariages,  les  baptêmes,  les  enter- 
rements, étales  excommunications. 

Avant  la  séparation  de  l'Église  latine 
et  de  l'Église  grecque,  l'Ile  de  Zante 
était  le  si^e  d'un  évêque  nommé  par  le 
pape.  Depuis  le  schisme ,  le  rit  grec  s'y 
est  maintenu.  Après  la  prise  de  Constan- 
tinople(1204),Zacjrnthe reçut  un  évêque 
latin.  Sur  les  plaintes  des  habitants, 
le  concile  de  Florence  décida  que  les 
diverses  Églises  de  la  Grèce  et  des  Iles 
auraient  chacune  deux  chefs,  l'un  pour 
le  rit  latin,  l'autre  pour  le  rit  grec. 
Longtemps  les  évéques  latins  de  Zante 
s'abstinrent  de  visiter  leur  diocèse.  Fer- 
dinand de  Médicis ,  nommé  par  le  pape 
Léon  X,  fut  le  premier  qui  se  soumit  à 
Tobligation  de  la  résidence.  Le  diocèse 
latin  de  Zante,  suffragant  de  l'archevêché 
de  Corfou,  avait  dans  son  ressort  Ttle 
de  Céphalonie.  Le  clergé  grec  était  di- 
rigé par  un  protopapa ,  élu  tous  les  cinq 
ans  par  la  noblesse. 

Céphalonie,  où  le  rit  latin  n'était 
guère  suivi  que  par  le  gouvernement  et 
fa  garnison  vénitienne,  était  le  siège 
d'un  archevêque  grec.  Elle  avait  à  com- 
battre les  prétentions  rivales  de  Zante. 
En  1717,  un  décret  du  sénat,  tout  en 
conservant  au  clergé  de  Céphalonie  le 
droit  d'élire  le  prélat,  lui  imposa  l'obli- 
gation  de  nommer  un  ecclésiastique  de 
zante,  après  que  le  siège  aurait  été 
occupé  successivement  par  deux  arche- 
vêques céphaloniens. 

Venise  était  trop  habile  pour  ne  pas 
ménager  les  opinions  religieuses  de  ses 
sujets ,  trop  jalouse  des  prérogatives  de 
son  autorité  pour  laisser  au  clergé  grec 
une  indépenaance  absolue.  A  Corfou,  à 
Céphalonie,  le  provéditeur  général  pré- 
sidait les  assemblées  où  le  clergé  et  la 
noblesse  élisaient  le  protopapa  ;  il  pre- 
nait part  au  vote,  et  sa  voix  était  prépon- 


Mê 


L*OinVERS.j 


ééAttte.  Celait  loi  <pi  prodamalt  Félu; 
«t  qui  Bttadhait  le  voile  a  son  bonnet,  en 
signe  d*investitare:  Tous  les  chefs  dn 
gonremement  avaient  leur  place  d*hon- 
neuf  dans  les  cérémonies  et  les  proees- 
llions.  La  république  faisait  ainsi ,  des 
liommages  intéressés  qu'elle  rendait  à 
îf^ise  grecque ,  une  garantie  de  son 
pouvoir. 

KÉsuicé.  L%istoire  des  Iles  Ionien- 
nes sous  la  domination  de  Venise  com- 
prend deux  périodes  distinctes.  La  pre- 
mière s'étend  depuis  la  soumission  vo- 
lontaire de  Corfbu  (1386)  iusqn*à  la  paix 
de  Passârowiiz(1718).  C'est  la  période 
deguerre.  Venise,  menacéepar  les  Turcs, 
cherche  à  se  concilier  Vafraction  et  le 
dévouement  de  ses  sujets  par  les  fa- 
veurs qu'elle  accorde  au  élergé  et  à  la 
noblesse  autant  que  par  une  sage  admi- 
nistration. La  seconde  période,  qui  com- 
prend le  dix-huitième  siècle,  amené  avec 
fa  paix  la  corruption  et  le  brigandage. 
Le  gouvernement  politique  et  militaire, 
toujours  exclusivement  réservé  à  Taris- 
tocratie  vénitienne,  est  exercé  par  des 
fonctionnaires  prévaricateurs.  Les  no- 
bles, qui  conservent  les  charges  muni- 
cipales, uïais  dont  le  sénat  restreint  les 
Sriviléges,  imitent  les  excès  des  prové- 
îteurs  et  des  généraux  :  les  valets  co- 
pient les  maîtres.  Sous  une  double  ty- 
rannie, le  peuple  succombe,  ragrieulture 
•dépérit  faute  de  bras  ;  f  industrie  est 
jpresque  nulle;  le  commerce,  entravé 
par  aes  monopoles  absurdes  et  sur- 
chargé d'iniques  impôts,  devient  pour 
les  habitants  une  ressource  précaire  et 
insuffisante.  Le  vol  et  le  meurtre  dans 
toutes  les  classes  de  la  société ,  des  pi- 
rates et  des  bmvt  gouvernés  par  des 
Verres,  voilà  le  spectacle  que  pr&entent 
ces  malheureuses  provinces  dans  les 
dernières  années  de  la  domination  vé- 
nitienne. L*arrivée  des  Français  a  com- 
mencé pour  ces  îles  une  ère  de  régénéra- 
tion et  de  progrès. 


