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C.V-.^i\s^
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L'UNIVERS.
«•
HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES.
ILES DE LA GRÈCE.
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PARIS. — TYPOORAPniE PK FIRHIN DIDOT KRJvHFU^, nVV. JACOB, 6<>
ILES
DE LA GRÈCE,
M. LOUIS LACROIX, J
kUCan BEMBIIE DE L'ÉCOLE KRINÇAUE D'IT
PROFEUKUn n'HIiTOlBB AU LICËE iapfiKUL DE LOV
«GBÉGÉ MU FkCDLTte DB8 UrmiE*.
PAKIS,
FIRMIN DIDUT FRÈRES, EDITliURK,
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\ ^ \
PREFACE.
J'ai réuni dantee volume» sous le nom i^Iles de la Grèce , toute» les lies
de la Méditemmée orientale, depals Chypre Jusqu'à Gorfou, de Vmt à l'ouest ,
et depuis les Iles des Prinees Jusqu'à celle de Candie, dans la direction du nord
au sud. Toutes ces lies , ooeupées dès la plus haute antiquité par des popula-
tioDs d'origines diverses , sont devenues au temps de l'expansion de la race
bellàiique une annexe du domaine continental qu'elle s'était fait au midi de
l'Earope et i l'oeddent de l'Asie. Les Grées, après en avoir assujetti ou déplacé
les aneiens habitanU, en ont dépossédé les Phéniciens, qui les exploitaient
commercialement, s'y sont installés en maîtres, et les occupent encore aujour-
d'hui, libres dans quelques-*une8, soumis dans les autres w^t à la domina-
tion desTureSy soit au protectorat de l'Angleterre.
Qud qu'il en soit de la situation politique de ces lies, elles sont toutes
restées des lies grecques au point de vue ethnographique, et leur histoire
est ]e complément de l'histoire de la Grèce» dont elles ont constamment par-
tagé toutes les destinées. Aussi le plan général de ce livre aurait-il été le même
<rie celui d'une liistoire grecque, si J'avais pu présenter celle des Oes en un seul
tableau ; mais la nature même du svfjet rendait impossible toute unité d'exécu*
tioD. La vie individuelle, si prononcée déjà pour les cités de la Grèce continen-
^1 l'est bien plus encore pour les llesgreeques, que la mer éloigne les unes des
i^Qtres, i^foutant ainsi ses flots et les distances à ces nombreux motifi d'isolé-
<i^t qui à tonte époque ont divisé les peuples grecs. En sorte que dans cette
iùstoire Je n'ai pu flaire autre chose qu'une série de notices, de monographies
diitiiictes, dont les plus considérables, telles que Chypre, Bhodes, les Cy-
<^iades, contiennent toutes les considérations générales que comporte le sujet.
Toutes ces notices sont distribuées conformément à la position géographique
à^ lies ou groupes d'Iles dont elles présentent la description et rhistoire.
^^ cette sorte de périple à travers l'Archipel , Je me suis toujours avancé
à'orient en occident, prenant l'Ile de Chypre pour point de départ,, et les lies
Ioniennes pour terme de ma course. De plus, toutes les monographies de ce
'^^coell ont été traitées d'après un plan uniforme. Je les divise ordinairement
en cinq parties : la description et la géographie comparée, l'histoire ancienne,
le tableau de la civilisation dans les temps anciens , le récit des événemeute
da Qoyen âge et des temps modernes , enfin l'exposition de l'état actael. Pour
^ grand nombre de ces lies, le peu d'importance de leur histoire et la pénn*
'le des renseignemente ne m'ont pas permis de remplir entièrement toutes les
ÎLES DE LA GR£CE> U
n PRÉFACE.
divisions da plan que Je m'étais tracé ; mais J0 Tai fait pour les plas eonai-
dérablesy pour celles qni m'offraient un fonds complet et suivi d'événements
historiques. Quant aux moindres lies. J'ai essayé, en les gro* ^ani d'une ma-
nière méthodique, d'en présenter des tableaux d'ensemble lUs satisfistisants
pour l'esprit, et de remédier par là, autant que possible, au morcellement
même du sujet.
Aucun éerivalii) si ce n'est le Hollandais Dapper, n*avait entrapris de
réunir en un seul reeuetl l'histoire de tontes les Iles grseqnesi mais te livre de
Dapper, composé au dlx^septlème siècle, décrit nn état sodal et géographique
tout à (ait modifié anjourdlinl, et il ne traite l'histoire que d'une maBière
Incomplète et confuse. Ans^ tout restait à refkira de nouTCan, et J'ai dû aller
chercher les matériaux de est ourrage dans une mnltitttde d'aotenn où ils
étaient dispersés, dans les géographes et les historiens de l'antiquité, dans la
Collection byzantine et dans la BlÛiothèqne des croisades pour le moyen âge,
dans les voyageurs des trois derniers tAMeê , dans une foute de dIssertatioBs
spéciales, dues principalement à l'infatlgabte curiosité dés éradits de l'Alle-
magne. J'ai puisé mes renseignements sur l'éM aetttel de ces lies dans les pu-
bllcatloas les plus récentes, dans les articles des revues, dans les relatiOBe des
touristes, dans tes ehanceltertes des consulats, dans les souvenirs de mes
propres courses è travers l'Àrehipel , dans la conversation et les communica-
tions d'hommes tostrults que des missions scientifiques ou leur positim ofil-
dette avaient mis à même d'étndier à fond la sltuathm de ces contrées, eemme
M. de Mas-Latrie pour l'Ile de Chypre, et M. Hitler pour l'Ile de Crète. A ces
derniers titres, quelques-uns de mes confrères de TEcote d'Athènes m'Mt elfr
caeement aidé dans mon travail, par te secours de leurs Intéresiantes publies*
tions, et J'ai largement mis à profit les fragoients publiés par M. Beiiotl sur
les lies de Délos et de Santorin, et te savante dissertation de M< Girard sur 111e
d'Bubée. Je tiens aussi & remercier publiquement de leur concours sélé et ln«
telligent MM. A. Jacobs, F. Oger, C. Port et P. Longuevilte , archivistes pa-
léographes , ou Kcendés ès4ettres de la Faculté de Paris. Je leur al confié la
rédaction de quatre des notices qui composent ce recueil , celles des ties de
Saroos, de Chfo, de Lesbos et d'ÉgIne. Mes actifs colloborateurs n'ont reculé
devant aucune des exigences du plan que Je tenr avais tracé, et, après des re-
cherches consdencteuses et approfondies, ils m'ont présenté quatre bonnes no-
tices, que nous avons travaillé en commun A compléter et à améliorer encore,
et que Je soumets avec confiance h l'apprédatlOD du lecteur. Ordce à te réunion
de tant de lumières et de bonnes votentés, toutes les parties de ce reeoell ont
été étudiées à fond et traitées avec un égal soin ; tes gravures , les cartes, les
plans annexés au texte ont été l'objet de la même sollidtude, et s'il reste en-
core beaucoup à faire et k dire sur les fles grecques, c'est qu'en histoire, eottme
en toute autre science , nul ne peut se fiatter de donner un résultat définitif.
r"
I
IBÉFACfi. Mi
Dos «D HvieAe 68 genre, dootles matérfanx loUpdtéiàtaiit 46ioafMi|
fë pcDié qaf I élilt de mdn devoir de citer lonjoiim et exaeteraeDt mes aato*
îMê^ poorfàdlfteràd'aatreftdeiMnivelleis reAerehes et leurefllrlrla vérlfleaUoii
da met aeierlioiis et de mes redis. Dans cette intentloa, Je me inls attadié awil,
aotant qa*f I m'a été poarible , à indiquer la bibliographie des ouvragée ep^
eiaox publiée sur les liée grecques. La liste en est asses nombreuse, quoique
je ne me flatte pas de la donner complète ; Je l'ai composée de tous les ou^
rrages que J'ai réunis et dont J*ai pu Mre usage. Cependant lien est quelques-
uns dont Je n'ai connu que les mres, et que Je n'ai pas laissé de signaler
comme les autMs. Ce sont des tiièses , des exerelcee académiqueSi comme 11
s'en ftlt taol dans les laborieuies universités de TAnemagne, que l'on ne con*
Dilt au loin que par les catalogues ou les revues blbUographlques.||Ghaque fois
qu'après de patientes recherches Je constatais qu'une de ces monographies
tait fntroavaUe peur mol Je me prenais à regretter qu'il u'existAt pas entre
les académies, les universités, et tous les grands corps savants de l'Europe des
édiangee et:des communications assurées de toutes leurs publications.
Non content d*avolr donné une idée de la manière dont J'ai conçu et exécuté
eetouvrage, J*âi à eceur de dire que dans l'accomplissement de ma tâche J'ai
été constamment soutenu et encouragé par le désir de m'aequitter de la
dette que J'ai contractée envers l'École française d'Athènes. Cet établissement
fut fondé en 1846 , sous le mhiistère de M. de Selvandy , dans lé but d'aug-
menter les lumières du corps enseignant, et de mettre à la disposition de ses
membres Aes moyens d'instruction qui leur étalent demeurés Jusque là inter-
dits, rai ea l'honneur de faire partie de la colonie de fondation, qui fut placée
sous la direction de M. Davèluy , et qui, par l'union parfaite de son chef et de
aes membres, sut consolider rétablissement nouveau et lui faire prendre racine
sor le sol grec. Tout le temps de notre mission, qui devait être de deux ou trois
ans, fut consacré à étudier l'antiquité sur son propre terrain, à prendre des le-
çons de la Grèce elIC'^méme ; enseignement fécond, qui complète, explique et
rectifie si avantageusementtselui des livres. L'examen des ruines , des courses
archéologiques, des études de topographie nous apportaient chaque Jour des
explications, des lumières nouvelles et inattendues, et c'est dans ce sens que
mms pouvions nous appliquer ce vers d'Horace, qui au besoin servirait de de«
îise à l'École française d'Athènes :
Adjecere bonœ paulo plus artîs Athenœ *.
Comme Horace aussi, les troubles civils de notre patrie nous amebètent à
ses studieux loisirs:
DvrtMd anofere loco not tempera greio,
CiTîluqoe rudes belli Uilit œstas in arma.
' Hor., Bp.^ I. n, 2.
a.
Jt PRÉFACE.
Quatre d'eatxo nous fiirait cri>Hgés de regagner laFraoeeyàlaiIndelMSy
avant le terme de leur mi«9k>n; mais, plus heureux que le poète latin, ikm»
vîmes se dissiper les appréhensions de la guerre civile , et bientôt un pouvoir
énergique raffermit l'État ébranlé. L'École d'Athènes , dont Texistence était
devenue précaire et chancelante, fat adoptée par le nouveau gouvernement, et
l'activité de ses membres, dirigée et excitée par rimpulsion de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres , prit enfin son essor.
Alors ils publièrent à l'envi des thèses ingénieuses et savantes, des rela-
tions de leurs excursions scientifiques ; ils recueillirent et interprétèrent des ins>
criptions inédites, et ils entreprirent des explorations et des fouilles dont les ré-
sultats sont déjà féconds et glorieux. Les suffrages de la Faculté des Lettres de
Paris n'ont pas manqué aux thèses de MM. £. Burnouf et Lévéque sur le culte
de Neptune dans le Péloponnèse et sur l'esthétique de Phidias. L'Académie a
accueilli avec faveur les intéressants rapports de MM . Mézières, Beulé et Girard
sur leurs explorations dans la Morée , la Thessalie et l'Eubée. Enfin les im-
portantes découvertes de M. Beulé à l'Acropole d'Athènes ont vivement excité
l'attention et les applaudissements des savants et des artistes.
A ces travaux déjà accomplis lyontons, pour faire connaître Tardear de
cette Jeune école, ceux que Ton prépare et qui vont paraître : hk thèse de
M. Hanriot sur les démes de l'Attique ; celle de M. Gandar sur Ithaque et le
royaume d'Ulysse ; le livre de M. Benoit sur la comédie grecque ; les mémoires
justificatifs de M. Beulé sur ses fouilles à l'Acropole; les études de M. Guérin
sur Patmos et Samôs, de M. About sur Égine, et des explorations ordon-
nées pour la description de Delphes et du Parnasse et pour la topographie de la
Grèce orientale. Quant à moi , désirant m'assoder à cette féconde activité de
mes confrères, j'ai accepté avec joie l'offre que me fit M. Didot, en 1850 , de
me charger de l'histoire des lies grecques pour sa grande collection de L' Univers
piUoresque. Un voyage en Egypte , une tournée sur les côtes d'Asie Mineure
et à Gonstantinople m'avaient permis de parcourir l'Archipel en tout sens. Cette
circonstance atténuait à mes yeux les difficultés de l'entreprise, en me fetisant
espérer que je pourrais utiliser dans mon travail ce petit surcroît à'ars bona ,
comme dit Horace , que les historiens doivent toujours à la connaissance des
pays dont ils parlent et que les membres de l'École d'Athènes vont demander
au séjour de la Grèce.
Tel est le mouvement scientifique, si actif dès ses débuts , auquel a donne
naissance l'École française d'Athènes , institution éminemment libérale, qui
avec le temps contribuera puissamment à conserver et h ranimer chez nous
les études classiques , et qui à l'exemple de l'Académie de Rome , sa sûeur
aînée, prendra, je l'espère, une place honorable et définitive parmi nos
grandes institutions nationales.
L'UNIVERS,
00
HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS REUGIONS MŒURS, COUTUMES, etc.
^^^t%mt^^m %,■%
ILE DE CHYPRE ^'K
I.
GÉOGBAPHIB PHYSIQUB ET POU-
TIQUB J>£ L'1L£ D£ CHYPBB.
DlPFBBBirTS NOMS DB LtlB DB
Chypbb. — En général toutes les con-
trées de randmiîté sont connues dans
lliifitoire sous difTérents noms. L'tle de
Chypre en avait reçu un grand nom-
bre (3); mais la plupart d*entre eux n*a-
vaient point été acceptés par le commun
Qiaee : oe n*était que des dénominations
mies appliquées à l'Ile tout entière, ou
(i) Ouvrage spéciaux sur l'histoire gé-
ncrtlede l'île de Chypre : i^ Meursius, Creta,
Crpnu, Rfwdu* ; Arostdodami, 1676, in-4®;
— 2^ le P. Estienne de Lutignan, Description
ajoute tisU dé Cjpre, iii-4®, i58o; — •
3* Domioique Jauna , Histoire générale des
roraitmesdBCxpre, de Jérusalem, <t Arménie
et it Egypte, a vol. in-4<», Leyde, 1747; —
4"* Rriiihardt, FoUstandige Gesclùclite der
Konigreiehs Kjrpern^ a voL in- 4*», 1766; —
5'Eiiigel, Kfpros, a vol. in-8®, Berlin, 1841 ;
— 6« Gratiani, Histoire de la Guerre de Cliy'
pn, traduite par le Pelletier, 10-40, 1701;
~- ?• ioredano, Istoria dei Re Lusignani,
««laite par H. Giblet , a vol. in-xa , Paris,
»:3*; ~ $• Mariti, Foyage dans tile de
%/»«, la Syrie et la Palestitie, a vol., Paris ,
«791 ; — 9» M. de Mas-Lalrie , différents ar-
ticles relatifR à lliisioire de Chypre sous les
1'* Uvraiion. ( Ilb db Chypbb.)
des noms mythologiques empruntésàdes
légendes fort contestables, ou même de
simples épithètes poétiques. Ainsi on ra«
vait appelée : Aeria, à cause de la pureté
de son air ou du héros Aerias ; ASrosa ,
de ses mines de cuivre; Jmathowtia,
d*Amathonte; Aphrodisia, d' A phrodite;
Aspefia, mot phénicien qui indiquait sa
position maritime ; ColiniCf le pays des
collines; Cerastis, des différents pics
qui la surmontent ; Kryptos^ Ttle basse,
mot ^ec qui traduit peut-être i*épithète
phénicienne d*Aspelia; Macaria, Ttle
Lusignans et h Tétat actuel de File, insérés dans
la Biïliothèaue de f École des Chartes, i*"' série,*
t. Y ; a^ série, t. I et II ; dans les Archit^es des
Missions scientifiques, numéros de mars et sep-
tembre iS5o;elaans le Correspondant dejum
et d'août 1847. — Nous nommerons ici une
fois pour toutes le livre de Dapper : Descrip*
tion exacte des Isles de tArcn^el, iu-fol.;
Amsterdam, 1703 : vieux ouvrage plein de
bons renseignements, qui traite de toutes les
Iles étudiées dans ce recueil, et que nous n'a-
vons pas la prétention de rendre inutile.
(a) Lusignan commence sa Description de
toute tisle de Cypre par ces mots : « On de-
vroit plustôt nommer ceste isle Polyonyme,
que Cypre (oooflne pour le jour d'huy un rap-
pelle), pour ce que on lui a attribué plusieurs
et divers noms, la variété desquels Fa rendue
célèbre et très-renommée par tout le monde. »
1
L'UNIVERS.
heureuse; Meionis, par allu^ou ^uU
être à une colonie de Méoniens qui s'y
serait établie dans les temps anciens;
Ophiusa , rtle des Serpents ; Paphos,
nom d'une ville étendu à Fîle entière;
Sphekela, Ttle des Quépes, et tharsis^
nom phénicien (]ui ^a^pelle celui deTar^
tessus, et qui paraît signifier la terre des
métaux (1). Mais les deux noms seuls
usités chez les anciens, et seuls histori*
gués» sont ceux de Kittim et de KyproSy
dont il importe de rechercher Torigine
et la signincatibn.
Le nom primitif de Tîle de Chypre
était celui de Kittim ou Chétin]. Touç
les pays de Taotiquité portèrent d'abord
le nom de la première famille ou tribu
qui les occupa. C'était en imposant son
nom au sol que l'homme sighiliait qu'il
en avait pris possession, et l'île de Chy-
pre reçut le sien de ses premiers habi-
tants. « Chétim, fils de Javan, fils de
Japhet , dit Josèphe (2) , s'établit dans
nie qu'on nomme maintenant Cypre,-
à laquelle il donna son nom ; d'où vient
que les Hébreux nomment Chétim toutes
les lies et tous les lieux maritimes. Et
encore aujourd'hui une des villes de l'Ile
de Cypre est nommée Citium par eeux
qui imposent des noms grecs à toutes cho-
ses; ce qui diffère peu du nom de Ché-
tim. » Les Phéniciens, ees descendants
de Cbanaan , qui donnèrent aussi à Ttle
de Chypre la plus grande partie de sa
population primitive , ne la désignèrent
jamais autrement que par les noms de
Kittim ou de Chétim. On n'en connais-
sait pas d'autre dans toute l'Asie occi-
dentale. Au contraire le nom de Kypros
est le seul dont les Grecs se soient ser-
vis historiquement dès les temps d'Ho-
mère et d'Hésiode. « Isidore et Honorius
prétendent qu'elle ait reçu ce nom d'une
grande et ancienne ville qu'il y avoit au-
trefois. Quelques autres veulent qu'elle
en soit redevable à la déesse Vénus,
adorée sous celui de Cypris par ses an-
ciens habitants. D'autres soutiennent
au'on en doit rapporter l'origine à la
nile de Clnyras, premier roi de cette île,
appelée Cyprus. On pourroit dire avec
plus de vraisemblance qu'elle fut ap-
pelée ainsi à cause ae la grande quantité
(r) Pline, Hisi. Nat., V, 35.
(a) Jos., Ant, Jud., I, 7.
de cdivre qu(( ses premiers habitants y
trouvèrent, puisque c'est dans ce même
sens qu'elle fut nommée jiùrosa du mot
latin jEs, qui signifie du cuivre, de même
que cuprum (1). *» Or, aucune de ces éty-
mologies ne rarhène le tiotn ds Cyprè à
sa VéhtsblesOuh:é. Lé mot grec Kyfn^s,
d'où il dérive évidemment, ne signiiie ui
cuivre ni cyprès , comme on l'a pré-
tendu queljjuefois : d'est le nom d'un ar-
buste ^ue ies Phéniciens et les Hébreux
appelaient kopher, mot d'où les Grecs
ont tiré cdui de kj/pros, mti est formé
des mêmes éléments. De la fleur et du
fruit de cet arbuste on composait des
huiles et des parfums très-recherchés ,
qui dans l'antiquité, comme dans les
temps modernes, étaient un important
article de commerce. Tout porte à croire
âne les Grecs , qui négociaient avec les
Phéniciens de l'Ile de Kittim, prirent
l'habitude de la désigner par le nom de la
plan te qui produisait un de ses princi paux
objets d exportation. Ce fut là qu'ils ap-
prirent à connaître le kypros ; et ils ap-
pelèrent l'île de son nom, de même qu'ils
avaient donné à l'tlede Rhodes le nom de
la rose, qui f croît en abondance. Voilà
Texplication la plus vraisemblable de
Torigine du nom de Tîle de Chypre : elle
était admise par les anciens eux-mêmes,
et a été recueillie par Etienne de&yzance,
d'après lequel sans doute Kustàthe la
répétée (3). Ce nom de Kypros ou Cyprus,
employé par les Grecs et les Latins , a
passé dans toutes les langues de I Eu-
rope moderne. Les Allemands et ies Fla-
mands, dit Dapper, prononcent et écri-
vent Cypru9 (bien que les premiers era-
f>loient quelquefois le mot de Cyprès)^
es Italiens Cipro et les Français Cypre.
Les Arabes nomment cette Ile Cupris,
et la plupart des Turcs HCibl^Ué Depuis
Dapper l'orthographe de t;e nom s>st
modifiée dans notre langue. Fénelon n*c*
crit jamais que le niot Cypre. Le traduc-
teur de Dapper, de 1702, écrit de même.
Le traducteur du f^oyagè de l'abbé Ma-
riti, dont lé \ï\te parut en 1791, ne su
sert jamais que du mot de Chypre, dont
l'usage a tout à fait prévalu de'nos jours.
Il est à croire que même au dix-sep-
(i) Dapper, Descr. des isies de ^Archipety
p. aa.
(a) Cf. Engel, Kypiw, t. f, p. 14^
ILE DE CHYPRE.
tièm« sièrie « au t«fnp» où l'on écrivait
toDjoors Cypre, la pmfiondâticA de oe
mot M ropproeliait di» Itt pronotieiatioti
italienne « et qu'en modifiant l*ortho^ra«
phe on n*a ftit que la mettre en eonfoi^
mité a?ee le aon du langage (1).
POSITIOIV ÔÉOGKAPHTQtJfe BT DI*
Miifstona BË iitLc DC Ghtphe. --*•
Llle de Chypre est située dans la partie
la plus orientale de la Méditerranée ^
antre lo golfe de Pamphjlie (solfe de Sat-
Ulie) Cl le golfe d'Issus (golfe d'Aléxan-
drette), Id mer de Syrie et la mer d*É-
lypre (3). Sa ohaltie principale eourt dans
une direction parallèle à celle des mon*
lignes de lA Citieie, dont elle est séparée
par un eenal de quinte lieues de lar*
|ror ( Aulon Cilieius). LMle de Chypre
s'étend à peu près du 30* au 32* degré
de longitude et du S4<' 90' au Sd", 30"» de-
gré de latitude. Elle forme un triangle
allongé, à côtés inégaux, dont les trois
sommeta aont le cap Dinaretum à Test,
le cap Acamaa à Touest, et le cap Curias
au sud. Le côté le plus oonsidérable est
celui du nord, qui court de l'ouest à l'est,
avec une légère inclinaison vers le nord, et
qui est oompris entre le cap Acamas (cap
Saiot-Eniphane) (8) et le cap Dinarète
(eap de Sain t-And ré). De cette côte septen-
trionale ae détachent deui promontoires,
le eap Callinusa à Tooest (cap d*Alexan-
drette, ou de Limnito selon Dapper) et le
eap ]lromtiiyo& à l'est (aujourd'hui eap
(i) Ifotis nods eonformerom àl'asage ordl"
Biireeo nottt scManl du mot Chypre pourThi^
toirenodcrae, et totitft les foi* que nous par-
Icroin de l'll« en général. Mail il nous parait
plut coufome à la vérité liisiorique de coa-
tcnrer raiicieuDe ortiiograplie cl d'éci'ire Cy-
pK eo irailant fpécialeiDeBt de i'hiiioire au-
àeoae de cette île.
{a) Dan ville, Mémoire sur la géographie
de Piie de Crpre {Académ, des Inscr,, KXXII,
p, 5a5); MaQtK;rt, Géogr, d. Allen., VI,
p. â48.
(3} Capo ai Sanl-Èpiphaiiio, communément
cùpo dl San-PI/a/ii. Dan» Talias calalaa du
<luaiorziènie siècle, publié oar MM. Buchon et
Tutu dans la Collection des notices et ma-
ttutcrilf, t. XIT, p. Ï04, ce cap est appelé
Sattcti'Bffnmi ^ et le cap Saint- André est ap-
pelé eavo Sattuto-jifuiré, Les noms de la géo-
Sophie moderne de l'ile de Chypre viennent
éa Itafiens et des Catalans, qui éuient nailres
weooMMrae du Levant au moyen
Gormaohittî, Comamiito dans l'Atlas
catalan ). !« côté sua-ouest, qui s^étend
du cap Acamas au cap Curiaa (cap Délia-
Gréa), est la plus petit des trois* C'est un
rivage déeou pé en baies nomlnreuBes et hé-
rissé de plusieurs promontoires^ qui sont
dans la géographie ancienne les caps
Drepane, Zephyrium « Arsinoé et Treta
ou Phrurium, aujourd'hui cap Dropono,
Chelidonio, cap Blanc^ et cap des Chats
(Biancho, délie Gatte) . La troisième côté,
tourné vers le sud-est, moins grand que
le premier, mais beaucoup plus étendu
2ue le ftecond, est compris entre les caps
urias et Dioarètei et projette au loin
datls la mer le cap que Ptolémée appelle
ThronoT, et qui est probablement le cap
Pila. Les anciens n'ont pas eu de notions
bien exactes sur retendue de 111e de
Cbjpre ; ils la regardaient comme une
des plus grandes îles connues de leur
temps; mais ils la plaçaient tantôt la cln-
auième , tailtôt la sixième ou même la
ixième dans l'ordre des grandeurs (1).
Strabon évalue le pourtour de I1le , en
suivant toutes les sinuosités, à trois mille
quatre cents stades (S), ce qui fait quatre-
▼ingt-cino lieues et demie. Le grand
côté de rile a , selon Strabon , quatorae
cents stades ou trente-cinq lieues de lon-
gueur. Danvitle ne lui donne que trente
deux lieues et demie. On comprend qu'on
ne peut donner à ce sujet que des éva-
luations approximatives. Les calculs les
plus récents, qui eux-mêmes ne sont
point encore d'une rigueur absolue, don-
nent à l'Ile de Chypre une superficie de
dna cent vingt lieues carrées , ou d'un
million d'hectares (8).
MoNTAO.'VES. — L'Ile de Chypre est
traversée par deux principales chaînes de
montagnes que les anciens avaient con-
fondues et désignées par le même nom.
(x) F'of. Engel, Histoire de Chypre^ t. I,
E. aS. Un seul géographe, Agatliemenis* éla-
IH exactement le raiiporl d*étendiie d<'s îles
de la Méditerranée, il k>s classe ainsi : Sicile,
Sardaigne, Cypre et Crète.
(a) Strabon, 1. XIV, 6 ; Tauch., III, 241,
(3) Voir dans les Archives des Missions,
i85o, n. 161, ou àans \t Bulletin de la So~
ciété de Géographie^ une notice sur la situa-
tion actuelle de l'île de Chypre et sur la coai<
tructioQ d'une carte de Tile par M. de Mas-
Latrie,
1.
LUNIVERS.
11$ les appelaient toutes deux le mont
Olympe. La plus considérable de ces
deux chaînes s étend, dans la direction de
l'est à l'ouest, depuis le cap Thronoî jus-
qu'au promontoire Acamas : elle odupe
rlle en deux versants, dont Tun a sa pente
vers le nord, c'est le plus considérable,
et l'autre, de moindre étendue, forme
la r^ion méridionale de l'Ile. De cette
(^atne centrale, qui râiferme le sommet
le plus élevé de Ttle, le mont Olympe
pro|)rement dit, et dont une partie s'ap-
pelait l'Aous, se détachent de norh-
breux contre-forts, qui vont projeter vers
le rivage, dans le canal de Ciiicie ou dans
la mer d'Egypte, les promontoires dont
nous avons énuméré les plus considéra-
bles; ces rameaux détachés de la chatne
centrale divisent l'ile de Chypre en bas-
sins d'une médiocre étendue, qu'arrosent
de petits cours d'eau, dont quelques-uns
ne sont que des torrents. L'autre chatne
forme le prolongement septentrional de
rtle ; elle commence au cap Krommyon
et aboutit au cap Dinarète, vers l'orient.
Dans une grande partie de sa longueur,
cette chaîne longe le rivage , et se com-
pose de rochera escarpés , coupés à pic,
qui de ce côté rendent i'Ue inanordable.
Entre œs deux chaînes principales s'é-
tend vers l'orient la grande plaine de
la Messaria ou Messarée, qui compte
soixantendix-huit milles de longueur sur
trente de large, et qui a toujours été la
contrée la plus riche et la plus puissante
de rile entière. Les pics culminants
du système orographique de Tlle de
Chypre portent aujourd'nui les noms de
Kantara , SaiulrHilarion, Stavro-Vouni
ou montdelaCroix, Troodos et Mâchera ;
mais on n'en connaît pas exactement la
hauteur. Cependant M. de Mas-Latrie,
à la suite d observations barométriques
faites récemment, a trouvé, sauf erreur
de sa part , dit-il , que le Saint-Hilarion
est élevé de 709 mètres , ou 2,i29 pieds
au-dessus du niveau de la mer (1). C'est
ajoute-t-il, à peu près les deux tiers de
la hauteur du Vésuve et la moitié du
Puy-de-Dôme. Le sommet appelé Troo-
dos ou Throdos (3) paraît correspondre
(x) Arcftives dês Missions, année x85o,
p. i8o.
(ft) Dapp«r l'appelle Trochodos et Trobo-
dosy p. i6.
à roiympe des aneietts poètes et géogra-
phes. Le paganisme consacrait les hautes
montagnes I ses dieux. On avait élevé sur
celle-ci un temple à Vénus-Olympienne.
Les chrétiens le remplacèrent par une
chapelle dédiée à saint Michel- Archange,
et les pentes de la montagne se couvri-
rent de couvents grecs. LeStavro-Vouni,
voisin des salines et de Larnaca , près de
la côte méridionale, avait été consacré à
Jupiter. La tradition rapportait que l'ini-
pératrice Hélène , mère de Constantin ,
avait élevé sur cette haoteur une cha-
pelle où elle déposa un morceau de la
vraie croix. Jean Locke, voyageur an-
glais, qui visita Jérusalem en l56S,donne
une description détaillée de cette relique.
Aujourd'hui l'occupation des Turcs a
transformé ces montagnes en déserts, et
a fait disparaître tous ces monuments
de la piété du moyen âge.
Fleuves, Tobbents. — L'tle de Chy-
pre est arrosée par un grand nombre de
cours d'eau. Mais la plupart ne sont aue
des torrents, dont le lit, même en ni-
ver, est presque entièrement desséché, et
cela par l'extrême rareté des pluies. Le
ciel y est pour ainsi dire d'airain, selou
Mariti, et les historiens assurent qu'au
temps de Constantin il s'écoula trente
années sans que l'Ile ait été arrosée jpar
la pluie. Si d un côté l'île est exposée à
l'inconvénient des sédieresses prolon-
gées, de l'autre elle est quelquefois expo-
sée à de terribles inondations. « La nuit
du dix novembre, veille de Saint- Mar-
tin 1 330, dit Loredano, la rivière qui pas-
se à Nicosie crut d'une telle force qu'elle
inonda non-seulement les endroits les
plus bas de la ville , mais encore ceux
que l'on croyait par leur situation être
le plus en sûreté. Les eaux, arrêtées par
un pont, menaçaient de tout engloutir;
mais ce pont fut entraîné par le torrent,
et sa chute facilita l'écoulement des eaux.
Il y eut néanmoins quantité de maisons
renversées et bon nombre de personnes
entraînées par le torrent. Cette inon-
dation dura trois jours; la ville de Li-
massol fut entièrement détruite , et il y
périt deux mille personnes. Les habi-
tants des campagnes s'étaient retirés sur
les hauteurs, d'où ils voyaient au loin les
eaux engloutir et entraîner leurs bestiaux
et leurs chaumières. » Le cours d'eau
le plus.oonsidérable de l'tle est cette ri-
IL£ DE CHTPRE.
fière qoi passe à Nieode, el que les an-
cieDS appelaient le Pedioeos, qui arrose la
Hessai^, la plus vaste et la plus fertile
plaine de Ftle de Chypre. Le Pediœos
coule de Touest à l'est, et se jette dans
le golfe de Salamine. Sur la côte sep-
tentrionale on remarquait le Lapitbos,
près de la ville de ce nom, et le Clarios,
qui eoule à Touest de la ville de Soli.
Le rivage méridional était arrosé, outre
de nombreux torrents, par le Tétios, à
Touest de Citîum, le Lycos entre Ama«
thonte et Curium , et le Bokaros entre
les deux villes de Paphos.
AiB, Climat, TEMPÉBàTUBB. — Le
elimat, la température de Ttle de Chypre
ont b^ucoup d*analogie avec ceux des
légions oui Tavoisinent. Elle a les
grandes cnaleurs de la Syrie, les vents
violents et la sécheresse de la Cilicie-
Trachée , inconvénients dont il est sou-
vent Élit mention dans les anciens (1) ,
nuis que compensent les douces brises
de la mer et les fraîches rosées de la nuit
I>ans rété les habitants de 111e vont
chercher la fraîcheur sur les montagnes,
en hiver ils redescendent sur les cdtes
et dans les vallées. En effet dans cette
saison le froid y est plus sensible qu'on
oe pourrait le croire diaprés la position
du pays, surtout dans la partie nord, qui
reçoit les vents glacés du Taurus et des
côtes de la Caramaiiie. Les sommets de
la cbatoe de TOlympe restent longtemps
couverts de neige. Les anciens préten*
dent que Tair de Ttle de Chypre est
mauvais et malsain. On allègue en
preuve de cette assertion, la contagion
Îui fondit sur l*armée de saint Louis,
>rs de son passage en cette tie Tan 1 259.
Ceux (|ui ont longtemps habité Chypre
sont d un avis contraire; et voici com-
ment s'exprime à ce sujet Tabbé Ma-
i^it (2). « Les fièvres tierces et quartes
*ont, il est vrai, très-fréquentes et très-
opiniâtres à Chypre et dans tout le Le-
^at; mais les causes n'en sont pas dans
^ malignité de Tair. U est (Tailleurs
(0 Martial, IX, 9 1,9. Injamem nimio calort
Cypnm; Solin, c. xx : Inciiatissimus calor,
^M lei Jr^rofumiques atlribaées i Orphée
«Je est appelée ^ve|i6fi9aa, y. 1 290. Cf. EDgel,
*riP'««, p. 3i.
W ^©rtt^e dans tiU de Chypre^ etc., t. I ,
p. 5,
fiacile de les éviter. Tai souffert pendant
dii mois entiers de cette maladie : mon
expérience peut être utile à d'autres , je
vais en conséquence entrer dans quel-
ques détails à ce sujet. Je ne tardai pas
à m'apercevoir que je donnais lieu
moi-même aux rechutes qui prolongè-
rent ma fièvre si longtemps. La chaleur
excessive du climat entretient une trans-
piration abondante et continuelle ; si
1 on a l'imprudence de s'exposer dans cet
état au moindre vent , les pores se res-
serrent , et il en résulte une suppression
de transpiration qui est infailliblement
suivie de la fièvre (1). Une autre cause
encore , ce sont les liqueurs fortes et
l'usage immodéré de certains fruits, et
particulièrement du concombre, de la
pastèque et du melon. Les naturels même
du pays échappent rarement, et surtout
en été, à cette espèce d'épidémie; mais
ils se contentent d'une légère saignée,
laissent agir la nature, et guérissent sans
remède , sans régime, et avec la seule
attention de se priver de fruits. Cette
méthode, je l'avoue, ne suffirait pas aux
Européens. La maladie exise de leur
part un peu plus de soin. Elle n'est pas
sans danger ; on ne le prévient que par
un régime austère et soutenu. L'exercice
du cheval est encore un remède que les
Turcs et les Grecs emploient avec succès,
au moins pour empêcher les obstruc-
tions occasionnées par cette sorte de
fièvre. Ces derniers quelquefois , las et
ennuyés de ia constante opiniâtreté du
mal, prennent au moment où le frisson
annonce son retour, un grand verre de
l'excellent vin de Chypre, et ce remède
agréable est un de ceux qui réussissent
le mieux. »
A Chypre, comme dans presque toutes
les contrées du Levant , les pluies sont
périodiques. Elles commencent vers la
mi- octobre, et continuent par intervalle
jusgu'à la fin de janvier. Février est
moins pluvieux, dit l'abhé Mariti (2} , et
(i) Ceat à dessein qtie j'ai reproduit ce
passage, qui contient d'utiles conseils. Tous
ceux qui ont voyagé dans le Levant reconnaî-
tront la justesse de ces observations, que j'ai
plus d'une fois vérifiée par ma propre ex-
périence ou par celle de mes collègues de l'é-
cole française d'Athènes.
(«) f^oj-age dans Vue de Chypre^ etc, l. I,
p. aés.
*
L'UIflVraS.
quelquefois offre un ciel sauf nuages;
mais les eaux recommeneent avec force
vers le milieu de mars jusqu'à la lia
d'avril, hes pluies cessent eu mai, et sont
suivies de douces rosées qui entretien*
Dent la fraîcheur, activent la végétation,
en tempérant les chaleurs de juin. Ce
mois écoulé, il ne faut plus attendre ni
rosées ni pluies ; un ciel hrOlaut dessèche
et appauvrit la terre, et épuise le culti*
valeur par une excessive transpiration.
Ces chaleurs, dont Tintensité augmente
de plus en plus, seraient insupportables
si l'air n'était rafraîehi par ce vent bien*
faisant qui vient de ta mer et tempère les
ardeurs du climat sur toutes les côtes
de la Méditerranée. Il s'appelle Tembat
à Chypre, comme sur tous les autres
rivages grecs ( 1 ). Le vent cesse de soufQer
vers le niilieu de septembre, et alors
commencent les plus fortes chaleurs;
mais elles durent peu, et sont tempérées
par les nuages pluvieux qui couvrent
ratmosphère vers la (in d'octobre. Ainsi
en été le vent du sud est rafraîchissant,
parce au'il 6*élève de la mer. Au con-
traire, le vent du nord entraîne avec lui
des vapeurs malsaines et brOlantes. C'est
le vent qui vient de l'Asie Mineure. Lé-
gèrement rafraîchi par la mer qu'il a
traversé , il est moins incommode sur la
cote nord de l'île; mais il est aussi mal-
faisant qu'insupportable pour les habi-
tants de la région méridionale, où il ap-
porte avec lui la chaleur des terres sèches
et brûlantes qu'il a parcourues en fran-
chissant la chaîne de l'Olympe (â\ Si
par malheur ce vent souffle sept ou huit
lours de suite, tous les fruits sont brûlés,
les plantes séchées et flétries jusqu'à
leurs racines, et la récolte de l'année est
anéantie. De là vient que la disette se
fait souvent sentir dans cette Ile, malgré
la fertilité, la bonne qualité des terres.
(i) LV|qb«t, T^ l(iêaTi, de è|iSa(v(i) ou i(A-
&9i<»>» C'est le vent ijui introduit ou qui s'io-
trodiiit dans le port, qui envahit la lerre. C'est
toi^ours, par conséquent, le veot de mer. Il y
a un «ntbai aM Pii'ée, et dans toutes les îles
grecques ; mais ce nom ne s'applique pas aux
vents tumultueux et de tempête, il est ré-
servé aux vents réglés qui soufflent de oier.
. (a) De même ^ Athènes, le vent du nord
qui a traversé TEubée, la Diacrie et les cimes
arides du Parues el du PenI clique ne procure
aucun rafraîchissement, malgré sa violence.
Lfg vents brûlants el la fiÈéeheresae sont
les deux fléaux du paysan cypriote (1).
Productions dk l'îlb ns Ghypbb.
•<- Les anciens voyaient il le de Chypre
plus peuplée, mieux cultivée, plus pros-
père qu'elle ne nous apparart aujour-
d'hui sous la déplorable administration
des Turcs. Aussi prétendaient-ils , eC
cela pourrait être encore vrai de nos
jours , qu'il n'y avait pas de pays plus
fertile et plus riche en productions na*
turelles. Les approvisionnements y sont
eneore à si bon marché, que les navires
de commerce ont l'habitude de relâcher
à Larnaca , où ils se ravitaillent à peu
de frais (3). Ammien-Marcellin exprime
d'une manière bien sensible la variété
et Tabondance des produits de l'île de
Chypre, quand il dit qu'on peutytrou--'
ver tous les matériaux nécessaires pour
construire un vaisseau depuis la quille
jusqu'aux voiles, et le lancer en mer
chargé de toutes sortes de provisions
récoltées dans l'ile même.
MiNBRiux. — Cette assertion n'a rien
d'exagéré ; on peut s'en convaincre par
une énumération rapide des principales
richesses naturelles de Tlle de Chypre.
Le cuivre était le métal le plus employé
par l'industrie des anciens. Chypre était
si renommée par ses mines de cuivre ,
qu'on l'avait surnommée /Erosa, Le
cuivre de Chypre était le plus estimé
dans l'antiquité, où il est souvent fait
mention du ya>x%ç x^npio; , de F ses
cyprium. Ce métal enfin s'appela chez
les Latins du nom de Ttle où il était
si abondant et de si bonne qualité ; ils le
nommèrent cuprum, et notre mot cuivre
en dérive. Selon la tradition (8), le héros
Cinyras avait le premier découvert et
exploité ces mines de cuivre , dont les
plus considérables se trouvaient près de
Tamassus, d'Amathonte, de Soli , de
Curion et sur le Crommyon. On y trou-
vait aussi du fer, mais en moins grande
quantité. Poeocke a vu dans les environs
de Paphos et de Soli des mines de fer
creusées dans les montagnes, ainsi que
(x) Dapper; Dtscr. de rjrehtpef^ p. 4i-
(a) Engel, Kjrpros, I, p. 40; Strabon,
I. XIV, 6 ; JElicn, Traité des jén'mQWt, V,
56; Ammien-Marcellin y I. XIY.
(3) Pline, Hist, Nat., Vil, 57 ; XXXIV,
a ; Engel , Kypros^ 1. 1 , p. 43.
ILE DE CHYPRE.
près de Boie, à Fouest de Soli, près du
promontoire Acaœas, où il signale Teiis-
(eoee d'une source d'eau minérale. Pline
parle des diaoïants de l*tle de Chypre ( 1 ),
et au sièei# /iemier Poooeke signale le
pays de Baffa (Paphos) eonime produi-
iaot un diamant très-dur, supérieur, se-
loD lui , aux pierreries de Kerry et de
Bristol. Mais les connaisseurs refusent
de reconnaître ce produit de Tîte de
Chypre pour du véritable diamant. On
trouvait eneore dans cette contrée de
Falun blane ou noîr, de l'amiante dont les
aocieDs disaient une toile avec laquelle
lis enveloppaient leurs morts avant de
les mettre sur le bûcher, des émeraudes
très-précieuses, du jaspe, des opales,
de l'agate, des saphirs, dii cristal, du
lapis-laiulî , des pyrites , bu pierres à
feo, des pierves d'aigle, du ^pse, de la
ehaux, des marbres, des pierres meu-
lières, et cette pierre friable appelée
émeri, que les anciens désignaient sous
le noin de poussière de Maxos. Les côtes
de rite étaient garnies de coraux. Les
salines de Chypre étaient très- renom-
mées, surtout celles des environs de
Salamineet de Cittium (2), non loin de
laquelle on voit encore aujourd'hui le
grand lac des Salines. Telles étaient les
richesses minérales que llle de Chypre
offrait à l'industrie de ses anciens habi-
tants, et que l'incurie des modernes
Cypriotes laissent enfouies dans le sein
de la terre, il n'y a que les salines qui
(ontinuent à être exploitées ; les der-
sières évaluations portent à 7,500,000
kilogrammes, et à la valeur approxima-
tive de 7S,000 francs la quantité de sel
nporté annuellement de l'tle de Chypre.
VÉGÉTAUX. — Pendant la plus grande
partie de Tannée les montagnes et les
▼allées de Ttle de Chypre sont couvertes
dune abondante végétation. L'nir est
rempli des émanations embaumées des
mille et mille (leurs qui couvrent le sol,
et dont les parfums avaient valu à cette
Ile fortunée le surnom d'cùû(^T); (3). Le
narcisse, Tanémune, l'hyacinthe, la
renoncule et quantité d'autres fleurs,
aussi odorantes , d'un aussi vif éclat
(i)Pliae, ȉl. JVirr.. XXTLVII, i5.
(i) Voir surtout Pline aux livres XXXTl
ei XXXVII, [uissim.
(3) Engel, Kypros, I, 58; Dapper, p. 46.
émaillent les champs, les coteaux des
collines , les bords des chemins. Mais
nous Bravons pas à décrire la flore de
rtle de Chypre ; qu'il nous sufOse d*in-
diquer parmi les produits du rè^ne
végétal ceux qui étaient dans Tanti-
quité et ceux qui sont devenus depuis
pour les habitants de Tlle un objet a*ex-
ploitation et une source de richesse.
Mentionnons d'abord le cyprus, cet ar-
brisseau auquel Tile dut probablement
son nom. Les Arabes appelaient cette
Î^lante henné ou el hanna ; les Latins
'ont nommée ligustrum, et les Français
troène; son nom botanique est lawsonia
aiba (1). Voici la description qu'en donne
Dioscoride : « Le cyprus est un arbre
dont les feuilles ressemblent è celles de
l'olivier, si ce n'est qu'elles sont plus lar«
ges, plus douces et plus vertes. Ses fleurs
sont blanches , disposées en grappes
et odoriférantes. Sa semence est noire
et semblable à celle du sureau. » Pline
le décrit ainsi : « Le cyprus est un arbre
d'Egypte, dont les feuilles sont sem-
blables à celles du jujubier, et la se-
mence à celle de la coriandre, qui pro-
duitune fleur blanche et odoriférante. On
cuit cette fleur dans de l'huile; et après
qu'elle a bouilli suffisamment, on 1 ex-
prime, et il en sort une huile qu'on ap-
pelle cyprinum ou cyprium. Le meil-
leur croît à Canopus, sur le bords du
I^il, le second à Ascalon, et le troisième
en l'île de Cypre ; ce dernier est le plus
odoriférant de tous (2). » Le heimé est
un des arbrisseaux que Ton rencontre le
plus communément en É^^ypte , ou ses
teuilles et ses fleurs sonf très-recher-
chées, celles-ci à cause de leur odeur,
qui ressemble à celle du musc, celle-là
parce qu'elles servent à teindre en jaune
ou en rouge certaines parties du corps,
telles que les ongles, les lèues, les pau-
pières, les cheveux des femmes, ainsi que
la crinière, le sabot, la queue des chevaux.
Dans tous les bazars du Levant on voit
exposée cette poudre verdâtredu henné,
qui est toujours très- recherchée pour la
toilette des femmes de ces contrées.
Les vins de Chypre étaient déjà très-
estimés des anciens. Pline parle de la
(i) Engpl, Kypros^Tp. 64.
(«) Dio-^cor., I, ia4; Pline, XII, 5'î
XXIII, 46; Hérod.,II, 94.
a
L'UNIVERS.
grosseur extraordinaire de ses raisins ,
de la grandeur des ceps, dont un seul
avait fourni tout le t)ois nécessaire à la
construction de Tescalier du temple de
Diane à Éphèse. Les crus les plus re-
nommés étaient ceux de Papbos, d'A-
matbonte et des coteaux sud du mont
Olympe. C'était de ces cantons qu'on ti-
rait le vin de Gommandç^rie. « Le terri-
toire de la Commanderie, dit Tabbé Ma-
riti , est enclavé dans cette partie de l'tle
que les Grecs appellent Orni , laquelle
comprend au couebant une portion de
l'ancienne province de Papnie, et au
midi une autre de celle d'Amathusie,
qui n'est pas moins ancienne. Ce terri-
toire est borné au levant par la ville de
Limassol , au couchant par celle de Pa-
pbos, au nord par le mont Olympe. En-
tre plusieurs bameaux qui s'élèvent dans
cette enceinte , les plus renommés par
la qualité de leur vin sont Zoopi et
Ozongun , voisins Tun de l'autre et si-
tués sur la même colline. Ce nom de
la Commanderie donné au territoire
dérive des chevaliers des ordres de Saint-
Jean de Jérusalem et du Temple, auquel
il appartenait. Malte conserve encore
des prétentions sur cette propriété, et le
grand maître en confère le titre à un
commandeur de l'ordre; c'est à pré-
sent la famille des Comaro, établie à
Venise, qui en est revêtue (1). » Les jar-
dins produisent tous les fruits de TO-
rient, grenadiers, orangers, citronniers,
oédrats. L'arbre qui produit les ca-
rouges croît dans l'île entière; on y
trouve de grandes forêts de cyprès et de
pins ; l'île de Chypre est riche en oliviers,
en tins, en chanvre, en garance et en cé-
réales : le palmier^ est aussi beau qu'en
Egypte et en Syrie; les fruits aqueux
du genre cucurbitacé y viennent en abon-
dance. On y recueille un miel excel-
lent , de la térébenthine , du ladantim ,
suc visqueux que produit une certaine
Ï liante qui ressemble à la sauge, et dont
a fleur approche des roses sauvages
qui viennent dans les haies. « La ma-
(i) Mariti, Voyage de Chypre, etc., I,
p. 971. Voyez tous les longs renseignements
donnés dans cet ouvrage sur la culture de
la vigne, le transport des vins, la manière de
les conserver, et Texportation qui s'en faisait
en Europe au dix •huitième siècle.
jeure partie du iadanom se reeueOle , aa
printemps , dans le village de Lascara.
Le matin, de très-bonne heure, les ber-
gers conduisent leurs troupeaux de chè-
vres dans ces environs; le ladanum, mûr
et visqueux, s'attache aux barbes des chè-
vres ; on l'en retire, et le ladanum aioai
recueilli est le plus pur et le moins
chargé de matières hétérogènes ; tandis
que ces animaux paissent dans la plaine,
les bergers en amassent de leur côté :
c'est ce qu'ils font en attachant au bout
d'une petite perche une peau de chèvre,
avec laquelle ils vont essuyer les plantes
couvertes de celte rosée (i). » Au temps
de Dioscoride on recueillait le ladanum
de la même manière, et on l'appliquait au
même usage que de nos jours , où il est
très-employé en médecine. A toutes ces
productions connues des anciens il faut
ajouter celles qui sont dues aux décou-
vertes des siècles derniers et à l'impor-
tation des végétaux étrangers. Le ooton,
le mûrier, la canne à sucre, le tabac y
réussissent parfaitement ; et Une dépend
que de l'industrie et de l'activité des ha-
bitants de tirer de leur culture de grands
profits.
Animaux. — On trouve dans llle de
Chypre tous les animaux de la Grèce et
du Levant. Les chevaux y sont fort es-
timés, non pour la rapidité de leur
course , mais pour la sûreté, la douceur
de leur pas dans les chemins difficiles
et dans les montagnes. Ils sont infatiga-
bles ; les ânes, les mulets ont les mêmes
qualités. Les boeufs sont petits et mai-
gres, et ne servent qu'au labourage. La
viande dont on fait la plus grande con-
sommation est celle du mouton, qui y
est succulente et délicate. On y voit des
moutons dont la queue est si grosse et
si pesante , qu'on la fait reposer sur un
petit charriot à deux roues qu'on leur
attache par derrière. Du reste, leur chair
a une odeur qui la fait repousser du
ran^ des aliments , et on ne les nourrit
qu'a cause de leur laine, qui étant mêlée
avec du poil de chèvre sert «1 &ire de
fort beaux tapis et de bonne couvertu-
res (2). Les chèvres et les boucs y sont
il) Manti,;
11) Dapper.
n, p. 5i; Er
Voy, en Chypre, etc., I, p. 306.
Descript, des Isies de lArchi'
pei, p. Di; Engel, Kypros, I, 69; Mariti,
Voyage, I, 35.
ILE DE CHYPRE.
en très-grande quantité, et leur poil sert
à faire de fort beaux camelots qu'on ex-
porte. Les forêts et les montagnes de
nie sont peuplées de montons , de che-
vreuils , de bouquetins, de lapins et de
lièvres. Les lévriers y sont excellents
pour la ebasse. Ltle nourrit aussi une
grande Quantité de toutes sortes d'oi-
seaux, tels que pigeons, perdrix, cailles ,
iaisans, béeasses, grives, tourterelles,
oies et canards. « Les becfigues et les
ortolans y sont chargés de graisse , dit
Tabbé Mariti, et telle est leur nniltipli-
dté, que les paysans, à quatre sous le
bouquet ou la douzaine, y font un gain
considérable. Ils prennent le plu^ grand
nombre près du village de Samt-Nappa.
Us en portent une partie à la ville; mais
communément ils leur enlèvent la tête
et les pattes , leur donnent un premier
bouillon et les mettent dans du vinaigre
avec quelques in^irédients conservateurs,
lis les pparaent amsi une année entière,
et les vendent au même prix que les au-
tres. Le débouché pour ces sortes d'oi-
seaux est chez les Européens de Larnic
( Larnaca ) , qui en font passer en An-
gleterre, en France, en Hollande et dans
quelques parties de l'empire Ottoman. »
L'oiseau carnassier le plus commun dans
oeUe tie est le vautour, qui en dévore
tous les cadavres. Malheureusement ce
pays abonde en bêtes venimeuses et en
losectes malfaisants, serpents, tarentu-
les, galères, moucherons, moustiques, et
surtout les sauterelles, qui font dans les
champs les plus grands ravages. « Par-
tout où elles s'arretent, les blés, les her-
bes, les racines même, tout est dévoré,
tout est consumé en un instant. Il sem-
ble au*on ait incendié la contrée. Autre-
fois les habitants se donnaient toutes les
peioes imaginables, faisaient les plus
grandes dépenses pour extirper ces in-
sectes destructeurs : tous se mettaient à
la recherche de leurs œufs.... On tient
maintenant à œt égard une conduite bien
différente. Si l'on se donnait autrefois
tant de peine pour détruire ces insectes
persécuteurs, il est défendu d'en détour-
ner même les œufs que l'on trouve. La su-
perstition des Turcs croit que l'on ne
peut sans crime s'opposer aux châtiments
de Dieu , et les Grecs , craignant , s'ils
étaient découverts, quelque outrage de
leur part, laissent propager ce fléau. La
plaine de Messarée est la retraite ordi-
naire de ces sauterelles : heureux lors-
qu'un bon vent de terre les entraine vers
la mer, où il en périt des légions (1). »
VlLLBS DE L*tLB DE ChYPBE. 1** DE-
PUIS LE GAP ACAMAS JUSQU'AU CAP
DiN ABÈTB. — Autrefois l'île de Chypre
était entourée d'une ceinture de villes
florissantes. Occupée par les deux na-
tions les plus industrieuses de l'antiauité,
les Phéniciens et les Grecs , elle ngure
toujours dans l'histoire comme jouis-
sant d'une grande lirospérité mattfielle.
Mais elle perdit de bonne heure son in-
dépendance politique, et aujourd'hui,
tombée de servitude en servitude sous
le joug des Ottomans, elle languit comme
toutes les autres contrées soumises à
cette fatale domination ; ses villes sont
dépeuplées, ses campagnes incultes et le
port deXarnaka suffit presque seul aux
Desoins de son commerce. A la place des
villes signalées par les anciens géogra-
phes on ne trouve plus ordinairement
que des raines ou de chétifs villages. Là,
comme dans tout le Levant, le voyageur
est continuellement attristé par le spec-
tacle de la désolation et de la décadence.
En longeant la côte septentrionale de
l'île, à partir du cap Acamas ou de Saint-
Épiphane (3), on trouvait la ville d'Ar-
sinoé, qui dut son nom à l'une des rei-
nes d'Ë^pte , auprès de laquelle Stra-
hou place un bois consacré a Jupiter, et
dont l'emplacement est probablement
occupé aujourd'hui par le village de Po-
lykrusocho. Au pied du promontoire Cal-
Imusa ou Limnilo, les cartes vénitiennes
et Danville placent la ville d'Alexan-
drette, qui dut sa fondation à Alexandre
le Graiio ou aux Ptolémées. Kntre ce cap
et le Crommyon , près du petit fleuve
Qarius, s'élevait la ville de Soli, qui était
autrefois la capitale du plus puissant^
des royaumes de Chypre a près Snlamine.
« Solon , dit Pluurque (3), étant venu
dans rile de Cypre, se lia d*amitié avec
Philocyprus , un des rois de l'tle , qui
(i) Mariti, Forage en Chypre, I, i34.
(a) Foj, Strab., XIV, p. 48a ; Ptolémée,
T , i4; Plioe, Y, 35; Gonstaut. Porphyr.,
Titem,, I, i5 ; Engel., Krpros, I, 71.
(3) Plut., Sol., a6; trad. Pierron, I, p. aog.
Selon Sirabon elle aurait été bAtie |Mir deux
Athéniens, Aoaoïas et Phalénis, 1. XIV, c. 6.
to
L'UmVERS.
habitait une petite viUe bâtie par Dém^
phon, fils de Tbésée, près du fleuve Ûa-
rius. C'était un eadroit fort d'assiette,
mais, du reste, un terrain stérile et inr
grat. Soloq persuada au roi de trans-
porter la ville dans une belle plaine si-
tuée plus bas , et de l'agrandir en ta
rendant plus agréable. Il aida même à
la construire, et à la pourvoir de tout ee
gui pouvait y (faire régner Tabondance
et eoptribuer à sa sûreté. Philocvprus
eut bientôt un si grand nombre de su?
jets, qu'il enoourut la jalousie des rois
voisins. Aussi, par une juste reconnais*
sa née pour Solon , donna-t-il à sa ville ,
qui s'appelait d'abord Epia , le nom de
Soli. » Poeocke plape à l'endroit oeoupé
par Soli le village d'Aligore, et plus baut
dans Ja montagne il a retrouvé un lieu
appelé Épé , qui est probablement Fan-
cienne i£pia (Aiireu). Selon Oapper, Soli
était devenu le bourg de Solea (i). Soli
avait un beau port et un temple de Vé-
nus et d'isis. Elle était adossée au sud
et à l'ouest à des ooUioes tràs*fertiles.
On a trouvé en cet endroit un mur cir-
culaire nue Ton croit être les ruines d^un
ancien théâtre.
A Test de cette pointe de terre, qui se
termine par le cap Cornaohiti ou Crom-
niyott, sWnd une cote d'une extrême
fertilité, que traverse le Lapethos (au-
jourd'hui Lapitho) et que fécondent de
nombreuses sources qui font circuler
en tous sens des eaux abondantes. L'an-
cienne ville de Lapethos, doqt Strabon
fait une colonie lacédâiupnienne, est au-
jeurd hui le bourg turc et grec de Lapi-
the, ombragé d'orangers et de palmiers,
ayant un bazar et assez d'industrie. Il
ne compte pas moins de quatre cents
familles grenues, et passe pour le plus
^aod village de Chypre (&). A huit milles
a Test était la ville de Gerinia, Ceraunia
ou Cinyria , dont Fliistorien Lusignan ,
évéque de Limisso, attribue, sans au-
torité , la fondation à Cyprus. Cette ville
resta importante au moyen âge , grâce
surtout à sa citadelle, qui date des pre-
miers temps de son existence, et ope les
Lusignans agrandirent encore. C'était
le port le plus fréquenté pour le corn-
ai) Dapper, Dcscript,, p. 39.
fa) M. de Mas-Lalrie, Arehiv. d^s Mis"
siofu, t85o, p. 173,
meroe de la Caramaaie. L*abbé Mariti
signale l'existence de cavaux creusés
dans les rochers situés à l'ouest de la
ville, et appelés par les gens du pays
sépulcres des Gentil» (1). La forteresse
subsiste encore , mais Kerinia ou Cérîoes
n'est plus qu'un misérable villas^e. A
l'est deCérines, à cin<| milles de distança,
on rencontre Ips ruines magnifiques de
l'abbaye de Lapais , qui avait été fondée
par Hugues 111 de Lusignan. La plaine
au bout de laquelle elle est située est la
plus fertile et la pins riante de Tile.
« La richesse de ses productions, h
diversité des arbres sauvages et frai-
tiers, de petites collines couvertes d'une
éternelle verdure, un paysage ehannant,
mille perspectives délicieuses, un air
embaumé des parfums les plus purs, une
multitude de souroes et de ruisseaux ,
tout concourt à faire de cette ^te ub
séjour, un vrai paradis de déliées (2). *
L abbaye de Lapais fut détruite par les
Turcs après la prise de la citadelle de
Cérines. Non loin de là , après Ja yiWt
ancienne d'Aphrodisias , le rivage de
Chypre se hérisse de rochers et se oorde
d'une chaîne de montagnes qui se pro*
longe en pointe à l'est , et se termine au
cap Dinarète ou Saint- André.
T Du CAP DlITAHÈTB AU PKOMON-
toibeCubias. — Après lecap Saint-An-
dré la cote de Tlle redescend brusque-
ment au sud -ouest, et en suivant la ligne
sinueuse de tout ee canton oriental,
qui s'appelle aujourd'hui le Karpas , on
trouve auprès du village Haï Sergui les
ruines de l'antique Salamine, fondée par
Teucer, que le courroux de son père Té-
lamon contraignit à s'expatrier après le
siège de Troie (3). Cette ville devint )a
principale colonie hellénique dans Ttle
de Chypre, et en fut regardée comme la
capitale. Son port était vaste et biea
fermé. Presque entièrement détruite par
un tremblement de terre sous le rèsne
de Constantin le Grand, elle fut rebâtie
plus près du fleuve Pedius, qui traverse
la plaine de la Messaréa, et elle s'appela
(i) Voyage en Chypre ^ I, iot.
(a) Id., I , p. ro5. Lei ruines an couvent
80!)i décrites par Mariti, et mieux eocore par
M. de Mas>Latri6.
(3) Dapper, Description ^ p. ikS; Cngel,
Kyprùs, I, p. 89 ; Marili, p. laS.
ILE W CHYPRE.
11
depirig Goostantifi. Les éprivalns ecolé-
àastigoM prét^dent qu*ella devait ce
nouveau nom au roi Costa, père de sainte
Catherine. Mais la nouvelle fille fut
ilétruite par les Sarrasins au temps d'Hé-
nelius, et n*a jamais été relevée de-
puis (f). A quatre milles dans Tintérieur
« trouve le œuvent célèbre de Saint-
Baroabé, dont le eorps fut découvert en
œt endroit sous le règne de Zenon; il
portait sur sa poitrine, dit la tradition
eooservée par Baronius, Tévangile écrit
de la main même de saint Mathieu. On
porta <ws précieuses reliques à Cons-
laotinople, et eefotrorigine des privilé^
g<v et distinctions extraordinaires accor-
dés au métropolitain de Ttle de Chypre.
A six milles à Touest, sur remplace-
ment de raneienne Ammoehostos, dont
elie a eonservé la nom, se trouve la ville
de Famagouste, riche et florissante au
moyen Ige, et qui ne conserve de son
astique splendeur que sa cathédrale
(Mhique et ses heaui remparts. Il n'y
a que des Turos dAi^s cette ville, dont le
séjour «st interdit aux Grecs : ceux-ci
rendent au village voisin de Varoschia.
CoQstruite au treizième siècle par les
Lusignans, elle fut la principale forte-
ressedfi l'île, et sontipt contre Mustapha,
MUS le r^nedu sultan Sélim» en 1570
«t U71, ce siège mémorable où les Vé*
Ditieus déployèrent un courage digne
d UD meilletir sort, hà ehute de Fama-
goustesQtraîqa la perte dellle» qui passa
des Vénitiens aux Turcs.
Plus bas, au sud-ouest, Strabon place
le port de LeueoUa, établissement de
peu d'importance. Au sud, une mon-
^ne escarpée s'avance dans la mer, et
lorme le cap Pédalion, aujourd'hui pro-
montoire délia Grega. A partir du Pé-
daiioQ on ne trouve vers ie sud qu'une
côte abrupte, rowUeuse, découpée en
baies, hérissée de pointes menaçantes,
dont les plus saillantes sont le cap
Ironoî (Pila) et plus au sud le cap Dadès
(promontoire Kiti), au delà duquel se
trouvait la ville de Gitium, dont les ruines
M voient aujourd'hui entre la Scala et
Uraaea. Le port fermé dont parle Stra-
(0 Pooocke» Detcrivt, dû l'Orient, t. IV,
!• 3, dérril les ruines ac ces deux villes. Yoir
dans Bofkh, Corp, lascr,^ trois inscriptions
^vécs à Salamine. M»i6a5, a639, a638.
bon est naiiitaiiaBt eomUé, mais eo-
eore bien reconnaissable. Oo a retrouvé
les fondements des murs, des tombeaui
de marbre blanc, les restes d'un théâtre,
des inscriptions phéniciennes, des débris
d'aqueduc; à part les inscriptions, tout
le reste appartient h l'art grec. Primi-
tivement colonie phénicienne, la vil le de
Ketim ou Citium se remplit de Grecs, qui
peu à peu efEacèrent l'aneieiine popula-
tion. Les inscriptions grecques y sont
plus nombreuses que les mscnptioDS
phénieieanes, dont on a découvert trente-
trois, presaue toutes si mutilées qu'elles
sont illisibles. Danville, après Lusignan,
avait placé Citium sur l'emplacement du
hameau de Qtti, situé plus au sud et où
les rois Lusignans avaient un château et
une maison de plaisance dont les ruines
subsistent encore. Chaque jour de nou-
velles fouilles et découvertes viennent
détruire cette erreur du savant géogra-
phe (1). La ville de Larnaca, qui a suc-
cédé à Citium, contient, avec son annexe
maritime de la Scala ou la Marina, une
population de six mille habitants. Les
consuls européens et la plupart des né-
gociants francs y résident , quoique ce
soit l'endroit le plus aride et le plus
malsain de Ttle. « On prétend que cette
ville est construite sur l'emplacement
du cimetière de l'antique ville, d*où lui
est venu son nom (2). Toutes les mai-
sons sont construites en argile mêlée
(i) « Une déroiiverte'qui paraît importante,
en ce qu'elle confirme encore, contrairement
à ropioion de Danville, et ranciennelé de
Larnaca et le véritable emplacement de Ci-
tium, a été faite récemment. En creusant uit
terrain situé entre la marine et la haute
ville, à Larnaca, des ouvriers ont mis à jour
une grande' pierre de basalte de sept pieds
de haut, sur deux et demi de large et un pied
d*épaisscur, couverte d'inscriptions cunéi-
formes et décorée sur la face supérieure de l'i-
mage en relief d'un prince ou d'uu prêtre
portant un sceptre dans sa main gauche, v
jérc/t. des Missions^ i85o, p. m. M. de
Mas-Lastrîp, qui signale celle découverte, voit
dans ce travail le même style que dans les
bas-reliefs envoyés (>ar M. hotta ; et il y re-
oennait un des rares monuments de la do-
mination dea Assyriens dans Tile de Ch3q)re.
(a) M. Didot, Notes d'uu Voyage fait dans
k Levant M tSiôet 1S17, p.3j7.DeXdpvaC,
cncoç, un cercueil.
13
L'UNIVERS.
avee de la paille, et pour facililer Té-
coulemeDt des pluies, les toits en ter-
rasse ont une légère inclinaison. » Cest
grès de Larnaca que se trouve le lac des
alines, qui avait autrefois douze milles
de circonférence, mais dont on a des-
séché la plus grande partie pour la con-
sacrer à la culture.
Amathonte, an sud-ouest de Gtium,
à vingt-quatre milles environ, était aussi
une ville d'origine phénicienne, où l'on
adorait Vénus et l'Hercule Tyrien.
M. de Hammer a retrouvé les ruines du
temple de Vénus au village d'Agios
Tycnonos. Amathonte se composait de
deux parties, la ville et le port, qui au
moyen âge devint la ville de Limisso ou
Limassol, que le roi Richard détruisit
en 1191. Ses ruines se confondent avee
celles d' Amathonte. A deux lieues .à
l'ouest de Palae-Limassol, s'élève la nou-
velle ville de JNéapolis, la moderne Li-
massol, gue fonda Gui de Lusignan, qui
s'embellit de palais, d'églises grecques
et latines, que les Turcs renversèrent
après la conquête de l'Ile. Aujourd'hui
Limassol est une petite ville assez propre
et pavée ; son port e^t commode et oirre
un asile sûr aux vaisseaux surpris par la
tempête. Les collines du voisinage pro-
duisent le meilleur vin de l'île de Chypre.
S** Du CA.P CURIAS AU GAP ACAMAS.
— Cette côte de l'île fait face au sud-ouest.
En remontant du cap Curias (cap Ga-
vata ou délie Gatte) vers le nord, on
rencontre, près de l'ancienne ville de
Curiuin , le village de Piscopi ou Epis-
copi, qui fut une seigneurie de la famille
de Catherine de Cornaro. Selon la tra-
dition, Curias avait été fondée par Cu-
rons, fils de Cinyras. Mon loin de là, sur
des rochers qui dominent la mer, se
trouvait un temple d'Apollon, inacces-
sible aux profanes. On précipitait dans
les flots le sacrilège qui violait ce sanc-
tuaire impénétrable. Au delà, Strabon
mentionne une ville de Boosura, et on
retrouve encore aujourd'hui le village de
Bisur ou Pissouri sur la route de Curium
à Paphos.
Il y eut deux villes de Paphos. L'an-
cienne ville, ou Palae-Paphos, a laissé
des vestiges dans les ruines qui sont près
du village de Kouklia, la Cwock du do-
maine royal de nos princes firançais. La
nouvelle Paphos occupait l'emplacement
du villase actuel de Baffa. Les Pbéoi-
ciens établirent à Palae-Paphosuntempk
de Vénus, qui fut le sanctuaire le pfuâ
révéré de tous ceux qui étaient consacrés
à cette déesse. Les Grecs en attribuaient
la fondation à Paphos, fils de Cinyras.
Détruite par un tremblement de terr«
sous Auguste, elle fut relevée sous le
nom de Sébaste (1). Elle fut sans doute
une seconde fois frappée du même fléau,
puisqu'on reconstruisit son temple sous
vespasien. Dans la grande fête de la
naissance de Vénus, tant de fois chantée
5ar les anciens poètes, on sacrifiait à
eux temples. L un était situé près du
port sur cette plage, où Vénus avait para
pour la première fois toute brillante de
beauté et portée sur l'écume des Ilots.
Il reste encore des vestiges de cet édi-
fice, des fragments de murailles, des
débris de colonnes, une large table de
marbre pour les sacrifices. A une demi-
lieue dans l'intérieur sur les bords du
petit fleuve Bocarus, au milieu d'un bois
de lauriers-roses et de myrtes odorifé-
rants, s'élevait un second temple. IJi se
voient encore les restes de l'Hiéron. Ost
un mur cyclopéen, décrivant un rec-
tangle de cent cinquante pas de lon-
gueur, sur cent de laideur. Ce carré
long est partagé en deux par un mur
intérieur. Cette enceinte est pleine de
débris accumulés péle-méie, tronçons
de colonnes , chapiteaux , inscriptions
Srecques ou phéniciennes, et au milieu
e ces ruines s'élève une petite éR:lise
grecque consacrée à la Panagia. On voit
dans Homère que le sanctuaire de Venus
à Paphos était déjà célèbre dans tout
rorient : au temps des empereurs ro-
mains les médailles de Chypre offrent
toujours l'image de ce teropie gravée sur
le revers , ou celles d'autres sanctuaires
construits sur le même modèle et con-
sacrés également à Vénus, dans les
autres parties de l'tle. A Amathonte la
déesse était représentée sous la figura
d'une guerrière : « Elle était, dit Macrobe,
habillée en femme, bien qu*elle ait une
barbe, le maintien d'un nomme et un
sceptre à la main » . La déesse de Paphos
n'avait pas même une forme humaine.
Cest, dit Tacite (2), un bloc arrondi, plus
(t) Kngel, Kfpros, T, ia4.
(a) Tac, Hist., n, 3.
IL£ DE CBYPRE.
13
lai^ à la base, et te rétrécissant aa
sommet comme une pyramide. La si-
j^ification de cette figure, ajoute l'histo-
rieo , est restée inconnue.
La nouvelle Paphos , la Paffons des
Lusignans, ou Bania aujourd'hui, est à
trois grandes heures de marche de Rou-
klia, non loin du petit golfe aue forment
les deux promontoires de Zephyrium et
(TArsinoe. Les rochers qui bordent la
baie de Baffa sont percés de cavernes ,
doot les parois sont en beaux stalactites.
Ce rivage était autrefois une ravissante
contrée, où s'étalait la brillante végéta-
tion des jardins sacrés, cultivés par les
prêtres de Vénus. Cétait la région sainte
de Cite de Chypre. De nombreux temples
ou édicules avaient été fondés entre les
deux Paphos pour les stations des pro-
cessioDs solennelles. La nouvelle Paphos,
pios récente ^ue l'autre , était grectjue
d'oriçine, mais elle se voua au culte de
ia déesse phénicienne, lui éleva plu-
sieurs temples , et mérita d'être appelée
la seconde, la nouvelle Paphos. Toutefois
rancienne Paphos conserva sa supré-
matie religieuse, son oracle vénéré; elle
resta une ville sainte ; Pautre devint une
cité eoinmerçante. Quand les poètes par-
lent de Paphos et de ses fêtes, c'est ran-
denne ville quMIs veulent dire. Dans les
bistoriens il est plus souvent fait men-
tion de la nouvelle. A deux lieues de
Bafb, dans l'intérieur, est le bourg de
Ktima , chef-lieu de ce district , et ha-
bité principalement par des Turcs. En
suivant la cote, vers le promontoire Aca-
mas, on rencontre une chaîne de ro-
chers tailléct symétriquement et présen-
tant de loin l'aspect d'une ville ruinée.
M- de Hammer y a reconnu une antique
nécropole, qui ne lui paraît offrir aucun
des caractères particuliers de Tarchitec-
twe grecque et romaine. Cependant on
y trouve des hypogées doriques ; nutis on
^ voit de semblables et du même style
(^Ds la nécropole égyptienne de Béni-
Hassan, que Cnampollion croit avoir été
f^sée sous les rois tanitiques de la vingt-
troisième dynastie.
Villes de l'intébibub (î). — Cette
partie de 111e était moins connue des
anciens que les côtes, dont ils nous ont
tûssé une exacte description. D'ailleurs,
(0 £iigd, Kjrpros^ I, p. 145.
les villas de Tintérienr étalent loin d'a-
voir la même importance que les cités
maritimes , que l'on fréquentait comme
centre de commerce, comme sancv
tuaire religieux, et aui furent mêlées aux
grands événements historiques de l'anti-
Î|uité. La position de Golgi n'est pas
acile à déterminer. Selon Pline, elle
était dans le voisinage des deux Paphoe.
Mannert la place auprès d'idalîum. Kilo
devait , dit-on , son origine à un oertain
Golgus, fils de Vénus et d'Adonis , qui
L conduisit une colonie de Sicyoniens.
s poètes la mentionnent souvent
comme un des séjours habituels de Vé-
nus avec Paphos, Amathonte, Idalie (1^.
La position de Chytri est mieux indi-
quée chez les anciens. Elle était située
entre Cerynia et Salamine(2). Cétait une
colonie athénienne , fondée par un petit-
fils d*Acamas. Érigée en évéché des les
Sremiers siècles du christianisme, elle
gure au moyen âge dans l'histoire des
Lusignans sous le nom de Quithrie : on
l'appelle aujourd'hui Kythrea ou Chirga.
Tremithus, la ville des Térébinthes, était
située dans la plaine de la Messaréa (au-
jourd'hui Tremise, selon Dapper)(8). Ta-
massus sur la route deTrimethus à Soli,
célèbre dans l'antiquité par ses mines de
cuivre (Borgodi Tamasso selon Dapper),
dont il est fait mention dans Y odys-
sée (4). Nicosie est située au milieu de la
S laine de Messarée , sur les bords du Pe-
ins; elle est entourée de collines qui
la bornent de tous côtés à la distance de
dix milles. 11 est parlé pour la première
fois de cette ville sous le nom de Leu-
cosia dans les Pères de TÉglise (5). Elle
devint pour les Lusignans la capitale
de 111e, et le siège d'un archevêché
érigé par Innocent lll en 1212. Quand
les Vénitiens eurent connaissance des
^1) Theocr., Id. XV, 100; Catul.i Ntipu
Pet., ^-jÊfngr,^ 37.
(a) Dapper, Descr,, p. 40.
(3) Treroilhiu, dit Mariti, I, Sa, est an vil»
Itge contidérabla a douze milles de Nicosie.
C'était autrefois une ville que Richard Cœur
de Lion détruisit de foud en comble.
(4) Horo., Od., I, x84; Tamassus est ap-
pelée par Homère Temesi. Vor, Ovid., MtU,
X , 644. C'était encore une dfes villes consa-
crées à Vénus.
(5) Engel, I, i5o; Dapper, p. 3i ; Marili,
I, 8a.
f4
LTJNiVfellS.
projètJideÉTui^<ift,1lÉ resserrèrent Ni(H)sie,
qui avait neuf milles de eireuit, dans une
enceinte fortifiée de trois milles de eir-
Donffirenee. Mais elle sticeombë en 1570,
anrès un siège de quararfte-âinq jours ;
vingt mille personnes péi*lrent dans le
mussfldre, et la grande et belle église de
Salûte^Sophie, où les rois de Chypre re^*
«eraient la couronne, fut ehôugée en mos^
miée (t). NiDOSie est restée la capitale de
rtle; elle eompte encore douze mille
habitants, dont huit mille Turcs, trois
fflille sept éents Grecs entiron , eent ein^
puante Arhif^nienset une centainede Ma-*
ronitei^. Les débris des églises et des pa-
lais que les Turcs ont détruits donnent
une haute idée de Tantique splendeur dé
Nicosie. A douze milles au sud de Nicosie
on trouve au milieu d*une plaine le petit
village de Dali, dont le nom conserve le
souvenir de TantiqUe Idâlie. « Un ruis-
seau assez abondant parcourt cette plaine
ibrtunée, dont Faspectest encore agréa-
ble ; elle s'étend du midi au nord, et de
petites collines rehferment du côté de
rest, de Pouest et du nord. Ces dernières
sont dominées ddhs le lointain par les
montagnes les plus élevées de lUe (2). »
Dali est encore entouré de bosquets, de
vergers, où les grenadiers, les citronniers,
les orangers étalent les riches couleurs
de leurs pommes d*or et de pourpre , et
dans le sol on trouve les restes nom-
breux d'anciennes idoles de style phéni-
den et assyrien, appartenant au culte
de Vénus (3).
(t) Foy. la description de Sainic-Sophic et
des autres églises de Nicosie dans les Ârcfmts
dtf$ Missions seientifi^ttBi , t85o, p. 5ii.
(a) M. Dtdot, Notes d*nn Vojog* d^ns U
Levant t p. 3d3.
(3) Bngel, Kypros, I, i5i» termitie ses
recherches sur la géographie de l'île de Chy-
pHs par une discussion sur deux points très-
controversés. Nous ne reproduirons pas les
détails de celte disctission ; en voici le ré-
stiliat : !• Il n*y avait pas de tille appelée
Cyihère dans Ttle de Chypre, a** Il n'y e(il ja-
ilMis de ville «tui Mit porté ie nom de Chypre,
n.
HlSTOÎHB DE L'fLlS 1)È CY^H» PEN-
DANT LES tBMPS ÀNCtB^S.
f&rmaiion de la population de i'ile de
Cypre par de* ûobmiês étrangères.
1° Colonies phéniciennes. — L'île
de Cypre reçut ses premiers habitants du
continent qui Tavoisinait. Son heureuse
position , la douoeur de son climat, la ri-
chesse et la fécondité de son territoire
durent attirer vers ses côtes les premiers
hommes qui osèrent confier leurs jours
aux hasards des dots, et les déterminer à y
fonder des établissements. Dès les teinps
es plus reculés la nation phénicienne,
donnant Tessor à son activité et à sou gé-
nie aventureux, narcourut le monde an-
cien, et répandit le surplus de sa popula-
tion sur tous les rivages et dans toutes les
îles de la Méditerranée. Uiie de Cypre dut
être une des premières terres visitées et
colonisées par cette nation commer-
çante; mais il est impossible à Thistoire
de fixer Tépoque de ces établissements
et de dire s*il8 ont été la première sourie
d'où estsortiela population cypriote. Les
peuples commerçants ne recherchent pas
les pays déserts et non encore exploités
par Thomme. Partout où les^ Phéniciens
débarquaient leurs marchandises et dres-
saient leurs comptoirs, il y avait déjà
des habitants pour acneter leurs di^n*
rées, et leur oonner en échange celles
de leur pavs. L'époque de la formation
d'un peuple est toujours antérieure aux
faits attestés par l'histoire , et précède,
en la préparant, les développements de
la civilisation. Aussi l'on peut affirmer
qu*avant l'arrivée de ces colons Phéni-
ciens, que des raisons politiques ou des
spéculations commerciales durent attirer
dans nie de Cypre , elle avait reçu son
peuplé de ces mêmes côtes de l'Asie , à
cette époque d'étrange et soudaine pro-
pagation de la famille humaine dont la
Bible nous a conservé le souvenir. Uhis*
torien Josèphe a précisé cet événement
quand il dit {l) que Kittim , fils de Ja-
van , petit-fils de Japhet et arrière-petit-
fils de Noé, vint s'établir en Cypre après
le déluge et la dispersioa des hommes.
(i) Joft., Amê, Judt, 1, 6i
ILE DE CHYPRE.
H
Plus tard fiturent les niarehands et lea
navigateurs phéoicietis , qui par teor r\*
chesse , leur indvstrie , leurs arte, axer-
férent une grande iniluenee et méritè-
rent d'être regardés eomme les civilisa*
teurs de la contrée. Ce sont eux, dit Stra^
fcon (1), qui apportèrent en Cypre la
première culture, qui défrichèrent les
champs et exploitèrent les mines. Les
trois villes les pltis communément regar«
dées comme d^brigine asiatique ou phé*
Dicienno sont estles de Citium , de Pa*
phos et d*Amatbonte, situées toutes trois
au sud deTlle. Qtium doit à son analogie
avec le nom de Kittim d*étre considérée
eomme la plus ancienne de toutes; ce qui
n'est pas sans vraisemblance (2). Citium
iîit parnlessus tout une ville de commerce.
Les deux autres villes furent primitive-
oKot des sanctuaires, et grandirent à
i'abri des autels d* Aphrodite et de MeN
cirt. Fa phos fut fondée par le roi phé-
nicien Cidyras ( 8 ) , qui construisit un
temple à Aphrodite sur le modèle de ce-
loi du Liban. Le sanctuaire , la ville, la
eootrée environnante restèrent sous le
{^Hivernetiient sacerdotal des Cinyrades,
famille iasue de Cinyras. Plus tard les
Grecs s'emparèrentde Paphos. d*Aphro*
dite et de Cinyras au profit de leur
mythologie. Amathonte avait son temple
d'Aphrodite, et de plus celui de Mel-
cart , qu*on y appelait Maliku ; ce qui
u'empécba pas Amathonte d^étre dé-
laissée plus tard , quand les Orecs, de-
venus dominants dans Tlie, adressèrent
tons leurs hommages au sanctuaire de
Paphos.
2*Cii.iciEN8. — On ne peut dire ce que
la population de Cj^pre dut aux courses
aventureuses des Cilleiens, que les Phé-
nieiens poursuivaient partout comme
des pirates ; mais ce que Tacite nous
apprend de la part quHls prirent à For*'
ganisatioa du eulte de Paphos peut au-
(0 5lrab.,l.ilV.
(î) Eiigel, Kyprosy î, x68. Voir, sur les
rapports de Tile de Cethitn et de Tyr, Isaïe,
e. ixin, I, li.
(3) Celle histoire primitive de Cypre est
p^ M sérieux et lonç^èment racontéti par
Fiorio RustroQ, qui a écrit ThUtoire de son
{Mys <lcpuis les preiliien temps josqttes en
1458, épo(|ue où il vivait. Cet ouvrage est con-
scné en manuscrit à la Bibliothèque Nationale.
toriser d*amplea conjectures sur fin-
Attende des Ctliciens. dans cette tle, qui
touchait presque à leurs rivages. « Le
temple de Paphos i dit Tacite, fut con«
sacré par Cinyre (1). Mais on rapports
qu'on dut l'art des aruspiees à des étran-f
gers; qu'il fut apporté par le Cilicièn
Tamyras , et qu'on régla que les fonc-
tions'du sacerdoce se partageraient entre
les descendants de ees deux familles.
Par la suite la famille royale reprenant
toute prééminenee sur une race étran»
gère, cclle-d abandonna la sdeocn
qu'elle avait apportée. Aujourd'hui le
{ urètre que l'on consulte est toujours do
a famille de Cinyre. » Ainsi^ bien que
Pélément phénicien finisse par Tempor*^
ter^ l'élément Cilicien avait été asser
considérable dans l'origine pour élever
les Tamyrades au niveau des Cinyrades,
et les forcer à partager avec eux. Mais
qu'on n'oublie pas, en même temps, que
Cilix , fils d'A^apétior, était d'origine
phénicienne (2).
S"" DB L'iNPLtJfilVCn É&Y^TIEirNt! Et
PHRYOIËMIffi; LB8 COBYBANtES; LES
Dactyles; les TELCHifiES. -* « Les
Cypriens, dit Hérodote (3), sont uh mé-
lange de nations différentes; les uns
viennent de Salamine et d'Athènes., les
autres d'Aroadie, de Gythous, de Phé-
nicie et d'Ethiopie, cornide ils le disent
eux-méhies. i» On s'est autorisé de cette
affirmation du vieil historien pour attri-
buer une partie de la population cy-
prienne à une antique colonisation
égyptienne, contertiporaioe de l'invasion
des Pasteurs et de l'émigration de Ce-
crops. Ce sont là de ptires hypothèses :
rien n'atteste d'tlne manière positive que
l'Egypte ait contribué à peupler et à ci-
viliser nie de Cvpre. Elle Ha soumit
plus tard, et ce qu atance Hérodote pou-
vait être vrai de son temps, sans prouver
la réalité de ces prétendues colonies
^yptiennes dont la critique moderne a*
fait justice (4). Mais les rapports aUciehë
de 1 fie de Cypre avec les peuples phry-
giens ou pélasgiqués de I Asie Mineure
(r) Tatit., WsL, II, 3.
(\) Hérod., Vtî, gi.
(3) Rngel, Kypros , I, i8a; Hér. , II,
VII, 90.
(4) Miiller, Orchotnène^ p. 104; HcBck,
Kreta., I, p. 48.
16
L'UmVERS.
sont iD&illiblenieiit eoDttalés. Comme
rancieiine Lydie, Cypres'appela Méoiiie
et ses habitants Miones ou Méoniens. A
une époque où TÉsypte était sans oom-
municatioDs avec lès pays occidentaux ,
Cypre était ouverte à tous les peuples de
TAsie Mineure, et TOdyssée atteste com-
bien ses rapports commerciaux avec l'Oc-
eident étaient fréquents et continuels.
Vais ce sont les institutions religieuses
qui fournissent la preuve la plus torte de
rantique influence de la race phrygienne
sur rtie de Cypre. On y retrouve ces castes
sacerdotales, ces femilles savantes et in-
dustrieuses desCèrybanteSfdes Dactyles,
desTelchines, qui, sorties des sanctuaires
phrygiens, se répandirent dans les plus
importantes des ties de la Méditerranée,
propageant avec elles leurs cultes, leurs
arts et leurs sciences. Les Corybantes,
ces prêtres phrygiens de Cybèie, exploi-
tèrent les mines de cuivre de Tlle de
Cypre, et selon une tradition ils auraient
tiré leur nom du Corion, montagne de
ce pays (1). Les danses orgiast:ques des
Corybantes furent adaptées au culte d* A-
Iihrodite; et on les désignait à Cypre par
e mot prylis, qui avait le même sens
dans la langue phrygienne. Les Dactyles
Idéens , cette autre caste de mineurs,
vouée aussi au culte de Cybèie, se livre
dans l*tle de Cypre à ses travaux mé*
tallurgiques, et les industrieux Telchi-
nes, venus peut-être de Ttle de Rhodes,
y répandent la connaissance et le goût
des arts manuels (2).
4^ ÉtABUSSBM BIf TS DBS GrEGS DANS
lIlb db Cypbb. — Les traditions grec-
ques sur rile de Cypre ne remontent pas
au delà de la guerre de Troie. C*était le
temps où r^ait le Phénicien Qnyras,
qui, ayant appris, dit Homère (3)» parla
grande voix de la renommée que les
urecs devaient naviguer contre Troie,
offrit à Agamemnon une cuirasse
comme don d*hospitalité. Selon quel-
ques récits, cette alliance n'aurait point
été de longue durée, puisque Ménélas
{>assa dans TUe de Cypre pour y punir
es peuples qui avaient porté du secours
aux Troyehs et qu* Agamemnon y serait
également venu avec sa flotte et aurait
(i) Senrins, jéd JEn,, III, 1 1 1 .
(a) Strab., XIV, 654 ; PauBan., IX, 19, i.
(3) IL, %J, 90.
détrôné Cînyras (1). Le premier établis*
sèment des Grecs en Cypre est celui de
Teucer, iils de Télamon, qui, chassé de
Salamine pour n'avoir pas secouru son
frère Ajax ou ven^ sa mort, alla fonder
dans nie la Salamine Cyprienne. On dit
qu'il épousa' Euné, fille de Cinyras. Ijbs
Grecs firent alliance avec les Phéniciens,
et leurs émigrations dans Ttle de Cypre
s'accomplirent sans violence et sans
guerres. Le continent de l'Attique, dont
Salamine n'est qu'un fragment détaché,
envoya dans le même temps de nom-
breuses colonies dans Tlle de Cypre,
sous la conduite d'Acamas, de Démo-
phon, de Phalérus, d'Alédrus, de Chy«
tnis. C'était la race de Thésée qui émi-
grait, entraînée sans doute à son tour
dans la di£^ce qui avait frappé Thésée
lui-même. Les colonies atnéniennes
couvrirent la côte septentrionale de Ttle
et la plaine de la Messarea. On attribue
la fondation de Lapathus et Céronia à
Praxandrede Thérapné, ville de Laco-
nie. Des Argiens, sous un chef inconnu,
s'établirent à Curium ; Céphas conduisit
des Achéens d'Olénum et de Dyme, et
s'établit en Cypre avec Praxandre. Des
Asinéens Dryopes, chassés par les Do-
riens, prirent la même route , et se ré-
fugièrent dans cette île , où l'existence
d'une ville d'Asine attesté la réalité de
cette émigration (2). Agapénor, qui corn-
mandait les Arcadiens au siège de Troie,
fonda la nouvelle Paphos, ou le culte de
la divinité phénicienne de Pals-Paphos
commença a se combiner avec celui de
l'Aphrodite grecque. Enfin, la fondation
de la ville de Golgos était attribuée à
une colonie de Sicyoniens.
Etat de l'Ilb de Cypbb pendant
LA PÉBIODE d'indépendance. — Du
douzième au septième siècle avant Tère
chrétienne, l'ile de Cypre, divisée en pe-
tits rovaumes indépendants et peut-être
confédérés, devient florissante et riche,
et se place parmi les puissances mari-
times de la Méditerranée. Cest la seule
période où, ne relevant que de ses pro-
spres lois, elle vécut libre de toute domi-
nation étrangère; et c'est aussi le temps
où son histoire est le moins connue. La
(x) Raoul-Rochette, Histoire des Colonies
gre&fues^ II, p. 890.
(a) Engel, Kypros, I, aa4.
IL£ B£ CHYPRE.
U
teOitéavee laquelle les Grées s'étaient
établis et rendus en Cypre semble in-
diquer que la domination phénicienne
commençait à y tomber en décadence.
Il y avait peutpêtre entre les cités phéni-
ciennes de nie de Cypre et la métropole
des dissensions qui devinrent fatales à
ces premières ; car, diaprés une tradition
fort vraisemblable (1), Teucer avant de
débarquer dans Ttle séjourna quelque
temps à Sidon » oi^ régnait Bélus « qui
Taioa de toutes ses forces dans son ex-
pédiiion en Cypre. Ce fait nous révèle
sans doute la cause principale de la ra-
pidité avec laquelle 8*opéra Finstallation
de la race greooue dans ce pays : les Hel-
lènes prirent le dessus, occupèrent le
nord, le nord-est et fouest de nie, et les
Phéniciens furent resserrés au sud dans
les trois villes de Papbos , d*Ainathonte
et de Citium. Dans ces temps anciens
00 ne connaissait que la forme du gou*
reniement monarchique. Les chefs qui
araient conduit les colonies grecques
restèrent rois, et fondèrent des dvnastles
qui se partagèrent l'Ile en plusieurs
royaumes. Les anciens divisaient Cypre
en npiif royaumes, qui étaient les sui-
vants (2) : Salamine, le plus puissant de
tous, Soli, Chytri, Curion, La pathos»
Gerynia , la Nouvelle-Paphos , Citium et
AmathoDte. Ainsi de ces neuf royaumes
il n'y «n avait que deux gui avaient con-
servé le caractère phénicien, les sept au-
tres étaient d'origine grecque, ou étaient
devenus helléniques par la colonisation.
PUISSAIICB KABITIMS BT COLONIES
nis CYPBiBifs. — Ces deux peuples li-
bres, les Phéniciens et les Grecs, rivaux
sans être ennemis, établis danscettetle, si
importante par ses richesses naturelles
et sa position géographique , déployèrent
toutes les ressources de leur génie com-
mercial, et Cypre devint une puissance .
maritime de premier ordre. Elle eut un
instant Tempire de la mer, au neuvième
sièele avant l'ère chrétienne. Tan 846
d'après les Tables de Castor ; et elle con-
serva pendant trente-trois ans sa domi-
nation (3). Alors rtle de Cypre envoya à
son toor des colonies au denors, sur les
(i) SerriaSy AdJEn,^ 1, 6!i3.
(a) PUoe, HisL l^at.^ V, 35 , i ; Pomp.
Mêla , n, 7 ; Diodor., XTI, 4a.
(3) Ea^ly ^yp^^y h 338 ; Diod., TII, z3.
2* livraison, ( Ile db Cqyprb. )
côtes de la Macédoine, i Cyme, en Asie
Mineure, en Svrie, à l'endroit où s'éleva
plus tard la ville d'Antioche, en Sicile,
où le Rhodien Dipomène , ancêtre de
Gélon, etd'origine cyprienne, jeta les fon-
dements de la ville de Gela. Mais, en
somme, les indications que l'antiquité
nous a conservées sur le aéveloppement
maritime et commercial des Cypriens à
cette époque sont bien insuffisantes, et
ne nous permettent pas de donner une
juste appréciation de cette thalasxocra'
He de l'île de Cypre, placée par Castor au
neuvième siècle et attestée également par
Ëusèbe et le Syncelle. Ce qui paraît cer-
tain, c'est que la ville de Citium, mal*
gré la propagation des Grecs dans l'Ile,
était res'ée le centre principal du com-
merce de Cypre, grâce, sans doute, à ses
relations avec les cités phéniciennes et
surtout avec celle de Tyr,dont elle recon-
nut la suprématie, et dont elle partagea
jusqu'à un certain poiut toutes les des-
tinées.
Relations dbs Cypriens avbc
l'Assybib. — En effet, au huitième siè-
cle avant l'ère chrétienne, Tyr était par-
venue au comble de sa prospérité, et c'est
alorsque Tllede Cypre parait être tombée
sous sa dépendance D'après Thistoriea
Ménandre,cité par Josèphe. Salmanasar,
roi de Ninive, ayant envahi la Phénicie,
les Citiens s'adressèrent à ce prince pour
obtenir des secours contre Élulée, roi de
Tyr, auquel ils venaient de refuser obéis-
sance. D'autres villes phéniciennes ea
firent autant, et fournirent une flotte au
roi assyrien. Les Tyriens la dispersèrent ;
et Salinanasar fut obligé de renoncer à
l'espoir de s'emparer de Tyr. Mais les
cités phéniciennes s'affaiblissaient par
ces dissensions, et le moment n'était pas
éloigné où elles devaient reconnaître un
vainqueur. En etïet Nabuchodonosor le
Grand, au commencement du sixième
siècle, renversa Fancienne Tyr, et força
ses habitants à se construire une nouvelle
cité, sur uu Ilot voisin de la côte. Un grand
nombre d*entre eux se réfugia dans l'île
de Cypre, qui subit peut-être la loi du
conquérant chaldéen. Dans Jérémie,
Tyr, Sidon et Cypre semblent enve-
loppées dans la mêine catastrophe quand
le prophète s'écrie : ^ J'ai reçu la coupe
de la main du Seigneur, et j'en ai fait
boire à tous les peuples vers lesquels le
IS
L'UMVH&t'
Seigneur m'a envoyé, à tous les roif de
T^r et à tous les rois de Stdon, et aux
rois de la terre des tles qui sont au delà
de la mer (1>. * Cette terre des îles ne
peut être que Ttle de Cypre , divisée en
petits Ëtats qui s'empressèrent tous sans
Ooute de désarmer par une prompte sou«
mission le courroux du roi de Babvione.
CONQUÊTB DB CTPBBPàB LBsÊgYP*
ttBNS. •» Déjà les cités eommerçantet
de la Phénicie et de l'Ile de Cypre défen*
daient bien péniblement leur indépen-
dance contre les agressions des rois as-
syriens et chaldéens , lorsqu'un nouvel
ennemi parut qui vint encore acerottre
les dangers de leur situation. Au milieu du
septième siècle, Tavénement de Psammi-
tichus su trdne de l'tl^ypte marque une
ère nouvelle dans l'histoire de cette oon*
trée. Ce prince, qui avait soudainement
passé de la persécution et de l'exil à la
possession du souverain pouvoir, gnAee
aux secours d'aventuriers grecs venus des
fies et de l'Asie Mineure, les récompensa
en leur permettant de s'établir près de
Bubaste, et TÉgypte cessa d'être fermée
aux peuples navigateurs de l'Occident.
Plus tard Amasis leur céda Naucratis.
Les Cypriens profitèrent avec empres-
sement de l'ouverture de ee nouveau
marché, et la Vénus de Paphos fut bien-
tôt comptée au nombre des divinités
adorées dans la ville de Naucratis (3).
A la suite de ces événements, qui avaient
créé à r Egypte des intérêts nouveaux, les
rois égyptiens de la viogt-sixième dynas»
tie, dont Psammitichus fut le fondateur,
s'engagèrent dans une lutte acharnée
et sanglante avec les rots chaldéens de
Babvione. Ils leur disputèrent la pos-
session des provinces maritimes de la
Syrie, sans lesquelles il n'est point de
domination possible dans la Méditer-
ranée orientale. Le résultat de ce conflit
retomba sur Ttle de Cvpre, qui devint la
proie des Égyptiens. Apriès . fils de Né-
cao, petit-fiis de Psammitichus, mar-
cha, ait Diodore de Sicile (3), à la tête
d'une nombreuse armée de terre et d'une
flotte considérable contre l'tle de Cypre
et la Phénicie. Il prit d*assaut Sidon, et
(i) Jérém., XXV, 17, aa/
(a) Voir Athénée, XT, 676; Engd, JT/-
pros, T, aSo.
(B) Dîod., 1, 68.
porta la tanov «bm tes attiras viiieade
la Pbénieîe. H vainqoit, dans un grand
combat naval , les Phéniciens et les
Cypriens, et retourna en Egypte chargé
de leurs dépouilles. Les Cypriens, affai-
blis parées premières deraitea, furent
subjugués par Amasîa, successeur d'A*
prîM. Ce prince, dit Hérodote ( I), est le
premier qui se soit rendu maître de l'île
de Cypre, et qui l'ait forcée à payer un
tribut (vers 550). Quelques années aupa-
ravant. Selon avait visité le roi d'iflpia,
Philocyprus , ou Cyprenor, et l'avait en-
gagé à transporter son séjour dans une
ville qu'on appela Soli en Thonneur du
sage Athénien. Avant de quitter le roi
eyprien, Solon lui adressa dans une élé-
gie les adieux suivants ;
PoiiMB-ta régaer ici daot Soli de loogoti «n*
nées.
Paisible daûs ta vUle, tôt et tes descendants !
Pour moi , que mon rapide faisseau loin dr
cette fie célèbre
M'emporte sain et tauf , protégé par Cjpris à
la couronne de violettes.
Puîaae cette fondation me valoir par la déessa
reoon naissance, gloire
niostre, et beunax retour dans ma patrie!
Ce fut peu de temps après que Vile
célèbre perdit son indépendance. Mais
les Athéniens n'oublièrent pas que les
descendants de Thésée Tavaienteouverte
de colonies, que leur législateur Tavait
chantée, et ils firent des efforts héroï-
ques pour la reconquérir et la rattacher à
fa grande famille hellénique.
L'iLB DB CyPBB fasse SOUS LA DO-
M1NATI0N DBS Pebses. — C*e6t à tort
assurément que Xénophon place File de
Cypre dans l'empire de Cyrtu. Cette
assertion , répétée plusieurs fois dans
la Cyropédte (3), où les contingents de
Cypre Ogurent toujours dans les années
du roi de Perse , est eontredite par le
témoignage positif d*éerivains plus sou-
cieux que Xénophon de l'exactitude his-
torique. Hérodote et Thuc}'dide (8; ma^
quant bien clairement que Cyrus, uni-
quement occupé par ses vastes conquê-
tes sur le coniiu«it, ne put faire d'entre-
prises maritimes, et qu'il laissa à see
(i) Hér., II, iSa.
(a) Xén., Cyrop., I, t, 4; TQ, 4, t ; VOT,
6 S
' (St Hired., m, 34; Thuc^ I, i<.
ILE DE CBTfîRE.
•li
k gloire de t'empartr de
Vimçm des mers. Loreqne Gambyse dÂ>
dira la guerre à PaamméDît fils d'Ama-
itf« fan 62^ avant Tère chrétienne, les
PbéDieîens et les Cypriens, Jaaaéa de la
domination éfiyptieooe, et attendant
qnelqae avantage d'un changement de
maftre, se donnèrent à la Perae, et mir
rent Irar marine à la diapoaition du fils
de Cyrus (i). C'est là le &it que Xéno*
pboo a transposé par un anachronisme
sans doute volontaire, et de peu d'impor*
tance eu éyeard au plan et à rintention
de son roman historique. Il est probable
qu'à Tofigine les Cjpriens et les Phéni<*
ciens, considérés par les Perses comme
alliés et non comme sujets, jouirent d'une
liberté qui fut la récompense de leur dé«
feetion à Tégard de T^^gypte. Ils ne fu*
KBt pas soumis à des gouverneurs per-»
sans; mais Darius, qui donna une ad-
ministration uniforme et régulière à ton
vaste empire, fit entrer la Phénicieet l'tle
de Cypre dans la cinquiènie satrapie (2).
II paraît néanmoins que les petits rois
de lUe de Cypre conservèrent leur au-
torité sons la suprématie de la Perse,
dont ils ae reconnaissaient les vassaux,
n est fait mention dans Hérodote (3)
d*an roi de Salamine , appelé Évelthon,
qui consacra à Delphes un très-bel en**
eeosoir, qu'on voyait dans le trésor des
Corinthiens. Pendant le règne de cd
prince , ^ui avait commencé vers le mi»
iieadu sixième siècle, Arcésilas III, roi
de la ville^recque de Cyrène, que les Do«
liens de Théra avaient fondée en Afri-
qae, fut chassé de ses Etats par ses sujets
itfollés. Il se réfugia a SamoS, où ré-
glait Polycrate, et sa mère, le vindicative
Phérétîme, se retira à Salamine, auprès
d*Évelthon « auquel elle demandait avec
iostance des secours pour se rétablie
à Cyrène, elle et son nls. Évehhon se
montrait plein de ^nérositéàson égard,
mais ne loi donnait ni vaisseaux ni toU
dats. A duKfueprésentqu'elle recevait de
lai, Phérétinie , tout en assurant qu'elle
les trouvait très'beaux, répondait qu*il
ferait bien mieux de loi accorder des
tnmpes. A la fin Évelthon, fatigué des
(i)Hérod.,lII,«9.
(a) Hérod.y III , 91; Eagel, Krpros,
(3}H^rod.,n% i6a.
eolNcitatioiis el des reproches de cettK
princesse, lui envoya un fuseau d'ois
avec une quenouille ehargéede laine , et
il acpampagna ce prèKut de oes pnrolsi
ironiques: « On donne aux femmes un fih
seau et nue quenouille, on ne leur donne
pas une armée. »
PRBMiBn socLivKirEirT Dte Cr^
PniBlVS CONYBB LB8 PSABEB, VBllDAlIt
i*A BiVOI^TB DB L'IORlB (60S«601 avaQt
J,-C. ). — La révohe de Tlonie, excitée
par Tambltion et les intrigues d Arista»
goras et d*Histi»e de Milet, ne détacha
un instant les villes grecques d*Aine de
Tempire des Perses que pour agfq*aver
leur servitude. L'Ile de Cypre fut en**
traînée dans ce mouvement, où lesOreoa
déployèrent un grand oourage et sue*
oombèrent par leur désunion. Au mo*
ment où cette guerre éclata, Gorgiis ré*
gnait à Salamine. Il était fils de Chersis,
rtit fils de Siromus, lequel avait succédé
Évelthon, son père. Gorgus avait un
frère y nommé Onésilos, Jeune hoinme
remuant et hardi, qui exhortait souvent
son frère à secouer le joug. A la neu*
Telle de la révolte des Ioniens , Onéaî»
lus Ven pressa encore davantage; mais
n'ayant pu Ty engager, il épia le moment
qu'il était sorti de Salamine, et, réuniS"'
saut ses partisans , il s*empara du poU'*
voir. A son retour, Gorgus trouva Sa*
lamine soulevée; il se retira ehez les
Perses. Alors Ouésilus excita les villes
çypriennes, qui toutes prirent les armée,
excepté les habitants d'Amathonte. Il mit
le siège devant cette place.
Pendant que Darius renvoyait Hît«
tîise de Suse à Milet pour apaiser lee
loiûens , il âépécha le Perse Artybioa
avec une armée, pour comprimer le sou-^
lèvement d'Oiiéstlus. Ce dernier était en«
eore occupé au siège d* A mathonte, quand
on lui apprit le danger qui le menaçait.
A rinstant il s'adresse aux Ioniens , les
conjure de le secourir, et ceux-ci lui en-
voient une flotte nombreuse, qui arriva à
peu près en même temps que Tarmée
d'Artvbius et les vaisseaux phéniciens
qui devaient la soutenir. Avant d'agir,
les rois de Cypre et les commandants
ioniens se réunirent en conseil, et délH
bérèrent sur le plan de défense qu'il oen«
▼enait d'adopter (1). « Ioniens, dirent
(t) Hérod., V, 109, trad, de Larehcr.
2.
î;ui!iiver&
les Çyvnrieiis, sons tous donnons le dioix
d'attaquer les Perses on lefi Phéniciens.
Si TOUS voulez essayer sur terre vos
forœs contre les Perses; il est temps de
quitter vos vaisseaux et de vous ranger
«n bataille ; et nous, après être montés sur
vos vaisseaux , nous combattrons contre
les Phéniciens ; si vous aimez mieux at-
taquer les Phéniciens Y faites-le. Mais,
quel que soit votre choix, songez que de
TOUS dépend la liberté de Cypre et de
rionie. » « Princes de Cypre, répondi*
rent les Ioniens, le conseil commun de
riooie nous a envoyés pour garder ïr
mer, et non pour remettre nos vaisseaux
aux Cypriens, et pour combattre nous-
jnémes à terre contre les Perses. Nous
tâcherons de faire notre devoir dans le
poste où Ton nous a placés. Pour vous,
rappelez-vous le dur asservissement où
vous ont tenus les Mèdes , et combattez
en gens de coeur. » Il fut résolu qu*on
livrerait bataille aux Peises, pendant
que la flotte ionienne en viendrait aux
jnains avec les Phéniciens.
BATAlUiE DE SàLAHINS *, KOBT D*0-
NÉsiLUS. -^ Artybius avait établi son
camp dans la grande plaine de Salamine.
Les alliés marchèrent contre lui. Quand
on fut en présence , ils rangèrent leurs
troupes de manière à opposer les gens
de Salamine et de Soli, réputés les plus
braves de Hie, aux bataillons perses. Oné-
silus se mit à leur tété, et se plaça juste
en face d'Artybius. « Artybius montait
un cheval instruit à se dresser contre un
homme armé. Oùésîlos, qui en fîit averti,
en parla à son éeuyer, Càrien de nation,
homme plein de courage, et très-entendu
dans l'art de la guerre. « J'apprends, lui
dit-il, que le cheval d* Artybius se dresse,
et que des pieds et des dents il tue ce-
lui contre lequel on le pousse. Faites
sur-le-champ vos réflexions là-dessus,
et dites-moi lequel vous aimez mieux
observer et frapper du cheval ou du
mattre. — Seigneur, répondit Técuyer, je
suis prêt à faire Tun et l'autre, ou l'un
des deux , et absolument tout ce qu'il
vous plaira de m*ordonner. Je vous di-
rai cependant ce qui me paraît conve-
nable à vos intérêts. Je pense qu'un roi
et un général doivent combattre contre
«n roi et un général. Si vous tuez un
général, il résuIterapourvous«ine grande
gloire; s*il vous tue (ce qu'aux dieux
ne plaise), il est moins triste de mourir
de la main d'an homme de maroue.
Quant à nous autres serviteurs. Il faut
que nous combattions contre d'autres
serviteurs. A l'yard du cheval d' Arty-
bius , ne craignez point son mané^ , je
vous garantis qu'il ne se dressera plus
contre personne. » Il dit, et bientôt
après les deux armées de terre et de mer
en vinrent aux mains (f ).
Les vaisseaux ioniens dispersèrent la
flotte phénicienne. Mais la liatoille de
terre eut une autre issue. D'abord tout
alla bien pour les Grecs : Onésilus et Arty-
bius se rencontrèrent dans la mêlée. Tan-
dis qu' Artybius poussait son cheval contre
Onésilus, celui-ci le frappe, comme il en
était convenu avec son écÀiyer. Le cheval
dresse en même temps ses pieds sur le
bouclier d^Onésilus , le Carien les lui
coupe avec une faulx ; le cheval s'abat
et le général perse tombe avec lui. Mais
la défection cle quelques chefe cypriens,
qui s'étaient sans doute concertes avec
les Perses, enleva la victoire à Onésilus.
Stésénor, tyran de Curium, et le chef des
chariots de guerre des Salaminiens pas-
sèrent à rennemi,et la déroutedes Grecs
commença. Onésilus fut tué pendant
cette déroute ainsi qu' Aristocypros , tits
de Philocypros, roi desSoliens, l'hoteet
l'ami de Solon. Ces deux princes étaient
les plus compromis de tous les ^rans
de I lie. Leur mort mettait fin à la ré-
volte. Les habitants d'Amathonte, irrités
contre Onésilus, qui les avait assiégés, lui
coupèrent la tête et l'exposèrent sur une
des portes de leur ville. Quelque temps
après cette tête étant vide , un essaim
d abeilles la remplit d'un rayon de miel.
Cet événement leur paraissant un pro-
dige, les habitants d'Amathonte consul-
tèrent l'oracle, qui leur ordonna d*en-
terrer cette tête et d'offrir tous les ans
des sacrifices à Onésilus comme à un
héros. « Ils obéirent, dit Hérodote, et de
mon temps ils lui sacrifiaient encore (2). »
L'ÎLE DE CYPBE retombe SOCS LE
JOUG DBS Pebses. — A la nouvelle de
cette défaite, les Ioniens, jugeant que les
affaires de Cypre étaient perdues sans
ressource, remirent 8ur*le-cliamp à la
voile, et regagnèrent l'Ionie. Toutes les
(f)Hérod., V, iir.
(a) Hcrocî. V U.
ILE DE GBTPRE.
9i
villei de C^pre fuirent assiégées, excepté
SalaiBioe,qui avait rappelé Gor^,8oa
sneieD itri. Soli fltiiiielos§;Qe résistance.
Elle arrêta Tennemi pendant cinq mois,
et ne fut prise que par la mine. Les
Cypriens retombèrent sous le joug, après
avoir joui de la liberté pendant .un an.
Alors les Cvpriens furent obligés d^aller
eonibattre leurs andens allies. Darius
les fit marcher contre les Ioniens (1), et
ils contribuèrent à la défaite de Lada et
à la prise de Milet. Les Cyprîens sui-
viient aussi Xerxès dans son expédition
eo Grèce. Leurs che&, selon la remarque
d'Hérodote, portaient la mitre, à rimi>
tation des Perses, Ils fournirent cent
doqoante vaisseaux (2). Gorgus de Sa*
biiiine, qui devait aux Perses le recou'*
vrement de son trône, prit rang parmi
les commandants supérieurs de la flotte.
Son frère Philaon, estimé pour sa bra-
voure, fut fait prisonnier dans un des
combats de FArtémisinm, ainsi que
Pmtbilus, fils de Démonoûs, tyran de
Papbos. Penthilus était venu avec douze
vaisseaux papliiens : il en perdit onze
brisés par la tempête au cap Sépias* et il
tomba entre les mains des Grecs avec le
seul navire qui lui restât (3). La flotte
des Pênes fut détruite par Thémistocle
à la bataille de Salamine, etMardonius
attribua cette défaite à la mauvaise vo«
lonté et à la Iftcheté des peuples qui
avaient fourni les oontmgents mari-
times, Phéniciens, Égyptiens, Cypriens,
et Cilieiens (4). Il panait ainsi pour tirer
Xerxès de la consternation ou il était
plongé, et Tengs^er à lui confier le soin
de continuer & guerre avec Tarmée de
terre. On sait comment Ifardonius (470)
SDoeomba, sous les efforts des Grecs, à
la bataille de Platée.
Expéditions dbs GRscsDiji8Lli.B
]>E Cypbb. — Les Grecs d'Europe
avaient clorieusement repoussé Tinva-
sion des hordes asiatiques que les Perses
entraînaient à leur suite. Emportés par
Télan de la victoire, ils prirent Tofiten-
ftve, et commencèrent une série d^exp^-
ditions hardies, dont le résultat devait
êtred'amcfaer à la domination des Perses
(0 Hérod., Tr, 6.
(») Hérod., VU, 90.
(3) Hérod., VH, 9S, 19$; VIII, ii,
(4) Hérod.» TIU, ioo«
las lies de la Méditenranée et les viHes
grecques du littoral de i*Asie. Athènes,
oui avait en la plus grande part à la
oélivraneede la urèce {proprement dite,^
devait aussi jouer le principal rôle dans
cette guerre exclusivement maritime.
Cependant, Sparte resta encore <|uelquo
temps à la tête de la confédération bel-
lénique, et son général Pausanias prit
le commandement de la flotte des Grecs
et poursuivit les Perses dans les mers
de FAsie. Sa première expédition fut
dirigée contre Ftle de Cypre (1). Il parut
dans cette île avec quatre-vingts navires,
dont trente athéniens, sous la conduite
d'Aristide; et il délivra une partie des
villes cypriennes des garnisons qu'y
entretenait le grand roi.
Exploits de DMOn.^-La trahison
de Pausanias, qui s'était laissé cor-
rompre par Tor des Perses, ayant fait
perdre à Sparte le commandement gé-
néral des forces de la Grèce, i*bégémo-
nie fut transférée aux Athéniens dont
les ^néraux Aristide et Cimon s'étaient
condlié la confiance et rattachement des
alliés. Tandis qu'Aristide administrait
les affaires de la confédération, Cimon
s'illustrait par ses exploits dans les lies
et sur les côtes d'Asie. « Personne au-
tant que Cimon, dit Plutarque (3), ne
rabaissa et ne réprima la fierté du giand
roi. Non content de l'avoir chassé de la
Grèce, il s'attadia à le suivre pied à pied,
pour ainsi dire , sans donner le temps
aux barbares de respirer et de s'arrêter.
Il ravageait des provinces, il soumettait
des villes, en détachait d'autres et les
faisait passer dans le parti des Grecs : au
point que toute F Asie , depuis l'Ionie
jusqu'à la Pampbylie, fut délivrée des
armées des Perses. »
Bataille navale ds Ctpbe. — La
campagne de Tan 470 fot une des plus
Ïlorieoses de Cimon (3). Étant parti du
irée avec deux cents narires athéniens,
auxquels se joignirent cent vaisseaux des
allia, il cingla vers l'Asie , et en souleva
toutes les cités maritimes de natiou
grecque. Les Perses lui opposèrent une
flotte considérable, founue par les Ci-
lieiens et les Phéniciens. Cimon vainquit
(i) Diod. Sicul.« Kl, 44 ; Tbuqrd., I, 94*
(a) Pliil., Cim„ la, x4, tS.
(3) Diod. Sical.| XI, 60 ; Tboqrd., h 100.
23
ottte flotta daiM les eain de <3fpre, et
raeheva à rembouchure de rËorymé*
don , fleuve de la Pamphylie , sur des
bords duquel il vainautt également Far*
mée de terre. Thucydide ue parle que des
deux viotoires de rEurymédon. Dans
l^lutarqoe et Diodore il est fait mention,
quoique a vee peu de olarté, d*une bataille
navale près de Cypre, qui ne peut être
eonfonaue avec celle de l'Eurymédon, et
de quelques autres opérations militairee
dans le voisinage de nie et dans Ttle ell»*
même, dont on se disputait vivement la
oonquéte; car la possession de Ttle de
Cypre assurait la domination de la Mé-
diterranée orientale. B^tre les mains des
Perses Cypre couvrait les côtes de Phé*
nicie, de Ciiicie et d* Egypte, et observait,
comme une seotineUe" avancée, toutes
les tentatives des Athéniens contre cet
provinces. Entre les mains d'Athènes
die devenait le point d'appui de toutes
ses opérations sur les contrées niari^
times des Perses, qu'elle avait juré d'ex*
puiser pour toujours de la Méditerranée.
Nouveaux bfports dis Athéniens
MOU DSTACHRA CYPAB BT L*ËGYPTB
BSL'BUPlfiS DES PERSB8(46t). — Mal-
Hfé Texpédition de Pausaniaset d^Ans*
tide et les victoires de Cimon , le roi de
Perse maintenait son autorité sur une
partie des villes de Cypre, celles surtout
de la région sud^ouest, qui étaient d'ori«
gine phénicienne, et qui se rangeaient vo*
lotttiers sous les lois des Perses pour dis*
puter aux Grecs la domination aes mers.
Les Athéniens, d'un autre eôté, devaient
trouver de nombreux adhérents et des
alliés dans les villes fondées autrefois
par des colonies sorties de TAttique et
du Péloponnèse. L*tle de Cy preétait donc
partagée entre ces deux puissances, qtii
Se tenaient en équilibre, sans que Tune
pût entièrement prévaloir sur l'autre.
En 46S les Egyptiens, soulevés par le
Libyen Inarus, appelèrent les Atlieniens
à leur secours (1). Athènes avait envoyé
en Cypre une flotte de deux cents ga-
lères. Sur rinvitation dlnarus, ordre
fut donné à cette flotte de se rendre en
Egypte pour y soutenir cette révolte, qui
pouvait puissammeut contribuer à la
conquête de l*!le de Cypre. Les Athé-
niens enurèrent dans le Ml, le remon-
tèreBtjosqtt'à Mempbis, a'empartrentte
deux quartiers de cette ville , et «asîé^
gèrent le troisième, qui se nommait le
Mur Blanc. Mais les Perses flreni une
vigoureuse résistance. Artaxerxe envoya
deux généraux, Artabaie et Mégabyze»
avec une armée considérable, et une
flotte qui comptait beaucoup de vais-
seaux ^prions. Les Athéniens, assises
à leur tour, oundurent un traité qui
leur permettait de retourner dans leur
patrie. Cet échec interrompit pendant
dix ans les tentatives des Athéniens sur
rUe de C^pre.
Dbbnibbb expbdittoh &v Cihon
BN CVPBB ; SA MOBT (449). — Dans cet
intervalle, Texil de Cimon et les dis-
sensions par lesquelles les Grers prélu-
daient è la guerre du Péloponnèse per-
mirent aux Perses de se vauermir dans
rtle de Cypre. Ils Tavaient entièrement
recouvrée quand Cimon, de retour dans
sa patrie, après avoir réconcilié lesGrecs,
dirigea de nouveau leurs efforts contre
l'ennemi commun. Il partit avec deux
cents navires ( 450), et vogua vers Cypre,
qu*Artabaze et Megabyze furent chargés
de défendre, il mit le siège devant Citium.
Informé de Tapproclie de la flotte enne^
nne, il marcha a sa rencontre, la dis-
persa, et la poursuivit jusque sur les cô-
tes de Phénicie. Puis , cinglant vers la
Ciiicie, où campait Megabyze , il lui li-
vra bataille, le vainquit , et revint dans
nie qui, livrée à ses propres forces, devait
bientôt succomber. Salamiue avait dans
ses murs une forts garnison de Perses, et
elle était abondamment pourvue demu-
Dîtions de guerre. Cimon investit cette
place. Alors, selon Diodore de Sicile (1),
Artaxerxe, effrayé, demanda la paix et
subit ce traité si glorieux pour Cimon ^
qui y attacha son nom, si humiliant
pour la Perse, qui signait ainsi Taveu de
sa défaite. « Toutes les villes grecques,
selon ce traité, se gouverneront par
leurs propres lois. Les satrapes perses ne
descendront pas avec leurs troupes à
plus de trois journées de marehe vers la
côte de la mer, et aucun de leurs vais-
seaux longs ne navi^ra entre Phasélis
et les roches Cyanees. » Du reste, la
realité de ce traité a été contestée avec
raison. Piutarque le place vingt ans plus
(i) Thuc., I^ io3; Diod. Siciil., Si, 74.
(i)Diod.,XU,5.
ILE BE CHTPiŒ.
dS
tft après la vieioire dé r£iiryiiiéd«n. m
Thaeydide si Cornélius N^pos n'en
font mention (1). En général les faits de
«0(t6 époque sont peu connus : la mort
de Olfflon est rapportée de diverses ma-
nièrps : selon les uns, il moumi des sut*
tes d'une blessure , pendant le siège de
Gtittm. Selon d^autres, une maladie Tem-'
porta au moment où il stationnait dans
ips mers de Gypre, prêt à conduire sa
flotte en Egypte pour y soutenir Amyr-
tée contre les Perses. Selon Thucydide,
i) avait déjà dépêché soixante navires au
secoars du roi égyptien. Après la mort
deCimon, la famine survint, et les Athé*
niens abandonnèrent leur double tenta-
tive sur Cypre et sur Tfigypte, qui re-
tomb^ent bientôt sous le soug des Per«
ses. « Depuis cet événement, aucun des
généraux grecÉ ne se signala désormais
contre les barbares nar quelque éclatant
exploit. Les Grecs s acharnèrent les uns
sur les autres, excités par des démago-
gues et des artisans de querelles , sans
que personne se mît entre eux ^our les
séparer. Ces guerres intestines laissèrent
respirer le royaume des Perses, et frap*
pèrent la puissance des Grecs de coups
irréparables (2). »
HisToiBB d'ÉtaoohâS; sa KAIS^
8A?fCS ; SES COMMENGSIfElITS. -^
L'œuvre dont le génie de Cimon , dont
la politique d^Athènes avaient poursuivi
l'exécution avec tant de persévérance,
fut reprise à la fin dn cinquième siècle
avant Tère chrétienne par un Grec de
Pfle dé Cypre , qui osa seul se mesurer
contre toutes les forces du grand roi, et
qoi déploya dans cette lutte inégale une
habileté , une énergie et un courage à
toute épreuve. Il se nommait Rvagoras.
ÉvagOfas naquit h Solaminq Pan 445,
quatre ans après Pe^pédltion et la nnort
deamon. 11 descendait des anciens rois
de Salamîne ; le sang de Teueer coulait
dans ses veines , et son panégyriste Iso*
erate, transportant dans Thistoire de
son héros d'anciennes fictions poétiques,
fait remonter sa généalogie jusqu'à Jo*
prter (3). Le descendant de Jupiter et des
Éacides fut réduit d'abord àunecondltlon
(i) Cf. Engeî, iC;'/yroj, ï, aSt.'
(a) flufarq., Cimon,, trad. Piefron, t/Hf,
p. 3i.
(3) Uocrat.i^f'a^., ta.
privée de» la tilte o6 avaient régné ses
ancêtres. Peu de temps auparavant la
race de Teueer s*était vue dépossédée
du trône de Salamine* Grâce sans doute
à Tappui de la Perse, un Phénicien, nomt*
mé Abdémon, s'était emparé du pou-*
voir dans cette ville, l'avait remplie de
soldats barbares, et travaillait à soumet-'
tre toutes les autres cités à la domina*
tioB du grand roi, son protecteur (I).
Évagoras était de sang royaL II avait
de l'ambition et toutes les qualités bril«
lentes qui subjuguent les hommes, il de*
vint suspect au tyran , conspira ou fiûl
accusé de le faire , fut contraint de s'ex*
patrier pour sauver sa tête, et se retira à
Soli , vflté voisine de Cypre « située sur
la cdte de Cilicie. Loin de l'abattre , )t
persécution aiguisa son courage; il jura
d'affranchir Salamine ou de périr, et, re^
paraissant à rimproviste dans Ttie avee
cinquante partisans dévoués, il par*
vint, soutenu par les bonnes dispositions
de la population grecque , à chasser lé
tyran étranger et à détruire le parti des
Perses (410).
PaoeBBS DE UL PUISSANCE D'ËVA*
eOBAS; SES BELATIOCfS AVEC ATHÈ-
HES. — liS succès de cette entreprise ,
les progrès de la puissance d^Ëvagoras,
qui travailla avec persévérance à s*eni«
parer de l'Ile entière, montrent asaes que
Cypre ne tenait que par de faibles liens k
Tempire persan, qui commençait à se dis-
soudre. Darius Nothus et Artaxerxès*
Mnémon , qui lui succéda , absorbés
par les emnarras de la politique ex*
térleure et les révoltes du dedans , lais^
aèrent Kvaeoras s'affermir et s'étendre.
Il parait même, par ses relations aveeles
satrapes perses, qu*il n'était plus const«
déré comme un ennemi , et que la coitf
de Suse s'était résignée à son élévarto*.
Isocraie remarquequ* Evagoras consolide
son pouvoir par son excellente adminis-
tration. Il rendit le commerce et V$*
grtculture très^florissants dans son petit
royaume, et créa une armée et une ma-
rine respectables. La guerre du Pélopon*
nèse durait encore. Rvagoras prit parti
poer Athènes, qui lui avait accordé le
titre de citoyen et qui avait tant combattu
pour l'indépendance de l'Ile de Cypre; et,
(i) Ensel, KfprùSf I, a$8; Diod., Siciil.,
XIV o«.
u
VWXIVEÊS,
après la bataille d*JEffiÊ*WtomoB^ ee fst
auprès d'Évasoras que l' Athénien CoDon
se retira avec les débris de sa flotte ,
moins pour sa sûreté, dit Platarque (1) ,
rpoor attendre quelque ehangement
s les afifiaires, comme on attend pour
s'embarquer le retour de la marée (406)«
Gonon et Évagoras contractèrent une
étroite amitié» et se rendirent de mutuels
services. Gonon avait quelque crédit à
la cour du roi de Perse : il parvint, par
Tentremise de rhistorien Ctesias, méde-
dn d'Artaxene , à apaiser les mécon*
tentements de ce prince contre Evago-
ras, qui rentra en grâce auprès de lui.
Tranquille de ce côté, les deux amis
conçurent le ^and dessein d'abattre on
du moins d'affaiblir ia puissance de
Sparte, tyrannique pour la Grèce, mena-
çante pour la Perse, et de relever la
gloire et le nom d'Atbènes, leur commune
patrie. Les victoires d'AgèsIlas en Orient
facilitèrent la réussite de leur |>rojet.
De tous côtés, les satrapes de TAsie Mi*
Heure adressaient des plaintes à Ar-
taxerxe contre les Lacédémoniens, qui
ravageaient leurs provinces, et auxquels
ils ne pouvaient tenir tête. Alors les
Perses, qui avaient soutenu Sparte dans
le temps (|U* Athènes était puissante,
songèrent à relever Athènes pour Top-
poser aux projets des Spartiates, formi-
dables à leur tour. Recommandé au
grand roi, soutenu par Êvagoras et
Pbamabaze, Gonon équipe dans les ports
de Phénicie et de Gilicie une flotte de
troiscents voiles. Puis, pour vaincre Tin-
décision de la cour du grand roi, Gonon,
dans son Impatience de réparer la honte
d*iEgOs-Potamos » quitte sa ftotte, tra-
verse la Syrie, nasse l'Euphrate à Thap*
saque, se rend a Babylone, obtient une
audience d* Artaxerxe, qui lui accorde des
subsides et le nomme au commande-
ment de sa flotte. Ses efforts ne furent
pas sans récompense. Gonon remporta
sur Pisandre, irère d'Agésilas, sa ce*
lèbre victoire de Gnide, qui porta à la
puissance de Sparte un coup mortel
(894). En reconnaissance des services
importants que leur avaient rendus Go-
non et Évagoras, les Athéniens leur éri*
gèrent des statues (2).
(i) Plat., jérttts., a xm,
(a) Isocr., in Bva^.; Pauf, I» 3, f ,
£yA60RAS BST ATtA^HÉ PAB X.SB
Pbbsbs; siège dbSalàiiinb. — Encou-
ragé par les succès de Gonon et la res-
tauration de la puissance athénienne,
Ëvagoras , qui songeait toujours à faire
de nie de Gypre un seul royaume, reprit
l'exécution de ce grand projet. Em-
ployant tour à tour la force ou la ruse, il
s*empara de presque toutes les villes de
Gypre, excepté Amathonte , Soli et Ci-
tium. Ges trois cités, vivement prensées
par Évagoras, implorèrent l'appui d*Ar-
taxerxe. Le roi leur fit une réponse fa-
vorable , ordonna aux gouverneurs des
provinces maritimes d'équiper une flotte,
et il chargea Hécatomnus, satrape de
Garie, do commandement de la guerre
contre Évagoras. Mais, occupé ailleurs
par des soins plus importants, Ar-
taxerxe ne put donner à cette affaire
une sérieuse attention. La guerre, molle-
ment conduite, languit pendant six ans
(892*387 )« et cette résistance d'un petit
prince d'une île grecque couvrait de con-
tusion le nom persan, déjà tant com-
promis par le succès de la retraite dos
Dix-Mille. Enfin, quand Artaxerxe eut
conclu le traité d'Antalcidas , qnand ti
fut libre du côté des Grecs, il se tourna
tout entier vera la guerre de Gypre, et
attaqua Évagoras avec toutes ses forces
(3«6)(l).
Une armée de trois cent mille hom-
mes, sous la conduite d'Oronte, ^ndre
du roi, une flotte de trois cents tnrèmes
confiée à Téribaze, partirent de laGilicJe
et abordèrent à l'île de Gypre. Évagoras
avait une flotte dequatre-vingt-dix trirè-
mes , dont vin^ étalent fournies par les
Ty riens, qui loi obéissaient, et souante-
dix par les Gypriens. $on armée de terre
se composait de six millebommeset d'un
plus grand nombre de troupes alliées.
Il avait pris à sa solde un grand nom-
bre de mercenaires. 11 avait fait un traité
d'alliance avec Achoris, roi d'Egypte,
dont il obtint des secoura considérables.
U entretenait des intelligences secrètes
avec tous les ennemis du grand rei; un
chef de tribus arabes et d'autres sou-
verains mécontents lui fournirent des
corps nombreux d'auxiliaires. La réu-
nion de toutes ces forces était |>eu de
choses en comparaison do formidable
(i) Dîod. Sicttl., XV, a.
ILE DE GHTPBE.
S6
appmil dei Pênes. Mai» finigeras
eoioptait sur son courage et sur ta for-
tune, li coonît la mer de bâtiroenU
légen^ qui arrêtèrent les eonvois de fi-
fres e&Toyés aax Perses, cnii souffrirent
beaueoop de la ûmine. Une sédition
édata dans leor camp, et ne s'apaisa
^*àrarfivée des blés de Cilicie. Quant
à ÉTagoias, il avait reçu des approvi*
sionnemems eoDsidécables de son allié
Achoris.
Gepoidant Évagoras, ayant porté sa
flotte à deux cents navires, attaqua les
Perses, pour décider son sort par une
grande imtaille. Victorieux dans une
Sremière action , il en vint une seconde
lis aux mains, et fut vaincu. Bientôt Sa*
lamine ftit investie nar mer et par terre ;
et réduit à ses seules forces , Evagoras
ne pouvait tenir longtemps. Il le sentait
bien : aussi, laissant à son fils Protago*
ras le soin de défendre Salamine, îl s^é-
einppa de nuit avec dix galères, et se di«
rigea vers l'Egypte. 11 pressa vivement
son allié Achoris de le soulenir contre
QB ennemi qui était aussi le sien.
Ëvasoras n'obtint pas d'Achoris tout
ce qu'il en avait attendu (I). A son re-
tour, il trouva Salamioe vivement pres-
sée par les Perses; et, se v<^ant anan-
donné de ses alliés, il demanda à capi-
tuler. Téribaze lui imposa pour con-
^on d'évacuer toutes les villes de Cypre,
à l'aosption de Salamine, dont Êvagoras
Rstemt souverain en payant un tribut
aoDuel au roi de Perse, en lui obéissant
eomme un serviteur à son maître. L'ex-
trémité où Êvagoras était réduit l'obligea
(Taecepter les autres conditions, quelque
dures qu'elles fussent; mais il ne put
jamais se résoudre à consentir à la der-
nière, et persista toujours à déclarer
<iQ'il ne pouvait traiter que de roi à roi.
ÛeaoD côté, Téribasene rabattait rien de
M* prétentions ; et il paraissait inévitable
Vt'ETafforas devait céder ou périr, lors-
V^ la basse jalousie d'Oronte, l'autre
R^aM, fit retirer le commandement à
Téribaze. 11 écrivit secrètement à Ar-
laxerae que Téribaze songeait à serévol-
^; et le roi, trompé par cette calomnie
aalnlement présentée, cbarge Orontelui*
iBfme d'arrêter Téribaze, et lui confie le
soin d'achever seul la guerre. Pendant
W
XV. s.
eesintri^es, le siège langiteait. Évaigo-
ras repnt courage; il rompit les négo-
datiotts, et se remit à résister vîsoureu*
sèment. Oronte se vit bientôt dans un
cruel emtoras : l'ennemi le bravait, ses
soldats, mécontents du départ de Téri-
baze, se débandaient et refusaient de lui
obéir. Alors il désira un aocomnMxie-
ment. 11 foit parler sous main à Êvago-
ras : on reprend la négociation au point où
l'avait laissée Téribaze , mais on en re-
tranche la condition humiliante qui avait
empédié la conclusion du traité. Êvago*
ras conserve le titre de roi de SalaminOi
en payant un tribut annuel et en se sou-
mettant comme un roi qui obéit à un roi
^ui ordonne. Ainsi, après dix ansd'hos*
tilités et un déploiement de forces im«
menses, Artaxerxès n'avait pu renverser
du trône un petit prince iprec qui l'avait
bravé. Êvagoras restait roi, et Artaxerxe
n'obtenait qu'une incomplète satisDac-
tion ($86). Cétait pour les Grecs un
nouvel encouragement à tout entre-
prendre contre l'empire des Perses.
Après cette guerre, Êvagoras régna en*
core treize ans à Salamine. il fut assas-
siné, selon Diodore, par un eunuque,
appelé riicoclès, oui usurpa le pouvoir.
Théopompe appelle cet eunuque Tbra-
sydée , et il donne pour raison de ce
meurtre l'outrage âiit par Evagoras à la
fille de Micocréon, autre roi de Cypre (1).
Si telle fut vraiment la fin d' Evagoras,
on doit singulièrement rabattre de iéloge
pompeux qu'en fait Isocrate dans son
pan4;3*rique. Il est vrai que ce discours
était un éloge funèbre commandé et payé
à Isocrate par Nicoclès, fils d'Êvagoras,
et un panéjQnrique d'isocrate n'est pas
plus de l'histoire que la Cyrqpédie de
Xénophon.
Bbgnb db Nigoclbs (374). — Éva-
floras eut deux fils, dont Tstné s'appelait
Protagoras et l'autre Ificoclès, qui lui
succéoa. Il nous reste encore deux ha-
rangues d'isocrate à Nicoclès, l'une oui
traite de la royauté et de la politique des
«rinces, et l'autre où l'écrivain présente
[icodès comme le modèle des rois, et où
il trace les devoirs des sujets envers le
souverain. On sent dans tous ces écrits
(i) Diod., XV, 47; Arisf^ Poiit» T, S,
lo; Theopomp., ao, Phoi,, 176; frag.
Btsi, Grœe,, eol|, Didot,!, p. «9e».
M
LVmVERS.
PiDflUttHse d«i iiiiioillMilo00 d«r nteet
qrprien ; Mis il fiiut aavoir gré a Ita*
ente de les avoir remplis de tentimenta
iNnmétes et d'idées joslêa, eapaMes de
Unimer an bien an jeune prisoe qui at ait
été son disciple. Nicoclèa avait été en«
tùfé à Athènes par son père, et il avait
fréquenté récole d'Isoerate, avec lequel
il entretint toujours d'amieales relations.
On peut juger du caractère de Micodés
d'après ee que rapportent Tbéopompe ( i ),
Anaximène et Élien de la singulière
émulation de plaisirs, de luxe et de dé*
baoehes qui s'établit entre le roi de Sfr*
lamine et le roi de TJrr, Straton, prince
également magniSque et voluptueux.
Chacun s'efforçait d^éclipser son rival
par la recherche et la somptuosité de
ses fStes et de ses r^ouissances. Au plus
fort de cette lutte épicurienne, la mort les
surprit violemment et à l'improviste. Le
S ne de Nicoolès avait toujours été fort
té, comme le foit assez comorendre le
second discours qui lui fût adressé par
Isocrate. On lulimputait le trépas de son
père, et ses sujets lui contestaient ledroit
de régner. A la suite de longues agHa-
tiens, qu'Isocrate e8sa3re vainement de
calmer par ses harmonieuses périodes,
une insurrection éclata. Ificoelès tomba
du tréne, et fut mis en prison, oà il mott-
rut (S61). Êvagoras II lui succéda.
ÉTAGOBAs II (35)}; Photaocras;
NOUVELLE TENTATIVE DES PSBSBS
irOUBBÉDUTBBL'tLEDE CYPBB. — Ilcst
probable que cet Ëvasoras était fils de
JNîeoclès. A peine étaMi sur le trdne, il
en fut renversé par Pytbagoras ou Pro-
tagoras, que l'on croit être le fils d'Éva*
goras I. Sur ces entrefaites, une nouvelle
révolution éclate dans les provinces ma*
ritimes de l'empire persan. La Phénlde,
TËgypte, nie de Cvpre se soulèvent à la
fois contre Tautorià d' Artaxerxe Ochus.
Les neuf rois de l'île de Gypre nrf'usent
de payer tribu au ^and roi (9), qui or«
donne è Idriée , roi tributaire de Carie,
de les faire rentrer dans le devoir. Idriée
fit construire rapidement quarante tri*
i^mes, mit sur pied une armée de huit
mille mercenaires, qu^I envoya en Cypre
sous les ordres de Phocion l'Athénien
(i)Dafte Athéhée, XII, Sit ; JE^an., Bist,
-wrr. , VII, 2; Engcl, KrptoSfl, p. 33o.
(a) Diod. tteuLTkvi, 4^.
«I do piinoe détrôné finngoras. Tel était
l'abaissenent politique des Grées : après
avoir nMtdié les secours des Perses pour
se déchirer entre cttx, ils eombottaieot à
leur service pour rétablir leur doim-
nation, et Phocion allait leur rendre une
fie qu'autrefois Cimon avait essayé d*iif*
franchir. Phocion et Êvagoras vinrent
assiéger Salamine, dont la prise devait
assurer la soumission des autres villes.
Les petits rois de Cypre n'atteodîrent
même pas nue Salamine ait suooombë;
ils se replacèrent sous le joug. Si ni, Pro-
tagoras osa résister. Il savait qa*Ëva*
goras réclamait la souveraineté de Sala*
mme et qu'il se faisait fort de la recevoir
des mains des Perses. Il n'y avait de
salut pour lui que dans une rteistance
désespérée. L'évéoemoit justifia cette
courageuse résolution. Êvagoras devint
suspect à Oehus; rappelé auprès du roi,
il se justifia; mais 00 ne parla plue de
lui rendre- Salamine. Protagoras, s*é*
tant soumis volontairement, régna pai*
sibleoient à Salamine jusqu'à k fin de
sa vie. Quant ii Êvagoras, il avait obtenu
en Asie une souveraineté plus eonsido-
rable que son patrimoine de Cypre. Mais
il se compromit encore par sa turfou*
lence, reparut dans File de Cypre, où il
fut arrêté et mis à mort.
L'Îlb de Cypbe sous la MiunvA*
Tion b'Albxaiidbb lb Gbaiid (MO).
— Vingt ans après ces derniers évéoé«
ments, l'édifice de la monarohie penane,
mal eonaolidé par im despotisme inia*
telligent et ébranlé par tant de commo*
tions intérieures, s'émula sous les eau pa
du héros macédonien. L'Ile do Cypre
fiit une des premières provineas qui ae
détacha de l>mpirede Darius. Peodant
que Tvr arrêtait par une résistaaoe opi«
nifttrela marche triomphale d*Aleiandre,
les rois de Cypre se donnèrent à lut avec
empressement, et mirent à sa disposition
toutes leurs forces navales. Les eoutin*
gents fournis par les villes eypriennes
venaient fort à propos dans cette guerre
maritime qu'Alexandre n'avait pas pré*
vue , et il leur dat en grande partie
PbeureuseconclusiOBdeee siéga mémo*
rable (1). Pytbagoras s'y distiogoa par^
(t) Arrien, II, 17, 9(0 ; Qoint.-Gart., ÎV,
3; les historiens d'Alexandre appellent Pny-
tagoras le roi de Sslaaûae, On pest éomHr '
ILE 0Ë CHYmE.
n
ittm tsqtkt aHtaMi. Arrm nomme €d-
eori|Mnm)ef chefs cypriensqui prirent
part a oe nége Androdès d'Amathonte
et Paâfiratâ de Curium. Aussi les
phnees de Gypre fureut-ils depuis ce
temps en grande faveur auprès d'A-
lexandre. Pendant qu'il était en Egypte*
il leur témoigna sa reconnaissance par
des récompenses et des honneurs (1).
Lorsqu'il revint en Phénicie, il ordonna
la eéléhration de sacrifices et de pompes
aoleonelles en l'honneur des dieux, a U
doooa, dit Plutarque (3), des chœurs de
dasse , et des jeux où l'on disputa le
prix de la tragédie, et qui furent remar*-
quables, noo-seulement par la pompe 4e
Fappareil, mais encoro par Temulatioa
de eeox qei en faisaient la d^ense. Ce-
taieot les rois de Gypre qui s'étaient
ciiaqiiés de ce soin , comme le font à
Attièoes les cborctges tirés au sort dans
kl tribus ; et il y eut entre eux une ar-
d«ttr merveilleuse i se surpasser les uns
les autres. Mais personne ne se piqua
de plus de magnineenoe que riioocréon»
k Salsminien, et Pasierates de Soli ; car
c'est à eux qu'il échut d'équiper les deux
acteurs le plus en renom : Pasierates 6t
paraître sur la scène Atbénodore et Ni«
coeréon Thessalns. Alexandre favorisait
ThesKtlus ; mais il ne montra son intérêt
poor lui qu'après qu'Athénodore eut
été proelanîé Tainqueur par les suffrages
^^ ju^ Tapprouve le jugement, ml*
il, mais i'aorais donné avec plaisir une
portion oe mon royaume pour ne pas
w Tbessalus vainou. » Sur ces entre*
faites, des nKHivements ayant éclatédans
le Péloponnèse, Alexandre y envoya cent
vaisseaux, qu'il fit équiper par les Phé*
nieiens el par les rois de Cynre, si dé-
voués à ses intérêts et à ses plaisirs (3).
Plusieurs chefs cypriens s'attachèrent à
lui, et la suiirireiit jusqu'aux bords de
riodus. Ils lui furent très- utiles pour
^ oftnstmelîoa, IVquipement et le ser-
vies de la flotte qu'il lan^^ sur oe fleuve.
Oo troove le Soliea IVicoclès , fils de
Pasierates, el le Salaminien I<iitaphroo,
fiisdePytliagoras, au nombredeeeux qui
reeiiriMeMitleiiièneqnele Profasorw
dtvssvrat !•* et rivai dXvi«ofaa H*
(t)Qiiiiit.-C(srt., IVfS.
(a) Plut.,^/e«.y 3a, tr.Pierron, t. IIl, 477.
(3)Amea "If
aoeompagnèrent Iféaraue dans la ^vi-
sation du golfe Persique. Stasanor de
Soli, fils ou frère du roi Pasierates,.
chargé du soin de maintenir et de pacifier
l'Ane, fut confirmé dans ce gouverne^
ment, auquel on ajouta la l)rangiane«
dans le premier partage fait après la mort
d'Alexandre, sous les auspices de Per»
diccas. Plus tard, au nouveau partage
de Trisparadis, opéré sous la r^enoe
d'Antipater, on lui donna la Bactrianeet
la Drangiane eu échange de son pré*
mier gouvernement, qui fut confié à un
autre Cyprien, Stassandre (1).
LBS SUGGBSSBUBS d'Al.BXAN]>BB SB
BISPUTBNT LA POSSESSION DB L'ÎLS
DB Gypbb. —Après la mort d'Alexandre
nie de Cypre ne fut comprise dans au*
cun gouvernement. Elle s'était donnée
de plein gré, elle ne pouvait être traitée
comme un pays conquis. Elle aurait
voulu d'abord s'incorporer à la Macé-
doine et rester attachée à la famille
d'Alexandre; mais elle était trop faible
pour qu'il lui fût permis de vivre sous
une domination de son choix ; et sa po«
sition entre l'Asie Mineure, la Syrie el
l'Egypte devait l'exposer aux attaques des
centraux successeurs d'Alexandre qui
fondèrent dans ces trois contrées de puis*
sants empires. (2). Après la défaite a'Eu^
mène (817), qui avait héroïquement en«
trepris de soutenir les droits de la dynaih
tie macédonienne contre l'ambition des
généraux, les rois de Cypre, qui l'avaient
soutenu , se partagèrent entre Antigone
et Ptolémée, devenus les plus puissant^
des héritiers d'Alexandre. Le premier
possédait l'Asie Mineure, et aspirait à la
domination universelle. Le second ne
songeait qu'à s'affermir en Egypte; mais
il lui importait beaucoup d'avoir Tile de
Cypre dans son alliance, ou sous ses lois.
11 donna sa fille Irène en mariage à Eu*
nostus, fils de Pasierates, roi de Soli, et
attira dans son parti le plus grand nom*
bre des villes. Antigone s'attacha tes rois
de Citiura, d'Amathonte, de Lapathos et
de Cerynia ; et les forces nai aies des deini
rivaux se dirigèrent sur l'Ue de Cypre (3}
et la Phénide, gui devinrent le théâtre
d'une lutte opiniâtre (314).
(0 Diod. Sicul., XVIII, 3, 39.
(2) Engel, Kjrprat, I, p. S6i«
(3) Diod. Sicul., XIX, 6a.
LUniVEES*
PlOUSmSB S'BMPABB DB L*tLB DB
Cypbe. — Séieucas, à qui Antigoiie avait
enlevé son gouvernement de Babylone,
8*était étroitement noi à Ptolémée , qui
l'envoya dans Pf le de C3rpre aveo la flotte
égyptienne, dont il avait conOé le eom-
mandement è son frère Ménélas. Pen-
dant ou* Antigène, seeondé par son jeune
et vaillant fils, Démétrias, s'emparait de
la Syrie, de la Phénideetde la Palestine,
Çypre passait tout entière sous la domi-
nation de Ptolémée, qui châtia rii^a*
reosement les rois alliés d'Antîgone.
Pygmalion de Citium fut mis à mort;
Praxippe» roi de Lapathos, Thémison de
Gerynia et Stasioecus de Marium furent
privés de la liberté. Niooeréon , roi de
Salamine, allié fidèle de Ptolémée, reçut»
avec les villes qui avaient appartenu aux
rois chassés , le gouvernement militaire
de nie entière, dont le traité de 811 as-
sura la possession entre les mains de
Ptolémée. Quelque tem|)s après, le roi
de Paphos, Nicociès, traita secrètement
avec Antigène. Alarmé de cette défec-
tion, qui pouvait en entraîner d'autres,
Ptolémée se décida à donner un exem-
ple terrible (f ). Il envoya Argée et Cal*
nerafee, deux de ses amis, avec ordfe de
toer Nioodès. Ceux-ci viennent à la tête
d'un détachement de soldats investir la
maison de If icoclès, et lui commandent
au nom de Ptolémée de se préparer à la
mort. En vain Nicoelès essaye de se ios-
tifier, on ne veut pas l'entendre; et il est
réduit à se tuer de ses propres mains.
Ptolémée avait ordonné qu'on respectât
la vie des femmes : mais Axiotbéa ,
iémme de Nicoelès, ne voulut pas lui
survivre: elle égorgea d*abord ses filles,
encore vierges , et les femmes des frères
de Nicoelès, excitées par ses paroles,
partagèrent son forouche désespoir et se
tuèrent avec elle. A cette nouvelle les
frères de Nicoelès fermèrent toutes les
portes du palais, y mirent le feu et
•*entr'^org^nt. Telle fut la fin tra**
^ifoe de la famille des rois de Paphos.
On voit par là combien les Grecs étaient
à eux-mêmes d'impitoyables maîtres.
Jamais les rois de Cypre n'avaient eu
auunt à souffrir de La domination des
Perses (810).
(i) Dîod. Sîeal., XX| «i.
BvicBimios BBPBBHD Cypbb; sno«
DE s ALAMiif B (807). — La possession de
Tyr et de la Phénicie ne suffisait pas à
assurer la domination dans la Méditer-
nmée orientale; il fallait y joindre la
coDOuéte de llle de C)Fpre. A la reprise
des tiostilités avec Ptolémée, en 308, An-
tigoiie prépara un armement considé-
rable pour lui disputer cette lie. Détné-
trius, rappelé de Grèee par son père,
fiit chaire du soin de cette guerre (I).
Il avait 8008 ses ordres une flotte àe près
de deux cents trirèmes et une armée de
quinze mille hommes. 11 aborda sur la
côte de Carpasia , tira ses vaisseaux à
terre, et fortifia son camp. Après s^éire
assuré la soumission des villes voisines,
il marche sur Salamine , où le frère de
Ptolémée, Ménélas avait rassemblé une
armée à peu près égale à celle de Dêiiié-
trius. Ménélas vint au-devant de Ten-
nemi jusqu'à quarante stades de la ville;
Il livra bataille, et fut vaincu. Comme ii
lui restait assez de forces pour soutenir
un siège, il s'enferma dans Salamine, ta
mit en défense, et écrivit à Ptolémée de
se hâter de le secourir.
Démétrius vint investir Salamine. H
résolut de faire construire d'énormes
machines, des catapultes, des balisies,
des tours, des ponts volants, et il dé-
ploya dans Texécution de ces divers tra-
vaux ce f^énie inventif etce goût du gran*
diose qui ont frappé ses contemporains,
et qui lui ont valu de son vivant le sur-
nom de Poliorcète (preneur de villes).
« Il fit £aA>riquer, dit Diodore , une ma-
chine, connue sous le nom d'hélépoie,
dont chaque cAté avait quarante-cinq
coudées oe largeur, et dont la hauteur
était de quatre-vingtdix coudées, di-
visée en neuf étages. Cette maebine
re|>osait sur quatre roues solides, de
huit coudées de haut. Il fit aussi eons-
truire d'énormes béliers et deux tortues
porte-bélier. Aux étages inférieujv de
l'hélépole étaient fixés des balistes de
diverses dimensions , dont les plus craii-
des lançaient des pierres de trois talents
(78 kilogrammes). Toutes ces machines,
destinées à lancer des projectiles, étaient
servies par deux cents hommes ; en s*a^
prochant de la ville elles balavatent les
ciéneaux, en même temps que les béliers
(0
SicuU, XXf 47*
ILE M CBTPRE*
ébraniaient les nmn. » AalMiit déplu*
aeon jours la muraOle j^rétentait déjà
UM hrgt brèdw, el la ville allait être
prise d^assaot, k>ra(fue Ménélas incendia
a?eede8 flèebas enflammées les machines
que Démétrius avait Csit construire à si
grands frais. Elles furent toutes eonsa-
jnéeSf et Démétrius changea le siège en
Uoeas.
Bataille i>b Lbucolla (306). «^
Bientôt après, Ptoiémée parut avec des
forces considérables de terre et de mer.
« La bataille qui se préparait suspendait
non-seulement Démétrius et Ptoiémée^
mais aussi tous les autres princes, dans
l*attente des événements qui devaient
en être la suite, et oui étaient fort in-
certains ; toutefois chacun pensait que
k succès ne se bornerait pas à rendre le
Tainqueur mattre de Çynre et de la Sy-
rie, mais cnill en ferait le plus puissant
éfê rois. Ptoiémée, cinglant à pleines
loiies, s'avança contre Démétrius avec
eent cinquante navires , et envoya dire
à Ménélas de sortir de Salamine , lors-
ou'on serait au plus fort du combat, et
oe venir avec soixante vaisseaux char-
ger Tarrière-garde de Démétrius, afin de
la mettre en désordre. Mais Démétrius
laissa dix vaisseaux, pour faire tête à
ttux de Ménélas, jugeant ce nombre né-
cessaire pour garder Fissue du port,
qui était fort étroite, et emoécher Ménélas
d'en sortir. Pour lui, après avoir distri-
Imé et ranfi[é son armée de terre sur les
pointes qui s'avançaient dans la mer, il
prit le large , et alla charger avec tant
<rimptoosité et un si crand effort la
flotte de Ptoiémée, qu'il la rompit. Pto-
iémée, se vopnt vaincu, prit précipitam-
ment la fuite avec huit vaisseaux, les
seuls qu'il put sauver; car de tous les
aotres un mnd nombre furent brisés
dans le conibat, etsoixante>dix avec leur
éqnipsM» tombèrent au pouvoir de l'en-
nemi. Ses domestiques , ses amis , ses
fcmroes, ses provisions d'armes, son ar-
gent, ses machines de guerre, enfin tout
ce qui était à l'ancre dians des vaisseaux
de transport , fut pris par Démétrius et
conduit dans son camp. Après la perte
de iabataitte, Ménélas ne résista plus,
et remit Salamine aux mains de Démé-
trius, avec tous ses vaisseaux et son ar-
mée de terre, qui se composait de douze
cents chevaux et de douze mille hommes
de pîed (f ). » Ce fut près du port de
Leucolla, situé entre SaUmine et le
cap PédaUon, que se livra cette bataille
navale, après laquelle Ptoiémée renonça
à la possession de Tlle de Cypre et re-
tourna en Egypte (â). Après la retraite
des deux frères, Démétrius rangea aous
fion autorité toutes les villes de Cypre,
dont il incorpora les garnisons dans son
armée. A la nouvelle de œl éclatant
succès. Antigène prit le titre de roi, ^
donna à son fils, et, à leur exemple, les
autres généraux successeurs d'Alexandre
ceignirent aussi le diadème.
Ptolbméb bboouvbe l'Îlb db Cy-
PBB. — Après la conquête de l'île de
Cypre la puissance d'Autigone et de Dé-
métrius était parvenue à son apogée :
elle déclina bientôt, et tomba d'une chute
soudaine et éclatante. De vaines et rui-
neuses tentatives pour soumettre l'E-
gypte, Rhodes et la Grèce épuisèrent les
forces de oes deux grands ambitieux:
une nouvelle coalition se forma contra
eux, et Ils succombèrent à la bataille
d'Ipsus (301) , sous les coups de Lysima-
que, de Séleucus et de Ptoiémée. Après
la bataille d'Ipsus, Démétrius s'enfuit en
Cypre, mit en sûreté à Salamine ses
euâints et sa mère, équipa des vais-
seaux, et alla en Grèce et en Macédoine
regagner et perdreun nouveau royaume.
Il apprit bientôt que Ptoiémée lui avait
enlevé les ports de la Pbénicie et les
villes de Cypre , excepté Salamine, dans
laquelle sa mère et ses enfants étaient
assiégés (3). Démétrius était en Lacouie
près d'assiéger Lacédémone quand il
reçut cette nouvelle : il renonça à cette
entreprise pour s'occu^r de la défense
de ses possessions d'Asie ; mais les dis*
sensions des fils de Cassandre l'ayant ap-
pelé en Macédoine, il s'empara de ce
royaume, et se laissa enlevor Salamine,
âu'il avait possédée pendant dix ans. Llle
e Cypre redevint une province de la
monarchie des Lagides (S95).
LIlb de Cypbe sous la. domina-
(t) Plularq., Fie dét Démétrius, i5.
(ft) Ni Diodore ni Plularqoe n'indiquent le
Ueu de la bataille. C'est un mot d'Athénée qui
le fait connaître. Ath., Y, 209 ; Diod.,XX, 53.
(3) Diod., Exeerpt,, XXI, p. 4a ; Plutarq.,
Dem,, 35. Voir dans Polyen, Strat^f 5, la
prise de Salamine.
90
L'UMViBRSé
tB ATIOH DB L'IlB SOUS LES L AOIDBS (1 ).
"-Ptolémée avait senti que raequisition
de nie de Cypre était absolument néces*
saire pour compléter la création de son
royaume d^Ëgypte. Il y tenait autant
âu*à la conquête des provinces mari-
mes de la Syrie. £n efrct , c'était de la
Phénide et de Cvpre qu'il tiraît des na-
vires et des matelots pour sa marine de
guerre et de commerce, et c*étaient
^es deux provinces qui couvraient son
royaume contre toutes les tentatives dMn^
vasions faites par mer ou par t^^rre. Prî-
Tée de ces deux positions commerciales
et de ces deux po^tetf militaires, TÉ-
cypte ne trouvait pâ^ en elle-même assez
a éléments de prospérité; elle perdait
toute importance politique, et restait
exposée sans défense aux attaques de
ses ambitieux voisins. Jusqu^à Ptolémée
les petites dynasties qui gouvernaient
les villes cypriennes avaient été eénéra-
lement maintenues par les différents
mattres qu'elles avaient successivement
acceptés. Déjà, lors de sa première con-
quête, Ptotemée avait été très-rigou-
reux à regard de ces petits princes dé-
gradés et corrompus par Fhabitude de
là dépendance, et prêts à proclamer et à
trahir tour à tour ceux qui les assujet-
tissaient. Après s'être remis en posses-
sion de rîle , il la fit gouverner en pays
conquis, et les anciens pouvoirs locaux
disparurent. Il y entretint une force mi-
litaire considérable, confiée à un stratège
mii réunit entre ses mains toute Tauto-
nté et que des inscriptions qualifient du
triple utre de général , d*amiral et de
grand prêtre (^rpam^oç jcat taûapy^oç xal
opXtepioç è xarà tt^v wov). Tout était
soumis à ce gouverneur suprême, même
les pontifes de Paphos et des autres
sanctuaires qui pouvaient agiter le pays
et provoquer de nouveaux soulèvements.
Le siège du gouvernement de File resta
fixé à Saiamme. Le gouverneur de Cy-
pre prenait rang parmi les plus hauts
dignitaires du royaumed^É^pte, quel on
appelait les parents du roi (mrnr«tTç tcu
pàatx^wc). Les gouverneurs particuliers
des villes et les chefs des différents corps
de troupes étaient placés immédiatement
(c}Efigel, Kfi^ros, I, S9i;Bttckb., Corp*
Ihicript,
SOUS ses ordres. Les inserifffleiis ti4Mis
font eonnattre les titres et les noms des
fonctionnaires civils et militeires chargés
à cette époque de l 'administration de 1^
de Cypre. Ces villes conservèrent ces li-
berté municipales indispensables à la
prospérité des cités commerçantes ; et
mal^ Tassujettlssement politique an-
quel elle fut soumise, Fîle de Cypre eon-
tinua à jouir de libertés intérieures que
les Ptolemées ne laissèrent pas aux habi-
tants de l'Egypte^ où lesCyprieos étaient
désignés par le nom distinct de vwriMrai,
ou insulaires. Les Ptolemées portaient le
titre de roi d'Egypte et de Cypre; et
bientôt s'établit dans ta dvnastle des
Lagides l'usage constant de faire de
rtle de Cypre l'apanage des frères ou
des fils des rois égyptiens (1).
Cypre sovs les tbois PBBmcBs
ProLÉMéES. — L'île de Cypre, étant
devenue une annexe de TÉ^pte, parta-
gea toutes les destinées politiques de ce
royaume, auquel elle resta assez étroite^
ment unie tant que la dynastie des Ptole-
mées fut florissante. Cet état de elioses
dura environ deux siècles, après lesquels
le lien de la dépendance commença à se
relâcher. Alors les Cypriens se séparè-
rent peu à peu de TÉgypte, et secouèrent
lejou^de son administration. T^ période
de sujétion s'étend depuis Ptoléméf* 1^,
Soter, qui reconquit rtle de Cypre en 29&
et qui mourut en 281 , jusqu^au règne de
Ptolémée YIII , Soter II, surnommé La-
thyre, qui occupa le trêne depuis 1 17 Jus-
âu'à l'an 81 avant Tère chrétienne. Pen-
ant cette période, dont Thistoire est si
incomplète et si mutilée, Cypre reparaît
de temps en temps dans les annales des
Lagides , soit qu^elle entreprenne de re-
jeter leur dommation , soit que sa pos-
session si enviée Jette la discorde entre
les princes de la ramille royale ou arme
les uns contre les autres les héritiers de
Ptolémée et les descendants de Séleucus.
Ainsi sous Ptolémée II, Philadelphe,
(285-247) , un de ses frères , né du ma-
riage de Ptolémée-Lagus et dT.ur}^dice,
essaya de soulever les Cypriens, impa-
tients de leur nouvel état; il fut mis à
mort (2). Pliiladelphe travailla h s^atta-
^i) Cliampollion-Figeac, Ànnntes des tu*
fiaet, II, sSr.
ILE DE CHYPRE.
SI
dwrlei iMMtaiitt éeVUê jpmwts bons
tnitMMiti ft par aae mîM habile^
ment niéiiaiée m întéréia eommeKiaox
et du idéet religieuses antre les Cy-
prieof et les Aletandrins. Il fit élever sur
le pitHDOutoire Zéphyriun un temple à
n femme ArslDoe, dul y était aaorée
«Ku le nom d*Apiiroaite Zéphyrieiine.
CeM dans ee temple oue Berénloe , sa
fiile, épouse et sœur d'Efergète, oonsa^
fia sa chevelure, que les poètes et les
astronomes ont rendue si eélèbre. En
néme temps les fêtes d'Adonis furent
transportées de Pile de Cypre à Alexan*
drie, où elles attiraient tous les ans un
immtDseooneours d'É^ptiens, de Grecs
etd'étniBgers. Pour plaire à Philadelplie,
et peut-être par son ordre, Théoerite dé>
eriTit la pompe de nette eérémonie dans
la spirituelle idylle des Syracuiaines ( f ).
Cette politique des premiers Ptolémées
cet de bons résultats, et pendant près
ifen siècle Ftle de Cypre resta paisible
sous leur domination.
Les SÉLtUGtDES BISPUTBITT L'tLB
dkCypbi aux Laoidbs. —Les vices
et rincapacité de Ptolémée IV Philo^
pator, fils de Ptolémée Ili, Évergéte,
(m-305), firent décliner TÉgypte dn
haut point de grandeur où elle s'était
életée. Antiochus le Grand sortit de Ta-
bais^ment où Évergète avait réduit les
Séleacides, reprit la Pbéaieie et la Pa«>
lestine, et agita Itle de Cypre. Open*
4&nt la bataille de Raphia (216) rendit!
Itsypte la possession de ses provinces
Biaritimes. Mais à partir de cette épo-
qMla domination des Ijagides dans ces
contrées, menacée par » rivalité des
rois de Syrie, devint taible et précaire, et
ne pot se passer de la puissante et hau*
taiae protection des Romains, qui se pré-
ientiieiit alors comme médiateurs et qui
(levaient bientôt parler en maîtres. Alors
^ gonrernement de l'Ile de Cypre devint
plos difficile : le pouvoir s'anaiblissait,
^ dégradait de jour en jour : le peuple
commençait à s^agiter. Telle était la si-
taation de Cypre sous Ptolémée V, Épi-
Cttne (906-181), lorsque Polycrate
t nommé gouverneur générai de cette
t^Poljerate était un Argien, d'une iK
lustre et antique famille. Il était alors
(OHiéocr., Id,f XV. Voir rargament du
^«Hiut. coUect. Diod., t. XXXni, p. 90.
BCui, résolu, Mm entendu dans les
afiaires de Tadminlstration et de la
guerre (l) ; en un mot c'était un homme
ien supérieur parTori^Deet le carac-
tère aui aventuriers gui étaient venus
sous ce règne chercher fortune en Égf pte,
où ils firent tant de mal par leurs pil-
lages et leurs dissensions. Polycrate
apaisa les mouvements et l'agitation des
Cypriens, y fit percevoir les impôts,
qu on refusait de payer, et y rétablit Tau-
torité compromise du jeune Ptolémée V.
Il avait feit une fortune immense dans
son gouvernement. La prospérité hii fut
fatale, et il acheva sa vie dans de hon-
teuses débauches. Le Mégalopolitaln Pto-
lémée lui succéda comme gouverneur
général de Itle de Cypre.
Les projets d' Antiochus sur l*lte de
Cypre n'étaient qu^ajoumés. Profitant d0
Tenfanoe de Ptolémée Épiphane, il re^
prend les villes de la Phénicie, et, malgré
les assurances qu'il a données aux Ro-
mains de respecter le trdne du jeune
prince, il se prépare à envahir l'Egypte (2}.
Mais, parti d'Ëî}hèse à la tête d'une flotte
eonsidérable, il renonça à son premier
dessein, et se dirigea vers Hle de Cypre.
Une revente de ses soldats puis une tem-
pête le forcèrent h se réfugier dans les
ports de CIlide. Lorsqu'il eut assemblé
les débris du naufrage, ne se trouvant
Ï»as assee fort pour tenter la conquête de
tie, il retourna à Séleucie (196). Cepen^
dant Antiochus, ayant fini par oom-
prendre que ses véritables ennemis
étaient les Romains, traite avec les tu-
teurs du jeune prince, auquel il donna sa
fille Cléopâtre Syra , la syrienne , qui ap-
porta en dot au roi d'Egypte les provinces
contestées , savoir la Celésvrie , la Phé>-
nicie et la Palestine. Ouoique détenu
eendre d' Antiochus, Ptolémée offrit aux
Romains ses secours contre ce prince.
Ptolémée y mourut en 181 . Sa veuve
Cléopfltrela Syrienne prit la régence, et
gouverna au nom de son fils Ptolémée Vf,
Philométor, qui n'avait que cinq ans.
Ptolémée le Mégalopolitaln , fils d' Agé-
sandre, était toujours gouverneur de
rtle de Cypre, où il fit respecter l'auto
rite du jeune roi. Il amassa avec les re-
venus de rile un trésor considérabla
(i) Polyb., V,64;XVIU, 3;.
(a)Til. lâv., XXXin, 4t.
at
UOIOYERS.
doDt il fit présent au ni mniid il foteii
âge de régjoer. Mais, après avoir long-
temps servi avec zèle, iLtrahit les intérêts
de Ptoiémée Philoniétor, et passa dans
le parti d*ADtiochus Épiphane, qui mé-
ditait la conquête de 1 Egypte (1). Il re-
çut en dédommagement le gouverne-
meatde la Palestine, où il déploya les mé*
mes qualités de bon administrateur qui
l'avaient fait apprécier en Egypte. « Il
résolut, dit Thistorien du livre des Ma-
ehabées (2), d^observer religieusement
la justice envers les Juifs, et d*agir tou-
jours avec un esprit de paii a leur
égard. » Cette modération le perdit :
lès ennemis des Juifs le calomnièrent
auprès d*Antioclius V, Eupator, (ils d*Ë-
piphane. Us lui inspirèrent des soup-
Sons sur la fidélité d*un homme qui avait
éjà abandonné son anden maître. Pto-
iémée n*échappa à la haine de ses enne-
mis qu*en prenant du poison.
Intkbvention des Romains dans
LBS AFFAIJaES DB CyPBE BT J)*É-
eYPTB. — Cependant la dynastie des
Lagtdes tombait dans un tefétat de fai-
blesse, qu'elle ne se soutenait contre les
rois de Sjrrie que grâoe à la protection
des Romains. Popiuus avait arrêté d*un
mot Antiochus Ëpiphaiie, gui exigeait
de Philométor et de son frère Ptoié-
mée VU , Éverçète II, la cession de rîle
de Cypre, de Peluse et de son territoire,
afin aavoir, auand il le voudrait, toutes
les portes de VÉgypte ouvertes à ses ar-
mée6(8)(168). Ce futencore Popilius qui
termina les différents survenus entre
Philométor et Évergète ou Pbyscon. Il
assigna au premier TÉgypte et Cypra,
au seoond ta Libye et la Cyrénaïque.
Évergète mécontent de son lot , se ren*
dit à Rome pour rédamer auprès du sé-
nat (4). Ou céda à ses instances, et, pour
afifaiblir davantage le royaume d*Égyp-
te, on ajouta Cypre à la portion du roi
de Cyrène. Le sénat nomma deux com-
missaires , Titus Torquatus et Cn. Me-
f;
;0 Poiyb., xxvn, m; xvm, 3S.
[a) Macbab., II, xs, i3; Josèphe, Bht.
dêS Juifs f XII, 7. L*historieD des Madiab«es
le BuraoïDine MacroD^ le Maigre, et le fait fils
de Dorimène.
(3) Titc-Uve, XLV, la ; Poljb., XXIX,
ir.
(4)Polyfo.,XXXI, xS.
mla , pour installer le jeune Ptoléniée
dans la possession de rtle de Cypre , et
la détacher doucement et sans^c^rre du
royaume d'£gypte. Phvscon s*était hâte
de passer en Urèce, o*y soudover des
mercenaires, avec lesqnds il prétendait
assurer rexécution du sénatas-consulte
rendu en sa faveur. Mais les Romains
n*employaient les armes qu'après avoir
reconnu l'impossibilité de réussir pu
les négociations et la ruse. Les commis-
saires du sénat exigèrent de Pliyscon
qu'il renvoj[ât ses merc uaires , et ils se
rendirent à Alexandrie pour décider
Philométor à renoncer à FUe de C]r-
fire (i). Loin de céder sur ce point. Phi-
ométor attaqua la Cvrénaîque, qui s*é-
tait soulevée contre Fouieux prince que
lui avait imposé le sénat, et força Phys*
con à recourir encore aux Romains.
Ceux-ci étaient bien décidés à morceler
Tempire des Lagides et à ne point lais-
ser Pliilométor en réunir toutes les par-
ties sous sa domination. On accueillit
avec faveur le lâche Pbyscon ; on n^d-
mit aucune des justifications présentées
par les ambassadeurs de Philométor, et
une commission de dnq légats fut nom-
mée pour appuyer les réclamations du
prot^é des Romains. Cette fois on per-
mit à Pbyscon de lever des troupes,
et les alliés de Grèce et d*Asie furent
invités à seconder de tout leur pouvoir
Tentreprisc de ce prince sur IHe de Cy-
pre (2). Id les documents historiques
manquent absolument , et Ton ne peut
dire quelle fut Fissue de cette querelle
entre les deux frères et si Tinterveution
romaine fit réussir les prétentions de
Pbyscon. Quoi qu*il en soit du résultat
de cette affaire , elle tournait toujours
au profit de Rome, qui préparait ainsi
de loin la séparation de File de Cypre et
derÉgypte(l6l).
La mort de Philométor, survenue en
Fan H6, termina ce différend. Malgré la
répugnance de TÊgypte à reconnaître
pour roi Ptoiémée Pbyscon, ce prince
a'empara du trône, et réunit entre ses
mains toutes les possessions des Lagi-
des. Sa perfidie, sa cruauté et ses vices
le firent surnommer Kakergète par ses
(i) Polyb., XXXI, a5 et suiv.
(2) Id., XUII, 5; Eogel, Kjrpros, I,
p. 4i5.
ILR DE CHTPRe.
3S
suMts, Ml li€a do mrnom d'Étercète,
qiril i^etait donné. Sous son règne
A)»ai]drie,nfW!qiienlée parles savants,
]h artistes, les négociants , fut délais-
sée , et vit décliner sa splendeur. La
proseripCioD frappait toutes les têtes
illustres. Un grand nombre de lettrés
ivrait bannis, et parmi eux Aristarque,
(jai se retira eu Cypre, où il acheva sa
loogne carrière (t). Après un règne
h<mtfiix et troablépar des révoltes, dont
ruiie avait forcé Pnyscon ô se réfugier
M Cypre, ce prince mourut. Tan 1 17, lais-
santdeux fils, Alexandre T' et Ptol< mêe
Soter II, surnommé Lathyros ( pois chl-
ehe) : leur mère Cléopâlre, qui avait été
lUKsi la femme de Philométor, et qui
était la sœur de s* s deux époux, troubla
tout le royaume d*Égypte par son am*
bition et ses violences. Elle détestait son
fils aîné, Soter, qui avait été reconnu roi
par les Alexandrins , et voulait lui sub-
stituer Alexandre. Elle le contraria dans
tous ses projets, et plongea rÉg}'pte dans
Fanarrhie. Enfiu elle parvint à exciter
on soulèvement contre Ptolémée La*
tbjrre ou Soter 11, et à mettre Alexandre
ni sa place.
T.1lb db Cypbb se sépabb bb
itfiYPTB. — L tie de Cypre profita de
«s déstonlres, à la faveur desquels elle
rerouvra une sorte d'indépendance. Le
roi banni y trouva un refuge, et s>n fit
on petit royaume (2), au'fl détacha de
Ilgypte. Deux prétendants se dispu-
tjièiit alors le trône de Syrie, Antîochus
Grypus et Antiochos Cyzicénus. Le
limier était soutenu par Cleopâtre, le
5m>nd par Soier IL Cette guerre , com-
meneée avant Texpulsion de ce prince ,
mUmn (|uand il fut réduit à Ftle de
Cypre, qui loi fournit assez deressources
pour le mettre en état de tenir tête à ses
^nemis. Les afiiaires de la Judée don«
Baient aussi beaucoup d'occupation à
tous les princes Séleucides et Laeides.
i^ Palestine était gouvernée par la dy-
ttttie des Asmonéens, nui devait son élé-
vation au courage qu'elle avait déployé
^arrachant la nation juive à la domi-
lutiofl des princes syriens. Continuelle-
iBent en lutte aveo les Séleucides , le
(0 f'oy. Justin, XXXVm, s ; Val. Max.,
(»} Josèphe, j4nt. Jad„ XIII, 19 et «uiv. -
3* Zi>raisoii. ( Ilb db Chypbb. )
peuple Juif avait recfaerehé rappul de
FËgynte, oommeau temps de ses guerres
avec 1 Assyrie. Pendant les persécutions
qulls avaient endurées de la part des
successeurs deSélenous Nicator, les Juifs
avaient émigré en grand nombre, et s*é-
talent établis dans les États des Ptolé-
mées. Ils étaient très-puissants, dit Jo-
sèphe, dans Alexandrie, en Egypte et
dans rtte de Cypre. Les fils d'Onias, qui
avait fait con^itruire le temple d'Hélio-
polis , Helcias et Ananias, s'étaient mis
au service de la reine CléopAtre, la veuve
dePbyscon,et avaient été placés à la tête
de son armée. Quand Soter II fut chassé
de rÉffvpte, les Juifs établis à Cypre
contribuèrent puissamment à lui assurer
la possession de cette tIe, d*où il put
exercer une grande influence sur les af*
faires générales de la Palestine. Alexan-
dre Jannée, flls de Jean Hyrcan, était
monté sur le trône l'an 106. Ptolèmaïs,
Gaza et quelques autres villes de la côte
refusaient de lui obéir. Alexandre leur
fit une guerre active, et ces villes appe-
lèrent à leur secours Ptolémée Lathyre,
qui vint de Cypre en Judée avec une ar-
mée de trente mille hommes. De son
côté Alexandre fit alliance avec la reine
Cleopâtre, dont les secours ne purent
arrêter les progrès de Ptolémée Lathyre.
En effet , ce prince s'empara de Ptolé-
mais , de Gaza et de Séphoris. Il ren-
contra sur les bords du Jourdain Tar-
mée d'Alexandre, la tailla eu pièces,
et en fit un horrible carnage. Trente
mille hommes périrent dans cette jour-
née, dont Ptolémée souilla la gloire par
d'atroces cruautés. Après cet édataut
succée, il attaqua F Egypte; mais Cleo-
pfltre lui opposa Helcias et Ananias, ses
Juifs fidèles ; et Ptolémée , obligé de re-
noncer à son entreprise, revint dans son
royaume de Cypre. Dix ans après ( 88
av. J. C), Ptolémée Lathyre reprit nos*
session de T Egypte, d où son trère
Alexandre avait été chassé , après avoir
assassiné sa mère, et régna paisiblement
jusqu'à sa mort, en l*an 81.
Après quelque mois de troubles, pen-
dant lesquels Alexandrie fut ensanglan-
tée par des insurrections populaires et
des usurpations de palais, TÉ^pte échut
à Ptolémée XI, Aulétès, fils adoptif de
Ivïthyre. et Cypre fut donnée comme
apanage à un autre Ptolémée, fils natu**
3
34
vunmM.
riA Au uiim& foi. Mbibito f«r yei dis «
sôniioBS , dégradéft pur ses vieas , cl0(e8-
tétt pour ses crini«g, la «lynastie lagide
avaii perdu tout prestige aux yeux des
peuples. £lle m se souieuait que par
l'appuî des Romains, qui p'attendaieiit
que roocasioo favorable pour renvoyer
tts misérables prinpes et réduire leurs
États en provinces. L'Ile de Cypre était
d^jè réellement séparée du rpyeume d'il-
gypte; aussi devint-elle la preiniine la
proie des Romains, qui étalon t alors asses
puissants pour disposer eu maîtres du
sort des rois et des peuples. On parla
longtemps à Rome de la réunion des
rovinoes de la monarchie égyptienne
Tenipire romain. Cétait une question
que Ton SMÎtait fréquemment uu sénat ou
au Forum. Ou faisait valoir un prétendu
testament ^ne le roi Ptolémée X Alexan-
dre II aurait lait en faveur des Romains
pour se venger de ses sujeis qui l'avaient
êliassé. Déjà l'Egypte avait été comprise
«loirime don>aine de la république dans
le projet de loi agraire proposé par le
tribun Rullus et combattu par Cicéron
(68 av. J. €.)• Malgré cette proposi-
tion. r Egypte conserva encore sou mdé«
peodoncé pendant plus de trente ans;
mais le caprice d'un autre tribun dé-
termina b/entAt fa réunion de lile de
Cypre. App us Clodius, ayant été fait
prisonnier par les pirates de la Cilicie,
fit demander a Ptolémée, roi de (L'.ypre, do
lui envoyer Targent nécessaire à sa ran-
çon. Ptolémée était riche, avare et lâ-
che. Il n'osa refuser ; mais il n'envoya
que deux talents, dont les piratas ne vou-
lurent pas se contenter. Ils relâchèrent
leur prisonnier sur sa parole, et Clodius
jura de se venger d'un roi qui Tavait es-
timé si peu.
Catov bbouit l'(lb db Cypbb BU
FBOviNCB EOMAiNB. — Étant deveuu
tribun Tan bv, Clodius fit rendre lin dé-
cret qui déclarait Tlle de Cypre proviuœ
romame,et qui ordonnait la conllsca-
tion des biens de Ptolémée. Ce n'étiit
Eas as^ez pour Clodius d'écraser le fai-
ie Ptolémée, il se donna aussi le plai-
sir de mortifier, d'humilier le fier CatoOt
en le chargeant de cette honteuse mis«
sion. « A mes yeux , lui dit-il , tu es de
tous les Romaïus Thorome dont la con-
duite est la plus pure; et ie veux te
prouver que |^ai réellenieot de toi cette
haut» m^. Bien iês leus 4emand«Bt
qu'on les envoie en C^pre; n>als je te
crois seul digpe de o^ gouvernement , et
je me fais un plaisir de t'y nommer. •
Caton répondit en hpmme qui se seot
offensé, ci refusa cet etnpioi. n Elr bien !
reprit Clodius avec haqteur, si tu ne
veux pas y aller de gré tu partiras de
force. « Et il se rendît aussitôt à ras-
semblée du peuple , et y fit passer le dis-
cret qui envoyait Caton en Cypre (i ), sans
lui accorder ni vaisseaux ni soldat^ pour
exécuter cette oaisuse spoliation. 1^ lâ-
cheté du roi de Cypre rendait, au reste,
c tte précaution inuUle. Caton epvoya
devant lui en Cypre Canidius , un de ses
amis, pour epgagfar Ptolén^ée à se retirer
sans combat, eu lui promettant qu'il oe
manquerait jamais, sa vie durant « ni de
richesses ni d honneurs, et que le peuple
Bomain lui conférerait la grande prê-
trise de Vénus à Paphos. Quant à lui ,
il s*arrdta à Rhodes pour y laire ses pré-
paratifs e^ attendre la réponse de Ptolé-
mée. Ce mallieu reux prinee ne &avait
que résoudre. D'abord il prit le parti de
eharger ses trésors sur ses navires et da
s'engloutir avec eux dans les flots, il
n'osa ou ne put exécuter ce dessein , et
il se rési{(na à prendre du poison. CeiU
uiort délivra Caton d'un grand embar-
ras; la victin^e s'était impiolée flle-
niéme, il n'y avait plus qu'à recueillir sa
succession. Caton se rendit en Cypre.
où il trouva des richesses prodigieuses
et vraiment royales en vai2>selle d^or et
d'argent, en tabler précieuses, en pier-
reries, en étoffes de pourpre. Au fond.
c*étajt là ce qui avait tenté la cupidité
des hommes avides et ambitieux qui se
disputaient le gouvernement dtt la repu-
hlique et qui mettaient le monde au pjl-
jage (3). Aus^i avaient-ils envoyé Caton
pour ne rien perdre de leur proie. « Ca-
toq , dit Pjgtarque , jaloux que tout se
passât daps hs rèsles, et qui voulait
faire monter les efff ts à leur plus haute
valeur, assista lui-même à la vante , et
(i) Plut., CatQH^c. XLIV eCtuiv. ; Eogel.
Kyoros, I, 439.
(a) Celte honteuse conquête «tt fictric
oommi! il convieni par les anciens eux-mêmes.
Voir Vclleiiis P^terculuf, )|, 38, 5; Valcr.
Maxime, IX., 48; XV, 10; AnioiieQ-Mar'>
ceUin,XIV,3?, S.
ILE DE CBTfKE.
fS
porttoi'toinptejiMqQ'aiixnendresMRi^
mes; car il m s'en tint pas aux former
ordioaires des eiHians : il avait pouréga*
lement suspects les ofBcieirs, les crieurs,
les cDciiérisseurs. f t jusqq^à ses amis. U
s'aiJrfss.iitlui-méqap aux acheteurs, et les
poussait à mettre de plus hautes encliè*
res, et de cett^ f9çon tout fut vendu
à sa plus juste valeur. Caton rapporta
de Cypre près de sept mille talents Cqua**
rante millions de francs); il en char^e^
des caisses qui contenaient chacune deu<
talents cinq cents drachmes. {1 fit atta-
cberà chaque caisse une longue corde,
au bout de laquelle on mit une grauda
pièce de liés:» , afio que si le vaisseau
venait à se briser, les pièces de liège,
nageant sur Peau, indiquassent IV ndroit
où seraient les caisses. Tout cet argent,
à peu de cliose près, arriva heureusement
à Rome.
Jamais général romain revenant
diargé de dépouilles glorieusement en-
bé<>s à IVunemi ue tut reçu avep plu»
d*empres$emeiit et d^honneur ciue Ca-
ton rapportant dans sa patrie la hon-
teuse conquête des trésors de Ptolémée*
Corauie il approchait avec ses vaisseaux,
ics Romains, instruits de son arrivée,
magistrats , prêtres , le sénat eu corps
(t la plus grande partie du peuple, tous
eoiin allèrent au-devant de lui le long
du fleuve, pendant que Caton, dédai-
gnant de s'arrêter pour recevoir les con-
suls et les préteurs, remontait vers Rome
sur une galère royale à six rangs de ra-
mes. Quand on vit porter à travers le
Forum ces sommes immenses d'or et
d'aigen^, Tadmiration pe connut plus de
bornes; le sénat s*assembla, eompli-
naenta Caton de sa conduite, et lui dé-
cerna une préture extraordinaire, avec
le privilège d'assii.ter aux jeux vêtu
d*ui)6 robe bordée de pourpre. Caton re-
fuMi ces honneurs, et deBaaudQ$(>ulement
la liberté de Nicias, intendant du feu roi
fioiémée, dont il attesta les soins et la
fidélité. De tant de richesses qui étaient
à »i dispositioA, Caton ne sVtait réservé
qu'une statue de Zenon de Citium;
oêaninoiiis il ne put échapper aux ca-
lomoies de ce mêmeClodius, qui Taccu-
sait d'avoir détourné des sommes énor-
mes à sop profit. Caton avait envoyé ses
oûinptea à Rome ; mais une tempête en-
gloutit le navire qui les portait. Cepeu*
dant il n'eut pas do paine à repousser ie^
ûnputations de Clodius , lui qui , santi
avQir jamais reçu de la république,
Qomme il le disait , ni un cheval ni un
soldat, lui avait rapporté de Cypre plus
dV et d argent que Pompée n'en avait
oMiquis par tant de guerres et de triomr
phes , après avoir bouleversé la terre.
ÊT4X BS l'^^h^ PB CyPRK SOUS
L'iDUINISTBATIOM P&S BOMAiriS, -r
Caton avait éri^é Tile de Cypre fu pro-
vince prétoriepoe. On y envoya pour
)e gouvi»rner le questeur C. Sextius,
avec des pouvoirs de préteur. Bientôt
9n reunit Tîle de Cypre à la Ciltcie, e^
on en fit una province proconsulaire,
dont le gouvernement fut donné a Len*
tulus (66 av. J. C), un d^ amis les plus
intimes de Cicéron. L'an 6:2,Cicéron lui-
même fut pourvu de ce procoosulat, et
passa un an dans sa province. Ses let-
tres à Attious sont remplies de curieux
d^ils sur rétat de Tlle de Cypre, sur
laquelle s'étaient abattus les publicains,
qui la pressuraient avec une rigueur im*
pitoyable. Quand ces publicains étaient
d'accord avec les gouverneurs , rien n'é-
galait la détresse des provinciaux. La
ville de Satamine avait aontracté une
dette envers M' Scaptius et P. Mati*-
nius, deux financiers négociants établis
dans l'Ile, très-bisu appuyés à Rome,
puisque Brutus avait chargé Cicéron da
de leur faire obtenir le remboursement
de leur créanœ. Déjà ces deux hommes
avaient fait éprouver aux habitauts da
Salamine mille vexations (i). Appius,
prédécesseur de Cicéron, avait mis a leuv
disposition un corps de cavalerie avec le*
quel ilsavaient bouleversé toute i'ile« en*
tièrement désarmée. Ils avaient tenu li
sénat de Salamine assiégé pendant elua
jours, et cinq sénateurs étaient morts
de taim. « Appius, dit Cioeron, qui ^
traité la province par le fer et par le feu,
qui Ta saignée, épuisée, qui me Ta re«<
mise expirante , trouve mauvais que je
répare le mal qu'il a fait. Ce qui l'irrite,
c'est que je ne lui ressemble pas; on ne
peut en effet se ressembler moii-s: la
province a été sous son i^ouvernemeot
ruinée de toutes les manières , sous la
mieu il n'en a été rien exigé sous aucun
(x) Cicrr., £p. ad Att^ VI, i,a, 3, pas-
sim.
3.
^
LTJNIVERS.
prétexte. Qae ne pounrais-j^ pas dire des
préfets d'Appios, de ceux de sa suite,
de ses lieutenants, de leurs rapines, de
leurs violences, de leurs brutalités?
Maintenant, au contraire , la maison la
mieux réglée ne présente pas autant
d'ordre, de régularité, d'économie que
cette province. » Scaptius et Matinius
insistaient auprès de Qoéron pour qu'il
leur permit d'exiger des Salaminiens
non-seulement leur capital, mais encore
un intérêt de quatre pour cent par mois.
Cieéron, indigné de cette odieuse usure,
refusa de mettre des troupes à leur dis-
position , et les fit payer sur le pied d'un
pour cent par mois. « Voilà ce que j'ai
fait, dit-il à Atticus, je pense que Brutus
m^approuvera ; je ne sais si vous serez
content. Caton sera certainement pour
moi. » Cieéron s'était fait aimer des Cy-
priens ; il s'intéressa toujours vivement à
leur sort, comme on le voit par la lettre
qu'il écrivit en 44 à C. Sextius, le pre-
mier ouesteur de Çypre, qui se retrou-
vait alors ouesteur de Ciiicie, avec l'île
de Cypre dans son département. « Je
vous recommande tous les Cypriens en
général, et les Paphiens en particulier;
je vous saurai un gré infini de ce que
vous ferez pour eux. J'insiste d'autant
glus, qu'il me paraît importer à votre
onneun dont je suis jaloux, que le pre-
mier questeur romain dans Itle laisse sa
trace et marque la voie à ses succes-
seurs. -Ce vous sera chose facile , je m'en
flatte , si vous suivez les directions et les
lois de votre intime ami P. Lentuius, et
les institutions diverses que j'ai moi-
même établies. Ou je me trompe , ou
vous vous feriez par là un honneur in-
fini (I). »
Habituée depuis plusieurs siècles à su-
bir la domination étrangère , l'île de Cy-
pre avait accepté celle des Romains avec
une résignation qui prouve qu'elle ne
sentait plus le prix de la liberté et qu'elle
n'avait conservé aucun de ces sentiments
généreux par lesquelis on sait la défen-
re. L'assuiettissement politique où ils
étaient tomoés depuis longtemps et leur
corruption morale avaient rendu lesCy*
priens indifférents à ces changements de
fortune où les peuples libres compren-
nent que leur dignité est en question.
(0 Cic, Ad Pam,, XIII, 5a.
Tandis que les Cretois et les Rbodiens
ne se livrèrent à Rome qu'après de lon-
gues résistances, Cypre, toute façonnée
au joue, toute résignée d'avance, se
soumit a la première sommation, et resta
la plus paisible des provinces de l'empire
romain. Indifférente à tout, les plus
grands événements s'accomplissaient au-
tour d'elle , et elle passait de main en
main, sans qu'elle parût s'en apercevoir.
Après la bataille de Pharsale, Cypre, qui
vit passer tour à tour la famille de Pom-
pée fugitif et César victorieux, retourna,
après être restée dix ans au pouvoir de
Rome , à la famille des Ptolémées. Au-
lète, l'indigne protégé du sénat, était
mort Tan 52, plus méprisé, plus dé-
testé que jamais des Alexandrins, qui
n'avaient pu le décider à agir pour re-
couvrer Ifle de Cypre. 11 laissait en mou-
rant deux fils, Ptolémée Dionysius et
Ptolémée Néotéros , et deux filles, Arsi-
noé et la fameuse Cléopâtre. Les Alexan-
drins mirent sur le trône Taîné des deux
fils avec sa sœur Cléopâtre. Mais les mi-
nistres du jeune roi chassèrent Cléopâtre,
qui se retira en Syrie avec sa sœur Ar-
sinoé. A son passage en Egypte , César
se fit l'arbitre de tous ces différends, et,
après avoir placé sur le trdne d'Egypte
les deux aînés des enfants d'Aulète, il
donna au couple le plus jeune, à !^éo-
téros et à Arsinoé, l'investiture de l'Ile
de Cypre. La guerre d'Alexandrie, qui
suivit de près , empêcha ce partage <ré-
tre mis à exécution ; la reine de Cypre
Arsinoé fut emmenée captive à Rome, où
elle mourut. Tan 41. Plus tard Antoine,
maître de l'Orient , mais subjugué par
Cléopâtre, lui fit don de Itle de Cypre,
qui resta province de l'Egypte jusqti à la
conquête de ce royaume par Octave,
l'an 30 av. J. C. On sait qu'Auguste, de-
venu maître de l'empire, partagea avec le
peuple le gouvernement des provinces :
Cypre fut d'abord comprise parmi les
provinces impériales. Mais il l'abandonna
peu de temps après au peuple en échange
de la Dalmatie, dont les insurrections ren-
daient nécessaire l'intervention directe
du chef militaire de l'empire romain.
Cypre devint une province consulaire
Elle se divisa en quatre districts : celui
de Salamine à l'est, celui de la nouvelle
Paphos, à l'ouest , le district de Lapa-
thos au nord, et celui d'Amathonte au
ILE DE CHYPRE.
%r
8ud(l). Animiste donna des soins atten-
tif à Tadministration de IHe de Cypre ;
et le temple de Paphos ayant été détruit
par un tremblement de terre. Tan 15
avant Tère chrétienne, il pourvut aut
tirais de sa reconstruction.
IirTBODUCTION DU CHBISTIANISMB
UN Cypbe. — L'Ile de Cypre fut une
des premières contrées ouvertes à la pré-
dication de r Évangile. « Joseph, que les
apôtres surnommèrent Barnabe, c'est-à-
dire enfant de consolation, qui était lévite
etoriginaire de Ff le de Cypre, Tendit aussi
UD fonds de terre qu'il avait, et en ap-
porta leprix, quil mit aux pieds des apô-
tres (2). I» Bientôt éclata la persécutioa
où fut lapidé saint Etienne; les fidèles de
la première Église se dispersèrent, et quel*
ques-uns d^entre eux allèrent en Cypre.
Après la fondation de TÉglise d'Antio-
die, où les fidèles prirent pour la pre-
mière fois le nom de chrétiens, saint Paul
et saint Barnabe firent voile vers Tllede
Cypre. « Quand ils furent arrivés à Sa*
iamine, disent les sectes des Apôtres, ils
prêchaient la parole de Dieu dans les sy-
nagogues des juifs , et ils avaient aussi
Jean, qui les aidait. A près a voir parcouru
toute rtle jusqu'à Paphos, ils trouvèrent
un certain juif, magicien et faux prophète,
nommé Bar-Jésu, qui était avec le pro-
consul Sergius Paulus , homme sage et
prudent. Ce proconsul désirant d'enten-
dre la parole de Dieu fit venir Barnabe
ttPaal; mais Élymas, c'est-à-dire le
magicien, car c'est ce que signifie ce
nom d'Élymas, leur résistait, tâchant de
détourner te proconsul d'embrasser la
foi. Alors Paul étant rempli du Saint-Es-
prit, et regardant fixement Elymas , lui
dit : « Homme plein de tout es sortes d'ar-
tifices et de fourberies, enfant du diable,
ennemi de toute justice, ne cesseras-ta
pas de pervertir les voies droites du Sei-
gneur? Voilà dans ce moment la main
de Dieu sur toi : tu seras aveugle, et jus-
qu'à un certain temps tu ne verras point
le soleil. A Tinstant les ténèbres tombè-
rent sur lui , ses yeux s'obscurcirent , et,
(0 Engel, Kypros^ J, p. 45S. On sait, par
me inscription tronvée à Paphos et par une
ttédaille, que P. Fabius Maximus et Aiilus
Phutitt» furent proconsuls en Cypre sous le
fnncipat d'Aufpiste.
(a) Act, dei Apotrts^ c. iv, 36.
tournant de câté et d'autre, il dierehait
quelqu'un qui lui donnât la main. 1^
proconsul voyant le miracle embrassa
la foi , et il admirait la doctrine du Sei-
gneur (1). »
Telle fut la dernière conquête subie
par 111e de Cypre dans l'antiquité ; et
c'est aussi le dernier événement de son
histoire ancienne. A partir du règne de
Tibère , sous lequel Serons Paulus em-
brassa le christianisme, jusqu'à la fin de
la domination romaine , l'tle de Cypre
n'eut plus qu'à jouir tranquillement des
bienfaits de cette paix universelle don-
née par les Romains aux peuples de TOc-
ddent. Dès lors elle échappe aux regards
de l'histoire, à laquelle elle n'offre aucuQ
souvenir à recueillir, aucun événement
à enregistrer ; seulement des inscriptions,
trouvées sous les décombres de ses anti-
quités y nous ont conservé les noms de
quelques-uns des proconsuls à qui le sé-
nat confia le gouvernement de cette
tie (2). Au quatrième siècle l'administra-
tion de l'empire romain fut profondé*
ment modifiée par Constantin le Grand,
surtout en ce qui concerne le gouverne-
ment des provinces. Alors l'île de Cypre
devint la quinzième province du dio-
cèse d'Orient, avec Ja ville de Constan-
tia , l'ancienne Salamine, pour capitale.
Ce fut sans doute a cette époque qu'elle
fut divisée en treize districts, selon Cons-
tantin Porphyrogénète, et quatorze selon
Hiéroclès, qui les énumère dans l'ordre
suivant : Coiistantia, Tamassus, Citium,
Amathonte, Curium, Paphos, Arsinoé,
Soles, Lapithus, Cirbia, Cythri, Car-
pasion, Trimethonte et Leukosia.
(t) Act, Apost,, Xin, 4. Le p. Lostgnan
énumère plus de quatre-vingts saints ou per-
sonnages célèbres de TÉglise de Chypre dans le
chapitre qui a pour titre Us illustres hommes
chrétiens dt Cisle de Chypre, Il y a font un
côté de l'histoire de rite de Chypre que je
suis obligé de laisser dans l'ombre ; car, pour
emprunter le langage du vieux Lusignan, « si
je vonlois raconter toutes les choses qui ae
sont faites concernant les affaires de Cypre,
cette chronique seroit encore augmentée ae la
moilié d'autant. »
(a) Voir le recueil de Gruter et les îns-
U'iptiona citées par Engei, Kypros, I, 460.
^
ItOJWlVERS.
m
ttkt BeLTG1C17X,P0LITtQVB« MOBAL
BT llVTfiLLBGTUEL DB L'IlB DB
CYPRE PENDANT LES TEMPS AN-
CIENS.
Religion de l'île de Cypbb. •—
« Vénus, très 'belle Glle, nasquit en
Aphrodisie, ville de Cypre, et pour sa
rare beauté fut amenée en Cythère, pour
être là nourrie entre les dieux et dées-
ses : laquelle estant grande, èii âge con-
venable , fut mariée au roy Adonis , et
couronnée royne de Cypre. Les poètes
et historiens racontent infinies choses de
ceste femme, lesquelles il seroit trop
difficile d'esplueher et raconter de mot à
mot. Contentez- vous seulement d*eit ten-
dre qu*on luy a donné le premier Heu
entre les dieux et déesses, et qu'on Fa
appelée de divers noms ; qu'on lui a édi-
fié plusieurs temples, non -seulement
en Cvpre, mais aussi en plusieurs autres
provinces, voire par tout le monde (1). »
Voilà comment le P. Lusignan se ren-
dait compte de rétablissement du culte
de Vénus dans l'île de Cypre. Il est dou-
teux que cette explication si. expéditive
satisfrisse tout le monde, et qu'on veuille
s'en tenir à cette doctrine d'Évhémère
qui faisait de tous les dieux et déesses du
pagunisme des rois et des reines élevés
après leur mort aux honneurs divins.
Autrefois elle était généralement biea
accueillie des savants, et convenait éga-
lement au scepticisme des uns et à la cré-
dulité des autres. On l'enseignait alors
dans toutes les mvthologies élémentai-
res. Aujourd'hui 1 étude de la mytholo-
gie tourne au symbolisme ; et si ce sys-
tème d'interprétation n'est pas exempt
d'erreur, il présente des vues plus pro-
fondes et pénètre mieux dans la vérité.
Aphrodite est le vrai nom de la grande
déesse des Cypriens; il appartient à la
langue grecque ; le mot de Vénus est la-
tin. Mais Aphrodite ne fut pas la plus
ancienne divinité de Itle de Cypre, ou les
Grecs n'avalent fait que succéder aux
Phéniciens. CeUx-el avaient Introduit
dans rtle leur religion nationale, et les
temples de Paphos . d'Amathonte et de
Citium avaient été d'abord consacrés au
(i) Le Père Lusignan, Description de toute
VisU de Cypre, p. Sg.
culte de l*Astarté phénicienne, la même
divinité qu'on adorait à Ascalon , à By-
blos, à Tyr et sur toute la eôte de Syrie.
Quand les Grecs vinrent s'établir en Cy-
pre , ils apportèrent avee eux le nom-
Dreux cortège des divinités qui compo-
saient leur Olympe. Or, aucune n'avait
autant d'analogie avec l'Astarté phéni-
cienne que l'Aphrodite antique , divinité
des premiers âges connue des Pelages.
Ce puissant symbole signifiait à rôri-
gine la force créatrice et reproductrice,
qui entretient tous le^ êtres de la créa-
tion. Son culte était l'adoration de la
nature elle-même, dont les anciens ont
divinisé la fécondité et la vie, dans V'ivtï''
possibilité oti ils étaient de remonter
plus haut et de savoir où placer la source
et l'origine de toute existence. Ce natu-
ralisme panthéistique se retrouve par-
tout, depuis l'Inde, où il existe encore,
jusqu'aux confins de l'ancien monde, et il
a produit partout et sous différentes for-
mes des divinités analogues à l'Astarté
des Phéniciens et à l'Aphrodite des
Grecs, savoir : la déesse de Gomana, T A-
naîtis d'Arménie, de Pont, de Cappa-
doce,la Mylitta d'Assyrie, la Mitra de
Perse, rAlflat d'Arabie, IMsis des Êgyp-
tiens , la Cybèle des Phrygiens et d'au-
tres encore.
Personne ne peut dire eomment s'o-
péra la fusion d'Ast^rté et d'Aphrodite :
ce qui est certain, c'est que les deux peu-
ples réunis dans rtle de Cypre parvin-
rent à se mettie d'accord sur un point
où il est bien difficile aux hommes de
s'entendre. Leurs divinités contractèrent
une union si étroite qu'on ne les distin-
gua plus l'une de l'autre. Quelles furent
les coéditions de cette alliance, par
quelles transactions, par quels sacrifices
mutuels fut^l le cimentée, voilà encore ce
qu'il est bien difficile à l'érudition d'étn-
biir. Toutefois, il me semble qu'on peut
affirmer que l'élément phénieieii préva
lut dans le fond, Télément grec dans la
forme. Les Grecs et, après eux, les Ro-
mains appelèrent la déesse de Cypre
Aphrodite ou Vénus; mais le symoole
ne changea pas : ce fut toujours la pierre
conique de Paphos, qui représentait le
Phallus et qui exprimait la force généra-
trice, ou la déesse barbue d'Amathonte,
qui réunissait les deux sexes et qui se
suffisait à elle seule dans l'acte de la re-
ILE DE GflYf KE.
prodaction. Le saeerdoee resta entre les
maJDS des Cinyrades, dont raneétreCiny-
ras était Phénicien. Mais la mythologie
grecque, ee grand instrument de la
propagande des klées helléniques, qni
altéra et absorba tant de religions étran-
^res par le charme et le prestige de rima-
gination, étonfifo TAstarté phénicienne
sous un monceau de fables et de légen-
des iorentées pour Aphrodite, dont le
nom finit par pré?aldir. GnyraS lui-
niéme devint, bon gré mal gré, un héros
grec, tout en oonserrant son nom sémi-
tique.
II en ftit de même d'Adonis : « Le nom
comme le culte d'Adonis est essentielle-
ment phénicien ou syrien dans son prin*
eipe; e*est un titre, une épitbète d'hon-
neur, donnée indifféremment sut di-
Terses formes de Bel ou de Baal , le dieu
multiple des Araméetis et des Cananéens,
aussi bien qu*à Jéhovah Ini-méf ne, le dieu
simple et unique des Hébreut : /ich»
ni, Adonai^ mon Seigneur, notre Sei-
gneur (1). r Or, ce grand dieu, à qui Ton
disait : Àdonai, mon Seigneur, et que
les Phéniciens avaient déjà réduit à n'ê-
tre plus que le soleil, comme Tindigue
bien clairement la nature de la fête
qu*on célébrait en son honneur an prin-
temps, les Grecs lui conservèrent son
nom, et loi appliqùèi^ent Tun de ces mj-
rhes frivoles et graciedt par lesquels fli
tournaient presque en plaisanterie tes
idées les plus graves et les plus sérietisea
des retiglons de l*Asie. On transporta
dans rtle de Cypfe le mythe d'Atis et de
Cvb^le. Adonis devint un bel adolescent,
fils de Cinyras et de Myrrha , aimé de
Vénus, qui abandonna leoiel pour s^atta-
cher à lui :
▲iMliiiet « eœlo ; ocelo prafertot kéatAM.
Us passaient leur temps à la chasse;
Mars, Jaloux d*Adoni8, le fit déchirer
pr un sanglier furieux. Adonis succom-
ba; ntais Vénus le disputa au trépas, et
adonis resta partagé entre la vie et la
mort. Il passa la monîéde Tannée, le prin-
temps et Tété , auprès de ?énns , fautre
moitié, l'automne et Thiver, dans les en-
fers,auprè8de Proserpine. Aui Adonies,
ou fétus d'Adonis, on célébrait, par descé-
( i) Crtmer el Guigniaiit, iitf%MNU db /'^/t-
Hwté, t. II, y part., p. 919.
rémonies où ae succédaient la joie et la
douleur, cet anéantissement et cette ré*
surreetion périodique du Dieu dans lé*
quel le vulgaire ne voyait plus que Ta-
mant d*Aphrodtte, elqui dans Torigine
avait été le soleil. Aphrodite perdit aussi
son antique caractère : on cessa de voir
en elle la personnfication des ftfrces re*
f productrices de la nature , elle devint
a déesse des amours ; et son culte consa-
cra et divinisa la plus puissante et là
plus funeste dt^ passions humaines L'A'
phroditeUranle, méconnue et délaissée*
se retira au fond du sanctuaire, et TA-
phrodile Pnndemos , Tamour déréglé et
sensuel , attira à elle tons les homma-
ges. De là les désordres des fêtes de Pa*
phos , la prostitution des jeunes filles au
. rivage où la déesse sortit de la mer, et
les débauches des hiérodules de Cypre ,
aussi célèbres que les prêtresses consa-
crées à Vénus dans le temple de Corin-
the (1). On adorait aussi en Cvpre Gé-
rés, Bacchus, Jupiter et Junon, Minerve^
Apollon et Diane, mais toutes ces ûW\*
nités n^avalent qu'ufi culte local et par-
tietiller; seule Aphrodite était adorée
dans nie entière.
ÉTAT POLÏTtQtlÉ DE l'ÎLË DE Cy-
PBE (2) ; GOUTfiltFfEHttIT. — L'îlC de
C^pre a toujours été gouvernée par des
rois. I.,es cités grecques étaient encore
sous le régime monarchique quand elleà
envoyèrent dfts colonies dans cette île.
Aussi la royauté, qui j dominait déjà
avec les Phehiciens, J fut éontinuée par
les Grecs 4 et s'y perpétua Jusqu'à la sou-
mission ne nie aux Ptoleniêes. Jamais
Cypre ne fut réunie sous la domination
d^jn seul prince ; mais chnque cité fai-
sait tm petit royaume , qui avait pour
chefs héréditaires les prraces qui descen-*
daîent du héros foniiateuf delà colonie.
Ainsi la famille régnante à Salamine
prétendait descendre de teucer flis dé
Télamon ; et, plus heureuses que \eÈ dy-
(i) Il faut s^en tenir à ces généralités : je
ne piiis gspUicIter ce que disent les poêles et
les historiens à ce sujet. Je renvoie ani sa-
vants ouvrages qui en iraifenl s)>écialenieiit.
Movers, die Phœnîzier, t. I, Engel, Kypros,
t. Il, et les Religions de l'Antiquité, de
MM. Creuzer et <>uigniaut. t. il, :" part.,
ch. Vf, p. aio« et les éciaircisseuieiils.
(a) Ei^elf Kypros, l, 467*
40
L'UNIVERS.
ndsties héroïques de la Grèce proprement
dite, celles de i'tle de Cypre conservèrent
jusqu'à la 6n , grâce peut-être au voisi-
nage de rOrient , le respect et Tobéis-
sanee des peuples. Au reste, on a vu dans
les récits historiaues qui précèdent à peu
près tout ce que Ton peut savoir du gou-
vernement de ces princes : nous n'avons
plus les ouvrages où les anciens décri-
vaient la constitution des villes cyprien-
nés , tels que le grand ouvrage d'Aristote
sur la politique, et le traité spécial de
Xhéopnraste qui avait pour titre BaotXefa
xc5v Kuffp((ov, îa royauté des Cypriens,
Autour de ces rois se groupait une
aristocratie composée des familles issues
des premiers colons ou des fondateurs
de la cité. C'était peut - être originaire-
ment la première bourgeoisie de chaque
ville , qui peu à peu devint la noblesse
de la cour, à mesure qu'elle se réduisait
par Teffet destructeur du temps, qui,
en décimant le corps, donnait ainsi
aux familles qui survivaient un plu»
grand éclat Au reste, les renseignements
Sue Ton trouve dans Athénée sont loin
e donner une idée avantageuse de la
noblesse cyprienne, dont il représente
les chefs comme jouant le honteux et
double rôle de flatteurs des rois et d'es-
pions de leurs concitoyens. Je transcrirai
tout ce curieux passage (l), qui n'est lui*
même dans Athénée qu'une citation
d'un ouvrage de Cléarque de Soli : « Tous
les monarques de Cypre ont auprès d'eux
des flatteurs d'une naissance distinguée,
comme un accessoire fort important...
Les flatteurs de Salamine sont partagés
en deux familles, desquelles descendent
ceux des autres parties de l'fle de Cypre.
On les appelle gerginiens et promalan'
gués (y^pyivot, lïpojiàXaYYeç)- Les gergi-
niens se mêlent dans la ville parmi les
autres citoyens , soit dans les lieux de
travail , soit dans les places publiques ,
écoutant tout ce au'on dit, et faisant
l'espionnage. Tous les jours ils rendent
compte aux anactes (princes) de ce
qu'ils entendent dire. Quant aux proma-
langues, ils examinent si ce (jueles ger-
giniens ont rapporté mérite quelque
information; ce sont comme les ins-
pecteurs de ces espions. Ils abordent
(i) Alhén., Deipnos,, l. YI, p. a55, trad,
de Lefèbvre de Yilltbruae, t, H, p. 466.
tout le monde avec tant d^artifice^ et
d'un, ton si persuasif , que je crois volon-
tiers , comme ils le disent eux*mémes ,
que tous les flatteurs les plus renommés
sont sortis de leur pépinière. Les hon-
neurs qu'ils reçoivent des rois les ren-
dent extrêmement fiers de leur profes-
sion. » Ainsi cette noblesse dégradée
sous l'absolutisme des rois cypriens for-
mait le corps de la police , et n'en con-
Si«rvait pas moins son rang élevé dans
l'Eut.
A Palse-Paphos, qui était le sanctuaire
principal du culte d'Aphrodite, le gou-
vernement était sacerdotal. Il appartenait
à la famille ou tribu des Cînyrades, dont
l'origine était sans contredit phénicien-
ne, et qui devint grecque, comme la di-
vinité Qu'elle servait, après l'émigration
des Hellènes. Les Cinyrades conservèrent
la direction suprême des affaires poli-
tiques et religieuses. Le plus âgé de la
famille en était le chef; les autres mem-
bres formaient son conseil. Comme chef
religieux, il avait une juridiction sur
l'île entière, où le culte d'Aphrodite était
partout en grand honneur. A Amathonte
une branche des Cinyrades avait la di-
rection des choses religieuses; mais le
pouvoir politique résidait entre les mains
d'un roi. La grande prêtresse des tem-
ples de Déméter était placée sous l'auto-
rité du collése sacerdotal des Cinyrades.
Cet état de choses dura jusqu'aux Ptolé-
mées, qui renversèrent les dynasties lo-
cales, par lesquelles l'Ile était gouvernée
depuis tant de siècles, et qui les rempla-
cèrent par des fonctionnaires nommes et
révocables à la volonté du prince. De-
puis cette époque Cypre resta toujours
dans la dépendance; les Ptolémees la
transmirent aux Romains , ceux-ci aux
Grecs de Byzance, et , après trois siècles
de liberté et de gloire sous les Lusignans,
elle retrouva la servitude, plus dure, des
Turcs, qu'elle subit encore.
Lois. — Nous n'avons que des ren-
seîgnemejits bien incomplets sur la légis-
lation de lile de Cypre. On doit à IMon
Chrysostôme la connaissance des trois
lois suivantes, observées dans ce pays (1 ) :
(i) Dion. Chry»., Discours 64 : i* Tiriv
(tot^suOelfrav xeipo(jiévy}v nopvsve^at. a» Tôv
aOxèv àicoxTsCvavTadcTafovpfimoeem S^Mt)
àicoxTetvai 6oûv àpott)pa.
ILE^ DE GHTPEE.
41
V • La femme adultère aura les ebeveiix
coupés, et sera raogée parmi les courti*
saoes. » Cette loi avait pour but d'assurer
la sainteté du mariage; mais les femmes
n'y étaient guère préparées par leur
éducation. I^ chasteté ne deveoait ua
devoir pour elles qu'après le marifige, et
toute jeune fille devait consommer le sa-
crifice de sa virginité en Tbonneur d'A-
phrodite. 2^ « Celui qui s'est donné la
mort sera privé de la sépulture. » Nulle
part on ne trouve dans les législations
j;recques une condamnation aussi aïh
solue du su'cide. A Athènes on coupait
la main de Thomme qui s'était donné la
mort, et on Tenterrait au loin. Quant au
corps, on l'ensevelissait le visage tourné
vers roccident. 3« « Il est défendu de tuer
le bœuf qui sert au labourage. » L'infrac-
tioD à cette dernière loi était punie de
iiwt. Chez tous les peuples anciens la loi
protégeait Tanlmal qui assiste l'homme
ddDs ses travaux ; mais on ne trouve que
chez les Cypriens et les Phrygiens une
pénalité aussi rigoureuse pour la trans-
gression de cette loi (1). La tradition
rapportée par Dion Chrysostôme attri-
iHJe l'établissement de ces trois lois à une
femme de Cypre appelée Démonassa, qui
parait un personnage légendaire plu-
tôt qu'historique. Ces lois reçurent leur
sanction de l'application rigoureuse qui
en fut faite aux enfants de Démonassa.
Sa fille ayant commis l'adultère , elle fiit
nsée et inscrite parmi les courtisanes.
De ses deux fils 1 un tua un bœuf de la-
l)our, et fut mis à mort; l'autre s'étant
tué de sa propre main , son corps de-
meura sans sépulture. Cette sinistre tra-
(iition maintenait en vigueur l'exécution
<)eces lois.
MoBURs. — Les mœurs des Cypriens
noDt pas commencé par être molles et
licencieuses. Les nations se forment et
grandissent par le travail, la sobriété, la
vertu. Le peuple cyprien eut d'abord
lOQtes ces qualités, sans lesquelles il
ii aurait pu atteindre la grande prospe-
cté de la première période de son his-
toire. Alors les mœurs devaient être sim*
È les et sévères, la vie active et r^lée, et
^ religion encore austère. Mais les ri-
(0 Cependant oq trouve une loi analogue
«J« les Romains. Cf. Vair., A, Rust., H, 5;
"'«., ffâf. Nat., VIII, 70.
ebesMS engendrèrent la conraption des
mœurs , et celle - ci précipita les petits
États de Ttle de Cypre dans la décadence
et la servitude. Or nous ne commençons
à connaître l'état social de ce pays qu'a-
près les temps primitifs, quand il est
déjà engagé dans toutes les recherches
et dans tous les excès de la civilisation
la plus raffinée. La population de l'Ile
de Cypre, enrichie par le commerce, l'in-
dustrie, l'agriculture, se livra sans rete-
nue à toutes les jouissances dont elle
pouvait si facilement s'entourer dans le
délicieux pays qu'elle habitait. La mol-
lesse et les plaisirs de la vie cyprienne
étaient passés en proverbe chez les an-
ciens. Le culte d'Aphrodite prit dans
cette île, plus que partout ailleurs, le
caractère d'un sensualisme effréné, et la
jeunesse des deux sexes, élevée au mi-
lieu des fêtes licencieuses de cette reli-
gion dégradée, s'habituait de bonne
heure , surtout dans les classes supérieu*
res , à regarder le plaisir comme le sou-
yerain bien de la vie.
Athénée a emprunté aux ouvrages de
Cléarque de Sali les plus curieux rensei-
gnements sur les mœurs efféminées des
rois cypriens. Il y avait à la cour de ces
princes des femmes appelées colacides,
ou flatteuses; elles étaient au service des
dames de la famille royale. Elles étaient
fort recherchées à l'étranger ; et Arta-
baze et Mentor en firent venir pour leur
maison. Plus tard on changea leur nom
en celui declimacides, et voici pourquoi:
VQuIant plaire à celles qui les prenaient
à leur service, elles se courbaient en
forme de marchepied ou de gradin, de
manière que les dames montaient sur leur
dos pour entrer dans leurs litières et en
descendaient de même. Cléarque s'irrite
contre cette invention abjecte et mépri-
sable par laquelle ces viles complaisantes
augmentaient encore la mollesse et la cor-
ruption des princesses qui les appelaient
auprès d'elles. « Mais, aioute-t-il, ces
climacides , après avoir vécu dans Topu-
lence par ce ralBnement , n'eurent plus
qu'une vie dure et pénible dans leur
vieillesse ; ainsi, celles qui leur succédè-
rent n'ayant plus obtenu le même crédit
passèrent en Macédoine. La décence ne
me permet pas de raconter ici à quel de-
gré de libertinage elles y portèrent les
princesses et les femmes du plus haut
42
L'UWIVERB.
rang : Je dirai seulement que faisant pra«
tiqiler sur elles , et pratiquant sur «fan*
très les sortilèges d usage aux mystères
de Diane Tauropole, elles otTraient par
leur bonteiise conduite le spectaele de
tous les vices les plus repoussants. »
Cest encol'e à Cléarque que nous devons
la peinture du luxe et de la mollesse d*ua
jeune roi de Paphos, dont il parle en ces
termes : « Ce jeune iiomme portait la re-
cherche jusquli coucher sur un lit à pledd
d*argent, garni d'un tapis en petit point
de Sardes , des plus riches. Au-dessus
était étendu un dais de velonrs , recou-
vert d*une garniture en filet teinte dans
la pourpre d'Amorgos. Il avait sous la
tête trois oreillers de fin lin d*une riche
couleur, et également garnis de filets.
Ses pieds étaient étendus sur deut cous-
sins de pourpre. Il reposait sur ce lit re-
vêtu d'une tobe blanche. » A quelque
distance du lit se tenaient des esclaves «
Tétns de courtes tuniques, et tout prè^
de lui étaient ses flatteurs, gens de haute
naissance parmi nous, dît Cléarque.
Chacun d*eux s*était partagé le soin des
différentes parties de sa personne. L'un
S'était assis au pied du lit, et tenait sur
ses genout lès pieds du jeune prince.
L'autre, assis sur un siège placé près du
lit, penché sur la main que le prince
laissait pendre nonchalamment, la ca-
ressait, en prenait les doigts, les tirait
lès uns après les autres Le troisième ,
gui était le plus distingué , se tenait de*
out i la tête, et s'appuvait famitière-
tnent sur les coussins qui la soutenaient.
De la main gauche il rangeait la cheve-
lure du jeune homme , et de la droite
)l le rafraîchissait en agitant doucement
un éventail. Dans une comédie intitulée
k Soldat, lepoête Antiphane raille ainsi
la mollesse aun roi de Paphos, qu'il re-
présente éventé par des colombes (1) :
« Dis-moi : Avez-vous été longtemps à
Cypre? — Tant qu'il y a eu guerre. —
Mais dis-moi en quel endroit. — A Pa-
ÎihoS; il y règUeune rhullesse, une vo-
npté si recherchée qu'elle est vraiment
incroyable. — Quelle volupté donc* —
Quand le roi est à table, ce sont des co-
lombes qui l'éventent, et personne autre
ne s'aviserait de le faire. -- Comment
ûtncf dis-moi comment cela se fait. —
(i) Athen., "Vf, aSr.
Lé roi était 6irit d'un parfîmi qui tient
de Syrie , et qu'on tire d'un fruit dont
les pigeons mangent beaucoup. Venant
au vol à l'odeur de ce parfum, ils ôsnient
même se poser sur la tête du roi : les va-
lets qui étaient à eôté les chassaient ; ils
s'élevaient un ^u « mais sans s'écarter
aucunement, ni d'un c^é ni de l'autre,
et c'est ainsi qu'ils réventaient, agitant
doucement l'air, et sans faire seotir trop
de vent. » Le vojslnae;e de l'Orient avait
contribué pour lieaucoup à jeter les rm
de Cypre dans toutes ces recherches du
luxe asiatique, dont les rois phéniciens
et les satrapes persans leur donnaient
detous côtés l'exemple. Or, dans ee genre
d'imitation on s'élève bien vite à la hau-
teur de ses modèles. Il n*étatt pas diffi-
cile à des Grecs, d'un esprit plus subtil,
plus actif que celui des Orientaux , de
pousser plus loin que Ceux-ci les raffine-
ments du luxe, de la mollesse et de la
df bauche. C'est ce que firent les rois de
Cypre, et plus tard les dynasties des La-
gides et des Séleucides, dont les mons-
trueux désordres dépassèrent de beau-
coup tout ce que nous savons sur l'inlé-
rieur de la cour des monarques persans.
Aats Rt MÉTiBBs. — Les Cypriens
avaient une erande renommée dans cer-
taines branches d'industrie. Ils étaient
fort habiles à travailler le cuivre et le fer,
dont les mines étaient si abondantes
dans leur pays. On recherchait surtout
les armes ne Cypre. Alexandre le Grand
porta dans toutes ses campagnes en
Asie Une épée de CVpre, que lui avait
donnée le roi de Qtium, et uni, grâce à
son excellente trempe, était d^une dureté
etd'unelé^èretéincomparables. Pendant
le siège de Rhodes, Démétrius Poliorcète
fit venir de Cypre deux cuirasses d'airain,
du poids de quarante livres. ZoTle^ i'al^
tiste qui les avait faites, voulant montrer
leur force, demanda qu'il fût lancé con-
tre l'une d'elles, à la distance de vingt-<;fx
pas, un trait de batterie : l'épreuve fut
faite, et ne laissa sur le fer aucune trace
sensible ; on n'jr vit qu'une rayure près-
Î[ue imperceptible, comme aurait pu
aire un Stylet (i). Démétrius prit pour
lui cette cuirasse, et donna l'autre à Al-
cimus d'Épire, l'homme le plus fort ei le
plus belliqueux qui fât dans aon armée.
(x) Plut., Démet!
\f%t,
ILË DE CHYPRE.
4t
Couime les Pfaénieieus, dont ils étaient
en partie descendus, les Cynriens étaieol
(Texceltents constractèurs de navires. 11
y arait de grands chantiers à Salamine et
L Citiiim : on fabriquait aussi dans l*tld
les îoites, les cordages , tout oe qui sert
au ^réement des vaisseaux. Les tissus de
Cvpre étaient fort'recherchÀ, et ses dif-
férents produits dans ce l^enre d'indus*
trie, étoffes, toiles, brooeries, tapisse-
ries, ont été constamment célébrés chez
les anciens , depuis flomère jusqu'aux
auteurs de V Histoire Auguste.
Les Cypriens s*adonnèrent moins à la
culture des arts libéraux qu'à celle des
arts utiles. Cependant ceux-là même n'y
furent pas entièrement négligés. De tous
les artistes de ce pays on n'a conservé
que le nom de Siypax, statuaire qui tlo*
Tissait vers Tan 444 , au siècle de Péri-
^ Quoique neutralisé par d'autres in-
iiuences, le génie grec ne s'effaça pas en*
tierement dans Pîle de Cypre. Les repré-
sentations, gtossièrement symboliques^
de la religion orientale furent transfor-
ma en objets d'arts à mesure que la re-
ligion hellénique efïaçait le vieux culte
pbenicien. De rares témoignages épars
dans les auteurs anciens et la découverte
de quelques idoles dans les ruines des
antiques villes de Cypre attestent que
lan ne périssait jamais entièrement là
oii Ton avait une divinité grecque à
adorer. On peut voir au cabinet des mé-
dailles de la Bibliothèque Nationale la
collection que M. de Mas-Latrie a rap-
portée tout récemment de 1 ile de Chypre,
^ qui se compose d'un certain nombre
de statuettes en pierre et de fragments
<in terre cuite trouvés à Cîtium , Sala-
mine et Dalia, l'ancienne Idalie. On avait
poussé très-loin en Cypre l'art de tra-
vailler les pierreries, et surtout les éme-
faudes, qu on trouvait en grand nombre
dans le$ mines de cuivre (1). Pline rfr>
^'te que dans l'Ile de Cypre sur le tom-
o^au d'un roi nommé Hermias, était
QD lion dé marbre avec des yeux en éme-
raudes. Ce tombeau était au bord de la
n^er, près des pêcheries. L'éclat des éme-
Tïudes pénétrait si avant dans la mer,
9<jçies thons, épouvantés, s'enfuyaient,
^in pécheurs ne les ramenèrent qu'en
«wogeanl les yeux du lion. Il y men-
(0 Mue, But. Nat^ XXXTU, 3, 17.
lionne aussi parmi les oélèbres éœeraiH
des gravées oeUe qui repr^ntait Amy-
mone, et qui fiit miae en vente dans l'Ile de
Cypre au prix desix deniers d'or. Le joueur
de flâte Isménias ordonna qu'on la lui
achetât. Mais le marchand, ayaut dimi-
nué le prix, lui renvoya deux deniers.
« Voilà, dit Isménias, un marchand bimi
maladroit, et qui a beaucoup fait perdro
au mérite de cette pierre I » On trouve
dans l'Ile de Cypre de beaux restes d'ar-
chitecture grecque et des fragments de
pavés de mosaïque d*un riche travail.
CoMMsacB. — Dès les temps les plus
anciens Cypre était un puissant État ma-
ritime et commercial. Au milieu de ses
préparatl£i d'expédition dans les Iodes »
Sémiramis fit venir de Cypre des cons-
tructeurs de navires, auxquels elle donna
l'ordre de construire des bateaux propres
à naviguer sur les fleuves et qui pussent
se démonter (1). Outre les ouvriers, l'Ile
possédait aussi des matériaux. Lescèdrea
de ses montagnes remplaçaient avanta-
geusement les sapins des autres con-
trées (2). Cest à (>pre que Ton cons-
truisait les légers bâtiments appelés xip-
xoupoi, cercurêà. Cette île posséoait trente
villes maritimes toutes pourvues de ports,
dont quelques-uns étaient excellents. Le
commerce de Cypre embrassait les côtes
de Syrie, d'Asie Mineure, l'Egypte après
la fondation du marché de Naucrate,
l'Afrique orientale après celle de Cyrène,
les colonies grecques du Pont-Ruxin et
les contrées de l'Occident. Sous les Pto-
lémées sa prospérité commerciale ne fit
que s'accroître , et elle se soutint à la
même hauteur jusqu'à la décadence de
l'empire romain. Cypre exportait dans
tout le monde ancien ses cuivres, ses
bois de construction, ses grains, ses
vins, ses huiles, ses laines, ses lins, ses
chanvres , ses fruits et ses pierres pré-
cieuses.
Poids, Mesubbs, Monnaies — Les
renseignements que nous trouvons dans
Hésychius et le grand Étymologue sur le
système métrique des Cypriens se ré-
duisent à bien peu de chose. Ce sont des
noms sans évaluation positive. Us a valent
le cypre, i'hémicypre, le roodios, le cbé-
nix, le xestes, le migar, la omase pour
(0 Diod. Sicul., IT, 16.
(a) PUue, HuL Nat., XVI, 76; VH, 67.
44
L'UNIVERS.
la mesure des liquides et le poids, le pa-
laiste et le calamus comme mesure de
longueur (1). L^urs monnaies sont mieux
connues. Depuis le temps d*Évagoras
les rois de Cypre eurent le aroit de battre
monnaie ; on ne connaît pas de médailles
antérieures à ce prince. Sous les Ptolé-
mées les Cypriens perdirent ce droit, les
Romains lé leur rendirent. Ainsi Ton dis-
tingue deux époques dans la collection
des monnaies de l'île de Cypre. La pre-
mière s*étend d*Éva>;oras aux Ptolémées,
de 884 à 300, et comprend le quatrième
siècle avant l'ère chrétienne. La seconde
va d'Auguste à Macrin, et comprend les
deux premiers siècles après Jésus-Christ.
L'empreinte ordinaire des médailles de
Cypre avant le temps des empereurs
est rima^e d'Aphrodite ou celle de son
temple. Sur les pièces de Salamine on
voit souvent figurer Jupiter, ou Taigle et
le lion, symboles decedieu. D'autres mon-
naies représentent aussi d'autres divini-
tés, telles que Diane, Minerve, Apollon,
mais toujours en rapport avec Aphrodite,
qui figure partout comme déesse prind-
'AicoYOvixoc,
Alvixoç,
*fouXtoc,
Katvôpto^ ,
ZeSaoTo; ,
AOtoxpaToptxoc 9
*P(i>{&a(oc,
Je renvoie à Engel le lecteur curieux de
connaître les principaux commentaires
donnés par les érudits sur ces différents
noms (2).
Laingub. — De toutes les lies de la
Méditerranée orientale iHe de Cypre est
celle dont la population se compose des
éléments les plus divers. Les anciennes
émigrations phéniciennes avaient d'a-
bord donné à ce pays un caractère orien-
tal, et en avaient fait une annexe de la Sy-
rie. Peu à peu les colonies grecques se
superposèrent en couches successives
sur l'ancien fond asiatique , et finirent
(i) Kngel, Krpros, I, p. 5a i.
(a) Ibid., p. 5iS.
iiwle du pays. Sur une médaille de Sala*
mine, sans nom de roi, mais de la pre-
mière époque, on voit un taureau et une
proue de navire; sur une autre, égale-
ment sans nom de roi, se trouve un bé-
lier et la moitié d'un poisson ou d'uae
corne de bœuf. Les monnaies de l'épo-
que impériale sont presque toutes eo
cuivre. On n'en trouve en argent que
sous Vespasien , Titus et Domitien. El-
les portent sur la face l'image de rem-
pereur, et sur le revers le temple de Pa-
phos ou Jupiter de Salamine. On trouve
dans Mionnet l'indication de soixante
Ëièces connues depuis Auguste jusqu ù
Lacrin.
Càlbndrirb. — D'après un ancien
document qui a pour titre 'H^poXÔYtov
(x,7ivc5v Btao6p<i)v TcéXscov, caiendrier des
mois des différentes cités y Ideler, dans
son Manuel de Chronologie^ a dressé le
tableau suivant des noms, du commen-
cement et de la durée des mois usités
par les Cypriens sous la domination
romaine :
des mots. l .
CommcDcement.
Dorée.
Aphrodisius,
28 seplerobre.
3t jours
Apogonieus,
i!4 octobre.
30 >
Ainicus, '
23 novembre.
31 »
Juliiis ,
24 décembre,
31 «
Cœsarius, * - •
24 janvier,
28 i*
Sebastus,
21 r<^vrier.
30 »
Autœratoricus ,
23 mars.
31 »
Detnarehexusius»
23 avril»
31 »
Plethypatus,
24 mai,
30 »
Arcluereus,
23 juin ,
31 »
Nestieiu ,
24 juillet,
30 1*
Ronianusy
23 août.
31 »
par prévaloir : llle devint grecque, et Ton
y parla la langue des Hellènes. J^'histoire
ne peut pas rendre compte de cette trans*
formation, mais elle la constate, et dans
l'antiquité comme de nos jours Clijpre
est incontestablement une des contrées
dont la race grecaue a composé son do-
maine si disperse. Cependant les peu-
ples de différente ori0ne qui se sont
rencontrés dans cette ile ne s'v sont ja-
mais entièrement confondus. Ils se sont
mélangés, ils ont combiné leurs lan^nes,
sans les eifacer entièrement pour en for-
mer un seul et commun idiome. •« l..es lan-
gues grecque et turque, dit Mariti (l^i
(i) Fo)'(tge en Chypre, etc., I, S.
ILE DE CHYPRE.
45
Tsont^îement dominantes, etdeoem^
lange est résulté la corruption des deux
idiomes. La langue grecque a néanmoins
consem dans les termes la pureté de
l'aDcien dialecte ; mais la prononciation
en est également altérée , et cela depuis
Tarrivée des Vénitiens dans Itle. Les
commerçants parlent communément la
langue italienne, et très -peu la fran-
SBîse. » Martin Crusius , le restaurateur
es études grecques en Allemagne, disait
que de son temps , c*est-à-dire au sei-
zième siède, on parlait dans Hie de Chy-
pre le grec, Titalien, farménien, le cbal-
daïque et Talbanais. De toutes ces langues
la grecque est celle des indigènes, ce qui
prouve suffisamment que la race grecque
est devenue prépondérante dans ce pays.
Bans Tantiqulté Tusage du phénicien
s'était conservé chez les habitants du sud
d^ nie (1) : partout ailleiirs le grec do-
minait; mais il s'était grandement altéré
au contact des idiomes étrangers, et par
œtte facilité qa*ont les peuples commer-
çants, plus empressés ae sVntendre que
nirieux de beau langage, d'échanger en-
tre eux les termes de leurs différentes
laogops maternelles. Aussi le dialecte
cyprien était-il , de tous les dialectes lo-
eaux de la langue grecque , le plus déO-
guré par les importations étrangères. Il
ofTrait au fond beaucoup d'affinités avec
ie dialecte éolien , mais il était rempli de
locutions particulières, de mots phéni-
nens, d'idiotismes orientaux, et il passait
au goût des Grecs purs pour un détes-
table langage. Ceux de Soli avaient sur-
tout la réputation de parler le plus mal ;
<lclà Texpression de ooXotxfî^Etv, d*où nous
avons tiré le mot solécisme (2).
HisToiEB LiTTBRAifiB. — Dans les
premiers siècles les Grecs de File de
^ypre résistèrent aux influences qui al-
térèrent plus tard leur langue et leur
^ût. Ils ne restèrent pas étrangers à ce
^nd mouvement poétique qui succéda
(0 Le souvenir de l'origine phénicienne
des babitanU de Ciiium était encore bien vif
4u teoip» de Cicéron, qui sVxprimail ainsi i
propos de Zéiion : Postea tuiis îlle Pœiiulus
(seu enioi Ciiieos, clientes tuos, e Pfaœnicia
profectos) eic... iU Fifti6.,rv, ao.
(») Voir dans Engel, t. I, p. 55? à 5g3,
0» très-euriense ei complète élude mr le?
Pttticularilé» du dialecte cyprien.
en Grèce à T^e béroîqne, et an miliea
duquel parurent Homère et les Cycli-
ques. Il y a plus : Pausanias (1) recule
1 origine de la poésie cyprienne jusqu'aux
temps, mythiaues, en' plaçant parmi les
Aèdes inspires un certain Euclus, de
Cypre, dont il fait un contemporain de
Musée, I.ycus et Bacis. Cet Euclus, chan*
tre et oracle des premiers âges , aurait
prédit la naissance d* Homère, et Pausa-
nias rapporte la prophétie à Tappui de
son assertion. Or, cet Euclus n*est pro-
bablement qu'un personnage imaginaire,
qui figure comme oracle dans les tradi-
tions cyprien nés relatives à Homère. Les
Cypriens aspirèrent aussi à l'honneur
d être les compatriotes de ce grand poète,
dont les chants étaient répétés de tous
et dont la vie n'était connue de per«
sonne. Alors on fabriqua des légendes r
Tune d'elles racontait gu'Homère était né
en Cypre, et que sa mère s'appelait Thé-
misto , et cette naissance était d'autant
plus certaine qu'elle avait été prédite
par Euclus. tJne épigramme d'Alcée
nomme son père : c'était le Cyprien
Dmésagoras. Une autre tradition rap-
porte qu'Homère épousa une femme de
Cypre nommée Arésiphoue, et qu*il en
eut deux filles et un fils, qui fut le poëta
Stasinus, Tauteur présumé des poèmes
cypriens. Les deux filles d'Homère sont
y Iliade et l' Odyssée, et toute la tradition
une allégorie imaginée pour faire valoir
les poèmes cypriens en rattachant son
auteur à la famille d'Homère.
Tout ce qui a rapport à l'origine des
poèmes cypriens est extrêmement incer*
tain et oDscur. On les attribue tantôt à
Homère, tantôt à Stasinus, tantôt à
Hégésias de Salami ne, ou même à un
Î)oète inconnu, d'Halicamasse. Il y a
ongtemps qu'Hérodote (2) a fait lus-
tice de la tradition qui fait d'Homère Fau-
teur des Cypriaques ; mm Xoui ce qu*il
peut dire, c'est qu'ils sont de quelque
autre poète. Or, ce n^est là qu'une néga-
tion. Cependant, malgré touteslesdiscus-
sions que la critique a entassées sur celte
question , ce qu'il y a de mieux à faire,
cesi d'imiter la réserve d'Hérodote (S).
(i) Pausan., X, la, rz-ai, 3.
(a)Hérod.,n, 117.
(3) Voir la longue et savante dissertation
d*Engel, Kypros^ 1. I, p. 6o3. On trouve !'««'
46
L*e!QVp]tf«
Q^aBt au ffpéssuè lui^mtoie, 4oDt la titrp
vient ou de Ftle de Cypre , où il a pu
être composé, ou de l^iqiportaDee qui y
est donnée à Aphrodite, la grande divinité
cyprienne, ce nVst autre chose qu'un
long prologue de MUade, & Il eq^brassajt
toue les événements principaux qui
avaient précédé la querelle d'Achille et
d'Agamemnon. M poëte expliquait en
détail les causes de la guerre d^ Troie ,
et remontait jusqu'à la naissance d'Hé-
lène. L'épouse de Ménélas n'était point,
selon lui , la GUe de Jupiter et de Léda.
Jupit^r l'avait eue de Némésis , et Léda
l'avait élevéeavecles Dioscures. La guerre
de Troie apparaissait à Stasinus (ou tout
autre poète) soiis de sombres couleurs :
ce qui le frappe, ce ne sont poiqt les ex-
ploits des héros ni la gloire dont ils se
couvrent, c'est rextermii)atipn à laquelle
les a voués Jupiter. « Il fut un temps,
dit-il , où d'innombrables races d'hom-
mes se répandaient sur toute l'étendue de
la terre au vaste sein.... Jupiter, qui les
vit, eut pitié de la terre, qui pourrit tous
les hommes, et, dans sa sagesse , il ré-
solut de la soulager. Il alhiqia la grande
Ïuerelle de la guerre d llion , afin de
lire disparaître par la mort le fardeau
pesapt ; et les héros étaient tués dan^
les plaines de Troie et le dessein de Ju-
piter s'accomplissait. » Ce passage des
chants cypriens suffirait à lui seul pour
me convanicre que le poème n'était pas
d'Homère (l). »
Après l'époque homérique la poésie
grecque languit, meurt dans llle de Cy-
pre, comme une fleur transplantée loin
de sa terre natale. |1 faut franchir plu-
sieurs siècles pour retrouver des poètes
cypriens. Mais alors la veine du génie
Srec est épuisée, et les œuvres poétiques
e cette époque ne sont en général que le
produit artificiel de l'imitatiop des an-
ciens et de l'érudition alexandrine*
Néanmoins cette résurrection de la poé-
sie dans l'île de Cvpre indiquait un
retour à la culture des lettres ; et ce fiMt
là un des principaux résultats de la con-
quête d'Alexandre de rendre à la vie inteU
lectuelle des peuples qui s'abrutissaient
nalyse et des fragments de ce poëo^ dai|$ Pho-
tius. Cod. a39, p. 3i9, Bekker.
(i) A. PierroD, Hist, de ta Littérature grec-
que, p. UK),
mas le dmotisnie des mowqn^ per-
sans. Les Cypriens avaient en Grèce lit
réputation d'être ignprants et lourds (l).
Le goût des lettres se ranima chez eux.
et leur esprit sortit de sa torpeur. Alors
Cypre produisit quelques poètes, qui oe
ftircnt pas sans renom dans leur temps :
Cléon de Curium , qui chanta les Argo-
nautes, et auquel Apolloniijs de Ehodt^s
lit de nombreux emprunts ; Hermias df
Curium , poète lyrique, dont Athénée
pousa conservé quelques iambes; le poète
comique Sopatros, de Paphos, connu éga-
lemeut par des citations d* Athénée (2):
le fabuliste Théon, qui était aussi rhé-
teur. L'enseignement de la rhétorique
3vait été introduit en Pypre p9r Folv-
crate, qui vint en cette tle au temps d'E-
Tagoras. Polycrate^ disciple d'Isocrate,
était un de ces rhéteurs que Platon ap-
pelle lofo^qclBaXoi y ingénieux artisans
de mots; il faisait des panégyriques de
âusiris et de Clytemnestre et des iove^
tives contre Socrate Peu lui importait !e
si^jet, pourvu qu'il eût un paradoxe à
soutenir et l'occasion de faire briller son
esprit. Il ouvrit une école à Sdl^mine,et
i) y enseigna son art frivole avec beau-
coup de succès. On ima^sine tous les
fruits que la jeunesse cyprienne dut re-
tirer d'uQ pareil enseignement.
Le riche fonds de traditions religieuses
d'où l'on avait tiré les poèmes cypriens
produisit une série assey nombreuse d'é-
crivains qu'on peut appeler les mytho-
graphes et les légenoajres. Tels sont
Alexandre de Paphos, Archélaûs, Hé-
gésandrede Salamine, HermesianaxJsi-
gpoMs, Micanor, et Pœon d'Amathonte,
auteurs obscurs qui avaient commenté
les légendes mytpplogiques , et qui ne
spnt guère connus que par les cîtatioas
des scpliastes.
L'île de Cypre avait donné le jour à
Plusieurs historiens, savoir : Aristusde
aiamioe, qui écrivit une histoire de U
Macédoine ; Democharès de Soli ; Dé-
métrius de Salamine; Cléarque de Soli<
disciple d'Aristote, auteur dû livre inti-
tulé Gergithius^ du nom d'un courtisan
d'Alexandre le Grapil : Athénée en a
(i) On disait Bouc icuicptoc, comme Rot«im
S(r; )LaicxOiov, id est t6 ^X^Otov. £ngel, Kypros,
I, p. 5o7,
(«) Cf. Engj^ A>yinif, 1, 69$.
ILE DE CHTP&E.
4f
dmmûé BMDbravf «rtniti ; OiasmaSt
qoi FéelitautiiiiptdeCoiistantiiiÏBGraiidt
et GmraesleSviiceUe, qniestdu huitième
fiècle. Parmi les phiiosoplues de Tîie de
njpre le pins eélèiNre est Zépoo, de Ci-
(ium. Il naquit en 863 aYant J.-C. 11
était marchaDd , eorome soa père Mna«
séas. Les afiEaires de son eommerce Fa-
netiaient souveot à Atbèoee. Il y eoa-
ODt Cratès le Çypiaoe. Il s^attaoha à lui ,
«oitta fout pour le suifie, et fonda la
célèbre école du portique, ou le stoï-
cisme. Aiuaii par un singulier eonlrastp ,
estait de l'Ile de Cypre, du pays où ia
lelifion et les mcaurs étaitol le plus dis^
«olqes, nue sortait le philosophe le plus
austère oe Tantiquitét le plus ennemi de
la volupté, le plus ferme et le plus dé-
«Qtéressé défenseur de la vertu. La phi*
losophie de Zenon eut peu de sueeè*
dans rtle de Cypre. Dioscorides, £udé»
nus, Démonai , Pbilolaûs , philosophes
cf priens , appartinrent tous à d'autrea
écoles. Cypre méritait plutôt d'être la
patrie d*Aristippe et la terre natale de
i*hédonisme.
IV.
HUTOIBB DB lIlB DB GHYPBB FBN-
D41f T LB MOTBN AOB BT LBS TBMP8
MODBBNSS.
L*tl.S DB ChYPBB sous hk POMINÀ-
TIO?i D£S BMPEBBUES BYZANTINS (1).
— I/empire romain , trop affaibli pour
soutenir le poids de sa grandeur, avait été
divisé en plusieurs gouvernements par
Dioeiétien et Constantin le Grand. Après
Théodose, à la fin du quatrième siècle de
rère chrétienne (39.S), la scission fut défi-
nitive; Tempire d'Orient et Tempired Oc-
cident furent à jamais séparés. L*lle de
(Chypre devint nécessairement une pro-
TlDce de Tempire d'Orient, et hat gouver-f
née par des ducs (3). à cette époque Ftle
de Chypre avait renoncé au culte d'A-
phrodite, et avait embrassé la religion
chrétienne. Longtemps les juifs, qui
«étaient si nombreux oans l'Ile, s'étaient
opposés à la propagation de l'Évangile.
Sous le rè^oe de Trajan ils se révoltè-
(i) Eirgel, Krproi, t I, p. 721 j Dapper,
Dtscr. de rArcM/tel, p. 75.
(») On lit dans Mcletiui : M ttémita ^icè
w> iutoxpsTÔpov TTÎç Kov9TmvTtvoim6-
rtnt, Mépriaéa dei Gf eee* aw^neb île
avaient voué une haine implacahle, les
juifs de Chypre massaerèrent, dit-os,
deux cent quairante mille personnes dans
eette fie , d'où ils furent ensuite baniiia
pour touiours. Leur éloignement fut fia^
vorable a« cbristiaaisme, qui renversa
l'autel de Paphoe et prit possession de
Itle entière. Treixe évéchés furent fqndés
dans les villes de SalamÎAâ» Carpasie,
Citium, Nioosie, Chytres, Lapatbos, Sor
les, Trimethus, Taaiasos, Amatbontei
Curium , Paphoe , et Arsinoé. Le siège
métropolitain fut établi à Salamine, dont
l'évéque relevait do patriarclie 4 Autior
cbe. Les pères du concile de ^Ï9ée mainv
tinrent eette organisation hiérarehique,
qui dura jusqu'au règne de I empereur
Zenon (1) (474 ). Un décret de ee princt
retira au patriarche d'Antioche sa suprér
matie sur TÊglise de Chypre, qpi eut dèf
lors une eiistenee indépendante. L'enn
pereur Justinieu accorda les plus graBf
des immunités au elergé de eette lie,
aur la recommandation dp sa femme
Théodore, qui était originaire de Chvpre.
Jusqu'au septième sièele les habi-
tante de rtle de Chypre vécurent paisi*»
blement sous la domination byzantine ,
sans avoir rien ressenti, çrâce à leur po«
sitioB maritime, desinvasioosqui avaiei^
désolé les autres provineea de Tempire.
Mais l'apparition des Arabes, devenus
conquérants à la voix de Mahomet, troa«
bla eette heureuse existence. Soua le rè^
gne ducalifo Othman (644-666), après
que les Arabes eurent enlevé à Tempire
grec la Syrie et TÉgypte , ils ietèrent les
yeux sur i'Ile de Chypre, dont la conquéts
était le complémetit indispensable de
celles qu'ils avaient déjà faites. Moaviah,
fils d'Abou^Sophian et gouverneur de
Syrie , équipa dans les ports de sa pro-!
vmce une flotte desept eents voiles, etdé«
barque dans l'Ile, dont il s'empara. Sala^
mine fut détruite de fond en comble, et
Farehevéque transporta son siège à Amt
mochostos, ville voisine, connue dans le
moyen kge sous le nom de Famagouais.
Cependant eette conquête de Chypre
par les Arabes n'était pas définitive; les
empereurs grecs s'y rétablirent peu de
temps après. Mais leur domination, que
(0 Toy. Lequien, Oriem Chrhtianus, t. Uf
p. io3S.
'4ë
L'tJNIVEBS.
rien n'avait inquiétée pendant tant de
siècles, était devenue précaire, et ils eu-
rent de la peine à la raffermir. En 705
Fempereor Justinien II ayant fait un
traité avec le calife Abdel-Melek fut
obligé de lui abandonner la moitié des
terres et des revenus de Ttle de Chypre.
Six ans après, voulant annuler les avan-
tages que le calife retirait de ce traité ,
Justinien donna Tordre insensé à tous
les habitants de llle de Chypre d'émi*
grer en Asie Mineure. Il fallut obéir :
fil population 8*embarqua presque tout
entière ; mais un grand nombre ayant
péri par des naufrages et des privations
de tout fienre, le reste s*abstint de par*
tir ou retourna dans Ttle.
Tant que dura la puissance du califat
arabe , nie de Chypre fut exposée à de
eontinuelles agressions de la part des
vicaires du prophète. Dans cette lutte
soutenue par Tempire grec contre Fis-
lamisme, nous signalerons surtout deux
grandes tentatives dont la population chy-
priote eut le plus à souffrir. La première
eut lieu Tan 744, sous le règne du calife
Yfzid. Les Arabes occupèrent Ttle pen-
dant la deuxième année du règne de
Constantin Copronyroe. Un grand nom-
bre d'insulaires furent arrachés à leur
patrie, et déportés dans l'intérieur de la
Syrie. Les empereurs byzantins ayant
recouvré la possession de Chypre , le ca-
life Haroun-Al-Raschid ordonna une
nouvelle expédition contre cette tie, sous
le règne de Tempereur Micéphore I>o-
gothète. Les Arabes répandirent de tous
côtés la désolation, pillant les villes, dé-
molissant les éfflises , et ils emmenèrent
an grand nombre d'esclaves (1). JNicé-
Sbore fut obligé de demander la paix et
e payer un tribut au calife, qui resta
maître de Ttle de Chypre. Basile le Ma-
cédonien , devenu empereur en 867 , en-
treprit de la reconquérir. Alexius fut
chargé de cette expédition, (jui réussit, et
Chypre redevint une province du Bas-
£mpire. ËUe en fut encore détachée sept
ans après par les Arabes. Au milieu du
dixième siècle l'empire grec, hunniié par
les Arabes, retrouva quelque force sous
les règnes glorieux de rïicéphore Pho-
cas et de Jean Zimiscès, qui entreprirent
de reconquérir toutes les anciennes pro-
(i) ro)\ Elmacio, HUtoria Saraceniea*
vinoes d'Asie (96S-976). Pendant que
j^icépbore prenait en personne les {ua-
ces tbrtes ae la Cilicie et attaquait An-
tioche, il envoyait en Chypre son général
Nlcéphore Phalcuzzès, qui en chassa les
Arabes, et réunit de nouveau cette Ile à
l'empire byzantin.
En présence d'un ennemi aussi opi-
niâtre, les difficultés de la défense étaient
encore augmentées par Téloignemeot de
nie et le relâchement toujours croissant
des liens qui la rattachaient an gou-
vernement impérial. La position insu-
laire de Chypre, son isolement à Texiré-
mité delà Méditerranée, les immenses
ressources dont elle disposait, et qui lui
permettaient de se suffire à elle-même,
inspiraient souvent aux gouverneurs des
pensées ambitieuses et un sentiment
d'orgueil qui les poussaient toujours à
désobéir ou à se rendre indépendants,
ils agissaient en souverains dans leurs
{provinces , comme dans la décadence de
'empire persan les satrapes du g^and
roi. Cette tendance à l'insurreaion de-
venait de plus en plus forte à mesure
que le pouvoir central s'affaiblissait , et
elle était sans cesse encouragée par les
promesses et les su^stions des Musul-
mans de la Syrie et de l'Egypte, qui in-
triguaient sans cesse, quand ils n'atta-
Suaient pas à main armée. Ce furent
es rébellions , réprimées d'abord et en-
suite couronnées de succès, oui finirent
par détacher pour toujours l'île de Chy-
pre de l'empire grec et par là faire pas-
ser sous la domination des Latins. Après
la mort de Constantin VUl (102S). qui
ne laissait que des filles, le gouverne-
ment impérial tomba plus bas que ja-
mais. Pendant que Zoé et Théodora dis-
posaient de l'empire au gré de leurs ca-
prices et de leurs passions , le duc de
Chypre Théophile Êroticus, méprisant
ce gouvernement de femmes, se déclara
indépendant ( 1034 ). Mais bientôt Cons-
tantin IX Monomaque, élevé au trône par
Zoé, le 6t rentrer dans le devoir. £n 1 057
Isaac Comnène, soutenu par l'armée,
substitua sa dynastie à celle des empe-
reurs macédoniens , dont Tavilissement
avait dégoûté même les Grecs du Bas-
Euipire. La situation de l'île de Chypre
ne changea pas, et Alexis Comnene,
monté sur le trône l'an lOSO . eut à ré-
primer dans cette île «m nouveau soulè-
ILE DE GHYFRE.
4^
fOMBl, «Mité ptr k due Rlit|SOfn«t«it.
Eoia dans la seeoode moitié du dou*
Eième nède une révolte plus heureute
rendit Chypre à elie-méme^ et en consom-
ma ta «éperation définitive d'avee Tem-
lÀre grée. Sont le règne de i'emperear
Manoei I* % Pan 1 1 54, Itle de Chypre avait
clé afiireiiaement ravagée par Renaud de
Castille, prince d*Antiocbe (1). Renaud
arait fourni des aeeours à Bfanuel Com-
Dèoe contre les Arméniens de la Cara-
maoie, et n*eo ayant pas reçu la réooin*
peoM promise , il s'en était dédommagé
par le pillage des villes et des eampa-
gnesde Chjrpre, qui n'avaient jamais été
pHis maltraitées par les Sarrazins ou'el-
« ne le ftireut par les soldats chrétiens
du prince d'Antioche. Tant était grande*
méfoe en face de Tennemi et au milieu
de dangers communs, la haine récipro-
que des Latins et des Grecs ! Après avoir
tout dévasté, Renaud d'Antioche s'était
rptiré de I tle, n'ayant voulu que ravager,
et oon pas ooncfuérir. Llle de Chypre
commençait à peine à réparer eedésastre,
Su avait laissé dans le pays de pro«
Ddsrtssentiments et un grand dégodt
delà domination bysaiitine, qu'elle fut
de nouveau poussée à la révolte par
rambitioo d'un prince de la famille ré-
gnaute, Isaac Comnène, neveu du côté
aiaiemel de Tempereur Manuel V\ L'em-
pereur Andronie régnait alors ( 1183 ).
jsaae avait servi dans la guerre contre
1rs Arméniens; fait prisonnier dans un
«ombat, il avait été délivré par Andronie.
Péroré d'amhition, impatient de n'obéir
«personne et de commander, Isaac, con-
naissant les dispositions des Chypriotes,
leva des troupes et passa dans lile, où il
annonça tout haut que l'empereur ve-
nait de lui en confier le gouvernement.
Devenu foeilement maître de toute l'île
^ moyen de cette ruse, il se fit pro-
«anier empereur de Chypre en 1184,
Ci il épousa la soeur de Guillaume 11,
^i de Sicile, de la dynastie normande,
^ies princes faisaient , du cdté de
I Occident, une guerre cruelle aux em-
P^rs de Constantinople. Les insu*
»»w» de Chypre avaient favorisé une
tentative qui leur rendait leur indépen-
«ance, dans Tespérance de se soustraire
^OKOuvememeuttycanniquede l'odieux
vOOufll.deTyr, XVni,ïo.
4* Lioraison. (Ile de Chypre.)
Andronie. Mais ils n'y gagnèrent rien ;
ils furent punis de leur révolte par cette
révolte même, qui leur donna un mattre
plus rude et plus fâcheux que celui auquel
ils devaient obéissance. Cruel par carac-
tère , isaac le devint encore plus par né-
cessité. Sa position était périlleuse : au de-
hors les tentatives d' Andronie, au dedans
les soulèvements et les complots de ceux
des Chypriotes ^ui étaient restés fidèles à
Tautorite impériale le rendirent furieux i
il ne sut régner que par la terreur. Toute-
fois, les empereurs de Constantinople ne
purent le renverser. Isaac F Ange, devenu
maître de Tempire par le meurtre d* An-
dronie, envoya Jean Contostephanos et
Alexis Comnéne avec une flotte de soixan-
te-dix na virescontre Pusurpateur de Chy-
pre. L*arii)ée impériale fut vaincue prés
d*Amathonte, et Isaac Comnène resta
souverain indépendant de Tîle de Chypre.
Conquête de l*Îlb de Cuwke par
RlGUABD COBUB DE LiON (I). — Déjà
depuis près de cent ans les chrétiens d'Oc-
cident combattaient héroîauement pour
la délivrance du saint sépulcre, et la pre-
mière croisade avait fondé, à la fin du
onzième siècle, sur la côte de T Asie située
à Torient de Tîle de Chypre le royaume
chrétien de Palestine. Une seconde croi-
sade était venue au milieu du douzième
siècle pour secourir ce royaume, toujours
si menaeé, et que les Grecs ne voulaient
pas défendre. Enfin en 1189 les rois de
France et d* Angleterre, Philippe -Au-
guste et Richard Cœur de Lion, Tempe-
reur d'Allemagne, Frédéric Barberousse,
partirent pour la troisième croisade, que
la détresse du royaume de Jérusalem
avait rendue indispensable. Arrivée en
vue de l'Ile de Chypre, la flotte anglaise
fut assaillie par une violente tempête,
plusieurs vaisseaux se brisèrent sur la
cote. Les malheureux échappés au nau-
frage furent maltraités par les habitants
et jetés dans les fers. Un navire qui
portait Bérengère de Navarre et Jeanne ,
reine de Sicile , s'étant présenté devant
Limissone put obtenir l'entrée du port.
Peu de temps après, Richard arrive avec
sa flotte , qu'il avait réunie ; au lieu de
cette réception hospitalière que les pè-
lerins et les croisés étaient nabitués à
(i) Engel, Kjyfros, I. 7^5 ; Michaud, Bist*
(tes Croisades^ livre VIIT.
Ù&
L*DNIVEM.
recevoir dans Ifle de Chypre, Richard
éprouva aussi un refus outrageant. Irrité
de tant d'insolence, le roi anglais força
rentrée du port de Limisso , s'empara
de cette place, malgré une viverésistance,
et, à la tête de ses chevaliers , tailla en
pièces dans la plahie d'Amathonte l'ar-
mée de l'empereur Isaac. Les villes de
Chypre ouvrirent leurs portes au vain-
queur, et lui jurèrent avec empreesement
le serment de fidélité (1191). Isaac Com-
nène demanda la paix , et en présence de
Gui de Lusigoan, roi de Jérasalem , de
Godefroi, son f\rôre, de Raymond, prince
d'Antioche, qui avaient passé la mer pour
venir au-devant du roi Richard, au milieu
de tous les barons anglais et des plus il-
lustres personnages de la chrétienté d*0»
rient, Richard d'Angleterre donna à Isaad
Comnène Tinvestiture de Itle de Chypre.
Isaac se reconnut son vassal, s'enga^
à lut paver vingt mille marcs d'or d'm-
demnlte, à le suivre à Jérusalem , et à lui
livrer les places fortes de l'île. Peu de
temps après , ne pouvant ou ne voulant
exécuter ces conventions , Isaac prit la
fuite. Richard, aidé du roi de Jérusalem,
se mit â sa poursuite , parcourut Tlle en
la ravageant et força Isaac à se rendre à
discrétion ; et ensuite, pour insulter à sa
vanité et à sou avarice, il le fit charger de
chaînes d'argent. Transporté en Terre
Sainte à la suite du roi d'Angleterre, Isaac
s'enfuit de nouveau , se rendit chez les
Sarrasins, essaya de soulever l'île de
Chypre, et finit misérablement en pre»
nautdu poison (1195).
Après cette brillante conquête, Ri»
chard célébra à Limisso , dans le voisi-
nage de l'ancienne Amathonie, son ma-
riage avec Bérengère de Navarre, qu'il
fît proclamer reine d'Angleterre et de
Chypre. Selon les anciens procédés de la
conquête germanique , il laissa aux ha-
bitants du pays la moitié de leurs ter-
res. L'autre moitié devint domaine royal,
ou fut divisée eu fiefs que l'on distri-
bua aux chevaliers anglais qui devaient
être choisis dans l'armée pour la défense
du pays. II donna le gouvernement de
Vile à Richard de Comouailles et à Ro-
bert de Torneham ; puis, ayant tout réglé
pour Tadministration de sa conquête, il
s'embarqua pour rejoindre les croisés au
siège dé Ptolémaïs. Quelque temps après,
il permit aux templiers ae s'établir dans
llie de délire ei A'r tnanMMria tiégi
de leur ordre qui nVnt plof é% téi^ur
fixe depuis la prise éè Jénisileni. Il es-
pérait par eette mesura anurer la dé-
nnse de i'tle eoom I«b attaquée des Sar-
rasins, conserver cette conquête à la
couronne anglaise, et ait chrétienté un
point d'appui en Orienta Biais les tem-
pliers se rendirent insupportables aux
msulaires. il leur fût impossible de se
mettre en possession de Ttle, que Richani
leur avait vendue pour cent mille ducats,
et à qui Ils furent eontrainlt de la resli-
tuer. Alors Richard en fit un écham
avec Guy de Lusignaa, qui^ outre le
remboursement des^ cent mille ducats
dont il se chargea , céda ses prétenticiis
sur le royaume de Jérusalem et sur la
principauté de Tyr, que Richard voulait
donner à Henri de Champagne^ son neveu.
Fondalion du royaume de Chypre, His-
toire de la dynastie des Lusignans
(1192-1489).
Apbbcu cnÉNÉftAi. (1). — L'Ile de
Chypre ne resta pas la possession du roi
qui l'avait conquise; mais le briUant fait
d'armes de Richard Cowr de Uoii la se*
para pour toujours de rempire grec, «t
lui fit prendre place parmi les États la-
tins du r^me féodal. Elle redevînt in-
dépendante, et forma pédant trois siè-
cles un rovaume florissant^ dontl'iiistoire
n'est pas'^sans grandeur. Dans la cons-
titution du nouveau royaume de Chypre
on reconnaît les trois éléments dont se
composaient niors tous les Étatt occiden-
taux , le clergé , la noblesse , et la bour-
geoisie. Jusque là le clergé grec avait
ominé sans partage dans le pays. Les
rois Lusignans, sujets de TEglise catho-
lique, donnèrent la soprématieaux pr^ats
latins (2) : de là entre les deux clergés une
rivalité, tantôt sourde* tantôt Tiolente ,
que l'autorité royale eut souvent beau-
coup de peine à contenir et qu'elle ne
put jamais faire cesser entièrement. l£
pouvoir du roi était limité par les attribu-
tions de la haute cour, composée des prin-
cipaux seigneurs , et par les oonstttuttons
qu'il jurait de respecter en mdntent lurk
f r) Engel, Kypros, I, 7*9 .
h) Voir !a réorg»»i§i«i»n d« rBgKie fetiw
de Chypre dans LequieD , Orietts ChrUtUuws,
t. III , p. I90t.
ILE DK CHYPRE.
«
triM. Tottii fts «mim afbim d'Etal
et i6$ owset tflwntllM éaieot eu tm*
sort de la taautt emr ; elto jugeait l«a
débau vdatifr à la auoeanion au trtee.
Ltfoi afiii beaoin de mm aoMantemant
paor daauar Tiafwtitara des plaeea for*
m du tomme , po«r étaUir les iropéts,
peur déeftanr la guerre eu conelnre dee
tnitée; la majorité des rois eoRuneoçait
à IcurqaimièBie année. Le fils aîné du
roi régnant s'appelait prince d* AntioelM.
Le roi était grand mettre de l'ordre du
Gtiife, qjui fèt institué an eommeneement
eu règne d'AmauiT, ▼ers lioa. Les Ghe»
raliers de eet ordre s'engageaient à dé«
fendre les droits de la veuve et de l'or-»
phelin, à oonibattre les infidèles et à
proié^ le sainl-sépulcre. Les revenue
du roi se oompoeaientdee contributions
de ses sujeu, dee douanes, de ses do-*
maines et de la vente du sel, dont le pro«
duit net était évalué à trois cent mille
dttosts. Les grands officiers de la cou*
romie étaient leeénéahal, le connétable,
le maréchal et le cbambellan ; la noblesse
«lait nombrense, maie en général étran-»
gère ao pays , et composée de guerriers
fraDcs venns à la suite de Richard ou de
Gui de Lusignan. Tout ce qui concernait
les fiefs et leur mouvance, les relations
dei vassaux et du suteratn ftit réglé eon-
forméfloent au droit féodal , que les eroi^
9^ avalent deouis un siècle transporté
«n Palestine, Lee viilee devinrent puis-*
ttntes par le commerce, et s'élevèrent à
une opulence qni rappelait celle des en-
dennes cités phéniciennes dontrÉcriture
ttiate décrit le luxe et les splendeurs.
Aussi la bourgeoisie des villes de Chypre
a^ait une grande importance, et parvmC
> se rapprocher de la classe noble, beau-*
^ pins qoe la bourgeoisie d'Europe
^ le pot jamais fairei On connaît au^
fMirdlini les lois civiles et les iostitu*
^s jodietaltes de cette portion de la
J^ôM latine et chrétienne fondée en
Orient par les croisades. En Chypre
!^me dans le raynuitie de Jérusalem
Ijt^itait une cour des bourgeois, où se
<"^ent toutes les affoires qui intéras-
mnt les amnicipalités et les habitants
dit villes, de méine que la haute cour Ju-
SM tontes les causes où Tintera de la
noblesseetderÉtat était en question (1).
[t) foy, dans la Collection des HimriéM
Leveitede la penulatiou étml divisé
en cinq classes. La classe intérieure était
celle des pmrMmê (népeiMi) , serfr on
oolons, assujettis aux propriétaires dont
ils cnttivaienl in doasainew Le paiéoia*
éttit obligé de payer chaque année ein*
qoanu besans, le tiets dee revenus des
terres^ et de servir deux Jours la aemainofc
il pouvait étra vendu au gré du seignev
du fief. Au -dessus du paréoiea était le
perpirien. C'était le poréelea affranchi
et encore assujetti à une taxe de unions
besans par an. Les kfférUnê (iXfel<|»i)
éuient entièrement libres de leur ner«
sonne; ile cultivaient la terre, et aott«
naient la moitié de la récolte ao proprié^
taire. La quatrième oiasse était celle dee
Albenais, eoldats venus d'Albanie pour la
défense de 111e, où ils s'étaient mariés^
oà ils avaient des terres et oà leurs dee-»
cendants restèrent séparés du reste do
la population. Il en était de même do la
cinquième classe, celle des Vénitiens «
que les croisades avaient attirés en
|(rand nombre dans l'île ; ils étaient su*
jeu du roi ; mais ils obtinrent le privilège
d'être jugés par un noble vénitien qui ré*
aidait a Ilioosie avec le titre de consul ou
baile.
Sua LA LÉeiaLATton ou iotaums
nn Cnmn. — Le royaume de Chvpre
comme celni de Jérusalem , dit M. fteu'»
Snot, étaient deo Etats aristocratiques,
ans lesquels les rois n'exerçaient que
le pouvoir militaire. liS souveraineté ré^
aidait dans les hautes cours, et rassise
ne pouvait être faite « que par l'acort dec
barons et hauts homes ». L6 mot d'as-*
sise dans le langage des JurisconsnHés
latins de l'Orient signifie loi ou oidon->
nonce. « Assise est que toutes les cImh
Ms que l'on a veu ueer et aeoustumer
et délivrer en la cour dou royoume do
Jérusalem et de Chipre (1). » On a pré^
tendu, mais à tort, sur la roi du P. Lusi-*
gnan, que iee assises de Jérusalem Ai->
rent transportées dans l*t1o de Chypre,
et qu'elles devinrent la loi du nouveau
royaume. La fauseetéde cette assertion
a été eoraplétejuent démontrée par
tfei Croisades, le tome II des lois contenant les
Assises des Bourgeois.
( I ) La Clef des assises de la Haute Oonr, dwis
le Mêmml dts MUtorient des Çréhmies ; Lois,
tom.r%p.589,XLl,
4.
I»)
-LUNIVERS.
M. Betwmot, éèXÈH son Introduction aux
ourses de la hauts cour (t) ; car les co«
d«8 <Hi otiartes du ro^ume de Jérusatero
promulgués sous le rèfcue de Godefroy de
BouilioD , el cooous sous le Dom de Let-^
treêdusamt^pulcre^sùeùXéVkééinàXA
l'an i ld7 après la prise de Jérusalem. Ce
n^est doue pas le texte uiéme de ces lois
due Gui de Lusignan a pu transporter
de Syrie dans Ttle de Chypre. Mais cette
législation était si bien appropriée aux
idées et aux mœurs des nobles et des
bourgeois de la société chrétienne établie
«Uns le Levant, aueFon en conserva par
la tradition les dispositions principales»
et qu'elle se perpétua à l'état de droit
ooutumierdans les cours judiciaires d*A*
ère et de Nicosie Plus tard il se forma
Ters le milieu du treizième siècle, dans
les royaumes de Jérusalem et de Chypre,
Que école de jurisconsultes qui se pro«
posa pour but de déterminer les priu«
Kâpes et les règles du droit féodal, tel qu'il
existait en Orient* « Ces savants person-
liages réussirent, par des travaux où
brille la plus étonnante conformité dans
le choix des opinions et dans l'emploi
des méthodes a faire tomber Fautorité
d'une jurisprudence arbitraire et inilé*
dae, <rune législation dont la connais-
sanceétait leseeretdequelquesseigneurs,
jaloux de leur savour autant que de leur
influence politique. Les colonies dire*
tiennes de TOrient rentrèrent alors en
jouissance d'un code de lois véritable;
et eomme ces jurisconsultes s'étaient ap-
pliqués à reproduire exactement les
anciennes lois dont Godefroy de Bouil*
loD et ses compagnons avaient doté ré-
tablissement naissant des chrétiens , la
législation qu'ils retrouvèrent raviva dans
les royaumes de Jérusalem et de Chypre
les vieux usages de la féodalité , dont
FEurope ne possédait plus qu'une image
incomplète et décolorée (3). »Si les hauts
barons de la Terre Sainte négligèrent
d exécuter, après le désastre de Jérusa-
lem , une deuxième rédaction de leurs
lois nationales, ils en conservèrent soi-
gneusement le souvenir en administrant
la justice, soit dans leurs domaines, soit
dans la haute cour; et par leur connais-
(i) P. UIV.
(ft) M Reiignot, Introduction aux assises
delà Haie M' Cour, p. Lxvtu
sance des priodpes et leur expériedce
dans la pratique^ils perpétuèrent lancien
code et furent comme une législation vi«
vante. Tels furent ees seigneurs illustres
par leur naissance et leurs exploits, Jean
d*lbelin le Vieux, sireTle Barutb, oui
brava la puissance de Frédéric II ; Phi-
lippe de Navarre , son ami, aussi bon bù-
litique qu'intrépide guerrier, Jean d'Ibe-
lin comte de Jaffa, son neveu, Raoul de
Tibériade, Geoffroi le Tort et le sire de
Sidon, Jacques d'Ibelin, tous f^ods
hommes d'Ëtat, habiles capitaines et pro-
fonds jurisconsultes. Leiivrede Jeaad*i-
belin , neveu du sire de Banith, et celui
de Philippe de Navarre sont lesoomtnen-
tairas les plus étendus et les plus déve-
loppésqui nous soient parvenus de la |tt-
risprudence du royaume de Chypre, et
l'on peut affirmer qu'ils suffisaient com-
plètement pour la connaissance desa l^;is-
lation. Car le livre d'Ibelin fut salué , dès
sonapparition,comme Toeuvred'un grand
législateur, et son autorité devint telle
Su'en 1369, après la mort de Pierre T',
cessa d'être considéré comme un ou-
vrage purement scientifique, fut assi-
milé aux anciennes assises de Godefroy,
et devint le code de lois du royaume de
Chypre.
Regnb de Guy de Lusignak (f 193-
11U4 (1) ). •— Guy était fils de Hugues le
Brun, de la maison de Lusignan, qui pos-
séda longtemps en France te comtés de la
Harcbe et du Poitou. Ayant pris la croix,
comme toute la noblesse de ce temps-là,
il s'illustra en Terre Sainte par sa valeur,
épousa la sœur du dernier roi de Jérusa-
lem, fut reconnu roi après lui, et défen-
dit vaillamment les restes de la dopnina-
tion chrétienne en Palestine. Quand il
eut été investi du royaume de Chypre,
il alla en prendre possession accompa-
gné de trois cents chevaliers fraiiçais, de
deux cents écuyers et d'un plus grand
nombre de soldats. Les Chypriotes se
soumirent à un roi qui se présentait si
bien entouré; et Guy travailla immé-
diatement à rétablir l'ordre dans ce pays,
qui, à travers les agitations des der-
niers temps, était tomoé dans une véri-
table anarchie. Ce fut lui qui jeta les
jfondements de l'organisation nouvelle
(i) Loredano , Hist. des Bois Umgtmms ,
t. ly liv. I.
ILE DE CHYPRE.
hi
dont 1KHI8 venons d'esquisser les prioei*
G m traits. Il distrilNia des fieft à la no*
ssse, qui vhii en foule d'Ëarape el d'O-
rient se grouper autour de son Irôoe. Il
fonda des églises latines , et donna au
dergé romain la prééminence sur le
dei]gé grec; il régla les rapports et les
droits des différentes classes de la popu-
lation ehjnpriote. H forma de tous les
barons et grands foudataires du royaume
110 grand conseil oii se décidaient les in-
téito généraux de TÉtat, et où se ju-
geaient les grandes causes criminelles.
Les jurés des villes formèrent un conseil
Si fut appelé la cour des bourgeois,
tte organisation létait modelée sur celle
du royaume de Jérusalem , dont les lois
se perpétuèrent en Chypre à Tétat de
droit coutumier.
L'établissement de la dynastie des Lu-
s^ans assurait la suprématie des La-
tins dans Pfle de Oiypre. Il fallait s*as-
surer contre toute tentatii^e de la part de
Paocienne population, qui se sentait con*
quise et dominée. Guy voyait toujours
les Grecs Indisposés et malveillants
eootre son autorité. Aussi eut-ii grand
soin de réparer toutes les forteresses,
d'en élever de nouvelles pour donner une
forte assiette à sa royauté naissante. Il
rappela les templiers, et fit continuer la
ecostmction du Temple, que leur départ
avait interrompue. Enfin il agrandit et
embellit la ville de Limisso , que les
Grecs appelèrent Néapolis , et qui rem-
plaça l'ancienne Amatbonte. Guy mou-
rut âgé de soixante- cinq ans, dans la
^ile de Nicosie, où il fut enterré, dans
léglise du Temple. Il ne laissait point
d'enfants; son frère Amaury lui succéda.
Rbghb b'Ahadby (1194-1205). —
Amaury était connétable de Chypre et
comte de Zaffo (Paphos) quand il prit
possession du royaume. Apres avoir reçu
le serment de fidélité deses sujets, il jura
lui-même dans une assemblée solennelle
d'obsc^rver les lois des assises et de con-
Hrroer tous les fiefs et tous les offices à
ceux qui en avaient reçu de son frère.
Puis il diHina tous ses soins à Facbève-
■nent des nombreux édifices , châteaux ,
fortifications , églises que le précédent
roi avait commencés pour Tinstallation
de sa royauté et de la noblesse ecclésias-
tique et féodale , et où se dépensait la
plus grande partie des revenus de la cou-
ronne. Aussi quand le comte Henri de
Champagne, neveu du roi d'Angleterre,
vint rédaœer les soixante mille marcs
que Ton devait encore sur le prix du
royaume de Chypre, Amaury ne put les
payer, et il entra en accommodement.
Cependant Amaury voulut prendre le
titre de roi de Chypre, qu'il n*avait point
encore et que Guy son frère n'avait ja^
mais porté. Ce titre il était difficile de le
prendre soi-même , et Ton risquait alors
de ne se voir reconnu par personne*
L'empereur grec, Alexis 111, s'offrait à le
lui conférer pour maintenir l'île de Chy*
pre sous sa suprématie. Mais Amaury
ne pouvait consentir à recevoir le titre
de roi d'un empereur grec. Alors il as-
sembla la haute cour du royaume, et sou*
mit à ses délibérations la question sui-
vante : Pouvait-il de lui-même prendre
la couronne et le titre de roi , ou devait-
il renvoyer demandera Tempereur? Lee
avis furent partagés; mais Tavautage
resta à xeux qui voulurent qu'on de-
mandât a l'empereur T investiture de la
royauté. Amaury envoya donc Renier Gi-
blet, son favori, à l'empereur Henri VI,
3 ni se trouvait alors dans le royaume
e Naples (i 195). Charmé de cette mar»
que de condescendance, à laquelle il ne
s'attendait pas, Henri VI combla de ca-
resses l'envoyé d' Amaury, le nomma
chevalier, et dépéi^ha en Chypre son chan-
celier, qui couronna Amaury roi de Chy-
pre , dans la cathédrale de Nicosie, Au
moment où Amaury se préparait à cou*
ronner sa femme, Cive dlbeliu, elle
tomba malade et mourut.
Dans le même temps, Henri de Cbam-
nagne,roi de Jérusalem, mourut a Pto-
lémaïs (1 198) Sa veuve la reine Isabelle,
incapable, par la faiblesse de son sexe et
par son peu d'expérience, de soutenir le
poids du gouvernement , laissa les af-
faires de la guerre aux soins de son con-
seil, où chacun pensait plus àses intérêts
particuliers qu'au bien de l'État. Les Sar-
rasins devenaient de jour en jour plus
hardis , et poussaient leurs courses jus-
que sous les murs de Ptolémaïs. Il fal-
lait un défenseur au royaume de Jérusa-
lem : on jeta les yeux sur Amaury, qui
se décida à épouser la reine Isabelle, dont
il était le cinquième époux. C'était le seul
moyen de sauver les débris du royaume
chrétien de la Palestine. Amaury équipa
M
Luinvias.
en Chypre une fnrto Afliiëe, pana ta
Terre Sainte, Ait eoiironné roi de Jéru«
Mlem à Ptotémaîs, et resta diMf am dans
son nonveau royaame, réparant les for-
tifications des villes, guerroyant oontre
les Sarrasins à qui fl enleva nn grand
nombre de places. Étant tombé malade
au milieu de ces soins , la désertion se
mit dans son armée. Le chagrin qu*il en
ressentit augmente son mal , et le réduisit
à la dernière extrémité. Il mourut à Plo»
Mmals, en 11Ô5. L*année suivante, son
eorps fut transporté en Chypre , et dé*-
posé avec une grande pompe dans Té*
glise cathédrale latine de Sainte-Sophie*
BàoNn DB HueuBs 1*' (laoi-isia)*
--Hugues, fils atnéd^Amaury, étant en*
core mineur, La haute cour oonfia la ta«
telle du royaume à Gauthier de Mont*
héliard , son plus proche parent , qui
profita de son pouvoir pour amasser
iPimmenses richesses. En 1S19 Hugues,
nyant atteint Tâgede la majorité, fut cou*
Tonné roi , s^empara de la direction d«s
iBiffhires, et disgracia Gauthier de Mont-
héliard, qui se retira sur le continent,
à Ptolémaïs. Le précédent roi, Amaury,
avait fiancé son fils, encore enftint, avec
la jeune Alice , fille d'Henri de Cham-
pagne, alors roi de Jérusalem. Pressé
Êar les tuteurs des enfanta de oe prince,
luffues célébra volontiere ce mariage,
<|uiiui donnait une épouse aooomplie. Le
jeune roi avait hérité delà valeur de son
père et de son oncle ; il se trouvait ausai
en présence des mêmes difficultés. La
réunion des deux couronnes de ChyfMreot
de Jérusalem imposait à celui qui les
portait une vie de fatigue et de dangers,
5ui empêcha les rois Lusignandes'mol-
r dans le sein du repos , au milieu des
d^ices de nie de Oiypre.
La quatrième croisade (1B04) avait
donné Constantinople aux Latins; mais
ladétressedu royaume de Jérusalem était
toujours aussi grande. Une cinquième
croisade fiit préchée, 1 317 . Hugues partit
pour la guerre sainte , laissant à la reine
Alice le gouvernement de TNe de Chypre.
Le plus grand embarras dei'aduiinistra-
tion du royaume venait de la rivalité des
évéques grecs et des prélats latins. Les
deux clergés se disputaient la prééminen-
ce. Alice s'adressa au pape Innocent III,
aui était alors au concile deLatran,le pria
etraosférerrarehevêdbédeFasaiîgouste
à NioQsiê, denoiM alors la résidenee des
rois, de le donner aux Latins, de rédmra
à quatre le nombre des évéebés, qui an»
paravant était de quatorse. Le pape lui
accorda ses demandes, à savoir rarehd*
véché de Nicosie, et rétablissement des
quatre évêchés tant grecs que latins , à
Famagottste, à Cérinei, à Paphos et à
Limisso. Les éviques grecs dont les
sièges devaient être supprimés conservè-
rent leurs droits et leurs revenus de leur
vivant : le règlement du pape ne devant
être eiéeuté qu'après leur mort. On oréa
des bénéfioss et on institua la dlme si
profit du clergé latin. Pédant qu*Alioa
opérait avec de sages ménsgemeols nette
déUoate réforme , Hugues combattait en
£gypte et pénétrait jnsqu'su Caire, d'où
les croisés furent chassés par Tinonda-
tkm du Nil« Il fallut renoncer à la con-
quête de Damiette, et la cinquièniq crei-
sede s'acheva sans utiles résultats. Hu-
gues revint en Palestine. Il s'arrêta à Tri*
Kili» pour célébrer le mariage de sa eoaur
élissène sveo Bohémond , prinœ d* An-
tioche. Au milieu de Is joiede cette fêle,
ttne maladie violente l'enleva, à l'âge de
trente ans. La reine Alice fit trmspor»
1er ses rsstss en Chypre, où il eut son
tombeau dans l'église des Hospitaliers.
RàouB n'HBnni I**^ (l81g-lS64). —
Henri n'avait que neuf ans à la mort de
son père. Aussi la reine, du eonsente-
flient de la haute cour, admit au gouver-
nement deux oncles du feu roi, Philippe
et Jean d^Ibelin, hommes de courage et
d'expérience. Jean d'Ibeiin était auseiesi-
gnmirde Béryte(BaruthouBeyroatb). Il
avait administré le royaume de Jérusalem
pendant la nnnorité de la reine Iferie,
fille d'IsabeUe et de Conrad de Blontfer-
rat, que Jean de Bricnne avait épeusce.
La reine Alice ne put s'entendre avec ses
deux enC'Ics, et la minorité du jeune
Henri fut pleine de troubles. Alâee, mé-
eontsnie des deux tuteurs, leor nppœeit
son fovoriCamerinde Barlias,et les fores
à donner leur démission, Msis Cemeiuï
souleva contre hitJ'indtgnatien publique;
et les deux libères forent invUés par les
états à repreuére les rênes du nouveroe-
ment. Peu de lemps après Philippe d1-
èelin mourut, fiénéralemeut vegreiaé,
et Frédéric II BartMronsse, empereur
d' AUesMigne , s'étant mis à la tête de In
sixième cwriaede, débarqua deus rHe de
ILE DE CHYPRE.
5$
diypre, dont il avait réaolu de se rendre
maître.
Frédéric fmdait ees prétentions aur
deux motiii. D'abord e*était l'empereuf
Henri YI , son père , qui avait donné à
Amaïïtj l'inveatiture da royaume de
Chypre, et le pape Honorine 111 Favait
formellement innté à veiller attentive^
meDtSDi intérêts du jenne roi Henri. De
pies, il avait épouaé Yolande, héritièrn
de Jean de Brienne, et ee mariage lut
doBBait le droit de a'immisoer dans lea
affairée dn royanmede Chypre. Cameriii
de Barbas et tous les ennemis de la mai-
soD d*ibeltn ae montrèrent zélés parti-
sans de Temperenr, qu'ils indisposèrent
eentre le seigneur de Béryte. A peine or*
rWéà Liœisso, Frédéric manda auprès
de lai Jean d'ibello, qui vint après de
longues bésitatteBS. Pendant le repas,
l'empereur somma Jean dlbelin de lui
remettre la forteresse de Béryte, et de
Ibi rendre compte de son administration
dans Chypre depuis dix ans (laas). Jean
se Tovait entouré de tous ses ennemis :
la salle du festin était pleine de soldata
allemands ; mais rimminenee du dan*
m n'ébranla pas son oourage : il osa
iiraver le ceiirroux de l'empereur, qui
pouvait le perdre d'un mot, et qui con*
smtit i porter l'afiEaire aux hautes ooura
de Chypre es de Jérusalem. Quant à
Jean dlbelin, instruit que l'empereur,
eicité par de perides suûestions, avait
donné des ordres eontre lui, il se retira
daas le château Dien-d'Amonr ou de
Saint-Htiariont situé sur une montagne
à riaq Heoes de Nicosie , et à quatre du
dikean de Buf&vent, où il resta jusqu'à
l'ajMiaeinent du courroux de Frédéric,
^itti-ci , rappelé en Europe par les inté«
f^ de sa rivalité avec m saint-siége,
Avait hâte de terminer sa croisade. Il
oiisade pevaéeoter Jean d'Ibelîn; mais
ii fit occuper les forteresses de l'île par
<^ troupes allemandes, et conGa l'admi-
nistration à cinq balles, parmi lesquels
était Camerin de Barbas.
^Quoique dépouillé delà tutelle, Jean
4'Ibelin était toujours a craindre : ces
fiÙH) administrateurs ne négligèrent rien
Four le perdre (1). Ils poursuivirent ses
^W, etsurteut Philippe de Navarre, qui
(') litredane, But, de» R0U Jmdgntuuy
*• il«
lui était le plus dévoué. Le seigneur de
Béryte, qui était retourné en Syrie, re-
vint en Chypre bien accompagné, et,
enhardi par le dévouement qu*on lui té-
moignait et Timpopularité des baOes,
il leur livra bataille, les vainquit près
de Nicosie, dont il s'emj)ara. Les forte-
resses de Cantara , de Saint-Hilarion , de
Buffiivent, servirent d'asile aux vaincus,
qui n'en purent sortir en sûreté qu'en
renon^nt à la tutelle du jeune roi et en
abandoonant le pouvoir au vainqueur.
Le roi Henri avait atteint l'âge de quinze
ans ; mais il était plein de confiance dans
le aeigneur de Béryte , qui redevint plus
puissant qu'auparavant. A la nouvelle
des sttceèsdeJeand'Ibelin, Frédéric avait
fait partir une armée de six cents che*
vaux et de dix-huit cents hommes d'in-
fanterie avecune flotte de trente-huit vais-
seaux et de vingt-deux galères. N'ayant
pu efifectner leur débarquement dans
nie de Chypre, les Allemands se diri^
vent sur Béryte, prirent la ville et assié-
gèrent le château. Jean d'Ibeiin courut
au secours de sa seigneurie patrimoniale,
et le jeune roi consentit à raccompagner*
Après d'iwitiles efforts pour s'em^rer
de la citadelle, les Allemands brûlèrent
Béryte, et se retirèrent à Tyr, tandis
qu'une partie d'entre eux s'emparait du
royaunae de Chypre, entièrement dégarni
de troupes. Tout était tombé en leur
pouvoir, excepté les forteresses de Buffa-
vtnt et de Dieu-d' Amour, où s'étaient re-
tirées les sœurs du roi et les plus nobles
dames de la cour.
Cependant le roi, qui étaità Ptolémaïs,
informé de ce qui se passait en Chypre,
résolut de reconquérir son royaume, il
manquait d'argent; les seigneurs de Cé-
sarée et de Béryte avaient aliéné la plus
grande partie de leurs biens. Le jeune
roi oréa un papier monnaie pour subve-
nir aux affidres présentes; il fit faire
quantité de petits billets avec l'empreinte
de son sceau , qu'il faisait circuler au
lieu d'argent , s*obligeant de les payer
comptant, aussit^ que les Impériaux se-
raient chassés de son royaume. Jean d*!-
belm ramena le roi Henri dans Chypre
sur des vaisseaux génois et vénitiens. Le
Mtour du jeune prince fut le signal d'un
soulèvement général : à Famagouste,
à Nicosie les Impériaux furent massa-
crés au cri de : Vive le roi Henri 1 Le nia-
sa
LUNIVERS.
récital de l*Empire, Richard Felingher,
ayant concentré ses troupes dans la
plaine d*Agndi,livra bataille, et fàtvainco
par Jean d*Ibeitn ; et les impériaux, chas>
ses de toutes leurs positions, ne conser-
vèrent que la TÎlfe de Cérines. Ils s*y dé*
fendirent opiniâtrement pendant deux
ans. Enfin on parla de n^^çoder. Les Al-
lemands rendirent la ville et le château
de Cérines avec toutes les munitions qui
sy trouvaient , à condition qu^on leur
fournirait des vaisseaux, des vivres, et
qu*on leur rendrait leurs prisonniers. Le
roi entra dans Cérines au moment où le
dernier Allemand en sortait, et il eut
enfin la satisfaction de voir son royaume
entièrement purgé de la présence de
cette grossière soldatesque.
Pendant ces longs troubles radmi*
nistration du royaume avait été fort né-
gligée. Henri travailla activement à répa-
rer tout le mal qui s'était foit. Il renvoya
ses mercenaires , récompensa les capi-
taines étrangers qui l'avaient servi, mais
ne voulut pas les garder dans ses Etats,
li fit refleurir le commerce, l'agricul*
ture, l'industrie, et vit la prospérité re-
naître en peu d'années. Ce fût avec une
vive douleur qu'il apprit, au milieu de
ses soins, la mort du seigneur de Béryte,
qui périt d'une chute de cheval en re-
tournant de la chasse. On l'avait porté
mourant à Ptolémaîs, où il fit le partage de
ses terres à ses enfants, donnante lalné,
Balian, la seigneurie de Béryte et la suze-
raineté sur ses frères (1236). « Jeand'Hî-
belin, seigneur de Baruth, dit Lored»-
no, fot un personnage d'une valeur et
d'une prudence consommée; il apprit la
guerre sous les chevaliers du Temple; il
exerça toutes les charges militaires con-
tre les Sarrasins , son père ne voulant
pas qu'il montât à aucun degré d'hon-
neur s'il ne l'avait mérité par ses ac-
tions ; il fut toujours heureux, et si mo-
deste dans ses victoires les plus com-
plètes , qu'il ne parlait que d'accommo-
dement et de oaix ; et quoiqu'il s'attirât
l'admiration ae tout le monde, jamais
fidélité ne fiit pareille à la sienne, lors-
qu'il s^agissaitdes intérêts de son prince,
n fut toujours médiateur entre le roi et
le royaume, la guerre ou la paix dé-
pendant de ce qu'il jugeait le plus a
propos. »
11 était à cramdre pour la tranquillité
du royaume de Cbvpre que la mue
Alice ne voulût profiter de la mort de
Jean d'Ibelin pour reprendre le pouvoir
dont il l'avait dépossédée. Mais par bon-
heur cette princesse , dont la turbulence
et l'ambition augmentaient tous les jours,
tourna toutes ses vues vers le royaume de
Jérusalem, qui était sans chef, car alors
Frédéric II était excommunié, et son fils
Conrad était encore en bas âge. Elle fut
proclamée à Tyr Tan 1239. Mais il fiai-
lait un bras plus vigoureux pour soute-
nir ce chancelant État. Le soudan d*É-
gypteenvahit la Palestine, prit Tibériade,
assi^ea Ascalon. Un en de détresse par-
tit de la terre sainte. Louis iX , roi de
France, y répondit en se mettant à la tête
de la septième crois^ide. 11 s'embarqua
à Algues-Mortes, le 2S août, il arriva en
Chypre le 21 septembre de Tan 1348.
Le roi Henri alla le recevoir a Limisao,
et le conduisit dans sa eapitale de Nico-
sie, au milieu des acclamations du peu-
[Ae, de la noblesse et du clergé (i). « Les
sdgneurs et les prélats de Cbjrpre, dit
Guillaume de Nangis, prirent tous la
croix, vinrent devant le roi Louis, et lui
dirent qu*ils iraient avec lui partout
où il voudrait les conduire <iuand l'hiver
serait passé. » Il fut décidé que l'armée
èhr^enne ne partirait ^u*au printemps
prochain. Mais les délices de l'île de
Chypre amollirent le courage des guer-
riers d'Occident, qui se livrèrent à Tin-
tempérance, entraînés par l'excellenee
des fruits et des vins , et par l'i^bon-
dance excessive qui régnait dans leur
camp (2). Enfin Tannée suivante, I34il,
le vendredi avant la Pentecôte une Hotte
nombreuse, qui portait les guerriers
français et les croisés de Ule de Ciiypre
sortit du port de Limisso, et fit voile
vers TÉgypte. Le roi de Chypre parta-
gea la gloire et la captivité de saint
(i) Michaud, But. des Croisades, t. tV,
1. x4.
(a) C'est eo pariant de cet provisiom abon-
dautes que Juinville 8*écrie : « Tous euasiei
dit que ces oelliers , quand on les voit do
loing , fussent grandes maisons de tonneaux
de TÎn qui estaient les uns sur les autres « et
•emblableroent les grenim de froment, oi^
el autres blé» qui esioient aux champs, sem-
bloîent, quand on les voyoit de loiug, que ce
(lissent montagnes* n
ILE I>£ CHYP&E.
57
Um ; 9ÇfM le traité qui te rendait à
la Jiberté , tous deux partirent eDsembte
poar la Terre Sainte, et se rendirent à
Ptolémaîs (Saint-Jean-d'Aere); alors le
rai de iibyiire épousa la fille du prince
d'Antioctie et de Tripoli. Il se hâta de
conduire la nouvelle reine dans ses Etats ;
nais après la cérémonie du couroone-
nent Henri tomba malade, et mourut en
peu de jours, le 8 janvier 1263, à Tâge de
tieote-trois ams»
ASGffEde BUGDES II (1254-1267 )(1).
^ La mort prématurée du roi Henri li-
vrait encore le foyaome de Cbf pre aux
hasards d'une longue minorité. Le jeune
Buftues était dans Page le plus tendre
quand il fut reconnu roi. Sa mère. Plai-
sance, princesse d'Antiocbe, fut chargée
de la r^enee et gouverna avec fermeté.
A cette époque la rivalité de Venise et de
Gènes troublait tout le Levant, et ajou*
tait un nouvel aliment aux discordes qui
devaient ruiner les États chrétiens de
ces contrées. Ces deux républiques se
disputaient la possession de Tegiise de
Saiut Sabas à bamt-Jeao d'Acre. Cette
eontestalion dégénéra en guerre achar-
née. La réfErnte de Chypre se déclara
pour les Vénitiens (125H), et la flotte
combinée des deux puissances vainquit
eella des Génois. Bientdt la médiation du
epe Alexandre IV rétablit la paix en Pa-
tine. Maiscemalheureux pays était ex-
Dosé à des périls sans cesse renaissants.
Les Mongols et les mameluks le mena-
çaient de deux côtés à la fois. Vain-
(|ueur des Tartares, le sultan du Caire,
Bibars Boudochar,se montra un des plus
redoutables ennemis des chrétiens.
Il aUaqua le royaume de Jérusalem,
alors réduit à quelques villes du littoral.
Césarée et Argouf lurent emportées, Se-
pbed, vaiUammentdéfeuilue par les Tem-
pliers, capitula ( 1268 ) ; mais, au mépris
du traité, la garnison , qui refusa de se
sauver par Tapostasie, fut impitoyable-
ment massacrée. Les chrétiens de Chy-
pre ne pouvaient rater indifférents à ces
désastres. Hugties, seigneur de Beyrouth,
devenu tuteur déjeune roi après la mort
de la reine Plaisance, passa sur le con-
tinent, et combattit vaillamnnent , mais
sans succès. Rappelé eu Chypre par une
maladie du jeime prince, il le vit mourir
(OUmdano, Bist,desMoîi dt Chfpre,l Ut
aussitôt après son arrivée, à Tâge deoua-
torze ans (1267). Avec ce prince s'étei-
gnit la branche directe de la maison de
Lusignan. -
Regns de Hugues III (1277-1284).
— Hugues , seigneur de Beyrouth , était
fils d^Benri, second fils de Bohémond IV,
prince d'Antiocbe et d'Isabelle, fille
d'Hugues 1*' de Lusignan. Il fut re-
connu roi après la mort de Hugues II;
et le sceptre passa des mains d un en-
fent entre celles d'un homme capable
et drja versé dans le gouvernement et la
guerre. Toutefois les progrès du sultan
d'^ypte n'étaient pas ralentis. Il prit
Jafta , dont il renversa les murs et le
château ; il enleva nombre de places aux
Templiers et aux Hospitaliers, enfin il
assiégea Antioche, qui se défendit à
peine. Quarante mille habitants furent
massacres, cent mille réduits en escla-
vage. Hugues n'était pas directement in-
téressé à défendre les États chrétiens
de Terre Sainte. Le titre de roi de Jéru-
salem appartenait alors au jeune Con«
radin , qui disputait à Charles d'Anjou
le royaume de Naples. Quand ce jeune
prince eut péri sous la hache du Dour«
reau, Hugues réclama le royaume de Se*
rusalem, comme plus proche héritier. II
soutint ses prétentions avec vi&ueur,
passa à T^r avec une armée, et se fit cou*
ronner roi de Jérusalem par l'évéque de
Saint-Georges. Tout le monde applaudit
à son élévation ; seule, Marie d' Antioche,
sa tante, protesta au nom des droits
qu'elle avaitou qu'elle s'attribuait, et que,
dans son dépit de n'être point écoutée,
elle alla transmettre à Charles d'Anjou,
roi de Naples ( 1270). Cependant la dé-
tresse de la Terre Sainte produisait en-
core en Europe une certaine émotion.
Saint Louis prenait la croix; Jacques
d'Ara[;on et le prince Edouard d'Angle-
terre imitaient son exemple. Dernière et
vaine tentative de la ferveur religieuse
qui avait produit les croisades ! Le roi de
France mourut sur la plage de Tunis;
Jacques d* Aragon s'effraya d'une tem-
pête qui l'assaillit en route, et retourna
dans ses États. Edouard d'Angleterre,
qui seul était venu rejoindre le roi Hu-
gues à Ptolémaîs, faillit succomber à un
lâche assassinat. Il quitta aussitôt la Pa-
lestine, où il avait inutilement déplo}[é
une brillante valeur* Mais le sultan Bi*»
58
L'UMVlltS.
barit qui ftnak il*Miou#r 4iiii im'Bniid
pitjet ^'Ib vatioB de l'île de Ghvpre , et
qui craignait un aoulèvemeol dani ses
Etats , consentit à conclure afee le roi
Hufues une trêve de éïx aBt et dii mois.
Après le rétabliseemeot delà paix, Hu-
Sues laissa Tadimnistration du royaaiae
e Jérustleiii« dont Ptolémaîde ou SaiBl-
Jeaei'd'Acre était derenae la capitale, as
seigneur de Beyrouth* et il retourna daas
son royauiuede Chypre. Unefut pasloog-
teuiM eu repos. £n effet si les princes
4)hreneiis ne savaient pas dtfendre le
royaume de Jémsaleni contre lesSarrsr
sins, ils s'entendaient tràs-bien à se le
disputereotreeux. Charles d'Anjou, vou-
lant faire valoir les prétentions mie lui
avait cédées la pnoeesse Marie, fit atta-
quer à l'ioiproviste la ville de Ptolémaîde.
Le gouverneur se retira dans la citadelle ;
iuais le patriarche de Jérusalem , Bu-
Ses Revel, grand maître de THôpital,
1 Templiers et presque tous les grands
du royaume firent détection , et se don*
nèreiit au roi Charles. Le château de
ptolémaîde se rendit, et le eomte Roger
de Saint-Séverin fit proclamer son mat*
tre, Charles d'Anjou, roi de Jérusalem
el de Sieik. Le roi Uugues At une vaine
fentative pour reprendre Ptolémaîde; il
revint en Chypre, et se vengea des ordres
militaires en confisquant leurs revenus,
leurs terres et leurs châteaux de Li^
misso, de Baffo et de Gastna ( 1277 ).
Tyr et Beyrouth étaient demeurées au
pouvoir du roi de Chypre. La mort de
Charles d'Anjou, qui eut lieu quekfue
tempsaprès les Vêpres siciliennes (1288),
permit au roi Hugues de rentrer en
nossessioB de son royaume de Jérusa-
lem , où il fut rapiielé par oes mêmes or-
dres militaires qui Ten avaient ehaasé
peu de temps auparavant ( 128g). Irrité
contre les habitants de Ptolémaîde, Hu*
gués m érigea la ville de Tyr en capitale;
u y tomba malade , revint en Chypre, es*
pâ-ant s'y remettre par le ehangement
d'air, mais il y mourut en peu de jours,
après un règne dedix-septans (t284).Ls
roi Hugues fut un des princes les plus
renommés de sou temps. Il avait Tesprit
cultivé, et il maniait aussi bien la phime
oue répée. U attira à sa cour des savante
étrangers, auxquels il donnait de gros-
ses pensions. Il fonda le magnifique mo*
nastère de Lapais, qu'il dota IrèsHrlche-
meot. Saint Ihamas d'Aquin isisàt
grand eas de son mérite et de ses eon-
naissanees ; il lui dédia son livre de Ht'
çimime Prmcipum; « C'était, dit Lore-
dano, dans un siècle où l'on ne flattait
pas les prinees, et l'ingénuité deee saiitf
était incapable de faire adulation (1). >
Hugues III fut enterré au couvent de La-
pais, ainsi qu'il l'avait ordonné dass
son testament.
RÈGNE DE Jean l^ (lt84*128S ). --
Hugues lil laissait cinq fils : Le prinœ
Jean , i'atné, était atteint d'une maladie
incurable, qui ne lui permettait pus d'es-
pérer de longs jours. Ses frères [misaient
que l'état de sa santé le déterminerait à
renoncer à la couronne. Il n'en fut rien;
le moribond voulut régner, et ses ûnères,
irrités de ce qu'il ne leur livrait pas son
trône, s'alisentèrent le jour de son cou-
ronnement. Mais la cérémonie dn ses
funérailles ne se fit pas longtemps at^
tendre. Jean l*"' mmirut après treise mois
de règne, à l'âge de trente-trois ans. Soa
frère Henri II lui sueoéda.
RÈGNK SB HUIEI II, (1286-1824)(2).
-— Dès qu'il eut pris possession de
trône de Chypre, le nouveau roi s'em-
pressa de faire valoir ses droits sur celai
de Jérusalem. Il parut avec une ftotte et
une armée devant Ptolémaîde, qui le rs>
connut pour roi , et il alla se fiâire cou-
ronner a Tyr. Cette nouvelle rëuniea
des deux royaumes ne fut pas de longos
durée. Bibars-Bondochar n'était pins;
mais le vaillant Kélaoun ne Ait pasmoias
redoutable aux chrétiens. Après avoir
chassé les Mongols de la Syrie, il assiégea
les cités maritimes qui composaient lei
derniers débris du royaume de Jérusa-
lem, et il prit successivement Laodicée,
Tripoli, Tyr et Sidoa (1288). Tons les
chrétiens de la Palestine s'étaient réfu«
giés à Ptolémaîde. Kélaoun moarut au
moment où il allait assié^ cette plaoe.
Son fils KjiKl-Ascraf avait prônais a sea
père mourant d'aehever Pextermiiiation
des chrétiens de Palestine. To«t était
préparé pour le siéRe de Ptolémais : Ka-
lil-Aseraf se hâta d'investir cette place.
Cependant le roi Henri avait fait un s|»-
pel au pape fiioolas lY et aux rois ebré-
(i) Loredaao, Hist, éles RôUdê Chypr; 1 1,
p. i94«
(a) LOTtéana, id., Uv, IT»
IL£ D£ CHYPRE.
Sieofi. Veftteê eBf<iya fingt galèvM, dont
rentretien fat payé par le aaiot-aiége.
Henri se renferma dans la plaee avae
réiitede a» eheyaleria, et Toa attendit
rwoemî de pied ferme. Mais toute la
râleur des LatJDS était rendue iautile par
leurs difisfoDS et laars diaoordea. Ptô-
lémaîde était partasée en dix-iept jari*
dlctioDS, toutes indépendantes les unei
des antres. Le roi Henri eommandail
dans une grande partie de la ▼ille : les
tmis ordres militaires, Bospitaliers,
IWnpliera et Tentons étaient souverains
dans leurs quartiers. Charles 11, roi de
Naple&, le roi de France, le lé«it du pa^
pe , le roi d'Angleterre , fàisment geu-
Temer leurs sujets par des résidents in*
dépendants. Les Vénitiens, les Génois,
les Florentins , les Pisans avaient tous
leurs juges, leurs magistrats et leurs eons»
titutions. Le danger eoipmun ne put faire
cesser cette déplorable anarchie, et Ptolé*
maïde succomba, en 1291, après une glo-
rieuse défeQse,^ laquelle il ne manqua que
Tonité de commandement. Pendant la
noitqui suivit Passaut où la ville fiit for-
cée, le roi Henri, les chevaliers des trois
ordres, et bon nombre de soldats et de
bourgeois purent s*embarquer et faire
TOile vers llte de Chypre. Le lendemain
le Soudan ordonna le massacre des habi<-
taots demeurés dans la place : on en
compta soixante-dix mille tués ou faits
prisouniers. Les murailles furent rasées
etiefeufat mis à la ville. AiorsChypre de-
vint Tasile des fagitifls de la Terre Sainte,
l» Hospitaliers et les Teutons n'y resté»
rent pas; mais les Templiers se fixèrent
sLimisso, où fnt transporté le eheflien
de leur ordre. Tous les antres réfugiés
fiirent établis à Famagouste, qui s*agran-
dit considérablement à cette époque.
La chute du royaume de Jérusalem
exposait plus directement Ffle de Chy-
pre aux attaques des musulmans. Cepen-
dant, grice à sa position maritime, la
««quête de Richard d'Angleterre survé-
cut trois siècles à celle de Godefroy de
^villoa. La prise de Ptoléraaïde n'avait
pas réconcilié les chrétiens entre eux. Lu
diaoorde élevée entre les priooes de la
onille d'Haylon désolait r Arménie, et
livrait ce pays à Tinvasion des barbares.
Utle deCnypre fut bientôt en proie à des
dissensions Intestines , et elfe ne devait
^e sécurité passagère qu'aux sanglantes
divIsleM dea inaaMinoks d'^'pte. Maig»
tandis ^ue la chvétienté ne songeait phia
à la délivrance de Jérusalem, les TarUiei
de la Pêne, à qui le pape avait savo]^
des roissioniiaires, formèrent k projet
d'arraeber aux musulmans la Syrie «I
la Palestine. Caxan, prioeemcHigoi^r»»
Srdait les ohrétiana oomme aaa plus
èles alliés, et les liistoriena ffree»«v»
méniena donnent les pina gran(K élogae
à ea probité et à sa bravoure (1). Ct»
•an ^itta la Perse à la tête d'une at»
mée; les rois d'Arménie et de GéMme»
le vûi de Chypre et les ordres de Saint»
Jean et dn Temple, avertis de ae0 projeta,
étaient venus rejoindre ses drapeamu
Une grande bataille fut livrée près d'É-»
mèse; les mameinks forant vaincus,
et poursuivis jusqu'en désert par iee
cavalière sirméniens. Alep et Damas
ouvrirent leurs portes aux vainqueun.
Si noua en croyons l'historien Hayt
ton , les chrétiens rentrèrent alon dans
Jérusalem , et Tempereur des Tartares
visita avee eux le tombeau de Jésus*
Christ ( 1 300) , d'où il appela l'Europe à
la guerre sainte. Mais sa voix ne fut pas
entendue, et sa brillante entreprise fut
sans résultats. Les troubles de la Perse
le rappelèrent en arrière, il tenta une
seconde expédition , qu'il abandonna en-
core; et dans une tloisième invasion «
son armée s'étant avancée jusqu'à D»r
mas, il tomba malade et mounrt, em^
portant au tombeau les dernières espé*
rances des chrétiens. Ak>ra les guerriers
4'Arméttte et de Chypre sertirent de k
ville sainte, dont ils oommençaieat a re*
lever les remparts et qui ne devait nius
revoir dans ses mura les étendards de k
eroix(l30S).
La pins grande partie du règne ds
Henri II fut troublée par les intrigues de
ses frères. L'afné, Amaury, prince de Tyr,
était plein d'ambition, dissimulé et eruel.
n résolut de détrôner Henri II. L'autre,
Camérin, connétable de Chypre, consi-
dérant que ce projet le rapprodiait dn
trône, entra dans ses vnes. Henri II avait
de la bravoure ; mais son extrême douceur
et la faiblesse de sa santé le rendirent
inhabile à réprimer l'Apre ambition d'A-
Buury. 11 se laissa suncessivemeni dé-
pouiller du pouveir et de la liberté.
(i) Miebasd, Misi, des Croumdêi, V, liv.
LTHOVERS.
Amaaiy, racoonu r^ent du rojâume
(1S04) et investi de toute Tautorité, re-
légua le malheureux Henri dans le châ-
teau de Strovilo, à une demi-lieue de JNi-
eoBÎe, où il le réduisit à mener la vie d'un
simple particulier. Cet ambitieux gou-
vernait le royaume de Chypre lorsque ar<
riva dans Ftle la sentence du pape Clé-
ment V, qui abolissait Tordre des Tem-
pliers. Les chevaliers, au nombre de
filus de deux cents, menaçaient de résis-
tar par les armes. Amaury, jaloux de
se concilier les bonnes grâces du pape,
travailla activement à la destruction de
l'ordre , qui disparut de Chypre comme
de toute la chrétienté , sans coup férir
(1310). Enhardi par le succès de ses
criminelles tentatives, Amaury repré-
senta au faible Henri que sa présence
dans nie de Chypre était préjudiciable
aux intérêts du royaume , et troublait la
paix publique. Toujours résigné, Henri
se laissa déporter en Arménie (l), où
il fijt retenu prisonnier dans le château
de Lambron. Peu de temps après, arriva
le lé^at du pape pour régler le différend
des deux frères et les réconcilier. D'a-
bord Amaury réussit presque à lui per-
suader que tous les torts étaient du côté
de son frère; mais le prélat pénétra bien-
tôt Tambition et la mauvaise foi du prince
de Tfr, qui vit alors s'écrouler sous
ses pieds l'échafaudage de son injuste
pouvoir. Suspect au saint-siége , oaieux
•ux habitants de Chypre, Amaury al-
lait tomber lorsqu'il périt. Un jour on
le trouva dans son cabinet, baigné dans
son sanff et frappé de dix coups de
poignard que lui avait portés son favori
Sîméon du Mont Olympe. Son frère Ca-
noérin, connétable de Chypre, préten-
dait hériter de son pouvoir; mais toute
(i) C'est-à-dire en Cilirie. Le nom d'Ar-
ménie s'était étendu à cette province sous les
successeurs dt* Justinien. Séparée de Tempire
grec au neuvième siècle, elle était devenue un
royaume iudépendant en ii47> à peu près
dans le même temps que les Lusignans s'éta-
blissaient en Chypre. Livon , fondateur du
royaume d'Arménie, se soumit à l'Église ca-
iholique; de sorte que la politique et la re-
ligion dmentaieiit Tunionaes deux royaumes
de Chypre et d'Annénie. I^es principales
villet de commerce de l'Arménie étaient
Lajazzo, ville capitale dn royaume, Adana,
. fialsûtra ( Mopsueste ), Gorhigqs ( Gprycus ).
la population , paysans , boui|9eoîs, prê-
tres et nobles se prononça si viveoient
en foveur du rot exilé, que le connétable
Ait obligé de s'enfuir ( 131 1 ), et que le
roi Henri , tiré de sa prison d'Arménie,
revint triomphalement dans son royau-
me, où il régna jusqu'à l'an 1334, chéri
de ses sujets, vengé dé ses ennemis, et
plus puissant par sa résignation et sa
douceur que le despotique Amaury ne
l'avait été par ses violences.
R£GREDbHugUBSIV(1324-1349(I)).
— Henri avait épousé, peu do temps
avant sa mort. Constance, fille de Fré-
déric , roi de Sicile; mais il nt* laissa pas
d'héritiers, et le trône passa après lui non
pas au fils d'Amaury, que Ton méprisait
a cause de son père', mais à Hugues, fils
de Guy, devenu comme son père ««on-
Détable de Chypre. Après la mort de son
oncle Camérin, Huiîues fut couronné
roi de Chypre à Nicosie, dans l'église de
Sainte-Sopliie, et roi de Jérusalem à Fa-
roagouste (2) , titre dont les rois T^usi-
gnans continuèrent à se parer. Deux
laits principaux caractérisent le rc^ne re-
marquable du roi Hugues IV : la prospé-
rité commerciale du royaume de Chypre
et la lutte qu'il soutint contre les Etals
musulmans de l'Asie Mineure. La chute
du royaume de Jérusalem déplaça le
théâtre de cette lutte entre l'islamisme et
la chrétienté. Elle fut transportée* des
côtes de la Syrie vers celles de TAsie
Mineure et dans l'Archipel, où les chré-
tiens avaient tant d*interéts à défendre.
Hugues f V guerroya sans cesse contre les
successeurs d'Othman et de Caraman,
qui se partngeaient alors l'Asie Mineure,
pour sauver de leur fureur les débris du
royaume chrétien d'Arménie, comme ses
ancêtres avaient combattu les soudans
d'Egypte et leur avaient courageusement
disputé les restes du royamne de Jérusa-
lem.
DÉVELOPPEMENT DU GOMMEBCS ET
PROSPÉBITÉ DU AOYAUME DB CHY-
(i) Loredano, Hist, dâs RoU de Chypn,
livre VI.
(s) Depuis oeUe époque Ira roii de Cby|)i«
eonservèreni Tiuage de ce double couronne-
aenl. Voir dans la Bibliothèque ée C École 4u
Cfuirtes, i'* lérie, t. Y, p. 4o5, une nolietr
anr les monnaies et les sceaux des rois de Chy-
pre» par M< de Afas-Lalrie*
ILE DE CHTFRE.
1(1
PBB AU QUATOftZIBMB 8IBCLB. <- Loîll
de aooffrir et de s'éfniiser da milieu de
fette eontinuetle croisade , le royaume
de Cliypre voyait ses reiations commer*
eiales s'étendre et sa prospérité augmea»
ter de plos en plus. « La prise de Saint*
lean^d^Acre par les Arabes , en privant
les Oeddentaux des marchés où ils ve«
naient tous en sûreté chercher les pro-
ductions asiatiques, eut les plus heureux
résultats pour le développement du com-
merce et de nndustrie ou royaume des
Lnignans. Les marchands des (grandes
dtés eommerçantes, comme Venise, Gè-
nes, Pise, Marseille, Barcelonne, qui
parvinrent à obtenir des sultans du
€aire le renouvellement de leurs privi-
lèges dans les villes de Syrie et d*É«
gypte, loin dlnterrompre leurs relatioos
avec rfle de Chypre, fréquentèrent en
plus grand nombre ses villes et ses
ports, y instituèrent des consuls, y ac-
quirent des immeubles, y fondèrent des
oablissements commerciaux pour cor-
respondre avec ieets fondoucs d'Egypte
ou de Turquie, et recevoir en dépôt les
marchandises ou'ils étaient toujours heu*
rrax d'abriter nors de Tatteinte des mu-
sulmans. Les armateurs des villes secon-
daires des côtes de la Méditerranée, oui
n'étaient pas privilégiées des sultans, n^o-
sant tenter le commerce direct avec TÉ-
Sypte , que Favidité et le fanatisme des
Arabes rendait toujours périlleux , trop
faibles d*ailleurs pour faire respecter
leurs pavillons si loin de fEurope, vinrent
de préférence dans les villes de Ttle de
Chypre, à Famaeouste, à Limisso, à Pa-
pho8,à Cérines, a Nicosie, dont les maga-
sins, bien approvisionnés, remplacèrent
avantjtteusement pour eux ceux de Saint-
leaoHlUcre, de Tyr ou d*Alep (i). »
« Un demi-siècle avait suffi , depuis la
chute de Saint-Jean-d* Acre, pour placer
Famagouste au premier rang des cités
commerçantes de la Méditerranée; pour
l'élever au-dessus de Tyr, de Tripoli, de
Sattalie, de Lajazzo, de Smvme, de Tré»
^isoiide, de Gallipoli, de Clarentza, au-
parafant ses rivales, et pour partager
(i) P. de Mai'Latrie, Des Relations corn-
^Kràales et politiques de tAsie Mineure avec
fik de Ckxpre sous ie règne des princes de
k maison de Lastgna/t; BOdiotkèque de lÉ-
^des CAar«sr,a*9éric, t.l«% p. 3i3.
entre cette ville, renouvelée pour ainsi
dire par les Lusignans, et les vieilles ci-*
tés de Gonstantinopte et d'Alexandrie,
la suprématie du commerce d*Orient.
Kl Venise la l>elle, ni Gènes la superbe,
ne pouvaient se vanter d'avoir des mar-
chands plus riches , des bazars mieux
assortis, des approvisionnements plus
considérables en productions de tous
pays, des hôtellertesplus nombreuses,
des étrangers venus Je plus loin et de
contrées si diverses. Un prêtre allemand,
homme instruit et observateur, qui pas-
sait dans rtle de Chypre en se rendant au
Saint-Sépulcre, vers ran 1841, a laissé un
curieux témoignage de la prospérité du
pays dans le lécit de son pèlerinage (l).
c II y a dans le pays de Chypre, écrit-
il à 1 évéque de Paaerborn , les plos gé-
néreux et les plus riclies seigneurs de la
chrétienté. Une fortune de trois mille
florins annuels n^est pas plos estimée ici
qu'un revenu de trois mille marcs chez
nous. Mais les Chypriotes dissipent tous
leurs biens dans les chasses, les tournois
et les plaisirs. Le comte de Jafifa, que
j'ai connu, entretient plus de cinq cents
chiens pour la chasse. Les marchands
de Chypre ont acquis aussi d'immenses
richesses ; et cela n'est pas étonnant , car
leur île est la dernière terre des chrétiens
vers l'Orient : de sorte que tous les na-
vires et toutes les marchandises, de quel-
ques rivages qu'ils soient partis, sont
obligés des'arreteren Chypre. De plus,le9
pèlerins de tous les pays qui veulent aller
outre mer doivent descendre dabord
en cette tle. De sorte que Ton peut y sa-
voir à tous les instants de la Journée', de-
puis le lever jusqu'au coucher du soleil ,
par les lettres ou les étrangers qui y vien-
nent incessamment, les nouvelles et les
bruits des contrées les plus éloignées.
Aussi les Chypriotes ont-ils des école«i
particulières pour apprendre tous les
idiomes c<mnus.
« Quant à la villede Famagouste, c'est
une des plus riches cités qui existent.
Ses habitants vivent dans l'opulence.
L'un d'eux en mariant sa fille lui donna
pour sa coiffure seule des bijoux qui
valaient plus que toutes les parures de
la reine de France ensemble, au dire de^,
(i) Id., SièL de t École des Chartes, %* sé-
rie, 1. 1, p. 3ao.
6Î
LtJNIVBRS.
oh*? attan fruB^aiB renas avtc noos m
Chypre. Un marchand de Fattïagouatè
vfJMit un jour an aaltaB d'Émte , fofut
]éaoeptreroyai,«Be pomm%^9r enrichie
dv qitXte pierres précietiseB; une eaéar^
boude, une émeraude, un saphir et unt
perle* Ce Joyau coâta 60,000 florini.
Quelque temps après la fente, le nMr«
ehand voulut le racheter, et en offrit
100,000 florins, mais le sultan les re-
flisa. Le connétaUe de Jérusalem avait
quatre perles, que sa femme fit monter en
agrafie; on aurait pu sur chacune d'elles
trourerà emprunter 3,000 florins partout
où on aurait voulu. It y a dans telle bott«
t^ue que ce soit de Famagouste plus de
bois d aloès que cinq chars n'en pour«
raient porter. Je ne dis rien des épiceries,
elles sont aussi communes dans cette
ville et s'y vendent en aussi grande
quantité que le pain. lH)ur les pierres
précieuses, les draps d'or, et les autres
objets de luxe , je ne sais que vous dire^
od ne me croirait pas dans notre pays
de Saxe. 11 y a aussi à Famagouste une
infinité de courtisanes ; elles S'y sont
fait des fortunes considérables , et beau-
coup d'entre elles possèdent plus de
100,000 florins ; mais je n'ose vous p»>-
ler davantage des richesses de ces infbr'*
tunées(l). »
ExpEBrrions dv boi Hogcbs IV
coutbb I.BS TuBcs d'Asik MifTBDaa.
— Hugues lY consacra toute la première
partie de son règne à combattre les infl^-
dèles, et il mérita par ses exploits, sur
terre et sur mer, d'être appelé par le pape
Clément VI le cJus vaillant champion de
la chrétienté. Toujours les armes à la
main, on le voit parcourir, sur les na«
vires Chypriotes , les côtes de T A^e Mi-
neure et de la Syrie , donner assistance
aux Arméniens, dont la situation empi*
rait tous les leurs, piller les villes mari«
times des inndèlea , poursuivre les cor«
saires, et quelquefois, déheMpiautè la
itite de ses braves chevaliers, faire d'heu-
reuses incursions dans Fintérieur des
pays musulmans. Plusieurs places du
littoral de rancienue Cillcie, Anameur,
Stcce , Candelore , se reconnurent sea
tributaires. Satalie elle-même se racheta
de ses mains et lui fit hommage. L'an
(x) Rodolphe de Saie, ih Terra êsmeté et
itinere Iherosolimitano,
1344 le pape Clément VI, qui déplova le
plus ^rand zèle pour les mtéréls ie la
chrétienté en Orient , décida les Véni-
tiens à se joindre au roi de Chypre et
aux chevaliers de Rhodes pour combat-
tre les Turcsel défendre l'Archipel, CODS-
tamment inciuiété par les incursions des
émirs d'Aidin et de Saroukhaa. Les con*
fédérés se réunirent à Negrepent , et, vo-
guant hardiment vers les cites d*Aaie
Mineure, ils brûlèrent la flotte tyrque
dans le golfe de Smyroe, enlevèrent d'as-
saut la forteresse qui commandait eette
ville, et y établirent une garnison • Les
chrétiens conservèrent cette conquête
pendant plus d'un demi^iècle. fin tS46
Hugues iV battit les Turcs en Lydie ,
eatre Smyrne et Alto*Logo , tandis que
le grand maître de Rhodes incendiait
une flotte ennemie dans le port de Tiie
d'Imbros. Ces brillants débuts permet-
taient d'attendre de cette croisadu les
plus beaux résultats , lorsque les opéra-
tions de la guerre furent interrompues
par le départ du roi de Chypre. Lee Vé-
nitiens suivirent son exempw , et la con-
fédération fut dissoute.
Hugues IV éuài fatigué de guerres et
d'aventures : il n'accorda plus dès Ion
qu'une faible et incertaine coopération
aux ligues nouvelles que le saint-aî^e,
le plua constant défenseur de la chré-
tienté contre les Turcs, ne Urda pas à
renouer entre les puissances maritimes
de rOcddent. Toute son attention, tous
aea soins furent consacrés dès lors à l'ad-
ministration de ses États, dont il amé-
liora les institutions civiles, et dont
il entretint la prospérité commereiale.
Une inondation qui dévasta toute la
plaine de Nicosie, la peste noire, qui
dépeu[^a Chypre comme le reste du
monde, les passions impétuevee* du
eomie de Tripoli, fils aîné du fui, qu'un
auMxir insensé entraîna dans une l^te
violenta avec sou père, troubiêreal aevïss
las dernières années du rai Hugues. Ca
face guercior avait un eaprit cuHivé et
godt des arts et des lettres. Ideeeace
lui a dédié un de ses ouvrages, ie iirrs
de la Genéaloaie des dieux. Le savant
Georges Lapithès jouissait de sa faveur,
et le roi descendait souvent des hauteurs
de Saint-Hilarion pour s'entretenir avec
lui de littérature et de philosophie, à
Fombie des palmieit et dsa utaagesv,
ILB DE CHYPRE.
**
im kÊéëkimx jinlias de Vainlîa (I V
Fatigué &% végBer).ooiniDe aatrafois il
l'ivait élé de ooinbettre, Hugues IV ab*
diqaa es ûveur de sou fils, à qui il avail
pardoDDé, et ee retira daiie Fi^>baye de
Strovilopoiflr eootacrerle restede ta vie
à se préparer à la laort; il mourut en
1361, et nit enterré dans Téglisede Saint"
Dominique de Nicosie*
RBGNB Dl PlEBBB V ( lM9-lt69).
- Ge prince était Jeune, plein de oou-
nge, chefateresque à l'excès ^ et porté
aux grandes enlreprises. Tant que soa
père ?éeut, qirès son abdication, il se
oontiDt; mais à la mort du vieux roi il
doDoa Tessor à son génie aventureux, et
remplit rEuroue et TAsie du bruit de
son nom. Les Tures^Karamans avaient
détroit le royaume chrétien d'Arménie.
Le roi Léon ne conservait plus que la
citadelle de Oorhigos, dont la ville était
en leur pouvoir. Les défenseurs de Go-*
rfaigos se donnèrent au roi Pierre , qui ,
libre d'acir à son gré, accepta leur boni*
mage et leur promit ton appui. L'acqui*
sitioD de Gorbigos avait une double
iaipcrtance politique et commerciale.
Us Lusienana possédaient enfin une
TîUe fortifiée sur le littoral de T Asie Mi-
seare. Encouragé par ce début, Pierre
entreprit de continuer ses eonqoiStes sur
le riraae de l'Asie et de retouler les
TUm dons Tintérieur, comme autrefois
)ei Atbéniens avaient tenté d'y refouler
(0 Voir Archipes des Missions, p. Soi, et
BièliotMifue de tÉcok des Chmries^ s« sèrte«
(• If p. 48S , Im études da M. de Mat•Ul^ie
'ur rile de Chypre ; voir snr Ocofiget Lapithèi
lei Noticet et'ejctraiu dêt MamucrUs^ t XII,
1* pirtie. C« volume contient nu extrait de
l« diisertttion d'Allatius iDtitUlM de Geor*
g'ii; eet exU-ait est rektifà k vie et aux ou-
*nf«s de Georges Lapithès. AUatius y cite un
cwieiu passage d^AgatbaOf élus sur sa visite à
If pitliés, qui demeurait sur les bords de ta
nviere de ce nom. On trouve aussi dans ce
volone trois lettres de Georges Lapiibès à
Ntcéphore Grégoras sur des questions méta-
pitjnqaety et un poème moral de quinze cent
on vers, < dont les idées, dit M. Boissonade
naiiqiieiit assurément de force et d'origina-
lité, mais sont raisonnables et sages, doot I«
>t}|e est simple et suffisamment correct, et
<Pù pourrait être mis aTec utilité aux mains
^ jeunes gens 4|ui étudient la langue
Srecqoe. •
leoPeiees. Le 1^ avril iS61 il partit do
Famagouste avec une flotte de centâix-
neuf navires, ftit voile sur Satalie, el
s*empare en un assaut de cette cité ré-
ritée imprenable, dont il confie la garde
Jacques de jNorès. La soumission de
Lajazzo et de Candelore fiit le résultat
de ce brillant fait d'armes , auquel touta
lèi chrétienté applaudit.
La conquête de Satalle ranima la
ffuerre religieuse, depuis quelque temps
Jangijdssante, et remitaux prises les chré-
tiens avec les princes musulmans , turca
et arabes. Tacca, émir dépossédé de Sa-
talie, appela les Turcs à son secours, et
deseenoit des hauteurs du mont Taurus
avec une formidable armée. Jacques de
Norès résista avec une intrépidité hé-
roïque. Mais le royaume de Chypre ne
pouvait soutenir seul tout le poids de
œtte guerre; et le roi Pierre I" se rendit
eo Europe pour appeler les rois et les
chevaliers latins à la croisade (1 362). Ua
fatal concours de circonstances fit traî-
ner ce voyage en longueur (1). Les Vé^
nitiens et les Génois, jaioui de la pros*
périté des Chypriotes, firent tous leurs
eiforts pour entraver les armements de
Pierre V'* La rivalité de la France et de
rAngleterre , les troubles d'AUemsgne,
les guerres de Castille et d*Ara((on em^
péchaient les seigneurs d'Occident de
s'engager dans une entreprise si loin-
taine. Personne ne songeait à suivre le
roi de Chypre, oui, de son côté, ne pou-
vait se décider à quitter ces cours bril*
lentes de France , de Flandre , d'Italie ,
de Pologne, de Hongrie, où il était fêté
comme un héros. Il perdit trois ans dans
ce voyage, qui semblait n'avoir plus d'au-
tre objet que le plaisir. Pendant ce temps
Tacca poussait vigoureusement le siégo
de Sataiie, les navires turcs insultaient
les cdtee de File de Chypre; les musul*
BMne parcouraient les rivages de ce.
royaume depuis le cap Saint- André jus*
qu'à Chrusocho, brdiant les habitationit
enlevant les bestiaux et les hommes
dans les campagnes « jusqu'aux portes
des villes; enfin l'émir de Damas m^
(i) De Mai-Latrie, Mehàme, cU!.| Jiétf.
de CÈeeim det CAartMg %' séries 1. 1^ p. 499*
Teir dtM eet article les intérameiiu dételesH
peneol» comacrés a rbistetre politique du
règne de Pierre V\
•4
LUNIVERS.
naçait de joindre ses forces à eeiles des
T^ros pour accabler les Chypriotes, que
leur roi semblait avoir délaissés. Averti
par des lettres pressantes de son frère le
5 rince d'Antioche, Pierre I" revint à
es préoccupations plus sérieuses. Il
réunit à Venise une escadre sur laquelle
s'embarquèrent des guerriers peu nom-
breux, mais éprouvés, fit voile sur Rho-
des, ou il rassembla toutes ses forces; et
avec le secours des chevaliers de Saint-
Jean il tenta un coup de main hardi
contre TÊii^pte. Après un combat san-
glant, où il fit des prodiges, le roi de
Chypre sVmpara d'Alexandrie, cette
Tille aussi peuplée que Paris, aussi belie
que Venise , aussi rorte que Gènes , dit
un contempHorain , et la livra au pillage
pendant trois jours. Mais il ne put gar-
der sa conquête; les réclamations des
marchands italiens et catalans, que cette
ffuerre privait des bénéfices du commerce
0* Egypte, le contraignirent à traiter avec
le Soudan du Caire (1365).
Pendant qu*il négociait la conclusion
de ce traité, le roi de Chypre avait à dé-
fendre ses possessions d'Arménie contre
les attaques des Turcs-Karamans. Go-
ifaigos fut assiégée par une puissante ar-
mée. Le prince d'Antioche la dégagea
au prix des plus héroïques efforts, et le
grand Karanian , découragé et affaibli
par les pertes qu1l avait éprouvées, de-
manda fa paix. Un traité fut conclu à
Nicosie entre les deux princes , et tant
qne Pierre vécut les Karamans n'osè-
rent plus inquiéter les Chypriotes, ni
dans leur lie, ni dans leurs possessions de
terre ferme (1866). Mais les négociations
avec le Soudan d'É^pte n'aboutissaient
pas : il fallait toujours rester sous les
armes. Pierre, incapable de repos, at-
taque les cdtes de S][Tie, enlève Tripoli,
Tortose, Bélinas,Lajazzo, et il accepte la
couronne d'Arménie, devenue vacante
par l'extinction de la d^stie de Livon.
Ne sachant pas proportionner ses entre-»
prises à ses forces , Pierre forme le pro-
jet de rétablir le royaume de Jérusalem
et d'arracher aux musulmans toutes les
villes de l'Arménie : il lève de nouvelles
troupes, il équipe des flottes, il reparaît
en Europe pour obtenir des subsides, et
il retourne a Rhodes pour eoneerter avec
les ehevaliert on nouveau plan de croi-
sade. Mais à son retour en Chypre , il
trouve ses tlats^dans la détuaase, sa
propre maison dans le désordre, et il
est assailli de chagrins , absorbé par de
graves préoccupations qui le forcèrent à
oublier fArménie , le royaume de Jéni-
aalem et l'Egypte. Au milieu de tous ees
projets déaoraonnés, Pierre V' avait fini
par perdre Fempire de 8oi*méme. Il s'a-
iMndonnait à la fougue de ses passions,
et ses débauches irritèrent contre lui les
fomillea chez lesquelles il répandait le
déshonneur. D'ailleurs « son humeur
belliqueuse et ses projets de conquête,
sans cesse renaissants , avaient fini par
lasser cette noblesse chypriote, brave en-
core, mais dégénérée et sensuelle, ca-
pable dans un moment critique de quel-
ques généreux efforts» mais trop effémi-
née au sein des richesses pour supporter
ces longues guerres ou'avaient autrefois
soutenues m chevaliers du vieux sire
de Beyrouth et de Philippe de Navarre.
Pendant Tabsence du prince des mécon-
tentements s'étaient manifestés parmi la
noblesse; les propres frères du roi, le
prince d'Antioche lui-même, qui avait
sauvé Gorhigos, le prince Jacques, soa
compagnon d'armes en Egypte et en Sy-
rie, n'avaient pas caché les dissentiments
qui les divisaient souvent. Les violences
auxquelles Pierre s'abandonna à l'oc-
casion de circonstances fâcheuses qui
avaient compromis la réputation de la
reine, hâtèrent le dénoûmentd*un com-
plot dont la pensée remontait peut-être
a l'expédition de Satalie. Le 16 janvier
1369, deux mois après son arrivée d'Oc-
ddent, il périssait assassiné par les sei-
gneurs de sa cour (1). »
RÀGNB hb Piebbk II ( 16 janvier
1S69-17 octobre tS83). —Jean, prince
de Galilée, frère du roi, l'auteur ou le
principal complice de la conspiration qui
avait mis fin à ses jours, s'empara aussi-
tôt du pouvoir , et l'exerça au nom du
jeune roi Pierre II , malgré les réclama-
tions de la reine-mère, Eléonore h qui la
tutelle de son fils avait été déférée (2).
Après le meurtre de Pierre, le royaume
(i) BlbUoth, de tÈeoUdet Chartes^ 2* sérif,
t. I, p. 5ax.
(a) Loredano, Histoire des Rois de Chyprct
t. n, p. 4, Ht. VIII; Bibltothèqtie de f École
des Chartes, a» sVtîc, t. II» p. i ai, 3* •rticl»'
de M. de Mas-Latrie.
ILE DE CHtPRE
65
desLosfgnansfletrouvaitdans la situation
la plos critique : un roi en bas âge , des
ooc'es ambitieux, une reine-mère tur«
bulente, des partis au dfdans, de nom*
breux ennemis au dehors, les anciennes
guerres avec les musulmans,' des luttes
nouvelles avec une puissante ville de la
chrétienté, telles sont les âcheuses cir-
roQbtances produites ou aggravées par
la mort de Pierre l*"**, qui arrêtent la
prospérité du royaume de Chypre et le
précifiitent vers sa décadence.
D^abord il fallut renoncer aux pro-.
jets d'agrandissement en Asie Mineure,
dont Texecution avait commencé sous le
règne précédent d'une manière si bril-
lante. L'Arménie fut abandonnée, et on
laissa le roi Léon V, nouvellement élu,
défendre ses dernières forteresses avec
la seule assistance des chevaliers de
Rhodes. H fut même impossible de gar-
der Satalie , la plus belle conquête du
brave Pi«rre V. L'émir Tacca, qui était
devenu seigneur de Candeloreou Alaîa,
entretenait des intelligences secrètes avec
les musulmans restés dans la ville. Un
homme dévoué à Témir, accueilli par le
capitaine de Satalie, qu'il trompa en re-
cevant le baptême , convint avec quel-
ques Turcs de livrer une porte à Tacca,
qui, survenant au jour ûxé, se vit bien-
tôt maître de quatorze tours. Toute-
fois, il fut rejpoussé; mais la ville resta
bloquée par I armée de l'émir, qui occu-
pait ia campagne. Ce n'ét^iit pas seule-
ment contre les musulmans que la cour
de Nicosie avait à combattre pour la dé-
fense de cette importante possession :
les Génois, avec cet ^oîsme qui carac-
térise toutes les puissances commer-
^ules, s^étaient proposé de profiter de
la faiblesse du gouvernement de Pier-
^11 ; en même temps qu'ils lattaquaient
dans ses propres États , ils intercep-
t^ent les communications entre Chypre
^ Satalie, pour augmenter la détresse
w ceue cité, et en obtenir la cession
(omme urix d'un accommodement. Mais
Kttrs calculs furent déjoués; car le roi,
exaspéré par leur conduite violente
^ perfide , plutôt que de satisfaire
KQr avide ambition en leur ouvrant
*ne place forte si rapprochée de ses
^ts, préféra la rendre aux turcs. Le
l^mai 1373 la ville de Satalie fut éva-
P^ par ia garnison chypriote, et la ban-
ô« Uvnùson, (Ile de Chypre.
nière de Tislamisme Ootta de nouveau
sur ces remparts où douze ans aupara-
vant le victorieux Pierre P' avait arboré
rétendard de la croix. Ces douze années
avaient bien changé l'état de Ttle de
Chypre. « En 1861 le royaume était au
comble de la prospérité et de la force :
il tenait en respect l'Ég^rpte et la Syrie,
il secourait l'Arménie, il imposait des
tributs aux émirs de l'Asie Mineure , il
n'avait en Occident que des alliés ou des
ami.s; en 1878 de tous les ports des
musulmans qui Tentouraient il pouvait
craindre une attaque, et du côté de 1*1-
talie la guerre était imminente (1). »
En etîét, les Génois, toujours en riva-
lité de commerce avec Venise , et vou-
lant acquérir dans le Levant une place de
commerce d'où ils pussent faire concur-
rence au comptoir vénitien de Beyrouth,
avaient provoqué dans Famagoûste une
collision qui entretenait des hostilités
aussi funestes qu'un état de guerre dé-
claré. C'était en 1872, pendant le couron-
nement du jeune roi , à la suite d'une
3ucrelle de préséance entre les consuls
e Venise et de Gènes, que la bonne in-
telligence avait été troublée entre le gou-
vernement des Lusignans et celui des
Génois. Dans la rupture, (H>mme dans
le cours des hostilités, tous les torts fti-
rent constamment du côté de ces avi-
des marchands que l'amour du lucre en-
traîna dans tous les excès de la perfidie
et de la violence. En vain le papîe Gré-
goire XI, fidèle à la politique ordinaire du
saint-siége, essaya -t-il d'amener les Gé-
nois à un accommodement. Ceux-ci , qui
ne s'étaient point ensagés dans une telle
entreprise pour reculer devant les repré>
sentations d'un vieillard désarmé, paru-
rent sur les côtes de Chypre avec une
flotte considérable, conduite par Grégoire
Frégose, frère du doge de Gènes, et dé-
barquèrent à Limisso au mois de juin
de 1 an 1378. Après avoir traversé 1 île ,
et ravagé les environs de Nicosie , Fré-
gose investit la ville de Famagoûste, et
s'en empara par un stratagème, au mois
d'octobre de la même année (2). La ville
fut livrée pendant trois jours à la fureur
de la soldatesque, qui la maltraita horri-
(x) BibUolh. de t École des CkarteSp »* série,
t. n, p. 123.
(a) Fay, Loredano, II, p. 4i'
) i
^
L*TJ3)^IVKI|Si
Internent, et pilla tiNijt, même le9 riebçsses
des églises. Puis après s'être emparé,
par une indigos trahlsoQ, de la personne
du roi Pierre II, Frégose marclia spr lïi-
cosie, roccupa huit jours Ja livra comme
Famagouste à toutes les horreurs du pil-
lage, et, ne pouvant obtenir du jenne roi
prisonnier qu'il lui flt ouvrir les forteres-
ses de Cérjnes et de Dieu-d' Amour, il
poussa la brutalité jusqu'à le soufQeter
de sa propre main. Le malheureux roi,
outragé, dépoMîllé de ses États, fut con-
traint de consentir à une paix humiliante
et de livrer au vindicatif Fr^ose son
oncle le connétable de Chypre , qui fut
emmené prisonnier à Qèiies. En 9e reti-
rant de rtie de Chypre, 1374, Frégose
rendit la liberté au roi; mais le rp^^ume
ne se remit jamais du coup qui lui avait
été porté : la flotte était anéantie, Farmée
dispersr-e, les revenus engagés par les
tributs énormes qu'exigèrent les Génois
avant d'évacuer toutes les places dont
ils s*étaient efvip^rés, expepté Fama-
gouste.
Pfins cet état de misère et de délabre-*
ment, le royaume des tusignans serait
devenu la proie de quelqu'un des émirs
de TAsie Mineure, et surtout de Tacca ,
le plus acharné à sa ruine, si la crainte
des chevaliers de Rhodes d'un cfité, et
des sultans ottomans de Brousse de lau*
tre y n'eût préoccupé ces émirs du soin
de leur propre défense. I^e royaume de
Chypre vécut encore un siècle, parce que
personne ne se présenta pour lui donner
le coup de mort. Aux misères publiques
se joignent à cette époque les désordres
et les crimes des princes de la famille
royale. La reine Éiéonore faisait assassi-
ner le prince Jean, oncledu roi, qui laissa
tuer volontiers le meurtrier de son père.
La dépravation des mœurs avait fait d'ef*
frqyants progrès , et rappelait celle des
temps anciens. L'exemple des nombreux
assassinats commis à la cour avait ré-
pandu de tous côtés l'habitude du meur-
tre , et on ne se faisait plus justice que
par le poignard (1). Faible au dehors,
méprise au dedans, Pierre II crut se rele*
ver et s'affermir en épousar^t Valentinfi
Visçonti, fille de Jean Galéas r% duc de
(0 Vçy. rhiatoire de Tib«t dans Loredaqo,
t. II, p. 84, eiBibUotU, de r École (Us Chartes,
t. II, p. 125, a* série.
Milan, ^ui avait foiuié (laps l'Italie lei^-
tentrionale un puissant Etat, et dont il
espérait se faire un qppui contre les Gé-
nois. Ce marivige augmenta encore les
troubles de la Emilie royale. Éléonore
et Yalentine devinrent ennemies mortel-
les , comme il arrive souvent entre bru
et belle-mère; et,apr^ les plus violentes
querelles, la reine mère céda la place à la
jeune princesse, et se retira en Aragon.
Pierre II commençait 9 espérer qu'il al-
lait enfin trouver la tranquillité dans
son palais, lorsqull fut atteint d'une ma-
ladie qui l'emporta ep quatre mois, à
r^ge de vingt-six an^. Il en avait régné
onze. Il ne lais!>ait pas d'enfants . et Ct
héritière de tous ses biens sa sœur Marie,
femme de Jacques de Lusignan, comte
de Tripoli.
BÈ0NE PE Jacques V^ ( 1382-20 sep*
tembre 1398). — Après la mort du roi,
il fut longtemps délibéré dans rassem-
blée de la haute cour sur rélectiou de
son successeur. Deux partis étaient en
présence; l'un reconnaissait le^ droità
de la sœur du feu rpi. et voulait mettre
la couronne sur la tête de son époux ,
Jacques de Lusi^an, opmte de Tripoli;
l'autre soutenait les prétentions plus
fondées du connétable, oncle du roi,
dont on n'osait contester les droits que
parce qu'il était eppore retenu prisonnier
a Gènes. Fjifin la jeune reine Valentini'
Yisconti avait aussi ses partisans, qui e^*
péraient faire tourner à son avantage le
conflit suscité entre les héritiers du nom
de Lusignan. Mais leurs intrigues furent
déjouées ; et la haute cpur proclama roi
Jacques I^^ ancien connétable de CIiypr<;,
à qui les Génois permirent d*aUer pren-
dre possession de son royaume, moyen*
nant un traité avantageux. Les priooi*
{lales conditions de (fe traité furent que
es Génois retiendraient la villç de F>
magouste et deux lieues de pays aux en-
virons , avec les gabelles de la mer pour
cent mille ducats, qu'ils auraient le droit
d'exercer toutes sortes d*arts dans toute
l'île, et qu'ils jouiraient de tous les pri-
vilèges qui étaient accordés aux Cby*
priotes. Jacques 1^^, pressé d^allfir jouir
4u titre de roi, consentit à ce traite, qui
te forçait à partager son royaume avec
la république de Qènes (1).
(<) Loiedano, l. )X» t. II| p. roS»
ILE D^ CHTFRE^
La fituation extérieure du rovaueie
de Chypre n^était guère plua brillaote.
De toaUs le$ eonquêtes de HuKues IV et
de son fils en Asie Mineure, u oe res-
tait au roi Jacques que le château de
Gorbi^o9. Les bautea et puissantes for*
tiflcatioDS de ce château en rendaient la
coDiervdtioa facile; la sûreté de sou
mouillage et soq heureuse situation vis-
à-vis de nie de Chypre anoenaieot tou-
jours de nombreuse navires dans son
port. Aus$i le» Lusignans, au milieu de
leurs désastres ^ ne négligèrent jamais de
pourvoir à sa défense ^ mais si cette place
resta encore longtemps en leur pouvoir,
les Lusignans le durent nnoins à leurs
moyeus de défense qu*aux graves événe*
ments dont TAsie Mineure était alors le
théâtre, et quj détournaient ailleurs Tat*
teotioodes pnncesde Caramanie. La puis*
sance des sultans ottomans de Brousse
n'avait cessé de grandir ; et elle avait ab-
sorbé presque toutes les principautés d'A-
sie Mineure par des mariages, des achats,
des soumissions volontaires ou des vic-
toires. Des dix principautés formées de
Tempire dlconium , il ne restait plus à
soumettre que celle de Caramanie au
moment où Bajazet fut reconnu sultan.
La guerre éclata entre les Ottomans et
les Caramans. Ala-Eddin fut vaincu par
Bajazet, qui réunit la Caramanie à sou
empire l'an 1392. La soumission de l'A-
sie Mineure fut complétée par la défaite
du prince de Castamouni, dans Tan-
cieono Cappadoce; et il ne resta plus aux
chrétiens dans cette contrée que Smyrne
et Gorhigos. Bajazet, détourné sans
doute par des soins plus importants, ne
songea pas à reprendre cette deraïère
place, et le roi Jacques V en conserva
b paisible possession.
NoD'SeuIement, dans cette nouvelle
période de leur histoire , les Lusignans
avaient renoncé à toute hostilité contre
ksTures, mais il s'était même établi des
relations amicales entre les puissantssou-
▼erains de Brousse et la petite cour de JNi-
Gûsie. Aussi, après la bataille de Nicopo-
liSiOù Bajazet dispersa Tarmée chrétienne
<)ui était venue rattaquer en Hongrie,
quand on traita du rachat des vingt-cinq
prisonniers qui appartenaient aux plus
Illustres familles cfe France , on s'adressa
ao roi de Chypre pour qu'il travaillât à
apaiser Bajazet et à l'amener à un aeeooi*
. modement (1). Jacques I^^ ne ebarg^
volontiers d entamer cette négoeiation ;
il tenait à témoiper sa bonne volonté
envers la France, pour se concilier la
faveur de la cour et de la noblesse de ce
rovaume et s'en faire un appui contre lf$
Génois. Il envoya à Brousse une ambas-
sade composée des plus nobles ebevaliere
de l'île de Chypre. Le chef de cette dé-
putât ion offrit au sultan de la part du
roi Jacques un riche drageoir en or, re«>
présentant un navire, et valant dix mille
ducats. C'était un chef-d'œuvre de l'or*
févrerie de Nicosie, assex florissante dès
le treizième siècle pour être constituée en
maîtrise par les Lusij(nans. « Et étoit la-
dite nef d'or tant belle et bien ouvrée
que grand plaisir étoit à regarder. Et U
reçut et recueillit ledit Aniorat (c'est la
nom que les chroniqueurs du temps don-
nent a Bs^azet). A gr.md gré il demanda
au roi de Chypre que il lui feroit valoir
au double en amour et en courtoisie. »
Le succès de ces premières démarches eut
pour effet de dissiper les préveiuione
que l'on avait en France contre le roj
Jacques, dont ou n'ignorait pas le con-*
senteinent criminel au meurtre de loa
frère Pierre F^ Satisfait des témoija;uagea
de confiance qu'on lui prodigua, il con-»
tinua ses bons offices, et contribua puis-
samment à activer la conclusion du
traité qui rendit à la liberté le comte de
I^evers et ses compagnons, vers le milieu
de Tan 1397, moyennant uue rançon de
deux cent mille ducats, dont les seigneurs
Génois d'Ahydos, de Lesbos et de Chio
furent les principaux garants. Le 7 jan*
vier 1398 le sire de Beyrouth, neveu
du roi Jacques et son ambassadeur eu
France, signait à Paris un traité d'alliance
avec Amanieu d'Albret, mandataire de
Charles VI, par lequel le royaume de
Chypre était réconcilié avec la France .
et par conséquent replacé dans l'amitié
des princes de l'Occident. Néanmoins
les Lusignans conservèrent leurs rela-
tions pacifiques avec les Ottomans, et,
autant par politique que par impuissance,
s'abstinrent d'entrer dans la nouvelle
confédération que les États chrétiens or-
ganisèrent contre eux après la déli*
vrance des prisonniers. Le roi Jacques
ne songeait qu'à relever la prospérité de
(i) Froisnrt, I. lY, c. xv.
5.
ta
L'UNIVEBS.
protoDgation de son existence qu*à t*ac*
iive protection des cheyaliers de Rhodes.
On sentait que ]e royaume de Chypre
allait échapper des mains débiles qui
n*en pouvaient plus tenir les rênes. Gè-
nes, rÉgypte, les émirs de PAsie Mi-
neure, pf'ut être les chevaliers de Rhodes
épiaient le moment favorable pour s*em-
parer de cette riche proie. Auctm d*eux
ne Tobtint; ce fut Venise qui recueillit
rhéritage des Lusignans.
RÈGNE DE Charlotte et ns Louis
DE Savoie (26 juillet 1458). —Jean It
avait eu de son mariage avec Hélène
une fille, la princesse Charlotte, quiétalt
sa légitime néritlère. Mais toute sa ten-
dresse s'était portée sur Jacques , son
fils naturel. Cependant à sa mort Char-
lotte fut reconuue reine de Chypre, et
elle partagea le trône avec son mari,
Louis de Savoie, prince médiocre, qui ne
lui fut d'aucun secours dans la guerre
civile que rambition de Jacques le Bâ-
tard ne tarda pas à allumer. En effet
Jacques , forcé de quitter le royaume ,
après le couronnement de sa sœur, se
rendit au Caire, demanda une audience
au Soudan , et, s^adressant à ce prince,
comme au suzerain du royaume de Chy-
pre,il le supplia de le mettre en possession
d*un trône dont il se prétendait injus-
tement dépouillé. Jacques n^était qu*Un
ambitieux, déjà souille de crimes; mais
sa jeunesse, sa beauté, ses manières no-
bles et aisées, ses vices brillants, le ren-
daient agréable à tout le monde. Le sou-
dan, datte de cet acte de soumission,
dont il n^avait pas à apprécier la bas^
sesse , le couronna roi de Chypre, et lui
donna quatre-vingts vaisseaux et de
bonnes troupes pour soutenir ses pré-
tentions.
Règne de Jacques II (septembre
1460-6 juin 1473). — A la tête de ce puis-
sant armement, Jacques débarque au
port de Constance, près de Famagouste,
et le plus grand nombre des Chypriotes
se déclarent pour lui. Alors la confusion
est au comble. Les Sarrasins pillent le
royaume au nom du roi Jacques; les
Génois le dévastent pour leur propre
compte. Louis de Savoie défend molle-
ment le trône de sa femme Charlotte ;
et chassé de position en position il va
se jeter dans le ctiâteau de Cérines » où
Jacques , maître de Nicosie et du reste
de nie, vint bientSt Passif. Mais il
n'y tint pas longtemps; il s'ecfaâppa par
mer, et revint en Piémont. Cependant
Charlotte, pins résolue, passe en Italie,
rassemble quelques soldats, débarque
hardiment à Panhos, dont elle s>mpinre,
traverse toute rtle, couverte de bandes
de Sarrasins , de Catalans , et ravitaille
la forteresse de Cérines. Vains efforts!
les ressources lui manquent, 1e^ peuples
Fabandonnent , elle il'éloigne, le ectnir
navré, et la forteresse de Cérines se reikl
au roi Jacques le 25 avril 1464.
Jacques s*était emparé du trône par
d'odieux moyens ; mais il ne se moritra
pas indigne de régner. Il reprit Fama-
gouste aux Oénois, qui roecupalent de-
puis qnatre-vinst-dix ans. Cette con-
quête, tant de fois tentée et abandonna
par ses prédécesseurs, affenhit son pou*'
voir et parut le légitimer. Il acheva et
gagner les cœurs par ses manières affa-
les, par son attention à ménager i*argeRt
de ses sujets, et à regard de ses ennemis
par un heureux mélange de fermeté et
de clémetice. Loredano fait de ce toi un
éloge complet, et Pégale aux plus grands
de sa rtce. Mais récrivain vénitien est
prévenu en faveur du prince que sa pn-
trie avait adopté et dont elle hérita. Il
fest également , par la même raison ,
contre Charlotte, sa sœufet sa rivale,
qu'il efface trop dédaigneusement de ses
récits. Et cependant rhistoire témoigne
de rhéroisme et du grand étisur de eette
princesse, qui lutta si éner«(}quement
contre la fortune de Theureut bâtard
Ïui la détrôna. En effet, la reddition de
érines ne Ta pas découragée; elle
court à Rhodes, elle ouvre des négocia-
tions avec les Hospitaliers , avee les Gé-
nois, avec le sultan de Constantinople;
elle tente de mettre dans son parti Td-
miral et la flotte de Tenise envoyée pour
soutenir son adversaire; puis, quand elle
Se voit délaissée, ruinée , quatid ses par-
tisans sont battus ou bannis, que la Sa-
voie la repousse, que les ptinCeS de TEu-
tope restent sourds à ses prières ; quand
elle a perdu Tunique enfant à qui elle
oôt laisser la couronne , elle adopte on
nls du roi de Naples ; elle se rend au
Caire avec lui, et entreprend de changer
la politique du Soudan ; enfin, quand le
sort fait échouer toutes ses généreuses
tentatives , accablée de souffrances et de
ILE DE CHYPRE.