IV. 


LU  iLtt  xoHUfliirEs  aouft  u  wmtnmcr 

TOAAV  ANOIiAXft  (1). 

Les  Iles  Ioniennes,  occupées  émus 
le  27  Juin  1797  par  le  général  Gen- 
tilly,  furent  données  à  la  France  par  le 
traité  de  Campo-Formio  (17  cet.  1797}, 
qui  partagea  entre  la  Franœ  et  TAii- 
triche  les  dépouilles  de  la  république 
de  Venise.  Elles  formèrent  les  trois  dé- 

{^artements  d'Ubaque,  de  CorcjTe  et  de 
a  mer  Egée.  La  garnison  faisait  partie 
de  farmee  d'Italie  sous  les  ordres  du 
général  en  chef  Alexandre  Bertbier. 

Pendant  les  désastres  qui  suivirent 
le  d^art  de  Bonaparte  pour  l'Egypte, 
ime  flotte  turquo-russe  s'empara  des 
îles  ;  Corfou  capitula  le  S  mars  1799  ; 
les  garnisons ,  prisonnières  de  goene, 
rentrèrent  sur  le  territoire  français  par 
Toulon  et  la  division  des  Iles  Ioniennes 
cessa  d'exister. 

Par  une  convention  conclue  à  Cons- 
tantinople  entre  la  Porte  et  la  Rusâe 
(21  mars  1800),  les  SepMtes  et  les  côtes 
qui  en  dépendent  furent  constituées  en 
république,  vassale  et  tributaire  de Tem- 
pire  ottoman.  «  On  ne  sait,  dit  un  auteur 
contemporain,  comment  concilier  avec 
cette  suzeraineté  le  droit  que  la  Russie 
s^était  réservé  par  l'art.  5«  de  tenir  gar- 
nison dans  les  ports  et  forteresses  des 
Sept-Tles;  mais  du  moins  il  avait  été 
stipulé  que  ces  troupes  évacueraient  les 
Sept-lles  après  la  cessation  de  la  guerre, 
et  cependant  elles  y  restaient  toiiyours, 
malgré  les  alarmes  de  TAutriche  et  les 
représentations  de  la  France.  Cétait 
comme  un  poste  militaire  occupé  pour 
Êivoriser  la  reprise  des  anciens  projets 
sur  la  Morée.  » 

Le  traité  d'Amiens  consoouna  pour 
nous  la  perte  des  îles  Ioniennes,  en  les 
déclarant  indépendantes,  et  en  les  pla- 
çant sous  le  protectorat  de  la  Russie. 
JLe  comte  C^po  d'Istria,  noble  corfiote 
au  service  de  cette  puissance,  fut  chai^ 
d'organiser  Gépbalonie,  Sainte-^Iaure, 
Thiaki.  Mais  la  guerre  civile  éclata  parmi 
ta  Ioniens;  elle  ne  fiit  apaisée  qa'en 
1S02  par  rintervention  d'un  plénipotea- 

(x)  Voir  un  article  publié  sous  œ  titre  pai 
M.  BreuUer  dans  la  JRevue  Orientale  et  Ji^ 
rienne  de  mars  zS52. 


ILES  IMOENNES. 


âaire  russe.  Capo  ffîstarfa.  nommé  se- 
crétaire d*État,  chercha  à  rmever  re8[)rit 
national  en  établissant  des  éeohs,  prin* 
cipalement  pour  renseignement  de  Van* 
cienne  langue  et  de  f  ancienne  littérature 
grecques.  La  nouvelle  constitution,  dont 
la  j^arantie  était  confiée  à  la  Russie ,  fut 
publiée  le  6  décembre  1S08. 

Cette  constitution  de  1803  établissait 
la  foi  grecque  comme  religion  natio- 
nale; elle  donnait  protection  à  la  re- 
ligion catholique  romnine,  et  accordait 
tolérance  à  toutes  les  autres.  La  no- 
blesse avait  seule  le  droit  électoral; 
l'électeur  noble  devait  être  né  dans  les 
ttes,  d'une  union  légitime;  appartenir  à 
un  culte  4îhrétien ,  et  posséder  un  revenu 
annuel,  dont  la  quotité  variait  suivant 
les  îles.  Les  professions  mécaniques  et  le 
commerce  lui  étaient  interdits.  Un  di- 
plôme obtenu  dans  une  des  principales 
universités  d'Europe  suppléait  à  la  rente 
annuelle  exigée  de  la  nonlesse.  Au-des- 
sus de  rassemblée  législative,  librement 
nommée  au  scrutin  secret,  la  chambre 
haute ,  composée  de  soixante-dix  séna- 
teurs élus,  était  investie  du  pouvoir 
exécutif.  Le  sénat  avait  le  maniement 
des  revenus  et  des  dépenses,  sous  le 
contrôle  de  Vassemblée  législative,  qui 
votait  le  budget. 