71
peines, elle vient tuotirir à Rome, à Fâgd
dequarante-neafans, auprès du Vatican,
où avaient toujours été ses pins fidèles
amis, et de la basilique dé Saint^Pierre^
où ses restes reposent ertcore (t).
VâppiA de Venise avait rendu inu«
tîles tant dVfforts et de persévérance î
le trdne de Jacques était affermi ; Génès
avait perdu le poste imponant de Fa*
magodste, et rinfluetice, des Vénitiens
augmentait de iour en jour dans le
foyatime et sur le 1*01 Jâdqties, quMIs en*
trjfnëfetit dans là ligué formée par les
princes cbrétienâ dontfe lès Ottomans.
Jacques renonça à la politique Suirie pai^
SCS pfédécessears , et l'on tit les galères
chypriotes combattre suf les côtes dé l'io-
nié et de la Pamphylle à côté des navires
Vénitiens, sOus les ofdres du généra-
lissime Pierre Mocenlgo, qui renouvela
datisses brillantes eampagties de ta guerre
de 1470 les exploits de Hugues IV et
de Pierre 1**^. Le mmidge de Jacques
avec Catherifte Cornaro avait resserré
les liens de soxl Union avec la république
de Venise. Ce mariage fut eonciu par le
sénat vénitien avec une solennité extra-
ordinaire. Le sénat délibéra sur cette
alliance, Tapprouva par un décret,
adopta la JeUlie Catheritie. et là déclara
fille de la république vénitienne, sa-
chant bien que la mère survivrait à sa
fille et' qu^elle en bérit^ait. Tout se
passa comme Tavaient prévu les fins poli-
tiques du sénat de Saint-Mard Catherine
devint reine de Chypre en 1471. Une
foule de Vénitiens s'y installèrent à sa
suite. II semblait déjà qu*ils fussent maî-
tres de nie. Deux ans après Jacques
mourut (1473). 11 laissait sa femme en-*
ceiDte. Elle accoucha d'un fils : on rap-
pela Jacques , comme son père. Il fut
reconnu roi; Catherine eut la régence,
les Vénitiens le pouvoir réel. Ce furent
eux qui réprimèrent leS complots des
partis : tout était tranquille sous leur
domination, et cette situation aurait pu
S6 prolonger longtemps si la mort n'edt
eulevé le petit pnnce le jour même qu*il
achevait sa deuxième année ( 1475).
L1lK de CâV^ÂE »ASéE sous LA
DOMINATIOÎÏ DÈS VENITIENS. — Lfl
mort du petit roi Jacques devait chan«>
(i) BiU, de VÈgpU des Chartes^ t V»
p. 434.
§ef entîèi^ment la situation politique
e rtle de Chypre , et la faire retomber,
après trois siècles d'indépendance, sous
la domination étrangère. Il y avait long-
temps que ce royaume avait cessé d*étre
le boulevard de la chrétienté contre lés
Turcs, qu'il ne se défendait plus par ses
propres forces et qu'il était tombé en
tutelle. L'extinction de la dynastie des
Lusignans le livra aux mains' de la puis-
sance qui le protégeait alors, et qui le pré-
serva encore pendant un siècle de l'inva-
sion des Ottomans. En effet , tout était
prêt à la mort du roi eufant pour Tàc-
eompliâsement de cette réunion que pré-
f)âratt de loin la politique prévoyante de
'aristocratie vénitienne. Lés Chypriotes
auraient bien voulu se maihtenir an rang
de royaume indépendant ; et ils désiraient
Texécution du testament du roi Jacdues,
qui appelait à la succession ses entants
naturels. Mais les Vénitiens étaient maî-
tres du pays par la précaution qu*avait
prise Mocenigo de s'assurer les forte-
resses, et par Ta présence de Loredano et
de sa puissante flotte. Toute là noblesse
chypriote était depuis longtemps tenue
dans la dépendance et l'abaissement. Il
fallut continuer à obéir à lu reine Cathe-
rine, qui, obsédée par les Vénitiens, con-
sentît à renonce)* à ^on royaume en fa-
veur de la république (t). Le séuateuf
Georges Cornaro, son frère, flit chargé
d*obtenir d'elle l'acte d^abdication. 1( lui
représenta si vivement les dangers aux-
quels Texposait l'esprit séditieux de set
sujets, et Fambition menaçante des
Turcs , qu'elle abandonna ce trdoé si
chancelant et si périlleux pour h souve-
raineté, moins brillante mais plus pai-
sible, de la Tille d'Asolo, One le sénat lui
cédait en compensation. L'impuissance
des Chypriotes était trop grande pouf
qu'ils pussent s'opposer à Tinstallatioù
du gouvernement vénitien , et tout ce
qu'ils purent obtenir fut une promesse
lormelle que le sénat de Venise les gou-
vernerait selon les lois fondamentales
des Assises. L'an 14^9. iâ reine Cathe-
rine s'embarqua pour Venise avec soû
frère Georges Corflaro et les troîs (ils
naturels de Jacques, qu'il eût été impru-
(i) Dominique Jauna, ffutcire générale
des Éojraumes de Chypre, de Jérusalem, d^Ar^
ménie et d^Égyptey t. 11^ 1. XXIII, c, xf.
73
LtmiVKRS.
dent de laisser dans l*!Ie. Le doge Au*
is^ustin Barbarigo, accompagné de tout
le sénat, monta sur le Bucentânre pour
allprau-«levant de cette princesse. Cathe-
rine fut conduite en triomphe à i'églUe
de Saint-Marc, où elle présenta au doge
la Ggure de Tîle de Chypre en argent ,
et m reçut en échange celle de la petite
ville d'Asolo. Après quelques mois de
séjour à Venise, Tancienne reine de
Chypre se retira dans sa résidence d'A-
solo, où elle vécut jusqu'à une vieillesse
très-avaucée, entourée de toutes les
pompes et de tous les honneurs de la
royauté. Deux ans auparavant, 1487, la
reine Charlotte était morte à Rome ,
en faisant une donation solennelle du
royaume de Chypre à Charles duc de
Savoie , avec le titre et la qualité de roi,
pour lui et tous ses successeurs. Depuis
cette époque les princes de la maison de
Savoie ont pris le titre de rois de Chypre,
État de l*Île de Cbypbe sons la
DOMINATION VENITIENNE. — Le séna-
teur François Priuli , chargé par la ré-
Ïmblique d organiser le gouvernement de
Ile après le départ de la reine Cathe-
rine, donna sur-le-champ l'ordre de
démanteler les châteaux royaux de Saint-
Hilarion ou Dieu-d' Amour, de Kantara,
deBuffavent, de Cave, de Potamia, et de
Sigouri, qui exigeaient des garnisons trop
coiisidérahles. Il vendit aux plus offrants
les titres et les fiefs de la couronne, dans
Tintention d'abaisser la noblesse chy-
priote ; celle-ci vit s'élever à son niveau
des parvenus sans naissance, que le sénat
vénitien lui opposait pour la tenir en
échec. Cependant, au dire du père Lusi-
gnan, « les Vénitiens ont toujours gou-
verné nie de Chypre selon les /^ssiaes de
Hlérusnlf'm, ayant les nobles en grande
réputation, lesquels le sénat appeloit
confédérés et non subjects, pour ce qu'ils
n'avoient pas acquis le puis par force ,
mais par amitié (l). » Le père Lusiguau
devait regretter la domination vénitienne,
qui avait reculé de quatre-vingts ans Tas-
sujettissement de sa patrie par les Turcs ,
et ses regrets étaient d'autant plus vifs
qu'il avait vu Tafireuse catastrophe dans
laquelle l'indépendance de Chypre avait
succombé. Sous le gouvernement de Ve-
(t) Lusignan, Description tfe toute Visie de
Chypre, p. a 1 3,
Dise Chypre eonserva les institotîoDS
civiles et judiciaires des Lusignans. Elle
perdit seulement la liberté politique. Le
gouvernement civil et l'administration
furent confiés à un lieutenant et à deux
conseillers, qui s'appelaient tous trois les
recteurs ou régents. L^autorité militaire
était confiée au provéditeur, et les finan-
ces à deux camerlingues ou chambellans.
Le sénat changeait ces officiers tous les
deux ans. il maintint Tancienne divi-
sion du pays en douze districts, avec les
mêmes limites qu'au temps des rois Lu-
signans. On établit dans chaque district
ou contrée un capitaine avec une com-
pagnie de trois cents hommes pour ga-
rantir l'ordre et assurer la défense du
pays. Outre ces douze compagnies, le
sénat entretenait mille cavaliers Alba-
nais ou £(ûrote$ pour la garde des cô-
tes, dont on avait conservé les fortifi-
cations, tandis que toutes celles de Tin-
térieur furent détruites. Par la sagesse
de ses mesures et Thabileté de son ad-
ministration, le sénat put tirer d'abon-
dants revenus de Hle de Chypre , et en
rendit Tacquisition très-lurfative pour
la république. On en retirait tous les
ans un million d'écus d*or, outre toutes
les dépenses nécessaires pour l'entretien
des officiers et la solde des troupes qui
la gardaient : de plus huit milte écus
d'or pour le tribut du soudan , que le
sénat paya ensuite à la Porte lorsque le
sultan Sêlim eut conquis T Egypte.
La noblesse chypriote^ après avoir
fait quelque bruit, et montré de mau-
vaises dispositions contre le gouverne-
ment vénitien, finit par s'y accoutumer
insensiblement, ainsi que le peuple, et se
calma tout à fait. Elle se plongea dans
Toisiveté et la mollesse, heureuse de D'a-
voir plus à combattre pour sa défense et
eelle de la chrétienté. Pendant presque
tout le oours du seizième siècle, File de
Chypre semble sommeiller au sein d*une
paix profonde, d'où elle devait être arra-
chée par un terrible réveil. Les seuls
événements de son histoire à cette époque
sont les grands fléaux naturels qui la
frappèrent, et qui se montrèrent alors
plus fréquents et plus extraordinaires
que jamais. En 1493 un tremblement de
terre ébranla toute l'île, fit de grands
ravages et renversa une partie de I église
de Saint&^pbie, cathédrale de Nicosisi
ILE 0B CHYPRE.
73
En 1543 les tremblements dé terre re-
commencèrent, et furent suivis de i*in*
vasioD des sauterelles, qui s'abattirent
en si grand nombre sur Tlie qu'elles la
dépouillèrent de toute sa vrgétation.
Les habitants de Chypre furent nourris
par d immenses convois de vivres qu*on
T importa. En 1547 tout le pays fut dé-
solé par des pluies extraordinaires, qui
diangèrent toutes les rivières en torrents,
et la disette fut aussi grande qu'après le
flfau des sauterelles. En 1565 une cause
différnite produisit la même calamité.
La sécheresse fut telle, que les terres ne
produisirent presque rien, et encore celte
fable ré(*olte fut-elle exportée parles ad-
ministniteurs vénitiens, hommes avides»
empressés de réaliser de gros benéûces.
Cette fois la famine fut si grande et la
souffrance do peuple si cruelle, que, sor-
tant de leur résignation apathiqire. les
Chypriotes se soulevèrent, assiégèrent
b'ré^ents dans leurs propres maisons ,
où ils les auraient assommés sans Tin-
t(r\eDtion des nobles de Nicosie, qui
obtinrent des régents qu'ils ouvriraient
leurs magasins au public.
PBÉPAB4TIFS DE DEFENSE CONTRE
LES TuBCS. — Mais le plus crand dan-
ger de rile de Chypre venait des progrès
effrayants de la puissance ottomane, qui
sVtait considérablement agrandie en
Asie et en Afrique, et au milieu de la-
quelle cette tle était comme enclavée.
SoQfent les galères turques avaient in-
stilté ses côtes , et préludé par des ra-
vages partiels à la grande entreprise qui
slait s'accomplir. Du vivant même de
Soliman le Grand, son fils atné, Sélim r%
nommé gouverneur de la Caramanie,
avait fait comprendre aux Vénitiens, par
ses préparatifs et son attitude aggressive,
tout ce qu*its avaient à craindre pour
leur lointaine et précieuse possession.
Regardant U guerre comme mévitable,
le sénat résolut de mettre Ttle en état de
K défendre. Toutes les forteresses de
riiitérieur avaient été démantelées ; celles
<lesrdtes« excepté Famagouste, étaient
dans un grand délabrement. La répu-
blique envoya Jules Savorniani , habile
ô)§énieur,d'une noble famille vénitienne,
pour relever toutes les fortifications qu'il
juRerait nécessaire de rétablir, avec or-
dre e hâter les travaux et de profiter
^ Tabsenee de Soliman, qui faisait alors
la flMrre en Hongrie à l'empereur Maxi-
miîien II (1666). Savorniani, accompagné
4*une commission d'ingénieurs au'on lui
avait adjoints, parcourut Hle d un bout
à Tautre, et ne trouva que les deux places
de Cérines et de Famagouste en état de
résister à une surprise, mais non à un
siège régulier. Il fit non-seulement ré-
parer et augmenter les fortifications de
ces deux vUles, mais il résolut de mettre
Nicosie en état de défense, et il confia
aux nobles et aux habitants de la ville
Texécution de ces grands travaux. Ceux-
ci, pei suadés de Téminence du danger,
mirent à sa disposition leurs biens et
leurs personnes, et le secondèrent acti-
vement. Savorniani fit abattre les anciens
mursde Nicosie elles maisonsadjacentes;
il en réduisit la circonférence d*un quart,
divisa c«tte nouvelle enceinte en onze
bastions, et n'y laissa que trois portes, au
lieu de huit qu'elle eu avait auparavant.
Ayant choisi onze des plus riches et des
plus puissants seigneurs de File, il leur
confia le soin de conduire les travaux, de
pourvoir à la dépense, et permit a chacun
d'eux de donner sou propre nom au
bastion qu'il devait construire. L'habile
Savorniani fut parfuitemeiit secondé par
le zèle des Chypriotes , et en moins de
six mois Moosie , entourée de bonnes
murailles en pierres de taille, bien ter-
rassées, avec un large et profond fossé,
et un ciiemin couvert, paraissait en état
d'offrir à ses habitants un asile inexpu*
gnable. Du fond de la Hongrie, ou il
raisait aux Impériaux une guerre impi-
toyable, Soliman jura de cliatier Venise
de Taudace qu'elle avait eue de fortifier
contre lui-même une province qui rele-
vait de son empire. Mais la mort, qui le
surprit au siège de Zigeth, le disfiensa
d'accomplir son serment, que son fils
Séitm se chargea d'exécuter.
Comment le sultan Selim II
SE détermine a. bntbbpbendbe la
C0NQ13ÉTB DE L'ÎLB DE CHYPBB(I). —
(i) Voir pour celte gnerre : Oraliani, His-
toire de la Guerre de Chypre, écrite en latin,
et U>aduite en français par Lefieletier, in-4<*y
1701; Dapper, Description de t Archipel ^
p. 79; Jauiia, UuU de L hypre^ etc, liv. XXIV
el xiv ; La vrayeet très-Jidèle Narration dti
sucrés des assaïUts , défense et pritise du
royaume de Cfffre^ par Père Ange Calepiea de
74
I/tiRïVERS.
Bans les premières années de aoii ir^e,
Séiiiti, embarrassé parla guerre de Hon-
grie et pht une révolte des Arabes de
rYémen.fut obligé d'ajourner rexécutîon
de ^es deâs^ns contre Ttle de Chypre.
Mais dès que la tranquillité fut rétablie
à fdrient et à i'oeddent de son empire,
Il songéft éériettéement à rompi^e avec
Venise et à étende son empire aux
détyenâ des pnisBances chrétiennes de la
Méditerranée. Sélim avait accordé toute
sa confiance è un juif portugais, nommé
doih MigUez ou Joseph I*lassy; cet
ftomme , qui s*é(ait fait chrétien et qui
était retourné à ia religion juive, s'était
rendu agréable à Sélim, avant son avè-
nement au trdne, par ses prêts d'argent
et sa complaisance pour tous les vices du
Jeune prince, à qui il procurait les meil-
eurs vins du Levant, et surtout ceux de
rtie de Chypre. Peu scrupuleux sûr l'ob-
servation des préceptes du Coran^ Sélim
avait un penchant décidé pour l'ivro-
gnerie, et il se laissa facilement persua-
der par les propos de son favori à pré-
{)arer la conquête de Ttle qui produisait
es vins délicieux qu'il aimait tant (i).
Un jour, dans Tenusion produite par
de copieuses libations de vin de Chypre,
Sélim, se tournant vers le juif, qui était
devenu son favori et le compagnon de
ses plaisirs, s'écria : « En vérité, si mes
désirs s'accomplissent, tu deviendras roi
de Chypre. » Ces paroles, prononcées an
sein de Tivrcsse, remplirent Joseph Nassy
d^spérances si ambitieuses, qu*il fit sus-
pendre dans sa maison les armes de
Chypre avec cette inscription : < Joseph
Cypre, de Tordre des frères prêcheurs, dans
Fonrrage de Lasignan, p. 957 ; de Hammer^
Histoire de C Empire Ottemûa, t. yi ,
I. XXKVI, p. 383.
(f) Sélim devint maître de cette île tant
éônvoitée ; il trouva se perte dam sou succès
aième. Ob lui envoya ks meilleurs vins de File
après la conquête. Le i" décembre 1574,
UD jour qu'il visitait un bain nouvellement
construit, Sélim se sentit saisi par le froid en
entrant dans dés salles encore toutes fraîches.
Il demande aussitôt un flacon de vin de Chy-
pre, et boita I<)ngs traits. La force du viù Ten-
ivre , il chancelle, lombe, et se frappe vio-
lemment la tète cont^ les dàfles de ttiarbre.
Onze jours après i! expirait dans le délire,
Py>jr. le Correspondant, du 10 aoât 1847,
o. Se)«
réi de Chypre, v Quand Sélim monta
'sur le trône, il combla son favori de
bienfaits : il lui donna le titre de duc
de Naxos et des douze principales Cy-
clades , qui furent enlevées à la dynasâe
vénitienne, qui les possédait depuis trois
siècles. C'était un commencement de ru»-
ture avec Venise ; toutefois la suerre n'é-
clata définitivement qu'après le rétablis-
sement de la paix en Hongrie et dans
TTémen, et quand Josenh Nassy, qui
n'oubliait pas sa royauté ae Chypre, eut
réussi par ses intrigues à vaincfe l'oppo-
sition du grand vizif, et par ses complai-
sances à rallumer les passions dd saltan
Sélim. Le juif ayant mis dans ses inté-
rêts le moufti Ebousoueùd, celui-ci pu-
blia un fetwa nui déclarait la guerre avec
les infidèles Iqçftime et nécessaire. L*in-
cendie de l'arsenal de Venise, allumé
{leut-étre par les émissaires de I^assy,
e 13 septembre 1569, donna encore plus
de force et d'ardeur au parti qui à Cons-
tantinopfe voulait la guerre avec cette
puissance. Sélim fit demandef aux Véni-
tiens là cessioil de Ttle de Chypre, et sur
leur refus l'expédition fût dénnitivement
tésolne.
DÉISABQtJfiMENf nSS TtACS BAHS
lIlb de Chyphe (1570).— a Cette nou-
velle l'effroi se l*épandit dans totite la
chrétienté; ce n'était pas seulertietit Tîle
de Chypre, mais toute la domination vé-
nitienne et tous les rivages chrétiens de
la Méditerranée qui se sentaient menacés
par l'invasion ottomane. Le pape Pie V
appelle l'Europe aut armes; on négocie,
on s'empresse , on s'agite sans pouvoir
se concerter et prendre des mesures
Eromptes et énergiques. Venise, tr^m-
lante pour elle-même, met en défense
ses possessions de terre ferme, et elle ou-
blie d'envoyer en Chypre les troupes
nécessaires pour garder leS fortldcations
de Savorniani. Cependant les Tu rés, bien
plus actifs que les chrétiens, et tous
unis sous un même commandement.» pré-
paraient un armement formidable à Rho-
aes et à Megrepont. Lala-Mtiâtapha fut
nommé âeraskier des troupes de débar-
quement, et Piali-Pàcha commandant
de la flotte, qui se divisait en trois esca-
dres, et comprenait en tout trois cent
soixante Voiles. Le l*"* juillet 1570 la
flotte turque jeta fancfe dans la rade
deLimassôl, près de Tancienne Anoa-
ILE DE CHYPRE.
n
tbonte, etopéra son déb«)rqtieiiieitt sém
obstacle, graee à Pincurid et à F iûeapa*
6té dû ttrotéditêur Iffeolo Dandoio,
fluidéfenmtà Hector Baglioni^ eommaii-
mi dé rifffaoterie, de s*opposer à cette
descente. Dtfits un eonMÎil de guerre,
tenu au botffg dMsehîa, dans la Messa*
rée, oâ rimprétojanée du pro?éditeur et
rioéapacit^ présomptueuse du comte de
Rdeas, général de la eâtalerie, se réuni-
rent pont fepousser les sages conseils dé
fiaslioni , H nit déHdé (}u*nn ne songerait
i)u'è fa dëfenae de Nicosie et de Fama-
Rouste, sans se niHtre en peine du reste
h Ytie, d*oô té manTtfis air, ies chaleursr
etee^sHree et les maladies chasseraient
bientôt les etiflemîs. Ce fût pour ce»
tailler raisons nu'on laissa tes Turcs dé-
barquer traA(|tiulement dans nie comme
fôr une terril de leur empire. Lé fort de
Leftàri dans té voisinage de Llmassol,
/était rendu à fa première sommation,
et le séraskiéf Mustapha avait épargne
la fie et les biens des habitants, pouf
engager par cette feinte modération lett
autres tîiles à fait-é une prompte sou«
mission. Mais les Ténitlens pnévinrent
h contagion de l'exemple en tirant une
vengeance éclatante dé fa trahison dé
Leftari : Hssorpt-irent la olace pendant la
nuit, fflâssacrèfeni la plupart des habi«
tants, et entraînèrent les femmes et les
enfants dans lés montagnes. Cesriffueurtf
i»rai$saiét)t nécessaires : un grand nom«
bre de Grecs, en baitie des Latins, lé
bat peuple, en haine des grands, voyaient
sans inquiétude et drec une sorte de fé*
venr Tentreprise des Turcs qui devaient
les débarrasser de leurs maftres actuels.
SrfcE «t PBiSÉ DB Nicosie (1570). —
Vers le milieu du mois de juillet, la grosse
artillerie étant débarquée, le séraskiei'
fotiroana un conseil de guerre dans lequel
ii fit aédder aa*on commencerait les
opérations par le siégé de Nicosie, con-
tnÎTttnent à Tâvis du capitdn Piali-Pacha,
qui Toolait d^abord assiéger Famagousté,
pour donner i la flotte roccasion de se
signaler. En conséquence de cette déci«
sion, Mustapha- Pacha , après avoir ra-
ngé tout le plat pays, parut devant les
mors de Nicosie avec une armée d'environ
c?nt mille hommes. 11 divisa l'Infanterie
R^lière en &ept corps, composés de sept
nnile hommes chacun,et leur assigna leur
point d'attaque. Chaque corps avait une
batterie dé sept eanods. La ftarnisim de
If ieosle était forte de dix mille hommes,
savoir : quinze cents Italiens, nrille gen-
tils^hommes avecléursdomestlques, deut
mille cinn cents miliciens libres, trois
ibille Vénitiens de terre ferme, deux cent
cinquante Albanais, et mille nobles dé
Nicosie. Dandolo, Rocas et le capitaine
Palaiso s'étaient enfermés dans la place.
Pendant les sept semaines que dura le
sié^e, Piali'Pacna se tint en croisière avec
la flotte dans les eaux de Rhodes, pouf
fermer le passage aux escadres que les
chrétiens avaient mises en mer. Lés as-
siégés de Nicosie se défendirent brave«
ment, et repoussèretit deux attaques avec
bravoul'e ; mais dans un troisième assaut,
livré le jour de l'Assomption^ ils perdirent
Îdusieurs de leuM malleurs officiers. A
a fin du mois d'août, Piati étabt revenu
de sa croisière, le séraskier fit renforcer
son armée de vingt mille soldats et ma-
telots de la flotte, et ordonna un assaut
général.
Ce dernier assaut avait été fixé au
9 septembre 1570. Les bastions de Po*
docataro, Costanza et Tripoli furent em-
portés avant le lever du soleil; leurs gar-
nisons se retirèrent en désordre dans
rintérieur de la place, où les Turcs se
précipitèrent avec impétuosité. En vain
les habitants, jetant leurs armes, implo-
raient à grands cris la pitié des vain-
queurs, les Turcs les égorgeaient impi-
toyablement. Cependant le provéditeuT,
farchevéque, et les autres magistrats oc-
cupaient encore le palais du gouverneur :
six canons furent pointés sur rédificè,
et le séraskier envoya aux assiégés un
moine qui les somma de se rendre et leur
promit la vie sauve. t)éjd ils avaient mis
bas les armes, lorsqu'au retour du moine,
les Turcs, furieux de leur résistance, pé-
nétrèrent dans le palais et les massacre'
rent tous. I>e tous côtés s'offraient à la
vue des scènes d'horreur et de carnage,
spectacle ordinaire des villes prises d'as-
saut par les barbares. Pour échapper à ta
honte dont elles étaient menacées, plu-
sieurs femmes se précipitèrent du haut
des toits; d^autrès assassinèrent leurs
filles de leur propre main ; l'une d'elles
poignarda sou fils en s^écriant : « Non,
tu n'assouviras pas comme esclave les
infômes passions des Turcs; » puis elle
se frappa elle-même. Yingt mille per«
n
L'UmVEBS.
aoniies forant immolte à la fureur san-
guinaire du vainqueur et deux mille jeu«
nés gens de l'un et de Tautre sexe furent
emmenés en esclavage. Pendant huit
jours la ville resta livrée à la férocité du
soldat; mais Faction héroïque d*une
femme grecque ou vénitienne priva le
vainqueur du principal fruit de sa con-
quête. Poussée par le désir de la ven-
geance ^ elle mit le feu à la galiotteda
grand vizir Moiiammed*Pacbâ et à deux
autres navires, qui, chargés du butin le
plus précieux en or, argent, canons et
jeunes filles des premières familles, at-
tendaient dans le port le moment de met-
tre à la voile. L explosion des poudres
fit sauter le vaisseau du grand vizir, et
le feu consuma les deux autres; mille
jeunes esclaves périrentdans les flammes,
quelques matelots seulement parvinrent
à se sauver à la nage. Enfin le calme se
rétablit. Le séraskier alla le t S septembre
entendre la prière dans 1 église de Sainte-
Sophie, changée en mosquée, et trois
jours après il se rendit devant les murs
de Famagouste, laissant à Nicosie Mou-»
saffer-Pacha avec un corps de deux mille
hommes.
Siège et pbisb db Famagoustb
(1571). — Cependant les galères de Tes*
pagne, de Venise et du pape, commen-
çaient à se réunir, et les Vénitiens fai-
saient tous leurs efforts pour entraîner
leurs. alliés à marcher pour la défense de
rtle de Chypre. La nouvelle de la prise de
Kicosip jeta le découragement et la divi-
sion dans Tescadre confédérée; et malgré
les instances de Zano, lamiral vénitien,
6t de Colonna, amiral du saint-siége,
Famiral espagnol Doria refusa d'aller
chercher la flotte de Piali-Pacha dans
les eaux de Chypre, et l'on resta en sta-
tion dans rîle de Candie. Seulement
douze galères vénitiennes, commandées
rir Marc- Antoine Quirini, parvinrent
jeter dans Famagouste un secours de
seize cents hommes et des approvision-
nements. Ces mêmes galères coulèrent
bas plusieurs vaisseaux turcs , et s'em-
parèrent de celui qui apportait de Cons-
tantino|}le la solde des troupes. Le sultan
s*en prit de ces échecs successifs aux
beys de Chio et de Rhodes, qui avaient
été laissés en station devant File; le pre-
mier eut la tête tranchée, le second fut
privé de son Canal, insigne distinctif des
b^ de o)er« L'hiver avait retardé les
opérations du siège. La flotte des Otto-
mans était retournée à Constantinople;
mais au printemps de 1671 elle reparut
dans Pile de Chypre, et le siège de Fa-
magouste, qui jusque là n'avait été qu uq
blocus, fut poussé avec vigueur
La défense de Famagouste fut bien
mieux dirigée que ne Pavait été celle de
l^icosie. L'héroïque Marc^ Antoine Bra-
gadino commandait en chef la ville et b
forteresse; il avait sous ses ordres son
frère, Jean André. Hector Baglioni était
capitaine général , et Jean Antoine Qui-
rini , intendant. On renvoya toutes les
bouches inutiles, et il ne resta dans U
f»lace que sept mille hommes, nHiitie Ita-
iens, moitié Grecs, capables de porteries
armes. Les fortifications de Famagouste
n'étaient pas en bon état; ses défenseuis
furent inaignement délaissés par lesËtats
chrétiens d'Occident : mais le coura;^
de Bragadino et Fardeur qu'il commu-
niqua à toute sa garnison tinrent long-
temps les Turcs en écliec, et rendirent
gloneux les derniers moments de la do-
mination chrétienne dans Tîlede Cliypre.
La tranchée, ouverte dans le cours da
mois d'avril , était entièrement termiiiée
au milieu de mai, sans qu'il eût été pos-
sible aux assiégés d'y mettre obsta<*(&
Dans une étendue de plus de trois mil-
les (1), Mustapha avait fait pratiquer,
quelquefois à travers le roc, un diemin
large et si profond, qu'un homme à che-
val pouvait le parcourir sans être aperçu;
en arrière de ce fossé on avait construit
dix forts, d'où partait un feu continuel,
qui empêchait les sorties de la garoisoD.
Les murs, les tours, et les bastions étaieot
foudroyés par cinq batteries composées
de soixante-quatorze canons, parmi leir
quels on en remarquait quatre d'un ca-
libre extraordinaire, tels aue ceux que h
Turcs avaient l'habitude d'employer daos
leurs grands sièges à Constantinople, ^
Scutari , à Belgrade et à Rhodes, et que
les historiens chrétiens ap^teLent tantôt
hélépole^, tantôt basilics. Du côtéd^s
assises le feu était dirigé par le gênerai
d'artillerie Martinengo,qui promettait de
soutenir en cette circonstmoe Thonneur
d'un nom déjàillustréausiégede Rhodes.
(i) De Hammer, Sistoire du Ottmoni,
TI, p, 408,
ILE DE <;Rt»ft£.
»T
AffrHvnitaitié ée boittolB les ba»-
tioDsdeFanuurouste, les Turcs en ten^
tarent PeseaMe ; mais la garnison les
repoussa. Toutefois, elle ne put les em-
pn;her de se fofstr dans les fossés, d'où
il fîit impossible de les débusquer. De
part et d*autre on travaillait activement
à creuser la mine ou à Téventer. Mais
les efforts des assiégés étaient inutiîesi
Les travaux souterrains de rennemi
arançaient toujours, et le 21 juin la
mine' éclata au tourillon de Tarsenal,
ébranlant toute la ville et renversant
on éoonne pan de murailles. Aussitôt
les assiégeants s'élancent sur les dé*
eombres, dans Tespérance d'emporter
la place; mais cet assaut n'eut pas
plus de succès que le précédent; Ten*
Demi fut repoussé, après un combat
de einq heures, où il fit de ^andes
pertes, et pendant lequel on vit plu*
sieurs femmes combattre vaillamment
i côté de leurs maris, l^lais quel que fftt
le courage des assiégés et les avantagées
qu'ils remportaient sur les Turcs, ils
s'af&iblissaient tous les jours, sans pou-
voir réparer leurs pertes ni renouveler
leurs munitions, tandis que l'armée de
Uustapha était toujours suffisamment
nombreuse et abondamment pourvue
de tout Le 39 juin une autre mine fit
explosion; un nouvel assaut fut livré par
la brèche qu'elle avait pratiquée, et après
uneaction acharnée et sanglante qui dura
six heures encore, Mustapha fut obligé
de donner le signal de la retraite. Dans
le courant du mois de juillet d'autres
a^uts furent tent^, sans plus dç sue*
ces. Le séraskler commençait à déses*
pérerde pouvoir prendre la place; déjà
ij songeait avee enroi au châtiment qui
Tauendait s'il revenait vaincu. Il ne
cfssait d'exciter par ses paroles et ses
rigueurs le zèle de ses nombreux soldats^
qu'il envo)jraît mourir par milliers sous
Ks murs imprenables de Fama^ouste.
Cependant Bragadino, Baglioni, Tié*
poli et leurs compagnons déplopient
un héroïsme que rhistoire reprochera
toujours à Venise et aux autres États
ehrétiens de n*avoir pas secondé. Ils
sVtaient logés dans les remparts, afin
<fàre prêts à toutes les occasions et de
ne point perdre de vue les défenseurs.
Ils visitaient continuellement tous les
postes. Tous les officiers se faisajent uk
point d'honneur de les imiter, et rï la
place avait été ravitaillée , l'armée des
Ottomans se serait inutilement consu*
mée au pied de s^es murailles. Mais
l'explosion des mines , le feu de i'artiU
lerie des Turcs, le carnage des assauts
avaient singulièrement diminué le nom-
bre des bravesdéfenseursde Famagouste.
La disette de vivres et de munitions où
ils étaient réduits devait bientôt leur
feire tomlier les armes des mains. On ne
trouvait plus dans la ville ni vin, ni lé«
sûmes, ni viande d'aucune espèce. On
était réduit à manger les chevaux , les
ânes, les chiens et les chats. Les hour»
{^eois suppliaient Bragadino de capitul-
er, ce ou^il refusa constamment de faire
tant qu il lui resta des munitions pour
combattre. Le 39 juillet il repoussa uu
sixième et dernier assaut , dans lequel y
debout sur la brèche, il tua plusieurs en*
nemis de sa main et reprit lui-même un
drapeau vénitien enlevé à Nicosie. Mais
dans ce dernier combat les assiégés
avaient épuisé leurs approvisionnements*
H ne leur restait plus que sept barils de
poudre. La garnison, menacée d*un sep-
tième as.saut, dut se résigner à une ca-
pitulation devenue nécessaire, et le dra-
peau blanc fut ar(H)ré sur la forteresse.-
Le l^aoât 1671, après avoir échangé
des otages de part et a autre, la capitula-
tion fut signés avec les conditions sui-
vantes : la garntifon devait sortir avee
ses armes, ses bagages, cinq pièce» de
canon , les trois chevaux de ses princi-
paux chefs, et être transportée immé-
diatementà Candie. Les habitants étaient
libres de quitter la ville et d'emporter
tout oe qui leur appartenait. Ceux qui y
resteraient ne devaient être molestés ni
dans leurs biens ni dans leurs person-
nes. Mustapha n'eut garde de contester
sur aucun de ces articles; il craignait*
trop ^ue les chrétiens ne prissent une ré-
solution désespérée, et il ne voulait pas
compromettre par un nouveau oomnal
et de nouveaux sacrifices une victoire
désormais assurée. Il envoya à l'instant,
des vaisseaux au port, sur lesquels la
garnison commença à s^embarquer pour
être transportée à Candie. Il alieclait de
montrer beaucoup d'estime pour
courageux adversaires, il recevait avee
courtoisie tous ceux qui lui étaient pré-*
sentes, et il leur envoya des provisions:
40 toate ««yèee. M ik il m'y mtàt «i«i|
d« sinoèr« daos tout^ «es «•rtssff , el l#
INNrfide imisuliiuii), cmi ii# poi^yail p«ff«
doooer aux braves défattseurs de Faoi»«
gSùeH» toutes les iogqiétudes qu'ils lui
aTsient causées , méditait OMotre eux la
plus atroee vengeaneer
PSRPIBIK PS MOSTAFHA; eUPF|.ICB
os BBA0ADIVO ET DS 8SS eOMPÂ-*
OSONS. •— Immédiatement après la ca*
pitttlation la ville avait été évaenée, e|
la garnison, embarquée sur les vaisseaux
turcs, n'attendait plus pour mettre à la
voile que la dernière entrevue de Braga«
dino avec le séraskier. « Le â août, Bra?
Sadino envojra au camp ottoman Henri
lartinengo, neveu du général d'artillerie
deeenom, pour prévemr le séraskier qu*il
aurait l'honneur de lui présenter le soir
même les clefs de la ville. Moostapha ré*
pondit à ce message avec toutes les ap-
Sirenees de la courtoisie, et fit dire à
ragadino qu'il éprouverait une vive sa*
tisfaetion à faire connaissance avec les
braves défenseurs de Famagousie. Trois
heures avant le coucher du soleil, Bra-*
gadino sa rendit au camp ottoman aveo
Beçlioni, Louis Martinengo, Antoine
Quif ini, plusieurs autres ofnoiers et une
eseortede quarante hommes. Il marchait
à cheval à la tête du cortège , dans son
eostnme de magistrat vénitien , o'est-à^
dire vêtu de sa robe de pourpre et faisant
porter siur sa téta un parasol rouge , qui
était une des marques de sa dignité. Il
fut reçu avec force civilités ; m pacha
s'entretint quelques instants avec lui
et les personnes de sa suite des événe-
ments du siège. Mais ces trompeuses dé-
raonstrations eessèiwat presque aussitôt :
le séraskier leur demanda quelles sû-
retés ils pouvaient donner pour garantir
le libre retour des vaisseaux chargés de
transporter la garutsen à Candie; et
sur la réponse de Bragadino c|ue la capi-
tulation n'avait rien stipulé à cet égard,
il exigea qu'on lui laissât en otage le
jeune Antoine Quirini. Bragadino se
réeria vivement, et avee plus d'indigna-
tion que ne lui permettait sa position.
Dédaignant alors de dissimuler, le séras-
kier se répandit en imprécations contre
le commandant et tous les Vénitiens, et
les accusa d'avoir fait égorger cinquante
eerins musulmans , malgré leur invio*
iiité, garantie par la capitulation*
|/9IRV9«S'
Bragidiao, qui Ait ahiwlii» à jnetite
ou à nier ce meurtre , n'en oo^tinua pai
moins à refuser avee oomeie et qn pa*
rôles peu mesurées les otegea demandes.
Mustapha passa des injures aux faits, fit
garrotter Bagliooi, Martinango, Quinoi
et Bragadino, et ordonna deles Uaioer
ainsi hors de sa tante; k^ trois pre-
miers forent a Tinstant niaisaosés. hn-
gadino, témoin de leur mort, était ré-
servé a de plus longs tourments î on m
contenta pour ne moment de loi couper
te nez et les oreilles. Ce ne fut que dix
jours après , un vendredi i que fui cod-
sommé son afi&eux supplice; piaoé sur
un siège, une ooqronne à seç pieds, ii
fut hissé sut la vei^qe de la galère do
boy de Rhodes, puis |>longé dans Tesa,
parce que, d'après rhistorien ottoman »
il aurait traité de la sorte dos prisob-
niers turos; cm Un suspf^ndit onsuite au
eou deui paniers pleins de terre , qu'il
dut porter sur les deus bastions pour
aider à leur reopusuruction ; chpqiie fois
qu'il passait devant le séraskier, il était
toroédese prosterner. Enfin, oonduitsur
la place devant le palais de la Si^igneu-
rie , il fut attaché au poteau sur lequel
les prisonniers turcs subissaient d'ordi-
naire la peine de la flagellation • puis
couché à terre et éeorobé vif, « attendu,
dit le général ottoman, que celui quia
Ait couler le sang musulman doit ver-
ser le sien ». Le séraskier et le bourreau,
s'adressent à rfaéroique patioot, N
criaient à la fois i « Oà dono est toa
Christ? çiue ne nent-il à Vau seeoun?»
Sans laisser échapper aucune plainte,
Bragadino récita leAlisfrere au milieu de
aes affreuses tortures , et en prononçant
le onzième verset, Jceardê^mai, Sei^
gneur, mn cœur pmrf sa grande âme
exhala son dernier soupir. Non content
du supplice ignominieux et horrible au'il
avait fait subir à Bragadino, le aérassier
ordonna, dans sa sauvage fÀocilé,qiie le
corps du héros fût écartelé , sas quiitre
membres exposés sur les quatre grandes
batteries » et que sa peau lût remplie de
foin, pour Atre promenée dérisoiremeot
sur une vache, dans le camp et dans la
ville. Cette noble dépouiUe fut ensuite
pendue a la vergue d'une galère, et d^
posée dans une caisse avec les quatre
têtes de Bragadino, Baglioni, Marti*
■ODfl(> •t Quirmi , pour ôdfe envoyées au
ILE jiB cavB&i;.
n.
suiiiB. A GMMiaaliaotle la pmê é»
Bn^dme ûit aposéo dtoa le bigna à
Ja vue dM ctdavci ehréti«M (t). » Quel*
qoet Miiiéet après elle fut rachetée par
son frère et ae« Éls, ensevelie dans un
sépulere de marbre et déposée dans Té*
giise de Saint- Jean et SainUPaul; tandis
qœsfs ossements, leeueillis avec un soin
religieux après son supplice, furent in-
humés dans réalise de SaintpGrégnire.
L'fLK DB CHTPBE SODMISB A LA
MMiNATiON DBS TcBCs. — Apr^ uno
si odieuse violation du droit des gens à
r^rd des ebffs, le reste de la garni-
son ne pouvait plus eompt^ sur les
garanties de la capituletion. Trois œnte
chrétiens qui se trouvaient dans le
eamp des Turcs avaient été massaevés
as moment de Tarrestation de Brafiadino
«t de ses «Mmpagnons. Tous les soldats
embarqués sur les navires turas furent
rédoits en esclavage. Les otages envoyés
au eamp avant la signature de la capi-
talation n'échappèrent à la mort que
pour être mutilés et relégués parmi les
tanuques du harem. Non content d'a-
voir assoavi sa fureur sur les défenseurs
éê Famagouste , le sérpskier exerça de
crandes rigueurs contre la ville et ses
oabitants. 11 laissa les Turcs piller les
richesses de celte cité opulente ( il fit
dépouiller toutes les églises , il profana
les autels, Ibola aux nieds les reliques
dei saints , fit brâler les images, ouvrir
les tombeaux , jeter les ossements à la
mer. L'église de Saint-Nicolas , la ca«
tbédrale des Latins, fut convertie en
Doiqoée. Les habitants latins de Fama*
gOQste furent emmenés en esclavage (8).
(x) De Haviner, ^isfoir» de t Empiré OttO'
*ui, Vl,4ia.
(a) Ces malheurs avaient été prédite par
Mioie Brisitle, qui pasia à Famagouste ea
revenant ou péleriuage de Terre Sainte ep
1373. « 1^ périras, nouvelle Gomorrhe,
dii-elle sous riuspiration de Tesprit divin,
tQ périras brûlée par le feu de la luxure, par
l'ifxcés de les biens et de Ion ambition ; tes
édiâres crouleront en ruiuei , tes habitants
s'enhiiroBt loin deM, et Ton parlera de ton
chitiment dans les contrées lointaines car je
«lis irrité contre toi. » Révélations céÈes-
<ef, ete., L yVLj c, xn, foL i33 ; Norainfaei^,
iSi^.Les rérélations de sainte Brigitte ont
été écritts peu de temps après sa mort par le
■Boine Pierre, prieur d'Alvasire, et par Bia*
Us Or#oi tasit lirftéi |d«i liiMtM»
ment, et le vainf^eur Ifûr laissa 4mt
éf^Uses , Saintf-SojMiie et Saii^trSiaaéon.
Le siège avait ruiné les fertificalioas de
la place, Mustapha les fil relpver et y
laissa gamisoii. 11 diatribua jursa de
vingt mille hemmeide pied et àin vf^ïii%
cavaliers, en divers endroits de 1 Ile» U
leur assigna des maisons et des terres cq^
levéesaux vaincus» Bon nombre de Xures
s'enriebirsnt des dépouilles des rielies
et des nobles chypriotes 9 dont ua graud
nombre, précipités du fait^de la fortune
dans la dernière misère^ étaient réduits
à mendier leur vie ou a la gagner au
métier de muletier ou de croebeteur.
Après avoir organisé le gpuvernetiyeut
de nie sur le modèle des autres pro*
viaces de Tempire , et laissé le oomman*
dément des troupes au frambourat de
Ebodes, L.ala-Mu9t«iph|t partit le ]$ sep»
t^bre 1671, et fUàGoostauUneple une
entrée triomphale. Sélim le reçut gre*
oieusement et le combla d*bouneura,
bien que , disai(-il , la conquête de nie
de Chypre lui eât coûté plus de soldats
qu'elle ue lui avait açijuis de aujets.
Mais le sultan en prenait facileinent son
parti, et s'en consolait en ajoutent que
la perte des hommes as répare facile*
ment |Nir la producUondes autres. Quant
au juif dom Miguez ou Joseph Yasser, il
oe put obtenir son royaume de ChyprCi
dont les revenus furent affectéa à ren-
tretien du grand vizir. Plus tard on en
détourna la plus grande partie , pour en
grossir Tapanage de la sultane Validé.
Fin nss sostilitss ]|NTB|i l£s Vb-
NiTiENs ET LES Musi/lmahs. — Cette
guerre, entreprise pour la possession de
l'Ile de Chypre, mena^it d'aboutir à une
invasion des Ottomans dans r£urope
méridionale. La victoire de Lépaute,
remportée Tannée suivante par don
Juan d' A utriehe aidé des Vénitiens et du
saint-siége, 7 octobre 1572, arrêta \9*
K ogres des musulmans et anéantit leur
tt^. Maia les ehrétiena ne euieot pas
tirer parti de leurs avantages , et la len<*
demam de la bataille leurs dissensioi^s,
oubliées au jour du eombal« recommen*
cèreot plus vives que jamais. Venise per-
dit la plus belie occasion, la seule
tUas, chanoine de Linkôpîag» qui
aes confesseurs.
été
8^
L^UmVEllS.
flRf elte «Ql jnnaîs , de Mfrendrê nie &»
Chypre. Elle ii*avait m à foire paraître
aa 'flotte sur les eôtea cle llle ; la terreur
était telle parmi les troupes laissées par
Mustapha, que la garnison de Fama-
f ouste demandait à traiter avec les ha*
Itaots, et qu'on voirait des Turcs quitter
le turban et se coiffer à la grecque. Mais
on ne sut profiter ni de ce retour de for-
tune ni de la terreur des Ottomans ; et
tandis que les escadres espagnole et pon-
tificale retournaient dans leurs ports,
Its Véniti^s perdaient le temps à en-
lever quelques bicoques de TËpire, ou
à concerter des expéditions mal con-
duites. Les Turcs réunirent en mer une
flotte considérable , et le grand vizir put
dire avec raison à Tambassadeur de Ve-
nise, qui lui avait fait demander au-
dience pour traiter de rechange des
prisonniers , « qu'il y avait une fort
grande différence entre leurs di^râces,
puisqu'en enlevant un royaume à la ré-
gublique les Turcs lui avaient coupé un
ras , qui ne renaîtrait plus; mais que
les chrétiens n'avaient fait que raser la
barbe aux musulmans en défaisant leur
armée navale , puisqu'elle ne tarderait
Sas à leur revenir, à moins que les pro-
udions des hommes et des forêts ne
cessassent entièrement. •> Le grand vi-
zir disait vrai : les Turcs retrouvèrent
des flottes; Venise fut pour toujours
Erivée de l'île de Chypre, et s'estima
eureuse d'acheter la paix en payant
au grand seigneur la somme de trois
cent mille ducats (t).
ÉTAT DE l'île J)E CHYPBR SOUS LE
ÛOOVEBNEMBNT DES TCIRCS. — L'île
de Chypre resta donc, à partir de
Fan 1571, un pachalikde Tempire ot-
toman. Elle fut le septième des pacha-
liks d Asie , qui étaient au nombre de
vingt-deux. L'empire turc en compre*
naît alors trente-cinq, savoir : outre
les vingt-deux d'Asie, cinq en Afrique
et sept en Europe. Le béglierbey on
pacha de Chypre résidait à riicosie, et
avait sous ses ordres des sangiaks, des
beys et des cadis. Il avait le commande-
ment de toutes les forces militaires de
rîle, qui fut divisée en quinze cadiaskers
ou districts, ayant chacun un aga ou
gouverneur, et un eadi ou ofBcier de jus-
tice. Mais, à Texempledes Vénitiens,
les Turcs firent un gouvernemoit par-
tîcidier de la ville et du territoire de F a-
magouste, que Ton plaça sous rautorité
d'un bey, sans la permission duquel le
pacha de t*île ne pouvait entrer dans
cette ville. Le pacha était nommé par
le grand vizir, qui jouissait de la plus
grande partie des revenus de cette nrhe
province, et qui la cédait à bail au fonc-
tionnaire de qui il obtenait les offres les
plus avantageuses. Mais vers le com-
mencement du dix-huîtième siècle, les
Chypriotes, écrasés par les exactions de
leurs pachas, adressèrent de vives ré-
clamations à la Porte : les padias furent
remplacés par de simples mutzelims ou
muhassils, à qui llle (îit affermée pour
deux raillions ciuq cent mille piastres, oo
six cent vingt-cinq mille francs. Ce dian-
sèment derégimene produisit aueunsou-
lagement dans la condition des malheu-
reux Chypriotes, lis» se plaignirent de
nouveau à la Porte, et redemandèrent un
pacha; mais on ne les écouta plus, et
il leur fiallut se taire et se résigner. A
partir de cette époque l'Ile de Chypre
vit commencer pour elle une ère de déca-
dence déplorable et continue, qui abou-
tit à un état de misère et de dégrada-
tion qu'elle n'avait jamais connu dans
toutes les vicissitudes si variées de son
existence historique. Vendue aux plus
offrants par les grands vizirs , elle était
livréeà d^avldl^s gouverneurs, qui la pres-
suraient à l'envi. Leurs exactions ea
firent disparaître le numéraire neees-
satre aux transactions ; leurs vexations
enlevaient toute confiance au com-
merce, toute sécurité à la jouissance de
la propriété. L'industrie, Tagrlculture,
autrefois si florissantes, tombèrent dans
un déplorable abandon. Les terres
restaient en friche ; le sol se dépouil-
lait peu à peu de ses riches produc-
tions; les villes, les villages se dépeu*
filaient avec une rapidité effrayante, et
'abbe Mariti, au milieu du dix-huitième
siècle, n'évalue pas I». population en-
tière de l'île à plus de quarante mille
âmes (i;. Jamais la condition de ce pays,
qui depuis fîit améliorée , n'avait été si
(i) J^mui, SUloire 4ie Chypre» t\c,^ t, llf (i) BAariti, yoyage dans Câe de Chy*
>. iao3. pre^ etc., I, p. 19.
ILE DE CHYPAE.
81
fflisénlile. Les droits perças sor ses ha«^
]nUot8, de plus en plusaggravés, avaient
atteint un taux exorbitant. Ils présen*
talent dans leur totalité une somme de
deux cents piastres par tête. La capiu-
tJon, qui dans tout le reste de l'empire
était de vingt piastres seulement, s'était
élevée jppnr les Chypriotes jusqu'à qua-
rante piastres. Le harach (1), taxe
Slevte sur les chrétiens, et établie
js toutTempire, le nozotd, impôt qui
remplaçait le service militaire, la dîme
Rirtout, établie pour Pentretiendes deux
milices des zcatts et des timariotes, for-
maient, avec lacapitation, les principaux
impôts sous le poids desquels gémis-
saient les débris de la malheureuse po«
pulation chypriote. Les taxes extraor-
dinaires ajoutaient encore à leurs souf-
frances habituelles. Quelquefois le pacha
publiait par édit que toutes les personnes
OQ même nom paveraient une contribu-
tion dont il fixait le taux , « et je n'ou-
blierai jamais, ditBfariti, que Je nom
«e George était le nom taxé à mon ar-
rirée dans cette île».
SODLBVBMSNT DSS ChYPBIOTSS
CORTBB Lss TuBCS ( l'au 1764). —
Cest à ce voyageur que nous devons de
connaître les détails de cette insurrec-
tion, qui désola l'île pendant deux ans, et
qui en aggrava encore la misère et la
oésolation. Au mois de juillet 1764 l'Âga
TzilQsman fut nommé gouverneur de
^ypre. Son premier acte fut de per-
ler la eapitation à quarante-quatre pias-
tres et demie pour les chrétiens, et à la
moitié pour les Turcs. Cette exaction
poussa a bout une population déjà aigrie
^ de longues souffrances : on retusa
« payer ; on réclama auprès de la Porte,
m Turcs par leurs primats , les chré-
oeiK par leurs évéques. Le sultan Mus-
upha m écouta leurs plaintes, et un vl-
ar-ciocadar fut dépéché de Constanti-
w>ple en Chypre pour donner satisfac-
^on aux habitanu. Le vizir, arrivé à
i>ï«)sie, convoque les évéques, les pri-
ais turcs et bon nombre de Chypriotes
<te tomes religiona, dans la salle du di-
^ pour leur lire les ordres du grand
«igneur. Tout à coup la saUe s'écroule,
« entraîne dans sa chute plus de trois
(i) PocodKe, Description de t Orient, t. IV,
6' iMfraUon, ( Ile ds Chypbb. )
cents personnes. Cétaît le gouverneur
qui avait fait scier les solives et les co-
lonnes qui soutenaient le plancher de la
salle. Le vizir avait échappé : Tzil-Os-
man, qui voulait à tout pru se débarras-
ser de sa fâcheuse intervention , lui ser-
vit du poison dans une tasse de café.
S^uand tous ces faits furent connus, l'in-
ignation du peuple ne se contint plus.
La foule courut au palais, en brûla les
portes, et l'envahit en poussant des cris
de vengeance. Les défenseurs du mu-
hassiJ furent massacrés, lui-même tomba
sous les coups de la multitude, qui après
cette exécution hardie retourna paisi-
blement à ses affaires.
Quelque temps après un nouveau mu-
hassil arriva de Constantinople. H se
nommaitHaflz-Mahamed-Effendi.C'était
un homme qui ne manquait ni de capa-
cité ni de prudence; il paraissait dis-
posé à accorder une amnistie tacite au
meurtre de son prédécesseur. Mais il
se trouvait auprès de lui des gens plus
zélés que leur maître*, qui s'empressè-
rent de lui présenter la liste des chefe
de l'émeute qui avait coûté la vie à Tzil-
Osman. Cette maladresse jeta HaGz
dans un grand embarras : il ne voulait
pas ranimer la rébellion par des ri-
gueurs , ni se déconsidérer par sa conni-
vence. Il prit une résolution qui sentait
bien le pacha turc. 11 imposa à tout le
monde une contribution de quatorze
piastres par tête, en expiation ae la ré-
volte et du meurtre d'Osman. Cette ma-
nière d'aviser ne fut du goût de per-
sonne : l'insurrection recommença. Les
rebelles, groupés dans le village de Cy-
thère, s'emparèrent des moulins qui ali-
mentaient Nicosie. Les évéques se plai-
gnirent de nouveau à la Porte, qui nom-
ma un second muhassil pour assister
Hafîz. C'était le meilleur moyen de com-
pliquer la situation et d'embrouiller les
affaires. De leur côté, les rebelles avaient
trouvé un chef dans un certain Halil,
aga de la forteresse de Cérines. Cet
homme, qui avait beaucoup d'audace et
d'habileté , tint en échec les deux gou-
verneurs, répandit l'effroi dans l'île par
ses incendies et ses dévastations , me-
naça Famagouste, réduisit plusieurs
fois Nicosie à l'extrémité, et, comme il ar-
rive toujours en pareil cas , fit beaucoup
plus de mal au pays que les gouverneurs
82
LiimyÉHÉ;.
don 1 1 ei abtM avaient prov5(iaé ce ft(»uléf#-
mf'nt. Les campagnes étaient à fâ mefCf
d^Ualil et de sa bande, et les villes épfou<
valent de continuelles alarmes. Alors les
principaux habitants de Ttle résolurent
d*pni ployer Ips consuls européens comme
médiateurs entre le gouvernement et les
sédiijeut. Ils s*adressArent d'abord au
consul frnnçais; mais celui-ci sVn dé*
ifrudit, nllégûant que 1p roi son mattre lui
ivait riéfendu d'intervenir dans aucune
âtfnire qui n^jurait point de rapport avec
les fonctions dont il était chargé. Alors
ils jetèrent les yeux sur le consul an-
glais, qui se chargea de la négociation,
mais sans pouvoir rien conclure.
Le consul ang ais ayant retiré sa mé-
diation, les liostiiités recommencèrent, et
Jes rebelles reparurent sous les murs de
fïicosjp. Cette affaire durait depuis deux
ans, et Pinsouciance du gouvernement
turc lui 'ivait laissé prendre une certaine
gravité. A la fin le sultan prit des mesures
Vigoureuses, et le 27 iuin 1766 on vit
débarquer â la raie des Sahaes Kiof*
Maliamed, pacha à deux queues, avec plu-
sieurs vaisseaux de guerre et une petite
arn)6éde deux millecinq cents hommes.
le même jour arrivait à Pamagouste un
certdfn Ghierghilousght, gouverneur de
Selefki dans la Caramanie, qui se hâteit
d'accourir, avec une bande de féroces
CaramanieUs, au pillage de Ttle déChy«
pre. Le pacha força ce brigand à seran^
ger Sous son commandement; mais il ne
put t*empécher de commettre d*affreut
ravages. Après avoir pris connaissance
de Tétat des choses , le pacha marcha
vers Nicosie, où il trouva Malil h la tête
de cinq mille hommes, qui paraissaient
résolus à bien Combattre. Mais une am-
nistie accordée par Mahamed â cetix qui
se retireraient en dispersa le dIus grand
nombre; il ne resta autour d Halil que
deux cents hommes déterminés^» avec les*
quels il se jette dans la citudelle de Céri-
nes , où tous jurèrent de tenir jusqu'à
la dernière extrémité. Ils s*y défendirent
bravement, firent éprouver de grandes
pertes à Tarmée du pachn. Mais Halil ,
attiré dans un plége, fut livré à Maha-
med; la citadelle se rendit le même
Jour. H.-ilil fut étranglé; on coupa deux
cents têtes, la tranquillité fut rétablie,
et nie de Chypre retomba, plus cal-
me et plus misérable que jamais, sous Id
gottvemêffleiit ùè m moHafliis (<).
TftdtjftLts 0B lits im Chypib
àV OlX-USUttftltt SfiKlLK^ SâHÛLAST
£001» ll'ÉTAt t)S KOUTCttODK-MBRI*
HfiT. ^ Le clergé grec avait ecrnserré
dans nie de Chvpre une Influence qtii
ne fut abaissée qu'à la suite des itrâves
événemenis dont toutes les contrées ht*
bitées par la race iielléuique furent le
tliéâtre au commencement de ce siècle.
L'archevêque de iMeosle^ investi du titre
de raïa-vëklU, représentant des ralei,
avait attiré à lut presque toute rauiortté
administrative, et non-seulement il i>«
lait rendu indépendant des imiiiassiis,
mais il décidait la plupart du temps de
leur choix et de leur révocation. De son
palais rarcbevêque administrait Tlle
entière , nommait auit emplois de toui
les districts , arrêtait le chiffre dpsim*
positions annuelles, envoyait les sotn*
mes Ûxées par le bail à ferme de I1l« lo
grand viKir ou au trésdr impérial. Det
avantages, concédés ft propos, atta-
chaient les agas turcs à la cotiserration
de son pouvoir, et toos les habitants dl
nie, Tufcs et Orr^cs, Id tegardairot
comme le véritable gouverneur, et Vite*
situaient à ne plus tenir eompte du mu«
hsssil. La toute^pulssflnca des arche»
téques de Nicosie parvint U son $i^
eous les règnes de Sdllm m et de Moei*
tapba, prédéeesseurs Immédiatt du sa)'
tin Mahmoud, ei ne fut ébranlée qu'eo
commencement du dln^neuvièmesièiie,
en 1804, par un mouvement insurreciiofl'
fiel dt*s Turcs, prélude de la eatastroplM
•anglante ^ui devait l'anéantir. Ut
Turcs établis dans nie de Chypre étaient
profondément blessés de se voir tof\\)téî
eous la dépendance de cent qu'ils avaient
autrefois assujettis. La population tor-
que de Nicosie et des campagnes enri-
ronnantes i émue par le bruit vrai ot
faux de rinsufOsance dee ap0rovlsiotTfl^
ments nécessaires à la subaisUoce de
nie , se souleva Contre rauterité <^^
afastique de qui tout dépendait , et fut
on Instant mattresse de Nicosie. L'a^
Wvée de deux pachaa d'Asie Bllneure.
avec des forces respectables, rinterten-
tion, toujours respectée, des consuls de
France, é' Angleterre el de Russie, qtfi
(r) Marîti, P'oyage âani tSe de Chy
ftre, etc., 1. 1, p. zox et suiv.
ILE M CB¥^RE.
8S
étiifBt iloift tftf. RfgrtaUK, P^isffàrii
01 GHIiimtl, apaisèfeiit cette «fTefve^-
«ncf pMtgèK^ et lés eho^ès paruff^m
reprendre \€ûf eontê aecotitttttié. Mais
lei imiigUM an «gas tarda eontfe les
fFriftiais gre«s fie a« ralentirent pas , et
abouUrentf en 1898, à un Coup d*Ëtat
ito|laift <|ui mit fin à radministratioA
4ej mtibaaaila, rtftiveraa rautdritë du
«Krgé jgrM it rMbllf le ponto\t entré
tel fflami dea paebas. L'arrhevédtie Ky^
prianos otMpaU alors le siège de Nico^
lie, et le fouvernement de rtle étdit
dfpuia iK3o entre les maiùs de Kout-
«houk'Méliémet, homme impérieut et
liiMfmule) que le capltan-parlia avait
rtieisi à dessein potir ruiner l^influencé
do iirlntat grée. Les cireonst^nces de-
rinretit bientôt favorables à rexécutlotl
éî ee projet. Les premières insurred-
lions de (a iVloldatie et du Péloponnèse,
qui fttateni éclaté peu après l'arrivée de
Komehouk-Htéhértieten Ciiypre, en ins-
pirant les plus Vives Craintes au gou-
femenièot ottoman, autorisaient toutes
In niesufes que potivait*nt prendre seS*
ifems pour <X)n(etiir les rafas dans les
prdvlnces oft Ils ne s'étaient pas insur-
Ïis. or, les Grées de i1le de Ciiypre
a)em festéS tout à ftit étrangers au
doovemem Haiiobâl nul avait soulevé
l«i autres leê et le eotitlnent de la Grèee.
• Ce ii*étalt pas eut ^ul criaient à là ty-
ranbie et qui songeaient à prendre les ar-
nrs $ é*êtâletfit les Tures , impatients de
riMirvlSMnteftt dâbs lequel les primats
^ tetiaietit deptils une dnquantaine
d'snnées; <f était pour eut que se prépd-
nient là féattlon et l^afTrancfiissc-
Bient(i). n «n effet, Koutchoukniélié-
m, sons ptéiextë de contenir la popu-
lation grecque , qui ne demandait qu'à
rHter tranquille, et en réalité pour res-
saisir le potivOif , f;!it venir des mon-
tsfuies de PAnfl Liban des bandes d*A-
rabes, de Bédôoloâ et de brigands Ansa-
H^.rt les disperse dans rtle. Les Grecs,
frappéa dé terreur^ se laissent désarmer
pour jter tout prétexte au soup^n :
(i) Voir sur œs éTénemenls, dam iê Cor*
retpotutattt du ft& juin 1847 , «n aHiele dtf
M. de Mas-Latrie imitolé : Nieôtié , ses ààUvé^
firsettaâiiUÊHionprëêeniBt p. êfto^ eieooMnifé
àêns le n«mén>dd le MéL -^ Pouqiietille ,
Bisioîre de h Re^értéritti9n de U Griffe, I. TV.
rarèfievéquë ICyprlauos {protesté dé son
attaehement h la pBÏx , de sa soumlssioh
du gouvernemefit du grand seigneur.
Routchouk-Méhémet persiste à inven-
ter un complot, persuade de sonetis^
tenee le grand vizir, qui était peut-être
ide moitié dans le stratagème, et qui peN
met au gouverneur de faire un exempte
par la châtiment rigoureux dès chefs.
Libre d'agir, K0Utchouk->11éiiémet oN
donna, leil juillet 1823, d*arréter l'ar*
ehevèque et léS trois évéques dé Ttié.
Ou les conduisit au sérail , et à peine fu*
rent«ils etifrés, quMs furent massacres
par les Janissaires. Les primats grecs,
appelés ensuite, avant que le meurtre
des prélats eflt transpiré, éprouvèrent
le même sort. On ouvrit alors les portes
du palais, et Ton jeta sur la phice leurs
cadavres sanglants. Ce fut le signal d un
massacre général Le couvent de Phaue-
romeni fut aussitôt investi et ses papas
égorgés. On m'a dit , ajoute M de Mas-
Latrie , qu*avant de les massacrer, les
Tums^ par un raflinemeut inouï de ven-
§eat)ce , avaient selle les On pas comme
es chevaut, leur brisant tes dents pour
introduire un morS dahs la bouche, et
les forçant à caracoter sous leurs épe-
rdus. Les maisons grecques furent li-
vrées au pillage. Les massacres Se renon-
vêlèrent datis toutes les provinces de
rilé; les spoliations vinrent ensuite.
Pendant slt mois ce fut une terreur uni-
verselle parnn la population grecoue.
Les paysans se sauvaient dans les Dois
ou en Caramanie; les primats , tes prê-
tres, les Grecs aisés échappés aut janis-
saires Se réfugièrent à Larnaca, sous ta
protection des consuls européens. La plu-
part passèrent en Italie et en France,
et il y a peu de familles grecques chez qui
le nom de Marseille ou de Venise ne ré-
veille encore , après plus de vingt anS
écoulés depuis son retour dans l'Ile,
d'attendrissantes émotions de reconnais-
sance. Tel fut pour Hle de Chypre le
funeste contre-co un de la ri^volution qui,
efi affranchissant la Grèce continentale
et les Cyclades, renouvela toutes les ri-
gueurs de Toccupation musulmane pour
lés contrées qui restèrent condamnées
à la servitude*
ÉtAT ACTÛBL D£ L'itfi DC CfltPBE
— Cette belle et malheureuse île, disait
Maf rti au siècle dernier, Ue se remettra ja-
0.
^
L'UNIVEES.
mais des désastres qu'elle souffre depuis
tant d^années , si elle continue d'être ven-
due au plus offrant et au demiet enché-
risseur. £n effet, quel que fût le titre des
gouverneurs qu'on lui imposait, pachas
ou mubassils , Ftle de Chypre était tou-
jours une ferme qu'on leur donnait à ex-
ploiter sans contrôle , et elle alla végé-
tant et s'appauvrissant d'année en an-
née jusqu'aux innovations du dernier
sultan. 11 faut rendre cette justice aux
derniers maîtres de l'empire ottoman,
que depuis longtemps ils ont reconnu
les vices et les dangers de l'inintelligent
despotisme de leurs prédécesseurs , et
qu'ils ont entrepris une lutte courageuse
contre les abus invétérés qui menaçaient
d'entraîner la ruine de leur domination.
Vers la fin de Tannée 1838, un firman
du sultan Mahmoud étendit à l'île de
Chypre le nouveau mode de gouverne-
ment qu'il cherchait à introouire dans
tous ses pachaliks. Ce firman abolit le
fermage de nie , et décréta qu'elle serait
à l'avenir gouvernée par un fonction-
naire à appointements fixes , qui verse*
rait au trésor impérial la totalité des
impôts perçus , et ne pourrait plus rien
extorquer des habitants. Le nouveau ré-
fime lut inauguré dans l'île par Osroan-
acha , homme de guerre habile et dé-
voué, dont la présence en Chypre parut
nécessaire pour surveiller Médémet-Ali,
qui venait de se déclarer indépendant
et d'enlever la Syrie à la Porte. Le fir-
man de Mahmoud inaugurait un systè-
me de réformes administratives qu'Ab-
dul-Medjid a complété en 1839 par le
hatti-schériff de Gulhané, et qui a com-
mencé une ère nouvelle pour 111e de
Chypre et pour la Turquie tout entière.
Sans doute il ne suffit pas de décréter
une réforme pour changer la face d'un
pays et guérir les maux dont il est tra-
Taillé : en Turquie surtout, les mœurs
publiques opposent de nombreux obsta-
cles à l'application sincère de ces nou-
veaux procédés administratifs, tant le
Turc est habitué à l'arbitraire du despo-
tisme et le raîa à l'avilissement de la ser-
vitude; mais il faut tout attendre de la
volonté persévérante des sultans et de
l'influence salutaire des principes civi-
lisateurs acceptés et proclamés par le
gouvernement ottoman; car, selon la
remarque judicieuse de M. de Mas-La-
trie, dans un paysr oà Fautoiité soUTe-
xalne conserve encore son prestige sacré,
tout ce que veulent le prince et son gou-
vernement devient oossible.
Depuis la nouvelle organisation (1) ,
le gouverneur de Chypre porte le titre
de kaïmakan, lieutenant du sultan, et
reçoit par mois un traitement de 40,000
piastres, ou 130,000 francs par an. Il
est pris indistinctement dans ramnée,
dans les services civils, ou parmi les
employés supérieurs des ministères à
Constantinople ; et, qud que soit son
rang, pacha, effendi ou aga, les Qiy-
priotes ont l'habitude de lui donner le
nom de pacha. Toute Tautorité civile,
l'administration financière et le pouvoir
exécutif sont concentrés en ses mains.
Il a au-dessous de lui, et à sa nomina-
tion, douze zabitsou lieutenants admi-
nistrant chacun des douze districts de
rtte, de concert avec un démogéromie ou
khodja-bachi , choisi par les Grecs de la
circonscription. Un conseil, que Ton ap-
rille divan ou choura, assiste le pacha
I^icosie dans l'expédition des affaires
et la répartition des impôts. Ce conseil
tient à la fois de notre conseU d^j&tat,
de la cour des comptes , et de la cour
de cassation. Les huit membres qui le
composent sont : le mufti, chef de la
religion et interprète de la loi musul-
mane; le mollah, qui est le cadi ou juge
de Nicosie; le commandant des for-
ces militaires, lorsqu'il y a par oceasion
des troupes dans l'île; les principaux
agas turcs de la capitale; l'archevêque
grec, et l'un des trois démogérontes cJus
par les Grecs, dont ils sont les repré-
sentants vis-à-vb de l'autorité supé-
rieure. Un délégué des Arméniens est
(z) J^emprante tous ces renseignemema
aux lettres adressées au ministre de l'iiistnie»
tion publique par M. de Mas-Latrie et in>
iérées dans les jircfùves des Missions scienti^
fiques, mars xS5o. Je n'aurai pas toujours des
documents aussi exacts ni aussi réceots sur
les Iles dont l'histoire formera ce recueil :
ceux que je don aux publications de M. de
Mas-Latrie me seront d'autant plus précieux.
Gomme la situation sociale et admtaistrativr
des lies turques est presque partout la même,
ce que nous disons ici de l'île de Chypiv
s'applique en général à toutes les auiies. Ah
una disce omtits. Je reproduis en l'abréi^ant
lu lettre de M. de Mas-lastrie*
ILE DE CHYPRE.
86
adoiis au ciionra, pour défendre les in-
térêts de ses coreligionnaires ; les Ma-
roDit» attendent cette faveur, que la
France a demandée pour eux.
Les contributions versées annuelle-
ment au trésor du grand sel^eur par
nie de Chypre s'él^ent environ à la
somme de quatre millions de piastres ou
on million de francs. Les sources de ce
revenu sont : 1** le khorach, impôt per-
sonnel à la charge exclusive des raîas,
grecs y maronites et arméniens ; 2^ le
miri, impôt prélevé snr la fortune pré-
sumée des contribuables turcs ou raïas :
ceux-ci en payent injustement les quatre
cinquièmes denuis les événements de
1823, bien que leur nombre, double seu-
lement de celui des Turcs, ne dût leur
eo faire attribuer que les deux tiers;
3^ le bail à ferme des douanes deTtle;
4Me fermage des salines de Larnaca et
de Limassol ; 5** une dîme perçue sur la
récolte de la soie et du fermage des dif-
férents fiefs ou terres domaniales réser-
vées au grand seigneur dès la conquête
de rtie.
La justice est rendue dans chaque dis-
trict aux Turcs et aux Grecs par un cadî
turc; mais certaines causes sont sou-
mises au mufti de [Nicosie , et décidées
par i^fetwca ou interprétations. Les
Grecs dépendent encore des tribunaux
d« leurs évéqu^s pour toutes les ques-
tions de foi, de morale et d'état civil ,
comme les mariages et les cas de divorce,
très-fréquents dans l*fle. Les cadis n'ad-
mettent pas le témoignage des raïas
dès qu'un musulman est impliqué dans
le procès, quel qu'en soit l'objet. Cette
procédure, commune à tout l'empire, et
(ipi a son analogue, du reste, dans la lé-
gislation des croisés , finira par être ré-
jormée, tant elle est rigoureuse. On
appelle du jugement des cadis à la déci-
sion du ehoura, et dans les questions ré-
servées aux évéques les Grecs peuvent
'^orir en second ressort à la sentence
de rarcbevéque,
L'Église de Chypre est divisée en qua-
tre diocèses, qui sont : Tarchevéché de
Nicosie ou Leukosia, comme disent les
Grecs, capitale de llie, et les évéchés de
Larnaca, de SLérinia ou Cérines, de
Baffo, l'andenne Pajihos, et de Limassol
00 Limisso. Le diocèse de I^îcosie,
plus grand de moitié que les autres.
fournit à l'archevêque un revenu annuel
de 240/)00 piastres turques, ou 60,000
francs. Les sources des rentes archi-
épiscopales sont : 1*" la contribution pré-
levée sur toutes les églises du diocèse ,
proportionnellement à leurs revenus
particuliers; 2* les redevances dues par
ses vingt-sept couvents ou bénéfices;
3® la dlme payée nar les paysans; 4» le
tribut payé par chaque village pour le
prix d'une messe pontificale que rarcbe-
véque y va célébrer chaque année ; S"* la
perception d'un talari ( 5 francs) pour
chaque mariage célébré dans le diocèse ;
6** enfin le droit de dispenses, si souvent
nécessaires dans l'Église grecque pour
cause de parenté ou de divorce. Chaque
évéque prélève des droits analogues dans
les limites de son ressort ; mais retendue
du diocèse de Nicosie, qui comprend,
outre la ville de ce nom, les districts du
Karpas, de la Messorée, de Kythréa et
d'Orini, donne à rarcbevéque un revenu
double au moins de celui de ses suffra-
gants. Outre ces rentes, l'archevêque
reçoit encore les redevances en nature
qu^apportent les Grecs, quand ils vien-
nent à ISicosie, où l'archevêché est leur
caravansérail, et les sommes assez fortes
que payent les papas pour recevoir l'or-
dination , car la simonie la plus déplora-
ble régne toujours dans TÉglise erecque.
Après avoir assujetti toutes les pro-
vinces de l'empire byzantin , les Turcs
respectèrent la position acquise par
le clergé, qui continua à être, après
comme avant la conquête , le corps le
Îilus considéré de la nation. De sorte que
es évéques des raïas grecs ont con-
servé, sous le despotisme tutélaire des
Turcs, des prérogatives qui rappellent
l'ancienne puissance de l'Église , et qui
ne leur ont point été laissées dans la
Grèce indépendante. Le clergé grec du
royaume fondé par l'affranchissement
des Hellènes n'occupe dans l'État, orga-
nisé sous l'influence des idées euro-
Séennes, que la place modeste et secon-
aire du clergé latin dans la plupart des
États catholiques. En Turquie, ou l'on a
peu d'instincts novateurs , où , par goût
pour l'immobilité, on laisse se perpétuer
le bien comme le mal , l'Église grecque
a conservé à peu près la situation qu'elle
avait au moyen âge, au temps de la con-
quête. L'archevêque de Nicosie est resté
86
{.umvKius.
indép^daDt de tout patriarche . mèm
4e celui de ConstdDtinople* cbef de l'Et
slise d'Orient. Comme celui-ci, il porte
la pourpre; etmiand il ofGcie, il est ac-
compagné d'im lévite portant le chande-
lier à (leux branches. Au lieu de crosse,
il a une canne h pomme d'or, comme Ie3
anciens empereurs grecs.; il signe tou-
jours 5 l'encre ruuge, et conserve pour
sceau r»iigle impériale à deux têtes. Ce9
privilèges datent du temps de l'empe-
reur Zenon, ver3 47$, (|ui l'accorda à
Tévéque de S^iamine, à 1 occasion de la
découverte des reliques de saint Bar-^
sabè. Ils lurent confirmés et étendus par
les douveriiins pontifes, lors de la trans-
lation (1(1 siège de Famagouste a NicosiCy
sous le règne de Guy de l.usij{nap.
L'archevêque est nommé directement
par la purte^ qui consulte rarem^^nt daqa
ses choix le chapitre de Nicosie; mais
les chapitres diocésains ont le droit de
Donnner leurs évéqufs, sans la sanction
de l'archevêque. Leur élection une fois
agréée par le gouvernement turc, ils sont
sacrés par rarihevéque, et entrent alors
dans l'exercice de leurs fonctions ; chaque
évéqtie a, comme le métropolitain, trpis
grands vicaires, un exarque, charrié du re-
couvrement des dîmes et de» autres reve-
sus de Tévéché, un archimandrite, cl^ef
des prêtres, un archidiacre, chef des dia-
cres, préposés tous les deux a Tadminis-
traiion du diocèse. Les chapitres des trois
évechés réunis ont ensemble cinquante
membres envirout chanoines, vicaires,
diacres ou autres dignitaires ; le chapitre
de Mcosie, a lui sf ul, est aussi nombreux.
Près de quatre cents caloyers, moines^
bénéficiaires ou servants, obéissant a
quatre-vingt-trois higoumènes, chefs de
monastère, et douze cents papas ou prê-
tres séculiers, répartisdans Tile, forment,
avec les chapitres, uu clergé de plus de
dix-sept cents membres pour une popu-
lation grecque d'environ soixante-quinze
nulle âmes. Les caloyers font vœu de cé-
libat ; et c'est presque toujours parmi eux
Que Ton prend les hauts dignitaires du
clergé séculier, nécessairement e^éliba-
taires ou veufs. Les papas, la plupart
mariés et misérables, sont obligés de
cultiver la terre ou de se livrer à quelque
Ï»etit métier pour entretenir leurs en-
ants : j'en ai trouvé souvent dans les
villages, dit M. de Mas-Latri^ gardait
les pourceauvi tmnt 1 wr cutopt^o» fai-
sant des souliers. Iaw instruotion est
entièrement nulle; car tout bomn^e est
apte à devenir papas, pourvu qu'il sache
lire couramment dans un bréviaire.
' Tout est négligé et languissant daq^
rîle de Chypre ; ragriculture et le cora-
iperce y sont bien peu de chose, Findus-
trie y est à peu près nulle. Les Cliy-
priotes ont à leur disposition un millioQ
d'hectares de terreSi presque toutes cul-
tivables. Us n*en exploitent pas au delà
de soisante-cinq mille hectares. Ils cul-
tivent les terrains les plus rapproclié»
de leurs villages; les çiifimps elpigoé
sont abandonnés, et restent des déserts
incultes. Les principaux produits de l>
gricuiture dans Tile de Chypre sont : lu
lé et rprge, )e tabac, le cotop, la g;^'
rauee, la solejes caroubes, le sei, l'huils
et les vins. D'après les docunoepts re-
cueillis par M. oe Mas-Latrie aux coa-
sulats cfe France et de Sardaigne, es
peut établir ainsi la quotité annuelle des
divers produits de l'Ae de Chypre (1) :
(l) Op vpit ppr le table^H sqivsm qq'il
n*^st plus auestioii du cuivra iioripi les pro'
duiU de rile de Chypre. Ses vins sont encore
très-renommés. Ou eu distingue cinq quali-
tés : I* les vins noirs ordinaires, dont ks
meilleurs se récoltent i Gfaouri, à Palseocbori,
k Omodos y aux environs de Limasiol , sur U
lM«eb^a; a* las vins ondfljàiras voussâtres.
qui se trouvent à peu {irès daps les mév»
localités : les uju ci las autres font «apitiust
et onl une fort» odeur de goudron. |i«foii tum
lei paysans les conservent d#ns de« omm «m
de$ bjiriU goudrouoés : ç^ vimi commuiM tf
biglent ou s ex portent à Alfxandria, j^aiiif
en £uro|>e; 3<* parmi bt vins de luxe k fk]
estirnée^l li; fameux viu de corem^nderie, <]ui
se récolte dauç \p district de l^imassol , m
nord de Kolos&i, ancienne romm<>pderi<î Je>
bos|)iialiers; roux quaqd il sort du |)re&»ûtr,
ce vin se clarifie, et prend une couleur topasCr
qui devient toujours plus Ijmpide jusqu'à b
buiiièmeou ueuvièmeaonée ; eusuUefI .«e fonce
suocessivenieni, el «a teinte, d*abord grenat •
comme celle du Malaga* pa«<e presque au
noir quand il ert axtrèniewMitit vieux : le vin
est alors visquaux , épais el plein de Ibrce :
c*est un eseelUut slooiacbique; 4* leauM*'
ait plus doux qiie la précédant el «viw if
«liercbé, quqiaps de tf9$*boi|«e quililé;
S® le morocQ/ieUa, moins dQuiiqw« if ma^«
est ua excellent ¥io« wsi« «l^ez rara : oa n'cp
récolte qu'on très-petite quaiOilé,
ILE DK CBYPHE.
K
■ ^w*' a^ wpi
VATCU on vmvuagn.
•rm m
,Hi,i| .es
c»
nK^ures
4« Praoee.
UTlMiTIOU
«pproiimatlve.
Mf.
Céréales ; { oi^gp. . . ,.«.••«.
%9w& et avoine, • • « .
Viq.
Hiiile. . . , ;
Uroubei ,
Fiuits et légumes
Animaux exportés et leurs dépouilles.
Uii, bfjirre, fromage
▼olaille
Poitton cl gibier
«el. . . .
Laine
ioit.
CeioR. . . , .
GiruK^ • . . • .
Ui. chmwe, giviae 4e Uq, aéMiic.
Tibia f
Soif rt ohirbpni* ,...«.•*»
, Miel, cirt, coloquinte, poâ^ etc, , ,
i TûtaL
6qo,ooo
i,35o,ooo
3oo,ooQ
{,4qo,oqo
1 90,00Q
ao,ooQ
»
100,000
6,0Qp,000
IftO,000
»o,odo
x,6oo
5oo
»
190,000
»
ka&s.
id.
id.
coures,
riires.
quint.
okes.
id.
id.
id.
quiat.
id,
okM.
1 5o,ooo hect.
337,000
75.000
140.0U0
4,687 Ulog.
A^^oo.ooo
n
•»
1»
ia5,ooo
7,ffoo,ooo
iSo.ooo
afi,ooo
3So,ooo
II9»S0O
I $0,000
f,5oo,ooofr,
i,35g,ooo
3ou,ooo
lt4oo.uoo
375,000
25o,ouo
5oo,ooo
85o,ooo
5oo,oQ0
75,000
100 000
75,000
90,000
475,000
aào,ooo
75,000
I $0,000
130,000
i5oiOoo
aoo,ooo
a, 81 5,000 fr.
Nicosie, Larnaca, Limassol et Kilani,
les villes de fabricatioo de Ftle, ne possè-
dent aucun étoWisfiwiMBl qui puisM étrt
comparé aux plus petites fabriques d*Eu-
lope. Du reste, Fétablissemept de grands
ateliers et de manufbctureB n*est pas
uni coadition indispepsable de la pros-
périiéd'u» Bo«plo| et Cbypro serait suf-
fisamment heureuse et riche , t^i le tra-
vail iDdividuei et Tindustrie dfs ménages
9 avaient plus d'activité et de dévelo^
pensent Les femmes grec(]ues de Nicosie
et erlles de Laniaca eiécutent de jolis
ouvrages en broderie pour la coiffure et
lis vétemrnta des dames. La broderie
eiUau reste, upt* vieille industrie de Tile ;
et 11. de Mas-Latrie croit qu'on y fait
encore cet er de Chypre ^ si recherché
au moyen âge pour les oostumes d'église
et (le coan si vanté dans les tableaux de
Qos trouvères, et imité au quinzième
sièctepar les passementiers d'Italie. Dans
^oiMi nie, les feiames tissent à domicile
<W« lerviettes ei des toiles communes de
^i^« de grandes beseces en loine de
çaulfur, servant au transport des mar-
wuUie«, e( de groesee toiles d*«mbai-
laiie ta ehanvre ou en lin. Micost^ net"
tage avec Psimilophou, Bedoulla et To-
lirguia, le tannage dee poau« verdétree,
dont les paysans font les hautes chaus-
sures qu'ils portent toujours pour se
garantir de fa morsure des aspics. Ni-
cosie fabriaue encore, comme Kiani^
des mousselines de soie et des hakire oa
soie et coton, étoffe raj^ée semblable à
une fine toile écrue. Mais les objets tes
1)lus importants de son industrie sont
es marocains et les indiennes. ICtle ex-
porta ses cuirs teints en jaune, noir ou
rouge, dans la Syrie et la Caramanie. Ses
indiennes sont recherchées en Orient
pour tenlures et divans. Ce sont des oty-
tonnades importées d'Angleterre à trèe-
bas prix, et qui une fois temtes à Nicosie '
s'exportent avec une valeur double eo
Syrie , en Caramanie , à Smyrne et à ,
Constantinople. La fabrication des pote- '
ries communes de Larnnca, Limassof ,
Lapistro, etc., la distillation du raki,
espèce d'eau-de-vie très- répandue dan» *
le Levant, que chaque paysan propri^
taire de vignes fait avec son alambic; .
celle dea «aux de senteurt de rû«e , d'o-
SB
I/UHIVCRS.
ranger, de lavande, huile de myrte,
laudanum, quise âiit dans les districts de
Lapithos et de Kounia, et dans la vallée
venloyante de Marathassa, si bien sur-
nommée MyriafUJumsa y complète la
série des différentes branches de l*indus-
trie des Chypriotes.
Le commerce de Hle consiste presque
uniquement dans Texportation de ses
Sroduîts naturels. Pendant une période
e quatre années, de 1840 à 1843, les
seules pour lesquelles des renseigne-
ments journaliers, et aussi exacts que
possible, aient permis de fiiire des rele-
vés dignes de confiance, la moyenne
annuelle des exportations s'est élevée à
3,200,000 francs, et la moyenne des
importations d'articles étrangers servant
à la consommation des habitants, à près
de la moitié de cette somme.
Depuis la fin du seizième siècle toutes
les provinces de Tempire turc ont été
travaillées par une dépopulation conti-
nue. Cette oépopulation s'est fait sentir
en Chypre comme ailleurs. A la fin de la
domination vénitienne, Chypre reiiferv ^
mait huit cent soixante villages; elle n'en
compte plus aujourd'hui que six cent
dix , et dans ce nombre il y en a plus de
la moitié au-dessous de trente feux. Le
nombre des villages entièrement pmpléi
de Grecs ou habités par des Grecs et des
Turcs est de dnq cent quinze ; il n'y a
que quatre-vingt-neuf villages complè-
tement turcs et six villages entièrement
maronites. On a été longtemps sani
renseignements positifs sur la popula-
tion deirtle de Qivpre , et l'on ne peut
regarder comme des évaluations même
approximatives celles des voyageurs et
des géographes qui ont avance que cette
île ne pouvait renfermer plus de 60,000
ni même plus de 80,000 Ames. Des cal-
culs plus exacts, établis sur un oommea^
cément de statistique, dû à Talaat-£f-
fendi, gouverneur de Chypre en 1841,
permettent d'évaluer la population ac-
tuelle du pays à 108 ou H0«QO0 habi-
tants , ainsi divisés : 75 à 76,000 Grecs,
32 à 83,000 Turcs, 12 à l,30a Maroni-
tes, 500 catholiques romains, la plu-
part Européens, et 150 à 160 Armé-
niens. Nicosie seule a une population de
12,000 habitants, dont 8,000 Turcs,
8,700 Grecs, 150 Arméniens, et une cen-
taine de Maronites. Le tableau suivant
présente les derniers résultats de la 8ta«
tistique sur la population , les impAts et
la superficie de l'île de Chypre :
NOMBRE D'HABITANTS.
S.i
QOOTtri
i 1
DISTRICTS.
eBBV»-l.U«X.
— -^
TOT AI..
de
cSS
T»rc«.
Grèce.
Divers.
1 -^
n«pA«.
lï
Xarnaca.
Laroaea.
3,000
9,500
600 eatbollqaee
etqq.MaroBitee.
13,000
42
rq.
Irlet
«!
UmwML
UnaMol.
2,000
6,600
>
8,500
66
"il
36
Kilani «t ÂTdlmoii.
Kilaal.
800
5,000
»
5,800
39
pi
36
BafTo et KonUia.
Ktima.
4,000
7,000
t
11,000
79
30 1
Chrytotthon.
Cbrysochoa.
1,500
3,600
»
6,000
66
46
Ufta.
Ufta.
2,400
4,600
»
7,000
39
42
Morpho.
Morpbo.
1,000
4,500
180à200Maron.
6,600
44
28
Upitbo et Kérfaia.
Xérinta.
8,000
5,000
1,000 id.
9,000
43
46
Oriai «t Tillyrglia.
UthnxIOD^.
6 4 700
6,400
>
6,000
61
44
Kytbréft.
Kytbréa.
2,00016,500
>
7,600
40
.. «e
30
Messorèe on HcMOiga.
VatiU.
2,000 ;8,000
» '
10,000
64
|sl
82
Karpu.
Famagosfte.
3,000; 5,000
200 Anaénient.
8,200
51
100
Mieodo.
Nicosie.
3,000
3,700
lOO Maronitce.
12,000
»
»
616
5^-5
^iSS
RésuMÉ ; GONCLUsioir. — On voit
*par ce tableau de Tétat actuel de Ttle de
Chypre dans quelle décadence morale et
matérielle elle est tombée. Cest à ce
misérable résultat qu'est venue atwutir
cette longue existence historique, dont
nous venons de représenter en résumé
toutes les vicissitudes. Peuplée d'abord
par les Phéniciens et les Grecs , les deoi
peuples les plus commerçants et )m plus
ILE DE CHYPRE.
89
■dutliieia de Vaamm monde, eetto fie,
fl6foriiéedela nature, était parvenue
ÀODliaiit degré de prospérité, qu'elle sat
conserver tous les différentes conquêtes
qu'il lai fallut subir. Sons les Égyptiens,
les Perses, les Grecs, les Romains, qui la
possédèrent tour à tour, elle ne cessa pas
aétre florissante par eoa industrie, son
eommeree et son aiqriculture. Mais en
même temps le earactèrede ses habitants,
adonnés au luxe et à la mollesse, leurs
mceurs relâchées, empêchèrent 111e de
Chypre d'obtenir dans l'antiquité une
srandeimportasce|)olitique, etde figurer
dans Tbistoire aussi honorablement que
d'aatrestles, moins considérables par leur
étendue et leurs ressources naturelles.
Les Grecs de Chypre restèrent toujours en
général au-dessous du niveau commun de
leur race, et cela à toutes les époques de
l'histoire, au temps des luttes contre les
Perses comme pendant rinsorrection
contre les Turcs. Au moyen âge la dé-
gradation de la race grecque était univer-
selle; et Itle de Chypre, comme toutes
les antres parties du Bas-Empire, mar-
efaait visiblement À une décadence com-
plète, lorscfue la conquête de Richard
Cœur de Lion , en la misant passer sous
la domination franque, la releva de son
abaissement et lui rendit une vie nou-
velle. Elle traversa alors avec gloire une
période détruis siècles, pendant laquelle
^ acquit une grande importance po-
litiqne, comme boulevard de la chré-
tienté contre Tislamismc, où elle jette
on vif éclat par ses arts , son industrie*
son commerce, et où elle atteignit à une
opulence et à une splendeur qui surpas-
sèrent peut-être celles qu'elle avait eues
aox plus beaux temps de son histoire
ancienne. Mais le fléau qui s^abattit sur
jcs contrées autrefois si florissantes de
1 Asie et de l'Europe orientale, au quin-
oèmeet au seisième siècle, étendit aussi
ws ravages sur cette tle, que Venise fut
iapoissantè à garantir. Elle devint la
proie des Turcs, et tomba dès lors dans le
<lomaine de la barbarie. Voilà cependant
Que cette société musulmane, qui se
laissait nonchalamment mourir avec les
Pfopies enchaînés à son sort, semble
disposée à conjurer Flieure fatale, et con-
*^t à se laisser appliquer tous les re-
Btèdesquela politique de l'Occident met
i sa disposition. Le hatti-schériff de 1889
a inauguré une ère de réformes et de
progrès pour l'empire ottoman; une
nouvelle ovganisation administrative
fonctionne aujourd'hui d'un bout à l'au-
tre de ses vastes frontières. Les publicis-
tes (1), les hommes d'État, les voyageurs
semblent d^'accord pour constater et cé-
lébrer les heureux résultats de cette cou-
rageuse tentative, et expriment des
espérances que je ne veux certes pas
contredire, mais que le temps seul pourra
confirmer, en les réalisant* Le paysan
chypriote commence à respirer sous un
régime plus régulier, où les exactions et
les avanies ne sont plus que des excep-
tions ; il ne sonae plus à quitter son tle,
il cultive , il défriche. « Pal vu sur le
mont Olympe, dit M. de Mas-Latrie (3),
des vallées d'une et deux lieues d'éten-
due mises en valeur depuis peu d'années
et coavertes déjà de Beaux plants de
mûriers. La confiance, en ramenant le
travail , facilitera le payement de l'im-
Edt. augmentera peu à peu l'aisance des
abitants. En même temps le gouverne-
ment se régularise; la perception de
l'impôt étant plus fecile, ses procédés
seront moins violents, moins arbitraires,
et le raîa comprend que des temps
meilleurs commencent à venir pour lui. »
Sans doute, i'aime à le croire, ces temps
viendront ; les Grecs de Ttle de Chvpre
ont assez souffert depuis trois siècles
pour que la Providence leur ménage enfin
des jours plus heureux ; mais il faut qu'ils
sachent s en rendre dignes, il faut qu*ils
comprennent bien qiril ne suffit pas
de quelques réformes administratives de
leurs maîtres pour les régénérer, que
cette grande entreprise n'aboutira pas
slls ny travaillent eux-mêmes. Le gou-
vernement turc a fait son devoir en amé-
liorant la situation de ses sujets et en
allégeant le joug qu'il leur avait imposé ;
c'est à ceux-ci, maintenant que la main
des conquérants pèse moins lourdement
sur leur tête, à faire des efforts éner-
giques pour se relever de rabaissement
où ils étaient tombés, à sortir de la mi-
(i) Foy, rîntéressant ouvrage pablié ré-
cemment par M. Ubicini, sons le titre de Let"
très sur la Turquie, Le premier volume seul
a paru.
(a) Yoir U Correspondant, numéro du
xo août x847, p, 372.
1
00
vvïïpnas.
mite 9iiorM qu% rif(riiva|t AU puNif
toujoun 9U% p^uplM awwrvis, m»» qu'iti
Jpuveni ratrpuver noua m régime filiii
OUI lA pl|is équitable. Malnauiwuftr
mmt k plus pulMant Uislrumant de n»
(EtoératioM &i( 1^ HUmIi le «large graa
06 1 tu 4e Cbypra aat bora d'aui d« osar
coijrir ppur aa part a ramélieratiiMi
iDQrala at i^tallaotualla du paupla t la
tAta dMqyal il aal plaaa, al dont II aotra^t
ti^Pt Tignaranaa a( las préjugea par aa«
prppra a<«iiipla. Oa trouva plua da lu»
miàra at da tolârapoaobfglaaftraea lal«
4u^ da la aUaa a aiaaa que altai laa pré«
traa I doat la fiipatkma aat tauiours auiai
yivaaa ^u'au ta«pa daa ooi
iitéaa par la aebia«M d'Qriaat. IHi pcaia,
iaa araei oa aavaat paa aaaaa, à Chfpm
mmmê aillauva, qoa c« qui los a pardui,
G*aat la triati diasanfimoiit roligîoux qui
las a fiéparéa da l'tgiiio latine, mit les a
isolés da TËuropa, qui loaa IWpm à t'ia-
laiaisma, à la sarvitada, à ta barlsarie,
alilana oompiminaBtpasaaoBra, aija-
piaia lia la aampraoaaat, qu*ila •• vqr-
roai ta fia da laurs miièaes qiia daos
rabjuratian da aa déplaaabla nnaaîaaia
Îui laa anima toujaura aaat^a nana, at
a aatta iaaaraBoa prafanda qai Fatar-
BJaa au mulau d'aui.
ILE DE RHODES <>
DBieiifTfoir ST evouBâram oom-
^Autu M lIlb i»b ahodvs.
A$rifiT ST nous JPIFpiAltEfTS DR
L^tLs Q« Khop««. — Si Von quitte Hid
^ Cbypr^ pour «e nipprocb^r des ip^rs
de Id Grio^, b prfipiçr# ttfrre que Tq^
rencontra à i entrée (te la mer Ëuf 9 ou (J«
i'Arcbipel, #0 suivant tesc^téf oa TAsi»
Miqeuri , c*^ 1^1 ricbfi et glorteuH tle
oe Bbodff, ^^i «'pnoooce du Ipio oar 1*^
claunu \mfi\$rê d# ^ riîdge^, Rhodes,
Il véri|#Me cité du ^aieil , eomme dit la
waeeur im pialoguH du Luaiep, «t
^h comm te soleiriui-méme (3) . J/^rs-
9^00 louvpie en serrapt de près la e^ta
pour arriver 9 fo ville qui m située à le
mm mtepifioniH de ritot on voit s«
dérouler devant 991 uue luite variée de
migniSqu^ paysages. Deseoteaus s'ar*
[0ndis»eut doiiceoient e( entreeroisem
leurs courbes gracieu$ee; fouvent leura
soiDfn^s o^ralssent pus et aabionneui^ ,
m\% ils Aipaelieot de ees reflets d'axur
^\ (l'or que ron ne retrouve que sous ee
beau ml de la Grèoe e^ de TAsie Mi-
neure. La pente des hauteurs est ordi-
Ddirement couverte de bois touffus et
^Noyante « qui sont à la fois la parure
Ha ricl)eMe de rtle. Çà et là de hauts
palmiers se balancent au milieu des ar-
m moins élevés des forets, ou s'élèvent
i^lei sur la plage , annonçant de loin
^u Toy^geur que cette terre appartient
[i) Coosalier noqr Tbistoire ancienne de
Rbodes : Coroqeili, Isola di RhotH, geogra-
k^tUoricQ, tf/itica c moderna, eott aiire
^^•çmti, çàppss9Jtiie da eapalieri kospita-
^'fri di ê, iiovammi di Gervtalenunê ; Vepe-
zia, iSIS, iii-S#. — Rost, RIiodos, kêsiomck-
^ffktnhgUêhês Jras9unt.i ÀlloiM, xa^^,
M". - C. Mamert , Q$oMntnkU d» arm-
«*« ma Rimri artirle Rkadw, part» vi,
'01. III, p. aoa-aSi ; Nurewb., |«Q9, in-S»,
-le colonel lVettigr«, Qç4Çrif(iça dc4 Monur
»<nu de Rhodes^ in-4«» avec atlas : Bruxelles,
'tîo.
(») Ueieti, Amgrtêy XXXVIII, 7, 8 ; coll.
Didei, p. 388.
encore a TOrient. La mer ne baigne p9$
toujours le pied des hauteurs: des prai-
ries et de^ champs cultivés n'étendeq!
quelquefois sur le hvage, qui ordinai-
rement est comme entoure d*un rem*
part naturel de rochers nui et peu
élevés.
Cette tie, dont tons les vovageurg ap-
ciens e( modernes ont décrit aveq en*
ijiousiasroe Taspect enchanteur; est dé-
signée dans Tantiquité sous ditféreRti
noms. On rappela d*abord Ophiu^a^ h
eause dee oomoreui^ serpents oui se ca?
chaient dans les broussailles de se« fo-
rêts* On la nomma aussi T^tchinù^ Ten-
chanteresse, ou la terre des Telchme« ;
Sthrma, TAérlenne; W^acr/a, Ttleçux
trois pointes ou auK trois capitales ; Co-
rymbia > llle aux couronnes de lierre ,
aans doute à cause dee triomphe; de ses
athlètes; Pressa, rtle de Péan, à èausf
d'ApoHoQ, à qui elle était consacrée;
Vacaria, la Bienheureuse ; et epQn /^tci-
byria, nom qui était aussi celui du piç
principal qui s*élève h son centre, et qui
ravait reçu . dit-on , d*ua ancien roi du
peysClj. 000 vrai nom historique est celqi
de Pthodes, qui lui a sans doute été donné
à cause de la grande quantité de rosiers*
quidetout temps en ont couvert naturelle-
ment tous les cna m ps en friche. Recueillir
leurs fleurs, en extraire resseoce et en faire
des conserves, est encore aujourd'hui la
principale occupation des femmes tur-
ques établies dans Ttle. Cette explication
au nom de Hhodes était trop simple et
trop naturelle pour que tout le monde
ait pu s'en contenter. On a supposé que
ce nom venait d'un bouton de rose «n
cuivre qui fut trouvé en jetant les fon-
dements de Undos, l'une des plus an**
ciennes villes de l'île. Selon d'autres,
Apollon lui donne ee nom en eouveaif
d*uRe nymphe qu'il aimait. Elle s*appe*
(i) Cf. Meurftius, Rhodtis, |, I, c. lit j Dap-
per, Description ^ p. 88; Rotliers. Ato/iU'
ments de Rhfidês, p« 37 ; Forbiçer, aaudiuçh
der atten Géographie^ t. II, p. ^4 r j Coiooelti,
Dçir isola eff Rodi, ^. 3.
93
L'innTE&s.
lait Rhodes, et elle était fille de Neptune
et d^Halia, sœur des Telchines , que la lé-
gende rapportée par Diodore de Sicile
aonne comme la plus ancienne &mille
qui ait habité ce pays (1). Bochart veut
que le nom de Rhodes soit phénicien
d'ori^e, qu'il vienne de Gésirath'hodj
ce qui signifie dans la langue de ce peu-
ϻle Ile des serpents. Contentons-nous de
*étymologie grecque, qui fait dériver le
nom de Rhodes du mot grec ^6Sov ; les
Rhodiens la préférèrent à toute autre, et
prirent la rose pour emblème, comme
on le voit sur leurs monnaies, oui repré-
sentent d'un c6té le soleil et ae l'autre
one rose épanouie (S).
Position, étendue de l'île br
Rhodes. — L'Ile de Rhodes est située
dans la mer Carpathienne, sous le 36® de-
gré de latitude, et entre le 25® et le 2G' de-
fré de longitude à partir du méridien de
ans. Elle forme un ovale, qui s'allonge
dans la direction du nord au sud, et dont
la pointe septentrionale n*est s^arée
3ue par un canal d'environ trois neues
e largeur de la côte d'Asie dont Itle de
Rhodes semble n'être qu'un fragment
détaché. Sa longueur est d'environ vingt
lieues de France, et sa plus grande lar-
geur de sept à huit (3). Du reste, ses di-
mensions n'ont Jamais été bien rigoureu-
sement établies ni par les géographes
anciens, ni même par les moKdernes. La
côte d'Asie qui fait face à l'tle de Rhodes
était autrefois la Dorîde ; elle appartenait
à l'ancienne Carie , d'où se detacliaient
les deux presqulles que les anciens appe-
laient,rune la péninsuledeCnide. l'autre
la péninsule Rhodienne. Cette dernière
8*avance dans la direction du sud, et cor-
respond exactement au cap Saint-Étienne
ou des Moulins, qui termine au nord Ttle
(r)Dîod.,V,56.
(a) Au reste, cette ooncliuion n'ett qu'âne
hypothèse. Il y en a qui voient dans U fleur
des médailles rnodieanes la fleur du grenadier
sanvage, appelée Ao/afanV/m, dont on tirait une
temtore de pourpre. D'autres la prennent
pour l'héliotrope. En réalité elle ressemble
plutôt à la fleur du grenadier domestique.
f^ojr. Dapper, Descript., p. 5a e, dans un
appendice sur les médailles des îles.
(3) Pline {H'ut. Nat., Y, 36) loi donne
xa5,ooo pas de tour ; il la place à 57S,ooo
pas d'Alexandrie, et à fe6,ooo de Tile de
Chypre,
de Rhodes. L'autre 8*écarte au loin ven
l'ouest, et semble se confondre avec Hle
de Cos , qui paraît en être le prolonge-
ment. A rorient et au sud de rile s'*étend
une mer vaste et solitaire, où Fœil se
fatigue vainement à chercher à Tborizon
les rivages de la Syrie et de l'Afrique.
Au nord et à l'ouest le spectacle est plus
varié; on aperçoit les cimes éclatantes
des montagnes de la Doride et de la
Lycie, et, au milieu des flots biens de la
mer de Carpathos , le groupe dtles sur
lesauelles Rhodes a longtemps régné,
et aont plusieurs ne sont que des éeueils
stériles et inhabités. Les plus importan-
tes d'entre ces fies, dont Rhodes a été
comme la reine , sont Simia, TaDcienne
Syme, qui touche presque à la Doride ,
Cnalcis, Télos, Misyros, aujourd'hui
Cbaici, Piscopia, MIsara ; cestles se succè-
dent les unes aux autres dans la direction
de Ifle de Cos , oui borne an nord-ouest
l'horizon. Vers le sud-ouest , on voit se
détacher du sein des flots Itle de Carpa-
thos avec les tlots qui l'environnent, et
an delà les pics élevés du mont Ida de
rtle de Crète, qui forme vers le sud la
barrière de l'Archipel.
Air, climat, natube bu pats.
— Le climat de l'tle de Rhodes , tiède
en hiver, rafraîchi pendant l'été par des
brises régulières, son ciel si pur et si bril-
lant, en font auiourd'hui , comme au tre-
fois , le plus délicieux séjour (I). L'air y
est extrêmement sain ; rarement le ciel y
est couvert de nuages, et on n'y voit ja mas
un jour entier sans soleil. Aussi Ptie de
Rhodes avait-elle été consacrée par les
anciens au dieu de la lumière. Le culte
d'Apollon y tenait la première place,
comme celui d'Aphrodite en Cypre.
Pbœbus y avait des temples magnifi-
ques ; on y montrait son char, on y ad-
mi rait son fameux colosse, qui était rangé
parmi les merveilles du monde. Les
poètes latins lui ont souvent donné IV
pithète de Clara ^ que Ton put enten-
dre aussi bien de sa célébrité historique,
2ue de la clarté du soleil qui rédaire.
.e vers d'^orace
Laodabant alli daram Rbodon....
était peut-être compris dans ce dernier
sens par Lucain, quand il écrivait à son
(z) M. de Marcellus, Soupenirt de fO-
rient, II, a68.
ILE DE RHODES.
tour ces mots, qui sembleot eompléter la
pensée da eélèbre lyrique :
Claraiiu|ae reUnquit
Soie HbodoiL
Malgré rédat de sou soleil, Ftle de
Rhodes n'est pas exposée à l'inconvé-
nieot des sécbmsses et des chaleurs ex-
traordinaires. Aussi f grâce à la douceur
du climat, la végétation n*y est jamais in»
terronipue, et la nature semble ravoir do«
téa d'un printemps perpétuel. Ses eo»
teaux , boisés , offrent un feuillage pres«
ijue toujours verdoyant. De tout temps
1 île a exporté une grande quantité de bois
de chauffage et de construction (1). Les
plaises sont couvertes d'arbres fruitiers ;
on y recueille en abondance des raisins,
des olives, des citrons, des oranges,
des grenades, des figues et même des
dattes. Le terroir, quoique fertile , est
peu propre à la culture des céréales (2}.
Les pâtura^ v sont excellents, et peu-
vent nourrir de nombreux troupeaux.
L'île abondait autrefois en plantes mé»
dicJDales et potagères; et il ne £eiudrait
qu*uQ peu de travail et de culture pour
loi rendre la prospérité qu'elle avait sous
les anciens et sous le gouvernement des
iprands maîtres.
Malgré l'état misérable de la popula-
tioDactuelledeFllede Rhodes, etledépto-
rable abandon de ses campagnes , la na-
ture y est si belle de ses propres oeuvres,
qu'on ne peut voir Rhodes sans admi-
ratioo ni la quitter sans regret. C'est
là le double sentiment exprimé dans
preM]ue tous les livres récemment pu-
Uiés sur la Grèce et l'Orient par nos
touristes modernes, et où, à défaut de
œs études solides qui demandent du
temps et de la sdence, se trouvent ra-
<^mées de vraies et spirituelles impres-
sions de voyage. « En découvrant cette
i|e diarmante, dit M. d'Estourmel, je ne
dirai pas que mon attente fut surpassée;
cv ce que j'attendais et ce que j*ai vu
(0 Pocodie, Description de F Orient^ t. IV,
p.aoS.
(>) L'île ne fournissait pas assez de blé
pour la consommation de ses habitants. « /n-
J"^ se ituutœ parvœ et sterilis agris littorî'
^» qum nequaquam alere tantœ urbis po-'
P^^posset. » Tîle-Live, XLV, aS.Leoom-
'^'crce était indispensable à Texislence de sa
Qombftmepopulation,
n'ont aucun rapport. Mon œil, encore
attristé de la nudité du sol de la Grèce*
pouvait-il se flatter de rencontrer une si
belle et si riche végétation ! Toute l'en-
ceinte d'Athènes ne m'avait offert que
trois palmiers ; ici ils croissaient eu nom-
breux bouquets, couronnaient les hau-
teurs, et formaient une ceinture verte au-
tour des murs de la ville Je suis de
plus en plus enchanté de Rhodes. « Que
« serait-ce si vous l'aviez entendu ! » disait
Escbine, dans cette même tle, quand on
lisait en sa présence la harangue de
Démosthène, qui l'avait fait exiler d'A-
thènes. Que serait-ce si vous aviez vu
Rhodes ! suls-je aussi tenté de dire cha-
que fois que j'entreprends de donner une
idée de cet agréable et curieux séjour ( 1 ). »
Chez M. de Marcellus l'admiration est
encore plus vive , et s'élève iusqu'à l'en-
thousiasme. « Rhodes est rife que j'aime*
Scio, triste victime des révolutions, n'est
plus qu un séjour de deuil.Lesbos, oubliée
des voyageurs, est froide et sauvage;
Chypre et Candie sont des royaumes
plus que des îles : mais Rhodes est la
rose de l'Archipel. Située vers la grande
mer, comme une fleur détachée du ri-
vage , Rhodes touche presque aux belles
montagnes de la Qliae, et s'avance dans
les flots telle qu'une sentinelle vigilante;
elle est asiatique et européenne à la fois;
les vents familiers à ces parages y amè-
nent de toutes parts , et elle devient la
relâche obligée de tous les vaisseaux
3ui cinglent vers la Syrie ou TËgypte
e le répète, Rhodes est ma terre fa-
vorite :
lUe terramm mllil prêter omnea
AngoJoa ridet.
C'est là que vont mes vœux et mes re-
grets. Cest là une je voudrais aborder, si
le flot des révolutions doit me jeter loin
de mon pays; et quel homme depuis
cinquante ans n'a pas chaque jour mêlé
cette triste prévision À ses rêveries! C'est
là même sans révolutions que je voudrais
revenir; il est si fadle et si doux d'y
vivre 1 Après tant d'années, je songe en-
core avec bonheur à la maison c|ue j'y
habitais, et que je n'hésitai pas à ache^
ter, tant Rhodes s'était associée à mes
chimères et me semblait devoir jouer un
(i) Journal <Cun Voyage en Orient^ par le
eomte Joseph d'Estourmel, t. II, p. iB\ i06«
d4
t^ONlVËftS.
fMe tant mon atenlr ! Otti ûmcné m*«dt
eùvlê un t«i asite (I). » — « Je ne condds
au monilé, dit M. d« tamartine, ni uni
pld^ b«1te position militaire maritime,
ni un plus beau tAel , ni une terré plus
riflnté et plus féconde.... Je fejjrettè
(".ette belle fie comme tinô apparition
du'on voudrait ranimer, je m*v fixerais
A elle était moins séparée du monrJé vl-
f ant, avee lequel la destinée et le devoir
nous Imposent la loi de vivre t Quelles
délicieuses retraites aujt flancs de hautes
montagnes et siir ces gradins ombragés
de tous les arbres de TAsie! On m^y â
montré une maison magnifique appar-
tenant â Tancien pacha, entourée de trois
grands et riches Jardins baignés de fon-
taines abondantes, ornés de kiosques
ravissants. On en demande 1 6,000 pias-
tres de capital, c'est-à-dire 4,000 francs ^
voilà du bonheur à bon marché (2}. » OU
le voit, tons les témoignages les ptus ré-
cents sontunanimes;chacunetpfimeàsd
manière Tadmiratlon ouelul Inspire cette
fie fortunée, et certes il n*v a rien de cou-
ténu ou de factice dans cette admiration.
CéWt aussi le sentiment des anciens eux-
inéiiies, qui vivaient cependant sous un
si beau climat, dans des contrées belles
encore, malgré leur désolation actuelle $
fOur eut 1 fie de Rhodes était l'objet dei
Élus vives prédilections. Âleicandre Id
Irand voulait y établir sa mère Olym-
p(a< \ les grands de Rome aimaient h y
Vlvre;onlaclidiSissait pour lieud'el^îl;
Tibère y p issa huit années, qui furent,
aiflon tes plus heureuses, au moins ié^
plus tranquilles de sa vie. Cet acrôrd des
anciens et des MùâurtitMl h eélébrer la
beauté et les agréments de cette fie , et
0tla ft la distance de taut de siècles ef
éhûi des conditions al dissemblable.?,
protiveqtie Rhodes est réellement un des
l^ats de la terre les plus favorisés de fa
nature et les plus Heureusement dllpO'
iêi pour le séjour des hommes.
TKCMnLtMtWta M f Ëtlltt Et llVOlt-'
t^ATto^n. — Malgré tons ces avartta.^es,
rfle de Rhodes n'a pas toujours été àf i'â'
Uri de ces grands fléattt naturels qui
bouleversent un pays et consternent les
(t) êftrttvenirs de VOtient, ptt le vtComte
de Marcelliis, t. Il, p. a6S.
(4) ut. dé iJimartlite, rcf/a^e en Orient,
riftfïvr., t. Tf, p. tSa.
tlatlons. Etté tut ravagée I diffâ^tes re-
Srises par des tremblementa de terre ef par
es iDondatiom. Rbodw Mfitible avoir éxè
le produit d*une des dernières a|ptdf ions
TOlcaniqued (|ui remuèrem le fond de là
Méditerranée et aul doDoèrent à âda tles
et à ses rivages leur fortnè et leur état
définitifs. Les anciens se seuvenaient
d'avoir vu haltra 111e de Rhodei \ 9% Pie-
dere e rêelieilii l'aïUqué légende qei
rseodtait eomment eette tié s'éuit éle-
vée du séln des flots pour venir effrit
SCS campagnes encore homidee set
rayoïis fécondants du soleil. Ott a rt-
marqué que les roohers voisios de la
ville de Rhodes n'étaient qu'an eitias
de ooquillfiges marins^ iiKtuirtés dens tin
sable lin (t)^ preuve eertiiine que Ttie,
formée lentement par raicglortiérmlon de
ees coquilles au fond de la m^r, e été
ensuite lancés à la surface par aue érup-
tion voloonique. La méfne forise qui i
produit nie de Rhodes pourrait bien )a
détruire, et l'histoire a eons^rvé le sou-
tenir des grands tremblemcnis do terrs
qui eu ont ébrablé les fondemeota. l/ae
tt% avant lère ehrétienoe, l'fhi fut vie-
lertiiHeiit secouée par uoo aeiteikm fou-
terraine. Les murs de la ville Céerodiè*
veiii ) le colosse tomba ef ftit brlié^ les
veisseauss'entro'dhoquêremdaneleperti
et plusieurs y foron t ennloutlft (1). Le dé*
sestre lut grand, matt rscttvHé ée9 Rbe-
diens et les dons de tous les prlonn itrecs
de PAaiCf ipji avaient Imérlt i reletar
esttè V Ale4 si nécessaire k leur éommerce*
le réparèrent promptement. L« aceon4
tremblement de terre dont eetta île fet
affligée éclata solis le règne d'AMonla.
Rhodes i Ces ^ plusieurs tilles d« la Ca-
rie et de la Lveie fureat reltvirsM
et relevées aossiiét par k Mbérallté de
l'empereur (S). Sous CofistancOf sous
Anastase h' le même fléau sertaMveta
encore^ et causa ses ratages ordinaires.
]>epuis le cidquième alècie il n'est phfs
fait mention des tremblements de terre
de nie de Rbedes (4).
(i)Voy« RêvUe ées tfeux Ktondes, 1844,
^. 8o<^; L'Ile de àftodes, arl. de M. CoUiit,
/a)PoIyb.^ V, SS.
(3) Paasan., Tiff, 43, 4.
(4) Au fnoiriédt où j'écris ces' ti^ael on lit
ââni lei Journaux du Lcvâftf. et surtout daa^
Cimptwtial de Smyrnc, en daté dû 6 inar> ,
ILE t>e HHObES.
M
Ut aoeiemiM ifiondati^tift dnl Misé
mil de t«rriBI«ft smiveniri. « Au ttmpê
àfB TeldMAet, dit ÎMôéfe de Bidle, l'fl«
était eolièfeiiMstit Muirefte par les eaux;
le soleil la dessécha , la rendit fieofide,
et y établit les enfkftta du'll âYalt eus
de ffl nymphe AhcrdoS. «> ChistOiien qui
rvpporte eette tégetide en donne aussi la
féritaMé explication, quand II ajoute que
Il m\ sens de ee itiyttie est que le terrain
di rtii était primititeifient marécageut ,
()ue lé soleil te desséetta, et mi'il rendit
lé psvs fertile et liabitable (f). Depuis
eedéiu^ primitif, eontemporein de It
nâisssnèe même de nie , Ahodes a subi
pluslpurs inondations, qui ont été pouf
elle de véritables cfttamités. La troisième
et la plus désastreuse est celle de i*ait
310 avant Têrë dtrétienne. fille Ait pro"
dttite par un orase effroyable qui s^anat'
tlt sur rtle au printemps de eette année,
n tomba des torrents de pluie et une
gflte d'une prodigieuse grosseur. Lea
^loDs étalent du poids d'une mine
(43Q grammes) et même plus gros; en
tombant ils détruisaient les maisons et
tuileat les hommes et les animaut.
Comme la tille de Rhodes était bfttie ett
amphithéâtre , les eattx se réunirent en
KO point et totites les parties basses fn«
ittn inondées. On était sur Ift fhi de
i'hiter, et on atait négligé de nettoyer
\H esnSut pratiqués pour l'éeoulement
te eaujt. Atissl la fille Se remplissait*
elle eomme tm faste bassin ) les bâbl*
ttnts, époof sntls , se réfuglftlent sur let
nivireSf OU dans les édifiées des haute
quartiers. Lorsque tout â eoop la pttê*
slon des eaux rentersa uft faste pan de
uinraille, et eette ouferture latoriSâ leur
éeotilement. Rhodes filt dégstfée en peu
de tmps, et tottt rentra dans rétat habi*
toei; mais un grand nombre d'édiftecS
araltnt été endommagés « et ee désastre
anit eodté la fie à plus de einq eent»
personnes (3). Telle est la force terrible
des orages qui fendent qtielqtefMS suf
nie de Rhodes.
dts diuiU circonstantiés relatifs à un tr^OH
Uemeat de terre qui vient de éausef de
grauds déiaiirei dans Vi\€ de Hitodea et aw le
^oiineat, à Maeri. U tiecHMêe pritteijMie a eu
^ le «s léf riM> lSS«.
(i) Oiodor., V, 56.
(î) Diod., XIX, 45.
Un antre téàd, non moins Aineste,
tient eneore de temps en temps s^abattre
sur ses eampagnes. Ce sont des saute-
relies, que le vent du sud lui apporte d'A-
frique. En iei5 elles déférèrent presque
toutes les récoltes. Du temps des ehëf d-
tiers , quand la population de rtie était
nombreuse f à rapproche du fléau, que
Ton apercevait de loin comme un nuage
noir, on s'assemblait sur la edte en pous-
sant des cris et en frappent sur des us-
tensiles de euif re. on pârfenait quelque-
fois à époufanter les Sauterelles, quiévi-
tsient n'aborder Su rivage, et passaient
à edté de rne ; ensuite, épuisëesde fsti^ne
et toujours poussées par le fent, elles
allaient s*abfmer dans les flots (i). Au-
jourd'huli que nie d mottis d'habitants, les
sauterelles la déf estent lom à leur aise.
PlllNCtP4L«8 PHOntJCtîOlïS DIS RlIO-
i>es. — L*lle de Rhodes n*était ni âussi
étendue ni aussi féconde que l*lle de
Chypre. Elle dut son importance et
sa célébrité plutôt au dôurage et h Vae^
tifité de ses habitants qu'à ses richesses
naturelles. Cependant on recherehait
afee empressement quelques produits
qui lai étalent pârtlculiers.Certaihes den-
rées rhodiennes , eomme M les appe-
lait, étaient préférées à tdutes les entres
du même genre, tù eolle de Rhodes était
la plus recherchée des peintres et des
médeélns. Selon fline« le eyperns de
Rhodes était (brt estimé. On Appelle ey-
perus (souehet, Cf/perui mgttê) une
eorte de Jonc dont fa radne ressemble i
une otlve noire et est d'un grand usage
en médecine. Le eyperns le plus redher^
(^é thez tes endens Aalt eelui du
Says d'Ammen, en secotid Heu celtrl
e Rliodes, en troisième eelui de Théra.
en quatrième celui d'Eg|Ote(l}. Pline et
Athénée font mention <3>tfl eertain on-
guent dé Rhodes qnlls appellent un-
gitt^nfum erocintim,éM'h'ilfe onguent
sdfrâoé. Llle de Rhodes produisait une
espèee de raisin fort renommée, que
Tirgile a chantée dans Ses Géorgiquêê (S),
Kdft #10 le, iH et uMMts semla Meeeet*,
Tfanaieria« HImmUr, êi tuiaMiS^ tuaiaiie,
t rac^Aiis.
(i) Kotliers, Monuments de Rltodei^ p. 33.
(a) Pline, Hist, Nat., 1x1, ^d i J WeBi-
sius, Rhod,, p. 76 et suif.
(3) Virg., Georg,<, If, to6.
v^
L'UNIVERS*
Le via de Rhodes était estimé Tégal da
vin de Gos ; il flattait agréablement le
goût et Fodorat. La poix de Rhodes était
aussi recherchée que celle du mont Ida ;
les fruits de cette tle étaient excellents.
Elles produisait des figues noires et très-
succulentes (1). Le caroubier y est très-
abondant. Le pécher y fleurissait, selon
Pline et Théophraste*, mais sans pro-
duire de fruits. Théopbraste parle des
palmiers de Tîle de Rhodes , que Ton
entourait de fumier et au*oii arrosait
avec soin. Parmi les produits emprun-
tés au rè^e minéral, on remarquait le
vert de gris, la céruse, la craie, des mar-
bres de diverses couleurs et des agathes.
On V trouvait une terre bitumineuse ap-
peleie ampeUtes. On la détrempait dans
de l'huile, et on en frottait les ceps pour
détruire les vers qui rongent la vigne.
On y péchait des huîtres , des épon-
ges , plus douces que celles d^Afirique ,
et le coquillage qui fournit la pourpre.
La mer qui 1 ^environne était très-abon-
dante en poissons ; un ancien auteur,
cité par Athénée , donne à cette île l'é-
pithete de poissonneuse. On recherchait
surtout rélops, que Pline met sur la
même ligne que les loups du Tibre, qu'on
péchait entre les deux ponts, le turbot
de Ravenne, et la murène de Sicile (2),
Mais la plupart de ces poissons ne se
prenaient que sur les côtes; car Ttle
ne possédait qu'une petite rivière , qui
n'était pas même navigable, et des ruis-
seaux souvent à sec. Pline nous apprend
que les coqs de Rhodes étaient extrême^
ment bravés, et ne naissaient que pour
la guerre et de perpétuels combats. Ils
étaient grands et forts,charsés de chairs
et de graisse, peu propres à la reproduc-
tion. Les poules de Rhodes pondaient
r^u, et étaient fort lentes et paresseuses
couver et à élever leurs poussins. On
ne voyait point d'aigle dans l'Ile du So-
leil. Aussi Suétone a-t-il mentionné
comme un prodige l'apparition d'un ai-
gle qui vint se percher sur la maison
qu'habitait Tibère, dans Ttle de Rhodes,
quelques iours avant son retour en Ita-
he (8). C'était, dit-il, comme le présage
de Sj> vTOchaine élévation à l'empire.
iz) Pline, XY, zg, a.
a) Id., IX, 79, a.
(3) Suét., Tiher.y 14.
GboGB APHIE PHYSIOUB DB I*1U
DB Rhoues. — Rhodes est la plus
grande des lies grecques voisines de l'A-
sie, après Cypre et Lesbos. Elle se ter-
mine au nord vers la côte de Carie, par
une pointe basse et sablonneuse qui est
le prolongement du mont SaintrËtienne,
et que les géographes modernes ont nom-
ma cap des moulins (1). A côté, vers
l'ouest, se trouve le promontoire de Pan,
aujourd'hui cap Saint-Antoine. A l'ex-
trémité méridionale de l'Ile était le cap
Miiantia aujourd'hui cap Tranquille,
qui touche presque à la petite tle de
Cordylusa , appelée maintenant fie de
Sainte-Catherine. Dapper et Coronelli
placent sur la côte orientale de Tlle le
cap Ro, à trois lieues au sud de Rhodes,
le cap Lindo et le cap Saint-Jean , et à
l'occident le cap Candura ou Cavallero.
L'intérieur de rtle est couvert de mon-
tagnes qui courent dans la direction da
nord au sud, et qui forment deux ver-
sants tournés l'un à l'ouest, rautre
à l'orient. Le sommet le plus élevé de
nie est le mont Atabyrius, sur lequel
Althémène, contraint de quitter la Crète,
éleva un temple à Jupiter Atabyrien. On
Î voyait aussi un temple de Minerve. Du
aut de cette montagne on aperçoit
non-seulement la Crète, mais même,
dit-on, nie de Chypre (2). Une tradi-
tion rapporte qu'on voyait sur le moot
Atabyrius deux bœufs de bronze, l'un
tourné vers Torient, l'autre vers l'ood-
dent, dont les musissements se faisaient
entendre quand 1 île était menacée d*uD
grand malheur; ce qui nous fait coin*
prendre qu'il y avait un oracle dans le
temple de Jupiter Atabyrien. On fait
venir le nom de cette montagne d'Ata-
bvrius, ancien roi telchine de l'ile ;
d autres en font un mot phénicien, sem-
blable à celui du mont Thabor. La plus
haute montagne qui s'élève au centre de
l'île s'appelle aujourd'hui Ârtémira,
C'esttrès-probablement là qu'il fautcbe^
cher le mont Atabyris. On se trompe
éviJeniment quand on le place au mont
Philerme. Artémira est fort escarpée ,
dit Savary (3) ; oà ne peut y monter à
(z^ Coronelli, Uola di RotU, p. i3.
(a; Meursiot, Rhodtis, c. vzii, p. ai.
(3) Savary, Lettres 4ur la Grèce^ p. 86,
1788.
ILE DE RHODES.
91
eharai; 3 faut la gravir à pied pendant
quatre heures de marebe poar arriver
a sa cime. Lorsqu'on y est parvenu, on
jouit d'un coup d'ceil magnifique. On
découvre aux bords de Tborizon, vers ie
nord-est, les sommets du Cragus, au
nord la cMe élevée de la Caramanie, au
nord-ouest de petites îles semées dans
i'Arehipd , qui paraissent comme des
points lumineux, au sud-ouest la tête
du mont Ida, couronnée de nuages, au
Bidi et au sud-est la vaste étendue des
eaux qui baiff nent les côtes de l'Afrique»
Au nord de Plie, non loin de la ville de
Rhodes, est le mont Philerme, nom qui
dérive de phUeremos, qui aime la soli-
tude; cette hauteur est voisine du vil-
lagede Trianda. On y volt une ^lise con-
sacrée à Notre-Dame de Pbilerme et un
sonterrain orné de fresques représentant
des sujets religieux, dont la description
se trouve dans la relation du colonel
ftottiers (1). Au sud-est de la ville est la
bauteurduSimboli, où la tradition place
l'éeole de ces rhéteurs rhodiens dont
renseignement eut tant de célébrité chez
les anciens. L'Ile de Rhodes n'a pas de
cours d'eau navigable : le seul des ruis*
seaux qui Tarrosent auquel les anciens
fient donné un nom est le Pbyscus, au-
jourd'hui la Gradura on la Fisca , qui
eonle du nord au sud, et se jette dans la
n)er vers la côte orientale de l'île (2).
Mais on voit dans les plaines et sur les
coteaux de nombreuses sources très-
abondantes , qui entretiennent la ferti-
lité du sol et font croître autour d'elles
des bois touffus. La viUe de Rhodes
recevait les eaux de la fontaine Inessa,
en rhonneur de laquelle les Rhodiens
fondèrent une ville de ce nom en Sicile.
Ancieitnss tilles et lieux gélb-
BEES DE l'île DE RhODES. — LeS
trois premières villes de l'île de Rhodes
lurent Lindos, Camiros et Jalyssos, dont
Strabon attribue la fondation aux trois
fils de Gercaphus. Celle d'Achœa, attri-
buée à Gercaphus lui-même, n'est attes-
^ que par des traditions incertaines.
On connaît l'emplacement des trois au-
tres cités. Lindos était située sur la côte
onenude^ dans la région la plus âpre de
lue. Les campagnes environnantes
(i) Monuments de BkodéM, p. 360.
(^)D€ttJsoiadiRodi.,^, i4.
7* UvraUon. ( Ile de Chypre. )
étaient couvertes de rochers. La vigne^
et le figuier y prospéraient; mais on ne
pouvait ni labourer ni ensemencer ses
champs rocailleux. Lindos était célèbre
par son temple de Minerve, dont la cons-
truction est attribuée à Cadmus ou à
ses filles. Ce temple fut détruit sous le
règne de l'empereur Arcadius, fils de
Théodose le Grand. On en voit encore
les ruines sur une colline élevée qui do-
mine la mer. Les débris de ces murs
sont composés d'énormes pierres, et ap-
partiennent au style cydopéen. Sur la
cime la plus élevée du rocher on remar-
que les restes de la citadelle, ou acropole,
de Lindos. Au temps des chevaliers il
y avait à Lindos un château fort appar-
tenant aux grands maîtres; on l'appelait
Castello di Lindo. Sous les Turcs Lindo
resta un village habité par des chrétiens
fort riches, qui faisaient un grand com-
merce et avaient de très-bons navires.
Cette prospéritéa disparu depuis le temps
dcDapper (1). Lindos est situé au pied de
la montagne qu'occupaitrancienne ville.
Une baie spacieuse, qui s'avance au loin
dans les terres , lui sert de port. Les
vaisseaux y trouvent un bon mouillée,
par huit et douze brasses. Ils y sont k,
l'abri des vents du sud-ouest, qui régnent
dans la plus rude saison de l'année. Près
de Lindos était la région appelée Ixia
et le port Ixus, où l'on adorait Apollon
Ixien,
Camiros était située dans la partie oc-
cidentale de l'île; c'était une ville ou-
verte, non fortifiée; Strabon l'appelle un
bourg,et Thuc3[dide dit positivement que
les Lacédémoniens s'en emparèrent sans
peine au temps de la guerre du Pélo-
ponnèse, parce qu'elle n'était pas envi-
ronnée de murailles. Les anciens don-
naient à Camiros l'épithète d'Argilleuse,
La divinité tutélaire de la ville était
Junon Telchinienne. On y adorait le
héros Aithémène. Camiros n'est aujour-
d'hui qu'un misérable village.
Jalyssos a ;iussi presque entièrement
disparu. £lle était située au nord de
Camiros. C'était une ville forte,dominée
par une acropole appelée par Strabon
Ochyroma (2). On y avait élevé un tem-
(i) Dapper, Description tU tArchîpei ,
P- 9î»-
(a) MeursiiV} Hhodus, p. a6, c w.
98
LimiyEBS.
pie à Juoon, et aux Nymphef Tel-
ehiniennes. Chu y retrouve des masses
de pierres renversées, derniers restes
d'une des portes de l'antique Jalyssos,
et çà et là, sur remplacement qu'elle
occupait, on voit des blocs de marbre,
des fragments de colonne et quelques
débris de bas-reliefs dont le colonel Rot-
tiers a donné les dessins(l) . Les cheva-
liers de Rhodes ont exploité les ruines
de cette Tille et Font fouillée comme une
carrière. Ils en ont enlevé de belles co-
lonnes, qui ont servi à la décoration de
l'église Saint-Jean. Ils y ont trouvé des
statues, des inscri ptions qu'ils envoyaient
à leurs parents et a leurs amis d'Europe;
les Vénitiens en ont fait autant dans tout
l'Archipel. Peut-être y aurait-il encore
à faire en cet endroit des fouilles pro^
ductives.
Dbsgbtftion de l'àncieniis villb
DB Rbodbs. — La ville de Rhodes fut
fondée bien longtemps après les trois an-
ciennescités de Jalys8os,Gamiros et Lin-
dos. Vers la fin delà guerre du Péloponnèse
les habitants de ces trois villes, réunis par
l'intérêt commun, renoncèrent à former
trois cités distinctes, et fondèrent la ville
S'ils appelèrent Rhodes, du nom de Tlle.
le eut pour architecte Hippodamus de
Milet, le même qui avait tracé le plan de
la ville du Pirée (2). Strabon lui donne
quatre-vingts stades , ou environ trois
lieues de circuit. Le terrain était en
pente, et la ville présentait l'aspect d'un
amphithéâtre, d'où la vue s'étendait sur
la mer et les côtes d'Asie. C'était une
des plus belles villes de l'antiquité; et
l'on admirait son emplacement, ses mu-
railles, SCS édifices publics, l'habile dis-
position de ces rues, la grandeur et la
commodité de ses ports. « Dans l'inté-
rieur de Rhodes, dit le rhéteur Aristide,
on ne voyait point une petite maison
à côté d'une grande. Toutes étaientd'une
égale hauteur, et offraient le même ordre
d'architecture, de manière que la ville en-
tière ne semblait former qu*un seul édi-
fice. Des rues fort larges la traversaient
dans toute son étendue. Elles étaient
percées avec tant d'art, que de chaque
côté que l'on portât ses regards, l'inté-
(i) Monuments de Rhodes, p. 384, et atlas^
pi. 75.
(9) Meursius, Rkod,, c. x, p. 27»
rieur paratasaitsvperiMBie&t déeoré. Les
murs, dont la vaste eneeintB était cd-
trecoupée de tours d'ime haoteor et
d'une beauté surprenantes, «xeîtaient
surtout l'admiration. Leurs sommets
élevés servaient de phare aux naviga*
teurs. Telle était la magnlfioence de
Rhodes, qu'à moins de Tavèir vue, l'i-
magination ne pouvait en concevoir l'i-
dée. Toutes les parties de cette immense
dté, liées entre elles par les plus belles
proportions, composaient un ensemble
pariait, dont les murs étaient la cou-
ronne. Cétait la seule ville dont od pût
dire, qu'elle était fortifiée eorome une
plate de guerre et ornée comme on pa-
lais. »
La rille de Rhodes était située ao nord
de l'tle, sur la pointe d'un promontoire
qui s'avance vers l'orient. Elle était do-
minée par une vaste acropole, dont l'en-
ceinte renfermait des champs cultivés et
des bois. On ▼ voyait une statue en or
du dieu de la richesse, Piutus,à qui l'ar-
tiste avait donné des ailes et des yens.
Rhodes possédait encore d'autres tem-
ples magnifiques; celui du Soleil, princi-
pale divmi té de la ville ; celui de Baoebas,
que décoraient des peintures de Protogè-
ne; le temple d'Isis, voisin des murailles.
Ces trois temples que mentionnent les
anciens n'étaient pas les seuls , puisque
Dion Ghrysostome prétend que les Kho-
diens en avaient élevé à tous les dieux,
avec un grand nombre de chapelles consa-
crées aux héros. Il y avait à Rhodes des
théâtres, des gymnases pour l'enseigne-
ment de la philosophie et des lettres,
des stades pour la course et les exercices
du corps. Tous ces édifices étaient or-
nés de peintures et de statues, dont Pline
porte le nombre à trois mille. Rtiodes
avait plusieurs ports et de ^ands arse>
naux. « Le navigateur qui y abordait
dit Aristide (1), voyait avec étonnenient
plusieurs ports formés perdes môles de
pierre jetés bien avant dans la mer.
L'un recevait les vaisseaux d'Ionie,
l'autre ceux de Carie. Celui-ei offrait
son abri aux flottes d'Egypte, de Ghy-
Sre et de Phénicie, comme si chacun
'eux eût été fait exprès pour telle rille.
Près de ces ports s'élevaient des arse*
(i) Dans aei Ahodiaea, cité par Meursiiis,
p. 35.
ILE l>£ atiODES.
^
nan (htm rinfMMattli aMiMé étouoait
k» re^anis; si Ton oMUidorait rimmea**
ailé de leurs toits (fiu lieu élevé, ils resr
semblaieDt à un vaste champ doat le ter*
raiD est iaeliné. » Il y a de reiagératioa
et de i'empbase dans le langage du rhé*
teor asiatique. Des histoneas plus exacts
fi plus précis ne parlent que de deux
ports, un grand et un petit, dont il est
fait mention dans le récit du siège que
la ville soutint contre Démétrius Polio^
eète. Cependant on reconnaît au sud de
la ville remplacement d'un troisième
poit, qui est aujourd'hui presqu'à sec.
L'entrée de quelques-uns de ses arse-
naux était interdite sous peine de mort*
Od leconnatt dans cette terrible prohi^
bition resprit des grandes républiques
eofflmereantcB. Garthage et Venise
avaifnt dans leurs codes des rigueurs
lemblables. La ville était entourée de
faubourgs, que les habitants détruisirent
quand ils furent menacés d'un siège par
Mitbridate. C'était dans Tun d'eux que
Ton admirait le célèbre tableau d'Ialysus
du peifitre Protogène dont nous repar-t
ktons plus loin en détail. Toute la
ville était remplie des chefs-d'œuvre de
Tart antique, que les riches Rhodiens sa*
nient généreusement payer aux grands
artistes de la Grèce. « Tétais logé dans
le quartier du temple de Bacchus, dit
^ voyageur de Lucien, et dans mes
moments de loisir je parcourais la ville
poor en examiner les monuments. De
temps en temps je goûtais un plaisir
nqnis en me promenant sous les porti*
quçs du temple, et en contemplant les
peÎQtares admirables qui les décoraient,
(^speetaele avait d'autant plus d'attrait
pour moi que je comprenais les sujets
^ que je repassais dans ma mémoire les
labiés héroïques qu'ils représentaient. »
La ville actuelle de Rbopbs. —
La nouvelle ville de Rhodes occupe l'em-
placement de randenne; seulement elle
nt moins étendue. On n'y retrouve plus
de vestiges de la cité grecque ; temples ,
portiques, gvmnases , statues, tableaux,
tout a été enlevé ou détruit; tout a dis-
paru. £t cependant cette ville est en-
«tte, telle qu'elle est, un intéressant dé-
bris du passé. Ce n'est plus la Grèce
QD^elle rappelle; c'est une autre époque,
«éjà vieillie par les siècles, mais qui a
hissé dans tous les souvenirs autant de
traces que Tantiquité elle-même. La villç
actuelle de Rhodes date du temps des
croisades et a été bâtie par les cheva-
liers de Saint- Jean. « Le mo^en âge, dit
M. d'Ëstourmel, est reste à Rhodes
avec tout son appareil guerrier, ses tou*
relies, ses créneaux , ses ogives, ses ar-
moiries. Nous possédons chez nous quel-
ques maisons de ce genre ; mais une cité
tout entière, c'était un spectacle com-
plètement nouveau pour moi. Le port où
nous descendîmes est bordé de quais en
grande partie ruinés, et de longues mu-
railles hérissées de meurtrières; une
belle et haute tour carrée, crénelée,
flanquée à son sommet de quatre tou-
rillons, s'élève au-dessus des autres for-
tificatioDS. Lors du siège elle s'appelait
la tour Saint-Nicolas, et elle fut vaiN
lamment défendue par un Castellane.
Une fois les portes franchies, on pé-
nètre à travers un assemblage de mai*
sons bâties en pierre , à petites croisées
carrées , à portes basses et cintrées , avec
des trottoirs qui ne laissent entre eux
qu'une voie étroite. Quelques rues mieux
percées forment le quartier noble, le
faubourg Saint-Germain de Rhodes.
Une d'elles, la plus droiteet laplus large,
a conservé le nom de rue des Chevaliers ;
elle traverse la ville, aboutissant d'un
côté à la mosquée, près de la porte du
port, de l'autre à l'ancienne église pa-
tronale de Saint-Jean; les hôtels oui la
bordent sont tels qu'ils étaient à la fin
du quinzième siècle, dont la plupart
portent la date. Seulement quelques oal-
cous fermés ont été ajoutés aux fenêtres
pour empêcher le jour et surtout les re-
gards de s'introduire du dehors dans
l'intérieur des chambres. Des créneaux,
des petites tourelles, des gouttières en
pierre s'avancent en saillie sur les fa-
çades; de longs câbles sculptés mar-
quent la séparation des étages. Dans
l'architecture des noms se sont con-
servés , qui maintenant ne représentent
plus rien. Qu*est-ce dans nos maisons
modernes qu'une croisée autour de la-
quelle règne un cordon? Un assemblage
de vitres et des moulures alentour ; mais
les anciennes croisées représentaient
exactement une croix, comme leur nom
l'indique. La forme en fut adoptée à l'é-
poque des croisades, et ce qu'on appela
alors un cordon est bien réellement cq
7.
"100
L'UNIVERS.
câble que je retrouve ici dans les encadre*
ments. Ce qui contribue surtout à I*or*
nement , c^est la profusion d'armoiries
en pierre et en marbre blanc, qu'on
aperçoit jusque sous les toits; quelque-
fois on voit réunir jusqu'à sept de ces
écussons. La croix de l'ordre est par-
tout, mais jamais seule ; la croix ancrée
des d'Aubusson lui est accolée sur toutes
les portes et les lieux les plus apparents,
preuve évidente que la ville fut en grande
partie reconstruite après le premier
siège. On rencontre aussi fréquemment
nos fleurs de lys. Les maisons ainsi dé*
corées présentent à Tœil un blason com-
plet, souvent avec des devises et des ins-
criptions en caractères »>thiques (1). »
La ville actuelle de Khodes a deux
ports : celui qu'on rencontre le premier,
en abordant par le nord , est le port des
Galères, ainsi nommé parce qu'il servait
d'abri aux sept galères que le pacha de
File entretenait autrefois pour le service
du grand seigneur. L'entrée de ce port
est défendue par le fort Saint-Elme. Le
grand port est appelé le port des Vais-
seaux. Il est détendu par la tour Saint*
Nicolas; au delà d'un môle couvert de
moulins et terminé par la tour de Saint-
Michel , on aperçoit l'enceinte presque
ensablée d'un troisième port qui doit
avoir été abandonné depuis bien des
siècles. La ville est encore entourée des
fortiGcations derrière lesquelles les che-
valiers soutinrent le siège de 1522. Sans
doute cette enceinte avait grandement
souffert par l'effet des mines et du canon
des Turcs. Mais Soliman la fit rétablir
dans l'état où elle était avant le siège ; de
sorte que l'on ne retrouve en aucun autre
pays du monde une ville du quinzième
siècle aussi bien conservée. Rhodes est là
encore debout, telle qu'elle devait être
lorsque les Turcs s'en emparèrent. Elle
a dû à rinaction et à l'indolence de ce
peuple d*échapper à toutes les causes
de transformation qui tous les jours
métamorphosent les villes d^Europe.
Elle est restée intacte sous le gouverne-
ment inerte des musulmans, comme
Pompéi et Herculanum sous la lave et
les cendres du Vésuve (2). A part le dé-
( I ) JoivrnaltTun Voy. en Orient, 1. 1, p. 1 55 ,
(a) Midiaiid et Poujoulat, Correspondance
d Orient, t. rv,p. i3.
labrementde ces remparls, queletsmos
augmoate tous les jours ^ rien n'a «é
chauffé dans leur construction ; on n'y a
Î)as dérangé une pierre ni comblé «m
bssé. Chaque bastion a conservé son
nom. Ici c'est le bastion d'Angleterre,
là celui d'Espagne et de Portugal , plus
loin ceux de France, d'Italie, d'Au-
vergne, de Provence. Tout autoar de la
ville rèffne une longue suite de cime-
tières, hérissés de pierres levées, de
dalles de marbre blanc , fichées en terre,
quelques-unes chargées de versets du
Coran et terminées par un turban gros-
sièrement sculpté. Comme les Turcs ne
renouvellent pas les sépultures dans leurs
cimetières, ils s'étendent de joar en
jour, et occupent autour de leurs villes
d'immenses emplacements. La mort
saisissant tous ceux qui ont véca , la
nécropole de Rhodes est bien plus vaste
que la cité des vivants.
La ville se divise en deux parties , la
ville haute vers l'orient , et la ville basse
à l'ouest. Partout les rues sont étroites
et tortueuses. La haute ville était le
quartier réservé aux chevaliers. Le quar-
tier des Juifs est à l'extrémité de la ville
basse. Les ruines du palais des grands
maîtres sont dans le haut de la rue des
Chevaliers, près des fortifications. « Ce
château, qui dominait autrefois la ville,
la mer et les campagnes, dit un voya-
geur (1), n'est nlus qu'un amas de dé-
combres, du milieu (lesquelles s'élèvent
des murs flanqués de tourelles, dont les
débris obstruent les cours et les salles ;
des restes de galerie, des arcades que le
lierre enlace et soutient encore, servent
d'abri à de tristes oiseaux qui s'échappent
en criant et se replongent dans leur
sombre repaire dès que le voyageur s'est
éloigné ». «Çà et là on aperçoit les restes
de ces grandîs édffîces où les chevaliers
de la même langue vivaient eneommun,
et qui portaient le nom d'auberge. Elles
étaient jadis au nombre de huit, à cause
des huit nations dont se composa l'ordre
des Hospitaliers. Non loin des ruines
du palais des grands maîtres on trouve
celles de la loge Saint^Jean, qui occupe
l'emplacement d'un temple de Jupiter-
Sauveur, où l'on recevait avec honneur
fi) M. Cottut, Revite des Oenx Mandes ^
xSÙ, p. 8i5.
ILE DE RHODES.
h)i
les étrangers de distinetion et les am-
bassadeors des États avec lesquels Kho-
des entretenait des relations amica-
les (1). » C'est la nartie la plus élevée
de la ville, qui de la descend en pente
douce jusqu^au port. La loge Saint*
Jean fut construite par Hélion de Vil*
leoeuve. C'était là que se réunissaient
les chevaliers pour les conseils de
guerre, les grandes délibérations : c'é-
tait là que se rendait le grand maître
pour communiquer avec Tordre, ou diri-
ger les travaux dans les grands sièges
que Rhodes eut à soutenir. Endom-
magée dans le dernier siège, la logo
Saint- Jean a été de pins en plus dégra*
dée par le temps, et dans quelques an-
nées il n'en restera plus nen. L'éB;Iise
Saint- Jean, ancienne cathédrale oe la
Tille, est aujourd'hui la grande mos*
quée. Elle est de beaucoup inférieure
pour la beauté et la richesse à l'église
que le même ordre édifia plus tard dans
nie de Bialte. Autrefois les Turcs en in-
terdisaient l'entrée à tout étranger. Le
eolonel Rottiers prétend être le premier
chrétien qui y ait pénétré depuis la con-
quête. Cest en 1825 qu'il visita l'Ile de
Rhodes. Aujourd'hui l'antique église de
Saint-Jean n'est plus fermée aux voya-
gmrs. Elle a cent soixante pieds de
Dg et cinquante-deux de large; les co-
lonnes ont presque toutes des chapi-
teaux différents; leur diamètre est d*en-
viron vingMeux pouces. Elles ont été
enlevées aux ruines d'anciens temples
païens, et sous la chaux blanche dont
les Turcs les ont recouvertes , on re-
connatt qu'elles sont en beau granit
oiieatal. La charpente qui soutient la
toiture de la nef est toute parsemée d'é-
toiles d'or sur un fond d'azur. Cette
église a été bâtie sur les plans d'Ar-
nolfe , architecte de Florence : sa cons-
truction commença peu de temps après
rétablissement des cnevaliers dans i île»
ear on rapporte que la première pierre
^ fut posée solennellement par Foul-
ques de Viilaret en 1310, le jour de la
uativité de Saint-Jean-Baptiste , patron
de l'ordre (2). Les autres églises de la
ville, Sainte-Catherine , Saint-Pantaléon,
Saint-Sauveur, Sainte-Marie-de-la-Vic-
(i)KoUiers, Monuments deJRhodes, p. a85.
(3)Roitien,/J., p. Soi.
toire, Saint-Cosme et Damien, Saint-
Jean de la Fontaine sont tombées en
ruines ou converties également en mos-
quées. Les couvents de Saint-François
et de Saintr Augustin subsistent encore.
On retrouve dans la rue des Juifs un
vieux couvent de religieuses, la maison
du grand commandeur, et le palais de jus-
tice de l'ordre. T^ porte, qui donne accès
dans la ville du côté du port s'appelle la
porte Saint-George ou de Sainte-Cathe-
rine. A l'occident, vers la ville basse, est
la porte Saint-Jean, et à l'orient, à la
ville haute, la porte Saint-Michel, ap-
pelée aussi porte d'Amboise.
Les Turcs ne souffrent pas qu'aucun
chrétien habite dans l'enceinte de Rho-
des. 11 en est de même à Constanti-
nople. Le Fera de Rhodes est un grand
village ouvert, situé au nord-ouest de la
ville, dans le voisinage de la mer, et qui
s'appelle Neochorio. Les Grecs y sont
également relégués, ainsi qu'à Paximada,
qui est le prolongement de Neochorio.
Ce faubourg est adossé à la hauteur
factice élevée par les musulmans lors
du siège qui mit Rhodes en leur pou-
voir, et au delà de laquelle on a perçoit le
sommet du mont Saint- Nicolas. Les
consuls européens y ont tous leur rési-
dence. En sortant de la ville par le côté
opposé , on arrive au site de Simboli,
dont le nom vient du mot turc zambidu,
gui signifie hyacinthe. Cest une plate-
forme ombragée de beaux platanes, arro-
sée par une fontaine qui entretient en
cet endroit une délicieuse fraîcheur. Là
est le plus joli site des environs de Rho-
des , oui généralement ne sont pas sans
beauté. A l'ouest du mont Saint- Etienne
s'étend la vallée qui servait de retraite
au monstre que combattit le chevalier
Gozon^ et dont on voit le prétendu sque-
lette suspendu sous la porte Sainte-Ca-
therine. Au sud-ouest de la ville, à deux
ou trois heures de chemin, sont les
ruines qu'on appelle le vieux Rhodes.
La route en est agréable ; on suit long-
temps le bord de la mer, puis on che-
mine entre de gros arbres touffus, chênes
verts, oliviers, figuiers; on traverse le
joli village de Trianda, dont les maisons
sont en pierre et presque toutes unifor-
mément ornées d'une petite tourelle à
cul de lampe délicatement sculptée,
genre de construction qui dénote une
fas
L'UmVBRS.
origine féodale. Ptos loin, sur une éroi*
neuce,est remplacement d*UDe ancienne
ville, quelques restes de tour et un
couvent ruiné. Le vieux Rhodes n'est
Sas une ville greeque, mais franque; ses
ébris sont ae construction gothique,
car à Ehodes comme dans Hle de Chypre
la plupart des ruines appartiennent aui
édifices construits par les Latins à l'é^
poque des croisades. Les vestiges de
rantiquité ont presque entièrement dis*
paro, mais partout se retrouvent la
Race des Francs et les souvenirs de
leur cloire.
L'fle de Rhodes a cent quarante
milles de superficie, quarante-quatre
villages, une capitale et un bourg, celui
de Lmdo. Dana le siècle dernier sa po^
pulation était encore de quatre-vingt
mille âmes, et la ville conservait quei^
que prospérité. Mais la fiscalité d^ gou*
vemeurs turcs a tout ruiné : outre les
impôts arbitraires et exeessîfs dont ils
frappaient les habitants, ils s'attribue'»
rent les monopoles de presque toutes les
denrées, soie, cire, miel, huile, oranges,
raisins, etc. Ils ont accaparé toutes les
productions du sol. Appauvri par leurs
exactions , le cultivateur a renoncé an
travail ; le^ jardins ont disparu, les mois-
sons ne couvrent pins la terre. Beaucoup
de cantons fertiles et autrefois bien cul-
tivés sont devenus des solitudes, et selon
le témoignage de voyageurs qui ont vi-
sité cette tie après 1880, le dénombre^
ment qu'on venait de faire par Tordre
de la Porte n'avait donné pour toute l'île
que seize mille habitants (1).
IL
HISTOIBS ANGIETTIVE DE l'tLB
DE BHODBS.
Ses PBEHIBB8 HABITANTS, LES
TELGHINES, les leHÈTES, LES Hi-
LiÀDBS. •*- Les plus anciennes tradi*^
tit>ns relatives à l'histoire primitive de
Rhodes ne sont que des légendes poé-
tiques et des fables incohérentes, où l'i-
magination a la plus ij^ande part, et
dans lesquelles il est bien difficile de
distinguer la fiction de la vérité. C'était
une opinion généralement reçue dans
(i) Bllchaad et Poujonlat, C^rrespomUmee
ttGrimt, U IV» p. 96.
la Grèoe que 111e de Rhodes était née
du sein des eaux de la mer. Laissons
Sarler Pindare, l'historien, le chantre
e cette origine merveilleuse. « Les
vieilles traditions des hommes racon-
tent qu'au temps où Jupiter et les im-
mortels se partagèrent le monde , Rho-
des n'était pas encore visible sur la
plaine humide; l'île se cachait dans les
profondeurs de la mer. Le soleil ab-
sent, personne n'aivait tiré son lot ; au-
cun pays n'avait été assigné au chaste
dieu, dépendant Jupiter, qu'il avertit,
voulut établir an nouveau partage ; nuûs
kii ne le permit point, car al dit aux dieux
qu'au fond de la mer bianchissaDle il
voyait grandir une terre féconde en
hommes et favorable aux troupeaux.
Sur-le-chasnp il exicea que Lacbesia au
fuseau d*or étendit les mains et que les
dieux ne refusassent pas de prêter le
grand serment; mais qu'avee le fils de
Cronos ils lui promissent que l'tle qui
montait à la clarté du ciel serait à Pa-
venir placée sur sa tête. Ces paroles
souveraines s'accomplirent selon In v^
rite. Du sein humide de la mer germa
Itle que possède le dieu générateur de
la lumière radieuse , le roi des coursien
au souffle de feu. C'est là qu'il s'unit à
Rhodo, qu'il engendra sent en&nts,
dont la sa^se éclata parmi les hommes
des premiers temps ; l'un d'eux engen-
dra Camire, Jalyse l'alné et Lindus.
Mais ils vécurent séparés, après avoir fiait
trois parts des terres et des villes pater-
nelles : leur séjour porta leur nom (1). »
Selon Pindare, les (derniers habitants
de Rhodes sont les fils du Soleil, les Hé-
liades, race d'honames née de l'union
de l'astre du jour avec la terre de Rhodes
qu'il avait fécondée. Les traditions re-
cueillies par Diodore remontent plus
haut, et avant les Héliades il nomme les
Telchines comme étant les premien qui
peuplèrent Rhodes (3). Il leur donne le
titre de fils de la mer; ce qui les lait
regarder comme des Phéniciens (S) par
la plupart des critiques. Comme inven-
teurs et propagateurs des arts miles,
les Telchines peuvent encore être avec
(z) Pindare, Olymp., TU, £p. 3.
(a) Diodor., V, 55.
(3) Raoul Bocbette^ Sutoin im
Grecques, I, p. 3,3S.
ILE DE RHODES.
>da
fraîsfunblaiieenltsoliés à ee pettçto In»
dostrieox qui eouvrit de ses colonies les
flestle la MéditerraDée , alors que les
Grecs étaient encore dans un état voisia
de la barbarie. Les Telchioes passaient
pour avoir les premiers fabriqué les sta*
tues des dieux, et toutes les villes de
Rhodes rendaifflit les plus grands hon-
neurs à celles qui étaient sorties de
leurs ftiaÎDfi. Us étaient de puissants en-
chanteurs, et savaient par la magie as-
sembla' les Ruafires, attirer ou repousser
les orages. Enfin ils priaient à leur
gré toutes les formes qu'ils voulaient.
ËTidemment les Telehines étaient des
étran^rs savants et habiles, que les po-
pulations grossières des Iles de r^jsie
Occidentale et de la Grèce regardaient
comme des magiciens et des sorciers.
La fable raconte que ces Telehines
avaient été chargés par Rbéadu soin d*é*
lever Neptune. Ce dieu, devenu grand,
aima Halia, soeur des Telehines, et en
eut six fils et une fille appelée Rhodes,
qui donna son nom à rlle. Quelque
temps après Vénus allant de Cythère en
Cypre voulut aborder à Rhodes ; les fils
de Neptune Ten repoussèrent : la déesse
s'en vengea en les rendant furieux ; ils
outragèrent leur propre mère Halia , et
Neptune les punit en les enfermant dans
les profondeurs de la terre. Halia, dé*
sespérée de son déshonneur, se préci-
pita dans la mer, et reçut des honneurs
divers sons le nom de Leucothoé. Ce
mythe est susceptible dMnterprétations
bien diverses; mais il est certain que
sïl D*e8t pas une invention filite à plai-
sir, il ne peut avoir été suggéré que
par le souvenir confus des événements
variés de la vie aventureuse d*un peu*
pie ou d*une colonie de navigateurs éta-
ka dans Tlie de Rhodes.
Le mythe des Héliades est plus clair,
et les anciens eux-mêmes en ont plus
fadlement saisi le sens. Les Telehines,
selon Diodore, prévoyant un déluge,
quittèrent l'île, et se dispersèrent, (ijoèh
3aes-UDS périrent surpris par rinon<*
ation; d autres échappèrent sur de
hautes montagnes. Mais le Soleil (Hé*
lios), épris de Rliodes, dessécha 111e, lui
donna le nom de celle qu'il aimait, et y
établit ses sept fils, Ochimus, Cerca-
pbus, Macar, Actis, Téna^, Triopas et
Candalos. Évidemment & mythologie
exprimait id , dans son langage figuré,
Finfluence bioifaisaute du soleil sur une
terre auparavant marécageuse, qu*il avait
rendue nabitable en la dessécbant. Les
Héliades, comme les Telehines, avec les-
quels il faut peut-être les confondre, se
distinguaient par la connaissance des
arts , des sciences et surtout de l'astro-
logie. Us réglèrent les saisons, et firent
des découvertes utiles aux progrès de la
navigation (i). 11 est bien certain qu'il s'a-
git encore id d'un peuple navigateur, et,
quelle que soit la lorme que prenne la
légende, on voit que dans le fond elle n'a
fait que conserver vaguement le souvenir
des andens établissements phéniciens.
Ténagès, qui était le plus habile des Hé*
liades, périt par la jalousie de ses frères*
Le crime ayant été découvert , tous les
coupables prirent la fuite. Macar se re-
tira à LeskM>s, et Candalus à Cos; Actis
aborda en Egypte, et y fonda Héliopolis;
Triopas s'établit en Carie, au promon-
toire Triopium. Quant aux autres Hélia-
des, qui n'avaient point pris part au crime,
ils demeurèrent à Rhodes, et construi-
sirent la ville d'Adiaia, dans la Jalyssie*
Ochimus , l'aîné , en fut le premier roi*
Cercaphus lui succéda : il fut père do
Jalysus, Camirus et Lindus, qui par-
tagèrent rtle en trois régions et y fon-
dèrent chacune une ville.
Deux indications très-concises d'Hé*
sychius et d'Etienne de Byzance don-
nent pour successeurs aux Telehines,
comme habitants de 111e de Rhodes, les
Gnètes ou Ignètes, que Bochart conjeo-
ture, avec assez de raison, être le même
peuple que le précédent (2). Il n'en est
nullement fait mention dans Diodore.
Au temps des fils de Cercaphus, selon
Diodore, Danaûs, fuyant oe l'Egypte,
vint aborder à Lindos avec ses nlles.
Bien aceudlli des habitants, il éleva un
temple à Minerve , et lui consacra une
statue. A quelque temps de Jà, Cadmus
aborda aussi a Ttle de Rhodes après
une tempête, pendant laquelle il avait
fait vœu d'élever un temple à Neptune.
Il construisit ce temple dans l'Ile de
Rhodes, et y laissa des Phéuidens pour
le desservir. Ces Fbénidens obtinrent
(i) Diod., y, 56 et suiv,
(a) Raoul Kwùkeiie^Colomêt Grecques, t.I,
p. 338«
104
L*t7mV£RS.
le droit de cité à Jalyssos, et la fiicilité
avec laquelle ils se confondirent aveo
les habitants du pays semble prouver
une communauté d'origine. Cadmus en
passant à Rhodes avait honoré les divi-
nités locales et consacré à la Minerve de
Lindos un ma^ifique bassin d'airain.
Peut-être Danaus avai^ii reconnu une
déesse phénicienne dans la Minerve de
Lindos.
Expulsion des Phenigisivs , colo-
nies PÉLASGIQUBS ▲ RHODES. — JUS-
que là toutes les colonies établies dans
Rhodes, Telchtnes, Ignètes, Héliades,
compagnons de Danaus, avaient uneori-
gine orientale, et se rattachent à l'Asie
Mineure ou aux contrées maritimes de
la Syrie (1). Sans doute l'examen cri-
tique de toutes ces traditions pourrait
faue ressortir bien des contradictions ,
susciter de nombreuses difficultés, et
contredire, à certains*^ards, les conclu-
sions générales que nous en avons tirées,
principalement en ce qui concerne les
Héliaaes, dont l'origine asiatique est
moins évidente (|ue celle des deux au-
tres tribus. Mais le fond de ces asser-
tions demeure toujours, et l'on ne peut
nier que Tîle de Rhodes, comme la plu-
part des autres fies de la mer Egée ,
n'ait été occupée par la race phénicienne
avant de l'être par la race grecque. Ce
fait n'avait pas échappé aux anciens eux-
mêmes ; il est attesté par la grave au-
torité de Thucydide (2) , et deux Rho-
diens, Polyzélus et Ergéas, qui écrivi-
rent sur l'histoire de leur patrie, avaient
Tecueilli les traditions relatives àll'exDul-
sion des Phéniciens de l'tle de Rno-
des (3). D'après leurs récits, Phalantus,
chef des Phéniciens, vigoureusement at-
taqué par un certain Fphiclus, s'était ren-
fermé dans une place forte, où il faisait
une bonne résistance. Ayant consulté l'o-
racle , il lui fut répondu que l'ennemi ne
se rendrait mattre de la place que lorsque
l'on verrait des corbeaux blancs voler
(x) M. Eaoul Rocbette conteste Tongine
phénicienne des Héliades, admise par Clavier,
et les regarde comme issus de la colonie pélas-
giqiie de Phorbes. Foyez les preuves do cette
assertion, t. I, p. 34o.
il) Thucyd., I, 8.
(3) Ap. Alfaénée, I. VIU; Dapper, Des-
cription de CArcfùpel, p. tSi,
dans l'air et des poissons nager dans les
eoupes. Phalantus, croyant qoe ces pro-
diges ne se réaliseraient jamais, se crat
imprenable, etse relâcha de sa vigilanee.
Cependant Iphiclus, informé de cet ora-
cle qui avait rassuré Phalantus, eut re-
eoursà la ruse pour accomplir les singu-
lières conditions qui devaient lui livrer la
place qu'il assiégeait. Selon le récit d'Er-
géas, s'étant emparé de Larca, On des
serviteurs de Phalantus, au moment où il
allaitchercher de l'eau à la source voisine,
Iphiclus ne le relâcha qu'à condition qu'il
s engagerait à verser dans la coupe de son
maître l'eau qu'il lui rapportait, et où II
avait jeté lui-même une quantité de petits
poissons ; ce que Larca exécuta fidèle-
ment, comme il s'y était engagé. Qoant
à l'autre difficulté de l'oracle, Iphiclus
sut également Téluder en envoyant à
Phalantus des corbeaux qu'il avait en-
duits de chaux. Selon Pciyzélos, il fut
aidé dans l'exécution de ces deux stra-
tagèmes par la propre fille de son rival,
qui avait conçu poiur lui une vi(Hente
passion. Quoiqu'il en soit, Phalantus,
voyant l'oracle accompli , perdit l'espoir
de pouvoir se défendre, et aoandonna If le
de Rhodes, qui fut pour toujours enlevée
aux Phéniciens, auxquels les Grecs succé-
dèrent. On ne sait à quelle époque placer
cet événement, dont les détails sont loin
d'offririecaractèredela vérité historique.
Mais cette tradition n'en est pas moins
curieuse, comme étant le seul souvenir
conservé par l'histoire de la lutte qui dot
nécessairement s'engager entre les deux
nations qui se disputèrent dans ces temps
reculés la possession de l'Ile de Rhodes.
Cette victoire d'Iphiclus sur Phalantus
et les Phéniciens ne peut s'expliquer
que par l'établissement dans l'Ue de
Rhodes de colons grecs ou pélasgiques ,
qui y vinrent en assez grand nombre
pour obtenir enfin la prépmidérance. La
première de ces colonies, selon M. Raoul
Rocbette , est celle de Lencippus, fils de
Macar, qui était venu de Lœbos avec
une troupe nombreuse. La population
de Rhodes, selon Diodore (l), était alorr
fort réduite ; Leucippus et ses compa*
gnons furent accueillis avec joie, et ne
tardèrent pas à se confondre avec les
anciens habitants. Or, il &ut se sou*
(i)Diod.,V, St.
ILE DE RHODES.
105
Tenir 406 Uaettr était iBi-màne on Hé-
ijade, qui avait monté Rhodes pour s'é-i
tabiir à Lesbos. Son fils abandonna Les-
bosàson toor poor revenir, aveeles Pélaa*
ges, de cette tie an berceau de sa famille.
Qoelqae tempsaprdSyil se formaà Rbodes
m Doovel établissement pélasgiqiie, sous
la conduite de Phorluis, fils de Trio-
pai , selon Hygîn , et de Lapithus , selon
Diodore. La mythologie paraît s*étze
exdosivement emparée de ce fiait. S*il
faat en croire Biodore, Itle était ra-
vagée par des serpents d'une grandeur
prodji^use, (^ dévoraient on grand
oombre d'habitants. Pour se délivrer
de œ fléau, ils consultèrent l'oracle de
Déios, qui leur conseilla d'appeler à leur
Ncoors Phortias, qui vint deThessalie,
puigea le pays des monstres qui l'infes-
taient, et fonda une colonie dans Ttle
qoi loi devait sa délivrance. Il est asses
sioguUer, ajoute M. Raoul Rochette (l\
de trouver a une époque aussi ancienne
Torigine des fables qui reparaissent dans
rhistoire moderne de Rnodes, lors<]ue
eette ville était au pouvoir des chevaliers
de Saint-Jean de Jérusalem. Ces fiables
avaient sans doute un fondement réel,
eiagéré par l'imagination des Grecs.
Comme Leucinpus, Phorbas était encore
ori^airc de rtle de Rhodes. Son jèee^
Triopas, avait émicré en Carie et londé
UD établissement dans la presqulle de
Goide, OU6 Phorbas fut obligé d*aban-
doDoer lors de l'invasion des Carieos.
n était en Thessalie, ouand les Rhodiens
le rappelèrent dans l'Ile natale, où il re-
vint avec une colonie pélasgique.
CoLonis CBBTOISE d'Althbhbnb.
— AUhémène, fils de Catrée, petit-fils
de Minos, ayant reçu de l'oracle une ré-
ponse qui lui prédisait qu'il tuerait son
père, s exila volontairement de l'Ile de
Crète. U vint à Rhodes, aborda à Ca-
miros, et introduisit dans ce pays le culte
de Jupiter, auquel il éleva un temple sur
le mont Atabyrius, d'où Ton apercevait
rtle de Crète. Cependant Catrée, désolé
du départ de son fils , fit voile pour
Khodes , afin de le revoir et de le ra-
mener en Crète. La fatalité rapprocha
ainsi le père et le fils, pour assurer l'exé-
cution des arrêts du destin. Catrée dé-
barqua de nuit dans l'fle de Rhodes.
(i) Colonies Grecques, I, 339*
Les hafailants se cfvrent attaqués par
des pirates. Us marchèrent en armes à
leur rencontre. Althémène accourut
aussi pour repousser cette prétendue
agression, et son javelot frappa son père,
qu'il n'avait pas reconnu. ApoUmiore
ajoute oue, désespéré du crime involon-
taire qu il avait commis, ce malheineux
fils pria les dieux de permettre à la terre
derengloutir, et que son vœu fut exaucé.
Mais Diodore explique historiquement
cette fable, et prétend que s*étant banni
de la société et du commerce des hom-
mes, il trouva dans la solitude le terme
de ses chagrins et de sa vie (1). Un autre
AUhémène conduisit ]>lus tard dans
rtle de Rhodes la colonie dorienne qui
donna un caractère définitif à la popu-
lation de cette tle, composée d'éléments
si divers.
Colonie abgibnne db Tlépolèhe
(1392 av. J.-C). — Tlépolème, filsd Her-
cule, établi à Argos, forcé de s'expatrier
pour un meurtre involontaire , émigra
avec une nombreuse troupe d'Argiens.
Étant allé consulter l'oracle de Delphes,
le dieu lui ordonna de conduire une co-
lonie à Rhodes. Un des descendants de
Cadmus, forcé de se bannir de Thèbes,
à cause du meurtre d'un de ses parents,
se réfugia à Athènes, d'où ses descen-
dants accompagnèrent Tlépolème à Rho^
des. Quelques Athéniens prirent éga-
lement part à cette colonie , qui rebâtit et
açrandit les trois villes de Lindos , Ca«
miros et Jalyssos, dont l'existence au
temps du siège de Troie est attestée par
Homère. La même colonie de Tlépolème
s'étendit aussi dans l'tle de Cos, qui au
tempsde la guerre de Troie était, ainsi que
Itle de Rhodes, dominée par les Héra*
clides. « L'Héradide Tlépolème, dit Ho-
mère (2), grand et fort guerrier, amena
de Rhodes neuf vaisseaux montés par les
courageux Rhodiens. » Il périt sous les
murs de Troie de la main de Sarpédon,
fils de Jupiter .Voici comment Homèrera*
conte la mort du chef des Rhodiens (3).
« La cruelle destinée poussa le malheu*
reux fils d'Hercule, le grand Tlépolème,
contre le divin Sarpédon. Quand ces deux
Rocbelte, Colo'
IQB
L'UNIVERS.
héros ^ rcB fil8 et riotfd pctft*il8 dd
dieu qai lance lelomierre, iansnt tous
deux en pvéeenee et prêts à se charger,
Ttépolème parla le premier, et lui
adressa ces paroles : « Sarpédon , con-
seiller des Lvdens , quelle nécessité de
▼enir trembler ici, toi qui ne connais
pas la guerre? ils mentent ceux qui te
disent fils de Jupiter Porte-Égide ; car
tu es de beaucou|> inférieur à ces héros
anciens qui naquirent de Jupiter. Tel
fut, dit'On, Hercule, mon vaillant père
au coeur de Lion, qui, venu ici avec six
vaisseaux seulement et un petit nombre
d'hommes pour enlever les chevaux de
Laomédon , saccagea la ville de Ticoie
et désola ses rues. Mais toi, tu n'es
<|u*ufi lâche , et tes peuples périssent. £it
je ne pense pas que ta venue en ce pays
soit désormais d un grand secours aux
Troyens , quand même tu serais très-
robuste; car, terrassé par moi, tu vas
franchir les portes de renier. — Tlépo-
lème, reprend Sarpédon, il est vrai
qu'Hercule ruina autrefois la ville de
Troie par la faute et par Timprudence
du grand Laomédon, qui lui refusa ses
clievaux qu'il lui avait promis, et pour
lesquels ce héros était venn de fort loin.
Ce roi parjure ne se contenta pas même
de les lui refuser ; il le traita indignement,
quoiqu'il en eût reçu de très-grands
services. Pour toi , je te prédis que tm.
n'auras pas le sort de ton père. Ta der-
nière heure t'attend ici, et, terrassé par
cette pique, tu vas me couvrir de gloire,
et enricnir d'une ombre l'empire dn
dieu des enfers. » Comme il achevait ces
niots, Tlépolèrae lève son javelot, et le
lance. Dans le même instant les traits
de ces deux guerriers partent de leurs
juains. Sarpédon donne du sien au mi-
lieu du cou de son ennemi , et le perce.
La mort ferme ses paupières et le cou*
vre d'une éternelle nuit. Le javelot que
Tiépolème avait lancé atteignit Sarpé**
don à la cuisse gauche, et le fer avK[e ,
poussé avec une violence extraordinaire^
entra dans l'os , et s'y attacha. Jupiter
garantit son fils de la mort. »
ÉtABLISSEH £NT DBS DOBIBNS DANS
l'Ile de Rhodes. — A l'époque de la
fuerre de Troie, Rhodes, débarrassée
es Phéniciens, qui l'avaient occupée d'à»
bord , des Cariens, qui y dominaient au
temps de Minos , était devenue une île
greecnie. Une dernière ém^ratlen cuit
une fie dorienne (1). Le chef de ce aoa-
vel établissement fut un second Althé-
mène, fils de Cisus, petit^^fllsde Téménns,
qui dans la conquête du Pélopomtèse
par les Héraelideset les Dorions avait ob-
tenu en partage le royaume d'Argm (2).
Althémène était le plus jeune des fils
de Cisus. Il quitta l'Argolide, à la suite
d'une querelle avec ses frères, accompa-
gné d'une troupe de Doriens, auxquels
s'étaient joints quelqjues Pélasges. A
cette époque les agitations dont la Grèce
était le théâtre, par suite des invasions
des Cadméens, des Améens et des Do*
riens, avaient déterminé parmi les an-
ciennes populations de ce pays un mou-
vement d'émigration très-actif vers l'A-
sie Mineure et les tles. Au momeot où
Althémène s'apprêtait à quitter la Grèee,
des Athéniens sous la conduite de Nélfc,
des Lacédémoniens sous celle de Del-
phus et de Polis , lui proposèrent de se
joindre à lui et de se placer sous sob
commandement. Mais il devait être iin-
posslble à ces peuples si différents d'ori-
gine et de caractère de s'entendre sur
la direction à donner à leur entreprise.
Les Ioniens voulaient aller en Asie Mi-
neure, leur terre de prédilection; les Do-
rions poussaient Althémène à se rendre
en Crète. Celui-ci, rejetant les offres qii'oo
lui faisait , alla consulter l'oracle de Del-
phes , qui lui ordonna de se dirij^er vers
Jupiter et le Soleil , et de s'établir dans
les pays qui les reconnaissaient pour pro-
tecteurs et dieux tutélaires. Étant donc
parti du Péloponnèse, Althémène rint
•aborder en Crète , qui était particulière-
ment consacrée à Jupiter. Il laissa une
partie de sa troupe; et, poursuivant .^n
voyage avec le reste des Doriens, qui t'a-
vaient accompacné, il vint prendre terre
dans 111e de Rhodes. A partir de ret^^
époque les Doriens dominèrent dans
cette île, dont ils occupèrent les trois
villes, Camiros , Jalyssos, Lindos, qvi
avaient d^à reconnu tant de maîtres dif-
férents. Ils s'établirent aussi dans TUf
de Cos , et sur le continent, à Cnide et à
Halicamasse. Les Doriens de ces sis
villes des tles de Cos, de.Rhodes etde b
•
(( ) Fojr, SUT l'ttsage de la laogi» doriamf *
Rhodes Meursius, RtuxLt !• n, c. m.
(a) CoDoo «p. Meurs», Rhod,^ p. i5.
ILE. SB BBODES
t07
CM^sc rémirciit en xom 6oiifiSdéMlon
gni s'appela l'HeiapoIe Dorique.
AlITIQUB PBOSFéxnS MABITIlfS
DES RHODlSnS ; LEUBS COLOHIBS. — >
Ces traditions, toutes confases et ineom-^
plètes qu'elles sont, ne laissent pas de
nous donner de précieux renseignenaents
$ur les orifçines de la population de l'Ile
de Rhodes. Mais après rétablissement
de la colonie dorienne Tbistoire ne nous
transmet phis rien sur les destinées de
cette île, dont les annales offrent une la-
ronedesix siècles environ. On sait seu-
lemeot, par des indieationséperses çà et
là dans les anciens auteurs , que Fîle de
Rhodes s'élève à un haut degré de pros-
périté, et qu'elle dut au courage, au génie
actif et entreprenant de ses habitants
une importance supérieure aux ressour-
ces et aux forces dont la nature l'avait
pourvue. Dès le temps d'Homère la ri-
chesse des Abodiens était déjà célèbre :
• Le fils de Saturne, dit le poète, a ac-
cordé aux Rhodiens de grandes riches*
ses.(l).
Aussi Pindare a-t-il imaginé de dire
«qoe le puissant roi des immortels avait
arrosé d'une pluie d'or l'tle de Rhodes ,
lorsque Minerve, avec l'aide de Vulcain ,
arme de sa hache de bronze, s'élança du
ecneau de Jupiter en poussant un cri
retentissant (2) ». Penaant toute Tanti-
qnité, ce fut la destinée de Rhodes d'ê-
tre renommée pour son opulence. Les
rhéteurs des siècles postérieurs Aristide,
Philostrate, Libanius, Himérius répè-
tent tous la fable de la pluie d'or, qui n'a-
vait pas cessé d'être vraie, et un sco-
liaste d'Homère en donne une explica-
tioQ mythologique , qui , prise au sens
iDoral, offre un bel enseignement, qui
s'adresse à tous les peuples. On rapporte,
dit-il, que Jupiter fit pleuvoir de l'or sur
itie de Rhodes, parce qu'elle fut la pre-
mière qui offrit des sacrifices à sa fille
Minerve. Ainsi le dieu récompensait les
KlKxiiens de leur culte pour la sagesse en
l^ur accordant des richesses proverbia-
le. L'oraele sibyllin avait dit au sujet
deillede Rhodes : a Et toi, Rhodes, fille
do dieu du jour, tu seras pendant long-
temps une terre indépendante, et tu pos-
séderas d'immenses trésors. « Que la
(0 Hom., //., n, 670
(2)Piiidar., O/., TII, ep. 2.
prédictioii ait été fiiice après «i^p^ oa
qu'elle ait devancé l'événement, elle
n'en reproduit pas moins avec conci*
sion et exactitude les deux ^ands traits
généraux de cette période inconnue de
rhistoire de Rhodes, qui sut, par un rare
bonheur et par sa conduite parfaite, con-
server penaant des sièeles deux choses
qu'il est bien dilQSeile d'acquérir et de
posséder simultanément , la richesse et
l'indépendance (1).
L'oracle de la Sibylle avait dit encore
Sue rtle de Rhodes aurait la domination
e la mer; et elle fut en effet de toutes
les îles grecques la plus puissante, par
sa marine et son commerce. Bien avant
l'époque où Tite-Live célébrait la supé-
riorité de la marine rhodienne , la rapi-
dité de ses vaisseaux, l'expérience de ses
pilotes et l'adresse de ses rameurs , les
Rhodiens passèrent pour les meilleurs
marins de la Grèce. Ils se vantaient que
chacun d'eux pouvait à lui seul conduire
un vaisseau ; de là ce proverbe *E{uU
tinot TdStot, Mxa vaOç , dix Rhodiens, dix
navires. La puissance maritime des Rho-
diens, dit Strabon, précéda de beaucoup
la fondation de la ville actuelle de Rbo«
des. Bien des années avant l'institution
des jeux Olympiques, ils fondèrent de
lointains établissements. Une colonie
nombreuse s'établit en Ibérie ou Es-
pagne, ety fonda la ville de Rhodes (Ro*
sas ), que les Marseillais occupèrent plus
tard. Dans la terre des Opiques, cest-
à-dire en Campanie, ils établirent une
colonie à Parthénope, qui fut plus tard
la ville de Naples. Le Rhodien Elpias,
ayant émigré avee des habitants de
Rhodes et de Cos, fonda la ville de Sala*
pie en Apulie. D'autres Rhodiens allè-
rent , après la guerre de Troie, coloniser
les fies Gymnasiennes ou Baléares. Les
Grecs de Rhodes, qui s'étaient déjà éta-
blis dans leur fie sur les débris de la
domination des Phéniciens, profitèrent
de la décadence de leurs colonies des
Gaules, et s'emparèrent du commerce
de la Méditerranée occidentale. Ils cons-
truisirent quelaues villes, entre autres
Rhoda et Rhodanhusia , près des bou-
ches libyques du Rhône, qui leur dut
«>n nom. Vers Tan 600 avant Tère chrér
(1) ^ojrez pour toutes ces citations Meur*
sios, Rhodus, c. xvci> p» 5i et suiv. t
10$
LUSITEBS*
tieime, ils finrent remplacés dans ces pa-
rages parles Phocéens, qui y établirent
la puissance cité de Marseille (1). En Si-
cile, des Cretois et des Rhodiens réunis
fondèrent la ville de Gela, qui à son tour
devint la mère patrie d'Agrwente (3).
« Antiphème de Rhodes et Éntime <l6
Crète, dit Thucydide (3), amenèrent des
habitants à Gela, et la fondèrent en com-
mun, quarante-cinq ans après la fonda-
tion de Syracuse. Le nom de cette ville
lui vint dû fleuve Gelas; Tendroit où elle
est aujourd'hui, et qui fut le premier en-
touré d'un mur, se nomme Lindie^ et
ses habitants eurent les institutions do-
riennes. Environ cent huit ans après leur
établissement, ceux de Gela fondèrent la
ville d*Agrigente , à laquelle ils donnè-
rent le nom au fleuve Acragas ; ils char-
gèrent de sa fondation Aristonoiis et
Pystilos , et y étal)lirent les lois et cou-
tumes de Géla« » On mentionne encore
des établissements rhodiens en Macé-
doine, à Téos en lonie, à Soli en Cili-
cie, en Lycie, en Carie, et enfin dans les
Iles voisines de Rhodes, telles que Car-
pathos, Casos autrefois Achné, Nisyra,
Calydna, Cos, Syme, Chalcia et quelques
autres, sur lesquelles Rhodes établit son
empire, et qu'on appelait les Iles Rho-
diennes.
Tel fut le développement commercial
et maritime des Rnodiens , du dixième
an sixième siècle avant Tère chrétienne,
pendant la période inconnue de leur his-
toire. Les aeux points extrêmes de leur
navigation étaient l'Espagne, où nous
avons vu qu'ils fondèrent des colonies,
et l'Egypte, où sous le règne d'Amasis
ils s'établirent à Naucratis, et où ils con-
tribuèrent à la construction de l'Helle-
nium avec d'autres cités commerçantes
de l'Asie et des îles (4). Ainsi leur com-
merce s'étendit sur toute la mer des an-
dens, et ils s'étaient assurés sur toutes
les côtes, dans les Sles, en Asie, en Macé-
(x) Am. Thierry, HUt. des Gaulois, 1. 1,
p. a3.
(a) MeursîuSy Rhod,, p. 6o.
?3) Thuc, VI, 4 ; Hcr,, TII, 1 53.
(4) Her., U, 178 : « Les villes qui firent
bâtir IHellénion à frais communs furent : du
côté des Ioniens, Chios, Téos, Phooée, CU-
lomènes; du côté des Doriens, Rbûodes,
Cnide, Halicsmasie, Pbasélis; et de oeloi des
ËoUens U seule viUe de Mitylène. »
doioe, en Sidle, en Italie, en Gaule, m
Espagne, des comptoirâ et des stations.
Pendant le long intervalle de temps où
s'accomplirent toutes ces choses, Rhodes
resta divisée en trois cités, gouvernées
d'abord par des rois, comme on le voit
dans Homère (1), puis transformée en
république, comme tous les autres ÊtaU
grecs , a une époque inconnue. De c6
trois cités, Lindos paraît avoir été la plus
considérable. C'est d'elle dont il est le
plus souvent fait mention dans les rares
témoignages relatils à cette partie de
l'histoire de Rhodes.
L'tLB BB RbODBS au TBHPS DE L4
6UEBBB MBDIQUB. — RiodcS , COOQIBe
toutes les Iles de ces parages , comme
tous les États maritimes de l'Asie occi-
dentale, perdit son indépendance à la fin
du sixième siècle, et se vit contrainte de
reconnaître la domination des Perses.
Dans sa grande expédition (4S0) Xenê
fit marcher les Grecs d'Asie contre les
Grecs d'Europe; les Doriens habitant
dans le voisinage de la Carie, unis a
ceux de Rhodes et de Cos, fournirent qua-
rante vaisseaux au grand roi (2). I/entre
prise de Xerxès ayant échoué, il en ré-
sulta de grands cbiangements dans Tétai
du monde grec. Les Grecs d'Europe,
qui avaient su repousser une domination
que ceux d'Asie avaient reconnue, vireot
commencer pour eux une nouvelle ère
de puissance et de gloire. Ils s'empa-
rèrent de la suprématie intellectuelle,
commerciale et politique qui jusque la
avait appartenu aux cités grecques d'A-
sie. Athènes, qui avait tout sacrifié pour
la défense de la Grèce, eut la plus grande
part aux honneurs et aux bénéfices de U
victoire. Elle affranchit les Grecs d'Asie
du joug du grand roi, mais en se les as-
sujettissant, et les trois cités rhodienaes
furent contraintes d'entrer, à titre d'al-
liées, dans cette vaste confédération mari-
time dont Athènes fut le centre et la tâe.
Etat db lIlb db Rho&bs pe>-
(x) Mearsiiis, JS/un/., p. 6a. Au temps de
la guerre de Troie TIépolèoie régnait à Bbo-
des. Sa veuve Polyxo gouverna au nom de sop
fils. Froniin fait mention d'un Memnon , roi
riiodien, et Pausanias d'un Damagète, roi
d'Ialysos, qui épousa la fille du héros
nien Aristomèue ; 1. lY, c. 'xxixi.
(2) Diod., XI, 3.
ILR DE RHODES.
tm»
DANT LA fi^mBBBBDU PÉlOPONNiSE. —
Cependant la haine qne se portaient
mutuelkment les Athéniens et les Spar-
tiates ayant éclaté Y toute la Grèce s'en-
gagea dans cette longue et sanglante
qneretle appelée la guerre da Pélopon-
nèse. Apres que les Athéniens eurent
été défaits au siège de Syracuse (413) ,
an grand nombre de leurs alliés les
abandonnèrent. Les Rhodiens suivirent
ce mouTement de défection, et s'engagè-
rent dans le parti des Lacédémoniens,
Ters lesquels us inclinaient en qualité de
Doriens. Mmdare , chef de la flotte de
Sparte, jeta dans Hle deux exilés rho-
diens, Doriée et Pisidore, qui s'étaient
retirés à Thurium à la suite de troubles
qni les avaient forcés de s'expatrier (1).
Celaient sans doute les che» du parti
aristocratique et dorien, opposé à la dé-
mocratie et à Tinfluence d'Athènes. Leur
retour prépara le changement d'alliance
que Tarrivee de la flotte lacédénM>nienne
rendit définitif. Pendant l'hiver de t'an-
oée 313, le général Spartiate Astyochus
s'embarqua de Cnide, et fit voile sur
Rhodes, que le grand nombre de ses ma-
rins et son armée de terre, dit Thucy-
dide (2), fendaient déjà importante» Il
Tint touchera Camiros avec quatre-ving^
Quatorze vaisseaux. D'abord la terreur
iDt grande à Camiros. La ville n'étant
pas fortifiée, les habitants s'enfuirent.
Mais les Lacédémoniens les rassurèrent
sur leurs intentions, et déterminèrent
les trois dtés à accepter leur alliance.
£ites s'unirent à eux , et payèrent une
raotribution de trente-deux talents. Les
Athéniens firent de vains efforts pour
ressaisir cette importante possession. Us
se portèrent à 111e de Chalcia (Carchi)
en vue de Rhodes, firent des descentes
dans nie, remportèrent quelques 'avan-
tages, mais sans réussir dans le but
principal de leur entreprise (3). Quelque
temps après, Alcibiade ayant momenta-
nément relevé les affaires des Athéniens,
l^r flotte descendit dans les tles de Cos
«t de Rhodes , les mit au pillage , et en
<^porta quantité de vivres et de provi-
sions de toute espèce (4) (408). Ce fut le
(i)Dlod., Xin, 38 ; Païuan., VI, 7.
W Thucyd., VUI, 44.
(3)ld.,Xra,S5. 60.
(4) Diod., Vni, 69, 70.
dernier exf^it dies Athéniens. Sparte
plaça Lysandre à la tête de ses forces
navales : celui-ci fit voile pour Rhodes,
réunit à sa flotte tous les vaisseaux que
les villes de cette Ile purent lui fournir,
et alla vaincre Antiochus, lieutenant
d'Alcibiade, sur les côtes del'Ionle.
Cette année même la première de la
quatre-vingt-treizième olympiade, en
408 avant l'ère chrétienne, les habitant»
de rtle de Rhodes , dit Diodore (1) , qui
occupaient lalvssos, Camiros et Lindos,
se réunirent dans une seule ville à la»
quelle ils donnèrent le nom de Rhodes.
Aucun historien ne nous rend compte
des motifs qui déterminèrent les Rho-
diens à prendre ce parti ; Strabon, Aris-
tide, Eustathe mentionnent ce fait,
comme Diodore, avec la plus grande
brièveté , et nous laissent réduits à nos
conjectures sur les causes qui ont pu le
produire. La cause probable de cette dé-
termination , c'est que les Rhodiens , se
voyant, par leur dispersion en trois ci-
tés, à la merci des deux villes de Sparte
et d'Athènes, qui leur imposaient tour
à tour leur alliance, comprirent qu'ils
trouveraient en se réunissant plus de
forces et de nouvelles garanties d'indé-
pendance. En effet, la ville de Rhodes
devint une des plus importantes cités
des derniers temps de Thistoire grecque.
Quelques années après la fondation
de R houes , Athènes succomba sous les
coups de Sparte, qui fit peser sur les ci-
tés grecques d'Europe et d'Asie un joug
plus pesant queceluides Athéniens. Rho-
des tut une des premières à s'en lasser;
et lorsque l'Athénien Conon parut dans
les mers de l'Asie à la tête d'une flotte
que lui avait fournie Artaxerxès, les
Rhodiens , fermant leur port à la flotte
]acédémonienne(2), y reçurent Conon
et ses navires. Rientôt on vit paraître en
mer un grand convoi de blé que le roi
d'Egypte envoyait pour l'approvisionne-
ment des forces navales de Sparte , son
alliée. Profitant de l'ignorance où étaient
les conducteurs de ce convoi de la dé-
fection des Rhodiens , ceux-ci et Conon
le firent entrer dans le port, et s'empa-
rèrent aisément de ce riche butin (396).
(1) Diod., xniy 75; Meursins, Rkad,, c. x,
p. «7-
(a) Diod., Xrv, 79.
IM
L'UltmSBS*
il ett mdent qu« h pett|^ rfaodieii
était divisé en deux partis qui dominaieBt
tour à tour^ et qui nt portaient tantôt
vers l'alliance de S^rke, tantât vers celle
d'Athènes. C'est là ce qui explique les
brusques variations de la politique exté-
rieure de Rhodes à cette époque* Cinq
aas après ce retour des Rhodiens au
parti d'Athènes, en a91, les partisans
de Laoédémone reprirent le d^os, fi-
rent soulever le peuple, et expulsèrent de
la ville ceux qui tenaient pour les Athé^
niens (1). il y eut guerre civile, du sang
versé et des proscriptions. Puis , crai*
gnant aae réaction et des représaillesv
le parti vainqueur demanda du secours
aux Laoédémoniens. Sparte, enchantée
de cette occasion qui s'offrait de rétablir
ses affaires en Asie, envoya sept trirè«
mes commandées par trois cheÉ. Ceux«
ei, après avoir détaché Samos des Athé-
niens , aâenntrent à Rhodes rautorité
de leurs amis , et chassèrent ïts Athé*
niens de ces parages et des côtes voi-
sines.
La domination de Sparte, un instant
ébranlée, avait été raffermie par la bra-
voure d'Agésiias et la politique d'Antal-
cidas, qui avait su, comme autrefois Ly«
aandre, procurer à sa patrie Talliance
du roi de Perse. Mais le joug des Lacé-
démoniws étant devenu de nouveau in-
supportable à force d'orgueil et d'inso-
lence (2) , une nouvelle défection se dé-
clara. Athènes était redevenue puis-
sante; Thèbes commen^it à se faire
connaître sous la conduite de ses deux
grands hommes, Pélopidas et Épaminon«
das, et engageait avec Sparte une lutte
qui devait lui assurer momentanément
rempire de la Grèce. Encouragés par
ces circonstances favorables , les habi-
tants de Chio et de Byzance d'abord ,
puis les Rhodiens, les Mityléniens et
aautres îles abandonnèrent Sparte, et
revinrent a l'alliance d'Athènes. Une
assemblée générale fut convoquée dans
cette ville. Chaque cité confédérée y en-
voya ses représentants et y obtint le
droit de suffrage : l'indépendance de
chaque cité fut reconnue, et Athènes
placée à la tête de la confédération.
Ainsi se reforma l'empire maritime des
Àtbéuens, en S77, vingt-six «ns âpres la
prise d'Athènes par Lysandre,et la des*
truction des murailles do Pirée.
£n peu d'années la situation générale
des États grecs subit de grandes modifia
cations. Thèbes avait humilié Sparte
par ses victoires, et lui enlevait la supré-
matie sur terre. A TiustigatioD d^Épa-
minondas, elle entreprit aussi de dé-
pouiller Athènes de l'empire maritime.
D'après les conseils de ce grand homme,
les Thébains décrétèrent l'équipemeat
d'une flottedecent trirèmes (1). Puis Êpa-
minondas fut envoyé à Rliodes, a Chio,
à Byzance pour les détacher d'Athènes
et les intéresser à la réussite de ses des>
seins. En vain Atliènes envoya uoe
flotte sous la conduite de Lâches pour
retenir ces villes dans son alliance. Épa*
minondas força les Athéniens à quitter
ces parages, et fit passer Rhodes et l€S
autres villes dans le parti des Thébaisi
(S64). Enfin, ajoute Diodore, si cet
homme avait vécu plus longtemps , les
Thébains, de l'aveu de tout le oionde,
seraient devenus les maîtres smr terre et
sur mer.
Gdebeb sociale; les Rhodun s se-
couent LBiOCG d' ATHENES. — Après
la mort d'Épaminondas, Rhodes et les
autres colcmies grecques d'Asie retoai-
bèrent sous la dommation d'Athènes,
contre laquelle elles ne tardèrent pas à
se révolter. En 368 éclata ia guerre so-
ciale, ou guerre des alliés, a laquelle
Rhodes prit une part active avec Cos,
Chio, Byzance Ça), Athènes employa
pour les réduire et de grandes forces, et
de grands capitaines , Chabrias, Iphi-
crate, Timothée, qui furentavec Phocion
les derniers généraux athéniens doot
les talents firent honneur à leur patrie.
MausDle, rot de Carie et tributaire de la
Perse, encouragea le soulèvement des
Rhodiens et des autres insulaires. Il as-
pirait à conquérir lestles voisines de ses
Etats , et pour y parvenir il fallait les
soustraire a rinfloence d' Atliènes. Us
affaires des Athéniens furent fort mal
conduites dans cette guerre importante.
Chabrias périt dans le j>ort de Chio; les
dénonciauons de Chares, général cher à
la multitude, firent écarter du comman-
(i)Diod.,XIV,97.
(a) Id., XV, aS.
(i) Diod., XV, 79,
(a) Id., XVI, 7 j Metifsitis, I, II. c. xr.
ILB 1» BHODES.
«11
dément TfiBoiMe «t ipbicnte, qui fit*
rtfit mig en aceiuBtloD. Chargé «ni d»
la direetioii de la guerre, Cliarès, on*
biiant leioin de réduire leeallîés, eontint
]a ré?olte du satrape Artabaze contre
soQ maître. A rinstant Ocbus menaça
les AtbéDieoa de foire mareher une
flotte de trois eenta voiles au secours
des insulaires soulevés contre eui. il
Caliot songer à la paiz ; isocrate y inviu
ses condtoyens dans le discours mpl tl»
çi'frii, où il déclare que si Athènes veut
être heureuse et tranquille, Il faut
(pi'elle renferme son domaine dans de
JBStes bornes, et qu'elle renonce à l'em-
pire de la mer et à la domination uni*
verselle; qu'elle consente à une paix qui
laisse chaqtie ville, chaque peuple dans
la jouissance d'une pleine liberté, et
(fo'elie se déclare l'ennemie irréeonci-
liable de quiconque osera troubler cette
pais et renverser cet ordre (1). La paix
fot en effet conclue à ces conditions, et
il fut arrêté que Rhodes, Bvzance, Chio
et Cos rentreraient dans la jouissance de
leor liberté (356).
DbmÉLBS DB8 RHOBIBNS AYEG
MiTisoLB BT Abtbmisb; INTBHTBN-
non BBS AtHBNIBHS BN PATBUB DBS
Hhooibus.— La guerre sociale avait eu
1^ résultat que Mausole en avait espéré.
Rbodes était libre, mais sans protection,
et le prince carien qui l'avait aidée à se-
couer le joug d'Athènes ne tarda pas à
loi imposer le sien. Sous Tinfluenoe
athénienne, le parti démocratique était
maître des aâaires. Mausole favorisa le
parti des riches etdes grands, qui ressaisit
le pouvoir et opprima la fection con-
traire. Rhodes» qui avait cru s'affranchir
des^ Ath^iens, ne fit que changer de
maître; elle tomba dans la dépendance-
d'uo satrape du grand roi, et après la
mort de Mausole (854) Artémise, sa
veuve, soutenue par la Perse, Inaintint
son autorité sur ces ties nouvellement
acquises. La mort de Mausole avait
[OMiu aux Rbodiens l'espoir de se re-
lever de leur abaissement. Pleins de mé-
pris pour Artémise, qu'ils croyaient sans
défense, ils entrepirir^t de la détrôner
et de s'emparer de la Carie. Mais Ar-
^^oùse n'était pas tellement occupés à
(0 Iiocnto» Or,, dé Paee, colL Didot,
t« XXIUy p, xoo.
pleuier ton époux, qu'elle ne songeât
eossl à eoBserver les cesquétes qu'il lui
avait laisoées. H parait, par une harangue
de Démostbèue, qu'on ne la regardait
lioint à Athènes oomme une veuve dé-
solée et inconsolable, abîmée dans les
larmes et la douleur (1). On savait au
contraire quelle était son actirité , et
combien elle était attentive aux intérêts
de son royaume. £n effet, les Rhodiens«
croyant la surprendre, mirent leiir
flotte en mer, et entrèrent dans le grand
port d'Halicamasse. La reine, avertie
de leur dessein , avait ordonné aux ha-
bitants de se tenir sur les murailles , el
quand les ennemis seraient arrivés , de
leur témoigner, par leurs cris et leurs
battements de mains, qu'ils étaient prêts
à leur livrer la ville. Les Rbodiens des-*
cendirent tous de leurs vaisseaux, se
rendirent avec hâte dans la place, et lais^
aèrent leur flotte vide. Pendant ce temps^*
là, Artémise fit sortir ses galères du
petit port par une ouverture qu'elle
avait rait pratiquer exprès, entra dans
le grand port, se saisit de la flotte en-
nemie, qui é(ait sans défense, et y ayant
lait monter ses soldats et ses rameurs ,
elle sortit en pleine mer. Les Rbodiens
enfermés dans Halicamasse forent tous
égor^« La reine cependant s'avança
vers RlKNles. Quand les habitants aper-
çurent de loin leurs vaisseaux ornés de
couronnes de lainriers , ils jetèrent de
grands cris, et reçurent avec des mar-
ques de Joie extraordinaires la flotte vic>-
torieuse et triomphante. Ils ne furent
détrompés qu'après qu' Artémise se fut
rendue maîtresse de la ville. Elle fit
mourir les principaux citoyens, et fit
dresser un trophée de sa victoire, avec
deux statues de bronze , dont l'une re-
présentait la ville de Rhodes et l'autre
Artémise qui marquait cette ville d'un
fer chaud. Vitruve, à qui nous devons ce
récit (2), ajoute que les Rbodiens n'o-
sèrent jamais âdre disparaître ce tro-
phée, parce que pétait un objet consa-
cré par la religion, maisqu'ils l'environ-
nèrent d'un édifioequi en dérobait la vue.
Dans cette triste et humiliante ex-
trémité , les Rbodiens députèrent vers
(x) Demostb.» Orat. de Rhodiorum liber"
tate^ coll. Didot, t. XTI, p. loo.
(a) Vitruv,, De jirchii,, 1. II, c. vm.
ut
L*UniVBIS.
les AtbémmB^ eontra lesquels ils s*é-
taient réoeoimeiit révoltés ^ el ini)dord«
reot leur protection ( 351 ). Oa était fort
auimé contre eux à Athènes, à cause de
la part qu'ils avaient prise à la guerre
sociale. « Cependant Démostbène ne
laissa pas que de parler au penple en
leur faveur. Il met d*abord leur feute
dans tout son jour; il exagère leur in-
justice et leur perfidie; il semble entrer
dans les justes sentiments de colère et
d'indignation du peuple, et Ton dirait
qu*il va se déclarer fortement contrôles
Rbodiens. Mais tout cela n'était qu'un
artifice de l'orateur, qui cherchait à
s'insinuer dans l'esprit de ses auditeurs
et à y exciter des sentiments tout eon«*
traires, de bonté et de compassion pour
un peuple qui reconnaissait sa faute,
qui avouait son indignité, etquinéan-^
moins venait avec confiance implorer sa
protection. Il étale les grandes maximes
qui dans tous les temps ont fait la
Sioire d* Athènes, d'oublier les injures»
e pardonner à des rebelles, et de pren*
dre la défense des malheureux. Aux
motife de gloire il ajoute ceux de l'in-
térêt, en montrant combien il importe
de se déclarer pour une ville qui fovoriso
la démocratie, et de ne pas abandonner
aux ennemis une île aussi puissante
qu'est celle de Rhodes. Cest ce qui fait
le sujet du discours de Démostbène inti->
tuié : Pour la liberté des Bbodiens (1). »
La mortd'Aitémise, qui arriva cette an-
née-là même, et sans doute Tinterven*
tion d'Athènes, rendirent la liberté aux
Rhodiens. Ce peuple comprit enfin que
son véritable intéret était de rester atta<>
cbé aux Athéniens etde les soutenir con*
tre les aggressions de Philippe, roi de
Macédoine.
État de Rhodes au temps db
Philippe et d'Alexandre.— En 340
Philippe, assiégea Byzance. La posses-
sion de cette ville l'eût rendu maître du
Bosphore, c'est-à-dire du commerce du
Pont-Euxin, qui était une abondante
source de richesses poftr Athènes, Rho*
des et les autres îles de l'Asie. Les Athé-
niens prirent des mesures énergiques, et
envoyèrent une flotte commandée par
Phodon au secours de Byzance. Les
(x)KoIlin, Histoire Ancienne^ 1. XJn, t V,
P« 471.
RbodieDS, redev«i»a leurs alliés, aioà
que ceux de Chio, de Gos et d'autres in-
sulaires , envoyèrent aussi des renforts.
Cette démonstration des citÀ eomoier-
Sintes de la Grèce arrêta Milippe, qui
eba sa oroie et fit la paix avec les Athé-
niens et leurs alliés (1).
Deux ans après, la liberté de la Grèoe
succombait à la bataille de Ghérooéei
et en S86 le royaume de Maeédoine pas-
sait aux mains d'Alexandre le Grand, qui
entreprit aussitôt la oonquéte de l'Asie.
Les historiens d'Alexandre remarquent
Tempressement avec lequel les Rhodiens
se soumirent au héros macédonien (}).
C'était cependant un Rhodien, le brave
et habile Mensnon engagé au service do
roi de Perse, qui parut un instant ca-
pable d'arrêter Alexandre, si Alexandre
avait pu être arrêté. Mais la chute de
l'empire des Perses était décrétée dans
les conseils éternels; un empire grec et
macédonien s'éleva sur ses déiMris, et
Rhodes n'eut qu'à s'applaudir de ces
arands événements, qui la délivraient de
la crainte des Perses et qui la débarras-
saient du fâcheux patronage des Athé-
niens. Alexandre, dans l'intention peut-
être de ruiner le commerce d' Athènes
et de lui susciter une rivale, traita la
ville de Rhodes avec une attention et
des égards tout particuliers. Il l'bonon
entre toutes les villes en la choisissant
Sour y déposer son testament. A partir
e cette époque jusqu'à la conquête ro-
maine, Rhodes devient le premier État
maritime de la Grèoe, et succède à
Athènes, qui avait été frappée à mertdans
sa lutte avec la Macédoine.
Conduite des Rhodiensapbbs la
MOBT d'Alexaudbe (323). — La mort
d'Alexandre fut suivie d'un soulève-
ment général des villes grecques. Pen-
dant qu'Athènes donnait le signal de la
guerre lamiaque, Rhodes duissait de
ses murs la garnison macédonienne, et
recouvrait son indépendance (3). Ren-
dus à eux-mêmes, les Rhodiens se livrè-
rent avec plus d'activité que jamais au
commerce, et s'efforcèrent de rester en
dehors des agitations politiques de ces
temps malheureux. Leurs amires pros-
i
i) Diod., XVI, 77.
a) Menniiii, Bhod,^ p. 1 14.
il) Diod., XYUI, S.
ILK DE JLHODES.
ni
pérèrent BU miliefi de It coofiitjoii
Qoiveredie. Ils augmentèrent leur ma-
me; ils eoncentrèrent dans leur Ile
le eommerce de TOocident, du Pont-
Euxin et de TÉgypte; ils réprimèreiit
la piraterie, fireut la police des merst
acquirent de grandes richesses, et af-
fectèrent de garder entre les différents
princes qui se disputaient l'empire la
plus stricte neutralité. Aussi chaque roi
recherchait leur allianee et les honorait
deses faveurs. LesRhodiens paraissaient
tenir la balance égale entre eux tous,
mais ils inclinaient plus partieulière-
ment pour Ptolémée, roi d Egypte, car
c'était avec l'Egypte qu'ils taisaient leur
pius grand commerce, et c'était à ce
royaume, où elle s'approvisionnait se-
lon Diodore, que Rhodes devait en quel*
que sorte son existence (l).
RuPTUBS AYEG Antigonb. — Cepen-
dant lesRhodieus paraissaient également
bien avec Antigène, qui régnait en Asie
Mineure , qui possédait les ports de la
Phénide , et qu'ils avaient aussi le plua
grand intérêt à ménager. Ils ne né*
gligeaient aucune occasion de lui être
agréables , tant qu'ils pouvaient le faire
sans compromettre leursautres alliances,
et eo 312 ils lui fournirent dix vaisseaux,
qui se Joignirent à la flotte qu*il euToyait
eo Grèce pour l'enlever à 1 influence de
Cassandre (3). Mais quelque temps après
Antigone, ayant rompu avec Ptolémée,
voulut entraîner les Rhodiens dans son
parti et les contraindre à mettre leurs
vaisseaux à la disposition de son iils Dé-
métrius. Geux-d refusèrent; Antigone
ti capturer leurs navires de commerce;
les Rhodiens se défendirent, Antigone
les menaça d'un siège. En vain les Rho-
diens essayèrent-ils de l'apaiser par leurs
Jrotestations de dévouement et leurs
oïDfflages; comme ils refusaient tou-
jours, avec autant de fermeté que de
modération, de prendre part à la guerre
eontre Ptolémée, Antigone ne |x>uvait
leur pardonner ce refus. Il resta impla*
^le, et, ehassantleurs députés d'auprès
de loi, il chargea son fils Démétriiis du
fÀQ de prendre Rhodes et d'en châtier
les habitants. Informés des grands pré*
Paratifs que Démétrius fiiisait contre
(0l>iod^XX,^8i,
Wld.,ÎIX,77.
8« lÂvraUon. ( Ilb nx Rhodbs. )
«Qx , les Rbodiena prirent Talarme, et
consentirent alors à seconder Antigone
dans sa guerre contre Ptolémée. Mais
Démétrius ne se contenta pas de cette
concession tardive; il exigea qu'on lui
livrât cent otages et qu'on lui ouvrit
tous les ports de l'tle. De telles exigen-
ces rendirent aux Rhodiens le courage
qui les avait un instant abandonnés, et,
reconnaissant aue Démétrius en vou-
lait à leur indépendance, ils prirent
l'héroïque résolution de périr plutôt que
de se rendre.
SiBOB DB RhODBS PÀB DÉMÉTBTUS
POMOBCBTB (80Ô-304); PBÉPABATIFS
BB L'ATTAQUB et DB LÀ ]>BF£MSB. —
L'tle de Rhodes est célèbre, entre toutes
les Iles grecoues , par les sièges mémo-
rables qu'elle a soutenus, tant dans
l'antiquité que dans les temps moder-
Bes. Cette particularité de son histoire
prouve à la fois la force et l'importance
de sa position militaire et le courage
de ses habitants. Démétrius, déjà re-
nommé par ses exploits et par la prise
de Salamine, capitale de nie de Cypre,
rassembla une flotte considérable dans
le port de Loryma, situé en face de l'Ile
de Rhodes, à Textrémité de la péninsule
méridionale de la Carie. Cette flotte se
composait de deux cents vaisseaux de
guerre, et de plus de cent soixante bâ-
timents de transport, sur lesquels étaient
embarqués environ quarante mille hom-
mes, sans compter la cavalerie et les pi-
rates alliés. Indépendamment de ces
navires, armés et équipés par Démétrius,
il était venu de tous côtés un nombre
considérable d'embarcations, évaluées
à près de mille par Diodore, que mon-
taient des aventuriers qui comptaient
sur le butin de la ville et de rîle de
Rhodes, dont on connaissait l'opulence.
Car depuis longtemps elle n'avait point
été ravagée par aucun ennemi. Cette
flotte traversa le canal qui sépare Rho-
des du continent, s'avançant en bon or-
dre, couvrant un immense espace, et dé-
ployant ses vastes lignes en face de la
ville , d'où les habitants, montés sur les
murailles de l'enceinte ou sur les toits
de leurs maisons, contemplaient à la
fois avec crainte et admiration l'impo-
aante arrivée de l'ennemi (1). Ils ne pou-
(x) Diod., 1. XX^ c. 8a-ioo ; Plut,, DemeW,
8
114
I«*I1KIVIB&
vâient È^^ppèaêrmk détefOMMBl^* qui m
it sauf oMtado. Dénétriiii «avoya à
FÎBstaDl ées soldais et das piratai poua
S 1er rintérieap el les e6tes de l*lle. Il
blH son armée dans un camp , qu'il
entoura ë'uae triple eBeamle de rewan*
ohements palissades, et il lit travaillai
ses troupes de terre et de mer à une di«
gue , qui Ibt achevée eu quelques jours,
et qui formait un port asseï spaoieui
peufr contenir la flotte (1).
De leùf eôté les RhedieBS se prépa-
raient à une viffoureuse dtfense. Us en«
voyèreat des députés à tous les rois al-
liés, à Ptolémée, à Lysimaque et à Cas-
sandre pour sollioiter leurs aeeours. ils
enrélèrent comme volontaires tous les
étrangers domiciliés à Rhodes et capa-
bles de porter les armes. Ils renvoyèrent
toutes les bouches inutiles. Le nombre
des défenseurs de la place était de huit
mille hommes, tant citoyens qu'étran-
gers. Par un décret du peuple , les es-
claves les plus vigoureui furent rache-
tés, mis en liberté, armés comme les
citoyens , parmi lesquels on promit do
les admettre s'ils servaient avec bra-
voure et fidélité. On déclara de plus que
la ville ferait enterrer honoranlement
ceux qui seraient morts en cbmbattanti
qu'elle pourvoirait à la subsistance et à
iVntretien de leurs pères, mères, femmes
et epfants; qu'elle fournirait aux filles
qne dot pour les marier; et que quand
les garçons seraient en âge de servir
daûs l'armée, elle leur donnerait en po-
blio, sur le théâtre, dans la grande so-
lennité des Bacchaqales, une armure
complète. Ces dispositions et l'immi-
nence du péril excitèrent au plus haut
degré le patriotisine de tous les habitants
de Rhodea. Toutes les classes de citoyens
rivalisaient entre elles de zèle et de dé-
vouement; les riches apportaient leur
argept, les pauvres offraient leurs bras
pour la fabrication des armes. Les uns
travaillaient aux balisteset aux catapul-
tes, les autres réparaient les brèches
des murs. Tout mit en mouvement;
tpus cherchaient à se di^tineuer et è se
surpasser les uns les autres. Les assiégés
commencèrent par faire sortir du port
(i) Oe port de Déméfrîas est peat-étre le
port ensablé que ron voit auiourd*hai au
midi de la viVe de Rhodei»
tmbk Mvirea, fltt ^»Ui«i« «ai tl4ffè<
roQt UB convoi de viwes destipé 4 1 en-
Bomi. Les hâtînMBta qui le eompos^iofit
furent coulés à fond pu brâlés, les prî-
aoBBiers rotenus jusqu'à ce qu'ils payas-
aoBt ran^B ; car ou était oonvoQU (te
part et d^autre que la prii dq ranbat des
prisonniers serait, par tlt«, do lOûO
draehmoa pour un nomme libre et de
MO pour un eadave.
PBBMiàmBs QBBBATioiia DU sises ;
▲SVAQUIS DO Q<TB PB UL XBB. t— Dé-
métrius eomman^ l'attaqua du eôté da
la mer, pour se rendre mutra du port et
daa tours qui ea défendaient rantréa. Il
avait ftdt âbsiquer diUévaotes maobines
ppopres à seoender les efforts des assié-
geants, toutes iBg[énieusenaent eonçues
et CKéentées. C'étaient d'abord deux tor-
tues placées chacune sur deux bfltîmeoU
plats joints ensemble : l'une, plus lorta et
plusmauive, pour garantir aea aoldaU d^
masses énormes que les assiégés lançaieol
du haut dep toura et das murailles av«f
leurs catapultes ; rautre, d'une coBStrue-
tion plus légère, pour les mettre à l'abri
des flèches et des traits lancés par les b<h
listes. Puis venaient deux tours à quatre
étages, qui surpassaient en haïuteur les
tours qui défendaient l'entrée du port,
et qui étaient posées sur deux bâtiments
joints et liés ensemble. Devant «es lo^
tuea et ces toura il fit élever um cspèr»
de barrière flottante, soutenue par da
solives éauarries clouées ensaflable, H
destinée- a protéger les bAtinsents qm
supportaient les maehines de aî^e con-
tre les éperons des Bawas ennemii.
Knsuite Démétrius rassembla un grand
nombre de barques; il y fit dfasaer des
remparts de plaùcbes, dernàrf lesquels
il plaj^ toutea sortes de machines prch
près à lancer des traits. Ces barques Ai-
vent montées par d'habiles amers et |
surtout par des Cretois.
Les Rhodieiis, voyapt que ka assiâi
géants tournaient tous leurs efforts di
coté du port, mirent aussi toua leuif
soîQS pour le défendre* Ils dreas
deux machines sur la digue t et troi
autres sur des bâtiments & obarse p
de l'entrée du petit port. On ois
smaal tons les navires du grand port df
manière à les faire servir è lancer des
traits contre rennemi.
Tous ces préparatifs éta^t teroÙDés de
ILE DE &BODËS.
m
inrt et d'autrt , Dimétiius fit avancer
les iD8eliiD€8 contre les deux ports ; maïs
le vent soiiflQa violemment, et la mer
devint si houleuse, qu'il loi fut imposr
Rble de rien faire pendant tout le jour*
Sur le soir la mer sa ealma ; Démetrius
s'approclHi seerètement du rivage, a'éta^
Mit sur une éminenee voisine du radie
joi doraîDe le grand port, s'y retrancha
isimédiatement et y logea quatre cents
soldats. Le jour étant venu, il introduisit
m machines dans le port , fit jouer ses
iMilistes, et pratiqua plusieurs brèches
im Feneeînte du mole. Cependant la
giniiion de la ville se défendit vaillanv'
JMti lei pertes forent égales des deui
4téa,et le soir Démetrius futoblicéde
le retirer et de mettre ses machines nors
4f b porté» des traits de TennemL Dans
iesoit qui gui vit cette première attaque,
l<elihodiens firent sortir de leur port,
3 II faveur des ténèbres, quantité de
bfillots, dans le dessein d'aller mettre
le feu aux tortues et aui tours de bois
de Démétriiis. Mais ils ne purent forcer
le barrière flottante qui les couvrait. Le
imdemain Démetrius ordonna un nou«
vel assaut : le signai en fot donné au
lea de )a trompette, auquel aeu soldats
répondirent par de grands cris. Mais
les assiégés tinrent bon , et résistèrent
beureusement à toutes les attaques que
les assiéffcants firent sans interruption
peadant nuit jours.
Cependant, de la hauteur où ils B*é«
tttent postés, les soldats de Démetrius
laoçaient sur l'enceinte du môle des
pierres d'un poids énorme qui brisèrent
in machines des assiégés, ébranlèrent
les tours et firent brèche a la muraille.
Alors les assiégeants attaquèrent avec
farie Dour s'emparer du môle. Ce poste
était (le la dernière importance ; les Rho-
4ieDs n'épargnèrent rien pour le défen<>
Are, et ils réussirent à forcer l'ennemi à
•e retirer. Cet écbec ne diminua rien
k l'ardeur des assi^ieanta. Plus animés
eacore qu'auparavant contre les Rbor
diens^ ila montant à l'escalade en même
^emps par terre et par mer, et donnent
lent d'occupation aux assiégés , qu'ils ne
savent à quel endroit courir. Partout on
attaque avec furie, et partout l'on résiste
evee intrépidité. Plusieurs, renversés de
dessus leurs échelles , tombent par terre
le corps brisé-, quelques-ans des princi-
emux oomasandaiM»^ vm^é» jusque sur
le mur, sont blessés et pria par les Rbor
diens. Il fallut enfin que pémétriua «
malgré sa valeur, pensât è Ip retraite t
peur aller raoeommoder ses mechinei
indommagées et les vaisseauK qui les
portaient.
Démetrius , rentré dans son pert, enir
ploya sept jours à réparer ses machinée
et ses embarcations. Pendant ce tempe*
les Rhodiena rendirent les derniers be»'
nenrs à leurs morts. Ils consacrèrent
Îinx dieux les armes et les éperons en*
evés à rennemi , et ils réparèrest les
brèches de leurs murailles. Après ee
«spos foreéy Démetrius reoemmença le
aiége, et s'approcha de neuvean du grani
port , par où il voulait s'emparer de le
S lace. Des qu'il fut à pcurtée, il fit lancer
ss brûlots contre les navires des Rhe*
diens , Undis qu'on battait les murs à
coups de pierres Isncées par les eelsK
pultes sans interruptien. Les assiéiée
eurent beaneoup de peine à garantir
leurs vaiaseaux de rinoeodia. L'ardeur
é» cette attaque fut telle , que les Pr^^
BCi, OU premiers magistrats de la ville «
craignant de voir le port forcée appelé*
rent tous les habitants aux armes; tous
sépondirent à cet appel. Trois des pk»
forts navires , montes par les meilleurs
marins et commandés par le navarque
Exéceste f forent envoyés contre le» bar*
ques de Démetrius , pour tenter de les
oouler bas avec les machines qu'elles
portaient. Cet ordre fut exécuté avec
nne promptitude et une adresse inerveilr
leuses. Les trois galères, après avoir bri*
se et franchi la palissade flottante, dont
uèrent de leurs éperons avec tant de vio*
lance dans le flanc des bâtiments qui por«
talent les machines, qu'on y vit aussitôt
l'eau entrer de te«s côtes. Deux de eei me*
chines périrent, la troisième, traînée à la
«emormic, futsauvée. Mais les RhedienSt
cubardus par ce succès, se laissèrent eoH
porter trop loin : enveloppés par les ncv
vires ennemis , leurs bjuments furent
brisés à coups d'éperons. Cependant des
trois vaisseaux qui avaient fait cette au*
jdacicuse sortie, deux rentrèrent au port.
Le troisième, monté par le buave £xé^
oe«te, tomba seul au pouvoir de l'ennemi
L'opiniâtreté de Démetrius à attaquer
égalait la persévérance des Rhodiens
à se défendre. Malgré son derpier échee.
8.
m
L'UNIVERS*
Si ne se déc<mragea |Ma. 11 iOTenta une
machine qui avait trois fois plus de hau-
leor et de laraeur que celles au*il venait
de peràre. Dès qu'elle lut acnevée, il la
fit dresser du c6té du port qu'il avait ré«
tolu de forcer. Mais au moment de s'en
servir une tempête furieuse s'étant éle-
irée, les bâtiments qui la portaient fu-
irent désunis, remplis d'eau, et la ma*
chine mise hors de service. Les assiégés,
«ttenti6 è profiter de toutes les occa-
«ions, altèrent, au milieu du tumulte et
de la eonfiision produits par cet orage,
attaquer le poste qui depuis le commen-
cement du siège occupait cette hauteur
Toisinedu môle. Ils furent repoussés plu-
sieurs fois ; mais les gens de Démétrius,
accablés par le nombre, et ne recevant
pas de secours» mirent bas les armes, et
se rendirent au nombre de quatre cents.
Ce fut au milieu de cet enchaînement de
snocès, que les assiégés recurent des ren-
forts de leurs alliés; savoir, centcin-
Suantehommes envoyés de Gnosse, ville
e Crète, et cinq cents fournis par Pto-
iémée, toi d'É^rpte, dont plusieurs mer-
cenaires rbomens qui servaient dans
son armée.
SfiGONBBS OPBBATIOHS BU SIBGB ;
▲TTAQUBS DU GÔTS DB LJl TBBBB. —
Quoique le sié^ n*avançât pas, Démé-
trius s'opiniâtrait à le continuer ; mais,
obligé de renoncer à ses attaques par
mer, il tourna tous ses efiforts du côté de
la terre. H inventa une machine oui sur-
passait toutes celles qu'il avait aéià fait
construire, et que l'on appela l'hélépole.
« La base était carrée, dit Diodore ; eha-
^e côté , formé de poutres équarries
uiintes ensemble par des crampons de
1er. avait à peu pics cinquante coudées
de long. L*e4»acemtérieur étaitdivisé par
des plandies, laissant entre elles environ
nnecoudéed'intervalle, etdestinéesà por-
ter ceui qui devaient faire jouer la ma-
<Âiine. Toute la masse était supportée par
des roues, au nombre de huit, grandes
et soikies. Les jantes des roues , garnies
de cercles en fer« avaient deux coudées
d'épaisseuTi et pour pouvoir imprimer
à la machine toutes sortes de directions,
on y avait adapté des pivots mobiles.
Les quatre andes étaient formés par
quatre piliers oe cent coudées de hau-
lear, et légèrement inclinés en haut.
Toute la Utiase était partagée en neuf
étages, dont le plus bas se composait d«
Suarante-trois planches et le plus élevé
e neuf. Trois côtés de cette machine
étaient recouverts extérieurement par
des lames de fer, qui les garantissaient
contre les torches allumées. Sur le qua-
trième côté, faisant face à l'ennemi,
étaient pratiquées, à chaque étage, des
fenêtres proportionnées a la grosseor
des projectiles qui étaient lancés sur la
vUle. Ces fenêtres étaient garnies d'au-
vents, fixés par des ressorts, et derrière
lesquels se trouvaient à l'abri les hom-
' mes qui lançaient les projectiles. Ces an-
vents étaient formés de peaux cousues
ensemble et bourrées de lame pour amor-
tir le choc des pierres lancées par les
catapultes. Enfin, à chaque étage étaieot
deux échelles larges; l'une servait pour
monter et apporter les munitions néces-
saires, et Tautre pour descendre, afin de
ne pas troubler la régularité du service.
Les hommes les plus vigoureux de l'ar-
mée , au nombre de trois mille quatre
cents, furent choisis pour mettre eo
mouvement cet immense appareil de
guerre. Les uns , placés en dedans , les
autres, en dehors et en arrière, donnaient
l'impulsion au mécanisme qui faisait
avancer ri)élépole(l). » On construisit
encore des tortues pour protéger les ter-
rassiers, des galeries où les ouvriers
pouvaient travailler en sûreté. On ni-
vela le sol dans une étendue de quatre
stades, par les équipages de la flotte.
Tirente mille hommes avaient été em-
ployés à ces divers travaux, qui furent
achevés avec une étonnnante rapidité et
qui méritèrent si justement à Demétrius
le surnom de Poliobgbtb, preneur de
Tilles, qu'on lui donna.
A la vue de ces formidables prépa-
ratifs, les Rhodiens n'étaient pas restés
inactifs. Ils travaillèrent à élever un con-
tre-mur à l'endroit où Demétrius devait
ûire jouer l'hélépole; et pour construire
ce mur ils employèrent des matériaux
enlevés au théfttre, aux édifices voisins
et même à quelques temples, en proinet-
tant de réparer le dommage qu ils fai-
saient aux dieux. Puis ils envoyèrent
en course neuf de leurs meilleurs vais-
seaux, divisés en trois escadres, dont ils
donnèrent le commandement à leurs
(f) Diod.y XX, yx.
ILE DE BHODES.
«17
trois plus braves offleîenr, Bamopbile,
Ménéoème et AmjDtas. Ceux-d rerin-
rent chargés d'an nche butin, emmenant
arec eux anelqnes galères et plusieurs
barques enlevées à l'ennemi et un grand
nombre de prisonniers. Ménédème cap-
tura, entre antres, un navire ayant à bord
des lettres, des vêtements, des orne*
ments rovaux que Phila, femme de Dé-
luétrius, raisait passer à son mari. Méné-
dème envoya tous ces objets à Ptolémée,
roi d*Ëgypte, action qui manquait de
délicatesse, et bien diflférente de la con-
duite honnête et loyale des Athéniens ,
qui, selon Plutarq Je, ayant arrêté les
courriers de Philippe, avec qui ils étaient
en^rre^ ouvrirent toutes les lettres
qu'ils portaient, mais ne touchèrent
pointa celles d'Olympias, qu'ils ren-
Toyèrent sans les avoir décachetées.
Quelque temps après, on proposa dans
rassemblée du peuple, à Rhodes, de
renverser les statues élevées autrefois à
Antigone et à Démétrius ; mais le peuple,
n'écoutant que ses sentiments naturels
de respect pour les règles de biens^nce
et d'honnear, repoussa unanimement
cette proposition. Une résolution si équi-
table et SI prudente, miellé que fût l'issue
du siège, faisait infiniment dlionneur
auxRhodiens; et dans le cas où la ville
serait prise, elle pouvait leur servir beau-
coup auprès du vainqueur.
On travaillait aussi très-actfvement, du
côté de Démétrius, à creuser des mines,
du côté des Rhodiens à les éventer. Pen«
dant que ces travaux souterrains s'exécu-
taient secrètement de part et d'antre,
quelques agents de Démétrius entrepri-
rent de corrompre le Milésien Athena-
gore, chef de la garde des Rhodiens.
Celui-ci feignit de se laisser gagner,
et s^engagea à introduire l'ennemi dans
la place; et en même temps il dévoi*
lait toute l'intrigue au sénat de Rho-
des. Sur la foi des promesses d'Athéna-
gore, une troupe de soldats commandée
par le Macédonien Alexandre, ami de
Démétrius, s'engagea dans la mine et se
laissa surprendre. Le peuple décerna à
Athéoagore une couronne d'or et un
présent de cinq talents.
Enfin , Démétrius ordonna un grand
assaut. L'hélépole, garnie à tous ses éta-
ges debalistes et de catapultes, flanqnée
de deux béliers de cent vingt coudées 4e
longoeor, fot mroeliêe des immittes,
et à un signal dcÀné, les troopes poos*
sèrent le cri de guerre, et Pattaqne com-
mença sur tous les poioCs* Pendant qiM
les béliers et les catapultes ébranlaieni
la muraille, une députation de CnidioBS
se présenta à Démétrius, le priant de
cesser le siège et lui promettant d'obte-
nir des Rhodiens toot ce qu'on poumût
exiger d'eux. L'attaque fat suspendue;
on négocia, mais on ne put s'entendre ,
et le siège recommença avec plus d'ar-^
deur. Démétrius parvmt à abattre une
des plus grosses tours de Tenceinte;
mais la r&istance des Rhodiens fût si
viffoureuse, qu'il fut impossible aux as«
si^eants de pénétrer par la brèche. Sur
ces entrefaites les assiégés, qui oomnien<*
çaient à manquer de vivres, recurent ua
convoi de vivres envoyé par Ptolémée^
Il ne montait pas à moins de trois eesot
mille artabes (138,000 hectolitres) de
blé et de légumes. De son côté, Cassaa-
dre leur envojra dix mille médimnes
d'orbe, et Lysimaque quarante millo
médimnes de froment et autant d'orge.
Ranimés par ces renforts , soutenus
par les témoignages d'intérêt qu'ils reoe«
valent de tous cotés , les Rhodiens pri-
rent l'offensive , et résolurent de mettre
le feu aux machines de l'ennemi. Pen-
dant une nuit obscure, ils font une sor-
tie, attaquent impétueusement la garde
du camp ennemi , et accablent les ma-
chines de projectiles enflammés. Quel-
oues plaques de fer étant tombées de
I hélépole, les Rhodiens essayèrent de
mettre le feu au bois; mais les gens de
service l'éteignaient aussitôt au moyen
de l'eau contenue dans des réservoirs
dont chaque étage était pourvu , et les
Rhodiens furent obligés de renoncer à
leur tentative. Ainsi ni les Rhodiens ni
Démétrius ne réussissaient dans aucune
de leurs atta<|ue6, et de part et d'autre
on avait toujours le dessus dans la dé-
fense. Au lever du jour, Démétrius fit
ramasser par ses serviteurs les traits qui
avaient été lancés parles Rhodiens. On
compta ainsi plus de huit cents projec-
tiles enflammés, et au moins quinze
cents traits lancés par les balistes. Ce
nombreétonna Démétrius, qui ne croyait
pas que les Rhodiens eussent des moyens
de défense si redoutables. Il fit inhumer
ses morts, panser ses blessés et réparer
hê
LUAIViaS*
Iflt mMlfiiiit'qiii iviMrt été déoMiitéM
eliiiiBM bon w serrîoo.
Daat la ptévition d'im AouTelattaiilf
Im Rbédittls mirait à profit œ temps
êè relâobe poui^ cHmstrare un trcnuèmé
Binrd*eii<Mliit8f dans la partie la ptui
«tpôfléeaox attaqiiaa de rennemi. PuiSf
ils cnreusèrêAt on fossé large et profond^
derrière la brèehe, pour empêcher le roi
de pénétrer par un ooup de main dans
riotériéur de la Wlla« Ëneonragés par le
sueoèe de leurs deraièrea tentatives , ils
ordonnèrent de nouvelles courses ett
mer. Le navarque Arayntas prit leà
meilteiife navires de la il(»tte, et allaeroi'*
ser sur les eOtes de l'Asie 4 où il eaptura
des pirates au service de Démétrius, des
navires marobands et des bâtiments
ehàrsés de blé. Il rentra heurensêment «
penoant la nuit, dans le port de Rhodee
avec tout son butin.
Gepetidam, les fnaehines étant répfr*
réee,lea hostilités avaient reeommenoé
ayeo là tnéme vivacité qu'auparavant.
Mâts le siège lie ftilsait aucun progrès (
Rhodes reeevait de nouveaux rentortsj
Ptolémée lui etivoya un oonvoi de Mé,
aussi codtidérable que le premier^ et un
sèôôUrs dé qUiUÉe cents nommes oom**
ftiandés par Antigone le maoédonioi^
£n faiéme temps arrivèrent auprès de
Défbétrius plus de dnduante députés ^
envoyés tant nar lee Atnéuiens que par
les autres villes de la Qrèee. Tous œi
députés viUretit solliciter le roi de faiito
là paix avec les Rhodiens. Un armistiee
fût accordé; mais aprèl de longs pour*
parlera entre le peuple de Rhodes et Dé-
roétrius, on ne put s'entendre, et les dé*
]^utés partirent sans avoir rien obtenu.
DémétriUft tèiita encore un dernier ef«>
fort. Yottlatit diriger une atuque noo»-
tUrtie Contre la brèehe ouverte, il choisit
quinze cents soldata d'âite , en confia le
eômmandertieht à Alcime et à Mantia^i
et leur ordonna d'approcher en silence
de l'enceinte vers l'heure de la seconde
Teille, de forcer lés retranchements éle-
vés derrière la brèche et de pénétrer
dans la ville. Pour faciliter l'exécution
d'un ordre si important , mais si dange-
reux f il fit en thème temps sonner la
charge, et mena toutes ses autres troupes
à l'attaque des Murs tant oar mer que
par terre. 11 espérait que fes assiégés ,
obligés de se défendre sur tous les
pobits, Bo peurraent repousser la
troupe d'Aldme et de Maotias; cette
fisinte eut d'abord tout le suocës que le
E rince en avait espéré. A la faveur de
i confusion générale, le détachement dei
quinze cents franchit la brèche, renver-
sa tous ceux qui défendaient les retran-
chements, et, vint occuper les environs
du théâtre. L'alarme fut grande dans la
ville ; mais ies^ chefs firent face au danger
avec sang-froid et courage : ils ordonnè-
rent à tous les officiers et soldats de rester
chacun à leur poste et de repousser tes
assaillants* Après cela^ prenant l'élite de
leurs troupes et celles qui étalent arri-
vées tout récemment d'Egypte , ils vin-
rent fondre sur le détachement qui s*é*
tait avancé jusqu^au théâtre. Cependant
le jour parut, et Démétrius donda lési-
nai d'un assaut général. Aussitôt toute
son armée poussa lecride guerre, et l'os
se battit sur tous les points et dans l^io-
térieur de la ville qui retentissait dei
clameurs des combattants et des gémis-
sements des enfants et des femmes, qui
s'imaginaient que la ville était prise. Lai
remparts et le port furent si bien dé-
fendus que l'ennemi ne put les forosr.
On se battit vivement auprès dd théâtre,
et les soldats de Démétrius gardèrent
longtemps leur poste* ktais enfin les
Rhodiens, qui combattaient pour leur
patrie, pour leurs familles, pour leurs
tempes, firent des prbdijges, et écrasèl-eDi
les troupes du roi. Aldmus et Manties
périrent pendant l'action. La plupart
des soldats restèrent sur le terrain, lea
autres furent faits prisonniers. Un petit
nombre seulement parvint à s'échapper.
• Il y avait plus d^ln an que ce siégr
était commencé, et il n^était pas plus
avancé (]u'au nremier jour. On parais-
sait toujours déterminé de6 deux eoté»
à se battre, et Démétrius se préparait
à un nouvel assaut, quand on vint
lui apporter des lettres d* Antigone, son
père, qui lui mandait de traiter avec
les Rhodiens à la première occasion fa-
vorable. D'un autre côté, Ptolémée,
tout en promettant aux Rhodiens des
secours encore plus considérables que
les premiers, les avaient exhortés à trai-
ter dès qu'ils pourraient le faire honora-
blement. Ils sentaient l'extrême besoin
de faire finir un siège où ils auraient en-
fin sunoombé. l)e sorte que les deux par-
ILE DS RBODBS.
lit
tfe tiselkialent égâlenent veirs la ptîi.
Sur ces entreftitet arrivèrent des d^*
tés de la ligue étolteimè, iiui Bernrent da
nédiateiirs. La paii M anfio eboelua
aux côliditiDiiB Bttivantas : la ville éd
Rhodia gatderà sim iiidé|^(nidanee alaah
feveniié; les RIlodieiiBfoitfiiiiOBtà An»
tif^one dea tfoopes auxiliaires « eioeoté
datift le eas où il inatdierait cotitre Poh
lémée. lia ioitièreiit eeiil otagaa eoai«
mè ^raÉts do triiit, après lequel Dd«
tténitts mil à la tt^e^ et {Mtksa en Grèaa
où sob père renmait eo aire Casaandre^
Pline <f ) taeotib qn*att moineni ou
DémélHtta asaiégeait Rëedes le célébra
peintre ProtDgèhe de GaWitta cotnpdsall
^\m on tàMead représenuht qUelfaes
traits dé l'hiatoife dli liéroa Jaiyans. V^
vtM dé Protogène était dans ns petit
jardin Ittué daiis un faubourg de la viili
dont s*était eitipaHi Détnétfiusi La pré»
sèDce de rennemi et lé tumulte de It
mrtt né tt^biètttlt pmnt Protogènei
9 resta dans sa deméute, et continua son
t^âVâll. DéméIriUs en fût BiktpH$; il lé
fit véldr, et il lui demanda comment il
ferait ateft tant d*assuranee liol's dei
mars : a Je Mié^ répondit Tartiste, que
tous faites Id guerre aui Rtaodiena , et
noti sut ans. * DétnéUrlna était éapabte
ût comprendre dn si noble langage. Ton*
cbé de la tiofllifttiée dUë Idi témoignait
Ptotogèhe, U lui dt^nna dea cârdea
t>ôur le protâpr, afin qu'au milieu dd
Camp tnême u fût en repos on du éaoina
en sârété. Il allait soU¥ent le toir travail^
ler, et né se lasMit pOittt d^admiter sdn
apbiKâtkm h Touffase et soii extrême
héilètê. PlUtàrqUe ajomè ^ue les KbO^
dièbs, crai|nâilt d*abord qUe Démétriuè
te déttni&tt ce éhe^d'te!lvre , Itii avaient
«nvoyê dés députés pour le èuppUer de
1 épargtiet. ^ A brûlerais plutôt toijia leé
ponraits de mon père, atait r^ondu le
(iHncé, que de déimire Od si bel otivra*'
ge. > CétteeOndUite fait infiniment d'bott^
iièdt à Démétrtns, en ce qu'elle montra
qu'il avait un esprit déiiCÀt et un caratstère
g^tittbox. Maia U eût poussé sbn goût
pDor les arts jusqti'è un excès ridicule si)
tomme le prétend Plitie, il s'était abstenu
de prendre Rhodes par respect pour ce
tableau, et S'il eût mienx aimé renon^
40.
(i) Pline, Mist. Nai,^ 1. X.XXV,c, xxxvi,
eer à la viètoiniqde de s'exposer àfaire
Sérir par le fen on si prédeox monumesl
é Tart. Nous avons vu les véritaMaa
raisons qui obligèrent Démétrius à le-
ver le siège ; le tanleau de Protogène s'y
fut pour rien* Une autre eirconsladeif
que Diodore de Sicile n'a pas nipporléèf
•t qui se troave dans Végeoe (1), eoitiii^
buB peut-être rdeUement à disposer Dé*-
nsétrius à la paix. Ga prince) se prépn^
rant à approcher de nouvean rbdiépon
contre les nMiailles^ un Idgémeur Hio-
dien taiiaglnà nn moyen de la rendra
tout à fiiit inutile. 11 onvrit uile gaicria
souterraine^ d\fi passait par deaaoda icd
murs de la Tilié, «t il la pouaaa aena le
chemin par où Id todr devait rouler jut»
ira'aUx murs. Cette mine Ait pratiiiuêê à
rinsu dea ftsaiégeants, ((ui oonduiairaÉt
rhélépole jusqu'à rendrait où le terrain
était creusé; le poids de la tour fit M^
dra la tette , dans laquelle elle s'abtmé
sans qu'on pût Jamais la retirer. Vé^na
et VitruvO) qui semble confirmer oè M*-
cft en eu changeant néanmoins queludês
éitcohstancès, disent que cet ëceideul:
détel^mina Démétrius à accorder la patt
aux Rhodiehs. H est au moins certain ^
dit Rollid , qu'il eut beaucoup de pan è
lUi faira prendra enfin ce parti.
En quAtaUt Rhodes, Démétrius IMaèà
aux Rbodiens toutes les machines quil
avait fabriquées pour s'emparer de leur
tille, tls les teudireut pour 300 ulenis^
«t cousaerèrant cet argent I faira ce VÈh
meut colosse due l'on comptait parmi
les sept merveilles du monde, et qui était
leonsaeré à Apollou. Lès Rhodieus tê^
moignèfent ausai leur rèconnaisftabce
envers les princes qui les avaient seeott^
Hift. ils élevèrent des statueê è Caftsan*-
dra et à LVsimagUè, et à d'àUtra^ alliée
fitoittS célèbraa. Mais ils aè sUrpassèréfil
pour honorer Ptoléméé, dont lia avaiéut
reçu lé plus de secouit. Après aîrbir cou-
snitérorBded'Amraon, pour savoir i'ilft
devaient honorer ce ptidce comme uu
dieu , et obU^hu de l'oracle une réponse
affirmative, ils élevèrent dans leut ¥illè
un temple auquel ils donnèrent le nom
de Ptolémeum (2). Ce temple était de
forme carrée, et chaque côte, d'un stade
de long, avait tm portique. On n'oublia
^i) Veget., De Re Milît., c iv,
(a) Diod. de Sicile, i» XK, e. too.
isd
L'UmVKMfl.
pas de féeompenaer le lèie des partîeiH
liers |>ar de flatteuses distinetioiis, et les
serrices des esdaves en leur doimaDt la
Ufoerté et le rang de citoyen. Puis on re»
oonstraisit le théâtre y on répara les mn-
railles et tous les points qui avaient soaf-
lért pendant le siège. En peu de temps
oo fit disparattre toutes les traees.de la
Serre, et Rhodes sortit de oette terrible
reuve plus puissante et plus glorieuse
que jamais.
ÉTAT DB RHODBS AU TROISISHB SIB^
GLB AYANT J.-€. — Il OU ost d'uu peuple
comme d*un homme ; une grande action
le rehausse et l'ennoblit. Après avoir re-
poussé Démétrius, les Rhodiens devin»
rent un État considérable et une puis*
sance maritime de premier ordre* Leur
commerce ne fit que s'étendre et pros-
pérer de plus en plus, et tous les rois de
FAsie, tous les États grecs recherchaient
leur amitié et vivaient en bonne intelli*
gence avec eux. Rhodes éprouva bien-
m lesefifets de cette bienveillance géoé«
raie qu'elle avait inspirée, après le trem">
biemcDt de terre dcTan 332, qui &illit
la bouleverser de fond en comble. Dans
leur détresse, les Rhodiens députèrent à
tous les princes, leurs alliés, et aux dtés
grec(]ue6 pour implorer leurs secours (1).
Qiacon s^empressa de contribuer, se-
lon ses ressources, au soulagement de
cette ville infortunée. Hiéron et Gélon en
Sicile, et Ptoléniée Evergète en Egypte
se signalèrent entre tous les autres. Les
premiers fournirent plus de 100 talents
en argent, des vases de prix, des ma-
chines, des matériaux, et firent dresser
sur une place de Syracuse deux statues
représentant le peuple Rhodien et le peu-
ple Syracusain qm mettait au premier
une couronne sur la tête. Ptolémee, sans
parler de beaucoup d'autres dépenses ,
qui montaient à des sommes considéra-
Sles, envoya 300 talents, un million de
mesures de froment, des matériaux pour
construire dix navires à cinq rangs de
rames , et autant à trois rangs , des ar-
chitectes pour relever la ville , et en par-
ticulier la somme énorme de 3,000 ta-
lents pour rétablir le colosse qui avait
été renversé par le tremblement de terre.
Antigone Doson, roi de Macédoine, et sa
femme Cbryseis, Séleucus roi de Syrie,
Pmsias de Bithynie, flfilbrMate V, fd de
Pont, tous les aynastes de l'Asie , ausn
bien que toutes les villes , signalèrent
leur lioéralité. Outre les présents qu'on
leur faisait, on accordait aussi aux Rho-
diens des immunités et des franchises,
qui accrurent encore leur prospérité
commerciale, de sorte qu'en peu de
temps Rhodes se retrouva plus opulente
et plus magnifique qu'elle iravait Jamais
été. Il n'y eut que le colosse qm no fiit
pas rétabli. Les Rhodiens prétendirent
que l'oracle de Delphes leur avait dé-
fendu de le relever, et ses débris restè-
rent gisant à la place où il s'était abattu,
pendant près de neuf siècles.
Pendant la plus grande partie du troi-
sième siècle avant l'ère chrétienne, on
manque de renseignements sur l'his-
toire de 111e de Rhodes. Cette lacune,
qui est de près de quatre-vingts ans, ne
cesse qu'avec Polyoe, dont les éôrits
nous rendent la suite interrompue des
événements relatifs à cette tie. L'an 221
Philippe III montait sur le trône de Ma-
cédoine. La Grèce était partagée en
deux ligues, celle des Achéensetoâledes
Étoliens, qui s'aflaiblissaient l'une l'autre
par leur rivalité. Au milieu des conflits
qui s^élevèrent entre oesdifférentes puis-
sances, les Rhodiens, dont l'iotérét su-
prême était de Caire respecter la liberté
du commerce, devaient intervenir en
laveur des Achéens, peuple paisible et
ami des lois, contre la Ji([ue étolienne,
adonnée au brigandage et a la piraterie.
et contre Philippe, qui prétendait à
l'empire de la mer. Telle est la politique
des Rhodiens à cette époque , dans tous
les événements où nous les voyons
mêlés : assurer la liberté des mers et
combattre toute puissance qui aspire à
y dominer. Une marine considérable
protège leur commerce, qui sert à l'en-
tretemr, les fait respecter de tous les
États voisins et rivaux, et assure la ga-
rantie de tous leurs intérêts commer-
ciaux et politiques.
Ainsi rUlyrien Démétrius de Pliaros,
s'étant ligué' avec les Étoliens et Sparte,
ennemis des Achéens, et ayant armé en
course cinquante légers navires, vint
parcourir et pilier les Cyclades (1). En
agissant ainsi, Démétrius de Pharos
(x)Po)yb.,Y,SS'9i,
(i) Poljfb., Sut., h IV, 17, 19.
II.K DE RHODES.
Idl
vMt le tnilé d0 imIz que kii aviieiit
imposé les Romains, et qui lui interdi-
sait de naTiguer ao delà de r lie de Lissa.
Les Rhodieos féprimèrent ee brigaa-
dage, et forcèrent Démétriiis à fuir de-
vant leur escadre, qui dominait dans la
iDerÉg6e(331).
GuSimS BRTBB Rhodbs bt By-
ZARCB. -"- Quelque temps après, la li-
bre navigation du Pont-Eoxin fut me-
nacée par une tentative des habitants
de Byzanee, gui exigèrent un droit de
tous les navires qui franchissaient le
fiospfaore (1). Les intérêts des négo-
ciants de Rhodes étaient lésés par cette
nesuie, qu'ils essa^rèrent vainement de
faire révoquer. Les Byzantins, qui
avaient de lourdes dépenses à supporter
ponr se défendre contre les Thraees, ne
voulurent pas renoncer à l'exploitation
de œt impôt lucratif. On ne put s'en*
tendre, et la guerre fut déclarée (330).
Les Rbodiens entraînèrent dans leur
parti Prusias, roi de Bithynie, à qui By-
zanœ avait refusé des statues; et les
Byxantins obtinrent l'appui d'Âcbœus,
beau-frère de Seleucus III, roi de Syrie,
qui, profitant de la jeunesse du nouveau
roi Anttochus III, venait de se déclarer
indépendant en Asie Mineure. Tant crue
Bvzaoce nut compter sur l'appui d A-
coaeas, elle fit bonne contenance; elle
SQscita un prétendant au trône de Bi-
tbynie, et soutint vigoureusement la
giûrre. Mais les Rbodiens détachèrent
Aebaeos de leur alliance en lui rendant
son père Andromachos , qui était pri-
lonnier en Egypte, et que le roi Ptolé-
mée Philopator renvoya sur la demande
des ambassadeurs de Rhodes. Gagné par
eeboD office, et charmé des honneurs
<|Qe la cité de Rhodes lui décerna,
Acbsusrefiisasessecoursaux Byzantins.
CeoxHsi, trop faibles pour continuer seuls
les hostilités, demandèrent la paix, dont
les Rbodiens leur dictèrent les condi-
tions. Byzanee renonça au droit de péage
qu'elle avait voulu percevoir, et le pas-
sage du Bosphore resta libre. Le succès
de cette guerre ajouta encore à la puis-
sance de Rhodes ; les rois la traitaient
avec la plus grande considération ; bon
nombre de villes recherchaient son pa-
tronage. C'est ain^ que les habitante
(i) Polyb., I. IT, 46-5».
de Gnom demaadèivAt son appui con-
tre les autres viUes créioises, et que ceux
de Sinope implorèrent son secours con-
tre les agressions du roi de Ppnt Mi-
thrîdatey(l).
Rblatiors de Rhodes avec .la
Macédoine. — C'était le temps de cette
lutte engagée entre les Adriens- et les
Étoliens que l'on appelle la guerre des
deux ligues. Les Aehéens avairat été
obligés de se placer de nouveau sous la
J protection de la Macédoine, et Phi»
ippe III, vainqueur des Étoliens, mar-
chait rapidement à la conquête de toute
la Grèce. Les Rbodiens et leurs alliés
s'inquiétaient des progrès de cette puis-
sance macédonienne, qui prétendait tou-
jours à la suprématie sur tout le corps
nelléniquc, tandis que celui-ci s'épuisait
et se livrait par ses dissensions. Des
députés de Rhodes et de Chio vinrent
trouver Philippe à Corinthe (S) et l'en-
^gèrent à accorder la paix aux Eto-
Bens. Le roi feignit d'y consentir, et se
débarrassa d'eux en les envoyant chez les
Étoliens pour qu'ils travaillassent à les
amener a un accommodement. Il n'en
continua pas moins la ^erre avec vi-
Î[ueur, et ne se réconcilia avec les Ëto*
iens qu'au moment où il se préparait à
attaquer Rome. Cétait Tusage parmi
les États grecs que les cités neutres
a'interposassent , par leurs ambassa-
deurs, pour rapprocher les États qui sa
faisaient la guerre et faire cesser des
conflits contraires à l'intérêt général.
Les cités maritimes étaient toujours les
plus empressées à offrir leur médiation,
parce qu'elles avaient toujours plus h
gagner à la paix qu'à la guerre. Ainsi,
dans le mente temps les Rbodiens,
aidés de ceux de Byzauf e et de Cyzique,
faisaient tous leurs efforts pour récon-
cilier l'Egypte et la Syrie (3). Ce genre
d'intervention n'avait pas toujours le
résultat qu'on se proposait, et les puis-
sances belligérantes pouvaient bien n'en
pas tenir compte. Mais les députés qui
B Polyb.» Hisi., 1. IV, 53, 56.
Polyb., V, «4- f^oyez dans Tite-Li?e«
XXTII, 3o, XXYIII, 7, d'autres ambas-
sades des cités d« Rhodes et de Chio pour
Biettre fin à celle gu«re entre Philippe et
les Ëtoliens.
(3) Polyb., V, «3.
I»
vtSËmhÊ.
m ptémalaàmi à Ml itt* étaiMI tmÊh'
îom nçus, éooatéi et oongédiét affc
neaueonp d'é«ildt. En trompiat lis
Rhoditiis, PhUippè oomineoça à tes in-
disposer contre lui. Loin de tmvailhBT
à cakner te méoobtaiiteneDt et la dé-
flânes de ees insulaires, fiers et jaloOk
de leur Ubeité , Philippe les irrita de
Elus en pluspaf ses hauteurs et son ant-
îtion. Û s'en fit dés emlemis déblaréë^
et les poussa à se Jeter dins l'alliatilie
des Romains, qui eurent l'adresse de
fairs eroife aux Grecs du continent et
des tles Qu'ils ne ëombettaient ia M ft^
cMoine que pour les affradchir dé sa
dominatiodi
GtlBftBA mtlB LB8 R1IO0IBNB Bt
Phili^pU IlL » Oe ne fut qu*epièl
Tan 106 que Philiope rtompit définitif»-
ment afce les Rhoufens. Débarrassé des
Romains, avec lesquels il était en guerre
depuis à\% atts, ce prlnoe4 au lieu de se
Isirte des siliés , dans la prévision d'une
notiveilé lutté avec et» peuple, au lieud%
■iMplifler sa position en aéconmodant
tous les démêlés qu*il avait avec sel
toisins, devint plus protoquant et plus
agressif quu Jamais, il oublia qull avait
à fsire A une puissance redoutable « qui
ue fttlsalt que suspendre ses coups i 11
attaqua tous dedt dont il aurait dfi s'mk
eurer l'apoui^ et en eherefaant partout fc
acquérir il trouva partout des ennemis.
Les Rhodiens , menacés par ase fntriA
gues ti) et ses viéleuces dans leurdo^
luinatiun sur les tles asiatiques ei sur
les cdtas dé la CaHe, flreut alliance aveé
Attalé, M de Pargame, à qui Philippe
disputait quclquei lilles de VÉolide ; et
comme le rot us BfaMdoine était enoare
«ta tmn«mi trod redoataUe ytsut ces
deua tiâts r#unMt ils l'adressèrent eut
Romains, et ietir dénoncèrent les projeté
fie Pbllit)pe coutrè lé liberté des villel
ttrecques d^ r Asie (S). Attalé éUilt déjl
rattié éh Rome. Lel Rbodiena le devins
(i) t^olyb., 1. lYlt, 3-6. On liè peut se
faire qu'une idée bien incomplète , d'après le
récit mutilé de Pbl^, des dSsseint de Phi-
lippe coiftlre Uhodes et de la fourberie dont
l'iBlrigant Hélaclide devitt être le principal
■gent. f^oy, dans Myb., XV 9 s3, récouba
de la rupture définitive dai Rbodknt avee
Philippe.
(a) lite-Uve, XXXI» I.
Mit aloil par l'entremlia du tel dt
Pergamc, et à la suite de leur hosdiitt
contre le roi de Macédoine. ToutlMi,
avant oue Rome eût vaincu Oarthagt et
termine la seconde guerre punique, At-
talé et les Rhudieus soutinrent isiés
tout le poids de la guerre contre Ptai-
lip|)e III, de l'an 305 à l'an SOO avant Vm
ebrétienne, et ils livrèrent à ce priasi,
3ui s'était créé une marine impoiasu,
eut grandes batailtes navales. La ^
mière rencontre eut lieu prèa de Ladl,
petite tle lituéé eo face de la viliiée
Milet. L'action fut très-vive et ïmâ-
trière, et l'issue paraît eu avoir élédmi-
teuSe. Les Rhodlens prétendirent avsir
remporté la viétoire ; mais Pol^, diK
une digression sur deui historieot de
Rhodes , 2énoh et Antisthène , leur iv-
procbe d'avoir altéré ia vérité sar m
point) et il établit d'après lears preprÉ
aveux, et lurtoUt d'après la lettre di
l'amiral de la flotte Hiodienoe aUx pit-
tauea et au sénat, au*on pouvait lira m-
eore aux aiuhives Ue la ville^ que le ni
de Macédoine avait eu l'atantage daH
cette bataille (1).
CSe qui le prouve encore, eTelt qu'à h
Buite de ce combat les RhUdiens bit-
tirent en futraitè, et Attalé Alt réM
quelque teni os è rinaotion. Lu mer était
libre, et Philippe^ dit Poljrbé, aurslt^
aé reudre sans obstacle à Alenndrie. Il
ne le fit pas , et se comenta d'assiégt
Chio (i); mais le éiége traîné en Isa»
gueur, et renueml reparut. Attalé et ft-
mirai rhodlen 1 Théophiiiseul • Mvrènat
à Philippe tme seconde bataille nsvilr
eh vue de Qhlo. On avait réuni dé part
et d'autre des forces considérables, la
flotte meoédonienné se com^esatt et
cliiquante-<trois bdtimeata de guette, et
quelques Aavires non pontés et de dcat
dneuaq^e esquiftf avec des Alstes» I0
allies avaiettt eoIxanteMnUq vafssesux é»
guerre, y compris ceux des fiyiêiitifls,
neuf gaUotea et trois trirèmes. Le vsH*
eeau monté par Atiaie commeUfa ^
(tj Wyb., 1. Itt, t. iitt. tlle*U«e W
atlasloti a ces deUx baulOei, et il sdinH le
a^sertioas des historiens rbodietts, • Réi-
Jam eoai àhediîl et Attak) navilibés cerU*
tainibtts, kektrofUteitêt fhM^ tirés et|l(^
tus. » 1. XXXI, C. SUT.
(a)Polyb.,LXVI,af9*
ILS DS KHODES.
ISt
fomiiat, ettoot les âums, Mn» ménito
«ftttftdrtltBignèl, 6e heonèretit. Lte ma-
rin! é'ÉUMfoifl , à déftât de eette for^
midâble anilietie dont nous ermonB nolt
faisseaut de iituene, a?aieiit aussi
trooTé des pfoeéd^ trèë'^expëditifs et
tfès-ptiiMiitt pour 6*efitre-détruire. Lea
natfres lâli6éa a toute vitesse, se préd^
pitateot lea ûoê sur les auttes, se per*
çaient de léWe éperotlB, se brisaient lea
rames, ae fracaaeaient les flanea, le plds
fort ôdUlaUt lé plus faible , quelquefois
s'abtmant touB lea deuic, et te choc pro-
doiSait quelquefois plus vHe ce tëaultat
glorieux que taoUi obtenons aujourd'hui
par l*@iiipIoi d u utujectiie fUlmiuaat. 8ou-
^nl aussi ee n*âait poiut à la fdfce qu'oft
6«mât)dâtt la viélolfè , mais à Tadresse
et à Pagilité des tttatiœutree. tolybe
WivA donne une idée bled exacte de la
tactique natale ûtH àueiens. ^ Toutes
les fols qu*ttii ebgagemem avait lieu de
fbnt, dit4l, tel Hhodiènè rertiportaietit
par une maUtteUVre fort habile : abais-
tànï autant ^ue boasible la proue de
itara ttafires , i\i recevaient des coups
lH)ts de Teaa el eu portaient à rénneuii
au-dessous de la ligne de flottaison , lui
âisaat altiat des blessures satts remède.
Mais ils euf^nt tarement recoure à eet
irtlllce. lia évitaient les combats de celle
nature, à cause du eoutage que meCtaieUt
Itt Macédoniens à se défendre dtt HaUt
de lears poUtÉi dana Une lutte réglée.
Cdaraut de préféreuee du milieu des
iiatires mueédbniena , lia en brisaient
tèa ramel et rendaient par là tout moU-
v^eat impoédibie; lia ee portaient à
droite, Il |iud)e, ee jetaiebt à la proue
dé tel vaisieau, fî^ppaient tel autre dans
le fisine au ti^umènt où il ae toumaii ,
eauiaiâieiit l'Un, enlevaieut è TAutre qudi-
que partie de ses agrès. Une foule de
bâtimeotl tuacédouiena ^éfireut deeeue
manière. «
Cette fola Philippe éprouva une dé-
faite complète : il oerdit vingt navirea ,
soixante- cinq esquifs, un grand nombre
de matelots et de soldats. Attale fut
obligé de sa falfè éebouer sur la côte
d'Asie et d'idMnddnn^ le vaisaeau royal ;
les Rhodiena eur^t à déplorer la ibort
deTheophlliscua, leur amiral, qui ne
survéctit qu'un Jt)ur à sa victolto. « Cé-
^it un homme, dit Polybe. dont la
braToore dans leâ combats et la sagesse
daûB lea eonaalia aont dignes de mé»
moire. S*ll n'avait pas oaé en veUir au
mains avee Philippe, aea oondtoyena et
les aotrea peoj^ea , intimidéa par Fan**
dacedn prince, eussent négligé roeeU»-
felon de le vaincre. En ouvrant lea bol*
tilités , il força sa patrie I profiter des
oirconsttoces favorables, et contraignit
Attale 6 ne blus différer sens eeaae do
E'épafer aetttement la guerroi et à h
ite avec énergie et eourage. Aussi, «e
ne fht que justice quand lefe litiodiew
lui rendirent, après sa mort, dei hoà^
nèurs assez éclatants ndur «télter au
dévouement en ven lé pattle et leuH CM-
temporttina et leurt deéeendama (i). «
LBS RttODlKIia Sb PLAUËNt êouft
tb PHOtscTottAil nt RoHfi. -^ Malgfé
«ette déftiite Philippe était toujours re-
doutable ; les Romains venaient de termi-
ner la seconde guerre pudique \ le ftéuit
ae mit aiora à la disnoiitiott de aei aUila
grecsd'Europe etd'Asie^ qui l'appeièrettt
contre la Maeédoine. Ce fUt à Athènik
que se forma Torage qui devait fondis
aur Philippe. Attale ae rendit eu peN
aonne dana cette ville ! Il y vint dea am*
basaedeurs rhodiena et dee eommisaaires
du aénat (S). Enhardi par lâ piiésenee
d'alliés si puisaabM, le peuble âthénieh
décréta la guerre contre Philippe, pla«a
Attale parmi aes bienfeitëurs el ais
héros, et fit oUx Rhodleuë tttté rébeptiUh
magnifique. Ainsi Rome avait soulevé
«t lancé tdus sea alliés eoutre Philippe;
Suabd 11 voulut agir contre eUx, elle lui
éfendit de lea combattre ; aUr son refUs
d'obéir, elle lui déclara le gueffe (tOU).
If ous ne devons rechercHer dans eêtie
grande lutte , qui fut le prélude de t*A-
bnlssemeut de la Macédoine et de l'assu-
jettissement de la Grèce , que lés fillts
relatifs aux Rhudlëns et la part utt'ila y
torii^nt. L'intei'veution romamé u^étaltai
bieti accueillie de ces insulaires que par
«e qu'elle lelit urocurait immédiatement
de grands avantagea. U devait en irésultir
Sue Philippe, occupé du soin de délbn-
re son royaume contre les Romaine ,
renoncerait è ses projeta d'âghtndisae-
ment maritime, et que de ée eété les
RhddienS auraient le champ libre. Rn
(i) Polyb., XYI, 9 ; tTàd; Bouèbac, I. H
p. 3o4.
(2) Tite-Live, XXXI, i4 ; Polyb., XTI, a4.
124
L'UNIVERS»
effet, le premier résolW qu'ils obtins
rent de cette coalition , fat d'entraîner
dans leur alliance toutes les Cyclades^
excepté Andros, Paros et Gythoos, qui
étaient occupées par des garnisons macé-
doniennes. Mais en n^^ligeant d'aâr
avec vigueur contre Philippe » ils lui
permirent de leur enlever plusieurs
places de la Carie, de prendre Âoydos,et
de se rétablir dans i'Hellespont; il parut
blenévidentalorsqueles Romains étaient
seuls capables d'arrêter ce prince et de
l'abattre.
Pendant cette guerre, qui dura quatre
ans (200 à 197) toutes les forces des
Rhodiens Curent constamment à la dis-
position du sénat. L*amiral rhodien,
Acésimbrote, prit part à toutes les tenta-
tives faites par les Romains contre TEa-
bée et les autres possessions maritimes
de Philippe. En vain les Achéens , qui
étaient restés d'abord fidèles à Philippe,
essayèrent-ils de détacher Rhodes du
ϻarti romain (t), ce fut au contraire la
igue Achéenne qui se laissa entraîner à
changer d'alliance, et les députés rho-
diens (2) assistèrent au conerès ou fût
prise cette détermination à laquelle ils
contribuèrent pour beaucoup (198).
L'année suivante on parla du rétablis-
sèment de la paix entre Philippe, les
Romains et leurs alliés. L'amiral rho-
dien Acésimbrote parut aux conféren-
ces de Nicée près des Thermopyles. Il
réclama la restitution de la Péree , pro-
vince de la Carie, que Philippe avait en-
levée aux Rhodiens : il le somma d'dter
ses garnisons de Jassos , de Bargylis et
d'Eurome, de replacer Périnthe dans Té*
tat de dépendance où elle était autrefois
à l'égard de Byzance, d'abandonner Ses-
tos, Abydos, tous les marchés et tous les
ports de l'Asie (3). Philippe consentit à
rendre la Pérée ; mais il ne voulut pas
céder sur les autres points. On rompit
les conférences ; la guerre recommença.
Bientôt Philippe fut vaincu à la bataille
de Cynocéphales, les Rhodiens recon-
quirent la Pérée, excepté Stratonicée,
où s'enferma le général macédonien Di-
nocrate. Le traité que les Romains dic-
tèrent au roi de Macédoine donna aux
(i) Polyb., XVI, 35.
{a)Tite-Live, XXXII, rg.
(3) Polyb., XVII, 3.
Rhodiens la complète possession de cette
province, et assura la liberté de toutes les
cités maritimes que les Rhodiens avaient
voulu soustraire à son influence (1).
Philippe avait cessé d'être redoutable,
mais Antiochus le Grand devenait me-
naçant à son tour. Ses tentatives ea
Asie Mineure et contre l'Egypte inquié-
taient les Rhodiens. L'Egypte, leur an-
cienne alliée, déclinait tous les jours.
Antiochus aspirait aussi à la dominatioa
des mers : Rhodes entreprit de l'ar-
rêter, et de défendre les villes alliées do
ïoi d'Egypte. Grâce à leur activité,
Caune, Mynde, Halicamasse et Samos
échappèrent aux tentatives du roi de
Syrie, et restèrent dans l'alliance de
Rhodes et de l'Egypte (2). Mais les dioseï
n'en devaient pas rester là. Antiochus,
opposant aux prétentions des Romains
des prétentions non moins hautes, se
déclara leur rival, et descendit sur ce
champ de bataille où la Macédoine ve-
nait d'être vaincue. Rhodes et EoDoè-
ne, successeur d'Attale au trône de
Pergame, déployèrent encore plus de
zèle dans cette guerre que dans la pré-
cédente. Antiochus avait couvert la mer
ï^ée de ses vaisseaux; les Rhodiens ai-
dèrent Rome à anéantir cette marine
puissante qui gênait leur commerce.
Leurs amiraux Pausistrate, Eudémus,
Pamphylidas combattirent avec les pré-
teurs romains aux batailles de Sida,
d'Éphèse et de Mvonèse contre Annibai
et le Rhodien exile Polyxénidas, dont les
talents ne purent empêcher la destruc-
tion des flottes d' Antiochus (3) . La mer
une fois libre, les Romains passèrent en
Aaie; Antiochus fut défait dans une
grande bataille près de Magnésie, et les
Rhodiens eurent une large part à ses
dépouilles.
Eumène obtint tous les pays en deçà
du Taurus et de THalvs. Les Rhodiens
Xent la Lycie et la Carie jusqu'au
dre. Toutefois, les deux alliés
étaient en désaccord sur un point im-
(t) Tile-Live, XXXIH, xS, 3o.
(^) Tite-Live, XXXIII, ao.
(3) Titc-Uve, XXXVI ; Polj^b., XX I, p»-
sim. Dans celle guerre Poiyxéiiid«s détruisit »
À la hauteur de Samoa, une floUe rhodienoe,
commandée par le navarque Pausisuilf.
Tilc-Li?e, XXXVII, lo.
ILE DE RHODES.
I2d
portant, la liberté des viRes grecques
d'Asie : Eomène les demandait en ré-
eompense de ses services. Les Rbodiens
plaidèrent leur cause dans un langage
qui prouve combien ils se faisaient illu*
sioo sur le caractère et les conséquences
des événements qui s'accomplissaient
alors, et auxquels ils avaient pris une si
^ode part. « La fin que vous marquez
a vos actions , dirent les députés de
Rhodes pariant dans le sénat , est bien
autre que oelle du reste des hommes,
^'ordinaire , ils ne se jettent dans les
guerres que pour conquérir et gagner
des filles, des munitions et des flottes.
Les dieux vous ont épargné cette néces*
site en plaçant Funivers sous votre obéis-
sance. De quoi donc avez vous besoin.'
De quoi vous fout-il maintenant avoir
le plus de soin? De cette gloire, de
cette renommée universelle qu'il est d
difficile d'acquérir et plus encore de
conserver. Vous allez reconnaître ce que
nous vous disons; vous avez combattu
Philippe, vous avez tout bravé pour ren-
dre la liberté aux Grecs : tel a été votre
but, telle a été la récompense que vous
TOUS êtes promise de cette expédition ;
il D'y en avait pas d^autre, et cependant
TOUS en avez plus joui que de tous les
tributs imposés aux Carthaginois. Cela
est très-naturel : l'argent est une pro-
priété commune à tous les hommes;
mais la réputation, les hommages, la
louange, ne sont faits que pour les dieux
et ceux qui leur ressemblent. Oui, votre
oeuvre la plus belle a été l'affranchisse*
ment des Grecs. Si vous la complétez
aujourd'hui, cette œuvre, Tédifice de
votre renommée est à jamais élevé ; si-
oon , Totre gloire sera bientôt abaissée.
Sénateurs, après avoir participé à cette
entreprise et, avec vous, soutenu pour
la poursuivre de grands combats, bravé
de Téritables périls, nous ne voulons pas
aujourd'hui trahir le devoir d'un j^uple
ami. Aussi nous n'avons pas cramt en
effet de vous dire franchement la con-
duite que nous croyons la seule vrai-
oient di^e de vous, nous l'avons foit
sans arrière-pensée, en hommes qui ne
mettent rien au-dessus de ('bon-
néte (1). » Ce discours parut digne de la
grandeur romaine, dit Tite*Live, et les
villes grecques qui avaient été tribu-
taires d'Antioehus furent, conformé-
ment aux vœux des Rhodiens, déclarées
libres. Peu s'en fallut que les Rhodiens
n'obtinssent aussi la liberté de Soles, ville
de Cilide , quMIs disaient être , comme
eux , une colonie d'Argos. Le sénat pa-
raissait disposé à leur accorder tout ce
qu'ils voulaient, pourvu que cela fût
préjudiciable à Antiochus, et il fut même
sur le point de contraindre ce prince à
évacuer toute la Cilicie.
Après avoir vaincu Antiochus, les Ro-
mains châtièrent les Êtoiiens, qui avaient
appelé ce prince en Gtèce. Quoique le
cnatiment fût mérité, Rhodes voyait
avec regret un peuple grec frappé par
les Romains. Cétait un précédent fâ-
cheux , et qui faisait concevoir des in-
quiétudes pour l'avenir. Les députés
rhodiens travaillèrent très-activement à
faire conclure un traité. Ils parurent au
camp de Fulvius, qui assiégeait Ambra-
cie (1), et désarmèrent son courroux. Le
consul permit aux Étoliens d'envoyer à
Rome aes députés, pour qui les Rhodiens
obtinrent une audience du sénat. Néan-
moins, le peuple étolien fut traité avec
rigueur, et il n'}[ eut aucun peuple grec
qui ne pût prévoir que le sénat, qui n'é-
tait encore qu^un protecteur et un allié,
deviendrait nientdt un maître impérieux.
Conduite équivoque des Rho-
diens PENDANT LA OUBBBB CONTHB
Pebsbb. — Les Rhodiens ne devaient
pas tarder à en faire Texpérience. £n
leur donnant la Lycie, le sénat leur avait
fait un cadeau embarrassant. Les Ly-
ciens n'obéissaient qu*à contre-cœur, et
Rhodes se fatiguait à les faire obéir.
Enfin des députés de Xanthe, capitale
de la Lycie, vmrent à Rome se plaindre
au sénat de la tyrannie des Rhodiens ,
qui était beaucoup plus cruelle, disaient
ils, que celle d^Antiochus. Les Rho-
diens s'aperçurent alors qu'ils étaient
à leur tour justiciables de cette juridic-
tion du peuple romain qu'ils avaient in*
voquée autrefois contre Philippe et An*
tiochus. Le sénat écoutait toujours les
plaignants; d'ailleurs les Rhodiens ne
montraient plus le même zèle , ils fal-
(i)Poljb.,XXII,6;Tite-Live,XXXyiI, 54.
■ AptamagnitudiQÎ ronans oratio visa e«t. »
(i)Polyb.,XXII, xs^Tite-Uve XXXTin»
10.
IM
LiniIVEllS.
MrieitdesaTaiiMfl IPeMée^roifte Ma?
eédoine, mtoosavar àê Philippe Ili. Lt
8éoat lança contre eu un déevet sévèra,
fui leof enjoignait de traiter lea Lydeoa
en alliéa et non pas en sujets (1). Ceui-d,
enhardis par cette proteetion, eu se ma-*
niiBstait l'intention d*huniilier les Rho«
dienSf prirent les armes pour seeouer le
joug. Polybe avait raconté cette guerre
dans les parties perdues de son histoire.
Ttte-Live se contente d'y fiiirs allusion,
et de dire que les Lyeiens, aeeahlés par
Rhodes, eurent de nouveau recours à
l^nterrentien protectnee du sénat (3)
(lldav. J.-C.).
Lea Rhodiens commençaient donc à
Revenir suspects au moment où éclata la
guerre contre Persée (172). Eumène
avait été seul à provoquer cette guerre,
que les députés rhodiens eieayèrent vai-
aernenl de détourner, parce qu'ils com-
mencent à comprendre que Rome était
devenue plus redoutable que ne l'avait
jamais été la Maoédohic (S). Cette atti-
tude nouvelle prise par les Rhodiens ,
«nii autrefois avaient montré tant d'ar-
oeur contre Philippe et Antiochus, ins-
phpa quelque Inquiétude au sénat, et
donna des espérances à Persée. De part
et d'aqtre on envoya des députés, le
sénat pour maintenur Rhodes dans son
alliance, Persée pour l'entratuer dans
la sienne. Quoique renthouslasme qu'a-
valent inspiré autrefois les Romains fût
bien refixndi, cependant les magistrats
rhodiens hésitaient à se jeter £ins un
nouveau parti, et le prytaneHégésiloque
montra aux légats une flotte de quarante
vaisseaux prête h combattre pour le ser-
vice de Rome. D*un autre cdté, on reçut
les ambassadeurs de Persée avec dis-
tinction; mais on fit répondre à oc
prince qiie dorénavant il s'absttnt de
rien demander qui exposât |es Rho-
diens à paraître contraires aux désirs de
Rome (4).
C'était ce qu'il y avait de mieux à
f^ire, et les prytanes travaillèrent de tout
leur pouvoir à maintenir la république
(i)Tite-Livc, XLI, 6; Polyb., XXVI, 7 et
Miiv.
• (a) Tit€-Live, XLT, a5.
(3) Tile-Live, XLH, 14, a6.
(4) Poly b. , XXVII, 3, 4; Tite-Iive, ILII,
45, 46.
dans oetle voie ; mais dans tout Étrt libn
il se trouve toujours des hommec am«
hitieux, qui ne sont pas aux affaires, ^
veulent y parvenir, et qui poussent le
Suple ou côté où il leur ptalt de le
ire aller. Dinon et Polyarate se mirent
k la tête du parti hostile aux Romains.
IjC cfael de la flotte ronaaine, ftpurtui
liUcrétius, avait ésritauiRhodiens pour
leur demander des vaisaeaux (171).
Dinon et Polyarate essayèrent de faire
refuser le eontingent; liiais le pryians
Stratoelès réussit à obtenir dans raaseoh
Uée du peuple la sanction du déevel qui
ordonnait renvoi des vaisseaux. « Ûu
reste, dit Polybe, ces deux haoïmei
n'étaient si lélés pour Persée «e parée
que Polyarate, homme vain et mstucox,
avait engagé tous ses biens , et quf Di-
non, avare sans pudeur, avait tonjoun
lait métier de s'enrichir dies largassoa des
sois et des puissants (1). » A la fia dt
cette campagne, Persée envoya Antéaor
à Rhodes pour traiter du rachat des
prisonniers. Les magistrats ne voulaient
aucune relation avec ce prince; Diaoa
et Polyarate étaient de l'avis contraire :
ils l'emportèrent, et l'on convint do la
mnqon des captifîi.
Cétait un échec grave pour le parti
romain. Cette décision indiquait la ten-
dance des Rhodiens à se rapprocher d#
la Macédoine. Cependant le sénat nt
s'en plaignit pas , renouvela l'ailianoe et
Sermit aux Rhodiens d'exporter des blés
e Sicile (2). Dans ce temps-la parut un
décret du sénat qui prescrivait aux alliés
grecs de ne plus ooéir désormais aux
ordres des généraux, mais seulement aux
sénatus-consultes. Cette mesure excita
une grande joie en Grèce , où l'on souf-
frait déjè neaucoop des exactions des
consuls et des préteurs romaina ; les
Rhodiens y applaudirent , et le parti ro-
main s'en trouva fortifié. Profitant de
ces bonnes dispositions , les magistrats
firent envoyer une députation à Marcius
Philippus et à Cafus Figulus, qui corn-
mandaient cette année-là l'armée et la
flotte envoyées contre Persée (160). Ldcs
deux généraux reçurent les députes
avec les plus grandes démonstrations
d'amitié. Le consul, prenant à paît
^ (i)Polyb., XXVII,7.
{7) Id., XKVIII, a.
ILE DE RHODES.
wr.
Apâptiit, ékêt de l'ambatMMlo, ko di|
qvll t'étaonait que Rhode» R^estavât.
pai d'enpéeher la guerre qui venait aé« .
dattr entif Ptolémée et Antioebus, aa
siyet de la Galé-8]rvie« et que ee y^le
lui eenfenait parfuteroent* Pourquoi
«tte iosinuatioD? ae demande Polybe.
Atait-aa |Nur eraiute d'Àntioehus, avee le*
qud en Youlait éviter toute oouteatatîon
tiat qu'eç aurait eucore Peasée aur les
bras, ou pour entrataer leaRhodieDt
à quelque foute dont cm profiterait eoo-
irt iaur liberté ? U n'eat paa faetle de le
iiéuiler, ajeute-t-il ; mais je eroia la ae*
titane aoppoaition piua vraie, et ee qui ae
pina peu aprèa a Rbodea aerable la
oenfinner (1).
£a alfet « envoyant toua lea méwatte-
laiBli dont 09 uaait à leur énrd , Tee
Rbodiena eriuent que lea RemaiBS
anieat peur^ et qoe leure affairée al^
liient iiial..£neauia9é8 fiar la résiatanee
ioMpérée de Peraée, qui depula quatre
aai toutenait la guerre aana oea^vantaM»
mtéi par I^non et Polyarate* dont m
(liieouri étatenl aana eeaae dirigea eon-^
tn lei Romains , aprèa avoir intervenu
(iani la querelle dea roîa d*£gypte et de
Syrie, ils a'aveuglèrent au point de a'é-
ngeren arbitrée entre lea Romalna et
fenée. Lea partisane de Rome ne pu«
reat arrêter ce mouvement Lea amia de
l^ttiée eurent le deaaua , ils reeurent lee
onbanadeurs de ee prinee et ae son al-
lié Gentiua, roi d'IUyrie , et firent déoi*
der dans rassemblée du peuple qu'on
«égoeierait on aeoommodement entre
1m deui puissaneea, et qu'on prendrait
du meaurea pour garantir 1 indépen-
dance dea villes greequea (3). Une am«
wade partit à Tinstant pour Rome, afin
(Tinforiner le sénat des nouvelles dlspo-
sitioos du peuple rhodien. D'autres dé-
pQtéi lurent envoyée à Peraée et à Gen*
jus, avee dea instruetionsayant peur but
M létabliaaement de la paix. On aavait à
Heaie Tobjet de rambaaaade ^bodlenne ;
^ lui fit attendre l'audienoe du aénat, et
jUt ae iiit reçue qu'après la dé&ite d»
^•iséaà Pydna. Lea députés, dont le ebef
w A^éaipolia, dirent qu'ils étaient ve*^
DOS afin de terminer la guerre; que
(0 P*lyb.t XKTin, 14.
W Poljfb., XXIX, 4; Tito-Llve, XUV,
t4,a9;XLV, 3.
les Rbedtena avaient réaehi dlnterveQir«
parce que eette lutte, qui traînait eu lon-
gueur, était également fuaeatu pour toua
lee Oreœ et peur lea Romaine, par les dé-
penses qu'elle oeeaaioonait, et que la
guerre étant terminée comme lea Rbo-
diena le déeiraient, ila n'avaient qu^à té*
moigner eombien ila ae rejouîasaient ^vec
Rome de cet beureui auoeèa (1). Mais le
qénat ne selaissa pas prendreà eea demie-
rea paroles ; il répondit aux députés que
Rbodea n'avait en vu^ dana sa conduite
ni l'intérêt de la Grèce , ni ee}ui dea
Romains^ maie bien celui de Persée,
et an congédia aéebement l'ambassade.
Modes était tombée dans une disgidee
oemplète et bien méritée. On ne vqulut
pas recevoir au aénat la députation en-
voyée pour félieiter le peuple romain
de aa victoire sur le Maoédomei eu lui
refusa lea présenta d'usage et le logement
dana la Orécostase, en un mot toua lea
devoirs de l'hospitalité. Le préteur Jm<*
ventiua Thalna exeiteit le peuple à dé-
clarer la guerre à Rbodea , et il espérait
en être chargé. Maia les tribune Ante-
nius et Pomponlua firent repousser cette
pvopoeition, et obtinrent que lee Rbo-
diens seraient reçue dana le sénat.
Quand il eut obtenu la permission do
parler, Astymède , chef de l'ambasaade ,
prononça une longue apologie de la con-
duite de ea patrie, que Polvbe trouve ma-
ladroitement composée , bixprre et cbo-
queute; car eette oéf(Mise, dit«il, se corn*
posait bien moins d'arguments en faveur
des Rliodieos que d'accusations contre
autrui (S). Maia le diaeours d'Astyroède
ne se trouve pas dans Polybe. On voit
(1) Polyb., XXIX, 9« Tita-Live raconta
une première réception de eette ambuMule ,
L Xil¥, 14, avant U défaite de Peraée; maia
an livre XLV» oh. m, il pvrait reveoir au.
aentiment dé Polybe, qui rejette raudience
après la bataille de Pydna. Le langage quUl
préteam députés Rhédiens est bursde vrai-
lenibhmee. Lear démaiehe était déjà bien
asses compromettanie-par elle-même sans
qu'ils y joignissent encore rinsolcnce do lan-
gage. Tite*Live aura puisé ee récit k de mau-
valses sources. Le témoignage de Polybe est
de beaucoup le meilleur pour tous ces temps,
et ordinairement Tite-LiVe ne fiit qoe le re*
produire.
(e) Tite-Ihe, XLT, ai^ee; Myb.;
13S
LIDniVERS.
dans celui aaeTite-Livelai attribue qu'il
essayait d'établir que Rome n*avait au-
cun acte hostile à reprocber aux Rho*
diens , que si le langage de l'ambassa-
deur chargé de proposer au sénat leur
médiation a été assez hautain pour dé-
plaire , il serait trop rigoureux de le pu-
nir par la ruine entière de la république;
que les fautes de Dinon et de Polyarate
ne sont pas celles de la cité tout entière ;
aue les Rhodiens sont d'anciens alliés ,
ont les services peuvent racheter une
erreur passagère , et que si Rome veut
leur ûure la guerre, ils sont bien ré-
solus à ne pas se défendre et à se rési-
gner (1).
Cependant rien n'apaisait le courroux
du sénat; maisCaton le censeur prit la
parole en faveur des Rhodiens. « On ac-
cuse, dit-il, les Rhodiens de se montrer
trop orgueilleux. C'est un défaut sans
doute, et|eserais fâché d'entendre faire ce
reproche a moi ouaux miens. Mais que les
Rhodiens soient orgueilleux,que vousim-
porte? seriez- vous blessés de voir qu'il
y a au monde un peuple plus orgueilleux
que vous (2)? » Caton était un homme
d'une grande éloquence et d'une grande
autorité , sou discours modifia les dis-
positions du sénat : on se contenta d'a-
baisser les Rhodiens, on ne les détruisit
pas. Quand ils surent qu'on ne les trai-
terait pas en ennemis, les Rhodiens res-
sentirent la joie la plus vive ; ils votèrent
l'envoi d'une couronne de dix mille piè-
ces d'or, qu'ils firent porter à Rome par
Théétète, à la fois amiral et ambassa-
deur. Théétète était chargé de conclure
avec les Romains un traité d'alliance.
Des liens d'amitié, dit Tite-Live, avaient
existé depuis longtemps entre les deux
lépubliques, sans stipulation d'aucun
genre , et Rhodes n'avait eu pour s'abs-
tenir de tout engagement d'autre motif
(i) On ne voit pas ce qu'il y a de si bi-
carré et de si choquant dans ce discours. U
est évident que ce n'est pas l'original dont
Poljbe fait une si amère critique.
(a) Ce discours de Caton se trouvait en en-
tier dans le cinquième Hvre de ses Origine*»
Aulu-Gelle nous en a conservé de beaux Crag»
ments dans un chapitre où il réfute fort sen-
sément la critioue de ce discours par Tullius
Tiron, affranchi de Cieèron. Aid^eU.| Noçi.
AH^ vn, S.
que de ne pas dter aux rois respéranee
d'être secourus par elle au besoin , et
de ne pas se priver ellennéme des fruits
de leur générosité , et d'une pari à leur
fortune. En ce moment les Rhodiens se&>
taient le besoin de rechercher formelle-
ment l'alliance des Romains non pour se
créer un appui vis-à-vis des autres, car
ils ne craignaient plus que les Romains,
mais pour devenir moms suspects aux
Romains eux-mêmes (1).
Le sénat ne se hâta pas de rassurer
les Rhodiens par la concession d'une
alliance définitive. Il valait mieux pro-
longer cet état u^inoertitude ei d'angois-
ses, pendant lequel Rhodes, toujours
tenue dans la crainte; du plus grand châ-
timent, était insensible aux coups dont
on la frappait. A toutes 1^ ambassades,
à toutes les supplications aes Rhodiens,
le sénat réponuait par des ^ts de spo-
liation. Non-seulement on leùjrenle va la
Lycie et la Carie , que Rome leur avait
données, mais encore Caune et Stra-
tonicée, qu'ils avaient acquises d'eux-
mêmes. On frappa leur revenu dans ses
principales sources ; on leur ôta la per-
ception du péage du marché de Délos;
leurs douanes, qui rapportaient un mil-
lion de drachmes, tombèrent à cent cin-
quante mille. Enfin , quand on sut que
les Rhodiens avaient obéi à tous les or-
dres du sénat , qu'ils avaient condamné
à mort les partisans de la Macédoine ,
on leur accorda le traité d'alliance tant
désiré(3)(167av.J. O-
Telle fut l'issue de ce fâcheux déniélé
des Rhodiens avec Rome, la perte de
leurs plus belles possessions sur le con-
tinent, l'humiliation de leur cité , et un
commencement de sujétion. On pour-
rait être tenté de plaindre les Rhodiens,
mais il ne faut pas les croire dîmes
d'un meilleur sort. Il n'y avait rien dans
ce mouvement contre Rome qui ressem-
blât à ces grandes et généreuses tenta-
tives d'un peuple qui voit la servitude
s'avancer vers lui à grands pas et qui se
dévoue pour la repousser. Ce ne fiit
qu'une ridicule intri^e, tramée par des
misérables, qui n'agissaient que par -^
(x) Tile-Iive, XLV, a5, a empniolé ces
rcfiexions à Polvbe, 1. XXX, 5. qu'il ne lait
ici que Uvdoire.
(9) Pol^b., XXXI, 6,
ILE DE RHODES.
129
nité et pour desordides intérêts. Cestœ
oue Poiybe fait parfaitement compren*
ire daDs une a|)préeiation calme et éle-
vée de la conduite et des sentiments de
tous les chefs grecs qui se comnromi-
reat vis-à-vis des Romains penaant la
guerre contre Persée. Dans ce beau
fragment de son Histoire^ il montre Di-
non et Polyarate , qu*un certain pres-
tige de courage et d'audace avait en-
tourés jusque là , s'abaisser pour sauver
leur vie à toutes sortes de subterfuges
et de bassesses, et se dépouiller aux yeux
de la postérité de tout droit à la pitié
et au pardon. Qu*on ne dise pas que
Poiybe, ami de Scipion l'Africain,
comblé de faveur à Rome , ait voulu
poursuivre jusqu'à la mémoire de deux
nommes qui avaient encouru la colère
du peuple romain, puisqu'il rend un
si bel nommage à la noble résolution
des chefs épirotes, qui dans une situation
semblable surent mourir résolument
les armes à la main. Poiybe est l'ami des
Romains , il n'en est jamais le courti-
san. « Si j'ai insisté si longtemps sur Po*
ijarate et Dinon , dit-il en terminant, ce
n'est pas certes qne j'ai prétendu insul-
ter à leur malheur; rien ne serait plus
iueoDvenant. Mais j'ai voulu mettre en
évidence leurs erreurs , afin de préparer
ceux qui se trouveraient dans descircons^
tances pareilles à se conduire avec plus
de prudence et de sagesse (1). > Dans
toat ce morceau , Poiybe n'a tort qu'en
na seul point, c'est quand il reproche
au deux malheureux dont il juge les
actions de n'avoir pas su échapper à
Tinfamie par une mort volontaire. Sans
doute ce n'est pas toujours par courage
qu'on recule devant le suicide ; mais il
importe de ne pas laisser croire aux
hommes, et Poiybe aurait dû le savoir,
que c'est un acte de vertu que d'y avoir
recours (2).
Etat de Rhodes apbès la sou-
MTssiOR DE LA MACÉDOinB. — Sor-
ti» eoGn de cette rude épreuve, les
Hhodiens comprirent qu'il fallait se re-
lier à voir la souveraineté du monde
(0Polyb.,XXX,6,9.
(i) En géDéral, les historiens anciens re-
Sinleiit le suicide comme une action légitime,
et ils ne le blâment jamais. Fox- I>iod. Sicul.
l-iiXVII, «7 ; Cic, Sp» ad Fmi,, YU, 3.
9* Ucraitom, ( Ile de Rhodes.)
passer entre les mains de Rome; ils
consentirent à vivre paisibles à l'ombre
de la protection romaine, en restant
fidèles a l'alliance oui leur avait été im-
posée, heureux de conserver encore
quelque liberté d'action dans la sphère
de leurs intérêts commerciaux et jusqu'à
un certain point dans leurs relations
politiques. Grâce à la sagesse de ses
magistrats , Rhodes se remit peu à peu
de ses malheurs, et regagna la faveur du
peuple romain, à qui elle fit élever un
colosse de trente coudées dans le tem-
ple de Minerve. Elle obtint du sénat la
concession de Calyoda, et pour ceux
qui avaient des propriétés en Lyoie et
en Carie l'autorisation de les conserver
aux mêmes conditions qu'autrefois. Les
Rhodiens se réconcilièrent avec Eu-
mène, qui avait, comme eux, obtenu dif-
ficilement son pardon, et ils en reçurent
un présent de quatre-vingt mille médim-
nes de blé (1). Quelque temps après une
guerre acharnée éclata entre les Cretois
et les Rhodiens. Ceux - ci demandèrent
du secours à la ligue achéenne. Les Cre-
tois en firent autant ; l'assemblée pen-
chait pour les Rhodiens, mais Calli-
crate, le chef du parti romain en
^chaîe , s'écria qu'on ne devait ni faire
la guerre ni envoyer du secours à qui
que ce fût sans l'agrément des Ro-
mains (3). Cette guerre était ruineuse
pour Rhodes, qui en confia la conduite à
des chefs malhabiles. Il fallut , bon gré
mal gré , recourir aux Romains pour en
être débarrassé. Astvmède fut envoyé
à Rome, exposa au sénat la situation des
affaires. Le sénat prêta à ses discours
une sérieuse attention, et aussitôt un
légat partit pour mettre un terme aux
hostilités (S) (154 av. J.-C).
Les Rhodiens bésistent a- Mi-
THBiDATE. — Au tcmps dc Mithridato
les Grecs d*Asie et d'Europe firent une
dernière tentative ^our secouer le joug
(i)Polyb.,XXXI, 17.
(a)Id., XXXm, x5.
(3) Id., XXXin, z4, ne désigne ce lé-
gpt que par son prénom de Quinius. Celte
guerre de Crète est le dernier des renseigne-
ments fournb par ce précieux auteur sur 1 his-
toire de rite de Rhodes, Cf. Diod. Sicnl.,
XXXI, 38, 43. y'ojrez sur cette guerre Tar-
tîcle de la Crète dans ce volume.
9
130
L'UNIVERS-
des Romains. Les Rbodiens ne cédèrent
pas à Tentraînement général, et se con-
duisirent en alliés fidèles et dévoués. Ils
donnèrent asile à un grand nombre de
Romains échappés au massacre ordonné
par le roi de Pont, et entre autres à Lu*
cius Cassius, proconsul d^Asie (88). Mi-
thridate résolut de réduire les Rbodiens,
qui presque seuls lui résistaient. li réu*
nit une flotte considérable, et passa dans
nie de Cos. Les Rbodiens sortirent au*
devant de lui avec courage. Mais Finé-
^lité du nombre était si grande , que
tout ce que put faire Tnabileté des
Kbodiens, ce fut d^empécber la flotte de
Mitbridate de les envelopper. Rentrés
dans leur port, sans grandes pertes , ifs
le fermèrent avec des cbatnes, détrui*
sirent les faubourgs de la Tille, et s'ap-
prêtèrent à soutenir un siège.
Cependant Mitbridate n'avait pas en-
core ses forces de terre. Les troupes na-
vales qu'il débarqua furent battues dans
plusieurs rencontres autour des murs. Le
succès de ces combats enhardit les assié-
gés à tenter une bataille navale. Malgré
leur petit nombre, ils furent vainqueurs.
Quelques jours après Tarmée de terre
arriva ; un vent violent rendit le débar-
3uement dlfûcile, et permit aux Rbodiens
e couler bas plusieurs navires et de faire
quatre cents prisonniers. Mitbridate,
ayant toutes ses forces de terre et de mer,
tenta l'attaque des deux côtés. Des feux
allumés sur le mont Atabyrius donnè-
rent le signal d'un assaut général , pen-
dant la nuit. Les Rbodiens repoussèrent
les assaillants. Une sambuque placée
sur deux navires s'approcha aes murail-
les près du temple d Isis, pour les battre
en brèche. Mais elle s'affaissa sous son
propre poids, et devint la proie des flam-
mes. Mitbridate ne pouvait s'arrêter plus
longtemps à ce siège, qui menaçait ae se
prolonger comme celui de Démetrius ; il
abandonna l'entreprise , et les Rhodiens
eurent la gloire d'avoir rendu service
aux Romains en arrêtant les premiers
ce torrent qui s'était répandu sur toute
l'Asie (1). Bientôt Syila enleva à Mitbri-
date toutes ses conquêtes , et , pendant
qu'il châtiait rigoureusement les cités
qui s'étaient données à lui, il renouvela
(i) Appian.» De Bello Mithridatico, aa-s; ;
Diod. Sicul., XXXVII, a8.
avee les Rhodiena l'aoeîea traité d'al-
liance (1). Les Rhodiens, bien traités par
Sylla, suivirent son parti dans la guerre
civile. Norbanus, l'un des chefs du parti
populaire, s'était réfugié dans leur tle.
Le peuple s'assembla pour délibérer sur
son sort, et Norbanus, s'apercevant
qu'on allait le livrer, se poignarda au
milieu de la place publique (2).
Rhodes pbh dànt ibs guberks ci-
yiLBS DB RoMB. -- Le Signal des guer-
res civiles était donné; Rhodes n^vait
plus à choisir entre Rome et ses enne-
mis, mais entre les partis romains qui se
disputaient Tempire* A l'exemple de tous
les autres insulaires , de toutes les pro-
vinces maritimes de l'Orient, elle fournit
des vaisseaux à Pompée , (49) avant la
bataille de Pharsale. Elle lui en donna
encore pour favoriser sa fuite (8), mais
aucun des fugitife du parti pompéien ne
fut reçu ni dans la vifle ni dans le port;
et quand César poursuivant Pompée
arriva dans leurs murs, les Rhodiens le
traitèrent en maître , et mirent leur flotte
à sa disposition (4). Les vaisseaux rho-
diens, commandés par Euphranor, suivi-
rent César en Egypte, et y combattirent
avec une bravoure et un dévouement
auxquels il est hautement rendu justice
dans le livre de la Guerre d^ Atexandrie,
Après la mort de César (44) les troubles
fecommenoèrent. Le monde romain se
partagea entre ses meurtriers et aes ven-
geurs. Rhodes resta fidèle au dernier
parti , qu'elle avait embrassé; et auand
Doiabella passa dans llle pour aller en
Syrie disputer cette province à Cassius,
les Rhodiens contribnèrent a lui former
une flotte (5), tandis qu'ils refusèrent de
fournir des vaisseaux a Cassius, et qu'ils
repoussèrent toutes les avances qui leur
furent faites par les cbefe du parti répu-
blicain (6). Cassius jura de se venger; et i
(i) Appian., B, àiUhr,^ 6i.
(a) Id.» De Bell, Civil,, 1,91.
(3) Id., iè,i II, 71, 83; Caes., De BeiL
Civ», lUf loa.
(4) Appian., iBiJ,, Sg; Hirt, De Betto
Alex., x3.
(5) Appian., 1. IT, c. So, Si.
(6) Forez la letire an propréleur Leatuloi
sur tous les torts des Rhodiens à Tégard m
son parti , dans fai oorrespondâiice de Gi*^
oéroD, Ad Pàm,, XII, t5.
ILB DE BHQDES.
fit
fond fl «tt wonaàê la S^e, qn'il eut
mis à mort Dolabella dans Laodieée, il
M eoDoerta avee Bratiu , qui se chargea
d'aller châtier les Lydens, tandis qa'il
derait marcher lai-méme eontiie les
Rhodiens.
SiSGB ET PB18B 1>B RHODBS PAB
Cassius (43). — Casshis réunit sa flotte
et son armée dans la ?ille de Myndns ea
Garie, et il exerça ses vaisseaux à la
fflaneeuvre avant de les mener contre les
Hbodiens, qui étaient toujours des ma-
nos redoutables (I). « Il j avoit dans
Rbedes un parti qui voulett au'on se
womtt à Cassius. iTétoit celui nés plus
sensés, qui trop ordinairement est le
plasûible. Le gros de la multitude, ani*
mé par quelques esprits téméraires et
factieux, pvétendoit faire résistance, et
M doutoit point du succès. La gloire dé
leurs ancêtres leur en répondoit : ils se
rappeloient avec eomplaisanoe Démé-
triuset Mitbridate, pnnœs tout autre-
ment puissants que ne Tétoit Cassius,
obligés de ae retirer honteusement de
derant Rhodes. Ils persévérèrent dana
lette résolution, et lorsque Cassius ap-
procha, au lieu de lui promettre satis-
uetion, ils lui firent la proposition in-
SBltante d^attendre les ordres dû sénat
siégeant actuellement à Rome, c'est-à-
dire les ordres des triumvirs.
« On peut juger de quel air Cassius, le
plus fier des hommes, reçut un pareil
discours. U n*y répondit que par des
menaces , dont les Rhodiens ne furent
pts aussi touchés qu'ils defoient Fétre.
Seulement, ils firent une tentative pour
le fléchir, en lui députant Archélaûs ,
leur eoneitoyen, qui avoit été son mattre
dans les lettres grecques. Car Rhodes
étoit une école de toutes les belles con^
aaissances, et Cassius y avait été instruit
pendant sa jeunesse. Archélaûs s^ac*
quitta de sa commission de la manière
la plus tendre et la plus pathétique. Mais
Cassius, content d'avoir fait beaucoup
d'amitié à son ancien mattre, demeura
inexorable sur le fond de la chose. 11 fal-
lut en venir aux mains : et lej Rhodiens
furent assez téméraires pour risquer par
deux fois le combat naval. Dion rapporte
qu'ils poussèrent Tinsolence jusqu'à éta-
ler aux yeux des Romains le» chalaes
(0 Appian., 1, IV, 65-74.
S l'As leur préparoient. Mais cet excès da
lieetd'aveu^lementparoît peu vraisem-
blable. Ce qm est certain, e'est que deux
fois vaincus les Rhodiens s'opiniâtrèrent
encore à soufifrhr l'approche des troupes
romaines , et se laissèrent assiéger par
terre et par mer. Alors néanmoins ceux
qui vouloient la paix prirent le dessus,
et commencèrent à négocier avec Fan*
nius et Lentulus, qm commandoient
l'armée de terre des assiégeants. Mais
pendant qu'ils parlementoient , CassiuSi
qui montoit lui-même sa flotte , et q«i
geuvemoit l'attaque du côté du port ,
parut tout d'un coup au milieu de la
ville avec un nombre de sens d'élite ,
sans avoir tait brèche à la muraille,
sans être monté à Tesealade. Les poter*
nés du cAté de la mer lui avalent été ou«
vertes par quelques-uns des prindpaux
citoyens de Rhodes, uni , frappés de la
crainte de voir leur ville prise d'assaut ,
n'avoient pas cru pouvoir trop se hâter
de prévemr un tel malheur.
« Un mot de Cassius sembloit d'abord
promettre de la modération .* car comme
plusieurs le saluoient des noms de mat-
tre et de roi, il rejeta bien loin ces ti-
tres, en disant que sa plus grande gloire
étoit d'avoir tué celui qui avoit oié se
faire maître et roi dans Rome. Lé reste
de sa conduite ne répondit pas à ce dé-
but. Il fit ériger un tribunal au milieu
de la place , et planta à côté une pique,
comme un signe qu'il prétendoit traiter
Rhodes en ville prise de force. Il con-
damna à mort et fit exécuter en sa pré-
sence cinquante des principaux auteurs
de la rébellion, et prononça contre vingt-
cinq autres, qui s étaient' enfuis ou ca-
chés, la peine du bannissement. Il est
vrai qu'il assura au reste des habitants
la vie et la liberté , ayant fait défendre à
ses troupes sous peine de mort d'exercer
aucune violence contre les personnes. Il
leur interdit de plus le pillage; mais ce
ne fut que pour piller loi-même cette
tille , Tune ues plus opulentes de l'Asie,
car il mit la main sur tous les trésors
et sur toutes les choses de prix qui
appartenoient au public , sans épargner
ni les offrandes consacrées dans les tem-
Ê les, ni les statues mêmes dès dieux.
;t comme les Rhodiens le prioient de
leur laisser au moins quelqu'une de leurs
divmités, il leur répondit qu'il leur iais-
9.
ist
LimiVE&S.
soit le soleil. En efiet, il ne toacha point
BU simalacre ni au char de ce dieu, qui
étoit singulièrement honoré à Rhodes.
Mais il jouoit sans doute sur Fambiguîté
de cette expression, <jui pouvoit signifier
3u'il ne leur laissoit que la jouissance
e la lunnière. £t par un troisième sens ,
que l'antiquité superstitieuse a remar*
que , on jugea lorsqu'il eut été réduit à
se priver de la vie peu de mois après à
Philippes, qu'il avait en parlant ainsi an-
noncé lui-même sa mort prochaine. Cas*
sius publia aussi une ordonnance pour
obliger les particuliers à lui apporter
tout Foret tout l'argent qui étoient dans
leurs maisons , avec menace du dernier
supplice contre les désobéissants et pro-
messe de récompense aux dénoncia-
teurs. Les Rhodiens ne s'effirayèrent pas
beaucoup d'abord, et crurent qu'ils pou-
voient cacher leurs trésors sans courir
un grand risque. Mais lorsqu'ils virent
par quelçpes exemples que l'ordonnance
s'ex&utoit h la rigueur, ils connurent
3u'il &lloit obéir; et Cassius a^ant tiré
e Rhodes parées différentes voies 8,000
talents en imposa encore 600 à la ville
par forme d'amende (1). »
Après le pil^ge de cette opulente cité,
Cassius se retira chargé de butin , lais-
sant dans Rhodes une ^rnison sous le
commandement de Lucius Varus. Cas-
sius de Parme, qui avait aussi trempé dans
le complot contre César, resta en Asie,
Eour surveiller le payement des contri-
utions dont elle avait été frappée. A la
nouvelle de la mort de Cassius, crai-
ffnant un soulèvement des Rhodiens, il
les dépouilla de leur flotte. Il s'empara
des trente meilleurs navires ; il brûla les
autres, excepté la galère sacrée, et rejoi-
gnit l'armée navale qui croisait sur les
côtes de la Macédoine. Brutus envoya
Clodius avec treize vaisseaux pour con-
tenir les insulaires exaspérés de tant de
mauvais traitements (2). Mais quand
Brutus eut péri à la seconde bataille de
Philipi)es, il fut impossible à Clodius de
contenir les Rhodiens, et il partit en em-
menant la garnison, qui était de trois
mille légionnaires. Il rejoignit Cassius
de Parme , Turulius et d'antres chefs
d'escadre du parti vaincu, qui allèrent
(i) Rolliu, Hùt. Rom,, t. XV, I. XLIX.
(a) Appûm., Bell, Civ., Y, a.
presque tout se ranger sons leconHimn-
dément de Sextus, fils du grand Pompée.
Quelque temps après Antoine vint en
Asie pour replacer cette contrée sous
l'autorité du triumvirat. Il loua les Rho-
diens de leur fidélité à sa cause, et pour
réparer les dommages au'iis avaient
éprouvés il leur donna les îles d'Aadros,
de Tenos, de Naxos et la ville de Myndus
en Carie. C'était un riche présent, mais
les Rhodiens n'en eurent pas longtemps
la jouissance ; on révoqua cette oonees-
sion pour le même motif gui leur avait
fait retirer autrefois la Carie etla Lycie ,
c'est-à-dire à cause de la dureté de leur
administration (1). Antoine les avait
aussi exemptés de toute espèce de tribut;
il leur rendit leurs anciens droits, immu-
nités et privilé^, et replaça la cité de
Rhodes sur le pied d'État liore, allié du
peuple romain (3).
ÉTAT DE RhODBS SOUS L'£MPIK£;
BBDUCTION BN PBOYIlfGB BOMAIlf B.-^
Mais la liberté n*était plus qu'un vain
mot pour tout le monde. Sujets ou non,
tous les peuples de l'empireromain obéis-
saient au même despotisme. Qu'on en
juge par quelques détails conservés par
Suétone sur le séjour de Tibère dans 1 fie
de Rhodes (8). Tibère, en revenant d^nne
expédition en Arménie, avait séjourné
quelque temps dans cette tle, qui lui avait
plu singulièrement par la douceur et la sa-
lubrité de son climat. Lorsque, entraîné
par les caprices et les jalousies de son
ambition, il s'éloigna de Rome et <r Au-
guste, ce fut rtle de Rhodes qu'il choisit
pour le lieu de sa retraite. Il habita dans
la ville une maison fort modeste, et dans
la campagne une villa qui ne Tétait pas
moins. Il vivait comme un simple ci-
toyen, visitant parfois les gymnasea sans
licteur et sans viateur, entretenant avee
les Grecs des relations de politesse, pres-
que sur le ton de l'égalité. Mais s'il
voulait quelque chose, il était obéi à
l'instant avec tout l'empressement de la
servilité. On crut un jour, par une sin-
gulière méprise, qu'il voulait voir tous
les malades de la ville. A l'instant on
s'empressa de satisfaire cette fantaisie,
qu'on lui supposait, et on transporta
(r) Appian., V, 7.
(a) Scn., De Benef.^ V.
(3) Suet., Tlber,, XI.
ILE DE BHODES.
iS8
tous ks matedet dtfos iid6 galerie pu-
bliaue, où on Jes rangea par ordre de
maladie. Tibère fot dans un grand éton-
nement quand on lui offrit ce spectacle
ioatteoda; il ne sut d*abord ce qu'il de*
Tait faire, puis, s'approchant du lit de
chacun d'eux, il leur fit à tous des excu-
ses de cette naéprise , même aux plus
ëiuTres et aux pins ignorés. L'aventure
it honneur à Tibère; mais elle donne
une triste idée de ce qu'étalent devenues
rindépendance et la dignité du caractère
rbodien. Quant à la liberté civile, elle
s'efifaçait aussi d^elle-méme devant la vo-
lonté du redoutable réfugié qu'Auguste
avait associé à la puissance tribunitienne.
Tibère était fort assidu aux écoles et aux
le^ns des professeurs : un jour qu'il
l'était élevé une vive altercation entre des
sophistes opposés; l'un d'eux, croyant
qu'il favorisait son adversaire, s'échappa
coDtre lui en propos injurieux. Tibère
retourna à sa demeure sans rien dire,
reparut tout à coup avec ses appariteurs,
fit citer à son tribunal l'insolent qui Ta-
rait outragé , et le fit traîner en prison.
Rhodes conservait encore, dans cette
situation dépendante, une grande pros-
périté commerciale. Sa position en fai-
sait toujours une ville très-fréquentée
par les négociants. De plus, tous ceux
qui allaient au delà des mers de Grèce
preodre possession d'un commandement
militaire ou d'une magistrature s'arrê-
taient presque toujours a Rhodes, qu'en-
richissaient les visites de tous ces grands
personnages (1). Cette ville continuait
donc à être opulente, recherchée pour
les agréments de son séîour et la célé-
brité de ses écoles. La liberté munici-
pale, qu'elle avait conservée, si res-
treinte qu'elle fût , y entretenait encore
un reste d'activité et de mouvement in-
tellectuel. Mais sous le règne de Claude
elle fut pour la première fois réduite à
la condition de sujette. Les Rhodiens
avaient osé mettre en croix des citoyens
romains; ils furent privés de leur li-
berté (2) (44 ap. J.-C. ). Quelque temps
après, Néron, qui venait d être adopté et
dépouser Octavie, intercéda en faveur
de Rhodes, et la fit rétablir en sa première
(i) Tacil., Ânn., II, 55; Hisi.^ Il, «j
Siiét, Tiber,, XJI.
(a) Dio. Cass., I. LX.
indépendance (1), Tan 14. Enfin, Yespa*
sien la pla^ définitivement sous l'admi-
nistration impériale, et forma delà réu-
nion de cette île avec Samos et toutea
les autres de ces parages une province
connue sous le nom de province des
fies (2), dont Rhodes fut la capitale. Cette
province fit toujours partie de l'empire
d'Orient. Plus tard, quand cet empire
subit une nouvelle division administrar
tive, et que les thèmes furent substitués
aux provinces, Rhodes fit partie du
thème de Cibyrrha.
Cependant le christianisme s'y était in-
troduit de bonne heure. Les autels des
dieux du paganisme avaientété renversés;
la vieille statue telchinienne de la Minerve
de Lindos avait été transportée à Cons-
tantinople et placée comme un simple or^
Dément à la porte de la Curie, et Kbodes
était devenue une métropole du patriar*-
chat de Constantinople. L'évéque métro*
politain de la ville de Rhodes avait pour
suffragants tous les évéques des Cyclades,
qui étaient au nombre de dix -huit. Lee
Églises qui relevaient du siège de Rho-
des étaient, selon le P. Lequien (3), celles
de Samos, de Chio, de Delos, de r^axos*
de Paros, de Théra, de Ténos, d'An*
dros, de Mélos, de Léros, de Carpa-
thos, de Ténédos, de Sipbnos, dlm^i
bros, de Lemnos, de Mitvlène et de Mé-
thymne. Le premier éveque connu de
Kbodes est Eu phranon, qui condamna
une secte de gnostiques qui s'était répan-
due dans son île. 11 est antérieur au con-
cile deNicée, où l'on voit figurer, comme
évéque de Rhodes, Hellanicus. Au reste,
à cette époque et pendant plusieurs siè-
cles, l'histoire ecclésiastique et profane
perd complètement de vue l'île de Rho«
des, qui vit obscure, mais tranquille, à
l'ombre de la paix que les Roniains ont
donnée au monde en échange de la li-
berté qu'ils lui ont ravie.
(i) Tacit., jéniLt XII, 58.
(a) Meursiiu, Rhod., 1. II, c. xvi ; Stiet.,
J^esp., 8 ; Sext. Kuf. Breviar,
(3) Le P. Lequien, Orient c/iris/Umia,
t. 1, p. 934.
ÎU
LIJSFnSRS.
111.
AYAT BBLI61B0Z, POLITIQUE, SOCIAL
XT IVTBLLBCTUXL PB L*tLB BB
BH0DB8 PENDANT L* ANTIQUITE.
KELIOION; DIYIBITBS; CULTB. ->-
L'tie de Rhodes, oomme celle de Cby*
prSf comme la Crète et tant, d'autres
points de rArohipel, avait été le rendent-
vous des différents peuples qui, dans
Tantiquité, s'étaient adonnés au com-
meree et k la navigation. A l'origine des
temps, tout nous atteste rexistencedans
rtis de Rhodes d'une population d'ori*
cine orientale, et la prépondérance de
fa nation phénicienne, à laquelle succède
peu à peu l'influence de la race belle»
nique, qui s'établit dans cette tie d'une
manière plus complète et plus exclusive
qu'en Chypre , et qui en lit disparaître
tous les vestiges de l'occupation asiati-
que. Cependant la religion , qui conserve
mieux que tout le reste les traces des
influences primitives et des antiques
traditions, resta chez les Rhodiens em«
preinte d'un caractère particulier ana-
logue, à certains égards, à celui des
ouïtes orientaux, et dont la persistance
prouve que l'état de choses antérieur
aux Hellènes dans cette contrée n'a pas
été entièrement aboli par eux. C'est
donc avec raison qu'on a pu dire que
« à Rhodes, comme en Cilicie et en Cy*
pre, les cultes grecs ne furent oue dès
rejetons entés sur une tige plus an«
denne, et çue tout annonce avoir été sé-
mitique, à commencer par le culte du
soleil, oui avait là son char, comme à
Biérapolis, son autel et sa statue colos-
sale, dans le goût babylonien. Saturne
y réclamait, comme en Phénide et à
Cartbage, des victimes humaines ; et le
mont Atabyrien ou Tabyrien était un
autre Thabor, avec un temple de Jupiter
du même nom, auquel des taureaux
d'airain étaient consacrés. Des Phéni-
dens paraissent , en outre, avoir apporté
à Lindos le cuite de la Minerve ^yp-
tienne, reconnue pour telle par le Pha-
raon Amasis. Cest à ce peuple encore
qu'il faut rapporter, selon toute appa-
rence, et les Telchines et les Héliades,
au nombre de sept , qui jouent un si
ri rMe dansTliisiotre 4e le eififisa-
denie(l).9
Les habitants de Rhodes adoraient
trois divinités principales, le soleil. Mi-
nerve et Hercule. Toutes oes divinités
étaient d'origine orientale, et remon-
taient au temps des Telchines et des Hé-
liades, femiiles mythiques qu'il est bien
diffidle de distinguer rune de l'autre, et
qui désignent la première population
venue de PAsie Mineure ou de la Phé-
nide dans l'tle de Rhodes. Or , quelle
que soit l'époque où l'on prenne l'his-
toire d'un peuple , on voit toujours que
la religion y occupe une grande place.
Cette importance ne la reliffion apparaît
comme u'autant plus considérable qu'on
se rapproche plus de l'origine des nations,
et il est même à remarquer que les socié-
tés se constitueAt toujours sous Tempire
des idées religieuses, et qu'elles se désor-
ganisent sous l'influence des Idées con-
traires. A Rhodes, comme partout ail-
leurs, dèi qu'il y a des hommes on voit
s'élever un sanctuaire. Lindos , la plus
considérable des trois cités primitives,
eut les temples les plus renommés. Od
y adorait surtout Athéné ou Minerve.
Cette déesse y avait une idole appelée
rAthénéTelchinlenne. Cette statne de le
Minerve de Lindos est citée parmi les
plus andens monuments de l'art, si l'on
peut donner ce nom à un objet de forme
grossière, ressemblant, selon quelques-
uns, à une colonne ou à une pierre corn-
2ue (3). C'était au fond le même gni-
ole que TAphrodite de Cypre. Les filles
de Danaûs poursuivies par les fils d'E-
gyptus , comme des colombes par des
éperviers, dit Eschyle, ayant abordé as
port de Lindos élevèrent un temple en
l'honneur d' Athéné : Cadmus consacra
à cette dé«»e une chaudière d'airain.
Plus tard Amasis, roi d'apte, envoya
h la Minerve de Lindos deux statues de
pierre, et une cuirasse de lin d'un admi-
rable travail, dont les fils étaient compo-
(i) MM. GreoieretGuigmaut, A^ioiu de
V Antiquité^ t. n, S« part., p. 83!i. Ce fMSsafe
exprime roplnion éinise et développée par
M. Movers dans le premier volume de son
savant ouvrage sur les l^ènidens : Die Pkê-
nhùer^ Bonn., z84x.
(a) Religion de CAntiq.^ t. H, n* part.,
p. 739.
r
ILE DE RHODES.
m
ses it trois eent soixante-cinq brins (1).
Cm hommages rendus par les Orientaox
à la déesse oe Lindos attestent assez son
origine et son caractère asiatiques. Mais
elle n*échappa pas plus que 1* Aphrodite
de Cypre à cette transformation que la
mjtholo^e pecque fit subir à toutei
les divinités importées de l'Asie, et après
aroir été, dans l'origine, une déification
de quelque grande force de la nature,
elle devint, comme la Minerve d'Athènes,
la déesse de rintelligenee , la chaste et
sage divinité sortie du cerveau de Ju*
piter.
n y avait aussi à Lindos une statue
d'Apollon Telcbînien : le dieu et son
culte avaient la même ori^e qu'A-
théoé. Tous les pays de l'Asie Mineure
voisins de l'tie de khodes avaient pour
divinité principale le soleil. C'est de la
Lycie que vint en Grèce Olen, le plus
aoden prêtre qui ait rendu un culte à
Apollon, et c'est à cause du pays d'où
les Grecs le reçurent qu'ils donnèrent à
ce dieu Tépithete de Lycien. Bans son
passage d'Asie en Grèce, Apollon se fit
adorer dans les anciennes tuIcs de Rho-
des, et il devint la divinité protectrice
de la nouvelle dté, où se concentra
plus tard la population rhodienne. Néan-
moins le sanctuaire de Minerve, dans
la eitadelle de Lindos, resta toujours en
grande vénération , et Ton continua à y
offrir à la déesse des sacrifices sans
feu (2). Le culte d'Hercule , & Lindos,
présentait aussi des particularités singu-
lières, au sujet desquelles on racontait la
légende suivante^ que Lactance nous a
conservée. « A Lindos, dit-il, il y a dea
sacrifices en l'honneur d'Hercule, qtd
sont bien différents de tous les autres
sacrifices usités partout, car au lien de
ces bonnes paroles , e5f7]{ji(a comme di-
sent les Grecs , qui accompagnent les
prières, on n'y entend que des injures
Pt deç imprécations. On regarde le sa-
crifice comme manqué si pendant sa oé*
lébration il échappe à quel(|u'un un
root favorable. En voici la raison, con-
tinue Lactance, si toutefois Ton peut
appeler raison de pareilles puéribték
(0 Diod. Sicul., Y, 58 ; Hérod. , n , zSa ;
Mine, But, Nat.^ XIX, a, 3 ; Mcur»., Rhod^
p. x4.
(a) Pind., Olymp,, Vit
Hercule étant arrivé dans ce pays, et
ayant faim, demanda à un laboureur qui
travaillait qu'il voulût bien lui vendre
un de ses deux bœufs. Celui-ci refusa,
car, disait-il, toute respéranca de sa ré-
colte reposait sur le travail de ses deux
bcBufiB. Hercule, voyant qu'on lui re-
fusait l'un de ses boeuCs , eut recours à
la force, et les prit l'un et l'autre, et il lea
immola au milieu des injures dont Taiv
câblait le malheureux laboureur. Her-
cule s'en amusa fort, et mangea les deux
boBufe avec ses compagnons, en riant
beaucoup dea imprécations qu'on lui
lançait. Plus tard Hercule ayant ob*
tenu des honneurs divins, à cause de sa
vertu, les habitants de Lindos lui éû-
vèrent un autel , qu'il appela lui-méma
^(uyav, le joug des bœu£s , sur lequel
ils immolèrent un couple de bœufs ea
souvenir de ceux qu'il avait enlevés a^
laboureur. Hercule voulut que ce !«*■
boureur devint son prêtre, et il ordonna
çiu'on oélâirerait ses sacrifices avec dea
imprécations, oommeceiles qui l'avaient
tant diverti pendant son repas (!)• »
De là le proverbe récité chez les Grecs*
A<v$tot T^v Ouokv, offrandes Undlenoes,
pour désigner tout présent fait dana nna
intention perfide et dissimulée.
A Gamiros l'institution des fêtes reli-
gieuses remonte aussi au temps dea Tel*
chines. Hénrehius signale lea aacrifiaai
des MylantMns, descendants de Mylas,
l'un des héros decette race. LesRhodiens
avaient aussi établi des cérémonies reli-
gieuses en l'honneur de Phorbas, fils de
Triopastdontlavaleuravaitdélivréieurlle
d'un affreux serpent qui la dévastait. Tlé^
polème était encore un des héros vénérés
parmi eux. Au reste les Rhodiens cél^*
braient des fêtes nombreuses en l'honneur
étE dieux etdes héros, et ces fêtes étaient
(i) Liet., in$t, Div„ I, ai. Photiiu répète
h même l^nde, Narrât. ^ XI, Cf. Meurt,,
Mhod, , p. 19. JTcivite de m'ensag^ daot tous Un
développetne&ti que comporte le sujet, ce ré-
sumé historique etaot déjà bien chargé, et je
me contente de renvoyer à un ouvrage spe*
cial de HefTter, intitulé: Z)<V Gotterdiemte at^
Rkodus im AUerthume. Zerbst^ 1827-1833.
Ce livre sur la religion des anciens Rhodiens
est divisé en trois parties : la première est
consacrée au culte d'Hercule à Lindos, la se-
conde i la Minerve de cette ville, et la troi-
sième aux autres divinités de i'tle.
iSd
LTNIVERS.
décrites par deux aoeiens auteurs, Geor-
gus et Tneognis , dont Athénée noos fait
eonnattre Texistence. Outre les temples
des anciennes cités, qui subsistèrent
même après la réunion des Rhodiens
dans une seule ville, outre le sanctuaire
de Jupiter Atabyrien, et celui d'Apollon
Ixien, près du port d'Ixus, la ville de
Rhodes vit s'élever un pand nombre
d'^ifices religieux en rbonneur des
principales divinités de TOlympe Grec,
Jupiter, Junon, Minerve, Apollon,
Diane, Gérés, Neptune, Mercure, sans
compter les chapelles ou édicuies con«
sacres aux demi-dieux ob héros , et les
temples d'isis et de Sérapis, qui s'y
introduisirent à la faveur des relations
politiques et commerciales des Rhodiens
avec les Lagides. Mais à cette époque,
la religion rhodienne avait perdu sa pn}r-
aionomie primitive et orientale ; elle était
devenue tout hellénique, comme la po-
pulation même, et c'est le caractère
qu'elle ^arda jusqu'au moment où à
une époque incertaine , et par des mis-
tionnaires inconnus , Rhoaes fût con-
¥ertie au christianisme.
Gouvehrevent; Màgistbatttbb.
— Au temps de la guerre de Troie l'Ile
de Rhodes, comme tous les autres États
grecs, était gouvernée par des rois. Le
régime monarchique s'y maintint au
moins jusqu'à l'an 668 avant l'ère chré-
tienne, puisqu'à cette époque Aristo-
mène se retira aupr^ de Damagète,
roi de Jalyssos, après la prise d'Ira et la
seconde guerre de Messenle. On ne sait
ni quand ni comment la royauté fut
abolie chez les Rhodiens, mais ils étaient
déjà constitués en république lorsqu'ils
se réunirent pour fonder la ville de Rho-
des. Les républiques grecques étaient ou
aristocratiques ou démocratiques, selon
le caractère, les habitudes et les besoins
de leur population. Les plus sagement
gouvernées étaient celles où l'on savait
le mieux conserver la paix publiaue , et
maintenir l'union entre les différentes
classes de citoyens, entre les riches et les
Fauvres, entre les grands et les petits, que
on retrouve partout en présence, et dont
les dissensions font de l'histoire de toutes
les cités grecques un combat perpétuel.
 ce compte, Rhodes fut peut-être celle
de toutes les républiques de la Grèce
qui approcha le plus de l'idéal d'un bon
gouvernement Sans doute die ne (ut
pas à l'abri de toute agitation, et pen-
dant les temp qu'elle a duré on aperçoit
des traces de divisions et de change-
ments intérieurs. Maïs ces mouvements
sont toujours maintenus dans une me-
sure qu'on ne trouve pas ailleurs. Les
Rhodiens surent éviter de tomber dans
aucun exc^, soit de la tyrannie, soit de
la sédition; heureuse modération qui
était plutôt un effet de leur caractère
et de leurs vertus que de leurs lois , et
qui conserva leur république prospèrent
respectée à une époque où tout le reste
de la Grèce était tombé dans la déca-
dence et le mépris,
Aussi de tous les États grecs il n'en
est aucun que les Romains traitèrent
avec plus d'égards, et qui consen-a
tant d importance au milieu de l'abais-
sement général du monde hellénique.
Cest toujours avec estime, pour rË-
tat et les particuliers, qu'il est parlé de
Rhodes dans les écrivains romains et
dans les auteurs postérieurs à la con-
Suéte de la Grèce. « Les Rhodiens, dit
alluste (1), n'ont jamais eu à se plain-
dre de leurs tribunaux, où le riche et le
Sauvre indistinctement, et d'après la lot
u sort, prononcent sur les plus impor-
tantes comme sur les moindres affaires. »
Polybe, un historien si grave et si pea
kudatif , rend souvent hommage a la
aagesse des Rhodiens, à leurs bonnes lois,
à leur excellente conduite, qui ne 8*est
démentie qu'une fbis de son temps, dans
la guerre de Persée, et à laquelle ils se
sont bâtés de revenir. Deux siècles plus
tard, Strabon (2) trouvait encore en vi-
gueur les excellents règlements établis
autrefois par l'aristocratie rhodienne
pour subvenir aux besoins de la classe
inférieure, que la république avait tou-
jours eu soin de mettre a l'abri de la
misère. « Ils font aux pauvres, dit-il,
des distributions périodiques de blé ; et
les Grecs riches , se conformant à un
usage ancien, soutiennent ceux qui ne
le sont point. Il existe même certains ser
vices publics que ces derniers sont obli-
gés de rendre, moyennant un salaire fixe
et assuré qu'ils reçoivent de TÉtat, de
(i) Salluste, Lettre à César, c. vix.
(a) Su-ab., 1. XIY, c. ii; Taucb., L m,
p. '94-
ILE^ DE BHODES.
lar
oMiiière vftm vuènt tttoips ks psirrres
ofit de quoi subsister, et la TiUe ne maû-
que pas de bras pour ses besoms, sur-
tout pour la manne. » De telles mceurs
etde telles iostitutious témoisneDtasses
un bon sens et de la sagesse de eeux qui
soovernajeot cette république, et justi-
fient pleinement cet éloge, si pr&is et
si juste. Que Strabon feit des Rhodiens
quand îl oit de ce peuple : « Le gouver-
Dement des Rhodiens est ami du peuple,
mais non pas démocratique (1). »
Le gouvernement de Rhodes n'avait
pas toujours été aristocratique, comme
il rétait devenu dans les trois derniers
siècles de la liberté grec(|ue, et jusqu'au
temps de Tempire romain. Quoique do-
rienne d'origine, la population de 1 île de
Rhodes s'était en{;agee dans Talliance
d'Athènes. Celle-ci avait placé sous son
protectorat tous les États maritimes de
la Grèce, et s'était attachée à développer
partout les institutions démocratiques.
Dans le cours du quatrième siècle avant
J.*C., après l'abaissement de la puissance
athénienne, la démocratie rhodienne se
compromit par ses excès; des démago>
gnes s*emparèrent de la confiance du
peuple, disposèrent des revenus publics,
et excitèrent la multitude contre les
grands. Le parti des grands ne se laissa
pas intimider ; il sut se grouper et s*en-
tendre ; une coalition se lorma entre tous
les intérêts menacés ; le pouvoir fut enlevé
à la multitude, et, par de nouvelles dis-
positions, l'influence de l'aristocratie de-
vint prépondérante. Une révolution sem-
blable avait eu lieu à Gos à la même épo«
que (2), ainsi qu'à Chio et à Lesbos,
comme le remarque Démostbène , dans
ion discours De la Uberté des JUkocUens^
Ce fut au milieu de ces changements que
leRbodien Hégesiloque entreprit d'assu-
jettir sa patrie , avec le secours de Mau-
>ole roi de Carie, et qu'il parvint à occu-
per quelque temps le pouvoir, jusqu'au
Bwment où ses vices et son ivrognerie le
vendirent si méprisable aux yeux des
Rhodiens, qu'ils le chassèrent (8). Sortie
(0 Toici la phrase de Strabon, qui est
aune précision presque intraduisible : At)-
l*«xr,8eî;ô' elalv ol 'Poîioi, xainep où Îtjjio-
«f«Toû|uvoi; I. XrV, c. u.
W Arislot., Poiit., 1. V, C. ii, C. v.
(3)Meunius, Hftod., I, 19.
enfin de cette crise, qui faillit être fittale
à sa liberté, Rhodes vit s'affermir œ ré-
gime , aristocratique qui devait lui as-
surer encore une nouvelle période de
prospâité et de grandeur, et qui était
en vigueur au temps de Polybe , dont
les récits nous en montrent l'action et
les ressorts.
Toutes les grandes questions d'intérêt
pubUc, les alhances, la paix ou la guerre
étaient décidées à la pluralité des suf-
frages dans l'assemblée du peuple, dont
la composition nous est mconnue et
dont le lieu de séance était ordinaire-
ment le théâtre' (1). Les premiers ma-
gistrats de la république étaient les nrf-
tanes, qui étaient nommés par l'assemblée
du peuple, pour six mois seulement,
mais que l'on pouvait proroger dans leurs
fonctions. La prytanie formait un con-
seil de plusieurs membres; elle se réu-
nissaitdans un édificeappelé le prytaoée,
qui paraît avoir été le chef-lieu de l'État,
et ou étaient déposées les archives (2)«
Plutarque compare léi prvtanes aux
généraux à Athènes et aux béotarques,
ce qui prouve qu'ils réunissaient aux at-
tributions politiques à l'intérieur le com-
mandement des armées, comme les con-
suls romains. C'étaient les prytanes
qui présidaient les assemblées publiques
et qui en dirigeaient les délibérations*
Ce n'est qu'au temps de Dinon et de
Polyarate qu'on voit l'influence leur
échapper, et passer aux mains des chefs
du parti populaire , ^i repoussait l'al-
liance avec les Romams. Un mot d*Uesy-
chius nous révèle Texistence d'un sénat
dont les membres auraient porté le nom
de MdoTpoi (3), mais il n'en est fait men-
tion nulle part ailleurs, et le silenee de
Polybe à ce sujet autorise à conjecturer
Îrue ce corps avait peu d'importance po-
itique, ou qu'il ne fut qu'une institution
temporaire. Les fonctions les plus im-
(x)Polyb., XTI, i5, 8; XXIX, 4# 4. "Cette
circonstance noas montre que l*assemblée de-
vait être assez restreinte. Cependant Polybe
ne rappelle pas seulement à Stifioc, mais aussi
%6 irXîjOoc, la foule, la multitude. Après tout,
la valeur de oe terme n'est toujours que re-
lative.
(a) Polyb., XXV, «3,4; XXVU, 6, a;
(3) Meîirs., Ehod,, p. 65: Màarpoinopà
*Pod('otc povXevtvJdec.
i»
li'UMVJttS.
{Mvtanttt à Rbodes, tpt^ teifeàrge de
Kjrtaae, étaient cellw d^aminl et d'am-
ssadeur (va6apx<K» xpaoSturfc), que
Fou voit coavent rémiiesdaiis les méoiea
maina. Ainsi Tliéétète et Eodopfaon,
Soi commandaieDt la flotte, fureotauasi
épatés au sénat |»ar on décret du peuple,
qui voulait par la, dit Polybe, éviter Té-
dat d'une vaine ambassade. D'ailleurs
une loi spéciale conférait au navarque le
droit de négocier (1).
Càbàgtbbb, mobubs, goutumbs
BBS Rhodibns. — Ge qui nous parait
•distinguer la constitution rhodienne de
celle des autres cités doriennes gouver-
nées comme elle aristocratiquement,
c'est la forte organisation du pouvoir
exécutif, c'est*à Maire Timportance des
grandes magistratures, qui eurent tou-
jours réellement, sans entrave et sans
contrôle, la direction des afihires publi-
2ues. Au reste, ce n'est pas seulement à la
)rme de son gouvernement que Rhodes
^ dû la conservation de sa prospérité et
de«<Mi im|)ortaoce politique. Un peuple
Bc se soutient pas uniouement par sa
49enstitution et par ses lois, mais beau-
coup plus par son caractère, ses bonnes
mœurs et par les hommes qu'il produit.
Aussi est-ce une vérité de tous les tempe
0t de tous les pays, trop méconnue des
dtés et des nations qui tombent en déca-
dence, celle que le poète latin a eipri-
mée par ce beau vers :
Moribas anUqois sUt res romaoa virisque !
L'histoire de Rhodes nous montre un
peuple industrieux, patient, laborieux,
orave, constant dans sesaUiances, fidèiCf
sâr, commode à tous les étrangers,
liès-appliqué aux arts utiles du corn*
Bierce et de la navigation, aimant à s'en*
richir, mais non à vivre dans l'oisiveté,
d à la tête de ce peuple d'habiles hom-
mes d'Ëtat, de courageux marins, de
prudents ambassadeurs , sortis la plu-
part de familles enrichies par le com-
merce et où la pratique des grandes affai-
res se transmettait par la nature et Tédu-
cation. En faut-il davantage pour com«
prendre comment Rhodes est devenue
une cité aussi célèbre et aussi puissante,
et comment cette petite tle s'est élevée
par la vertu de son peuple au-dessus de
(i) Polyb., XXX, 55 ; XVH, 1,4.
ses moyms (1)? Aa premier siècle de
l'empire romain Rhodes résbtait ea-
eore à cette corruption qui avait dissoos
les mœurs de ranelenne Grèce, et eUe
conservait les coutumes d'outref ms. Les
Rhodieus portaient toujours la longue
chevelure; ils marchaient gravement
dans les rues. « Vous connaissez la
Rhodiens, dit Dion Chrysostôme (2), ee
peuple qui vit aupr^ de vous en liberté
et en une tranquillité parfaite : il est in-
convenant chez eux de courir par les
rues de la ville, et ils ne permettent pas
même aux étrangers de le feire. « Ad
théâtre même gravité : ils écoutaient
en silence et sans applaudir, et le ri<
lence était un signe de satisfaction. Dion
loue encore leur convenant , leur so-
briété, leur simplicité dans les repas. Ib
avaient aussi de l'âoignement pour le
luxe des vêtements, et ne souffraient
que l'usage de bandes de pourpre très-
étroites et qui auraient passé pour ridi-
cules ailleurs. « Enfin, moute Dion,
toutes ces choses vous rendent une cité
vénérable, et vous placent au-dessus de
toutes les autres villes ; c'est là ce ({ni
vous fiait admirer et chérir, et votre cite
brille plus par la conservation des anti-
oues mœurs grecques que par la beauté
de ses ports, de ses murs et de ses ane
Baux (S). »
Lois DES Rhodie!vs; gode vàbi-
TIME. — On connaît trois lois des Rho-
diens. Elles ont toutes un caractère
particulier. La première défendait qu'on
se fit raser. Athénée ajoute, il est vrai*
qu'on n'observait plus cette loi de son
temps, c'est-à-dire sous les Antonins,
mais elle témoigne du désir qu'on avait
eu de conserver le vieil usage de porter
(1) Barthclem., Anoch,^ c. uulcci. rojn
l'éloge fait psr Tacite des BMBura de la cité
grecque de Maraeille, VU JPAgricaia^ e. iv.
Un peuple commerçant ne prospère qu'à b
condition d'élre tel que furent Rhodes d
Marseille.
^2) Âp. Meurs., Rhod,, p. 66.
(3) On trouTe épars çà et là dnns Plolsr>
que, ÂnacréoD el Juvéoal quelques traits de
satire contre les vices et les travers des Rbo-
diens; mais ils ne peuvent détruire le témoi-
gnage de toute l'histoire en foreur du carac-
tère et des moBurs de ce peuple. Vof, Meor-
siuSy loc, cii.
ILE mSr RHOUBS.
m
ta barbe et lès eherénx loags. !.« m*
eonde M est admirable, et ne peut aToit
été pertée que par les plus honnêtes
gens da monde : elle oraonnaH au fils
de paver les dettes de son père, même
dans le cas oà il aurait renoncé à Fhéri-
tage. La troisième était empreinte d'un
sentiment rigonreux et peut-être outré
de la dignité de VÈM : elle interdisait
an boarreau d'entrer dans la ville.
Aussi toutes les exécutions capitales se
âisaîent hors des murs (1). Ce qu'il y
a?ait de plus célèbre dans la législation
des Rbodiens, c'était leur code maritime,
à la sagesse duquel les Romains ren-
dirent un éclatant hommage en Tadop*
tant tout entier. « Je suis, i! est vrai, ai*
sait Antonin , d'après le jurisconsulte
Volusius Marcianus, je suis le seigneur
da monde, mais ce sont les Rbodiens
gmoDt écrit la législation des mers. Et
cela le divin Auguste l'avait lui-même
reconnu. » On Ht aussi dans Constantin
Herfflénopule : « Toutes les affaires mari-
times, tous les différends relatifs à la
navigation sont décidés par la loi rfao*
dienne. Cest d'après elle qu'on établit
la procédure et qu'on rend les juge-
ments, à moins qu'il n'y ait une loi con-
traire qui s'y oppose formellement. Isa
lois des Rbodiens sont le plus ancien de
tous les codes maritimes. » On retroure
en grande partie ces règlements sur le
commerce et la navigation dans les
compilations des jurisconsultes romains
et dans les édits et ordonnances des em-
pereurs , qui n'avaient fait que les tra-
duire du grec en latin. C'est en puisant
à ees sources une le savant Leundavius
est parvenu à reconstruire le code
commercial et maritime des Rhodiens,
dont il a donné un recueil divisé en cin-
quante et un chapitres, la plupart extraits
des onze livres du Digeste (3).
(i) MeuniiiSy Bkod,^ 1. I, c. ui, p. 70.
(a) LettDclavius, Juris Grœco-Romani^ iam
Cawniâ attam Civilis, Tond duo, in-fol. Fran-
cof't ^596. A la fin du t. II, p. a65, se trouve
oe KciMÎI des lois rbodiennes, avec le titre
'uivaQt : Jus navale Hhodiorum, qttod impe*
rttores tacratusimi Tiberius, Aadrianus ,
Mtottinus ^ Perlinax , Lucius Septîmius Se-
J*^ sanciverunt, C'e»t un document fort
wlértt^aDl et le plus complet sur le droit
Buntime dm anciens. Mais les limites de mon
tranil ne me pormettent pas d'en rendre
Lbs BBÀOS-Ants ▲ Rhoobs; psih^
VUBB; SCULPTUAB. — Les Rbodiexi^
aimaient les beaux^^arts. Les ricbessea
qu'ils avaient acquises par une prospérité
commerdide non interrompue pendant
Elusieurs siècles les mirent en état d*em-r
ellir leur ville des chefs-d'œuvre des
plus grands artistes de la Grèce , dont ils
savaient magnifiquemept récompenser la
talent. Pleins d'amour pour la dté dans
laquelle ils vivaient libres et heureux, les
Rbodiens s'étaient fait un point d'iion*
neur de lui donner un aspect splendidoi
en la remplissant de grands et beaux
édifices , que la peinture et la sculpture
furent appelées à décorer. Il y avait dans
la ville de Rhodes* .dit Pline l'Ancien,
plus de trois mille statues. Les p<HrtiT
ques de ses temples étaient ornés de
pieintures d'un pnx infini, et la posscs?
sion d'un seul ae ses ouvrages , disait le
rhéteur Aristide, eût suffi pour rendre
une ville illustre. Ce n'est pas que Rhodes
ait donné naissance à aucun de ces ar?
tistes de premier ordre qui font tant
d'honneur au génie grec; mais elle sa«
▼ait dignement apprââer leurs œuvres,
elle les attirait dans son sein, etn'épr-
gnait rien pour se procurer les produc*
tiens de leur génie.
Protogène, qui vivait à Rhodes au
temps du siège de cette Yille par Démé-
trius , était né à Caune en Carie. Cétait
une ville sujette des Rhodiens, qui, ^ ce
titre et à cause de l'accueil qu'ils nrent
à son talent, peuvent revendiquer ce
peintre comme Fun des leurs. Protogène
resta longtemps pauvre et méconnu. Ses
oompatriotes,aui recb^rchaientavec tant
d'ardeur les tanleaux des maîtres étran-
Sers, ne savaient pas apprécier les chefa-
'œuvre que Protogène taisait sous
leurs yeux. Alors Apelle, oui était dans
tout l'éclat de sa gloire, vint a Rhodes(f ).
compte. Je me contanta de dire, coasaie Mewh
ains : II^ lûdeat qui vokt, Toy. aussi Dap^*
per, Deser,f p. 146.
(i) Pline, Hist. Jiat., XXIY, 35, 95.
Pline abonde en anecdotes sur Apelle et
Protogène. C^esl lui qui nous a conservé
la suivante : A peine débarqué dans l'île de
Rhodes, Apelle courut à Tatelier de Proto-
gène. Celui-ci éuit absent^ mais un grand
tableau était disposé sur le chevalet pour èu«
peint, et une vieille femme le gardait. Celle
vieille répondit que Protogène, était sorti,
Uù
LUmvfiRS,
Ce grand peintre, goi M eomnit jamais
la jaloasie , et qui tut looiours généreur
envers ses rivaux, vint à l'atelier de Pro-
togène, admira son talent, et résolut de
forcer les Rbodicns à Fadmirer. Il lui
demanda combien il vendait les tableaux
qu*il venait de terminer : Protogène les
mit à un prix très- modique. Apelle en
Offrit 50 talents ( 246,000 francs ), et ré*
pandit le bruit qu*il les achetait pour les
vendre comme siens. Par là il nt com-
prendre aux Rhodiens le mérite de leur
peintre, et il ne leur céda les tableaux
gu'après qu'ils y eurent mis un plus
aut prix.
Dès lors Protogène eut toute la repu*
tation qu'il méritait , et Apelle put le
traiter en égal. Cependant Protogène
ii^atteignit jamais à la même hauteur que
le peintre de Gos , et Apelle exprima un
Sur lui-même, quoique d'une manière
rt délicate , le sentiment qu'il avait de
sa supériorité. « Protogène, dit4l, a au*
tant ae talent que moi et peut-être plus ;
et elle demanda quel était le nom du visi-
teur : « Le voici v répondit Apelle; et ni-
aissant un pinceau, il traça sur le tableau une
fi^ne d'une extrême ténuité; Protogèue de re*
tour, la vieille lui raconte ce quis*é(ait passé*
L'artiste , ayant contemplé la délicatesse du
trait, dit aussitôt qu' Apelle était venu, nul
autre n*étant capable fie rien faire d*aussi
parfait. lAii-roéme alors danscette même lignç
en traça une encore plus déliée, avec une au-
tre couleur, et sortit en recoiumandant i la
vieille de la faire voir i l'éiranger, s'il reve-
nail, et de loi dire : « Toi la celui que vous
cherchez. » Ce qu'il avait prévu arriva :
Apelle revint , et , honteux d'avoir été sur-
passé, il refondit tes deux lignes avec une
troisième couleur, ne laissant plus possible
même le trait le plua subtil. Protogène , s'a-
vouant vaincu, vola au port chercher son hôte
( Pline, iéid., 29, traduction de M. Uttré )•
On garda cette toile sur laquelle les deux ar-
tistes avaient lutté d'adresse et de aavoir-faire,
et Pline assure l'avoir vue à Rome, on elle
était plus regardée que les plus beaux tableaux.
On raconte i Rome quelque chose de sem-
blable sur une visite de Michel-Ange à Ra-
Ehael. Celui-ci travaillait à la décoration de
i Farnésine ; Michel-Ange vint le voir, et ne
le trouvant pas, il crayonna à la hâte une tète
dans laquelle Raphaël reconnut à l'instant
la main de son rival. On voit encore ceUe lète
à la Farnésine, sur le plafond de la salle où se
trouve la Gabitéç,
mais/aiun amilagesorloi, e*estqall
ne sait pas dter la main de dosas un ta-
bleau. » Mémorable leçon, ajoute Pline,
qui apprend que trop de soin est souvent
nuisible. En effet, c'étak là le seul dé-
faut de Protogène, de viser à trop (uir
ses ouvrages , et par là de n'en finir ja-
mais avec eux, ce qui leur était de la
grâce et du naturel. Cependant c'était
assurément uft grand peintre que celui
dont Pline raconte que tant qu'il tra-
vailla à son tableau d'Ialysus, il ne vécut
que de lupins et d'eau, afin de soutenir
et d'exciter son talent par l'abstineoce.
Cest pousser bien loin sans doute l'a-
mour de Fart et le désir de la gloiine,
mais il n'y a qu'un homme passionné et
réellement supérieur qui puisse s'impo-
ser de pareils sacrifices.
Les deuxcbefe-d'oeuvrede Protogèoe
étaient son tableau d'Ialysus, et celui qui
représentait un satyre appuyé contre
une colonne sur laquelle était perchée
4ine perdrix. Quand ce tableau fut ei«
posé aux regards du public, roiseao
causa une admiration universelle, aa
point aue l'on négligea le satyre , qœ
Protogene avait travaillé avec le plus
grand soin. L'entbousiasme s'accrut ea-
core lorsqu'on eut apporté devant ce ta-
bleau des perdrix apprivoisées, qui se mi-
rent à chanter dès qu'elles aperçureal
la perdrix peinte. Protogène, indisoé
que l'on oubliât le principal pour admi-
rer l'accessoire, obtint des rârdiensda
temple où était posé son tableau la per-
mission d'effacer la perdrix, et il lefiia;
^ (1). On sait tout le soin qu'il mit à
composer son lalysus, qui devait être son
principal titre de gloire et auquel 11 tra-
vailla sept ans (2). Pour rendre ce U-
bleau plus durable et le défendre des dé-
gradations et de la vétusté, il y mit quatre
fois la couleur, afin qu'une couclie tom-
bant l'autre lui succédât. C'est pendant
qu'il travaillait à ce tableau qu'il arri^a
a ce peintre , si soigneux et si app1iqu<^'.
d'obtenir par le hasard un effet que m
son art ni ses efforts n'avaient pu rendra
Il voulait représenter un chien haletant,
la gueule blanchie d écume ; il s'y état
repris à vingt fois, toujours mécôiiten^
de ce qu'il avait fait. Enfin, irrité de son
<z) S\nh,f I. XIY, e. ù.
(a) Cicér., Orai,p c, ii.
ILB DE ftaODES.
141
imptrissaoce, il jeta de dépit FépoBg^
ooDtre le tableau, eomrae pour TeaiBcer.
Cette bmagoerie réussit mieux que tout
soQ travail ; l'époDge déposa d'elle-même
les couleurs eomme il le désirait, et cette
fois le hasard reproduisit exactement la
nature. Pline cite encore de Protogène
on Çydippe, un Tlépolème, le poëte
tragique Philiscus en méditation, un
athlète, le roi Antigone, la mère d'Aria*
tote. Ses derniers ouvrages furent uo
Alexandre et le dieu Pan. Protogène
faisait aussi des figures en bronze. Au
temps de Pline le tableau dlalysus avait
été transporté à Rome et consacré dans
le temple de la Paix, construit sous Ves*
pasien, et dont on voit encore les ruines
imposantes le long de la voie Sacrée. Les
Rbodiens possédaient aussi de belles
peintures de Zeuxis, d'Apelle et des
pios srands maîtres de l'antiquité, et
elle n^avait pas été tellement dépouillée
par les Romains qu'elle n'eût encore
coDservé de nombreux œuvres d'art,
dont Loden parle avec admiration.
La ville de Rhodes renfermait une vé-
ritahte population de statues. Elle en
avait encore trois mille à une époque où
Rome loi en avait déjà fait perdre quel*
qoes>unes. Les Rbodiens avaient en
sculpture un goût particulier, plutdt
asiatique que grec. Ils aimaient les co-*
losses, et ils en avaient fait élever un
^and nombre. Le plus célèbre de tous
était celui du Soleil-, qui avait été coulé
en bronze par Charès de Lindos, élève
de Lysippe. Ce colosse avait soixante-
dix coudées de hauteur (t). Charès et
(i) Pline, Hisi. NaU^ XXXIV, 18, 3. a,
Meon., Rkod., p. 41. On a souvent discuté
sur reopUoement occupé par le colosse de
Rbodei. On s'est trompe en le mettant à ren-
trée du grand port, recartemeni des jambes
du colosse ne pouvant être que de trente-cinq
à trcQte-six pieds. D*ailleurs s'il eût été en
cft endroil, he tremblement de terre Teût pré-
âpiié dans les fioU. Sou véritable emplac»-
OK&t éuit en fiice de Tentrée du port, et de-
^t le bassin des Galères. Les deux tours
q^'on voit au fond du port furent bâties sur
Kl bases qui soutenaient jadis ses jambes
^^^ et sous lesquelles passaient les bAti-
Beats que Ton retirait dans un bassin que le
|r-«qd maître d'Aubusson fit combler en 1478.
J*T' ^ Monuments de RluxUs du colonel
«ott»ers,p.5«ct8i.
son disciple Lâchés y travaillèrent douze
ans; on y dépensa 300 talents (1*476,000
francs), proatiit des machines de guerre
abandonnées par le roi Démétrius, en*
nuyé de la longueur du siège de Rbodes*
Cette statue fut renversée cinquante-six
ans après son érection par le trennble-
ment de terre de fan 282 , qui ébranla
Rhodes, la Carie et toutes les tles voi*
sines. Tout abattue qu'elle est, dit Pline,
elle excite Tadmiration : peu d^hommes
en embrassent le pouce ; les doigts sont
plus gros que la plupart des statues. Le
vide de ses membres rompus ressemble
à de vastes cavernes. Au dedans on voit
des pierres énormes, par le poids des-
quelles Tartiste avait affermi sa statue
en rétablissant. Les débris de ce colore
restèrent gisant sur le sol jusqu'au mo-
ment où les Arabes s'étant emparés de
nie, Tan 656, ils en vendirent le bronze
à un marchand juif, qui y trouva la
charge de neuf cents chameaux. Rhodes
avait encore, dans l'antiquité, cent autres
colosses plus petits, mais dont un seul
aurait stira pour illustrer toute autre ville.
On y voyait aussi cinq colosses de dieux
faits par Bryaxis. Mais ce qu'il y avait de
plus précieux à Rhodes en sculpture, c'é-
tait le char du soleil, ouvrage de Lysippe,
le seul objet d'art que respecta Cîassius,
après qu'il se fut emparé de Rhodes.
L'antiquité produisit des artistes très-
habiles à ciseler l'argent. Les plus ad*
mirés après Mentor, qui fut le plus
grand mattre eu cet art , étaient Acra-
gas, Boethus et Mys. Au temps de
Pline (1) on voyait à Rhodes des mor-
ceaux très-estimés de ces artistes : de
Boethus , dans le temple de Minerve à
Lindos; d'Acragas, dans le temple de
Bacchus, à Rhodes, des coupes repré-
sentant en ciselures des bacchantes et
des centaures, d'autres coupes représen-
tant des chasses ; de Mys, dans le même
temple de Bacchus, un Silène et des
Amours.
LlTTBBÀTURB ; PHILOSOPH» ; SCTSlf-
GKS. — La ville de Rhodes fut aussi le
centre d'un mouvement intellectuel très-
actif et très-fécond. On y cultivait avee
ardeur et suco^ les lettres , les sciences
et la philosophie, et elle fut pendant
longtemps , selon l'expression de Dap*
(r) Pline, i7if/. NaU, XXXIH, S%, i.
141
L^URIVKRS.'
per, oommé un magasin éés sdenees et
une pépinière de gens de lettres. Quand
Ptolémée t^hiladelphe fit chercher de
tous côtés des livres pour augmenter la
bibliothèque fondée par son père, ce fut
à Rhodes où il en trouva le plus. Plus
tard, quand les Romains eurent soumis
les Grecs à leur domination politique,
Rhodes attirait les principaux d^entre
eux à ses écoles, comme Athènes, comme
Alexandrie, entretenant ainsi le seul
genre de supériorité que le génie grec eât
conservé, et forçant les vainqueurs à y
rendre hommage. G*était surtout pour
4es écoles d*éloquence que Rhodes était
fréquentée [)ar les jeunes Romains des
^andes familles, qui allaient s*y prépa-
t^r aux luttes oratoires de la Curie et
du Forum. Rhodes était restée un État
libre, à Tabri de toute tyrannie inté-
rieure , et de toute servitude étrangère,
et par conséquent le talent de la parole
Îr exerçait encore une grande influence;
e pouvoir appartenant toujours dans les
républiques bien réglées à ceux qui pos*
sèdent 1 art de bien dire.
Cest la nature qui rend les hommes
éloquents; mais c*est Part seul qui peut
former un orateur. L'étude de rélo-
quence était déjà en grand honneur chez
m Rhodiens, lorsqu'Eschine , après la
condamnation qui le fit sortir d'Athènes,
se retira chez ce peuple, qu'il initia à tous
les secrets d'un art que les Athéniens
avaient porté au comnle de la perfec-
tion (i). Il charma les Rhodiens par ses
improvisations, par la déclamation de ses
discours, par la lecture de ceux de Dé-
mosthène ; il fonda une école, qui devint
la plus célèbre de toutes, et où il forma
de nombreux disciples. "Uni doute que
l'autorité et les leçons d*Ëschine n'aient
contribué pour beaucoup à éloigner de
Rhodes ce genre d'éloquence emphatique
et boursoufXlé (2), très-prise à Gnide, à
(t) PhikMtr., Ktt. Sapkîst,t I| i, i8; Gicflr.,
fie Oraior,, lU, 56.
(») Cic, Orat., YIII. Yoici counneal Ci-
ccron reconnaît dans le Bruttu , c. xci , tout
ce qu'il doit aux leçons du rliéteur rhodien :
« Je vins à Rhodes , où je m'atlachai de nou-
veau a ce même Molon, que j^avais entendu
a Rome. Habile avocat, excellent écrivain, il
•avait en outre critiquer avec finesse , et don-
nait avec un rare talent de savantes leçons.
Halicamasse et dans les autrei villas de
la Garie, d'où il n'avait qu'un bras de
mer à franchir pour pervertir le août des
Rhodiens. Esehine l'arrêta par Ta digue
insurmontable de l'attieisme, qu'il nato*
ralisa dans l'tle de Rhodes, où renseigne-
ment de l'éloquence resta ilorissaiit jus-
qu'au premier sièele de l'empire romain.
Yoilà ce qui attira dans cette file tons les
grands orateurs des derniers temps de la
république romaine, Mare-Antoine, d-
eéron. César, Brutus et Cassitis et d'an-
tres encore. C'était le rhéteur Apolkniius
Molon, dont les leçons étaient alors les
|)lus recherchées. Apollonius Molon était
né à Alabanda en Carie , mais il n'avait
t>as donné dans le goût de ee détesuMe
S le asiatique, contre lequel II inspir» à
léron tant d'élotgnement. Cet haiiile
Hiéteur avait d'abord enseigné à Rome,
où il s'était fait avantageusement eon-
nattre; et quand il se fot établi à Rho-
des, la Jennesse romaine l'y suivit , et
partagea le temps de son séjour en Grèce
entre cette ville et Athènes.
Ce serait une bien longue étode que
de rechercher tous les titres de Rhodes
à la célébrité littéraire, et de passer en
revue les hommes illustres qu'elle a pro-
duits dans tous les genres, sdeneea, his-
toire, poésie, philosophie et éioquenoe.
Meursius en énumère environ soixante-
dix : de quelques-uns d'enté eux on ne
connaît que les noms; de ta plupart on
ne sait que les titres de leurs écrits , on
les sujets dont ils se sont partlcalière-
ment occupés. Il n'v en a qu'un très-pe-
tit nombre dont le temps ait épargné 1»
ouvrages on le souvenir; et, rejetant de
ce résumé historique le catalogae de tous
n réprima, ou du moins il fit tons ses effortc
pour réprimer tous les écarts où mVofrainsit
fa fougue d*un âge impunément andaciem,
et pour resserrer dans de jtfstes Ihnîtes le tor-
rent débordé d*une élocutton redondante.
Aussi lorsque après deux ans je revins â Rome,
J'étais beaucoup mieux exercé, on poor mieux
dn*e je n*étais plus le m&ne. Ma aédamation
était moins vénémente, mon style moins im-
pétueux. » Il est évident par ce passage que
Molon avait conservé dans son enseignement
les traditions de Téloquence atttque. F'oyei
dans Touvraee du colonel Rottiers la descrip-
tion de Sumbulu et de la Fontaine Rodiai, où
la tradition place l'école d'ApoIlopi«is H<4on,
p. 1^6. Cf. Cic, Ep. ad Âft,^ II» i.
ILE XnS BOODES.
Ka
Jes avtM fittlêon à pra piès încomu^
je me eontentend de fiûre mention de
ceax dont on peiil raeonler quelque
chose.
Cléobnle , Fan des sept sages de la
Grèee, était de Lindos. Il florissait à la
un du septième siècle. Ce que Ton sait
sur sa Tie se réduit à quelques ren*
seignements conservés par Diogène de
Laerte (f ). Quelques auteurs prétendent
qu'il se donnait pour descendant d*Her«
dite. Il étudia la philosophie égyptienne,
tt il leconstniisit le temple de Minerve
fondé par Danaûs. Il eut des relations
uec Selon , à qui il écrivit la lettre 8Qi«
CléoMê à Soion:
Ta tt de nombreux amis, et partout on
s'empressera de te recevoir. Je vois cepen-
dant que nul séjour n'est préférable pour So«
ion à celui de Lindos. (Test une ville libre ,
dans une tIe battue de toos cOtés parles flots,
et où tu n'auras rien à redouter de Pisistrate ;
ans oompter que de toutes parts %f» amie
psarroat y accourir vers toi.
Il mourut à Tdge de soUante-dii ans,
et Ton mit sur son tombeau rinseription
suivante :
lÀndotf qui brille au milieu des Jlots^
flettre la mort du sage Cléolmle^ auquel
file a donné U jour,
Qéobnle avait composé trois mille
^rs de chants Ijrriques et d'éni^es
[iya^a, fpdfoi). OU lui attrilnie Témgme
soivante, dont le mot n'est pas difficile à
deviner : « Un père a douze enfants, qui
ont chacun soixante filles, mais d'aspect
différent; les unes sont blondes, les au-
tres sont brunes ; elles sont immortelles^
et cependant toutes périssent tour à
lonr. > Des jeux d'esprit de cette nature
ont peu de portée, et sont au moins inu*
liles; mais quelques-unes des sentences
de Cléobule indiquent une certaine élé*
vation d'âme, beaucoup de modération et
justifient suffisamment sa réputation de
sagesse : « Qae votre langue soit toujours
chaste. — Soyez familier avec la vertu et
Étranger au vice. —Fuyez Tinjustice. —
Maîtrisez vos passions. — N'ayez jamais
'^econrsà la violence. — Calmez les haines*
-** Ne vous laissez ni-enorgueillir par le
*"<»^ ni abattre par l'adversité. — Ap-
(ODiogLwrt., I, 6.
inrenes à suBporler eourageuaement le*
Tidssitudes de la fortune. » Il avait sou-
vent cette maxime à la bouche : « Le
bien, c'est la mesure. » Le sa£e Rhodiea
laissa une fille, appelée Cléobuline, qui
a aussi eomposé aes énigmes en vers
hexamètres.
Panétius, l'un des plus célèbres philo-
sophes de l'école stoïcienne, était né à
Rhodes, vers l'an 190, d'une famille qui
avait fourni des prytanes et des navar«
5uea à la républiaue. « Antipater de
'aise fut son maftre* Il l'écouta en
homme qui connaissoit les droits de la
raison ; et malgré la déférence aveugle
avec laquelle les stoïciens reeevoientles
décisions du fondateur du portique, Pa«
Bétius abandonna sans serupule celles
fui ne lui parurent pas suiiisamment
établies. Pour satisfaire son désir d'a^
prendre, qui étoit sa passion dominantOi
il quitta Rhodes, peu touché des avan-
tages auxquels sembloit le destiner la
crandeur oesa naissance. Les personnes
les plus distinguées en tout genre de lit-
térature se rassembloient ordinairement
à Athènes, et les stoïciens y avoient une
école fameuse. Panétius la fréquenta
avec assiduité, et en soutint dans la suite
la réputation avec éclat. Les Alhéniens,
résolus de se l'attacher, lui offrirent le
droit de bourgeoisi.e : il les en remercia.
« Un homme modeste» leur dit-il , au
rapport de Proclus , doit se contenter
d'une seule patrie. » En quoi il imitoit
^nort , qui dans la crainte de blesser
aes concitoyens, ne voulut point accepter
la même grâce. Le nom de Panétius ne
tarda pas )k passer les mers. Les sciences,
depuis quelque temps, avoient fait à
Rome des progrès considérables. Les
grands les culti voient à l'envi, et ceux
que leur naissance ou leur capacité
ovoit m» à la tête des affaires se fai-
Boient un honneur de les protéger effi-
cacement. Yoilà les circonstances dans
lesquelles Panétius vint à Rome. Il y
étoit ardemment souhaité. La jeune no-
blesse courut à ses leçons, et il conipta
parmi ses disciples les Lélius et les Sci-
pion. Une amitié tendre les unit depuis,
et Panétius^ comme le témoignent plu-
sieurs écrivains, accompagna Scipion
dans ses diverses expéditions. Les liai-
tons de Panétius ave^ Scipion ne furent
pas inutiles aux Rhodiens, qui employé-
i44
mnnvEBs.
feBt sotivent a vee soceès le crédit de leur
eompatriote. On ne sait [kis préciaéinent
Fannée de sa mort. Qoéron nousapprend
que Panétius a véeu trente ans après
avoir publié le Traité des Devoirs de
f Homme que Gicéron a fondu dans le
sien; mais on ne sait point en quel
temps ee traité a paru. On peut croire
qu'il le publia à la fleur de son âge (1). »
A en juger par les éloges qu'en, donne
Gicéron et le parti qu'il en a tiré^ oÎb traité
était un ouvrage de premier ordre, dans
lequel Panétius avait su éviter non-seu-
lement les excès de la doctrine des stoî*
ciens, mais encore la séclieresse et la
dureté habituelies de leur style qui re-
butait les lecteurs. Il avait réduit la mo^
raie de l'école à des propositions raison*
nabies, l'avait exposée dans un langage
clairet intelligible, et avait rendu ses
leçons aimables par la grâce et l'élégance
de son style (9).
L'école stoïcienne de Rhodes devint
célèbre. Panétius avait formé de nom*
breux disciples : le plus illustre est Po«
sfdoniu8,à la fois philosophe, historien,
géographe, grammairien et savant (3).
Posidonius était d' A pâmée en Syrie;
mais il vint s'établir à Rhodes, y passa
la plus grande partie de sa vie, y ensei-
gna la philosophie avec succès , et fut
emplove dans les affaires publiques. Son
earactere lui avaitattiré l'estime et la con-
sidération générales , et quand Pompée
revenant d'Asie, vainqueur de Mithridate
l'an 62 avant J.-G. , visita Rhodes, il traita
Posidonius avec les plus grands égards.
11 alla cliez le philosophe, qui était alors
retenu au lit par un cruel accès de goutte.
Le voyant dans cet état. Pompée expri-
mait combien il regrettait de ne pouvoir
l'entretenir et Fentendre. Mais, reprit le
philosophe : « 11 ne sera pas dit que la
douleur soit assez puissante pour faire
qu'un aussi grand nomme m ait rendu
visite inutilement. » Et aussitôt il en-
tama un long discours pour prouver que
(z) 'AoWint Hut. j4ne„X, XII, p. 4iB. Cf.
t. IX, a58.
(a) Cicér., De Fin., IT, 28. Voir, sur les
autres ouvrages de Panétius, Meursius, R/tod,,
p. xor, et un mémoire de Tabbé Sévin, Acad,
des Jnscr., t. X.
(3) royez la liste de ses ouvrages dans
Mçur^îus, iU»d., p. xo5.
rien ne mérite le nom de hiea que It
vertu. De temps en temps les pointes de
la douleur devenaient si perçantes, que
Posidonius était obligé de s'interrompre,
et qu'il répéta souvent : « Non» douleur,
tu n'y gagneras rien. Quoique tu sois
incommode, je n'avouerai jamais que tu
sois un mal. « On doit savoir bon gré à
ce philosophe , dit Rollin , d'avoir eu le
courage, malgré ce qu'il souffrait, de
discuter des matières de raisonnement
avec une sorte de tranquillité. Mais n'est-
ce pas une subtilité puérile, que de re-
fuser d'appeler la douleur un mal, pen-
dant qu'dle fait jeter les hauts cris (1).
Utle de Rhodes a produit des poètes :
Nous passons Boniere, dont elle pré-
tendait aussi être la patrie, mais qui ap-
partient à toute la Grèce ; nous passons
Aristophane , que certains auteurs ont
fait naître à Camiros ou à Lindos, mais
dont Athènes s'est approprié la gloire,
et Pisandre et Idéus et beaucoup d'au*
très, tout à fait oubliés, même des anciens.
Timocréon est mieux connu par oe pas-
sage de la F^ie de Thémistocle de Plu-
targue : « Timocréon le Rbodiep, poète
lyrique, fait, dans une de ses chansons,
un reproche bien mordant à Thémis-
tocle ; il l'accuse d'avoir rappelé les ban-
nis pour de l'argent, tandis que pour de
l'argent il l'avait abandonné, lui, son
ami et son hAte : « Loue , si tu veux ,
« Pausanias, loue Xanthippe, loue Léo-
« tvchide ; moi, c'est Aristide que je loue,
« rhomme le plus vertueux qui vint ja-
« mais d'Athènes, la ville sacrée. Pour
« Thémistocle, ce menteur, aet homme
« injuste, ce traître, Latone le déteste;
« lui, l'hôte de Timocréon, il s'est laissé
« corrompre par un vil argent, et a re-
« fusé de ramener Timocréon dans la-
it lysus sa patrie. Oui, pour le prix de
« trois talents d'argent, il a nus à la
« voile, l'infâme ! Ramenant injustement
c œux-d d'exil, bannissant œux-là,
« mettant les autres à mort; du reste
« repu d'argent. £t à l'isthme il tenait
« table ouverte; avec quelle lésinerie
« il servait des viandes iroides; et l'on
a mangeait en souhaitant que Thémis-
« tocle n'allât pas jusqu'au printemps. »
Mais Timocréon lance contre Thémis-
(1) RoUin, Hist. Rom,, 1. XXX'Wjt. XI,
p. aSi*
ILE DE RHODES.
1^^
fodedes traits plus piquants encore, et
le ménage moins que jamais, dans une
chanson qn*il fit après le bannissement
de Thémistoele, et qui commence ainsi :
K Huse, donne à œ chant, parmi les
« Grecs, le renom qu'il mérite et que ta
« loi dois. 9 On dit que Timocréon fut
banni pour avoir embrassé le parti des
Mèdes.et que Thémistoele opina pour la
condamnation. Aussi lorsque Tbémis-
toeie subit la même accusation , Timo-
créon fit contre lui les vers suivants : « Ti-
i roocréon n'est pas le seul gui ait traité
■ a?ec les Mèdes; iljn bien d'autres
B pervers, et je ne suis pas le seul boi-
« tenx : il 7 a d'autres renards encore. »
Ce poète, qui passa sa vie au milieu des
querelles politiques et littéraires, dut
surtout s'exercer à l'invective. On voit
par ces fragments qu'il s'en tirait assez
beorensement, et que sa poésie^ ijnelque
peu rude et brutale , ne manquait ni de
Terre ni d'esprit (1).
II nous reste un ouvrage entier d'un
poète rhodien ; cesontles^r^onav/i^tté^
d'Apollonius. Apollonius était né à
Alexandrie. Il étudia sous Gallimaque ; à
Tio^ ans il publia son poëme sur l'ex*
{lédidon des Arffonautes. Gallimaque,
irrité de voir naître une réputation qui
éclipsait lasienne, persécuta son disciple,
et le força à s'exiler. Apollonius se retira
«Rhodes, où U obtint le droit de cité. Il
; enseigna la rhétorique, la grammaire ;
uy remania son poème, et le mit dans
Tétat où nous le possédons. Rappelé
plus tard à Alexandrie, il y devint un
Personnage considérable, et y mourut, à
1 âge de quatre-vingt-dix ans, dans les
premières années du deuxième siècle.
• l^ AraonatUiques, dit M. Pierron,
Mot le chef-d'œuvre de la littérature
alexandrine. Apollonius abuse peu de
son savoir mythologique ; il fait des récits
igréables; il trouve quelquefois d'assez
beureuses images; mais il manque de
^e et de force. Son poëme appartient,
en somme, au genre ennuyeux (S). » On
ne peut caractériser ni apprécier le talent
tTAnexandride, d'Anth&s, d'Antiphane
^ d'autres poètes rhodiens dont les
Doon Mois nous sont parvenus, ni le
(0 A. Pierron, Histoire tie ia Littérature
r^ue, c xn, p. 175.
(1) Id., ib^ c. xxxvxa, p. 389.
10* Uoraison. (Ile db Rhobbs.)
mëritedeiiKNBbMix Malwiopaqqe eelte
fie a produits, et qui sont cités çà et là
dans les anciens auteurs. Tous ces écrits
ont disparu, comme tant d'autres ; mais
H n'y a que les historiens que je regrette,
si médiocres qu*ils pussent être, car un
hvre d'histoire apprend toujours quel<iue
chose à son lecteur. Les poètes ordinaires
peuvent disparaître sans grand incon-
vénient : or ceux de Rhodes n'ont ja-
mais eu un bien grand renom dans l'an-
tiquité, et si le ooup d'œil que nous ve*
nous de jeter sur 1 histoire littéraire de
cette ville nous montre un peuple stu*
dieux et ami des lettres et des arts, il ne
nous y fait pas découvrir un seul homme
de génie , Protogène excepté. Les Rho«
diens avaient pour dons et qualités spé*
claies d'être aptes an commerce, habiles
dans les affaires, intelligents et coura-
geux dans la politique , et cela suffit k
leur gloire. Ils eurent aussi le goût du
beau dans les arts et dans les lettres,
mais ils n'en eurent pas le génie. H n'jr
a pas deux peuples dans l'antiquité qui
aient reçu, comme les Athéniens, le don
d'exceller en toutes choses.
rv.
BISTOTEB DB l1lB DB BHODBS PEN-
DANT LE XOYEN AGB ET LBS TEMPS
M0DBBNE8 (1).
L'Ile de Rhodbs sous la domi-
nation DBS EMPEBECES BYZANTINS.
^~ Devenue sous Constantin la capitale
du thème cibyrrhatique, et le siège d'un
archevêché, dont relevaient quatorze
évêques, Rhodes occupait dans l'empire
d'Orient un rang digne de son ancienne
importance et de tous ses souvenirs his-
toriques. Mais elle avait perdu depuis
longtemps cette indépendance et cette
activité qui avaient fait autrefois sa di-
gnité et sa grandeur, et elle devait encore
continuer pendant plusieurs siècles à
(x) Ouvrages spéciaux sur Thistoire des
chevaliers de Rhodes i 1^ G, Bosio, Istoria
délia sacra reUgione delT illustrissima Mi-
iitia di San^Giopanni GierosoUnùtano ; der-
nière édiiioD, Yerona, 1703, 3 ?oU in-foL —
ft* J. Baudoin et F. A. de Naberat, Histoire
des Chevaliers de tordre de Saint-Jean de Je-
msalem; Paris, x643, a vol. in-fol — 3* R. A.
de Yerlot M'Aubœuf), Histoire des Cheva"
10
Î4&
L'UniVKRS.
n'être au*an membre inafte de oe Taste
corps ae Tempire d'Orient, où la vie et
raction avaient abandoiuié les proviiioes
pour fie coneentrer dana la capitale.
Aussi rtle de Rhodes disparaft-elle pres-
que entièrement de l'histoire pendant le
moyen flge. Il en est fait surtout men-
tion dans les auteurs byzantins à Tocca-
sion de la eonstruetionde Sainte-Sophie»
sous Justinien , pour la coupole de la«
quelle on employa les briques blanches
et légères qui se fabriquaient à Rhodes.
Douze de ces briques, dit-on, ne pesaient
pas plus qu'une brique ordinaire. On les
composait avec un dment de jonc pilé ,
mêle avec d'autres matières, et pétri
avec de la farine* Ce ciment avait la
propriété de durcir et de devenir extrê-
mement léger; aussi l'emploi de ces bri«
ones et de la pierre ponce a-t*il singu*
lièrement diminué le poids du vastedômo
de Sainte-Sophie. La fabrication de ces
briques était particulière à Rhodes, et
elle y a été tellement oubliée que j'i-
gnore, dit le colonel Rottiers (1), si
un seul habitant en conserve aujourd'hui
le souvenir.
L'île de Rhodes dut à sa position, plus
centrale, d'être moins exposée que les
îles de Chypre et de Crète aux incur-
sions des Sarrasins. Chypre la couvrait
du côté de la Syrie, et la Crète du côté de
l'Afrique , de sorte que les expéditions
•
tiers hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem;
Paris, i7îfc6> 4 vol. in-4". — 4" S. Paoîi, Codice
diplomatiodelsancto Ordine Gierosolimitano i
LQcca, 1733, a ▼ol. in-fol. — 5* J.G. Diene^
mann, Nachricht vom Johanniterorden, nehtt
beigejugten f^appen und Ahnentajeln dêt
Rîtter, herausgegeben , vott. J« E. liasse;
Berlin, 1767, in-40. — 6» P. M. Paociaudî,
Memorie di Gran-Maettri dtlmiUtare Ordine
Gierosolimitûno ; Parma, x 7S0, 3 toL in-i**.-^
7^ G. Caoursiaus; DeseripUo O&tidionis urbis
Mkodiœ a Makomeie li, aniio 1480; Ulme
X 496, in-foi. «~ 8« G. FonUni, De Selio B/todio
Ubri très; Romse, x 5a4y in-fol., dernière édi-
tion, Basile», x53S, in-So. — 9* JeandeBour-
lMn, La grande et metveiUeuse Oppugnaùon
de la cité de Rhodes, priée par suiian Soliman
en i5aa; Paris, x525, in-lbL — xo» De
TiileneuTe-Bargemont, MomtmemtsdesGrands
Mattres de tOrdre de Saint-Jean de Je'rm-
saUm; Paris, i%^% a vol. in-S», etc., etc.
(i) Monuments de A/wdes, p. 6t. Cf. Gib-
bon, Décadence de fMmpire BanuUnp c. x&.
marîtimesdesArabessednifèrent le plus
souvent sur ces deuxfles, qui étaient plus
à leur portée. Cependant Rhodes elle-
même et toutes les autres Iles de l'ardii-
pel ne restèrent pas entièrement à l'abri
de leurs aggressions. Déjà même , avant
TapparitioD des Arabes, elle avait été ra va-
llée par les Perses, à l'époque de la grande
invasion de Cbosroès , sous le règne de
l'empereur Héraclius, l'au 616. Cbos-
roès avait commencé la dévastation des
antiques monuments de la ville de Rho-
des, dont les dépouilles allèrent orner la
ville de Hamadan, qu'il faisait alors cons-
truire pour être sa capitale. Les Perses
y reparurent encore en 622, l'année
même de l'Hégire, et en emmenèrent ua
grand nombre d'habitants en esclavage.
Peu de temps aprèsJa Perse succonoba
sous les coups des musulmans, et l'em-
pire d'Orient se trouva en face d*un en*
nemi nouveau et plus terrible. Vers le
milieu du septième siècle , sous le calife
Omar, Moawiah, encouragé par les suc-
cès qu'il avait obtenus dans lile de Chy-
pre, résolut de faire de nouvelles courses
sur la Méditerranée. Il équipa une flotte
considérable toute en petits bâtiments;
et il transporta une armée sur douze
cents barques. Abou* Lawar la comman-
dait. Il attaqua d'abord l'île de Cos , qui
lui fut livrée par trahison; il y tua beau-
coup de monoe, fit un ^nd butin , et
détruisit la forteresse qui s'v trouvait. Il
se porta de là dans nie de Crète, puis il
passa dans celle de Rhodes, et s*empara
de la ville et de l'île. Rien ne causa plus
d'admiration aux Sarrasins, encore gros-
siers et ignorants dans les arts , que les
débris du fameux colosse du Soleil, oui
étaient restés sur le rivage du port de-
puis près de neuf cents ans. Les musul-
mans considéraient avec étonnement les
vastes cavités qui s'ouvraient à l'endroit
des fractures, et les prodigieuses masses
de pierres dont on avait rempli l'inti^
rieur du bronze pour lui donner une
assiette solide. Un marchand Juif de la
ville d'Émèse acheta de Moawiah ces
énormes débris, qui firent la charge de
neuf cents chameaux : ce que Muratori,
ajoute Lebeau, traite de fable (1) sans en
(i) Lebeau y Histoire du ff as-Empire, ééL
Saint-Martin, t. XI, p. 354. Gibbon panîl
avoir adopté ropinion de Muratori , ou à
'
ILB DE RHODES.
147
apporter de niioa fliifflinft»(65 de rèie
efirédeane, la douzième année du règne
deCoosUntlI).
L*hi8toîre byxantlne ne fixe pas Fépo-
ooe à laquelle les Arabee lurent obasséB
de rilede Rhodes. Biais, suivant toute
probabilité, ils durent en partir Tannée
soivante ( 664 ), lorsque leur flotte eut été
battue dans la baie de Pbcenica. Tou-
jours est-il qu'au siècle suivant, sous Le
Kgne de l'empereur Anastase D (718),
Rbodes était de noureau le point de rat
liemeotdeseseadres byzantines. Du reste,
taot que le califat di)rient fut redou-
table, et dans le fort de la lutte qu'il sou^
tint eontre l'empire grec, 111e nit cons-
tamment menacée par les courses des
Arabes, qui insultèrent plus d'une fois
ses riTaçes. En 807, sons le règne de To*
ékax mcépbore P', une flotte sarrasine
ayant abordé à cette Ile, au mois de sep^
tttnbm, massacra les habitants, et sac-
cagea tout le pays. La capitale , défen^
doe par une bonne garnison, échappa
arale à la fureur des musulmans (1).
Après la conquête de l'empire grec
par les Latins (1204) , Rhodes fut le lot
aun prince italien, dont rhistoire ne nous
a pas conservé le nom. Le aeoond erope-
Rurde Nîcée, l'habile Jean Dueas Va«
taœ^ rétablit la domination des Grecs sur
la plupart des lies des côtes d'Asie. Il
reprit Rhodes, Lesbos, Chio, Samos,
learie, Cos et plusieurs autres fies de
TArcbipel. Vatace avait accordé toute sa
KTeur a un seigneur grec, nommé Léon
Gabalas, qu'il avait élevé à la dignité de
osar. On lit dans George Aeropolite
que cet ingrat favori prit les armes oon*
^ son bienfaiteur, et s'empara de l'tle
de Rhodes. Vataee envoya pour la re-
prendre Andronie Paléologne, grand do*
ine^ique du palais , déjà illustre par ses
*ocftres , et oui le devint plus encore
^r sa postérité. Andronie, à la tête d'une
flotte et d'une armée, passa dans l'tle de
■«iiu il croit eoraiBe lai que le poids du co*
•pMe a été exagéré ; mais lut-ffléme exagère
ottn davantage quand il ajoute que ce poids
«» !»rtii bieo grand, « lors même qu'on y
coeH.i*qdniit kê oeot ûguiet ooloftsalea el les
^i« milk Matue» qui décoraient la ville du
»ol«I aux jour, de >a prospérilé. > Déca-
»«ce de l'Empire Homam^ C. t.
(OUbeau, Hîst, au Bas-Empire, XII, 4lo,
Rhodes, en plein hiver, et combattit le
rebelle (1283). L'historien se contente
de dire que tout réussit au gré de Vatace,
sans entrer dans aucun détail. Il nous
apprend seulement que cette expédition
de Rbodes, quoique heureuse pour l'é-
vénement, oodta grand nombre de sol-
dats , qui périrent dans les combats ou
par la rigueur de Thiver (1). •
Quelque temps après nous voyons le
fouvemement de l'fle de Rhodes confié
Jean Gabalas , frère de ce Léon qui
avait soulevé cette Ile quinte ans aupa-
ravant. L'an 1249, pendant une absence
du gouverneur, une flotte génoise, avant
abordé de nuit, surprit la ville, et s em»
para de Ttie entière. Aussitôt, par ordre
de l'empereur Vataee, Jean Caotacusône^
Souvemeor de Lydie et de Carie, passe
ans Itle avec le peu de troupes qu'M
atait, combat les Génois, et reprend plu-
sieurs placeB. Ajrant reçu im ronfort con-
sidérable, il assiège la* ville de Rhodes,
oili les Génois, abondamment pourvus de
vivres , étaient en état de résister long-
temps. Cependant la vigueur de Canta-
eualène, ses attaques vives et continuel*
les les auraient mentôt réduits, sans un
secours imprévu qui leur arriva. GuiU
laume de Villehardouin, prince d'Acfaaïe^
et Hugues, duc de Bouiigogoe, qui al-
laient en Terre Sainte avec une flotte
bien garnie de troupes , passèrent par
Rhodes, etconsentirent volontiers à lais-
ser aux Génois plus de cent de leurs meil*
leurs cavaliers. Ceux*ci commencèrent
par une sortie qui obligea les Grecs, fort
maltraités, à lever le siège et à se retirer
dans Philérème. Les cavaliers , laissant
ensuite les Génois à la garde de la place,
se chargèrent de battre la campagne,
pour amener des convois et enlever ceux
de l'ennemi. En sorte qu'en peu de
temps les Grecs, comme assiégés eux«
mêmes, furent réduits à la disette. Cepen*
dant Vatace, étant venu à Nymphée, Ht
en diligence équipera Smyrne une grande
flotte et embarquer trois cents clievaux.
Il en confia le commandement à Théo«
dore Contostéphane . qui était revêtu de
la dignité de protosébaste ; et n<m cou*
tent de Tinstruire de vive voix, il lui
donna par écrit les détails de l'opération
(i) Georg. AcropoLy c. uvii, xxviir;
Voy, Lebeauy id., t. XVH, p. 367.
]0,
148
L'UNIVERS.
^u'il devait faire. Là fldâité du général
à suivre les iDStmctions d'au maître
si expérimenté le rendit vainqueur. Les
eavaliers auxiliaires furent tons taillés
enpièees. Les Génois, renfermés dans la
place, s'y défendirent pendant quelques
jours ; enfin, perdant courage, ils se ren-
dirent, à condition d^avoir la vie sauve.
On les conduisit à Tempereur, qui était
très-disposé, par son humanité naturelle,
à leur faire grace, même sans conditions.
L'Ile de Rhodes rentra ainsi sous la
puissance de Vataee (1). Bientôt après
lies Grecs reprirent Constantinople aux
Latins, sons le règne de Michel Paléo-
gue ( 1261 ) ; mais leur empire était plus
chancelant que Jamais. Un seigneur de
la Qualla, gouverneur de Rhodes, se dé-
clara ind^ndant, sans que l'empereur
pût étoufrer cette révolte, et des pirates
turcs dévastèrent impunément cette tie
ainsi que cdle de Ghio, de Samos et d'au-
tres dans rArchipel.
GORQUÉTB DB lIlB DB RHODBS PAH
LBS GHBYALIBRS DB SaINT-JbAN DB
JBBnsALEH (1309). — A la fin du trei-
fluème siècle le royaume de Jérusalem
avait succombé sous les coups des son-
dans d'Egypte. La prise de Saint- Jean
d'Acre parKalll-Ascraf (1291) avait forcé
les ordres militaires et religieux de la
Terre Sainte à abandonner cette contrée,
que leur valeur n'avait pu défendre (2).
Pendant quelques années les chevaliers
de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem
résidèrent dans l'île de Chypre, où les
avait reçus le roi Henri II de Lusignan.
Mais ce n'était là qu'une situation pro-
irisoire, qui ne convenait ni aux cheva-
liers, qui avaient besoin d'indépendance,
ni au roi , pour lequel ils étaient des
hôtes trop puissants. Depuis l'an 1800
les hospitaliers avaient a leur tâte Guil-
laume de Villaret ou de Villars, vingt-
troisième grand mattre de Tordre. Mé-
content de rhospitalité ombrageuse du
roi de Chypre, Guillaume de Villaret
résolut de donner à son ordre une r^i-
dence ou il ne dépendrait d'aucun sou-
verain temporel et où il pourrait conti-
nuer la guerre contre rislamisme. Il jeta
(x) Lebeau, But, du Bas-Empire, t XTII,
p. 433.
(a) rojr. plus haut l'histoire de 111e d^
Chypre, p. 68.
les yeux sur Itte de Rhodes, dont la po>
Bîtibn géographique offrait tous les avan-
tages désirables , et dont l'état précaire
promettait une facile conquête. En effet,
Rhodes ne reconnaissait plus que de
nom la souveraineté de i empereur de
Cottstantmople, Andronie II, qui n'y
possédait alors qu'une forteresse. Elle
était occupée en partie par des seigneurs
grecs indépendants , en partie par des
Turcs, et cette anarchie où elle^était plon-
§jke donnait des chances à ^iconque se
présenterait pour la conquérir. Gmllaïune
de Villaret, sans rien communiquer à
personne de ses desseins, vint à Rhodes,
«n parcourut toutes les côtes, en exa-
mina les fortifications , et de retour à
Limisso il se préparait à aghr, l<»sque la
mort le prévint, l'an 1806.
FO0LQ0B8 DB Villaubt , TIlieT-
QUATUEICB GBÀNDMAtTBB(1806-IS19).
— Le nouveau grand mattre , homme
de grand entendement et de grand
ciBur (1), hérita des projets de son pré-
décesseur, et se mit aussitôt à Toeavre.
Mais, ne se sentant pas en état de faire
la conquête de l'tle de Rhodes avee les
seules forces de l'ordre, il passa ea
France, et alla trouver à Poitiers dé-
ment V et Philippe le Bel, auxquels il fit
approuver l'entreprise. Le pape seconda
le grand mattre avec beaucoup de lèàe ; il
fit prêcher la guerre sainte, il accorda un
Jubilé et des indu^ences plénières à qui-
conque concourrait à l'expédition, dont
le but était toujours tenu secret. Bientôt
une flotte se rassembla à Brindes, d'où
Foulques de Villaret s'embarqua au prin-
temps de l'année 1308. Il conduisit son
escadre à Limisso, d'où, après avoir ras-
semblé le restedeses forces, il fitToile vers
le port de Macri, sur les côtes de la Ljrcie.
On rapporte qu'avant son voyage en
France, Villaret était passé secrètement
à Constantinople, oiï l'empereur Andro-
nie lui avait donné l'investiture de Ff le
qu'il s'apprêtait à conquérir. Outre l'in-
vraisemblance du fait, ce témoignage esc
contredit par d'autres historiens, q[iii
prétendent que ce fut de Maori que Vil-
laret s'of^t à reconnaître la suzeraineté
de
recevrait
l'empereur grec , à condition qu'il en
«vrait rinvestiture de Rhodes, et
(i) Battdoin, StsM>e des Chevaliers, etc.
t, I, p. 59.
ILE DE BHODES.
149
gne oetlt pmp^tàànm fiit mêlée avec
mépris. Quoi qa*il en soit, des oue les
espions enyoyes poor explorer 111e fu-
rent revenus a Macri, la flotte des che-
valiers s'approcha de Rhodes , et le dé*
l»armienient eut lieu après un léger
eomnat. Les Turcs et les Sarrasins s é-
tant réunis pour repousser cette agres-
sion, Villaret les dispersa, et vint mettre
le siège devant la ville. Après plusieurs
assauts inutiles, il convertit le siège en
blocus. Alors le découragement com-
mença à se répandre parmi les croisés
qui 1 avaient accompagné. L'argent man-
quait; la désertion menaçait de disperser
son armée, les musulmans avaient re«
f^ris l'offensive et établi leur camp non
oio de celui du grand maître. Mais Vil*
laret rétablit la confiance par sa cons-
tance et son courage. Les assauts re-
commencèrent, plus fréquents et plus
terribles, et la ville de Rnodes fut em-
portée le 15 août 1309, jour deTAssomp-
tiofi. On raconte que quelques chevaliers
s'étant recouverts de peaux de mouton,
se glissèrent parmi des trou|)eaux prêts
à entrer dans Rhodes ; qu'arrivés sous la
porte ils se relevèrent, massacrèrent les
sentinelles et s'emparèrent ainsi de la
ville. Ce singulier stratagèmeétait repré-
senté sur de ma§[nifiques tapisseries que
legrandmaftre Pierre d'Aubusson fit exé-
cuter à grands frais en Flandre , sur les
dessins de Quintin Messis, surnommé le
maréchal d'Anvers. Les Turcs s'emparè-
rent de ces tapis après le siège de Rhodes
en 1522, et depuis il n'en a plus été
question (l). La prise de la capitale en-
traîna la soumission de Vile entière, et
la conquête de Rhodes fut suivie de cel-
les des sept tles adjacentes Nisara, Pis-
copia,Calchi ou Carchi, Limonia, Simie,
Tilo et Saint-Nicolas, qui suivaient pres-
que toujours la fortune de Rhodes.
Quatre ans après, les galères de Tordre,
qui avait quitté Chypre pour s'établir
oans sa nouvelle conauéte, sortirent en
mer et s'emparèrent des îles de Lango ,
Lero et Calamo, autrefois Cos, Léros
et Garos. Lango était la plus impor-
tante de toutes Tes dépendances de ror-
dre. Foulaues de Villaret la fortifia d'un
château flanqué de quatre tours car-
(i) Rottiers, Monumenis de Rltodet, p» 6z;
CoronelU, UoU di Rodi, p. 7 1 . *^
rées , et ses successeurs embellirent cette
ville de magnifiques édifices en marbre.
Lango possédait aussi un évéché , et de-
vint un bailliage de l'ordre.
Orioine et oegantsation bk
l'obdrs des chbtàliees de SàIRT-
Jeaii de Jébusàlem. — Ainsi Tlle de
Rhodes fut définitivement détachée de
l'empire grec, et enlevée aux musul-
mans , qui en étaient déjà presque les
maîtres. Pendant plus de deux siècles
elle fut la capitale d'un État chrétien
fondé par la valeur de ce glorieux ordre
de Saint-Jean de Jérusalem, créé pour la
défense du samt-sépulcre , et dont les
chevaliers, forcés d'abandonner la Terre
Sainte, leur premier poste, allaient four-
nir dans rtle de Rhodes une nouvelle
carrière d'héroïsme et de dévouement.
Sans contredit aucune des tles de la
Grèce n'offre dans son histoire le spec-
tacle d'une aussi singulière transforma-
tion; non pas même l'tle de Chvpre,
Fui, tout en partageant avec Rnodes
honneur de couvrir la chrétienté du
côté de l'Orient , reste un royaume sé-
culier, et ne devient pas, comme elle, le
poste avancé , la forteresse de la religion
contre l'islamisme. Comment donc s'é-
tait formé et accru ce merveilleux ordre
de Saint-Jean de Jérusalem , dont l'his-
toire montre si visiblement tout ce ^ue
{>eut la religion chrétienne pour associer
es hommes et les faire agu*, et dont il
serait peut-être téméraire de dire que les
destinées sont accomplies ?
Un Provençal, Gérard Tune des Marti-
eues , s'était dévoué au service des ma-
lades dans l'hôpital que des marchands
d'Amalfi avaient construit auprès du
saint-sépulcre, l'an 1050. L'ardente cha-
rité de Gérard Tune se communiqua aux
autres serviteurs des malades de l'hôpi-
tal ; ils prirent l'habit religieux , firent
vœu de pauvreté, de chasteté et d'obéis-
sance, et en 1113 le pape Pascal II, ap-
prouvant le nouvel ordre, adressa à Gé-
rard Tune une bulle qui le nommait
fondateur et chef des Hospitaliers, et
conférait aux frères seuls, après sa mort,
le droit de lui élire un successeur (1),
(x) "Voir dana les sUtuts de l'ordre, lit. Xm,
la foiin* de t élection du Grand- Maîsire de
t Hôpital de Hiérusalemy Baudoin et Naberat,
9*prtie, p. XI 5.
150
Jusque là les bospitaliers avaient dé-'
pendu des moines du monastère du Saint-
sépulcre. Cette bulle de Pascal 11 les ren»
dait indépendants de toute juridiction
étrangère. Alors Gérard Tune fit bâtir
une église sous Tinvocatiou de saint Jean-
Baptiste, et autour de Téglise s'élevèrent
les vastes bâtiments de l'hôpital. Son
zèle ne se borna pas à doter la Terre
Sainte de ces utiles établissements. En
Provence, en Andalousie, dans la Sicile,
dans la Pouille, il fonda des hôpitaux
' et des maisons de charité où Ton recueil-
lait les pèlerins, les pauvres, les mala-
des, et qui donnèrent naissance aux
cpmmanderies. En 1118 Raymond du
Puy, gentilhomme du Dauphmé, succé*
da à Gérard Tune par l'élection libre et
unanime des frères bospitaliers. Ray-
mond du Puy était un homme de guerre.
Blessé dans un combat il avait été guéri
Sar les frères de THôpital ; il était entré
ans leur ordre , il en avait accepté l'es-
prit de charité, et bientôt il le remplit de
son esprit guerrier. Il proposa aux frères
hospitaliers de joindre aux trois pre-
miers vœux qui les avaient réunis celui
de prendre les armes pour la défense de
la religion. Cette proposition fut accueil-
lie avec transport, et Tordre fut sur-le-
champ classé en trois divisions : les prê-
tres, ou aumôniers ; les frères servants,
3ui devaient demeurer auprès des mala-
es ; enfin, les chevaliers, qui portèrent
répée sous le froc de religieux. Dès que
l'ordre eut revêtu ce nouveau caractère,
une foule de jeunes chevaliers vinrent
s'enrôler dans cette milice sacrée. On les
sépara d'après les royaumes ou provin-
ces d'où ils arrivaient, et ils formèrent
des corps distincts, qui prirent d'abord
le nom de langues , et plus tard celui
i^auberges.
Raymond du Puy donna à l'ordre ses
premiers statuts, qui, développés et com-
pléta par ses successeurs , forment un
ensemnle considérable de règles, de pré-
ceptes (1) et d'ordonnances dont voici
)66 principaux traits : « L'habillement
commun des chevaliers était dans Ton-
tine une longue robe noire descendant
]usqu*aux pieds, recouverte en haut d'un
U) Forez dans VHistoire de Baudoin et de
Kaoerat les Statuts de tordre de Saint-Jean
4e Hierusalem, t. II, p. 3-172.
manteau noir auquel iénlc atMdié an
eapuee pointu, ce qui le fit nommar
manteau à bec : la croix blanehe y était
cousue et placée sur la poitrine, du eolé
du cœur. Ce fut Alexandre lY qui,
en 1259, jugea à propos d'établir mie
différence entre l'habit des servants et
celui des chevaliers. D'aprèv œs statuts,
ceux-ci eurent seuls le droit de porter la
manteau noir en temps de paix ; quand
ils allaient à la guerre, ifs se reeoa*
Traient d^une soubreveste rouge {tth
pra veste)^ toujours décorée delà eroix
de la religion.
« Pour être admis dans l'ordre il
fallait prouver sa descendance de pa-
rents nobles de nom et d'armes (1).
Gomme autrefois à Sparte, on rejetait
ceux qu'une complexion faible, un corpi
énervé, ou quelques difformités reo-
daimt impropres aux fatigues de la
guerre. On avait fixé l'âge de seize ans
pour faire ses vœux , mais on ne rece-
vait qu'à dix-huit ans Thabit de cheva-
lier, et l'on était obligé de passer un in
entier dans la maison des hospitalien
avant la réception définitive. « Mous
« vouions , avaient dit les andeiis de
« l'ordre, que de chacun on puisse oon-
« naître la vie, les moeurs et la sofli-
« sanoe. » L'année d'épreuves éooiiiée,
le récipiendaire se contessait, et venait,
revêtu d'une robe séculière, se présenter
à l'autel , un cierge allumé k la noaio.
Après avoir entendu la messe et conanHi-
nié, il s'approchait du grand maître, ou
d'un chevalier délégué par lui , et de-
mandait humblement « qu'il lui pi (h
l'admettre en oompa^îe dès autres frè-
res de la sacrée religion de l'Hénital de
Jérusalem. » L'aspirant, auquel le grand
maître exposait la noblesse et l'étendue
des devoirs qu'il allait contracter, jurait
ensuite ^n'ii n'était engagé dans aueoD
erdre, ni esclave, ni poursuivi pour det-
tes, qu'il n'avait ni promis ni contracté
mariage ; alors on le faisait approcher, et
les deux mains jointes sur I Evangile il
pronon^it ces paroles. « Je fais vœu et
« je promets à Dieu tou^ poissant , à b
« bienheureuse vierge Marie , et à saint
(i) Toir les imstracttons pour faire ira
preuves de noblesse des chevauers de Maiihe^
par le commandeur delCaberat, 3* partie d«
VHistoire de Baudoin et de Nabmt, p. i63.
ILE DE RHODES
ISt
t Jean-Baptisce , dé rendre toujours ;
« avec Taide de Diea , une Traie obéis»
t sanœ ao supérieur qui me sera donné
< par Dieu et par notre ordre; de vivra
« sans rien posséder en propre et d'ob-
« server la enasteté. »
Bientôt, et après une nouvelle profes-»
sion de foi, le néophyte était revêtu àa
manteau de Tordre, et en lui appliquant
la croix sur la poitrine : « Au nom de
< ia très-sainte Trinité, de la bienheu-
t reose vierge Marie, et de saint Jean-
« Baptiste, disait le grand mattre, re^
« COIS ce signe pour raccroissement de
* fa foi, la défense du nom chrétien, et
« pour le service des pauvres; car c'est
« pour cela, chevalier, que>nous te pia-
« çoDS la croix de ce coté, afin que tu
« Taimes de tout ton cœur, que tu la
• défendes de ton bras droit, que tu la
< conserves après l'avoir défendue. £R
« jamais en combattant pour J^us-
" Christ, contre les ennemis de la foi ,
< ta abandonnais Tétendardde la sainte
« Croix, si tu voulais f échapper d'une
« soerre sacrée et juste, tu serais privé
« deoesigneglorieuxcommeparjureaux
« vœux ({ue tu as proférés, et retranché
« do milieu de nous comme une bran*
« ciie infecte et pourrie. » En achevant
ces paroles, le ^and mattre attachait le
manteau du récipiendaire^ lui donnait le
baiser de paix et d'amour , et tous les
chevaliers présents venaient embrasser
le nouveau trère.
« Des lois sévères et nombreuses ré-
{essaient ces religieux guerriers, et elles
n'étaient point abrogées encore lorsque ,
dans des temps plus modernes, un relâ-
chement général affaiblit la jpîété de
Tordre, et que la prise d'habit devint
moins un acte de dévouement qu'un cal*
cnl ; souvent alors on fut contraint d'ar*-
nicher l'habit à des chevaliers qui s'en
étaient rendus indignes en le déshono-
rant par leurs vices et leur conduite cou*
pable. Il fallait néanmoins des causes
graves pour encourir un tel acte de ri-
gueur : telles étaient le parjure de ses
voeux, la rébellion envers le pand
mattre, et surtout l'opprobre d'avoir foi
devant l'ennemi. Comme dans une cala-
mité publique ce n'était pins le conseil
senl, mais tous les chevaliers qui se rén*
misaient au son des docbes , et la honte
des coupables y était proclamée de la
manière la plu» solennelle. Amené en-
tre deux haies de gardes par le maître
écuyer, on instruisait les assistants du
crime qui lui était imputé; un jury, com-
posé des baillis de 1 ordre, s organisait
sur-le-champ, et le procureur du grand
mattre soutenait l'accusation. L'accusé
pouvait répondre et se défendre. S'il
avouait sa taute en implorant le pardoUi
les juges reparaissaient devant 1 assem*
blée, et par trois fols imploraient en fa-
veur du criminel la clémence du ^nd
mettre et des chevaliers; si , persistant
à tout nier, il demeurait convaincu par
les feits et de nombreux témoignages ,
la sentence était d'abord prononcée;
toutefois le droit d'implorer sa grftce res-
tait encore au criminel, et les baillis ,
joignant ordinahrement leurs voix à la
sienne, se trouvaient jusqu'à la fin juges
et protecteurs.
« Mais lorsque d'accord avec les che*
▼allers, le grand maître avait par trois
fois rejeté les supplications du conseil
et des baillis, on taisait mettre le cou-
pable à genoux pour entendre sa sen-
tence, et dès qu'il était déclaré à haute
voix infâme et eorrompu, le mattre
écuyer déliait les nœuds du manteau,
l'arrachait^ et les gardes reconduisaient
ignominieusement en prison le chevalier
dégradé ; cette privation de l'habit était
rendue plus terrible par la perte entière
de tous les droits, de tous les bénéfices,
et Toubli de tous les services qu'il avait
pu rendre. Une prison perpétuelle de-
venait la demeure de rinfàme, oui ne
communiquait plus qu'avec les geôliers.
« GepeiHlant tout espoir n'était point
enlevé aux malheureux que :leur jeu-
nesse ou des erreurs passagères pou-
vaient avoir entraînés; un statut or-
donna que s'ils se convertissaient et
changeaient totalement de conduite, les
prisonniers pourraient non-seulement
recouvrer leur liberté, mais même être
admis de nouveau dans l'ordre. Ils fai-
saient alors amende honorable, la corde
au cou, les mainsjointes et liées, tenait
un cierge alluma en robe séculière ou
en chemise, suivant la gravité de l'of-
fsnse; ils se prosternaient aux pieds du
grand mattre, faisant le serment de
mieux vivre à revenir, imploraient leiur
crîice, et s'ils l'obtenaient, admis dans
les rangs des chevaliers, il était défendu
161
L17NIV£B&
à tous les frèreB de kar ? eproober, de
leur rappeler odéme leur condaauia-
tioo (1). »
Il paraît, dit Vertot (3), que la forme
da ^uvemement de cet ordre était dès
Tongine purement aristocratique : Tau-
torite suprême était renfermée dans le
conseil, oont le mattre des hospitaliers
était le chef, et en cette qualité et en cas
de partage il y avait deux voix. Ce con-
seil avait la direction des grands biens
que Tordre possédait tant en Asie qu*ea
Europe; l'origine de ces grands biens
était les donations et fondations faites
par les rois, les princes et les seigneurs
en faveur des hospitaliers de Saint- Jean,
qui, après en avoir tiré ce qui était né-
cessaire à leur subsistance, consacraient
tout le reste à nourrir les pauvres ou à
soutenir la guerre contre les infidèles.
Jacques de vitry, évéque d'Acre en Pa-
lestine , au douzième siècle , rapporte
que de son temps les hospitaliers et les
templiers étaient aussi puissants gue des
princes souverains, et, selon Mathieu
JPâris , autre auteur contemporain, les
hospitaliers^ possédaient dans retendue
de la chrétienté jusau'à dix-neuf mille
mcMoirs^ terme par lequel on entendait
communément le labour d'une charrue
à deux bœufs.
Les propriétés de Tordre étaient par-
tagées en prieurés, qui se subdivisaient
en bailliages et en commanderies. D'a-
bord Tadministration de ces domaines
était donnée à des chevaliers qui avaient
le titre de précepteurs : c'étaient de
simples économes, dont la commission
ne durait qu'autant que le grand maître
et le conseil le jugeaient à propos. Sous
le magistère d^Hugues de Revel ( 1260)
on réoreanisa Tadministration des biens
de Tordre. Les précepteurs furent rem-
placés par les commandeurs; la divi-
sion en prieurés prit sa forme définitive.
Chaque prieur dut réunir les contribu-
tions ordinaires de chaque commanderie
de son prieuré appelées re</70f»ion5, qui
pouvaient être augmentées selon les be-
soins de Tordre, et en conséquence des
(x) De YiUeneuTe-BtfgeiiiODt, MîonumenU
4ti Grands Maitret de F Ordre de Saint-Jean
de Jérttsalem, C I, p. aS el Hiiv»
(a) Yertoi, Histoire d^ tOrtfrf 4p U«dte^
t. I, p. 59.
ordonnances et décrets du cbapitie gé-
néral.
Le chapitre général était la grande as-
semblée ae Tordre , ou assistaient tous
les chevaliers présents , et où se déci-
daient les grandes afEaires de la commu-
nauté. La convocation en était déter-
minée par les ^constances, et n'avait
lieu quelquefois gu'à de longs inter-
valles. A Texception des statuts orga-
niques et des décrets de réformation,
qm étaient toujours délibérés et arrêtés
en chapitre général , le reste du gouver-
nement appartenait au grand mattre et
au conseil , qui se composait des hauts
officiers de Tordre, savoir : les prieurs,
les baillis, le maréchal, le srand comman-
deur, le drapier, Thospitalier, et le tureo-
polier (1).
Dès l'origine de Tordre on vit aoeou-
rir en foule la jeune noblesse de la
chrétienté pour s'enrôler sous les ensei-
gnes de la religion. Alors on sépara les
chevaliers d'après leur nation, ^ on en
forma sept langues, savoir .-Provence,
Auvergne, France, Italie, Aragon, Alle-
magne et Angleterre. Dans les premiers
siècles de Tordre, les prieurés, bailliages
et commanderies, étaient communs in-
différemmoit à tous les chevaliers , ao
lieu que ces dignités ont été depuis af-
fectées à chaque langue et à chaque na-
tion particulière. Plus tard le nombre
des langues fut porté à huit, par la créa-
tion de celle de Castille et de Portugal.
Mais après le schisme d'Henri VIII la
suppression de la langue d'Angleterre
en ramena de nouveau Te nombre à sept.
Cette organisation de Tordre de Saint-
Jean de Jérusalem ne fiit pas.Tœuvre
d'un jour. Elle se développa et se com-
pléta successivement, selon les circons-
tances et les besoins du moment , pen-
dant toutes les vicissitudes de l'existence
(x) Les turcopoles, dit Yertot, 1. 1, p. ao6,
d'où a été forme le nom de tureopoRer, étaient
smdeiiDemeiit des compagnies de che^n-
légers. L'origine de ce terme menait des Tbr-
comans, qui appelaient en général Tttrto^oUs
les enfants nés d'une mère grecque el d'un
père turcoman , et qui. étaient destinés à la
milice. Ce fat depuis un titre de dignité nili-
laire dans le royaume de Ckypret d*où il
était passé dans Tordre de Saint-Jean. Mais
les hosoitaliers ne s'en servaient que pour dé-
signer le colonel général de l'infanterie
ILJfL DE RHODES.
<6a
li agitée di e0l ordre, qiielafeniuieëe
laoïerre avait déjà toreé plusieurs fois
à coaoger de résidence. £q effet, après
la prise de Jérusalem, en 1187, les che*
Tahers s'étaient retirés à Margat, une de
Jeun forteresses de Palestine. Le neu-
vième grand maître de Tordre, £rmen«
ard d Aps, alla s'établir à Saint- Jean
d*Aere, qui était devenue la capitale du
royaume chrétien de la Terre Sainte. Un
instant, de 1286 à 1244, les hospitaliers
purent reparaître à Jérusalem, d où Tin-
vasion des Turcs Kharismiens les chassa
de uoaveau. Us revinrent à Margat et à
SaiDt-Jean d*Acre, où ils restèrent jus*
qu*à la prise de cette ville par le fils de
iélaoun. Jean de Villiers , vingt et
UDième grand maître, se retira dans File
de Chypre, à Limisso, où Tordre sé-
journa jusqu'en 1309, époque à laquelle
il Tint s'installer dans 1 île de Rhodes ,
sa récente conquête. L'ordre de Saint-
Jean de Jérusalem resta à Rhodes de
Tan 1309 à Tan 1522 sous le gouverne-
ment de dix-neuf grands maîtres depuis
Foulques de Yillaret, le vingt-quatrième,
JQsqu a Villiers de TUe Adam, le aua-
rante-deuxième. Cette période de l'his-
toire des cltôvaliers de Rhodes, comme
ils s'appelèrent alors, fut une croisade
continuelle contre tes Turcs, dont ils
retardèrent longtemps les conquêtes
dans l'Archipel , alors que toute T£u-
lope orientale leur était déjà soumise.
DEJlNltABS ANNÉES DB FOULQUES
dbTillàbex. — Au moment où Tordre
de THôpiUl s'établissait dans Tîle de
Rhodes, la Méditerranée était déjà par*
courue par des pirates turcs, qui en dé«
Testèrent les îles depuis le Bosphore
jusqu'à Gibraltar. Les historiens byzan-
tins font mention des diverses descentes
des flottes turques et de leurs ravages
dans les îles des Princes, de Samos , de
Carpathos, de Lemnos, de Lesbos, de
Candie, de Malte, de Rhodes, et dans
les autres Gyclades. C'était même aux
Turcs plutôt qu'aux Grecs que Rhodes
avait été enlevée par les chevaliers de
Saint-Jean. Maïs il n'est pas probable
qu'ils aient eu déjà pour adversaires les
Turcs Ottomans. Othman, fils d'Erdo-
grul, avait déjà, il est vrai , jeté les fon-
dements du puissant empire qui devait
plus tard réunir toutes ces contrées sous
sa domination. Mais àcette époque, 1310,
A ne s'étmi eiieon ^prandi que
rintérieur de T Asie Mmeure ; son
dans
terri*
toire s'étendait à peine jusqu'à la mer*
où il n'avait eonquis que la position de
ILalolimni; aussi peut-on conjecturer
avec raison que ces flottes turques dont
il est fiait si souvent mention dans Ba-
chymère et dans les historiens byzan^
tins de ce temps-là appartiennent non
aux Ottomans, mais aux princes turcs
de Karasi, de Saroukhan, d'Aîdin et
de Mentesché, qui occupaient les oôtea
de TAsie Mineure depuis le golfe de Mo-
dania jusqu'à celui de Megri (Telmis-
sus) (1). Si donc Tan 1310 Rhodes
eut à se défendre contre les attaques des
Turcs, ce ne fut pas Témir ottoman qui
dirigea cette expédition, comme le ra*
conte Vertot et presque tous les histo-
riens de Tordre, mais l'un de ces princes
turcs qui s'étaient élevés sur les débris
deTempiredesSeldjoucides,et le dernier
historien des Ottomans, M. de Hammer,
se garde bien d'attribuer au fils d'Erdo-
grul cette prétendue expédition mari-
time.
Outre le succès de leur établissement
dans Rhodes, les chevaliers de Saint-
Jean firent bientôt un héritage inat*.
tendu, qui leur procura d'immenses ri-
chesses. L'ordre des templiers venait
d'être aboli; le pape, en frappant cet
ordre pour complaire à Philippe le Bel,
conserva une partie de ses biens à
la religion, en les donnant aux cheva-
liers de Rhodes , qui en firent prendre
possession par neuf commissaires nom-
més par le grand maître et le conseil.
« Mais, dit Vertot (2), ces différentes
sources de richesses, si avantageusesdans
un Ëtat purement séculier, affaiblirent
insensiblement cet ordre religieux. La
puissance temporelle, poussée trop loin,
causa depuis sa faiblesse : et les grands
biens, surtout des particuliers, introdui-
sirent parmi les plus jeunes chevaliers
le luxe, la mollesse et les plaisirs. » As-
surément c'est trop tôt annoncer la dé-
cadence d'un ordre à qui étaient encore
réservés plusieurs siècles d'une histoire
(z) De Hammer, Histoire des Ottomans ,
t» I, p. ga.
(a) Vertot, Histoire des ClievaUers hospi-
t^ers de Saint-Jean de Jérusahm, clc,
t. ,Uy p. a.
154
iromvERa
^orieiiM. et on peut reeoanafire à cette
i^reté de langage eombien sont justes
les reproches adressés à Vertot sar Tin*-
exactitude de ses jagements et de ses
récits dans cette histoire des ebeyaliers de
fiaîDtJean^ qui pourtant lui avait été corn*
mandée par Tordre lui^néme. La vérité
est que Foulques de Tillaret, enorgueilli
par le bonheur de ses entreprises et les
grands accroissements de Tordre sous son
Souremement, se laissa aller à la fougue
e son caractère et à rentraînement de ses
passions. Infidèle aux anciennes mœurs
de Tordre, il s*adonna au luxe et à la mol-
lesse , sacrifia les affaires aux plaisirs ,
et, affectant des manières absolues et
despotiques , rejeta dédaigneusement
tous les conseils et viola ouvertement
toutes les règles. Mais les torts du grand
maître étaient si peu ceux de Tordre eu'
tier, que le plus vif mécontentement se
manitesta bientôt. Le conseil somma le
grand maître de rendre compte de son
administration, qui était si désordonnée,
que les dettes de Tordre augmentaient
tous les jours ; sur son refus de répondre
à cette sommation, queloues cheva-
liers, ayant à leur tête le rigide comman-
deur Maurice de Paenac, formèrent le
coupable dessein de s emparer du grand
maître et de le traîner devant le conseil.
Averti à temps, Foulques s'échappa, et
vint se retrancher dans le château de
Lindo, d'où il protesta contre ce que
pourrait décider le conseil, et fit appel
au souverain pontife (1817).
La fuite de Foulques de Villaret irrita
Tordre entier. Le grand maître fut dé-
posé et Maurice de Pagnacélu à sa place;
Un schisme déplorable allait déchirer
Tordre de Saint-Jean, lorsoue le pape
Jean XXII évooua Tamire a son tribu-
nal , suspendit les deux çrands maîtres,
et chargea Gérard de Pins d'adminis-
trer pendant l'interrègne. Bientôt les
deux compétiteurs arrivèrent devantleur
juge. Un accueil bien différent leur
avait été fait en France. On ne connais-
sait au loin que la gloire et les exploits
de Foulques : on le traita en héros;
Maurice de Pagnae, qui portait un nom
obscur, fut regardé comme un chef de
séditieux. 11 se retira à Montpellier, où
il mourut, en 1818. Foulques restait
inrand maître ; mais le pape reconnut dans
tordre une répugnance si invincible et
d'ailleurs bien fondée à loi obéir, quH
ledétermina à abdiquer, Tan 1819, à coa-
didon qu'il jouirait sa vie durant d'un
prieuré indépendant de toute redevanœ
et de toute responsabilité. Puis les die-
valiers réunis a Avignon procédèrent à
l'élection d*un nouveau grand maître,
et , sur la recommandation du pape, ih
élurent le Provençal Hélion ne Ville
neuve , grand prieur de Saint-Gilles.
Ainsi Thabireté et Tesprit conciliant
de Jean XXII avaient prom|)tement ter-
miné une querelle qui pouvait dégénérer
en guerre civile et entraîner les plus fi-
cheuses conséquences pour les mtéréts
de Tordre et de la chrétienté ; et ce n'est
{>as la seule fois que nous signalerons
'intervention des souverains pontifes
comme arbitres des actions de Tordre.
« Les chevaliers de THôpital étant uni-
« quement destinés , comme le dit Ray*
« moud du Puy dans sa règle, à combattre
« pour la gloire de Jésus-Christ , pour
« maintenir son culte et la religion catho-
« lique, aimer, révérer et consen-er la jus-
« tice, favoriser, soutenir et défendre ceux
«( qui sont dans Toppression , sans négli-
« ger les devoirs de la sainte hospitalité, •
« il était naturel que des liens étroits
rattachassent ces soldats - religieux à h
chaire apostolique, d'où émanent pour
le monde chrétien les sublimes exem-
ples et les paroles d*encouragement do
serviteur des serviteurs de Dieu ; il tt»
tait donc une sorte de filiation entre
Tordre de THôpital et le souverain poih
tificat. Indépendamment de ce motif, le
pouvoir moral du pape s'élevait , dans
ces siècles de foi , au-dessus même ^f
celui des rois et des empereurs ; dans
Tintérét de Tunité religieuse , que Ton
confondit trop souvent avec Tnmté poli-
tique acquise au j^rofitdeRome, le suc-
cesseur de saint Pierre concentrait à son
tribunal la connaissance de toutes les
matières qui avaient trait au bien de b
religion, et propageait sur tous les
points de Tumvers catholique Tautorité
de ses décisions. Or, par leur nature
même, les ordres religieux et militaires,
tels aue celui de THôpital, se trouvaient
S lacés dans une dépendance plus imme-
iate du saint-siége , et devaient, par
conséquent , subir d'une manière plus
directe son action toute-puissante. (Test
ce qui fait qu'à considérer les chevaliers
ILE DS ftSODGS.
i»:
de SmUleaxk de Jérusalem , même ate-
traetioD laite des rapfiorts nécessaires
qui unissent au saint-siége an ordre re-
ligieux, il faut convenir que leur institu-
tion, quoiqu'elle eât son existence à
part et sa vie politique, n*aurait iamais
pu s'afi&ancbir, comme tant d autres
£tâts, de la tutelle de Rome, n! se dé-
veloj^per d*une manière aussi forte qu'à
l'abri de sa vivifiante influence (1). »
HSLION DE YlIXENEUTE, VÏWGT-
CINQUIEME GRAND MAÎTAE (1819-1 346).
—A peine le nouveau grand mattre fot-il
élo, que le pape le félicita de son éléva-
tion par une nulle datée d* Avignon , le
19 juin 1319, où il s'exprimait en des
ternies : « £a notre présence et en celle
de DOS frères, réunis dans un consis-
toire secret, BOUS les exhortâmes avec
ifltianee à «hoisir et à nommer pour
grand mattre celui qu'ils Jugeraient le
plos propre à eette haute dignité. Après
en avoir mûrement conféré entre eux,
diaoïn se retira à part , et prenant en
considération le zèle religieux , la purc^
de vie , la gravité de moeurs et ta sagesse
de conseil qui tous ont toujours distin-
i^ué, ainsi que la valeur extraordinaire
oue TOUS avez constamment déployée
dans la Terre Sainte contre les nations
ioiidèles; ayant également égard aux
iKMnbreux services que vous avez rendus
i I ordre dans les différentes adminis-
trations qui vous ont été confiées, et où
vous n*avei pas montré moins de désin-
téressement que de prudenee et de sa-
gesse; enfin, n*oubliant ni votre rare
nreonspeetion , ni votre esprit de pré-
▼ojance, ni tontes les autres vertus aont
voas avez donné tant de preuves, le con-
seil VOUS a déclaré unanimement le plus
digne de la grande maîtrise Mous
espérons qu'après avoir été trouvé fidèle
dans la puissance terrestre que Dieu
vous a remisct vous serez digne de ré-
gner «ncore dans les tabernacles de la
ne éteroeUe. »
L'administration d'Hélion de Yille-
oeoTs justifia toutes les espérances et
^les éloges du pape. Apres quelques
années de séjour en Europe, employées
a régler les affaires de Tordre sur le oon-
^«Dt et à terminer tous les différends
(0 tte Villetieuve-BacgemoDt, Monuments
^ Grûndi Maitret^ etc., 1. 1, p. Si
réiatifil à la sooéeasioa Ali tetpBwas»
Hélion de Vilieneave ipartit pour Rho*
des , attaquée eette fois par les Turcs
Ottomans. Avant de quitter la Franoe»
il convoqua à Montpellier un chapitns .
gâiéraly oà Ton prit des mesures impor-
tantes. Cest là que Tordre fut divisé
par langues et que l'on créa huit baillis
conventuels, on grands<Kuroix « qui en
étaient les plus hauts dignitaires après le .
grand maître, dont ils devaient former le
conseil. L'Hôpital étant alors accablé de.
dettes, on augmenta les rupotuionê^
(^estè«dire les sonames que chaque com-
mandeur était tenn de faire verser au
trésor, et des peines ^ves furent éta-
blies contre ceux qui différeraieni de
s'en acouitter (la^ra). Arrêté au moment
de s'eniDarquer à Marseille par une ma-
ladie à laquelle il faillit succomber, de.
Villeneuve ne put arriver qu'en 1393
dans rtle de Rhodes» où il était impa-
tiemment attendu.
En effet, la situation devenait difQeile,
Après les troubles qm avaient signalé le
fin du gouvernement de Foulques, Tab»
sence prolongée de son successeur avait
encore relâché les liens de la discipline.
Les commandeurs s'étaient dispersés
dans leurs provinces et détournaient les
revenus de leur destination ; la garnison
de Rhodes, mal pavée, se débandait,
les fortifications tomnaîent en ruines. La
lieutenance de Gérard de Pins avait été
marquée par quelques exploits contre les
Turcs ) mais ce uave chevalier n'avait
pu arrêter les progrès du désordre. Le
retour du grand mattre remit toutes cho^
ses en bon ordre : dès son anrivée il fit
travailler à la réparation des remparts.
Il fit construire à ses frais un bastion
crénelé et un boulevard qui conservent
encore aujourd'hui le nom de château
de Villeneuve; il augmenta la flotte,
et fit respecter dans tout T Archipel Ica
pavillons de Tordre, il rendit des règle-*
ments utHes aux habitants de rtle; par
ses soins la mendicité fîit extirpée;
l'industrie et le travail, encouragés, ra*
menèrent l'abondance; et un vaste hô-
pital s'éleva pour recevoir les malades
et servir d'asile aux vieillards sans res»,
sources. Cependant l'ordre avait une'
dette considérable à amortir. On avait
dépensé des sommes énormes pour le
recouvrement des biens des templiens ^
M
L'UNIVERS*
qmtie tingt-dii nulle dnoits avaient été
enipnintés au pape à l'époque de la eon-
quéte de Rhodes; ou devait soixante
mille fl<Nri08 d*or à Florenee et presj)!»
autaot à Gènes. Foulques, par prodiga-
lité, Gérard de Pins, ffar nécessité,
avaient eu recours encore a de nouveaux
emprunts. L'hablletéetréoonomie d'Hé*
lion de Villeneuve réparèrent tout. Il
commença par se libérer de la créance
du pape Vn lui vendant quelques biens
de FHdpital et en lui payant le reste.
On obtint aussi du pontiie l'autorisa-
lions d'aliéner d'autres possessions pour
la valeur de deux cent mille florins.
Insensîblemrat tout fut acquitté, les
finances se rétablirent, le trésor s'aug-
menta, et Tordre, à son tour, se trouva
créancier de plusieurs banques de TEu-
rope.
Cétait le temp« où le rovaume de
Chypre parvenait à son plus haut point
de prospérité sous le règne de Hugues IV ;
mais c'était aussi le moment où la dynas-
tie ottomane grandissait pour la ruine
de tous les États dirétiens de l'Orient.
Orkban, fils d'Otbman, avait étendu ses
conquêtes dans la partie occidentale de
l'Asie Mineure, et commençait à atta-
Soer l'Europe. Lés émirs d'Aîdin et
e Saroukhan n'avaient pas cessé d'étie
redoutables. La chrétienté d'Orient était
environnée de dangers; et par malheur
l'Égliseétait divisée par leorand schisme.
Néanmoins , excités par les éneigîques
remontrances de Clément VI, les cheva-
liers de Rhodes et les Lusignans sou-
tenaient vigoureusement la Uitte, et ea
1846 la flotte de Tordre, conduite par
Jean de Biandra, chevalier, prieur de
Lombardie, fit une brillante expédition
sur les côtes de l'Asie Mineure, et s'em-
para de la ville de Smyme , acquisition
miportante pour la ^erre et le com-
merce. Ce fut le dermer événement du
kmg et glorieux magistère d'Hélion de
Villeneuve, qui avait eu pour résultat
de rétablir la discipline dans Tordre et
d'y ranimer l'esprit guerrier qu'un long
repos avait engourdi. De Villeneuve
mourut à quatre-vingts ans, en 1346, ei
fia, dit Ifaberat, méritoiremerU sur"
nommé l'heureux gouverneur (1).
(i) HUkùrê des Chentiiende f Ordre, etc.,
p.«7-
Dibudorué he Gozon, tihgt-
sixishb gbànd mattbe (1346-135s).
— Sous Hélionde Villeneuve, en 1342, an
chevalier, nommé Dieudonné de Gozon,
tua un serpent énorme qui répandait Pé-
emvante clans Rhodes et aux environs,
éjà plusieurs chevaliers avaient suc-
combé dans cette eotreprise, et le grand
maître avait formellement défendu aux
autres d*attdquer le monstre. Malgré
cet ordre, Qozon, n'écoutant que Fins-
piration de son courage, avait tenté l'a-
venture et en était sorti vainqueur (t);
(i) Voici comment le combat est raconté
dans VH'tsioire de tordre de Saint-Jean^ de
Haberat et Baudoin. Par sa simplicité, oe
récit est bien préférable i celiii de Vcrtoi, an-
quel il sert de base :
« En 06 temps, dit Kaberat, il y avoii a
nie de Rhodes ung i^nd dhrajpon en ane
caverne, d*où il infeâoit Tair de sa piuolear,
et taoit les hommes et les bestes qu'il pov-
voit renoonsbvr, et cstoit dé£endu è tons reli-
gieux soubs peine de privations de Tbabit, eic^
et à tons subjects de passer en ce liea qui s'ap-
peloit Afaitpas. Ce dragon étoit de la gros-
seur d]un cbeyal moyeu , la teste de serpent,
les oreilles de mulet, recouvertes de peau fort;
dure et d'escailles , ies dents fort aiguës , h
gorge grande, les jeux caves, luysans comme fn
avec ung regard esfroyable. Quatre jamks
comme ung crocodile ; les grifUes fort dum]
et aiguës ; sur le dos deux petites aîales, dessos
de couleur d'ung dauphin , dessoobs jauno|
et verdes comme estoient le ventre et b qnns
comme nng lezart. Il conrroit, betunt de fs
aisies , autant qu'ung bon cheval «vec uaf
horrible sifflemeat.
« Le chevalier de Gozon ayant entrepris de
le combattre, s*en alla à Goaon, chex soa
£rère , où il fist ung iant6me qui représentai!
naîfvement le dragon, et accoustuma son cll^j
Tai et deux chiens à rap|jrocher et PattaquA
courageusement sans cramte.
« Après retourné à Rhodes, fist nii jourj
ter ses armes à Tesglise Saint-Estieane ,
Maupas, et y envoya son serviteur, et
avec un seul serviteur, s*y en allast ,
qu'on recognnst son dessein. 11 laissa
serviteurs sur le oosteau , et leur oomi
qu'aj^nt veu le combast, s*ll csloit viii
et tué, ils s'enfuissent , si non qu'Us vinss
à luy pour le secourir. Et lui armé de too^
pièces, la lanoe sur la cuisse» marche veni
caverne, laquelle il trouva suivant contre i
courant d*ung ruisseau qui en sortoit. D
un peu de temps, le dragon vint à lui la ti
levée, et bastant des aisies avec son '
ILÏ DE BHODES.
157
mais, lonqneaprte son triomphe, 9 Yut
se pr^Dter aa grand roattrô, celui-ci
lui demanda d'un Ion sévère « si c'é-
tait ainsi qo*il observait ses défenses » ?
Interdit, le vainqueur ne put répondre;
il se laissa sans résistance conauire en
prison, puis traduire devant le conseil
assemblé, gui le condamna à la perte de
rbabitttais, après avoir donné cette sa-
tisfaction à la discipline, Hélion, admira-
teur du vrai courage, brisa les fers de
Gozon, le combla d'âoges et de bien-
faits; et, voulant montrer quMI savait ré-
eompenser comme punir, il le nomma
on 068 premiers commandeurs ; enfin, il
réleva a la charge de son lieutenant gé-
néral. Il n*y a aucune raison sensée de
douter de cette aventure, qui n'offre rien
3oe de vraisemblable dans son fond et
ans ses détails, sauf peut-être la des-
eription du monstre, qui a été chargée
de traits étranges par la terreur et le
goât du merveilleux. Le sculpteur du
tombeau de Dieudonné de Gozon, en
représentant l'exploit de ce grand
ment aecoottimié. Le chevalier lay counist
eouragensement contre, baissant la lance,
fiilteigoU à une espaule , qu'il Uouva coq-
rarte d'eacailles si dures , que la lanee te
mit eo pièces sans rien roHenser. Cepen*
àant les chiens assaillant vivement le dragon
de tous ooatés, et l'un d*euz l'alfera soubs
le feutre , chose qui vexa et retarda aulcu-
aemeiit le dragon; de sorte que le chevalier
«ut bisir de oMttre pied à ten e, et retourna
l'cspée au poing contre le dragon, et la lui
flûQgea dans la gorge, où la peau se trouva
tendre, et la maniant et renfonçant tou-
jonn de pln& en plus , luy trancha le gosier et
KwbiÎDt ainsy son espée , et soi-même butté
eoaire le dragon jusqu'à ce qu'il eust jecté
et perdu fout son sang* Et lors le dragon, se
sentant faillir, se iaiasa tomber à terre et ac-
cueillit dessottbs soy ce chevalier, à qui la
fora billoit de lassitude et de la puanteur et
peismear dç cette espouvanlable charogne*
&» wrvileurs voyant le dragon par terre , y
accoururent» et voyant qu'il ne bougeoit plus^
avec grand peine et travail l'ostèrent de des-
«tt leur BBaiatre» «lu'ib trouvèrent tout pasmé.
Msis voyant que le poulx lui battoist encore,
h nfreschireot promptement avec de l'eau
da ruisseau , et incontinent il reprit ses es-
prits et ses scna. Ses serviteurs le désarmèrent
et le remirent à cheval, et s'en retourna plein
^'alégtesse, telle qu'on peut penser, ayant mit
à beureuscaMOt fin à si haulte entreprise. »
mattre, a donné à f animal tous les traits
qui rappelaient la chimère de Belléro-
S faon (1). Bftals le colonel Rottiers a vu
ans une maison de la rue des Cheva-
liers une fresque antique représentant
le feit d'armes de Gozon, et ou le mons-
tre qu'il combat n'est autre chose qu'un
véritable crocodile. Cette maison, qui est
aujourd'hui la propriété d'un Turc, ap-
partenait autrefois à quelque prieuré
d'Allemagne. « La fresque est peinte
au-dessus d'une vaste cheminée, et oc*
cupe une étendue de dix-huit pieds en-
viron, sur sept ou huit de hauteur. LV
nimal représenté dans ce tableau doit
avoir été de la plus grande espèce des
reptiles sauriens, un crocodile enfin du
seul genre connu des anciens, dont les
Égyptiens avaient fait un demi-dieu, et
à qui ils avaient consacré la ville d*Ar-
sinoé Sur la fresque en question on
voit le monstre renversé et expirant ;
contrairement au récit deVertot (et à ce>
lui de Naberat), la lance est rompue dans
aa poitrine; un des deux dogues est
écrasé à ses.côtés ; Dieudonné de Gozon,
cuirassé et jeté à terre, parait vouloir se
relever tenant toujours sa longue épée à
la main. On aperçoit dans le lointam un
écuyer courant après son cheval , oui ,
tout effrayé, s'enfuit au ^and galop.
Sur le premier plan on voit une grotte
d'où s*échappe un ruisseau; le peintre
aura voulu sans doute figurer parla l'an-
tre qui servait de retraite au monstre. Il
est certain que le héros est représenté
tout a fait triomphant^ et paraissant n'a-
voir besoin de personne, tandis que
Vertot raconte le fEût différemment (3). »
(x) Les archives de Malte renfermaient une
collection de dessina des tombeaux dea
grands maîtres. Cette collection a été dé-
truite dans un looendie : mais le comte de
Bloise, commandeur d'HannonviUe (mort en
z8a4, à l'Age de quatre-vingt-quatre ans), avait
fait auparavant une copie exacte de ce recueil*
Ce sont les dessins du commandeur d'Han-
nonviUe que M. TiUeneuve-Bargemont a pu-
bliés , en accompagnant ces monuments des
grands maîtres de notices historiques, exactes
et succinctes , auxquelles nous avons souvent
TCoours dans celte partie de notre travail.
(a) Rottiers, Monumenu dé Rhodes, P* M <;
Aîéasp pl« aS.Voyez encore la fresque du caveau
de N.-D. de Philérème, où le combat de Gozon
est encore représenté d'une manière naïUTBlie*
1^
vmavEas
Quoi ^oHoiaaltdoeefdifléreneeft^le
témoJgÎDage de la fretqiie de Rhodes est
précieux Y e» oe qu'elle nous montre te
chef aller Gozcm aux prises avec un ani-
mal possible et féritabie. La présence
d'un crocodile dans nie de Rhodes n*en
•reste pas mofais un fait extraordinaire;
mais il est ridicule de rejeter un ûrit
uniquement parce qu'il est ou qu'il pa-
raît extraordinaire. D'ailleurs cet anî-
mal a pu venir à Rhodes de plus d'une
manière, et quoique son arrivée en cette
•Ile ne nous soit pas expliquée , son sé-
jour et sa lutte avec Gozon sont des
iiiîls trop bien attestés pour qu'il soit
permis de les révoquer en doute.
Après la mortd'Hélion de Viileneuvet
« ce fut Gozonqui parut le plus digne de
lui succéder* A peine fat-ii élu, qu'il eut
les Turcs à combattre. Ceux«ei s étaient
jetés en grand nombre sur llle d'Im*
bros. La flotte chrétienne, composée des
f^lères de Rhodes et des autres États
maritimes de la chrétienté , se réunit à
8Biyme, sous le commandement du
prieur de Lombardie, Blaitdra. La flotte
musulmane fut surprise h Imhros, et
presque entièrement brâlée. On flt cinq
mille prisonniers (1) ». La retraite du roi
de Chypre Hugues IV, les dissen-
sions des Génois et des Vénitiens ne
tardèrent pas à dissoudre 1& ligue ebré*
tienne, et tout le poids de fa guerre
retomba sur les chevaliers de Rhodes,
qui n'avaient aucun intérêt de com-
merce ni aucune rivalité politique qui
pussent les détourner de leur noble des-
tination. En 1351 le pape Clément VI
les envoya au secours de Constant, roi
d'Arménie, contre lequel le soudan d'É-
fypte préparait un grand armement.
« Quoique ce prince suivit le rit ^rec,
dit Vertot, et fllt même schismatique,
Gozon, plein de zèle et animé de Tesprit
de son institut, ne crut pas devoir aban-
donner des chrétiens à la fureur de ces
barbares. L'armée des chevaliers, trans-
portée sur les galères de Tordre, vainquit
les Sarrasins. Le roi d'Arménie, secondé
de ces puissants auxiliaires, reprit toutes
les places dont les musulmans s'étaient
emparés, et les débris de l'armée du Sou-
dan regagnèrent péniblement l'Egypte.
Cependant ces guerres continuelles
• (i) Vertot, I. V, L II, p, 46; Naberat, p. 70.
épuisaient les reveons de V<aéx^ doiA
les finances étaient tomours assez irré»
gullèrement administra. SI à lUiodd
le grand maître donnait à tous Texcoh
pie du plus actif dévouement, les eom-
mand^rsi retirés dans leurs domainas
d'Europe, paraissaient ouMier les inté-
rêts de la cnrétienté. Les respoaâoas ad
se payaient pas ou se payaient mal. On
voit nar une lettre de Grozon aux coin-
manoeura des royaumes de Suède, dd
Danemark et de Norvège, que depuis b
perte delà Terre Sainte oon avait reçudej
leur part aucune eontribtttioD. Déleoii-
ragé par le peu de succès de ses remon-
trances, Gozon offrit au pape sa démis-
sion du titre de grand mettre. Le pape
refusa d'abord de l'accepter ; mais, presséi
de nouveau par Gazon, Innooent VI en-
voya à Rhodes la pernûssion d'élire un
autre grand maître, quand Gazoamourut
subitement, le 7 septembre lSô9« Il avaa
employé les derniers temps de sa vie a
fortifier la ville de Rhodes. 11 fit entourer
de murailles tout le faubourg qui re-
garde la mer, et construire le môle du
port où depuis abordèrent ks navires.
.« On enterra le grand maître Dieudonaé .
de Gozon dans l'église Sainl-Ëtieiuie au!
mont, dit le manumarit d'Ëleathère (1),
(i) Éleirthère, moiee grcedeflaint-BaMlp,
était à Rhodes Iws du nége de iS%%; H
mourut en i54S. U reste du noiiie Éleuilim
une histoire maonserite de Ehodes. Ea i$iS
ee précieux naDusdrit étsit ea la
du pspes fiuphémio, de Trisode, qui le
arouiqua au colonel R^Ctien^ « Cceait, dit cr
itoyageur, uo manuscrit co grec «odcmey d'an
petit format ia-quariOy eontenaat mkrirom
quatre-YÎBgts pages d'one éerimre lièa iisiiièr;
oe qui me fit taire la reaoarqae que ee devasi
élre une copte faite d'après rorigiîud oumum
d'après une autre copie. Le hou vielUard tôt
répondit ingéoumeot qn'effectiveaaMit c*e>
tsit une copie, mais qu*ale datait d'us siède
et demi ; et là-dessus il me montre sur la cou-
verture une inscription portani que ee lirre
d*Ëleuthère, moine de Saiiit<Basilc, sar 1rs
è?étiemenls qui se sont passés à Rbodes d»>
rant le séjour des cbevauers arah été fidèle
ment copié en 1676 par un Orec de Ithodrv
nommé Laure Gbryaopolot et qu'il en eiis*
tait encore deui autres exemplaires dans rde«
dont Tun devait être Torigimd. » ATohbm.
de JR/todes, p. 35g. Sait-on, depuis le eabosi
Rottiers, œ qu'est defena le manaaeriK d^-^
kuthère^ qui partit un docameot d'imper-
ILE SE fiBODES.
16»
ià oùil tvait fait vftu à Di«at laYingi ft
atnt Étauie, anuifc d'aller oombattre le
dragon, de fonder noe oicai e a*îl revenait
triomphant.... Sa mort, dit-il pliialoîD)
eausa la désolation à Rhodes et dans
toute 111e; tous les habitants en état de
mareher, tant riches que pauvres, asai»-
tèrent à son enterrement, et restèrent
eaoïpés, en grande partie, autour de
eette église et dans les environs pendant
trois joom que durèrent les eérémonies
funèbres , dnrant lequel tempe on distri-
baa du pain, du vin et d'autres vivres
aux pauvres, aux frais du trésor de Tor-
dre. »
Le mont Saint -Etienne a environ
cent mètres de hauteur. De son sommet
on aperçoit toutes les tles rbodiennes.
L'église où fut enterré Graon est Tun
des plus anciens monuments de la chré-
tienté ; elle date du sixième siècle. La fa-
çade et la partie latérale du nord ont le
pios souffert , edle du sud est encore en
assez bon étsit. A rinténenr, ses murs
ofiraient encore en plusieurs endroits,
dit le colonel Rotticrs, des traces d'an-
deimes peintures à fresque. Au-dessus
des pilastres qui soutiennent le dôme on
▼oyait assen distinctement les quatre
cvâogélistes , et sur une autre partie du
mor noua trouvâmes les restes d'une
assoroption. Lors de l'arrivée des cbe-
^ers cette église était déjà délaissée
par les Grées depuis le sé}our des Samh
ôas; etHélion de Villeneuve l'ayant ftât
ftttaurer, elle fut consacrée au culte ro**
nain. Elle a servi d'hdpiul pour les offt-
tiers turcs blessés pendant les deux sié-
98, et aujourd'hui les dominateurs de
Rhodes fontabandonnéeà la destruction
du temps. Les sites pittoresques de ees
linx, les points de vue charmants qu'ils
offraient devaioit ep faire du temps des
chevaliers le séjour le phis agréable de
^^ (1). » Aussi les chevaliers v avaient
^ des jardins et des villas, qn occupent
«ijourd'hui des Turcs et des Grecs.
taoce, à en juger d'après les indications qu'en
> tirées le iroyageor belge P Ce serait là une
curieuse recherche à faire dans cette lie de
Uiodes q«i cit ascore tonte à étudier de non-
^u. Et qui empêcherait quelqu'un des nen^
»a de l'école li«DÇRiaed'Athèoead*catrepMn-
■Kcet int trouant voyage de découvertes?
(i) Rottiers Mon. de Rhodes, p. 3ii»
. PiBBBB DB GOlMIUJiIli nMT-iSP-
TISIU ajUNP XAtlBB (1354'1S66). -^
Pierre de Comillan, chevalier de la lan«
gie de Provence et prieur de Saint<>
illes, était di^ de succéder à Gozon,
par la régulante de sa vie ^ et même la
sévérité de ses mœurs. Il fut élu eu 1364»
Son premier soin à son avènement au
pouvoir fiit de convoquer un chapitre
Sénéraly afin de remédier à une partie
es alms qui affaiblissaient la vigueur du
grand corps dont il était le chef. L'ordre
avait des biens par toute r£urope, et
eette situation, en le mettant en relation
avec beaucoup de souverains, lui créait
aussi beaucoup de difficultés. Les mé^
mea princes qui reprochaient à l'ordM
de ne pas assez défendre la chrétienté
«n Onent travaillaient à lui disputer
ses revenus, et principalement l'héritage
des templiers, qu'on avait vu avec regret
passer dans les mains des chevaliers de
Rhodes. Innocent VI se laissa prévenir
contre eux. Les {>rogrès des Turcs Otto»
mans commençaient à égayer l'Europe.
Déjà ils avaient passé en Tbrace et pris
Gallipoli. Que faisaient donc les hospi-
taliers P Ils oubliaient, disait-on, les com^
bats pour les plaisirs, et le pape, s'^y-
soeiant au blâme général, adîiresaa a«
grand mettre de sévères remontrances^
avec l'ordre d^abandonner Ttle de Rho«
des et de transporter son siège au hiI*
lieu de l'ennemi, soit dans T AnatoKie, aoît
dans la Palestine.
Évidemment la crainte on la prévenu
tion rendaient tout le monde, même le
pape, injuste et avetigle. Envoyer Tordus
en Asie, c'était renvoyer inutilement à
la mort. Le grand maître s'alarma d'une
si fâcheuse perspective. Il répondit en
termes respectueux qu'il allait convoquer
un chapitre général, afin de lui coomm*
niquer la lettre du saint-père. Inno*
cent VI, voulant diriger les délibérations
de ce chapitre, ordonna qu'il se réuni«
rait à Ntmes ou i Montpellier. Au mi*
Heu de ce conflit, qui l'abreuvait d'amer»
tume, Pierre de Comillan mourut, après
avoir gouverné environ dix-huit moisj
ROOBB DB PiMS, YINOT-HUITlàlCB
0BAlf D M liXBB ( 1 3&5»1 366.) — Le BOU^
veau grand maître était de la langue de
Provence et de cette illustre maison qui
avait déià donné à l'ordre Odon, S9«
vingt-deuxième grand mattte, et ce Gé^
tM
LtTinVERS.
-nvd de Ffss qui awdt faliiea Oroan.
La mort de Pierre de ConiiUan n'avait
ma changé aux résolntioiid du pape.
Loin de la, Innocent VI, plus décidé
que jamais à Iransferer les chevaliers
hors de Rhodes, voulut que le chapitre
convoqué sous le précédent magistère
se réunît sous ses yeoz, à Avignon; et
sans attendre la réunion de cette assem-
blée générale , il décida que la Morée
deviendrait le séjour de Tordre. Mais il
fadlait, avant de l'y établir, obtenir au-
paravant des princes chrétiens la cession
des droits qu'ils feisaient valoir sur cette
contrée. Des difficultés imprévues entra-
vèrent les négociations ; le pape les abon»
donna , et les chevaliers restèrent dans
Itlede Rhodes.
Ce pape si peu favorable aux hospi-
taliers était cependant gouverné par un
dievalier de leur ordre , nommé frère
Jean-Ferdinand d'Hérédia , de la langue
d* Aragon et chfttelain d'Emposte. Hé-
lédia menait à son gré Innocent VI, qui
lui avait donné le gouvernement d'Avi-
gnon et du Gomtat Venaissin, et les plus
riches propriétés de l'cHrdre, telles que
le prieuré de bastille et celui de Samt-
Oiiles. Bérédia était plus puissant que
le grand maître, dont il bravait l'auto-
nté. Ce fût en vain que Roger de Pins
députa à Avignon deux chevaliers qui
demanderait au pape la permission de
Mre le procès à Bérédia comme usur-
pateur des biens de Tordre. Innocent VI
détourna le coup qui menaçait son fa-
vori , en faisant examiner Taffure par
deux cardinaux. Hérédia fut renvoyé
absous , et Timpunité accrut son inso*
lence. Ne pouvant frapper le coupable,
Roger de Pins voulut au moins s*opposw
à la conta^on du mauvais exemple. II
convoqua a Rhodes même un chapitre
général, et y fit décider que les prieurs
ne pourraient être pourvus d'autres com-
manderies que de celles qui compo-»
saient leur chambre prieurale ; que dans
chaque prieuré il y aurait des receveurs
particuliers des revenus de Tordre, qui
n'en seraient comptables qu*au trésor
commun. Cette importante r^orme ar-
léuit le cumul des commanderies, et
assurait le p^ement des responsions.
Roger de Pins mourut un an après la
tenue de ce chapitre, le 38 mai 1866.
« L'ordre perdit en sa personne, dit
Tertot (1), un chef pSdn de sMe |KNir k
manutention de la discipline, et tes pau-
vres de nie un père très-chsaitabie. On
remarqua que dans le temps que la peste
infesta cette île comme tout rOrienf,
et fut suivie d'une fomine affreuse, il
employa d'abord tous ses leveaus, et
qu'il vendit ensuite son argenterie et
jusqu'à ses meubles pour subvenir aux
bœoins des pauvres : ce qui lui méiîti
dans Tordre et devant les hommes le
titre d'aumùnier, et dans le ciel une
juste récompense, et le centuple promis
si formellement par^ celui-là seol dont
les promesses sont infaillibles. »
Raymond Rbbengeb, TiNeT-FBu-
-VIÈMB GBÂlfD MAÎTBB (1366-1S74).
— Raymond Béranger, chevalier «le la
langue de Provence, originaire du Dau-
phiné, était commandeur de Castd-
{Sarrasin, quand il fut élu grand maître.
Depuis Dieudonné de Gozon, Tordre
s'était endormi dans la paix ou afiEaibli
par ses divisions : Bérenger lui remit
les armes à la main , et recommença la
S terre sainte avec une nouvelle viguenr.
'était le temps où Pierre P', roi de
Chypre, s'illustrait par ses exploits. De-
puis plusieurs années ce prinee soute-
nait seul et avantageusement la guerre
contre le Soudan d%gypte (2). Le nou-
veau grand maître seconda ses efiCtets,
et les deux princes ayant rassemblé une
flotte de plus de cent navires firent voile
secrètement vers Alexandrie, et i*atta-
quèrent à Timproviste (3). « Les Aimum-
-drins furent surpris; mais, entre «ne
nombreuse garnison, il y avoit tant de
monde dans cette grande ville, la plus
riche de TÉgypte, qu'on vit en uu ins-
tant les murailles bordées de sohtate ^
d'habitants, qui ûiisoient pleuvoir une
grêle de flèches sur les chrétiens. Ces
assiégés, appuyés sur le parapet, à grands
4X)ups de piques et de nallenardes, ren-
versent les assiégMtnts, les poussent
dans le fossé, et les accablent de grosses
pierres. De nouveaux assaillants pren-
nent la place des morts et des blessés,
et sans s'étonner du sort de leurs eom-
(i) Bût. det CkenUiên BatpitâBerf, 1. IT,
p. 6e.
i2) Voyei plu haot, p. 64.
S) Yerlot, Histoire des HasfHtûSers, L II,
p. 68.
ILE OR RHODES.
161
pagBoos, tâchent de gagner le haut des
roaraiiles. Les uns sont percés à coups
de flèches^ d'autres précipités on ren-
versés arec les échelles. Les assiég^
répandent de tous côtés de Fhuile bouil-
lante, et des feux d'artifice embrasent
les machines des chrétiens, s'attachent
ffléme à leurs habits , passent jusqu'au
corps, et forcent le soldat tout en feu
d'abandonner l'attaque pour chercher
des secours dans l'eau, où il se précipite.
Jamais assaut ne fut plus furieux et plus
meurtrier; mais, malgré l'image de la
mort (fuï se présente de tous côtés , les
cbevaliers de Rhodes, animés par leur
propre courage, et soutenus des regards
intrepides du grand maître, reviennent
au combat, s'attachent de nouveau aux
murailles, et, se faisant une échelle des
corps morts de leurs compagnons, s'éle-
vait jusqu'au haut, gagnent le parapet,
se jettent dans la place, et tuent tout ce
qui se présente devant eux. De là les vic-
torieux se répandent dans la ville, pénè-
trent dans les maisons voisines des rem-
parts, massacrent les hommes dans les
bras de leurs femmes , pillent les plus
riches meubles, et font esclaves tout ce
qui échappe à la première fureur du
soldat. Quoique le roi et le grand maître
eussent perdu beaucoup de monde dans
les diffi^ntes attaques, cependant ils
aoroient bien souhaité de pouvoir se
maintenir dansieur conquête.Mais, ayant
appris que le sultan falsoit avancer
toutes les forces de l'Egypte pour les en
dttsser, et d'ailleurs se voyant dans une
l^ace encore remplie d'un nombre infini
d'habitants qui s'etoient retranchés dans
la basse ville, ils résolurent de se retirer ;
et, après s'être chargés d'un butin ines-
timable, ils mirent te feu à tous les vais-
seaux des infidèles qu'ils trouvèrent dans
^ port , et se rembarquèrent avec leurs
prisonniers. Le roi reprit le chemin de
sonisle, et le grana maître celui de
llhodes, où ils arrivèrent l'un et l'autre
heureusement (1866). »
Deux ans après (1367) , les chevaliers
et le roi de Chypre se remirent en campa-
gne, fortifiés par les Génois, qui s'étaient
joints à eux. Ils firent des courses heu-
^ses sur les côtes de la Syrie, et s'em-
parèrent de Tripoli, de Tortose, de Lao-
«tte, et de Bellinas. Bientôt la mort de
Pierre V de Lusignan suspendit l'acti-
11« Livraison. (Ilb db BjatODBS.)
vite de la guerre. Chypre commença à
tomber en décadence; l'Arménie, livrée
sans défense aux attaques du Soudan, se
vit abandonnée de la plupart des familles
chrétiennes, dont quelques-unes cherchè-
rent un asile à Rhoâes.Rhodes,à son tour,
se vit menacée par les forces de l'Egypte.
Le bruit ayant couru que le Soudan pré-
parait une expédition contre cette tle ,
Raymond Bérenger fit acheter des che-
vaux et des armes en Italie, et les com*
mandeurs furent invités à envoyer leurs
responsions au trésor. Mais la plupart
désobéirent, et le grand maître, indigné,
serait sur-le-champ passé en France pour
se faire rendre justice, si ses infirmités,
son ^and âge et le salut de Rhodes ne
l'avaient arrêté. Cependant, dégoûté du
commandement, affligé de l'indifférence
et du relâchement qu^ voyait autour de
lui, il prit un parti extrême, et supplia
le pape de recevoir sa démission. Gré-
goire XI,désirantremédier par lui-même
aux abus dont l'ordre était travaillé, con-
vo<]ua une assemblée de chevaliers à
Avignon, en 1374. Il avait déterminé le
grand mettre à garder sa charge, et, ju-
(jeant son séjour à Rhodes nécessaire, il
e dispensa d^assister à ce chapitre d'A-
vignon; peu de temps après , Raymond
Bérenger mourut, au mois de novembre
1874.
ROBBBT BB JULLUG, TBBRTlàMS
OBAND MaItBB (1374-1376). — RobCTt
de Julliac, grand prieur de France, était
dans son prieuré quand le chapitre de
Rhodes le nomma grand maître. Il quitta
la France aussitôt, et le premier acte de
son gouvernement fut de révoquer tous
les receveurs qui négligeaient de verser
leurs recettes au trésor. Jusque là la viUe
de Smyme avait eu des gouverneurs qui
ne relevaient que du saint-siége ; mais
l'archevêque et les habitants de cette
ville s'étant plaints que leur gouverneur
Ottoboni Castasleo, qui était un mar-
chand plutôt qu'un homme de guerre,
négligeait les soins de la défense pour
les affaires de son commerce , le paph
annonça au grand mettre qu'il avait
l'intention de réunir Smyrne aux autres
possessions de l'ordre. En vain Julliac
objectà-t-il le danger d'une garnison en-
tourée d'ennemis, perpétuellement en
état de siège; l'éloi^ement de Rhodes,
qui ne lui permettait pas d'y fsire pas*
11
J162
fjmfym9*
ser de pioinptg secours; enfin tout ce
qu'une telle responsabilité aurait d'oné-
reux et pour les chevaliers et pour ie
trésor : iu fallut y consentir, moyennant
un revenu de mille florins annuels que
faya^e saint-siége. Cette nouvelle acqui-
sition mettait les chevaliers de ^.hodes
en présence des Jures Ottomans, qui
n'avaient cessé 4e s'agrandir en Asie
AKiiieure, ^t qui sous Amurs|t }^', fi|ls
^''Qrcan, s'étaient emparés de la prind-
Îàuté d'Ai'i^n, où Smjrne était située,
.es immenses préparatifs que faisait ce
prince au jnoment où Ji-C^ert de Julliac
arriva dans TUe de Rhodes inspiraient
au grand maître de vives inquiétudes.
jHhodes était presque sans défense ; beau-
jcoup de chevaliers avaient péri dans les
dernières expéditions ; le reste s'était dis*
jitersé ^aiïB tes commanderies. Le pape,
informé par le grand maître du danger
iiè' la situation , ordonna aux chevaliers
^se rendre à leurposte, et bientôt cinq
cents hospitaliers accoururent à Abodes,
suivis chacun d'un frère servant faisant
Vcifiice d'écuver. Rhodes était donc en
état de se déii^endre ; mais Tennemi ne se
pifésenta nas. Aniurat se jeta sur l'Eu-
rope, et,rordre jouissait d*une paix pro-
fonde lors(][iie Robert de lulliac mourut,
Vers le milieu d'août de Tan 1376.
Feroinaivd D'HÉainiÀ, tbbnte-
DNL&MSGBÀNDMAipCBE (1376-1396).—
IPepuis que Ferdinand d'Uérédia était
entré dans l'ordre, il s'était montré avide
de pouvoir, d'honneurs et de richesses;
mais il avait de la fermeté, de l'inteUi-
gence, du courage ; d'ailleurs, l'âge avait
amorti la fougue de ses passions , saivs
rien ôter à ses talents, et dans les cir-
constances difficiles où l'on était, « il
étoit de la politique de l'ordre de mettre
à sa tête un homme aussi puissant et
aussi autorisé que l'étoitHéredia, et qui
dans c«tte place ne pourroit plus distin-
guer les intérêts de la religion des siens
propre ^) **
Jean-ferdinand d'Uérédîa était issu
d'une des plus nobles maisons d'Aragon.
Son frère aîné, Velasco d'Qérédia, était
grand justicier de ce royaume , c'est-à-
dire, comme l'explique très-bien Vertot,
l^'il faisait à lui seul la fonction dont les
ephores ét^leat autrefois chargés à La«
(«) VeriQt, u XI, .p. 79»
oédémone contre leurs rois. Comuie le
grand justicier n'avait pas d'enfants, et
qu'il désirait perpétuer son nom et sa
maison, il défermma son frère à se ma-
rier; mais Ferdinand o'eut que d^x
filles, dont la seconde coûta la vie à sa
mère. G^ant encore aux voeux des siens,
Ferdinand se maria une seconde fois, et
la naissance d'un fils paraissait lui as-
surer l'immense héritage du grand jus-
ticier, quand, après une lon^ stérilité,
Ja femme de ce dernier devint suecesâ-
vement mère ^e deux enfants mâles.
Alors, trompé dans ses espérances, de-
venu veuf de nouveau, d'Herédia conGa
ses enfants à son frère, et résolut de
changer de voie j;>our arriver au pouvoir
et à la fortune. Jl partit pour Rhodes,
re(^ut l'bdhit des chevaliers des mains du
grand maître Uélion de Villeneuve; et,
cachant son ambition sous un extérieur
modeste, affectant des mœurs sévères, ii
trouva bientôt l'occasion de feire valoir
son habileté et son courage, et il ne tarda
pas à s'acquérir l'estime de l'ordre entier.
Bientôt il est nommé commandeur d'Â*
Jambro et de Yillet, bailli de Capse,
eafin châtelain d'£mposte, la plos haute
dignité après celle die grand maître.
Bientôt le grand prieuré de Catalogne
vint à vaquer. Deux prétendants se le dis-
putaient J'un appuyé par lepape« l'autre
soutenu par les chevaliers. D'Herédia
fut chargé de porter au saint-si^e les
représentations du grand mattre ; mais
l'adroit Aragonais, ayant su s^iisinuer
dans l'esprit de Clément VI, demanda et
obtint le grand prieuré pour lui-même.
Depuis, n'osant retourner à Rhodes, il
demeura à la eour d'Avignon , où son
crédit ne cessa de s'accroitre. Le pape
l'employait dans les! cireonstanoes les
plus délicates et les plus importantes. II
lut chargé de réconcilier Philippe de Va-
lois etÉdouard UI, et de lesempéeherd'en
venir aux mains. Mais, n'ayant pa per-
suaderle roi d'Angleterre, il passa dans le
camp du roi de France , conobattit à ses
côtés à la bataille de Crécy, 1846, et lui
sauva deux fois la vie. 11 se retira du
champ de bataille couvert de blessures,
et Edouard III, loin de s'irriter contre le
médiateur du saint-siége, qui avait com-
battu contrelui, n'enconçut.que plusd'es-
time pour d'Herédia ; et le grand prieur
fit signer aux deux rois une trêve d'un
ILE p% fi^OpES.
m
ancm ^luff pui^éaDt. j{(omme gouver-
neur de Ja vjjjle et du comtat )1* Avignon,
îl ttt èntbarer fa résidence papale j^e
fortes toun «t de,hf|uts remparts, et il
reçut en réèompensè les riqhes prieurés
de Dsâlle et de Salnt-6itles. Cette iosa-
tiéle avj{l\téd*Hrérédid, son an^bition dé-
mesurée, exqtdrent'dâns Tor^lre de vives
réclamations. jA)ursùiv) par le consciil et
par )e grand maître, j^b'^er ^e Pins, il
lut absous nar ià protection du saint-
si^ ; toutefois, sous tJrbain y et O.ré-
pire fj , successeurs <f Innocent VI , il
n'eut plus la même fnfluence. On oublia
peu à peu lei scandales de sa coudulte
passée, et à la mort de Jlobert de JuIIiac,
comme il était le plus capable et le plus
puissant de tons les membres ^e l'ordre,
it fut élu grand maître Cl)-
A peine élu , d*Héréaia éguipe à ses
frais une escadre de neuf galères, ramène
a Ostie le pape Gr^olre ^, gui s*était
laissépersaaaér de revenir à Rome, puis,
cootinuant sa route vers tlbodés, il ren-
contre snr les cdtes de la Grèce une
fioue vénitienne, '^ôntf amiral le déter**
mine à se joindre à lui pour reprendre
Patras,que les Tunss venaient d'dn lever à
la répi^lique. les deux chefs marchent
«semble contre cette ville, et s'en em-
parent; mais la citadelle résiste, et la lon-
gueur du' siège impatiente d'Hérédia ,
qui, malgré son âge avancé, ordonne et
dirige Tassaut. Il va lejpremier aux reih*
p3rt$, saisit une échelle, Tappuie contre
la brèche, et, sans r^r^er s'il était suivi,
se jette dans la place. Jje gouverneur
turc Tient à sa rencontre : le combat s*exi-
F^ge; d'Çérédiâ est vajhiqueur, coupe la
léte de Fennemi, et la montre aux siens,
qQi accourent et s'emparent de la for-
teresse.
Aaimés par ce succès , les alliés ten-
tent de nouvelles conquêtes en Morée.
Mais le grand mattre tombe dans une
embuscade, tandis gu*i.l examine la posi-
tion de Corinthe , et Û demeure prison-
mer des Turcs. Pour obtenir la liberté du
grand mattre, les chrétiens s'engagent
a restituer Patras : les Jures refusent;
on ajoute à cette offre celle d*nne grosse
somme d'argent ; les grands prieurs de
(0 VîUeneave-Bar^mont, Monuments des
Craruls }ffaùres, t. I, p. 167.
^^içt-JSÂHes, d'Aogleterre et (je JLoipe
s*ençagéi\t à rc^èrcomipe otages jus-
« répon^lt-il fiux J^rois prieurs , laissez
« moynr ^ans .lès fers un v^lejUar^ inù-
a ijile, et qui pe peut plus vjvre long-
« .temps : pour vous, gui êtes jeunes, ré-
« servez-vous pour servir. la relijçioin. » Il
ne voului même pas gue iVrd're tirât du
jtrésorrargèpt ^esa rançon, «pion la doit
« p»ayer,' ajouta-t-il, pa façôflle a reçu
« d*a3sez grands Jbiens ^e moi pour me
« jlohner cette marque tfe^reconnaîs-
c sance. » (Ces nobjes .refus coupèrent
court aux négociations \ où né put rien
C0Q(^\ure; d^Btérédia resta piûsonnler, et
fot transféré du château de tlôrinthedans
Jes moAtagnes de 1 Albanie. « Jl Tut en-
fermé dans une étroite prison ; et, au lieu
Be jouir à Kbodes de sa nouvei,le dl^ité,
il se vit retenu pendant plus de trois ans
dans un rigoureux esclavage , où il eut
.tout Je temps de faire de sérieuses ré-
S exions sur le peu de solidité des gran-
eqrs humaines (1). "
En lasi, le grand maître, racheté par
sa famille, vit se terminer enfin cette^u]*e
captivité, par laquelle il expiaft si cruelle-
ment les torts de son ambition! JÉ^endant
ce temps le grand schisme avait éclaté.
Gément VII et Urbain YI se disputaiept
le gouvernement de TÉglise.' Le grand
msatre et une partie des chevaliers se dé-
clarèrent pour Clément VU. Le reste
reconûut urbain, qui déclara d'Hérédia
déchu de sa dignité, et nomma pour ie
remplacer Kicnard Carraccioli, prieur
deCapoue, qui ne fut reconnu que par les
langues d'Iuilie et d'Angleterre; tout le
reste de Tordre demeura inviolablement
attaché à l'obédience de Clément VU et
soumis au gouvernement d'Hérédia. A
la faveur de ce schisme fiineste, qtii me-
naçait de diviser et de dissoudre toutes
les institutionis de ITglise , l'insubordi-
nation des commandeur^ restait im-
punie; et le désordre devenait plus diffi-
cile f) réprimer. Le grand maître d'Héré-
dia, de retour en Europe, tînt plusieurs
chapitres à Avignon, et parvintà ramener
ses subordonna à Tobeissance. Il pour-
vut aussi à la défense de Rhodes et de
(i) Verlot, 1. V, t. II, p. 98.
11.
164
L*UNIVERS.
Smy me, que Ba jazet menaçait d'un siège,
et y Gt passer à plusieurs reprises , et à
ses frais, des vaisseaux chargés d*armes,
de munitions et d*argent. Il fonda aussi,
peut-être, ajoute Vertot, par un motif de
pénitence et de restitution, une comman-
ilerie en Aragon, et une collégiale de
douze prêtres; et il mourut à Avignon,
en 1396, après avoir gouverné son ordre
pendant dix-neuf ans et huit mois. « De-
puis son élévation à la dijgnité de grand
maître, ce fut pour ainsi dire un autre
homme ; et il auroit été à souhaiter, ou
qu'il n'eût jamais entré dans Tordre, ou
que la condition humaine lui eût per-
mis de n*en quitter jamais le gouverne-
ment (1). »
Phiubbbt db !Nàillàg, tbbntb-
deuxibmb gband maîtbb (1396-1421).
— Richard Carraccioli était mort Tannée
précédente , et le pape Boniface IX avait
annulé toutes les charges conférées par
ce prétendu grand maître. L'ordre avait
retrouvéTunité de gouvernement, et Phi-
libert de Naillac, (Tune ancienne famille
du Berry, grand prieur d'Aquitaine, fut
élu par les suffrases de Tordre entier
pour succéder à oTHérédla. A peine le
nouveau grand maître eut-il pris posses-
' sion de sa dignité, qu'il fut sollicité d'en-
trer dans la ligue que formaient alors les
États chrétiens pour arrêter les progrès
effrayants du sultan Bajazet. L'empereur
grec, les Vénitiens, les chevaliers de Kho-
des réunirent leurs vaisseaux, et la flotte
confédérée, commandée par Thomas
Mocenigo , se tint en croisière à l'em-
bouchure du Danube. En même temps le
grand maître, suivi des principatn com-
mandeurs et d'un grand nombre de che-
valiers de son ordre, allait rejoindre en
Hongrie le roi Sigismond. U combattit à
ses côtés à la désastreuse bataille de Ni-
copolis, quise livra le 28 septembre 1396,
et où toute Tarmée chrétienne fut taillée
en pièces. Les principaux chefs furent
faits prisonniers ; le roi Sigismond et Phi-
libert de Naillac n'échappèrent aux vain-
queurs qu'en se jetant dans une barque
que le hasard leur offrit aux bords du
Danube. Ib s'éloignèrent rapidement,
Eour éviter les flèches dont on les acca-
lait, et se laissèrent aller, en suivant le
courant jusqu'à Tembouchure du fleuve ,
(i) Yertot, I. y, t. Il, p. lia. ^^
où ils trouvèrent la flotte dirétiemie.
Une galère de la religion raniena à
Rhodes le grand maître et le roi œ
Hongrie.
Après avoir vaincu les Latins, Bajazet
se tourna contre les Grecs , dévasta la
Morée, dont le despote Thomas Paléolo-
§ue, frère de Tempereur Manuel, se bâta
e chercher un asile à Rhodes. Déses-
pérant de pouvoir défendre sa i^hnci-
Sauté, Paléologue vendit la Morée à Por-
re de Saint- Jean, et convint avec le
grand maître et le conseil de leur livrer
Corintbe, Sparte et les principales villes
de cette province, dont il reçut le prix.
Mais la résistance de Sparte, qui refusa
d*ouvrir ses portes aux commissaires de
Tordre, Téloignement de Bajazet, que
Tinvasion de Tamerlan appelait en Asie,
empêchèrent la conclusion de ce marché,
et la Morée retourna à son ancien maître
(1399).
Bajazet était sur le point de s'emparer
de Constantmople, lorsqu'il fut attaqué
par Tamerlan. Timour-lenc ou Tamer-
jan, descendant de Geneiskhan par les
femmes, s'était mis à la tête des Tartares
de la Transoxiane, et avait établi à Sa-
roarcande le siège d'un en)pire qui com*
prenait la plus grande partie cfe TAsie.
A force de s'étendre vers Toccident, Ie«
Mongols vinrent toucher aux frontières
de la domination des Ottomans. Alors
la guerre éclata entre Tamerlan et Ba-
jazet; les deux rivaux vidèrent leur qu^
relie dans les plaines d'Ancyre {\40^\
en Phrygie; et le fier Bajazet, vaincu et
fait prisonnier, acheva sa destinée dans
les fers. Après sa victoire, Tamerlm
marcha contre Smyrne, position impor«
tante, que les grands maîtres avaient foh
tifiée avec soin , et où ils entretenaieil
une nombreuse garnison. Frère Guil*
laume de Mine, gouverneur de la placib
avait tout préparé pour une vigoureun
résistance. Sommé par Tamerlan de II
reconnaître pour maître, il répondit pd
un refus énergique, et aussitôt la plaei
fut investie. Après quelques assauts P
vrés sans succès, Tamerlan fît combl
les fossés, élever des tours en bois j
Su'au niveau des remparts, sur lesqud
lança ses nombreux bataillons. «
dernier assaut qu'il donna alors,
Thlstorien persan Cherefeddin - Ali
dura du matm au soir et du soir au rar
ILE DE RHODES.
165
tin. » Smfne fat emportée, le massaere
derhit gâéral, et tout y périt, hors quel-
mies cMTaliers, qui s*etant jetés à la mer
forent sauvés par la flotte chrétienne,
vcDoe trop tara à leur secours ( 1403).
L'année suivante Tamerlan retourna
dans la haute Asie : sa retraite permit
aux Ottomans de relever leur empire et
an grand mattre de réparer la perte de
Smyrne. Philibert de Naillac s'empara
d'im ancien château situé sur la côte d'A-
sie, en face nie de Lango (Cos), et occu-
pant l'emplacement des ruines de la ville
d'Halicarnasse. Maître de cette position,
le grand mattre fit élever un nouveau
fort, à la construction duquel le cheva-
lier allemand Pierre Schlegelhold em-
ploya les débris du mausol^ de la reine
Artémise. Cette forteresse, appelée châ-
teaa de Saint-Pierre par les chrétiens,
reçut des Turcs le nom de Bidrou ou
Boudroun. qu*elle porte encore aujour-
d'hui.
Non content de défendre les posses-
sions de Tordre, Philibert de rfaillac
consacrait aussi une partie de ses forces
à protéger toutes les possessions chré-
tiennes en Orient. Le royaume des Lu-
signans, déjà en pleine décadence, ne
devait sa conservation qu'aux flottes et
aux armes des chevaliers. Le maréchal
de Boucicaut et le grand maître mar-
chèrent au secours du roi Jean II , me-
nacèrent les côtes de la Syrie et de TÉ-
^nrpte, et forcèrent le Soudan à respecter
rlle de Chypre.
Au dedans le gouvernement de Phili-
bert de Naillac ne fut pas moins heureux
au*aa dehors. Par ses soins et sa pm-
oence, il sut garantir Tordre des divi-
sions dont le grand schisme avait jeté
les germes dans toute la chrétienté. Au
coDolede Pise (1409) il fut déclaré seul
et légitime^and maître ; et an concile de
Constance il obtint la soumission de tous
les chev^ers dissidents (1414). Après
un séjour de près de dn ans en Europe,
pendant leouel il s'efforça toujours de
rapprocher les princes chrétiens pour les
tourner contre les Turcs, de ^Naillac re-
tourna enfin à Rhodes , l'an 1419, où on
le reçut avec les témoignages de la plus
vive allégresse. Deux ans après (1421), il
assembla un chapitre général, dont les
actes eurent pour effet de maintenir, de
<^solider la paix et l'union dans l'or-
dre. Ce fut au milieu de oes'soins que
Philibert de Naillac mourut paisible-
ment, entouré et regretté de tous les
chevaliers qui s'étaient réunis pour le
chapitre.
Antoinb Fluvian, tbewte-tboi-
SliKB GBÀND MÀÎTBB ( 1421-1437 ). —
Antoine Fluvian OU de laRivière était che-
valier de Catalogne , drapier de Tordre ,
grand prieur de Chypre et lieutenant de
Philibert de Naillac. Il fat à Tunanimité
élu successeur de ce vénérable srand
maître, qu'il secondait activement depuis
plusieurs années. Quel que fût le grand
mattre, la situation extérieure de Ixirdre
ne changeait pas. C'étaient toujours les
mêmes dangers à conjurer, les mêmes
ennemis à combattre. D'un côté, Maho-
met I*** rétablissait en Europe et en Asie
la. domination ottomane, qu'on avait
crue anéantie par Tamerlan. Il attaquait
de nouveau les côtes de la Grèce, et diri-
geait ses flottes contre l'Archipel et les
possessions de l'ordre de Saint-Jean. De
l'autre, le Soudan d'Egypte, Seifeddin,
envahissait l'île de Chypre , s'emparait
de la personne du faible roi Jean, et ne
trouvait de résistance sérieuse que dans
l'intervention des chevaliers de Rhodes.
Dès lors Seifeddin médita la ruine de
Tordre , et il prépara secrètement une
expédition contre Rhodes. Mais Antoine
Fluvian, prévenu par des agents fidèles,
rassembla ses chevaliers , remplit la ca-
pitale de vivres, d'armes, de munitions,
et le Soudan, qui vit ses projets décou-
verts, ajourna son entreprise (1426).
Ces guerres continuelles, l'infidélité de
Jean Starignes, lieutenant du grand
maître, qui livra au roi d'Aragon cent
mille florins du trésor, épuisèrent les
finances de l'ordre. Pour remédier à la
détresse présente, on convoqua un cha-
pitre général à Rhodes le 10 mai 1428;
on y prit de sages mesures pour réta*
blir le trésor de l'ordre, et on y réforma
de nouveau certains abus déjà combattus
bien des fois, mais Jamais entièrement
extirpés, et qui renaissaient toujours dans
cette grande institution, comme les mau-
vaises plantes dans une terre féconde.
Après avoir réparé les maux de la guerre
et les désordres intérieurs, Fluvian gou-
verna paisiblement Jusqu'à sa mort, qui
eut lieu le 26 octobre 1437. Cest à lui
qu'on doit l'agrandissement du quartier
I6C
tijlii^EÎÉ.
des JùiÉ^ à ]^odp^ et ta ccjnstructioa
d'uàê sûpqrBe infirmerie, que lé ^ran^
raaître oota à sçs dépens. Avant de
mbuifi']^, il tégùa au trésor puDnc fa somme
de ,deQx ceat jonille duç^^, gu'il avait'
épat^gtiés p'ébdfaut son af (AiDislratlon. .
Jean ÔÔ5ÎPAB DÉ LkHià , xbkntiî-
— AXissitôt* apr^. ^a mort de Fîùvian « l'é
cfiapitre s''assemblq pour lui nomn^er un
successeur ; le$ capitulants pi^irentja voie
de compromission. On élut d^'abordt
treize crkevaliefs, auxquels le chapitre
Ternit le droit (f élection. Ces treize élec-
teurs s'j^ préparèrent par rusa^e dés sa-
crements dé ïiéniteuce et' d' eucharistie j
ifs entrèrent ensuite dan^ uile chambre
séj^arée d'u lieu du chapitre , ef. , après
avoir eîçai7)iné avec ^oin Tes niérltes çles
prétendants, leurs qualités personnelles,
et çell^ surtout' qui étoient les plifs con-
venables au gouvernement, tous Jes sut
frages, se réunirent en faveur^ de frère
Jean de tasllc, gfand'prj eur ^'-^uvergne,
qui fut reconnu par tout le chapit'rè pour
grand" maître de i'ordfe (1). » À la^ nou-
velle dé son élection, Jean ç^ l!*astic, qui*
était alors en France, se hâta dé passer à
Rhodes, où Ton prévoyait une pr^chainp
expédition de t)gemaled'din,soudan d'E-
gypte. Jue gVahd maître s'occupa immé-
rfiaterneiit drajouter ^e nouveaux ou-
vrages aux fortipca^tloi^s dé Rhodes,
tout en négociant avec le soud'an d^.É-
gypté et' avççl^ ottoman Amurat. Ce d'er-
nler consentit ^ une trêve ; ma^is 1 autre,
se fot^dapt sûr les anciens établissements
des Arabeç dafis )es îles de Chj^pré e^ de
Rhodes, Ip déclara ,sa |;iropriété, et en-
voya ut\è flotte de dix-huit galères nour
appuyer ses prétentions. Cette Jlotte
s empar.^ de la petite île de Cast^l-Rosso,
sur laquelle les chevaliers avaient bâû
vtn. fort, ^t fît une d'escenté dans 1 île de
Rhodes, le 15 septembre 1 44Ô ; mafs elfe
fut' obligée de se retirer avant d'avoir
pu mettre lé siège devant ta capitale.
Quatre ans après, au mois d'apût d'e
Tamise f4'44', une armée égyptienne
aborda à Àhodes, et' assiégea la ville
pendant quaraiitendeu^ jou)cs sads pou-
voir s*en emparer. Apres cette lutje glo-
S'euse, qjai a illustré le magistère de Jean
âLàstic, Tordre oe Saint^Jean n'eut
(i) Verlot, t. 11, p. ao5.
plus rie^DÎ à ^^i4^é <iâjt%][|>t)â. âaîs
alors ^fahoi^jàtn .çucceaaît a ^murat
(l^ôl'jsef Constanân6i^t(é tômBaitaupou*
vdir oesTurM CM^Si. Après celle impor-
taj^fe cdngùqe , le sultan euv(^ja un hé-
raùy demai^dér tçLut et ^ipi^a]^ au
gtànatûmr^. « ^ Dieu nç plaise,. ré-
pondit Lastië, mie^di^trouff mon orare
linre ei que j|e le laisse ^claVé*, je serai
mon auparavant, ».Çelt^ réppnse de-
vait faire éclater Isf giiprjrè.| JÇiC ^and!
maître eùvoya demanoer des secours
aux princes fîhfétîens* ^drÊùro^, qui
malneureusemeçt'pç savaiéût'^lus s'en-
tendre pourjcombattre.rennemiconunuii.
Il npit Rhodes en état (fe deiensÇj ramassa
des munitions, convoqua les ÇDev4llers.
La moçt le surjprit au milieu dé «s
soins , le fà mai 1454V après un gou-
vernement glorieux de aix-neûT ans.
Jacques de mijuii^ tbçntè-cis-
QUIEHB GBAND ÙaIxBE (14^4-1^61).
où l'on s'attendait' chdauç jou^ a voir
paraître, la Aotte de Mahomet ïi. M
resté, nqn-seulemei^t B!boaes et toutes
les îles de 1 Archipe) , mais la ebrétientc
tout entière se sentait menacée par les
progrès d|i conquérant^ de.Cqnstantî«
nopTe , et le pape Calixté Ul ^tait pa/:-
veuu à fgrpner une hg|ie destinée à dé-
feridrq l'Europe contre les Ottomans. Les
rois de Hongrie, d'Aragon, le duc de
Bourop^ne, l^es iépub)iqpes de Venist?
et de ôreùes, la plupart des princes ita-
liens en faisaient partie, et*. le npureaa
grand maître y accéda immèduateipeiit
(1*454). béja uneflottç turq;ué, de trente
navires, avait raVagéles côtés de Carie et
l'île de Lanjgo ( CosV, non §ans pousser
ses incursions jusqu à R'hQdfes'^ aoù eue
ramena un butin consid^éi:aJ)le et uo
grand nombre de prisonniers'j^n était
que le prélude (Tune^péditTon plos
cpnsidérablé. Éi^ t4S$ ^amzabé^paml
djpins les eaux de fArdiipel , avec une
flotté dé cenfq'ugtre^vingt-cinq voiIk. D
attaqua successivement l^sBos'. diiûi
Cos, Sunisi'vil écl^oua niarlout. 11 ne fut
pas pfûs h^ûïeux contre ^hajles. Les
Qttômans avaient abbir^é nr^ du villagt
d^ Archangeron ; ils enlevèrent .gûelquâ
habitants, ruinèrent lés'^^pàgneseun-
ronnantes, commirent de^ deprédatioo^
ILE ]6ë AàôDES.
semblables à Leros^ à Cafamos et à Ki-
svra, qui appartenaient toutes trois aux
chevaliers de Rhodes. A son retour
Hamza fut disgracié. « Si tu n'avais pas
été si cher à mon père, je faurais lait
ecorcher vif », lui avait dit Mahomet d'un
ton menaçant ; mais il se contenta de
le reléguer dans le gouvernement de
SattaJie.
Après la retraite des Turcs, Jacques de
Milli fit fortifier les côtes de Khodes et
élever des châteaux forts, où il plaça des
garnisons. Les galères de la religion,
redoublant d'activité . parcouraient les
mers, pillaient les cotes des Turcs, et
faisaient le plus grand mal à leur com-
merce. En même temps Tordre de Saint-
Jean avait sur les bras une grosse guerre
avec les mamelucks, et de violents démê-
lés avec Venise à propos de Jacques le bâ-
tard, qui s'était adressé au Soudan Aboul-
fath-Abmed pour obtenir Tinvestiture
de r!Je de Chypre. Le grand maître
soutint le parti de la princesse Charlotte.
Un instant la guerre fut sur le point
d'éclater entre Khod^ et Venise. Les
Vénitiens firent une descente d'ans l'île,
y commirent dWfreux dégâts ; et, pour
appuyer une réclamation de captifs
sarrasins pris à bord des vaisseaux de
la république, ils vinrent bloquer le
port de Rhoides. Quelques chevaliers pro-
posaient de leur répondre à coups de
cjnon ; mais le grand maître, trop pru-
dent pour augmenter le nombre de ses
ennemis, traita avecles Vénitiens, et ren-
dit les prisonniers. En même temps il en-
tamait des négociations avec Mahomet U^
fi préparait la conclusion d'une trêve, qui
fie fut signée que sous son successeur.
Au dedans l'ordre était déchiré par
ses dissensions intestines. Au chapitre
de Tan 1459 les chevaliers d'Espagne ,
d'Italie, d'Angleterre et d*Allemague se
plaignirent hautement que les Français
eoyahissaîent toutes les dignités. Ceux-ci
avaient de bonnes raisons à faire valoir;
c'étaient eux qui avaient fondé Tordre
et qui y avaient admis les autres nations :
à eux seuls ils en composaient la moitié;
chaque nation avait ses droits et ses ti-
tres; Tamlral était toujours de la langue
d'Italie; celles d'Aragon, d'Allemagne
et d'Angleterre fournissaient constam-
nient le nand conservateur, le grand
l^ailli et le turcopolier; il était juste
167
que celles de Érance, de Provenêe et
^Auvergne se réservassent les dignités
de grand hospitalier, de grand com-
mandeur et de grand maréchal. Malgré
ces bonnes raisons, les mécontents per-
sistèrent , et le procureur d'Aragon , en
plein chapitre, mterjeta appd* à la conr
de Rome, et sortit suivi de ses partisans.
Le conseil voulait les poursuivre, le
grand maître sV op]^osa ; sa modération
toucha les rebelles, les fît neu à peu ren-
trer dans le devoir et rétablit la concorde
intérieure. Jacques de Milli ihournt le
17 août 146f.
Pierre Raymond Zagosta, tren-
te-sixième grand maître (1461-1^7).
— Pierre Raymond Zacosta, Castillan de
naissance, était châtelain d^Emposte. A
. son avènement, l'opposition des quatre
langues étrangères menaçant de se re-
nouveler, on ne put terminer cette af-
faire que par la création d'une nomelle
langue en faveur des Castillans et des
Portugais , qui furent séparés des Ara-
gonnais, des f^avarrais et dps Catalans.
On attacha à cette nouvelle langue la
dignité de ^and chancelier, et par cette
augmentation il se trouva depuis Huit
langues dans la religion (i462). Ce fut
dans le chapitre où cette innovation fut
décrétée que l'on 4pnna pour Ta pre-
mière fois au grand maître le titre a*é-
minentissime.
On ne savait pas encore au juste ce
qu'il fallait attendre des négociations en-
tamées par Jacques de Milli, pour con-
clure une trêve avec Mahomet II. Où
n'avait pu obtenir du sultan qu'il donnât
des passeports au commandeur Sacco-
nay, que le grand maître avait chargé
de traiter cette affaire , et Tordre pou-
vait se croire menacé par les immenses
préparatifs de Tennemi. Mais Maho-
met II, ayant destiné cet armement à la
conquête' de Trébizonde, voulut' s^assu-
rer la paix dans l'Archipel, et il accorda
les passeports en question. Èès au'il
les eut reçus , le nouveau grand maître,
Raymond Zacosta, s'empressa d'envoyer
à Constantinople Gnillaume Maréchal,
commandeur de Yillefranche, gti'il fit
accompagner de deux Grecs de Rhodes.
Guillaume conclut en 1461 le premier
armistice entre les chevaliers et lesTores.
Mahomet le signa pour deux ans , et se
désista de sa demande d'un tribut.
I6B
LUNIYëRS.
A la ft?eur de eette tréfe, le grand
mattre fit élever pour la défense de la
▼Ule de Rhodes et du port un nouveau
fort , qui fut construit sur des rochers
fort avancés dans la mer. Philippe le
Bon , due de Bourgogne, fournit douze
mille écus d'or pour contribuer aux frais
de ce travail, qui fut exécuté avec le plus
Î;rand soin. On appela cette forteresse
a tour Saint-Nicolas, à cause d'une cha-
pelle dédiée à ce saint, et qui se trouva
enclavée dans la nouvelle enceinte. Mal-
fré la trêve, les corsaires turcs faisaient
es courses dans les domaines de Tordre,
et les chevaliers usaient de représailles
sur les côtes de l'empire Ottoman. Ma-
homet, irrité, menaça de rompre Tarmis-
tice, et exigea pour sa continuation que
l'ordre entretint un député à sa cour,
qu'on lui payât annuellement quatre
mille écus, qu on lui rendît les esclaves
chrétiens fugitifs, et qu'on l'indemnisât
des dégâts commis dans ses États. Les
chevaliers repoussèrent avec indigna-
tion ces propositioDS déshonorantes. La
guerre éclata , et la flotte turque se ré-
pandit dans l'Archipel, et vint attaquer
Lesbos, afin de s'emparer de toutes les
positions voisines avant d'assiéger la ville
de Rhodes. Des chevaliers accoururent
à la .défense de Mitylène ; ils y firent des
prodiges; mais, lâchement trahis jpar
les Grecs, ils périrent tous les armes a la
main (1) (1462). Lesbos fut prise, Rhodes
plus menacée que jamais, et le grand
maître, dans la prévision d'une attaaue
imminente, fit un appel à tous les cne-
valiers dispersés en Europe, et ordonna
à tous les receveurs d'envoyer les an-
nates et les responsions au trésor. On
pourrait croire que tous les membres
de l'ordre s'empressèrent de mettre à la
disposition du grand maître leurs bras
et leurs richesses et de courir avec
enthousiasme à la défense de leur loin-
taine capitale. Loin de là ; au lieu d'o-
béir au grand maître, on l'accusa d'a-
varice et d'avidité; les commandeurs
s'autorisaient de l'appui de leurs souve-
rains pourdésobéir . On accusa Raymond
Zacosta devant le pape Paul IL Le grand
maître consentit a se justifier : il vint à
(i) Yertot, Histoire des ÛhevaUers Hos»
piialiers, L II, p. a58. — Hammer, Histoire
des Ottomans, t« III, p. 99.
Rome , malgré la {pravilé des eiiooDS-
tances; il confondit ses accusateurs,
prouva aue son administration avait ét^
irréprocnable, et fut comblé de caresses
et d honneurs par le pape. Mais comme
il se préparait à s*embarquer pour
Rhodes, une pleurésie l'emporta, le 21 fé-
vrier 1467. Il fut enterré dans l'église
de Saint-Pierre au Vatican.
Jeàh-Bàptistb des Ubsins, tben-
te-septième gra.iid haïtes (146?-
1476).— L'élection du successeur de Za-
Costa se fit à Rome, le 4 mars 1467. Les
suffrages se partagèrent entre Jean-Bap-
tiste des Ursins, ne l'illustre famille de
ce nom, grand prieur de Rome et Ray-
mond Ricard, Provençal, prieur de SaioV
Gilles. Des Ursins ne l'emporta que
d'une voix, et se hâta, après avoir reçu la
bénédiction du pape, de se rendre à
Rhodes, où la présence du grand maître
était plus que jamais nécessaire. A son
arrivée, des Ursins s'entoura des hommes
les plus habiles et les plus estimés de
l'ordre : on se sentait à' la veille d'une
crise terrible; on ne pouvait pas, sans
risquer de périr, ne pas confier les char-
g es aux plus dignes. Pierre d'Aubusson,
rave guerrier, habile ingénieur, fut
alors nommé surintendant des fortifica-
tions de Rhodes ; ce fut par son conseil
et par ses soins qu'on creusa et qu^on
élargit les fossés de la ville , et qu'on
éleva du côté de la mer une muraille qui
avait cent toises de longueur, six de hau-
teur et une d'épaisseur.
Déjà rennemi s'était présenté. En 1467
trente galères turques débarquèrent ?
Rhodes des troupes nombreuses, et ie
pillage commença. Mais depuis long-
temps rîle était pourvue de châteam
forts. Les habitants des campagnes se
retirèrent avec leurs bestiaux dans les
forteresses de Lindos, d'Héraclée, de
Trianda, d'Archangelon et de Ville-
neuve; les chevaliers , partagés en diffé-
rents corps , harcelèrent l'ennemi , et le
forcèrent à se rembarquer. De nou-
veaux armements de la marine torque «
destinés en apparence contre Rhodes,
vinrent jeter une seconde fois la terreur
dans l'île; mais l'expédition se dirigea
sur r^égrepont , au secours de laquelle
des Ursins envoya quelques galères, sous
le commandement de Cardone et d*Âu-
busson. Mais la présomption et la là-
ILE DE RHODES.
169
ehelé da raminil vénitien Ganale reo-
dinnit inutiles le courage des chevaliers
deRhodes. L'tle de Négrepont succomba ;
les Turcs y exercèrent d'horribles cruau-
tés, et le sultan, irrité d'avoir vu parmi
la flotte vénitienne les galères de la reli-
gion, envoya à Rhodes signifier une dé-
claration de guerre à outrance , faisant
jorer par son ambassadeur de tuer dé-
sormais le grand maître et d'exterminer
tous les chevaliers qui tomberaient en
son pouvoir (1471).
Ces menaces n'effrangèrent point les
braves hospitaliers, qui n'en continuè-
rent ^as moins de combattre avec leurs
alliésies Vénitiens. Le fameux Mocenigo
avait;remplacé le timide Canale comme
chef de la flotte de saint Marc. De con-
cert avec les hospitaliers , Mocenigo at-
taqua Satalie, dont ils prirent et rava-
gèrent les faubourgs. D'autres courses
sur les côtes de la Pamphylie signalèrent
cette heureuse expédition. Ce fut alors
au'nn ambassadeur d'Ussum-Cassan, roi
de Perse, passa à Rhodes pour se rendre
à Venise, afin d'y conclure une alliance
contre Mahomet. Cette guerre engagée
entre les Turcs et les Persans donna
quelque répit aux chevaliers de Rhodes,
et leur permit d'ajouter encore aux for-
tifications de leur ville. Le commandeur
d'Âubusson fit «construire sur le rivage
deux tours du côté de Limonia, et une
troisième qui regardait le village de
Sainte-Marthe. Devenu grand prieur
d'Auvergne, d'Aubusson, dit Vertot (1),
«induisait ces ouvrages avec une atten-
tion digne de son zèle et de sa capacité;
rien n'échappait à sa vigilance. Le grand
maître et la religion écoutaient ses avis
comme des lois ; c'était pour ainsi dire
l'âme et le premier mobile du conseil ;
lui seul était ordinairement chargé de
Texéeution des projets qu'il avait pro-
posés : guerre, finances, fortifications ,
tout^passait par ses mains. On le voyait
enrironné en tout temps de gens de
guerre, d'artisans et d'ouvriers, sans que
le nombre et la différence des affaires
Tembarrassassent : son zèle pour le ser-
vice de l'ordre, l'étendue et la facilité de
son esprit suffisaient à ces différents
emplois.
La grand maître Jean des Ursins,
(i) Hittmn des Hospitaliers, t. II, p. 979.
parvenu à une grande vieinesse, et at-
teint d'hydropisie, restait à peu pr^
étranger aux affaires. Cependant il pré-
sida encore un chapitre général qui se
tinta Rhodes.lefi septembre de l'an 1475 ;
mais le 13 avril 1476 il tomba subite-
ment en syncope ; on le crut mort, et on
allait l'ensevelir, lorsqu*il revint à la vie;
mais le 8 juin suivant l'hydropisie dont
il était atteint le conduisit réellement
au tombeau.
PlEBBE n'AuBUSSON, TBENTB-HITI-
TIBMB GBAND MAÎTBE (1476-1503). —
On peut dire que déjà longtemps avant
son élection Pierre d'Aubusson était le
grand maître de l'ordre ; on sentait qu'il
était le seul homme capable d'arrêter les
progrès du terrible Mahomet II, et son
avènement causa une grande joie dans
l'ordre et dans toute la chrétienté. Issu
des anciens vicomtes de la Marche , et
d'une famille dont l'existence remonte
au neuvième siècle, Pierre d'Aubusson,
né en 1423, s'était fait avantageusement
connaître de Charles VU et du dauphin
Louis pendant la guerre de Suisse. 11
pouvait arriver à la gloire et aux hon-
neurs en restant à la cour; il renonça au
plus brillant avenir, par besoin de dé-
vouement et d'héroïsme, pour prendre,
à l'âge de vingt-deux ans, rhabit de sim-
f>le hospitalier. Son mérite et son zèle
'élevèrent rapidement aux plus hauts
grades, et neuf jours après la mort du
grand maître des Ursins, d'Aubusson fut
élu à l'unanimité par le conseil. A peine
investi du souverain pouvoir, d'Aubusson
adressa une touchante et énergique ci-
tation à tous les membres de l'ordre, qu'il
appelait auprès de lui. Après leur avoir
retracé les périls dont Rhodes était me-
nacée : « Nous sommes perdus, ajoutait-
il, si nous ne nous sauvons nous-mêmes.
Les vœux solennels gue vous avez faits,
mes frères, vous obligent à tout quitter
pour vous rendre à nos ordres. C'est en
vertu de ces saintes promesses, faites au
Dieu du ciel et au pied de ses autels ,
Sue je vous cite. Revenez incessamment
ans nos États, ou plutôt dans les vôtres :
accourez avecautant.de zèle que de cou-
rage au secours de la religion. C'est
votre mère qui vous appelle, c'est une
mère tendre qui vous a nourris et élevés
dans son sein, qui se trouve en péril. Y
aurait-il un seul chevalier assez du^ pour
170
li^ndoDoer à la fureur des WÉares?
Non, mas frères, je ne Tappréheade point:
des sentiments si lâches et si impies ne
s'accordent point avec la noblesse de
votre origine , et eincore moins avec la
piét4 et la valear dont vous faites pro-
lesf Ion. »
. Pendant que le grand maître rani*
iBi^ par son exemple et ses paroles le
zèle dans tous les coeurs, il négociait
avec le sultan po.ur gag^eir du temps et
assurer les libres traversées des mers à
tçu£f les chevaliers qui accouraient en
fqu^ d'Europe pour la défense de Rhodes.
Mahomet consentit en 1479 à la conclu-
sion d'une trêve qui lui était aussi néces-
saire ; mais ce nouveau délai ne devait ser-
vir qu'à rendre plus formidables les pré-
paratifs de la guerre. Dans un chapitre
assemblé à Rhodes vil fut décidé que le
saà^à maître aurait pendant la guerre
la direction suprême et absolue de toutes
les forces militaires et du trésor de Tordre.
D'Aubusson chpisit pour ses quatre lieu-
tenants : le maître ae Thôpital, Tamiral,
le chancelier et le trésorier; il nomma
son frère Antoine d Aubusson, vicomte
de Montheil, général en chef dqs troupes ;
il donna le commandement de la cava-
lerie au gragad prieur de Brandebourg,
Rodolphe de Walenberg. Û fit abattre
les maisons et les^ arbres qui environ-
naient la ville , et 'raser les églises de
Saint-Antoine et de Sainte-Marie de
Pbilérème. Le 4 décembre 1479, avant
l'entier équipement de sa flotte, Mahomet
envoya une espadre pour reconnaître
l'état de l'île. Mesih-Pacha, qui la com-
mandait, essaya vainement de prendre
terre à Rhodes ; il en fut.repoussé ainsi
que de l'île de TilOrCtil se replia dans la
baie de Fenika (autrefois Physcus) pour
attendre le printemps et l'arrivée de la
grande, flotte ottomane. Vers la fin du
mois d'avril de Tannée 1480 , elle sortit
des Dardanelles forte de cci^t soixante
navires, longea les côtes de Rhodes, en
se dirigeant vers la baie de Fenika pour
y prendre des troupes de débarquement,
et reparut devaot nie le 23 mai 1480.
Pbeuib^ sibgs db Rhodes fables
TuBGS ( 1480). — Le grand vizir Mesih-
Pacfaa, qui commandait cette expédition,
était un priuee greo de la maison im-
péti^le des Paléotogues. Né chrétien , il
s'était fait musulman à la prise de Gons-
itJI^îVÈRS.
tantinopk, pour échapper à la nx>rt à
laquelle Mahomet avait condamné tous
les héritiers de Tempire. Sa valeur, ses
services, son adresse et une coniplai-
siance entière pour toutes les voloutês
du sultan l'avaient élevé depuis à la di-
gnité de vizir ; et pour ne laisser aucun
soupçon sur son changement de religioo,
il affectait une haine implacable contre
tous les princes chrétiens, et surtout con-
tre le grand maître et les chevaliers de
Rhodes. Pour faciliter à son maître la
conquête de Hle , Mesih-Pacha , que
Yertot appelle Misach Paléolo^ue, avait
introduit à la cour trois renégats qui
avaient levé des plans de la ville et de
l'île de Rhodes : Tun d'eux, Antoine Me-
ligali, était un Grec rhodien; le second
s'appelait Démétrius Sophian, et le troi-
sième était un Allemand, appelé maître
Georges, qui possédait de profondes
connaissances en mathématiques et en
artillerie. Les plans de ce dernier furent
jugés les meilleurs ,• et ce fut d'après
eux qu'on arrêta les ^spositions de Tat-
taque.
« Pour donner un récit fidèle de ce
siège, dit l'historien de Haramer, j'ai vi-
site les lieux en 1803 , l'histoire à la
main, bastion par bastion, rempart par
rempart, et j'espère qu'une exacte des-
cription topographique servûra à rectifier
les erreurs dans lesquelles ont pu tomber
Vertotet Gouffîer (1). »
On sait déjà que la ville de Rbodtis
est située à la pointe la plus septentrio-
nale de l'île , dont elle est la capitale.
Deux langues de terre qui se projet-
tent dans la mer, et dont les extrémités
se rapprochent en s'arrondissant en
courbe , forment un port sûr, vaste et
profond, dans lequel on a élevé une di-
gue qui sépare Tanse des barques de b
rade des vaisseaux. La langue de terre
à gauche des navires entrants est située
hors des fortifications de la ville, héris-
sée dans toute sa longueur de moulins à
vent et défendue à son extrémité par une
tour qu'on appelle le château Saint-Ange
ou Saint-Michel. La langue de terre
(i) De Uammer, Histoire Je tea^nre 0^
kundn, t. Ut, p. 280. J*emprunle à cet ou-
vrage le récit de ce siège, en le modifiant p<r
3uelques rectilicalions on additions que j^
ois à d'autres auteurs.
ILE ÛE b(60DES.
opposée^ âiiiement couverte dfe n^oulina
à Yent\^ Hextr^mité de sa courbe, est
comprise qtns les mmrs de la ville, et sa
termine par Ja plus^importante et la p]us
céJèbfe de toutes les toqrs d/e Âhodes,
construite dtaBora gar les Arabes^ ré-
p3rée,agrandie,coosacrée6D)$uiteà Saint-
Nicolas .sous le magistère de Zacosta, ^
aussi. cette .touf est-elle eqcore appelée^
psr les .l^urcs là tpur Arabe^ et par l'es
chrétiens la tour Saint-Nicolas. A Tex-
téneur des deu^d langues de t^rrç, dont
l'intérieur {(ftme le; port principal, le ri-
vage se replie en décrivant une courbe,^
et fornv^ àgaucbe des vaisseaux entrants
one baie comblée pçr les sables, et à leur
droite un. second port, appelé port des
galjères, dont feutrée est défendue d un
c6tç pai: ,une^toui; et <}e Tautre ,par le
fort ^alnt^Elfliie. Au ^Qd du port prin-
cioal s'él.^yent immédiatement les dou-
bles reratparts de la ville, qui sont bai-
gnés j^ar la mer,; ap fond de celui des
galères .^t un faubourg^ où se trouve
aujourdbui. la maison du. gouverneur,
hors de .Fenceinte de& fortifications.
Comme dans ce premier siège il n'est
pas ^it une mentiofi particulière (ïes
sept bastions que détendant les cheva-
liers des çept langues de Tordre , non
plus que des portes de la ville , nous en
omettrpns rényi^ération^ qui serait ici
superflue > et qui est mieux à sa place
dans rbistoûre du second s^ége.
À une lieue fi louest de Ta ville s'é-
lève non loin de la mer le mont Sain^-
Ëtienne. C'est là que vint aïiiorder la
flotte ottomane, et que le pacha Faléo-
logue, m^l^é la viooqreu^e résistance
de la ^ari^if on du tort $aint-Étienne ^
opéra le debarqu^ent de son armée et
de son artillerie. Les troupe^ ottomanes
prirent aussitôt position sur le^ hauteurs
et au piefT de la montagne. Deux jours
après . le général turc dressa une bat-
terie de troiâ~caDons monstrueux contre
la tout 39int-]Nicolas, sur la place même
où se trouvait Téglj|çe de Saint- Antoine,.
UartlAerie éùit dirigée par maitre Geor-
ges, le scuf des trois renégats qui, vécQl;
encore^ Meligali ^D,t mort pendan( la
travers^,. et ^Sophian. ayant péri daqs
une acti9n deslé^ premiers jours du
siège, (^oant )k maître Qe.oraes,.unç j ust^
puaiU9n Tat^ndaiV dan!^ rintécieur dé
la ville. Jouant le rôle cfe transtiige ré-
irr
pentàaf,,iVpaF^t au piea oj^'iHpurs, h^
suppllq qu^04i Im ouvp^'les portes. Con-
dmt devant Je grand maître, il avou^
iranchenoent' son apostasie,., protestant
de son sincère repentir. Siai^ il .éveilla
l'es çoupçpns par les détails exagéré^'
qu'il donoa sur les forces et riQvincihla
artillerie des assiëg^nts. Le grand
n)aitr^ confia le tra^stuge à , la garde di^
six soldats ^ui nedevaieïit pas le perdre
de vue un instant, et lui donna lé com-
mandement d'vne batterie à son choix
sur les remparts. Les Turcs avaient déjà
tiré plus de trois cents coups de leurs
énormes canons contre la tour de Saint-
Nicolas, et cçt ouvrage admirable,
comme parle le. grand maître d*Aubus-
son dans une relation du sié^e adressée
à l'empereur Frédéric IIÏ, qui parais-
sait devoir résister à mille attaques,
s'écroulait ep grande partie aprçs quel-
ques jours d^une canonnade continuelle.
Le 9 juin les janissaires montent à l'aa-
sjaut par les ruiue^ fumantes de la for-
teresse en poussantd'horribles clameurs.
Mal» le grand maître les reçoit sur la
brèche, Tépée à, la pain, et arrête leur
élan. Un éclat de pierrç vient brjser ep?
pièces lé casque d'Àubusson '^ il prend
sans s'émouvoir celui «d'un soldatjvoisin.
En Yaii\ le commandeur italien Fabrice
Caretti le conjure de se retire^ : a , C'est
à votre granq ^naître, répond ïç héços^
qu'appartient le poste (Thonpeur ! » Et i(
ajoute en souriant : « Si j'y sufs tué,, il j
a plus à espérçr pour vous qù'à.çraindre
ppur moi ; v lui faisant en tendre éar là|
qu'il était digne de lui succéder., Un \e{
exemple électrise les chevaliers. Le périt
disparaît à leuîrs yeux, et . lés mahoracr
tans, frappés de terreur, foudroyés par^
les canons de la .ville, fuient éperdus, et
perdu sept
hommes. Le grand, maître célébra, sa
victoire dans l^lise où Ton avait plac^
Timage miraculeuse de sainte Marie do
Philéreme. »
Le jour suivant Mésih^Pacba, chan-
geant son système d'opérations, aban-
donna 1 attaque par mer, et la transporta
duc6té de la, terre. Il.fit battre ^n brécjie
le quar^er des jui& par huit de ses pliu
Î^ros canons ; ujd neuvième fut b)|caquéqe
'extrémité de là digue contre les moii-
t7!l
LnmiVEES.
liiis à yêQt de ia langue de terre. D'Ao-
bûsson ordonna aussitôt de raser les mai-
sons des jaifs, et d'en employer les ma-
tériaux à ia construction d un second
mur intérieur, qu'il fit entourer d'un
fossé. Chevaliers et paysans, négociants
et bourgeois, femmes et enfants, rivali-
sèrent oe zèle à élever ce nouveau rem-
part, tandis que l'artillerie turque fou-
droyait le mur extérieur avec un tel
fracas, que le bruit du canon s'entendit
jusqu'à Cos, située à cent milles à l'ouest
de Rhodes, et jusqu'à Castel-Rosso, dis-
tante de cent milles à Test.
Les bombes lancées par les Turcs
dans la ville Grent peu de mal aux ha-
bitants : les femmes et les enfants s'é-
taient réfugiés dans le château, que ces
projectiles n'atteignirent que fort rare-
ment ; ia garnison, de son côté, les évi-
tait, abritée dans les souterrains des
éjjlises ou les casemates. Les Ottomans
dirigèrent une seconde attaque sur la
tour de Saint-Nicolas, au moyen d'un
pont de bateaux. Ce pont , assez large
pour que six hommes pussent y marcher
de front, s'étendait depuis l'angle de la
langue de terre, où se trouvait naguère
l'église de Saint-Antoine, jusqu'à la tour
de Saint-Nicolas. Les Turcs, au moyen
d'un câble fixé sur le rivage par une an-
cre, étaient parvenus à faire remonter le
pont jusqu'au nied de la tour. Le ma-
telot anglais Gervasius Roger se jeta
pendant la nuit dans la mer, coupa le
câble, et le pont, abandonné à lui-même,
fut repousse loin du rivage; mais les
Turcs le remorquèrent avec des barques
et l'adossèrent de nouveau à la digue.
Dans la nuit orageuse du 19 juin J480
commença l'assaut de la tour Saint-Nico-
las. Une canonnade terrible s'engagea des
deux côtés : le pont de bateaux se rom-
pit ; une grande partie des assaillants et
quatre chaloupes canonnières furent en-
glouties; les barques d'abordage furent
pour la plupart brâlées. La lutte dura ,
sanglante et acharnée , depuis minuit
jusqu'à dix heures du matin ; les Turcs
durent enfin se retirer, après avoir perdu
deux mille cinq cents nommes, parmi
lesquels Souieiman, le sandjakbeg de
Kastemouni.
Repoussé dans cet assaut, Mesih-
Pacha réunit toute son artillerie sur un
seul point. Cette immense batterie fut
dirigée tout entière contre la partie delà
▼il le voisine de la tour de Saînt-Nicolas,
c'est-à-dire contre le bastion des Ita-
liens et le quartier des juifs. Trois mille
cinq cents boulets ne tardèrent pas à y
ouvrir de larges brèches ; mais les Rho-
diens opposèrent à cette batterie une
machine qui lançait au loin des pierres
d'un volume prodigieux. Cette machine,
qui renversait les ouvrages des Turcs H
écrasait leurs travailleurs, reçut des as-
siégés le nom de tribut, par une allusion
dérisoire à celui que Mahomet avait de-
mandé ; on chargeait cette machine avfc
les énormes boulets de pierre que les
Turcs lançaient dans la ville, et avec les
fragments de rochers dont ils comblaient
les fossés ; lesRhodiens les enlevaient ca-
chés sous des cryptoportiques, de sorte
que les Turcs ne pouvaient s'expliquer
comment ces fossés venaient à se vider
tous les jours. Pierre d'Aubusson, s'at-
tendant à un assaut général, fit porter
sur les remparts du soufre, de la poix,
de la cire et d'autres matières inflamma-
bles, des cylindres en pierre, et de pe-
tits sacs remplis de poudre et de fer ha-
ché , qu'on devait lancer sur l'ennemi.
Il fit venir devant lui maître Georges, et
le consulta sur ce qu'il convenait dr
faire dans cette extrême nécessité :
Georges proposa une nouvelle catapulte
qui devait détruire les travaux des assié-
geants; mais comme les coups de cette
machine , au lieu de porter sur les bat-
teries turques , portaient sur les murs
même de la ville, on soupçonna de plus
en pins la connivence de Georges a?ef
Tennemi, et le soupçon devint bientôt
une certitude, après les aveux que lai
arracha la question. Maître Georges ex-
pia toutes ses trahisons par le supplice
de la potence.
Le général en chef de l'armée assié-
geante, voyant échouer toutes ses atta-
ques, tenta la voie des négociations pour
obtenir la reddition de la place, et en-
voya à cet effet un Grec auprès do
grand maître. Mais celui-ci revint sans
avoir pu rien conclure. Mesib-Pacha en
fut d'autant plus irrité que son avarice
aurait voulu enlever aux soldats, par une
capitulation, le riche butin auquel lenr
donnerait droit la prise de la ville à
main armée. Cependant bon nombre de
chevaliers étaient décidés à accepter la
ILE DE RHODES.
178
«
capitolation ; ils se concertèrent poar y
amener le grand mattre , oui, prévoyant
le mauvais effet de cette disposition , &C
Tenir ces chevaliers, et comme s*il les
eût déjà bannis de l'ordre : « [Si quelqu'un
de vous, leur dit-il d'un ton courroucé,
ne se trouve pas en sûreté dans la place,
le port n'est pas si étroitement bloqué,
aue je ne trouve bien le moyen de l'en
ulre sortir... Mais si vous voulez de-
meurer avec nous, qu'on ne parle ja-
mais de composition , ou je vous ferai
tous mourir. » Ils comprirent alors que
d'Aubusson était encore plus terrible
que rennnemi, et le courage rentra dans
leurs cœurs.
Alors Mésih-Pacha ordonna un as-
saut général, et promit le pillage ; outre
les préparatifs ordinaires en pareille cir-
eoDstance, les Turcs se munirent de sacs
(X)ur y mettre leur butin, de cordes pour
lier les jeunes filles et les jeunes gar-
çons, et de huit mille pieux pour em-
paler le grand maître et les chevaliers.
Le camp turc retentit des cris d'Allah !
pendant toute la nuit qui précéda le
jour de l'assaut. La batterie des liuit
canons avait la veille tellement battu le
quartier des Juifs, que les murs delà
ville étaient en cet endroit entièrement
détruits et les fossés comblés jusqu'au
bord. Le vendredi 28 juillet 1480, le
même jour où une flotte ottomane abor-
dait à Otraute, un coup de mortier
donne le signal de l'assaut , au lever du
soleil. Les Turcs s'élancèrent avec une
irrésistible impétuosité sur la brèche, où
trois mille cinq cents d'entre eux enga-
gèrent un combat terrible; derrière eux
se pressait une armée de quarante mille
hommes, qui attaqua la ville par tous
les points a la fois. De part et d'autre
OD fit des prodiges de valeur ; les assié-
geants se précipitèrent sur la ville, dit
Seadeddin,« comme des lions déchaînés
sur leur proie, » et les assiégés combat-
tirent, suivant l'expression de Breiden-
bach, « comme les Machabées pour leur
religion et leur liberté ». Déjà 1 étendard
de Mésih-Pacha était arboré sur les cré-
neaux^ déjà quatre échelles adossées à
rintérienr du mur, haut de vingt pieds ,
qui fermait le quartier des Juifs, livraient
passage aux assiégeants, lorsque Mésih-
Pacha fit crier sur les remparts, « que le
pillage n'était pas permis , et que les tré-
sors de l'ordre appartenaient au sultan. •
Cette proclamation refroidit tout à
coup le zèle des assiégeants ; les troupes
encore au dehors de la ville refusèrent
de marcher au secours de celles qui s'y
étaient déjà engagées. Dans le même
tem^ le grand mattre, averti que l'en-
nemi pénètre dans la place , se précipite
à sa rencontre à la tête de ses chevaliers.
Il repousse les Turcs au delà du premier
mur, et montant avec eux sur le rem-
part, il engage un combat furieux, plus
acharné que tous les précédents. Le pa-
cha, debout au pied de la muraille , voit
les siens plier; il frémit d'indignation,
s'élance contre les fuyards, et les ramène
au combat à coups de cimeterre. Animés
par ses promesses, douze janissaires
cherchent le grand maître au milieu de
l'épouvantable mêlée, et, l'apercevant
{tarmi ses chevaliers, ils fondent sur lui,
e frappent tous à la fois , et tombent
aussitôt massacrés. Mais d'Aubusson,
atteint de cinq larges blessures , est
inondé de sang. On î'entourre , on veut
le forcer à se retirer ; mais l'héroïque
grand maître résiste aux instances des
siens. « Mourons ici , mes chers frères ,
dit-il, plutôt que de reculer. Pouvons-
nous jamais mourir plus glorieusement
que pour la défense de la foi et de notre
religion. » Désespérés de l'état de leur
chef, exaltés par son dévouement , les
chevaliers et les soldats chrétiens fon-
dent avec furie sur les bataillons des
infidèles , et y répandent partout le car-
nage et la terreur. Ceux-ci prennent enfin
la fuite; le pacha lui-même est entraîné,
poursuivi jusque dans son camp , et son
étendard reste aux mains des chevaliers,
comme un trophée de leur victoire. A
ce dernier assaut les Turcs laissèrent
sur les brèches et dans les fossés trois
mille cinq cents cadavres, qui furent
brûlés. Pendant les trois mois que dura
le siège , Mésih-Pacha eut en tout neuf
mille morts et quinze mille blessés. 11
retourna avec les débris de son armée
dans la baie de Fenika: puis, après
avoir assiégé sans succès le fort de Pe-
tronium» à Halicarnasse, il ramena sa
flotte à Constantinople. Dans le premier
mouvement de sa colère , Mahomet vou-
lait le faire étraneler ; mais il se contenta
de le reléguer a Gallipoli. Quant à
d'Aubusson , dès qu'il fut guéri de ses
174
vvjspqs^.
plantes, il se rendit dans l'église ^aint- srand VMfVte put ^i|
' r reçnfercier Dieu dé là vlctoite jcomrhe'p ^' j^S^i^'èl
lva\^ accordée; $ ft tâtir plu- Ht Sa sod ctdre. W ,
5eur^ 'églises, et il récompensa généreu- Je pape T[nnoôent Vltf ettvôyà fléml
,Feai pour remercier Dieu dé là victoire Jfcomme p ve Jtigea
duil l^i ava\^ accordée ; $ ft ï^âtirplu- ïf t de sod ctdri.
Sleur^ églises, et il riécompensâ généreu- Je papeT[nnoôent V^ . ^,_^^ ^r
kemeritles braves guerriers qûîràvaient au grandi roatti^ qtlll lui nvi|Ptjla |()ier-
SI ^ién secondé. ï^oùr Soulager les pàjr- sonhe' de Zizinrt , po^r entretenir les in-
saos etMes jiabitants dé llfé', dont les quiétudes ^e Bajazet. Les In^taiices du
v--L_ '___/_ i..i.__. iw jz..i^z.L •*. 1...- ^ • g jfyi^gnt sJ yjyes gûe d'Aubusj^h fut
canl^aepels avaient été dévastées, ^I leur
jftjt'jtisu'ibûer des krains pour les nourrir
iusjîl*^ ja prochaine ji;6colté, et ^îles
lape lurent si vives que uAunusi^n lui
lUigé de cédeV (/4Sf ), ètl^pri✠^zîm
lit transféré ^ ^6me , où if inourût em*
fut
MaMm^ lï résolut 'dé nVj)lus s'en rap- nairedèlllëde^h^ ,
JorteT qii*h1ùi-mëroe pouf dlrîgeif ses |né. Pour reconnaître <lâ dâférencé aefor
ou velles entreprises. J[l rassembla une dre a ses volontés, il conBf ma'ses â'ûdens
puîssqnté armée de trois cent mille hora- privilèges, en accorda de nouveaux, et
^mes, et il allait en prendre le commandé- réunit au chajpltre de ^bèfes ceux du
ment pour marcher; soit contre Pjhodes, ^aint-Sépulcre et de Saint-Iizàre. Le
soft côli tire Tïtaliè, lorsque sa mort , sur- jÈrand mattré re(J\it le âiâpeau de carçi-
Venué les mai 44^1 , déuyra ta chrétienté nat. %n 14?5 Je pape Alexandre Tl av^ot
'ifû ilangér''de cette invasion. Alors ta organisé une ligué contre les Turc^, en
guerre civile éclata ^ ans Tein pire otto- nomma d^Aubusson généralissime. Mais
man ; les deiù fils deMa1iomet,'^ajazet la tiédeur et la^égligencé deS at!iés*em-
ét pjem où Zlzi'm, se disputèrent te pou- péchèrent ^e tien éntrepréndirje. ^uls ,
Voir. Ce dernier, vaincu et poursuivi par jles chevaliers de BJbodeS en vinrent aux
son fréré, demanda un asile au srand — *'"" •*^'*'- "— -™» -• -«'-«-*^-»a — »
maître de jKhodes, qui l'accueillit avec
empressement et distinction. Mais lapré
sence du prince musiâman à Rhodes
ayant suscité beaucoup d'embarras et de
{liffîcultés à Pierre d^Aùbusson, il le fit
transporter en JFrance , sous la conduite
^e son neveu Guy de Blânchefort. 2izim
reçut pour résidence la commanderle
de Bourgneuf en Poitou , où les sicaires
de;Bajàzet ne purent Tatteindrè. Cepen-
dant de longues négociations s'ên^è-
rent entre rordre et la Porte au sujet
du prince réfugié. Elles se terminèrent
Il l'avantage des chevaliers ; car Bajazet,
craignant que ^izim ne redevint son ri-
val s'il était mis en liberté et soutenu
paries chrétiens, s'engagea à payer à
rBdpital un tribut de 45,000 ducats , à
conoition que Zizirh resterait' toujours
prisonnier. On a Justement reproché à
^*Aubusson d'avoir violé la fbi'jurée à
un malheureux fu^it^f en signant cet
article qui le privait de sa liberté. Ce-
pendant Guillaume de Jalignî, historien
de l'ordre, prétend que le grand maî-
tre n'avait aucun engagement envers
mains avec .rennémi , et remportèrent
Xne victoire sur une flotte de Turcs et
e Sarrasins, dans les mers de laSvrie.
Ce fot le dernier exploit du grand oialtte
d'Aubusson. La paix avant été rétablie,
il se livra tout entier m gouverneineDi
intérieur de l'ordre; il fit revivre les lois
somptuaires, et chassa les. jui& usuriers
de Rhodes. Mais ne pouvant mettre les
biens et les dignités dé son ordre à Tabri
de favidité et des exactions d* Alexan-
dre yj , il en conçut une telle douleur,
qu'il tomba gravement malade ;]e dia-
grin et la Vieillesse réunis ensemble,
11 ne tarda pas à succomber. 11 mourat
le 3 jui^et 1503 , âgé de plus de quatre-
vingts ans, après en avoir tégne vingt-
sept.
ÉMBnY p'fMBOISB, TBEIÎjrE-NïC-
VIÈME GRAND MAÎTBE (I50â-ltfl35- —
Émery d'^mboise était fils de pient
a'Aniboise , chambellan de !LO>uis XI et
de Cîiarles yjl, et Tun de sei frères était
le célèbre Georges d'Amboise, archevê-
que de Rouen, cardinal et légat du saint-
siège, et premier ministre de Louis XII.
 son avènement la guerre avec les Turcs
2izim ; que ce prince était simple pri- ^paraissait imminente. J|9|ajazet avait con
sonnier ne guerre, et non un fugitif pro- serve le plus vif ressentinieï^t ^e la ooa-
tégé p£ur un sauf-conduit, et que le duite de 1 ordre de Saint-tTean dans ses
ILE ^ ;ïUQOp£$.
m
démêlés avec son frère. Enhardi par Ja
n^ort de d^ÂuLusson , dont le nom seul
servait de défense à Rhodes , le sultan
recofnmença la guerre. Une première
escadre turque avait été repoussée Tan
1503. L'an 1505 Bajazet donna au fa-
meux corsaire CamaJi ou Kemal-^éis Je
commandement d'une expédition contre
Rhodes et les autres lies de la religion.
Mais Jes chevaliers faisaient si i)onne
Aarde, que I*ennemi ne put ahorder nulle
part dans ^^e de Rhodes. Repoussé de
nie capitale, Camali remit à la voile, et
courut les lies de Simia, de Tilo, de I^is-
saro, à J'attaque desquelles il ne fut pas
plus heureux. Il n'osa pas même tou-
cher à ce(le de Lango, que défendait une
bonne garnison d'hospitaliers. Il croyait
au moins surprendre Hle deLero, qui
n'avait point de défenseurs. Mais au
moment de Tassaut il voit apparaître
sur la muraille une double haie de che-
valiers revêtus de cottes d'armes rouges,
la croix iïlanche sur la poitrine. Camali
crut qu'il était arrivé du renfort , et prit
la fuite. Ce n'était que les pauvres na-
bitauts de l'île qu'un jeune chevalier pié-
montais, appelé Paul Siméoni, avait
revêtus d'habits de guerre.
L'année suivante , 1506, le chevalier
de Gastlneau, commandeur de Limoges,
s'empara de la Mogarbine. C'était une
grande caraque, dit Vertot (1), qui par-
tait tous les ans d'Alexandrie pour por-
ter d^£^pte en Afrique , à Tunis , et
jusqu'à Constantinople des soieries, des
épiceries et toutes sortes de marchan-
dises , que les sujets du Soudan tiraient
des Indes par la mer Rouge. > Ce vais-
seau (étoit d'une grandeur si extraordi-
naire, qu'on prétend que la cime du
grand mât des plus grandes galères,
n'approchait pas de la hauteur de la
proue de cette énorme machine. A peine
six hommes en pouvaient-ils embrasser
le !mât. Ce bâtiment avoit sept étages,
dont deux alloient sous l'eau ; outre son
fret, les nuarchands et les matelots né-
cessaires à sa conduite , il pouvoit en-
core porter jusqu'à mille soldats pour sa
d^ense. C'étoit comme un château flot-
tant, armé de plus de cent pièces de ca-
non ; les Sarrasins appeloient cette ca-
(i) Tertot, JBUt, de r Ordre, etc., t. U,
p. 400, 1. Tin,
raque la reine ^ la mer. » Cette^nyiQr-
tante capturent suivie de là prise pe
trois autres vaisseaux égyptien^ 9ÛrJi^
côtes de Syrie.
Effrayé de l'audace Qt des succès ^es
hospitaliers, le Soudan, J&ansou-^-
Gauri , mit en mer vingt-cinq vaisseaux
qu'il envoya sur les côtes d'Asie ]\Ai-
neure. Ces navires allaient chercher les
bois qu'il destinai); à la construction
d'une flotte qui devait être Jancée çur
Ja mer Rouge, popr disputer aiix Poi^tu-
gais le commerce des Indes. VJingt-^eMX
navires, Ja ^Eogarbiné en tête, scftârept
des ports ^e Rhodes sous la conduite
d'André d'Amaral et de Villîers de I^e
Adam. Malgré la mésintelligence de s^s
deux chefs, la flotte chrétienne détruisit
Fescadre égyptienne au /ond dii gcife
d'Ajazzo. On apprit alors que B^azet
venait de faire alliance avec le Soudan
d'£gypte ; aussitôt le grand maître ^ip-
pela tous Jes chevaliers à la d^ense $e
JEUiodes , et, maigre son grand âge , pré-
para tout pour soutenir i^n siège. ]La
mort le surprit au miUeu de ces soins,
^e 13 novembre 151^, à l'âge de soixante-
dix-huit ans, « dont il avoit employé la
meilleure partie dans la pratique des
vertus chrétiennes ; prince sage , habile «
dans le gouvernement, heureux dans
toutes ses entreprises , qui enrichit son
ordre des dépouilles des infidèles, saps
s'enrichir lui-même (1) », et qui mourut
sans biens , avec la consolation fie ne
laisser aucun pauvre dans ses JÈtats.
Guy de Blanghefobt , quÂaai^-
XIÈME GAA.ND MAÎTBE (1512-^151$). ^
Le souvenir impérissable du glorieux
gouvernement de Pierre d' Aubusson fit
élever à la dignité de grand maître son
neveu, .frère Guy de Blanchefort, grand
prieur d'Auvergne , qui durant le ma-
gistère de son oncle avait pris une
grande part au gouvernement de l'ordre
et surtout à la garde et à la conduite du
prince Zizim. Mais au momcAt de son
élection Guy de Rlanchefort tomba mfr
lade dans son prieuré. Jugeant sa pré*
sence nécessaire à Rhodes, le grand
maître se mit en route malgré sa fai-
blesse, n s'embarqua à Villcfranche près
de Nice. La mer augmenta encore son
mal, et de Blanchefort rendit le dernier
(i) VçrJor, t. U, p. 408.
m
LTJNIVEM:
soupir avant d*aToir achevé soo voyage.
Il moarnt dans nie de Prodana, en face
de Zante, le 24 novembre 1513, un an et
deux jours après son élection. Il était à
craindre que le pape Jules II ne voulût
disposer de la grande maîtrise , et n'at-
tentât à rindépendance temporelle de
l'ordre. Aussi les derniers ordres du
grand maître mourant avaient eu pour
but de détourner ce danger. Une cara-
velle légère , servie par (T excellents ra-
meurs, courut à Rnodes annoncer la
nouvelle du trépas de Blanchefort, et
l'on procéda immédiatement à l'élection
de son successeur, avant que le pape ait
eu le temps d'entreprendre sur la lioerté
des suffrages.
Fabricb Gàeretti, quabàntb-
vnibhb grand haîtbb (1513-15*21).
— La caravelle qui annonçait la mort du
grand maître était arrivée à Rhodes le
k 18 décembre. Le chapitre s'assembla le
lendemain, et le 15 on proclamait grand
maître Fabrice Garretti, commandeur de
la langue d'Italie, de la famille des raar-
Ïuis de Final en Ligurie. Au siège de 1480
larretti avait déployé la plus srande va-
leur et le grand maître d'Aubusson lui
avait prédit son élévation. Nommé de-
puis amiral et procureur général à la
cour de Rome , il s'acquitta dignement
des devoirs de ces différentes charges ,
et au moment de son élection c'était
sur lui une reposait le soin de pourvoir
à la déiense et à Tapprovisionnement
de Rhodes. Son magistère fut continuel-
lement inquiété par la crainte d'une ex-
S édition des Turcs. Sélim , successeur
e Bajazel, en 1512, nourrissait, comme
son père, une haine profonde contre
les chevaliers de Saint-Jean. Mais ses
euerres contre la Perse et l'Egypte le
forcèrent à ajourner l'exécution de ses
projets contre Rhodes. De son côté,
l'ordre s'alliait avec le sophi Ismaïl,
avec le Soudan Toman-Bey, et, sans re-
tarder leur chute, il fournissait ainsi de
nouveaux griefs au sultan Sélim.
Ce ne fut qu'après son retour d'Egypte
Sue Sélim ordonna l'armement a une
otte de cent navires destinée à marcher
contre Rhodes. Ses vizirs, ses généraux
étaient impatients d'attaquer enfin cette
dté contre laquelle la valeur des Turcs
avait toujours échoué. Mais le souvenir
de l'humiliante retraite de son grand-
père Mahomet II , inspirait à SAm de
jostes défiances, et il hésitait à s'aventa-
rer dans une entreprise où il pouvait
compromettre sa gloire. « Yons me
poussez, dit-il un Jour à ses vizirs, à la
conquête de Rhodes; mais savez-vow
ce qu'il faut pour cela , et pouvez-voos
me dire quelles sont vos provisions de
poudre. » Les vizirs répondirent an snl-
tan qu'ils avaient des munitions sofifi-
santes pour un siège de quatre mois.
« Que faire avec un approvisionnement
de quatre mois , s'écna Sélim avec ha-
meur, lorsque le double ne suffirait pas?
Voulez-vous voir se renouveler à ma
honte l'échec de Mahomet II ? Je n'en-
treprendrai point la guerre , et je ne fe-
rai pas le voyage de Rhodes avec de tels
préparatifs; d'ailleurs, je crois que je
n'ai plus de voyage à faire que celui de
l'autre monde (1). » Cependant il eon-
tinuait ses préparatifs, tandis que Fa-
brice Garretti augmentait ses moyens
de défense. Mais la mort les surprit tons
deux en 1521 , et la vieille querelle des
Turcs et des chevaliers de Rhodes de-
vait» se décider entre leurs succes-
seurs (2).
ViLLIBRS DB l'Ile- ADAH, QU4-
BANTE - DBCXIÈMB GBAIf D MAÎT»
(1521-1534). — A la mort de Fabrice
Garretti, trois chevaliers se recomman-
daient par leur renommée aux suffrage
du chapitre. Cétiiient André d*Amaral.
chancelier de l'ordre, grand prieur de
Castille, Thomas d'Ocray, grand prieur
d'Angleterre, et enfin le grand prieur de
France, Philippe Villiers de l'Ile- Adam.
Mais d'Amaral indisposa le chapitre par
ses hauteurs et ses prétentions ; il fat
écarté tout d'abord , et bientôt le choix
des électeurs se fixa sur la personne de
l'Ile -Adam, alors absent de Rhodes,
mais que recommandaient suffîsammert
son habileté, son courage et ses vertus.
La nouvelle de cette élection excita li
(x) De Hammer, Hutoire de tEa^e Oi-
toman, t. IV, p. 356.
(a) Le colonel Rottiert a refrouTé le ton*
beau de ce grand maître dans Téglise Saiot-
Jean. C'est le seul monument de ce genre qui
ait été préservé de toute dévastation. VovfX
Monuments de Rhodes, p. 3oo et Atla<.
pi. XLI. Le prieuré d'Italie porte une im-
eription qui atteste qu'il fut rebâti en i5;9
aous Fabrice Caretti. Ibid., p. Sn^,
ILE DE RHODES.
177
joie de tous lei habitants de l'Ile de
Ahodes. Seul , d'Amarai en conçut un
Tîoleot chagrin : il jura de se venger des
refus de l'ordre , et dans les premiers
traDsports de sa colère il lui échappa
de dire que rile-Adam serait le dernier
grand mettre qui rtoierait à Rhodes.
Cette sinistre prédiction ne devait être
que trop tdt réalisée. Villiers de Tlie-
Adam s'était hâté de prendre con^é de
François I*' et de gag;ner sa capitale.
Après une traversée où il faillit périr
plusieurs fois, par le feu, parla tempête,
et par les emoûcfaes de Famiral turc
Kourdoghil,i] arriva à Rhodes, le 19 sep-
tembre 1521. Cependant Soliman , suc*
cesseur de Sélim, venait d'inaugurer
EOD règne, le plus glorieux de la dynas*
tJeottomane par la conquête de Belgrade,
devant laquelle Mahomet II avait échoué
autrefois. Après avoir renversé un des
remparts de la chrétienté, Soliman ré-
solut décidément d'attaquer l'autre,
c*est-à-dire de s'emparer de Rhodes, qui
tenait en échec la puissance musulmane
sur mer et en Asie. Jamais les circons-
tances n'avaient été si favorables à Texé-
cution d'un pareil projet (1). Charles-
Quint et François I^ partageaient et
épuisaient l'Europe par leur rivalité po-
litique. L'unité religieuse de la chré^
tienté venait d'être brisée par l'explosion
de la réforme luthérienne. Soliman com-
prenait qu'il pouvait tout oser contre les
États chrétiens, et qu'il n'avait rien à en
craindre. U avait pris Belgrade, et il s'é-
tait ainsi ouvert la Hongrie, que la mino-
rité de Louis II livrait sans défense à ses
armes; il hii restait à prendre Rhodes,
pour dominer dans l'Archipel et assurer
de libres et faciles communications entre
Constantinople et les deux provinces ré-
cemment conqniises par Sélim, la Syrie
et rÉgy^te. Indépendamment de ces rai-
sons, quêtaient plus que sufiBsantes pour
entraîner Soliman, il était encore poussé
à la guerre par les exhortations de son
vizir Houstapha, de son grand amiral
Kourdoghlî, qui échauffaient son ambi-
tion et son amour de la gloire. Enfin à
tons ces motife s'ajoutaient aussi les
communications de deux traîtres, un doc-
teur juif et le vindicatif André d'Amarai,
(i) De Hammer, Histoire eU t Empire Oi-
tmaa, t V, p. a5 i 43.
W lÀoramn, ( Ilb pe Rhodes.
qui lui démontraôentropportuiiité d*iuie
attaque contre Rhodes, en lui représen-
tant cette place comme mal approvision-
née et démantelée en plusieurs endroits.
L'expédition fut donc résolue; mais
avant de commencer les hostilités, SoU-
man, pour accomplir la formalité pres-
crite par le Coran, envoya au grand
maître une lettre dans laguelle il le som-
mait de se rendre, et jurait comme à l'or-
dinaire, par le Créateur du ciel et de la
terre, par Mahomet, son prophète , par
les autres cent vingt-quatre mille pro-
phètes de Dieu, et par les quatre livres
sacrés envoyés du ciel, gu'il respecterait,
dans le cas d'une soumission volontaire,
ta liberté et les biens des chevaliers (1).
Peu de temps aorès, la capture d'un bri-
§antiu de Rhoaes par un navire turc
onnale signal des hostilités. Le 18 juin
1522 la flotte ottomane^ forte de trois
cents voiles, sortit du port de Constanti-
nople et sedirigea surRnodes. Elle portait
une immense quantité de provisions, et
elle avait à bord dix mille soldats de ma-
rine, sous les ordres du vizir Moustapba,
nommé séraskier de l'expédition. Cepen-
dant l'armée de terre, commandée par
Soliman lui-même, et forte de cent mille
hommes, marchait à travers l'Asie vers
le golfe de Marmaris (l'ancien Phiscns ).
Après une traversée heureuse , la flotte
commença son débarquement dans la
baie de Farembolus, près de la ville de
Rhodes, le jour de la Saint-Jean, patron
de l'ordre dfes Hospitaliers. Un mois se
passa à débarquer les troupes , les pro-
visions et rartulerie, à dresser un camp
et à attendre le sultan, à qui le séraskier
ne pouvait enlever l'honneur d'ouvrir
lui-même le siège. Le 28 juillet 1522
Soliman quittait Marmaris et débarquait
à Rhodes, au milieu des salves deTartil-
ierie de siège, composée de plus de cent
bouches à feu. On y remarquait douze
énormes canons, dont deux lançaient
des boulets de onze à douze palmes de
circonférence (2). On en retrouve encore
(i) Vcrtol, Hist, des Cheval, de Saint- Jean,
t. II, p. 456. M. de Hammer regarde cette
lettre comme la seule authentique. Tout le
reste de la correspondance entre Soliman et
Tilliers de Tlle^Adam lui parait supposé.
Voy. t. V, p. 4x6, not. i5.
(%) « J'ai moi-même mesuré, dit M. de
] 1»
1
i78
L'nmvERS.
q^^taWHtffB 4fQ9 les mw et dan9 rea«
^fita^ 4^ Ifi forteresse.
I^e grap4 maitre n'avait pii ^'oppoçer
9U (|&arqoemeot des Turcs. Aban-
4QQDé p{ir le9 princes chrétiens, réduit
9Ul ressources de son ordre, il n'avait
P4 réunir (|ue quatre mille cinq cents
fojd^ts etsixeepts chevaliers. Toutefois,
PQMf ne laisser ancune ressource à Ten-
a^mi, ii avait fait incendier les villages,
il avait ^hattutopsles édifices extérieurs
et reçu 49DS la ville tous les habitants
diBS campagnes pour les employer à la
réparatioo des brèches. Les Grecs de
Rhodes et des Iles s'étaient attachés à la
domination des chevaliers, et en général
ilf lenr restèrent fidèles, n^algré les avan-
ces et les séductions de Soliman (1).
Quant aux chevaliers, enflammés par le
fjéyouement , le courage et la piété du
grand maître, ils se montrèrent tous dis-
posés à le seconder jusqu'au dernier sou-
IMr- L'Ue-Adam distribua à différentes
angues de l'ordre la défense des sept bas-
tions de la ville. Lui-même se plaça à la
Porte des f^aingueurs, près de réglise
49 painte-Marie de la Victoire. Cette
porte était au nord delà ville, à l'oppo-
site du port lllandraccio et de celui des.
Galères; à gauche de cette porte était le
li^astlon de la langue allemande, puis la
porle d' Auiboise etle bastion de la langue
espagnole; à droite, les bastions des
langues d'Auvergne tt de France. Ces
quatm bastions défendaient la partie
nord de la ville. A l'est, où se portaient
principalement les attaques des assié-
geants, s'élevait le bastion de la langue
anglaise. Les murs, au sud de la viUe ,
étaient confiés aux chevaliers de Pro^
▼enee et d'Italie ; ceux de la langue por-
tugaise avaient la défense de Ta porte
maritime. Guyot de Castellane, vieux
bailli provençal, eut la garde de la forte
tour de 8aint-19icolas, avec vingt cheva-
liers et six cents soldats. De fortes chat-
ues et la tour Saint-Michel complétaient
la défense du port.
Les Ottomans enveloppèrent la ville
du nord au sud dans l'ordre suivant : à
Taile droite en face des bastions des lan-
Hammer, plosieurs de «s boulets pour m'as-
snrer de Feiactitude de Tassertion des his-
toriens du temps. » T. y, p. 416, DOt. x8.
(i) roy, Vertot, U VUJ, t Û, p. 458.
gues française et allemande était pbeé
Ayaz-Pacha, béglerbey de Roumélie , tt
à ses côtés, en face des bastions d*f>
pagne et d'Auvergne, le troisième vizir,
Acnrpet-Pacha. Au centre, et parallèle-
ment au bastion de la langue anglaise,
se trouvaient le séraskier et le second vi-
9Jr, Moustapha-Pacha. Le camp du sul-
tan fut établi devant la position de Mous*
tapha, sur la colline de Saint-Cômeetde
Saint-Damien, et près de la chapelle de
la Vierge d'Élemonitra. Au sud-est delà
Ville, c'est-à-dire à l'aile gauche de l'ar-
mée assiégeante, Kasimbeç, béglerbey
d'Anatolie, devait conduire Tattaque
contre le bastion de la langue de Pro-
vence, et plus loin encore, à rextrémite
de cette même aile gauche, le grand Fizir.
Piri-Pacha, était opposé aux chevalier!
d'iuUe.
Le 1^'^ août le béglerbey de Boiunélie
ouvrit Id siège en attaquant le poste des
chevaliers allemands, que commandait
Christophe de Waldner. Vingt et on q-
nous foudroyaient le bastion allemand
et vingt-deux la tour de Saint-Kicolas.
Quatorze batteries de trois canons cha-
cune étaient dirigées contre les bastions
d'Espagne et d'Angleterre, et dis-s^i
autres semblables contre le bastion dl-j
talie. Les assi^eants et les assiégés em-
ployèrent le mois d'août en travaux de
mines et de contre-mines. Malgré k
grand nombre de bras dont pouvait dis-
poser Tennemi, les travaux de la dé-
fense conservaient l'avantage , grâce à
l'habileté de l'ingénieur vénitien Gabriel
Martinengo, que, d'après l'avis do ebe-
valier deBosio, le grand maître avait ùit
venir de lUe de Candie. A peine arrive
à Rhodes, Martinengo s'était enflamme
au contact de rentnousiasme guemer
et religieux qui animait les chevaliers, et
ii s'était enrolé dans cette milice sacrer*
dont il fut un des plus vaillants défen-
seurs. La bravoure héroïque du grand
maître et les talents de Martinengo
firent échouer toutes les premières ten-
tatives de l'ennemi.
Le 4 septembre deux mines renrer-
sèrent une partie du bastion anglais.
Plusieurs bataillons de janissaires sélaa-
cèrent sur la brèche ; et déjà ils cagDaient
le sommet de la muraille et ils y plaoj
talent leurs étendards. Mais le grao'i
mattre accourut l'étendard de la cron
ILE J^fL AHOPES.
170
i^é, j^ l^s forfia à ^ retirer «près
imej)^ aepnss aedejaxiQUlç hominef .
Pn sm»4 a^sdiit, ]xYX0 six jours pli)s
tard par les Turcs, leqr fit éprouver ui)e
perte auasî forte ; les ds^i^esols n'eq-
rent que trente homines tués , parmi
lesquels le gépérsl de Tartillerie ^t |e
porte drapeau du ^^nd maître. Le 13
septeoabref à la suite d'ui^e première at-
taque« les Turcs forcèrent le bastion an-
glais, sur lequel ils arborèrent cinq ilra-
peau. Le ODOimandeur Waldne^ les
mm , et le grand maître acheva leur
défaite. Quelques jours après le docteur
juif qui trahissait Tordre et corresj)on-
dait avec le camp ottoman , surpris au
moment où il allait lancer à Temiemi
uoe lettjre au rooyw d'une flèche, fut
écartelé.
Jusque là il n'y avait eu que des as-
sauts partiels; fn^is le 34 septembre on
annonça une attaque générale sur toute
ia ligne des fortifications. Depuis midi
^jsqu'à minuît, des hérauts parcouru-
rent le camp eu criant : « Demain il y
aura assaut; la pierre et le territoire
sont au Padiscbah, le sani^ et les bieos
des habitants sont le butin des vain-
queurs. » Au point 4u jour le§ Ottomans
se pojitèrent au nord; à Vest et au sud
de la ville ; cependant leurs efforts se
concentrèrent surtout contre les bas-
tions des langues anglaise et espagnole ;
Taga des janissaires parvint même à
surprendre ce dernier bastion et à y
planter son drapeau. Mais ce triomphe
ue fut que de courte durée : le grand
maître qui avait déjà repoussé Vattaque
du bastion anglais, engagea avec les
janissaires un combat acharné. Les
Turcs furent repoussés de toutes parts,
laissant quinze mille des leurs sur la
brèche et dans les fossés. Dans cet as-
mt, le plus terrible de tous ceux qui se
Tèrent pendant le cours du siège, toute
population de l'île seconda bravement
valeur des chevaliers. Les femmes
les-mémes prirent une [>art glorieuse
ni sucoès(|e cette sanglantejournée. Sans
reffrayer ^es cris, d^ tumulte et du car-
)ge, elles portaient les unes des mupi-
ms et des rafraîchissements aux guer-
îrs qui combattaient sans relâche, les
itres de la terre pour en remplir les
'èche3* et des piçrre^ pour les jeter sur
~ assaillants.
Is sultfio, irrité <iu mauvfùs succès de
cette entreprise, s'en prit a|i béglerbey de
Siouméliet Aya^-Pacba. U tedéposa,etle
t emprisonner; mais il le rendit à la
liberté et à ^ {onctions 4ès le lende-
main (|). Il songeait, dit-ûQ, à lever le
siège, lorsqif'uii transfuge, envoyé peut-
être par d'Amaral, vint lui faire sur la
situation déplorable delà ville des révé-
latîQQS qui dét^rnûflèrent Soliman à
persévérer. Le 12 octobre, à la pointe du
jour, Achmet-Pacbdi qui 9vait remplacé
Moustapha dans la direction du sié^^,
tenta de surprendre le bastion anglais;
les remparts étaient d^à au pouvoir des
Turcs, lorsque Ta^a des Janissaires 6tf
blessé et ses soUlaU forces de battre ea
retraite. Vers la (in du même mois, un
nouvel assaut fut tenté contre les bas*
tions d'Italie et de Provence, d*où les
assiégeants furent repoussés après un
combat meurtrier. Cependant' Marti-
nengoavait été gravement blessé, et pen*
dant les trente-quatre jours que dura sa
maladie rile-Adam veilla seul à toutes
les opérations de la défense, ne prenant
plus de repos qu'entièrement armé , et
f)araissant devenu, ainsi que ses cheva-
iers, insensible à la fatigue comme aux
dangers.
Sur ces entrefaites la trahison de d' A-
marai fut découverte- Son domestique
Biaise Dtez, fut surpris en communica-
tion avec Tennemi. On le mit à la ques-
tion, et il révéla toutes les intelligeoces
de son maître avec les Turcs. Un prêtre
Srec, chapelain de Tordre, confirma sa
éposition. D*Amaral, confronté avec
ses deux accusateurs, nia tous les faits
qui lui étaient imputés, et la torture ne
lui arracha aucun aveu. Mais la convic-
tion des juges résista à toutes §es déné-
gations, et d'Amaral fiit oondammé à
mort avec son valet. Avant l'exécution ,
il fut dégradé dans Féglise de Saint-
Jean, en présence de tout Tordre assem-
(i) Voir le Journal de t expédition de So-
itntan contre Vite de Rhodes, dans Hamm^,
t. y, p. 421. Cette arrestution , ajoute I*hi»-
torien, a donné naiaiance à la fable que Bour-
bon, et d'après lui Bosio, Tertot, Knolles,
Méieray , Sagredo , Mignot et Alix ont rap-
portée an sujet de Moustafa-Pacha qae le sih-
tan aurait fait mourir à coups de flèches. De
Hammer, l, V, not. ai.
12.
180
L'UNIVERS.
blé : conduit ensuite sur la grande place
de Tordre, il y subit la mort avec fermeté.
Bourbon, Fontanus, tous les historiens
de Tordre, ont flétri la mémoire du
grand chancelier d'Amaral. Cependant
Vertot remarque qu'on ne l'aurait pas
traité si rigoureusement, si quand il s'agit
du satut public le seul soupçon n'était
I>as pour ainsi dire un crime que la po-
litique ne pardonne guère (1). (80 oc-
tobre 1522. )
La nlus grande partie du mois de
novembre se passa en travaux et en en-
gagements partiels , qui igoutaient tou-
jours à la faiblesse des chevaliers et aux
progrès des Turcs. Le 23 novembre un
jiouvel assaut donné au bastion d'Italie
ooûta aux Ottomans cinq cents hommes
sans aucun résultat. Le 30, jour deSaint-
André, les bastions d'Espagne et d'Ita-
lie furent impétueusement assaillis par
les Ottomans. Les chevaliers, exténués
de fatigue, plièrent d'abord, et l'ennemi
se répandait dans les retranchements.
Jamais Rhodes ne s'était vue si près de
succomber. A l'instant toutes les clo-
ches sonnent l'alarme, de tous côtés on
voit accourir chevaliers , bourgeois ,
paysans : les Turcs sont arrêtés; la brè-
che est reconquise; la pluie qui tombe
par torrents entraîne les ouvrages des
Musulmans. Ils'se dispersent tous en lais-
sant trois mille des leurs sur le champ
de bataille.
Cette nouvelle perte détermina le sé-
raskier à ne plus tenter d'attaques ou*
vertes et à se réduire aux tranchées et
aux mines. Le siège avait coûté à Soli-
inan environ cent mille hommes, dont la
moitié avait péri les armes à la main ,
l'autre moitié par suite de maladies. Mal-
gré ces pertes immenses, l'armée du sul-
tan se trouvait toujours recrutée, tandis
que chaque jour la mort faisait dans les
rangs des défenseurs de l'ordre des vides
irréparables. Aussi Soliman, sachantles
chevaliers réduits à la dernière extré-
mité, et croyant leur courage abattu, fit
proposer le 10 décembre une entrevueau
grand maître, et offrit une capitulation
honorable, sous la condition de rendre la
ville dans le délai de trois iours. La red-
dition de la place avait déjà été résolue
dans le chapitre des grands -croix de
(i) Verlol, HtsL de t Ordre, clc, c. II, 5o3.
l'ordre, et dans celui où chaque langue
était réprésentée par deux chevaliers.
Cependant cette résolution, blâmée vive-
ment par les plus intrépides , fut révo-
quée, et l'on fit demander à Soliman un
délai plus long que celui qu'il proposait.
Pour toute réponse Soliman ordonna à
ses généraux de recommencer le siège
(18 décembre). Mais il avait réussi par
des négociations à jeter la division dans
la ville ; les populations grecques , fati-
guées du siése, effrayées des menaces
des Turcs , s^uites par l'espoir d'une
capitulation, se détachent des chevaliers ,
qui, réduits à eux-mêmes, sans munitions
et presque sans vivres, se vûrent enfin
dans l'impossibilité de prolonger plus
longtemps leur r^tstance. D'abord Vil-
liers de risle-Adam, ne pouvant se rési-
gner à l'aveu de sa défaite, osa encore
garder une attitude supérieure à sa for-
tune. Il envoya au séraskier l'écrit par
lequel Bajazet II avait jadis garanti au
grand maître Pierre d'Aubusson la libnf
possession de Rhodes, en son nom et en
celui de ses descendants. Dès quMI vit
cette pièce entre ses mains, Achmet-Pa-
cha la déchira et la foula aux pieds, et il
ré[)ondit au grand maître une lettre
pleine de grossières injures. Bientôt
Villiers de rIsle-Adam, réduit à la der-
nière extrémité, se vit contraint à chan-
ger de langage, et il députa à Soliman
un chevalier et deux bourgeois de la
ville pour négocier la reddition de Rho-
des ( 22 décembre ). La capitulation fut
aussi honorable que pouvaient l'espérer
des vaincus. Elle portait que les églises
ne seraient point profanées, que l'exer-
cice de la religion chrétienne serait libre.
Que le [)euple serait exempt d'impôts pea-
oant cinq ans, que tous ceux qui vou-
draient sortir oe l'île en auraient b
permission, que les chevaliers pourraient
se retirer avec tout ce qui leur apparte-
nait en meubles, en armes, reliques et
vases sacrés; que tous les forts de Rhodes
et des autres Iles qui apoartenailsnt à ia
religion et le château ue Saint-Pierre
seraient remis auxTurcs ; querarmée ot-
tomane s'éloignerait de quelques railles;
que l'a^a et quatre mille janissaires
viendraient seuls prendre possession de
la place; enfin que l'ordre donnerait
comme otages vingt-dnq chevaliers et
vingt-cinq des principaux bourgeois.
I
ILE DE RHODES.
181
A peine eette capitulation eut-elle été
signa de part et d*autre, qu'elle fut
violée dans ses danses principales. Le
einguième jour après la signature, c'est-
à-dire le 25 décembre 1522, les janis-
saires échappèrent à leurs chefs, et s'ap-
prochèrent de la ville sans autres armes
que des bâtons. Ils forcèrent une des
portes , pillèrent les maisons des prin-
cipaux habitants , et commirent toutes
sortes d'excès. Leur fureur se déchaîna
surtout contre Féglise Saint- Jean; ils
raclèrent les peintures à fresque repré-
sentant les saints, brisèrent les statues,
ouvrirent les tombeaux des grands
maîtres, renversèrent les autels, traînè-
rent les crucifix dans la boue, et mirent
au pillage les ornements sacrés. Du
haut du clocher de l'église Saint- Jean on
appela les croyants à la prière. C'était
dans la matinée du jour de Noël ques'ac-
<t)mplissait le pillage, au moment même
où le pape Adrien d'Utrecht célébrait
le service divin dans l'église de Saint-
Pierre ; pendant l'office, une pierre, se
(détachant de la corniche, vint tomber à
ses pieds, circonstance qui fut regardée
comme le présaee de la chute du pre-
mier boulevard de la chrétienté (1).
Le lendemain, le 7 du mois de safer,
26 décembre, Villiers de risle-Adam, in-
formé que le sultan désirait le voir, se
rendit, malgré sa répugnance^ à cette
entrevue. Il vint au camp ottoman , ac-
compagné seulement de quelques cheva-
liers. « Comme c'était un jour de di-
van, il resta longtemps devant la tente
de son vainqueur, exposé à la neige et à
la pluie, en attendant le moment d'être
introduit. Enfin le grand maître, après
avoir été revêtu d'un kaftan d'honneur,
fut conduit en présence de Soûl éi m an.
Ces deux princes, qui étaient arrivés en-
semble au pouvoir deux ans auparavant,
et qui se trouvaient maintenant face à
face dans des positions si diverses, gar-
dèrent lon^mps le silence et s'exami-
nèrent réciproquement. Enfin le sultan,
firenaotla parole, s'efforça de consoler
e grand maître de sa défaite en lui re-
présentant que c'était le sort des princes
de perdre des villes et des royaumes, et
lui renouvela l'assurance d'une libre re-
traite. Deux jours après Souléiman, étant
allé voir le bastion d'Espagne et la tour
de Saint-Nicolas, voulut visiter égale-
ment Rhodes et le palais du grand maître
avant de retourner à son camp. Accom-
pagné seulement d'Achmet - Pacha et
d'un jeune esclave, il se rendit au ré-
fectoire des chevaliers, et demanda Vil-
liers de risle-Adam. Achmet-Paeha fai-
sant fonction d'interprète et traduisant
les paroles du sultan en grec, assura de
nouveau au grand maître que la capitu-
lation serait de tous points strictement
exécutée, et lui offrit un terme plus long
pour l'évacuation de Rhodes. Le grand
maître remercia lesultan, et sebornaà lui
demander de rester fidèle aux clauses du
traité. Le 1®*" janvier 1523, le grand
maître, avant de s'éloigner, vint baiser la
main du sultan, et lui offrit quatre vases
d'or. « Ce n'est pas sans en être peiné
moi-même, dit Souléiman à son tavori
Ibrahim, que je force ce chrétien à
abandonner dans sa vieillesse sa maison
et ses biens (1), » Après cette dernière
entrevue le grand maître et les débris
de l'ordre quittèrent pour toujours l'Ile
de Rhodes, où les chevaliers de Saint-
Jean-de- Jérusalem régnaient avec tant
de gloire depuis près de deux cent vingt
ans. Plus de quatre mille habitants de
l'île les accompagnèrent dans leur re-
traite, et l'escadre se composait de cin-
quante bâtiments. Leur retour en Eu-
rope fut désastreux : battus par de vio-
lentes tempêtes, décimés par des maladies
après avoir successivement relâché à
Candie, à Gallipoli, à Messine , ce ne
fut que six mois après qu'ils abordèrent
à Civita-Vecchia, le port principal des
États de l'Église. Au mois de janvier
1524, Villiers de l'Isle-Adam vint se
fixer àViterbe, que Clément Vil, suc-
cesseur d'Adrien IV , lui assigna pour
résidence provisoire. Enfin en 1530
Charles-Quint conclut avec le conseil de
l'ordre le traité de Castel-Franco , par le-
quel il cédait aux chevaliers Malte, Goz-
zo et Tripoli. Rendu ainsi à sa destina-
tion, l'ordre de Saint- Jean prit posses-
sion de l'île de Malte au mois d'octobre
1530. Il recommença dans ce nouveau
poste sa lutte héroïque avec l'islamisme,
(i)T^'HvsLmeT, HUt, des Ottomans^ t. Y ^ (i) De Hammer, H ht. des Ottomans,
P. 39. t. V, p. 4o.
182
L'tAlTEftS.
qu*il ne cessa Je combattre qu'après que
cet ennemi eut cessé lui-môme d'être
redoutable à la chrétienté.
Cependant Soliman, après le départ
de Tordre, acheva la conquête du petit
empire maritime dont il avait emporté
la capitale. Les îles qui dépendaient de
Rhodes furent entraînées par sa chute.
Leros, Cos , Calymna , Nisyros, Télos,
Chaice, Limonia et Svmê furent oc-
cupées par des postes d*Ottomans. Les
femmes grecques de Syme, qui par leur
habileté a plonger, avaient rendu de
grands services aux Turcs pendant le
siège , obtinrent du sultan le privilège
de porter un turban d'étoffe olanche.
Le fort de Ëoudroun, bâti sur les ruines
de Tancienne Ualicarnasse, ouvrit aussi
ses portes , et compléta le nombre des
dix conquêtes de Soliman. Quant à ce
prince , il avait quitté Rhodes peu de
jours après le grand maître. 11 s'était
embarqué un vendredi, après avoir as-
sistée fa prière publique dans Féglise de
Saint-Jean, et avoir donné les ordres né-
cessaires à la reconstruction immédiate
des fortiûcations de Rhodes. Un mois
après le vainqueur célébrait son entrée
triomphale à Constantinople.
État db l'Île de Rhodes après
LA GOiNQUETE DES TuECs. — Quand
Soliman eut réuni l'île de Rhodes à son
empire, il prit toutes les mesures né-
cessaires pour assurer la conservation
de cette importante conquête. Des négo-
ciations s'étaient engagées entre Charles-
Quint et le grand maître pour replacer
Rhodes sous le gouvernement de la re-
ligion (1). Mais il était encore plus diffi-
GîTe de recx)uvrer cette île qu'il ne l'avait
été de la défendre ; et l'on ne put rien
tenter de sérieux pour sa délivrance.
Rhodes re^ta donc et reste encore sous
k domination des Turcs; le croissant y
rempla^ l'étendard de la croix ; la t)ar-
barie musulmane y succéda à la civilisa-
tion chrétienne , et depuis trois siècles
elle en efface les vestiges et elle en dé-
truit les œuvres. A partir de cette époque
Rhodes n'a plus d'existence individuelle^
plus d'activité politique; son histoire
est terminée, et il ne nous reste plus qu'à
montrer à quel degré de décadence el!
d'abaissement elle est tombée, ainsi que
(i) Goronelii, Isola di Rodi, p. ai6.
presque toutes les lies mii oifféKéOftiftie
elle frappées du même fléau.
Rhodes fut placée, comme todte$ les
autres provinces dé Tempire ottoman,
sous le gouvernement d'un paclia , f\\\\
avait une dutorité absolue. Un canti était
chargé de l'admîtiistration de la Justice;
un muphti y dirigeait le sèfviée reli-
Î^îeux. Tous l'es Latins furent expulsés de
'île. Les Grecs et les juifs, auxquels les
Turcs permirent la résidence, étaient
placés soùs l'autorité d'un chef appelé
Mouteveli , qui percevait le haracn ou
capitation , tribut imposé par les vain-
queurs, et qui jugeait leurs différends.
Les troupes qui formaient la garnison de
la place étaient commandées par un A^p.
ff Tels sont, dit Savary, les principaux
ofBciers de l'île ; ils semblent tous cons-
pirer sa ruine (1) ». Et le tableau qui!
trace de l'état de l'île à la fin du dix-buf-
tième siècle montre que cette ruine était
déjà consommée.
Toutefois, cette décadence des pro-
vinces de l'empire ottoman ne se fit pas
immédiatement sentir. Au seizième et
pendant la plus grande partie du dix-
septième siècle, cette puissance eonserra
encore l'apparence d'nne grande pros-
périté. Sans doute , elle contenait dans
son sein les germes de sa destruction
future; mais us n*avaient point encore
fait les effroyables ravages que nous
constatons de nos jours. La situation de
Rhodes, autant que nous permet de
l'apprécier la pénurie des documents his-
toriques (2), reste encore quelque temps
(i) Savary, Lettres sur la Grèce ^ p. So.
(ru) Depuis le temps des Turcs File df
Khodes a été irès-peu connue. Les Turcs ont
toujours surveillé avec soin cette conquête, qni
leur avait coûté si cher. Le colonel Rollien
n*a pu la parcourir entièrement. An dix-sef-
tième siède, Thévenot disait : « Nous deaieu-
rames dans le port de Rhodes treixe juiin,
pendaut lesquels je considérois cette place
autant que je pus , n'osant pourtant pas y
rien regarder trop atteutivement ; car aussi-
tôt que je m*arresiois les Turcs me regar*
doieut , et en même temps un gentilbomoH:
cbiot , avec qui j'estois , me pous&oil » pour
me retirer de mon atteution, qui me pou^oii ■
être dommageable, prioci paiement en ce
temps-là , auquel on craignoit par toutes les
ites de la Turquie que les Téàltiais a'v
fissent descente, v Relation d'un voyage f^t
ILE bt kUODES. 183
assez satisfaiàahte. « Après la conquête truire la prospérité de cette fie éderfî^
les Turcs, toujours soutenus par Fesprit et vivace. 11 fallait que la décadence ait
fanatique et guerrier qui fit longtemps commencé depuis longtemps , que déjà
leur force , utilisèrent les belles forêts toutes les sources du commerce, de
de chênes et de pins qui couvraient les Tagriculture et de Tindust^re aient été
montagnes de nie. Des galères cons- entièrement taries , pour qu'à la fin du
truites à Rhodes allèrent grossir les dix-huitième siècle un voyageur ait pu
flottes musulmanes, ou sortirent en constater à Rhodes une depo(>ùl£rtion et
course contre les chrétiens. La popula- une misère dont le tableau stfivaiït don-
tîon grecque elle-même profita d'abord nera Tidée.
des ressources immenses qu'offrait l'ex- L'Ile de Rhodes , dit Savary (1), con-
ploitation de ce prodigieux empire, alors tient deux villes ; la capitale et l'ancienne
dans toute sa splendeur. Dociles à leur Lîndos. La première est habitée pat des
génie national , qui depuis ne s'est pas Turcs et un petit nombre de juifs. Elle
démenti, les Grecs devinrent les facteurs a de plus cinq villages occupés par des
de TAsie, des villes de Syrie et de TÉ- musulmans, cinq bourgs et quaratite et
cvpte; leurs petits bâtiments couvrirent un villages occupés par des Grecs. Oh
Tarchipel, et en même temps que se com- y compte en tout 7,500 familles, aif^si ré-
blaient le Pirée et les autres ports de la parties :
Grèce soumise, les sacolèves arrivaient ^^ Turcs 4.700 familles.
en foule a Rhodes , qui devint comme i^^ Grecs 2,6oo «
l'entrepôt des différentes échelles du Le- Les juifs. '.'.'... . 'aoo >»
vant. En dehors de cette navigation gé- TôôÔ
nérale, qui procurait de grands bénéfices '
aux armateurs, les principales exporta- En supposant cintf personnes pflf fa-
tions de Rhodes consistaient dès lors mille, c'est nne population de 37,500 ha-
envins du pays, en bois de construction, bitanls. Le tableau des revenus <te Ttle
I^ oranges , les citrons , lel figues , les est en rapport avec le nombre et Ifl patf-
aniandes , tous ces fruits que l'antiquité vreté des habitants.
allait chercher à Rhodes, et qui y sont «t^i./-^.. w^* «...,.«... ^- iv/. ^ «i j
toujours renommés, étaient expédiés à ^^^^'^" ^^* '^*'''»^ ^« ' ^'^ ^« ^''^^•
Smyrne, à Beyrouth, partout où af- ^^^^^^ ^f. c«*"acli on capICa-
fîua'ient les Vénitiens. De riches Turcs, ^ T '^ ' ' ' \' ' x\' *2»*^ \ .
des pachas exilés affermaient leurs " ^^!f **"* *"' ^ '^^' 23 05o *
terres aux cultivateurs grecs , qui ven- _ de diûane. '. !'.;!:; a^boo 1 *
daienl a la ville lesgrams que leurs com- — sur les maisons 6,i5o f *•
paU'iotes savaient diriger vers les con- — sur la fibrine de la cire! '. io'soof'S
Iréesoù la disette se faisait sentir (1). » — surlebëlaif ^ . sool 3
Malgré toute son activité et ses heu- — «»« portes. . . ..... 200/45
reoses dispositions pour le commerce , ~" '"^ ^ *®'*™* ^*» ***'***• • ^'J^ I g
la forte race des Grecs de Rhodes ne Z ÎÎJÎ L vianoblis rn^lî
pot tenir longtemps contre la désastreuse Nouveau droit sur la léle de fi
influence du despotisme musulman. Les chaque Grec et juif. . . 900 ''*
aTanies, les exactions, les corvées, tous q,, ^,:' /
les excès de la fiscalité brutale des pa- ^'^^^
chas turcs durent promptement dégra- Voilà donc 90,000 piastres que Tlle pro-
der cette population industrieuse , et dé- duit au grand seigneur. Il faut retrancher
de cette somme celle de 55,500 piastres,
«iUfant. inn^-Pari.. i664.p.ai4.Eni8a5 qui sont employées à payer les gardiens
fe colonel Rotiim écrivait ceci : « Je ne 5« la ville, des Villages, les inspecteurs
toulais pat quiuer Rhodes tans faire une ^^ "**"* ^e *? campagne, i entretien
•txcursiou dans l'île ; mais on m'en détourna, ^^ mosijuées , le pain et la S0ll|^ qiie le
rassurant qu'il y allait peut-être de ma vie. » sultan fait distribuer aux pauvres. Ainsi ,
iion, de Ritodes , p. 3So. il n'entre réellement dans ses coffres que
(0 GoUu , Revue deé Deux Mondes , 1844 ,
P- 833. (i) Lettres sur la Grèce , f. *r.
184
L'UNIVERS,
84,600 piastres. En somme, cette^nde
tie produisait moins au grand seigneur
qu'un domaine médiocre en France ne
rapporte à son propriétaire.
£tàt actuel db Rhodes. — De
nos jours, les événements politiques
aui ont rendu à la liberté une partie
e Tancien monde grec ont encore con-
tribué à augmenter la misère et à aggraver
Fassujettissement de Tlle de Rhodes.
« En 1832 (1), peu de temps après Tin-
surrection de la Grèce, Tlle de Rhodes
avait pour gouverneur Toussouf -Bey . De-
puis dix ans, les musulmans et les
Grecs vivaient tranquilles sous son ad-
ministration. La révolution qui venait
d'éclater troubla cette harmonie , et les
Turcs de Rhodes ne tardèrent pas à in-
tenter de nombreuses accusations contre
les Grecs, soupçonnés par eux de prendre
part à la révolte ae leurs coreligionnaires.
Ces imputations n'étaient qu'un pré-
texte. Le nombre des Grecs, oien supé-
rieur à celui des Turcs dans l'île , leurs
travaux, une certaine aisance qu'ils
avaient acquise , tout excitait la cupidité
de leurs ennemis (2). Le sage Youssouf
le comprit, et ne voulut pas servir d'ins-
trument à des persécutions iniques. »
Irrités de la résistance du gouver-
neur, les musulmans formèrent un com-
plot contre lui-même. Il fut dénoncé à
Constantinople comme traître envers son
souverain, infldèle à sa religion , et pro-
tecteur exagéré des rayas. Il n'en fallut
pas davantage pour que le rappel du bey
fût décidé. Fort de sa conscience et de
son caractère, Youssouf se rendit au
divan , v exj^liqua sa conduite ; et , loin
de marcher a réchafaud, comme s'y at-
tendaient ses accusateurs , il acquit l'es-
time du sultan, qui l'éleva à la dignité de
I>acha et lui confia le gouvernement de
Scio.
La Porte envoya à Rhodes pour lui
(r)'Rottiers, Monum, de Rhodes,^. 69.
(3) Ces renseignemeDts ne s'accordent pas
tout à fait a?ec ceux que donne Savary. Mais
la situation de Tile avait pu changer dans
rîQtervalle de son voyage et de celui du co-
lonel Rottiers. La pénurie des documents me
met dans rimpossibilité de critiquer ces
assertions contradictoires. Ceci , du reste, est
une histoire toute nouvelle, et qui pourra être
mieux connue plus tard.
succéder Mébémed-Sdiukur*Bey, vieil-
lard de soixante ans , Grec , Maniote de
naissance, et frère de Plétro-Bey. Sdio-
kur-Rey avait été esclave ; ses talents et
ses vices l'avaient tiré de l'obscurité ; il se
distingua comme marin. Tour à tour en
faveur ou en disgrâce, il avait mené une
vie aventureuse, pendant laquelle il avait
acquis et dissipé une fortune considé-
rable. L'île de Rhodes , relevée par l'ad-
ministration de Youssouf, était redevenue
assez prospère ; c'était une riche proie
pour un gouverneur ruiné. Schukur-Ber
ne songea gu'à refaire sa fortune déla^
brée; et son msatiable cupidité se fît sentir
également aux Grecs et aux Turcs. Aux
Grecs, dit M. Rottiers, qui visita Pile
sous ce gouverneur, il reprochait leur
esprit séditieux , et il leur attribuait de
prétendus projets de conspiration. A\i\
Turcs il annonçait que les circonstances
étaient difficiles, et ôu'il fallait de fortes
contributions et dénormes sacrifices
pour soutenir la guerre contre les ravâs
révoltés. En vain ces derniers se plai-
gnaient d'être mis sur le même rang que
les Grecs; la seule satisfaction quïh
obtinrent fut de voir ceux-ci sans cesse
vexés pour le plus léger prétexte, et punis
de mort au moindre soupçon de complot.
Dans la ville de Rhodes, dans les villages
les moins peuplés Schukur-Bey avnit
répandu des agens secrets , presque tous
juifs, dont le perpétuel espionnage l'ins-
truisait des actions de tous les particu-
liers , des secrets de toutes les ramilles.
Turcs et Grecs , tous tremblaient éni-
lement devant la menace de leurs redou-
tables délations; et celte tyrannie, mo-
tivée, protégée par les circonstances, fit
évanouir pour toujours les dernières
chances que les Rhodiens avaient eues
de reconquérir une certaine prospérité.
Rhodes retomba plus épuisée que ja-
mais; et quelque temps après (1830) un
voyageur français recueillait ce rensei-
gnement, qui dispense de tout autre,
n Dans les lieux les plus renommés pour
leur fertilité il ne reste plus que le sol; et
ce qui montre jusqu'où va la décadence
de toutes choses, le dénombrement qu'on
vient de faire par ordre de la Porte ne
donne pour toute l'île que seize mille
habitants (1). »
(i ) Micbaud et Ponjoulaty Correspondimct
ILE DE RHODES.
185
Enfin te dernier témam de la misère
et de la décadence de File de Rhodes,
un officier de notre roarioe militaire,
M. Cottii, nous en retrace aiusi le la-
mentable tableau dans un intéressant
article inséré dans la Revue des Deux-
Mondes^ en 1844. « On ne saurait, dit-il,
établir par des cbif&es le résultat d'un
eommerce qui ne se révèle nuUe part.
Le port militaire est désert, les vagues
viennent mourir le long des grèves sur
lesquelles il ne reste plus de vestiges
d*ateliers; les sables arides s'étendent au
pied des remparts; quelques barques de
pécheurs halees sur la plage , leurs filets
étendus au soleil , des matelots couchés
à Tombre des bordages, un silence éter-
nel, ce silence de mort qui pèse sur toute
la Turquie : tel est l'aspect de ce lieu si
animé autrefois, et qui retentirait bientôt
des cris des marins si un gouvernement
intelligent pouvait mettre à profit les
éléments de prospérité de ce beau pays.
« S'il n'y a rien à dire du commerce
actuel de Rhodes, on ne peut méconnaître
du moins les ressources que présente
cette terre fertile, dont les moissons, au-
trefois si abondantes , ne suffisent plus
à nourrir vingt-cinq mille habitants. Les
productions les plus importantes sont
les vins. Quoique justement estimés , ils
ne donnent cependant pas lieu à des ex-
portations considérables. Les vins du Le-
vant sont doux ou capiteux , et ne peu-
ventservir à l'usage ordinaire des Francs;
celai de Rhodes seul, mitigé avec de
leau comme ceux de France, remplace-
rait avantageusement, surtout par le
prix , les vins d'Europe. La vigne croît
sans efforts et n'exige qu'un léçer tra-
vail; mais si elle était mieux cultivée , et
si les principes les plus simples de la fa-
brication étaient connus des ignorants
vendangeurs, Rhodes fournirait des
vins précieux, aussi recherchés que ses
fruits savoureux, qui en ce moment sont
à peu près les seuls produits envoyés par
rile sur les côtes voisines.
• De temps en temps arrive un navire
qui vient chercher des bois de construc<
tion pour l'arsenal de Constantinople.
Alors le gouverneur loue des Grecs, qui
vont abattre sans choix dans l'intérieur
iOrtent, t. IV , p. 25, d'après les indications
de M. Juliani, consul d'Autriche à Rhodes.
des arbres encore debout; et comme
personne ne surveille les ouvriers, ils
ravagent les collines charmantes, dont
les chênes et les sapins auraient une va-
leur incalculable pour les petites ma-
rines des Sporades et des Cycjades, où le
sol est complètement déboisé.
« L'île est remplie d'oliviers, d*arbres
à mastic et à térébenthine; ses vallées
profondes , les versants des montagnes ,
sont couverts de ces arbustes que l'ab-
sence du maître ou sa pauvreté empê-
che de soigner. Quelques Grecs possè-
dent de grossiers pressoirs, où ils jettent
pèle-méle les olives bonnes et flétries ,
qu'ils pillent, comme les oiseaux, dans
les champs abandonnés. L'huile épaisse
est consommée par les habitants, et ne
sort guère de Rhodes. Toutes les îles ,
toutes les rives d'Orient possèdent ainsi
des forêts d'oliviers, qui croissent et
meurent au hasard dans les campagnes
dépeuplées. Le mastic sert principale-
ment a parfumer une liqueur fort agréa-
ble, à laquelle onfdonne son nom, et que
les Grecs et les juifs livrent aux Turcs.
<i En résume, les exportations de
Rhodes consistent en bois de construc-
tion, en fruits secs, en olives, en éponges
fort belles, qui se trouvent aux abords de
nie. Les importations se réduisent aux
grains nécessaires à la population , qui
ne sait pas tirer de son territoire le blé
et le maïs , qui pourraient y venir avec
facilité. Une trentaine de barques suf-
fisent à ce commerce : les Grecs seuls
naviguent; ils vont et viennent, partent
avec quelques caisses, et rapportent un
chétiff chargement de grains; mais ces
bateaux, qui partent tristement du port
et qui reviennent s'échouer sur les sables,
ne peuvent s'appeler une marine. Ces
échanges niiséraoles, faits par des mate-
lots voleurs, ne sauraient usurner le nom
d'opérations commerciales. Il ne reste
rien à Rhodes de la puissance de l'île for-
tunée qui avec ses galères résistait aux suc-
cesseurs d'Alexandre et aux barbares ;
il n'y a plus de traces de cette prospérité
de deux siècles qui s'abritait sous le fier
étendard de la croix. L'île n'est mainte-
nant qu'une savane magnifique, où la
nature verse en liberté tous les trésors
d'une sauvage véjgétation, que l'homme
ne vient jamais ni diriger ni contraindre.
Dans le pâle fanal qui veille pendant la
ià6
tItïWVÉlis.
nuîi saie la tôOf iéé Atabéà , leà ûstvi^si-
teur^ ne voiè'ni aujourd'hui qu'un point
oe reconnaissance pour éviter cette terre,
où depuis longtemps ne serment que
des fleurs inutiles. Cependant les ba-
teaux à vapeur autrichiens gui vont de
Smyrnaà Beyrouth font maintenant es-
cale à nhodes^ et plusieurs navires mar-
chands viennent f purger leur guaran-
taine avani çie se renclre dans le Nord.
Peut-éffë cette nouvelle navigation don-
nera-t-elle pluâ de mouvement à Ttle ,
peut-être les passagers , les voyageurs
des p2i()uebotâ, les capitaines de i)âti-
meif , troùveront-fls à vendre et à ache-
ter aans cepori sitencieux. Il faut Feâ-
pérer ; maïs une secousse violente peut
seule tirer cette île de la léthargie pro-
fonde où elle est plongée comme Fem-
piretout entier (0- »
RÉ0EGÀNI$AT10N DE L*ÀDMINIS-
TEÂTION EN TUBQUIÈ ; IDÉE GÉNÉRALE
DU TANZiMÀt. — Mieux qu'une se-
cousse violente , ùnè réforme adminis-
trative sagement conçue et éner^aue-
ment appliquée pourrait rendre a illè
de Rhooes, comme aux autres provinces
de Tempire ottoman, quelque chose
de leur ancienne prospérité. C'est dans
cette espérance, et .avec le loUable désir
d'améliorer la condition de ses sujets et
de rétablir un Etat qui s'en allait en di^
solution, que le gouvernement de \A
Porte travaille depuis le commencement
de ce siècle à donner à la Turquie une
unité politique et administrative orga-
nisée sur le modèle des grandes nations
de l'Europe occidentale. J'ai déjà parlé,
à proDOS de nie de Chypre (2), de cette
granae révolution administrative qui
s'accomplit en ce moment dans l'empire
Ottoman, et dont les souverains, par une
inspiration de sagesse qui malheureuse-
ment a manqué à bien d'autres, ont
eux-mêmes donné le signal, ^e crois qu'il
est à propos , dans l'histoire de tes îles
grecques, dont les plus considérables ap-
partiennent àlaTurauIe, de faire con-
naître le mouvement ne r^énératîon qui
s'accomplit dans cet empire , et dont Tes
îles doivent tôt ou tard ressentir les in-
fluences.
(i> jji. Coltu, Vue de Rhodes ; Revue des
deux Mondes. 1844, p. 834.
(a) ^oycl plus hauY, p. 89.
terâ U fin dd dix-htlftlèfeê stfeleU
domination des OstfnaaliA, ^ fortement
organisée datis Forigine, était en pleine
décadence. Le pouvoir impérial avait
perdu ses droits et son action; et tandis
que dans tous les États de l'Europe dire-
tienne l'autorité centrale attirait tout à
elle, chez les Ottomans l'ancienne unité
n'existait plus, et la Turquie marchait à
grands pas vers un démembrement. Le
sultan Mahmoud arrêta ce mouvement de
dissolution ; et il consacra son règne à
renverser tous les pouvonrs locaux oui
gênaient l'exercice du sien et à jeter les
fondements d'un nouveau système de
centralisation. Cette œuvre, dont il pour-
suivit l'accomplissement avec une eons-
tance et une énergie infatigables, ne
fut point interrompue par sa mort. Son
jeune successeur, le sultan actuel Ab-
dul-Medjid, troiiva les obstacles ren-
versés et le terrain aplani ; guidé par les
ministres fo^més à 1 école de son père,
il put enfin décréter une notitvelle orga-
nisatioh politique et administrative, qui
fut appliquée à tout l'empire sods le nom
de tanzimat {tanzimaU hhairié, FheiH
lieuse organisation).
tt Conséquence ou pintôt application
directe des principes proclamés parle
batti-chérif de Gul-EUiné ( 8 novembre
1839), dit M. Ubicini (1), le Tanzimst
comprend l'enseftible des améliorations
introduites depuis onze ans dans les ë-
verses branches de l'administration, et
dont la plupart, comme les quaran-
taines , les postes , l'abolition ées mo-
nopoles , !a réforme monétaire , la créa-
tion de l'université, etc., furent préparées
ou exécutées par le grand vizir actuel,
Réchid-Pacha. Ce fut le 3 novembre,
jour mémorable dans l'histoire de la ré-
génération de la Turquie , que par suite
'une ordonnance rendue le 26 de la
lune de Chaban , en présence du sul-
tan et de toute la cour, du corps des
tïlémas, de tous les fonctionnannes civils
et militaires , des employés des divers
bureaux de l'empire, aes repr^entants
de toutes les puissances amies résidant
à Constantinople , des chéicks, hatibs
et imans de tout rang et de toute hiérar-
chie, des patriarches des trois nations
(i) TTbidni, lettres sur la Turquie ^\. I,
p. ir.
ILE SfE ftËOlfES.
W
méfiieimè4d)isiiiatl<ftfè, du Iribbîn dei
jm£s, de toos lèê n<M>fed et chefs deé
corperatiisbs dé la capitale, réunis danâ
la vaste ptaine de Oul-Hané, 6ituéé dani
rfotériètfr da p»^h de T<%Kapou, Ré-
chid-Pachà, Mdrs ttJnistfè des affaire^
étrantèretf, doiffiâ leetare à haute foix
«tu hàtti-cbérif , éndiraé de Id volonté
soiiTéralnè , <fkA Jetait les base» de Id
nettveNe eonstitiition de Vetnpité Turc.
a Le préaAibcrle de cett^ charte, confirme
oD ra apl^ée , est remarsuable. « Tod
le inonde sait, y est-ii dit, que dans
les prefniefs temps de la monarchie ot-
tomane M préceptes glof feux du Korâb
et les lois de fempire étaient une règle
torfjoufs honorée. En conséquence, l'em-
pire croissait en force et en grdndeur,
et tous les sujets s^s èxoeotion vivaient
acquis du plus haut degré raisauce et
la prospérité. Deptrts cent ciuqaafnte ans
une succession d accidents et des causes
diverses ont fait qu'on a cessé de se coti-
former au code âacfé des lois et aut rè«
cléments qui en déooutetit , et sa force
ets3 prospérité antérieures se sont chan-
ges efi faiblesse et en appauvrissentent;
ces* qu'eu effet ua enfïpire perd toirtë
stabilité quadd i) èesse d'observer Ses
lois. Ces coffSidératîoiTS sont sans cesse
présentes à notre esprit; et depuis }fe
jour de notre avéciefnent au trône ï^
pensée du bien public, de ramélidratioù
derétat des fhroviAces et du soulagement
des peuples n'a cessé de nous occuper
ooiqtièMiefit. Of, si l'on considère la po-
sition géografÂique des provinces otto-
ftttnes , la fertilité du sot , l'aètftude et
I mtelf^encedes habitants, c/a dferrfeurera
convaincu qu'en s'appriqnant à trouver
les iDOveos efficaces, le résultat qu^avee
le secéf&rs de IMea notis espérons at-
tendre peut être obtenu dans Tespace
<>e qi/elqtfus années. Ainsi donc, piefA
de confiance dîms te seeotirs du Très-
Ham, ap^puyé sur l'imereession de orotrè
prophète, tfots jugeons convenable dé
rhercfae^ par des iiïBtiftutions nouvelles
a procurer aux provinces qui comfposefii
i empire ottommti le bienfait d^mte botfrre
admittistratios. »
« Ces institutions, comme il est dit
dans le texte inêuie du batti^bérif,
devaient porter sur trois points priad-
paox, à savoir : 1^ les garanties profères
à mttfèt atmhê SQ^étÈ de PèAf fè,
fhusulmans ou f aîâs , une pdrfSfie Se'
curité quant à leur vîé, leur noniïeur et
leur fortutfe ; 2» ua mode fé^ulièr d'a^
âeoir et de prélever leè ihipdts; ^ un
miode égàiemèitt r^ulîér pdiir 1^ levée
dèâ soldats et I^ durée dé leur service.
Le sultan s'eâsagealt pât S^ttheùt noû-
seulèmènt â oMrvèr «cHlifUletiSerrieht
feà prescriptions de son hatfi-cbérff,
dont Torigindl ftft dépdi^é ôûnà là salle
qui renferme !é ttiaifCèatf dti prophète,
mais même il sanctiotilhait à l'avance
tôuteâ \èi thësttteÈ (ftû âeraieftt décrétées
p]tii tard potir assurer re^écàtion de ced
trois points prînclpaùt, cfui detdiedt^tre
la base et éôttrae ie pdini de départ dé
foute \ti féforme. En effet, Fe taiitimat ,
qui fift établi bîenKrt après, et dont le
rfouveroemèrit du fîtfttan n'ai palfe cessé
depuis lorS de poûr^vfe l'afpph'fcatioii
difficile, avefe une pfer^êvéf aticè df|ne dé
tant d'éloges , tre â'e$t pàè hottié à athé>
horef Pétat pofiticfii'e, clvfl et adrtiîûi^
tratif rfé rennfpîre, en codfd&htitidt et
régularisant Faction des différents pou-
voirs ; il s'est étendit a(t jp«f séWné! nfremè
du palais îitîpéfiaff, tfu'îl tecfé h réduire
èhaque année èft se débdrfa^Sànt d^ùftè
foule de charges irïi^fifeS , resté du Ba*-
Empiré , qui cdnttaâtaietf! avec laf sirit-
prictté des premiers témpil dft Riffifat. »
Je ne puis entreprendre tfè reptadiUrë,
nféme eb résutfié, les iméirë^S^ts reh^*
gnements donnés par Fatrtèftr dW Lei'
très snr la TterqiHe, au Èt^ de ce taftfrfJ-
mat, vaste code adnMftIstraflf et peîhh^,
qui totiche à toos les pottts dti goiivcr-
tfement et ^ cbmp^èfid qiït^trer ptttii^
différentes : !• Le gouverfte*e« oer
conseils de l'errfpire ottomafi; f* Yââ-
ministratioù oif division aditrlnistratf^f
et financière (te l'empire; 3» Ites emplois
ou offices jutfieiait'és ; 4® léS emplois âè
Vépèe. Cest fk trofe éttrde dé détaîlis , qùè
rofti ne peut faffe que danlS lé cùriecft
livre ^i tfouS a révélé la trafnsfotmratioa
soudaine et presque ifiagiqtfe qtfe far Titf-
quie vient de Snmr. Les aperçus que îe
lui ai enfprtmtés, et ^tamment lé
préambule du baftl-cfaférîf, sofBfoiVe pdur
Êitire comprendre quelles sont léS noblëi'
et généreuses diSpositiobs de \A Porte af
l'égard des peuples c^'ellè dvaft trop
lottgteMps sontfns à tMe dppréMreM qui
n'était m con^AAMe et s^roDiati^iff
18$
LTimVERS,
mais viokote et irrésistible. Ce ehange-
ment de principes et de conduite de la
Sert du gouvernement turc doit pro*
uire un changement de langage à son
é^ard. Il faut renoncer aux déclamations
si fort à la mode an siède dernier, et
dans le nôtre encore, contre un gouver-
nement et un peuple qui travaillent à se
régénérer sans faire de révolutions. Cest
un spectacle trop rare pour qu'on ne
Tadmire pas , une entreprise trop diffi-
cile pour qu'on ne l'encourage pas par
de bonnes paroles.
Toutefois, je voudrais mettre le lecteur
en garde contre toute illusion. Rien n'est
si beau ni plus séduisant que le plan
d'une réforme dans la tête de celui qui
la conçoit, dans les ordonnances où on
la décrète, dans les ministères où on
croit qu*on l'applique, dans les livres où
on la raconte. Mais en toutes choses il
faut distinguer entre ce que l'on veut
faire et ce gue l'on peut exécuter. Ja-
mais cette distinction n'a été plus néces-
saire qu'en ce qui concerne l'application
du tanzimat. Ici surtout, ce qu on lit et
ce qu'on voit ne se ressemble guère» Au
lieu de la belle et régulière ordonnance
3u'on admire dans l'exposition officielle
u tanzimat, le voyageur qui parcourt
les contrées soumises à la Turquie a
trop souvent encore l'occasion de cons-
tater combien les anciens abus et les
vices d'autrefois y conservent d'empire ;
et il lui semble que , par la force invin-
cible des moeurs, elles resteront tou-
jours en proie à l'inertie, au désordre et
a la violence. On se prend alors à douter
du succès de l'entreprise des sultans , à
la condamner à Tavance. N'a-t-on pas
déjà été trompé au sujet d'une des
eontrées de l'empire ottoman , de l'E-
gypte , dont on avait si pompeusement
annoncé la résurrection? Qui ne croyait
U y a douze ans, en entendant raconter
les exploits d'Ibrahim et les travaux gi-
Ï dantesques de Méhémet-Ali , en voyant
es flottes , les armées qu'ils avaient à
leur disposition ; qui ne croyait, au mo-
ment ou ces deux hommes s'ouvraient
le chemin de Gonstantinople et tenaient
en suspens la politique oe toute l'Eu-
rope , que l'Egypte ne fût remontée au
rang des nations et n'eût recouvré quel-
que chose de la splendeur et de la force
qu'elle eut au temps des Pharaons et des
Ptolémées .' Cette illusioii, qui a été géné-
rale, en France surtout, s'est dissipée
bien vite; on a reconnu, mais un pei
tard, combien l'effet était loin de ré-
pondre aux promesses qu'on annonçait,
aux espérances ou'on avait conçues. Poar
moi, j ai visité 1 Egypte dans la dernière
année du r^e deMéhemet-AJi ; j^ai vu
de mes propres yeux l'affaissement de ce
grand corps , que les entreprises de cet
audacieux pacha avaient achevé d'épui-
ser ; j'ai vu l'impuissance de toutes ses
tentatives de régénération industrielle,
commerciale et scientiBque , et il m'a
semblé , pour rappeler un mot célèbre,
que j'avais alors oevant moi un cadavre
un instant galvanisé, encore debout,
mais ne demandant qu'à se recoucher
dans la tombe (1).
Ce n'est pas que cet exemple fameux,
qui nous a été donné en spectacle de
nos jours , doive faire préjuger de i*a-
venir réservé à l'empire ottoman. La si-
tuation du sultan, souverain légitime
de la Turquie, réformant l'adminis*
tration pour le bien de ses peuples , ne
ressemble en rien à celle du pacha re-
belle qui innovait dans Fintéret de soa
ambition. Il serait facile de montrer
combien, à côté de certaines analogies,
il y a de profondes différences entre ces
deux tentatives, si l'on considère la po-
sition, le but, les moyens et l'exécution;
et cette comparaison pourrait fournir
plus d*une présomption favorable au
succès de l'oeuvre des sultans. Mais si
l'on songe qu'il s'agit de régénérer ua
empire dont le territoire est de cent
vingt et un mille lieues carrées, qui
comprend trente-cinq milUons d^habi-
tants partasés en treize races différentes,
en autant de langues , et en quatre re«
ligions, sans compter les sectes ; que cette
population se compose de conquérants
et de rayas ou sujets; que ceux-d soat
d'anciennes races depuis longtemps ea
décadence , que ceux-là y sont tombés
à leur tour ; que rd>us du pouvoir a cor-
rompu les uns, que la servitude a dé-
Sradé les autres, alors on se trouve rejeté
ans le doute, et l'on s'aperçoit, à Ve^-
lité des chances contraires , que le pour
(x) C'est le mol d*Alberoni à propos de
rEspagne, au comnicDcement da dix-huilièBie
ILE DE RHODES.
18f>
et le contre peuvent être également sou-
tenus. Goneluons donc qu*en pareille
question le mieux est de s^abstenir de
tout jugement téméraire, de toute espé-
rance précipitée, d'applaudir aux bonnes
intentions, au bien qui s'est déjà fait,
d'attendre pouK le reste la consécration
du temps et de Texpérience, et de se
persuader surtout que de si erands ehan-
^ments dans un si grana empire ne
s*accompIissent pas sans quelque secret
dessein de Dieu sur les destinées et
pour le bonheur des peuples (1).
Ilbs db là mbb db lycib.
Les côtes de la Lycie depuis le golfe de
Telfoissus jusqu'au défilé dû mont Cli-
niax, au-dessus de Pbasélis, sont bordées
de petites iles,qui toutes sont très-rappro-
cbeesdu rivage, et qui étaient bien mieux
connaes des anciens qu'elles ne le sont
de nos jours. Les Grecs en effet, dans
leur grande activité commerciale, ne s'é-
taient pas contentés de visiter fréquem-
ment ces parages ; ils y établirent aussi des
(i) Le tanzimat â diTÛé Tempire ottoman,
foiB le rapport administratif et financier, en
naleis , ou gouTemements généraux, qui se
partagent en Gpas , ott provinces. Les Hvas
comprennent les eazas, ou districts, et ceux-
ci m hahiyèSf ou villages : ce qui répond i
nos départeoMots , arrondissements, cantona
et cooununes. Les gouTomeurs des eyalets
portent, selon l'importanee des localités, le
titre de voit (vice-roi) ou celui de mutessarif
(gouverneur général ). Les gouverneurs des
liras sont ou des kaimakaos (lieutenants
gouverneurs) ou des mohassils (préfets). Les
nés forment deux eyalets de la Turquie d'Eu-
rope, qui en compte quinze. L'eyalet de l'Ar-
chipel avait formé jusqu'à ces derniers temps
on gouvernement à part , donné en apanage
au capilan*pacha. Une onionnance de 1 année
<lmiicrera rangé sous la loi du tanziqiat, et en
a fait un département ordinaire dont le gouver-
neur aeluei est Rhagoub-pacha* L'ajalet de
fArehipel dn Djizaîr comprend six livas,
savoir:
Bodos (Rhodes),
Bozt^a Ada (Ténédos),
Limmi (Lemnos),
fff;<£//i(Bfitylène),
Sakrz (Chio),
Qjbryi (Chypre).
La Crète forme i elle seule un eyalet divisé
en trois livas.
colonies nombreuses, et occupèrent tous
les points avantageux de la cÀte conti-
nentale et des tics. Les Rhodiens, dans
le temps de leur grande amitié avec les
Romains, possédorent tous ces établis-
sements. Alors , cette mer de Lyde , au*
jourd*hui déserte et silencieuse, était
sillonnée par le passage de nombreux
navires; il y avait là un grand mouve-
ment d'hommes et d^afbires : les riches
Rhodiens allaient visiter leurs propriétés
de Ljrde, les administrateurs allaient et
venaient, selon les besoins du service
public; les sujets Ijdens étaient sou*
vent appelés à la capitale par leurs af-
faires ou par la curiosité; de tout temps,
d'ailleurs, les villes de la Lycie avaient
su se créer par le commerce et la navi->
gation d'abondantes ressources, et les
petites tles du voisinage, quand elles
étaient habitables et qu'elles offraient
quelque commodité pour le négoce , re-
cevaient une population et acquéraient
quelque importance.
Ces tles , que les géographes anciens
ont énumérées avec som, et dont la
plupart sont sans nom aujourd'hui,
étaient, en suivant la côte de Touest h
l'est (1) :
Laoousa (Â^ou<Ta), au fonddu golfe
de Telmissus , à cinq stades de la ville
de ce nom.
DoLiCHiSTE ( tySkv^lfsvr^ ) (aujourd*huf
Karavà). Ptolémée la mentionne comme
la plus importante de toute cette côte ,
mais il n'en indique pas précisément la
position. Le colonel Leake (2) y a trouvé
les ruines de l'ancienne ville. Elle pos-
sédait un théâtre. Ainsi on représentait
les tragédies d'Eschyle et de Sophocle
sur ce rocher maintenant inhabité.
Les tles de Xbnagobas (al EzMa'xà^
pou vijooi ) ; c'est un croupe de huit tlots ,
situé à soixante stades à l'est dePatare,
en face la baie de Phénicus, aujourd'hui
baie de Kalamaki.
Rhopb (PoTni), selon Ptolémée, ou
Rhog€[y^rfn)f dans Etienne de Byzance,
à cinquante stades des précédentes.
MBGiSTB({)M8Y{aT7)) ; aujourd'hui CaS"
teliorizo ou Castel^Rosso (3); Strabou
(x) Forbiger, Handbuch der alter Gtogra'
phie^ t. n, p. 360 et suîv.
(a^ ]>ake. Tour in Jsia àfîn.^ p: Z17.
(3) Leake, Tour, p. 184 ;Fellows, tfciaf^
m
VU»IV|SIl$.
l*PPWH^ Cjsthèpe. E41e a i|ii port ca
vjntée et mieux cooau^ que les autres
dp la fD^ipe cot^. Pa y vpU dç« restée
49 la çjt^ antique. Ay pioy^q âge
cette îl^ çuf une t^onpe foftere^s^, que
les rois de Chypre, 1^ cbeyaUer^ dp
Rhodes, le soudao w^y9^^ ^^ ^$ 1'"'^^
se difPUtèrept et occup^f ent tour à tour.
Apr^la chute de l'oàre de Saîut-Jean,
iiD certàip nombrp de Gr^cs se r^ugiè-
rent dan» nie dp Castel-Çiosso, que les
Turcs dédaignaient d'habiter, l^^ grand
seignepir leur conDa la gardp du châ-
teau; ils 8*y livrèrent au commerce, vé-
curent tranquille^ et libres ; et il y avait
peu de Grecs plus heureux gue ces insu-
laires, aous la domination des f urcsCO-
Ils avaient une espèce partic^lière de
bâtiments , appelés caramoussat^, avec
lesquels ils transportaient le coton et la
laine d'Asie Mineure dans les ports (le
ritalie. La prospérité de ce petit établis-
sement donna 1 éveil aux Turcs; on re-
tira aux Grecs la garde du château, et
yne garnison d'Ottomans vintroccuper.
Toutefois les Grées ne furent pas trou-
blés dans leur commerce. Les choses
restèrent dans cet éfat jusqu'à Tan 165^.
Alors les Turcs et les Vénitiens se fai-
saiepit une guerre acharnée. Au mois de
septembre Ï659 une escadre vénitienne,
commandée par Grémonville, vint assié-
ger la place de Casteî-B-Osso , et s'en
empara. Mais , reconnaissant qu'ils ne
pouvaient conserver cette importante po-
sition , les Vénitiens firent sauter la for-
teresse, ha ville fut saccagée ; la plupart
des Grecs, qui s'étaient montres très-
hostiles a^x vénitiens, fjiirent faits m-
sonniers de guerre. Il n'en resta tpxun
petit nombre, qui furent assujettis à un
tribut. A partif de cette catastrophe l'île
de Castel-Rosso tomba dans une grande
misère. Au <|ix-bultième siècle, quand
Savary la visita, ce n'était qu'un cbétif
village. M. Povjoulat lui do^e trois
mille habitants. « Castel-Kosso, ^ÎQUte-
t-il , tire tovtes ses provisions de la Ca-
ramanie par le port d'Antiûlo. L'île n'est
P* '^9 f Dupaly, Lettres sur la Grèce, [). i8
et SUIT.
^ (i) Papperj l/es de Vjrehipel, p. 169.
croissent sur cet éci|eu ; les glus riches
(lancées de Castel-{losso reçoivent, dit-
bp, pour d^i un pied d'olivier ou de
Hguier, ou même la ipoitiè , le quart du
revenu d'up pe ces arbAs. Sur ces ro-
cheris sans vé^étadon e^ sans' yerdure
yn pieu d^bUvier est un trésor (!}. >
Les îles paEUDONÎBI!^rfES (Xdtd^-
viai vîi^oi) sont trois îlots, ou'grands ro-
chers, situés a six stades du continent de
l'Asie Mineure , en face le promontoire
HiéroQ, qui terinioe le moat Olympe,
l'une des branches du mont Taurus. Ces
îles séparent la merde Lycie dé la mer
de Pamphylie, appelée aujourd'hui golfe
de Sattalie. Elles sont entourées de bri-
sants et d'écueils, qui rendent la navi-
gation tr^-danjB^ereuse en ces parages (3).
n semble de loin, dit Dappef , quand on
est en mer, que ces roches chéfîdo-
niennes sont le pied du mont Taurus , et
qu'elles se rattachent au côté dé cette
montagne qui regarde la mer (8). Il est
certain qu'on peut regarder ces Ues et les
écueils qui les entourent comme les som-
mets du prolongement sous-niarin de
la grande chaîne du Taurus. Les lies
Ghélidoniennes ûirent la limite que Ci-
mon imposa aux Perses par le fi^orieux
traité qui porte son nom , et oui inter-
disait an grand roi le droit «'envoyer
un vaisseau de guerre au delà de la mer
de Pamphylie. Cest probablement à ce
traité , dont on a contesté à tort Texis-
tence, que Lucien fait allusion quand il
appelle ces lies les heureuses frontiérfs
de Tantique Grèce (4). Pline raconte
longuement par quels singuliers procé-
dés on venait dans ces parages palier
l'anthias, espèce de poisson qui porte
sur le dos des piquants en forme de scie.
Ce poisson , qui élait très-commun sur
ces côtes, est inconnu aujourd'hui (S).
(x) Michand et Poiijoulat , Correspondance
et Orient, t. IV, p. 49.
(a) Pline dit de ces ilet qu^eUes «ont pesti-
férée navit(antibus ; Hist. Mat., Y, 35, 3.
(3) Description dé tArcUipel, p . z^.
(4) ToOc eOTv^^eîç rvic icoi^ac *E>^3iSo:
5pouc- Amores, 7, coll. Didot, t. VIII, p. 3 S 7.
(5) Vpy. le récit de Winc^ Eist, Nat,^
1. fx, c. è5.
ILE DE RHODES; 191
Les anciens géograpb/s ^fliyèren^ 9ft9()Mie et de la CUide (1). Strabon
fDcore quelques autres éiBs delà mer de menticmnésur les côtes decette dernière
Lycie, dont ils se bornent à nous indi- contrée les deux lies de Crarobusa et
qûer les noms; c'est à savoir : llljris, d*£lusa (3), mais sans rien en dire qui
Télendos , Attélébussa, les Gypriennes, mérite d*étre rapporté.
qui sont trois flots incultes et stériles ;
Dionysia , appelée auparavant Caretha. (x) Forbiger, Handbueh, etc., II , p. a63 .
Toutes ces llêS sont situées à Test des (a) Strab.» XIY, 5; Dapper, Description^
Chélidoniennes , dans la direction de la p. 169.
LES SPORADES
Mss ÉGÉB. — L'Ile de Rhodes est vers
J'Orientcommela barrière delà mer Egée.
Quand on a franchi cette terre , en ve-
nant de TAsie , on voit se dresser devant
soi tes côtes et les sommets dlles nom-
breuses, qui ne présentent ordinairement
a la vue que des rivages rocailleux et
stériles, mais dont Taspectest agréa-
blement diversifié par les mille accidents
d'une belle lumière. Ce groupe dlles ,
qui remplit tout le vaste bras de mer
situé entre la Grèce et l'Asie Mineure ,
porte aujourd'hui le nom d'Archipel , et
ce nom , emprunté à la langue grecque,
est aussi celui de la mer où ces Iles sont
situées. Ce grand ffolfe, que les anciens
appelaient mer Egée (1), baignait les
cotes de la Grèce, oe la Macédoine, de la
Thrace , de l'Asie Mineure ; et sa limite
au sud était marauée par l'Ile de Crète,
qui la fermait du coté de l'Afrique,
comme l'tle de Rhodes du côté de l'Asie.
Les anciens géographes assignaient à la
mer Egée les dimensions suivantes :
quatre mille stades de long , deux mille
de large et vingt-trois mille de circuit en
suivant les sinuosités des côtes. Elle avait
été subdivisée en plusieurs parties , qui
avaient différents noms ; c'étaient : i^ la
mer de Thrace au nord; 2° la mer de
Myrtos au sud-ouest, ainsi appelée d'une
petite fie située à la pointe méridionale
de l'Eubée : dans la mer de Myrtos
étaient compris les golfes Saronique et
d'Argos ; 3*^ la mer Icarienne , qui s'é-
tendait au sud-est , et qui baignait les
côtes de la Doride et de l'Ionie. On di-
sait oue cette mer devait son nom à Icare,
fils de Dédale, qui avait péri dans ses
'flots. La mer de Crète et la mer de Car-
pathos, ainsi nommées à cause des deux
(i) Les Grecs disaient 6 Alyoîoc tcovtoc,
ta Alyatov icAayoç, oa Vj *£XXvivixi?j OdXaTTa,
on ii xaO' ^{iâç OdiXaTTa. Toy. Forbiger,
Mandb,, II , p. 19.
tles au'elles entouraient, peuvent être
considérées comme faisant partie de la
mer Egée , dont elles sont au sud Xtv
tréme limite.
Les anciens Grecs avaient partagé en
deux groupes principaux la masse d'ties
situées entre FEurope et l'Asie dans li
partie méridionale de la mer Egée : cV
talent les Cyclades à l'ouest et les Spo*
rades à l'est; les premières ainsi nom-
mées du mot x^s^oç, cercle, parce qu'on
les considérait comme formant un oerde
autour de Délos; les secondes de a:stf(>j«
parce qu'elles paraissent comme semm
sans ordre sur la côte d'Asie. Il est as-
sez difficile de reconnaître la ligne de dé-
marcation que les anciens avaient établie
entre ces deux groupes d'îles. On voit
dans Strabon, Pline et les autres géo-
grapnes quelques-unes de ces lies rangéei
tantôt parmi les Cyclades , tantôt parmi
les Sporades, surtout celles qui avoisi-
nent la mer de Carpathos , ou les deux
groupes sont tout à fait confondus J).
Cependant on peut affirmer que le dooi
de Sporades est généralement donné à
toutes les tles comprises entre Samos
et Rhodes, et qui sont séparées des Cv-
dades par une ligne qui partirait de U
pointe occidentale d'icaria et qui vieo-
drait aboutir à Casos en passant par Le»
binthos et Astypalée. Toutes les aatrei
tles , plus rapprochées de la Grèce et
comprises entre la pointe de l'Eubée et
la mer de Crète , forment le groupe des
Cyclades. Conformément à la marche
géographique quej'ai adoptée dans ce lra<
YaU, nous continuerons à avancer dV
rient en occident, en parcourant succes-
sivement toutes les petites Sporades et les
autres grandes tles asiatiques qui les a voi-
sinent jusqu'à THellespont. Delà passant
en Europe, nous visiterons rapidedicnt les
îles éparses et peu nombreuses des côua
(i) Plin. , Hist, Nat. ; V a3.
LES SPORADES.
19ff
de Tliriee et de Maeéddne, d'où now
atteindrons Plie d^Eobée, les Cyclades,
Si lui sont continués , la gnmâe île de
été, qui cidt tout rArchipel , et eofin
leitles lonlenDes, situées à roecident du
Péloponnèse, par Tétude desquelles nous
teriDineroos œ travail historique et géo-
graphique sur les ties de la Grèce.
\le de symb.
Cette tie, appelée aujourd'hui Simia
ou Simmi, est placée par Pline à moitié
chemin entre Cnide et Rhodes, tout près
du continent de la Carie, dans le golfe
que forment la pointe de Cnide et celle
du mont Pliœnix. C'est une tie de trente
milles de circonférence , autour de la-
quelle s*élèvent des rochers , des écueils,
de nombreux tlots, qui lui avaient valu
autrefois le nom d'tle des Singes ( Isoia
deiie Simie), par la singulière raison, à
ee qu^on prétendait, que ce petit groupe
dUes singeait les Cyelades autour de Dé-
los (1). En réalité cette dénomination
n'était qu'une altération de l'ancien nom
de Syme, dont les légendes grecques ex-
pliquent Torigine d'une manière confuse.
Tantôt Syme est fllle de Jalyssus, en-
levée parGlaucus, dieu marin, et trans-
portée dans la petite tIe à laquelle elle
donne son nom. Tantôt elle est femme
de Neptune, et c'est son fils Chthonius
qui donne à File le nom de sa mère.
Chthonius était un des compagnons de
Tnopas, ce héros héliade si célèbre dans
les Iles et sur les côtes de ces parages ;
M qui prouve que Syme a reçu ses pre-
miers habitants de la même émigration
qui a peuplé Rhodes.
Au temps de la guerre de Troie, Syme
fi^ra parmi les Etats grecs énumérés
dans Homère. « Nirée, dit le poète (2),
■Renaît irois vaisseaux de l'île oe Syme,
Nirée, fils de la nymphe Agiaia et du
|oi Caropus , Nirée le plus beau de tous
les Grecs qui allaient à Troie, si l'on
eu excepte le divin Achille, qui était
d'uae beauté accomplie; mais Nirée était
peu vaillant et avait peu de troupes. »
D'après Diodore du Sicile (3), Nirée
possédait aussi une partie de la pres-
(0 Otte puérilité le trouve dans Goro-
Mlli , Isoia di Rodi » p. a54 .
(2) Hom., //., n, 671.
(3) Oiod.Sic.,y,53.
IS* livraison, ( lbs Spobadbs. )
qu'tle de Cnide. Après la^rve de Troie,
ajoute l'historien, les Cariens occupèrent
llie de Svme, à réiioque où ils étaient
mattres de la mer. Ils furent forcés de l'a-
bandonner après une longue sécheresse.
Svme reiita déserte jusqu'au moment où
elle fut repeuplée par la colonie des
Lacédémoniens et des Argiens qui vint
sous Althémène fonder l'Sexapole do-
rique. Hippotès, l'un des chefo de cette
émigration , prenant avec lui ceux qui
avaient été oubliés ou traités peu avan-
ta§[eu8ement dans le partage, les con-
duisit à Symé , et la leur abandonna.
Quelques années après, d'autres Dorions,
venus de Cnide et de Rhodes, et con-
duits par Xuthus, abordèrent à Syme, et
furent admis par les premiers habitants
au partage des terres et des charges pu-
bliques.
Au temps des chevaliers, Syme fut une
dépendance de Ttle de Rhodes. Elle fut
conquise en 1S09 par Villaret. Ses ha-
bitants furent assujettis à payer une con-
tribution, quel'on appelait le mortuaire,
et dont on leur fit remise en 1852 ; on
remplaça cet impôt par un tribut annuel
de cinq cents aspres, et tous les biens
des caloyers durent retomber après leur
mort dans le domaine de Tordre. En 1878
l'ile de Syme devint un domaine magis-
tral, c'est-à-dire que ses revenus furent
assignés au grand maître, comme ceux
des Iles de Saint-Mcolas et de Piscopia.
Les chevaliers avaient bâti dans l'île
délie Simie un château fort, et un poste
de signaux dont on retrouve encore les
ruines (t). De ce poste on était en com-
munication avec le corps de garde ap-
pelé la Vedette des Chevaliers, qui avait
été établi sur le mont Saint*Étienne à
Rhodes, et d'où l'on pouvait surveiller
tout l'archipel qui entourait l'île capi-
tale (2). La chute de Rhodes entraîna
celle deSimia, qui depuis 1523 est réunie
à l'empire ottoman.
L'île de Simia a deux ports, dont l'un,
situé au nord, est fort large d'entrée , et
peut commodément contenir les plus
grands vaisseaux. Cette île produisait de
très-bons vins, et nourrissait une grande
quantité de chèvres et de boucs (8). U
(x) Rottiers , p. ai et 342.
(a) Toy. plus haut , p. i Ô9.
(3) Dapper, Descr, de tÂrehipel^ p. i63.
18
194
L'UNIVERS.
paraît qu'elle était autrefois fertile M'
grains; car ses anciennes monnaies,
dont on a retrouvé quelques pièces, re-
présentent des javelles de blé el ud«
tête de Cérès couronnée d'épis. Au temps
des chevaliers les Grecs de cette Ile
construisaient de petites fustes , fort lé-
gères, qui allaient à ta voile et à la rame«
et qu*ancun navire ne pouvait atteindre.
Les Turcs appelaient ces bâtiments
simbêquirs, dV)ù Pile a été souvent
nommée Ile de SImbequirou de Sumber*
chi, mot composé, qui semble signifier
barque de Sinde. Encore aujourd'hui ou
fabrique à Simie de très-jolis misties.
De tout temps les habitants de Simie
ont été pécheurs et plongeurs. Ils vont
chercher au fond de la mer des éponges
d'une exrellente qualité, qui se trouvent
en abondance sur les rochers de ces
cdtes. Dès Tenfance ils s'habituent à ce
rude exercice , et ne peuvent se marier
qu'ils ne sachent plonger à vingt brasses
et rester sous l'enu un certain espace de
temps. L'tle de Syroe parut fort misé-
ral)le à Savary, qui y fut retenu pendant
quelques Jours (1). « Je suis allé visiter
K village qu'habitent les |)lonffeur.<9, dit*
il; tout y annonce la pauvreté et la mi-
sère. Les rues sont étroites et sales ; les
maisons ressemblent à de misérables
cabanes , où la lumière du jour entre à
peine. » La population est triste, silen-
cieuse; \^s nommes et les femmes y
étaient vêtus de la même manière. Tous
portaient la longue robe , la ceinture et
le châle autour de la tête. Le visage seul
les fnisnit reconnaître. Le voyage , plus
récent , de M. de Prokesch nous montre
3 ut' les choses sont restées à peu près
ans le même état (2).
lu DBCHALKIÀ.
Cette petite tle(aujourd hui Chalkim.
Caravi) est située à l'ouest de Rhodes,
<lontelle est comme une annexe, ainsi que
les petites fies deTentiusa (Limonia),
Cordylusa (Sainte-Catherine) et Stéga-
nusa (Saint-Nicolas), qui entourent Rhop
des à Touest, au sud et à Test. Chalkia
avait une ville du même nom, un port
et un temple d'Apoilon, dont on voit des
(i) Lettres sur la Crèce , p. 97.
(a) De Frokesch, Denkwurdigk , t. III ,
p. 4"*^.
vestiges (f ). « Dana 111e de Ghalkia,qiil
appartient aux Rhodiena, dit Pliae ()j,
est un lieu tellament féouMl, qu'après jr
avoir récolté l'orge semée à l'époque or-
dinaire, on en fait immédiatemaat une
nouvelle semaille, qu'on récolteen roéoie
tem(is que les autres grains. » Ces graim
devaient aller è Rhodes, dont la produ^
tion de céréales était insuffisante pour
les besoins des habitants.
Clialkia n'a pas d'autre histoire que
eelle de Rhodes. Conquise par lesTurd
après l'expulsion des chevaliers, elle fut
attaquée par les Vénitiens en 1658. ftio*
rosini, qui les commandait, y porta le fer
et la flamme , et plongea cette île dans
une misère d'où elle ne se releva ji*
mais (d). Ce fut là le sort de beaucoup
d'Iles grecques pendant la lutte adiaroee
des Vénitiens et des Turcs. Llles étaient
ravacées par les deux puissances nvales
3ui se les disputaient ; et après les fleaui
e la guerre, elles eurent à subir Tae-
tion, tout aussi malfaisante, d'une gros-
sière tyrannie.
Ile de télos.
Télos, 'H TtiXoc ( auj. DHo9 ou £pû-
copi, Piscopia)^ est une petite île, de
trente-cinq milles de tour, située à a^ia*
tre^vingts stades nord-ouest de Chalkia
et à huit cent vingt stades de Rhodes [iy
Elle est longue et étroite, «ssexélevéeau*
dessus de I eau. Son extrémité ooeîden*
taie forme une pointe basse, qui s'avaoff
dans la mer. Elle a trois ports, où i'of-
trouve de bons mouillages. Au côté oneo-
tal se trouve une grande baie, au-devabt
de laquelle est un petit îlot. Cette bùe
a vingt-quatre et viugt«six brasses dVJ*>
sur un fond très-propre à I ancrage y .
Cette Ile était autrefois célèbre, par ua^i
espèce de baume qu'elle produisait a^
abondance (6). Du reste, elle n'eut aui
eune importance historique, 11 en e$<
Élit mention dans Hérodote (7) à pio^
du célèbre Gélon, tyran de Syracuse
(i) Leake, Tour in Asla^ p. aa^*
(a) Wio., Uist. JVat., 1. XVII, 3, 6.
(3) Dapper, p. 164.
(4) On compte ordinairement vingt^qnatfi
stades à la lieue.
{5} Forbiger, HanMueh, etc., t. Dt, p. lio
Dapper, Descr,^ p. 161.
[6) iMiii., Hist. Nat.^ IV, a3.
[7)Hérod., VU,i53.
t
LES SFORADES.
IM
Îm était originaifê de Tâos, et dont
aneélrt Téiinès éuit venu 8*établir à
Géia^ eo SIeile. Il jr avait eieroé la charge
d'hiérophante de Gérés et de Proserpine ;
et cette dignité avait été déclarée néré*
ditaire dana sa famille. Téloa était une
tle ifaodienQe.
Au moyen âge Téloi prend le nom
de Piscopia, |M(at-étre d*une tour de
vigie placée sur aee hauteurs (l). Elle
était alors défendue par deux châteauil
forts, celui de Saint-Etienne et oetui de
Zuchalora ou Cauealora. Car au moyen
âge il n'j avait de sécurité nulle part
sans forteresse. Au quatorzième siècle, un
bourgeois de Rhodes, Barello Assanti,
s'en empara au nom de Tordre des Hospi-
taliers, et en reçut Finvestiture du i^rand
maître, à la charge de payer deux cents
florins d*or, 1866. En 187 S Piscopia
devint domaine mistral. Elle tomba
sous la domination des Turcs après Tex*
pulsion des chevaliers de Rhodes.
ÎLl DB NISYB08.
Ilisyros, 11 NCoopoç (auj. NMro, NU
iari, Nisaria)^ est située entre Cos et
Télos, à é^le distance de toutes deux et
juste en race du promontoire Triopium
(auj. cap Crio\ qui termine la presqu'île
de Cnide. Elle a quatre-vingts stades de
toor. Cest une Ile élevée, formée de ro-
chers dont le désordre attestede violentes
eommotions volcaniques. En effet , on
racontait que cette Ile, autrefois appelée
Porpbyris (2), avait été détachée de Cos
par un tremblement de terre , phéno-
mène naturel, que la mythologie grecque
avait transformé en merveilleuse lé-
gende. C'était !f eptune, qui, poursuivant
un géant appelé Polybotès, détacha d'un
coup de son trident un morceau de Tlle
de Cos, qu'il lança à soixante stades de
là, et dont le géant fut acrablé. Ainsi fut
formée nie de Nisyros, que te géant
qu'elle opprimait agita fréquemment de
ses secousses. Cet exploit de Neptune
rappelle celui de Minerve écrasant Enoe-
lade sous le mont Etna (3) ; et l'un et
fautre se rattachent a ce grand combat
des dieux et des géants par lequel l'i*
(x)Cest rexplication de CoroneHi Isota
(«) pifci., Hut, NM,, V, se, J.
magîaatioii dee Grecs racontait d'une
manière figurée lee chocs des éléments
et les révolutions physiques , encore ré^
eentes,qui avaient donné naissance à
la partie du continent et au groupe dilea
3u1ls habitaient. Nisyros est entourée
'écueila qu^ semblent avoir été lancés
avec elle par la même éruption soutev*.
raine qui l'a formée , ou , comme dirait;
Apolloidore, par la main de Neptufte. Au.
centre de Ttie est un pie qui a dé dtrr
longtemps en éruption. Son cratère, au*
jeurd'hui éteint, est devenu un Ipc d'eau
salé. De ses flancs, encore incandesoenta
à Tintérieur, sortent des sources d'eau
chaude et aulfureuae d'un effet trca-
salutaire pour la santé. La vigne erott*
très-bien sur ses coteaux brûlés. Le vin
de Nisyros était célèbre, et pourrait le
redevenir. Cette Ile fournissait ay.ee Mé-«
les et les Iles Ëoliennes, de nattire vol-
canique comme elle, les meilleures
pierres ponces connues des anciens (I).
Pline dit qu*on trouvait à Nisyros , ainsi
qu'à Rhodes, un arbuste épineux appelé
erysisceptrum {genista atanthoclada)
dont on faisait un usagé fréquent en mé-
decine.
Cetle tle fut primitivement habitée par
des Cariens (2). Plus tard les Grecs leur
succédèrent ou se mêlèrent à eux. Ils
vinrent sous la conduite de Thessalus ,
fils d'Hercule, qui s*établit à Cos, et sou-
mit les îles voisines Nisyros , Calydna
ou Calymna , Carpathos et Casoi. Phi-
dippuset AotiphuS; fils de Thessalus,
et chefs de ce petit Etat maritime, oon*
doisirent trente vaisseaux au siège de
Troie (3). A une époque incertaine, mais
postérieure à la guerre de Troie, un
tremblement de terre détruisit la popu*
lation de Nisyros. Elle fut repeuplée par
oeuxdeCos; et plustardun nouveau fléau
ayant encore désolé cette Ile , elle reçut
une colonie de Rhodiens, et dès lors Ai«
syros partagea toutes les destinées de sa
métropole.
Nisari fut enlevée à l'empire grée
eo 1304, comme toutes les îles de ees
parages (4) : recouvrée par Jean Vataee ,
(i) Plîn., Hist. Nai., XXXTI, 4«;
XXIV , 69.
(a) Diod. 5Kcttl., ▼ , 54 .
(3) Honi., //{W., II, 678.
(4) CoroneUi , Isgh di Madi, p. diB.
18.
196
L'UNIVERS.
elle fut reconquise par les cbeiraliers de
Rhodes, qui Tinféodèrent aax frères As*
saoti d'Isebia, 1816. En 1340 Ligorio
Assantî, Tan des seigneurs de Tile, ce*
dant à une tentation bien puissante sur
les insulaires de ces parages, arma une
galère, et se fit pirate. Il pilla plusieurs
navires marchands, entre autres des
Chypriotes. Le roi de Chypre, Hugues IV
adressa ses plaintes au grand maître, qui
réprima par un jugement rigoureux les dé-
sordres de son vassal. Les Assanti furent
obligés dès lors d*entretenir une galère
au service de la religion. Cette famille
s'étant éteinte en 1886, Ttle de Nisari
revint à Tcrdre, qui n*en aliéna plus Tad-
ministration. En 1488 on trouve cette île
sous le gouvernement de Fantino Que-
rini, amiral, prieur de Rome, bailli de
Lanjgo, seigneur de Nisari, qui outre l'en*
tretien d'une galère payait une redevance
de six cents florins, et avait à sa charge
Tentretien des forteresses de Tile. Nisari
avait cinq châteaux , dont les plus forts
étaient ceux de Mandrachi et de Paleo-
Castro. Elle était le siège d'un évéché*
Souvent attaquée par les Turcs, elle re-
poussa toujours leurs tentatives, et ne
succomba qu*après la prise de Rhodes.
PAN AIA., ou LE ROCHER DES GÀLOYERS.
« On découvre, dit Dapper (1), à près
(le vingt milles d'Italie ou cinq Ueues
d'Allemagne, à Toccidentde Fîle de Nisa-
ria ou Nisyros, un rocber fort élevé, ap-
peléCaloiero et autrement Panaia, qui est
entièrement inaccessible, comme étant
escarpé de tons côtés. Un caloyer ou ec-
clésiastique grec, d'où sans doute elle a
pris son nom, avoit autrefois choisi ce
rocher pour v aller passer ses jours sous
la rigidité d'une discipline fort sévère,
comme elle se pratique ordinairement
parmi ces ecclé^stiques, avec deux au-
tres religieux de son ordre. 11 avoit eu pour
cet effet l'industrie de trouver moyen d'y
élever, à l'aide d'une bascule ou poulie,
un fort petit bachot, où seulement
deux personnes se pouvoient mettre,
avec beaucoup d'adresse et de' facilité*
Mais il y fut enûn massacré par deux
Turcs , 'qui le surprirent en cette ma-
nière. Ses confrères, les deux autres ca-
loyers, étant descendus pour quelques
(x) Pftcnpfion de C Archipel, p. 170.
affaires danslé petit bachot, à la manière
accoutumée, ils furent tués par ces deex
Turcs, qui vêtirent ensuite leurs habits,
et se présentèrent sous cette flgure pour
être élevés au haut du rocher par l'autre
caloyer, qui, les prenant pour ses odd-
frères , ne balança |>as un moment à
faire ce qu'ils soubaitoient ; de sorte qu'y
étant arrivés, ils massacrèrent aussi oe-
loi-là , et ayant pris le peu de leurs ef-
fets qu'ils y trouvèrent, ils descendirent
de nouveau du mieux qu'ils purent du
haut du rocher f qui depuis ce temps est
demeuré inhabité. On peut du haut df
ce rocher découvrir une grande partie
de l'Archipel. »
ÎLE DE C4RPÀTH0S.
Il ne faut point quitter ces parages de
l'île de Rhodes sans parler de file de
Carpathos, qui a donné son nom à cette
partie de la mer Egée où sont situées
toutes les Sporades méridionales et Rho-
des elle-même. Carpathos, aujourd'hui
encore Scarpanto ou Zerfanto, est si-
tuée entre les lies de Crète et de Rhodes,
à quarante milles de la première et à
cinquante de la seconde (1). Strabon nt*
lui donne que deux cents stades de tour,
ce qui fait environ vingt-cinq milles d'I-
talie ou huit lieues de France ; mais eu
réalité sa circonférence est de soixante
milles, qui font vingt Ueues. Cest unf
île assez élevée au-dessus de IVau , de
forme un peu longue, étroite, et qui s'é-
tend du nord au sud. Elle a de hauts som-
mets, que l'on aperçoit de fort loin en mer.
Carpatuos possède de bons pâturages,
et peut nourrir uoe grande quantité d€
gros et de petit béiail ; on y trouve des
cailles, des perdrix et beaucoup d'autre
gibier en abondance. On y mange les
meilleurs lièvres de l'Archipel. « Ces
excellents lièvres n'ont pas toujours ha-
bité l'Ile. Ce sont les insulaires eux-
mêmes qui les introduisirent chez eux;
et, ■ bien que les lièvres, comme dit Ué-
« rodote, trouvent des ennemis partout,
« parmi les animaux, les oiseaux et les
a hommes » , ceux-ci se multiplièrent
tellement , qu'ils dévorèrent toutes les
récoltes. D'où le proverbe appliqué aux
gens punis par leurs propres tantes : la
(0 Dapper,p. i7i;Strab., X, 5;TmkIio.,
t. n, p. 393 ; Win., IV, a3; V, 36.
j
LBS SPORAUES.
197
^fffet de Carpaihoz (t). » On trouv«
aussi dans eette île des mines de fer et
des carrières de marbre. La mer de Car«
pathos est semée d'écueils : elle était
fort redoutée des andeiis; de là cette
touchaote comparaison d'Horace :
ut mftter Jovenem , quem Notas invido
Fiatls Carpathli (rans maris squora
Cuoclantem spallo loojçfus anouo
Dalci detîDet a domo, etc. . . (2).
De son côté, Pline a célébré le scare de
la mer de Carpathos {xcanu cretensis),
excellent poisson, très-recherché de son
temps pour la table des riches. « On dit
que c*est le seul poisson qui rumine et
qui se nourrisse d'nerl>ageet non de pois-
sons. Très-commun dans la mer Garpa*
tiiienne, jamais il ne dépasse spontané-
ment le Lecton, cap de la Troade (8). »
Sous le règne* de Claude on réussit à
rarclimater sur le littoral de fltalie. Oit
pêche aussi aux environs de Carpathos
de très-beau corail.
Dapper, qui fait, d*après Porcachi, une
description assez complète de la géogra-
phie de cette fie, donne les noms des trois
montaenes qui s^élèvent au centre de
Carpathos; ce sont les monts Ânchinata,
Oro et Saiot-Élias. Ses riyages sont hé-
rissés de nombreux caps et creusés en
ports et en baies, qui offrent d'excellents
mouillages. Les principaux promontoi-
res sont au sud, au côte de Casos, le cap
Sidro , le cap de Pemisa ; vers le nord ,
les caps Andemo et Bonandrea. Autre-
fois cette tie était très-fréquentée des ma-
rins italiens, qui en connaissaient tous
les ports, savoir : Agata, Porto di Tris-
tano , que les anciens appelaient Trito-
mus et que défend recueil de Pharia,
Porto Grato, Porto Malo Nato. Avant
la prospérité commerciale de Rhodes ,
Carpathos dut être le point de relâche
le plus fréquenté par les navires mar-
chands qui allaient de la mer Ë^ée dans
la Méditerranée orientale. Aussi devait-
elle être florissante au temps où elle
comptait, selon les uns quatre, selon les
autres sept villes; ce qui l'avait fait sur-
nommer Tetrapolis ou Heptapolis. On
retrouve des ruines antiques sur plu-
(0 M. de Marcellus, Épisodes, etc., t. Il,
p. 196.
(î) Hor., 0</., 1. IV, 4, V. 9.
sieurs points de Ttle, à Phianti, à Méné-
tès , à Tentho et à Arcassa. Phianti pa«
ratt être remplacement de l'ancieune
Posideium, capitale de Ttle; non loin de
là s*élève le bourg actuel de Scarpanto,
que domine un château du même nom.
Llle n'est habitée que par des Grecs, dit
Dapper; on n*y trouve point d'autre Turc
que le cadi ou juge, qui se tient dans le
château, et y gouverne au nom du grand
seigneur.
Carpathos n'a pas d'histoire parti-
culière. Dès l'origine elle paraît avoir
subi l'influence de la Crète et de Rhodes,
dont elle dut toujours partager les des-
tinées. On lit dans Diodore qu'elle eut
pour premiers habitants quelques com-
pagnons de Minos , à l'époque où ce roi
eut, le premier parmi les Grecs, Teinpire
de la mer (t). Mais les poètes, qui re-
montent toujours plus haut que les his-
toriens dans les antiquités des peuples,
nous reportent bien au delà des temps
de Minos, quand ils nous disent que Ja-
pet, fils de Titan et de la Terre, engen-
dra dans Carpatlios ses quatre fils qu'il
eut de la nymphe Asie,, savoir : Hespe*
rus, Atlas, Ëpiméthée et Prométliée.
Ainsi , selon la mythologie , si la Crète
fut le berceau des dieux de l'Olympe ,
Carpathos fut la terre natale de leurs
adversaires, les Titans. Qu'est-ce à dire,
si ce n'est oue ces deux Iles grecques ,
placées sur les confins des mers d'Asie,
furent les premières à recevoir des Orien*
taux, des Phéniciens surtout, les noms
et le culte des divinités qui plus tard for-
mèrent l'Olympe grec. Nul doute qu'a-
vant Minos, Carpathos n'ait reçu des
colonies d'Asiatiques navi^teurs. Plu-
sieurs générations après lui, loclus, fils
de Démoléon, Argien d'origine, envoya,
d'après l'ordre d'un oracle , une colo-
nie à Carpathos. Cet établissement, dit
M. Raoul Rochette (2), dont Diodore nous
laisse ignorer l'époque, doit appartenir
au même ensemble d'émigration dirigé
par Althémène , et ne lui être postérieur
Sue de bien peu d'années. Déjà, au temps
e la guerre de Troie , Carpathos , qui
est appelée Krapathos dans Homère,
faisait partie du royaume de Phidipp.us
et d'Antipbus, descendants d'Hercule.
(x) Diod. Sic, Y, 54. ê
(a) Çolonks Grecques, III, 74.
10S
L'UmVERS.
£I1edevîDt donoune tle darieniMY commit
la Crète, comme Rhodes, comme toutes
les iles voisines. Sa divinité principale
fut Poséidon, ou Neptune, qui était le
dieu protecteur de la confédération de
rhexapole dorique. Virgile fait de cette
Ile le séjour du dieu Prêtée, d'où Ton
peut conclure qu'elle avait un oracle de
^Neptune.
lEst tn Carpalhio Nepluni gargite vate»
Cœruleus Proleus.... (i).
On voit que si Carpathos n*a pas d'his*
toire, elle a des antiquités; peut-être
mime qu'aveo des recherches attentives
et toutes spéciales on pourrait suivre
ses destinées d'Age en Age , depuis les
temps héroïques ius(ju*à Tépoque où elle
passe sous la domination des Turcs.
Peut-être aussi oette étude a-t-elle déjà
tenté la patience de quelque érudit alle-
mand ; mais Je n'ai rien pu découvrir à
cet égard. .
« L'Ile de Soarpanto est à présent, dit
Dapper au dix*septième siècle , sous la
domination du grand seigneur, q^i la
fait gouverner par un cadi. Il n'y fait
pourtant pas son séjour ordinaire, se
contentant d'y venir seulement tous les
trois mois une fois , pour conuottre les
différends qui naissent entre les insu-
laires, exercer sur etix la justice, et pu-
nir les eoupables suivant que les affaires
le demandent. Ensuite il s en retourne h
nie de Rhodes, où il se tient ordinairo*
ment, sous l'autorité du aangiac, qui en
est le gouverneur. Ce sangiac y envoie
tous les ans un nouveau receveur pour
en tirer les tribus et les impôts que les
insulaires grecs doivent payer à la Porte.
On y envoie aussi un gouverneur de
CoBstantinople; mais c'est un des moin-
dres officiers de l'empire, qui ne laisse
pourtant pas d'exercer une cruelle ty«
raiiule sur oes insulaires. Quand il arrive
911e les galères de Malte y viennent
aborder, ces insulaires sont en de gran-
des inquiétudes pour défendre et cacher
ktur gouverneur, étant obligés de ré-
• (r) Oeorg^., 1. IV, v. 384. Virgile a emprnfilé
cet épisode de SfS(réor épiques k V Odyssée, I.V,
▼. 349. Maïs Homère place le séjour de Prolée
dans rilc de Pliaros, et eu fait un dieu égyp-
tien. L'Egypte était Jine des sources d'o/i la
Grèce avait.puiséaa mythologie.
pondre de sa persOBnê au grand sei-
gneur, sous peine de la vie ou de ki
perte de leurs biens et de leur liberté. *
Aujoud'hui Scarpanto est encore à la
Turquie; mais .elle doit avoir changé de
régime et se ressentir des am^oratioifr*
décrétées par le tanzimat.
ÎLB SB CASOS.
L*î1e que les géograplies anciens a^i-
pelaient Casos était encore nommée
Casso ou Caxo par les Grecs et les It^
Uens. Les marins français lui avaient
donné le nom d'île du uaz. Casos est
située entre Carpathos et la Crète, à
soixante-dix stades de la première (près
de trois lieues ) et à deux cent vin^t de
la seconde. Ëllea quatre-vingts stades de
circuit. Ces mesures, données par Stra-
bon, ont été trouvées très-exactes par Sa-
vary (1). Selon Etienne de Byzance, elle
fut ainsi noniiuée de Casos, père de
Ciéomaque; et il ajoute que les hahilaDts
de cette petite Ile envoyèrent une colo-
nie sur le mont Casius en Syrie. Cette
Ile est située dans une mer remplie d'é-
cueils. Ses rivages ne présentent que ro-
chers hérissés de pointes menaçaotes.
que les flots mugissants blanchissent dr
leur écume. Casos parait inabordable,
et en effet on ne pénètre dans le petit
bassin qui forme son port que par un
étroit passage, où les bnrques en temff
de houle courent risque de «e briser
contre les rocs anguleux de cette passe.
Dans l'antiquité , Casos n'était eonour
que par son miel. Du temps de Dapp«r
ce n'était qu*un rocher nu , qui senait
de retraite à des pirates. Quand Savan*
la visita, à la 6n du dix -huitième siècle.
il y trouva une population active, iodui-
trieuse , adonnée à Taisrioulture et sa
commerce , vivant dans l'aisance et la
simplicité antiques. Cliarmé de l'hospi-
talité qu'il y reçut et des divertissemeats
qu'on lui procura, le voyageur philosophe
célèbre les vertus patriarcales des Casio-
tes avp^cet enthousiasme exalté et systé-
matique si fort à la modeau siècle dernier.
qui pour la forme parodiait 1e style du
Télémaque, et qui pour le fond reprodiù-
sait trop fidèlement les sophismes et les
paradoxes de Rousseau. « Heureux peu-
ple, medisois-je ! l'ambition et l'intiigue
(x) Lettresiw la Grèce, p, xo6.
LBS SPC^ADES.
IW
ne troublent point ta tranquillité 1 la soif
de l'or a*a point corrompii tes moeurs!
les qoprelles, les dissensions, les crimes
dODt elle remplit la terre , te sont in*
connus. On ne roit point dans ton Ne
le citoyen enor^eilli de ses titres ou de
ses richesses fouler atii pieds son hum*
bleoompatriote; on n'y voit point nn bas
vaiet encenser les vices de son maître.
L^homme y est égal à Thomme; le Ca*-
siote ne ro<igit ni ne s'abaisse devant le
Casiote, etc. , ete« » Toute la lettre, qui
est de vingt pages, est sur ce ton.
Il est vrai de dire qu'à nette époque le
petit rocher de Casos commençait à de*
venir une des lies les plus coinmerçan*
tes de r Archipel. Selon Pouqueville, elle
arait reçu une de oes colonies albanaises
ou schypes qui faisaient au commence*
met de ce siècle la splendeur de la marine
çre»iue(l). Casos exploitait alors lecum-
merce des côtes de Syrie \ mais la guerre
de rindépendanee est venue étouffer,
pour toujours peut-être, l'essor de cette
prospérité.
IlB DB COS.
Descbiptiow oéoobaphtqub. —
L'île de Cos (^ K&ç ou K6a>ç), la plus oon-
sidérable des Sporades, est située à l'en-
trée du golfe Céramique (auj. golfe de
Boudroun ou de Stancno), à peu de dis-
lance du cap Termerion (auj. Termera),
qui termine au sud la presau tie de la Ca-
rie, où se trouvaient Minaus et Halicar-
nasse. Cos est désignée quelquefois chez
les .mciens par le nom de Méropis, qu'elle
re<;ut , selon Hygin , de Mérops (3), pre»
mier roi de ce pays. Coa, sa fille, substi-
tua son nom à celui de son père , et Ttle
fut appelée Cos. Selon Pline, on la nom-
mait aussi Cea, et enfin Nymphœa. De
tous ces noms, celui de Cos est le seul
qui ait été communément employé par
les anciens. Au moyen âge elle est ap-
pelée ordinairement Lan^o, peut-être à
cause de sa forme allongée, et Stancho
(i) Voyage de la Grèce^ t. VI, p. 3oa-3 to.
(a) Forbi«;er, ffandhuch, etc., t. II, p. aSo.
Vojez «ur Pîle de Cos un mémoire de Leake,
dans Tfie Transactions ofthe royal Society of
Uteraturtoftite United Kingdom^ 2* série, 1. 1,
J845. — Zander, Bettrage zttr Kundê der
ifftêtKott Hamb., tSSi. — Kofter, dé Coin-
00 fltanchiô, ni6t formé par les marins de
ceux par lesquels les Grecs disent qu'ils
vont a Cos ( tic t^v Kâ h et qui pronon-
eés rapidement font Stinco. C'est par une
altération du même genre que se sont,
formés les noms de Stalimèue, de Stam-'
boul etdeSétines(l).
Pliue place File de Cos à quinse milles
d^Halicarnasse (fi). Il lui donne cent
milles de tour ; et Strabon cinq cent eiiH
quante stades, ce qui fait environ trente
lieues. Cette Ile est longue, étroite, pri»-
eipalement dans sa partie occidentale,
qui se recourbe vers le sud , et ^ui est
montagneuse. Le reste de I île ofire des
plaines propres à la culture. Son pie ie
plus élevé était le mont Prion. Les an?
eiens lui a valent reconnu troÂscaps : le cap
âcandarionoii Scandalion,au nord; le cap
Dreoanon, à Touest ; et le cap Lacter, au
sud. Le terroir de Cos <ist fertile ; ses vins
étaient célèbres autrefois et sont encore
excellents. Les habitants de cette île mé-
langeaient du vin avec de IVau de meir,
et en faisaient un breuvage fort reclier»
ebé) appelé /eticoi'Ottm (8). La principale
industrie de ces insulaires consistait
dans la fiibrication de ces étoffes de soie,
légères et transparentes, dont on faisait
les vêtements appelés coœ oetteê. Jl en
est fréquemment fait mention dans les
poètes latins. Voici ce que Pline nous
apprend de Tinseote qui produisait la
soie de Cos : « Ou dit qu'il naît aussi des
bombyk dans l'Ile de Cos, les exhalaisons
de la terre donnant la vie aux fleurs que
les pluies ont fait tomber du eyprès, do
térébinthinier, du frêne,du chêae. Ce sont
d*abord de petits papillons nus; bientôt,
ne pouvant supporter le froid, ils se cou-
vrent de poils, et se font contre l'hiver
d'épaisses tuniques, en arrachant avec
les aspérités de leurs pieds le duvet des
feuilles. Ils forment un tas de ce duvet,
le cardent avec leurs ongles, le traînent
entre les branches, le rendent fin comme
avec un peigne , puis le roulent autour
d>ux, et s'en forment un nid qui les en-
veloppe. C*est dans cet état qu'on les
prend; on les met dans des vases de terre,
unies y tient chauds, les nourrissantavec
(i) Choiieul-Gottflier, Voyetge pittoresque,
1. 1, p. 171.
(«) PKti., Bitt, Nat., T, 36.
(3) Id., XIV, 8 , 10.
MO
L*UNIVERS<
da 8on ; alors il lear natt des plames d^ine
espèce particulière; et quand ils en sont
revêtus, on les renvoie travailler à une
nouvelle tâelie. Leurs coques, jetées dans
l'eau, s'amollissent r puis on les dévide
sur un fuseau de jonc (1). » On recher*
cbait encore la poterie de Gos, et surtout
ses belles amphores, ainsi que ses par-
fums et onguents de coing et de marjo-
laine (3).
La capitale de Ttie de Gos portait le
même nom et était située au nord, près du
cap Scandarion. D'abord les insulaires
avaient habité une autre ville, située dans
un canton que Thucydide nomme la Mè-
ropide. Us abandonnèrent cette cité à la
âuite d*un terrible tremblement déterre,
et fondèrent la nouvelle Cos , Tan 366
avant Tère chrétienne. Le nom d'Astv-
palée resta à Tancienne Yilie, ^ui tomba
bientôt en ruines (8). Cos était une cité
bien bâtie, et très-agréable à voir quand
on y arrivait par mer. Il y avait encore
dans file la ville d'flalisarne, près du
cap Lacter, et le bourg de Stomalimné,
près du promontoire Drecanon , à deux
cents stades de la capitale.
La ville moderne occupe le même
emplacement que Tancienne. Dapper en
parle comme Strabon. « Elle est fort
joliment bâtie et assez bien peuplée , »
dit-il (4). Mais, malgré cet éloge, la sim-
plicité agréable de la ville de Stancbio
n*a rien de comparable à la beauté de
Tancienne Gos, dont la splendeur est
attestée par les débris de ses antiques
édifices au milieu desquels s'élèvent les
bâtiments modernes. Le port, autrefois
grand et tommode, est maintenant ensa-
blé, etlesgramls navires restent en rade.
On voit (Taprès les récits des derniers
voyageurs que File de Gos a moins souf-
fert que beaucoup d'autres terres de
TArcbipel (5). « La ville de Cos est sur le
rivage, dit Choiseul-Gouffier ; son port
est commode , et toute la côte est cou-
verte d'orangers et de citronniers , qui
(i) PUn., Hist, Nat., XI, 47.
(a) Id., XXXV, 46; XIH, t , a.
(3) Siinb., XIV. p. 673; Tauch., t, IH,
p. aoa ; Tbuc. VIII, 41.
(4) Deser, de tArchipel^ p. 176.
(5) Chois<rul-Gounier, 1. 1^ p. 170; Mi-
diaud et Poujoulat, III, p. 461 ; Pro^esch,
Denkwuryifrft, in, p. 43»^
forment Faspeet le plus sédaisaitt. Mais
rien n'est aussi agréable que la place pu-
blique. Un platane prodigieux en occupe
le centre, et ses branches étendues la cou
vrent tout entière ; affaissées sous leur
propre poids, elles pourraient se briser,
sans les soins des habitants, qui lui ren-
dent une espèce de culte ; mais comme
tout doit offrir dans ces contrées ée%
traces de leur ancienne grandeur, œ sont
des colonnes superbes de marbre et de
granit qui sont employées à soutenir la
f leillesse de cet arbre respecté. Une foD>
taine abondante ajoute au charme de ces
lieux , toujours fréquentés par les habi-
tants, qui viennent y traiter leurs affaires
et y chercher un asile contre la ehaleur
du climat. » il est déjà fait noention de
ce beau platane dans les voyagieurs et
géographes du quinzième et du seiaènie
siècle. Une de ses principales branches
s'est brisée dans ces dernières années.
<( Les branches qui lui restent, dit M. Mi-
chaud , affaissées sous le poids des ans,
s'étendent horizontalement à une grande
distance, SOI 1 tenues par des colonnes dont
le marbre a pénétré dans Técoroe, et qui
semblent faire partie de l'arbre qu'elles
supportent. Le platane de Cos ou de
Stanchio est révéré des Grecs et des
Turcs, qui le mettent au-dessus de toutes
lesantiquitésdu pays, et qui ne manquent
pas de répéter aux voyageurs qu*Hippo*
crate donnait des consultations sous son
ombrage. »
Au moyen âge , Lango était défendue
par une citadelle, qui fut élevée par Tordre
de Saint- Jean de Jérusalem. On voit en-
core sur la noi'te de cette forteresse les
armes des liospitaiiers, ainsi que sur
plusiwrs maisons voisines. Dans le mur
extérieur du château est encastré un ma-
gnifique bas-relief antique, qui semble
représenter les noces de Neptune ou de
Bacchus. Les Grecs de Cos sont persua-
dés que dans l'intérieur de la citadelle
on conserve un buste d'Hippocrate , et
qu'on y trouve une petite chambre qui
tut habitée par le père de la médecine.
A Cos le souvenir d'Hippocrate est en-
core vivant partout. Il y aà trois milles de
Stanchio, sur une montagne assez âevée,
une fontaine dont la construction re-
monte à la plus haute antiquité. Cet édi-
fice est encore appelé la Fontaine dHip-
pocrate. Le lieu d'où jaillit la soucoe est
LES SPQRADES.
201
reeoarert (Tmie rotonde assps éle? ée qui
a une ouverture par le haul; Teau coule
ensuite par un lit de pio're creusé dans
une galerie fermée des deux côtés par
des murs eydopéens. Cette galerie est
recouverte par une voûte angulaire de
pimes également cyclopéennes. Tout
atteste une construction des premiers
âges, eoutemporaine de la galène de Ti-
ryate ou des remparts de Myeènes. On
retrouve encore sur les hauteurs de la
partie méridionale de Ttle les débris des
châteaux forts que les ebevaliers de Rho-
des y avaient fait élever. Ces forteresses
dominaient et défendaient les Titlages de
Pili, d'Antiphili et de Kephalo. Cette
partie de Ttle est peu connue , et onli-
nairement négligée par les voyageurs, qui
se contentent d'admirer en passant le
site de la capitale, son paysage, et le
magnifique aspect qu*offre le voisinage
des cétesd* Asie.
HlSTOIfiB DE lIIiB DB COS DANS
L'ifiTiQuiTB. — Cos reçut ses premiers
hatHtants des mêmes émigrations qui
peuplèrent Rhodes et toutes les tles de
ces parages. Mérops , Tun des fils de Trio-
pas, s'établit le premier dans cette île, qui
prit d*abord le nom de ce chef. Ses oompa«
gnons, probablement Pélasges d'origine,
s'appelèrent aussi les Méropes (1). Qt^el-
tjue temps après le déluge de Deucalion,
des Éoliens cle Lesbos quittèrent cette Ile,
où régnait Macarée, et vinrent s'établir
à Cos, sous ta conduite de Méandre, qui
devint rm du pays(3). On raeontequ'Her-
cole vint à Rnodes, qu'il y tua Eurypvle,
tyran odieux par ses cruautés et ses bri-
gandages. Dès lors la race d*Hereule ré*
goa à Ces et dans les tles voisines. « Ceux
qui habitaient, dit Homère, les îles de Ni-
syre, de Carpathus, de Casus, de Cos, où
^it régné Eurypylus, et les tles Ca-
lidnes étaient sous la- conduite de Pbei-
dippus et d'Antiphus , fils de Thessalus
et petit-fils d*Hereule ; ils avaient trente
vaisseaux. « Ainsi les Uéraclides domi-
naient à Cos au temps de la guerre de
Troie. Après Textinction des Heraclides,
^nreot les Aselépiades, ou fils d'Escu-
lape, Maeliaon et Podalire, mil après la
prise de Troie se fixèrent dans 1 tie de
(0 Raoul Roeliette» Cofonies Grtct/,, I,
p. 337.
W Diod. Sioil., V, 81.
Cos. L'insalubrité de cette lie écartait
de ses rivages les navigateurs grecs et
étrangers; ils la choisirent pour l'objet
partieulier de leurs soins, et y renou-
velèrent en peu temps la population,
{>resque éteinte (1). Depuis ce temps
'art de la médecine fut en grand hon-
neur à Cos; Eseulape en fut la divi-
nité principale. On lui éleva un temple
magnifique dans le fiiubourg de Cos.
Ce temple était rempli des offrandes
de ceux que la puissance d' Eseulape
avait guéns de leurs maux ; les prêtres
d'Esculape tenaient registre de tous les
remèdes reconnus par l'expérience (3).
Ce fut à cette éoole de médecine que
se forma Uippocrate. Les derniers co-
lons qui s'établirent à Cos furent des
Doneus venus à la suite d'Altbemène (S).
Dès lors cette fie fit partie de l'Hexa»
pôle dorique, qui avait ses réunions
politiques et ses fîtes commîmes dans
le temple d'Apollon Triopien. '
L'histoire de Cos pendant l'anti-
quité se confond continuellement avec
celle de Rhodes : nous en a^ons in-
diaué les principaux traits dans l'ar*
ticle consacré à cette dernière (4). Pen-
dant longtemps Cos fut une cité d^une
importance secondaire. Mais la troi-
sième année de la 108* olympiade
. ( l'an 866 av. J.C. ) « les habitants
de Cos se transportèrent dans la ville
Sulls occupent encore aujourd'hui, dit
Modore (6), et Tembellirent beaucoup.
Cette ville se remplit d im grand nombre
d'habitants, fut entourée de fortes mu-
railles; elle avait un port magnifique.
Depuis cette époque les revenus et les ri-
chesses de ses habitants sont toujours
allés en augmentant; enfin elle put riva-
liser avec les premières villes ». Cos était
donc en pleine prospérité quand elle
s'unit à Byzanee, à Rhodes et à Chio
pour s'affranchir du joug d'Athènes. Peu
de temps' après, elle reconnut avec
empressement la domination d'Alexan-
dre le Grand, et pendant les troubles
Îi) Raoul Rocbetle, II, p. 40 1. '
a) .Htrab.« XIT; Tauch., III, p. aoi.
(3) Voy. plus haut, p. xo6; Sirab., p. 663;
Her., I« 144 1 Raoul Rochette, III, 71.
(4) Voyez plus haut, p. xoS , 109, 110,
lia, i3o, x37,
(5) Diod. Sicul., XY, 76.
302
LumyfiRS.
qni loivirsDt sa inort^ elto €iHrft d'abord
daas le parti d'Aotigone. Mais Ptoléméet
nareu d'Antigone, ayant trahi soo oeelei
livra nie de Coa à Ptolémée, roi d'É-
^ptc, qui sut habilement attacher eea
isaulaires à aea intéréta par lea avaa-
tages eDininerciaHX qu'il leur procura.
Pendant son eipéditlon de Tan SOO dana
la Grèce et la mer Egée, Ptolémée La^ua
/ lit de rile de Coa le oeolre de aea opéra*
tiens (1). C'est à cette époque et dans
oette Ile que naquit son fila Ptolénoée
Phtladelphe » car Bérénice avait aceoni-
pagné son époux dana cette oampagne*
/ Jusqu'à la nn, Coa fut toujours unie
par dea liena d'amitié très-étroita à la
dynastie des Ijagides.
Plus tard^ lorsque l'Egypte fut abais-
sée, lea habitante de Cos recherchèrent,
comme les Rhodiens, la protection
du sénat contre les rois de Macédoine
et de 8yrie^ et, comme Rhodes, cette île
rendit de lrèa*granda services aux Ro*
mains dana leurs fuerrea maritimes (2).
Gomme Rhodea auasi , elle Ait grande-
ment maltraitée par lea meurtrfera de
Otear, qui n'avaient nu déterminer ces
insulaires à se joinore à eux. Turu»
liu^, l'un d'eux, abattit le bois oonsnaté
à IKsculape, et en it des navires. Sous
l'empire, Con devint tributaire, maie
elle conserva ses droits de dlé. L'em-
pereur Glande {Mropoaa au sénat d'af*
ntinchir de tout tribut lea inaulaires
de C^. Claude alléguait Tantiquilé de
cette ville, dont il &aait remonter l'o-
r^fne à Céua, père de Latone, la
grande célébrité de son dieu Esculape,
les services qu'elle avait rendus en
produisant tant d'illustres médecina. Le
sien, appelé Xénopbon, était un Asdé-
Ï^iade; et c'était à aa demande que
'empereur faisait au sénat cetle sin-
gulier propoeiUon. « il n'est pas doo*
teux, ajoute Tacite (S), que ces in»
aulaires n'evssent rendu beaucoup de
services aux Romains, et l'on po«-
vait citer des victoires auxquelles ils
avaient contribué; mais Claude, avec
son irréflexion ordinaire, accordant
une grâce purement personnelle, né-
(x)-Diod. Sicul., Xï-, ^7; App., A/iMr.,
(a) Tit. Liv., XXXVII, i6, 0».
(3)Tac.,/^ii/i.,Xn,fir.
gligeait de la justifier par dss codé-
dérations d'utiiité publique. » Sous Yn-
pasien, Cos perdit, les derniers restas
de sa liberté , et fit partie de la pro-
vince des îles, dont Rhodes devint U
capitale. Sous Antunin, un tremble^
ment de terre ayant bouleversé les eéiti
de la Carie, de la Lycie et les îles voi-
sines» fempereur répara tout le dé-
sastre, et fit reconstruire à ses frab
les villes de Cos et de Rliodes (i'.
A partir de cette époque Cos dit^paraiL
perdue dana l'immensité de Tempin:
romain* ^
Hommes iLi^usTnia db l'Ilb de
Cos.— Si V\i% de Cos n'a qu'une plaor
médiocre dans Tbistoire politique df
la Grèce, elle eat a jamais illustrrr
Ear la gloire immortelle des grands
ommes qu'elle a produits* Cos est U
patrie du plus grand médecin et du
plus grand peintre de l'antiquité, d'Hip-
pocrate et d'Apelle. indépendamnieot
de cea deux grands génies, qui sul*
fiaent à sa gloire, elle donna aussi naii-
•ance à quelques hommes célèbres, qui
eurent une grande réputation de lâir
temps, mais dont les noms ne MSt
plus évoqués aujourd'hui que par b
curiosité des érudita. « On compte pamu
les hommes illustres de Coa, dit Htnr
bon, outre Hippoorate, Sîmus, auirf
médecin; Pliilétaa, poète etgraromai-
ffien, qui fut le préee|ilcur de Fte-
lémée Philaddphe; Nicias, chef àt
nartl « qui devint tyran de Cos, et doti
le nom se retrouve sur une méilailli'
de l'Ile; Ariston le Philosophe, discipî^
et liéritier du péripatéticien de ce nom. •
Cette ville a vu naître aussi Tlieot»-
ne:»te, célèbre eitbarède, qui a pteda
parti opposé aux entreprises de ^J€ias.
Il suimt d'énuroérer ces persona^ti
plus ou moins illustres; mais dos-
nons plus d'attention aux deux graa6
hommes de Cos, Hippeerate et Apelie.
HippocnATK; Écotn de mébeci}!!
»B Cos.-* La vie d Uippocralecsl presque
inconnue; les récits qu'on en fait seet
surchargés d'inventions et d'embellis-
•ements invraisembiiibles, qui la to
nesserabler à une légende. Ce n'est quf
deux cents ans après la mort dllip-
pocrate que les énulits alexandrin^
(t) Pausan., yUI,4S.
L£8&BraRAD£S.
^00
eMMBtMènftt &m rtehtrdies sur la
lNographi« de rhomme illiutre dont )a
sJoirp. grandinait tous ks jours, et doot
Ici écrits étaient def enus comme le oode
de la médedoe (1). Mais, oomme la via
d« ce médeein n'avait été recueillie ni
fit les eontemporains, ni par ceux
qui Tout suivi immédiatement « ceux
qai plus tard ont voulu l'écrire n'ont
trouvé aucun récit digne de foi pour
les détails personnels à Hippocrate;
i)iD*0Dt pu que recueillir quelques do*
cumeots positift, qui fixaient sa patrie ,
^on âge, le lieu ou il avait exercé son art
et sa célébrité. Tout le reste avait péri.
Hippocrate naquit la première an*
oée de la quatre- vingtième olympiade,
en 4eo (S), dans la ville de Gos , où
son père, liéradide, exerçait aussi la
;>rofpssion de médedu. Une généalogie
'iHitrouvée le rattachait à Podalire et
1 Esculape, dont il aurait été le dix*
septième desocndant. Cependant c'est
iree raison que Platon, dans le Pro*
/a^otoj, donne à flippocrate le titre
d'Asclépiade ; car les Asdépiades n*é-
taieal pss nne famille, nais oes corport*
tioM lacerdetales, qui dès les temps les
plus aoeiena avaient en le privilège ex*
eluitf de la pratique de la médedne, et
')«i eommenfaient au dnquièoie dède k
il partager avec d'autres concurrents*
On eorporatiaas de prétres-médedns
liibitaient autour des temples d'Asclé*
piiM ou Esculape, dieu de la médé*
ciae, st dans ces édifices, anpeléa ase^*
omt {àmùofKaXw)^ tout était disposé
^ la fois pour le culte et la pratique
<le Tart, pour le service du dieup et
vltti des malades, il s'était fondé en
Grèce, à l'origine de la société bdié*
nique, na grand nombre de ces as-
•iepioBs, dont les phis considérables
WiBiflsaient le triple caractère de
ttmple, d'hApital et d'école de méde*
oine. Les plus renommés de ces Asdé*
fHoas étaient, au temps qui précède
Hippocrate, eenx de Cyrene, de Rhodes,
di Caide et de Gos. Les malades qui
^reaaîent se faire traiter dans les temples
•avaient l'habitude d> laisser un té-
•aolgnage de leur reconnaissance envers
(c) M. LitU^* OMwPws compiàies d'Hip-
pocrate. Introduction , 1 1, p. 3a.
(>) A. PierroOy LUtérattare Grwque, p. a i a.
le dieu et une infteation de la RMittAie
dont ils avaient été guéris. « Le temple
d'Épidaure, dit Strabon, est toujoun
plein de malades et de tableaux qui j
sont suspendus, et dans lesquels le trai-
tement est consigné. Il en est de même
à Gos et à Tricca (1)». Les prêtres
recueillaient ces notes , et en faisaient
sans doute une des sources de rensei-
gnement médical qu'ils donnaient à
leurs élèves. Le livre intitulé Préno*
Umu Coaquês^ qui se trouve dans les
œuvres d'Hippocrâte, n'est sans doute
qu'un recueil de notes de ce genre.
Telle était l'école oà Hippocrate oom*
mença son noviciat médical et acquit ce
titre d'Aselépiade, par lequel il est dé-
ti^ûé è plusieurs reprises dana Platon,
son contemporain. C'était comme le di-
plôme de docteur de ces temps-là : et ce
titre ne forçait pas le médecin qui le poi^
tait à s'enfermer dans le temple ou il
l'avait n^f puisque Hippocrate, qui fai-
sait partie du sacerdoce médical aeCos,
qui appartenait à une ftimllle illustre,
que l'on disait descendue d'Esculape,
parcourut comme médedn pérMeufe,
ou ambulant, différentes parties de la
Grèce , et y exerça la médecine. Nul
doute qu*Hippoerate n'ait beaucoup
voyasé. Dans les écrits de la collec-
tion nippocratique. Il est très-souvent
question de l'tle de Thasos. On y trouve
aussi nommées Abdère et Périnthe- en
Tbrace, Olynthe dans la Chalcidique,
Lansae, Cranon et Phère en Thessalie,
les tles de Délos, de Gos et d'Andros.
Hippocrate parie des Palos-Méotldes,
du Phase, des contrées du Pont,
des Scythes nomades, comme ayant vu
ces peuples et parcouru ces contrées.
Il est évident qu'il avait aussi visité la
I<ybîe et l'Egypte. De tout terttps il a
été utile de voyager pour apprendre
à connaître la nature et les hommes;
mais dans l'antiquité, oè les commoni-
(i) Strab.» L TIU. On a trouvé dans le
temple d'EjcuUpe k Rome une iuecription
grecque, dont void le aeos : « Julieo éiaat
travaillé d'un flux de aang nar le haut et
abandonné des hommes, le dieu vint à sou
«ecours ; de sorte que l'ayant nourri de miel
pendant trois jours il le remit en sa première
aanté. Il lui en i*end grAoes devant le peu-
ple. »
S04
LTJiaV£R8.
cations entre les savants étaient nulles,
où les peuples ne se connaissaient pas
les uns les autres, c*était une néces-
sité de sortir de chez soi pour échap-
per à rignoranoe que produit l'isole-
ment. De nos jours c^est la science qui
voysse ; autrefois il fallait que Thomme
courut après elle; c'est ce que Grent
le grand rapporteur de la médecine
antique et le père de riiistoire, Uippo-
crate et Hérodote.
Après ses voyages, Hippoerate revint
à Cos, dans sa viei liesse ; et par ses travaux
et ses écrits il éleva TécoLe de sa patrie
au-dessus de toutes ses rivales. 11 ne
faut pas croire ou'à cette époque la
science médicale fut à créer, et qu'ilip-
pocrate ait été à proprement parier le
père de la médecine. « Jadis il existait,
dit Galien (1), entre les écoles de Cos
et de Cnide une lutte à qui rempor-
terait par le nombre des découvertes ;
car les Asdépiades d'Asie étaient di-
visés en deux branches après Texiino-
tion de la branche de Rhodes. A cette
lutte honorable prenaient part aussi
les médecins deTltalie, Philistion, Ëm-
pédocle, Pausanias et leurs disciples;
de telle sorte que trois écoles admi-
rables se disputaient la prééminence
dans la médecme. Celle de Cos se trouva
avoir les disciples les plus nombreux
et les meilleurs; celle de Cnide la sui-
vit de près, et Técole d'Italie ne fut
pas non plus sans gloire. » Ainsi, le
mouvement scientiflque était déjà très-
actif et très-fêcond quand parut Hip-
poerate; mais l'expérience qu'il avait ao-
3uise dans ses voyages» la comparaison
es différentes méthodes et doctrines
qu'il avait étudiées , lui donnèrent des
vues d'ensemble et une étendue de con-
naissances qui manquaient aux autres
médecins de son temps, asdépiades,
philosophes et gymnastes, enfermés
dans les traditions incomplètes d'un
enseignement local et particulier. Hip-
poerate ne oréa pas la médedne, mais
il étendit, compléta et féconda ce qui
existait avant lui. « Son mérite dans
la sdence, dit M. Littré, à qui j'em-
prunte tous ces développements, la rai-
son du haut rang qu^il y occupe, la cause
de la puissance qu'il y a exercée, tout
(r) Gai., t. lY, p. 35, éd. Basil.
cela est dans la féroe des aiideaiies
doctrines qu'il embrassa, dévelo»|»a,
soutint avec talent, employa avec bon-
heur et transmit pleines de vie, de force
et de profondeur à la postérité (f ). »
Les biographes alexandrins qui ont
travaillé si tard sur la vie du médecin
de Cos ont recueilli ou inventé des
histoires invraisemblables, qui ont fait
fortune, mais dont aucune ne peut
tenir devant l'examen d'une saine cri-
tique : telles sont les récits sur le rôle
d 'Hippoerate dans la peste d'Atliènes,
sur l'invitation d'Artaxerce, sur le re-
fus du médecin de Cos , sur son entre-
vue avec Démocrite, sur la guerre faite
à rile de Cos par les Athéniens. Tous
ces faits n'ont d'autres garants que les
lettres et discours qui forment un ap-
pendice de la collection hippocratique.
Mais il est suffisamment démontré au-
jourd'hui que toutes ces pièces ont été
rabriquées par des faussaires et qu'elles
sont entièrement controuvées (2).
La fin de la vie d'tiippocrale est
aussi peu connue que le reste. On sait
qu'il parvint jusqu'à un âge très-avancé,
jusqu'à quatre-vingt-doq ans selon le^
uns, jusqu'à quatre-vingt-dix selon le»
autres; sdon d'autres encore, jusqu*a
cent quatre ou même cent neuf ans.
Son biographe anonyme dit qu'il mou-
rut non point dans sa ville natiile.
mais près de Larissa, dans la Thessalie.
Au reste, les notions et les doutes de
la critique ne font que dégagor du sein
de l'erreur et des fables les seules vraies
notions qui se rattachent à rbistoire
d'Hippocrate. Elles dissipent des illu-
sions, sans rien diminuer de la grandeur
et du prestige de son nom , et elles ne
servent qu'à faire ressortir davantage \es
seuls faits qui permettent d'apprécier le
rôle qu'il a joué et la place qu*il a oc-
cupée dans la sdence. Le personnage
&ntastique de la légende a disparu;
mais, ce qui vaut mieux, il reste un
grand homme , qui a fait de grandes
cjioses. On doit donc se tenir pour sa-
tisfait, puisque l'on peut donner oonime
certaines les conclusions suivantes, qui
sont celles du savant et habile tradoc-
(x) Œuvres tT Hippoerate, I/ttroifuctioff,
I. I, p. 94.
(ft) M. LiUré, ItOrod.y 1. 1, p. 4«^
LES SPORADES.
10»
teur des œuvres hippocratiques : « Pra-
ticien, professeur, écrivain, Hippocrate
a joui de Testime de ses eontempo-
rains; desœndu d*une fiimille oui tai-
sait remonter son origine jusqu à l'âge
liéroïque , U lui a donné plus de gloire
qu'il n'en avait reçu; attaché a une
corporation qui desservait un temple
d*£sculape» il a fait prévaloir Técôle
de Cos sur toutes les écoles médicales
gai Font immédiatement suivie ; et de
hooDe heure ses écrits étaient médités
n cités par Platon (1). »
C'est dans la lecture de ses écrits
qoe l'on peut, du reste, achever de con-
naître Hippocrate; sa haute intelliffenoe,
SOD noble caractère s'y révèlent à chaque
Jage. La plus belle de toutes est celle
u serment, où il trace, en s'engageant
à les remplir, tous les devoirs d*un mé-
decin véritablement honnête homme
et religieux : « Je jure par Apollon
médecin, par Esculape, par Hygie et
Panacée ; je prends à témoin tous les
dieux et toutes les déesses d'accomplir
fidèlement, autant qu'il dépendra de mon
pouvoir et de -mon intelligence, ce ser-
ment et œt engagement écrit : de re-
garder comme mon père celui qui m'a
easeigné cet art; de veiller à sa sub-
astance; de pourvoir libéralement à
^ besoins ; de considérer ses enfants
comme mes propres frères; de leur
apprendre cet art sans salaire et sans
aucune stipulation, s'ils veulent l'é-
tudier.... Je conserverai ma vie pure
et sainte aussi bien que mon art....
le garderai inviolablement la loi sa-
crée du secret.... Si j'accomplis avec
fidélité mon serment, si je n'y fais
point défaut , puissé-ie passer des jours
heureux, recueillir les fruits de mon
art, et vivre honoré de tous les hommes
et de la postérité la plus reculée; mais
si je viole mon serment, si je me parjure,
que tout le contraire m'arrive (2). >
Apelle. — Apelle naquit à Cos«
comme Hippocrate, dans la première
moitié du quatrième siècle avant l'ère
chrétienne, pendant la 1 1^*" olympiade,
n était fils de Pythius, et il eut pour
maître Êpborus d*£phèse et Paniphile
d'Amphipolis. Il voyagea pour per-
(i) lilb^, iHtrod., 1. 1, p. 43.
(s) A. PitrroDy UtU Grecque ^ p. ai 5.
feetionner son talent » et il vint étudier
à l'école de peinture de Sicyone, qui
était alors la plus renommée de toute
la Grèce. On lui donne quelquefois le
surnom d'Éphésien , non pas que Ton
ait cru qu'il naquit dans cette ville,
mais parce qu'il y demeura longtemps
et qu'il y reçut sans doute le droit de
cité (i). Au jugement des anciens eux*
mêmes, Apelle surpassa tous les peintres
qui l'avaient précédé et tous oeui qui
le suivirent. A lui seul, il contribua
presque autant que tous les autres au
progrès de la peinture, et cela non-
seulement par ses tableaux, mais aussi
par ses écrits. U composa trois hvres
sur la théorie de la peinture, qui exis-
taient encore du temps de Pline.
Apelle eut plus que tous les autres
peintres la grâce en partage. Il y avait
de son temps de irès-grands artistes;
il admirait leurs ouvrages, il les com-
blait d'éloges, mais 11 disait qu'il leur
manquait la grâce, qui était à lui; qu'ils
possédaient tout le reste, mais que
pour cette partie seule il n'avait point
d'égaK L'ingénuité et le charme de son
caractère n'étaient pas moindres que la
grâce de son talent. Il était au-dessus de
toutes les mesquines passions nui trop
souvent travaillent les artistes. Il reoon>
naissait, il encourageait, il produisait les
talents d'autrui; on sait sa conduite à
r^ard de Protogène, qui cependant pou-
vait étreson rival (2). 11 était désintéressé,
et conservait partout, devant le public
comme chez les plus grands princes,
une attitude pleine de convenance , de
franchise et de dignité. Deux anecdotes
racontées par Pline et beaucoup d'autres
auteurs montrent comment il savait
parler aux petits et aux grands. Quand
Apelle avait fait un tableau, il l'expo-
sait devant le public; et, se tenant ca*
ché derrière un rideau , il écoutait ce
qu'on disait, dans le dessein de corri-
ger les défauts qu'on y pouvait remar-
quer. Un jour un cordonnier critiqua
(i) Voy. Fr. Junîu*, /)« P/c/wra Veterwm
Idlii treSf Roterodami, 1694, iu-fol.; Catah^
ÊuSf p. la. On trouve dans ce livre tout
» malériaiix de la biographie d* Apelle,
mais réunis sans critique. PUoe, Bist, Mai.,
XXXV, 36,17.
(a) Voy. plus haut, p. 139.
SM
L'UNIVERS.
kl tûMSÊùxe d*un de lés penonnagiesf
et comme il avait raiflon , Apelle cor«
rîgea la faute qu'il avait faite. Le len*
demain le même cordonnier, tout flet
d*avotr été écouté , se mit à reprendre
la façon de la jambe ; mais cette fois
le peintre , Irrité , sortant de derrière
SA toile, s'écria qu'au oordounier n'a«
vait rien à voir au-dessus de la chaus*
sore. C'est h cette anecdote qu'on rap-
porte Taventure du proverbe ne sutor
mlit^a erêpidam^ qui se trouve para-
pbrasé dans Rollin delà façon suivante :
Savetier,
Fais ton métier;
£t garde-toi surtout d'élever (a ceosure
Au-dessus de la chaussure.
Une autre fols c'était Alexandre qui,
étant allé visiter le peintre dans son
atelier, se mit à parler de peinture à
tort et à Iraver» : « Prince, lui dit
Apelle, prenez garde, ces jeunes gar-
çons qiii broient mes couleurs vous
admiraient pendant que vous gardiez
1# silence; maintenant ils rient de vous. «
Malgré cette bberté de langage, Apelle
f^t toujours très-agréable au héros
mseédonien, qui le nomma son peintre
ofieiel. Il défendit h tout autre artiste
doftdre son portrait. Ayant à se plaindre
(le Ptolémée, roi d'Egypte, qui avait
accueilli les accusations de ses adver-
saires, Apelle s'en vengea en exposant
a Ëphèse un tableau allégorique qui
représentait le roi avec de très-grandes
oreilles tendant la main à la Calomnie.
Aux cdtés du roi se tenaient deux fem-
mes, représentant l'Ignorance et le Soup-
çon {MXrfyii). La Calomnie était pré-
cédée par un homme, qui Ûgurait l'envie
(^(^voç) , et qui était suivi de la Buse
et de la Trahison. A quelque distance
de ce groupe marchait le Repentir, qui,
tournant la tête en arrière, reconnaît
dans le lointain la Vérité, qui s'approche
environnée de lumière. Telle fut la
vengeance utile et ingénieuse de ce
grand homme. Apelle était fort labo-
rieux, et, quelque» occupations au'il eût
â'aUleurs, il ne laissait point s écouler
m jour sans s'exercer la main en tra-
çant quelaues traits au crayon ou au
pkieeau. Il mourut après avoir joui'
de toute sa gloire, laissant un grand
nombre d'ouvrages. Mine en a éna-
l
méré les principaux , fout en dédarant
u'il n'est pas lacile de dire, an milies
e tant de chefs-d'œuvre, quels sont
ceux qu'on doit déclarer les meilleurs.
£tat de l'Ile de Lanoo socs
la domination des chsvalibbs 01
Rhodes. — Après leur réunion à Vtm-
pire romain, les insulaires de Cos d>b-
rent plus d'autre destinée que eellf
de tous les autres sujets de Ronoe ; cette
He vécut en paix, à l'ombre d*un despo-
tisme longtemps bienfaisant; et quand
vint la décadence de Tempire « elle eut
sa part des maux qui vinrent fondre sur
toutes ses provinces. Les Sarrasins Isi
firent éprouver de grands dontmages [1}
dans leurs courses à travers Tarehipe}.
où rien ne leur résistait. Les faibles
souverains du bas-empire ne savaiftit
défendre que Constantlnople. Grâce
aux croisades, l'Église latine vîot ai:
secours de la société grecâue, qui déjj
succombait au onsième sieele ^ et dont
elle retarda la diute en versant sur
TAsie les bataillons des chrétieDi de
l'Europe. Au quatorxième sièole , Cos,
désormais appelée Lange, devist uae
province de ce petit État maritime
fondé à Rhodes par les dievaher» de
Saint- Jean, et où s'organisa, aa nem
de la foi chrétienne, une ai éner^^îqtie
résistance. En 1816 Lango Alt occu-
pée par Foulques de Ylllaret, le ron-
quérant de Rhodes (S); et cette tie de-
vint un des Gef^ les plus eonsidéraMes
de Tordre. En f996 des fsinillee B^
méniennes chassées par les Tun9<^>
ramans demandèrent asile aux Cheva-
liers. On les établit à Lango, sur le
territoire de Céphalo; on pourvut
à tous leurs besoins, on leor don^'a
des bestiaux^ et des instruments ara-
toires, et on leur permit d'élever une
église où l'on célébrait le culte d'après
leur rit, que reconnaît l'Église latine
En 1389 le gouvernement de I^ngo
appartenait à frère Pierre SchlegcN
hoid, qui fonda plus tard le château
de Boudroun, sur les ruinée d'Hali-
carnasse. Bientôt, en 1991, on ajouta
à la commanderie de Schle^elhold les Iles
de Calamo et de Lero. Yotci lee ebarises
imposées au gouverneur de ces ties
(x) Voyez plos haut, p. t4é, 147.
(a) Voy. plus hanly p. 147.
LES SfORAIIBS.
207
par ritvKtHuvt du ^rand mâtm s II
devait payer cent flonns d'or au trésor
à» l'ortlre; pourvoir à l'entreUen de
viBgt-diiq religieui, dont quinie cheva-
liers, équiper et aolder dix hommes
d armes latios nés au-delà des mers,
n de eeot cinquante Tureopoles; pour-
voir la garnison de Lango d'un méde*
cio et d*une pharmacie; ne vendre les
denrées de 1 tie qbe dans le marché
de Rhodes; faire nettoyer tous les ans
1 étang maisftin qui est près de Lango;
équiper une galère à vingt rames; faire
toutes les dépenses nécessaires à Ten-
trrttea des églises , des forteresses , de
tous les édittces publies de son gou-
Teroeinent (i).
Après la mort de Scblegelbold, le fief
de Lango changea de nature ; il devint
UD bailliage, et fut réuni au prieuré de
Portugal. Cependant les fréquentes at-
taqu<^ des Turcs et des Sarrasins conti-
nuaient à épuiser les ressources de l'tle,
qui ne pouvait plus se défendre ni entre-
tenir ses forteresses. En 1444 l'amiral
Quérioi , bailli de Lango, à bout de ves*
sources, s'adrease au grand roattre de
Listic, et demande des renforts. Le con«
m\ répondit par Tordre d*abando&ner
les foru aeooodaires, d évacuer le dis»
tiict de Narangia et de ne défendre que
its principaux postes. Évidemment la
Pttissance des coevalien de Rhodes foi«
blissait; le temps de leur décadence
triait venu; l'ordre n'avait plus qu'à se
tenir sur une pénible défensive. A mo>
surs qu'il perdait de aa force contre
l'enDemi, tl perdait de aon autorité
<ur les insulaires qui lui obéissaient.
Fj i4&f les habitants du district do
^arang•a, le meilleur canton de Lango,
5« révoltèrent. Cependant la valeur des
chevaliers restait la même, malgré le
mauvais état de leurs afiaires; frère
ina de Châteeu-Neuf repoussa toutes le»
attaques dirigées par Mahomet II contre
Lanfso et les îles voisines de 1454 à 1460.
Après ces luttes, qui avaient aug-
laenté sa détresse, Lango fut placée di^
reeteineulsoii&radministrationdu grand
maître Zaoesta, qui la fit gouverner pat
on lieutenant. On avait senti la néces-
sité d*augmenter les pouvoiva du chef
de Tordre à mesure que les dangers
grandiisaieiil el qve ^ennemi
plus pressant. Lango était la seconde He
de la religion, la plus menacée nar les
Turcs, la plus importante à défendre
après Rhodes. On la pia^ donc sous
Tautorité immédiate du grand maître.
En 1404, nouvelle descente des Turcs
dans l'tle de Lango : ils la ravagèrent,
sans pouvoir s'y établir. Le 1 7 octobre
1493 un tremblen>ent de terre boule*
versa Ttle entière: les habitants se-
raient morts de faim si le grand maître
d'Aubusson ne leur eût envoyé des vi«
vres. Il fallut reconstruire toutes les for*
teresses. En 1495 Lero et Calamo éproih
vèrent le même désastre. D'Aubusson
eut à faire d'énormes dépenses ; il poui^
Yut à tout.
En 1500 les juifs, dont on suspectait
les dispositions, furent bannis de Lango,
comme de tous les Étals des hospita-
liers (I). Ils furent tous transportés à
^ice. Cette mesure ne sauva pas la d»>
mination rhodienne, qui succomba en
1523 sous les coups de Soliman. Lango
se rendit après la prise de Rhodes. A
partir de la domination des Turcs elle
tut désignée de préférence sous !• nom
de Stanchio.
ÉTAT ACTUEL DE StANCSIO.-- L'Ile
de Stanchio a été moins maltraitée que
beaucoup d'autres sous le gouverno»
ment des Turcs. En 1831, lors des
troubles de la Grèce , le pacha de Slan-
ehio n'eut pas de peine à maintenir
l'ordre dans son petit geuvemement.
Stanchio fut le point central des opé»
rations des Ttires contre Samoa, qui était
en pleine révolte , et elle traversa sans
souffrir cette époque si funeste à d'eu-
très fies voisines. Aujourd'hui la ville
a environ trois mille habitants : la po-
pulation de toute 1 île est de vingt mille
âmes. La campagne parait assez bien
cultivée; on rencontre sur les coteami
de nombreux troupeaux de motHons
et de dièvres. Les principales prodtic-
tions du territoire sont les cflrooa, les
oranges, les raisins secs. Les expor*
totions faites dans l'année IMO eut
été évaluées à plus de cent mille tala-
vis (500,000 francs). Stanchio »'a pas
bougé dans la guerre de rindépendance.
f:n 1891 elle étâil UtnqAiUe et heu-
I (
Coronelli, isola di Bodi, p. 399<
(i) CoronelK, hoia tH /Htêéff . p. ilo.
rUNIVBBS.
rtoiet MMW le (jouveniMnMil modéré
d*Ali-Bey, Tare instruit et bieuTeillaot,
qui disait qu^il était cbarsé de prot^er
et non de ruiner le peuple (I). On re-
trouTe à Stancbio une singulière cou-
tume, qui existe aussi à Métélin : les filles
ont seules droit à rhéritage de leurs
parents; la coutume veut que ce soit
la femme qui choisisse le mari ; quand
elle a pris les informations nécessaires,
le père transmet les intentions de sa
flile à celui qu'elle a choisi ; son mari
n'apporte jamais rien en mariage, et
ne tait aucun présent à sa nouvelle
épouse. Quand c'est la fille atnée qui
se marie, le père lui abandonne sa
maison, et va s'établir ailleurs. Cet usage
qui n'admet que les femmes à l'hérédité
subsiste encore, avec des modifica-
tions, dans plusieurs autres îles , telles
que Maxos, Paros, Santorin. Qui peut
dire la cause véritable de cette singu*
larité de mœurs?
Iles voisines de gos.
Le golfe Céramique, dont l'île de Cos
occupe rentrée, était rempli de petites
fies, auxquelles les anciens avaient donné
des noms, et que l'on ne connaît plus
dans la géo^aphie de nos jours. C'é-
taient, dit Pline (3},Pidosus prèsd'fla-
licamasse, Arconnesos, Priaponesos,
Hipponnesos, Psyra, Mya, Lampseman-
dus, Passais, Crusa, Pyrrhe, Sepiussa,
Melano, et une tle peu éloignée du
continent, appelée Cinœdopolis, parce
qu'Alexandre le Grand y relégua des
nommes de mœurs infâmes. Vers la
pointe de Myndus et le cap Zéphyrion ,
se trouvaient le groupe des îles argien-
nés, qui sont au nombre de vingt, Hipsi-
risma, i£tbusa, Caryanda, patrie de
Scylax l'ancien» le logojsraphe, qui
fut chargé par Darius l" d'explorer
les côtes de l'océan Indien (3).
Calymiia est plus considérable que
toutes les précédeutes. On la désigne
aujourd'hui sous les noms de Calymno,
Calamine, Colmine. Elle figure sou-
vent dans l'histoire des chevaliers de
Rhodes sous le nom de Calamo. Les
anciens l'ont souvent appelée Calydna.
(i) Micbiud et Poujoulat, lU, 469.
(a) Plin., HUt, Pfat., Y, 3G, 3.
(3) Forbîger, Handà,, II, p. 9x7.
Homère fût de oetle Oe et des îlots
voisins le groupe des lies Calydnes (1).
Pline prétend qu'elle renfemait trois
villes. Notion, Nisire, et Mendetêre.
Le miel de Calymna était célèbre chez
les anciens. Les chevaliers de Rhodes
y élevèrent une forteresse, qui fut uoe
de leurs bonnes positions militaires.
L'île de Calamo faisait partie du bail-
liage de Lango, dont elle était séparée
par un bras de mer, large de treize milles
seulement. Soliman la conqiiit en 1623.
A l'est de Calymna est le rocher de
Lebinthos et le petit groupe dllotsdoot
Qnaros est le principal, que Ton poiv-
rait aussi bien ranger parmi les Cyela-
des, et qui marouent de ce côté la li-
mite extrême des îles d'Asie ou Sporades,
dont elles sont séparées par une assa
grande distance*
ttS DE LÉROS.
Cette île peut être encore eonsidérée
comme une annexe de Cos. Elle en était
éloignée de trois cent vingt stades, as
nord. Aujourd'hui encore on l'appelk
Léro. Dans l'antiquité, Léros reçut uw
colonie de Milet (2). C'est h Léros qi»
l'historien Hécatée conseillait à Aristago-
ras. Fauteur de la révolte d'iooie, de citer
cher un asile , et d'attendre le moment
favorable pour rentrer à Milet (3j. Ld
habitants de Léros passaient pour aroir
le caractère rusé et méchant (4). Leur
île produisait un assez beau marbrt
blanc. Le sol en est stérile. j
Sous les chevaliers de Rhodes» Tinj
devint une dépendance du bailliage M
Lango ou Stancbio. On y constmisi^
une nonne forteresse, sur une bautesl
2 ni domine le port et le boura de Lèro^
fn trouve de très^bons mouilTa^fS dao^
cette petite île, qui n'a qu environ huit
lieues de circuit. Elle fut bien souveol
attaquée et ravagée par les Turrs, ju»
qu'au moment de la prise de Rhodes.
(f ) Toy. Strab., X, 5 ; Tauchn., Il , 3o4
Dapper rappelle Clarat dans rantiqoité (IVf
eriptlon, n. 1S2). Je ne voit nuUe part quel'^
anciens aient connu une lie de œ nom.
(«j) Sb^b.y XIV; Taucha., III, p. les.
(3) Hérod., V, laS.
(4) Slrab., X, 5; Taiichn., II, S9X. XshôSi
^wxvXîSto». Aépioi xaxoi ovx' é piv, i
S' oO. 0dvT<c... etc.
LES SPORADES.
S09
Oa sait par q«el habile stratagème le
jeune Paul Siméoni la défendit cootre
UM attaque de Kemal-Réia, eo 1605 (1).
DeveDue ponession des Turcs en 1528,
Léro fut assiégée et prise en 1648 par
k Vénitien Foseolo, qui en démolit la
forteresse (2).
Sur la côte orientale de Léro on
trouve un petit golfe appelé Terraco,
et un bon port, a l'entrée duauei est
Ja jolie petite tle de Lépida.
ÎLB DB l^ATHOS (3).
Cette tle (IldtcfAoç, Patmo Patina,
PalmOf Patmosa\ Tune des Sporades,
est située dans la mer Icarienne, sur les
eoQlius des cdtes de la Carie et de la Ly-*
de, au sud des tles d*iearia et de Samos, et
à soixante milles au nord de Tlie de Cos«
Sa pointe méridionale s'appelait le cap
Amazonium ; elle est à deux cents stades
de Léros. Dans Tantiquité, Patmos n'é-
tait qu'un rocher stérile ; elle avait une
petite ville du même nom, mais elleserait
restée une des tles les plus obscures de
rArchipel, si elle n'avait été le lieu d'exil
de saint Jean, qui y écrivit son Jpoca*
lypse.sou» Domitien,ran95.« Moi Jean,
qui suis votre frère , et qui ai part avec
TOUS à l'afOietion , au règne et à la pa-
tience de Jé8us*Chrl9t, j*ai été dans rtle
appelée Patmos pour la parole de Dieu
et pour avoir rendu témoignage à Jé-
sus. Un jour de dimanche je fus ravi
en esprit, et j'entendis derrière moi une
voix forte et éclatante , comme le son
d'une trompette , qui disait : Écrivez
dans un livre ce que vous voyez, et
eavoyez>le aux sept Églises qui sont
eu Asie (4). » On montre encore au-
dessous du couvent de Saint- Jean une
grotte où l'apôtre inspiré entendit cette
voix céleste, et où il eut cette série de
visions et de révélations dont il composa
son sublime et mj^stérieux livre.
Au onzième siècle, sous le règne
dePempereur Alexis Comnène, Christo-
doule, abbé de Latros en Asie Mineure,
(i) Toy. plus haut, p. 175.
(2) Curooelli, iiola di Rodi , p. ^9.
(3) Korbiger, Bandb,, etc., I. II, p. aS? ;
Townetoit, n, 436; Fococke, lY, 4ao;
Choiseul-Gouffier, I, i6i;Michaud et Pou-
jOMlat, m» 454; Dapper, p. 179.
(4) Apocai.^ c. I, 9.
U< Livraison, (Spob4DBS. )
fuyant les perséeutions des Turcs, fonda
le monastère de Patmos, qui occupa
le sommet de la plus haute montagne
de l'île, et qui futeutourée de muraules
comme une forteresse. Les habitants,
dispersés dans l'Ile, vinrent se grouper
autour du couvent , où ils pouvaient se
réfugier lorsque les pirates, si nombreux
dans ces parages, faisaient des incur*
sions dans l'île. Peu à peu la ville s'a-
grandit, et fit un commerce considérable,
qui procura de grandes richesses aux
Habitants. Au dix-septième siècle Pat-
mos était, au rapport de Dapper, une
île florissante, bien cultivée et reudue fer-
tile par le travail de ses habitants; les
trois grands ports de la Scala, de Sap-
sila, de Gricou, étaient visités par de
nombreux navires. Les Vénitiens en
firent leur station dans la guerre de Can-
die. Ses côtes et ses vallées étaient cou-
vertes de villages. Si ce tableau de la
Ïirospérité de Patmos n'est pas exagéré,
es malheurs des temps qui suivirent
en ont bien changé la situation au dix-
huitième siècle, puisque Toumefort di-
sait que Patmos est un des plus mé-
chants écueils de l'Archipel. Selon ce
voyageur c'est une île découverte , sans
bois et fort sèche. Elle est couverte de
lapins, de cailles, de tourterelles, de pi-
geons, de becligues ; elle ne produit que
peu de froment et d'orge. Le vin y vient
de Santorin , car on n'en recueille pas
Elus de mille barils dans Patmos. Les
abitants possèdent une douzaine de
calques et plusieurs autres petits bâti-
ments, avec lesquels ils font le transport
des blés d'Asie et de la mer Noire.
Il n'y a que des Grecs dans cette
île; ils payaient aux Turcs, dit Tour-
nefort, une capitation de huit mille écus
et une taille de deux cents. On voyait
sur le port de la Scala trois ou quatre
bouts ae colonne de marbre qui étaient
d'un bon style, et qui sont probablement
des restes d'un ancien temple. L'ermi*
tage de l'Apocalypse est à mi-côte d'une
montagne située entre le couvent et le
port de la Scala. On y entre par une al-
lée fort étroite, taillée à moitié dans le roc
et qui conduit à la chapelle. Cette cha-
pelle n'a que huit ou neuf pas de long,
sur cinq pas de large; la vodte en est
belle, cintrée dans le genre gothique;
à droite est la grotte de saint Jean
14
iîé
L'UNIVERS.
dont l'entrée, haute d'environ sept pieds,
est partagée en deux par un pilier carré.
La citerne de la maison est à gauche
de la chapelle, au bas de la fenêtre.
Le grand couvent, dont l'abbé est comme
le souverain de l'Ile , est situé au som-
met de la montagne; un collège ou
séminaire, qui a été très-florissant, j
est annexé. Le couvent, dit Pococke,
compte deux cents personnes, dont vingt
sont prêtres et quarante caloyers. 11
possède une petite bibliothèque , pres«
que toute composée des ouvrages des
Pères grecs ; Pococke n'y a pas vu autre
chose. Cependant, de nos jours on
ne perd pas l'espérance d'y retrouver
quelques débris littéraires de l'antiquité.
Telle était la situation de Patmos
au siècle dernier. Elle paraît être la
même de notre temps. Le peuple de
Patmos est pauTre, disent les auteurs
de la Correspondance cT Orient, mais il
vit en paix; l'air y est sain, et la peste,
qui désole souvent les îles , n*a Jamais
porté ses ravages dans Patmos. Pat-
mos a de plus un collège renommé ,
au'on pourrait appeler Tuniversitc de
1 Archipel; bn y enseigne le grec litté-
ral, l'italien, la rhétorique, la logique;
il y vient des élèves même de la Morée.
Le rocher de Patmos n'a pas tenté les
Osmanlis, qui ne s'y montrent point et
se contentent d'un léger tribu. Jamais
on n'y aperçât l'ombre d'un minaret;
la cloche, qui retentit à toute heure sut
la montagne de Patmos, annonce à la
fois que la religion y fleurit et qu'on
n'y vit point dans la servitude. On <y
vivrait parfaitement tranquille, sans la
crainte des pirates, qui infestent encore
les environs de Nicarie, le groupe des
tles Fourni et les boghaz de Samos.
ÎLE 1GAB1A.
Cette île, appelée par les Grecs d'abord
^Ixapoç, et plus tard 'IxapCa, est située à
l'ouest de Samos , dont elle est séparée
par un canal de dix- huit milles de largeur.
La pointe d*Icaria, qui est opposée au cap
Cantharion, à l'ouest de Samos, s'appelait
Dracanon ou Drepanon. C'est aujour-
d'hui la pointe du Fanar, à cause d^une
vieille tour, dont parle Tournefort (1),
qui servait de fanal pour éclairer 1$
(i) Tournefort, f^oyage du Lcpatit, I, 402^
passage des vaisseaux etsM leaHe ë.
Samos. L'autre extrémité d'Iearia re-
garde Mycone, une des Cydades, qui
en est à quarante milles de distance.
On Pappelfe le cap Baba. Strabon donne
à rîle crlcare trois cents stades de cir-
cuit, ce qui fait trente-sept milles. Mais
Tournefort prétend q[u'elle a soixante
milles de circuit ou vingt lieues. Selon
Pline, elle avait dix-sept milles de lon-
gueur. Près du cap Dracanon était si-
tué un bourg de ce nom, plus à TouesL
Au même côté nord-ouest de Tîte étaient
les deux villages appelés Isti C^mi) pu
Strabon. Là se trouvait aussi une bonne
rade et un temple de Diane Tauro-
pole (Taupoic6Xtov). On trouve en on
canton de l'intérieur, appelé le champ
des Roseaux, des ruines que Ton croit
être celles de l'ancienne ville d' JCnoé.
learia est fort étroite et traversée dans
sa longueur par une chaîne de mon-
tagnes en dos d'âne, que recouvraient
des forêts de pins et de ebénes et d'où
coulent toutes les soarees qui arrosent
le pays. On appelait cette chaîne le mont
Pramnos. Sur iaedte sad, à l'est, étaient
des soarees d'eaux ebaudes et un bour:
appelé Thermes.
On attribue le nom de file Icarta
à Icare, fils de Dédale, qui se noya dact
la mer environnante, laquelle fat appeler
aussi mer Icarienne. Strabon place dac'
cette mer Samos, Cos et les petites fl«
situées entre ces deux-là. La fable d'I-
carie est trop connue pour que je 1.
reproduise ici : je renvoie le lecteur ::&
récit d'Ovide (1). Quant à l'explicatict
de cette fiction mythologique, elle est
donnée par Pline Tancien, qui attribue a
Icare l'invention des voiles (2). Voilà !d
ailes au moyen desquelles Icare se saur:
de la Crète, avec son père Dédale, et
dont il se servit pour passer jus^ifà file
où il vint faire naufrage. Icatie a encore
été appelée par les anciens Maearis, ïk-
liche et lebthysessa. Le savant Bodun
prétend même que ee dernier nom n'e^i
que la traduction du mot phénicien
Icaure, qui signifio poissonneux. Getîtj
étymologie, si elle était véritable, dH
truiiait tout à fait la fable d'Icare, oi
du moins son rapport avec l'Ile en que?
(i) 0\ià,, Met., VlUy i83.
(2) Pline, Vn, 57.
LEâ SPOKàBCS.
Qtl
tiofl; mais êUê n^a pouf elle tTaotrè
garantie que l'imagiiiation d'an savant
flvstéoifltiqiie. Dans l'antiquité, leatia
D'eat aueune importance historiqoe;
elle fttt eolonlsée par les Milériens. Mais
cet établissenieitt ne tarda pas à dépérir;
au temps de Strabon, Icaria était infia-
bitée. Elle n'était iMMsupée que par les
pâtres et les trotipeaox des Samiens (f }.
Soas l'empire grec 111e Icaria ou N^
caria, comme oti rappelle a^oofd'hui,
fot repeuplée , et détint un évéché qui
relevait de rarchevéché de Samoa. Leê
empereurs bysantins en firent un lien
d'exil (3). £n tl^t< Femperear Isaad
TAnge érigea nie de !9ioa#ia en baronnitf
ifldépeodant0Y en faveur d'un oertaiti
Siesrd de Bejatiaoo, à qui fut confié hf
fioJQ de défendre Ttle et de teiiir gar*
nisoQ dans la forteresse de Dolietie, qtfi
m était la place forte. Cette baronnie tut
déclarée béréditaire dads la iMkiille de
Sieard, qui la conserva jusqu'au eon»'
mpBeement du quinzième siede. Dana
cet intervalle die temps Nicaria avait
été obl^ de reeomiattre taatdt le
patronage des Vénitiens ^ tantôt la do'
miDation de la maison génoise des Jus-*
liniaDî de GIrios. Fatigués de tous ces
cbaDgemeots de condition, et désiranf
trouver des mattres capables de les dé'
fendre, les habitants ee If icaria se don*
nèrent, en 1481, au grand maître d'Au^
basson, et File resta ce la possession
de l'ordre jnsqa*à la conquête de ce pe«
tit empire maritime par Soliman , 1623.
La stérilité de Ttle de Kicaria, la pau«
vreté et la simplicité de mœurs de ses ha-
bitants, leur ont assuré sons la domina-
tion des Turcs «ne sorte d'indépendance.
« La petite Ile de Nicaria, dit Dapper (8),
fôl bien la plus heureuse, quoKfue la
(dus pauvre de toutes les lies de la mer
£çée ; car si le terroir en est aride, Tair
en est sain; ils ont peu de besoins, et
se satisfont facilement pour le vêtement,
la nourriture et' rhabitation. Ils ont
chez eox de petits moulins à bras, et ils
ne font leur pain qu'an moment de
prendre leur repas. C'est là toute leur
cuisine. » Le pain qu'ils font ainsi , dit
Tonmefort, nest autre chose que des
(i) Strab., X ; Tanch., Hy 39 1 .
(1) Coronelli, / sùla di Jtodi, p. 357.
f'U Descr. de tÀnhîpel, p. 189.
fouaces sans levain, que l'on fait cuire
à demi sur une pierre plate ebauffée
par dessous. On dimne deux por^ns
aux femmes enceintes, et on fait la
même honnêteté aux étrangers. Ils ont
peu de vin, et le mélangent avec beau^
coup d'eau. Ils le gardent dans de grands
pots cachés sous terre, et se servent de
roseaux pour y puiser. Dapper feit re*-
marquer comme une singularité qu*its
ne connaissent pas l'usage des lits. Ced
n'a rien de particulier aux Nicariotès. En
g^éral, sur le continent, comme dans
s lies, les Gtecs couchent sinf des nat^
tes, ou à terre enveloppés de leurs ta^
laganis ou couverts de peaux de mou*
tons. Du reste, tout misérables qu'ils
sont, lesNicariotes se disent touanooles,
tous porphvrogénéies, c'est-à-dire issus
de la familte Impériale.
Les habitants de Niearia ne vivent
3ue du commerce des planches de pin,
e chêne , et de bois à brûler qu'ils
portent à Cbios ou à Scala-?fova. Ils;ven*
dent anssL des petites barques de leurs
façons , qui sont très-recherchées. Us
exportent encore des moutons, des porcs,
des figues, de la cire et du miel. Ils
sont trèa-habiles plongeurs, et vont à
la pêche des éponges. A Nicaria, comme
â Simia, un jeune homnie ne se marie
que quand il a fait ses preuves comme
plongeur. Dapper, au dix-septième siè-
cle, donfie à T9icaria une assez nom-
breuse population, à en juger par les
villages qu'il énumère et la quantité
de maisons qu'il leur donne. Au temps
de Tonmefort nie paraît être déchue :
« On ne croit pas, dit-il, qu'il y ait pré-
sentement plus de mille âmes à Nicaria :
les deux principales villes sont d'envi-
ron cent maisons chacune ; l'une s'ap-
pelle Masseria, l'autre Paramaré; les
villages sont Aratusa, où il y a seu-
lement quatre maisons. Gela n'est pas
extraordmalre , car à Ploumara il n'y
en a que trois, deux à Néa, quatre a
Perdikis proche Fanal , cinq à Oxo ,
sept à Langada. On appelle villaees
dans cette Ile les endroits où il y a pTus
d'une maison (1). » Les r^icariotes vi-
vent très-longtemps, on tronve souvent
parmi eux des centenaires. Tout con-
tribue à leur assurer cette longévité :
(1) Tourn., Voydge au luxant, I, p. ^9^.
14.
9tt
L'UNIVERS.
ils respirent un bon air, boivent <l*ex»>
eellente eau ; leur régime est plus que
frugal, et ils n*ont aucune inquiétude.
« Ils n'ont ciiez eux, dit Tournefort,
m eadi ni Turc : deux administrateurs,
gui sont annuels et nommés par eux,
ront toutes les afTaires du pays. En
1700 ils pavèrent cinq cent vingt-cinq
éous pour la capitation, et cent trente
éeoB au douanier de Chios pour la taille,
et surtout pour avoir la liberté d'aller
vendre leur bois hors de Ttle. Nicaria n'a
pas de port, mais seulement des mouil-
lages pour les petits bâtiments ; de sorte
que les pirates s'y peuvent réfugier,
sans crainte qu'on les y poursuive. JNi*
caria et les ilôts voisins étaient devenus
leur repaire au commencement de ce
siècle. Aussi lord Byron Ta diantée dans
l£ Corsaire. « Lorsque les pirates, dit
le poète, aperçoivent leur Ile favorite,
les rochers semblent leur sourire; un
murmure joyeux se fait entendre dans
le port, la flamme des signaux brille
sur les hauteurs, les chaloupes plongent
dons la baie; les dauphins se poussent
on se jouant à travers l'écume des flots ;
l'oiseau de mer, à la voix discordante,
les salue de son cri rauque et aigu. »
PETITES ÎLES DE LÀ MEB ICARIENNE.
La mer learienne renferme un cer-
tain nombre de petites Iles, qui de tout
temps ont servi de refuge aux pirates.
Les environs de Samos, de Nicaria, dos
ities Fourni en étaient surtout infestés
jusqu'à ces derniers temps, et, quoiqu'on
leur fasse aujourd'hui bonne chasse, ils
n'ont point encore entièrement disparu.
<i Les marins ne traversent pas ces dé*
troits sans être saisis de craiote, dit
un voyageur moderne (1); car c'est là
que les corsaires attendent leur proie ;
tous les rivages que nous voyons sont
bordés de criques , de petites anses , de
ports formés par des écueils ; les cor-
saires sortent de là pour tomber sur
les navires marchands, comme les bétes
fauves sortent de leurs antres sauvages
pour atuquer les troupeaux et les pas-
teurs. •
Ces Iles sont, en suivant la direction
le l'ouest à l'est , à partir de Nicaria :
Iles Ck>BAssiEs ou îles Foueni. -
(i) Michaud et Poujoulat , t. HI , p. ^5i.
Cea lies sont situées dans le boghai
qui est entre I^icaria et Samos, ainies-
sous du vent, par conséquent un peu au
sud du passage ; elles ont Nicariaà Touest
et Samos au nord-est. Les anciens les ap-
pelaient les Iles Corsies ou Corassies,
(Kôpotai, KopàwvaLi) (1). « Leur nom ae*
tuel d'tles Fourni vient, dit Tournefort,
de ce que les Grecs se sont imaginés
que leurs ports, qui sont fort bous,
étaient creusés en manière de four (3). ^
Ces îles sont au nombre de dix-huit ou
vingt; mais il n'y en a aucune qui soit
habitée. Les plus proches du grand bo-
ghaz sont le Grand Fourni, Saint-Mi*
nas ou le Petit-Fourni, et Fimena; les
autres sont : Alacho, Petro, Prasonisi,
Coucounes, A tropofages, Agnidro» Stron-
gylo, Daxalo et pluaieurs autres, qui u*ont
pas de nom»
« Celle de Saint-Minas, ajoute Tour-
nefort, qui a herborisé dans ces îles, n*a
gue cinq ou six milles de tour ; elle est
taite en dos d'âne, composée pour ainsi
dire de deux pièces, dont celle qui re-
garde Patmos est de pierre ordinaire .
couverte de terrain et de broussailles:
l'autre moitié, qui semble lui avoir él^
collée, est du marbre le nlus rare qu'oo
puisse voir, et c'est dans les fentes de œ
marbre que naisseni les plus belles plao-
tes de 1 île, entre autres le liseron arbris-
seau, a feuilles arsentées, assez sembla-
bles à celles de Tolivier. La plupart des
autres îles sont longues, étroites et m-
versées d'une chaîne de montagnes. Can-
die, Samos, Nicarie, Patmos, Macronisi.
sont de cette forme. 11 semble que la nier
ait emporté peu à peu le pays plat, doui
le fônu était mobile, et qu'il n'y ait eu
que les ruines des montagnes qui aient
résisté à ses vagues* »
Ile de Tragia. ^ Cette {le était &<-
tuéeausud de Samos, au-dessous du cap
Ampelos, à moitié chemin entre Samos
et Milet. Pline en fait mention. Plutar-
3ue , Thucydide en parlent à l'occasion
e la guerre des Atiiéniens contre Sa-
mos (3). « Un terrible combat s'aigagea
près de Tîle de Tragia, dit Plutarque, ei
Périclès y remporta une brillante vic-
toire; car avec quarante-quatre vais
(^i) Forbiger, Hand6,,etc,, U y p. ao3.
(a) Touriief., I, p. 443.
(3) Plut. Pér,, 25 ; Thucyd., I, n6.
LES SPORADES.
21S
seaux il en défit soixante-dix^ dont ving^
portaientdes troupes de débarquement. »
Voilà le seul souvenir légué par Tanti-
quité au sujet de cette tie. Aujourd'hui
elte est inhabitée et sans nom.
ILB Phabm ACUSÀ. — Cette île s'ap-
pelle encore aujourd'hui Farmaco; elle
est située à la pointe de la Carie, où se
trouvaitte temple d* Apollon Didyme,qae
desservaient len Branchides, famille sa-
cerdotale deMilet.Son histoire n'a qu'un
tait; le voici tel qu*il est racoulé dans
Piutarque (1). César, obligé de quitter
Rome sous la dictature de Sylla, s'était
retiré en Bithynie , auprès du roi Kieo-
mède. « Après y avoir séjourné peu de
temps, il se remit en mer, et fut pris au*
près de l'Ile de Pharmaeusa par des pi-
rates, qui dès cette époque infestaient
déjà la mer avec des flottes considéra*
blés et un nombre infini d'embarcations
légères. Les pirates lui demandèrent
vin)2[t talents pour sa rançon : il se mo«
qua d*eux de ne pas savoir quel était leur
prisonnier, et il leur en promit cin-
quante. Il envoya ensuite ceux oui l'ac-
compagnaient dans d ifférentes villes pour
y ramasser la somme, et demeura avec
UD seul de ses amis et deux domestiques,
au milieu de ces Ciliciens , les plus san-
guinaires des hommes. Il les traitait avec
tant de mépris que lorsqu'il voulait dor-
mir, il leur envoyait commander de faire
silence. Il passa trente-huit jours avec
eux, moins comme un prisonnier que
comme un prince entoure de ses gardes.
Plein d'une sécurité profonde , il jouait
et faisait avec eux ses exercices, compo-
sait des poèmes et des harangues, qu'il
leur lisait, et ceux qui n'en étaient pastou-
elles, il les traitait en face d'ignorants
et de barbares ; souvent il les menaça, en
riiint , de les faire pendre. Ils aimaient
celte frandiise, qu'ils prenaient pour
une simplicité et une gaieté naturelles.
Dès qu'il eut reçu de Milet sa rançon ,
et qu'il la leur eut payée, le premier
usage qu'il fit de sa liberté , ce fut d'é-
quiper des vaisseaux du^ port de Milet,
pour tomber sur les brigands ; il les sur-
prit à Fancre dans la rade même de l'île;
il les 6t presque tous prisonniers, et s'em-
para de tout leur butin. Il les remit en
dépôt dans la prison de Pergame, et
alla trouver Junms, à qui il appartenait,
(i) PInl.* Cœs.^ I; Suct., iV., 4.
comme préteur d'Asie, de les pumr. Ju-
nins Jeta un xzW de cupidité sur l'argent,
qui était considérable, et dit qu'il exa-
minerait à loisir ce qu'il ferait des pri-
sonniers. César , laissant là le préteur,
retourna à Pergame, et fit mettre en croix
tous les pirates, comme il le leur avait
souvent annoncé dans l'tle avec un air
de plaisanterie. « Ainsi ce fut à Pharma-
eusa et sur des pirates que César, tout
jeune encore, commença à montrer la
supériorité de son génie , et à pratiquer
le grand art de maîtriser la fortune et de
dominer les hommes.
IlrsLepsia bt dbLade. — Lepsia est
à huit milles à l'est de Patmos et à cinq
milles au norddeLéros. Elle s'appelle au-
jourd'hui Lipso. Elle a au nord l'Ilot de
Hyétussa, au sud celui de Parthénion.
Pline est le seul géographe qui en fasse
mention (1). C'est encore a Pline que
nous devons de connaîtiv les noms des
petites Iles du ^olfe du méandre au fond
duquel était située Milet, et qui sont :
« Ladé,appeléeauparavantLaté; parmi
quelques tles sans nom les deux Camé-
lidés, voisines de Milet; les trois Trc-
gylies, voisines de Mycale, qui sont Psî-
los, Agennos, Sandalios (3). » C'est au-
près de Ladé , qui était située en face de
Milet, que se rassembla la flotte confé-
dérée des Grecs d'Asie et des tles pour
combattre contre les Perses. C'était pen-
dant la révolted'Ionie, à l'instigation d'A-
ristagoras et d'Histiée de Milet, que les
Grecs avaient pris les armes pour s'af-
franchir de la domination des Perses
(504 avant J.-C.) Mais Darius avait en-
voyé des troupes de terre, qui soumirent,
les provinces rebelles du continent, et
qui vinrent assiéger Milet. Quant au.v
fies grecques d'Asie, elles n'étaient point
encore soumises au grand roi. Cependant,
elles prirent fait et cause pour Milet , et
marcnèrent pour la défendre. Les insu-
laires et leurs alliés furent vaincus à la
bataille navale de Ladé (498) (3). Cette
défaite replaça la Grèce d'Asie sous le
joug des Perses, et prépara l'asservisse-
ment des îles que Datis et Artapherue
réunirent quelques années plus tard à
l'empire persan.
(i) Plin., Hi4t, Nat„ V, 37.
(») Id.. V, 36, a.
(3) Voir le rérit de cette iMiaille daus R^
ro'lute, I. VI, c. 7 et siiiv.
ILE D£ SAMOS.
6B0&BAPHIB BT OBSCBIFTION
DB l'Île pp samos.
Samos (Samo, Sousam-Adassi ) fait
partie du groupe d'îles situées le long
aes côtes d'Asie Mineure et appelées
Sporades orientales. Le sommet du
mont Kerki, point culminant de l'île
dans la partie occidentale , s'étend par
3^7" 43' 48" de lat. nord et 24® 18' 6" de
longitude est. Samos ferme au sud le
golfe de Scala-Nova. A l'est le détroit,
nommé petit Bogbaz, large de moin^
de deux kilomètres, le sépare de l'Ana-
toile ; à l'ouest le grand bogbaz , large
de sept kilomètres et demi, s'étend entre
elle et les îles Fourni. La distance jus-
qu'à Nicaria est de vingt kilomètres, de
soixante-cinq jusqu'à Cnios, et de trente-
six jusqu'à Patino (Patmos ).