Ainsi  Tadministration  intérieure  était 
complètement  abandonnéeaux  mains  des 
insulaires.  Le  protectorat  russe,  substi- 
tué depuis  le  traité  d'Amiens  (1802)  à 
celui  die  la  Turquie,  avait  aux  yeux  du 
peuple  ionien  les  apparences  d  un  véri- 
table patronage.  Aux  yeux  delà  France, 
c'*était  une  souveraineté  absolue.  «  On 
doit  sans  doute  mettre  dans  la  catégorie 
des  pays  soumis  à  la  domination  d'A- 
lexandre la  république  desSepMles,  oue 
la  Russie  gouverne  réellement  à  l'omore 
d'un  droit /le  protection  sous  lequel  elle 
a  prétendu  voiler  son  usurpation  for- 
melle. ]»  Ainsi  s'exprime  en  1807  un 
écrivain  au  service  de  I^apoléon.  Cest 
qu'en  effet  l'empereur  voyait  avec  in- 
quiétude la  place  de  Corfou  occupée  de- 
puis 1804  par  une  forte  garnison  russe 
et  Cattaro  prise  par  cette  garnison  le 
4  mars  1806.  Aussi  au  traité  de  Til- 
aitt  (7  juillet  1807)  exigea-t-il  que  te 
république  septinsulaire  lât  restituée  à  la 
France. 

Le  général  Berthier,  nommé  gouver- 


neur généivl  M8  îles ,  j^blîa  tft  l^e»p« 
tembre  1807  la  dédâratioft  raivMte  : 

«  lia  république  MptiaiuMra  fait 
partie  des  Etats  qui  dépendent  de  Vem- 
pire  fraB^is...  La  liberté  des  cftites  e«t 
maintenue ,  et  la  reKgioa  gncqve  ««ri 
la  religion  dominante. 

«  Les  tribumux  de  fmtwt  WBtiMie» 
font  à  prononcer  «ur  l«s  natlèras  «ri» 
minelles,  oorreetionneH«s,  eiWfes  «t  au- 
tres comme  par  tepasté.  Les  lois  «t  Mh 
très  actes  judîdaires  seront  iBatotemii 
dans  tonte  leur  vigueur. 

R  Le  sénat  eontiovera  d'^xeroer  «es 
fonctions  jusqu'à  nouvel  ordre.  Une 
députation  sénatoriale  de  einq  membres 
se  réunira  tous  le«  lundis  et  jeudis  pour 
présenter  son  travail  au  geuverReur,  et 
rai  proposer  tout  ee  qui  poewa  <««itri- 
buer  à  la  félicité  publique.  Le  «énsft  éetta 
faire  confirmer  tous  déereis  et  délibéra- 
tions par  le  gouverneur  général,  au  nom 
de  sa  majesté  Tempereur  et  roi*  Ils 
n^ront  aucune  force  sans  cette  apym- 
bation 

«  Il  7  aura  près  du  gouverneur  général 
un  conseil  privé ,  qu^ii  réunira  toutes  les 
fois  qu41  le  jusera  eonvenail>le.  Il  sera 
composé  des  trois  secrétaires  d'État  et  de 
son  excellence  le  président  du  sénat. 

«  Les  Albanais  qui  étaient  au  service 
russe  sont  licenciés,  et  passent  provisoi* 
rement  à  cehii  de  la  France,  lis  seront 
pay^  par  le  gouvernement  septinsarlaire 
et  distribués  dans  les  diverses  ties... 
L*état-major  des  Albanais  résidera  pro- 
visoirement à  Corfou.  11  sera  levéparml 
eux  une  compagnie  qui  Bera  incorporée 
dans  h  garde  du  ^uvemement.  Tm 
outre,  deux  compagnies  de  chaque  corps 
d'Albanais  seront  réunies  à  diaqoe 
régiment  français  pour  faire  le  service 
de  chasseurs  des  miontagnes.  » 

La  France  conserva  jusqu'en  1814 
là  possession  des  Iles  Ioniennes;  <4le  y 
renonça  implicitement  par  Fart.  S  du 
traité  de  Paris  (SO  mai  1814).  Cen«afr. 
tnément  àia  convention  du  ?B  avril  qui 
Uxait  au  1*'  juin  te  remise  totale  de 
toutes  les  nteces  occupées  par  les  Fran- 
çais en  dehors  des  limites  nouvettes^  le 
général  Donzelot  évacua  "Corfou  et  ses 
dépendances. 