Autour de l'île principale s'élèvent
quelques îlots et quelques rochers de sa
dépendance; ce sont : dans le petit bo-
gbaz les îles Nartbex ou Nartbécis, re-
fuges des pirates, qui de tout temps ont
rendu ce détroit redoutable aux navi-
gateurs; Samo Poulo, à l'extrémité de
la pointe la plus méridionale de l'île
(cap Golonni) ; plus au nord, vers Scala-
Nova, les îles Prasonisi ( îles de Boue),
enfin celles de Koth, près du port Va-
thi. Le nom de Samos, sous lequel l'île
s'est illustrée , et qui la désigne encore
aujourd'hui , n'est pas le seul qu'elle ait
porté autrefois. Dans l'antiquité la plus
reculée , elle avait dû à l'aspect boise de
ses montagnes , aux fleurs de ses plai-
nes ou même à la tradition religieuse,
d'autres dénominations ; c'était Dryusa
et quelquefois Cyparissia, Melampbyllos,
Anthémis et Stéphane , . et aussi Par-
thenia (1), parce que les agnuscastusem-
(i) Strabon, X, p. 457; Pline, d'aprôs
bftamés de llmbrasos, son fleuve prind-
Eil, avaient vu les premierB pas et kc
ux enfontins de la déesse Jonon. A one
époque que l'on ne peut déterminer, nie
prit le nom de Samos, soit d'un de ses
liéros , soit , disait la fable , de la belle
Samia, fille du fleuve Méandre, soit fUm
tdt d'un vieux mot grée ou phénicien
3ui signifie élevée et oui servait aussi à
ésigner deux autres îles très-esearpées
et une ville de l'Ëlide, construite aa
semmet d'un roch^ (t). L'aspect exté-
rieur des rivages de Samos justifie e^e
supposition. « Rn mer, dit M. de Cha-
teaubriand (9), nous voyons des îles et
des terres autour de nous, les unes roa-
des et élevées comme Samos, les autres
longues et basses eomme les caps do
golfe d'Ëphèse. » La eôte oeeidentale
est la plus abrupte; « une montagne
nue et affreuse s'y présente au voyageur ;
on l'appelle Gatabacte, ou la montagne
des précipices et des orages (8) »
Cette île élevée et montagneuse de
Samos a de nombreux eaps : au pied do
Catabaqte ou ReilLi, s^allonge le pro-
montoire de Samos ou Saint-Dominique;
du rivage nord se détachent les pointes
Saint-lNioolas , des Vourliotes, Ambe-
laki , le cap Tio , et à l'extrémité nord-
est, au-dessus des îles Prasonisi, le cap
Praso; au sud-est, vers l'île Nartbëets,
le cap Posidium , où s'élevait jadis un
temple de Neptune ; à l'extrémité méri-
dionale le cap Blanc ou Golonni appelé
autrefois Ampélos ; enfin , vers le grand
Bogbaz, le cap Fourni, vis-à-vis les îles
du wéme nom. L'étendue de Samos,
évaluée par Pline à trente-sept milles de
circuit (4) et par Strabon à six cents sta-
•
(i) Dapper, Description des If es de TJ'*
ehipel, p. 190.
{1) Itinéraire de Paris à Jérusalem,
a* partie.
(3) Biichaud et Poujoalat, Corrttpûndestce
(^Orient, tlll, p.446.
(4) Pline, Hist. Hat., T, 37.
ILE DE SAMÛS
2U
des (1), faidaot qua Seylax plaçait ealla
iie au dixième rang entre Goîoa et Cor-
ejre, est, d'après desdoeumeDts positifs
âréceots (eartas du dépôt de la marine),
de qoarante*six kilomètres du eap Saint*
Dominique au eap Praso, et de mgt de
la pointe Arobelaki au cap Blanc.
Le Kerki commence à l'ouest une
ehaîne de montagnes , oui se prolonge
dans'toute la largeur de Vue et jusqu'au
cap Blanc dans la partie méridionale ;
elle était autrefois appdée TAmpélos.
Outre le Kerki (anâen Gercétias), les
points culminants portent les noms
d'Ambelona au centre de rfle, et de Tio
à Test. Quatre cours d'eaux et deux sour^
ces découlent de ces hauteurs ; ce sont :
TAmphylissus, Tlbettes, le Ghésius et
l'Imbrasus , primitiveraent appelé Par-
tbénins pour le même motif qui avait foit
donner ce nom à l'île entière; les Ion*
taines Gigartho et Leucothoé sont éga-
lement mentionnées par Pline (3) ; ce
Huit peut-être leiurs eaux fraîches et lim-
pides qui forment aujourd'hui le ruis-
seau de Mytilène.
Autrefois, si nous en croyons les an*
dens auteurs (3) , nul ciel n'était fÀn»
clément que celui de Samos, nui air
n'était plus pur crue celui qu'on respi-
rait parmi ses jardins de grenadiers et
de citronniers, quifleurisseientdeux fois
Tan. Selon les royageurs modernes il
nVn serait plus de même : un vent im«
ptkueux du nord , qui n'est interrompu
Sue par le calme de la nuit , règne pan-
ant tout rétévCeat la terrible tramon*
taue; ses effets sont désastrueux : ce
vent fait sentir les iroids les plus vifs au
milieu de la canicule, et « obscurcit tel-
lement rborizonçfu'à peine peut-on voir
à quelques centaines de pas (4). » A son
souffle, tout se dessèche :les prairies, qui
au printemps s'étaient couvertes de mule
fleurs, se flétrissent et sont frappées de
stérilité ; les arbres et les arbrisseaux
du côté où vient l'ouragan languissent
dépouillés de feuilles, et leurs tiges s'in*
dînent vers le sud ; à cette époque beau-
coup de gens souffrent de douleurs de
tête aiguës. En hiver il gèle peu, mais
(i)Strabon, XIV, ch. ni, 169.
(a) Pliie, Hist. Nai,,y , 37. «•
(3) Hérodote, I9 14^ ; Diod. de Sic, Y, 8f;
. (4) fiarthokiy, Voj,en Grèet, i8o$-i8o4.
bs traies de février et de mars entre-
tiennent une humidité malfaisante. Puis
c'est le tour du sirocco, veni violent du
sud, qui ébranle et quelquefois même
renverse les maisons. Alors la mer sem-
ble en feu ; il tonne d'une manière ef-
froyable; Içs ruisseaux se gonflent, et
tombent comme un déluge du haut des
montagnes, qui six mois plus tôt sem-
blaient calcinées. Ces eaux , dont aucun
travail n'a depuis des siècles fadliaé
l'écoulement vers la mer, se sont acco*
mutées dans une grande plaine à l'est de
la ville capitale, liugalè-Chora , et y ont
formé un vaste marais, dont les émanai
tions pernicieuses répandent la mort,
ft Plusieurs ties de l'Archipel, dit M. Bar«
tholdy, sont malsaines et empestées,
surtout Samos et Milo (1). » On voit
combien les récits actuels diffèrent des
assertions des anciens. Ce n'est pas que
eeux-ei nous aient «cagéré les mérites
d'une tle illustre, ou que son climat se
soit réellement modifié : le changement
est venu de l'incurie des habitants. Ils
ont laissé se dégarnir les bois touffus qui
protégeaient leurs montagnes contre les
vents étésiens, et ils ont permis aux
eaux du ciel de changer en un marais
insalubre la plaine la plus fertile de l'Ile.
Les productions cfn sol ont été ap-
préeiées diversement dans Tantiquité.
Selon Didore, sa fertilité lui avait mé-
rité le nom d'ttedes Bienheureux(2). Le
poète Ménandre lui avait appliqué ce
proverbe grée : les oiseaux même y
donnent du laii (3); ifithlius, cité par
Athénée (4), assure que ses figuiers,
ses riffues, ses rosiers se couvraient
deux fois t*an de fleurs et de fruits.
Mais Strabon lui refuse d'avoir Jamais
produit du bon vin , quoi qu*on poisse
mférer du nom du mont Âtnpéhs, Le
dernier éditeur du livre de Buondel-
monti (5) a pensé que l'Ampélos ne s'é-
(x) Voir pour ces détails Xournefort ,
Voyage au Levant^ t. I, p. 404 et suiv., et
Bartholdy, Voyage en Grèce, t, I, p, j39.
(a) Diod., V, 81.
(3) 4Ȏpei 6pv(0(Dv f^a, Strab., XIY , 9.
(4) Athénée, XfV, 635.
, (5) M. L. de Siiraer, daot son édition du
lÀber Jnsularum Archipelagi de ChrislMhé
Buondelmonti y de Florence; Lîpi. et 6e-
rol., 1894, Yoy. p. 9<i*
216
LUNIV£BS.
lait aioBî appelé Que par antiphrase; et
voici oomnieDt, a Fépoque de Trajan»
Apulée s'exprimait au aujet deSamos :
« C'est une petite tle de la mer dMcare«
dont le sol, peu fertile en blé, rebelle
à la charrue, ne produit ni vignes ni lé»
Sûmes; la culture consiste tput entière
ans la taille et la plantation des oli-
viers, dont le produit est plus fructueux
que toutes les autres récoltes (l). » Il
en est à peu près de même aujourd'hui
de Samos; elle n*a plus cette fécondité
qu'exagérait autrefois iËthlius; elle a
perdu quelques-unes de ses richesses na-
turelles, et peut-être n'y retrouve-t-on
phis ce fameux laurier aux feuilles noi-
res dont parle Méléagre, dans le petit
poëmequ'ilenvoieàunami sousie titre de
la Couronne (3) ; mais elle donne du mais
et du blé, auquel les pauvres mêlent de
l'orge et du millet ; avec les olives on y
trouve des orangers, des citronniers, des
figuiers dont le fruit est d'une grosseur
remarquable» et ces grenadiers qui,
semblables à ceux de l'Egypte, avaient
au dire de Pline des fruits rouges et
blancs (3). La vigne constitue mainte*
nant un des meilleurs rapports de l'île :
les Samieos vendent leurs raisins secs,
et font des vins muscats très-estimés ,
3ui s'importent surtout en Angleterre et
ans toute l'Allemagne (4). Si à ces pro-
ductions on ajoute les melons et d ex-
cellentes pastèques, des concombres, des
châtaigniers, si nombreux qu un village
en a pris le nom de Castany , des pins
qui produiraient une térébenthine très-
estimée et seraient une ressource pré*
cieuse, si les habitants ne craignaient de
se créer avec une nouvelle source de re-
venus un nouvel impôt, des mûriers,
des cotonniers, des chênes, de superbes
platanes, toutes sortes de fleurs, de la
cire , le miel le plus délicat et quelques
{dantes médicinales, telles que le julep et
a scammonée , on verra que la nature
Ùxi moins défaut à Samos qu'une cul-
ture soignée et une administration bien
entendue.
Outre ces productions , il faut men-
(i) Apiil., Florides, XY.
(!») Jftcobt, Antlwhgie Gr,, t. I, p. 70,
V. i4.
(3) Pline, Bisi. Nat, XUI, 43.
(4) Panofka , Res Samiontm, p. 7*
tîonner des richesses d'un autre genre :
à une époque où le mélinum , avec le-
quel les anciens faisaient la coukur
blanche, jouait dans la peintore un rôle
important, celui de Samos, sans être
très-estiraé, parce qu'il était trop gras,
était assez abondant (1). 11 y avait deux
sortes de terre de Siimos, l'une appelée
collyre, l'autre aUery qui entraient dans
la composition de remèdes ophtbalmi*
ques, et servaient surtout à la fabrica-
tion d'une espèce de poterie fort estimée I
chez les anciens (3). On trouve encore 1
à Samos quelques mines d'oere et de fer,
l'émeri , la pierre d'aimant et un beau
marbre blanc (8).
Les animaux de 111e sont des elievain
et des mulets, qui, sans être beaux, sont
bons marcheurs ; les montagnes cachent
quelques loups et quelques chacals, des
sangliers, des chèvres sauvages, des bi-
ches et beaucoup de lièvres. Le plus eè*
lèhre des oiseaux de Samos est le paon,
3 ne les anciens Samiens avaient ju^
igné d'être consacré à la première des
déesses, comme le plus beau de tous les
oiseaux , et que le poète Anti phon di>
sait originaire de Samos (4). Les per-
drix s'y rencontrent en quantité prodi-
gieuse; des francolins s'y sont eantonnés
entre le marais de Mcgalè-Chora et la
nier ; les pi^ns sauvages , les tourte-
relles, les bécasses, les bécaesînes, les
grives y abondent, sans parler de l'hi-
rondelle blanche, grosse comme une pe^
drix, qui se voyait autrefois à Samos, au
rapport du géographe Meletius. Les ri-
vieres, ainsi qu'un petit étang au sommet
du Kerki , sont peuplées d'une sorte
d'anguilles, précieuse ressource pour les
nauvres pendant la saison de pêdie. Par-
fois aussi Ou rencontre quelques bêtes
venimeuses ; et Toumefort parle de la
crainte où sont les voyageurs en leraoi
les pierres des ruines de mettre la mais
sur un scorpion ou sur un serpent.
Description de la tille de Sa-
mos.. — Si on remonte aux temps an-
ciens, la richesse et la puissance de Sa-
mos éclatent surtout dans les monu-
(i) Pline, Hist Nat„ XXXV, 63.
(3) Id.. Ibid.
(3) Tournefort, t. I, p. 41 3; Thévenot,
Voyagé au Levant, première part., p. 207.
(4) Albénée, XIY ; Tarro, />« RéBnsùee.
ILE DE SAMOS.
2ir
ments emts et rf4igieux ; Diane, Vénutf,
Minene, Cërès, Apollon, Neptune, Bae-
ehus, Mereare y avaient des temples
fiiiDfQx , mais de tons le plus eélèbre
était THerœum consacré à Junon. « C'est,
dit Hérodote, un temple dij^ne de renom,
le plusgrand que j'aie iamais vu (1). » Et
eette opinion est confirmée par Strabon,
Apulée, Cicéron, Patisaoias (2), qui Font
vanté à Tenvi. Les ruines de Tanctenne
Samos couvrent une vaste étendue de
terntio dans la partie sud-est de Hle,
au pied d'une montagne , où cette viile
s*étendait eu amphithéâtre, vers la rive
droite de l*Imbrastis, qui eouledu nord au
nid (3). Cest à vingt stades de ces ruines
(eoviroD 3 kil. 780 mètres), à égale dis-
tance du fleuve et de la mer, que sale-
rait le temple de Junon , bflti selon les
proportions de l'ordre dorique (4). La
saperstition attribuait à cet édifice une
origine divine. Ménodote, cité par Athé-
Dée (&) , dit qu'if était l'ouvrage de Ca-
ricos et des nymphes; Pausanias rap-
porte que, selon quelques-uns, il avait
été élevé par les Argonautes ((î); Héro-
dote attribue sa construction à l'archi-
leete Rbseeus, environ 700 ans avant
J .'C. Incendié et détruit par les Perses ,
il avait été rebâti plus majçnifique après
h guerre de Cyrus contre les Samiens ;
et Jamais il né cessa de s'enrichir, jus-
qu aux jours où il fut pillé, d*abord par
Verres, puis par Antoine, qui le dépouilla
de ses plus précieux ornements, au
profit de Cléopâlre. Indépendamment
de la grandeur et de la beauté du tem-
ple de Junon , on y admirait encore la
profusion avec laquelle l'or et l'argent
avaient été mis en œuvre pour orner
l'autel de trépieds, de vases, de miroirs
et de tous les objets nécessaires au culte.
II s'y trouvait une collection de tableaux
prédeux et de nombreuses statues d'ai-
rain, entre autres celle d'un joueur de
cithare, qui passait pour l'image de Py-
(i) Hérodote, n, 148; lU, 60.
(1) Strabon , XIV ; Apulée , Florid., XV ;
Gcér., la Verrem, I; PauMn., VIF, 5.
(3) Joseph Oeorgirène, Evtrait dans Us
Nom, Annales des Voyages^ première série,
t. XXV. /-^ r
(4) Viirufe , vn, Pr«f.
(5)Alhéoée, XIV, 655, a
(6) Pausan., VJI , chap. 4«
thagore. Voiei la description gu'en ûrit
Apulée : « £lle représente, dit-il. un ado-
lescent d'une admirable beauté ; ses che-
veux , partagés sur le front, descendent
sur les tempes, par derrière ils flot-
tent en longues boucles, le cou est plein
de mollesse ; les tempes sont gracieusess
les joues arrondies , une petite fossette
creuse son menton; il a la pose d'un mu-
sicien, et regarde la déesse; sa tunique,
parsemée de broderies et attachée par
une ceinture grecque, tombe sur ses
pieds, la chiamyde recouvre ses bras ; il
ouvre la bouche , et la voix semble en
sortir, on dijrait qu'il va moduler un
chant, tandis que la main approche l'ar-
chet prêt à frapper les coraes de la d-
tbare. » La beauté de Pythaeore , son
talent pour la musique ont fait penser
que cette statue pouvait bien le représen-
ter; mais il est plus vraisemblable qu'elle
était l'image du citharède Bathylle ou
de quelque antre favori de Polycrate (1).
On y voyait aussi trois statues colos-
sales , ouvrages du célèbre Myron ; ellei»
représentaient Minerve, Hercule, et Ju-
piter ; Antoine les avait enlevées. Au-
guste restitua les deux premières, réser
vaut la troisième pour le Capitule (3). Il
y avait aussi de superbes cratères ; Tun ,
d'airain , du prix de six talents et tra-
vaillé avec un art infini , avait été con-
sacré à Junon par le navigateur Coisus,
qui y avait employé la dtme de son
profit (3). L'autre, primitivement destiné
par les Lacédémoniens au Lydien Cré-
sus , pouvait contenir trois cents am-
phores; il était orné à l'extérieur des
plus belles dst^lures. Les droits du tem-
ple de Samos à la possession de ce chef-
d*œuvre n'étaient pas bien établis; les
Samiens disaient que des Lacédémoniene
chargés de le porter à Sardes le leur
avaient vendu; mais les Lacédémoniens
prétendaient qu'il leur avait été ravi (4).
On voyait encore au temps d'Hérodote
lieux statues égyptiennes de bois en-
voyées par Amasis à son allié Poly-
crate (6) , et la statue de Junon , d'abord
simple soliveau, ensuite œuvre de Smili$,
(i) Apul.,lVortt/.,XV.
(a) Strabon , XIV , 9.
(3) Hérodote, IV, i52.
(4) Id., I. 70.
(5)Id.»U, z8a.
^la
yqigyExis.
teont0iiiporain et émule de Dédale (1).
Tel était ce temple femeux , la première
des trois merveilles de Samos ; voi<si
quels vestiges en ont trouvé les voya-
geurs.
£d 1709 le célèbre Toumefort deft-
eendît dans Ttle, et reconnut à rempla-
cement marqué par Apulée, entre la
mer et Tlmorasus, les débris de THé»
rœum ; il en restait deux colonnes : Tune
en morceaux; l'autre, à peu près com-
plète, n'avait perdu que sa partie supé-
rieure; les Tores l'avaient brisée à coups
de eanon, parce qu'ils comptaient y trou-
Yer un trésor. Ces deux colonnes sont
du plus beau marbre ; mais Toumefort
se méprend en croyant, contre le ter
moignage formel de Vitmve, y recon*»
naître Te genre ionique dans sa nais-
sance. 11 est vrai que l'unique chapiteau
qu'il ait vu a , dans une hauteur de un
pied sept pouces , sur son tympan, haut
d'un pied, des ornements en oves enca-
drés oans une bordure qui laisse échap-
per de ses entrenieux des espèces de
petites flammes ; en dessous, le rouleau
est terminé par un petit cordon ou as-
tragale (2). Pococke compte dix* sept
tambours à la même colonne, et observe
que les bases qui restent sont d'une
structure particulière; il s'étend en as-
sez longs détails sur la description de ces
débris (S). « Mais à peine, dit Choisenl*
Gouffier, trouve-t-on dans l'île de Sa-
mos quelques traces de son ancienne
splendeur. » Nul monument, aucun de
ces fragments précieux dont tant d'au-
tres endroits de la Grèce sont couverts,
tout a disparu ; quelques monceaux de
pierres sont les seuls indices qui con-
firment la situation de la ville; enfin
de ce temple de Junon , si célèbre dans
l'antiquité, à peine reste-t^il aujourd'hui
une seule eolonne, à demi détruite (4). »
Il y a vingt ans cette colonne était en-
core debout, et deux voyageurs contem-
porains ont contemplé ce vieux débris
(j^ Pausanias , YII , 4*
(a) Toumefort , Voyage au Levant , l. I ,
p. 4o4 et saÎT.
(3) Pococke, Descript, de t Orient, t. IV,
p. 406-409.
(4) Choiseul Gouffier, Voyage pUtar, dans
l'empire Ottoman, t. I, chap. vu. — On
peut aussi consulter sur ces mines Dallavay ,
Constantinooie anc. et nwd,, t. Il , ehap«. ii.
Si s'élevait solitaire à rextrémité du cap
ra (1).
Le temple de Junon n'a pas laissé
d'autres traces ; il en est à peu près de
même des autres édifices qu on admirait
encore à Samos. Il ne reste que d'iofor-
meis débris de cet aqueduc dont Barthé-
lémy fait, d'après les renseignemeQts
des anciens, la description suivante
« Non loin des remparts, vers le nord,
est une grotte , taillée à main d'homme,
dans une montagne qu'on a percée de part
en part. La longueur de cette grotte est
de sept stades ; sa hauteur ainsi que sa
largeur, de huit pieds. Dans toute soo
étendue était creusé un canal large è
trois pieds, profond de viDcteoudées. Des
tuyaux placés au fond ou canal amè-
nent à Samos les eaux d'une source
abondante qui coulent derrière la moa-
tagne (2). » Hérodote mentionne encom^
comme une des merveilles de Samos, ub
mdle haut de cent vingt pieds, long
de plus de deux stades, qui protégeait
l'entrée du port de cette ville contre la
violence de la mer (3)* U ne dit pas a qui
était due cette grande coBstructioa
Quant à l'aqueduc, il était Toeuvrc d'En*
palinus de Mégare. La ville de Saroi»
avait été ceinte de murailles é|»i6ses de
dix, douze et quinze pieds et bâties de gros
quartiers de marbre nlane ; des tours ca^
rées, également de marbre, protégeaiest
le mur de soixante en soixante pas.
partout oii la montagne n'était pas ass«
escarpée (4) ; enfin des fossés uirges h
nrofonds avaient été creusée par des Les-
niens que Poiycrate avait faits prison-
niers après une bataille navale. Au pied
des hauteurs, Toumefort et *^ Pococke
ont reconnu l^mplacement du tbéitre et
de ram|)bithéâtre dont parle Plutarquf
dansla vied'AnU>îne<ô). « lia, ditlevoya-
Seur aurais, deux ceot quarante pieds
e diamètre et l'espace des sâ^es dii-
huit ; il est bâti de marbre blanc, et Ton r
entre par une porte de dix pieds d*oo-
(<^ MM. Micbaut et PoujooUt, Corm
pond, d'Orient, t. m» p. 454.
(9) Barthélémy 9 Foy. dujetim^ Aamch .
|. VI, p. aSo] Hérod., m, 60; Xoumeioft.
1. 1, p. 409.
(3) Hérod., m, 60.
(4) Id., m, 54.
^S^Plut. Vie d'Jnt,, B^.
ILE DX SAMQiS.
919
Termn. L'anUteeture éa est rinliqiie ;
iei pienret e» sont arroodles de mattièff*
qu'elles lormenl presqa'un jqaart de
c«Kl6; et il y a a» bas de ehaqiie as*
«ae, de Satanée en distance, des es*
pèces de tenens , qai servaient probaUe-
ment à les placer (1). » Quant à V^isty*
pakiia, eitadelle dé Polycrate (â), au
Lawrû, nieiie où le tyr3n avait réuni les
femmes les pins belMs (S), à la colonne
qui 8*éle?ait dans V Agora portant ios-»
ctiu les noms des Samiens libérateurs
de leur patrie opprûnée par les Perses (4),
au Pédétès , lien où étaient déposées les
chaînes des Mégarieos (6) , et aux tem-
ples de Jupiter Sauveur, de Diane, d'A*
poUon, à celui de Vénus , bâti par les
courtisanes nui avaient suivi Périclès
dans son «pedition contre Samoa (6), à
celui de Baechus, élevé par le navigateur
FJpis, tous ees édifiées ont entièrement
disparu ; on a eommeneé à les démolir
pour la construction des monuments de
Constantinople. Plus tard les Vénitiens
en ont déplacé et enlevé des fragmenta
entiers , et le reste des débris a servi à
bâtir Mégalè-Chora et quelques chétivea
bourgades.
N^lè-Chora (7), antrafois habitée par
i'agaet le cadi, est encore, ditTournefort,
la résidence de l'arehevéque et dn petit
nomlMre^eàimillcs turques qui restent
dans nie. Elle est située sur un rocher, à
^oe demirlieue à l'ouest de Faneienne
Saroos; il s'y trouve un assez grand nom«
bre d'^lices (8) et deux cent cinquante
maisons pauvres et mal bâties. A une
petite lieue vers l'est s'étend la baie de
Cora, appelée aussi Tigani (en grec vul-
gaire gàt^u ro$id) à cause de sa forme;
c'était le port de l'ancienne Samos et
(0 Pafocke, Deseript. de C Orient, t. IV,
p. 4o3.
{%) Héred,t lU» z44 ; &uélOQ., Fie de Ca-
(3) Athénée, XII, 54o, t.
(4) Hérod., IV , 14.
(a) Plutarq., Quejt, Grec, 57.
(6)Athénée, iui, 57a,f.
(7) Samos n^a pas été visitée ni décrite de
DOS jours. Nous prenons les renseignements
lae nous donnent les voyageurs des deux
'«lûensièdet.
(S) Pococke. IV, 400 ; Joseph Georgirèoe,
£xtrmt €l tMduceiom frane, dans Us Ifou9.
^luul, des Fajages, première série, tcXXV,
3
celui qne la nmifdla fîUe a eensen^;
il est petit et ouvert aux vents du miji ;
la mer y est ai haute en hiver que, mal-
gré Tabri d'une Langue de terre , les na-
vires ne sauraient y demeurer en sûreté.
Pococke y a obeervé les débris d'une
construction qui, partant de terre et s'a«
vacant vers la langue opposée pour res»
serrer rentrée de la baie, pourrait bien
être, p6pse*t-il , le reste de la jetée dont
parle Hérodote. Au midi de Mégalè-
Ghora s'étend ce vaste marais , souvent
empesté, qui n'existait pas jadis ; der-r
rière ce marais coule Tlmbrasus , à tra**
vers des champs fertiles, qui dépiendent
des couvents de l'île de Patmos. Son
cours fait tourner les nombreux nioulins
du petit village de Myles ou Myli; dans
les environs abondent les orangers, les
citronniers et les autres arbres fruitiers
de rile» et les prairies se couvrent de
CMshrys et de la germandrée, dont la flo-
raismi a lieu au commencement de féf
vrier (1). Un peu à l'ouest de Myli s'al-
longe une colline, toute ombragée de pins
et de chênes verts , sur laquelle s*élève
le village le plus sain de Tile. C'est Pa-
gontas, dont les habitants, répartis daos
trois cents maisons, au milieu desquelles
a'élevaient deux églises, étaient assez
industrieux à l'époque où écrivait Geor-
S'rène (2) et s'adonnaient à la fabrication
« étoffes de soie. A une lieue de Pagon-
tas, Spathareï avait cinquante maisons et
une église ; c'est en face de ce village que
0e trouvait en mer l'Ue de Samo«PouIo
(petit Samos), d'une demi-lieue de tour;
entre cet ilôt et Samos, le détroit, large
d'un quart de lieue, esta l'abri de tous
les vents. Samo-Poulo produit une fleur
particulière, appelée muscuUa à cause de
6on odeur de muscade. Expédiée à Gon»>
tantinople, elle y était l'objet d'une cul-
ture très-soignée, et acqamitun grand
prix de ce que le sultan la portait dans
ison aigrette; on disait qu'avec le temps
«on odeur s'augmentait au lieu de s'af*
faiblir. A une lieue et demie de Spathareï
est Pyrgos , avee cent maisons et deux
églises ; dans les environs on veeoeille
un mi<^l très'délieat. Sur le chemin qui
mène de ce village à Myles , Tournefort
(x) Toumef., I, p. 4a6.
(9) Archevêque de Samos au milieu du
dix-septième siècle.
220
LinnvERS.
a retrouvé auelqites arcades â'uu'aqae-
duc, dont les eaneux avaient été faits
avec cette terre de Bavonda qui servait
aux poteriesde l'antiquité.
Au-dessus de Pyrgos il y avait une
petite colonie d'Arnautes ou Albanais,
de la communion grecque , parlant un
idiome particulier, assez semblable à Tii*
lyrien. A deux lieues au sud , le village
de Platanos tirait son nom du grand
nombre de platanes qui croissent dans
ies environs. C'est l'endroit le plus sa-
lubre de Ttle, et ses habitants ont une
certaine réputation de longévité. A deux
lieues vers Touest, Maratbo-Campos tire
son nom du fenouil , nommé marathon
par les Grecs , qui y croit en abondance.
Ce village a deux cents maisons et deux
églises ; il est situé vers Patmos. Non loin
de là, quelques religieux habitent l'ermi-
tage de Saint-Georges, et à peu de dis*
tance , sur le sommet abrupte de la mon-
tagne, est une caverne, où la tradition
raconte que Pythagore chercha un re-
fuge. Plus tard, la sainte Vierge s'y
montra , et uno petite église consacra fe
souvenir de cette apparition miracu-
leuse. D*effroyable8 rochers , des arbres
vénérables par leur vieillesse, une soli-
tude imposante ajoutent au caractère
religieux de ce petit édiGce , auquel on
ne parvient que par une rampe étroite.
Là l'intérieur de l'Ile cesse d'être connu ;
les guides refusent pour quelque prix
que ce soit de marcher plus avant dans
la montagne ; un froid âpre s'y fait sentir,
les bétes de somme n'y trouvent plus rien
qui puisse les nourrir (1). Cette église de
la Paoagia s'appelle Notre-Dame de
l'Apparition (UavoY^a ^aivojjivTj ). En
avançant encore vers t'est, on voit la cha-
pelle du prophète Ëlie , sur les hauteurs
de l'ancien Cercétus. C*est là que toutes
les nuits apparaissaitune lumière céleste,
que l'on voyait de tous les environs et
de la haute mer. Les incrédules disaient
qu'elle était allumée par des pâtres ou
par les religieux ; mais les matelots et
les habitants de l'île affirmaient qu'elle
s'évanouissait si on en voulaitapprocher,
et qu'elle était la marque certaine de
l'existence de quelque sainte relique. Uo
(i) Dapper, Description des Iles de VArdù"
pclf p* 19a ; Tournelort , Foyage au Levant t
voyageur prétend aussi avoir vo etouo-
temple attentivement cette flamme my»"
térieuse (1). Près de cette chapelle '(b
Kerki s'élève une autre église à ta Pana-
gia ; elle est située dans une affreuse so-
litude. Les montagnes par lesquelles 00
y arrive sont couvertes de pins, df
bruyères et d'arbousiers ; le sentier, loo^
de trois cents pas, qui y oondait, bordé
d'une part par des rochers et à peine larjir
d'un pied , n'a de Fautre que d'affreu
précipices. C'est l'église appelée Iiioire-
Dame du mauvais chemin , ou nonx|is
xaxoiGipaTa. Viennent ensuite les villaEC
de Castany et de Leca , de chaevn cin-
quante maisons et une église ; auprès
Relève un monastère, à une lieue duqoM
on trouve Carlovassi , l'endroit le plfl^
considérable de l'tle après Mégalè^^oca
Cette petite ville a cinq cents maisoib
et cinq églises; le coronierce mantiaie
qu'elle fait avec Scio, Smyme et quelques
autres places, et l'exportation desraisiflsj
secs et du muscat a beaucoup profilés
ses habitants. Son port, toujours oot<91
aux vents du nord , est très-mauvais; H
navires de petite dimension peuTtoil
seuls y pénétrer, et pour qu'ils ne mvA
pan brisés il Caut les mettre à sec sark{
rivage.
11 en est de même du port Seitao,
port du Diable , où la tramontane fA
échouer la plupart des bâtiments %
Près de Carlovassi , au pied d'une moa-
tagne, on voit la chapelle de Notre-DaM
de la Rivière, qui semble presque abH-
donnée. Tournefort y a trouvé quatre
belles colonnes de marbre grisâtre, doel
les chapiteaux sont à double rang à
feuilles d'acanthe ; des marbres épars aus
environs font soupçonner des débris ik
vieux temple, peut-être celui de Mer*
cure, l'un des dieux les plus honorés
par les Samiens.
En s'avançant vers l'est, à une distano
de plus d'une lieue de Carlovassi, on ar*
rive à la petite ville de Fourni, célèbn
par ses vases et ustensiles de poterie, tm
estimés des Romains. « Elle a deux cecti
maisons et une église; son nom lui vittii
des fours où l'on cuit sa poterie. Lf^
(i) Thcvenoty Voyage en i655, praoitfi
partie , p. ^07.
(a) Tournefort, Foyage an LtpmM, 1 1
p. 414.
ILE D£ SAMOS.
ISl
montàj^nes qbi s'élèvent non foin de
Fouroi, et qm se continuent sur une Ion-
sueur de SIX lieues, sont couvertes de
forêts dont oo tire toute sorte de bois
pour les constructions navales et civiles ;
les châtaigniers y sont surtout si nom-
breux, que leurs fruits sont abandonnés
à ceux des habitants qui veulent les re-
fueillir. De la ville de Vourla , voisine
tie Sniyme sur le continent, une colonie
est venue fonder une petite ville sur ces
hauteurs dans Tendroit le plus froid de
i*ile; ces Voorliotes de SanH)s sont pour
ia plupart bûcherons et font du souoron.
A un quart de lieue est l'église de Notre-
Dame du Tonnerre (1), et un couvent où
rivent ose douzaine de moines. On dit
quedans les champs environnants Fherbe
est pernicieuse à tous les animaux qui
ne sont pas de Tendroit même.
A trois lieues à Test de ce monastère
se trottvela petite ville de Vatbi ou Vassi.
Elle aquatre cents maisons, mal construi-
les (2); aon port regarde le nord-ouest.
U est le meilleur de File, quand le vent
du oord, auauel il est exposé, comme tous
les points de cette côte, n'est pas trop
violent. On y donne fond, à droite, dans
une sorte d'anse formée par une colline
qoi s'avance dans la mer (3). Cest à
Carlovassi et à Vathi que se faisait
presque tout le commerce de File. Sa si-
tuation, assez favorable pour le com-
merce, et les avantages d« son port Font
rendue dès l'antiquité Tune des premières
positions deSamos; elle portait alors le
oom dHonusia. L'oa*upation princi-
pale de ses habitants consiste dans la
pêche des éponges , que Ton trouve en
grand nombre dans les rochers qui bor-
dent Samos. Le régime de ceux qui se
livrent à cette pèche est tout à fait par-
ticulier : dès Tenfance on les maigrit par
une diète sévère pour les rendre propres
à ce genre de travail. Ils plongent aaus
reau tenant à la bouche uneéponge imbi-
bée d'huile , et les plus maigres s'habi-
tuent, à force d'exercice, à y rester toute
uae demi-heure; c'est le terme exigé
(() ToOhiefort, Voyage au Levant, t.I,
V' 429.
(a) Toiimefort eslime qu'il y a à Tathi
qiiau% oenis inaiaoïu, et Pococke cinq ceots.
(3) 9ococke tOescript, de t Orient, t. IV,
p. 397.
pour un pécheur accompli, et nul n^ peut
se marier qu'il n'ait acquis ce degré aha*
bileté (1).
Du haut de la montagne sur les flancs
de laquelle s'étendent les maisons de
Vathi et ses six églises , les points de
vue sont variés à l'infîni et les sites
très- pittoresques. D'un seul coup d'œil
on embrasse toute l'étendue du golfe de
Scala-Nova, ancien golfe d*Ëphèse, qui
forme un vaste demi-cercle terminé au
sud par le cap Trogyle (auj. Sainte*
Marie) et le mont My cale (auj . Sam^um)^
et au nord sur les promontoires Myon-
nèse et Coryoéion et la presqu'île de
Glazomène. Dans le lointain, sur le der-
nier plan , on voit ^e dresser, comme un
mur continu , les chaînes de montagnes
qui entourent la plaine du Caystre.
Après Vathi, on arrive vers l'ouest à
PalsBo-Castro, ()ui comprend cent mai-
sons et une église. Le port de Boucaria
est à une lieue de ce village. La nature
avait disposé ce lieu de manière à le
rendre très-commode pour l'établisse-
ment de salines naturelles; mais la
crainte où étaient les habitants des im-
Iiôts excessifs des Turcs en empêchait
'exploitation, et ils faisaient venir de
Milo et de Naxos tout le sel qui se eon*
sommait dans l'île. Dans la grande plaine
de Piso-Campos , oui commence à trois
quarts de lieue de là , coule un ruisseau,
qui fait tourner plusieurs moulins. On y
cultive du bon froment , du coton et du
maïs. On y a consacré une petite ^lise
à l'apôtre saint Jean, qui, selon la tra-
dition , visita 111e de Samos avec saint
Paul. A une lieue au nord de cette
église est situé le village de Métélinous.
C est une colonie venue de Lesbos, ainsi
que son nom l'indique; la fontaine qui
s y trouve est, dit Tournefort, la plus
belle de Ttle. Auprès de cette source, et
contre l'église, on a enchâssé, à hauteur
d'appui, un ancien bas-relief de très-beau
marbre, qu'un papas découvrit en labou-
(x) Dallaway , Consiantinopte ancienne et
moderne, etv.^ t. Il, chap. Il , p. 47. H cite
le témoignage de Bluot, Voyagitur au Levant,
Ces détaik sur l'éducation des plongeurs sont
exacts ; mais le terme d'unedemi-heureest une
exagération ridicule : la durée de leur séjour
sous Teau ne dépasse jamais , pour les plus
yjgoureux,sept ou huit minute?.
23ii
LnjNIVERSi
rant sa terre; \\ a deux pieds quatre
pouces de long, sur une hauteur de quinze
à seize pouces , et trois pouces d*épai8^
seur; il contietit sept figui^, et repré-
sente une invocation à Eseulape pour
la guérîsoik d'un personnage considé-
rable. Pococke dit y avoir iu le nom
d*ApoHonius , et Fune des figures tieut à
la main la feuille d*une plante purgative
qui croît paniû les focbers, et qu'où
nomme pascaltfa (t). Mététiuous n'est
qu'à une demi-lieue de Mégalè'^Ghora ;
et c'estt le village par lequel on revient a
la capitale, après avoir fait le tour de nie.
Là population répartie dans ces pe«
tltes villes et dans ces villages était éva«
luée par Toumefort à 12,000 âmes.
Georgirène Tavait portée à 14 ou 15,000.
Au commencement de la guerre de i'In'»
dépendance ce chl^e était plus que
doublé, par suite de l'augmentation du
commerce et d'un certain retour à Tin-*
dustrie. Pendant cette guerre et après sa
conclusion, l'île de Samos reçut des
émigrations assez nombreuses , et dans
une récente histoire de l'empire turc (2),
la population de Samos étaH; évaluée à
55,000 habitants.
11.
HISTOIRE DE l'ÎLE DE SAMOS DANS
LES TEMPS ANGIExNS.
COLOItlSATION nti L'ÎLE ftM SaMOS.
•>— Les premières traditions relatives à
Samos remontent snix temps amtélnsto*
riques, à l'époque où la nature achevait
de consolider cette tle et de la disposer
pour recevoir des hdlyitants. Autrefois,
dit Ou vieux mythe conservé pur Héra^
dide de Pont, Samos était déserte; et il
ne s'y trouvait que des monstres, appelés
Néades, dont les mugissements {faisaient
tremrbter et brisaieut le sol (3). Sans
doute âes comniotions volcatiiquee au->
font agité l'île et donné prétexte à ces
fables. Les premiers habitants de Ttle
durent être des Pélasges. Eustathe dit
positivement que Samos avait été habitée
par des Pélasges, et que Junon était ré-
(i) Toumefort, l. I, p. 433; Fôcocle,
t. lY, p. 4i2.
(à) JucherauU de Saint-Denis, ffistoire dé
VEfnplre Ottoman , 1. 1, p. 194.
{'^) Voir Pniiofka , Hes Samiontm , p. ro.
vérée dans cette lie soud le nom de Pé*
iasgia (1). ToiitefeiSf Samos paraltavoii
été assez lardlveraest peuplée, conip»-
vatlvement aux lles'voisiiies , et surtout
à Lesbos, d'où elle reçut la colonie doat
l'arrivée commence ks temps hisio-
Macarée,rundesHéliMlM, chassé pour
le meurtre de son frère de la ville d'O*
lénum en lonie ( plus lanl Achme), daos
le Péloponnèse , se fixa smis obstacle à
Lesbos; une eolonie, venne deTlies-
salie , le rejoignit , et permîl à son fils,
Cjrdrolaus, de preadre possession de Si-
mos* Cette tle nit partagée entre les eoi-
uuérantt, et, eomme tooteè cdks m
domina la famille de MMarée« porta ie
uom d'île des Bienheureux (3)* A la ni«iBc
époque, ou peu de temps afffèsi Toraek
d'Apollon lut envoya soâ second ^ son
véritable fondateur. De Pérlmède, (ils
d'Ofnée, Phébix eM deiia filles, Asty-
palée et Europe; la première deviatr^
pouse de Neptune, et lui donna un iib,
Ancée, aoî rat roi des Léléges ; à son tov
Ancée épousa Samia^ la nlk du fleuie
Méandre, et il en eut Eandos, Sami»
et Halitherse (8). Ce roi des Lë^es,
peuple uni par le sang aux Pélasges ainsi
que les Cariens, et qui porta de mèoM
des émigratioiis dans i Asie Mineure,
avait fondé un établissement dans i'iit
de Céphallénie, et lui avnt donné le
nom de Samos, lorsque le ciel lai envoya
eet ordre : « Aneée,^ veox qu'au lieu éf
Samos tu ailles habiter une Hé qoi po^
tera le même nom; aujourd'hui on rap-
pelle Phyllé (4). » 11 partit avec des Ce
phallénlens, auxquels se joignireat da
Areadiens, des Thessahens et des Io-
niens, se fixa dans le séjour que Im trût
indiqué l'oracle , donna à rNe le nm
qui fui est resté, fonda la viUe d'Asty-
palée en nïémoire de aa mèrOf développi
la culture de la vigne et l'agrieultQre.
et ne quitta l'Ile, qvi était devenue sa
patrie, que pour se joindre aux héros
conquérants de la Toison d'Or. Apre loi
régna son fils , soit qu'il fui né dans te
(i) Raoul Rodiette, dohntes Grec^ttiSf l
p. 393.
(a^ Diod., y, a^ ; Pompoahis Mêla , n* :
;3)
(5) Le poète AsiOs cité (utf
vn,4.
(4) Jarohlique , f^ie df Pythag^ I, *. *
ILE DE BkUÔS.
Ciys , mnl qii*il y fttt veftu avee une eo*
nie de Céphalléaieiis et d'habitant»
(f Ithaque (f}. C'est à œtte époque, dont
rbiitoire est bien incerlaiue , qa'il faut
rapporter la domination des Carient
dans 111e : la plupart des auteurs men*-
Donnent ee feît ; us disent même que la
doininatîoB carienne fut la plus aneiennft
à Samos « mais sans nous apprendre s'il
veut imiptioii riolente ou accord et par-
tage amieal entre les Ioniens de Cydro»
laâs et les Lélèges (fAneée. Kous igno-
rons de méflie le rdie que Samos jfoutf
dans la guerre de Troie , si toutefois elte
y prit part.
Si l'oD veut arriver aux faits bien po*
sitifi de son histoire, il faut descendre
jusqu'au temps du grand établissement
des Ioniens en Asie Mineure. Vers Tan
1188 avant J.-C, les Ioniens chassés de
TEgialée avaient cherelié un refuge dansr
TAttique. A ta mort du roi Codros , ein*
(juante ans environ après leur établisse-'
nient dans ee pays^Médon, l'un des fils
du dernier roi, uivorisé parla Pythie,
avant été nommé archonte, ses frèrear
allèrent fonder diverses colonies. L'uoi
d'eux, Néiée, se rendit d'abord à Naxos,
pois dans l'Asie Mineure^ et, après avoir
triomphé de la résistance des Cariens,
touda la ville de Milet et les autres citét
de la confédéraitron Ionienne (2). Tem-
Inion et on descendant de Xuthus, Pro^
<*tès, fils de Pityrée, se détachèrent do
*^rps principal, que conduisait I^éléc, et
descendirent dans Itle de Samos. Les*
Cariens qui l'habitaient paraissent leur
avoir opposé monts de résistance que
<^x du continent. Bientôt un accord fut
eoDclu , en vertu duquel Ttie et même
la ville principale étaient partagées entre
ks anciens rabitanis et les nouveaux
venus. Une partie de la ville prit du
Oeuve Cbésius ie nom de Cbésie, l'autre
conserva la dénomination antienne d'As-
typalée (3). Les Ioniens fondèrent en
Asie Mineure et dans les îles de Ghios et
de Samos leurs douze ou , selon Titrnve,
kors treize villes , en souvenir de leur
séjour dans le Péloponnèse (4) ; puis ils
(i) Strabon, XIV, c. i.
(a) Étien^ VIU, 5; Pausan., VU, a.
(3) Pausan.^ VU, 4; Strab., X, 5;
irv,a,
(4) Hérodote, î, c i4a^ compte douit villes*
s^unTrent parle tien IMéraltf du Panio*
nium(]).
RElATIOlftS BB SiklIOS AVSC ÉFHÈSA
Bt Paièkb. — ^ Cette institotioif n'en!*
pécha pas les villes nouvelles de deve*-
nir rivales , la roésifltelligeneê ne tarda
pas à éclater entre elles; Épbèse et Sa-
mos en donnèrent le omiier exemple.
Les Cariens du continent, massacrés
pfcndant la conquête , réduits en esda*
vage, voyant leurs femmes et Umn filles
devenues la proie des vainqueurs, nour*
rissaient contre eeuxH» une haine pro*
fonde, et cherchaient l'occasion de se
sèulever. A Samos, att eonferaire, ils
avaient conservé une portien du terrl'^
toire , et jotdssaient des mémos droits
que les nouveaux venus. Ce fut pottr An^
oroclès, chef des Épbéslens, le prétexte
d'attaqncr Léogoras, qui avait suocédé h
son père Proclôs dans la rovauté de Sa«
mos ; Il l'accusa de favoriser lee Cariens
et de méditer une alHanoe avee eux eomre
la cause ionienne. Les Samiens furent
vaincus ; une partie de cette population ,
que les vicissitudes de la guerre avaient
déjà chassée du Péloponnèse et de l'At*
tique, s'exila encore une fois , et alla por-
ter à une fie située en face des rivages
de la Thrace le nom de sadernière patrie.
Mais avec le reste de ses sujets Léogo^
ras r^ista courageusement à cette fata-
lité qui semblait avoir condamné sa race
à une destinée errante. Forcé de quitter
Samos , tl se réfugia sur le continent , se
fortifia dans la ville d'Ans», demandant
au pillage des moyens de subsistance,
inquiétant Androciès et les Épbésiens.
Enfin , après dix années de cette exis*
tence, son courage persévérant fut récom-*
pensé; à son tour il expulsa les usurpa-
teurs, et put rentrer en possession de la
conquête de son père (i). Ce triomphe
des Ioniens de Samos semble avoir res*
Vitruve , IV , c. i, en admet une trdiièaie,
Méliie, qui, aj«iite*t-il, déiesiét foar son
orgueil , ne subuste pas loDgieBipa*
(i) PamoniiiiD était le non d^on teaorpki
conatruit en oooudvb par les douze cités
ioniennes, et où tous les ans chacune d'el*
les envoyait des députés pour régler les in-
térêts généraux ; il s'élevait sur le mont My«
cale , et était consacré à Neptune Uéficonien.
Hérodote, I, i43 et 148*
(a) Pausan., VII, 4 ; Suidl^/Avsia ; Plut.,
Quesf. Grec. , 55 ; Afhén., VIII, p. 36 1.
334
LlimYERS.
serré les tteiis d^amfitié qui les anissaieiit
aux Cariens. Priène, l'une des dix villes
du eootÎDent , attaquée par ces derniers,
demanda du secours aux habitants de
Samos , au nom de leur commune ori-
gine ; par dérision, au lieu des vaisseaux
et de 1 armée attendue, Léogoras envoya
une petite barque. Néanmoins, les Pné-
niens furent vainqueurs; maïs une
liaine implacable s'établit entre eux et
les Samiens, et dès ce moment commen-
cèrent des guerres sans fin au sujet des
limites du territmre que ceux-ci préten-
daient s'attribuer sur le continent.
ABNVE&SIMBNT DB la. KOYÂUTi II
Samos. — Après Léogoras, Samos dut
continuer à être gouvernée par des rois
pris dans la même maison; mais nous
les perdons de vue, dans un intervalle
de trois à quatre siècles, jusqu'à Ampbi-
crate. Cette période , si elle n'est pas cé-
lèbre dans l'histoire saniienne, ne fut
cependant pas perdue pour l'accroisse-
meut des forces de Ule. C'est ainsi que
704 ans avant J.-C. le Corinthien Ami-
iKMsIès, qui le premier avait donné aux
vaisseaux la forme qu'ils conservaient
encore au temps de Thucydide, fut chargé
par les Sdmiens de leur construire quatre
trirèmes (1). Adonnés à la navigation^
héritiers des goûts de piraterie ue la na-
tion carienne, les maîtres de Samos
apportaient tout leur soin à l'entretien
de leur flotte, et ce fut un des pre-
miers peuples qui chez les Grecs se
rendirent redoutables sur mer. Am-
phicrate dès son arrivée au pouvoir
(680 ans av. J.-C.) porta' la guerre à
l'extrémité de la mer Egée, dans nie
d'Égine ; et les succès et les revers furent
égaux des deux côtés (2). Eu même temps
^ue les Samiens recherchaient au dehors
a fonder une puissance maritime, au de-
dans ils étaient agités par des factions;
le peuple et les grands menaçaient la
royauté. Nous ne savons pas si entre
les factions rivales il y eut une lutte de
longue durée ; mais la royauté y suc-
comba , et Amphicrate fut le dernier roi
de Samos. Cette tie,s'étant déclarée libre,
se donna des magistrats appelés Géo^
mores, et il est à présumer que cette ré-
volution ne s'accomplit pas sans vio-
(OTliUcjd.,I,G. i3.
(a) Hérodote, III, Sg.
iBDce, pnisqn^iin grand sonlèvement des
esclaves répond à ce changement. Mille
esclaves se retirent sur l'Ampélus , et y
vivent de brigandages. Après six années
d'efforts inutiles pour les réduire , leurs
andens maîtres sont engagés par l'orade
à traiter avec eux, et pour s*en délivrer,
ils leur abandonnent des vaisseaux , qui
les conduisent à Éphèse (1). Peut-être
cette révolte de leurs prcjires esclaves
engagea-t-elle les Samiens a secourir La>
céuémone durant la seconde guerre de
Messenie (2). Dans le même temps la
guerre éclata avec les Éoliens établis à
Lesbos : les Samiens commencèrent les
hostilités ; mais leur gouverueiuent , eo-
core mal affermi, souffrit de cette expé-
dition : un de leurs généraux , que la fa-
veur du peuple avait portéà cette dignité,
Syloson , fils de Calhtélès , s'empara de
la tyrannie. Peu après ils intervinreat
dans un différend entre Chalcis et Ér<>-
trie en £ubée, où ils prirent parti pour
les Chalcidiens , et Miiet pour les Ere-
triens (3). Plus tard , nous les trouvons
arbitres d'un différend entre Chalcis et
Andros au sujet d'Acanthe, que les Au-
driens obtinrent (4). Démotélès, qui ré-
gnait en 620 , périt violemment , et tes
Samiens revinrent au gouvememeat des
géomores.
RÉVOLUTIONS INTESTINES. — 5lab<
il semble que l'administration de c£s
magistrats fut tyrannique; car une ré-
volution liée à une guerre extérieure ne
tarda pas à les renverser, l^s Mégaheni
avaient attaqué Périnthe, colonie df
Samos, et avant leur expédition se
talent munis de chaînes pour leurs pri
sonniers. Les géomores envoyèrent
leur colonie un secours de trente navires
sous les ordres de neuf généraux. Deux
des navires périrent à l'entrée du port,
frappés de la foudre; mais les autres,
unis aux Périnthiens, furejit victorieux «
et les Mégariens perdirent six cents pri-
sonniers. Les Samiens de l'expédition
armèrent les vaincus , et, revenant à Sa-
mos avec ce renfort, massacrèrent les
géomores , et leur substituèrent Tauto-
(i) Athén., VI, p. 267.
{1) Hérodote, lU, 47,
(3) Id, V. 99.
(4) Plut., Quest, gr„ 3o; Ensèb., Ckrw, «
rOlyrop, XXXII.
1L& ym SAMOS.
tîê
rite popidftire. Qaelqo«*iiiii dis Mésa*
riens obtinrent le droit de cité , et les
cbatoes qu*on avait prises sur eux et qui
leur avaient servi , turent à cette coca-
sioD consacra dans un <kiifioe particu-
lier, qu'on appela Pédétès (1). Le gou-
vernement du peuple n*eut pas une
loogue durée. Les guerres qu'il entreprit
ne furent pas toujours heureuses : depuis
déjà longtemps les hostilités étaient en-
gagées sur la terre ferme avec Priène ; les
Samiens éprouvèrent un grand revers,
et perdirent mille hommes dans un
combat.
Entbbpbisss BBS Sâhiens. — Peu
aprèscependant ils eurent leur revanche*
lies plus nobles ,et les premiers de Priène
SDOoonibèrenten un lieu appelé le Chêne,
ft eette ealamité laissa de longs souve-
nirs dans l'esprit des Priéniens ; le sage
Kas parvint seul à rétablir la paix entre
les villes rivales (2). Au milieu de toutes
ces guerres, la vie des Samiens était
redevenue une vie de pirates, et dans
leurs relations extérieures, comme sur
I9 place publique, leur seule règle de
conduite semblait être la force et le ca-
price. Ils s'emparèrent d'un présent que
le roi d'Egypte Amasis destinait aux La-
oédéoioniens. « C'était un magnifique
« corselet de lin , orné de figures d'ani-
" maux tissues d'or et de coton; chacun
« des fils de cet ouvrage était à lui seul
« un cbef-d*(£uvre de patience et de dé-
• lieatesse (3) ». Ils ravirent ensuite le
cratère que les Laoédémoniens offraient
à Crésus en retour d'un riche présent
qu'ils avaient reçu de ce prince. Pé-
riandre, le célèbre et nuissant tyran de
Corintbe, n'avait pas été moins outragé.
Voulant se venger des Corcyréens, qui
avaient fait périr son fils Lyoophron , il
avait envoyé au roi de Lydie, Alyatte,
trois cents en&nts des principaux ci-
toyens de nie pour en faire des eunu-
ques. Le navire qui les conduisait ayant
relâché à Samos, les Samiens, instruits
du dessein de Périandre, entraînèrent les
jeunes garçons au temple de Diane, leur
firent embrasser l'autel en suppliants ; et
comme les Corinthiens du navire s'op-
posaient à ce qu'on leur portât à manger,
(i) Plut., Quett. Or„ 57.
(a)Id., Ibid., ao.
(^) Hérodote, m y 47.
16* Livraison. (Ilb db Somos.)
ils inatitaèisot poitr etix une fifile itérée,
où les gâteaux du sacrifice leur servi-
rent de nourriture; puis quand les Co-
rinthiens, se furent rembarques, ils re*
conduisirent les enfants dans leur pa-
trie (1).
HjSTOIBB du TYB1.N POLYCBATE. —
La liberté sans limite dans laquelle vi-
vaient les Samiens offrait trop de prise
à la tyrannie pour subsister longtemps;
l'un des hommes les plus fameux de
l'antiquité la renversa : ce fut Poly*
crate, qui, autant par son génie que par
sa fortune singulière, fut, après P}'tha*
gore, la plus grande illustration de Sa-
mos dans les temps anciens.
Il était filsd'Éacès, et avait deux frère«,
Pantagoote et Syloson. Les trois jeunes
gens, avides de puissance et fiers de
)ur fortune et de leur crédit, résolurent
de satisfaire leur ambition aux dépens
de la liberté publique. Ils s'adjoignirent
un petit nombre de complices, et choisi-
rent pour l'accomplissement de leur pro-
jet la fête de Junon. Profitant de Tins*
tant où les principaux citoyens, prétsà ac-
complir le sacrifice, avaient déposé leurs
armes à l'autel, ils les égorgent, puis
s'emparent des lieux fortifiés, se retran-
chent dans la citadelle , et avec le se-
cours des soldats de Lygdamis, tyran
deNaxos, restent maîtres du pouvoir (2).
Cette usurpation s'accomplit la cjua-
trième année de la cinquante-neuvième
Olympiade (541 av. J.-C.)i ou, selon
Bentley (3), la troisième année de la cin-
quante-neuvième (666). Les trois frères
se partagèrent d'abord le pouvoir : Po-
Ivcrate prit le gouvernement de la tribu
d' Astypalée , et donna à ses frères celle
de Cbese et celle d'Aschrion. Mais leur
bonne intelligence ne dura pas long^
temps ; Pantagnote fut mis à mort, Sy-
loson exilé, et le plus habile des trois fils
d'Éacès resta maître de toute l'Ile.
Les sages mesures que prit Polycrate
pour augmenter les forces et le bonheur
de toutes ses entreprises étendirent sa
(i) Hérodote, III, 48; Diog. Laert, I,
di. vu , ft.
(9) Polvttn. Stnt,^ I, 23.
(3) Theod. Paoofka, Res Samior,; Btfol. ,
iSft2, p. a9-3a. M. Panofka admet et oon-
firnie par de nouveaux raisoiiDeoients l'opi»
nion de Bentley.
16
%»
L'UNIVERS.
trée du porC, repoussa les ennemis, le^
granuivit , et en 6t on grand carnage,
énéreux dans cette oceasicm, il fit ÎAm
des fonérailles somptueuses à deux Spar-
tiates , Archias et Lycopas, qui avaient
trouvé dans le odmbat une mort glo*
rieuse.
Après quarante jours de siège, les
Lacédémonîens n'avaient fait aucun pro-
grès ; Polyerate leur distribua une grande
quantité de monnaie de plomb doré.
Séduits par ce présent, ils se retirèrent
vers le Péloponnèse; leurs alliés, restés
seuls, s'exilèrent, et après des courses
aventureuses à Siphnos, qu'ils mirent à
contribution, et à rtled'Hydrée près du
Péloponnèse, ils allèrent fonder en Crète
la ville de Gydonie (i).
Rien ne semblait pouvoir porter at-
teinte à la prospérité de Polyerate ; ses
ressources s'augmentaient chaque jour,
et il méditait la conquête des îles et de
toute rionie. Mais le moment fiettal ap-
prochait où la fortune allait lui faire ex-
pier cruellement son bonheur passé.
Orétès, satrape de Lydie, résolut de
s'emparer de Samos ; il était excité par
les railleries de Mitrobate, gouverneur
de Dascylium, qui lui reprochait de
n'avoir pas le courage d'attaquer une Ile
dont Polyerate s'était emparé avec quel-
ques conjurés; de plus, il était irrité de
ce que le tyran, recevant un jour un de
ses ambassadeurs, n'avait pas daigné lui
répondre ni même se tourner vers lui.
Orétès savait combien Polyerate était
avide de richesses; iliuifit tenir un mes-
sage ainsi conj^ : « J'ai appris vos vastes
desseins, et je sais que vos ressources
n'y répondent pas; suivez un conseil fa-
vorable à nous deux : Gambyse veut me
faire mourir, donnes*moi une retraite, je
viendrai avec mes tfésors, que nous par-
tagerons, et vous aurez de quoi conquérir
toute la Grèce. Si vous avez quelque
doute au sujet de mes richesses, envoyez
quelqu'un de confiance, à qui je les mon-
trerai. » '
Polyerate envoya son secrétaire Méan-
drius. Orétès, pour le tromper, fit emplir
huit grands coiSres de pierres, que Ton
recouvrit de pièces d'or. Sur le rapport
de Méandrius, Polyerate voulut partir;
vainement ses amis et les devins tâchè-
(x) Hérodote, III, 44.
rentde le retenir. Sa fille, tout en pleon,
lui dit qu'elle l'avait vu dans un songe
sinistre suspendu dans les airs, baigné
par les eaux du ciel et exposé aux rayons
du soleil. Il persista dans sa résolution.
Arrivé à Magnésie, il fut saisi par les
aflOdès d'Or^ , mis à mort et exposé
en croix ( 1'* année de la 64® olympiade.
524ansav. J.-G. (1)).
C'est ainsi que périt cet homme re-
mar<iuable, auquel Samos dut en grande
partie sa gloire et sa puissance; on pou-
vait lui reprocher la plupart des viees
habituels aux tyrans, mais il y avait
joint d'éminentes qualités, l'habileté,
l'amour des grandes choses , le got)t da
luxe et des arts; si tyranniqne que fAt
son gouvernement, il développa la pros*
pérjté publique comme celui de Pisistrate
dans Athènes. Plus tard, abandonnéeaui
agitations de la démocratie, en proie aux
factions de la place publique, Samos dut
plus d'une fois regretter le ^^ran, qui en
échange de sa liberté douteuse lui avait
donné quarante années de calme et de
splendeur.
MÉANniius. — Ceux des Samieos
qui avaient accompagné Polyerate furent
renvoyés par Orétès. Méanarius, chargé
du gouvernement de Hle en l'absence
du tyran, réunit aussitôt l'assemblée pu-
blique, et, après avoir élevé un autel à
Jupiter Libérateur, il déclare qu'il n'a-
busera pas de l'autorité qu'il a dans les
mains , qu'il a toujours désapprouvé la
puissance que Polyerate s'est arrogée
sur ses égaux; il ne demande que sii
talents des biens du Wran et la cbargp
sacerdotale dans sa nimille. Mais l'un
des principaux Samiens se lève, ui ^^
proche d'être indigne d'aucune fonetion,
et lui demande de rendre compte de son
administration. Averti des dangers qu'il
courait en rentrant dans la vie privée,
Méandrius résolut de garder le pouvoir:
il se retira dans la citadelle , fit venir les
principaux citoyens comme pour leur
rendre des comptes , les fit saisir et en-
chaîner. Puis , comme il était toœbt*
malade, son frère Lycarète , s'emparant
de l'autorité , les fit mettre à mort (3).
Mais ni l'un ni l'autre ne devait régutf •
Syloson. — Syloson, firère de Poly-
(x) Hérodote, III, xao^iftd.
(a)Id., m, i4a, i43.
ILE DE SAMOS.
â2§
crate, afait aoeompagné Cambyse dana
son eipédition d*ï^ypte; il s'? était Hé
d'amitié avec Darius, fils d*H])^taspe,
alors simple eompgnon du roi , et lui
a?ait fait présent d une rieht chlamydede
pourpre qui avait attiré ses regards (I).
Quand Darius fut devenu roi , il ehar-
gea Otanès, un de ses généraux, de con*
duire Syloson à Samos et de J'y établir.
Les troupes perses n'éprouvèrent pas de
résistance V Méandrius et ses partisans
avaient seulement demandé la permis*
sloo de se retirer avec la vie sauve. Mats
tandis que les Perses étaient assis pai-
siblement sur la place publique, Méan-
drius, eicité par les discours de Tun de
ses frères, Cbarilée, fait prendre les
armes aux troupes enfermées dans la ci-
tadelle, ouvre les portes, et tue un grand
Bombredes Perses les plus considérables.
Cependant, les soldats d'Otanès, une
fois remis de leur surprise , repoussent
fadiement les aggresseurs.
Méandrius, se voyant perdu , s*enfuit
par un souterrain qu'il avait fait prati-
quer sous la forteresse, s^embarque
avec tous ses trésors, et navigue vers
Laoédéraone. Ceux qui ne Taccompa-
pèrentpas furent passés au fil de Tépée;
Pile entière fut ravagée et remise presque
dépeuplée entre les mains de Syloson.
ls$ cruautés de ce nouveau tyran firent
encore périr ou forcèrent è Texil un
grand nombre de Samiens, et c*est alors
qoe naquit ce proverbe : « Syloson nous
a mis au large (2) ». Les esclaves furent
admis à repeupler 111e, et inscrits moyen*
oaot cinq statères dans la classe des
hommes libres (3). Otanès lui-même,
averti par un songe et tourmenté par une
maladie , lui envoya de nouveaux habi*
taDts de nie de Lemnos et d' Antandros ,
de Chalcédoine et de Byzance. Syloson,
avancé en âge, ne dut pas gouverner
longtemps ; on n'a aucun détail sur sa
fin, qui arriva vers 620.
ÉAcÈs. — Il eut pour successeur son
fils Ëacès. Celui-ci se trouva du nombre
des Grecs auxquels fut confiée la garde
du pont de Tlster, lors de Texpédition
des Perses en Scytbie, et il mérita la
(i) Soldas, y^^iç ; Élien, lY, 5.
(a) Hérodote, III, ch. 14S-149; Strab.,
^IV, ch. fy$ 10; Héraclid. Pont., koXit., IL,
(3) Suidas , Y. £a{&. 6 5îi(Mc.
favenr de Darius en prenant parti pour
Histiée de Milet contre Miltiaoe, qui vou-
lait que le pont fût détrait II savait bien
que si Danus périssait, l'Ionie pourrait
recouvrer sa liberté, mais que les ty-
rans, n'ayant plus d*appul, seraient ren-
versés. Il ne put cependant pas empê-
cher ses sujets de se déclarer pour les
Ioniens révoltés. Aristagoras , peu sa-
tisfait du secours qu'il leur portait à
r^ret , le renversa , et l'obligea à fuir
auprès de Darius.
Sàhos pendant là bévoltb d'Io-
NTB. — Dès ce moment Samos, recons-
tituée en démocratie, prit une part ac-
tive à la rébellion de 1 lonie, et se dis**
tingua particulièrement dans le coni-
bat naval qui se livra auprès de Itle de
Cypre, et où les Ioniens restèrrat vain-
queurs de la flotte phénicienne. Lors-
que rionie fut menacée directement, les
Samiens fournirent soixante vaisseaux
à la flotte qui devait défendre Milet as-
siégée. Après les cent voiles de Chios et
les soixante-dix de Lesbos, c'était le
plus fort contingent de la flotte , qui tout
entière se montait à trois cent cinquante-
trois trirèmes. Mais cette fois, au lieu
de s'illustrer comme dans le précédent
combat, ils trahirent la cause commune.
Leur ancien tyran était venu, à l'insti-
gation des généraux perses, les provo-
quer à abandonner leurs alliés. Fati-
gués de la discipline rigoureuse que
leur imposait le Phocéen Denys, com-
mandant de la flotte, ils écoutèrent les
propositions d'Ëacès , et dans l'engage-
ment général tous les capitaines de vais-
seau, à l'exception de onze, quittèrent la
ligne de bataille et s'enfuirent vers Sa-
mos (1). Leurs compatriotes accueilli-
rent mal cette lâcheté : contenus par les
Perses, ils ne la punirent pas, mais ils
gravèrent sur une colonne les noms glo-
rieux de ceux qui avaient courageuse-
ment combattu. Plusieurs des habitants
de nie, dans la prévision du retour
d*Édcèset de ses vengeances, s'exilèrent ;
ils acceptèrent la proposition que les ha-
bitants de Zancle en Sicile avaient jfalte
aux Ioniens de bâtir une ville sur le ter-
ritoire qui leur appartenait (2). Ceux qui
(x) Pausan., YII , xo.
(a) Hérodote, Y, iia; VI a, i3, aa, «3.
On verra à Tarlkle des colonies de Samoa ce
idO
. ' LTJHIVERS.
4emettrdr«nt sièireiit d« itoiiVeatt l«
joug û'ÈaeèBi ramené par les Phénicienft ;
aa reste, ils durent à leur trahison d*étrè
les seuls des Ioniens doût les temples et
les monuments fussent épaiipnes. I«
tyran rétabli par les PerSes fut renversé
par eux : Mardooius en posssnt par TIo^
nie, lorsqu'il porta la guerre en Grèoe^
abolit toutes les tyronoies (l).
SaMOS PKNDAin LBS OUEBEES MB«>
BIQUES. -^ Dans les guerres Médiques,
on voit Samos se diviser en deux par**
tis : les citoyens riches et puissants tien-
nent pour les Perses^ le ppuple tend è
fttvoriser la cause de la Grèce. Les Sa*-
miens, avee les autres Ioniens, furent
contraints dé fournir aux Perses VéquU
page de cent vaisseoux (S). La veiile de la
bataille de Salamine , ils envoyèrent un
messager a Thétnistoelé pdur l'avertir
des plans de Tennemi^ et lui promettre
de taire défection le lendemain; mais
deux de leurs chefs, Tbéomestor et Phy-
Jacus, combattirent pour les Perses avèe
«ne ardeur qui leS fit distinguer. Théo*
mestor obtint la tyrannie de sa patrie en
échange de ses services (S). Il n'en jouit
pas longtemps. Après la victoire de 9a«-
Jamine les Samiens témoignèrent de
plus en plus de leur sympathie pour les
OrecSà L'armée navale des Perses, forte
de deux cents navires, s'était retirée dans
leurs porté ; ils rachetèrent de leur a^
gent cinq cents Athéniens qu'elle amenait
prisonniers , les retirèrent et leur four*
nirent les nwyens de retourner chet eux.
Puis, à Tinsu des Perses et de Théomes*
tor, ils députèrent vers là flotte grée»
que^ qui se tenait à Délos sans oser s'a*
venturer plus loin; leur ambassadeur
Hégésistrate détermina par ses instances
le commandant Léotjrcnidè à s'avaticet
jusqu'à Mycale, où, bien que désarmés,
ils secondèrent leurs alliés de tout leur
pouvoir (4). La victoire que les Grecs
remportèrent délivra les Samiens de
leur tyran. Les confédérés, reconnais-
sant la difficulté de protéger d'une ma-*
que devinrent ces Samiens , qui , ao lieu de
fonder une ville nouvelle, s emparèrent de
Znnde.
(i) Hérodote, VI, 43.
(a) Diod. de Sic, XI, 3.
(3) Héjt>dote, Tin , S5.
(^ Id*, YIIl el tX , {Mssisi.
Bière dfidaoe les ioniens^ eurent la fm-
sée de les transporter en Grèee pour lis
y éteblîf ^ à la plaee des peuples qui
avaient soutenu l'invamn des PeiM;
mais les Atfaéniens s'opposèrent à ee
qu'on déplaçât leurs eolonies; les ha-
bitants de Samos conservèrent leur Ile,
el après avoir pr^té le serment entrè-
rent dans l'alliance grecque (1). Psum-
Bias, que les Spartiates avaient mis è la
tête de la flotte confédérée, se rendit
odieux aux ihsulaires, qui recoururent à
la nroteetton des Athéniens , et leur dé-
férèrent le commandemeitt. Aristide
eondttisit les Samiens contre Dyxaoo^ :
en radine temps ils prirent part soi
succès par lesquels Cimon assurait lêer
indépendance. Le traité de 449 leur ga*
rantit la jouissance de leur liberté et là
faculté de se gouyerner selon leur désir.
SAHoa ftotjs hk BoBiif Attoir n'A-
tHÈNBB. — Les faits qui suivirent don-
nent à penser qu'ils se eonstitaèreot sa
oligarchie. Dès oe moment dans Tbis-
toire intérieure de Samos nous retrou-
vons une lutte continuelle emre les
deux éléments aristooratft|ue et popu-
laire; dans rhistoire extérieure, te ft-
nouvellement de la guerre aven les au-
tres Ioniens, puis avec la métropole. Le
commerce et l'industrie prirent à ce mo-
ment chez les Samiens un dételoppe-
ment considérable \ leurs richeËsOi s l^
crurent, leur puissance maritime devlat
telle que peu s'en fallut, de Tatluéc
Thucydide, qu'Athènes ne përdtt l'em-
pire de la mer (S). Tant de prtNAérité ia-
Stfiéta les fies voisines^ moius ratorliées
e la fortune^ et surtout Athènes, d'an*
tant plus jalouse que Samos était «
oolohie; elle résolut de s'opposer I eMI^
extension de forces , et l'oecasiou de le
faire ne tarda pas à s'offrir.
Le différend éternel de Samos «ii
sujet des terres qu'elle tenait auorès de
Priène se renouvela arec les Miiésiefli.
qui furent vaincus. Ils recouramit à
Athènes ; celle<l , au tiom de ses droits
de métropole , intervint avec empress^
ment ; mais les Samiens refbsèreot et
cesser les hostilités et de Soumettre le
différend à l'arbitrage des Athéniens
Cette désobéissance et d'autres motifs.
(i) Hérodote, IX , fo5.
(a) Thucydide» Tm, ^6.
ILE DE SAMOS.
381
30s(|ii€li tioM trduvdas mué le non ë«
ia célèbre As^eefe, firent éelater la
gnérre. YoM quelques lignée du rédl de
Platarqtie à oe dujet : « Périclès fit ûê*
- cerner le guerre eo&tre ceux de Samoe
* eti faveur de eeun de Milet^ à la re«
•* Qtieste d'Aspasia (t), à cause que cet
«deux ditefe atuient guerre ensemble
« pour le ville de Priéue, et estoient lee
< SafUiens les plus forts : mais les Atbé*
« niêus leur commaudètent qu'ils eus*
« «sut à laisser la rore des armes et à
- venir plàiderleur différent deranteult
« pour letir en estre fait druit : ee qu'ils
< ne voulurent faire. Par quoy Périclée
« ? alla 4 et y abolit le gouvernement du
< petit nombre de la noblesse^ prenant
« pour oetages dnuiiaâte des prineipauli
• personnages de la ville et autant d*enj
> tants , lesquels il meit en dépost en
« risie ôB Leitmdâ (i). » Ces otages el
le Perse Pissuthttès, qui leur était atta-
ehé, voulurent séduire l'AtlténieU à prix
d'argent; mais il se montra incorrupti**
ble. Cependant les Samiens recouvrèrent
leurs otages, grâee à Pissuthnès, et se ré^
voilèrent. Périclès retourna ters eux 9 ils
firent cotirageusement tête au péril, et il
y eut une bataille natale près de l'île de
Tragia. Périclès avec quarante voiles fut
vainqueur des ennemis , qui en avaient
Mixante^iX^et^ poursliitant sa victoire^
i) assiégea les Samiens daiis leur vllie«
Geux-ei résistèrent ^ et firent des sorties
ftéfttiebtes. tn renfort survint à Péri^
clés ; il quitta le siège, et fit voile vers la
haute mer, à la reneoutre de plusieurs na-
vires phéniciens qui venaient au secours
de SamôB. Mais pendant son absence
Métissus, général des Samiens, fit nnè
sortie contre les navires restés an siège
de la ville ; les Athéniens furent battus ^
perdirent plusieurs vaisseaux , et les as-^
sièges purent s'approvisionner. Dans
lears préoédemes victoires les Athéniens
avaient imprimé UneSamène sur le front
de leurs prisonniers; en représailles^ lèS
Satniens marquèrent d'une chouette
ecH\ des Athéniens qu'ils avaient pria (8).
(1) A.<^i>asie était de MWeï.
(a) Plut., Pér,, c. a5.
(3) Suidas, s. v. Sdt&T), dit que ce furent les
Alliénieiis qui marquèrent leurs prisonniers
d'une cliouette, et les Samienis d*iiùe sadiène-,
empreinte de leur monnaie.
A la noutelle de la défaite de ses lieu-
tenants, Périclès accourut. Melissus s'a>
vança à sa rencontre^ et fut repoussé ;
l'Atiiéuien le suivit, et convertit lesién*
en bioeus. Mais Ti m patience de ses sol-
dats ne put s'accommoder de tant de
lenteur, et on livra à la ville des assauts
fréquents^ dans lesquels les machines de
guerre nouvellement inventées (441) et
mises en usage par un ingénieur du
nom d'Artémon, au servies de Périclès,
rendirent de grands services. Après neuf
mois de résistance opiniâtre, les assié-
gés cédèrent; leurs murailles furent ra-
sées» tous leurs vaisseaux leur furent re-
tirés, et une rançon considérable , paya-
ble en partie oomptant) leur fut imposée;
en garantie du second payement , ils li-
vrèrent des otages (1). Le Samien Du-
ris aOcuse le générai ati)énien d'avoir
usé de la dernière cruauté envers sea
prisonniers ^ d'avoir traîné à Milet, sur
la place publique, et fait mourir de faim
et achever sous le bâton les capitaines
et les soldats des galères ) mais les né*
négations de Plutarque4 le silence d'A*
ristote, d'£pliore, de Thucydide et le
caractère de Périclès repoussent cette
accusation. De retour à Athènes , le gé-
néral victorieux prononça Téloge funèbre
des citoyens morts dans' cette guerre. 11
fut comblé d'honneurs ; on le plaça au-
dessus d'Agamemnon, pour avoir sub-
jugué en neuf mois la cité la plus puis-
sante de rionie^ tandis que le vainqueur
de Troie était resté dix ans sous les murs
d'une ville barbare. Cependant, l'orgueil
et la haine une fois assouvis « il y eut
parmi les Athéniens mêmes quelques
sentiments de compassion pour la mal*
beureuse cité que Périclès avait sacrifiée
aux intérêts politiques de sa patrie. Au
milieu de la foule qui félicitait le vain-
oueur^ on raconte qu'Elpinice, sœur de
Gimon « lui reprocha amèrement d'avoir
triomphé non des Perses, des Phéniciens
et des barbares, mais d'une ville sœur
et alliée.
£n effets cette entreprise , nécessaire
pour le maintien de l'empire d'Athènes,
était comme le prélude oes guerres in-
lestines où toute la Grèce allait s'enga-
ger. Toutefois, elle eut pour résultat ini-
(i) Plut., Péricl,, 48 et suiv.; Thucyd., 1. F,
Ti5 et suiv.
239
LUNIVERS*
médiat d'épouvanter les alliés d'Athènes
et de les maintenir sous sa dominatioD.
SAMOS pendant la 6UBBBB DU
PÉLOPONNÈSE. — Périoiès allant relevé
le parti populaire, les partisaos de Fo*
ïigarchie se réfugièrent a Anasa, et servi-
rent de toutes leurs forces les Laoédé-
moniens. La quatrièmeannée de la guerre
du Péloponnèse, les Lesbiens s'étant
ouyertement séparés d'Athènes , la jeté*
rent dans un grand embarras. Les Sa-
miens d'Anœa alunirent aux Gariens ;
et quand Lvsiciès, général athénieo,
arriva avec douze vaisseaux pour préle-
ver le tribut chez les alliés , ils ratta-
quèrent, détruisirent en partie son armée,
et le firent périr (1). Puis ils adressèrent
au général de la flotte péloponnésienne,
Aleidas, des représentations sur la ma"
nière dont il traitait les Ioniens qu'il avait
fait prisonniers : « les maltraiter était ,
disaiént-ils, un mauvais moyen pour
donner la liberté à la Grèce, et ces insu-
laires n'étaient que par nécessité dans
ralliance d'Athènes ». Cette petite ville
ff Anœa, très-fortifiée, ne cessa d'inquié-
ter les Athéniens tant qu'ils maintinrent
rionte dans leur obéissance ; tous les
mécontents et les exilés , tous ceux qui
ne pouvaient souffrir leur dominatioa
s*y réfugiaient, et de là favorisaient la
navigation des Péloponnésiens en leur
envoyant des pilotes (2). Lorsque les
Athéniens entreprirent la guerre de Si-
cile , les Samiens les y accompagnèrent
comme sujets et tributaires (3).
Après la funeste issue de cette expé-
dition (413), les luttes intestines entre le
{>euple et les grands , c'est-à-dire entre
e parti d'Athènes et celui de Sparte, se
renouvelèrent. Chios s'était soulevée, et
sa défection avait jeté les Athéniens dans
iin extrême embarras. Ceux-€i se résignè-
rent aux plus grands sacrifices, et firent
partir, sous les ordres de Strombichide,
un de leurs généraux, huit vaisseaux pour
Samos ; une galère samienne se joignit à
sa flottille, et il se dirigea vers Téos. Mais
Chalcidée, commandant de la flotte lacé-
démonienne, forte de vingt-trois voiles,
navigua de Chios à Téos. Strombichide
regagna prudemment Samos, d'où il ne
(i) Thucydide, m. 19.
(«}M.,1V, 74,
(3) Id., VII , 57.
p«t efispéeher AksOriade, mû akns an
Lacédémoniens , de souiéver Milet; Sa-
mosfiutleeeatre desopérations de la flotte
athénienne pendant toute la dernière
partie de la gnerre du Péloponnèse* Les
Athéniens, intéressés àcequ'ellekur de-
meurât entièrement attachée, y vireot
avec plaisir et y favorisèrent nne révola-
tion du peuple contre les grands; trois
vaisseaux, venus d'Atlièoes, aidèrent aa
soulèvement du petit peuple, etdeux cents
des plus riches citoyens furent égorgés,
quatre cents envoyés en exil. La Cactioa
victorieuse se partagea les. maisons et les
terres des proscrits, et reçut d'Athènes,
par un décret, le titre d'alliée fidèle, avec
la permission de vivre désormais sous
ses propres lois. Bile prit en main l'ad-
ministration de la république, et n'eut
aucun commerce avec les riches qui ha-
bitaient la campagne (t). Depuis ce mo-
ment, les Athéniens n'eurent pas de ^os
constantsoutlen que Samos. La lângtieme
année de la guerre du Péloponnèse (412),
trois mille cinci cents hoplites, Athénleos
et alliés d'Athènes, s'y reunirent pour al-
ler assiéger Milet. Phrynichus, leurdief,
remporta une victoire sous les murs de
cette ville, et se refusa à courir les ha-
sards d'une bataille contre les forces da
Péloponnèse ^ui venaient à sa rencon-
tre. Il se retira à Samos, y réunit sa
flotte , et se borna à des courses sur les
ennemis. Les Samiens firent de leur
côté quelques excursions (2) , et prirent
un certain nombre d'Érytbréens , aux-
3uels ils donnèrent la liberté a la con-
ition de soulever leur patrie contre les
Péloponnésiens. Des expéditions nom-
breuses continuèrent à inquiéter les en-
nemis d'Athènes, et Ttle fut le théâtre des
intrigues d'Alcibiade et de Phryniclius.
Ce dernier, en haine d'Alcibiade, qui
alors s'efforçait de rentrer à Athènes,
proposa au général Spartiate, Astyo-
chus , de lui livrer l'armée aUiéoienhe.
Il était facile de la surprendre dans Sa-
mos, où elle se tenait et qui n'était pas
fortifiée. Mais Astyochus, s'étant rap-
proché d'Alcibiade , dénonça cette tra-
hison (3) ; Phrynichus, pour donner le
change aux Athéniens, se montra résolu
(1) Thucydide, VIII, 16-9 r.
(a)Id.,Vni,a7.
(3) Id., Vin, 48.
ILE DE SAMOS.
2n
à défendre 6Mif8Mii86inêBt raniié6 qii*ll
s'était proposé de livrer. Il apprit Itii-
méme aux soldats que les ennemis atta«
queraidot le eamp, et les engagea à re-
ierer les nnirs de Samos* Ils obéirent ,
et la Tille dut à la haine mutuelle de
deux Athéniens de recouvrer ses mu-
railles, abattues par Périelès.
Sur ces entreniites une brusque révo-
lution éelata à Athènes : le pouvoir po-
pulaire fiit renversé et remplacé par un
souTemement de quatre cents des prin-
àpaux de la ville. Un changement sem-
blable faillit s'effectuer à Samos, où ceux
même qui d^abord s'étaient distingués
par leor animosité contre Toligarchie
eagagèrent les riches à rétahlir cette
forme de gouTernement. Non contents
de se rappUquer, ils voulurent la faire
adopter par les habitants des fies voi-
naes. Le général athénien Pisandre,
gnod partisan de l'oligarchie et l'un des
promotears de la nouvelle révolution,
ibt envoyé à Tbasos et dans d'autres en-
droits , pour y abolir Fétat démocra-
tique. A Samos, trois cents citoyens pri-
not en main la direction des affaires,
800S les auspices du général athénien
Cbannlnus (t) ; mais bientôt une conju-
ratioD se forma contre eux. Tous les gé-
néraux d'Athènes présents dans Ttle n'é-
taient pas également favorables à l'oli-
Itarebie. Léon et Diomédon jouissaient
Tun et r autre d'une grande considération
parmi le peuple; et'ThrasyUe et Thra-
sybole, commandant le premier un corps
d hoplites, le second les trirèmes, se
prêtèrent aux supplications des plus
compromis du parti populaire. Ils repré-
sentèrent à leurs soldats , surtout aux
|H)mmes libres du Paralus (2) qu'il était
iadigne des Athéniens de s'asservir au
pouvoir des plus riches ; ils les entraî-
nèrent dans leur complot. Les factions
rivales en vinrent aux mains; l'avantage
lesta au peuple : trente des oligarques
^rent mis à mort, trois des plus eom-
)romis furent exilés, le reste obtint
(i) Thucydide, VIII, 7S-74.
(s) Le Panlos était une galèr* athénienne
pedalement dertinée au transport dcc dépu-
atioQs sacrées et des objets da culte , quel-
Mois aussi, comme la Salaminienne, à celui
l« crimineb justiciables des tribuiMiux d'A-
bèoes.
Î^riee; et d'est aansi que les prineipes de
a démocratie, d'autant . plus menacés
ou'nne grande partie du peuple s'était
d'abord montrée contraire à leur main-
tien , prévalurent et continuèrent à gou-
verner la cité sami^ne (i). Ce succès
obtenu, les Samiens et l'armée, pleins
de joie, voulurent en faire part à Athè-
nes , ignorant le triomphe des Quatre-
Cents. Chéréas, l'un de ceux qui avaient
montré le plus de vivacité dans toute
cette affaire, partit sur le Paralus. M^is
arrivé dans la ville, il n'eut que le temps
de se cacher ; ses compagnons furent mis
aux fers, et lui-même ne se rembaorqua
pas sans peine.
De retour dans l'Ile, il exagéra la si-
tuation d'Athènes , et montra les vain-
queurs prêts à égorger les parents des
soldats de Samos. Il anima si bien le
peuple, qu'il fallut toute la sagesse des
nommes modérés pour le contenir et
l'empêcher d'exercer sur les partisans de
l'oligarchie de cruelles repr&ailles pour
des méfaits imaginaires. Thrasylle et
Thrasybule se contentèrent de réunir les
soldats et les citovens , et de faire jurer
par les plus terribles imprécations , sur-
tout aux partisans de Toligarchie, qu'ils
resteraient attachés à la constitution
démocratique, qu'ils vivraient dans la
concorde et poursuivraient vigoureuse-
ment la guerre du Péloponnèse. Tout
ce qu'il y avait de Samiens en âge de
porter les armes prêta ce serment. Ce
nit alors un antagonisme déclaré entre
Athènes livrée aux oligarques, et Samos,
soutenue par l'armée restée démocra-
tique. Celle-ci voulait maintenir l'état
populaire, celle-là amener les soldats et
les Samiens à l'oligarchie. Les soldats
ne cédèrent pas ; ils se donnèrent à Thra-
sylleet à Thrasybule, qui leur rappelèrent
avec complaisance qu'ils étaient nom-
breux , bien armés, et qu'ils possédaient
Samos, autrefois la rivale d'Athènes. En
même temps ils s'apprêtèrent à combattre
les Péloponnésiens , attentifs à profiter
des discordes d'Athènes et de 1 armée.
Samos avait à ce moment beaucoup re-
levé ses forces navales ; car Thucydide
mentionne quatre-vingt-deux vaisseaux
samiens, avec lesquels les généraux d'A-
thènes purent braver tous les efforts du
(x) Thucyd,! VIII, 76 et suiv.
^34
L'UXlfBRi.
chef 0«lbtMDtiéfiieii Aitjnoiiitis (l). Thn-
9fhme, renforéé d« StroitiMcliMe, coïk-
liDUft la guèrré eMéri9ufe^ et en mdiiie
temps négocia te tappeï d'Aldblade*
L'Armée ne tarda pal à j eoiSMntir, et
ë*eM à Bamoft que rAthéûfen fit sa ré-
eonelliattoti a^eo aea eotnpatrïoiM. Les
Samietis panagèf ent remhousiasine qu'il
tïè tatda pas à faite naîtte. Entre autres
hondeura, Il dbtitit le (iritilétfe d*uile
statue datis le temple de Judon a e6té de
eelfe de la déeese (9). Son retour ne fot
pâs sans utilité; Il tendit aux Athéniens
de la tille et à eent de Tarmée le ser-
tice d'empêcher entre eui une (soBtte
civile (S).
Sftmos loi eervit de quartier général
dan^ ses diverses opérations militairel,
et les Samiens eootintèrent aut Athé-
niens leur amitié et leura services* Ce fut
d Samoa que la flotte athénienne te re-
tira après la défaite à Ifotium d'Antio-
elius, lienténadt d*Aleibiade« Conon et
ses neuf collègue» tinrent y proidre le
Commandement de la flotte qu*nn décret
leur conférait en remplacement d'Ald-
biade; dix taisseaux Samiens ae Joigni-
rent à eeujt qtl' Athènes envoyait contre
CallicratidaS) et prirent part à la bataille
déâ Argitidses (400) (4). Enfin, nous re-
trouvons, sous le commandement d*Hin-
péus , général de rtle , les Samiens A la
bataille d'iOgos-Potamoa. Seuls ils ont
suivi jusqu'à la fin la fortune d'Athènes ;
elle est prise, ils résistent encore; et
c'est contre elle que Lysandre, après
atôir établi la tyrannie des trente, se
dirige avectoutes ses forces navales. Rien
n'égala le désespoir des Athéniens
quand ils tirent qu'on allait leur enlever
cette belle colonie ^ cette alliée fidèle et
constante. Ils supplièrent Lysattdre de la
leur laisser; mais le général se conten-
te de leur demauder s'il était juste que
ccut qui n'étalent pas leurs maîtres fus-
sent les maîtres d'âutrui. Le laconisme
cruel de cette parole plut aux Grecs, qui
en firent ce proverbe : Cefui qui ne èe
possède pas même t>eut possédée' Sa-
fnos. Après la défaite âtÉ Athéniens,
la défection avait été générale; la fac-
fij Thucyd., Vllt, 79.
(a] Pausan.,t^, c. 3.
(3)Thucyd., Vin, 86,
(4) Xénoph., tletlt/i,, t, eb. 6.
tlun tke odiiefl à Sumo» unit
enfin venue de reconquérir sa supério-
rité: elle appela de toiu aes voeux L;*
sandre et les Laeédémoniens ; mais \fi
peupICf exaspéré par ses revers, égorgea
tous ses ennemis, ets'tppréta à soutenir
un siéf^ (1). Lysaiidre pressa si ^igoa-
reusement les opérations < que birotot
il fallut capituler et se rendre à la seule
oondition que tout homme libre sorti-
rait emportant un habit \ les propriétés,
les richesses privées et publiques furent
à la discrétion du vainqueur (4oa). Ly-
sandre rappela les exilés et sea fidèles ai-
llés d*Anœaf établit à la tête des affaires
un conseil de dix magistrau , avec bd
commandant lacédémonien, Thoradui,
qui reçut le titre d'barmoste , et ae
quitta Samoa qu'après y avoir restauré
le parti oligard]ique4 qui, dana sa recoa-
naissance , lui consacra une statue a
Olympia. Ceux des Samiens qui ne pa-
rent plier leur turbulenee no nouveau
régime s^exHèrent^ et ces bannis allè-
rent partout chercher du service et r^
nandre leur activité; c'est aiaai que dans
rexpédltion do jraneCyrUB4 noua voyons
l'on d'eux, Gaulitès^ obtenir daoslei
oonseils du prince une place distiagaée
et raccompagner jusqu'à Guaaxa (1).
SAMOS HBtOlIBfl SOUa l'iNfLUKRa
D'Athàubs. — Lefouvemanaent étaUi
par Lysandre à Samos ne dura pas pi»
longtemps que la tyrannie constituée ^
Athènes. GonoUi victorieux à Guide, re-
lève la puissance maritime d'Athènes:
H accourt aussitôt à Samos, etrenvene
l'harmoste. Lesaneiennessyropathiesda
peuple pour sa métrop(4e se réveilieat
avec toute leur vivacité, et, oontme hV
eibiade et Lysandre, Conon a lea boa-
neurs d'une statue. Mais il quitte 111e,
et trois généraux Spartiates, qui se ren-
daient à Rhodes avec sept trirèmes, f
abordent et relèvent la uietion des no-
bles. C'est ainsi que la malheureuse as-
mos, agitée entre les deux partis, con-
sumant ses forces à servhr tantôt Tua,
tantôt l'autre , se déchirait de ses pro-
pres mains, et achevait de miner re
qui avait aurvécu de sa puissance à tant
de guerres et de oalamitéa. L'un des
géo&aux laeédénfonianat Téleutias, re-
(i) :iértopli., Bêiitft., ît,e. «.
(a) Id., jtnai.f ch. VII,
ILE DE S4M0S.
195
!
ritt de Samos tm ittMdft do qwAffoeH
vaissniit podf eombattK les AtliéDieiMi
399) (1). Les Samiêfil^ abètoéseï déliKH
nWséê par tmttês ces disMosioiM intet^
tines, suivaiefitla femme des plus forts*
Bient<)t là paît hotiteuie d*Anialddas
les réijeta soif a la domination Pêne (897)4
C^ nouveant maftrèa teiif firent aubir
Je cruelles vMatiolli, et las Athéaiend
enx-m^ffles ajoutèretlt miii miaèrea de
teor andenne alliée en j faisant des deti-*
entes à matn armée, pendant la daréé
de cette dortiination. ChaJIirlaa manmi*
vtaftâutmtr de riie poor s'emparer de sod
port, one flotte ennemie en gardait retl«
trée. Il ent re<N)Ufs h un stratagème : pitn
siearsdeses vaisseaux passèrent defam
iesennemis, et les provoquèrent LesPeif''
ses abandonnèrent leur position pour les
«uiirre, et pottdant de temps Chanrias fit
ivanoerle gros de sa flotte, ets'empara du
«rt (i), Pétt apfèSj iDbierate vint piller
Ile; il t fit Un grafld btitln^ et se retiraà
Délos. Les Samiens loi envoyèrent des
députés pour raeheter ce quil avait pris.
H tes aeeuéllie, trstte âree eut, puis feioi
(Titre sttbttemeiit rappelé k Atiiènes )
'f^ Sâmiens ne s*éleniient ni ne s'intialè*
tant de lofl départ; lui 4 trompant leuf
hcooè foi , Ait fbroe de voiles vers leur
il», en tfoute les défeflaeurs aans dé^
iitflce, répandus dans la campagne*
etefee de nouteaut ravages, et emporte
Jh both) plus eonsidérable (8).
(Têst rèrs le mém^i temps quisoerate^
Uchant de persuader aux AtnétiieBs de
^'emi^arer de toute riie, leur disait i « Les
<^es de l'Asie n'obéissant qu'a? eo répti*-
gnanee au grand roi , il tant prendre
CMos, Rbodes et Samos avant qu'elles ne
*ottnt fortifiées par de noufelles garni-
tons (4) ».
C6 conseil fîit suivi. Mille mereenai-
res, commandés par TImotbée , allèrent
attaquer Samos ; mais ils ne combat-
tirent du'avee mollesse < parce que leur
!«^lde n'était pas pâtée. TImothée trouva
m tessourees dans Ttle assiégée : elle
abondait en fruits ; il y fit Une descente ,
recueillit et fit vendre tout ce qu'il put
des productions du sol , distribua Tar-
(0 Xénoph., Hellen.<, IV , 8.
» Frontin , Strat.j I, 4, i4.
(3) Polysliy SiMt.f m» 9,' 96.
[h) Uoct,^ Paneg^f |8o.
I^Bt à aea soldatSi et prit d'assaut la
▼ine(l). Dans la guerre socialCf lorsque
k joug d*Atbèhea, redevenu pesant,
révolta contre elle lea Rhodiens, les ha-
bitante de Chios et les Byzantins , Sa-
mos demeura fidèle. Une flotte de cent
vaisseaux des alliés vint l!attaquer après
avoir dévasté Lemnos et Imbros ; ils ra-
vagèrent nie , et assiégèrent sa capitale
par terre et par mer. Pour délivrer cette
ville, Iphicrate^ Timotbée et Charès
firent diversion en ae portant vers By-
zance ; ils y rappelèrent la flotte des re*
belles (t). Le récit de Cornélius I^é-
|x)s(8) donnerait à supposer, bien au
contraire, que les Samiens avaient aban-
donné Athènes ; lea trois généraux, dit-
il ^ assiégeaient Samoa; Ipbicrate et
TImothée se refusaient à une bataille
navale. Charès l'engagea aeul « et fut
vaincu; il écrivit à Athènes que sans ses
eollègues il eût pris la ville. IMais Cor-
nélius N épos, plus éloigné des faits que
DiodorCf et biographe peu critique , est
d'autant moins digne de foi en cette cir-
eonstanoe, que Pausanias nous apprend
encore, par le passage déjà cité (4) , que
Timotbée obtint des Samiens une statue,
et ce n'est pas en les assiégeant qu'il edt
mérité leur reconnaissance* Quoi qu'il
en soit, Atiiènes continua à faire acte de
aouveraineté dans 111e de Samos, et y
envoya dans ee tempe-là deux mille co-
lons, que Ton pourvut de bonnes ter-
res (866 ) (6).
Ainsi Atiiènes s'était comme incor*
pore rile de Samos « el edle-ci , de son
edié, renonçant à avoir une existence à
part et indépendante 1 fit le sacrifice de
toute ambition^ et retrouva en s' adon-
nant au commerce des jours de paix et
de prospérité. Philippe, devenu maître de
tonte la Grèce, laissa aux Athéniens la
possession de cette lie, qui était devenue
oomme une annexe de TAttique^ et
Alexandre, dit Plutarque (6), confirma
aux Athéniens la concession de son pire et
leur abandonna Samos libre et florissante.
Mais lorsque, vers ses dernières années,
'i) Polysu , Sirat,, III, 9 , 10.
vi) Diod., XVI, ai.
[3) Corn. Nep., Timoth.^ 3.
(4)Ptasan., T, 3.
(5) Diod. deSic, Xyin,8.
(6) Plut. Akx.y aS.
236
LUmVBIS.
il rappela par un décret , appliealile à
toute la Grèce, les exilés dans leurs di*
verses villes, les Athéniens ne virent pas
revenir sans un vif mécontentement les
Samiens qu'ils avaient dépossédés pour
taire place à leurs deux mille colons.
Mais en présence d'Alexandre il fallut
se taire (1). La querelle, suspendue à la
mort du roi , fut soumise à ses succes-
seurs , et Perdiccas rendit aux Samiens
leurs champs et leur ville, et les rappela
après plus de quarant^troisans d'exil (S).
Polysperchon se montra moins favo-
rable à Samos : Texceptant du décret de
liberté promulfrué pour toute la Grèce, il
la rendit à Athènes, parce que cette ville
la tenait de Philippe (8). La maltieu-
reuse île disparaît alors, et on ne sait
si , dans le conflit des successeurs d'A-
lexandre, elle prit parti pour ouelqu'un
d'entre eux. Un Samien, Tnémison,
commande, an centre de l'armée, les
vaisseaux légers de Démétrius à la ba-
taille navale de Salamine ; mais Dio-
dore ne dit pas s'il était envoyé par les
Samiens ou s'il était venu comme sim-
ple aventurier. C'est vers celte époque
que l'annaliste samien Duris Kouverne
cette île , si l'on doit ajouter toi au té-
moignage isolé d'Athénée (4).
Au milieu des grands événements sur-
venusautour d'eux dans la Grèce et l'Asie»
les Samiens et les Priéniens n'avaient pas
déposé leur vieille inimitié ; les champs
de Barginétide étaient toujours l'objet de
leurs contestations, et les guerres se suc-
cédaient entre eux pour les limites de ter-
ritoire. Les marbres d'Oxford constatent
la persévérance de cette querelle, et le
voyageur anglais Ghandler a retrouvé un
document qui atteste que L3rsimaque fut
pris pour arbitre par les Samiens et les
Priéniens. Ceux-ci avaient exposé tous
leurs titres à la possession du territoire
de Barginétide , et, autant qu'on le peut
conjecturer par les marbres d'Oxford et
par une inscription trouvée dans les rui-
nes du temple de Minerve à Priène (5),
ils eurent gain de cause. Mais Samos
en appela du jugement de Lysimaque à
(i)Diod.,XVHI,8.
a)Id.,XVm,i8.
3)ld., XVin,56.
4) Paoofka» Res Sam., p. 98.
5) Ghandler, imcriot, ani,, t« I, p. i5.
Ptoléoiée Philopator, qui était deveou
son maître , et qui entretenait dans m
ports une flotte considérable (1). Pto-
iémée confirma aux Priéniens la posses-
sion du champ contesté, (322).
Samos sous l'influsrcb et la
DOMINATION DES ROMAINS. — Après
les successeurs d'Alexandre, la domina-
tion romaine s'étendit sur la Grèce. En
l'année 200 nous trouvons Samos dam
l'alliance de Rome avec Attale et les
Rhodiens, et un ambassadeur romaio
dénonce dans le sénat de la ligue Ëto-
lienne les plaintes des Samiens contre
Philippe, roi de Macédoine. Celui-ci,
pour- 'Se venger , équipe une flotte , ei
prend Samos (2) , dont il fait le centie
de ses opérations navales. En 197 Sa-
mos, avec le reste de la Grèce, recouvre,
apr^ la victoire de Flamininus , une
ombre de liberté. Bientôt Antiochus,
roi de Syrie, fît la guerre aux Romains;
la commodité du port de Samos et sa
situation en firent encore le centre des
opérations de la guerre entre les Rho-
dienset les Ronoains d'une part, et Antio-
chus de l'autre. Les Samiens étaient
fevorables aux premiers; mais Pausis-
trate, chef des forces de RbodeSf tomba
dans un piège que Polyxénidas, amira
d'Antiochus, lui avait tendu ; pris à l'im
proviste, il fut vaincu, et n'eut pour sau-
ver son honneur que la ressource de
mourir courageusement dans le combat.
Samos» incapanle de se défendre par elle-
même, tomba sous la dépendance du
vainqueur (3). Plus préoccupée de la
possession de son petit territoire du con-
tinent que de sa hberté, elle soumet a
Antiochus son étemel différend a?ec
Priène, et les limites entre les deux peu-
ples sont enfin fixées. Après la défaite
du roi de Syrie, Samos se replaça sans
peine sous le patronage des Romains.
Nous retrouvons Samos au temps où
Aristonic proteste par les armes contre
le testament d' Attale, roi de Pergamt;
Beaucoup de villes reconnaissent œ
prince ; mais Samos s'y refuse , et il la
prend par force (4) . A sa mort ( 1 29 a vaot
J.-G. ) Samos est comprise dans les villes
(i)Polybe, V,35.
(a) Id., XVI, X.
(3) Appien', De Rek Syr*, si4*
(4) Florus,II,ao,4,
ILR DE SAHDS.
d*Asie téAtàim en proAucei romaine.
Maû plas tard elle seoooe ce joug , el
cette alliée iusqu'iei fidèle dee Romains
s'unit à Mithridate (1). Ge soulèvement
n'est pas heureux ; et Sylla le lui fiait ex-
pier durement. U était encore à Samos
«{uand des pirates s'en emparèrent , pil-
lèrent la ville et ruinèrent le temple, jus-
que là respecté. Ce n'était là que le pré-
Iode des longues misères dont le des-
potisme des gouverneurs romains et les
brif^Ddages des pirates devaient acca-
bler llle de Samos. Son antique renom-
mée d'opulence attirait vers elle tous
ceux qui étaient avides de butin : procon-
suls et pirates la dévastèrent à l'envi.
VerrèSy lieutenant de Dolabdla en Asie,
n'épaigna ni le temple de Junon ni les
balHtants de Samos. Les députés sa-
miens allèrent en Asie exposer leurs
plaintes k Gaf us Néron, qui leur dit que
les aceusations de ce genre se portaient
a Rome; ils n'eurent que la consolation
(Tenteodre une sortie âoquente de Cicé-
ron contre le spoliateur (2). L'adminis-
tration bienfaisante de Quintus Cioéron,
préteur en Asie, rendit un peu de calme
3 Samos, et sembla la feire renaître (63
avant J.-C. ) (8). Mais les exactions ne
tardèrent pas à recommencer : Antoine
leur ravit, pour Cléopâtre, les chefs-
d'œuvre de sculpture qu'ils avaient con-
servés. Octave, vainqueur à Actium , se
déclara le protecteur de ceux que son
ennemi avait opprimés ; il passa une par-
tie de l'hiver de l'année 30 avant J.-C.
a Samos, et lui restitua deux de ses sta-
tues (4). Cette tle lai plaisait , il y fit
UQ aeeond séjour ; il y prit les insignes
de son cinquième consulat, et y passa les
deux hivers des années 21 et 20, en al-
lant et revenant d'un voyage en Orient.
li avait été rejoint en 21 par Tibère (5).
Mettant le comble à ses bienfaits , Au-
guste accorda à Samos la liberté (6). Ce
tbt alors que Samos fit une acquisition
J^ssez importante. L'iie dlcarie était
(0 App., Ds Bea, Mithrid,, 6a, 63. ; Gioér.,
/"» Manil., Xn.
(a) Cic, M Ferr., I, ao.
(3) Cicér. ad Quint, fralr,, 1,8,3,7.
(4) Suéton., Oelav. XVII j App., Bell.
*''/., IV, 4a.
(5) Suet, Tib,, XII,
(6) En^èb , Chron,, olyqjp, CXC.
presque inlMMtée : des Samieiis s^ éta-
Dlirent, et e» exploitèrent les exoeUents
pâturaoes. D'autres s*approprièrent une
partie du rivage d'Éph^e. Catigula eut
rintentlon de rétablir le palais de Poly-
erate (1). Les divers empereurs qui se
succédèrent jusqu'à Vespasien respee*
tèrent l'apparence de liberté <|u*Auguste
avait accordée a Samos. Mais en 70 le
nouvel empereur fit de l'île une province
romaine, et supprima les derniers ves*
tiges de son indépendsmce.
lU.
COLONIES, INSTITUTIONS, BELIGTON,
LITTÉBÀTUBE DE SAMOS DANS L'AN-
TIQUITÉ.
Colonies, govmebce, industbie.
— Le nombre et Timportance des colonies
de Samos prouvent, mieux que tout autre
témoignage, l'activité et l'étendue de scm
commerce , et montrent que les Samiens
méritaient peut-être plus que les Pho*
céens d'être considérés comme les pre^
miers navigateurs de la Grèce (2). La pr^
mière colonie samienne fut celle de Samo-
thrace, fondée lorsque Androclès, roi des
Épbésiens, «ut chassé Léogoras, fils de
Proclès, vers 1 100 avant J.^C. Une géné-
ration après l'établissement des Ioniens
en Asie Mineure, des Samiens dépcKSsé*
dés par rétablissement de ce prince se
réfugièrent dans cette tle, et chancèrent
son nom de Oardanie en celui de Samoa
de Thrace (S). Antipbon dit à ce sujet :
« Les anciens habitants de llle, dont nous
descendons, étaient Samiens. Ce fut la
nécessité, non le bon plaisir, qui les con-
duisit dans leur second séjour. Un ty«
ran les avait chassés de leur patrie;
après avoir exercé des pirateries sur la
cote de Thrace, ils s'emparèrent de Dar*
danie. » Le géographe Mélétius ne sem-
ble pas attnbuer à ce fait historique la
colonisation de Samothrace; car il dit
que les habitants de cette tle ayant été
secourus par- les Samiens dans une di-
sette, leur accordèrent en reconnaissance
(i) Tacite, Jnn., IV , i4.
(a) R. Kochette, Colonies Grecques, ï\ ,
xo3.
(3) Suid., V. £a(ioepàxTi; Diod. Sicul., Ill,
§ V, 49; TV, 43, 48; cf. Panofka, Bes Sam.,
p. ao.
LinOVXBi.
\% drpH tf*ia««y«r ehM tni qd^ ee^
iMiê. iamothPMt à ipo tour répanitt
ima fMftit du •« popolatm sur m vivat
gti voitins.
AaaM, aattt villa q«ti a été aouvMit
meatioDoée ëaiu riiiataipe ëa fiamos, fm
fovtiflée à ia wémaépoqMa par Léagam,
^i 9> était réftigié. EHa davint dapoti
aa tampi la ratraila da eaux daa Samiana
qu'avait aliasaéa la parti populaiva; al
levaqaa l*tla aa mit dana 1 alnanoa al la
dépendance des Athéniant , ta colonia ,
jetée dans le parti contraire, ne cessa de
fomenter des troubles dans la métro-
pide e( da chercher l'ooc^sion d\ faira
Ujiîtrç UO0 révoliitiod oligarchique.
• Anaea, dit Etienne de Byzapce, est si-
tuée sur la côte de Carie, en face de Sa-
laaa; son nom lui viant da l'amuone
AncM,qui v avait été nourna, au diva
dPËphorus rAnéan. A aatt» viila appâta
kiant TilluBtra péripatétiden et hiitanaa
MéBélaa (I). 4
La fondation de Péiiatbe doit ra*
mestar à la méma époque. Lus témei-
^agaa de Plutarque at da ioymaua da
Ohioa ne permettant pas de douter
qua eatte villa ait été une aolonia aa*
mienne. Ella parvint à un defc^é assaa
élavé da prospérité at da puissauaa; aon
allianaa aveo las Athéniens at aa véaia-
tanea aux avinaa da Philippe sont laa
pnnoipaux événements da son histoire.
A vingt mlllesdePérinthe, vers la sud,
était Bisantha,' autva eolonie de Bamos,
at patrie du poata élé^iaqua Phaidi-
mus (1). Cette villa a pris plus tard le
nom da Khaidestos. Les avantages de sa
pétition la conservèrent dans un état
pirospère , malgré les révolutions et les
siècles; et lorsque Poooake visita les eôtes
da Thraea, il retrouva la colonie samienne
toujours riche en vins et en blés, et
encore assez florisaante sous le nom de
Ahodosto (8). Les Samieus paraissent
avoir affectionné les odtes fertiles de la
Thraee; ils y fondèrent encore, à une
époque incertaine, entre Bisanthe et Pé-
rinthe,HérSBum-Tieho8(cité de Junon);
cette ville était un comptoir samien, qui
(i) Voyez pour toutes les citations Pa-
npfka, Hes Samiorum, p. ai et suiv.
(a) Étieii. de Byz., Y, BicràvOt^ Poippon.
Mêla, II, a.
{%) Description de r Orient , TII, p. 14 ^.
avait na tam^Ja aonaMié b la déesss
protaatrica da Samoa.
Vers «26 Amftrgoa , tia des Gydaées,
habitée par daa Naxians, raçul une eo-
kmia qua le gransmaînaa Siauoiaa aoM*
naît da fianaoa, sa patrie (t). La Lybia
ftit aussi fipéquantéa par laîi Samiana. ils
faadèraiit dans la grande Oa«a une ville
3ui « appartient, dit Hérodote, à latiilm
'Eschrion, at sa trouva à sept jaunies
da Thèbes par la désert; ae liaa parti
la nera d'tla Portunéa (S) ». Da Myaidt
à fiphèsa la rivage asiatique ap|>arttBiit
à Samoa; las Épihésians lui armant cMt
la petite ville de Néapolis au éebasgt ée
Marathésium. En Lilieia, die aviit
fondé, an faee de l'île daCypre, Na*
gidos et Celendria, qui passaient pour kt
plus andennea villaa da cette «otitréi.
Lea Samiens exilés qui saua Polyerali
avaient inutilement tenté da rentrer par
foroa dans leur patrie landèieiit Cyde*
nie (la Canée) en Crète, ils eansaorànat
dans cette tla un temple à Dîaua-Dic-
tyiina. Pendant sii annéaa letiv éublii-
semant Ait prospère; mais au bout de
ea temps lea JËgtuètaa, qui B'avaiaiit pas
déposé leur vieille inimitié aoaatra Ici
Samiens, vinrent les attaquer ; vaincus
dans un comhat naval, les habitants év
Cydonie allèrent demander à Tltmlie aoi
troisième patrie t ila aa vatiièrant sa
Gampanie a Die6sarohia,qui devint plui
Urd Putéoli ou Pouuelea (S) (êlS arsat
J.-C).
Zanole fût la dernière eolwie sa-
mienne. Thucydide et Hérodote ne s'a^
04)rdi*nt pas avec Pausaniaa au sujet éa
la fondation de eatte villa, lliue^dide \i^
dit que Zanele fut d'abord hamtée par
des brigands de Cume en Eubéa, puis
par d'autres colons du mtma pays ; plus
tard tes Samiens et d^autres loniena, qui
fuyaient la domination des Perses, ebss-
sèrent ces premiers possasseura, et »
mirent à leur plaoe. Dana Hérodote 1h
faits sont plus circonstanaiés : après Is
bataille de Lada , diMl , ceux dts Sa-
miens qui ne voulaient pas ralomber
sous le joug d'Ëacès se rendirent à ria-
(1} Suid.j £(|L(j.Cac.
(a) Hérodote, III, a6.
(3) Hérodote, lU, â^; Eiw^., ÇSunft,.
olymp. LXII.
(4)Thnc.,Tr,4.
ILE BB SASOS.
)W
wtalJOT qm !•• iMiMini wint dite
auK ioBMM dt tenir à Calactt (8aQ4
'Atnl) j^r )r hâlir iMawbte UDt fiUa;
qiud ils inivèieat en Sioilt, ils apivi*
mt 0110 lit habitants dt ZancUi étaiant,
aiw iaur ni Scythàt, ocaupéa au aiéfli
d'uoa viUa YoitUMi. Anaiilaa, tmn oe
Rbfgium, akm an guerre a? ee ba Zan-
cleflDs, engagea les Samieos à aliandon*
Bcr leur prejet d^établisaeinant à OaJaaii^
et à t*einparer de Zaneie, alors sans dé»
feottor. Ce oonseil plut aux Samiens ;
avtrtis de eette perfioie, oeux de Zanole
appelèrent à leur aeenurs Hippoerate, t^*
nn de Gela. Ce prinee aeoouFut ; naia
jJ fit mettre aux tara le roi de Zancle et
KM fpèie, et les livra aqx Samians aree
iroUoentsdes prinoipaux de la ville. Les
dépouilles fiiMBt p^agées de la sorte t
la campagne al aee productions avee la
nieitié des naubles et des eeclavee Ait
iivié à Hippoorate, le reste appartint
aux exilés de Sames (1). La mauraisefoi
et la trabisoB des flamiens forent pu«
oies ; ils oeoupèrant quelque temps Zan«
cle d*aeeord avee Cadmus, ils du roi
dépossédé (•). Mais Anaxilas, tyran de
fthégium, lea chassa en partie, ouvrit la
ville a des hommes de toute raee, et,
easoq venir de la patrie de ses aneétres ,
loi donna le nom de Measène (8). Fau^
^ias nous offre encore un réoit diffé^
iwt 11 reporte à une époque beaueoup
plus aneienne les ravagée exereés par
d«t pirates-soos les ordres de deux chefs,
Oatéroéne de Samos et Périéiée do
Chaleig; il suppose rexistenoe de deux
Anaxilas, dont le premier aurait vécu
aa temps de la deuxième guerre de Mes*
s^e. Ce tyran de Rhéglum avait, dit-
il i appelé les Messéniens, chassés de
leur patrie , au secours de Zancle, pres«
^ par les pirates , et les Messéniena
vainqueurs se seraient établis dans la
ville et lui auraient donné leur nom. Se*
Ion eette version , Zancle n'est pas une
eoloDie de Samoa; un chef de pirates,
m\ , est Samien (4).
Le coBuneree des Samiois était très-
Ci ) Hérodote, vi,aa, a3.
Wld.,VU, 164.
(S)Thucyd.,VI,S.
(4) P«asaiiias, IV, a3. Voir la eritiqae
de cesUmoignagesdans M. Eaoul Rochede,
Colonies Grev^u^s , TIf , 4'»i.
aaionnère«tla.Maditarranéa,atpDrtèimt
dana tous les paya de Tanainn monde les
produits de Isqr industrie; et les profit»
oonaidérables de leur eoinmerae expli-
quent seuls la rapidité avae Inquelle ils
aa relevaient de leur désastre^ et la pioa-
périté où ila parvinrent, malgré de «ont
liniiellee disaensinns. Un de leurs na«
vigateuin, Déxioréon, avait frit voile vem
nie de Cypre pour y oommeroer ; maif
pendant qu'il a'naoupait d'éebangea » it
qéesse Venus l'avertit de n'emtarquer
que de l'eau. % Il auivit ce eonseil : des
% marehands, mourant deanif,lalttl
« achetèrent; il fit un |ain aonaidérable,
« et, plein de reeonnaissanen, à ann ra*
4 tour dana Samoa , il éleva lui temple
« à sa proteetriaa (t). » Il y avait des
9anûena parmi cea pirates Ioniens et
Cariena avee leaquela Paamaùtiehua,
dhassé par les onze raie aee eolièguea ,
les expulsa à son tour et s'établit à leur
plaœ. Psammitiofaua et ann fila lîéeban
furent de grands rais ; calques ntratea
Samiena en lee pla^t aur le tronn ae
trouvèrent exercer une influanee aingu*
liera sur les destinéee de TÉgypte. Les
alliésde Psammitiehua furent réeompen*
ses par une ooneesaion de lenwa situées
près de la mer, aq-dessusde Buhaata, et
dejeunea Égyptiens qui leur furent eoup
fiée s'élevèrent dans la eonnai|sauee des
usages et de la lan^pie grecque (tl). GetU
alliance des Égyptiens el des Greoa, eom«
meooée par les Samiena soua Psaouniti*
ohns,fut reeserréesous Amasis, qui long-
temps futl'ami et l'allié parlieulierdfPo-
lyerate. Leroid*É^pt0aeoorda anxGreos
un établissement a Naucvatia, et le droit
d*éiever des autels à leurs dieux particu-
liers ; les Samiena y dressèrent un tem^'
pie à Junon (4). De tous les navigateurs
de SamoB, les deux plus célébrée sontCo-
lœus et Ëlpis. Golœus avait abordé à rile
de Platée, en Lybie, et secouru dans une
disette unocolonie des babitantsdeThéra
conduite par un Crétm du nom de Co-
robius. Désirant se rendre en Egypte ,
il avait mis à la voile par un fort vent
d'est. Le vent, ne cessant pas , l'emporta
(x) Cf. Panoflui, Res Sam,, p. 14.
(a) Plut., Quest, Gr., 54.
(3) Hérodote, II, t5jitâ4.
(4)Id.,Il, i7«.
M>
L'UfllVBB&
par Mh les oolonnes dtkrwle , fiers la
ftiie de Tarteeeas, où jamais avetto Grée
s'avait abordé. Les profits de Golœns
ftirent si considérables, que de la dtme
de son gain, s'élevant à six talents (à peu*
près 83,400 fîr. ), il fit fiiire le vase d*ai*
rain en forme de cratère argoliqueorné
de têtes de ^ffoos, et soutenu par trois
colosses d'airain de sept coudées , que
Ton Toyait dans le temple de Junon à
Samos (I). Pline nous a conservé sur
Rlpis une histoire singulière. Il s*éteit
tendu en Afrique; à peine débarqué,
il vit un lion s'avancer vers lui. Plein
d'effroi, il chercha un refuge sur un
arbre, en invoquant Bacchus ; le lion s*é-
tait approché , mais, au lieu de marquer
aucune colère, il tournait ses regards
vers l'homme, et semblait l'implorer. Un
os s'était arrêté dans sa mâchoire , et
l'empêchait de prendre aucune nourri-
tare. Elpis descendit, et le délivra. Le
lion ne se montra pas ingrat; Pline ra*
conte qu'il entretint de gibier le navire
de son libérateur tant qu'il resta près
du rivage. De retour dans sa patrie , le
Samien consacra à Bacchus le temple
qu'on appela Àiovûoou x6x^v6toc (de Bac-
obus à la bouche ouverte) (2).
> Les Samiens ne furent pas moins in-
dustrieux que commerçante; leurs navi*
res ne transmettaient pas seulement aux
autres pays les riches productions d'un
soi fertile ; les tissus de laines, de moel-
leux tapis, et surtout les vases fameux de
Samos, étaient l'objet d'un vaste échange.
Polycrate , à qui 1 Ile était redevable de
presque tous les éléments de sa prospé-
rité, y avait fût élever un grand nombre
de brebis achetées aux Milésiens ; et en
peu de temps , grâce au développement
de l'industrie, l^tapis samiens égalèrent
en célébrité ceux de Milet. Leur répu-
tation subsistait encore au temps de
Théocrite : dans les cérémonies sacrées
on déployait ies tapis de pourpre plus
doux que le sommeil fabriqués avec
les toisons de Uilet et de Samos (3).
La poterie samienne était d'un usage gé-
néral chez les anciens; elle était faite
d'une terre particulière appelée géopha*
nium, qu'avait trouvée au pied du Ger-
(x) Hérodote, lY , i5a.
(a) Plin., HisL Xat., VUI, ai.
(3) Tbéocr., Id\U. XV, v. 195.
eétas Ott SwDMD do MOU de IfaadnMt ;
un de ses taureaux l'avait mise à #
couvert en creusant la terre. Mandro*
bule, enrichi par cet heureux haiaré,
consacra à Junon un taureau d'or; Tas*
née suivante il offrit à la déesse un tio*
reau d'argent, la troisième année un tau-
reau d'airain , et ses compatriotes firest
à ce sujet un proverbe qu'ils appli-
quaient à ceux qui allaient de moiosfo
moins bien : Comme Mandrobuk (1)
Le géophanium sedivisait en aster cl col-
lyre ; il avait des propriétés médicinaies.
Son emploi le plus important était la fa-
brication de ces vases de Samos que les
anciens ont célébrés à l'envi. Plus r^
commandables par leur utilité que par
la beauté de leur forme, ils étaient par*
ticulièrement en usage ches les pauvres.
« Pourquoi, dit Lactanoe, n honore
t-on pas r inventeur de la poterie? eit-«
parce que les riches méprisent les vasai
de Samos? » Plante, Gicéron, Pline oai
parlé des vases samiens. Tibulle s'adres-
sent à Tune des beautés qu'il célèbre,
fût ce vœu : (que pour tout luxe) (m
voie à tes festins joyeux les coupes de
Samos. Cette spécialité de Tioausthe
samienne était plus ancienne qu*Ho-
roère (3); elle survécut à la prospérité
de Samos , et nous avons vu, dans li
description de i'île, qu'un village mo-
derne a retenu le nom de Fourni des
fours où se cuit encore la poterie.
Les Samiens exploitaient aussi parmi
les produite naturels de leur Ile ow
pierre propre à brunir l'or, qui en wéa»
temps était regardée comme un remède
efficace contre les affections d'esto-
mac, les vertiges , la folie et les maoi
d'yeux (3). Hérodote remarque qu'ils
disaient usase d'une mesure particu-
lière, la coudée samienne (4).
IifSTiTUTiofispoLiTiQUBS. — Samos,
comme le reste de la Grèce, se trouva d'a-
bord placée sous la domination des rois.
Aux rois succédèrent les géomores , et
à la royauté se substitua le gouvernement
républicain, qui fut tantôt populaire, tâo-
tôt oligarcliique. Dès les premiers rots.
(i) Suid., ▼. M xà MovSpoS.
t (a) Yoyes dans la vie d'Hopière par Hcr»-
dote le Chant du fonraeau.
(3) Pline, Hist, Pfat., XXX VI, A(><
(4) Hérodote, lu, 16S,
ILE DE SAMOS.
S4t
an tempi de rétabliMament ioDien à
Samos, la population de cette tie est di«
visée en deox tribus, eelie du Cbèse,
deveoue le partage de PrOelèi, chef de
l'iiiTasioD ionienne, et celle d*Âstypalée,
demeurée aux Cariens. Une troisième
thbu , qu'Hérodote appelle d'Eschrion,
semble s'être formée plus tard (1). Ces
tribus, comme on le voit, n'étaient pas
seulement des circonscriptions locales;
ie fond de cette division, à Samos,
comme partout ailleurs , repose sur la
différence des races. Les tribus (>arais«
seot composées de phratries, qui dans
l'exercice des droits politique , et dans
b célébration des cérémonies sacrées ,
établissaient peut-être entre les citoyens
des distinctions et des catégories. Ho-
mère, débargué à Samos, s'avance au
milieu des citoyens qui célébraient la
fêle des Apaturies (2) : « Étranger, lui dit
on habitant de l'tle, viens au milieu de
potre fête , les phratries t'invitent à te
joindre à nos sacrifices. »
Les géomores , substitués par les Sa-
miens à leurs rois, furent des magistrats
dont le caractère et les fonctions ne sont
pas nettement définis. Il y avait à Syra*
cuse une classe de citovens appelés Ga-
mores (8), possesseurs des champs et des
habitations. Le rapport de nom semble*
indiquer une analogie avec les magistrats
de Samoa; et sans doute ce sont les mê-
mes citoyens que Xénophon appelle no-
tables (y va>p((jLouc) et Thucydide puissants
(^vdrouç) (4). Plutarqueles appelle les
premiers de la cité. Cétait, autant qu'on
peut l'affirmer, le nom donné aux ma-
gistrats du parti oligarchique dans la
première période de sa puissance. Les
géomores étaient assistés par un con-
seil appelé le sénat. C'est en effet dans
le sénat que ees magistrats furent massa-
crés par les Samiens qui avaient fait
parlie de Texpédition de Mé^are.
Le gouvernement populaire institué
(i)HérDdole,in,26.
(*) Les Apaturies éiaienl une fête religieuse
fjàUxét par tous les louieos originaires de
l'Atliqae; die avait son origine dans la
victoire remporlée par Mélanthus sur Xan-
(bus, chef clés Thébains , avec qui Alhèaes
'"^t en guerre. Voir Hérodote, 1, 147.
(3) Hérodote, YU , ï55.
(4) Xénoph., HeU., II, a ; Thucyd., VIII,
ai; Plut., Ça«/.^r., 57.
16^ Uvraison. ( Ile de Sâvos. }
aous la protection des Athéniens se eons*
titua à rimltation de celui de la métro-
pole; le peuple se réunissait en une
grande assemnlée (ixxXvjafa); ses.magis*
trats, choisis par le hasard, ou élus par
le suffrage général, étaient les éphédètes
ou éphètes mentionnés par Hésycbius (1) ,
sans que leurs attributions soient spé-
cifiées, et les prytanes (2). Le rôle de ces
derniers variait dans les diverses villes,
selon que la constitution était oligarchi-
que ou populaire. A Samos on trouve
aes prytanes aux temps où la forme dé«
mocratique fut en vigueur, ainsi que
dans la courte révolution oligarchique
qui mit trois cents citoyens puissants à
la tête des affaires.
MosuBS , Garagtèhb , Religion. —
L*histoire ancienne de Samos nous mon-
tre un peuple longtemps énergique, animé
d'une forte haine contre les tyrans et
d*un grand amour de la liberté. Ce sont
là les traits généraux de Tesnrit grec. Il
n'est pas nécessaire de rappeler la chute
des geomores, les luttes contre Polycrate,
la r&istance généreuse aux armes des
Perses, et ce combat naval près de Cypre
où les Samiens se distinguèrent entre
tous. La trahison des chets à la bataille
de Lada ne peut flétrir un peuple qui s'en
montra inaigné. Beaucoup ae Samiens
préférèrent un exil volontaire à la domi-
nation d^Éaoès ; les autres ne craignirent
pas, après Salamine, de rendre à Athè-
nes cinq cents de ses concitoyens pris par
les Perses ; ils entretinrent des intrigues
avec Léotychide, chef de la flotte grec-
que confédérée, le déterminèrent à ve-
nir à Samos qu'il croyait plus éloignée
que les colonnes cT Hercule (3), et oien
que désarmés , ils prirent une part ac-
tive à la bataille de Mycale , dont ils
avaient préparé le succès. Dans les temps
modernes qn retrouve chez les Samiens
les mêmes dispositions. Pendant la guerre
de l'Indépendance Samos a été la pre-
mière de toutes les îles à s'engager dans
le péril, et la dernière à déposer les armes.
Adonnés au commerce et à la navi-
gation, les Samiens se distinguaient par
une certaine activité qui les faisait re-
nommer entre tous les Ioniens. Plusieurs
(i) Hésycb., V, IftUxâi ou içétai.
(1) Chandier, Inscripi, anc, 1. 1, p. iS, 5.
(3) Hérodote, VIII, i3a.
16
249
L*UMV£aS.
illustrèrent leur patrie par des ?ietoms
à Olympia : Eurymène, bien que d*une
très-petite taille, fbt vainqueur des plui
robustes adversaires pour 8*étre nourri,
selon le conseil de Pythagore, de viande
au lieu des figues, du lait et du fromage
qu'indiquait une vieille prescription (t).
Églès était muet ; il avait été vainqueur,
un autre athlète venait d'être proclamé;
le prix allait lui être ravi , Tindignation
du Sa mien lui donna la parole (3). Hé-
fiaciite remporta le prix à la 143^ olym-
piade (3) ; 1 historien Ouris avait obtenu
a la 107^ olympiade le prix du pugilat des
enfants (4). Enfin, une inscription, placée
au bas de la statue de Tun des vain-
queurs, s'exprimait ainsi : « Les Sa*
miens sont les meilleurs athlètes et les
plus habiles navigateurs de Tlonie (5). »
Les mœurs publiques s'amollirent
beaucoup sous Polycrate, et les fleurs
samiennes ne contribuèrent pas peu à
leur dégradation ; un temps vint , plus
tard encore, où Samos n'eut plus guère
de réputation oue par ses courtisanes;
on cite ChnritODiépharis, qui fut aimée
parDémétriusdePnalère, et Myrine,par
Démétrius Poliorcète. Déjà, longtemps
auparavant, Samos avait été la patrie de
IVhodope, qui fut esclave avec Ésope, au
commencement de la tyrannie de Poly-
crate. Nico et la belle Bacchis étaient
aussi de Samos (6).
Religion des Samibns. — Samos
était célèbre chez les anciens par le culte
qu'elle rendait à Junon. L'édifice fa-
meux qui était consacré à cette déesse,
et dont les débris rares et mutilés atti-
rent encore les voyageurs , a été décrit
plus haut. Les honneurs rendus à la
déesse étaient dignes de la splendeur de
son temple. Il y avait entre quelques
cités de la Grèce, et surtout entre Sa-
mos et Argos , une rivalité sérieuse au
sujet de l'origine de Junon. C'était , di-
sait-on , le navire Argo qui avait trans-
porté à Samos l'image et le culte de la
déesse. Mais les Samiens assuraient
qu'elle était née dans leur île ; et pour
(i) Diog. Laert., TIII, la.
(a) Valèr. Max., I, 8.
(3) Eusèb., Chron,, olymp. CXLIU.
(4)Pausan.,VI, i3.
(5) Id., VII, 4.
(6) Voir Alhcnée, XUI, XIV, patcim.
Sreove ils rappelaient son nom antique
e Partbénia; et ils disaient que le fleuve
Imbrasus avait aussi porté le nom de
Parthénius , parce que la reine des dieui
s'était, pour la première fois, montrée
sous les touffes a'osier qui bordaient tes
rives. Cette Junon n'était peut-être ni
Argienne, ni Samienne d'origine. Le sa-
vant ouvrage des Religions deP Antiquité
a démontré sa parenté avec la divinité
adorée à Tyr, sous le symbole de la luae,
et la grande déesse de Babyione, Mylitta,
dont elle pouvait bien n'être qu'une re-
production. L'osier ou le saule, l'agnus
eastus des rivières, était dédié à la même
divinité , soit à Tvr, soit à Samos. La
lune était aussi, chez les Grecs, l'astre
afifecté à cette déesse; enfin, les rites
mystérieux que l'on observait dès les
temps les plus reculés, et jusqu'à la sta-
tue informe qui représentait alors Is
déesse, tout cela se retrouvait à Tyr et à
Babylone. Si l'on songe aux vieilles rela-
tions de Samos avec Ta Pbénicie et TO-
rient, on conclura sans peine que c'est
de là que lui est venue la déesse qu^lii*
disait née chez elle, et le culte qu'elle lui
rendait (1). Certains jours, appelés lie-
nxa, ramenaient en son honneur une
magnifique solennité : des vierges et de^
femmes , ornées de bracelets et de dia-
dèmes, s'avançaient suivies desguerriers.
A l'entrée du temple, ceux-ci déposaient
leurs armes ; on nipandait les libations,
et les vœux et prières s'élevaient vers
la déesse pendant que les prêtres of-
fraient le sacrifice public sur la cen-
dre des cuisses des victimes amoncelées
en forme d'autel (S). Plus tard on altërt
le caractère primitif de cette fête en as-
sociant le nom d'un homme aux bon*
neurs qu'on rendait à la déesse. Les oii«
3 arques établis à Samos par LysandrB
onnèrent à ces jours consacrés le nom
de Lysandria et ajoutèrent des oombati
aux cérémonies de la fête (3). Une BUtr«
fête se célébrait encore en l'honneur de
Junon ; elle avait un nom distinct et uni
(i) MM. Creuser et Guigoiâut, RtUgions
de r Antiquité, deuxième partie, t. II, p* ^^
e«5.
(a) Atius, dans Atliéti., XUI , p. 5a5 f.j
Polyaen., Si rat,, I, a3; Paosaa., V, iS.
(3) Plut, f^s. XVin ; Suid., 'Hpaîa ; ïh^,
•ych., Au(jâv6p(a.
ILE DE SAMOS.
!2^
origine partiealièrê qiie nous a oonser*
vée le témoignage d'Athénée. Admète,
fille d*Eury8thée , roi d'Argos, forcée de
foir le royaume paternel, avait trouvé
un refbçe à Samoa, et s'y était consacrée
«I servioe de Junon , dont l'image lui
était appara&; les Argiens , excités par
leur jalousie, et voulant rendre Admète
odieuse am Samiena, engagèrent à prix
d'argent des pirates ô^rhéniens à déro-
iwr la statue de la déesse, dont la garde
était eonfiée à la fille d'Eurystbée. Les
Tyrrhéniens pénétrèrent de nuit dans le
temple, s'emparèrent de la statue et la
transportèrent sur leurs vaisseaux. Mais
no vent contraire les retint quand ils
voulurent partir; vainement faisaient-
ils force de rames, le vent plus fort
les rejetait sur le rivage. Frappés de
crainte, ils comprirent que la déesse
allait faire tomber sur eux ;5on ressen-
timeat, et pour l'apaiser ils la mirent
à terre, lui offrirent des libations et le
vent cessa à l'instant même. Au matin
Admète , ne voyant plus la statue sur
l'tiutel, fvX alarmée ; elle s'écria que Ju-
noo s'était enfuie, chacun se mit en
quête, et l'on trouva l'image sainte sur
)e bord de la mer. Les Samiens, joyeux,
allèrent chercher de longues branches
d'osier, ils en entourèrent la statue , la
ramenèrent ; et une fête annuelle, appelée
Tooea (^e des liens), consacra le sou*
Tmir de cet événement (1). Junon n'a-
vait pas seulement dans l'île le temple
qne nous avons décrit, cet Heraeura qui
réunissait tous les genres de magnifi-
cenoes ; on lui en avait consacré un se-
cond, à (3) Hipnonte, à vingt stades du
rivage.
Après Junon , Diane était la déesse
Is plus honorée à Samos ; Apollon par-
tageait le culte rendu à sa sœur. Il ne
serait pas impossible que la vénération
pour Diane ait été chez les Samiens
comme un reflet du culte de Junon. Le
livre des Religions de V Antiquité nous
montre une sorte de parenté et presque
de confusion entre les deux déesses, qui
l'une et Tautre avaient la lune pour sym-
^le. Il se peut aussi, cependant, que
la déesse chasseresse n'ait dû son ctilte
qu'à elle-même, dans une lie où la chassa
(i) Hénodote, dam Ath., XV, p, 67» «.
(») Panofka , Rcs Sam., p. 58.
fîit avec la piraterie la première res-
source des habitants. Comme Junon,
Diane porta les noms A^Cheiia et d'Im-
brasia (1). Son temple était appelé Tau-
ropoUùn : il servit d'asile aux enfants
de Gorcyre, lorsque les Samiens les arra-
chèrent aux envoyés de Corinthe, et c'est
à leur occasion que fut instituée la fête
annuelle où des chœurs de j^nes gar-
Fras et de jeunes filles déposaient sur
autel des gâteaux de miel et de sé-
same (2).
Le culte d'Apollon était fort aneien
au dire de Pausanias (8). Dans la vie
dePythagore, Jambhque raconte qu'An*
cée reçut de ce dieu l'ordre de coloniser
Samos (4). On peut croire aussi que oe
culte arriva dans l'île avec Cydrolaus ,
apporté parles Lesbiens, chez qui Apol-
lon était particulièrement honoré. On
se souvient de l'Ile de Rhénée, consacrée
par Polycrate a Déios , et de ses jeux
Pythiens.
Bacchus avait deux temples dans l'tte :
celui qu'Elpis lui avait fait bâtir à Sa-
mos et un second dans la petite ville de
Gorgyre. Le Bacchus samien avait des
rapports avec celui de Samothrace.
Neptune était honoré dans un temple
sur le promontoire le plus oriental de
rtle , sa situation l'avait fait surnommer
Neptune du rivage (S) , et le prbmon-
toire s'appelait Posidium.
Mercure, dieu actif du commerce et
du vol , eut un temple à Samos à une
époque très-reculée. Léogoras, au retour
de son exil de dix années à Anaea, le lui
avait élevé; et, en mémoire des pillages
et de la piraterie qui avaient été sa seule
ressource, il fut admis que pendant les
fêtes et les jours consacrés on se vole-
rait réciproquement. Ce Mercure était
surnommé Joyeux (XaptS6tr,{) (6).
Après la mort violente de Polycrate ,
Meandrius éleva dans un faubourg de
Samos le temple de Jupiter libérateur.
Les temples de Vénus étaient nombreux ;
Dexieréon-lui en avait élevé un à çon re-
tour de Cypre : les courtisanes athé-
(x) CaUim., Hymme à Dtan., V, aaS.
(a) Hérodote, m, 48.
(3) Pausau., U, 3r.
(4) Jamb., I, ch. ir.
(5) Hésycb., V , inaxTOuoc.
(6) Plut., Qttest, Gr,, 55; Pausan., VU, 4.
J6.
244
L'UNIVERS.
niennes oui avaient suivi Pédelès, dans
son expéaition contre Samos, lui en bâ*
tirent un second appelé le temple de la
Vénus des Roseaux (1). La féteaes Éku'
ikéries avait été instituée en l'honneur
de TAinoar et de sa mère; pendant sa
durée la licence la plus al>solue régnait
à Sanoos. Enfin, Minerve et Gérés rece*
valent un culte et jouissaient d'honneurs
établis sans doute par les colons de TAt-
tique.
Beaux Arts, Littébàtube, Philo-
sophie. — Les arts furent cultivés à Sa-
inos avec un soin particulier. Le grand
nombre des édifices religieux qui ornaient
cette île et les objets d'art dont ils étaient
décorés attestent le développement de
Tarchitecture, de la sculpture et de la
peinture à Samos. L'architecture y fut
surtout florissante. I^sSamiens illustres
dans cet art sont : Rhœcus , qui cons-
truisit î'Héroeum , à la première olym-
piade (776), ou selon une opinion plus
accréditée vers la vingtième (700) (2).
Son fils Théodore construisit le Laby-
rinthe de Lemnos. Pendant un séjour à
Éphèse il conseilla de placer des char-
bons dans les fondements du temple de
Diane, que l'on construisait alors, afin
d'éviter les inconvénients de l'humi-
dité (3). Vint ensuite Mandroclès, qui
jeta sur le Bosphore le pont de bateaux
sur lequel les Perses passèrent pour aller
en Scythie. Darius,. satisfait de cet ou-
vrage , combla Mandroclès de présents ,
dont une partie fut employée à faire
peindre pour rHérœuhi un tableau qui
représentait le pont avec le roi Darius,
assis sur son trône et regardant défiler
son armée. L'inscription en était ainsi
conçue : « Mandroclès a consacré à Ju-
« non ce monument en reconnaissance
« de ce qu'il a réussi au gré de Darius
« à jeter un pont sur le Bosphore. Il
« s'est par cette entreprise couvert de
« gloire, et a rendu immortel le nom de
« Samos, sa patrie (4) ». Les nombreux
édifices, tant civils que sacrés, de Samos
témoignent de l'existence d'un grand
nombre d'autres architectes et d'ingé-
(i) Athén., XIIJ, 57a, f. xaXdc(jLOi<;.
(a) Voir la discussion de M. Panofka , Res
Sam., p. 5i.
(3) Diog. Laert.,IV, 8.
(4) Hérodote, lY, 88.
nieurs, dont les noms ne nous sont pas
parvenus.
Le même Rhœcus fut sculpteur en
même temps qu'architecte illustre. Atcc
et après lui se distinguèrent ses fils ,
Théodore et Teléclès. Rhœcus et Théo*
dore furent les inventeurs de la plas-
tique. Théodore avait coulé en airain
sa propre statue. Cet ouvrage était re-
marquable, par la vérité et la finesse des
détails. Dans la main droite était une lime
et un petit quadrige de la forme la plus
exiguè et du travail le plus délicat. L'in-
vention de la règle, du tour et du niveaa
lui était encore attribuée (1). De concert
avec Teléclès , il fit , à l'imitation des
artistes de l'Egypte, où il avait demeure
longtemps , une statue dont une moitié
fut exécutée par lui, à Éphèse, et Fautre,
à Samos ) par son frère. Les proportions
avaient été si bien prises que les deux
parties rapprochées semblaient apparte-
nir au même ciseau. Un second Théo-
dore, fils de Teléclès, s'illustra dans les
arts, comme son père, son aïeul et son
oncle, et mit le comble à la gloire de S3
famille^ 11 fut contemporain de Polycrate,
et grava cette bague en forme de cacbec
dont le sacrifice parut au tyran la com-
pensation de son bonheur. On lui attri-
buait un cratère consacré par Grésu»
dans le temple de Delphes ; ce cratèit
était d'argent, et capable de contenir sit
cents amphores ; le travail en était du
goût le plus exquis (2). Un peintre du
nom de Pythagore, à peu près oonteni-
porain.du grand philosophe, s'adonoa
aussi à la sculpture. On voyait de lui
au temps de Pline sept statues nues,
auprès du temple de la Fortune de eha-
que jour, et celle d'un vieillard : toutes
étaient des œuvres très-estime (3). A
partir de ce temps les noms des sculp-
teursamiens cessent d'être connus; mais
les statues dressées à Alcibiade , Ly-
sandre, Ck)non, Timothée prouvent que
la sculpture continua à être en honneur
à Samos.
Plusieurs peintres samiens furent cé-
lèbres, et les encouragements, les cou-
(x) Pline, Hist, Nat., XXXIV, 19 «-^
passîm.
(a) Hérodote , 1 , 5 f .
(3) Pline, Hùt. Aa/.» 34> i9i Diog* La«^'
Tlir, ru de Pythag. "
ILB DE SAMOS.
346
eoors el la libéralité des habitants de Tile
? attirèrent encore des étrangers illus-
tres. Calyphon de Samos, contemporain
de la première guerre médique, peignit
pour Je temple de Diane à Êpbèse une
Discorde, qui faisait allusion à la guerre
des Perses contre les Grecs (1). Il repré-
senta ensuite un Patroele que des femmes
rerétaient de sa cuirasse (3). Pline men*
tjonne parmi les bons peintres un nommé
Théodore, élève deNicostbène, dont l'é-
poque est incertaine (3). Au temps de
I>émosthène florissait Agatbarchus, fils
dEudémas (4). Parrbasius d'Éphèse vint
à Samos, et concourut avec Timanthe
pour un Ajax disputant les armes d'A-
chille. Mis après le Samien , il déclara
être affli$2:é pour le héros de le voir une
seconde fois vaincu par un indigne ad-
versaire (5). Timanthe est le peintre fa-
meux gui ne trouvant pas une expression
assez forte de la douleur d'Age memnon
pendant le sacrifice de sa fille, lui voila
la tête. Nous avons vu que Pythagore le
sculpteur avait d'abord été peintre.
Samos eut aussi des musiciens : le
grand Pythagore avait fait une étude ap-
profondie de Part musical ; et selon son
système Tensemble du monde était or-
ganisé d*après les mêmes lois d harmo-
nie que la musique. Le Samien Stésandre
fut le premier qui à Delphes chanta sur
la cithare les poèmes dllomère ; vient
ensuite le joueur de flûte Télépbane ,
anquel Ciéopâtre fille de Philippe fit
élever un tombeau sur le chemin qui
mène de Corinthe à Mégare (6). Trois
ieunes Samiennes furent aussi célèbres
parleurs chants et par leurs danses : elles
s'appelaient Aristouique, OEnanthe et
Agathocléa (7).
La littérature fut aussi cultivée que
les arts par les Samiens. Cette tle eut
ées écrivains originaux, s'exprimant
dans un dialecte particulier. L'idiome
propre aux Samiens, qui était Tune des
quatre branches du dialecte ionien, de-
vait se ressentir du séjour des Gariens
(i) Paasanias, "V^i X9*
(2) Id., Ibid., a6.
(3) Plioc, But. Nat„ XXXV, 4o.
(4) PanoHta , p. 55.
(5) Pline, HisL Nat„ XXXV, 19-36.
(6) Paiisaniasy I, 44.
(7) Panofka, Res Sam,, p. 56.
dans rtle; leur langage, moins doux
que celui des Lydiens, gardait une cer-
taine parenté avec la langue, plus rude,
des Gariens et des Donens. Si Ton en
croit Hésycbius et Suidas, un Samien,
Callistrate, aurait inventé les vingt-quatre
lettres de l'alphabet , qui de Samos au-
raient passé en Attique, sous Tarchon-
tat d*£uclide. Les plus anciens poètes
de Samos sont la Sibylle Hérophiie (1),
et Asius, fils d'Amphiptolème, auteur
d*un poème généalogique dont Pausa-
nias a recueilli quelques tragments. Gréo-
phyle, poète cyclique, appartint à la pé-
riode où les chefs-d'œuvre et la gloire
d'Homère firent naître un grand nombre
d'imitateurs. « Il avait donné l'hospita-
lité à Homère, dit Strabon (2), et pour
récompense il eut l'honneur de publier
sous son nom le poëmo intitulé la Prise
cPOEchcUie ». Gallimaque assure, dans
une épigramme conservée par Strabon,
que cette œuvre appartient bien à Gréo-
phyle, en prêtant au poème même le lan-
gage suivant: «Je suis l'œuvre du Samien
«qui jadis reçut ledi vin Homère; je pleure
« les malheurs d'Ëur^thus et de la blonde
• lolée ; on me qualifie de poème homéri-
« que, ô Jupiter ! quel sujet degloirepour
« Grcophyle ! » — Plusieurs auteurs ont
dit que Créophyle fut le maître d'Ho-
mère. Prodicus, né aussi à Samos, avait,
au dire de Glément d'Alexandrie, écrit
une descente d'Orphée aux enfers. On
compte encore parmi les poètes épiques
Chœrile, contemporain d'Eschyle. Il
chanta la guerre des Perses contre les
Grecs, s'efforçant de rajeunir par un
sujet nouveau et attachant la poésie épi-
que, qui commençait à vieillir. Les Athé-
niens, charmés du sujet, eurent le poète
en grande considération. On lisait dans
les écoles ses poèmes avec ceux d'Ho-
mère. Un autre Ghœrile, poète tragique,
fut contemporain d'Alexandre : ses mau-
vais vers étaient récogi pensés chacund'un
statère d'or, c'est de lui qu'Horace a dit :
Grains Alexandre régi mâgno fait lile
Cbœrilus, incaltis qui versfbuset malenalis
Rettulitacceptos regale ûumisma PbillpposC»).
Un autre poète, I^icénœtus, adressa
cette épigram me à sa patrie : « Ge n'est pas
(i) Panofka, Res Samîorum, p. S 7 et suit.
(a) Slrabon , XrX, § 10.
(3) Hor., Epit,^ II, ép. i.
246
LUNIVERS.
« dans ta TiUe» c'ait att milieu descain-
« pagnes que je veux célébrer mes fes-
« tins, réjouis par le soufOe du zéphyr;
« C'est assez d^in lit de feuillage. Voici
« les feuilles de Fagnus-castus , arbre
« emfaflumé de cette terre. Voici Tosier,
« couronne antique des Cariens. Appor«
<c tez te vin et laljre aimable des muses;
« plein de joie , réjoui par les douces
'« (limées de la liqueur enivrante, je cban-
« terai la déesse reine de notre tie , la
<i noble épouse de Jupiter (1) ». Pausi*
maque avait retracé dans ses vers This-
toire du monde. Asclépiade est appelé
par Tbéocrite la gloire de Samos (2).
Ëpœnœtus composa deux poèmes , Tun
sur les poissons , Tautre sur l'art culi-
naire.
Il faut parler d'Ësope à propos des
écrivains de Samos. Le célèbre fabuliste
de Fantiquité est né en Phrygie selon
l'opinion commune; quelquefois cepen-
dant (8) on a voulu que Samos fût sa
patrie. Il est au moins reconnu qu'il
passa dans cette île une partie de sa vie,
et que c'est là qu'après avoir servi
Xanthus il reçut d'Iaamon, son second
maître, la liberté. Il était contemporain
de Grésus (4). Anacréon de Téos appar-
tient aussi à cette île, par le lon^ séjour
qu'il fit auprès de Polycrate , qui l'avait
admis dans son intimité. Mais de tous
les hôtes que reçut Samos , celui dont
elle doit le plus s'enorgueillir est Ho-
mère. Devenu aveugle à Colophon, après
bien des courses et des vovages, il avait,
selon la biographie vulgairement attri-
buée à Hérodote, habité tour à tour
Cyme, Phocée, Chios. Sa destinée er-
rante le mena, lorsqu'il était déjà vieux,
dans 111e de Samos. Bien accueilli par
les habitants , il célébra leur hospitalité
dans ses vers. Cest pour des potiers, qui
l'avaient prié de s'asseoir au milieu d'eux,
qu'il composa le Chant du Fourneau.
Homère passa un hiver entier à Samos.
Aux nouvelles lunes , il allait aux mai-
sons des riches, suivi de jeunes enfants,
et il chantait les vers que Ton a appelés
Virésioné ou le Rameau : C'était le chant
du suppliant qui frappait à la porte du
i) Nirénœtus, cité par Athén., "XV.
fa) Théoc, Idyl., VI, 40.
Î3) Suidas, V , Atcion,
[4) Hérodote, n,i 34.
liche, et qiâ ûûsait un ipptl à sa géné-
rosité. L'nymne d'Homère se transmit
d'âge en âge ; et quand les enfonts de
Samos faisaient la qnéte en l'honneor
d'Apollon, Ils redisaient les vers de H-
résioné. Cest en quittant Samos qu'Ho«
mère mourut dans llie d'Ios (1).
Les historiens samiens sont Eugéos,
antérieur à la guerre du Péloponnèse, Do-
ris, qui vivait trois cents ans avant J.-C.
Il écrivit les commencements de Tbis-
toire grecqoe (3). Les fragments de sa
histoires qui nous ont été conservés pai
Athénée (8) abondent en détails inutiles:
ils sont dénués de critioue , mais quel-
quefois ils contiennent des récits ^ui ne
sont pas sans charme ; il lui arrivait par-
fois d'insérer des vers et des petits poè-
mes dans ses narrations. Ciei^ron vante
son exactitude (4). Outre ses histoires , il
avait écrit des annales samiennes, qu'os
peut particulièrement regretter ici, et m
traité sur les lois. On lui attribuait en-
core des livres sur Euripide, sur Sophocif
et sur la peinture. Duris eut on frère
qui, sans atteindre à sa célébrité, ne fut
pas sans mérite; il s'appelait Lyncée, et
s'adonna à la littérature. Il avait écrit
des histoires égyptiennes, où se retrou-
vaient les défauts de son frère, et com-
posé un recueil d'actions mémorables et
d'apophthegmes gui ne manquaient pai
d'intérêt; un traité de l'art culinaire, U
festin de Lamia , le iMinquet des roii
Antigone et Ptolémée , enfin une cor-
respondance adressée à Htppolocus div
ciple de Théophraste. On lui attribuait
des critiques sur son contemporain \t
comique Ménandre ,(5). Denys, autfor
d'un ouvrage IIep\ KtSxXou, écrit en pn$e,
y dissertait sur les récits fabuleux qui
formaient la matière des poèmes épi-
ques. Il faut le distinguer de Denys d^
Milet, qui a composé un livre du niêmr
titre; on l'a quelquefois confbnda aver
Denys d'Alexandrie, le Périégète. PIih
sieurs annalistes, Alexis, i£thiius, M^
nodote, complètent la liste des écrivaia»
du genre historique.
(i) Hérodote, ^te d'Hom., c. 3i el suit.
(2) Diod., XV,6o.
f3) Voir Alhén., XII, VI, passim ; Ptnoft»-
p. 89.
(4) Cic, adu4ttic.,Vl^ r.
(5) Panofka , Hes Samionm , p. 93.
ILE DE SAMOS.
147
RidM en poètes et en historiens^ la
petite ile de Samos fut encore la patrie
de Pythagore et Je berceau d'Épicure.
hthagore descendait par ses parents,
Noésarque ou Mnémarque et Pytbédée,
(TADcée, le héros qui avait colonisé Sa-
mos (!}. Des présages, confirmés par la
beauté de Tenfent, ses dispositions mer*
Tfilleuses à tout apprendre et son godt
pour les arts révélèrent sa grandeur fu-
ture. Son père, habile graveur de bagues,
qui travaillait , dit Diogène de Laerte ,
pour rhonneur plus que pour le profit^
Qe négligea rien de ce qui pouvait con-
tribuer à Vinstru ire. Conduit par ses af-
faires à Lesbos, il lui lit suivre les leçons
de Pbérécide de Syros ; ce maîtrejnou-
rut. Miiésarque revint à Samos ; et son
Gis étudia sous Hermoda mante , petit-
fils de Créophyle. Bientôt le jeune Py-
thagore fut curieux de voir le monde; il
commença ses voyages, et, parcourant
la Grèce et les pays barbares, se fit ini-
tier à tous les mvstères. Une version,
peu accréditée même dans les temps an«
ciens, prétendait que ce n'était pas de
plein gré qu'il avait été en Egypte; il se
serait trouvé au nombre des prisonniers
de Gambyse , et aurait été racheté par
un riche Crotoniate appelé Gillus (3).
Diogène de Laerte raconte, avec plus de
vraisemblance, que Polycrate lui donna
pour aller dans ce pays des lettres de
recommandation. Les prêtres égyptiens
lui enseignèrent la combinaison des
nombres et les formules rigoureuses de
)a géométrie. Chez les Chaldéens il
apprit la science des astres, et les révo*
jutions précises des planètes; il pénétra
jusqu'à rinde, visita la Perse, et revint
par rtle de Crète. Lorsqu'il rentra dans
sd patrie, riche de science et d'expérience,
plein des idées et des doctrines qui al-
laient le placer parmi les sages, Poly-
crate était au comble de la prospérité. 8i
glorieuse que fOt cette tyrannie, le philo-
sophe ne put la subir ;' il quitta Pile, se
réfugia à Crotone, et jamais Samos ne re-
vit son illustre citoyen (580 av. J.-G.) («).
Mélissus de Samos fut h la fois phi-
losophe et homme de guerre. Parménide
avait été son maître; contemporain de
(i) Jambliq., rie de Pjthag., ch. a.
M Apulée, riorid,^ XV.
(3) Diog. laert., VDI, ch. i , i, a, 3.
Démoerited'Abdèreftd^Héraelite, lient
de fréquents entretiens avec ce dernier.
Ses coneitoyens l'aimèrent pour ses ver-
tus, et lui décernèrent le commandement
de leurs forces navales. Nous avons vu
qu'il sut pendant quelque temps balan-
cer l'habileté et la fortune de Périclès.
L'univers était, selon lui, infini, immua-
ble , immobile ; la loi du monde était
simple et toujours constante; le mouve«
ment n'existait pas , ce n'était qu'une
illusion, il ne fallait pas chercher de dé-
finition pour les dieux, sur la nature
desquels on n'a ()ue des connaissances
incertaines (1). Ëpieure passa sa jeunesse
à Samos. Lorsque les Athéniens se dé-
terminèrent à envoyer une colonie dans
cette Ile, parmi ceux que désigna le sort
se trouvait un pauvre maître d'éoole du
bourc de Gargette ; il s'appelait Néoelèi.
Néoclès vint s'établir dans son lot de
terre avec un enfant qui lui était nou-
vellement né, etquifutÉpicure.Parvenn
à l'âge d'étudier la philosophie, le fils
de Néoclès suivit les leçons du plato-
nicien Pamphile ; mais bientôt il quitta
rtle, et, à i'dge de dix-huit ans, il alla
se faire inscrire k Athènes dans la classe
des éphèbes (2). On cite encore parmi
les Sa miens célèbres dans les sciences '
Phocus, auteur d'une astrologie qui mé-
rita d'être attribuée à Thaïes de Miiet (S).
Tels furent les sages de Samos. Cette
terre féconde pour la philosophie avait,
dit^n , reçu Socratedans un des voyages
de sa jeunesse.
Monnaies, MÉnATiLis. -» 11 ne sera
pas inutile de compléter l'histoire de Sa-
mos parla description des médailles de
cette île qui nous ont été conservées.
Quelques-unes de ces pièces servent h
justifier des faits cpji n ont été avancés
que sur leur témoignage.
Les Sa miens, comme tous les peuples
commerçants, durent adopter de bonne
heure 1 usage des métaux monnayés
pour faciliter les échanges. Ils eurent
une monnaie et une marque particulière.
Pour les plus anciennes monnaies, ce fut
d'un côté une tête de femme et te mot
CÀMIQN, de l'autre un paon ; ces pièces
rappelaient exclusivement la déesse pro-
(i) Diog. Lacrt., IX, 4.
(a) Id., Xy i,S| 3.
(3) Id., I, a.
%4»
LVNIVERS.
lectrice de l'île, car on a va que les
{)aons , nourris en grand nombre dans
'Hérœum , :étaient consacrés à Junon.
Plus tard, au temps de sa toute- puissance
maritime, Samos représenta uneSaméne
sur ses pièces d'argent, comme semble
le prouver le passade de Suidas relatif
à Texpédition de Périclès et au châti-
ment réciproque que s'infligèrent les
Athéniens et les Samiens. Les monnaies
étaient d*or, d'aigent et d'airain, même
de plomb doré. Parmi les médailles les
mieux conservées, il en est une qui re-
présente une petite lune auprès d'une
tête de femme ; à la face est écrit MHNH
GAMIÛN, au revers BEON CÏNKAH-
TON (1). Choiseul-Goufûer en reproduit
une à peu près semblable (2). Elle offre
à la face une tête de femme ou de jeune
homme, peut-être Apollon, au revers
un paon posé sur un caducée, un sceptre
et le monogramme de Junon. A partir
des relations amicales de Samos avec la
Libye, et de l'aventure d'Elpis, on voit
souvent figurer sur les monnaies une
tête de lion sur la face; la légende porte
HrHCIANAS avec G. ou CA. Au revers
on voit un bceuf coupé par la moitié
et le mot CAMIÛN. Le nombre des
médailles représentant un lion, un tau-
reau et le nom de Bacchus est assez con--
sidérable. Sous les premiers Césars les
médailles Samiennes deviennent plus
rares. De Caracalla àGallien elles sont,
' aucontraire,très-nombreuses; elleàpor*
tent toujours le mot GAMlûN et l'image
d'un paon avec un sceptre, ou bien la
déesse Junon. Celle-ci est ordinairement
représentée comme si elle présidait à la
cérémonie du mariage, couverte d'un
long voile; à ses pieds coule un fleuve,
peut-être rimbrasus. Certaines mon-
naies représentent Méleagre tuant le
sanglier; au-dessus Vulcain faorique
des armes. Fréquemment sous Gallien
et Gordien on trouve un homme nu qui
lance des deux mains une pierre contre
un serpent. Sur certaines médailles Py-
thagore est représenta assis, revêtu d'un
manteau; il touche une sphère avec sa
baguette ; en légende est écrit nrOATO-
(i) Eckhel., Doctrin, num., t. II, p. 569.
Cf. Panofka, p. iS.
(a) Voir dans Tailas r^uason qui précède
les vues de Samos.
PHC CAMIÛN. Du temMdoGordien et de
Décius datent les médailles qui portent
nPOTQN lONUC. Enfin, une Concorde
et Alexandrie d'Egypte , avec cette If-
eende : CAMIÛN KAl AA££AN^EÛ>
OMONOI A ; on v voit aussi Isîs deboutcoo-
verte d'un voile. Il est à remarquer que
parmi ces médailles pas une ne porte
ou la figure ou l'indication d'un magis-
trat public. Cest là une regrettable la-
cune, qui nuit à la connaissance des ins-
titutions politi<iues de Samos et qui a du
rendre incertaines et réservées nos as-
sertions à leur ^ard.
IV.
HISTOIRE DB SàMOS PENDANT LE
MOYEN AGE ET LES TEMPS MO-
DERNES.
SAMOS sous le GOUVERNEMENT III-
PÉRIAL. — Après l'époque deVespasien,
depuis le moment où Samos fut réduite
en province romaine, cette tle tombe
dans un oubli presque complet. On ne
retrouve plus son nom que sur quelque
monnaies impériales, qui nous attestent
Sue Samos avait conservé dans le sein
e l'empire romain une position digne
de son ancienne splendeur. Mais au mo-
ment où commencent les invasions des
barbares, le silence de l'histoire devient
encore plus profond, et la décadence de
Samos et de tout le monde grec, retar-
dée de plusieurs siècles par le génie po-
litique des Romains , s'accomplit au
milieu de calamités dont les historiens
byzantins n'ont guère le courage de nous
transmettre les tristes détails. De toutes
les fies un peu importantes de la m^r
Egée, Samos est la plus oubliée des
rares annalistes deces temps misérables;
et nous n'aurons souvent qu'à mennoo-
ner, sans renseignements précis, la
part qu'elle a dû recevoir des calamités
générales de cette malheureuse époque.
Au quatrième siècle de l'ère chrétienne
les désastres de tout genre précédè-
rent, comme de sinistres présages, les
incursions des b-irbares, qui commeore-
rent au siècle suivant. Les famines , la
peste, les tremblements de terre se r^
nouvellent à de courts intervalles. Bien
ue Samos ne soit pas mentionnée parmi
l
es villes qui souftrireot le plus de ces
léaux , il est à penser qu'elle n'en fot
ILE JX SAMOS.
U9
pas enUèraDent garantie. Elle dut no-
tamment souffrir du tremblement <|ui,
en 363 et 365, se fit sentir de la Sieile
ao Péloponnèse et à FArabie (1).
Sous les règnes de Julien, de Valenti*
oieo, de Valons, tandis que les préten-
dants à l'empire se disputaient la pour*
pre les armes a la main, des brigands
tenaient la mer Egée et tout le littoral
de TAsie Mineure, qni avait toujours été
le' repaire des pirates. Samosdnt leur
servir de retraite dans ses roehers et ses
détroits, et la première souffirir de leurs
ravages. En 417 nouveau tremblement
de terre général sur les cdtes de TAsie
Mineure. Trente ans plus tard ee dé-
sastre se renouvelle, et ravage encore
plus de contrées : Constantinople est
bouleversée ; des montagnes s'écroulent,
d'autres sortent du milieu des plaines ;
la mer bouillonnant engloutit oes tles,
toutes celles de la côte sont maltraitées,
et des secousses se font sentir six mois
dorant. En 747 une contagion meur*
trière dévaste particulièrement les lies,
et dure trois ans.
Cest vers ce temps quetPempire ayant
été partagé en thèmes , Samosdut aux
souvenirs qui se rattachaient à son nom,
bien plus qu'à Timportance Qu'elle avait
conservée, de devenir le cneMieu du
seizième thème de l'Orient, qui s'éten-
dait sur le continent depuis Magnésie,
Tralles, Ëphèse, Mvrine, Téos, Lébé*
dos, etc., jusqu'à Adramytte, et qui était
divisé en deux<tirme«, Êphèseet Adra«
mytie (2),
bcuBSions DBS SABEiiSiNS. — Bien-
tôt aux ravages des pirates, qui s'étaient
postés dans les écueils et sur les rivaees
voisins de Saroos, se joignirent les fré-
quentes incursions des Sarrasins. Maî-
tre de la Crète en 824, ils se répandirent,
de cette tie dans toutes celles de TAr-
ehipel qu'ils ne cessèrent d'infester sous
Michel 11. Sous Michel 111, l'Ivrogne,
Petronas, frère de l'ambitieux Bardas,
gouverneur de Lydie et d'Ionie, et par
conséquent de Satnos, est chargé du soin
de repousser les courses des Sarrasins
des côtes et des tles de sa province. En
882, sous Basile, une flotte arabe, par-
(x) AoMniea-Marcellin , XXYI , ch. lo.
(i) GoosUiiit Porphyr.ydSs r/iema/., I,daiu
U CoUact. Byzant. de Niebubr., t. III, p. 41.
tie de Ptle de Crète, ravage sur son pas*
sage toutes les îles jusqu'à l'Hellespont.
Enfin sous Léon VI, en 888, les Sarra*
sins descendent a Samos, et font prison-
nier le préteur Paspala, son gouver-
neur (1). Quatre chroniqueurs nous ont
eonservé une mention sèche et brève de
cet événement, qui consomma la ruine
de Samos. Nulle nart on ne sent mieux
que dans oes froiaes indications des an-
nalistes byzantins toute l'apathie et
rimpuissancedu gouvernement du Bas-
Empire. Cependant l'Ile ne tarda pas à
rentrer sous la domination grecque; puis
les incursions et les ravages des Sarra-
sins recommencèrent. En 904 presgue
tous les habitants de l'Archipel sont for-
cés de fuir derrière les remparts de Tbes-
salonique; mais Thessalonique est prise
avec vmgt*deux mille de ses défenseurs.
Cependant, un général grec, Himère, bat
l'ennemi ; prompts à prendre leur re-
vanche, les Sarrasins arment trois cents
vaisseaux, en donnent le commande-
ment à deux chrétiens renégats, Daraien,
émir de Tyr, et Léon de Tripoli. Himère
s'avance à leur rencontre, et livre combat
auprès de Samos , dont Romain Léca-
pêne était gouverneur. I<a bataille fut
acharnée et sanglante, la victoire, long-
temps disputée, resta aux Sarrasins.
Himère n'échappa qu'avec peine, et se
retira à Mitylène (91 1 )(2). Damien, pour^
suivant le cours de ses succès, songea à
s'emparer de tout l'Archipel. Il attaqua
d'abord une ville de Carie, Slrobèle,
dans le golfe Céramique; mais la mort
arrêta l'exécution de ses projets.
Eu 960 Samos vit les préparatifs de
la grande expédition grecque, qui, sous
les ordres de Nicéphore Phocas, enleva
Candie aux Sarrasins (3). Les vaisseaux
s'étaient réunis au port de Pygèle, au
sud d' Ëphèse. Cinquante ans plus tard,
Basile Argyre, gouverneur de File, fut
choisi pour réprimer la révolte des ha-
bitants de Bari. U avait pour coliè^
Contoléon, gouverneur de Céphallenie.
Tous deux* furent battus par Méii, ci-
(t) Tbeopbanes Contintiaïus , YI, dans
IViebuhr., p. 35?; SiroéoD magister, p. 70Z ;
Georg. le Moine, 853.
(a) Lebeau , Bist, du BaS'Smp.^ liXXJI ,
$54.
(3) Zonare , in-fol., p. 196-197.
350
L'UNI VSRS.
toyen de la viUe rebelle, le même qui,
trahi par les sieni, prWé de sa femme et
de ton fils, liTrés aux Grees^ se fit l'auxi-
liaire des Normands, et contribua à rafir
à IVmpire ce qu'il conservait dans Tlta*
lie méridionale. Un autre gouverneur de
Samos, David d'Achride, fut vainqueur
d'un chef russe, Chrysochis, parent de
Vladimir, qui, à la tête de quelques bar-
ques, avait battu le préfet maritime d'A-
bydos et s'était avancé jusqu'à Lem«
nos (1028) (1).
L'Ile de 8amo8 était un poste diffioiie
à défendre. On lui choisissait pour gon«
verneur des hommes de guerre expérj«
mentes* Quatre ans après la victoire de
Dafid, nous trouvons encore un gou*
verneur de Samos à la tête des forces
navales de l'Arohipel. George Théodo*
raeane, uni à Bérinoès, gouverneur de
Chio, livre combat aux Sarrasins dans
les Cyolades, leur prend douze vaisseaux,
et dissipe le reste de leur flotte (2). Sous
le règne de Constantin IX Monomaque,
que l'impératrioe Zoé avait tiré de son
exil à Lesbos pour le revêtir de la pour*
Irre, Constantin, parent de Michel Y Ca*
apbate, étant devenu suspect au nouvel
empereur, fut relégué à Samos (104a)(a),
après avoir eu les yeux crevés. A la fia
de ce même siècle, un aventurier ture^
Tzacbas, s'étant formé une marine avec
faided'un habitant de Smyrne, s'empara
de Phocée, Clazomène, Lesbos, Chios et
Samos (4).
SàMOS au temps DCS CB0I8ADE8. •—
Bientôt les expéditions de Terre Sainte
amenèrent les chrétiens occidentaux
dans les mers du Levant. Venus comme
auxiliaires, les Latins furent fendus hos-
tiles aux Grecs par la mauvaise foi d'A-
lexis Comnène. Ce fot entre les deux races
une rivalité continuelle, tantôt sourde ,
tantôt déclarée, pendant tout le temps
des croisades. Les républiques mar-
chandes de l'Italie commencèrent alors
à disputer aux Grecs le commerce de l'A-
sie et la domination des îles de l'Archi-
peL On vit les Pisans, les Génois, puis les
vénitiens faire la guerre à l'Empire; les
(x) Lcbeaii , Hitt, dm Bùs^Bnutire, LXXVT,
§07.
(a) Id., iW., LXXVn, $3.
(3) Zonare, t. II, édîr. de Paris , {>. 945.
(4) Id., t. n, p. a$i.
prétentioat de l'empterei», ht pniasanec
des républiques maritimes, lee rivaiitéi
d'intérêts donnaient nécessairement liea
à des hostilités dont les lies de l'Archipel
étaient souvent le théâtre. A l'année
1124, sous Jean Comnène, Dominique
Michel, doge de Venise, ayant à se
plaindre de la cour de Constantinople,
qui lui avait refusé des honneurs qu'elle
accordait à ses prédécesseurs, parcourut
l'Archipel , à la tête de la flotte véni-
tienne, et il saecagea Rhodes, Chios et
Samos (I). L'empire grec resta en po8<
session de ces lies, que les Vénitiens n'o^
eupèrent qu'un moment ; mais ce fut
pour les perdre d'une manière définitive,
après les événements qui produisirent
l'établissement des Latms à Constanti-
nople, ei»i204. Samos avec Cliios, Rho-
des, Lesbos, Lemnos, et toutes celles qui
s'étendent entra Andros et le eontineat
devinrent le partage des Francs. Mais ob
sait combien fut prompte la décadence
de cet empire latin , fondé par les croi-
sés. Dès 1988 Jean Ducas, empereur
de Nicée, reprît Samos, Rhodes et les
principales Iles de cet parages (9). Depuis
ee moment on ne parie plus de Samos,
qui dut rester une possession des empe-
reurs byzantins. Tandis que les Génois
ou les Vénitiens combattaient pour la
possession de Lesbos, et fondaient une
colonie puissante à Chios, on ne voit pas
qu'ils aient son^ à la conquête de Sa-
mos. Sans doute toujours en proie aux ra-
vages de ces ennemis permanents qui fai-
saient leur séjour dans ses deux détroits^
peu ou peut-être pas cultivée, déjà
rendue pestilentielle par raccumuiatioa
des eaux dans sa plaine orientale, Samos
voyait chaque jour diminuer le nombre
de ses habitants, et elle n'avait phis au-
cun des avantages cpi auraient pu attirer
les étrangers et exciter leurs convoitises.
SàMOS sous la domination dis
TtJHGS. — En 1458 les ravages que les
Turcs V exercèrent, après s'en être em-
parés, lui portèrent le dernier eoup. Ses
derniers habitants émigrèrent, et pen-
dant un siècle les bêtes sauva^res errè-
rent seules à travers les forêts abandon-
(x) Andrem Danduli Citron., IX, c. la »
p. 267.
(a) Nîoéphore Grégoms , 1. 1 , p. »9 ; Coll.
Byz. de Siebubr.
ILE DE SAMOS.
251
uêes de sas moDtflgBes. De temps en
temps quelque leigneur Ture faisait une
desoeote dent Ttle pour s'y livrer au
plaisir de la «basse. £oûn , vers 1650,
ramiral Kilidj«Ali, frappé de la beauté du
loUbtiBtdeéoltniatt la permission de re-
peupler Samoa* H fit à eet effet, venir un
graDd nombre d'babitants de ,1a côte voi-
iioe et de Mitjlène. A la mort de Kilidj-
Ali, cette Ile , qui était devenue sa pro-
priété, rentra dans le domaine du sultan
:iâ87). Peu à peu la population de Sa-
mos augmenta; les villages se repeu-
pièrent, des endroits nouveaui furent
habités; Tantique industrie de la poterie
fut exploitée de nouveau. Un peu de cul^
tore, un peu de commerce, lui redonnè-
rent quelque vie et quelque activité. La
plupart des nouveaux habitants étaient
Grecs, etTile, qui avant sa dépopulation
irait un évéqne suffragant de Rhodes,
tomba dans la dépendance du patriarche
deCottstantînople, qui la faisait adminis-
trer par un vicaire.
Cet état de choses dura cent ans.
Puis les habitants de Samos , deman-
dant avec instances un archevêque, il
leur fut accordé, et U eut pour sunragant
révéque de Nicaria. Mais cette dernière
Ile. étant trop pauvre pour entretenu:
un évéque» U fut supprimé, et Tarcbe-
léque ae Samoa demeura sans suffra-
gant. Ce dignitaire n'était pas élu sans
certaines formalités : à son arrivée, il
montrait son firman; les Proesti, pre-
miers de rile, le menaient à Téglise ar-
chiépiscopale, où il faisait un discours
f% doMiait sa bénédiction. De là il allait
trouver le papas de chaque église, qui lui
remettait un présent de quinze à vingt
piastres. La première année c)^a(|ue
(Tf lésiastique lui donnait quatre pias-
tres, et les suivantes deux. Tous les
f<>nniers payaient la première année
vinat-huit aspres, et vingt-quatre les
mirantes. Les consécrations et les ma-
riages, la bénédiction des eaux et des trou-
peaux fournissaient le surplus des reve-
nus; les laitages et les fromages du jour
de la bénédiction appartenaient à Tarcbe-
Téque. Mégalè-Chora, capitale nouvelle
de rile, dont nous avons donné la des-
eription, devint la résidence de Tarche-
véqoe. C'était là qu'une partie des habi-
tants venaient lui demander la permission
de se marier. A l'autre extrémité de Sa-
mos, àCarlovassi,un substitut du prélat
était chargé d'accorder cette permission.
Pour f obtenir il fallait payer une pias-
tre, deux si Ton était étranger, trois ou
quatre au second ou au troisième ma-
riage. Les papas étaient, au dire de Tour-
netort, d'une ignorance extrême; plu-
sieurs ne savaient même pas lire, et
célébraient la messe en la récitant par
cœur.
Telle était au dix- septième siècle
Tadministration religieuse de Samos,
ainsi qu'un archevêque lui-même nous
l'apprend (t). Elle était, on le voit, asses
onéreuse, mais ce n'était rien en oom*
paraison des vexations des agents turcs.
Ceux-ci, qui faisaient également leur
séjour à Mégalè-Chora, étaient le cadi et
i'aga, le premier chargé de la justice et
le second du commandement militaire
et de l'impôt. L'archevêque jugeait en
première instance; mais l'appel était
Çorté au cadi. Les Samiens payaient aux
urcs plusieurs sortes de contributions.
D'abord le vacouf, impôt religieux per^
pour Tentretien des mosquées. La mos-
quée de Samos avait été détruite par les
Vénitiens : les Turcs, obéissant à un pr»>
eepte de la loi, ne l'avaient point relevée;
mais les habitants de Samos étaient res*
tés assujettis au vacouf qui se percevait
au profit de la mosquée de Tophana, à
Gaiata. Ce tribut a'élevait annuellement
à qualre*vingt mille piastres. Les autres
impôts étaient : le karatch, ou capitation,
exigible des hommes mariés, des orphe-
lins mâles et de tous les étrangers qui"
abordaient dans Tlie. Si on n'avait pas
d'argent, il fallait vendre son bien ou
mendier pour satisfaire à Timpôt. L'aga
était héritier des biens de tous ceux qui
ne laissaient pas d'enfants mâles. Les
agas turcs étaient en général ingénieux
à inventer des impôts vexatoires. C'est
ainsi que le jour ou il devait fiire le re*
censément des troupeaux l'aga de Sa*
mos s'adjugeait tout le beurre qui se
trouvait dans les diverses maisons; de
plus il exigeait de chaque habitant le
don d'uue chèvre, qu'il forçait de rache»
ter cinq ou six aspres. une année il
dtoanda un peu de soie pour sa ceîn*
(i) Joseph Georgirène. Extrait et traduc.
franc dam les Noup» Annal, des y^yages,
première iérie, t. XXY.
252
LUN1VERS,
tare. Les habitants, afin r^e se le concilier,
lui en donnèrent un panier ; tons les ans
il en exigea la même aaantité, arrêtant
ainsi 1 essor de cette inaustrie naissante.
Dans la crainte d'un soulèvement contre
ses exactions, il entretenait des espions
dans toute File, et les proesU des vil-
lages ne rougissaient pas souventde jouer
ce rôle et de se faire les délateurs de leurs
compatriotes. Les agents, quoique pres-
que tous Samiens, imitaient son exem-
ple. On les appelait musa/arides; ils
ne cultivaient pas leurs terres , mais
les affermaient pour vivre auprès de
leur maître, dont ils servaient sans
scrupule les volontés. A la moisson ,
l'aga envoyait chez tous les colons un de
ses musaiarides, qui devait être logé,
nourri, défrayé par son hôte; le musa-
faride était chargé de faire payer la
dtme des grains, dont il évaluait la va*
leur à son gré; la dtme se payait en ar-
gent. Enfin, le vin, l'eau-de-vie, Thuile,
I soieétaientsoumis à une redevance (1 ).
Quoique accablés d*exactions par le
cadi, Taga, les musafarides, Tarchevêque
même et les papas, les Samiens trou-
vaient encore dans Theureuse fécondité
de leur soi assez de ressources pour sub-
sister et faire un peu de commerce. Cha-
que année ils ex portaient pour la France,
au temps deXournefort, trois barques
de froiuent, une barque de laine et une
barque de fromage. Les melons, les pas-
tèques , les fèves, les ienUlles, les ha»
rieots fournissaient abondamment à la
subsistance des colons. Dans les mon-
tagnes s*élevaient toujours ces beaux
châtaigniers dont le fruit nourrissant
était la ressource des plus pauvres. Les
f perdrix, les grives, les bécassines , les
ièvres s'étaient multipliés sans obstacle
pendant que Sainos était demeurée dé-
■erte. Enfin, on recueiilait dans Ttie trois
mille barils d'un muscat qui eut été
excellent avec d'autres procédés de fa-
brication. Celui de Carlovassi, mieux pré-
paré, était le meilleur de 111e et se con-
servait une année entière. Vathi faisait
aussi le commerce des vins. Je ne parle
pas ici de la pêche des éponges, qui sem-
ble une ressource et une industrie plus
récentes. A Tépoque du voyage de Tour-
nefort le costume des Samiens, qui n'a
^lère dd changer depuis', ressemblait
a celui des Turcs : il se composait d'une
longue robe avec une ceintore aux reins
et un surtout léger. Les femmes avaient
une robe retenue par une eeintnre et
sur la tête un morceau de toile blanche.
Les jeunes femmes tressaient leurs che*
veux, noués en bas par une chaîne d*or
ou d'argent pendante sur l'épaule. Les
Samiennes avaient un grand défaut, trop
commun parmi les Grecs actuels, la mai-
propreté.
GUBRRB DB L'mDBPBNDANCB; I?r-
SURRECTION DB S4M0S (1831). — L'é-
tat de Samos tel que nous venons de le re-
tracer dura , avec les légères modifica-
tions que le temps et les changements
de gouverneur apportaient seuls, depuis
l'époque où l'Ile nit repeuplée jusqu'au
temps de la guerre de l'indépendance.
Samos y prit une part active. Voici, d'a-
près M. Raffenel, quelle était la situation
de cette lie au moment où cette guerre
éclata (1). « ... L'Ile de Samos était peu-
plée de Grecs cultivateurs. On y eoinptait
environ 40,000 âmes; elle relevait du
gouverneur d' Échelle-Neuve, Ëlez-A^,
qui y entretenait un cadi et quelques ja-
nissaires. L'tle, entrecoupée de monta-
gnes fort élevées, est extitimenient riche
en productions végétales... Toutes les
collines sont couronnées de plantations
d'oliviers, et chaque année les Européens
y font des chargements d'huile. Mais les
Samiens, sans marine , voyaient passer
tout leur commerce en des mains étran-
gères , et les bénéfices étaient absorbes
par les grands propriétaires. Aussi, on
peut dire qu'à l'exception de quelques
grandes fortunes, la masse des Samiens
était malheureuse; c'est cependant au
milieu de telles circonstances que Tin-
surrection y éclata. »
L'assassmat du vénérable patriarche
de Constantinople, Grégoire, fut Tocca-
sion du soulèvement. I^ics primats de
nie, rassemblés à Vathi. proclamèrent
l'indépendance; le peuple massacra le
cadi et ses soldats, depuis longtemps
odieux par leurs iniquités , et toute la
campagne de l'île répondit à l'insurrec-
tion des villes. Le conseil des anciens.
(i) Toumefort , Voyage au Lepant, t. I , (i) Hht, complète des È9ènementt de la
Detcripi. de Samos, p. 404 cttutv. Grèce, deuxième édit., t, I, p, 147.
ILE DE SAMOS.
368
présidé par Tarehevéque, âéeide qu'on
enrerrait tout de suite deux des archon-
tes à Psara pour y faire part de la révo-
lution gui venait de s'opérer. Les consuls
des puissanees chrétiennes, pris presque
tous parmi les habitants de Hle, s'em-
pressèrent de sacrifier une position qui
les mettait sous le couvert d'une pro-
tection étrangère pour se dévouer à
leur patrie. En peu de jours 6,000 hom-
mes furent armés; quelques Samiens
qui avaient servi dans les troupes rus-
ses, ou pris part à l'expédition des Fran-
çais en Egypte se chargèrent de l'ins-
truction desrecnies. L'insurrection avait
eu lieu au mois d'avril ; en juin, l'armée
samienoe, vaillante et bien ordonnée,
se montait à 10,000 soldats (1). La nou-
velle de cet heureux soulèvement dé-
concerta les Turcs et anima les Grecs,
Saroos ne tarda pas à devenir le refuge
d'un grand nombre de proscrits; on y
accourut de Scio, de Smyrne, de Scala-
Kova. Ce concours de population eut un
âcheux résultat, celui aamener la di-
sette ; mais les Grecs d'Uydra et d' I psara
vinrent au secours des Samiens; de plus,
les craintes qu'inspirait la nouvelle des
préparatifi faits par les Turcs pour la ré-
duction de 111e en éloignèrent tous ceux
qui n étaient pas résolus aux dernières
extrémités. Les femmes, les enfants,
les vieillards furent transportés dans les
Iles voisines; il ne resta à Samos que
ceux qui pouvaient la défendre. Le nom-
bre des guerriers s'était assez accru par
rémigration pour élever rarmée à 20,000
hommes. En même temps Vatbi fut en-
touré de fortifications ; plusieurs batte-
ries s'élevèrent à 1 entr^ du port ; le
reste de Ttle, du côté du continent, était
suffisamment protégé par ses rochers à
pic et ses côtes escarpées. Un accord
pariait renaît en même temps parmi
les autorité populaires; les troupes
étaient pleines a'ardeur; Samos était
devenue le point d'appui le plus solide de
riosurrection hellénique. Cette sage et
ierme direction du mouvement était due
a révoque de Samos. Mis à la tôte des
adirés par ses c(mcitoyens , il n'usa de
son autorité que pour le bien et le sa-
(i) Poaqoeville, Uist, de la Régénèr. de
/« Grèce , t. III> p. x et •uiv., et Haffeoel »
ouvr, eité.
lut de tous; la révolution s'était aeoom-
plie, grâce à lui, sans autres violences
que celles qu'il n'avait pas été possible
d'empêcher contre les Turcs.
. Pour éviter à leur Ile les misères d'une
invasion, les Samiens résolurent de por-
ter eux-mêmes la guerre chez les Turcs et
d'ouvrir la campagne. Deux ou trois mille
hommes débarquèrent pendant la nuit
sur le continent, etrapportèreut un butin
considérable. Une semaine après ce pre-
mier succès, les Samiens firent un second
débarquement; les villages de la côte
d'Asie furent saccagés, leurs défenseurs
massacrés, et, grâce à la supériorité de
leur tactique , les Samiens se retirèrent
sans presque avoir éprouvé de pertes.
Pendant longtemps ils continuèrent
leurs incursions» et la terreur qu'ils ins-
piraient était si grande , que tout le ri-
vage était abandonné à cinq ou six heu-
res de marche de la mer. En même temps
leurs navires rapportaient de tous les
ports de l'Europe des armes et des mu-
nitions de guerre; des vaisseaux légers
couvraient TArchipel, et répandaient la
terreur parmi les Ottomans.
Cependant le sultan Mahmoud prépa-
rait tout pour une répression énergique.
Cinq vaisseaux de ligne furent équipes et
chargés de soldats; le lieu de leur réunion,
avant d*attaquer Samos, était Mételin.
En même temps plus de 50,000 hommes
étaient réunis à Scala^Nova (1). Mais
tous ces préparatife furent vains; les
Turcs du continent se dispersèrent, après
avoir presque détruit Scala-Nova ; et les
vaisseaux s'en retournèrent à Constan-
tinople, après que l'un d'eux, de soixante-
quatorze canons, eut été détruit par
auatre petits bricks grecs, dans le golfe
'Adramytte. Les Samiens, délivrés du
péril qu les avait menacés, sentirent
croître leur audace ; les succès qu'ils ob-
tinrent au commencement de 1822 com-
pensèrent la double défaite de Tamiral
grec Tombasis.
Tentative des Samiens subChios.
— Au mois de mars de cette année ils
tentèrent une entreprise très-hasardeuse,
qui eut les effets les plus désastreux.
Depuis déjà longtemps ils méditaient
ia conquête de Scio ( rancienne Chios),
»
• (x) Raffenel, tvénem. de ia Grèce, 1. 1,
ch. viii.
964
LTKITERfi.
et entretenaient danf cette Ile ëee intel*
iigeneet. Dans les premiers Jours de
nars ils y débarquèrent trois ou quatre
mille hommes, auiquels se joignit un
nombre à peu près éjgal d'habitants de la
campagne. Cette petite armée marcha sur
la ville, en massacrant tous les Turcs
qu'elle rencontrait sur son passage. In*
capables de résister, les Turcs se retiré*
rent dans la citadelle avec les principaux
citoyens sciotes et les (irimats qui refn«
salent de s'unir aux Samiens. Ceux-ci, in«
dignes, maltraitèrent la ville et bloqué*
rent étroitement la forteresse. Le sultan,
instruit du nouveau trait d'audace des
habitants de Samos, et comprenant toute
l'importance de la possession de Scio ,
ordonna sur-le-champ aux pachas et
Souvemeurs de Tloaie de réunir le plus
e troupes qu'il leur serait possible. Cin«
qdante mille Turcs se rassemblèrent à
Tehesmé. L'espoir du pillage , la pro*
messe que Scio et Samos seraient aban*
données à leur discrétion, communiquè-
rent aux Barbares la plus grande ardeur
pour cette expédition. Le capitan-pacha,
commandant de l'expédition, s'efforça
d'abord de ramener les rebelles par l'in-
termédiaire des papas et de deux évéques
qui leur furent envoyés; mais autant
les premiers de l'Ile étaient favorables
aux Turcs, autant les gens de la cam-
pagne s'étaient jetés avec ardeur dans
le parti des Samiens. L'amiral débarqua
aussitôt 6,000 hommes : les insuivés
marchèrent à leur rencontre ; mais les
Sciotes, mal exercés au combat, prirent
la fuite et entraînèrent les Samiens dans
leur défaite. Les Turcs, vainqueurs, mar-
chèrent sur la ville, détruisirent tout ce
aue les Samiens y avaient respecté, et en
rent un monceau de cendres. Logo-
thetis, chef des Samiens, se réfugia avec
sa troupe dans les montagnes; quelques
bandes de pillards qui s'étaient risqués
à leur poursuite furent taillés en pièces
près de Néochori. Mais peu de jours
après les Grecs éprouvèrent une déroute
complète en cet endroit. Méochori fut
dévasté, comme le capitale de l'île, et
Scio tout entière fut couverte de ruines.
Les Samiens bepoussent toutes
LES ATTAQUES DESTCBGB. — LcsTurCS,
satisfaits de ce succès, songeaient à dé-
barquer à Samos pour lui taire subir le
même sort. Us compRtaient leurs pré-
paratifii à Scala^ova, loraque dm
orulôts grecs, incendiant le vai«eu
amiral et faisant périr le eapitan-pad»,
détournèrent de l'île le péril qui la mt-
naçait. Les Samiens recommencèrent
alcHTS leurs incursions et leurs ravages
sur le continent. La victoire des Grecs
à Malvoisie, les éclatants succès da ci-
{)itaine lorgaki d'Ipsara, redoublèrent
a confiance des Samiens. Ces hardis io-
aulaires ne cessaient de désoler les côtis
de l'Asie Mineure; ils avaient ruiné tous
les villages du pachalîk de Scaia-Nora,
et les Turcs du continent avaient fiii, de
puis l'embouchure du Méandre jusqo'au
plaines d'Éphèse. Le bonheur an Sa-
miens avait été si constant, qu'ils u
mettaient plus de bornes à leur audace;
il n'y avait plus d'ennemis dans les plai-
nes du littoral où ils avaient eoutuan
de porter leurs ravB^;iis résolurvot
de s^engager en avant a la poursuite dm
Turcs. Le 25 octobredeux mille booiiBS
débarquèrent pendant la nuit, et, suivant
le cours tortueux du Méandre, nurebe
rent sur la ville de GuxeMIissar, pour
la pilier. Mais le traiet était trop kwr:
ils furent surpris par le jour à deux lieuei
de cette ville. Une armée turque, coa-
duite par l'aga, fait une sortie, et s'avan»
À leur rencontre. Les Samiens, ne se
croyant pas assez forts pour résisisr, k
retirent, mais en saccageant tout sur lear|
passage. La petite ville de Kéiibeii d
plus de vingt hameaux turcs furent df-
truits ; cinq mille Turcs furent mastacrri
ou périrent dans les flammes. L'ap n'a-
vait pas osé poursuivre vigoureusement
les Samiens ; ils se rembarquèrent saai
obstacle, et l'île célébra joyeusement re
triomphe.
Ces ravages continuèrent dans leeoo-
rant des années 18S2 et 1828 ; le rdie de
Samos dans la guerre de l'indépendaiir^
était rendu considérable par cette dlvtf
sion continuelle de ses habitants, de«^
nus la terreur du littoral ennemi. En 1824
la Porte fit les plus grands efforts pour
en finir avec l'insurrection gre«jue
Au mois d'avril une grosse flotte, com
posée en partie de vaisseaux nouvetie-
ment construits, fut rassemblée dansi^
port de Constantinople, pendant qu'uw
multitude de navires de l'Asie et de»
ties n'attendaient aue la présence du
capttan-pacha sur les côtes d'Asie Mi-
ILE DE SAMOS.
355
neure |iour se joindre à lui. Le projet
decelm-ci était deréduirelpsara d'aborclf
Samo6 ensuite, puis tous les points de
l*ArchîpeI. Mais Samos, habituée par
des succès continuels à ne plus crain-
dre, méprisait la nouvelle attaque que
méditaient les Turcs, et comptait la re-
pousser comme les précédentes. Bien
peuplée, se recrutant chez elle, suffisant
à l'entretien de son armée, administrée
par des magistrats qui correspondaient
avec le eouvernemeut central sans dé*
pendre de lui, Samos avait le bonheur
a être à l'abri de ces discordes qui di-
nsaieot les autres Greos. Son arméat
aguerrie par trois années de combats,
bien disciplinée, exercée par des officiers
habiles, pouvait défier des forces turques
beaucoup plus considérables (1).
L'amiral ottoman quitta les Darda-
nelles au commencement de mai, et ga-
gna Mitylène , point de ralliement ordi-
naire des flottes turques. De là il envoya
aux habitants de TAsie Mineure une pro-
clamation par laquelle il leur ordonnait de
se réunir à Scala-Nova pour envahir Sa-
mos. Dès que les musulmans furent ras-
semblés leur premier acte fut le massacre
des malheureux Grecs qui étaient restés
a Smyrne et à Scala-Nova. Cependant,
une armée turque s'organisa dans les
campagnes d'Éphèse pour surprendre
Samos. Chaque jour le désir du butin
attirait au camp de nouveaux soldats,
qui espéraient piller Samos comme on
avait pillé Chios. Le capitan-pacha avait
promis de venir avec sa flotte aider
au débarquement; mais, retenu par la
résistance indomptable du ciief Diamanti
daos le petit rocher de Scopélos, sur la
côte de Thessalie, il se faisait attendre.
Les Turcs, impatients de ces retards,
étaient allés en foule à la tente du vltir,
et l'avaient sommé de leur procurer des
barques pour passer le détroit. Le vizir,
craignant une sédition , réunit tous les
bâtiments ^u'il put trouver, et les mit à
leur disposition. Après qu'on en eut ras^
semblé un nombre suffisant, toute la sol-
datesque turque s*embarqua pendant la
auit, comptant bien surprendre Samos.
Mais les Samiens étaient sous les ar-
(i) RaCImal, Bist. complète des Évémemenie
de la Grèce, dMxièiM édit., t. UI, ch. n,
p. Sf-S».
mes ; les batteries étainit montées, cbar
que anfiractttosité du rivasa cachait des
soldats, et du haut des rocAers des hom*
mes déterminés se tenaient prêts à des»
cendre pour incendier les chaloupes
ennemies et intercepter la retraite. Tout
se passa selon le vœu des insulaires; las
barques furent presque toutes consu-
mées , pois cinq mille hommes se mon**
trèrent tout à coup, en poussant de
grands cris ; les détachements de la eole
accoururent, les Turcs, culbutés, dis-
persés , furent livrés à un carnage hor-
rible. Quelques-uns se jetèrent dans les
montagnes ; ils y furent poursuivis et
traqués comme des bétes sauvages ; il
en périt plus de six mille. La ?ietoira
n*avait coûté aux Samiens que quelques
soldats. Ce désastre porta un ooup mor-
tel à l'expédition de Scala-Nova : cent
des Turcs (|ui y étaient restés s'enfui*-
rent dans l'intérieur, comme si les vain-
queurs de Samos eussent été à leur pour-
suite.
Ce fut seulement après la double ex-
pédition d'Ipsara, et ^uand cette tie
héroïque eut succombe, ^e l'amiral
turc, retiré à Mételin, reprit ses projets
contre Samos. Les pacnas de l'Asie
Mineure reçurent de nouveau l'ordre de
rassembler leurs troupes à Scala-Nova,
où lui-même promettait de se rendra.
Les Turcs d'Asie n'avaient accueilli cet
ordre qu'avec terreur ; ils se souvenaient
que Samos avait été depuis son insurreo-
tion le tombeau de plus de vingt mille
Musulmans, et dans toute l'Anatolie
« aUer à Samot » était passé en pro-
verbe pour dire aller à la mort (1). Ce
découragement général nuisait aux vues
du pacha : il n'avait pas assea de troupes
de débarquement pour entreprendre seul
l'expédition ; il resta à Mételin, dittéraot
encore l'exécution de ses menaces. Tout
le temps du Courban-Baïram se passa
dans la rade de Mételin. Enfin , ayant
appris au'un corps de 19,000 hommes
venait aétre réuni dans la plaine d'É-
phèse, le capitan-pacha sortit en mer, et
courut vers Scio, pour échapper aux
Grecs qui mouillaient touiours dans les
eaux d'Ipsara. Il avait dix-nuit bâtiments
de guerre et quatre fois p4us de vais-
seaux de transport. De Scio il se diri-
(x) Aafrenel, I. UI, cfa. vrt,p. siSa.
256
LtJNIVERS.
ri, le 3 août 1834, vers Éphèse. Mais à
hauteur du cap Saint-Elie on vit pa«
rattre une flottille de vingt-cinq ou trente
petits navires grecs. Malgré l'inégalité
des forces , le brave Saktouris , vice-
amiral de la flotte de Miaoulis , qui les
commandait , résolut de combattre. Les
Grecs furent vainqueurs : une partie des
vaisseaux turcs fut coulée à fond, le
reste fut chassé jusqu'à Smyrne et à
Mételin. L'expédition de Samos était
encore ajournée. Alors Chosrou-Pacha,
l'amiral turc, désespérant de s*en empa-
rer de vive force, eut recours à la tra-
hison. Samos contenait une population
d'environ 60,000 hommes ; tous ses ha-
bitants n'étaient pas également dévoués
à la cause de l'indépendance. Une partie
4es Grecs qui s'étaient retirés à Samos
des ties voisines, ou du continent, n'a-
vaient eu que le désir d'échapper au mas-
sacre dont ils étaient sans cesse menacés
Sar les Turcs. Il y avait donc trois partis
ans la population de Samos : l'un, com-
posé d'hommes timides et prudents, con-
seillait la fuite, comme unique moyen
de salut; l'autre, parmi lesquels le pacha
cherchait ses traîtres, demandait la sou-
mission; le parti du plus grand nom-
bre était celui de la résistance. Cepen-
dant le pacha gasna quelques traîtres ;
mais ils furent découverts et forcés de
prendre la fuite pour échapper aux me-
naces de mort que le peuple de Samos
proférait contre ceux qu'il appelait le
parti turc.
Le capitanpacha, voyant échouer ses
intrigues, forcé cependant de faire une
tentative sur Samos pour obéir à son
maître, alla radouber ses vaisseaux à
Mitylène. Les Turcs rassemblés par son
ordre à Smyrne et à Scala-Nova te pres-
saient de hâter son expédition ; il lui
fallut bien reprendre la mer. Ce fut le 9
août 1824 qu il appareilla. Les Samiens
avaient mis à profit le répit dû à la vic-
toire de Saktouris pour renouveler Jeurs
préparatifs de défense. Les femmes, les
enfants , tous ceux qui au moment du
péril ne pouvaient être d'aucun secours,
turent transportés au centre de File. On
cacha paiement dans les | montagnes
les munitions, les vivres, les choses pré*
cieuses. Les plantations furent arra-
chées, les villages incendiés; Vathi elle-
méiue , devenue le chef-lieu de l'Ile , fut
détruite. Lee Samiens dévasièient leur
tle pour ne rien laisser aux Turcs, que
l'amour du pillage avait attirés noa
moins que la soif de la vengeance.
Le 10 août l'amiral turc s'avan^ vers
le détroit de Samos ; son plan était de
Ç rendre sur ses vaisseaux en passant les
'urcs rassemblés à Éphèse, de les jeter
dans rtle à Carlovassi, et d'attaquer lui-
même par mer. Mais Saktouris fit voile
à sa rencontre, et le déconcerta. Un
Fremier combat eut lieu le 1 1, et fut à
avantage des Grecs ; le 12 il y eut uo
engagement général, et une ruse de Sak-
touris lui assura encore le succès ; pen-
dant sept journées la lutte se renouvela,
toujours favorable aux Grecs. Le 19,
malgré ses pertes considérables, le Tore
avait encore quarante-trois vaisseaux de
guerre et autant de bâtiments de trans-
port ; il résolut de finir par un coup hardi.
Ses vaisseaux de chaige, prot^^és par li
moitié de ses vaisseaux de guerre, avaient
réussi à prendre à bord la plu|>art de ses
soldats du continent ; ils devaient, pen-
dant que l'amiral occuperait Saktouris.
jeter les Turcs dans l'île. Mais raoïira)
Miaoulis, attendu par lesiSamiens comme
un libérateur, allait enfin arriver; an
petit navire d'Hydra en avait apporté
la nouvelle. Pour gagner du temj^, Ih
Samiens feignirent de vouloir capituler:
le croissant fut arboré dans llle , et oo
engagea le capitan-pacba à envoyer uo
parlementaire. Celui-ci fit avancer des
chaloupes ; son ewioyé fut retenu quel-
que temps en négociations, puis renvon
sans accommodement. Chosrou, en h-
reur, voulut commencer aussitôt i'atu-
que. Ses troupes prirent terre dans une
anse isolée, où les Grecs n'avalent qu'us
petit corps d'observation.
Mais déjà les vaisseaux de Miaoulis
étaient arnvés et avaient enj^agé le com-
bat : par une manœuvre habile, les ami-
raux grecs coupèrent la ligne ennemie, et
Saktouris s'attaqua directement aux vais-
seaux turcs qui tentaient le débarque*
ment. La bataille filt générale et très
acharnée; la canonnade se faisait entendre
au loin sur le rivage , et les vaisseaux et
Samos tout entière disparaissaient dans
un vaste nuage de fumée. La confusioo
était terrible parmi les vaisseaux turcs,
dont les marins étalait peu exercés à U
manœuvre. Leur artillerie, mal dirigée,
ILE DE SAMDS.
257
ne Boiiiit pntqne qu'à eux-mémeé ; tan-
dis que le Ira des Grecs faisait dans
leurs équipages les plus grands ra?ages.
Un instant cependant les Tures eurent
rsTantase du vent, el la position des
Grées aUait devenir eritique, lorsque les
plas braTes capitaines de la flotte, Ca-
naris, Vmikiotls, Ranhalia, Robotsis ,
s'élaneent an milieu ues Turcs montés
sur leurs bruMts (1). Canaris s'avançait
le premier; d'une main il tenait le gou-
vernail, de Fautre il agitait en Pair son
bonnet de matelot, il aborda une fré-
gate de dnquantOKiuatre canons, y mit
le feu , et la fit sauter avec tout son
équipage. Une frégate de quarante-buit,
un brick tunisien de vingt canons eu-
rent le même sort ; les Tures, épouvantés,
prirent la fîiite, et Samos tut encore sau-
vée. Les Turcs avaient perdu plus de
deux mille hommes dans la bataille;
trois mille, qui avaient été débarc^ués,
étaient restés sans secours à la merci des
Samiens ; trois vaisseaux avaient été brû-
lés, deux coulés à fond; vingt bâtiments
de charge avaient été pris ; la bataille du
cap Santa -Marina était décisive (2).
Deux nouvdles victoires , dans la rade
dHalicamasse et près de Ptle de Cbio,
remportées sur les débris de la flotte ot-
tomane réunis à celle des Égyptiens,
écartèrent de Samos tout danger. Les
troupes restées à Scala-Nova et à Ëphèse
sedâ)andèreDt, et, retournant dans leurs
foyers , allèrent porter à l'extrémité de
Tempire la terreur du nom grec et la ré-
putation guerrière des Samiens.
La conduite des Samiens fut toujours
la même pendant toute la durée de la
guene : leur résolution et leur courage
ne se démentirent pas un seul instant.
Cependant Flie n'avait que peu de rap-
ports avec le gouvernement de la Grèce
eoDtinentale. Devenue une sorte de ré-
publique indépendante, elle continuait à
se suffire à elle-même; elle continua
aussi à inquiéter oendant plusieurs an-
nées les cotes de rAsie Mineure et à te-
nir en échec les Turcs dans la partie
oiientale de rArchipel.
(i) Âleiandre Soutio, Histoire de la Rè"
'^oitttion Grecque; PariSy iSag, p. 334.
(s) Raffcnel , t. III , ch. vu , p. a6Sa75 ;
Judienuli de Saint-Denis, HUt, de V Empire
Ottoman 1 1. III,p.s47.
17* lÀvraiêon. ( Ils db Samos.)
ÉTAT ACTUEL DE iMtB DB SaMOS.
«— Après la bataille de Navarin (1837 ),
lonque l'intervention des trois premières
puissances de TEurope eut assuré à la
Grèce la possession de la liberté pour
laquelle elle avait si généreusement
combattu, un instant on pensa donner
aux îles une organisation particulière
et en former un Ëtat séparé sous le nom
de royaume de F Archipel. Mais ce
projet n'eut pas de suite. Les Sporades
orientales, parmi lesquelles Samos tenait
le premier rang, trop rapprochées de
Tempire turc pour entrer sans diffi-
culté dans fassodation Hellénique, fu-
rent rendues à la Porte. Mais, par égard
pour la noble conduite des habitants de
Samos, on insista pour gue cette tle eût
une administration spéciale, et pour que
son gouverneur, choisi par la Porte, fût
pris parmi les chrétiens du rit grec. Le
gouvernement turc consentit à cette
proposition; et si Samos n*obtint pas la
reconnaissance complète de son indé-
pendance, du moins elle ne perdit pas
tout le fruit de ses efforts pour la con-
quérir (1). Beaucoup de ses habitants;
Ï>lu8 compromis dans la guerre contre
es Turcs, ou plus impatients d'un ioug
odieux, quittèrent Samos, comme a*au-
très Samiens, qui, dans Tantiquité,
avaient préféré l'exil au repos dans une
patrie opprimée par un tyran. Les Sa-
miens qui allèrent demander en Grèce
des établissements y reçurent des terres ;
mais beaucoup d'entre eux, mal protégés,
sans argent pour les premiers frais de
leur installation, forcés en outre d'indem-
niser les Turcs expropriés en vertu de
la convention passée entre la France,
l'Angleterre et la Russie, furent obligés
de retourner dans leur tle, qui venait
d'obtenir son gouverneur particulier et
même un pavillon distinct (2). Lors-
qu'en 1830 M. Poujoulat (8) a touché
à rtle de Samos, il l'a trouvée assez tran-
quille, sous la nouvelle administration.
Les Turcs l'avaient entièrement aban-
donnée à elle-même. H y régnait bien
encore un peu d'exaltation. Logothétis ,
(x) Jueheraiilt de Saint-Denis, Hisi, des
Ottomans , t. III, p. 368.
(a) Jucherault, t. III, p. 397.
(3) MM. Michaud et Poujoulat, Corres-
pond, d'Orient^ t, lU , p. 446.
17
"StSS
LUNITERS*
qui avait gouverné Samoa pendant tonte
la guerre de l'indépendance et dirigé les
op&ations de son énergique résistanee,
s'était retiré à Nauplie, d où il adressait
à ses compatriotes d'ardentes proclama*
tions et proposait un projet de réformes.
Pours'aocrMiter davantage, il avait pris
le nom de Lycurgue. « Toutes les fois que
la Toix du nouveau Lycurgue se fait en*
tendre, dit M. Biichaud, la fermentation
est grande dans les dix-huit villages de
Samos. Toutefois, Tévégue de l'Ile, les
papas et les caloyers, qui possèdent plus
de la moitié des terres, voudraient tem-
poriser, car il leur paraît plus raisonnable '
ne monrir doucement avec les Turcs que .
de vivre quelques jours et de périr en- ^
suite violemnent avee les HeUènes. »
Depuis vingt ans, la situation de File est
à peu près restée la même. Le tanàmat
lui a laissé sa demi-indépendance; elle
n*est pas comprise dans le ^ouvememeot
de TArcbipel, et elle eontinne à former
une province à part. Le gouverneur
actuel de Samos est le prince Kallimalus,
ambassadeur de la Porte à Paris. Il la
fait administrer par un lieutenant, quia
beaucoup de peine à contenir la popu-
lation, toujours turbulente, de cette tie.
Au reste, Samos est aujourd'hui bien
peu connue. Les touristes évitent cette
lie pauvre et remuante , et je ne sais sll
serait facile de la parcourir et d'en étu-
dier la véritable situation (1).
(i) M. Rossa TU Samos en 1841. Mais ce
i)*est qu'après Tenticre impression de cet ar-
ticle sur Samos que j'ai pu me procurer la
seconde partie de son Foyage dans les lies
Grecques, Reisenaujden GriecUuehen Insein
des j4gaischen Meeres ; von doctor Ludwig
Ross. Zweiter band. Stuttg. und Tub. 1843,
Voyez p. 139 la lettre XXFV* écriii; de Sa-
mos. Elle contient une curieuse étude sur
l'état actuel des ruines de Tanlique capitale
de rile« Nous regrettons de n'avoir pu profi-
ter de ces .renseignements dans notre notice \
mais nous offrons au lecteur, comme com-
pensation, une reproduction du plan de ces
ruines qui accompagne la lettre de M. Ross.
Cette lettre se termine par quelques indica-
tions sur rétat de Samos en 1841. A cette
époque Logothétis était retiré a Athènes, où il
occupait dans Tarmce grecque le rang de
colonel. Mais le nom de cet homme, qui, selon
M. Ross, avait été le tyran de Samos dans
la bonne acception classique du mot , n'était
point encore oublié des Samiens, qui le rOf
grettaient généralement. Le bey de Samos était
alors le Phanariote Etienne Bogoridis, c|ui avait
mérité la faveur du sultan par sa conduite dans
les dernières guerres de la l^orteavec la Russie.
Il avait été recompensé de ses services par le
titre de prince de Samos. « Il paye par an
à la Porte y dit M. Ross (p. i53)y un tri-
but de 400,000 piastres ( un peu plus de
100,000 drachmes, environ 100,000 francs).
Il a pour lui la dime des produits du sol ei
tous les autres impôts , de sorte que, déduc-
tion faite de ses frais d'administration , il lui
reste encore en bénéfice une jolie petite
somme , noch ein kûhsches sûmmclien idri.
bleibt. Il laisse son île , qu'il a visitée uot
fois ou deux sans y séjourner longtemps , in
soin d'un gouverneur ; mais des troubles ayafai
éclaté dans Tile contre le dernier gou\'errfeut
et ses agents , le prince a dû le remplam
par un homme plus habile et plus énergique.
Puis il a ordonné le bannissement de l'évcquc
de Samos et de son frère l'abbé du monaa-
tcre, qu'il regarde comme très-dangereu^.
Néanmoins ce sera toujours un problème Ji'.-
ficile pour des Grecs que de gouverner Irun
coreligionnaires au nom de la Porte , et dt
faire en sorte qne cette domination ne s<v
pas odieuse , et qu'eux-mêmes ne paraissent
pas être des instniments d'oppression. DaB<
les troubles de Thiver dernier ( 1840), od i
fait douie prisonniers qui sont nainteoaet
au bagne de Constantinople , et Ton eraiat
queTahir-Pacha, qui doit s'arrêter à Samos a
son retour de Crète, ne fasse de nouvelles ar-
restations. » Tel était l'état de Samos il } i
dix ans. L'éloigoement du prince CalUmaku.
la délégation qu'il donne de ses pouvoirs a
un gouverneur résident, les derniers trouliii'»
dont les journaux nous ont entretenus il v j
quelque temps, prouvent que la situation di
cette Ile est toujours à pou près la même.
ILE DÉ CHIO<*\
I.
QE06BÀPH1B ST DESCBIPTION
DB GHIO.
Noms pbimitifs db Chio. — Llle
de Chio, appelée aujourd'hui ^cio ou
tio, a reçu aans l'antiquité dififéreuts
noms, dont les uns se rapportent à des
traditions mythologiaues, et les autres
à la configuration même de lUe, ou à
quelque particularité qu'elle offrait dans
Its temps anciens. Appelée primitive-
OieDt Ophiusa (5?ic), nom donné ancien-
nement à plusieurs autres îles, et particu-
lièrement à Rhodes, à cause des serpenta
doQt elles étaient remplies, elle prit en-
suite celui de Chio ou Chia^ de la nym*
pbe Chione, fille dJOËnopiou, premier
roi du pays, et femme aOrion. C'est
cet Orion qui, d*après la tradition, pur-
gea rUe de ces animaux malfaisants, et
obtint en récompense la main de Chione.
Suivant d*atttres, Tlle aurait emprunté
loo nom à Fenfant né de cette union, et
oominé Chio à cause de la grande quanK
tité de neige (x^v) qui tomba le jour
.de sa naissance. Isidore (2), au con-
traire, fait dériver ce nom d'un mot sy-
riaque, qui signifie mastic, sorte de ré*
(i) Ouvrages spéciaux sur Tile de Chio ;
I" Jérôme Justiniao , La Description «/ f His-
toire de au de Scio ou Chio, in-4«, i5o6 ; —
2^ Fr. Poppo . Béitrage zur Kunde der In-
iel Chios und ihrer Geschichte, Francfort-
sur l'Oder, iSaa, 10-4» ; — S» Coray , Xia-
x^i; ipx^ioXoYia; uXt) , dans le troisième vo-
luine de ses *\TaxTa, Paris, i83o, in- 8° ; —
4» Kofod-Wille, De Rébus CfUorim, i838,
Copenh., in-8«; — 5* G. Eckenbrecher, Die
insel Chios, Berlin, i84«, ia-S"; — 6© Blas-
tus, Histoire de Chios, en grec moderne ; Syra,
^^4o, a vol., avec ce titre : Xiaiià, ^Tot laTo-
pt'a TTÏç vi^90v XCou. *Anà vûv àpxaiOxaTttV
Xpâvuy |iixp( xi^ç ixii x8aa y^vo^uvyic xa«
TouTTpoçîU aiixfii «oif à Twv XoO^KWv * itnà
Toû laifioû 'AA. M. BXdaTOv.
W Isidore, Or/^.,XJV, 6. .
sine que Tlle produit en abondance.
Cest ainsi que les Turcs l'appellent au-
jourd*bi|i Sakyz-Adasi^ c'est-à-dire,
rtie du Mastic. £lle se nommait encore
Pityusa^ à cause des pins qui couvraient
ses montagnes (n^ivc); Macris, à cause
de sa forme oblongue, et enfin ^thalia
(a26diXT), braise), sans doute à cause de
la chaleur de son climat.
Situation oéogbâphiqus. — Cliio
s'étend par 23® 30' de longitude et 38"" 30'
de latitude dans la direction du nord au
sud; elle est située entre les îles de Les-
bos, au nord, de Samos, au sud, l'extré-
mité méridionale de l'Ëubée, à l'ouest,
et la presou'lle de Clazomène, à Test.
Elle n est Soignée de cette dernière que
d'environ une lieue. C'est à peu près la
distance qu'on trouve entre le nromon-
toire Posidium, la pointe de Vîle qui
se rapproche le plus du continent , et
le promontoire Argennum ( auj. capo
Bianco ), qui s'avance à l'est sur la côte
d'Erythrée, dans l'étroit bras de mer
resserré entre Chio et Clazomène.
Dbsgjiiption d£ l'île. — Chio est
une des plus grandes îles qui bordent lé
littoral de l'Asie Mineure. Elle embrasse
un espace d'environ quarante lieues de
eircuit. Plus large au nord et au sud
2u*au centre , elle se resserre à cet en-
roit, où elle ne présente guère de l'ouest
à l'est qu'une largeur d'une lieue et de-
mie, (/est cet endroit où la côte occi-
dentale de l'île forme , en rentrant dans
les terres, comme un golfe profond,
qu'Hérodote appelle les Creux de Chio
(laiKoîXa).
Dans la partie septentrionale de l'île
s'élève le mont Pélineen (auj . mont Elias),
haut de deux mille cinq cents pieds envi-
ron, et dont les ramifications s'étendent
h travers l'île tout entière , mais en s'a-
baissant en pentes plus douces à me-
sure qu'elles s'avancent dans le midi.
Le mont Pélineen projette sur les côtes
plusieurs promontoires, celui de Posi-
dium , au sud de la ville de Chio , suf:
17.
360
LTNIVERS.
le rivage ocddental, ainsi appelé da
temple de Neptune bâti sur son sommet ;
celui de Phan» (auj. Capo Mastico),
au sud-est, avec un temple d'Apollon
surnommé Phanéen, de même qu il s'en
trouvait un sur le mont Pélinéen, con-
sacré à Jupiter Pélinéen ; celui de No-
tium , à la pointe méridionale de Ttle ,
comme Tinoique son nom; le cap Noir
(auj. cap Saint-Nicolas), à l'extrémité
nord-ouest, vis-à-vis de Ttle de Psyra
(auj. Psara}, située à Quelque distance
vers l'occident. La rivière la plus con-
sidérable est le Parthénius, qui coule de
l'ouest à Test , un peu au sud de la ville
de Chlo. Grossie par les pluies , en hi-
ver, cette rivière roule ses eaux avec
tant d'impétuosité, que les habitants sont
obligés d^ïever de fortes murailles de-
vant leurs jardins , situés sur ses deux
rives ; mais en été son lit est souvent
à sec. Dans la partie basse de l'tle ser-
pentent çà et là quelques ruisseaux
assez forte, même en été, pour mettre
des moulins en mouvement ; mais dans
la partie haute on ne rencontre que des
sources , qui jaillissent des flancs de la
montagne.
CONTBÉBS BT YILLBS PAINCIPAIES.
— Les géographes anciens distinguent
sur la cote occidentale trois contrées :
celles que Strabon appelle Laïus (auj.
Lithilimenas, ou portde pierres), vers le
centre, et où se trouve Néa-Moni (nou-
velle solitude), monastère construit par
Constantin Monomaque (1) ; les Creux
de Chio , dont nous avons déjà parlé,
im peu au nord de la dernière , a l'en-
droit le plus étroit de l'tle, avec une ville
ou plutôt un petit fort du nom de Po-
lichua ; enfin, en avançant toujours vers
le nord, Arvisia, dont les vins passaient
pour les meilleurs des vins grecs. Ses
Îirincipales villes sontBolissus (auj. Vo-
isso) et Pitys (auj. Pityos). Parmi les
autres villes, les plus importantes après
Chio sont Delphinium (auj. Port-Dau-,
phin), tout près de Chio, possédant dans'
les temps anciens une excellente rade ;
Caucasa , port situé vraisemblablement
non loin du cap Phanse; Leuoonlum
(auj. Leuconia).
(i) Dalhway, Constantinople ancienne et
moderne et description des côtes et isies de
f Archipel et de ta Troade , t II , p. 78,
Il faut citer encore le port des Vieil-
lards, dont Élien seul fait mention. La
Chiotes , suivant cet auteur, y nourris-
saient des poissons pour l'amusemeat
des vieillards; de là le nom qu'il portail
La villb db Chio. — De toutes
les villes que nous avons mentionnées la
plus importante est Chio (auj. Scio),
située au centre de la côte orientale,
avec un port qui dans l'antiouité pou-
vait contenir 80 vaisseaux. £lle possé-
dait deux temples, l'un consacré à Mi-
nerve Polioucnos, la déesse tutélairede
l'île : le culte de cette déesse était com-
mun aux Chiotes et aux Athéniens, dont
ceux-là étaient les colons ; l'autre, dédié
à Bacchus , qui était naturellement une
des divinités les plus honorées de cette
Ile fitoonde en excellents vins. Chio, qui
dans l'antiquité fut une des cités les
plus importantes de la confedératioD
Ionienne , était encore avant la guerre
de rindépendance une des belles villes
de l'Archipel. « Sdo, dit Choiseul-Gouf-
« fier (1), est la ville du Levant la rnieu^
« bâtie. Ses maisons, construites par le$
« Génoisetles Vénitiens, ontuneélégaotf
« et des agréments au'on est étoDoe
« de rencontrer dans r Archipel
« L'aspect de son port est très-agréabK
« et ressemble infiniment à celui de
« Gènes. Deux finnaux avancés indi-
« quent aux vaisseaux la route qu ils
« doivent tenir, et une jetée, aujourd*boi
« à fleur d'eau, ferme le port du côte
« du midi. Ce port est très-vivant; 01
« y trouve presque toujours quelques
« galères du grand-seigneur, et il est
c d'ailleurs fréquenté par tous les bâti-
fe ments qui vont d'Éf^pte à Coastonti-
« nople. »
A une lieue de Chio , au bord de Li
mer, et au milieu des masures, se trouve
une pierre énorme, qui paraît s'être dé-
tachée d'un rocher. Elle ^t de forme
ronde, excepté à sa partie supérieure
où elle est aplanie et creusée. Au-dessus
et au milieu, l'on voit comme des siéi;es
taillés dans la pierre même, et dont Tua
(i) ChoÎMml-Gouffier, Voyage dans tfm-
pire Ottoman, 1. 1, p. i43.CbaDdlcr dit tfos h
▼ille de Scio et l«s envirou , vus de la Bcr,
ressemblent en miniature i Gènes et à sos
territoire. Foyage, etc., t. I, p. loS. ^'^*
aussi Toumefort» 1 1, p. 370.
iij£ DE cmo.
»t
est plut élefé que tons les antrw. Siû-
Tant une vieille tradition , les insulaires
prétendent que c'est l'endroit où Ho-
mère enseignait h ses diseiples ou dictait
ses vers, et pour cette raison ils rappel-
lent encore V École d Homère (1). Ce
curieux monument, ou plutôt ce reste
informe de quelque monument antic|ue,
a beaucoup exercé Fesprit et Fimagina-
tion des voyageurs. Quelques-uns ont
eoDJecturé que cet endroit était autre-
foisun temple deCvbèlcunedesdivinités
de nie. Suivant d'autres , en ce lieu se
serait trouvé le sanctuaire où la sibylle
érytbréenne rendait ses oracles. Quoi
qu'il en soit de ces conjectures, le nom
donné à cette pierre témoigne de la pré-
tention qu'ont toujours eue les Cbiotes
d'être les compatriotes d'Homère (2).
Climat, Pboouctions db Chic. —
L'Ile de Cbio, placée sous ce beauciel de
TAsie Mineure , jouit du plus heureux
climat dont un pays paisse être favo-
risé (3). Par sa position au milieu de la
mer, elle est préservée des fortes chaleurs
qui régnent dans les contrées situées sur
la même latitude; et les froids de l'hiver
sy font à peine sentir durant quelques
jours. Les vents du nord, si orageux dans
tout le reste de l'Archipel pendant les
mois de juillet et d'août, ne soufflent
dans œtte île que comme une brise lé-
gère. Grâce à ce double bienfait, la tem-
férature y est également éloignée de
extrême sécheresse et de l'extrême hu-
midité. Nulle part l'air n'est plus salu-
taire à la respiration; et les anciens, ainsi
que tous les voyageurs] modernes, ont
vanté les agréments du séjour de l'île de
Cbio.
Sous on ciel aussi favorable, sous
l'influence d'un soleil dont la chaleur
est si heureusement tempérée, une vé-
gétation riche et variée se développe dans
nie. Dans l'hymme d'Apollon (4) , at-
tribué à Homère, elle est appelée tréS"
ijiraêse,et cette épithète n'est ni une flat-
terie ni une fiction poétique. Toutefois,
en beaucoup d'endroits, le sol est pier-
reux et peu favorable au labourage.
Aussi l'île est-elle peu fertile en blé, en
orge et en froment. Mais, en revanche,
elle est couverte d'arbres fruitiers, et elle
produit en abondance des figues , des
dattes, des amandes, des grenades, des
limons, des olives, etc.; la culture du té-
rébintbe y est fort étendue. Le céleri
y est indigène ; et c'est un jardinier scîote
qui l'a introduit en Europe et qui en
planta les premiers pieds dans la villa
Albani à Rome.
Mais outre ces productions, qui presque
toutes sont communes à l'île entière, il y
en a d'autres, qui sont plus particulières
à certaines contrées, et qui ai visent Cbio
comme en trois régions distinctes. Cest
le vin, dont l'espèce la plus estimée se
récolte au nord,sur le penchant du mont
Pélinéen; ce sont les oranges et les ci-
trons, qui viennent particulièrement
dans le voisinage de la ville à l'est; enfin
le mastic, sorte de résine aromatique,
recueillie sur un arbre appelé lentisoue,
qui croît dans la partie sua-ouest de lile.
Vin. — Les vins de Cbio, et principa-
lement celui d'Arvisia, canton situé à
Touest des c6tes de Psyra, jouissaient dans
l'antiquité d'une réputation incontestée.
Poètes et prosateurs les vantent à l'envi,
et Horace , qui s'y connaissait, ne les a
pas oubliés (1). Chez les Athéniens, qui
ne s'entendaient pas moins en bonne
chère qu'en beaux discours, le vin d'Ar-
visia passait pour le plus déUcat des vins
grecs, et les Romains ne paraissent pas
ravoir dédaigné à côté du Faleme. Mais
ce vin n'était pas seulement recherché
pour la table. Les médecins anciens lui
attribuaient aussi des propriétés médi-
cales, et le faisaient entrer dans une
(0 Dapper, les Iles de l'Archipel, p. 9i4;
ChoiseuUGouffier, I, p. x49-x5o.
(ï) Yoir le Voyage de Dallaway, t, H ,
p. 69.
(3) DaHaway , Constantinople , etc., t. II ,
P-74.
(4) HoQi., Eymme 4 Apollon^ Y, 3S.
KaiXCoç, ^ vyjtfwv XinocpoiTéTY) clv àXi xetTou.
* Ce ten de Hiymae hoiiiéri<|ue, qui a
oouroqné Scio reine des îles de la mer tigée,
je l'ai la écrit en lettres d'or au-dessus du
divan où nous étions assis, Tarchevéqne Pla-
ton et moi , au-dessous d'une carte manus-
crite, plus large que correcte, décrivant assez
confusément les soixante et seize villages de
son diocèse. » M. de Maroellus, Ép'uodet
ùttéraires en Orient , t. II , p. 147.
(i) Horace, 0</e III, 19 ; Tirg., EgL T,
71 ; Pline, Hist. Nut,^ XIV, 9, i ; 17 , i, 9 ;
XXXrV , 93 , 4.
^2
LunnfERis.
bomposition destinéeà guérir les ophthaK
qu'on ordonnait le vin de Ghio à Rome
dans les maladies de l'estomac. C'était le
vin de prédilection de César : Horten*
sius en avait dix mille pièces dans ses
caves; an moment de sa mort, son héri-
tier s'empressa de les recueillir (1).
Jabdins de Chic. — Non loin de la
viiJe s'étend une vaste forêt d'orangers et
de citronniers, qui produisent annuelle-
ment plus de vingft millions des plus
beaux fruits, et dont la valeur est estimée
environ cinq millions. Cette forêt se com-
pose d'un grand nombre de jardins , en-
clos de hautes murailles , et renfermant
chacun une fontaine pour l'irrigation des
arbres. L'eau de ces fontaines , tirée au
moyen d'une sorte de roue d'épuisement,
garnie de pots de terre et mise en mou-
vement par des mulets , coule dans un
grand bassin muré, d'où elle se distribue
par des canaux dans de petites rigoles
creusées autour des arbres. Pendant la
saison des fleurs l'odeur que répandent
ces arbres est si forte Qu'elle se fait sen-
tir en mer à une grande distance de la
côte.
C'est dans ces jardins que sont situées
les maisons de campagne de la ville de
Chio. La plupart d'entre elles ne présen-
tent plus ^uère que des ruines depuis
la dévastation de l'île par les Turcs en
1822. Toutefois , même en cet état, elles
témoignent encore de la prospérité dont
jouissait Scio avant cette époque, si bien
que M. de Lamartine, qui visita depuis
ces jardins, a pu dire : « Je ne connais
lien en Europe qui présente l'aspect
d'une plus grande ricnesse que Scio. »
Mastic. — La partie sud-ouest de Ttle,
celle qui produit le mastic , forme avec
la précédente un contraste frappant. La
terre et la population ont un tout autre
aspect. La campagne est moins riante, et
les habitants n ont pomt cet air de bien-
être que l'on remarque parmi ceux des
environs de la capitale. Cependant cette
contrée a moins souffertqiie toutes lesau-
très, lors de la guerre de Vindépendanœ.
La récolte du mastic était ponr la Porte
un revenu considérable, dont eiie n'eut
(i) Cf. Tournefort, Voyage au Levant, I,
37a ; Dallaway , t. T, p. 69.
garde de se priver wt dTliratlIesimigH.
Cette région de Im échappa ainsi en
partie à la dévastation, et ses babitaoti
au massacré. D'ailleurs les paysans da
cantons à mastic étaient comme les serfs
du grand-sdgneur, et à ce titre ils furent
épargnés, ou châtiés moins nidemeot
que les autres insolaires. Bien que œtte
servitude n'existe plus depuis quelques
années , nous croyons devoir montrer
ce qu'elle était en reproduisant la rela-
tion suivante, qui renferme d*ailleurs
des détails curieux sur la manière dont
se fait la culture et la récolte du mastic :
« Les villages aux environs desquels
se trouve le mastic sont au nombre de
vingt... Les arbres de lentisque sont
épars çà et là dans la campagne, et ap-
partiennent au grand-seigneur. Il a a^
cordé de grands privilèges aux paysans
de ces villages, pour les entretenir et faire
la récolte du mastic. Ces habitants, quoi*
que chrétiens, portent le turban blanc^
comme les Turcs. Ils jouissent d'ailleurs
de différents privilèges: ilsont descloctits
dans leurs ^lises , ils ne payent pour
tribut que la plus petite des taxes, et ils
sont exempts de tous autres droits, im-
positions et corvées , de quelque nature
que ce puisse être. Un aga particulier,
qui prend tous les ans cette ferme 3
Constantinople, les gouverne, sans qu'ils
soient soumis à la juridiction ordinaire
de rtie.
« Moyennant ces privilèges , Ils sont
obligés d'entretenir les arbres, de bieo
battre, aplanir et balayer le terrain qui
est dessous, aux approches de la récolte,
afin que le mastic qui y tombe soit clair
et net. Us sont chargés de le recaeîDir
avec des pinces sur les arbres, et arec
la main quand il est à terre; de nettoyer
celui qu'ils ont ramassé et d'en dter la
poussière qui s'v attache toujours, mal-
gré le soin qu'us prennent de tenir \i
place nette. Lorsque le mastic est bien
nettoyé, ils le séparent selon ses diOV-
rentes qualités.
« Le plus estimé est net , daîr et en
larmes; on le recueille ordinairement
sur l'arbre, avant qu'il en coule beau-
coup, ou qu'il tombe à terre. Toute oeue
première qualité va au sérail do sultan
a Constantinople. Gelai qui a été ramasté
au pied des arores est toujours mêlé d*no
peu déterre : il n'est ni dair lÉeo lar-
LE BE GHIO.
S6t
mes, maf s «n mcmeavx longs, informei
et looebes ; on n'en envoie au sérail <nie
Ï9 quantité qai manqae à la premièni
qualité poaren faire soixante mule livres
pesant. Cest la taxe que l'aga fermier
doit envoyer tous les ans au sérail du sul*
tan. Chaque village est taxé à trots mille
livres, Tnn portant l'autre, ou à deux
mille éeus en argent comptant, au défont
de mastie ; et comme on m recueille tou-
jours beaucoup davantage, même dans
les plus mauvaises années, le fermier
achète le surplus des soixante mille li«
Très des paysans sur le med de quarante
sous et quelque ehose de moins la livre,
€t le revend ensuite, par privilège ex*
clusif, trois à quatre francs ; et il a droit,
non -seulement de saisir tout celui ^uMl
trouve n'avoir pas passé par ses mams ,
mais encore de punir les paysans qui
Tont vendu en contrebande. 11 peut en-
velopper dans cette punition tous les
habitants d*un village, quand il ne peut
connaître le particulier qui a fait la con-
trebande ; c est ce qui oblige ces pay-
sans à s'observer exactement les uns les
autres , et à fermer pendant la nuit les
portes de leur village dans tes temps de
la récolte, afin que personne n'aille ra-
masser le mastic sur le terrain de son
voisin, pour en faire une provision qu'il
pourrait ensuite vendre à loisir
' Depuis le commencement de la ré*
coite jusqu'à ce que le fermier ait enlevé
toute cette drogue, il y a des gardes jour
et nuit aux gorges des montagnes par les-
quelles on entre dans le cap Mastic. Ces
gardes visitent avec soin ceux qui pas*
sent , afin que personne n'en emporte.
Qnand le garde de Taga fermier vient à
la ville , il est accompagné de tambours
et de flûtes , et amené par les paysans
des villages qui ont recueilli le mastic;
ils vont le porter au château avec beau*
coup de réjouissance.
« Quelquefois l'aga qui prend la ferme
du gouvernement, du tribut et des doua-
nes de rtle , prend aussi celle du mas-
tic, dont la récolte peut monter année
commune, à cent-cinquante mille li-
vres pesant......
a On distingue quatre sortes d'arbres
de mastic , savoir : skinos, skinos^m-
pro$, votomos et piscari,
« Le ikinos et le skînos-aspros pro-
duisent le plus beau mastic ^ c'est-à-dire
le plus transparent et le plus sec : on i'ap-
pelte mastic mâle
« Le votomos a les feuilles plus petites,
et est ordinairement plus étendu que les
autres. Il est le seul qui porte des baies
ou graines, qui sont assez semblables à
celles des lentisques sauvages. On en
recueille très-peu de mastic ; mais il est
mâle et d'une bonne qualité
« Lepiscari est beau, touffu, et forme
une espèce de buisson qui s'arrondit en
s'élargissant jusqu'à terre: sa feuille
est plus large que celle des autres; il
est le plus fécond de tous. Son mastie
coule SI abondamment, qu'on en ramasse
quelquefois des morceaux de la largeur
d'un écu ; mais il est opaque, mou, se
sèche difficilement, et se ramollit à la
moindre chaleur : aussi est-ce la qua-
lité la moins estimée. Ce mastic est ap-
pelé mastic femelle.
« Ces arbres fleurissent tous en mars ;
leur fleur a la forme d'une grappe : il
n'y a, comme j'ai dit, que le votomos
qui porte graine (1). » On les cultive au
pied comme la vigne. Les paysans char-
gés de ce soin font à l'écoroe de la ti^
des incisions en croix, d'abord en mai,
puis en juin et enfin en août. Cest de
ces incisions que coule la résine ou
gomme appelée mastic « dont les dames
turques et grecques font une grande cou*
sommation. Elles en mâchent continuel^
lement : cette drogue donne à leur ha-
leine une odeur aromatique qu'on peut
ne pas trouver désagréable, mais qui nuit
beaucoup à la beauté de leurs dents. »
«Le mastic est d'usage en médecine;
il entre dans plusieurs remèdes, et se
donne en pilules pour apaiser les maux
d'estomac; mais les arts en font aujour-
d'hui une consommation beaucoup plus
grande. On l'emploie surtout pour com-
poser les vernis clairs [et transparents ;
il a, sur un grand nombre de drogues
que l'on emploie à cet usage, l'avan-
tage d'être solubledans l'essence et dans
Tesprit de vin (2). »
(i) Galland , mémoire fait sur les lieux eu
1747, et cité par Choiseul-Gouffier, f. I,
p. 144-148.
(a) Choiseul-Gouffier, t. I , p. x48. Cf.
Tournefort, I, p. 357. "V oyez dans Plioe, XII,
36,XXiy, 74, I , la production, le prix
et l'emploi du mastic de Goio ches les anciens.
M4
UmiIVERS.
Cette partie de 111e qui fDurnit le mai-
tic, pierreuse et presque entièrement sté-
rile, produit peu de blé et d'berbages.
Il en est de même de toute eette âen-
due du territoire où croissent les oran*
gers et les citronniers. Aussi l'Ile ne
renferme-t^llequ'une petite quantité de
terres labourées et manque-t-elle de bé*
tail. Mais , en revanche, les oiseaux de
passage y sont extrêmement nombreux,
particulièrement les bécasses, les grives,
le merle, Ja caille et la tourterelle. Elle
nourrit surtout « une si grande quan-
tité de perdrix, au*il n'y a point d'endroit
au monde où Von en voie tant. On
trouve dans certains villages de grosses
perdrix rouges et privées Les habi-
tants en tiennent de grosses troupes ou
compagnies qu'ils élèvent et nourrissent
comme nous élevons en ce pays les
troupes de poules, d'oies ou de pigeons.
Ils leur donnent la liberté dès le matin
de voler vers les montagnes ou dans les
champs pour y aller chercher leur nour-
riture, et l'on permet aue leurs perdreaux
les suivent, afin qu'elles en aient soin.
Mais vers le soir elles s'assemblent de
nouveau au son d'un sifflet, si bien que
chaque compagnie ou troupe, qui en con-
tient quelquefois plus de trois cents,
se retire vers son gardien ou conduc-
teur , et le suit au village. Elles sont si
bien dressées au son de ce sifflet, que,
bien qu'elles se trouvent quelquefois six
ou sept mille ensemble et pêle-mêle ,
et qu'elles appartiennent à divers maî-
tres , elles ne manquent Jamais de se
séparer pour voler vers le lieu où elles se
retirent ordinairement, dès qu'elles l'en-
tendent (1). »
On nourrit aussi dans i'ile une grande
quantité de vers à soie, et le mieiau'on
y recueille peut le disputera celui d'Hy-
mette et d'Hybla.
Les chevaux sont un luxe des plus
riches ; mais les mules et les ânes sont
assez communs. Les renards et les
lièvres abondent dans les montagnes ;
on ne rencontre aucun autre animal des
forêts.
Les richesses minérales de Scio con-
sistent principalement en marbres. Les
carrières, assez nombreuses dans la par-
(i) Dapper, lUs Je t Archipel : Ckio au
SciOf P« AI?»
tic montagneoM ée rtletenfiDonyasaieai
dedîver8e6eouleurB(l).pyiiepeDseniêiM
que les premiers marbres ta^etés fu-
rent trouvés dans lescarrièraB de Qno.
« Les habitants les emplo^rèrent aux
murs de leur ville ; et ils s attirèrent, dit
Pline, une nlaisanterie de Cioâron : ils
montraient à tout le mondeces murailles
comme magnifiques : J'admirerais bien
plus, dit-il , que vous les eussiez faites
en pierre de Tibur. » On trouve aussi
différentes espèces de terre, et particu-
lièrement une certaine terre de nature
savonneuse, dont les femmes turques se
servent comme d'un dépilatoire, et quon
emploie dans les bains, mêlée avec des
feuilles de rose (2). Une autre terre,
d'une nature argileuse, très-commune
dans l'Ile, a de tout temps été, chez les
Chiotes , d'un grand usage pour les os-
▼rages de poterie , une des plus impor-
tantes branches de leur industrie, sur-
tout dans l'antiquité.
HISTOIBE ANCIETTNE DB CHIC.
PBBHIB&S HABITANTS DB ChIO (I).
— Les habitants de l'île de Cliio , aa
témoignage de Strabon et d^Eustatbe,
se prétendaient issus des Pélai^es de
la Tbessalie. Cette tradition populaire
prend un caractère historique si Ton
rapproche le nom du mont Pellinéen de
celui de Pelliné, ville de Thessalie. Ce
rapprochement confirme l'assertion de
Slrabon et d'Eustathe sur l'origine pé-
lasgique des habitants primitifs de File-
A ce double témoignage s'ajoute celui
dËphore, qui dit, dans un fragment
conservé par Athénée, que« lespremieri
habitants de Chio furent des Pélasges
qui, échappés au déluge arrivé sous Dcu-
ealion, émigrèrent dans cette fie >. D'a-
près ce passasse, la première colonisatioc
de Chio aurait donc eu lieu dans le sei-
zième siècle avant J.-C.
Colonie CBÉTOiSB. -— Environ desi
siècles plus tard, Oli^opion vint s'établir
(i) PUoe, Hist. Nat., XXXVI, 5, 3; V.
x38, X.
(a) Pline, XXXV, 56 , x. Les «icieBSci
faisaient le inénie iisâge.
(3) Baoul-Rochelte , Cohnies Grtcqttts, I«
380; II, i63-iC4;IU, 79,95,98.
ILE DE CHIO.
365
dans nie, à la tête d'une colonie Cre-
toise. Suivant Théopompe deChio, cet
OEnopion était fils de Bacebus et d'A-
riane, par Gonaéqaent petit-fils de Minoa
par sa mère. Le poète Ion, au contraire,
en fait un fils de Thésée, sans doute par
une fiction poétique destinée à flatter
les Athéniens , qui avaient couronné une
de ses tragédies. Suivant une troisième
version , rapportée car Diodore de Si-
eile, (Knopion était nls deRhadamanthe
et frère d'Eiythms. Rhadamantbe, s'é-
tant emparé des tles de la mer É^ée et
d*ime partie du continent de TAsie Mi-
neure, permit au premier de régner à
Chio, et au second, à Erythrée. Dans
toute cette généalogie, la feble joue évi-
demment un grand rôle. Toutefois , il
n'est pas besoin de chercher à concilier
ces assertions contradictoires pour cons-
tater, d*une part, gue la colonie amenée
f>ar Cffijiopion était partie de Crète; de
'autre, que les relations étroites qui exis-
tèrent entre Chio et Ér^rée avaient
leur source dans une origine commune.
C£nopion était accompagné de cinq
fils : Talus, Évanthus, Mêlas, Salagus
et Athamas. Il enseigna aux habitants
la culture de la vigne et Tart de faire
le vîD. La colonie qu'il fonda parait avoir
joui d'une certaine célébrité, puis<)ue
Chio est appelée la ville d^OËnopion
dans des vers du poète Critias cités par
Athénée.
D'antres colons, partis de Carie et
d'Eubée, vinrent s'établûr dans l'île avec
ragrément d'Œnopion. Après la mort
de ce dernier et celle de ses fils, Amphi-
clus d'Histiée, ville de TEubée, fut pro-
clamé roi. Son règne doit avoir com-
meno§ vers Tépoque de la guerre de
Troie. Uector, son arrière-petit^uis, régna
au temps de l'arrivée des Ioniens dans
TAsie Mineure, vers 1130 avant J.-C.
Ce fut sans doute avec leur secours qu'il
chassa de llle les Cariens et les Eubéens,
expulsion qui paraît avoir été suivie im-
médiatement de l'établissement d'une
colonie de ces nouveaux venus, qui tout
naturellement entrèrent dans l'Amphic-
tyonie ionienne.
Chio, en efifet, fut au nombre des
douze villes qui dès l'ori^oe firent
partie de la confédération ionienne. De-
puis eette époaue jusqu'au moment où
fes rois de Lyoie enerchèrent à étendre
leur domination sur les Grées de r Asie
Mineure, 14iistoire de Chio ne présente
aucun événement politique hien remar-
quable. Cette période ne laisse pas ce-
pendant qae d'offrir un certain intérêt.
La situation de Chio au milieu de la
mer l'invitait naturellement au com-
merce. Elle commença à se créer une ma-
rine, et, au milieu de la prospérité dont
elle jouit, la population parait s'être
accrue au point de se répandre au dehors
et de fonoer à son tour des colonies.
Elle envova des colons à Leuconia, en
Béotie, ville dont elle s'était emparée sur
les Coronéens de concert avec ceux d'É-
rytbrée. Plus tard ces derniers cherchè-
rent à s'en rendre seuls maîtres, et déjà
les Chiotes étalent sur le point de leur
abandonner cette commune conquête ,
lorsque leurs femmes leur firent nonte
de cette lâcheté , et les déterminèrent à
une résistance qui amena la retraite des
£rythiéen8« Cette guerre paraît être la
même que celle dont parle Hérodote (1),
et dans laquelle, au témoignage de cet
historien, les Chiotes eurent pour alliés
les Milésiens. C'est sans doute aussi à
cette guerre que se rapporte le strata-
gème suivant, que mentionne Frontin (2) :
Les Erythréens avaient placé une sen-
tinelle dans un lieu élevé, afin d'obser-
ver les mouvements des Chiotes. Ceux-
ci la tuèrent, revêtirent de ses habits un
des leurs, et le substituèrent à la senti-
nelle ennemie. Les Erythréens, trompés
Ear cet artifice, tombèrent dans une em-
uscade. Leuconia ne fut pas la seule
ville de Béotie dont s^emparèrent .les
Chiotes et les Erythréens. Us prirent
aussi Copœ, au nord du lac copaïs.
L'ancien nom de ce lac appelé primiti-
vement Leuconis et le nom de la ville
de Leuconia dont nous avons parlé plus
haut, empruntés tous deux au bourg de
Leuconium, dans l'Ue de Chio , sem-
blent indiquer que les Chiotes eurent
dans cette colonisation une part plus
importante encore que celle des Ery-
tiiréens.
Chio depuis la ouerbe d'Halyat-
te contre milbt, jusqu'a la bb-
YOLTB DE L'IONIE, DE 000 A £04 AV.
J.-C. —Enrichie par un commerce actif,
(x) Hérodote, I, iS.
(a) FrontÏD , Striittt^^ II, 5, $ iS.
266
L'tmiVERSJ
Chiû était devenue assez puissante à
l'époque où nous sommes arrivés, c'est-
à-oire au sixième siècle avant I*ère chré-
tienne, pour envoyer un secours de
troupes aux Milésiens, ses anciens alliés.
Depuis Gygès, qui, le premier des rois de
Lydie, entreprit de subjuguer les Grecs
des côtes de l'Asie Mineure , Milet n'a-
vait cessé d'être attaquée par ces princes.
Sadyatte et après lui son fils et successeur,
Halyatte, en poussèrent le siège avec vi-
gueur , et dans cette guerre, qui intéres-
sait également tous les Ioniens, menacés
dans leur indépendance, les Chiotes fu-
rent les seuls qui secoururent les habi-
tants de Milet (1). Grésus reprit les pro-
jets de ses prédécesseurs contre les Grecs
de rionie. Cette riche contrée était une
Ïiroiequi tentait les rois lydiens. Toute-
bis la soumission des villes grecques du
continent ne suffit pas à l'amnitieux Gré-
sus : « Lorsqu'il eut subjugué les Grecs
« de l'Asie , dit Hérodote (2), et qu'il les
« eut forcés à lui payer tribut, il pensa
« à équiper une flotté pour attaquer les
« Grecs insulaires. Tout était prêt pour
« la construction des vaisseaux, lorsque
«;Bias de Priène, ou, selon d'autres,
<( Pittacus de IVIitylène , vint à Sardes.
« Grésus lui ayant demandé s'il y avait
« en Grèce quelque chose de nouveau,
<t sa réponse fit cesser les préparatifs,
a Prince, lui dit-il, les insulaires achètent
« une grande quantité de chevaux, dans
« le dessein de venir attaquer Sardes et
« de vous faire la guerre. » « Grésus,
« cro)^ant qu'il disait la vérité, repartit :
« Puissent les dieux inspirer aux insu-
« laires le dessein de venir attaquer les '
« Lydiens avec de la cavalerie! — Il me
« semble, seigneur, répliqua Bias, que
» vous désirez ardemment de les rencon-
'^ trer à cheval dans le continent, et vos
K espérances sont fondées ; mais depuis
« qu'ils ont appris que vous faisiez équi-
« per une flotte pour les attaquer, pen-
« sez-vous qu'ils souhaitaient autre chose
« que de surprendre les Lydiens en mer,
ft et de venger sur vous le3 Grecs du con-
« tinent que vous avez réduits en escla-
•^ vage? » — « Grésus , charmé de cette
« réponse, qui lui parut très-juste, aban-
« donna son projet, et fit alliance avec
(i) Hérodote, l/i»,
(a) Id., t, a7.
« les Ioniens des ttes. i> Ce naff dialogue
prouve assez que les îles grecques de la
mer É^ée avaient acquis à cette époqpe
une puissance maritime imposante, puis-
qu'elle fit respecter leur mdépenaanee
par le roi le plus redouté de l'Asie. Or,
de toutes ces îles, si Ton en excepte
Khodes et Samos, Cliio possédait la ma-
rine la plus florissante.
Mais déjà une puissance nouvelle
s'avançait sur l'Asie Mineure. La do-
mination persane , qui commençait s
s'étendre a l'orient, sur les ruines de
l'empire Chaldéo- Babylonien, venait
d'engloutir du côté de l'occident b
monarchie lydienne (548 av. J.-C;.
et menaçait d'envelopper dans ses limi-
tes, reculées jusqu'à la mer , toutes les
colonies grecques de la côte. Toutefois,
les insulaires, comme le remarque Héro-
dote (t) , étaient à l'abri des attaques de
Cyrus; les Phéniciens n'étant pas encore
soumis aux Perses , et ceux-ci n^ayant
pas de marine. Les Ghîotes , en parti*
culier, ne paraissent pas s^étre prêo^
cupés beaucoup du danger auquel les
rapides progrès de la conquête persani
exposaient leur indépendance. Toutes
tiers aux soins de leur commerce . 3i
ne prirent qu'un médiocre intérêt à é
qui se passait sur le continent à quelqoi
distance de leur île. Deux faits trahie
sent l'esprit mercantile qui s'était dfji
emparé de ces insulaires. Pactyas, ce d^
positaire infidèle des trésors de Grésus,
avait fait soulever les Lvdiens contre C>
rus, et, à l'approche de Mazarès, liei'
tenant de ce prince, s'était réfugié cbes
les Gyméens qui le transportèrent i
Ghio. « Les habitants de cette île 1>
« rachèrent du temple de Minerve-Pi)-
« liouchos, et le livrèrent à Maiarès, a
« condition qu'on leur donnerait ^AU^
« née, pays, de la Mysie, vis-à-vis et
« LesDos.... Depuis cet événement il «
« passa beaucoup de temps sans que là
a habitants de £hio osassent, dans les
« sacrifices , répandre sur la tête deU
a victime de l'orge d'Atarnée , ni offrir
A à aucun dieu des gâteaux faits avec deli
« farine de ce canton; et on excluait dd
« temples tout ce qui en provenait [T,.
Plutarque, il est vrai, nie cette honteuse
(i) Hérodote. I, i43.
(a) Id.y I, loo.
ILE DE €HIO.
wr
iitntfitiôD; mais Son \éfMAgtï9^ est
nen faible en présence de celui d*HéTo-
bte confirmé par Pansanias (1). Le
«coDd fait n'est pas à beaucoup près
mssi grave; mais il rérèle aussi une po-
itiqne intéressée , et nous montre que
esChiotes, à cette épooue du moins,
talent déjà devenus par-dessus tout des
Qarchancis. Les Phocéens, assiégés par
[arpage, générai de Cvrus , et réduits
la dernière extrémité , avaient aban-
tonné leur ville , préférant l'exil à Tes-
Uva^e, et fait voile vers Chio, dans
espoir de s'établir dans les fies OEnns-
es (2), situées au nord-est de cette der^
lière, dont elles étaient une dépendance.
lais les habitants de Chio ne voulurent
as les leur vendre, dans la crainte
^'ils n'y attirassent le commerce et
«e leur île n'en fût exclue (3).
Favorisée par sa position au milieu de
I mer, Chio avait pu sauver d'abord son
idépeudance. Mais déjà , par les con-
uêtes de Cyrus , l'empire persan tou-
bit à toutes les mers gui baignent les
(tes de TAsie. La Phénicie faisait partie
'nne de ses satrapies. L'île de Cypre
lleméme avait suni le joug. Devenus
insi les souverains des principaux
euples maritimes du continent et de
Dflques fies , les rois de Perse trouvè-
ent chez ces nouveaux sujets une ma-
|Qe et des matelots exercés par une
ieille habitude de la mer. Ils en firent
is instruments des conquêtes qu'ils en-
«prirent en Afrique et en Europe. Cest
insi que l'armée, qui , sous la conduite
€ Gamhyse , alla soumettre l'Ëgjpte
lonta des vaisseaux fournis par les Cy-
fiotes et les Phéniciens ( 625 av. J.C. ) ;
est ainsi encore que lorsque Darius I*^'
ifigeaune expédition contre les Scythes,
^obligea les Grecs d'Asie , ceux des îles
f ceux du continent , à fournir un con-
fûgent d'hommes et de navires.
Toutes les colonies grecques de l'Asie
tineure étaient en effet subjuguées, et
ormaient une des satrapies ae l'empire,
/utrele satrape chargé de l'administra-
•on générale de la province , Darius éta-
'ut dans chaque ville un gouverneur
«rticulier, choisi soit parmi les indl-
(i)Pausanias,rv,35.
^) Aojourd'hni les ile& Spalmadores.
(3) Hérodote,!, i65.
gènes , soit parmi les PenM, mais tou-
jours créature d'autant plus dévouée au
roi que ces petites tyrannies locales ne
pouvaient se maintenir qu'eu se reliant
étroitement au despotisme central. Cest
ce qui apparaît claùrement dans l'expé«
dition contre les Scythes. Darius avait
fait jeter un pont sur l'Ister, et en avait
confié la garde aux tyrans ioniens. Ea
vain les Scythes, qui venaientde disperser
l'armée persane, les pressèrent de rompre
le pont. « L'affaire mise en délibération,
« Miltiade d'Athènes , qui était comman-
« dant et tyran de la Ghersonèse de
a l'HelIespont , fut d'avis de suivre le
« conseil des Scythes et de rendre la li«
« berté à Tlonie ; mais Histiée, tyran de
« Milet, s'y opposa. Il représenta qu'ils
« ne régnaient dans leurs villes que par
« Darius ; que si la puissance de oe prince
« était détruite, ils perdraient leur au*
« torité , et que lui-même ne pourrait
« plus conserver la sienne dans Milet ^
« ni les autres la leur dans leurs États ^
« les villes préférant toutes la démocratie
« à la tyrannie (1). » Tous les petits ty»
rans de Tlonie , et parmi eux , celui ae
Chio , nommé Strattis , se rangèrent à
l'avis d'Histiée, et le pont fut maintenu.
RÉVOLTE DE l'Ioiiie (604 av. J.-C).
— Il était manifeste, après ce qui s'était
passé aux bords de l'Ister, que les Ioniens
n'avaient rien à attendre de leurs gouver-
neurs. Instruments serviles du grand
roi , ceux-ci appesantissaient le joug de
la domination persane de tout le poids
de leur propre tyrannie, tlne double
oppression pesait ainsi sur les Ioniens;
et tandis que le grand roi, résidant à
Suze , manifestait de loin sa puissance
absolue par les exigences du fisc, les sa-
trapes leur faisaient sentir un pouvoir
d'autant plus insupportable qu'il s'exer-
çait de près, à tout instant, et directe-
ment. Cet état était trop violent pour du-
rer. La conquête avait pu courber les
Ioniens sous le joug ; mais même telle
que Darius l'avait organisée , elle ne put
laçonner au despotisme asiatique ce
peuple , de tous les Grecs le plus pas*
sionné pour la liberté. A une révolte il
ne manquait qu'une occasion. Athènes
d'ailleurs , la métropole des Ioniens de
l'Asie Mineure, venait de donner l'exem-
^i) Hérodote, IV, 137.
368
LUNIVEBS.
t
le en s'aflfrandiiisaiit de la domination
es Pisistratides (510 av. J.-G.)- Aussi
lorsque Aristagoras , ^an de Miiet , se-
crètement excité par les émissaires d'His-
tiée, son beau*père, que Darius retenait
à sa eour, les eut appelés à la liberté,
un soulèvement général éclata aussitôt.
Partout les tyrans furent massacrés ou
eiiassés, et la liberté rétablie. Athènes sou«
tint d^abord la révolte des Ioniens , et
leur envoya vingt galères, qui, jointes à
cinq autres que fournirent les Érétriens ,
contribuèrent à la prise de Sardes. Mais
après ce premier succès ces deux alliés
se retirèrent, et tout le poids de la guerre
retomba sur les Ioniens. Dans cette
guerre, les Cbiotes fireatd'héroîques ef-
forts pour la cause de la liberté. Les
forces qu'ils mirent sur pied témoignent
de la puissance navale à laquelle ils
étaient parvenus , grâce à Tactivité et à
l'extension de leur commerce. De tous
les Grecs d'Asie ce furent ceux qui équi-
pèrent le plus grand nombre de vais-
seaux : sur les trois cent cinquante-trois
galères qui composaient la flotte.^eoque«
Hs en fournirent cent, c'est-à-dire envi-
ron le tiers. Tous ces forces , réunies
dans l'île de Lada, en lace de Milet,
étaient destinées à secourir cette ville,
assi^ée par les Perses (498 av. J.-C. ).
Travailla par les émissaires du grand
roi, les Samiens, les Lesbiens et d'autres
confédérés abandonnèrent la cause com-
mune , et se retirèrent avçc leurs vais-
seaux. Cette défection n'ébranla pas le
eoura^e des Cbiotes. « Parmi ceux qui
« soutmrent le combat, dit Hérodote (1),
« les habitants de Chio furent les plus
o maltraités, parce qu'au lieu de se con-
« duire en lâches , ils firent des actions
« très-éclatantes.... Us s'aperçurent de
« la trahison de la plupart des alliés ;
« mais, ne voulant pas imiter leur lâcheté,
« ils livrèrent le combat avec le petit
« nombre de ceux qui ne les quittèrent
« point, et passèrent et repassèrent entre
« les vaisseaux ennemis, pour revenir de
« nouveau à la charge , jusqu'à ce au'a-
« près en avoir pris un grand nombre,
« lis eussent perdu la plupart des leurs.
« Ils s'enfuirent alors dans leur fie avec
« ceux qui leur restaient. Mais les vais-
« seaux qui avaient beaucoup souffert,
(0 Hérodote, TI, i5 et x6.
ne poufant les suivre, et se Toyask
poursuivis, s'enfuirent vers Myàle,
où ils se firent échouer ; et les ayant
laissés en cet endroit, ils firent le
femmes célébraient alors les Thesioo-
phories (1). Les Éphésiens n'étaieot
pas encore instruits de ee qui était
arriTé à ceux de Chio. Voyant ets
troupes entrer sur leurs terres, ils si-
magmèrent que c'étaient des brigands
qui venaient enlever leurs femmes; et
courant tous à leur secours, ils massa-
crèrent ces malheureux. » Les Chiotcs
n'étaient pas au terme de leurs désastres.
Ayant refusé de recevoir Histiée, oelui-ei.
secouru par les I^esbiens , leur livra ba-
taille à l'endroit appelé les Creux de
Chio, tua un grand nombre des leurs,
s'empara de Polichna , et subjugua tont
le reste de l'île, d'autant plus &cilem«Dt
qu'elle était épuisée par les revers pré-
cédents. « Ceux de Chio, dit Héro-
« dote (2), .eurent des présages avant*
« coureurs de leur désastre. Irun chorar
c de cent jeunes garçons qu'ils avaient
« envoyé a Delphes, il n'en revint que
« deux ; les quatre-vingt-dix-huit autres
« périrent de la peste. Vers le même
« temps, et un peu avant le combat na-
« val, le toit d'une école de la Tille tomba
« sur des enfants à qui on enseignait ks
« lettres ; de cent vingt qu'ils étaient, fl
« n'en échappa qu^un seul. Tels furent
« les signes avant-coureurs que la din-
« nité leur envoya. »
Chio depuis ls coMiiENCEiffin
DBS GUERfiBS VÉDIQUES JUSQU'AC
TRAns DE CiMON (449). — Après la
prise de Milet , la flotte perse n*eut qu'à
paraître, devant Chio pour la faire ren-
trer dans l'obéissance. Strattis, l'ancien
tyran de l'île, fut rétabli , et, dans Tei-
pédition que Darius dirigea contre les
Grecs d'Europe, elle fut contrainte a
fournir son contingent. Mais bientôt
l'enthousiasme que la victoire de Mara-
thon avait excité dans toute la Grèce
se communiqua aux colonies. EoharJi^
par les succès de la métropole et pnr lu
(x) Fête que les femmes céUbraieDl eo
l'honneur de Cérès.
(a) Hérodote, VI, 97.
ILE DE CHIO.
269
défaite des Perses « sefit eitoyens de Ghio
entreprirent de délivrer leur (tatrie, et
s'eDgagèreot par un serment solennel à
tuer le ^ran Strattîs. L'un des eonjurés
ayant dénoncé le complot , les six autres
De renoncèrent point au projet d'affran-
chir leurs concitoyens, et allèrent împlo*
rer pour eux les secours de la flotte
grecque, stationnée près d'JËgine. L*ap-
procbe des yaisseauz grecs ranima le
courage des Chiotes, et à la bataille de
Mycale ils combattirent yaillammeat
dans les rangs de leurs libérateurs
(479 ay. J.-C. ). Pausanias rapporte qu*il
a lu leurs noms gravés, avec ceux des au-
tres alliés, sur le piédestal de la statue de
iapiter à Olvmpie (1).
La bataille de Mycale transporta le
théâtre de la guerre médique de la Grèce
sar les edtesde l'Asie Mineure. Les Grecs
commencèrent à prendre l'offensive. Les
Athéniens, dissimulant ou ajournant
leurs proiets de domination , ne eom*
battirent d'abord que pour Taff rancbisse-
ment des villes grecques encore occupées
par les barbares. Investi du comman-
dement de la flotte combinée d'Athènes
et des alliés , Cîmon parcourut en libé«
rateur la mer É^. Dans cette guerre
nationale, les Chiotes se montrèrent les
dignes fils de la Grèce. Des cent galères
fournies par les alliés, le plus grand
nombre leur appartenaient. La part ac-
tive qu'ils prurent à cette expédition
prouve qu'ils avaient déi^ réparé leurs dé-
sastres précédents, et rétabli leur marine,
presque rainée. Aussi lorsque les Ath^
Biens, se sentant assez forts pour agir en
mattries, cbanj^èrent en subsides d'ar-
gent les contingents d'hommes et de
vaisseaux fournis par les alliés, et ren-
dirent amsi ces derniers leurs tributaires
et presque leurs sujets, ils respectèrent
rindépâidance de Chio. Par le traité
de 449 ils la mirent à l'abri des attaques
du grand roi , en stipulant qu'auctm
vaisseau perse ne pourrait naviguer
dans les mers grecques, depuis -le
Pont-Euxin jusqu aux côtes de la Pam-
phylie.
Depuis lb tbàitb db Cimon jus-
qu'à LA FIN DB l'expédition DB
SiciLB (441M13). — Les victoires de
Tbémistode et de Cimon avaient refoulé
(i)PaiiiaiiiM,T,A3f
les Perses en Asie. Le traité imoosé par
ce dernier à Artaxerxès avait élevé sur
le continent de l'Asie Mineure, entre la
Grèce et les barbares , comme un rem-
part de villes , rattachées plus étroite-
ment à la métropole, et le long du li^
toral une barrière d'îles, sentinelles
avancées de la Grèce. Délivrés ainsi des
dangers du dehors , les Grecs trouvèrent
dans la rivalité d'Athènes et de Sparte
un aliment nouveau à leur inquiète ac-
tivité. Aux guerres extérieures succédé*
rent les discordes civiles. Toute la Grèce,
divisée en deux camps, se partagea entre
les Athéniens et les Spartiates, qui se dis-
putèrent le commandement, l'exercèrent
et en abusèrent tour à tour. Ettandis que
ces deux peuples, épuisés par leur lutte
et oubliant, par uue égoïste ambition,
leur rôle national , mêlaient à leurs dé-
bats le roi de Perse, une nouvelle puis-
sance s'éleva en Grèce, et l'hégémonie,
se déplaçant une troisième fois , passa
aux mains des Thébains. Cette esquisse
rapide de l'histoire intérieure de la Grèce
Eendant cette période est nécessaire pour
ien comprendre les vicissitudes poli-
tiques par lesquelles passa Ttle de Cliio,
depuis l'époque où nous sommes arrivés
jusqu'à la guerre sociale. Liée désormais
plus intimement à la société grecque,
cette fie éprouva le contre-coup de toutes
les révolutions qui s'accomplirent dans le *
sein de cette société si agitée. Ses forces
navales faisaient d'elle une alliée utile,
recherchée par chacun des peuples ri-
vaux qui se disputaient le premier rang.
C'est ainsi qu'elle subit successivement
l'influence ou la domination d'Athènes «
de Sparte et de Thèbes.
Ce n'est pas tout. La lutte dont la Grèce
était le thefttre entre les Athéniens et les
Spartiates, les uns représentant l'élément
ionien ou le principe démocratique, les
autresl'élémentdonenottle principe aris-
tocratique, cette lutte, transportée dans
les colonies grecques de l'Asie, y formait
deux actions, une faction populaire dé-
vouée à Athènes et une faction oligar^
chique tenant pour Sparte. Chio renfer-
mait dans son sein ces deux partis, oui,
au milieu des attaques auxquelles leur
patrie était en butte, ne rivalisaient que
pour le choix du maître. De 449 à 413
les Chiotes furent les alliés d'Athènes.
Dans les expéditions dirigées contre Sa-
S70
L13NIVERS.
«108, leurs vaisseaijR firent partie de la
flotte qui sovis le commandement de Pé*
rielès eomprima la révolte de oelte fie
(441 av. J.-O* Lorsque éclata la guerre
du Péloponnèse, ils prirent encore parti
pour leur métropole et fournirent des
vaisseaux (431 av. J.-C. ). Mais quelques
années après, la faction aristocratique,
amie des Spartiates, l'emportant, ils
méditèrent une défection; et, avertis
Sar les récents malheurs des Lesbiens ,
ont la rébellion avait été cruellement
difttiée , ils fortifièrent Chio, et préparé*
rent des moyens de résistance. Mais ils
n'eurent pas le temps de mettre leur
projet à exécution. Instruits de ce qui se
passait, les Athéniens les contraignirent
a démolir les fortifications qu'ils avaient
construites , et à prêter de nouveau ser-
ment de fidélité. Retenus ainsi par la
force dans Talliance d'Athènes, ils la
secoururent de leurs vaisseaux dans le
cours de la guerre, et participèrent à l'ex-
pédition de Sicile (415 av. J.-C. ).
Chio se détache d'Athènes , n
TOMBE sous l'influence DE SpABTS
(418-394). — Le mauvais succès de cette
expédition et raffaiblissement d'Athènes
déterminèrent les Chiotes à secouer une
alliance qui leur pesait. Les intrigues de
Sparte et l'or delà Perse travaillaientalors
tous les alliés des Athéniens. Les Les-
biens venaient de donner l'exemple de la
défection en traitant avec Agis. « Les
« habitants de Chio et d'Erythrée , qui
« n'étaient pas moins disposés à la aé-
« fection, ne s*adressèrent point à lui,
« mais à Lacédémone. Un ambassadeur
« étaitaveceuxdelapartdeXissapherne,
« qui gouvernait les provinces maritimes
« au nom de Darius, filsd'Artaxerxès(l).»
Il s'agissait de déterminer les Spartiates
Il faire partir une flotte pour soutenir la
révolte «de Chio. Alcibiade lui-même,
alors mêlé aux ennemis de sa patrie, en
pressa le départ. « Les Lacédémooiens
ne laissèrent pas d'envoyer d'abord à
Chio un de leurs sujets , nommé Phry-
nis, f>our reconnaître si cette république
avait autant de vaisseaux qu'elle en ait-
noncait, et si, d'ailleurs, ses naovens ré-
pondaient à ce qui en était punlié. Le
rapport fut qu'on ne leur avait annoncé
que la vérité, et ils reçurent aussitôt
<i) Thucydide, Vm,^.
dans leur alliance les haUtants de Chio
et ceux d'Erythrée, Ils décrétèrent (k
leur envoyer quarante vaisseaux; et,
après ce que les gens de Chio leur
avaient dé(»aré, le pays n'en avait pas
lui-même moins de soixante. lia albieoi
en faire d'abord partir dix , avec Mélan-
eridas, qui en avait lecommandemeDl;
mais comme il survint un tremblemeot
de terre dans la Laeonie , ils n'en appa-
reillèrent que cinq au lieu de dix, et les
murent sous le commandement de Cbal-
eidée, au lieu de Mélancridas... Dès le
commencement de l'été suivant (412
av. J.-C), les habitants de Chio M-
citèrent avec empressement TexpéditioD
de la flotte. Ils craignaient que les Athé-
niens ne vinssent à are informés de leurs
négociations; car toutes avaient ék
conduites à Tinsu d'Athènes. Les Lacé-
démoniens, sur leurs instanees, dépé-
chèrent à Corinthe trois Spartiates, pour
faire passer promptement les vaisseaux
par-dessus l'isthme , dans la mer qui re-
garde Atliènes , et pour donner ordre
que tous les bâtiments, tant ceux qu'A§is
avait préparés pour Lesbos que les autres,
fissent voile pour Chio. Trente-neuf
vaisseaux des alliés se trouvaient réuais
dans l'isthme.... Les alliés s'assemblè-
rent à Corinthe, et y tinrent oonseil; ils
décidèrent de commencer par se rendre
à Chio, sous le. commandement de Cl1a^
cidée... Mais les Corinthiens refusèreot
de partager l'entreprise avant d'avoir
célébré les jeux isthmiques... Agis ne
«'opposa pas à leur laisser respecter h
trêve qui devait durer autant que la so-
lennité de cette fête; mais il voulait que
l'expédition de la flotte se fit en son nom.
Ils n'y consentirent pas. L'affaire traîot
en longueur, et c'est ce qui donna le
temps aux Athéniens d'être mieux infor-
més de la d^ection de Chio. Us envoyè-
rent Aristocrate, l'un de leurs généraûs,
en porter leurs plaintes dans cette île.
Les habitants nièrent le fait; et comme
alliés, ils reçurent ordre d'envoyer de5
vaisseaux pour gages de leur fidélité. Ils
en firent partir sept. La raison de cd
envoi, c'était que le grand nombre ue
savait rien de ce qui se tramait, que les
chefs, qui étaient dans le secret, ne vou-
laient pas se faire un ennemi du peuple
avant d'avoir pris leurs sûretés, et qu ils
ne s'attendaient plus à voir «rriver les
ILKDECHia
371
Péloposnéaifintt qui tardMiit à le miiii*
trer(l). »
Ce|»eDdant, après la célébration des
jeox istbmiques, la flotte péloponné-
sienne cingla vers Chio^ au noniDre do
vingt et une voiles. Les Athéniens s'a-
Taneèrent à sa rencontre avec le mémo
nombre de vaisseaux; mais, ne se fiani
pas aux navires de Chic qui faisaient
partie de leur flotte, ils évitèrent d'attirer
leurs ennemis à une bataille. Vaincus
quelaue temps après dans un combat
naval, les Lacédémoniens voulurent re-
noncer à Texpédition de Tlonie. Mais
ils avaient trop d'intérêt à soustraire
rionie à ralliance d'Athènes pour aban*
donner si promptement Tentreprise. Le
premier moment de découragement
passé, ils reprirent Texécution de leur
projet, et travaillèrent à la fols à soulever
rionie et à s'assurer l'appui du grand
roi, qui, grâce aux dissensions des Grecs,
allait devenir leur arbitre. Alcibiade et
Cbalcidée furent chargés du commande-
ment de la flotte destinée à la guerre
d'Asie. « Ils eurent des conférences aveo
« quelques-uns de leurs confidents de
« Chic, qui leur conseillèrent de cingler
• vers leur ville, sans y faire annoncer
« leur arrivée. Ils y parurent snbite-
« ment, et remplirent de surprise et d'ef-
« froi la faction du peuple ; mais celle
• des riclies fit assemoler le sénat. Chio
« renon^ encore une fois à l'alliance
• d'Atbèaies (2) Les Athéniens reçu*
■ rent bientôt la nouvelle de ce qui se
«passait à Chio. Us se regardèrent
« comme environnés d'un danger ter-
' rible et manifeste , et ne crurent pas
« que le reste des alliés voulût se tenir
«en repos, quand une république de
' cette importance se livrait à la défec*
• tien (8). o
La d^ection de Chio, puissance mari-
time considérable, portaiten effetun rude
coup aux Athéniens, dont les fbrces con-
sistaient surtout dans leur marine. Leur
vengeance ne se fit pas attendre. Tandis
qu^ils firentleurs préparatifs, les Chiotes
aggravèrent leurs torts , en faisant sou-
lever celles des villes etdes ties ioniennes
qui se trouvaient encore sous la demi*
(i)Thuqrdide,VIIIi Sio.
{a)Id., THI, 14.
(3) Id., TUI, i5.
nation ou dans ralUanee d'Athènes. Cest
ainsi au'iis excitèrent à la révolte Lébédos
etLesiMS. Mais Léon et Diomédon, avec
la flotte athénienne, après avoir com*
{mmé le soulèvement dé cette dernière
le, vinrent infester Clûo par mer, des-
cendirent à Cardamyle , au nord de Ule,
battirent à Bolyssos ceux de Chio, qui
s'avancèrent contre eux, en tuèrent un
grand nombre, et firent soulever les pays
voisins. Ils remportèrent une seconde
victoire, àPhané, et une troisième, à
Leuconium. « Les guerriers de Chio ne
se montrèrent plus en campagne, et les
vainqueurs ravagèrent ce pays si bien
cultivé, et qui n'avait jamais souffert de*
puis la guerre des Mèdes. Car de tous les
peuples que je connaisse, ajoute Thucy-
dide, ceux de Chio sont les seuls après
les Lacédémoniens qui aient uni la sa-
gesse à la bonne fortune... Assiégés du
GÔtédela mer et voyant leur paysdevasté,
plusieurs résolurent de remettre leur ville
aux Athéniens (1). »
Mais les partisans de Sparte redou-
taient les vengeances de ces derniers.
Ils conjurèrent le péril en appelant d'É<
rj^thrée Astyochus, générai lacédémo-
nien, qui passa dans l'île, et fut, quel-
que temps après, remplacé par Pédante.
Celui-ci fit périr les citoyens favora*
blés aux Athéniens. Ce massacre affai-
blit nie, sans faire cesser les divisions.
Les deux factions s'observaient, maia
n'osaient agir. Aussi les Athéniens pu-
rent-ils faire une nouvelle descente sans
reneontrer de résistance, se fortifier k
Delphinium, et assiéger Cliio. Pour
comble de disgrflce, les esclaves se ré-
voltèrent et se joignirent aux assiégeants.
Pédarite et un grand nombre d'habi-
tants périrent dans une sortie. Enfin un
détachement delà flotte péloponnésienne
vint au secours de la ville. Les Cliiotes
Eurent tenir tête aux Athéniens. Une
ataille sanglante et indécise se livra sur
mer, et bientôt après la révolte d'Abydoa
et de Lampsaque força l'amiral athénien,
Strombichide , à abandonner le siège
pour se porter sur ces deux villes (412
av. J.-C. ).
Mais les Athéniens ne devaient pas
renoncer à une alliée si utile. En 407 ils
reprirent Delphinium, et relevèrent le
(0 Thucydide, YIII y ai.
37d
LtTNIVERS.
parti pofNilaire. Geox de la foetion op-
posée furent bannis de Ttle. Cratésip-
pidas, amiral lacédémonien , les ramena
dans la suite. ,Ce fut alors le tour de
leurs adversaires politiques de partir
pour Texil. Six eents de ces derniers,
expulsés de leur patrie, tentèrent un
coup de main sur Atamé, possession
des Cbiotes, et parvinrent à s en rendre
maîtres. De ce poste, où ils se retranchè-
rent, ils ne cessèrent d'infester Gbio
et tonte Tlonie, jusqu'au moment où
Dercyllidas lesen expulsa, après un siège
de huit mois ( 398 av. J.-G. ).
Cependant Delphinium restait au pou-
voir des Athéniens, qui de ce fort, le
plus important du pays , dominaient et
menaçaient Ttie tout entière. Mais les
Lacédémoniens ne leur laissèrent pas le
temps de s'y fortifier. Gallicratidas, qui
avait succédé à Lysandre dans le corn*
mandement de la flotte péloponnésienne
( 406), s'en empara , en détruisit les mu-
railles, chassa les Athéniens , et fit oc-
cuper rtle par son lieutenant Ëtéonicus.
Les soldats de celui-ci, manquant de
vivres et de vêtements , formèrent se-
crètement le dessein de se rendre maîtres
de la ville de Chio et de la livrer au
pillage. Ëtéonicus, instruit du complot,
en empêcha l'exécution.
L'expulsion des citoyens les plus con-
sidéraMes ou les plus remuants du parti
Sopulaire, et l'occupation de l'île par les
partiates faisaient aésormais des Uiiotes
les alliés forcés des Péioponnésiens. A
iEgos-Potamos ils combattirent dans les
rangs de ces derniers avec leurs tri-
rèmes. Trois de leurs concitoyens , Cé-
phisoclès , Hermophantus et Icerius, pa-
raissent être signalés parmi les plus
vaillants, puisque Pausanias (1) dit avoir
vu à Delphes leurs statues à côté de
celle de Lysandre, le vainqueur des
Athéniens ( 404 av.-J.-C. ).
Cette victoire remettait aux mains
des Lacédémoniens l'hégémonie, que les
Athéniens possédaient depuis la guerre
médique. Ils enabusèrent comme avaient
&it cesdemiers : tout en faisant la guerre
à la Perse , ils travaillèrent à asservir
la Grèce. Les alliés d'Athènes, qu'ils
avaient soulevés au nom de la liberté , s'a-
perçurent bientôt qu'ils n'avaient com*
(i) Pausanias, Xt iQ.
battn que pour changer de naîtra*
Chio , comme les autres, en fit la triste
expérience. Aussitôt apirès la batailk
d'i£gos-Potamo8, elle lut r^e çxt dii
archontes et un harmoste, magistrats
Imposés par Sparte et appuyés d'uoe
garnison. Mais bientôt la hgue qui avait
renversé la domination athénienne se
reforma contre celle des Lacédémoniens.
La dé&ite que ceux-ci essuyèrent à la
hauteur de Cnide , en ruinant leur ma-
rine, fut suivie d*un soulèvement presoue
général des Grecs de l'Asie Mineure.Cnio
en donna le signal en renversant les Dii
et en chassant la garnison laeédémo-
nienne ( 894 av.-J.-C. ). Conon , à la tête
de la flotte victorieuse, n'eut qu'à pa-
raître poiur la rattacher au parti dA*
thènes (1). Thrasybule, successeur de
Conon , y affermit la domination de sa
patrie (890 av.-J.-C. ).
Rapports db Chio aybg Thsbes.
— Sparte vaincue et ji^iblie, Athèiies
Jugea que la première place était vacante,
et songea à la reprendre. Sa souveraineté
s'étendait de nouveau sur presque toute»
les lies de la mer Egée. Mais et ^b^^
monie et les Ues lui fîirent disputées par
une nouvelle rivale. Les Tbéoaîns, qui
conquirent la première sur les Spartiates,
lui enlevèrent les secondes. Épaminoodas
comprit que pour assurer à sa patrie la
prépondérance sur le continent . il faliail
lui donner l'empire de la mer. Il fit donc
décider |)ar le peuple qu'on éaui|K!rait
cent trirèmes, et qu'on demanaerait les
secours de Chio, de Cos, de Rhodes et di
Byzance. Par ces deux mesures il donoaAJ
aux Thébains une marine et il afiEaibiis-
sait celle d'Athènes, que les progrès me-
naçants de la puissance thébaine avaieoll
jetée dans l'alHance de Lacédémone. Les
Athéniens, alarmés de ces projets, es*
Bayèrent en vain d'y m^re obstacle.
Ëpaminondas parcourut la mer Êgé^t
mit en fuite leur flotte, commandée pari
Lâchés , et obtint pour, sa patrie l'al-
liance de Chio et des trpis autres citrs
maritimes (2) ( 366 av.-J.*C. }.
GUBBBB SOCIALE ( 355-856av. J.-C i
— La puissance de Thèbes ne dura ^
la vie d un homme. Éparoinondas mort,
il ne se rencontra aucun Thébain ea
(i) Diodore de Sicile, XTV, 84.
(a) M., XV , 79.
ILE DE CHIO.
273
pablede lêeontimier. Sparte pot respirer,
et Athènes reprendre ce qu'elle avait
perdu. Cbio, Cos « Rhodes et Byzance
forent de nouveau soumises. Cette fois
la domination athéoiennefut plus tyran-
nique que jamais, et, comme il arrive
d'ordinaire, elle se détruisit par ses
excès mêmes. Lassés de payer les fêtes
que Charès, le Géon de cette époque,
prodiguait au peuple avec l'argent des
Dtats tributaires, Cbio et les trois autres
villes se soulevèrent, proclamèrent leur
indépendance , et s'unirent pour la dé-
fendre. Cbio , qui avait donné le signal
derinsurrection, fut attaquée la première
par Charès et Chabrias. Ce dernier par-
vint à forcer l'entrée du port, et s'y fit
tuer. La vigoureuse résistance des ha-
bitants sauva la ville. Pendant que les
Athéniens préparaient une seconde ex-
pédition, les Chiotes équipèrent avec
leurs alliés cent trirèmes, ravagèrent
Imbros, Lemnos, assiégèrent Samos,
puis volèrent au secours de Byzance,
attaquée par Charès, auquel Iphicrate et
Timothée venaient d'amener un renfort
de soixante calères. Les deux flottes
étaient en prâence dans l'Hellespont;
et, roalsré une tempête, Charès voulait
donner la bataille. L'opposition dlphi-
crate et de Timothée lui fut un prétexte
de les accuser de trahison. Resté seul
(hargé de la conduite de la guerre , il
jugea qu'il trouverait plus de profit à
mettre ses troupes à la solde d' Artabaze,
satrape révolté de Tlonie. Ochus, roi
de Perse, se déclara alors Tallié des
villes confédérées , et força Athènes à
reconnaître leur indépendance ( 356 ).
Ghio dbpdis la fin de la oi}£Bns
SOCIALE jusqu'à LA ITOBT d'AlEXAN-
i»BE lr Gbatvd ( 356-323 av. J.-C. ). —
Pendant ^ue les Athéniens travaillaient
a ressaisir l'hégémonie, que les Spar-
tiates et les Thébains avaient successi-
vement laissée tomber de leurs mains ,
^t à ramener sous leur loi les cités mari>
times de l'Asie Mineure, annexe indis-
pensable de toute puissance qui aspirait
â dominer sur le continent, Philippe,
roi de Macédoine, commençait à mani-
fester ses prétentions à la domination
universelle du corps Hellénique. 11 ve-
nait de s'emparer d'Amphipolis et de
Crenide,surles côtes deXlirace. Bientôt
mattre des Tbermopyles , la clef de la
18* Livraison. (Ile de Chic.)
Grèce centrale, déclaré protecteur de Mé-
gare,qui commande l'entréedu Pélopon-
nèse sur ristbmede Corinthe, il se porta
sur Périnthe et sur Byzance, qui ouvrent
le chemin de l'Asie Mineure par la Pro-
pontide et le Bosphore. En voyant s'éten-
dre vers l'Orient cette nouvelle puissance,
qui déjà pesait sur la Grèce, Chio s'alar-
ma pour son indépendance , reconquise
tout récemment au prix des plus grands
efforts. Rassurée désormais du coté des
Athéniens, également menacés, elles'allia
avec ces ennemis de la veille . et joignit
ses trirèmes à leur flotte pour défendre
Byzance , assiégée nar une armée macé-
donienne. Cette ville fut sauvée, et Phi-
lippe dut abandonner ses projets sur la
Propontide ( 340 ). Mais aeuk ans après
(338) la victoire de Chéronée mettait
la Grèce aux pieds du roi de Macédoine.
L'année suivante le conseil amphic-
tvonique le proclamait généralissime
des (jrecs contre la Perse. Alexandre
hérita de cette guerre, dont le caractère
tout national faisait du roi de Macédoine
le véritable représentant des intérêts gé-
néraux de la Grèce. Athènes et Sparte
s'étaient fait de leurs victoires sur les
Perses un moyen d'asservir la Grèce. A
l'inverse de ces deux républiques , la
Macédoine commença par établir sa su-
prématie sur la Grèce, pour tourner
ses forces réunies contre la Perse. De
cette différencede desseins et de conduite
il résulta que les Grecs , ralliés sous le
simple commandement d'un même chef,
conservèrent plus de liberté civile et
politique sous la suprématie de la Macé-
doine que sous l'hégémonie des Athé-
niens et des Spartiates.
Chio, alors sous Tinfluence du parti
populaire, devait nécessairement se
déclarer pour un prince qui respectait
les institutions des peuples, et qui, d'ail-
leurs, promettait aux Ioniens d'établir
dans leurs villes le gouvernement démo-
(^ratique. Mais ceux du parti opposé ne
{)urent se résigner à leur défaite. Contre
eurs adversaires ils appelèrent les Perses ;
et, pour soustraire leur patrie.au com-
mandement d'Alexandre, ils la livrèrent
au despotisme de Darius. L'histoire a
conservé les noms des traîtres. Suivant
Arrien (1), ApoUonide, Phisinus, Mé-
(i) Arrieni Expédit, tTAlex., HT, a,
18
274
L'UNIVERS.
gareus et quelques autres ouvrirent l'en-
ttée de llle à Memnon , et se saisirent
du pouvoir par la violence. Quinte-
Curce (1) n'en nomme que deux: Apol-
lonide et Atbénagoras. D'après lui , les
partisans du roi de Macédoine auraient
eu te dessus , et chassé ou du moins écarté
les autres du gouvernement ; mais Phar-
nabase, satrape de Darius, rendit le
{pouvoir aux cleux traîtres , se saisit de
eurs adversaires politiques, et laissa une
{garnison dans l'île. Sur ce dernier point
es deux historiens sont d'accord (2).
Après la bataille d'Issus (333), Phar-
nabase , craignant que les Ghiotes , en-
hardis par la victoire d'Alexandre,
ne se soulevassent , se rendit en toute
bâte dans l'tle avec douze trirèmes
et 1 ,500 hommes. Mais le parti popu-
laire chassa les Perses ou plutôt les
livra à Hégéloque , amiral macédonien,
et avec eux non-seulement les traîtres
que nous avons cités plus haut, mais
encore les tyrans de Mitylène et de Mé-
tbjmne , Charès et Aristonicus. Selon
toute apparence, Chio reçut alors gar-
nison macédonienne; car en 336 elle
envoya une députation à Alexandre pour
fie plaindre des vexations que ses soldats
exerçaient sur les habitants (3). 11 est
brobable qu'Alexandre ne fit pas droit
a ces plaintes. Le rappel des proscrits
politiques , en vertu du décret de 324,
rendait d'ailleurs la présence d'une gar-
nison nécessaire.
Après Alexandre, Chio subit, comme
presque toute la Grèce, la domination de
ses successeurs. Alors la vie politique
semble s'éteindre peu à peu chez ces
insulaires. Ils s'adonnent exclusivement
au commerce , heureux d'obtenir, au mi-
lieu de tant d'ambitions rivales , la tran-
quillité et la sécurité nécessaires pour
leur négoce. Enveloppée dans les parta-
ges et oans les conquêtes successives des
rois de Syrie, d'f^gypte, de Macédoine
et de Pergame, Chio eut pendant un siè-
cle le sort de toutes les colonies grecques
de TAsie Mineure, que les successeurs
d'Alexaudre s'adjugeaient et s'enlevaient
tour à tour. Pour la revoir mêlée d'une
S 6 ; Il , I ; Diodore de Sicile, XVII , 39 , a,
(i) Q. Cnrt., IV, 5, §6.
(a) Arrien, iùiJ., II, i3, 4.
(3) Q. Curce, IV, 8, § xa«
manière active aux événements poli-
tiques , il faut se trans^rter à répèqiK
où la domination romaine eommence à
s'étendre sur l'Orient.
GHIO passe sous la DOMINATIO!!
BEs Romains. — Quand les Romaîas
se présentèrent en Asie comme les protec-
teurs ou les libérateurs des cités grecques,
ils n'eurent pas de peine à attirer les
habitants de Ghio dans leur parti. Ceux-
ci s'étaient brouillés avec Philippe lit,
roi de Macédoine, qu'ils avaient vaine-
ment essayé de réconcilier avec les Éto-
liens. Menai^s parce prince, ces itisulairef
se liguèrent avec Attale et les Rhodiens,
attaqués par le roi de Macédoine, et
prirent part à la bataille navale queoe
dernier perdit près de leur fie (205).
Dès lors ils furent de toutes les guerres
des Romains. Dans la guerre contre
Antiochus (l90),Ghio servit d'entrepôt
aux Romains pour leurs convois d Italie,
et, en recompense de sa fidélité, elle
obtint des terres , et fut tenue auprès da
sénat en singulier honneur (f). Ces
terres dont parlent Tite-Live et Polybe
étaient sans doute Atarnée, l'auctehne
possession de l'Ile.
Mais dès cette guerre les Chiotes pu-
rent reconnaître que ce pompeux titre
d'allié du peuple romain eoàtait cher.
Ghio était trop riche pour ne pas tenter
l'avidité des légiotinaires. Aussi fut-elle
pillée comme une ville ennemie. Après
le tour des soldats , vint celui des ma-
gistrats ; Yerrès lui enleva ses plus belles
statues (2), et Cicéron cite Chio parmi
les villes dont les dépouilles enrichirrat
les villas des grands de Rome.
Ces odieuses exactions jetèrent Chio,
comme tous les autres Grecs d'Asie, dans
le parti de Mithridate ; m^is ce priace
ne sut pas conserver ses alliés. Ayaiil
conçu un violent dépit contre ceux de
Ghio pour une raison futile , il les didiia
cruellement (3). Zénobius , un de ses
lieutenants, surprit Tîle de nuit, em-
Korta toutes ses places fortes, désarmâtes
abitants , et se fit donner 2,000 talents.
Sous prétexte qu'il manquait quelque*
chose à la somme , il les réunit au théâtre,
(i) Tite-tivc, XXXVU , a; ; XXXTIIÏ,
39; Pol>b.,XXrr, a 7, 6,
Îa) Cic, in f^err., acl. Il, ont. VI , J 9-
3) App.| Dell, âlitfir, a5, 46^ 61.
i
ILE DE CHIO.
276
l
les fit cerner par ses soldats, et les emroya
à Mithridate qn\ les transporta sur les
bords du Pont ( 86). Sylla dans le traité
u'il imposa l'année suivante à Mithri-
ate stipula qu'ils seraient rétablis dans
leur patrie, et déclara Chio yilie libre
et alliée.
Lucullus , Pompée , César , Auguste,
Tibère e| leurs successeurs ratinèrent le
décret de Sylla. Tibère visita deux fois
Chio, avant et après son avènement,
et Taida de son argent à réparer les dom-
ina|;es occasionnés par un tremblement
'Je terre. Pline l'ancien l'appelle encore
Chio libre (1). » Mais vers cette époque
>>spasien , sous prétexte que les Grecs
avaient désappris à être libres , leur en-
leva l'ombre d'indépendance qui leur
restait, et Chio fut comprise dans la
province des îles, dont elle ilt partie jus-
qu'à la nouvelle division de l'empire ,
9QUS Constantin.
in.
KKSUHE DE L HISTOIRE DE CHIO PBN-
dàkt les temps MODEENES.
ÉTAT DE Chio pendant les pbe-
XIEBS SIECLES DE L'ÈBE CHRÉTlE^fNE.
— La plupart des tles grecques gagnèrent
beaucoup à échanger une liberté précaire
et agitée contre Te repos et la prospé-
rité que la paix romaine (2) assura, pen-
dant tant de siècles, aux peuples conquis
par les liions. Au moment où Chio fut
réunie à l'empire, elle venait d'éprouver
tes effets de la libéralité du roi des Juifs,
Hérode, au! ne s'était sans doute mon-
tré si généreux envers cette tle et les au-
tres Grecs d'Asie que pour complaire aux
Romains. Dans un des voyages que ce
prince fit en Occident, pour courtiser ses
jrotecteurs, Auguste et Agrippa, il passa
plusieurs jours dans l'île de Chio (3).
' Plusieurs des habitants, dit Josèphe,
i> vinrent saluer, et il leur lit de ma-
cnîfiques présents. Ayant vu que les
halles de la ville, qui étoient très-grandes
et très-belles, avoient été ruinées durant
(0 Pline, Hhi. Nai., V, 38.
(^) Expression de Pliue, Hist, Nat,.
XX VU, x,a.
(3) Josèphe, Ant, Jud., XVI, a, a,
p. 683, trad. d'ArnauU d'Andilly, t. m,
P 8a.
la guerre de Mithridate, et que les habi-
tants n'avoient pas le moyen de les faire
rebâtir, il donna plus d'argent qu'il n'en
falloit pour cette dépense, et les exhorta
de travailler promptement à rétablir leur
Tille en sa première beauté... Il paya
aussi au trésorier de l'empereur ce que
ceux de Chio dévoient, et assista toutes
les autres villes dans leurs besoins. i»
( 24 avant J.-C.)
A partir de cette époque, Chio, comme
toutes les autres îles ou villes grecques,
n'a plus d'existence. politique; et l'his-
toire la perd de vue pendant plusieurs
siècles. On ne sait pas comment s'opéra
dans cette tle l'établissement du chris-
tianisme, qui s'y montre trionnq)hant au
quatrième siècle , comme dans tout le
reste de l'empire romain. Nul doute que
l'Évangile ne fut introduit de bonne heure
dans c^tte tle , que côtoya saint Paul et
qui se trouvait si voisine des Églises
apostoliques de l'Asie Mineure (1). Mais
la première mention qui soit faite de
l'Église de Chio ne remonte pas au delà
du cinquième siècle. En 449, Tryphon,
évéque de Chio, assista à ce prétendu
concile que l'on a flétri justement du
nom de brigandage d'Épnèse et où la
violence fit triompher l'iiérésie d'Euty-
chès. Trois ans après (451), le même
évéque parut au cinquième concile œcu-
ménique, celui de Chalcédoiue, où fut
condamnée définitivement la doctrine
des monophysites. On voit encore fi-
gurer les noms de deux évêques de Chio,
Georges et Théophile, dans les actes des
sixième et septième conciles œcumé^
niques (2). Dans Tiiistoire politique, l'île
de Chio est entièrement oubliée; mais
au huitième siècle, quand les Arabes lan-
cèrent leurs Hottes dans la Méditerranée
et poussèrent leurs ravages jusqu'à Cons-
tantinople, nul doute que Chio n'ait eu
sa part des maux qui fondirent alors sur
(i) « Lon donc qa*il nous eut rejoints à
Asson , nous le primes et nous allâmes à Mi-
Ijrlène. De là, continuant notre route, nous
arrivâmes le lendemain vis-à-vis de Chio. Le
jour suivant nous abordâmes à Samos ; le jour
d'après nous arrivâmes à Milet , car Paul avait
résolu de passer Éphèse sans y prendre
terre, etc.. » Act. des Apôtres, XX, i5.
(2} Lequien, Oriens Cfwistianus, U ïf
!>. 93r,
18.
376
UUNIVBRS.
toQtes les tieg de TArehipel. Après les
grands armements descaliies, vinrent les
courses continuelles des pirates sarra-
sins de Crète et d'Afrique, contre les-
quels les empereurs de Constantinople
soutinrent une lutte acharnée durant
cent trente-huit ans.
Expéditions des Tubcs contbe
Chio. — Quand les Arabes eurent dis-
paru des mers de la Grèce, les Turcs les
infestèrent à leur tour pendant des siècles,
avant de s*y établir tout à fait en maî-
tres. Au temps d'Alexis Comnène la
puissance des Seldjoucides s^était éten-
due sur toute TAsie Mineure, et débor«
daitdéjà sur les Iles. L'an 1089, le Turc
Zakhas ou Tzachas, autrefois prison-
nier, devenu ensuite chef de pirates,
profitant de Téloignement de l'empereur,
occupé à combattre les Patzlnaces, par-
courut l'Archipel, et infesta les côtes et
les tles de l'Asie. Mattre de Clazomène
et de Phocée, Zakhas fit voile vers Chio,
et s'en rendit maître par un coup de
main. Du fond de la Tnraoe, où il com-
battait les barbares , Alexis ordonne à
!Nîcétas Castamonite de lever une flotte
et de poursuivre le pirate. Nicétas obéit;
mais au premier combat il fut vaincu,
et perdit presque tous ses vaisseaux.
Une seconde flotte fut équipée à l'ins-
tant et confiée à Dalassène, parent de
l'empereur. Dalassène, prenaut le temps
où Zakhas était allé à Smyrne, débar-
que à Chio; et assiège la ville, où le pirate
turc avait déposé tout son butin. Vive-
ment pressés par Dalassène, les Turcs
qui dérendaient la place demandèrent à
capituler ; Dalassène y consentit , pour
sauver la ville du pillage dont la me-
naçaient ses soldats. Pendant les pour-
parlers, Zakhas aborde de l'autre coté de
rtle, h l'occident. Il débarque ses troupes,
et marche à la ville avec huit mille
hommes, suivi de sa flotte, qui côtoie le
rivage. La flotte grecque, commandée
parOpus, accourut, dans l'intention
de livrer bataille aux Turcs. Intimidé
par leurs forces et leur attitude, Opus
retourna h Chio sans oser engager
l'action. De son côté, Zakhas mettait en
déroute l'armée de Dalassène, et la for-
çait à se réfugier derrière ses retran-
chements. Mais apprenant qu'on faisait
de grands armements à Constantinople,
Zflknas jugea à propos de retourner è
Smyrne, son quartier général, afio d>
préparer une nouvelle expédition. Apres
son départ, Dalassène, qui avait ravi-
taillé sa flotte et refait son armée, re-
tourna devant la ville de Chio , et s'u
rendit maître (1).
Après s'être emparé de Chio et y avoir
mis garnison, Dalassène était retouroé
à Constantinople. Mais cette expédition
n'avait pas rendu la sécurité aux îles de
l'Archipel. Zakhas avait fait construire
de nouveaux vaisseaux , et recommenec
ses courses. Pour recouvrer Smyroe et
les autres points occupés par le redou-
table pirate, Alexis leva des troupes de
terre et de mer. Jean Ducas fut placé a
la tête de l'expédition , et Dalassène re-
Sut, sous ses ordres, le commandement
e la flotte. Ce grand armement ba-
laya l'Ardiipel , et en chassa tous les na-
vires de Zakhas, qui demanda la pm et
se renferma de nouveau dans sa ville de
Smyrne (2) (1092).
Jusque là les empereurs byzantins
n'avaient eu à combattre dans l'Arclû-
pel que les Sarrasins ou les Turcs.
A partir des croisades, ils trouvèrent dfs
rivaux redoutables dans les Latins ood-
dentaux , qui s'étaient d'abord présentés
comme auxiliaires. Les cités commer-
çantes d'Italie , Gênes, Pise, Florence
et Venise eurent bientôt des comptoirs
à Constantinople, et dès le douzième
siècle leur mutuelle jalousie et leurs pré-
tentions créèrent de grands embarrasaui
empereurs d'Orient. En 1 171 (3), sous le
règne de Manuel Comnène , la guerre
éclata entre les Grecs et les Vénitiens. Le
1^' septembre 1 173 le do^e Vital Micbieli
entre dans l'Archipel, a la tête d'une
flotte de cent galères ; et après une ten-
tative sur riie deNégrepont, il passa dans
celle de Chio. 11 s'empara de la capitale,
et avec elle de i'ile entière. Ce fut là k
seul exploit du doge vénitien. Assailli
par la flotte des Grecs, chassé par elle
d'île en île, de Lesbos à Leronos et de
Lemnos à Scyros, il rentra à Venise avec
les débris de son expédition. Mais qua-
rante ans plus tard (1204) le succès de la
quatrième croisade permit aux Vénitiens
(i) Lebeau , Hist, du Bas^Mmphre , t. XV ,
p. aa6.
(a)Id., t. XV,p. a6i.
0}M., t, XVI,259.
ILE. D£ CUIO.
277
de mettre la main sur presqae tout TAr-
chipel. Ils s'adjugèrent File de Cbio, qui
ne retourne aux Grecs qu'après les ex-
ploits de Vatace, qui releva le pavillon by-
zantin dans l'Archipel et qui prépara la
rhatede l'empire Latin de Constantino-
ple. Cependant les Grecs s'étaient rétablis
a Gonstantinople ; mais leur empire s'af-
faiblissait de plus en plus, perdait chaque
lourde nouvelles provinces, etu'avaitpas
la force de défendre le reste. Sous le rè-
gne d'Andronic II , un jeune et hardi
afenturier, Roger de Fior, chef d'une
troupe de Catalans, avait seul arrêté les
Turcs-Ottomans et sauvé l'empire d'une
iovasioB. Quelques-uns de ses gens s'é-
taient chargés ae défendre l'tle de Chio ;
mais ils se la laissèrent enlever par les
Turcs. La prise de Chio pouvait entraî-
ner après elle les conséquences les plus
fimestes. Comme elle se trouvait sur la
route de Gonstantinople, l'ennemi ne
pouvait plus facilement inquiéter cette
capitale et couper ses communications
avec les autres possessions de l'empire,
situées dans la partie méridionale de l'Ar-
chipel. La perte de cette tle si impor-
tante fit grand bruit; on n'entendait de
toutes parts que des murmures et des cris
contre les Catalans; et le fils du vieil
Ândronic, le jeune Michel, récemment
associé à l'empire, profita de cette cir-
constance pour faire éclater toute sa Ja-
lousie contre Roger de Flor, que ses
exploits venaient de faire élever au rang
de César. Quelques semaines après, Roger
fut assassiné a Andrinople (1307) par
l'ordre et en la présence de Michel (1).
Tentatives des Génois sua l'Ile
BE Chio. — L'empire recouvra bientôt
la possession de Chio; mais ce fut pour
la reperdre encore. Les divisions de la
famille impériale et les embarras causés
par les attaques des Turcs permirent à
QQ noble génois , Benoit Zacharie, un
des instigateurs de la révolte des Sici-
liens contre Charles d'Anjou, de se ren-
dre maître de Chio. Le vieil Andronic
se vit obligé de dissimuler cet afjfront.
11 consentait même à laisser au Génois
la pleine jouissance de sa conquête,
pourvu que. rîle fiit toujours reconnue
comme taisant partie du domaine de
l'empire. Benoît se soumit volontiers à
0 Lel^eau , XIX , p. :y.
cette condition ; mais il ne tint aucun
compte des engagements qu'elle impo-
sait, et il se conduisit à Cnio en véri-
table souverain. Son fils, Martin Zacha-
rie, qui lui succéda, affecta encore une
plus grande indépendance. 11 enleva des
murailles et des portes de la ville les ar-
moiries impériales, et y substitua les sien*
nés; il jeta les fondements d'une foirte
citadelle, destinée àcontenir les Grecs du
dedans et à repousser ceux du dehors.
Cependant Andronic III,qui avaitdétrôné
son aïeul en 1328> résolut d'agir pour
reprendre Chio. Il ordonna à Martin de
cesser les travaux commencés, le me-
naçant de lui déclarer la guerre, s'il
n'onéissait sur-le-champ. Les Génois ,
puissants alors dans l'empire, qu'ils sem-
blaient dominer du haut de leur colonie de
Galata (1) , affectaient un grand mépris
pour les Grecs, etbravaient en toute occa-
sion l'autorité de leur empereur. Martin,
loin d'interrompre la construction de sa
citadelle , la poussa avec plus d'activité.
Aussitôt Andronic met une flotte en
mer, et en prend lui-même le comman-
dement. Martin ne s'attendait pas à tant
de résolution ; mais il était trop tard pour
(i) a Michel Paléologue, en reconiiaiuaDce
des secours qu*il avait reçus d*eux pour re-
couvrer sa capitale , leur a^ait abandonaé k
sonveraineté du faubourg de Fera ou Gala(a ,
\is-à-visde Coustantinopley de l'autre côté du
port. Tous les Génois y avaient transporté
leurs comptoirs , et sous le règne d* Andronic
l'Ancien , ils avaient entouré leur ville nais-
sante d'abord d*une double , ensuite d'une
triple enceinte de murs. Fera, qui s'étendait
entre les collines et le golfe sur une longueur
quatre fois plus grande que sa largeur, avait
déjà quatre mille quatre cents pas de tour.
Ses maisons , élevées en terrasses les unes au-
dessus des autres, avaient toutes la vue de la
mer et de Gonstantinople. Chaque aunée on
voyait s*accroitre leur nombre et leur magni-
ficence ; et si l'empire çrec n'avait pas eiifin
succombé sous les calamités qui le frappaient
coup sur coup , en moins d'un siècle la ville
£énoise aurait égalé en splendeur et en popu-
lation la capitale de l'Orient. » Sismondi,
République* Italiennes , t. VI, p. 93. Four
légitimer leurs prétentions sur l'île de Cbio,
les historiens génois affirment qu' Andronic
Paléologue la donna à Gènes, en récom|)enstt
du secours qu'il eu reçut contre les Yénitiensj
l'an 12 îf».
278
L*UNIVBRS.
désarmer Tempereur. Il se prépara à la
défense, et s'enferma dans Chio avec huit
cents homnnes bien aguerris, déternninés
comme lui à combattre jusqu^au dernier
soupir. Mais son gouYernement était
odieux aux habitants de Tile. Un riche
Grecde Chio, Benoit Calothète, avait pré-
S are un soulèvement ; il éclata à rarnvée
e Tem pereur . Le propre frère de Martin,
Benoît Zacharie , qui commandait une
forteresse située à un mille de la ville
de Chio, la livra à Tempereur; et Tu*
surpateur, abandonné de tous , prit le
parti de venir se livrer avec sa troupe
a la discrétion d'Andronic. Les Chiotes
étaient si animés contre lui, qu'ils Tau-
raient massacré sous les yeux de Tem-
pereur si celui-ci n*eût réprimé leur fu-
reur par son autorité. Andronic se con*
tenta de condamner Martin Zacharie à
une prison , où il ne lui manqua que la
liberté ; ses troupes furent enrôlées dans
Farmée impériale, et les habitants de
Chio furent déchargés de tous les impots
onéreux dont Martin les avait accablés.
Andronic s^était proposé de donner à
Benoit, frère de Martin, le gouverne-
ment de rîle qu'il lui avait fait recouvrer.
Mais ce Génois , aussi orgueilleux que
son frère, ne voulut pas consentir à re-
connaître les droits de l'empereur à la
suzeraineté de Chio. En vain Andronic
épuisa toutes les voies de la douceur pour
le ramener à des dispositions raison*
Dables, il n'y put parvenir; et Benoît se
retira furieux et menaçant dans l'éta-
blissement de Galata. Andronic n'avait
point osé le chasser, par crainte des Gé-
nois. Il quitta Chio, après y avoir établi
une forte garnison, et ravoir pourvue de
toutes les choses nécessaires à sa défense.
U savait combien il fallait redouter le
courroux de Benoît Zacharie. £n effet,
celui-ci , ayant pris à sa solde tous les
vaisseaux qui se trouvaient à Galata,
vint faire une descente dans l'Ile, et en-
treprit d'emporter la ville d'assaut. On
r^ista vigoureusement. Benoît fut re-
Îoussé après une perte de trois cents
lommes; il se retira, la rage dans le
cœur, et il mourut au bout de sept jours,
dans une attaque d'épilepsie (1)(1329).
Conquête db Chio far les Gé-
(i) Lebean , Uist, du Sas-Empire, U XIX,
p. 407.
If 018 (1346). •* Cependant cette lie de
Oiio, tant de fois perdue et recouvrée par
les Grecs , devait enGn rester définitive-
ment aux Génois. « Trente-deux oobleâ
Génois, forcés de quitter leur patrie
pour se soustraire aux fureurs de la fac-
tion qui y dominait alors, résolanot
de se former ailleurs quelques établisse-
ments où ils pussent être à Vabri des per-
sécutions de leurs concitoyens. Ils équi-
pèrent à leurs frais une flotte de trent^
deux bâtiments , et firent voile vers File
de Chio , dans l'intention de s'en empa-
rer. Les Grecs la défendirent d'abord
avec beaucoup de courage : ils espé-
raient recevoir de Constantinople d<$
secours ; mais il n'y avait ni argent dans
les coffres , ni vaisseaux dans les ports.
ni personne en état de commander sot
mer. Tout ce que put faire Timpératrirt
douairière, mère du faible Jean Paleiv
logue PS en faveur des habitants d*
Chio fut de leur envoyer quelques pro-
visions de bouche. Elle chargea de cette
oonimission un seigneur grec , appelé
Phaséolate, qui avait mérité sa confiaon.
Phaséolate arriva trop tard. Les Grecs
de Chio , après avoir fait la plus belle
défense, avaient été obligés de céder à h
faim , qui les dévorait (1). » Ainsi fut
fondée dans nie de Chio cette colonie
de nobles Génois qui résnaient dans
cette île, tandis que dans leur patrie ils
étaient en butte aux persécutions du parti
démocratique. D'autres Génois avaient
aussi occupé la ville de Phocée. Les
Grecs furent impuissants à réprimer Iff
tentatives de ces hardis marchands, qé
les défendaient et les insultaient tour i
tour.
Gènes, comme Athènes autrefois, st
créait un empire florissant sur les côte
de l'antique lonie. La suzeraineté et
Chio fut enlevée à l'empire Grec par Id
vainqueurs, et attribuée à leur patne
Mais ils se contentèrent de ce simpif
hommage , et voulurent rester indépêfi-
dants dans leur conquête. « Depuis er
temps , dit Dapper, Chio devint puis-
sante et riche, et fut gouvernée en formf
(i) Lebeaa, td., t. XX, p. aoa. d-
Agost. Justianiano. Castigatissimi Annal*:
Genoa^ in-foK, Oenoa , i537, i34 a ; t'ber 1
Foglietia, Historiœ Genuensium lÀhri A7/i
Genoa, x685,in-fol., x37 b.
ILE DE CHIO.
279
de répubiîque sous Tautorité des Ma-
honsy autrement appelés Maunèses,
premiers nobles de la maison de Justi«
Diani , qui Favoient achetée de la répu-
blique des Gênes, où ils tenoient un des
premiers rangs^ et en laquelle ils avoient
pris naissance. On voit encore leurs
armes sur plusieurs maisons de la ville.
Os Mahons, ou Maunèses, consistoieut
principalement en vingt -quatre per-
sonnes qui avoient soin du gouverne-
ment de rtle. On en choisissoit tous les
deux ans un pour podeiiat ou chef de
justice , qu\ pr^idoit sur les affaires ci-
viles et criminelles de toute Tîle , et a voit
pour lieutenant un iurisconsuUe. On
choisissoit aussi tous les six mois quatre
présidents directeurs, quiprenoient con-
naissance , coDÎointement avec le podes-
tat, de toutes lesiiffaires civiles de Tîle,
et prononçoient sur toutes les affaires
criminelles, qui dévoient indispensable-
ment être portées devant eux. Il y avoit
outre cela douze conseillers établis, que
les présidents consultoient comme leurs
adjoints dans toutes les affaires de con-
séquence. Pour ce qui est des autres
menues affaires et petits différends, ils
étoient portés devant deux autres juges,
qui étoient établis pour connaître de tout
ce qui ne dépassoit pas vingt écus. 11 y
avoit deux seigneurs Mabons qui avoient
la surintendance du mastic, si bien qu'il
étoit défendu à toute personne, sous
peine de la vie, d'en amasser ou d'en
vendre sans leur permission. Il y avoit
aussi un capitaine du guet pouir la garde
de la nuit , et quelques autres moindres
officiers (I). »
Sous ce gouvernement Chio devint la
plus prospère et ta plus florissante de
toutes les Iles de F Archipel. Les Turcs
lui tirent éprouver d'abord quelques
dommages. En 1294, le sultan fiajazet
la fit ravager par une flotte de soixante
navires, qui dévasta aussi les côtes et les
lies adjacentes. Mais en 1451, après la
prise de Constantinople, les colons Gé-
nois de Chio achetèrent la paix de Ma-
homet H, moyennant un tribut de dix
niille ducats. Cet engagement assurait
jux llahons leur indépendance , le droit
de négocier dans les Etats du grand sei-
gneur, et de continuer à s^approvision-
ner en Asie Mineure, car les produits
de rUe étaient insuffisants pour sa nom-
breuse population.
Chio sous la dohtnation des
ToBCS OTTOMANS (1660). — Les Génois
gardèrent Chio environ deux cent vin^
ans. Mais au temps de la mort de Soli-
man V^ elle fut conquise par les Turcs,
qui jusque là s'étaient contentés de la
tenir c<Tmme tributaire. En 1365 l'a-
miral turc Piali-Pacha avait échoué au
siège de Malte, où s'étaient retirés les che-
valiers de l'Hôpital depuis qu'ils avaient
perdu Rhodes. Gênes leur avait envoyé
des secours : furieux de son écliec, Piali-
Pacha s'en prit aux Génois , dont il alla
enlever la colonie de Chio. Le 14 avril
1566 il parut devant cette tle^ à la tête
d'une flotte de soixante galères. Les
nobles Génois de Cbio, qni,savaient l'art
de gagner les vizirs et les pachas turcs,
envoyèrent à Piali de riches présents, que
celui-ci accepta sans renoncer à son des-
sein. En effet, il invita tous les primats
de nie à venir le voir à son bord ; et à
Seine ceux-ci furent- ils arrivés, qu'il les
t jeter dans les fers et transporter à
Cafta. Ces malheureux n^obtinrent leur
liberté qu'au bout de quatre années,
grâce à ] intervention du pape Pie V et
e l'ambassadeur français (1). Bientôt la
plupart d'entre eux rentrèrent dans leur
lie, et y retrouvèrent leurs biens et leurs
dignités. Quoique réunie à l'empire turc,
Qïio conserva des privilèges et une liberté
que les Ottomans ne laissaient à aucune
autre de leurs conquêtes.
Une agression des Florentins avertit
les Turcs qu'il était nécessaire deprendre
plus de précautions pour la déiense de
cette possession. En 1 595 une escadre
envoyée par Ferdinand r^, srand-duc
de Toscane, vint attaquer le château de
Cbio, sous la conduite de Yirginio Ur-
sino. Les Toscans s'en emparèrent.
Mais une tempête força Ursino à s éloi-
gner de ces parages. Il laissa cinq cents
hommes dans la forteresse. Attaoués par
les Turcs, le lendemain même de la re-
traite de leur giânéral, ces cinq cents
hommes furent tous passés au fll de
l'épée. Les Turcs plantèrent leurs têtes
(0 D^pper, Description de l'Archipel,
(i) De Uammer, Empire Ottoman, TI,
3o5.
280
LUOTVERS.
sur les créneaux de la forteresse, où on
les voit encore aujourd'hui, dit Dap-
per (1). Depuis ce temps les Turcs mi-
rent garnison dans la citadelle , et en
défendirent Taccès aux chrétiens. Ils au-
raient même changé toutes les églises en
mosquées, et aboli le service de la reli-
gion chrétienne dans cette île, sans Tin-
tervention de Savary de Brèves , ambas-
sadeur de Henri IV , qui apaisa par ses
sollicitations le courroux du sultan Mus-
tapha IL On laissa donc aux Latins et
aux Grecs leurs églises et leurs couvents.
A la fin du dix-septième siècle, une
nouvelle tentative faite par les Vénitiens
pour recouvrer cette tte, qu'ils avaient
possédée autrefois, devait encore coûter
aux Chiotes une partie de leurs anciennes
libertés. En 1694 les Vénitiens réussi-
rent à s'emparer de la ville et deHie
entière; mais ils furent trahis par les
Grecs indigènes, qu'animait toujours une
haine invétérée contre TËglise latine.
L'occupation vénitienne fut de peu de
durée. En 1696Mezzo-Morto, Africain
renégat, capitan-paeba de la flotte tur-
que , investit Tile, et la réunit de nou-
veau à l'empire ottoman. Les Grecs, qui
avaient sacrifié toutes les autres consi-
dérations au désir de triompher des La-
tins, furent récompensés de leur perfidie
par la suprématie que le gouvernement
turc leur attribua sur les catholiques ;
ceux-ci furent poursuivis comme dissi-
dents, et persécutés pour se soumettre
au rituel grec. Alors disparurent les der-
nières traces de la domination génoise ,
et bientôt Ton ne compta pas plus d'un
millier de catholiques romams dans
l'île de Chio (2). Les Grecs de cette Ile
conservèrent les bonnes grâces du gou-
vernement turc pendant tout le dix-nui-
tième siècle, et au commencement du
dix-neuvième. Au moment de l'insurrec-
tion hellénique, Chio était redevenue
aussi prospère , aussi riche peut-être, et
certainement plus heureuse que dans
les plus beaux temps de l'antiquité. Son
commerce était actif et étendu , son in-
dustrie florissante, son a^culture pros-
père. La capitale et les villages de Chio
(i) Dapper, Description de tjérchûfel,
p. 2,24. Dapper écrivait au dix- septième siècle.
(a) Dallaway , Cùrutaniinoph, etc., t. IX ,
p. 67.
étaient en harmonie avec râéganceda
ses paysages. Bibliothèque, cabinet d'ar*
chéologie, collège, impnmerie, hôpitaui,
établissements de santé, lazarets, ri«o
ne manquait à cette cité, avec laquelle
les campagnes rivalisaient debooheur
et de prospérité (1). Telle était €hio
en 1820. Trois ans plus tard cette mal-
heureuse ville s'abîmait dans le sang et
sous les ruines. Racontons brièveoKDt
les principales péripéties deoeUeterribic
catastrophe.
Destbuction db Sgio pendari u
GUEBBE DE l'indépendance (1822).-
lx>rsque éclata la guerre de rindépeo-
dance (2), vingt-cinq vaisseaux hydriotei
et psariotes , commandés par Tomba*
sis (3), parurent devant Scio le8 mai 1821,
et la pressèrent vivement de prendre part
à la lutte contre les Xures. Les Sciotes
ne répondirent pas à cet appeL Desio*-
téréts puissants leur liaient les mains.)
Leurs négociants répandus dans les villes j
turques y possédaient de nombreux et-
importants établissements. La fortune
de ces derniers se trouvait ainsi à U
merci des Turcs. Ce n'est pas tout. Un
grand nombre de familles sciotes étaient
établies dans toutes les parties de remiBre
ottoman ; Smyme et Constantinople ren-
fermaient la fleur même de la jeune^sfi
de Scio. A la première tentative d'in-
surrection toutes ces richesses, toutes
ces existences étaient sacriGées. Les
Sciotes jugèrent que ce serait trop paver
une indépend ance livrée d'ai lleurs aux ha- '
sards d'une lutte inégale. Devant de pa-
reilles considérations de plus belliquem
eussent senti fléchir leur résolution.
Toutefois , malgré l'attitude fmûm
de la population et les déclarations des
démogérontes , le gouverneur prit àes
dispositions pour maintenir lile àiAS
l'obéissance. Aussitôt après l'appaii-
tion de la flotte de Tombasis, il poon)*
qua le Mésas , ou conseil de déonge^
routes ; et , moitié par la ruse, dk^
par la force , il réunit dans lacitadcik
(i) Pouquevillcy Histoire de U Kègôntra-
tion de la Grèce, t. Ill, p. 4^3.
(2) Eckenbrecber, Lie itisel Chiost p< ^
etsuiv. , ,
(3) Voyez dans PouqueviUe , Histoire d* «
Grèce, n, p. 48$, la prodimaUon de Tom-
basis aux Goiotes.
ILE DE CUIO.
281
trente des principaux dtoyens , sous pré-
texte de délibérer avec eux , et les retint
enfermés avec les démogérontes. Ils du-
rent servir de ga^es à la tranquillité pu-
blique. Tout ce qu*i]s purent obtenir, ce
ht d'être tirés des prisons malsaines où
ils étaient détenus pour être gardés à vue
)ans un café turc. Âu bout de quelques
ours, le nombre de ces otages fut porté à
|aarante-8ix. Les villages où se récolte
k mastic fournirent aussi les leurs , au
sombre dedouze. Les cinq démogérontes
It les chelis des corporations obtenaient
leuls Fautorisation , pendant le jour,
f aller vaquer à leurs affaires. Plus tard
reote-deux autres citoyens prirent la
place, pour un mois, des quarante^siz
Cemiers, et ces malheureux alternèrent
la sorte, durant une année, jusqu*à
h destruction de Scio. L'archevêque et
Fun des diacres, détenus dans la ci-
ladelle , n'eurent même pas ce privilège,
rt leur captivité se prolongea sans in-
terruption jusqu^à l'époque fatale. Malgré
toutes ces mesures , la tranauillité de
nie ne parut pas encore suffisamment
larantie au gouvernement turc , et de
iouveaux otages furent envoyés dans
les prisons de Constantinople.
Cependant Tombasis s'était éloigné de
Scio avec sa flotte; mais les Grecs pou*
valent revenir en forces : il importait
qu'ils trouvassent les habitants désarmés
et nie ^en gardée. Le gouverneur or-
donna en conséouence que toutes les
armes lui fussent livrées, et demanda des
troujies au divan.
^ BientôtarrivèrentderAsiemilleTurcs
annés;c'étaiteomme unehorde sauvage,
sans chef, sans discipline, et qui désola
rtle par le pillage et le massacre. Telle
fut la terreur qu'elle inspirait, que les
habitants n'osmnt plus descendre dans
la rue, ni même se montrer aux fenêtres.
Un srand nombre s'enfuirent aux extré-
mité de l'île. Tout commerce avait
cessé , et les vaisseaux qui approvision-
naient la ville n'arrivant pas de l'Asie
Mineure , la crainte d'une îamine mit le
comble au désespoir de ce malheureux
peuple, déjà poiKsé à bout par tant de
sounranees. un soulèvement paraissait
imminent, et il aurait éclaté sans nul
doute, si les déniogérontes n'avaient
pris soin de pourvoir à la 8u))sistance des
pauvres.
Enfin, après bien des négociations, les
Sciotes décidèrent le divan à faire passer
dans l'île une milice r^lière. Onze
cents hommes y furent envoyés sous la
conduite de Bachet-Pacba. La horde
asiatique fut dispersée. Scio se crut dé-
livrée; elle n'avait fait aue changer d'op*
presseurs. Aux excès o'une soldatesque
brutale succédèrent ceux du despotisme
militaire. Général et soldats traitèrent
l'île en pays conquis. Bachet la frappa
d'une contribution extraordinaire , im-
posa aux habitants l'entretien des troupes
et vida lesgreniers publics. Les personnes
comme les fortunes furent à la merci
de ce farouche tyran. Aux taxes arbi-
traires se joignirent les plus rudes cor-
vées. L'oppression prit toutes les formes.
Tout à coup se repandit le bruit qu'on
armait à Samos pour la délivrance de
Scio. Cettenouvelleconsterna les Sciotes.
Ils comprirent qu'une pareille tentative
entraînerait infailliblement leur perte.
Le péril était grand ; l'archevêque Platon
et les démogérontes cherchèrent à le
conjurer en faisant recommander partout
aux populations une attitude calme et
passive. Des envoyés parcoururent dans
ce but tous les villages. En même temps
le mésas, après avoir pris l'avis au
pacha, fit partir pour Samos un citoyen
chargé de vérifier la* nouvelle qui avait
jeté 1 île entière dans l'émoi. En ce mo-
ment on apprit que dix-huit Samiens ve-
naient de débarquer sur la côte septen-
trionale. Des soldats furent aussitôt dé-
tachés à leur poursuite ; mais avant qu'ils
les eussent atteints , les démogérontes
furent instruits qu'une flotte samienne
cinglait vers l'île. Le samedi 22 mars
1822, au matin, elle jeta l'ancre non loin
de la ville, et déposa à terre, sous le feu
de son artillerie, deux mille hommes,
commandés par le Samien Lycurgue
Logothetis.
Cette entreprise , conseillée et dirigée
par des aventuriers, aggrava la situation
de Scio et précipita sa ruine. En vain les
Psariot^, ces courageux soldats de l'in-
dépendance grecque, s'y étaient-ils op-
posés, l'avis d'un paysan sciote. An*
tonios Burnias, l'avait emporté. C'était
un ancien soldat, qui avait servi sous
Bonaparte, en Egypte. Sans talents mili-
taires, d'un patriotisme douteux, it ré-
solut de délivrer Scio. Il s'était lié b
382
LTJNI¥ERS«
SamoB avec quatre autres Sdotes, qui
avaient fui dans cette ville aprè8 avoir
fait bangueroute à Smyrne. Ce fut à
rinstigation de ces cinq aventuriers que
Lycurgue entreprit son expédition.
Le premier acte de ces singuliers li-
bérateurs, dès qu*il8 eurent mis le pied
sur ie territoire de Scio, et rejeté dans la
citadelle six cents soldats envoyés contre
eux , fut de piller la ville qu'ils venaient
délivrer. Il est vrai qu'ils commencèrent
par les maisons turques et les mosquées;
mais les riches magasins des négociants
sciotes eurent leur tour, et pendant les
dix-neuf jours que dura Toccupation de
rtle par les Samiens, ceux-ci ne cessèrent
d'envoyer à Samos les dépouilles de
leurs malheureux alliés.
Cependant régnait dans le peuple la
plus vive agitation. Bientôt elle se com-
mnnic|ua à tous les villages. Une multi-
tude innombrable de paysans, armés de
bâtons et de fourches, fondit sur la
ville , et entraîna la population urbaine.
Des prêtres parcouraient cette foule,
revêtus de leurs habits sacerdotaux : des
croix étaient promenées par la ville,
l'encens fumait dans les rues, enfin
des psaumes étaient entonnés, mêlés
d'hymnes patriotiques. Cette foule trans*
portée d'un si vif enthousiasme était-
elle au moins prét^ au combat ? était-
elle décidée à conquérir les armes à la
main cette liberté qu'elle invoquait dans
ses chants ? Malheureusement elle n'é-
tait rien moins que belliqueuse. A la
moindre apparence de péril son en-
thousiasme faisait place à la terreur. An-
noncait-on , sur quelque vague rumeur ,
que les portes de la citadelle s'ouvraient ;
aussitôt elle se dispersait, se reformait,
puis se dispersait encore.
Tel était l'état des esprits , lorsque
Lycurgue vint à Seio, accompagné d'An-
tonio Bumias. Avec des forces insigni-
fiantes, le Samien prit au sérieux son titre
de généralissime des troupes grecques ,
et trancha du maître absolu dans cette
ville, dont il s'annonçait comme le libéra-
teur. Établi dans le palais archiépiscopal,
où il fixa sa résidence , il manda les dé-
mogérontes ainsi que quelques-uns des
principaux citoyens, déclara abrogée la
constitution en vigueur, et remplaça les
déroo^érontes par six éphores.
Mais c'était peu de renverser un gou-
vernement et d'en établir un autre, il
fallait des forces pour attaquer les Turcs,
fortement retranchés dans la citadelif.
On en envoya demander à Psara et 2
Corinthe. Les Psariotes fournirent vio^
barils de poudre, deux pièces d*artiilerù
sans boulpts, et équipèrent six vaisseaui
de guerre destinés a porter secours 2
Scio. Le ffouvernement grec établi t
Corinthe oécida qu'on enverrait deui
mortiers avec cinq oatteries de siège, ei
^u'un certain nombre de pbilbellèoei
iraient diriger les opérations militaires.
Mais lorsque, après treize jours de prépa-
ratifs et huit jours de traversée , ces se*
cours arrivèrent à Psara , Scio était déj)
détruite.
Dans cet intervalle , en effet , les Sa-
miens attaquèrent la citadelle. Les Turci
répondirent en bombardant la ville, et
pendant que leurs feux nourris répan-
daient la mort et la destruction , les as-
siégeants furent contraints d'éteindre
les leurs, faute de munitions. Bientôt
même la division éclata parmi ces der-
niers. Lycurgue et Burnias, d'accord
pour s'emparer de Tautorité , ne s'enteo-
dirent plus dès qu'il s'agit de l'exercer.
Chacun d'eux voulut commander , Yat
s'appuyant sur les Samiens, l'autre sur
la multitude. Il n'y eut plus ni accord
dans le conseil ni ensemble dans l'action.
Alors commença la défectioo des Sa-
miens ; ceux d'entre eux qui ne déser-
tèrent point se montrèrent plua ardent!
au pillage qu'au combat.
Dans cette situation un grand nombn
de familles riches résolurent de fuir.
Une lettre menaçante de Burnias en-
joignit aux éphores de s'opposer par tous
les moyens à ce dessein. Ombrageux et
tyranni'que , il ne se contenta pas d'em-
prisonner les principaux citoyens pour
les empêcher de prendre la fuite; il éta-
blit une sorte d'inquisition domiciliaire
Jour et nuit il fit visiter les maisons ài
ceux chet qui il soupçonnait TîntentioD
de fuir. Les éphores nrent ce qu'ils pu-
rent pour adoucir les maux de cette ty-
rannie tracassière et violoite. Ils s'oocû-
pèrent d'approvisionner la ville, d*j
introduire des armes , d'organiser une
armée et de fonder un nouvd ordre po-
litique. Tous ces efforts furent inutiles.
L'heure suprême approchait.
C'était le jeudi 11 avril 1823. On at-
ILE DE CHIO.
283
lendait encore les secours de la Grèce.
Tout à coup parut devant Scio la flotte
torque, composée de trois navires à trois
poDts, vingt- six frégates et corvettes et
un graud nombre de vaisseaux de trans-
port. Elle était commandée par le ca-
pitaD-pacha Kara-Ali (1).
En apprenant ce qui se passait à Scio ,
ie sultan avait prononcé trois mots ter-
ribles \ feu, fer y esclavage. C'était l'arrêt
de Scio. H eut un commencement d'exé-
cution à Constantinople. Les trois otages
envoyés dans cette ville et presque tous
les Sciotes qui y habitaient furent mis à
mort.
La flotte jeta l'ancre tout près de la
ville, et ouvrit le feu. Q n'y eut point de
résistiince. Les Samiens coururent vers
leurs vaisseaux, et prirent la fuite. Quant
aux habitants, emportant ce qu'ils avaient
de plus précieux, ils cherchèrent un
refuge dans les montagnes ou dans les
consulats européens. Alors les Turcs
descendirent à terre , et le sac de la
ville et les massacres commencèrent.
Bientôt, attirée par les richesses de Scio
et la beauté de ses femmes , une mul-
titude sauvage accourut des côtes de
TAsie Mineure, et s'abattit sur la ville
comme sur une proie. Avides et san-
guinaires, ces barbares pillèrent, brû-
lèrent, tuèrent sans relâche ni merci.
Tous les hommes au-dessus de douze
«iDs , les femmes au-dessus de quarante,
les enfants au-dessus de deux furent
passés au fil de l'épée. Le reste ne fut
«épargné que pour être vendu. Ceux qui
avaient trouvé un asile dans les consulats
purent voir une soldatesque en furie
De faire trêve aux massacres que pour
pousser devant elle des troupeaux de
leinmes, de jeunes filles et d'enfants
destinés à l'esclavage.
Après la ville, vint le tour des villages;
h dévastation s'étendit jusqu'aux mon-
tagnes. Un grand nombre de fugitifs, qui
n'avaient pu être recueillis sur les vais-
saux envoyés par les Psariotes, s'y
étaient cacnés. Four les arradier de ces
retraites, le capitan-pacha eut recours à
un artifice odieux. Il ordonna aux consuls
(0 PouquevUle , UI , p. 468 ; Al. Souizo,
Histoire de la Rèvoludon grecque , p. xgi-
£ckenbrecher, p. $7 , Appelle l'amiral turc
le pacha DulsiuoUs.
et à Tarchev^ae d'annoncer aux Sciotes
qu'ils pouvaient obtenir leur grâce en
retournant dans leurs demeures et en
faisant leur soumission. Pour qu'on ne
doutât pas de la sincérité de la déclara-
tion il montra un prétendu firman du
sultan. Aussitôt les consuls firent publier
partout la nouvelle de cette amnistie.
Les fugitifs livrèrent leurs arpies, et
soixante-dix d'entre eux vinrent remer-
cier en leur nom le capitan-pacha.
Tous, jusqu'au dernier , furent pendus,
le même jour, aux mâts des vaisseaux. Le
lendemam l'archevêque Platon et tous
les autres otages, au nombre de soixante-
et-quinze, eurent le même sort. Quant à
ceux qui sur la foi de Tamnistie promise
étaient descendus des montagnes , ils fu-
rent massacrés ou réduits en esclavage.
Seuls jusque alors les vilbges où sjb
récolte le mastic avaient été épargnés.
Une attaque du Psariote Canaris , qui
brûla le vaisseau amiral de l'ennemi
dans le port de Scio, et la mort du ca-
pitan-pacha, qui périt dans cette circons-
tance avec deux mille de ses soldats, dé-
chaînèrent sur cette partie de Plie la
fureur des Turcs. La vengeance fut
cruelle ; plusieurs villages furent détruits
de fond en comble.
On ne saurait dire avec certitude com-
bien , dans ces lugubres journées , péri-
rent de Sciotes, combien furent faits
esclaves. Toutefois il est permis d'affirmer
que le nombre s'en élevait au moins à
trente mille. Quant aux vingt mille
sauvés par les Psariotes et à ceux qu'avait
recueillis les consuls , ils se dispersèrent
dans toutes les parties du monde. Six
mille se rendirent à Trieste; d'autres
allèrent s'établir également dans des
villes oi^ habitaient des Sciotes; un
grand nombre se fixèrent en Grèce, ou
gagnèrent Londres , Manchester , Li ver-
pool. Astrakan, Téhéran, et même l'A-
mérique et les Indes. Il n*en resta à
Scio qu'environ dix mille, presque tous
pauvres.
Toute vie cependant ne s'éteignit pas
dans cette population décimée; Scio
sortit peu à peu de ses ruines. Mais sur
ce sol, qui ofnrait autrefois l'aspect d'une
si grande prospérité, la vengeance des
Ottomans a laissé des traces qui ne sont
pas encore effacées.
284
L'UNIVERS.
IV.
TABLEAU GÉNÉBAL DE LA CIVILISA-
TION DANS L*fLB DE CHIO AUX
TEMPS ANCIENS ET MODERNES.
P0PULATI0N,ESGLAVES. — ^NOUSavODS
VU de quels éléments se composait Ja po*
pulatiou primitivede Cbio. Cette popula-
tion Ait entièrement renouvelée vers le
milieu du douzième siècle avant Tère
chrétienne, par suite de rétablissement
des Ioniens dans llle. Les Spartiates et
\es Thessaliens laissèrent subsister dans
les pays dont ils prirent possesion les ha-
bitants qu'ils y trouvèrent établis, mais
en les réduisant en esclavage. Chez eux
il y eut des vainqueurs et des vaincus,
des citoyens et des esclaves ; les premiers
avalent leurs Hilotes , les seconds leurs
Pénestes. Mais les Ioniens quiVétabli-
rent à Chio suivirent un mode de con-
quête différent : ils expulsèrent les an-
ciens colons , et s'y substituèrent dans
toute rétendue de rile. Chez eux il n'y
eut que des vainqueurs, des hommes li-
bres. Or, c'était mie nécessité des sociétés
antiques qu'il y eût des esclaves. Les
Chiotes surtout ne pouvaient s'en passer.
Peuples de marchands, ils avaient besoin
de bras pour leur commerce et plus en-
core pour l'agriculture , dont ils étaient
distraits par leurs affaires. Aussi, en eu-
rent'ils de bonne heure. Après les Spar-
tiates et les Thessaliens, chez qui l'escla-
vage fut le ré.sultat même de la con-
quête, les Chiotes furent les premiers des
Grecs qui se servirent d'esclaves. Ils
allaient les adieter à Délos, marché fa-
meux où venaient se pourvoir tous les
Ioniens de l'Asie Mineure.
Obligés d'en employer un grand nom-
bre, les Chiotes les traitaient fort du-
rement, et se vengeaient par l'oppression
de la crainte que cette multitude leur
inspirait. Aussi de nombreux soulève-
ments éclatèrent. Vers Tan 600 avant
J.-C, l'esclave Drimacus excita ses
compagnons a la révolte, se mit à leur
tête, et ravagea l'tle. Après avoir résisté
avec succès aux Chiotes, il conclut avec
eux un traité des plus singuliers. Il s'en-
Sageait à ne prendre et à ne laisser pren-
re à ses hommes que ce qui serait néces-
saire à leur subsistance et à n'accueillir
désormais comme esclaves fugitifs que
ceux qui auraient essuyé de mauvais trai-
tements de la part de leur maitre. Uoti
autre insurrection servile fut encore]
plus funeste à Chio ; ce fut celle qui
éclata lors du siège de la ville par les
Athéniens pendant la guerre de Pélo-
ponnèse (412 avant J.-C.). Les esclaves
en armes se joignirent aux assiégeants, et
firent le plus grand mal à llle, déjà dé-
chirée par deux factions rivales.
Aujourd'hui la population de Scio
est de 38,000 âmes. Elle se compose de
Grecs, d'Italiens et de Turcs. Les pre-
miers, qui en forment la plus grande
partie, sont au nombre de 35,000, les
Italiens d'environ 1,000 et les Turci
de 2,500.
Avant la guerre derindépendance Scis
renfermait 100,000 habitants. Telle est
du moins l'opinion répandue dans File;
car, d'après une statistique faite par
l'archevêque de Scio Platon, Tfle n au-
rait compté à cette épooue que 78,000
habitants. Dans ce nombre 24,000 ao-
raient appartenu à la ville, à savoir
20,000 Grecs, 1,500 Italiens et 2,50«
Turcs ; 50,000 aux villages et tous Grecs;
4,000 aux Jardins, à savoir 3,000 Grec
et 1,000 Italiens. Quoi qu'il en soit, i
résulte de cette statistique que riosur*
rection de 1822 coûta à l'Ile plus de it
moitié de ses habitants.
Les Italiens , toujours désignés sous
le nom de Catholiques, sont les descen-
dants des Génois qui dominèrent dans
l'île pendant deux siècles (1346-1566}.
Comme ils s'unissent rarement par des
mariages avec les Grecs, ils ont conservé
leur type ainsi que les principaux traits
du caractère national. Ils sont aussi res-
tés fidèles à la religion de leurs pères, et
l'antipathie oui rqB;na longtemps entn
les Latins et les Grecs divisa é^alenieol
les Grecs et les Italiens de Scio. Tou-
tefois , ces derniers parlent la langue
grecque.
GouvBBNfiHENT. — Pour le gouver-
nement de Chio dans l'antiquité, il nous
reste peu de chose à dure. T^ous avou
vu en effet que les chefs des différen-
tes colonies qui s'établirent successive-
ment dans Tue y exercèrent héréditai*
rement la royauté. Lorsque Chio entr^
dans la confédération Ionienne, elle con-
tinua d'être régie par des rois. Ces rois,
comme ceux des autres villes ionleBoes,
relevaient du roi d*Éphèse, qui exerçait
ILE D£ GHIO.
28r>
une sorte de sazeraineté sur les autres.
Ces princes n'avaient rien de commun
avec les t3nrans imposés plus tard par la
domination persane. Leurs attributions
se bornaient a commander les armées, à
tenir les assemblées, à rendre la justice et
à présider aux sacrifices publics. Ils n'é-
taient guère que les che£s d'un peuple
libre. D'ailleurs les Cbiotes, comme tous
les Ioniens, étaient naturellement portés
vers le gouvernement populaire; l'in-
dustrie et le commerce, auxquels ils se
livraient ayec tant d'activité, fortifièrent
encore chez eux l'amour et le besoin de
la liberté. Réunis en assemblée , les ci-
toyens délibéraient sur les affaires ^ui
concernaient l'Ile. Quant à celles qui m-
téressaient la confédération tout entière ,
elles se traitaient an Panionium, ou as-
semblée générale des Ioniens de l'Asie
Mineure.
FiNAivcBS, TAXES. — L'histoire ne
nous apprend pas à quelle somme s'é-
levaient les finances de l'Ëtat, ni de
quelle manière elles étaient administrées,
jtous savons seulement que des taxes
étaient imposées sur les produits, et que
rimportation et l'exportation des objets
du commerce étaient soumises à cer-
tains droits. Anstote (1) nouç apprend
encore qu'il existait une loi d'après la-
quelle cnaque fois qu'un emprunt se
faisait, le préteur et l'emprunteur étaient
tenus d'inscrire leurs noms ainsi que la
8omme sur un registre public. Les frais
de l'enregistrement étaient pour l'État
une source de revenus, qui cnez un peu-
pie commerçant devait être assez abon-
dante. Le gouvernement avait encore un
autre moyen de se procurer de l'argent
quand il en avait besoin : il décrétait que
les débiteurs verseraient dans le trésor
public l'argent qu'ils devaient à leurs
n-éanciers , et aue l'Ëtat payerait à ces
derniers l'intérêt, jusqu'au moment où il
serait en mesure de leur rembourser le
capital.
GouVEBIfEUENT ET ADHmiSTRA-
TIO^ DE LA SCIO MODEBNE. — SOUmlS
à la Turquie, les babitants de Scio, s'ils
ne jouissent pas de l'indépendance po-
litique, conservent cependant une liberté
eivile très-étendue. Cette remarque,
toutefois, ne s*applique pas n l'tle tout
'^ Aristotp , Économtqtfes , U, 12.
entière. Les villages situésdans la contrée
où se fait la récolte du mastic ainsi que
quatre autres, Daphonas.Vasiiioniko, Ca-
ryœ, et Uagios-Georgios (Saint-Georges),
sont placés sous l'autorité immédiate du
gouverneur turc et soumis à certaines
corvées. Nous avons vu plus haut dans
quelle condition se trouvaient les pre-
miers, qui sont au nombre de vingt et un.
Quant aux quatre autres , les trois pre-
miers sont obligés d'entretenir les aque-
ducs qui approvisionnent d'eau la ville
de Scio , et le quatrième de fournir la
chaux pour les constructions militaires.
Mais telle n'est pas la situation de la
ville de Scio et des quarante et un vil-
lages qui en dépendent. Sauf une cer-
tame taxe, assez modérée, ils sont, dans
tout ce qui concerne leur gouvernement,
{)resque entièrement indépendants de
'autorité turque.
Celle-ci est représentée dans l'tle par
un gouverneur envoyé deConstantinople,
un commandant du château et un cadi
ou juge. Le pouvoir qu'ils exercent au
nom de la Porte est singulièrement li-
mité, dans la ville et ses dépendances, par
les droits et les prérogatives du gouver«
nement local. A la tête de celui-ci se
trouvent cinq magistrats, appelés démo-
gérontes , dont trois grecs et deux ca-
tholiques ; fnais cea deux derniers n'ont
qu'une médiocre influence. L'élection de
ces n)agistrats a lieu tous les cinq ans,
le 15 février. Lesélecteurs sont d'anciens
démogérontes et les chefs des congré-
gations. Pour être éligible il faut des-
cendre d'une des familles considérables
de Scio, dont les membres se donnent
entre eux le titre à' archontes. L'éligibi-
lité n'est soumise qu'à cette condition, et
n'est pas attachée à la possession d*un
bien tonds ou d'une fortune quelconque
en argent. L'élection faite , elle est no-
tifiée au cadi, qui la confirme. Mais ce
n'est là qu'une simple formalité; le cadi
ne peut refuser la confirmation. Il a
tout au plus la faculté d'exclure tel ou
tel des élus ; encore n'en use-t-il jamais.
Le collège des cinq démogérontes se
nomme mesas. Élu par le concours des
libres volontés des citoyens placés sot^s
son autorité, le mésas est avant tout un
pouvoir national, établi pour défendre
les droits et les privilèges de la ville et
de ses dépendances. C'est par son in-
286
LimiVERS.
termédiaire que le gouvernement turc
se met en rapport avec cette partie de
rîle; c^est lui qui fait obtenir justice
aux habitants maltraités ou lésés par
les Turcs , en déférant les plaintes qui
lui sont adressées à Tautorité turque de
nie et, au besoin, au divah lui-même.
Les pouvoirs du mésas sont très-éten-
dus. Investi de la puissance législative,
il exerce aussi le pouvoir judiciaire et
forme la plus haute cour Je justice. Il
juge en matière civile et criminelle.
Toutes les peines décernées par lui , le
gouvernement est obligé de les laisser
infliger sans informer. Toutefois y il ne
peut prononcer la peine de mort, droit
réservé au cadi, qui est tenu cependant,
quand il veut Texercer, de demander Tas-
sentiment du mésas. t)e la juridiction
suprême de celui-ci ressortissent le tri«
bunal de commerce et le tribunal mari-
time, qui jugent comme lui en première
et en dernière instance, ainsi que les ar-
bitres appelés à décider dans les afjfaires
litigieuses.
Les démogérontes doivent encore veil*
1er à ce que llle soit toujours suffisam*
ment jpourvue de vivres; soustraire aux
spéculations le commerce du blé et du
bétail, oui viennent en grande partie de
TAsie Mineure, et empêcher que les pau-
vres ne manquent du nécessaire.
Ajoutons que ces magistrats , comme
les anciens censeurs romains, exerçaient
avant la guerre de Tlndépendance une
certaine surveillance sur les mœurs. Ils
avaient le droit de punir les actions oui
leur paraissaient contraires à la morale,
et d'arrêter les progrès du luxe. Us por-
tèrent même un jour une loi qui interdi-
sait rimportation des étoffes précieuses
pour habillements, Tusage des diamants
et des châles perses.
Outre les déinogérontes, il v avait au-
trefois une assemblée des notables, qu*ils
étaient tenus de convoquer dans certaine
circonstance. Mais cette assemblée ser-
vait plutôt à appuyer qu'à resteindre leur
autorité. Cette autorité, le mésas l'a tou-
jours exercée d'une manière intègre,
ferme et sage. Aussi fut-il toujours craint
et resuecte, et jamais les habitants de
Scio n eurent à user du droit qu*ils pos-
sèdent de révoquer de leurs fonctions
ceux des démogérontes qui ont failli à
leur mandat«
Uautorité des démogérontes s*étend
sur toutes les églises de la ville et des
villages qui en dépendent. L*archevêque
lui-même relève d*eux, non-seulement
pour le temporel, mais même dans cer*
taines attributions de la juridictloa ce*
clésiastique.Cest ainsi qu'il ne peut pro-
noncer d excommunication qu'avec leur
consentement, et, ce qui paraît plus sin-
gulier encore , sur la décision des tri-
bunaux de commerce et de marine, qui
ont le droit d'appliquer la sentence. Éq
matière de discipline ecclésiastique , ki
pouvoirs spirituels de ce prélat sont
plus étendus. Il peut déposer les prêtres
aélinauants , et même les mettre eu pri-
son aans sa métropole. Quant à soq
élection, elle est faite par les patrianbes
de Gonstantinople, lesquels consultent
toutefois les vœux des principaux bbi-
tants de Scio.
La liberté religieuse dont jouit Scio
n'est pas moins grande que sa liberté
politique et civile. Aucun des peuples
soumis aux Turcs ne possède autant
d'indépendance, autant de privilége>;
nulle part le despotisme turc ne se
fait moins sentir ; nulle part les droits
des vaincus ne sont aussi étendus, aussi
respectés. Plusieurs causes expliqueut
la douceur de la domination ottomarje
dans cette île. Lorsqu'elle se soumit aui
Turcs, un Grman du sultan lui garautii
un grand nombre de privilèges, que U
fermeté et la sagesse de ses ma^istrais
nationaux lui ont conservés. Ajoutoii^
Funiou patriotique qui règne parmi Irî
citoyens ; leurs richesses acquises par ua
commerce actif, et Tusa^e nabile qii'u^
savent eu faire dans l'intérêt de leur pa-
trie et pour le maintien de leurs droùi.
Ils ont toujours à Constantinople un ou
plusieurs des plus considérables de leurs
concitoyens, à qui ils fournissent Targeut
nécessaire pour acheter la faveur dts
membres les plus influents du divan. Pjt
là il arriva en tout temps que le gou-
verneur envoyé dans l'île fut obligé (ie
se conformer à la volonté des habitanti;
s'il y résistait, il sufBsait d^une plainte
adressée à Constantinople pour le faire
immédiatement révoquer. C'est ceque les
gouverneurs savaient d'avance, et ils ré-
glaient leur conduite en conséqueoet-
Avant la guerre de l'indépendance, \&
Chiotes employaient encore un autre
ILE Dft CHIO.
287
moyen'pour neutraliser rinflaencedeletir
gouvernear. Afin d*empécher qu'il ne fUt
rorrompn par des particuliers, il fut dé-
fendu expressément de lui rendre visite.
Un citoyen était-il appelé auprès de lui ,
il fallait qu'il demandât l'autorisation
des démogerontes, et qu'à son retour il
leur fit connaître le motif pour lequel
il avait été mandé. Les démogérontes et
les chefs des corporations pouvaient seuls
le visiter librement.
Ces mof eus tout pacifiques employés
par les Cniotes pour se maintenir dans
une sorte d'indépendance à l'égard de la
Porte constrastent singulièrement avec
«eux dont usaient les tfydriotes. Ceux-ci
s'exerçaient journellement au maniement
des armes, et se créèrent une marine mar-
chande dont les nombreux navires pou-
vaient devenir au besoin des vaisseaux
fie guerre. Aussi avant l'insurrection au-
cun Turc n'osait mettre le pied sur leur
territoire ; et au plus fort de la guerre
de l'Indépendance les Turcs n'eurent
c'irde de tenter une attaque sur l'Ile. Les
Chiotes, au contraire, soit qu'au milieti
delà prospérité dont ils jouissaient sous
le gouvernement turc ils eussent ou-
blié que leur Indépendance n'était que
précaire, soit que 1 esprit mercantile eât
absorbé chez eux tout esprit guerrier, les
Chioies n^ligèrent de se créer une force
militaire. Leurs richesses et leur ha-
bileté protégèrent, il est vrai, leurs liber-
tés tantqu'ils restèrent soumis à la dohii-
nntion ottomane; mais au jour de la lutte
lis s'aperçurent au'il faut quelque chose
de plus à un peuple qui veut s'affranchir.
Religion. — La religion des Chiotes
dins l'antiquité ne diffère en rien de
lelle des autres peuples grecs. Colons
d'Athènes, ils se placèrent sous la pro-
tection particulière de Minerve, la di-
vinité tutélaire de leur métropole. Ils
adoraient également Jupiter, oui du mont
Pelinéen, où il avait un temple, fut sur-
poramé Jupiter Pélinéen; Apollon, dont
ils allèrent célébrer la fête à Délos, avec
les autres Ioniens; Bacchus, qui ne pou-
vait manquer d'adorateurs dans l'île qui
produisait les meilleurs vins de la Grèce;
enOn Vénus, la divinité la plus honorée
3 Chio,etdont le temple, d'une grande
magnificence, était desservi par un grand
Dombre de femmes d'une remarquable
beauté.
Les habitants chrétiens de la Scio
moderne, tous de l'Église greco-schisma-
tique, se distinguent parleur zèle pour
la pratique extérieure de la religion. Ils
vouent surtout aux saints une adoration
particulière, au poin t qu'un voyageur (1)
raconte avoir entendu des Grecs du peuple
faire ce naïf aveu : « Tout comme nos
ancêtres, les anciens Grecs, nous avons
un grand nombre de divinités, saint
George, saint Isidore, etc. »
Avant la guerre de Tindépendance, la
ville de Scio avait soixante-six églises^ et
les villages plus de six cents. L'tle en
possède encore un grand nombre au-
jourd'hui ; elle renferme aussi neuf cou-
vents, dont un surtout mérite d'être cité :
c'est celui de79éa*Moni. 11 est situé au
centre de File, dans une plaine solitaire,
entoura de montagnes couvertes de
pins. L'église, monument du onzième
siècle, porte l'empreinte du caractère
religieux de cette époque. t)ans la cou-
pole sont représentes en mosaïque , sur
un fond doré, le Christ, les douze apôtres
et la troupe céleste des anges. Cette mo-
saïque ne diffère en rien, quant au pro-
cédé employé par l'artiste, de celle de
la coupole de Sainte-Sophie à Coustanti-
nople. Dans les deux monuments les
morceaux rapportés de verre coloré
dont sont formées les figures sont d'une
entière conformité.
Avant l'insurrection il y avait dans ce
couvent plus de quatre cents moines ; au-
jourd'hui iis ne sont plus qu'au nombre
de guatre-vingts. Ils s'occupent parti-
culièrement de culture. Leurs posses-
sions territoriales forment la sixième
partie de nie; et' ils les auraient sans
doute agrandies encore, si un décret des
démogérontes ne leur avait interdit de
nouvelles acquisitions de territoire.
Moeurs. — Au contact des peuples
asiatiques, les Cbiotes connurent tous les
raffinements de la civilisation orientale.
Dans la molle et voluptueuse tonie ils
se distinguèrent par leurs mœurs ef-
féminées , et leur goât excessif pour les
plaisirs. Ce goût s^lliait admirablement
chez eux à l'esprit mercantile ; le com-
merce alimentait le luxe , et ils ne savaient
as moins bien jouir de leurs richesses que
es acquérir. La triste philosophie d'Epi-
(i) f^kenbiTcher, Die tnsel Chics , p. 3o.
288
L'UNIVERS.
cure, enseignée avec éclat à Chio par Mé-
trodore, nefîit pas chez eux l'objet de spé-
culations abstraites; mais ils savaient la
pratic|uer. Vivre à la façon des Chiotes
signihe dans Pétrone (1) vivre dans la
mollesse et dans les plaisirs. Ils se firent
surtout une grande réputation de gastro-
nomie. Leur supériorité dans Part d'as-
saisonner les mets a été célébrée par un
poète comique (2) : leurs cuisiniers étaient
renommés et recherchés. L'un d'eux,
Nérée, est mentionné parmi les sept fa-
meux cuisiniers dont le poète Euphron
a transmis les noms à la postérité, non
sans les comparer aux sept Sages de la
Grèce.
Imitateurs des Lydiens, peuple des
plus efféminés de l'Asie et grands inven-
teurs de jeux de hasard , les Chiotes pri-
rent leurs costumes et leurs jeux. Ils
paraissent avoir été d'habiles joueurs ,
puisqu'au jeu des osselets le mot chiote
était synonyme de coup heureux.
Ils portaient aussi les cheveux coupés
d'une manière particulière ; et l'on disait
se faire tondre et épiler à la façon des
Chiotes.
Les vicissitudes politiques que oe peu-
ple eut à subir dans l'antiquité ne chan-
gèrent pas ses mœurs. Dans les temps
modernes aussi , les Chiotes surent con-
cilier le goût des plaisirs avec leur acti-
vité commerciale. Avant la guerre de l'in-
dépendance les bals étaient fréquents et
brillants à Scio. « On ne fait , ait Piétro
« Della-Valle, que chanter, danser et
« converser avec les dames. » Celles-ci
y avaient conservé leur antique beauté.
Tous les voyageurs s'accordent à leur
rendre ce témoignage, a Malgré le séjour
<< d'un grand nombre de Turcs dont la
« ville, dit Choiseul-GoufÛer (3), les
« femmes y jouissent de la plus grande
« liberté. Elles sont gaies , vi?es et pi-
« quantes. A cet agrément elles ioin-
« araient l'avantage réel de la bçauté, si
a elles ne se défiguraient par l'habille-
« ment le plus déraisonnable et en même
« temps le plus incommode. On est dé-
« sole de voir cet acharnement à perdre
(i) ^ ptiero vitam Chiam gessi ; Pétrone,
Satyricon, chap. 63.