Aussitôt  le  sénat ,  tel  qii*il  était  com- 
posé sous  le  protectorat  russe,  le  réunit 
a  Corfou.  La  chute  de  l'emphre  devait- 


M» 


LUKIVfiRS 


die  rendre  aux  Ioniens  leur  indépendan- 
ee?  Le  sénat,  dans  son  ade  publie  du  9- 
%i  mai  1814,  exprima  ainsi  ses  voeux  et 
ses  espérances  légitimes  :«....  L'Angle* 
tore  a  attaqué  et  occupé  quelques-unes 
des  ties;  mais,  oueile  au'ait  été  Tin* 
fluence  accidentelle  des  événements,  le 
sénat  n'a  jamais  cessé  de  regarder  ces 
différentes  occupations  du  territoire 
eomme  purement  militaires ,  comman- 
dées par  les  circonstances  et  ne  différant 
à  aucun  égard  des  mesures  provisoires 
prises  simultanément  dans  les  autres 
parties  de  l'Europe.  Le  sénat  fut  tou- 
jours fermement  persuadé  que,  la  guerre 
une  fois  terminée ,  son  territoire  serait, 
de  même  que  celui  des  autres  nations, 
évacué  et  rendu.  » 

Les  lonicDS  envoyèrent  ce  manifeste 
à  leur  compatriote  le  comte  Capo  d'is- 
tria,  ministre  plénipoteotiaire  du  czar. 
«  L'empereur  de  Russie,  leur  répon- 
dit-il, a  couronné  toutes  ses  faveurs  en 
me  permettant  de  remplir  vos  souhaits  et 
aussi,  en  même  temps,  d'agir  au  congrès 
des  alliés  eomme  l'organe  de  la  per- 
pétuelle bienveillance  de  sa  majesté  pour 
notre  patrie.  Pîotre  patrie  a  demandé 
de  la  justice  de  ce  monarque  le  rétablis- 
sement de  son  existence  politique,  dont 
elle  a  été  privée  par  des  événements 
étransers  au  pays.  Le  traité  de  Paris,  que 
je  me  hâte  de  vous  transmettre,  consacre 
d'une  manière  solennelle  cet  acte  de 
justice  et  de  libéralité.  Rendre  au  peuple 
ionien  sa  liberté  et  ses  lois,  c*est  exercer 
envers  lui  un  acte  de  justice;  lui  ffaran- 
lir  la  jouissance  paisible  de  bienraits  si 
grands,  en  plaçant  le  maintien  du  pro- 
grès de  sa  régénération  politique  sous 
les  auspices  de  laprotection  britannique, 
c'est  associer  sa  fortune  aux  intérêts  les 
plus  éminents  et  assurer  à  son  bonheur 
un  long  avenir.  » 

£n-â^fet,  par  suite  de  traités  conclus 
avec  les  puissances  alliées  le  4  juillet  et 
le  6  novembre  1815 ,  la  république  des 
Jles  Ioniennes  passa  sous  le  protectorat 
de  la  Grande-Bretagne.  Le  général  Camp- 
bell, commissaire  des  puissances  alliées, 
expliqua  bientôt  ce  qu  il  fallait  entendre 
par  le  protectorat  anglais.  Il  commença 
{MUT  déclarer  que  son  gouvernement  ne 
reconnaissait  point  l'existence  d'un  peu- 
ple ionien  indépendant,  et  des  tribunaux 
militaires,  véritables  cours  martiales,  se 


chargèrent  d'impcMersiieneeauxpiaiatn 
des  rebelles  qui  mterprétaient  autrement 
les  traités  de  1815.  Campbell  eut  pour 
successeur  le  général  Maitland,  qui  prit 
le  titre  de  lord  haut  commissaire,  et 
aui  dès  sa  première  proclamatloa  eofl- 
nrma  tous  les  actes  de  son  devancier. 
D'après  le  traité,  le  lord  haut  commis* 
saire  devait  seulement  régler  la  forme 
dans  laquelle  on  convoquerait  Tassem- 
blée  législative  et  diriger  ses  délibérations, 
pendant  qu'elle  rédigerait  une  constitu- 
tion nouvelle.  Jusqu'au  moment  où  cette 
nouvelle  constitution  serait  ratifiée  par 
le  roi,  l'ancienne  devait  rester  en  vigueur. 
Sir  Thomas  Maitland  ne  tint  aucon 
compte  des  droits  du  peuple  ionien.  11 
rendit  contre  le  sénat  une  ordonnance 
de  dissolution ,  et  créa  de  son  chef  on 
conseil  primaire  de  onze  membres,  <{ui 
pour  compléter  l'assemblée  législative 
présentèrent  aux  électeurs  une  liste  de 
candidats.  Le  39  décembre  1817  fut  pu- 
bliée la  constitution.  Elle  reconnaît  le 
protectorat  perpétuel  du  roi  d'Angleterre, 