(a) Athénée , XII , p. 5a4.
(3) Choiscul-Gouffier, I, p. i5o, i5i. Cf.
Chaudler, I, p. 109; Dalla way, II, p. 8r.
« tous les avantages que leur a d<»nes h
ft nature... Elles forment un spectacle
a charmant, lorsque, assises en foule sur
« les portes de leurs maisons, elles tra*
« vaillent en chantant : leur gaieté natu-
« relie et le désir de vendre leurs ou-
A vrages les rendent familières avec les
« étrangers, qu'elles appellent à i'envi.
« et qu'elles viennent prendre par h
« main pour les forcer d'entrer chez
« elles. On pourrait les soupçonner d'à-
« bord de pousser peut-être un peu loin
« leuv affabilité; maison aurait tort.
« nulle part les femmes ne sont si libres
« et si sages. »
Mais la beauté n'est pas la seule qua-
lité des femmes chiotes : elles ont um
merveilleuse aptitude pour tous les tra-
vaux domestiques. Elles s'occupent avef
une rare sollicitude du bien-être de leun
lAaris et de leurs familles. Leur mérile
en cela est d'autant plus grand , qu'ellfs
n'ont presque jamais d'époux de leur
choix. Loin de consulter l'inclination de
leurs filles, les parents promettent sou-
vent leur main dès leur plus tendre jeu-
nesse. Il n'est même pas rare de voir des
fiancées au berceau. Frappé de cette sin-
gulière coutume, un voyageur contem-
porain (1) demanda sielïe ne donnait
pas bien souvent lieu à des liaisons cou-
pables. A Cette plante, lui répondit-on,
qui en Europe empoisonne tant d'exis-
tencelï , ne réussit pas sur le sol chiote. ^
Il est remarquable que ces unions con-
tractées sans que l'on tienne compte du
sentiment, qui partout ailleurs les forni!
et les cimente, sonten général heureuses.
Ajoutons que les Chiotes sont hospi-
taliers et polis. « 11 n'est autre ville, dit
ft dans son vieux langage Belon, cité par
« Dalla way (2), où les gens soient plus
« courtois qu'à Chio. Aussi est-ce U
R lieu de la meilleure demeure que ^v
« chions à notre gré. » Ce témoignage
est toujours vrai.
Commerce , industbir. — Cette vif
de jouissances raffinées était favorisé"
chez les anciens Chiotes par d'immenses
richesses , fruit d'un commerce actif et
étendu. Ce fut là aussi la source du bien-
être et de la demi-indépendance dont
jouirent les Chiotes sous legouvernement
(i) Eckenbrecher, Die Jnsel ChioSf p. r
(1) Dallaway , t. II , p. Sa.
ILK DE CaiO.
2S9
tare, jasqo'à Tépoqne de leur insarree*
tioo. L'esprit commercial en effet a
toujours formé, dans Tantiquité et dans
les temps modernes, le fonds même du ea-
raetère national de ces insolaires. Deux
causes nous expliquent cette tendance :
la position de Cbio , située au milieu de
la mer, entre TEurope et l'Asie, sur
cette grande route maritime du oom-
nMrce ancien , invitait naturellement ses
habitants au négoce; d*autre part, la
oaturede leur tle, dont le sol pierreux est
peu propre à l'agriculture, leur en faisait
en queloue sorte une nécessité. Aussi eu-
reot-ilsae bonne beureune marine. Leurs
raisseaux visitaient les Cyclades, les Spo-
rades, le Pont , les côtes de la Phénicie,
tout le littoral de la Méditerranée , le
long duquel , en suivant la route par-
courue par les Phéniciens et couverte de
leurs colonies, ils étendirent leurs rela-
tions eommerdales jusqu'aux extrémités
de la presqu'tle Ibérigue, avec la Grèce,
Carthage, la Cyrénaïaue, la Sicile , la
Sardaigne, la colonie phocéenne de Mar-
seille et les cités maritimes de l'Espagne.
Mais ce fut surtout vers TÉgypte que se
dirigèrent leurs courses, lorsque ce pays,
déjà ouvert aux Grecs par Psammitichus
(656 av. J.-C. ), 6it sorti définitivement
de son isolement sous le rè^e d'Amasis
(570 av. J.-G. ). Ge roi, qm rompit avec
les préjugés nationaux au point d'épou-
ser une Grecque de Gjrrène, céda aux
Grecs la ville de Naucratis, sur la branche
çanopique du Nil, pour servir d'entrepôt
à leur commerce en Egypte, et leur per-
mit d'ériger dans ses Etats des temples
à leurs divinités. L'un de ces temples ,
nommé Helléoium, le plus beau de tous,
fut bâti avec l'argent de neuf villes grec-
<)aes, parmi lesquelles figurait Gbio. Les
Chiotes paraissent même avoir fondé des
établissements particuliers en Egypte.
Selon toute apparence , la ville aopelée
par Polyen (1 ) la Gbio égyptienne fut une
de leurs colonies. Etienne de Byzance dit
positivement qu*il y avait enl^gypte une
ville appelée Gbio, qui prit plus tard le
nom de Bérénice.
Le commerce des Ghiotes était ali-
ineDté par les productions variées de l'tle
H par rindostrie active des habitants.
lis excellaient surtout dans la tisseran-
(0 Polyen, Strmtag., II, s8.
IIH Livraiëon. (Ils db Chio.)
derie et dans la fabrication d'ouvrages
de poterie, de vases d'argile, une des
Êrincipales branches de leur industrie,
lais 1 article le plus important de leur
commerce étaitleur vin, si renommé dans
l'antiquité et si digne encore aujourd'hui
de sa vieille réputation. Ils trafiquaient
aussi des produits d'autres pays, et ti-
raient encore parti de leur marine en
louant leurs navires à des oommer^nts
étrangers.
Gette activité commerciale des Ghiotes
reçut au moyen âge une nouvelle impul-
sion des Génois, et nese ralentitpoint Jus-
au'à l'époque de la guerre de 1 indépen-
anoe. Lorsque éclata cette guerre , Scio
était encore une des plus importantes
places de commerce de l'Archipel. Elle
avait des comptoirs dans les principales
villes de l'Europe , de l'Asie et de l'Afri-
que, à Amsterdam, Marseille, livoume,
Trieste, Malte, Moscou, Vienne, Odes-
sa, Gonstantinople, Smvrne, Aleian-
drie, etc. Une seule tle dans l'Archipel
pouvait rivaliser avec elle ; c'était la pe^ '
titetled'Hydra,qui bravait sur son rocner
aride, derrière sa flotte, la puissance
ottomane. Hydra avait en effet sur Gbio
l'avantage de posséder une marine assez
importante. Réunis dans de communes
entreprises commerciales, les Hydriotes
fournissaient les vaisseaux , les Sciotes
les capitaux. Ges derniers s'entendaient à
merveille aux opérations financières; ils
étaient d'habiles et de hardisspécuiateurs.
La guerre de 1833 est venue porter
on ruae coup à leur commerce; elle n'a
pas été moins fatale à leur industrie.
Gelle-d n'était ni moins florissante ni
moins active que le commerce. En 1780
il y avait dans l'tle jusqu'à mille deux
cents manufactures de soie. Quoique l'Ile
ne produisit pas moins de 25,000 kilogr.
de soie par an, il fallait en importer
une grande quantité de la Thrace et de la
Syrie pour suffire à l'activité des fabri- ;
cants et aux besoins du commerce. Gette
branche si importante de ^'industrie des
Sciotes, déjà en décadence au commence*
ment du siècle, fut presque entièrement
détruite par la guerre. Les autres eurent
le même sort. 11 faut excepter pourtant
la menuiserie et la maçonnerie , qui en-
core aujourd'hui occupent im grand nom-
bre d'habiles ouvriers. Dans le village
d'Euthymlani, par exemple, presque tous
19
290
UPHIFTOS.
les hommes, au nombre 49 quatre oepts,
soDt maçoDS ou taill^ur^ de pierre.
Mais (fans aufMiD art ]e$ Sciotfîs n'ap-
portèrent autant de perfipction que d^ps
rhorticulture. Tous les voyageur^ ont
admiré le $oin et le goût avec lequel sont
cultivés les jardins situés aux envirops
de la ville. Aqssi les Spiotes se sqnt-ils
fait dans tout rOrient une grai^dp ré-
putation comnie horticulteurs ; et ayant
la guerre de Tindépendance la plupart
des granfis de la Turquie avaient des
jardiniers sciotes.
TMBS, sciBNcss BT ABTS. — Plaoée
au foyer m^ipede la civilisation çrecaue,
Chio participa au mouvement mtellec*
tuel qui de rlonie se propagea dans û
Grèce. Poésie, philosophie, histoire,
arts, sciences, tous les genres dans les-
quels s'exerça le génie crée, si fécond et
si original, furent cultivai avec éclat
dans cette tle. Parmi les sept villes qui
se disputèrent la naissance d'Honoère,
Chio paratt avoir, avec Smyrne, les
meilleurs titres à cette glorieuse reven-
dication. Mous n'avons pas à revenir
sur une question tant de fois débattue;
nous nous bornerons à rapporter les
principaux témoignages en faveur de la
prétention de Chio. Le plus impprtant
de ces témoignsKes est celui du poète
lui-même, auiditdans son hymneà Apol-
lon qu'il habitait Chio fi). Si cet hymne,
attribué à Homère du temps de Tbucy*
dide, qui le cite (2), n'est point de l'au-
teur de riliade , comme l'ont prétendu
quelques critiques , il n'est pas douteii|:
qu'il ait été compoisé à une époque très*
rapprochée de celle où vécut HomèDS.
Théocrite appelle ce poète le chantre de
Chio (3), et l'historien Massaliote £a-
thymène le fait naître dans cette île (4).
Suivapt une tradition rapportée par Stra*
bon (6), Lycurgue, le législateur de
Sparte, aurait rencontré Homère à Chio.
£nfin, l'historien chiote Hypermène
raconte que ses compatriotes condam*
(i) ... TuçXàç ^p» otxet 8è Xltù fvt irai-
icoXoifo'aiQ , Hjrmme à jtpolion, v. 172. D'a-
près la traditioa , Homère habitait Bolissus.
(a) Thucydide, III, 104.
f 3) Théocrite, IdyL, vn^ 47» et XXII, 918.
[4) Clément d'Alexandrie, I , p. Sa;.
[5)$Cr«boa,X, p. 48a.
lièrent à une ameDiie df l ,099 dracbm
Fesclave (l'Qomèr^ pour fivoir ni^lig^ w
brûler le cadavre de spn m^Ûif • 4jou(pii
que c'est dans cette île q^e parurent poBr
la première fois ces rapsodes coddui
SOMS le nom i'Homéri^, qui paroop*
raient les villes d^ la Grèpe réciuut des
fragment^ des poèmes homériquea.
L'orgueil qu'inspira aux ancieps Chio*
tes la croyance , fondée ou non , qu^Ho-
fnère pa^uit daps leur tle s'est trpps-
mis à leiirs descendants. Cest comoie
un héritage de gloire, que les habitants
^e Tile n ont jamais cessé de revendb
qper. Ce rocher dont nous avons parle
plus haut, débris informe d^ quelque an-
tiqpe monument, et appelé ïpcQle dHo-
fn^re, témoigne combien est restée vi-
vace et populaire la tradition qui leur
donne pour compatriote le plus grand
poète de l'antiquité. Et si « au milieu de
témoignages contradictoires* la critique
pe p^ut pas fixer avec plus de certitude 1«
lieu que la date de la naissance d Ho-
mère, du moins est-il hors de doute qiiù
séjpMrna longtemps à Chio. L'influen»
que son ^énie y f^j^evf^ sur les esprits et
1 émulation qu'il sicita chez ce peuple*
(i amoureux du beau , attirèrent autour
de lui un grand nombre de disciples et
d'imitateurs. De là, san> dout^, la tra-
dition relative à V£cQ(e if Homère. L'un
de pes disciples, le rapsode Cyna^bus,
a m4me été considéré quelquefois comme
l'auteur de l'hymne d Apollon-
Chip eut aussi spn poète tragique :
Ion, contemporain de Sophocle, composa
douze tragédies, suiyant d'autres trenu
ou même quarante.
Zenon et Épicpre eurent des disciples
célèbres dans l'île. Aristiope et Aristoa
y enseignèrent la philosophie stoïcienne,
et Métrpdore l'épipuréisme.
Parmi les historiens se font remar-
quer : Xénomède , oui vécut quelque
temps avant la guerre du Péloponnèse, d
Tbéopompe, contemporain d Alexandiv
le Grand. Suivant Suidas (I), ce dernier
composa un abrégé de rhistolre d'Héro-
dote, en 2 livres, une histoire de Phi-
lippe, roi de Macédoine , en 72 livres , et
une histoire grecque en 11 livres. Théo-
crite, son ami, était à la fois histoneo,
philosophe, rhéteur et poète.
(i) Suidas, au mot Tséosoicfs*
ILE DE CHIO.
291
Scymnus, vers le eommepfefntnt ^u
premier siècle avant J.-C, composa im
ouvrage degéo^raphie en vers îambiqoei,
qu'il dédia à Nieomède , roi de Bithynie*
Dans les 741 vers qui nous en restent,
Dous voyons qu'il fit la description de la
Grèce, de la Sicile , d'une ^ande partie
de ritalie, de Cartbage et ^es autres
contrées de rAfriqup , pays qu^il avait
lui-même parcourus.
Dans les art3 se distînsuèrent plan-
m, coot^ipporaip d'Alyatte , roi ^e Ly-
jlie, et aiiteiur d^upe coupe dont ce pripce
b présent au temple de Pelppes ; Mala^,
iOD filçMipoiadès ^t sop p^tit-fils A(i-
Iberoiu^, tq^^ ^tatu^ires , sfin^i flU^qn
lutre Anihermfi^ ^t J^oupalpç, tous qeiix
|IJs du premier Â^tberipus. Ils recqrept
er^ \p milieu du çixièn]^ siècle ^vqpt
.;€. pausaniaç (f) cite de ^oppalqs, h |a
vissUtualre^tarcbit^p^p, dies statue^ ^n
Ift représentant Içs Grâces, placée^ f)^f|s
t teinule de$ Pprie^ à Srpyrqp, pt jjne
totuedpisi pprtuqp, faite égalerpen^ P^^*^
eue ville. À|i temps dp Plin^ ranci.er{ ,
|P grand pombr^ de statu^^ ^es ^fi^\
fèrcvs se voyaient à Rome (2). Çnfîn f ^'p-
pnii^ cite deux autres ^tatpairç's, pos-
rate et sqn fils Ppnti^$ (^24 ay. J.-C.),
OQt cet î^pteur a vu Ipi-piéme depx §t|-
»es à Qlympie (?).
Diqn pt pémqcrite (44p av. J.-C-)
MenfJir^nf pé|^))r^$ compie rnusipien^-
U^ çpijpnpes au$9t fpr^nt cultivées
r^c succfi«. Hippp<:ratf9> di$cip)p ge
létrodore ^l QEnqpfp^, contemporain
p Déojojrit^, obisQryçir^nt leç ^hprjo-
P^^ céleç^s. C^ derpipr fit {^ premier
)Bnaitre auj^ precs pp 3y3tjèn>^ açtro-
Ïiique f|ttri|)ù^ àPytbfîgqre, priais doqt
t pept-êtpre liiji-miêpjp l'auteïfr
CeUe QPtiyj^é intellect upil^ np s'est pjs
lienlje d<ip§ les tppip pipd^rnes. %n
fil2 les %iipte^ fqpdpfeqt îinp école,
l'il$ dotpreqt h)}pralement , et qpi ^^'
lit lii^ptôt célèbre en Ûn>nt. Avant la
Mructiop ^f^ |a yill§ elle poniptait sept
nts éco|jj9f§, p^ripi le^qqpls deux pepis
ïaogerç.
(i) Païuanias , lY , 3o.
«) Pline r Ancien » XXXT J , 4.
<3)Paasiaits, VI, io5-io6; Albéo^,?!»
a66; Pline FaDcien, XX.Xiy, 8, 5 et 19.
I
Quatorze professeurs étaient chargés
de l'instruction primaire, et huit ou dix
de l'enseignement supérieur, qui compre-
nait la métaphysique, la logique^ la théo<
logie, la rhétorique, l'histoire, les ma-
thématiques , la physique et la chimie.
Parmi les langues anciennes le grec,
et parmi les modernes le français ejt le
turc, y'ét^iept particulièrement ensei-
§nés, et parmi les arfç d'agrément, le
essin et ja musique.
L'école était placée $ou$ la haute sur*
yeillpppede quatre directeurse^ de quatre
ènhores , choisis parmi les citoyen^ lès
plus consicjéréç. L'çiiseignement était
gratuit. Ceux des élevés qui se distin-
guaient particulièrement étaient envoyés
aux frais de l'État dans les universités
fraof^aises ou allemandes, pour y com-
pléter 1^'urs études. Ces derniers étaient
Je pl^s 90'uveq^ des enfants pauvres du
(étrangers ; car les riches envoyaient çë-
néralefnent leurs fils , à l^âge de treize
ou dé quatorze ans, appjrendre le corn*
pierce à Copstantjnopre où à Smyrne.
ti'éçqjé possédait une l>i^liothèque
qui avant la guerre de Findépendance
ifenfërqiait environ dopze mille volumes.
F^ar lès soins de ]Coray (1), Scioeut aussi
ûnp iniprimerie, doq|; les presse^ avaient
été œm mandées à Paris.
L'éducation des filles étai( presque en-
tièrement négligée. Dans les meiilepres
mqispns,'l'^s ^emi^es ne savaient bien
souvent qî ^criré ni lire ; ignorance sip-
gulière chez un peuple si cultivé , mats
que les Sciotes consioéraient comme très-
salutaire, l'écriture suivant eux ne ser-
vant aux jeunes filles qu'à entretenir
des correspondances pmoureuses. Au
reste, lepr esprit naturel, leur rnteljf-
gence ouverte suppléaient jusqu'à un cer-
pin point au défaut ^'instruction, et
(eurs mères les formaient avec le plus
grand soin à tous les travaux domestiques.
(x) Goray éta jt né à toyrne, l« a 9 avril 1748,,
mais son père était de Scio , et cett^ île peut'
revendiquer coipiqe qn de se» enfunts le p^s
célèbre philologue de la Grèce moderne. Du
r(&8te, la France fut sa seconde patrie : il vint
s'y établir ep 178a, et il y moiirnl en i833.
Voyez la notice sur la vie et ies ouvra^irs 4e
Diamapt Coray par M. L. de Sinner, Bio^an
ph'te Universelle, t. LXt.
10.
ILE DE PSARA
«
L'tle de Psara est mentionnée dans
Strabon, Pline et Etienne de Byzaaoe
sous le nom de Psyra; Homère l'appelle
Psyrié (1). D'anciennes cartes nuirines
la nomment Ipséra ou Pissera. Aujour-
d'hui on rappelle indistinctement Psara
ou Ipsara, qui n'est autre que le nom an-
cien légèrement altéré, il est à peine fait
trois ou quatre fois mention de cette lie
dans Tantiquité. Homère indique sa po-
sition. « Les uns voulaient , dit lïestor
racontant à Télémaque son retour de
Troie, que nous prissions au-dessus de
Chio , en côtoyant la petite lie de Psyrié,
que nous laisserions à gauche, et les
autres proposaient de prendre entre Chio
et le mont Mimas. » En effet, Psara
est située à Touest de Cbio, à vingt milles
environ du cap Meiaena ou de Saint-XHi-
colas (2}. Strabon ne lui donne gue qua-
rante stades de circuit, ce qui fait cinq
milles ; mais Pococke lui a reconnu en-
viron dix-huit milles de tour. Strabon
nous apprend encore que Psyra avait une
ville du même nom, et Suidas qu'elle
était si stérile, (|u'on n'^ trouvait même
pas la vigne, qui croit si facilement dans
rArc1ii[)el. C'est à peu près là tout ce que
l'antiquité nous a transmis sur cette île,
qui dut toujours être une dépendance de
Chio et parta^r ses destinées.
^ Au dix-septième siècle cette île fut vi-
sitée par Pococke, qui rappelle Ipsara.
£lle est escarpée et remplie de rochers
au nord et à l'est, dit ce voyageur; elle
a environ six milles de long, sur trois de
large. Elle a dans son voisinage, à l'ouest,
quelques îlots, dont le plus considérable,
de deux lieues de tour, s'appelle Antipis-
séra. Au-dessous de cette tie, dit Dap-
per (3)^ il y a une fort bonne rade du
(i) Odyss., ïll,v. 171; cf. Slrab., XIV,
645, 6 ; taiichn., m, 18a ; Pline, Hist. Nat,,
T,36,3.
(a) Pococke , Description de t Orient , IV,
355. Selon Chandler la distance n est que de
six milles, t. II, p. a 85.
(3) Dapper, Deicr, de fjirchipelf p. 2^9,
côté du midi, en cinglant vers la vil!
qui est une grande baie située entre I
lies d'ipsara et d'Antipissera, où les m
seaux peuvent venir se mettre à Tanf
sur un fond sablonneux de dix à dou
brasses d*eau , à l'abri de tous les veo
d'orient, d'occident et du nord-oaes
et y entrer et sortir de deux côtés, :
nord et au sud , sans peine et saos dai
ger. Cette baie contient la petite ilei
Saint-Dimitri, qui ajoute encore à la si
retétiu mouillace. « Psara s'aunonee i
navigateur cinglant vers l'Anatolie pi
une montagne de dnq cent quaraDt^sf|
mètres d'élévation, appela Saint-fJii
La coupe de cette île est abrupte. 1
formée par des masses rocheuses di^fl
sèment coloriées, contre lesquelles!
roersebriseavecfracas. Inaccessibledai
la plus grande partie de son littoral.!
faut un pilote expérimenté pour en paj
courir la circonférence et arriver au m
Son massif, qui est partout décharnée
hérissé de montagnes grisâtres frappe
Ear les rayons du soleil, présente le t
leau éblouissant de maisons , dV "
et de chapelles blanchies à la ck
dont l'éclat étonne l'étranger. Maiij
pénétrant dans l'intérieur de 111e, ill
trouve au fond des vallées quelques '
riers, des vignes, des figuiers, qui
noncent la force v^étative partout
y a de la terre. Elle y est rare, etj
n'est à proprement parier qu'un dét "
de roches entraîné par les pluies
les endroits encaissa. Quand on
court sa surface où il n'existe ai
chemin, il faut traverser des cot(
calcaires, des espaces sablonneux et
lants , des ravins desséchés et raboli
entremêlés de quelques champs mal
tivés, qu'on rencontre à de grandes
tances (1). »
Avant l'époque de son illustrât]
Psara n*avait qu'environ mille babiu
tous Grecs, tous laboureurs, popnl^l
(i) Pouqueville, Voyage de h CA
]• XX,c5, t. yif p. 3o8.
ILE DE PSARie.
998
paHvre et énergique. Ils se gouvernaient
eux-mêmes, et payaient directement
leur capitation au capitan-pacha , qui
jouissait du revenu des îles. La ville mit
composée de petites maisons d'un seul
étage et assez mal bâties. Elle avait un
liiâteau fort, en ruines au tempe de Po-
cocke; une cathédrale dédiée à saint
Nicolas : toutes les églises de Ttle avaient
des cloches ; il n*y avait que cinq prêtres
dans rtle ef quelques caioyers.
Au commencement du dix-neuvième
liècle, la petite villede Psara, jusque là si
<^)scure> acquiert une importance inat-
tendue, et devient l'une des cités les plus
florissantes de TArdiipel et de toute la
Grèce. La population de Psara, aupara-
vant si restreinte, augmentée par des
émigrations d'Albanais (1), s'était adon-
née au commerce, avait acquis de grandes
richesses, et possédait une manne im-
posante. La ville de Psara prit alors un
aspect tout nouveau; elle s'embellit de
Tastes et élégantes demeures, construites
dans le goût européen. « Son enceinte
embrassait le versant d'une colline et
une surface littorale qui avoisinait le
port et les chantiers. Une métropole or-
(i) Le peuple appelé Albanais par les £a-
ropéeDs, Arvanitès par les Grecs , Araaoutes
par les Turcs el les Arabes, ne se désigne lui-
même par aucune de ces dénominaiions. Les
Itofflmes de cette nation s*appeUent SchTpé-
tars. Pouqueville regarde les Schypetars
comme des tribus venues de l'Albanie du
Caucase, qui s'établirent vers le douzième
iiècie avant l'ère chrétienne en Illyrie et en
Spire. Celte raœ s'est conservée pure de tout
nélaDee dans ces contrées montagneuses, où
H>rès la diute de l'empire romain et au
icmps des invasions des barbares et des con-
quêtes des Turcs, elle a glorieusement lutté
^ur son indépendance. Après Scanderberg ,
>1 bllut se soumettre. Une partie de la nation
embrassa l'islamisme; c'étaient ceux de la
pbioe. Les habitants des cantons montagneux
lie la Chimère, de Souli et de Parga conservè-
(ent leur foi et leurs mœurs. Une partie ce-
||eodaot fut obligée d'émigrer^ et la Morée et
UtUqoe se couvrirent de villages albanais.
Cofin, quelques-uns allèreut cbercher un asile
(t«u les îles d'Hydra, de Spezzia, de Poros,
de Salamine , de Psara et jusqu'en Chypre.
^'o^ez les intéressants chapitres de Pouque-
ville sur les mœurs grossières et tout à fait
Qomériques des Sefaypétars. Voyage de la
'î'èce, Hv. Vm, t. ni , p. 196, ai a^ etc.
née des dons des habitants , où la prière
continuelle réunissait les fidèles à toutes
les heures du jour isuivant leurs occupa-
tions, des rues propres, des maisons
annuellement recrépies avaient &it de
Psara, dont la création improvisée datait
de 1806, la première échelle de l'Orient.
Ses insulaires, attentifs au développement
de leur industrie maritime, avaient
agrandi ou plutôt creusé un portspacieux
en élevant des dignes, et en pratiquant
des constructions sous-marines; ils tou-
chaient au moment de posséder un arse-
nal, lorsque rinsurrection de la Grèce
éclata. Riches de vaisseaux qui faisaient
le déses[K)ir des ingénieurs européens par
la supériorité de leur construction, les
Psariens parurent les premiers au champ
d'honneur contre les infidèles In*
fortunés ! ils ont vécu ! et quelques écueils
de la mer Egée possèdent maintenant
les débris d'une population de vingt et
un mille habitants et de huit mille ma-
telote (I).»
Ce fut au mois d'avril 1831 aue la
guerre de l'indépendance hellénique
commença, à la fois en Moldavie par
la prise d'armes du prince Hynsilantis ,
et en Morée par l'insurrection ae Fatras.
Les îles de r Archipel se laissèrent bien-
" (i) Pouqueville, Voyage, l, VI, p. 309.
Je reproduis à dessein ce langage , qui fait
comprendre la profonde impression produite
alors en Europe, et principalement en France,
par la catastrophe ae Psara, et en général par
tous les désastres de la guerre de l'indépen-
dance. Mais on n'aurait pas une idée exacte
de Texagération des sympathies enthousiastes
de ce temps-là pour la cause heUénique, si je
ne citais aussi cette invocation dithyrambique
de PouqueviUe à la mémoire de Psara et aux
roAnes de ses habitants. « Ile vénérable de
Psara, mon cœur est saisi d'un trouble iovo-
lontaire en articulant ton nom auguste. Ta
fortune commençait lorsque j'abordai sur tes
plages en 1 799, et j^ai vécu plus longtemps que
ta population de robustes Albanais. Avant de
raconter un jour tes désastres, si la muse de
l'histoire me rendant, au seuil de la vieilleise,
où je suis arrivé , sa cithare et sa voix , m'ac-
corde des }ovun de grâce pour pleurer les
malheurs, je veux faire connaître le rang
que tu tenais dans la Grèce. Psara , tn n'é*
tais rien par toi-même ; mais tu as nourri des
héros dont la mémoire retentira jusque dans
la postérité U plus reculée; leur souvenir ne
passera pas comme l'ombre fugitive. •
294
L^OKIYSHS^
tdt étitrflldAr dAM 1è moa?enieiit gêné-
rai. P^afa leur donna Texemple. « Le
péril est imminent, écrivaient les té-
tfarqnefl de Ttle aui sénateurs d'Hydra!
Il n'f â i^lus de temps à perdre. Le di>
van a résolu le désarmement général de^
Grecs ; et la marine n'étant pas eiembte
de cette disposition, tous ne souffri-
rèx pas sans doute dU*on arrache de
nos mains <]tiatfe mille canons et plus
de solxatite mille fusils, fruit de tant
d'épargnes et de traraux, que notls ne de*
vous cédef qu'afee la vie , puisqu'èn leé
livrant nous la perdrons avec eux (i). «
Aussitôt Hvdra , Spetzia armèrent en
gueité f et feurs navires, réunis à «eut
dePsara, parèouruteni tdut r Archipel «
sousIeeommaddementdei'HydrioteJao^
qUés TonibasiS, pout entraîner les ad-
ttès lies dans la cause dfe rindé|]iedâaDce.
Pendaut trdis ans les bricks , les saed-
léVei, les brûlots de Psara, conduits par
d'Intrépides mSrihs, Jéauitsls^ JéanariS,
Hadii-Anguélis , Anagnotis-Apddtolos ^
Cdnaris , te terrible brûlotier , furent
isonstamment aux prises avec l'ennemi^
aUdtiel itâ Ûtêtit éprouver les plus grands
domma|es. loM^ue Ttle de Chio , que
les Saimehs étaient parvenus à ebthpro-
nëttfé avec lea Tures, fui attaquée par
la flotte de Kara-Ali, ce fut à Psara que les
Orëte de rassemblèi'état pour la défèndrè.
JÀ leâ na^arijUès grècâ tihreiit tiri ctin-
seil de guerre, dans lequel ils résolurent
de lancer à la faveur dé la îiUit deux
brdlots contre les navires ottomans (2).
Constantin Canaris et ôeorges Pipinos
furent chargés a'.exécuter cette hasar-
deuse entreprise. Elle réussit au delà de
teute espérance; mais Ghio ne fut pas
sauvée (juin 1812 ). Quant aux marins
de Psara i ils continuèrent leurs courses
dans toute la Méditerranée, poussant
Tandaee au point de donner la chasse
aux vaisjseaiix tutea jusque êbuÈ les cà-
BbhÈ dë^ bârddtielles , rppandaiit Is tëN
reUr, ()ar lëUi^ lHciirsl6iissbudàineâ,sur
tout le littoral de PAèlë Midëurë; et, hofi
contents de dévàStet lëâ village^ iiiâbd-
métanâ ae llonie, les Psariotes se baiis-
(z) PouqueVillei Bistbin «U la GrécBf
Uj 445.
(a) Pouquerille^ ffittoire,tic.^ III, p. 5 17 ;
Aie Sotitzo , But4 de la Réyotuihn Grecque p
p. 197.
formant fiMdemenl en iMnrsaiieai inquîi
taient tous les navires qui négoeiaieni
dans le Levant « et mirent iea eonsub
européens qui résidaient à Smyrne dans
la nécessité de leur adresser une iettri
par laquelle ils les. conjuraient d'épar-
gner lé commerce de cette ville.
Enfin, « le suitau, dit-on^ fatigue
des plaintes continuelles qui lui venaient
des côtes de llonie, ravagées sans cess6
par les IpsarioteSt s'était fait présenter
une mappemonde pour y voir ce que
c'était qu'lpsara ; il fut si frappé de 1 exi-
guïté de cette tle^ qu'il dit avec mépris :
« Otez-lnoi de la cafte cette petite ta-
« che; dites à mon eapitan-pacha d'at-
« tacher cette roche à aoa vaisseau et
« de me l'amener* »
« La bontagne de Saint-Nicolas, gar-
nie de batteries , une mer hérissée de
resoifs et presque toujours orageuse,
reodaieiit le port d'Ipsara ^'ttn accès
difficile aux eUhemiSf taiidîs qu'uue
chaîne de rochers, qUi traverse 1 île d«
nord au sud, offrait aux Ipsariotes dVx-
cellenteS positions. A Ja nouvelle des
prêparati& de Topal-Pacha, lès séna-
teurs d'Ipsara, pdUssés par un oiauvais
^énie, firent les dispositions les plus
imprudentes. Tandis qu'ils devaient se
servir d'Iiné partie des bâtimeiits pour
écarter l'ennemi et tenir l'autre en ré-
sèfve, i\k leà dégamûrënt de tout leur
grêëtheiit; et Vdiilaht par là s'ôttfr tout
moyen de rétraite . ils se nrivèrënt de
téur principale force. 0e plus . au lieu
de se borner à la défense de la ville .
ils aissémihèrent maladroitemëht jus-
que sur les Boints les plus inaoofdalles
le peuple et les nombreux étrangers qui
se trouvaient dans l'île. Enfin , ils con-
fièrent le poste le pius important à on
capitaine albanais , nommé Kotas 1 et à
son lieutenant, Kanlt)élia8t tous deux
vehdiis a l'amiral turc.
« Le 27 jutU 1834 , au lever de l'ao-
rofè , Topal-Pacha , M\fï de douse fré-
gates, tint reeonnmtre Iea difféftats
pointa de l'îië où le débafçtbèment pour-
rait s'opérer, et s'eti alld vétk lecbuchet
du soleil , après avoir è&àuyé ouelquës
inutiles cadonnades des Grées. £é 3 juil*
let, il revint avec un si grand nombre
de bâtiments de guerre et de transpott,
qu'au dire de Kanaris, cet espace de
mer qui sépare Ipsara de Uit|rlèae n'of*
ILE t)E PdJtRA.
995
frâit qu'dn pont imttlëiise. 11 reiïâ pen-
dant touu la nuit eil fepbs ^ û^et éiéÈ
fanaux alluméâ d tdti^ leâ liiâts pblir
éuter une sùrpflsê. Le lendemain, a^
flotte fut diviâeè en deat coltiUilëk ; H
plus nombi-eijâë 9ë ^oHà sut la pdintë
b pitiâ foniâéé du port, et l'autre s*d-
vaDça vers Pansé qdé défenddiëcli Kota^
et Karabelias. tandis que la prehiiêl-ë
faisait une jfausse attaaue, la seconde,
à la faveui* o^tioë épfaissè fuiliée produite
par une déeharge générale de son artil-
lerie , mit à terre quatorze mille hom-
mes, la plupart Alnanais d*élite de la
tribu des Guègues , et commandés par
un chef habile, Ismael Pliassa.
« Les ennemis entrent dans un défilé;
ils grimpent sur les rochers, et s'em-
parent aune batterie. Kotas et Kara-
belias se trouvaient sur un poste qui la
dominait; ils désertent , ils sont bientôt
massacrés par les Turcs, qui ont cou-
tume de profiter de la trahison et de
pUDJr le traître. Au bout de quelques
lieures toutes les positions sont forcées,
cinq cent TÎngt-trois Ipsariotes, huit
œnts Rouméliotes, cent vin^t-cinq Sa-
miens succombent, après avoir fait mor-
dre la poussière à quatre mille Albanais.
Ismael Pliassa marche en avant, et pé-
nètre dans la ville; chaque rue, chaque
maison est disputée, enlevée et reprise ;
les femmes , leurs nourrissons dans les
bras , se jettent dans les flots ; ceux-ci
cherchent un asile à bord de leurs vais-
seaux , ceux-là courent s'enfermer dans
le château de Paléocastron, situé sur la
iDODtâpne de Saint- Jean ; ils s'entassent
dans les galeries, construites sur une
vaste pooârière. Les Turcs viennent les
assiéger ; la mitraille que vomit le fort
balaye leur arm^. Leur ra^e redouble;
ils escaladent les murs , mais, repoussés
avec uue perte considérable, ils offrent
une capitulation. Un pavillon paraît sur
les tours, c'est celui dlpsara; les por-
tes s'ouvrent, les Albanais s'y précipi-
tent. On entend ces cris : « Feu! feu!
vive la patrie ! » Le sol s'ébranle avec
unfiracas horrible; trois mille Ipsario-
tes, quatre mille mahométans périssent
engloutis par l'explosion. Les restes de
la population dlpsara, navigant sur
des bâtiments sans gouvernail , se font
jour à travers les ennemis, et se sau-
vent à Syra,
« La chute d'ipsarà ébranla toute la
Qthce; un cri dé vengeance retentit
ddhs tout l'Archipel; le danger com-
mun tdDpfochsi tous les partis, et le feu
de la olâeorde ^'assoupit pour quelque
tempà. Théodd^ Ghloeotroni^ écrivit à
CondoUriotis que le péril de la patrie le
faisait (Yasser pdMessui toute autre con-
sidération, et qu'il mettait bas les armes.
Le gouvernement Gt son entrée à Nau-
plie , et de là prit les plus sages mesu-
res pour repousser l'ennemi. Le peuple
d'Hydra se précipita dans le monastère
où se tenaient les séances du sénat ; un
marin s'avança vers les sénateurs, et leur
cria : < Que faites-vous ? L'tle d'Ipsara
« n'est plus qu*un amas de cendres. Quel-
« les précautions avez-vous prises ? Est-ce
« à nous autres matelots à vous donner
« des conseils ? Nous savons pendant la
« paix savourer le vin dans les cabarets,
« et dans la guerre nous jeter au milieu
< des flammes. Que notre escadre s'ap-
« prête à l'instant; vous verserez votre
«or, nous notre sans, et la patrie sera
« sauvée. » En moins ae deux heures cin-
quante bricks furent équipés; les uns y
apportèrent des vivres, d'autres des mu-
nitions ; tous se disputèrent à qui s'em-
barquerait le premier : on leva l'ancre,
et Ton mit à la voile au son religieux
des cloches.
« La même impulsion fut imprimée
à Spetzîa et aux autres îles de 1 Archi-
pel. Toutes les chaloupes se convertirent
en bâtiments de guerre; la mer Egée
iut en tous sens sillonnée par deux cents
bâtiments de toutes grandeurs ; des feux
allumés sur tous les rochers, en guise
de télégraphes, éclairèrent les moindres
mouvements des ennemis.
« Le 15 juillet la flotte grecque, forte
de quatre-vingts voiles, parut devant Ip-
sara; à son aspect trente-cinq bâtiments
turcs, qui se trouvaient dans le port,
coupèrent leurs amarres , et gagnèrent
la haute mer : « Opprobre, s'écria Miaou-
« lis du haut de la poupe ! opprobre à toi,
« Mehemed-Gazi-Topal-Pacha ! » Il se
met à la poursuite des barbares; il les
atteint, et leur détruit neuf galiottes ;
puis il revient, s'approche d'Ipsara, et,
s'adressant avec le porte-voix aux capi-
taines des vaisseaux qui le suivent : « Au
« rivage, camarades ! » leur crie-t-il. Onze
cents marins f les tromblons à la main ,
296
L*UNIV£ES.
se jettent dans les canots , débarquent
précipitamment, égorgent les Turcs dé-
laissés dansFîle, et se rendent maitres
de la YÎlle et de Palà>castron (1) » Psara
reprise, les Grecs allèrent combattre
pour le salut de Samos, dont ils éloignè-
rent la flotte turjiue et Tescadre égyp-
tienne , qui Tavait rejointe. Samos lut
préservée des désastres qu'elle avait a^
(i) AI. SouUo, Histoire de U Bêvoluiian
grecque, p. 396.
tirés sur Cbio, et qui venaient de fondre
sur Psara. Mais m Psara , ni Cbio, ni
Samos , ne devaient jouir de cette indé-
pendance pour laquelle elles avaient
tant combattu et tant souffert. Toutes
trois retournèrent à leurs anciens maî-
tres , et Psara , après un moment de
malheur et de gloire, est retombée pour
toujours peut-être dans robscurité où
elle avait été de tout temps ensevelie, et
d*où il lui a coûté si cher de sortir.
.>
.K,.\
ILE DE LESBOS
(I)
DfiSCBIPTIO» ETGÉOGBAPHIB DBL*îtB
BB lESBOS.
Position db cette Ile. — Lesbos
(Hételin, MédiJli) est une des plus gran*
des et des plus belles tles de 1 Archipel.
Elle s'étend par Z9* !(/ latitude nord ,
li* longitude est, dans la direction du
nord aa sud le long des côtes de TAna-
toUe, depuis le promontoire Co/ofii(anc.
Cani^ jusqu'au cap Baba (anc. I<ectum) ,
à une distance égale de Ténédos et de
Chlo. La golfe d'Adramitti la sépare
de l'Asie, sans lui Ater la vue de ses ad-
mirables rivases.
Au nord b côte rougefttre .du cap
Baba s'aTance dans la mer, dominée par
une citadelle turque; puis, en suivant la
vaste courbure dugolfe, on rencontre As-
SOS, avec les ruines de ses trois temples,
de son théâtre, de sa jetée gigantesque,
Antandros, où s'embarqua Énée ; 6hry8a ,
la ville d'Apollon Smintbien et de la belle
Briséis. Il faut s'avancer à quatre mille
toises du rivage pour «ttemdre Adra-
mitti, queles flots baignaient autrefois;
cité Qorissanteencore aux derniers temos
de fempire oec, aujourd'hui bourgaoe
chétivcau nulien d'une admirable plaine,
a Tombre de coteaux couverts de vignes
(0 On peut consolter pour lei temps an-
ciens rexœltente monographie de pfehn :
Usbtaeonim Liber, in-S®, xSaO, Berlin; —
Zander, Beitrage zur Kunde der Intel Les^
bos, in-4% 1897, Hambourg. Ces deux ou-
\raees, réunis et fondus ensemble, ont été
traduits en grec moderne sous ee titre : Ta
Ae«Ssaxà {toi t«Ti*p(a ttic vifi^ou AidSov ,
lUTaçpaa^éîga âx toû XaxivtxoUy iiwu^-
^^98 |itTà Swfopttv icpoodifixflAv "mX ixdo-
^im vici EOotaO/bu FcciapYidSou toO Ata-
^ov ; IMff^n, XS49, in-S*. Les additions du
inKfaicteQr se réduisent à bien peu de cbose,
et consistent dans la vie de Théophraste par
Cony, «Ile dn philosophe Benjamin tt quel-
ques instsriptioBs prises dans BcecUi»
et d'oliviers. Enfin le long de la côte, et
en laissant sur la route Pelle-Kévi (l'an-
cienne Koripbas) et Cisthéna, on ar-
rive à des rumes , habitées par des pau-
vres familles qui n'ont pas voulu quitter
la terre natale. C'est là que naguère en-
core s'élevait Kydonia ou Cydonie (Ai-
wall), Tandenne Héraclée, qui renfer-
mait au commencement de ce siècle près
de trente mille habitants, un beau col-
lège dirigé par des maîtres formés à
Paris, et où afiluait la jeunesse grecque.
La giierre de l'indépendance a tout
anéanti. — « Toute cette contrée , dit
« M. Choiseul-GouffierU), exposée au
« midi, à couvert des vents du nord par
« une muraille de hautes montagnes,
« et partout arrosée des eaux qui en dé-
« coulent , est peut-être le plus beau et
« le plus fertile pays de la terre. »
Entre Lesbos et le continent, au sud
de Kydonia, se trouve im groupe d'tles,
connu dans l'antiquité sous le nom
des Hécatonnèses, aujourd'hui désignées
par celui de Musconisi, à cause d'un
polype Qu'on y pèche en abondance, et
dont Toueur n*est pas sans rapport avec
celle du musc. Une ancienne chaussée,
réparée à neuf, de 470 mètres de lon-
gueur sur 4 de largeur relie Kvdonîa à la
J)etite lie de Gromidonisi. On nranchit de
à, au moyen d'un pont volant, im bras
de mer étroit et peu profond , et l'on
arrive à la plus oande île, que les an-
ciens nommaient Pordo-séléne, ou Poro-
séléné. On y voyait autrefois une ville
3ui était admise dans la confédération
e l'Éolie, et un temple consacré à Apol-
Ion. Encore aujourd'hui on rencontre
Quantité de ruines , au milieu d'arbres
nruitiers. Cest avec la pierre de ces rui-
nes qu'on a rétabli la âianssée détruite.
Les Musconisi sont au nombre de trente-
deux, dont lesprincipales, Gappano, Des-
ealia , Codon , Pera , Mosco, Lio , An-
(i) Voyage piuoresaue dans l'empire Ot-
nan , t. IT, 1 34, a* édition.
ioman
997
298
L*nPllVERS«
ghestri, Pjrrgos, sont très-bien ctflti^ëësl
et très-fertiles.
Au sud des Musconisi, sur les côtes
mêmes de l'Anatolie, en face la pointe
la plus méridionale de Lesbos, se trou-
vent trois petites ties connues autrefois
sous lenom d*Arginuses, et fameuses
par la défaite des Spartiates , comman-
dés par CallicrMidàs. Les arldlëti^ dësl-*
gnàient àdàst ëOtis lé tiàth dé L6dcstï Iti-
sulad (leâ im Blaiichei) ifb\i grbè ro-
chers placés sur \ék c6tes de iMiàÈ , âtt
nord-ést dé Mttiietié.
Ué SiMènè (i) pHc^iéill tkÉM ati
sébtièriiè tàtïg {1) mm lés ^tiâ gtaûM
Ûek cbnnùef. Agâthéltiefë feit tttiH
àaékèà A'M, éi M âSàigilë iûnk H
troisiëihâ 1^ stbtihAii (jtâcê. 11 é^ A'aiU
lèui-ô ikocbri âVec St^aboij (jdtir dt-
tribtiëf H LêSbdS ts) 1 Idd ^tad^s die fbUr,
tandis qUT#âtj)ë, tidi dWdihdifë suit
ëjtà^ëinélit Strdbbn, âë Répare ici dé soU
f{iiidë, et iié itcbiiMi à ftlè Ûbé itfod
^tddèl t4l. De tidS iddfè M. Ldpië 8
ti^dd^i iiH àtàm Ai m ad dëg^^, ed
stilvSldt ii&ki i^xilicteifiëtlt le CbHitilir deâ
cJtë^, ^t fâpdd^âptèâdê» ttiësurèSrtiolni
riftpureU^ëS.
b^efillëi tdm de l^flé semble dVditf
fssî dili était, dit-oli, celui d^Unë dé
11. Ah '' ■■^
âeâ kli
ârttvéèdëâ t^ëlâ^gëâ. elle
mima, et lë rdl à dul elle étl était ré-
lètàblë. AU dibdièbt dû Lëâbu^ sùccêdd
sbd bëâd-bèfë, Mclbâtë, elle prit lé ndU
è mm , du*ëiié botk âdtaiit toute
hiamtê |f lëquë, Jdâdù'â l'ébdguë id:
cëHaJBe dû ëllëie ëhàngëa pm cëlUi dé
MMénê. sd cdbltdlë. Ëd^tdtHe, dUl
vivait dii Ammm «lêcië , db^ë^ë m
dëtië iMnSfoMfidtiott à^dit eu liétt tlé-
ihlÈ fim de tedip^.
Dé de fd^ëtit poidt 19 d*aillètufs léS
(t) Ariit, Dt^l K4<r|Mv, t. I, p. 399^
iii-4'' I éditi<m Bekker.
(%) Bboiirl» fufuki d« «ytle ôpinioitf croit
IrMlter Torigifle da nom de ^^bo« ^ans le
nM( pbéaieîen feum^ qui signifie <^/. ( ^0f as
le Dictionnaire ae Trévoux, au mot Lbsbos. )
S Quarante et une lieues.
Toir Pline V, ^z, qui doritie une me-
sure i peu près équivalenie.
sediés éfénoihfalatibns aue porta LesboJ
On l'appela encore quelquefois Himer^
par allusion à ses mœurs dissolues ; L^;
sia, à cause de ses forêts; iEthiope,
souvenir de la domination que Ton
tribue sur cette fie aux Amazones ^ 01
ginaires de FËthiopie; i£gira, du n
â*if^rus, une des villes au nord-«st
Mytilène, etc. Tous ces noms se reacofri
trent plus fréquemment dans les fantaF
slë'â des pbëfes ^(le d^hs les récits félN
diques de Thistoire , et lé seul nom sê-l
TÎedx (]U'alt porté Lesbos est eelui qu'dlr
illustra pendant plus de dix siècles, il
qb'ellè a repris de nos jours. |
Gbooéaphik yhtsi^us. — Cétut
uile tradition ddmiife de plusieurs b»
torteni mie l6rs de la commotion m
brisa les rarrières du Pont-Eiixio, et ni
ouvrit le Bosphorede Thraoe^ rirrupiioo
sdbite dé ses fkfts dans la mer É^r
détacha Lesbos dil cdutifient. Dans cr
système, les groupes des Iles voisin»
ne seraient que les sommets de moiiU-
gnes iubmérgéesi ajrjint fait auUretois
partie de la ehatné de Tlda. L'aspect
physique de Lesbos est tout à fait pro-
pre à confirmer tiétte opinion. ^'liUe|
part { en rffet , de eôtes plus inégales et{
plus toumientéesi et à rinténeuf , de tri*
Ses plus madtfefltea ée l'aotion rioieoie
es tolcdns:
Lesbos est pftnxmraede Tegt àroaestei
du ftchrd ab sud par denx chaînes de mt»
t3iinès{ que leà aneimis aêsiffosient smi
dinérents noitisi Les plus eonsidérabia
étaient lë mtfbt Lépéthym^us « à 1>^*
Ordytenoé ou Onfyiffiua (l) à Touest,
Créon au centre et Oiympos eu sud. Ûi
mentionne encore les monts Macistui,
Syléus (3) , Tantalus (3). Le Lépétiiym-
nus était de toui ,le plus élevé et aussi
le plus remar(juable. On v yoyaitiav
témoignage de Tbistorien lesbten B^
sile, un temple d'Apollon « et une cil^
pelle du béros Lépétbfnmus, qui doa-
HHitson nom à la montagne. Palamèdêi4;
y aval t aussi tm temple et peut-ltre néïï»
00b tombeau. C'est sur le Upélbymnos.
ati fflptim tM Tb0oplmtte{ 4116 s*ét^
i) f béopbr,, Jï««. ^tantar., ÙL lÔ.
) §|rab., Irilil ; irâuclm.,.t. Ill, p. i3o.
!£t. de Èjzance : xdvxeuo;.
^hilostrate. .Éctoic, p. 9x6, élit*
Olear.; Xzeuès, ad Lycopbron., 3é4-xo97-
ILE I^Ë tkËSfièS.
}lit, pottr observé» M fetM, Valàtb-
nome Matricétââ.
Ces chaînes de montagnes, prdlob-
^eant ledrs ramifications jusqu'à Id me^,
ibraiaièint aux tfois extrémités de l*llë
trois càfs : à l*ëât le cap ArgenOuiM^
Iroit en Ùtsè le solM d'Adramjttibnij
1 l'oueSt le cap Sigrïiim ; enfin , au sda
Les diriienâioiis de lesbd^tle Idi pef^
Detteht j^ik d'avoir de srandi fleuve^ ;
nais on V trbdve de nomorèuit toftent S,
i \H âdKrcèà abondent partout. Ld teiri-
{^rature y ëtâli ki dducè, le cliHiât Èï
iâlub^ë . qUe leâ ancienit eti dvdient fdlt
i&ede^iiéS^bHttdéës.
rHodtlt:i:ioAs. — filâlfrfé ld ridiufë à%
0h sol, Le^bos dvdlt été de tOui tëblbâ
ïtiomfflée potir Sa fécondité; ÈeivàtiééÈ
profondes, Sèé vdâtes blalfiei, Ses HcbëS
lollines se èoilVraient d'une puissante
régétâtion. Ld blé de Lè^bos éiaii eêlè-
tl^,^Hoht le blé d'Éréids, dtil ÈHt ikÉ
tiboûâies hièttdit uil é|fi. « La ÎMtiê ld
: t)lus parfdite , cëlie nul est ptépAtéé
avec le trbtbent le tfluà pdf A lé p\uÉ
beail , est à LeSbdS , à Êrésu» , Sdf ^a
> co!lio6 battue ba^ m (lots. La bëi^é dd
ciel oe régalé pas ètl bldbëfaetif : li MU
dieutdlâbgefit dd ^dih,c'éât lit ^ë
vient Tacheter MèrfeUrè (1). *
la trutté Vehdit dbbddaftldlëilt Jlilr M
«iine de Tld^ëà, et ddni le bbthbi M
Mes, rû y aiait débordement, m éddî
D répàbdâient là grdlnë lusqUé Sût tbdi
t territoire (2) de Mit^fëlië. Leâ fiidii-
Ignés dé LftbciS, {dUteS dltibfagêéii de
3rêts , foîiriiiSSaieht, et àti dëlâjé bolS
écesâaire ) la ëobâtf ilëtltiii dèS bdtil-és ;
! h^tre , lé cht^ , lé bld }^ étdlàsalettt
artwit, lé pin Sdrtolif^dtdut de Ptt-
ba , et Pline , âptéS thédphhâStë , rd^*
ôrte,c6mfne une pKfticulifHté fèniilf-
llaUê, qiie le fëudtadi dévbt-é ëèS fdfêtS:
lies repodSSetebt d'ellëS-fiiertieS (3). Lëi
loDtagnèS de rîiè cbiitebdlëiit ënctt^ë
ûêpUlSabléâ càifièfëS, d'btl lëi dti*
léiis tirdiéfit Un ibarbtê tâdbété de ëod-
urs diTè^ëâ, et, bùbidttë BlbS bHlh ,
uifné par le§ St^tUdlreS à l'êgâl dû (4)
(i) ArcheftUate , cité par Aliiénée, III,
. iir.
(a) Fline^ XIX , c. iiix.
n^ IH YVT c. iix.
(3) Id. , XVI , c. :
(4) ld., XXXVI ,
c. VI,
rfiftrteê dé TbdMI. OU j ttmttàt dtiàsi
fd^atë (1) et une pierre noiée (t) que
Yoh noîhrtidit lesUad.
Stli* les cdtéS» lë6 bdles ptofimdes
érëtisëéS pAt la tiatbfe étâiedt peuplées
dé doiSSonS d'éspëèès tdM et ^ber-
ébél, dbdt ld pëëhè flUWentalt le oom-
diéroë des LëSbiedS. Les buttrès de Mi-
tylède d'aVdiëht i^ds dé rtvdies.
Cbnltbë {Productions singulières (S),
Pline pldëè fil LesbbS FéritigiOD blane,
àifpéié par lèS LdUtiS Thërbe uni eent
tdés. L'hbditdë qtli ifodvdk cette blant»
ddbs ëërtdibëS eobdltlob^ éfadt sQr de
Sëflllfëèiirdër, et ce Ait là^ dlt-dn^ le
bbilhëuf dé PbdOtt dObt ê'éptii 29d|ibo.
fibfid TbëdbHrdSte et i^iide (4) déctitem
Ibngdërtlëfit rdffate étbbintdS (ewminim
éuHpàUi dé Llndë) <|ui croissait par-
tledllëi-ëmëbt m roM ymndS. La pousse
db ëSt ed décëbibf ë, ld fldrdismi du pfln-
terbpS. LëS fëttlllël tiëudent le milieu
dbtre lëà fëulllëS de rolitiet et eelléH du
rffëdddiëf. Ld fletif, d'Ubë Odeur fortes
ressemblé d la vidlëttè bldtt(*he. Le ffuit
et les fëuitiéd de cet drbfë sont ttfl pbi-
son mortel dodt léS flbîmfldA.
Mais oë dtii fdiSdit surtout la rtebeSse
d% rflé; (fftélt sbta tiii { ëë vib de Lës-
bdS bdë tbUS léS bbëtèS obt èbflUté :
« Pbût Yokté dernlëf ë e^pe ,- preuëe-
i fbdi d'ttfl f ib tiëUi i blëbobi tf&t les
« dus i tfddt vdUs bduf tfUHleÉ ld tétd
d bdididé d'tibë bldbcbë gUlrldtlde de
é aMÈ, du vtfi bé d LëSlfc>8{ rtle btft-
i tbë pd^ lëS flots. Gëlbi qui tlOtrS vHttit
é dé Bj^bloS^ de ld Pbédlelëf teffë sd-
« crëë^ éëHëdje le prise; bsis Je u'dl
« gaf de de le èoW|£irët i eeltti4â ! tar
« fi tbUt d'abbrtt VOUS f dOfitët SafiS t
A tïn mu lë Vib dUi seutblë avoir le bluS
i (Îb fUbiei^ ëé b'ëSt tfds oëlul de Lesbos.
i Lë Sien , 11 lë trouve ddbs Sd vieillesse
« btJmë. Mais bulfëiÉ toojotif s , et vddS
« bie dièë2 quel ëst lë ibëliieur. Ce b'ëst
« ûibs du Vifi, c'est de rfttUbfuisle. Que
d m fdbfdfubs f Bibs et bdvdrds se uio-
A duëtit et diSëUt : de luue le MUS d<U-
« éiedi est ehcUtë lé vib de Pbftuieie !
I Je b'y ilréndS gdtUë; Et li Vill de
(i)Wlii.,1tXlVl!,fc.LiV.
(a) ld., XXXII . c Lxii.
(3) ld., xlll . fc. II.
(4) Theophr., m , c. itin * Plidë , XlII ,
38,1,
8«e
LUMIVEaS.
« TbaA» aussi esl généreux. Quand du
« moins il a vieilli maintes belles an-
« nées! Je sais plus d'une autre ville en-
« core où la vigne ruisselle aux vendan«
« ges, dont je fois cas, qu'il ne tient au'à
« moi de nommer. Mais aucun vie, c est
« tout dire , aucun n'est comparable au
« vin de Lesbos. Après cela, il y a dea
« cens qui! aiment a vanter ce qui vient
« de chez eux (1). » Cet enthousiasme
du gastronome émérite était partagé de
toute l'antiquité. On renommait surtout
les coteaux de Méthymne et d'Érésus ,
pour le goût délicieux et le parfum ex-
quis de leurs vendanges. Les vignes de
ticsbos n'étaient pas , comme en Grèce
et en Italie, entrelacées aux ormeaux ou
aux (peupliers. Elles s'appuyaient sur
des pieux peu élevés ou traînaient à
terre : « Car (2) les vignes du vignoble
« de rtle sont toutes basses , au moins
« non eslevées sur arbres fort haultz,
« tellement que les branches pendent
« jusques contre terre , et s'estendent
« cà et là comme lierre, si qu'un eoÊint
a ae mammelle, par manière de dire,
« atteindroit aux grappes. »
Le vin de LesTOS était recommandé
par les médecins à leurs malades comme
un fortifiant (8) ; les anciens lui trou-
vaient naturellement un goût de mer
qu'ils prisaient beaucoup et que l'art n'ob*
tenait des autres vins au'à grand' peine.
Tous ces mérites lui donnaient le plus
grand prix. Les Romains , qui avaient
leur Faierne, le délaissaient pour le vin,
de Lesbos , que se disputaient aussi les
marchés de la Grèce et de TËgypte.
Angibhnes villes db Lesbos — «
Avec tous ces éléments de prospérité,
Lesbos dut vite se couvrir de cités floris-
santes. C'est au nord du cap Malée , sur
la côte orientale de l'île que s^élevait
Mitylène (4). « C'est une forte ville,
« belle et grande, environnée d'un ca-
« nal d'eau de mer, qui flue tout à l'en-
tt tour, sur lequel il y a plusieurs ponts
tf de pierre blanche et polie, tellement
« qu'on diroit à la voir que c'est une
« isle et non pas une ville. » Longus ne
(i) Archesuvte, cité ptr Athénée, I,
cb. u, p. a 3.
(a) Longus, II, trad. d'Amyot.
(3J Pline, XIV, c. VII.
parle dans ce passage que de raocieone
ville, située en effet dans une petite De
d'environ un mille de circuit, enfacedt
la ville neuve, placée sur la côte roêoK
de Lesbos. Celle-ci s'étendait daosb
plaine qui longe la mer et sur la collin
qui s'élève au midi. De là elle dominait
un territoire des plus riches et des piis
fertiles. Dans cette position MitylèDe se
trouvait avoir deux ports communiquant
par un étroit canal et protégés en partie
par l'île qu'occupaient les quartiers de
la ville antique :ie premier au mi<li,|i«'
tit et ouvert ; le second au nord , vasti,
profond et défendu par une jetée. Il était
malheureusement aussi ouvert au nord*
est et battu ainsi par le vent qui Tenait
des côtes d'Asie. Mais la ville elle-ménK
souffrait encore bien plus de certaios
désavantages de sa situation , qui par-
fois rendaient le séjour de Mytilène in-
supportable. « Les vents du midi et k
« nord-ouest, dit Vitruve (1), y prodni-
« sent différentes maladies; le veutdt
« nord les cuérit ; mais alors il est ou-
€ possible de rester sur les places m
<i dans les rues , tant le firoid y est n-
« goureux! » Néanmoins la grandan
de l'enceinte de Mitylène, la beauté <ie
ses édifices, le nombre et l'opuieDced-'
ses habitants (2) l'ont toujours fait regar-
der comme la capitale de Lesbos. Elit
comptait parmi ses monuments les pic
Splendides le Prytanée, et le tbeâtn.
ont Pompée prit le modèle pour le re-
produire à Rome.
En descendant vers le sud, on fran-
chit le cap Malée. La côte se cireuse alofs
et s'enfonce profondément dans les ter-
res en formant un golfe, au fond daque^
s'élevait la ville d'Hiéra. Cette ville èuit
déjà détruite du temps de Pline. Il ea
était de même au temps de StraixHi
de la ville de Pyrrha , qui, à rexocp*
tion d'un faubourg, était complétenKct
anéantie. Elle n'avait jamais eu d'aiileim
grande importance. Elle était sitoée;Hi
nord-ouest d'Hiéra , au iKûnt le moio)
large de Lesbos, à l'endroit où Hie s^'
ble se tordre .sur elle-même, et rappi^
cher ses deux* extrémités , pour former
un golfe profond et presque fermé. L0
(i) Vilniv., I, c. 1.
(a) Barthélémy, Toydye ttJnec/umL.
ch. III.
ILE bE LESBOS.
80t
eaux de ee golfe sont si froides , seloh
Aristote(l), au'en hiver les poissons
8*en Tonttoos, a l'exception du goujon, et
s'en retiennent arec le printemps. Cest
dans œ golfe que viennent pondre tous
les prâsons qui vivent sur les odtes de
Lesoos , tant ceux du golfe même que
ceux de la pleine mer.
Entre le golfe de Pyrrha et la ville
d'Ërésos s'avançait le promontoire Brisa,
que surmontait une statue de Bacchus*
}jà ville d'ÉrésuSy située sur une colline,
descendait jusqu'à lamer,etavaitun port.
De là on arrivait, en suivant la côte, au
eapSigrium, puisa la ville d'Antissa (3),
ainsi aommee de ce qu'elle avait été
fondée, au temps où Lesbos s'appdait
Issa, sur une petite tie, depuis reunie à
la côte voisine. A l'extrémité nord-ouest,
en face tes deux villes de Polymédium
et d'Assus, situées à une distance de
soixante stades sur le continent asiatique,
se troavaît Méthymne, la seconde villa
de nie, qui pendant quelque temps
avait essayé de disputer le premier rang
à Mitylène. Malheureusement les histo*'
riens anciens ne nous ont laissé absolu*
ment aaeun détail ni sur sa grandeur ni
sur ses monuments. Sur le territoire de
Méthymne s'élevait la ville de r^apé, et
n<m loin de là sans doute Arisba , une
des shc srandes villes que les Éoliens
avaient fondée à Lesbos. Les Méthym^
néens l'anéantirent, en réduisirent les
liabitants en esclavage , et s'emparèrent
du territoire, qu'ils réunirent à celui de
leur cité. Enfin, en se rapprochant de Mi-
tylène, on trouvait encore, à vingt stades
de Pyrrha, Œgyrus , et plus bas Aga-
mède, villes inconnues, dont la dernière
n'existait déjà plus au temps de Pline.
Quelques commentateurs ont parié
aussi d une ville qui aurait porté le nom
de Lesbos; mais ou elle n'exista jamais,
ou elle disparut si vite qu'elle n a laissé
aucune trace dans l'histoire.
Lesbos moderne, ou Mételin. —
En mer, l'Ile de Mételin se présente sous
un double aspect. Sur la côte occiden-
tale ce ne sont de loin que montagnes
incultes , collines rudes et pelées , pré-
(() Hîst. des Animaux^ 1 1» p. 6ai ; Bek-
Ver. Toir aossi p. 548, 6o3, 544 i où le
in^e «dieur indique d'autres particulwiléi.
(a) OTidc, Métm., XT, aS;,
eipices et rochers nus; le voyageur qui
vient de Gonstantinople ou de Smyrne
s'en éloigne à toutes voiles , de peur que
la tramontane ne le surprenne en vue
de rtle et ne le force à s'y réfugier. Mais
si, au contraire, doublant la pointe de
terre (capo San'Maria ou AmcUl\ qui
s'avance du côté du port Olivetti, on
s'enfonce dans le canal qui sépare l'île
de l'Asie , il n'est point d'aspect plus
pittoresque et plus enchanteur que la
eôte de Mételin.
« (t) Des bois de pins et de chênes
« couronnent la cime des montagnes ; au
« penchant des coteaux Jusqu'à la mer,
« on ne voit que des forêts d'oliviers ,
« des terres couvertes de moissons ,
«des vignes au pampre vert, des jar-
« dins plantés d'orangers et de m}[rte8.
« Des villages bien bâtis , des maisons
« élégantes et peintes en rouge se mon*
« trentçà et là entre les arbres touffus. «
« (2) Après avoir eu si longtemps des
« vents contraires , je me plaignais que
« notre vaisseau, poussé alors avec rapi-
« dite par un vent en poupe me dérobât
« trop promptement cette vue enchan-
« teresse. » Au milieu de ces paysages
apparaît la capitale de nie, Mételin, l'an-
tique Mitylène, qui n'est plus aujour-
d'hui qu'un grand village. L'île d'autre-
fois est maintenant réunie à la terre par
un isthme, sur lequel est bâtie la ville, qui
s'étend de là sur les deux côtés du rivage
et jusqu'à la montagne. Un beau pro-
montoire escarpé du côté de la mer au
nord-ouest, et en pente douce vers la
ville, sépare deux havres très-coramodes,
mais que la négligence des Turcs laisse
encombrer par les sables. Le plus grand,
qui est encore aujourd'hui fort beau ,
n'a plus à son entrée que douze ou treize
piecb de profondeur, et deviendra bien*
tôt impraticable. Il est dominé par un
magnihque château fort (S) , l'un des ou-
vrages les plus étendus et les plus pnrfaits
qu'ait laissés le Bas-Empire ou la domina-
tion des Vénitiens. Il est défendu par deux
rangs de murailles à créneaux, tort été-*
(i) Michaud et Poujoulat, Correspondance
d'Orient, t. I.
I (a) Didot , Notes d'un 'voyage fait dans le
Cevant, p. 368.
(3) Dailaway , Gonstantinople ancienne et
moderne, t. II , p, 199..
î-WI¥F¥i
aptrpfpi^ pjnfl pu Mj c§»Ujaw?§airef,
£ étajf pop ^spèp6 0^ f ||lp , gt |p noifl
ppjpi de Wéffilm. pafij )^s jjerïupre^ (l)
«HÇWS >y»P W MWli PP j» P» i'if}^
d élever autour de la ville ppj^ fiii|fail ^|
^ gr^i^dy frpis y pt aux d&cp« def habi-
tantf ; q^\^ pp Dp P^ut ppnnpr à pç po^-
S4pf QM^r^gp Je npi?i 4^ forti|ipat|Qas.
Le? rues de W^feljq pqpt étjrpiù? ef ga-
lei^; pUp se ppn^ppppp^ 4e 7Qp fpaj^onf
gfpcflW» 5 4P0 tprqpep ; on y tfpuvp ^9
P'H» 9ft P» 40 &piï|ï^ JMÎy»; eq tfluj
a Pfu BW 9 OH 10,opp h?f)ifants,
D'aiUeMry, aupuq mopufpeqt)rproa|rf)||a-
We, aupuiip ip[)9gp dp i^ gmfïpuj ^pti-
QHP. Lpç çuiqes ip^mp opt p&i. qéjà du
to?JR8 (?) ftp Ppcppkp p^ 4p Tpnfpefrr);
OP P f voy^l^ flup rfps trpugpps depolon-
npf , la plMPfipWp jp^r^re ftlapp, flpplflups-
ufîff gris cpnfJrp pu dp gr^P f. panpejees
^P 1)^PP$ arpit^ QP po ^pirP qs, pp nom-
brp inprpy^We pp cl^ppùp^p^t, 4e fn§eç ,
d^. fiJ^o^^J^u»» d^ fragpîeq» cJ'»P?r
»r»PQPps plps pp piDÎp^ iï)uti|ép^. ftiep
# U)p( fcpla pp ^p rejFpiiyp ip^iotppan^,
fit 11 y a IPPg^^fPR? t|wa qpp 1^ ypy^:
gpprs C9} sp piaigDPpt dp )ppr dpg^ppQin*
tpnieq^ A ppine rpppontrQ-t-pueacorp
fe|(]pp9 r^r^ç rtpbriP de cq|Qii|ipg p^ dp
ap»f^HJf> prèf ri» château fyn ; dan«
., yjlip. Mf rP»pp^ d MPP felige dédipp
a $afpt |lQch, pâtip aypp les jr^^tps d Pff
tpptplp d'AppIlop dpp( les cqlpflpps gi-
sçpt a îwre; ^ l-pp^rép de Jéglisp épi^-
copale, upp pbaUe i^ptipi^p 4*pp spq)
I^Iqp dp mpjfbrp planp , curipmie pajr ^pp
f^pMqpitp p( çpp ^ràv^il , qui ppf^p ce^fp
Ifi^nptjpp, citéppiur touç jps yoyagpqrs :
chaw Uç p.ofamqn^ fifi <te l^spQï^ipix;
ep(ip , dap3 upp piosquép , ua piarl^rp
eç^m, flup la tradition dpppp oppip^p (p
cerpuell de Sapbo. Ep^rp le^ moutagn^ ç,
à une lieue et demie au midi de Méteun,
(i) Michaod etPoujouIat, Cqrrespondanc^
d'Orient, t. m,p. 3P7.
(a) Tournefort, t. I, p. ^$8. (P^ria,
1707, in-i".)
(3}DalIawayy n, p. i3o,
F^Jîf,.y!'!*??.,f.?.Ç???i-*^!?^f
)opté9 4'H^ trpifièipe Pimg pp \\T^n\
^u nord t ft (jf PÎ »^^ à ùpH ôr^ dt!
i villp, unpb^Ile pqloppaap, qomlei
piédestaux sont de)^put ppcorp , condui-|
s^\ à dep bfiijç cfiqpd? , dopf Tçau es:
beapf^qup plus salée qup pellp ^p Ifi mer.!
Qtqqi ^ujpurd'bui, comme ^P^^^^i^*
§P"t pijQprf ^fès-frpqpênîp§.
, ^Èfm 4? Wfp^fû 9p R9|rt oum\
(pu Ifiefo) e^t fie^ pjqs pmorpsquci.
Ppndjipl plupifiurç MMrpf la ^fpptp g ou-,
Yfp ^ iw^fj^ dp ricbe$ plantations d'oii-l
yiprs, protpgéç p Ippjr rapjnp, sçlooli
pipdp du pay?, par dp ppljtp? €pcekiti|
4e pipwpç ; 4p$ cptpap j cppverl? de ïr
gnes, fl6$ppis, pt 4e tpWRS en ien;j»
f P W '? KHejlP )a <^Pr» qui Pépètre dau
Ips tprreç p( fprfpp dp pçijtfs pp#p* d'un
grapippx aspect.
Lp ppr^ ùliyetti a $on ouy^turp pqs
4p Ifi ppin^p pnenfalp 4p i'jrp, à §ix Upi*
i|M nprd du cap Çqlom, qi^i § pyapcç di
pontmpnt pe r^natqlipap uprd* )L eptrti
pp esf ai^spjs diffipi'p i f t « étfpite qu ùHi
ne la dpqouvrp pas fapupm^fl^ de la ïm-l
iJnp {pis francipe^ , Ips 4P"^ poiotps ii(
tPfre qui pn fqrméqt rpmbopcliure ^ jî
fapprpciyppt fi\ $e recoujrbppt en d^qui.
dp sortp qp'on np yp|t plus d issue. Cifl
dirait ajpc^ un jpli lac dont ips bords,
fjpguliprpfppnt gracjepx \ s'prrpndis$erii
fihtrp d^? niontagQes e^ des forêts do-
iyjefV. jD'ps^ spp$ ponte un des plu$ vas-
{P^ W^i flP^ l^iii^tpr^ ait fprinés, pui»-
Îp'|l fioptippdrait aispmpnt toutes te
|pt(p§ de ri^ufppe (1). Il a plqs dedcui
ippps dp long gup qnp liepp de lorï^e,
§\, pn pppt y dopppr huA partout sur
gpinzp pp ^ize b|rasseç U pau.
)?pp)r aller du port au vîUagp, 00 tra-
yprspune plaine magnifjquiî,cQuyerte d'o-
liviers d'une grps^pur rppiarquable î3;i
ppis on gravfi la montf|^np, couverte de
yigpe?' et d'arbrp? irHftipfs. Le village
est daps unp bpprpq^e np^itiop. 1^ 0^
bitapts, Grecç popr la plupfurt, oiU
r^if* aisé et pontept ; le cômmprce du
golfe fournit à tous leurs besoins, es
^i) Djdpt, Notes ^tm Vojog^^ p. 3é.
(aj f'oiil^nief , Voyage^ en Oriçitf de t»'
nu i8ai ai ^g^^, UÏfg* ^^
iLB m himos.
303
)|MiIe Wi^nvM « qu'ils fybpiqu^n^ iUlc-
QiémM. ft I^ i)4Mffl«pt» (i) )» viAf)a0pt
< r«ca9i)lir 1^ , m^lsr^ lp# malédictions
• de; Ture9« et malgré 1^ pinq ou i||x
« douane, qui spot p\m^ à trois bSP-
« nîs de marche ds Ms^elip. »
De» iteQtJei:» déliÂJeus, secp6iit«Pt SAVS
le f^iiiJUgp de myrtes tQfiftqs, ou sus-
peadii$ aii-des8ii9 d^ imifi» pittArtfflue»,
oooduiMQ^ à Fq4A Cplppi ()^rip}i« Pyr-
rhsus ). C'fist une tW-g?3RdQ 9P^, peu
fréapeniée, qui ^*eK4Qee h près de gue-
tte lieii^ dws )es \^m% > mr upe lieue
de lai^. 4m fopd s'pum une y^ite
piaioe, qui produit 4i)qud4ipiuenl du t>lj^
du eutop, dep uliseg, des Qgues et des
légumes de toutes eejiiàpas. Ou y prouve
plusieurs yilisges, qui suuitrès-peu han-
tés (8). i^'air y est m\è ; le^ Hèvres iuter-
mitteatoe et les Mvyes pMtri4e« y sppt
à demeure , comme la lèpre* l^es prq-
priétaires des champs évitept d'y f^ouf-
oer, et s*étdhlis»eut soit À Méteiia^ soit à
Molivo. Il n> a eu ept eudroit que des
colons salariés.
£n snivaut le c£te , le Ipog des jnuu-
tagnsssaus v^utipo, op trouve ^isiP
( Ërésue ) ^ située eujourd'bui à pris de
deux iieues de la mer. C'est uu boutg
de deux cents maisoQS , entouré de quel-
ques champs d'orge ou de frpmsnt , Â^
vignobles et de plaptatious d'oliviers.
Depuis le bord dp la mer jusqu-au péa-
cl)ant des colUues au sud-est d-frissot
OD ne voit partout que ruines ou tv^ft
mentede marbres puliquea* G est |^ qM>
uit Êrésus; il est facile en(»>re de suivie
la trace de ses mpraiUes. A un quart
d'heure de la mer se présentent les rui-
nes d'une chapelle grecque» bâtie elle-
même aYce d'anciennes ruines- f De
< quelque cMé (3) qu-on porte 9es pas»
«CD rencontie des chapiteaux et de
< vieux débris , des colonnes de marbre
• blsoc ou de grenit enpore debout* •
Près de là , du cdté de la mer, s'élère
une petite montagne de forme conique,
baignée an midi par les flots. A çon spm
met était coasunûte rancienne citadelli
le
(i)I>idot,p. 371.
{i) Olivier, Voyagé dans tMmpin Otio*
u , 1. 1, p. a65, iQ-4^.
(3) Midieud et Ponjpeist, t, I, p. 3aa«
iTÉr^. Oene les iHbm ihm tqur
yeiUe un musulman» chargé par Pesa au
yillege designajer les payireii qui entrent
dans la beie d'Srieso* L'ancien port a dis-
Iierq ; la m^r chaque jour se rptiredevant
es tables amoncelés par les vents qui
descendent des montais et par la pe-
fite {rivière CaHagr^, qui à queiaue dis-
taqce de Ip baie va se perdre gans un
étang couvert de roseaux.
Au nord d'Éresso se trouée un fort bon
port, formé par de petites ties. L'entrée
sepleptriionate en est basse p% ét|»ite ,
et les grands vaisseaux n'y peuvent pé-
nétrer que du midi- Entre la pointe mé-
ridionele et le port méiue s'élève un
grand « et haut rocher, epvirenné 4e
F plusieurs eutres à fleur d*eau (i) «.
Quand spuSle le vent du nord, le vent
renvoyé nar fset obstacle rend l'abord
très-diffictle aux veie^ux.
Toute cette côte, d'pn aspect inculte
et sombre, s^'égaye en approchent vers le
nord. Lea montegnes» noires et dessé-
ebéps » se couvrent de verdur^. Les val-
lées» jusque là sapvsgeSf se garnissent
d*arbres; la végétation repérait» et de-
vient de plus en plus riche et vigoureuse.
Sur le bord de la mer» dans une petite
plaine, ceinte de montagne volcaniques,
se trouve Pétra- IC^ est que petite bour-
gade près d'up port très-peu fréquenté,
qui doit «on nom à un gros rocher gra*
nitique isolé au milieu pu village- ^Jn^
vingtaine 4p fomill^s grecques ou mu-
eulmanes en composant |a population.
En suivant la plaine au nord on prrive
à Uolivo ( Méthymne)» Mfie ap bord de
ie mer » sur le penchant dune colline
poomo^ée de rochers dp basalte. Les
maison^ s'écl^eionnent en degrés pitto-
resques sur les flancs du coteau, qui,
par une pente douce, s'abaisse vers le
couchant, et forme à la pointe de l'île une
espèce de plaine peu étendue, mais très-
fer tjlp. C'eçt là qu'éta|t l^értypipe; les
fondements des murailles au midi de
la montagne, des décombres d*aoegrosse
tour, à quatre milles vers l'orient sur le
rivage, et (es rqines d'un bain, c'est là
tout ce qui reste pour en attester Teni-
placement. Le cap sur lequel est Molivo
forme » avec la petite pointe de terre qui
est au midi, une baie au sud-est, pcoté*
(1) Dapper, Peseripi,^ têc,, p. e33.
S04
L'OHIVERS*
gée eontre les veatM par une petite tk.
Au miliea de la ville s'élève ua rocher
inaocessible de tous côtés, excepté au
nord, où les habitants avaient coutume
de se réfugier avec tous leurs biens, quand ,
ils étaient attaqués par les corsaires. —
La position de Molivo est une des plus
belles de Tlle. L*air pur dont on y jouit,
Tadmirable spectacle que présente la
côte de l'Asie et les vastes contours du
Solfe Adramitti font de cette ville un
es séjours préférés des Turcs. Molivo
compte à peu près deux mille] cinq cents
habitants.
Tout le reste de la côte qui s'étend
'à l'orient, de Molivo jusqu'à Mételin,
est d'un aspect délicieux. Mais c'est un
pays délaissé, sans culture, sans com-
merce. Au milieu de cette belle nature,
à peine rencontre-t-on quelque pauvre
village inconnu, ouelque masure chétive
de pâtre ou de pécheur; toute l'activité
de rtle a reflué vers Mételin.
Si maintenant on pénètre dans l'inté-
rieur du pays ( bien peu de voyageurs
ont eu ce courage ) , ce sont des mon-
tagnes tristes et noires, couvertes d'é-
paisses forêts, ou affreusement désolées ;
des vallées semées de pins, de chênes,
d'oliviers: de rares plaines aux épis jau-
nissants ; quelques champs de coton ou
deealamboc ; ça et là des plants de tbvm
et de serpolet, ou d'autres herbes ché-
tives , flétries par la tramontane ; par-
fois, à l'approche d'un village isolé, de
gracieux vallons parsemés de jardins
rustiques ou de masures aux murailles
de terre, de profondes allées de tamaris
ou de lauriers-roses, et de longs peu-
pliers au bord d'un ruisseau; puis la
montagne recommence, et les cnemins
horribles , à travers le roc ou le lit des
torrents.
II.
HISTOIRE AI9GIE17IIB DB tESBOS.
ANCIBNlfBS TBABIT10R8. — L'hiS-
toire de Lesbos, comme l'histoire de
toutes les cités grecques, n'a pour origine
que des traditions incertaines ou de fabu-
leux rédts.
Llle était déserta, dit-on (1), quand
y aborda Xanthus , fils de Triopas. Parti
(i) Dîod. de Sicile» T, 8i.
d'Argos , à la tête dHine colonie de Pé«
lasges , il se dirigea vers la Lyde . y de-
meura quelque temps, puis, emmenant
avec lui ses compagnons , il vint débar-
quer à Lesbos. Dès ce moment rfie,ap'
pelée jusque là Issa, prit le nom de Pé-
lasgie. Sept générations s'étaient à peine
écoulées que le déluge de Deucalira
inonda la Grèce. Lesbos eut surtout i
souffrir de cette catastrophe, et sa popo-
lation fut anéantie. Elle ne fut pas long-
temps à recevoir de nouveaux habitants.
Macare, l'un des Héliades, ayant tuésoa
frère , ^T'exila, et vint s'établir à Lesbcs,
dont la beauté l'avait séduit. 11 ameasit
d'Achaîe une colonie composée partia
d'ioniens, partie d'hommes de toatti
races , accourus de tous côtés autour de
lui. A peine installé dans sa nouvelk
résidence, Macare, grâce aux richesses
de nie et à la justice du gouvemermot
qu'il y établit, se trouva assez puissant
pour conquérir les tles voisines et œ
eirtager les terres à ses compagnons,
ientôt la colonie se grossit par l'arrivée
de nouveaux émisants. Lesbus, Gis ds
Lapithès, conduit par l'oracle, aborde
dans llle, et est accueilli avec amitii
Sar Macare y dont il épouse la fille. Ln
eux peuples se mêlent, et vivent frater-
nellement. Alors Macare songe à étendre
sa domination : il envoie à Cos un de
ses fils, un autre à Chio; un troisième,
Cy drolaûs, se dirige vers Samos, en divise
les champs à sa troupe, et r^ne paisi-
blement sur l'tie. Enfin Leueîppe, astt
unegrandemultitudede colons, uébarqui
à Rhodes : l'Ile était presque déserte; le
petit nombre d'habitants qu'il y trouve
l'accueillent avec empressement. Partout
la domination de Macare est acceptée
sans r^stance. Le bonheur en effet
dont jouissaient ses États semblait ^
un don de ces dieux dont on le disait
descendu (1)- Le continent de l'Asie à ee
moment même était en proie à des
fléaux de tous oenres; les tremblemeoU
de terre, les déluges, puis la famine,
suite naturelle du trouble des éléments^
puis la peste, en avaient fait une solitude.
Pendant ee temps les tles, rafraîchies
par les vents de mer, couvertes de riches
moissons , se remplissaient d'une popu-
lation accrue sans cesse par de oouvell«9
<i) Hésiode , cité par Diodore , V , 8>*
ILE DE LESBOS.
305
eoknîeg.La totUité des terres, Theu-
reose situation des eampagnes , l*excef-
leDce d*un air pur et toujours renouvelé
temblait en avoir ùàt le séjour de la
richesse et du bonheur. Aussi les Iles qui
formaient le royaume de Macare furent-
îll«s bientôt connues sous le nom d'Jles
Fortunées (1). Le créateur de cette féli-
i\é voulut la rendre durable , et publia
m constitution qu'il appela le Lion,
somme pour lui donner la force de Fa-
ûmal dont il lui donna le nom. A la
nort de Macare, Lesbus, son gendre «
toi succéda, et Ttle prit dès lors le nom
leLesbos.
La tradition parle |>lus tard d'une
Imazone, Mvrine, qui aurait conquis
Lesbos et fondé Mitylene , en l'honneur
le sa soeur. Mais ce n'est là qu'un de
xs souvenirs poétiques qu'on retrouve
Rir toute cette cdte de l'Asie, à Cyme,
i Smyme , à Êphèse , et qu'aucun histo-
lien o*a pris la peine de préciser.
Puis viennent les temps de la guerre
le Troie. Lesbos était alors une des lies
es plus riches et les plus florissantes de
i mer Egée. Ulysse (3) v aborda avec
es Grecs. Défié au oomnat du pugilat
lar Phiiomélide , le roi inhospitalier de
(^bos, il le tua, aux applaudissements
le l'armée confédérée. Achille (3) non
dos n'oubUa pas Lesbos dans Us courses
iventureuses par lesquelles il préluda
hsiégedcTIroie. 11 paraît que lorsqu'il
Aorda dans Itle , elle avait passé on ne
ait comment sous la domination des
[roveos ; elle faisait partie du royaume
le Priam , et était gouvernée en son nom
Mr le roi Phorbas. Achille le tua, et
nmemi captive sa fille Diomédé. I^ics
«maociers des âges suivants, enjolivant
e récit d'Homère, ont raconté que les
Mbitants de Méthymne opposaient à
iebille la plus vive résistance , quand
iû secours inattendu lui vint de la
nlle même. Pisidioe ( c'est ainsi qu'ils
^^nient la fille du roi ), ayant tu le
KTOsdn haut des murailles, une violente
(0 Max^wv v^9ot. On y comprenait sous
» nom LedxM , Ghios , Samos , Cos et Rho-
«• (Diod., y, Sa; Pompooius Mêla,
, W Hoai.,//iW., XXIV, 544; Odris., IV,
^i ; Eustmth,, ihid.
(3) Hon., llùid., IX, 66o.
30* Uvraiion. (lu dk Lesbos.)
passion s'empara de son cœur. Elle dé*
pécha sa nourrice vers Achille , promet-
tant de lui livrer la ville , s'il s'engageait
par serment à la prendre pour épouse (I ).
« £lle lui livra les clefs de sa patrie...
« Elle eut le coeur de voir en face ses
« parents frappés par la lance de l'en-
« nemi et le cortège des femmes esclaves
« entraînées aux vaisseaux étrangers ; et
« tout cela pour devenir la fille de Thétis,
« la déesse des mers, pour entrer dans la
« famille des Êaddes , pour habiter le
« palais de Phthie , épouse honorée du
« plus grand des hommes ». Mais
Achille une fois maître de la ville, in-
digné de cette action odieuse, fit lapider
Pisidice par ses soldats. — Homère (2)
nous montre encore Ménélas, au retour
de Troie, s'arrétant à Lesbos avec Dio-
mède, « incertains s'ils devaient naviguer
a au-dessus de Tâpre Chio, en côtoyant
« l'île de Psyrie et la laissant à leur
« gauche, ou naviguer au-dessus de
« Chio près du promontoire élevé de
tt Mimas ».
Colonie bolibnnb; lbs Pbnthi-
LiDBs. — La guerre de Troie fut dans
toute la Grèce suivie de bouleversements
politiques , résultats naturels d'une lutte
2ui avait remué tant de passions et tant
e peuples. A la suite des mouvements
violents qui survinrent ,. des populations
alors vivant sur le continent européen,
les unes se trouvèrent réduites en escla-
vage, et disparurent; les autres y jetées
hors de leurs demeures, cherchèrent
une nouvelle patrie. C'est l'époque des
erandes migrations, et c'est l'époque où
fut renouvelée toute la côte de l'Asie Mi-
neure et en particulier Lesbos. Une (3)
colonie part d'Argos, dirigée par Oreste,
qui meurt en Arcadie ; Penthilus, son fils,
la conduit à Aulis pour y préparer une
flotte; il est rejoint en Beotie par une
partie des habitants de la contrée et par
un certain nombre des conquérants Béo-
tiens , revenus avec les Éoliens d'Ame.
Le gprand nombre de ces derniers ou
leur influence dominante fit que l'émi-
gration, composée primitivement d'A-
(i) Partbéaiiu. Narraiiones amaionœ,
(Mjrtfio^raphif ea, Westermann, p. 173).
(^)Odys„ m, 169.
(3) Straboo y Xni , p» CSa \ Tauchn., Il ,
x36.
30
806
L'UNIViaS.
ehéens fut considérée dès lors comme
une émigration éolienne (1). Mais Pen-
tbilus ne put la conduire que jusqu'en
Tbrace. Échélatus,sonfils,traTersel Hel-
lespont,et s^aTanee jusqu'à Gyzi<|ue (cent-
quinze ans après la cuerredeTroie). Enfin
Graîs, fils d'Échélatus, renent dans la
Péloponnèse recruter de nouTcaui colons
parmi les Acbéens et les anciens habi*
tants de la Laconie; et retournant en
Asie Y il s'avance à l'aide de ces renforts
jusqu'au Granique ; de là il passe avee
d'autres cheft dans l'île de Lesbos, dont il
s'empare (cent-trente ans après la guerre
de Troie). Une quatrième bande, sous la
direction de Cléoûs et de Malaûs, des-
cendants d'Agamemnon , s'établissait
vinct ans plus tard sur la cdte de l'A-
sie Mineure, et y fondait Gyme. Cest
ainsi que les Eoliens se trouvèrent
roattres de Lesbos et des rivages voisins.
Leurs plus anciennes villes sur le con«
tinent furent Cyme, Larisse, Néon-
ticbos, Temnus, Cilla , Notiuiii , CMËgi-
rœssa, Pitane, JSges, Myrine, Orynee,
Smyme, qui, an témoignage d'Héro-
dote (S), ne fut occupée que plus tard par
les Ioniens. Les onse premières villes ,
jointes à cinq villes de Lesbos et à une
autre ville des Hécatonnèses, formèreitt
ensemble une confédération, dont furent
exclues les villes secondaires, qai s'étaient
élevées près de rida. Les cinq cités de
Lesbos qui y participaieiit étaient Biity-
lène, Méthvmne, Antissa , Érésuset Pyr-
rha. Arisba (3) était déjà tombée an
pouvoir des Méthymnéens ; les autres ,
telles qu'Issa, Penthilé, Xantbus, Napé,
Lesbos, si jamais cette dernière a existé,
n'avaient aucune importance.
Bientôt le continent voisin dut rece-
voir tout l'excédant de population et de
richesses qui sortit de Lesbos et de
Cyme, ces métropoles des villes éo-
liennes. Tout l'espace compris entre
Cyzique et le Caîcus, jusqu'à THermus
même, se couvrit de leurs colonies.
Toute la Troade était peuplée d'établisse-
ments lesbiens; des elles mityléniennes
(x) Certains auteurs veulent que Pentliilus
et même Oreste soient allés jusqu'à I^esbos.
Piadare Nem,, XlyV. 34 ; Pausaniat , III ,
a-i, etc.
(a) Hérodote , I , c« i49*
(3) Id. I, i5i.
bordaient tontes lea ottes dn golfe d'A*
dramytte; c'étaient Gorypbantls, Hé-
radée, Attée, et bien d'autres, que
Strabon ne mentionne pas, Antandroi,
Assus, Gar^pra, Adramyttium, Cilla,
Chrysa; Sigée et Achiileum avaient etc
construites par les Mityiéniens avec la
débris d*Ilion. Tout ee pays étoit Us-
bien par la population, les moeurs, Iri
intérêts; et les insulaires de Lesbos
avalent quelque raison de le revendiqwi
contre les prétentions des Atbéaiens.
Enfin, jusque dans la Chersonèse,lci
habitanu de Sestos et de Madytoi r-
connaissaient pour leurs aïeux les Eo-
liens de Lesbos.
A Lesbos, comme dans le reste de b
Grèce , il est vraisemblable que la pre-
mière forme de gouvemeuMat fut li
royauté Les descendants des aneiett
rois formaient à Mitylèae la fanilk
puissante des Penthilidee« du nom it
ce Penthilus, fils d'Oreste, que la tradi-
tion faisait mourir à Lesbos, et à qui
l'on rendait les plus srands bonoeurs.
enorgueillis de la noblease et de ïm-
Suite de leur race, les Penthilides se res-
irent insupportables aux Mitylénienst
et un jour qu'ils parcouraieat les mts
en frappant à coups de massue ceux
qu'ils rencontraient, Mé|^ès, aiiéde
ses amis, les assaillit^ et un massacra (11*
Dimensions dbs Lbbbibns; Gov-
VBBNBMBNT DB PiXt ACOS, — Par Ï€k*
tiaotion de cette famille où ae reeruUJt
la royauté, toutes les esnàranccs et
toutes les baines se trouvèrent rani-
mées. Dans chaque ville des factions s ^
levèrent, et la lutte s'engagea entre le
parti populaire et le parti dea craods.
Cbaque cito]^en se crut le droit de goa-
verner sa cité, et cbaquB cité celui
d'être la première de 111e. Méthymae
tint longtemps tête à Biitykne , et Hitr*
lène, enfin victorieuse et souveraine, ua
impitoyablement de sa victoire. Les lois
les plus rigoureuses furent portées eoat»
les vaincus ; toute liberté , toute partici-
pation au gouvernement fut enlevée aux
autres cités \ la moindre révolte fut sévè-
rement punie ; toute défection entraiaait
un châument terrible (!S0. La ville coa-
pable était vouée à l'ignorance ; défeni^
(^
l
i) Aristote, PoUtiq.,
Il) Élien, yil| c* sr.
I., ir,9, !•.
ILE DE LESBÔS«
toi
ait frite dV aypNlidre à lire aux en-
Dts. Mitylène, épuisée par son despo-
me même, devient à sou tour la proie
) urans qui se fucoèdent sans obstacle.
QUI, secondé par Cids et Antiménide ,
I frères du poète Alcée , Pittacus dé-
rre sa patrie en égoraeantMélancbrus,
ni roppriniait( 61 S). Ensuite commeoce
ne période complètement inconnue de
ittes intestinei ; on désordre efifroyable
pe à Mityltoe. Après des fictoires et
es défaites saccessives du parti popu-
lire, des tyrannies d*un Jour aussitôt
WTersées , on retrooTc Alcée , le chef
B parti des grands, qui , exilé , s'est mis
la tête des autres proscrits, et tente de
entrer de force dans sa patrie. Alors
» Mityléniens , dans l'intérêt de la de-
nse commune, défèrent de leur plein
ré la tyrannie à Pittacus. Cette tyrannie
jw ne donnait pas la Tiolence , mais les
Bres suftrages des citoyens, avait un
Offi chez les Grecs : c'était l'asym-
>ne (1). « Elle différait de la royauté
chez les barbares, non pas pour n'être
pas fondée sur les lois, mais pour
< D'être pas héréditaire. Car les uns
' afaieot l'autorité pour tout le temps
de leur vie, et les autres ne l'avaient
que pour un temps limité et pour
^rtainsB entreprises déterminées. »
?<Ucu8, nommé pour repousser les ban-
Mi accomolit rigoureusement cette en-
<'^i[ue; il honora sa victoire par une
Bûistie complète , et, une (bis sa patrie
Hivée, il obéit à la loi en déposant le
•W'oir ( 591 ). Ses concitoyens furent
««tôt obligés d'avoir de nouveau re-
UIP à sa sagesse. Les Athéniens prê-
tant que le territoire d'Ilion n'appar-
Jtait pas phis aux Éoliens qu'aux autres
*^qoi avaient pris part avec Ménélas
^destruction de Troie , s'étaient em-
BJ* de Sigée. Les Mityléniens se rcnfer-
r^nt dans les murs d'Achilléum, et
Jjjwent la euerre. Elle durait depuis
PKtempe déjà, et chaque jour les partis
■tenaient aux mains; c'est dans un
^«es combats qu' Alcée, le poète qui
T "** : « Il est beau de mourir dans
g* combate » , tourna le dos en lais-
p son bouclier aux Athéniens, qui le
^'Urisioie,Po/i/i>., m, 9, 5; Den.
iV'J Hérodote, V, 94-95.
suspendirent à Sigée dans le temple de
Minerve. Enfin Pittacus, nommé général
par les Mityléniens, provoque en combat
singulier Phrynon, le général ennemi,
et I enveloppant (1) d'un filet qu'il te-*
nait caché sous son bouclier , le perce de
son poignard. Cest un des traits les plus
admirés des anciens. Quelque chose
d'aussi beau , sans doute , c'est le désin-
téressement que montra le sage en se
dépouillant oes honneurs pour aller
vivre dans la retraite. Les Mityléniens
foulaient à toute force lui fedre accep-
ter de vastes champs et lui assurer une
existence opulente. « T9on, leur dit-
11 (2), non, ne me forcez pas à prendre
nne fortune, cause de haine et objet
d'enrie pour la foule. Tai assez de cent
arpents: cela doit bien suffire et à la
simplicité de marie et à votre reconnais-
sance ». 11 Técut dans cette retraite,
Saisible et content, refusant les présents
e Crésus, et (S) l'éclairant de ses conseils»
aimé, honoré de tous, inspirant à ses
concitoyens le goût de la sagesse par ses
préceptes et ses exemples. Lorsqu il était
au pouvoir, il ne s était pas ému des
grossières injures d' Alcée, et il s'était
contenté de lui répondre par cette excel-
lente maxime: « Ne médis pas d'un
ami , d'un ennemi non plus ». Au faite
de la puissance, entouré de courtisans,
il avait résisté à l'ivresse de Tune et aux
séductions des autres, et il disait : « Le
tyran est le plus méchant des animaux
sauvages; mais des animaux domes-
tiques, c'est le flatteur «. Souverain à
Mitylène, comme il voulait sa patrie
heureuse et grande, il s'attadia toujours
à faire régner la loi sur la volonté de
tous, sur la sienne propre. En butte aux
haines de ses adversaires, à leurs calom-
nies, à leurs complots, à ceux qui lui
conseillaient la vengeance, il répondait :
« Une punition me laisserait du repentir.
Je sais, mes amis, quelque chose (jui
yaut mieux encore : le pardon v. Enfan,
retiré dans son petit domaine, il occu-
(i) Diogen. Laerœ, Pittae,, 74; Fe»tus, au
mot EsTiAAxo, p. 93; Suidai , au mot lliT-
Tax6ç; Poljren,!, a5; Hérodote nVo parle
pas. Ce qui indigne beaucoup Plutarque (de
la malignité iC Hérodote, c xv. ).
(a) Coroél. Népof, Thraif5,f i*
(3) Hérodote, I,a7>
90,
808
L*nMIVERS.
paitsa vieillesse aux rustiques travaux,
et loDgtemps les femmes de Lesbos ré«
pétèrent à l'ouvrage le refrain popu«
faire ( 1) : « Travaille , travaille , ô meule ;
Pittacus^ussi travaillait, le roi de Mity-
lène la Grande ». 11 vécut ainsi jusqu à
rage de soixante-dix ans, selon les uns,
de cent ans, selon les autres ; et quand il
mourut, ses concitoyeDS lui élevèrent
un magnifique tombeau.
Les Athéniens et les Lesbiens
SB disputent Sigbb. — Cependant la
guerre de Sigée n'était pas terminée par
la mort de Phrynon. Mais Périandre,
tyran de Gorinthe , offrit son arbitrage.
Il fut accepté ; et sa décision aj^ant été
que les oeux fmrties garderaient ce
qu^elles se trouvaient posséder, Athènes
resta maltresse de Sigée.
Les Lesbiens prirent ensuite parti
pour Milet, qui était en guerre avec Po-
lycrate , tyran de Samos (568). Toutes
leurs forces furent mises sur pied pour
défendre leur alliée. Un comoat naval
se livra; Polycrate (2) en sortit vain-
queur, et les Lesbiens, prisonniers, fu-
rent condamnés à creuser les fossés qui
devaient entourer Samos.
C'est vers cette époque que le roi d'E-
gypte, Amasis (8), ouvrant ses ports
aux étrangers , donna à ceux qui vou-
lurent s'établir dans le pays la ville de
INaucratis. Ceux qu'un intérêt seulement
passager attirait pour le commerce re*
curent des emplacements pour y cons-
truire des autels et des temples à leurs
dieux. Onze cités se réunirent pour éle-
ver à frais communs un temple magni-
fique. Des cités éoliennes, Mitylène seule
consentit à y contribuer.
A la mort de Périandre , les Mitylé-
niens s'étaient empressés de reprendre
Sigée. A peine au pouvoir, Pisistrate
l'enleva de nouveau aux Mityléniens,
pour la donner à son fils naturel , Hé-
gésistrate. Il s'ensuivit des guerres sans
fin, qui n'eurent pour résultat que d'as-
surer aux Athéniens leur conquête.
Lesbos sous là domination des
Pebsbs. — Cependant Gyrus avaitachevé
de soumettre la Lydie ; plus d'une fois
déjà il avait sommé les Ioniens et les
Îx)Plu(., Bantjuet, c. ii.
a) Hérodote, m, 39.
(3)M., n, 178.
Éoliens d'abandonner le parti de Gré>
sus ; il se résolut enfin (1) à leur déclarer
la guerre. Retenu lui-même par l'expédi-
tion qu'il entreprenait contre BabsrioM.
il confia le soin de soumettre les dtés
rebelles à Mazarus d'abord , puis à Uar-
Sagus. Les Grecs du continent, après
es prodiges de valeur , furent forcés de
déposer les armes, et les insulaires, sans
attendre lê vainqueur, envoyèrent leur
soumission. Lorsque Cambyse enfahit
l'Egypte , il avait dans mq armée b
flotte lesbienne (2). Les Égyptiens, vain-
cus, s'étaient renfermés dans Mempbis.
et faisaient bonne contenance. CambjK
leur envoya un héraut perse monté sur
un vaisseau de Mitylène. Les Égyptiens,
sans respect pour le caractère sacré ^
l'ambassadeur, se répandent par troa-
pes hors de la ville, entourent le navire,
massacrent les hommes qui le montaient,
et les coupent en morceaux. Camby%
maître de Mempbis , vengea le meurtre
de ses alliés en punissant de mort du
des principaux ^BQ^ptiens pour cbacea
des matelots égorgéi. Quand Darius,
fils d'Hystaspe, marcha contre les Se^
thés (61 S), les Éoliens de Mitylèoe 1a
suivirent encore. Ils étaient commandes
par Coès, fils d'Ërxandrus. Cest lui
qui persuada à Darius de ne poiat cou*
per le pont jeté sur l'ister , mais d es
confier la garde aux Ioniens (8). Dariii
promit de se souvenir de ce bon conseil
Une fois de retour à Sardes , il accorda
à Coès, sur sa demande, la tyrannie de
Mitylène. Celui-ci n'en jouit pas lon^
temps. L'expédition des Perses eontn
Naxos ayant échoué, les villes gree^es,
à l'instigation d'Aristagoras, essayersv
de s'affranchir des étrangers^etcommesi
cèrent par se débarrasser de leurs tyran9.|
Coès, livré par Aristagoras aux Mityiej
niens, fut tratnéhors de la villeet lapidt'
La guerre ainsi commencée , les Le^
biens Ta soutinrent avec éneiigie. Leto
coopération était une des plus utiles à il
cause de l'indépendance; car la marioi
de Mitylène à cette époque n'avait pK
d'égale. Quand, cédant aux conseils d>
ristagoras , les Poconiens (4) , que Mé^
(i) Hérodote,! y 141, 160, 169, 17t.
(a)Id.,in, i3.x4.
(3) rd.,rV,97;V, ii,3«,37.
(4)IdMV,9«.
ILE DE LESBOS.
309
baze avait déportés en Pbry^gie, entrepri-
rent de rerenir, malgré Darius, dans leur
f latrie, Lesbos fournit des vaisseaux qui
es portèrent à Dorisque, d*où ils purent
rej^agner par terre la Poeonie. Quand
Histiée, chassé de Milet, rebuté de Chio,
se réfugia à Mit^lène , les Lesbiens lui
donnèrent huit trirèmes, avec lesquelles
il alla croiser à Byzance, s'emparant de
tous les navires ennemis , qui sortaient
du Pont-Euxin (1)^ Enfin, quand le
Panionium eut résolu de réumr toutes
les forces grecques pour tenter la for-
tune d'un combat décisif près de la pe-
tite !le de Ladé, Lesbos , seule des co-
lonies éoliennes, envoya ses vaisseaux,
au nombre de soixante-dix , à la confé-
dération de rionie. Mais placée dans
Tordre de bataille près des Samiens, qui
firent lâchement défection , sa flotte, se
trouvant tout à coup à découvert, fut
forcée de prendre la fuite et d'aban-
donner la victoire (494). Milet fut sacca-
gée et anéantie. A cette nouvelle, Histiée^
qui croisait à Byzance, remet à Bysalte
TAbydénien le soin des affaires de rliel-
iespont,et, suivi des Lesbiens qui étaient
à son service, fait voile pour Cnio : reçu
en ennemi, il aborde oe vive force, et
s'empare de Tlle tout entière.
< L'armée navale des Perses passa
> Thiver à Milet , et ayant mis en mer
« Tannée suivante , s'empara sans diffî-
« culte de toutes les îles yoisines du con-
« tinent , telles que Chio , Lesbos, Téné»
« dos. A mesure qu'ils occupaient une
■ Ile, les barbares en prenaient tous les
« habitants comme au filet, et voici quel
« moyen ils employaient. Ils formaient
tt une chaîne en se donnant la main
« d'homme àhomme, et partant du bord
« de la iner, au nord , ils s'avançaient
« vers le midi. En marchant ainsi sur
« toute la longueur de l'île , rien ne
« pouvait leur échapper, et ils chas-
' saient comme du gibier les hommes
« qu'ils rencontraient.. Ce genre de
« chasse n'était pas praticable sur le
« continent (3). » Ainsi la soumission
de Lesbos était achevée quand Xerxès
déclara la guerre à la Grèce; et elle dut
comme tous les autres Grecs d'Asie sui-
vre le grand roi, dans son expédition
(i) Hérodote, YI, 5 et «uiv.
Wld., VI, 3r.
en Europe. Selon Hérodote, les Éo-
liens fournirent soixante vaisseaux à
Xerxès, et quarante seulement, seloa
Diodore (1).
Lesbos soiîs la domination b'A*
THÈNBS. — Après Mycale et Platée, les
Lesbiens, comme tous les autres insulai-
res, formèrent une liguedéfensive et offen-
sive avec les Grecs d'Europe. Les Lesbiens
en particulier accompagnèrent les Athé-
niens au siège de Sestos, que défendaient
les Éoliens de la Chersonese, et la ville
conquise ils reprirent à leur tour le
chemin de leur patrie (2).
La guerre s'étant élevée au sujet de
Priène entre Milet et Samos , les Milé-
siens appelèrent Athènes à leur secours.-
Périclès débarque à Samos , y rétablit
le gouvernement populaire, et, laissant
une garnison , emmène cent otages à
Lemnos. Ce fut bientôt à recommencer.
Les Samiens fugitifs rentrèrent dans
leur île', parvinrent à enlever furtive-
ment leurs otages de Lemnos , et se dé-
clarèrent en pleine révolte. Une nouvelle
expédition, commandée par Périelès et
d'autres généraux, se dirige sur Samos.
Le poète Sophocle, un de ses collèçies,
est cnargé d'aller demander des renforts
aux allia. Lesbos et Chio fournissent leur
contingent, qui est de vingt-cinq vais- '
seaux (3), auxquels elles en ajoutèrent
bientôt trente autres. Les Samiens, après
une résistance de neuf mois, furent en-
fin forcés de céder, d'abattre leurs mu-
railles , de livrer leurs vaisseaux et de
frayer 200 talents. Après Samos, ce fut
e tour des autres alliés d'Athènes; pro-
fitant habilement de leurs dissensions,
par la ruse ou par la force, elle sut les
amener à faire tous successivement Ta-
bandon de leurs vaisseaux , de leur ar-
gent, de leur liberté. Chio seule et Lesbos
snrent se défendre contre ses empiéte-
ments. Lesbos naturellement était en
garde contre Athènes; quand les cir-
constances ou un intérêt passager la je-
tait dans son parti , un irrésistible ins-
tinct la portait à se défier d'elle , et à
Tabandonner au premier jour (4) ; car,
(i) Hérodote, VU, igS; DimI.SicQl., IX,
io6.
(a) Thucydide, 1 , 89.
(3) Id., I, ii5-ii6-xi7; Athénée, XIII.
(4) Thucydide, III, lo-ii-it.
zta
\
VUNPTEMS.
eomnie dit Thucydide , il ne peot exis*
ter d'amitié sûre et durable entre dee
particuliers Y ni aucune alliance entre
républiques, sans conformité de mœurs*
Or la forme du souvemement de Les-
bos était oligarchique; aussi, même
avant la guerre du Péloponnèse, les Les-
biens avaient-ils offert à Laoédémone
de passer dans son alliance ; mais celle-
ci ne les avait pas accueillis alors (1).
Au commencement de cette guerre , ils
se trouvaient donc encore du parti d'A«
thènes, comme alliés autonomes (2),
fournissant des vaisseaux, mais point
émargent. Ils prirent part avec Cbio à
Texpédition des Athéniens contre Épi«
daure et Potidée (8) (431).
KÉYOLTS DE MlXYLJ^NS <428). -^
Mais aussitôt après Tinvasion des Pélo«
poDnésiens dans TAttique , Mitylène se
déclara en pleine révolte. Les Thébains^
alléguant une origine commune, Fa valent
entraînée à cette démarche. On s*^ prépa-
ra longtemps ; on releva les murailles , on
construisit des vaisseaux , on combla les
ports ; on fit venir du Pont-Euxin des
archers, du blé, tout ce qu*il Mait
pour soutenir un long siège (4). Cepen-
dant, de Ténédos, ennemie des Lesbiensi
de Méthymne, sa rivale humiliée, de Mi*
tylène même des avis nombreux, dictés
gar une basse envie ou par des intérêts
lessés arriraient chaque jour à Athè*-
aes (6). Il était temps d'accourir si l'on
ne voulait pas perdre Lesbos.
Les Athéniens, qui avaient beaucoup
Bouftert de la çeste et de la guerre, reçu-
rent avec effroi la nouvelle de ce fâcheux
événement, et se refusèrent d*abord à
croire ce qu'ils avaient tant de raisons de
redouter. Ils envoient sur-le-champ des
délégués à Mitylène , et n'ayant pu faire
suspendre les préparatifs de guerre , ils
commencèrent par retenir dix trirèmes
auxiliaires de Mitylène qui pour lors se
trouvaient anPirée, eten mirent leséqui-
pages sous bonne garde. Puis , voulant
prendre les devants, ils envoyèrent sou-
dain quarante vaisseaux qui se trouvaient
prêts a mettre en mer pour le Pélopon-
i) Thacydtde, m , a>i3.
[a) Id., II , 9.
3)Id., n,56; VI,3i.
[4)Id.,ni,3.
(5) Aristote, Politiq,, V, 3, 3.
nèse. Le eommandanc de eelte ilotte
était Gléippide, fils de Dinias, et dcm
autres généraux l'assistaient ( 1 ). Oo np-
Sorta aux Athéniens qu'U y avait bon
e la ville de Mitylène une fête en l'hoD-
neur d'Apollon de Malée, célébrée par
tout le peuple des Mitylénieos. Oo pou*
vait espérer de les surprendre en les at-
taquant à l'improviste. Les vaisseaux
partirent; mais un partieuUer ayant
rissé d'Athènes en Eubée, vint à pied
Géreste, y trouva un vaisseau nur-
ehand qui mettait à la voile « et parmi
vent favorable arrivant le troisième jour
à Mitylène, il y annonça l'expédition. La
habitants, au lieu de sortir pour eélé-
brer la fête d'Apollon, placèrent dei
postes sur la côte, et se remirent aiee
plus d'ardeur qu'auparavant aux travatii
commencés. Les Athéniens arrivent, h
Toient attendus, font leurs proposiiioBt
à la ville. Les Mltyléniois Uvrenmt leon
vaisseaux , raseront leurs murailles, ih
non la guerre est déclarée. Sur le nkt
des Mityléniens, les hostilités eomroeih
cent. Bientêt à la grande Joie des deux
partis, qui veulent également gagner d»
temps pour doubler leurs foross, uq ar-
mistice est conclu. Des ambassadeurs de
Mitylène partent pour Athènes, en même
temps qu^ine trirème, évitant(3)adroite'
ment la flotte athénienne, en transportait
d'autres à Lacédémone. Athènes ne veut
rien céder : MitylèneseSéeide à aoutenirla
guerre; les autres vUles de LeadlK» étaieot
dans sa cause. Méthymne seule avait
pris le parti contraire , et avec Imbros,
Lemnos et quelques autres des iles voi-
sines, s'était rangée du edté d'Athènes.
Une sortie des Mityléniens échoue;
force est d'attendre les secours que pro-
met Laeédémone; one seconde tiireinf
part pour les presser. Les A théoiens sossi
profitent de l'inaction de leurs ennemis.
Aux deux côtés de la ville ils fortifient
deux camps, et établissent des croisières
devant les deux ports : la mer était ainsi
complètement interdite , mais tonte la
campagne était libre.
Cependant les députés envoyés sur la
première trirème étaient arrivés à La-
eédémone, et de là àOlympie, où les La*
oédémoniens leur avaient donné rendei-
(i) Thucydide, m,3.
(a) Id., 111,4.
ILED8U5SSOS.
SU
fom poBr expoior aux aUiéf Tobjet de
leormiMioo (I). L^astembléey aectptant
leurs propoiitions, leçut lei Lesbieiui
dans ralfianoe oommaoe : il fut arrêté
qu'on 16 réunirait au plus vite dans
rifithme pour faire une invasion dans
TAttique. Les Laeédémoniens y furent les
premiers , et se mirent à préparer les
machines pour trstner les vaisseaux et
les transporter de la mer de Corintbe à
la mer CLAtbènes, afin d^attaquer à la
fois par terre et par mer. On espérait
ainsi par une invasion subite faire rap-
peler la flotte qui pressait Lesbos. Mais,
sans s'inquiéter de ces préparatifs menfr
^nts, les Athéniens arment sur-le>ehamp
erat vaisseaux , qu'ils envoient croiser le
long de risthme, faisant montre de leurs
forces, et opérant sans obstacle des
descentes dans le Péloponnèse. Les La»
cédémonîens, ne vovant point arriver
les alliés, reprirent le chemin de leur
pays.
Vers la même époque les Mityléniens,
avec leurs troupss auxiliaires, font par
terre une expéditioii contre Méthymne;
Tentreprise échoue. Alors, passant par
Antissa, Érésns, Pynha, ils font par-
tout renforcer les murailles, et se hâtent
de rentrer chez eux. A leur tour, les
Méthymniens marchent contre Antissa;
mais oattus et repousses, ils ont peine à
rcf^agner leur vUte. A ces nouvelles, les
Athéniens s'empressent d'envojrer des
renforts pour accélérer la conclusion des
événements. Mille hoplites partent, au
mois de septembre , sous le commande*
ment de Pachès, ils d'Épicure (3). Ces
hoplites, remplissant eux-mêmes les
fonctions de rameurs sur les vaisseaux;
arrivent bientêt devant Mitylène, et Ten*
vironnent d'un mur de cireonvallation.
Mitylène se trouve alors bloquée par terre
et par mer.
Au mois de mars arriva le lacédémo-
nien Salaethus (8). Il avait débarqué à
Pyrrha, et il avait pénétré dans Mytilène
sans être aperçu. Il annonçait Tinvasion
imminente de l'Attiqne, en même temps
que rarrivée prochaine de quarante vaia-
seanx Spartiates. Les assiégés se rani-
mèrent un peu à ces nouvelles. En effet,
(i) Thucydide, m, 8-i4-x5-i6.
(a)M.,m, i8.
(3) Id., III , a5.
l'Attiqne fut envahie par Gléomène et
affireutement ravagée (1). Mais les Athé-
niens s^obstinaient devant Mitylèae , et
les vaisseaux tant attendus de Sparte
n'arrivaient pas. Us étaient partis cepen-
dant ; mais, au lieu de faire force de voiles,
ils s'étaient arrêtés à d'inutiles captures,
et perdaient un temps précieux. Salas-
thus lui-même désespérait; ce retard lui
semblait inexplicable , et voulant essayer
d'une résolution suprême , il fait donner
des armes à tout le peuple pour tenter
une sortie générale contre les Athéniens.
Mais alors ce fut bien un autre danger.
liC peuple, une fois armé, refusa d'o-
béir plus longtemps, se prit à accuser
les riches, à dénoncer, comme toujours,
des accapareurs de blé , à se rassembler
en masse, menaçant, si la famine, qu'il
imputait aux manœuvres de VéàsAgJooà
ou de la trahison, ne cessait sur llieure,
de livrer la ville aux Athéniens (2).
Les chefs, impuissants à conjurer le pé-
ril , essayèrent au moins de le détourner
de leur tête en envoyant des ambassa-
deurs au camp ennemi pour capituler
à ces conditions : ils se livreraient à
merci ; l'armée athénienne prendrait
immédiatement possession de la ville ;
les Mityléniens enverraient à Athènes
implorer la clémence du peuple vain-
queur. De son côté, Pachès s'engageait à
attendre le retour de Tambassade et les
ordres de la mère patrie ( avril 437 ) . Les
citoyens compromis par leur zèle pen-
dant la guerre, saisis de frayeur, se réfu-
gient au pied des autels. Pachès les ras-
sure, promet de ne leur faire aucun mal,
et les met en dépêt à Ténédos en atten-
dant Tordre d'Athènes. 11 envoie ensuite
recevoir la reddition d' Antissa ; puis ,
apprenant que les vaisseaux laeédémo-
niens , arrivés trop tard au secours de
Mytilène, longeaientla côte mal défendue
de rionie avec l'intention d'y débarquer,
il se lance à leur poursuite, les chasse
Jusqu'à l'tle de Patmos, et s'en revient
content, ayant hâte d'achever sa con-
quête. De retour à Lesbos (9), il soumet
Êrèsus, et Pyrrha, prend le Lacédémo-
nien Salaethus, cachée Mitylène, et l'en-
voie à Athènes avec tous les Mityléniens
!i) Thacydide,ni,26.
a)Id., in,a7-a8.
3) Id., m , 3^,
313
L'UNIVERS.
qu^il ayait laissés à Ténëdos, et tons
ceux qu*il regardait comme les chefs de
la défection. Puis, libre et maftre assuré
de nie tout entière, il s'occupa d'y re-
mettre Tordre et d'organiser la servi-
tude.
Salsthus, à peine arrivé à Athènes,
maleré ses offres de service, fut mis sur-
le-champ à mort. Le peuple, convoqué à
l'agora, délibère sur le sort du reste des
Mityléniens. Ciéon monte à la tribune;
démagogue violent et farouche, il s'a-
dresse aux passions de la multitude et
parle à ses mauvais instincts. Il propose,
et l'on vote d'acclamation , que tous les
Mityléniens en âge de porter les armes
seront mis à mort , les femmes et les
enfants vendus. Des dépotés sont en-
voyés à Mitylène pour porter an préfet
des troupes l'ordre d'exécuter la loi. Mais
chez ce peuple aux sentiments vi& et
mobiles la colère ne pouvait durer : Cléon
était à peine descendu de la tribune, que
déjà la générosité athénienne avait repris
le dessus et ramené les esprits à Tindul-
gence. Sur les instances des citoyens, une
nouvelle assemblée est convoquée parles
magistrats; et malgré Cléon, qui essaye
de défendre le décret de la veille, la 8en«
tenoe est rapportée , et l'on s'empresse
d'envoyer une seconde trirème pour at-
teindre celle qui portait l'ordre de l'exé-
cution , et qui déjà avait un jour et une
nuit d'avance. L^ députés de Mitylène,
inquiets sur le sort de leurs compatriotes ,
approvisionnent largement le vaisseau
de farine et de vin , et promettent de
grandes récompenses à l'équipage s'il
devance l'autre vaisseau. Les matelots
firent telle diligence , au'à la fois ils ra-
maient et mangeaient de la farine pétrie
avec du vin et de l'huile; ils dormaient
et ramaient tour à tour. Par bonheur
aucun vent ne fut contraire ; le premier
▼aisseau , chargé d'une horrible mission ,
ne s'était point hâté d'arriver. 11 venait
d'entrer dans le port, et Pacfaès tenait
encore en main la dépêche, quand sur-
vint le second vaisseau, apportantl'ordre
contraire.
Cependant le châtiment fut terrible;
ceux que Pachès avaient envoya à
Amènes comme partisans de Sparte
furent mis à mort, quoique au nombre
de plus de mille. Les murs de Mi-
tylène furent rasés, la flotte confisqDée;
le territoûw de 111e , eeloi de tfélliym»
excepté, divisé en trois miUe lots; troii
cents furent réserrés pour les Dieu, le
reste fut distribué à des colons athé-
niens , à qui le sort les fit échoir en p»-
tage. Mais les Lesbiens les prirent à
ferme, et, sons la condition de payer
annuellement deux mines d'argent pour
chaque lot, ils cultivèrent eux-mêmes
la terre. Toutes les villes que HitylèM
possédait sur le continent (1), Anos,
Antandrus, Rhœtium, etc., passèrentaia
Athéniens , et leur obéirent désomuii
Bien que, suivant Thucydide, les dé-
rouques ( xXiipotSxot» les colons choisis pv
le sort ) aient été réellemeut envoyés, il
n'est pas vraisemblable que deux mille
sept cents Athéniens soient restés à
Lesbos ; ils eussent alors difficilemeH
laissé la totalité des terres i cultiver aux
Lesbiens. Un grand nombre sans doute
repartit ; les autres restèreut enganiisoD .
et formèrent probablement avec les
anciens habitants la communauté du
peuple. Les États formés par les dé-
rouques retournaient par diverses voies
à un assujettissement aussi grand que
les alliés dépendants, avec cette seuk
différence qu'ils renfinmaient des d-
toyens ayant le droit de cité dans
Athènes (2).
Au printemps de la hnitiènie anaéc
de la euerre du Péloponnèse , les habi-
tants de Lesbos, et le nombre en était
grand 9 aui après la conque des Athé-
niens s'étaient enfuis pour éviter la
servitude, prennent à leur solde des
troupes auxiliaires du Péloponnèse, ea
rassemblent d'autres sur le contineot, et
s'emparait de Rhœtium , d'Antandros,
uu'ils fortifient pour s'assurer un refuge
dans leurs sorties contre les AthéDieos.
A cette nouvelle Démodocus et Aristide.
3ui commandaient la flotte athénien»
estinée à recueillir les tributs, arrifeot
de l'Hellespont à f<nt» de voiles , et aprè>
plusieurs combats s'emparent d'Antafl-
drus, mettent à mort une partie d»
exilés , et ne partent qu'en laissant dans
la ville une forte aarnison. La seizième
année de laguorredu Péloponnèse (416).
"" (i) Les villes Actées, oomme la «ppebi«fii
les Grecs»
(a) Bœckh., Économ, Pçtiti^, des Athé-
niens, t. n, p. 911.
ILE DE LESBOS.
3ia
deux vaisseaox lesbiens, pent-étre de
MétbjmDe, prennent part à Texpédition
des Athéniens contre Mélos (t). L'année
suivante , la flotte de Méthymne accom*
pagne encore la flotte d'Atnènes contre
Sfracuse. Méthymne était assujettie à
fournir des vaisseaux, mais sans payer
de tributs, tandis qne ceux de Ténédos
et d'iSnos étaient tributaires. « Ces
« peuples éoliques faisaient forcément la
« guerre contre des Béotiens , leurs fon-
« dateurs, Éoliens aussi, gui étaient
t alliés de Syracuse (2) ».
Conduite des Lesbiens pendant
LES DBBNIÈBES années DE LA GUERBE
BU PÉIOPONNÀSE. — A la nouvelle
du désastre des Athéniens en Sicile,
leurs alliés cherchèrent de tous côtés à
faire défection . Sollicité par les Eubéens ,
Ads, roi de Lacédéroone, alors à Dé-
céTie, sur le territoire de TAttique , se
préparait à leur porter secours , quand il
reçut une députation des Lesbiens, qui
le suppliaient de prêter aide à leur ré-
volte contre Athènes. Cédant à leurs
prières et à celles des Béotiens , qui font
cause commune cette fois avec eux et
promettent dix vaisseaux , Agis ordonne
a la flotte laoédémonienne qui se diri-
geait sur FEubée de passer à Lesbos;
mais le ^nd nombre des alliés qui bri-
guaient a Tenvi les secours tout-puis-
sants du vaînquenr, ayant jeté Tirréso-
lution dans les conseils de L^cédémone,
une troisième destination fut donnée à
la flotte. 11 fbt arrêté par rassemblée
générale qu'on ferait voile d^abord pour
Chio, sous le commandement de Chai-
cidéus; de là on passerait à Lesbos (8).
Mais avant que tout pût être prêt,
Athènes était avertie , envoyait sa flotte
ao-devant de la flotte lacéaémonienne,
et, renfermant dans le port de Pirœus
sur la côte de la Corinthie, dégoûtait
pour quelque temps Sparte d*envo3'er
aucune expédition en Asie. Les habi-
tants de Cliio continuent alors l'entre-
prise commencée, et se dirigeant avec
treize vaisseaux sur Lesbos, font sou-
lever Métbvmne, où ils laissent quatre
▼aisseanx; le reste de la flotte se dirige
▼ers Méthymne, et y proclame Tindé-
(k) Thucydide, y, 84.
(a)ld.,"Vn,57.
(3) Id., Ym , 5 à 14.
pendance. Mais les Athéniens, com-
mandés par Léon et Diomédon, arrivant
à rimprovîste avec vingt-cinq trirèmes
dans le port de Mit^lène, y surprennent
les vaisseaux de Chio, et,*après une vi-
§oureuse résistance, s'emparent enfin
e la ville. Astyochus, stratège des La-
cédémoniens, qui avec quatre vaisseaux
avait pris part à l'entreprise des habitants
de Chio, essaye en vam de lutter contre
la fortune d'Athènes. Il fait insurger
Ërésus, arme les hoplites de sa flotte,
et les envoie par terre à Antissa et à
Méthymne , pour rendre le courage aux
habitants. Mais comme tout lui était
contraire à Lesbos, il est forcé de se
rembarquer. Llle tout entière rentra
bientôt sous la domination des Athé-
niens (1).
La même année, au mois d'octobre,
une nouvelle tentative de révolte eut
lieu (2). Une députation des Lesbiens
vint chercher Astyochus, qui se trouvait
aux environs de Cyme et de Phocéc;
mais , dégoûté par son échec récent et
par le peu d'empressement que témoi-
gnaient les alliés, il passa à Chio sans
céder à ces instances. Une seconde dé-
putation l'y vint trouver, et n'eut pas
plus de succès. Lesbos, pour cette année,
resta donc sans conteste au pouvoir d'A-
thènes; mais l'année suivante (411), an
mois de iuillet, Érésus lui échappa, pour
la troisième fois. Des proscrits de Mé-
thymne, des plus considérables de la cité,
ayant fait passer de Cyme à Lesbos une
cmquantaine d^hoplites, qu'ils s'étaient
associés , et quelques mercenaires réunis
sur le continent, en tout à peu près
trois cents hommes, s'en vinrent d'abord
attaquer Méthymne; mais à deux re-
J crises la garnison athénienne de Mity-
ène accourut, et les repoussa ; alors, tra-
versant la montagne, ils se rejetèrent sur
Érésus, et s'en emparèrent (8). Thra-
syllus , le général Athénien, accourt avec
cmquante-cinq vaisseaux; il se trouve
devancé par Thrasybnle, qui avec dnq
vaisseaux s'était porté au point menacé.
Deux navires qui revenaient de l'Helles-
rnt et ceux de Méthymne s'étant joints
cette flotte, 11 se trouva en pea de
(i) Thucydide, YIIl, a«-a3.
(a) Id., Vin, 3a.
(3) Id., Yin, 190.^ .
114
L'UNIVERS.
tmpg joîiiftla-fept bâtiaenU réaiug
deraok Érégus , montée par de nombreux
soldats, et munis da toutes les ma*
ebines de guerre (1). Maïs Mindare et
la flotte laeédémonienoe qui était à
Gbio étant partis pour rUellespont,
les Athéniens levèrent en toute bâte le
siège pour poursuivre un plus dange*
feux ennemi* Érésus se trouva donc ainsi
délivrée d'une manière inespérée, et
jouit quelque temps de l'autonomie ; elle
la perait bientôt sans doute . mais aucun
historien n'en 6ii t mention d^une manière
précise.
Au mois de iuiUel (410) Thrasylius,
général des Atnéniens « vaincu près d'Ê»
phase par Tissapherno et les Syracusains,
passe a Lesbos; mais comme il entrait
au port de Métbyinne , il aperçoit les
vingt-cinq g^ères victorieuses de Syra-
cuse : il se précipite sur elles, en prend
quatre avec leur équipage, et poursuit
le reste jusqu'à EpbJse, d^où elles étaient
parties (2).
BATAILU DBS tl«t AA0I1IUSBS
(406). ** La ¥ingt-sisième année tle la
guerre du Péloponnèse, Callicratidas,
successeur de Lysandre, riche de Tar*
«ent fourni par Milet etnar Gbio, qui
a elle seule paie cinq draoïmes à chaque
soldat, frit voile vers Méthymne. ville
ennemie. Lee habitants lui en retusent
l'entrée.. Ils étaient gardés par une gar-
nison athénienne, et les magistrats qui
pour lors dirigeaient les affaires tenaient
contre Sparte (8). Callicratidas emporte
la ville de vive force , et la livre au pil-
lage ; les esclaves, réunis sur la place pu-
blique, sont vendus à l'enean. tes alliés
voulaient qu'on vendit de même tous
les habitants : «Tant que jeseraigénéral,
répondit Callicratidas , il ne sera pas dit
gwun Grec a été aiservi et que i'aie souf-
nrt ce crime. » Le lendemain il congédia
avec la garnison athénienne tout ce qui
était de condition libre. En vain Conon,
cheC de la flotte athénienne , essaye de
porter secours aux Lesbiens; ses torées
sont trop inégales pour qu'il ose as mesu-
ver avec l'ennemi. Il parvient à atteindre
Mitjrlèoc, toujours poursuivi par Oilli-
crandas, qui avec soiiante-dix galères
(x^iThocydide^VIIT, zo3.
a) Xénoph., Hist, grteq,, I , a, za. '
3)ld.»I,6, x3, i€«
î
essaya de lui dittpuier l'entrée du poit
Conon est forcé ^accepter le combat , «
perd trente vaisseaux , dont l'équipage
parvient cependant à gagner la Van,
Callicratidas qui n'a pu empêcher Conoi
de se réfugier dans le port de Mitylèset
l'y bloque de toutes parts. Tandis cm
ses vaisseaux interdisent la mer, il m
venir par terre, de Méthymne et à
Chio, ae nombreux renforts, qui eaftr-
jnent les troupes d'Athènes. Bien u
manque ni à la flotte ni au camp lacé
démonien : l'argent de Cyrua suffit i
tout, Con<m était à l'extrémité. Ln
vivres diminuaient chaque jour; il a'»*
vait aucun moyen d'en Caire vanir de li
ville, qui regorgeait d'habitants, et mé
espoir d'en recevoir d'Athènes, oui igp»
rait sa position désespérée (1). 11 ttsM
à tout prix de sortir de ce mauvais pai.
Choisissant dans sa flotte les deux meil-
leurs voiliers , il les arme avant le ioa
de rameurs choisis, de soldats d'oiir.
et les lance à travers la flotte lacé^
monienne ; un de ces vaisseaux est prifé
l'autre s'échappe, et regagne AtbeiKS
£n peu de jourri, Diomédon arrive dm
le ^olfe de Mitylène avecdouxe galères?
mais Callicratidas les charge à FiiupnK
viste, en prend dix, et force les m
autres à s enfuir.
Athènes epprend ce nouvel échte;
elle foit un enort énergique pour wt
ver Conon; l'envoi d'une flotta deceril
dix vaisseaux est décrété à runanimili
Tous les gens en Age de porter W
armes s'embarquent, hommes libm
et esclaves. La cavalerie presque toK
entière foit partie de rexpéditioo. Ai
bout d'un mois , tout s'était trouvé préu
les soldats armés, la flotte oonstroitr.
équipée en guerre. On met à la voti^
Samos en passant fournit dix mlèrfs;
trente autres viennent s'y joindre, en-
voyées par le reste des alliés. Cântoa-
quante voiles composent biantêt Is flour
athénienne. Callicratidas , appresas:
l'arrivée de rennemi, laisse txoomoi »\
aiége avec cinquante vaisseaux , et *
mettant en mer avec cent vmgt aotni.
va attendre les Athéniens au csp Malte
de Lesbos. Ceux-ci passoent la nnit m
Arginuses. Le lendemain les deux flotta
(i) Xéoopb., I, 6, x8 , 19, 94 ; fM» ^
Sicile, XIII, 79.
ILE DE LESBDS.
»U
l'anordèfeat. ht pilolo 4« Callicratidas ,
Hermon de Mégare, voyant que les Athé»
oieos étaient de beaucoup les j^ua nom-
bRUXfloi représenta qu'il lerait bien
prat-étre d'enter le combat : « Qu'ira*
porte ma mort à Laoédémone , répond
Caiiicratidae , c'est ma fuite qui la dé«
iiionorerait. » £t il donne le signal du
tombât. La lutte dura longtemps entre
iei deux flottes , d'abord serrées et ligne
»ntre ligne, puis dispersées. Au pre«
■ier choc de son vaisseau , Cailicratidas
hmbe dans la mer oui l'engloutit. Enfin
fajie droite des Péloponnésiens est en*
i»cée; une partie s'enfiiit à Chio. Le
rtus ^nnd nombre gagne Phocée. Les
ItfaénieDs, vainqueurs, retournèrent aui
ir^DUfles; ils avaient perdu vingt-cinq
pleres avee les équipages^ à Texeeption
Tun petit nombre d'Hommes qui put
mndre terre. Mais du c6té dss Pelopon-
iéiiens , le désastre était bien autrement
pué. Neuf vaisseaux lacédémoniens
«aient péri sur dix qui avaient combattu ;
nn alliés en perdirent plus de soixante.
ttéonice, qui enfermait Gonon, en ap*
tenant la mort et la défaite de son gé*
Éral , se bâta de lever le siège , et d'en*
Dyer sa flotte à Cbio; puis, brûlant son
unp, il gagna Héthymne avec l'armée
«terre (t). Gonon , enfin libre, prend
imer, et par an bon vent s'en vient rsA-
Dntrer la flotte athénienne qui arrivait
^ Arginnses. Elle s'arrêta quelque
Mops à Mity iène , puis en repartit pour
e rendre à Samos.
SlTUàTIOH POLITIQUE BI LUSBOS
>o QUATiiàiffi siitoLB. — Après la
ataille d'jfigos^- Potamos , Lysandre
vec deux cents voiles aborda; à Lesbos,
nposa un« constitution oligarchique
Bx Tilles de l'tle, entre autres à Mity-
ioe, et fit reconnaître la suprématie de
Médémone (9). Ce ne fut pas pour long-
Nnpg. Après la victoire de Gnide , Mi^
flàDe fut une des Tilles qui rentrèrent
ans ralliance d'Athènes (8). Le reste
e Tîle refusa de suivre son exemple.
!n 390 , Thrasybule entreprit de rendre
Athènes cette importante possession.
I commence par enrôler à Mitylène les
(i) XénepfaoD, I, 6, 37-38; Diodore,
:ni, 79.
(a) Xénopb., n , a , 5.
(3) Diod^ XrV, 84.
iMBnisdesdilfiéffaiteseités^ s'y étaient
téfogiés i et leur associe lei plus bravea
des Mityléniens; il promet à eeux-ci la
souveraioeté de Lesbos, aux proscrits
on retour assuré dans leurs foyers, aux
soldatsdesa flotte abondanceet richesse.
Bu premier pas il marche contre Mé-
thymne. Thérymaque, gouverneur de la
ville pour les Lacédémoniens réunit ses
soldats aux Méthymniens et aux bannis
de Mitylène, et va jusqu'aux frontières
au-devant de l'ennemi. Il est tué dans
le combat; ses soldats sont mis en dé*
route, et Métbymne ouvre ses portes.
Les autres villes tombent au pouvoir du
vainqueur, les unes de foroe , les au-
tres de leur plein gré (1).
La traité a Antaicidas enlève de nou*
veau Lesbos aux Athéniens. A la fa*
veur de ce traité, Laoédémone parvint à
vétabiir son autorité sur toute la Grèce.
Les villes de LariKM furent du nombre
de celles qu'elle soumit d'abord ; mais
bientôt, lassées de cette tyrannie rude et
superbe (9) , elles réclamèrent à l'enri
Tanoienne alliance des Athéniens (878)*
Après la paix eondue entre les Grrees
par l'intervention d'Artaxerxès (876),
Lesbos semble avoir joui de l'autonomie.
Lors de l'alliance nouvelle qui réunit les
Athéniens et les Lacédémoniens (860),
il est probable qu'elle revint sous la do«
nipation d'Athènes, ^t
LiSBOS PASSE sons Lk DOMINATION
DBS MAGSDOiriBRa. -** Après la guerre
aodale, on retrouve le régime oiigarohi-
aue établi à Mitylène (8). Sans doute Tin-
uence du grand roi était pour beaucoup
dans cette nvolution. Mais après le pas»
isgedu Granique, Alexandre reçut dans
son alliance les I«e$biens, et ebassa le
parti des grands. Au prlntempsde Tannée
384, Momnon le Rhodien, rassemblant
une nombreuse troupe de mercenaires
et une flotte de trois cente vaisseaux
bien équipés, se dirigea d'abord contre
Chio; de là passant à Lesbos, il n'a
pas de peine i se rendre mahre d'Antissa,
de Méthymne, de Pyrrha, d'Érésus ; mais
Mitylène, grande, riche, défendue par
•
(i) Xéoopfa., rv , 8 , a8, 3o.
WDîod.,XV,a8.
r3) Démosthèoe , Disc, contre Ut Béot*^
t. II, p. 274, éd. Bekker; pour la délivrance
4es RhodUtUf p. X76,
zté
wmvERSi
debonsremparUet une population nooH
breuse et deddée, ferma ses portes, et
scatint le si^e. Memnon renferme d'ua
double retranchement dominé par cinq
citadelles; une partie de la flotte bloque
le port de Mityfene ; le reste, se portant
au cap Sîgrium, intercepte les secours.
Sur ces entrefaites une maladie emporte
Memnon, qui laisse le commandement à
Autophradate et à Pbarnabaze, son fils.
Le siège n'est point interrompu ; la fe-
mine se met dans la ville : Mitylène est
forcée d'accepter les conditions impo-
sées par l'ennemi : Les exilés rentreront
dans leur patrie , et recevront la moitié
des biens qu'ils possédaientà leur départ.
Les colonnes sur lesquelles était gravé le
traité conclu avec le roi de Macédoine, se-
ront abattues par la main des Mityléniens.
Mitylène reviendra à l'alliance persane ;
d'ailleurs, les mercenaires fournis par
Alexandre seront libres de partir. Ces
conditions sont acceptées ;mais à peine
entrés dans la ville, Autophradate et
Phamabaze introduisent une garnison
perse, avec Lycomédon le Rhodien pour
chef, et im{K)sent aux citoyens la tyran-
nie de Dio^ène , l'un des exilés revenus
avec les vamqueurs ; non contents de ces
violences, ils mettent sur la ville une
contribution énorme, qu'ils se font payer
par force (1).
En 332, Hégélochus, chargé par
Alexandre de délivrer les tles grecques
tombées sous la domination des Perses ,
s'empare de Chio. Aristonicus , tyran de
Méthymne, ignorant ce qui s'était passé,
et prenant , sur la foi des gardiens du
port , la flotte d'Hégélochus pour celle de
Phamabaze, aboidc à Chio avec cinq
vaisseaux de pirates, et est fait prison-
nier. Aussitôt Hégélochus fait voile vers
Lesbos , et met le siège devant Mitylène :
elle était défendue par une garnison
perse de deux mille hommes. L'Athé-
nien Gbarès, qui la commandait, livre la
ville pour avoir la vie sauve. Les autres
cit^ serendentsan^ tenter de résistance ;
et Hégélochus en conduit les tyrans à
Alexandre. Celui-ci se contente de ren-
voyer chacun d'eux à la ville qu'il op-
E rimait; les citoyens les précipitent du
aut des murailles. Pour récompenser
la fidélité des Mityléniens, Alexandre
(i) Arrieo , U , i, r, o ; Oiod., XVH, ag.
leur rend leurs otages et double leur ter-
ritoire (1).
Laomédon et Ébioyius aupsés
d'Albxând&e. — On peut voir sans
invraisemblance dans cette faveur dont
Jouit Mitylène une preuve de Tin-
luence puissante exercée à cette épo-
2ue sur le jeune roi par Laomédon et
Irijgyius , tous deux Mityléniens. Con-
traints sous le règne de Philippe à fuir
de Macédoine , Alexandre ne les anti
rappelés que pour les combler d'hoD-
neurs. Laomédon , qui connaissait te
deux langues, la langue barbareet la laa-
fiue grecque, avait été mis à la tête de
Barbares prisonniers, Éricyius, delà ca-
valerie des alliés; et cest à ee titn
qu'il prit part à la bataille d'Arbelles [ï,.
Lors de la marche d'Alexandre à traicn
l'Hyrcanie, Érigyius fut chargé de con-
duire les bagages et les chars (3). Bien-
tôt, avec Artabaze et Caranus , il reçut
la mission de ramener à l'obéissanoe ies
Ariens révoltés (4). Une lutte aeharoec
s'engagea; les barbares soutmrent le
choc des armées macédoniennes iusqo'i
ce qu'Érigyius s'attaauant corps a cor»
à Siatibarzane , le général ennemi, m
enfonça son javelot dans la poitrine, et
rétenait à ses pieds. A c^te vue, ks
barbares prirent la fuite (329). Quand
Alexandre soumit au consdl de ses anus
le projet de franchir l'Iaxarte (5) et de
faire la guerre aux Scythes, Ér^ius fin
un de ceux qui s'opposèrent avec le plus
d'énergie à cette expédition stérile. li
mourut dans le même temps que Phi*
lippe, frère de Lvsimaque, et Alexandic
Ini fit de magninques funérailles (6).
Quant à Laomédon, après la mort
d'Alexandre, il obtint le gouvernemeot
de la Syrie. Û le ^arda dans la nouvelk
division des provinces faites par Aotipi-
ter; mais Ptolémée, s'étant rendu niaitR
de rjËgypte , envoya contrôla Syrie ses
général Nicanor, qui vainquit Laomodoa
et le dépouilla (7).
(i) Arriea, III, a, 4, 6, 7, 9; Quin'e-
Curce, rv, 5, S, i5, 22.
r») Diod.y XVn, 57 ; Arrien , m, n, i:-
'3) Arrien, 111,23,6.
[4) Diod., XYII, 83 ; Arrien ,111,28, h
5; Quinie-Curce, TII, 4, 33, 3S.
(5) Quinte-Gurce, TU » 7 , 2r.
?6)Id.,Yin, 2,40.
(7) Diod. stctti., xym y 3 » 39, 43.
ILE DE LESBOS.
817
LB8»08 passe sous Là DOKINATIOIT
DES Romains. — Après la mort d'A-
laandre, le silence eomiDeDce à se faire
dans rhistoire de Lesbos. Il faut glaner
daos les historiens, sur les médailles et
les inseriptions, dans les débris et les
raines de sa grandeur passée, une trace,
DD souvenir d*existence.
Pol vbe nomme une fois Mitylène pour
rappeler qu'elle travaille à conclure la
pjx entre Philippe et les Étoliens (1).
IJne autre fois, c^est Méthymnequi devra
être dédommagée par Prusias des pertes
éprouvées pendant une guerre entre
ce prince et Attale (2). Antissa a Tau-
daee de recueillir et d'aider un général
de Perses, roi de Macédoine, pour lors
eo guerre avec Rome (3). Aussitôt La*
béon est chargé d'anéantir la ville cou-
pable , et d'en transporter les habitants
a Métbymne (4). Un mot de Pline atteste
le succès de l'expédition romaine.
Cependant la cause de Mithridate est
devenue la cause de toute l'Asie. Un en-
trainement irrésistible détache chaque
jour les villes de l'alliance romaine. Les
Lesbiens suivent l'exemple général. Ils
appellent Mithridate, et, exagérant tout
d abord leur zèle, ils livrent à ses soldats
Aqoillius, qui, vaincu et malade, s'était
réfugié à Mitylène (5). Après la défaite
de Mithridate, Mityl^e refusa de poser
les armes. Minucius Thermus la prit, et
la saccagea. C'est dans cette expédition
que Jules-César mérita une couronne
ôvique (6).
Plus tard, Théophane de Mitylène,
ami intime de Pompée (7) , obtint de lui
b liberté pour sa patrie. Pompée vint à
Mitylène en 63. Il j assista aux jeux et
aux combats de poésie, dans lesquels on
ne célébra que ses exploits. Le théâtre
de Mitylène lui plut; et il en fit prendre
le plan pour en construire un dans Rome
du même genre, mais plus mnà et plus
vaste. Après la bataille de Pharsale,
(i)Poljb., XI, 5, r.
(i)Id., XX.Xin, 11,8.
<3)Id., XLV, 3r.
(4) Pline, V, 3 r. •'
(5) Appien, G, de Mithridate , e, xzi;
"VelLPiiere., U,i8.
(6) Suet., C€M,, c. a.
(7) TeU. Pai«re.y n» i8; Plut., ^m de
Pompée, 4a.
Pompée vint chercher à Mitjflène Gor-
nélie et son fils , qu'il y avait déposés
loin du tumulte des armes; mais il se
refusa à toutes les instances des citoyens,
et ne voulut pas entrer dans la ville (1).
LA même bienveillance que Pompée avait
trouvée à Mi^lène , son fils Sextus l'y
retrouva» aussi vive et aussi dévouée,
quand, vaincu lui-même par Agrippa , il
vint demander asile à Lesbos (2). A
son tour, Affrippa^ qui devait plus tard
être le ^enore d'Auguste, s'indignant
de se voir préférer M. Marcellus, vint
chercher à Mitylène un asile contre
les disgrâces de la fortune (3). Dans sa
retraite il combla les Mityléniens de bien-
faits, et la ville lui éleva un monument
de sa reconnaissance. Sur le rivage de
I>esboson a trouvé cette inscription (4) ;
LE FEDPLB
Ai; DIEU 8A€VEUR DE LA VILLE HARC08 AGRIPPA
LE BIENFAITEUR ET LE FONDATEUR.
Germanicus, désigné consul , passe à
Lesbos ( 18 après J.-C. ) avec sa fenune
Agrippine, oui devint pendant son sé«
jour aans l'Ile mère de Julie (5). Des
médailles en consacrent le souvenir (6).
Enfin peu à peu l'histoire se tait tout
à fait. De nombreuses médailles de Mi*
tylène, de Méthymne, d'Érésus, frap-
pées en honneur des princes ou en sou-
venir d'événements sans importance,
attestent seules encore l'existence de ces
cités. Les autres villes de l'Ile ne don-
nent pas signe de vie. Lesbos est désor-
mais pour des siècles immobile et silen»
cieuse, sous la domination des Romains.
m.
STAT POLITIQUE , SOCIAL , 1NTBLLEC-»
TUEL DE LESBOS PENDANT LES
TEMPS ANCIENS.
ÉTAT politique; GOUVBfiNEHENT.
— De l'état politi(]ue de Lesbos pendant
cette longue] série de siècles que nous
(c) Appien, SeiL civ., II, 83; Plut., c. 74i
75 ; Lucain , V , 7^5 ; YTII , 108.
(2) Dioç. Cass., XLIX, 17.
(3) Tacit., AnnaL, XIV, 53 ; Suet., Au-
gust.f c. 66.
(4) ChtshuU., Antiq. Asiatiq,, p, iS6*
(ô) Tacit, Annal., U, 54.
' (6) Eckhel., PI. I, voL XI, p. 5o5.
919
LURIVERS*
▼enonfl de parodorir, oe qtie ntma sa**
▼01» eat bien peu de chose. Les ▼iolen«
ees des guerres étrangères ou la con«
fusion des diseordes civiles remplissent
à peu près toutes les pages de son his-
toire. Ses villes étatent-elles en paix
avec Athènes,on Sparte, ouïe grandRoi,
qu'elles tournaient aussitôt leurs armes
les unes contre les autres , et qu'ellet
s'épuisaient dans de continuelles dis*
sensions. Une rivalité acharnée existait
entre Métbjmne et Mitylène; c'eût été
pour elles un déshonneur de défendre
la même cause, fût-ce celle de l'indé-
Kndance ; et les luttes ne cessaient entre
i cités rivales que pour donner à cha-
cune d'elles le temps d'étouffer les dis-
cordes intestines qui les déchiraient.
Là> comme par toute la Grèce, c'était Té-
ternelle lutte des petits contre les grands,
des pauvres contre les riches, du [peuple
contre les nobles familles réunies et:
coalisées. Dans ces alternatives de victoi-
res ou de défaites, signalées dans chaque
parti par le massacre ou l'exil des vain-
cus , la cause qui avait le dessous cher-
chait des secours à l'étranger. Sparte
était la protectrice invoquée par l'oli-
garchie, et le peuple désarmé et opprimé
adressait ses vœux à la démocratie d'A-
thènes. Ainsi s'expliquent ces change-
ments subits de fortune et d'alliances
qui à chaque guerre faisaient de Lesboa
ranxiliaire d'un nouveau parti.
Après l'abolition de la royauté, on
trouve des prytanes à Mitylène (1) et
à ftrésus (S). H est probable qu'il eu
était de même dans toutes les villes de
Lesbos ; mais on ne sait quelles étaient
les fonctions de ces prytanes. Plusieurs
inscriptions parlent d'un sénat fonction-
nant concurremment avec l'assemblée
du peuple ; le premier indice de cette
institution remonte à peine au temps
d'Alexandre le Grand. Les autres monu-
ments nous montrent le peuple, décer-
nant seul des honneurs aux mnds ci*
toyens. Sous les empereurs, u est sou-
vent aussi fait mention de stratèges.
Étaient -ce seulement des che& mili-
(i) Athénée , X, p. 4a5 a; Spoii., MUcell,
ErutUt,, p. 348.
(a) Phanias , d*]héMU , avait fut un ou-
vrage sur les prytanes de m patrie. ( Afhén.,
VIII, p. 395 a, )
talres, ou bien encore des magistiils
«vils ? On ne le sait pas.
Lois; MOBUBS. — Que dire de la lé-
gislation des Lesbiens? une ou deux kM
sont connues à peine. Les fautes coid>
mises en état d'ivresse étaient passibles
d'une double peine ( 1 ). Défense était ùitt
d'aller aux funérailles d'un étranger (a ;
les parents seuls y étaient admis. — Ce
deux lois sont de Pittacus. Ne fiaut-il pai
aussi regarder comme une institutwi
publique cette fête consacrée de toai
temps à la beauté, dans laquelle les feoi-
nes de Lesbos se réunissaient dans 1«
temple de Junon, et où l'on couronaait
la plus belle. « Agamemnon, dit Ulym
à Achille, te donnera encore sept femmei
habiles dans les beaux ouvrages, sefA
Lsabiennes^ qu'il avait choisies pour lui,
lorsque toi-même t'emparas de Lesboi,
, bien bâtie, et qui remportèrant alors
sur toutes les femmes le prix de U
beauté (8). v Ga passage d'Homère sem-
ble indiquer que déjà ce concours eus*
tait du temps de la guerre de Troie.
Quoi qu'il en soit, fesfenHnes de Lesbos
(mt tou|ours eu dans l'antiquité um
Sande réputation de beauté et d'esprit :
ir éducation ajoutait a la force «t a
la vivacité de leurs facultés inteUectuet-
les, et les mceurs publiques à Lesboi
leur permettaient de se produire au àfè-
hors et d'exercer par tous leurs dosf
naturels une grsnde inOuence dansl«ar
patrie. « Les JÈoliens et les Doriens m
usaient plus noblement que leurs (rèrai
d'Athènes ou d'Ionie.... Ils ne reofier-
maient pas, comme eux, les fernani
dans le gynécée ; ils cultivaient leur es-
prit, et ne craignaient point de les vos
s'élever à la gloire littéraire. U y a^ait
à Sparte même des associations fémi-
Bines que présidaient les femmes l«ê
plus en renom parleurs vertus et leurs
talents, et où les jeunes filles se for-
maient aux nobles manières, en roétiw
temps Qu'elles apprenaient à chanter et
à bien dire. A LesDOs... l'éducation des
femmes avait un caractère plus poé-
tiqueetplusrelevéencore.... Les fenioies
n'y rougissaient pas de leurs taleats;
(f) Arist., Poû/., n, a, 9; Ptat, Bm*
quet, XIIL
(a) CicércQ , âm lms,fi , «• aS»
(3) Hom., //., IX y 273.
ILE DE LESBOS.
S19
eHes s'en vftataieiitaree fierté, etrigno^
ranee même opulente, même entourée
de luxe et <f honneurs, ne trouTait pas
l^ee défaut elles (1). » Par malheur
eette liberté , oetle culture intelleetuelie
ne servirent pas à les rendre meilleures.
Les femmes de Lesbos a?aîent une détes-
table réputation, et &% nombreux témoi-
inages nous attestent la corruption et la
lierversité de leurs mœurs. Il est difficile
Je croire, plus difficile enoore de prou**
rerquelesLesbiennesontété calomniées*
PoBTJtt nn Lbsbos. ^ Il ne faut pas
l'étonner si la poésie parut de bonne
leure et s'éleva à une grande perfection
èez 06 peuple riche, élégant et cultivé.
L'ile de Lesbos, si obscure aujourd'hui,
l'a pas dans toute l'antiquité d'autre
fivale peut-être qu'Athènes, à qui rien
n reate ne peut être comparé.
Ûo raoonte que la tête et la Ijnre d'Or-
ibée , jetées dans FHèbre par les Mé*
Mdea, avaient été portées par le Heure
wqo'à la mer et poussées de là, par les
ourants, sur la cote d'Antissa à Lesbos.
Jb son limpide de la lyre remplissait la
aer, les lies, et les grèves battues pas
K flots. A ees^ bruits inconnus^ les na>
litants accourent et recueillent la tête
rOrphée; la lyre mélodieuse fut placée
lins le même tombeau , et elle enehan-
lit les roches insensibles, et les flots
eteniissants. Depuis ce temps les fêtes
t les eiiansons divines habitent dans cette
le; c'est la bien-aimée des Muses (9).
^a tête d'Orphée rendait des oracles, et
on délaissait les temples de Claros, de
irynée et de Delphes pourienir consul-
er le prophète de Lesbos (8). Apollon
yait béni eette terre où Ton rendait tant
'honneurs à aes favoris, et il doua de
ens spéciaux les musiciens et les poètes
ui y naissaient. Il n'était pas jusqu'aux
ossiguols qui ne chantassent avec plus
le cliarme, soua les ombrages frais de
«esboB (4).
(i) Pierron , Bist, de la Littéral, Grecq,,
. r46.
(a) Stobée , LXII , p. 899 ; Ovid., S/rt.,
^1 , 5o.
(3) Philostnt.» FU ifjéfoiL éU Tymnss,
^f 14.
(4) Toyes une pbtttanto réfutation de eette
igeode dans let Èpuodet littèrairet en
>nent, de M. de SSwceUus, U, 236.
« Cette gracieuse légende avait son
fondement sans nul doute dans les tra-
ditions domestiques de la nation. Les
Éoliens de Lesbos étaient venus de l'an-
cienne Béotie, c'est-à-dire du pays des
Muses et des aèdes piériens ou thraoes.
£n apportant dans leur nouveau séjour
les rudimenu de la poésie, ils y avaient
apporté aussi le respect de ces noms sa-
cr& , qui étaient comme le symbole des
premiers efiforts du génie poétique et
de ses premières merveilles; il n'est donc
pas surprenant qu'ils aient rendu des
honneurs particuliers à la mémoire d'Or-
phée, et qu'ils aient cru sentir revivre
en eux-mêmes l'inspiration de l'antique
aède (1). »
Tbbpàndu. — Le premier tdes suc-
cesseurs d'Orphée que désignent des
témoignages certains est Terpandre, le
contemporain de Gallinns et de Tyrtée
(696).
Terpandre naquit à Antissa (2), et
descendait, dit-on, d'Hésiode ou même
d'Homère. Il Ait le premier, au témoi-
gnage d'Hellanicus, qui remporta le
prix aux jeux Camiens, dont l'institution
remonte à la vingt-sixième Olympiade,
(676) et fut couronné quatre fois aux
jeux Pythiques (3). Une sédition s'étanC
élevée à Lacédémone, l'oracle d'Apollon
conseilla aux habitants de faire venir
un poète de Lesbos. Terpandre était
alors en exil pour un meurtre dont on
l'accusait. Appelé par les Spartiates , il
fut si bien inspiré qu'à sa voix la dJs«
corde s'évanouit, et les citoyens s'eno^
brassèrent en fondant en larmes (4). Les
Lacédémoniens gardèrent en si haute
estime le génie de Terpandre , qu'ils le
placèrent au-dessus de tous les autres
{loétes, et que le plus grand éloge que
'on pût obtenir à Sparte, c'était d'être
mis après lechantre de Lesbos. Terpan-
dre demeura longtemps dans sa patrie
adoptive; il enseigna aux Dorions les
(x] AI. Pierron, Sut. de la Uu. Grecq, ^
p. 137.
(a^ Diodore et Tzelzès veulent que ce soit
à Methymne; d*autres le font ménie origi-
ui^îre d'Ame ou de Cymes , ce qui n'empê-
cherait pas d^aiUcan qu'il ne fût Lesbien.
( Suidas. )
(3) Plutarq., Sur la Musi^ae, c 4.
(4) Id., ihid., c. 42 , «to.
830
LUNIVERS*
8008 plos dûQX de la musique Lydienne,
et en ajontant à la lyre trois eordes nou-
velles, il loi permit d'exprimer toutes
les nuances du sentiment. Il s'en vante
lui-même dans ondes fragments qoi nous
sont restés « : Pour nous, dédaignant
« le chaut à quatre sons, nous enton-
« nerons des nymnes nouveaux sur le
« pborminx à sept cordes. » On pré-
tend que pour cette innovation Ter-
pandre fat cité (1) au tribunal des Ëpho-
res, et condamné à une amende :oe
qui ne s'accorde guère ni avec la recon-
naissance que 1^ Spartiates professaient
pour le poëte qui avait assoupi leurs
discordes, ni avec le respect qui leur fit
conserver si fidèlement rusage de cette
Jyre inventée par Terpandre.
Une autre innovation de Terpandre
fut d'appliquer a ses poésies et aux ou*
vrages d'Homère des récitatifs d'un
mode constant et déterminé (2). « Mais il
ne s'était pas borné à perfectionner la
dédamatiou des aèdes et des rhapsodes.
lies airs guerriers que chantaient les
Lacédémoniens , ces nomes qu'ils te-
naient pour la plupart de Terpandre,
devaient être autre chose que des chants
épiques. Les noms d'orthien et de tro-
cnaïque, sous lesquels sont mentionnés
deux de ces nomes, sutBraient à prouver
que Terpandre s'était servi de quelques-
uns des mètres inventés de son temps.
Il y a d'ailleurs un fragment de Terpandre
uniquement spondaïque, et non moins
grave par le ton du style que par la forme
de la versification : « Jupiter, prindpede
« tout, ordonnateur de tout, Jupiter,
« c'est à toi que j'adresse cecommence-
« ment de mes hymnes (3). »
Enfin, on attribue encore à Terpandre
l'invention de ces chansons de table que
les Grecs nommaient scoUes. Quand la
coupe s'était vidée à plusieurs reprises,
on se passait de main en main la lyre, et
l'on applaudissait le convive qui savait
le mieux faire parler la Muse. Le sujet
^'«étoit laissé au choix du poëte, le rhythme
Se pliait plus d'une fois aux exigences de
rinspiration. Terpandre fut sinon l'in-
venteur de ce genre de poésie, au moins
(i) Plut, inst, des Lacédém,, p. a5i ,
édit. Hutten.
i%\ U., Sur la Musique » III , 7;
(3) PierroD , p. 139.
•un des premiers qui y produlsireQt da
che&-d'œuvre (1).
Abion. — L'éooledeTerpandreseooQ-
tinua dans de nombreux disciples qui n
conservèrent les traditions. Elieseroblait
cependant s'éteindre, quand toot à txxf
elle brilla d\in plus vif éclat dans ou
génération nouvelle, représentée par
Arion(638).
Il était de Méthymne, et passa vm
grande partie de sa vie à Corinthe , à b
cour du tyran Périandre. De là Q se
rendit en Italie et en Sicile, où il s'es-
richit (2). On connaît la légende qui k
fait revenir dans sa patrie porté par o
dauphin qu'avaient attiré les aons de a
lyre. On prétend qu'Arion lui-mè»
avait consa<a^ le souvenir de cet évéM*
ment par une statue élevée à ses fraie
dans le temple d* Apollon, et Elieu nom
a conservé un hymne (3), les seuls na
oui nous resteraient du poëte s%
étaient authentiques, où Arion, s'adres-
sant à Neptune , rappelle te secours qa
lui sauva la vie. Quelque peu de croyaius
que mérite cette histoire, l'antiquiti
toot entière v a ajouté foi, et l'a ori^
brée par le génie de ses artistes et de
ses poètes.
Il n'est pas probable, quoi qu'en di*
Hérodote, ou' Arion ait inventé le di-
thyrambe. Ce chant consacré à Baceba
existait depuis longtemps, mais désor
donné et tumultueux; Arion en r^a b
rhythme et la cadence, ajouta un.rédt0i
se racontait les aventures du dieu M
on célébrait la fête, et forma un éKOS
qui dansait autour de l'autd. On ne sai
même s'il ne mêla pas à ces danses vM
sorte d'action tragique, que leprés»
talent , dit-on , des satyres.
Voici venir d'autres poètes, qui coati*
nuent dignement la gloire de ces pàa
de la lyre et de la mélopée antique.
Leschàs. — Leschès, filsd'Eschfi^
nus, étaitnéàPyrrha ouàMitylène(4:J
était un peu plus âgé qu'Arion, poiapio
florissait vers l'an 664. Cest un de ces
poètes cycliques, produits par le gétf
(i) On peut voir lur Terpandre ks •*-
moires de Burette, Acadiaùe deslmscnfùoai,
tome X , ancienne série.
(9} Hérod., I, ai; Oppien,T, iSo^cK.
f 3) Ëlien , XU , c. 45, ÈisU des Amm.
(4) PaoMUi.} X I a6-a7«
%
ILE DE LEâBOS.
d2f
fHomère, qui 9endi>laient ^étre proposé
de compléter, en fimitant, Toeuvrede
leor divin maître. Le poëme de Lescbès
arait quatre livres, et se nommait la
Petite Iliade: « Je chante liion, et la
■ Dardanie féeonde en coursiers, où
■ souffrirent mille maux les Grecs ser-
■ viteurs de Mars. » Dans ce poème il
racontait la dispote entre Ajax et Ulysse
|K)Qr posséder les armes d'Achille , l'ar-
rivée de Pbiloctète devant Troie, la mort
de Paris, le mariage d'Hélène et de Déi-
phobe, la mort d'Eurypyle, fils de Télé-
phus, tué par Néoptoleme, le cheval
if Ëpéus , rentrée d'Ulysse à Troie sous
un déguisement, ses intrigues avec Hé-
lène ,reolèvement du Palladium et enfin
le sac d'Ilion. Il nous reste plusieurs
fragments de Leschès, assez arides et
peu dienes d'intérêt. Cependant son
poème fut la source féconde uù vinrent
s'inspirer de grands poètes des âges pos«
térieurs. Pindare et Virgile furent de
Kux qui ne dédaignèrent pas d'y puiser
brgement ; et la Muse des tragiques atb€#
Diensy trouva souvent de grandes scènes
tt de nobles tableaux.
Alcbe. — Alcée était de Mitylène. De
« deux frères, Cicis et Antimenide, qui
liaient aidé Pittacus à renverser le t^rran
MélaDchrus , le dernier s'était particu-
ièrement illustré en combattant pour
es Babyloniens, et Alcée avait consacré
iDe de ses plus belles odes à célébrer
eur gloire. Le poète lui-même quittait
ouventia lyre pour l'épée, et sa maison,
emplie d'armes guerrières, semblait être
iutôt la demeure d'un soldat que celle
m enfant des Muses. Fort sans doute
e sa conscience , et de son courage ,
laintes fois éprouvé, il avait accepté
aiemeut sa mésaventure deiSigée, et les
ulleries des Athéniens sur la perte de
)Q bouclier. Banni , à la suite de la dé-
ûie du parti aristocratique, dont il
lait un des champions le j^us éner^ques ,
fît maints voyages , qu'il pnt pour
Met de ses chanU , et il alla jusqu'en
vpte. Puis ayant cru l'occasion ravo-
Be , il réunit les bannis , et envahit sa
Mrie. Mais Pittacus le repoussa, et,
iiqueur, il proclama une auuûstie. Il
i probable qu'Aloée mourut à Lesbos.
Alcée, homme de parti avant tout,
^ put sentir tout ce qu'il y avait de
lad dans la simplicité de Pittacus.
21'' Livraison. (Ile de Lesbos.
Ses odes politiques , que les anciens ad-
miraient surtout, étaient des satires
pleines de fiel et d'outrages, de ces ou-
trages honteux pour celui-là seul qui
s'abaisse à s'en servir. Quand il aura
bien ri des pieds plats, du ventre,
des engelures de Pittacus, le sage n'en
avait pas moins sauvé deux fois sa
Satrie, qu' Alcée n'avait jamais su défen-
re (1). On sent trop souvent le dépit et
la colère là où Ton n'aurait voulu en-
tendre que les nobles inspirations du
patriotisme. Mais quand il chantait les
combats, quand il poursuivait la ty-
rannie de ses invectives ardentes , quand
il représentait le vaisseau de la patrie ,
battu par les tempêtes civiles, près de s'en-
foncer dans les flots, Alcée avait trouvé
des accents dignes de son génie , et l'an-
tiquité tout entière avait rendu hom-
mage à la grandeur des j)ensées , à la
verve, à l'émotion du poète. Quintilien
compare le style rapide et magnifique
d' Alcée au style d'Homère (2). Horace
fait plus ; il l'imite, et le traduit souvent.
Cependant la muse menaçante d' Alcée
savait sourire quelquefois , et de retour
des camps ou de l'exil , s'asseoir à un
joyeux banquet pour chanter les dieux du
plaisir. La perte de ses poésies^ quoique
beaucoup moins estimées que les odes
politiques, ne laisse pas d'être regrettable
encore. On y eût entendu le chef farouche
de l'aristocratie soupirer pour Sapho,
devenue tout à coup msensible. « Cou-
ronnée de violettes , ô Sapho , au sourire
s! chaste et si doux , je veux dire quelque
chose, mais la honte me tient. » Et
Sapho : « Si tu avais la passion du bien
et du beau , et si la langue n'eût pas
conçu quelque chose de mauvais, la
honte ne couvrirait pas tes yeux , mais
tu parlerais sur ce qui est juste. »
Alcée, comme tous les aedes primitifs ,
avait consacré une partie de ses onants au x
dieux. Il reste de lui quelques fragments
d'hvmnes à Apollon , à Mercure , à Vul-
cain. Les odes d' Alcée se distinguent par
les innovations qu'il introduisit dans le
rhythme. « Les mètres lyriques d'Alcée
(i) Dioe. Lacrce ( Fia dé Pittacus) rap-
porte les différenta mots grecs créés par Al-
cée pour les besoins de sa violente polé-
mique.
(a) inst,Orat, Xy i.
) 21
823
LIJinVERS.
sont fort variés, et il est pvdiaMe mie la
plupart étaient de son invention. Il est
certain du moins que la strophe nommée
alcaïque.... était inconnue en Grèce
avant Aicée. Cette strophe est une des
plus heureuses combinaisons possibles
des anciens pieds, dactyle et spondée,
avec le trochée etl'iambe ; elle est courte,
nette, et preste, et je ne sache rieu de
mieux approprié à Texpression des sen-
timents passionnés, rien de plus animé,
rien enfin de plus lyrique (1). »
Sàpho. — Sapho était née à Mity-
lène> vers Tan 61 2. Son père, qu'elle per-
dit à l'âge de six ans, se nommait Sca«>
mandronyme, sa mère Cléis. Sapho
épousa un riche habitant d'Andros, Cer«
colas , dont elle eut une fille, « sa belle
enfant, sa Cléis chérie, dont la beauté
égale la beauté des fleurs dorées. » On
induit d'un mot de la Chronique de Paros
qu'ayant pris part à la conspiration d' AU
cée et d'Antiménide contre Pittacus,
elle fut forcée de a^exiler de Mitylèoe.
Peut-être trouvât-elle quelque temps an
asile à Érésus , d'où elle passa en Sicile.
On ignore à quelle époque elle y mourut*
Quoiqu'il en soit, les anciens égalèrent
Sapho aux plus grands poètes, et lui
rendirent des honneurs extraordinaires.
Partout on voyait son image , sur les
{ places publiques, dans les musées, dans
es bains, dans les temples. On admirait
surtout dans le Prytanée de Syracuse
une statue d'airain , chef-d'œuvre de Si-
lanion, enlevée plus tard par Verres.
Enfin, les Mityléniens, compatriotes de
Sapho, et les habitants d'Érésus, soit
qu ils revendiquassent sa naissance, soit
qu'ils eussent souvenir de son séjour dans
leur cité , lui décernèrent Thonueur de
figurer sur leurs monnaies (2).
ÊRiNNÂ. — On connaît les noms de
plusieurs des compagnes , des élèves de
Sapho : Anagora la AUlésienne, Gongyla
de Colophon, Eunica deSalamine; mais
celle qui détentes obtint le plus de gloire
est Érinna , morte à dix«neuf ans. Elle
était aussi de Mitylène, ou du moins elley
Sassa sa vie. Erinna y composa un poème
e trois cents vers : La Quenouille. Elle
l'avait conçu, assise, occupée à manier
(t) Al. Pierron, p. 144.
(a) Arisfote, Rhéloriq., 11, 23; PoUux«,
On., rx., 84; cf. Pierron, p. 144 et wiiv.
la quenouille «n te fiiseau. à V'vam et
sa mère , qui lui défendait de cultiver la
poésie. « Ce n*est pas là un long ouvra^
«dit uneépigramme de l'Anthologie,
a c'est l'ouvrage d'une vierge de dîx-neuf
« ans. Mais que d'autres ne surpasse-t-il
« pas ! Ah ! si la mort n'était venue si
« vite, est-il un nom qui eûtégalé le sien?»
Êriuna mourut au début de sa gloire
naissante» avant d'avoir eu le temps de U
confirmer par d'autres chefs<d*œuvre (1).
Musici]U<s-,PiiBYisis,STC. — Après
cette glorieuse génération qui avait pro
duit Arion, Alcée, Érinna, Sapho, Li
décadence commence'pour la poésie les-
bienne. Alitylène , la patrie des chantres
inspirés et des aèdes mélodieux, est aussi
la patrie de Phrynis, qui partageait avee
Cinésias d'Athènes et Timothée de Milet
le reproche d'avoir liâté hi ruine de I*art
Musical (2).
. Phrynis, selon l'historien Ister, aurait
été d'abord cuisinier chez Hiéron le Tj-
lan, qui, s'intéressant à ses premiers
essais, fît cultiver ses talents par lesroeil-
leurs noaitres. Aristoclite, un des des-
cendants de Terpandre , Ait son mato
de cithare, et Phrynis profitais! biend:
ses leçons, qu'il fut, dit-on, le premier
qui remporta le prix de cet instrumeo:
aux Panathéuées (457). Plus tard il tui
vaincu dans la même lutte par Timotbér
de Milet. S'étant présenté à LacédéinoiK
avec sa cithare à neuf cordes , i'Éphort
Ecprepès se mit en devoir d'en cou^<er
deux, lui laissant seulemcAit le choit
entre celles d'en haut et celles d'en b3>.
Jus<)u'au temps de Phr>'nis (3), des rè^ik <;
sévères présidaient à la composition 6- <
morceaux de musique faits pour la r;
thare et au jeu de cet instrument. LW»
devait être composé sur un certain mo;lc
partir d'une certaine corde de la citharr-.
y revenir souvent, s'y terminer; chaqt;<^ '
son s'entonnait, chaque corde se pinivut
toujours d'une seule et unique manière
(i) On attribue cependant eneore à Énsiu
un hymne à la Forcé (elç t^v ^{av)v ), plr:a
de |)<)ésie et d'inspiration; nais il est i-i ^^
probable que le titre doit se traduire ûièu :
jà Rome; ce qui en reporte la compotilioe
beaucoup plus tard.
(») Yoir Burette, Jc^tL Jts Inscrif. .^
t. X , p. »2«.
(3) Burette) îMem»
ILE BE IMSBOt.
^9^K'
et si parfois on adfnettâît mielqiwfl ov-
Demeots , ils étaient fixes et invariables
pour chacun des sons où on les daignait
souffrir. Phrynis^ abandonnant ce ton
austère et grave de la rpélopée grecque,
commença par ajouter deux eordes nou-
velles à la lyre, qui depuis Terpandreen
avait sept, et, rompant la cadence simple
et retenue de Tancienne école, amollit et
fatigua la voix, jusque alors simple, de la
musique dans un embarras d'inflexions
et (l*intonation3 doocerenses. « Qui vous
a pu mettre ()ans ce bel état , ma sœur ?
dit la Justice à la Musique , qui arrive
en habita de l^mme. le corps tout
meurtri.... Hélas, c'est Mélanippide, qui
a commencé à m 'énerver... Puis Ciné-
sias , ce maudit Athénien , avec ses in-
flei^ions de voix placées contre toute har-
mouie daps les strophes, m'a perdue et
défigurée , au point quMl en est 'de ses
dithyrambes comme des boucliers : on
n'en voit ni la droite ni |a gauche. Vous
n'auriez jamais dit cela. Mais Phrynis
en m'entravantdans je ne sais quels rou-
lements qui lui sont particuliers , en ma
faisant flephir, pirouetter à son gré, m'a
mise à la mort pour vouloir trouver dans
cinq eordes douze harmonies différen-
tes. V Ainsi parle la musique dans une
comédie de Pnérécrate (1) ; et il faut bien
croire que Phrynis avait quelque talent,
puisqu'elle ajoute : « Toutefois ce n'était
'^ pas assez pour moi qu'un tel homme!
' car la faute faite , il ta rachetait. Mars
« c'est Timotbée qui m'a achevée «
Les noms qui se présentent après le
jioni de Phrynis sont , peu s'en faut ,
inconnus ; c'est Agénor, de Mitylène, qql
fonda une école de musique ; c'est Denys,
également de Mitylène, surnommé Bras
de ciiir, ou le Cordonnier, Il avait écrit
plusieurs poèmes épiques, dont l'un était
intitulé : {'Expédition de Bacckus et de
jï/meri?e;sixlivresde5 Argonautes , en
prose, ainsi qu'un recueil de Récits My*
thologiques. Denys semble avoir joui
dune certaine réputation, et son autorité
^^ souvent invoquée par le scoliaste
d'ADollonius de Rhodes, et même par
piodore de Sicile. On ne sait d'ailleurs
le temps où il vécut; mais ce doit être
« une époque assez reculée. On ignore
de même le temps de Théolyte , de Mé-
(î) PluUrq. , Sur la JHtmq.y ch. xxx .
thymne. AMnée cite tBols vera d'uae '
histoire ^Baoohu8(|ii'ii lui atlrikw; on
croit qu'il avait composé enoore en wm
l'histoire de Lesbos ou de Méthjrmiie.
•r- iCsobrioB, de Afitylène, aoottOfiagQa
Alexandre dans ses expéditions; e'était,
un poète épique, le familier, l'ami îd*
time d'Aristote. Enfin on cotmaft qoelt
guea épi^rammes et un soolie d'Alphée
de Mitylène, et les noms de XénopbaBe,
peëte antique, ée Crioagoras, auteur
d'épigrammes , d'Afehytas et de Grati-
nus, fous deux rousieiens , le premier de
Mitylène, le second de Méthymne.
HlSTORlBNS : HBLLA^IflGOS, MY HSILB,
Tetbophanb, eto. —Le plus ancien his-
torien qu'ait produit Lesbos est Heila-
Rions, qui naquit à Mitylène, en 4M, et
mourut en 41^. Quoiqu il ait été aoeusé
souvent de négligence ou de partialité ,
les fragments qui nous restent de lui
font regretter ce qu*on a perdu. Les
anciens citent de cet auteur un nombre
considérable d'ouvrages ; mais la plupart
semblent n'être que des parties, des ebapl«
très d'histoires particulières. Hellanicua
avait éerit « dans le genre de Fhérécyde
et d'Héeatée des descriptions ethnogra*
phi(|ues , des généalogies , des chroniques
nationales et étrangères. Un de seséorita
intitulé : ks Prétresses de Junond'Âfyos
contenait la liste de^ femmes qui avaient
desservi, dès la plus haute antiauité, le
sanctuaire de Junon, et le récit des évé-
nements plus ou moins authentiques aux-
Suels s'étaient mêlées ces prêtresses eu
ontd'Argos avait été le théâtre (1). »
Myrsile ou Mjrrtile était de Méthym-
ne. L'époque ou il vécut est tout à fait
incertaine. Il avait écrit une histoire de
Lesbos, fort estimée. Strabon, Pline, De*
nys d'Halicarnasse et bien d'autres invo-
quent et confirment son autorité (S).
Herméas, de Méthymne, avait composé
une histoire de Sicile depuis les temps
les plus reculés jusqu'à la première année
de la 101« Olympiade (376 ).
Heraclite était auteur d*une histoire
de Macédoine.
Charès de Mitylène avait écrit au moln^
dix livres sur les actions d'Alexandre ;
Atlïéiiiée, Plut^rque citent souvent son
(x) Alex. Pierron, p. ao3.
(i) Strabou , I, i ; Pline , Bist, Nat,, IIT>
7 , IV , 12 j Deo. d^Haltc., I , «3 , aS.
31.
as4
L*UinV£RS.
ouvrage (1). Athénée en nppcHte même
de nombreux fragments. On voit par ces
passages que Charès ne s^était pas borné
à raconter sèchement les exploits du roi
de Macédoine , mais qu'il avait mis tous
ae& soins à recueillir toutes les notions
possibles sur les pavs conquis. Le style
de Gbarès est clair , él^ant ; les morceaux
(fue nous possédons de lui sont des plus
intéressants (3).
Théophane de Mitylène est de tous
jes historiens de Lesbos le plus célèbre
par son génie comme par les services
qu*il renmt à sa patrie. Tout à la fois
historien, poëte, et homme d'État , il
eut la gloire d'avoir pour ami Pompée,
qui lui demandait souvent conseil et
1 interrogeait dans toutes les affaires
d'importance (8). L'époque précise de
sanaissance, commeles commencements
de sa vie sont ignorés. A peine sait-on
2u'il était d'une famille plébéienne (4).
Quoique sa liaison avec Pompée ait dû
se former de bonne heure, Théophane
n'apparatt pour la première fois sur la
scène que dans la guerre contre Mithri-
date , dont il raconta Thistoire. Pohipée ,
charmé de cet ouvrage (5), décerna à son
auteur le titre de citoyen romain en
présence de toutes ses légions. G'eft
dans cette histoire sans doute que Théo-
phane, se vantant d'avoir vu les papiers
de Mithridate, accusait Rutilius Rufîis,
rhomme le plus honnête. de son siècle,
d'avoir donné au roi vaincu le conseil
d'^orgerlesRomains(e};cette calomnie,
qui avait i>our but de venger Pompée
des révélations produites contre son
père par Rutilius, n'eicita que l'indigna-
tion et le mépris public. A son retour
en Italie , Pompée , cédant aux instances
de Théophane , eut la complaisance de
visiter Mitylène. Il y fut reçu avec les
plus grands honneurs chaque année :
on y célébrait des jeux , où se récitaient
(i) Plut., Alex,, ao, a4 ; Plioc., 17 , etc.
(2) Toir nolamment Alhéoée , XII , XIII,
MI passim. ,
(3) César, Gwr, c/W/., UI, c. i8;Strab.,
xin.
(4) C'est ce qaH>D n^admet pas toujours ,
tant 8*eD feut, mais ce qui nous semble res-
sortir du passage de Ciceron : Ad Atticum,
y^Epist,, 7. /
. (5) Val. Max.,Tni, 14, 3.
(6) Plut., FU iU Pompée , 37.
diverses pièces de poésie; cette fois elles
roulèrent toutes sur les grandes action
de Poînpée. Touché de cet accueil flat-
teur (1), Pompée rendit à Mitylène ses '
anciens privilèges. Cette amitié illustre
avait mis Théophane en rapport avec
les principaux Romains; il avait des r^
lations avec Atticus, et par lui avec
Gicéron. L'an 59 avant J.-G., il fut
chargé de porter à Ptolémée Aulète le
décret du sénat qui lui con'firmait la
souveraineté de 1 Egypte. On le soud-
çonna d'avoir dans cette ambassade
sacrifié les intérêts de la république à
ceux de Pompée. « Timagene assure
que Ptolémée abandonna ses États sans
y être forcé , et le tout à la persuasion
de Théophane, qui en cela se proposait
uniquement de procurer à Pompée U
commandement d'une armée et de nou-
veaux moyens de s'enrichir >. Platarque
rejette cette opinion de Timagene (1,
mais par estime pour les sentiments dé-
sintéressés de Pompée, et non pour le
caractère de Théophane. Gelui-ei n'était
pas marié, ou au moins n'avait pas d'en-
tants, quand il s'embarqua pour TË*
ffvpte. Autrement, il se serait bien gard^
oadopter Cornélius Ralbus, qui par Li
devenait son héritier.
Théophane eut le bonheur de con-
tribuer plus tard au rappel de Cioéron,
proscrit, et enfin dans la guerre civile,
il embrassa le parti de Pompée , et pr
ses avis, décidés et résolus , il fit tonioer
tout espoir de réconciliation. Après
Pharsale, les raisons de Théophane pré-
valurent, et Ton prit la route d'Egypte,
où la mort attendait Pompée (3). Après
l'assassinat du dictateur , on ignore ce
qu'il devint. Il est probable qu'il mourut
{)eu après la mort de Pompée. Les Mit}-
énienSfL reconnaissants de l'immense
service qu'il leur avait rendu , lui accor-
dèrent les honneurs divins. On possède
plusieurs médailles qui représentent ses
traits. Le plus important et le plus cu-
rieux des ouvrages de Théophane était
sans contredit rhistoire des guerres de
Pompée. 11 n'en reste que quatre frai;-
ments , trois dans Strabon , qui témoi-
gnent du soin et de l'exactitude de Tau-
i
i^ Plut, Fie de Pompée, 4^.
a) Id., ihid.^ 53.
(3) Id.. iàid.f 76.
ILE DE LESfiOS.
n&
teor, «ile quaftiième, dans Plalarqoe»
qui aa reste a largement usé de eel
ouvrage dans la vie de Pompée. Dio-
gène Laerce cite de Théophane un livre
tfe la Peinture 9 sorte d'histoire des
peintres; quant à ses poésies, il n*en
reste gue deux épigrammes dans TAn-
tbologie(l}.
Les descendants de Théophane rem-
plirent des postes éminents, et son fils
et sa petite -fille, Marcus Pompeîus
Macer et Pompeia-Macrina eurent la
gloire d*étre persécutés par Tibère. Con-
damnés à Texil, ils se donnèrent la
mort (2).
Philosophes : Pittacus; Théo-
PHBASTE, etc. — Pittacus n*était pas
seulement le plus grand citoyen de Mi-
tylène , c'était aussi un poète éminent,
comme Selon, son contemporain et son
émule. On sait par Suidas et par Diogène
Laerce quMl avait composé plus de six
cents vers élégiaques. Il avait aussi adres-
sé un discours en prose à ses concitoyens
pour leur conseiller le respect des lois.
Comme philosophe, c'était un de ces hom-
mes d'une vertu pratique et exemplaire,
simple et accessible à tous, indulgent en-
vers les autres, désintéressé, fidèle à sa
parole, humain, prévoyant, habile au
besoin; c'était ce que les Grecs appe^
laient un sage.
Épieure à trente-deux ans vint à Mi-
tylène, et y établit une école, qu'il
laissa par son testament à Hermacnus,
fils d'Agémarque. Aristote aussi s'établit
deux ans à Mitylène ; son disciple le plus
aimé et le plus illustre fut Theophraste.
Théophraste était né à Ërésus (371).
C'était le fils d'un foulon, nommé Mé-
lantas. Il eut pour premier maître Al-
cippe, son concitoyen, qui jeune encore
se rendit à Athènes pour suivre les le-
çons de Platon ; c'est là qu'il se Ua avec
Aristote, qui avait à peine douze ans de
plus qoe lui. Quand plus tard le chef
du Lycée fut forcé de fuir à Chalcis, pour
se soustraire à une accusation d'impiété
portée contre lui, il choisit Théophraste
pour lui succéder , de préférence à Eu-
dame de Rhodes. La renommée de Théo-
^ (i) Voir sur Théophane in mémoire dé
l'abbé Sévin , Jcad, des JtucripLy t. XIY ,
p. 143.
(ï)Tacit.9^m»., Tlyxe.
phraste, déjà si grande dans toute la
Grèce, accrue par ce^ choix éclatant,
attira de toutes parts de nombreux au-
diteurs, avides de recueillir ses leçons.
Simple, mais entraînant dans son lan*
gage , de mœura austères et d'un abord
aimable, dans un temps où Athènes,
épuisée par vingt-sept ans de guerre et
deux révolutions , vo}[ait ses places pu-
bliques , son théâtre vides et silencieux ,
il eut la gloire de réunir autour de lui
1>lus de deux mille élèves, et parmi eux
efils d' Aristote, f^ioomaque, Ménandre
le poète comique , et Démétrius de Pha-
1ère. Forcé un instant de s'exiler d'A-
thènes pour obéir à la loi de Sophode,
oui proscrivait toute philosophie et tonte
école non approuvée par l'État, il y ren-
traLl'année suivante quand le peuple eut
rapporté la loi. Théophraste refusa cons-
tamment les offres du roi d'Egypte Pto-
lémée , et celles du roi de Macédoine
Gassandre, et mourut à quatre-vingt-cinq
ans, entouré de ses élèves , dans sa pa-
trie d'adoption. Toute la ville d'Athènes
assistait à ses funérailles. Il laissa /par
son testament, presque tout son bien
aux deux fils de son frère , et sa biblio-
thèque, qui contenait celle d' Aristote, à
Nélee, son disciple. On sait qu'elle tomba
oisuite dansjes mains d'Apellicon de
Téos , puis de Sylla, qui sauva de la des-
truction ce précieux dépôt. — Théo-
phraste avait écrit plus de deux cents
ouvrages, dont Diogaie Laerce donne les
titres : ils traitaient de la gran^maire, de
la logique, delà rhétorique, de la poésie,
de la musique , des mathématiques , de
la morale et des sciences naturelles. Nous
avons quelques fragments de l'Histoire
des Animaux , un traité des Pierres , et
surtout l'Histoire des Plantes, le traité
des Gause!^ de la Végétation , et le livre
des Garactères. Mais ce dernier ouvrage
n'est à vrai dire qu'un recueil de frag-
ments extraits par des copistes plus ou
moins habiles du véritable ouvrage de
l'auteur. Get ouvrage était une poétique
ou une rhétorique a la manière d' Aris-
tote. Ges fragments mêmes, réunis en-
semble et précédés d'une préface apo-
cryphe , suffisent pour nous donner une
idée du talent de Théophraste. Tandis
qu' Aristote, ^n maître, se borne à des
traits généraux et embrasse l'ensemble
de la vie humaine , Théophraste prend
9M
vmavms.
iiiihoiiinie,doiit il £ût mn tfpe;ik KenM
en scèlM, il le fait agir et parier, puis le
dessine et le déerit en détail. Les trnts
sont absez bien dnoisis, les observations
fines et piquantes, le style aisé et r»-
)pide. Ce qui manqne surtout , c'est la
naîTeté. Le livre est d'ailleurs ptein de
t^naeîgnenMnls curieux sur les oieeurs
du teuQps.
Ph8Biasd*Érésus,amideTbéophn8tei»
dont la vie d'ailleoips est oomplétenenl
ignorée , avait composé cin(| livres sur
les plantes , deux sur les poètes , un sut
la Mort des tyrans, trusteurs livres con*-
tre les sophistes, deax livres sur les prf-
tanes d'Érésus , et plusieurs autres ou*»
vrages, souvent cités par l'antiquité. On
trouve eoiDore du temps de Théopfarastes
Échéoratide de Méthjnmne et, bIus tard^»
CratippuS de Mityiène s regardé par &•
céron comme le chef des péripatéàcienA.
Il était dans la députation qw vint, après
Phareale, prier Pompée d*aborder èLe9>
bos, et il chercha en vain & te consoler en
lui pariant des dieux. Les philesophes
Aris^ote, Prâxiphane, Primigène étaient
aussi de Mityiène, ainsi ^ne Lestonax.
Ce del-nier vivait sous Auguste. Il avait
étudié la philosophie à réoote de Timé*
crate. Doué d*un certain talent, il emsef-
gna avec beaucoup de suoeèsTélo^uenoe,
c'est-À-dire la rhétorique. On possède en-
core deux des discours ^u'ii donnait
sans doute à ses élèves ^mme àèê tm^
^ dèles à imiter. Son fils Potamon fut Thé-
ritier de ses talents et de sa réputatioto^
Il enseigna la rhétorique à Rome, et jouit
de la foveurde Tibère. Quand ilvoulmri-
venirà Mityiène, Tempereur, pour sauve*
. garde, lui donna une lettre écriée de sa
main. Elle ne contenait que ces mois:
' « C'est Potataion, ^Is de LensboMix. (SI
« quelqu\in osait lui faire tort, quil voie
« s*il est de force à me faire la gueite. «
— Potamon avait écrit plusieurs ou*
vrages, unf«ntre entras sur Alextfkidin
le Grand , et les éloges de Brutus et de
Tibère. On connaît encore les noms
d'iË&chine, de Catlias, de Seamen,d'A-
dsBus,commentateur8 ou granmaitiens,
tous quatre de Mityiène.
Pour n'oublier aucun cent^ de gloire,
citons encore Lesbot^emfis, ieseutscolp-
teur qu'ait produit Lesbos , Ariston et
Euniens, célèbres dseleurs de Mityiène ;
HéruclHe, esoMnotenr. qu*ÂlexsAi<M
emoMaalt aiM lui dauu ues cau^pagM^
enôn Léon, qui ne trouva janiais ses
égal aux échecs.
IV.
USTÔIRE nS Ii'IlB DB LlSBOSPSVnÂRI
LUS TBHP8 MODB&ITBS.
ÉTAT DE LBSBOS SOUS LA DOMIRÀ-
TION DES EMPËBEURS BYZANTINS. -
Lesbos, comprise après Tbéodose dan
l'empire d*Orieïit , vécut paisible et oa-
bliée tant que la domination byzantine
fut solide et bien affermie (1). Mais dès
que les barbares commencèrent à s'aven-
turer sur les mers de T Archipel , ebaqw
guêtre nouvelle lui apporta dés malheurs
nouveaux. Placée sUr le chemin des cou-
reurs de mer, qu*elle abrihiit derrière sfs
cdtes immenses , elle ressentait cha(}ue
secousse donnée h Tempire. Sa situation
attx pof-tes des Dardanelles , en face de
l'Asie, en faisait lé but du premier ambi-
tieux qui visait aU trône de Byzance, ou
de Tavide étranger qui ne cherchait que
le pillage. Les premiers siècles du moyen
âge ne présentent qu\ine succession con-
fuse d'invasions et de tremblements de
terre , qui semblent également se pro-
duire à des intervalles réguliers. Lesbos
dut à souffîrir surtout des Sc}'lbes ei
376, des Esclavons en 769, des Sarrasios
d'Espagne et d' Afrique en 82 1 ,88 1 , 1 035.
des Russes en 864 , 1027. Quelques faits
épars dans les Byzantins viennent de
temps en temps interrompre la mooo-
tonie de cette désastreuse histoire.
On lit dans Procope que Bélisaire
avait fait transporter à Bvzance les pri-
sonniers vandales , et qu on les en>oja
dans l'Orient pour combattre les Perses.
En 538, quatre cents d'entre eux, eo
arrivant à Lesbos , se révoltent, forcent
les matelots à se détourner de leur route,
et, se dirigeant d^abord vers le Pélopon-
nèse , parviennent à gagner T Afrique.
leur terre natale (2). Ea 741 les pro-
(i} Gonsta^tio Porphyrogénèle la pUtr
daus le dix-septième tbèiue ae VEmpirt d'O-
rient, IÇ 6£(i.a , Ta xaXovuievov àIyoTov 'i-
Uyo;, t. in, p. 4i, édîl. Nieb. fille eul
deux évéchés, à Mityiène, et à MétltjmiK.
relevant de la )prot4iiOe de Rhoées; L«pea,
t. T, col. ^53,961. rej, pNto haet, |>. i)3-
(a) Prooope, Guerre des Fandaies, I. D»
c. z4, 1. 1, p. 47«> édtt Benàk
ILE DE LESBOS.
827
diges dv temps d*Orphée se renonvellent :^
les reliques de Sainte-Euf^hémie, jetées
à la mer par le fanatisme iconoclaste de
CoDStantm Copronyme, sont portées
doucement par les flots jusqu'aux riva-
ges d'Érésus , où la piété des habitants
les recueille a?ec honpeur (1). — Le
commencement du neuvième siècle vit
se terminer à Lesbos une grande infor-
tune. Après s'être élevée de la pauvreté
au trône de Gonstantinople et avoir un
moment songé à la main de CtiarVema-
gne, Fimpératrice Irène est détrônée
par l'hypocrite Nicéphore et reléguée ft
Prinkipo, puis à Lesbos ( S02). La , pri-
sonnière et gardée à vue, elle manquait
du nécessaire , réduite à filer pour ga-
gner sa vie. Elle mourut l'année suivante,
et fut enterrée à Lesbos même, dans un
monastère qu'elle avait fondé. Les Grecs,
oubliant les tristes exemples qu'elle avait
donnés au temps de sa puissance, et
touchés par le délaissement, la misère
et le repentir de ses derniers jours, Pont
mise au rang des saintes, et célèbrent sa
fête le 15 août (2).
La septième année du règne de Mi-
chel (849), le patriarche Ignace, qui re-
prochait sans cesse au César Bardas ses
honteuses amours avec Eudoxie, sa bru,
ayant osé lui refuser les sacrements , est
arraché de l'autel, et, après d'affreuses
tortures , relégué à Mit}Mène. Mais, plus
heureux quTrène , il ne termina pas ses
jours dans cet exil (S). En ^45 la dis-
corde et les crimes de la famille impé-
riale rejettent à Lesbos une nouvelle
race de proscrits. Etienne et Constantin,
fîls de Romain Lécapène, s'étaient à peine
emparés du trône en jetant leur père
dans un cloître, qu'à leur tour ..'Is sont
Inversés pat leur beau-frère Constan-
tin Vïl Porphyrogénèfle. Saisis tous deux
à table, tous deux sont tondus ^(' faits
moines. Etienne, relégué dans Vile de
^oconèse, puis à Rhodes, est en On
déporté à Mitylène. il y vécut dix-beuf
(i) Michel Glycas, AnnaiM^ pari. IV,
p. %Zoy in-S**. Zoaaras dit qu'elles furent
poiusées vers les rivages de lîeinnos et non
de Lesbos. Actuellemeni eDes «out à Cous-
lantiûople. Toir une note de Banduri, //n-
ftrïum Orientale, L II, p. 672.
(a) Voir la rU d'Irène, par Vaâihé Millol.
(3) Simèon IMagi^uar, p. 667, in-8».
ans , sans impatience , sans r^ets. £n*
fin , un samedi saint , au retour de la
messe, où il avait communié , il tomba
mort, empoisonné par ordre de Timpé-
ratrice, à qui il feisait ombrage (1). —
Quelques années plus tard , tandis que
Tempereur Jean Zimiscès était occupé
à repousser les Russes , éclate la révolte
de Bardas Phocas (971). Llle de Lesbos
était le principal fo^er de l'agitation.
Léon Curopalate, père du général re-
belle , exilé par l'empereur à Mitylène ,
était parvenu à entretemr de là des rap-
ports avec Etienne, évéque d*Abydos,
et par son entremise il promettait aux
Matcédoniens honneurs et argent pour
les soulever contre Zimiscès. Celui-ci,
averti à temps, ordonna qu'on lui cre-
vât les yeux (3). Mais le soldat chargé
de son supplice, soit qu*il se fdt senti
saisi de pitié pour une si grande infor-
tune , soit que Tempereur, se repentant
de cet ordre sévère, Teât lui-même se-
crètement adouci, épargna sa victime.
Les paupières de Léon étaielit restées
saines, et sa rue intacte. Aussi Tannée
suivante il parvint à corrompre ses gar-
des et à s'enfuir. Arrêté tout d'abord
à Constantinople, avant de pouvoir don-
ner suite à ses projets ambitieux , il fut
cette fois livré a des a^nts sdrs, qui Ta-
veuglèrent sans miséricorde , et de là fl
fin relé^ à Calonimi Besbicns) (3).
Au siècle suivant , Lesbos vit encore
d'autres illustres victimes des caprices
de la fortune. Constantin Monomaque
ét^it depuis sept ans gardé à vue à Mi-
tylène , quand un ordre arrivé de Cons-
tantinople vint changer sa fortune. Sa
passion pour Timperatrice Zoé avait
causé sa perte. Zoé, débarrassée de son
époux par la violence , rappelait son fa-
vori, le nommait gouverneur de la Grèce,
et bientôt après s'unissait à lui (1 1 juin
1042). A son tour, Constantin Monoma-
que put se venger de ses ennemis. L*eu-
ntrque Jean , frere de l'empereur Michet
le Paphlagonien , vivait au delà du Bos-
phore, dans un monastère. Monomaque,
qui lui impu^it son exil, le fit trans-
porter à Mitylène, avec ordre de lui cre-
(i) Thèophrastes CoutiDuatus,'VX,pu 439;
Lebeau , t. XIT, 74, c. a, édit. Saint-Mvtiflu
(a) Léon Diacre , TIU, i , a.
- (3) Id., IX , 3 , p. 145.
zus
wjmms.
?er les. yeux. Jean mottrut douze jours
après (t) (12 mai 1043).
iNGUfisiONs DES TuBcs. — Au mi-
lieu des guerres qui agitèrent Tempire
à la fin du onzième siècle, un aventurier
turc, nommé Tsachas, (assemblant
garante barques et des matelots expé-
rimentés, se prit à courir rArchipel et
à en .ravager toutes les côtes. Pbocée,
Ciazomènes tombent entre ses mains.
Fier de^es succès, il mande alors offi*
cîeusement au gouverneur de Lesbos ,
Alopus , qu'il va se présenter avec toutes
ses forces. Il lui conseillait, s'il était
sage, de lui laisser la place libre, ou si-
non qu'il le ferait pendre. Alopus ne se
le fit pas dire deux fois, et partit de nuit
pour Gonstantinople. Tsachas vint à
Lesbos, et llle tout entière fut à lui. Il
ne trouva de résistance qu'à Métbymne,
gui soutint un siège. Mais Tsachas, ne la
jugeant pas digne du temps qu'elle lui
ferait perdre , se rejeta sur Chio, qu'U
conquit sans peine (2). A ces nouvelles,
l'empereur Alexis Gomnène (1089) arme
une Botte, et la confie à Nioétas Cas-
tamonite. A la première rencontre. Ni-
cétas est vaincu, et laisse une partie de
ses vaisseaux au pouvoir de Tsachas.
Une seconde flotte impériale, comman-
dée par Constantin Dalassène, va repren-
dre Chio, et retourne en toute hâte à Cons-
tantinople pour porter secours à l'em-
pereur contre les Scythes. Alexis, enfin
lib jpe de ce côté, se retourna vers Tsachas,
qm déjà se faisait nommer empereur et
prenait Smyrne pour capitale de son era-
pire (3). Cette fois il eut pour adversaiira
Jean Ducas, le vainqueur des Scythes.
Ducas commandait en personne l'armée
de terre, et Dalassène qui, sous sa di-
rection , conduisait la flotte , avait or-
dre de longer le rivage en modérant la
marche des vaisseaux, de telle sorte que
1 armée et la flotte pussent aborder a la
fois à Milylène. Dès gue Jean Ducas fut
d^arqiié, on se mit aux travaux du
siège. Galabaze , frère de Tsachas , dé-
fendit la ville. Tsachas lui-même accou-
(0 Zonare, t II, p. aSi ; 1. XVII , c. aa,
edit. de Paris, in-fol.
(a) Anne Gomnène, VH, p. ao5 et sui-
vante; edit. de Paris, in-folio. i65r. Toye»
plus haut, p. S7 6. ^
(3)Id.,IX,p. a45.
rut bientôt. Pendant trois mois' on le
l)attit presque tous les jours. Tsachas
se décida pourtant à parler de paix.
Il ne demandait qu'à se retirer libre-
ment à Smyrne , promettant de respec-
ter les Mityléniens et de n'en emmeoer
aucun avec lui. Il y eut suspension d'ar
mes ; un traité fut juré de part et d'ao-
tre, on échangea des otages. Mais des
incidents inattendus ranimèrent les hai-
nes^ et les défiances : la paix fut viol^;
et l'amiral grec, malgré Jean Ducas, qui
voulait respecter les serments donn^,
se mit à la poursuite de Tsachas, l'at-
teignit , détruisit la flotte turque et en
massacraleséquipa^es. Tsachas eut peine
à s'échapper, déguisé en matelot. Après
cet exploit, Dalassène vint rejoindre Du-
cas, et tous deux, ayant reçu la sou-
mission de Samos et des îles voisines,
retournèrent à Gonstantinople (1092).
Incursions des Yénitibn s , des
Catalans , dbs Génois. — Lesbos était
à peine remise de cette guerre , que la
rupture de Venise avec l'empire grec
attira sur cette île de nouveaux enD^
mis. Les Vénitiens s'irritant d'une in-
sulte faite à leur doge, se répandent dans
1 Archipel. En 1128 Dommique Michieli
met à feu et à sang Scîo et Lesbos , et ne
lève l'ancre qu'en emmenant une mul-
titude d'enfants des deux sexes, pour les
vendre comme esclaves.
Les historiens font mention, vers cette
époque, d'un intrigant lesbien , qui , par
son esprit rusé et persévérant, avait su
s élever d'un rang infime à la hauteur
d une grande fortune. L'eunuque Tho-
mas , né à Mitylène, d'une famille misé-
rable , fut élevé sans soin, et comme ii
convenait au sort qui lui semblait ré-
servé. Son ardente ambition le poussa à
Byzance. II y vécut quelque temps du
métier de chirurgien, ne pratiquant d'ait
leurs qée la saignée. Mais son adresse,
sa complaisance , son esprit plurent aux
malades. On le recommanda ; il s'intro-
duisit au palais; admis auprès de Hm-
pératrice , il entra bientôt chez l'empe-
reur. Manuel I, gui réetmt alors (Il 70),
comprit le parti qu'il pouvait tirer de
son talent pour l'intrigue ; il l'employa
dans les affaires , les n^ociations, les
ambassades. Les honneurs vinrent en
foule, les richesses avec les honneurs. Non
content d*étre riche, Thomas voulut
ILE DE LE8B0S.
3)9
DoMe; malt Hatnguè, par laquelle
I espérait arriver à ce terme suprême de
ion ambitioo, ayant échoué, il tomba en
iisgrâce, et ftit enfermé dans la prison
fu palais, où il resta jusqu'à sa mort. —
lest là le seul nom quait à nous pré-
enter dans tout le moyen âge la patrie
TAloée et de Pittaous, de Tbéopbraste
it de Potamon (1).
Lors du partage des terres de Tem-
)ire grée entre les Français et les Yéni-
iiens, plusieurs ties de r Archipel, Les-
)os entre autres , échurent aux Fran-
ais (1204). Mais après la bataille de
^émanène, où Robert de Ck)urtenay fut
aincu , Jean Ducas Yatace , le vain-
[oeur, s'empare des côtes de TAsie , et
Q plein hiver passe à Lesbos , qu'il re-
fend sans résistance. Une paix conclue
1 même année restitue cette possession
mportante à l'empire latin de Constan-
inople (1214). Mais/la guerre ayant re-
iris , après maintes alternatives de suc-
és et ae revers , Vatace assure défini-
jvement à l'empire grec de lïicée la
ossession de Chio , Samos et Lesbos
1247). Douze ans plus tard, le fils de
^atace, Théodore Ducas Lascaris, meurt
ans les bras de i'évéque de Mitylène^
m confesseur (1269) (2).
En 1305, des aventuriers, connus
)a8 le nom de Catalans ou Almogavares,
iennent, sous la conduite de Roger de
lor, se mettre au service de l'empire
rec. Mais, presque aussi cruels que les
drcs qu'ils allaient combattre, ils ran-
mnent chemin faisant les provinces de
Mirs nouveaux alliés. Partout où ilssen-
lient de l'or (8) , qu'il appartint à un
loine, à un prêtre ou à un officier im-
érial, ils l'arrachaient par des menaces
e mort et des tortures. Qui n'avait point
e richesses à livrer payait de sa vie le
lalheur d'être indigent. C'est ce qi)i ar-
tvaà l'infortuné Macbrama, à Mitylène,
(i) Jean Ciimame , YII , p. 997, in-S<» ;
kétas» yi, c. X, ete. Lesbosa fourni enooreà
Bostantinof le deux patriarches , Pacbomius
atûiaty qm t'étani emparé par la TioleoGe
B pauiarcat fut à ion tour expulsé et eiilé
Rhodes , sous le règne du sultan Sélim , et
aphael de Méthymne (i6o5).
(a) Ephroemiusy V, 9*57 ; Gregor. Acro-
al., Çhronocompend.f n. 74.
(5) Geor;^ Fiadiyvère , V, p. 43? ; in-8*.
C'était un des principaux ofttdeiv impé-
riaux, tout-pmssant dans la ûveiur du
S rince. Il avait sa demeure habituelle près
u Scamandre; dans la terreur causée
par les invasions des barbares , les po-
pulations, pleines de confiance, s'étalent
réfugiées spontanément sous sa protec-
tion, et il était resté dépositaire des ri-
chesses de ceux qui émigraîent. Mais\
forcé de fuir à son tour , u était passé à
Mitylène , avec le reste des habitants de
Ja cote. A l'arrivée des Catalans, il fut le
premier désigné à leur avidité. Il est pris,
enchaîné; on lui impose pour rançon
cinq mille pièces d'or. En vaiu protes-
te-t-U qu'il ne peut les payer ; après mille
tortures , il est décapité.
En 1336, sous le règne d'Andronic III,
le Génois Dominique, fils d'André Cata-
nes, qui tenait de la faveur de l'empe-
reur le gouvernement de la nouvelle
Phocée , se voyant maître d'immenses
richesses, que lui apportait la succession
de son père , songea à s'emparer de Les-
bos et a s'y .faire une principauté. Les
chevaliers de Rhodes et le prince des
Cyclades , Nicolas Sanudo , se joignirent
à lui. Mitylène, dans la terreur et la sur-
prise d'une attaque inattendue, livrée
peut-être par la trahison, fut emportée
sans peine. On se préparait à s'en par-
tager les richesses et à conquérir le reste
de nie , quand Catanes introduisit par
ruse une garnison dans Mitylène ; et de-
venu seul maître de la ville, il refusa d'y
recevoir ses alliés. A lui seul il avait
fourni dix trîrèmesà la confédération, les
chevaliers quatre, les Cyclades sept.
Catanes se sentait donc aussi fort que
Sanudo uni aux Rhodiens. Outrés de ce
manque de foi , les alliés repartirent sans
vouloir entendre aucunejproposition. Ca-
tanes commença par chasser de Mity-
lène les anciens habitants, et faisant
venir sa femme et ses enfants, qu'il avait
laides à Phocée , il prit le parti de s'é-
tablir dans sa nouvelle conquête. Toutes
les autres bourgades et tous les châteaux
de riie se rendirent sans résistance.
Érésus seule et Méthymne repoussèrent
victorieusement toutes les attaques (1).
A ces nouvelles, Fempereur, qui se
trouvait alors à Constantinople, entra
dans une violente colère, et reprocha vi-
(i) Nicépbore Grégoras, 1. XI, t. Jf p. $%5.
S30
VXSKVfwié
vemeAt aux Génois lent fouti>eiri6«ttear
parjure. Pois il fit ses préparatifis de
gaerre. En vingt Jours une flotte de
quatTB- vingt-quatorze vaisseaux, dont
vingt-quatre étaient à deux et trois ran^
de rames , se trouva prfite à partir. Sui-
vaient d*autres navires , portant les sol-
dats de terre , les vivres et les machines
de guerre (1). A Tépoque de la canicule,
dans la saison où les vents du septentrion
se précipitent sur la mer inférieure, l^em-
pereur mit à la voile avec toutes ses for-
ces, et sedirigeasur Mitylène (2) (13S7).
A la hauteur de Gallipoii, des édaireuns
découvrirent la flotte impériale, etTan-
noncèreht aux vaisseaux génois. On n'é-
tait pas en force pour combattre. Cinq
trirèmes ftirent chargées de porter des
renforts et des vivres à Calloni, vilie (S)
alors très-opuletite de Lesbos. Le reste
de la flotte alla couvrir Miiylène. L'em-
pereur, abordant à Érésus, félicita les
habitants de leur fidélité, qu'il promit
de récompenser , et se dir^ea sur Chio.
Le long de la côte, une de ces vigies
{>lacées sur tes hauteurs pour dénoncer
'approche des vaisseaux , héla la flotte
au passage : A qui ta flotte? — On ré-
pondit que c'était celle de Tempereur»
montée par l'empereur lui-même. —
Mais les trirèmes oe Caltoni , à qui donc
sont-elles? repartit le veilleur. — L'em-
Sereur crut comprendre que toute la
otte ennemie qiril savait a Mitylèue,
s'était.transportée à Calloni, et il fit vi-
rer le bord pour l'atteindre, il n'y trouva
que les cinq trirèmes échouées à terre ,
vides et sans maîtres. Il fit donner la
chasse aux matelots, réfugiés dan^ les
bois, et repartit emmenantses prises. Son
oncle, Alexis Philanthropène , resta, à
Lesbos avec ui) nombre suffisant de ca-
valiers et de soldats. Toutes les villes
de nie, proie facile du premier venu,
se rendirent à lui. îllui Mut faire cinq
mois le siège de Mitylène, à qui on avait
laissé le temps de se pourvoir et de se
fortifier. Enfin, erâce à son esprit conci-
liant et aux nonibreuses largesses faites
aux mercenaires delà garnison ennemie,
Philanthropène parvint à remettre les
choses dans leur premier état et à faire
il) CaDtticuzène, tl, c. 29, p. 477 ; iu-S^.
a) ?4ic. Grégoras , XI , c. 3 , p. 533.
Xi) fcttfcttenûyfc, t ,p. îi^ ,iii-8*.
rentrer Ffle toot entière aoes roHb
sanoe de l'empire grec.
LbSBOS socs le «OCVCBNEVnr
DS tA CAMILLE 1>BS GaTEIUZI. -
En 1955 Lesbos changea de maître.
Jean Paléologue P', pour récomf^pn»
François Oftte)u£fo, qui Tarait aidé i
Ï Purger TArchipel des pirates t^hih
ui donna en mariage la princesse Marie,
aa sœur , et pour dot rH« de Lesbos.
Aussitôt après la noce, les deux épos
partirent pjour Mitylètic (1). Peu i m
les possessions du prince génois s*a(ti»
rent de la ville d'Aïnos, des llesdl»
bros , Thasos , Lemnos , Sannothra^Ta
H eut peine à protéger tout son tsS
domaine contre les ineurstons coot^
rouelles des Turcs. SousOrkan, Oomo»
bç^, émir des cites d'Ionte, ravage Le^
bos (2). Sous Amurat ï*^, Tounis, effidi
des janissaires, assiège, mû sanssuMs^
Méthy mne (8) . Bajatets'y prit autremfll
Ïrour réduire les insulait«s. «esennwwsî
I leur coupa fes vivres ; à peine est-il rai
tre de ta côte asiatique, qu^il intetdittfnl
exportation de blé du continent dans !i
îles , spécialement dans les ttes de Le«
nos, Rhodes, Chio el Lesbos [\t9^
On en était là lorsmie se Ihnra la bataii
de Nicopolis, où le duc de I9evers4
tant d^utres restèrent prisonniers ad
mains de Bajazet. Jacques, fils de Pns
ÇDis Gateluzio, lui avait swxédé soh
souveraineté de l^e. Ce mouH va^m
baron , ûtd étoît assez en la gratti
amour ae VAmorah^ intervint awli
sire d'Abydos en faveur des captiftJ
resta même en gage pour le sîit de 0»
t^. vn sien cousin , qui nnalade et t?^
faible pour suivre l'émir, était dem«id
à Brousse, oà il mourut peu après A
Quand le prix de la rançon eut étéanA
aun conmiun accord à 2Q0,tNK) docais,
les sires de Mételin et d' Abydos en fîr«l
leur dette, et en répondirent àfémir »':
et quand les prisonniers eurent lear
ooii§é et délivrance, Jaofuee Gatelsad
«rinlkfl ohereher àBroMse, « âttait«t-
i;
i) Ducas , c. Xtt , p. 46, în-8^.
(a) Padi^èrfe, Iv, c. 29; Ti c-^'
Ducas, vn , p. a7, in-8*.
(3) Chaloondyie , X , prinerpio.
(4) Freissard, édinon Bnchon, in-^'
t. XIII , p. 4a8-4Bo.
(5) Dac», XTtl, p. 5ft, in-S**
iixsBimos.
Ml
fMëèMt fit niof tes jjâHéoB d6 HdteHn^
E'^tiBrentà pMt. 8\ ftireat le oiftoitt
Nev«rs«t louB m séignMn de Frmée
eçus à graMi foie. La dame de Méte^
ia, femme an ail seigaeiir, étoU amàt
trente.... ei m tint 4a bbatie damé
bien parée et heiidrée quand elle vit
àÀt «n son Miel le tiomie de Neven^
wssiire Henfy de Bar, meflanreOid de
I Tnéiboaf He et Xùv/a lee autrea , et en
it mcmlt téfeute \ et les recMîtKt jeyen*
Bnent et dotteetoeot, et «eordoMia de
m ki polbtt à leair faif« plaisir. Rt
lemilfeMeiit elle f«vétit tous les sei*
inrs de FVant^, et rafratehit et renoo»
Ma de HiMireantfi drapa, liages > et de
Ées et vétilles de fins draps de Dames,
ehm Tot-deMiatiee et eoutmae de Grèce,
tâprèi tetts les sei*vitiMrs des sefigtieim^
bflèeii èelen aoti état de deiffé en die*
né; ^ ie fit la dstaie pleinement ben-
fmtii sans tien fépergiier. De ^imi les
e^inrslui soufentton gré., et diran
nmi bien d'elle tti MeomMandaat son
tftt et ordonnanoe , et aussi dn bon ser-
benrde MéteUii et du seîgntenrd'Abyde,
ai les honoroient tant ^*ils pouvoienl
ilear administroient tons leurs néœssi»
i9.»Qaand onsutauetes seignevs fran*
lis se tenaient à Méwalin, Jeu&tfues de Bnh
nemoDt, marédiaide Rliedes, équipa
Nixealères, f^ vint SKHievani d'ent.
Et depuis qn'il fat venu, il se rafrafeblt
aatre jours , et ett etnquième les gal«
les futeot toutes prêtes et ebargées de
oMonDanee et peurn^aoee nouvelles
ts seicnenft de n'aBoe, dentelles Ai*
sntrafratchies. Le MX>mtede Nererseft
s seigneurs de France, wâ aves hd
ioient prirent eovisé de la dame dé
lételîD, et la remeraèrênt grandeeleat,
t aussi firetl^iis les seigneurs de leofs
itofaits et eoartoisies à desservir nu
imps à ^nir ; ^ par spécial le cornes
e Nevers, qui clienéieit de éous , «s ék*
Ht et obHgeeft de bonne volonté à dira
Bmdementtenu. La datneà Ions oommee
ien pourvue tépondfl sa^^ameiM, et ainsi
i firent les départies. Si entrèrent tes
eigneurs de France es gaUées asi port
t Mételin , et josques la tant q«*ils in*'
^l dedans la mer, le sire de Mételin
s eonvc^ de paroles et de vue, ^t puis
^rnaifnafriere.... (1). •
(i) iProUitod , t . UV , p. 5a ei soîv.
Il est à «roice que «es prévenances et
ses égards étaient peu m goût de Ba»
jOBet; aussi les seigneurs génois ne le
£nsaîent*ils que pour complaire au rW
ée France, car tans ce moyen Us n!en
euêsent Hem /aU (1). Mais Pallié qu'ils
recherebaient était loin, et le barbare
n'avait quVin pas à faire pour s'emparer
de OBS richesses, qu'il convoitait, Les
seignears génois pour conjurer le dan-
ger de ce terrible voisinage redoublèrent
de lèle et de servilité. Quand Tamerka^
vainqueur de Bajaaet, se fut emparé de
Smyme ( 1403 ), ieseeigneurs de Lesbos,
épouvaatély vinrent ae reconnattre trib»*
taires ^Q Tartare^ et se firent honneur
de recevoir de Mobamoset-MirM, son pe*
tit-fila^ un riche sceptre d*or, en échange
des sompt^ux présents qu'ils lui ap^Mr*
talent (S). Quand Mahomet 1^' vint à son
tour souoiettieSmyme, révoltée ( Hid ),
les seigneurs de Lesbos étaient dans
cette fbule de vassaux empressés qui
vinient le #eroher snr le contmefit^ pour
M apporter lenr trftrat, et renouvelev
leur nommai^, fin 1435> ils étaient
enoare à Êpheee , ^ Amurat II avait
convoqué tous ces vassaux d'Europe
et d'Asie. Mais s'ils retardèrent ainsi
leur mine, ce ne fn psn pour long»
temps»
Le métropolitain de MéteKn assista au
concile de BMe ( 14é6)^«t prit place
aiprès ceux de Trébiaonde^ de Cyzique ,
de Nioéeetde Nicooiédie.
Le fi décembre ( 1441 ) Mételin était
en Mes; Oéenges PhAntsa , l'Iiistorieft»
venait de débarquer avec OMasion d'oc^
eomplir les fiançaiUes du César Con^
lantin (3) et d'FiCatérsna, «Ile ée Notaraa
l^dléologue Oalehin« prince de TSIe; et
le 2V juiHetanîtaat Constantin ltti*méme
vewait sur les galères im^iériales célébrer
temanage. Il repartit bientôt, laissant
dans ile palais de son bcou^përe sa jeune
éponos; H «a reviift chercher 4'année
suivante, pour la cendaire è Lemno»,
eè cHe devaH mourir (4). En 1444 !&
(i) FVoffMrrd, îM.
moBs, xvn , p. ^5, iae«.
^3) Phik isÊtA rem^peieiir GomisntiR XJÏ
Dm^uèft, Kfvete ^ tlinl renopirs grée dé
tieMUndDepfo.
(4) Georg. Phrant2a\ II , c. 19 , p. xga ;
in-S\
89)
L13inVERS.
Èise de Mitylèae étant sami pastear, par
mort de Dorothée, le pape Eugèiie IV
nomina à sa place Léonard deCbio. Deux
ans plus tard le même pontife loi donna
pour mission d'aller auprès de Tempe-
/eur Constantin, que des liens de famille
rattachaient, comme nous rayons dit, au
prince de Lesbos, renouveler et confirmer
ralliance des deux Églises Grecque et La*
tine , conclue an concile de Florence. Il
était trop tard. Cette réunion, opérée le 1 3
décembre 1453, n'arrivait plus à tempe
pour empêcher Mahomet n d'anéantir
rempire de Constantinople , qui avait re-
fusé jusque là les secours de l'Occident.
Après la prise de la capitale de l'empire,
Léonard se réfugia à Cnio, d'où il envoya
au pape le récit authentique dea événe-
ments auxquels il avait assisté. Il revint
Il Lesbos, et y resta jusqu'à la prise de
l'île par les Turcs. Il n'attendit pas long-
temps.
A l'avènement de Mahomet II ( 1451 )
les ambassadeurs de MéteA, comme
ceux de Rhodes et de Chio, étaient venus
le féliciter à Andrinople (1). Le 80 juin
1455, Doria Gateluzio, prince de Lesbos,
mourut. Le 1^' aoât suivant l'historien
Ducas , qui tenait un rang considérable
à la cour de Mételin , partit pour porter
au sultan et les tributs de Tannée pour
les Iles de Lesbos et de Lemnos, et les
hommases du nouveau prince. Admis
tout d'abord à Taudience, il obtint la ûi«
veur de baiser la main du sultan et de
s'asseoir en face de lui jusqu'à ce qu'il eût
achevé de dtner. Les vizirs comptèrent
l'argent qu'il apportait, puis, feignant
d'ignorer la mort du vieux prince de
Metelin , ils s'informèrent de sa santé. —
« Elle est bonne, répondit Ducas, et il
vous salue. — rïous parlons, dirent les
vizirs, du vieillard. — Mais, repartit
Ducas, il jr a quarante jours quil est
mort. Le prince actuel est depuis six ans
reconnu. Son père, épuisé par la maladie,
lui avait dès lors et spontanément confié
les affaires: et il a eu déjà Tfaonneur
deux fois d'apporter à Constantinople
ses adorations au grand sultan, » — £t
les vizirs : « Laissons cela. Aujourd'hui
il n'v a qu'un moven de «e dire prince
de Métehn, c'est de venir et de recevoir
ce titre du très-sublime sultan. Va donc
(x) Ducat 9 XXXIII , p. a33, io-S*.
à ton mattre, et revîtes avec loi. SisM
il sait oequ'il doit attendre. » Ilûdlutfi
Ikicas repartit et amenât le nouvel
prioceà la cour du sultan, qu'il eutgraa
peine à atteindre près d'izlati cbez ii
Bulgares. La réception du premier joi
fut des plus gracieuses. Mais le kndc
main tout changea. Les vizirs, pariu
au nom de Mahomet , exigèrent la cessio
de Tbasos ; il fallut l'accorder ; pois i
double tribut : « Hélas 1 disait le jeua
« prince , Lesbos tout entière est à voat
il mais ne me demandez paa Timpa
« sible. » On se contenta d'aosmenk
le tribut d'un tiers; au lieu de tnl
mille écus (1), il en fallut payer quata
mille. Le sultan rappela de plus au Gt
nois qu'il avait à sacoûarge la surveillaaei
de l'Archipel et des côtes Asiatiques de
puis fiaîram ( Assos ) jusqu'au RrimaU
( le Caîcus ), le rendant responsable é|
toutes les pertes éprouvées par les raifr
seaux turcs dans ces parages. Ces coodi;
tiens acceptées, bon gré mal gré, il offi'
à son vassal et aux principaux offic»
des vêtements d'honneur. Gateluzio r
partit enfin'pour Mételin, content d*â
être quitte h si bon marché et
le Dieu qui l'arrachait aux mains du
bare (2). A peine était-il de retour,
la flotte ottomane jeta l'ancre en vue
Mételin. £ile revenait de faire une
tative impuissante sur Rhodes , et é
montée par le capitan«pacha , Da
Ducas, par ordre du prince, fit sen
à l'amiral turc un magnifique repas
bord. Déjà, lors.de son passage, Haam
s'était arrêté dans les eaux de MétdUt
s'étant 6iiC cependant un scrupule d'efr
trer dans le port , de peur d'exciter du
troubles dans la ville. Duc^s s'était l^
alors avec lui d'une étroite amiti« ft;
lui avait remis les dons de chaque aa*
née. C'étaient huit habits de soie m
de laine, 6,000 florins d'argent, vic^i
bœufs, cinquante moutons, plus à\
huit cents mesures de vin , du pain, J
biscuit, dix quintaux de froment et à-^l
légumeà à foison. La flotte n'avait pr.*
le larce qu'après un séjour de quarante
huit neures. Ces prévenances ne p«-
(i) Selon Ducas Sdon Chaksondi^fe *
était annueilement de deux mille sutcR»
d'or. X , p. 5a G , in-8". i
(a) Ducas , XLTV , p. 3aS>33i , iii4*. 1
1LEDEUESM5.
S»
nt neo oôiiM les éutrisa arrêtés du
ytaD (1).
CONQUÉTB DS It'ÎLB DE LB8B0S
IX LBS TuiGff. -— Mahomet avait oon-
mi à s'arrêter dans ses exigences, et à
) pas s'emparer de Lesbos pou^ l'heure.
aïs il enleva de force au jeune prince la
HJTelie Phocée d'abord , puis Lemnos ,
le de ses prindpaies dépendancee, et
s l'année suivante les prétextes ne
toquèrent pas de s'attaquer directe-
eot à lui. En 1457, onze trirèmes, en-
tées par le pape Gallixte III, arrivèrent
insFArchipel, montées par de hardis pi-
tes, et s'emparèi:!ent de Lemnos, deSa-
othrace, de Thasos. Il est à croire aussi
le les Gateluzi ne devaient pas mettre
tind zèle à réprimer les brigandages des
rates; le commerce des esclaves qui en
soltait leur rapportait d'assez gros
béfiees. Partant de Lesbos pour piller
s mers, les corsaires y revenaient à leur
se chargés de butin, conduisant de nom-
'rases prises; ils faisaient alors les
rts, et celle du ducde Lesbos n'était pas
plus mince (2). Mahomet, irrité de la
hduiteéquivoque du prince deMéteiin,
ivoya contre lui une flotte considérable,
nmandéepar Ismael. Encouragés par
I paroles et Texempte d'une jeune nlle
spirée, les Lesbiens attendirent de
Ni ferme, et anéantirent complètement
nnée musulmane. La victoire fut
'e, que le pape la fit annoncer dans
Dtes les cours chrétiennes , pour j ré-
literlezèle endormi. Le sultan, oc-
pé ailleurs, laissa pendant cinq ans
poser son ressentiment ; mais vers la
[de Tété 1462, à son retour de Ya-
!Qie, il songea au vassal qui recevait
isi ses armées.
Mételin était alors gouvernée par
^las Gateluzio, qui pour s'empa-
t du pouvoir avait étranglé son firere
iminique (3). Mahomet , pour se faire
I parti dans Hle même, s'annonça
(i) Ducts, c. XLin,p. 3ai ; p. 3a6, in-8®.
[») Chalcondyle , X, p. Sxq, ia-8«.
(3) Dominique avait épousé Marie Justi-
mi, fille dun riche habitant de Cbio.
irie ayant été atteinte de la lèpre, il refusa
lutamoient de se séparer d'elle , garda le
»e lit, la même table, et fut tué dans ses
is. Annali.,, di Genoa per„, Giusiirùanoi
«loa, i537,iji.4«», folioao6, 5,
comme le ve&genr du pruiee assassiné.
Soixante galères et sedt navires, char^
gés d'un grand noinbre de canons,
de mortiers, et de plus de deux mille
boulets de pierre, arrivèrent sous les
mursde Mételin, conduits par Mahmoud-
Pacha. £n même temps Mahomet ame-
nait par terre plusieurs milliers de ja-
nissaires. Il donna ses instructions a
son lieutenant, surveilla les travaux
commencés, et, confiant dans l'activité
éprouvée de Mahmoud, il repassa sur
le continent. La ville assiégée était en
état complet de défense. Nicolas Gate-
luzio commandait dans la citadelle, son
cousin Lucio dans la ville proprement
dite. Cinq mille soldats, vinst mille ha-
bitants , déterminés à se défendre, se
tenaient derrière les murailles. Après
un bombardement de vingt-sept jours;
la partie de la cité nommée Melanu-
dUm (1), se trouva ruinée; mais le cou-
rage de ses défenseurs repoussa tous les
assauts. Mahmoud, impuissante vaincre,
eut recours à l'intrigue. Des offres fu-
rent faites à Ludo, qui défendait la
ville. La promesse delà souveraineté de
l'Ile le tenta. La ville fut livrée aux
Turcs. Nicolas , pressé dans la citadelle
consent à partir, si on lui assure une
existence honorable. Mahmoud promet
tout; mais il exige que Nicolas mstalle *
lui-même les troupes ottomanes dans
les différents postes de l'Ile.
Cependant Mahomet lui épargna cette
humiliation; il fit grâce aux deux Gé-
nois, qui vinrent l'implorer à Constan-
tinople. 11 installa dans l'Ile deux cents
janissaires et trois cents soldats, étalant
saisi à Mételin trois cents corsaires,
auxiliaires des Génois , il les fit scier
en deux. Il fit ensuite trois catégories
des habitants de l'Ile : 1® la classe pauvre,
qui resta dans la ville; 2^ la classe
moyenne, qu'il donna en propriété aux
janissaires ; 3<* la classe des riches, qu'il
envoya à Constantinople (2). Pour lui-
même, il se réserva dans les familles
nobles huit cents tilles et garçons choisis. .
La population de l'Ile fut ainsi à peu près
renouvelée. Une partie même des an-
(i) Ducas, p. 346 , in-8<>.
(9) Cbalcondyle, Ducas , elc; De Uammer,
H'uL de C Empire Oitoman, t. III, p. 9}
et suiv.
3a4
LIIMVBBS.
eiens faahtoM fai ament •hÉeen #y
rester, fat bientôt «psès traMporléft pe»
Kilidi^ Ali -Pacha à Samos, qu'it s'agk^
sait oe rcfieupler (1). Kn revanehe, une
feule d^étràageFft viareat l'é^htir à Mé-
telia. Parmi ces detaieri se trouvait
le epahis roumiliote Yaeoub d^Yénié-
jéwardar, qui vint se iier dans ia oa|ùtale
de l -lie avee ses ^atre ils Ishak, Ou-
reodj , Ktiiar ou Kluureédin et Elias.
Le preaoier se fit eommerçant, les troia
antres corsaires; Slias périt dans un
combat oontve les chevaliers de Saint-
Jean ; les deux autres devinrent les cor*
• saires si fomeux sous le nom de Barbe«
rovs8e(S).
Quant aux Oatéluzî , ils ne jouirent
pas longtemps de la bienveillance du
vain<}ueur.Lucio, qui était restéà Lesbos,
fut mandé bientôt a Constantinople seus
rincolpation d'avoir converti un jeune
enfant à la religion chrétienne. Il y ré-
pondit en se faisant circonciFe , et son
cousin rimita. La réponse parut bonne,
et Mahomet eut Talr de s'apaiser; mais
bientôt, sous le plus léger prétexte, il leur
fit à tous deux trancher la tête ( 146S ).
Efforts bes chbbtiens pouh be-
CONQUÉBIB Lesbos*. — La conquête
de rile fut complète et définitive; mais
c*était une place trop importante pour
que la possession n'en fût pas longtemps
encore contestée par les armes chré-
tiennes. Le jour de Pâques 1464, Orsato
Ghistiniano, successeur de l'amiral vé-
nitien Loredano, fait une descente à
Mételin , dont il assiège la capitale pen-
dant six semaines. Le 15 mai un der-
nîr assaut est repoussé , et l'approche
d'une flotte considérable , conduite par
Mahmoud-Paeha, force Famiral vénitien
à lever le siège (3). Il se rembarqua, em-
menant avec lui tous les Grées qu*fl put
recueillir. H alla les déposer à Négp^
pont, et revint le 10 juillet jeter TancNre
au port San-Théodoro , où rattendaient
encore de nombreux proscrits.
En 1600 l'amiral français Raves-
tein , nommé gouverneur cle Gènes par
(i) Tfoavelies Annales des Voyages , pre-
mière série, t. XXV : Géographie de Samos.
^a) De Hammer, t. V , p. a37.
(3) Uistoria Veneta di Alessandro Maria
TitiMli, nobile Yeneto ; iM", Venelia, i68o,
t. II, p. 662.
ItMàk XII, é^piMMftioliMiVa
dans les mers de l'Orient. Ses dh-luÉ
vaisseaux se réunissent à tffente-qaitrr
trirèmes vénitkmies qu'ils leneontreai
et d'un cooMiiun eeoeedonlittt veile sv
Mételio. La ville soutenait le siège d^
puis vin^^t jours ^ quand Korkond, gos-
veraenr de Magnésie, aeeourt aree kt
nombreux rentbrts. A eon appvnehe, Ri-
vestein repart, sans attendre l'aiTivée k
vingl<rneut voiles que hii amenait li
grand-mahre de Hbedes. A la b»
teur de Cérigo, la flotte ^rqnpisf ,wr-
prise par un ouragan, périt presqie
tout entière (t).
ÉTAT BB Lvesas sens la. bohuii-
Tioii DES TiJBCS. -^ Dèa tara Métefai
fut à Tabri de toute agreesion de ce gtsw
Respectée par les galères européesncs.
elle n*eut plus guère à souffrir que k
ces corsaires asiatiques qu'elle avait s
longtemps protégés. La population ^
rile, presque entièrement renouvelée,
s'attacha à ses derniers mettras , et pni
Sarti peureux au besoin. Rn 156a b
otte du sandjak de Mételin , eoimiuft*
dée par Mustafa-Qeg , <prend part a il
conquête de Tile de I^erbé (ranoieDoe
Méninx ^ ou Ile des lotopbages). Mof-
tafb«Beg fut même un instant géocrt-
lissime de la flotte turque tout eatieit
En 1565 cinq cents spahis et dMx sa-
leras de Mételin se trouvaient dans ^â^
raée qui tenta inutilement de presdn
Malte. Enfin à hi bataille ée Lépaoft
(1671) peu s*en fallut que Mahmoui
sandjak de Mételin, ne décidât la defui"
des chrétiens. Survenant à propos >t«^
cinq vaisseaux au secours de ramiral tur'
il fiit sur le point de faire prisonm^rs !(*
trois chefs de la flotte alliée. L^arrivét n
toute hâte de l'arrière-garde, eoni«i3J>
dée par .Santa-Croce, vint chai^rb
fortune. Mahmoud périt dans Taelioi
En teas, au eommencement de la d^
oadenee ottomane, profitant de loutit
les tentatives d'usurpation et de ^anâ^
chie militaire qui agitaient CoBst>c>
tinople^ Elias -Pacha, gouveroeDr ^
Karasi, s'était prociaoïé en pleiiie r^
volte contre la Perte. Deux de ses lin*
tenants, Kara-MahmoudetSari-OuasiL
(i) Rîzanis, Senatas pojnUique GenneBS.'
Merum domi forisque gestantm Hittor.e,
Anvers y t^5^y in-rolioy p. 404.;
lu iXf IWÊOS.
«16
à }a lélièi tMmieoandér«)ilc»,tt4îii-
flèreot par son ordre sur Métetia. Mais
les habitants résistèreBt à rusurpatkm,
et tes deux ebefs furent exterminés avec
tous leurs soldats.
Cest à la hauteur de MéteUn que se
rencontrerait eir 109S la flotte vénitien-
ae et la flotte turque, commandée
celle-là par Dolfino, eelle-ei par Me zao-
Morto. La bataille n'eut qu'un résultat
douteux, et les deux anûraux s'attribuè-
rent la vietoire.
Le dix-bultièine sièeie ne nous oflve
iDcun fait remarquable à recueillir. Lis
corsaires qui s'abritent d^rière les Mua-
oonisi, ou dans les profondeurs du golfe
d'Adramitti , s'enhardissent et ravagent
firéqueoimeDt les côtes de l'Ile. Ils pas-
sent de l'Asie sur de petits bateaux ,
l'embusquent derrière les rochers et
iaus les bois , pillent et s'en retour-
•ent impunément (1). £n 1766 la ville
le Métehn, que de violents tremblements
le terre avaient réduite depuis longtemps
Il n'être plus qu'une ehétive bourgade
in comparaison de sa grandeur pas»
lée (2), manque d'être anéantie par une
leroière secousse qui ébranle rile dans
ioute son étendue. Au commencement
lu dix*neuvième siècle c'est le feu qui
a détruit tout entière; on relève chaque
bis les ruines , on rebâtit à la place où
i*on habitait la veille, mais sans ordre,
»ns précautions ; sans que le désastre
lu jour serve de leçon pour le lende-
nain.
LesBOS au TBMPS de la OUEBIS
»B L'iNDfiPBMBANGB. -^ Quasd éclatS
Insurrection grecque , les raias de Ma*
lelin étaient de beaucoup inférieurs ea
lOQibre aux Turcs. Us furent tous dév
larmes sans résistance. Les plus riches,
loupi^noés d'être en seoret favorables
rla cause de Tindépendance , furent
mset décapités. Llle, considérée dès
m comme un poste sûr, devint Fen-
irepôt général et le rendez-vous de le
narine ottomane. Cependant l'un des
premiers exploits des Ùydriotes se passa
^r les côtes de Mételin. La flotte turque
t'y était donné rendez-vous ; elle n'y ar-
(ï) Pocodke, t. IT, p. S83.
()) Bcnedetto Bordonne , lÀho nél quaU
» ragkm de tuêtê Flsoiâ del Monda, oimrB
^Itolario,., im-folia, i547 , W. $x,^
rive que pemiuivie p9jt erâMenlix
bricks de» insurgés, et eut le .temps à
peine de se réfugier dansle port Olivetii.
Di](-huît brOlots grecs s'anprêtent à l'y
aller chercher. Sur l'ordre ae l'amiral ot-
toman, un eeoseilde guerre s'assemble
en toute hâte. Il s'agit de sortir de ce
mauvais pas. La flotte turque, comptant
oinq vaisseaux de ligne, quatre frégates,
quatre corvettes ne ae croit pas de forée
i livrer bataille; et tandis que ramirai
grec, ohangeant de desseisk, se retire
vers Samos, pour engager les emieiius
à prendre le large, un vaisseau ture,
portant soixaate^quatorze canons , fait
force de voiles pour aller chérir du
secours à Coastantinople. Il avait tra-
versé le golfe d'Adramitti, et louchait
déjà au cap Baba , quand quatre bricks ,
envoyés en éclaireurs, l'atteignent et lui
barrent le passage. Le vaisseau turc
veut rebrousser chemin , et se lance à
pleines voiles dans le port Sigri ; l'eau
lui manque ; il s'échoue. Les Grées s'a*
vancentsurlui, d'avant et d'arrière, par
brigades de deux bricks , portant cna-
cuu douze canons et 150 nommes d'é-
quipage; et tandis que le vaisseau en*
nemi, immobile, fait teu de toutes pièces,
ils l'abordent dirigés par un vieux marin.
Papa Nicolas , qui avait assisté à l'ineen*
die de Tohesmé; ils s'y cramponnent,
clouent dans son immense carène des
chemises de soufre et de ^udron , et y
mettent le feu. Quelques instants après
le vaisseau turc éclate et saute avec ses
neuf cent-cinquante niatelots. A peine
une barque montée parquelquas hommes
parvint-elle à gagner la terre. A cette
nouvelle l'amiral ottoman, qui manquait
de résolution pour combattre, en trouve
pour fuir et donne l'ordre vde regagner
Constantinople ( mai 1821 ) (1).
Par ce brillant début les Grecs prélu-
daient aux triomphes qui les atten-
daient à Ténédofi. Mais ils ne teotèient
pas de descentes à Mételin; ils ae oen«
tentaient de croiser le long des côtes,
bien défendues, bien surveillées , et ne
se hasardaient quesur le continent, où le
butin éuitabeaidaïkt et facile et les villes
. «
(i) PouqutriUe , Mist. de la BégétièfOt, dé
h Grèce , t. UI , p. i3; Juohtnull d« atioN
Denif, Uist. de f£mpin OUoman, t. Vil,
P- 147.
M6
L'nNiyB&&
iiud protégées «En janvier 1828 les ma-
telots d'Ipsara , pénétrant dans le golfe
d*Adramiti , enlèvent de riches maga-
sins tares déposés aux Mosconisi, et
parviennent à débarquer à Sigri. Mais la
garnison , aidée des musulmans des
campagnes, interoe|;>te toute communi-
cation avec les chrétiens. Dans l'impos-
sibilité de s'établira terre, force est oe se
rembarquer. Une trentaine de Grecs res*
tent morts sur la plage. A peine les as-
saillants partis, un massacre général des
raias commence à Sigri et à Molivo. Les
chrétiens , co ons pour la plupart , et ré-
f)andas dans les champs , se réfugient sur
es montagnes. L'Olympe surtout se peu-
ple'de fugitifs. Mais les marins d*I(»ara
en partant avaient promisau vizir, campé
alors àMételio, de revenir lui faire visite.
Une grande expédition grecque est réso-
lue. On comptait [sur des mtelligenoes
dans nie , sur les proscrits des monta-
gnes, sur le courage des opprimés, sur
la fortune de la bonne cause. Au com-
mencement d'octobre, deux escadres
abordent à Mételin , Tune au port Sigri,
l'autre à Coloni. 4,000 soldats se préci*
pitent à terre ; tout ce qui est musulman
tombe sous leurs coups. La petite armée
grecque est bientôt plus que doublée par
les auxiliaires <iui lui arrivent de toutes
parts. Elle se divise : la moitié marche sur
Molivo; le reste ravage la campagne. En
peu de jours le nord de l'tle est aux
chrétiens ; c'est pour eux le moment de
la venceanct. Les vainqueurs font par-
tout place nette sur leur passage : d'a-
bominables représailles ensanglantent
tout le pays.
Cependant l'aga de Tile rassemble des
troupes, et, sans plus attendre , marche
au-déVant des Grecs . 1 2,000 hommes sont
bientôt réunis sous ses ordres ; chaque
jour grossit cette armée des fuyards de
Sigri et deColoni. Leschrétiens, atteints
deux fois, sont deux fois battus ; ils sont
contraints de laisser la plage et de repren-
dre le large. Avec eux partent tous les
proscrits qui peuvent les suivre. Ceux que
leur malheureux sort condamne à rester
regagnent leurs montagnes; mais là,
soutenus par l'espérance de secours pro-
chains, ils ne déposent pas les armes,
et entretiennent une guerre de partisans
contre les Turcs de la plaine. Ge fut là
le seul avantage que retira la cause grec^
que d'une expédition si heureosesient m
commencée. De temps en temps les hii
dis insulaires d'Ipsara. tentaient '
quelque course nouvellej pillant la ro
rançonnant les villages ; mais les Tu
étaient maîtres du pays. Dans la se
année 1824 leur flotte vient s'y ralli
deux fois. Lors derexpédîtiondeSamos,
les bâtiments de transport et une diri-
sionde guerre y restèrent en penni-
nence. L'amiral ottoman ne sortait jv
mais qu'à regret de cette bonne rade et
Mételin , où il était à l'abri des brûlot»
des Grecs. A la paix définitive, Mételii{
resta à l'empire ottoman, oommetouts
les autres lies grecques'de l'Asie Mineurf
Situation agtubllb db l'île ot
Lbsbos. — S'il est une terre qui poii^
la trace des funestes cfifets de la conquM
ottomane, c'est Mételin. Ses campagaeil
autrefois si fertiles, sontdevenaesdesoia^
rais ou des déserts, et l'on ne voit pi»
que des ruines sur l'emplacement de soi
antiques cités.. De ces treize cents châ-
teaux, qu'y laissait, dit-on, la doinj
nation génoise , de cette prospérité À^
la désignait encore à un auteur du da
septième siècle (2) pour y placer Tid
de sa république aristocratique , il
reste plus que d'informes débris. C
une possession oubliée, dont on ne parij
au divan que lorsqu'il s'agit d*y nomimT
un gouverneur ou de lever un inipt'i
La population générale de l'île montra
peine a 60,000 habitants, dont les Tufti
forment la majorité. Les Grecs dissénî*
nés dans Itle , rares dans les villes , pltf
nombreux dans les campagnes , vi^ert
dans un grand dénûment. Mais , coinini
tous les paysans grecs, ils se sont farfi
des mœurs simples , et savent suppori«f
Satiemment la misère. Leur plus grasi
éau était la fiscalité des Turcs ; il n > i
pas longtemps encore que l'aga comptât
les gerbes de la moisson ; que les geriiei
battues il mesurait le blé ; que le mu-
zelim de l'île venait ensuite prendre U
dîme, lever la capitation, puis fixer li
(i) Raffenel, Récit des derniers Ére^
menis de la Grèce , t H, p. «65; Po«q»f
ville , t. m , p. 3o5.
(3) RepubticA di Lcsbo , omro dtUe H^
gione di Siato in un Daminio Ârisiocrûkc^
iÀhri X, deir abbate D. VicouoSciinldi Ci
sÎDeose \ Sologne, 184^, uti%%
ILE DE LESBOS.
êS7
prix des d^aréet el, boû gré malgré, les
acheter au taux qu'il lui plaisait dUndi-
quer. Ainsi faisait^on de toutes les réool*
tes. Les dernières réformes, en assignant
aux officiers un traitement fixe , ont à
peine arrêté ces abus.
Au milieu d'une telle o()pre5sîon , le
r;iractère national des habitants s'était
dépravé. De commerçants qu'ils étaient
jadis , ils s'étaient faits pirates ou voleurs
de mer. Aimables, hospitaliers au temps
k leur liberté antique , ils étaient deve*
nus farouches, et leur visage même , type
ie la beauté grecque, s'est empreint
iune expression sinistre, qui etfraye
;t surprend les voyageurs. «Sei{;neurs
Pères, disait l'évéque grec aux nussion*
luiires jésuites , prêchez mes peuples
aotquil vous plaira, vous ne ferez pas
m si vous les faites gens de bien; car
ai bien de la peine à en venir à bout (1). »
ËJifiQ le proverbe Grec dit : «Les Athé-
liens , les Chypriens ne sont pas bons ;
saisies Mltyléniens, non plus (3). » Les
emmes y sont toujours belles ; mais, dit-
)n, elles ne sont guère moins sobres ^ue
ie les dépeignait autrefois la malignité
Ihéoienne (3). La coquetterie a eu plus
le puissance ici que le patriotisme ; et tan-
tis que rien dans le costume actuel des
tommes ne reproduit celui des temps an-
iqoes, il est tel village de Ule, à Erisso,
Calioni, à Molivo même, où les vête-
nents des femmes rappellent au voya-
eur. par leur grâce et leur élégance, qu'il
st dans le pays de Sapho et d'Érinna.
^ Pétra le costume est plus sévère , et
e borne à une ample robe , assez sem*
niable à celle des caloyers. En général la
oiffure est d'une forme peu gracieuse ;
'est une espèce de cône renversé que les
romes ajustent avec art sur leur tête et
u'elles recouvrent de voiles précieux (4).
(t) Noaveaus Uémotres des Missio/u de
^Société de Jésus dans le Levant , p. 86 ,
(3) Didot, Notes d'un Voyage dans le
''ont, p. 369.
(3) Pococke, t. IV, 3Sa.
(4) William WiUmanD, Trapels in Turkejr,
iie Hînor, Srria, and across ihe Désert
ito Egypt, during the jears 1799» 1800,
«^i8or;... London, x8o3, iD-4",p. 455.
î. Didot, Notes tTun Voyage au Levant ,
• 370; Micbaud etPoujoulat, CorreÊpon-
^fif€, t. ni.
22* Ur raison, (Ile de Lssbos.)
Le sol de Ttle est toiyours puissant et
fertile, et ne demande qu'à être cultivé
pour produire. On trouve encore abon-
damment dans les montagnes le pin ,
l'arbousier , l'andrachné • le lentisque ,
letérébinthe , le laurier, le myrte , Ta*
fluuscastus, i*orme, le platane, le hêtre,
le cyprès. Dans les jardins , les statices
sinués , aux larges feuilles , à la tige ailée,
les scableuses, les fleurs purpurines des
lavatères , la fleur gracieuse d^une espèce
de safran , fort r^erché pour le fard
des dames (carf/iamt/s corymbosus) s*é*
talent derrière des haies de pbyllirea ,
arbuste toujours vert , que Ton cultive
en palissades et en bosquets (1). Les oli-
viers , principale richesse de l'Ile , s*y
élèvent jusqu'à quinze toises de hauteur..
Les forêts sont pleines de cerfs , de
gazelles, et de chevaux sauvages, bas
et trapes , comme dit Bélon (3) , « qui
« sont néanmoins si fermes des pieds
« et des jambes , qu'il est surprenant de
« les voir grimper et courir avec un
«t homme sur le dos par les montagnes
« et les rochers et vers des lieux si ru-
« des et si raboteux qu'à peine les chè-
« vres y pourroient monter. On en trans-
c porte une fort ^ande quantité à Cons-
« tantinople (3). "» M. Arnoul, intendant
des galères à Marseille « en envoya six
« à Monseigneur le Dauphin, pour ser-
« vir d'attelage à sa calèche. On n'a voit
« point encore vu en Francc/de chevaux
« si petits et en même temps si forts
« pour leur taille. « Du reste, les bœufs
et les moutons , le gros et le menu bé^
tail abondent partout à Lesbos.
Le blé y est toujours excellent et fort
recherché des Turcs. Les raisins sont
délicieux ; les Turcs en font un raisiné
qu'ils affectionnent, et les Grecs, de
reau-de-vie. Les insulaires exposent les
(i) Enumeratio Plantarum quai in insu/is
Jrchipelagi detejùt ac collegit Duinont d'Ur-
ville; Paris, x 63a, in 8°.
(a) Les Observations de plusieurs singula-
rite» ei choses mémorables, trouvées en
Grèce , JÊsie , Judée, Egypte, Arabie et aU"
très pays estranges, rédigées en trois livres
par Pierre Belon;; du Mans, in-xa. En Anvers,
de rimprimeriede Christophe Plantin» i555y
1.1, fol. 147 verso, c. Vil, livre rarement cité,
plus souvent copié : Pooocke , Dapper entrjB
autres, y puisent sans cesse.
(3) Dapper, p. a 3 5.
23
8rt
L'UNIVERS.
frappes ottHs féserv^nt eu soleil pen-
aat plusieurs joars de suite, pour don*
ner au Tin plus de force et de defuoeur.
Us SBYent encore lui fsâre prendre de
la couleur avec des baies de sureau ou
d*hièble; mais préparé, conservé sans
soin et sans art, le vin de Lesbos, quoi-
que payé fort cher k Constantinople, n'a
point soutenu son antique réputation.
Les richesses du sol , si faciles , si
abondantes ont détourné ies habitants
du commerce. La navigation est à peu
près abandonnée. Méteiin seule nW
|)as absolument sans industrie; elle cou*
tient une douzaine de manufactures de
SBVon , dont les pfus belles sont eeiles
du pacha , un chantier qui tous les dix
ans donne un vaisseau, et {4usieurs
bazars , assez bien fournis , et très-fré-
mientés. Mais c*est tout , et le reste de
lile se borne à exporter d'Immenses car-
gaisons d'huile d'olive, d'une qualité
médiocre , des sardines , du tabac , des
pipes. Les figues de Molivo, enfilées en
eolliers , se vendent partout l'Archipel,
et sont fort recherchées.
UnecontcMie Iweale, (|aMal»datenfis
où los habitants se livraîeAt tous lu
marine, accordait en dot à la fille ataéf
rbéritaice de la Aimilie avee la maison
paternelle. LeelergédeConstantinopie,
aidé du clergé et de revenue delléteiin,
est parvenu, à grand'peine, i la modifier
de la manière suivante : l'atnée praul
le tiers de l'héritage ; le second enfant, !f
tiers des biens qui restent après la psi;
de l'atnée; le troisième , le tiers de ce
nue lui ont laissé les autres: Celte r^
Forme date à peine du comaoeBoeai»:
de ce siècle*
Mélelin ou Midilli est un des sis it-
vas que comprend le gouvernement de
Djézaîr (c'est-à-dire, des tiasde rAr*
chipe!) . Un gouverneur, sous le nom d<
I^asir y représente le sultan. Il y a i
Méteiin un juge de premier tmng l doal
les appointements mensveis, d'aprrs
l'ordonnance de Mahnumd il^ sont àt
400 aspres; et un des dix-sept bure»si
de santé institués spécialement poar
combattre ta lèpre dans tout t'empin
ottoman.
ILE DE ÏÉNÉDOS.
Description db l'îlb dm Tbhs-
D06. (1) — Ténédos, appelée enoore
aujourd'hui Ténédo par ies Grecs, et
Boghaz-Adassi, ou Ile du détroit, par les
Turcs, est située en face de la c6te de l'an-
cienne Troado , dont elle est séparée par
un détroit, qui a selon Strabon quarante
stades de lai^^eur (:2). Le même auteur ne
donné à eette Ile que quatre-vingts stades
de circonférence, mais elle en a bien le
double. Selon Pline (3), Ténédos est
située à cinquante-six milles au nord de
(x) Tayez sur cette Ue dans l*antiquité la
monographie de Lud. de Hemmer, Respuhlha
Tefteaiorum, Logd. Batav.,i735.Cf. Dapper,
Descr.y p. «36; Pococke, Voyage y t. IV,
^SSÎ; Tonniefort, I , p. îga; DaHaway,
, p. ?o4 ; Chandler, I , p. 34 ; Michaud é.
Potijtjulal , ni , p. i66, etc.
(a) Strab., XIII, éd. Taiichn., Ill, îi^.
(3) Pline , Hist. Nat., V , S9.
Lesbos, et à douze milles au sud à
promontoireSisçée, qui formerentréf m
détroit de l'Hellespont, appelé plus ts^
détroit de Gallipoli et enfin des Data
nelles. Ténédos serait asses arroaiH
si elle n'avait une pointe qui s ailooi:^
vers le sud-ouest ; ses rivages sont prui
de rochers qui la rendent presque parlM
inabordable ; son territoire est moni^
gneux et pierreux , peu fertile en ^:^'
et en légumes; mais la ▼tgoe y réussi
parfaitement.
Tous les voyageurs modernes laj
cordent à faire l'éloge du rnowat!*
Ténédos. « Je ne pardonnerai \w\j
d^% anciens , dit Tournefort . de 0-
Toir pas fait le panégj'rique de *-
liqueur, eux qui ont affecté de eâéb**
les vins de Scio et de Lesbos. Oo t
saurait les excuser en disant qu^oQ ^
cultivait pas la vi^eà Téuédos dan^r
temps-là; il est aisé de prourer Icc*
ILE DE TËNËDOS.
M9
traire par la médaille de Ténédos où
Ton voit à côté de la hache à deux tran*
chants ane branche de vigne chargée
(Tune belle grappe de raisin. » Le vin
ordinaire de Ténédos ressemble un peu
au vin de Bordeaux ; mais il ne supporte
pas la mer et ne se conserve pas long-
îem|>s dans lés caves. Du haut du pro-
montoire le plus élevé de l'île , on en
aperroit toute la surface sillonnée de
rote^ux couverts de petites vignes basset
et cuhivées è peu près comme dans nos
''•'inïoblçs de la Bourgogne, avec cet
avantage que n! la grêle ni la gelée ne
viennent jamais détruire la récolte. De
ee point de vue , le spectacle de la mer et
des terres environnantes est grandiose
et varié ; « à Touest, dit Dallaway, Lem-
nos et son volcan épuisé forment un
e6ne immense , dont la pointe perce les
eteux; au nord-ouest sont les fies d'Im-
bros et de Samothrace; et au delà, des
fommets de montagnes plus élevées qui
les dominent, l'entrée de THellespont,
et un peu plus loin le cap Sigée et toute
la forêt au long de laquelle Alexandrie
est située, et la chatne de montagnes de
rida. On ne distingue le mont Athos
qu'an soleil couchant à Pouest. »
Outre ses vins, Ténédos produit d'ex»
eellcnts melons. On n'jr voit guère d'au-
tres arbres que des figuiers et des aman-
diers. Elleest remplie de perdrix rouges,
beaucoup plus grasses que les ndtres,
mais moins délicates ; et dans le temps
du passage des cailles tout le territoire est
rouvert dfc ces oiseaux voyageurs. L'eau
de Ténédos est excellente. Dans toutes
les parties de Pfle il y a des sources;
mais on n'y retrouve pins cette fontaine,
dont parle Pline (1), qui au solstice
d'été débordait toujours de trois heures
ànx heures de nuit.
Dans l'antiquité , Ténédos avait une
ville appelée Éolis ou Éolica, deux
ports, un temple d'Apollon Sminthien ,
comme l'atteste, dans Homère (2), Fin-
vocation du prêtre Chrysès. On sait
l'origine de ce surnom, tout local, donné
au dieu de Delphes. Des mulots, que
les Cretois, les Tro^^ens, les Éoliens ap-
pellent ajifvOoi , faisaient de grands ra-
vages dans la plaine de Troie. On con-
(i) Pline, n, To6, 9.
(a) Cf. Sinh,, hc. eitr, Hom. //., 1 , 3S.
BnltaPoraele de Delpties^qui «rdoniia
de sacriBer à Apollon Sminthien. Noui
avons deux médailles sar lesquelles sont
reorésentés des mulots avec la tête ra*
dîee d'Apollon. Pococke croît que oe
temple d Apollon Sminthien était sur
la belle esplanade qui est au pied du
château, qui domine encore la vilte ac-
tuelle, et où il a vu éperses sur le sol
Elusieurs colonnes cannelées de marbre
lanc d'environ deux pieds et demi de
diamètre. Du reste on ne retrouve pres«
que aucun vestige de l'ancienne Eoliea,
dont la prospérité datait du temps de
la guerre de Troie , et dont la décadence
et la ruine sont antérieures à l'ère chré-
tienne. Un sarcophage, quelques ins-
criptions, des monnaies, aes trônions
de colonnes cannelées, des fragments
de piliers, des morceaux de pavé de
marbre, tels sont les seuls débris que
l'on ait retrouvés sur le sol de Ténédos.
Et encore, que de villes antiques n'ont
pas laissé autant de souvenirs i
La ville actuelle de Ténédos est petite
et mal bAtie; elle n'a pas trois mille
habitants, avec la garnison du fort.
Cest là toute la population de Téné-
dos; cardans toutes les autres parties
de rtle il n'est pas un seul lieu qui soit
habité. La ville compte à peu près au-
tant de Grecs que de Turcs ; aussi a-t-elle
une mosquée et une église. Ténédos est
adossée à un cotenu que domine une
forteresse de forme triangulaire , bâtie
par les Turcs: Elle est environnée de
tbrtes murailles de pierre de taille, et
garnies de -quelques tours. Autrefois le
château était la seule partie de la ville
habitée par les Turcs. Le port de Té-
nédos était formé par un môle qui est
aujourd'hui entièrement couvert par les
eaux ; mais on a entassé de grosses
pierres sur ses fondations, et eltes ser-
vent à amortir les vagues. Une chaîne de
montagnes entoure le bassin. Au midi on
voit une rangée de moulins à vent et
un petit fort.
On a parlé très -diversement du
port de Ténédos. Virgile le traite fort
sévèrement, et déclare que les vais-
seaux n'y trouvent qu'un méchant abri,
statio malefida carinis (I). Mais voici
Dapper qui dit que Ténéd09 a un fort
(i) Virg., JS//., II , 24*
22.
840
L'UNIVERS.
boD port pour des saîques et d'autres
tarques turques de moyeuDe gran-
deur, de même que pour d'autres bâ-
lioients légers. Seulement les grands
navires n'y peuvent mouiller; mais les
vaisseaui des anciens , et surtout ceux
du temps de la guerre de Troie, pou-
vaient s'y trouver fort à Taise. Chand-
1er lest encore plus favorable. Le port
de Ténédos, dit-il, o£fre un abri com-
mode aux vaisseaux destinés pour Cons*
lantinople, et ils trouvent dans la rade
un mouillage sûr pendant les vents
étésiens ou vents contraires , ainsi que
dans le ^s temps. D'un autre côté,
Pouquevilie affirme que Ffle de Té-
nédos n'a qu'un mauvais port (1); Po-
Gocke était aussi de cet avis. Il est cer-
tain que Ton fréquente peu le port de
Ténédos ; la plupart des vaisseaux que
les vents retiennent à l'entrée des Dar*
danelles vont mouiller dans la rade qui
est près du continent. Voilà donc des
témoignages qui peuvent rétablir Tauo
torité de Virgile , et je conseille d*y re-
garder à deux fois avant de contredire
son assertion à cet égard.
HiSTOIRB ANCIENNE DE TbnÉDOS ;
SA FONDATION. — On lit daus Diodore
de Sicile (2). a L'île dé Ténédos fut
peuplée de la manière que nous allons
exposer. Tenès, fils de Cycnus, roi de
Colone, dans la Troade, était un homme
distingué par son courage. Ayant ras-
semblé un certain nombre de colons , il
partit du continent, et vint occuper Ttle
appelée Leucophrys , oui était située en
face et déserte. Il en aistribua le terri-
toire à ses sujets; ily fonda une ville et
rappela de son nom Ténédos. Il gouverna
sagement , et , comblant les habitants
de bienfaits, il s'acquit pendant sa vie
une grande réputation , et mérita après
sa mort les honneurs divins. On lui éleva
un temple , et on institua en son hon-
neur des sacrifices dont Tusage^a subsisté
jusqu'à ces derniers temps. » Voilà le
fait dépouillé de tous ses ornements;
mais les Ténédiens avaient une légende au
sujet de leur Tenès (3). Cycnus, aisaient-
ils, était fils de Neptune; il épousa
(x) Voyage de la Grèce , VI , 3oi.
(a) Diod. Sicul., V , S3 ; Cic, Aa/. ûeor.,
III, i5. » ». » »
(3)Paiisan., X, 14, i.
Prodëe, sœur de Calétor, qui fut iw
gar Ajax dans le temps qu'il voulut
rûler les vaisseaux de Protésilas. De
ce mariage étaient nés un fils et unt
fille , Tenes et Hémithée. Après la mort
de Proclée, Cycnus épousa PhiloDome.
fille ^e Cragasus. Devenue belle-mèn
de Tenès , Philonome conçut pour s
jeune homme une passion crimiDelie;
repoussée par Tenes, comme Pbèdif
par Hippofyte, elle passa de ramourâ
ta fureur, et se plaignit à son époat
que son fils avait voulu foutra^.
Etienne de Byzance ajoute qu'elle pro*
duisit pour témoin un joueur de flâu
de sa cour. Cycnus , confiant , comm
Thésée, dans la vertu de sa femme,
ordonna le supplice de Tenès. Il le fit
enfermer dans un coffre et jeter sli
mer, avec sa sœur Hémithée, qu
voulut partager son sort. Le coire
flottant sur la mer, fut poussé par hi
vagues sur la câtede Ttle de Leuoopbni.
Tenès en devint roi , et Tappefa Té-
nédos. Bientôt Cycnus est détrompe: i.
reconnaît l'innocence de son fils, etsf
rend à Ténédos pour se réconcilier
avec lui. Mais Tenes ne veut point par-
donner; et bien loin de recevoir soopn
repentant, il va au port et coupe a^ee
une hache le câble qui tenait atucbé If
vaisseau de Cycnus. Plus tard, cette
hache fut consacrée dans le temple de
Delphes par le Ténédien Péridytus, ^t
les Ténédiens en consacrèrent deux dai»
îe temple de leur ville.
Ces aventures firent du bruit, et donip-
rentlieu à deux proverbes. Quand on vou-
lait parler d'un faux témoin, on disait qar
c'était un joueur de flûte de Téuédo^.
Tev^ioç a^XiJTY);; et Ton citait la hache de
Ténédos lorsqu'il étaltquestioo d'une af-
faire qu'il fallait décider sur-le-champ,
ou cfuand il s'agissait de rendre une
justice prompte et rigoureuse. Durestr,
le proverbe de la hache de Ténédos av^il
encore une autre origine. Le roi Teces
était un sévère justicier ; il avait ordonoc
gue la hache et le bourreau fussent tou-
jours près du juge pour exécuter je
coupable. Aristote, cité par ÉtienDe «
Byzance, donne encore une autre expli-
cation. Il dit qu'un roi de TénéJrt
ayant porté une loi qui condamnait ^^
adultères à être décapités avec la bdcbt>.
le premier qui encourut ce châliintflî
ILE DB TÉNÉDOS.
t4f
îjt son propre fils. Le géographe, ajouts
ju'on représenta sur les médailles de Ttle
es têtes des deux coupables adossées , et
lu rêver» la hache , instrument de leur
npplice. Goltzins a donné le type d'une
emblable médaille , dont l'interpréta-
ion a fort oecupé des safants qui n'ont
m voulu se contenter de celle (f Etienne
le Byzance.
Une autre question, plus importante
lans le sujet qui nous occupe, serait de
avoir guelle était la situation politique
le Ténedos avant l'époque^de Tenès, qui
Qt contemporain de la guerre de Troie,
it que l'on ne peut raisonnablement re-
larder comme le premier fondateur de
1 ville de Ténédos, ainsi que le fait
)iodore de Sicile. Gomment supposer,
& effet, aue Ténédos se soit tout à
oop élevée de l'état d'Ile déserte à la
ODdition de cité riche et célèbre , ainsi
ue l'atteste Virgile quand il fait dire à
toée:
£it in eonspeeta Tenedos. notlstlma fama
lasali, dlvet opam , Priaml dam régna manebant ?
^tte prospérité ne peut s'expliquer
lue par l'existence d'une population in-
lostrieuse et commerçante , antérieure
rémigration de Tenes. D'ailleurs , la
égende relative à ce héros nous le
Bootre accueilli par les habitants de l'tle,
jQÎt charmés de sa beauté et de ses
ertu9, le proclament leur roi. Cette po-
QJation primitive de Ténédos devait être
n communauté d'ori^ne avec celle des
l^tes et des ties voisines. I>e plus , si
'on remarque que parmi les noms an-
iens de cette Ile, qui s'est appelée tour à
ourCalydna, Lyrnessus, Leucophrys,
n trouve aussi celui de Phénice, on en
K>arra conclure qu'elle reçut un établis*
«ment de Phéniciens. Son heureuse
ituation à l'entrée de THellespont dut
a faire rechercher de ces hardis navi*
jateurs, qui ftirent autrefois les mattres
iD commerce de toute la Méditerranée;
'\ il y a lieu de croire qu'ils ne négli-
gèrent pas cette importante position.
Mart va jusqu'à donner une origine
^nieienne au nom de Ténédos, qu'il
3it dériver de Ten-edan, qui signifie
lans la langue des Phéniciens argile ou
^erouge, dont il prétend que l'on
^sait dans cette tie une excellente po-
t^e, semblable à cielle de Samos. Je
n'admets pas cette étymologie, quisup^
Rriroe l'histoire de Tenès, parce qu'une
igende, même une légende grecque, a
plus d'autorité à mes veux ^qu'une con-
jecture d'érudit systématique. Mais je
ne renonce pas à croire a l'établisse-
ment dans Ténédos d'un comptoir
phénicien, par lequel s'expliquent très*
bien la célébrité et l'opulence de cette
fie au temps de la ^erre de Troie (1).
La grande expédition des Grecs contre
la cité de Priam vint arrêter le cours de
cette prospérité; ils ravagèrent Téné-
dos, lorsque Tenès y régnait encore ; ce
prince périt de la main d'Achille, et les
insulaires portèrent une loi qui défendait
de prononcer le nom d'Achille dans le
temple de celui qu'ils regardaient comme
leur fondateur.
C'est de Ténédos que Virgile fait
partir les deux prodigieux serpents qui
traversent la mer pour venir dévorer
Laocoon et ses fils :
Ecce aotcm Remlnl a Tenedo tranqatlla per alta
( Horrcaro réfèrent ) Imme nais orbibvs angaes
Incambimlpelago, parilerqae ad UUora tenduof.
C'est aussi derrière les hauteurs de Té-
nédos que la flotte grecque alla se ca-
cher, pour faire croire aux Trorens
qu'elle avait regagné les rivages de la
Grèce et préparer le succès de Ja ruse
d'Ulysse :
Hoc se provectt deserto In llUore condant. '"" ]
Le souvenir de ces poétiques aventures ,
rendu impérissable par les beaux vers
de Virgile, s'empare aussitôt de l'es-
prit du voyageur qui s'arrête un instant
a Ténédos , pendant l'aller ou le retour
du chemin de Constantinople. Impatient
de vérifier les détails de ces fictions, qui
l'ont charmé autrefois, par l'étude oes
contrées qui en furent le théâtre , il de-
mande s'il n'y a pas dans l'tle quelques
serpents dont la forme et la vue puis-
sent rappeler les traditions de l'épopée.
(r) M. Baoul-Rochette, Hist. de rÈtablis-
sèment des Colonies Grecques, II, 148 > «^o,
donne à Ténédos une origine Cretoise, « Les
villes de Cilla, de Chrysé, de Ténédos, cé-
lèbres dans rhistoire poétique par le culte
qu'elles consacraient eiclosivement à Apollon,
paraissent appartenir i rémigration cratoise
qui s'éublit en Troade. » Mais la Crète elle-
même n'toit-elle pas une Ile à moitié pbc-
Dicienne ?
%a
VUKPKBB:
On lui répond qu'il n'y a pas de replilet
à Téiiédos. Que s'il veut savcMr où la
flotte dM Groea ae eacba la veille du aac
d'ilion , on lui montre une petite anse
entre cteui rochers nus qui s'élèvent sut
le rivage, mais où douze petites barques
pourraient à peine trouver place (1). Si
von s'avise d'entre tew les Ténédiensdes
souvenirs hércâques de Priam^et d'Heo-
tor , d'Affamemnon et d'Achille et de la
catastro^e d'Ilion^dont la plaine s'é-
tend sous leurs jreux, on n'en obtient pas
de réponse. Tout ce qu'ils savent en fait
d'histoire des temps passés, e'est que lea
Russes, à la fin du siècle dernier, ont
fait une descente dans l'tle , alors asses
âorissantOt et devenue misérable depuis
les ravalées de cette invasion. Le peuple
grec a presque entièrement oublié ses an*
tiquité, à la« connaissance desquelles
on est si familiarisé dans notre Décident.
En Grèce il n'y a qu'un petit nombre
de lettrés qui s'en souviennent et qui
puissent en parler raisonnablement;
dans ce pays tout est ruîpé, tout est
détruit, daiis la mémoire des hommes
comme sur la surface du sol. Quant à
ces petits mécomptes du touriste qui
veut retrouver dans la réalité tous les
décors du théâtre de la poésie antique,
n'est une juste punition d'une curiosité
indiscrète. £n voyage, il ne faut pas f
regarder de trop près avec les poètes , ni
leur demander ce qu'on n'est en droit
d'attendre que des historiens et des
géographes. Qu'on lise leurs fictions
dans le même esprit avec lequel elles ont
été composées , sans trop s embarrasset
de ces vérifications exigeantes qui sou-
vent préparent au voyageur lettré de fâ-
cheuses déceptions.
Établissement bbs Éoiibns a. Tk-
NÉDOs (1210). — Ebruite par les Grecs,
Ténédos fut plus tard repeuplée et re-
levée p;ur eux. Vingt ans avant le retour
des Héraelides dans le Péloponnèse ,
J'au 1210 avant l'ère chrétienne selon
la chronologie de Larcher, commença
rémigration éolienne. La première ex-
pédition fut conduite par Pisaodre , un
dea priacipaui eitoyeos de Lacédémone,
et même par Oreste, que Pindare lui
aasofiie « et qui aurait conduit « sur les
(i) Ukkiiid et Faiijaiifait , in, 9^7 ; ÛKp-
per, Description , etc, p. a 3 8.
mes de Ténédos me toeupe éaliinBi
aux armes d'airain (1). » Mais il eA
eertain qu'Oreate mourut en Areadie,
dans un âge trcs-avaneé , et paisible
possesseur du trooe de ses pèies. Restt
Pisandre, qui aeul oolomaa Ténédos d
en fit une cité éolienne. « HellaoieM,
dans le premier livre de aes ÉoUqmt
parlait de l'émigration de Pisandre, su
laquelle il na noua nste plus d'autra
documents que eem que )e viens de dlfl
d'après Pindare et son seobaste. Ct
pendant Ténédos fut touioura» dès oelit
^o<9ae« eomptée au Bombre dts co-
lonies éolie&Me; les fragments puUiâ
par Httdson lui dennent l'épilbètt d'e>
lieone; Penys le Pénégète applique
spécialemati à oatta île aussi biea^u'i
celle de Lesbos le titre d'îles en ijt
liens; et son eommentateur <bt ^e Té-
nédos re^liemiait une ville éolifose,
témoignage qol^il avait ta» iHt»
dote (2). »
L'émigration éolienne continua à $^
porter du côté où elle avait pris sa pre-
mière direction. Pendant un siècle elie
versa une nombreuse pofulatian greM
sur les edtes de la llysie et mos m
Uns volaines. Ainsi se lorma Vamç^
tyonie éolieone^ qui ae eomposaitè
Ténédos, la plus ancienne de toutes, de
oinq villes de Lesbos» de k capitale da
Hécatonèses, de Temnos, Cilla, Ne-
tium, iËgireesaa, PKana, OÉges, Myràa
et Gryneum sur le eontânent Les ai-
aemblées générales de ces villes q^'^
rodote appelle AîoXétav scéXsiç ^x«ûu« 1^^
anciennes villes des Ëoliens, seteaaieal
dans le temple d'Apollon Grynéeo (}•
Les autres cités éoliennes peatérieafa
h la foode^n de cette an»pbictyeBieDT
furent jamais admises.
État sb TiRÉDeia bifum u
SlXlàMS 8IBCLE jusqu'à L'àBB cw*
TiBif NI. — Après l'époque de rétafaii-
sèment des Êoiiens, Ténédos ne repnali
dans l'histoire qu'au sixième siècle, »
temps où la domination des Perses ^>
tablit sur les Grecsr d'Asie Mineure <<
des îles. Les Éoliens avaient prii ^
à la révolte d'Icaie; les habitaats ôe
(i) Pittd., iV^., XI, 44; et le ScoL
(9) Raoul-Roohette, Coi. Cngf., U. 44^-
Bérodoie, I» z5t.
(a> Aaoul-llochette , CoL Gm^^ in, i^
ILE BX TtXIÉQOS.
«48
les araienl MNitano riasiirreetioii des
nlles da continent, auxquelles let uoie-
ssieDt tes Mens de leurs amphietyosies.
Lm îles échappèrent à la conquête de
i^njs, qulBe possédait point de mariiie ;
nais leur liberté suocomba après la
Kitaille de Lada , oè les Perses furent
moqueurs. Darius arait à sa disposition
es forces de Ja marine phénicienne. Il
ixistait une antique riralité entre les
PfoéntcieDset lesGrees, qui se disputaient
jppuis tant de sièeles le commerce de la
Méditerranée. GrâceàcesdirisionSt les
Perses , nation purement continentale,
mrent assuiettir et contenir l'un par
l'autre ces deux peni^es commerçants*
l^uand la révolte de rlonie eut été corn-
^mée (408), la flotte des Perses se
répandit sur les côtes d'Asie, et enre-
lappa toutes les Sporades. Ténédos fut
E:ise dans ce grand coup de filet (1).
Ile sDivit Xonès dans son expédition
contre les Grecs et fournit son contîn*
Kent dans les quarante nawes que hii
nvvoyèrent les Éoliens asiatiques (2).
Après les batailles de Salamine et de
Hyeale, eHe ftt naxtie'de l'empire mari-
time fondé par les Athéniens, qui bien-
lét comprit nnllo citésde l'Europe^de l' A-
lie et des Iles. Ces villes étaient de trois
Mortes : t^ les villes sujettes, 2* les villes
alliées riescokmies. Ténédos étaitdela
première classe^ et fut assujettie à un
tribut (3). (Test sans doute à cetteépomio
9^e se rapporte la médaille de Ténédos
où Ton voit reropreinte d'une chouette.
IfsTénédiens vestèrent fidèlesaux Athé-
"i^Bs pendant toute la guerre du Pélo-
ponnèse; ils leur dénoncèrent la révolte
de Lesbos , ils fournirent des oontingents
pour l'expédition de Syraeuse. Soumise
a^ Lacédémoniens après la chute d'A-
Inènes, T^iédos rentra dans la con-
fédération athénienne en 378. Sparte,
joi avait alors sur les bras à la fois
]nèbf s du côté de la terre et Athènes
»Q e^é de la mer, perdit son double
^pire continental et maritime. Dans ce
[^Oit, Ténédos fut ravagée par Nico-
^^^ lieutenant du Spartiate Antal-
^as, qui tira de cette lie une grosse
^ntribution. Les généraux athéniens
0 Hérodote, VI, 3i.
WDiod.Siciil;.XI, 3.
P)Thucy«de,vn,67,
aeeonmrent de Tbasu&et de Samotbrace
pour la seeoiHrir (1); mais ils ne purent
arriver à temps : Nicoloque avait resagné
Abjdos, après avoir fait aux insulaires
tout le mal qu'k avait pu.
Déjà affaiblie par la guerre sociale
(368) (2), la domination d'Athènes sur
les tl^ d'Asie fut tout à fait renversée
par les pipgrès de la Macédoine et l'expé*
dition dfAraxandre en Asie. Les Téné-
diens se donnèrent à ce prince, etco»«
sacrèrent des stèles en son honneur.
Pendant la diversion que le Rbodien
Memnon lit dans la mer Egée , pour la
replacer sous l'autorité du grand roi,
T^iédos fut reprise par les Perses (3).
La mort de Memnon fit éeliouer cette
tentative , si habilement conçue , et
Alexandre apprit en Egypte que Té-
nédos , qui n avait cédé aux Perses qu'à
contre-ceeor , s'était replacée sous sa
domination (4).
11 est difficile de dire précisément
quelle fut la condition de Ténédos peu*
dam les conflits suscités par l'ambition et
les rivalitésdes successeurs d' Alexandre.
Gbmme la plupart des tles de la cdto
d'Asie , elle parvint sans doute à eon»
server sa liberté civile et intérieure, tovl
en subissant le patronage des rois qui
s'emparèrent successivement de la domi-
nation des contrées occidentales de l'Asie
Mineure, l.es Séleucides d'abord , et en-^
suite la dynastie de Pergame. Au temps
où les Romains commencent à se mêler
des affaires des Grecs asratiaues, Té-
nédos parait entraînée dans le raoure-
ment général qui portait ceux-ci vers un
peuple dont ils attendaient leur déli-
vrance. Il est plus d'une fois fait mention
de cette lie dans les guerres maritimes par
lesquelles se prépara la chute des dynas-
ties de Macédoine et de Svrie (5). Sa
position y attirait souvent les escadres
des puissances belligérantes, et son port
recevait continuellement les navires des
Romains, des Rhodiens et des rois de
j^ergame.
Après la formation de la province
^i) Xénopli., Hellen,, Y, i.
(a) Voyez plus haut, p. iio.
(3) Arrien , £xp, d'AL, II , a , a.
(4)Id., 7^/^., m,a, 3.
(5) Polybe, XVI, 34 , i ; XXVII , 6 , i5 ;
Xite-Live, XXXI, i6; XUY, 98.
U4
L'UniTEBS. l
d'Asie (t29), Ténédosfutàla dispontioB
des Romains, qui ne lui laissèrent qu'une
ombre de liberté. Yerrès, qui dévasta
tout Tarchipel, comme un pirate, ex-
torqua aux Ténédiens des sommes d'ar-
Î;entcoDsidérables, et leur enleva, malgré
eurs supplications et leur désespoir,
la statue ae Ténès , héros fondateur de
leur cité , qui était un ehef-d'qeuvre de
sculpture (1). C'est près de Ténédos
?ue peu de temps après, en 73 avant
.-C, LucuUus détruisit une partie de la
flotte que Mithridate envoyait en Italie
au secours de Spartacus (2), et dont il
acheva le reste auprès de Lemnos ; ex-
ploit que Gicéron célèbre en termes ma-
gnifiques. On sait encore par Cicéron
que les Ténédiens adressèrent des récla-
mations à Rome pour obtenir le maintien
de leurs immunités, souvent violées sans
doute par les gouverneurs romains,
comme le prouve la conduite de Verres*
« La liberté des Ténédiens, dit-il dans
une lettre à Quintus , a donc été tran-
chée à la ténédienne, par la hache!
^cepté Bibuius et moi, Calidius et Fa-
vonius, personne n'a dit un mot pour
eux (8). » Cette allusion, suffisante pour le
frère de Cicéron, qui était au courant des
affaires de Ténédos, est incomplète pour
nous, et nous laisse incertains sur la dé-
cision prise par le sénat au sujet des
réclamations de cette cité. Mais peu im-
porte notre ignorance sur ce point : la
sujétion de Ténédos nous apparaît ici
tout entière, et bien longtemps avant
d'être déclarée, avec les autres îles , sous
Vespasien, province de l'empire, Té-
nédos était, comme elles, à la discrétion
du peuple romain, devenu par sa politique
et ses armesle protecteur et le maître de
tous les Grecs du continent et des îles.
TÉRSDOS àpuès l'sbe chbbtienne.
— Le premier évéque connu de Ténédos
est Diodore ou Dioscore, qui assista au
concile de Sardique (347), assemblé sous
la protection de l'empereur Constant, et
où l'on condamna l'arianisme. Au siècle
suivant A nastase, évéque de Ténédos, se
signale par son zèle à combattre l'héré-
sie de Nestorius, qui distinguait en Jésus-
Christ deux personnes comme deux na-
COCic, re/r., I, 19.
(a) Id., Pro Mm\^ ià;pro uirck.^ 9,
i?)là.^Qd Quint,, n^ ïi.
tares , et niait i'ànion substantielle de h
divinité et de l'humanité dans le Sauveur.
Au concile de Chaicédoine (4i»i ,) qui con-
damna Ëutyehès, auteur de l'hérésie des
monophysites , parah l'évêque Floreo-
tius, dontla juridiction s'étendaità la fois
sur Ténédos, Lesbos, et d'autres Églises
voisines (I). Ce diocèse dépendait de h
province ecclésiastique de Rhodes.
Au sixième siècle, l'empereur Justinien
fitconstruire à Ténédos un magasin pour
y déposer les blés apportés d'Alexandrie,
lorsque les vaisseaux qui en étaient
chargés seraient arrêtés par les veau
contraires à rentrée de l'Hellespoot. Ce
magasin était un vaste bâtiment de deui
cent quatre-vingts pieds de long sur qua-
tre-vingt-dix de iaige. Par ce moyen les
cargaisons faites dans les ports d'Eg}'pte
risquaient moins de se perdre, et le
grain se conservait sans avarie jusqu'à
ce i|u'U pût être transporté aaos la
capitale.
Dans la suite, Ténédos éprouva dif-
férentes vicissitudes pendant les troubles
du Bas-Ëmpire. Elle rutsouventsaecagé;
par les pirates qui infestèrent si long-
temps l'Archipel ; les Arabes ne l'épar-
gnèrent pas dans leurs courses vies Véni-
tiens s'en emparèrent après la quatrième
croisade ; Vataoe la leur reprit. Kile fut
ensuite exposée aux incursionsdes Turcs,
qui sous le rè^ne d'Othman, en 1307,
commencèrent a dévaster toutes les ile»
de la Méditerranée , depuis le Bosphore
jusqu'au détroit de Gibraltar (3).
I^Iéanmoins Ténédos resta iusqu'afi
quinzième siècle au pouvoir des chré-
tiens. En ia$3, Jean Paiéologue P^
chassé de Constantinople par Jean Can-
tacuzène, se réfugia dans rUe de T^
nédos avec son second fils. Manuel, et sa
femme, Hélène. Cantacuzèneavait résote
de dépouiller les Paléologues et d^assurer
le trône '>à sa maison, u fit proclamer
empereur son fils Matthieu ; mais ii fal-
lait qu'il fût couronné par le patriarclM
de Constantinople, et l'on eonnaissait
rattachement de Calliste au jeune Paiéo-
logue. ^Néanmoins , Cantacuzène essaya
de le ffagner ; il lui envoya une dépota-
tion, dont faisait partie Josèphe, évéoue
de Ténédos. Mais rien ne put ébranler
(i) Lequien, Or. CttrisL, 1. 1 , col 948.
(9) Hammeri HUl,~d€4 O/^om., t,I,p-92
ILE DE TÉNÉDOS.
S45
CaJIiste. « PoMqiMTOOsètes n opioifltre,
loi dît révéqtie d*Aino8, il ne reste plus
ju'à oommer un autre patriarche. — C'est
lout ce que je souhaite , répliqua avec
rivacrté Tinflexible prélat. » Calliste
fat déposé par une assemblée d'évéques
lévoués à Cantacuzène; car cette Église
grecque, qui ne voulait pas se réunir
lu saint-fiiége, était à la merci du pou*
roir temporel. Le patriarche déposé se
«tira à Téoédos, auprès du inrince pour
equet il s*était sacriué.
Deux ans après, Jean Paléologue ren-
irait triomphant à Constantinople, et
ilantacuiène s'enfermait volontairement
iaos un monastère (1866). En quittant
réoédos, Paléologue en avait confié le
{OU vemement à un Italien appelé Martin.
Dr, les Grecs voyaient avec jalousie les
Latins s'établir dans leur Hé et y devenir
^ios riches et plus puissants qu'eux.
L*un des principaux Grecs deTénédos,
Perçamène, engagea ses compatriotes à
ie révolter contrerempereur pour se dé<
Mirrasser des Latins.; Au premier bruit
ie cette conspiration, Jean Paléologue
iquipa plusieurs oilères, et fit voile vers
réoedos. Dès qu il parut , tout rentra
ians Tordre; les habitants seaoumirent,
it livrèrent Pergamène, que Tempereur
iovoya à Thessalonique pour y être
enfermé dans une étroite prison. Jean
Paléologue resta dans Tile pendant quel-
lue temps, pour y éteindre iusqu^aux
lemières étincelles de la rébellion (1).
Cependant ces dissensions-des princes
^ecs avaient favorisé les progrès des
furcs. Cantacuzène les avait appelés
m Europe : ils dominaient sur les deux
rives de l'Hellespont; le commerce des
Italiens était menacé de perdre- ses
roies de communication. Les Vénitiens
voulaient au moins s'assurer Ténédos,
qui était à la fois un rempart contre les
lures et un établissement très-propre
à protéger leur commerce dans l'Ar-
cbi pel et dans |9 mer Noire. Ils chargèrent
Nicolo Faliero, leur bayle ou consul à
Constantinople, de proposera l'empereur
de leur céder Ténédos. Mais Jean Pa*
léologue ne voulut point consentir à
cette cession , quelque avantageuses ^ue
dissent les offres qui luv furent faites
(i) LebMQ, Hi$t. duBtu^Empire, h CXIV,
L XX, p^ S26.
(1364); mais peo de temps après il se
vit forcé d'abandonner cette tfe , sans
compensation. Renversé du trône par
une révolte de son fils Andronic, et
jeté en prison , Jean Paléologue s'était
adressé pour trouver les moyens de
recouvrer sa liberté au Vénitien Carlo
Zeno. Venise était particulièrement inté-
ressée à cettedélivrance ; car la rébellion
du jeune Andronic était soutenue par les
Génois , dont elle favorisait les intérêts
commerciaux (1877). Pour stimuler le
zèle de Carlo Zeno, l'empereur captif lui
envoya un diplôme signé de sa main ,
par fequel il cédait aux Vénitiens cette
Ile de Ténédos, dont ils convoitaient la
possession depuis si longtemps, et qu'il
avait refiisé de leur vendre à des condi-
tions avantageuses. Il y avait alors à
Constantinople ime escadre de dix ga-
lères, chargée d'escorter le convoi des
marchandises de la mer Noire et com^
mandée par Marc Justiniani. Dès que
Carlo Zeno lui eût remis la concession
impériale, Justiniani se hâta de cingler
vers Ténédos. L'officier grec qui com-
mandait dans rtle ne fit aucune difficulté
de la livrer, en voyant la si^ature de
l'empereur son maître. Justiniani établit
dans la capitale de l'ile une forte gar-
nison; puis il remit à la voile pour
Venise. Le sénat vénitien fit équiper des
renforts, et décida que Carlo Zeno et
Antonio Venieri seraient chargés du
gouvernement et de la défense de cette
importante acquisition.
Cependant les Génois de Galata, ap-
prenant ce qui venait de se passer, en
conçurent de vives inquiétudes: Us sen-
taient que les Vénitiens, devenus maîtres
dé Ténédos , pourraient profiter de la
position de cette tie pour leur intercepter
toute communication , non*seulement
avec Gènes, leur métropole, mais encore
avec presque toutes les nations de l'Eu-
rope, et que leur commerce en souffrirait
un préjudice inappréciable. Ils se con-
certèrent avec Andronic, qui avait aussi
de vife ressentiments contre les Vénitiens.
On équipa une flotte de vingt-deux ga-
lères; Andronic en prit le commande-
ment, et vint mettre le siège devant Té-
nédos (novembre 1877). Mais la bravoure
de Carlo Zeno et de ses soldats lui fit
Srouver de telles pertes, qu'il fut bien-
t obligé de se rembarquer honteuse*
Z4Ù
VXaOfEM^
ment a»^ &e&»lU(és tes Géiiois (1). IUm
ceux-ci De se tinreot pas pour batius;
la guerre continua entre G eues et Venise,
et devint générale. Gènes se dédommagea
de son échec sur Ténédos |^r la prise de
Famagouste; elle pressa si vigoureuse*
ment les hottilités, que Venise se vit à
deux doig^ de sa perte. Mais Victor Pî*
sani sauva sa patrie par la victoire éè
Cbioua (1 580), q ui détermina les Génois
à consentir à la naix. Elle fut conclue à
Turin, au mois aaoôt U8U sous la mé*
'diation du comte de Savoie. Par ce traité
Veaise gardait Ténédos; mais elle était
oUigée d*ea dét»olir les fortifications.
Ce ae fut que deux ans après <|ue oett«
convention de la paix de Turm reçut
une entière exécution (3).
Téoédoe fut enlevée aux Vénitiens par
Mahomet II. Ua ne désespérèrent pas
de la recouvrer. Pendsmt la guerre de
Candie, la flotte vénitienne reparut dans
TArcbipeUet s'empara en 1655 de Té«
nédoe^ après un siège de quatorae ^ours*
L'Uellespont lut bloque : le pnx des
vivres renchérit subitement à Constan*
tinople; Foque de riz monta à cent dn*
Suante as^s , et le prix de toutes les
enrées suivit une progression pro*
portionnée(»>. Les Turcs guipèrent une
ik>tte de treote-deux gaières pour dé-
bloquer les Dardanelles et reprendre
Téièedoe ; mus àdeux reprises diuérentes
un furieux vent du Nord lee empêcha de
prendre trmrei» et ils ne purent rien faire
(i) Lebeau , Miti. du Bas^EmpU^, 1. LXY,
t. XX, p. 4i5, 44B.
(a) Oa irMive dîns le sixièsM ve)oa« dm
lÀbri dei P^m acpt pièeci reblivea à la dé*
moliiioD eu fortificàiieii» de Téaédos. Le
tratlé de Tu ris seiri de baie à kws ces dor
ciuBeoU s qui. sont publiés dans le dUième
voluine de ÏUisLoire des OUomam de M. de
Uammer, conune pièces justificatives. Le re-
cueil des Libri Pactorum ou Libri comme-
moralîum, désigoés plus commuuément sous
les noms de Paiti ou Commemoriali, se trouve
à Veuisey dans les archives qui occupent les
dépendances de l^ncien couvent de Santa
Maria gtotiosa de^ Prtfri, Il se compose de
neuf vtHuines ki-fol. dent Bf. de Mas* Latrie
vient de publier réoemment le catolegue;
Teyec ArdwH* det Misdûtm tetemtififtieê,
jui» xSSi.
(î) Hamutr, MbêK de* OUom^, X» 3g^;
Dtpper,^sâ9.
de to«fie l'aimée. Ce ne fui fu'en 16S7
ott'ils purent forcer le Vénitien Lore-
dano y qui défendait la place avec um
garnison de sept cents hommes, à m
rendre à eonipositioa. Depuis ce temps
Ténédos ne sortit plus oes mains dei
Ottomans. Les Grecs de cette ile u
prirent pas part à la guerre de Fiode-
peodance i Ténédos resta la onneii^ak
station navale des Turcs penoant ctttt
guerre ; Okais le 9 oovemmre 1S23 W«
flotte y fut Incendiée par Canaris.
« Nous étions deux brûlots poiurro-
pédition de Ténédos, dirait Canaris iub
capitaine ai^lais^ui hnterrogieit sur ort
exploit , un Urfdriote eS moi. Les gard^
«tteede Ténédos nous voieet sansilé-
fiance doubler un des'caps de Vile. Koot
Mortions pavillon turc, et poraissiofli
inir la poursuite de ^luélques bâiiaieiii
grecs. Obligée de passer entre la tcni
et lee vaisseaux turcs , il ose fut impca^
sible de m'accroeber oomone la prewieri
fois au iMkseoir de ramiral. Je proêtai
donc du mouvement de la vague pou
faire entrer mon beaupré dans la àê
sabords du navire turc, et dès quil à<
•insi engegé^ j'y mis le feu en criaol
aux Ottomans : Comuâ, voits V9ik
brûlés comme à CMos l La terreur «
répandit aussitôt parmi eux; fortba*
reusemeot, car mon brûlot ne s*ctaM
pas bien enflammé , je remontai à bon
pour y mettre «ne seconde fois le fe««
et je pus me retirer dane mon eioâl
•ans aucun danger, car ils ae tirèM
pas même un ooun de fusil. » Le va*
eeau amiral s'embrasa avec une tris
rapidité, que de plus de deux iniu
bonraiea gui le montaient» le eapit»
pacha et une trentaine dû siens pi^
vittrent seuls à se déteber » la nMt
Cependant, le second brûlot» cofluBas^
Kr mydriote Cyrtaque, mettait lefcsi
MA des [dus gras navires de la fiott
turque; les camma, qui s'échaoIiefiM
tirent suceesBivementouparberdèo,^
qnd^ues^una, efaargée de boulets et d>
bus, nropa^ent rhacendie. Les sol^Q
delà iorterease, eroyant les Grecs cef*
dans le pert de Ténédos, canoimeat ir*
vaisseaux musulmans. Ceiix-«i aort^i'
confusément de la rade, sebrisaBt, sto-
cendiant les uns les autres. Dans *
canal de Ténédos, ils sont assaillis i^
une violente tempête. Pendant qM"^
ILES Dfi liA. FAQPOIfTIDE*
M7
ruits ie dâ>attttiail au miiiea de»
laiume^et dea floU» les équipages des
irdlote , formant un total de dix-sept
lommes^ assistaient à la destruction dd
•à Qotte du sultan. Les deux vaisseaux
ncendiés par les bràlots sautèrent avec
iD é|K>uvanlatle fracas; deux frégates et
mecorvetto, abandonnées de leurs équir
fages, fuient ea^KU^tées par les courants
us^u'aux atteifagjBs de Paros; d^autres
lénrent, corps et biens ; deux autres
régates et douze bricks firent cote sur
es plages de la Troade. « 0 Ténëdosl
'eoédos! s'écrie Pouque?ille(l], s'exaU
aat par le récit de cette œuvre de de&>
rocUon, ton «ocn rendu célèbre par la
vre d'Homère «t da Virgile, ne peut plus
Ire oublié qm»d on parlera de la gloiro
les enfants des Grecs. » Quant au^ Grecs
le Ténédos, ils restèrent entièrement
traa|;ers à oetaathousiasme« et«e bou-
:èreut pas plus qu'auparavant. Leur Uft
lemeura sous la domination des Turcs.
(i) UUi. de la Régêiiêration de la Grèce^
. iX»«. I, LiVy p«sai.
Lorsque MM. Michaud et Poviioulat visi*
tèrent l'Orient* en 1830, ils trouvèrent
les Ténédiens très-satisfaits de leur con-
dition» a Les Grecs de Ténédos ne res«
semblent point à ceux aue nous avions
TUS sur les côtes d'Asie; la révolution de
Morée ne les occupe point; ils paraissent
plus tranquilles et plus heureux. II v a
quelques mois que la Porte a mande à
Stamboul quatre primats de Ténédos,
pour savoir si les Grecs avaient des
plaintes à former; les primats ont ré*
pondu que la population grecque de Ttle
était contente du gouvernement (IX »
Ces gena-là> du resta» sont fort pauvresi.
Ils n'ont aucun genre d*industrie; ils
vivent du commerce da leur^ vins* et
quand leurs vendantes sont finies, ils
n'ont plus rien à faire , et ils passent
leur temps au café. Mais enfin si cbétive
que soit leur existence, ils ont le bon
esprit de s'en contenterv et cela vaut
mieux pour leur bonheur que toutes lei
richesses qju'ils n'ont pas.
(x) CorrcsfK, d'Orient y \, llï, a68.
ILES DE Là PROPONTIDE.
Après Ténédos, si Ton se dirige v<ev8
e Nord, en longeant la Troade, ob
vcrçoit sur la gauche un petit groupe
nifs basses, que les anciens appelaient
es Calydoos ou les Laguses , et que les
ieiUes cartes marines d^i^naient sous le
KMu d'îles Mavarea, Maona, ou Maoros.
'M% sont nommées dans des cartes
tilis réeentes Taoueban*Adassi ou ties
^ Lapins, traduetion du nom de La*
nses, qoe les anciens leur avalent
ioooé peur désigner les seuls babi*»
sols qu*on y trouve (1). « Puis THelles-
KMt prend son essor; la mer presse la
erre , battant de son flot tourbillonnant
a barrière qui l'arrête, et arrachant
lùirope dur Asie » (»). L^Hellespont est
!e détroit qui met en communication la
(0 Dapper, Description de t Archipel,
(>; Plin., Misi. NaL» V, 4«, U
m«r Egée et la Propontidc , autrement
dites l'Arcbipel et la mer de Marmara.
On rappelait encore détroit de Gallipoli,
ou bras de Saint-Georges ; mais aujour-
d'hui on le désigne commuDément par
le nom do détroit des Dardanelles. A
l'entrée <lu détroit sont les caps Sigée en
Asie, et Mastusia en Cliersonèse de
Tbraee, aujourd'hui cap Janissari et eap
Grego. Plus loin , le détroit se resserre
et la e^te d'Asie projette vers l'Eurooe le
cap Trapesa, aujourd'hui eap Berbief,
sur lequel était située la ville d'Abydos,
vis-à-vis de Sestos, qui occupe la côte
de Thrace. En cet endroit Vaellespont
n'a que sept stades de large ( \2StS mè-
tres) (1). Cétuit là que s'e£fectiiait ord*-
naireineot du temps des anciens le
passage d'Europe en Asie; c'est là que
Xerxès établit ce pont de bateaux sur le-
(i) Plin., Mist. Nai., IV» <$, it.^
348
L'UNIVERS.
3uel son immense armée franchit ce bras
e mer qu'il a appelé si justement une
rivière salée. Les anciennes Dardanelles
occupent l'emplacement de Sestos et
d'Abydos. Plus tard à l'entrée du détroit,
sous Mahomet IV, au milieu du dix-
septième siècle, les Turcs construisirent
les nouvelles-Dardanelles, ou château
d'Europe et château d'Asie, afin de
compléter là défense de ce détroit qui
ouvre aux flottes ennemies le chemin de
Gonstantinople. En 1717 Alexis Orloff,
qui venait de brûler la flotte des Turcs à
Tchesmé et de détruire le château de
Ténédos, voulut forcer les Dardanelles.
Elles furent défendues par un Français,
le baron de Tott, qui ht élever de nou«
velles fortifications sur les deux rives du
détroit. Néanmoins tous ses travaux
de défense sont réputés peu formidables';
et c'est dans le droit des gens et dans la
politique du système européen, qui in-
terdit le détroit aax navires de guerre ,
que réside la vraie garantie de Tinviola-
bilité des Dardanelles.
Les rives de l'Hellespont présentent
une suite d'admirables points de vue.
« Rien n'est au-dessus de Taspect que
nous avions le soir, dit Dallaway , du
lieu où notre vaisseau était à l'ancre , et
d'où nous voyions les deux châteaux
opposés. L'air était doux comme dans
le printemps , et les feuilles des arbres
commençaient à revêtir leur couleur
d'automne. Environ une lieue au-dessus
des châteaux, le canal tourne si con-
sidérablement et sa direction est tel-
lement dissimulée, qu'on croit voir un
lac immense dont les bords sont garnis
de villes et de villages ^yec leurs tours
et leurÎB minarets; des vignobles et des
troupeaux de chèvres sont répandus sut
les pentes des montagnes; enfin l'on
aperçoit tous les accidents de la scène
la plus pittoresque. Dans le centre est
une belle baie, dont les eaux semblent
enfermées par le promontoire, de sorte
qu'on n'aperçoit pas qu'elles débouchent
dans la mer de Marmara. En cet endroit
l'épithète de large Hellespont, qu'Ho-
mère donne au détroit, peut n'être pas
considérée comme une licence poétique,
surtout si on l'entend d'une largeur
relative et coqaparée.... A mesure que
le vent nous âvorisait, nous avancions
dans notre voyage. Nous observions que '
la côte d'Asie était la mieux cultivée et
la plus agréable pour la variété de la
verdure et la beauté de ses contours
formés en ouelque sorte par les racines
du mont laa se prolongeant jusqu'à h
mer (I). »
Voici, selon Pline, quelles sont Ie>
îles de la Propontide. « En face d^
Gyzique , Élaphonnesus , d'où vient k*
marbre de Gyzique, appelée aussi Nébris
et Proconnesus; puis Ophiuse, Âear-
thus, Phœbé, Siîoçelos, Porphyrior?
Halone avec une ville; Delphada,Pf-
lydora, Astacœon, avec une ville; —
en face deNicomédie, Démon nésos; au
delà d'Héraclée, en face de la Bithj-nie.
Thynias, que les barbares appellent
Bithynia; Antioohia en face de rile h
Rhyndacus, Besbicus, de dix-huit miiie
pas de tour; Élaea, les deux Des Rbc*
dussa, ÉrébinthodeSt'Mégaié, Chalcitb.
Pityodes (2). »
ÎLE DB PBOGONIfSSB.
De toutes ces îles, dont plosiears sooi
aujourd'hui inhabitées, ounliëes et s^iu
nom, la plus considérable est raoeieobf
Procoonese, qi^e l'on appelle maiDteoaal
Marmora ou Marmara. Scylax distiogst
Proconnèse d'Elaphonèse, llevoisinf,
plus petite et plus rapprochée de ii
côte. Strabon signale deux Proconnèse.
l'ancienne et la nouvelle, mais on cf
sait pas bien s'il entend parler de àm
villes OU' de deux Iles différentes {Z\
Quoi qu'il en soit, l'Ile «ctnelle de Ùas^
mara est située à l'entrée de la Propofi*
tîde, à qui elle a donné aujourd'hui sot
nom , et se présente sur la droite au rt-
vigateur^ui débouclie des Dardaneiie.
comme une masse de rochers escarpée
Cette île est assez fertile, mais peu
habitée. Elle était renommée dans fai-
tiquité pour -ses abondantes carrièns^
marbre, qui fournirent à laconstnietkc
de tant d'édifices (4), et d'où on tira tout
le marbre qui fut employé dans les m.'
numents de Gonstantinople.
Au septième siècle avant l'ère r brr
tienne , Proconnèse reçut une colo&-
(i) Dallaway, Constantinople, etc., H, i'
(a)Plin., V,44.
(3) Strab., XIII; Taucbn., m, 93.
(4) PUn.. KXXVI, 6; XXXVU, 7a
ILES DE LA PftOPONTIDE.
849
niilésHmiie, eofliaie tottles les villes
il^s côtes voisines , Cyzique, Priapus,
Abydos, Pereote, etc. Plus tard elle fut
:»cciipée par une oolonie athénienne, dont
rétablissement nous est attesté par le
^rand £tymologue (I). Après la repres-
iion de la révolte des Ioniens , Pto*
.^oDoèse fut prise et brûlée par les Phé*
liciens de la flotte de Darius (2). Après
a guerre mëdique , elle fit partie de
empire maritime des Athéniens; mais
M>Q histoire se perd au milieu des événe-
Qents généraux de Thistoilre grecque.
Proeonnèse est la patrie d*Aristée,
)oëte épiqoe qui avait voyagé chez les
>eythe8 et qui avait composé un poëme en
ruis livres sur la guerre des Arimaspes
ivec les Gryphons, peuples du Nord de
T.arope au sujet desquels Aristée dé-
)ita et accrédita beaucoup de fables.
Aristée de Proeonnèse, nls de Cays-
Tobius, dit Hérodote (3), écrit, dans son
;oeme épique , qu'inspiré par Phébus.,
i alla jusque chez les Issédous ; qu'au-
les<;us de ces peuples on trouve les Ari*
naspes, qui n'ont qu'un œil; qu'au delà
oDt lesGryphons qui gardent For, etc...
)n a vu ae quel pays était Aristée,
ijoute l'émiaent conteur, mais je ne
fois pas passer sous silence ce que j'ai
>'iï raconter de lui à Proeonnèse et à
>zique. Aristée était d'nne des meil-
eures familles de son pays; on raconte
(Q'il mourut à Proconnèsié, dans la bou-
iqae d*on foulon où il était entré par
)a<nrd; que le foulon ayant fermé sa
H)titique, alla sur-le-champ avertir les
^irents du mort ; que ce bruit s'étant
bientôt répandu par toute la' ville , un
>zicénien,qui venait d'Artacé, contesta
"pUe nouvelle, et assura qu'il avait ren-
contré Aristée allant à Cyzique et qu'il
ui avait parlé ; que pendant qu'il sou«
enait son dire avec force, les parents du
nort se rendirent »la boutique du foulon
iree tout ee qui était nécessaire pour
wrter le défunt an lieu de la sépulture ;
nais que lorsqu'on eut ouvert la maison,
m ne trouva Aristée ni mort ni vif;
iue sept ans après il reparut à Pro-
'onnèse , il y fit ce poëme épique que les
jrees appellent mamtenant Arimaspiest
(() Raoul Rochette, CoL Grec^ lU, a54.
(î) Hérodote, VI, 33.
[i] Id., IV, i3, mw.; Plul., Rom.^ aS.
et qu'il disparut pour la seconde fois. »
Ce n'est pas tout, trois cent Quarante
ans après cette seconde disparition,
Aristée vivait encore, et Hérodote re-
trouva la trace de son passage chez les
Grecs d'Italie. « Les Mélapontins con-
tent, dit-il, qu'Aristée leur ayant apparu
leur commanda d'ériger un autel à
Apollon, et d'élever près de cet autel
une statue à laquelle on donnerait le nom
d'Aristée de Proeonnèse; qu'il leur dit
qu'ils étaient le seul peuple des Italiotes
qu'Apollon eût visité ; que lui-même, qui
était maintenant Aristée, accompagnait
alors le Dieu sous la forme d'un corbeau,
et qu'après ce discours il disparut. Les
Métaix>ntins ajoutent qu'ayant envoyé à
Delphes demander au Dieu quel pouvait
être ce spectre, la Pythie leur avait or-
donné d'exécuter ce qu'il leur avait pres-
crit, et qu'ils s'en trouveraient mieux; et
gue sur cette réponse, ils s'étaient con-
tormés aux ordres qui leur avaient été
donnés. On voit encore maintenant sur
la place publique de Métaponte, près de
la statue d'Apollon, une autre statue qui
porte le nom d'Aristée, et des lauriers
qui les environnent. Mais en voilà assez
sur Aristée. »
Ce fut pendant le moyen âge que Pro-
eonnèse prit le nom de Marmara ou
Marmora, qu'elle donna aussi à la Pro-
pontide. On a pensé qu'elle fut ainsi ap-
pelée à cause de ses carrières de marbre.
Selon d'autres, ce nom lui vint de Geor-
ges Marmora, prince de la famille des
Comnènes, à qui la souveraineté de Pro-
eonnèse fut concédée en 1234 par Em-
manuel Comnène, despote et duc de la
Morée. Les lettres patentes contenant
cette investiture méritent d'être rap-
portées. En voici la traduction telle qu'on
la trouve dans le livre de Dapper (1).
Emmanuel Comnène^ par la grâce du Dieu
tout-puissant duc au Péloponnèse, des-
pote de Romanie et défenseur de Tem-
pi re des Grecs :
Sachant qn'il n'y a rien de si juste que de
prendre soin que ceux qui exécutei\t avec
fidélité et avec lèle les ordres des Prinees et
4es Rois» et les servent soivsnt les désirs de
leor cœur, en soient récompensés par toutes
sortes d'honneurs et de présents ; et princi-
palement ceux qui, s'ex posant à toutes sortes
(i) Deserifty cUs lies, p. 49i'
S50
L'IiMlVERS.
de dangers 4«riiil lê eftors d*oiie ernellê
guerre, n'oaC poial é|nrgBé le« Tie, et oat
pané lear jeunette m Mctice de leur eoi*
pereuf dans la guerre 4|u'ii avait à soutenir
contre des enoemis barbares et infidèles :
c^est aussi ce que nous faisons, honorant de
Présents ceux qui nous ont assisté de tout
mr ponToir, dans la guerre qu'on avait en-
treprise contre nous , partout oli la nécessité
de Ma afAdrea Ta demaïKié.
Ayant donc recooM que le piaciptl his-
trument dont Dieu s'est servi pour notre
défense a été le très-noble et très-magnanime
seigneur George Marmora, le plus illustre
rejeton de noble race; ce seigneur généreux»
Ironorable , vertueux et célèbre par son cou-
rage, qnî est rempli de prudence, de sagesse
et de la connaissaDee des belles choses, qui
a iMNivent mépiisé la mort en s^exposant
vokwlairenient à divers périls pour le bien
de notre empire, et priocipaiement lors-
que, étant accouru en toute diligence à notre
secours, nous obttnmes sur les Français
cette célèbre victoire par laqnelle nous les
ctiassAmes de notre vHie capitole et de toutes
les terres de notre «mpire: nous lui cédons
pour jamais Ttle de Prooenaèse, avec toutes
ses places et contrées; en outre, une autorité
abfi<nlue, et puissance de vie et de mort sur
tous ceui qui y habitent, et inspection sur
toutes choses selon son bon plaisir, sans
aucun empêchement, et sans qn'ancon des
habitants s'y puisse jamais opposer, on de*
mander eompte u« «kiger de pension. Mais
nous la lui donnons, afin qu'il en jouisse en
propt«, et ses descendants après lui, couima
s'il en était le premier fondateur. Nous avons
môme d*autres raisons de lui faire ce présent;
en ce que le très-clément empereur Em-
manuel de glorieuse mémoire donna celle
Ihs il très- noble et très-magnanime seigneur
Jean Camoène, grand^pèœ de George sus-
nommé; «e qu'il fit graver sur une médailie
d'or, avec certaines réserves et obligation de
le secourir dans tous ses besoins et dans
toutes les guerres qu'il aurait à soutenir. C'est
poanfuoi nous voulons aussi & présent faire
la même chose, savoir qu'en temps de guerre
quatre vaisseaux, que nous aurons fait bAtlr ,
soient pourvus comme il faut de rameurs, de
soldats et d'armps de l'île même , |)our dé-
fendre Tempire et empêcher qu*ll ne puisse
êlre envahi par aucun ennemi.
Donné et scellé, comme de coutume, dans '
notre cour royale, et ratifié par une bulte
d'or, délivrée au susdit George, le douzième
du mois de juillet la septième indiction de
TaoBée 6732, suivant les Grecs, et de la nais-
aanee de Notre-Sauvenr 1224.
ËSHAITOBI. GOMNÈME, duC
Aujourd'hui Marmara n'est qu'un as-
-fiez gros bourg, avec un bon port. Il y a
dans l'Os à*mttm vfttagts : IMatn «t
Camfato, entiromiés é^Wk payage assn
agréable €td*anaspMCpitl«r«sque;Kbs>
aaki ,aiitre rillage de Ule, dont les babt-
tants; tous Grées, voulant ae soastrairr
à la oapitatkNi, dédaTèreat au nède
dernier qu'ils étaient prêts à se fnre mo-
sulmans. Mais la Porte , ne foulant pi«
encourager les progrès de* ristanusisf
aux dépens du revenu puMie, et erai-
gnant lee suites de est exemplo, adoei^f
leur inoposition ; décîsioâ , ajoute Dal-
laway (1), à qui j'empruaie oe fait ^ qvi
montre la connâssanee que les Ture«
ont du caractère des Gffecs n)oderr*<s
Ceux des Greqs qui sont employés daos
les carrières de marbre jouissent de quel-
ques exemptions , d*après la même poli-
tique qui est pratiquée dans ifle de 0\n
pour la population employée & la enltiirp
de l'arbre à mastie.
Selon Dat>per , il y avait dans IHe de
Marmara plusieurs eouvents et ermi-
tages qui pourraient bien passer en Eu-
rope pour des abbayes et des prieuré!
Ces couvents et ces ermitages étaîenî
habités par des ealojers qui y oIkct-
▼aient une discipline rort rigoureuse.
ttss ToiBniBS ]>n mIlKhaba.
Marmara est la plus considérable d*ufi
petit groupe d'îles situées en face du ri-
vage de la Mysie et au nord-ouest de L
presqu'île de Cyzique. Ces îles sont :
Avésia , qui est la plus grande après
Marmara. File a un bourg principal du
même nom , et deux autres oourgs, doni
Fun s*appelle Aloni et Tautre A/abàioi .
e'est-à-dire le bourg des Arabes, pâme
qu'il n'est habité que par des Arabes ^i
leurs descendants. Avésia doit éirerî»:*
Halonede Pline; elle est située à Touost
de la presqu'île de Cyzique, en fao*
d'Artaki* Ëlleest désignée sur plusieurs
cartes sous le nom dlTe Liman-PaciM.
Coutallif à l'ouest de la précédente,
est d'une médiocre grandeur; elle a un
village du même nom.
Gadaro, oui est la plus petitede toutes,
a plusieivs nourgs et lieux habités, aver
quelques couvents de caloyers. On y
trouve eu abondance du blé, du vin, des
fruits, du coton » du bétail et des pÂtD>
(x) ComtftintiHople, etc.) t. D, litS« '
ILES DE LA PHOrôNTIDE.
»1
âges ; la pêche y est aussi fort abon»
lante. G^e mer entretient une grande
[uantité de poissons , dit Dapper (1) ; ee
[xjî est nn grand avantage pour les Twcs
1 pour les Grecs, qui se nourrissent beau-
oup plus de poisson que de chair. On
roit en été une grande quantité de ces
)oissons, et surtout de marsouins et de
lauphitis, nager par troupes au traven
le la mer de Marmara pour se rendre
ians la mer Ivoire , d'^où ils reviennent
)our passer l^hiver dans la mer de Mar-
nara et TArchipel.
Plus loin, vers Test, Ton trouve Hle
incieonement appelée Be^icos, aujour-
Thuî Kalohmni ou Calonimi. Pline la
)Uoe à Tembpuchure du Rhyndacus, et
ui donne dit-hnit mille pas de tour. Elle
^st vis-à-vis le cap Bouz-Bouroun , au*
:refois Posidinm, qui sépare les deux
îolfes deMoudania etdlsmid, autrefois
!olfe de Cia et golfe de Nicomédie. La
incr jette sur les rivages de cftte île et
5ur les cdtes voisines une matière légère
pomme derécume, qu'on vend fort cher à
Venise et en plusieurs autres endroits.
On trouve aussi cette écume de m€fr
dans les lies voisines de THellespont , et
leshabitants dlmbros et deLeronosTap-
pellent en langue vulgaire arkeli (2).
ttss ma pbuvcss.
Cest un groupe dalles situées à Tauttte
extrémité de la Propontide , a l'entrée du
Bosphore de Thrace, au sud-est de
CoQstantinopie. Les anciens les appe-
laient les lies Démonèses; dans la ^eo-
grcvhie moderne elles jportent diffé-
r<'Dtes dénominations : fies de Papas-
^dossi ou Papadonisia, c'est-à-dire îles
des Prêtres, à cause des nombreux cou-
vents qui s'y trouvaient ; îles des Prin-
cesses, parce que^ dit-oo, les princesses
grecques de la famille impériale qui gar-
(i; Dapper, Description, p. ^91.
(a) Dapper, p. 496. Ob se TÎsitBpliK ces
des ; je MMA obligé de m'en leair eux nencei-
gucneats fournis per Dapper, qtii f ivait du
n«te claM un ieropf où ces parages éiaieat
Bueiu conoos qu'aujourd'hui. On manque
d'une lionne description des îles de la Pre-
poQiide et de leur état actuel. Ce serait une
eieiirsion facile à faire de Técole d'Athèneii ,
»'( elle offrait BsseE d'intérêt littéraire et ar-
r^colngiqne pour qn'on dât rentreprendre.
dident le oélftèt y srraient Ifo&dé ëes
monastères et y embmssaîent to v<e reli-
gieuse , Tsole^Rosse ou ties Rounes, dans
de vieilles cartes marines ita4iemies;6D-
fin ties des Princes, qui est le nom par le-
quel on les désigne communément au-
jourd'hui, et qui leur vient sans douta des
fréquents séjours qu'y faisaient autrefois
les princes des difrerentes dynasties qni
régnèrent sur le BaihEmpire.
Des hauteurs de Galata, du Chanip
des Morts par exemple , les tlea des
. Princes terminent fort agréablement un
point de vue admirable; et quoique pla-
cées à dnnze milles de distance ^ on les
aperçoit distinctement. Elles «ont âii
nombre de quatre priiidpalM, entourées
d'autres petits Ilots, qu*on ne volt pasde
là ; et leur situation neut être dépeinte à
nn Anglais en lui disant qu*il n'a qu'à
se représenter l'Ile de MTIglit vue de
Portsmouth, partagée en quatre îles très-
Toisines les unes dés antres (1).
Proté, la première, appelée Tinaki par
les Turcs, est couverte de bruyères et sans
culture. Elle a environ ttoia milles de
tour ; son port est comblé, et la ville aimi
que deux monastères sont déiruitf. L'Ile
a deux hauteurs, l'une au nord^ Itetre
nu midi. On y voit encore deux larges ci-
ternes, mii étaient à l'usage des convcnts.
Plus oas, vers le sud , sont les Mots
d'Oxya et de Platys. Oxya est un rocher
pointu , plus élevé que les coiliBts de
€onstantmople , et inaccessible dans la
plus grande partie de sa oifooofiérenoe.
On y voit des citernes, des traces d'anti-
que habitation; certains empereurs v
construisirent un château, oui leur^rvit
S lus d'une fois de retraite dans les trou-
les de leur capitale. On y pêche en
abondance des huîtres fort délicates.
L'île de Platys, qui en est voisitte, est
basse et unie comme une plaine.
L'île Antigoniest presque anssi stérile
que Proté , elle est formée de rochers,
qui sont couverts d'arbousiers, de ro-
marins et du lada on sestus, qui porte la
gomme appelée ladanum. On y voit, sur
une hauteur, des ruines eottMérables,
(i) Tous ces détails sur les (les des Grinces
sont empruntés & Dallairay, t. Il, p. 9t5, et à
Dapper, p. 491. Toy ez aussi dans les Woyagts
de Walpole, t. I, p. 84 1 et t. H, p. 7, des
relations des doctenrt Hiint et tMiarp»
33}
parmi lesqaelIesoD distingoe des
et le dôme d'une grande ëglise.
A nn mille plus loin on trouve Kalké ,
anciennement Chalcitis, ainsi nommée à
cause d'une mine de cuivre autrefois en
grande estime pour la qualité du métal.
Selon Aristote, il y avait dans le temple
d' A poUon à Sicyone une statue faite de ce
métal. Etienne de Byzance appelle cette
Ile Démonésus, nom que quelaues-uns
donnent à tout le groupe, et il dit gu'on
y trouve du borax , de ror et le corona-
rium , qu'on employait beaucoup en col-
lyre pour les yeux. Pierre Gilles, voyageur
français qui visita le Levant par Tordre
de François P% dit avoir vu a Kalké %de
grands morceaux de scories de cuivre
et de borax, et conjecture qu'avec un
examen attentif on retrouverait la mine
iïor dont les anciens font mention. L'île
de Kalké a trois grands monastères, qui
étaient encore très-florissants à la nn
du dernier siècle. Une température déli-
cieuse , des vues variées à l'infini et tou-
jours pittoresques, et, plus que cela, l'ab-
sence des Turcs, étaient des motifs suffi-
sants pour y attirer beaucoup de Grecs
riches , qui venaient v habiter de fort
beaux appartements dans les bâtiments
des couvents, pendant le printemps et
l'été. C'est dans cette tle que l'empereur
Manuel passait l'été avec sa nièce Théo-
dora. L'abbé Sévin visita ces monastères
en 1729 pour y rechercher des manus-
crits; et quoiqu'il en ait trouvé plus de
deux cents, aucun n'avait trente feuilles
entières de suite. De la montagne où
est situé le monastère de la Sainte-
Trinité, on a une vue admirable sur la
mer, terminée par tout l'ensemble de
Constantinople et du rivage opposé. La
beauté de ce spectacle , surtout au cou-
cher du soleil, est, dit Dalla way, au-des-
sus de toute expression par le discours
et du pouvoii;méme du plus riche et du
plus heureux pinceau. Près du grand
monastère de Panagia, on .remarque la
tombe de sir Edouard Barton, le pre-
mier ambassadeur anglais à la Porte,
envoyé par la reine Elisabeth , qui mou-
rut dans cette tle, le 25 décembre 1597,
a l'âge de trente-cinq ans. Dapper a re-
produit son épitaphe. Il est à croire que
ce monument existe encore.
Prinkipo est la plus grande des îles
de ce groupe et la plus éloignée vers (e
L*UNiyEllS«
golfe de I9icomédie. Elle a pareîlleneot
ses couvents, ressemblant beaucoup aux
autres dans leur plan et par leur belle
situation sur les hauteurs. Elle a de plus
l'avantage d'avoir un village plus peuplé,
quelques bols et quelques vignobles. O
sont des bois depms, d'une assez grande
étendue ; on en fait du charbon et des
cendres pour les engrais. Cestdanscette
île que Nicéphore reléeua l'impératrice
Irène, qui sv retira dans un cooto:
qu'elle avait fait construire. Prinkipo i
soixante stades ou huit milles de tour;
elle surpasse en hauteur toutes les \\h
circonvoisines.
Au commencement du dix-huiiièw
siècle, sous Acbmet IH, le vizir Djin-
Ali-Pacha, homme violent, propos
d'obliger tous les ministres étrangers i
faire leur résidence dans les îles des
Princes , au lieu d'habiter Péra ; nuis ii
ne put remporter sur leur résistaoY.
C'est avec des vues plus nobles et plu»
utiles que Raghib-Pacba, vizir de Mus-
tapha 111, (1757) avait formé le projet
(rétablir un lazaret à Antigoni, o«
'on aurait envoyé les malades attaques
de la peste, pour affaiblir les ravages
de cette terrible maladie à Constantino-
ple. Sa mort en 1765 a empêché Teie
cution de ce plan salutaire.
Aujourdhui les tles des Princes sont
très-tréquentées par les Francs établis :
Constantinople, ^ui y vont de temps ^
temps s'y divertir, ou «'y reposer da
tracas des affaires. Tous les voyag^rn
s'empressent de visilerce petit arcnipeî. «^
gracieusement encadré entre les côtps é-
P Europe et de l'Asie. Un service irr»-
lîcr de bateaux à vapeur rend facile r«
prompte cette traversée, qui n'est p!i!b
qu'une partie de plaisir, et qui autretoîs .
a cause des caprices d'une mer souTi-rt
agitée , dégoûtait par beaucoup de h.'-
sards et de lenteurs.
LES BOGHBS CYANBSS*
Le Bosphore ou canal de Constant'-
nople, qui conduit delà Propontidedan^
le Pont-Euxin ou mer Noire, se termifl'
par deux promontoires, dont l'un. Ire?
Ancyreum, est situé en Asie, et l'aotr?.
le cap Panium , forme la pointe de FKa-
rope. Près de ces deux caps se trou^en-
deux groupes de rochers, quelesanoiec
appelaient les Iles Cyanées ou Symple*
ILES DE LA PROPONTIDE.
358
gades , et qui doivent une certaine céié-
orité aux poètes qui ont chanté les aven-
tures de Jason et des Argonautes.
Ces deux groupes de rochers sont très-
rapprochés de chacun des deux conti*
uents , et sont séparés par un assez laree
iutervalle, de sorte que s'ils offrent quel-
ques dangers , ils ne sont pas un obstacle
à la navigation. LesCyanées d'Asie, qui
sont près du Fanal , ne sont autre chose
que les pointes d'une île ou d'un écueil
séparé de la terre ferme par un petit
détroit , lequel reste à sec quand la mer
est calme et se remplit d'eau à la moin-
dre bourrasque. Alors, dit Tourne-
furt (0, on ne voit que la pointe la plus
élevée de l'écueil, les autres étant cacnées
sous l'eau, et c'est ce qui rend ce pas-
sage si difficile. Aussi le roi Phinée, que
les Argonautes avaient délivré des har-
pies et qui leur donna une généreuse
hospitalité, conseil la-t-il à Jason de ne
passer à travers les Cyanées que par un
beau temps : •« Autrement, disait-il, votre
navire Ai^o se briserait , fût-il de fer. »
Mal^ ces avertissements, les Argo-
nautes coururent de grands risques
dans ce passage. Leur vaisseau s'accro-
ri)a si fort sur ces rochers , qu'il fallut
que Minerve descendît du ciel pour le
pousser de la main droite dans l'eau , tan-
dis qu'elle s'appuyait de la gauche con-
tre les parois du rocher.
Dans les fictions des poètes, les Cyanées
n'offrent pas seulement les dangers des
éeueils oniinaires , qui est de briser les
navires que le vent ou les courants leur
jettent. Comme on les supposait flottant
wus les eaux , ou se promenant le long
ries côtes , s'entre-choquant les uns les
entres, ce qui les avait fait nommer
Symplégades,il était presque impossible
d'éviter leur rencontre , et elles inspi-
raient un indicible effroi aux navigateurs.
Cette tradition sur la mobilité des Cya-
nées, qui devinrent fixes après le passage
des Argonautes, peut n'être qu'un embel-
ii:>seinent de la poésie, ou une exagération
à?i marins, qui aiment à en conter sur ce
qu'ils ont vu et éprouvé, ou bien le sou-
venir altéré de quelque révolution phy-
Mque qui aura pu remuer et déplacer ces
éeueils. Il y a encore beaucoup d'autres
explications probables. Voici celle de
Pline : ^ La fabte, dit-il, rapporte que les
Cyanées se heurtaient l'une l'autre : c'est
que, séparées par un intervalle étroit ,
on ne les voit distinctes ç|ue de face en
entrant dans le Pont-Euxm , et qu'elles
semblent s'être réunies pour peu que les
yeux aient pris une direction oblique (1 ) . »
Tournefort a une autre manière de se
rendre compte de la fiction des poètes :
tout cela était fondé , selon ce voyageur,
sur ce qu'on voyait paraître et disparaître
les pointes de ces rochers, suivant que la
mer les couvrait dans la tempête ou les
laissait voir dans le calme. On ne publia
qu'ils s'étaient fixés qu'après le voyage de
Jason, parce qu'apparemment on les cô-
toya de si près, qu'on reconnut enfin
qu'ils n'étaient pas mobiles.
Les îles Cyanées d'Europe , de même
que celles d'Asie, ne sont proprement
qu'une île hérissée , dont les pomtes pa-
raissent autant d'écueils séparés lors-
que la mer est fort agitée. Le bras de
mer qui est entre cet îlot et le fanal d'Eu-
rope n'est que de trois cent cinquante
pieds. Il est souvent à sec. Sur la plus
naute des cinq pointes de cet écueil s'é-
lève une colonne à qui on a donné sans
raison le nom de Pompée. On reconnaît
facilement que la base et le fût n'ont pas
été fiits l'un pour l'autre. La colonne a
douze pieds oe haut et se termine par
un chapiteau corinthien. Quoique sur la
base on lise cette inscription :
CAG8ARI AUGV8T0 E. CL. ANNIDfVS L. P. CL4
FRoirro.
ce n'est point une raison suffisante de
croire que ce monument était primitive-
ment consacré à Auguste. Denys le Pé-
riégète nous apprend que les Romains
avaient consacré sur les Cyanées un au-
tel à Apollon. La forme de cette base, ses
ornements qui sont des festons de lau-
rier et des têtes de bélier, conviennent
mieux à un autel qu'à un piédestal de
colonne. Ce n'est que plus tard que ce
monument aura changé de destination ,
et qu'il aura été surmonté d'une colonne
élevée en l'honneur d'Auguste.
Les poètes, comme Apollonius de
Rhodes, Valerius Flaccus, Lucain, Mar-
tial , Ovide, ne voient dans les Cyanées
ou les Symplégades que des rochers ,
{tf Toumeforr, Voyage au Levant^ lï, 149, (i) Plin., IV, 27.
23« Livraison, ( Ilb de la Propoî^tidb. )
38
Sô4
i;UNiVEÎlS.
concurreiitia saxa. Les géographes,
Strabon, Pline, Denys le Perluète,
les appellent des lies ; ce qui est égale-
ment juste , selon le sens que Ton veut
donner à ces deux dénominations. On
comprend suffisamment la significatif
du nom de Symplégades. Le nom de
Cyanées vient de 1 aspect de ces rochert
qui sont d'une couleur grisâtre , et tirant
sur un bleu plus ou moins fonoé.
ILE DE LEMNOS.
Desgbiption be lIlbdbLemnos (1 ).
— L'île appelée Lemnos par les anciens
et Stalimene dans les temps modernes
est située sous le 23^ degré de longitude
et par SO*" 20' de latitude nord. C'est fa
Ï»lus considérable des lies qui occupent
e fond de la mer Egée, dans le voisi-
nage des côtes de la Thrace. Pline lui
donne cent douze milles de tour (2);
elle a environ quinze lieues de longueur,
d'orient en occident, sur cinq à six de
large, du nord au sud. Elle est en face
de Ténédos à Test, et du mont Athos à
l'ouest. Plusieurs auteurs anciens ont
observé que l'ombre de cette montagne
s'étend jusau'a l'île de Lemnos, et qu'au
jour du solstice elle vient sur la place
de Myrine, la principale ville de l'île
dans la partie du couchant. Le voyageur
français Bélon a observé ce phénomène,
au seizième siècle, a L'île est étendue
plus en longueur qu'en largeur, dit-il ,
d'orient en occident, de sorte que quand
le soleil se va coucher , l'ombre du mont
Athos qui esta plus de huit lieues de là,
vient respondre sur le port, et dessus
le bout (te l'isle qui est au côté sénestre
de Lemnos ; chose que observasmes le
deuxième jour de juin. Car le mont
Athos est SI haut qu'encore que le soleil
ne fût bien bas, néanmoms l'ombre
touchoit la sénestre corne de l'île (8). »
11 n'y a dans tout ce passage qu'un point
inexact, c'est l'évaluation de la distance
du mont Athos à Lemnos, que Bélon a
beaucoup trop réduite. De leur côté les
(i) Car. Khode, Res Lemniacœ ; Yrati»-
laviœ, 1829, in-S**; Bayle, Dietionnaire his'
torique^ au mot Lemnos.
(2) Plin., IV, aoS; Strab., H, p. ia4;
VII, p. 35o.
(3) l'clon., Observations, etc., 1, I, ch. 26,
auteurs anciens ont été au delà de b
réalité : Pline évalue cette distance 2
quatre-vingt-huit milles, et Plntarque a
sept cents stades (1). « Je sais bien, dit
Plutarque dans un de ses Dialogues, quf
ni l'un ni l'autre de nous n'a esté en Tilf
de Lemnos, mais aussi que l'un et l'autn
a bien souvent oui dire ces vers :
Lr mont Albot cooTiIra le côté
Ua bcraf qut est dedans Lemnos planté.
Car l'ombre de cette montagne atteint
rimage d'un bœuf de bronze, qui est ra
Lemnos, s'estendant une longueur par
dessus la mer non moindre que de sept
cents stages (2). » Le vers cité ici par
Plutarque,
"âOcoc )iaXvi|;ei nUupà Ay)(&v{o[( Po6c,
était devenu proverbial, et s'appliquait 3
tous ceux qui tâchaient d'obscurcir !j
gloire et la réputation des autres par
leurs calomnies.
L'aspect de cette île est fort diversifie
Le terrain y est très-inégal ; le rivage est
couvert de rochers , l'intérieur parsenw
de collines et de montagnes. On y trout*^
aussi des champs assez vastes et ïÀtà
cultivés. I^es montagnes de Lemnos oQt
peu d'élévation : on remarque seule-
ment de loin deux sommets s'élevaoi
au-dessus de la surface de Tile^ qui, ^ue
de la mer, paraît basse et unie. L'une
de ces hauteurs est le mont Mosjchle.
(i) Voir & ce sujet la longue dissertation àt
Choiseul-Gouffier sur la hauteur do nioçt
Athos et la distance de l'ile de Leoioos, qu'à
évalue, diaprés des calculs de DeUmbr&, U
première à 7i3 toises, la seconde i 53,»oc
toises , égalant 69,967 pas romains, ou n>
lieues environ, f^oyage en Grèce^ t. Il, p. U©-
(2) Plut., dialogue Dr fade in orbe iai^t
c. 22, irad, d'Amyot.
Ile D£ LEMNÔâ.
855
nommé par Hésychîils et Ntcander, et
qui romistaitdes flammes. Il est souvent
Question, dans les anciens, de l*ardente,
e la brûlante Lemnos. Aassi avait-elle
été appelée iEtbalie (AfOu>, brûler ), à
cause de sa nature volcanique. «' Nous
aperçûmes du côté de LÎemnos, dit
Pauteur du Foyage éPAnachanU, des
flammes qui 8*élevaient par intervalles
dans les airs. On me dit qu'elles s*é-
cbappaient du sommet d*nne montagne;
que llle était pleine de feux souterrams;
^u'on y trouvait des sources d*eaux
chaudes, et que les anciens Grecs n*a-
raient pas rapporté ces effets à des
iauses naturelles. Vulcain, disaient-ils ,
) établi un de ses ateliers à Lemnos; les
Cpclopes y forgent les foudres de Jupiter.
kw bruit sourd qui accompagne quelque-
fois Téruption des flamnr)es,le peuple croit
.'ntendre les coups de marteaux (1). »
>tte tle n*a point de rivières, mais
pielques ruisseaux et de nombreuses
iources. L'une d'elles, voisine de la ville
apitale, que les Turcs appellent Lemno
)u Limio , et les chrétiens Stalimène
ik tiv A7j{Avov), jaillit d'un rocher d'où
'lie tombe en cataracte , se répand en-
uiie dans la campagne, qu'elle arrose
n divers sens , et coule jusqu'aux murs
le la ville et à la mer, où elle vient se
terdre.
Pboductions de l'Ile de Lemnos.
- La partie orientale de Ttle est fort
ride. C'est à celle-là seule que peuvent
'appliquer les traits de la description
|De Fénelon donne de Lemnos , quand il
ait dire à Philoctète : « Je demeurai
resque pendant tout le siège de Troie,
eul, sans secours, sans espérance, sans
oulagement, livré à d'horribles dou-
eurs, dans cette île déserte et sauvage,
ù je n'entendais que le bruit des vagues
ie la mer qui se brisaient contre les ro-
hers. » La partie du couchant et du
nidi est mieux arrosée et plus ver-
loyante. En général , l'Ile est fort dé-
ourvue de bois de chauffage et de cons-
niction. Les habitants font du feu avec
es tiges d'asphodèles et d'autres plantes
iesséehées. A défaut de forêts, les arbres
ruitiers y viennent bien : on y trouve
es figuiers, des noyers, des amandiers,
nais fort peu d'oliviers. Dans le voisinage
(i) Barthel., Ànaeharsis, t. I, c. a.
du bourg Rapanidi , vers la pointe nord
de l'Ile, se trouvent des hêtres qui for-
ment le seul bois de l'Ile, et dont les in-
sulaires tirent cette espèce de tan qu'on
appelle la vallonée (1). Les champs cul-
tivés de Lemnos produisent en abon-
dance du vin, des céréales et des légumes.
Lebétail y est nombreux ; mais plusieurs
espèces de serpents y infestent les cam-
pagnes.
Terbe sigillée ou de Lemnos. —
Les habitants de Lemnos avaient un
remède contre les morsures des reptiles
venimeux, c'était la fameuse terre si-
gillée, qui servait à tant d'usages, et qui
est encore fort recherchée des Turcs et
des Grecs. Cette terre de Lemnos est
rougeâtre, semblable à cette craie que
les anciens appelaient sinopis, parce
qu'on la trouvait dans des cavernes
voisines de Sinope, et qui était très-em-
ployée dans la peinture et la médecine,
a Quelques-uns, ajoute Pline, ont
prétendu que la sinopis n'était qu'une
rubrique de seconde qualité; ils ont en
effet regardé comme rubrique de pre-
mière qualité la terre de Lemnos : celle-
ci approche beaucoup du minium, et elle
a été très-vantée chez les anciens, ainsi
que l'Ile qui la produit ; on ne la vendait
que cachetée ; cequi la fit appeler sphragis.
On l'emploie en couche sous le vermillon,
ou en mélange. En médecine on en fait
grand cas. En Uniment autour des yeux,
elle adoucit les fluxions et les douleurs
de ces organes ; elle empêche le flux de
l'égilops; on l'administre à l'intérieur,
dans du vinaigre, contre l'hémoptysie ;
on la fait boire aussi pour les affections
de la rate et des reins, et pour les
pertes ; on l'emploie de même contre les
poisons' et contre les blessures faites
parles serpents terrestres et marins;
aussi entre-t-elle dans tous les anti-
dotes (2). » Dioscorldeet Galîen se sont
aussi occupés des propriétés de la terre
de Lemnos , sous le rapport médical.
Galien même se rendit dans cette Ile
pour étudier l'extraction, la nature et
les applications de cette terre, et il re*
(i) Dapper donne, d'après Béton, quelques
dcinils assez intéressants sur les producliuiis
végétales de Lemnos. Description, p. 244.
(a)PIin., Hist. ^rt/.,XXXV, 14 ; XXX VIII,
a4;XXÏX,33.
23.
356
L'UNIVERS.
connut qu'elle avait la propriété de gué-
rir les plaies invétérées, les morsures des
vipères, et qu'elle avait de puissantes
vertus pour remédier à certains cas d'em-
poisonnement ^1).
On trouvait la terre sigillée dans une
colline située à quatre portées de trait
de la ville d'Héphaestia, dans la partie
orientale de Lemnos. Cette colline était
célèbre par la tradition qui rapportait
qu'elle avait reçu Yulcain précipité du
ciel. L'extraction de cette terre se faisait
avec certaines cérémonies auxquelles
présidait un prêtre de Vulcain. Au temps
de Dioscoride, on la mêlait avec au
sang de bouc, qui lui donnait la consis-
tance d'une pâte dont on formait des
petits pains, sur lesquels on imprimait
avec un cachet la figure d'une chèvre.
Cette empreinte ne fut pas toujours la
même , et elle varia selon les temps ; à
une certaine époque on y avait marqué
l'image de Diane. Mais jusque dans les
temps modernes , l'extraction de la terre
sigillée est restée pour les Lemniens une
sorte de solennité religieuse. Bélon ne
put en être témoin , parce que cette cé-
rémonie n'avait lieu au'une fois Tan, le
6 août ; il se contenta ue visiter la colline
du sein de laquelle on tirait ce précieux
produit. Cette colline est près du village
de Cochino et d'une petite chapelle, ap-
pelée Sotira. Mais il se fit raconter tous
les détails de cette fête par les gens du
pays, et il les reproduit de la manière
suivante : « Les plus grands person-
nages et les principaux de Tisle s'as-
semblent, tant les Turcs que les Grecs,
prêtres etcaloières, et vont en cette petite
chapelle, nommée Sotira, et en célébrant
une messe à la erecque, avec prières;
vont tous enseniole accompagnez des
Turcs, montent sur la colline, qui n'est
cju'à deux trajets d'arc de la chapelle et
font beicher la terre par cinquante ou
soixante hommes , jusques à tant qu'ils
l'ayent découverte, et qu'ils soyent venus
à la veine : et quand ils sont venus
jusques à la terre, alors les caloières en
remplissent quelques turbesou petits sacs
de poil de bestes, lesquels ils baillent
aux Turcs qui sont là présents, savoir
au soubachi ou au vayvode ; et quand
ils en ont prins autant qu'il leur en faut
^ ( i) Galen.y De SimpL Mcd, temp,^ F. IX , c. 2,
pour cette fois, alors et dès rbeure
même ils reforment et recouvreat la
terre par les ouvriers qui sont eneorelà
pr^ents. £n après le soubachi envoyé la
plupart de la terre qui a esté tirée, au
Grand Turc à Constantinople. Le reste
il la vend aux marchands Ceux fui
assistent quand on la tire de sa veine
en peuvent bien prendre chacun qoelqoe
petite quantité pour leur usage; mais
ils n'en oseroyent vendre qu'il fust scea.
Les Turcs BOnl moins scrupuleux que
les Grecs et que beaucoup d'autns
nations. Ils permettent que les Grecs
chrétiens facent leurs prières sur la
terre scellée en leur présence, et eoi
mesmes assistent et aydent aux Grées.
£t s'il est vray ce que nous en ont dit
les plus vieux, telle façon de faire d'afoir
éleu un seul jour en un an , leur fut
introduite du temps que les Vénitiens
dominoyent à Lemnos et aux isles de ia
mer Egée (1). » Comme au temps dts
anciens, cette terre, réduite en petiis
pains , est marquée du sceau du Grand
Seigneur ; et du sérail elle se répand, par
cadeaux ou par commerce , dans toute
l'Europe.
Gbogbaphib POLrriQiJB. — L'Ile
de Lemnos avait deux villes , d'où ehe
tirait le surnom de Dipolis ; l'une se
nommait Hephsestia, à l'est : de VulcaïD,
appelé par les Grecs Héphaestos ; l'autre
était Myrine , à l'ouest. La première e>t
aujoura hui le village de Cochino. Bélon
croit que le château de Lemnos »t
élevé sur les ruines de la seconde. Cette
île était célèbre par son labyrinthe, Tuh
des quatre monuments de ce genre dont
les anciens fassent mention. Celui d*E-
gypte était le premier, celui de Crète le
second; le troisième est le labyrinthe
de Lemnos, et le quatrième celui dltaliet
construit en Ëtrurîe par l'ordre de Por-
senna. Le labyrinthe de Lemnos, dit
Pline (2), est semblable aux trois autre;
seulement, il est plus remarquable, a
cause de ses cent cinquante colonnes,
dont les fûts dans Fateiier étaient si par-
faitement suspendus qu'un enfant suf-
fisait pour faire aller le tour où on les
travaillait. Il a été construit par les ar-
cliitectes Smilis, Rhaecus et Théodore.
(i) 'Rfi\OT\t Observations^ I. I, ch. 29, P- '^••
(a) Pline, XXXVI, 19, 6.
ILE DE LEMNOS.
357
11 en subsiste encore aujourd'hui des
restes, misérables il est vrai , mais ceux
de Crète et d'Italie ont entièrement dis-
paru. » Au temps de Béion, au seizième
siècle, il ne restait plus aucun vestige
do labyrinthe de Lemnos.
Cocbino a un fort beau port. On y
voit, dit Dapper (1), un vieux château,
oui est presque entièrement démoli, et
aont les murailles, battues par les flots
de la mer, tombent tous les jours en
ruine. La capitale de Ttle, appelée
Lemno, Limio ou Stalimène, est située
sur le penchant d'une colline qui vient se
terminer au bord de la mer, et qui en est
environnée des deux côtés. Le coteau
sur lequel la ville est bâtie est environné
de vieilles murailles, et porte à son
sommet un château autrefois séjour de
la garnison turoue et du gouverneur.
L'accès de ce château est très-difficile ,
de sorte qu'il est beaucoup plus fort par
son assiette que par ses fortifications.
Les coteaux qui environnent la ville sont
couverts de vignes, dont l'aspect justifie
l'épithète d !i[insX6£(7aa, donnée à Lemnos
par Quintus Calaber (2). Au temps de
Bélon cette île était bien peuplée et
très-florissante ; on y comptait soixante-
quinze villages , habités par des Grecs ,
riches, laborieux, et adonnés à l'agri-
culture. Ses ports étaient £réc|uemment
visités par les négociants italiens, et sa
géographie moderne est plus connue que
l'ancienne et a une plus riche nomen-
clature. Les anciens ne nous ont conservé
que le nom du cap Hermœum, qui est la
pointe septentrionale de l'île ; c'est au-
jourd'hui le cap Blava. Les voyageurs et
géographes modernes nous donnent les
noms du cap Stala au sud-est, du cap
Koudia au sud-ouest et de la pointe
Palaeo-Castro au nord-ouest. Ils donnent
à la montagne qui est près de Lemno
le nom de Therma, et ils énumèrent les
ports Paradis au nord-est, Koudia au
sud, qu'une presqu'île formée par le
mont Saint-Antoine sépare du port Saint-
Antoine, vaste golfe qui creuse profon-
dément la côte sud de Lemnos et qui la
sépare presque en deux parties (3).
(0 Dapper, Description, p. a43.
(a) Quint. Calab., IX, 337.
(3) Voyez VjdtUu du Vofoge de Choiseul-
Gouffier, planches 4a et 14.
TaADITIONS MYTHOLOGIQUES ; VUL-
GAIN A Lemnos ; grimes des Lem-
NIENNES ; LES ARGONAUTES. -^ Il ne
suffirait pas que Lemnos ait eu un volcan
pour expliquer les roervei lieuses légendes
relatives au séjour de Yulcain dans cette
île. Beaucoup d'autres îles de l'archipel
ont eu des volcans , sans avoir eu de
Yulcain. Dans le culte de Yulcain il ne
faut pas voir seulement l'adoration d'une
force de la nature , mais aussi la déifi-
cation d'une puissante industrie de l'hu-
manité, qui fut de bonne heure établie
et florissante àLemnos. Selon Hellanicos
et lescoliaste d'Homère, les habitants
de cette île furent les premiers c|ui s'appli-
quèrent à forger des armes. C'était parmi
les armuriers de Lemnos qu'Homère
poui'ait avoir trouvé le type de ce
« divin forgeron d'une taille prodigieuse,
tout noir de cendre et de fumée, qui
boite des deux côtés, et qui avec ses
jambes frêles et tortues ne laisse pas
de marcher d'un pas ferme (1). » Après
cela, comme le feu et les arts viennent
du ciel , c'est-à-dire de Dieu, Homère
Î)ouvait très-bien supposer ou répéter la
égende qui racontait comment Yulcain
était tombé du ciel. C'est ce qu'il fait
deux fois et de deux manières différentes.
L'une de ces traditions rapporte que
Junon, honteuse de la difformité de son
fils, le précipita du ciel; qu'Eurynonie
et Thétis, filles de l'Océan, le cachèrent
sous les eaux , et le sauvèrent. Ailleurs
il est dit, dans V Iliade, que Jupiter prit
Yulcain par le pied, qu'il le jeta hors
du ciel, et qu'étant descendu tout le
jour, le Dieu tomba dans l'île de Lemnos
au coucher du soleil ; qu'il était à demi
mort, et que les habitants lui donnèrent
des soins et le ranimèrent. Yalerius Flac-
cus, dans ses Ârgonautiques, reproduit
cette dernière tradition, qui devint po-
pulaire (2), et dont les Lemniens racon-
tèrent encore à Bélon, en 1548, les prin-
cipaux détails.
Vulcain s'établit à Lemnos , où on
(i) Hom., niade, l XVIU , v. 410;
Cf. Lucien, VIU, x5; Dialogue des Dieux,
On trouvera plus bas, au chapitre de Samo-
thrace , un article sur le culte des dieux Ca-
bires.
(a) Hoin., Iliade, I, 591 ; Yal. Flac, Ar-
ffon., II, 78.
35d
LTJN1VËRS.
Tavait bien reçu. Il y monta une forge;
ii T épousa Vénus. Mars survint, sé-
duisit la femme du forgeron. Le soleil
dévoila cet odieux adultère, et Yulcain,
enchaînant les deux coupables, montra
leur crime à tous les dieux. Les femmes
de Lemnos, qui étaient encore ver-
tueuses, blâmèrent très-sévèrement la
conduite de Vénus. La déesse, irritée, les
frappa d'un fléau qoi éloigna d'elles leurs
époux. Ces femmes, iurieuses de leur
abandon, commirent alors le premier
de ces crimes lemniens, ïçn(a Âi!(xi»ia, qui
inspirèrent dans l'antiquité tant d'hor-
reur, et qui servaient à caractériser
toute action atroce (1). Elles massacrè-
rent tous les hommes de l'île. Ce meurtre
fut exécuté pendant la célébration des
mystères de Bacchus, dont les fêtes
réunissaient et fanatisaient les femmes,
d'ailleurs excitées au mal par la colère
de Vénus. Une seule, Hypsipyle, sauva
son père Thoas , en le cachant, la nuit
du massacre, dans le temple de Bacchus.
Thoas était alors roi de l'île, et fils de
Bacchus et d'Ariane, ce qui suppose l'é-
tablissement d'une colonie Cretoise à
Lemnos. L'action d'Hypsipyle étant res-
tée secrète, les Lemniennes la prirent
pour reine.
Quelque temps après, les Argonautes,
montés sur le navire Argo, et réunis, sous
la conduite de Jason, pour l'exoédition
de Colchide, abordèrent à rite de
Lemnos. Les Lemniennes, craignant une
invasion des Thraces, leurs ennemis, et
bien décidées d'ailleurs à ne pas recevoir
auprès d'elles les premiers venus , ac-
coururent tout armées sur le rivage,
pour s'opposer à l'invasion. Mais quand
elles surent qu'elles avaient affaire aux
héros de l'expédition de la Toison-d'Or,
elles les accueillirent dans leur île (2).
Elles les y retinrent pendant deux ou
trois ans. Jason , devenu l'époux d'Hyp-
sipyle, en eut deux fils. Conçus et
Thoas. C'est ainsi que l'île se repeupla.
Cependant Hercule , qui seul de toute
l'expédition avait eu la force de de-
meurer dans le vaisseau, reprocha à ses
conipagnons d'oublier leur entreprise
(x) Voyez tous les détails et tontes les ci-
tations dans l'article de Ratlb.
(2) Apollonius,!, 773; Ovid., ffer, Epîst,,
VI;Valer. Flacc.,II, v. 370.
au milieu des plaisirs , et H les fbrca à se
rembârqaer (1).
Bientôt les femmes de Leriinos ayant
découvert qu'Hypsipyle avait sauve son
père du massacre, voulurent la mettre
a mort. Hypsipyle prit la fuite; mais elle
fut rencontrée en mer par des pirates, et
vendue par eux comme esclave hounlee
à Lycurgue, roi d'Argos.
Les descendants des Argonaotes et
des Lemniennes s'appelèrent les Mi-
fiyens, nom d'une race ou tribu pélas-
gtque établie à lolcos en Thessalie et à
Orchomène en Béotre, et dont il est
naturel de retrouver le nom dans tous
les lieux où elle fonda des colonies.
Philoctètb a Lemnos. — Une
génération après l'expédition des Argo-
nautes, la Grèce entière prit les armes
Ï^our conquérir la ville de Troie. Phi-
octète, lami d'Hercnle, l'héritier de
ses flèches , sans lesquelles on ne pouvait
renverser la puissante cité de Priam,
foartit avec les héros armés pour venger
rinjure de Ménélas. En passant dans
rtle de Lemnos, il se blessa au pied avec
une de ces flèches d'Hercule, trempées
dans le sang de l'hydre de Lerne. Les
Grecs, ne pouvant l'emmener avec eux
dans cet état , l'abandonnèrent dans nie
de Lemnos, où les prêtres de Vnlcain
devaient le guérir au moyen de la ferre
Sigillée. Selon Philostrate, il fut « in-
continent guéri par le moyen de cette
terre lemnienne, qu'on tire au propre
endroit où Vulcain jadis cheutdu ciel >;
de' sorte qu'il ne souffrit pas à Lemnos
ces longues douleurs dont les poètes ont
tant parlé. Dans leurs fictions, dans
Sophocle, par exemple, que Fénelon a si
admirablement imité, Lemnos est uoe
terre stérile et solitaire. On n'y tient
aucun compte de l'établissement de Li
colonie des Minyens qui avait suivi le
massacre de tous les hommes de llleet
qui l'avait repeuplée (2). « H n'y a ni
(i) Sophocle avait traité toute celte histoire
dans la tragédie des Lemniennes, Voy. Sopk,^
Didot, p. 3a X.
(1) Du reste, toutes ces contradictîoDs s*ex-
pliqueDty si l'on admet, comme le prétendeot
plusieurs auteurs, que ce n'est pas âêns 1%
de Lemoos, mais sur le rocher de Chrysè, que
Philoctète (ai abandonné par les Grecs. Cet
îlot était situé en vue des côtes de Lemiitf<
ILE DE LEM.NOS.
850
port, ni commerce, ni hospitalité, ni
nomme qiii y aborde volontairement.