gui  a  le  droit  de  mettre  garnison  dans 
îs  places  de  la  république  et  de  com* 
mander  ses  troupes.  Le  tord  baiit  com- 
missaire,  représentant  de  sa  majesté,  a 
le  gouvernement  général.  Les  sept  Ues 
forment  une  république  aristocratiaDe 
représentative.  Le  sénat  est  élu  tous  les 
cinq  ans  par  les  députés  qu'envoie  à  Cm- 
fou  chacune  des  ues ,  proportionneII^ 
ment  au  chiffre  de  sa  population.  H  se 
compose  d'un  président,  chef  da  pou- 
voir exécutif,  nommé  par  l'Angleterre, 
d'un  secrétaire  d'ÉUt,  également  désigné 
par  le  lord  haut  commissaire  de  sa  ma- 
jesté et  de  cinq  sénateurs,  dont  le  choix 
doit  être  agrée  par  la  puissance  protec- 
trice. Corfou,  Céphalonie,  Zante,  Sainte- 
Maure  nomment  chacune  un  des  sén^ 
teurs;  le  cinquième  représente  Paios, 
Thiaki  et  Cérigo.  Chaque  île  a  son  admi- 
nistration et  ses  tribunaux  partieoliers. 

Le24avril  1819  le  sultan  Mahmoud  H 
reconnut  l'indépendance  des  Iles  loniei- 
nes  sous  la  protection  des  Anglais,  et  ea 
échange  il  ootint  la  restitution  de  Pargi. 
Lord  Maitland  réprima  avec  une  odieuse 
cruauté  les  mouvements  des  Ioniens 
pendant  la  guerre  de  l'indépendance. 

Après  la  mort  de  Maitland ,  sir  F^- 
Adam  montra  plus  de  bonne  volonté  que 
d'intelligence.  Il  ût  construire  deux 


ILiS  I01<aEIINES. 


641 


aqoedaes  et  4eéi  hmtés  ;  mais  il  fit  pajer 
trop  cbèrement  aux  Ioniens  des  amélio*- 
rations  insaffisantes.  Cest  sous  son  ad- 
ministration que  lord  Guiidford  établit 
l'université  deCorfou,  ouverte  le  39  mai 
1 824.  D^autresinstitQtionsoontribttèrenl 
au  développement  de  Féducation  dans 
les  Iles  :  Gorfou,  Zante  et  Âi|;o8toli 
eurent  ehaonne  un  coUéce  ou  lycée.  Cor* 
fou  possède  une  bibiiolnèque  publique; 
et  une  sodété  pour  le  développement 
de  ragrieultnre,  du  commerce  et  de  Tin- 
dustrie. 

Lord  Nngent  rétablit  Téquilibre  dans 
les  finances,  et  laissa  même  un  excédant 
de  196,550  liv.  sterl.  à  son  successeur, 
sir  Howard  Douglas,  quigouyema  les 
lies  pendant  dix  ans.  Celui-ci  ne  tint  pas 
toutes  les  promesses  qu'il  avait  faites. 
Les  plaintes  qu'il  souleva  parmi  les 
Ioniens  ont  été  vivement  résumées  dans 
les  divers  mémoires  de  M.  A.  Mus- 
toxidis  (1889,  1841).  «  Des  sociétés 
agricoles  et  industrielles,  des  sociétés 
anonymes,  des  banques  nationales,  des 
dessèchements  de  marais,  toutes  choses 
excellentes,  mais  où  les  trouver,  sinon 
sur  le  papier!  Le  code  fait  mention  de 
maisons  ae  correction  et  de  discipline, 
de  pénitenciers  ;  mais  il  n'existe  aucun 
de  ces  établissements  dans  le  pa^rs.  On 
a  donné  des  ordres  pour  la  création  de 
salles  d'asile,  et  les  pauvres  pullulent 
dans  tous  les  récoins  de  la  cité.  » 

Après  sir  Stuart  Mackenzie,  qui  par 
sa  loyauté  s'attira  la  haine  des  fonction- 
naires et  de  l'aristocratie  anti-patriotes 
(xaTax06vioi),  lord  Seaton  réalisa  quel- 
ques réformes,  particulièrement  dans 
1  instruction  publique.  Il  introduisit  dans 
les  écoles-modèles  l'enseignement  de 
l'affriculture  théorique  et  pratique,  et 
établit  une  ferme  modèle  à  Castellanus 
(1844).  Dans  des  écoles  mutuelles,  les 
pauvres  reçurent  gratuitement  l'instruo- 
tion  élémentaire ,  et  les  maîtres  d'école 
de  village  obtinrent  des  appointements 
de  l'État. 

Sir  Henri  Ward,  successeur  de  lord 
Seaton,  était  gouverneur  des  Iles  Io- 
niennes au  moment  où  éclatèrent  les 
événements  de  1848.  Entraînés  par  le 
mouvement  révolutionnaire  gui  agitait 
alors  toute  l'Europe ,  les  radicaux ,  ou 
Rhisospastes,  sous  la  direction  de  Ylacco 
et  de  Nodaro,  essayèrent  de  secouer  le 

41*  lÀP^aiscn,  (Ilbs  Ioniennes.) 


joug  du  protectorat  britannique,  et  d'an- 
nexer  les  lies  Ioniennes  à  la  Grèce. 
.  Leur  tentative  fut  comprimée  par 
l'état  de  sié^  et  par  des  mesures  rigou- 
reuses, qui  rapoelèrent  les  temps*  dé- 
sastreux de  l'aaministration  de  ioid 
Mattland.  L'Angleterre  maintint  donc 
par  la  force  sa  souveraineté  sur  les  Iles 
Ioniennes;  mais  après  s'être  raffermie, 
elle  a  ju^  opportun  et  convenable 
de  nrévenir  de  nouveaux  mouvements 
en  donnant  quelques  satisfactions  aux 
sentiments  d'mdépendanee  qui  animent 
les  Ioniens.  Un  décret  du  lord  haut  com- 
missaire, en  date  du  22  décembre  1851 
et  contre-signe  par  lord  .Grandville ,  in- 
dique en  ces  termes  les  modifications  à 
introduire  dans  la  constitution  de  1817  : 

«  1*  Le  parlement  se  réunira  tous  les 
ans; 

2®  L'organisation  du  sénat  sera  mo- 
difiée de  manière  à  accroître  la  res- 
ponsabilité de  ses  membres  et  à  bien  pré- 
ciser leurs  devoirs; 

3®  Il  sera  adjoint  au  conseil  suprême 
de  la  justice  un  cinquième  membre, 
afin  que  ce  corps  puisse  décider  à  la 
majorité  absolue  des  voix,  et  qu'il  n'ait 
plus  à  recourir,  en  cas  d'égalité  des  voix, 
a  l'intervention  du  lord  liant  commis- 
saire. 

4^  le  parlement  ionien  aura  l'initia- 
tive d'une  loi  tendant  à  mieux  régler 
les  pouvoirs  du  gouvernement  des  îles; 

5  Le  parlement  déterminera  les  attri- 
butions qui  devront  être  substituées  aux 
attributions  actuelles  de  haute  police  » 
(  visites  domiciliaires  nocturnes ,  confis- 
cation des  papiers,  emprisonnement  et 
bannissement  des  citoyens  sans  enquête 
préalable  et  sans  responsabilité). 

Telles  sont  les  concessions  libérales  que 
l'Anffleterre  a  d'elle-même  promises  au 
peuple  ionien.  Qu'elle  exécute  fidèlement 
ses  promesses,  et  elle  saura  s'attacher 
par  les  bienfaits  d'une  protection  vrai- 
ment tutélalre  un  peuple  digne  de  la 
liberté.  En  effet,  la  population  des  Iles 
Ioniennes  est  vive  et  intelligente.  «  Cette 
contrée  de  si  peu  d'étendue  (1)  a  donné 

(f )  La  surface  des  Sept-Iles  peut  être  éva- 
luée à  3,5oo  kilomètres  carrés  enriron.  Leur 
population  est  de  a 20,000  habitapts,  et  leur 
revenu  actuel  de  147,48^  Hv.  sterl.i  ou 
3,687,060  francs. 

41 


u» 


naîMâBoe  à  on  nomfan  MtatifWMBl 
considérable  d'honmcs  dîstblgii^  dmif 
lei  seitnoeSy  \»  lattrei  et  la  politi^. 
Noof  pooTona  dter  entre  aotraa  :  Pieri, 
membre  de  l'Aeedémie  délia  Cmaea;  le 
poète  Ugo  Foaeolo,  aotenrdea  Mémoi* 
rtê  de  Jaeobo  OrUt;  BondioU,  Dellade* 
eimo,  Garburi,  profeseenn  éminenli: 
un  autre  Garburi,  grand  architeete,  ^ 
transporta  à  Saint«Pétenbourgle  rodier 
de  gi^nit  anr  lequel  est  assise  la  statue 
de  Pierre  le  Grand;  Lusi,  général  en 
Prusse  et  ambassadeur  en  Angleterre; 
Loverdo,  général  et  pair  de  Franoe; 
Gorafan,vioe-roide8ieue;  léracbis,  viee* 
Mîde  Siam;  Mooenigo,  Bulgaii,  Fran- 
zinl,  ministres  d'État  en  Europe;  Capo 
d'Istria,  secrétaire  d'État  en  Russie 


nîBlitn  pMni^olittliiire  de  cette  ipù- 
aanee  au  congrès  de  Yienne  elpréeidMt 
de  la  Gïèoe;  Téerivain  Mnrtomîs,  et  le 
poëte  Salomos,  auteur  du  faînenc 
njnme  grée  è  ii  Uberté,  etc.,  eta.  » 
CMeSyUn  peuple  qui  a  de  tels  npréNn- 
tants  mérite  «Têtre  traité  ayeo  tous  ks 
égards,  tons  les  mén^pements  qui  sosi 
dus  aui  nationa  eîfiliaéea  ;  «  «til  «t 
digne  de  rAngletene*  dit  réorivain(l) 
ai^uel  noua  empmntona  oei  dernieis 
détails,  de  faire  noMement  aon  devoir 
en  accordant  enfin,  sans  arrlère-peDMa» 
réparation  et  Justiee  aux  malheureuses 
populations  des  Sept^Ilea.  » 