On D'y voit que les malheureux que les
tempêtes y ont jetés , et on n'y peut
espérer de société que par des naufrages ;
eoeore même ceux qui venaient en ce
lieu n*osaient me prendre pour me ra-
mener ; ils craignaient la Colère des dieux
et celle des Grecs (1). » Jamais en réa-
lité Lemnos n*était devenue un si affreux
désert; mais quel puissant moyen pour
émouvoir sur Vabandon et les douleurs
de Philoctète que le triste tabligatt de
Voici ce que nous en apprend Choiseul-
Gouffier, t. II, p. i3i. «Sur cet éciieil inha*
bité Jason et les hardis Argonauies avaient
élevé un autel avant de s'engager dans le Pont-
EuxÎD, dont ils allaient les premiers braver
les dangers. Hercule et Philoctète avaient
les premiers sacrifié sur ce même autel, lors
de leur expédition contre Troie. Les oracles
prescrivirent aux Grecs réunis sous Aga>
memnon de mériter par les mêmes sacrifices
id protection des dieux. C'est en leur indiquant
cet autel, et en essayant de le dégager des
ronces qui le couvraient , que Philoctète fut
piqué par un serpent et délaissé par le conseil
du perfide Ulysse, durant dix années de souf-
frances et de misère. Du temps d'Appien, c'est-
à-dire au commencement du second siècle, on
montrait encore dans cette île déserte Tautel
de Philoctète, sa cuirasse, un serpent d'airain,
et des bandelettes, témoins des longues dou-
leurs du héros. Mais Pausanias, qui écrivait
peu d'années après, nous apprend que l'ile
nit engloutie dans le même temps où l'ile
d'Hiéra sortit du sein des eaux , c'est-à-dire
vers l'an 197 avant J.-C, époque que j'ai
déterminée en décrivant l'ile de Santorin. «
Ainsi tout ce que les poètes ont inventé an
sujet de Lemnos conviendrait parfaitement
au rocher inhabité de Ghrjsé. La disparition
de cet écueil doit être attribuée au travail des
(eui sous-marins qui ont entraîné aussi toute
U partie volcanique de Lemnos où l'on ne re-
trouve plus ni les cratères, ni les laves ({u'elle
avait jadis. Mais elle est entourée de récifs
et de bas-fonds qui ne sont autre chose que
celle portion de l'ile maintenant affaissée
sous les eaux. « C'est là qu'était le volcan ,
dilChoiseuI-Oouffier; les feux intérieurs ont
miné les fondements de ce promontoire
maintenant recouvert par les flots ; la mon-
tagne brûlante qui menaçait d'anéantir l'ile
entière a péri, et elle a entraîné dans sa chute
les terres voisines. »
(i) Télémaque, l. XV,
cette terre inhospitalière, où le héros dé-
laissé gémit pendant dix ans loin du
commerce de ses semblables. Et ce-
pendatit cette Ile sauvage, si repoussante
tant que Philoctète y souffre, il la
regrette quand il doit la quitter, et Part
de récrivain sait presque nous la rendre
aimable et chère par ces plaintifs et tou-
chants adieux : « Adieu, cher antre!
Adieu, nymphes de ces prés humides : je
n'entendrai plus le hruit sourd des vagues
de cette mer ! Adieu, rivage où tant do
fois f ai souffert les injures de Va\rl
Adieu, promontoires où Ëcho répéta
tant de fois mes gémissements ! Acfieu,
douoesfontaines! oui mefiltes si amères.
Adieu, ô terre de lemnos! »
Les Pblasges tybrhéniens s*é-
TÀBLissEi^T A Lemnos (1160). — Les
premiers habitants de Lemnos sont
appelés par Homère et Strabon les Sin-
tiens: c'était une tribu d'origine thrace,
qui parlait une langue (1) que le poète
qualifie de barbare; ce qui n'empêche
pas qu'on ne puisse les rattacher à la
nation pélasgique, qui peupla la première
toutes ces îles et les contrées voisines.
Les Minyens, descendants des Argo-
nautes, qui dominèrent ensuite àLeshos,
appartiennent aussi à la même race.
Enfin, quelque temps après la guerre.de
Troie, Lemnos reçoit une nouvelle co-
lonie de Pélasges, qui portent le nom
particulier de Tyrrhénietis. Selon Hé-
rodote, ces Pélasges, qui avaient cons-
truit la muraille de la citadelle d'A-
thènes, ayant outragé les filles des Athé-
niens, furent chassés par ces derniers,
et allèrent se réfugier dans Tlle de
Lemnos (2). L'arrivée de ces nouveaux
colons força les Minyens à émigrer ; ils
se retirèrent en Laconie, où ils furent
accueillis avec hospitalité, en considé
ration de Castor et Pollux, les héros
tvndarides qui avaient fait partie de
I expédition des Argonautes, et qui
comptaient parmi les ancêtres de ces
Myniens. Lemnos ne fut pas la seule
contrée où les Tyrrhéniens s'établirent.
II paraît certain qu'une nation appelée
les Tyrrhéniens, et à laquelle on donne
souvent l'épithète de Pélasgique, avait
' (i) Hom., 7/iW<0, 1, 594; Od.^ VIII, agi ;
Strab., X, p. 457.
(a) Hérod., VI, 13; ; IV, gS,
360
L'UNIVERS.
occupé autrefois les côtes occidentales
de. FAsie Mineure et les îles voisines.
Stfabon prouve, par les témoignages
d'un grand nombre d'auteurs, que les
contrées de TAsie voisines de la Lydie,
qui rej^urent plus tard tant de colonies
helléniques , avaient eu d'abord des Pé-
lasges pour habitants. Ces Pélasges
s'appelaient les Tyrrhéniens ou Tyrsé-
niens. Anticlide, cité par Strabon, disait
que c'étaient les Pélasges de Leinnos et
d'Inibros qui avaient suivi Tyrrhénus en
Italie. Porphyre, dans la Fie de Pytha^
gore, disait que Mnésarque, père de ce
philosophe , était originaire de cette na-
tion tyrrhénienne qui occupait Lemnos,
Imbros et Seyros. On pourrait prouver
encore par d'autres témoignages Texis-
tence de cette tribu pélasgique des Tyr-
rhéniens étabhe au nord de TArchipel,
nation maritime , industrieuse , com-
roer^te, qui eutsans doute d'étroites
relations avec la dynastie lydienne des
Atyades, et dont elle accompagna Tun
des princes en Italie, où l'on retrouve une
puissante nation tyrrhénienne, évi-
demment d'origine asiatique.
Ce qui nous permet d'introduire ici ces
considférations générales, qui paraissent
étrangères à l'émigration des Pélasges
de l'Attique , c'est ^ue Plutarque les
appelle des Tyrrhéniens, et que c'est
toujours ce nom qui domine toutes les
fois qu'il est question dans les anciens
auteurs de la population primitive de
Lemnos et des ties circonvoisiues (1).
Ces Pélasges tyrrhéniens de Lemnos,
irrités contre les Athéniens, qui les
avaient chassés , cherchèrent les moyens
de se venger d'eux. « Comme 11^ con-
naissaient très-bien leurs jours de fête ,
dit Hérodote , ils équipèrent des vais-
seaux à cinquante rames, et, s'étant
mis en embuscade, ils enlevèrent un
frand nombre d'Athéniennes qui cèle-
raient la fête de Diane dans le bourg
de Brauron. Ils remirent ensuite à la
voile, et les menèrent à Lemnos , où ils
(i) Plut., De Millier, vin,, YIII, p. 247 ;
Thuc, IV, 109. Les Tyrrhéoiens uous |)araiso
sent être une tribu de la grande race pélas-
gique, particulièrement eu rapport avec TAsie
Sar le commerce et la navigation. Voyez les
éveloppements de cette opinion , dans VU'
nivers, Italie attc^X, I, p. 19.
les prirent pour leurs concubines. De
ces unions illégitimes naquirent beau-
coup d'enfants, à qui leurs mères appri-
rent la langue et les usages d'Athènes.
Ces enfants ne voulaient pas, par cette
ralBon , avoir aucun commerce avec ceux
des femmes des Pélasges ; et si quelqu'uu
d'entre eux venait à en être frappé , ils
accouraient tous à son secours, et s<*
défendaient les uns les autres. Ils se
croyaient même en droit d'être leurs
maîtres, et ils étaient bien plus forts.
Le courage et l'union de ces enfants
firent faire de sérieuses réflexions aui
Pélasges. Quoi donc! se disaient-ils dans
leur indignation, s'ils sont déjà d*aoeor«i
pour se donner du secours contre les
enfants des femmes que nous avons
épousées vierges, s'ils tâchent dès à pré-
sent de dominer sur eux, que ne feroot-
ils pas quand ils auront atteint ïtsa
viril ! Ayant pris là dessus la résolution
de tuer tous les enfants qu'ils avaient tus
des Athéniennes ils exécutèrent ce pro-
jet , et massacrèrent aussi les mères e2
même temps. » Tel fut le second de ccs
crimes atroces uni ont rendu prover-
biale la cruauté des Lemniens. ( H39,
selon la chronologie de Larcher. )
Après ce massacre, la colère des
dieux ne tarda pas à se fabre seni;r.
« La terre cessa de produire des fruits,
continue Hérodote, et les femmes et les
troupeaux devinrent stériles. AflUgés
par la famine et par la stériUté de leur^
lemmes, les Lemniens envoyèrent j
Delphes prier le dieu de les délivrer de
leurs maux. La Pytliie leur commandj
de donner aux Athéniens la satisfactiou
que ceux-ci jugeraient à propos d^exiger.
Les Pélasges se rendirent à Athènes ,
et promirent de subir la peine qu ou
leur imposerait en réparation de leur
crime. Les Athéniens dressèrent un lit
dans le Prytanée avec toute la magnifia
cence possible , et, ayant couvert uar
table de toutes sortes de viandes et de
fruits, ils dirent aux Pélasges de leur
livrer Tlle de Lemnos dans le même
état où était cette table. Nous vous U
livrerons , reprirent les Pélasges , lors-
qu'un de vos vaisseaux arrivera par im
vent de nord-est de votre pays a Lem-
nos, en un seul jour. Ils firent cetie
(1) Hérodote, VI, 139.
ILE DE LEMrïOS.
361
réponse, parce que rAttîque étant située
au midi de Lemnos , et à une distance
considérable de cette tie, il leur pa-
raissait impossible de faire un si long
trajet en un jour par un vent de nord-
est. »
COKQUâTE DE l'ÎLE DE LeMNOS PAE
L£S Athéhiens (510). — Pour le mo-
ment les choses en restèrent là , et les
Péiasges tyrrhéniens continuèrent à
occuper Lemnos jusqu'au temps des
guerres médiques, sans que pendant
cette longue suite de siècles il soit ja-
mais parlé d'eux et de |,eur ile. Mais les
Athéniens n'oublièrent ni la vengeance
qu'ils avaient à tirer des Péiasges de
Lemnos, ni la prédiction qui leur avait
été faite, et ^ui devait se réaliser d'une
façon singulière.
'Pendant la tyrannie de Pisistrate,
Miltiade l'ancien, fils de Cypsélus, riche
Athénien qui remporta aux jeux Olym-
piques le prix de la course des chars ,
et qui descendait d'i£acus, avait fondé
une principauté dans la Chersonèse de
Thrace (1). A sa mort, en 531 , son ne-
veu Stésagoras , fils de Cimon , lui suc-
céda dans le gouvernement de cette pos-
session importante, par laquelle Athènes
commençait l'établissement de son em«
pire maritime. Quelque temps après, Sté-
sagoras ayant péri de mort violente,
les Pisistratides envoyèrent dans la colo-
nie son frère Miltiade pour le rempla-
cer (.SI 5). C'était bien malgré eux qu'ils
confiaient un tel pouvoir à un homme
dont ils avaient assassiné le père (2);
mais la famille de Miltiade était trop
bien affermie dans la Chersonèse pour
que la jalousie des Pisistratides pût
songer à l'en déposséder. Cependant
Miltiade , sachant tout ce qu'il avait à
craindre de ses puissants et soupçon-
neux ennemis , résolut de se mettre à
labri de toute tentative, et de se donner
en Chersonèse une autorité égale à celle
des Pisistratides à Athènes. C'était un
liomme aussi rusé que brave, etqui, avant
de remporter la victoirede Marathon, s'é-
tait sigualé plutôt par des traits d'adresse
que par des actions d'éclat. Dès qu'il fut
arrivé en Chersonèse , il songea donc à
s'emparer de la tyrannie. Sous prétexte
(0 Hérodote, YI, $4 et suiv.
. W Id., VI, xo3.
d'honorer la mémoire de son frère, il
affecta de se tenir renfermé dans son
palais, comme s'il eût été inconsolable
de sa perte. Aussitôt tous les principaux
citoyens du pays s'assemblent, et vont
le trouver, pour essayer de le distraire
de sa douleur. Les voyant réunis sous sa
main, Miltiade les fait arrêter, prend
une garde de cinq cents mercenaires ,
et devient maître aîbsolu dans la Cher-
sonèse.
C'est alors que Miltiade se vit en état
de remplir la condition , en apparence
impossible, que les Lenmiens avaient
mise à leur soumission , et de satisfaire
la vengeance de ses compatriotes. La
Chersonèse de Thrace , où régnait de-
puis longtemps sa famille, pouvait être
appelée une terre athénienne, et elle se
trouvait à peu d'heures et au nord des
lies Pélasgiques d'Imbros et de Lemnos.
Il passa donc en un jour, à la faveur des
vents étésiens , de la ville d'Ëléonte dans
l'ile de Lemnos , et il somma les Péias-
ges de sortir de leur tle. Les habitants
d'Héphaestia obéirent; mais ceux de
Myrine , ayant répondu à Miltiade qu'ils
ne reconnaissaient pas la Chersonèse
pour 1 Attique , ils soutinrent le siège
jusqu'à ce qu'ils se vissent forcés de se
rendre (1) (510). Bientôt après, Miltiade
se vit enlever sa conquête. Darius , roi
de Perse, ayant échoué dans son expé-
dition contre les Scythes, avait chargé
son général Mégabase, et après lui Ota-
nès , de lui soumettre toute la partie
orientale de l'Europe, c'est-à-dire la
Thrace et la Macédoine. Otanès ne se
borna pas à ces conquêtes sur le conti-
nent ; il soumit aussi les îles du nord de
la mer Egée. Avec l'aide d'une escadre
fournie par les habitants de Lesbos , il
attaqua les îles d'Imbros et de Lemnos ,
dont la population était encore toute pé-
lasgique. Lemnos ne se rendit pas sans
une vive résistance : elle fut remise à
Lycarète , frère de Mœandrius , tyran de
Samos (â).
Miltiade, trop compromis avec les
Perses pour rester dans la Chersonèse ,
(i) Hérodote, VI, i4o. Cf. Le récit de
Cornélius Nepos, Milt., x, qui diffère de celui
d'Hérodote sur plusieurs points.
(a) Diod. Sic, X, 196 y i^/-a^.; Hérod.,
y,a6.
362
WmiERS.
fut obligé de se iréfngier à Athènes, qui
perdit momentanément ses possessions
de Thrace et des tles. Mais après leurs
grandes victoires de Marathon et de Sa-
lainine , les Athéniens s'emparèrent de
Tempire de la nier Egée , et ils n'eurent
pas de peine à se rétablir dans I^emnos
et Imbros, qui furent dès lors comme des
annexes du territoire de TAttique. La
population de ces deux îles devint tout
athénienne de langage, de mœurs et de
coutumes (f). Les Pélasges tyrrhéniens
furent expulsés entièrement ou se mêlè-
rent aux colons qui vinrent d'Athènes.
A partir de cette époque les tles de Lem-
nos, d'Imbros, et même de Scyros, res-
tent invariablement rattachées à la do-
mination d'Athènes , qui ne perdit ces
possessions que lorsau'elle cessa^ elle-
même d'être une cite libre. Dans la
guerre du Péloponnèse, les soldats d'Im-
ros et de Lemnos sont de toutes les
entreprises des Athéniens. Us servent
dans le sié^e de Mitylène, dans l'expédi-
tion de Spnaetérie , dans les campagnes
en Chalcidique contre Brasidas, dans
la grande expédition de Sicile (2). Après
iEgos-Potamos , 405, Lysandre enlève
ces îles aux Athéniens , et Conon les leur
rend après la bataille de Cnide (396).
Aux négociations du traité d'Antalcidas,
les Athéniens obtinrent qu'on leur lais-
serait la possession de ces trois îles. Lem-
nos , Imbros et Scyros furent exceptées
en leur faveur de tet affranchissement
général de toutes les cités grecques
que proclamait la politique perQde de
Sparte et de la Perse (387).
Dans la guerre Sociale, Lemnos et
Imbros restèrent fidèles , ainsi que les
colons samiens. Les alliés les en puni-
rent par des ravages. Cent vaisseaux de
Cos, de Rhodes , de Byzance et de leurs
auxiliaires parcoururent la mer Egée,
maltraitant partout ceux qui persévé-
rèrent dans leur attachement aux Athé-
niens. Lemnos , Imbros et Samos furent
les îles qui souffrirent le plus de cette
expédition (3). Après la guerre Lamia-
qie (322), où ils turent vaincus par An-
(ij Thuc, Vni, 57 ; ce furent les Lemniens
d*AthèDe8 qui consacrèrent la Minerve de
Phidias, rojr, Pausan., I, aS, 1,
(1) thuc., m, i ; IV, a8 ; V, 8; VIT, 58.
(3) Diod. Sicul., XVI, ai,».
tlpater, les Athéniens perdirent toot «
qni leur restait de leurs possessions
extérieures. Leurs colons forent chassés
de Samos , et on leur enleva Lenmos,
Imbros et Scyros.
Détachée d'Athènes, Lemnos (ut
beaucoup à souffrir des prétentions dts
divers princes qui se disputaient la sd*
nrématie de la Grèce, et efaerebaient]
rasservir tout en lui promettant la li-
berté. Elle changea plusieurs fois de
mains, occupée tantôt par Cassandre.
fils d'Antipater , tantôt par Déméuio^
fils d*Antigone ( 1). Enfin elle resta à b
Macédoine.
Après la défaite de Persée (168 im\
Jésus-Christ), les Athéniens, qui étaient
en faveur auprès des Romains , se firent
rendre leur possession de Lemnos, ro
damation que Polybe trouve très-fao*
dée , puisque Lemnos leur avait app3^
tenu autrefois (2). Bientôt après (146.
la Grèce fut réduite en province romaiw ;
Athènes perdit encore sa possession âe
Lemnos, et cette fois c'était pooraf j>
mais la recouvrer.
On ne connaît aucune médaille q«
porte le nom de Lemnos; celles que
Choiseul-Gouffier a fait graver soutd'Hc*
phaestia. Deux de ces médailles repré-
sentent un tête de femme et un bélier;
au revers de la troisième est unetorcht
entre deux bonnets, symboles de Castor
et de Pollux.
Lemnos bans les temps hodib-
NES. — Après les temps anciens, lliH-
toire de Lemnos n*orfre plus riendt
remarquable. On ne sait rien sur ta
révolution religieuse qui y substitua le
nom de Jésu<*Christ au culte de Minent^
et des dieux Cabires. Au quatriéiuf
siècle Lemnos était chrétienne. Aa coa*
cile de Nicée figure Strat^ius, évéquf ^
Lemnos. Héphœstia fut aabord le sieee
de l'évéché de Lemnos. Plus tard ce fat
Stalimène. An dix-septième siècle 1>-
véque de Tlle résidait au monastère àt
Saifit-Paul, prèsduboui^deLivado-Cbt>-
rio (3). Les Annales ecclésiastiques n*
content comment en 790 , sous le rèfiv
de Constantin et dlrène , on fit la trans-
lation du corps de sainte Euphémie de
(i) Diod. Sicul, XIX, 68; XX, 4<>-
(a) Polyb.,XXX, i8;Vilniv., I. VÎI,«;:.
(3) Lequien, Oriens Cftnst,, 1. 1, coL o5i.
ILE DE LEMHOS .
ses
Lemnos àChalcédoine. Cette sainte, qui
îvait souffert le martyre dans cette der-
nière ville, en 307, pendant la perséco-
:ioD de Galerius. était honorée dans ton-
£S les églises crOrient. Les habitants
te Lemnos virent avec repet qu'on leur
lolevait ces précieuses rehques ; ils réda-
nèrent avec vivacité, et en vinrent près-
|u'à un soulèvement. La prudence de leur
iréque les calma , et assura Texécution
les ordres de Tempereur et de Tarasius,
latriarche de Gonstantinopie.
Lemnos, appelée communément Sta-
îmène dans les écrivains du moyen âse,
It partie de Tempire grec jusqu'à ré-
loque de la quatrième croisade. En*
oite elle fut disputée aux Byzantins
lar les Vénitiens et les Génois. Au qua-
przième siècle , elle fit partie du petit
^(at que les Gateluzi avaient fondé à Mé-
élin. Mais alors les Turcs Ottomans
lommençaient à infester FArchipel et à
»iller toutes les ties grecques. Les capes
xcitaient continuellement les princes
hrétiens à se réunir et à s*armer poui^
epousser les infidèles. Us n^étaient en-
endus que par ceux qui étaient intëres-
es à ces guerres , comme les Génois et
es Vénitiens. Seuls, les chevaliers de
Ihodes étaient animés du zèle de la re-
igion , et combattaient comme soldats
le la foi. Leurs galères parurent souvent
[ans les eaux de Lemnos et des îles voi-
ines , et y eurent de fréquents engase-
nents avec l'ennemi. En 1457, Pexpéai-
ion dirigée par Louis , patriarche d'A-
[uilée , à Tinstigation de Callixte III, no
lut empêcher la chute des Gateluzi (1),
|ue Mahomet II dépouilla en 1462. Les
éoitiens défendirent Lemnos encore
|endant quelques années. Les Turcs
assiégèrent l'an 1475 , et furent con-
raiots de lever le siège. Ce fut alors
(u'éclala le grand courage d'une fille
lomméMaruTla. * M. Moreri, ditBayle,
tn a fait mention ; mais il a cru fausse-
pent qu'elle vivait dans le quatorzième
'lècle. Il ajoute que Mahomet II enleva
^te Ile aux Vénitiens. Gela n'est point
'xact, puisqu'il ne l'obtint que par un
faite de paix , l'an 1478 (9). Les Véni-
iens la conquirent l'an 1656; les Turcs
(0 Voy. plus haut, p. 333.
(a) Toy. Vîanoli, iefl ffisfona Ventta,
orne 4.
la reprirent Tannée suivafite, après un
long si^e. >
Après la destruction de la flotte otto-
mane à Tchesmé (1770), l'escadre russe,
repoussée des Dardanelles, alla former
le siège de la citadelle de lemnos. Has-
san-bey , qui fut depuis capitan-pacha ,
la délivra par un coup de main d'une
audace extraordinaire. Sans bâtiment
de guerre, sans une seule pièce de ca*
non , il s'engage dans cette téméraire
entreprise avec trois mille volontaires
déterminés , montés comme loi sur de
chétives barques. Une seule frégate d'ob-
servation suffisait pour détruire cette
escadre singulière. Mais les Russes n'a-
vaient pris aucune précaution pour sur-
veiller fa mer. Hassan débarque sans être
aperçu, et marche au camp des assié-
geants, qu'il culbute aussitôt. Rien ne lui
résiste, il poursuit jusqu au port Saint- Au*
toine les fuyards, qui se précipitent dans
leurs vaisseaux, et les Turcs, maîtres du
terrain , voient l'escadre ennemie lever
l'ancre et s'éloigner à toutes voiles.
C'est dans Gnoiseul-Goufifier que se
trouvent les derniers renseignements sur
rtle de liCmnOs, qui a été peu visitée dans
ces derniers temps. « L'Ile de Lemnos,
dit-il, est une des mieux peuplées de
l'Archipel, en raison de son étendue ; et,
d'après des renseignements assez pro«
bables, si je ne puis dire parfaitement
sûrs, il paraît nue l'on peut porter
jusqu'à trente mule le nombre de ses
habitants.
« Le port de Myrina, ou de Lemnos ,
offre tous les avantages que l'on peut
désirer; la ville l'entoure et un fort
avancé le protège. On y construit des
bâtiments ae toutes espèces, et même des
vaisseaux de guerre avec des bois ap-
portés des cotes de la Thrace et de la
Macédoine. Le fort est ordinairement
occupé par une très-faible garnison
turque : le reste de llle jouit assez pai-
siblement des abondantes productions
du sol le plus iertile; et de nombreux
troupeaux se multiplient dans toutes les
parties qui ne sont pas aussi favorables
a la culture. De vastes prairies s'étendent
au nord du port de Moudros ; ce sont
sans doute ces pâturages ^ue Strabon
appelle Eubœa, nom qui mdique un
endroit propre à nourrir des boeufs. A
i'or|ent je cette prairie sont des teri'alns
864
L'UNIVERS.
luoDtueux, couverts de vignes, où Ton
rencontre plusieurs villages, qui n*ont
pas été déterminés sur le terrain, et que
Ton n*a pas placés sur la carte (1). »
Ile d'imbbos.
L1le que les anciens ont appelée
Imbros ou Imbrus, qui se nommait £m-
baro, Lembro, In[)bro,dans les temps mo-
dernes, est située à vingt-cinq milles à
Touest de la Ghersonèse de Tnraee (2).
Piine lui donne soixante-douze milles de
circuit. Elle est arrosée par un cours
d*eau appelé Tllissus. Cette île est haute
et montueuse, et Homère lui donne Té-
pithètede IlaiTcaXoédair), laRocailleuse (3),
cependant elle s'élève moins que Sa-
mothrace au-dessus de la mer, puisque
Jorsqu'on sort de THellespont , on dé-
couvre par-dessus nied'Imbros le mont
Saoce.
Imbros a suivi constamment le sort
des îles voisines. Comme celies*ci, elle
fut consacrée aux dieux Cabires; elle fut
occupée par les Pélasges tyrrhéniens et
conquise par les Athéniens (4), qui la
gardèrent aussi longtemps que Lemnos.
Philippe la leur avait enlevée; Antigonela
leur rendit. Elle retomba plus tard sous
la domination des rois de Macédoine,
puisque nous voyons les Romains sti-
puler dans le traité qu'ils imposèrent à
Philippe, après la bataille de Cyno-
céphale, qu Imbros serait rendue aux
Athéniens avec Delos et Scyros (5). An-
tiochus le Grand passa à Imbros quand
il se rendit en Grèce dans Tesperance
d'enlever ce pays à l'influence ro-
maine (6), et Ovide s'y arrêta quelque
temps, lorsqu'il quitta Rome pour se
rendre au lieu de son exil (7).
Dans les temps modernes l'histoire
d'Imbros est aussi stérile que dans l'an-
tiquité. Le P. Lequien déclare qu'il n'en
est fait aucune mention, dans les Annales
Ecclésiastiques, et que le siège épis-
Ci) Choiseul-Gouff., To^a^d Pittor. de la
Grèce, t. II, p. 137. Voir la carte, qui est
très-complète, à la planche 14 de l'Atlas.
il») PUn., V. a3, 7.
(3) Hom., //., xm, 33.
4) Hérod., VI, 140.
(5) Til.-Liv., XXXIII, 3o,
6) Id., XXXV, 43.
(7) Ov,, Trist.f r, 10.
ii
copal d'Imbros y est entièrement oo-
blié (1). Dans les derniers temps du Bas-
Empire, Imbros fut disputée aux em-
pereurs grecs par les républiques luah-
times de l'Italie, qui nen^ligeaieotries
pour s'assurer des positions avanu-
geuses dans l'Archipel. Comme Lemno<
et Samothrace, elle fut enlevée aux de-
niers Paléologues par la famille G3t^
luzi , qui déjà régnait à Lesbos , et qs
fut dépouillée de toutes ses possessiori
. par Mahomet II. Alors Lucio GaUtuL
était prince d'Imbros et de Lemno:.
Lucio avait aidé son parent Nicolas,
princedeLesbos, a détrôner et à étranglff
son frère Dominique. Ces deux perfides
reçurent un châtiment mérité; vaiDcti>
et dépouillés par Mahomet, ils furest
emmenés captifs, et envoyés ausup
plice, après avoir enduré de cruels tour-
ments. Depuis ce temps cette île est
restée aux Turcs.
Imbros contient aujourd'hui, disait
ChoiseuI-GoufGer, trois mille habitants
distribués dans ouatre villages. Celui qui
porte le nom de l'île est situé sur la cù's
orientale, et près d'une anse où l'oa
mouille par quinze et vingt brasses.
Non loin de là Ton reconnaît les ruiiks
de l'ancienne ville et les vestiges du
temple. « Des bateaux prêts à exportf:
les productions de rtie, ou oue (e
mauvais temps a forcés d'y relâcner. \t
bruit des ouvriers qui en radoubent ou
gui en construisent d'autres, et ks
pécheurs rentrant avec une riche récolte
de rougets, de dorades et de coquillagei.
dont chaque enfant vient solliciter si
S art , répandent un peu de mouvemeu:
ans le petit port d'Imbros (2). » Dans
l'intérieur on trouve toutes les hauteurs
couronnées de bois, où abondent des
animaux de toutes espèces , surtout df$
sangliers, lièvres et lapins. « Un gentil-
homme flamand de notre vaisseau,
disent Spon et Wheler (3), y alla a\ec
son fusil et son chien, et en moios de
deux tieures il tua un sanglier et use
(x) « Epitcopum uuUum hujus reperi, qoi
in ea remotiori evo sederit, «ed nec in uila
episcopalum notitia oocurrit Imbnis. > Or,
Christ. ^ t. I, col. gSr.
(a) Choiseul-Gourûer, Voyage, t II.
(3) Spon et Wheler, Voyage ttltelief tic^
1. 1, p. aoa, éd. de L^on; 1678.
ILE DE SAMOTHAAGE.
865
lieaTee ses quatre marcassins. » Toute
Ded'Inibros est un charmant pays. Au
M des hauteurs boisées s'étendent des
allées délicieuses et de fraîches prairies,
ai pourraient nourrir de nombreux
roupeaux. Des eaux abondantes y entre-
ennent une belle végétation, et l'on peut
y re[X)ser à Tombre de figuiers chargés
e fruits, de myrtes, de lauriers-roses;
t de vieux ceps qui embrassent le tronc
t les branches des plus hauts platanes
)Dt parvenus déjà depuis un siècle à
urs sommets, les chargent et les dé-
}rent de raisins, et n'en ressortent que
pour passer sur les cimes voisines.
Sous les Turcs, Imbros a été long-
temps un lieu d'exil pour les pachas,
comme PAthos pour les patriarches, et
Mitylène pour les princes grecs. Le
célèbre vizir Baltadji Mehemet, qui en-
ferma Pierre le Grand sur les bords du
Pruth, y fut relégué, après une disgrâce
que provoquèrent les réclamations de
Charles XII . Tranquille sous la domi-
nation musulmane, Imbros n'a pris
aucune part à la guerre de l'indépen-
dance.
ILE DE SAMOTHRACE.
Description de l'îlbdb Samo-
bbacb; ses différents noms. —
e root composé de Samothrace n'était
is en usage du temps d'Homère, quiap-
ille cette île la Thracienne Samos, ou
Samos de Tbrace , pour la distinguer
i la Samos voisine des côtes d'Ionie. Il ne
désire par le nom seul de Samos que
rsqu'il énumère avec elle quelqu'une
is îles environnantes , comme Imbros
Lemnos ; ce qui sert à éviter toute con-
sion (1). Les poètes latins se servent or-
aairementde la dénomination homéri*
le, et le nom de Threicia Samos revient
ovent dans les vers de Virgile et d'O-
de (2). La fusion de ces deux noms était
|à opérée du temps d'Hérodote , qui ,
rivaDt, comme Homère, dans le dia-
ete ionien, emploie le mot Samothrace.
as tard celui de Samothrace prévalut ,
resta seul usité des géographes et des
storiens. D'après Strahon (3), cette
I aurait porté primitivement le nom de
élite , nom commun , comme celui de
imos, à plusieurstles delà Méditerranée,
irtains scoliastes lui donnent aussi
loi de Leucosia, ou Leueonia, ou Leu-
Dia. Enfin , selon Diodore, elle aurait
(i) Hom., //., XIII, la; XXIV, 78,
(a) Virg., JEn,, VU, 208; Ov., TriH,, I,
►, ao.
(3) Strab., X, p. 47a.
eu pour premier nom celui de 5Saonèse,
que lui donna Saon, son premier roi.
Strabon ne croit pas gue Samothrace ait
dû son nom à rétablissement de colons
venus de la Samos ionique. « Une opi-
nion plus probable , dit-il , est que Samo-
thrace fut originairement nommée Samos,
f»arce que le terme Sami déedgne des
ieuxélevés, tel qu'est le terrain de Samo-
thrace. Quelques-uns veulent que cette
dénomination primitive , Samos , dérive
du nom des Saji, peuples thraces , qui
jadis , occupant toute la côte continen-
tale dont Samothrace n'est pas éloignée ,
s'étaient pareillement établis dans l'île.
Ces Saji, selon certains auteurs, ne dif-
fèrent point, soit des Sapœi, soit des
Sinti, appelés Sinties par Homère (1). »
Samothrace est située au nord-ouest
d'imbros, à trente-huit milles au sud des
côtes de Thrace , et presqu'en face l'em-
bouchure de l'Hèbre. Elle a trenie-deux
milles de tour. Cette lie n'est, à propre-
ment parler , que la base de l'immense
cône qui la surmonte, et que l'on appelle
le montSaoce, dont la cime, plus élevée,
dit>on, que celle de l'Athos , domine de
sa hauteur de cinq à six mille pieds
toutes les îles, toutes les mers et toutes
les côtes environnantes. Ayssi Neptune
pouvait-il du haut de cette montagne
(1) Strab., X, p. 45;, Irad. fr., I. IV.
300
LUKIVËES.
regarder le combal dei Grecs et des
Troyens. « Car, dit Homère, de là od
découvrait le mont Ida , la ville de Priam
et les vaisseaux des Grées. » On s^est de-
mandé quelquefois si Homère était resté
fidèle, dans œ détail, à la vérité géogra*
pbique, eton en a quelquefois douté.
Voici un témoignage qui doit suffire
pour mettre désormais Texactitude du
poète à l'abri de toute contestation. «En
entrant dans la plaine de Troie, une
cbarmante surprise vint frapper mes
yeux. Pendant notre séjour à Constanti-
nople, nous avions, Methley et moi,
pâli ensemble sur la carte. Nous étions
tombés d'accord sur ce point, que, quel
qu'ait été d'ailleurs le véritable empla-
cement de Troie, le camp des Grecs de-
vait se trouver presqu'en face de l'inter-
valle que laissent entre dles les tles d'Im-
bros et de Ténédos ,
MeooTj'^f uçTevfôoio xa\ ^'IjxSpou TcaiTcaXoéoar];.
Mais mon camarade Methley (qui regor-
geait d*Homère » et l'adorait de toute la
sincérité de son cœur) me fit souvenir
d'un passage de F Iliade où Neptune est
représenté regardant la scène des grands
combats qui se livraient devant Troie
(Utis sur te plus haut sommet de Samo-
tkrace. Et cependant Samothrace, selon
notre carte , nous paraissait rester non-
seulement hors de la vue de la Troade ,
mais encore tout à fait cachée derrière
Imbros, tie plus grande, qui s'allonge
précisément en travers de la ligne droite
tirée de Samothrace h Ilion. Tout en ad-
mettant dévotement que le grand agU
tateur de notre globe aurait fort bien
pu des profondeurs même de son
royaume aiuré voir ce qui se passait sur
notre globe , je n'en pensais pas moins
que, voulant choisir une place d'où l'on
vît Taction , le vieil Homère , si positif
dans ses énoncés, si ennemi de toute
mystification et de toute tromperie ,
aurait dû assigner à Neptune une sta-
tion que l'on pût apercevoir de la plaine
de Troie ; et il me semble que cette con-
frontation des vers du poète avec la carte
et la boussole avait un peu ébranlé ma
foi en ses lumières géographiques. —
Cest bien; maintenant j'arnve sur les
lieux. J'avais en effet à droite Ténédos
et Imbros à gauche , comme dans ma
carte ; mais voilà qu'au-dessus dlmbros ,
bien loin par-delà , dans le de , se dm-
sait Samothrace, la ^rite de NepUiiit.
Tout était donc ainsi qu'Homère ranU
déterminé. La carte 'avait de son càté
parfoitement raison; mais elle ne pos-
vait , comme le poète, examiner la venté
tout entière. Voilà comment sont vaiocsl
et feusses les conjectures purement hu-
maines , et comment contrôles souveraios |
arrêts d'Homère viennent se briser tout^
les incertitudes et tous les doutes (l >. >
L'Ile de Samothrace n'offrait auco
avantage pour le commerce. Elle n*arait
pas de port, à moins qu'on n'appelle de]
ce nom le mouillage de Cérès, le Déjm-
trium , qui est situé sur le rivage septeo*
trional , en face de la Thrace, et près dih
2uel on croit reconnaître les ruioes
'i|n temple de péméter. Aussi Pline lai
donne-t-u l'épithète d'importuosissima.
Son territoire était peu fertile. Elle pro-
duisait cependant une espèce d'oignoai
renommée. On y trouvait aussi vat
plante médicinale appelée le peuceda-
num. a La tise en est menue, dit V\itt,
longue, semblable au fenouil, garnie il
feuilles près de terre ; la racine , noire,
épaisse, d'une odeur forte, juteuse. 1
crottsur les montagnes couvertes débets.
On le tire de terre à la fin de Tautomoe.
On recherche les racines les plusteodm
et les plus longues. On les coupe de
quatre doigts en quatre doigts avec di
ftetitç couteaux d'os, eton les laisse rei^n
eur suc à l'ombre.... Ce suc, ainsi qui
la racine et sa décoction, entre daos
beaucoup de compositions médicameii*
teuses; toutefois* c'est le suc qui a le pitf
de vertu : on le délaye avec des amandes
amères ou de la rue , et on le prend ^
(t) Eothen; Paris, 1846. « Ce voja^i
malgré son épigraphe et son tilre gree^ s'v>
lotgne, comme par système, des souTeoirs di
l*antiqaité, et parle aussi peu que poasibte de
tout ce qui fut jadis. L'autear affecte de nie»
trer partout et à pro|ios de toQt uu esprit
original, sceptique et piquant. Son téwoisûpe
en faveur d'Homère, arraché à la cooscieit»
du touriste, n en serii donc que plus flolteor A
plus apprécié. » J'emprunte ce jugenrot ^
le livre intitulé Eothen, ainsi que b,tr^'<^
lion du passage cité ci -dessus, aux Éffi^f
littéraires en Orient de M. de Marcdlos, It
99, savante et spirituelle fauUtsie, qui abosi'
en piquants détails, dont je profite tonjwn
è roccasioa.
ILE D£ SAMOTHRAGË.
867
mson contre le venin des serpents. H
;araDtit aussi ceux qui s'en frottent
ivecde Thuile. « Les hauteurs boisées de
ielteile étaient peuplées de chèvres sau-
nages. On mentionnait aussi une pierre
le Samotbrace, qui était noire, légère et
eoiblable à du bois; Piine n'en indique
lasTusage. Le seul produit de l'industrie
les habitants de cette Ile était cesanneaux
e fer appelés Samothracia férrea ^ qui
talent ornés d'or, et dont les esclaves
imalent à se parer (1).
Dépourvue de marine, de commerce,
'industrie, Samotbrace a dû toute sa
éiébrité à ses mystères religieux et aux
Dtiques traditions qui s'y rapportent. A
époque de cette grande révolution pfay-
ique où les eaux du Pont*Ëuxin se
Dirent violemment en communication
vec la mer Egée, les hauts sommets
e Samotbrace devinrent l'asile de l'an-
que religion. Ce grand bouleversement,
Itfôté par Platon, par Pline et par
Irabon, avait laissé dans la mémoire des
eupiesdes souvenirs profonds, transmis
ms la forme légendaire particulière à
s temps, et dont Diodore de Sicile nous
conservé les principaux traits. « Les
imothraces, dit cet historien, racontent
d'avant les déluges arrivés chez les
itres nations, il y en avait eu chez eux
D très-grand , causé par la rupture de
terre qui environne les Cyanées, et par
lite de celte qui forme l'Hellespont.
ePont-Ëuxin ne formait alors qu'un
e tellement ^ossi par les eaux des
euvesqui s'y jettent, qu'il déborda,
nsa ses eaux dans l'Hellespont, et
londa une grande partie du littoral de
àsie. Une vaste plaine delà Samotbrace
it convertie en mer ; c'est pourquoi
ngtemps après quelques pécheurs ame-
utent dans leurs filets des chapiteaux
î colonnes de pierre, comme s'il y avait
1 ià des villes submergées. Le reste
» habitants se réfugia sur les lieux les
us élevés de l'île. Mais la mer conti-
nant à s'accroître , les insulaires invo-
iierent les dieux ; et , sauvés du péril ,
s marquèrent tout autour de l'île les
iiites de l'inondation, et y dressèrent
s autels où ils offrent encore aujour-
(i) Allién., I, aS; Pliii., XIX, 3a, i;
XT, 70, 1 ; XXXIU, 6, 7 ; XXXVII, 67, i;
«T., R, r,, II, I, 5j Lucrel,, VI, 1043,
d'hui des sacriflces. Il est donc évident
aue la Samotbrace a été habitée avant le
déluge (1). »
Les mêmes traditions racontent en-
suite comment se recomposa la société
humaine, désorganisée par ce déluge.
Saon , fils de Jupiter et d'une nymphe,
ou, selon d'autres, de Mercure et deRhé-
née, rassembla les hommes dispersés,
leur donna des lois , et distribua la po-
pulation de Samotbrace en cinq tribus,
auxquelles il imposa les noms de ses cinq
fils. Bientôt après, Samothrace vit naître
Dardanus , lasion et Harmonie , enfants
de Jupiter et d'Electre, une des Atlan-
tides. Dardanus alla en Asie jeter les
fondements de la ville de Troie et du
royaume des Dardaniens. « Jupiter, vou-
lant également illustrer le second de ses
fils , lui enseigna les rites des mystères.
Ces mvstères existaient déjà ancienne-
ment dans l'île , ils furent alors renou-
velés d'après la tradition ; mais personne
excepté les initiés ne doit en entendre
parler. lasIon paraît y avoir le premier
admis des étrangers , ce qui rendit ces
mystères très-célèbres. Plus tard , Cad-
mus, fils d'Agénor, cherchant Europe,
arriva chez les Samothraces, fut initié, et
épousa Harmonie, sœurd'Iasion. Ce jfut
le premier festin de noces auquel les
dieux assistèrent. Cérès, éprise dlasion,
apporta le blé en. prient de noces,
Mercure la lyre , Mmerve son fameux
collier, un voile et des flûtes ; Electre
apporta les instruments avec lesquels
on célèbre les mystères de la grande
déesse des dieux , les cymbales et les
tympanons des Orgies. Apollon joua de
la lyre, les muses de leurs flûtes, et les
autres dieux ajoutèrent à la magnifi-
cence de ce mariage par des acclama-
tions de joie. Ensuite Cadmus, selon
l'ordre d'un oracle, vint fonder Thèbes
en Bèotie. lasion épousa Cybèle , et en
eut un fils, appelé Gorybas. Après la ré-
ception d'Iasion au rang des dieux, Dar-
danus, Cybèle et Corvbas, apportant en
Asie le cuite de la mère des dieux , vin-
rent aborder en Phrygie.... Les mythes
disent que Plutus lut fils d'Iasion et
de Cérès ; mais le vrai sens est que Cé-
rès , par suite de sa liaison avec lasion ,
lui avait donné, aux noces d'Harmonie,
(i) Diod. Sicol., V, 47 etsuiv*; ef.l. III, SS.
368
L'UNIVERS.
le blé , source de la richesse. Mais les
détails des cérémonies saintes , on ne
les révèle qu'aux initiés. On dit que
ceux qui participent h ces mystères sont
f»lus pieux, plus justes et en tout meil-
eurs. Cest pourquoi les plus célèbres
des anciens héros et des demi-dieux fu-
rent jaloux de s'y faire initier. lasion ,
les Dioscures, Hercule et Orphée, qui y
étaient initiés , ont réussi aans toutes
leurs entreprises, grâce à l'assistance des
dieux. «
Des mystères de Samothbagb;
LES DIEUX Cabires. — Cc passagcdo
Diodore est un exemple de la confusion
et de l'incertitude qui régnent dans pres-
que toutes les légendes religieuses des
Grecs, et surtout dans celles qui ont
rapport aux mystères des dieux Cabires
de Samothrace et des lies voisines d'Im-
bros et de liCmnos. On ne doit pas s'at-
tendre à voir dans cette histoire» si géné-
rale, des Iles grecques une étude spéciale
sur ce stijet, auquel les anciens ne com-
prenaient plus rien du tout, surtout
a mesure qu'ils s'éloignaient des temps
primitifs, et qui reste encore une énigme
pour les savants modernes. « Ce qui con-
cerne les Cabires, disait Fréret au siè-
cle dernier, est un des points les plus
importants et les plus compliqués de la
mythologie grecque ; les traditions qui
les regardent sont tellement confuses et
si souvent opposées les unes aux autres,
que l'analyse en paraît à peine possible.
Les anciens eux-mêmes se contredisaient,
faute de s'entendre, et les modernes, en
accumulant avec plus d'érudition que
de critique leurs différents témoignaces,
ont embrouilla la matière au lieu de l'é-
claircir (!)«. Fréret avait certes plus de
critique que ses devanciers et non moins
d'érudition; et cependant il n'est arrivé
h aucun résultat déQnitif , et sa disser-
tation n'a paru de nature à décourager
personne. Après lui des hommes fort sa-
vants, fort habiles, MM. Schelling, Welc-
ker, O. Mûller, Gerhard , sans compter
le livre de Creuzer et de M. Guigniaut,
sont revenus sur celte question, en
ont étudié tous les détails , Vont retour-
née dans tous les sens, ont tenté des so-
lutions , érigé des systèmes spécieux ,
sans jamais avoir réussi à convaincre le
(i) ^cad, dts Inscriptions 9 t. XXYII,
lecteur qu'ils avaient dit le vrai etledtr-
nier mot. Il faut bien en croire sur
ce point le savant rapporteur de \m
ces travaux de Térudition allemande.
M. Guigniaut , qui termine ses analyse^
critiques par cette réflexion, que les roo*
tradictions de tous ces systèmes ne jos-
tîGent que trop : « En quittant ce sujet
.des Cabires et des Dioscures, si atta-
chant pour le mytholo{:ue par sa diffi-
culté même et sa complication, qui tient
aux racines les plus cachées de la reli*
F ion des Grecs, a son double lien avec
Orient et avec l'Occident, et oui a
exercé dans des sens si divers de s
grands esprits , des savants si profonds
et si ingénieux , nous ne pouvons noiB
défendre d'une pensée qui n'est sans
doute que l'aveu secret de notre fa^
blesse, c'est que le problème n'est point
et ne sera peut-être jamais complett-
ment résolu (1). »
Après une telle déclaration, on coo*
prendra pourquoi nous n'essayerons fusl
de donner à notre tour une solution qnr
de plus habiles que nous n'ont pas troo-
vée, ni même de reproduire les priDcipaia
systèmes enfantés pendant cette grandi
discussion scientifique, oui en délimtiit
est restée stérile, puisqu'elle n'a pas en-
core produit ses conclusions. Cepeodafli
nous ne pouvons abandonner ce sa]tti
sans soumettre à Tappréciation du le^
teur les passages les plusdécisi£5d^a&'
ciens auteurs sur la nature des dieo^
Cabires , adorés dans les îles dont n<«<
venons de présenter l'histoire. Le pici
remarquable de tous les récits de raat*
quité sur les Cabires nous parait étrec*
lui de Phérécyde, non-seulement à cai^i
de l'époque relative de cet écrivain, nn;;
parce que son témoignage s'accord''-'
merveille avec les doctrines égyptienne
et phéniciennes. Suivant lui les Cabim
sont enfants d'Héphaestus ou de VulraJ^
et de Cabira, fille de Protée. Cesti:
trois êtres femelles (les nymphes O^^-
rides) qui reçoivent un culte dans \^
lies de Lemnos, Imbros et les villes dei:
Troade. Us portent des noms pleins d^
mystère. Le vieil historien Acusila-i^
connaît également Cabira comme feiui»*
d'Héphaestus; il cite trois Cabires, (t
«
(r) Religionsde CAntiquitéy I.U,3'pai^ •
p. XtQ9,
ILE DE SAMOTHRACË.
369
trois nymphes Cabirides. Voilà Togdoade
sacrée des Égyptiens et des Phéniciens.
La seule différence, e'«st qu'ici Plitha-
Sid}k et Esnion, pères des sept Cabi-
res, sont présentés sans épouses , peut-
Hreà titre d'androgynes engendrant de
Ifur propre substance , selon la croyance
iDtique des Orientaux. D'ailleurs , nous
le connaissons pas exactement la gé-
léalogie des Cabires primitifs. On peut
Telle est la curieuse indication de Mna
séas, enfouie sous le fatras d'un sco-
liaste, et qui nous laisse entrevoir dans
la doctrine primitive de Samothrace le
dogme de la Trinité, qui forme le fond
des plus anciennes religions de l'Asie.
Mais, transportées en Grèce, cette notion
et toutes les autres vérités précieuses que
révélait l'enseignement des mystères
furent peu à peu étouffées sous un mon-
nroire que déjà ils avaient été hellénisés ceau d'erreurs, entassées par l'ima^ina-
ui Grâ:e au temps de Phérécyde; l'idée tion et la subtilité du plus inventif et
bndamentale d'une ogdoade divine n'en
iabsiste pas moins. » Seulement, en des-
feodant de l'Orient dans la Grèce, ces
lotions tbéo(^oniques s'éloi^nant de leur
lource, c'est-a-direde l'enseignement di-
rÎD d'où l'homme avait reçu la religion
mmitive , s'appauvrissent et perdent de
eur grandeur. En effet , le dieu andro-
Vfue des Orientaux est bien supérieur au
iouple divin des Hellènes, qui dès l'ori-
pne trahissent leur tendance à l'anthro-
lomorphisme.
Dans le sooliaste d'Apollonius de
Hhodes on trouve , d'après l'historien
Hnaséas , un précieux fragment des
logmes originaux de Samothrace, qui
larair emprunté à un ordre d'idées plus
k\é encore que celui del'ogdoade. « Ce
«ont d'abord les noms véritables d'une
riade de divinités, que voici : Jxiéros,
ixiokersios, Axiokersa. À cette triade
ient s'ajouter un dieu subordonné, ap*
)elé Casmilus. Tous ces noms parais-
«nt décidément orientaux, et voici main-
«nant les étymologies, plus ou moins
raisembiables, que l'on en donne. Axié-
os 8igDiGe en égyptien le Tout-Ptas"
oiit , le Grand, et ne saurait être que
^luha ou Hepbsstus-Vulcain. La secon-
le personne, Axiokersos, veut dire le
mnd fécondateur : ce doit être Arès-
tlars, la planète nommée en langue
ïtyptienne Erto$i , mot qui présente la
liéme idée. Axiokersa est conséquem-
nent la grande fécondatrice y Aphro-
liteou Vénus, compagne de Mars. Quant
lu quatrième personnage, Casmilus»
'^ga l'explique aussi d'après l'égyptien,
ttraduitson nomletot^ sage; Bochart,
vec plus de probabilité , l'avait rappro-
bédé l'hébreu Cosmiel, qui signifie un
ercileur, un ministre de Dieu (1). »
(0 Relifflonsde tÂnt., 1, II, p. agi et suiv.
24* livraison, ( Ile db Samothragb. }
du plus disputeur de tous les peuples.
A la fin des temps du paganisme le culte
des Cabires (de l'iiébraïco-phénicien
Kabirim y les pids.^ants, lesjorts; 6&ol
piyaXoi, xpTjaTo\ , ôuvaxol) pouvait bien
encore être pour Germanîcus un objet
de curiosité (I}; mais, déchus de leur
grandeur première , réduits à des pro-
portions mesquines par les fictions de
ta mythologie, ces dieux puissants , ces
dieux forts , n'étaient plus aux yeux du
vuleaire que les deux fils de Jupiter et de
Léda, les deux jumeaux Castor et Pollux.
Histoire àngienne de Samothba-
CB. — On sait fort peu de chose sur
(i) Tac, Ann., Il, 54. Choiseul-Gouffier
fait à ce sujet cette sage réflexion, dont il ne me
parait pas, du]reste, avoir compris toute la por*
ice. « Les connaîasaDces yulgaires, dit- il, ont
besoin d'observation, d'expérience, et ne s'af-
fermissent que par des tâtonnements ; ce n'est
donc qu'à la longue qu'elles se dégagent, se
complètent et parviennent à cette clarté qui les
consacre. Celles, au contraire, qui ont pour
objet la dïviuiié^ quelles que soient les sources
(Toh elles découlent ^ ne sauraient être plus
simples que dans leur origine. Elles n'ont rien
à espérer du temps. Il ne peut que les altérer, w
Par le temps on ne peut entendre ici que les
hommes; et il n'est que trop vrai que les eon»
naissances qui ont pour objet la eimnité ne
])euvent que s'altérer entre leurs mains , et se
tarir tout à fait, s'ils ne reviennent sans cesse
puiser à la source d'où elles découlent. C'est ce
que démontrerait suffisamment l'histoire de
tous les peuples civilisés de l'antiquité, où le
progrès de 1 esprit humain dans les connais*
sances de l'ordre naturel corre|pond toujours
à un amoindrissement considérable de toutes
les notions de l'ordre surnaturel. De là, ait
milieu de ces richesses de l'industrie et de la
science , cette indigence morale et religieuse
qui a précipité ces civilisations incomplètes
vers leur décadence.
34
870
L'UNIVERS.
riiistoire de cette tie dans rantiauité.
Le fùnd de sa population était pélasgi-
3ue, comme çemi des îles d'Imuros et
e Lemnos. t>es Ioniens de Sanios s'y
établirent au onzième siècle , et, confon-
dus avec les Pétasges , ils restèrent in-
dépendants jusqu'au temps des guerres
mediques (l). A cette époque les Samo-
thràces possédaient aussi la côte de la
Thrace située en face de leur île , où ils
occupaient plusieurs villes fortes , telles
ûuè Salé, Zone, Serrhion et Mésambrie.
Après Texpédition de Darius contre les
Scythes (508], ils se reconnurent sujets
du grand roi. Les vaisseaux de Samo-
thrace combattirent contre les Grecs à
Salamine, et le courage qu'ils^ déployè-
rent datis cette action contribua a con-
fondre les calomnies des Phéniciens,
4ui accusaient les Ioniens de lâcheté.
Du haut du mont ^Egaléon, Xerxès
avait vu un vaisseau samothrace atta-
ouer un vaisseau athénien et le couler
a fond. En même temps un vaisseau
éginète avait attaqué ce navire samo-
thrace et Pavait brisé; mais les Sarao-
thraces avaient ëii le tecnps de se jeter
Bur le navire ennemi, et comme ils
étaient excellents archers, ils chassè-
rent à coups de flèches les marins égi-
nètes, et s'emparèrent de leor bâtiment^
qui avait coulé le leur (2). Cet exploit
sauva les Ioniens , et les capitaines phé-
niciens f&rent déca()ités, comme calom-
niateurs.
Quand les Athéniens devinrent maîtres
de la mer Egée, Samothrace recon-
nut leù^ domination. Une inscription ci-
tée dansles Éléments cTÉpiaraphie grec-
que de Franz nous apprena quelle payait
a Athènes un tribut de 2,400 drachmes.
Samothrace subit les mêmes vicissitude^
que les îles voisines 4 tour à tour perdue
et recouvrée par les Athéniens, elle
leur fut définitivement enlevée par Phi-
lippe, et resta à la Macédoine jusqu'au
temps des Romains. Elle Savait plus
d'indépendance; mais ses mystères des
dieux Cabires lui conservaient un reste
de célébrité. Le temple de Ces divinités
était un lieu d'asile. Arsinoé, sœur de
Ptolémée Céraunus, s^y réfugia après le
(i) Uérod.» II, 5ï ; VII, Sg, xo8. Voy. pluf
haut, pagea37.
(a) Hor., YIII, loï.
meurtre deses deux fils (1). Lonaue As-
tbiochns Épiphahe s'empara de 1 Ëgrpte
(170), Ptolémée Physoon se retira a Sa-
mothrace avec tons ses trésors, tandis
que son frère Ptolémée VI, Philofflétcr.
restait prisonnier du roi de Syrie ;} .
Cette île appartenait alors à Persée, qci
bientôt après, vainea à Pydna, etd^
pouillé de son royaume, courut aussi
chercher un asile dans le sanctnaire vé-
néré des dieux de Samothrace. H trans-
portait avec lai 2,000 talents , qui loi
restaient de ses trésors, et il était a^
compagne du Cretois Êvandre, aisent
fidèle et dévoué , qui autrefois, sur Tor-
dre de son mattre, avait essayé d'assas-
siner Eumène, roi de Pergame, dans k
temple même de Delphes.
Aussi les dieux de Samotbraee. qw
Piutarcjue appelle les Dioscures, rvfih
sèrent-ils de protéger ces suppliants s^
eriléges. Peu de temps après l'arrine
du roi dans l'île, un jeune Romain dt
distinction, Atitius, qui se trouvait alon
à Samothrace, se présenta sur la piy?
publique de la ville, où le peuple était ar
semblé avec ses magistrats. « Samothr?-
ce6, nos hôtes, s'écria-t-il , est-il ^m
Ou faux que cette tle soit sacrée, et r>f
son territoire soit ^out entier auguste ft
inviolable, comme la renommée lepu-
nlie? » Il n'y eut qu'une voix pour ^^
pondre que Samothrace était bien nul-
lement une tle sainte. « Pourquoi docc.
reprit alors Atilius, la laissez-vous v:>
1er par un meurtrier encore souillé tli
sang du roi Eumène? Pourquoi, aorrY*
pris de la formuledes sacrifices, qui écarte
de l'autel tous ceux qui n'ont pasl^
mains pures, permettez-vous que leur ^
toairesoit profané par un assassiotoiii
eonvertde sang? » Cette accusation ^f
désignait que le Cretois Êvandre, n)3$
le Romain savait combien elle embarras-
serait Persée , dont Êvandre n'avait f t^
âue l'instrument. Il y avait à Saffl<>-
Srace un tribunal chargé de juger coJ^
qui s'étant rendus coupables auo <^'
criléffe avaient pénétré dans Tenceinî'
sacrée du temple. Théondas , roi de s-
mothrace,car les insulaires doonaicj^
ce titre à leur premier magistrat,»^
assigner Êvandre devant le tribafl.i
(i) Justin,!. XXrV, 3.
(a) Polyl)., XXVIII, 17; XXÏX, i,»
ILE DE SARlOTHRACE.
371
Prévoyant toutes les conséquences de
celte affaire , Persée engagea Évandre à
échapper par une mort volontaire à une
condamnation inévitable. Évandre se
montra disposé à mourir ; mais il fît en
secret des préparatifs pour assurer sa
fuite. Persée en fut informé , et, craignant
d'attirer sur sa tête le ressentiment des
Samothraces, qui Taccuser aient d'avoir
K)ustrait le coupable au châtiment , il
lui Gt donner la mort. Mais par ce
neuftre Persée devenait responsable
lu sacrilège dont Ëvandre était accusé;
1 se chargeait du forfait de sa victime,
iuquei il ajoutait le sien , et il se trou-
vait, dit Tite-Live, avoir profané les
leux temples les |>lus respectés de Tuui-
ers. Persée savait qu'il devenait à son
our justiciable du tribunal sacré de Sa-
nothrace; mais son argent le sauva.
1 corrompit le roî Théondas , qui an-
louça au peuple qu'Êvandre s'était don-
é la mort. Mais les Samothraces ne
[y trompèrent pas : un cri d'horreur
'éleva contre le roi assassin de son der-
lier et plus fidèle serviteur , et Vile en-
ère passa aux Romains. Persée comprit
u'il ne lui restait plus de ressource que
ans une prompte fuite (1).
Cependant Cnéus Octavius, ouîcom-
9andait la flotte de Paul Emile, étant
bordé à Samothrace, ne voulut point,
ar respect pour les dieux, violer l'asile
e Persée. Mais il s'occupa de lui ôter
a moyens de s'embarquer et de s'en-
lir. P^éanmoins Persée gagna secrète-
lent un Cretois, nommé Oroandès, qui
rait un petit vaisseau , et l'engagea à
! recevoir à son bord , lui et ses riches-
is. Oroandès en usa envers lui à la cre-
use; il embarqua à la faveur de l'obs-
iirité tout ce aue Persée avait de pré-
eax, et lui ait de se rendre vers le
litieu de la nuit au port voisin du pro-
iontoire de Dérbétribm , avec ses en-
intset ceux de ses setvitèurs qui lui
aient indispensables. Persée parvint
'ec beaucoup de peiiie à sortir de sa re-
aiteet à gagner le.boi-d de la mer;
lais il n'y trouva pas le navire : Oroan-
^s avait mis à la voile le soir même,
nportant les richesses dii roi. Le jour
unmeoçait à poindre, tout espoir était
irdu. Persée se met à fuir vers l'en-
(0 iite-Live,XLV, 5,6.
ceinte sacrée. On l'aperçut cette fois;
mais il avait gagné son lieu de refuge
avant que les Romains pussent l'attein-
dre. Persée avait encore avec luises en-
fants et quelques-uns de ses serviteurs ;
mais Octavius ayant promis une amnis-
tie pleine et entière a ceux qui l'aban-
donneraient, alors la désertion devînt
générale, et Ton de Thessalonique, à qui
Persée avait confié ses enfants, les livra
aux mains d'Octavius. Ce dernier coup
réduisit Persée au désespoir, et, renon-
çant à disputer plus longtemps sa li-
berté, il vint, dit Plutarque, comme une
bête féroce à qui on a enlevé ses petits ,
se rendre lui-même à la discrétion de
ceux qui tenaient ses enfants en leur pou-
voir (1). Il sortit du tfem^ïlë èh accdsant
la Fortune et les dieux d'avoir été sourds
à ses prières; il oubliait par combien de
mauvaises actions il s'étdit rendu indi-
gne de la protection de ces dieux, qu'il
avait tant de fois outragés.
Après la conquête de la Macédoine, Sa-
mothrace passa sous la ddmiriation des
Romains, qui la laissèrent se gouverner
par ses lois. Au premier siècle de l'ère
ishreiienne^ Pline l'appelle encore une
ville libre. Au temps de la guerre de Syl-
la contre Mithridate (85), les pirates, qui
infestaient déjà toute la mer Egée, pil-
lèrent le temple de Samothrace, dont le
trésor contenait de nombreuses et ri-
ches offrandes. Et ce n'étaient pas seu-
lement les Grecs qui avaient enrichi le
trésor des dieux Cabires , les Romains
aussi y avaient contribué , puisque l'on
voit Marcellus consacrer dans ledt
temple des statues et des tableaux pris
au pillage de Syracuse. Aussi les pi-
rates purent- ils enlever de Samothrace
un butin de la valeur de mille ta-
lents (2).
Samothrace dans les temps mo-
dernes. — La religion chrétienne en
détruisant toutes les superstitions du
paganisme , et notamment les mystères
de Samothrace, enleva à cette tie ce qui
avait fait sa célébrité pendant les temps
anciens. Aussi à partir de l'ère chrétienne
Samothrace h'a plus d'histoire. Elle fait
partie de l'ein pire grec jusqu'en 1204.
(i) Pliitarqiie, Paul-Emile , a6.
\i) Plut. y Marc, 3o; Pompée, a4; App j
Miihr,, 63.
94,
ârs
LUNIVERS-
Alors elle passe aux Vénitiens, et devient,
ainsi que quelques îles voisines , le pa-
trimoine de la famille Dandolo. Recon-
quise par Vatace, elle est encore enle-
vée aux empereurs grecs par les princes
de Lesbos, de la famille des Gateluzi,
Elle resta entre leurs mains depuis le
quatorzième siècle jusqu'en 1462, épo-
que à laquelle ce petit État fut conquis
par Mahomet II (1). Depuis ce temu
Samothrace, appelée désormais Saman
drachi ou Mandrachi, est restée soumis?
à la domination des Ottomans, qni h
dévastèrent impitoyablement pendant b
guerre de Tindépendance.
(i) Voir les détails de celte histoire pla<
haut, p. 33o.
ILE DE THASOS
(«)
3
GÉOGRAPHIE ET DESGBIPTION DE
TsiLSOs. — L'île de la mer Egée la moins
visitée , la moins connue de nos jours , et
ui renferme incontestablement le plus
e vestiges de son ancienne splendeur,
est celle de Thasos. Cette île, appelée
queli^uefois Édonis, Aeria, iEtnria,
Ogygia, Chrysé, est le plus communé-
ment désignée sous le nom de Thasos ou
Tltassos , qu'elle a gardé jusqu'à présent
« avec quelque peu aaltératîon, ditDap-
per , étant connue sous celui de Tasso
parmi les Turcs , les Italiens et les Grecs
d'aujourd'hui ». Thasos est située en
face des côtes de Thrace, dont elle n'est
séparée que par un canal d'environ deux
lieues, tout près de l'embouchure du
Nestus. A Touest, elle a devant elle la
côte de Macédoine et le golfeduStrymon.
Pline la place à vingt-deux milles d'Ab-
dère et à soixante-deux milles du mont
Athos (2). Sa longueur d'orient en occi-
dent est de quinze milles d'Italie et son
circuit de quarante.
L'île de Thasos est peut-être la plus
fertile de la mer Egée. Les anciens l'a-
vaient surnommée le rivage de Gérés
( 'Âx-d) À7]{17!tûo(). Elle abondait en vin
comme en blé (3). Pline place le vin de
(i) Dissertations spéciales sur Thasos : Has-
selbach, />« hisula Thaso; Marbourg, x83o,
in-8°. — Prokesch d'Osten, DelC isola di
Tmo , dans les Dissertazioni délia pontificia
Academia romana di Arclutologia, t. YE,
p. i8z;Roma, x835, iQ-4°.
(a) Dapper, Description , p. a53; Pline,
Uist. Nat,, rv, a3, 8.
(3) Le climat de Thasos est fort variable,
Thasos à côté de celui de Chic. On arai:
transporté en Italie des plants du rnuso^
de Thasos, appelé aussi vigne apian'.
parce que les aoeilles en sont très-friandes
La vigne a la propriété merveilleuse *i
contracter la saveur des plantes voisines
à Thasos, et c'est toujours à Pline (^
j'emprunte ces détails , on semait eatrei«
vignes Tellébore, ou le concombre S3
vage , ou la scammonée. On disait ao:
que Thasos produisait deux espèces à
vins à propriétés contraires ; Tune pro"*
quant, Tautre chassant le sommeil. '
mais en général doux et humide , ce qtu
très'favorable à la végétation. Voyez dasi
collection des œuvres d*Hippoerate le prra
et le troisième livre des Épiacmies, où bc
titulion atmosphérique de Thasos penis^
plusieurs années est décrite et mise n nf
port avec Télat sanitaire de la population
Toici un échantillon des observations!
par le médecin-naturaliste qui a compoA
curieux traité, et qui dut longtemps sc§oai
à Thasos. « Dans Hlede Thaaoa, dofintl
tomne, vers Téquinoxe, et pendaiii qif
pléiades furent sur Thorixon » pluies
dantes, doucement coniinues, avec les
du midi ; hiver austral, petits vents du
sécheresse; en somme, tout l'hiver cul vm
parence de printemps. Le printemps, à
tour, eut des vents du midi, des fraidieun
de petites pluies. L'été fut en général nua^
et sans eau ; les vents étésiens ne souffle
que peu, avec peu de force et sans rfguljnif.
Vieut ensuite la description des raabdie» î
cales causées par tontes c«s cireoostaDces i
mospbériques. OEuwres complètes d'Hv*
crate, trad. de M. Littré, t. II, p. 59S, LU
45 et suiv.
ILE DE THASOS.
373
rhasiens appelaient thériaque une vi-
^e dont le vin et le raisin sont un re-
nède contre les morsures de serpent. On
aisait à Thasos un bon vinaiffre, qui en-
rait dans la composition de méracium ,
iorte de collyre très-employé pour les
naladiesdes yeux (1). Thasos avait aussi
les bois de construction et des arbres
hiitiers. On cite surtout les amandes
lecettetle. Etle était riche en productions
ninérales. Son marbre servit pendant
oute FantiquJté, et était aussi recherclié
tes sculpteurs que des architectes. On y
rouvait des opales étincelantes, de Tes-
lèce appelée pxderos , qui est la plus
)eUe, et des améthystes, gui du reste
l'étaient ni bien pures ni bien esti*
nées (2). Mais la plus grande richesse
le Thasos consistait dans ses mines d'or,
juiavec celle deScapté-Hylé, sur la côte
oisine , rapportaient au temps d*Héro-
lote de deux à trois cents talents par an.
' J'ai vu aussi ces mines , dit Thistorien
oyageur. Les plus admirables de beau*
»up étaient celles que découvrirent les
Phéniciens, qui, sous la conduite de Tha-
(OS , fondèrent la ville à laquelle il donna
ioo nom. Les mines de cette ile décou-
erte par les Phéniciens sont entre Cœ-
lyresetle lieu nommé Jilnyres. Vis-à-vis
té Samothrace est une grande montagne
iue les fouilles précédentes ont détruites.
Tel est Tétat actuel des choses (3). »
Diaprés cette indication d'Hérodote, les
géographes modernes placent les mmes
le Thasos du côté de Samothrace. M. de
Prokesch, c|uia parcouru tout ce rivage,
léclare qu'il n'a trouvé de ce côté aucun
restige des anciennes exploitations.
Les habitants de cette île fortunée furent
pendant longtemps puissants et libres.
Us ruines encore subsistantes de leur
nté montrent quelle fut son importance
et sa splendeur. Thasos était située sur
la côte septentrionale de l'ile, sur des
collines qui dominent une rade assez spa-
neuse, que couvre l'îlot de Thasopoulo.
f u pied des collines , au fond de la rade,
était le port des Thasiens. Les ruines
de la ville s'appellent aujourd'hui Pa-
(i) Pline, XJV, 4, 4 ; x6, x ; 19, 7 ; a*f « ;
xixrvr, a7, I.
W Idem, XV, a4, 5; XXXV ï, 5, i;
XXXVII, aa, a; 40, 1.
(3) Hérod., VI, 47.
Iseo-Castro, et le port Pyrgo , d'une tour
vénitienne, construite avec d'antiques
pierres de marbre. Outre ce débris du
moyen âge, on voit encore les restes
de l'ancien môle du port, qui pouvait
contenir cinquante grands bâtiments. Au*
jourd'hui il est presque comblé de sable,
et le môle est à fleur d'eau. Çà et là sur le
rivage on voit des tombeaux décorés de
quelques ornements de sculpture.
Au pied de substructions en belles
pierres de marbre, comme celles du
môle, s'étendaient l'arsenal et le chan-
tier de construction, sur une superficie
de cinq à six cents toises. La ville pro-
prement dite occupait trois collines, que
séparent de profonds ravins. Toutes ces
trois hauteurs sont couvertes de ruines.
Celle du nord était l'acropole de la ville;
elle a été habitée jusque dans ces der-
niers temps, comme le prouvent des restes
d'église et de maisons qu'on voit dans
son enceinte. Cette citadelle servit aux
Vénitiens , qui y firent des réparations , et
qui y ouvrirent une porte nouvelle, que
1 on reconnaît à sa construction gros-
sière et au lion de Saint-Marc sculpté
dessus (1). En descendant de la troisième
de ces hauteurs vers le sud , par un esca-
lier taillé dans le marbre du rocher , on
aperçoit les carrières d'où furent tirées
toutes les pierres qui servirent à la cons-
truction de l'acropole et de l'enceinte de
la cité. En contmuant à descendre cet
escalier, qui suit le mur d'enceinte , on
rencontre une porte antique, d'un aspect
imposant, uneides plus belles ruines de ce
genre qui nous soient conservées , et que
Ton peut comparer , préférer même à la
porte de Mycènes , ou à celles de Salo-
nique , d'Éphèse ou de Nicée. Toute la
longueur des murs encore débout est de
deux mille six cents pas. Au sud-ouest
fie trouve la nécropole de l'ancienne
Thasos, qui occupe une vallée verdoyante,
de quinze cents pas de longueur sur
trois cents à six cents de largeur. On v
voit une centaine de sarcophages , placés
sur de grands degrés , superposés les uns
aux autres. Tous ces sépulcres ont été
ouverts et dévastés, et ils servent sou-
vent de réfute ^px pâtres de 111e. Au-
cune autre nécropole grecque n'est aussi
ri) Voy. daoslemémoiredeM. deProLescb
la descrip. de toutes cetrainety p. x84tt>alv«
374
JL'UNIYERjS.
bien conservée, si ce n'est celle de la
ville d*Assos, sur le golfe d'Adramitti.
Les hauteurs situées à l'est de Taero-
pôle offrent encore des ruines imposantes,
au milieu desquelles croissent le lierre
et la vigne sauvage. De toutes ces émi-
nences on domine l'île presque tout en-
tière , qui vous apparaît , ainsi que le di-
sait le poète Archiloque , comme un dos
d'âne couvert de forêts sauvages , et Ton
découvre au loin ta Samothrace, et les
plaines de Pbilippes, où périrent Brutus
et Gassius , et le mont Pàngée et TAthos
et la vaste mer.
Aujourd'hui la population de Thasos
est dispersée dans neuf villages, qui sont,
en partant de Pyrgos , Panagia ou Lei-
nan au sud ; il est situé au milieu de hau-
teurs boisées et est arrosé par des eaux
limpides et abondantes. A une lieue au
sud est Potamia, au pied des montagnes.
A cinq heures de marche de Leinan se
trouve Theologo, le plus gros bourg de
l'île. A une demi-lieue au nord-ouest de
Theologo est Castro, placé comme un
nid d'aigle sur des rochers. A une demi-
lieue à l'ouest de Castro on rencontre
Mariess , dans une vallée plantée de pins.
A trois lieues au sud-est Kaisarakl. Puis,
h deux lieues de distance, Cassarvith, où
l'on voit des ruines antiques. Au nord-
ouest, après deux heures de marche, on
arrive à Volgaro, qui est situé au milieu
d'une prairie couverte de beaux platanes.
£nfin , de la , en une demi-heure , on re-
tourne, parune route vénitienne, à Pyrgo,
oui complète le nombre des villages de
1 lie.
RÉSUHC DE L*niSTOIBB DB THASOS.
— L'île de Thasos avait reçu son nom et"
ses premiers habitants d'une colonie
phénicienne, qui s'y était établie vers le
temps de Cadmus , au seizième siècle
avant l'ère chrétienne (1). Le nom d'É-
donis, qu'elle porta dans les anciens
temps, donne à penser qu'elle fut aussi
occupée par des Édoniens de la Thrace.
£lle reçut une colonie de Pariens , que
conduisit Télésiclès , père du poète Ar-
chiloque. Cet établissement aut avoir
lieu dans la 15^ olympiade, vers Tan 720
ikvant l'ère chrétienne. Déjà depuis long-
temps, ceux de Paros avaient des relations
(i) M. Raoul Rochelle, Colonies Grecques^
n, 9.î>6; Pansan., V, 25, ii j Hérod.,ni, ^4.
intimes avec les Thasiens, ptûsqu'oD
voit dans Pausanias qu'une pmressedt
Paros , nommée Cléobée , porta la pr^
mière à Thasos le culte de Gérés , et que
cette prétresse était contemporaioe d?
Tellis, de qui descendait Archiloque à b
troisième génération. De même, les Phé-
niciens avaient établi dans cette ile le
culte de Melcarthou FHercule TjTiea,
dont Hérodote visita le temple.
A Thasos , comme dans l'île de O'pn
et tant d'autres de la MàJiterranée , !rî
Phéniciens, qui avaient devancé les Grées,
se trouvèrent dépossédés par eux, lorsque
l'activité de la race hellénique eut pm
son essor. Les ressources qu'ils trou-
vaient dans les produits de leurs mine*
d*or permirent aux Thasiens desedoomi
une puissante marine et de se livrer à es
commerce étendu, qui augmenta leuR
richesses. Thasos était renommée pour
son opulence, et on lui donna le sumoi-
de Chrvsé. Elle s'était entourée de fortf$
murailles, et c'est dans ses cbantierï
que l'on construisit les premiers vais-
seaux longs pontés (1). C'est avant le^
guerres Médiques qu*il faut placer >
poque de la plus grande prospérité (kf
Thasiens, qui formaient alors une rrpu
blique indépendante , gouvernée par de:
Prytanes. Ce fut alors aussi qu'ils foc-
dèrent , sur les côtes voisines , de Don>
breuses colonies, savoir : Parium ^
Troade, ville déjà fondée par Parité,
neveu de Dardanus; Datum, au pieddi
mont Pangée ; toutes les cités du r'w^^j
de Thrace opposé à leur île , qu'flér-
dote désigne sans les nommer : Galri-
sus , près du Strymon , dont la pretnie:
fondation remonterait à l'époque pbéûi-
denne, puisqu'on l'attribue à Galepsiis,
fils de Thasos ; Œsyme , voisine de i:
précédente, et également fort andenne.
puisque Homère en fait mention ; enfla
Lissus et Strymé, dans le voisinage de
Mésambrie. Au delà , la côte apparteoau
aux habitants de Samothrace.
La première attaque contre l'indépen-
dance des Thasiens fut dirigée par Hii-
tiée de Milet, qui après la répression ût
la révolte d'Ionie s'étaitfaitcliefdebaode,
et cherchait partout du butin. Thasoï
était une riche proie : il vint l'assiégfr;
mais il leva le siège, par crainte de b
(i) Ilérod., VI, 46; Plin., VIÎ, 5;, i;.
ILE DE THASPS.
875
flotte phéqicieDne (497}. LesThasiens,
m aTaîent repoussé Histiée, ne purent
échapper à la domination des Perses. Ils
se soumirent à Mardonius , sans essayer
de résister (493). Darius leur ordonna
d'abattre leurs murailles et de lui livrer
tous leurs vaisseaux, qui furent conduits
) Abdère. L'expédition de Xerxès ache-
ra d^épuiser les ressources des Thasiens,
\m trouvèrent ainsi le terme de leur
prospérité.
Bientôt la puissance maritipie d'A-
J)èDes délivra la mer Èoj^ de la domi-
nation des Perses, par laquelle les Phé*
]icieDs espéraient se relever et repren-
ire leur ancienne supériorité commer-
:lale. Thasos entra à titre d'alliée dans
a confédération dont les Athéniens se
ireot les chefs. Mais bientôt un différend
l'éleva entre Thasos. qui voulait conser-
er son indépendance, et Athènes , qui
impiétait tous les jours. La querellé
x)inmença au sujet des' mines et des
comptoirs des Thasiens sur les côtes de
rhrace(l]. Les Athéniens envoyèrent
me flotte contre Thasos, furent victo-
ieux dans ua combat naval, et firent une
lescente dans Ttle (466). Alors les Tha-
liens implorèrent le secouirs de Lacédé-
Done, qui s'apprêtait à faire une diver-
ilooen Attique, lorsqu'un tremblement
le terre et la révolte des Messéniens re-
inrent ses guerriers dans le Pélopon-
lèsc. Abandonnés à eux-mêmes, les
rbasiens résistèrent encore pendant
rois ans; mais enfin il fallut se ren-
tre. Les Athéniens les contraignirent
I détruire leurs murailles, à livrer leurs
[aisseaux, h céder leurs mines et leurs
ilablissements du continent, et à payer
m tribut ( 463 av. J.-C. ). Ce fut le
lernier coup porté à l'indépendance et
I la prospénté de Thasos, que les Perses
!t les Atnénlens avaient aocablée tour à
our.
Pendant la guerre du Péloponnèse,
rbasos servît de poste inilitaire aux
athéniens pour défendre leurs posses-
noDs de Thrace et de Macédoine. Cest
à que Thucydide, l'historien, trouva
'escadre avec laquelle il arrêta les pro-
grès de Brasidas dans la Chalcidique.
-ependant les Thasiens supportaient
impatiemment le joug; ils le secouèrent
1 0 Tkucyd., I, loo* Diod. Sic, XI, 70,
après l'expédition de Sicile, e| entrèrent
danslepartidesLacédémoniens(411)(l).
Mais la domination de Lacédémone
fit regretter celle d'Athènes. D'ailleurs,
Thasos était une fie ionienne, et c'était
toujours aux Athéniens que revenaient
ces cités maritimes, ces Aes de la mer
Egée , quand elles avaiept reconnu leur
impuissance h se conserver libres. En
393 les partisans d'Athènes reprirent
le dessus, et Thasos fut livrée à Thra-
svbule (2). Philippe, père d'Alexandre,
I enleva aux Athéniens, et elle resta
à la Macédoine jusqu'au moment où les
Romains, vainqueurs à Cynoscéphale ,
forcèrent Philippe III à rendre la li-
berté aux cités grecques qu'il possé-
dait. Thasos fut affranchie par te dé-
cret (3) , et resta libre , sous le patro-
nage (\es Romains , jusqu'au tempç où
les îles furent réduites en province. Dès
lors 11 n'est plus question de Thasos
dans l'histoire. Cependant il en est fait
mention dans l'histoire des guerres ci-
viles qui suivirent la mort de césar; elle
servit de quartier général à la flotte de
Brutus et de Cassius ; et après la pre-
mière bataille de Philippes, où Cassius
périt, Brutus fit porter son corps dans
i'tle de Thasos, ou Ton célébra ses funé-
railles , loin de la vue des soldats, que
cette lugubre cérémonie aurait décou-
ragés (4).
Thasos est la patrie de Polygnote, l'un
des plus grands peintres de rantiquité.
Son père, Agiaophon, était peintre lui-
même, et il tut le premier maître de son
fils. « Polygnote, dit Pline, fut le pre-
mier qui peisnit les femmes avec des vê-
tements brillants , leur mit sur la tête
des mitres de différentes couleurs; il
contribua beaucoup aux progrès de la
Eeinture, car le premier il ouvrit la
ouche des figures, il fit voir les dents,
et introduisit Texpres^ion dans les vi-
sages, à la place de rancieone roideur. Il
y a de lui dans le portique de Pompée
un tableau placé jadis (Jevant la curie de
Pompée. Il a peint le temple de Delphes,
à Athènes le portique appelé Pœcile ; et
(i)Thucyd., IV, 104; VIII, 64; Xénoph,,
(2) Démosth., ^(fv, Lept,, 474.
(3) Polyb., XVIII, 3 r.
(4) App., BelL civ,, IV, 114.
376
LUNIVERS.
il a travaillé gratuitement à ce dernier
ouvrage avec Micon, qui se Ot payer.
Aussi Polyffuote eut-il plus de considé*
ration* ; et les Amphictyons , qui for-
maient le conseil générai de la Grèce ,
décrétèrent qu'il aurait des logements
gratuits (1). • Polygnote florissait vers
I 00^ olympiade ( 420 ans avant J.-C. ).
Un autre peintre de Thasos, Nesée^ fut,
dit-on , maître de Zeuxis.
C'est à Thasos aussi que naquit le fa-
meux athlète Théagène, qui remporta c| ua«
torze cents couronnes dans tous les jeux
publics de la Grèce. Aussi avait-il une im-
mense réputation : on le disait fils d'Her-
cule Thasien. On lui dressait partout des
statues. Après sa mort, un de ses rivaux
s'étant mis à injurier une de ses statues à
Thasos, celle-ci se détacha de sa base,
tomba sur cet homme, et l'écrasa. Les fils
du mort potirsuivirent la statue juridique-
ment, et, conformément à une loi de Dra-
cou, les Thasiens reconnurent la statue
coupable d'homicide, et la firent jeter à
la mer. Mais quelque temps après étant
affligés d'une grande famine, et ayant
consulté l'oracle de Delphes, ils la firent
retirer de la mer, et lui rendirent de
nouveaux honneurs (2).
La richesse de Thasos est attestée par
les nombreuses médailles d'or et d*argent
qui nous en restent. Ces médailles re-
présentent tantôt Baccfaus , tantôt Her-
cule, ou bienCérès; elles portent la lé-
gende SKLiO^ ou BAZIQN (3).
Thasos avait joué un certain rôle dans
le temps que la Grèce était libre. Assu-
jettie par les Romains, elle disparaît tout
à fait dans l'immensité de leur domina-
tion. Même silence sur Thasos pendant la
plus grande partie des siècles du Bas-Em-
pire. Reléguée dans un coin reculé de
l'Archipel, elle doit sans doute à cette po-
sition ravantage d'échapper à tant de dé-
vastations qui affligèrent les autres îles.
Cependant les Vénitiens s'en emparèrent
en 1204 ; elle fut donnée à la famille Dan-
dolo , et l'on y voit encore des vestiges
(i) Plin.,/f/j/. yat., XXXV, 35.
(a) Pausan., VI, x i.
(3) Eckliel, Ihctr, J\ftm, vet,, t. H, p. 6a.
de son occupation. Elle retourna aux
Grecs , quand leur empire fut restauré
par Vatace et Michel Paléoloffue. Occupée
ensuite par les princes Gateluzi de Les-
bos , elle leur fut enlevas par le conque*
rant de Constantinople, en 1463 (1).
Depuis ce temps Thasos est restcepai-
siblement soumise aux Turcs , qui ont
assez doucement traité sa populatioD.
Comme ses habitants n'inspiraient au-
cune défiance, ils n'ont rien eu à souf-
frir pendant la guerre de TindépendaDce.
Ils sont tous &recs ; on ne voit aum
Musulman parmi eux. Leurs neuf vil-
lages comptent mille vingt maisons, ha-
bitas par quatre à cinq mille personnes.
Toutes les familles sont dans l'aisaocf
Leur île, féconde, produit en abondance
tout ce qui est nécessaire à la vie, et ils
exportent des bois de construction, dfi
vin , du maïs, de l'huile et du miel. Ls
mœurs de ces insulaires sont douces ei
hospitalières. Les femmes y sont bdles:
leur costume est resté conforme aux tn»
ditions antiques : elles portent une tu-
nique bleue, à manches, et agrafée as
cou ; au-dessus un vêtement plus Bsa^,
d'un bleu plus foncé, sans mandies^q»
se drape autour de la taille, et qui fonoc
en retombant ces beaux plis qu'oc ad-
mire dans les statues antiques. Am
jours de fête, elles ajoutent a ces vél^
ments un surtout rouge, ouvert par-<l^
vaut et qui descend jusqu'aux genoux.
Leur coiffure est un oonnet rouge, r^
tombant sur le front, de la forme du
bonnet phrygien, et entouré d*une bande
d'or, qui ressemble à un diadème. Vut
de Thasos est la seule où cette belle «
simple coiffure se soit conservée.
Je le répète, u'après M. de Prokeseb.
(ancien ministre d'Autriche enOr^s:
aujourd'hui ambassadeur à Berlin ), att'
île n'est qu'imparfaitement connue, et
mérite d'être explorée attentivement. ïks
fouilles habilementdirigées V produiraieo:
sans doute d'Importantes d^urertes ,3 -
(i) Voyez plus haut, d. 33o, 33a.
(a) Voyez aussi de M. de Prokesdisesi>eA^
wurdigkeiten und JCrinuenntgen oêu OridCt
m,6ïi.
ILES DU NORD DE L'ÈUBÉÊ.
Au nord de Fîle d*Eubée et à Test de
a Thessalie on rencontre un groupe
rîles, qui semble être comme un pro-
SDgement interrompu de la chaîne du
^élion. Ces îles, qui sont au nombre de
leof , à ne compter ^ue les plus eonsi-
lérables et celles à qui on peut assigner
les noms , étaient , en commençant par
e nord, Irrhésia, Gér<mtia, Polyaigos
uSolymnia, Péparèthe, Ikos, Scandile,
lalonese Sciatnos et Scyros.
Les trois premières n'ont ni géogra-
phie ni histoire ; elles correspondent au-
Durd'hui aux troisIlesd'Arsoura-Nisi, ou
le Plane, de Joura-Nisi, ou île du Diable,
t de Pélérisse ou Pelagnisi.
PsPAEBiHE. — Péparèthe est plus
onoue dans Fantiquité ; elle était renom-
née pour ses vins et son huile. Pline (1)
!it qu'elle était surnommée Evœnus,
2lo'.voç. Elle avait une ville, située sur son
irage oriental , et qui s'appelle aujour-
Thui H Dromi, ou Chéliaromia, Ce-
tendant la concordance de la géographie
Bcienne et de la moderne est fort dif-
icile à établir pour ces petites Iles obs-
iires,quise confondent les unes avec
es autres et auxquelles les cartes assi*
[nent des positions différentes. Selon
es unes Péparèthe serait llle actuelle de
ianio , dans d'autres elle est appelée Se-
idromi, ou Pi péri. Ailleurs on trouve le
lom de Pipéri donné à un petit tlot si*
aé à l'est ae Joura-Nisi , et qui ne peut
tre l'ancienne Péparèthe. Furbiger lui
bone actuellement le nom de âkope*
) (2) , tandis que pjour d'autres Scopelo
eprésenteraitrancienne Halonèse. Il y
n a, au contraire, qui mettent Halonèse
l'endroit où nous plaçons Péparèthe.
lais sur tous ces points il n'y a qu'in*
ertitude, et je ne sais si l'on pourra ja-
iais parvenir à quelque résultat définitif
ar ces questions, oui du reste ne valent
uère llionneur aune discussion (8).
(i)Plin.,rV,a3, 7.
(a) Bandiueh eUr ali, Geogr, , t. Ill, p. i oa a.
{}) Oo ne peut rien inférer de précis des
^gueséaumératioQsqiie Su*abou et Pline font
Cette tie dut appartenir aux Athéniens
dans le temps qu ils eurent la domination
de la mer Egée ; elle leur fut enlevée par
la Macédoine. On voit dans Polybe (1)
qu'Attale, roi de Pergame et allié des
Romains, y fit une descente, et que Phi>
lippe III le repoussa. Ce prince avait fait
établir à Péparèthe des signaux de feu
qui l'avertissaient de tous les mouve*
ments des flottes ennemies. Ces signaux
de feu, télégraphes des anciens, exis«
taient dès le temps de la guerre de Troie,
comme on le voit dans Y^gamemnon
d'Eschyle , où la sentinelle placée sur le
toit de la maison du roi d'Argos « épie
sans cesse le signal enflammé, ce feu,
éclatant qui doit annoncer que Troie est
prise ».
HALOivksB. — Halonèse, dont la po*
sition est souvent confondue avec celle
de Péparèthe, doit être prise au sud de la
précédente. Telle est du moins la place
que lui donne Kieppert, dont le grand
Atlas hellénique me sert de guide. For«
biger lui donne le nom de Khiliodroniia.
Mais Khiliodromia ou Sélidromi nous pa-
raît être plutôt Péparèthe; et Halonèse
doit correspondre à l'Ile appelée aujour-
d'hui Scopelo. Quoi qu'il en soit de sa po-
sition, Halonèse a sur toutes ses voisines
l'avantage d'être le sujet principal d'un
discours qui se trouve dans la collection
des harangues de Démosthène (2). Il est
vrai q^e Libanius prétend qu'il n'est pas
de Démosthène , mais d'He^ésippe , un
autre orateur du temps. Ce discours était
une réponse à une lettreque Philippe avait
adressée aux Athéniens, au suiet d'Halo-
nèse. Halonèse appartenait depuis des
siècles aux Athéniens ; elle avait été ré-
cemment occupée par des pirates. Phi*
lippe , plus puissant et plus actif qu'A-
thènes, où l'on parlait plus qu'on n'aftis-
sait, les en chassa, et garda l'île pendant
quelque temps; puis, sur les rédama-
de ces îles. Cf. Plin., loc. c ; Strab., IX, p. 43<>*
^i) Poiyb.y X, 4a; M. de Marœllus, Épi'
soie s, II, p. 75.
(a) Dem., deHalon, p. 75,colI.Didot, p.4o.
S78
L'UNIVERS.
tions da peuple athénien , il écrivit une
lettre où u se prétendait légitime posses-
seur d'Halonèse , ajoutant quMl était prêt
h en faire présent au gouvernement a'A«
thènes. Cest à cette offre insultante que
répondait le discours de Démosthène ou
d'Hégésippe; l'orateur y soutient que
Von ne derait pas recevoir Halonese
des mains de Philippe comme un don»
mais comme une restitution. Mais , se-
lon l'usage , on discourut beaucoup sur
l'Agora, et Haionèse resta au roi de Ma-
cédoine.
Aiijourd'hui Scopelo et tout le groupe
voisin appartiennent au royaume de
Grèce. Elle est le cheMieu de Téparchie
de ce nom , qui fait partie de la monar<«
ehie de l'Ëunée.
SciATHOS. — Llle de Sciathos, dit
Dapper , est encore appelée Sciatho et
Sciathi par les Italiens , et Scietta dans
les cartes marines. Elle est située à deux
lieues à Textrémité septentrionale de
Scopelo ou Haionèse et à la même dis-
tance du cap Saint-George ou Sépias, qui
termine la chaîne du mont Pélion, au-
jourd'hui Zagora. Elle a vingt-deux ou
trente milles d'Italie de circuit. C'est une
tle rocailleuse et stérile. Dans le temps
de l'invasion de Xerxès, les Grecs avaient
étahli à Sciathos trois vaisseaux d'obser-
vation et des signaux de feu. Aussi en
est-il souvent question dans Hérodo-
te (1), pendant tout le récit des combats
de l'Artémisium.
Sciathos fut possédée successivement
par les Athéniens et les Macédoniens;
quand la Macédoine succomba sous les
coups des Romains et de leurs alliés,
Sciathos fut, comme toutes les lies de
ce groupe, en butte aux attaques d'At-
tnle, des Rhodiens et des Romains con-
fédérés. Alors Philippe III prit ses pré-
cautions. « Sciathos et Péparèthe , dit
Tite-Live (3), villes qui n'étaient pas
sans importance et pouvaient offrir a la
flotte ennemie une conquête utile et fruc-
tueuse , furent détruites par ordre du
roi. » Après que les Romains eurent con-
quis la Macédoine, ils négligèrent beau-
coup toutes ces petites tira, qui devinrent
le repaire des pirates. Fendant la guerre
contre Mithridate (87), Bruttius Sura
(i) Hérodote, VII, 179, i8i, iSajVUr, 7,
(a;Tile-l.ive, XXX, 29.
leur reprit Sciathos (1), el EL couper les
mains a tous ses prisonniers. Mais alors
la piraterie infestait toute la Méditerra-
née, et pour un point où elle était ré>
primée, elle jouissait de l'impunité dans
cent autres. Pompée débarrassa les mers
de ce fléau, 66 avant Jésus-Christ (3;.
Pendant la guerre de rindépendaooe
Sciathos servit de refuge aux Grecs de
Ffle d'Ëubée (3); aujourd'hui elle fait
partie, comme les îles voisines, de Te-
parchie de Scopelo.
Icos ;Sga.ndile. — Ces deux Iles sont
situées à l'est de Péparèthe , dans la di*
rection de Scyros. La première s'appelle
aujourd'hui Sarakino ou Péristéri, et
l'autre Scangero ou Scantzoura , ou «•
core Scanda , selon Dapper. Dans ces
trois noms on reconnaît du reste Tan
cienne dénomination, plus ou moins d-
térée. Dans Scylax, on voit que Tile
d'Icos, toute petite qu'elle est, renfermait
deux villes , ce qui l'avait fait sunioin<
mer Dipolis. Toutes ces tles sont entou-
rées de rochers et d'écueils, qui rendent
la navigation très-difficile dans cette
partie de l'Archipel. L^ Vénitiens oc-
cupèrent ces îles avant les Turcs, et le
commerce italien, qui les fréquentait
beaucoup alors, les a depuis abisindoD-
nées. On peut voir dans Dapper des dé-
tails assez circonstanciés sur la naviga-
tion de ces parages (4).
ILB DE SGYBOS.
Scyros doit son nom à son sol inépl
et rocailleux. Au moyen âge elle fut ap-
pelée par les Italiens San-Georgio di
Sciro ou simplement Sc}to, nom quVile
porte encore aujourd'hui. Elle est situce
au nord de l'île d'Ëubée, et à Test ds
groupe dont nous venons d'énumérerles
principales îles. Elle s'étend du nord as
(i) App., Beli. JUitfw., ag. Vojei d*»
Beîi. civ., V, 9, la générosité d'Antoine à Tfr
gard des Athéniens, auxquels îl restitue ces 1*
(a) Eckhel donne les types et les légenie* |
des monnaies de Haionèse , d'Irrbesia, de Pf
parèlhe el de Sciathos. Toycz aussi d»*
Bœckh, Corp, Inscr., t. II, p. f?*, unei»»-
cription en Thonneur de S€ptiine-Sé«»«f
trouvée à Sciathos.
(3) Poiiqucvillc, But. dé la Grèce, ïVA}9-
(4) Dapper, Description, etc., p. tSS ^
«iiîv. Voir aussi Btiondelmenti , Ijèerliu^^
rnm, p. i3o.
ILES DU NORP DE L'EUBÉE.
879
sud, par 32<» 1(/ de longitude et SO"" 50'
de latitude , sur nue lODgueur de cinq à
six ]ieues. Ses c^tes sont extrêmement
découpées , et )ës vaisseaux y trouvent
tellement un abri. Cette île est fort éle*
m; elfe a deux sommets qui la domi-
Dent à ses deux extrémités, le mont Go-
ehila au sud et le mont Saint-Ëlîe au
nord. Elle est terminée au sud par le
cap Rena. Son principal cours d'eau est
le Céphise , qui se jette dans une baie,
mr la côte occidentale de Ftle. Sur cette
beie, dont quelques tlots défendent Ten*
trée, et qui forme un grand port, était
l'ancienne ville de Scyros (1). La princi-
pale richesse de Scyros consistait dans
tes carrières de marbre de diverses cou-
eurs. Elle avait des mines d'argent, où
*on trouvait le sit foncé , matière colo-*
rante employée dans la peinture. Les
^aux qui coulent dans ses mines et ses
Sjrrières ont la propriété de pétrifier
oQs les arbres qu'elles arrosent. Les an-
»eDs s'étonnaient beaucoup de la pro-
priété singulière d'une pierre de Scyros
|tti flottait sur Feau sous un grand vo*
ume, et qui tombait au fond quand
4ie était réduite en fragments (2).
Les chèvres de Scyros, selon Strabon,
tonnaient un excellent lait; mais elles
iraient le défaut de renverser souvent
es vases où on venait de les traire. Aussi
ippeiait-on chèvres de Scyros les gens
|ui ne savaient pas soutenir leur bonne
onduite et chez qui de grands défauts
enaient se mêler a de bonnes qualités.
'^D somme, Scyros était une île pauvre et
hétive; et quand on voulait donner l'i-
lée de quelque chose de misérable on di-
2it proverbialement : Cest le royaume
(f Scyros,
L'île de Scyros fut primitivement ha-
«tée par des Pélasges et des Gariens;
nais elle n'a pas d'histoire avant le
^ne du roi Lycomède, qui doit toute sa
«lébrité aux souvenirs de Tliésée et d' A-
hille. Thésée, devenu odieux aux Athé-
liensj « s'embarqua pour Scyros : » il
«nsait, dît Plutarqoe , y avoir des amis,
!t il possédait dans l'île quelques biens
>aieniels. Lycomède était alors roi do
(i) PloL, m, i3, 47. Voy. Forbigéf, III,
». II 38.
WPlIn., II, ro6, i3; XXXI, «o, i;
^UlII 56, i; XXXVI, 56.
Scyros. Thésée alla le trouver, et le pria
de lui rendre ses terres , dïwMX (jm son
intention était d'v faire son séjour; il
lui demanda , suivant d'autres , du se»
cours contre les Athéniens. Lyeonràde,
soit pour la crainte que hii inspirait la
renommée d'un tel homme, soit dans )•
but de complaire à Ménesthée , le cob*
doisit sur les montagnes de file, soi-dl*
sant pour lui montrer de là ses terres ,
et le précipita du haut des rochers. Thé*
sée périt dans la chute. Quelques-QfiB
disent qu'il tomba en faisant un feux
pas, comme il se promenait après sou-
per , selon son usage. Personne dans le
temps ne tint compte de sa mort. Après
les guerres Médiques, Phédon étant ar-
chonte, la Pythie ordonna aux Athé*
niens, qui l'avaientconsultée, de recueil-
lir les ossements de Thésée, de leur
donner une sépulture honorable , et de
les garder avec soin. Mais il n'était pas
facile de s'en saisir, ni mémo de recon*
naître le tombeau, à cause de la férocité
des barbares de rîle, qui n'avaient au-
cun commerce avec les autres peuptos.
Cependant Gimon, s'étant rendu mattre
de Scyros, â*occupait activement de cette
recherche, lorsqu'il aperçut, dit-on,
un aigle qui frappait à coups de bec sur
une sorte de tertre, et y fouillait avee
ses serres. Gimon, saisi tout à coup
comme d'une inspiration divine, fit
creuser en cet endroit , et on y trouva
la bière d'un homme d'une graniiietaitle,
et à côté un fer de pique et tme épée.
Gimon fit charger ces restes sur la tri-
rème. Les Athéniens, ravis de joie, ieor
accueillirent avec des processions et des
sacrifices ; c'était comme si Thésée lui-
même fût revenu dans la ville. » Le
temple qu'ils élevèrent alors en l'hon-
neur de Thésée se voit encore au pied
de l'Acropole, et c'est le mieux con-
servé de tous les anciens monuments de
la Grèce.
Lycomède régnait encore au temps
de la guerre de Troie (1184). Achille
avait fait alliance avec lui, en épousant
sa fille Déidamie , dont il eut un fils,
Kéoptolème ou Pyrrhus , gui fut élevé
dans rttede Scyros. Des poètes bien pos-
térieurs à Homère supposèrent qirA-
chilîe avait été caché à Scyros par sa
mère Thétis , qui voulait le dérober afix
dangers de h gqerre de Troi^, Ceé la
S80
L'UNIVERS.
légende cbautée par Suce daas VAchilr
léide» « Sur les rochers qui bordent la
mer, et où les vagues retentissent, Thé-
tis, inquiète, délibère en elle-même pen-
dant la nuit, et cherche dans sa pensée
le pays où elle doit cacher Achille. La
Tbrace est Irès-rapprochée sans doute,
nais trop belliqueuse; la Macédoine,
trop sauvage; Athènes, trop amie de la
gloire ; Sestoe et les ports d' Abydos sont
trop accessibles aux vaisseaux. Restent
les Cydades. Mycone et Sériphe lui dé-
plaisent, ainsi que Lemnos, injuste en-
vers le sexe masculin, et Délos, vjsitée
de tous les peuples du monde. La
cour du paisible Lycomède, les nom-
breuses jeunes filles et les bruits joyeux
du rivage de Scyros Voilà Tabri qui
plaît pour son enfant à la craintive
mère(l). »
Au lieu de cette fade et fausse légende,
voyez la vigoureuse tradition des temps
homériques. Achille, soit au*il ait épou-
sé ou non Déidamie, fille ae Lycomède,
vient assiéger Scyros, où régnait alors
le roi Enyée. Il prendcette ville, àlaquelle
Homère donne si justement Tépubète
d'aÎKsXa ; il la pille , et parmi le butin
se trouve la belle Ipbis , qu'il donne à
son ami Patrocle. Sur le point de mar-
cher contre Troie, il y laisse son filsP^éo-
ptolème (2). « Hélas, s*écrie-t-il, quand
Patrocle n'est plus, je n'aurais pas été
plus sensible à la perle de mon fils qu'on
élève à Scyros, si tant est que mon cher
Néoptolème vive encore : j'avais toujours
espéré que je périrais seul sur ce rivage,
que tu me survi vrais, mon cher Patrocle,
(jue tu t'en retournerais à Phlhie, que
tu prendrais mon fils à Scyros, que tu
le mènerais dans mon palais, et que lu le
mettrais en possession de mon royau-
me. » Ce fut Ulysse qui alla chercher
Néoptolème à Scvros pour le mener
contre Troie, où il avait son père à ven-
ger. Le jeune homme partit emmenant
une troupe de belliqueux habitants de
Scyros (3).
D'après le scoliaste d'Homère, cet
Ënyée, dépouillé par Achille, était le chef
d'une colonie de Cretois. Cette émigra-
tion, dit M. Raoul Rochette n'était sans
(x)Slace,^tr/«7A, I, aro.
(2) Hom., IL, IX, €68; XIX, 3a6.
(d) Id., Odfis., XI, 509.
doute qu'un détachement de la odoiûe
qui , sous les ordres de Stapbylus , s'éta-
blit dans les fies de Péparetne et d'Icus,
au témoignage de Seymnus de Cbio. 11
est certain, diaprés de nombreuses ia-
dicationSy que les Cretois, unis aux Ca-
rions, dominèreut dans ces parages avant
la guerre de Troie. Peut-être avaient-ils
renversé Lycomède à Scvros : ce qui au-
rait attiré les armes a'Achille contre
cette tie. Au retour de la guerre de
Troie, Néoptolème trouva ses Etats hé-
réditaires envahis par Antiphus et ies
Dorions. Le vieux Pelée, captif, était
allé périr misérablement dans l'île de
Cos. Dépouillé de ses États, Pyrrhus se
décida à en conquérir d'autres. Il avait
des droits, du chef de sa mère, sur File de
Scyros ; mais cette île était alors occupée
par des rebelles ou des étrangers : il œ
put s'en emparer, et il passa en £pire(r.
Au huitième siècle, selon Scymous.
Scyros et les îles voisines de Péparèthe
et de Sciathos étant reconnues désertes,
les Chalcidiens les repeuplèrent tou-
tes (2). Plus tard Scyros fiit occupée
1)ar les Dolopes. Ce fut aux Dolopesque
es Athéniens l'enlevèrent, la troisième
année de la 77^ olympiade ( 469 avant
J.-C). Voici comment Plutarque raconte
cette conquête, qui fut opérée parCim c
« Scyros, dit-il, était habitée par des Dolo-
pes, gens peu entendus dans la culture des
terres, et qui infe&taient de tout temps 1.
mer par leurs pirateries. Us allèrent ménie
jusqu'à dépouiller ceux qui abordaitot
chez eux pour y trafiquer. Des mar-
chands thessaliens, ^ui étaient à rancre
dans le port de Ctésmm , furent pilles
par eux et jetés en prison ; mais ils roov
pent leurs chaînes, s'évadent, et voifl
dénoncer cette violation du droit des
gens aux amçhictyons. La ville fut coq-
damnée à dédommager les marcbaïKb
de la perte qu'ils avaient faite. Le peu-
{lie refusa de contribuer, et soutint qw
'indemnité devait être payée par cetiv
qui avaient pillé les marcnands. Les cor-
saires , qui craignaient d'être fores i
payer, écrivirent à Cimon, et le pressè-
rent de venir avec sa flotte prendre pos-
session de la ville, qu'ils lui remettraient
(i) Raoul RodieUe, Cof^ Gre«q., t. H
i57, 379.
(a) Id., ihid,, Il(, p. 2io3.
ILES DU NORD DE L*EUBEE.
S8I
entre les mains. Cimon y alla , s'empara
de nie , en chassa les Dolopes , et rendit
libre la mer Egée (1). »
Scyros fut enlevée aux Athéniens à la
suite de la guerre du Péloponnèse ; mais
elle leur Ait rendue par le traité d'Antal-
ddas (387). Après la mort d'Alexandre
le Grand, Amnes, excitée par Démos-
tbène, souleva la Grèce contre la Macé-
doine; mais elle succomba dans la guerre
Lamiaque, et Antipater la |)riva de ses
dernières possessions maritimes , entre
autres de Scyros, qui dès lors appartint
aux Macédoniens. Après la bataille de
Cynosoéphale, Quintius Flamininus la
rendit aux Athéniens (2).
Il n*est pas nécessaire de dire que cette
Ile fiit ensuite soumise à l'empire ro«
main, puis à celui des Grecs. André et
Jérôme Ghizi se rendirent les maîtres de
Scyros après la prise de Constantinople
par les Fnmçais et par les Vénitiens.
Elle passa sous la domination des ducs
de Naxos. Guillaume Carcerio en fit la
conquête, et la laissa à ses descendants*
Son petit-fils Nicolas Carcerio, neuvième
duc de r Archipel, en fît fortifier le châ-
teau avec beaucoup de soin, sur Tavia
que les Turcs, qui commençaient à pas*
ser des côtes <r Asie en Grèce, avaient
dessein de s'en emparer, pour avoir une
retraite dans TArchipel (1345). Les
Turcs vinrent, en effet; mais ils furent
si vigoureusement reooussés, qu'il n'en
resta pas un seul. On voit encore les
ruines de ces fortifications, que les Turcs,
( i) W«l., Chm., vni, 4 ; Thuc, 1, 98 ; Diod.,
SicuL, XI, 60, 2.
(a) Tit.-Liv., XXXIII, 3o.
qui en furent maîtres depuis la destruc-
tion du duché de Naxos, ont laissées pé-
rir (1). Sc}TOsn'a qu*un seul village; il
est situé sur un rocher escarpé, a dix
milles du port Saint-Georses. Outre ce
port , qui est spacieux et d'un très-bon
mouillage, il y a encore dans cette tle
le portoé^ Trois-Bovches, où l'on pénètre
par trois passages, que forment deux
Ilots placés à son entrée. Le monastère
deSamt-Georges, situé près du villaoe,
possède une image d'argent, en feuille
très-mince, sur laquelle on a ciselé gm»
sièrement saint Georges et représenté ses
boiracles : cette feuille, qui a près de qua^
tre pieds de hauteur, sur environ deux
pieds de largeur, est clouée sur une pièce
de bois qui a un manche comme une
croix et que l'on porte comme une ban-
nière. C'est cette image, échappée, dit-on,
à la fureur des iconoclastes, qui opère
tant de miracles et qui châtie surtout
ceux qui n'accomplissent pas les vœux
âu'ils ont faits à saint Georaes (3). L'Ile
e Scyros produit assez de blé et d'or&e
pour la subsistance de ses habitants; le
vin forme sa principale richesse; elle
est abondamment pourvue de bois,
lentisques, myrtes, chênes verts, lauriers-
roses, pins. On y trouve de nombreux
troupeaux de moutons, beaucoup de gi-
bier, des perdrix surtout, et toutes les
roches donnent des fontaines d'une eau
excellente
Aujourd'hui elle appartient à la Grèce,
et fait partie de l'éparchie de l'Eubée.
(r) Tournefort, f^oy, du Levant, I, 44?.
(a) Id., 1. 1, p. 449 ; Sauger, Histoire nou-
velle des Ducs de V Archipel, p. 177.
ILE D'EUBEE.
I.
DÈSCBlPtiôlt Èi HISTOIBE DE LltB
b'ETJBÉB PBNDANt LtS TEMtS AN-
CIENS (1).
Oboobâphib génébalb; popula-
tion. — M plus grande des iles de la
mer Ë^ée, l!£ubée, se prolonge du uord-^
ooestau sud-ouest, parallèlement à toute
Féteodue actuelle des côtes orientales de
la Grèce du nord, depuis le golfe de La-
Hila jusqu'à la pointe du Sunium , ou
peu s'en faut. Tres-voisinedu continent,
elle en soit à fea près les csontours , et
semble, au delà de l'étroit canal qui l'en
sépare, en continuer le dévdoppement,
(i) Tout ce travail sur la géographie et
l'histoire de l'Ile d*£ub«e pendant les temps
anciens n*ett que la reprodoclion abrégée
d'un tnémoire de M. Girard , membre de TÉ-
eole Francise d' Athènes. Ce mémoire a été
publié intégralement dans le deuxième volume
des Arcidves des Musions scientifiques; c'est
là que je renvoie pour les citalious et certains
développements. Chargé par TAcadémie des
Inscriptions et Belles- Lettres it explorer tilt
dEubée et de la décrire exactement , M. Gi-
rard Ta parcourue en tous sens dans trois
voyages sncoessifs, et nous en a donné ainsi
la description la plus exacte et la plus complète
3 ne nous avons. Je suis heureux d'avoir pu
isposer, grâce à Tobligeance de mon confrère,
de cette intéressante étude, qui ajoutera tant
<l*intérét a mon livre, et qui fera connaître à ses
lecteurs toute l'importance des travaux d'ex-
ploration entrepris sur le sol de k Grèce par
les membres de l'École Française d'Athènes.
Yoyex encore sur l'Sle d'Eubée : Pelugk,
Renan Euboiearum Spécimen, 1829, in-4°. —
Dans la collection de Walpole, Travels in va-
rious Countnes ofthe East, a vol. in-4°, z8 1 8,
la relation du docteur Sibthorp , t. II, p. 34,
et la Description des Ruines au mont Ocha,
par Hawkins, t. II, p. a85. — Une Disserta-
tion d'Ulricbs sur le temple de Junon du mont
Ocha, insérée dans les Annali delt Instituto
di Correspondenza Archeologica, 184a, p. 5,
— Dans les KUine Schriften de F. G. Welcker,
t. III, p. 376, se trouve un article qui résume
tous les travaux des archéologues sur les ruines
du mont Ocha,
en même temps qti*eUe efi termine oon$-
tamtnent rhorizoû par la ligne belle H
tariée de ses hauts sommets. Elle «t
considérée par les géologues coDinie V
prolongement méridional de la ehaîM
de l'Olympe ; elle se dirige dans le foéne
sens. Sa longueur^ mesurée par les an-
ciens , atteint le chiffre de douze cents
stades, c'est-à-dire environ qaaranl^
huit lieues: sa lârgetir, fort inégale,
s'élève au plOs à celui de cent cinquante
^ades (six lieues], et descend souvent
beaucoup au-dessoiis. Sa constitution est
montagneuse, comme celle de toutes les
fies grecques : dans les bouleversements
ou les modifications du globe , c'est par
les tnontagnes qu'elles se sont fait josr
au milieu de la mer, ou ont tcsistéaseï
envahissements. Mais dans aucune île
peut-être il n^est plus facile de saisir
d'une manière générale le travail d'en-
fantement de la nature, et de recoib
naître jusqu^à quel point, en formant
une nouvelle terre, elle a pu marquer
d*avance aux hommes où et comment
ils devaient y vivre et s*y développer.
Au centre de TEubée , au point où elie
se rapproche le plus du continent, sem-
ble avoir porté surtout l'effort de cette
création ; là s'est élancée en forme (ie
pic la plus haute montagne, le Delpbi
actuel (1,743 mètres); et en méo»
temps, comme pour lui fournir une
base suffisante, l'île s'est développée
dans sa plus grande largeur, en éten-
dant vers Ja Béotie les plaines destinées
à former les territoires de Chalcis et d't*
rétrie.
A ce système central du Delphi se r^^
tache, pour ainsi dire, la charpente di
reste de 111e. Vers le sud descend une
chaîne secondaire , dont les plans irre-
§uliers sont étroitement resserrés des
eux côtés par la mer, jusqu'à eequils
aient joint la masse des sommets de YO-
cha , qui terminent Hle en rélargissant
de nouveau. Au pied de cette montagne,
et au fond d'une baie favorablemeot
tournée vers l'Attique et les Cjdades,
devait s'élever Carystos.
ILE D'EUBÉÉ.
3ë3
l)u côte du nord le rétrécissement
le TËubée est beaucoufi' moins sensible.
^ haute chaîne du Kdndili longe la
ôte occidentale» et presque partout s'é-
*ve à pic de la mer ; son dernier pro-
ongement va former à Touest , au delà
a golfede Upso^ la presqu'île de /^i^AO'
'a; dans la direction opposée, elle étend
es ramifications jusqu au promontoire
'Artémisium, ouvrant ainsi sur le canal
e Trikéri une belle plaine et de riches
ailées. Cette prtie était naturellement
ésîgnée au développement d'Oréos , la
uatrième ville de TEubée qui ait un
om dans l'histoire.
Ainsi une disposition de la nature
aralt avoir déterminé au centre de
lie et à ses deux extrémités les trois
oints qui devaient acquérir de Timpor-
ance. On serait même tenté d'attribuer
un soin providentiel ce fait , que ces
ositions sont marquées dans le voisi-
age et en regard du continent. En cé-
éral, les côtes orientales sont inbafai-
ibles, ou toutau moins désavantageuses
l'habitation. Le Delphi plonge dans la
}er Egée , dont il est plus voisin , les
entes abruptes de ses grands contre-
)rts. Entre cette montagne et l'Ocha ,
peine dans une pareille étendue se pré-
ente-t-il une rade mal abritée auprès
e vallées d'une importance secondaire;
elles de Koumi; et de même, en re-
montant versFArtémisium, on ne trouve
vère de place que pour le petit port
'une ville obscure « 1 antique Cérinthe.
LQ contraire, c'est sur les rivages de
ouest et du nord, près du canal d'Eu-
ée ou de celui de Trikéri, que se dé-
eloppent les plus grandes plaines , de
Qéme que s'y élèvent |les villes histo-
iques; en même temps les ports et les
brissûrs s*y multiplient. On oirait même
[ue ces rivages ont modifié leur nature
uivant l'importance des pays continen-
aui qu'ils regardent : ainsi, tandis
[u'en face de la Locride et des parties
es plus obscures de la côte béotienne,
Bs falaises escarpées du Kandili s'inter-
ompentà peine un instant entre la plaine
^ Chalcis et la baie de Lipso, Chalcis ,
rétrie , Catystos et d'autres villes in-
^rmédiaires sont situées vis-à-ris de
'Attli^ue on à la hauteur de Thèbes et
les points principaux de la Béotie.
Telle est, d'une manière générale , la
contexture de l'Eubée. (Test un des pajs
les plus heureusement dotés par la na-
ture; il offre une étonnante variété de
productions et de richesses : les céréales
de toutes sortes, qui dans le nord et
dans le midi sont magnifiques; la soie,
le coton, la garance; le vin, dont le
centre fait un commerce considérable;
les produits des troupeaux, célèbres
dès rantiquité, n'en eût-on pour preuve
que le bœuf type ordinaire des mon-
naies anciennes de toute l'île ; les bois
de construction, fournis par les grandes
forêts du nord ; des mines de cuivre et
de fer, fameuses chez les anciens; des
lignites, exploités par les modernes ; l'a-
miante et d'autres minéraux précieux;
enfin, des sources chaudes, d'une effica-
cité reconnue.
Aussi l'Eubée fut-elle habitée dès les
époques les plus reculées. C'est d'abord
la mythologie qui se charge de la peu-
pler. Dans les traditions obscures, dont
il ne nous est parvenu que des lam-
beaux , on distingue deux catégories.
Les unes se rattachent à la formation
volcanique de Tlle. L'Eubée se ressent
des luttes des Titans et des Centi mânes,
dont les montagnes voisines, l'Othrys,
le Pélion et l'Ossa en Thessalie, et les
champs de Phlégra , dans la presqu'île
dePallène, furent le théâtre. Elle semble
particulièrement consacrée à un Centi-
mane vainqueur , Briarée , dont le culte
se conserva sous ce nom à Carystos , et
sous celui d'OEgéon à Chalcis. Elle re*
couvre les demeures profondes du mons-
tre, dans lesquelles elle le sent encore
s'agiter. Elle est également le séjour du
géant Tityos , qui y reçoit la visite de
Khadamante, conduit par les Pbéa-
ciens. Tityos était honoré dans l'île , où
un héroum lui était consacré; et on y
montrait un antre appelé Élarium, du
nom de sa mère. Le fils du titan Phaéton
fonde Ërétrie. Enfin Orion, fils de la
Terre, fut élevé en Eubée, ou s'y rendit
en venant de Sicile. La ville d'Oréosi
d'après une étymologie, lui doit son
nom. Située entre les bois , des monta-
gnes et la mer, elle méritait d'être choi-
sie par ce héros, amant de Diane et pro*
tége de Neptune. Ces deux divinités,
auxquelles )e mythe d'Orion se rattache,
furent en Eubée l'objet d'un culte par*
ticulier.
384
L'UNIVERS.
Ces légendes sur les géants sont jus-
tifiées par ce que nous savons des révo-
lutions physiques de TEubée. C/est sans
doute , comme le croyaient les anciens ,
Tune de ces révolutions qui la sépara du
continent béotien , et forma ce canal , le
plus étroit que Ton connaisse. Cette ex*
plication est plus vraisemblable que la
tradition ranportée par Lucien, d après
laquelle Fidée de percer Fisthme de
Corinthe aurait été inspirée à Néron
par le souvenir d'un roi des Achéensquî
creusa FEuripe. Pline prétend qu*un
tremblement de terre arracha de FEubée
rtle de Céos, qui fut presque entière-
ment dévorée par les flots. Nous trou-
vons dans Fantiquité d'autres témoigna-
is , dont plusieurs appartiennent déjà
a Fhistoire. Des villes furent submergées
ou détruites en partie, des rivages dé-
chirés , comme les falaises du Kandili
ou les ravins de FOcha Fattestent au-
jourd'hui par leur aspect aussi certai-
nement que les écrits des anciens. Main-
tenant encore des secousses fréquentes
se font sentir à Chalcis.
Les secondes traditions mythologi-
ques semblent avoir été apportées en
Ëubée, principalement par les Curetés
de Ftle de Crète. Elles ont d'abord rap-
port aux premières années de Jupiter et
de Junon ; ces deux divinités s'unissent
sur le mont Ocha. Les Curetés viennent
avec Jupiter, qui les laisse pour garder
Ftle et le temple de Junon ; puis FEtibée
devient le théâtre des jalousies de la
déesse, parce (|U*elle recèle les fruits des
amours du roi des dieux. Dans une ca-
verne située du coté de la mer Egée (1),
et appelée rétable de la vache. Bob;
^My lo, métamorphosée, enfante Épa-
phus. Son gardien , Argus le Panoptès,
est tué par Mercure dans un lien qui em-
prunte a ce souvenir le nom d^Jrgoura.
Aristée reçoit en Eubée, des mains des
femmes thébaines fugitives, la dste mys-
tique qui renferme le jeune Bacchus , et
le fait élever par sa fille Macris. Cette
nymphe' s'attire ainsi le courroux de Ju-
non , qui la chasse de File.
Id, dans le mythe d' Aristée, est le
lien des traditions Cretoises, avec d'au-
tres , qui sont communes à toutes les
(i) Peot-étre sur le mont Dirphis, le Del-
phi actuel , où JanoQ était honorée.
Cyclades et font de Diane et d'Afoi
Ion les plus antiques divinités de cesm
On vient de voir que dans le mythe d'O
rion le culte des Enfants de la Terre et
de la mer se rapprochait également d;
celui de Diane.
Aristée, fils d'Apollon et de la nymphe
chasseresse Cyrène, partage plusieurs
des attributions de son père , et est quel-
quefois confondu avec lui dans les hon-
neurs religieux dont il est l'objet. Cest
Apollon, oienfaiteur des hommes sar
la terre, et se mêlant à leur vie de dIo'
près qu'il ne convient au plus brillapi
liabitant du ciel. Aristée oi^aniseiayie
pastorale, enseigne aux hommes le soin
des troupeaux , Part d'élever les abeilles
et d*extraire l'huile du fruit de FollTier.
il protège chez eux Fenfanee de Ba^
chus; comme sa mère, qui dompte b
lions , il chasse et extermine les ani
maux malfaisants; comme son père, il
connaît les vertus des herbes salataird
Tous ces attributs conviennent par
faitement à FEubée, pajs de pâtnrass
et de diasse, riche en vignes et en oli-
viers, où le nord et le midi produiseDi
un miel célèbre, et dont une montagne,
l'antique Téléthrion , était fameuse par
ses plantes médicinales. Une ville d?
Nisa , complètement inconnue du reste.
avait conservé, comme souvenir du$é
jour de Bacchus, une propriété meneil'
leuse : un jour suffisait à la vigne pour
fleurir et porter des grappes mûres.
Au milieu de cette mythologie cou
fuse, que les Grecs eux-mêmes se son-
daient peu de mettre en ordre, siToa
en juge d'après l'incohérence de leuii
témoignages , Fhistoire a d^'à eomoeo-
oé. Les Curetés sont une colonie cH^
se. Dans un temps qui n'est pins qo;
demi fabuleux , Minos passe poar avoir
dominé sur les mers et conquis oo p»-
plé le plus grand nombre iKsCjrdades-
L'Eubée fut évidemment compnsediB$
ce grand mouvement de colonisatioaiet
en garda des traces plus durables qo*av*
cune autre île.
A une date contestée, soit antérioire
à Minos , soit postérieure au règne de^
prince et même à la guerre de Troie,
des Cariens et des Pnénidens oeeop^
rent les tles. Il s'établit des PhéoicieBS
en Eubée, dit Strabon, qui foonit âssi
un argument à la première o^nioo. U
ILE D'EUBEE.
365
voisinage de Thaïes donne de la valeur
à la tradition ou'ii rapporte. La colonie
des Curetés a dû être la dernière ou la
Îriocipale. Ils prirent plus tard le nom
'Abantes, d'Abas, petit-fils du second
Êrechthée et prince ionien, qui régna
>ur Ttie; et il semble que même sous des
naitres étrangers ils aient formé la plus
^aode partie de la population , car Ho-
nère nous montre au sié^e de Troie les
ibantes d*Éléphénor fidèles à la cou-
ume dont les Curetés tiraient leur nom,
Mais la population qui finit par domi-
ner en Eubee est celle des Ioniens ve-
ms de TAttique. Ils s'établirent dans
*lie en plusieurs fois : d*abord sous le
'ègne du premier Érecbthée, dont le
ils, Pandorus, passe pour le fondateur
le Chalcis. Vers la même époque, Jlclus
!t Cothus , fils de Xuthus, dont Strabon
ait à tort des chefs de colonies posté-
ieures à la guerre de Troie, s'établis-
leot dans Êrétrie, et fondent Cérinthe
lans le nord. EIlops , leur frère ou fils
lion, fonde EUopie à Textrémité sep-
entriooale, et possède toute cette par-
ie. Des établissements subséquents con-
irmèrent la prédominance de la race
onienne, particulièrement dans le centre
!t dans le nord.
Les deux principales villes du sud ,
^rystos et Styra , tondée par des Dryo-
)es de Tbessalie, gardèrent toujours leur
>opulation primitive. La première tirait
ion nom d*un fils de Chirou, venu pro-
bablement de la Phthiotide. Il était na-
urei Que l'Eubée reçût des habitants du
lord de la Grèce, dont elle était voisine.
Tebt de la Phthiotide que lui vinrent les
'lolieos, à une époque reculée; plus tard
Is s'y arrêtèrent aussi, lors de leur émi«
ration générale, sous la conduite de
^enthilus, soixante ans après la guerre
le Troie. Ils occupèrent même, à une
late incertaine, une grande partie de
'île. Les Perrhèbes contribuèrent à la
oiidation d^Histiée, ancien nom d'Oréos.
Le Péloponnèse fournit aussi son con-
ingent à la population de TEubée. Une
radition veut que le héros Eurytus , roi
rOËchalie en Messénie, soit venu mou-
ir dans cette île, après que son royaume
ut été ravagé par Hercule. Le premier
lom d*Érétrie Mélanéis viendrait de
tlélanéos, père d^Eurytus, et celui-ci
25* Livraison. (Ile de l'Eubéb.)
serait mort dans une autre OEchalie,
qu^il aurait fondée sur le territoire de
cette ville. Des Doriens d*Élide et des
Triphyliens de Maciste s'établirent à
Erétrie.
Enfin, en même temps que les Do-
riens, lesÉoliens et les Ioniens, il semble
que la quatrième branche hellénique ait
eu aussi ses représentants en Eubfe. Une
ville y portait le nom d*i£gée, comme
celle d'Achaïe , et était, comme son ho-
monyme , consacrée à Neptune. Cette
double communauté de noms et de tra-
ditions religieuses est au moins une pré-
somption. Lucien parle d'un roi des
Achéens en Eubée.
De toutes ces traditions sur les origi-
nes de la population de TEubée sont ve-
nus la plupart des différents noms de
nie : Macris, nom que l'on explique
aussi par sa forme allongée; Eubxa,
que les étymologies mythologiques font
venir ou de la grotte dlo (Booc a&Xi[),
origine bizarre, ou de la nymphe Eubée,
fille d'Asopus, le principal fleuve de la
Béotie, et que les explications naturelles
attribuent à ses pâturais et à ses cul-
tures ; Asopis , dénommation fréquente
chez les poètes; AbarUèsi Ocha, nom
qu'elle emprunte à sa montagne la plus
poétique; Chalcis, qu'elle doit à un
autre nom de la nymphe Eubée, ou à
ses mines de cuivre.
La forme longue et la position géo-
graphique de l'Eubée la divisent natu-
rellement en trois parties : le centre, le
nord et le sud ; divisions que l'histoire a
consacrées, comme nous Tavons indiqué
plus haut.
PREMIÈRE PARTIE.
CENTRE DE L'EUBÉE.
Chalcis. — Lorsque des montagnes
voisines de Thèbes ou de Tanagre on re-
garde le canal d'Eubée, on le voit succes-
sivement se rétrécir , disparaître dans ses
propres détours, puis tout à coup, réduit
aux proportions d'un fleuve étroit, passer
entre des fortifications , sous les arches
d'un pont. Jusque sur ce pont s'avance
une petite ville turque , présentant ses
tours et ses murailles crénelées, dessinant
sur le del ses minarets, blanche et gra-
cieuse d'aspect. Cette vue a un charme
tout particulier, mais aussi elle montre en
23
886
LtJTifVERS*
un instant tout ce que ChaloîB a de aédui-
sant et de remarquable : Teffet que pro-
duit de loin son caractère oriental , sa
merveilleuse position sur l'Eoripe. De
près , comme il arrive trop souvent en
Orient, on éprouve une impression toute
différente : l'intérieur du Kastro^ pour
employer Texpression grecque , est sale,
misérable et triste; il rturerme peu de
maisons habitables et beaucoup de ma-
sures en ruine. La ville, il est vrai, 8*est
transportée presque tout entière dans
un grand faubourg qui s'étend au nord
et à Test. Là est le port, le marché,
tout le mouvement du commerce et de
rindustrie ; là se construisent les nou-
velles et les plus belles habitations. Mais
cependant Tensemble n*a rien que de fort
ordinaire dans un pays où les villes ra-
ient rarement beaucoup de nos villages
dé France. Autour, la plaine, les hau-
teurs sont sèches et nues.
Qui reoonnattraiticila ville décrite par
Bicéarque au moment où y vivait Aris-
tote? la colline ombragée où elle s'éle-
vait, et les nombreux monuments or-
nés de statues et de peintures, les gym-
nases, les portiques, les temples, les
théâtres qui remplissaient une enceinte
de soixante-dix stades(l) ? On cherche-,
rait inutilement le moindre débris de cette
ancienne splendeur. Aujourd'hui tout se
borne, en lait de monuments, à ce qu'ont
laissé les conquérants qui se sont disputé
Clialcis depuis le moyen âge. Le toit élevé
et oointu, la tour carrée et les fenêtres
gothiques d'une église, attestent la pos-
eession vénitienne avant la conquête de
Mahomet II, en 1470; plusieurs mos-
auées , dans la ville extérieure comme
ans le Kastro , ruinées ou converties en
églises et en caserne, élèvent encore
leurs minarets tronqués, souvenirs de
l'occupation des Turcs ; enOn les forti-
fications rappellent aussi bien ceux-ci
que les Vénitiens, à qui elles ont tour à
tour nui et servi. Le lion de saint Marc
figure dans plusieurs endroits an-des-
sous de créneaux turcs. Peut-être un
observateur expérimenté reconnattrait-il
dans la construction de plusieurs tours
carrées la trace des possesseurs francs du
treizième siècle.
. Le Kastro, situé sur un promontoire,
(i) Environ trois Itenes.
décrit à peu près un triangle dont lé
sommet aboutit au pont , et que la mer
protège* de deux cotés. Au troisiètue
côté, le mur d'enceinte est entoure
d'un fossé, que Ton passe sur deux poDb
pour arriver à deux portes. Pour mini
défendre l'accès de la ville, les Turcs.
au commencement du eiècle, avaiffit
élevé un rempart de terre muni de pa-
lissades, qui fermait tout le promoB-
toire et le traversait de l'une i Tautre
des deux baies qu'il sépare. On le fraDdat
encore aujourd'hui par une por(^ pou
aller à Ërétrie. .
Le pont est, comme de juste, le poiot
le plus fortifié. Il est double, rEorip?
étant divisé, par un rocher, ea (km
parties inhales. Sur la plus étroite, q:-
est seule profonde, est jeté un poote^.
bois , d'une trentaine de pieds de Ion:
Il aboutit d'un côté à la porte du K&-
tro, pratiquée dans une tour ^u\(>
vance en dehors du mur d'enceinte, e:
de l'autre au rocher. Ce pont pouvait sr
lever, au temps des Tiurcs, pour laîgr
passer les navires; il est mamtenant is-
mobile. On avait eu l'idée fort naturflk
de le rétablir dans son ancien état; famé
d^ avoir donné suite, on prive le eoo'
merce d'une communication précieuse.
et Chalcis d'un revenu consiaérabie.
Sur le rocher s'élève un petit fort car-
ré, en partie constmit par les Vénitien
lors de leur première oocupatioD. O
ronelli, dont le voyage a été publié k
1686, un an après la prise de rCégrepos:
par Moro^ini, parle d^ine tonrvénilieoc:
au pied de laquelle on passait après
avoir traversé le grand pont, et où re5
tait encore, au-dessus de la porte, !
lion de saint Marc, cnioique la posses-
sion des Turcs datât de deux cents ans
o'est sans doute la tour ronde qucc
voit aujourd'hui à l'angle nord-ooes!
Le reste est de construction turque.
On passe le grand bras de TEoripe scr
un pont en pierre , d^une clnquautaiw
de pieds, qui communique avec lepcf*'
fort par un pont-levis. Il touche la côtr
béotienne au pied d'une petite montaer -
qui surmonte la forteresse ttnrque àf
kara-Baba.
Pont db l'Eubipe. — Il a exeîf
dès l'antiquité un pont sur r£unf<
mais assez tard, soit que les Chalcidiec5
n'osassent pas entreprendre an-d«s8S
ÎLK D'EUBÉE.
387
de leurs courante mystérieux un trarail
qui n*eût été qu^un jeu pour te puis-
sant génie des Romains ou pour Tîndus-
trie moderne, soit que ce petit peuple
rrijt son indépendftnce fnenaeée par une
commmiieation si direete aveo le conti-
nent. Nous Tojons en effet dans Thu-
cydide que les premiers travaux sur
rKorîpe datent de la vingt et unième an-
née de la guerre du Péloponnèse, à un
moment ou, les Eubéens ayant con-
traeté une aUianee avec Thèbes contre
Athènes, le pont devait toucher une
terre amie. L^entreprise fut énergique-
ment secondée par les Béotiens, qui
Braient intérêt à ce que « TEubée tât
tie pour les autres, continent pour eux. »
On eon«ttt le projet de combler en grande
partie rEuripe au moyen de deux je-
tées établies sur chaque rivage, de ma-
nière h ne laisser de place que pour le
pissage d^un vaisseau, et on l*exécuta
avec une ardeur inouïe. Toutes les villes
béotiennes se mirent à l'œuvre ; tons les
citoyeas, et même des étrangers dorai -
«liés, eurent ordre d^y contribuer. A
Textrémité de chacune des deux jetées
furent élevée des tours , et des ponts
dp bois furent placés sur le canal mter-
médiaire. Au commencement, le géné-
ral athénien Tbéramène, envoyé avec
trente vaisseaux, tenta de s'opposer au
travail ; mais la multitude des défenseurs
le contraignit de s'éloiener.
Du témoignage de DÎodore paraissent
résulter plusieurs conséquences : des
deux ponts actuels , le plus petit seul a
succédé au pont antique ; à la place du
plus grand s'avançait la jetée du rivage
béotien, qui aura été détruite par Fim-
pétuosité de TEuripe ; le peu de profon-
deur du grand bras au-dessous des ar-
ehes en est une preuve; le petit fort
bâti sur rilot , qui peut-être n'est qu'un
reste de la jetée béotienne, et la tour en
saillie, dans laquelle est percée la porte
du Kastro, tiennent la place des fortifi-
cations élevées pendant la guerre du Pé-
loponnèse.
Pendant Texpédition d'Alexandre en
Asie, les Chalcidiens fortifièrent le pont
avec des tours, des murailles et des por-
to, et, pour mieux en défendre l'accès,
enfermèrent dans l'enceinte de leur ville
je Canéthus, situé sur le continent. Se-
lon toute probabilité, le Canéthus est le
nom ancien de la montagne occupée par
lehrlKara-Baba,
Tite-LIve fait trois fois mention du
pont de l'Euripe, et remarque que son
existence rend l'accès de Cnalcis plus
' facile par terre que par mer.
Stranon parle d'un pont de drux pîc-
thres, c'est-à-dire de deux cents pierls.
Ce chiffre, supérieur à la largeur actuelle
de l'Euripe devant Chalcis, ferait sup-
poser que de son temps , sous le règne
o'Auguste, les anciens travaux avaient
été remplacés par d'autres, ou plutôt 11
prouve 1 inexactitude du renseignement :
Il n'est pas probable que TËuripe ait
été élargi, puis réduit plus tard aux pro-
portions qu'on lui voit aujourd'hui.
Comment, d'ailleurs, Strabon ne parle-
t-îl pas de la petite île de l'Euripe, qui
devait certainement exister alors si le
travail béotien était détruit?
Le pont existait au temps de Pline.
Sous le règne de Justinien il était
remplacé par une communication acci-
dentelle qu'on établissait au moyen de
planches. Ce fait paraît encore indiquer
que l'Euripe avait gardé la mCme lar-
geur depuis l'époque de Thucydide; car
on ne conçoit guère que des planches
aient pu être jetées et retirées facilement
au-dessus d'une grande étendue.
L'FuRiPR. — L'Euripe proprement
dit n'est une la partie la plus étroite
du canal d Eubée, comprise entre la mu-
raille occidentale du Kastro et le pieçi
du mont Kara-Baba. Ce nom d'Euripe,
qu'une célébrité particulière a spéciale-
ment attribué au canal de Chalcis, dési-
gnait dans l'antiquité les détroits très-
resserrés où un courant se faisait sentir,
comme ceux de Messine et de Byzance,
ou simplement des bras de mer étroits,
comme ceux c^ï séparaient Cnidc et
Mitylène des cotes qui leur sont oppo-
sées. Il était également applique au ca«
nat plein d'eau qui entourait, à Sparte,
le Plataniste. On sait que les Romains
pratiquaient des euripes dans les jeux
du cirque. C'étaient des canaux artifi-
ciels dont la disposition variait : Hélio-
gabale donna une naumachie sur des
euripes remplis de vin.
Le flux et le reOux de l'Eurine, Tun
des phénomènes les plus merveilleux de
la nature, ont vivement frappé Timagi-
nation des anciens. Les naturalistes, Tes
25.
388
LUNIVERS.
poètes, comme les historiens et les géo-
graphes , n*ont pas manqué une occa-
fiion de les citer. L'Ëuripe a même eu
cet honneur, réservé exclusivement aux
choses remarquables , de passer à Fétat
de métaphore usuelle pour désigner, par
exemple, les caprices <run homme. Gom-
ment se fait-il qu*une préoccupation
aussi vive et aussi constante n'ait pas
amené sinon une explication , qui est
encore à trouver aujourd'hui, au moins
une observation plus attentive.'
La croyance gâiérale, invariablement
reproduite par les poètes latins curieux
d'une fiausse érudition géographique,
c'est qu'il y avait sept changements de
courant pendant le jour, et autant pen-
dant la nuit. Tite-Live seul combat cette
opinion, et prétendque l'Euripe est pous-
se au gré du vent, tantôt d'un côté, tan-
tôt de l'autre. Pline, tout en suivant la
tradition commune, croit que le mouve-
ment (ssstus) s'arrêtait trois jours par
mois, pendant la septième, la huitième
et la neuvième lune. Les premières
observations sérieuses qui aient été pu-
bliées sont celles du jésuite Babîn au dix-
septième siècle. Elles concilient les deux
opinions extrêmes sur la régularité ou
Tirrégularité constante de l'Euripe, et
diffèrent peu de ce témoignage de la com-
mission de Morée : « On sait seulement
« que pendant les six premiers jours
« de la lune, puis du quatorzième au
M vingtième, et pendant les trois der-
« niers, les marées sont régulières; tan-
« dis que pendant tous les autres, c'est-
« à -dire au septième au quatorzième
« et du vingtième au vingt-cinquième ,
« elles sont tellement irrq^ulières, c|ue
n le nombre s'en élève quelquefois jus-
« qu'à onze, douze, treize et même qua-
« torze dans Tespace de^ringt-quatre
« heures. »
Aristote, qu'une tradition suspecte
fait mourir volontairement dans FEuripe,
du désesj^oir de n'avoir pu en pénétrer
la cause, n'en prononce qu'une fois le
nom, en invoquant le phénomène de
ses marées comme un exemple popu-
laire à l'appui d'une théorie sur le flux
et le reflux de la matière subtile à la-
quelle il attribue les tremblements de
terre.
L'Euripe, sous le rapport militaire,
estun des principaux points de In Grèce,
et de rimportanoe attachée à sa pos-
session a dépendu en grande paitie This-
toire de Chalds. L'Eubée et ChaleiseD
particulier lui doivent leur nom moder-
ne : EgripOy Egripo^nisi (ËSpt«s, Eo-
ripos ). Dans la seconde guerre roédiqw.
1^ Grecs avaient songé à y concenmr
leur défense, et fondaient sur la posi-
tion de l'Euripe les mêmes espérancK
que sur celle des Thermopyl^. Lon-
oue, malgré leurs efforts, les Perses sS
turent engagés, le rétrécissement a-
traordinaire du détroit inspira des ii-
quiétudes au commandant de la flotte.
M^abate ; se croyant trahi et atUréda»
un bras de mer sans issue, il fit tuerie
Béotien Salganéus, qui lui servait <ir
guide. Ce souvenir était consacré par k
nom d'une petite ville située à Teotne
de l'Euripe, autour d'un tombeau qw
Mégabate, détrompé, avait fait élèvera
sa victime.
PoBT DE Ghàlcis. — Des deux baies
qui avoisinent l'Euripe et entourent les
murs du Kastro, celle qui est au ssd
n'est facilement navigable que pour le
barques. En face, la côte iMotienoeest
baignée par une baie beaucoup plus
grande, aont le nom, port Fowto (de
poiSpxa, boue), indique le peu de pro-
fondeur ; elle est presque fermée (Tdi
côté par l'Euripe, de l'autre par uo ca-
nal à peu près aussi resserré. A peu de
distance, au sud, sur une prèqoî^
pierreuse^ comme du temps d Homm.
s'élevait Aulis. La baie seplmtriooaie
de Chalcis, dans l'antiquité comme »*
jourd'hui, formait le port ; on le nomnr
maintenant Hagios Minas. L'eau y eâ
profonde jusqu'au pied des murs, gr»d
avantage pour le commerce. Autrefois,
de même qu'aujourd'hui , le bazar* \t
marché principal, touchait au port, oos-
velle facilité pour le transport des mar-
chandises que la mer apportait (f ey^
même des deux côtés jusqu'à la maisoo
des marchands, ou pour récouleinest
des produits. Aussi Chalcis voyait-eUe
se presser sous ses mura des naviRS
étrangers. Rien ne justifie la terrible des-
cription de Tite-Live, qui représeoteee
port agité nuit et jour , soit par des oo*
ragans furieux qui s'élancent des baut^
montagnes des deux rivages, soitparje
mouvement de l'Euripe, qui se préapite
comme un torrent. Il faut senleinfiitre-
ILE D^EUBÉE.
ftS9
eonoattre que tout le eaoa! de TEubée
est sujet à de violents coups ae veut.
Points i>b là yillb antiqub bt
1)b son tbrbitoibb cités dans lbs
auteubs ancibhs; tbaditions di*
vBfiSES. — L'Euripe et ie dessin de ses
Tirages, voilà tout ce que le temps nous
a laissé de Clialeis ; c est-à-dire qu'il en
a emporté tout ee qu'il pouvait. L'ima-
giDation même ne peut pas reconsti-
tuer d'une manière précise la ville an-
cienne, faute de témoignages antiques.
La seule position indiquée dans la des-
cription générale de Dioéarque est celle
de TAgora, qui était contiffué au port.
Elle était grande et ornée oe trois por-
tiques. On y voyait encore du temps
de Piutarque un tombeaa, surmonté
d*une ^ande colonne, élevé par les
Chalddiens en l'honneur de Cléomaque
dePharsale, qui était mort en combat^
tant pour eux contre les Érétriens.
Le même auteur nous transmet en-
core une autre tradition en nous dé-
signant un autre point : des tombeaux
placés le long de la route qui conduisait
de la ville a TEuripe faisaient donner
à l'endroit où ils étaient le nom de té»
puiiure des enJarUs^ 6 naRkov xdE^oç.
Quelle pouvait are cette route, puisque
plusieurs témoignages nous montrent la
riilc ancienne, comme la moderne, tou-
chant à TEuripe et pressée des deux cô-
tés par la mer? Voici la tradition : Lors-
que Cothus et i£clus vinrent habiter dans
TEubée, occupée en grande partie par
les Éoliens, un oracle avait prédit au
iremier qu'il réussirait dans son entre-
)ri8e, et qu'il aurait l'avantage sur ses en-
nemis, s'il achetait le sol. Cothus, étant
iescendu à terre avec peu de monde,
encontra des enfants qui jouaient sur
e rivaee : il s'approche d'eux d'un air
Menveillant, se mêle à leurs jeux, et
eur montre des jouets étrangers ; puis
iuand il voit leurs désirs excités, il leur
lit qu'il ne leur en livrera les objets
fu'en échange d'un peu de terre. Aussi-
ôt les enfants ramassent des poignées
le sable, qu'ils lui donnent, prennent les
ouets, et s'en vont. Instruits de ce oui
'était passé, et se voyant envahis par des
nnemis, les Éoliens tuèrent les enfants.
Test des tombeaux de leurs victimes
iont il s'agit.
Il ne serait pas plus facile de déter-
miner la position de la célèbre Aréthu-
se, la sainte fontaine, comme l'appelait
un antique oracle. Strabon rapporte qu'à
la suite d'un tremblement de terre les
bouches de l'Aréthuse se fermèrent , et
que quelques jjours après seulement
ses eaux se frayèrent un autre passage*
11 se peut que la répétition de la même
cause l'ait fait disparaître pour toujours.
Cette source, dans l'antiquité, était assez
abondante pour suffire a la population
de Chalcis. Sous la domination des Ro-
mains , elle semble avoir été l'ohjet de
leurs soins et de leur magnificence. On y
admirait des poissons apprivoisa , des
mulets, des anguilles parées de pcaulants
d'oreille en or et en argent, qui ve-
naient recevoir de toute main les en-
trailles des victimes et des fromages
frais. Elle fournissait une eau fraîche et
saine, mais un peu saumâtre. Ce dé-
faut était beaucoup plus sensible dans
les autres sources qui entretenaient les
ombrages de la ville. C'est sans doute
pour cette raison que les Vénitiens et
peut-être avant eux les Romains avaient
eonstruit l'aqueduc qui développe der-
rière le Kastro la ligne de ses arches
ruinées.
Les seuls restes de l'époque grecque
sont des tombeaux, qu'on trouve enfouis
dans les jardins, en dehors de la ville
basse, et surtout taillés dans le rocher
d'une petite montagne qui est située
tout pres de Chalcis, au bord de la mer.
La route d'Érétrie passe au pied sur
une chaussée turque ruinée et envahie
|>ar les eaux. Deux sources abondantes
en sortent par plusieurs bouches, et se
mêlent immédiatement à la mer dans
de petits marécages; la carte de l'état-
major a voulu reconnaître en elle la
fontaine Aréthuse. Le sommet de la
montagne est occupé à la fois par une
ruine vénitienne et par quelques débris
helléniques.
EnviBONS DB Chalcis. -* Derrière
cette montagne est la seule partie des en-
virons de Chalcis qui ne soit pas nue
et desséchée. Cest une petite plaine
plantée de vignes, comme l'indique son
nom Ambélia^ où ont poussé queiaues
beaux oliviers, restes des grandes plan-
tations qui entouraient la ville ancienne.
Elle est arrosée par un cours d'eau qui
va se jeter dans la mer, à un petit pro-
89a
L'UmVERS,
okontoiretrès-rapprocbé de la odte béo<
tienne; ce point a été choisi par les
Turcs pour y construire le fort Bourzi^
qui commande l'entrée méridionale de
TEuripe. Le colonel Leake fait de cette
5 laine le territoire de l'ancienne Lélante,
ont la possession fut entre les Cbalci-
diens et les Ërétriens le sujet d'une lutte
acharnée. La plaine de Lélante, men-
tionnée par Homère et connue par ses
vignobles, est en efifet placée par Strabon
dsms ie voisinage de Gbalcis , et était
traversée par un fleuve du même nom.
Le tremblement de terre qui boucha
la fontaine Aréthuse dura « jusau'à ce
« qu'il se fût ouvert au milieu ae cette
« plaine un torrent de boue enflam*
« mée. » Cette tradition, rapportée par
Strabon, semble constater la naissance
des sources chaudes dont il parle ail*
leurs, et dont il dit ^ue Sylla fit usage.
Personne aujourd'hui ne connaît Texis*
tence d'eaux tliermales dans le voisinage
de Ghalois. Sans doute le désir de don*
ner un nom ancien à une ruine belle*
nique située près du village de Sténi, aa
pied du sommet prindpaïdu Delphi, a
fait former avec le pays voisin le déme
des Lélantiens. Cette dénomination ad*
ministrative paraît tout arbitraire.
La plaine aAmbéUa touche au sud à
la plame, plus grande, de f^asiliko, gros
village, au milieu duquel s'élève une tour
carrée, ouvrage des Francs ou des Véni-
tiens, et, au nord, k la plaine de Chalds
proprement dite. Celle-ci est séparée par
quelques collines seulement d'une autre,
plus étendue, en partie cultivée par les ha-
oitants de plusieurs villages, et enfermée
emre la mer et les contre-forts du Deê-
phi à l'est et ceux du Kandéii au nord.
La seconde montagne se détache de la
première pour aller rejoindre le canal
d'Eubée , près du village de Politika, à
quatre ou cinq lieues de Chalcis. Au
nord-est de la plaine la plus septentrio-
nale, une hauteur régulière, qui est si-
tuée À l'extrémité d'une petite chaîne ,
paraît désigner par sa forme et par
sa position i'emplaeement de l'acropole
d'où a dû primitivement dépendre le
territoire environnant, avant que la do-
mination de Chalcis ne se fût étendue
sur tous les lieux voisins. Au moins pa-
raît-il certain que là a dû s'élever une
dea petites villes incranues qu'on est
obligé de supposer, pour ne pas fût
de l'Ëubée ancienne une solitude. Au-
près sont une tour du moyen Age ruinée
et quelques cyprès isolés qui apparte-
naient sans doute à un djiflik turc. A
Quelques pas du petit village de Aostré-
i, on voit dans un champ uneooloDBc
cannelée et unohapiteau ionique, qa'oi
est obligé de remarquer, tant les moio>
dres traces de l'art antique sont rares
dans toute l'île.
Ces trois plaines à^yémbélia, de Ft-
siUko et de Kaêtréia^ ont dû fonaer.
sur le rivage du canal d'Eubée, le ter-
ritoire de Chalcis au temps de son iode*
pendanoe. Jusqu'où cette ville a-t-elle pi
étendre ses possessions dans rinténeor
du Kandili et du Delphi , e'est ce qu'oi
ne saurait déterminer. Il paraît prooaUe
qu'elles comprenaient la masse pnoci-
pale de la seconde de œs montaf(oci.
parvenaient ainsi jusqu'à la mer Ëi^
et partageaient a vec Ërétrie le pays com-
pris aujourd'hui euM le cap de Kmm
et ie mont Ochthomia. Le Bomd'in
seul point nous est conservé , sans aa-
eune indication topographique, ^r^oi-
ra, petite ville d'où Phoeion fit veair da
chevaliers athéniens pendant la guffit
de Tamynes. Par conséquent, elle devait
être entre Chalcis et Erétrie.
La division actuelle attribue à 1'^*
chie de Chalcis tout le versant oectdeii-
tal du Delphi jusqu'à Fathya, prèi de
l'ancienne Ëréârie au sud , et une gnoie
partie du nord de l'Eubée jusqu'à ^ok*
doiidi et Limmi, Cet ensemble fon»
cinq démes : ceux des CkahidiêRS.é»
lÀlanHeniy des OEgéêm, des Kirni-
liens et des Psariens, et est habité ptf
une population de 91,000 âmes.
HisTOiXE DB Chalcis. — Chaloi i
toujours été la principale ville de TEih
bée , et à plusieurs époques en a repré-
senté à elle seule toute rimpoitaiMe>
Dans les premiers temps, comme au^
d'hui, elle en a partagé le nom; ^
s'est appelée Euùée, oomnM toute file
Son nom le phis connu loi a été dôme
par Comoé ou Combé, fille d'Asepus-
qui portait elle-même aussi ceux et
Chalcis et d*Eubée. Une étymolooc
fait venir Chalcis du mot chakoM ( 7^'
xoç, cuivre), parce que ces habitants tn*
vaillèrent les premiers oe métal. 0*
l'avait aussi appelée Hypoeh«leis,det2
OaE D'fiDBtE.
391
poàtioD au pied du mont Chaleis, et
Strmphèle, StiSuu^yiXo^ , même nom que
celui de la ville pélas^que d^Arcaïue,
Stympbala. Enfin, du tempe d*Ëtienne
de Byzanee on U nommait Halicarna.
Occupée d'abord par les Curetés ou
Abantas, o*est sous ce dernier nom,
comme les autres villes énumérées par
Homère, qu'elle envoie ses guerriers au
siège de Troie, et comme elles, on peut
croira qu'elle obéissait à Gbaloodon, puis-
que le fils de celui-ci, Élépbéuor , était
reconnu comme chef commun de Fez-
peditioQ. Plusieurs opinions anciennes
attribuent sa fondation à Pandorus, fils
d'Érechthée, longtemps par conaé^uent
avant la guerre de Troie. Posténeure«
ment à ce fait, elle se ressentit', avant
le reste de l'île, de Finvasiou des Ioniens
attiques partis sous la conduite d*iEclus
et de Cothus.
Un roi des Curetée, Phorbas , fut tué
dans une guerre par le second Ërech-
tbée; et une dynastie s'établit à partir
d'Aioon, fils du vainqueur, qui fut lui*
même père d'Abas, grand-père de Chai*
codoQ et aïeul d'Éléphénor. Cbalcodon
vainquit dans une ^erre les Tbébains,
et lei jssujettit; mais lui-même fot tué
à Leoctres, dans un autre combat, et les
Tbébains, commandés par Amphitryon,
recouvrèrent leur indépendance. LedeN
Qier roi de Chalcis, Amphidamas, con-
temporain d'Hésiode, fut tué dans un
ies combats qui se livrèrent au sujet de
Léiante. Mais cette merre de Leiante,
>ien qu'elle soit un des faits les plus re*
narquables des premiers temps de
'histoire grecque , ne répond pas à une
iate mieux déterminée que répoque de
a vie du poète. Le nom d'Hésiode en
ndique seulement la haute antiquité.
Ce qu'il y a de particulier dans cette
utte, c'est que pendant tout ee grand
Btervalle qui sépare les guerres médi-
tues de la guerre de Troie elle seule
présente le spectacle de plusieurs pen-
*Jes grées associés peur un but com-
mun : le reste de la Grèce se divisa pour
e ranger du côté de Cbalcis ou d'Éré-
rie; on vit même figurer dans les deux
•artis Samos et Milet , une tle éloignée
t une ville de l'Asie Mineure. Une ins-
ription curieuse, qui existait encore du
Mops de Strabon dans le temple de
)iane Amaiysia, prts d'Érétrie» prouve
racbarnement des deux ennemis; elle
défendait l'usage des projectiles, et or-
donnait de combattre de près ; c'était
la tradition des belliqueux. Abantes.
La bonne intelligence se rétablit . on
ne sait comment, entre les deux villes;
mais elles tombèrent pour toujours de
ce haut degré d'importance oui avait
mis un instant chacune d'elles à la
tête d'une moitié de la Grèce.
A la royauté succéda dans Chalcis le
gouvernement aristocratique. Les pre-
miers citoyens, chefs de TÊtat, portaient
le nom d'Hippobotes, et devaient être
assez riches pour nourrir des chevaux.
Cette aristocratie de chevaliers subsista
longtemps au milieu des révolutions in-
térieures qui agitaient la ville et des
vicissitudes qu'elle subit. On la voit
mentionnée immédiatement avant les
guerres médiques , et soixante ans plus
tard, sous Périclès, qui la ruine. Peut-
être pourtant en retrouve-t-on encore
les derniers restes au moment où la
guerre d'Aehaïe se termine par la ré-
duction de la Grèce en province ro-
maine: il est alors question de la cava-
lerie cbalcidienne , impitoyablement
massacrée par les Romains.
L'histoire ne nous détaille pas toutes
les dissensions qui de la forme aristo-
cratique jetèrent les Chalcidiens» tant
3u'ils eurent un gouvernement à eux,
ans des alternatives de démocratie, d'o-
ligarchie et de tyrannie. Deux ou trois
noms de tyrans, qu'il faut placer avant
ou peu après les guerres médiques , ne
rappellent aucune date précise : Anti-
léon , à la tyrannie duquel succéda Toli-
garchie ; Phaxus , qui fut tué par le peu-
1>le ; eu même temps furent massacrés
es citoyens de la première classe : ce
fut donc une révolution démocratique.
Probablement avant tous les deux, Tyn-
nondas, antérieur à Selon, à qui les
Chalcidiens, dans un moment de fa-
tigue, avaient oSert la tyrannie. Plus
tard, les influences étrangères vinrent
encore ajouter aux troubles du gouver-
nement.
Toute cette période peu connue de
l'histoire de Chalcis , qui s'étend depuis
ses rois jusqu'à la fin du sixième siècle,
fut pour cette ville , comme pour toute
rEubée , la plus florissante. L'extension
extraordinaire de ses colonies atteste à
3d3
L'UNIVERS.
la fois sâ puissance maritime, le déve-
loppement de sa population et l'activité
du caractère de ses habitants. Les dis-
sensions qui la déchiraient, loin de ra-
lentir ce mouvement de colonisation, l'ac-
crurent encore, en portant les vaincus et
les mécontents à s*expatrier , et Chaicis
devint une des métropoles les plus fé-
condes de toute la Grèce.
Colonies de Chalcis. — C'est de
cette ville que partit la plus ancienne
des colonies que la Grèce envoya vers
rOccident; elle alla fonder Cumes en
Italie, dès le onzième siècle avant Jésus-
Christ. Strabon lui donne pour chefs Mé-
gasthène, de Chalcis, et Hippoclès, de
Cumes en Asie; mais comme il résulte
des témoignages de Velléius Paterculus
et d'Eusèbe quç la fondation de Cumes
en Italie précéda celle de Cumes en Asie,
il se peut qu'Hippoclès soit venu d'une
autre ville de Cumes en Eubée. Cumes
d'Italie fonda elle-même Nola et Abel»
hj Dicearchi et FalœpoUs (I>ïaples)
dans ritalie; et dans la Sicile, Zancle,
Tauromenium , CaUipolU et Euhœa.
Mais c'est surtout au huitième siècle que
Fesprit aventureux des Chalcidiens se
développe en multipliant les entreprises
lointaines. Il fut aidé par la situation de
la Grèce à cette époque , agitée elle aussi
par des révolutions, et particulièrement
parla situation du Péloponnèse, où plus
d'une ville voulut échapper à l'oppres-
sion lacédémonienne. Chalcis , dont la
population eût été. insuffisante, a dd
souvent demander aux pays étrangers
des compagnons et les entraîner à la
suite de ses chefs. Ses émigrations se re-
portent versIaSicileet l'Italie. En Sicile
elle ionétNcixoSy dans la première année
de la onzième olympiade. Six ans après,
LeonUwhfh est fondée parles Chalcidiens
de Théoclès , déjà chef de la colonie de
Naxos ; Catane , par ceux d'Évarehus.
Les Chalcidiens , associés à des Mes-
séniens, fondent Rhegium, Ils vont aug-
menter la population de Zancle et celle
d'Himère, sa colonie, où ils se confon*
dent avec les Syracusains , d'origine Co-
rinthienne.
En même temps, ils opèrent un mou-
vement encore plus important vers la
Thrace, où les appelle un certain Théo-
dus. Trente-deux villes leur durent leur
existence; elles formèrent plus tard une
confédération, à la téta de laquelle fat
Olynthe. La presqotlede la Chalddiqw:
a pris son nom de ces colonies. Érétrit
contribua à peupler l'Athos. Enfin Oial-
cis fut la métropole des îles d'Ioa , de
Sériphe et de Péparètbe.
Ce nombre inouï des colonies de Chal-
cis en même temps que les agitations
intérieures qui en étaient les causes de-
vaient l'épuiser et l'affaiblir. On voit ce-
pendant par l'importance que les Athé-
niens attachaient à une victoire rempor-
tée sur elle dans les dernières années
du sixième siècle, qu'à cette époque elle
était encore une ville puissante.
Les Chalcidiens s'étaient unis ain
Béotiens pour attaquer Athènes, au mo-
ment où sa liberté naissante était me-
nacée par le roi de Sparte Clëonw&e.
Une fois délivrée de ce pressant dan^.
Athènes songea à punir l'agression des
deux peuples alliés. Une double victoire
remportée le même jour sur les Béo-
tiens, près dei'Euripe, et dans rEubée
même sur les Chalcidiens , procura an
Athéniens une vengeance éclatante : ils
laissèrent quatre mille colons sur les
propriétés des Hippobotes, retînnuc
quelque temps enchatnés les prisoD-
niers qu'ils avaient faits, et ne leur ren-
dirent la liberté que pour une rançon
de deux mines par tête (506). Cesaeôes
d'Athènes fut la première marque sen-
sible de raocroissement de sa puissance.
Il semble , d'un antre côté, avoir porté
un coup décisif à la prospérité de Chal-
cis. Du moins est-on surpris du rôle se-
condaire que cette ville joue bientôt
après dans les guerres médimies. Chal-
cis, la métropole de tant de colonies
lointaines, est obligée d'emprunter dts
vaisseaux à Athènes pour paraître à Ar-
témisium et à Salamine. Cependant le
nombre de vingt, qui lui est nécessaire,
lui conserve même alors son rang, aa
moins en Eubée.
Situation db Chalcis bt su es-
nBRAL DB l'île D'EUBBB APRBS LSS
GUBBBBS MÉDIQUBS. —
l'indépendance de Chalcis et de Ti
en général n'existe plus, et les cârcoos-
tances particulières où sont jetées ks
différentes villes de l'Ile ne suffisent pas
pour leur composer one histoire qu
leur appartienne en propre. Pour Cbal*
cis, comme pour les autres, la proiee-
ILE D*£UBÉ£.
39S
Uond^Atbènes, après l'esDulsion des
Perses, s'était cbangëe en aoinination.
Toute TEubée se révolta après la vie*
toire des Béotiens, à Coronée sur Toi-
midas, général athénien. 'Périclès passa
dans lUe avee cinq cents vaisseaux et
eioq mille hommes, et la soumit tout
entière. Cbaleis fut en particulier l'objet
de sa vengeance. Il chassa les Hippobo-
tes, et partagea leurs propriétés à deux
mille colons. Il consacra aans la plaine
de Lélante des temples à Minerve, et
afferma le reste du territoire : les loyers
furent inscrits sur des colonnes placées
près du Portique-Royal ; les captifs fo-
rent retenus enchaînes en prison (446).
Pendant la guerre du Péloponnèse ,
la possession de l'Eubée était ae la plus
haute importance pour les Athéniens ,
tt sa perte leur porta un coup foneste.
lorsque, d'après le conseil de Péridès,
ils quittent la camps^e pour se ren-
fermer dans la ville ^ c'est principale-
ment dans cette tle qu'ils envoient leurs
troupeaux. Cest elle qui les approvi-
Qonne, et quand l'occupation de Décé*
ie par les Laeédémoniens intercepte la
route de l'Euripe, Athènes ^ privée de
vssources et bloquée, est réduite à la
)lus grande détresse»
Aussi les Athàiiens entretiennent-ils
loe flotte pour garder l'Eubée, soit
entre les incursions des Béotiens et des
iOcriens, soit contre les vaisseaux du
Péloponnèse. Cest une victoire navale
ui décide, dans la 21* année, la con-
liéte de l'Eubée par les Laeédémo-
ieos : toute l'tle, sauf Oréos, se sou-
ive et reçoit leur organisation. Pendant
)ute cette période, Cbalds, qui garde (e
Mivenirde Texpédition de Périciès,
Nie un rôle complètement passif. Les
balcidiens ne sont les soldats d'aucune
iuse ; Athènes préfère qu'ils ne soient
as organisés pour la guerre et ne f our*
issent que des contributions d'argent,
est de cette manière qu'ils concourent
l'expédition de Sicile.
L'Eubée n'était pas destinée à rester
)us la domination de Sparte; ses mat-
es les plus naturels étaient les deux
"ands peuples dont elle était voisine,
s Athéniens et les Thébains. Elle com-
ittit avec eux, et partagea leur défaite
Coronée (993). De même aussi, peu de
mps après elle était associée aux suc-
cès d'Épaminondas et le suivait deux
fois dans le Péloponnèse. A près le déclin
si rapide de la puissance thébaine , elle
tombe dans une période d'«^itation qui
ne se termine que par la donunation ma-
cédonienne.
Athènes tenta d'y rétablir son influen-
ce, d'abord en luttant contre les Thé-
badns, puis bientôt en combattant un
ennemi plus dancereux, qui devait l'em-
porter par l'habileté de sa politique, plus
encore que par les armes. Démostbène
fit les plus grands efforts pour empêcher
Philippe de Cadre de cette lie « une for^
teresse menaçante pour sa patrie » et de
consommer une conquête fatale à la li-
berté de la Grèce.
Alors, par un rare privilège , l'his-
toire de 1 Eubée pendant quelques an-
nées se lit dans les pages éloauentes
des deux plus grands orateurs d'Athè-
nes , Démostbène et Eschine , qui dans
leurs luttes oratoires tirent de la con-
duite au'ils ont tenue pour la liberté de
cette tle d'inépuisables motifiB d'accu-
sation ou d'apîologie. Néanmoins, c'est
une triste histoire. Les luttes de partis,
les intrigues, les exemples de vénalité
et de trahison se multiplient dans chaque
ville au point de rendre la connaissance
de la vérité presque impossible; le ré-
sultat seul n'est pas douteux, c'est la
malheureuse situation du pays où se
passent ces misérables scènes. Voici
quelques faits qui se dégagent de cette
confusion.
En 358, les tyrans Mnésarque et Thé-
mison dominaient, le premier à Chalcis,
le second à Érétrie. Tous deux avaient
commis des actes d'agression contre
Athènes, Thémison surtout, en s'em-
parant d'Oropos au mépris de la paix
(865). Cependant, lorsque plus tard ils
sont menacés par les Th!^ains, Athènes
les secourt avec la plus grande activité;
trois jours lui sufusent pour terminer
son expédition. Démostbène, qui y con-
tribua comme triérarque , rappelle sou-
vent ce succès, et le propose comme un
exemple de salutaire énei^e à ses apa-
thiques admirateurs. Il répète les vives
exhortations par lesquelles Timothée fit
décider l'entreprise d'enthousiasme :
«Vous délibérez quand les Thébainssont
« dans l'Ile 1 vous ne remplissez pas la
• mer de vos galères 1 vous ne vous élanr
994
Lt}NIVER&
« ces |>fts dèi maintenant pour courir
«auPirée! »
Cette première expédition d'Àtliànes
semble avoir été suivie presque aussitôt
d'une seconde, dirigée dans Je même
but et contre les mêmes ennemis. £s«
cbine en perle avee autant d'éloges :
« £n oinq jours tous seeourâtes les
« Eubéens de vos vaisseaux et de voira
« armée; en moins de trente vous ohas-
« sâtes les Thébsins, réduits à capituler. »
Diodore, au contraire, représente
cette guerre comme le résultat des di*
visions des Eubéens , dont les uns ap-
pellent le secours de Thèbes , les autres
celui d'Athènes. 11 dit qu'elle se traîne
dans de petits engagements où Tavan*
tage est partagé , et que les deux partis,
fatigués et rumés, finissent par faira la
paix.
Dès lors le parti thébain disparatt
presque complètement i et est remplacé
en Eubée par celui de Philippe. Grâce
aux soldats, à l'argent, aux promesses
du roi de Macédoine ^ les troubles aug-
mentent, les tyrannies se succèdent et
s'établissent plus fermement; les anibi*
tieux se multiplient et changent impu*
demment de parti, suivant Tavantage
du moment. Telle est la conduite de Cal*
lias, dis de Mnésarque , l*homme le plus
influent de Cbalds. Gallias agitcontre les
intérêts des Athéniens , puis obtient son
girdon, c'est*à-dire revient à leur oaute.
ientôt après, « sous prétexte d'assem^
« bler à Chalcis un congrès eubéen , dit
<t Eschine, il arme l'Eubée centre Athè-
« nés, et se fraye un chemin à la tyran*
« nie. Espérant l'appui de Philippe , il
« court en Macédoine, s'attacne aux
« pas du prince et compte parmi ses &-
« vorJs. Ensuite il l'offense, s'enfuit, et
« se jette dans les bras des Thébains. Il
a les abandonne aussi , plus variable
a dans ses tours et retours que rËuri{)e,
« dont il habitait les bords, et il tombe
« entre la haine de Thèbes et celle de
« Philippe. Alors 11 achète rallianee
« d'Athènes. «Telest jpourtantl'homme
que Démosthène est vareé d'associer à
ses efforts. C'est son ami, de même que
les tyrans protég[és par Philippe , Cil*
tarque et Philistide , sont ceux d'Ës-
chine.
Athènes pendant ce temps n'a d'autre
politÉque que d'attaquer lee partisans de
Philippe et de sonteofar tons eeox fà tt
déclarent contre loi. Ainsi die repoad
imprudemment, et malgré l'avis de Dé-
mosthène lui*même, à l'appel de Pin-
tarque, tyran d'Érétrie, oui se voyait
menacé pîar le prince maeédonieo. En*
gja^és, près de Tamynes, dans oae po-
sition diffidle, sans espérance de sefloun
ni par mer ni par terre , pn»sés à la fois
Kr les ennemis au'iis sont venus eooh
ttre, et par Caliias et son frère, Tiih
rostbène, qui arrivent avec des mem-
naires de Phocide pour les écrasa, lo
Athéniens m sortent de tant de périls
que par une victoire inespérée de Pho-
cion, leur général (841). Aussi la nou-
velle de ce succès causa-t*elle la plus
grande joie à Athènes; Esdiioe es fut
le porteur, et fut couronné pav le peupii:
unecourr !ie lui avait déjà été deeena
Êar les diefs, stw le lieu même du obb-
at.
Cette expédition des Athéniens fut
stérile pour leur influence. PboeioD,
après avoir été obligé de diasser Pin*
tarque d'Érétrie, abandonna oette wilii
à ses dividons. La tyrannie de Piutai-
que y est bien vite remplacée par «Ik
des trois prindpaux partisans de Plu-
lippe, Hipparque, AutomédondGlttf-
que. Leur protecteur, en les établinut
sur les Érétriens, envoie Hippeaica
avec mille soldats étrangon détraiie i«i
murs de Porthmos, point fortifié daos
le voisinage d'Érétrie.
C'est à ce moment qiM Démosllièu
déploie en Eub^ la plus grande aetiuif :
c*est alors qu'il veut, comme le répéuii
ironiquement Eschine ,«par l'dlianoedt
Thèbes et de l' Attique , élever sur la
frontières d'Athènes un rempart dai-
Fun et de diamant. Il faut croire, mal-
gi<é les attaques de son ennemi poli*
tique, à la pureté de ses intentioos d
même au succès dont elles furent d>
bord suivies. Athènes le reconnut eo
lai décernant une couronne; et si Ton
met en doute la valeur de ce ttnioi-
gnage, trop prodigué en effet pour
n'être pas suspect, on doit avoir coa*
fiance dans la tradition honeraUc
qui s'est établie cbea lea andens w
sujet de la oonduite du grand onteor.
Démosthène réussit donc à ergadser
une alliance générale de tente l'Eab^
avec Athènes. Chidda éttit à la tâe es
ILE I>*BUBÉB.
99&
36tt6 espèee àteonÊiééntion enbéenne ;
:esi dans ses mun que m tenaient
les assemblées générales. Érétrie et
)réos prirent part à Fentreprise. Malbeu-
eosement, soit par les lenteurs des
ithéoiens, soit par l'aseendant de la
brtuoe de I^lippe , soit surtout par
a profonde corruption, du pays» oe
projet échoua. Ërétrie> même sous la
jnrsonie de Glitarque, et Oréos payé-
«Dt ohaeune exaetement einq talents,
eur part de la contribution générale de
outes les villes d'f:ttbé8{40 talents).
)n ne sait œ que devint cet argent
ntre les mains de Callias, l'organisa*
eur de Tentreprise , et là sa bornèrent
0U8 les résultats. A Qréos, Tamour de
a patrie et do la liberté semble vivre
ivec plus d'énergie; mais, ruinée par la
luerre contre Philippe, épuisée corn*
^létement par cette oontributionde cinq
alents, déchirée par des factions, enfin ,
[uaod l'ennemi est sous ses murs, elle
tti est livrée par Pbilistide et par le resta
lu parti maoMonien. Pbilistioe, en pos-
essiondela tyrannie, établit son au*
oiité par des violences. Érétrie reste
ous la domination du tyran Clitar*
[ue, et deux tentatives Qu'elle fait plus
ard pour veceuvrer sa liberté n'abou-
ineot qu'à rendre son asservissement
ilus complet et plus dur. Philippe punit
tt Êrétrieos en leur prenant leur terrî*
oiie et en le faisant occuper par des
roopes étrangères, d'abord sous la cou*
'nite d'Ëurylocbus, puis sous celle de
^arrnénion. La victoire de Cbéronée
}38), remportée surTbèbes et sur Athè-
nes, confirma la domination macédo^
tienne en Eubée.
Sous le règne d'Alexandre TËubée
l'a pas d'histoire; après sa mort elle
stf comme ^ute la Grèce, disputée
ttrses généraux. Possédée d'abord par
^Dtipater, elle resta presque constam-
oent entre les mains de Cassandre,
i)algié deux oonquêtes momentanées
l'Ântigone et de Démétrius Polioroètei
i il la transmit avec son royaume à ses
successeurs. Le nom de l'tle est compté-
ement oublié au milieu des agitations
ndwéquentes de la Grèce, et ne reparaît
)lu8 qu'au moment de l'arrivée des Ro*
nains.
, A partir d'Alexandre, seule de toute
^£ubée, Chakis voit grandir son \w^
portance par le fait môme de rabaisse-
ment général de la Grèce. La Grèce,
perdant son rang de puissance active ,
est devenue elle-même, comme l'Eubée ,
une proie disputée par des matures étran-
gers. De là vient la valeur des oositions
avantageuse^ pour une conquête géné-
rale du pays. Cbalcis , de même que
Déroétriade et Corinthe, est appelée par
Philippe^ ennemi des Romains, une des
trois chaînes de la Grèce. Son rôle
consiste surtout à recevoir de ses mai-»
très des garnisons que lui enlèvent les
prétendus libérateurs de la Grèce, pour
donner un témoignage éclatant de leur
sincérité. £lle est ainsi délivrée par
Démétrius Poliorcète et plus tard par
Flamininus , après la proclamation so*
leunelle qu'il fit faire aux jeux isthmi-
ques.
Pendant la première guerre de Ma*
eédoine, un coup de main rendit G. Clau»
dius Centhon maître de Cbalcis, au'ûne
navigation heureuse lui permit ae sur-»
prendre la nuit (200) : les greniers de
Philippe sont incendiés, les prisonniers
Qu'il avait placés dans cette ville, comme
dans le lieu le plus sdr, délivrés; les
Romains, trop raibles pour garder leur
conquête, se retirent après 1 avoir sao-
oagM. Philippe accourt de Démétriade,
mais n'arrive que pour voir fumer les
ruines de Cbalcis, à demi brûlée. « Il y
laisse quelques hommes pour ensevelir
les morts , » et se porte en toute hâte , h
travers la Béotie, sur Athènes, occupée
par les Romains. Il ne peut la prendre,
mais lui fait supporter de barnares re-
présailles : il incendie le Lycée, le
Cynosarge , détruit les tombeaux , les
temples, les statues, et, dans son ardeur
de vengeance, fait briser jusqu'aux
pierres des monuments renversés.
Après la guwre contre Philippe , c'est
naturellement le parti romain qui do«
mine à Cbalcis. Au commencement de
la lutte contre Antiochus, en 193 , il fit
échouer, avec le secours d'Érétrie et de
Carystos , une tentative de Thoas , ehef
des Étoliens. il résista de môme au»
instances d' Antiochus, qui vint se pré<>
senter aux portes de la ville, et qui fut
obligé de partir sans en faire le siège «
faute de troupes suffisantes. Mais le roi
de Syrie revint bientôt avec des forces
phis eoBsidérableSt et cette fois , msJgré
39G
L'UNIVERS.
tes efforts des partisans de Rome , qui
furent eux-mêmes obligés de quitter
Chalcis, les portes furent ouvertes sans
résistance. Quelques soldats romains,
dans le petit fort de rEuripe, et des
Acliéens, à Salganéa, sedéfendirent seuls.
Ce succès entraîna la soumission de
toute TEubée. Antiochus passa l'hiver
à Chalcis, et y donna , à cinquante ans
passés, le ridicule spectacle de son amour
et de ses folies pour une jeune Cbalci-
dîenne , nommée Eubée , qu*il épousa.
Malgré les promesses des Romains et
rétalage de leulr générosité , Chalcis eut
à souffrir plus d'une fois de Toppression
des préteurs destinés à la protéger ; elle
porta ses plaintes au sénat, qui en tint
compte et entoura d'égards son ambas-
sadeur. Miction, le plus chaud partisan
de l'alliance romaine. Néanmoins, dans
la guerre d*Achaïe on voit les Chald-
diens entraînés à la suite des Béotiens
et vaincus avec eux aux Thermopytes
par Q. Cœoilius Metellus. Ils payèrent
cette révolte contre des maîtres trop
puissants par la destruction de leur ville
et 'une amende de cent talents, qu'ils
payèrent de moitié avec les Thébains.
L'Eubée fut comprise dans la pro«
vince romaine d'Achaîe. Au siècle sui«
vaut elle fut soumise, avec toutes les
Cyclades, à Mithridate par son lieutenant
Archélaûs. Ce fut la dernière de ses
épreuves ; plusieurs siècles de tranquil-
lité lui furent désormais assurés sous
)a domination de Rome. L'empereur
Justinien, en faisant réparer ses forti-
fications, la mit en état de jouer pen-
dant le moyeu âge le rôle auquel t'ap-
pelait d'ailleurs sa position.
Telle est dans Tantiauité l'histoire de
la principale ville de l'Eubée , histoire
vide, malgré tant de vicissitudes; rare-
ment intéressante , quoique le sort de
toute nie V ait souvent été attaché , et
qu'elle ait été impliquée elle-même dans
les luttes les plus importantes de la
Grèce. Ce fut la destinée de ce mal-
heureux pays de l'Eubée , que tous ses
éléments de prospérité, la richesse du
territoire, les avanta^^ de position,
n*aboutisent qu'à en faire une proie ar*
demment disputée. Les discordes civiles,
les mouvements désordonnés des factions
consumèrent les forces des villes : au-
cune ne put élever une puissance asae^
solidement établie ni se constituer mw
existence assez forte pour se garder qik
place au moment du développement, si
prompt et si énergique, des grandes
villes de la Grèce. Les maîtres se sum-
dent dans l'île, rien ne s*y éudilit etoy
^ tombe que parla force; et dans toutes
"ces luttes dont elle est le théâtre iloN
a jamais de victoire pour elle, il n'y a
que les dévastations et les calamités.
Les efforts de ses habitants se perde&t
dans des intrigues misérables ou de
calculs d'ambition personnelle ; elle est
déchirée par des partis qui travaitlcot
pour des étrangers. Tout germe d'iode
pendance est de bonne heure étouffées
elle , comme tout élan de rintelligroa
arrêté. Aussi de cette histoire agiM
n'a-t-elle conservé ni la triste gloire qui
reste aujourd'hui à d'autres provinces
de la Grèce, celle des ruines; ai les
illustres souvenirs du développeinat
artistique et littéraire. Les pierres s j
sont écroulées et dispersées, au poûk
qu'elles nous laissent à peine non pe
un seul fragment reconnaissabie d'à
beau monument, mais deux ou trots
murs de villes, dont les restes ne préserr
tent q[u'un aspect firoid et sans grandeur.
Chalets, la première cité de itle.Ca-
rystos , Oréos ont disparu sans laisser
d(B traces ; et, à défaut de ruines, on d^
manderait inutilement à l'Eubée ob
chef-d'œuvre littéraire, ou même un de
ces noms populaires, quoique déposicdcs
par le temps , que nous révérons sur l3
foi de l'admiration antique.
Hommes illustbbs ds l'Eubée.-
Chalcis cependant semblait desunee i
occuper une place brillante dans le dffe-
loppement du génie grcNC. Elle était la pa-
trie de Linus, mystérieux représentaci
des âges les plus reculés. Quand la poésx
née en Thraoe tend à descendre, parie
Parnasse, l'Hélicon et Tbèbes, t«s^
Athènes , une tradition veut au'eile se
soit rencontrée à Chalcis avec la poésie,
plus douce , née en lonie , et que œm
ville ait été le théâtre de ieurhitte:
Hésiode, l'élève d'Orphée, et Hotnère.
le poète de Smyrae, s'y seraient livré n
combat poétique , où le premier aoia^
été vainqueur; jugement que le senti-
ment postérieur de l'esprit grec n'a p»
confirmé. Le poète d'Ascra parle hii-
même avec orgueil de son trioaiplKi
ILE D'EUBÉE
a»7
lans nommer ses rivaux, et dit qu'il a
!onsacré aux muses de l'Hélicon le tré-
pied proposé comme prix de la victoire
lar lesOlsd'Ampbidamas. A l'élue de
^ausanias on voyait encore près de la
ontaine Aganippe le trépied d'Hésiode.
Plus tard, Chalcis, et avec elle Ërétrie,
ans rester étrangères au mouvement
l'Athènes, leur voisine, qui est devenue
1 patrie presque unique des arts, de la
ioésie et de Féloquence , ne font que le
uivre d*assez loin ; ensuite, elles se rat*
achent à l'éooled'Alexandrie quand cette
ille prend le rôle glorieux d'Athènes.
A la première époque, Chalcis fournit
'orateur Isée, qui développe son talent
oiD de sa patrie, et va recevoir des leçons
fisocrate pour en donner lui-même à
)é[nostHène; et un peintre, Timagoras,
[ni, dans une lutte de peinture aux jeux
mythiques, vainquit Panœnus, frère de
Phidias et artiste célèbre, et chanta lui-
néine sa victoire. Érétrie produit le poète
ragique Achœus, rival d'Agathon, et le
|hilosophe Ménédème, l'un des pères de
'éclectisme, celui qui dispute à Phédon
'honneur d'avoir fondé l'école d'Ëlide.
E)ans les arts on ne connaît de cette
illle que le nom du peintre Philoxénus
!t celui du sculpteur Philésias. Le chef-
fœavre du premier représentait! une
rictoire d'Alexandre sur Darius; il avait
défait pour Gassandre, roi de Macé*
^oine. Pline le vante beaucoup, et parie
aassi d'un tableau du genre comique
où était représenté le restin de trois
Bilènes. Philoxénus appartenait à une
école qui se piquait de peindre avec une
surprenante rapidité. Il perfectionna
i^ procédés anciens, et en trouva de
nouveaux. Philésias était l'auteur d'un
Ixeuf en bronze, consacré à Olympie par
ïes Erétriens.
Pendant la période Alexandrine,
Chalcis seule représenta le mouvement
littéraire de l'Eubée. Elle vit naître Ly-
<^phron, l'un des poètes les plus préten-
tieux de la pléiade qui brilla à la cour
<^e Ptolémée-Philadelphe : ses tragédies
étaient d^à des énigmes pour Tzetzès,
^U8 le Bas- Empire; Euphorion, qui
|Ut bibliothécaire à Antiocbe, auteur d'é-
'égies, d'épigrammes, historien etgram-
i^airien ; enfin Thistoriographe Philippe.
l^^n somme, ni l'Eubée ni Chalcis
^Q particulier n'ont eu de vie qui leur
appartînt en propre , pas plus sous le
rapport intellectuel que sous le rapport,
politique. Chalcis a fourni un faible con-
tingent aux grands centres qui l'ont
attirée. Il est à remarquer cependant
que, soit par l'agrément de sa position
au milieu de sources ombragées, au
bord de l'Euripe et près des grandes
villes de Thèbes et d'Athènes, soit à
cause du caractère et des dispositions
de ses habitants, ce fut un séjour aimé
des étrangers. Théognis, au sixième
siècle, quitta plus d'une fois pour Chalcis
Thèbes, sa résidence habituelle depuis
qu'il avait abandonné Mégare, sa patrie.
Aristote, poursuivi par l'hiérophante
Eurymédon, vint y chercher la tranquil-
lité, et V finit sa vie. Dans son testa-
ment, il laisse à Herpyllis, sa fille adop-
tive^ un logement a Chalcis, près de
son jardin. #n sait que, par sa mère, Aris-
tote était d'origine cbalcidienne. C'est
également dans cette ville que vint
mourir le philosophe Bien, originaire
d'Olbia sur les bords du Borysthène.
Après une vie fort impie, elle le vit
à son dernier moment s'efforcer , par
une foule de pratiques religieuses , de
désarmer la colère des dieux.
Dicéarque vante les Chalcidiens, la
pureté de leur race et de leur langage,
leur amour des arts , leur nature géné-
reuse et libérale, qui avait résisté a l'ia-
fluence avilissante de la servitude, et
cite à l'appui de son jugement un vers
du poète Philiscus : « Chalcis est ha-
« bitée par la vraie et bonne race des
« Hellènes , xP')<'t<>^^ o^p' l<r^ i\ XaXx\ç
Les Chalcidiens étaient primitivement
célèbres par leur habileté dans le ma-
niement de la lance. On représente les
premiers Abantes comme une race guer-
rière,qui méprisait dans la guerre l'usage
de l'arc et de la fronde, mais combattait
de près l'épée à la main.
A tant de qualités il faut opposer un
défaut, si nous en croyons les railleries
des poètes comiques sur Tavarice des
Chalcidiens, passée en proverbe. Cette
disposition avait pu être développée par
le commerce, qui florissait chez eux,
grâce à la position de leur ville. Aux
époques les plus agitées de leur histoire,
leurs affaires n'étaient point interrom-
pues ; il y avait à Chalcis de très-grandes
SM
LUmVBRS.
fortunes. Lors dd la tentative de TÉto*
lien Thoas , c*est un riche marchand ^
Hérodote Gianus , qui favorise le plue
cette entreprise.
. f.BBTBiE. — Au 8Ud-est de ya$iUko,
après avoir suivi pendant trois heures
tin chemin resserré entre la mer et les
dernières pentes du mont Olymbos, on
trouve, à l'entrée d'une plaine, la ville
d*Érétrie. Un rocher escarpé se détache
des montagnes qu'on vient de longer,
et s'avance du côté de la mer; c'est
l'emplacement de l'antique acropole. Au
bas s étend jusqu'au rivage la ville mo-
derne Ahtria^ ^AXérpia , comme l'appel-
lent les habitants. C'est on curieux
exemple des entreprises avortées du
gouvernement ^ec. Il a sérieusement
songé à ressusciter l'ancienne rivale de
Ghaïcis; sur un espace suffisant pour
une grande ville , il a dessiné un plan ,
tracé des rues larges et régulières;
mais il a négligé de dessécher un marais
voisin, et les (lèvres ont arrêté le déve*
loppement de la nouvelle fondation. Il
en résulte un ensemble singulièrement
trifite : sur ce vaste terrain sont dissé-
minées des ruines toutes réoentes, et de
distance en distance sont quelques niai->
sons habitées ; dans une seule partie ,
elles se suivent à des intervalles assez
rapprochés pour former à peu près un
côté d'une rue. Cependant, malgré la
persistance du fléau, un certain nombre
(le constructions récentes indiquent de
nouvelles et courageuses tentatives
d'habitation; et même nulle part en
Eubée , sauf à Chalcis , les maisons ne
sont plus belles.
Le mur d'enceinte de l'acropole avec
ses tours carrées reste en grande partie;
on en suit la ligne sur toute la pente
orientale de la hauteur ; à l'ouest il est
remplacé suffisamment par des rochers
escarpés. C'est une forte position , dé-
fendue d'un côté par un marais, et de
l'autre par un ravin profond. Au pied
de l'acropole, à l'est, à l'ouest et surtout
au sud , jusque stir remplacement de
la ville moderne, des traces de murs et
de constructions antiques couvrent un
grand espace , mais nulle part elles ne
s'élèvent à un pied au-dessus du sol.
Bu côté occidental, sur une colline
artificielle, est un théâtre, tourné vers
la mer : à peine recounatt-on quelques
C 'erres des gradins au mUieu désherbes;
forme seule subsiste.
Il j avait eu dans l'antiquitédeux villes
d'Érétrie , celle que les Perses ont rec-
versée et celle qui fut oonstniite apréf
leur départ. On a cru à tort, d'après ud pas-
sage de Strabon mal à propos pris au pie i
de la lettre, que ces deux Erétries étaient
située à une assez grande distance l'un^
de Tautre , et la nouvelle au nord-oueM
de l'ancienne. Il n'en est rieu; Ifsdeui
Erétries se sont également placées luar
et l'autre sous la protection de cette
acropole gu'on voitenoore aujourd'hui.
fui existait avant l'invasion des Perses, et
qui a, en partie au moins, survécu i
leur destruction; seulement la ville an-
cienne s'étendait au pied et à Test, et 1.
ville nouvelle s'est élevée à cote, i
l'ouest et au sud. On pouvait ainsi voir,
comme dit Strabon, auprès de la $e
oonde Érétrte les fondations de la pr^
mière. La plaee occupée par les débris
antiques est assez étendue pour justiiici
cette assertion.
Bien certainement Érétrie renferou
autrefois de nombreux monuments ; sob
Importance parmi les villes secondaire»
de la Grèce ne permet pas d'en douter.
Mais ni les témoignages des anciens, dI
jusqu'ici ceux des ruines n*en ont ganit
aucun souvenir. Cette mosaïque trotiver
en construisant une maison prouve sei
lement que les Romains avaient aiisc
cette position d'Érétrie, au bord de la ait:
et en vue des côtes douces et verdoyantes
de l'Attique. Sans aucun «toute, do
fouilles am^raientd'autresdécooîefîes
du même genre.
Amaaynthb. — Amarynthc était js
bourg situé à sept stades des murailles
d'Érétrie. La principale déesse de ITu-
bée y recevait les plus grands honneur$
Dans la fête qui se célébrait à répçxj^:'
de la plus grande prospérité d'Érétrie ti-
guraient eu procession trois mille liop:
tes, six cents cavaliers et soixante ch^^
Pendant la guerre de Macédoine, on wi '
les Carystiens prendre part anniK>"'
ment à cette solennité. C'est daos 'f
temple que se conservaient les art^j >^
f)lus importants , comme celui qui fit ^i^
es conditions du combat dans la guerre
de Lélante. Le culte de Diaoe-AmaiT*
sia se célébrait également avec beaueo^P
de pompe en Attaque.
ILE VJOJBtE.
Cérès élait honorée à ËiéCrIe ; PltIta^
SueflOQfi transmet une dreonstanee par*
culière de son culte et nne tradition ea-
rieuse. Lts femmes érétriennes feisaient
cQira 1m Tiandea an soleil, et non pas au
feu , et n'adressaient pas à la déesse Tin-
rocation d'usage sous le nom de Galligé*
nie, peot-étre en soutenir de oe qu'en ce
liea, au moment où les captives emme*
ném de Troie par Agamemnoo eé\é*
braient les Thesmopbories, le vent ft-
vorabie s^était élevé et les avait obligées
de laisser, pour partir , le sacrifice ma*
cbevé.
HiSTOiBB d'ÉbétbIe. «^ La Grèce
est le seul pa;jr8 où des villes aient pu ,
l'élevant à côte les unes des autres, coti*
server une existence , un développement
et une prospérité à part. Nulle part ce
fait n'est plus frappant qu'à Érétrie, si-
tuée à cinq lieues de Ghalcis. Quoique
le mouvement général de la politique en
(irèce ait plus d*une fois lié son sort à
t^elui de la ville principale de nie , peu*
iant de nombreux siècles , jusqu'à la do-
mination romaine, elle forma un État
léparé, et, sous le régime delà tyran-*
lie comme sous celui de la république ,
ilie resta indépendante de sa voisine.
^ On sait déjà comment elle fut peuplée.
Sortout ionienne d'origine, elle em*
irunta son dernier nom au dème at-
ique des firétriens , plutôt sans doute
[u'à Érétrius, fils du Titan Phaéton.
auparavant elle avait porté celui de Mé-
anéis et celui û^Arotria, qui faisait sans
loute allusion à nne richesse de terri*
oire dont les landes actuelles ne donnent
uère l'idée.
La colonie d'Éléens qu'elle avait reçue
une époque incertaine avait été assez
onsidérable pour y laisser une habitude
eprononelation que raillaient les poètes
omiques d'Athènes, et que Platon re-
aarquait. Elle consistait à multiplier
ors de l'usage la lettre R au milieu et à
1 fin des mots.
La guerre de Lélante est un témoi-
nage de l'importance qu'avait acquise
^.rétrie dès le début des temps histo-
iques. Ses nombreuses colonies dans le
lord et sa domination sur plusieurs lies,
Dtre autres sur celles d'Andros, de Té-
os et de Céos , en sont une nouvelle
reuve. Sa constitution , aristocratique
e la même manière et à la même époque
qoeeelle de GhaMe, lut, comme dans
œtte ville, changée par des révolutions.
A une date inconnue , Diagons , offensé
par on des chevaliers à l'occasion d'un
mariage , renverse leur oligarchie. Néan-
moins, un fait démontre qu'Érétrie fat
primitivement moins éprouvée que sa
rivale par les agitations politiques: c'est
qu'elle garda pendant qulnae ansi'em-
pire de la mer , et ne le transmit à Égine
que dix ans avant l'invasion des Perses.
De même que Ghalcis, vers cette
époque , elle est l'alliée de Thèbes contre
Athènes. Cest dans ses murs que Pisis*
trate, chassé par Mégaclès, trouve asile
et prépare' son retour.
Sa puissance sur mer devait être pour
elle une cause de ruine , en lui permet-
tant d'aller provoquer les Perses en Asie
Mineure. Par reconnaissance pour les
Milésiens, ses anciens alliés dans la
{guerre de Lélante , elle Joignit cinq ga-
eres aux vingt que les Athéniens en«
voyèrentau secours deMilet. De là vint
le ressentiment de Darius contre les
Érétriens. C'est contre eux que sont of-
ficiellement dlrisées la première expé-
dition que fit échouer une tempête près
du mont Athos, et, trois ans après, la
seconde. Celle-ci devait réussir aux moins
contre Érétrie. Mais déjà les dissensions
civiles et la trahison devaient être de
moitié dans le succès des Perses. A l'ap-
proche des ennennis , parmi les citoyens ,
tes uns parlaient de se réfugier dans les
montagnes, les autres sonsealent d'a-
vance à livrer la ville. Cepenoant le parti
des bons citoyens semble l'emporter ;
les Erétriens restent renferma dans
leurs murailles, et se défendent six jours
avec énergie. Le septième , deux traîtres ,
Euphorbe et Philagros, ouvrent les
portes AUX assiégeants ; triste manifes-
tation des causes honteuses qui devaient
empêcher Érétrie de reprendre jamais
un rang parmi les peuples de la Grèce ,
490 av. J. C.
La venseance des Perses fut complète;
la ville fut pillée et brûlée avec ses
temples , en souvenir de l'incendie des
Saraes, et les habitants emmenés en
esclavage. Darius avait dit qu'il voulait
voir desesyeux les Erétriens prisonniers :
Datis et Artapheme , à leur retour en
Asie , les lui amenèrent à Suse. Le roi
de Perse se contenta cependant de leur
400
L'UMVKRS.
ass^er poor séjour un de se^ domaines
appelé Ardérioca , dans le paysjde Cissia,
à deux eent dix stades ae Saze. Ils y
vécurent et y restèrent Grecs pendant
plusieurs siècles. Cent soixante ans plus
tard 9 Alexandre j trouvait leurs descen*
dants encore Gdeles aux institutions et
à la lan^e de leur patrie. Cependant
uneparUedes habitants d*Érétrie avaient
échappé à la déportation. Ils revinrent,
rebâtirent leur cité, combattirent avec
ardeur contre les Perses , et pendant l'in-
vasion de Xerxès, alors que Chalcis
n'avait pkis de marine , Éretrie s'était
assez relevée pour se faire représenter
par sept vaisseaux à Artémisium et à
Salamine. Elle envoyait à Platée , avec le
concours de Styra , six cents combat-
tants.
Ërétrie avait assez souffert pendant
les guerres médiques pour avoir sa part
de cette liberté si péniblement défendue
contre les barbares. Aussi subit-elle à
regret la domination d'Athènes ; et quand
la défection devint possible , c'est elle
qui en donna le signal. Avant même
Î|ue la révolte ne fût déclarée , elle aida
es Béotiens à prendre Oropos;et elle
hâta par ses instances l'arrivée de la
flotte péloponnésienne , dont la victoire
oombla ses vœux. Les Athéniens n'avaient
{m réunir que trente-six vaisseaux contre
es quarante^eux navires péloponnésiens*
Les ruses des Ërétriens contribuèrent
puissamment à assurer la victoire à
leurs ennemis. Les Athéniens furent
complètement défaits dans la bataille
navale qui se livra entre Érétrie etOropos;
tous ceux d'entre eux qui se réfugièrent
à Érétrie , comme dans une ville amie ,
Airent massacrés , et vingt-deux de leurs
vaisseaux furent pris (411).
On a vuoommentËrétrie s'était réservé
son triste rôle pendant cette période d'in-
trigues et de calamités, qui aboutit à la
domination macédonienne. Désormais ,
associée au destin général de toute l'île,
elle changea de mattres avec elle. Pen-
dant la guerre des Romains contre Phi-
lippe , comme tous les points fortifiés
de l'Eubée, elle reçut une garnison ma-
cédonienne , et fut prise en 198 par les
Romains. Trois flottes l'assiégeaient à
la fois, une romaine, une autre rho-
dienne , et la troisième amenée par le
roi Attale. L'attaque fut poussée avec
la nlu^ grande vifiaMt » et là défense M
d'aoord très-éniïgîque , grâce à la pré-
sence des soldats macédoniens, qui fai-
saient aussi peur aux assiégiés que l«s
Romains. Mais les Érétriens eommeo-
cèrent à céder , quand ils apprirent qu'ils
n'avaient plus de secours a attendre 6f
Plûloclès , le commandant placé par Phi
lippe à Chalcis. Us envoyèrent des on«
teurs h Attale, pour implorer son pardor
et son alliance ; en même temps ils se
relâchèrent de leur vigilance hsmitoelle
Le général romain , L. Quintius « frère
du consul Flamininus, en proGta pow
prendre Érétrie d'assaut et pour la piller.
Mais le pillage produisit peu d*or etd'ar-
gent; la malheureuse ville n*en était
pas à sa première ruine. Une gamisoo
romaine succéda h la garnison de Phi-
lippe , puis fut renvoyée trois ans pius
tard, lorsque» par l'influence de Fianu-
ninus , il eut été décidé ou'Érétrie joui-
rait, elle aussi* de la liberté solennel
lement rendue à la Grèce. Il avait rié
question de faire cadeau de cette ville,
ainsi que d'Oréos , à Eumène » fils d'Aï-
taie.
On voit qu'après la conquête défioi-
tlve de Rome elle avait été donnée aox
Athéniens; car Auguste l'enleva à ce
peuple, pour le punir de ce qu'il avai!
suivi le parti d* Antoine.
A cette époque Érétrie était compté
tement déchue de son ancienne impor
tance, même relativement au reste dr
l'Ile , et était loin de disputer à Chairts
le premier rang. Déjà , deux siècles ao*
paravant , lorsque les Romains la pripent,
ne se doutant pas de sa prospérité passée,
ils étaient étonnés de trouver dans uœ
ville aussi petite et aussi faible autant
de tableaux , de statues et autres œu\ns
d'arts. Nous avons vu en effet que si U
{proximité d'Athènes avait été ninestea
'indépendance des Érétriens , ils avaiest
dû à son influence un certain amour Jtf
arts et même quelaues noms célèbres
dans l'antiquité. Deleurs/ichesses artis-
tiques ou littéraires » nous ne possédoos
aucun reste ; en somme, c'est un peopk
que nous ne connaissons pas.
TBBBITOIBB et nÉPBNDAIfCBS D*£'
BÉTBiE. — La plaine d'Érétrie s'étead
environ pendant deux heures le long àt
la mer : au bout de ce temps , elle nu-
contre Ijfin de la chaîne du Delphi, qoi
ILE D*£UBEE.
401
la borne à Test; à Touest , derrière la
ville, une ramification de la niéme chaîne,
l'Oiymbos, descend de même jusqu'au
rivafçe , et ainsi se trouve enfermé dans
un triangle irrégulier le territoire im-
médiat de Tanciennecité. A proprement
parier, il n*y a pas de plaine; des mou*
rements de terrain assez doux montent
rr^Iièrement depuis le bord de la mer
usqu'aux montagnes. Ce ne sont en
p'ande partie que des landes , occupées
)ar quelques villages, dont le plus im*
wrtant et le plus oriental est f^athya,
iitué à peu de distance du rivage, mais
léjà sur la hauteur.
PoBTHM os. — C'est dans cet espace
lu'il £aut chercher la position de Porth-
nos, place fortifiée, aont il est souvent
juestion dans Démosthène. Philippe en
îliassa les Ërétriens et en détruisit les
nurs. Son nom paraît indiquer qu'elle
itait au bord de la mer, et son impor-
ance pour la liberté des Ërétriens ne
termet pas de croire qu'elle ait été éloi-
|née de leur ville. Deux positions satis-
ODt à cette double condition : une
letite éminenee , surmontée d'un reste
le tour ronde, à moitié chemin environ
ntre flrétrieet f^aihya^ et, au-dessous
le ce dernier points une colline plus cou*
idérable, où l'on volt maintenant quatre
xi cinq chapelles ruinées. Cette colline
le porte aucune trace de murs ni de
ortiQcations; mais on y trouve de nom-
ireui fragments de marbres antiques,
tt même quelques sculptures, romaines
I est vrai, enclavées dans les murs des
hapeiles, et plusieurs pierres helléni-
[ues, éparses au pied, à peu de dis-
ance. Ce dernier emplacement semble
)ius probable, comme ayant plus de
aleur au point de vue militaire : il
louvait défendre une entrée de la plaine,
le même que l'acropole d'Ërétrie défen-
lait Tautre.
De cette colline on se rend, à l'est,
l^ns la plaine à*jéUvéri, par un de ces
nemins dont le nom grec, Kakiskala,
lit la nature. Pressé entre la mer et
■Qe montagne escarpée , c'est pendant
Hus de deux lieues une alternative de
Doutées et de descentes rapides sur les
t)chers, tantôt an niveau de l'eau,
antôt beaucoup au-dessus. D'anciens
nocs de pierre soutiennent le rivage.
'1 entrée. Cétait évidemment une routé
^* Livraison. (Ilb d'Eubée.)
antique. AHvM est un gros village, qui^
d'une hauteur où il est placé, domme
une plaine riche, mais en partie ma-
récageuse. A l'ouest sort de la monta-
gne un torrent, qui arrose, au bas du
village, des vignes et des jardins. Si on
le suit , en descendant vers la mer, on
trouve bientôt , sur sa rive droite, dans
une partie à peu près inculte, des ruines
de tours carrées, d'une construction an-
cienne, qui marquent une ligne d'en-
oeinte au pied d'une montagne rocheuse,
et en apparence inhabitable.
Tahynes. — L'emplacement antique
indiqué par ces ruines est probablement
celui de Tamynes, ville dépendant d'Ë-
rétrie , qui donna son nom à un champ
de bataille mentionné dans l'expédi-
tion dirigée par Phocion au secours de
Plutarque. A Tamynes était un temple
d'Apollon suivant Strabon, et suivant
Etienne de Byzance un temple de Ju-
piter. Les sommets Toisins, ceux par
conséquent qui séparent la plaine d*A-
livéri de celle d'Ërétrie, formaient le
mont Cotylé, consacré à Diane. C'est
peut-être a cette divinité qu'était élevé
un petit temple qu'on voit sur la crête
de la montagne, au-dessus du village
actuel de Parthéni. Les premières as-
sises de la cella sont conservées.
Dans le voisinage de Tamynes , et
probablement du coté d'Ërétrie , étaient
Cbcerées et iC^lia, points du territoire
érétrien que virent aborder les Perses.
D'Aiivéri dépend un petit port; à peu
de distance , au sud , s'élève un tort
vénitien , sur l'un des premiers et des
plus bas sommets des montagnes, qui
rejoignent la mer à cet endroit pour ne
plus la quitter avant la plaine de Stoura,
Si l'on trace par la pensée une ligne
ù^Alivéri au cap OcMhonia, vers le
nord-est, entre cette ligne et le versant
oriental du Delphi, sera comprise la ré-
§ion la plus peuplée de toute l'Ile. Au-
essus d Alivéri même, jusqu'à la petite
chaîne qui jomt le Delphi aux monta-
gnes de Dystos, les mouvements doux
et variés du sol , de beaux chênes verts
et de nombreux villages heureusement
situés dans la verdure des arbres, com-
posent un fort joli pays. L'intérieur
des montagnes , qui depuis Chalcis pa-
raissaient âpres et desséchées du coté
de la mer , reproduit dans de frais ra->
20
402
L'UNIVERS.
vins toutes les richesses de la végétation
grecque.
En redescendant vers Test, du eôté
de la mer Egée, on tombe au pied du
mont Ocbtbonia, dans une longue vallée
cultivée en partie.
Cette montagne domine plusieurs
villages , dont le plus considérable est
Âvlonari. Ses maisons vont rejoindre,
par des jardins, les grands platanes qui
ombragent le lit, presque toujours des-
séché, d'un fleuve, tributaire fort avare
de la baie de Koumi. Près des jardins
est une ^lisedeSaint-Dimitri, célèbre
dans le pays, ainsi qu'une autre, consa-
crée à saint Jean, qui est séparée de la
première par une colline. Toutes deux
sont de construction byzantine, comme
un grand nombre d'autres en Grèce;
mais une tradition particulière les re-
commande à l'admiration des habitants :
elles seraient le résultat d'une lutte de
talent entre deux ffrands artistes dont
l'un était l'élève de l'autre ; et le maître,
vaincu, serait mort de dépit. Une hau-
teur voisine est couverte de morceaux
de briques, traces communes aux ruines
modernes et aussi aux ruines anciennes.
Peut-être appartenaient-elles à un village
récemment détruit, peut-être sont- ce
les derniers débris de I antique OEchalie,
la ville fondée sur le territoire d'Érétrie
par le héros Eurytus. Il est certain que
toute cette vallée a dû nourrir, dans
l'antiquité, des habitants ; mais le si-
lence complet des auteurs anciens au
sujet d'une grande partie de l'Eubéenous
réduit aux conjectures les plus vagues.
Une autre vallée aboutit également à
la baie de Koumi; mais celle-ci lui ap-
porte le tribut constant d'un courant
véritable. Cest peut-être l'un des deux
fleuves nommés par Strabon comme les
principaux de Fîte , dont l'un ayait la
propriété de rendre blanches les brebis
qui s'y abreuvaient ; l'autre, celle de les
rendre noires. L'embouchure de ce
fleuve est voisine d'une petite montagne,
r OxyUihos^ terminé par un sommet très*
aigu, comme l'exprime son nom, sur la
pente et au pied de laquelle restent quel-
ques pierres de l'époque hellénique. Il
prend sa source dans le Delphi , des-
cend vers le sud-est , puis , faisant un
grand détour, remonte un peu vers le
nord pour se jeter dans la mer.
L'antiquité n'a laissé aucun souvenir
dans la vallée qu'il arrose, non plus
que sur les hauteurs voisines; maisaulie
part les monuments de la domioatioo
iranque ne se multiplient d'une maDièn
plus remarquable. Déjà les défilé et
les montagnes derrière Chalcis , GÂyrn-
no, dans la plaine d'Érétrie, le port
d'Mivéri, Bélousia, à l'entrée des moa-
tagnes de Dystos, AvUmaH» et de nom-
breux points dans tout le centre de nie,
montrent encore les demeures fortifiées
des seigneurs dn moyen âge. Mais ici,
sur chacune des rives trèâ-habitées du
fleuve, chaque village est dominé parss
tour, et il n'y a guère d'éminence ni (k
valléie voisine où de pareilles ruioes m
s'élèvent.
Indépendamment de l'effet qu*elies
produisent, toute cette partie a par eiie-
même un curieux aspect. C'est une suc-
cession de collines formées de terrains
blanchâtres sur lesquelles croissent des
vignes innombrables. C'est la ricbaȎ
du pajrs : il fournit en quantité ua rm^
vais vm, qui n'en est pas moins robjtt
d'un commerce considérable, particu-
lièrement avec i'Anatolie et avec la mer
Noire : aussi les villages y abondeat-iis;
Kastrovokt, Konistrœs, les plus Im-
portants, semblent même avoir dé^'
cette ligne imperceptible aux yeui d'ua
étranger qui sépare en Grèce une îi;^
d'un village , et avoir acquis des droiL^
au premier titre. Mais la ville incon-
testée de tout ce côté de l'île, c'est Ao««'.
dont la situation est la plus refuar-
quable.
KouHi. — Le Delphi , après aro*;
étendu vers l'orient sa pointe la pins
avancée et formé ainsi le cap de A'ovk*.
arrête le développement de ses somnir^^
abruptes et de ses ravins impraticable:
qu'il a longtemps prolongés vers )*
nord, et descend, par des plans de pla^
en plus doux, jusqu'à la vallée d'Ail?
nan. Ainsi est produite, depuis le ca^^
de Koumi jusqu'au cap Ocbtfaonia, cette
suite de hauteurs et de collines qui s>
baissent successivement, et qui, diQ'
leurs vallées ou sur leurs pentes, offrtci
des points nombreux à l'halntatioD. Pr^^
cisément à l'endroit où ce changem^^'
s'opère dans la nature du pays, an ^^^
de montagnes inaccessibles, et à 1 ti-
trée de la partie habitable , s^élèfe u
ILE D'£UBÉE.
408
TiJlede ATminii, qui jouit de Favantage,
uojque sor toute cette côte , d'un port
sinon excellent, du moins capable de
servir d'abri. Par là elle est maîtreese du
eommeroe de tout le paya environnant.
£ile n*est pas bâtie au nord de la mer,
mais elle oomine le rivage du haut d'un
plateau qu'entoure presque complète-
ment un cercle de montagnes, et ou
l'on ne pénètre que par des défilés étroits,
entre des murailles de rochers. Cette pe-
tite ville, irrtoilièrement bâtie, est en-
tourée de cultures et de jardins, et a
vue sur la mer et sur l'Ile de Sejrros. Plu-
sieurs villages, qui occupent alentour
les ravins & la pente des montagnes ,
sont considérés comme ses dépendant
ces , ses makkalas , nom turc qu'ils ont
conservé. Cet ensemble représente une
population d'environ quatre mille habi-
tants. Leur principale mdustrie, comme
celle de leurs voisins , est l'exploitation
de la vigne. Ils fournissent aussi un
certain nombre de marins. Quelques
maisons, auxquelles on descend par
les détours d'un chemin rapide, forment
le port.
Sur la cdte septentrionale du cap de
Koumi , et aundessus du monastère du
Saint-Sauveur C^yioc Zcuntp) i un rocher
est occupé par une forteresse véni-
tienne. A peu de distance on trouve du
minerai de fer, témoignage d'un des pro-
duits antiques de llle. Mais Koumi pos-
sède particulièrement une richesse géo-
logique inconnueou négligée des anciens,
sur laquelle lé gouvernement grec avait
fondé des espérances; il l'avait même
jugée diçne d une exploitation organisée
sons sa direction, qm fonctionne encore
à demi : ce sont des mines de lignites
d'une très-grande étendue (i). Leurs
eouches sont recouvertes d'un calcaire
argileux dont les plaques , en se sépa-
rant, montrent des pétrifications de
poissons et de plantes.
Lb Delphi. — De Koumi l'on re-
vient à Chalcis par une route presque
constamment admirable, en traversant,
(x) Voir les extraits d'un rapport adressé
en 1846 à M. Piscatonr, ministre pléaipoten'
tiairc de France , sur les lienites de Koumi ,
insérés dans Touvrage intitulé Étude éco-
nomique de la Grèce, par Casimir Leconte,
P- 429.
à un ooint très-élevé, la crête du Del-
phi. On y retrouve tous les jolis détails
que présentent les montagnes de Grèce
quand elles sont boisées ; trop de places,
malheureusement, sont brûlées et dé-
pouillée» par les bergers pour nourrir
leurs troupeaux. La vue embrasse ,
entre les deux mers de l'Eubée, toutes
les montagnes du midi de llle ; leurs
divers plans se superposent jusqu'au
double sommet de rOcna , qui les do-
mine toutes , et borne l'horizon avec
sa ligne dentelée.
La masse du Delphi, en s'étendant
vers le nord, couvre la partie la moins
accessible et la moins peuplée de toute
111e. Près du sommet le plus élevé
après le pic principal, est le monastère
de StropancBs ; de rares villages se ca-
chent dans les ravins. Ces lieux n'ont
jamais existé pour l'histoire. Mais Ton
est étonné que l'ensemble de la mon-
tagne et le grand effet que produit la
vue des rivages privilégiés de l'Atti^ue
et de la Béotie n'aient pas plus vive-
ment touché les anciens. Ils lui ont
même refusé son titre incontestable
de plus haute montagne de Ttle; et,
loin de nous lésuer sur elle aucune de
ces poétiques légendes qu'elle semblait
faite pour mspirer, c'est à peine s'ils nous
ont transmis l'antique nom ûeDirpkys
ou de Dirpié,
OBUXIÈMB PARTIS.
NORD DE L'EUBÉK.
AsPBCT pu PAYS. — Il faut faire
commencer le nord de l'Eubée à partir
de l'endroit où le Kandili, fermant une
Sande plaine qui dépend encore de
lalcis, va joindre le canal et lui faire
un rivage escarpé. Là est la limite d'un
nouveau pays. Au-dessous, l'tle renfer-
me sans doute beaucoup de points
verts et boisés, principalement dans
l'intérieur de TOcha ; mais l'aspect gé-
néral est celui de la sécheresse. Au-des
sus, au contraire, s'étend une région
de forêts qui couvrent de leur puissante
végétation les pentes des montagnes
et enferment dans des cercles de verdure
de belles vallées. Toute cette partie est
an magnifique ensemble qui réunit les
beautés habituelles de la Grèce du oen«
tre et du sud et les richesses plus vi-
26.
4M
LUNIVERS.
goureoses de certaines proTÎnoes s^teO'*
triooales, de la Doride, par exempte, et
du nord de la Tbessalie Dana les vallées
domine Farbre des fleuves grecs, le pla-
tane; mais il y atteint d'immenses pro-
portions, et se presse le long des rives,
au-dessus desquelles il pencne ses bran-
dies énormes. Sur les montagnes s'é-
lèvent surtout des forêts de pms sécu-
laires, dont la vieillesse ou le vent a
étendu de temps en temps les grands
eorps sur le sol. Ce ne sont malheureu-
sement pas les seules causes de mort
pour ces beaux arbres : il faut encore
y ajouter les ravages faits par l'exploi-
tation des bois de construction et ceux
du feu mis par la malveillance. Plu-
sieurs endroits conserveront toujours les
traces d'une vengeance barbare exercée,
il y a peu d'aune, en représailles de
l'application d'un code forestier peut-
être trop sévère pour le pays. Cependant
le nord de rEubee garde de quoi défier
encore lon$[temps une industrie impré-
voyante, smon les efforts irrésistibles
des incendiaires.
Outre les pins, les sommets se cou-
ronnent aussi de grands chênes, sur-
tout vers le nord-ouest. Qu'on se figure
tous ces bois garnissant les formes di-
verses des montagnes, plus abruptes
vers l'ouest, plus douces du côté opposé ;
qu'on y mêle les cimes plus humbles des
chênes verts et des arbousiers, et toutes
les richesses de la basse v^étation delà
Grèce ; qu'on y joigne les effets de grands
rochers aux couleurs éclatantes, aux
ombres transparentes et mystérieuses ;
autour de tous ces beaux détails, qu'on
se représente les magnifiques horizons
formés soit dans 111e même, par les
hauts sommets du Delphi et du Kan-
dili, sur lesquels se détache la sombre
verdure des sapins , soit par les poé-
tiques montagnes du continent voisin ,
le Parnasse, Te Pélion, l'Olympe, soit
enfin par la mer, qui sépare i'Ëubée
des rivages étrangers, ou se perd au loin
avec le ciel ; surtout qu'on répande sur
tous ces ensembles la lumière de la
Grèce , tour à tour si resplendissante
et si douce, et l'on concevra l'infinie
variété des grandes scènes et des ta-
bleaux gracieux que compose avec ces
éléments la puissante imagination de
la nature.
Avec ces beautés sau^ag^, l'Eubée
septentrionale présente dans plusieurs
parties, surtout près du canal de Tri-
Kéri, les productions d'un sol remar
quablement fertile, les cultures les plus
variées, de belles plantations d'oUvieR
qui s'élèvent particulièrement derrièie
Boviœs , vers le nord de la eôte ood-
dentale. Aussi les propriétaires, grecs
ou étrangers, y sont-ds nombreux ; et les
biens des derniers possesseurs turcs , à
mesure qu'ils sont abandonnés, passent
vite, ou tout entiers entre les mains des
acquéreurs assez riches, ou morcelés
entre celles des paysans.
Oreos; Histibb. — Le territoiic
immédiat de la principale ville du nord
de FEubée est une belle plaine que les
montagnes forment en s^éloignant du
rivage de la mer de TrikérL En izet
fsX Ta pointe de l'antique Pfatbiotide
et l'entroe du golfe de Folo; mais il s'é-
lève .quelques difficultés sur la position
de la ville antique. D'abord, quelle était
cette ville ? Les anciens auteurs, aux-
quels il faut recourir, la nomment tan-
tôt HUtiée^ tantôt Oréos, en nous as-
surant que le second nom a succédé
au premier. D'un autre côté, à une
certaine époque ils paraissent disUo-
Saer deux villes , et au même moment
s désignent les habitants d^Oréos sous
le nom d'Histiéens. Gomment résoudre
ces difficultés? Y a-t-il eu deux villes,
n'y en a-t-il eu qu'une seule ? S'il y eo a
eu deux, quelle était la position de dia-
cune d'elles?
Ces difficultés sont plutôt apparentes
que réelles. L'examen attentît des au-
teurs anciens nous prouve qu'Histiée et
Oréos sont deux villes distinctes. L'explo-
ration des localités confirme cette con-
clusion , en nous montrant qu'il y a
sur ce rivage les emplacements de deux
cités.
L'emplacement le plus naturel et le
{»lus apparent , celui qui est près du vil-
âge actuel ^ Oréos t fut celui où s>-
tablirent les premiers maîtres de toute
cette partie de l'Eubée : c'est Tacropple
d*Histiée, la ville homérique aux raisins
abondants, ::oXuoTdcpuXoc; autour, dans
la plaine, croissaient comme aujourd'hoi
les vignes qui lui ont valu cette éfù-
thète. Elle a donné primitivement, et
jusqu'à une date assez avancée, son
ILE D*EUBÉ£.
405
nom a tout le nord de Tlle, qui s'est ap*
pelé Histiéotide.
Oréos était dans la montagne, dr-
eoostanee d'où lui est venu son nom
(SfKK, montagne), et au bord de la
mer ; conditions remplies par la position
d'une hauteur fortifiée, située à Touest
de la plaine précédente, et qui dépend
des oernières ramifications du Kan-
dili, e*e8t-à*dire du groupe des mon-
tagnes du eSipLithada, l'antique Ce-
nsom.
Oréos n'était au commencement qu'un
dème, une dépendance d*Histîée, et le
nom d'Oria ne s'appliquait qu'à son
territoire particulier. Une villo d'El*
lopie, fonaée d'après la tradition par
£IJops, fils d'Ion, dans l'Oria, était donc
voisine d'Oréos. Peut-être mémo était-ce
la même ville; du moins les Ellopiens
et les Orites semblent-ils plusieurs fois
confondus, et il paraît probable que le
nom d'Ellopie désignait toute cette partie
montagneuse qui forme au nord l'extré-
mité occidentale de l'Eubée.
Cette distinction d'Oréos et d'Histiée
subsiste longtemps, et est fidèlement ob-
servée par les historiens. C'est à Oréos
que Periclès envoie deux mille Athé-
niens, après avoir ruiné Histiée et dé-
possédé les Histiéens exilés. Oréos,
ville athénienne, reste fidèle à Athènes
pendant la guerre du Péloponnèse; si
les colons qui l'habitent sont désîrâés
par le nom d'Histiéens, c'est que Fan-
cienne dénomination donnée par la
ville principale prévaut encore et est
commune à tous les habitants de la pro-
vince, quelle que soit leur ville par-
ticulière. Quand il s'agit, au contraire,
de la haine conservée par les Histiéens
contre Athènes, depuis le traitement
que leur a fait subir Pérîclès, c'est His-
tiée elle-même que nomme Diodore.
Jusqu'au temps delà guerre de Thèbes et
de Sparte, la distinction d'Oréos et d'His-
tiée est toujours nettement marquée dans
les auteurs anciens.
Mais à partir de cette époque s'a-
complissent les événements qui produi-
sent la réunion de ces deux cités , et la
substitutiondu nom d'Oréos à celui d'His-
tiée. Préparée par la tyrannie de Néo-
§ène, cette réunion fut achevée par celle
e PhOistide, quelque temps après la ba-
taille de Leuctres. Dès lors disparaissent
les noms d'Histiéens, d'ElIopiens , sou-
vent usités dans les géographes et les
historiens; celui des Ontes seul subsiste,
et désigne à son tour les habitants de
tout le pays. Les Orites de Démosthène
occupent le quart de FEubée ; et pour
lui il uy a que la ville d'Oréos. Elle
seule désormais existe dans Thistoire.
Ainsi, l'acropole voisine du village
actuel d'Oréos a été successivement
celle d'Histiée , puis , à partir de la do-
mination macédonienne, dont la tyran-
nie de Philistide est le commencement ,
celle d'Oréos. C'est elle qui fut assi^ée
et prise d'abord par Sulpicius et Attale,
puis par Apustius et le même roi, pen-
dant la guerre contre Philippe. Tite-
Live, à propos de ces sié^, nous donne
des détails sur la topographie de la ville
antique. Il dit que Facropole était dou-
ble ; que ses deux parties étaient séjparées
par une vallée jusqu'où s'étendait la
ville, et qu'entourait un mur fortifié;
que les murailles de Fune d'elles, qu'il
désigne sous le nom de citadelle mari-
time, arx' maritima, dominaient le
port et communiquaient avec le rivage
par un chemin souterrain , cuniculus,
que défendait une tour à cinq étages ;
enQn que Fautre citadelle s'élevait au
milieu de la ville, urbis média.
Les lieux s'acoordent-ils avec ces in-
dications?
La citadelle maritime occupait la
bauteur détachée où sont les fortifica-
tions modernes ; car entre cette hau-
teur et la mer le terrain est unifor-
mément plat; l'autre devait occuper la
colline sur la pente de laquelle est le
village actuel ; et l'intervalle de ces deux
1)oints formait la vallée défendue par
e mur de la ville. Mais il y a une dif-
ficulté, c'est que la distance qui sépare
delà mer Facropole la plus voisine,
un quart de lieue au moms , est bien
grande pour permettre de dire que ses
murs dominaient le port. Peut-être une
observation la résoudra-t-elle. Cette
partie Intermédiaire entre la mer et Fa-
cropole est marécageuse, et toute la
plaine voisine est un sol d'alluvion :
il est donc certain que la mer s'est
avancée autrefois beaucoup plus loin
dans les terres. En Grèce, il y a plus d'un
exemple du rapide accroissement des ri-
vages sous l'influence de cette cause.
406
LUNIVERS.
Sur le continent voisin , le plus frappant
est fourni par la vallée du Spercnius ,
où une plaine marécageuse d*une lieue
de long, en se formant auprès du dé-
filé desTbermopyles, l'a fait disparaître.
Histoire d Histibb bt dObéos.
— Selon la mythologie, la première de
ces villes fut fondée par Théroïne Histiée,
fille du Béotien Hyriéus et sœur d 'Oréos.
A une époque incertaine, Histiée fut
ruinée et occupée par les Perrhèbes , et
ses habitants, transportés en Thessalie,
y peuplèrent THistiéotide , qu'ils nom-
mèrent. Lors des grands mouvements
de la race ionienne, Ellops, fils d'Ion,
vint fonder Ellopie près d'Oréos, et régna
sur tout le pays. Histiée reçut encore
d'autres colonies ioniennes, peut-être
une du dème attique desHistiéens, à
laquelle elle a pu devoir son nom. Elle-
même envoya dans Hle de Chio Âm-
phiclus, à la tête d'une colonie. Un des-
cendant d'Amphiclus, Hector, roi de
rtle, en chassa des Abantes, venus aussi
autrefois d'Eubée , et j établit ainsi la
domination de la race ionienne.
Histiée envoya son contingent an
siése de Troie. Il n'est plus question
d'elle avant les guerres médianes. Son
territoire fut le premier envani par la
flotte de Xerxès et vit les premiers ef-
forts des Grecs pour résister à leur for-
midable ennemi. Par la nécessité de
leur position, les Histiéens devaient être
sacrifiés. Sans doute ils donnèrent la
plus forte part de ces trente talents qui
décidèrent les Grecs à ne pas abandon-
ner leur position prèsd'Artemisium.
Quand , après de glorieux efforts , la
retraite de la flotte fut décidée, sûrs du
traitement qui les attendait de la part
des barbares, ils, en eurent comme le
prélude en voyant leurs troupeaux
égorgés par les Grecs , à qui Thémistocle
avait conseillé de ne pas laisser cette
firoie aux ennemis. Ainsi furent punis
es Eubéens "d'avoir négligé cet oracle
de Bacis : « Songe , lorsqu'un barbare
<( imposera à la mer un joug de papy-
« rus , à éloigner de l'Eubée les chèvres
« bêlantes.»
Pour toutes les périodes suivantes,
l'histoire d^Histiée et d'Oréos nous est
déjà presque entièrement connue. Elle
est nécessairement écrite dans celles de
Cbalcis et d'Érétrie , aux époques où des
influences étrangères pèsent puissam-
ment sur toute llle. Les points qui s y
rattachent spécialement ont trouvé leur
place naturelle dans les récits précédenti,
ou viennent d'être indiqués dans la dis-
cussion des textes qui conoementles em-
placements antiques.
Comme les deux vill^ principales du
centre , Oréos et Histiée furent dédû-
rées par des troubles et agitées par des
révolutions. Aristote nous apprend que
dans la première l'oligarchie fut dé-
truite par un certain Heracléodore , dé-
mocrate imprudemment élevé à la dignité
d'archonte; et que dans la seconde,
après les guerres médi(|ues , la querelle
de deux ifrères au sujet d'un héritage
suffit pour entraîner tout le peuple a
leur suite dans deux factions , celle des
riches et celle des pauvres, partagés
d'après la fortune de chaque frère.
Soumise aux Athéniens à l'époque do
développement de leur puissance, on
sait comment Histiée fut punie de sa
révolte par Pérldès. Elle s^était attire
ces rigueurs en tuant tous les hommes
d'un vaisseau athénien qu'elle avait pris.
C'est à ce moment qu'Oréos obtient pour
la première fois de l'importance , grûee
à cette colonie de mille Athéniens sui-
vant Thucydide, de deux mille suivant
Théopompe, qui succédèrent dans la
possession du territoire aux Histiéens
chassés. De là s'établissent entre cette
ville et les Athéniens des rapports plus
étroits; pendant la ^erre au Pélopon-
nèse, elle est leur alliée, et non pas leur
sujette.
Sous la domination lacédémoniennc
il ne semble pas que son importance,
au moins relative, ait beaucoup décru,
puisqu'à l'époque de la fusion des deux
populations c est le nom d'Oréos qui
prévaut dans la ville et dans toute l'Eu-
bée septentrionale. Mais en réalité, au
moment où l'influence macédonienne
s'inaugurait par la tyrannie de Pliilis-
tide, la situation du pays était des plus
misérables. Déchiré lon^emps par les
dissensions des citoyens , il s'était vu soc-
oessivement ravagé par les Atliéniens qu'y
avait conduits Chaorias au oommeQO^
ment delà période béotienne (378), et par
les troupes de Philippe avant la trahison
de Phillstide.
Au commencement de la premiàe
ILE D'EUBÉE.
407
guerre des Romains contre la Macédoine,
les Orites souffrirent du brigandage des
Ëtoliens. Deux fois assiégés par les Ro-
mains , leurs portes furent ouvertes aux
ennemis par trahison dans le premier
siège; après le second si^e , pendant le-
quâ ils s'étaient énergiquement défen-
dus, tombés sous la domination ro-
maine, ils virent leur ville détruite de
fond en comble par Atilius. Plus tard ,
Oréos est oomplétementoubliée parPhis-
toire de l'antiquité.
A répoque de Pausanias, l'ancien
nom d'Histiée était encofe quelquefois
employé. C'est le seul qui ait Jamais
paru sur les monnaies; cette circons-
tance suffisait pour l'empêcher de périr.
ViLLBS ET POSITIONS ANTIQUES l>B
L'HlSTlBpTlDB ET DU IfOBD DB L'EU-
BÉE. — La ville moderne du nord de
rEubée est Xérochori; après Gbalcis et
Koumi, c'est la plus considérable de
nie. Siège d'éparcnie, elle ne comprend
Sue deux dèmes, ceux des Histiéens et
es Edepsiens, qui ne forment euère
qu'une population de huit mille nabi-
tants. Aussi , sur plusieurs points , son
administration est-elle rattachée à celle
de Chalcis. Proportionnellement, c'est
la partie la plus riche de TEubée et celle
dont rÉtat tire les plus gros revenus ; ils
sont surtout produits par les céréales.
Les Histiéens actuels labourent leurs
fertiles plaines avec des buffles emprun-
tés à la Tbessalie. Elles sont arrosées
par un large torrent , le plus considérable
de toute cette partie , qui passe près de la
ville moderne. *
Artbhisium. — A partir de ce tor-
rent, les montagnes recommencent,
mais douces et basses. Dans leurs fn-
cieuses vallées, non plus que sur les jolis
Hvaffes qu'elles forment en descendant au
borade la mer , aucune position antique
ne nous est indiquée jusqu'au cap Pon-
dihi, l'ancien Artemisium, situé à l'ex-
trémité orientale. Sur ce cap était un
temple de Diane Proseoa. Mais il doit
sa célébrité aux premières luttes navales
aue les Grecs osèrent soutenir contre la
otte des Perses. Il fut témoin de toutes
les péripéties de ce drame, si vivement
dépeint par Hérodote; il assista aux al-
ternatives d'épouvante , d'espérance , de
découragement des Grecs ; il les vit enfin
aller attaquer on ennemi qui les méprisait,
et suppléer si énergiquement par leur
courage à l'infériorité du nombre, qu'en
apprenant leur retraite, les barbares
doutaient de la nouvelle et qu*ils pou-
vaient à peine en croire leurs yeux quand
ils vinrent la vérifier à Artemisium.
On chercherait vainement aujourd'hui
sur les rochers et près des sources de ce
glorieux rivage cet appel pathétique que
Thémistode , avant de partir , y avait
adressé au nom des Grecs à leurs frères
d'Ionie , dans le double but de les émou-
voir et de les rendre suspects à Xerxès.
Les pierres du temple ae Diane ont de
même disparu.
De l'antique Artemisium au petit port
PéUki , sur une étendue d'une dizaine
de lieues , on avance au milieu d'un ma-
gnifique pays : du haut des montagnes
se succèdent des vues sur la Thessalie^
sur les plans de l'Otbrys , sur le Pélion
avec ses villages grecs , sur TOlympe qni
confond avec les dernières lignes au ciel
la couronne blanche de ses sommets,
Sciathos et les lies du nord de la Grèce,
et enfin sur la vaste étendue de la mer;
c'est un superbe horizon qui se déroule
peu à peu, depuis l'OEta jusqu'aux
grandes montagnes de TEubée elle-
même. De distance en distance, des vil-
lages occupent des plateaux sur les hau-
teurs, les creux ombragés des vallons : le
principal est Hagia-Anna. A peu de
distance, ausud>est, est le mtiPéléki,
GBBiif THE. — Près deremoouchure et
sur la rive droite d'un fleuve s'avance ,
pressé entre la mer et une petite plaine,
un rocher allongé et de médiocre éten-
due, qui forme un plateau détaché.
Plusieurs restes, particulièrement à
l'extrémité qui est tournée vers le nord-
ouest, y désignent remplacement d'une
ville ancienne. Ces restes consistent en
quelques assises de murs d'une cons-
truction grossière. Du côté de la mer,
les rochers sont assez escarpés pour
se passer de fortifications artificielles.
Il est facile de reoonnattre, à la surface
également nivelée et à l'apparence de
la petite plaine qui est de l'autre côté
de l'acropole, qu'elle est un produit
d'alluvions : les terres apportées par
le fleuve voisin ont pu s'arrêter et s'ac-
cumuler facilement dans ce demi-cercle
de rochers qui l'entoure. \ye% degrés
taillés sur la pente de l'acropole, à 1 en-
408
L'UNIVERS.
trée de cette plaine , semblent annon-
cer Texistence d'un ancien port à cette
même place : ils ne sont pas circulai-
rement disposés et ne peuvent avoir ap-
partenu à un théâtre.
Ce peu de pierres encore debout re*
i)résente toutes les ruines du nord de
'£ubée. Aussi était-il important de
leur donner un nom. On leur a conféré
sans contestation celui de. Tantique Ce-
rînthe, qui fut fondée par Tlonien Go*
thus , dés le temps d'Érechthée , et qui
envoya des guerriers au sié^e de Troie.
Plusieurs motifs viennent a l'appui de
cette opinion : Tépithète particulière
qu'Homère donne à Gérintne, l^oXoç,
(sur la mer), et encore mieux celle qu'em-
ploie Scymnus , hoikia ( dans la mer ) ,
sont pleinement justifiées par le rocher de
l'acropole en question, qui formait au-
trefois une presqu'île. D après d^anciens
témoignages rapportés par Eustathe, les
ruines de Cérintne étaient baignées par
la mer.
Strabon nomme auprès de Gérinthe
le Boudoros : or, le fleuve voisin de
l'acropole étant le plus considérable de
toute l'Eubée, mérite assurément l'un
des cinq noms cités par le géographe.
Depuis Homère, Gérintlie ira pas
d^histoire ; elle fut sans doute de bonne
heure détruite et abandonnée. Quels
que fussent ses beautés et ses avantages
naturels, le rivage oriental de Fîle n'é-
tait pas destiné à voir prospérer ses
habitants : c'est du continent voisin que
J'Eubée a tiré toute son existence.
Le Boudoros est formé , une demi-
lieue avant son embouchure, par la réu-
nion des deux plus grands cours d'eau
Su'il y ait dans l'île : aussi les érudits
u pays oiit-ils songé à faire de ces
fleuves le Kiréus et le ^iléus, nommés
par Strabon; leur rapprochement ren-
drait plus frappant le contraste des deux
propriétés diiférentes que leur attri-
buait la superstition. Mais cette accu-
mulation de noms antiques n*est qu'une
hypothèse gratuite.
FBESQU'lLB DB LiTHABA. — La pres-
3u'!le de Lithada est une exception
ans le nord de l'Ëubée; ses montagnes
nues et ses rochers arides n'admettent
pas la riche et puissante végétation du
pays voisin. Elle s^avance en pointe jus-
que dans le golfe Maliaque , et toudie
presque la côte de Fascienne Loeride
Epicnémidienne. La baie profonde de
Lipso, en creusant son rivage méri-
dional , forme l'isthme étroit qui Tunit
au continent.
Gbnjeum. — Le promontoire qui ter-
mine cette presqu'île est l'antique Ce-
naeum, nom qui paraît avoir été étenda
à la presqu'île elle-même. Sur ce pro-
montoire était un temple de Jupiter Cé-
néen, où sacrifiait Hercule lorsque Dé-
janire lui envoya la tunique de Nessas.
A peu de distance paraissent dans la
mer de petits îlots oe rochers : ee soot
les îles Lichades de l'antiquité. Du haot
des montagnes de Lithada on Toit près
de soi les sommets de l'OEta et la seèoc
delà tragédie des Trachiniennes ; on
domine en même temps la belle vallée
duSperchiusjusqu'aux premièresebalnes
du Pinde.
Il semble que la presqu'île de Lithada
et le tour de la baie de Lipso aient été
les points occupés d'abord par la co-
lonie ionienne d'Ellops, et aient formé
la partie principale de ranctenne Ello-
pie. Hérodote raconte que les soldats de
Xerxès, après avoir quitté Artemisiuiii
et pris possession d'Histiée, vinrent ra-
vager les bourgs maritimes de l'Ellopie.
Ges bourgs maritimes ne seraient-ils pas
ces petites villes obscures qui peuplaieot
les rivages voisins du Genaeum? Les
eaux ellopiennes, dont parle Pline,
étaient probablement celles d'Êdepse.
l'unede ces villes, et, en supposant même
qu'elles aient été différentes , il est na-
turel de les placer dans la seule partie
du nord de nie où l'on trouve des sour-
ces thermales.
SouBGEs d'Édepsb. — Ges sourees
sont remarquables, tant par leur situation
que par leur nature. A l'entrée orientalede
la baie de Lipso , au bord de la mer et
au pied de montagnes sauvages , on les
voit sourdre en plusieurs endroits. Elles
jaillissent de terre verticalement en une
multitude de petits jets qui semblent
poussés par des chaudières souterraines.
Les courants qu'elles forment disp>
raissent bientôt sous un sol de soufre
qu'ils exhaussent tous les jours, puis,
après un court trajet, arrivés à une eoce
escarpée ettailléaà pic, ilss'élanoent par
des boudies nombreuses, et tombent
dans la mer en cascades abondantesi
ILE D*£UBÉ£.
40»
iQ milieu d'un nuage de fumée blanche.
>s eaux sont très-chaudes, et passent
K)ur très^fficaces. Une masure déla-
)rée sur le rivage représente un éta-
ilissement de bains , qui attire quelaue-
bis des malades grecs. Cétaient dans
'antiquité les bains d*Hercule. Cest pro-
lablement là, plutdt qu'à Lélante, que
ijlla vint se fiure soigner.
Ces sources ont une correspondance
^dente avec celles des Thermopyles ,
itoées à peu de distancesur le continent.
Itrabon rapporte les effets d'un trem-
tlement de terre, à la suite duquel les
ources chaudes d'Ëdepse et des Ther-
Dopyles s'arrêtèrent pendant trois jours.
ia même temps la plus grande partie
les ties Lichades et du Geiosum nirent
ubmergées.
La ville d'Ëdepse, qui devait sa célé-
Hrité à ses eaux thermales , ne pouvait
las être éloignée de celles qu'on voit
iQJourd'hui. Le gros vilisj^e de Lk>so^
lont le nom semble dériver d'Ëdepse
AfôchH), situé à une lieue de là , n'est
«ut-etre pas assez rapproché. Beau-
oup plus près des sources, une ool-
ine par sa forme et sa position convien-
Irait à une acropole aiitique. Les débris
iQciens ou'on trouve de ce cêté se bor-
lent à ces colonnes de marbre dans
ioe ehapdle ruinée, au bord de la mer
t un peu au nord de Lipso.
Sur une hauteur voisine d'Ëdepse de-
vait être la ville de Dhtm, nommée par
lomère /VCou alnh moXCcOpov ; car , d'a-
irès te témoignage de Pline, une source
pétrifiait la terre ; et auprès était
Uoènes Diades, fondation athénienne.
>ium dut avoir une certaine impor-
anoe, puisqu'elle envoya son contingent
Troie. De ses murs était sortie une co-
onie qui s'établit en Éolide.
La ville de Périas, nommée par Stra-
on en même temps qu'Ëdepse, était
eut-être dans une position voisine.
Depuis la baie de Lipso jusqu'au vil-
age de Politika, les falaises du Kan-
liii et de la montagne qui les continue
ers le nord se rapprochent tellement
iu rivage, que la route n'est pas prati-
able au bord de la mer pendant plus
ie deux ou trois lieues. A chacune des
leux extrémités de cet intervalle, deux
K>ints présentent une certaine étendue
le plaine , ou des pentes plus douces.
Il n'y a pas à hésiter : c'est là qu'il faut
marquer les deux seuls emplacements
anciens qui nous soient désigna sur
cette côte, savoir : Orobise et iËgse.
Obobije. — Le plus septentrional est
celui é'Orobiœ, occupé aujourd'hui par
le petit village de Roviaes. Outre que
la ressemblance des noms est frappante,
la situation est d'ailleurs indiquée par
un fait que rapporte Thucydide. Pen-
dant la sixième année de la guerre du
Péloponnèse , un tremblement de terre
détruisit à la fois un fort bâti dans l'Ile
d^Atalante et Orobis; la mer envahit
et submergea une partie de la ville. Le
village actuel de Roviaes est précisément
en face de la baie d'Atalante. A Oro-
bise , dit Strabon , était un orade très*
véridique d'Apollon Séiinontien.
Mqjr, — La seconde position antique
est celle d'^gas, probablement près du
lieu occupé par le villageactnel de Umni,
et comme lui au bord delà mer, d'après
répithète de Stace, « humiles iEgas ».
A iEgae d'Eubée, comme à celle d'Achaîe,
il y avait un temple de Neptune ; il était
bâti sur la montagne voisine. Strabon
veut qu'iEgée d'Ëubée soit désignée par
Homère dans ses vers du treizième chant
de rUiade, où il dit que « Neptune vint
« à iKgée, où est son palais magnifique
« au fond de la mer, et y arrêta ses
« coursiers».
Limni est en grande partie habitée
ar des marins et par des pêcheurs;
es habitants cultivent aussi des vignes
sur les coteaux voisins, et font du char-
bon.
Tous les noms anciens que l'on ren-
contre dans l'Eubée sont sur ses ri-
vages; malgré son étendue, de même
Sue les petites lies, c'est de la mer, c'est
e l'extérieur qu'elle semblait attendre
ses ressources et sa vie. N'étant pas
elle-même un centre, elle n'était connue
qu'autant qu'elle était en rapport avec
les étrangers ; ce qui restait dans l'inté-
rieur des terres y était enfoui. C'est
ainsi que l'on .ignore quels ont été les
habitants de cette charmante vallée
ù^ Ackmtt-Âga j qui se cache entre la
plus haute partie de la chaîne du Kan-
dili et les dernières ramifications du
Delphi. Elle est pourtant traversée par
la route qui menait directement d'Oréos
à Chalcis.
P
le
410
L'UNIVERS.
Cette route pendant Foeeupation des
possesseurs modernes et les guerres
qui les agitaient avait une grande im-
portance; aussi était-elle sur un point
remarquablement fortifiée. Pendant une
demi-heure elle est étroitement serrée
entre l'un des plus magnifiques ravins
de la Grèce, si riche en beautés de ce
genre, et les rochers escarpés d'une
aute montasne. Sur le sommet pres-
qae inaccessinle de cette montagne s'é-
lèvent les ruines d'une grande enceinte
et ses tours carrées. Dans l'intérieur,
au milieu des buissons et des grands
arbres qui ont tout envahi , on distin-
Sue deux citernes et quelques débris
e maisons. Du côté opposé a la route ,
la forteresse est protqo^ée par un préci-
Kice sauvage. Là , dans cette position
ardie jusqu'à l'invraisemblance, au
milieu de cette vaste citadelle , un sei>
gneur du moyen âge pouvait vivre avec
un nombreux entourage de chevaliers ,
en sûreté contre toute attaque, ou bien
guetter de loin»ses ennemis et descen-
re pour leur fermer le défilé. On se
souvient encore dans le pays d'avoir
vu au point le plus étroit de la routé
une porte pratiquée entre la côte à pic
de la montagne et un rocher escarpé
qui s'avance au-dessus du ravin. Telle
est la force naturelle de cette position «
que cette porte fermait véritablement
rentrée de tout le nord de l'Ëubée.
TAOlSliME PABTIB.
SUD DE L'EUBÉE
Cabystos. — Garystos est une des
plus jolies villes delà Grèce, non qu'elle
soit mieux bâtie ou réponde plus qu'au-
cune autre, il s'en faut de beaucoup , à
l'idée qu'éveille en Europe le nom de
ville; mais les conditions particulières
dans lesquelles elle est construite lui
donnent un aspect singnlltoment ori-
ginal et agréable. Au fond de la baie
circulaire qui lui emprunte son nom ,
VHaçioi JUoi, l'Ocha des anciens,
dresse à ^us de quatorze cents mètres
son pic pnncipal, laissant tomber brus-
quement d'une telle hauteur ses pen«
tes abruptes et ravinées. Un mamelon
escarpé, de forme régulière et coni-
300 , se détache en avant d'un ravin et
omine la plaine, qui s'étend pendant
une demi-lieue environ jusqu'au rifMc
C'est là bien certainement <}ue s'estd^
vée Tacropoie de la ville ancienne, quoi-
que les travaux des Francs, des YéoitieBS
et des Turcs, en succédant à la tra-
dition antique , en aient &it diqarahte
toutes les traces. Le Castro actuel en-
ferme dans une enceinte triangulaire
une partie de la pente méridionale, et
la coupe par les lignes superposées de
ses murailles et de ses tours, juaquu
sommet, qu'occupe la forteresse. Uau
l'intérieur sont un grand nombie (k
maisons ; la pierre dont elles sont biti6
a conservé du sol où elle a été amdM
une couleur rougeâtre, qui de toia
donne à leur ensemble un aspect au-
logue à celui du quartier turc de Smynt,
et justifie le nom vénitien de Casio-
Rciso,
La ville . à proprement parler, n ett
pas autre chose que le Castro ; il y a me
vingtaine d'années c'est là que se tm-
valent les princinales habitations da
Turcs, mattres du pays. Aujourdliui.
au contraire, l'enceinte fortifiée ett
presque abandonnée, et la plupart dss
maisons y sont en ruines. Presque toott
la population habite des espèces de foa-
bourgs ou machalas *, où l'on conçoit
sans peine que la vie leur soit |h«
agréable. Ces faubourgs longent de
chaque côté la montagne, dont ils suîTfiil
les mouvements, s'amtant surtout àm
les ravins où coulent des sources nom-
breuses et abondantes. Ce sont, eo alitft
du sud-est au nord-ouest, Aétos, Pi^
daki, MUiy Pcdxa Khora au-dessoos dr
l'Acropole, MékoumidaaU'dttsiaB,^
dés, KafyvkL^ Nikasi et Laia. Le pisi
grand des oesquartiers est eeluide Miii
Il occupe le ravin principal » qu'on r
traverse sur un pont et pierre grand
pour la Grèce, et commumque plus ^
cilement que les autres avec la dta-
delle.
Là chaque maison a son jardin et se
Êerd au milieu de la verdure et des l^
res ; il y a deux ans , avant l'hiver d^
sastreux de 1850 , les orangers et les ci-
tronniers y étaient magnifiques; dans b
partie la plus basse, ou les eaux des di-
verses sources se réunissent daas bb
(f) Dénomination turque encore en vsi^
à Carysios et même i K.oumi.
ILE D'EtiBÉE.
411
eao ravin* au milieu des accidents
une v^étation Tariée, de superbes
tôles baignent leur pied dans Teau du
irrent.
C'était au bord de la mer , à Fendroit
% est le port, que le gouvernement grec
ml voulu élever la ville officielle ,
largée de faire revivre la ville et le nom
itiques; un des officiers d'état-major
ivoVés par la France pour faire la carte
} Grèce fut prié d'eu tracer le plan.
lais ce projet est bien loin d*étre exé-
ité ; à peine commence-t-on à bâtir
iielques maisous. On comprend que
s Carystiens se décident difficilement
échanger pour l'habitation d'une
âge dé^uverte et brâlée par le soleil
séjour frais et vert de leurs jardins ,
il ils ont d'ailleurs tout ce qu'il leur
nt pour vivre et où la ville existe de
it pour eux. Le port est médiocre et
lal abrité contre le vent du nord-ouest.
La plaine de Carystos , qui s'étend en
hphithéâtre du cap Paximadi à l'ouest
I cap Mandélo à Test est bien cultivée ;
le est formée d'une terre riche, et
ios être d'une très-grande étendue,
le suffit amplement avec les jardins aux
esoins des habitants. Elle est arrosée
ir deux cours d'eau principaux : l'un,
Mégab-Revmay vient de l'ouest, et
( jette dans la mer à l'extrémité de la
laine, après avoir contourné les mon-
pes du cap ; l'autre est le résultat
^ divers torrents qui coulent autour
s la citadelle , et il a son embouchure
fès du port. Dans le territoire où la
ille antique devait trouver le plus de
issources, il faut comprendre, outre
!tte plaine, une belle.et gracieuse vallée,
ni n'en est séparée que par un petit col
t la continue presque en montant ver»
' nord-ouest. Cinq ou six jolis villages,
ont le plus élevé et le principal est Mé-
<<ona^ la dominent sur la hauteur.
Carjrstos est le dief-lieu d'une des trois
^rcbiesdel'Eubée. Des divisions admi-
tttratives y rattachent tout le pays jus-
Q'à Koumi d'un côté et jusau'à AUvéri
e I'autre,réparti entre cinq dèmes , ceux
^KyméeM,ûe& Cotyléens, des Co-
Strient , des Sttfriens et des Dystiens^
piquels il feut ajouter celui des Carys-
|^A.f. Cet ensemble , beaucoup plus con-
idérable que ne l'ont jamais été les pos-
ions de la viUe antique , est peuplé
de plus de 22,000 habitants. Dans ce
nombre sont comprises quelques familles
turques, qui habitent encore la citadelle.
Les anciens propriétaires ont presque
complètement disparu ; ils ont dû quitter
leurs délicieux jardins, où la vie leur était
si douce : peu à peu Ils ont vendu ce
qu'ils possédaient dans un pays où ils ne
sont plus les maîtres. Toute une admi-
nistration est installée à Carystos. L'ins-
truction y est donnée à deux degrés par
deux maîtres d'école.
Dans le territoire immédiat de la ville,
qui forme le dème des Carystiens, la
dépopulation est peut-être moins sen-
sible que dans le reste de l'île. Les Alba-
nais y occupent une vingtaine de villages,
dont la plupart ne se composent que de
quelques maisons.'Le plus considérable
est Piatanistos , situé dans le principal
des ravins qui se dirigent vers l'est entre
le cap Mandéh et le cap Dor.
Il reste quelques débris de l'ancienne
Carystos dans le quartier nommé Paima'
Khora, Immédiatement placé au-dessous
de la citadelle, il représente parfaitement
la situation ordinaire des villes antiques
par rapport à leur acropole; ce sont
deux culées d'un pont autrefois jeté sur
le cours d'eau ^ui arrose ce quartier ,
un petit autel circulaire trouvé dans un
jardin , et quelques inscriptions , qui sont
enclavées dans des murs. On voit près
du port quelques fondations de cons-
tructions anciennes; sur la rive du petit
fleuve dont l'embouchure est voisine,
quelques fragments de marbre taillés an-
noncent l'emplacement d'un monument
antique. Parmi d'autres débris, qu'on
trouve près du Mégalo-Revma, la figure
du serpent consacré à Esculape tracée
sur une pierre y a fait supposer l'exis-
tence d'un temple de ce dieu.
En somme, il reste bien peu de chose
de l'antique Carystos, qui, à en juger par
le silence des écrivains anciens, n'a ja-
mais dâ être une ville remarquable. Sa
principale illustration dans l'antiquité
vient de ses carrières de marbre. Les
colonnes carystiennes furent en grande
estime chez les Romains, et souvent cé-
lébrées par leurs auteurs. Pline , d'après
Comelius-Nepos, rapporte, comme un
fait qui fit scandale, la prodigalité de
Mamurra , contemporain de César et de
Catulle, qui le premier fit &ire toutes
412
LUNIVERS.
les colonnes de sa maison toot entières
en marbres de Luna et de Garvstos. Le
marbre carystien est un cipoilin vert,
qui semble bien inférieur pour la qua-
lité du grain ou pour la beauté de la cou-
leur à tant d'autres qui ont également
orné la capitale du monde. On serait
tenté d'en attribuer uniquement le fré-
fuent usage à la richesse des carrières ,
la facilité d'y tailler des blocs considé-
rables d'un seul morceau, et à Tavantage
qu'offirait pour le transport la proximité
de la mer. Mais l'admiration des anciens
n'est pas douteuse ; ils étaient frappés
de cette disposition des veines du marbre,
qui leur représentait la couleur et lés
ondulations des flots.
Il est facile de retrouver aujourd'hui
les carrières. Il y en a près d'Âétos , où
se voient d'énormes colonnes delà déta-
chées et à moitié dégrossies sur place. La
montagne renferme d'autres carrières,
plus considérables, au-dessus de MiU;
on peut y voir une colonne qui ne tient
plus au rocher que par un point. Le
marbre carystien se trouve en abondance
dans toute la partie occidentale de la
montagne, entre Caryste etStoura, et les
restes d'exploitation antique y sont fré-
quents.
Carystos était célèbre par un autre pro-
duit de son territoire, l'amiante, que
Strabon définit avec admiration une
Sierre que l'on peut carder et tisser, et
ont on fait des serviettes qu'on jette
dans le feu pour les nettover. Avec ce
fait , Solin rapporte la fable d'oiseaux
merveilleux qui volent impunément à
travers les flammes; cmrieux excès de
l'Imagination populaire, une fois frao-
pée par le spectacle de l'impuissance ae
la plus temble force de la nature. On
trouve encore aujourd'hui de l'amiante
sur une petite colline près de Mélissona,
et surtout dans les environs de Stoura :
il y vient sous forme d'eCQorescence, à la
surface du sol , sur la hauteur et même
au bord de la mer , circonstance rare
aux yeux des géologues. Il n'y a plus de
traces d'une exploitation tentée au der-
nier siècle.
Théophraste et après lui Pline vantent
une espèce de froment carystien, que le
dernier appelle bimestre. 11 poussait
avec une raïudité merveilleuse, était
mûr quarante jours après avoir été semé,
OcbiJ
et donnait un grain plus lourd et phi!
ferme que celui du blé ordinaire. Il n'a
est plus question aujourd'hui. 1
A toutes ces richesses perdues on \à\
gligées, qui faisaient l'orgueil de k«s
ancêtres, les Carystiens actuels n*flÉ
opposent qu'une, et encore n'est-dk
l'oDJet que d'un commerce bien restreai
et n'a-t-elle pas étendu sa célébrité ai
delà de l'Orient : c'est leur miel de rost
Près du petit village de KaUantm, d»
un des ravins septentrionaux de IT
les abeilles le composent avec une pi
Srécieuse des montagnes qull n'est
onné à tous les printemps de prodi
avec un égal bonheur. Sous la d<
tion turque, ce miel parfumé parta^a
avec le mastic de Chio rbonneur d\
réservé pour le harem du sultan,
jourd'hui que toute exclusion jal<
a cessé, il est difficile de se le pi
pur.
HlSTOIBB DB CabYSTOS. — Oo
déjà que Carystos fut fondée par
Dryopes, auxquels se mêlèrent plus
des Ioniens , et qu'une tradition ai
l'origine de son nom à un fils de
La table lui donne pour premier
Briarée, et une légende, aeœptée
l'antiquité, y fait r^er au temps
guerre de Troie Nauplius , père de
lamède : au moins possédait-il à peu 4
distance le cap Capnarée. Elle est nod
mée dans le dénombrement de riUadfl
Son histoire est inconnue avant \à
guerres médiques. Dès le oommeDccfad
de la lutte , sa position , ^ui rassimildl
aux CjTclades et la plaçait sur la rca
des vaisseaux perses, f'exposa à 1^
premières attaques. Assiégée et prise pal
Datis et par Artapheme» il lui fallct,
comme à la plupart des lies , suivre daa
la seconde guerre Xerxès à Salanucft
Après avoir d'abord souffert de roec»
pation des barbares , elle fut ensuite ne
time de la fourberie de Thémisiode, qd
lui venditchèrement des promesses mn*
teuses de sécurité, et de la vengeanei
des Grecs, qui vinrent ravager son tem
toire,
Hérodote parle d'une suene qii*ffii
soutint seule contre les Atmkùens après
le combat de Mycale : c*est sans doou
celle que mentionne Thucydide, au id»
ment des expéditions de Cimoo et de i V
crolssement de la puissance d'Athènes.
de
ILE D'EUBEE.
41S
dit qo*d1e se termina, avec le temps,
r on accord. Ce fait prouve qu*à cette
oque Carvstos avait une existence in-
|)eDdaDte au reste de TEubèe, et qu'elle
lit parvenue à un certain degré de
osperité. Hais bientôt , comme toute
le, elle fat rangée sous la domination
iiénieane. Elle ne joua aucun rôle
rticuUer pendant toute la période de
guerre du Péloponnèse. On voit les
rystiens, dans la septième année,
ivre les Athéniens dans une expédi*
0 sur le territoire de Corinthe et par*
^r la victoire deNicias. Ils fournirent
ir contingent forcé à l'expédition de
!iie. Dans la vingt et unième année
iiènes avait assez de confiance en eux,
assez besoin de troupes étrangères,
or garder dans ses murs , parmi ses
Tenseurs , trois cents de leurs citoyens
nés, qui se mêlaient assez intime-
tatà ses dissensions pour entrer dans
complot des Quatre Cents contre le
lat. On ne voit pas cependant que les
rystiens aient fait exce|)tion au mou-
ment de toute File, qui fit défection
a de temps après. Dans les pério^
s suivantes ils partagèrent le sort de
lobée en général, et passèrent avec elle
os la domination macédonienne. Pen-
Dt la première guerre de Macédoine,
ir territoire fut ravagé , puis leur ville
ise sans résistance par une flotte des
)iDains. Enfin, après avoir eu leur
rt de la liberté illusoire proclamée par
iffiininus aux jeux istnmiaues, ils
èrent définitivement se pérore parmi
1 nombreux sujets de Rome. Sous Au-
ste, Carystos était devenue , ^âce à
chute d'Érétrie, la seconde ville de
epar son importance et par sa richesse.
Un médecin, Diodes, qui vécut
siècle après Hippocrate et le suivit
médiatement dans l'estime des an-
!&8 ; Antigone, contemporain de Pto-
Bée Philadeiphe, qui composa des vies
loromes célèbres et sous le nom du-
el nous avons un recueil d^histoires
Veilleuses ( ^oropCcov ^ncpoSd^cov ouvo-
Ipi); voilà les seuls noms de Garys-
Bs qui soient parvenus jusqu'à nous«
orne rien oublier , ajoutons un athlète
^bre, Giaucus, descendant du dieu
irin dont il portait le nom , dit Pau-
lias. On sait quelle gloire attachaient
i villes anciennes à une victoire rem-
portée aux jeux solennels de la Grèce.
La statue de Giaucus figurait dans 1* Altis
à Olympie. C'était un monument de son
premier triomphe, sur lequel une légende
a été conservée. Il avait commencé par^
travailler à la terre. Son père , Démilus,
le voyant un jour se servir de sa main
comme d'un marteau pour;raju8terlesoc
de sa charrue, admira cette preuve de
force, et eut l'idée de le conduire à Olym-
pie pour y disputer le prix du pugilat. Au
commencement, Giaucus, inexpérimenté
dans l'art de combattre, avait le désa-
vantage; mais il entendit retentir à ses
oreilles cet encouragement paternel :
«iJEn&nt, frappe comme sur la char-
• rue; » et Giaucus frappa si fort que sa
victoire fat immédiatement décidée. Une
fois entré dans la carrière d'athlète, il
poussa plus loin qu'aucun de ses con-
temporains la science de l'art où il avait
d*abord vaincu sans étude.
L'OcHÀ ET SES RUINES. — Le nom
ancien de VHagioS'Itias , Ocha , se ren-
contre chez presque tous les auteurs qui
ont £adt de l'Eubéeune description géné-
rale ou même partielle. Etienne de By-
zanoe lui attribue les origines les plus
diverses et les plus bizarres. Il le iait
venir ou bien de l'union de Jupiter et de
Junon (ôxela), dont cette montagne a
été témoin, ou bien de la vertu fécon-
dante qu'y éprouvaient les brebis (^X8u6-
PLsva), ou bien enfin d'un aliment appelé
ox>i par les Acbéens. Eustathe donne
une autre étymologie, tirée du sens de
l'adverbe ^va, synonyme d'l(6xu>ç, qui
exprime l'idée de supériorité , la mon-
tage de rOcha, d après une fausse
opmion des anciens , s'elevant au-dessus
de toute l'Ile.
L'Ocha renferme les ruines les plus
curieuses qu'il y ait en Eubée ; la prin-
cipale, un temple, mérite même une
Ï^lace particulière parmi les restes de
'antiquité grecque. Sur le plus haut et
le plus méridional des deux sommets
de la montagne, qui est en même temps
le plus voisin de Carystos , une petite
plate-forme s'est naturellement formée
entre deux masses de rochers qui la pro-
tègent au nord-est et au sud-ouest. Elles
lui laissent ainsi la vue, d'un côté , sur
les Cyclades, de l'autre, sur une autre
partie de la mer Egée et sur toute la
suite des rivages et des montagnes de
414
L'UNIVERS.
PËubée jusqu'à la chaîne du Delphi,
dont le pic se dresse en face. Cette belle
position a été choisie par les antiques et
obscurs constructeurs du temple. Je
^▼ais essayer de donner une idée de leur
œuvre , nien que privé du secours indis*
pensable des connaissances spéciales.
C'est un édifice carré, ayant en lon-
gueur une quarantaine de pieds et en-
viron la moitié en largeur. Les murs,
qui paraissent avoir conservé leur hau-
teur primitive, ont à peu près neuf pieds.
H est orienté de manière à oe que les
deux façades longues r^ardent le sud
et le nord.
Les parties vraiment remarquables
de cette construction sont la porte et
la toiture. La porte est au milieu de la
longue façade qui est tournée vers le
micli ; elle a vue par conséquent sur les
Cyclades, dont les plus méridionales
sont dans son axe. Deux grandes pierres,
minces et larges se dressent de chaaue
côté et servent de chambranles; elles
supportent un linteau en deux morceaux
dont rélévation au-dessus du sol est de
six pieds au plus : la largeur moyenne
de la porte , qui est plus étroite en haut
2 n'en bas , peut être de trois pieds et
emi. Toutes ces parties sont régulière-
ment taillées; on distingue même une
petite moulure sur le côté externe de
répaisseur des diambranles.
Le linteau est surmonté d'une énorme
pierre disposée en pente, de manière
a s'avancer un peu en saillie au-dessus
de la porte du coté extérieur, et à s'éle-
ver de là dans la direction générale du
toit. Du côté intérieur de rédifice elle
est soutenue par deux pierres placées
elles-mêmes sur les extrémités du lin-
teau, au-dessus duquel elles laissent
maintenant un vide. Mais pour com-
prendre cette disposition , et pour en
saisir l'effet, il faut d'abord connaître
l'arrangement de la toiture.
Le toit est formé de grandes plaques
de rocher, qui, s'appuyant sur chacun
des quatre murs, se superposent et mon-
tent en pente douce. Cette pente est
déterminée par deux lignes de pierres
qui s'étegent elles-mêmes entre les
murs et le premier rang de tuiles, et ne
sont visibles que de l'intérieur du tem-
ple. l<es tuiles qui partent des angles
des murs prennent une forme et une di*
reetion concentriques, et ainsi tooM
tendent à se réunir à une arête e»
traie, comme dans les toite ordinaire
de nos maisons actuelles. Seulement
trois éteges de ces immenses tuiles w
dû suffire pour atteindre le sommet di
toit , et l'on en compte au plus uoe m
zaine de rangs juxtaposés sur un gna
côté. Quelaues-unes semblent uniqo»
ment placées dans un but d'équilibn
pour peser sur les pointe de jonctitM
des différente étages, ce qui parait ia
diquer dans la toiture une double épais
seur.
La grande pierre qui est au-desn
du linteau de la porte s'avance à dl
seule plus loin que les deux étages à
tuiles qui restent seuls de œ côté.
Dans Tintérieur du tennple , les oii
tériaux des murs sont beaucoup pli
petite qu'à l'extérieur. Le plafond m
lormé des tuiles mêmes de la toitim
auxquelles il faut ajouter les deux éts
ges de pierres qui les soutiennent ii
térieurement au-dessus des murs
déterminent la pente du toit. Ges}?
eit simple, et l'on en conopraid' k
sultat : le plafond n'est autre
que ia sailliede plusieurs lignes de pienj
superposées. A mesure qu'il s'élève .J
saillie augmente et Tépaisseurdes pierd
diminue; la construction et l'efiét y ■
gnent en légèreté; ainsi si'atténue '4
contraste peu naturel, produit par h
titesse des matériaux intérieurs
murs et par les dimensions écrasai
des pierres du plafond.
Ce temple est une œuvre primitive j
grossière; malheureusement, à den
de la valeur (|u'il n'a pas par lai-mèm^
on ne peut lui accorder une place imps
tante dans l'histoire de larL On s
reconnaît le commencement d^auod
de ces traditions qui, dans un eerciei
apparence borné, ont produit les pi
beaux chefs-d'œuvre derarchitectorv^ij
tique. Cest simplement un exemple^
construction laissé par un âge trd
reculé : à ce point que , pour ne pi
admettre une petite exception à cet «i
chatnement, si remarquable et si a
tureliement logique , que présente i
Grèce le développement des arts.^
pourrait songer a se demander s^il s*u
ici d'un temple ; mais le doute n*est p^
possible. QueL autre but qu'un but i^
a
ILE D^EUBÉE.
415
igieas aarait fait construire un mo-
oment sur cet emplaeetnent inhabi-
ibie? On sait d^ailleurs que le culte
es divinités grecques a consacré sou*
ent des sommets beauooun plus éle-
és encore que celui de l'Ocha, ceux
u Taygète et de FOlympe, par exemple.
De plus, quelque Mrbare que soit
édifice en question, on doit y constater
ertains efforts pour atteindre à une
erfection relative, et pour en feire une
laison digne d'un dieu. Ce fait ressort
'une comparaison de ce temple avec les
airesruines de l'Ocha, et d'où il résulte
ne le temple a peut-être été le chef-
'œuvre, bien roodesteil est vrai, d'un art
estiné à disparaître sans bruit , comme
I race elle-même qui l'avait créé.
En effet, à quelques lieues de là, der-
ière Stoura , dans un coin de la rami-
cation de l'Ocha, qui remonte vers le
ord, se cache une ruine que tout le pays
mnatt sous le nom de la maison au
^agoHy parce qu'on la rejgarde comme
( séjour de ffénies malfaisants. Aussi,
KO peu d'haibltants consentent à y con-
luire les voyageurs.
U maison du dragon est un en-
nnbie de trois monuments adossés à
I montagne et symétriquement dis«
osés : deux s'avancent parallèlement et
tissent entre eux un mtervalle égal à
t largeur du troisième, qui est placé
B arrière et, par suite de la pente du
nain , un peu au-dessus. Les deux pre-
iKrs sont les copies réduites et gros-
ires du temple de l'Ocha. Cest exao-
neot le même système de constrution,
tais avec des matériaux beaucoup plus
^ts, plus mal joints et plus mal tail-
t, quand ils le sont. Comme pour
■npjéter la ressenïblanoe et pour mar-
ier jusqu'à quel point il était donné à
^' architecture barbare de résister
Fiction du temps, l'état de conserva-
^ des toitures est aussi le même :
jtont les pierres du sommet qui ont
^, sans cependant qu'il en résulte
large ouverture. Les portes, percées
milieu de deux des longs cotés, se
'^ face et ouvrent par conséquent sur
^ace vide qui sépare les dfeux mo-
ments. La porte du troisième y donne
idernier estune petite rotonde, cons-
Ke, malgré cette différence de forme,
d'après les mêmes principes. Les tuiles
de la toiture , disposées en rayons et
plus larges à la base qu'au sommet ,
montent vers on centre commun que
devait remplir une pierre de forme cir-
culaire ; elle manque seule aulourd'hui.
On conçoit quelle doit être l'espèce de
coupole qui résulte de cette disposition ,
et quel en est l'effet intérieur. Comme
les plafonds des monuments carrés,
elle est formée de rangs de pierres su-
perposées , dont chacun suit une pente
douce , dont la saillie augmente et dont
l'épaisseur diminue à mesure qu'ils ap-
prochent du sommet. Cette construction
présente une analogie sensible avec celle
du Trésor d'Atrée à M^^cènes.
Qu'était-ce que ces trois monuments?
Faut-il voir dans le principal un trésor,
et dans les deux constructions acces-
soires les demeures des familles pri-
vilégiées de ses gardiens. Ou bien fera-
t-on de leur ensemble le palais d'un an-
cien roi, composé des parties destinées
à l'habitation et d'une salle solennelle
de conseil ou d'apparat : merveille d'in-
dustrie admirée de la peuplade barbare
campée à l'entour ? Ou bien, sans cher-
cher si loin, se tirera-t-on d'affaire par le
mot de temple, si oommode pour dési-
gner les restes inexpliqués de l'antiquité
ffrecque? Toutes ces hypothèses sont
paiement bonnes ou plutôt également
mauvaises , parce qu'à toutes les bases
manquent également. Ruines sans nom,
témoignages mystérieux de l'existence
ignorée d^n peuple obscur , ces hum-
bles monuments ont seulement le mé-
rite de constater les efforts et les progrès
des hommes qui ont construit le tem-
ple de l'Ocha, et de confirmer la haute
antiquité de cet édifice.
A côté du temple de TOcha est une
Ïietite chapelle consacrée à saint Élie ,
e patron des pics les plus élevés de la
Grèce et le successeur ordinaire d'A-
pollon, divinité particulièrement ho-
norée des Eubéens. Cest à ce Dieu par
conséquent que le temple a pu être dé-
dié. Tr^-grossièrement construite avec
des éclats de roches , la chapelle n'en
est pas moins le but d'un pèlerinage
annuel, dernier reste peut-être d'une
tradition antique, qu'accomplissent tous
les habitants de Carystos et des villages
environnants, le jour de la fête du saint.
416
LUMIYERS*
C'est pour eux une oartie de plaisir
autant qu'un acte de aévotion ; en des-
cendant de la chapelle, les j^roupes s'ar-
rêtent dans un grand bois de châtai-
gniers qui s'étend sur une des pentes
occidentales.
L'Ocha, lorsqu'on a passé cette partie
âpre et nue qui domine Carystos, offre
aux yeux une nature toute 'différente *
et découvre des richesses de végétation
et une variété d'effets que le premier
aspect ne faisait pas soupçonner. Un
des effets les plus beaux est celui que
présente un petit vallon situé à une
grande hauteur, à l'est et au bas du pic
principal. Les rochers gris de ce som-
met au-dessus de toute la scène, au milieu
quelques énormes troncs de châtai-
gniers brûlés au temps de la guerre de
rindépendance, et sur plusieurs des
pentes environnantes de grands chênes
verts qui se détachent en noir sur un
sol blanchâtre, suffisent, avec certaines
conditions de lignes et de couleurs qu'au-
cune plume ne pourrait rendre , pour
donner à l'ensemble de ce petit désert
un charme singulier et un air de gran-
deur. Le caractère général de la mon-
tagne est sévère. Presque toujours les
arêtes hardies de ses flancs conser-
vent une nudité imposante; mais les
profonds ravins qui la sillonnent ren-
ferment le plus souvent de gracieux dé-
tails que la nature ne se lasse pas de
varier avec une fécondité inépuisable : des
cascades ombragées de grands platanes,
des torrents dont les détours disparais-
sent au milieu de la jolie végétation des
chênes verts et des arbousiers , et d'har-
monieux mélange de verdure qui mon-
tent sur les pentes , autour des petites
maisons éparses dont se composent les
rares villages de l'Ocha.
Lbs caps Gébbstb et Gaphabéb.
— Dans toute cette partie , les souvenirs
antiques n'illustrent que les deux caps
2ui fa terminent au sud et au nord , le
reraestos et le Capharée , maintenant
Mandela et Capo-Doro, Leur position
est bien nettement indiquée par les au-
teurs anciens.
Le nom deGeraestos s'appliquait aussi
à un petit port bien abrité par le cap et
{»ar les montagnes voisines. U était cé-
èbre dans l'antiquité, malgré le voi-
sinage de celui de Carystos, soit parce
que le mouillage y était plus aâr , toit
parce qu'il se trouvait pins direetenent
sur la route de la Troade et de B^rzanee,
pour les navigateurs, qui venaient de
t'Attique ou du Pélopoouèse. Gersitos
reçut Nestor, Diomede et Ménélas an
retour de Troie. C'est dans ce raênieport
âu'AgésUas rassembla ses troupes avast
e partir pour son expédition d'Asie. Les
avantages de sa situation pour ie com-
merce et pour les opérations militaires
sont prouvés par plusieurs textes. Auprèi
de Gersestos était un temple de NeptuiK,
d'une grande célébrité. Son iroportanee
est attestée par Strabon.
Là aussi avait été enseveli PAtiiéoia
Hermolycus , qui de tous les Gms
s'était le plus distingué au combat d«
Mycale. U avait été tué dans une guirre
entre les Athéniens et les Carystiens.
Du tombeau d'Hermolycus , pas piui
que du temple, on ne trouve aujourd bui
de traces reconnaissables. Le port s*ap-
pelle le port Castri^ nom venu sau
doute de quelques misérables fortifi-
cations vénitiennes ou turques, dont on
voit les ruines stir un petit promonloln
qui. le ferme au nord.
Etienne de Byzance fait de Geraestes
le nom d'un fils de Jupiter ; il donne
aussi l'origine du nom de Caphar».
mais d'une manière bizarre, si foo
songe aux souvenirs éveillés par le lien
auquel il s'appliquait. Ka^r^psuc viendrait
de kaOxjpevK , nom primitif d*nne radr
(l7c(v£iov) « où les Eubéens faisaient pu-
rifier les naviffateurs ». S'agissait-il de
cérémonies religieuses ou d uœ espèce
de quarantaine?
On connaît la vengeance deNaaplius.
le naufrage de la flotte grecque et la
mort dramatique du fils d'Oîlée. A partir
de ce moment les écueils de Capoaitr
ont eu leur réputation bien établie obet
les poètes et même chez les historieu.
Ces traditions semblent s'être const^
vées dans le nom expressif de hui^
fago^ qui a précédé le nom acM.
Les habitants assurent qu'un courant
se dirige des Dardanelles sur le eap
Dor; ils s'appuient sur ce fût, qu*i|»
trouvent assez fréquemment sur le ri-
vage des débris de naufrages loistaios.
Ce phénomène avait aidé les projet^
de Nauplius ; il a pu en nr^arer re.\f>
cution a son aise^ car du haut de b
ILE D'EtJBÉE.
411
noDtagiM gui domine le ap , on rai
08(]ii'8iix Iles de Ptara et de Chio
i jusqu'à la oAte d'Anatolie. Dans un
"ayon moins étendu, on est frappé du
urieux effet produit par la suite des
ivages escarpés de Tlle, dont les lignes t
iiTersement coupées, tombent à pic dans
a mer, les unes derrière les autres, de-
rais le pied même du cap jusqu*à la
K)iote de Koomi, en face de n\e de Scy-
os. A peu de distance, au delà d*une
laie, s'élève, sur le petit promontoire de
^fùiagra, une fortification importante
Toù Venise surveillait autretois les
oers qui lui appartenaient. On dit qu'au*
irès sont des mines de cuivre, ou Ton
eeonnatt des traces d'exploitation an*
ique. Le Capharée est aujourd'hui oc-
«pé par deux petits villages; on y cul-
ive un tabac estimé en Grèce.
Ruines situées entre les caps
ÎBR^ESTOS ST Capharée. — Entre ces
leux caps, dont aucune ruine ne rap-
lelle aujourd'hui les noms anciens,
leux Tavins renferment des restes an*
iques, qui en échange ne se rattachent
I aucun souvenir : ce sont les ravins
le PlatanistoM et de Kapsouli. Le pre*
Dier est le principal et le plus beau de
oute la montagne , de même que Pla*
aoistos en est le village le plus impor-
ant. A quelques minutes de ce village ,
ior le nva^e gauche du torrent, se
rouve la ruine, appuyée contre la pente
le la montagne.
Cest un grand soubassement destiné
I supporter une plate-forme parallèle-
^mme, et se dirigeant, dans le sens
le sa plus grande lon^ur, de l'ouest
i Test. A cause de la disposition du ter-
aio, il n'a jamais eu que trois faces ,
loDt deux sont vite arrêtées dans leur
léveloppement par le mouvement du
iol. La face méndionale, la plus consi-
iérable, est en grande partie encore de-
)out. Elle avait au moins deux cents pieds
le long; sa hauteur, qui s'est conservée
lans presque toute l'étendue de l'édifice,
nVn dépassait pas une quinzaine. La
instruction est régulièrement formée
le grosses masses schisteuses , plus lar-
ges que hautes. Il faut distinguer dans
ie monument deux parties : l'une, qui
reste tout entière et comprend à la fois
le mur occidental et la moitié du mur
nd jusqu'à l'angle sud-ouest, est mieux
37* livraison. ( Ile de d'Eubée. )
'/
taillée et polie exléiieoreinent. A l'angle
surtout se voit une espèce de plinthe
à deux étages, faite en pierres plus pe-
tites et proportionnellement plus basses.
On distincte près de la ligne de jonc-
tion de cette partie de mur avec l'autre
une inscription en caractères archaï-
ques, irré§fulièrement tracés, qui a é^
recueillie.
La seconde partie de la construction,
oui est à moitié détruite et comprend
1 autre angle , est beaucoup plus gros-
sière; le plus souvent la surface des
pierres n'est pas polie; quelques-unes
dépassent même la ligne de l'angle.
Le caractère de toute cette ruine et
finscription qu'elle a conservée attes-
tent une antiquité qu'on ne peut f^re
remonter moins haut que le septième
siècle. Tout ce qu'on peut dire de ce
vaste ensemble, c'est qu'il servait sans
doute à former une enceinte religieuse.
Dans la partie nord-ouest, une chapelle
seule oftre quelques restes; un de ces
murs paraît être le mur en place d'un
Eetit temple : les matériaux , petits et
ien ajustés , sont en marbre ; au bas
est sculptée une moulure. Une fouille .,
2ui permet de voir ce détail , n'a fait
écoovrir , d'après le témoignage d'un
paysan, qu'un petit vase.
Les autres ruines , celles du ravin de
KapsouUy sont connues en Eubée sous le
nom d'Archambolis ( 'Apx,a{a n6Xic , la
ville antique), et produisent sur l'ima-
gination des gens du pays un effet qu'ex-
plique leur position extraordinaire.
Quand on arrive de Dramesi, l'un des
villages intermédiaires entre Platanistos
et ces ruines , on voit tout à coup se
creuser à ses pieds un ravin extrême-
ment profond et étroit ; des rochers
escarpés, dont les déchirures se corres-
pondent d'un côté à l'autre, semblent
prêts à s'emboîter de nouveau, s'il
pouvait se faire qu'un effort immense
les rapprochât; au moins gardent-ils
des traces frappantes du bouleversement
qui les a séparés autrefois pour livrer
passage au torrent qui roule au fond :
tel est remplacement de la ville an-
cienne. De l'autre coté du torrent, à une
trentaine de pieds au-dessus, on aperçoit
les restes de cette cité suspendus sur une
saillie de rocher inaccessible. Ce sont
quelques constructions carrées , gros*
27
4iS
i/tmivÈAK
fiièrement formées avec la pîéite de lâ
montagne voisine, qui se détadte en
plaques dures et minces. Petites et ados-
sées à une pente rapide , il n'en reste
que les murs d'appui , qui du côté du
ravin peuvent s*éievef à une dizaine de
pieds. Il serait difficile de décider s'il
rduty Toir des maisons ou des essais
de fortifications. Peut-être s est-on pro-
posé les deux buts : car on ne peut guère
expliquer que par la crainte dit danger
ridée singulière (]ui a porté les anciens
habitants à choisir cette position dé pré-
férence à d'autres, beaucoup plus natu<>
relies , dans des parties plus larges du
même ravin. Le voisinage de la met
i^it penser aux pirates. Il est probable
que ces étranges demeures ont été de
bonne heure abandonnées , et l'on y
comprend mieux gue partout ailleurs
le silence de l'histoire. Après un dernier
détour des rochers qui cachent ces rui-
nes, le torrent arrive à la mer. On
trouve sur le rivage des ossements pé-
trifiés , nouvelle preuve de la révolution
géologique qui a produit ce * ravin dé-
chiré.
Points antiques voisins de Cà-
BYSTOS. — Dans le voisinage immédiat
de Carystos et de la masse principale
de rOcha doivent ^e placer quelque^
noms anciens. Entre Amarynthe. dépen-
dance d'Érélrie, et Carystos , 1 énumé-
ration de Ptolémée nomme le Port du
Lion. La désignation est vague : peut-
être, à défaut d'indication plus sûre,
peut-on s'aider d'une tradition rapportée
par Héraclide de Pont :
a Les Nymphes, dit-il, habitaient au-
« trefois cette île (Céos), riche en sources ;
« mais un lion les ayant effrayées , elles
« s'enfuirent à Carystos. De là vient qu'un
« promontoire de Céos s'appelle /!s Z,tan. »
De ce texte ne pourrait-on pas induire
à la fois la position du cap de TEubée et
l'origine de son nom? Des deux caps
oui avoisinent Carystos, celui qu'on
désigne aujourd'hui sous le nom de Paxi-
maaa est situé entre cette ville et l'em-
placement d'Amarynthe ; c est en même
temps le point de TEubée le plus rap-
proclié de Céos. Les Nymphes ont donc
pu y aborder et y consacrer, comme à
Céos, par ce nom dû Lion , le souvenir
de leur exil et de sa cause. Les rivages
du cap Mandéli , point le plus meri«
diofiaf de FEubèe , ponaieni le nom de
Leuôé'Actéy rif âge Blanc.
Position des Cbbux ou Gceia. —
Un point plus difficile à déterminer est
celui que plusieurs textèâ aneiens dési-
gnent sous le nom de Coda d'Eubée,
xk KotXa. Cette dénomination a été pto-
sfeurs fois appliquée dans rantiqiiîté
à des vallées profondes et à des défilés
encaissés. Eii Eiibée il s'agit, si Ton
peut s'exprimer ainsi, de certaines con-
cavités du rivage , qu'il faille entefidre
bar là une disposition générale déforme
dans une assez grande étendue des cdtfs.
on bien un ensemble de plusieurs petite!
anses.
Hérodote raconte que deux eents vas-
seaux détachés de la flotte perse, postée
aux Aphètes sur la côte de la Magnésie,
pour faire le tour de l'Eubée et pénétm
dans l'Euripe par le sud, à Tinsu <ks
Grecs , furent assaillis par la tenipdf
en Êice des Cœla d'Eobée et brisés contre
les rochers; et il remarque Qu'ils sorf
f rirent plus que le reste de la flottf .
parce qirils étaient en pleine mer. O
texte semblerait indiquer que les Cœli
étaient ou sur le rivage orienta! , ou tout
au moins, pour ne pas exagérer la ts-
leur des mots grecs, sur la côte occiden-
tale au-dessous de Styra, point à partir
duquel le canal se resserre beaucoup
Dans les Troyennes d'Euripide, Mi-
nerve, préparant avec Neptune le nau-
frage des Grecs au Capharée, Texhorte
à remplir de morts les Cœla, qu'il faut
sans doute reconnaître dans son exprîs-
§ion xoî^ov Eù6o{aç [ivybv. Voilà une in-
dication plus précise , bien que diez m
poète , et elle s'accorde avec la pr«^
dente : il n'est pas invraisemblable qc^
les vaisseaux des Perses se soient brise
au point le plus périllenx de leur I>^
vigation.
Longtemps après, conservant la même
tradition , Dion Chr}'SOstome , dans sa
Pastorale du Chasseur y fait aborderas^
Cœla un naufragé qui , en venant ai
Chio, a brisé son vaisseau sur les ny
chers du Capharée.
Cette position paraît encore désigna
ar d'autres textes. Ptolémés nommr
es Cœla après GeraeStos et le Capharre:
et son interprète, Agathodémon, le
place dans sa carte un peu au nord de
ce dernier cap. Le nom y serait suffi-
l
ILE ITEUBÉE.
41$
tammetit josiiAé parles anfractuontés
iscarpéesdti rita^j^.
Tite-Iive prononce le nom des Gcela,
t en parle loi aessi comme d'un Ue»
langereox peur les marins, tinus sus-
)ecius nautii. A cause de la crainte
lu'ils inspirent, la flotte romaine, après
a prise d'Oréos, se hâté de retourner
u Pirée avant les tempêtes de Féquinoxa
'automne. €e passage ne contient au-
an renseignement topographique ; mais
omme à cette époque Chalds était au
loufoir de Philippe, en guerre avec les
lomains, on peut conclure que leur
lotte ne prit pas le chemin de TEuripe,
|ai lui était fermé, et que par consé-
«ent dans le récit de Tite-Live , les
kela doivent être sur la côte orientale.
D'un autre cdté, Strabon appelle Cœla
I partie des cdtes d'Euhée comprise entré
iulis, ou, suivant une autre leeon, entre
Sialcis et les points voisins de Gerses*
os. D'autres textes viennent au secours
ecelai du géographe ancien, et donnent,
lans un sens anakcue, une indication
ilos précise. Valèrc^axime et après loi
iOcam racontent la mort du Romain
Lppius près des Cœla. Pendant la lutte
e César et de Pomoée, désireux d'en
opnattre Tissue, il ^adressa à la pj-
liie de Delphes, qui lutfit cette réponse :
K^ette guerre ne te concerne en rien ;
tu occuperas les Goela d'Ëubée; NihU
ad te hoc^ Romane^ belluni : Eubcea
Cœla obtinebU. » Sur la foi de cet
racle ambigu, il s'imagina qu'Apollon
û désignait une retraite ou il allait
ivre à l'abri de tout danger , et se
ûre, dit Lucain,un royaume paisible
u milieu du fracas d'une guerre où se
disputait Tempire du monde. Ces espé-
ances égoïstes furent trompées; il alla
■Kmrir de maladie près des Cœla avant
I bataille de Pharsale, et y fut enseveli.
l!'estla manière dont il prit possession de
e rivage, et réalisa la prédiction du dieu.
, Les Cœla, pour Valère-Maxime, sont
itoés entre Carystos et Rhamnonte, le
loint de la côte attique le plus rappro-
^ de TEubée; ainsi ils comprenaient
a baie de Styra et celle qui est fermée
n sud par les îles Pétalides.
^ £n résumé, on a sur la position des
^la d*Eubée des indications tellement
apposées qu'on serait tenté de les ap-
>»qaer à deux parties différentes de la
ménle Us. Pour sortir d'indécision , U
ihudrait être autorisé par quelque mo-
nument antique, par exemple par le
tombeau d'Appius; mais sur toute la
côte méridionale d'Éubée les monuments
sont rares ou muets.
Mâbma&ion. — Marmarion, où
Strabon indique des carrières de marbre
earystien et un temple d'Apollon Mar*
marinos, ne pouvait être aue sur le ri-
vage de la baie qui est située derrière les
lies Pétalides. « De là, dit-il, on passe
< k Hal»-Araphénides. » C'était en
effet le point correspondant de la côte
de l'Attique. Aujourd'hui encore,!quand
la traversée est difficile jusqu'au port
de Carystos, c*est dans cette baie que
les marins vous conduisent. On aborde
près d'un petit village nommé Mar*
mara. Ce nom n'est point un souvenir
de Marmarion, mais, comme le nom
antique, il doit évidemment son origine
au voisinaffe des carrières.
Le temple de Marmarion est une nou«
velle preuve du culte particulier rendu
en Eubée à Apollon et à Diane. Les
Carystlens se réunissaient aux Érétriena
pour eélébror la fête de Diane Ama-
rysia. Une tradition rapportée par
Hérodote montre le zèle avec lequel ils
honoraient cette déesse. Un envoi sacré,
destiné à Délos par les Hyperboréens ,
fut transmis de peuple en peuple et tra-
versa ainsi toutel'Eubée. Les Carystiens,
qui le reçurent les derniers de l'Ile, le
transportèrent jusqu'à Ténos , quoique
Attdros fût plus rapprochée.
Sttba. — Cette ville était située sur
le canal d'Eubée, à l'entrée d'une petite
plaine, la plus considérable que l'on
trouve à l'ouest de Carystos. Le rivage^
jusque là presque toujourr très-escapé,
s'abaisse, les montagnes se reculent vers
l'est, et en même temps l'tle se resserre.
Nulle part elle n'est plus étroite, si l'on
excepte l'isthme qui précède au nord la
presqulle de Lithaaa; à une journée
de là seulement, à partir d'^/ireri, elle
se développe de nouveau pour atteindre
en largeur sa plus grande étendue^
De la ville antique il ne reste que les
deux premières assises d'une tour car*
rée , à partir de laquelle l'acropole a dû
suivre la pente d'une colline étroite et
allongée oui s'appuie sur la montagne.
Au bas, au côté de la plaine, sont beau*
430
L*DMVER5.
coup de tombeaux. Dn edtë opposé est
UD petit port bien fermé, dont un écueil
rend la sortie difficile par le vent da
nord; il sert d'échelle à la ville mo-
derne de Stoura.
L'emplacement antique est complè-
tement abandonné ; Stoura s'est élevée
dans une position plus commode et
{>lus saine, à une lieue des rochers de
'acropole ancienne et des marais du ri-
Tage. De la ville, ou plutAt du village
de Stoura proprement ait, en dépendent
plusieurs autres, qui sont considérés
comme ses fauboui^ , de même qu'à
Koumi et à Carystos. Cet ensemble,
qui fournit au plus le chiffre de quinze
cents habitants , occupe une situation
agréable, sur les dernières pentes >de la
montagne, où des cultures et des landes
couvertes d'une jolie végétation se par-
tagent un soi accidenté. De grands
champs d'orge et de maïs sont au bord
de la mer. Un cours d'eau assez consi*
dérable coule au bas des villages mo-
dernes, et va chercher son embouchure
à peu , de distance de l'acropole i^an-
tique.
RniNBS DU MONT Kuosi. — Quand
on vient de Carystos , si , au lieu de des-
cendre à Stoura par les pentes boisées
qui y conduisent, on suit la crête de la
montagne oui tourne du côté de l'est , on
trouve sur le point le plus élevé, aujour-
d'hui le mont Kliosi, un fragment de
mur ancien. Ce sont quelques grosses
pierres, irrégulièrement taillées, qui Joi-
gnent deux parties de rocher très-escar-
pées, étroites , hérissées de pointes et en
ap|)arence inhabitables. Auprès est une
petite chapelle consacrée à saint Nicolas,
le patron des marins, autour de la-
quelle les bergers ont construit contre le
rocher des abris grossiers pour leurs
troupeaux. Malgré la singularité de cette
situation, il faut reconnaître là une
acropole ou tout au moins une for-
tification antique; elle était destinée
sans doute à servir de poste d'observa-
tion plutôt que de retraite en temps de
guerre. On pourrait supposer que là
turent les demeures premières des Sty-
riens, avant qu'une civilisation plus
avancée et une sécurité plus constante
leur eussent permis de descendre au
bord de la mer et d'y rechercher les
avantages du commerce. Les ruines
qu'on voit sur le rivage n'appartamk
pas à une antiquité tra-reeulée.
En face de la baie qui creuse le ri-
vage, à partir de Slyra, est une petite
tle qui partage le nom de la villeactaelie.
Cest l'île antique d'i&iléa, où Hippias
laissa les prisonniers âétriens avant de
conduire les Perses à Marathon , dont
le cap se voit à peu de distance.
HiSTOifiB BB Stysa. — Styra, de
même que Carystos, fut fondée par les
Dryopes , chassés du Parnasse par Her-
cule. Plus tard , elle reçut des cdoDies
de la Tétrapole marathoaienne, et es
particulier du dème des Styrieos. Sans
importance par elle-même, elleeoofoBd
constamment son histoire tantôt arec
celle de Carystos, dont elle dépeodaitoa-
turellement , tantôt avec celle d*Ërétne.
Elle est citée dans le dénombrement de
riliade ; elle put envoyer au siège de
Troie les habitants de la maison à
Dragon. L'époque des guerres médiques
est sa période oe gloire : à un moment
où Carystos est forcée de suivre Xenès
et où Chalcis emphmte des vaissean
aux Athéniens, les Styriens foumisseat
à la flotte d'Artémisium et à celle de
Salamine deux vaisseaux qui leur appar-
tiennent. 11g figurèrent à Platée, et leur
nom était écrit sur le piédestal d'Olym-
pie à côté de celui des Érétriens, aui-
riels ils s'étaient réunis pour enyom
Platée six cents hommes. Plus tard.
on les voit, sous la domination athé-
nienne, contribuer à l'expédition de Si-
cile. Ils payaient à Athènes un trlM
annuel de onze cents drachmes. Dans la
guerre lamiaque, leur ville fiit détruite
par le sénéral athénien Phédros. Do
temps de Strabon, leur territoire était
devenu la possession des Ëréurieos.
Si à plusieurs époques , et partieuiiè-
rement à la dernière, dont s'occupe llii^
toire, nous voyons les Êrétriens maîtres
de Styra, il n'est pas douteux qu'ils
n'aient eu plus souvent encore sous leur
autorité les points intermédiaires eotit
cette ville et la plaine d*jéticéri, qui
semble avoir toujours appartena à ^
territoire. De Stoura à AUoérh les inoo-
tagnes occupent presque tout Tétrort
espace que 1 île dispute à la user. Qq<^
ques villages cependant ont pu s'y élever-
Le principal, Armyropoiàmoiy qt» J
environ une centaine de maisoas es
ILE D'£UBÉE.
431
joliiiiait dtaé dans un vallon, anqoel'
conduit un beau rafin. Sur le pic le
plus élevé des montagnes voisines se
voit un palaeo-kastro vénitien , et un pea
plus au nord , près de Zarka , est une
tour hellénique également placée sur la
hauteur, et qui est peut-être l'antique
Zarétra prise par Phocion.
Ruines de Dystos. — A deux heures
d'Armyroçotamos , vers le nord-ouest ,
est une ruine relativement importante,
dans laquelle on s'accorde à reconnaître
Taotlque Dystos. On donne aujourd'hui
ee nom à un petit village albanais , où
sans doute aucune tradition ne l'a con-
servé. Dans une plaine assez grande,
presque entièrement inculte , et en par-
tie marécageuse, s'élève une ancienne
acropole. Elle occupe une hauteurisolée,
de forme conique, qui s'avance du côté
de l'ouest et du nord dans un petit lac.
On suit toute la ligne du mur d enceinte
sur la pente qui descend vers la plaine;
on la voit à partir des ruines de la porte
principale monter de chaque côté ^ sur-
tout vers le sud , jusqu'à ce qu'elle ait
rejoint des rochers escarpés, qui du côté
du lae suffisaient à la défense. Cette
%ne est double vers l'est. La construc-
tion des murs est polygonale ; <^est un
mélange bien agencé de grandes pierres
d'une épaisseur médiocre, et de petites ,
en moins grand nombre, qu'a lournies
le rocher même de l'acropole, tout
entier formé d'un marbre blanc possier.
De distance en distance sont des tours
carrées dont le travail est plus régulier
quecelui des murs.
la porte principale, qui esta peu près
complète , est remarquable par les dé-
tails de sa construction, et offire en même
temps un curieux exemple des premières
oombinaisonsdes Yaubans antiques. Elle
est percée dans un petit mur qui joint
perpendiculairement une tour au mur
aenceinte, et en face d'une seconde
tour, qui s'élève à peu de distance; de
telle sorte que les assaillants ne pou-
vaient y arriver qu'en tournant et en
^'exposant à recevoir par-devant et par-
derrière les projectiles /des ennemis
placés sur les tours. Cette porte est laree,
évasée par le bas, et construite avec des
pierres plus grandes et plus régulières
que celles des murs. Le hnteau est d'un
Mul bloc. lies deux pierres qui le sou-
tiennent s'avancent en itoillle de chaque
côté , sur l'épaisseur de la porte, et sont
taillés de manière à représenter des es-
pèces de consoles grossières.
On trouve plus au sud une autre porte
plus petite et plus sibple. Percée d*a*
près une disposition analogue, elle
donne entrée dans un ouvrage dé for-
tification, d'où l'on ne pénètre dans l'a-
cropole que par une seconde porte, plus
petite encore, dont l'axe est perpendi*
culaire à celui de la première. Ainsi
l'on n'arrivait dans l'enceinte (|u'après
avoir changé deux fois de direction.
L'acropole renferme plusieurs ruines
de constructions antiques, des fondations
diverses, les premières assises d'un édi-
fice carrer, mais surtout des restes fort
curieux situés au-dessus de la petite porte.
Voici en quoi ils consistent.
Un mur formé d'énormes matériaux
soutient la pente de la montagne, et cet
appui solide sert de fond à plusieurs
maisons dont on reconnaît les chambres,
petites et nombreuses. Autant qu'on
peut en suivre le plan , ces chambres
semblent le plus souvent n'ouvrir que
sur des couloirs communs. On voit un
grand nombre de portes, toutes avec
leur linteau. On entrait dans la prin-
cipale maison par une porte placée la-
téralement tout près du mur d'appui.
Extérieurement, cette maison est cons-
truite, comme les tours, avec de grosses
pierres. Trois des chambres qu'elle ren-
ferme, à l'intérieur, offrent une dispo-
sition remarquable, qui parait annoncer
une intention d'élégance : parallèlement
construites, chacune d'elles a une double
porte, dont les deux parties sont séparées
f}dx une pierre mince dressée vertica-
ement et se présentant en face sur l'é-
paisseur. Au-dessus, les différents lin-
teaux suivent une même ligne.
L'ensemble de ces ruines porte le ca-
ractère d'une antiquité reculée; sans
prétendre leur assigner une date plus
précise, on peut les rapporter à l'épo-
que intermédiaire entre la guerre de
Troie et le sixième siècle.
Cette forte acropole porte des traces
d'occupation plus moderne. Une partie
du mur d'enceinte a été réparée, et au
sommet s'élève, au milieu de débris de
murs , une tour franque en ruine. Un
fragment de Théopompe nous apprend
4Sfi
LinflTE&&
qqa Philippe, k para d'Alexandre , fit
«tancer soq armée contre la ville de
!^sl08 en venant d'Érétrle.
Le lac, après avoir baigné le pied du
rocher jde Tacropole, long^ la montagne
à l'ouest pendant une demi-lieue; il est
profond dans toute cette partie, et y
-communiquait autrefois avec la mer par
un catavothre aujourd'hui bouché. Du
côté opposé, il se termine dans des ma<
récages. Dans la plaine sopt semés deu^
ou trois pauvres villages coranne celui
de Dystos , auprès desquels on remar-
que quelques oliviers. Les montagnes
qui renferment de tous côtés sont grises,
et le rocher s'y montre sous de maigres
buissons : tout cet ensemble est triste
d'aspect. '
La plaine de Dystos communique
d'un coté, par une route dans les mon-
tagnes, avec la plaine &Âiivéri, et de
l'autre, par un petit col, avec la vallée
é!AvlonarL On rentre ainsi dans la
partie centrale de l'Eubée , par laquelle
nous avons commencé la description
géographique et l'histoire ancienne de
cette île.
II.
PBÉCIS HISTOBIQUB SUBL'ÎLE d'EUBÉB
pbndant le moyeit age et les
temps hodebnes.
L'Eubbe jusqu'à Constantin Poe*
PHYBOGÉNBTB. — Gommc la plupart
des Iles de l'Archipel célèbres dans 1 an-
tiquité, l'île d'Eubée disparaît de l'his-
toire après la conquête romaine et pen-
dant presque tout le moyen âge. Dans
les premiers siècles de fère chré-
tienne tout ce qu'on en sait se borne à
quelques renseignements officiels sur
son administration politique et religieu-
se. Ainsi on sait que sa capitale, Chalcis,
eot d'assez bonne heure un évéque, qui,
d'abord attaché au siège métropolitain
de Corinthe , devint plus tard premier
suffragant d'Athènes (i). L'un de ce^
prélats fut le Syrien Anatolius, men-
tionné parmi cens qui assistèrent au
eondle convoqué à Alexandrie par saint
Atfaanase, quelques années après la
mort de Constantin. Parmi ses suoces-
(i) Leqtiien, Orient Chritty t. II, col. axa-
mm , Jeatt OaoMSoène se distUtti» fa
quelques discours sur les mystères 4e
la religion chrétienne, et en 943 Gorges,
qui occupait le siège épiscopal , eut le
bonheur de retrouver un manusehtde
Jean Chryspstome contenant des eipii-
oations de TËvangile (1).
Quant à l'état politique de rile,il
dut être en tout pareil a celni des îles
voisines : un gouverneur, nommé direc-
tement par l'empereur, radministrait, et
depuis 359, époque à laquelle Constance
avait établi à Constantinopleun préfet de
la ville, les appels de l'Eubée ^ de toute
la mer Egée ressortissaient de ee magis-
trat (S). A l'époque de la division de
l'empire en tlièmes , llle , avec les Cj-
dades et Égine , fut rangée dans le ciu*
quième thème d'Europe (3), qui compre-
nait toute la Grèce.
EKTKEPBISBS des SaBBASINS S0I
l'Eubée. — Dans les sièdes qui suffi-
rent l'hégire, l'tle d'Eubée ne put écliap-
per aux mcursions des Musulmans, bies
que bar sa position géographique, rap-
prochée du continent grec, elle setroo-
vât moins exposée à leurs courses qoe h
Crète ou la Sicile. En 880 , sous le lèç&e
de Basile, un chef musidman, émir de
Tarse en Cilicie , Esman , animé parles
succès de ses coreligionnabres , qui s ê-
taient emparés de Syracuse, vint mettre
le siège devant Chalcis , sur l'Euripe.
OEniatès, gouverneur de la Grèce, ras-
sembla les troupes de sa provinee, et mit
la ville en état de défense. L'atuque et
la résistance forent également vives; les
Eubéens ne le cédèrent pas en oouiase
aux soldats qui étaient venus à leur se-
cours ; ils firent un heureux eoiploi du fa
grégeois, en usage dans les sièges depsis
environ deux cents ans; et, malgré la
persistance du dief ennemi , ils uireat
vainqueurs. Esman périt dans un dernier
assaut, et les Musulmans, taillés enpiè*
ces, retournèrent avec précipitatioo eo
Cilicie (4).
Pbbmiàbbs xsntatiybs sis ViSh
TIENS POUR SfEXPABEB DB L'ËDliB*
(i) Monlfaneon, Paléogr», p. 44»
(a) Lebeau, Hist. da Bai-Smpm, éw.
Saint-Martin, 1. H, p. 974.
(3) Const. PoiphTrog'ife T/mmc/.; lib.^
èdit. Niebahr. t. lÛ, p. 5i.
(4) Lebeau, mu»4^ fiat-Mmpire, t. ^^
ILE P'£UB£E.
in
-* L*n6 cfËubée fat exposée aux n-
fages des Sarrasins , surtout dans la pé-
riode où œux-ct furent possesseurs de
la Oète. Au temps des croisades , de
nouveaux ennemis de Tempire tenté-
nnt de s'en emparer; ce furent les Vé-
nitiens, En 1171 Venise prépara contre
Tempire un armement formidable « sous
le commandement du doge Vital Micbie*
li. La flotte Tint, après quelques ravages,
débarquer ses troupes dans 1 Ëubée. Tou-
tes les places de 111e étaient en état de
défense ; cependant, le gouverneur, soit
par crainte, soit pour gagner du temps,
engagea les Vénitiens à députer vers
Tempereur. Manuel traîna les négocia?
lions en longueur; la peste se déclara
dans nie, et sévit particulièrement dans
Tarmée vénitienne. Le doge , craignant
Que les. Grecs n'eussent empoisonné les
fontaines, fit rembarquer ses troupes.
Cest vers cette époque que Ttle d'£ubée
commença à s'appeler Negrepont, dé»
nomination dont rorigtne a été indiquée
plus haut.
COMHBHCBlfSNTS DB LA IXOMINÀ-
TiON TBNITIBNNB. -— La quatrième
croisade arracha aux Grecs les îles de
i'Ârchipel^ comme tout le reste de l'em-
pire. Venise , n'étant pas encore assex
lorte pour conserver les possessions con-
sidérables que lui assignait le traité de
partage, accorda à tout Vénitien le droit
des'emparer des Iles et des villes grecques
des côtes ( 1207 ). C'est ainsi que Marc
Dandolo fonda le duché de Gallipoli :
un noble véronais , Ravin ou Régnier
Careerio , s'associa avec lui et s'empara
de rtle de Negrepont. Quelques années
après , menace dans sa conquête par une
flotte vénitienne, il reconnut la supré-
matie de la république et gouverna sous
son autorité. Une inscription latine pla-
cée sur rune des murailles du palais
de Chalcis nous apprend qu'à l'année
1278 les Vénitiens exerçaient leur do-
mination par l'intermédiaire d'un bailli
et de conseillers (1). Dès les premiers
temps delà conqu^e de Négrefiont par
Careerio et de la domination vénitienne,
la grande affluence des Latins dans Ttle
fit remplacer Tévéque grec de Chalcis par
un éveque du culte romain (2).
SIB09 DB CHàXi:i8 on IHBÛBBPOlf 7
PAB LES GÉNOIS. — Les avantages que
Venise retirait de la possession de TAr-
cbipel et du commerce de la mer Noire
lui furent disputés par les Génois; et en
1851 l'amiral Paganino Doria vint
mettre le siège devant Chalcis. L'année
précédente, onze galères génoises qui se ^
rendaient à Caffa avaient été détrui-
tes ou prises par les Vénitiens. Doria
voulut venfler cet échec, et se mit à la
poursuite ofe l'amiral Pisani , qui com-
mandait dans l'Archipel à la tête de
vingt galères. Pisani se réfugia à Cons-
tantioople avec trois vaisseaux , et son
vice-amiral, avec les dix -sept autres, se
retira dans le port de Chalcis , où , avec
l'aide des Eubéens, il se mit en état
de défense. Les Génois , n'ayant pu for-
cer l'entrée du port , en entreprirent le
blocus, et assiégèrent la ville ducété de
terre , à l'aide de fortes macliines. La
peste se mit parmi les troupes véni-
tiennes, et la république se voyait hors
d'état de les secourir, quand Pierre IV
d'Aragon prit parti pour Venise, et en-
voya ^e Barcelone une flotte vers Ne-
grepont. Doria n'attendit pas l'armée
combinée des Vénitiens et des' Espa*
gnols; il leva le siège (1).
PbISB DB NÉGBBPOIfT PAB LBS
TuBCs. — Aucune entreprise depuis
celle des Génois ne semble avoir menacé
dans rtle de Negrepont la domination vé-
nitienne. Mais, après la prisedeConstan-
tinople, Mahomet lî destina un vaste ar-
mement contre Negrepont, pour mettre
un terme aux ravages que les Vénitiens
ne cessaient d'exercer, de cette Ile, sur les
lies et les côtes environnantes. £n 1466
Nicolas Canale , amiral vénitien , avait
fait une descente en Thessalie et ravagé
une grande étendue de territoire ; puis
Tannée suivante, avec vingt-six galères,
il avait pillé Lemnos, Imbros, la ville
d'Éno , et emmené deux mille captiOs à
Negrepont. Mahomet II s'engagea par
un voeu solennel à chasser les Vénitiens
de l'Archipel , et il commença immé-
diatement ses préparatifs. Avant que les
Turcs se fussent emparés des passages
de l'Euripe, Canale fortifia Chalcis, et
y transporta tout ce qu'il put rassem-
(i)Voîrriiucr.dansDapper,p.s9t.p.3t3. (x) Matteo Villanî, 1. 1, c. S4, iS ; Y. 11^
(a) Leqoien, Oriens d
ipper,p.ii9
hnsi. t. If,
col. 9iC. ch. a6et 34.
4Î4
LTTNIVERS.
Mer de vivres; mais la garnisoii , soas
les ordres du capitaine Luigi Calvo, du
provéditeur Jean Bondomîerr, et du po
destat Paul Ërizzo , était insuffisante.
Mahomet arriva en Béotie avec une armée
de terre qu'on porte à cent-vingt mille
hommes, fit jeter des ponts sur l'Eu»
ripe^ passa dans l'Ile, et lit battre Chai-
cis par cinquante-cinq canons de gros
cambre. £n luéme temps, sa flotte, corn-
posée de trois cents vaisseaux et de cent
trente galèreà, s*empara de tout le détroit,
ferma rentrée du port de Ghalcis,etoom*
mença de son côte le siège. A cette nou*
Telle, le sénat vénitien, qui considérait
TIégrepont comme le centre des posses-
sions de la république dans l'Archipel ,
fit armer le plus de galères qu'il lui fut
possible, et les envoya à Nicolas Canale
avec ordre de tout tenter pour délivrer
i'tle. Trois assauts avaient déjà été livrés,
lorsque Canale, rompant les chaînes qui
fermaient l'Euripe, parut en face de la
ville. Chalcis pouvait être délivrée : les
hésitations de l'amiral perdirent tout.
Une partie de sa flotte seulement l'avait
suivi. Il voulut, mal^é les conseils et
l'audace de ses principaux officiers, at-
tendre le reste de ses vaisseaux. Cepen-
dant , Mahomet livrait à la ville deux
terribles assauts consécutifs. Les Chal-
cidiens se défendirent avec letiernier
courage;' ils se firent tous tuer en 'pré-
sence des'voiles vénitiennes, qui ne bou-
geaient pas . Lorsque Canale se déter-
mina à faire un mouvement , les Turcs
étaient entrés dans la viUe sur un mon-
ceau de cadavres (t 2 juillet 1470); deux
des chefs vénitiens avaient péri les armes
à la main, le troisième, Paul Erizzo, en-
fermé dans la citadelle, se rendit sous
condition d'avoir la vie sauve; Mahomet
le fit sder par le milieu du corps. Après
la prise de la capitale , les Turcs eurent
peu à faire pour s'emparer du reste de
l'Ile. A Venise , l'indignation fut univer-
selle contre Canale : vainement cet ami-
ral tenta de racheter sa honte par une
attaque sur Négrepont, il fut repoussé,
et son successeur, Pierre Mocenigo, con-
duisit la flotte dans les ports de la Mo-
rée (1). Toutes les tentatives que firent
par la suite les Vénitiens pour reprendre
(i) Pour tout ce liége voir Sitmoadi, Hist,
dts RépubUif, liai, t. VU, p. 6-j4.
cette tle éebooèreQt; leur aminl Gri-
mani, envoyé pour la recouvrer, à la tête
d'une flotte <Ansidérable, ne sut nas
même sauver Lépante, assi^ée pai^ les
Turcs (1499).
NbGREPONT sous L'ABXIllISTmA-
TiON DBS TUBCS. — La dominatioD
vénitienne fut favorable à lile de Né^re-
pont ; la république avait laissé le titre
de souverain dans l'île à Ravin Careerio,
qui je transmit à ses enfiBunts ; mais elle
eut soin d'adjoindre à ces maîtres nomi-
naux ses propres magistrats, qui étaient :
un provéditeur chargé du gouvernement
général et de l'administration financiérf ,
un podestat préposé à la justice et un ea-
pitaine placé a la tête des troupes. A cette
époque l'île, bien cultivée , rendait eo
abondance du blé, du vin et du ootoo;
des troupeaux nombreux peuplaient de
vastes et beaux pâturages; les laines et
les fromages guon en tirait, Thuile et
le miel recueillis par toute 1 lie, en étaient
les principaux objets d'exportation. Ea-
fin, outre les villes principales elles gros
bourgs, on comptait huit cents villages.
La domination turque changea tout ; à la
vérité Mahomet, frappé de l'importance
de nie pour ses possessions grecques,
en fit la capitale d un vaste sandpakat,
qui comprenait 9 avec l'Ile de Négrepoot,
les vallées du Spercfaius, du Mavro Pata-
mos (Céphise), de l'Asopns, des cantons
maritimes de Boudonitza et Talanta,
de la Phocide, l'Attique et la M^-
ride.
Mais là , comme dans les autres con-
quêtes musulmanes, l'administration (ut
arbitraire et eut une action funeste. La
classe grecque fut opprimée, surdiargée
d'impôts , h vrée au caprice des Turcs , et
réduite à abandonner l'agriculture pour
chercher un peu d'indépendance et qud-
ques ressources dans le pâturage. Il j
avait un proverbe au seizième siècle qui,
pour signaler un homme injuste et de
mauvaise foi , l'appelait Turc de Nègre-
pont (1). Le capitan-bacha, comman-
dant général de la flotte ottomane, rési-
dait à N^repont; au-dessous de lui uq
kyaîa , ministre général , était duugé da
soin des afiaires en son absence, pois
(f) Hist Nouv, des anciens Ducs de f Ar-
chipel, y, 107,379. JucherauU de Sttat-Deois,
U'ut^ de Temp, Ot^maa, t, I, p. 11 3,
ILE D*EUBEE.
4U
desbeys étaient jupéposés au gooTerne-
ment des diverses places de i'fle. Les
Turcs fortifièrent la ville de Négrepont,
l'agrandirent et élevèrent un château d^
vaDt le port; eux seuls et les juifs habi-
taient Tintérieur de la ville, les chré-
tiens étaient répartis dans les faubourgs ;
la population entière pouvait être de 14
à 15,000 flmes. Les jésuites avaient été
autorisés à entretenir à Négrepont une
maison coil^iale pour l'éducation des
jeunes insulaires; les Turcs y avaient
construit pour Texercice de leur culte
Quatre mosquées, deux dans la ville,
deux dans les faubourgs, et leur cain*
tan-pacha occupait le château, autrefois
élevé par les Vénitiens pour le provédi-
teur(l).
Corduitedeshabitànt8DeNé6be-
pont pendant l*insnbbbction gbeg-
QUE. — I^ domination turque, plus ou
moins t^rannique selon le caractère ou
les caprices des gouverneurs envoyés par
lesuitan, se nriaintint dans Itle de rïégre-
pont jusqu'à Tépoquede la grande insur-
rection grecque. En 1821, animés par
Texemple et le contact des Athéniens, qui
iraient pris part au soulèvement, les habi-
lants de Négrepont arborèrent l'étendard
national. Cette tle n'avait qu'un très-petit
lombre de Turcs commis à la garde
les forts ; ils s'y retirèrent au premier
iignal du mouvement populaire. Le peu-
île, sachant qu'ils avaient eu la pré-
aution de s'approvisionner d'armes et
le munitions , ne les y inquiéta pas, et
«contenta d'observer la citadelle. La
eonesse de llle prit les armes, et alla se
oindre aux Grecs du Continent à la voix
l'une femme , Modéna Mavrc^énle, qui
léciara que sa main, destinée à un
lomme libre, serait le prix du vainqueur
les Turcs (2). Modéna, issue d'une noble
amille qui pendant de Ions» siècles avait
ossédé des fiefs dans rfle d'Eubëe,
vait été élevée à la cour de Constanti-
lODle, où sa famille était en possession
te la charge de drogman. Son père avait
té égorge par l'ordre du sultan. Depuis
ette époque la jeune fille vivait retirée
ans rfle de Mycone. Ce fut elle qui, au
Doment de l'insurrection, souleva cette
(i) Dapper, p, a9oa9r.
(a) Raffenel, Bist, eompl, des tvén, d« ia
frèee, 1. 1, p. 98.
lie et rEobée (1). Les Turcs enfermés
dans les deux villes de Négrepont et Ca«
rystos s'y défendirent avec opiniâtreté ; à
plusieurs reprises , ces places reçurent
des renforts du continent , et les Grées
essuyèrent plus d'un revers devant les
murs.
ÉCHEC BES GbECS DEVANT CaBYS-
Tos. — En 1822, un des capitaines der^
leuiherO'Laconie^ Elias, (ûb de Pietro-
Bey, qui déjà s'était illustré à la prise
de Tripolitza , débarqua à la tête de sei^
cents nommes près de Carystos, qu il
vint assiéger. Mais ses soldats , empor-
tés par une valeur imprudente, s'enga-
gèrent trop avant ; ils furent accablés
par la multitude de leurs ennemis , et
Elias fut obligé de se donner la mort
pour ne pas tomber vivant au pouvoir
des Turcs (2).
Siège de Nbgbepont pab les
Gbbcs. — Les Hellènes ne pouvaient
cependant renoncer à la conquête de
deux places qui par leur position com-
mandaient la Beotie et rAttique. De
Négrepont, les Turcs, s'ils n'étaient ré>
duits , pouvaient aisément descendre sur
le rivage opposé et le ravager. Carystos,
à l'extrémité méridionale de Ttie, était
un point de ralliement pour les flottes
de Constantinople. Cétait leur ro^te
pour se rendre sur les côtes du Pélo-
ponnèse , et elles pouvaient également
Îr débarquer les troupes destinées contre
a Grèce septentrionale. Cependant on
pressait plus vivement encore le si^e de
riégiepont que celui de Carystos. Une
armée de Maniotes, qui avaient puis-
samment contribué à la réduction de
l'acropole d'Athènes, formait l'élite des
troupes grecques réunies devant la ca-
pitale de l'Eubée. La peste et la famine
joignaient leurs ravages à ceux de la
guerre dans la garnison musulmane. Le
pacha, d'autant plus découragé qu'il
avait connaissance des derniers revers
de la flotte turque à Malvoisie , offrit aux
assiégeants de se rendre. Mais Pietro-
Bey avait pris la direction du siège et
juré de venger la mort de son fils par le
massacre de tous les Turcs de Négrepont.
Ce terrible serment ne fut pas exécuté :
(i) Ponqueville. But. de la Rêgéntr. de la
Grèce, »« édit., t U, p. 5o5.
(a) Id., IM, t. m, 1. TI; eh. vn» p. a9d.
496
i.>iB)inrE%9i
uo eommimire du gonveniament ma,
d'Athènes proposer aux défenseurs de
ia ville une capitulation; cinq mille des
habitants en profitèrent pour se réfugier
sur le continent; la garnison turque,
restée seule , refusa de céder, et continua
h défendre la citadelle (1). De son côté,
i^un des principaux chefs hellènes,,
-Ulysse, pressait le blocus de Carystos.
Uranmoms, la guerre sur le continent
ralentit les opérations militaires dans
111e. Méhémet-Chousrou-Pacha , sorti
de Constantinople à la fin d'avril 18ii8
avec quarante bâtiments de guerre de
toutes grandeurs, ravitailla la place de
Carystos, et débarqua troismille nommes
sur la côte. Animés par ce renfort, les
Turcs de Carystos firent une sortie géné-
rale ; les Grecs, pris d'une terreur pa-
nique, se dispersèrent. Au lieu de les
poursuivre, les musulmans se répandi-
rent dans les villages voisins, et les pit*
lèrent; puis ils ne craignirent pas de
s'enfoncer par petites troupes dans les
gorges de la chaîne de montagnes qui
traverse r£ubée« Les cbetis grecs profi-
tèrent de cette imprudence pour se jeter
sur leurs ennemis , dont un grand nom*
bre furent massacres ; le reste regagna la
ville, et quelques jours après le blo-
cus de Carystos était rétabli (3).
DÉFAITE BBS MUSULMANS DAHS
l'Eubéb. — Cependant Joussouf, pacha
de Précovetcba , avait été chassé de La-
risse, et battu en Béotie. Pressé avec les
débris de son armée contre le rivage , il
parvint à gagner le pont qui traverse
rEuripe et à se jeter dans Ttle de Né-
pepont. Cette arrivée imprévue surprit
les troupes grecques occupées au siège
de la citadelle, et, avant qu'elles eu»*
sent pu se reconnaître et chercher un
refuge dans les montagnes, le pacha
leur tua trois cents hommes. L'armée de
Joussouf et les troupes de la citadelle se
réunirent, et remportèrent craelques au-
tres avantages. Un village âirétien, qui
n'avait pas été abandonné , fut livré au
pillage et ses habitantsfurent massacrés;
toute nie semblait retombée sous la
domination turque. Mais l'un des cfaels
les plus braves et les plus renommés
(i) Raflfenel , Ar/A. iie la Grèce y t. Il,
p. a36-a4o.
4es Hellènes , Diamanti9» se tfouTait es
ce moment à Carystos, dont il était hua
presser le siège après une victoire rem-
{portée à Catavothra. A la nouvelle de
^arrivée de Joussouf dans FEubée, il se
met à la tête d'environ 3,000 homnies.
Grecs de Ttle et soldats qu'il avait m-
menés de Thessalie, et marche coDt»
les Turcs. D'abord , il essaya d'attim
l'ennemi dans les .montagnes, où h-
vantage de la position pouvait compen-
ser rinfériorité du nombre. Le pacha
se refusa à Ty suivre ; forcé de com-
battre en ligne y Diamantis descendit
en plaine, le 5 août 1823, et mza
sa petite armée en bataille devant u.k
bourgade grecque qui venait d'étir ra-
vagée par des soldats de Joussouf. Le
combat fut long et acharné; les Musul-
mans, quoique plus nombreux, furent
contraints de céder à l'impétuosité de
leurs adversaires. Youssouf combattil
bravement, .et sut protéger sa retraite
avec deux-cents cavaliers bulgares qjt
l'avaient suivi. Le surlendemain il poîta
avantageusement les restes de son anof^
dans un village qu'il avait à demi ruine,
et couvrit sa position de quatre pièits
de campagne placées sur les rives escar-
pées d'une petite rivière, dont le coursi?
protégeait. Diamantis, aussi prudent qof
courageux, sut contenir llmpétuosite
de ses troupes, et passa quelques jouis
en observation. La cavalerie turque, «*
hardie par l'inaction apparente de ietc
ennemi, faisaiit des incursions jusQ»
dans sou camp; mais une DuitDiânua^
tis fit creuser de vastes fossés recouTeru
de terre et de sable, et deux jours après
quand les Bulgares passèrent la rivière.
leurs clievaux vinrent s'abtroer daosK
piège des Grecs, qui firent ungra»
nombre de prisonniers. Pendant on œotf
encore, Diamantis différa d'atuiquerl^
musulmans; enfin, quand il leur eut loi;
pire une complète sécurité, il sonp^
tourner leur ligne de défense. Ce lot J
nuit du 5 septembre, qu^après ai^
allumé dans son campde grands feoio
laissé quelques soldats pour dissimotf
son mouvement, il se mit en niarcbe^
travers les montagnes. Il était eo tq< <^
camp de Youssouf deux heures avant le
jour : l'attaque n'eut lieu qu'au lever <îa
«ol^il ; les ennemis, pleins de sécun|^
étaient encore endormis. Ils furent pr«-
<
iVÊmasâE.
4M
^u»is iHMsaeréf. LayiotDiMëei GoN»
at telJe , qae 1« chef eoaemi s^enCuit
eul, fiaD9 armes avee «iiielqius Bul^am
ers Nésrepont Le eommaiulaiil de cette
lace refusa deroH?rir aax Aiyarda. Youi-
iNif eut la lâcheté d'abandooper lee dé-
ris de 80B armée et de s'y réfugier seul.
loelques ceotaÎDes de Tures avec son
euteaaiH piurvinreot à repasser le dé-
roit, et regagnèrent péniblement la
liessalieCl).
Expéditions d'Ulyssb bu Edbsb.
-Après sa Tietoire, Diamaotis repassa
or le continent , laissant un corps de
oopes dans FEabée. L'année suivante ,
B24, Ulysse, quisTait pris ses cantonne^
lems dans TAttique, franchit l'Eniipe,
t essaya de surprendre Négrepont, où
B Turcs , après la défaite de Youssouf ,
raient eoooentté toutes les forces de \à
Kovinoe. Son projet échoua ; les enne-
lis avaient été prérenns et se tenaient
«r leurs ffardes. Ulysse s'établit alors
dtour de m TîUe pour en faire le blocus,
emparant des ehevaux des enneniis ,
lassacrant lears maraudeurs et s'effor*
mt toujours y mais en vain , de les atti*
ïï à une affaire générale. Enfin, pour
lettre Négrepont en état de pourvoir elie-
léme à sa délivrance, il enrégimenta la
nmesse de Ttle, la disciplina, lui four-
it des armes et des munitions , et lui
onna pour l'exercer et Faguerrir une
ivision de ses troupes ; puis il la diri«
ea sur Carystos, qui fut bloquée comme
légrepont. Depuis le commencement de
insurrection dans l'tle d'Eubée, les
uns n'avaient cessé d'occuper Nègre-
ont et Carystos, où, plus d'une fois ré-
oits à l'extrémité, ils étaient toujours
arvenos à se maintenir. Carystos, moins
)rtifiée que Négrepont, se rendit; mais
is discordes des cne£s de la Grèce con*
auèrent à protéger les Turcs enfermés
ans rtégrepont. Ulysse, privé de ren-
)rts , et rappelé sur le continent par
s intérêts de la guerre générale, ne put
emparer de cette ville.
Behnibrs étsnbments db là
UBRKB EN EuBBB. — Lcs Turcs pro-
tèrent de l'abandon forcé de l'Eubée
ftr Ulysse pour y faire une nouvelle
entative. Un lieutenant de Dervisch-
(0 Raffenel, J^f^^/tfm. delà Grèce, t. II,
.371-381,
paeha, établi tas la presque tfo Volo,
travem lé détroil dans des barques four-
nies par les Turos de Ifégrepoftt, s'em-
para de tontes les parties non fortifiées
de rUe, et bloqua les chrétiens dans Ca-
rystos (joiUet 18B4). U eât pu reprendre
■oette place ; mais il i>référa tenter un
coup de main sur Athènes. Battu dans
la plaine de Marathon , Il fut pris, et
fluelques soldats seulement regagnèrent
rtle , qui ne resta pas longtemps en leur
pouvoir. Ulysse y reparut, et s'empara de
tout le pays, à l'exception de Négrepont,
que peut-être il eût forcé à se rendre si
des uesseins ambitieux et les préoccupa-
tions d'unedéfection prochaine n'eussent
afiidbli son ardeur (t). Gouras, oui lui
succéda dans le gouvernement de la pro-
vince d'Athènes, ne put empêcher les
Tures de reprendre le dessus en Eubée.
Ilss'emparèrentdeCarystos, sur laquelle
le colonel Fabvier et le chef d^c^dron
Regnault de Saint-Jean d'Aneely firent,
en marsl 826, une tentative intructueuse.
Ils avaient d'abord remporté quelques *
succès et forcé les Turos àseréfiigier dans
la fSrteresse, quand un renfort inattendu
de deux mille nommes leur survint. Les
Turcs reprirent ToifeDsive, coupèrent à
leurs ennemis toute retraite, etvsans un
prompt secours, que les Grecs d'Ipsara,
d'Hydra et de Syra envoyèrent, tous les
hommes de l'expédition eussent péri (2).
L'ÎLE d'Eubbejiéumie à la Gbège ;
SON ÉTAT ACTUEL. •— Ce fut la der-
nière tentative armée des Grecs dans
l'Ile de N^repont. Les discordes de leur
gouvernement, leurs revers consécutifs
sur le continent permirent aux Turcs de
NégrepontetdeCarystosde s'étendre par
toute l'île , et ils en restèrent maîtres
jusqu'à l'époque où , grâce à la triple
intervention de la France, de l'Angle-
terre et de la Russie, et à la victoire de
Navarin, la liberté hellénique fut con-
sacrée. Il fut résolu dans les conférences
de Londres que l'Eubée appartiendrait,
avec les Cyclades, au nouvel État. Cette
décision était déterminée par la situation
géographique de nie, qui ne permettait
pas qu'elle pût être laissée aux mains
(i) Kaffenel, Êvén, en Grèce, t. lïl.
(a) Mémoires hislor, et miliL sur les Épén,
de la Grèce, de x 8 aa à 1827, par Jourdain^
t ir, p. «40.
4aB
mnoTEBS.
des moiolmaïus , sans ooe r«»ttaiiee et
rindépendanee de la Grèce fassent in-
oessamment ooropromises et meDaoees.
Cette décision devait grandement con-
tribuer à la dépopulation de TEubée ; car
l€S musulmans y étaient seuls détenteurs
et eultivateurs ae la terre, les chrétiens «
dans tout le cours de leur domination,
n'ayant trouvé d'autre moyen d'échap-
per aux exactions de toutes sortes que de
fi^adonner à la vie pastorale. II fut à la
vérité résolu, lorsque le traité définitif
replaça Samos sous la domination des
Turcs, que ceux des Samiens qui cher-
cheraient un asile en Grèce obtiendraient
des concessions de terre dans Néerepont ;
mais la nécessité où on les mit de aésin-
téresser les musulmans propriétaires du
soi rendit ces donations illusoires. Pres-
que tous refusèrent, et depuis Texput-
sion des Turcs TUe est devenue en
beaucoup d'endroits un véritable dé-
sert (1).
Aujourd'hui la grande île d'Eubée, qui
a repris son nom, compte, en y compre-
nant la population de l'éparcbie de Sco-
pélo, 69,550 habitants au lieu de 300,000
(i) Jocherault de Saint-Denis, Au/, de
Vemp. Ottoman, t. III, p. 36? et 396.
ficelle eut au tempe de sa prospérlU
lie forme une nomarcbîedcmtlaeapitak
est Gbalds, et sesubdivise en quatre épar-
chies, dont trois {K>ur TEuMe, savoir :
Chalcis, Xérochori, Carystos, et celle de
Scopélo pour le groupe des Iles tlies-
saliennes. Chacune de/es éparcbiesa
un chef-lieu du même nom. On oodçoîi
qu'avec une si faible population la plos
grande partie du territoire de TEob»
reste inculte. L'agriculture n'est dére-
loppée que sur quelques points du litto-
ral, principalement dans les avirons de
Chalcis et de Carystos. L« montagnes
de l'intérieur ne sont habitées que par
des pâtres, qui suivent leors troupeam
de pâturage en pâturage. Le gouveiw-
ment actuel de la Grèœ a fiiit quelque;
efforts pour ranimer l'a^cultore es
Eubée : il a ordonné le dessediemeoida
marais de Chalcis , il a fait greffer les
oliviers sauvages , il a tracé des roote»
qui doivent conduire d'Athènes au chrf-
lieu de l'Ile; mais, malgré ces looabte
tentatives , cette grande et belle lie d*Eii-
bée offrira encore longtemps la trace
des maux qu'elle a soufferts depaistrois
siècles, avant que de retrouver toasts
éléments de son ancienne prospérité.
LES (GYCLADES<*>.
tm
I.
*^*0TIORS GBNÉBALSS SUR LÀ GBOGBA-
PHIB BT L*HISTOIBB DBS CYCLADBS.
Noos désignoiui par le nom de Gy-
Jades le groupe des tles de rArcbipel
(ai est compris eotre les Si* 40^ et
t4« 2(jf de loDgitude et 35» 40' et 38» de
atidude noraf, et nous y réunirons
ODtes les tles du golfe Saroniqne et
elles qui avoisineot les cAtes de TAr-
("olide (1). La petitesse de ces tles» leur
e$semblance d'aspect et de nature,
8ur concentration dans un eoîn de la mer
[Kée, leur proximité du rivage de la
irèce d'Europe , la nullité historique
lu plus grana nombre, et la similitude
b leurs destinées dans les temps anciens
i modernes, telles sont les principales
usons qui nous ont déterminé à leur,
ppliquer spécialement cette dénomi-
ation de Cydades , dont l'emploi n'a
imais été bien défini, et que les géogra*
beset les voyageurs étendent quelque-
Ms à tontes les tles de la mer Egée (3),
'Otre groupe des Gvclades se composer»
onc des lies rangées dans l'ordre sui-
Uit, à partir de Ta pointe méridionale
e TEubée: Andros, Ténos, Gyaros,
éos, Hélène, Cythnos, Syros, Délos,
bénée, Nlvconos, Sériphos, Syphnos,
Haros , Paros , Antiparos , Naxos ,
Imolos, Mélos, Polyaigos, Pholégan-
nos, Sikinos, los , Amorgos , Astypa-
e, Anaphé, Théra, la plus rapprochée
i la Crète au sud; et, en suivant les si-
losités du continent hellénique, nous
Qcontrerons Salamine, Ëgine,Calaurie,
ydria , Typarénus et quelques écueils
Ilots que nous signalerons en passant.
ASPBGT GBNBBAL DBS GYCLÀDBS. —
L'aspect de presque toutes les Gycla-
», dit Villoison, au premier abord est
(x) Yoyez toute la bibliographie relative
1 Cvclades dans les indications de Forbiger,
mdùuchderaiten Géographie, t2IIyp,Z9a4,
(a) Voyei plus haut, p. 19a,
uniforme. On n'aperçoit en arrivant que
des rochers pelés, secs et arides, souvent
taillés à pic; plusieurs n'ont pas de port»
mais seulement une rade, une calanque
pour les barques, les caigues, les saccc^
lèves et autres petits bâtiments. A l'ap-
proche du premier bateau on voit accou-
rir une foule d'oisifs qui s'empressent de
▼ouscrier de toutes parts t( ^lÂ^xa? quel*
k$ nouvelles f et qui se hâtent de recevoir
les lettres qu'apportent le xapa66xup^ ou
patron de tûirque, et qui les mteroeptent
souvent ou les lisent à la dérobée
Les anciens avaient coutume de placer
Quelques-uns de leurs temples assez près
de la mer, comme celui d'A poUon Jiglète
à Anaphe, ou Namfi, d'Esculape, que
j'ai retrouvé à Astypalie on Stampalie»
d'autant plus que les villes anciennes ,
étaient proches du rivage. Maintenant
la crainte des corsaires, qui ont souvent
dévasté l'Archipel, a force les insulaires
à bâtir leurs villages sur le haut d'une
montagne, quelquefois à une ou deux
heures de distance de la marine. G'est ce
Sue firent les premiers Grecs, au rapport
e Thucydide. Les modernes ont cons-
truit de petites chapelles assez près du
bord de la mer; c^est là qu'on se met à
l'abri quand on veut s'épargner la peine
de monter au villaee. G est aussi la de-
meure la plus ordinaire des matelots
qui restent au port.... Le chemin qui
mène au village est ordinairement rude
et escarpé , et quelquefois même dange-
reux et fort long La première chose
qu'on aperçoit en arrivant dans les bourgs,
c'est une longue file de moulins à vent,
placéeà l'entrée du village. Les rues sont
ordinairement étroites, inégales; la plu-
part ne sont pas pavées, et sont pleines de
noue dans l'niver, le seul temps de l'an-
née où il pleut dans l'Archipel* On y
rencontre à diaque pas des cochons, des
poules. Dans quelques tles, les escaliers
avancent dans la rue et en occupent la
moitié. Tontes les maisons ^nt cou-
vertes d'une terrasse, revêtue d'une co«-
489
«Mrfond pKt tBsA de cMb a?ee celle des
Pélasspes, est un fait incontestable) prin-
cipalement en ce qui concerne ce que
BOUS appelons les Çyclades. Deux on
trois lies seulement, comme Mélos et
Théra, échappèrent anx Ioniens, et fu-
rent pHBuplées par des' colons d'origine.
dorienne. Mais ce n*est là qu'une excep-
tion, qui ne détruit pas le fait général. Le
passage d'Isocrate qui vient d'être cité
Qonfîrme l'assertion d'Hérodote, qui , à
son tour, trouve sa preuve dans mille ren-
seignements de détails. Hérodote dit lui-
même, en parlant de quelaues peuples
insulaires , tels que ceux de Géos , de
Ifaxos, de Siphnos, de Sériphos, d'An-
dros et de Ténos, qu'ils étaient Ioniens
et originaires d Athènes, Thucydide,
dans le curieux dénombrement des peu-
ples entratnés par Athènes dans l'expé-
dition de Sicile, nomme la plupart !de
oes insulaires, et assure également qu'ils
étaient Ioniens et sortis d'Athènes.
« Velléius Paterculus (1), entre antres
tles qui furent occupées par la colonie
ionienne, cite celle d'Andros, de Délos,
de Ténos et de Paros, et il ajoute : aUas-
aue içnobiles , expression par laquelle
il désigne sans doute le reste des Gy-
dades. Enfin, le scoliaste anonyme
de Denys le Périégète non- seulement
nomme toutes les Çyclades où s'établi-
rent les colonies ioniennes , mais encore
il cite les noms des chefs qui conduisi-
rent ces colonies. Ce passage , un des
plus curieux que les anciens nous aient
conservés, est aussi le seul , à ma con-
naissance, où nous trouvions ces lu-
mières. Le chef de la colonie conduite
à Géos se nommait Thersidamas ; à Siph-
nos , Alcénor ; à Délos, Antiochus ; à
Sériphe, Éteoclès; à Naxos, Archétime
et Teuclus; à Rhénée, Delon; à Scyros,
Hippomédon ; à Mycone, Uippocles ; à
Andros, Cenœthus et Èur^lochus; à
Cythnos, Cestor et Céphallenus ; à Pa-
ros Glythius et Mêlas. L'île d'Amorgos
fut la seule où les Athéniens n'envoyè-
rent pas* directement une colonie de
leur sein. Ce furent les Naxiens qui s'y
établirent. »
Cette émigration ionienne s^effectua
Fan 1130 avant l'ère chrétienne.- A
cette époque l'Attique était enconû)rée
d'halntants; elle avait reçu tous ks
peuples fuyant l'invasion des Dorinset
des Héraclides dans le Péloponnèse.
Aussi toute cette population, se sentant
trop à l'étroit dans la stérile Attique,
ne tarda pas à s'écouler vers les tles et
l'Asie Mineure. L'ambition de régDcr
ayant divisé les fils de Codnis,et laPj-
tbie ayant favorisé de son suffrage 1^
prétentions de Médon, Nélée et ses au
très frères résolurent de s'expatrier, et
devinrent naturellement les chefs de
tous ceux qui se trouvaient disposés à
émigrer. Ainsi un fonds primitif de race
pélasgique, sur lequel se soperpaçeDt
aes établissements de peuples naTiga-
leurs. Phéniciens, Cretois, Carîens,le
tout recouvert ensuite d'une sorte (H-
nondation de colonies d'Ioniens, race
sortie peut-être du vieux tronc des Pé*
lasges, tels sont les éléments qui compo-
sèrent la population des Cydades et en
général de presque toutes les îles de b
mer Egée (i).
Situation histobiquk des Ct-
CLABES PENDANT l' ANTIQUITÉ. -
Prise dans le sens géographique )a dé-
nominatioû de Çyclades est absolun)ent
fausse ; dans le sens politique et re!'
gicux elle est rigoureusement exartt.
et ce sens-là est le seul vrai et priniit^
vement accepté et compris par les Grecs
Les Çyclades formaient, en effet, c^
cercle ou confédération, ou Amphio-
tyonie, dont l'île de Délos était lecentr,
et où tous les insulaires envoyaient des
théories sacrées aux Pan^ajynes, ou a-
seniblées générales. Il est à croire, av^*
M. Bronsted , que la véritable cause Je
la discordance notable des anciens re-
lativement au nombre df les désigné^?
sous le nom de Çyclades et oompn'
ses dans le groupe délien , c*est qo"
les amphictyons aéliens, on les mem-
bres decette fédération dlles y entnieî*
ou s*en retiraient selon que la bg»J
était favorisée ou opprimée. Quoi qoi
en soit, il y a beaucoup de faits qui au(->
risent a croire qu'il s'était formé o«
bonne heure' entre ces tles une fédéra-
tion qui ne dépendait .d'abord ni o ^'
thènes ni des villes d'Asie unies oar I«
Panionia. Cette confédération formait
sans doute une amphictyonie paiticii'
(t) Raoul KocheUe, Col, Greeq,^ III, p. So. (i) Bronsted, De V^e «U Céos, p. 56.
LES CYCLADES.
4U
, et Dâot, oa le aanetiuâredMdivi-
lités ddîennes, eo était le centre.
Au reste, sur ce point , comme sur
Dut ce qui regarde rétat historique des
lyciades avant le sixième siècle , on en
st réduit k de simples conjectures*
Avant la guerre des Perses, dit encore
I. Bronsted, on trouve peu de données
raiment historiques sur les Cyclades.
lepeodant cette période reculée fut le
împs de leur plus grande prospérité,
les petites républiques insulaires, en
ossession de Tautonomie dans toute
acception du mot, virent se dévelop-
er leur industrie et leur activité com-
wrciale par leurs relations avec les
llies grecques d*Asie Mineure, et, après
"sammitioius, avec l'Egypte. » Mais les
rogrèsde la domination des Perses, en
roublant la paix qui s'était maintenue
Dtre les États civilisés de l'Europe et
e TAsie, apporta de grands change-
lents dans la situation des Cyclades,
t leur prépara un nouvel ordre de
hoses.
A la fin da sixième siècle elles furent
ttaquées par les Perses. Aristagoras,
eveu d'Histiée de Milet, avait entraîné
s satrape de Lydie dans une expédition
ontre Naxos, en lui faisant espérer la
oumission de toutes les Cyclades. Cette
Dtreprise échoua, et fut suivie de la ré-
cite d'Ionie, qui fbrça les Perses à ajour-
ler leurs projets contre la liberté des
les. Après avoir replacé la Grèce d'Asie
DUS sa domination, Darius envoya con«
re Athènes Datis et Artapheme, avec
ordre de soumettre en passant les Cy«
lades. De toutes ces ties il n'y eut que
(axos qui eut à souffrir de la rigueur
es Perses; Délos fut traitée avec un
eligieux respect, et le reste, excepté
iphnos, Sériphos et Mélos , avait con-
iré l'orage en faisant une prompte sou-
lission et en donnant des otages. Cest
iasi que les Perses dominèrent quelque
^mps dans ces parages. Après la bataille
e Marathon, Miltiade entreprit de leur
oiever ces fies ; mais il échoua devant
'aros, et dans les dix années qui s'écou-
nrent depuis l'entreprise de Datis et
Artapheme jusau'à la crande expédi-
OQ deXerxèset la bataille de Salamine,
n'y eut rien de changé dans la situa-
on des Cfdades à l'é^ de la Perse :
es insuhaies foomiient dix-sept ?»s-
38* UvraUom (LbsGtclapbs).
•eaux à la Sotte de Xenès (l).Maisdè8
que les armes grecques eurent obtenu
?uelques succès, les insulaires rejetèrent
alliance forcée et peu naturelle de la
Perse, et s'engagèrent résolument dani
la cause de rindépendance. Dans les
combats de l'Artemisium, les vaisseaux
de Céos combattent dans les rangs de la
flotte grecque. A Salamine il se trouve
déjà des vaisseaux de six ou de sept des
Cyclades, savoir, de Naxos, Céos, Çyth-
uos, Sériphos, Siphnos et Mélos, et une
trirème de Ténos échappée des rangii
des Perses, la veille de la bataille (2),
Aussi le nom de toutes ces îles figu-
rait-il slorieusement sur le trépied con-
sacré a Delphes par les peuples grecs
gui avaient pris part à cette mémorable
journée. ^ -mi
Après la victoire de Salamine,* les
Grecs poursuivirent la flotte perse à
travers les Cyclades; et ThémLstocle,
avec son activité ordinaire et son habi*
leté i»eu sccupuleuse, se hâta de profiter
des circonstances pour étendre 1 empire
maritime de sa patrie et augmenter sa
fortune privée aux dépens des lies qui
s'étaient laissé entraîner à trahir la
cause commune. « Je viens à vous»
disait Thémistocle aux habitants d'An-
dros, avec deux divinités puissantes, la
Persuasion et la I^écessité. — Ifous
en avons deux autres, répondirent-ils,
qui ne quittent jamais notre tie, la Pau-
vreté et Vlmpuissance. » Les Athéniens
se bornèrent pour cette fois à assiéger
Andros, qui résista, et à rançonner les
îles les plus compromises avec les Per-
ses. Ce n'était là que le prélude de la
domination qu'ils aevaient bientôt im-
poser aux Cyclades.
L'année suivante, 479, les Grecs vain-
quirent Mardonius à Platée. Après la
bataille, tous les peuples qui y avaient
pris part consacrèrent une statue à Ju-
piter Olympien. Le voyageur grec Pau-
sanias vit cette statue, dont il aonne une
description très-détaillée, et copia l'ins-
cription qui l'accompagnait. C'est l'acte
le plus authentique qui nous ait été
conservé sur la composition de Tarmée
confédérée qui remporta la victoire de
Platée. Cette inscription donne une liste
ri) Hérodote, TU, 96.
(a) Bronsted, //e de Céos, ^ 7».
434
ttrwVEtts.
de viDgt-sept cités, parmi lesquelles six
£tats des Cyclades, savoir : les Géiens,
lesMéiiens, Iqs TénieDS,les Naxiens,
les Cythniens, et les Éginètes (!}•
Tant que la guerre médique avait été
défensive et continentale, Sparte avait
conservé Thégémonie ou le commande*
ment suprême des forces coalisées de la
Grèce. Afais bientôt la gnerre changea
de caractère ; elle Ait transportée dans
les îles et sur les côtes d'Asie Mineure,
et elle devint tout agressive de la part
des Grecs, et presque exclusivement
maritime. Alors la supériorité de la ma-
rine athénienne devait amener le dépla-
cement de rhégémonie. La retraite de
Léotychide , roi de Sparte , qui laissa
les Athéniens diriger seuls le siège de
Sestos, et travailler à Taffrancbissement
qes Grecs d'Asie et des lies, Torgueil et
les excès de Pausanias contribuèrent à
dégoûter les alliés, qui se Jetèrent dans
les bras d'Athènes, et se rangèrent sous
le commandement d'Aristide et de Ci*
ipon.
D'ailleurs, ce n'était pas de la grande
oité dorienne du Péloponnèse que les
Iles et cités d^Asie, presque toutes ionien-
neS) pouvaient attendre leur délivrance.
Pans «a conseil tenu à Samos après la
bataille de Mycale, les Péloponnésiens
avaient déclaré qu'il était impossible de
proiéger et de défendre continuellement
Im Ioniens, et ils avaient proposé de les
Uansporter dans d'autres établissements.
I^es Athéniens n'avaient point été de cet
avis, et ils avaient soutenu qu'il ne con-
tenait pas aux Péloponnésiens de déli*
bérer sur le sort de leurs colonies (2).
Ceux-ci n'y contredirent pas, et laissèrent
à la métropole êtes Etats Ioniens le pa-
tironage de toutes les cités maritimes,
que la communauté d'origine et d'inté-
rêt rapprochait tout naturellement d'A-
thènes. Toutes les Cyclades entrèrent
dans cette alliance, dont Aristide (»ga-
Disa les conditions en 477. 11 ré^la Tea
eontingents que chaque cité devait four-
Air pour l'entretien de la guerre contre
les narbanes. Alors fut établi chez les
(t) Patisan., V, *3, x.TeteeâMis Brmi-
ftted, p. xoi, la conciliation de cette inscrip-
tion avec la liste d'Hérodoie, i|m' ne ootofeie
que viDgi-qmire peuples réunil à Plafeéeu
(a) H^od., rs, 95.
Âthéhlens la magistratui^ des Hellino'
famés, chargés de recevoir les trlbats,
dont le montant fut fixé d'abord à 460
talents (2,484,000 francs) ; le trésor flit
déposé à Délos, Tancien centre de la 000-
fédération des Cyclades , et les assem-
blées générales durent se réunir autour
du temple d'Apollon (1).
Dans le commencement, les Athé-
niens administrèrent avec justice et mo-
dération tes affaires de la ligue helléni-
que; mais bientôt leur pouvoir dégéDén
en une oppression qui devint presqu*aassi
odieuse que celle des Perses. Le trésor
commun fût transporté de Délos à Atb6
pes ; la contribution fut portée de460i>
ientsà 600. Les assemblées deDélosioD-
bèrent eu désuétude. « La cessation delà
diète de Délos entraîna une autre ioD<>
vation. En formant la confédération, In
alliés avaient très-certainement déÂdé
que ladiètejugerait les affaires fédérales.
Ce droit do haute Juridiction passa de
t)élos à Athènes avec la girde du trésor
commun. Mais cette juridiction, bon)^'
sans doute dans Tongine à toute cause
regardée comme une infraction à FaV
tiance , empiéta sur la juridiction cirile.
Cet empiétement fût favorisé par res-
sentiment des petites cités , qui se trou-
vèrent ainsi protégées contre la violtcr^
des grandes ; et par l'idée , familière ûot
Grecs malgré leur égoîsme mumcip^i'
d'une justice quelquefois diercbée tt
rendue liors de leurs murs (2) ». lj«*
ques-unes des îles puissantes de llonif.
Samos, Chio, Lesbos, protestèr^tcostn
les empiétements successifs de la \0-
sance d'Athènes; mais les petites Q-
clades s'en accommodèrentfaciletnent,^
acceptèrent volontiers son autorité jwîi'
claire, comme d^ elles avaient recoo»
sa suprématie politique. Dans la gU'^>
du Péloponnèse, toutes ces îles^eioe&tt
Ëgine et Mélos, que les Athéniens ruï-
xierent, restèrent Gdèlement attachées*
la fortune d'Athènes, dont elles ne fW
séparées qu'après la bataille d'^os 1^
tamos (405).
Mais elles regrettèrent rallianceatij
nknne quand elles eurent éprouve >f
rigueurs de la domination spartuaf
<t) Thttcyd., i, fl6.
cb. xin.
Mriy» MMff «TMfw» f. ••^
LES CYCLAMS.
435
Aassi, lorsimiie les talents «t Factivité de
Conon f^^i^icrate , de Chabiias , de T1-
mothée earent remoûté Athènes à son
ranç , les Cydaxles se replacèreQt smtt
la direction et leur ancienne métropole.
Ainsi se reforma le second empiine athé-
nien, qui opposa DémostAiène et Pho-
cion à Philippe , et qui fut renversé pat
le triomphe de la Macédoine. A partir de
cette époque , les Cyclades, qui avaient
perdu plus (}tte jamais leur autonomiey
furent obligées dte dépendre, comtne de
petits satellites, soit de ta dynastie de
Macédoine, soit de eelle des Ptoléméeft
li'Égypte.
La célébré inscription d' Adula , ^e
l'on doit an natigateur Cosmas Indice-
pleustès, attribue à Ptolémée-PiiiladeU
phe la souveraineté des Cyelades. Quel-
lemps après , les LagideS furent privés
le la plupart de leurs possessions mari*
timespariesroisde Syrie et de Macédoi-
ne : les rois de Pergame et les Rhodienft
se créèrent des marines assez imposan-
ts; lesÉtoliens étendirent leurs pirate*
iesjusaue dans la mer Egée. Les Gy-
ïlades aevinrent la" proie de toutes ces
Puissances ennemies , parmi lesquelles
loroinait la Macédoine. Chacune se fit
^ part.dans ce groupe d^îles, vouées dé*
jormais à la servitude. Cependant Délos^
'lie sainte, continuait à être Tobjet de la
vénération des neuples et de la munifi-
cence des rois. Les Lagides, les Séleu»
!ides, les roisde Macédoine l'embellirent
fédifices consacrés , et remplirent son
îésor de riches offrandes. Quand le^
Romains eurent abattu toutes les puis-
anees grecques d'Asie et d'Europe, ils
lélivrèrent les Cyelades des garnisons
étrangères ; quelques-unes seulement fil-
ent cédées aux Athéniens , qui s'étaient
aitsles flatteurs du sénat. Les autres
devinrent libres , et Délos continua à
tre entourée d'hommases. Bien plus,
près la ruine de Corintne, en 146, les
iomalas avant accordé la franchise an
>ort de Délos , celte lie devint le centre
la commerce de la mer Egée , et le prin-
ipai marché d'esclaves du monde an-
ien (i). Cette prospérité dura jusqu'au
emps de Mithridate. Ce prince , aprèà
^oir chassé les Romains de l'Asie ( 88 ),
(r) M. Wallon , Bistoîre de T Esclavage
^ans t antiquité, t. II, p. 45, 47-
rendit ses flottes dans !a mèsr figée,
et Arehélâûs , «fou f^iéral , »MMhit Dé*
les et la plupart des Cycladeâ, qui flirreM
données à Athènes, où l'on avait ^m«
brassé ié parti du roi de Pont. Mais Diélbs ,
attachée à' rafliance totbaine , se hâta
d'y revenir à la première oecasioi^, et Se
crut en Sûreté sons h protection d^nné
garnison de Romains. Cependant elle ne
put édiapner à la vengeance implacable
deMithriuate. La ville fut renversée de
fond en comble par Ménophane , lieute-
nant du roi de Pont, les habitants égor^tîs,
le temple d'Apollon dévasté , et la statue
du dieu fut jetée à la mer. Tout fut
détruit, et depuis cette époque Dëldé
ne fiit plus qu^lnë plage désolée.
Après la défoite de Mithridate . qui
occupa tour à tour les armes de sylfà ,
de Lucullus , de Pompée ^ l'empire de là
mer fut assuré aux Romains, qui la t)ùr-
gèrent de la piraterie. Le repos succéda
a ces guerres jfbrteuses dont les ties
avaient tant eu à souffrir, et les Cyelades
purent s'adonner librement et en paix
au commerce, à l'ombré de cette protec-
tion romaine qui les sauva en les assu-
jettissant. Sous Vespasien elles f\iredt
converties en province romaine , màié
leur prospérité se maintint jusqu'au
temps où l'empire Commença a s'affili*
blir.
Cest au quatrième siècle de Tèré chré-
tienne que les barbares se montrant pour
la première fois dans l'Archipel. Lei^
Goths , les Scythes ravagent les Cyela-
des, en 376, sous l'empereur Valens.
Après la division de l'empire romain ,
les Cyelades font partie de l'empire d'O-
rient, dont les mattres ne peuvent leur
assurer qu*une insuffisante protection
contrôles courses des Sarrasins. En 727,'
les lies , où tant d'alises et de monas-
tères avaient succédé aut anciens tem-
ples, se révoltèrent contre Léon 11-
Saurien, qui avait ordonné partout la
destruction des saintes iinages. Cosmai
fut mis à la tête de la rébellion et pro*
clamé empereur; maïs il périt att siégé
deConstantinoplc, et Léon Fîconoclaste
rétablit son autorité par des supplices.
En 769 irruption des Esclavons, qui dé*
vastent plusieurs Cyelades. En 821 , souè
Michel le B^e, les Sarrasins d'Ëspa?
gne y répandent le pillage, s'installent
eft Crète, d'où pendant cent trente^cinq
28.
/
486
L'UNIVERS.
ans ils inquiètent eontinaellement les
malheureuses Cydades, vouées pour des
siècles aux ravages des barbares et des
pirates.