(i)  M.  Breelisr,  Bêvm  Oritmtmkg 

p.97^> 


t  I, 


t.xxVij\m%j%rtTrttmft'nf>nfvn'n^'nn— iT'>iT**r*'i"  *  ^  *ir  TTrf^T**  *  * .«.-fc«».>.--.^^--..^^.^— ■.^— >. 


TABLE 


DE 


L'HISTOIRE  DES  ILES  DE  LA  GRÈCE. 


!••■■ 


Pages. 

h 

Ue  de  Chypre x 

!•      Géographie  physique  et  poUti<iue 

de  file  ae  Chypre i3. 

!!•  Histoire  de  Tile  de  Chypre  pen- 
dant les  temps  anciens.  •  .  •     14 

m.  État  religieux,  politique,  moral 
et  intellectuel  de  Chypre  pen- 
dant les  temps  anciens.  .  •  ;    3$ 

IT.  Histoire  de  File  de  Chypre  pen- 
dant le  moyen  âge  et  les  ten^ 
modernes.  ...  : 47 

Y,   État  actuel  de  Ttle  de  Chypre.  .  .    83 

n. 

Ile  de  Illiodes.  •  .  * 92 

I.  Description  et  géographie  compa- 

rée de  lile  de  Buodes ià. 

II.  Histoire  ancienne  de  i*ile  de  Ehodes.  xoa 
m.  État  religieux,  politique ,  social  et 

intellectuel  de  Rhodes  pendant 

Tantiquité;   1 z34 

rv.  Histoire  de  Tile  de  Bhodes  pen- 
dant le  moyen  âge  et  les  temps 
modernes.  .  •  .  :  é  ;  .  •  •  .  145 

V.  État  actnél  de  Rhodes.  •«••«.  184 

VI.  Il(is  de  la  mer  de  Lycie.  é  •  .  .  .189 

in. 

Sporaden.  •  •  .  •  v  •  ;  •  ^  .  19a 

Mer  Egée.  .:.••«•.•    •  •  ià. 

Ile  de   Syme. 193 

Ile  de  Chalkia •««...  194 

UedeTélos 1^. 

Hé  de    Nisyros.  .«.•••...  195 

Le  roicher  des  Caloyers.  •  •  •  «  .  196 

Hé  de  Carpathes •  •  .' .  <^. 

Ile   de  Casos 198 

Hé  de  Cos; 199 

Ilei^  voisines  de  Cos ao9 

He  de    Léros. •  .  :  .  •  i^. 


Pages. 
Ile  de  Patmos.  ;....' 30^ 

Ile   Icaria.  .  •    • aïo 

Petites  iki  de  la  mer  Icarienne.  ^i% 

IV. 

He  de  ttsunoe.  • "  ai4 

I,  Géographie  et  description  de  TUe 
\    de  Samos ià: 

n.    Histoire  de  File  de  Samos  dans 

les  temps  anciens aasi 

m.  GoloniflSi  institutions,  rdigion,  lit- 
térature^ de  Samos  dans  Tanti- 
quité.  .  ,  , •  •  •  a37 

IV,  Histoire  de  Samos  pendant  le 
moyen  âge  et  les  temps  moder- 
ne»  •  .  •   •••..<  343 

He  de  Chlo 959 

I.      Géographie  et  description  de  Chio.    îè, 
U.    Histoire  ancienne  de  Chio.  '•  •  .  264 
m.   Résumé  de  l'hutoire  de  l'Ile  de 
Chio  pendant  les  temps  moder- 
nes  975 

rv.  Tableau  général  de  la  civilisation 
dans  Tile  de  Chio  aux  temps  an- 
ciens et  modernes.  .••«••  a84 

VI. 

He  de  PMum.  ...  : !l  T  299 

VU. 

He  de  lienboe.  ; 297 

I.  Description  et  géographie  de  IHe 

de  Lesbos ià. 

II.  Histoire  ancienne  de  Lesbos   •  .  3o4 

III.  État  politique,  social,  intellecfnel 

de  Lesbos  pendant  les  temps 
anciens 817 

IV.  Histoire  de  111e  de  Lesbos   pen- 

dant les  temps  modernes.  .  .  .  3a6 

Vin. 

Ile  de  Téséden 338 

41. 


644 


TAWLB. 


PtfCS* 


IX. 


347 
i6. 


365 


37a 


llM  4e  Im 

L'HeUespont. 

Ile  de  Proconnèse / .  •  348 

Iles  ▼oisines  de  Marmara 35o 

Iles  des  Princes :  3Si 

Les  roches  Gyanées 35a 

X. 

De  4e  liemnes •  •  354 

lie  dlmbros. :  ...  364 

XI. 
Ile  4e  flaaaotltraee. 

xn. 

Hé  4e  TImmm.  .  .  . 

XHL 
lies  4«  iior4  4e  PB«1iée.  .  :  .  .  377 

Ile  de  Scyros .•  •  •  •  378 

xrv. 

Ile  4>Hitbée 38a 

4.  'Description  et  histoire  de  l'iie 
d*Eabée  pendant  les  temps  an- 
ciens  • iOm 

i«  Géographie  générale,  population:   i^. 

90  Centre  de  l*£nbée. 385 

9<»  Nord  de  TEtthée 4o3 

4*  Sad  de  l*Eabée 4^0 

II.    Précis  historique  snr  111e  d*Enbée 
*  'pendant  le  moyen  âge  et  les 
temps  modernes 4aa 


lien  €^ela4en.'.  4^9 

I.  Notions  générales  sur  la  géogra- 

phie et  l'histoire  des  Cyclades.    ié, 

II.  Pariicularilcs  snr  les  Cyclades.  .  .  438 

Jle  d'Andros. 438 

Ile  de  Ténos.  ....,.:...  439 

Hé  de  Gyaros 44 1 

'Ile  de  Géos; 44a 

Ile  d'Hélène 445 

.IledeCyt^Qos.  . 446 

Ile  de  Syra.  .  .  *. 447 

Iles  de  Délos  et  de  Rhéiiée.  .  •  .  45i 

Ae  de  Mykonos 459 

Ile  de  Naxos 460 

.  Qe  de  Paros«  .  ^ 466 

Ile  d'Oliaros  ou  Antiparos 469 

^      Ile  de  Siphoos. 471 

Ile  de  Seriphos 47a 

lie  de  Gimolo9 ib, 

IledeMélos. 473 


Ile  de  Aïolégandros. 4:g 

Hé  de  Sikinos ii. 

Ile  dlos.  .'..., 479 

Hé  d'Amorgos. 4S0 

Ile  d'Astypalée 48a 

He  d'Anaphé 4S3 

Hé  de  Tnéra^on  Santorin.  ...  484 

XVL 

lies  4«  yollé  flhu«ni««e.  ...  J  49} 

He  de  Salamine ;    i, 

He  d*Égine 5m 

i<>  Ancienne  histoire  d*Égine.  .  .  5m 
7?  Égine  dans  les  temps  modernes.  5ii 
3^  État  de  la  civilisation  antique 

dans  rUe  d^Égine 5^ 

4*  Eut  actuel  de  l'île  d*Égine.  .  ^  5to 
Ile  de  CaUurie  on  Poros Sa 

XVII. 

He*  4a  PélopOB&ène àii 

Hes  dHydra  et  de  Spéizia.  ...  ii. 
Théganussa ^^ 

'  '     Sphactérie ^c 

xvra. 

He  4e  Crête.  S3' 

I.  Description  et  géographie  de  File 

%  de  Crète : '^ 

II.  Histoire  deTile  de  Crète  pendant 

les  temps  anciens. 

m.  Tableau  général  de  la  civilisation 

Cretoise  dans  les  temps  «ndem.  553 
rv.  Lite  de'  Oète  pendant  le  moyeo 

âge  et  les  temps  modernes.  .  .  5:i 
Y.    Appendice  sur  l'état  de  l'agriculture 

et  les   productions  de  llte  de 

Crète. 5S9 


4i> 
il- 

6(3 

a, 

6r 

(3: 


5)fi 


lien  loBleniien 

I.  Géographie  des  Hes  lonieiin»,  . 

II.  RéSutné  historique    sur  les    Ilo 

*  'lônIeArtfei 

*  •  Gofcyre. 

Paxos. ' 

Lencade 

*  * Cépfasittélli«.  '.' ■• 

'  'Ithaque.  .'.' 

Za<^mthe.  ; 

Gythère.  .  .  .• 

III.  Les  lifes  Ioniennes  sous  la  domina- 

tion  de   Tenise.  •  •  .  •  •  .  • 
rv.  Les  Ile«  Ioniennes  sons  le  fmutt- 

*  torat  de  TAngleterre 


FIN, 


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Lon^tttde  du  Jléridiieii  de  Paris. 


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ILE.  DE  RHODES. 

Par  CBAIUS  Cêof 


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f.  Tr^utm  I. 


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Cf  de  Lindô       ^^ 


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DE       RHODES 


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ILE     DE    RHODES 


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ILE     JiE     '.-HY^RE  . 


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ILE     DE     CHYPRE 


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