Après la conquête de Gonstautinople
par les guerriers de la quatrième croi-
sade, les Cyclades furent comprises dans
le lot qui échut à la république de Ve-
nise. Mais cette république, embarrassée
de ses acquisitions, et ne pouvant elle-
même se charger du soin de réduire et
d'administrer tant de possessions disper*
sées dans une vaste mer, fit proclamer
3 u'elle donnerait en fief à ceux qui vou-
raient bien les conquérir les lies dont
ils se seraient rendus maîtres. Ce dé-
cret jeta l'émulation la plus vive parmi
la noblesse vénitienne; séduits par Tes-
poirde devenir souverains, des seigneurs
opulents ou aventureux firent des ar-
mements à leurs frais, et commencèrent ^
la conquête des fies. Ils y formèrent
plusieurs duchés, dont quelques-uns du-
rèrent plusieurs siècles. André et Jérôme
Ghizzi prirent les îles de Tine, de Scy ros,
Scopelos, Mycône, où existent encore
des familles de ce nom , et peut-être de
leurs descendants ; Raban ou Ravin Car-
cerio , gentil-homme véronais , se ren-
dit mattre d'une bonne partie de Négre-
pont ; les Pisani s'établirent à Néa ou
Eamnisia près de Lemnos, les Querini à
Astypaiée; enfin Marc Sanudo compléta
l'établissement du régime féodal dans
les Cyclades en s'emparant de Naxie,
qui devint sa résidence, de Paros, An-
tiparos, Milo, FArgentière, Sifanto,
Policandro, Nanfio, Nio et Santorin
il207). L'empereur Henri, successeur
e Baudoin au trône de Constantinople ,
donna à Sanudo le titre de duc de l'Ar-
chipel et de prince de l'empire. Toutes
ces tles soumises à la domination des
ducs de r^axie s'appelaient en ^rec
DucanisiQj,^ et plus tard, par corruption,
DodécanUia y les douze fles. Les ducs
régnèrent dans les Cyclades pendant
plus de trois cents ans, et cette dynastie,
composée des maisons Sanudo et Crispo,
compta vingt-et-un ducs, dont nous
donnerons 1 énumération à l'article de
Kaxos. En 1666, Sélim II détruisit cette
principauté, qu'il donna d'abord au juif
Alichel Nâssy, après lequel ces îles re-
levèrent immédiatement du grand-sei-
gneur*
Les Cyclades furent traitées avec asm
de ménagements par les Turcs. La Porte
n'y envoya ni ofnciers ni gouverneurs
Eour y présider en son nom ; c'était d'a-
ord l'intention du Divan, et chaque
île considérable eut son bey et son ôdi
qui la gouvernait. Mais les Vénitiens
et autres armateurs chrétiens, qui cou-
raient ces mers, en enlevèrent un si erand
nombre qu'ils allaient vendre à Malte ou
à Livourne, que les Turcs prirent le
parti de ne plus résider dans ces Iles
et de ne les gouverner aue de loin. De-
puis ce temps, chaque île forma comme
une petite république qui élisait tous les
ans ses magistrats appelés épUropes.
Ces épitropes avaient des attributions
très-étendues ; ils rendaient Injustice,
ils levaient le tribut <^u'on devait payer
au srand seigneur. Des que le capitân-
pacha paraissait avec sa flotte à Drio,
port situé au sud-est de lUe de Paros.
ils allaient le trouver et lui porter Tim-
p6t de leurs îles respectives. En se sou-
mettant aux Turcs, les insulaires du
duché de Naxie obtinrent une capitula-
tion, ou ahd-naméj qui leur assurait le
libre exercice de la religion chrétienne ,
avec le droit d'avoir des cloches « de ré-
parer leurs églises et de les réédifier s'il
était nécessaire (I).
Quelle que fût, du reste, la conditioa
des insulaires grecs , sous la domination
des Turcs, ils n'en restèrent pas moins
fidèles aux deux sentiments oui devaient
produire plus tard le réveil ae la natio-
nalité hellénique, c'est-à-dire le désir
de la liberté et la haine de rislamisroe.
Lorsque la révolution éclata » il y avait
longtemps que des projets d'insurrection
couvaient sourdement dans le cœur des
Grecs. Déjà ils avaient fait une première
tentative en 1770, à l'instigation d«
Catherine II, impératrice de Russie, qni
les poussait à un mouvement, pour
réaliser ses ambitieux desseins contre
l'empire ottoman. Sur la foi d*ane vieille
prédiction accréditée parmi eux, que Tem*
Eire turc devait être détruit paruneoatioa
londe, les Grecs regardaient les Rus-
ses comme leurs futurs libérateurs. A
Tarrivée des secours promis par Catbe-
(i) Voyez le texte de cette
dans VHisloire de Santorin de Vi
p. 609.
|iîlaUtioa
LES GTCLADES.
417
rioe n» ilsprirent les armes ; an eertaîn
Dombre d'insulaires passa en Morée,
poor soutenir les opérations d'Alexis
Orlofî; mais la mésintelligence divisa
bientôt les alliés, et les Grecs, revenus de
leurs espérances, et s'apercevant que les
Rosses ne song^ient qu'à les compro-
mettre avec les Turcs, ajournèrent pour
un temps plus favorable leur soulève*
ment définitif. Les Russes continuèrent
ia guerre avec de grands armements;
et en 1774 ils s'emparèrent des tles
de TArdiipel, qu'ils occupèrent en partie
pendant quatre ou dnq ans.
Cependant la domination des Turcs se
rétablit dans les Cyclades, et le temps qui
précéda l'explosion de la guerre de l'm-
dépendance lut pour quelques-unes deces
SIes une époaue de prospérité qui, au lieu
de les attacner davantage au gouverne-
ment de la Porte, augmentait leur désir
de s'affranchir, en leur en fournissant
les moyens. Pourtant, toutes les îles ne
se précipitèrent pas avec empressement
dans le mouvement insurrectionnel. Ex*
cepté les plus riches et les plus puis-
santes , comme fiydra et Spetzia , qui
sacrifièrent avec enthousiasme leur pros-
périté présente à l'espoir incertain de la
liberté , la plupart^ hâiitèrent à rompre
avec les Turcs, dont Thabitude rendait
ia domination assez douce , et plusieurs
ne s'y laissèrent entraîner que malgré
elles. Aussi l'ancien état, d*où Ton sor-
tait si violemment , inspira à bon nombre
d'insulaires des regrets qui, dans les
commencements anarchiques de la ré-
volution grecque , ont fait plusieurs fois
maudire, dit un témoin oculaire (1),
la nouvelle liberté qu'on venait de con-
quérir. L'augmentation des taxes, des
actes de violence et de brigandage que
rien ne pouvait réprimer, l'anéantisse-
ment des institutions locales , les usur-
pations et la tyrannie de chefs aventu-
reux , qui s'imposaient par la terreur à
des populations trop paisibles à leur
gré , le soulèvement des Grecs contre
les catholiques, des pauvres contre les ri-
ches, Tanarchie, la misère, résultats
nécessaires du déchaînement de pas-
sions quelquefois généreuses , toujours
violentes , tels furent les maux qui fon-
dirent sur les Cyclades, et qui accom-
pagnèrent pour elles le douloureux en*
tantement de la liberté hellénique.
Après la première période de la guerre
de l'indépendance, si singulièrement
mélangée d'héroïsme et de crime, de
grandeur et de misère (1821-1827),
où ia Grèce sortit du néant , mais où elle
resta dans le chaos , commence le travail
d'organisation de tous les éléments dont
le nouveau peuple grec devait se compo-
ser. Ce fut la bataille de Navarin qui
sauva les Grecs d'une ruine totale et
inévitable, qui raffermit Tautorité chan-
celantede leur gouvernement. Déjà Capo-
d'Istria avait été.appelé à la direction des
affaires. « Soutenu par la France , l'Ao-
gleterre, et la Russie, cet homme fait
disparaître tous les pirates qu'on disait
.encouragés par la politique des puis-
sances ârangères , établit le gouverne-
ment sur de nouvelles bases , remplit
peu à peu tous les postes d'hommes
plus intègres , moins farouches et moins
Barbares. Dès lors (1830) la police est
mieux réglée .et mieux servie, la justice
mieux administrée , les lois sont mieux
observées, les crimes mieux réprimés,
et le bon ordre. qui règne alors partout,
et auquel il a commencé à accoutumer
la nation , promet de jour en jour à la
Grèce un avenir plus heureux, et toute la
tranquillité des États civilisés (1). »
Le 21 septembre 1831, Capo-d'Istria
meurt assassiné par deux des Mavromi-
chalis , en entrant dans l'église de Saint-
Spiridion , à Nauplie. Alors l'anarchie
recommence; les prétentions^ rivales,
les animosités personnelles des che£s en-
tretiennent le désordre; la commission
provisoire présidée par Condouriottis
ne peut se faire obéir; l'Assemblée natio^
nale de Pronoia ne peut enfanter une
constitution. « Justement préoccupées
de l'avenir d'une nation qui, par son
inexpérience, compromettait les fruits
de son héroïsme , les trois puissances
Ï protectrices, la France, l'Angleterre,
a Russie, s'étaient concertées depuis
longtemps , et avaient décidé que la cou-
ronne de la Grèce, constituée en mo-
narchie héréditaire, serait offerte au
(t) L*abbé Pèeues, ibidn/^, S^i-ôn'j^
(x) L*abbé Pègues, ibid,, p. 64x»
^9%
vomtMà
MIsétl , 4f ïM lé pkéMml Ospè-d*^tffiâ ;
dans des tues d'dmbitioû petflomiellet
aviiil puissamment oontrîbdé m nius
Qtt f^Htieë LéôpoAd. La cOBfé^edoe rfè
ïiOodt^s se tourna triors du eôté de lA
Bavière, dobt le roi, dit-en, avait ^ttt
désirer la eôurorine helléni^foe podr son
second fils , le priAee Otboti. Ce prlnes
fyt en effet prcksiamé souveraiu par le
Srotoeole dû Id fétriet 1839, et il dé*
àr(]ua à Nadplie , le 6 féVrier 1893 , au
ft)ilieu des acelamëtiOns d'mi peuple qui
commençait à se lasser dme soi-disant
indépendance pdltti^e, <}ui tie pi^odbisalt
«fue Tanarchie, et d'Ude prétendue fl^
Derté individuelle, qui avait pour cortège
k stérilité du sol et la fiiisère des fa*
milles (1) ». A sou avénemèbt lerei Otlioe
était encore mineur ; peudënt tiugt-huit
iiiois,la régence fut exeivée par MM Mau-
rer, Abel et Armattsberg. Le fjuifc
1885 le roi fut déclaré majeur. Quel-
ques mois auparavant , décembre 1884 »
)e siège du gouvernement aVàit été trans-
féré de Nauplie à Athènes. EU 1848, à
la suite d'un mouvement insUrreetion-
àel dont Tarmée donna le signal, le gou-
vemement de la Grèce devint consti-
tutionnel ; et , après les travaux d'une
assemblée nationale , la constitution qui
régit aujourd'hui le royaume hellénique
fut publiquement acceptée pdr le roi
Othon, et promulguée le 80 mars 1844.
Ainsi, après vingt siècles de vicissitudes,
après avoir obéi tout* à tour à toutes
les puissances qui ont dominé dans le
Iicvant, après avoir subi toutes les inva-
sions des barbares qui Font ravagé, les
Cjelades , par un retour aussi heureux
âu'inattendu , se retrouvent rattachées
e nouveau à Athènes, leur ancienne mé-
tropole, deveuue la capitale d'un gou-
vernement mille fois plus ddlix et plus
équitable que celui que les vainqueurs
de Marathon et de Salamine avaient im-
posé à leurs alliés.
u.
l^àAtlCUtÀBITés SUR tSS GYCLADBS.
tLB n^ANDltOS.
A dix milles au sud-est au cap Gé-
reste, pointe méridionale de FEul^e, se
trouve rile d* Andros, qui a quatre-vingt-
(z) C. Leconte Étude Économique de h
Crècê, p. 4i.
•sUs mittes de tottr. Flfaito «MteièDB ta
autres noms «tépithètes poétiques : Gau-
f tM^, Antandros , Lasia , Nonagna , Hy-
drussa , Épagris (1). Le noni d'Andros
kii vint d'Andréas sa d' Andros. D'après
Conoo, cet Andros était fils d'Anius,
fils d'Apollon et de Creuse ; selon Dkh
dore, o*etaltun des i^énéraiix que Rha-
damante établit danseettelle,ao tenifs
de la doroinatlen des Cretois sur lis
Cyelades. Andros avait «ne capitale d«
mdme nom située sur la côte slid-ouest ,
{Hrès du port Gaurion , aojounfhul Cas-
rio. On en voit remplacement a raidroît
appelé Palépolis, où il reste des quartiers
de murailles très-solides, surtout dan
un lieu très«remarquable, où suivant les
apparences était la citadelle «loot Tite-
Liveiait mention. L'édiÛce le plus con-
sidérable de cette belle dté éUtt le tem-
ple de Bacehus, la principale divioiié
d'Andros.
Cette lie renferme des plaines et d^
valléesd'uoegrandefécotiaité. LapUiae
de Livadia, qui est à gauche de Cato-Cas-
tro^ l'ancienne fbrteresse des Tares, est
plantée d'orangers, de citronniers, de
mûriers, de jujubiers, de grenadiers et d«
dguiers. A droite, on entre dans la vallée
de Méguitez, aussi agréable que l*autre,
et arrosée de ces Mlles sources qsi
viennent des environs de la Madona de
Cumulo, chapelle fameuse, tout an liaut
de la vallée. La ville^aetuelle d*Andros
est sur la côte nord-est de l'Ile. Touni6
forténumère les vingt-six villagesde nie,
dont il évalue la population à 4,000 âmes
seulement.
Dans rantiquité Andros a partagé te
sort de toutes les Cyclades. Au sixièioe
siècle ses habitants étaient soauûs aux
Naxiens, et ils furent les premiers à em-
brasser le parti des Perses. Après la ba-
taille de Salamine Thémistoele s>n eai-
para de vive force : elle fut assez maltraité
parles Athéniens, puisque Pérldès y en-
voya une colonie de 950 hommes. Dans
la guerre du Péloponnèse eUe se donM
aux Spartiates. Alcibiade es$a5-a vaiD^
ment de la reprendre; les insulaires, reo-
fermés dans le flMrt deGaurium, loi
(x) Pliii., IV, ai, i; cf. t'ourliefort, I,
p. 347 ; Diippery p. 269 ; Foibiger, BûiA.
der ait. Geogr,, QI^ iOft4; CboiswI-GW-
fier, 1. t y «te,-
LE» crauAovs.
m
tèmt ReeMifkiMr pur tw AlMpifUt^
soamise ensuite an t9k éé Maeédoine«
elle fiik bientèl après ▼WeiMDt disputée
par les socoesseun d'Aleiamlre. Ptolé-
mée Lagosi s'étanf présenté dans 1a oaer
£gée poory combattre Finflaeaced' And-
sone et de son fils Démétrios, promit la
liberté aux Andriens. La garnison d*An-
tigooe fat obligée de se retirer, et la ville
d'Aodros reeoufra son indépendance.
Pendant la guerre contre Pbilippe lil ,
Andros, qui était revenue a k Macé-
doioe, fut assiégée par Attale et les Ro*
mains. Ils s'en emparèrent, et, selon
leurs conventions y le bntin fut donné
aux Romains, et le roi de Pergame garda
rile. Quand les Romains héritèrent du
rojaunie de Pergame, 129, Andros passa
entre leurs mams, et y resta jusqu'au
temps des empereurs grées.
Quelque temps après la prise deCk>ns-
tantinople (1304). Marino Dandolo se
saisit de 111e d'Andros. Elle fut ensuite
possédée par la maison de Zéno , et don-
née pour dot à Cantiana Zéno, épouse
deCaoursin de Sommariva, comme le re-
marque le P.Sauger, dans laVieaeJacques
Crispo, onzième duc de Naxie. Gaourôn,
troisième du nom et septième seigneur
d' Andros 9 fut dépouille par Barberons-
se; maisàlasollicitudederambassadenr
de France, Soliman n le rétablit dans
^n domaine. Jean«François de Somma-
riva fut le dernier seigneur de cette tle;
^ ses sujets du rit grec, après avoir
'oulu ras8a8siner,sedonnereotauz Turcs
)our se délivrer tout à fait de la domi-
jation des Latins. Dans la guerre de
'iodépendance, A|idros se souleva en
néme temps que les Psariotes ; et Ton
' massacra les Turcs qui y] résidaient.
>Ue tle forme aujourd'hui une épar-
hie de la nomarcbie des Cyelades. Ses
abitants vivent du produit db leurs
ignés et de leurs oliviers ; ils possèdent
eaucoup d*arbres fruitiers ; on y trouve
lus d'orge ^ue de froment, ils font des
iqueurs spiritueuses avec le fruit de
arbousier et du mûrier noir. Leur
rineipale richesse consiste dans la ré-
Dlte de la soie.
tUI l»BrVM0S<|)i
Un canal aiiî n'a pas plus d'un mlllô
de largeur sépare Andros de Tlle de Té«
nos (T^voc, Tino, Tine); mais on ne
peut le franchir qu*ea calque , cal le^
six rochers oui en occupent le milieu en
interdisent le passage aux gros bâti.-
ments. Ténos a été appelée Hydrussa ,
nie couverte d'eau; Ophiussa, Hle aux
serpents, fîésychlus prétend que le mot
detéuia, vipère, vient du nom de Ténos'.
JBochard fait dériver Tenos, ou Tanos en
dialecte dorien, du phénicien Tannoth,
Sui signifie serpent ef dragon. Mai£
itieune de Ryzance fait venir ce nom de
celui d'un certain Ténos, qui s*y établit
le premier.
Ténos a sohante milles de tour ; elle
est creusée circulairement en forme
d'entonnoir très*éva&é*, eOe sMtend du
.nord» ouest au sud-est, tout hérissée
de montagnes pelées, mais la mieux
cultivée de rArcnipel. Au dire de Str<i-
bon , rancienne Ténos avait une petite
ville; rien ne subsiste de son beau
temple de Neptune , témoignage de la
reconnaissance des habitants, délivrés
jadis par ce dieu des serpents qui cou-
vraient leur île. Des monnaies de Ténos
représentent un trident autour duquel
est enroulé un serpent; d'autres por-
tent une grappe de raisin et la tête de
Jupiter- Ammon. Le bourg de Saint-Ni-
colo, capitale actuelle de Tine, est bâti
sur les ruines de l'ancieaue ville. Au
lieu de port , il n'a qu'une méchante
plage qui regarde le sud, et d où l'on dé-
couvre Syros. A une bonne heure de che-
min du bourg , est l'ancienne forteresse
vénitienne, située sur le sommet le plus
élevé de l'Ile , et de très-difûcile accès.
Un peu avant d'arriver au château,
dont il ne reste que des débris, on tra-
verse un village qni est tout à fait aban-
donné; quelques maisons en ruines
Sortent encore les écussons armoiries
e leurs anciens propriétaires. Du haut
de ce rocher on découvre une partie des
Cyelades, et la vue s'étend jusqu'à Sa-
œos et aux côtes d'Asie ; on plane sur
toute Ptle, dont on distingue parfaite-
(i)Marluky-ZÉllûay, royale à Tme^ Br-
vis, 1809; A]«zit de Tâloo, l'iU dé Tine; Jlf «•
««f iUê Dém Mondes, iS43, 1. 11, 787,
44«
L'UMIVK&S.
ment lei creux, be relieCi et lei sinnod-
tés. « A défout de forêts , dit un voya-
geur, les coteaux sont retétus dun
grand nombre de figuiers et de mûriers
qui» sans atteindre Jamais une haute
croissance , n*en donnent pas moins un
ton vert et riant au paysage. Une soixan-
taine de villages blancs, à toits plats , et
d'églises avec leurs clochers en forme
de minarets, qui annoncent TOrient, se
dressent au milieu de ces arbres et se
détachent vigoureusement sur leur som-
bre feuillage. Un ruisseau, pompeuse-
ment nommé Fiumè^ traverse Itle et
la féconde. Au lever d^un beau soleil de
mai , tout cela était éclatant de lumière
et de verdure; toutefôiâ, la fertilité de
Ténos u^est remarquable que par le con
traste gu*elle oppose à la désolation des
Ues voisines ; son éclat n'est que rela-
tif. » Elle n'est la plus verdoyante des Cy-
olades que parce qu'elle est la plus cuiti-
vée,etsouvent en dépit de la nature. « A
défaut de terre, on y laboure les pierres ;
et nous pûmes voir que des champs de
blé ou aorge chétifs et un assez bon
nombre de figuiers récompensent le tra-
vail des habitants : ce jour-là, ils faisaient
leur récolte. Ces pauvres Grecs coupant
avec peine la paille rabougrie qui crott
dans leurs petits champs entourés de
murailles, nous faisaient tristement
songer à nos belles moissons de France,
si animées , si joyeuses. »
Les anciens Téniens étaient fort adon-
nés à la navigation. Leur tie possède à
son cdté nord-est un port appelé Porto-
Palermo, où les plus grands vaisseaux
peuvent mouiller à Taise. Toutes les mé-
dailles de Ténos représentent des attri-
buts maritimes, Neptune, le trident,
les dauphins. Nous avons vu la condi-
tion de Ténos dans l'antiquité , oii les
Athéniens la possédèrent , avant qu'elle
passSX aux Romains. Dans les temps mo-
dernes , Tine est longtemps restée au
pouvoir des Vénitiens. André Ghizzi se
rendit mettre de cette tIe l'an 1207 et
les Turcs ne purent s'en emparer qu'en
1714. Barberousse faillit la surprendre
en 1&87, lors de 'sa grande expédition
dans r Archipel . Mais les habitantsle for-
cèrent à abandonner son entreprise. En
1570 , sous Sélim II , au moment de la
guerre deChypre, huit mille Turcs débar-
quèrent dans 1 fie, la piilènfflt, sans pou-
foir É'enipareir de la ^fartsreise. Dsv
«ns après Tine fèt ezpMée à une troi-
dème IneorBion des Tores; et ces nu-
ques se renouvelaient à chai|ii6 guene
qui éclatait entre Venise et la Porte.
« Dans la dernière, dit Tourncfort,
Mezzo Horto , capitan-paeha , écrint m
provéditeur, à la noblesse et au dense
de l'fle qu'il feroit mettre tout le pavs à
feu s'ils ne lui payoient pas la eapitatH»;
on répondit qu'il n'avoit qu'à venir la
recevoir; et lorsqu'il parut avec ses ga-
lères, le provéditeur Moro, bon homoie
de guerre , fit sortir mille ou douze cents
hommes des retranchements delà roanoc
à San-Nicolo. Ces troupes empéchéreot
par leur grand feu qu*on n'abordât, et le
eapitan-paeha, vovant gu'on s'y prenoit
de si bonne p^ce, fit retirer ses galères. •
Les Vémtiens n'entretenaient pas ée
troupes réglées dans cette Ile; mais ilseï
avaient organisé les habitants en milices
que des exercices , de fréquentes remei
tenaient en haleine, et qui pouvaiesi
fournir cinq mille hommes au premier
signal. Quand T urnefort visita nk, il
ne trouva dans la forteresse ou*une gar-
nison de quatorze soldats mal vêtus, a
nombre desquels étaient sept dcsertain
français. Les Vénitiens tinrent boa i
Tine jusqu'en 1714. Le provéditeur d'a-
lors, Bemardo Baibi, était un homiK
sans courage et sans résolution. Il s*ef>
fraya à l'apparition des vaisseaux lurci;
et malgré les prières et les larmes à»
habitants, qui à grands cris deons*
daient à se défendre, il se raidit à b
première sommation. On le laissa s'esh
barquer avec sa garnison, et il arriva à
Venise, où il fut condamné a passer a
prison le reste de sa vie. Mais Tisc
était perdue pour la république, et dcv
cents familles tiniotes forent déportées
sur les côtes d'Afrique.
Le long séjour des Vénitiens daai
Tine y fit prévaloir la religion catÏMiy-
que. La* population grecque n'y avait pti
d'évéque , et ses prêtres recevaient lear
dimissoire de l'évéque latin. Dans kf
Ïirocessions le cierge latin avait toujours
e pas sur le clergé grec On eoi^lait
dans Itle cent vingt prêtres latins, sa
établissement de jàuites , et deux ceoo
papas grecs ayant pour chef oa proHh
papas. Ainourd'hui enoore Tine est li
plus catholique de toutes les Çyeiiiei-
i
LES GTCLADES.
441
Sur nue population é'eantûà viofft
mille âmes, on oompto plus de huit
mille eathofiques, établis la plupart dans
la partie septentrionale de Ptle, tandis
que les Grecs occupent le ctfté sud.
Au moment où éclata la guerre de
l'indépendance , les Grecs de Téoos se
soulevèrent spontanément. Quand Tar*
chinaTarque Tombasi»se présenta pour
les entraîner dans la confédération , il y
trouva la population groupée autour du
labanim et tout en artfles. L'évéque grec
avait dirigé le mouvement. Les Latins
refasèrent ây prendre part, et se retire»
rentà Xinara, qui servit aussi d'asile
à Taga musulman. Le lEèle des Tiniotes
se soutint pendant toute la guerre;
leurs barques pontées servirent aux croi-
sières, ou furent transforméesen brûlots;
malgré leur détresse, ils payèrent exacte-
ment les contributions. I^eur île devint
le refuge d'une multitude de fuyards ;
aussi sa population en reçut derae-
croissement. Elle est aujourd'hui plus
considérable qu^au siècle dernier. Ses
ressources sont, dureste,toujoursàpeu
près les mêmes; son industrie capitale
est encore celle de la soie. Dans ces
derniers temps, cette tle s'est enrichie
du pèlerinage célèbre de l'Évangélis-
tria. En 1824 on découvrit une image
de la madone enfouie en terre; cette
découverte fit grand bruit dans toute
l'Eglise grecque ; des quêtes furent faites
de tous côtés par les papas, et leur pro-
duit fut si considérable qu'on put élever
la vaste et magnifique église de Notre-
Dame de la Bonne'Nùuvelie et le cou-
vent de l'Annonciation, qui sont les plus
beaux édifice8;de la Grèce moderne, et où
tous les ans les pèlerins arrivent en foule
les îles, de la Grèce et de l'Asie Mineure.
ILE DB eYAKOS.
Cette tle, appelée aujourd'hui Ghhura,
foura, est située entre Andros, Céos et
Syra, et n'est séparée de ces îles que par
les distances de douze ou dix-huit mil-
es. Pline lui donne douze milles de tour,
^ cette mesure est fort exacte. Cette
le n'eA qu'un aflfreux rocher, inhabité
i inhabitable. Elle avait autrefois une
!ité; mais, au rapport de Pline, les ha-
ntants en furent chassés par de gros
nuiots, qui sont restés jusque aujoor-
rhui uMxm du terrain. Du reste, ces
anifliaux hiisiant asajye ehèie s» leur
rocher; après la retraite des Gyariena,
Us se mirent, au dire de Théophraste, à
ronger du fer , ce qui fait croire à Tour-
nefort qu'il y avait des mines de ce mé*
tal à Gyaros.
« Joura, continue ce voyageur, est
tout à fait abandonnée aujourd'hui ^ et
l'on n'y voit aucuns vestiges d'antiquité.
Il est vrai qu'elle a toujours été fort
pauvre. Strabon n'y trouva qu'un ché-
tif village, habité par des pécheurs, dont
l'un fut députée Auguste, après la ba-
taille d'Actium., |K)ur obtenir une dimi-
nution de leur tribut, réglé a cent cin-
quante deniers. Nous nous rappelâmes
l'idée de cette misère à l'aspect de trois
malheureux bei^rs qui mouraient de
faim depuis dix ou douze jours ; ils se
présentèrent à nous hâves et décharnés,
et sans autre cérémonie allèrent cher-
cher dans notre caïque le sac au biscuit
Qu'ils avalèrent sans mâcher, quelque
dur qu'il fût, avouant qu'ils étoient con-
traints de mander leur viande sans pain
et sans sel depuis que le mauvais temps
n'avoit pas permis aux bourgeois de Sy-
ra, leurs maîtres, de leur envoyer le
secours ordinaire. »
On comprend tout ce qfi'il y a d'af-
freux dans la nécessité de séjourner à
Joura. Sous Tibère il fut question d'en
faire un lieu â*exil pour les criminels
d'État Tacite rapporte qu'on proposa
dans le sénat d'y reléguer Silanus , et,
dans un autre procès, Vibius. Mais par
deux fois Tibère rejeta ce châtiment,
comme inhumain, alléguant que cette Oe
n'offrait aucune ressource, qu'elle man-
auait d'eau, qu'elle était inhabitée ; et II
t préférer Cythère et Amorgos (1). Phi-
loctète avait trouvé sur la côte déserte
où on l'abandonna une grotte et une
claire fontaine. Le malheureux relégué
à Gyaros n'y aurait pas même rencontré
un abri : un tel exil eût été une condam-
nation à mort. On se borna donc à parler
de relégation à Gyaros, jamais on n'y en-
voya personne; seulement cette menace
passa dans l'usage familier, et devint
comme proverbiale, ainsi que l'atteste
ce versdeJuvénal.
Aade aUqnid brevlbai Gyarii etcareere di-
8i vis ««e aUqolf. (gi
, (f) Tac.» ^JM., m, 6a , 69} IV, 3o*t
m
LtmVJDMU
l«s fèhips modernes. OetfetteM conrte^
eomme le dH Juféirol, malsMMz élftée;
âte présente Ywifé^ d'une griMse «Km^
tagne qui sort de la mer.
Ii«BDB<»OS(l).
Llle de Céos rK&i)<), aujoard'hui Zéa,
appelée mielquefois Ces Ofo Qanos , est
située à rouest de la précédente et an
sud de l*Ëubée, dont Pline raconte
qu'elle fut séparée par un tremble-
ment de terre. Cette tle est déforme
â peu près ovale : son terrain, rocail*
leux, s*élève graduellement jusqu'aa
point central, ou se trouve le mont Elie,
qui domine rîle entière, et d*où la vue
détend au loin sur la mer, PAttique et
les Cyclades. La cime du mont Ëlie
est à 570 mètres au-dessus du niveau de
la mer, et elle se trouve exactement en
latitude à 87"^ 87' et en longitude orien-
tale de Paris à 22* 1'. « Cette tle char-
mante . dit Bronsted, s'annonce au pre-
mier anord comme fertile et bien culti-
vée : elle abonde en vins d^une très-bonne
qualité, en miel, que beaucoup de per-
sonnes préfèrent même à celui d'Hy-
mette , en excellents fruits , tels que ft-
gues , citrons , oranges , etc. Outre ces
articles de commerce, la soie et la vallo-
nee, fruit d'un très-beau chêne (^aXavidc),
dont le gland s'appelle valani (PaXdvt), et
la gousse de celui-ci , qui sert de tan ,
velanidi (peXav^Si) sont au nombre
des objets d'exportation les plus consi-
dérables. A l'égard de la vallonée, Tour-
nefort, dans son estimable ouvrage, est
entré dans des détails suffisants. » Le
beau climat de cette tle, sa température
salubreet bienfaisante pour les hommes,
les animaux et les plantes, la fertilité qui
en résuite sont souvent vantés par les
anciens. L'abondance de ses eaux l'a-
vait fait surnommer T^DoOotfot ; ces vers
des Géorgiques de Tirgile :
Et oaltor nemorom. coi ptocoia Ceoe
Ter oeotam nlvel tondent dameta Javeocl,
font allusion à la beauté de si^ pâtu-
ngBB. Bronsted a réuni dans un supplé-
ment de sa notice sur Céos tous les té-
moignages des anciens à cet égard (2).
* (t> De Vue d* Céos, ptfr le cfaeraKer Bron-
sted; iD-4<» Paris, x8a6.
DfcéavfQC^ 9cyi«(» StiriionetPliM^
iduÉi fue les compilateurs pktt téonu,
fitepbaDQs de Bjtance et Soklis, sV
cordent à domer à Céos la qu^iieatioi
de TrcpdnoXtf, 111e aux qwAre tîUcs.
Ils ne dj^èreut pas non pins sur les
noms de ces quatre cités; o'étaieni Ca^
tbsa, Posessa, Gofettos on Goressia, et
lulis ou loulis. Carthcea et Iulis n
étaient les [^ns considérablef ;etStr8boD
ainsi que Pline rapportent que lorsque
Poeeasa et Coresflla furent détruites, les
habitants de la première se refogièrentà
Garthsaa et oanx de la seconde à Iulis;
Ptolémée ne donne que trois villes ï
Céos, savoir : Coressos» hiliset Cartbsa.
Les explontions et les fouilles dr
M. Bronsted ont déterminé d'ooe «•
nière certaine remplacement de ce
quatre villes* Avant loi on plaçait
au sud, à Tendroit appelé Th Mi,
les mines dlulis; les inscriptions qui
a trouvées dans ks vestiges runteoDie
d'Apollon démontrent que cet en|Na-
eement était celui de Gaitbœa. La
restes de Poeessa se retrouvent à Cous-
douro^ au sud*ouesl de i*île. La ville i6
tuelle de Zéa occupe le revers oord-ouat
du montÉlie, et oorrespondà raodeoae
lonlis, dont on retrouve de noml^resi
restes, colonnes, chapiteaux « iDScrif-
tiens , tombeaux, etc. A un quart de
lieue de la viUe est un lioa eoiossai.
taillé sur place dans un roeber, et dont
voici les pSroportions : depuis Je nei a
passant sur le front et le long de fes-
chÎDe, jusqu'à la naissance de laqueoe,
vingt-bnit pieds; de la gueule ea pas-
sant du côté droit du eou, jusqu^a b
partie supérieure de la crinière , oss
pieds; de Fartiouiation de la jambe de
devant jusqu'au milieu de réebiaei
c'est-à-dire la hauteur de la partie antê
rieure du corps, neuf pieds. Ce iioQ eâ
nottché sur le flanc gauche; il dresse la
tète, etregarded'un oeil inquiet et mena-
çant. « Les nymphes, dit Héraclide de
Pont, habitaient anciennement eetteîiCt
riche en sources; mais un lioo lesajaoi
effrayées, elles s'enfuirent à Gansie : de
là vient qu'un promontoire de Céos s'ap-
pelle liions. » Il est à croire que ce oi^
the, absolumentlocai, serattaeheà reof-
tence du curieux monument 9ue fi«*
venons de décrire» La quatrième fie
de Ûéna^ Goreaiia» «htm^o»! ^ f"'
LES CYCLA0ËS.
letuel àe Zéa : c'était àtifti f aûckfft port
Hulis. L'éloigDement de la ville ré*
K}nd aiix TiDct-eiiiq $Xaâe$ de Strabon.
jes traces de rancienne bourgade de Co*
essia se retfoutent en cet endroH; -et
'Élixos, dont parle le même aotetli', est
e ruisseau qui se précipite de la mon-
agoe devant la Tille de 2(éa , continue
serpenter dans les profondeurs dii ra-
in, reçoit d'autres petits ruisseaux, et se
ette enfin dans la mer, près des mâga^
ins actuels, dans la partie méridionale
la bassin de ce port.
Le port de Zéa est un des plus benux
le TArcbipel, et des plus heureusement
itués pouf le commerce. Mais les habi«
ants de Zéa ont toujours préféré l'agri-.
ultnre à lai navigation ; et ils ont laissé
d'autres le soin de venir chercher leurs
ruits, leurs pins , leur vallotiée et leur
oie. Il n*^ a plus qu'une ville dans Ttle,
elle de Zéa, située à une lieue du port ;
Ile compte cinq cent cinquante mai-
ODS et trois mule habitants. Le pays
st assez bien cultivé, et l'on voit çà
t là dans les campagnes des granges
n petites maisons rustiques appe-
lés xaXu6ia où les paysans, qui de-
Qeurent tous à la ville, passent le temps
es semailles, des récoltes, ou des au^
res grandes opérations agricoles qui
BS retiennent dans les champs.
Signalons encore, pour achever la des-
nption topographique des antiquités de
^, la tour nellénioue du couvent de
aiute-Marine, qui s élève dans la cour
u cloître. Elle est carrée; ses côtés ont
ingt-quatre pieds de largeur; sa hau-
iur est considérable ; elle est bâtie de
locs rectangulaires d'une espèce d'ar-
oise, joints artistement sans l'aide du
lortier. Elle est divisée en trois étages,
l Tancien escalier existe encore en par-
e. C'est assurément la plus belle tour
Qtique de ce genre qui existe actuelle-
ment en Grèce. A un quart de lieue au
ord d'Agia-Marina, on voit encore stir
eux petites collines des ruines de deut
Qtres tours antiques de la même cons-
uction.
Avant rétablissement de la coloriiè
mienne, Géos avait reçu ses premiers
jbitante de l'Arcadie et de la LocHde.
étaient Aristée etCéos qtii étaient vé-
Qs dans cette tle , le premier avec de&
arriiasieiu, te B6Cdbâ tn^eH im bM-
Mits de nmiptm HM AmUetfMatt
pas seulennent dnhéfoi. «'était àvMi M
personnagedlf In, et M lé^de, q«'Mi r^
trouve en tant de Hettt, ett Tliemilîe, t»
Béotte, en Etibée {i)^ en ArsiKile, à Cy*
rêne, en Safdâigtte,.eii Sicile, I Govgnr<s
était indigène à CéM, et y ftdttit le ibnd
des eroyatioés rel%ieu8eedeé inrabitMi»
Partout oâ s'éUblit le eulte d'Aristée,
le mythe tiouë montre que « oe flb me^
teilleux d'Apollon et de Cyrioe a bien
mérité des mortel! : l*' en organteaût la
vie pastorale, la ooddolte des treupeauXf
et en enseignant à reeneillir le lait peur
en faire le fromage, et en général pour
en tirer parti ; 3* en appienant k tnroryer
les olives et à en extraire de l'huile;
8* en inventant les roelies et Fart «Pe-
loter les abeilles ; 4* en perfeetionnaiit
fart de la chasse; en extirpant par la
fbree et par des moyene idgénien les
animaux ennemis de Thonmie, et ea
protégeant par les mémee moyent et
contre la fureur des bétes iadvee les
animaux domestiques et les plantations ;
6* en recherchant, d'après m lnstnie*>
tions de son père, les qualités Mtatairei
des herbes (S).-»
Particulièreroent eil ee qtfl coneeme
Géos, Aristée éleva tlil adet I Jupiter
ikmseique , ou Pluvieux., lur une ta<m*
tagne de cette Hé, où il mit été appelC
eomme prêtre et favori dee dietix^ hrt"
que Sirius brûiait tout dans te$ CyeUh
des, Aristée fit cesser ee ftéati en of^
frant un sacriice au dieu dispensateur
de l'humidité et à Sinus , et les vents
étésiens vinrent rafriilehir les bommee^
les animaux et les plantes. Ahisi tonte
rarchéologiem^rtboiogifoe des Géiene e
pour objet prmdpal ee héroi de Ai
bonté et de la bienfàUcmce ('Apieto< ,
'Apt^atoç) auquel sont etieii àssoeiét
son divin père Phébes, le grand dieu
des Gyclades, et le joyeox Baeelfae, et lei
nymphes qui servent ordlnaireaieiit de
cort^ à ces divinités. Vë^t Sirioe,
la grappe de raislil et l'abeille q«i figu-
rent sur la plupart des médailles de Geos
se rapportent a ces légendes et sent leè
symboles de la rellgioii de cette tie. QaaiiC
aux detix autreii cdtes qui if iûtrowie^
jtent aussi à Géo», (fM^MIre le cttHa
(i) Toy. plus haut, p. 384.
(9) Bronsted, lU et èëotf jh iU . .
444
LDKIVERS»
d'AphrodMe, partenUer à la ville dlulis,
•t le culte de Miaerve, établi sur la côte
ocoideiitale de TSle, ils ne s^annoncent
pas couune indigènes; ils paraissent
avoir été introduits plus tard a Géos, et
être dUmportation étrangère.
lïous avons dit plus haut quelle fut la
condition de Géos dans Tantiquité; mais
cette tle offre encore quelques particula-
rités dignes de remarque. D'après les au-
teurs les plus dignes de foi. parmi lesquels
se trouve au moins un témoin oculaire,
il était d*usage chez les Géiens que les
Sens très-vieux des deux sexes, qui hors
*état de se livrer à Tacti vite et aux jouis*
sanoes de la vie. n'en sentaient plus que
le fardeau, se détruisissent par le poi*
son , alhi de faire place à leur postérité.
« JTai vu cette coutume observée dans
111e de Géos, dit Valère-Maxime (1), à
répoque où, allant en Asie avec Sextus
Pompée, j'entrai dans la ville de lulis.
11 arriva qu'une femme de la plus haute
distiuction, mais extrêmement âgée, ré-
solut, après avoir rendu compte à ses
concitoyens des motifs qui la faisaient
irenoncer à la vie, de mourir par le poi-
son. Elle se flattait d'ailleurs que la pré<
•enoe de Pompée donnerait plus d'éclat
à sa mort. Sa prière fut accueillie par
œt illustre personnage, qui joignait à
toutes les vertus le mérite de la plus rare
humanité. U alla donc la trouver, lui
tint ces éloquents discours qui coulaient
de sa bouche comme d'une source in-
tarissable; et après de longs et vains
efforts pour la détourner de son dessein,
il se râolut à le lui laisser accomplir.
Cette femme, plus que nonagénaire,
mais parfaitement same d'esprit et de
corps, était couchée sur son lit, <]ui sem-
blait paré avec plus de soin qu'à l'ordi-
naire. S'appuyant alors sur le coude :
« Sextus Pompée, lui dit-elle, puissent
les dieux que je quitte, et non ceux que
je vais trouver, m'acquitter envers vous
qui n'avez dédaigné ni de m'exhorter à
livre ni de me voir mourir 1 Pour moi,
^ui ai toujours vu la fortune me sourire,
Je veux, dans la crainte que l'amour de
la vie ne m'expose à des retours cruels,
échanger le reste de mes jours contre
«nefinbienheoreose, qui me permet de
laisser après moi deux filles et sept pe-
tits-fils. » Ensuite elle exhorta ses «•
fants à la concorde , leur distribua ses
biens, remit à sa fille aînée tous les ob-
jets sacrés du culte domestique , prit
d'une main ferme la coupe ou était le
{>oison, fit des libations à Mercure, ea
e priant de la conduire, par un chemii
facile, dans la plus heureuse région des
enfers, et but avidement le mortel breh
vage. Elle indiqua successivemeDt de
quelles parties de son corps le froid sein-
f>arait, et quand elle l'eut senti ^er
es entrailles et le cœur, die pria ses
filles de lui rendre le dernier devoir et
lui fermant les yeux , puis elle nous eoo-
gédia. Malgré la stupeur où nous jeta
un spectacte si nouveau, nous dous re-
tirâmes les yeux remplis de larmes. »
Voilà ce qui restait au premier sieck
de l'ère chrétienne de cet ancien et Ur-
bare usage des Géiens qui avait été eu-
bli pour éviter, dit-on , renoombremefit
d*une trop grande population. Os ïhsl-
la ires, qui mouraient si facilement, s'sf-
fligeaient peu de la mort des leurs; !(s
hommes ne prenaient pas le deuil, et m
se rasaient pas la barbe quand ilsanient
perdu un de leurs proches. Seules ies
mères portaient un an le deuil pour h
mort d un enfant en bas âge. £d p^
rai on ne faisait pas grand cas de h ^le
dans cette lie : Strabon rapporte qje
les Athéniens levèrent le siège de lob
parce qu'ils apprirent qu'on avait resc-
lu de taire mourir tous les enfants d'ut
certain âge.
L'éducation des femmes était sé^êR
à Géos ; on ne leur permettait pas, m
jeunes gens non plus , Fusage du ^>
avant le mariage. Le séjour desùlle)
céicnnes était interdit aux courtisanes et
aux loueuses de flûte.
Géos est la patrie de plusieursbomnes
illustres de l'antiquité : Simonide oaqa^
à lulis , en 556 ; il vécut la plus gno^<
partie de sa vie à Athènes, ou il mooni
en 467, comblé de gloire et d'années. li
chanta les héros et les dieux. Baorfav
lide , autre poète lyrique, neveu de Si-
monide, rival de Pindare, florissait wfs
la 77* olympiade, 472 avant J.-C. p
philosophe et sophiste Prodicos, é(^
ment natif d'Iulis, était contemporaiDiK
Démocrite et d'Hippocrate. Cestdeiia
qu'est l'apologue d'fiercule sollicité a
Ut fois parle Vtce et laVerta, Théraioeoe
LES GYCLADES.
446
fbt son disciple. Athénée lui reproche
ivec raison les vices de son élève. £ra-
Dstrate , célèbre comme médecin , écri-
rain et fondateur d'une école partien-
lière de médecine , florissait en même
temps qu*Épicure, vers les 120® et 126*
)l][mpiades (300-380 avant J.-G). Son
mneipal ouvrage paraît avoir été un
iraité sur toute la médecine, 'H ki^X t&h
(a66Xcov RDCEY(iaTe(a. Enfin le lulien
iriston, pnilosophe péripatéticien et
«rivam, vivait dans le milieu du troi-
iième siècle avant notre ère (1).
L'histoire ancienne de Céos se con-
ioDd avec celle d'Athènes, à laquelle elle
appartint presque sans interruption
lepuis les guerres médiques jusqu'au
temps de l'empire romam. Elle passa
aisuite dans le domaine des empereurs
precs. « Je ne sais, dit Tourneiort, en
Celle année elle fut annexée au duché
Nazie ; mais Pierre Justiniani et Do*
ninique Michel s'en emparèrent sous
'empire d'Henri II, empereur latin de
^nstaotinople. Le P. Sauger a remar-
|ué que pendant les guerres des Véni-
lens et des Génois, Nicolas Carcerio,
leuvième duc de l'Archipel» s'étant dé*
:laré pour les premiers , Zia , qui étoit
le sa dépendance, fut assi^ée par Phi-
ippe Doria, gouverneur de Scio ; sa gar-
Hson, qui n'étoit que de cent hommes,
e rendit à discrétion dans la citadelle du
tourg. M. Ducanee , qui rapporte cette
xpédition à l'année 1553, a cru que l'Ile
le Zia appartenoit aux Génois; mais il
aut mieux s'en tenir au P. Sauger, qui
examiné sur les lieux les archives de
faxie. Zia fut ensuite rendue aux ducs
le l'Archipel, qui la conservèrent jus-
u'à la décadence de leur État. Jacques
^ispo, le dernier duc, la donna en dot à
a sœur Thadée , épouse de Jean-Fran-
ois de Somme-Rive, huitième et der-
ier seigneur d'Andros , dépouillé par
iarberousse, sous Soliman II (2). »
Quand Tournefort visita cette Ile, il la
rouva bien cultivée et dans un état as*
il prospère. Il n'y avait que cinq ou six
imiUes du rit latin. Tout le reste appar*
mait à l'Éfflise grecque. Le clergé y
tait très-riche et les moines v avaient
inq beaux couvents. Aujourdhui toute
(x)Broiuted, Ile de Céos, p. 67.
(2} Tournefort , Foy^age^ 1. 1, 333,
cette piospérité est bien déchue. La ré-
colte de la soie, la fabrication de capots
de poil de chèvre, et la caprification, dont
Tournefort décrit au long les curieux
procédés, telles sont les principales oc-
cupations des insulaires de Zéa^
Les Zéotes se sont toujours montrés
très-impatients du joug des Turcs. Dès
l'an 1787 un habitant de cette fie, Lam-
bros Catzonis, était placé par l'impéra-
trice Catherine à la tête de l'escadre
de corsaires grecs qui devait courir
contre les Turcs sous pavillon russe; le
port de Zéa devint le rendez-vous de
tous les aventuriers patriotes de l'Archi-
pel. Aussi en 1821 Zéa embrassa avec
ardeur la cause de l'indépendance, et
vengea la mort du patriarche Grégoire
par le massacre de quinze musulmans.
Les Zéotes prirent une part très-active
à toutes les opérations de la guerre, et
leur courage contribua à démentir l'épi-
thète de Taouchatu (lièvres), dont les
Turcs flétrissaient depuis des siècles les
insulaires de TArchipel. Zéa est aujour-
d'hui la seconde éparchie du départe-
ment des Cyclades.
tut n'HSLiNB.
Cette lie, rocailleuse, basse et plus
longue aue large, est à douze milles de
Zéa, si l'on compte d'un cap à Tautre ,
et elle est séparée du cap Colonne ou
Sunium par un canal qui n a que sept ou
huit milles de largeur. La forme de cette
île lui avait valu le nom de Maoris ^ et
aujourd'hui encore elle s'appelle Macrth
nUit lie longue. Strabon assure qu'on la
nommait autrefois Cranaé, l'Ile rude ,
mais qu'elle reçut le nom d'Hélène après
que Paris y eut conduit cette belle
Grecque, qu'il venait d'enlever, ainsi
qu'Homère le lui fait dire à lui-mê-
me (1). Euripide, dans sa tragédie 6' Hé'
ïène, avait aussi adopté cette tradition.
Hécatée, Pausanias suivaient une indi-
cation différente. D'après ces auteurs,
l'île de Cranaé, où Paris conduisit d'a-
bord Hélène , était vis-à-vis de la ville
et du port laconien de Gythium ; et l'tle
pierreuse du cap Sunium aurait été ap-
pelée Hélène parce que cette princesse
y aurait abordé en revenant en GrècCi
«près la destruction de Troie,
(OHon.^//., ni,444*
4éi
L*UltlVËft6.
%
lUe &(t auioanfkii éans le mène état
ue Strabon l'a décrite, <f esVà-dire qoe
est un rocher sans habitanls; ondeu-
teniH inéme qu'elle en ait JamaSs eu b!
Goltzltn ne mentionnait deux mâlail-
les qui portent sa légende. Macranlsi
est reïevee ep dos d'Ane pat une «réte de
r6e)iers fort hérissée , et percée de gran-
des oufertures par où on passe d'un
cdté à Fautre. £ue n'a qu'une méchante
cale dont l'entrée regarde t'eet; à peine
y trouve-t-on de l'eau a boire ; cep«idant,
au dire de Toumefort, c'est Tîte la plus
agréable de l'Archipel pour l'herborisa-
tion; les plantes ▼ sont plus grandes ,
plus ftratcnes et plus belles que partout
ailleurs. Cest là qu'on trouve Vnelian"
themvm, que Pime appelle Vheleniumy et
Sn'il dit avoir été produit par les larmes
'Hélène.
Macronisi n'est plus maintenâtot qu'un
pâturage appartenant aux Zéotes. Les
cavernes de ses rivages servent de re*
traite à des veaux marins « qui pendant
certaines saisons y font durant la nuit
un vacarme épouvantable. Dès que le
jour paraît ils quittent leur lieu de re-
pos, et se plongent dans la mer.
ILri ni GTtHHOS.
tille que les anciens ont appelée Cy-
thnos ou Cyihnus, du premier qui y
conduisit des colonies , portait aussi le
nom û'^Ophiusa et de Dryopis; mais
die est à présent désignée sous le nom
de Thermia, qui lui a été donné h cause
de certaines eaux chaudes et sulfureuses
qu'on y volt sourdre. Par corruption, on
par confusion du O avec le 6, on dit sou-
vent Phermia ou Phermina. Les eaux
chaudes de Thermia sont voisines du
port ; elles sortent pat- pi usieors sources^et
forment uti petit ruisseau qui va se ren-
dre dans la mer ,d'oû elles viennent, « car
elles sonttrès-salées, et s'échauffent sans
doute en traversant la terre, parmi des
mines de fer ou des matières ferrud-
neuses; ces matières sont les véritables
causes de la plupart des eaux chaudes;
celles de Tnermia blanchissent l'huile dd
tartre, et ne causent aucun changement
à la solution du sublimé corrosif, non
|>lu& que les sources chaudes de Proto*
tlialassa à Mllo , lesquelles sont inoom*
parablement plus chaudes que celles dont
nous parions. Lesùttdensrains de Ther-
mia étoittit an Mitte* ds là «allée; «
y voit enoore le mie d'inrénrw
bâti de briMct et de pierres, avec obi
petite rigole par le moyen de lasoeBe
reau du gros bouillon , se distmoit
où l'on Toakoit : ees eaux ont caniené
leur Verto(l ) ». Loqgl»apBnégli§éeip(fr
dent l'oceupution musulmane, ees «n
sont redevenues assez fréqwnfiéeiëeiHBi
rétablissement du royaume de Grèot
Les anciens estimaient neaneoup ]es6«-
maces de brebia qu'on fiiisaitèCylliDQg.
On trouve à Gytfaiioe les raines de dcn
anciennes villes, Hébréocastro et Paléo*
Castro. Hâliréoeastio» on la Tilk éa
Joi6, est au sud-ouest mr le boiià
la mer et sur le penchant d'une laonta-
goe, auprès d'un poit où il y aval ■
petit éeueil; on reoomi^ à la graÉtev
et à la magniûcence de ces ruiaei ft
c^était une puissante cité, et odie nm
dont Dicéarque fidt mention. Pilé^
Castro est dans la partie méridioe^ à
111e, et la vîlk^ qua est tout è fait atai*
donnée, n'est pas si ruinée que raotit,
mais on n'y trouve ni maii^ras ni aoesv
restes de magnificence. La ville aetoelit
de Thermia est au nord-ouest de llle.
près du port de Sainte4rène, et sur li
pente d'une hauteur asset oonsidéraUe.
Plus bas se traivent le village deSiba
e^ le port Saint-Ëtienne.
L'histoire de Cythnos se eonfomi aret
celle des autres (>clades. €^hna^ no
héros éponyme, était probablement aa
chefde Dryopes venus ueStmenEubei-
Oes Dryopes de Cythnos aiièrent foadir
un établissement en File de Cyore. Wti
ftiit mention dans Hésychlus aVine ex-
pédition d'Amphitryon, père d'Hercule,
a Cythnos , dont il extermina p<^
tous les habitants. De là l'expressioopro'
verbiale de Cùktmîèéi de CyihMt, pour
exprimer un grand malheur. Le plosoé*
lèbredesCythniensfutle peîBUreQrditf.
Îuiflorissait versla 114^ olympiade(SlS\
u temps d'Alexandre le'Grand. L^on*
teur Hortensius, dit PUne (2), dosu
144,000 sesterces (30,340 fr.) de son ta*
bleau des Argonautes , poor leqoel i
(i) Toumefort, ^ 3aS; MxpAEt. ScUnC-
fi/fue, m, p. zg ; M. Landerer, ftepi w» h
KuOvcp Oep(u»v (>8àTtt>v. Leaf^0y<^<leRo%
Fiedler, etc.
(a) Pfio.,' iXXV, 6.
Les CYCLAbés:
w
ît oODStruire exprès un bâtiment (tans
;a villd de Tuscùlum. G*est à Cytbnos
p'un des imposteurs qui voulurent se
aire passer pour Néron termina sa des-
loée. C'était un esclave liàbile.à chanter
tt û jouer de la lyre , et qui' avait les
eui , la cheveUire de Néron et son ex-
iressioD de féroeité. Accompagné d'une
roupede dupes et de vagabonds Jl s*em-
larqua pour soulever rOrient. La tem-
|ête le jetaà Cythnos,où Une tarda pas à
Ire saisi et mis à mort par Tordre d*As-
irénas, gouverneur de la Galatie et de la
'amphylie pour Galba(]}.
Après le gouvernement des empereurs
;recs et celui des ducs de Naxie, Thermia
ombaau pouvoir desTurcs. Au commen-
ement du dix-huitième siècle cette île
enfermait 6,000 habitants, tous grecs.
!xcepté dix ou douze familles latines qbi
ivaient pour pasteur un vicaire de Tévê-
{ue de Tine. La situation de Tévéque
;rec était assez prospère. Il y avait
(ulDze ou seize églises a Thermia, dont
a principale était dédiée au Sauveur.
Uilede Thermia n'est pas escarpée
ommela plupart des fies de T Archipel \
on terroir est bon et bien cultivé. On
' recueille peu de froment , beaucoup
l'orge, assez de vin et de figues pour les
iabitaQts,du très-bon miel, mais pres-
[ue pas d'huile. On y travaille la soie et
e coton, et on y fait ces voiles Jaunes dont
es femmes des îles se couvrent la tête.
Thermia est très-abondante en gibier,
urtout en perdrix , qu'on porte en cases
lUx marches des îles voisines. £lle rut
me des premières à s'insurger contre les
Tores après la mort du patriarche Gré-
[oire.
tiB DB srTBV(S).
JSjra ou Syfos, comme l'appelaient
n ancieiiSf est située presaue au centra
les Cydades, par ^V 22" de latitude et
â*" 35' de longitude d« méridien de Paris.
(î)Tac.,i5r«f., 11,8,9.
{t) L'ooyrage le plus considérable sur 6yni
>t le )itre iiilitolë : Traité complet mr hf
MUs, wec utu méthode noweUe de ks
|»«Wiier, teile qu'elle se praUque à Srra,
UiU VjLnhipel^ pheédéd'tm précis hista^
^ et évammtifue de cette Ue, p«r Tabbi
WiiRocoa, Tieairo géacnl deSyca, 3 vol,.
«»•»"; Paris, 1790.
Sa longueur M îièrft-^MléBl M iaé^ié^
est d'environ quatorze milles , et sa itr^
geur de Pouest à Test de six à sept millM \
ce qui lui donne ati moinsquarante miltal
de côtes , quoIqu^on ne les estime coni*
munément qu'a trente-six dans le fAyt.
Elle était déjà renommée du temps d*H<w
mère, par sa fertilité en blé et en vin ,
par le grand nombre de ses bestiaot,
par ta pureté et la salubrité de îMn air^
et pair un monument astronomique q«i
y indiquait les solstices et les équnoxes»
« Au delà de Tîte d*Ortygîe , dit Eumée
racontant ses aventures à Ulysse, est udr
île appelée Syrie, si Jamais vous atee en-
tendu ce nom. C'est danii (iette tie q«0'
se voient les conversions du S(^il. E^é"
n'est pas très-grande, mais elle est très-
fertiie; car on y nourrit de grands trou-
peaux debœufs et de moutons, et elle pôtte
beaucoup de vin et de froment. Jamais
la famine n*a désolé s^ peuplés, et les
maladies contagieuses n*y ont jamais
fait sentir leur venin. Ses habitants ne
meurent que lorsqu'ils sont parvenus à
une extrême vieillesse, et alors c'est
Apollon lui-même ou sa sœur Diane qéi
terminent leurs Jours avec leurs dotioés
flèches. Il y a dans cette tte deux villes'
qui partagent tout son territtnre. Mon
père Ctésius tils d'Ormène, et sembtalrfe
aux immortels, en était roi (1). »
Il n'y a rien à ajouter a ce tableau , si
rapidement tracé et pourtant si complet.
Ce qu'on sait de Syra dans les temps po8«
térieurs confirme tout ce que dit Homèrd'
de la patrie du fidèle Eumée. Quant à
sa stérilité actuelle, c'est un effet del'in-
curie des hommes et de l'action dU'
temps^ trop de raisons nous en rendent
compte, pour qu'on se croie autorisé à
taxer Homère d'inexactitude.
C'est encore à Homère quenoui devouf
le récit le plus intéressant sur l'ancieit
état de Syros au temps de ses rois , et
sur la situation générale des ties et des
côtes de la Méditerranée orientale , à Té^
poque où les Phéniciens et les Grecs a>a
disputaient l'exploitation par le commeros
et fa piraterie. « Un jour , continue fiu^
mée, quelques Phéniciens , gens célèbres
dans la marine et grands trompeurs:
abordèrent à nos côtes, apportant dafiM
leurs Taisseaux mille parures, tl y ataif
(i) Hom., O^fs., XY, 4oa, '
4«!
L'UinVER&
«lori dans le iiaUiis de mon père une
fèmot phénicienne, grande, belle, et
t^-habile à toutes sortes de beaux ou-
vrages. Ces Phéniciens séduisirent cette
femme par leurs fourberies. Un jour
qu'elle lavait des vêtements près de leur
vaisseau, l'un d'eux s'unit d amour avec
die. £t quelle femme, même la .'plus
vertueuse, résiste aux voluptés ? On lui
demanda ensuite qui elle était et d'où
elle était. £Ue indiqua aussitôt le pa-
lais de mon père, et dit : « Je me glo-
« rifie d*étre de Topulente Sidon. Je suis
«la fille d'Arybas, homme très-riche
«et très-puissant; mais des corsaires
« Taphiens m'enlevèrent comme je re-
« venais des champs, et m'emmenèrent
« dans l'Ile de Syrie, où ils me vendirent
« à cet homme, qui donna de moi un
« grand prix. — Mais, lui répondit le Phé-
«nicienqui l'avait abusée, voulez- vous
« venir avec nous, pour vous retrouver
« dans votre maison et revoir votre père
« et votre mère ; car ils vivent encore et
« sont toujours riches? — Je le veux bien,
« repartit cette femme, si toutefois vous
« me promettez tous avec serment de me
« ramener chez moi sans me faire nul
« outrage. » — Tous aussitôt firent léser-
« ment qu'elle demandait ; après quoi elle
« leur dit: « Tenez maintenantce complot
« secret, et qu'aucun de vous ne s'avise de
« m'aborder ni de me parler, soit dans le
« chemin, soit à la fontaine, de peur que
« quelqu'un ne le voie et ne coure au
« palais le rapporter au vieillard, qui,
a entrant d'abord en quelque soupçon ,
« ne manquerait pas de me charger de
« ehatnes et de trouver les moyens de
« vous faire tous périr. Quand votre
« vaisseau sera chargé, vous n'aurez
« qu'à m'envoyer un message pour m'en .
« donner avis. Je vous apporterai tout
« l'or que je trouverai sous ma main. Je
« tâcherai même de vous payer un prix
« encore plus grand pour mon passage;
« car j'élève dans le palais le jeune prince,
« gui est déjà fort avisé et qui commence
« a sortir avec moi : je vous l'amènerai.
« En quelque contrée que vous vouliez
« l'aller vendre, vous en aurez un prix
« convenable. » En finissant ces mots elle
les quitte, et s'en retourne dans le pa-
lais. Ces Phéniciens demeurèrent en-
core un an entier dans le port, d'où ils
venaient tou9 les jours à la ville vendre
leurs marchandises et acheter des pro-
visions. Quand le vaisseau eut sa diar^e
et fut en état de s'en retourner, ils dé-
pêchèrent un de leurs matelots à eette
femme pour l'en avertir. Cétait un
homme très-rusé, qui vint dans le palais
de mon père comme pour j vendre no
collier d or entrelacé de brins d'ambre.
Toutes les femmes du palais, et ma mère,
le maniaient, l'examinaient, et en ol-
fraient une certaine somme. Cependant
le fourbe fit signe à notre Phénicienne,
et s'en retourna au vaisseau. En même
temps, cette femme me prend par Is
main, et me mène dehors. En sortant,
elle trouva dressées dans le vestibule les
tables où mon père traitait ceux qui gou-
vernaient avec lui. Elle prit aussitôt trois
coupes, les cacha dans son sein, et con-
tinua sa route. Je la suivais sans me
douter de rien. Après le soleil ooucbé,
et les chemins étant déjà couverts de
ténèbres, nous arrivâmes au port, où
était le vaisseau des Phéniciens. Ils noos
font embarquer promptement et mettent
à la voile, poussés par un vent&vorable
Sue Jupiter leur envoya. Nous voçiâmes
ans cet état six jours et six DUits. Le
septième jour, Diane décocha ses flèches
sur la Phénicienne, qui* mourut tout
d'un coup, et tomba au pied du mâL
On la jeta dans la mer, où elle servit de
pâture aux poissons. Je restai seul , le
cœur affligé ; sur le soir, le même vent
nous poussa à Ithaque , où Laerte m'a-
cheta. »
Après les temps héroïques, il n est
fiailt dans l'histoire aucune mentioii de
llle de Syros. Le seul nom dont os
ait conservé le souvenir est eeloi du
philosophe Phérécyde, qui fut le mattn
de Pythagore, et qui naquit dans la qua-
rante-cinquième olympiade, doot la pre-
mière année répond à l'an 69B avant
J.-G. Phérécyde était du noanbre de
ces philosophes que les Grecs app«laieflft
AutoBiSèsiTou^, c'est-à-dire qui se satU
instruits eux'mémes, « On assure, éi
Hésychius, qu'il n'eut aucun maître,
mais qu'il se poussa lui-même dans les
sciences , après avoir trouvé quelques
ouvrages cachés, ou commentaires se-
erets des Phéniciens, » Le savant Hoet,
évéqued'Avranches, résont ainsi, dansss
Pr^raUon Évangéiique^ la queslionde
savoir quels sont ces livres ^tonbèreBl
LES CYCLAUnS.
44»
ifltrelasfflanisdeniéréevde. « Phéfé^-'
le, dit-il, fût disciple des Egyptienset des
^haldéens, mais surtout des PhénidenSy ■
les livres secrets desquels od dit qa*il
ira Qae grande connaissance des choses
Urines, n'ayant point eu d'ailleurs d*au-
res maîtres. Jentends par ces livres se-
rets des Phéniciens ceux de Moïse,
luxquels Juvénal donne le nom d'^/r-
anum. On les attribue aux Phéniciens,
jui, comme je Tai déjà remarqué plus
Tune fois , sont souvent pris dans les
uteurs profanes pour les Juifs , leurs
oisins ; ou bien on peut entendre par
à récrit de Sanchoniaton, qui avait été
Iré des livres de Moïse. » Sans être-
assi explicite sur ce point, Bocbart
l'hésite pas à regarder les Phéniciens
omme les maîtres de Phérécyde. Ay^
luvé sur le témoignage d'Homère, il
tablit que les Phéniciens faisaient de
ongs séjours dans Hle de Syros; qu'ils
ui avaient donné son nom , et qu ils y
valent répandu dès la plus haute an*^
iquité leurs connaissances astrono'
niques. « Cest de là, ajoute>t-il, qu'il
aat tirer l'eiplication de Tpona\ ^Xfoio ,
t il est aisé de voir que c'est 4X(otp6iciovy
'héliotrope, c'est-dniire le cadran; et
)ar là Homère nous apprend que les
Phéniciens avaient fait dans cette île un
adran, dont le style ou aiguille, par le
Doyen de son ombre, indiquait les soi*
tices; et comme (fêtait une chose fort
'are et merveilleuse dans ces temps-là,
lomère, fort curieux et bien instruit de
OQs ces points d'antiquité, le marque
omme une rareté qui distinguait cette
le -, et il y a bien de l'apparence que
«cadran, que Phérécyde fit à Syros ne
ut fait que sur les dé^uvertes des Phé-
ticiens. » On sent bien que sur ces
[uestions-là les plus savants hommes
le peuvent donner que des hypothèses, et
|u'oo ne peut établir de conclusions cer*
aines. Void un mot du scoliaste d'Ho-
aère qui contrarie bien la supposition,
Drt raisonnable du reste , de Bochart :
On dit qu'il y a à Syros une caverne
lu soleil, par le moyen de laquelle on
emarque les conversions de cet astre. »
1 ne s agit plus ici d'un héliotrope ou
adran artificiel, mais d'une grotte, qui,
omme le puits de Syène, était disposée
le manière à marquer les conversioosdu
29' Livraison, ( les Cyclades.)
sdieit; ou la positiiin de son ombra «ux
solstices. Mais ce mot du scoliaste n'est
aussi Ivi^méme qu'un on-dit, ou peut-
être encore qu'une hypothèse.
La mort de Phérécyde est diversement
racontée. Selon Diogene-Laerce il périt à
Delphes, où il se précipita du haut des ro-
chers du mont Corycius. Selon d'autres,
il mourut d'une afireuse maladie, qu'É-
lien décrit de la manière suivante : « Phé-
récyde, maîtrede Pythagore, étant tombé
malade, transpirait d'abord une sueur
chaude et semblable à des mucosités,
Îai le jeta ensuite dans la pbthiriase.
outesses chairs se réduisirent en poux,
la corruption s'y mit, et il finit ainsi ses
jours. » Défîffuré par cet horrible mal ,
Phérécyde s'était enfermé dans sa mai-
son, et ne recevait plus personne. Un de
ses amis s'étant présenté à sa porte
pour savoir comment il se portait, Phé-
ricyde lui fit voir par un trou son doigt
tout décharné, et lui dit que tout le reste
de son corps était de même. Diodore de
Sicile raconte que Pythagore, apprenant
raffiictioQ de son anciisn maître, quitta
ritalie pour le rejoindre à Délos , où il
était tombé malade; qu'il l'assista jus-
2u'à ses derniers moments, et qu'il lui
onna une honorable sépulture. On a
retrouvé parmi les antiquités de Syros
un buste, d'une belle et grave expression,
que les archéolosues se plaisent à re-
garder comme celui du philosophe Phé-
récyde.
Gicéron loue ce philosophe d'avoir en-
aei^éle nreroierl immortalité de l'âme ;
mais Suidas l'accuse d'avoir créé le sys-
tème de la métempsycose.
fiyra, comme les autres Cyclades, obéit
successivement aux Perses, aux Athé-
niens, aux Macédoniens, aux Romains,
aux empereurs byzantins, aux ducs de
l'Archipel et enfin aux Turcs. Sous ces
derniers maîtres, Syra devint le refuge
d'un grand nombre de familles franques
chassées des lies voisines , qui y appor-
tèrent la religion et le rit romain, et en
firent lUe la plus catholique de TArchi-
pel. « Pour sept ou huit familles du rit
grec, dit Tournefort, on y compte plus
esix mille Âmes du rit latin; et lorsque
les Latins s'allient avec les Grecs , tous
les enfants sont catholiques romains ; au
lieu qu'à Naxie, les garçons suivent le
29
450
L*UICIVEa&
rit dd père, et 1m fillei ctàii de la
mère. Où est redevable de loua ces biena
aux pères eapuelua français, mission-
naires apostoliques, fort aimés daoa cette
tle, et fort appliqués à iostruire un peuple
porté au bien , honnête , ennemi déclaré
des Yoleurs, plein de bons sentiments,
et si laborieux , qu*on ne saurait reposer
dans cette tie la nuit, à cause du nruit
universel des moulins à bras que cha*
cun exerce pour moudre son blé, et le
jour, à cause des rouets uni servent à filer
le coton. La maison etréglisedescana-
cins sont assez bien bâties; la bannière
de France arborée au coin de leur ter-
rasse nous réjouit; et le père Jacinthe
d*Amiens , homme d'esprit , substitut du
consul de Franee à Tme, nous reçut
avec tous les agréments possibles. Oes
pères dirigent vingt-cinq relisieuses du
tiers ordre de Saint-Francis, filles d'une
vertu exemplaire, quoique non cloî-
trées. Les Grecs n*ont que deux églises
dans Syra, desservies par on papas. Il
n*y a de Turcqn*un cadi; encore vient-
il se réfugier chez les capucins lorsqu'il
paratt quelque corsaire autour de 1 Ile*
On y élit tons les ans deux administra-
teurs. En 1700 lacapitation et la taille
réelle montaient à 4,000 écus. »
L'évéque de Syra est nommé par la
cour de Rome et placé sous la protection
de la France.
Ce fut sous Louis XIII que fat fon-»
dée à Syra la maison des capucins; sous
Louis XV les jésuites s'y établirent.
Après la destruction de Tordre, les laza*
ristes les remplacèrent. Tous les catho-
liques répandus dans l'empire ottoman
reconnaissaient alors le t(à de France
pour leur protecteur; cette protection
s'étendait particulièrement sur ceux
qui suivent le rit latin, et les habi-
tants de Syra en particulier en ont de
tout temps ressenti les heureux efPeta.
A La reconnaissance des Svriotes envers
le roi de France, dit l'abbe délia Rocca,
se manifeste à Syra de la manière la
f>lus éclatante: on pourrait même dire
a plus incroyable. Quoi de plus sin^-
lîer en effet que d'entendre au miheo
des peuples livrés à l'erreur, dans les
églises et chapelles particulièrea retentir
au loin le chant mélodieux du Domine,
salvum fac regem. £t pour qu'on ne
piusie ■em^MBdie mr le nom de ee-
I«i qui est Totijet de cette prière, on y
ajoute oes mots : Nostrum Ludoci-
cum (i). » Les navires français trou-
vaient tomoara chez les Syriotes Vit-
cueil le plus empressé et tous les se-
cours néoessaîrea dans le cas de peste,
d'inoendie, de tempête, ou lorsqu'ils
étaient attaqués par des pirates.
Cette protection toute spéciale leav^
dée parla France è 111e de Syra s'éUa-
dit indirectement à tous les iosulaiRi
de l'Archipel lorsde^insurrectioogR^
que. A l'abri des horreurs de b guerre,
oomme cliente de la France, la catho-
lique Syra devint le lieu d^asile de touta
les populations des tlea où les Turcs
avaient porté leurs ravages. Au pied de
la montasnequi domine randenneSp
latine , il se forma une aggloroératiop
de fugitifs , venus ^le toutifles Iles roi-
aines, qui en peu de temps donna nais-
sance à une cité nouvelle, où l'on compir
aujourd'hui plus de quatre mille mai-
sons, des éelises, des hdpitaax et
des écoles publiques daoa lesquelles se
réunissent quatorze à quinze cents a<
fants. Les Chiotes. les Ipsariotes, les
Hydriotes ont le plusooDtribuéàfiM^
nir la population de la ville d'Henao-
polis , qui compte environ 3^000 imes.
et qui est maintenant le port le plus fré-
quenté de l'Archipel, le centre du oom-
meroe de la Greoe et son priadpai
chantier de conatru<^ion maritiine. ^e^
noK)poliB, la ville de Mercure ou duoooh
sDerce, est après Athènes la pretHÎèK
cité du nouveau royaume grec £Ue est
aituée au bord de la mer « à k base àt
rocher dont ranâeoae Syra occupe too*
jours le sommet, et où réside encore us
évéque latin, délégué apostolique de
aaint«Biége, et toqjours protégé ^ sw-
tenu par la Fiance (3)«
i;
!z) Traité, e/c, t. î, p. 9^.
a) Surtout par TOEuvre de la Propagiù'
de la Foi, qui est communes tonte hcitboi»-
citéy mais où la France conlriboe i die seét
pour les deux tiers. J*ai extrait da dcrvcr
compte rendu des opérations dt la socicir
tout ce qui a rapport am Elcs de b Grèee. t
n*est pas hors de propos de produire id ce*
chiffres, qui donneront une idée de h àt^
tioa de rÉgUae btine dtnt le Levnt, nàt
LES CYCLADES.
461
Ces deux ties« que les Grecs moder*
068 appellent DUi^ et que les anciens
distÎDffuaieot par les noms depeiUe et de
grande Délos, à cause de la di£féreooe
de leurs dimeosioas , ne sont plus, de*
puis bien dessièdeSf quedeux méchants
éeueilB tout à fiiit abandonnés. Mais le
sourenir de ee qu'elles ont été jadis rend
à jamais leur nom impérissable, recom-
loande leur histoire aux recîierches in*
fatigables des savants, et attiresans cesse
vers leurs débris les explorations des
pèlerins de la science antique. Depuis
plusieurs siècles, la petite Délos, Tilesa*
crée d'ApoUon, et la grande Délos ou
Rhénée, sa nécropole, ont été visitées par
de nombreux voyageurs, qui ont eu à
constater, les uns après les autres, les
progrès de la destruction de leurs ruines,
contre lesquelles se sont cocyurées Tao-
tioD du temps et la main des hom-
nés. Je laisserai parler ici le dernier
d'eatreeux (t), dont la relation réunit
l'éteadae dei resioureet miMt par IVeuvre à
ia dispoMiion d«ft établisMnwiits cathoUques
qu'elle soiUieal en parlie.
Il a été recueilli dans lei lies grecques :
UocitedeSm. Mr,nABMlUMias mifir. » e.
— 4flTlM,%H%» -^ es lyTM J»
— deZaote, 1,19a 78
— de Sdo, f ,«it piAstres &= tM is
Il a été distribué dans ces îles :
A HP Albertt , éréqw 4« Sjul et délégua fr.
apostolique pour U Grèce < is,ooo
A la mission des RR. PP. eapndns i Syra . soo
Alli»Zalonl,eTéqat4le'niie i,MO
Aex Bâssioas de la ««pegate de Jdsns en
Crèce 7^0
A Hr Castetll, arebeTègne de llaxle. . . : . i,mo
AlirCiieailla,é*è4MdeSaiktDrtB i^oee
A k Maison des Jaiarisles et étabUssemenU
des soeurs de ctiarité A Santorlo ^.^fioo
A la mtssloti des RR. PP. capodos ft Faros. 'a^seo
A« dioeèw de Zante aae
A linalMB 4et RR, PP. espnciaf A CdpJu*
lonle 2,800
A h maison des RR. pp. eapndns dans llle
de andle. ,
AMf JoattidaBt, érd^ae de^Sdo
A la maison des RR. pp. loincnrs réfonnéa
a Rbodes ; i^^mo
A la mataon^det RR. pp. mtaeurs réfdnét
A M étella. , 4-g^ , ;
KlBsiona de llte de Oiyprc. e^ '
Vo/es Jnnales de U Propt^gadon <U U
^oi, mai i85a, p. 166; compte rendu de
année x85i.
(i) M. Ch. Rcnoit , mon ancien confrère à
à Texaetitnde des détails archéologiques
rintérét de la description et Tagrement
des impressions personnelles.
DeSCEIPTION D£S BUmES DB Dstos.
« Cette dévastation de Délos dépasse
tout oe qu'on peut imaginer , et le cœur
se serre en promenant ses yeux sur ce
morne rocher, où pas une ruine même
n^est restée debout, mais où toute pierre
a été renversée y hrisée, réduite en me-
nus éclats. Tout s'est conjuré, depuis
quelques siècles, pour en faire dispa-
raître les vestiges de quelque valeur,
que Spon et Wheler y trouvaient encore
en si grande quantité quand ils visi-
tèrent cette tle en 1676 , et Toumefort
au commencement du dix-huitième siè-
cle. La curiosité impie des savants et
des amateurs d*anti(]uités n^a pas été
moins fatale aux ruines de Délos gue
la barbarie des habitants des lies voisi-
nes exploitant ces ^ands débris comme
des carrières : car u y a plus de mille
ans que les gens de MvKonos , de Sy-
ros, de Ténos viennent 'y chercher des
matériaiu pour bâUr. Les pierres étaient
toutes taillées ; à quelques vestiges de
aculpture on les reconnaît parfois aux
environs y maçonnées dans les murailles
des plus sales masures ; et non loin de
l'emplacement du temple s'élève encore
un vieux Ibur à ehaux dans lequel ont
été calcinés bien des statues et oes mar-
bres précieux , destinés à faire du mor-
tier. Les derniers débris conservant
ouelque figure et oui n'avaient pas été
aepuis longtemps déjà transportés à Ve-
nise ou à Constantinople , ou pillés par
des bâtiments russes ou anglais, ont
servi, il y a vingt-cinq ans, a la cons-
truction d'une grande église que j'a-
vais vue, quelques jours auparavant,
dans rtle voisine de Ténos. Las magni-
fiques linteaux des portes en man)re
blanc qu'on y admire onl] été enlevés
ici du temple d'Apollon. Le gouverne-
ment du roi Othon, à peine constitué,
réooled'Atlièiies, qui a iaiéré l'i
liée dont je donne ici l'ibnigé, daiu les w/rc/ii-
^ftsdes Misdons ^cientjfiquôt de juillet iSbu
On pe«t eoBsidter eoeore Dapper, p. 36 j;
Tournefoii, I, «67; Tabbé sihier, ffistoirf
de tiU de Délos ^ Acad. des Xucr., Ill, 376 ;
Schweocky DeUaca, m-4S x^aS, etc. Ci
Forbiger, Handbuch, TIT^ p. 1037.
29.
MÊ
452
L*tNlVERS.
s*est empressé, il est vrai, d'interdire
dans toute la Grèce cette dévastation sa-
crilège ; mais ici il était trop tard : il
n'y avait plus rien à sauver.
« Le temple d'Apollon s'élevait aux
bords du canal qui sépare Délos de Rhé-
née, vis-à-vis de recueil qu'on appelle
aujourd'hui la grande Rbematia , et qui
était autrefois consacré à Hécate. Les
monceaux de fragments du marbre le
{>lus blanc de Paros , dont le sol est au
oin couvert, indiquent encore quelles
furent les proportions de cet édifice
immense , construit à la même époque
oue les grands temples de l'acropole
d'Athènes : qnelques chapiteaux dori-
aues mutilés , des tronçons de colonnes
e plus d'un mètre de diamètre permet-
tent même de le restaurer en partie par
la pensée. Lés colonnes de la Cella étaient
rondes et cannelées dans toute leur cir-
conférence; mais les tambours des gros-
ses colonnes, qui formaient le périmètre
du temple, au lieu d'être cylindriques;
quelques-uns du moins, sont ovales, et
seulement cannelés sur les deux côtés les
plus arrondis. Quel fut le dessein de
l'architecte? Quelle illusion voulait-il
produire ainsi? On sait avec qudle
science profonde et délicate les artistes
du ^and siècle combmaient dans leurs
momdres détails les lignes de leurs édi-
fices, selon de mystérieuses harmonies.
Les études de nos jeunes architectes sur
les ruines du Parthénon et des Propy-
lées leur révèlent chaque jour quelquW
de ces merveilleux secrets de l'an an-
tique, que l'art moderne n'avait pas
soupçonnés jusque alors. Malheureuse-
ment à Délos on ne peut guère qu'en-
trevoir le problème, sans trouver, avec
s! peu de restes mutilés , les moyens de
le résoudre.
« Avec les débris de ce temple se con-
fondent presque les ruines de rimmense
portique quePhilippe III , roi de Macé-
doine , avait consacré à ApoUon , et qui
s'étendait du côté du sud le long du
rivage, dans un espace de cent cinquante
pas environ. On y distingue quelques
«normes chapiteaux doriques en beau
marbre gris sans veines et du ^in le
Ï>lus fin, des fragments de frise avec
eur trigiyphes, des architraves , dont
le dessus avait été creusé sans doute
pour les rendre plus légères , et sur plu-
sieurs desquelles on recueille «neoie ees
mots mutilés :<l>lAiniI.... BA. IAEÛ2....
OAAQNI , restes de rinseription votive,
PhitippeJUs de Démitrfm; roi de Ma-
cédoine^ à JpoUan; «afin, de nom-
breux tronçons de colonnes dcnriques,
de près d'un mètre de diamètre à leur
base , lesquelles n^étaient cannelées que
dans les deux tiers supérieurs de leui
hauteur, et taillées à pans seulement
dans leur partie inférieure. Hais je se
veux point m'arréter à ces ruines, quoi-
qu'elles soient les plus considérables de
Délos ; on en trouve une minotieQse de-
eription dans les livres de Spon et de
Toumefort , qui les ont vues, il y a j^os
d'un siècle et demi, bien pins entières
qu'elles ne sont aujourd'hui.
« On croit que c'est à Tentonr de ces
édifices que se groupaient le ten^fde de
Latone , xh Av^xÇov, dont parle Stralion,
la chapelle d'Aphrodite^ que Theée
avait érigée jadis sur œ rivage à son re-
tour de Crète, le temple d'JrtémiM, et
maints autres. Gettecitédes temples était
enveloppée d'un même bois sacré, que
peuplaient par milliers des statues de
marbre ou de bronse. Quel spectacle!
lorsque entrant dans lecanalaux eaux d'é-
meraude, les théores entendaient au loin
les psBans sacrés montantau ciel avec Ten-
cens et la fumée des sacrifices ; qniand ds
apercevaient, à travers le feniUage dn
saintbosquet, ces temples étincdauts de
l'éclat de leurs marbres et des vives ooo-
leurs^ dont ils étaient peints ; qnutà
alentour ils entrevoyaientcette noultnude
de statues , ce peuple de dieux et de hé-
ros, sous les ombrages des palmien.
des myrtes et des lauriers-roses! Mais
aujourd'hui , pas une colonne debout ea
ces lieux, pas un tronçon de statae,
pas un arbre, pas seulement un palmier,
pour marquer l'endroit où Latone mil
au jour Apollon et Artémis ; ricu que de
basses broussailles, des lentisqoes naics
rampant sur les décombres, et où les pi-
tres de Myconos viennent parfois faire
pattre leurs moutons et leurs chèvres.
« Lorsqu'on 1423 l'Italien Bondel-
monte visita Délos. il trouva eneor^
couchées par terre d'innombrables sta-
tues, et parmi elles une statue co-
lossale, qu il essaya en vain de redres-
ser avec tous les ensins de ses galères.
Tous ces restes de l'art antique ont éi<*
LES CTCLADES.
463
piliés et dispersés depuis dans tous les
coins da monde. Il n*en tleiaeore qu'un
éDormefragment, encore reconnâissable,
de la gigantesque statue cPJpoUon , qui
avait étonné Bondelmonte , et qui jadis
)vait été érigée au seuil du temple par
les habitants de Naxos, après la guerre
Médique. C'est un torse énorme depuis
le cou jusqu'à la ceinture; j'ai mesuré
fane épaule à l'autre S^^^SO. Tout à
!ôté de ce débris, que les chaufourniers
l'ont pu entamer , gît up gros bioe carré
le 6 mètres de long v 9°^,50 de large
!t ]°*,25 d'épaisseur, éridé au centre,
equel a certainement appartenu au pU-
testai de la statue, est on y lit encore
sur un des cdtés l'inscription votive
USIOI AnOAAûM. L'Ionie entière
luivit l'exemple des Naxiotes : en ces
onrs d'allégresse où Atliènes victo-
ieuse restaurait le vieux culte de Délos,
!ités et partîcaliers venaient à Tenvi
!ODsacrer dans ille sainte un monument
le lear reconnaissance. C'est auprès de
a statue colossale de Maxos que ïe pieux
Vicias érigeait son palmier de bronxe
loré : voisinage fotaf 1 ce palmier, bien-
6t déraciné par la tempête, tomba sur
e colosse et le renversa. Depuis oe
emps la statue est demeurée par terre,
intiere encore au temps de Bondel-
nonte, mais depuis sans cesse muti*
ée par des amateurs.
< Quand on quitte ce lieu des sanc*
naires, pour remonter le canal vers le
lord, et suivre ensuite le rivage cpii re-
garde Ténos, on marche au milieu des
iiines de la vilk même de Délos, ville
adis magnifique (à en juger encore par
es débris ), qui, desœndant des pentes
la mont Cyntbos, s'étendait le long de
a plage septentrionale. Là , depuis la
lestmction de la population antique ,
inlle population nouvelle n'est venue,
»)mme en d'autres lieux de la Grèce,
'ecouvrir de ses constructions, ainsi
nie d'une alluvion, le sol d'autrefois,
l^los d'un quart de la ville subsisterait
^core, comme une autre Pompéi, si
Tavides exploiteurs n'étaient venus de-
)m deux siècles en bouleverser les
'estes de fond en comble, les uns pour
^chercher des trésors, les autres des
reliques de Vaari antique, d'autres, enfin,
pour en tirer des matériaux à bâtir. Les
pierres des angles surtout ont été arra-
chées pour être employées ailleurs : il
ne reste phis ^ère que des tas de moel-
lons d'un schiste micacé ou d'un granit
1>leu, que fournissaient les carrières ou-
vertes au pied du Cynthos; et ^ et là
quelques fni^;ments d'un beau marbre
blanc sur lesquels on distingue des traces
de couleur. Nul doute que ees décombres
ne recouvrent encore maintes choses
précieuses, des morceaux de sculpture,
itUntéressantes mosmques ; toutau moins
pourrait-on, en déblayant avec soin, re-
connaître en plus d'un endroit le plan
d'une maison antique. Par places se dres-
sent encore en efiet des trônç(Hi« de co-
lonnes en granit, de un à deux pieds de
diamètre, qui par leur solidité et la gros*
sièreté de la matière ont édmppé aux
ravageurs. Elles sont le plus souvent par
groupes de huit ou douze ensemble, et
isposées de façon à former, ici un
porticpie extérieur, ailleurs la galerie
mtérieure d'une cour. On en compte
ainsi par centaines dans l'tle. Sous la
plupart de ces maisons, on remarque
une citerne recouverte par une voûte on
simplement par des travées de granit,
selon qu'elle est plus ou moins large.
C'est qu'à Délos, comme dans beaucoup
de ces îlots volcaniques de l'Archipel,
l'eau était rare. Le ruisseau de Vlnopat
ne pouvait suffire aux besoins des ha-
bitants, et il y fallait suppléer en recueil-
lant les eaux pluviales. Cet fnopos lui-
même, aujourd'hui ou'est-il devenu?
Après bien d'autres, f ai cherché vaine-
ment ce ruisseau ; il a disparu et rendu
l'île à son aridité première. On se de-
mande même, en considérant ces lieux,
s'il a jamais pu exister ; car, lors même
queleCvnthos, aujourd'hui si brûlé des
traits d^ipollon, aurait été jadis cou-
ronné d'arbres, comment une île si pe-
tite, et presque entièrement formée de
•granit et de calcaire, aurait-elle pu avoir
un vrai cours d'eau, ou seulement une
fontaine intarissable? Les citernes ef-
fondrées que l'on voit partout montrent
assez que les habitants n'y comptaient
guère; et j'incline à penser avec Tour-
nefort, lequel suivait en cela déjà l'avis
de Pline, que cet Inopos, dont Strabon
a fait une vraie rivière (sans doute d'a-
près les poètes, qui depuis l'antiquité
ne cessaient de l'enfler de leurs vers },
n'était autre chose que cette source
454
1 nriwivifnfi
&• UilIVJBiliO*
profonde qaoa v<nl à la pointe que
forme Ttle vr« le nofd^est, Tîs-à'Vig de
MykoAoe. C'est une sdrte de piûts de
dnq ou six mètres entiroa de diamètre,
etifnrmé en partie par des rochers, en
partie par une moraille; le i^eau de
reau y varie suivant les saisons , et quel*
quefois riiiverla source, dit-on, inonde
mr'Hdesstts ses bords. De là, sans doute,
la tf aille légMide qui mettait oetle source
Intermittente en oommunieation mjrsté»
rieuse avee le Nil, le fleuve saeré, et lui
en faisait suivre les «rues. £n Grèce
œs traditions ne périssent pas, elles se
transforment : auiourd'bur c'est du
Jourdain que les haiHtants de Mykonos
fimt venir cette eau merveflleuse.
« Aussi vainement vous chereberies
encore les eaux de ee petit lac dreu*
laire, Tpoxoei^c ^^vt^^ su bord duquel
Latone mit ses deux «ifànts au monde.
De bonne heure, à ce quMl semble, ce
lac s'était desséché; et les anciens, <|ui
ne manquaient jamais pour construire
limrs stades ou leurs théâtres , de profiter
de la disposition naturelle des heux en
firent, en le rectifiant, un amphithéâtre.
Car, en continuant k suivre la ctfte sep«>
tentrionale de nie, on reconnaît aisé*
ment, à peu dedistanee de la mer, l'ancien
Ht du marais sacré, que l'art a trans*
formé en un amphithéâtre ovale , mais
d'une courbe im^lière, plus arrondie
du côté de Test, vers l'ouest plus aplatie.
Un petit mur assez bien conservé, d'un
mètre environ de hautenr, en borde le
pourtour; au-dessus, sur un tertre en
pente, se rangeaient drculairement des
cradiDS de marbre blanc. Mais les mar-
bres ont été arrachés; de petits buissons
de lentisques revêtent seuls aujourd'hui
les bords de la corbeille. Le fond, par-
faitement sec quand je le vis, mais re-
vêtu d'une fine couche de salpêtre, attes-
tait que cette enceinte pouvait bien encore
être inondée pendant Thiver. Yollà sans
doute pourquoi Toumefort a signalé œ
petit bassin sous le nom de naumachU.
Mais évidemment cet espace était trop
étroit pour les luttes navales ; et d'ail-
leurs a quoi bon une naumachie artifi-
cielle, à quelque cent pas seulement du
'canal de Rhenée, qui semble si merveil-
leusement propre à de tels spectacles P
Ce ne fut, selon toute probabilité, qu'un
amphithéâtre ordinaire, destiné aux jeux
publies , et dent la eonslnietioo peut
bien remonter aux beaux joart de te
Grèce. Le lae saeré ft'avait plu d'eau ,
mais ne devait pas pour eela s'effseer :
l'art s'en empara, et en consacra la place.
En poussant plus loin, juMufà la
eôte orientale, qai regarde Mj^onos,
on est arrêté pîar des mines mnmsmm
taies, que Toumefort a signalées^ maii
dont le sagaee M. Ross a le premier,
je crois , retrouvé le sens. Là si'élevait
un ^jwinase complet, avee aon stade et
son portique. Le siade s'étoftdaît leloog
de la mer, du nord an and, sur une lon-
gueur de 900 mètres et une largeur de
90 environ. Adossé du côté droit, on oc-
cidental, contre un tertre qui en sup-
portait les gradins, il teit ouvert on
oôté de Torient et dégarni de baocs;
lement, de ce côté, et an nâlieu de la
longueur, on avait bâti en pierres une
tribune, longue d'environ quarante-cinq
pas, et qui pouvait avoir trois ou qoatit
rangs de si^b^. C'était done un stade
à un seul coté, eridtov {m^T nkapS. Ae
stade se rattachait unporU^we en mar>
bre bleu mat, dont les ooionnea étaient
surmontées et unies entre elles, non par
les plates-bandes ordinaires , mais par
des arceaux taiiiéi d'une seuls pieee ,
et mesurant 1",68 de long, l*,oa de
hauteur,. et 0'*,48 d'épaaseur. Rien
n'est demeuré debout de set édifice , et
les fragments ne sont plus ni assez nom-
breux ni asses entiers pour é&« rrle^
vés. Le tout, du reste, m'a p«ru d'un
travail médiocre, et doit être une oeuvre
des bas siècles. Une inscription» jadis ^^
trouvée parmi ces ruines, et qui depus
a disparu, nous apprend qne Dâos était
rederable de son gymnase au roi Mi-
tliridate Ëvergète, le père du grasd
Mithridate. Gelui>ci avait aussi en es
lieux sa statue, ainsi que Tattestait use
autre inscription, recueillie autrefon sur
la base même du piédestal. Cette stame
lui avait été érigée par le gynanasiarque
Dionysios, pour perpétuer le soufcnir
des bienfaits dont ee prince avaiteom-
blé Délos : singulière ironie du destin .
qui dans le saeeagede l'ilesainte, ordonne
par Mithridate pendant aa guerre avec
Rome, n'a laissé subsister ope ee monu-
ment de reconnaissance à rtmpitDyabie
exterminateur!
« Jamais depuis cette villene s'est le-
LES CT<XAPSS.
4&S
levée deeottB épttof aniable raine, eà die
l'étaitsoDdtmement abtoiée, oomme par
un tremblemeot da tem : aussi quelques
naisMis nouvaioit-eUeB être eneore^
ivaot les touilles du dernier sièele , dans
'état de roîneoùelles se trouvaient au len-
lemain de fca eatastropbe. Au pied du
[^yntboB,ett remuant des décombres,
ma rencontré plusieurs statuettes de
narbre inaehevéles, qu'on peut ?o&r au-
oord'bui à Athènes, el sur lesquelles
I est intéressant d'étudier les |»i9cédés
echniquesdes anciens dans la statuaire.
j'(KQvre interrompue rappelle que Tar-
iste a été sans doute arrêté dans son
rarail par la vengeance de Ménophanès,
.omnie par on coup de foudre.
« Le mont Cynikos, dont je m'étais
approché, s'élève presque au centre de
lie, un peu plus près toutefois de la
âte orientale. Cestune colline formée,
onune tout le reste du sol. d'un granit
»leu à gros grain, rempli de quartz,
le granules de fer oxydulé et de gros
ristaux de feldspath. J'évaluai sa hau«
eur à 150 mètres environ : ce n'est doue
in*uue bien petite émincnce en compa-
irisott de ces puissantes montagnes dont
e hérissent Im lies voisiaes. Mais qu'im<
crte? elle domine dans l'imaginatioii
es hommes sur toute cette couronne
e montagnes gigantesques et obscures t
) Mase a granm le (Smthos jusqu'au
iel. ren fis d'abord le totir. Sur ses
an<», vis-à*vis Rhenée , mais en indi-
antun peu vers Icsud-ouesC, s'adossait
i théâtre, dans une de ces situations
harmanies, telles que les Grecs les
avaient èhoisir pour charnier les yeux
endant la durée, souvent si prolongée,
e leurs spectacles dramatiques.
« Ce théâtre, comme tous ceux de la
Irèce, forme un immense hémicycle^,
u même un peu plus : car ici (chose re-
larquable) le demi-cerrie commence à se
^fermer, en se rapprochant de la scène,
ses deux aMes. Il est taillé en étagesdans
D repli de la colline, et complété am
eux extrémités de son pourtour, ou le
se a manqué, par unebeliecoastruction
e marbre. Sur les gradins se retrouvent
ncore par endroits les tablettes de mar-
re blanc dont ils étaient revêtus; usais
n général cette ruiM a été dévastée
Drame tout te reste, et l'on dirait d'une
leiKe carrière abaaddanée. Au-^devant
de rhémiqrde, sous l'emplacement du
icpooxifyiov, on a défoncé, en fouiDant,
une vaste citerne divisée en neuf grands
compartiments, qui s'étendait dans toute
la laraeur de la scène, et oui sans doute
était oestinée à recueillir les eaux de ce
OGÔn de la montaffne.
« En partant ou théAtre, je tournai
vers le sud de la colline, etf y reconnus
les earrières d'où les anciens habitants
de l'Ile avaient tiré leurs pierres de bâ-
tisse : les coins de for dont les ouvriers
se servaient pour en détacher les blocs
sont encoro empreints sur le rocher.
J'achevai mon circuit, sans rien remar-
quer aux flancs de la montagne , jusqu'à
ce que j'arrivasse à une ruine impo*
santé qui s'^ève à mi-côte du côté du
nord-ouest : c'est la Porte de pierre
(comme on l'appelle), où le colonel
Leake a voulu voir l'entrée d'un trésor,
et que d'autres ont prise pour la porte
d*une enceinte sacrée qui aurait entouré
le Cvntbos, mais qui m'a semblé bien
plutôt avoir appartenu à un adyton. Je
gravis par là au sommet de la colline ,
et j'y trouvai confondus avec des débris
plus groeaiers les restes mutilés d'un
temple d'ordre ionique, des volutes de
diapiteaux brisés, des bouts d'archi-
traves, des tronçons de colonnes non
cannelées. Avec les débris de ce temple,
mêlés à de gros blocs de granit , on
avait reconstruit au moyen âge sur ce
plateau un château , oui ceignait de ses
murs crénelés toute la platenbrme , et
qui a été détruit à son tour.
« Je suis resté assis jusqu'à la nuit
sur cette dme du Cynthos, sans pouvoir
rassasier mes regards de ce vaste hori-
son, ni mon âme de tous les souvenirs
que ces lieux rappellent. Mon, je ne
saurais jamais rendre l'impression de
ce spectacle, que mes yeux n*oublieront
jamais : les plus glorieuses des Cydades,
Ténos, Syros, Paros, I^Taxos, qui reçut
Bacehtts enfant sur son sein, toutes
comme autant de nymphes , soulevant
leur chevelure d'or au-dessus de Tazvr
des eaux, et menant leur choeur harmo-
nieux autour de llle sainte :
Jk piv 9csp\ t^ dpf (rc vvfooc
K6xXov liR>f!4<'«v'co, taXi^ ÏP^^ ^ifMpeStf-
[XovTô(l),
(i) ÇsUimaq» Hymne à Délos, v, 3oo.
456
L'UNIVERS,
et sous mes pieds Détos , que le Posei*
don des abhnes fit, d'un eoûp de trident,
sortir des eaux, pour servir d'asije à
Latone. La nuit, qui était venue, en
effaçait peu à peu la désolation actuelle.
C'était une de ces belles nuits si corn*
munes en Grèce, qui n*ont pas de ténè-
bres : le ciel , dans Tabsence de la lu-
mière, reste limpide , et on lirait à la
clarté des étoiles. Yoiià Tbeure favo*
rable en ce pays pour voir les mines ,
noyées dans une demi-obscurité vague et
fantastique , qui les voile sans les ca-
cher ; heure de rêverie, propice à l'illu-
sion, où les souvenirs du passé revien*
nent en foule à Timagination , sans être
troublés par le spectacle trop saisissant
des misères actuelles. ïe remontais le
cours des siècles écoulés; j'étais entière-
ment sous le charme; et quand je rele-
vais la tête, le ciel achevait mon illusion,
avec ses constellations immuables qui
fuidaient déjà autrefois Latone vers ces
ords.
Sur IBS BITINITBS BT LB CITLTB
DB DéLOS.— « On sait que les anciens
habitants de la Grèce ont été témoins
de la naissance de Délos, qui fut comme
le fruit des dernières convulsions de
cette mer, souterrainement travaillée
par des volcans. Depuis longtemps déjà
la plupart des fournaises qui avaiem
embrasé les Cyclades étaient éteintes.
Vaincus enfin , les Géants , fils de la
Terre, restaient écrasés sous les rochers
de l'Eubée , du Ténare , de Sériphos , de
Théra, de Mélos. Zeus réenait sans par-
tage sur le monde pacifié. Dans ran-
tique champ de bataille du titan É^éôn,
on ne ressentait plus qu'à des inter-
valles de plus en plus éloignés quel-
ques rares secousses, comme pour rap-
peler que là s'était livrée celte lutte for-
midable des puissances de la terre en
insurrection contre le eiel, ^ui avait
laissé dans les traditions religieuses un
îneffiaçable souvenir. Alors on voyait
soudain, au milieu des tempêtes, surgir
sur les flots des îles nouvelles (comme il
en parut maintes fois depuis aut environs
de Santoriii ou sur les côtes de Sicile),
lesquelles disparaissaient ensuite. Délos
sembla. ainsi s'essayer à plusieurs re-
prises : on croyait qu'elle errait sur les
vagues. « Libre de tous liens, tu flottais
sur la mer, dit Callimaque Mrâ de*
puis que to as offert à Apolkm on aiik
pour y naître, les nautomers t'eut donné
h nom caractéristique de Délos, para
que tu ne flottais plus mystérieme, et
due tu fixas enfin tes racines m nâUeB
des flots de la mer £gée(1) »
« Il n'est pas de mon sujet de raconter
ici avec Callimaque les terreacs. de La-
tone cherchant, a travers la Grèee , des
rives du Pénée aux vallons de i'Aieadîe,
une retraite secrète pour j déposer,
à l'abri de Fimplacable jalousie d*Hcn,
le double fruit son amour avec Zeus.
Cest ainsi que la légende, mvtholosîqoe
aimait à raconter les difficultés quêtait
rencontrées jadis le coite d'ApoUom et
d'Artémis pour s'introduire en Grèee.
Proscrite d abord dans tous les lieux où
elle essayait de s'établir, par la vieille
religion pélasgique des dieux agraires,
eette religion étrangère fut forcée de se
réfugier sur une roche déserte* qui s'é-
tait soulevée la veille du sein des men,
et de s'y envdopper de mystère (d'où
peut être le nom ne At^-r^), jusaa'aa jov
où elle devait éclater enfin dans eette
Ile de la manifestation (Aî|Xo«), et s'im-
poser à la Grèce à genoux. Cest me
question pleine d'obsmrité, gae celle de
savoir ce qu'était onginaireiiMiit et
d'où venait ee culte que la Grèee re-
poussait d'abord, et qu'elle a Ifaû par
adopter, en le transformant sdcm ses
génie. Qu'était-ce que œs divinités étran-
gères, auxquelles la Grèce a domié,
comme a tous ses dieux» la forme ho^
maine, et dont elle a traduit, suivant
son usage, les mystiques ^mbolfs en
légendes romanesques, pour, les fiire
entrer dans la famille des dympieiis?
Selon toute vraisemblace , c'était la re-
ligion orientale du Soleil et de la Lune;
et quiconque a suivi la emtroverae ce-
gagée par les plus savants mythologaes
e l'AUemagoe sur l'origiae du oilte
d'Apollon et d'Artémis n'hésite pas«
malgré les métamorphoses que ces di-
vinités ont subies» àreoonnanre que ee
dieu auteur de la lumière (Xuxii^cv^;;,
d'une jeunesse éternellement florissante,
au visage resplendissant, à la cfaevelaie
d'or, aux traits enflammés, n'a pu être
primitivement que le Soleil ; et qu'^à son
tour c'est la Lune elle-même que xap-
(i) CatlinAq.» Bymme è Détos, v. 3&
DES GTCLADES.
457
SDe toofeonr cette seBur divine de Pliœ*
s, oomme lui eans hymen, comme
lai armée de flèches , qui réjpiait sur
les femmes H termioait leur vie.
« Quelques traditionsohsGures s'étaient
»nservées à l>élos sur l*antique instilu-
ioD de ce culte dans File. Les rites du
auetoaire y avaient été réglés , dit-on,
m Olen, le prêtre inspiré venu de
fiycie ou du pays des Hyperboréens, et
le rieux cantiques chantés aux fêtes Sfh
eoDelles étaient attribués à ce prophète.
)n gardait aussi à Délos le souvenir de
eones prétresses gui jadis y auraient
tpporté cette religion des régions hy-
Krboréennes habitées par lesbionds Ari-
naspes. Hérodote, dans son histoire, a
teueilU cette tradition , et nomme Ai^é
it Opis ces vierges saintes , qui auraient
iceompagné Apollmi et Artémis aux ri-
vages de Délos ; et de son temps encore,
)ar la route même qu'avaient suivie
adis les filles de Boree, ces peuples
)6rdQs du Nord envoyaient aux létes du
lieu mitbiea leurs offrandes envelop-
pées dans de la paille de froment , les-
[oelles, transmises à travers la Scythie
Qsqu'à Dodone , étaient portées de là au
;olte Maliaque, puis, par l'Ëubée, à
^lystos 4 et enfin a Délos. Cette légende
st reproduite à peu près dans les mêmes
ermes par Callimaque, qui appelle les
vierges Arimaspes Hécaergé , Oupis et
^Mxo, noms dans lesquels il est facile
le reconnaître queloues-unes des épi-
bètes mystiques d'Apollon Ixd^epYo^,
0^^, et d' Artémis, invoquée souvent
oos le titre d'OlSict^, c'est-à-dire Toeil
le la nuit. Délos avait voué un culte à
a mémoire de ces mystérieuses étran-
;ères : on répandait sur leurs tombeaux
a cendre des victimes, et \e& jeunes
illes avant leur mariage y Ceâsaient Tof-
rande de leur chevelure coupée. Ainsi
a Grèce, quoique toujours si jalouse
le rautocbtnome de ses dieux , reoon-
laifisait que ee culte d'Apollon jet d'Ar-
émis lai avait été apporté du dehors ,
ttlefadsait descendre, dans son igno-
^noB, de ces régions septentrionales à
lemi fabuleuses, d'où plus tard le mys-
jérieox Abaris , le prêtre des expiations »
levait venir encore parler au nom de
^hœbtts.
« Il serait téméraire de pousser cette
recherche pbs loin : au delà, il n'y a
Shis que de0 ceajoetures. Dès le temps
'Hérodote le pays des Uyperboréens
n'était déjà plus qu'une chimère. Toute-
fois, j'ajoute que, dans ma pensée (en
donnant cette opinion sous toutes ré-
serves) , cette rehçion pourrait bien être
descendue originairement de ces mon*
tagnesde la Perse haute , où aujourd'hui
encore quelques tribus proscrites de
Guèbres pratiquent l'adoration du soleil,
de la lune, de la terre , du feu, de Feau
et des vents , professée il y a plus de
trois mille ans en ces lieux par les
mages. Cette religion des astres, pres-
que aussi vieille en Orient que le monde,
rétendit à l'Occident et au Nord , et
c'est par la Thrace sans doute qu'elle
s'efforça de pénétrer en Grèce. Puis ,
plus tard , lorsque après bien des révo-
lutions les Grecs, reconnaissant l'unité
de leur race, entreprirent de mettre en
harmonie leurs diverses croyances re-
ligieuses et de réconcilier leurs dieux
ennemis, la facilité de Zeus à de clandes^
tines amours offrait toujours aux théo-
logiens une ressource commode pour
étendre , selon le besoin , la famille des
immortels. Du commerce obscur du
père des dieux avec la mystérieuse Léto
naquirent Apollon et Artémis , et peu à
peu ces enfants d'une mère étrangère ,
dans la fréquentation de l'Olympe hel-
lénique, perdirent ce qui leur restait de
leur physionomie orientale* Ils sont de-
venus Grecs, et pourtant ils semblent
se souvenir toujours que l'Asie fut leur
berceau. Dans le partage des dieux d'Ho-
mère entre les deux armées aux prises
sous les murs de Troie, Apollon et
Artémis protègent les fils de laPhrygie.
Bien des siècles plus tard , les Perses ,
inondant de leurs flottes la mer des Gy-
clades dans leur guerre contre la Grèce ,
semblèrent reconnaître et respectèrent
dans la religion de Délos leur religion
nationale. On sait qu'à l'approche des
barbares, qui partout ailleurs dévastaient
Jes sanctuaires , les Déliens s'étaient en-
fuis, mais Datis, le chef de la flotte
persane, les rappela dans leur Ile avec
des paroles amies, et fit brûler trois
cents talents d'encens surTautel d'A-
pollon.
« Le temple de Délos avait été , dès
les plus anciens temps , l'un des lieux
de pèlerinage les plus fréquentés de la
466
LUmVERfiL
Qrèoe. C'était te sanotOBire oeoiHnio
d€8 peuples de raee ionienne, eomme
était Delphes ponr les Dorieas ; et ses
iétes , où l'on voyait aceonrir les députés
de toutes les dtés ioniennes dispmées
en Attique, dans le Péloponnèse, las
tles de la mer Bgée et sur les riTages de
TAsie Mbenre^ formaient le lien d'une
sorte de eonfédération religieuse et po*
litique (1). Thucydide, qui mentionne ee
eoneottrs antique des Ioniens à Déios ,
et les spectaeles de musique et de gjrm-
nastique où leurs villes envoyaient des
diœurs , s'appuie ft ce sujet de l'autorité
du vieil Homèride , auteur de l'hymne à
Apollon : « O Pboobus , tu chéris sur-
tout Délos, où se rassemblent, avec
leurs enfants et leurs chastes épouses ,
les Ioniens aux robes traînantes; tu te
plais aux jeux qu'ils célèbrent eh ton
nonneur ; tu aimes à les voir s'exercer
au pugilat; tu jouis de leurs danses et
de leurs chants. » A la fin de la guerre
médique, lorsque Athènes voulut entrat«>
ner toutes les dtés ioniennes dans une
grande confédération dont elle serait la
tête , elle s'attadia à rendre aux fêtes de
Bélos leur éclat d'autrefois , afin de fidre
de l'île sainte le centre et le lien de l'al-
liance. Gomme Jadis, c'était aux eoleifr-
nités du dieu que se réunissaient alors
les députés des villes confédérées pour
discoter les intérêts de l'union; c^est
dans le trésor de son temple qu'on dé-
posait la contribution commune, jusqu'à
ce que Périciès , s'enhardissant à ta for-
tune de sa patrie, tmnsporta le trésor
dans le Partbénon, et à l'alliaiice sub-
stitua la domination d'Athènes. Mais
en même temps quMls retiraient à eux
la puissance , les Athéniens restkuaient
aux fêtes de Délos , longtemps négligées ,
leur ancienne splendeur , et y ajoutaient
encore. Les jeux ouinquennaux d'autre-
fois furent rétablis par eux après la
pested' Athènes, et l'on y joignit le spec-
tacle nouveau de courses de chevaux (9).
Llle sacrée fut alors purifiée solennelle-
ment , on enleva tous les cercueils qui
s'y trouvaient, pour les transporter sur
la plage opposée de Rhénée , et l'on dé-
(x) Voy. plus haut. p. 432.
(a) Toyez la brillante description de ces
fêtes dans le 76" cha|Mtre de Barthf lemy ;
Voynge à DéUi et am CycMes,
etéA q«'à l'amitr BMwants m
sur le point d'aeconeher seraient égik*
BMnt transportés sur œ nvêgt^ aie
que nul homoie désormais ne naquit ot
ne mourût dans la tem sainte. »
Ils du Rhihbb. — « On rseonaak
toujours dans Rfaenée Ttle des tombesai.
Cette île, appelée ai:|joord'bai la grande
Délos, n'est (eomue nous Pavons n)
séparée de la petite Délos que par ua
étroit eanal, d'un demMmlle envin» k
large , qui se dirige du nord au sud, d
dont l'entrée et la sortie tant défiendiia
par deux écueîls, la petita et la gnaée
Rhématia. Je n'ai pu parcourir que ta
rapidement la dté des morts , maisf n
vu qu'elle n'avait guère été plus rsipee-
tée que la cité des dieux. Depuis mens
que Touniefort l'a visitée eue a asofi
bien des dérastations aoui^lles. Ce vof>
§eur y comptait caonre par ceniaiDes
es espèces d*autels iqrliiMliiqnes onéi
de têtes d'animaux et de gubrlandeséi
toits et de fleurs. Pour mol j'en ai r^
trouvé à peine une^ânqnantaiue, dans k
plus triste état de dégradation; à qod-
3ues restes dlnscriptioDS ionèbns \ù
â, malgré leur fome, y xeoonnaltie
des monuments tumulaires. Alentoar
le sol est jonché de débds innomfarahki
d'architecture, roulant pêle-mêle diai
les décombres. La séeropole s'étenéat
le long de la plage qui ngarde Dâot.
C'est une lon^ suite de cfaaod^ies sos-
tenraines , qui s'eufoneent dans le fl«(
du rocher , et dont le devant teuleraen
était bâti ; quelques*unes sont voûtées «
mais la plupart nBowvertei d'un toit
plat, toutes revêtues de atue à rix**
rieur. L'entra est tonmée v«n FeiM;
un couloir partage par k ndiieu cb-
cune de ces maisons des ouirts, cCde
chaque eêté sont rangés quatre ou »
longs et écroiU saroopbaaep. AneaDede
ces sépultures n'est resiae învialésjflB
L marche sur des ceuverdea de tosofees
isés j dont beaucoup élaisnl plati <<
quelques-uns taillés «a forme 4e lait i
quatre pans avec on petit plaina as
centre pour y poser une nraa on v
buste. — Cette désolatioB des toan^
à Rhenée m'attrista plus eoeaia qas eii<
des temples à Détos. La laytiNiioi'^
grecque n'est plus qu'un soufeairpa^
Bque pour notre imarinatîoa, awisf
religion des tombeaux
D£S GTCaLADES.
4M
Imeot la religion d« nos âmes. lei,
mnme à Délos , noUe babilatîoD ; je n*y
ii rencontré qu'un vieux ehevrier de
Ifykonos, laid, sale, qui ne rappelait
mère Apollon gardant les troupeaux
rAdmèie. »
Ilb db MYKOirOS.
Llle de Mrcone est an nord-est de
}éios, dont elle est séparée par un canal
[Qi n'a que trois milles de largeur, depuis
e cap Aiogomandra de Myeone jusqu'à
a plus proche terre de Delos. Cette lie
1 36 milles de tour; elle est à 80 milles
leNaxîe, à 40 de Niearia età 1S du
wrt de Tine. Elle a toujours conservé le
oéme nom, roalçré les différentes alté-
Btions qu'il a subies : Micpli, Michono,
Hicheno, Miœna, L'tle de Myeone est
bn aride et ses montagnes sont peu éle*
«ées-Les deux plus considérables portent
eaom de Saint-Ëlie : Tune est près du
apTmllo à l'entrée du canal de Myeone
t de Tine; l'autre est à Pextrémité de
Ifycone, vis-à-vis Tragonisi. Le nom de
yimattoSf que Pline donne à la plus
tante montagne deltle, convient éga-
ement à tontes les deux, puisque chacune
I le sommet fendu en deux parties. IVaB-
iennes fables rapportaient que Myeone
tait le tombeau de géants dé&its par
iercule; de là, dit Strabon, le proverbe
^0' Onb (ibv Mdxovov , Totd est dan$
f y cône y pour désigner ceux qui traitent
e choses différentes sons un même titre,
'aurais voulu que Strabon me fit corn-
rendre le rapport de ce proverbe an
lythe des g&ùts ensevelis à Myeone.
«s habitants de cette tie étaient chauves
e bonne heure ; mais Pline a exagéré
a disant qu'ils naissent sans cheveux,
paraît certain qu'ils étaient de grands
arasites ; Arehilocrae et le comique Crâ-
nas leur en font le reprodie , mais ce
eraier les excuse sur la pauvreté de
nr tle.
Cependant Myeone n'est pas sans res-
)urces. On y trouve assez d'orge pour
s habitants, beaucoup de figues, peu
olives, d'excellents raisins, de bons
omages mous, des herbes salutaires,
ne incroyablequantité de gibier, cailles,
§cas8es, tourterelles, lanins, becfigues,
iii permet à ^étranger n'y faire bonne
1ère pourvu qu'il ait son cuisinier; car,
tt Toumefort, les Gretss n'y entendent
rien. Llle m«ique de boisât d'eau; il
n'y a qu'un puits pour toute la ville, qui
renferme environ trois maille habitants.
Cette ville regarde l'ouest; son port est
fort découvert , mais le golfe qui i'avoi-
slne est bon pour le mouillage des gros
vaisseaux. Le port d'Ornos est adossé
au golfe de Myeone. Les autres ports
de nie sont le port Palermo, qui est fort
grand, mais trop exposé aux vents du
nord , et le port Sainte -Anne, qui est
aussi très-ouvert, et qui regarde lesud-est.
11 n'y a rien de particulier à dire de
rhistoire de Myeone, Son fondateur fut
un certain Myconos, fils d'>Enius, fils
de Carystus et de Rhyas. Elle fut sou-
mis^ par Datis et Artapherne , et fit en-
suite partie de l'empire athénien. Au
moyen âge elle fut conquise par André
Ghizzi, après la quatrième croisade; puis
elle devint une possession des ducs de
If axie. Elle fut comprise avec Zea dans la
dot de Tbadée, fille de Jean Crispo, ving-
tième duc de Farchipel, lors de son ma*
riage avec François de Sommerive. Les
Vénitiens s'en emparèrent ensuite, et la
glacèrent sous legouvernement du prové-
iteur de Tine. Elle leur fîit enlevée par
Barberousse, qui la soumit à Soliman IL
Myeone possède de nombreuses égli-
ses, toutes grecques, et plusieurs monas*
tères, dont plusieurs sont abandonnés au-
iourd'hui. Les femmes de cette Ile sont
Mies, et avaient un costume tout particu»
lier, dont on peut voir la description dans
Toumefort. Lors de l'insurrection greô-
que, les gens de Myeone, qui sont très*
bons marins, entraînés par l'enthou*
siasme d'une femme , Modéne Mavro^
génie , rouirent leurs navires à Tescadre
que commandait Tombasis, et qui fut
augmentée ainsi de vingt-deux bâti-
ments armés de cent trente-deux ca*
nous. En 182!! le capttan-pacha ordon*
na unedesoente dans File de MyconcL
Les Myeoniens, conduits par Mavrogé-
Bte , qui avait à venger la mort de son
père, repoussèrent avec viguenrles mu-
eulmane , qui laissèrent sur la place
dix-sept morts et soixanta blessés. Ai
rétablissement de la paix , Myeone fut
comprise dans le noti^aan royaume hel-
lénique.
460
UUMIVEIUEI.
ILS DR IVIXOS (1).
Naxosaujourd'huiNixia,lNaxia,Naxie,
fut nommée du nom d*un chef de Ca-
tlens qui s'y établit. On Tappela aussi
Stron^le, la ronde, Dia» la divine,
Dionj^sias, File de Dionysos ou Bacchus.
Bochart fait dériver le mot de r^axos
du pliénicien Nacsa ou Nicsa, qui signi-
fie une offrande. Quelques étymologistes
§recs donnent en effet ce sens au mot
e Naxos,6ans toutefois lui attribue)^ une
origine orientale. Naxosest située au 23*
d^é 1(/ de longitude et sous le 37^ degré
de latitude, à six ou sept lieues au sud de
Délos et de Mycone. £Ile est à Test de
Paros, au nord -est d*Amorgos, et au
sud-ouest de I^icaria. L'aspect des côtes
est loin d'annoncer la beauté de Tinté-
rieur de cette tle. « Mais si Ton avance
dans les terres, on trouve des vallées dé-
licieuses, arrosées de mille ruisseaux, et
des forêts d'orangers, de figuiers et de
frenadiers. La terre par $a fécondité sem-
le prévenir tous les besoins de ses ha-
bitants. Elle nourrit une grande quan-
tité de bestiaux et de gibier. Le blé,
l'huile , les figues et le vin y sont tou-
iours abondants. On y recueille aussi de
a soie. Tant d'avantages l'avaient fait
nommer par les anciens la petite Sicile.
Tous les poètes Pont célébrée. Properce,
dans son poème à Baccbus loi dit :
BttlMpermediam beneotentt flamiiM Naxoo,
Unde taom potaot KaxU torJtw marom.
Athénée compare ses vins aux neetar
des Dieux. C'est en effet de tous les Tins
de Grèce celui c|ui m*a«paru le plus mé-
riter sa réputation; maisil estsi délicat,
au'on ne peut le transporter même aux
es les plus voisines (3). «
Malheureusement Naxos n'a pas un
bon port ; le principal , le port (Tes Sa-
lines, ne peut servir pour les gros bâ-
timents; les autres, eenx de âdados,
Panormo, Saint- Jean-Triaiigata , Phî-
loUmnarez, Potamidès et Apollonasont
plus petits enoore , et mal exposés. Ce-
pendant Naxos fStit un trafic considé-
rable en orge , vins , figues , coton , soie ,
(i) Distertaiions spéciales sur Naxos :
Guill. Engd, Quœstiones Naxîcœ; Goth.,
x835, in'8*>;Erii. Gurtiiis, Ueber Naxos;
Berl., 1846.
(9) Cboiaeul-Gouffier, I, 65.
Jin, firoBiiage, aeh booHfi, iiioiitoDS,'m»
• lets, émeriet huile. Elle est richeeulMii
et «nobarbon ; on ytrouvedalaudanoo.
La péohe est trea-abondante sur se
côtes. Les plus riches plaineasonteelks
de I^axie, d*Angarer, de Carcbi, èi
Sangri , de Sideropétra , de Fotamidà,
de Livadia , ainsi que les vallées de Me-
lanès et de Pérato. On trouve dans lo
auteurs anciens les noms des deux pia
hautes montagnes de Naxie , DiioA a
centre « Coronon au nord-est Ce sost
aujourd'hui les monts Zia et Corn»;
la première était consacrée à JufNtfl^
comme le prouve cette inscription ^'01
y a trouvée:
OPOS AIOS MHAQIIOr,
« Montagne de Jupiter eomenateff
de$ troupeaux » : l'autre rappelait les-
fanoe de Baochus et la nymphe Goroms.
l'ooe de ses nourrices. L'andeoae vk
de Naxos était située sur la cdteBori-
ouest, qui regarde vers Délos. Sa bei*
avait fait donner à Tile le non de Ce-
lipoliê. 11 reste pea d'antiouités dus
cette ile. A une portée de fiisu de b nik
s'élève un petit éeueil sur lequel 00 dit
qu'était bbnstruilun temple de Baechvs:
il en reste une belle ptMrte de marbrt.
parmi quelques grosses pierres de rnéiv
nature et queloues nx>rceaux de gnmL
Au milien de la ville actuelle se ttow
une tour carrée , seul débris du pain
des anciens ducs. Non Imn de là n
montre la grotte où Ton prétend qw lei
bacchantes célébraient leurs orgies. As
commencement du dix-huitièmes^
Tournefort comptait dans lllceonroi
quarante villages , et il n'en éfsluat
la population qu'à 8,000 âmes.
« L'tle de Naxos changea soatff"^
d'habitants. Les premiers dont le »•*
venir ait été conservé dans rbistoiif
sont les Thraces ; et Ton peut présunfr
qu'unis aux Pélasges dans plusieoisdf
leurs établissements, ils s'y fixèreot œ>
jointement avec eux. Selon une tradioci
rapportée pr Etienne de Bjzaoce H
par Eustatne , elle avait reçu postni»-
rement une colonie d'ÉléenSfComaufi*
dée par un fils d'Endymion. Naiscelv
qui V laissa le plus de traees, ^
au'elle ne fut pas la dernière, ce iîitcd^
es Cariens, unis sans doute aux Crétois.
Ou fait même dériver le nom de cectf
LES CÏCLAIXS.
4êi
k de eeloi (Tun if>i des CnrieiSb Mais
xrnime Soidas et le scolîaste de Pin-
lare font roeotion d*uiie ville de Naxos
'0 Crète, il est très^probabie que cette
lernière fut la métropole de l'autre , et
ui donna son nom « comme il paratt que
e fiit l'usage des colonies .Cretoises de
«ite époque (t). »
Diodore et Pausanîas nons ont conservé
Passez riches détails sur les temps £abn-
mx de l'histoire de Naxos. D'aprte ces
^géodes, lecbef de la colonie desThraces
(ait Batès, fils de Borée; les Thraces
« trouvant pas de femmes dans l'Ile en
lièrent enlever sur le continent , dans
» Etats d'Aloeus , dont ils prirent la
nnme et la fille ; les deux fils d' Alœns «
Hus et Ephialtes , punirent les ravis-
rars en s'emparent de riie. Mais, après
vr mort, les Thraces restèrent maîtres
e Dia, qu'une sécheresse les contrai-
nitâabandomier plus tard. Après eux
tarent les Gariens et Naxos, qui eut pour
Mcesseur son fils Leueippus; celui*ci
stpère de Smardius, sous le règne du-
oel Thésée, revenant de Crète avec
triane, aborda dans l'tle, où il aban-
onna la fille de Mines à Baccbus, dont
!8 menaces l'avaient épouvanté dans
n sonçe.
h dirai comme Toumefort : ce n'est
» iei le lieu de débrouiller l'histoire
e Baccbus. Les habitants de Naxos pré-
sidaient que ce dieu avait été nourri
wi eux, et qu'il les avait comblés de
*ates sortes de biens. On comprend
De le culte du dieu dont le principal
tribat était de présider à la vigne se
Ht facilement établi dans une tle où
i arbuste croissait en abondance , et
oduisait d'excellenu vins. Indépen«
loiment de cette raison toute naturale,
; suffisante à défaut d'autres pour ex-
iQuer la dévotion des habitants envers
dieu qui les avait si libéralement do*
St il faut remarquer que Baochns était
le des principales divinités de la Thrace
de la Crète, qui tontes deux avaient
onii à Naxos sa première population,
ne fois fixés dans cette Ile, les colons
races et Cretois approprièrent leur re-
ppn à la nature de leur nouvelle patrie ;
de tous les dieux qu'ils connaissaient ,
> lui donnèrent pour divinité princi-
(0 Raoul Rochelle, Col, Grecq,, 11, tS^,
pale le dlea de la ^ngnS , detat 111e res-
sentaitla protection tonte particu)ière(f}«
Les médailles de Naxos rappellent toute
la fécondité xie ses vignobles et le culte
qu'on y rendait à Bacchus. Des trois
pièces gravées dans l'atlas de Choiseul-
Gouffier, la première représente la tête
de Bacchus, avec la barbe, ornée d'un
diadème et de feuilles de lierre ; au re-
vers le nom des Naxiens, et le vieux Si-
lène accroupi, tenant un vase et un
thyrse. Sur la seconde on voit la tête
du même dieu, couverte de pampres et
de raisins ; au revers, un vase, un thyrse,
et un nom de ma^rat joint à celui des
habitants. La troisième ofire d'un côté
la tête de Bacchus jouant, orné de lierre ;
de l'autre. Silène appuyé sur une outre,
tenant un vase et une branche de lierre.
Au onxième siècle avant l'ère chré-
tienne , Naxos , comme toutes les autres
Gyclades, reçut des colons ioniens. Se-
lon Élien (3) , lorsque Néiée partit pour
l'Asie, des vents contraires le forcèrent
de relâcher à Naxos, et s'opposèreot ^
oe qu'il remit à la voile. Les devins , con-
sultés sur ce prodige , lui dirent qu'il
fallait pour rendre les dieux propices à
son expédition , la purger de tous ceux
9ui n'y apportaient pas des mains et des
intentions assez pures. Pour parvenir à
les découvrir, il feignit de s'être rendu
lui-même coupable d'un homicide, et
d'avoir besoin d'être purifié. Ceux à qui
leur consdence reprochait quelque for^
fait semblable , entraînés par l'exemple
de leur chef, se séparèrent du reste de
l'armée, etNélée connut alors ceux dont
il devait se débarrasser. Il les laissa à
Naxos , où ils s'établirent , et partit avec
le reste (3).
Au sixième siècle les Naxiens étaient
les plus riches et les plus puissants de
tous les insulaires des Cydades. Quoique
leur llefûtdépourvuede ports, ils avaient
une belle marine, parce qu'ils possé-
daient les llesd'AndrosetdeParos,dont
les ports sont excellents. Ils pouvaieat
lever huit mille hoplites. Mais Naxos j
comme tout État grec, Était déchirée par
(i) Yoyez les ReUgîons de VAntl^ultét
t. m, et les notes et éclairdssenientf da
livre VU*.
(a) iElian., Hîsi. Far,, VIU, 5.
(3) Raoul BodieUe, Col, Grecq,^ Vt, 8r.
464
UUÎXIYEMS.
sm erimed el l*héiittt|« de 'ses vtoeii.
Il* Jacques Crispo, flts de François,
ent à luttefr contre ses frères, dont ram-
bition jeta le désordre dans ses États.
Le P. Sauger dit de eeprince, qu'il avait
de la valeur et de la pmdence, et qu'il
était assez homme de bien pour un
Crispo. Il mourut sans enfants, en 1488.
12* Jean Crispo, son frère, lui suc*
eéda. Ce prince, d^une oompiexion déli-
este, ne manquait ni de râleur, ni d'ex-
périence, ni même de probité et de
Donne foi , « vertus dont on se piquait
fort peu dans sa famille » (1). Par ses
qualités il sut rétablir l'ordre dans ses
Etats.
IS» Jacques II Crispo succéda à son
père, à l'âge de dix-huit ans. Ce fut sous ce
prince que Mahomet II s'empara de Cons*
tantinople. Les Vénitiens , dont il était
l'allié, obtinrent quUl serait reconnu par
le sultan pour duc de l'Archipel et pour
ami et allié de la Porte. Jaâ]ues II mou*
rat de pfathlsie, la deuxième année de son
mariage, âgéde vingt*cinq ans.
14» Sa veuve accoucha quelque temps
après d'un Qls, qui fut appelé Jean-Jac-
ques Crispo. Mais cet entant mourut h
treize mois ; et sa mort laissa l'État dans
le dernier désordre.
soixante ans. Après un règne très-court.
Il laissa le trône à s(m neveu, le seigneur
de Santorin.
IG» François II Crispo , seizième duc ,
fut pendant tout son règne engagé
comme allié de Venise dans les guerres
soutenues par cette république contre les
Ottomans. Il ne manquait pas de mé-
rite; et il rendit de grands services aux
Vénitiens. Il mourut en 1473.
17« Jacques III Crispo s'allia avec
David Comnène, empereur de Trébi-
zonde. A sa mort (t4Si) il laissa le
trône à son frère, au préjudice de sa fille,
mariée à Dominique Pisani.
18** Jean II Crispo , frère du précé-
dent, mourut après cinq ans d'un r^ne
troublé par les révoltes de ses sujets
(1487).
19* François III Crispo , son fils , qui
lui succéda, fut obligé de prendre les
(r) ï.e p. S«ign-, f. arg.
armés pour Vente, qui véuétdeisMK
encore lâie fois avec la Pdete. Il sedis-
tingua dans cette guerre, et ODoent
quelques années après le rétsUissemeit
de la paix, vers 1510.
20* Jean III Crispo, son fils, liériia
de ses États et de son attacbemeat poor
Venise. Ce fut sous ce prince que le d»
ché de Nazos , depuis longtemps ea dé-
cadence , reçut de la main des Turcs le
coup morteL Barberousso fit une des-
cente à Maxie en 158S, l« saccagea à'm
extrémité à l'autre. Le vieux duc oe poi
survivre à ce désastre.
21» Son fils Jacques IV Crispo i qœ
lui succéda, vitlnentôt se coosomocr
la ruine de sa maison.
« Le duché de Maxie se trouvait mb
Jacques, son dernier duc, dansaode-
Êiorable état (f). Depuis la desceotede
;arberousse, qui avoit dévasté Ttiédc
Naxie, sous le ducpréoédent, ce quiai«t
rendu tributaire le môme due die 6,OU0
éeus d'or par an, depuis ce Vtmpa
dis-je, les Grecs ne voulurent plus k
obéir, ni contribuer aux dépenses publi-
ques. Le duc étoit sans ar^t, sans rai»
seaux , et , selon la destinée ordïRiire
des malheureux, sans appui. Mais quai^
il nuroit-eu tout cela , on peut dire qitf.
de l'humeur dontÂl étoit, il n'en auroii
pas moins avancé sa ruine et celle de
toute sa maison. Le danger, qui rérciltett
qui inquiète les autres, seoinloitcomBv
1 avoir assoupi ; il nesongeoit uniqaeniHt
qu'il ses plaisirs, et pour avoir de qsa
y fournir il n'y eut point de violeoofi
auxquelles il ne se portât. Les nobki
qui composoienl sa petite cour b>
toient pas en cela plus sages que loi; m
eût dit que, se sentant sur le bord ànyt^
cipice, ils se bâtoèent de mettre à pm'^
Kur leurs plaisirs le. peu de teai|»4>'
ir restoit. Ce n'étoit dans toute 1 ilie er
Nnxie que débauches et dîssolulioas eoi-
tinueiles; ces scandales avoieot nènt
pas^é jusqu'aux gens d*^ise. Le dir
souffroit qu'ils vécussent «kns un d<sû^
dre qui fait horreur. Aussi la eol**
de Dien ne tarda-t^elle pas à éclater stf
l'indigne souverain qui doaooit Imi ^
ces abominations <3)«
(i) DelU Rooca, Pnleù kùioriifn.' é^-
son Traité sur Us AbàUts, I, p. ai.
(a) « On voit par là qa'H est toii}o<*r> ''*'
LES GYCLADËS.
4C&
«Les GfMS, raYis de troover dans
K veiatioiM de leurs dues et dans les
ordres des Latios de quoi autoriser
) haine furieuse qui les exeitoit toujours
ontre eux formèrent sourdement le
irojet dechanger de maître; et les choses
lièrent si loin, qu*enfin, après plusieurs
élibérationssecrèteSyilsenvoyèrentdeux
lépotés à la Porte, pour se plaindre des
iolences de Jacgues Crispo, et deman-
er au grand-seigneur un duc qui fût
lus di^ne de les commander. Le départ
«s députés et leur dessein ne purent
Ire si secrets, que Crispo n'en eut con-
dissance. Il crut devoir aller lui-même
près eux à Gonstantinople; et comme
I n'ignoroit pas qu'à la Porte tout se
lisait à force d'argent, il eut soin de
erteravee lui 12,000 écus, sur les-
^els il oomptoit extrêmement. Mais
es députés de Naxie étoient déjà écoutés,
tsa perte étoit résolue. A peine fut-il
irivé, que, sans avoir égard a la dignité
te sa personne , il fut dépouillé de tous
es biens et jeté en prison. Il y demeura
inqousix mois, et n'en put sortir qu'à
> sollicitation de ses sujets, qui avoient
)>prig que Sélim II , successeur de So*
iman, vouloit leur donner un juif pour
Qaftre. Us mirent tout en usage pour
empêcher et obtenir le, rétablissement
to Crispo-, mais il n'y avoit plus d'espoir,
'e sultan venoit de donner le duché à
emémejoif, Jean Michez, dont il avait
çça de çrands services, et qu'il fut bien
ûe de récompenser.
■ Le duc prétendu n'osa pourtant ja-
mais venir lui-même dans l'Archipel;
l se contenta d'y envoyer un gentil-
lomine chrétien, espagnol de naissance,
lommé François Goronello, qui gou-
erna sous son nom. Jamais duc n'avoit
incoreété plus chéri ni plus respecté que
je le fat Goronello durant tout le temps
le 800 administration, qui nefinit qu'avec
Bivie. 11 maria Goursin, son fils, avec une
[esnièces de Jacjques Crispo. Sa famille
est perpétuée jusqu'à nos jours, et a
voduit des sujets d'un^rand mérite.
^près la nomination de Jean Michez ,
-rispo et ses enfants se réfugièrent à Ve-
"«e. La république les reçut avec de
picUcomtpiioQ générale d<is mœurs eal la-
^ni-coureiir de la perte des ÉUU. » ( iVp/«
f< f abbé Délia Jiocca.)
^* Livraison. (Lbs Cycladks. )
gmides 'marques de isompassion et de
tendresse; et comme ils étoient dénués de
tout, on leur assigna des fonds suffisants
pour les faire subsister d'une manière
conforme à leur naissance et au rang il-
lustre qu'ils avoient tenu. Le malheureux
duc n'eut pas la consolation d'en jouir
longtemps; il mourut bientôt, accablé
d'ennuis et de reerets; et cette famille,
autrefois si considérable en Orient, est
entièrement éteinte. » Ainsi finit la sou*
veraineté de l'Archipel, l'an 1566, après
avoir été plus de trois cents ans entre les
mains des princes latins. Le juif Mi-
chez ne la garda que peu d'années ; et
depuis elle a toujours relevé immédiate-
ment du erand-seigneur.
Après la chute du duché de Naxos ,
les nobles latins continuèrent à séjour-
ner dans cette île; ils occupaient la partie
haute de la ville, c'est-à-dire le château
construit'par le premier duc. Les Grecs,
qui étaienten bien plus grand nombre, en
occupaient la partie basse, depuis le châ-
teau jusqu'à la mer. La haine des nobles-
ses ^ecque et latine fut lon^emps irré-
conciliable; elles ne contractaient pas d'aï-
liances entre elles ; elles se surveillaient de
si près et avec tant de jalousie, que les
Turcs n'avaient pas lieu d'appréhender
de révolte dans cette tle. « Dès qu'un
Latin se remue, dit Tournefort, les Grecs
en avertissent le cadi ; et si un Grec
ouvre la bouche, le cadi sait ce qu'il
a voulu dire avant qu'il Tait fermée. »
Les nobles naxiotes, surtout les femmes,
étalaient un£aste ridicule. Il y a deux ar-
chevêques dans l'ile, l'un grec, l'autre
latin. Le clergé latin de riaxos;était
considérable et riche autrefois. Il y avait
un chapitre attaché à la cathédrale ; une
maison de jésuites , un couvent de ca-
Sucins. Aujourd'hui il n'y a plus que
es lazaristes à Naxos. L'Ile était remplie
d'alises grecques et de monastères basi-
liens. £n 1700 les habitants payèrent
aux Turcs 5,000 écus de capitation, et
5,500 écus de taille. Un cadi, unvaivode
et sept ou huit familles étaient les seuls
musulmans qui résidassent ordinaire-
ment à Naxie.
Malgré les divisions des deux races
ui occupaient Naxie, ou plutôt à cause
e ces divisions même, les Grecs de Tile
se jetèrent avec ardeur dans la guerre
de l'Indépendance. De son côté, la no-
80
l
466
LimiYEM.
blesse latine se retoaseba dans aea fou-
relleSt et resta fidèle au grand-seigoeur.
Néanmoins le plus grand norofare des
habitants de Tîle étant Grecs, Raphto-
poulo, chef du mouvement , put réunir
un bataillon de huit cents hommes, avec
lequel il s*embarqua pour soutenir Tin-
surrection des Candiotes. Ceux qui ne
combattirent pas acquittèrent les rede-
vances avec empressement, et les descen-
dants de la noblesse des croisades fini-
rent par fournir aussi leurs contin-
gents (1). Après la guerre, JSme fut dé-
tachée dePempire ottoman et donnée au
royaume grec, où elle forme maintenant
une éparâûe du département des Cy-
clades.
Naxie est entourée d'Ilots et d^écueils,
principalement au sud-est, vers ladireo-
tion d Amorgos : ce sont les îles, Leian-
dros, Nicasia , Phakussa , Schœnussa ,
Donusa ou Héradée , appeliées auiour-
crhui Sténosa, Acariès, Karosou Ghera,
Schinosa et Raklia. Du reste, toutes ces
Iles sont désignées souvent par le nom
général de groupe des fies Kouphonisia.
ÎLB DE PÀBOS.
Paros, Tune des plus célèbres d'entre
les Gyclades, est située à Touest de
Nazos, dont elle est séparée par un canal
de sept milles de largeur. Elle est à 38
milles au sud de Délos , et à 25 milles
à Test de Siphnos. Pline dit qu'elle est
moitié moins grande que Naxos, à laquelle
il donne 75 milles de circuit. Elle garde
.encore auiourd'hui son nom de Paros,
le seul qu'elle ait porté communément.
Cependant on lui a aussi donné quel-
quefois d'autres dénominations, telles
que celle de Platéa. Minoa , Démétrias,
Zacvnthus, Hyria, Hyléessa etCabarnis.
Ce dernier nom lui vint, dit la légende,
d'un certain Cabarnus, qui donna con-
n;>issance à Cérès du ravissement de sa
fille Proserpine par Pluton. Les prêtres
de Cérès étaient appelés Cabarniens par
les insulaires de Paros (3). Bochart pré-
tend que Cabarnis est un nom phéni-
cien, qui signifie sacrifier. Paros est fer-
tile en céréales ; elle est bien cultivée ,
dit Tournefort ; on y nourrit beaucoup
(i) Pouqueville , AVtoire de la Régénéra^
tton , t. HT, IV ; passim.
(«) Dapper, Descript., p. séow
de troupeaux; le oouimeMt y ûomàsk
en froment, orge, vin, léguBes.. aésame,
coton. On trouve beaucoup de fruits, et
du^gibier en abondance.
Dans l'antiquité , ce qu'il y avait de
plus recheroM à Paros « c'était sa
marbre. 11 y en avait de deux sortes;
l'une servait aux arehiteetes, l'autre an
sculpteurs. « Les carrières dont les sh
eiens ont extrait les marbres pour la cobs-
tniction de plusieurs temples, eouuite
oelui d'£sculape à Paros et d'Apollon i
Délos, sont situées sur le ooont Biarpêse,
au-sud de la ville de Naussa. Ces car-
rières ne sont qu'à une demi-heure ai
nord de la ville de Parkia, raDcàein^
Paros. A une demi-heure pk» loin ^
trouvent situées les carrières qui four-
nissaient le marbre fameux recherebe
avec tant de soin par les soulpteun 4^
l'antiquité. Les premières carrières, qui
appartiennent aujourd'hui à la eommiae
de Parkia, ont toutes été exploitées a
del ouvert : j'en ai comoté jusoa'â cesi
cinquante. La quantité de Mocs fv
traits de ces nombreuses carrières et-
' passe de beaucoup eelle qu'<»it foumieks
carrières du Pentelique. LescanièRs qui
ont fourni aux sculpteurs de Tantiqiaifr
ce marbre dont la couleur , d'après Pla-
ton, était agréable aux dieux, sont sl
nombre de trois. Elles sent sîtuces à d:\
minutes au nord du monastère de SaiQt>
Mynas, dans une ^orge au ftod de b<
quelle roule, eahiver,uii torreol imp^
tueux qui va se jeter à la naer près de u
villede Naussa. Deux de ces eanrières sc«:
percées dans le mamelon même sur le
haut duquel se trouve un mouliai à vt«t
appartenant au monastère ; rautrs s*eu-
vre de l'autre côté du torrent, sur un wf -
sant du mont Marpèse qui s'étend du
sud-est au nord-ouest (i) ».
Cette dernière carrière est la ptas'rirttf
en fiions de marbre à grain tres-fei; ks
uns sont d'une blancheur éclatante u»-
vea Parosy dit Virgile), d'âne eristitJH
sation tout à fait saecharolde; lesastn^
sont un peu jaunes, et {Hrésentent cct:^
(i) Note extraite d*uii mémoire
i844, & la demande da ministre de l^innek-
qui songeait à faire employer les marlvM «V
Faros poor le tombeau de l'empcnor Ns^*-
léoa. Toycs Leoonte, Éuuk «c
la Grèce p p. 44o.
LES CYCLADES.
467
couleur et cette transparence qui a tant
de charme dans les statues antiques.
ÛD voit dans cette carrière une galerie
dont Texploitation a été à peine com-
mencée, dans Tantiauité. On y a trouvé
une grande quantité de ces lampes qui
servaient à éclairer les travailleurs dans
l'obscurité, et qui avaient fait donner à
ce marbre le nom d^lychnites lapis, ou
hi^aioç XWoç, pUrreextraiteàlalampe.
De tous côtés on aperçoit sur ses parois
les traces d'une exploitation comme/icée
et brusquement interrompue. Ici des
blocs sont à moitié détacha ; là sur le
mur un sculpteur ou un entrepreneur
a gravé son nom et le nombre de pieds
romains qu'il avait sans doute le droit
d'extraire: HERMO. Loccc. Lxxatvi. il
f a six inscriptions de ce genre; ce qui
prouve que cette galerie était en pleine
exploitation à Tépoque romaine. Deux
shemins devaient servir à diriger les
blocs extraits de la carrière, soit vers le
K)rt de Naussa, soit vers celui deParkia ;
nais il n'en reste aujourd'hui aucun ves-
ige.^
Llle de Paros est pourvue d'excellents
>orts : à Touest le port Parkia ou Pare-
ibia , près de la viUe de ce nom , qui
ccupe remplaoement de Tantique Paros,
(ont les débris ont servi à la cité mo-
eroe. Aanord, le portde JNaussa, moins
aste que celui ae Milo, mais mieux
brité , mieux défendu , d'une situatiou
lus avaalagmise. Naussaa'est qu'un trèa-
etit village. Sainte-Marie est le meil-
lir port oe l'île : la plus grande flotte
peut mouiller en sûreté, et plus oom«
iodément que dans celui d'Agoula,
n en est tout près. On estime tort le
m de Drio, sur la côte ouest. C'était
que venait ordinairement stationner la
>tte turque. On y trouve de belles sour-
s pour faire aiguade. Outre Parkia,
\ principaux villages de l'île sont Gos-
11, Lefkis, Marmora, Chepido, Kéfalo,
Dragoula. Au siècle dernier, Tourne-
rt disait que Paros était habitée par
ille cinq cents familles ; sa situation
3 guère changé à cet égard.
Ses premiers habitants furent peut-
e des Phéniciens; ensuite vinrent des
étois et des Arcadiens. Le nom de
noa, qu'elleavaitporté d'abord, atteste
e colonie fondée par Minos, ou par des
6ts de ce prince, auxquels Diodore,
donne pour chef un certain Alcée. Cet
Alcée fonda une ville de Minoa sur la côte
occidentale de l'île. Selon ApoUodoroi
Minos était à Paros quand il apprit la
la mort de son fils Androgée, tué par les
jeunes Athéniens, jaloux de sa supério-
rité aux jeux des Panathénées. Le même
mythologue nous apprend que cette île
était au pouvoir d'autres fils de Mjnos ,
£urymédon, Chrysès, Néphalion, Phi-
lolaûs, lorsqu3 Hercule la visita- Deux
des compagnons du héros ayant été tués
par les Mlnoïdes , Hercule les assiégea
dans leur ville. Les meurtriers ne se ra-
chetèrent qu'en cédant à Hercule deux
des leurs, à son choix. Il choisit les deux
fils d'Androgée (l).Le chef de la colonie
arcadienne qui vint à Paros s'appelait
Parus, et c'est de lui que l'île reçut son
nom. Plus tard Clythius et Mélos s'y éta-
blirent avec des Ioniens. Au huitième
siècle Paros était assez puissante pour
envoyer une colonie dans l'île de Tha*
SOS (2).
Au temps des guerres médiques elle
obéisait à Naxos ; elle fut, comme elle,
soumise par les Perses, avec lesquels
les Pariens combattirent à Marathon.
Après sa victoire, Miltiade accourut
pour châtier ces insulaires. Paros fut as-
siégée par terre et par mer ; les habitants,
effrayés des progrès de l'ennemi, deman-
dèrent à capituler; mais, ayant aperçu
un grand teu du côté de Mycone, ils
s'imaginèrent que c'était le signal de
rai:rivée des Perses , et ils ne voulurent
plus entendre parler de capitulation;
o'est ce qui a donné lieu au proverbe ,
tenir sa par oie à ta manière des Pariens,
âvocTcapidC^iv. Du reste, Hérodote et Cor-
nelius-Nepos diffèrent beaucoup sur
les détails de ce siège. Ils s'accordent
seulement à dire que Miltiade échoua
dans cette entreprise , et que ce fut la
cause* de sa disgrâce (490). Après la
bataille de Salamme, Thémistocfe, plus
heureux, força Paros à se reconnaître
tributaire d'Athènes. Agitée par des dis-
sensions intestines pendant la guerre du
Péloponnèse , Paros fut rendue à elle-
même après la chute de l'empire athé-
nien. Elle fonda une colonie dans l'Ile
de Pharos, en Adriatique, avec l'aide de
(x) ApoU., Bibl, Grec, II, 5. 9, 3.
(a) Voyez plus haiU, p. 374.
30.
468
L'UNIVERS.
Denys l'Ancien (1). Puis elle se rap*
f brocha d'Athènes, qui la défendit contre
es attaques d'Alexandre, tyran de Phè-
res. Les Macédoniens , les Lagides, Mi-
thridate, les Romains l'occupèrent les
uns après les autres. Enfin, les empereurs
grecs en furent les maîtres jusqu'au temps
que Marc-Sanudo fonda le duché de l'Ar-
chipel, dans lequel Paros était comprise.
Elle en fut démembrée par Florence Sa-
nudo, duchesse de l'Archipel, qui la
donna pour dot à Marie, sa iille unique,
épouse de Gaspard de Sommerive. Ce-
lui-ci aspirait à la souverainté de l'Ar-
chipel ; mais François Grispo le força
à se contenter de la possession de Paros:
Quelques années après, Paros passa dans
la maison des Yenieri , par le mariage
de François Yenieri avec l'héritière des
Sommerive. Ce François est le grand-
père de ce femeux Yenieri qui ne céda
rtle de Paros à Barberousse, capltan-
pacha, sous Soliman II , que parce qu'il
se trouva sans eau à Képhalo , dans le
fort Saint-Antoine. Paros prosoéra sous
le gouvernement des Turcs. Elle possé-
dait la plus belle église de l'Arcnipei ,
celle de Katapoliani, dédiée à la Pana-
gîa, près de Parkia. Les Latins y étaient
peu nombreux : néanmoins les capucins
y avaient un Joli couvent, qui a été dé-
truit par les Albanais au service de la
Russie. Les Russes ont fait beaucoup de
mal à cette île pendant la guerre de 1770.
Ils avaient choisi le port de Naussa pour
en faire le rendez- vous de leurs forces ;
ils y avaient construit des casernes pour lo-
ger 4, 000 Russes, 1,000 matelots, 12 ,000
Albanais, 3,000 Grecs. Le séjour de ces
troupes fit fuir les habitants, et livra l'île
aux dévastations de la soldatesque. Immo-
biles lors de l'expédition des Russes,
les insulaires n'eurent pas besoin d'ex-
eitation étrangère pour se soulever en
1821. Paros se signala dès le commen-
cement de l'insurection : elle envoya
dans le Péloponnèse un contingent de
soldats qu'on vit figurer au siège deTri-
politza, sous la conduite de Constantin
Trantas et de Toussaint, fils de Démétrius.
Aujourd'hui Paros relève de l'éparchie de
Naxos.
De tout temps les habitants de Paros
ont toujours passé pour gens de bon
sens ; et les Grecs des tles'voisines les
Srennent souvent pour arbitres danslean
ifférends. Hérodote les connaissait déjà
comme tels , puisqu'il raconte que ks
Milésiens, ne pouvant vivre en paixeotre
eux, eurent recours à l'arbitrage de quel-
ques sages Parîens. Ceux-ci visitèrent \i
campagne de Milet, et nommèrent ad-
ministrateurs de la ville les habitants
dont les terres leur parurent les mîm
cultivées (1) ; persuadés avec raison que
ceux qui savaient administrer leurs biens
sauraient gouverner la chose publique.
Cette solidité de bon sens pratique fjit
Elus d'honneur aux Parîens que iaoek^
rite que leur fie devait à ses marbres,
où même à ses galettes, pour parier
comme le comique Alexis, cité par Atne-
née. ft Fortuné vieillard , toi qui habiif's
l'heureuse Paros, ton Ile a deux pro<
duits qui l'emportent sur les produits
des autres îles : le marbre pour les dienii
et les galettes pour les mortels. ■
Cependant le plus célèbre des Paneos,
Archiloque , fait peu d'honneur à sa pa*
trie:
ArchUochom proprio rabies armavit iami»
Dans sa fureur , Archilo(|ue invectinit
si cruellement ses ennemis, qu'il les ré-
duisait au désespoir. Lycambe et ses
enfants ne purent survivre à ses ootra^
Du reste, ce poète , qui avait prostitue
ses talents à fa satyre personnelle , k
se ménageait pas plus oue les autres.
« On lui reproche , dit Elien , d'avoir
mal [)arlé de lui-méaie; sans loi nous
n'aurions jamais su qu'il était Je ûh
d*une esclave; qu'il avait abandooie
Paros , sa patrie ; que pauvre et déooe
de tout à Thasos , il y avait maltraite
ses hôtes , exercé des haines violeotes.
se défiant et médisant de ses amis comax
de ses ennemis, s'avouant adultère, sei^•
suel, lâche, etc. » A ces traits, que j'affi^
blis , dit M. de Marcellus, nécroiraitH>o
pas reconnaître Jean-Jacqu«s? Aussi
ajoute-t-il spirituellement : « J'ai Qvsàitss
ma tête que le poète de Paros n etot
pas seulement l'inventeur des îarnwSj
assez mal famés, mais encore qo*il3^^'
créé les Confessions, genre de litléraRi"'
relevé sans doute par la pieuse bamiut**
de saint Augustin, mais dont ses or;^^
(i) Diod. Sîcul., XIII, 47 ; XV, i3, 34.
(r) Hérodote, V, a 5.
LES CYCLaDES.
469
I
km émoles ont tant abusé depuis (1). »
Quelques fragments d' Archiloque don-
neot une haute idée de son talent ; il y
en a même qui expriment de grandes
et nobles pensées morales; ce qui prouve
qu'il savait prendre tous les tons. Mais
en somme on peut dire comme Bayle :
« S'il n'est presque rien resté des ou-
vrages d' Archiloque , c'est plutôt un
gain qu'une perte par rapport aux bonnes
mœurs ; » car il n'y a rien de si dange-
reux qu'un poète de talent qui sait semer
^à et là quelques belles maximes sur un
ond de corruption et de méchanceté.
Archiloque çécut méprisé de ses contem-
porains; il mourut comme il le méri-
tait, assommé par un Naxien dont il
avait dit du mal. Archiloque est le
pins remarquable i;Dais non le seul des
hommes illustres de Paros. Événus se
distingua dans la poésie élégiaque; Sco-
pas, Agoracrite , élève de Phidias, dans
la sculpture ; c'est lui qui sculpta la Né-
Diésis de Rhamnonte (2) ; Arcésilas et
Nicanor, contemporains de Polygnote ,
(}tii comme lui turent des premiers à
peindre en cire et à l'encaustique. Paros
a toujours son marbre^ mais elle n'a plus
ses artistes. On ne voit dans cette île ,
disait déjà un voyageur du dernier siècle,
que de misérables faiseurs de' salières
et de mortiers, au lieu de ces grands
seulpteursqui ont tiré des chefs-dxeuvre
de ses carnères. Les médailles de Paros
offrent tantôt une tête de femme , ou
une chèvre, avec le nom de Ttle et du
magistrat , tantôt uoe tête de Méduse
avec un taureau.
On regrette de ne pas savoir le nom
lie l'auteur de la plus curieuse antiquité
lui ait été découverte à Paros : je veux
)arler de ce célèbre monument de chro-
lologie appelé indistinctement marbres
l'Oxford ou d'Arundel , ou chronique
le Paros. C'était un Français, le savant
'eiresc, conseiller au parlement d'Aix ,
iui avait ordonné à Paros les fouilles
i'où on tira ces marbres avec plusieurs
ntres inscriptions. Le commissionnaire
le Peiresc, Sampso, était sur le point
le faire embarquer cette collection dans
e port de Smyrne lorsque ses ennemis,
u ses créanciers le mirent en prison.
(i) Épisodes ÎUlàralres, 1. 1, p. ao5,
C2)PUn., XXX"VI,4,6.
Un agent de Thomas Etovrard , comte
d'Arundel et de Surrey. acheta pour lé
compte de son maître la précieuse car-
faison de Sampso, et les marbres de
*aros furent envoyés en Angleterre en
1627. L'année suivante, le savantSelden
envoya à Peiresc l'édition et le commen-
taire Qu'il avait fait des marbres d'A-
rundel. C'était le nom qu'on donnait au
monument que Peiresc avait attendu avee
tant d'impatience. Il reconnut aussitôt
)e trésor qui avait été détourné de ses
mains ; mais cet excellent homme , chez
qui l'amour de la science était plus fort
que ramour*propre , se consola facile-
ment de la perte de ^es marbres quand
il vit l'usage qu'on en faisait en Angle-
terre. La chronique de Paros contient
les principales époques de l'histoire
grecque , à commencer depuis Cécrops ,
fondateur d'Athènes, jusqu'au temps
d'Alexandre. Elle embrassait un inter-
valle de 1318 ans, et se prolongeait jus-
qu'à l'an 263 avant J.-C. Mais le temps
a détruit les dernières époques et occa-
sionné dans le corps de l'inscription des
lacunes qui .ont fait le tourment de ses
interprètes, Selden, Palmer, Lydiat,
Marsham , Prideaux , Bentlev , MafTei ,
Dodwell, Maittaire , et Boeckh (1).
ÎLE D'OLIABOS ou ANTIPABOS.
Antiparos est l'ancienne tle d'Oliaros
dont parlent Pline, Strabon, Etienne de
Byzance et Héraclide de Pont. Ce der-
nier ajoute que les Sidoniens y fondè-
rent une colonie. Sa stérilité , son peu
d'étendue, le petit nombre de ses habi-
tants l'ont vouée aux dédains des histo-
riens et des géographes de l'antiquité,
gui ne connaissaient pas cette grotte
fameuse à laquelle elle doit aujourd'hui
une Juste céléorité. Cette tle est a dix-huit
stades de Paros : c'est, dit Tournefort,
un écueil de seize milles de tour , plat ,
bien cultivé, lequel produit assez d orge
pour nourrir soixante à soixante-dix
familles enfermées dans un méchant
village à un mille de la mer. Le port
d' Antiparos n'est bon que pour des bar-
ques et des tartanes , mais les grands
vaisseaux peuvent mouiller dans le canal
(i) Voyez dans la coUect. grecque de A. F.
Didot, Fragmenta Historicorum Grœcorttm,
l. Ij t\y Introduction , p. 535.
470
L'UNIVERS.
de Parcs où se trouvent les rochers de
Strongilo , de I>espotico et plusieurs
autres écueils sans nom.
L'entrée de la grotte est à quatre
milles du village , à près d*un mille et
demi de la mer , à la vue des îles de Nio ,
de Sikino, de Policandro, qui n*en sont
2u'à trente-cinq ou quarante milles,
^est une voûte de rochers assez basse,
et qui n'a d*abord rien d'imposant. AU
milieu est une colonne naturelle . à la<
quelle, dit Ghoiseul-Gouffier, a qui
j emprunte la description de cette grotte,
nous attachâmes la corde qui devait
faciliter notre descente et assurer notre
retour. Passant «ensuite sur la droite ,
on tourne en suivant une pente assez
douce , qui ramène au-dessous de la co«
lonne ; on trouve alors une cavité par la-
quelle on s'introduit; puis tenant la corde
on se laisse couler perpendiculairement
à six ou septuiedsde profondeur, sur une
petite plate-torme. (Test là ce que Tour-
nefort appelle un précipice horrible. Il
débute ainsi par une exagération , à la-
quelle répond parfaitement la suite de
son récit. Ce judicieux écrivain s'est un
peu oublié dans la description de la
grotte d'Antiparos; et il y a beaucoup à
rabattre de ce qu'il en raconte. D'autre^
auteurs sont tombés après lui dans des
exagérations bien plus ridicules. De la
plate-forme dont il a été parlé plus haut,
on descend par nn talus fort roide à en-
viron vingt-trois mètres de profondeur «
et on arrive sur un rocher dont la partie
supérieure est arrondie en forme de cul
de lampe. Cest Tendroit le plus difficile
et le seul qui puisse paraître dangereux ;
car si l'on glisse à droite , on risque de
tomber dans des précipices sans fond,
pe là on descend à pic la hauteur de
douze ou quinze pieds , avec une corde
ou une échelle. Lorsqu'on a franchi cet
endroit, on continue à descendre par
une pente extrêmement roide , en ap-
puyant toujours sur la gauche, pour évi-
ter les abtmes qui sont sur la droite ;
peu^'à peu la pente s'adoucit, et à la moi-
tié de cette galerie la corde devient tout
à fait inutile. Enfin, après avoir tourné
un gros rocher qui semble d'abord fer-
mer le passage , on entre dans la salle
qui termine ce souterrain. Quoique de
toutes les grottes connues celle d'Antî-
paros soit la plus vaste et la plus riche,
elle est cependant loin de répondre
aux descriptions pompeuse^ qu'en ont
faîtes quelques voyageurs ; ils sembleot
ouvrir le palais du Soleil, et leur ima-
gination exaltée dépeint une arcbitcc*
ture de cristal dont les fiices lisses et
brillantes varient , renvoient et multi-
plient la clarté des flambeaux. « Od se
croit transporté, dit un auteur moderne,
dans les grottes de Thétis , au jour des
noces de Pelée. » Ce langa^ poétiauf
est-il celui delà vérité? doit-il être celui
du voyageur? Mais si les produciioos
qui se trouvent dans la grotte d'Antipa-
ros n'ont pas tout l'éclat qu'on leursu{r
pose, elles n'en sont pas moins iotém*
fiantes, par les formes variées et les co>
trastes piquants que leur prête une i^-
mation toujours incertaine, toujours di-
versifiée par le hasard. Les stalactite
produites j)ar l'infiltration des eaux tom-
bent des voûtes en pendentifs coniqu»:
les stalagmites que la cristallisation pro-
duit par en bas s'élèvent du sol en dlTtf*
tant la même forme. Quelquefois leir
accroissement en sens inverse, rap-
proche stalactites et stalagmites, les
joint ensemble et forme des coioDoes
ijui s'achèvent et se perfectionneot ptu i
peu. La pièce la plus remarquable it
cette salle souterraine est la superU
stalagmite qui occupe la salle d'Antipa-
ro&f et que l'on nomme l'autel, depuis que
M. de Nointel, ambassadeur de Im^
XIV à la Porte, y fit célébrer la messedf
minuit, Tan 1673 , comme on l'appreod
par cette inscription, qu'on y lit encore :
nic ipse cintiSTVft Anrvir
SnrS NATAU Dll BSHIA IIOCTI CSLEnnî»
UDGLXXIU
Cette stalagmite a vingt-quatre pie 1<
de hauteur; sa base a environ >ir:^
pieds de diamètre. Toute cette partie d>:
souterrain est remplie de congélaaoc5
dont les formes variées présentent u»
espèce de décoration , et peuvent avv;*
servi de prétexte aux peintures eia:**
rées des voyageurs. Plusieurs mas^
de cette même substance, étendues en
longs rideaux , tiennent do leur peudV
Î)aisseur une transparence dont on pt
ouir à Taide de quelques torches adrai-
teuient disposées. Mais cette lumière,
ou plutât cette lueur n'a jaoïais aoruo
éclat. Ces concrétions , quelques fonnes
LES GT€IADBS.
471
jû'ûieê aient aftootén, «ont toatcs
ernes et opagneB; leur smfaee ené»
ieure , souvent mamelonnée , toojoun
aboteuse , usée par le eontaet de Fair
!t corrodée par Tadde qu'il contient^ n«
wat jamais offiir un spedaele qui né
leut être que du domaine de la féerie ^
it que beaucoap y sont allée eherchet
or la parole menteuse des voyageurs
|ii11b ont eu la patience de lire et la
implicite de croire (1). Jssmi'an tempg
le 1 ambassadeur de Nointel , personne
l'osait plus descendre dans oe souter-
ain, que les Grecs n'avaient connu eux-
Démes que fort tard , et qui était rede»
enu ignoré depuis des siècles. Depuis
673 il a été fréquemment visité; maii
1 n'est encore qu'incomplètement eon-
ro; la deimlère salie est environ à deux
ent cinquante pieds de profondeur oer-
)endiculaire : mais on dit qu'elle n^est
)a8 l'extrémité de oe vaste souterrain,
(ui s'étendrait sous les eaux jusqu'aux
les voisines (9).
ÎLB DB SIPHHOS.
L1Ie appelée anciennement Slphnos
m Siphanos , a été nommée par corrup-
ion Siphano, Siphana ou Siphanto,
i)lie avait porté aussi dans rantiauité les
loms de Méropia et d'Acis ; elle reçut
le Siphnos, (ils de Sunius, celui de Siph-
los, qu'elle porta depuis. Elle est si-
uée à l'ouest de Paros , et elle a selon
^line vingt-huit milles de circuit ; mais
les géograplies modernes lui donnent
usqu'à Quarante milles de circonfé-
ence. Uile de Siphnos jouit d'un cli-
iiât très-sain. On y voit des vieillards
le cent vingt ans. Quoiqu'elle soit cou-
erte de granit et de marbre, elle est
értile et bien cultivée. £Ue abonde en
rains, en vignes, en fruits, en huile,
t en gibier. On v recueille une soie
rès-recberchée. Elle était célèbre au-
refois par ses mines d'or e^ d'argent ;
Dais à peine sait-on aujourd'hui où
(i) Choiceul-Gouffier, Foyage^ t, I^ p. ii5
t suiv.
(tt) CeUe grotte célèbre appartient aujour-
lliui à M. Piscatory. Elle lui a été donnée
ar la famille grecque qui la possédait, et qui
ai a cédé set litres de propriété, Alors qu'il
itait ministiw plénipotentiaire de . France en
jrèce.
flHeÉ s» trouvaient. Le plomb y est aussi
feit commun. On y faisait du temps des
aneieni, avec une pierre molle particu-
lière à rtle, des vases qui supportaient
très-bien le feu. Les gobelets (noTiipia)
de Siphnos étaient aussi fort recher-
chés. L'ancienne ville de Siphnos s'ap-
pelait Apollooia; elle était située sur
la côte nord-est, vis-à-vis d'Antiparos et
du rocher de Prépésinthos, aujourd'hui
Despotiko. Il n'en reste plus rien. Tour-
nefort signale pour toutes ruines, dans
cette île, les restes d'un temple de
Pan , et quelques sarcophages çà et là
dispersés. La ville actuelle, appelée
Kastro, occupe remplacement de l'an-
cienne. Elle a un port, très-fréquenté
au dix-septième siècle. Outre le port de.
Castro, on cite encore ceux de Faro,
de Vathi , de Kitriani , et de Klronisso.
Au siècle dernier Siphanto possédait
plusieurs villages et une population éva-
luée à 5,000 âmes. Elle était couverte
de couvents , de chapelles ; et elle avait
un grand monastère, où les femmes de
l'Archipel qui voulaient entrer en reli-
gion venaient faire leurs vœux.
Son histoire est celle de toutes les
Gyclades. Pour toute particularité),
nous trouvons dans Hérodote (1) que
cette île, très-florissante au sixième siècle
avant J.-C, tomba en décadence, au
temps de Polycrate, tyran de Samos.
Des Samiens exilés étaient venus s'y
réfugier; mal reçus par les Siphniens,
ils leur firent la guerre, et les mirent a
contribution. Puis leurs mines d'or et
d'argent furent détruites par une inon-
dation. Ils avaient refuse de payer la
dtme à Apollon Delpliien : le dieu les
ruina par cette calamité. Il paraît que
les Siphniens étaient de mauvaise foi
envers les dietix comme envers les
hommes ; lupvidl^Eiv signifiait mdnq[uer
de parole. Le plus haut sommet de Vtle
s'appelle THagios Ilias.
Après avoir appartenu aux Romains
et aux Byzantins, Siphanto fut con-
auise par Sanudo, et fit partie du duché
e rArchipel.Plus tard elle en fut sépa-
rée, et elle passa à la famille Coronia ,
puis à la famille Gozadini, qui la posséda
jusqu'au temps où Barberousse en fit
la conquête. Les Gozadini avaient aussi
(i) Hérodote, III, 57, 58.
47d
LTIMIVERS.
la seigneurie de Thermia , et Tennefort
raconte que de son temps le eonsiil de
France à Sîphanto, M. Guion , conser-
vait encore le cachet d*Angelo (^ozadini^
seigneur de Siphanto et Thermia , oui
avait succédé à Otuly de Coronia, nls
de Yandoly Coronia de Bologne, qui s*é-
tait établi dans Tlle au milieu duquator-
zième siècle.
iLBBBSEaiPHOS.'
Sériphos ( Serpho, Serphou, Ser-
phanto) au nonl- ouest de la précé*
dente, dont elle est séparée par un bras
de mer de 12 milles de large. Mais d'un
porta Vautre la distance est de 24 milles ;
Pline ne lui donne que douze milles
de circuit, elle en a cependant plus de
trente-six. Cest une ne terriblement
rocailleuse et escarpée; elle contient
des mines d'aimant et de fer ; mais elle
est stérile; il n*y vient qu'un peu d'orge
et de vin. Cependant on trouve des oi-
gnons fort doux et très-nourrissants, que
les habitants cultivent parmi leurs ro-
chers, dans de petits fonds humides. Ces
oignons sont l'orgueil des Sériphiens, qui
n'ont rien autre chose à faire valoir
dans leur pauvre fie; aussi aYait-on d'eux
et de leur pays l'idée la plus méprisante.
« Quand même il serait né dans llle de
Sériphe, dit Origène répondant à Celsus,
qui reprochait à Jésus-Christ sa naissance,
guand même il serait né le dernier des
ériphiens (1), il faut convenir qu'il a
fait plus de bruit dans le monde que
les Thémistode, que les Platon, que les
Pythagore, que les plus sages des Grecs,
que les plus grands de leurs rois et de
leurs généraux. » Il ne faut pas chercher
d'antiquités dans Sériphos , qui n'a ja-
mais été puissante ni magnifique. Ce-
pendant son port est excellent ; et c'est
une des bonnes relâches des Cyclades. Il
n'y a dans Ttle qu'un bourg du même nom,
et un méchant hameau appelé San-Ni-
colo. Il y avait autrefois le couvent de
Saint-Michel, situé au nord de l'île, dont
les caloyers possédaient les meilleures
terres, ainsi que le méchant flot de Ser-
i)ho-Poulo. Les anciens prétendaient que
les grenouilles de Sériphos étaient muet
(i) Contra Cels,, 1, I; A p. Tournefort.,
ly x8o.
tes; delà le proverbe: Ceêivnept-
noiiiiie de Séripkoi ^ pour désigner «a
sot aui ne sait rien dirà.
Sériphos étaitcélèbre par les traditiocs
mythologiques relatives à Persée (l).
Acrisius ayant découvM la naitsance
de Persée, le fit enfermer avec sa raèn>
Danaé dans une caisse, etoidoniia qa*0D
les jetfltdans la mer. Cette caissefotpous-
aée jusqu'à Sériphos, où des pêeoeors
la tirèrent de l'ean avec leurs filets. Di^
lys, qui régnait alors dans oette fie, a^
eueilut parfaitement Danaé et son fils.
Mais Polydecte, son frère, voulant épou-
ser Danaé, Persée, qui avait été oblige
d'aller combattre Les Gorgones, rappoitj
de cette lutte la tête de Méduse, avec Li-
quelle il pétrifia Polydecte et les Séri*
phiens. Cest ainsi qu'il délivra sa mère;
c'est ainsi que se formèrent les affreiu
rochers de Sériphos.
L'histoire de Sénphos n'est pas longue
à Caire. Cette tie tut ooeopée par la
Ioniens venus de l'Attique. £lle refusa
aux Perses l'hommage de la terre et de
l'eau. Elle eombattit àSalamine. Sous
les Romains, Sériphos devint un lies
d'exil. L'orateur Cassius Sévénis arait
été relégué par Auguste dans llle de
Crète sous Tibère. Comme cet orateur
se livrait toujours à son goût pour Va-
trigue et la médisance, il fat condamné
à l'exil ; et on l'envoya finir ses jourssar le
rocher de Sériphos, Saxo seriphU) con-
senuit (2). Sénphe passa suocessivemeot
sous la domination des Grecs, des Francs
et des Turcs. En 1700 les Séripliiensoe
payaient que 800 écus pour toute eoa-
tributîon. L'tle de Sériphos est restée
une des plus misérables de tout rA^
cliipel.
ÎLB BB GIMOLOS,
Cette petite île, aujourd'hui nommée
l'Argentière, des mines d'argent qu'on
y exploita jadis, est située au sud de Sén-
phos et de SI phnos, et à une lieue au nord
de Milo. Elle n'a que dix-huit milles on
six lieues de circonférence. Le sol, extrê-
mement aride, est dépourvu de source;
on n'y trouve que de l'eau de dtenx,
ou celle qu'on va chercher à Hilo. Les
(i) ApoUod., IX, 4; Pberecy Fr., a6; A^
ligions de l'Jniiquilé, 1. Vin, c« %m
(a) Tacit,, Ânn.^W^ 21.
LES CYCLABGS.
479
mooti, les Tailées «t t<Aite la eampagne,
dépouillés d'artues, n'offrent pas un seul
ombrage eontre les ardeurs du soleil.
Les Vénitiens poidant leurs soerres
contre les Turcs coupèrent tous les oli-
viers f et causèrent un dommage irré-
parable à l'île. Ce ne sont partout que
eoilines hérissées de rochers, dépouillées
de verdure, des vallées où croissent de
tristes arbrisseaux et des buissons épi-
neux. Elles sont la plupart couvertes
d'une argile blanche et grasse, que les
anciens appelaient la terre cimolée et
que les habitants emploient en guise de
savon, pour blanchir leur linge. Il n*y
a qu'an pauvre village dans FArgentière
et une population évaluée au siècle der-
nier à cinq cents personnes. On n'y sème
de Torge et du coton qu'aux environs
du village : la vigne n'y fournit des rai-
sins qoe pour manger ; le vin vient de
Milo. « Cette Ile est devenue tout à fait
pauvre, dit Tomefort, depuis que le roi
ne souffre plus de corsaires français au
Levant L'Argentière étoit leur rendez-
vous; et ils y dépensoient en débauches
horribles ce qu'ils venoientde piller sur
les Turcs : les dames en profitoient;
plies ne sont ni des plus cruelles ni des
plus mal faites. Tout le commerce de
cette lie roule donc sur cette espèce
lie galanterie sans délicatesse qui ne
»)nvient qu'à des matelots (1 ). » Cimolos
avait été appelée Écfainuse , l'île aux Vi-
pères; on n'y voit plus aucun reptile
le cette espèce.
Il n'est (Ms fait mention de Cimolos
ians l'histoire ancienne. Cette Ile a tou-
ours suivi la destinée de Mélos. Dans le
"enversement de l'empire des Grecs par
es Latins , Marc Sanudo la réunit au
iuché de Naxie. Elle se trouva ensuite
oveloppée dans la conquête de l'Ar*
'hi|)el parBarberousse. Les Musulmans
i'osèrentl'babiter, par la crainte des cor-
aires qui la hantai^t ; mais tous les ans
es habitants de l'Argentière payaient
aille écus de capitation au capitan-pacha»
otre les présents que ses agents leur
xtorquaient. « Pendant mon séjour en
e pays, dit Savary , j'étais logé chez
f . Brest, vice-oonsul de France. C'est
in homme de beaucoup d'esprit; il a un
(i) Toiinief.f I, p. i4«; Savary, Lettres
vr la Grèce, p. 35 1.
caractère fermé et une flmegéoéreuse. Il
connaît parfaitement tous les ports de la
Méditerranée, et a servi souvent de pi-
lote aux vaisseaux que la France en-
voyait dans ces parages. Il s'est fait adorer
des habitants» en les sauvant du pillage
des corsaires, et en intercédant aupiès
des officiers^que le grand amiral envoyait
pour les mettre à contribution. Aussi
peut-on le regarder comme le roi de l'île,
comme le chef de cette petite république.
Cet honnête homme, qui habite 1 Ar-
gentière depuis plus de quarante ans ,
s'y est étabb. Il a deux fils, qui ont beau-
coup navigué. Ils sont bien élevés, bon^
marins, parlent parfaitement le français,
l'italien, le grec, le turc et paraissent di-
gnes de succéder à leur père ». Ils lui
ontsuccédé en effet ; ils ont même agrandi
leur petite principauté, pour ainsi dire ,
en s'établissant à Milo, ou les Brest repré-
sentent encore honorablement la France,
comme les Albv à Santorin. Il y a dans
les Cyclades plusieurs familles consu-
laires françaises ou italiennes, dont la
situation, relativement très-importante,
rappelle, sauf les différences des temps,
celle des familles féodales du temps aes
croisades. Les gens de l'Argentière, qui
sont bons pilotes, ont arboré l'étendard
de la Croix pendant la guerre de l'In-
dépendance.
Ilbds mblos.
De l'Argentière on voit à découvert
rtle de Mélos (1) (M^Xo< ) , qui n'en est
éloignée que d'une demi-lieue. On la
nomme actuellement Milo ou le Mile.
On voit dans Etienne de Bj^zance et
Festus qu'elle fut appelée ainsi par Mé-
los, navigateur phénicien. D'autres veu-
lent que ce nom lui ait été donné à cause
des meules à moulin qu'on y trouve en
fort grande quantité. Le nom de Byblos,
qu'elle a aussi porté, atteste encore l'oc-
cupation de cette tle par les Phéniciens.
On la désignait encore aussi quelquefois
par les noms ou épithètes de Zépnyria ,
Mimallis, Siphnis et Acytos. Cette fie
a presque la lorrae d'un arc fortement
tendu. Pline dit qu'elle est la plus ronde
(x) Dapper, Descrîpt», p. 358 ; Toumef.,
1, 145 ; Savary, Lettres, p. 356; Choiseul-
GoufGer, I^ 14 ; De Prokescb, Fiedler, Lea-
ke^etc. ; Expédition de Morée, III xa«
474 LTmiVERS.
de tontes les tlès. fille a ênviroti soixante Mais ttM» tal débfii TQl|Bira ii$
milles de circonféreiice. Dans sa partie rien anpràs du ^sf-d'œnn^ et aoilp-
méridionale elie est dominée par deux ture anUqueqtti porte le noai deYé&w
hautes montagnes , dont la plus életéé de Milo , et que poaaède sotte moiée
s*appelle le mont Saint-Élie et l'autre lé national. Cette statue fut trovfét par
mont Calamo. Son port est le plus beau un paysan gros qni blohait dans un jar-
des Cyclades. Il s^onvre yers le nord- dîn situé à oina emts pas eufiroii ik
ouest, s'avance dans les terres, en for^- l'amphitbéâtre. il déeoavtil ea remuant
mant diverses sinuosités , et s^élargfl la téfte une sorte dé lanfedoemciit soa-
tout à coup en un spacieux bassin. Lei terrain dont la eonstnicti^o était «h
vaisseaux de toute grandeur peuvent y fouie de six à bdi^ ffieds aa-denoos da
moufllet à l'abri de tous vents, et la sol. Ayant déblayé celle rliina, il y trou-
flotte la plus nombreuse s'y trouverait va péie-méle, et oonfasteent eondbéi,
fort au large. Au sud elle a un autre port, trois Hermès, des nioroeavx de maibrei
plus petit, appelé port Saint-Dominique, une plintbe portant des iaseriptions 4
L'ancienne viue de Mélos était si* demi eon^rvées, et la statue oe Vénes
tuée au fond du port, à l'est, sur les séparée en plusieurs morceaux. Céuit
hauteurs qui le dominent. Les restes è la fin de février ISfiO. Le paysan grée,
d'antiquités qu'on y trouve sont : au sud qui se doutait bien qu'il avait tramé
de la ville actuelle, à peu de distance de autre chose que des pienree ordimires,
la mer, et sur le penchant de ces hau- proposa à M. Brest, af^ eonaulaire de
teurs, une partie de murs d'enceinte, France à Milo, l'aouoisîtioD de la statue
de construction polygonale , les(;|uels à un prix très^mouique. aialbeiireuae*
n'ont subi presque aucune dégradation] ment M. Brest « avant de condiire le
sur une petite montagne conique , ou marché , crut devoir deoaander des or-
était sans doute l'Acropole, des gradins dres au marquis de Rivière, ambassa-
de marbre blanc, et bien conservés, an* deur du roi h Constantinople. De là des
I)artenant à un théâtre qui paraît n'avoir retards, qui faillirent eompromectre k
amais été terminé, car on remargue en- succès de la négodaton et priver la
core les tenons qui opt servi pour la pose France de la possession de eette atatne.
des marbres; non loin de là quelques En effet, tandis que le marquis de Ri-
corniches de style romain et d'un asseoit vière envoyait M. de Mareelliis poor
mauvais godt. On voit aussi, en tour- faire en son nom l'aoquisitieQ de le su
nant autour de cette ancienne acropole, tue et des marbtfs déterrés à Milo, les
une partie de mur régulièrement bâti, primats de l'Ile résolurent de donner la
et au-dessous un plateau sur lequel , statue à un prince grec en grand etéàn
parmi les constructions modernes, on à Gonstantînople, et amateur d'antlqui-
remarque quelques fragments de marbre tés. Au moment où M. de Mareellus a^
qui font supposer qu'a cet endroit il y rivait à Milo, le 38 mai, il eut ia douleur
avait autreiois un temple. Près de là, de voir passer la statue sur on eenotqe
un peu au-dessus du mur d'enceinte, la transportait à bord d*liii bfttiaieot
sont des tombeaux creusés dans le roe grec portant pavillon ture. Mais il ne si
de la montasne. Enfin, il existe au sud^ tint pas pour battu; et à forée de per*
est, tout à lait sur le bord de la mer^ sévéranoe et de eourage , en employant
d'anciennes ruines , qtii sont probable- tour à tour la menaee, les promesses et
ment des restes du port de l'antique les libéralités , il (Mirviftt a renouer k
Mélos. La découverte de tous ces ves* marché commencé autrefois avee ie
tiges a servi à déterminer la position de paysan ^ree, à désintéresser les primats,
cette ancienne cité, sur une colline qui a intimider le papas qni s'était porté
regarde l'entrée de la rade, et qui est au acquéreur pour le prinee grée , et a re-
sud de Castro ou Sixfours, bourg mo* conquérir le chef-d'ceovre qu'il s'âait v«
derne élevé au haut du pic qui domine sur le point de perdre. Tranaporte à
cette partie de l'île, et nommé ainsi par bord de la goélette VEstafeUB^ la statue
nos marins provençaux, parce qu'il leur arriva en France après quatre mois de
rappelait l'aspect d un village du même navigation. EJIe nit ou^rte an roi
nom situé auprès de Toulon, Louis XVIII par le marquis do Biviéte;
LES CtCLADËS.
475
ie a été enjhitte déposée au imiisêe dw
ntigues da Louvre, dont elle est auiour^
hai la pièce la plus précieuse. Cette
atue a deux mètres ttente<-hiiit milli*
lètres de hauteur, six pieds trois pou-
.'s trois lij^ies. Elle est d'an beau
larbre de Pah>s, à petit grains , que
s sculpteurs désigrient soiis le nom de
rechetto. On a supposé que la déesse
lait représentée au moment ofi elle
lent de recevoir la pomme de Pflrîs, et
a l'a surnommée f^enus Fietrix, L*ab-
înce de ses deux mains, qui n'ont point
té retrouvées , empêchera toujours de
onner une solution définitive à cette
uestion (1).
Pendant longtemps Ttle de Miio a été
îrtile et florissante. Jusqu^au milieu du
tècle dernier elle produisait en abon-
ance du blé, du vin, des fruits, et elle
ossédait environ vingt mille habitants,
ournefort, gui la visita en 1700, en fait
me description très-avantngeuse. « La
erre, sans cesse échauffée par des feux
outerrains, y produit presque sans se
eposer, du blé, de l'orge, du coton, des
ins exquis et des melons délicieux.
iaint-Elie, le plus beau monastère de
Ile, situé dans l'endroit le plus élevé,
«t entouré d'orangers , de citronniers ,
le cèdres et de figuiers. Une source
ilK)ndante en arrose les jardins. Les
)liviers, rares dans les autres parties,
«ont multipliés autour du monastère.
Les vignobles d'alentour donnent d'ex-
cellents vins. En un mot, toutes les pro-
luetions de 111e sont d'une bonté que
ien n'égale. On estime beaucoup ses
)erdrix, ses cailles, ses chevreaux, ses
>gneaux , et cependant on les achète à
f es- bon marche. »
A la fin du dix-huitième siècle la si-
tuation de Milo était bien changée. « Si
W. Tournefort revenait à Milo , dit Sa-
^ary, il ne retrouveroit plus la belle île
|«'il a décrite. 11 y verroit encore Faluil
le plume aux filets argentés, suspendu
m voûtes des cavernes, des morceaux
je soufre pur qui remplissent les fentes
^es rochers, une foule de sources miné-
■^âles, des bains chauds, et les mêmes
(i) Sur lu statue antique de Vénus VCcliîxs
P^ M. de Qarac. Voyez aussi la notice de
M. Quairemère de Quincy ; M. de Marcellus,
«o«ven/V* de t Orient, t. I, p. a3t.
fëa\ qikî de séo téÉbpi échMifitoisnt
le sein de la tef re et la rendoient si fé-
conde (f ). Mais au lieu de cinq mille
Grecs payant la capitation (ce qui, avec
les autres habitants , peut former vingt
mille fimes) il ne reneontreroit aojour*
d'hui, sur une surface de dix*huit lieues
de dreonférenee, qu'environ sept oeots
habitants. Il gémiroit de voir les meil-
leures terres sans culture et les vallées
fertiles changées en marais. Depuis dn-
3uante ans, le Mile a entièrement ehangé
e face. »
Quand Choiseul*Goufller visita cette
Ile, il en trouva la population dans l'é*
tat le plus misérable. « Ces malheureux,
dit-il, sont iaunes et bouffis \ leur ventre
énorme, et leurs Jambes, horriblement
enflées , leur permettent à peine de se
traîner dans les décombres de leur ville,
belle autrefois, et qui n'est plus qu'un
monceau de mines. L'origine de cette
influence pestilentielle me paraît re^*
monter précisément à l'époque du nou-
veau volcan qui s'ouvrit un chemin dans
les eaux, en face de Santorin, et vomit
une île nouvelle à travers un torrent de
flammes avec un bruit et des secousses
2ui ébranlèrent toutes les villes voisines,
let embrasement souterrain s'est sans
doute propagé jusqu*à Milo, par les ma-
tières combustinles que la terre y ren-
ferme, et qui sont elles-mémeè une con-
tinuation des mêmes couches qui ont
donné lieu à la formation des volcans.
Les vapeurs malignes qui s'exhalent de
ces immenses soupiraux infectent l'air,
en diminuent le ressort, et reproduisent
sans cesse son influence destructive.
Les parties voisines du port et de la
ville, où les émanations sont plus abon-
dantes , en ont ressenti d'abord les fu-
nestes effets. Peut-être ces feux, se com-
muniquant ainsi successivement, ooeu-
(i) Toutes les richesses géologiques de Milo
et sa formatioD volcanique sont compléiement
décrites dans Toiirneforl, et surtout dans un
article de M. Sauvage, ingénieur des mines.
Voir dans les jinnales des Mines y 4* série,
t. X , p. 69, l'article intitulé Description géo'
logique de Milo , oà M. Sauvage établit que
cette lie doit avoir la même origine que les
environs de Naples , que Vile d*Isdiiâ, et que
ses terrains trachytes sont contemporains de
œux des champs phlégréenB.
476
L'UNIVERS.
peront-ite toute la sorCaoe de Ttle , et
oorrompant partout l'air qu'on y respire,
fimront*Us par dévaster deux ou trois
villages éloignés , qui jusqu'à présent
n'ont paï été aussi maltraités ? » Les
prévisions de Choiseul-Gouffier se sont
malheureusement réalisées ; Miio est
devenue aujourd'hui presque une soli-
tude, et sa population ne s'élève pas au
delà de trois mille âmes.
L'excellence du port de Mélos y avait
de bonne heure attiré les Phémciens,
dans le temps où ils étaient les maîtres
du commerce de la mer Egée, oue les
Grecs leur enlevèrent plus tara. Mais
tandis que le reste des Cvclades fut oc-
cupé par les Ioniens, Mâos fut occupée
par une colonie dorienne. L'an U 16 les
Minyens de Lemnos et d'Imbros , que
les Spartiates avaient reçus chez eux et
établis à Amycles, abandonnèrent la
Laconie avec les Doriens, 'qui y étaient
venus après la conquête du Péloponnèse,
et qui n*avaient pas été accueillis en
frères par les compagnons des Héracli-
des (1). Cette émigration, commandée
par Polis et Crathœis, se dirigea vers la
Crète; mais, arrivée à la hauteur de Mé-
los, elle y jeta une portion des Doriens
qui s'y établirent avec Crathœis. Cest
oe là, dit Conon, que les Spartiates s'at-
tribuent la fondation de Mélos, et en
considèrent les habitants comme un
peuple qui leur est uni par le sang. Hé-
rodote et Thucydide donnent paiement
n cette île le nom de colonie laeédé-
inonienne.
Cet établissement dorienà Mélos sub-
sista pendant sept cents ans. Dans la
guerre médique, les Méliens refusèrent
de se soumettre aux Perses, et restèrent
fidèles à la cause nationale. N'ayant
5 oint été délivrés par les Athéniens
'une servitude qu'ils avaient su re-
pousser, les Méliens ne reconnurent pas
la suprématie athénienne, et ils se main-
tinrent constamment dans l'alliance de
leur métropole. Cette courageuse fidé-
lité attira sur eux la vengeance des Athé-
niens, c|ui ne pouvaient souffrir que cette
fie dorienne restât plus longtemps indé-
pendante, au milieu de toutes les Cy-
clades subjuguées par eux. Déjà, au
commencement de la guerre du Pélo-
ponnèM, Nicias avait' £rft une .
a Mélos et ravagé l'Ile sans pouvoir
prendre la place. Quelques années après,
en 416, les Athéniens y renvoyèrent ur^
flotte de trente-huit ^lères, et une ar-
mée de trois mille hommes commandée
par Cléomène et Tisiasl Avaat de com-
mencer le siège, ces généraux eurent
avec les Méliens une conférence, qui ne
Ïmt amener aucun accommodement. Oo
a trouve tout au long rapportée dans
Thucydide (1). « Pour donner le meil-
leur tour possible à notre négociation,
dirent les Athéniens, partons crun pria-
dçe dont nous soyons vraiment con-
vamcus les uns et les autres, d*an prin-
cipe aue nous connaissons bien , ponr
l'employer avec des gens qui le connais-
sent aussi bien que nous : c'est que les
affaires se règlent entre les hommes par
les lois de la justice , quand une égale
nécessité les oblige à s'y soumettre;
mais que ceux qui l'emportent en puis*
sance font tout ce qui est en leur pou voir,
et que c'est au faible à céder. — Kous
ne craignons pas non plus , disent-ils
plus loin, que la protection ditrîne nouK
abandonne. Dans nos principes et dans
nos actions, nous ne nous écartons ni
de l'idée aue les hommes ont conçue de
la divinité ni de la conduite qulls tien-
nent entre eux. Nous croyons , d'après
l'opinion reçue, que les dieux , et nous
savons bien clairement que les hommes,
par la nécessité de la nature, domineot
partout où ils ont la force. Ce n est
pas une loi que nous ayons faite; ce
n'est pas nous qui les (Hremiers nous h
sommes appliquée dans l'usage, nous
en profitons et nous la transmettons
aux temps à venir : nous sommes bien
sûrs gue vous , et qui que ce fût , av^*
la puissance dont nous jouissons, tien-
driez la même conduite. » « La théorie
de la force, dit à ce propos M. Dumy,
a été rarement exprimée d*une manière
aussi nette. Au reste, ajoute-t-il avec
beaucoup de raison, rien ne prouve que
ce dialogue ait réellement eu lien. Thu-
cydide a peut-être voulu réduire en for-
mules , en maximes , la politique oui
alors était instinctivement suivie par les
deux partis. Cest précisément un des
faits pour lesquels Denys d'Halieamasse
(i) Raoul Rochelle, Col, Greeq,; III , 59. (i) Thucyd., V, 85.
LESGYCLADES.
477
lui reproche d'avoir à dessein calomiiié
la vitle qui Tavait ailé (1). »
Après ces pourparlers inatiles, les
ibefs athéniens ccAnmencèrent les opé-
ations du siège ; mais les Méliens ren-
versèrent teurstravanx. Enfin, Philoerate
lyant amené nn nouveau secours d*A-
hènes , les insulaires forent obligés de
« rendre à discrétion. On délibéra à
Uhènes sut leur sort, et rassemblée du
)euple, réalisant les effroyables théories
tmises dans la conférence , condamna
ous les Méliens à mort. Ce fut Alci-
(iade qui fit passer cet horrible décret.
tous les habitants de Mélos furent mas-
acres, excepté les femmes et les enfants,
[ne Ton mena en esclavage en Attique.
^s Athéniens envoyèrent une colonie ,
romposée de cinq cents de leurs compa-
Tiotes ; mais cette colonie, établie par
a violence, ne demeura pas longtemps
I Mélos ; et les enfants des Méliens ,
|ui avaient grandi dans l'esclavage,
arent rétablis par Lysandre , aussitôt
près la guerre du Péloponnèse, dans la
K)ssession de Hle qui avait appartenu à
«nrs pères. Mais il faut bien qu'Athènes
*ait reprise plus tard, puisque les mé-
lailles de Mélos portent tontes la chouette
)u ta Palias athénienne.
Mélos eut ensuite le même sort que
es autres Cyclades , c'est-à-dire qu'elle
omba sous la domination des Macédo-
tiens,puis des Romains (2), et enfin
ous celle des empereurs grecs. Mare
>anudo joignit cette tle au duché de
^axie, en 1207. Elle en fut ensuite dé-
achée par Jean Sanudo , sixième duc de
Archipel , qui céda cette tle au prince
'larc , son frère ; celui-ci la donna pour
ot à sa fille Florence, qui épousa Fran-
ois Crispe . Ce Crispo , qiu descendait
les anciens empereurs grecs, s'empara
le tout le duché de Naxie , en faisant
ssassiner 19 icolas Caroerio, qui en était le
leuvièmeduc. Milofut conquise par Bar-
«rousse, et réunie à remnire ottoman,
ivec tout le duché de l'Archipel, en 1537.
Sous ce nouveau régime , Milo conti-
>ua à prospérer. Les Miliotes, qui étaient
(ï) V. Duruy, Hist. Grecque, p. 353.
(a) Voyez , sur le nombre el Timportance
les Juifs ctablis à Mélos sous les empereurs ,
losèphc, Ant, Jud„ XVII, la; SelL Jud.,
bons matelots, servaient de pilotes à la
plupart des navires étrangers. La domi-
nation des Turcs s'y faisait à peine sen-
tir, et nie était devenue le rendez*vous
des corsaires français qui tenaient les
mers du Levant et y inquiétalentparune
guerre incessante le commerce des Ot-
tomans. « On y parle encore, dit
Tournefort , ^ des snindes actions de
MM. de Bennevilie Téméricourt, du
chevalier d'Hocquincourt, du marquis de
Fleuri, d'Hugues Cruvelier, du cheva-
lier d'Entrechaut, de MM. Pousselfli'O*
range, Lauthier, et antres qui amenoient
leurs prises dans cette tle , comme à la
grande foirede l'Archipel. Les marchan**
dises s'y donnoient à bon marché , les
bourgeois les revendoient à profit, et
les équipages des vaisseaux y oonsom-
moient les denrées du pays. » En 1677
un Miliote, bon corsaire , appelé Jean
Capsi, se rendit maître de l'tle, et fut ac-
cepté par ses compatriotes comme juge
et chef; cette espèce de règne dura en-
viron trois ans. Les Turcs, qui avaient
à recommencer sans cesse la conquête
des fies de l'Archipel, parurent en 1680
dans le port de Milo. Avec un peu de
ruse le capitan-pacha sut attirer dans
sa ^lère Jean Capsi, que la bonne fortune
avait étourdi. Dès qu'il se fut livré , le
capitan le fit charger de chaînes , et
quelques jours après on pendait à Cens-
tantinople, à la porte du bagney le petit
roi de Milo (1). Depuis cette époque
les Turcs surveillèrent cette tle avec
plus de soin, et la traitèrent avec plus
de rigueur. Savary croit que c'est au
despotisme de la Porte et à sa police dé-
testable qu'il faut attribuer la destruction
de Milo. Il se trompe assurément , et
la condition matérielle des Miliotes ne
changea pas sensiblement depuis la ten-
tative de Jean Capsi , avant le temps où
les conditions physiques du sol et de
l'atmosphère de Milo furent boulever-
sées. Depuis cette révolution volcanique,
nie tomna dans cet état de misère que
nous avons retracé plus haut, et dans la-
quelle elle végète encore.
Autour de Milo se groupent plusieurs
petites lies, qui en sont comme des frag-
ments détachés. A l'entrée du port sont
deux petits écueils appelés Acraries ,
(i)P. Sanger, Histoire nouvelle, p. 319.
478
yunivï3i9*
les éminences. Au nenl-ûiiM s'élève^
Gomine uu pain de sucre, le rocher qoe
les Francs appellent AntimUo , et les
Grecs Remomilo. Paximadi et Prasonidi
sont deux autres tles, situées en face le
oap sud de Milo, qui est la pointe du
8aint-Élie; les Peignes ou Peteni et Hle
Saint-Georges sont du côté oriental. Au
nord-est de Milo, et à Test de TArgen-
tière, se trouve la petite île de Poiyaegos,
appelée plus tard par les Grecs Poiioo, et
Sarles Francs tle Brûlée. Il y a encore
'autres petits éeneils autour de Milo;
mais ce n'est pas ici le lieu de les énu*
mérer. Ceux qui voudraient connaître
la navigation de ces parages doivent con-
sulter les cartes marines, où tout est in*
diqué avec une exactitude scrupuleuse.
Encore faut*ii toujours prendre un pi-
lote grec dès qu'on s'aventure dans cette
mer dangereuse de l'Archipel.
ÎLE DE PHOLÉGANDACS.
Cette île , appelée aujourd'hui Poli-
candro, est située au sud-est de Milo.
Elle reçut son nom et ses |>remters ha-
bitants'd'une colonie Cretoise qui y fiit
amenée par Pholégandrus , fils de Mi-
nos. L'épithète de litèr\^ , tle de Fer ,
lui est donnée par Aratus , à cause de sa
nature rude et âpre; en effet, Policandro
est toute hérissée de rochers. Bochart
fait venir son nom du mot phénicien
Phelekgundari, qui signifiecontrée pier-
reuse. « Cette tle n'a point de port, dit
Tournefort ; nous débarquâmes le 2 oc-
tobre à la cale , dont rentrée regarde
l'est-sud-est. Le bourg, qui en est à trois
milles du côté du nord-est , assez près
d'un rocher effroyable, n'a d'autres mu-
railles <}ue celles qui forment le derrière
des maisons , et contient environ coot
vingt familles du rit erec , lesquelles
en 1700 payèrent pour la capitation et
pour la taille réalle 1020 écus. Quoiaue
cette tle soit pierreuse , sèche , pelée ,
on y recueille assez de blé et assez de vin
pour l'usage des habitants. Ils manquent
d'huile , èi l'on y sale toutes les olives
pour les jours maigres. Le pays est cou-
vert de tithymale , arbrisseau que l'on y
brûle faute de meilleur bois. Llle d'ail-
leurs est assez pauvpe, et l'on n'ycom-
nueroe qu'en toiles de coton. »
Au moyen âge cette île fit partie du
duché de Naxie. lies ducs y construi-
airent 90 ohAleau fort, Osti»i tir Tm-
I lacement de l'andanne viUe> ^uiportàt
e même nom aue l'île. On voit à mm
aujourd'hui quelques vestiges de la iorte-
resse desSanudo. PolicanMlro possédait
autrefois quelques jolies chapelles, etHis-
truites en partie avec les restes des édi-
fices anciens. Il y a une belle ffoVie diBs
ee rocher qui supportait le Castro. Elle
a son issue vers la mer ; mais en n t
1>eut entrer qu'en temps de calme , rt
es flots sont souvent agités en «t es-
droit (1),
ÎLE DE SIKINOS.
Sikinos (Sfxtvoc, Xlxfjvoc), aujourdluu
Sikino, est située à l'est de Pholé^
dros. Dans le canal qui les sépare k
trouvent plusieurs îlots, dont le plos a»-
sidérable, appelé Cardiotissa était peu-
être l'ancienne Lagousa de Strabon. U
y avait sur cet écuell une chapelle de Is
Dainte-Yierge , où les habitants des Ttf
voisines venaient en célébrer la féteavK
de grandes réjouissances. Sikioos l'a^
pela aussi OEnoé, à cause de sa fertibtf
en vin. « Il y a encore assez de vio àsu
Sikino, dit Tournefort, pour mériter soc
ancien nom; beaucoup de figues, pevdt
coton. Les figues fraîches sont excel-
lentes ; il n'en est pas de mëmedessècfae».
parce qu'on les passe par le fourpoorl^
garantir des vers. Cette île, qui n est 911*2
uit milles de Nio, etqoinaoQ'eovim
vingt-milles de tour, s'étena du ss^
ouest au nord -est, assez étroite d'ailleeR
quoique éle? ée en montagnes ; elle ootf
parut bien cultivée. Le froment qu'on !
recueille passe pour le meilleur de TAr-
chipel. » L'île de Sikino n'a point 4
port, mais une mauvaise cale appelée S»-
Burnias , située au sud-est ; quand on )
mouille, il faut tirer les caîques à tare*
pour qu'ils soient en sdreté. Le boor^.
qui porte le même nom que llle, estsur
une hauteur à l'ouest-sud-ouest, toet
près d'une roche effroyable qui v^
et semble tomber dans la mer. sàsfi^
est dominée par deux montapes : Tflt-
cienne ville était sur le penehaot de u
montagne septentrionale. An bord j*
la mer , on voit les restes d'un tecn^
(i) Voyei daasBoeckh, loscrivt, Gr*tj.»jî*
quatre inscriptions de PholégaDdn»S| n***^*-'
a446.
I -
LES CyCLÀDES.
479
(TApolkm-PylÉite lor laquelM. Ross
a nTamment disserté (1).
Cette fie arait reçu son doid de Sici-
nus, fils de Tboas, fila de Baccbus et
d'Ariane. Après le massacre de tous les
hommes de Lemnos parleurs femmes,
Thoas, sauvé par H^psipyle, se sauva
dans nie d*OEiioé, où il rut bien reçu
par la nymphe qui Thahitait. Il en eut
un fils, applelé Sidnus , qui donna son
nom au pays. Sikines n*a pas d'bistoire
particulière; elle eut le sort de toutes les
autres Cyelades. Autreisième siècle elle
fit partie du duebé de Naxie. £ile fut en-
suite réunie à Tempire Ottoman. En
1700 elle était encore très-fréquentée
par des corsaires français, dont plusieurs
sVétaientétablisety avaient pris femmes
malgré les défenses du roi, qui avait or-
donné que nul de ses sujets ne se marie-
rait dans le Levant sans la permission de
son ambassadeur ou de quelqu'un de
ses délégués. Dans les ferres des Russes
Sikino, ainsi que Policandro , fut rava-
gée par àes pirates, et tomba dans le mi-
sérable état où la vit Ghoiseul'Goulfier,
et où elle se trouve encore. Elle appar-
tient aujourd*bui au royaume de Grèce.
ÎLB d'ios.
L1le d*Ios, aujourd*bui Itio, avait
été appelée primitivement Pbœnice;
3uantf les Ioniens s'y établirent , ils lui
onnèrent le nom d los. £lle est située
a rinjgt-quatre milles au sud de Kaxie,
a Irait milles à Test de Sikino, à trente
milles au nord de Tbéra ou Santorin.
Kio a quarante milles de circonférence ;
elle est montagneuse et surmontée de
deux principaux sommets. Ofi y voit
plusieurs bons ports : celui qui est au-
dessous du bourg sur la côte sud-ouest
^t un des meilleurs de TArchipel ; vers
Testest le port Manganari, qui peut aussi
recevoir les plus grands vaisseaux. le
territoire de Nio est bon pour les cé-
réales; mais rile manque de bois et
d'hoile. Au temps de Tournefort elle
était asses bien cultivée. L'ancienne
^ille d'ios occupait probablement le
méine terrain que le bourg actuel, c'est-
^resur la hauteur, à quelque distance
(0 Dans le XuntéL 1S37, u« xo3, l/e6er
^n Temptl des ApoUo Pyt/iiiu; Boeckh ,
hser, Grœcq,, M, 1447.
de la marine. On lit en efCet dans la
vie d^Homère que les habitants d*Ios
descendaient de leur ville pour donner
des soins à ce grand poète, qui était
tombé malade dans leur port. C'est à
cet événement, vrai oq supposé, qu0
nie dlos doit toute sa célébrité. Voici
le récit que nous en donne Tauteur,
quel ^u'il soit, de la vie d'Homère, atr
tribuee faussement à Hérodote, a Au
commencement du printemps, Ho-
mère voulut partir de Samos pour se
rendre à Athènes. 11 mit à la voile avec
Quelques Samiens, et aborda à Tile
'los. Ils ne débarquèrent pas à la ville,
maissur le rivage. Homère, se voyant atta-
qué par une maladie grave , se fit porter
a terre. Les vents contraires ne permet-
tant pas de continuer la navigation , on
resta plusieurs Jours à l'ancre. Homère
reçut la visite de quelques habitants de
rtJe d'Ios, qui ne l'eurent pas plus tdt en-
tendu parler qu'ils furent pénétrés d'ad-
miration.... Homère mourut de cette
maladie à los. II fut enterré sur les
bords de la mer par ses compagnons de
voyage et par ceux des habitants d'ios
qui I avaient fréquenté pendant sa ma-
ladie. Longtemps après , et lorsque ses
poèmes, devenus publics, furent admi-
ra de tout le monde, les habitants d'Ios
inscrivirent sur la tombe ces vers élégia-
Î|ues : ft La terre recèle ici dans son sein
a tête sacrée du divin Homère « dont
la poésie a illustré les héros (I). » Stra-
bon, Pline, Pausanias (2) parlent de
ce tombeau d'Homère dans i'tle d'Ios.
Ce dernier aioute qu'on y montrait
aussi celui de Clymène, sa mère,qui était
née dans cette Ile. Du reste, los était
aussi du nonâbre des sept villes qui se
disputaient l'honneur d'être la patrie
d'Homère; et Aulu-Gelle prétend qu'A-
ristote a écrit qu'il était né dans l'Ile
d'Ios (3). • Quoi qu'il en soit , dit Tour-
nefort, nous cherchâmes inutilement
les restes de ce tombeau autour du port;
on n'y voit qu'une excellente source
d'eau douce, qui bouillonne, au travers
d'une auce de marbre , à un pas seule-
ment de reau salée. »
(i) Fie <t Homère, cfa. 34.
(a) Strab., X, 4*4; Plin., IV, a3, a ; Pau-
tto., X, a4, a.
(3) AuKGell.ylII, ii.
480
L^UNIVERS.
Pendant roccupation des Cyelades
par les Russes, lors de la goerre de 1 770,
un officier hollandais au service de la
Russie, ayant eu occasion de débarquer
à Nio, y fît quelques recherches , et en
rapporta quelques marbres. Puis toutes
les gazettes du tennips annoncèrent que le
comte Pusch van Klrienen avait retrouvé
le tombeau d'Homère. Une dissertation
publiée en 1 778 par cet officier hollandais
ne put persuader les savants de l'au-
thenticité de cette découverte , qui alla
grossir le nombre, déjà bien grand
alors , des bévues ou des supercheries
archéologiques (1). Mais voici une tra-
dition locale sur la sépulture d'Homère
à Nio , qui vaut presque la découverte
des débris matériels de son tombeau.
Elle a été recueillie par M. de Marc^l-
lus , de la bouche d'un pilote grec qu'il
fait parler en ces termes. « Vous aper-
cevez sans doute, seigneur, là bas, à ren-
droit où le rivage de Nio paraît s'avan-
cer vers nous, un petit tertre couvert
d'arbrisseaux. C'est le tombeau d'une
vieille femme qui vivait il y a bien long-
temps ; elle avait une petite maison, loin
du village, où elle s'était retirée avec son
fils. Les forbans pénétrèrent une nuit
dans la cabane; ils égorgèrent la mère,
et ils crevèrent les yeux du fils. Après
leur départ, cet homme, malçré sa
cruelle blessure, eut le courage d enter-
rer sa mère à l'endroit que vous voyez.
Puis, quittant son lie, il alla mendier par-
tout l'Archipel. Gomme les aveugles ai-
ment la musique , il apprit à jouer du
théorbe, et il composa des chansons
gu'il répétait dans toutes les villes de la
rrèce. Ceux qui les ont entendues di-
sent qu'elles sont plus belles que celles
du pauvre Riga , et PetraM de Lesbos
n'est si fameux aujourd'hui que parce
qo^il les sait et les chante presque tou-
tes; cet aveugle devint vieux, et cepen-
dant il chantait encore. Enfin il mourut;
on dit qu'il a voulu être enseveli là ,
près de sa mère , dont nous venons de
dépasser le tombeau (3). »
'(i) Voyez dans les Kleine Schriften de
Wclcker deux articles sur cette prétendue dé-
couverte : Grab und ScliuU Homers in Jos,
twd di9 Betrugereien des Grafen Pusch van
Xrunen , t. III , p. 184.
(a) M. de Marcellus, Souvenirs de tO-
rient, I, p. 273.
Comme les autres Cydades, Rio ap>
partint successivement aux AtliénieBs,
aux sucoesseum d'Alexandre , aux Ro-
mams et aux empereurs grecs. Apres b
conquête de ConstantÎDople, en iset.
Mare Sanndo la réunit à son duché de
Naxie. Cette He n'en fut démemlirëe que
par Jean Crispo , douzième due , qui \i
donna au prince Marc, son frère. Ce prince
fit bâtir un château fort , sur la hau-
teur, à deux milles au-dessus du port.
{)our prot^er Nio contre les pirates et
es mahométans. Puis, voyant que lis
terres de l'Ile, quoique natarelleineot
fertiles , demeuraient incultes faute d^
laboureurs, il y attira des familles al-
banaises, qui la repeuplèrent. Km pa&a
ensuite entre les mains de la famille Pi-
sani, par le mariaj^e d'Adrieiuie Sanndo.
fille unique du pnnoe Marc, avec Louis
Pisani , noble vénitien. Après Texp^K
tion de Barberoussedans FArcbipel, Nm
se soumit aux Ottomans, 1587. En \7v>'i
ses habitants payèrent 2,000 écus de o-
Eitation, et 8,000 pour la tiiUe réelie.
l'excellence de ses ports en fit un desren*
dez-vous des corsaires et des armateun
chrétiens : aussi les Turcs rappelaient-
ils la Petite- Maite. On n'oubliera jamais
dans Nio, dit Tournefort, les grandes
actions des chevaliers d'Hocquinooun
et de f émérieourt, oui firent tant df
mal aux Turcs dans la guerre de Can-
die (1). Le célèbre Tourvilie fit ses piv-
mières armes sous les auspices du cèe-
valier d'Hoequincourt. Les pilotes de
Nio passaient, avec ceux de Uilo, pour
être les plus habiles de tout le lievanL
Choiseul-Gouffier vante les moeurs Imi-
veillantes et hospitalières des habîuni^
de Nio, qui aujourd'hui encore est oif
des plus jolies et des plus agréabto
villes de la province grecque des Cf*
clades.
ÎLE d'àmobgos.
Cette fie a été appelée sncoessîveoieat
Hypéra, Patagé ou Platagé, Pankaift
Psvchia, Amorgos, Morgo ou Mur^-
Elle est située au nord-est de Nio, sa
sud-est de Naxos, à quarante milles es*
viron de chacune d'elles. Da|)per lui
donne quatre-vingts milles dedrcooft^
rence, ce qui paratt exagéré; niais i^
(i) Voyez le P. Sauger, p. «i6.
LES CTCLADES.
481
idffre dd trente-six mfllee d<miié par
rournefort me semble à son toar trop
€dait(1).
Cette Ile 8*étend en longueur dn nord-
!St aa sud-ouest; elle est horriblement
searpée du côté du sud-est; à l'ooei-
lent le terrain est plus bas et moins
ocailleux : aussi ce canton s*appelai^il
latomérie. Cest de ce côté que sont les
bamps cultivés. Amorgos est assez fer-
l)e en huile , en vin et en blé ; on y pou-
ait subsister facilement : c'est pour
ela que Tibère y envoya en exil Vibius
lerenus, plutôt qu'à Gyaros. Autrefois
ItDorgosk possédait trois cités, qui sont
lommées par Etienne de Byzance , sa-
oir : Arc&ine, Minoa, i£giale, toutes
itoées sur le rivage occidental , dans la
^atomérie. iSgiale était au nord , près
[u port appelé aujourd'hui oort Sainte-
iDne, Minoa au centre, au tond du port
/athy, et Arcésina à la pointe sud.
Von loin d*iGgiale s'élevait un temple
le Minerve Poiiade , dont on a retrouvé
[oeiques vestiges. La ville actuelle d'A-
Rorgos est à trois milles du port Vathy ,
tâtie en amphithéâtre, autour d'un ro-
iher où s'élevait le vieux château des
lues de l'Archipel. Sur la droite du
tort on voit les ruines de l'ancienne
il!e de Minoa.
Le nom de cette cité, qui paraît avoir
té la principale de l'île, suffit, à dé-
aut de témoignage positif, pour nous
apprendre qu' Amorgos fut colonisée
ar les Cretois. Plus tard elle reçut,
ion pas directement d'Athènes, mais
leNaxos, une colonie ionienne. Enfin,
D 864, des Samiens vinrent s'y établir,
0U8 la conduite d'un chef appelé Sim-
)ias, à qui Suidas donne la qualification
e grammairien (2). Cest assurément
1 ce qu'il y a de plus curieux dans cette
idication du lexicographe. 11 est à
eine fait mention d'Amorgos dans
histohre ancienne. Elle partagea le sort
ommun à toutes les autres Cyclades ,
ans qu'il se soit conservé à son sujet
ucun souvenir particulier. Ses habi-
mts paraissent avoir été adonnés uni-
oement aux arts, aux lettres et à l'in-
(i) Dapper, p. 1 84 ; Tournef., I, a34 ; Le
'. Saugrr dit qti'elle n'a pas plus de cia-
[nante milles de tour, p. I04«
(3) Raoul Rochelle, CqL Grêcq^, m, i5r.
3I« lÀin-aison, (Les Cyclades.)
dustrie. I^es médailles d'Amorgos sont
empreintes d'un côté de la tête d'Apol-
lon, de l'autre de la sphère et du corn*
pas. Cette Ile fut la patrie du poète
lambique Simonide, 6 tC^v 2<£ii6u>v ttoit)*
tv[c , qu'il ne faut pas confondre avec le
célèbre Simonide de Céos, que Strabon
appelle 6 MeXotcoi^c (l). C'était à Amor-
gos oue se fabriquait une étoffe qui por«
tait le nom de nie, de même que la
couleur rouge dont elle était teinte.
Cette couleur était probablement tirée
du suc d'une espèce de lichen très-com-
mun sur les rocners de nie , et qui sert
encore au même usage (2).
Amorgos fut comprise dans le duché
desSanudo, qui la munirent d'une bonne
forteresse. Quand François Crispo eut
traîtreusement assassiné Carcerio , les
habitants d'Amorgos refusèrent de le
reconnattre, et se défendirent dans la
citadelle ; mais ils furent obligés de ca-
pituler. Sous les Turcs cette tle jouit
d'une grande liberté; elle savait bien se
défendre contre les oirates , qui redou-
taient le courage et la hardiesse de ses
habitants. « Ces insulaires, dit le P. Sau-
ger, surpassent les Grecs de l'Archipel
en beaucoup de choses. Us sont plus
grands de corps, plus hardis et plus cou-
rageux.JIs sont extrêmement unis, bien
différentsen cela des autres Grecs. S'il
survient entre eux (]uelque démêlé, il y a
dans le bourg trois vieillards qui sont
comme les juges, et qui terminent sur-le-
champ tous les procès, sans que personne
ose enappeler à un autre tribunal... Il y a
dans Amorgos , dit-il encore, deux cho«
ses curieuses à voir : la première est le
monastère de Notre-Dame, la seconde
l'urne de saint George , oui n'est guère
moins fameuse dans tout l'Archipel que
l'image de Scbiro (8). » Ces deux mer-
veilles d'Amorgos sont longuement dé-
crites par Tournefort et le P. Sauger, (]ui
les ont vues dans toute leur célébrité.
Aujourd'hui tout cela est bien déchu :
rtle entière n'a plus que 2,600 habitants
et est devenue inculte et déserte dans sa
plus grande partie.
(i) Strab., X , éd.; Tauchn., II, SSg.
(a) Tournef., P^oy, dans le Lev,^ I, a33.
(3) Voyez plus haut, p. 38 1 ; cf. P. Sau-
ger, p. 195, et Touroefbrt, T, a35.
81
4$)
LUNIVEES.
tLKD*ÀSTVPÂLlf8.
Cette île est située au sud-est d'Amor*
gos, à l'occident deUle dé Gos, dont elle
est séparée par ua bras de mer de sept
lieues. Strabon la place à huit cents
stades de Ghaloia, et Pline à'cent vingt-
cinq milles de Cadistus, yiUê de Crète.
Il lui donne quatre-yingt-buit milles de
circonférence. Astypalft se compose de
deux massifs de montagnes, réunis Ton
à l'autre par un isthme très«étroit, qui
à Fendroit où il Test le plus n'a que cent
soixante-trois pas de largeur (1). La
mer, qui vient baigner les deux côtés de
l'isthme, forme au nord et an sud deux
baies profondes. La ville est située dans
QD renfoncement de la baie du sud , el
voisine de la portion occidentale de l'île.
Elle a conservé son ancien nom d'Aft-
typalée, que les navigateurs italiens ont
transformé en celui de Stampalie. Cette
ville est surmontée d'une acropole que
couronne un château du moyen Age. On
V voitde nombreuses églises etchapelles,
a la construction desauelles on a em-
ployé des débris d'édinces anciens. On
y trouve beaucoup de fragments anti-
ques et d'inscriptions (2).
Dès les premiers temps Astypalée fut
occupée par les Phéniciens. D'antiques
traditions, rapportées par Etienne de
Byzance, font d' Astypalée la fille de
Phénix, fils d'Agénor et frère de Cad-
mus. Astypalée eut de Neptune un fils
appelé Ancée, qui devint roi des Lélèges,
et gui fonda des colonies à Samos et en
Asie Mineure (8). Ainsi, Astypalée était
un des anneaux de cette chaîne d'éta-
blissements maritimes jetés par les Phé*
nieiens sur la Méditerranée, depuis Cy-
pre jusqu'à Gadès.
Plus tard les Cariens s'y établirent ; et
enfin elle reçut une colonie dorienne de
Mégare. Sous ces différentes domina-
tions, Astypalée changea plusieurs fois
de nom; elle fut appelée tour à tour
Pyrrha, Pylaea, et la Table des Dieux ou
OecûvTpiTCE^a, parce qu'elle était couverte
de fleurs, dit Etienne de Byzance. Ëo
effet, cette île est d'une grande fertilité.
(i) Kou, Reii€n,y H, 56.
(a) Boeckhy Inscr, Gracq,, a4S3-a5oo.
(3) Paiisan., vn, 4, i ; Roj§, p. 58 ; Raeid
Rochelte, Col. Greeq.f II, ^57.
Qb y iwifrit d*MC»|leiiti cbMns , et
on y fait une péelie oonsidémlile. Les
escargots d'Astypalée étaient très-re-
nommés chez les anciens. On s^en ser-
vait pour les maux de goig^, les mala-
dies de Testomac, rbemoptysie et pour
certaines maladies de femmes (1).
Astvpalée n'a pas d'histoire partin-
lière dans rantiouité. £Ue fut la patrie
de l'athlète Cleomède. « Cétait, dit
Plutarque, un homme d*une tailk et
d'une force extraordinaires, maia sujet à
des accès de démence et defîireur, poh
dant lesquels il s'était souvent poité à
des actes de violence. Un jonc il entra
dans une école d'enfants, et rompit par
le milieu, d'un coup de poing, la co-
lonne qui soutenait le comble; le toit
s'écroula, et tous les enfantsfurcDtéera-
ses. Cleomède voyant qu'on courait
après lui, se jeta dans un arand caiïn
qu'il ferma , et dont il tint le couvenlf
si fortement que plusieurs personnes,
en réunissant leurs efforts, ne purem
venir à bout de l'arracher. li £allut Ui-
ser le cofhre; mais on n'y trouva point
l'homme, ni mort ni vif. L'étonnement
fut extrême, et l'on envoya consulter
Forade de Delphes. Voici ce aue dit la
pythie : Cleomède tTAstypaiée est U
aernier des héros (2). » On loi éleva des
autels. Achille recevaitaussi à As^palet
des honneurs divins.
Au moyen âge Astypalée, qui avait
été ruinée par les ravages des Tares, fst
restaurée par un noble vénitien , Jean
Qoirini, qui s'y établit au commence-
ment du quinzième siècle (8), et qé
prit le titre de comte d'AstypakSe, eoaiei
AsHneaSf comme le porte une iaserip*
tion de 141 3, qu'il fit graver sur la mt^
pelle de son château-fort. Plus tard As-
typalée fut conquise par les Tores. Elle
se souleva pendant la guerre de riodé-
pendance; mais elle fut rendue à U
Porte par la conférence de Londres, oui
fixa les limites du royaame gvee. Elle
£ait partie du liva de Rhodes. Cest à
Astypalée (1828) que périt rbéroiqot
Bisson, lieutenant de vaisseau de b
marine française. Bisson sTait eu
(1) Win., Tin, 59, % ;
tii ; 43, 3.
Îai Plutarq., Rcrn^ aS.
3) Rots» Inêêlr,^ p. 59.
it, t: i5.
LES CrOUADES.
'488
'hsrgé de oamfnaader m petit brick eo-
evé aux pirates aae poursuiTait TeS"
adre de Famiral ae Rigny. H fut sur*
iris sur ce petit bâtiinent , et avec six
lomines d'équipage seulement, dans le
H)rt de Blaltesaoa à Astypalée, par deux
rattes (longs bateaux ), montés chacun
lar une cinquantaine de pirates. Bisson,
près une défense désespérée , préféra
e faire sapter a?ec son navire , plutôt
jue de tomber aux mains de ces bri-
jmùa (1).
Anapbé fut appelée d'abord Memblia-*
os, du phénicien Membliarès, Fun des
»mpagDons de Gadmus dans »ea voya-
;es entrepris pour rechercher sa sœur
'.urope. Anapné fut donc, comme tant
l'autres Iles de rArchipel , occupée pri«
oitivement par un établissement pné-
licien. Bochart fait même dériver ce
lom d'Ànaphé d'un mot phénicien oui
ignifîe ombragé, obscur, à cause âeu
oréu épaisses et touffues qui, au té-
nolgnage d'Apollonius, couvraient alors
ette île, aujourd'hui toute pelée. Ce-
tendant les Grecs revendiquent pour
Bur langue l'étvmologie de oe nom,
t prétendent qur Anapbé vient d'ivoupat-
E(v , comme Délos de ^Xoîiv , parce que
ette Ile s'était un jour subitement mon-
rée, s'élevant du fond delà mer. De
os jours cette Ile s'appelle indistincte-
aent Nanfio , on Anaphi. Elle est située
Dtre Astypalée et Tnéra, mais beau-
oup plus rapprochée de cette dernière.
Test une des plus petites Cyclades ; elle
l'a que dix-huit milles de tour. Elle est
ans port ; mais elle a des sources abon-
antes, qui pourraient la féconder si elles
talent employées utilement. Comme Dé-
)s, Anapné était consacrée à Apollon,
ui y avait un temple, dont les restes
obsistent encore. « Du côté de la ma-
ine, vers le sud, en allant à la cha-
>elle de Notre-Dame du Roseau , on
oit sur un petit tertre les ruines du
emple d'Apollon iSglète, ou brillant
e lumière. Strabon , qui parle de ce
emple, ne dit pas à quelle occasion il fut
•âti; c'est Gonon de qui nous l'appre-
M)ns : suivant oet auteur , U flotte de
(i) L'ahbé Pèguei, Btêtaire de [Santorin,
». 635.
Jason revenant de la Colchide fut bat-
tue d'une si furieuse tempête , qu^on
eut recours aux prières et aux vœux.
Apollon vint de fort bonne çrâce au se
cours de tant de héros; la foudre, qui
tomba du ciel , fit sortir du fond de la
mer une île pour les recevoir.' On y
dressa un autel à Apollon, sauveur des
Argonautes ; ce dieu fut remercié parmi
les verres et les pots ; Médée et les aames
de sa cour firent les honneurs de la
fête ; le vin et la joie leur inspirèrent
de.belles saillies, « et surtout, dit Conon,
on ne manqua pas de railler les héros ,
sans doute sur la peur qu'ils n'avoieot
Su cacher dans la tempête. Les héros
e leur côté n'étoient nas muets. Toute
la nuit se passa en railleries piquantes.
Je ne sais qui laissa par écrit cette his-
toire dans Anapbé. Mais Conon assure
gu'après que .cette île fut peuplée, les
abitants en célébrèrent tous les ;ans
l'anniversaire; on y sacrifioit à Apollon :
le vin n*y étoit pas épargné, et, sui-
vant l'esprit de l'mstitution, les plaisan^
teries n'y étoient pas npn plus oubliées ;
les Grecs sont aomirables pour s'escrit
mer à ces jeux d'esprit. Les ruines de cq
temple consistent en quelques mor-
ceaux de colonnes de marbre qui en indi-
quent la situation ; on y voit une belle ar-»
chitrave de même pierre, sur laquelle ily
a eu une inscription fort longue; maip
elle est si usée, qu'à peine connoit-on
qu'il y ait eu des caractères sur ce mar**
bre. On a bâti à quelques pas de là une
chapelle des débris du temple; la car-
rière de marbre en est tout proche , du
côté de la mer, au pied d'une des plus
effroyables roches qui soit au mondé ,
et sous laquelle est bâtie la chapelle de
la Vierge. On voit aussi dans ce quartier
les ruines d'un bel édifice de marbre «
qui ne paroît pas de la première anti-
quité, mais du temps des ducs de
Naxie (1). »
Nanfio est en effet une des îles qui
firent partie du duché de TArchipel.
Jacques Crispo, douzième duc, la donna
en apanage à son frère Guillaume, qui y
fit bâtir la fDrteresse qu'on voit sur le
rocher qui domii^ le bourg. Après la
mort du petit duc Jean-Jaoqu^ » soq
(i) Toumefort, f^oyttge du Levant, I»
p. 276,
81
484
LtJNIVERS.
neveu Guillaume devint duc de Naxie.
Sa fille unique, Florence Grispo , resta
dame de Nanflo , et 111e ne fut réunie au
duché qu'après sa mort.
Sous les Tares les Nanfiotes payaient
en 1700 cinq cents écus pour toutes
sortes de droits. Population pauvre et
paresseuse, tout leur négoce consistait
en oignons, en dre et en miel. Ils culti-
Taieot assez de vignes et de blé pour
leur consommation. Mais presque par-
tout on ne yoit que des chardons et
des épines, sur une terre excellente de
sa nature. On prétend que cette terre
est mortelle aux reptiles. Pour du bois,
dit Tournefort, je ne crois pas qu'il y
en ait assez pour faire rôtir les per«
drix que l'on y pourrait manger. On en
détruit les œms au printemps pour
préserver la moisson. Malgré cette pré*
caution , ces oiseaux y sont en prodi-
gieuse quantité. La race en est ancienne.
Elles sont venues d'Astypalée. S'il faut
en croire Athénée , un habitant de'^cette
tle n'en porta au'un couple à Anaphé ;
mais il multiplia si fort que les habi-
tants faillirent en être chassés. C'est de-
puis ce temps-là peut-être qu'ils se sont
avisés d'en casser les œufs. Au temps
de la guerre de l'indépendance les insu-
laires d'Anaphé armèrent leurs caïques,
et combattirent bravement contre les
Tares. Cette tle fait aujourd'hui partie
du royaume de Grèce, dont elle est un
des points les plus éloignés.
Ilb db thbba ou santobin (1).
« Le premier aspect de cette Ile de
Santorin est efn'a]^ant. Vous êtes au cen-
tre du vaste cratère d'un volcan, dont
la mer a ébréché les bords par intervalles
pour se précipiter dans cet abîme sans
lond. Autour Je vous s'élève une noire
couronne de falaises escarpées , entière-
(i) Tonlela partie descriptive de cet ar«
tide sur Santorin est empruntée aux Prafr»
nunts £un Voyage dans t Archipel, publiés
J^ar mon confrère et ami , M. Ch. Benoit, dans
es Archive* des Missions Scientifiques, novem-
bre i85o. Yoyez pour Thistotre et la stalis-
tique de Santorin : Tabbé Pègue*, Histoire
€t phénomènes du Folean et des Hes voictt'
niaues de Santorin, in-S®, 1B41; De Ci*
gaila, Ttvixifj 9TaTtawxi?i 'rilc vVj^ou 6ifip«c,
în-S*. 'Ev *£p(iLov7coXei y i85o.
ment rompues en trois èndrnts,
forment la ciroonférenoe de ce cratm
immense, d'une lieue et demie ao moins
de diamètre. Et au milieu de ce lac in-
fernal s'entassent en désordre quelqiKs
montagnes de lave, un pâe-mele de ro-
ches de basalte et de trachyte, que la
derniers efforts du volcan ont soulem
au-dessus des eaux, et qui sont comme
les soupiraux encore mal éteints de la
fournaise.
« Cette île, ainsi déchirée, fut pourtao)
dans les temps les plus anciens appelée
ia. Belle (KaXÀ((rr7)) ; on la nommait aussi
l'île Ronde (StpoyyuXuJ), ce <{ui ferait
croire que la catastrophe qui la brisa
ainsi en plusieurs flots, et en abîma le
centre sous les eaux, fut postérieure i
rétablissement des premières colonia
phéniciennes. A quelque .époque, du
reste, <|uesoit arrivée cette première
révolution, il est facile aujoùrdliui,
à la Tue des flancs déchira de ces 6-
laises^de retrouver toute l'histoire de
cette île volcanique dans ces anctees
figes mêmes dont les hommes n'ont
conservé aucun souvenir.
« A une époque antérieure à toute his^
toire, alors que brûlait dans toute son
activité cette grande chaîne de volcans,
qui depuis l'Auvergne et le Yivaraissi
prolonge le long des Apennins à trafers
toute 1 Europe méridionale et la Médi-
terranée, et dont les îles de Mik> et de
Santorin furent sans doute le dernier
enfantement, un cratère, s'âevantda
fond de la mer au centre même de ee
grand bassin que forment aujourdlni
les îles de Théra et de Thérasta , éeiaâ
au-dessus des eaux, et commença sa li-
che infernale. Il vomit d'abord des mas-
ses considérables de laves et de cendres,
dont les couches , en se répandant au-
tour de sa bouche, se superposaient ré-
gulièrement les unes sur les autres, et
fi forma ainsi une grande île circulaire,
dont la périphérie s'élevait par une peste
douce au-dessus de ia mer, et montait
vers le cratère en formant une sorte de
dôme d'au moins 700 mètres de baot
Le dernier effort do Titan fat der^
jeter une pluie monstmeose de eeadm
et de pierres ponces, qui recouvrit loat»
la surface de nie d'une couche blsn-
châtre^ dont l'épaissevr varie de 7 à is
mètres environ. Alors le travail de ia
LES CYCLADES.
485
sréation fat aeheTé : le volcan put ren-
trer dans son repos. Il suffisait désor-
nais de Fair et de la pluie du ciel pour
aire de ces débris yolcaniques une. terre
«rtile , propre à recevoir les hommes
!t à subir la cotture.
« C'est alors que le Phénicien Gadmus,
[oi courait les mers à la recherche d*Eu-
ope, sa soeur, charmé par la beauté de
ette fie , y fonda une première ville,
ont il laissa le gouvernement à M em-
»liarès, son parent, pour poursuivre sa
oute vers la BéoticMaiscedôme volcani-
|ue était miné. Voilà que tout d'un coup
i cratère même s'effondre, entraînant
vec lui dans l'abtme tout le centre de
Ile, et ne laissant plus que des rebords
brèches, tds qu'on les voit encore au-
)urd'hui. Du coté de l'orient , et sur les
ieax tiers presque de la circonférence ,
étendrtle prinetpaledeThéra, qui forme
omme un grand croissant; au nord-
uest est nie deThérasia ; au sud-ouest,
t entre les deux, la petite lie d'Aspro-
lisi. Au milieu de ces débris de l'an-
ienne Galliste, la mer forme depuis ce
empsuD vaste canal, large de plus d'une
ieue, oui se dirige du nord au sud-ouest
ntre d'affireux escarpements, et semé
eulement au centre de quelques noirs
lots d'une époque postérieure.
« Je ne fais point là une téméraire
ODjecture sur les anciennes révolutions
e cette île : on y retrouve en efifet les
races encore toutes fraîches de sa ter-
ibie histoire, telles au'on les aurait pu
oir au lendemain de la catastrophe,
lue du centre de ce bassin on regarde
vec attention de part et d'autre cette
^échirure circulaire, ces falaises de
'héra, de Thérasia et d'Aspronisi, qui
e dressent perpendiculairement à plus
e 200 mètres encore au-dessus du gouf-
re, et Ton reconnaîtra des deux côtés
ans les flancs déchirés de ces îles une
Qtière symétrie de couches horizontales
J diverses couleurs, rouges, grises, ver-
atres, noires, jaunâtres et blanches,
|ui se correspondent à une même hau-
'Ur et dans un ordre semblable. On
'6 peut douter en voyant ainsi à nu ces
Ratifications routières, qu'elles n'aient
>rmé une seule lie dans Forigine. — Les
derniers habitants avaient sans doute
èri dans cette épouvantable ruine. Une
^nde colonie, 860 ans environ après
la première, vint de Lacédémone s'éta-
blir à son tour dans cette tle, sous la
conduite de Tbéras , un descendant de
Cadmus. Tbéras, après avoir régné à
Sparte au nom des enfants de sa sœur,
dont il était le tuteur, quand il fallut
leur remettre la royauté, quitta le pays,
et, à la tête de quelq^ues aventuriers de
Sparte et des exilés minyens depuis long-
temps déjà établis en Laoonie , il alfa
chercher fortune ailleurs. Il s'arrêta
dans l'île de Galliste, bien déchue alors
de sa première beauté , et y bâtit une
ville, à laquelle il donna son nom. Gal-
liste s'appela désormais Théra (dijpa), ou
le Monstre sauvage^ nom qui lui conve-
nait bien mieux depuis sa dernière catas
tropbe, et qu'elle conserva jusqu'à la fin
du troisième siècle. Gar c'est seulement
alors que l'Ile, devenue chrétienne, prit
le nom de Sainte- Irène ^ sa patronne,
lequel, en se corrompant, est devenu
plus tard Sanforîn.
« Mais depuis la résurrection de la
Grèce, l'administration s'est montrée
justement jalouse de restituer aux villes
relevées leurs anciens noms. Quand on
a en effet une telle histohre , on ne sau-
rait trop faire pour en ranimer et en con-
sacrer les flrands souvenirs. C'est ainsi
qu'on a relevé une ville de Sparte an
pied du Taygète; et qu'on en a fait le
chef-lieu de la nomarchie de la Laconie,
afin qu'un tel nom ne disparût pas de
la carte de la Grèce. Pareillement, comme
on ne pouvait changer le nom de San-
torin , on rendit du moins à la ville
Çrincipnle de l'île son nom antique de
hira, ou Phira {^^) avec l'altération
éolienne.
« Gette ville est située an centre in-
térieur du croissant, au bord de la fa-
laise, où elle se tient suspendue comme
des nids d'hirondelles au sommet d'un .
mur. De petites maisons blanches , et
bâties en dômes ou en terrasses , sem*-
bJent se soutenir en étaee les unes snr
les autres, et en s'accrochant aux moin-
dres saillies des rochers, courent le
long de la crête avec une effrayante har-
diesse. On dirait que la ville, en se pres-
sant au bord de rabUne, craint de riea
dérober à la culture de ces champs d'ime
merveilleuse fertilité, qui du bord éé la
falaise descendent en pente donoe du
cdté de l'orient jusqu'à la mer^
486
L^UNIVERS.
a Les bâtiments ne peurent mouiller
au pied de cette falaise, que couromie
Phira; car à quelques pieds du roc où
Ton débarque commence une mer sans
fond. On n7 arrive qu'en canot Aubâsde
ce mur de rochers onne trouve qu'un quai
étroit de béton rompu par la lame , qui
y déferle toujours avec violence, et quel-
ques huttes voûtées en forme de tom-
beaux qui s'enfoncent autant que pos-
sible sous lés excavations de la monta-
fne, pour s'abriter contre les avalanches
e roches qUe les orages détachent par-
fois de la couche bidîme de cendres où
éles étaient enchâssées. Une rampe
étroite, taillée dans le flanc vertical de
la falaise, grimpe en zigzag jusqu'à la
vUle. De là, quand le temps est somhre
et que le vent du sud-ouest soulève dans
Tabîme sur lequel on est suspendu des
vagues noires et bordées d'écume, c'est
un spectacle à donne): le vertige. Assu-
xément il V a dû avoir en tout temps de
terribles légendes sur les divinités sou-
terraines de ces lieux.
« Lesécueils vomis du fond du gouffre
où s'était jadys abîmé le centre de l'Ile ,
dans les convulsions postérieures du
volcan, sont de différentes époques, re-
lativement fort récentes. La dernière
même de ces petites tles , et de beau-
coup la plus considérable, n'a commencé
à apparaître qu'en 1707 : on la nomme I9
Nouvelle ou encore la Grande Ile brûlée
(Nia ou MefiX?) E(xu(&£vt)); elle est au
milieu du groupe. Au sud-ouest de celle-
là s'étend la Vieille Ue brûlée (UâXa/a
£au(iiv7}}, dont l'origine remonte au se-
cond siècle avant l'ère chrétienne. Enfin
la Petite Ile brûlée (Mixp^ Kau^v?]}, si-
tuée au nord-est de la grande , date du
oommenoement de l'empire romain. Les
catastrophes qui ont accompagné la for-
mation de ces écueils sont nettement
déerites dans les histoires contempo-
«ttinecu
« Strabon mentionne l'éruption de
la PokMrCalmenit qu'on s'accorde à
fixer à l'année où Philippe III, roi de
Maeédoine, entamait avec Rome des né-
Coeiatioiis pour la paix (01. cxly, 4; 197
av. J.GO* « Entre Théra et Thérasia.,
dit-îl, des flammes commencèrent pen-
dant quatre jours à jaillir du fond de
l'abtme : toute la mer était en fieu. Au
milieu de cet embrasem^t, une île for-
mée de blocs de lave montait bm à peo,
comme soulevée par une macbliM : €àt
avait douze stades é» dreoit. Quand
cet enfjamtement terrible eut eessé, les
Rhodiens, les premiers, qui étiientatos
les maîtres de la mer, (tôrentappiodxr
de ce nouvel écueil et y élever une cha-
«ûXt^FosMon Jsphaleioê >. » Cette
e fut nommée FUe Sainte^ Icpd^ à came
de sa mystérieuse origine. J'y dierehab
inutilement quelques vestiges du temi
élevé par les Rhodiens, jene trouvaÉsi
(à la même place sans doute) qv
misérable cnaoelle de Saint-Nieolai,
qui sert actuellement de Quarantaine.
« Deux siècles et] demi plus tard (46
ap. J. G.) , sous le règne de Claude, uœ
second île de traehyte , la âUera Cof*
meni, dans une nouveUe ooùYukiOQ da
volcan, monte à son tour sur la oMf à
deux mille mètres envlrou au nord-eft
de la première; on Fa nommée VUe De-
vine (6e(a). Dans les temps qui suivi-
rent , le volcan continua à aàter IHe
entière, tantdt soulevant gueiqoe noa-
velle montagne de lavé, qui s'ajouta aai
écueils déjà termes, tantôt abtmam dans
la me( des plages de l'île jad» bâties,
maintenant submergées. Mais ces moa-
vements n'ont laisse dans les sumpums
que des traces obscures. Seulement, on
sait ^ue sous le règne de Léon risaurieo,
en 726, la plus ancienne des dentles,
rHiéra,reçutdenotables accroissenents,
encore reconnaissables aujovard^hui :
c'est un énorme cône formé de bloes de
traehyte, quis^élèveau nord-est de lHot
Dés lors le Titan s'est-il rendormi, pour
ne se phis réveiller que sept cents ans
plus tard? ou y eut-il dans eet inter-
valle mal connu de nouvelles secousses?
On ne sait. Jusqu'au milieu du quin-
zième siècle, on n^en trouve plus sueuae
mention dans l'histoire.
ft Mais de ce moment les phénoBoè-
nes volcaniques se midtiplieat autour
de Santorin. Cest, en 1457 (3S nov.)
un tremblement de terre qui agite Tune
des Caîmènes, la soulève eaeore au-
dessus de la mer, et en détache d'éDor*
mes blocs, qui retombent dans raiMme;
c'est, en 1570, un abaissement sMl de
la côle méridionale de Itle, qui
les ruines d'£leusis; c'est, en 1879)
(i) Strabon,!, 8, p. 91.
LES CnrCXiAOES.
48r
joorte éruptioD ooi agrandit le eône de
oalèTementqtie Pon voit encore au sud
e la Micra CcAmeni.
< Maisles deox plus mémorables érup^
ions des temps modernes sont celles
e 1650 et de 1707. Dans la première ,
n eât dit que le volcan cherchait às'ou*
rir un cratère loin de son foyer ordi-
aire. Après plusieurs jours de trem-
lements de terre (16 sept.)) on ?it en
ebors du golfe, entre le capGoloumbos,
itué an nord-est de Hle de Nio et d'A*
lorgopoulo, monter à la surface de la
ler an flot nouveau, formé de ponces
mtes blanches. Ce laborieux soulève-
leot fat suivi longtemps encore de se*
oosses violentes, d^explosions de flam-
les, de tempêtes. La mer envahit avec
ireur les piages basses situées à l'est
e Santorin, et y dispersa entièrement
s ruines antiques de Périssa et de Ca*
larl, qu'on n'avait pas encore reconnues.
*^ofîo, après quelques mois, ces convul-
ions s'apaisèrent; mais Ttle nouvelle
Tait disparu, ne laissant d'autres tra-
es qu'une immense quantité de ponces^
ue les vents balayèrent par tout i'Ar*
hipel. Le Titan, après cet avortement,
e reposa encore pour un demi-siècle ;
lais ce fut pour édater bientât plus
Brrible et plus puissant que jamais.
A 23 màll707, unnouveau cratère s'ou*
rant soudain sur la mer, vis-à vis du
ratère éteint de la Micra Cctlmeni^
s mit pendant un an à vomir sans re-
Icbe des torrents de fîimée, de flam-
165, de cendres, de pierres rouges, qui
{tombaient dans la mer à plus d'une
emi-lieue de là. Llle entière de San-
)nn chancelait dans ses fondements ;
I terre tremblait avec d'effrayantes dé-
vastions; la mer était furieuse: c'était
ne scène de la fin du monde : on mou-
lit de frayeur. Cela dura un an: à par<>
r de l'année suivante, les explosions
^vinrent plus rares. Une dernière érup-
on éclata encore, le 14 septembre 1711 ;
ais c'était le suprême enort de cet en-
ntement volcanique. Une nouvelle tle
î laves plus considérable oue toutes
s autres , venait de sortir de la mer,
ute ftimante encore. C'était la MegaU
2imeni. On constata, après l'éruption,
le llle entière de Santorin s'était
hissée; maisles falaises surtout nta
squelies la ville de Phiia est bâtie
descendirent de plusieurs mètres, comme
l'attestent encore des réduits qu'on
avait creusés dans |le tuf à cinq ou six
pieds au-dessus du niveau de l'eau, pour
servir de magasins , lesquels , à aemi
noyés aulourdliai, ne servent plus qu'à
remiser fes barques des pêcheurs. On a
aussi remarqué que depuis cette épo-
que rtle de Milo, si fertile encore et si
populeuse au temps où Toumefort la
visitaft , commença à être empoisonnée
par ces vapeurs sulfureuses qui en ren-
dent aujourd'hui le dlmat malsain et le
sol ingrat.
« Maintenant le volcan semble éteint
sous les fournaises des îles brûlées. Peu^
être cependant ne fait-il que sommeiller
encore. Peut-être ces ddmes de noir ba-
salte s'entr'ouvriront-ils pour desérup*
tiens nouvelles .'On peut-être est-oequel-
Î|ue nouvel (îlot qui viendra édater sur
a mer. Au-devant de la Petite Cafmeni,
les pêcheurs ont observé un plateau de
rochers^ encore noyé sous les eaux, qui
monte d'année en année. La sonde don-
nait encore trente mètres pour le point
le plus élevé de cet écueil, au commence-
ment du siècle : le sommet n'était plus
qu'à huit mètres de profondeur en 1880,
3u'à cinq mètres en 18ft4. 11 semble que
epuis ce temps le soulèvement se soit
ralenti. On remarque aussi, au sud-est
de la Megali CaXmeni^ une grande ta-
che jaunâtre qui se prolonge au loin sur
le sombre axur de la mer; c'est une
source d'eau ferrugineuse trèa-puissante,
2 ni Jouit d'une propriété shaguiière. Tout
âtiment qui vient mouiller pendant
quelques jours dans ces eaux, en sort
tont brillant, avec son doublage entiè-
rement nettoyé de la rouille qm le salis-
sait. On dit aussi, dans le pays, que
cette source est comme Tévent ou la
soupape de sûreté du volcan, et mie
toutes les fois que la tache jaune ois-
paralt sur la mer , il faut /attendre à
quelque tremblement de terre. »
Si l'on détourne son re^rd du spec-
tacle sublime et horrible àia fois! c|irof-
fire le golfe de Santorin, pour le diriger
vers la surface même de llle, cette nou-
velle perspective forme avec l'autre un
contraste extraordinahre , qui produit la
Ïdus agréable surprise. La vue, récréée à
'instant , s'élance avec plaisir sur les
champs de vignes qui se développent
48S
L'UMVEIIS.
en pente douce, pendant Tespaee de plu-
sieurs milles, depuis lesborqs du préci-
pice, que Ton contemple d*uu cAte avec
effroi, jusqu*d l'autre rivage, aue borde
une mer parsemée d'îles nriiiantes, et
sur laquelle l'œil se repose dans une
douce contemplation. Mais c'est surtout
du mont Saint-Élie, au sud de Ttle, que
le point de vue est le plus magnifique.
Cette montagne a environ sept cents
mètres de hauteur. A l'extrémité de sa
croupe, le Saint-Élie se divise pour proje-
ter à l'est le promontoire Saint-Ëtienne,
et au sud-ouest celui d'Exomytis. Entre
le cap Saint-Ëtienne et le mont Saint-
Élie est le Messavouno, sur lequel se
trouvent les ruines deTancienne cité de
Théra. A l'ouest s'élance le mont Acro-
tiri; au nord s'élèvent les monts Méro-
TÎgli et Kokkino-Vouno. Ces montagnes
dominent quatre belles et fertiles plai-
nes, couvertes de vignobles, que Ton
appelle la plaine de Messa, celle de Mé-
SaloohiNrio, celle d'Emporion, et celle
'Êpanomérie.
Lia terre de Santorin est d'une nature
toute particulière : « Presque partout
Je sol est formé d'un tuf épais de {ponces
assez dur à entamer. On croirait d'a-
bord que cette terre ne saurait jamais
rien produire ; mais quand on Fa péni-
blement défrichée, elle devient cen-
dreuse, légère et excellente pour la vi-
gne. C'est que ces pierres spongieuses
au temps même des plus grandes séche-
resses conservent encore à un décimètre
de profondeur une certaine humidité
sufniBante pour les petites plantes. Point
de haute végétation sans doute ; je n'ai
▼u partout que des arbres cbéti& et ra-
bougris, excepté à la ville pourtant, où
Ton trouve quelques beaux oliviers, des
figuiers et des cyprès, qui n'y grandis-
sent qu'à force de soins. Mais en pleine
terre, la ?igne. Forge, le coton, viennent
à merveille. Cependant la culture du
coton et de Forge diminue chaque an-
née : c'est la vigne qui envahit tout. A
peine aujourd'hui récolte«t-on assez de
coton pour la consommation de l'île, et
assez d'orge pour nourrir seulement le
quart de la ponulation. Hors le vin, tout
manque donc a Santorin; il faut tout
acheter des îles voisines : habits , chaus-
sures, bétail, froment, charbon, lin, fer,
planches , bois de construction pour les
navires et les tonneaux, tout vient éa
dehors. Parfois même, dans les temps
de sécheresse, auand les citernes sont
épuisées et que les deux uniques sources
qu'on trouve dans Fîle, cachées sous un
repli schisteux du Mesa-Youno, sont ta-
ries, il faut aller cherchex de Feau douce
à Nio et à Amorgos. La vigne lait dose
Funique richesse de lile : aussi Fy cui-
tive-t-on avec le plus grand soin. Les
ceps sont plantés en quinconce à huit
pieds les uns des autres, afin qu'ils puis-
sent étendre leurs racines à leur aise
dans ce sol léger. Quelques-unes de ces
souches ont {fus de deux cents ans, et
sont encore pleines de vigueur. On
coupe les branches près du tronc cha-
que année, et l'on ramène les nouTeiles
pousses à l'entour en forme d'entos-
noir. En même tem|)s que cela eoi-
|>éche le cep de s'épuiser en jets inu-
tiles, cela permet de semer dans Finter-
valle des pieds un peu d'orge, qu*oa
coupe à la fin d*avril, pour en nourrir
les oétes de somme. — On distingue id
plus de soixante espèces de raisins. L*es-
pèce dominante est VassyrticoHy g[ros
raisin noir, dont on fait le vin ordinaire.
Ce vin, fort estimé en Russie, et trop
peu connu , à mon avis , en Occident ,
ressemble assez à nos ix>ns crus du
Ehin, ou encore au madère, avec un lé-
ger arrière-goût de soufre. Mais rien
surtout n'est comparable, comme vin
de dessert, au vinosanlo blanc ou rou^
de Santorin : il se fait avec nn raisn
nommé mavro tragano, qu'oq laisse
exposé pendant quinze jours an soleil
sur les terrasses des maisons avant de
le porter au pressoir. Au bout d*un an,
c'est une liqueur exguise , mais capi-
teuse, qui surpasse les meilleurs mal-
voisies de FArcliipel, et même le mus-
cat de Samos (1). » Cest principalement
aux Russes que se vendent les vins de
Santorin. Il s'en débite pour dnq cent
mille drachmes dans le senl port de
Taganrok, au fond de la mer d*Asof.
Une quarantaine de bricks, une soixas-
talne de goélettes sont occupées annuel-
lementpourl'exportation de cette denrée,
qui entretient la prospérité de U maiine
marchande de ces insulaires.
(r) M. Ch. Benoiti Jrchivu des JÊtissions,
r
LES GTCLAIHBS.
469
On Toit que Santorin est restée oe
K'elle était autrefois, une des fies les
is prospères du groupe des Cyciades.
)o ne conoatt que les noms de trois de
M anciennes cités; ce sont celles de
Aéra, d'Eleusis, et d'Œa. Théra éuit
iCuée sur la pente de Mesa-Vouno (1).
tOn trouve sur cette montagne, écri-
fait encore le P. Richard au dix-sep*
lème siècle, les ruines d'une belle et an-
kone Tille. Cest un prodige de voir la
,7andeur des fùerres dont les murailles
ont bâties. Parmi ces ruines* se sont
rouvées de belles colonnes de marbre
ont entières et de riches sépulcres,
nais surtout quatre tombeaux qui ne le
!éderaient en rien à ceux de nos rois,
Plusieurs statues taillées à la romaine
)isent sur le sol, etc. » Les gens du
lays parlent encore des innombrables
narbres qu*on a enlevés de ces lieux
lu siècle dernier, statues, bas*re]ie£s,
lutels, tombeaux, fragments de comî*
ihes, colonnes entières : on en remplis-
sait des raisseaux. Pendant la guerre
ie 1770, qui rendit un moment les
lusses maîtres de FArchipel, des offi*
aers de cette nation firent à leur tour
les fouilles assez heureuses, et empor*
èrent sur leurs vaisseaux une prodi*
lieuse quantité de marbres, de bas-re-
iefr, d'inaorîptlons (3;. M. Fauvel, qui
♦■I
.^4
.■ I*
(z) De Cigalia, p. 41; l'abbé Pègaea,
. i3.
(a) Malgré toutes ces dévastations, on pour-
iit faire encore à Santorin des fouilles très-
roduetives. On y trouve des mines de tous
^és. n y a qoeiqaes années , M. Alby, qui
lerce héréditaireraeot dans cette lie, comme
s Brest a BAilo , la diarge d'agent consolaire
i la France» a trouvé diuu un de ses cbamps
le belle statue de femme drapée à la grec-
le , et très-bien conservée. On Ta appelée la
use de Santorin, eomme on dit la Tenus de
ilo. Il me semble avoir entendu dire à
. Albj lui-même que c'était M. Raoul Ro-
leUe qui avait ainsi nommé sa statue, et fait
rapprochement si glorieux pour elle et
obablement un peu flatteur. Au reste, ht
use de Santorin peut être belle sans Fêtre
tant que la Ténus de Mik» ; elle pourrait ne
s soutenir la comparaison , et êire digne de
ntriboer èromenent d'on musée, liais les
s grecques mterdiaent âonueUeniait PeiP
rtation des antiques , et il faut renoncer à
spéranee de cette nouvelle conquête.
fut longtemps consul de France à Athè*
nés, sut encore, après tant d'autres, re-
cueillir id quelques beaux morceaux de
sculpture, et enfte autres une mère qui
allaite son enfant, sujet touchant trouvé
dans un tombeau. Mais on peut penser
si après tant de fouilles, le sol est bou-
leversé de fond en comble. Ce n'est plus
qu'un tas de décombres, parmi lesquels
on retrouve çà et là quelque fût de
colonne brisée, un bout de chapiteau ou
de statue presque méconnaissable, par-
tout aussi des fondations de quelques
petites maisons aujourd'hui rasées jus-
qu'au niveau du soi, et qui ne laissent
plus voir que leurs citernes défoncées,
au fond desquelles un myrte ou un fi-
Suier croît par aventure. Quelques en-
roits même sont labourés et semés
d'oige (Ij. La nécropole de Théra, dont
les tombeaux sont creusés dans le roc,
comme ceux de l'Egypte, comme ceux
de Gyrène, colonie des Théréens, est
signalée par M. Ross comme très-im-
portante pour l'histoire de l'architeo-
ture. On a trouvé dans ces ruines de
nombreuses inscriptions, mais presque
toutes de l'époque des Césars. La vule
d'OËa, qui occupait l'emplacement de
Camari, celle d'Éieusis, qui était au pied
de l'Exomiti, sont aujourd'hui submer-
gées. On trouve encore deux villes abî-
mées dans la plaine de Périssa, une
autre en ruine au cap Couloumbo , el
une septième cité à moitié engloutie à
l'extrémité septentrionale de Thérasia.
Dès les temps héroïques Théra était
devenue une cité assez florissante pour
fonder à son tour des colonies, et entre
autres la ville de Cyrène, tant célébrée
dans les Pythiques de Pindare. Médée
s'arrétant a Théra en avait prédit la
future grandeur : « Êcoutez-moi, avail-
elle dit, enfants des héros et des dieux ;
apprenez qu'un jour de cette terre 4)at-
tue des flots sortira la fille d'Épaphi^,
qui ira jeter les racines d'une eue chère
aux mortels non loin du temple de Ju-
piter Ammon. Au lieu des dauphins aux
rapides nageoires, ses habitants lance-
ront des cavales légères \ au lieu de ra-
mes ils manieront le frein, et au lieu de
vaisseaux ils conduiront des chars aussi
vite que la tempête. Cette fsveur dudes-
(i) MrçhhKê de* âfumnSf I, 61 d.
490
liUinVERS.
tin finira par rendre Tbém la mère de
plusieurs grandes dtés, etc. (1). » La pré-
diction de Médée se réalisa. Crynus^ fils
d'iEsanius, roideThéra,«tâix-8eptième
descendant de Théras, alla consoiter
Folracle de Delphes, acoempagiié de Bat*»
tus, fils de Polymnesté, dIesoÎBndantdes
Minyens. La Pvthie déclara qu'il fallait
envoyer une colonie en Libye, et Battus
fut désiré pour la conduire. Mais on
ne savait pas le chemin de la Lybie, et
cet ordre rat négligé. Bientôt la sèche*
resse désola Thera, et ram^ia Grynus
aux pieds de l'orade, qui donna les mê*
oies instructions. Alors on s'informa de
la position de la Libye, et un teinturier
en pourpre dltanos, ville de Crète, ap«
pelé Corobius , se chargea d'en montrer
le chemin à Témîgration, qui partit sous
le commandement de Battus. Cest dans
Hérodote ^u'il faut lire les détails de
cette histoire , et toute la merveilleuse
légende relative à l'enfance de BaV
tus (9), fondateur de la florissante dté
de Gyrène, 681 avant J.-G. Quelle taX
la fortune de Théra dans les temps qut
suivirent f On rignore à peu près. Il
paraît qu'elle consentit, comme les au^
Ires 'Oyciades, à faire hommage au roi
des Perses, puisque Hérodote ne la rangé
rs parmi celles qui osèrent se dérober
cette humiliation. Mais n'ayant pas
voulu reconnaître la suprématie d A*>
thènes, elle resta fidèle à Sparte, sa mé*
lrepole,'et on ne voit pas que cette résis^
tance de Théra ait attiré sur elle comme
sur Mélos . le courroux des Athé-
tiiens (3). Plus tard Théra fut réunie à
Fempire romain (4), puis elle passa aux
Grecs , qui la gardèrent jusqu'à la qua«
trième croisade.
Santorin fit partie du duché de Naxie.
Mais Jean Grispo, qui en fut le dou"-
zième duc, la céda au prince Nicolas,
son frère, que Ton appela le seigneur de
Santorin. Elle fit retour au duché après
la mort de Guillaume Grispo , quin*
îième duc, lequel par son testament
<i)Pind.,Py/A.,IV.
»lioûft et des mé-
daillés de' Santorin datent du temps des em-
pereurs. Voyez Tabbé Pègues, p. 90 et suiv.;
Bœkh.y Inscr, Grecq,, H, a448-*47G-
nomma pour successeur le secteur de
Santorin, son neveu. Elle fut ensuite eo<
gigée au seigneur de Nio par Jaques
risno, diX'Septième duc de rArcbipei,
qui tut obligé d'emprunter des sommes
excessives pour soutenir la guerre cootr^
Mahomet II, dans cette fameuse ligw
où il était entré avec les Vénitietts et k
roi de Perse. Enfin, Santorin se rendit &
Barberou6se,soti8 Soliman n (1637). Les
principaux catholiques , la noblesse de
rlle, continuerait à habiter dans le Cas-
tro de Scaorus ou Soaro, ancienne ré-
sidenoe des seigneurs de file. Ce châ-
teau, dont on attribue la oonstnietioD i
im sénateur romain exilé , occnpaii b
pointe d'im promontoire <]ui se détacbe
de l'escarpe affreuse qui emironae te
golfe, et il semble suspeodu sur rabime
qui l'entmire à moitié. G'est là aussi qw
rétablirent les jésuites en 146i, appe-
lés par révêque Sophiano, qui leur doo*
na la place de la cbap^le ducale poar
y bâtir une église. Mais depuis la révo-
lution tous les babitanta de Searo se
sont transportés à Phira. Aujcurd'bai
Scaro n'ofire plus que des mines, et le
Idateau qui le simporte, ébranlé par
es tremlneinents de terre* semble tai*
même sur le point de disfurattre dans
rabtme. Pyiw»* Aerotiri, Épaneinéne«
aneiennes villes fortifiées coimne Scaro,
sont habitées encore ; mais on ne peat
décider non plus d'une manière oertaiDe
ai leur fondation remonte à l'antiquité.
Les Turcs se montrèrent toujours
modérés envers les habitants de Saoto-
lin, si 00 n'est en temps de guerre avec
les chrétiens, et surtout avec Venise, m
fit plusieurs tentatives pour repreadn
cette tie (l)<
Apertcesmomemsdeerîse, où 1»
Turcs devenaient exigeants et rigourev.
par précaution et par défiance, Santo-
rin Jouissait d'une entière liberté dn)e
et religieuse. On n'y payait en tout que
la somme de quatre mille piastres, qui*
selon la valeur de notre monnaie, pou-
vait valoir à cette époque une vii^Q^
ou une trentaine de miOe francs. S k
chittre augmenta ensuite quant aux
espèces, fl ne ÛtauereprâBentertoujouis
la sosime primitive quant à la vaktf tt-
Iriasèque. Aussi SaaiOiiai eut de la peise
(x) L'abbé Fègttea, p« lr^7.
LES CTQtAlftS.
49i
prendre put à rlfiilirrMIicm contre
» Turcs. Les eatholi(|ue8 y formeieot
lors le tien de la popalation. SatisAits
elatolértnce des Turcs, ils redoutaient
iotôt qu*ii8 ne désiraient de voir le
riomphe de la cause belléni^ue. Chose
ÎDgalière! autrefoîÉi les Grecs, en haine
es Latins, qui les dominaient, s'étaient
^tés d^eux-mémes dans la servitude, eii
ontriboant presque partout à fatoriser
)s progrès des Turcs. Aujourd'hui
étaient les Latins qui aimaient mieux
ester soumis à la Porte que de vùlt M
îrecs s'affranchir et récamir leur siipré«
latie. Mais la populatioi^ grecque s'était
romnMée ; et tes iMtholiqiies se sotimi-
ent par crainte des violences dont ils
ommeoçaîent à être victimes. Aujour-
l'hui Santorin fait partie du royaume
ree. Elle forme avec Nio , Amorgos et
LDaphé une éparchie dont Phira est le
faef'lieu. D'apràt la nouvelle division
dministrative établie par le gouverne-
Dent grec, Santorin a été distribuée en
uatre démarchies, qui comprennent
iuinze villes ou villages. La première
lémarehie est celle de Tbéra, au cen-
le; la seconde celle de Calliste, au sud ;
a troisième celle d'Emporion, au sud-
'uest; la quatrième celle d'OEa, au'
lord.
c Chaque démarchie, sous un seul
[ouvemeur, repr^ente à peu près ce que
ont nos communes en France, avec un
lémar^ue, $i(uapxo(» assisté d'un conseil
DUQidpal ; il est comme nos maires,
nais avec des attributions un peu plus
tendues. 11 y a encore un conseil géné-
al, où toutes les démarchie» envoient
tes membres municipaux, choisis par le
«ople dans une assemblée des plus im-
XKes de la commune. Ce conseil déli-
re sur toutes les affaires qui intéres*
ieotllle entière; alors le démarque de
rhéra en est, après le gouverneur » le
vemier membre, et en son absimce
irésidentde droit. Les afitres autorités
le nie sont : un receveur général, eîo-
^xtù^; un receveur de contributions,
?opo(, pour toutes les démarchies; un
uge de paix, e2pT)voS{xT)( ; un receveur de
loaanes,TcX6vT]{; un brigadier de gen-
iarmerie, icoXtxipX^^ * ^^^ quatre gen-
larmes, x<»po?{^oi; ^fin un commis-
saire de police, èvtâvop;, dont les attri-
iHiUons sont quelquefois confondues
avec celles du maire de Thé^, qai patàlt
et répriilie certains délits. Tout Grec de
nation, comme aussi tout étrangev na*
luralisé, peut être admis, sans distîna'
tion de rang ou de religion, à toutes les
fonctions publiques. Les catholiques nés
en Grèce sont tous regardés comme su»
jets forces. Les lettres de naturalisation
s'obtiennent après trois ou quatre ans dé
fésidence dans le pays, et chaque com-
munepeutlesaooorder (1). » L*fiedeSan^
torin possède aujourdiiul une populaiîoii
de ia,073 habiunts (9). On n'y comptu
plus que 683 catholiques, résidant pre»^
que tous à Phira^ ainsi que Pévéque et
son chapitre. La notvelle eMhédrale la^
tine a été consacrée en 189^ , sous l'in-^
vocation de Saint- Jean-Baptiste. Le cha-
pitre se compose de sept chanoines. Il
y a dans cette ville trois maisons reli-
gieuses : celle des missionnaires laza-
ristes, celle des Dames de Saint-Domi-
nique et celle des Sceurs de la Ghadté,
établie en 1841 pour l'éducation des
jeunes filles, pour le soin et le soulage-
gement des pauvres et des malades.
Cette maison de Saint-Lazare établie
à Phira est vraiment la providence des
pauvres du pays : grecs ou catholiques.
Tes soeurs trouvent le moyen desouiager
tous les nécessiteux, sans acception de
croyances. Une pharmacie parfaitement
montée est attachée à l'établissement;
tme jeune sœur fort instruite y distribue
les remèdes gratuitement, panse chaque
jour tous les infirmes qui s y présentent,
et va chez les malades prodiguer ses soins
avec ses consolations.
« Cest un grand plaisir, dit M. Ch. Be-
nott,devisiterendétaileetétablissement,
où sont réunies une soixantaine déjeunes
filles appartenant aux meilleures familles
catholiques de la Grèce continentale et
des lies ; salles d'études , classes , ou-
vroirs , dortoirs , y sont tenus avec un
ordre et une propreté exquis : partout un
air d'aisance, de simplicité élégante, de
bonheur, qui charme. Ces petites filles ,
en même temps qu'elles v apprennent
tout ce qui fait une solide éducation,
viennent se former ici, sous la direction
de nos sœurs, à des habitudes de pro-
(i) L*«bbé Pègues , Histoire de Santorin,
p. 3o9.
(a)DeGigaUa,p.4e.
^
4»
L*UJ!fIVJSBâr
pfeté, d^ëoo&omie, de tiaTail , m' Mm
ÇDrteroQt un jour dans leurs ménages,
outes parlent un peu le français ; quel-
Sues-unes commencent à récrire assez
ien. On se croirait presque en France
dans cette maison de Santorin. Du
reste, catholiques ou grecs, tous vivent
en bonne intelligence, animés des mê-
mes sentiments de foi vive et de piété
sincère, et le zèle reli^euxqui éclate
ailleurs en un fanatisme mtolérant
tourne ici en charité fraternelle. Cest
que ces insulaires comprennent qu'ils
sont placés immédiatement sous la main
de Dieu, dont la colère s*est tant de fois
appesantie sur la population de cette
roche volcanique, encore agitée aujour-
d'hui de eommoftloni seotembies. Ht
entendent chaque jour cette tmble le-
çon, et ils en sont toujours Uhi4^;
nulle part en Grèce on n'est plus gran
et plus religieux que dans cette Ue. Ausâ
la prière reste en honneur chez ce peu-
ple, parce qu*il croît, et cette croyance
est de la vraie science , que c*est k
prière ^ui désarme la colère de Diea,«
qui retient depuis cent quarante ans k
volcan enchaîné (1). »
Au sud-ouest de Santorin est la petite
lie appelée Christiane, que les andeai
nommaient Ascania.
(i) Jreltms tU^ Stusùms, t« I, p. Ssi
•*<
< «
ILES DU GOLFE SARONIQUE.
La mer de Myrtos eo s'enfonçant
BtreTAttique et ïe Péloponnèse forme le
Dlfe Saroaique, aujourd'hui golfe d*É-
ioe ou d'Atbièoea, ainsi nomnoé, dit-on«
e Saron , roi de Trézène , qui s'y serait
oyé. Ce golfe commence au cap Su-
ium, baigne les côtes de TAttiaue , de
I Mégaride, de la Corinthie, et del'Ar-
olide, et se termine au cap ScvUœum
Skjiiî ) , à la pointe de la Trézenie. Le
olfe Saronique tut autrefois le centre de
I plus grande activité commerciale;
!orintbe, Ëgine, Athènes y avaient leurs
orts , se le disputèrent et y dominèrent
Hir à tour. Gomme toutes les mers grec-
ues, celle-ci est parsemée d'iles nom-
reuses; mais à part deux d'une certaine
tendue, Égine et Salamine, dont la pre*
lière a seule une véritable importance
istorique , les autres ne sont que des
ochera ou des tlots dont nous n aurons
indiquer que la position et les noms.
Bklbina. — Lorsque l'on quitte la
ser des Cydades pour se diriger vers
Lthènes, on trouve en pleine mer, à quel-
ttes lieues au sud du cap Sunium et à
ouest des tles de Géos et de Gythnos ,
ne Ile haute et passablement longue,
ue les anciens avalent appelée Belbina.
^lle est désignée dans les cartes mo«
ernessous le nom deSaint-Georges d'Ar-
ora. Les vieilles cartes italiennes ou
ollaodaisesla[nommaientSan*Giorgiode
Albero , ou autrement le Ghapeau-du*
ordinal, à cause de la figure qu'elle pa-
ait avoir quand on la regarde de lom.
lette tle est escarpée ^et raboteuse.
Quand on la voit de loin , dit Dapper ,
Ue parait toute de tertres et de coteaux ;
t comme elle s'élève plus haut que toutes
es autres lies d'alentour , on la peut
lutôt et plus facilement découvrir (1).»
'6 docteur Ross a trouvé cette tle habitée
•ar uu riche Uydriote, qui la cultive avec
es serviteurs, et qui y récolte beaucoup
ie vin et de blé. Belbma appartient à la
(0 Dapper, Deicr,, p. ayi ; Ross, Instlr»,
famille de cet Hydriote depuis plus
d'une sooantaine d'amiées , où elle lui
fut donnée par le capitan-pacha de cette
époque.
Ilb de Pàthoglb. — En suivant la
côte de l'Attique , à partir du cap Su-
nium , on rencontre d abord Tile ae Pa-
trocle, DaxpéxXou v^ao^ou x^^^> petite
île déserte, ditPausanias(l), ainsi nom-
mée parceque Patrocle, amiral de Ptolé-
mée Lagus, envoyé par ce prince au se*
cours des Athéniens contre Démétrius,
fils d'Antiffone, en fit son quartier gêné*
rai et s'y fortifia. Gette tle est appelée
aujourd'hui Gaidaronisi^VW^wa, Anes,
ou encore Ebanonisi^ lIled'Ëbèoe, par-
ce que cet arbriseau , dont le bois dur et
noir était employé par les anciens à de
fréquents usages , y croissait abondam-
ment. On l'appelait aussi île Provençale.
Eii^BUSA. — A l'ouest de la précé-
dente, au delà du golfe d'Anaphiyste ,
est l'Ile connue sous le nom d Ëlisso ,
qui est appansmment celle que Strabon
appelle Eleusa ou Eleoussa, et qu'il place
vis-à-vis le promontoire d'Astypalée. On
la trouve d&ignée dans quelques cartes
sous le nom d île Française ou Élisa.
Phauea. — Get Ilot est placé par
Strabon à l'extrémité du cap Zoster; il
est appelé aujourd'hui Phetcida , FaU
coudl , ou Phléga.
GoMBONissA. — On désigne ainsi,
un petit groupe de cinq rochers situés à
la pointe d'Halai-Exomdès. On les ap-
pelle aussi Halicasou Selicas, les salines.
fLB DE SALAHINB.
Cest la plus grande, mais non la plus
importante des lies du Golfe Saronique.
Toutefois, la victoire remportée par Thé-
mistocle dans le détroit de cette île et
de l'Attique l'a rendue à jamais célèbre.
Avant de porter le nom que la défaite de
Xerxès a illustré, Salamine avait été
appelée Skiras, Gychréa ou Gychria, du
héros Gychréus , et Pity ussa , a cause de
(x) Pausao., T, I, I ; 35, x.
494
w
m ■
la grande qtiAtttité.de pins qiir croissent
sur ses montagnes. Elle est située au
fond du golfe Saronique , tout près du
rivage d'Eleusis , et encore plus près de
la cote de la Mégaride. Le détroit qui
la sépare de T Attique n*a que deux stades
dans sa moindre largeur et quinze dans
sa plus grande. Cette lie a cinqfuante
milles (un peu plus dequinae lieues) de
droonnrenoe.Strabon lui donne soixante-
dix ou quatre-vingts stades de longueur.
Salaminee^ d'une forme très-irréguiière;
elle est creusée vers son côté sud-onest
par une baie profonde, qui forme an port
magnifique et qui lui donne la forme
à^'^^ti fer a cheval. De là le nom de Cou-
/èfiri, qu'elle a porté sous le domination
des Turcs. Toute sa partie sud-est est
très-montagneuse. G*est là que croissent
les pins dont les habitants recueillent la
poix , et le ientisque dont ils brûlent la
cendre pour en faire du savon. La partie
nord-ouest a des plaines et des coteaux
fertiles, qui ne demandent qu'une bonne
calture. Elle était arrosée autrefois par
deux petits cours d'eau que Strabon ap-
pelle te Boearus ou Be^atios et le Ce»
phise.
L'ancienne Salamine , celle de Téla-
mon, était située à la pointe méridionale
de nie , en face d'Égine. Plus tard cette
position fut abandonnée, à cause de l'in^
suffisance de son port, pour celle du
i41lage actuel d'Amnelaki. La noutelle
Salamine vint s'établir à la pointe nord-
ést , au fond d'un port assez commode
et spacieux situé vis-à-vis du Plrée , à
rouest. On y retrouve quelques vestiges
de Tancienne cité : au nord de la mer,
des pierres du quai ; à Ambélaki , des
tombeaux, quelques Inscriptions funé-
raires, des cîppes, des fragments de
pierres taillées (1). A la pointe du cap
Cvnosura , qui s'alloi^e au nord-est
d Ambélaki , se trouvent plusieurs îlots,
dont le plus considérable est celui de
Psyttalie(Lipsocoutalie) qu'on suppo-
sait être fréquenté par le dieu Pan.
Les premières traditions relatives à
Ftle de Salamine se confondent avec celles
3 ni concernent Égine; et nous y revien-
rons à propos de cette dernière. Elles
font de Salamine et d'Égine de^x des
L'UNIVERS.
douze fflles'dufleQve AsopusdelaPhlii-
sie, et de Métope, fille du Ladon (!l
Neptune,ayant enleyéSalamine, latrau-
porta dans l'tle qui porte son nom , et
en eut un fils appelé Cychréus on Gen-
chréus , qui délivra le pays d'un terrible
serpent qui l'infestait. Cette léoende in-
dique bien èlairement l'étaDussemeot
d'une colonie de Phllonte dans SalamiiM
et sa parenté avec les Éginètes. (>ffar^
le premier roi on héros de lllê, donss
sa fille Glaucé en mariage à Télarooa,
fils d'Éaqne , roi d'Egine , et banni par
son père pour SToir blessé son frère nv
Phocus, en Jetant le disqfoe. Aprâ b
mort ou la fuite de Cyehrâs, qui, «k»
quelques-uns , fut chassé ëe ses Éob
par Énryloque, et devint prêtre de Gé-
rés à Eleusis, Télamon régna daasra«.
Télamon est.un des plus oélèbKs hém
de cette fameuse famille des Éacides^s
chantée par les poètes. Il était frère int
Pelée , père d'Achille. Il prit part à Tn-
pédltion des Argonautes. 11 aceooipasn
Hercule au premier siège de Troie. He^
cule lui donna pour épouse Hésion.
fille de Laomédon, sœur dePriam. Piff
tard il épousa encore Péribéf , fille d'Aï
cathons. Il eut pour fils Teocer et Ajai.
Après le second siège de Troie, irrr*^
contre Tèucer, qui reyenait sans son frêff
Ajax, il le banmt de sa prfeence. Team
alla fonder Salamine dans Itle de Cypn.
Après l'extinctloB de la famille de
Ëacides, Salamine retomba dans Tobs-
cttrité. Atliènes s'en empara, mais Mé-
gare, deyenue puissante, lui disputa c?ttf
possession, paiement importante poff
ces deux cités. Au temps ae la teatatiff
de Cylon, M^re eut le dessus, et elleefi-
leva Salamine aux Athéniens (61)). L«
Athéniens firent de grands efforts pon^
la reprendre ; mais découragés par koff
pertes, ils y renoncèrent entièrement, «
même ils décrétèrent la peine de ^^
contre celui qui oserait proposer de re-
commencer une entreprise désespêwt
Selon, qui était de Salamine, résonitK
relever te courage de ses concitoyens T>
Indigné d'une telle honte, et vojafit
d'ailleurs que les jeunes gens ne demao*
daient qu^un prétexte derecommeDcer li
(i) Chandler, Vorage, t. ni,p. aro; Pro-
kewh, Denkwurdigk, t. n, p. 356, 707.
(x) Diod. Sicul.y IV. 79.
t) Thirlwaîl , Bist. de la Grèce aaf»***
cb. XI.
ILES DU flOLPE SARONIQUE.
495
^erre, et qu'ils n'étaient retenus qae par
a crainte de la loi, n imagina de contre*
'aire le fou, et fit répandre dans la ville •
)ar les gens mêmes de sa maison » qu'il
ivait perdu l'esprit. Cependant il avait
!omposé en seeret une élé^e, et l'aTaîl
ipprise par cœur, et un jour il sortit
brusquement de chez lui , un chapeau
m la tête, et courut à la place pubii-
rae. Le peuple Py suivit en foule ; et là ,
)olon , monté sur la pierre des ^rocla-
nations, chanta son élégie ^ qui corn-
nence ainsi :
le Tieni on héros de la bdie Stlamine. [Tim.
uiliead'uji diMX>iin,J*ai composé pour vous des
le poème est appelé Salamine, et con-
ient cent vers, qui sont d'une grande
)eamé. Quand Soion eut fini , ses amis
ipplaudirent, Pisistrate surtout encou*
âgea sibien les Athéniens à suivre son
■vis que le décret fut révoqué et la guerre
léclarée.
« Voici sur cette expédition la tradi-
ion vulgaire. Selon, ditPluUrque (1),
It voile avec Pisistrate, vers Coliade,
)ù il trouva toutes les femmes athé-
nennes rassemblées pour faire à Gérés
in sacrifice solennel. De là il envoie à
ialamine un homme de confiance , qui
«donne pour un transfuge , et propose
>Qx Mégariens s'ils veulent s'emparer
les premières femmes d'Athènes, de
)artir avec lui pour Coliade. Les Méga-
iens, sur sa parole, dépêchent à l'heure
néme un vaisseau rempli de soldats.
5olon ayant vu le vaisseau sortir de Sa-
smine, fait retirer les femmes, et ac-
•oulre de leurs vêtements , de leurs coif-
Ufss, de leurs chaussures, les jeunes
^ens qui n'avaient point encore deoarbe.
^ux-ci cachèrent des poignards sous
eursrobes,et allèrent, d'après son ordre,
ouer et danser sur le rivage, jusqu'à
'«queles ennemis fussent descendus h
•^erreetquele vaisseau ne pfit échapper,
^pendant les Mégariens, abusés par ce
Wacle , débarquent, et se précipitent
\ "envi pour enlever les prétendues
emmes; mais ils furent tous tués, sans
P H en réchappât un seul , et les Athé-
wens firent voile vers l'île, et s'en empa-
rèrent en un instant.
* I>'autres prétendent que ce fat un
autre moyen de surprise qu'employa So-
ion. D'abord l'oracle de Delphes lui au-
rait dit : « Rends-toi propices par tes
« offrandes les héros indigènes, patrons
« du pays, ceux que les champs de l'Aso*
« pus enferment dans leur sein, et dont
« les tombeaux regardent le couchant. »
Solon passa donc de nuit à Salamine ,
et immola des victimes aux héros Péri-
phémus et Gyehrée. Ensuite les Athé-
niens lui donnèrent trois cents volon-
taires, à qui ils avaient assuré, par un
décret, le gouvernement de l'île, s'ils
s'en rendaient les maîtres. Solon les
embarqua sur un certain nombre de ba-
teaux de pécheurs escortés par une galère
à trente rames , et alla jeter l'ancre vers
une pointe déterre qui regardé FEubée.
Les Mégariens qui étaient à Salamine
n'avaient eu sur sa marche que des avis
vagues et incertains ; ils coururent aux
armes en tumulte, et envoyèrent un
vaisseau à la découverte. Le vaisseau
s'approcha de la flotte des Athéniens, et
fut pris. Solon mit aux fers les Méga-
riens qui le montaient , et les remplaça
par les plus braves de sa troupe, il en-
joint à ceux-ci de cingler vers Salamine
en se tenant le plus couverts au'ils pour-
raient ; lui-même il prend le reste de
ses soldats , et va par terre attaquer les
Mé^riens. Pendant qu'il en était aux
mains avec eux, les Athéniens du vais-
seau surprirent Salamine, et s'en empa-
rèrent.
« Il y a des usages qui semblent cou*
firmer ce rédt. Tous les ans un vais-
seau partait d'Athènes et se rendait sans
bruit à Salamine. Des habitants de l'île
venaient au-devant du vaisseau , tumul-
tueusement, en désordre; et un Athé-
nien s'élançait sur le rivage, les armes
à la main , courait , en jetant de grands
cris , du côté de ceux qui venaient de la
terre. C'était au promontoire de Scira-
dium, et l'on voit encore, non loin de là,
un temple de Mars que Solon fit bâtir
après avoir vaincu les Mégariens.
« Tous ceux qui n'avaient pas péri
dans le combat restèrent libres, par lo
bénéfice du traité. Cependant les Méga-
riens s'obstinaient à vouloir reprendre
Salamine. Les deux peuples se firent ré-
ciproquement tous les maux qu'ils pu-
rent; mais à la fin ils prirent les La-
cédémoniens pour aroitres et s'en
496
L'UNIVERS.
rapporteront à leur dédsion. On dit gé*
néralement que Soton allégua, dans la
dispute , Tautorité d'Homèro ; qu*il in-
tercala des vers dans le dénombrement
des vaisseaux, et lut ainsi devant les
juges : « Ajax amena de Salamine douze
a vaisseaux , et les rangea au lieu où
« étaient les phalanges athéniennes. »
Mais les Athéniens traitent ce récit de
conte puéril; ils assurent que Solon
prouva clairement aux juges que Pbi-
léus et £urysaoès, fils dAjax, ayant
reçu le droit de cité dans Athènes,
avaient abandonné leur île aux Athé-
niens, et 8*étaient établis en Attique
Tun à Braurone, Tautre à Mélitte, et
que Philéus avait donné son nom au
dème des Philaïdes, d*où était Pisis-
trate.
« Solon, pour détruire plus sûrement
la prétention des Mégariens, se fit un
ar^ment de la manière dont on enter-
rait les morts à Salamine , qui ressem-
blait à Tusage d'Athènes, et qui diffé-
rait de celui de Mégare. Les Mégariens
tournaient les morts dû côté du levant
et les Athéniens vers le couchant. Il
est vrai qu'Uéréas le Mégarien soutient
qu*on tournait à Mégare le scorps des
morts du côté du couchant; il ajoute de
plus qu'à Athènes chaaue mort avait un
cercueil séparé, et qu à Mégare on en
mettait trois ou quatre dans un même
cercueil. Mais on prétend que Solon eut
pour lui des .oracles de la Pythie, dans
lesquels le dieu donnait à Salamine le
nom dlonienne. Ce procès fut jugé par
cinq Spartiates : Critolaîdas, Amom-
pharétus, Hypséchidas, Anaxilas et
Cléomène. »
Trente ans après, en 4$0, les Grecs
confédérés, et forcés à vaincre par Thé-
mistocle, remportaient sur la flotte des
Perses cette célèbre victoire de Sala-
mine qui commença la délivrance delà
Grèce, mie la bataille de Platée acheva
bientôt. Un oracle de Bacis avait prédit
ce grand événement en termes formels.
K Quand ils auront couvert de leurs
vaisseaux le rivage sacré de Diane et ce-
lui de Cynosure, et que, pleins d*un fol
espoir, ils auront saccage Filtustre ville
d'Athènes, la veneeance des dieux répri-
mera le Dédain, fils de Tlnsolence, qui,
dans sa fureur , s'imagine faire retentir
Tunivers entier de son nom : l'airain se
mêlera avec l'airain, et Hais
glantera la mer. Alors le fils de Saturne
et la Victoire respectable amèaeroat
aux Grecs le beau jour de la liberté.
Aussi , ajoute le sage Hérodote, quand
je réfléchis sur les événements qui se
sont accomplis, je ne puis contester U
vérité des oracles, et je ne cberdie poiat
à les détruire lors(|u'iIs s'énoncent d^uoe
manière aussi claire que celui-là, et je
ii'approuve point que d'autres le fu-
sent (1). » En effet, Xerxès, après avoir
brûlé Athènes, avait réuni sa flotte daos
la rade de Phalère , et il fut cooveoa
dans un conseil de goerre qu'on atta-
querait celle des Grecs, qui s'était ré«-
niedans la baie de Salamine, derrière Ia
pointe de Gynosure. Le bruit se répao-
dit bientôt que ceux-ci avaient formé le
projet d'abandonner leur position^ et de
se disperser derrière les côtes du Pélo-
ponnèse. C'était Thémistocle qui , crai-
gnant de voir le faisceau si mal joint des
Grecs se rompre par la division encore
plus que par la peur, avait secrètement
donne ce faux avis à Xerxès, pour qaU
se hâtât d*attaquer, et que les confédérés
fussent mis dans la nécessité de oooi-
battre , alors qu'ils étaient encore réa-
nis. Ce stratagème désespéré eut un
plein succès. L immense flotte des Per-
ses déplo)[a ses lignes sur tout le ri-
vage depuis Munycme jusqu'à Cynosure,
et ferma le détroit. L'îlot de P^ttaik
fut occupé par un corps d'élite de rerses
qui devaient recueillir ceux des leurs qui
seraient en détresse, et achever, au ooo-
traire, les ennemis qpi viendraient s v
réfugier. Xerxès avait fait dresser son
trône sur le revers de l'Égaléon , pour
assister au combat et jouir de la victoire
qui semblait certaine.
« Bientôt,, dit Eschyle, le jour aux
blancs coursiers répandit sur le moad«
sa resplendissante lumière; à cet îds-
tant une clameur immense, modulée
comme un cantique sacré, s'élève daas
les rang^ des Grecs; et l'écho des ith
chers de l'île répond à ces cris par Yk*
cent de sa voix éclatante. Trompés daas
leur espoir, les barbares sont saisis
d'effroi; car il n'était pas Tannooce
de la fuite cet hymne samt que chan-
taient les Grecs • Pleins d'une audace
(i)Héi"0d., yui..77.
ILES DU GOLFE SARONIQUE.
497
Me, ib 86 prédpitaieDt au combat.
Le son de la trompette enflammait en-
»re les oonrages. Le signal est donné.;
soudain les rames retentissantes frap-
lent d*an battement cadencé Fonde
lalée, qui frémit; bientôt leur flotte ap-
>araît tout entière à nos yeux. L*ai1e
Iroite marchait la première en bel ordre;
l«e reste de la flotte suivait , et ces mots
«tentissaîent au loin : « Allez, ô fils de
Grèce, délivrez la patrie , délivrez vos
: enfants, vos femmes , et les temples
des dieux de vos pères, et les tom-
beaux de vos aïeux : un seul combat
va décider de tous vos biens !» A ces
ris nous répondons par le cri de guerre
les Perses : Il n*y a plus à perdre un
nstant. Déjà les proues d airain se
leurtent contre les proues , un vaisseau
;rec a commencé le choc : il fracasse les
igrès d'un vaisseau phénicien. Ennemi
entre ennemi , les deux flottes s'élan-
«nt. Au premier effort, le torrent de
'armée des Perses ne recula pas. Puis,
ntassés dans un espace resserré , nos
nnombrables navires ne furent les uns
K>ur les autres d'aucun secours. Ils
^entrechoquent mutuellement de leur
«c d*airain ; ils se brisent les uns les
utres leurs rangs de rames, tandis que
a flotte grecque , par une manœuvre
labile, les enveloppe, et porte de tous
9Ôtés ses coups. Nos vaisseaux sont ren-
ersés'; la mer disparaît sous un amas
le débris flottants et de morts ; les ri-
âges, les écueils se couvrent decadavres.
Tous les navires de la flotte des bar-
bares ramaient pour fuir en désordre :
lomme des thons , comme des poissons
ru'on vient de prendre au filet , à coups
le tronçons de rames, de débris de ma-
Irîers , on écrase les Perses , on les met
lo lambeaux. Enfin la nuit montra sa
looribre face et nous déroba au vain-
[ueur. Je ne détaille point; à énumérer
ou tes nos pertes, dix jours ne suffi-
aient pas. Sachez seulement que jamais
iQ un seul jour il n'a péri une telle
Dultitude d'hommes.
« Artembarès, le chef de dix mille
'^valiers, a été tué sur les rochers es-
arpés de Silénie. Dadaoès, qui oom-
nandait mille hommes, firappé d'un
ioup de lance, est tombé de son bord,
rénagon , le plus brave de tous les guer*
riers nactriens, est resté dans cette tie
d'Ajax tant battue par les vagues. Li-
lée, Arsame, Argeste, abattus tous les
trois sur les rivages de Ttle chère aux
colombes, se sont brisés la tête contre
les rochers.... Gelui qui commandait
à trente mille cavaliers montés sur des
ooursiers noirs, Matallos de Chryse, est
mort; sa barbe rousse , épaisse, au poil
hérissé, dégouttait de son sang; son
corps s'est teint de la couleur de )a
pourpre. Le mage Arabes , Artame le
Bactrien ne sortiront plus de l'âpre con-
trée.. Ah! la ville de Pallas est une
ville inexpugnable! Athènes contient des
hommes : c'est là le rempart invin-
cible! »
Cest ainsi que dans Les Perses d'Es-
chyle le courrier raconte à la reine
Atossa , la mère de Xerxès, tous les dé-
tails de cette journée si lamentable
pour le grand roi , si glorieuse pour
Athènes. Aussi le poète n'omet rien de
ce qui signale Athènes dans cette
grande action , et à côté du stratagème
héroïque de Thémistocle, il raconte
l'exploit d'Aristide dans lUe de Psvtta-
lie : « Cette jeunesse de Perse, si oril-
lante par son courage, si distinguée par
sa noblesse, par sa fidélité au roi, a pé-
ri misérablement d'une mort sans gloire.
Une tIe est en face de Salamine, petite,
d'un accès difficile aux vaisseaux , où le
dieu Pan mène souvent ses chœurs.
Cest là que Xerxès envoie ses guerriers.
Sjnand la flotte des ennemis serait en
ëroute , ils devaient faire main basse
sur tous les Grecs qui se réfugieraient
dans l'île, et recueillir ceux des leurs
qu'y jetterait la mer. Il lisait mal dans
1 avenir. Les dieux donnèrent la vic-
tohre à la flotte des Grecs; et ce jour-
là môme les vainqueurs, armés de toutes
pièces, débarquent dans Itle, la cernent
tout entière : les Perses ne savent plus
par où fuir; la main des Grecs les
é^ase sous une grêle de pierres; ils
tombent percés par les flèebes des ar-
chers ennemis. Pois les assaiUants s'é-
KKcent tous ensemble d'un même
nd; ils fra|>pent, ils hachent; tous
sont égorgés^ jusqu'au dernier. Xerxès
sanglote à l'aspect de cet abtme d'infor-
tunes; car il était assis en un lieu d'où
l'armée tout entière se découvrait à sa
vue : c'était une colline élevée , non loin
du rivage de la mer. Il déchire ses véte-
32« Utraison, ( Iles i>u Golfb Saboniqué. )
32
498
LUNIVÈtlS,
mentSf il pousse des cris dé désespoir,
et, doDDant le signal, il fuit avec son
armée de terre, précipitamment, en
désordre (1)* »
Après la délivrance de la Grèce , Sala-
mine reste soumise ou plutôt réunie à
Athènes, qui Tavait peuplée de ses co-
lons. Aussi, pendant la tyrannie des
Trente , des Salaminiens (2), unis à ceux
d*Ëleusis, conspirent pour le rétablisse-
ment de lia liberté. Jusque sous les em-
pereurs romains Athènes garda Sala-
mine, qui ne lui fut enlevée qu*avec les
derniers restes de son indépendance. Au
mo^en âge Salamine subit les mêmes
vicissitudes que l'Attique. A partir du
treizième siècle elle fut comprise dans
le duché d'Athènes, qui relevait de la
principauté d^Acbaïe, et qui appartint
successivement aux La Roche, aux
Brienne, aux Catalans, à Frédéric H
Barberousse et aux Acciauoli de Flo-
rence. François Acciauoli la possédait
lorsaue IVIalîomet II conquit le duché
d'Athènes, en 1456. Depuis ce temps jus-
qu'à la guerre de Tindépendance Sala-
mine est restée au pouvoir des Turcs. £q
1676 les habitants de Salamine, ainsi que
ceux d'Egineet de Porosou Gilaune,
s'étaient cotisés pour racheter ducapitan-
pacha, de qui ils relevaient, l'affranchis-
sement de tout redevance. Cette fran-
chise leur avait été vendue sept cent qua-
tre-vingt-cinq piastres. Ils sont demeu-
rés libres depuis ce temps- là (3).
Au temps de l'insurrection grecque,
comme au temps de l'invasion de Xer*
xès, les Grecs du ooiitinent, fuyant l'ap-
proche des Turcs, se réfugièrent dans l'ne
de Salamine avec les images des saints
et les objets sacrés de leurs ^lises.
R Réunis aux populations d'Eleusis et
de Condura, les Grecs vivaient campés
par familles au milieu d'une tle Aour»
riciére iPabeiUes, mais qui ne fournit
presque rien aux besoins des hommes.
Le couvert d'un olivier rabougri , l'om-
bre d'un rocher, les grottes, étaient des
lieux enviés, qu'on tirait parfois au sort
(i) fesehyle, Pertes, trid. de M. A. Picr-
ron ; voyez pour compléter le rédt d'Eschyle
celui d'Hérodote, TIII, 84 et suiv.
(a) Diod. Sicul., XIV, 3« , 4 ; Raool Ro«
chette^ Coi, Grecq,, IV, 65.
(3) Dapper, Descr., p. a83.
pour abhter les Vieillards, les malades,
les femmes et les enfants. On éprouvait
les plus cruelles privations, et û plus
pressante de toutes était la sofC (1). •
Ce fut dans cette situation que Tamiral
Halgan, qui croisait dans ces parases
avec la Gtterrî^re, trouva les Grecs réu-
nis à Salamine. Le rapport qu'il ea fit à
son gouvernement contribua pour beau-
coup à augmenter l'enthousiasme au^ex-
citait en France la cause des Hellènes.
Plus tard , Colocotroni, chef du pouvoir
exécutif, s'installa dans cette Ile, dont h
position était si avantageuse pour cou-
vrir à la fois le Péloponnèse, et diriger
les opérations de la guerre dans la Grèce
centrale et en £ubée. Cependant Ma-
vrocordato, son rival, restait àXrlpo-
litza avec le corps législatif, dont il était
le président. En 1823, après la démis-
sion de Mavrocordato, le sénat alla re-
trouver à Salamine le clief du pou\olr
exécutif (2), et tout le gouvernemeot fut
concentré dans cette seule fie, sauf Ta-
mirauté d*Hydra. Le nombre des réfa-
giés augmentait aussi tous les jours. On
en compta bientôt plus de 200,000 (3. ;
maisladifficultédesapprovisionnements
en força une partie à se transporter sur
Égine, Calaurie et les côtes de TÉpiddu-
rie. Salamine ne resta pas longtemps le
siège du gouvernement hellénique; à la
fin de 1823, les circonstances étant de-
venues plus favorables, il quitta cette
position de fugitif, et vint s'installer une
f)remière fois a Nauplie. Pendant toute
a durée de cette guerre les Tares ne
purent pénétrer une seule fois à Sala-
mine. Aujourd'hui cette île fait partie
de la nomarchie de l'Attique et Beotie.
Le bourg principal, et presque unique,
de cette lie, ^ui a repris son ancien oom,
est Coulouri. Il est situé au pied d'une
montagne appelée Hagios-Ilias , et au
fond de cette baie magulCque qui donne
à l'île la forme d'un m à cheval. Cou-
louri a deux mille habitants, pécheurs,
(z) t^oiiqtievflle , B'uL dé ht ÊUgém, tU tm
(1) Idem. Jhid,, IT, p. 393.
^3) Ceit lé chiffre donné ptr FMifaetîik;
iiiiu Mn histoire ti*eM Qu'une hyperhole ffln-
tinnette. L'higoumèm du couvent de Sati-
nûe n\ évalué le Bonibie des rifagiés ^*a
70,000; ce qui est plus probable.
ILES DU GOLFE SÀRONIQUE.
499
marchands de poix et de résine, bate-
liers, laboureurs, population d^origine
albanaise. On y trouve des églises or-
oées d'assez jolies peintures byzantines,
principalement celles de Saint André et
de Saint-Dimitri. Mais ce quMl y a de
plus curieux à visiter aujourd'hui dans
rile de Salamine, c'est le monastère de
Phanéroméni.
Ce vaste couvent est situé à la pointe
Dord-ouest de Tile^ tout urès du détroit
ou dpaua qui la sépare ou rivage de la
Mégaride, et que Ton traverse avec un
bac. Dans une grande cour carrée » au
milieu de bâtiments de toutes formes et
de toutes grandeurs, et qui servent a Tha-
bitationdes moines, à leurs travaux d'a-
griculture, à rinstallation des malades
ou des prisonniers qu'ils sonteharçés
de soigner ou de garder, car en Grèce
un couvent est aussi un bdpital ou une
prison, s'élève l'église de la Panagia, la
plus grande sans contredit de la Grèce
actuelle, avec celle de Tinos, mais bien
plus intéressante et plus précieuse que
cette dernière, à cause de la grande
quantité de peintures dont elle est dé-
Corée, historiée à l'intérieur. « J'avais
lu dans le voyage de M. Pouqueville, dit
le savant investigateur des antiquités
gothiques et byzantines , M. Didron»
que la grande église de la Panagia-Pha-
néroméoiy à Salamine, était complète-
ment couverte de fresques, et que le
nombre des figures qu'on y voyait pein-
tes s'élevait à cent cinquante mille.
L'exagération est effrayante, on le sent
bien. Cependant, ce nombre étant écrit
en toutes lettres et non en chiffres, on
ne pouvait croire à une erreur typogra-
phique ; l'hyperbole même indiquait par
sa monstruosité que la quantité de ces
peintures devait être considérable. £f- -
lectivement , lorsqu'on entre dans cet
^ifice par un soleil de deux heures de
l'après-midi, ainsi qu'il nous est arrivé,
avec une lumière qui éclaire également
Téglise tout entière» on est bien près
d'absoudre M. PpuqueviUe (i). l^lgré
(i) Ttà fn constater par inm<4ikéme l'effet
saisissant de ce iplettdtde ipecuele, pendant
inon passage à Salamine, en 1847. Je me
souvient ^ae l'higoumène du couvent, le
^' Auxentioi, qui nous fit la réception la plut
cordiale, vint nous chercher mes comp»*
l'habitude au*on peut a^oir de compter
les figures d^entablement, 00 les person-
nages qui tapissent un monument, on
est étourdi à la vuedeces figures hautes
depuis six pieds Jusqu'à six pouces, qui
s'alignent le long des murS, qui s'enrou-
lent autour des archivoltes, qui escala-
dent les tambours des coupoles, qui se
promènent au pourtour des absides, qui
sortent de partout, s'enfoncent dans
toutes les longueurs, et montent à toutes
lés hauteurs. Cependant, il faut rabattre
singulièrement du nombre donné par
M. Pouqtieville; car tous les person-
nages , comptés avec la meilleure envie
de n*en passer aucun, ne s'élèvent qu'à
trois mille dnq cent trente, ou à troiâ
niille sept cent vingt - quatre^ en y
ajoutant les cent vingt-six qui déco-
rent la chapelle adjacente , ou les reli-
gieux font l'office quotidien. Mais ce
nombre ramassé dans un petit espace
TOUS enlève de surprise à la première
vue ; il peut justifier M. Pouqueville ,
oui n'avait pas le temps de compter ces
ngures une à une, ainsi que je l'ai fait.
« La quantité de ces figures est du
plus haut intérêt ; mais leur disposition
générale et l'arraneement de tous les
groupes en particulier importent plus
encore. La cathédrale de Cnartres, Tu-
nique en ce genre , est habitée à Tinté-
rieur et à l'extérieur par neuf mille fi-
gures peintes et sculptées. Tous ces
êtres, créés par l'art, sont disposés dans
un ordre remarquable et suivant lequel
défile régulièrement sous nos yeux Tnis-
toire figurée de la religion , depuis la
création Jusqu'à la fin du monde, en
passant par les patriarches, les luges,
les rois et les prophètes ; par la vierge
et Jésus-Christ ; par les apôtres, les mar-
tyrs, les confesseurs et tous les saints.
Cet ordre est exactement le même, et se
montre aussi complet sur les fVesques
de Salamine. Il était naturel , puisqu'il
est chronologique.
« Mais entre Salainine et Chartres oki
constate de singulières analogies. A
gnons de voya^ et noi , âa marnent q«e te
soleil cdmncn^t à tUaminer l'inlérietr da
ré^iie, où il Boni accompagna pour jouir
de notre sui|»riM et de notre adiniratio% qui
ne lui manquèrent pet, non plus que noe ro*
roercîments.
39.
koo
LUNIV£RS.
Chartres, commeaSalamine, le Juge-
ment deroier est à rentrée de l'église ,
contre la paroi occideutale, tandis qu'une
grande Vierge, tenant l'enfaut Jésus^ se
montre à l'orient, au fond de l'apside.
A Salamine , comme à Chartres , l'An-
cien Testament se développe sur le côté
gauche de l'église; le Nouveau sur le
côté droit. Ce système de décoration ,
épars ou incomplet dans les autres
^iises byzantines que nous avions visi-
ta jusque alors, nous le trouvions con-
centré et parfaitement développé dans
ce curieux édifice de Salamine. Du reste,
à Salamine chaque personnage ressem-
ble exactement au même personnage
peint à Athènes, en Livadie, ou en Mo-
rée; chaque tableau, lorsqu'il représente
le même sujet , est partout traité et dis-
posé de même. Les saints portent des
banderoUes sur lesquelles sont écrites
des sentences tirées de leurs ouvrages
ou de leur biographie; aux tableaux
sont attachées des inscriptions extraites
de l'Écriture Sainte, dont ils offrent les
histoires. Ces sentences et ces inscrip-
tions sont presque les mêmes partout.
« Si de nos jours en France , où nos
grands peintres sont assez instruits, un
seul artiste était chargé de figurer dans
un monument, dans la cathédrale de
Paris, je suppose , l'histoire universelle
de la religion exposée par les héros et
tes faits de cette histoire^ il est douteux
qu'il pût exécuter une aussi vaste com-
position sans faire des études longues
et approfondies. Je dis plus, nous n'a-
vons pas un seul peintre capable de
mener à bien un pareil travail ; il n'y en
a pas un seul assez instruit et assez fort
pour porter un pareil fardeau. Mais à
Salamme on n'a pas seulement peint des
personnages et figuré des scènes; on
y a encore baptise les individus et les
traits historiques au moyen d'inscrip-
tions ou d'épigraphes qui les désignent
ou les expliquent, et ces épigraphes sont
extraites de toute la Bible d'abord , et
ensuite d'une grande quantité de livres
religieux. Les Œuvres des Pères , la
Vie des Saints, le Grand Ménologe du
Métapbraste ontétémisàcontribition.
Sur la banderole que tient saint Jean
Damascène est écrite une sentence ti-
rée des ouvrages de ce grmid docteur;
if en est de lâme pour saint Grégoire
de.Nazianze, samt Basile, saint Jean
Chrysostome et pour tous les autres.
La difficulté augmente ainsi, et la
science que devrait posséder l'artiste
français chargé d'un pareil travail oe
se trouverait assurément chez personne.
Quel homme devait être ce peintre de
Salamine pour avoir accompli une pa-
reille entreprise ! Je ne revenais pas de
mon étonnement, que mes compagnons
partageaient au plus haut degré.
« J interrogeai les moines du couvent,
surtout les plus instruits, et je n'en pus
rien tirer. Enfin, sur la paroi occiden-
tale de réglise, à l'intérieur, je vis une
inscription que portait un ange peint, et
dont voici la traduction :
1735.
« Ce temple Ténérable et sacré a élé
a peint.. ^. par la main de Gorgioa Maroos, de
« la ville d Argps, avec Paide de ses élèves,
« NIcolaos Beaigelos, Georgalds et AaioiiiL »
« Qu'était-ce que ce Georges Mare?
Un grand homme assurément. Sa patrie
est Argos , d'où j'arrivais, et qui est à
deux journées seulement de Salamine.
Il peignait en 1735, à cent quatre ans
seulement du jour où je faisais des ques-
tions sur lui et sur ses élèves, et ner-
sonne ne put me répondre. Cependant
j'étais à Salamine, dans l'église raémeiHi
il avait dû passer sa vie, et je m'adres-
sais à des moines dont les prédécesseurs
immédiats avaient été te contemporains
du peintre. Rentré dans Athènes, je
pris auprès des hommes les plus ins-
truits des informations sur Marc d'Ar-
gus et ses trois élèves : toutes mes ques-
tions restèrent sans réponse (1). »
Certes il y a lieu de s'étonner de Pou-
bli profond dans lequel est tombé le
peintre savant et habile qui a fait nne
telle œuvre, dans un siècle aussi rap-
proché du notre. Mais le mystère s'expli*
que dès qu'on sait que les artistes de Fé-
cole de peinture byzantine, dont le mont
Athos est encore aujourd'hui le centre,
sont tous des religieux instruits dans
leur art, par un enseignement traditioo-
nel, travaillant obscurément dans l'in^
teneur des monastères , sans nul souei
d'une réputation personnelle quMlsn*ont
(i) M; Didron , JbRyuie/ Jtiamogrtfl»
Ohrétiênif€\ Introd., p. ix et saiv.
ILES DU GOLFE SARONIQUE.
sot
aucun motif, aucune occasion de désirer
et d'acquérir, et ne voyant dans l'art
qu'ils exercent qu'un moyen d'ensei-
§ner la religion et de procurer la gloire
e Dieu. Leur condition actuelle est
restée la même que celle de ces nom-
breux artistes inconnus du moyen âge
qui ont sculpté les portails , qui ont
peint les vitraux de nos cathédrales et
dont on admire les œuvres sans même
savoir leurs noms. Il est du plus haut
intérêt d'observer dans les couvents du
mont Athos les derniers vestiges de ces
moeurs de l'art chrétien, fondé par l'É-
glise, et qui a instruit et charmé nos an-
cêtres, dont les œuvres, longtemps mé-
connues et dédaignées pardes générations
uniquemententiehées de l'antiquité grec-
que et latine (1), reprennent peu à peu
leurs droits sur les esprits d^agés des
préjugés d'une éducation exclusive et
incomplète, et dont les principes, les
règles, les traditions, les procédés re-
deviennent Tobjet d'une étude enthou-
siaste, d'où ce grand art chrétien peut
espérer de voir sortir à son tour sa
propre renaissance (2).
La fondation du couvent n'est pas de
beaucoup plus ancienne gue l'exécution
des peintures de son église. Elle est de
la fin du dix-septième siècle, et fut dé-
(i) U ne s'agit pas id bien entendu de notre
cpoque, où toutes ces questions d^artsont plus
largemeni comprises que dans les deux der-
niers siècles.
(3) M. Didron a publié sous le titre de
Manuel tT leonograpfiie Chrétienne le livre
d'après lequel tous les peintres du mont Athos
apprennent et pratiquent leur art. Cet ou-
vrage, dont chacun aeux possède un manu-
scrit qu'il étudie sans cesse, est intitulé *Ep|ii)-
ve(a Ttîc Ccsypof tx^C* Guuk de ia Peinture,
Il a été rédi|^ à une époque ancienne par le
moine Denys, peintie du couvent de Fouma,
près d*Agrapna, en Thessalie, qui s'était
lomé par l'étude des peintures de Pansélinos,
le plus célèbre des artistes du mont Athos ,
qui vivait au onzième siècle. Ce traité s'est
complété de siècle en siècle jusqu'à notre
cpoque, et résume ainsi tout l'ensemble du
>ysteine de la peinture grecque. J'ai pu me
convaincre par une comparaison attentive
^«c quelle exactitude, sauf quelques déroga-
jy PM importantes, le» prêicriptioas de ce
Qvn avaient été obtki véct par Georgios Mar-
cosdansrexécQtioii des peiatarasdeSalamine.
terminée par la découverte d'une image
de la sainte Vierge. On raconte que Lam-
bros, paysan de Mégare, s'endormit un
jour en travaillant dans son champ.
Pendant son sommeil, la sainte Vierge
lui apparut et lui ordonna d'aller cher-
cher son ima^e et de lui élever une
église. Trois fois de suite, Lambros eut
cette vision merveilleuse, toujours dou-
tant , et n'v obéissant pas. £nfin mena-
cé d'un cnâtiment à la quatrième ap-
parition, il se décida à se conformer
aux ordres pressants qu'il recevait. Il
alla fouiller à l'endroit indiqué , dans
Salamine, et v construisit, en 1683, le
convent et l'élise de la Panagia Pha-
néroméni (^avspopivi]), la sainte Vierge
de l'apparition. Lambros se fit moinç
dans le monastère qu'il avait fondé , et
Ï)rit le nom de Laurentios. Son fils atnét
e père Joachim, dirigea la communauté
après lui. Il fitcontmuer les travaux com-
mencés par Laurentios et exécuter la dé-
coration de l'église. Laurentios était
mort en 1707 : u est vénéré comme un
saint dans cette communauté dont il est
le fondateur, et une messe fut composée
en son honneur par un moine de Pnané-
roméni. Dans ces derniers temps, l'évéque
d'Athènes, lïéophyte, a retouché cette
messe et en a publié le texte, en le ihisant
précéder d'une vie du saint d'où sont tî*
rés tous ces détails.
Aujourd'hui le couvent de Salamine;
bien déchu de son ancienne prospérité ,
ne contient plus qu'une ringtaine de
moines, dont les occupations sont,
comme pour tous les ealoyers grecs, les
exercices de dévotion et les travaux de
l'agriculture.
Des hauteurs de Salamine on aper-
çoit, en jetant les yeux vers les côtes de
la Gorinthie et de rArgolide , le golfe Sa-
ronique, parsemé de rochers, décneils,
dllots, auxquels il est bien difficile
d'assigner leurs noms anciens, et qui
n'ont pas tous des nome modernes. Ce
sont : a l'ouest, près du Pérama de Mé-
gare, les Méthondes, aujourd'hui les Ré-
vitiouses, deux rochers qui dominent les
hauteurs du couvent de Phanéroméni;
au sud, à la pointe de la vieille Salamine,
les Ëleusai, aujourd'hui tles Pelesteria ,
ou Liansa ; Crangion à l'ouest du groupe
préeédent, peut-être Fractèra ; Dendros,
Kaîkiai, Selaebusa, qui oorrespondent
«)2
i^TjHnnpRs-
sans doute au^ Penténisi^. Aspis, Cen-
chréfs, dont l'une des deux est Vte-
brseo-Castro. Tous ce3 îlots sontinhabir
tés ; tour à tour écueils bu abris , selon
les caprices des vçnts et des flots, pouf
les nombreux calques qui çiloimeiit le
golfe d'Êgine (1). ^
(x) Forbiger, Handà, der ah. Geop-.y
pr, 1017.' '
ILE d'é;gine.
Position géographique de l'île
d^Égive. — Au centre du golfe Saroiiî-
Î|ue,et au milieu d'un rempart d'écueils,
ortiGçaiioq naturelle sortie des flots à la
voix d*Ëaque, suivant la tradition my-
thiqueque rapporte Pausanias (1), s*élèv^
rtled'E^ne, A^y^va, aujourd'hui Égina^
ou EngUk, Autour sont semées quel*
ques petites lies, qui faisaient sans qoute
pacti^ du royaume à'jEQcus {yEacicUa
Tfçna » Ovîd. ), et dont les plus consi-
dérablea sont Pltyonèse et Cécryphalée,
^etuellement Anghiatri et Kyra, à
l'ouest 9 verit la côte de l'Épidaurie. L9
di^nce d'Égine aux trois rivages de
VÉpidauric^delaCorinthieetderAttiqua
9'est pa» exactement de lOQ stades,
fOWQie le dit $trabon; mais on doit
QOq^pt^r du port de Tîle 27 kilomètres ^
ou 146 stades olympiques, au port de
filégare; 41 kilomètres, qu 220 stades,
9U port de Genchrée; 29 kilomètres, ou
167 stades , au Pirée; et 26 kilomètres ,
PU 140 stades, au port d'Êpidauie.
La latitude du mont Gros, ou pic
fiaiot-^ie, le potnl joulminaist de l'île,
et de 37"* 41' 52^ 9"'; sa longitude à
r^ouest du oiéridien de Paris est de
SI» 9' W 6''', et iià hauteur au-dessus du
niveau de la mer, ^34*'*, 2. Lasurfaoe de
cette Ile, qui lutta contre Athènes et
lui disputa l'empire de 1^ mer, est à
peine ae 06 kilomètres carrés. Sa cîtt
conférence étmt évaluée à liM) stades
par Strabon et à 20 milles par Pline (2).
AnCIENHBS ï&ÀDITIONS. HI8TQIBE
IPBIMITIVE D'f.GiHE. — : L'bîstoîre d'&
gine remonte à l'époque mythique de la
Gièoe. Les chants de Bindqre (3), où se
(x) PMttaiat, n, 94*
(a) Pidtlon Boblsye, Detçnpfiam itÉ^m^,
(3j Pind,! Ifém., m-T«|, et Isthm., Vf.
trouve racontée comt^e daus Içs épopées
d'Homère,rbistoire poétiqueet l^endaîre
deri)ellade |)rimitive, nous montrent les
Ëginètes d^à célèbres dans les siècles
héroïques. Eaque et ses descendants les
Éacides, Jélamon, Pelée, Achille, Néopto-
lème reviennent sans cesse dans les odes
qu'il consacre à chanter la gloire des
Ëginètes v^queurs aux jeux publics de
la Grèce : et grâce aux poétiques récit»
du lyrique tbébain , les traits les plus ia-
iéressants des traditions nationales d'É-
gine nous ont été conservés.
L^ancien nom de Ttle était C^Done (1).
La traditioi^ ipythique rapporte que
Jupiter eqieva l^ne, fille d^Asopus,
fleuve de la Phliasie , et la transporta
dans l'île d'OEnone, jusque là déserte.
Cette Ile reçut alors du dieu le nom
de la nymphe Ëgine , qui l'y rendit
père d'Éaque. La roble ajoute que Ja-
pîter, voulant donner des sujets à son
fils, changea les fourmis en hommes,
et fit nattre ainsi le peuple des Myrmi-
dons. Une autre tradition fai^ venir ce
nom 4e i^ ^îo çôuterr^ine des premiers
habitants de llle, qui avaient creusé leur
sol ingrat, en avs^ient retiré la terre pour
en faire une sorte de mariage, et, fa-
iilisant ainsi les rochers quHU habi-
taieut , ^^taient logés dans m eavenai
doublement utilisées par leur ûdus-
iFie (2).
Ottf^iedMûller, dans ses /P^rHieltoi,
prélude de son grand ouvrage sur les
Doriens (8), croit reconnaître, à traven
(i) PiQd., Uihm., VH, m i Oéà^ JCâr..
(9) Slraban , YIU, ^6> «d« Cu^
(3) Oufr. M6UfE» j^gmtÉimt, p. t% ctMir.
Cf. Haoïd aoah«tt«| CoL Giwf,, H, iS?;
M. H. Foitoiil, dû IJHm Alklmfm^ Ma
ILES DU GÛUR& SAllONIQUE.
668
lei vagDtt iadieilkoBB de oaa légendes,
la trace de deia oolcmiflatioDs, IHine
rtie de Phlionte, el Taotre de la Phthie.
pense que BudioD , venB des oAtea
ments demeurent enveloppée de doute
et de téaèi»es, et les traditions ne com-
mencent à présenter quelque elarté qu'au
noffleiit où elles font mention d'Eaque
et de ses desoendants.
Ëaque était le plus pieux des prinees.
Ottfried liûller l'appelle a\<ee raison le
Noma de la Grèce. Lorsqu'on avait
un différend à terminer , une demande
à adresser aux dieux par une voix pro-
pice, c'était aux pieds d'ÉaquequeFonao-
eourait de toutes les vallées et de toutes
les plages. Ovide parle d'une peste dont
les prières de ce roi délivrèrent les Grecs.
An rapport de Pausanias, la Grèce,
depuis longtemps désolée par la sé-
cheresse, ^ait ràluite à une stérilité fu*
neste. Les Grecs envoyèrent consulter
Tcuracle de Delphes sur la cause de cette
calamité, et sur les moyens de la oonju-
1er. La Pythie leur répondit qu'il fallait
apaiser Jupiter irrité, et ajouta que les
prières, pour être exaucées, devaientétre
offertes au dieu par Éaoue. Chaque ville
envoya doue des ambassadeurs à oe
pnnee, qw, après avoir offert des sacri-
fices et adreMé des prières à Jupiter
Panbellénien , obtint enfin de la pluie
pour la terre desséchée. Pausanias, qui
vivait sous If aro-Aurèle, avait vu encore
à Égine un antique tombeau de marbre,
snr lequel étaient représentés les dé-
putés de la Gr^ délivrée du fléau par
IHotereessiondu fils de lafnymphe Aso-
pide. La mémoire d'Éaque, après sa
mort, fut télkement vénérée, que les
croyances rdigieuses le placèrent parmi
les trois Juges des enfers (1).
fiaqoefutle seul roi d'Egine. Il avait
trois fils : Pelée et Télamon , nés de
la nymphe Eudéis, et Phocus, né de
Psammatbée , ille d'un roi d'Argos (S).
Phocus, jouant au palet avec ses frères,
fut tué par Pétée. Eaque, au déaespoir,
foin de Fart grec diaprés Uj martres d'É-
gine, I, aS.
(3)ApoUodore,IIIyXl,7.
chassa de ae^ royaume ses deux fils
aînés. Les fils de Phpcus allèrent éta-
blir leur demeure dans la Phooide, dont
ils étendirent le territoire jusqu'à celui
des Minyens d'Orchomène, et jusqu'à
Scarphée dans la Locride. Pelée passa
dans la Thessalie, où il retrouva Mé-
nœtius , son oncle , ^i le reçut dans
son royaume de Phthie ; il fît partie de
Texpraition des Argonautes , combattit
les Amasones, épousa Thétis, et devint
le père d'Achille. Après la guerre
de Troie, ^éoptolème, fils d'Achille,
fonda le royaume d'Èpire. Télamoa
n'alla pas aussi loin que Pelée; il s'ar-
rêta à Salamine, dont il devint roi. II.
fut aussi associé aux exploits des Ar-
gonautes, participa aux travaux d'Her-
cule, triompha avec lui de Laomédon ^
roi de Troie, épousa la fille du vaincu,
et en eut deux fils, Aiax et Teuoer. Ajax,
le cousin d* Achille, rat après lui le plus
▼aillant des Grecs; il disputa les armée
du fils de Bélée à Ulysse , qui lui fut pré»
léré; dans sa fureur, il se tua, donnant
ainsi le premier exemple de suicide
dont l'histoire fasse mention. Teucer,
qui se présenta devant son père sans
avoir vengé son frère, fut chassé par
lui, et alla conquérir Ttle de Chypre (1)-
« Ainsi , dit M. Fortoul, de ce point
imperceptible de la Grèce, qui s'appelle
Égme, est sortie toute la race des héros
qui ont préludé aux illustrations poli-
tiques de la Grèce. Tous ces grands
hommes portent le nom général d'É»*
eides. Leurs images sont déposées dans
les temples d'Égine, et ont la réputatioq
de rendre les Éginètes indomptables.
La veille de la bataille de Salamine les
trecs envoient prendre les imases des
acides pour les porter au conÀbat , et
les Grecs sont vainqueurs (3) ».
Pbospbbixb d'Éginb. — Lorsque
l'invasion dorienne, provoquée par les
Héraclides, bannis du Péloponnèse,
vint renouveler la fhce de la Grèce et
interrompre les progrès de cette civilisa-
tion naissante qu'elle devait à ses. rap-
ports avec rÉgypte et rOrient , ÉgIne
reçut de nouveaux habitants. Une co-
(x) Hérodote, TIII, 46^ Pausanias, Q
39, 5; Cf. Raoul Rochette, Coi, Greeq,^
II, 9X8.
(a) De tjrt egkAiienmgm,! , p. aS.
504
L'UMVMS.
bitants de TUe eurent bientôt opéré
une Âision complète avec les nouveaux
{)088esseur8 ; ils quittèrent à tout jamais
eur premier nom de Myrmidons, pour
prendre celui d*Ëginètes ( Aî^cv^xai), de-
vinrent Doriens de moeurs et de lan^ge,
etreeonnurent pour métropole Épidaure,
dont ils acceptèrent la souveraineté.
Au nombre des successeurs des Héra-
clideSf qui avaient conquis le Pélopon-
nèse, figura Phidon , roi d'Argos, oui
vivait vers l'an 895 av. J.-C Parmi les
différentes institutions qu'on attribue à
ce prince on doit compter celle de la
monnaie, dont il passe pour Tinventear,
et dont il donna le pnvilége à Ëgine;
d'où l'on peut conclure que cette lie
taisait partie de ses États et que les arts
y étaient déjà cultivés avec succès dès
cette époque.
Ëgine, placée à l'entrée du golfe Sa-
ronique, était environnée des villes les
plus florissantes par leur industrie et
par leur commerce : Athènes, Eleusis,
Mégare, Corinthe , Épidaure, Trœzène.
Elle avait devant eiie, du côté de la
mer, les Cyclades, la Crète, Rhodes
et Chypre, placées entre la Grèce et
l'Asie ; cette île se tronyait ainsi sur la
route que suivaient les nombreux na-
vires qui allaient des tles de l'Archipel
an continent de la Grèce, et du con-
tinent aux lies de la Méditerranée et
aux^entrepôts de la mer Ivoire. Égine
possédait sur sa côte occidentale trois
ports contigns. Le plus fréquenté , sui-
vant Pausanias, âait celui près du-
quel s'élevait le temple de Vénus. Outre
ks avantages de leur position, les £gi-
nètes étaient encore poussés vers les en-
treprises maritimes par le peu d'étendue
et de fertilité de leur territoire. Aussi
les voit-on de bonne heure tourner leurs
efforts du côté de la navigation. Dès le
temps de la guerre de Troie, Égine pos-
sédait une marine, et ses navires allèrent
à cette expédition, sous la conduite du
vaillant Diomède (1). Antérieurement à
cette époque, elle avait, comme la plu-
part des autres îles, exercé la piraterie.
Mais elle y avait renoncé depuis que
(x) Toy, Homèra.y //. Il, , 56a et «iiiv.
Minos, à la tête des flattes eiétoins, avait
rétabli la police et la sûreté des mers (i).
Plustard, les Éginètes, pour se rendre «I
Élide , avaient doublé plusieurs fins le
capMalée, célèbre par mille naufrages,
et celui du Ténare, dont l'aspect seul
faisait pâlir les navigatems grecs ks
plus expérimentés. De bonne heure la
marine d'Égine laissa loin derrière elle
eelle des autres puissances de la Grèee
occidentale. Cette supériorité, elle la
devait à la hardiesse de ses marias et
à l'habileté de ses constructeurs. Tandis
que les autres Grecs n*avaient encore
âuedes vaisseaux ronds, Égine possédait
es galères longues, dont les rames
étaient plus lottg|ne8 aussi, et dont la pnme
et la poupe étaent travaillées aveenae
scienee et un art déjà assez avancés. La
Éginètes étendirent au loin leurs ope-
rations commerciales : ils fondèrent Çf-
donie, dans l'tle de Crète, déjà peaplée
de colonies doriennes, et envoyèreat
unecoloniechezles Om6ricseDllalie(}).
Bientôt aussi ils se dirigèrent vers Iff
côtes de l'Egypte , à l'époque où lepba*
raon Amasis, s'attacbant k développer les
relations que ses prédécesseurs avaient
établies entre les Grecs et les Égyp-
tiens, épousa lui-même une GreeqiKt
et lui fit présent, pour ses compatrioies.
du port de Naneratis, qui devait aerrir |
d'entrepôt à leur oommeroe. n aaigaa,
suivant Hérodote, à ceux qui nen»- i
draient pas fixer leur séjour dans ei
port, et qui ne voyageraient en tgf^
que pour leur commerce, des emplao^
ments pour y établir leurs comptôind
pour y élever des temples. Déjà te Si-
miens s'y étaient installés. Les É^iaèia
imitèrent leurexemple, et prirent a tdcbe
de les effacer par leur magnificenee. G»
deux peuples s'étaient reneoatrés pis-
sieurs fois sur la Méditerranée, oè iev
rivalité les mit souvent aux prises. Les
S roues des navires samiens captanes
ans un combat naval, l'an 618 av. J. C.
et consacrées, àÉ([ine, dans letem|iledr
Minerve, attestaient que les Égmètts
avaient eu l'avantage W dans la latte.
L*lle des Éacides prenait donc naf:
parmi les puissances politiques de h
(i) Thucyd., 1, 4f
(a) Stnbon , YU^ 376, B, ad. Os.
(3) Hérodote, m, 59.
ILES DU GOLFE SARONIQDE.
505
Grèce. Jusque alors les Égiuètes avaient
reconnu la souveraineté d*Épidaure, et
lears procès étaient ju^^és par les triba-
naux de cette ville. Mais ce rdle secon-
daire et dépendant ne pouvait plus con-
venir ni à leur ambition ni à leur pros-
périté toujours croissante. Bientôt l'or-
gueilleuse colonie allait se révolter
contre sa métropole, ravager son terri-
toire,enleversesdieux,etdu mémecoup
commencer contre Athènes cette guerre
implacable, qni, née avec la haine de la
race dorienne contre la race ionienne,
devait traverser rinvasion Persique, et
ne se terminer que par l'anéantissement
des Éginètes. Un motif religieux servit
de prétexte aux hostilités. Les Épidau-
riens, affligés d'une grande stérilité,
avaient consulté l'oracle de Delphes. Le
dieu leur avait ordonné d'ériger à Da-
mia et Auxesia^ divinités qui étaient les
mêmes que Gérés et Proserpine» des
statues sculptées en bois d'olivier sau-
^ge. Les Epidauriens , persuadés que
les oliviers cfe l'Attique étaient les plus
sacrés, demandèrent auit Athéniens
d'empnmter cette offrande à leur sol.
Les Athéniens y consentirent, à la con-
dition que tous les ans les Épidauriens
amèneraient des victimes à Minerve
Polias et à Ërechthée.
Rivalité d'Ëoins et b'Athànss.
— Ce pacte religieux et politique était
fidèlement observé , lorsque les Éginè-
tes, devenus maîtres de la mer, arniè-
rent une flotte, déclarèrent la guerre
aux Épidauriens, ravagèrent leur ter-
ritoire, et enlevèrent les statues consa-
crées, qu'ils placèrent dans un lieu ap-
pelé OÉa, environ à vingt stades de leur
ville. Après s'être ainsi emparés des di-
vinités protectrices de leur métropole,
ils consacrèrent à chacune d'elles des
cboréges, 'et instituèrent en leur hon-
Denr des sacrifices, et des chœurs de
femmes qui s'adressaient des invectives,
3 TiroitatiOA des cérémonies oteervées
\ Épidaure. Les Épidauriens depuis
l'eâlevement des statues sacrées ces-
sèrent de s*acquitter des sacrifices dont
is étaient convenus avec les Athé-
liens. Aux menaces d'Athènes, Épi-
iaure répondit que tant qu'elle avait
possédé les divinités tutélaires, les en-
gagements avaient été remplis, mais que
iésormais les Éginètes, qui les avaient
ravies , devaient payer le tribut. Les ,
Athéniens envoyèrent à Égine deman-
der les statues; les Éginètes accueil-
lirent la réclamation par un défi. Une
flotte athénienne vint bientôt opérer une
descente dans Itle et tenter de repren-
dre à main armée les statues contestées.
Les Éginètes» avertis du projet d'A-
thènes, avaient fait une alliance avec les
Argiens, qui s'embarquèrent à Épidaure,
et vinrent réunir leurs forces a celles
d'Égine. Ils tombèrent à l'improviste
sur les Athéniens, au moment où,
croyant ne rencontrer aucune résis-
tance, ils avaient passé des cordes au-
tour des statues et, cherchant à les enle-
ver de leur base, les avaient contraintes
à s'agenouiller sous leurs efforts, pos-
ture, ajoute Hérodote (1), qu'elles ont
conservée depuis cette époque. Les
dieux, irrités d'une telle profanation,
firent trembler la terre sous les pas de
l'armée sacrilège , qui fut anéantie aux
lueurs de la loudre. Un seul homme
survécut pour aller annoncer à Athènes
la vengeance céleste ; et encore , pour
que l'expiation fût complète, au moment
où il racontait ce désastre, les femmes
de ceux qui avaient été de l'expédition
s'attroupèrent autour de lui, et lui de-
mandant compte de la mort de leurs
maris, le firent périr en le piquant avec
les agrafes de leurs robes. L'atrocité de
cette action parut aux Athéniens encore
plus déplorable que leur défaite même,
et ne sachant quelle autre punition infli-
ger aux coupables, il les obligèrent à
prendre les habits des Ioniennes. Elles
portaient auparavant l'habillement do-
rien. On changea donc leur ancien vê-
tement en tuniques de lin, afin de sup-
primer les agrafes homicides. Les Ar-
giens 9 au contraire, ainsi que les Égi-
nètes, en souvenir de cette action , qui
complétait leur vengeance, décidèrent
qu'à l'avenir leurs ûmmes porteraient
des agrafes une fois et demie plus grandes
qu'auparavant; que la prmcipale of-
frande des femmes aux déesses Damia
et Auxesia consisterait en agrafes consa-
crées ; que dans la suite on n'offrirait
à leur temple aucune chose qui vint de
l'Attique, pas même un vase de terre,
et que dans les sacrifices aucune libation
(f) Hérodote, V, 79-9^.
506
1IAJÇÏV?I13.
ne pourrait être faite qu'avec des coupes
^ du pays. Telles jfurent les premières
hostilités d'Ëgine et d* Athènes ; ainsi
fmt naissance la haine de ces deux o)-
és, que la religion, Tinstinct de races
ennemies, et surtout \^ rivalité d*indu8-
trie, d'art et de commerce devaient
constamment mettre aux prises.
Aprèa la réduction de Chalcis en Hubée
par les Athéniens ( 606 av. J.-C- ]i les
Thébain^, cherchant à tirer vengeance
de ce^te victoire, envoyèrent cpuçult^
le dieu de Delphes. I^ Pythie leur ré-
pondit qu'ils nf pourraient se vengeV
par çux-mémes, et leur oon^eill^ dç s'^*-
dresser h leurs plus proches- Le peuple
s'assembla, et les avis se partagèrent ^^r
la questÎQB de savoir quel peuple dési-
gpait ainsi Toracle. Un citove^ se îeYfi
s'écriant : « Égine et Thébé, nlies d'Asoi-
pua, étaient sœurs. Le dieu vous or-
donne de prier les £g\oètes 0e nous
venger. » Les Théb^ins envoyèrent in>-
médiatement demander le secours des
citoyens d'Égine. Ceux-ci, Gers de leurs
richesses , et auimés par leur ancièniie
inimitié contre Athènes, &e rendirent
' au)( prières des Thébains, et, sans au-
cune 4pcldration de guerre , commencè-
rent immédiatement les hostilités. LeiM^
flotte vint opérer une descentei dan3
l'Attique , et en dévasta les câtefi. Les
Athéniens se préparaient a tirer vei^-
ge^nce de cette agression, lorsa^'il
survint de pelphes un oiracle qui leur
ordonnait de suspendre le châtiniêAt des
$ginètes pendant trente ans à coqipter
de leurs nreinières insultes. Si, après
avoir élevé u^ ten^ple à -^açuç, ils les
attaquaient la trente et ùni^e ^nQée ,
l'oracle leur promettait la vic^oire^ Les
Athéniens construisire^t le temple, et at-
tendirent (1). Ce fut d^ns rintervaile
de cette tr^ve entre les dei|x fkttis-
sances rivales (493 av. J.-Q. ) que les
hérauts de Parius vinrent demanuer en
son nom aux Grecs la ^rre et. Teau en
signe de soumission. Plusieurs peuples
du continent et la plupart des insi^lairea
obéirent. L'oligarcoie d'Égine, dorienne
de mœurs et d'instincts, et par oona^
quent eimemie de la démocratie ieftieh-
ne, que le grand roi voulait châtier, se
(tentait plus disposée à s'unir aux Perses
(i) Hérodote, "V, 79 et mtxu
qu'à les combattre : elle donna au Va
tenant de Darius le gase de servitude.
A peine cet acte fut-il connu dans h
Grèce, que les Athéniens accusèrent à
Sparte les l^gînètes de trahison envers h
Grèce. Sur cette accusation (492 av. J-
C.}, Qéomène, fils d'Anaxandridas, rai
de Sparte, passa à Éj^iae pour arrêter les
instigateurs de la défection. Comme il
se disposait à les saisir, toute Faristû-
cratie de rile s'y opposa, et, entre tous.
Grios, fils de Polycrite, qui, agissori:
d'après le conseil de Démarate, Tâuire
roi de Lacéd^mone, lui dit qu'il neic-
mènerait impunément aucun bu-
tant d'Égine ; au'il agissait ainsi sau
Taveu de Ta république de Sparte et seu-
lement k rinstigation des Athémess.
qui l'avalent gagné à prix d'argea;
qu'autrement il serait vec^u avec Fautre
roi pour les arrêter. Cléomène, étoonf
de cette opposition énergique, lui de-
manda $on noiQ, « Je m'appelle Criûs
dit rÉginète. — c Eh bien, Crios, rep-
tit Cléomène, arme bien tes cornes, es:
tu auras à lutter contre un rude adm*
(faire. 9 Qrios en grec signifie ^er il.
Cléomène, ayaiit réussi à faire dépo-
ser Démarate» fit nommer roi à sa pla»
Léotychide , et marcha avec luicontrr le
Éginetes. Ceux-ci, voyant venir cootrr
eux les deux rois de Laoédémone, ne ent-
rent pas devoir tenter une nlus losg^e
résistance. On choisit dix «es citoyes'
les plus distingués par leur naissance et
par leurs Richesses, et ils forent nm
entre les Qiains des Athéniens, kin
plus grands ennemis* Parmi ces ouges
se trouvait Crios , dojut Cléoqiène it-
tait ainsi vengé (491 av. J.-C*} W-
Après la mort de Gléàmèoe» les Éfi-
nètes envoyèrent à Snarte â&& dépuks
pour acouser Léotycnide au sujet à
la détention de leurs otages k Àiix-
fies. Les juges s'étant asseoddés déci-
dèrent que les Éginètes avamt été trai-
tés indignen^ent par Léotjrchîde, et k
condamnèrent à être remis entre lecn
mains. Lee ÉginèteSf oraigiMu&t aaoB
jour la colère des Soartîatei iw vuit a
se réveiller, énoncèrent i T^xéeutkœ
du jueement, ^ condition que Léotv
chideles suivrait à ÀUmeapoDr faire
<z) Hérodote, TI» 49f l«-
(a) Hérodote» YJ, ^X
ILES DU GQl^ 0^OinQU£.
ÂQ7
lélivrer leurs eondtojens. Ce prince
lia vainement redemander aux Athe-
liens les otages. Les Éginètes alors se
isposèrent à se venser. S'étant mis en
(iiDuscade, ils enlevèrent, à la hauteqr
\a promontoire Sunium , La Théoris,
ette galère à einq rangs de raques qtp
DUS les ans allait a Délos accomplir' le
oeu de Thésée, et mirent aux fer^ lés
itoyens les plus distingués d'Athèpes,
;ui montaient levaisseau. Les Athéniens
airent tout en œuvre pour tirer ven-
eance de cet attentat. Ils soulevèrent la
éroocratie d'Égine contre Toligarcbie
ui la gouvernait. Nicodrome, citoyen
ppartenant à l'aristocratie, mécontent
lèses compatriotes, s'était a*abord ban*
i lui-môme de sa patrie. Instruit des
rejets des Athéniens, il leiîr promit de
îur livrer Égine. Au jour ait , Nico-
rome s'empara, ainsi ^uMl avait été
onvenu dans le comolot, de cette par-
ie d'Êgine qu'on appellait la vieille ville,
fais la flotte d* Athènes, forte cependant
e soixante-dix yaisseaux, s^ trouva trop
iiférieure à celle des Éginètes pour li-
rer le combat : l'insurrection futécra-
ée. Nicodrome s'enfuit sur une barque
luqu'à Suniuni, où il trouva uu asile, et
anstocratie égînète répondit à la ré-
cite par le massacre. Exaspérée i la foi^
ar la haine et par le succès, elleaccom-
lit un sacrilège qui laissa parmi les
îrecs un loq^ et odieux souvenir. Conim^
n conduisait au supplice sept cents
ommes du peuple qui avaient été faits
risonnierSfUn d ei^tre eux s'échappa des
ens qui le retenaient, et se réfugia dans
! temple de Cérès-Thesmophore. Il sai-
t le marteau de la porte, et s'y tint forte-
lent attacbé. Les exécuteurs réunirent
m leurs efforts pour lui faire lâcher
rise. Comme on n*y pouvfiit réussir,
qu'il fallait à la fois ooserver le droit
asile et satisfaire la vengeance des
rands, on scia au fugitif ses mains sup-
liantes, et elles restèrent attachées à la
)igiiée delà porte pendant que le mal-
Bureux fut traîné au supplice. Les no-
es, dit Hérodote (1], ne purent expier
1 tel sacrilège par aucun sacrifice, et
rent chassS de Ttle avant d'avoir
>aisé la colère de Cérès-Thesmophore.
La flotte des Atfiénieas, renforcée de
(0 Hérodote, IV, 85, 93.
quelque vaisseaux de GQ|riutbe, sedécida
enfin à livrer le combat ; elle rèmpqrta
une victoire complète, et les Éginètes
furent réduits à implorer le secours des
Argiens, qui permirent seulement à
mille volontaires, commandés par £u-
rybate , de passer au service d'Égine.
Cette petite armée, défejte dans Ttle
par les Athéniens , fut exterminée pres-
que entière, après avoir perdu son chef.
Mais la flotte d'Égine reprit le dessus ;
profitant de la négligence et de la con-
fiance extrêmes dès Athéniens , elle les
surprit, les mit en déroute, et enleva
quatre vaisseaux avec les troupes qui les
montaient (1).
Ce fut au milieu de ees alternatives de
victoires et de défaites des deux puissances
rivales que Xerxès entraîna contre la
brèce toutes les forces de l'Asie. Les
Grecs, réconciliés par le danger com-
mun, coururent aux armes , et lorsque
la flotte médique pénétra dans le golfe
dTÉgine, ellen'v trouva que des ennemis.
A la iournée de Salanûne, le 30 septeni-
bre de l'an 480 av. J*-C.. ce furent lés
quarante-deux trirèmes d'Èsine, les meil-
leures voilières de toute la Grèce, dit lié- ^
rodote (2), qui décidèrent la victoire.
Elles occupaient Taile droite de la flotte
confédérée (8). Le reste de la mariue
éginète avait été laissé en croisière pour
protéger Tîle.
Au moment où les Perses, mis ei;
fuite ^ tâchaient de gagner le port de
Phalere, les Éginètes, pmcés dans le dé-
troit, les reçurent avec vigueur. Poursui-
vis; impitoyablement par les Athéniens ,
les barbares n'échappaient à leurs armes
que pour tomber sous les coups des Égi-
nètes.
Parmi les Grecs gui se signalèrent à la
journée de Salamine nous retrouvons
un descendant de Crios, cet opiniâtre
ennemi d' Athènes. Polycrite , son fils,
avait attaqué un vaisseau sidonien et le
pressait vivement. Au plus fort de l'en-
gagement paraît Thémistocle, lancé à \a,
poursuite des Perses. Polycrite reconnaît
le vaisseau amiral d'Athènes à la figure
dont il est orné. Il appelle alors à haute
voizThémistocle, et, sans cesser de eom-
(i) Hérodote, lY, 85-93.
(aj Hérodote , VIII, 46.
(3) Diodore de Sicile , XI, 1^
508
L1MVER8.
battre : « Chef des Athéniens, lui erîe-
t-il, reconnais l'attachement qu'Athènes
reproche aux Éginètes pour les- Mèdes. »
A ces mots il s'élance à l'abordage sur
le vaisseau sidonien , et s'en empare.
Après la victoire , on décerna le prix
de la valeur aux Éginètes. Au second
)rang vint Athènes (1). Ces héros de la
Journée de Salamine n'étaient pas seule-
ment épris de la gloire; restés fidèles à
leur instinct commercial, ils surent ti-
rer profit de leur triomphe. Les prémices
de rimmense butin ayant été envoyées à
Delphes, les Grecs demandèrent au dieu,
au nom de tous les confédérés, s'il en
avait reçu de complètes et qui lui fussent
agréables. Le dieu répondit qu'il en avait
reçu de tous les Grecs, excepté des Égi-
nètes, dont il exigeait un présent, parce
qu'ils s'étaient distingués entre tous au
combat de Salamine. Sur cette réponse,
les Éginètes furent contraints de fiiire
leur tardive offrande, et consacrèrent
au dieu trois étoiles d'or élevées sur un
mât d'airain (2), hommage forcé et peu
coûteux. Ils conservèrent ainsi la plus
grande partie des dépouilles médiques,
et ils grossirent encore leur lot par une
habile spéculation que leur suggéra leur
esprit mercantile. Après la bataille de
Platée (479 av. J.-G.), les Ilotes
charaés par Pausanias de réunir en un
seul lieu tout le butin fait sur les bar-
bares en détournèrent une grande partie,
qu'ils vendirent aux Éginètes. Ceux-ci
{)rofitant de l'ignorance de ces esclaves,
eur achetèrent des masses d'or au
même prix que si c'eût été du cuivre (3).
La puissance d'Égine était arrivée à
son apogée. L'île comptait au moins
5,000 citoyens. A cette population libre
et indigène il faut ajouter un grand
nombre d'étrangers domiciliés et une
multitude prodigieused'esclaves, qui s'é-
levait au nombre de 470,000, si le cal-
cul d'Aristote dans Athénée est exact (4).
Cette prospérité devait nécessairement,
une fois le danger commun évanoui, ra-
nimer les rivalités des deux peuples. Les
(i) Hérodote, VIII, 91, ga, 9$.
(a) Hérodote, Vm, laa.
(3) Hérodote , IX , 79.
(4) AthcD. Deipn^ liv. VI, ch. xx ; — Voy.
aussi Bœck, économe poUdaue dts MlU^
Athéniens tournèrent tous leon efforts
vers l'accroissement de leur marine. ïs
eurent iusan'à quatre cents trirèmes
Alors Athènes pouvait écraser Épœ.
Tous les moyens lui furent boos pov
satisfaire sa vengeance; die dépl^^à
l'égard de son antique ennemie on a
frand acharnement, qu'il devintSproH^
ial, et qu'Aristote en fait on exeiopk
de lieu commun dans sa Rhétorique ;ii.
Ce fut entre les deux dtés une gun
d'extermination. Périclès avait dit, m
parlant d'Égine, qu'il fallait détnâi
cette taie placée sur l'œil du Piréeffl.
Dès que la guerre eut recommencé, A
fut marqua par d'atroees cruautés ;kp
Athéniens firent couper le pouce de s
main droite à tout Émnète lait prtaoft-
nier, afin de le mettre dans rimpossibilil
de se servir delà lance, sans pourtant q«
cette mutilation l'empêchât de manjab
rame sur les galères athéniennes, oui
serait emoloyé comme esclave (3). Ei
présence cr un tel adversaire, les Éguièta
auraient dû faire cesser leurs différeodL
Loin de là , leur cité se déchirait de sef
propres mains, et préparait par ses ësr
sensions, la victoire d'Athènes.
En 457 (av. J.-C. } les Athéniens , 00a-
mandés par Léocrate, liYrèrait à h
flotte éginète une bataille décisive. U
victoire des Athéniens fut com|^ète,tf
soixante et dix trirèmes capturées sa
l'ennemi en furent le prix ; ils pourscifv
rent jusqu'à terre les vaincus, et mrst
mettre le siège devant la ville (4). Ls
Éginètes firent une défense héroïque é
dâespérée. Tous leurs efforts éœoJr
rent devant l'acharnemoit des Atl»-
niens. En vain les Péloponnésîens fir«ct-
ils passer à Égine trois cents bopliles )i
occui>èrent les hauteurs de la Géranjf ;
en vain les Corinthiens, alliés d^Éginc^s*
sayèrent-iisune diversion,en opérant me
descente dans la Mégaride , les Athé-
niens, malgré la faiblesse à laquelle le^r^
duisaient les troupes nombreuses qoD»
avaient en Egypte, ne rappelèrent pa
un soldat d'Égine. Leurs entants et leur^
vieillards prirent l'épée, quittèrent Athè-
nes, et allèrent secourir M^are sous le
i
x) ArisL, Mftêi^ liv. If, ch. xxii.
a) Pluiarque, Pêrielèj, 8 ; Démosikiae, :
(3) Cioéron , i/e OjfciU , Kt. III , di. u.
(4) Diodoro de Sicile , XI, 7S.
ILES DU GOLFE SÀ&ONIQUE.
fioe
Hunandement de Uyoonkies (1). EnÛn
s Eginètes, réduite à la dernière extré-
lité, durent consentir à une capitula-
on : ils furent contraints de raser leurs
lurailles et de payer au vainqueur un
ifaut annuel (2).
Quelque temps après, la guerre du
éloponnèse éclata ; Égine reprit quel-
oe espérance. Pendant le si^e de Poti*
ie(430av. J.-C.) les Éginètes avaient
araillé secrètement avec les Gorin-
ilens à hâter la rupture de Sparte
; d'Athènes (8). Les Athéniens, ins-
uitsdeces manœuvres, les accusèrent
) conspirer avec Lacédémone , opère-
nt une nouvelle descente dans rîle ,
lassèrent sans pitié les habitants^
œmes, enfants et vieillards, et distri-
lèrent leurs terres aux colons ou clé-
^ques, citoyens pauvres de TAttique ,
(on envoyait habiter le territoire des
iIdcus. Les Lacédémoniens, en haine
Athènes , et par reconnaissance des
cours qu'ils avaient reçus des Ëginètes
rs de l'insurrection des Ilotes, ac-
leiliirent les fugitifs, et leur dou-
ant pour séjour Thyrée, dont le ter-
toire fertile confine à TArgolide et à la
iconie , en descendant jusqu'à la mer.
ue partie des Éginètes sV établirent;
s autres se dispersèrent aans le reste
> la Grèce (4). Mais peu d'années après
ur établissement à Thyrée les Athé-
cns les attaquèrent de nouveau. A
(ir approche, les Éginètes abandon-
!feot le mur de fortification qu'ils
Qstruisaient sur le bord de la mer,
tentèrent de défendre la ville haute.
}andonnés d'une partie de la garnison
^démonienne , ils succombèrent bien-
^ dans cette lutte désespérée. Les
^éniens débarquèrent avec toutes
irs forces, accablèrent les assiégés
os leur nombre, et réduisirent la ville
cendres, après Favoir mise au pillage*
emmenèrent prisonniers tous ceux
3, soldats d*Ëgine qui n'avaient pas
ri dans l'action, et, revenus à Athè-
^ ils les livrèrent au bourreau (5).
lelques années plus, tard (404 av.
iOThucydidc,I,io5.
1») Id., I, loS,
P)Id..I,67.
» W., rv, 57 et suiv.
!.-€.)« après la journée d'i^os-Pota*
mos , quand le vaisseau paralien arriva
apportant la désastreuse nouvelle , et
annonçant Tarrivée de Lvsandre, on se
souvint du massacre cies Éginètes :
« Cette nuit-là personne ne dormit , dit
Xénophon; ils pleuraient les morts,
et se demandaient comment les Lacé-
démoniens allaient venger leurs amis
les citoyens d'Égine exterminés (1).
Lysandre, maître d'Athènes, réunit
les débris épars delà population éginète,
et les rétablit dans leur patrie.
L'île d'Égine recouvra alors un
semblant de nationalité, pâle reflet ce-
pendant de sa splendeur évanouie. Ré-
duite à subir la protection dominatrice
de son ancienne alliée, elle devint tribu-
taire de Sparte, et dut accepter la tutelle
d'un harmoste lacédémonien. Ses ma*
rins formèrent les équipages des flottes
lacédémoniennes, et elle devint un cen-
tre d'opérations maritimes contre l'Atti»
que. Protégés par la puissance de Sparte ,
les corsaires d'Égine firent la course con-
tre les navires d Athènes, et allèrent en-
lever jusque dans le Pirée les trirèmes,
, les vaisseaux de commerce et les barques
de pécheurs. Mais bientôt Athènes se
releva de son abaissement, et reprit sa
supériorité sur Égine, qu'elle rendit de
nouveau tributaire, après la victoire na-
vale remportée à Naxos sur les Lacédé-
moniens par Chabrias (376 av. J. G.}-
Depuis cette dernière et suprême lutte
contre les armes athéniennes jusqu'à la
réduction de la Grèce en province ro-
maine, l'existence d'Égine se révèle à
peine dans l'histoire. Lors du siège
d'Athènes parCassandre (319 av. J.C.),
ce prince fait de cette Ile sa place d'ar-
mes; elle reste sous la domination des
rois de Macédoine iusquc^vers l'an 233
av. J. G., époque a laquelle elle entre
avec Athènes dans la Ligue acbéenne.
Enfin, lors des guerres des Romains
contre Philippe, après avoir tenté un essai
de résistance, les Éffinètes sont réduits
à la prière. Ceux crentre eux qui n'a-,
valent pu trouver leur salut dans la
fuite se présentent en suppliants devant
le général romain, Pobiias Sulpitius,
pour obtenir de lui la permission d'en-
voyer des députés vers leurs alliés, afin de
(i) Xénopkon, Heliéniques, W^i.
510
t'UiviVERS.
rassemblerlebrilcde letirrdoçon. PubUus
leur fdit d'aDord durement sentir leur
défaite et leur impuissance. Le lende-
main, cependant, ayant réuni touâ
les capti&, il leur dît que les Ëginètès
Ile sont dignes d'aucune pitié; mais due
ciependant, par considération pour les
autres Grecs, il leur permet de donnelr
à quelques-unâ d'entré èUx la mission dé
recueillir Targent néees$àiré à leur ra-
chat (1). La rançon, il paraît, ne put
être réunie, et les débris de ce peuple
qui avait possédé 470,000 esclaves tu-
rent livrés comme appoint d'un traité,
parle Romain Sulpitiuâ, àUxËtOliens,
qui les vendirent aii roi Attale pour la
faible somme de 30 talents (environ
160,000 francs) (2).
Dans toute la suite de cette guerre ,
Égîne servit de quartier eénéràl aux Ro*
mains, à Attale, auxRbooiens, dans leurâ
opérations maritimes éontre la Macé-
doine. Après la chiite du royaume de
Pergame, elle tomba sous la domina-
tion du sénat, qui lui laissa son adminis-
tration particulière. Plus tard Marc-An-
toine fit don de Tile aux Athéniens, qui
l'avaient flatté (3).
Cette période obscure de l'histoire d*Ë-
gine a été éclaircie de la manière la plus
heureuse par les récherches de M. Phi-
lippe Lebas, dans son savant travail sur
une inscription grecque d'Égine, extrait
du tome II des Nouvelles Annales pu*
(i)Polybe,IX,4a.
(a) Polybe, XXIII, 8.
(3} Dàpner (Description des lies detArehi'
pel) parle d'uo tremblement de terre qui aurait
renversé la capitale de Tile, et touché de
compasssion Tempereur Tibère au point qu'il
aurait accordé aux habitants une immunité
d'impôts de trois ans. Ce malheur fut peut*
être le seul qui manqua dani la longue iérïé
d'infortunes que pah»>urttt Ëgine depuis sa
déebéance. CesihjBptim, vilie de TAchaîe,
confondue par quelques traducteurs de Tacite
avec Égire , ville du môme pays, et de là, par
similitude, avec Égine, qne se rapporte le tait
que nous venona d'énonofs*. (Voy. Tacite»
jâtmahÊ, IT, i). ) En terraÎBant cette note»
noes voyons qœ nouft nous sommes rencon*
tréevec M. Ph. P. Lebei» qei avait oonstaté U
même erreur, et Tavait rectifiée dans son
travail sur une inscription grecque d'É^ne,'
extrait des Annales de tlnstitut Arekéolo-'
gique.
bliées par la seetioh française de r/«-
stitut archéologique, « 11 me reste, dit-
il, à résumer en peu de mots les difl6
rentes questions qtli ont été discutas
dans ce mémoire, et à constater qoeOei
nouvelles lumières rarchéoiogie et rk-
tbite. doivent aux deux déaretsqaeje
viens d*examiner.
« On ignorait jusqu^iei quelles araiol
été ieë destinées politiques de 111e dt-
gine depuis 405 avant J.-G jusqu'à 1^
poque ou elles'associa à lallgueacDéeDX.
On savait bien qii^en 376 elle était es-
core dans la cotidition où Tavait pla^
Lysandre après la bataille d'i£sos-Pot?*
mos, puisque le Spartiate Pouis Tint;
mdtiiller, et tint ae là Athènes assié-
gée ( 1!). On avait bien aussi quêtais
soupçon , d'après un passage d'Aristote.
que 'Charès, en 367, l'avait reodoe i
Atbènes: et TËginétique d'Isocrate, qoi
suppose des relations intimes entre Érj>«
et Athènes , Texil de Demosthèoê :
Égine, d'où il tut, par ordre dapic-
vemement, ramené en Attique sur biv
galère de l'Etat (2) , enfin l'asile qo'H)-
péride, Aristonique de Marathon, Hh
mérée , frère de Démetrios de Phalcre.
et d'autreâ encore vinrent chercher it&
V^aceium^^oh Archias les arraeha,s>3f;
par force, soit par ruse (3), prétaierttà
cette opinion quelque vraisemblaoc^:
mais comme ensuite l'histoire montrât
Égine occupée par ceux des sueoessecrs
d'Alexandre qui furent en guerre anc
Athènes, et leur servant d'arsenal et ik
pbint d'attaque , les uns avaient supp^^
qtie le fait en question se rapportai! i
une autre époque (4), d'autres Tavalart
considéré comme incertain (5 ).
« Aujourd'hui, ce me semble, d*apr^
les nouvelles liunièreS que jette sureeitt
question le décret en l'nonneur dastn*
tége pergaménien, il n'est plus pem^
de douter qu'Égine n'ait été recoDijui^'
par Athènes en 367 , grâce au coura^
et aux talents militaires de Charés.^^
(i) Xén., HeU., liv. V, ch. w, % 6i.
(a) Plut., Vie de Dém.^ cb. xxTt et w^
(3) Ibid., ch. xxviii, et Arrien, Sacc. / ^
lex., dans la Bibl. de Photins, Ms. ICII
(4) Toy. Gasaub. sur Polyb., p. <'^;
Gronov. Wesseling sur Hérod., p. T?'
Schneider sur Xén., HeU»t p. «>9.
(5) Tojr* M. MâUefy p. 191.
ILES DU GOLFE SARONIQUE.
511
xïnsert^, tttalgfélès tentative de té-
rolte des habitants, grâce à la fermeté
!t à rénergie de ce général ; que dans
;e8 jours malheureux où Antipater per*
iécuta les derniers défenseurs de la lî-
}erté d*Athènes, cette île appartenait
iDcore aux Athéniens; qu*à partir de
ette époque y souvent oecupée de vive
orce, mais toujours temporairement,
antôt par Cassandre, tantôt par Démé>
rius , Egine dut relâcher de plus en plus
e lien qui Tunissait à Athènes, sans
ependant le rompre entièrement. Ausçi
a voyons-nous , dès qu'Athènes est dé-
ivrée par Aratus , s'unir, sans doute à
m exemple , aux Achéens, dont le chef
léroîcjue vient de rendre Tindépendance
la vilie de Périciès. Bien Qu'affranchie
n quelque sorte par Textreme faiblesse
u est tombée Athènes, et par ce dernier
cte qui la fait entrer comme état libre
lans une confédération puissante^ Égine
l'en consenre pas moins Torganisatioa
t les institutions que Charès lui a don*
iées,et la pt'udeute politique des rois de
^ergame, quand ils l'achètent des Èto-
îens, ne change rien en apparence à cet
lat de choses .qui se maintient pendant
Dut le temps de leur domination. Seu-
iment un gouverneur militaire , envoyé
ar eux , représente leur autorité dans
ile, et leur en garantit Tobéissance. De
!ur c<)té, les habitants apportent à leurs
istitutlons religieuses quelques modi-
cations, qui ont pour but de flatter leurs
ominateurs. Lorsque, en 130 avant
•C, le dernier reieton des Attalides
Jt succombé sous les efforts de Rome«
?ine, qui sans doute lui était restée
Jèle, est envahie par les anciens par-
saas de la ligue achéenne , probable-
eot Doriens pour la plupart , qui s*é-
ieot exilés lors de l'arrivée d'un maître.
ne révolution politique s'opère dans
le :elle redevient dorienne, et reste
m cette situation malgré la guerre de
ithridate, malgré les incursions des
rates, jusqu'au jour où Antoine la
Qd aux Athéniens , qu'Auguste en dé*
mille peu après. Alors TTle recouvre
mtonomie jusque sous Vespasien, qui
lui enlève eaeore une fois; mais Ha-
len la lui rend, et elle en iouissail
icore sous le règne de Caracalla.
« Ainsi avec le seul secours de quelques
iscriptions , passablement mutilées ,
j'ai pu, avec une tiflMnè efertityaé,
restituer aux Éginètes près 4t six cents
années de leur histoire (1 ). Je m*estime
(i) C'est ce que rendra aemible le tableau
chronologique luivant y ou j'indique par un
astérisque les dates qui ne sont que conjectu-
rales :
Av. J.-C. 367. %iné est f%cdnquise par
Charès, oui y reste probablement quel-
qties anneips en statioii àtéc la fldtte athé-
nienne. — Rétablissement de la démo-
CTZXïvt et dés institutions athéniennes.
*366. Unb conspiration éthte ; elle est com •
primée.
3s4. Bémosthètie exilé à tgmh. Plut., bem,,
ch. xiVi.
3!i3. n est rappelé, et ramené sur Vkh tais-
seau envoyé par le gouvernement. îbfdeih,
ch. XX vu.
32». Hypéride est tué & Égine. ihid,,
ch. xxvrzi.
3 18. Cassandre force les Éginètes à s'associer
h lui. Diod. Sic, liv. XTHI, ch. i.xtx.
3o^. Démétrius, sorti d'Égine et de Salamine,
s'empare du Pirée. Polven, liv. lY, ch. vn,
S 5. Cf. P!ut.,-i>em., cB. Viir.
229. Athènes est délivrée du joug macédo-
nien par Aratus. Égine s'uttit à la ligue
achéenne. Plut.» Arat., ch. xxxiv.
axi. Elle est prise par Sulpiciuâ et par les
Étoliens, qui en chassent satas doute une
garnison macédonienne.
an. Égine et m% habitants sont achetés par
Attale I*' au proconsul Sulpicîus et aux
Étoliens. Polybe, XXÎII, 8. — Émigration
de la population dorienne. Toyez p. i34
et 139. ;
*aio. Attâle envoie un de ses gardes du corps
pour gouverner llte en son nom.
ao8. Attale vient à Égine. Tite-Iive, XXVÏI,
3o. Il y passe l'hiver avec P. Snlpicius*
Ibid. 33, et XXVHI, 5.
207. P. Sulpicius ramène la flotte ft Égine.
Tite-Live, XXVIII, 7.
aôi. Attale et les Rhodiens, après avoir
poursuivi Philippe III. qui se retire en
Macédoine, vont mouiller à Égioe, et de
là le roi se rend à Athènes , où il est comblé
d*honneurï. Polybe, XTl, a5, et Tite-Live,
XXXI, 14. Il retourne auprès de sa flotte,
et va chasser les earnisons macédonienne^
qui occupent les lies. Tite-Live, ibid^^ xSf.
Il s'arrête ensuite ï Égine pour attendre
les députés que de cette tlé il à envoyés
en Étolie. Ibid,
*aoo Philétère, fils d'Attàle» est envoyé
conune stratège à Égiue.
M2
LUNIYEaS.
d'autant plus heureux d*un pareil résul*
tat , que jusqu'ici la plus ^nde obscu-
rité avait régné sur cette époque, mal-
gré les recEerches consciencieuses du
savant à jamais regrettable qui le pre-
mier s'est occupé de reconstituer les ar-
chives d'une contrée non moins illustre
dans les fastes de la régénération de la
Grèce aue dans l'histoire de cette lutte
solennelle et décisive où ses guerriers
198.- AUale passe Thiver à Egine. Tite-Iive»
xxxn, 39.
197. Atlale est confirmé dans la possession
d^Égine à la paix conclue par les Romains
avec Philippe III.
i^a. Eamène s'arrête longtemps à Egine ,
incertain s*il doit retourner en Asie pour
défendre ses États contre Antiochus ou
l'ester auprès des Eomains. Tite-Live,
XXXVl , 4a.
186. Gassandrê proteste contre la vente d'É-
gincy et demande que Tile soit rendue à la
ligue acbéenne. Polvbe, XXIII, 8, 9.
17a. Eumène, attaque et blessé par lès émis-
saires de Persée, se réfugie à Égine. Tite-
Live,XUI, 16.
*i7i. Philétère est r&ppelé; il est remplacé
par CléoUy garde du corps du roi.
*i55. Décret des Éginètes en Thonneur de
Gléon.
*x3a. Le stratège pergaménien d*Égine se
déclare pour Aristonique.
*t3i. Il lui envoie des secours levés en
Acbnle.
*i 3o. Défaite d' Aristonique. — Les Romains
rétablissent en Grèce les confédérations
xttTà £6voc, celle des Achéens exceptée.
Ces confédérations, qui sont doriennes,
favorisent le retour des bannis d'Egine.
^129. Retour des Doriens à Égine; révolu-
lion dans nie.
Sft et suiv. L'île d^Égine est envahie par les
pirates ; la ville résiste.
*6e. Décret en l'honneur de ragoraoome Dio-
dore.
4r. Antoine donne Égine aux Athéniens»
Réaction athénienne.
3o. Auguste hiverne i Égine; il écrit de
cette île aux Athéniens.
1 1-74. Auguste enlève Égine aux Athéniens.
Elle reste libre sous Yespasien.
74. Égine perd son autonomie sous Ycspa*
aien.
lài. EHe la recouvre sous Adrien.
i6x-x8o. Elle en jouit encore sons Març«
Aurèle.
X 96-9 1 X . $oos Septime-Sévère.
a r x-2 T 7 . Sous Caracalla.
mériteront k prix delà Tafeur à Sala-
mine. »
Egine bans les temps modernes.
Sous les empereurs grecs, Émne tra-
verse obscurément les lones siècles qui
s*écou1ent entre l'invasion des bsuitares et
les croisades. Ce n'est qu'après la prise
de Gonstantinople par Banaouin et la
croisés en 1204 qu'il est de nouveau
Suestion de cette île. Lors du paitas?
e l'empire grec, elle échut à la répubti-
Sue de Venise, et Galeas Blalatesta, gen-
re d'Antoine le Bâtard, seigneur d'A-
thènes, prit le titre de prince or£gtne(t;.
Venise y envoya ses provéditeors, comoir
autrefois Sparte y avait placé ses Aor-
mostes, et sous l'impulsion d'une répu-
blique de marchands le génie d'Épx
se réveilla encore ime fois. On vit r^
nattre à la fois sa population et soi
commerce ; elle alimenta avec Venise, a
suzeraine, les comptoirs deTyr,BérjlP.
Alep, Gonstantinople, Sinope, Trrl»-
zonde, et les villes commerçantes située
aux embouchures du Phase et du Ta-
nais.
Au seizième siède, les Tures ravirai
à Venise cette possession; c'était le txmp
où sur toutes les plages, dans tous te
replis de la Méditerranée le croissaoi
faisait la guerre à la croix. Soliman 11
venait (l'an 1536 du Christ) de mettre ei
mer une flotte de 400 voiles, qid devais
porter la guerre en Italie. Il alla d'abon:
ravager Corcyre, et dirigea ensuite s
route vers Égine. Par son ordre, le et
Eitan- pacha Barberousse, le ternUr
éros des sanglantes légendes de Te
poque, parut un matin avec toutes s»
voiles devant le port de l*tle (IW
Il envoya un héraut au gouverneur pooi
le sommer de se rendre. Sur aon rm
l'attaque commença. En vain les É^
tes opérèrent une sortie dans laquelieiis
firent un immense carnage des Turcs -
écrasés par le nombre sans cesse renais-
sant de leurs ennemis, ils furent ew
traints de se replier dans la citadel)«
Mais la ville et la forteresse furent a
quelaues heures réduites en coadres pv
rartitlerie de Barberousse. Tous le
bomoies forent massacrés jusqn'aa àet
(i) Daru, Hisi, de Venise , IV, 5;.
IL£S DU GOLFE SARONIQUË.
518
lier, et let femnm et les enfants trans-
)orté8 avec le butin à Constantinople (f ).
l.'amiral tare disait à cette occasion que
a conquête de la plupartdes lies de l'Ar-
ihipel tombées en son pouvoir n'aurait
le valeur à ses yeux qu autant qu*il se-
ait maître d'Êgine. Lorsque François
riorosini la reprit pour Venise, en iG54,
Ile était entièrement livrée à la barbarie
nusulmane, et servait de repaire aux
orsaires de TArchipel. La ville même
*était déplacée; elle avait quitté le bord
le la mer, pour se transporter au cen-
re de Itle, en gravir les rochers et se
raDsformer à leur sommet en une forte*
esse redoutable, que ruinèrent les Véni-
ieos. En 1 695, Morosini, secondé par Sé-
lastien Mocenigo, préfet du golfe Adria-
ique , releva les ruines de la ville qu*il
ivait détruite, et construisit^pour défen-
Ire rentrée du port contre les Turcs, une
oor qui existe encore. Puis il transporta
lans file une partie des habitants du Pi-
"ée, dont il avait rasé la forteresse. Ye-
)ise vengeaitÉginedesdévastations d'A-
hènes. En 1699, après une longue guerre
)ù Tempire ottoman vit commencer sa
)ériode de décadence, le traité de Car-
owitz, qui réglait les possessions des
Turcs, de Tempereur et de la république
le Venise, laissa à cette dernière la sou-
'erainetédel11ed'Égine(3).
Eofin , en 1714 Ttle, dont la prospérité
x)mmeo<^it à renaître, sous la protec-
ion vénitienne, se rendit sans coup fé-
ir aux Turcs, subjuguée par Feffroi
|ue lui causèrent les massacres de Co-
inthe (3). Depuis cette époque Égine ,
'insi que le reste de la Grèce , ne fit que
>âyer des tributs et fournir des esclaves
I la Turquie, jusqu'au moment où, levant
étendard de la croix avec les marins
IHydra et d'Ipsara, les Éginètes donnè-
ent le signal de l'insurrection , et com-
nencèrent cette guerre justement appe-
lé Ja guerre de Tindépendance. Le 8
uin 1828 le comte Jean Capo d'Istrias,
>i'ocIamé président du gouvernement
jellénique, en établit le siège à Égine,
ou il le transféra à r^auplie en juin
1^29. Aujourd'hui Égine est une épar-
(0 Dapper» Desetiption dés Iles de VAt'
^''fP'i, p. aSo.
(a) Dwu, HUi. de Venise, XXXIV, S.
(î) Dwn . id.^ id.
ehie du département de rAtti^pie et
Béotie.
BTAT DS t A CIVILISATION DANS lIlB
d'bginb.
GOMMBBCB DBS ÉGINBTBS. — L'tle
d'Égine, dont nous venons de suivre les
luttes Doiitiques depuis les premiers
temps ae l'histoire grecque , dut princi-
palement sa prospérité à Taetivité du
génie de ses habitants, à la fois commer-
çants, industriels et artistes. Comptoir
commun de la Grèce (I), Égine, qui
jusqu'à la guerre du Péloponnèse con-
serva la liberté de commerce avec Athè-
nes (3) , voyait se centraliser chea^ ses
irapézites ou banquiers tontes les trans-
actions des peuples ses voisins. bSa-
sage de la monnaie avait été importé
chez les Éginètes par Phidon, roi d'Ar-
ffos (3) , et le change était resté une des
Dranches les plus importantes de leurs
profits commerciaux. La monnaie d'Ë*
gine était généralement plus forte que
celle d'Athènes, ainsi que nous l'apprend
Julius Pollux (4) : « La drachme ^né-
tique était plus forte que la drachme at-
tique , car elle valait aix oboles (on sait
que la drachme attique valait six obo-
m),ljes Athéniens rappelaient drachme
^ûi6 (forte), ne voulant pas la nom-
mer drachme d'Égine, par haine des
É^nètes. » Le même auteur ajoute plus
lom : « Le talent attique valait soixante
mines , mais le talent éginète en valait
cent, selon la proportion établie. » Ce
fait peut donner une idée de la richesse
métallique des Éginètes.
Les vaisseaux d'Égine allaient cher-
cher dans les ports de la Syrie et de l'E-
gypte la soie, les épices, les aromates,
Pivoire, les perles, les pierres précieu-
ses, les substances tinctoriales de l'Inde ;
les riches étoffes de soie, d'or et d'ar-
gent de l'Assvrie et de la Perse; les par-
fums de l'Ara'bie; les éclatants tissus, les
vases de bronze, et autres objets prove-
nantdes fabriques phéniciennes ; les blés,
(i) Voy. Schol. Aristoph., ad Mon., 363.
(a) XéoophoD, Helléniques, liv. T.
(3) Le type des anciennes monnaies d'É-
Sine était ordinairement une tortue on une
tète de bélier. ( Yoy. Ottfr. Millier, JEgine-
tica , p. 56y 88 et Ruiv. )
(4) Jul. Pol., Onom.y IX, 76, 86. '
33* Livraison. ( Iles du Golfb Sabonique. }
S3
514
LUNITEKS.
le lin, brttt et ouvré, le papyra», le na-
tron, les poteries fines, les verreries co-
lorées ou gravées, et les dattes de l'E-
gypte ; les esclaves noirs , Fi voire , la
poudre d*or et les parfums de TÉthiopie,
et enfin les précieuses marchandises de
rinde et de la Perse, arrivant par le
Phase et la mer Casnienne dans les ports
de la mer Noire, aoù les navires égi-
nètes emportaient aussi des fourrures,
des pelleteries, des poissons salés, de
la poix, des cordages, du bois de
construction, du bétail , des laines, des
blés, de la cire, du miel et des escla-
ves (1). Ëgine, dont les habitants ne mé*
prisaient aucun moyen de s'enrichir,
avait aussi donné à la fabrication et ali
commerce des poteries une eitension qui
lui avait valu dans l'antiquité Tépitheta
de x^TpdiKdXtc , marchande de tnartiH*^
tes (2). Les ouvriers d'Êgine possédaient
aussi àundegrétrès-avanoérartde la mé-
tallurgie, et Pline rapporte que bien que
111e ne renfermât pas de mines de cuivre,
ses habitants travaillaient ce métal avec
un art admirable. Il ajoute qu'à Égiuese
trouvait un boeuf de cuivre si bien fondu
et ciselé qu'on le porta à Rome pour le
placer au milieu 6n forum boarium (3).
Il serait assez difficile, fMir suite du dé-
fantdedocumentsauthentiques, d'évaluer
d'une manière bien exacte l'étendue des
richesses de 111e; on peut néanmoins
s'en faire une idée en calculant la valeur
des esclaves qu'elle possédait. Selon Xé-
nophon et d^autres écrivains, le prix
moyen d'un esclave était de quatre mU
nés; ainsi les auatre cent soixante*dix
mille esclaves d Ëgine représentaient un
capital d'environ 174 millions de notre
monnaie. Cette somme était énorme
dans un temps où une fortuite de 70
à 100 talents (890 à 660 mille francs)
passait à Athènes pour considérable (4).
Les Lbttrbs ▲ Éoinb. — Égine
retentit des accords sublimes de la lyre
de Pindare. Ce chantre de la gloire y
vint célébrer au foyer de Lampon , un
des plus illustres citoyens de rîle, les
(x) Henri La Blanchetaù, Notice historique
sur Egine, pag. ao et suiv. ^^
ia) JuIiusPoltux, Onom,^ Ttl, 197.
3) Pline, ^/J^ JVfl/., XXXTV, a.
(4) Henri La Blanchetaîs, Notice ^ etc,
p. aa.
TletoiiM que les fils de ee dvnier, Py-
thias et Phyladdas, avaient remportés
aux Jeux Iféméens et Istbmiques. Pni
d'années séparaient cette solennM de h
bataille de Salamine* Le poète saisit
cette oocasfon pour exalter la valeur dei
Éginètes dans les temps héroïques et à
l'époque actuelle. Après avoir rappelé
les héros dont les exploits inspirent ks
chants de la Muse dans les autres cités
de la Grèce, il s*exprime ainsi : ■ Mais
c'est dans OËnone qae sont eé\€Ms }«s
grands coeurs d'Éaque et de ses enfants;
ceux qui marchent avec Hercule et 1«
Atrides ont deux fois renversé par kun
armes la ville des Troyens. Muse, preods
maintenant ton essor, et redis-moi qui a
tué Gyenus , qni a tué Hector, el Fintré-
nide chef des Ëthiopiens , Metnnoo a
l'armure d'airain ; dis-moi qui blessa de
sa lance le vaillant Télèphe sur les nres
du Calcus. Le nom de la patrie des ac-
teurs de tant d'exploits est dans tonte*
les bouches . C'est Ë^ne , 111e noble rt
gracieuse, Égine , qui depuis longtemps
s'élève comme une tour puissante , for-
tifîée par des vertus trop hautes pour
qu'on puisse y atteindre. Ma lanzof .
déliée par la Muse, pourrait faire enten-
dre encore plus d'un trait à sa louassf :
et aujourd'hui, pour les travaux de MaH
j'aurais le témoignage de la ville d^Ajn.
de Salamine , sauvée par les marins ep-
nètes dans cette inonclation de barbares.
où d'innombrables bataillons tombaieBt
comme une grêle sanglante. (1) •
Nous ne rapporterons pas ici la liste
des vainqueurs olympiones, enjbnts d'Ë-
gine, dont Pindare célèbre les palmes
Alcimédon et Timosthène , tous desv
frères et tous deux vainqueurs ; Aristo-
mène le lutteur ; Sogenâ , eouronné as
pentathle ; Dinis, le néros de la eoors^
du stade, ettantd*autresdontlechantiY
thébain a fait parvenir les noms jnsqn^a
nos jours. Nous rappellerons gn'Égiof.
rivale en tout d'Athènes, avait comioe
elle un stade, et que Pindare met as
nombre des hauts raits qui ont illostre le
célèbre athlète Diagoras le Rhodien les
six victoires qu'il remporta auxjeuxcel^
brés dans llie en Thouneur d'Éaque \t^
il) PiwL, Jsttim,^ rV, V, ▼. 34, 45-
(a) Pind., Olymp., Tilt; Py/A-, TIII.
Ném,im\Ném, VIII; 0/yii^.,TIT, t5i-*i
ILES DU 60LF& SARONIQUÏ:.
êîB
Sgine, dont la déchéance donna liea
a proverbe grec : « Il est comme £gine :
I a mis an monde ses meilleurs enfanta
s premiers (1), » fut à Tépoque de sa
uissance la patrie et le séjour des es«
rits les plus distingués de la Grèce. Si
on prenait an sérieux ce que dit Aris-
ophane dans ses Jchaméens, v. 653, il
ttrait été, comme enfant ou habitant de
Ile d*Égine, la cause réelle de Tinsis-
ance que les Lacédémoniens mettaient
revendiquer la possession de cette tle.
•uiTant lui , le puissant monarque de
Asie lui-même, connaissant Tutile et
évère franchise avec laquelle le célè-
re comique parlait aux Athéniens, au*
ait dit aux ambassadeurs de Lacédé-
noue que le peuple qui possédait un
lareil conseiller ne pouvait manquer
l'obtenir des succès constants dans la
,iierre. « Voilà pourquoi, dit-il, les La-
«démoniens f)oussent à la paix, et re-
endiquent Égine, non qu'ils tiennent
)educoup à cette Ile, mais afin de vous
Bvir le poète qui tous donne de si sa*
utaires conseils. » Selon l'auteur crée
inonjmede la vie d'Aristophane , dans
antiquité, les uns le considéraient
orameÊginète, parce que son père était
[éà Égine, les autres parce qu'il y rési-
lait le plus souvent, qu il y avait des pro-
priétés. Un de ses scoliastes nous ap-
jrend même que ses biens provenaient
lu lot qui lui était échu dans le partage
ait des terres des Éginètes (2), après
eur réduction nar les Athéniens. Peut-
tre la crainte de perdre ces fruits de la
onquéte était-elle le motif réel qui l'en-
iaçeait à occuper la scène de la conser-
^tion d'Égine. La manière assez équi«
oque dont il s'exprime , peut-être à
'«ssein, peut prêter à cette dernière in-
erprétation. Quoi qu'il en soit, il paraît
«tain que le grand comique athénien
jait de puissants intérêts qui l'atta*
njient à l'île des Éacides.
Le célèbre médecin grec Paul Êginète,
(i) Suidas, t. ni, p. 43<s éd. Kûst. '—
nogenianus,Vn,38.
W n était dénique, xh\ço^xp(i , nom qui
e donnait à ceux qui étaient entrés par le
'i^u de conquête en poaaesaion des terres des
Jinciu , partage qui se faisait par la voie du
r^ («Xîipeç). voy. Bftckb, Ee&nom, pol.
f«* Athéniens, liv Ifl, ch. i8.
qui vivait au millea du leptlènte tifeelt
après J.-C, et qui a tracé un abré|^ d«
toute la médecine en sept livres, ouvrage
estimé encore de nos jours , était né è
Égine, d'où II prit le nom d*i£gineta. Du
reste, l'histoire des letti es et des seienoei
à Égine offre bien des lacunes et exige-
rait des recherches toutes spéciales.
HlSTOIBB dbl'âbt ÉOINériQUB. —
L'histoire de l'art éginétique est mien
connue par les témoignages des aneiens ,
et surtout par les monuments qui nou9
en restent (1).
Lorsaue Pausanlas fit son voyage en
Grèce, A admira près du port de nie un
théâtre d'une belle architecture, dit-il, et
semblable (>our la grandeur et le style à
celui d'Épidaure. Derrière le tbéfltre
s'étendait le stade, dont l'un des côtés
était appuyé au théâtre. Au même en-
droit s élevaient trois temples peu dis-*
tants Tun de l'autre, et consacrés le
premier à Apollon , le second à Diane,
et le troisième à Baochus (2). A quelque
distance on apercevait le temple d'Es-
culape, où l'on déposait , ainsi que nous
l'apprend Aristophane (3), les malades
qui venaient demander au Dieu lui-même
la santé que ses disciples n'avaient pa
leur rendre. Le voyageur cite ensuite
un temple de Vénus, un temple d'Hécate»
la divinité la plus honorée oes Éginètes,
un temple d'Apbœa , sujet d'un hymne
de Pindare, et enfin, dans l'endroit le
plus apparent de la ville , VjEaceum
(A'axcrov), temple en marbre blanc, élevé
en rhanneur d Eaque. Sous le péristyle
étaieat appendues les couronnes rempor-
tées dans les jeux gymniques (4), et se
trouvaient les bas-reliefs représentant
les députatioQS envoyées à Êaque pen-
dant la sécheresse qui désola la Grèce (5).
Ce temple contenait aussi èans doute
les statues des Éacides (6). Dans l'en-
ceinte existaient de toute antiquité un
(i) Yoy. VMUtoirâ dé VArt grée d'après
les marbres it Égine et la description ae la
Gljrpioifièque de Munich , dans le livre de
M. H. Fortouly De CArt en Allemagne,
(a) Pausanias, II, 24-3o.
!3) Aristophane, Us Guêpes, Y, 132.
4) Pind., Nem.^ V, 53 ; Schol. Apollon.
Kh., IV, x^70.
(5) Pausan., 11^ 39.
(6) Ottfr. Mûller, JEgînerica f p. 16 1.
sa
$16
L'UNIVERS.
Vivier et un autel peu élevé au-dessus do
sol. Suivant une tradition mythique, cet
aotel renfermait le tombeau d Éaque.
Hérodote parie aussi d'un temple de
Gérés Thesmophore (i). Enfin, au nord-
est de la ville, sur le sommet d'une mon-
tagne, dont les premiers escarpements
s'avancent dans la mer, s'élevait le
temple de Jupiter Panhellénien. dont les
ruines, él^antes colonnes aorienues
encore debout, peuvent donner une idée
de la gracieuse et simple architecture
de l'édifice. Suivant les Éginètes, tous
ks monuments de leur île remontaient
à Éaque. Ils racontèrent à Pausanias la
tradition suivant laquelle c'était ce
prince oui avait élevé le temple à Jupiter.
Il est plus vraisemblable de conjecturer
avec Ottfried Mûller, dans ses jEgine^
UcGy que sur les débris de l'antique et
primitif édifice d'Éaque s'était élevé ce
nouveau temple, dont les élégantes rui-
nes n'offrent guère de ressemblance avec
le premier et rude style dorique, dont on
a retrouvé des traces à Coriuthe et à
Sicyoue. L'art et l'opulence d'une riche
cité s'étaient réunis pour enrichir le
sanctuaire du dieu, et le nouveau tem-
ple, rebâti sur les ruines uélasgiques ,
orné d'un colosse d'or et d'ivoire, fait
probablement avec le butin de Salamine
et de Platée, avait été réédifié après la
ffuerre médique, et, comme le pense Ott-
nried Mûller, avait changé son ancien nom
d'Hellénien contre celui de Panhellénien,
symbole de la délivrance et de la frater-
nité passagère des Grecs.
En 1811, M. Cockerell, architecte
de la banque de Londres, M. le baron
Haller de Hallerstein, MM. Forster et
Linck exploraient l'tle d' Ëgine,cherchant
à reconstruire Tantiquité avec ses ruines.
£n faisant des fouilles parmi les débris
du temple de Jupiter Panhellénien , ils
découvrirent, cacnéesà peine sous quel-
ques pieds de terre, dix-sept figures en
ronde bosse, ayant appartenu au fronton
de ce temple. Ils les firent transporter à
Rome; Tnorwaldsen les restaura, et le
roi Louis de Bavière, alors prince héré-
ditaire, les acheta au prix de 10,000 du-
cats, pour en faire don à son pays. L'é-
tude ae ces figures, qui font maintenant
partie de la cHyptothèque de Munich , et
sont connues sous le nom de nurbro
d'Égine, est venue jeter un noaveau jour
sur l'histoire de l'art grec
Dès l'époque de Dédale, personnage
à moitié mythologique, auguel la ville
de Minerve attribua l'inventioii des arts,
pendant que Samos inventait la plas-
tique, la Crète et Sicyone Fart de sculpter
le marbre, Ëgine, rivale en tout d'A-
thènes, voyait nattre et grandir Fécole
de ses artistes. Smilis et ses élèves fu-
saient leurs premiers essais de seulptoiv
sur bois (Çoava). Pausanias cite avec
éloge une statue de bois représentant
Junon , sculptée par cet artiste, et pla-
cée dans le temple de la déesse à Samos.
Il avait vu aussi à Elis, dans le temple
de Junon , des statues des saisons par
Smilis (1); enfin, près de Tégée, n
Laconie, il admirait, dans le temple
de Diane Limnatide, une statue rep^^
sentant la déesse, et faite en iMif
d'ébèue. « Cestun ouvrage, ajoale4-il,
dans le style connu sous le nom d'É-
ginétique » (2).
Les noms des artistes Éginètes cités
par ce voyageur, artiste lui-même, et
qui a enr^istré avec soin tout ce qui «
rattache aux productions des arts dam
la Grèce, sont presoue aussi nombres!
que ceux de l'école d'Athènes. Cest
d'abord Gallon, auteur de la statue de
Minerve Sthéniade , dans la dtadelle
de Trézène (3) , élève de Tectaus cc
d'Angelion, de Técole de Smilis, et que
les témoignages contradictoires de PÛne
et de Quintihen placent avant la bataille
de Marathon ou après celle d'iEgos-BD-
tamos; Glaudas, qui fit les statoes
de plusieurs athlètes vainqueurs dans
les jeux; Anaxagoras, statuaire, qsi
paraît avoirvécu sous Caissandre ; Mjroo.
auteur de la statue d*Hécate, qui onui!
le temple de cette déesse dans llte;
Philotimus, Ptolicbus, Sérambos* Si-
mon, Synnoon, élève d*Aristoclès,
statuaires ; Théopropus, sculpteur et foe-
deur, dont on voyait un taureau de
bronze dans le temple de Delphes (4i.
En avant , et bien au-dessus de eette
(i) Pausaoias, VU, 4; Y, 17.
(a) Id., Vm, 53.
(3)Id., JI,3a.
(4) PausaBÏts, Yf s«-93 ; r i, 14, 27, 17, 9-
— X, 9.
ILES DU GOLFE SAROraQUE.
&17
»&[fératioD cl*artistes, Pausanias cite
^atas, dont il parle plus en détait , au-
quel il reconnaît une véritable supré*
fnatie,et qui, il le déclare formellement,
« n'est inférieur à aucun de ceux qui
>ont sortis de l'école d'Athènes fondée
par Dédale ». Ouatas était contempo-
rain d'Hégias d'Athènes et d'Agéladas
J'Argos(l], le maître de Phidias, et vivait
;ntre la guerre des Perses et celle du
Péloponnèse ( de la 72^ à la 88^ olym-
piade, 490-431 av. J.-G. ). Les œu-
vres de cet artiste, à la fois pein-
:re, statuaire et fondeur, étaient ré-
pandues et recherchées dans toute la
[jrèce. « Les Phigaliens avaient obtenu
le lui qu'il leur Ht une statue de Gé*
'es. » (2) La Sidie montrait aux voya-
geurs son Hercule et ses statues des
léros grecs qui se présentèrent pour
combattre Hector après son défi; le
liouciier d'Idoménée portait cette ins-
cription : « Ces ouvrages sont , ainsi
jue beaucoup d'autres, le fruit du tra-
r eil du savant Ouatas, à qui l'tle d'Égine
ionna le jour. » Plusieurs statues ofrer-
;es au temple de Delphes par les Ta-
*entins étaient dues à son ciseau; enfin,
>n admirait de lui à Platée deux ta-
bleaux, l'un représentant le combat
rÉtéocle et Polynice, l'autre, placé
lans le temple de Minerve Aréa , ayant
)Our sujet la première expédition des
^giens contre Thèbes (8). Ce maître,
évidemment l'un des plus distingués de
'art grec, appartenant, par son époque
t par son talent, à la brillante période
[Q illustra Phidias , peut être considéré
tomme le plus glorieux repr^ntant de
'art éginétique. Rival de l'école d'A-
hènes pour la perfection de la forme ,
I était resté fidèle à la nationalité de
on art , et c'était souvent aux œuvres
les vieux maîtres éginètes de la femille
le Smilis qu*il allait demander des ins-
tiratlons. La vue d'une de ces anciennes
tatues de bois lui avait donné l'idée de
e mettreàcouler lebronze (4). et il avait
ait de œ métal, pour les haoitaots de
^ergame, une statue colossale d'Apol-
[>n, aussi remarquable par ses dimen-
(f )PaiMaiiiat, YIIIi 4a.
(a) Id., ibid.
(3) Pausanias, X, 4* S*
(4) PwuÊum^ VUI, 4««
fiions que par son exécution. Pausanias
insiste sur ce fait , intéressant pour la
filiation des artistes éginètes, et l'un des
anneaux qui peuvent servir à rattacher
la chaîne des origines de l'art d'Égîne
à l'histoire et à l'étude des œuvres de la
seconde manière de son école.
Malgré les progrès qu'avait faits l'art
grec vers la 50^ olympiade , il se res-
sentait encore de la démarche chance-
lante et embarrassée de l'enfance. Le
style primitif, enchaîné par toutes les
difficultés pratiques de l'exécution , se
reconnaissait toujours dans la raideur
et l'absence de naturel des attitudes,
dans la gêne des agencements , et dans
le défaut de mouvement des person-
nages. Joignons à cela la loi imposée à
tout art qui commence, et dont les
premiers essais sont toujours destinés
a célébrer la partie sacrée et mythique de
l'histoire des peuples; reconnaissooa
eette tradition originelle, hiératique,
conventionnelle et inaltérable que nous
retrouvons plus tard dans les œuvres
byzantines de l'art chrétien , et dont les
artistes s'affranchirent avec effort au
temps de la Renaissance. ^Dans les pro-
ductions de l'art grec, le type conven-
tionnel se répétait surtout dans la ma*
nière de traiter la figure , la chevelure,
la barbe et les vêtements. L'art ne com-
mence guère à sortir de cette voie toute
tracée que vers la 58* olympiade, lorsque
l'usage s'établit de doter les cités de la
Grèce de la statue des athlètes couronnés
dans les jeux gymniques. On sait l'ion
portance que les Grées attachaient à
ces triomphes, et les images sculpturales
durent reproduire avec le plus d'exae-
titude possible les belles formes des
athlètes vainqueurs. Une voie plus
large ftit donc ouverte , et les artistes se
bâtèrent de s'y élancer, ils commeoeè-
rent à s'écarter de ce respect qui oom-
mandait de conserver religieusement le
type primitif et conventionnel dans la
représentation des dkux et des héros
mythiques. Sous l'influenee d'un réa-
lisme plus édairé, fétude des tonmes
du corps fit de grands progrès, ks
personnages sortirent de cette immobi-
lité primitive, caractère des œuvres de
l'Egypte ^ et enfin la révolutioD opéiée
par les statues d'athlètes dans la lepré--
sentation de la forme cbes les morlels,
5ia
LOmiVEBS.
s'étendit aum à la reproduction des
images sacrées des dieux. Toat en obéis-
sant à cette impulsion générale donnée
à Fart grec, chaque école dut nécessai-
rement oontinuer à marcher dans sa
voie, et perfectionner mais conserver
sa manière caractéristique. C'est ce que
Pausanias ne mangue pas de reconnaître,
et souvent il distingue le style éginér
tique de l'ancien, style attique, et tous
deux du style égyptien. Un passage du
voyageur gjrec est tellement positif et
concluant a cet égard, qu'il pourrait
presque suffire a constater l'existence du
style éginète. Parlant d'un Hercule gui
se trouvait à Erythrée en lonie, il dit :
« Cette statue ne ressemble ni à celles
qu'on appelle éginètes, ni à celles qui
appartiennent aux plus anciennes sta*
tues attiques. Si elle a un autre carac»
tère , c'est exactement le caractère égy p«
tien(l). »
L'existence de l'école d'Égine et de
son style particulier n'était dope nulle-
ment douteuse; définir et caractériser
aa manière était chose difficile. Les ar-
chéologues de la France et de l'Allema-
gne étudièrent la question, sans pou*
voir la résoudre d'une manière bien po-
sitive, foute de données suffisantes, et
surtout de monuments authentiques et
complets à étudier. Winckelmann s'est
IxHmé à reconnaître rexistenoe d'une
éeole éginétique, sans en déterminer
les principes; Quatremère de Quincy
l'a assimilée au style étrusque. La d^
^eonverte des marbres d'Ëgine a permis
aux historiens de l'art de quitter le ter-
rain des conjectures, et de juger les
artistes éfijnàtes sur leurs œuvres. A la
première inspection de ces statues, il
•8t fadle de constater dans la manière
dont les corps sont étudiés, dans 1 ai-
sance, le naturel et hi vigueur de toutes
leurs attitudes, une habileté, une science
que la main d'un artiste fort exercé
pouvait seule atteindre. On est en même
temps frappé d'un contraste pénible
dans la façon dontsont traitées les têtes,
les cheveux , la barbe et les vêtements ;
en esn choqué tout d'abord par l'immo-
bilité de la physionomie oes person-
nages. CS'est qu'ici reparaît la tradition :
les héros leprésentés par Tartiste ap-
(i)Km»nin,yiI, 3,5.
nartiennent à l'histoire mythique de la
Grèce; ils sont placés sur le fronton
d'un temple; le fype hiératique, eon*
ventionnel, a ûû. être religieusement
conservé. Cette réunion de la perfectioa
et de l'imperfection de l'art dans une
même œuvre est ce oui caractérise la
seconde manière de 1 école ég^iète, ei
l'on peut reconnaître ici le zpÔTzoç li;; Ip-
Yaob(6A{Yivatb(xaXo6{jievoç&xb 'E^JjJvuv,
« le faireappelé é^nétique parles Grecs »,
ainsi que s exprime Pausanias (1).
Conformément au génie de la raee
dorieone, à laquelle ils anpartenaîeot,
les Éginètes, tout en accueillant les pro-
frès du naturalisme dans l'exécution des
ifférentes parties du corps de leurs per-
sonnages, étaient restés religieux oliser-
vateurs du type traditionnel établi par
le dogme dans les traits caractéristiqQcs
des statues consacrées au culte, la tête,
la chevelure , la barbe et le eostume
Les Attiques. au contraire, entraînes
far la mooilité propre à la race ionienne,
tendirent l'imitation de la nature à b
fi^re entière , sans pouvoir œpendam
triompher de cette roideur particulière
dans les attitudes qui caractérise ta
Eériode de l'art attique renfermée entre
I 60" et la 80® olympiade (2).
Description des mabbebs d^Éginx.
— JHous emprunterons la description
des marbres d'Égine au livre De fjrt
en Allemagne. àm& leqoel M. Hîppol}te
Fortoul a su Étire révéler par Part tons
ses secrets à l'érudition. Lire ces paga.
c'est avoir sous les yeux l'oeuvre même,
un des plus curieux et des plus admira-
bles monuments de i*art grec. Il est im-
possible de foire avec un meilleur guide
une visite à la Glyptothèque de Mumdi :
« Au centre du fronton, dansnnrecule-
ment dont les règles de l'architecture et
celles de lasculpture s'aooordeotà procb-
fx) Pausan., YIII, 53, zi.
(a) Voy, Vfa^er, Jugement sar tes Su-
tues (tSgine, accompagné de remarqt»
sur VHîstoire de tJrt par ScfaeBiiig, iSr; ;
Hirt, dans les AnaUoÊes de Woif^ UP ci-
hier, p. 167; et Misègum dé im Sâmmeite
chez Us Anciens, p. 08; Thiflnch, ^«mA-
thée, I, p. z37) Qtifr. U9^kr. jàgmetic,
àà„ p. 9S et tuiv., el Manutl de t^r€kèek'
gie de tAri, p. 6ft; MvpMiim etimtijbfee
deMorée^ teot. AfcttéoUt U JIL
ILES DU GOLFE SÂE019IQUE.
519
ner la néMflsité, s'étèveMinenre, teofiot !•
x>acher d*une niain , la lanoe de l'autre.
La tête de la déesse est couverte d'un
masque qui repose sur une chevelure dont
es petites boucles sont rangées par éta-
pes ; sa robe à longs plis droits et sym^
riques rappelle le tra?ail antérieur des
itatues de bois; ses yeux sont fendus en
imande^ légèrement relevés par les coins:
»mnie ceux des autres statues , on les
lirait empruntés à l'art chinois. Sur les
èvres, dont les segments sont minces et
lurs , et dont les extrémités sont égale*
npnt tirées en haut, s'épanouit un sourire
|ui erre aussi sur toutes les autres figures;
ïnfin, comme dans celle-ci, le men-
:on est étroit et aigu. Ainsi que M. Qua-
remère de Quinov Tavait pressenti, c'est,
le la tête aux pieds, une fiffure semblable
1 celles qu'on avait Jusque ce jour des-
(ées dans les productions de l'art étrus-
|ue, et que V^inckelmann, le premier,
ivait soupçonné pouvoir tout aussi bien
tppartenir à l'ancien style grec.
« Aux pieds de Minerve, et devant
^lle, sont deux guerriers nus; l'un
:ombe mourant en arrière , l'autre s'é-
ance et se penche vers lui pour le se-
»urir; c'est aa-dessus et au delà d'eux
lu'apparah la déesse. Le premier de ces
guerriers a reçu le nom de Patrocle; son
ïasque, <]ui a quitté sa tête à moitié,
aisse voir une srande partie de sa che-
velure, pareille a la perruque dont Mi-
lerve est affublée ; ses lèvres sourient
^n rendant l'âme, comme celles des
guerriers qui l'entourent* Celui qui le
(ecourt ne porte point de casque sur sa
été bouclée; en sorte qu*il est entière-
Tient nu. L'absence de toute espèce de
âgne ayant empêché qu'on ne lui don-
lit un nom historique, on l'a tout sim-
plement appelé un héros. A gau^e, der-
*ière Patrocle , on voit Hector qui vient
le le frapper. 11 est debout, nu, et porte le
>ouclier d'une main; de l'autre, qu'il
tient haute, il brandissait sans doute
e fer qui a tué son ennemi. Sa tête, plus
)elle que celle des autres , semble indi-
)uer sa supériorité. Son casque laisse
roir la partie antérieure de la chevelure
souciée qui lui cache le front. La barbe
le son menton lui donne un air plus
nâle; mais comme elle est sensinle-
nent potatue, et qu'à la forme bointue
(Vinekeimann a attaché le seul iudiee à
peu près certain oui pût faire distinguer
les œuvres du style étrusque de celles de
l'ancien style grec , il s'ensuit qu'il est
désormais difnciie d'établir une diffé-
rence essentielle entre Tun et l'autre de
ces deux arts. Pour faire pendant à Hec-
tor, et à droite du héros qui vient au se-
cours de Patrocle , se trouve un autre
guerrier, debout comme le fils de Priam,
nu comme lui, et comme lui portant la
barbeau menton, le casque en tête, le
bouclier au bras. C'est ce personnage
qui a reçu le nom d' Aiax, fils de Télamon.
La manière dont il est opposé à Hec-
tor rend cette désignation très -vrai-
semblable.
« La dénomination des autres che£s re-
Erésentés derrière ceux-ci n'est pas aussi
kcile à justifier. Les deux héros qui sui-
vent immédiatement d'un côté Hector,
de l'autre Ajax, sont a genoux, les
carquois suspendus à leur flanc, et une
de leurs mains levée à la hauteur de
l'œil ne permettent pas de douter que
leur autre main ne tînt un arc. A la
différence des guerriers précédents, qui
sont nus , ceux-ci sont vêtus; leur poi-
trine est prise dans une casaque collante,
leurs jambes sont enfermées dans une
aorte de pantalon qui adhère complète-
ment à la peau, et qui descend jusqu'à
la cheville. On ne saurait méconnaître à
ces traits des archers d'Orient, et c'est
là une des raisons sur lesquelles
M. Mûller se fonde pour rapporter à la
Serre des Perses le sujet de ce fronton.
\ vêtement de ces sagittaires est, il est
vrai , plutôt phrygien que perse; mais,
Winckelmann l'a dit , les artistes grecs
employaient le costume de Phrysie in*
differemment à la place de tous les an-
tres costumes étrangers. Les casques de
ces deux guerriers ne ressemblent point
à ceux des autres; celui du guerrier qui
est placé à droite derrière Ajax ofoe
surtout une forme bizarre, que sa pointe
brisée a permis de prendre pour un bon*
net phrygien, et c'est aussi sans doute oe
qui a déterminé les antiquafavs bavarois
a appeler du nom de Paris l'archer qui
en est ooiffé. Le ^errior qui lui sert
de pendant, et qui est placé derrière
Hector, a reçu In nom de Teueer, frère
d'Ajax, quoique son costume ne diffère
gom de celui de Paris. Teueer et Paris
«ont appuyés des deux cAtés par deux
520
L'UNIVERS*
autres guerriers, plus inclinés qu'eux, et
qui, aussi à genoux, mais pliant l'épaule,
au lieu de Ta renverser en arrière pour
tirer la flèche, secondent leur attaque
la lance à la main. A Munich, on a
donné le nom d'Ajax , fils d^Oïlée , au
ffuerrier qui accompagne Teucer, celui
d'Énée au guerrier qu) suit Paris. Vien-
nent enfin, aux deux angles extrêmes du
fronton, deux guerriers renversés en
arrière. Blessés mortellement , ils sont
tombés , mais ils ne cessent pas de sou»
rire; leurs casques s'échappant de leur
tête , dans la chute , ont laissé- leur che-
velure bouclée sedéployerenlonguesnat-
tes jusque sur le milieu de leurs épaules.
Ces deux figures, dont la maigreur a
ouelque chose de plus doux et de plus
lémiuin que celles des autres person-
nages, n'ont pas reçu de nom particulier.
Quoique ces deux statues puissent avoir,
auprès de certains esprits, le tort d'être
profondément marquées d'une manière
particulière , elles sont entre les plus ad-
mirables morceaux qu'on puisse voir;
elles réunissent la grâce à l'austérité ,
l'harmonie au mouvement; elles sont le
type de cette beauté qui résuite d'une
grande quantité de nombres différents
ramenés à l'unité par un rapport simple
et mystérieux.
« Du fronton antérieur, ou occidental,
il ne reste que quatre figures ; elles sont
l^rement plus fortes que celles que je
viens de décrire ; elles sont néanmoins
encore inférieures à la taille ordinaire de
l'homme. C'est à l'inclinaison extrême
des frontons doriens , dont l'angle est
plus obtus que celui des autres oidres
d'architecture , qu'il faut surtout attri-
huer cette proportion des statues. Les
conjectures faites pour désigner ces qua*
tre figures me paraissent excessivement
arbitraires. Celle qui, de toutes, est la
{»lus digne d'admiration est connue sous
e nom du héros blessé; elle est renver-
sée sur le dos , couchée dans son bou-
clier, où elle s'agite encore pour com*
battre, et où sa main brandissait sans
doute une arme inutile. L'unité qui règne
dans la divergence multipliéd de ses li*
Snes et l'harmonie qui natt sans efforts
e l'agitation même de ses membres
devraient être longuement méditées par
les artistes qui accusent, de nos jours «
le repos absolu de l'art antique, et qui
en chereoant le mouvemenc oublient de
poursuivre la grâce et la beauté.
« Indépendamment de ces statues , et
avec elles, on a trouvé à È^uae daix sta-
tuettes oui donnent lieu aux plus co-
rieuses oissertations ; elles sont en tout
semblables l'une à l'autre, si ce n*est que
leurs draperies sont combinées de ma-
nière à ce qu'elles se servent mutuel*
lement de pendant. Toutes deux relèvent
de la main leurs longues robes à plis
symétriques et verticaux. M. Coekerâi ,
qui a dessiné une restauration du tem-
pie de Jupiter Panhellénieii , les a pla-
cées au sommet de l'angle extérieur da
f nmton , et il a supposé qu'elles y sa-
vaient d'accompagnements à l'dbros qu
couronnait tous les ornements du t€in-
pie. Les savants allemands ont salué
ces deux déesses du nom de Damia et
d'Auxésia(l}. »
Ces statues, ainsi que le aïonuroeot
qu'elles décoraient, paraissent devoir ap-
partenir à l'époque de Tart sree gui est
renfermée entre la victoire de Salamine
et la réduction des Éginètes |iar les
Athéniens, c'est-à-dire de la 7&* a la SO^
olympiade, de l'an 480 à Tan 4M avant
J.-C.
11 existe au Louvre une épreuve moulée
des marbres d'Égine. Ils ont été gravés
par les soins de M. de Clarac, &os h
neuvième livraison de son grand ouvrajEe
sur notre musée de sculpture.
ÉTAT JLGTUBL DE ïHui D'ÉGINS. —
Malgré les révolutions opérées par ks
siècles dans les terrains volcaniques qui
composent le sol d'Égine, les écuals
dont elle était entourée , et ^oe cééè*
brent les historiens de l'antiquité, soet
encore debout et rendent ses abords
dangereux, même pour les p^ts bâti-
ments de la marine grecque. La fonoc
générale de File est un trapèze eompiis
au sud entre les caps Perdica et Hagios
Antonios, et au nord entre le cap du
Tumulus et le cap Tourlo , qui regarde
l'Attique. Son sol présente trots fwma*
tions distinctes : les calcaires seooa-
daires , les trachytes, et le terrain ter-
tiaire. Éfiine doit être divisée eo trois
régions physiques : la plaine, qui oc-
cupe la partie du nord-ouest, les eol-
(i) Bf . H. FortMil, Ih tjiH em AUmmgm,
ILES DU GOLFE SÀRONIQUE.
621
lines au nord -est et les montagnes aa
sud.
La ville nonvelle, située sur le bord
ie la mer, dans ia partie nord-ouest de
[fie , occupe en grande partie l'empla-
:;ementde Tancienne ville des Éaciaes;
slle est exposée au couchant, et décrit
jn demi-cercle autour du rivage. A Tex-
trémité de Tune des jetées qui ferment
!e port, on voit encore la tour construite
m 1693 par Morosinî. Le mouillage de
a rade est mauvais; les navires de la
narine militaire sont obligés de jeter
l'ancre à mille ou quinze cents mètres
iu rivage. La ville est mal construite;
es rues, irrégulières, sont bordées
le maisons basses, à toit plat, et presque
;outes bâties en bois et en terre battue.
Les seules constructions que Ton puisse
;îter sont le lazaret, la grande église,
ine grosse tour carrée appelée Pyrgos
ie Favier, du nom de rillustre pbil-
lellène français, et TOrphanotrophion,
nrmnase fondé pour Féducation des or*
inelins de la Grè«^ par le comte Capo
ristrias lorsquMl était président du gou-
rernement hellénique , installé à Égine
m 1838. Si les édifices modernes de
*île n'offrent que peu d'intérêt, en re-
ranche les reêards de l'artiste et du
voyageur s'arrêtent à chaque instant sur
fadmirables ruines, traces glorieuses de
^ancienne civilisation hellénique. Ce
»ont les débris du temple de Vénus au
>ord de ia mer, ceux des travaux sous*
narinsqui composaient le port secret ou
»ché (x(Nn7tb{ Xi(j.9fv) qui était derrière
e temple et dont parle Pausanias (1) ;
es restes de l'aqueduc qui approvision-
lait d'eau toute la ville; les cryptes,
;ité souterraine, composée de chambres
;épulcrale8 , où les anciens Eginètes dé-
Kïsaient leurs morts ; les ruines de Pa-
aeocbora , cette citadelle scellée comme
me aire d'aigle au faite d'un rocher,
uinée et reconstruite par le Vénitien
Horosini , et qui datait de l'époque où
es habitants, pour échapper aux pl-
ates de rarehipel, avaient etécontraints
l'abandonner le bord de la mer, et de
e réfugier dans les escarpements du
entre oellle; enfin, sans parler des
utels antiques, des élégantes colonnes,
es frontons éeroulés et des marbres
(OPi|QMB*»ll, 94y3o.
précieux dont le sol est semé, ce sont les
restes du temple de Jupiter Panhellénien,
où l'on a retrouvé ces marbres d'Égine,
l'une des pages les plus intéressantes de
l'histoire de l'art grec. Du milieu des
ruines du temple, on aperçoit au sommet
de l'une des montagnes voisines le riche
monastère de la Panagia (la sainte Vie^
ge), d'où s'élèvent maintenant vers le ciel
les prières de l'Ëgine chrétienne. C'est
un grand édifice carré, sans autre ouver-
ture à l'extérieur qu'une porte suscepti-
ble d'une vigoureuse défense. Les moines
{possèdent, dit-on, les deux tiers des terres
abourables de Ttle.
Une des plus merveilleuses perspec-
tives de l'archipel est Thonzon qui se
déroule du sommet du mont Oros , ou
Sic Saint-Élie. De cette plate-forme,
levée de 580 mètres au-dessus de la mer,
la vue s'étend sur le golfe entier de TAt-
tique, et embrasse à la fois le cap Su-
nium, les montagnes de l'Attigue, de
l'Eubée et de laBéotie, Salamine, les
monts de la Mégaride, l'Isthme, l'Acro-
oorinthe, les sommets de TArgolideiA
de l'Épidaurie, les cimes de Méthana,
le cap Scylleum, et le rocher d'Hydra.
Dans ia ville, et dans toute la plaine
qui s'étend à ses pieds, le climat d Égine
est sain et tempéré ; la cdte orientale au
contraire est ravagée par des fièvres mor-
telles.
En 1839 la population de l'Ile a été
évaluée par M. Scharnost à 9,000 habi-
tants. Le plus grand nombre se com-
pose de fugitife de l' Attique, de ia Morée,
de Chio et d'Ipsara. lies Ipsariotes for-
ment la partie la plus riche de la popu-
lation * les Athéniens, au contraire, sont
plongés dans la plus déplorable misère.
La culture à Égine reçoit peu de dé-
veloppements : l'Ile ne produit plus
qu'en très-faible quantité, suffisante à
peine à sa consommation , ces figues et
ces amandes autrefois célèbres. Ses ré-
coltes consistent surtout en céréales,
produits très-incertains, à cause des sé-
cheresses qui régnent le plus souvent.
C'est encore du commerce que 111e tire
ses ressources les plus positives; ou y
rencontre, comme dans l'ancienne Ëgiae,
une nombreuse classe de marchanos et
de brocanteurs, dignes descendants de
ceux qui après la bataille de Platée ache-
tèrent aux ilotes l'or des dépouilles
439
LUmVERS.
perstqQes. Au pied du nooiit TMhaskali
existent aussi quelques familles de p<H
tiers, héritiers de Tantique industrie na-
tionale, et qui, mettant en œuvre les
fines argiles qu'ils renoontrent sous leurs
pas, ont su reproduire avec asses de
bonheur les vases antiques, dont ils oa(
étudié les modèles (1).
Ilb ns Calauaib.
D'Ëgine à Calaurie, aujourd'hui
Poros, on compte à peine deux heures
de navigation par un bon vent. Cette
tle touche presque à la côte de la Tré-
zénie, dont elle n'est s^rée que par
un canal de quatra stades selon Stra*
bon, de cinq cents pas selon Pline»
Entre Poros et la presqu'ilede Methana
est un boghaz de deux ou trois milles de
largeur, qui est comme l'entrée de la
rdcle de Poros, vaste bassin bien abrité
par les hauteurs de l'tle et les câtes de
l'Argolide. Au fond de cette rade se pr^
sente la ville de Poros, qui s'élève en
gradins sur la partie inférieure de 111e.
ette partie de llte de Calaurie forme
comme un appendice rattaché à la
masse de 111e par un isthme très-bas
et fort étroit. C'était sans doute autre-
fois une petite tle distincte , celle de
8phœria, où iCthra, fille de Pitthée, roi
de Trézène, et mère de Thésée « fut
séduite par Neptune , et où elle éleva
un temple à Minerve Apaturie (2).
Poros contient troi milles habitants. On
y a établi l'arsenal de la marine militain
du royaume grec. Les habitants en sont
de race albanate, et les femmes y ont
conservé le costume hydriote dans tonte
son originalité.
Après avoir franchi l'isthme qui unit
Sphseria à Calaurie, on monte peu à peu
le long du rivage par un chemin rocail-
leux et sinueux qui vous mène au mo-
nastèrede Poros, rundeeplusconsidéra-
bles et des plus agréablement situés de
la Grèce. Ce couvent oceupe la partie
central^ d*un ravtai qui débouche ven
la mer, et qui en se resserrant à peu de
distance du rivage ae rattache au système
général des mcmagnes de 111e. A quel*
ques pas du couvent, en remontant le
( i) Toy. DetenpHon êtÉgim, par PuiUoo*
fioblaya.
(a) Plat., Dm., «9,
ravin par un chemin iMrdé de pins et
d'oliviers, on rencontre une source
d'une eau limpide et salutaire , appelée
la C(o$oK^ mJY^ » s^ vertus menreilleuses
sont célèbres au loin ; elles attirent de
nombreux pèlerins au couvent, qui a nhs
le nom de cette source. L'eau qui oes-
cend du haut des rochers est reçue dont
un vaste bassin de pierre. Les ombra-
ges, le murmure, le sitede cette fontaine
sont pleins de charme. De là on aper-
çoit les côtes de la Trézénie, oouvertei
oe bois de citronniers, la mer, qui, res-
serrée d'abord comme un lac entre Tik
et le continent , s'ouvre vers la gauche,
se déploie au loin dans un horizon sass
bornes, et à l'extrémité de TArgolide b
pointe de l'ile d'Hydra,
Au centre de llle, en un lieu appelé
aujourd'hui Palati, se trouyent les
rumes du célèbre temple de Neptune
de Calaurie. Le chemin qui y eonduitest
très-inégal , tantôt montant , tant^ des-
cendant selon les sinuosités da terrain,
ou plutôt des rochers tapiaMs de
verdure à travers lesquels on circsk.
L'emplacement de ces ruines est ua
plateau élevé, ondulé, dominant la mer
de olusieurs côtés et dominé lui-méoie
par les deux plus hauts sommets de Ffle,
i'Hagios Uias et la Yi^lia. Ce pUteau,
d'où la vue a'éteod jusqu'aux rivages
de l'Attique , est comme le ool qui mit
ces deux pointes. Les prenoières ruinei
qu'on y rencontre sont celles du tensple.
Il ne resteque lessubstruetions, formant
une enceinte carrée, à fleur de tom;
cà et là on voit ses débris épais, m
fragment de marbre pentéliquet aa
morceau de marbre hymettiea, on petit
chapiteau dorique en trachite , aorte de
«ierre qui avec la serpentine fMnne
la masse de l'tle de Poros (1). Tout à
rentour, juaqu'au pied du mont Saiai-
£lie,on voit des substmctions de nai-
aons, des débris de pienes pour soateair
la terre et les champs cultivés, des moi^
ceeux de céramique, pots, tuiles « iadK
2uant l'existence d*nne ville qui a ddae
irmer autour du temple, trèe-Mqoemé
des Qrecs. Aussi Calaurie avaift-eUeies«^
nom de Posidonia. Touleibis FiiiMimiii
iraeontfl qu'elle avait d*aboid s^ipHnesa à
Laiene, cl Délos i Neplyne» d qu'ils m
(i) Boblaye, Empéd. de More», p. 59.
ILES DU GOLFE SiRONlQUE.
^29
avaieotfaitréehaiitt entre eux. Ce tem«
pie de Neptune de Calaurie, dont les dé-
bris ont servi à- la construction des cou-
vents de Porcs et d*Hydra , est à Jamais
illustre par la mort de Démosthène.
« Arcbias , informé que Démostliène
avait trouvé an asile dans le temple de
Neptune à Galaurfe, dit Plutarque,
^assa dans Itle sur de petits bateaux, et,
étant débarqué avec une troupe de soldats
thraces , il voulut persuader à Démos-
thène de sortir du temple et de venir avec
loi trouver Antipater, affirmant qu'il ne
loi ferait aucun mal. Mats Démosthène
ivaiteu, la nuit précédente, pendant
)on sommeil un songe étrange. Il avait
cru se voir luttant contre Arcbias à qui
louerait le mieux une tragédie : pour
Taetion, c'était lui-même qui Tempor-
tait, mais son rival triompha par la
ichesse des costumes et des décorations.
Aussi Arcbias eut beau fiiire, dans ses
iiscours, un grand étalage d'humanité,
Démosthène , levant les yeux sur lui ,
»sis comme il était : « Ài«hias, dit-il.
amais je n*ai cm à tes paroles quand
0 louais ton râle au théâtre, tu ne
ne teras pas davantage croire aujourd'hui
i tes promesses. » A cette réoonse
irchias s'emporte et commence à IRna*
!er. « Maintenant, reprit Démosthène,
u parles en homme inspiré par le tré-
)i6a de Macédoine; tout à l'heure ce
l'était que le langage d'un comédien :
ittends donc an peu que j'aie écrit chez
noi pour donner mes derniers ordres.
'^n disant ces mots, il se retira dans l'in-
érieur du temple; puis, prenant ses
ablettes comme pour écrire, il porta
e roseau à sa bouche et le mordit, ceste
|ui lui était habituel quand il méditait
u composait quelque discours. Après
y avoir tenu quelque temps, il se
ouvrit de sa robe, et pencha la tête.
ss soldats qui se tenaient à la porte du
smple se moquaient de ce qu'ils pre*
aient pour de la pusillanimité, et le
raitaient de lâche et de mou. Arcbias
'approcha de lui, et l'engagea à se lever;
t fui répétant les mêmes propos., il lui
romit derechef sa rentrée en grâce
uprès d' Antipater. Démosthène, qol
entit que le poison avait produit tout
son effet, se découvrit, et, fixant ses
regards sur Arcbias : « Tu peux mainte-
« nant, lui dit-il, jouer le rôle de Créon
« dans la tragédie, et faire jeter ce corps
« sans sépulture. O Neptune I ajouta-*
« t-il,jesorsencore vivant de ton temple;
« mais Antipater et les Maoédomens
« n'ont pas laissé ton sanctuaire même
« pur de leurs profanations. > Comme
il disait ces mots, il se sentit trembler
et chanceler : il demanda qu*on le sou-
tînt pour marcher; et, au moment où
il passait devant l'autel du dieu il
tomba, et rendit l'âme en poussant un
soupir. (1) »
C'est là le seul fait important de l'his*
toire de Calaurîe , qui était une dépen-
dance de Trézène, et qui partagea toutes
les destinées de sa métropole. Aujour-
d'hui c'est Trézèoe oui n^Bst qu'un mU
semble village (Damalos), et c'est Poroa
gui domine sur toute la c6te voisine*
Les bois de citronniers qui bordent la
pointe septentrionale de l'Argolide ap«
partiennent aux gens de Poros. Des
massifs de figuiers et d'oliviers forment
les abords de ce bois, où Ton circule
par de petits sentiers couverts, bordés
d'eaux vives et murmurantes; on s'é-
lève peu à peu sur les pentes du rivage, et
le bois s'épaissit de plus en plus. Arrivé
sur la plate-forme oui le domine, on jouit
d'un spectacle edâianteur, on a devant
ses yeux Poros, la mer unie et brillaute,
le cap Colonne, la cAte vaporeuse de
rAtti9ue, et à ses pieds le bois de ci-
tronniers, qui forme depuis la colline
jusqu'à la mer comme un tapis de ver-
dure dorée, et qui parfume Pair de ses
douces exhalaisons. C'est un des endroits
les plus délicieux du monde , où l'on
retrouve le type de ces gracieuses des-
criptions aue les anciens faisaient des
Champs-Elysées :
Devenere loooc latos et amena vlreta
Portunatoram nsmornm MaMqoe beatas.
. Aujourd'hui Poros ou Calavria est le
chef-lieu de l'éparchie de Trézène,
section du département de TArgolide et
Corinthie.
(i) FaïusD.) U , 33, x.
ILES DU PÉLOPONNÈSE.
Les ties qui bordent les côtes du Pé*
loponnèse sont peu nombreuses, peu
considérables, et sauf deux d'entre
elles , Hydra et Spet2Îa , qui ont joué
momentanément unrdle important dans
la guerre de l'indépendance, toutes les
autres sont sans histoi*'e. Nous au-
rons dit tout ce (|u*il en faut savoir,
quand nous aurons indiaué leur situation
géographique. Voici rénumération de
ces îles en suivant les côtes du Pélopon-
nèse depuis le cap Scyliaeum, qui mar-
que la sortie du golfe Saroniaue : à la
pointe du cap, les trois îles u'Haliusa ,
dePityusaet d'Aristera, aujourd'hui tles
des Corsaires; en face de rHermionie ,
Hydréa ( Hydra ), Apéropia ( Hydron
ou Dhoko), Trikrana (Trikéra), Tipare-
nos (Spetzia) , Kolonis ( Speziepoulo) ;
dans le golfe d'Argos : Epbyra ( Hypsiié,
ou île du Diable) , Iriné ( Gavouro ou
Garonisi ), Pityusa ( île du Port-Tolon) ;
au sud du Péloponnèse, à la pointe de la
Messénie; Théganussa (Isola-di-Cervi),
les deux fies OEnusses ,aujourd'hui Sa-
plenza et Cabrera ; à Touest : les îles de
Sphactérie (Sphagia), de Prote(Prodano) ;
et dans la pleine mer : les Stropbades,
aujourd'hui Stribali. Quant à Cvthère,
(|ui est au sud-ouest du cap Malée, nous
1 omettons dans cette énumératîon,
parce qu'elle se trouvera réunie dans
le chapitre des îles Ioniennes (1).
Ilbs »'Hyi>ea st db Spstzia (2).
Cest à peine si pendant les temps
anciens il est fait mention de ces îles
deux ou trois fois dans Pausanias,
dans Pline , dans Etienne de Byzance .
Hérodote parle d'Hydra pour nous ap-
prendre qu'elle appartenait aux Hermio*
mens, auila donnèrent aux Samiensexilés
par Polyerate (8), que ceux-ci, ne vou-
lant pas s'y établir, l'engagèrent aux
Trézéttiens pour une somme d'argent.
Même silence sur Hydra et Spetzia pen-
dant le moyen âge et les temps modernes
(x) Toy. Forbig., Handb, der ali. Geogr.,
m, p. xoi6.
(a) Les Grecs écrivent ee nom niTCa<«
(3) Hérod., UI, Sq.
jusqu'à la fin du dix«buitièmesiècle. Mais
a cette dernière époque, après les événe-
ments de 1770, des colonies albanaises s*v
établissent, et l'on commence à parler de
ces deux rochers jusqu'alors îiiG(Minus.Lr
commerce de la Méditerraaée passe ec
Jurande partie par les mains de ces insu-
aires : leurs navires fréquentent tous ks
ports. Une nouvelle puissance maritiiiK
vient de naître. Villoisonavait remaripwa
fait, etlesignaleainsi dans ses maiuiserit&
que j'ai eu déjà l'occasion de dter. > La
manne grecque, dit-il (1), est plus ooa-
sidérable maintenant qu'elle n^ jamais
été. Les patentes données aux xapoocx^
piSe^, ou patrons de barque, par le vicain
de Myconede la part du grand maître de
Malte détruisent la caravane et le com-
merce des Français. Autrefois on était
obligé d'avoir recours à eux exciusll^
ment, parce que les Grecs et les Tufts
craignaient d être pris par les corsaires.
Il n'y a guère d'Iles à présent qui n'aioi
plusieurs caïques, saccolèves, auffioiB>
six à sept. La petite Hydra seule en i
deux cents. Ce sont les nieiilears mari-
nieUMe la Grèce , et ceux qui, connais-
sant le mieux l'Archipel, vont le pies
vite et perdent le moins de temps Ce qti
fait d'ailleurs que les capitaines firançai»
ne peuvept pas soutenir la eoncurrence.
c'est quiis dépensent beaucoup pljtf
pour leur nourriture et pour celle d^
leur équipage, que les Grecs, qui m I
mangent que de mauvais biscuit gâtf
et des olives pourries, et point de vin. |
« Hydra est un rocher aride, qui ae
produit rien, et où l'on ne vit que par k |
commeroe.Ceux d'Hydra font à présent le '
commerce d'Ancône, de Naples, de T^ ,
nise, de l'Egypte, de la merKoire, etvoot j
jusqu'à Marseille. A Hydra il naît plusde
garçons que de filles ; et on les emploie à j
la marine dès l'âge le plus tendre. Les '
xopaCoxupiBec bydriotes sont plus res-
pectés de leurs matelots que les autre;,
se font obéir avec plus d'autorité, eî
sont exacts à remplir leurs engage*
ments. » On peut en dire autant de ceux
(i) Mss. Tilloison , BUfL Haiio^, 3«a , y
ILES DU PÉLOPONNÈSE.
£d5
le Spetzia etd^Ipsara, dont les babi-
ants partageaient avec les Hydriotes
is bénéfices da commerce du Levant et
e la mer Noire.
« Certaines causes générales, qu*it est
i propos d'indiquer ici , avaient contri-
lué à entretenir chez les Grecs de TÂr-
hipel la pratique de la mer, et cet in*
tinct de fa navigation que leur inspire
es Tenfance leur situation géograpbî*
ue.
« A Toriffinedes conquêtes maritimes
es Turcs , les prisonniers de guerre ra«
aaient seuls à bord des galères; mais
vand les galères du sultan devinrent
lins nombreuses, on recourut aux rayas
^ecs, et on en plaça sur les flottes à
instar des forçats. Plus tard, la rigueur
ieTislamisme, qui interdit de conner la
éfense du troue des califes à des mé-
réants, céda devant la nécessité; parla
aison qu'on avait remplacé les navires
I rames par des bâtiments à voiles , on
leosa que ceux qui n'avaient été que
ameurs pouvaient devenir matelots. La
Turquie se trouva si bien du concours
les marins grecs , qu'elle donna en fief
es îles au capitan-pacha , à l'effet d'in*
éoder le plus possible la population
le ces lies à sa marine; et comme à
ipelque chose malheur est bon, les
rrecs sous le courbach et le bâton
les Turcs, acquirent encore une au-
lace nautique qui leur servit plus
ard (1). »
Cette exploitation des insulaires de
'Archipel au profit de la marine turque
muvait produire et entretenir parmi
«tte population un personnel nomnreux
le manns exercés ; mais il fallait d'au-
res causes pour les mettre en état de se
réer une puissance maritime indépen-
lante et imposante.
Pendant longtemps les îles grecques
l'eurent d'autres navires que les cor-
aires qui parcouraient les mers du Le-
vant, et qui à une certaine époque at-
aquaient les pavillons dont Venise re-
ioutait la concurrence commerciale. La
jiraterie que Venise entretenait dans
'Archipel avait, du reste, son analo-
gue dans les mers d'Amérique, où la
(i) Be Scgur-Diipeyron. La marine mat"
■hande grecque dans C Archipel. Revue des
ifitv Mondes. Oclobre 1839, t. XX, p. ip6.
Franoe ne répugnait pas à mettre à profit
le courage et l'audace des flibustiers. Mal-
gré tous leurs efforts, les Vénitiens ne pu*
rent empêcher les Anglais et les Français
de s'introduire dans le commerce du Le-
vant, dont les Français étaient presque
les maîtres à la fin au dix-huitième siè-
cle (1) ; mais la révolution française ruina
le commerce de Marseille , et laissa le
champ libre à ses rivaux. Il y avait donc
un grand vide commercial à coipbler,
puisque Marseille et ses navires ne fré-
quentaient plus les mers du Levant.
Alors la marine marchande des Grecs,
dont Villoison signalait déjà l'essorquei-
ques années auparavant, prit des accrois-
sements consioérables. A Hydra , à My-
cone, à Andros, à Santorin, a Spetzia on
groupa de petites sommes. Les Sciotes,
qui avaient des capitaux, cherchèrent des
marins pour utiliser leur argent, et les
Spetziotes se présentèrent. On con-
struisit tant bien que mal des navires
qui allaient prendre du blé, soit dans
les ports de la Méditerranée , soit dans
les ports de la mer Noir«, et qui le por-
tèrent, selon les temps et selon les cir-
constances à Livoume, à Marseille, ou
à Gènes, malgré les escadres et les
blocus. On doublait , on triplait les ca-
pitaux dans un voyage; et au retour^
avec l'argent gagné, on construisait de
nouveaux navires. Les disettes de 1813
etde 1816 redoublèrent l'ardeur des ma-
rins grecs, et portèrent la richesse et la
prospérité des ties à ce point que lors
de 1 Insurrection , Hydra, Ipsara et
Spetziacomptaientplus de trois cents na»
vires marchands , qui tous devinrent des
navires de guerre et luttèrent contre les
escadres turques.
Depuis près d'un demi -siècle des
projets d'anranchissement et des idées
d'indépendance fermentaient dans toute
la Grèce. Déjà les Hellènes s'étaient
agités à Tapparition des Russes dans
r Archipel en 1770; puis ils avaient
compté sur l'ambition d'Ali-Pacha de
Janina, avec lequel ils furent sur le
point de se liguer contre le sultan Mah-
moud, leur ennemi commun. En 1815
commença le mouvement des hétérîes ;
et en 1821 l'insurrection éclata dans
(ï) Volney, Voyage m Egypte ^ cb. x; «»
Syrie ^ cb. xtt.
536 L'tnnTE&S.
les proyinees du Danobe et é& Morée. Cependant les èheb dKpnra et de
Alors les Hydriotes et les Spetziotes Spetzia s'entendent arec eeux d*Bydra,
lurent entraînés par ce mouvement, dont qui devient le centre de riosorrection
fis n'auraient peut-être pas donné le maritime. On prend des mesures pour
signal, mais dans lequel ils s'engagèrent soulever tout rArchipel : on rassemble
râolument(2). £n ce moment un déma- toutes les forces navales dont on pem
gogue , Antoine iEconomos , excite le disposer pour le moment , soixante-cinq
peuple d'Hydra contre les riches: Les vaisseaux d'Hydra, cinquante de ^pet-
trésors des Condoiuriotis , des Tom* zia, trente*cin(^d'lpsara,et on étitpour
bazis, des Tzamados, des Boudouris et navarque ou amiral de la flotte confédérée
de tant d'autres Hydriotes, qui dans la Jacob Tombazis, qui met aussitôt à h
suite seront prodigués pour la délivrance Voile pour faire msurper Chio et de-
de la Grèce, sont menacés du pillage fendre Samos. Les sucera remportés par
par une multitude effrénée (i). Mais le l'escadre grecque sur la marine torqije,
|eune Antoine Criésis, Tun des plus les progrès de D. Hypsilantis dans le Pé-
mtrépides capitaines d'Hydra, dispersa loponnèse avaient pour toujours rompu
les insurgés, et força leur chef à se ren- les liens qui enchaînaient les Grecs an
dre. Après avoir contenu l'explosion joug des Turcs. Le 13 janvier 1823 Ha-
populaire par leur fermeté , les grands vrocordatos et Négrios réunissaient à
d*Hydra s attachèrent à en prévenir le Épidaûre les représentants de la nation,
retour par leur dévouement à la cause et lui donnaient une constitution répa-
de Tindependance. Lazare Condouriotts blicaine , dont on ne put Janoais tirs
donna Texemple par ces nobles paroles, un gouvernement replier. Maïs b
« Depuis trente ans , dit-il , je travaille guerre maritime continuait avec phB
pour amasser des trésors ; je m'estimerai de vigueur que jamais. Le conseil d^ami-
heureux s'ils peuvent aujourd'hui servir rauté qui siégeait à Hydra venait d«
à l'indépendance de mon pays. Je suis remplacer Jacob Tombaris par Aodn
certain que tous les riches d'H^dra par- Miaoulis, qui osa le premier amouter les
tageront mes sentiments ; mais s'ils re* Turcs sur mer en bataille rangée. U
culent devant des sacrifices d'argent , ne les chassa des cdtes du Péloponnèse , et
vous découragez pas : je suis en état il leur fit expier cruellement, par les
de faire à moi seul toutes les dépenses ravages de ses brûlotiers, le massacre de
de la marine (3). » Chio (1).
Quelque temps après, la flotte targue.
(x) Voy. pltishaiit.p. aû4. commandée par Abdallah-Pacha, fit
(a) Poucjuev., U, 436 ; Alex. Soutzo, p. 71. voile vers le Péloponnèse, pour anéantir
(3) Voici l^éiat approximaiif des offres pécu- les deux îles dont les richesses et les Tais-
ïliaires que les riches d'Hydra ont faites dans seaux offraient à la république gl«cqw
toni le coure de cette révolution : d'inépuisables ressources . Dans lanoit
tes frères Lazare et Georges du 19 septembre 1822 la vigie de Spetxû
Coudouriotis t,5oo,ooo fr. signala la présence de l'ennemi. La prise
Les frères Stamatis et Basile de cette île par les Turcs aurait entraîné
Boudouris .'»5o,ooo celle d'Hydra et la ruine de tootes les for-
La famille de Tzamados. . . . 400,000 ces maritimes delà Grèce. Mais les insa-
Les frères Jacob et Emmanuel laires étaient sur leursgardes. Les points
Tombasw 35o,ooo les plus accessibles étaient défendus par
Jean Orlandos 3oo,ooo ^es postes échelonnés sur le rivage ,«
t^iI;,f«„°^'T:«; ^Ji^^- '"^ ^'^^^^ croisait avec cinquante brkks
c^ Li*^ .«« ««« ^•«^«û^ '^ c^tes de nie. A la nouveUe
Ses^fràr^^'ISIiJoi^ W Nil '"^'"^ ^^ ^'arrivée des Turcs, U marcha à leur
colas iEconoios. , «00,000 rencontre, et engagea un grand comtel
Le beau-père du capitaine Sal- ^^^^^^ ^^^ ^«S femmes d*Hfdra et de
sinis a5o,ooo Spetzia regardaient avec anxiété du haut
▲nagnosie PhonM .' 11.1 .' xSoiooo de leurs rochers. La valeur de Criésis
Toy. Soutzo, BUtoiré tU la Rivoludom
Grecque , p. 107; (i) Voy. plus haut , p , ft83«
ILES DU PÉLOPONNÈSE.
527
tf»iura( aux Grecs h Tietoire, an Instant
ompromise. Aprèscettedéfdite, la flotte
urque se retira dans le golfe de Nau-
tile. De noQYelles tentatives dirigées de
louveau contre Spetzia ne forent pas
Au» heureuses que la première; et le
»acha, craignant de voir sa flotte entière-
nent consumée par les brûlots de Ca*
laris et de Pipénas, abandonna les côtes
lu Péloponnèse, et se retira vers TAsie,
lonteusement chassé par les Grecs à
ravers les Iles derArenipel. L'infati^-
lie Miaoulis ne cessa de harceler Famirai
ure jusque dans les eaux des Dardanelles,
•t il détruisit une partie de sa flotte
lans la rade de Ténédos (1).
Jusque là tout avait favorisé les pro-
ets des Grecs, et la fortune n'avait cessé
le leur sourire ; mais tout à coup la si*
uation change d'aspect. La discorde 9
usqoe là contenue à grand'peine, éclate
>artoat. Les primats du Péloponnèse ,
es généraui rouméliotes, les sénateurs
rHydra , forment différents partis ; Co*
oootronis et Mavroeordatos se disptx^
:ent le pouvoir. Hypsilantis, las des ith
Tîgaes de ses adversaires , se condamne
I l'inaction. Le sénat est sans président,
e corps exécutif sans autorité, et Tami*
pauté d'Hydra en rupture ouverte avec
e gouvernement (2). Malgré leurs dis*
;en8ions, les Grecs purent encore dé<*
mire Tarmée de Dram-Ali, envoyé pour
'econquérir la Morée, 1828. Mais Tannée
suivante, 1824, Ibrahim, fils de Méhé*
net' Ali , pacha d'Egypte, le plus puis*
tant et le plus redoutable des vassaux
lu sultan , envahit la péninsule avec
me forte armée. Depuis ce moment les
iffaires des Grecs allèrent en déclinant.
Leurs dissensions, de plus en plus achar-
]ées, leur faisaient ouolier la défense de
a nationalité à peine reconquise. Au
TiîHeu de cette agitation funeste, la
ïhute d'ipsara produisit une terrible et
ialutaire impression, en ramenant les
^rees sur le champ de bataille. De bril-
lants faits d*armes vengèrent la ruine des
t)raves Psariotes, et la flotte ottomane
'ut encore obligée de se retirer après
je grandes pertes devant Tescadre des
[irecs.
Tant de services rendus a la cause na-
(i) Voy. pins haut , p. $46.
(1) Al. SouUo, p. 293.
tionale avaient placé les Hydriotes à la
tête du gouvernement. George Condou-
riotis avait été nommé par le sénat pré-
sident du conseil exécutif. Condouriotis
réprima les mouvements des primats du
Péloponnèse» Zaïmis, Sistinis, les De-
lianis, Londos, Notaras, Colocotronis,
3ui furent mis en jugement et transférés
ans l*!le d'Hvdra. Cette mesure réta-
blit pour quelque temps le calme dans
la Grèce, qui ressentit pour la première
fois, sous le président Condouriotis, les
bienfaits d'un bon gouvernement. Mais
dès Tannée suivante, 1825, la rivalité
naissantede Mavroeordatos et de Colettis
avait déjà rallumé partout les feux de la
discorde.
Aussi Ibrahim-Pacha , qui s*était re-
tiré dans nie de Candie , reparut en
Morée, avec la ferme résolution de faire
dé^nitivement la conquête de ce pa-
chalik, que le sultan avait ajouté au
vaste ffouvemement que son père possé-
dait d^à. Cette fois ni Condouriotis par
terre ni Miaoulis par mer ne purent dé*
fendre Modon etr^avarin. Sphactérie fut
emportée par Soliman-bey le 8 mars.
Dans cette affaire Hydra perdit plusieurs
de ses braves capitaines, et surtout Tra-
mados, qui ne le cédait qu'à Miaoulis. Ce-
lui-ci vengea la mort de son ami en brû-
lant une partie de la flotte égyptienne
mouillée à Modon, dont la poudrière fut
incendiée et les magasins et fortifications
en partie détruits. Cette victoire n'empê-
cha pas Navarin de succomber; il fallut
rendre Coiocotronis à la liberté pour ra-
mener Tardeur guerrière des Moraïtes,
qui ne voulaient pas combattre sous un
autre chef. Tandis que tes Grecs luttent
péniblement sur terre contre Ibrahim, les
Hydriotes, informés gue Méhémet-Ali a
juré d'anéantir leur fie, vont le braver
jusque dans le port d* Alexandrie. Cana-
ris et les autres brûlotiers poussèrent
leurs brûlots contre des navires ^ui
étaient à Tancre devant le palais du vice-
roi; mais le vent contraire repoussa ces
machines incendiaires, qui se consumè-
rent inutilement. Poursuivis par les na-
vires du port, les brûlotiers régnèrent
l'escadre que commandaient Tombasis
et Criesis, et qui rentra le 25 août dans
le port d' Hydra, d'où elle était sortie It
4 du même mois. Quoique le but de l'en-
treprise ait été manqué, elle n'en est
538
L'UNIVERS.
pas moiofl digne d^étre consignée dans
les annales de cette guerre comme une
des preuves les plus éclatantes de Fin-
trépidité des marins grecs.
Cependant cette lutte inégale et trop
prolongée épuisait les ressources de l'aris-
tocratie d*Hydra. Depuis longtemps
son commerce était ruiné : le peuple,
qui autrefois trouvait facilement à tra-
vailler età vivre quand les affaires étaient
florissantes, n'ayant plus d'autre profit
gue le butin fait dans les courses en mer,
était tombé dans le dénûment et mur-
murait contre ses chefs. André Zaîmis,
chef des pnmats péloponnésiens,tra vail -
lait à fomenter une insurrection qui pût
perdre les Gondourlotis. Elle éclata en
' effet dans les premiers jours de décem-
bre 1825. A différentes reprises les plé-
béiens d'Hvdra se rassemblèrent dans la
place pubfique, au son du tdcsin; ils
insultèrent les Gondourlotis, et menacè-
rent de mort les autres primats de File,
s'irritant ou s'apaisant au gré des me-
neurs secrets qui les dirigeaient à leur
gré. C'était comme au temps des républi-
ques de Tancience Grèce, ou raristocratie
et la démocratie étaient toujours aux
prises. Les primats d'Hydra parvinrent
a rétablir la tranquillité dans leur fie,
et les Condouriotis, pour éviter le retour
d'une pareille crise, provoquèrent la
réunion d'une assemblée nationale à
Hermion. De son côté Zaïmis organise
un congrès à Égine : les deux assemblées
sedisputent la prépondérance, tandis que
Karaîskakis et ses amis, voulant mettre
fin à l'anarchie, déférèrent la présidence
de la république grecque au comte Jean
Capo-d'Istri^s, 1826. Sous ce nouveau
gouvernement, Athènes fut prise par les
Turcs. Karaîskakis fut tue dans les
marais de Phalère en combattant pour
la défense de cette place, dont la prise
entraînait la perte de la Grèce centrale.
Ibrahim était sur le point d'achever la
conquête de la Morée. Il ne restait plus
aux Grecs que les rivages de l'Argolide
et les îles de l'archipel occidental. L'in-
dépendance hellénique allait succomber
dans cette lutte trop inhale; elle fut
sauvée par l'intervention armée des
trois puissances chrétiennes. La France,
la Russie et l'Angleterre résolurent enfin
de fenir en aide aux Grecs épuisés. La
bataille de l^avarin, 1827, anéantit la
marine turque sur les côtes de l'ÉBde.
En 1828 une armée française sous la
ordres du général Maison diassa les
Égyptiens de la Morée, et en assura Tia-
dépendance. A partir de ce moment, te
Bydriotes, les Spetziotes et les antres
insulaires se retirent de la lutte, oua'j
remplissent qu'un rôle secondaire, lais-
sant le champ libre aux généraux allié,
qu'ils se sont conciliés par leur héroïque
constance, et qui leur assurent enfin la
possession de cette liberté politique pov
laquelle ils avaient tout sacrifié. Cepen-
dant les puissances qui s'étaient eoteo*
dues pour délivrer la Grèce ne {KHivaicat
tomber d'accord pour la constitaer dé-
finitivement. La présidence de Ca|M>-
d'Istrias fut encore agitée par des dis-
sensions intestines. Qaand on s'aperçst
qu'il affectait le pouvoir absolu et qui)
se livrait exclusivementàrallianoerusKt
les hommes les plus éminents du pays
se séparèrent de lui. Le Magna se déclara
indépendant ; Hydra suivit cet exemple.
Les Russes marchèrent pour le souteoir;
ils attaquèrent Hydra et Porcs, où état
réunie la flotte grecque, que ses laario!
incendièrent pour ne point la laisser
tomber aux mains de reonemi, ISaodt
1831 . Le5octobresuivant,Cap<Hristhis
fut assassiné. L'anarchie déchira cdoor
la Grèce pendant les premiers mois de
1832 ; mais la paix lui tut rendue bko\k
par la proclamation du roi OthoOiqo
prit possession de son royaume le 14jao-
vier 1833 (1). Hydra , Spetzia et les li-
tres îles des côtes de l'Argolide furest
comprises dans le nouvel État grec. Elks
forment aujourd'hui deux éparchies de
département de l'Argolide et Corinlhie;
mais elles ont englouti dans cette ter-
rible guerre de l'indépendanœ leur m»-
rine et leur prospérité commerciale, doot
il est bien difficile d'espérer et de pié-
voir jamais le retour.
Les tles du Golfe Argolique, Ephvn.
Irine, Pjtyusa,ne sont nommées qoe par
Pline et Pomponius Mêla (3).
Théganusa. est mal à propos piaotf
par Pline dans le Golfe de Laeode.
Cest peut-être cette erreur qui a pro-
(0 Bachon, iJt Grèce eaiHtmemiâk *t I*
Moriie, p. 159.
(a)PliD., lY, 19, i5; Pomp. Uchi H*
7,10.
ILES DU PÉLOPONNÈSE.
629
doit celle de plusieurs cartes modernes,
où nie de Cervi est mise à Kouest du
cap Saint- Ange, au nord deCérigo, à la
place de la presque tle que les anciens
appelaient Onugnathos. Théganusa ou
Cervi est en face le cap Akritas , au-
jourd'hui cap Gallo, qui forme avec le
cap Matapan l'autre extrémité du Golfe
de Coron ou de Messénie (1).
Les OËnusses. — Cest un f>etit
groupe de trois tles, situées à la pointe
sud-ouest de la Messénie, presque en
face de Modon et de Tancienne rade de
Phoenicus. Les deux plus grandes de ce
groupe s'appellent aujourcTbui Sapienza
et Cabrera; la troisième et la plus
petite , nie Verte, est placée entre les
deux autres. Os ties ont été concédées
au royaume de Grèce lors de sa com-
position par les trois puissances pro-
tectrices.
Ile de Sphàctsbie. — Cette tle,
appelée aujourd'hui Spha^ia (2), sert
de barrière et de rempart a la rade de
Pylos, qui porte maintenant le nom de
Navarin. Elle a quinze stades de lon-
gueur : elle était autrefois couverte de
(i) Plio., lY, 19, 5; Mêla, H, 7, xo*; Ptol.,
III, 16, a3.
(a) Les anciens lui donnaient aussi ce nom ;
on le trouve dans Xénophon, HelL, YI , a »
3i; Sirab., VIII,34«.
bois ; ce n'est plus maintenant, comme
tant d'autres îles grecques, qu'un rocher
nu et inhabité. Sphactérie a été illustrée
pr deux faits d armes séparés Pun de
l'autre par un intervalle de plus de deux
mille ans. L'un est la prise de cette tle
par Cléon et les Athéniens, pendant la
guerre du Péloponnèse, l'an 425 avant
Père chrétienne; l'autre est la batnille
navale de Navarin , où la flotte turco-
égyptienne fut défaite par les flottes
combinées de la France, de l'Angleterre
et de la Russie en 1827. En 1825, elle
avait été prise par les Égyptiens , que
commandait Soliman- Bey, malgré la
vigoureuse défense des Urecs, qui y
firent des pertes cruelles. C'est dans ce
combat que périt le piémontais Santa*
Rosa, à qui un cénotaphe fut érigé dans
une caverne de Hle, à l'endroit où il
avait succombé les armes à la main (1).
PaoTB , aujourd'hui Prodano , est au
nord de Sphactérie, tout près de la cdte
de Messénie. Elle est restée une fie
déserte , comme au temps de Thucy-
dide (2), qui est, je crois, le seul histo-
rien qui en &sse mention.
(i) Yoyez rarticle sur Santa -Rosa de
M. Cousin, Revue des Deux Mondes, mars
»Thuc.,IV, i3.
34« Livraison. (Iles du PEL0P0?iiiÈSE.)
34
V.
ILE DE CRETE
(1)
I.
Description bt géographie dk
l'île de Cbète.
Novs yniKiTiFs. -*- Llle de Crète t
appelée p^r les Vénitiens Candie et par
le» Grecs d'aiyourd^bui Icriti, porta
dans rantiquite un grand nombre de
noms. Elle s'appela Macaronesos et
Aeria^ à cause de la douceur de sa tem-
pérature et de la beauté de son climat;
Dolichéy pour sa forme oblongue, enfin
Cbthaonia, Telchinia et Idaea. Quant au
nom de Crète lui-même, qui a prévalu,
il serait difficile d'en indiquer d'une ma-
nière précise rorigine,tant les historiens
et les étymologistes anciens sont peu
d'acccord sur ce point. Suivant les uns,
il viendrait de Curetés , comme Telchi-
nia vient de Telchines, deux peuples qui
jouent un rôle considérable dans la civili-
sation et l'histoire primitives de cette fie.
Suivant d'autres, la Crète aurait été appe-
]éeainsidunomdelanympheCréta,l une
des Hespérides. Au dire d'Eusèbe (1) ,
Crès, indigène, premier roi de Crète >
lui aurait donné son nom. Enfin , Dio-
dore de Sicile (2) rapporte qu'Ammon,
« pressé par la famine, se réfugia en
Crète, où il épousa Créta, l'une des filles
de Curetés , alors régnant , et qu'il fut
reconnu roi de cette île, qui, nommée
auparavant Idaea , fut appelée Crète, du
nom de la femme du roi. »
Position astbonomique et géo-
gbaphique. — La Crète, la plus grande
des îles de l'Archipel, est comprise entre :
(i) Ouvrages spéciaux sur Tile de Crète :
MeursiuSy Creta, etc; Hoeck, Kreia, 3 vol.
in-8*> ; Manso , Sparta ; Car. Fred. Newman,
Creticarum rrrum spécimen, Gott. iSao;
Sainte^Croix, Des anciens gouvernements /é-
dératifs; Mannert, Geogr.y VUI, p. 675,7a7 ;
Toyages de Pococke, Tournefort, Olivier, Sa-
vary , Sonoini , Torres-y-Ribera, Cockerell,
Sieber, et Pashley; Boschini, // Regno di
Candia., allas, in-fol.
(i) Eus., in Chron, Can,
(3)Diod., ni, 71.
lat. nord 94»-85<» et long, est Si* -24*.
Elle s'étend sur une longueur d'eovirao
140 kilom. depuis le promontoire Corj-
eos ( aujourd'hui Capo Buso)^ à Touest,
jusqu'au promontoire Sidéro» à Test
Mais sa plus grande largeur, entre k
promontoire Dium (aujourd'hui Capo
Sassoso) et le promontoire Métailum
(aujourd'hui Punta Matala) n*est. qur
d'environ 40 kilom. Au sud elle est bai-
Î;née par la mer Libyenne, et au nord par
a mer de Crète (aujourd*hui canal dt
Cérigo et mer de Candie) et la oier Dr-
pathienne (aujourd'hui canal deScarpan-
to), qui la séparent de Cythère (aujour
d'hui Cérigo ), des C^clades et de b
petite tle de Casos (aujourd'hui Cazo;
Située entre la Grèce, la Cyrénaîque et
la Phénieie,à peu près à égale disun«
de l'Europe , de l'Afrique et 4e l'Asie,
l'île de Crète était comme le point àt
contact de ces trois continents, et V
centre de l'ancien monde.
Aspect OBNBRiLL ; descbiptioi«
PES CÔTES. — Cette île présente un cir-
cuit très-irrégulier. Ses cotes, particuliè-
rement au nord , sont fort découpées et
à quelques endroits profondément creu-
sées par la mer. Aussi est-elle loin d'a-
voir dans toute son étendue la même
largeur. La côte occidentale , depuis V
cap Corycos au nord -ouest, jusquau
cap Criu-Metopon ( aujourd'hui Capo-
Crio ou Saint-Jean) au sud -ouest, e$t
d'environ 32 kilom. A partir du premier
de ces promontoires, les terres rentxost
considérablement, et font place à use
baie profonde , pour projeter de non-
veau dans la mer, à quelque distance
de là , vers l'est, une assez grande pres-
qu'île qui se termine au promontoire
Psacum (aujourd'hui Capo Spada). t«
peu plus loin , Tile se rétrécit de noo-
veau jusqu'à l'embouchure du PycDOS
(iaujourdhui Canaea). Là se détaebt*
une péninsule qui s'arrondit sensiWe-
ment en s'avançant dans la mtf, et ne
tient au continent que par un istbae
fort étroit, resserré entre les bouches du
ILE DE CRKTE.
m
VytmÊË à Tonestet le goUe d^ Amphimala
(aojoord'hui Golfodella Snda) à Test
Cette péninsole se termine, au nord, au
cap Ciamum ou Gydoniam (aujourd'hui
Capo-Maleca on Aerotiri). Au cap Dre-
jusqu
matrium (aujourd'hui Armiro). Entre
les bouches de ce fleuve et celles de Maa-
satia (aujourd'hui Me^la-Potamo) on
ne compte que 16 liiloin. Depuis cet en«
droit la côte se relève progressivement
S' squ'au can Dium. Entre ce cap et le cap
étallum , la pointe la plus méridionale
de rile , celie-ei atteint sa plus grande
largeur, évaluée à environ 40 kilom. A
partir du cap Dium la côte va de nou-
veau se rétrécissant graduellement jus-
qu^au promontoire Cétium (aujourd'hui
capSaint-Zuane). A cet endroit la mer
8*engoufïre fort avant dans les terres et
creuse, entre ce dernier cap et le cap Si-
t)re, une large et profonde baie, ayant la
rorme d'un triangle dont le sommet se
trouve près d Istros. Ici l'on ne mesure
plus qu environ 10 kilom. de largeur;
c'est l'endroit où les deux côtes sont le
plus rapprochées. Celle que baigne la
mer libveane est loin d'être aussi cou-
pée de baies, aussi hérissée de pro-
montoires. Elle s'étend de Testa l'ouest,
sur une ligne à peu près droite , du cap
Ampelos (aujourd'hui Capo-Naero) jus-
qu'au cap Métailum. A partir de cette
poiate jusqu'au cap Criu-Métopon, elle
présente plus d'inégalités, sans être tou-
tefois assez accidentée pour mériter une
description détaillée.
MoNTÀGNBs fiT CAPS. — Commc en
général toutes les Iles de l'Archipel , la
Crète est traversée par une longue ehatne
?ui court, de l'est à l'ouest, d'un rivage h
autre. Cette chaîne se compose de trois
montagnes bien distinctes qui s'en dé-
tachent en saillie , et semblent, au pre-
mier aspect , former autant de massifs
isolés ; mais qui n'en sont pas moins
centre, et les Monts Blancs (Leucaori ,
aujourd'hui Asprovouna ou Monts-Spha-
Kiottid), à l'ouest.
L'Ida, la Haute -Mùniaqne^ s'élève
au milieu de l'Ile à l'endroit on elle est
le plus large. Cest un éoome uiawu^
qui atteint une hauteur de 1,900 toises
au-dessus de la surface de la mer. De
son sommet, couvert d'une neige éter-
nelle, on aperçoit les deux mers, Cy-
thère. Mélos, plusieurs autres tles de
l'Arehipel, et même Rhodes, les côtes
de l'Asie Mineure et celles de la Laoo*'
Die. Vers la moitié de sa hauteur, où ii
présente une base de forme conique, ii
s'élève entièrement isolé; mais de son
pied partent dans toutes les directions
de nombreuses branches qui le retient ,
à l'est et à l'ouest, aux deux autres grou-
pes. Une de ces branches se dirige vers
le nord, et se termine au cap Dium, après
avoir elle-même envoyé à l'ouest un
contre-fort qui s'étend jusqu'au fleuve
Oaxes. Une autre court au nord-est,
jusqu'au fleuve Triton; une troisième,
a l'ouest, va rejoindre les monts Blancs,
aux sources de l'Ârmiro ; une quatrième,
au sud-ouest, sépare le fleuve Êlectra du
mont Cédrias. Au,8ud, l'Ida baigne son
pied dans le Lethaios , et borde la riche
plaine de Gortyne. Son versant oriental
s'abaisse sensiblement, et ne se relie que
par de légères ondulations à une mon-
tagne du territoire de Cnossos , située à
égale distance de l'Ida et du Dicté, mais
rattachée au premier par les géographes
anciens. Enfin , un autre bras dfe rida
s'étend jusqu'au fleuve Pothéreus , qui
sert de limite entre cette montagne et le
Dicté au sud-est , comme le fleuve Gérâ-
tes au nord-est.
Ainsr que l'Ida, le Dicté se détache de
la grande arête qui parcourt i'fle à égale
distance des mers de Crète et de Libye,
auxauelles il touche également parles
nononreuses ramifications qu'il incline
vers les deux côtes. Cette montagne est
moius élevée que l'Ida et les monts
Blancs. Elle forme comme deux groupes
distincts. Le premier s'étend jusqu^au
cap Cétium et la ville de Hiérapytna,à
l'est; le second, séparé du précédent par
un petit fleuve qui arrose Istros , couvre
la partie la plus orientale del'fle, où il
forme les caps Sitye , Sidéro et Samo*
nium ( aujourd'hui C. Salamo).
A l'autre extrémité de Tlle , derrière
les fleuves Massatia et Armiro, qui wt-
vent de limite occidentale à l'Ida, s'é-
lèvent les monts Blancs ( Leuka ), ainsi
nommés soit à cause de la couleur blan«
34«
531
LurayEAS.
«hêtre de leurs roehârs, qui consistent
en pierres caieaires , soit à cause des
neiges qui couvrent leur cime pendant
une grande partie de l'année. Cette mon-
tagne atteint presque la hauteur de l'Ida.
Du nœud central rayonnent dans toutes
les directions plusieurs branches , dont
les plus considérables sont : le mont Co-
ryeos, qui se termine, au nord-ouest, an
promontoire de ce nom ; le mont Tityros,
au sud-ouest, qui s*étend jusqu'au cap
Criu-Métopon ; le mont Dictinéos, qui
finit au cap Psaeum (aujourd'hui cap
Spada), au nord; le mont Béréeynthos,
au centre ; enfin le mont Cadistos , aux
sources de l'Amphimatrium.
Flbuvss.—- La chaîne qui court d'une
extrémité à l'autre de l'Ile de Crète, la
partage naturellement en deux grands
versants, l'un septentrional et tributaire
de la mer de Crète , l'autre méridional
et tributaire de la mer de Libye. Au
premier appartiennent : le Jardanus et le
I^cnus (aujourd'hui Cauea), dans la
région des monts Blancs; l'Amphima*
trium (aujourd'hui Armiro), TOaxes (au-
jourd'hui Arcadi-Fiume), le Tetthrys
(aujourd'hui Gasi), le Triton (aujour-
d'hui Geofiro), l'Amnisos (aujourd'hui
Cartero), et le Cœratos (aujourd'hui
Aposoiemi), dans la région de l'Ida;
la partie de l'île où s'élève le Dicté n'est
arrosée que par quelques cours d'eau
sans importance. Tous les fleuves con-
sidérables du versant méridional appar-
tiennent à la r^on de l'Ida ; ce sont, de
Touest à l'est : Te Massatia (aujourd'hui
Meala Potamos), l'Electra ( aujourd'hui
Gaiignl), le Lethacus ou (ilutôt le Le-
thaios ( aujourd'hui Malogniti), et ie Po-
thereus ou Gatarractus (aujourd'hui
Zuzuro).
DrVISIONS NATITBELLBS ET POLITI*
QUSs. — Llle de Crète est partagée na-
turellement par ses montagnes en trois
r^ons distinctes : celle de l'est, ou du
Dicté ; celle du centre , ou de l'Ida , et
cellede l'ouest, ou des monts Blancs. Cha-
cune de ces contrées, avec sa montagne
particulière et sa grande cité , se détache
si nettement des deux autres, que cette
division physique est devenue de bonne
heure la division politique de Ule. 11 ne
fiiudrait pas toutefois prendre ce mot
dans son acception rigoureuse. La Crète
n'ayant guère connu ^ dans l'antiquité,
l'unité politique , ne présente à
époque de son histoire ancienne les di-
visions r^lières d^un État oonspacte. Il
faut aller, pour y en trouver, jusqu'aux
temps de la dommation vénitienne. L'ile
fut alors partagée en châtelleoies (cas-
telli ) : il y eut celle d' Amari, de Sphakia,
de Milo-Potamo , de Temenos , de Mira-
bello, etc. Les Turcs, qui ^en rendireot
maîtres en 1669, la divisèrent en quatre
pachalilLS : ceux de Candie, de la Canée,
de Rethimo et de Setia. Ce dernier fut
supprimé dans la suite.
ViLLBS DE LACaÈTB ÀHCIENHB.—
L'antiquité a célébré les cent villes de
la Crète. Poètes et historiens se sont
accordés sur ce point (1). Meursius en
cite même iusqu à cent vingt (3). Mais
diverses calamités en firent disparaltie
un grand nombre. Déjà Bomère, qui daas
VJUade célèbre la Crète auxcemt vitia,
n'en mentionne plus dans VOdffstée
que quatre-vingt-uix (3). Dix villes, en
effet, furent détruites de fond en comble
dans une guerre civile, après la cboif
de Troie. SouslesempereursYaientinka
et Valens, un tremblement de terre ea
renversa plus de cent (368 ap. J.-C)
SousGratien, une grande partie de 'île
fut submergée par une Inondation. S*il
faut en croire le commentateur de Vir-
gile les cent villes auraient été successi-
vement réduites à vingt et à deux, Coos-
SOS et Hiérapytna (4). Aujourd'hui de
toutes ces cités il ne reste que des ruines
Villes de la bégion oribrtàlb.
— Lyctos, au pied du Dicté, unedesplos
anciennes villes de la Crète. Rhéa y fst
envoyée, suivant la tradition, pour
donner le jour à Jupiter. Dans la suitr.
Lyctos fut une puissante colonie lacé-
démonieime , et lutta contre Cnossos,
dont les habitants la surprirent et la dé-
truisirent. Les Lyctiens fugitifs trourè-
rent un asile hospitalier chez les Lam-
piens. Les autres villes de o^te oontrrf
étaient : Chersonesos, port de Lycto&
sur la mer de Crète; Olus, Miletos , Laio
ou Camara , au nord ; Arcadia; Miaoi
Lyction, un des meilleurs ports de lH'
(i) Hom., //., U, 649; Virg., £«.. II^
106; Hor., OtL, lU, 17; Pline, IV, 12.
(a) Meurs., Creia, lib. lyCap. v et X99.
(3) Hom., Odjrs,, XIX* 169.
(4) Servius, a^i&i«, III, 106.
ILE DE CRÈTE.
US
dans les temps aneiens; Istros; Oieroe,
avec un temple de Diane ; Étea , Itanos,
à l'est; sur la eôte méridionale on re*
marquait Hiérapytna, au pied du mont
Sacré , un des premiers sanctuaires du
culte de Zeus ; aussi sa fondation est-elle
attribuée à Corybas, l'un des Curetés;
Erytiiraea etHjstssurles promontoires
Krytbraeum et Dictanim, qui s'avancent
dans la mer de Libye; enfin à l'ouest,
Apollonia, sur le cap Zephyrium ( au-
jourd'hui Ponta di Tigani}.
Villes db la région gbntb alb. —
Cest autour de l'Ida que se trouvaient
les villes les plus anciennes et les plus
considérables de l'ile. C'est d'abord Cnos-
SOS. Aux lieux où les dernières hauteurs
de rida s'abaissent en riants coteaux
vers la mer de Crète, s'élevait la grande
cité deMinos. Deux fleuves, rAmni-
SOS et le Cératos, une mer immense et
une haute montagne , formaient comme
ujpe magnifique ceinture autour de celte
vijle célèbre, dont les environs rappe-
laient aux Cretois les plus augustes
traditions de leur antique religion. Là
était le berceau de Jupiter, là son tom-
beau, dont les Cretois montrent encore
aujourd'hui les ruines sur une éniinence
appelée le mont Icare (i). Là coulait le
Triton , sur les bords duquel tomba le
cordon ombilical du Dieu , lorsque les
Curetés l'emportèrent au moment où il
venait de naître , événement qui fit cou-
sacrer cet endroit sous le nom d'Ont-
phalos (Nombril), et la campagne en-
vironnante sous celui A^OmphaMwn (2).
Là enfin, sur les rives du Théron,
furent célébrées les noces de Jupiter et
de Junon. Ces traditions ne permettent
pas de douter que Cnossos ne dût son
origine à une des colonies qui s'établirent,
dans les temps les plus reculés , autour
de rida, et qu'elle ne fût un des pre-
miers sanctuaires du culte primitif des
Cretois. Mais l'époque de sa plus grande
puissance fut le règne de Minos. £lle
devint alors la capitale de i1le. Après
l'établissement des colonies doriennes ,
elle se maintint encore au premier rans.
Elle aspira même à dominer sur l'île
entière , et s'unit dans ce but avec Gor-
tyne. Mais dans la suite elle éprouva
(i) Savary, Lettres sur la Grèce ^ p. 194.
(a) Dîod. V, 70.
des reven dont elle ne se releva jamais
oitièremeot. Après la conquête de l'tle
par Métellus, elle reçut une colonie ro-
maine. La treizième année du règne
de Néron (67 ap. J.-C), un tremble-
ment de terre la détruisit de fond en
comble. Elle ne s'est pas relevée de ses
ruines.' « Des monceaux de pierres,
d'anciens murs à moitié démolis , des
restes d'édifices, et le nom de Cnossou, »
que l'emplacement qu'elle occupait a
conservé , font seuls connaître le lieu où
s'élevait la superbe vUie de Minos.
Cnossos avait deux ports sur la côte
septentrionale : Heracléion et Amnisos ,
le premier à l'^idroit où s'élève aujour*
d'bui Candie, le second à l'embouchure
du fleuve du même nom.
Sur le versant opposé de l'Ida, à l'en-
droit où commence la riche plaine que
bordent, au nord, cette montagne et
le Lethacos ou Lethoeos, était située la
ville de Gortyne. Le nom de Larissa ,
qu'elle portait primitivement, atteste une
origine pélasgique. Elle dominait sur
toute la plaine qui s'étend au-dessous
d'elle. La se trouvaient Phœstos et
Rhytion , villes déjà célèbres au temps
d'iiomère; Pyraothos, Lisia, Bœbc,
Matalia, Bienna; Métallon etLébéna,
deux ports sur la mer Libyenne, et
peut-être les seuls de la côte méridio-
nale dans les temps anciens.
Gortyne possédait plusieurs temples
célèbres ; celui d'Apollon était en grande
vénération parmi les Grecs. Cette ville
avait plus de huit kilomètres de circuit.
Ses rumes, dispersées sur un grand espace
de territoire,attestent encore aujourd'hui
son étendue. Parmi ces ruines 011 re-
marque une porte de ville, en grosses
briques et à large façade ; au delà , un
double rang de piédestaux dont la base .
plonge dans le sol : on dirait les porti-
ques d'un temple; plus loin , une église
à moitié en ruines, d'une architecture
simple, sans colonnades, et dont la
construction paraît remonter aux pre-
miers temps du christianisme.
A l'ouest de Gortyne et de Cnossos ,
on trouvait encore ithaucos, sur la rive
Sauchedu Pothéreus; Lycastos, au pied
u mont Argoeos ; Prsssos , sur le Po-
théreus, ville habitée primitivement par
les Étéocrètes, et détruite dans la suite
par ceux d'Uiérapytna. Elle avait un
534
LTiaVlSBS.
temple de Jupiter-Dietéen. De l'antre
côté de rida, il faut citer Rhytimna
(auj. Rétimo), Éleutbéra , Oaxos SQr le
fleuve de ce nom ; Aulon y Éleutherna ,
Sybritia, et Psychium ; enfin, sur la cdte
septentrioDale, Dium, Cytœlon, Ma<
tium, et Apollonia. De toutes ces villes
nous ne connaissons guère que les noms.
Villes de là bbgion oggideh-
TALE. — Ce que Lyctos était pour la
région du Dicté, et Cnossos pour celle
dérida, Cydonia (auj. la Ganée) Tétait
pour celles des monts Leuca : le princi-
pal centre politique et le siège des
premiers habitants de la contree des
Cydoniens. Elle s*élevait entre le Jor-
danos et le Pycnos. Les traditions cré*
toises lui donnaient pour fondateur
Minos. Mais son titre oe Mère des vil-
les semble indiquer une ori^ne plus
ancienne. Homère ne la cite point; mats
il mentionne les Cydoniens, qui furent
sans contredit les premiers fondateurs
de cette ville (I). Cydonia ne s*éleva pas
à la puissance de Cnossos et de Gor-
tyne ; mais elle venait immédiatement
après elles ; et au milieu des rivalités de
ces cités , elle assurait toujours la su-
f)rématie à celle dont elle embrassait
e parti (2).
A Fouest de Cydonia , le long de la
côte septentrionale, s*étendait la région
pergaméenne. Là se trouvait Pergamos,
où mourut, dit-on, Lycurgue, le lé-
gislateur de Sparte.- Les traditions ne
s'accordent pas sur l'origine de cette
ville : Virgile lui donne pour fondateur
Énée (3). Suivant Velléius Paterculus,
elles aurait été bâtie i)ar Agamemnon ,
en mémoire de la prise de Troie (4).
Plus au nord, sur le flanc oriental du
mont Dictynnien, était située Dictynna,
avec un temple de la déesse Britomartis,
qui était aussi connue sous le nom de
Dictynna. A Test de cette ville , sur le
tolfe d*Amphimala (auj. Goifo délia
uda) : Amphimala, Cisamos (auj.
Cisamo), port d'Aptère, ville située plus
à l'ouest; au sud des précédentes :
Polychna, Lappa ou Lampa, fondée,
dit-on, par Agamemnon. Elle reçut dans
(i)Hoin., Odjrs., XIX , 176,
(a) Polybe, IV, 55.
(3)uE/i., m,i33,
(4) VeU. Paterc., I , x.
lite
sef murs
truetion de leur ville par lesi
Phoenix, port sur la mer Libyenne;
Tarrba et Èlyroe, deux dei prindpavx
centres du culte d* Apollon dans eette
partie de l'fle. Cette dernière ville passait
pour la patrie de Tbalétus, poète lyri-
que, antérieur à Homère ; elle avait pon
port Syia sur la mer de Libye; Phala-
sama, port sur la côte oecideDiale,
près des îles Mylœ; enfin PolynrfaéQia,
au sud de la précédente , avec un temple
de Britomartis. Cest dans cette nlle
gue , suivant la tradition, Aflamemnoa,
jeté par la tempête sur les cotes de Tik,
offrit un sacrifice aux Dieux.
ViLLBS FBIHGIPiXia DB LA CaÈTI
KODBBNB. — Candie^ la RandaksdfS
Arabes, près de l'embouchure du Géo-
firo, sur remplacement de rancienoe Hé-
racléion, à douze kilomètres de l'île deDia
(Standia), et à quatre du villaoe de CDei*
sou, situéaumiiiettdesruiDesdei'antiqtte
Cnossos, dont il a gardé le nom. Attaquée
par les Turcs en 1646, Candie soutint tto
siège célèbre , et ne capitula qu'en 1670.
Devenus maîtres de cette ville impor-
tante, les Turcs réparèrent rapidemeot
les ravages de oe long siège. « Les muis
3ui Tentourent , disait un voyageur da
ernier siècle, ont plus d^une lieue de
circuit, sont bien entretenus, etdéfendoi
par des fossés profonds ; mais ils ne sont
couverts d'aucun fort extérieur. Da
côté de la mer, elle est inattaquable,
Sarœ que les vaisseaux n'ont pas asseï
e fond pour s'en approcher. Caodie
est le siège du gouvernement lure. La
Porte y envoie ordinairement un padu
à trois queues. Les principaux offietenet
les divers cor|is de la milice ottomaoe j
sont rassembles. Cette ville ricbe, ooflu-
mer^nteet bien peuplée pendant qneks
Vénitiens la gouvernaient, est bieodé-
cbue de son ancienne puissance. Le port,
qui forme un joli bassin où lesnafirci
sont à l'abri de tous les vents, se oomble
de jour en jour. 11 ne reçoit plus mv
des bateaux et de petits bâtiments allé-
gés d'une partie de leurs marebandises.
Ceux que les Turcs fr^nt à Oodieioot
obligés d'aller presque sur leur lest at-
tendre leur chargement dans les portt
deStandié.... Candie, embellie parles Vé-
nitiens, percée de rues droites, ornées de
maisons bien bftties , d'une Mk piaœ
ILE D£ CaitflE.
S»
et d'une fontaine magnifique, ne ren*
ferme dans sa Teste enceinte qu'on petit
nombre d'habitants. Plusieurs quartiers
sont presque déserts.... Les mahomé*
tans ont eonterti la plupart des temples
chrétiens en mosquée». Cependant ils ont
laissé deux ^lises aux Grecs, une aui
Arméniens , et une synagogue aux
Juifs (I) ».
La seconde place de l'tle est la Ganée,
sur l'emplacement de Tancienne Qjrdo*
nia, dont on trouve encore des ruines
dans les eirvirons. Cette tille, bâtie par
les Vénitiens, qui la perdirent en 1645,
n'a pas plus de deux milles de circuit.
Mais depuis que les ports de Gira-Pétra«
de Canule et de Retimo sont comblés ,
presque tous les n^ociants se sont re-
tirés dans ses murs, et l'on y compta au
moins 16,000 habitants.
I^on loin de la Canée , on troute la
Suda, sur le golfe de ce nom, le meilleur
port de rile ; Cisamo (Cisamos ) , sur ce
même golfe ; Grabuse, fort bâti sur un
éeueil, et qui résista longtemps aux
Turcs; Paléocastro , qui paratt occuper
remplacement de l'ancienne Aptère;
plus à l'est, sur les côtes méridionales, Gi-
ra-Pétra rappelle Hiérapytna. Sur la côte
opposée, au sud du cap, est située Spina«
Looga, forteresse et port, sur la mer do
Crète. Enfin, entre TArmiroet l'Arcadi-
Fiume s'élève Retimo (Rhytimna), à
l'entrée d'une riche plaine que bordent
au midi les dernières hauteurs de l'Ida*
Cette ville, la troisième de l'Ile, est la
résidence d'un pacha. Sa population est
d'environ 6,000 habitants.
Cestà trois kilomètres d'Areadi qu'est
situé le célèbre monastère de ce nom. « Il
semble, dit Toumefort (S), que ce
couvent, qui est le plus beau et le plus
riche de tous les monastères de Tlle, ait
retenu le nom de l'ancienne ville d'Ar-
cadia....Du temps des chrétiens, Ar^
cadia fut honorée du troisième évéché
de i'fle : il n'v reste plus qu'un grand
couvent, situe dans une plame , en ma"
nière de plate^forme, sur la hauteur
d'une montagne, au pied du mont Ida.
Oh aborde à cette plate-forme par une
agréable vallée, partagée en vergers, vi-
(0 Savary, Lettres Sur la Grèce, XÏI,
p. x86 et suiv.
(a) Tournefort, Foyoge du Levant, p. 5i.
m» et terres labour2d>]es, couvert» dans
les lieux incultes de ohénea verts, do
kernoès, d'érables ^ de Phililyrea, de
myrthes, de lentisques, térébinthes^ pis*
taehiers, lauriers francs, cyprès, storax^
Les eaux y coulent de toutes parts* On
y reconnaît encore l'ancienne Crète. La
maison d'Arcâdi est gprande et bien bâ-
tie : l'église à deux nefs, enrichies de
tableaux gothiques. N'est-il pas biea
surprenant que les Grecs , dont les pères
ont si bien imité la nature , aient enfin
donné dans le goût des Goths* qui la
copiaient si mal ?..«. On compte près
de centreligieuxdansce monastère, deux
cents à la campagne, occupés à cultiver
leurs fermes.... • -— « Parmi oe grand
nombre de religieux il se trouve peu de
prêtres. La plupart n'entrent point dane
les ordres sacrés, ils servent dans l'état do
frères, et sont employés aux plus rudee
travaux deragrieulture (1). »— *« La cave
est un des plus beaux endroits du mo-
nastère t il n'y a pas moins de deux cents
pièces de vin, dont le meilleur est marqué
au nom du supérieur, et personne n'ose*
rait y toucher sans son ordre. » Ce mo«^
nastère possède des terres immenses, qui
s'étendent jusqu'à la mer, du côté de
Retimo, et que les nombreux caloyeri
ou religieux qui l'habitent cultivent avec
soin; l'huile, le vin, les blés, la cire qu'ils
recueillent diaque année, montent a dee
sommes considérables.
Climat. -*- « De tous les pays que j'ai
habités, dit Savary (d) , il n'en est point
dont la température soit aussi saine,
aussi agréable que celle de Crète. Lee
chaleurs n'y sont jamais excessives , eC
les froids violents ne se font point sentir
dans la plaine. Pendant une apnée d'ob-
servations faites à la Canée , j'ai remar-
qué qu'à compter du mois de mars jus-
qu'au commencement de novembre,
le thermomètre ne variait que depuis
90 jusqu'à 27 degrés au'dessus du terme
de la glace.... D'ailleurs, dans les jours
les plus chauds de l'été, l'atmosphère
était rafratchie par les vents de la mer.
L'hiver proprement dit ne commence
qu'en décembre , et finit en janvier.
Pendant cette courte saison , la neige
ne tombe jamais dans la plaine , et ra-
(i) Savary, Lettre XXVI, p. a 39.
(1) Lettre XXI, p. 966.
Mi
L*17NIV£RS.
rement on y voit la surfiBice de l'ofta ge-
lée... On a donné le nom d'hiver à ces
deux mois , parce qu*a1or8 il tombe des
Sluies abondantes, que te ciel se couvre
e nuages et qu*on y éprouve des vents
du nord très- violents, mais ces pluies
sont utiles à Tagricalture. Les vents chas*
sent les nuages vers les hautes monta-
gnes, où se forme le dépôt des eaux qui
fertiliseront les campagnes , et Thabitant
des plaines ne souffre point de ces in-
tempéries passagères. Dès le mois de
février la terre se pare de fleurs et de
moissons. Le reste de Tannée n'est
presque qu'un kieau jour... Le ciel est
toujours pur et serein : les vents sont
doux et tempérés Les nuits sont fort
belles. On y goûte une fraîcheur déli-
cieuse.... Aux charmes de cette tempé-
rature se joignent d'autres avantages
2ui en augmentent le prix. Llle de
rète n'a presque point de marais.
Les eaux n'y restent guère stagnantes.
Elles coulent du sommet des montagnes
eu ruisseaux innombrables , et forment
çà et là des fontaines superbes ou de
petites rivières qui se rendent à la mer...
Aussi l'air n'est point chargé des va-
Êeurs dangereuses qui dans les contrées
umides s'élèvent des lieux marécageux. »
Cette douce température , cet air sa-
lubre, qui firent appeler la Crète MacU'
ronésos, l'Ue-Fortuuée , étaient appré-
ciés dans l'antiquité. Hippocrate en-
voyait ses malades se rétablir dans cette
tie. Encore aujourd'hui l'influence de ce
climat privilégié se fait remarquer dans
la haute statùre,'la forte constitution et
la longévité des Candiotes.
II.
HISTOIBE DE L'ILE DE GBÈTB PEN-
dant les temps anciens.
Habitants pbimitifs de l'ilb db
Cbbtb. — Les Cretois, comme tous les
peuples en général , plaçaient leur berceau
dans les lieux mêmes ou s'est développée
leur civilisation. Ils se prétendaient auto-
chthones. Quoi qu'il eu soit de cette pré*
tention, c'est daus Homère que nous trou-
vons la première et la plus importante
mention de l'ancienne population de l'tle.
« Au sein des mers, dit le poète (1) ,
est la Crète , contrée riche et fertife,
battue de tous côtés par les flots. Elle
amne population immense , qui habite
quatre-vingt-dix villes. Là sont des
peuples divers et de lances diverses :
des Achéens, des Étéocretes, des Cydo-
niens, des Doriens, et des Pélasges.»
L'époque qu'Homère a ea vue ici est
celle du règne de Minos. Il énunoère les
dl£férents peuples qui habitaioit Tileau
temps de ce prince. Quant à Tordre
chronol<^îque dans lequel ils sont venus
s'y établir, il ne faut pas le diercber
dans ce passage. Le poète se contente
de signaler la diversité de leur origine*
laquelle se révèle dans la diversité de
leurs idiomes. Nous trouvons, en eâiet.
ici trois groupes de population bien di^
tincts : l<> des Étéocrètes et des Cydo-
niens , 2** des Pélasges, 3* des Dorieos
et des Achéejis.
Les Étéocrètes sont généralement con-
sidérés comme autochthones. Leur nom
d'Étéocrètes ( vrais Cretois ) prome
Qu'ils passaient aux veux des Grecs pour
être nés sur le sol même de Tlle. 11 leor a
été évidemment donné pour les distia-
guer des peuples venus du dehors. Le»
Etéocrètes habitaient aux environs de
l'Ida et du Dicté. Praesos, à soixante
stades de la côte méridionale, était leur
principal centre. Mais il est probable
u'ils occupèrent aussi l'autre versant
es deux montagnes jusqu'à l'époque
de l'invasion dorienne. Refoulés alors
dans le midi , ils furent longtemps saoi
se mêler aux autres peuples de Itle.
Cette espèce d'isolement que perpétuait
leur orsueil national , et que £avorisait
si bien leur établissement entre Tldaei
le Dicté au nord , et la mer Libyenne ao
sud, durait encore après la 'mort de
Minos. Seuls, avec les Polichnites, m
ne prirent point part à l'expéditioa
de Sicile, entreprise pour venger ce hé-
ros (1).
Comme les Étéocrètes, les QrdonieiB
passaient pour indigènes, bien qu'ils oe
fussent pas compris sous la dénooiiiu-
tion de vrais Cretois. Us domÎDaieot
dans la partie occidentale de File. Çydo-
nie était leur principale ville. Ils hono-
raient particulièrement la déesse Brito-
martis, et avaient aussi leur idjoaie
2
(i) Hom., Odfs.f XIX, 174 et suit.
(i) Hérodote 9 TII, 170,
ILE DE CRÊTE.
W
Mt>pre , dont quelques termes nous ont
ité conserrés. Le nom de Britomaitisap*
lartient à œ dialecte , et signifie douce
ierge (1).
A côté de ces peuples, que nous pou*
ODS considérer comme autocbtbones
*u tout au moins comme les plus an*
lens habitants connus de l'île, se pla-
entdes Pélasges, venus, selon toutes les
robabllités, de rArcadie. Il n*est guère
pssible de déterminer Tépoque précise
e leur arrivée en Crète. Mais ils y pré-
édèrent certainement de plusieurs siè-
les les Hellènes , qu'amena Teutamos
ers 1415, et parmi lesquels se trouvé-
emmêlés d'autres Pélasges. Quant aux
eux où ils s'établirent, ce fut principa-
îmeat la plaine où s'élevait Gortyne.
!ette ville elle-même, comme nous Fa-
ons vu , portait primitivement le nom
élasdque de Larissa, ainsi qn'une au-
re ville, qui fut dans la suite réunie à
liérapytna (3). Des restes de construc-
ions cyclopéennes attestaient le passage
ur le sol Cretois de cette première oolo-
ie de Pélasges.
Cette colonie n'est pas la seole que
eçut la Crète dans ces temps reculés.
>eux autres races , également célèbres ,
ans l'antiquité, par leurs systèmes re-
gieux et leur civilisation précoce, vin-
sut mêler leur sang et leurs idée» aux
abitants primitifs de cette lie : les Phry-
iens et les Phéniciens. Les premiers ne
3nt autres que les Dactyles-ldéens et
!s Curetés. Ces noms appartiennent
tutôt à la théoloffie qu'à l'histoire de
ancienne Crète. Ils désignent une co-
)nie sacerdotale venue des environs du
)ont Ida, en Pbrygie, et qui apporta en
rète les idées religieuses et les arts de
Asie occidentale. L'arrivée de cette co-
>nie remonte à une si haute antiquité,
u elle est souvent confondue avec la po-
ulation primitive de l'Ile. « Les prê-
tera habitants de Crète , dit Diodore
e Sicile (8) , demeuraient aux environs
u mont Ida , et s'appelaient Dactyles-
3éens. » Nous verrons ailleurs Tin-
uence de cette colonie sur la religion et
^ civilisation primitives de l'île.
L'influence des Phéniciens ne fut pas
(O^oy.Hoeck, Kreta^ I, p. 46.
i^) Kaoul-Kochette, CoL Gr^ I, p. 5.
(3) Diod, Sicul, V, 64, 3.
moins tfrMide. Leur préseoee en Crète
se révde particulièrement dans deux
mythes importants. Quand Hercule se
rendit dans l'ibérie pour enlever les va-
ches de Géryon , qui paissaient sur les
cdtes de ce pays, il rassembla ses troupes
dans l'île de Crète; « car cette île est
avantageusement située pour faire partir
de là des années sur toute la terre. Les
Cretois accueillirent Hercule avec de
grands honneurs ; et , pour leur témoi-
gner sa reconnaissance , il purgea Tlle
des bêtes féroces ; c'est depuis lors qu'on
n'y trouve plus ni ours, ni loups, m ser-
pents, ni d'autres animaux semblables.
Il voulut aussi par cette action illustrer
un pays où Jupiter était né, et où il avait
été élevé (1). » Parti de cette île , Her-
cule relâcha en Libye , la paroourut jus-
3u'à l'Océan qui baigne Gadès , et éleva
eux colonnes sur les bords de l'un et
de l'autre continent. Cette légende de
l'Hercule-Tyrien ne permet pas de douter
que les Phéniciens n'aient de bonne
heure fondé des établissements en Crète.
Les avantages de la situation maritime
de cette île devaient frapper ces entre-
prenants navigateurs. Située sur la
grande route commerciale qu'ils parcou-
raient , elle pouvait servir de relâche à
leurs vaisseaux et de centre à leur colo-
nisation. C'est de la Crète, en effet,
comme on le voit dans cette légende ,
que les colonies phéniciennes se répan-
dirent dans les contrées de l'Occident ,
sur les côtes de l'Afrique et de l'Espace.
L'autre mythe n'a pas une moins im-
portante siffnîfication historique. Nous
voulons parler de l'enlèvementd'Europe.
Jupiter, dit la fable , sous la forme d un
taureau, transporta Europe, fille de
Phœnix, de la Phénicie en Crète. Eu-
rope, on le sait, est la personnification
du culte de la Lune. Elle s'unit avec
Jupiter, le dieu indigène de la Crète. Cet
hvmen des deux divinités n'est autre
chose que le symbole do l'alliance des
deux religions, phénicienne et Cretoise,
et de la fusion des anciens habitants avec
les nouvelles colonies.
Quant aux lieux où s'établirent ces co- ,
lonies, pour les déterminer il suffit de
suivre en quelque sorte la trace du my«
tbe , et de recueillir les souvenirs qu il
(i) Diod. Sicul., IV, 17, 3.
5ia
LUmVERS.
a ieméi sur le Ml eiétois. Or^ loas ees
souvenir! fie groupent aux euvirons de
Gortyne. C6St en defloendant le eonra
du Lethœes qu'Europe s'eit rendue
dans eette Tille , située sur oé fleuve.
]Non loin de là s'élevait le plaune dont
le feuillage étendit comme un voile de
verdure sur ses premières amours avec
Jupiter. Ûortyne elle-même s'appela an*
cienoeroent HeUotU ou HeUotiay d'un
des noms d^Europe (1). Enfin, il reste
de cette ville des monnaies sur lesquelles
oe mythe est figuré. Nul doute qu'elle ne
fdt le prindpai eentre de la eoloniiatioa
pMnicienne en Crète. Mais elle ne fut
pas le seul. Cette colonisation paraît
s'être étendue sur la plus grande partie
de la région orientale de l'île. Des mon-
naies de Phoestos, ville située à Test
de Gortyne, sont marquées à l'effigie
d'un taureau, et la fondation d'Itanos,
à l'extrémité orientale de l'tle , est at-
tribuée à un Phéttiden.
Tous ces peuples furent confondus par
les Grecs sous la désignation commune
de Barbareê. Hérodote (3) donne en-
core aux Cretois de l'époque de Minos
cette qualiOcation, qui exclut tout élé*
ment neiténique de la population à la«
quelle elle s'applique. Cependant nous
avons vu des Donens et des Acbéens
mentionnés par Homère parmi les an-
ciens habitants de l1le , et plusieurs bto*
toriens , s'appuyant sur ce passade de
l'Odyssée , parlent d'une colonie dorienne
en Crète, antérieure d'environ trois
siècles à la ^erre de Troie. Cette co-
lonie , conduite par Teutamos ou Tec«
tanios, fils de Dorus, serait partie des
environs du mont Olympe ^ et aurait été
renforcée par des Aehéens de la Laconie,
des Ëoliens et même des Pélasges (9).
« Quant aux établissements partieullers
formés par cette colonie , nous n'avons
aucune lumière. Stopbylus, eité par
Strabon , dit que les Doriens se fixèrent
dans les régions les plus orientales de
l'tle. Quoi qui! en soit, on ne peut
douter des progrès rapides qu'obtint
cet établissement, puisque Minos, qui
réunit l'Ile entière sous sa domination ,
(i) Steph. Byz., V; rôpruv.
(s) Hérodote, I, 17$.
(3) Diod., IV, 60; V, 80; Strabon, X,
p. 789.
descendait de Teatan«>s ; et œ li * est qv'è
cette colonie que les hsdtitaats de II
Crète durent l'avantage d'être compté,
dès l'époque de ce prince , au nonèn
des ncUions heUéniqves (1). »
De nombreux témoignages attesteei
la réalité de cette colonie. Mais il eit
difficile de les concilier aTee ee qm
nous connaissons des Doriens. Les éou-
grations de ce peuple sont poetérieura
ae près d'un siècle à la prise de Trok.
Elles ne commencent que rers 1104.
Jusqu'à cette époque, il resta cantonsé
dans les montagnes de la Drropide. Il pa-
rait peu vraisemblable d'ailleurs aa'au
colonie de ce petit peuple soit allée, 1
travers la Heliade et le Péloponnèse,
s'établir dans une des ties les plus n»-
ridionales de la mer intérieure ^ à sk
époqueoù les Lâèges et les Cariens en-
mêmes , adonnés de si bonne beore 1
la navigation , commençaient à peine i
lancer leurs barques sur la mer, et i
exercer la piraterie d'une Ile à Taubv.
Ajoutons que Teutamos ne figure m^
part dans les vieux mythes de la Crète,
et que son nom ne se trouTO pas dus
la plus ancienne généalogie des rois éi
cette tle. Cette colonie parait avoir été
imaginée pour rattacher Minoa , le facn»
national de la Crète, aux Doriens, qui
ne s'établirent dans l'tle qu'environ dm
siècles après sa mort. On donne a
effet à Teutamos pour fils Asténos, qm
épousa Europe après Jupiter, et adopu
les fils du dieu , Minos, Rhadamaatbe
et Sarpédon. Puis à Minos lui-même on
fait épouser Itoné, fille de Lyctios, para
que Lyetos fut une des plus oélebr»
colonies doriennes de l'tle. Enfin Ljm-
tos, né de cette union, devient 'père
d'un second Minos , celtn qui deaûiu
sur les mers. L'intention de faire i%
Minos un Dorlen est évidente. Elle n
plique la colonie de Teutamos, Imagioée
par l'orgueil dorlen , ainsi que les dcss
Minos , l'un fils de Jupiter, l'autre de
Lycastos (2).
Mais si la Crète, dans les lenpi
antérieurs a Minos , demeura étranger»
aux Hellènes, elle compta du mcaa
parmi ses habitants deux peufrfes qui
flottaient en quelque sorte entre k
(1) Raoul-Rochette, Cd. Grecq., p. 7^7i>
(a) Cf. Hoeck, Kreta, U, p. i5 etsuir.
ILE DE CaiÊTE.
$9ê
Donde barbare et le monde grée, et
lui firent connaître de bonne beore
ux Cretois la langue et la relieion de
) Grèce. Nous voulons parler des Ga-
ieos et des Lélèges. Nous verrons plus
oio leurs rapports avec Minos. Long-
emps avant le règne de ce prince us
urent mêlés aux Cretois ; et ils faisaient
ans doute partie de oette quatrième
lasse formée d'an mélange de barbares
ont parle Diodore (1). Les rapports
le la Crète avec ces deux peuples , de*
luis longtemps en contact avec le monde
rec marquèrent , en queloue sorte, son
lassage de la barbarie à la civilisation
dlénique.
La Cbètb avaiit Mi90s. — Deux
«uples indigènes , les Étéocrètes et les
)ydonieos; plusieurs peuples de colons,
es Pélasges, des Phrygiens, desPhé-
iciens, peut-être même des Égyptiens ;
n6n des Cariens et des Lél^es, tels
ont les divers éléments de la popu la-
ion de la Crète à Fépoque où paraît
linos.
Minos, qui est une des personnifica^
ions de la royauté héroïque , n'est pas
3 premier roi de Crète. Cet honneur
evient à Jupiter, frère d'Uranus. Ju*
iter eut dix enflants , nommés Curetés.
>eux de ces derniers, Crès et Mélitheus
égnèrent successivement après lui. En
e temps-là, dit la l^ende, Ammon, ro!
'une partie de la Lmye, vint chercher
n refuge en Crète. Il avait épousé Rhéa,
ile d'Uranus et sœur de Saturne et des
Qtres Titans. « En visitant son royaume ,
trouva, près des monts Cérauniens,
ne fille sinculièrement belle , qui s'ap-
elait Amalthée. Il en devint amou-
eux, et en eut un fils , Bacchus , d'une
eamé et d'une force admirables... Crai-
nant la jalousie de Rhéa, Ammon cacha
vec soin cet enfant , et le fit trans-
orter secrètement dans la ville de
^yse, située dans une Ile environnée
ar le fleuve Triton. Le Jeune Bacchus
fut instruit dans les plus belles scien-
^— • Il aimait les arts, et inventa plu*
leurschoses utiles. Étant encore enfant,
l découvrit la nature et Tusape du vin ,
n écrasant des raisins des vignes sau*
âges... Sa renommée s*étant répandue
>anTii les hommes , Rhéa, irritée contre
(t) Diod., V, So.
Ammon, résohit de s'emparer de Bae»
chus. Mais ne réussissant pas dans soa
entreprise, elle quitta Ammon , et, re«
tournant auprès des Titans, ses firàres,
elle épousa son frère Saturne. Geiui*ci,
à rinstfigation de Rhéa , marcha contre
Ammon et le défit en bataille rangée.
Pressé par la famine, Ammon se réfugia
en Crète. Là, il épousa Créta, fille de
Curetés, alors régnant , et il fut reconnu
roi de cette tle.... » Saturne et les Titans
Ty poursuivirent. Mais Jupiter envoya
des soldats égyptiens au secours d' Am-
mon , et la guerre s'allumant dans eette
tle, Bacchus, Minerve et quelques au-
tres dieux , y accoururent. Il s'y livra
une grande bataille. Bacchus resta vain-
queur, et tous les Titans furent tués.
Après cela, Ammon et Bacchus échan«
gèrent le séjour terrestre contre les de-
meures des immortels, et Jupiter régna ,
selon la tradition , sur tout runivers (i).
Crès , son fils , lui succéda en Crète et
donna son nom à Tîle. Ensuite Meur-
sins signale une lacune considérable
dans la série des rois de Crète. « Ëusèba,
dit*il, ne mentionne aucun roi entre
CrèsetCydon, c'est-à-dire durant un es-
pace de trois cent quatre-vingt-seize
ans (2). «
Toutefois, parmi les nombreux roisqui
onf dû se succéder dans ce long inter«
valle, Meursius dte Cécrops, en s'ap-
puyant sur le témoignage de Gotfried de
Yiterbe (8). Plante semble confirmer
eette assertion en appelant la Crète l'ik
de Cécrops (4). Puis vient, après un es-
pace de temps qu'il est impossible de dé*
terminer. Cydon, qui aurait régné, sut*
vant Eusebe, dans la quatre-vingt-dixiè*
me année de la servitude des Hébreux
en Egypte (5), c'est-à-dire vers le milieu
du dix-huitième siècle avant J.-C Ce
Cvdon immola sa fille Eulimène, pour
obéir à un oracle. Mais ce fut un autre roi
de ce nom qui fonda, longtemps après, la
ville de Cydon et lui donna son nom (6).
A ce prince sucoéda Aptère, fondateur
(i)Diod.,m,68,7i-73.
(i) Meurs., Creta, lib. III, cap. u
(3) Meurs., i6ld., lib. III, cap. ii.
(4) Ceeropia insula; Plaute, In Trintanmo,
act, rv, 80. IX, ▼. S3.
(5) Meurs. 1. c.
(ô) Sleph., ?. KuSwvia.
«40
LUNIVERS.
de la Tille de ce nom, et contemporain
de Moïse. Puis vient Lapés , à qui on
donne pour successeur le Dorien Teu«
tamos, qui amena en Crète une colonie
d*Hellènes et de Pélasfçes, et devint roi
de rtle. Il épousa la OUe de Gréthès, et
en eut un fils nommé Astérios. C'est
pendant le règne de ce dernier aue Ju-
piter enleva , dit-on, Europe , fille d*un
roi phénicien, la transporta en Crète, et
eutaelle trois fils, Minos, Rhadamanthe
et Sarpédon. Astérios épousa Europe
après le dieu; et^ comme il n'avait point
d enfants , il adopta ceux de Jupiter, et
leur laissa son royaume (1). Sarpédon
passa, suivant la tradition, en Asie, avec
une armée, et conduit la Lycie. Évandre,
son fils, lui succéda dans ce royaume.
Rhadamanthe , si fameux comme juge
aux enfers, et appelé même par Diodore
de Sicile l^lateur des Cretois, domina
sur une grande partie des îles de la mer
Egée et du littoral de l'Asie. Quant à
Sfinos, il régna en Crète même, épousa
Itone, fille de Lyctios, et en eut Lycaste.
Parvenu au trône, Lycaste épousa Itone,
fille de Corybas, et engendra le second
Minqs , que quelques«uns disent fils de
Jopiter.
Cette généalogie, donnée par Diodore
de Sicile (2) , diffère en plusieurs points
de celle qui nous a été transmise par les
logographes. On y aperçoit Teffort que
nous avons déjà signalé, de rattacher les
Dorions à Minos. Comme nous avons
vu une colonie dorienne comptée, contre
toute vraisemblance, parmi les anciens
habitants de la Crète, nous trouvons ici
on prince dorien, Teutamos, ajouté aux
souverains de Tlle, et donné pour père
à Minos. Pour la même raison on fait
épouser à celui-ci Itone, fille du Dorien
Lyctios. L'ancien mythe donnait pour
femme à Minos Pasiphaé. Mais celle-ci
étant, et par son nom et par son origine,
étrangère à la race donenne, on supposa
un premier Minos, à qui Ton fit épouser
la Dorienne Itone. Ainsi s'expliquent les
deux Minos , dont le premier est repré-
senté comme législateur, et le second
comme dominateur des mers, et séparés
l'un de l'autre par une génération entière.
Toutefois, il est à remarquer que dans
(x) Diod., IV, 6o; ApoUod., III.
(a) Wod., I. c;
un autre passage de Diodore de Sdlt.
il n'est question que d'un seul Minos,
fils de Jupiter et d'Europe, et à la (bs
législateur et conquérant. Ajoutons gs
ni Homère, ni Hésiode, m les poètes
ou les logographes qui vinrent après col
ni Platon, ni Aristote, ni Straboa,»
font mention de deux princes de ce aoa
D'ailleurs l'unité ou la dualité dans a
personnage est d'une médiocre inapoT'
tance historique. Qu'il y ait eu on oo
deux Minos, une chose est hors de doute.
c'est que dans les deux siècles qui pn-
cédèrent la guerre de Troie, ce nom et
mine toute 1 histoire de la Crète, et u
trouve souvent mêlé à celle de la Grès
elle-même (1400-1200).
Jusqu'à Minos nous avons été a
pleine mythologie. Avec lui noussos*
mes loin d'en sortir entièrement. Lliis-
toire est encore dans les légendes. SI
est nécessaire de l'en d^ager, il n'est
ffuère possible de l'en séparer tout à fait-
Nous rapporterons donc telles que dos
les trouvons dans les historiens ancie&i
les légendes relatives à ce personoa^.
sauf à détacher ensuite de ce fond mer*
veilleux les faits d'une réalité historiqiie
incontestable.
RÈGNE DB MiNOS. — ( Dcux ^Déra*
tiens avant la ^erre de Troie, c'est*a-
dire vers le milieu du quatorzième siède
avant J.-C.)
Minos n'est pas seulement le repré-
sentant et comme la personnification de
la royauté héroïque en Crète; son nom
domine presque toute l'histoire de cette
île. Avant lui tout l'intérêt est oonceth
tré dans les mythes religieux. Nous n
voyons en scène que les dieux, llnv'
pas, à proprement parler, de peuple
Les diftérentes races qui habitent i ti^
s'effacent en quelque sorte derrière b
sanctuaires de leurs divinité, qui seule
agissent et se meuvent , tandis que L
uation reste immobile. Aussi nul évé-
nement important, nulle entreprise di-
tionale qui témoigne d'un comnieoe^
ment de vie politique. Avec Minos toat
change. L^ dieux font place aux béros.
A une sorte de théocratie succède l
royauté héroïque , telle que nous la re-
trouvons en Grèce, avec ses légende^
merveilleuses sans doute, mais auss
^vec son caractère humain et sa réalité
historique. Minos marque admirai)^
ILE DE CRETE.
44t
ment la transition entn) eet deux ordres
le choses. II tient encore au premier par
»n origine , et il appartient déjà au se-
!ond par ses actes. Il est fils du dieu
^eus et de la déesse Europe, époux de
a déesse Pasiphaéy et père de plusieurs
iivinités qui se rattachent , comme ces
ieux dernières, au cycle mythique de la
une et du soleil ; mais en même temps
t Dous apparaît comme le type du lé-
jislatear ancien, et comme le fonda-
eur d'une grande puissance maritime.
ious ces deux derniers points de vue, il
!st du domaine de Thistoire. Sans doute
i u'est pas l'auteur de toutes les lois
|u on lui a~ quelquefois attribuées , le
léros de toutes les aventures qu'on a
Dises sur son compte. Gomme la pé-
iode à laquelle il appartient est la seule
ipoque glorieuse de rnistoire des Cretois,
m a rapporté à son règne tout ee que ce
KÎU| '
mi
Uais
)art véritable parmi tant d'événements,
^t son œuvre propre dans une constitu-
ion qui s'est développée avec le temps ,
1 est du moins incontestable qu'il a
onde en Crète un certain ordre poli*
ique, et rendu cette lie puissante au
lehors par sa marine et ses colonies.
vn un mot, dépouillé du merveilleux
|ui entoure son nom, et réduit aux
proportions humaines , Minos reste le
léros national et le législateur de la
>ète.
Nous avons vu quels peuples occu-
aient cette île à Tépoque où se place
B règne de Minos. Entre eux nul lien
N)litique. Différents d'origine, de lan-
gue et même de religion , ils trouvaient
neore dans la nature même de l'île,
oupée partout de hautes montages,
ioe nouvelle cause d'isolement. Suivant
)iodore, MinosetRhadamantbe seraient
orrenus, après de longs efforts, à ra-
neoer ces diverses races h l'unité (1).
itrabon (2) , de son côté, rapporte que
iinos divisa l'île entière en trois par*
ies, dans chacune desquelles il fonda
me ville. Mais la fondation de ces villes,
|Qi furent Cnossos, Cydonia et Gortyne
uPhaesto8,est incontestablement an*
(i)Diod.,V, So.
(a) Slrabon, X , p. 73o.
térieure au règne de Minos. Quant à la
division de la Crète en trois parties ,
elle ne paraît avoir d'autre origine que
la division naturelle de cette île en trois
régions. L'unité politique dont parle
Diodore n'a pas existé davantage. Ja*
mais la Crète n'y atteignit complète-
ment. Elle fut à toutes les époques, sous
le rapport politique, ce qu'elle était
physiquement, morcelée entre plusieurs
peuples, toujours isolés les uns des
autres, souvent même en lutte entre
eux. Toutefois, si Minos lui-même ne
forma pas de l'Ile entière un Ëtat com-
pacte, s'il n'en réunit pas toutes les
parties sous une loi commune, du moins
sa domination s'étendit-eile sur une
grande portion du territoire , et en au-
cun temps , ni avant ni après son règne,
la Crète n'approcha autant de l'unité.
Il régna sur tout le centre de l'île, où
Cnossos, sa capitale, exerçait une sorte
de suprématie sur toutes les villes qui
s'élevaient autour de l'Ida et du Dicté.
La mention particulière qu'Homère fait
de cette cité (1) , l'opinion qui y plaçait
l'origine de la fameuse constitution Cre-
toise (2) , enfin l'importance qu'elle ti-
rait du culte national de Zeus, dont
elle était le principal sanctuaire, ne per-
mettent pas de douter qu'elle ne fût, au
temps de IVlinos, un centre politi(]uetrè8-
considérable. Mais la région occidentale;
celle où s'élevait Cydonia, paraît être res-
tée étrangère à la domination et même
à l'influence de ce prince. Cette partie
de l'île avait et conserva son idiome et
son culte particuliers; elle conserva sans
doute aussi une existence politique dis-
tincte. Des villes même du centre, telles
que Proesos, se maintinrent dans une
sorte d'indépendance. C'est du moins ce
qui semble résulter d'un passage d'Hé-
rodote, où cet historien npus apprend
que les Prœsiens et les Poîichniens ne
prirent point part à l'expédition que les
Cretois firent en Sicanie, pour venger
la mort de Minos (3).
Puissance mabitimb db la Cbètk
sous Minos. — Quoi qu^l en soit, ce
prince fit de la Crète os qu'elle n'avait
pas été avant lui , un Ëtat. Il concentra
i
i)//., Il» 645.
a] Plat., de Leg,, I, i.
(3) Hérodote, VII, 170.
ê49
LimiVBBS,
ses foreec juMjo'alon é|wrtê8, et les
dirigea vers la mer. La mer était Télé-
ment naturel des Cretois. Toat les y ap-
pelait. La situation de leur tle, une
grande étendue de côtes, des ports nom-
breux, de vastes forêts, tout ee qui
excite aux entreprises , navales et déve-
loppe chez un peuple le génie maritime
se réunissait pour tourner vers la mer
Tactivité et l'ambition de ces insulaires.
« La nature, dit Aristote (1), semble
avoir placé Hle de Crète dans la position
la plus favorable pour tenir Tempire de
la Grèce. £lle domine sur la mer et sur
one grande étendue de çays maritimes ,
que les Grecs ont choisis de préférence
pour 7 former des établissements. D*un
eôté elle est près du Péloponnèse ; de
l'antre elle touche à l'Asie , par le voi*
ainage de Triope et de llle de Rhodes.
Cette heureuse position valut à Minos
l'empire de la mer. »
Cette grande puissance maritime est
attestée par de nombreux témoignages.
Cest un fait qui a tous îes caractères
d'un fait historique. « De tous les sou-
verains dont nous ayons entendu parler,
dit Thucydide (2) /Minos est celui qui
eut le plus anciennement une manne. Il
était maître de la plus grande partie de
la mer qu'on appelle maintenant Hellé-
nique; il dominait sur les Cyclades, et
forma des établissements dans la plupart
decestles. d
Mais cette domination ne s'établit pas
sans lutte. Différents peuples , à cette
ë^que, couvraient cette mer de leurs
vaisseaux , et occupaient ces fies. Les
Phéniciens, les Cariens et les Léièges
étaient adonnés à la navigation dès la
plus haute antiquité. C'étaient d'aven-
tureux corsaires, oui lançaient leurs
barques d'une tle à rautre ,*ou les pro-
menaient le long des côtes, qu'ils déso-
laient de leurs bri$;andagcs. Dans un
temps où la force et le courage étaient
considérée par-dessus tout, ce métier
n'avait rien de déshonorant (8). Le pi-
rate était même peut-être plus estimé
que le marchand. D'ailleurs ces deux
professions étaient souvent exercées si*
inultanément. Jusqu'au temps de la
(i) Ariit., Polit., II, 8.
(a) ïluic, I, 4; cf. Hérodote, m, laa.
(3)Thur., I, 7.
f^oem de Trate^ et aneere toaglemp*
après , la piraterie ae lie étroiteoMst m
eommeree maritime. Elle est aviei taieo
Sue le n^oce l'objet de la Bavigatk»
ans les mers de la Grèce, et lea mèam
hommes trafiquent et pillent tout à h
fois. Aussi , nulle sûreté sar œi inen.
La plupart des Iles étaient deveoues des
repaires de brigands. Tontes les ooman*
nications étaient interceptées. Minos il
cesser cet état de choses. Il rendit b
navigation plus libre, déporta ks oui-
faiteurs qui occupaient les Iles, et y ee-
voya deseolonies (1). Dans la plupart des
Cydades il forma anisi des établîBe-
ments qui remplacèrent csux des Oh
riens , des Lél^es et des Phéniôcfis.
Toutefois si ce dernier peuple disparaît
presque complètement de la mer £|sée
pendant tout le temps oue dura la puis-
sance maritime des Cretois , il n'en est
pas de même des deux premiers. On les
trouve comme auparavant stir les men
helléniques, dans les Iles et sur les côui
de l'Asie Mineure, mais étroîtenm!
unis aux Cretois. Ils ont cessé d'être ks
rivaux de ce peuple, pour s'associer à se
entreprises et à sa colonisation. Qu'ils
aient cependant subi la loi de la vi^
toire , c'est ee dont le passage suivaiK
d'Hérodote ne permet pas de douter. « Le»
Cariens , dit cet historien , avaient écr
anciennement sujets de Minos ; on les
appelait Léièges. Ils habitalast alen
m ties , et ne payaient aucune sorte ée
tribut.... Mais ils fournissaient à Mioo^
des hommes de mer toutes les fois quM
en avait besoin (9). » Comment , en ff-
fet , ce prince aurait-il pu entre|inndrf
toutes ses expéditions avee les seuls
Cretois , sans épuiser son petit royauuie,
s'il n*avait assiigetti les peuples vaiocsi
à une sorte d'impôt du sang ? Ponrertte
même raison , il leur dut fiure leur part
dans les nombreux établissements qQ*jl
forma. Ainsi s'expliquent l'union étroite
des Cariens et des Cretois, et le méime
des deux peuples dans les ooloniesfoodMS
par ces derniers.
COLONIBS CaÉTOISVS A0 TBVFS Dt
Minos. — L'établissement de ees colo*
nies est sans contredit un des prinripsax
événements de rhistoire des Orécois. I)
(i)Ibid., 8.
(«) Hérodote, 1, 171.
ILE UE CRÈTE.
Ut
mplit là plat belle ipe^oe de le«r
cistence politique. Ce peuple, jusqu'à-
»rs TeDfermé daos son île , où se pour-
livaUobsearénieiit la lente formation
e sa nationalité, composée de tant d'élé-
lents divers , se répand tout à coup ao
ehors , prend possession de la mer qui
environne , et envoie dans tontes les
ireetions des colonies qui vont porter
a civilisation sur les côtes de l'Asie
linenve, dans les lies de la mer Egée,
n Grèce et Jusqu'en Italie. Minos corn*
leDce ce grand mouvement colonial ,
m se continue après lui pendant les
eux siècles qui précèdent la guerre de
'roie.
La première colonie partie de la
)rète sous le règne de Minos paratt
voir été celle qui fonda Milet. Elle eut
ourchef Miletos, on des principaux
itoyens de la Crète , sans doute chassé
le rite avec les partisans de Sarpédon,
|ui avait vainement disputé le trône à Mi«
i08. Milétos détMirqua d*abord dans Tile
le Samos; de là il passa sur le continent
t)i8iD, où il bâtit Oii^conte, ville oui dans
a suite fut réunie par un pont i Milet.
y^près une tradition plus généralement
laivie, Milétos, admis par les Cariens et
es Lélèges à habiter parmi eux avec ses
>étoi8, donna bientôt à la nouvelle ville,
ippelée avant lui Anactoria , le nom
)e Milet, qui lui est resté. Ce premier
établissement donna naissance aux deux
iiles deCaunis et de Biblis.
Après avoir contribué à rétablisse*
nem que Milétos fonda en Carie, Sar-
)^on passa dans la Myliade, pays appelé
lepuis Lycie. « L'influence de' la civili*
talion Cretoise apportée dans cette con-
tée par les compagnons de Sarpédon
iurait encore au temps d'Hérodote, puis-
ni'à cette époque les Lyciens suivaient
iDcore en partie les lois de Crète (1). »
^ oolonies s'étendirent , vers le nord ,
lor la côte appelée depuis lonie. L'une
i'etiesallafonderenPbocideZélia, Cilla,
^bryse et Ténédos. Colophon dut aussi
'OQ origine à une colonie erétoise L*é«
Ablisseinent formé par cette colonie
(«vint sans doute très^florissant, puisque
M Ioniens, en venant à leur tour pren*
Ire possession d'une partie du littoral de
'Asie Mineure , consentirent à partager
(OKaonl-IlocheUe Col. Gr„ II, p. 170.
avec les Cretois de Coloplioii 11
et le gouvernement de cette ville. Ery-
thrée rapportait également son oricine à
une colonie Cretoise, dont le chef Éry-
thrus, fils de Rhadamanthe, lui donna
son nom , que la colonie ionienne lui
conserva.
A la même époque OEnopion , fils
d'Ariane et de Minos, conduisit une co-
lonie dans l'Ile de Chio. Une foule d'au-
très îles de la mer Egée furent , dans
cette même période , occupées et colo-
nisées par les Cretois : telles que Délos,
Andros, Paros, Naxos, Amorgos, Casos
Scyros , Lernnos et beaucoup d'autres.
« Le prince qui présidait à rétablisse-
ment de ces colonies avait fixé son sé-
jour sur le continent asiatique. La dou-
ceur et l'équité de son gouvernement ne
contribuèrent pas moins efficacement
que les armes de Minos à raffermisse-
ment de cette vaste domination (l).
« Rhadamanthe, dit Diodore (9), possé-
dait de nombreuses tles et une partie du
littoral de l'Asie ; toutes ces contrées
s'étaient livrées volontairement à lui sur
la réputation de sa justice. »
Rhodes aussi reçut une colonie eré-
toise, mais longtemps après les îles qne
nous venons de citer. Cette colonie eut
pour chef Althémène, fils de Catrée, pe-
tit-fils de Minos. Condamné par le destin
à tuer son père , ce prince s'exila avec
une troupe de volontaires. Il aborda à
Camire , dans Ftle de Rhodes , et éleva
sur le mont Atabyre, d'où Ton aperçoit
la Crète, le temple de Jupiter-Ataoyrien.
Il fut lui-même honoré des habitants ;
mais il ne put échapper à la loi du des-
tin. Imoatient de retrouver son fils,
Catrée fit voile pour Rhodes, et périt
atteint d'une flèche mi'Althémène loi
lança sans le reconnaître (8).
Sur te continent de la Grèce, Delphes
parait aussi devoir sa fondation à une
colonnie erétoise. Dans l'hymne à Apol-
lon , attribué à Homère, on voit qne tes
premiers prêtres du temple de cette ville
nirent des Cretois (4). Ce fut sans doute
vers la même époque qu'une autre co-
(i) Raoul -Rochelle , Col, Or,, I. c.
{1) Diod. V, 79.
(3) Diod., V, 69.
(4) Hom., Àd. Àpol,, V. 3SS et iqq., 535
el sqq.
544
L1JrfIT£R&
lonie « MNIA la conduite du Cretois Tet*
Ux, fonda Ténare, en Laeonie (1 }.
Mais ee ne fut pas seulement dans
les lies de la mer Egée et sur les côtes
iKBiignées par cette mer que s'établirent
des colonies Cretoises. Minos entreprit
d'étendre son empire sur la partie occi*
dentale de la Méditerranée. C'est dans
ce but qu'il porta ses armes en Sicile.
Suivant la tradition , Dédale , menacé
de la colère de Minos pour avoir favo*
risé le commerce secret de Pasiphaé avec
le Minotaure, s'était enfui dans cette
fie, et avait trouvé asile auprès de Coca-
lo8 , roi des Sicaniens. A cette nouvelle,
« Minos éauipa une flotte considérable,
et vint relâcher près d'Agrigente, dans
un endroit qui re<^t de lui le nom de
Minoa. Après avoir fait débarquer ses
troupes , il envoya des messages pour
engager le roi à lui livrer Dédale. Co-
calos invita Minos à un entretien , lui
promit de le satisfaire , et le reçut bos«
Eitalièrement; Cocalos lui donna un
ain, et l'y fit tenir si longtemps, que
Minos étouffa de chaleur. Cocalos ren-
dit son corps aux Crélois, en leur faisant
accroire que Minos était mort pour être
tombé malheureusement dans un bain
d'eau chaude. Le» soldats enterrèrent le
corps du roi avec pompe, et élevèrent en
son honneur un tombeau double. Ils
déposèrent les os dans la nartie la plus
secrète de ce monument; aans la partie
ouverte, ils consacrèrent une chapelle
à Vénus. Les indigènes ont vénéré ce
monument pendant plusieurs généra-
tions, en y sacrifiant à Vénus , comme si
c'était le temple de cette déesse. A une
époque plus récente , pendant la fonda-
tion d'Agrigente , on démolit le tombeau
de Minos, on découvrit ses ossements,
et on les rendit aux Cretois (2). •
L'impulsion donnée par Minos ne
s'arrêta pas après sa mort. Ceux qui
l'avalent suivi en Sicile ayant perdu
leurs vaisseaux , restèrent dans cette île,
et j fondèrent une ville qu'ils appelèrent
Mmoa , en mémoire de leur roi. Quel-
ques-uns errèrent dans Tintérieur du
pays ; et, après avoir rencontré un em-
placement naturellement fortifié, ils y
élevèrent une ville qu'ils appelèrent En-
(r)IUoul-Rocbette, Col, Gr., Il, p. 172.
(a) Diod., IV, 79.
gyon, du nom d'un misMaa qui la tn*
versait fl).
D^autres colonies vinrent te joindre
à eux. Toutes les villes de Crète, à Tex-
ception de Polichna et de Proeeos, piireat
part à cette nouvelle expédition, entre-
prise pour venger la mort die Minei.
Arrivés en Sicanie, les Crélois asiê-
gèrent Camicos. Mais, après cinq au
d'inutiles efforts , ils furent contraints
par la famine de lever le siège. Une lem-
oéte les assaillit alors sur les eâtes de
riapygie, et brisa leurs vaisseaux. Prives
ainsi des moyens de retourner dans les
patrie , ils restèrent dans le pays * et y
bâtirent la ville d'Hyria. Us prirent alors
le nom d'IanygesMessapiens, et d'in-
sulaires ils devinrent habitants de terre
ferme (3).
Cette colonie en fonda d'autres dans
la suite, telles que Bnindusium. Klie
occupa aussi Tarenteet son territoire;
car, lorsque Phalante vînt s'établir dans
cette ville avec des Lacédémoniens, il
fut obligé d'en chasser les Cretois.
Une partie de la colonie iapygieoBe
auitta 1 Italie méridionale à la suiu
e troubles domestiques, s'avan^ k
long de la mer Adriatique , neoctia
dans la Macédoine , et s'établit dans uo
canton appelé Bottiène, du nom de
Botton, chef de cette émigration. • Le
nom des Cretois se conserva fort kmat-
temps dans la Macédoine^ puisque Jcjm
Cantacuzène fait mention d'un lieu appelé
Cretensium au voisinage de Thess3<
Ionique, et par conséquent dans ua
canton peu éloigné de Pancienne Bot-
tiène (3). »
SucgbssbursdbMinosjusqu^a L'i-
POQUS DB l'BIIIGBATION DORi£51l£
(1184-1040 avant J.-C.) ^Le rè^^
Minos fut l'apogée de la royauté heroHnie
en Crète et de la puissance de cette île
Après lui l'une et l'autre commencent j
décliner. Deucalion* son fils et ses
successeur, soutint une guerre malheu-
reuse contre Thésée, roi d'Athènes, qui
avait refusé de lui livrer oe même Dédàk
que Minos avait déjà poursuivi en Sicile.
Catréus, autre fils de ce prinee, régaa
ensuite sur les Cretois. Il donna sa fille
(t) Diod., Le.
l'a) Hérodote , TU, 170.
(3) Racol-Rochette, Coi. Gr., U, p. iS^
ILE DE
lérope eu mariage à PliilbèDes, fila
bseur d'Atrée et père d'Agamemnoo
t de Ménélâs. Cette tradition , oui rat-
lelie les Atridea à Ja race de Minos,
hnoigne dea rapports <^ui existaient déjà
vant la guerre de Troie entre la Crète
l le Péloponnèse.
Cette guerre rendit ces rapports en*
ore plus étroits. La Crète y prit une
art considérable (1). Ses prmces, Ido-
lénéc et Mérion, l'un fils de DeucaJioUy
autre de Molos, et tous deux petits-fils
e Minos, y figurent au premier ranj;
es héros grecs. Idoménée prétendit
léme partager le commandement avec
igamemnon. C'est à ce prix qu'il mit
'abord ses secours. Ses propositions
jrant été rejetées |^r les Grecs assemblés
Aulis, il n'en joignit pas moins leur
rmée à la tête des Cretois. « Ceux qui
abitent Cnossos et Gortyne entourée
e remparts, et Lyctos , et Milétos , et
1 blanche Lycastos, et Phaestos et
ihytion,cités bien peuplées, et les autres
ui occupent la Crète aux cent villes,
larchaient sous la conduite du vaillant
doménée et de Mérion, semblable à
homicide Mars. Quatre-vingts noirs
aisseaux les suivaient (2) Après la
rise de Troie, Idoménée ramena en
Irète tous ceux des siens qui avaient
cbappé aux combats; nul d'entre eux
le périt dans les flots (3). »
C'est sans doute sur ce passage de
Odyssée ^ue Diodore de Sicile s'appuie
lorsqu'il dit qu'Idoménée et Mérion re-
iorent heureusement dans leur patrie, où
Is reçurent, après leur mort , une ma-
Tiifique sépulture et les honneurs im-
nortels. « On montre à Cnossos leur
ombeau avec cette inscription. « Pas-
sant, tu vois ici le tombeau d'Idomé-
Dée de Cnossos, et moi , Mérion , fils
de Molos , je repose auprès de lui. >
;^s Cretois les honorent par des sacri-
ices comme des héros célèbres ; et dans
1^ dangers de la guerre, ils invoquent
eurs secours (4). »
Suivant une autre tradition , Idomé-
1^1 en partant pour la guerre de Troie,
urait confié l'administration de son
(0 Hérodote, yn, 171.
(«)Uom., //., II, 645 etsqq.
(3)Id 0^y,.,m,,9i.
(4) Diod., V, 79.
35' Livraison, (île de Crète.)
CRÈTE. 545
royaume à Leucos, son fils adoptif.
Celui-ci fit périr la femme et la fille de
son bienfaiteur, et s'empara du trône.
Idoménée, obligé de fuir, aborda sur
les côtes de la Calabre , et y fonda Sa-
lente (1). Celte colonie devint mère de
{)lusieurs autres , telles que Lapiae , non
oin de Bnindusium, de Castrum Mi*
nervae, de Callipolis et peut-être même de
Vienne en Gaule. Cette même émigra-
tion grossit aussi la population des an-
ciennes colonies Cretoises de l'Italie,
Celles-ci occupèrent alors toute la partie
de la péninsule, connue anciennement
sous le nom d'Iapygie. Quant à Idomé-
née, les traditions ne s'accordent pas
sur le lieu de sa mort. Diodore , comme
nous l'avons vu , le fait mourir en Crète ,
d'autres en Italie ou même en lonie.
Quoi ou'il en soit, la guerre de Troie
eut pour la Crète les mêmes conséquences
que pour tous les Ëtats grecs. Cette île
avait jeté sur les côtes de F Asie Mineure
la meilleure partie de sa population.
Ce fut une première cause d^auaiblisse*
ment. Il y en eut d'autres. En l'absence
de ses pnnces, le lien politique, qui unis-
sait ses peuples sous l'antique scep-
tre de Minos, se relâcha. Dans les
troubles qui suivirent le retour d'Idomé-
née , après la chute de Troie , ce lien
acheva de se dissoudre, et en Crète
comme dans le reste de la Grèce, l'an-
cienne royauté disparut dans les divîr
sions et dans l'anarchie. Aux décliire-
ments politiques s'ajoutèrent d'autres
calamités; la peste et la famine rava-
gèrent l'Ile et achevèrent de la dépeu-
pler (2).
Colonies dobibnnes en Cbète.
(1049, avant J.-C. ) — Telle était la si-
tuation de la Crète lorsaue les Doriens ,
sous la conduite des Héraclides , enva-
hirent le Péloponnèse (1 104 avant J.-C),
cette invasion, en déplaçant la plupart
des peuples helléniques, produisit le
plus grand mouvement colonial dont
l'histoire grecque fasse mention. Une
foule d'émigrations grecques sillonnèrent
la mer intérieure dans toutes les direc-
tions, et allèrent s'établir dans les Iles
et sur les continents voisins. La Crète
(x) Virg., ^n,f lll, v. isii et 400 ; Serv.,
od yirg,9 I. c.
(9) licrodote, VIT, 171.
54G
L'URiVEkS.
où s'étaient déjà teneontrées e^ fomloes
ensemble tant de races diterses, vit
alors se mêler à sa population Félément
hellénique, qui devait absorber tous les
autres. Épuisée d'habitants, hors d'état
par son affaiblissement et ses divisions
de résister à une invasion , rapprochée
d'ailleurs des côtes du Péloponnèse, elle
devait naturellement attirer une partie
de ces peuples que la Grèce bouleversée
rejetait de son sein , et qui cherchaient,
au hasard des vents, une autre patrie.
La première de ces colonies fut celle
que conduisirent Polis et Delphos, en*
viron soixante ans après le retour des
Héradides (vers 1049 avant J.-C. ). Elle
partit des environs d'Amyclée», en La-
conie. L'Achéen Philonomos , qui avait
livré Lacédémone aux Dorlens, avait
obtenu ce territoire pour prix de sa
trahison, et Favait peuplé de Mînyens
Sue les Pélasges avaient chassés des tles
e Lemnos et d'Imbros. Ceux-ci s'étant
révoltés trois générations après, Sparte
les envoya sous la conduite de chefs
doriens , fonder une colonie en Crète.
Cette colonie , dont une partie s'établit
dans 111e de Mélos, occupa en Crète
presque toute la rédon du Dicté, où
8*élevait Lyctos, et le versant méridio-
nal de rida , où s'étendait la plaine de
Gortyne, jusqu'à Thérapnœ,qui paraît
avoir marqué , du côté de l'ouest , l'ex-
trême limite des établissements qu'elle
forma dans rtle. Lyctos fut le plusimpor-
tantde ces établissements. C'est la grande
cité dorienne. Nulle part, en Crète,
l'ordre politique et social fondé par les
Doriens ne s'établit aussi complètement
que dans cette ville ; nulle part la civili-
sation apportée par ce peuple ne se
maintint aussi longtemps.
La colonie qui prit possession Je Lyc-
tos parait avoir abandonné , en grande
partie du moins, aux anciens habi-
tants, réduits sous le nom de Périè-
2ues à la condition de sujets » la ville de
rortyne, ainsi que la plaine où s'éle-
vaient Rhvtios , Phœstos, Pyranthos, Py-
loros, Boebe, Béné, Holopyxos, etc. Ces
villes, si l'on excepte Gortyne, n'eurent
jamais aucune importance politique. Si-
tuées dans cette plaine fertile qu'arrose
le Lethseos , elles furent habitées prin-
cipalement par la population sujette,
à laquelle le fierDonen abandonnait dé-
dal^aeuiement la tem à cultiver,
qu'il se réservait à lai-méme Yt
tiDéi
Sun se reservait a lu-meme i exaraei
es droits politiques, les cfaangBS publi*
quesetla profession des armes, coom
les seules occupations dignes de la oo*
blesse de sa raee. On eomprepd aisé-
ment, d'après cela, que l'aotivité poK*
tique fût oonoentrée aans quelauei diés
où s'était concentré davantage le pespk
vainqueur et souverain, qui seul fiNrnait
l'État.
Une autre oolonie dorienne oecupi la
Sartie occidentale de la Crète, la n^
es monts Blancs. Cette colonie, oon-
duite par Althémène « fils de Cissos,ra
d' Argos , se composait d'Aehéens partis
d'Argos et de Corinthe» et d'Êoliottde
cette dernière ville. Elle bâtit plutieurs
villes dont la fondation est atthboée i
Agamemnon lui-même , qu'une teopéie
avait jeté sur les côtes de la Crète, a
son retour de Troie (1). Ces villes m
Mycènes , Pergame et Laoïpa ou Uppi
Cydonia ftit également occupée par cette
colonie ainsi que Polyrrhenia, aorli
côte occidentale.
D'autres villes^ telles qu'Aulon aux
sources de l'Armiro, Étéia au sud-est.
dont les noms rappellent des villes de b
Laoonie, et qui ne se rattachent à m-
cune des deux émigrations piéoédeotei
attestent une plus grande extensioD de
la colonisation dorienne en Crète.
Cette colonisation changea la (aoedt
rtle. Elle devint entièrement doheojie
Sa langue, ses moeurs , sa eonstitutioo
politique, son organisation sociale, ^
dans sa civilisation porta désonnais
l'empreinte du génie dorten. Cette n*
pide transformation fut ûngulièreiiMSt
facilitée par l'aflGoiiblissement dans leqoei
était tombée la Crèto à l'airivée des
Doriens. Ceux-ci trouvèrent la pteprt
des villes presque désertes. Ils reooaf^
lèrent en partie la populafiioD ^«iiee
par l'immense effort ^u^le avait Dit au
temps de Minos et décimée dspoii pv
les aiscordés civiles.
Là Crète DoniBirNB (1049;-!^
avant J.-C. ). — L'invassion de la Cièie
Kr les Doiioiib fut, ainsi «ne aotf
vous vue, le contre-coup de riDvasiim
du Péloponnèse. Ils ne coDqnireDt pis
cette île, comme la LacMiie, en eon»
(x) Yell, Paterc, I, i.
ILE DE CRÈTE.
Ui
a lurtiMi, 80QS la direcHon de efaefii
omnraiis, et d'un seul coup. Mais ilg
occupèrent successivement , par émi*
rations partielles; ils y formèrent des
tablissementa isolés. Aussi la colonisa-
on dorienne, bien qu*elie s'étendit
iir rtle entière, n'en fit-elle pas un
léme État. La Crète resta divisée. Les
îfférentet colonies, dispersées dans les
rincipales villes , demeurèrent séparées
» unes des autres, sans autre lien
u'une origine commune , et un ordre
olitique à peu près semblable. Chaque
ilie avec son territoire forma un Etat
articulier.
Ainsi morcelée, cette tle ne fit plus
ien de ^rand. Elle ne fiaratt plus guère
ésormais dans rbistoire que comme
De pépinière de soldats mercenaires et
n repaire de pirates. Ses archers et ses
rondeurs recherchés pour leur adresse,
ombattent, moyennant salaire, pour
ras les peuples et toutes les causes. Les
•rétois ne prennent pas d'autre part
ux événements qui s'accomplissent en
rrèce, à quelque distance de leurs côtes,
id guerre Médique et celle du Pélopon*
èse les trouvent également indifférents,
•ollicités par les députés des Grecs à
rarnir des secours pour repousser
Cerxès , ils s'en font dispenser par l'o-
acte de Delphes. « Insensé I leur ré*
oodit la Pythie, vous vous plaignes
es maux que Minos vous a envoyés
tans sa colère à cause des secours que
ous donnâtes à Ménélas, et parce que
0U8 aidâtes les Grecs à se venger du
apt d'une femme que fit à Sparte on
•arbare, quoiqu'ils n'eussent pas contri-
<ué à venger sa mort , arrivée à Cami*
os; et vous voudriez encore les se-
ourirl Sur cette réponse les Cretois
efusèrent aux Grecs les seeonrs qu'ils
eur demandaient (1). »
Gomment, après cela se seraient*ils in-
eressés à la rivalité d'Athènes et de
parte ! Cette guerre, qui pa^ionna tous
^ peuples grecs , et fit naître même
'ans les tles deux partis , l'un dévoué à
? cité ionienne , l'autre à la cité do*
lenne , cette guerre ne fut pour les Cré-
ais qu'une occasion de gain. Ils n'y
«rurent qu'une fols , dans l'expédition
>^ Sicile, et ce fut en qualité de merce-
(0 Hérodote, 711,169.
naires. Doriens , ils se mirent à la solde
des Ioniens. « 11 arriva , dit Thucy-
dide , que les Cretois, qui avaient fondé
Gela avec les RhodienSi firent la guerre,
non pas en faveur de leur colonie, mais
oontre elle , et non par inclination, mais
pour gagner l'a^nt qu'on leur of-
frait (1). »
Cette indi^rence des Cretois, en pré-
sence des grands événements dont la
Grèce est le théâtre, explique le peu
d'intérêt qu'offre leur histoire à cette
époque. Cet intérêt va s'affaiblissent. La
Crète s'isole de plus en plus du monde
heUéniaue. U faut aller jusqu'à la der-
nière période de l'existence politique des
peuples grecs pour la retrouver en rap-
port avec eux. Alors elle apparaît, mêlée
aux luttes intestines dans lesquelles la
Grèce épuise ses dernières forces. Elle
intervient dans ces discordes avec ses
propresdivisions. Au commencement du
second siècle avant J.-C. elle renfermait
jusqu'à dix-sept États distincts : Istos,
Arcadia, Lato, Prsesos, Rhaucos, Cnos-
sos, Sybritia, Eleutberna, Oaxos, Lappa,
Gvdonia, Polyrrhenia, Lyctos, Gortyne»
Uierapytna , Olûs et Allaria.
Parmi ces villes Cnossos, Gortyne,
Cydonia et Lyctos étaient toujours les
plus considérables. Mais aucune d'elles
n'était assez puissante pour dominer
sur les autres et se faire le centre po«
litique de l'Ile. Cnossos, qui n'avait pas
oublié qu'elle avait tenu le premier rang
au temps de Minos, aspirait à ressaisir
sa suprématie. Elle s'allia dans ce but
avec Gortyne > et soumit, avec le secours
de cette ville, la plus grande partie de
rUe. Mais alors un parti nombreux sa
forma contre elle. L tle entière se par-
tagea en deux camps. Les Étoliens et
les Rhodiens d*un côté , Philippe et les
Achtois de l'autre, intervinrent dans
cette guerre, qui n'a d'autre intérêt que
de montrer les sanglantes rivalités et
les déplorables déchirements du monde
grec, qui ne doivent finir que dans la
paix romaine. Laissons Polybe racon-
ter lui-même toutes ces discordes. « Les
haliitants de Cnossos, unis à ceux de
Gortyne , avaient soumis à leurs lois la
Crète entière, à l'exception des Lyctiens.
Irrités de les voir seuls indociles^ ils
(t)Thttey., VII,57.
86.
64$
L^UNIVERS.
résolarent de 1«8 combattre « afin de les
détmire, et d'imposer, par un tel exem«
pie , au reste de la Crète. Les oonfédé-
rés agirent d*abord contre les Lyctiens
avec aceoid ; mais bientôt quelque sujet
frivole éveilla leur susoeptibilité, et
comme c'est Tordinaire en Crète , ils se
divisèrent. Les Polyrrhéniens, les Ce»
rètes , les Lampions, les Oriens , et avec
eux les Arcadiens se détachèrent des-
Cnossiens, etr^olurent de secourir les
Lyctiens. Parmi les habitants de Gor^
g ne elle-même , les plus âgés étaient
vorables à Cnossos , les plus jeunes
aux Lyctiens ; de là des divisions nou-
velles. Les Cnossiens, en présence du
mouvement soudain opéré parmi leurs
alliés, se hâtèrent d'appeler d*Étolie,
comme alliés, mille solaats. Aussitôt Irâ
Gortyniens, partisans de Cnossos , s'em-
parèrent de la citadelle, y introduisirent
les Cnossiens et les Étoilens, bannirent
onepartiedesjeunes gens, tuèrent l'autre,
et livrèrent enfin à Cnossos leur ville
entière.
a Or, un jour les Lyctiens étaient
sortis en masse pour quelque expédition
sur le territoire ennemi : les Cnossiens,
avertis à temps de cette circonstance ,
s'emparèrent de Lyctos, restée sans dé*
fense , envoyèrent a Cnossos les femmes
et les enfants, mirent le feu à la ville,
la détruisirent de fond en comble , et
après l'avoir impitoyablement dévastée,
regagnèrent leurs foyers. Les Lyctiens,
de retour de leur campagne , à la vue
d'un tel désastre, furent saisis d'un si
violent désespoir, qu'aucun d'eux n'eut
le cœur de rentrer dans sa patrie en
ruines; tous en firent le tour, après
avoir, par de longs gémissements et
d'abondantes larmes , déploré leur sort
et celui de leur pays , et se réfugièrent
sur le territoire des Lampiens. Ils y re-
çurent l'accueil le plus flatteur et le plus
empressé, et, devenus, en un jour, de
citoyens qu'ils étaient, étrangers et ban-
nis, ils allèrent avec leurs alliés com-
battre les Cnossiens. Ainsi périt, par un
roup inattendu et terrible, Lyctos, cette
colonie de Lacédémone , cette alliée d'A«
thènes par le sang, la ville la plus an-
denne de la Crète, celle oui formait,
aans contredit , les citoyens les plus dis*
tingués de Itle tout entière.
« Les Polyrrhénîens, les Lampiens
et leurs alliés, voyant lesCDossMsiTap-
puver sur les fiteliens, n'avaient p»
oublié oue ceux-ci étaient eanemis éa
roi Philippe et des Achéens. Us es-
voyèrent donc des ambassadears a
Adiaïe et en Maoédoiiie, pour demander
secours et alliance. Les Adiéens et Phi-
lippe les admirent à leur amitié, et leur
envoyèrent comme subsides trois eeoii
Iliyriens • commandés par Platore, dm
cents Achéens et cent Pboddlens. L'ar-
rivée de ces troupes avança beaucoup
les af&ires des Polyrrhénieoset daeoa>
fédérés. £n peu de temps ils enfermèrent
dans leurs murs les Êleutbemiens, ks
habitants de Cydonia, les Aptériens,et
les forcèrent à quitter le parti de Coos-
Bos pour partager leur propre forluoe.
Ces succès obtenus , ils envoyèrent à
Philippe et aux Achéens ciiHf cents Cre-
tois. Les Cnossiens en avaient peu au-
paravant fait partir mille pour I £tolie.
et ainsi les Cretois se trouvèrent mâés
des deux côtés à la guerre achéenne. Les
exilés gortyniens s'étaient, dans luter
valle, emparés du port des Phestieos.
Us avaient même avec une singultcie
audace occupé celui de Gortyne, et de
cette position ilsbelligéraient contre leurs
concitoyens (1). »
Les deux partis paraissent s'être rap-
prochés quelque temps après, et avoir
également accepté la protection de Phi-
lippe ( 216 avant J.-C. ). Mais cette paît
et l'influence macédonienne durèrent
peu. Philippe, en guerre avec les RIid-
diens, sollicita vainement les Cretois a
entrer dans son allianœ ; ils refusèreat
de prendre parti pour lui, etchargèreot
même les piytanes de placer la libâtéde
leur tle sous la protection des Rbo*
diens (206). Nous les voyons ensuite
faire cause commune avec Mabis, et
l'admettre de moitié dans leurs pirate-
ries. Ils lui fournirent des mercenaires
qui servaient de satellites à ce enie) ty-
ran. Celui-ci traquait alors partout lés
proscrits de Sparte. « Dans la ville où
ils se retiraient, il achetait « sous le cou-
vert d'hommes non suspects, les mai-
sons contiguës à celles que ees info^
tunés occupaient, etenvoyait des Cretois
qui, pratiquant des trous dans les murs
(x) Polybe, lY, 53 et suiv., trad. de M.
Bouchot.
ILK im CRÈTE
fii^
mitoyens, lançaient par ces tranchées
jes flèches et tuaient ainsi les exilés ,
ioit couchés , soit debout (t). »
Pendant ce temps les divisions inté-
ieures continuaient. Dans ces guerres
Je surprises que ces perfides insulaires
^e faisaient, embusqués derrière leurs
noDtagnes , aucun coup décisif ne pou-
rait être frappé. Les guerres ne finis-
aient jamais. « La (lerpétuité des guerres
iviles et les excessives rigueurs des ha-
)itaDts entre eux , font qu'en Crète le
lommencement et la fin sont même
rhose lorsqu'il s'agit de troubles; et ce
(ui semblerait ailleurs une exception est
ians ce pays habitude (2). » Plutarque
)ous donne une idée de la manière dont
es Cretois se combattaient. « Lorsque
^bilopœmen était en Crète , guerroyant
iaps le camp des Gortyniens ( 201 ) , ce
)*était plus le capitaine péloponnésien
3u arcadien , faisant une guerre noble
'i franche; il avait adopté la manière des
>étois ; il usait contre eux de leurs ex-
)édients et de leurs ruses , de leurs em-
)âcbes et de leurs coups de main à la
lérobée (3). »
Cependant des essais d'association
)olitique furent parfois tent^. En pré-
ence d'un danger commun , quandT un
nnemi extérieur menaçait l'Ile, les
>étois faisaient trêve à leurs discordes,
t s'unissaient en une sorte de fédération
onnue sous le nom de syncrétisme.
)n ne saurait déterminer l'époque où
ette association se forma pour la pre-
mière fois. Elle existait déjà au temps
e la guerre de Rome contre Persée ,
orsque les Rhodiens , flottant entre le
éoat et le roi de Macédoine, cherchèrent
se fortifier de l'alliance Cretoise contre
outes les éventualités. « Ils adressèrent
es ambassadeurs en Crète pour renou-
eler leur ancienne alliance avec tous les
■rétois, et les engager à examiner l'état
es choses, à s'unir à eux, et à avoir
îs mêmes amis et les mêmes ennemis.
is députèrent aussi vers chaque ville en
articulier des commissaires chargés de
^péter ces conseils (4). »
L'union cessait avec le danger. Bien-
(i)Polybe,XIII, 7.
W Id., XXV, 9.
(3) P/uf., Pfûiop,, c. xuf.
(4) Polylje, XXnr, 4. ...
tdt les divisions recommençaient L'u*
nité nationale reconnue impossible, U
se forma des associations partielles. Des
villes dont les territoires se touchaient
s'unirent entre elles. Ainsi firent Prœ-
sos et Hiérapytna, cette dernière ville et
Gortyne, Lato et OlCis, Cydonia et
Apollonia. L'association reposait sur une
sorte d'isonomie. Les citoyens de chacun
des Ëtats confédérés jouissaient dans
l'autre d'une entière égalité de droits. Ils
avaient mêmes charges, mêmes immuni-
tés que ceux de l'État. Toutes les lois, en
un mot, étaient communes au citoven
et à l'allié (1).
L'alliance était conclue de la manière
la plus solennelle. Les villes se liaient
par serment, en présence de leurs cos-
mes. Les serments étaient gravés sur
des tables placées dans un temple , au-
près de la statue d'une divinité vénérée ,
comme pour prendre celle-ci à témoin
de la foi jurée. Mais on peut voir par
un exemple que rapporte Polybe quel
cas les Cretois faisaient de ces serments
ai solennellement prêtés. « Les Cydo-
niates commirent à cette époque (171 ) ,
le plus épouvantable, le plus horrible,
le plus noir des forfaits. Bien que les
perfidies soient assez communes en Crète,
celle que nous allons dire semble l'avoir
emporté sur toutes les autres. Les habi-
tants de Cydonia étaient unis aux Apol-
loniates, non-seulement par l'amitié,
mais par le droit de cité et par la com-
munauté de tout ce que les hommes
appellent droits. Les tables où leur ser-
ments étaient gravés se trouvaient auprès
de la statue de Jupiter-ldéen. Cependant,
au mépris de la toi jurée , lis envahirent
la ville d' Apollonia, tuèrent les hommes,
pillèrent leurs biens, et se partagèrent
ensuite les femmes, les enfants, la ville
et le territoire (2). »
Il est permis de croire que ce n'était
IK>int là un fait isolé. Ainsi les tenta-
tives d'association partielle entre les
villes ne réussirent pas mieux que cellse
(x) KotvcdvCa icdvtQoy t«&v év tok &vSp6-
notc vO(uCo(ftlvc0V Stxofwv. Polybe, XXVIÏ,
i5; Cf. Hceck. Kreta, III, p. 47a et aoiv. ;
et Boekb, Grœearum Uucripùonum Corpus,
Creta,
(a) Polybe, XXVII, i5 ; cf. Diod., f'/v^.
excerpt,. De Virt, et Fit,
55Ô
VURtitMé
qoi avaient été filles poor amener l'fle
entière à une certaine unité. La Crète,
morcelée par ses montages ^ habitée
par nn peuple sans espnt national et
sans autre intérêt général que celui de
la défense commune contre les ennemis
extérieurs, était condamnée aux divi-
sions; et elle ne devait retrouver un
peu d*union qu'à ses derniers jours, pour
résister aux Romains.
Rapports db la Gbète ▲ybg
Rome, jusqu'à la conquête db
CETTE Ile (190*66 avant J.*C.)-
Florus dit un peu légèrement aus
Rome attaqua la Crète par le seul desîr
de vaincre cette tle célèbre (1). Rome
avait bien d'autres motifs. La soumis-
sion de la Crète complétait l'œuvre de
sa conquête dans la Méditerranée orien*
taie. Cette mer n'était pas romaine tant
qu'un peuple libre y pouvait lancer ses
vaisseaux. La Crète d'ailleurs offrait une
admirable position militaire d'où il serait
facile de surveiller à la fois la Grèce sou-
mise, l'Asie et l'Egypte à soumettre.
Les griefs ne manquaient pas. Dans
leurs guerres en Orient les Romains
avaient rencontré les archers crétois sur
presque tous les champs de bataille.
Philippe et Nabis avaient recruté leurs
armées de ces mercenaires à la solde
de tous les ennemis de la république.
Dès ce moment le sort de la Crète fut
comme décidé. Déjà dans le traité que
Flamininus dicta au tyran de Lacédé-
mone , il fut stipulé « qu'il ne conser-
verait sous sa dépendance aucune ville
de l'île de Crète, et qu'il remettrait aux
Romains celles qu'il y possédait; qu'il
s'abstiendrait de toute alliance et de toute
guerre avec les Crétois. (2) » Après la
défaite d'Antiochus, le préteur Q. Fabius
Labéon passa dans Ttle avec une flotte
(190). On avait répandu le bruit qu'il
s*^ trouvait un grand nombre de prison-
niers romains réduits à la eondition
d'esclaves. C'était Tépoque où les Cydo-
niates étaient en pierre avec les Gorty-
niens et les Cnossiens. Fabius fit som-
mer les habitants des diverses villes de
déposer les armea^ de rechercher par
toute File et de lui livrer les prison-
ttiera , enfin de lui envoyer des députés
(i)Flontt,nt,7.
(a) liv. XXXIT, 35.'
pour traiter avec lu des afiEihres qui in-
téressaient à la fois les Cretois et les
Romains. « Les Crétois furent efira^
de la menace d'une guerre. L*île eniiefe
renvoya quatre mille prisoimiers, et Fa-
bius, sans avoir rien fait d'autre , obtint
pour cette seule raison, les honneus
du triomphe naval (1)« »
Ces honneurs décernés pour une pa-
reille expédition témoignent sssez de
rimportanoe que le sénat attachait à li
conquête de la Crète. Cependant ki
guerres civiles continuent. « Les Gùt-
tj^niens, jaloux d'abattre de toute ma-
nière la puissance des Cnossiens, avaient
entamé le territoire de ces derniers...
Une ambassade , ayant pour chef Ap-
pius, rétablit la concorde entre les deux
cités rivales (S) (185). » JMouvelle in-
tervention en 174 ; Q. Minudus arrive
dans l'Ile aveo dix vaisseaux et £But cesser
les hostilités. Celles-ci reoomniencent
bientôt après avec acharnement , cette
fois entre les Çydoniates et les Gortj-
niens. Les premiers demandent des se-
cours à Ëumène qui leur envoie soa
lieutenant Léon avec trois cents hoe^
mes. Us livrent à cet officier les defs de
leur ville et s'abandonnent à sa discré-
tion (3). L'année suivante a lieu Fodieuse
surprise d'Apolionie par les Çydoniates
(i71).
Cependant Rome, qui jusqu^alors
s'était contentée d'intervenir comme
médiatrice dans les dissensions de fUe,
commençait à changer de rdle, son Lan-
gage devenait impmeux. Elle pariait
déjà en maîtresse. Les Crétois avaient
fourni à Persée plus d'archers qu'aui
Romains; sur les menaces du sénat, ils
s'empressèrent d'envoyer une ambassade
à Rome pour se justifier (170). « Les
ambassaaeurs des Crétois représoitèreot
qu'ils avaient envoyé en Macédoine k
nombre d'archers qu'avait exigé d^cux
le consul P. Lidnius; mais, eoreme ils
se virent forcés de convenir qu'ils en
avaient un plus grand nombre sous k»
étendards de Persée aue sous ceux des
Romains, il leur fut répondu que quand
les Crétois prouvwaient de roanicfe à
ce qu'on n'en pût douter, qu'ils prdé-
(i) Liv., XXXVIÏ, Co.
(a)Polybc,XXra, rô.
(3) Id., xxvni, iS.
ILE DB CaÈTE^
«61
aient ramitlé dtt'people remaia à celle
la roi Persée, le sénat romain, de
on eôté, leur ferait la réponse qu'il
lonvenait de faire à des alli^ sur lesquels
»n pouvait compter; qu'en attendant,
Is annonçassent à leurs concitoyens,
[ue, pour plaire au sénat, il fallait qu'ils
appelassent chez eux , le plus prompte-
nent possible, tous ceux de leurs sol-
lats qui étaient au service du roi Per«
ée (l). »
Au milieu de leurs discordes et en
présence des exigences menaçantes de
Vome, les Cretois trouvèrent encore
noyen, par leurs pirateries, d'attirer
ur eux les armes de Rhodes ( 155). Des
ieux côtés on demanda des secours aux
Lchéens. Antipbate de Gortvne fut dé«
mté vers eux. L'assemblée était ràinie
Corinthe. Les Achéens penèbèrent
Tabord pour les Rhodiens. « Antipbate,
I cette vue, demanda une nouvelle au*
lienre que le stratège lui accorda, et
on langage fut plus noble et plus sérieux
[u'on ne pouvait l'espérer diin Cretois.
!ln effet, ce jeune député n'avait rien du
caractère de sa nation. Il avait su écbap-
)er aux perverses maximes de l'éduca-
ion Cretoise. Les Acbéens applaudirent
I sa franchise , d'autant plus que son
)ère Télémaste était venu , suivi de cinq
;ents Cretois , faire bravement la guerre
contre Mabis avec les Acbéens. Cepen-
lant, après le discours d'Antiphate, ils
\e montraient encore disposés à secoQ-
ir de préférence les Rhodiens , lors-
|ue Caliicrate s'écria qu'on ne devait
ii faire la guerre ni envoyer des se*
!0urs à qui que ce fût sans Tagré-
nent des Romains (2). « Cet avis l'em-
)orta.
La guerre n'en continua pas moins
mtre les deux tles. Elle ne paraît pas
ivoir été à l'avantage des Rhodiens.
[^eur amiral Astymède se rendit à Rome
;n qualité d'ambassadeur. « Introduit
lansle sénat, il parla longuement de la
guerre avec la Crète. Le sénat prêta à
;es discours une sérieuse attention; et
aussitôt Quintus partit comme député
pour mettre un terme à ces hostili-
tés (3). »
(x) liy., Xlin, 7.
(a)Polybe,XXXm,i5.
(3)Polybe,ibid.
Rome n*interT6Dait encore que ponr
pacifier. Le moment de conquérir ne
lui semblait pas venu. Fidèle a sa poU«
tique patiente, elle laissait la Crète user
.elle-même ce qui lui restait de forces.
Sa proie était sûre, Rome pouvait at«
tendre. D'ailleurs, dans l'état d*anarcbi0
et de troubles où se trouvait llle, il eût
fiillu, après l'avoir subjuguée, y main*
tenir une armée permanente , et Rome,
avait alors besoin de ses forces sur
d'autres points. La présence des légions
eût été d'autant plus nécessaire, que la
Crète était devenue un centre de pira«
terie. Ses habitants étaient retournes au
métier qu'ils avaient exercé avant Mi-
nos. Ce prince avait fait cesser leurs
brigandages , en les constituant jusqu'à
un certain point, un corps de nation»
et en leur oonnant l'empire de la mer.
Ils avaient alors intérêt à réprimer les
pirateries des Cariens et des Léléges.
Mais à l'époque où nous sommes par-
venus , l'absence de tout grand intérêt
national et les guerres civiles les avaient
de nouveau jetés sur les mers. Leur Ile
était devenue après la Cilicie une se-
conde pépinière de pirates ( 1 ). lis fai-
saient cause commune avec les Oliciens
et tous les aventuriers qui infestaient la
mer Intérieure et menaçaioit de servir
de lien entre Sertorius et Mitbridate.
Les Cretois fournirent même des secoun
au roi de Pont (3 ). C'était par trop bra-
ver la puissance romaine. Dès 103 la
Cilicie avait été attaquée par l'orateur
Mare-Antoine. Dansuneautre expédition,
Servilius avait pris et détruit plusieurs
de ses villes (79-76). En 77 ce fut le
tour de la Crète. Le préteur Marcus
Antonius, le père du triumvir, conduisit
contre elle une flotte « avec une telle
espérance et même une telle confiance,
qu il portait plus de chaînes ^ue d'armes
sur ses vaisseaux. Il fut pm\ de sa folle
témérité. Les Cretois lui enlevèrent la
ÏAuB grande partie de sa flotto, pendirent
es prisonniers aux antennes et aux
cordages, et, déployant toutes leurs
voiles , regagnèrent leurs ports, comme
en triomphe ( 3 ). * Cette victoire valut
aux Cretois une paix honorable. Mal^
U) V\uï., Pompée f c.
(a)Flortii, m, 7»
(3) Fioriis, ibid.
XXIX.
smt
L*ÛII]V£ftS.
heurèusénidnt elle était eandae par le
préteur, sans Taveu du sénat et du peu-
ple , et Rome n'avait pas l'habitude de
traiter en vaincue. Elle ne pouvait ao
oepter la honte de l'entreprise téméraire
du préteur. Les Cretois le comprirent
bien , et ils résolurent de conjurer To-
ra^e : « Dans un conseil réuni pour dé-
lilSrer sur les intérêts de l'État, les plus
Agés et les plus sages proposèrent d en*
voyer des députés à Rome , de se dé-
fendre des crimes qu'on leur imputait,
et d'essayer d'apaiser le sénat par des
caresses et des prières. Les Cretois en-
voyèrent donc en députation à Rome
les citoyens les plus distingués. Ceux-ci,
visitant tous les sénateurs indistincte-
ment dans leurs maisons , s'adressaient
d'une voix suppliante à ceux qui jouis-
saient de quelque autorité dans le sénat.
Enfin, ils furent introduits dans l'as-
semblée, se justifièrent habilement des
crimes dont on les accusait , et , après
avoir rappelé en détail les services qu'ils
avaient rendus à Rome , ainsi que leur
ancienne alliance, ils finirent par prier
les sénateurs de rétablir les Cretois dans
l'ancienne amitié et alliance de Rome.
Le sénat écouta ces discours avec bien-
veillance, et rendit un décret par lequel
les Cretois étaient absous de toutes les
accusations , et reconnus alliés et amis
de la république. Mais Lentulus-, sur-
nommé Spinther, fit en sorte que ce
décret ne reçût pas son exécution (1). »
Dans le sénat il fut encore souvent
question des Cretois. On ne pouvait ou-
blier qu'ils avaient fait cause commune
avec les pirates. « Cest ce qui déter-
mina le sénat à publier un décret, d'a-
près lequel les Cretois devaient envoyer
a Rome tous leurs bâtiments, jusqu'aux
embarcations à quatre rames, remettre
en otage trois cents citoyens des plus
considérables, livrer Lastnènes et Pana-
rès, et payer, comme une dette pu-
blique, quatre mille talents d'argent
( vingt-deux millions ) (â). »
« Les Cretois, informés de la teneur
de ce décret , se réunirent en conseil.
Les plus sages étaient d'avis qu'il fallait
se soumettre à tous les ordres du sénat ;
mais Lasthènes et ses partisans , qui se
sentaient eo«pablee« enâgoirent
envoyés à Rome, et dV are punis; ils
excitèrent donc le peuple à détendre son
antique liberté (1). »
Le sénat résolut alors d'en finir avec
la Crète. Le consul Q. Coecilius Mélel-
lus fut chargé de la guerre (69). U dé-
barqua avec trois légions près de Cydo-
nia. Lasthènes et Panarès avaient oiga-
nisé la résistance. Une armée de vingt-
quatre mille hommes était réunie sons
leurs ordres. Elle fut mise eo déroule
sur le territoire de Cydonia. BléteUas
s'empara de cette ville, puis de Cnossos,
de Lyctos et de plusieurs autres. Il fut
implacable pour les vaincus. Les assiégés
se tuaient plutôt que de se rendre à luL
Pour se venger de tant de cruautés les
Cretois imaginèrent de lui enlever rhon-
neur de subju^er l'île, en appelant
Pompée pour lui faire leur soaaûssion.
C'était au moment où Pompée venait
d'être investi du commandement des
mers et de toutes les cotes de la Médi-
terranée. « Les Cretois députèrent vers
lui pour le supplier de venir dans leur
lie, qui faisait partie de songouveme-
ment... Pompée accueillit leur demande
et écrivit à Métellus poiir lui défendre
de continuer la guerre. Il manda aussi
aux villes de ne plus recevoir les Mdres
de Métellus , et envoya pour comman-
der dans rîle Lucius Octavius, un de
ses lieutenants (2). « En voyant sa
conquête lui échapper , Métellus pour-
suivit la guerre avec une nouvelle vi-
gueur. Il redoubla de cruauté , et n*é-
pargna même plus ceux qui s^élaieot
soumis à lui. Octavius prit alors ouver
tement parti pour les Cretois. Arrivé
dans l'ile sans armée, il s*en forma use
de tous les aventuriers qui se présen-
taient, mais il ne put tenir la campagne
contre Métellus. Celui-ci acheva la sou-
mission de l'île, et obtint les honneurs <hi
triomphe avec le surnom de Crehau
(66 avant J.-C.)
L'existence politique de la Oète.
depuis la guerre de Troie, avait été
sans gloire , sans intérêt. Elle honora
du moins ses derniers jours par une
défense courageuse. Sa r&i^nce
avait duré trois ans. Sa défaite illus-
(x) Diod., excerpt., (k Legai,, p. 63i, 632.
(a) Ibid.
(i) Ibid.
(a) Plut, Pompée, c. xxa.
ILE DE €R£TE.
^t
ra un des grands noms de Rome (1).
C00SSO8 reçQt colonie romaine, et fut
a résidoioe des gouTemeurs de Tîle.
lelle-d, réunie à la Cyrénaïqoet forma^
00s Auguste, une province sénato*
iaie , et nit gouvernée par un préteur.
i\[e eut ensuite un proconsul , puis un
(uesteur, que Tibère y envoya la pre*
nière année de son règne. Sous Adrien,
ille eut de nouveau un proconsul, et
oasSeptime*Sévère un questeur. Quand
'empire fut divisé en préfectures, elle
ùt gouvernée par un consulaire, et com-
>rise dans la préfecture d'Illyrie. Sous
^nstantin, elle fut séparée de la Cyré-
laïque, et après lui elle fit partie des
provinces assignées à Constance (2).
m.
rABLEÂU GBNSRAL DB hk CITILISÂ*
TION CBÉTOISB DÀKS LES TBKPS AN-
CIENS.
Institutions politiques de la
]rète ancienne. - • Dans les institu-
ioQs, comme dansThistoire proprement
lite de la Crète, un seul nom aomine ,
t'est le nom dcMinos. Minos est le légis-
ateur de la Crète, comme il en est le né-
os. On lui a attribué les lois qui régirent
;etteîle, comme on lui a fait honneur de
outes les grandes choses que les Cretois
mt accomplies durant l'espace de deux
iècles. On a fait de lui comme le type
lu législateur. Homère et après lui Pla-
on nous le montrent s'entreteuant,
eus les neuf ans, avec Jupiter, son père,
t rédigeant, d'après les réponses du
lieu, les lois qu'il donna à son peuple (3).
Les Doriens , venus trois siècles plus
ard, recueillirent cette tradition ; comme
Is rattachèrent Minos à leur race,
Is en firent aussi leur législateur. Ce
ut sous Tinvocation de son nom vé-
iéré qu'ils placèrent les institutions qu'ils
ipportèrent ou qu'ils fondèrent dans
île. Cependant tout , dans ces institu-
ions, porte Tempreinte du génie dorien.
i)t si l'ancienne constitution ou plutôt
es vieilles coutumes ne disparurent pas
complètement après rétablissement des
(i) Creta dédit magnam, mafiM drdit Arrica nomea ,
Scipio qood vicior, qoouqae Meteilus babet.
Mart., Il, %.
(a) Cf. Meursiiis, Creta, lib. III, cap. 6.
(3) 0(/js^, XIX ; Plat, De Leg,, I,
colonies doriennes , c'est cIkz les; Périè-
ques, parmi les vaincus et les sujets ^
qu'il en faut chercher la traoe. L'exis*
lence même de cette classe inférieure
témoigne d'un ordre politique entière-
ment nouveau, né de la conquête.
Population. Condition pbs vain-
eus. Pbbièqubs, Mnoîtbs, Clabo-
TBS. — Sujets bt bsclaybs. La division
des habitants en guerriers et en labou-*
leurs est la base de tout État dorien. Elle
apparaît en Crète aussitô^près l'établis-
sement des colonies venues du Pélopon-
nèse. Suivant Âxistote, l'existence de ces
deux classes distinctes, l'une agricole,
l'autre militaire, remontée la plus haute
antiquité. « Sésostris, dit-il , rétablit en
Egypte, Minos en Crète, et cette institu-
tion se maintient encore dans l'un et l'an-
tre pays (1). » Ainsi c'est Minos qui au-
raitétabli cette division. Mais il n'est pas
douteux qu'Aristote n'ait en vue, dans
ce passage, les Périèques, les Mnoïtes et
les Clarotes. Or, avant l'époque d'Ho-
mère^ on ne trouve nulle trace d'un pa-
reil classement des habitants. Nulle
part, dans ce poète, on n'aperçoit des
distinctions sociales aussi marquées, des
différences de condition aussi tranchées.
C'est dans les États doriens qu elles ap-
paraissent pour la première lois , long-
temps après la guerre de Troie. Sans
doute, de très-bonne heure , nous voyons
dans la société grecque, des peuples ré-
duits par d'autres peuples à une condi-
tion inférieure. C'est ce qui arriva dans
l'Attique après l'invasion des Ioniens,
et dans le Péloponnèse après celle des
Achéens. Mais ni dans l'une ni dans
l'autre de ces deux contrées, la con-
Suéte n'eut pour résultat cette profonde
échéance sociale des vaincus > cette ri-
goureuse distinction dans les conditions
et dans les travaux de la vie. En Attique
les laboureurs avaient leur noblesse; et
dans le Péloponnèse les plus nobles s'a-
donnaient à l'agriculture et à d'autres
travaux que dédaigna plus tard le fier
Dorien. Il en fut de ménae en Crète.
Bien des races, comme nous l'avons vu,
se sont mêlées dans cette île. Nulle ne
fut tenue par l'autre dans une pareille
dépendance. Entre elles, entière égalité
de droits. Les différents peuples étaient
(i) Polit, y Vîl, 9 cl xo.
U4
L'UNIVERS.
établis Ito uns à eité des autant^ sans
ces rappdits de vainqueur à ▼aincu, de
aouveram à sujet. En uii mot, point de
dassement rigoureui, point de hiérar^
chie iociale, si i*on ezeepte i'esdaTage
proprement dit, qui se trouve à toutes les
époques dans lessodétés andennes.
Vainement on alléguerait la colonie de
Teutamos. Kût^Ue existé, qu'elle n'eût
pas été assez nombreuse pour fonder dans
un pays aussi peuplé que l'était alors la
Crète un ord# de choses qui ne s'éta*-
blit et ne se ' maintint que par la force.
D'ailleurs, on sait que ce fîit seulement
après leur établissement dans le Pélo*
ponnèse que les Doriens, vainqueurs des
Achéens , se constituèrent, du droit de
la victoire, en race dominante , et ré-
duisirent les anciens habitants à l'état
de sujets et d'esdaves.
Ce qu'ils firent dans le Péloponnèse, ils
le fircttit également en Crète. Dans cette
tle, comme sur le continent grec, le
glaive du Dorien marqua le front du
vaincu du signe de la servitude. Il y
eut une race noble, souveraine et op-
pressive, formant seule l'État, avant
seule des droits politiques, composant
l'assemblée du peuple et le sénat, rem-
plissant, en un mot, toutes les charges
publiques; et, au-dessous d'elle, une
race en quelque sorte déchue, exdue de
la cité et vouée à la glèbe. De cette der-
nière classe la loi ne s'occupe que pour
régler ses rapports avec ses maîtres*,
pour organiser la servitude.
Cette classe comprenait les Périèqyes^
les Mnoîtes, et les Aphamiotes ou Cla-
rotes,
La condition des Périèques était la
même en Crète qu'en Laconie ; et elle
offre beaucoup d analogie avec celle des
vUlani du temps de la domination vé-
nitienne dans rtle. Ils formaient la po-
pulation sujette. Quand le Dorien prit
possession de fîle, il abandonna aux an-
dens habitants une partie des terres,
moyennant tribut. Leur situation, d'ail»
leurs, ne paraît pas avoir été bien mal-
heureuse. S'ils n'avaient point de droits
politiques, du moins les laissait-on vivre
d'après leurs anciennes coutumes. En
possession de la plus grande partie du
sol, ils iMNivaient encore s'enrichir par
l'industrie et le commerce , que leurs
vainqueurs dédaignaient.
Au-diiioiia de eeitio dine, à u« dspi
bien inférieur, se trouvaient les MtiMa.
Comme les Périèques ils appaflmaieBt
à la race vaincue; et ils nirefii sans
doute réduits à une condition plus dore
pour avoir rédsté plus longtemps os
pour s'être révoltés contre les «onqai-
rants. Leurorigineestdonela même qui
odle des Hiiotes. Comme osax-tt« ils
étaient les esclaves de l'Ëtat. Chaque
ville, en effet, s'était réservé, sprès la
conquête, une certaine portion de ter-
ritoire, qui formait le domaine public
Une partie du produit de oes tencs était
affectée aux sacrifices et au cnlls des
dieux, l'autre aux repas eomnniiis. il fal-
lait des bras pour cultiver ces tenres. Os
y employa les Mnoîtes. Ceux-ci dififê-
raient toutefois en un point des Hiloles,
Ces derniers étaient tout à la fois lei
esclaves de r£iat et des partieolicn;
les Mnoîtes ne servaient que FÉtat (l).
En cela leur situation était meilleure
2ue celle des Aphamiotes ou Ciaroies,
k)mm6 les Mnoîtes , oeux-d étaient at-
tachés à la glèbe; mais à la différeoee
des précédents, ils étaient voués au sep
vice des particuliers. Chez les Oétois,
ainsi ^ue chez les Spartiates , à cdté du
domame de l'État, il y avait des pro»
priétés privées ; c'est a ces propriétés
que les Clarotes se trouvaient attachés.
Leur nom de parèques {ndpovmi) sem-
ble indiquer qu'ils habitaient sur les
terres de leurs maîtres. Quant à leur
origine, elle est vraisemblablement b
même que celle des Mnoîtes, avec cette
différence^ qu'après avoir été pris à b
guerre ils forent partagés au sort, ooma»
l'indique leur nom de Ciaroies, Leur
condition, plus misérable que celle dci
autres esclaves, parce qu'ils dépeiulaieiit
du caprice d'nn seul, était œpendast
moins intolérable que celle de rHilote.
On leur laissa leur culte national. Ib
avaient même leurs satumal^. A li
fête d'Hercule, ils étaient servis par leors
maîtres, et pouvaient même les battre.
Athénée rapporte qu'une fête semblable
se célébrait à Sparte (2}.
A ces trois classes d'e^aves indigèMi
il faut ajouter ceux qui s'achetaient ao
(i) Hœck, Kreta, t. III, p. 3o ctsniT.
(a) Athéo., lY, p. 1)9; O. Bfviier, Sml U,
p. tSS,
ILBBB CRÈTE.
««
[éluyrt, et qm pour oette râiioii l'on
ppelait Chrymmètes (xpwR6vi)toi). Leur
lomtyre dAt être peu eoiuidérable dans
m pays dont tonte rancielme popnla*
ion sTait été réduite en esclavase*
Is étaient employés aux traraux oo*
nestiques. Quant à leur condition, elle
le difrérait en rien de celle des esclaves
e même origine dans le reste de la
yrèee. On distinguait encore les thé^
'apontes (Oepdbceov), espèce de yalets
'armes; les erçatanei { iprfixfù^Bç) et
?s eataeaufes (xotxoau^ca) ^ esclaves
hargés de brûler les corps morts, et
ravoir soin des sépultures. Ils formaient
me classe à part, et jouisnient même
le certains privilèges (1).
En général , l'esclavage fut moins dur
n Crme qu*à Sparte. Aussi n'y eut*il
oint, dans cette tie, de révoltes d'escla*
es , comme à Laeédémone , où THllote
tait toujours prêt à proflter des cala-
nités publigues pour tirer vengeance
le Toppression de ses maîtres. Aristote
herche à expliuuer cette différence.
L»es pénestes tnessaliens ont souvent
a usé des troubles en Thessalie; il en
5t de même des Hilotes de Lacédé*
none ; tous ces esclaves spéculent sans
esse sur les désastres publics. 11 n'en
st pas de même en Crète. Péut*étre
?s Cretois doivent-ils cet avantage à des
irconstances locales. Lorsque les pe-
its États de cette tie se font la guerre,
Is ne favorisent jamais la révolte des
<;claves, attendu qu'ils en ont aussi
[ont la condition est la même. Mais
es Lacédémoniens ont pour voisins et
ouvent pour ennemis , les peuples de
A rcadie, de l' Argolide et. de la Messénie,
[ui n*ont point d'Hilotes. Il en est de
néroe des Thessaliens. Pendant leurs
:uerres contre les Achéens, les Magné-
iens et les Pérrhébiens, qui n'ont point
te pénestes, ceux-ci ont souvent cons-
lire (3). » Rien n'est plus dangereux
>our Tesclave, comme le remarque un
ustorien distingué (8), que de faire peur
1 son mettre. En Crète reselavage suivit
n quelque sorte le morcellement terri-
orial. Chacun des nombreux États de
«tte lie ayant ses esclaves, ceux-ci ne se
(i) Hœck, Kreta, t. III, p. k2.
(3) M. Domy, Hist. Gr. p. 54.
tnmvèrent point concentrés en aussi
grand nombre qu'en Laconie , sur un
même point du territoire. Il en résulta
que leurs mattres, ayant moins à crain*
are, ne les traitèrent pas aussi dure-
ment. C'est sans doute pour toutes ces
raisons, qu'on ne trouve pas la cryptie
chez les Cretois.
CONSTETUTION GRÉTOISB. — NOUS
venons de voir les résultats de la con-
quête dorienne en ce qui concerne les
vaincus. Entrons maintenant dans l'É-
tat dorien lui-même. Ici encore nous
trouverons bien des traits de ressem-
blance avec Sparte. Il n'y a pas moins
de rapports dans la constitution poli-
tique de la Crète avec celle de Lacedé-
mone, que dans l'organisation sociale
et la condition des personnes dans les
deux États. Mêmes peuples, mêmes
[principes de gouvernement , mêmes ins«
titutions. Cette ressemblance a frappé
les anciens. Cailisthènes, Éphore, Aris-
tote et Platon, l'ont signalée. Essayons
de l'expliquer.
Une constitution comme celle que Ly-
cur^e donna à Sparte, réglant toute
la vie d'un peuple, même dans ce qu'elle
a de plus intime , n'est pas une création
du législateur. Avant d'être formulée
et décrétée, elle existe, comme en germe,
dans les mœurs et les idées du peuple
qu'elle est appelée à régir. C'est l'œuvre
du législateur de tirer en quelque sorte
des entrailles d'une nation le code qui
doit régler ses destinées. Ainsi fit Ly-
curgue : ses institutions eurent sans
doute une immense influence sur Tesprit
publie des Spartiates; elles fixèrent leur
existence politique; elles furent comme
la loi suivant laquelle se développa le
génie national de ce peuple. Mais par
cela même elles devaient être profondé-
ment empreintes de ce génie. Puis, une
pareille constitution ivest point non
plus l'ouvrage d'un jour; elle ne se
forme point pour ainsi dire tout d'une
pièce. De vieilles coutumes, une pre-
mière ébauche d*organisation la pré-
cèdent et la préparent. Il n'est pas dou-
teux que longtemps avant Lycurgue les
Doriens n'eussent un certain ordre po-
litique analogue, sur bien des points, à
celui qu'il établit à Lacédémone. Ainsi
s'expliquent les ressemblances de la
constitution Cretoise avec celiede Sparte.
^56
LTJMVERS.
îa Crète reçut des colonies doriennes
près de deux siècles avant Lycurgue.
Ces colonies apportèrent dans nie leurs
(ioutumes nationales , leurs institutions ,
qui se comnliquèrent des rappiorts nou-
veaux nés de la conquête. Uordre de
choses qu*elles établirent de la sorte était
entièrement constitué lorsque Lycnrgue
vint en Crète. Il s*y arrêta longtemps ,
et particulièrement à Lyctos, la plus
considérable des colonies doriennes de
I*île. ft II observa avec soin les institu-
tions du pays et conversa avec les per-
sonnes le plus en renom. Il approuva
fort quelques-unes de leurs lois, et les
recueillit pour en faire usage quand il
serait à Sparte (1). » Toutefois il ne fau«
drait pas chercher ici une organisation
politique bien régulière. « En se repré-
sentant la Crète comme un gouverne-
ment aristocratique et fédéral, il ne faut
pas prendre ces mots dans la plénitude
de leur sens. Nous n'assistons pas au dé-
veloppement complet d'une société ré-
fuliere, mais à des essais d'ordre et de
onne police , souvent interrompus par
des révolutions. Ce point capital indiqué
par Aristote (2) a trop échappé aux mo«
demes, même à Montesquieu. La Crète
est le chaos fécond dans lequel Sparte
chercha quelques principes; mais elle*
même ne put s'asseoir et se pondérer.
La raison de ces orages était la rivalité
des villes. Quand Tune d'elles conquérait
la suprématie, c'était le despotisme;
quand elles luttaient ensemble, sans
avantage décisif pour aucune, c'était l'a-
narchie (3). »
« Dans chaque ville, ajoute le même
écrivain, il y avait à la tête des af-
faires dix magistrats; ils s'appelaient
y.6<j^i, casmesy tirant leur nom de l'or-
dre même , et de la nécessité de le faire
régner, tant se manisfesta toujours dans
les cités Cretoises un incorrigible pen-
chant à la sédition (4). » Aristote , qui
compare les cosmes aux éphores de
Sparte, fait remarquer que l'institution
des premiers avait de plus graves ineoo-
vénients que celle des seconds. « Même
(i) Plut., rie de Ljc,
(a) PoliL, ir, 7.
(3) Lerminier, Hîst. des Lègislat, et des
constit, de la Grèce ant.. I, p. 67 et suiv.
(4) ^^.
tiee, dit^il, dans le mode tfâeetioa;
c'est le hasard qui dédde du choix ; mais
on ne retrouve pas en Crète l'avanuge
politique que l'on remarque à Lacédé
mone. A Sparte , tous les eitovens oit
droit à l'éphorie, et l'espoir d arriver 1
eette éminente dignité attache le peuple
au gouvernement En Crète, les eosocs
ne sont pas choisis parmi le peuple »
tier; car l'éliga>ilité est la prérogatîR
de certaines familles (1). »
tt Comme ils succédaient à Fautonté
royale, ils en eurent les prérogatives :
ils commandèrent les troupes, ooodi-
rent les traités , administrèrent 8oav^
rainement la cité, avec un pouvoir ar^
bitraire sur les personnes et les ehoso.
A cette sorte de despotisme, incoatcs-
table débris de la royauté, les mam
Cretoises donnèrent un singulier oootn-
poids. Quand des cosmesroèconteotakil
par leur conduite quelques-uns de lesn
collègues ou des particuliers, on les
chassait. Ils pouvaient aussi à leur wr
venance abdiquer le pouvoir. Ce ném
pas la loi qui régnait, mais la volooie
des hommes, qui n'est pas une règle sâir.
Les Cretois avaient aussi l'habitude, ai
plus vif de leurs divisions , de recourir 3
une sorte de monarchie provisoire pov
se faire plus facilement la guerre entre
eux.... (2). »
Les fonctions des cosmes duraient uc
an. Sortis de charge, ils prenaient pbcc
dans une assemblée de vieillards qu
composaient le 9énat, Les membres et
ce conseil paraissent avoir été, eom»
à Sparte, au nombre de trente. Lev
autorité était viagère et irrespcmsable.
de plus , ils n'avaient pas de loi ecntr
et décidaient arbitrairement de to«te$
les affaires (S).
Les résolutions prises par lescosofr
et par les sénateurs étaient soumises a
une assemblée générale, où tous les a*
toyens étaient admis, et avaient droit dr
suffrage. Mais cette assemblée n avait
aucune initiative politique. Son droit «
bornait à ratifier, sans discussion, «
qui lui était proposé (4).
Le peuple n'avait donc, de fuit, auoDtt
(i) Polit,, II, s. I
(a) Lermioier, Sist des Lig^ t. L
(3) Arist., Polit., II, S.
(4) ArisL Ihid. j
ILE DE CRÈTE.
W
lart aa goiiTeriiement. Tout le pouvoir
tait concentré aux mains des oosmes et
u sénat. Cette oligarchie ne pouvait
tre supportée longtemps par ce peuple
emuant, naturellement attaché à la li-
lerté , et chez qui les agitations politi-
[Qes contribuaient à entretenir ce senti-
nent. Au temps de Polybe , il s'était
léjà opéré un changement considérable
ans rÉtat : toutes les magistratures
talent devenues annuelles , et le gou-
ernement démocratique (1). Des monu-
nents antérieurs d'environ un derai-siè*
le à rhistorien que nous venons de citer,
ttestent déjà cette révolution. Il y a un
léplacement complet de la puissance
|oiitique. Celle-ci a passé des cosmes à
'assemblée du peuple , devenue souve-
aioe. C'est à elle que s'adressent main-
enanl les ambassadeurs des États étran-
;ers', à elle seule appartient le droit de
égler les relations extérieures , de for-
ner des alliances , de conclure des trai-
es. Si dans ces traités les cosmes sont
lonimés, c'est uniquement parce que
eors noms servent a marquer Tannée
m ils sont conclus. Cest le peuple qui
tipale, qui dicte les conditions ; lui seul
end des décrets. Ceux-ci sont copiés par
e secrétaire de l'assemblée, et déposés
laas un temple. Notiûcatiou en est don-
lée aux cosmes , qui apposent à l'acte le
ceau de la nation. Souvent le peuple est
eul mentionné comme décernant des
écompenses , élevant des monuments.
Quelquefois le protocosme est chargé de
^ soins , mais alors c'est au nom du
)euple qu'il les exécute.
l>échus de leur ancienne puissance ,
es cosmes sont devenus entièrement dé-
|endants de l'assemblée, dans l'exercice
e leurs fonctions. Pouvoir responsable,
■s sont justiciables du peuple, et peu-
ent être traduits devant le tribunal
«mrnun que les États confédérés for-
[ïent entre eux. Tout citoyen a le droit
le les accuser. Ils sont tenus de porter
> la coimaissance de tous le pacte par
eqnel les deux cités se sont unies ; d en
î«rveiller l'exécution ; d'en donner, cha-
ire année, lecture au peuple; de dres-
îer les colonnes sur lesquelles sont gra-
'«s les articles du traite ; de faire don-
^«r satisfaction au citoyen qui a été
(i) Polyb., YI, 46.
maltraite ou dépouillé dans la ville al-
liée , etc. S'ils manquent à quelqu'un de
ces soins, ils sont passibles d une amende
déterminée , payée à titre d'indemnité à
l'État confédféré. Ainsi, à l'inverse des
Éphores de Sparte, qui, réduits d'abord
aux plus modestes attributions, finirent
f)ar devenir la première magistrature de
'État, les oosmes, tout- puissants dans
le principe , ne furent plus à la tin que
les ministres responsables du peuple.
Ajoutons, toutefois, qu'ils conservent
encore la présidence des tribunaux et la
direction des débats judiciaires. Mais les
juges sont tirés de rassemblée du peu-
{)le , soit par la voie du sort, soit par Té-
ection. Comme le gouvernement lui-
même, la justice a reçu une organisa-
tion démocratique.
Le sénat , aussi bien que les cosmes ,
a subi les conséquences de la révolution
populaire. Il a perdu toute importance
politique. Ses membres ne sont plus
nomm^ à vie , mais pour un an seule-
ment. Quant à leurs attributions , il se-
rait difficile de les déterminer avec quel-
que précision ; sur ce point on en est à
peu près réduit à des conjectures. Ils
paraissent avoir été chargés de la police,
dans les fêtes publiques , et de la sur-
veillance ainsi que de l'éducation de la
jeunesse. Il y û loin de ces fonctions
tout honorifiques à l'autorité dont le
conseil des anciens se trouvait autrefois
revêtu.
Nous sommes partis de l'oligarchie ;
nous aboutissons à la démocratie. Deux
siècles séparent les deux ordres politi-
8ues tels que nous venons de les décrire,
[ue s'est-il passé durant ce long espace
de temps? Par quels changements suc-
cessifs s'est opérée la révolution .'On l'i-
fnore. Elle ne s'est pas faite, sans doute,
rusquement , sans ces transitions par
lesquelles les peuples passent d'ordinaire
d'une forme ae gouvernement à la forme
opposée ; mais le défaut de documents
ne permet pas de suivre la marche de
cette révolution ni le développement pro-
gressif de la constitution Cretoise. On
peut croire, toutefois, que ce dévelop-
pement n'eut pas, dans les villes de Crète,
la régularité imposante que l'on reroar*
que dans le mouvement des institutions
chez d'autres peuples. L'état violent de
ces villes, leurs perpétuelles agitations,
6flS
L'UNIVERS.
leurs guerres sans fin , rendent invrai*
semblable un effort soutenu du peuple ,
pour arriver graduellement, de conquête
en conquête, a la souveraineté politique.
Quoi qu*il en soit, la démocratie fut aussi
Impuissante que Toligarchie à rendre à
la Crète ce qu'elle avait perdu depuis
Minos : Tordre et la paix à Fintérieur,
ta nuissance au dehors.
CoUTtMBS, HEPÂS PCBLICS, lÉDU*
CATION , MOBUBS. — « Tous les ius-
tincts des sociétés qui commencent se
développèrent dans la Crète avec éner-
gie. Les Cretois aimaient le mouvement,
la chasse, la fatigue, la lutte; ils vi-
vaient en commun, et se partageaient les
biens de la terre. Ces dispositions et ces
habitudes firent le fond des institutions
Cretoises. Le travail du législateur fut de
confirmer les mœurs sur certains points ;
sur d'autres , de les redresser ou de leur
imprimer une impulsion vive. Il faut
se représenter les lois dites de Minos
comme des coutumes qui ne furent ja-
mais écrites (1) , comme des traditions
qui, à travers la suite des générations,
s'altérèrent.
« Entrons dans une des villes de Crète,
à Lyctos , et nous aurons le spectacle de
la vie en commun. A Lyctos , chacun
contribuait du dixième de ses produits à
l'entretien de l'association dont il était
membre, et aussi aux revenus de la ville.
Cette contribution était répartie par les
chefs de la cité entre toutes les familles.
Les citoyens se trouvaient partagés en
petites sociétés appelées dfvBpia; le soin
des repas communs était confié à une
femme qui dirigeait le service de trois
ou quatre esclaves publics dont chacun
s'adioignait deux porteurs de t)ois, xa-
Xof opoi (2).
« Dans toutes les villes de Crète, il y
avait deux édifices publics dont l'un ,
consacré aux rejpas, se nommait dv
Spetov, et dont Tautre, servant d'asile
aux étranffers, s'appelait xoifLTjXTjpiov.
Dans rédioce où se taisaient les repas ,
(x) Cest ce qni rend si plaisante la méprise
de HérauU de Sécheiles, qui, pour rédiger
la eoDstitution de 1793, demandait qu*on lui
envoyât de la Bibliothèque nationale la vo-
lume des lois de Miuos. ( Note de M. Ler*
miuier. )
(3) Athén.; Deipnos, lib. lY, aect, aa.
Aaient dressées deux tables dites hospi-
talières , où les étrangers s'asseyaient
Les autres tables étaient destinées aux
citoyens. On donnait une part égale à
chacun des convives; setuement. Ici
jeunes gens n'avalent qu'une moitié de
part de viande, et ne touchaient à aucun
autre mets. On plaçait sur la taUe m
vase de vin, mêlé d'ean, totis les oonvives
en buvaient, et après le repas, on en ap-
portait un autre. Les enfants n'avaient
pour eux qu*tin seul vase où Tean se
mêlait avec le vin: aux hommes et am
vieillards le vin n'était pas mesuré. La
femme qui présidait à rordonnance da
repas choisissait les meilleors moroeam
et les faisait servir à ceux qui s'étaient
distingués par leur valeur ou leur pni-
dence. Après le repas 1 on délibérait
sur les affaires publiques, pnison raooa-
tait les grandes actions; on louait ceux
qui s'étaient illustrés par leur courage;
on les proposait pour modèles à la jeu-
nesse (1).
c La guerre, en effet, était le but de
toutes les institutions. Sur ce point Pla-
ton et Aristote ne se contredisent pas.
Notre l^islateur, dit Clinîas le Cretois,
l'un des interlocuteurs de Platon, a
voulu tout ordonner pour la guerre; fl
s'est aUaché à nous faire comprendre
que sans la supériorité dans les com-
bats , ni les richesses , ni la culture de»
arts ne nous serviraient de rien , puis-
que les biens des vaincus passent entre
les mains des vainqueurs (2). Aristote
a remarqué gu'en Crète, comme à
Sparte, et aussi comme diez les Scvthes,
les Perses, les Thraces et les Celtes,
l'homme était un soldat vivant sous une
discipline uniforme , dans une commu-
nauté continuelle de nourriture , de pé-
rils et de plaisirs , toujours prêt a nur-
cher, à combattre; il n'était estimé que
sll était hardi, vigoureux, i^e ot adroit.
La prudence et le repos restaient le par-
tage de la vieillesse.
« Dès qu'ils savaient lire, les en£uits
apprenaient les poèmes renformant les
lois , xbbi Ix Tûv v6|Aiuv <i^^ (3) , avec les
éléments de musiaue, et ils étaient sou-
mis à un xésdûe oont la sév érité n'était
(z) Athén., Ihid.
1a) De Ugibus, lib. L
3) Smb., lib. X, cap. lY «
ILE DB CRÊTE.
§69
idoncie dans ^oetind saison. Têtus de
oauvaises casaques, les petits Cretois
aangeaient assis parterre, se servaient
es uns les autres, et servaient aussi les
lommes faits. Devenus plus grands, ils
Diraient dans les compagnies, èrfOjon .
iont chacune avait un conducteur choisi
arini les jeunes gens de leur âge les
lus distingués par leur naissance ou le
redit de leurs ramilles. Les chefs des
ompa^es menaient ceux qu'ils com-
landaient à la chasse, à la course : ils
vaient sur eux presque l'autorité d'un
ère , et punissaient les récalcitrants. A
es jours marqués, les compagnies se li-
raient bataille aux sons de la flûte et de
i lyre ; les enfants s'attaquaient les uns
îs autres , tantôt avec leurs mains, tan-
}t avec des armes. C'est ainsi qu'on les
ressait à la guerre.
« Les villes de Crète, comme les autres
ités de la Grèce, eurent des édifices pu-
lies , des gymnases consacrés aux exer-
ices du corps; plus tard on y joignit
eux de l'esprit. Là les corps, dépouillés
e tout vêtement , contractaient de l'a-
iiité, de la souplesse; là aussi les mœurs
cuvaient se corrompre. Platon a signalé
» avantages et les inconvénients des
ymnases« qui développaient le courage,
t aussi pervertissaient l'usage des plai-
irs de l'amour tel que l'a réglé la na-
lire(l), »
Ces désordres étaient très-répandus
hez les Cretois. Ils passaient même pour
n avoir les premiers donné l'exemple,
^'amour du sexe masculin n'avait , à
eurs yeux, rien dont on eût à rougir,
^tte habitude dépravée avait tellement
nvahi leurs mœurs, que c'était un dés-
tODneur pour un jeune homme de n'être
as aime d'un autre adolescent. En
«rète, il se faisait des enlèvements de
sunes garçons, comme ailleurs déjeunes
[lies. La manière dont la chose se pra-
iquait est assez singulière. Le ravisseur
vertissalt quelques jours d'avance les
mis du jeune nomme qu'il se propo-
ait d'enlever. Au jour fixé, il exécutait
B rapt en leur présence. Au bout de
eux mois, durant lesquels les plaisirs
ie la table et de la chasse étaient mêlés à
«ux de l'amour, l'adolescent enlevé re-
tournait ches les siens avec les jHfésents
qu'il avait reçus. C'étaient en général
un habit de guerre, uneooupe et un bœuf,
qu'il immolait ensuite à Jupiter. Ceux
gui avaient été l'objet d'un enlèvement
étaient tenus en grand honneur. Dans
les courses et dans les antres réunions so-
lennelles, ils avaient la première place.
Ils se paraient avec une sorte d'orgueil
du vêtement qu'ils avaient reçu en pré-
sent, et même à un âge plus avancé, ils
le portaient encore comme une marque
de l'amour qu'ils avaient inspiré. La loi
encourageait les unions contre nature,
parce quelles étaient un obstacle à l'ac-
croissement de la population. Pour la
même raison elleautonsaitledivorce(l).
Aucun peuple n'a été aussi maltraité
par les historiens que les Cretois; aucun
n'a laissé une réputation aussi triste.
Cette réputation est-elle méritée.' mal-
heureusement il n'est pas |)ossible d'en
douter. L'opinion des anciens sur ce
point est unanime. L'inimitié des Athé-
niens ne suffit pas à l'expliquer. Sans
doute il est dangereux, comme le re-
marque Plutarque, de s'attirer la haine
d'une ville qui sait parier (2). Mais les
poètes athéniens, qui n'étaientjamais plus
applaudis que quand ils maltraitaient
Minos et les Cretois, ne firent pas seuls
la mauvaise réputation de ces derniers.
Plusieurs causes expliquent la dégra-
dation du caractère national et la dépra-
vation des mœurs publiques chez les
Cretois : l'absence die tout intérêt géné-
ral capable de les porter aux grandes
choses et de diriger leur actl vi té vers quel-
que but glorieux ; les perpétuelles guer-
res civiles, dans lesquelles ils rivalisaient
entre eux de ruses . de perfidies, aussi
bien que de cruauté; enfin leur vie de
forbans et de mercenaires, qui développa
chez eux tous les vices attachés à ces
deux métiers.
Parmi ces vices Tavarice, la perfidie
et le mensonge sont les traits les plus
saillants et comme le fond même de
leur caractère. Les Cretois étaient par-
dessus tout cupides. « L'argent est en
si grande estime auprès d'eux qu'il leur
paraît non-seulement nécessaire, mais
glorieux d'en posséder. Bref, l'avarice
(x) Lerminier, Hist. des légiilat, et des
ortstit, de la Gn ant, 1 1 , p. 75 et soiv.
(i) Arist., Poiit,,U,S.
(2) Plut. rî« de Thésée.
560
LUNIVEBS.
ei ramoor de Tor soDtsi Inen établis dana
leurs mœurs, que seuls dans ruDÎTers
les Cretois ne trouvent nul gain iUégi-
time(l). »
Voici un trait qui les peint admirable-
ment. « Dans la guerre sociale un Cre-
tois vint trouver le consul Julius (Cé-
sar), et s'offrit comme traître : Si par
mon aide, lui dit-il, tu remportes sur
les ennemis, quelle récompense me don*
neras-tu en retour ? Je te ferai, répon-
dit César, citoyen de Rome, et tu seras
en faveur auprès de moi. A ces mots le
Cretois éclata de rire, et reprit. Un droit
politique est chez les Cretois une niai-
serie titrée; nous ne visons qu'au gain,
nous ne tirons nos flèches, nous ne tra-
vaillons sur terre et sur mer que pour de
Fargent. Aussi je ne viens ici que pour
de 1 argent. Quant aux droits politiques,
^ccorde-les à ceux qui se les dispu-
tent et qui achètent ces fariboles au
prix de leur sang. » Le consul se mit
a rire, et dit à cet homme : « Eh bien ,
si nous réussissons dans notre entre-
prise, je te donnerai mille drachmes en
récompense (2). » Voici un autre trait
rapporté par Polybe. Il s'agit d'un cer-
tain Bolis. « Cétait un Cretois qui de-
puis longtemps occupait à la cour d'A-
lexandrie le rang de général . . . Sosibe sut
le gagner en quelques entrevues... Il lui
dit qu'il ne saurait en nulle circonstance
complaire à Ptolémée d'une manière
plus certaine qu'en imaginant le moyen
de sauver Achéus (vivement pressé par
les armes d'Autiochus). Bolis répondit
qu'il y réfléchirait... Après deux on trois
jours de réflexion, il revint vers Sosibe,
et lui déclara qu'il prenait sur lui cette
affaire : Il avait habité Sardes assez
longtemps, et connaissait parfaitement
les localités ; d'ailleurs Canibyle, chef
des Cretois au service d'Autiochus, n'é-
tait pas seulement pour lui un compa-
triote, mais encore un parent et un ami.
Or, Cambyle et ses troupes étaient pré-
posés à la garde d'un des ouvrages avan-
cés placés derrière la citadelle , en un
endroit qui ne pouvait recevoir aucune
fortification, et qui n'était protégé que
par la présence continuelle de Cambyle
et de ses gens... Sosibe remit à Bolis
(i) Polybe, VI, 46.
(a) Diod., Kxcrrpt, Vaiic, p. xiS-iao,
assez d'argent pour qu^il ne Im en DUi-
qu^t pas dans son entreprise, et lui pro-
mit des récompenses mamifiiiiues s'il
réussissait. Dès lors, prêt a apîr, Bolis,
sans tarder davantage, se mit en mer
muni de lettres de recommandation et de
dépêches secrètes pour Nicomaque, i
Rhodes,.... et aussi pour MélancooK^a
Éphèse. C'était par eux qu'Aehéus était
en rapport avec Ptolémée, et qu'il eo-
tretenait en général ses intrigues ao de-
hors.
« De Rhodes il se rendit à Ëpbèse,
fit part de ses desseins à Nicomaque et
à Mélancome, et envoya un de ses offi-
ciers, Arien, demander une entrevue î
Cambyle.... Cependant, Bolis, avec l'as-
tuce raffinée d'un Cretois, pesait soi-
gneusement toutes les chances de succès
et combinait ses artiGces. Le joar de
l'entrevue arriva, il donna à Cambyie
une lettre, et sur cette lettre , ils disca
térent eu vrais Cretois. Il ne fut ques-
tion ni du salut d' Achéus en danger, oi
de la fidélité à garder envers ceax qoi
s'en étaient remis à leur parole; ils ne
songèrent qu'à leur sûreté et à lesrs
propres intérêts. Aussi , ces deux bom-
mes au cœur également perfide fureal
bientôt d'accord. Il fut convenu qo^ils
se partageraient d'abord les dix taleau
remis par Sosibe, puis qu'ils instrairaieal
Antiochus de leur dessein, et 8'enga£^
raient à lui livrer Achéus s'il voulait les
soutenir, et s'ils recevaient en outre de
l'or sur-le-champ et des promesses di-
gnes de leurs services. » Antiochus ac-
cepta la proposition avec joie, et Bolis
se rendit auprès d' Achéus. Celui-ci se
montra défiant, et prit, pour se garaDtir
de la fraude, toutes les précautions pos-
sibles ; « mais il avait oublié qu'il faisait
le Cretois avec des Cretois, » et malgré
sa prudence, il tomba dans le piège et
fut livré à Antiochus (1).
Il serait aisé de multiplier les exemples
de ce genre. Ceux que nous avons atn
ne sont pas des faits exceptionnels, lis
tiennent au caractère de la nation. Ce
caractère était tellement dépravé que Po-
lybe cite comme une exception remar-
quable Antiphate de Gortyne, dépote
vers les Achéens pour leur demander
des secours contre les Rhodiens. « C<
(r) Poîybe, vm, t8 cl s«îv.
ILE DE CRÈTE.
J5B1
îeone dé|MTt< n'ivalt rien âa earaetère
de sa nation. II avait su échapper aux
perverses maximeg. de Féducation er^
toise (1). » « Il serait impossible, dit
ailleurs le même historien , en exceptant
quelques TiUes, de trouver des mœars
privée plus corrompues que celles des
Cretois, et par suite des actes publics
plas injustes (3). • On sait que leur nom
était devenu synonyme de menteur; il
était pass^ en proverbe qu*il est permis
de oretis^r avec un Cretois, npbc Kpr^xk
Religion dis Cretois. La religion
des Cretois est la même que celle des
autres peuples g[recs; elle s*est formée
de la même manière, a subi les mêmes
modifications; elle a passé par iea mêmes
phases , péri pour les mêmes causes et
dans le même temps. 11 semble donc
qu'il nous suffirait de renvover le lec-
teur à la partie de cette collection de
rUnirers qui traite de la religion hellé-
nique en général, pour qu'il pût avoir
uue idée exacte et complète de la reli-
gion adoptée et suivie en Crète. Il y au-
rait pourtant une lacune grave dans
notre étude sur la Crète , si nous nous
bornions à cette indication sommaire.
Sans doute la religion Cretoise ne pré-
sente aucune difiarence essentielle avec
la religion hellénique, ni dans sa nature,
ni dans sa forme ; mais la Crète reven-
diquait rhonneur d'avoir été le berceau
du grand dieu de la Grèce, deZeuSy que
les Latins ont nommé et que nous ap-
pelons d'après eux Jupiter. Déplus, une
multitude de légendes particulières à l'Ile
de Crète sont dignes d'intérêt, et méri-
tent de notre part un examen sérieux.
C'est pour ces deux moti£s que nous
croyons devoir consacrer un chapitre
spécial à la religion Cretoise.
Selon les tbéogonistes les plus accré-
dités, Ouranos, ou le Ciel, avait d'abord
régné sur le monde. Il fut le plus an-
cien des dieux, avec la Terre, sa com-
pagne. Après lui vint son fils, Cronos,
chez les Latins Saturne. Cronos, devenu
fort, détrôna Ouranos, prit sa place,
puis épousa Rhéa, sa sœur. Mais, soit
qu'un oracle le lui eût annoncé, soit
que le sentiment de son propre crime
(x)Polybe,XXXin, i5.
(a) Id., rv, 8.
86* Livraison. (Ils de CniTS.)
lui fit craindre on soH pareil à eel^i
qu'avait éprouvé Ouranos , il résolut de
supprimer tous les enfants mâles qu'il
aurait de Rhéa, de peur que l'un d eux
ne vtnt à le renverser du pouvoir suprê-
me. Rhéa eut successivement plusieurs
fils: aussitôt n^, aussitôt dévorés par
Cronos. L ambition est impitoyable; mais
l'amour d'une mère est ingénieux. Étant
accouchée de Jupiter, Rhéa, pour sait
ver son nouveau-né, le coniSa aux Cu-
retés , ses fidèles serviteurs, et ne donna
à son mari qu'une grosse pierre, bien
emmaillotée. Le vieux Cronos, soit que
sa vue fût affaiblie par l'âge, soit que sa
voracité politique l'ait aveuglé dans cette
circonstance, prit la pierre pour fen-
fant, et en fit ce qu'il avait fait de ses
autres rejetons. Ce premier succès en-
hardit Rhéa; elle renouvela son strata-
gème, et Cronos y fut si bien trompé,
oue Neptune, Pluton, Junon et Cerès
échappèrent à sa dent redoutable et vé-
curent pour devenir immortels.
Jupiter avait été porté dans une grotte
cachée à tous les regards : comme ses
vagissements et ses cris auraient pu le
déceler aux oreilles de son père, les
Curetés, ses sauveurs , eurent soin de se
livrer aux danses les plus bruyantes ,
tandis qu'Araalthée et Mélissa, les deux
nourrices, faisaient de leur mieux nour
calmer le dieu enfant et le tenir en repos.
Grâce à tous ces dévouements , Jupiter
échappa, grandit. Dès qu'il fut fort, U
s'unit à Neptune et à Pluton , et tous
trois renversèrent Cronos, qui se vit ré-
duit à mendier l'hospitalité de l'exil au-
près d*un roi du Latmm.
Voilà comment Homère et Hésiode
exposent le mythe ; voilà quelle fut la
croyance de toute la Grèce. Disons main-
tenant quelle était celle des Cretois.
D'abord, ils prétendaient que Jupiter
était né dans leur fie; que Rhéa l'avait
caché sur le mont Dicté , avant de le
donner aux Curetés, qui habitaient au-
tour du mont Ida. Ils montraient l'antre
joù le Dieu avait été nourri. Lorsque les
Curetés emportèrent l'enfant, ajoutaient-
ils , le cordon ombilical tomba près du
fleuve Triton; aussi consacra-t-on cet
endroit sous le nom d'OmphaloSy et la
campagne environnante s'appela Om-
phaiion.
Ainsi la Crète se vantait d'avoir été
36
umnvns,
k beveéiu de Jnpiter. St Mt hoimêot
flattait son orgueil national au poiut
que pour confondre les prétentiona ri*
valea des autres pays, elle alla jusqu'à
BBontrer le tombeau du dieu. Jupiter,
suivant cette nouvelle série de légeedea,
aurait été roi de l'Ile, et y serait mort
Cest pourquoi les Gnossiens lui fai-
saient des sacrifices funèbres. Faute de
pouvoir s'approprier exclusivement le
dieu , on en faisait un homme.
Cette tradition, particulière aux Gr^
lois, souleva contre eux les colères et les
réclamations du monde hellénique tout
entier. La Grèce se scandalisa, non sans
raison, de voir qu'un de ses peuples
osât, dans un acàsde folle vanité, dé-
capiter l'Olympe, et que du Jupiter
d'Homère et de Phidias, du Dieu qui
ébranle le monde par le mouvement de
ses sourcils, on ftt un simple mortel,
un roitelet comme Inachus, Pelée ou
Midas. De là vint aux Cretois, assure
Callimaque , leur renom de fourberie et
de mensonge. Nous avons vu qu'ils
avaient d'autres titres encore à cette
réputation.
On nous pardonnera d'avoir insisté
sur ces vieux récits mythologiques, et
l'on ne nous fera pas un crime de ne
leur accorder qu'un médiocre respect.
Noi^s suivons en de telles matières l'o-
pinion, si sage et si mesurée, de Strabon.
« Je me suis un peu arrêté à ces fables,
dit-il, parce qu'elles touchent la reli-
gion, et que lorsqu'il s'agit des dieux,
Il faut rechercher les croyances anciennes
et les traditions mythologiques ; car les
anciens ont . indiaué sous l'enveloppe
de» fables ce qu ils ont pensé sur la
nature des choses. Il n'est pas possible
d'expliquer exactement les énigmes;
mais quand on rassemble cette multi-
tude de traits fabuleux, qui tantôt s'ac-
cordent entre eux, tantôt se contredi-
sent, on peut, en les comparant, dé-
couvrir plus aisément la vérité qu'ils
cachent. Ainsi, lorsqu'on feint que ceux
qui servent les dieux et que les dieux,
eux-mêmes se plaisent à courir sur tes
montagnes et se livrent à l'enthousiasme,
e>st probablement par la même raison
qui a fait imaginer qu'ils habitent les
deux , d'où ils manifestent leur provi-
dence, soit par des signes qui présagent
l'avenir, soit de quelque autre manière.
En atteC , les aelarM woê Isa mtom
mènent à la découvarte dea métainf,
SAx de la chasse, mix nanheielMi i _
verses ehoaca utiles à la vie, et l'aa-
thonsiasme tient au merveilleox en cé-
rémonies religieiiaesY dea diviiiMioBaft
des pteatigaa, »
Qu'y a-t-il de wai dans cea légfdss.»
qtiels éléments foonissait-eUai à liiit-
toire? Fréret nous parait avoir poii les
prinoipea fondamantaui de tmittt anti-
que solide dans une telle questma ion-
gu'il dit : « Le lieu de la naiaaanee de
I plupart des divinités paStmiaa aéra
ealui où ce culte a'était éùitii d'akoid,
eu celui qui en fut eoBuna la oantae. Les
aventurée de eea dieux aeront FUsioire
de rétabUssemeat de leur culte; leurs
combati, leurs exploita , aeront Isa op-
poshions qu'auront trouvées les prédS-
cateurs de ce culte et les divtvses ré-
volutions qu'il a essuyées (l). »
En appliouant les rè^es établiaa par
Fréret aux légendes qui noua oeeapeat
ici, nous arrivons à des ooneluaiooa ss-
Bon certaines, au moins vraiaenaMaUcs.
Ainsi , l'on ne peut douter que dès les
temps les plus recalés Zeua ou Jupiter
ne rat en Crète le dieu par exeollcoce,
la divinité nationale. Ce qui n'est pas
moins évident , c'est que le culte de Zeus
ne s'étendit que peu à peu , et ne doni^
sait dans les temps primitift que sur
une partie de Itle , principalemeat au-
tour du Dicté et de rida. Ainsi la ville
de Gnossos, dont la fondation est attri-
buée aux Curetés, et qui Ait la eapitale
de l'Ile sous Miaos , était à cette époque
la métropole religieuse. « Miaos, dit
Homère, le parèdre de Jupiter, y régna
neuf années. » Là était l'antre du dieu .
son sanctuaire et son tombeau (9). C*eat
à Gortjrne que la fable plaçait les anuMirs
de Jupiter et d'Europe. Rbéa était ac-
couchée à Lyctos, et la eapitale des
Etéocrètes, Proesos, avait un teasple
consacré à Jnpiter DIetéen. Hiérapytaa
avait également adopté le culte du dieu .
puisque la fondation de cette ville élaK i
attribuée à Corybas, Ton des Curetés.
Itanos, à l'extrémité orientale de I1l#,
se donnait une origine semblable, et
(i) Mém, de VJcad, des /user,, t. XLVII.
p. 38.
(a) Plut., de Leg.^ I.
ILE ra CKtiE.
tes
f^vait 8tif Ms moBnaiaa la tête de Ju«
piter. Biennos avait aom temple Bieor
nien. A l'ouest de Tlda, Éleutbéria et
Oaxoi^ appelée auisi Aaoa, marquent la
limite oeeideutale où s'arrêtait le oulle
de Jupiter. Il eiiatesans doute des moih
naiea de C^donia, d*Apteraet de Polyr*
renies, fim^pées à l^effigie du dieu ; mais
ces monnaiea appaptiennent à des temps
postérieurs. Ces villes adoraieut princi-»
paiement Diane, Diotpna et Apollon.
Jamais le culte de Jupiter ne fut le oultp
dominant dans Tonest de Ttle. Il eut
toujours son siège le plus important au
centre, dana Jea environs deadeui cé-
lèbres eaontagnes de la €rète, à Gnoasoa,
à Gortyne, à Lyckos , à Prasos et à Hié«
rapvtna.
Il ne nous sera pas plus diifieile d*ev
pHquer le mythe du détrônemeot de
Cfonos. ApfdiquQna la règle donnée par
Fréret. Ce mythe aignifte aue le culte
de Zeus avait été précédé dans Ttle dç
Crète par une religion plus anoieni^e,
qui finit par auceomber. M. de Sainte*
Croii va jusqu'à préciser la durée de
la lutte qui s^étanlit entre les deux
eultes. 11 la iie à dix ans. Il est plus im«
portant peu^tre de se demander quel
était le culte de Cronos. Toutes les tra-
ditions noua représentent ce dieu eonune
un dieu aangumaire. Plusieurs témoi-
gnages ne permettent pas de douter qu*à
une époque fort ancienne la cruelle
pratiqua de sacrifier a la divinité des
victimes humaines n^existât ehez lea
Cretois. Il paratt même qu'en Crète,
comme en Phénicie, ces victimes étaient
ordinairement des enfants. Ainsi la chute
de Cronos ne fut pas autre chose que
«elle d'un culte eruel et sanguinaire, que
remplaça une religion plus douce.
D'où vient cette religion nouvelle?
2eus est-il indigène ou étranger? Et s'il
est étranger, est-il égyptien, phénicien
ou phrygien? La l^ende le présente
nomme nls de Cronos, et Torgueil na-
tional a fait les plus grands efforts pour
faire de Zeus un Cretois. En sorte que
la religion nouvelle serait sortie des en*
trailles mêmes du pays, comme le dieu
du sein de Rbéa. Mais il nous paraît
bien difficile d'admettre une telle exnli*
cation. Que faudrait- il supposer en effet?
Qu'uuQ réactioii énergique se serait faite
contre le culte barbare pratiqué dana
toute réieiidue de Mie, que le en de
l'humanité, violée ohaque jour par ces
saerifioes sanglants, aurait été asaez puis*
sant pour triompher de riffnorance o|
de la peur, ces deux mères des antiques
çûperstitiona. Mais les choses ne se pas*
sent guère de la sorte. LHiistoire ne noua
montre pas un seul progrès dans lea
mœurs généralea d'une soeiété qui n'ait
été précédé d'un progrès de rintelligenee
publique. Il faudrait que la dvilisaiion
de la Crète fût autoehthoue pour que le
culte de Zeus le fût aussi. Or il n*est pat
possible de nier les rapports nombreux
et pour ainsi dire permanents de la
Crète avec la Phénicie et l'Asie Mineure.
La Crète n'a pu éohapper à rinfluenee
de ces deux pays, et ses institutions reli«
giei^sea, comme les autres, doivent por«
ter Tempreinte de leurs civilisations.
Le oulte de Zeuf n'est donc pas plus
Îue celui de Cronos d'origine erétoise.
àut porte à croire qu'il est venu d'O-
rient. Bien entendu que le même nom
B*a pas représenté à toutes les époques
la même divinité. Le Zeus primitif tenait
évidemment au naturalisme oriental;
phis tard il se rattacha étroitement au
système anthropomorphique de la Grèce.
Que rinfluence des mythes phéniciens
se soit exercée en Crète, c'est ce que
montre la légende d'Europe. Pour l'in-
flueneedea mythes phrygiens, il suffit
d'indiquer l'identité des légendes rela-
tives à Zeus et à Rbéa , la ressemblance
des Curetés, des Dactyles et des Cory*
bantes, ressemblance telle que toute
l'antiquité les a confondus.
Il est donc probable que dans l'tle de
Crète, comme dans les autres pays hel'
léniques, la religion pétasgique domina
d*abord , barbare dans ses rites et san«
guinaire dans ses pratiques. C'est cette
époque que la légende appelle le règne
de Cronos. Dans la suite, grâce aux
rapports qui s'établirent entre la Crète
et 1 Orient, une religion plus humaine
s'introduisit, et finit par l'emporter. C'est
ce que la légende appela la victoire de
Zeus sur son père Oonos.
Ce premier point établi, nous avens
à étudier une des questions les plus em<^
barrassanteset les plus controversées de
la mythologie erétoise ; nous voulons
parler des Dactyles Idéeos, des Curetés
etdesCorybantes.
36^
664
LtJNIVERS.
Laissons de cdié les Dactyles Idéens.
Si Ton n'a pu leur attribuer pour patrie
rtle de Crète, cela tient» selon toute ap«
parence, à Tbomonymie des deux mon-
tagnes saintes de la Crète et de la Phry-
Sie. Mais le témoignage de Sophocle,
*Êphore , de Diodore, de Strabon et de
Saint-Clément d'Alexandrie nous auto-
rise à les regarder comme Phrygiens*
Selon Sainte-Croix» « les Dactyles « les
Cabires, lesTelcbines, etc., furent les
premiers instituteurs des sociétés, et
|KHir affermir leurs établissements ils
eurent soin de les mettre sous la pro-
tection de cérémonies religieuses, et de
les entourer du voile du mystère. » Ce
Îui est certain, c'est qu*on attribuait aux
dactyles l'invention du fer et de Tairain,
uu'ils exerçaient la médecine , et que,
dans le but d'accroître leur influence, ils
avaient recours aux prestiges et aux en-
chantements.
Quant aux Corybantes, Sainte-Croix.les
croit phrygiens. « Les Corybantes, dit-il,
étaient remarquables par leur force. Ils
fabriquaient les armes défensives, cul-
tivaient la musique et la danse. » On ne
compta d'abord cjue trois Corybantes,
comme trois Cabires et trois Dactyles.
Les trois anciens Corybantes étaient
Cvrbas ou Corybas, Pyrrhicus et Idoeus.
Mais ces noms sont évidemment forgés.
Celi^i de Corybas ne se rapporte pas
plus à un être réel que ceux d'Ion , de
Dorus et d'Achéus, auî personnifient la
diversité à la fois a la parenté des races
helléniques. Le nom de Pyrrhicus se rap-
Sorte à la danse pyrrhique, et pour celui
'Idonis, qui n'y reconnaît le mont Ida?
' Tout en admettant avec Sainte-Croix
qoe les Corybantes sont Phrygiens,
nous devons reconnaître avec Lobeck (i)
Su'ils ont eu, dès la plus haute antiquité,
e fréauents rapports avec les Curetés.
Lobeck convient d'ailleurs que la ques-
tion des Dactyles et de leurs confrères
les Curetés et les Corybantes lui semble
<t inexplicable et peu claire même pour
les anciens »•
Arrivons aux Curetés, qui paraissent
apnartenir plus particulièrement à la
Crète. D'après quelques récits que rap-
porte Diodore, les Curetés sont les dix
fils d'un i«i de Crète nommé Jupiter.
Après eux vinrent neuf autres Carèbn,
indigènes ou descendants des premiers ,
mais qu'on représente comaie pâtres,
chasseurs ou inventeurs des amaes. Se-
lon d'autres auteurs, cités par Strabon,
c'est Rhéa qui fit venir de Pbrygie des
Curetés, ou oien ce nom fut pris par les
Telchines Rhodiens qui vinrent s*établir
en Crète , ou encore les Curetés étaient
les mêmes que les Corybantes , à moins
qu'on n'aime mieux suivre une autre
version et les faire descendre des Dac-
tyles.
Voilà quelles sont sur les Curetés les
opinions des plus anciennes mytbolo-
' gies. Au milieu d'un tel chaos Je té-
moignages, il nous semble difficile d*ar-
river, sur tous les points qui concernent
l'histoire des Curetés, à une certitude
absolue. Aussi les critiques modernes ne
sont-ils pas moins divergents d'opinioa
que les auteurs anciens. Ilous aTons
déjà dit le désespoir de Lobeck. Le pré-
sident de Brosses se tire d'afifaire à
force d'esprit. Son opinion est assez in-
génieuse pour être citée : « Les Cure-
tés, dit-il, sont les andens prêtres de
cette partie de l'Europe voisine de TO-
rient et de la Grèce , assezsemblables aux
Druides des Celtes, aux Salions desSa-
bins , aux sorciers ou jongleurs de La-
Sonie, de Nigritie, ou à ceux des sauva^ges
e l'Amérique, de la Sibérie, du Kamt-
chatka. C'est assez vainement qu'on a
beaucoup disputé sur leur véritable pa-
trie, puisqu'on trouve de ces sortes de
Srêtres partout où la crovanoe grossière
es religions sauvages faitle fond des pré-
jugés populaires ; mais le plus célèbre de
ces collèges de prêtres était en Orète. »
Sans nier l'analogie et les rapports
des Curetés avec les Dactyles Idéens et
les Corybantes , il nous semble que les
plus nombreux et les plus importants
témoignages s'accordent à les présenter
comme Cretois. Maintenant qu'étaient-
ils dans l'origine ?Très-probanlement ils
formaient une caste sacerdotale, et do-
minaient dans 111e par la légitime in-
fluence de la supériorité intellectuelle et
morale. Cest à eux qu'on attribuait les
premiers travaux de défrichement (i).
(i) Lobeek, Jglaophamut, Orphica, Elett- (i) Primt cultores Cret» esse dicnntor.
*ina, passim.
Senr. adJ^ndd^,
ILEDEGRETE.
W
L'un d^etix , JaBiom , avait ea eommeroe
avocCérèSidit la légeDde,daD8 un cbamp
neuf qui veDait de recevoir trois labours,
et de ce commerce était oé Plutus : belle
et simple allégorie, qui ne veut dire rien
autre chose si ce n*est que le labourage
produit la richesse. Un autre Curète,
Philomèle , frère de Jasion , inventa la
charrette, et Cérès, en récompense,
le plaça au ciel , où on le nomme le
Bouvier, comme Jasion et Triptolème
avaient formé la constellation des Gé-
meaux.
Le rôle des Curetés, dans le premier
développement de la civilisation en Crète,
ne se borna point là. Diodore les repré-
sente comme pâtres et éleveurs d'abeil-
les. Les deux nourrices de Jupiter fu-
rent Amalthéeet MéJissa, c'est-à-dire une
chèvre et des abeilles. Ce sont aussi les
Curetés qui inventèrent les épées et les
casques. Tout cela répond bien à Tidée
que nous nous en faisons comme d'une
caste sacerdotale associée à une tribu
guerrière, qui mit sous le patronage
d'un nouveau culte , celui de Zeus, ses
premiers essais d'agriculture et d'in-
dustrie.
Rien ne peut nous donner une idée
plus claire de ce qu'étaient les Curetés
que l'histoire d'Épiménide. C'était un
Cretois , qu'on fit venir à Athènes pour
purifier la ville , souillée par des crimes
et des profanations. « On le disait fils
de la nymphe Balte, et on racontait sur
lui de mystérieuses histoires. Dans sa
jeunesse, un jour que son père l'envoya
a la recherche d'une brebis égarée,' il
entra dans un antre écarté, pour évi-
ter la chaleur du jour. Le sommeil l'y
surprit. 11 y dormit cinquante-sept ans.
Tout était étrange et imposant aans sa
personne : ses longs cheveux, son re-
gard sombre et profond, la solennité mys-
^rieuse de ses gestes, sa gravité orien-
tale; jamais on ne l'avait vu manger. Il
avait une merveilleuse connaissance des
choses de la religion et de la nature. Il
connaissait toutes les propriétés des
plantes. Inspiré , il lisait dans l'avenir :
sorte de [>rétre et de prophète (1). »
Quant il eut accompli son œuvre , on
voulut le combler de présents. Il n'em-^
porta qu'une branche de l'oliviei de Mi-
(c) Duruy, Uut, Gr„ p. 94.
aerve et un traité d'allianee entre Athè-
nés et Cnossos, sa patrie.
Plus tard les Curetés ne furent plus
que des initiateurs de mystères. Ces
mystères se pratiquaient, selon Sainte-
Croix, près de l'antre où Ton croyait que
Jupiter avait été élevé. Ils commençaient
par des purifications, faites au moyen
des pierres que la foudre avait frappées.
L'initié, couronné de la laine d'un
agneau noir, couchait le matin étendu
sur le rivage de la mer, et la nuit sur les
bords d'un fleuve voisin. Tout habillé
de laine noire , il était ensuite introduit
dans l'antre nommé Idéen , et il y de-
meurait trois fois neuf jours. La céré-
monie était terminée par un sacrifice fu-
nèbre, offert à Jupiter.
Il nous reste, pour en finir avec les
Curetés, à dire quelques mots de la
danse pyrrhique, dont on leur attribuait
l'invention. Mais Lobeck a très-bien fait
voir, dans son introduction aux mystè-
res d'Eleusis, que l'usage d'honorer la
divinité par des danses n'est point par-
ticulier à tel ou tel pays , mais commun
â tous dans certaines époques de civili-
sation. Les Curetés dansaient en l'hon-
neur de Jupiter, comme ^les Saliens , à
Rome, en l'nonneur de Mars et les Galles
en rhonneur de la Bonne Déesse. Mais
au lieu que les mouvements des Galles
étaient frénétiques, sans règle, et leurs
cris discordants, la danse des Curetés
était décente , mesurée, et leurs chants
harmonieux.
Après Zeus, père et o^anîsateur de
la nature, le soleil et la lune » principes
et agents de la lumière étaient à Tépo-
3ue Minoique les principales divinités
e la Crète. Les noms de la race de Mi*
jios, surtout ceux des femmes, leur sont
empruntés. Ainsi Europe , mère de Mi-
Bos, est fille de Téléphasa ou Télépha
(celle qui luit au loin); sa femme est
Pasiphaé (celle qui luit pour tous),
fille du soleil. La monstrueuse union de
cette dernière avec le taureau marin
n'est sans doute qu'une allégorie fondée
sur la croyance, si répandue chez les
anciens, qu'à l'influence du soleil sur
la lune se rattache la fécondité de la
terre.
Nous touchons m à Tuno des plus cu-
rieuses légendes de la mythologie grec-
que. Minos avait eu de Pasiphaé quatre
999
LinnvB&&
drogée; et autant defilles, Acallé^, Céo-
âke, Ariane «t Phèdre. Astérios> toi
de i*!le , étant venu à roourîir sans lals*-
ser d'enfants, Minos prétendit À la royair-
té , soutenant quelles dieux la lui avaient
tonnée. '
Pour te 'ptt>liVer, il ajouta qu'il ob-
tiendrait d'eux ee qu'il leur demande-
rbit. Sur-le-champ il se met à l'œuvre»
fiiit un sacrifice à Neptune , et le prie
d'envoyer de là mer un taureau , pro*
mettant , mais tout bas , de le lui im-
moler. Le dieu fit aussitôt sortir de la
mer un taureau, et comme il se le croyait
destiné, il l'envoya de haute taille el
d\in embonpoint admirable. Grâce à
ce miracle , Minos fut roi. Mais le tau<^
reau était si beau qu'il le mit dans ses
pâturages, et eu sacrifia iln autre. Le
dieu, irrité, se vengea en rendant le
taureau Sauvage, et Pasinhaé amoureuse
du taureau. Pour satisfaire sa passion ,
la reine eut recours à Dédale, qui, exilé
d* Athènes pour un meurtre, avait
tarouvé asile et protection auprès de Mi-^
Uos. L'ingénieux artiste construisit une
vache de bois , creuse en dedans , mon-
tée isur des roulettes , y ajusta la peau
d'une vache nouvellement éebrcnée,
jplaça le mannequin dans un endroit où
le taureau avait coutume de paître , ei
y cacha Pasiphaé. Grâce à ce strata*
gème, la reine eut de l'animal divin un
nls qu'elle appela Astérios, mais qui est
plus célèbre sous le nom de Minotaure.
Astérios avait depuis la tête jusqu'aux
épaules la figure d'un taureau, y corn*
S ris les cornes ; pour le reste du corps ,
ressemblait à un homme. Mtnos se re«
Sentit alors d'avoir offensé les dieux, et
ans une si étrange conjoncture il con»
sulta les oracles. D'après leur réponse
le Minotaure fût enfermé dans le laby^
rinthe construit par Dédale (l).
Afin de pourvoir h la subsistanée du
monstre, ou lui donnait en pâture leisi
jeunes garçons et les jeunes filles que
les Athéniens étaient obligés d'envoyer
chaque année au roi , en expiath>n du
meurtre d'Androgée. Telle est du moins
la version la plus tragique. « Mais, sui-
vant Philochorus, les Cretois ne conve-
Uaient pas de ee fett. Ils diraient que le
(1) ApoUod., ni, z.
Lal^tinthe était une pttea où Pona'i*
▼ait d'autre mal que de ne pouvoir s'a*
fuir quand on y était enfermé. Miaoi,
ajoutaient*ils, avait institué en l'hoa*
neur de son fils des combats gynmiqMi,
où les vainqueurs reeevaient pour prix
ees enfants, qui restaient jusqu'à cet
instant détenus dans le Labyrinthe
Aristote , dans sa Rapplique des M-
Uéenê, ne croit pas non plus q«e ces
enfants fussent mis à mort par MIbos,
mais qu'ils vieillissaient en Crète, »•
servis a des travaux mercenaues.». « Os
voit, au reste ) ajoute spiritiiellemiiiit
Piuiarque, combien il est dangereux ik
s^attirer la haiue d'une vUto qui sait ^
1er et qui cuUive les arts. Minos a toa-
iours été décrié et couvert d'Mtrages m
les théâtres d'Athènes. Rien ne lai a
eervi d'avoir été appelé par Hésiode k
plus ^and des rois , et par Homère le
familier de Jupiter. Les poètes uragiqoes
ont prévalu; et du haut des tréteaux de
la scène ils ont fait pleuvoir stH lui Top-
nrobre. Ils l'ont &it pai^r pour un
nomme dur et violent; et pourtant Mi*
nos est, à les entendre , le roi et le lé>
§islateur des enfers , tandis que Rbi-
amanthe n'y est que l'exécuteur des ar-
rêts portés par Minos (i). »
Ibut le monde connaît 6e qui seivit,
la victoire de Thésée sur le Minotaure,
les malheurs d'Ariadne et de Pfaèdte.
Nous n'insisterons donc pae davantage
sur cette légende*
Nous avons à peu ^tèa épolaé teutee
3ue les auteurs anciens notis effarât
'intéressant sur l'ancienne retlgloa des
Cretois. Il nous resterait è éffe ewils
changements elle subit à la suite deVkh
vasion des Dorions, alors que les dig-
nités helléniques s^inuroduisi^eot dans
rUede Crète; mais ce serait reeomaiencer
l'exposé général de la tèllgloil greeifMe
et nous engager dans des liéfeleppe-
Uients qui excéderaient les bûmes de oet
ouvrage.
DteS ARTS UTILES ET LtBteAPt
icu£2 LES CuÉTOks. -^ Le géuic derten
était essentiellement poKli^^e et ^M^
rier. Il savait fonder des iustitatioi^i
(constituer un État, former des éAeVcos
et des soldats ; maie hors de là , Il wt
(c) Plut., rie de Thésée, tnd. d*Al.
Pierron.
ILS DE CRtEE.
MT.
cY)mm« frdppé d« nérillté. Eu Crète,
comme à Sparte, il n'a créé qa'ane chose:
r£tat , e*est*à-din une sorte de sociélé-
macbitae , que rien n'eût animée sans
les agitations de la ^e public)ue. L'intfns*
trie et le commerce, qui répandent dans
une société le mouvement et la fie,
manquaient presque entièrement ft cet
État ; les arts qui y ftirent eultirés se
rattachent par leur origine et par leuf
caractère à la cifilisation primitive de
riie. les Doriens en ner^ionnèrent
aueiqties^uns , tels que la musique et la
anse ; mais ce fut tout.
iNDUStRIE BT GOHtffiâCS. — L'în-
dustrie chez les Cretois aurait été pres'*
que entièrement nulle, si oes insulaires
n'avaient de très-l)onne heure et dans
tous les temps tiré parti de leur habi-
leté à manier l'arc, en se vendant à tous
ceux qui voulaient les acheter. Les ar-
chers mercenaires de la Crète se trou-
vent, dans l'antiquité , sur presque tous
les champs de bataille, et u n'était pas
rare d'en rencontrer, dans une même
fuerns, à la solde des deux partis, com-
attant les uns contre les autres. Leur
adresse dans le maniement de l'are, les
profits qu'ils en retiraient créèrent leur
s^ule industrie active, la fabrication de
cette arme*, ils n'en connurent ou du
moins ils n'en exercèrent pas d'autre.
U est triste qu^un pareil usaee alimente
toute l'industrie d^m peuple; mais il
n'en pouvait être autrement chez un
peuple qui faisait de la guerre même sa
principale industrie.
Là ou rindusirie manque, le com-
merce qu^elle alimente ne saurait étr^
bien actif : la Crète en effet ne foX ja-
mais un Ëtat eômnoerçânt. Cependant ^
par sa position maritime sur la grande
voie des peuplés marchands de Tanti*
guité, par Ses potts nombreux, elle sem-
lait destinée à devenir un important
centre de comtnetce. Mais elle ne tirt
jamais parti de ses avantages naturels.
Avant Mlnos , les Cretois ne songeaient
à s'enrichir que Car la piraterie. Sous
son règne leur activité se tourna encore
vers la mer, mais pour conquérir e% pour
fonder des colonies. L'impulsion donnée
par ce prince dura jusqu à l'époque de
ta guerre de Troie. Tinrent ensuite les
Doriens : mais l'esprit ée ce peuple n'é-
tait pas favorable aux entreprises tram-
merdales. Le^ommeree vit de raetivîté
individuelle, et ne peut se passer de l'ai-
g[tttUon du besoin. Dans un État où i'a<i»
tivité de l'individu s'absorbe dans la vie
publique du citoyen, où une classe au-
jetle est chargée de fournir aux besolnc
du peuple souverain, il ne saurait y avoir
de commerce. D'ailleurs, l'état de guerre
permanent dans leauel s'agitaient cou»
vulsivement les villes de Crète ne leur
permettait pas d'entretenir au dehors
des relations commerciales étendues et
suivies. La paix et la séeurité sont néces»
sairesà ces sortes de transactions. L'une
et l'autre ont toujouis également man-
qué aux cités Cretoises. Enfin pour sa»
tisfaire leur amonr du gain, ces insu-
laires avaient deux ressources : meroe«
naires ou pirates, ils se vendaient à toue
ceux qui les payaient ou se mettaient à
écumer les mers.
Lbtt&es bt Abts. *- Dans les iet<^
très la Crète n'a produit que quelquee
noms : Dictas f de Cnossos. contempe*
rain de la guerre de Troie. Il suivit loo^-
ménée au siège de cette ville, et conii*
sna dans des Éphémérides en vers lee
événements dont il était témoin. Ho-
mère emprunta sans doute à ce poème
quelques-unes des légendes dont il eom^
posa riliade. Quand Dictjrs n'aurait tm
d'autre mérite que d*avoir fourni des
matériaux à la grande épopée grecque ,
H faudrait enedre le mentionner. Une
guerre qui n'a pas le merreilleux de la
guerre de Troie, mais où la légende
tient encore une place considérable , a
inspiré un autre poète crétois. Mianos
de Béné ou de Ceré a composé sur les
guerres de MMSénie un poème épique^
qu'a suivi Thistorien Pausanlas. A cee
noms il faut ajouter Thalétas, poêle
lyrique, dont nous parlerons plus loin;
Hfbriaw, auteur de Soolies; lephon^
de Cnossos, qui mit en vers 1^ réponses
des oracles; HéracMét et PéteUiéét,
tous deux historiens; Lncilius, de Tar»
rha, auteur d'un commentaire sur V^r*
gonixutiqwB d'Apollonius de Rhodes ; en*
fin le eâèbt« philosophe soeptit^ue yEné*
aidévhey de Cnossos > eui a écrit hait
iivns de D(itmr$ pyrrhoniens^
Dans les arts la Crète andenbe oc*
cupe un rang plus distingué que dans
les lettres. L'art dans cette île remonte
aux temps fabuleux, li se lie étreite*
Ma-
LlTHIVJEttâ.
mentaux légendes merveilleuse» de rage
héroïque. De là son caractère tout rdi*
sieux. Dédale en est l'inventeur et comme
ra personnification; c'est à lui que les
Grmîs rapportaient non-seulement tous
les monuments réels ou imaginaires
auxquels se rattachaient quelques-unes
de leurs landes primitives, mais même
les ouvrages d'art qu'on trouvait dans
Itle aux temps historiques.
« Dédale était Athénien d'origine , et
de la famille des Érechthéides , car il était
fils de Métion , petit*fils d'fiupalame, et
arrière -petit -fils d'Érechthée. Dédale
surpassa par ses talents tous les hommes.
Il s'appliqua surtout à l'architecture, à
la sculpture et à l'art de travailler les
pierres. Inventeur de plusieurs instru-
ments utiles dans les arts, il construisit
des ouvrages admirables dans beaucoup
de pays de la terre (I). » Il visita l'Egypte,
et le plus beau des propylées du temple
de Vulcain, à Memphjs, passait pour
son ouvrage, a Ce monument lui acquit
tant de gloire, que l'on plaçiai dans ce
même temple sa statue, faite de ses pro-
pres mains. Enfin, son habileté et ses in-
ventions furent si renommées qu'on lui
a rendu les honneurs divins ; et on mon-
tre encore aujourd'hui , dans une des
Iles situées en face de Memphis, un
temple de Dédale, en grande vénération
dans le pays (3). • Une oaralt pas dou-
teux que Dédale n'ait étuaié les procédés
de l'art égyptien ; mais il les perfectionna
en les imitant. L'art chez lui se rap-
proche davantage de la nature; c'est en-
core Tart égyptien, mais déjà vivifié par
le génie grec Chez les Ëgyptiens mt
subit l'iniiuenoe de rimmâ)ilité des ins-
titutions. Leurs statues manquaient de
souplesse et de grâce; la vie, que l'artiste
grec sut si bien faire circuler dans les
veines du marbre, ne les animait pas.
« Les statues de Dédale, au contraire,
étaient tout à fait semblables à des êtres
animés; elles voyaient, elles marchaient,
en un mot elles avaient tout le maintien
d'un corps vivant. Le premier il avait
fait des statues ayant les veux ouverts,
les jambes écartées, [les bras étendus;
car avant lui les sculpteurs représen-
taient leurs statues ayant les yeux fermés
(i)Diod.,IV,76.
(a) Diod., I, 97.
et les bras pendants el toSUs au 06-
tés (l). » •
£xilé d'Athènes par suite d'un meur-
tre. Dédale se réfîi^ en Crète, où sa
grande renommée lui acquit l'amitié du
roi Minos. Cest dans cette île qu'il exé-
cuta ses j^lus fameux ouvrages : la va-
che de bois au moyen de laquelle Pasi-
phaé put avoir commerce avec le tau-
reau aont elle était devenue amoureuse;
et le labyrinthe dans lequel fut oileraié
le Minotaure, monstre né de cette union.
Suivant Diodore (2)', Dédale construi-
sit ce labyrinthe sur le modèle de celui
d'Egypte. Mais déjà du temps de cet his-
torien cet édifice avait entièrement dis-
paru. Hoeck(3) veut qu'il n'ait jamais
existé, et que ce prétendu labyrinthe
n'ait été autre chose qu'une de ces grot-
tes creusées par la nature dans les pro-
fondeurs des rochers , demeures souter-
raines des premiers habitants de l'He,
s'il faut en croire la tradition. Tel fat
l'antrede l'Ida, où les Curetés cachèrent
et nourrirent Jupiter enfant. Quoi ou'il
en soit, la Êible ou Minotaure a renon le
labyrinthe de Crète aussi célèbre que ce-
lui de l'É^pte. Des voyageurs moder-
nes l'ont visité (4). Voici la description
au'endonneSavar3r. « Lechemio qui con-
duit à ce lieu mémorable est rude et
escarpé; il nous fallut monter i>endant
près d'une heure. Enfin nous arrivâmes
a l'entrée. Nous avions apporté le fil
d'Ariane , c'est-à-dire une ficelle de qua-
tre cents toises de long, que nous atta-
châmes à la porte, ^ous y plaçâmes
deux janissaires pour la garder et avec
défense de laisser entrer personne. L'ou-
verture du labyrinthe est naturelle et
peu large. Quand on s'est un peu avancé
dans l'intérieur, on trouve un grand es-
pace parsemé de grosses pierres , et cou-
vert aune voûte plate taillée daos Fàiais-
seur de la montagne. Pour se oonouire
dans ce lieu ténébreux, chacun de nous
tenait un gros flambeau. Deux Grecs
portaient le peloton de ficelle, qu'ils dé-
roulaient ou ployaient suivant les cir-
constances/ r^ous nous égarâmes d'a-
bord dans diverses allées sans issue, et
(f)Diod.,IV, 7«.
(a) Oiod., I, 97 et 61.
(3) Hoeck, Kreta, 1. 1, p. 56.
<4) Belon Tournefort, Pokocke, elc.
ILE DECRETE
(m
illUIiit rerenir sur nos pas. Enfin, nous
trooTâmes le eanal véritable : il est à
droite en entrant; on y monte par nn
sentier étroit , et Ton est oblisé dy ram*
per sur les pieds et les mains l'espace de
cent pas, parée que la vodte est extré*
moment basse. Au bout de ce conduit
étroit le plafond s'exhaussa tout à cou(>,
et nous pûmes marcher debout. Au mi<
lieu des ténèbres épaisses qui nous envi-
ronnaient, des routes nombreuses qui
s'écartaient de chaque côté et se croi-
saient en différents sens , les deux Grecs
que nous avions loués tremblaient de
frayeur. La sueur déeoutait de leur
front, et ils ne voulaient pas avancer,
à moins que nous ne fussions à leur
téCe.
« L.es allées que nous parcourions
étaient ordinairement hautes de sept à
huit pieds. Leur largeur variait depuis
six jusqu'à dix, et quelquefois davantage.
Tontes sont taillées au ciseau dans le
rocher, dont les pierres, d'un gris sale,
sont posées par couches horizontales.
En quelques endroits de grands blocs
de ces pierres, à moitié détachés de la
voûte , semblent prêts à tomber. 11 fal-
lait se baisser pour passer dessous, au ris-
que d'être écrasé par leur chute. Les
tremblements déterre, très -fréquents
dans l'île, ont sans doute causé ces dé-
gâts.
« Nous errions ainsi dans ce dédale,
dont nous cherchions à connaître toutes
les sinuosités; lorsque nous anons par-
couru une allée, nous entrions dans une
autre. Souvent nons étions arrêtés par
un cul-de-sae. Quelquefois, après de
longs détours , nous étions étonnés de
nous trouver au carrefour d'où nous
étions partis. Alors nous avions em-
brassé a?ec notre corde une grande
étendue de rocher; il fallait la replier et
revenir sur nos pas. il n'est pas pos-
sible de décrire combien ces routes sont
multipliéœ et tortueuses. Les unes for-
ment des courbes qui conduisent insen-
siblement à un grand vide soutenu par
d'énormes piliers , et d'où partent trois
ou quatre rues qui mènent à des lieux
opposés. D'autres, après de longs cir-
cmts, se divisent en plusieurs rameaux.
Celles-ci se prolongent fort loin, et,
terminées par le rocher, obligent le
voyageur de retourner en arrière. Nous
raardnons avec précaution dans les re-
plis de ce vaste labyrinthe, au milieu des
ténèbres étemelles qui l'habitent, et dont
les flambeaux ont peine à percer l'obs-
curité. L'imagination y crée des fantô-
mes ; elle se figure des précipices creu-
sés sous les pas du curieux, des monstres
placés en sentinelle, en un mot mille
chimères qui n'existent pas
« Après nous être promenés pendant
longtemps dans l'antre épouvantable du
Blinotaure, nous arrivâmes à l'extrémité
de l'allée qu'avait suivie Toumefort.
Nousy trouvâmesunegrandesalle, ornée
de chiffres, dont les plus anciens ne re-
montent pas au delà du quatorzième
siècle. Une autre, à peu près sembla-
ble, est à droite. Chacune peut avoir
vingt -Iquatre à trente pieds en carré.
Nous avions déployé presque toute notre
ficelle pour y arriver, c'est-à-dire parcou-
ru environ quatre cents toises. Je ne pa^
lerai pas dés excursions diversesque nous
fimes. Nous.restâmes trois heures dans le
labyrinthe, et nous ne cessâmes de mar-
cher, sans pouvoir nous flatter d'avrâ
tout vu. Je crois qu'il serait impossible
à un homme d'en sortir, s'il y était aban-
donné sans fil et sans flambeau. Il s'é-
garerait dans mille détours. L'horreur
u lieu , l'épaisseur des ténèbres, porte-
rait la frayeur dans son âme , et il péri-
rait misérablement (1). »
Revenons à Dédale. Son nom do-
mine toute l'histoire de l'art en Crète;
il appartient à cette île par ses ouvrages.
Tous ceux que mentionne Pausanias, si
Ton excepte la statue d'Hercule, à Tbè-
bes , et celle de Trophonius, à Lébadée,
furent exécutés par lui en Crète. On cite
particulièrement la statue de Brltomar-
tis à Olûs, celle d'Athénée à Cnossos,
enfin une statue de Vénus qu'Ariane em-
Sorta en suivant Thésée, et dont celui-ci
t don au temple d'Apollon, à Délos.
On attribue encore à Dédale la construc-
tion d'un temple consacré au culte de
Britomartis. Enfin on le fait l'inventeur
des différents instruments et outils em«
ployés dans l'exécution de ces sortes
d'ouvrages : tels que la scie, la hache ,
la sonde, le foret, et même la colle et
le ciment (2).
(i)SavarY, Lettres sur la Grèce, p. ao^a 1 3,
(a) Uoeck , Kreta, t. III, p. 3^i et tuiv.
STO
LirniVERS.
Mtts ifWM Aip dit plue h«yt qyt
Tart duiB la premièn périoda dé boo
AétHiloppemeiit était tritaliire de la
ratiaion ; ii le fot enoore loiMtempai Uil
siècia avant Phidiaa, rinnoeoce rali»
^raae domioail encore doea la atetnaire»
Durant tout aa premier ége^ Tart gret
le aymIioHse en qudmie aorte dana le
nona de Dédale. Nombre de atatuea éêê
lemM poBlérieurB lui aont attribuées ;
at il eat conaidéré eoonme le mattrâ
oottuimn de toua lea artiatea. C'eat ainai
que D^ce^lo^et Sc^iU$y qui fécurent
fera le mlifeu du aixième aiècle avant
J>G., passaient pour iea élèfasv Tom
deux étaient Gfétois. Suivant Pline, ito
fiit^tieapMniiers qui ulUérent le mer*
bie. Ambraeie , AtgOs et Giéotie étaient
rempliea de taurs atatues. Ils eurent
autM de ubmbfeut élèvea, parmi lea*
quels ou eite partieutièfement Anglim
et T^eMsee» Lea edmirablea buatea
d'ApoHoii Déllen, tenant les trois
Gréées dâua ea maiti > aottt attribués k
cae derttiera. Eiiésim, u/Mn toute appa*
fén<9e leur eontemporain, ftii paiement,
suivant la tradition ^ formé par Dédale^
Né ft Athènes , il suivit son mettre eu
Crète; Parmi M statue» t>n dte uiie MU
nerve en ivoire, ^ui ee voyait à Aléa^
en Arcadie. A la même école apparte»
naieut encore Chirù9&phx>i et Arisf»»'
clés. Ce dernier était né à Gydottitt^ L*é>
pem^ où il vécut est incertaine; on sait
seuieme&t que de son temps Zande uli»
vaft pàs encore rscu le nom de Memne;
il fleurit donc nvêut la eecw^uée guents
de MéBséfiie.
L'architectttVè paraît avoir produit
moins de noms (célèbres que la sta^
tdaiire ; mais elle Ait illusMè par un clle^
d*«»tlvl^. thèfiiphiyin ée Cnossos , el
M^a^tt^, son fils, cotosttiifsitent le
temple de Di&fte è Éphè^, sur les ptt)^
poHiohs de l\>rdre ioblquè. L^antiqui^
admirs cet édiftce , qui fut um des isept
rtfefyHHes dû mondé (l).
(ÛMntnè les deux afht dont tttms te>
m)iis de parler , la musique èl la daftsè
se mt&èhaSètit Moltement au cdlie%
Leur origine élaR toute religieuse : ells
remoutail aux Curètes. Oéux^ci, comme
nous Tavons vu , imaginèrent de fohnef
autour de l'antre où ils cachaient le petit
lupiter^ des efaaaun brufams, pour
en^iécber le voraee Gitmoa d'aQlewt
les vaaiaaeBMQts de l'Snfint Ui îMli*
tuèrent une aorte dedanae arasée, éoHt
Tusage s'est conservé daba la Grêla do'
rlenne. La iidte jouait égalenaent «a
rdie important dans le eulta de Zms.
Mais bleu que la danse et la tumique i
ostte époque reeulée ne manquaiact
ni de cadenee ni d'harmonie^ c<les nt
méritant le nom d'arts que lonqea
Thalétas eut inventé le rhfthme créMs.
Thalétaa, deOortyne, éuit comenpe*
rain de Lyeurgue, qui t puidant son aé*
Kur en Grète^ ae fit instruire juar taii du
Is de Mines. « C'était un poète lyriqee;
inais eouB le eouvert de la poésie M
remplissait , au fond , la charge d*ua
excellent législateur» Ses odes étalent
autant d'eihortatiens à l'obéiasonee et à
la concorde ) soutenues du nombre et de
Tharmottie, pleines à la fois de gratiié
et de éharmeS) et qui adoucissaient îMia-
aiblement les esprits des ayditeurs,
leur inspiraient l'amour du bien, et
faisaient cesset les haines qui les divi-
saient <1). * La tradition attribue à b
Ijrre de Thatétas eue puisaataee meneil-
ieuae. Appelé à Laoedémono^ d'apièi
un oracle d'Apolloa Pythien^ fi arrêts
bar ses accords enchanteurs les ravagit
de la peste qui désolait cette viNe. Peut*
être ne faut-il voir ici qu'une allégorie.
Sparte, vers rSpoque où Ljrcurgike en-
ufeurit de fixer aa oanstitutioD) était
pleine de troubles, comme les riHes *
la Grète. La lyie de Thalâ» aurait-eUe
sxereé sur les esprits è Laoédémone h
mémeinflueoce que dans cette Me? St
teette conjecture ne parait pas trop ha-
Saidée^ if ne serait pas sans tnsérêt de
raupreeher Thalétas d'Éphné^kle, ap-
pelé à Athènes dans des dreonstanoai
semblables , et m^parant tes voies à fls^
Ion, comme Thalétas les prépara i Ly-
liiutgtte.
De la religion la musique et le daase
devaient eécessaûrement passer dsB
rédocatiou et dans les fasMttides doies
tiques. Les Grétois étaient panfeotiète*
Aient passionnés peur la datiBe* Les plus
DObles îiy livraiettt avec tfdeUr. Lesja»-
flies gens xsôMbsiitaieftit SUEM eux ea daa^
saut. Celte datisê mHfMPè appelée Pft»
(t)rimiVe, Hb. Ilt;Mh)e, VIÎ, 5^»
^i) rtlt., P^e île tjrt^
ILB IMS dàÉTE.
Cfl
rhique, et ébi^ï nous avMê d^fi parïé à
pro))osaesGtirète9,q<iinnTMtèfeQt, s'eâl
conservée dans les tetiijps modernes, ehet
les Sphakbtes.
IT.
l'île de CBSTS ^ENDÀNt Lti MOYËlï
AGE ET LES TEMPS MODSANfiS. ,
La Crète est parftii le^ Mes gteequDS
ime de celles qui ont eu le plus de eelé-
brité pendant le tout» du moyeâ âge»,
son étendue, ses Hchesses natureltes , sa
position intermédiaire entre ritalle et
\lexandirte, alofs entrepôt du eommete»
je rorieut, eh tttùt de bonkie heure
la proie d&è Sarrasins, et la désignèreut
)i Fambition des Génois, des Yénitiens et
les Turcs.
riENNft. — C est à saint PaUl que re*
nonte la prédication de TËvangite dani^
?ette tle. Se rendant à Rome, le saint
ipôtre aborda en Crète, y fit quel(}uea
conversions, et laissa son disciple Titus
lUx nouveaux Bdèies, en lui enjoignant
le continuer son oeuvre et de donner
les évéques aux diverses cités; Tadmi*
lislration des premiers préiats fut heu^
-e use, (st Philippe, successeur de Titus,
parvint h dètt)urner les persécution^ et
ï garder son troupeau contre Thérésle.
^pendant un de Ses successeurs, Cyriile,
'ut mis h mort dans la persécutibn dé
r^èce ou dans celle de Dioclétien; éaûvé
les flammes par un premier mirade, il
}ut plus tard là tête tranchée (1). Le siège
Tiétropolitain de Crète fut établi à Oo^
y ne; par la suite un grand nombre de
ailles , Gnosse, Hiérapetra, Arcade oU
\.rcadié, Fappâ, Pliœnix, fiéraclée,
5ubrite, Apolionië, Éleutheme, Cher-
ionèse, Cyaonle (la Canée), Cissame et
înfm t^antane devinrent sièges suf-
ragants.
COMBtk]^CÊMÉ?i¥ Dés iNCtRStOirS
iJÉiAôBS EN CnÈTÈ. — H n'est guèr%
luestion de rttè de Crètê dans les troid
)reiln1ers sièdes du moyen âgé* soumise
I Tautorité d'un gouverneur impérial ,
îlhs Amnistiait H «apniÈe de ce maître
)resque absolu, et de loin en l9tii éprow-
(x) Lequien, Ôr, ÙkrisU, ï. Il, col. a6Qt. Cf.
Haminius Cornelins, Cr«t€t Sacra, Ven., T755,
i voly in-4**. 1. 1^ p. xaS, ig^.
vait Ui «ôliM-ooyp des qnenllei Mi^
gieuses de Constalitiiiopl«. CasiAliiii
que sous Constantin y CopronynM^ èon
gouverneur, Théophane Lardai^rei pMt
plaire à l*émpereur, se distingua entn
tous les courtisans par ses eruamés en^
V«r8 les catholiques (i).^ats dès le pm»
mier siècle de rhégire elle ne put ëohapi'
per aux ravages des Sarrasins. En 698,
pendant le grand siège de Constantinopte
par Moat iah , sous Constantin IV , deux
Arabes, Abd-Allah^ fils deCaïs, et Ph»^
datas, firent une incursion en Crète,
et y séjournèrent tout Thiver. En n6)
Sous Anastase , un dief eélèbre exer^
de grands ravages sur les edteê dé V\Hs
H peut-être même s'empam d'une partie
de son territoire.
GÈAttl) ËtAnttlssÉKfeiti: DÉS Mt>
stJLttAtvs. -^ C'est vers %26 que Ttle de
Crète tomba t>our un long espace de
tiBmps au pouvoir des Musulmans. Lés
Sarrasins a'Ëspagnë , mettant à profit tefc
troubles que la rébellion de Thomas
avait excita dans l'empire^ armèrent
vingt vaisseaux, et, sous la conduite
d*ADouhafe Omar (2), ravagèrent sons
obstacle les GydadeS. et de là passèrent
en Crète. Séduits par la beauté du climat
et la fertilité du territoire, ils résolurent
de s'y fixer; on rapporte même ique I^
chef musulman, ravi d'admiration a Tas-
pectde ces riantes campagnes, crut voir,
en descendant sur le nvage , la terre dé-
licieux où coûte h lait et le miel et que
Mahomet promet à ses croyants. Toute-
fois, cette année, 824, Abouhai^se borna
à exercer quelqui&s ravages, puis il re*
tourna en Espagne cherener^u renfort.
Uannée suivante il revint, et , pour fixer
irrévocablement ses soldats sur cette
terre, il brûla ses vaisseaux, et établit sur
la côte un camp fortifié. Midiel II tentii
de disputer aux Sarrasins leur conquête ;
Phoiîn, grand écuyer et commandant
des armées d'Orient, fût chargé, de con-
cert avec Damien, d'arracher la Crèt» à
Ses envahisseurs ; mais les déUît géné-
raux furent battus. DamièU pérft, et
Photin , ô^échappant presque seul , allia
• (i) Lébeau» édit. I^aini-Martib , t. 1.11,
p. a63.
(a) Zonare, liv. XV, t. II, p. iSg; Cedre-
nus, t. II, p. 5oH ; t)e]gi!ilènes, wst, des Huntf
\. i, p. Sa8.
§n
LUiqvcits^
{Hwteff lai-méme à GoDStautinopte la
nouvelle de son désastre.
Oaigine du nom db Candie. —Les
vainqueurs, campés d*afoord sur le rivage
oœiaental, songèrent à fonder un éâ-
l>lisseinent durable. Ils choisirent, d'a-
Arès les indications d*un habitant de
rile, un lieu sur le bord de la mer, qu'ils
entourèrent d'un vaste retranchement,
en arabe handak; la ville qui s'éleva
sur cet emplacement conserva ce nom,
^ui s'est modi6é en celui de Candie et
plus tard s'est étendu à l'Ile entière (1).
De ce Ueu ils s'emparèrent de tout le
pays voisin, et bientôt vingt-neuf villes
furent en leur pouvoir; une seule, que
l'histoire ne nomme pas , se défendit du
pillage , et en se soumettant conserva
aes usages et l'exerdce de la foi chré-
tienne. Partout ailleurs le mahoniétisme
fut établi , les églises furent converties
en mosquées, et la plupart des habitants,
peuple Ignorant et grossier, embrassè-
jrent la religion des vainqueurs. Parmi
ceux qui persistèrent dans leur croyance
on cite le saint prélat Cyrille ; pour la
deuxième fois un évoque de ce nom su-
bit le martyre en Crète (2); aussi le nom
de saint Cyrille est-il resté longtemps
dans une vénération singulière parmi les
liabitants de File.
Nouvelles TEriTATivEs de Mi-
chel Il POUB BEPBENDBE LA CbÈTE.
— Basile, successeur de Cyrille au siège
épiscopal, s'enfuit à Constantinople, et
fiihorta l'empereur à ne pas laisser une
possession aussi considérable que la Crète
au pouvoir des infidèles. Michel II envoya
une nouvelle armée, portée par une flotte
de soixantë'-dlx vaisseaux, sous les ordres
de Cratère, gouverneur de Cibyre. Le
débarquement fut heureux; le général
grec fut même vainqueur dans une
sanglante bataille. Mais il ne sut pas
profiter de son succès; il laissa son ar-
mée passer la nuit en réjouissances. A la
faveur du désordre, les Sarrasins firent
Irruption dans le camp des Grecs , tail-
lèrent l'armée en pièces , prirent le gé-
néral , qui d'abord s'était échappé , le
mirent en croix , et pendant cent trente-
cinq ans, jusqu'à Romain Porphyro^é-
nète, la Crète resta en leur pouvoir,
(i^ Gedrenus, t. II, p. Sog.
(a)Lequien, Orient Christ,, t. II, co). 363.
Elle devîntcomme le centre des pirateries
arabes; un proverbe du temps de Cons-
tantin Porpbyrogénète témoigne com-
bien les Sarrasins l'avaient naidue re-
doutable ; on disait :Jil y a trois méchants
happas (K) : la Cappadoce, la Crète et b
Gilicie (1). C'est aussi à la dominatioii
musulmane qu^on doit de ne pas voir
figurer la Crète dans le livre des thèmes
de cet empereur grec.
Suite db la doiunation dss Sas-
KASiNS. — Parmi les expéditions da
Sarrasins de Crète, on signale une des-
cente et des ravages en Thrace, et leur
grande victoire maritiroeprès deTbasos
sous le règne de Théophile, à rannée
831 (2). Dix ans plus tard, une nouveUe
tentative des Grecs pour recouvrer cette
tie échoua encore. L'impératrice Théo-
dora entreprit d'illustrer sa régence par
le recouvrement de la Crète. Dans h
deuxième année du r^e de son ib
Michel III , elle fit équiper une flotte
nombreuse; mais les ruses des Sarra-
sins et les troubles de la cour de Coqs-
tantinople firent échouer cette expédi-
tion (3). A cette époque les Musulmans
couraient la Méditerranée en tous sens.
£n 881 , sous Basile, après la conquête
de Syracuse par les Sarrasins dUtalîe,
Sael , émir de Crète , envoya un de ses
meilleurs capitaines, Phot, avec vingt-
sept vaisseaux et un srand nombre de
navires légers, ravager!' ArchipNd et me-
nacer Constantinople; mais oette flotte
fut défaite et presque entièrement dé-
truite par le feu grégeois. Le même chef
musulman subît une seconde dâEaite as
golfe de Corintlie (4). Ces revers n^em-
péchèrent pas les Sarrasins de oontiouer
leurs incursions sur les côtes de la Grèce
et de l'Asie , et en 958 ils repoussèreot
une tentative de l'empereur Constan-
tin VIT sur leur île. Un Paphlagonien,
qui ne devait son élévation qu'à de
basses intri^es, Constantin Gongyle.
avait été mis à la tête de Fexiiédîtioo,
que son incurie et son incapacité firait
écliouer entièrement (5). Cependant le
(i) Consl. Forpbyrogéoète,
C III, p. ai.
(a) Lebeau, t. XIII, p. 93.
(3) Lebeau, t. XIII, p. 169.
(4)îd., p. 3i4-3i5.
(5) Lebean,t. XIT^p. 34.*
Nieb«kr.
ILE DE CRÈTE.
i67t
terme de la dominattoB Arabe appfo»
chait : deux années pins tard, soua ie
i^ne de Rofflain II , if icéphore Phoeai,
depuis emperenr, et alors run des meil-
leurs géniaux de l'empire, résolut de
leur arracher la Crète.
PÎICBPHOAB BBPKJIN]> h^lhR BB CrÀ-
TB AUX Sarrasins. ^ Le générai
grec eut d*abord à triompher du mau*
vais vouloir des ministres de l'empereur
et de la crainte qu'inspirait le peu de
succès des préoéoentes tentatives. Dès
que son avis eut prévalu dans le conseil,
il hâta ses préparatifs ; leur grandeur
montre quelle crainte on avait des Sar-
rasins Cretois dans tout Tempire : des
troupes furent réunies d'Asie, ae Thrace,
de Macédoine ; on fit même venir des
auxiliaires de Russie et d'Esclavonie, et
une flotte considérable se rassembla au
port d'Épbèse. Les musulmans, effrayés,
prirent mal leurs mesures de défense;
ils n*empéchèrent pas le débarquement,
et furent battus; Nicéohore marcha aus-
i|it6t vers leur capitale, Candie. Quel-
aues-uns des descendants ^es anciens
chrétien^ vinrent le joindre ; il forma
autour de la ville un vaste camp re-
tranché, et pressa le si^e. L'émir arabe,
Curupe, tenta d*abora de se défendre
par ses propres ressources, et battit
raéme un corps ennemi commandé par
un des meilleurs chefs grecs, Nicéphore
Pastilas , qui périt dans le combat. Mais
enfermé dans la ville, réduit presque à
l'extrémité, il recourut à l'assistance des
Sarrasins d'Espagne et d'Afrique. Ce
fut en vain; ceux-ci abandonnèrent les
Cretois à leur mauvaise fortune. Néan-
moins, comme Candie était dans une
très-forte position, Nicéphore convertit
le siège en blocus , après avoir vaincu et
massacré une armée arabe qui, de Tin*
térieur de l'tle, s'apprêtait à secourir la
ville. Le blocus dura dix mois, et les
ieux armées eurent à soulfrir d'une
^aode disette de vivres; les Sarrasins
surtout furent maltraités par la famine.
Enfin, malgré leur courage ils furent con-
traints de céder dans un assaut décisif
de Farmée grecque. La plupart furent
massacrés , et les richesses qu'un siècle
et demi de pillage avait entassées dans
la ville devinrent la proie de leurs enne-
mis. Nicéphore fit raser les murs de
Candie construisit sur une hauteur voi-
sine une feneveëse qui la tint en reepeel,
et ne quitta File qu'après nne entière
soumission de tontes les villes Cretoi-
ses, 961 (1). De retour à Constantinople,
Nicéphore fut accueilli comme l'un des
plus fermes soutiens de l'empire, et la
joie fut universelle. L'empereur reçut
honorablement l'émir Curupe , que tout
son courage n'avait pu sauver, et il en«
voya en Crète un moine arménien ^ Ni-
con, pour ramener les habitants an
christianisme.
L'iLB DE CbÀTS jusqu'à l'ÉPOQUB
DE LA DOMINATIOn YBNITIBIIIIB. — -
La eonouéte de Nicéphore Phoeas ie>
plaça rtle de Crète sous la domination
grecque jusqu'à l'époque de la quatrième
croisade. Sous le règned' Alexis Comnène
elle se révolta; deux Cretois, Carycas et
Rliapsomate, avaient soulevé l'un une
partie de la Crète, l'autre l'île de Chypre.
Jean Ducas prit la route de la Crâe. A
son arrivée llle était soumise : les Cre-
tois restés fidèles à l'empereur s'étaient
réunis contre le rebelle, et l'avalent mas*
sacré (2).
A l'épioque de la quatrième croisade,
lorsque les Francs et les Vénitiens se
partagèrent l'empire Grec, Candie fàt
assignîée à Boniface , marquis de Mont-
ferrât et roi de Thessalonique. Par une
convention du 12 août 1204, il l'échan-
gea avec les Vénitiens contre des terres
{>lus rapprochées de sa capitale, et cette
le devint la possession la plus importante
de la répuoliqne dans la Mediterra*
née (3).
Tentatives DES Génois et de Mabc
Saivudo, duc de l'Abchipel, sue
Candie. — Les Vénitiens ne conser-
vèrent pas cette tie sans contestations.
Les Génois, jaloux de leur puissance, et
désirant leur enlever un poste si avanta-
geux pour ie commerce du Levant, ga-
gnèrent quelques Candiotes, et les portè-
rent à la rébellion ; puis ils envoyèrent
le capitaine Veterani et un marin Pierre
Maille, sumonuné le Pécheur, depuis
(x) Lebeau, t. XtV, p. 43- 5o. On peut
consulter sur cette guerre importante de Crète
Hn poëme en cinq chanU, dédié i Nicéphore ,
par Théodore le Diacre.
(a) Anne Comnène , liv. IX.
(3) Ducange, Bût. de Const, saas les «m-
pereurs fronçait , I. I,'ch. xxi, p. 7.
êfé
I/UtfI?BElS*
4M«t6 da MaillM, qui aVinpavèniil é'iiB
fiort de 111e, n^j fortifièrent, et p«r dee
«pomesses et ai» préeeata comuiiiiifent
M prinoifiaux ehefe grecs. Lei Véiii*
tieni pnrent dans une emhuaeade Vete-
faal, et la peaditeBl; aa fat la sip^ud
d'une inauivactian générala dana l'île.
A eeMa na^Talle, la sénat dépêcha un
«ouaeau oons de Ironpaa, aqua la aom*
«laqdemaBtdeTapulo, qui Ait le pteoiiar
akieda Candie. Tepule, ne se juMfint pas
assez fort pour apaiser la lévâne, ima*
gina da recoufir à MafaSanado, anâen
aujet da la vépubliqne, qui s^était vécem*
Aient établi à Maies avee le titre de due
da r Archipel. Sanudo intervint; les Vé*
Bitiens le re^rent avee empressement,
•t rintreduinrent dana la capitale da
rtla; mats la duc de Naxos traita seerè*
tansent avee Pierre Maille , a'angageaat
à conquérir 111e et à la partager avec
fiênea, qui devait sa réaarver la partie
oeddantale et lui garantir la poasessian
du resta. Cette intngue, favoriaée par un
OraededistiDotion, Sevaste, réuasit dans
Candie : les soldats vénitiens forent en
grand nombre masaaorés, etTepulo seré-
nigia dans Retimo, où il eût m forpéilé
napituler, sans le secours inattendu d'un
^Mirps d*armée, envoyé de Venise, sous la
eom mandement de Dominique Quirini.
Tapulo reprit Toffensive, força Sanndo
à lever la siège de Retimo, et, profitant
de la négligence de sea adversaires,
a'empara d'une porte , mal gardée , de
Candie. La ville entière fut reprise,
l^.tienneSanudo, frère de Marc, fait pri*
Bonnier; Pierre de Maitloc ne s'échappa
que diffioilement avec ses galères gé«
noises, et lUe entière rentra sous la
puissance des Vénitiens (t).
LlsVsiflTlBNSBIlTOFEIfTVNI GOLO*
«IB À Ca.n]>ib.— Mais de nouvelles Intri-
gues de la part des Génois et les résistant
eea locales que les Vénitiens éprouvèrent
dans tout le cours du treizième siècle
déterminèrent le sénat de la république
à envoyer une colonie chea les Candie*
tes. Pour qu'un nombre suffisant de Vé-
nitien» prtt part à c^tte émigration, on
offrit aux colons le$ plu9 grands avau<<
tages .Cinq cent quarante familles sa
transportèrent à Candie, Dès leur arri^
• (i) Le p. aaoger, ffht, noupeik des atKttns
Ducs de^fAwck'tpelf Paris, 1698, p. i/i-aa.
-vée en les mil en poaaêsskn éle cent
trente*deux fiefti de naubert on «d^vi*
leries et de quatre^sent huit flefe d'é-
euyers. A la tête de la colonie, «n étebUt
un due pour représenter le doge. Il éta%
élu tous les ans par le grand eenseit de
Venise, et asrialé, comme lui , nar deux
conseillers supérieurs. De inone qal
Venise , çn voyait à Candie des jv^
detproprio, lea açigneurç de la nuit,
eeuxde la paix, le petit conaeil ou sei>
gneurte, le grand chancelier, et le grand
conseil, qui; comme à Venise , fï^t dé-
claré noMe et héréditaire. Aussi « lon-
qu^en 1669 )a ville de Candie fut prw
par Iqs. Turcs, et e|ue I9 colonie m es-
levée à la ré|mbliquey les membres de
ee conseil , rappelés dans l^ mé^ôpole,
forent considérés comme nV ayant pas
perdu leurs drpits héréditaires; tons les
nobles Candiotes ftirent déelaris nobles
vénitiens et inscrits en cette raalî^ sar
le Livre d'Or (1).
SUITB nn IL4 nOMTIf iTfOR ^ vi-
KiTiBifNB, — La colonisation de Can-
die doubla pour Venise l'impoitsmce de
cette lie ; elle devint le centre des opéra-
tions maritimes contre les O«ofe.
Marco Ruzzini, amiral vénitien, prit, à
la hauteur de Négrepont, neuf galères
chargées de marchandises, et les condui-
sit à Candie; mais le commandant de b
flotte génoise, Filinplpo Doria, le pour-
suivit jusque dans Iç port de cette ville,
en força l'entrée, et reprit ses vaisseaux,
en IS.^0. En 18^2, Pisani, an^iral véni-
tien, ayant encombré les hôpitaux dr
Candie des malades et des blessés de sa
dernière campagne^ gne peste terrible
sévit dans l'Ile , et ac communiqua aoi
▼aisseaux du Génois Paganino Doria,
qui était venu, avec une flotte, chercher
PIsani jusque sous les murs de Candie
pour le combattre (S).
La perte de Négrepont ajouta encore
à rintérêt que Venise mettait dans la
possession dfe Candie. Le successeur de
Nicolas Canale, Tamiral Pierre Moeé*
nigo, Y concentra les forc^ vénitiennes
pour tenter qne entreprise sur Ptle de
(1} Ce paMape «$t emproaté à Tifût, da
ttép, ItaL d? Sismondi , t II , p« 399 , qui t
sqtvi presqu*uDiqueinent/« Livr€ des Cotisa-
tutions Fénidennes de Vellor Sandi.
(a) Sismondi , t. IV, p. i6a-i63.
iLB DE cutrrE.
m
CàiffÊ^ en 14rs, M^ maître de Mleosiei
y liitrodiùfit uae gavoison et un grand
nonibrid'archerserétoi8,qui, à eetteépo*
que, conservaient eneore leur aneienne
vépntation d'hièUeté. En 1474, le sultan
Mahomet II fit pour prendre Gandiedes
préparatifs considérables ; mais eette
elpedttion Ait détoovnée de son but et
enaployée au siège de la ville de Gaffa,
^e les Génois possédaient en Grimée.
PBBHinBES TBNTATIYBS SBBISD*
BBS DES TDBOS OONTBB CàNBIB. -««
Candie résista à toutes les entreprises
des Turosjosque vers le milieu du dix-sep-
tième siècle. £n t044, sous le règne du
faible Ibrahim , le grand vizir, 1 entre*
prenant Méhémet- Pacha, résolut d'arra*
«her cette tie à la domination vénitienne.
Le premier prétexte nue prit le ministre
pour renouveler les nostilités oontre la
république fut une agression des ehe<^
valiers de Malte oontre une flotte turv
que. Il fit aux Vénitiens un srief de ee
que les vaisseaux de Tordre étaient ve-
nus mouiller avee leur capture sur les
notes de Candie, et, sans déclaration de
guerre ouverte, il rassembla dans tous
les ports musulmans une flotte et une
armée considérables. De son oété, la ré-
publique lit armer une escadre de vingt*
trois galères à Candie, et ordonna d*y ras*
eembler les miliees de 111e et de rétablir
parmi elles la discipline, désorganisée
par une longue paix. La flotte formida-
Dle réunie par Méhémet-Paeha parut se
diriger sur Malte ou la Sioile; mais lors*
qu'elle fut à hauteur de Candie, le mir
nistre turc fit arrêter à Oonstantinople
le balle de Venise, et déroula unesérie de
prétendus griefs que Tempire ottoman
avait contre la république. On ignorait en*
oore cette arrestation à Venise lorsque Ton
apprit que le 24 juin 1645 les cinquante
mille soldats que portait la flotte musuif
mane , commandée par le capitan-pacha
Jussuf, avaient pris terre ô la pointe occi-
dentale de nie, près de La Canée, et
qu*aussitét après leur débarquemenf
Ils s'étaient emparés du fort Saint-Théo-
dore, Tun des postes importants de cette
r^fon. Le capitan-pacha établit soe^
quartier général à Casal-Galata , et vint
mettre le si^e devant la Canée , place
en assez mauvais état, où le gouverneur
avait Jeté à la hâte quelques mille hom-
niea dies nouvelles recrues.
ÉYAT BB Vitn, — Véld qnefle était
alors la situation militaire de Plie : on y
comptait sept points flMrtiflés, tous sur
la edte septentrionale. Les Grabqses
étalent des châteaux situés dans les fles
qulteuehenl le oap le plus occidental;
ensuite, en eetoyaat la mer, on iTouvçtt.
La Canée , en ee moment Investie par les
fbrees turoues. Tout près de La utinée,
au fbnd d un golfe qui s*avance beau*
eouB dans les terres, était le port de la
Suda. C'était le que se trouvaient le^
farces vénitiennes, con^rposées de vingt
et quelques galères et de treiae vais-
seaux, sous les ordres d'Antoine Capella.
Cet amiral, stationné à quelques lieues
de l'armée turquCt ne pouvait ni enga-
ger le oombat contre des forces bien su-
périeures en nombre, ni se Jeter dans
La Canée, où il eut couru le risque d'être
bloqué et de rendre sa flotte inutile.
Plus loin vers Test était Retimo, puis
Candie, capitale de llle, et résidence du
gouverneur Antoine Cornaro , qui ras»
semblait à la hâte quelques moyens de
défense. Vis-à-vis le port de Candie , à
cinq ou six lieues en mer, était la petite
tle de Standia (Dia), poste avancé et bon
mouillage surtout pour les gros vais-
seaux. A l'est de Candie, à l'extrémité
d^un cap, la forteresse de Spina-Longa
s^avancait au loin dans la mer : enfln, h
la pointe orientale de l'île étaient la place
et le port de Settia. On voit que le gou
verneur militaire et l'amiral étaient tro
Soignés Pun de Tautre, et pouvaient di
flcilement faire concourir leurs efforts
pour la défense de Tlle. De plus, le peu-
ple était en général peu affectionné à la
république, qui depuis quelque temps
evait augmenté les tmpéts et rendu ^
domination vexatolre.
Pbisb db Lk Caniés. — Cependant
le capitan-pacha avait vivement pressa
La Canée, et s'était emparé de cette place
après un slé^ de cinquante-sept Jours.
Les assiégés avaient déplo^ une cons-
tance et un courage h toute épreuve ; le
17 août 1645 eut Heu l'assaut générai.
Les débris de la garnison chrétienne
soutinrent encore sur la brèche un der-
nier combat de sept heures ; enfin elle
capitula, et sortit de la place le 32 avee
permission de rejoindre les forces véni-
tiennes dans le port de La Suda. Cette con-
quête livrait aux Turcs 800 pièces de ca*
p
«79
L^UHIVEBS.
noD Y et leur donnait un point d'appni
pour leur armée, répandue dans llie, et
un port où ils pouvaient (aire venir des
hommes et des munitions. Mais on dit
3u'ils avaient perdu vingt miiie soldats
ans ce seul siège. De son côté, Venise
feisait les plus grands efforts pour sauver
nie, si fortement menacée : le clergé
accordait une partie de ses revenus, les
dignités du putriciat étaient livrées aux
simples citoyens en échange de dons pé-
cuniaires, lie commandant de la flotte,
Capello, do la capacité n*inspîrait pas
assez de confiance, fut remplacé par
Jérôme Morosini. Le nouvel amiral re-
St le titre de généralissime. 11 ravitailla
L Suda, ordonna à tout ce qu'il y avait
de bâtiments dansPUe de le rejoindre,
et à la tête d'une flotte de cent vaisseaux
Rrovoqua les ennemis à une bataille,
lais diverses circonstances empêchèrent
cette bataille d'avoir lieu. Les alliés des
Vénitiens se retirèrent dans leurs ports
S Dur y passer l'hiver; de son côte, la
otte turque regagna Constantinople,
et la campagne de 1645 se termina de la
sorte, tout à fait à l'avantage des mu-
sulmans : ils s'étaient rendus maîtres de
l'une des places fortes de l'tle, et l'île en*
tière était menacée.
DiVBBS BYBNBMSNTS PBNDANTLB8
DBUX ANNBBS SUIYARTBS. — LCS Cam-
pagnes de 1646 et 1647- n'eurent rien
de décisif; cependant elles se termi-
nèrent à l'avantase des Turcs plutôt
Îu'à celui des Vénitiens. Jérôme et
liomas Morosini bloquèrent inutile-
ment La Canée et firent une croisière sans
résultat dans les Dardanelles. Jean Ca-
pello, nommé à son tour généralissime^
ne sut rien entreprendre de décisif,* et
les Turcs commencèrent, malgré sa pré-
sence, à investir les places de Retimo et
de La Suda. La France envoya un secours
de neuf vaisseaux à la république, qui, en
échange de ce bon ofnce , inscrivit le
cardinal Mazarin sur le livre de la no-
blesse; mais Capello ne profita pas de ce
renfor. Il fut rappelé et mis en accusa-
tion. Son successeur, l'amiral Grimani.
soutint une suite de combats heureux k
Négrepont, àChio, à Mitylène; mais les
Turcs, £avorisés par quelques coups de
vent, ravitaillèrent deux fois La Canée.
Au commencement de 1648, Tamiral
Crimani périt dans une affreuse tempête.
SuifitsombieiPvingMinltdes
6 la république. Son sucoessenr, Léo-
nard Monoenigo, concentra ses força
autour de l'île, mais ne put entraver les
progrès des ennemis et le ravitaiHemeflt
constant de La Canée et de Retimo, doot
ils venaient de ^'emparer.
COHKBNGBMBNT DU SIBGBDlCiS-
j>iB. — Au commencement de 164S les
Turcs furent assez forts pour mettre k
siège devant la capitale de Itle. Une li-
gne de circonvallation entoura la plan,
et la tranchée fut ouverte. Les Tara se
montrèrent fort pressants dans les pie^
miers temps de ce sié^ mémorable, qoi
devait durer plus de vingt années. Trois
assauts consécutifs fnrent livrés par le
capitan*pacha Yussuf; maris le braie
Moncenigo opposa la plus courage
résistance. On dit que vingt mille Tuns
périrent devant la place pendant les sn
premiers mois du siège ; te pacha fot n*
duit à se fortifier dans son camp pour
attendre des raiforts. Un effort de plas,
vingt mille hommes débarqués dans lUe,
et, a ce moment. Candie ponvaitétie
sauvée. Mais Venise hésita; Taviide
cesser une guerre dispendieuse et (f a-
bandonner la colonie tut ouvert et dis-
cuté dans le sénat; il y edt prévalosi
on n'eût appris que le sultan Ibrabi»
venait d'être déposé, puis étranrié. U
nouvelle cour ne se montra pas nron-
ble à la paix et aux demandes que fireot
les Vénitiens d'une cessation des hosti-
lités et d'une restitution des prises réci-
proques ; cependant le courage et les es-
pérances de la république furent relevés
par l'annonce d'une grande victoire na-
vale remportée par ses vaisseaux sor les
Turcs dans la rade de Foschia, l'an-
cienne Phocée, à l'embouchure de ^He^
mus. Une armée turque était toujours,
pendant ces diverses opérations, campée
devant Candie, et poussait vivement le
siège. Les chrétiens défendaient de lear
côté la ville avec intrépidité; un ménf
bastion fut pris et repris jusqu'à qua^
fois : les ouvrages étaient aussitôt roi^
que construits et recommencés <^e oé^
traits. LesTurcsetlesVénitiensmioaiçot
la terre chacun de leur côté ; il vm
souvent qu'une mine fit explosioD au nu-
lieu d'un combat acharné. Les Véoitieos
soutenaient uneguerre si active au miuen
des plus cruelles privations; roaislagv'
njEUE CRETE.
6n
aifen de' Candie était bien insuffiâïinte
pour repousser les assiégeants. Les
Turcs s'âaîent étendus jusqu'à Textré-
mité orientale de l'Ile, et commençaient
Je siège de Settia. Dans ees conjonctures,
le sénat de la république prit la résolu-
tion de transporter la guerre au cœur
des pays ennemis, et de détruire les
forces de la Turquie dans les Darda-
nelles.
Batahxbs ràtalbs bt vigtoi-
BBS BBS YÉRiTiBiis. — L'cxécution de
oe hardi projet fax confiée à Ri?a, le
▼ainqneur de Foschia, et au génâralid-
sûne Moncooijgo. Riva gardait les Dar*
danellesl; il laissa passer la flotte enne-
mie. Honeenigo atteignit le capitan-pa«
cha à Paros, lui prit dix vaisseaux, dont
l'im portait soixante canons, en brûla
cinq, et fit 4 à 5000 prisonniers. Par cette
Tictoire les Yénitiais devenaient maîtres
de rArchipel. Mais les dâ>ris de la
flotte turque se jetèrent encore dans La
Ganée . et y dénarquèrent des secours.
Bfalgré sa victoire, le généralissime fut
remplacé par Pierre Fosoolo. Lorsque ce
nouveau cnef arriva à Candie, la misère
et les privations avaient jeté le désor-
dre dans quelques corjps d'armée; il eut
à réprimer une sédition des Albanais,
qui menaçaient, si leur solde n'était
augmentée*, de livrer aux ennemis deux
bastions dont la garde leur avait été
confiée. Aussitôt après avoir augmenté
les moyens de défense de Candie, Fos-
colo se mit sur mer à la poursuite du
capitan-pacha, qu'il força à se réfugier
à Rhodes après avoir perdu quelques
▼aisseaux.
SUITB BU SIÉGB. — MONGBNIOO
BEPBBND LB GOMMANDBXBNT. — LcS
années 1663 et 1053 se passèrent sans
événements décisifs; Moncenieo fut de
nouveau mis à la tête de toutes les forces
de la république dans l'Archipel. L'année
suivante, huit vaisseaux vémtiens, com*
mandés par l'amiral Joseph Delphine,
soutinrent contre toute la flotte turque
le plus disproportionné et le plus glo-
rieux combet de toute cette guerre. Us
ne se rendirent pas, mais ils sombrèrent
ou sautèrent tous, à l'exception du bâti-
ment amiral, qui échappa après des pro-
diges de valeur. L'in^alité des forces
était trop grande entre Venise, épuisée
d'hommes et d'argent, et la Porte, qui
87* Uvraisan, ( Ilb db db Cbbtb.
chaque année pouvait venouv^r ses
vaisseaux et ses soldats. La républi-
que demanda à tous les États des se-
cours : à la France, à FEspagne , à
Gromwell, alors protecteur de 1 Angle-
terre, au pape et même au grand-duc de
Moscovie. Tous se bornèrent pour le mo-
ment à des voeux stériles. Sur ces entro-
iaites le brave Monceni^ mourut ; il eut
S»ur successeur par intérim François
orosini, dont cette guerre a illustre le
nom.
YlGTOIBBS If AYALfiS DBS VbnITIBNS
BN 1055, 1050 BT 1067. — Les YénitiensL
remportèrent trois grandes victoires au
passage des Dardanelles; Lazare Mon-
ceniço, frère du généralissime qui
venait de mourir, prit aux Turcs trois
vaisseaux, en brûla onze, en coula neuf
à fond après un combat de six heures.
Le 30 juin 1050, le même général avait,
au même endroit, tué aux Turcs dix mille
hommes, leur avait fait cinq mille pri-
sonniers, et s'était emparé de quatre-
vingts bâtiments. La république n'avait
Serau que quatre vaisseaux dans ces
eux grandes batailles. Le vainqueur
des Dardanelles fut désigné pour rem-
placer définitivement son frère. En 1057
il remporta aux Dardanelles une troi-
sième victoire, aussi complète que les aiu*
très ; mais un affreux accident, l'incendie
du vaisseau amiral, etla mortdel'amlral
Moncenigo même arrêtèrent de nouveau
les succès de la république, dont les vic-
toires restèrent sans résultats; Candie
était moins pressée depjois ces dernières
campagnes, mais elle était toujours as-
siégée, et le sort de l'tle entière dépen-
dait de sa résistance.
• SbCOUBS BRYOYBS PAB la FBAJIfGB
9T LA Sayoib. — De nouveaux efforts
furent faits par la république, et de
nouvelles prières furent adressées aux
puissances chrétiennes pour obtenir des
secours* La France accorda en 1000 qua-
tre mille hommes ; le duc de Savoie four-
nit aux Vénitiens deux régiments com-
mandés par le marquis de Ville, habile
homme de guerre; néanmoins les opéra-
tions tratnSentencore ea longueur pen-
dant quelques années. En 1005 un coup
de mam fut inutilement tenté sur La Gak
née ; les troupes, fatiguées par une traver-
sée lon^e et pénible et incommodées par
une ploie battantCi furent repoussées ; le
) 37
578
I/UniVERS*
malais <le ¥ill6 petékt milfion quatre
eents hommes, et eondaisit son armée
dans un camp retranché , sous le canon
de la place de Candie. Après afoir essayé
inutilement pendant quelques mois de te-
nir la campagne, cette petite troupe fat
forcée de se retirer à l*iu>ri des fortifica-
tions, mai 1666.
Là eVEBBB DB CANDIB DBVIEIfl!
PLUS ACTIVE, 1667.— Les TttTes,lasde6
longueurs du siège deCtindie, lésolurent
de leur c6té de terminer la guerre en re-
doublant d'activité. Le grand-vizir Kiu-
pergli vint en personne prendre le eonn
mandement de Tarmée musulmane; de
leur côté , les Vénitiens rendirent le titre
de eénéraVissime à François MorosInL
Quelques tentatives deconeiliatton entre
enise et la Porte avaient déjà eu lieu
dans les années précédentes ; les négo*
dations recommencèrent avant ces der-
nières et décisives campagnes, mais elles
n'aboutirent à aucun résultat. Les hos-
tilités ne.tardèrent pas à recoramenoer,
et Tarmée assiégeante se trouva portée à
quarante mille combattants et huit mille
pionniers; dans la suite elle s'éleva jus*
qu'à soixante-dix mille hommes.
La ville assi^ée n'avait que neuf milla
défenseurs; François Morosini, venant
prendre en personne la direction de»
opérations militaires , y amena environ
trois mille hommes encore. Il avait sous
lui le marquis de Ville, les provéditeurs
Bernard Nani, Donato, Pisani, tous les
grands noms de la ré|)ublique, le prové-
diteur des vivres, Justiniani, et quelques
volontaires illustres, Spar commandant
dePinfanterie auxiliaire, le chevalier
d'Harcourt et MM. de Maisonneuve,
Langeron, Montausier, de Oanges.
L'enceinte de la ville, flanquée de sept
bastions, était très-forte. Les fossés
étaient laides et profonds; il j avait sur
les remparts plus de quatre cents ca-
nons, et^dans la ville des munitiOBB
considérables de guerre et de bouche.
Opébations du shIgb. -* Le 29
mai 1667 le grand- vizir vint étiiblir son
quartier général devant la place; son
artillerie lançait des boulets de plus de
cent livre», ses canons étaient les plus
gros au*on eât encore vus en Europe;
il fit laire des lignes parallèles dans ses
tranchées, et il ne se passa phis un jour
qui ne fût marqué par quelque eatsra*-
ptùiédeB assiégeais et cmelqiit «Mnbil
meurtrier. De part et d antre ^ les tra-
vaux se firent avec une incroyable acti-
vité. Morosini avait élaMi son toj^mest
sur un bastion ; de ce point il douinait
l'attaque et veillait à la défense; du 33
mai au 18 novembre il y eut vingt-deux
assauts, dix-sept sorties , et de part et
d'autre la mine joua six cent ifix-lrait lois.
La garnison perdit dans cette campagne
(piatre cents officiers, trois ibilto deux
cents soldats; Parmée Ottenrane eut
vingt mille hommes tués (1).
* Des deux côtés la fatine était ei-
tréme; la peste régnait ckms le camp
des Turcs; la saison des pluies ralentit
K^ur quelques mois les nostilMs. Les
usulmans mirent ce temps à profit poor
réparer leurs pertes et faire venir de
nouveaux secours; ks assiégés DaisaieBt
des prodiges de valeur, et supportaiest
sans se plaindre tous les travaux et toii'
tes les misères , mais il ne kar veaait pas
de renforts. L'Europe assistait à eetts
grande lutte avec une curiosité hmé^
et égoïste; seulement» quelques braves
seigneurs, comme le mMquisdeLa Fewl*
lade, vinrent mettre leurépée aa sernei
de la république vénitienne.
Pbo&bès pn siBOB. «<- Lee Tores
étaient maîtres d'un bastios; ils entre»
prirent un travail immense, qjoi consis-
tait à élever un m6le à rentrée dn port
pour en battra la passe et pour foudroyer
la ville, assez fafble de ce côté. Ga in«e
temps le vizir, qui savait que sHI était re*
nou»é il serait mis à mort.par le snltaB,
nt donntf àla place trtNsassaatsooasécu»
tifs. Dans l'un d'eux, il perdit deux mills
hommes. Les dangers oe la ville s'aug-
mentaient chaque jour; lesalliéadeVé»
nise avaient peu de bonne vol<Mité , et ss
retiraient avant la fia de la eampagne ; les
jeunes Français amenés par M. de Ls
Feuillade voiàttrent faire «ne sortie et
commettre au hasard <f un eonîbfl^ tout ls
reste de la gnme. MorosÎBi sV opposa
prudemment; ils risquèrent néamiioias
cet exploit téméraire, et après des predi*
gesde courage ils rentrèrent ay»it pcsdo
(i) Mémoires de Ducros , PhtKbcrt Jarry
et autres témoins oculai.res càé$ par Bi. Dots
dans son Bhstoire de P^énisâ^ d*oti 9»Qt ti-
rés teu» les matértaox de ee récit, t. TV
u xxjun, p. szs^jS^,
ILË Dfi CRÈTE.
W9
un erand nombre des leurs, parmi les-
quels les comtes deVillemor, de Tavan-
nes, un jeune fils du marquis de Féne-
lon. Cet exploit, au moins aussi inutile
que brlflant , réduisit à presque lien le
secours amené par le due de La Feuil-
lade ; les débris de cette troupe se rem-
barquèrent peu de jours après.
Louis XIV ENTOIB Ulf SBCOUBS BB
SIX 11 iLLB HOHMBS. — Oïl était au oom*
mencement de l'année 1609 : les dé«
fenseurs. de Candie étaient épuisés , et
cependant ils persistaient dans leur hé-
roïque résistance; les Vénitiens tentèrem
auprès des cours étrangères un suprême
effort. Un parent de Morosini intéressa
Louis XIV au sort des chrétiens qui se
défendaient si héroïquement contre les
infidèles. Le grand roi se laissa toucher,
et fit partir, aussitôt après Farrivée du
duc de La Feuillade à Toulon, douze ré-
giments d'infanterie, trois cents chevaux
et un détachement de sa garde, en tout
six mille hommes sur vingt-sept bâti-
ments escortés par quinze vaisseaux de
guerre. De son coté, le pape Clément IX
suppiima plusieurs couvents sur le ter-
ritoire de la république, et permit de
vendre leurs biens pour en appliquer le
produit au service de TAtat. Une partie
du trésor de Saint-Marc reçut la même
destination, et une grande flotte véni-
tienne put ravitailler la place et y jeter
une nouvelle garnison. Morosini et le
provéditeur Cornaro donnaient l'exem-
ple du plus pur patriotisme ; ils s^étaient
dépouillés de toute leur fortune person-
nelle pour payer les soldats. Ce fut au
milieu de ces circonstances que, le 19
juin 1669, la flotte française, sous les or-
dres du duc de Beaufort, l'ancien roi des
HaUes, débarqua ses troupes de t^re
commandées par le duc de Navailles.
SOfiTIB HA.LHBUREU8B DBS FBAN-
CAis. — Cette fois encore , comme avec
fe duc de La FeuilMe, les Français nui-
sirent eux-mêmes au succès de l'expé-
dition par leur imprudence et leur cou-
rage présomptueux. La plupart des
troupes furent débarquées de nuit ; les
mousquetaires voulurent attendre le
jour pour passer sons les batteries des
Turcs , témérité n^eurtrière pour eux et
tout à fait inutile. Morosini avait prié
les chefs de l'expédition de s'employer
pour iaire une diversion du côté de La
Canée, afin d'y atlârer iea Tuics et de
laissée la garnison Mbre d*agir de sou
côté. Ces avis, dictés par rexperienoe, ne
ftifent pas écoutés. Les nouveaux hôtes
entrèrent dans la ville, et voulurent faire
une sortie dès le lendemain. Rien n'était
prêt pour oette onératioD; Morosini es-
saya vainement de les détourner de ce
d^ein. Il fut foroé de les laisser faire.
Le 25 juin, les Français, ayant à leur téta
les deux che& de l'expédition, Navailles
et Beaufort, un Choiseul , un Castellaiie
et un Colhert, se précipitant sur un eorpa
de troupes qu'ils aperçoivent dans Tom-
hue ; c'était un détaohement d'Allemands
2ui était sorti pour les appuyer. Revenus,
e oette méprise , ils ae jettent dans le
lefranchement, que les Turcs abandon-
nent; mai» quelques barils de poudre sau-
tent. LesPrafljfaiseKHentmarohersurun
terrain miné ; ils s'^ffirayent, la confusion
se met dans les rangs , la panique et la
déroute deviennent génétales. Alors les
Turcs reviennent au combat, foudroient
et massacrent le troupe française, dont
les débris rentrent avec peine dana les
murs; cinq cents hommes avaient péri,
parmi lesquels le duo de Beaufort.
Lbub dbpaht. — Découragé par ce
revers, que lui seul avait eansé par acm
imprudence, le duo de Navailles résolut
de quitter IHIe. Vainement Morosini le
supplia de ne pas déserter un poste que
sans lui il deviendrait impossible de dé-
fendre ; vainement il invoaua des rai-
80B»d'bonneur et déloyauté, et leckraé
et toute la garnison mâèrent leur» prie*
ves aux signes ,^Navailie8 quitta Caîndie
le 21 août. Tout ce qui n'était pas véni*
tien fit comme les Français ; Allemands,
Maltais, Italiens, ils partirent tous, sans
même laisser à Mowsini trois mille hom-
mes qu'il demandait pour prolonger.sa
défense jusqu'à Phiver.
ÉTAT BB CAnniB. — La place n'é-
tait plus qu'un monceau de ruines , dé-
fendue par quatre mille habitants et une
r lignée de nraves qui avaient survécu
69 assauts, 80 sorties, et à l'explosion
de 2,000 mines; dO,000 chrétiens , plus
de 100,000 Turcs avaient péri devant la
place. Morosini, bien que sans pouvoirs
pour traiter de la part de la répubèique,
préféra s'exposer aux accusations & sa
patrie, souvent injuste et jalouse, plutét
que de laisser périr dans un dernier as»
37.*
580
L'UWIVERS.
saut les quelques soldats qui lui res-
taient, et de tout perdre par une opiniâ-
treté inutile.
MOBOSINI CAPITULE. — II eU^OJà
un émissaire à Kiupergli pour eonvenir
d'un traité de paix. Les pourparlers du-
rèrent du 38 août au 6 septembre 1669;
la fermeté du généralissime et son cou-
race imposaient tellement aux ennemis,
qirils lui accordèrent des conditions
avantaceuses pour Venise, dans une
place démantelée et sans défenseurs , dont
un assaut las eût infEÛlliblement rendus
maîtres. U fut convenu que les Vénitiens
abandonneraient Candie , et il leur fut
accordé douze jours pour leur embar-
quement; ils emportaient leurs armes,
à Texception de I artillerie de siège ; les
halntants étaient libres d'aocom^a^er
la garnison; File devait appartenir a la
Turquie ; les Vénitiens y conserveraient
trois ports : Les Grabuses, Spina Longa
et La Snda. avec les îles qui en dépens
dent. La république devait garder, en
échanse de cette cession, ses conquêtes
en DaTmatie et en Bosnie.
Abandon db Candis par les Vé-
nitiens, STPEBTE des TBOIS POBTS. —
Le traité conclu par Morosini fut accueilli
avec mécontentement à Venise, mais
ratifié, vu l'impossibilité de continuer
la guerre. Ces conditions étaient d'ail-
leurs les plus honorables qu'on pût obte-
nir, et Acfamet K.iupergli ne les avait ac-
cordées qu'à cause de son estime (person-
nelle pour Morosini; quinze bâtiments
et unequarantainede chaloupes transpor-
tèrent les Vénitiens Candiotes ainsi que
les restes de la gainis<m. La fortune s'a-
charna contre ces malheureux; assaillis
par une tempête et jetés sur la côte d'A-
nique, ils périrent on devinrent esclaves
dans les États barilMires^ues.
Venise se montra moins généreuse que
le sultan envers le héros du siège de
Candie ; Mahomet avait offert à Morosini
un présent, que celui-ci refusa. U se
trouva dans le sénat un accusateur, qui
fit mettre le général en jugement pour
avoir traité sans autorisation préalable.
Morosini eût été condamné si les éven-
tualités d'une guerre nouvelle n'eussent
rendu ses services nécessaires. A ce
siège , le plus mémorable dont il soit fait
mention en Europe dans une loi^pie
série de sièdes, Venise avait sacnfiè
sa puissance. La cnerre de CandOe avait
coûté à la république 126,000,000 de
ducats, sa dette s'était accrue de
64,000,000.
Venise ne conserva pas lonotami^ ks
points que le traité de 1669 lui laissait
dans Tue; Les Grabuses furent livrés
aux Turcs avant la fin du dix-a^tième
siècle par la trahison de son gouverneur,
qui reçut en échange une tonne de se-
âuins ; puis des traités partiealiers abao-
onnèrent aux musulmans SudaâSpina-
Longa, dans le commencement du siècle
suivant.
ÉTAT DE lIlB sous I.A. DOMI-
NATION YÉNITIBNNE. — Yenisc avait
possédé la Crète pendant Feqnce ds
{>rès de cinq sièdes; nous avons vu que
e gouvernement, constîtaé à l'image
même de celui de la république vém-
ti^ne, était composé d'un due «ssisié
de deux conseillers supérieusa, d'na
grand, d'un petit conseil et de toute b
iérarchie judiciaire de la mélropolf.
Cette périoue de la domination véoi-
tienne fut pour l'tle l'épo^e de sa plos
grande prospérité; l'agricoltore y fut
encouragée , et la Crète approTîsionoa
de blé Venise, comme autrefois elle en
avait fourni Rome ; son commeree pro-
fitait, sous la protection de Venise, ài
monopole des transactions entre.IXhiait
et l'Occident; quelques VMca ferrées,
en petit nombre, mais les seules que
111e possède encore aujourd'hui , furent
construites; des ponts, souvent d'une
architecture hardie , furent Jetés sur ks
torrents que l'hiv» grossit et fait dé-
border ; enfin , outre la capitale et les
villes diocésaines, la Crète comptait
neuf cent quatre-vingt-seise villag»
florissants.
Malgré les éléments de prospérité que
Venise avait apportés à la Crète , die
n'y avait pas sans peine établi, pois main-
tenu son autorité. Les montagoanis et
la partie occidentale de Itle s*étaieat
surtout distingués par leur longoe ré-
sistance.
Les Sphakiotbs sous lbs domi-
nations YBNITIBNNB ET TUBQOE. —
Retirés dans les gorges de la longue
chaîne de montages a laquelle aon as-
pect neigeux a tait donner le nom de
monts Blancs, et qui se termine pur ks
caps Buso et de Spada, ces hardis in-
ILE DE CaBTE.
«81
nhing, appdte flpbtkioM« do nom de
leur bourgs Sphidua, avaiem bravé pen-
dant plot d'un sièele les forces que Ve*
Bîae ne œisall de diriger contre eux , et
leur loonie résistance avait déterminé
renvoi os eette colonie qui rattacha
eompléteBient Candie à la république.
Mais alors même ils refusèrent de se
mêler aux nouveaux arrivants , et évi«
lèrent le contact des Vénitiens, comme
autrefois ils avaient fiii celui des Grecs
et des Sarrasins. A la longue , leur ré-
sistance cessa; mais ils continuèrent à
se livrer à la piraterie, avec Tautonsation
des magistrats vénitiens', qui se bor-
naient à entretenir chez eux un inspec-
teur, et les traitaient avec les plus
grands'égards (i).
La domination turque les trouva tels,
et ne changea rien à leurs habitudes;
ils continûment à vivre dans leurs mon-
tagnes, à parler un dialecte plus voisin
de la langue primitive que le reste des
Candiotes, à vivre de pirateries, de
chasse et de la vente de quelques fro-
mages faits du lait de leurs chèvres.
Lorsque le voyamur Belon les visita ,
ils étaient les meilleurs archers de Tlle.
Plus tard ils se servirent du fusil avec la
même habileté; et à la fin du dix-hui-
tième^siècle on retrouvait encore chez
eux la pyrrhique, cette vieille danse de
la Grèce particulièrement en honneur
cbes les Curèles (2). Revêtus d'une robe
coartcserrés par une ceinture, les jambes
prises dans de longues bottnies , un car-
quois plein de flèches sur l'épaule , un
arc dans la main, une épée au côté, on
les voyait s'élancer en trois mesures,
tantôt seuls; tantôt deux à deux, se
poursuivant, se rejoignant, se formant
en cerde et accompagnant la cadence de
leurs pas du choc de leurs épées contre
leurs boucliers.
Longtemps les Sphakiotes échappè-
rent au earach^ contribution imposée
par les Turcs au reste de 111e; mais
vers 177e les musulmans semèrent
parmi eux la division, et les attaquèrent
sous prétexte qu'ils voulaient livrer 111e
aux Eusses. Comme toujours, ils eussent
dans leurs montagnes,
<t |i JlTIll
(t) Bappcr, Deseript. é»$ Ilêtde l'Jrehi*
peî, p. 4io, 434, 455.
(s) Sa^ary, Litirtê uar ta 6rie«, p. 309.
si, pendant que les hommes oombat-
taieot courageusement, les jeunes gens,
séduits par lel présents de leurs ennemis,
ne les eussent eux-mêmes introduits par
des sentiers détournés sur les sommets
de leurs montagnes; des villages furent
détruits, beaucoup d'habitants massa-
crés. Les femmeset lies en&uts, emmenés
en captivité, furent vendus.comme es-
claves dans les différentes' parties de
l'empire turc.
État obnbral db lIi^b sous lbs
TUECS. — Les Turcs ont introduit avec
eux dans les pays dont ils se sont suc-
eessivemeot emparés le désordre, l'ar-
bitraire et les vexations de toute nature.
Les Candiotes, qui avaient subi impa-
tiemment le joug de Venise, essavèrent à
I^nsiears reprises d'échapper a la ty-
rannie turque. Descruautés impitoyables
comprimaient les moindres soulève-
ments ; et la j[K)pulation était livrée sans
défènse«aux msultes d'une milice insu-
bordonnée, qui parfois n'épargnait pas
ses propres chefs. C'est ainsi qu'en 1688
le gouverneur de lUe, SouNFikar-Pacha«
fut massacré par les soldats révoltés ft).
La plupart du temps le pacha, satisfait
de détourner sur une population Inof-
fensive la turbulence de ses troupes, en-
courageait tous les excès an lieu de les
punir. D'ailleurs, comme le gouverne-
ment de Candie était l'un des plus im-
portants et des plus lucratifii de I empire,
il était confié à des Èivoris du sultan, qui
ne devaient leur élévation qu'à l'intrigue,
et qui, pour en tirer le meilleur parti
possible, pressuraient les habitants. Par-
fois un acte* de justice, venu de la Porte,
atteignait le coupable quand les exactioas
étaient trop criantes; c'est ainsi qu'en
1728 le defterdar de Candie, Osman-
Effendi, fut mis à mort pour avoir dé-
sorganisé par ses déprédations le service
des fermages, et plus encore pouic avoir
falsifié quatre firmans et contrefait les
«sas de la chancellerie et Jusqu'au chif-
fre du sultaiu(3). Mais un châtiment
isolé ne remédrait pas à la misère des
populations; et alors même qu'un des
premiers ioQctionn9ires était puni , la
tyrannie individuelle des musulmans
(i) De Hammer, BiU. de rXmp. Otimâm,
t. XII, p. 357.
(9) Hammer, t. XIY, p. 909.
5dl
ltlNlVKfe&,
sur les chrétiens était sans bornes. Si
un Turc désirait la fille d*un Grec, il
épiait le moment de la sarpreûdre hors
de la maison paternelle, et l'emmenait
de force sans que la famille eût aucttrt
recours sur le ravisseur. Au commen-
cement de ce siècle, Famiral ParsevaU
Beschénes, reçu à La Canée dans une
famille juive, apprit que, par erainte
des Turcs, les femoies n'étaient pas sor-
ties de la maison depuis dix-huit ans.
Vers 1780 il était encore interdit aux
Grecs, à l'exception de l'archevéâue,
d'entrer à cheval dans les villes. L'évéque
de La Canée brava un jonr cette pres-
cription ; les Janissaires qui gardaient la
fOTie par laquelle il entra se crurent
msultés : ils ameutèrent la soldatesque ,
racontèrent leur affront , et résolurent
de brûler l'évéque avec tous les prêtres.
Déjà ils passaient à l'exécution de ce des-
sein, quand le pacha intervint, et calma
lès janissaires par la publication d'un
flrman qui interdisait à tout Grec, de
((uelqùe état qui! fût, de coucher dans
les murs de La Canée. La déf^se fût
rigoureusement observée. Tous les soirs
les malheureux sortaient par la porte de
Retimo, et allaient chercher un asile dans
là caitipagne; ceux qui ne pouvaient pas
louer line chambre n^avaient d'autre re-
fbge que la terre ou le creux des rochers.
Les femmes iseules restèrent dans la
ville) les Toh» voulurent bien faire
cette etception en leur faveur (1). Sous
tant d'oppression, la culture fut aban-
donnée, le cothmçrce cessa, partout la
liiisère Succéda à Topulence ; les popula-
tions iPàvitirent; la lèpre fit des victimes
nombreuses paritli les Grecs pauvres
des plaines, réduits jpar le délaissement
du sol à se noun'ir (folives , de poisson
salé et de fromage; puis la destruction
des lazarets établis par les Vénitiens
pour faire quarantaine pel'mit à la peste
de s'introduire, et ce fléau, favorise par
le climat tempéré de l'île, parcourait leâ
provinces et y exerçait Quelquefois ses
ravages pendant dix-huit mois de suite.
GotJTBRIIf EMfitVT TtJBG ET ADMINIS-
^BATION RELIGIEUSE. — LeSUltSU éta-
blit en Crète trois pachas; à Candie, à La
Canée, et à Retimo. Le premier, à trois
qMQes, était une sorte oe vioe^roi, su-
iririeiir a« dem aMet;il a«iitriHpie>
tion des fortt et dasarscoan , nMmii
aux emplois militaires, et désigaaii )m
beys cbai^ du «nivemeiMiit dn è-
verses places de 111e. Au-dessoiis do
beys il y avait un ehfttelaia et trois ofli*
ciers généraux, pour l'artillerie, la a-
Valérie et les janissaires. Dana leeoBSèU
du padia entraient un kyaia, ministit
^nérai des affaires et oea srâM, le
janissaire^ga , ceioneft §éaérai dei trou
pes , chargé prineipaletnent de la Dolice,
deux topi-baehi (eoonnandaats o'aitii-
lerie), un defterdar , trésorier géBcnl,
un garde du trésor ioipériai et ks pre-
miers ofilders de ramée. Le poum
du sérasquler^tfha était abeolu, et ses
décisions prises dans ee eooaeîi niii-
taire ne comportaient pas d'appel. Les
gBoa de loi étaient le maphti , chef su-
prême de la religion, et le eadi : le pre-
mier interprétait les lois qui regarseat
le partage des biens entre les eaftnts,
les successions, les mariages, et prs-
nonçatt sur tout ce qui ooneeme le ht
musulman ; le cadl reiaévail les déeian-
tions, les plaintes « les donations des
particuliers et Jugeait les différents. Les
gouvernements de La Caaéeet deRetiaM)
étaient constitués sur le modète deedui
de Candie. En 1786 les garniaons tB^
ques de ces trois places se montaient à
eliviron qcdnze mille honnnea : la popa-
lation musulmane de 111e était a peu
près de deux cent mille âmes; les Ones.
dont le nombre diminuait oftuoM an-
née dans une proportion eeiisidcrable,
n'étaient plus que cent oùigiuaite mille.
Dans les temps de sa srospOTité, la Crèie
avait compté plus d'un raillkm deox
cent mille habitants (l).Swr les eentôn-
quante mille Grées, sofxante^nq nulle
payaient le earach. Les impôts établis
sur les chrétiens étaient de dwux sortes:
un septième du produit de toote terre,
et le caraoh, on capitation, payé par les
chrétiens mâles ati^lesBas de seize ans:
cet impôt était de eânq piastres et deux
médins (dix-sept francs environ ). L'iah
p4t fi^nder pouvait se payer en natare,
soit avec du blé, du Ha ou du ootoa.
Parmi les produite Industriels, la soie
était imposée d'un médin Tonee. U
genvernement eeelésiasliqae de Candie
(i) SavàTj, Leitrég sur ia Grèce, p, »6a, (f) Ssvary, M, p. dSt-dS^.
ILBUBOariE.
m
éltit tMi CQMliUlfl I le iw#wift i»
CodBtMUtliiaple nomaiMt raroherl^iMi
eeluiHU déttéiiait ieêévéquaif d c<8der«
meift ki eoiéa des paioines* L'ardw-
véqoe , otitm Im kevemM de son dioeèM,
recevait tous les ans une aouiDie des
évéqaes, qui, pour acquitter le tribut de
leur méiropMitain au grand'aeignettr,
imposaieat iea ausona ehrétiennea de
âoq médina. Les revenus des évéques
consisiaiettt en eontributions volontai*
ras, plus une mesure de froment, de via
el d^buile; un droit était aussi prélevé
sur ehaqtte mariage. Si une ehrétienne
époasaît un Turc, elle était exelne de la
oonununion jusqu'à sa mort« et peur
obtenir le viatiqtôe elle derait renoneer
• son mah. La multiplicité des impôts
reiif^leux et de ceui i|ue les Turcs
avaient étâblin fit que^ pour en étra
exempts^ un |(rand nombre de cbrétiens
renoncèrent a leur religion ; cent vinat
ans aprds la conquête musulmane Te
nombre des renégats était considéra*
ble (1).
ÉTAT 0B LA CbÉTB. GuIUU DB
L'iiII>BPKIJ>AHQB. GOMXBIfCElIBIfTS
DB l'imbubbbction. — Lcs misèrcs
de la population Cretoise semblent avoir
radoeolé dans le eommcncement du
dix-neUTième siècle; l'oppression des
a^s était à son eomble. Les Turcs can*
dictes araientdabs tout l'empire un re«
nom de férocité qui n'était que trop
fondé* Malgré tant de misère et d'op^
probrss, les Candiotes ne participèrent
pas dès le orinGipe à l'insurrection greo*
que; TexAs même de leurs maux les
avait plongés dans une sorte d'apathie)
qu'ils ne commencèrent à secouer qu'en
juin 1691 (B). Ce mois avait été signalé
par le massacre d'une foule de chrétiens,
surtout dans la partie septentrionale de
l'ile; plusieurs ecclésiastiques avaient
été pendus , les églises avaient été pro*
fanées. Le 24 Juin un massacre presque
général dés Grecs eut lieu à La Canée, et
les barbares se crurent assez fbrts pour
exiger une dans tout le midi de l'Ue les
peuplades rendissent les amaes. Mais lé
(x>Pôcs<io1l«« Dêtitripi. éé fOtUnt, t,lT|
p. 3xa, 3<9«
(ti) Pouqueville, Régénér, de la Grice^
a^ cdit. t lU. p. 56; Bafraoel, But. cùinpl,
des Êvén, de la Grèce, t. I, p. 334- 34a.
Bsidî éttft ostta Mrtîe montagneuse que
nous avons déjà vue habitée par les
Spbakiotes; depuis 1770 ils étaient tri-
butaires de la Porte, mais jamais ils
ne s'étaient reconnus s^iets; et surtXNit
ils eussent considéré comme la plus
gnuAde honte l'abandon de leurs armes«
Pès aue les chefs de Sphakkia eonnureni
les desseins des Turcs, ils députèrent
Tcrs les Abadiotes leurs voisinsi descen*
dants des Sarrasins dès le neuvièoM
siècle, qui consentirent à s'unir à eux
contre les Turcs. Alors les deux tribus
alliées descendirent dans la plaine, au
nombre de neuf cents soldau. A cette
nouvelle, les musulmans marchèrent à
leur rencontre; ils furent battus et obli-
gés de se renfermer dans La Canée
(2 juillet 1821).
Aussitôt aue l'insurrection de Sphakia
fut connue J'îleentièrearbora l'étendard
de la croix» et courut aux armes. Un
Cretois dé noble famille, ^i avait feint
d'end)rasser le mabométisme, Kour-
moalis, se met a la tête des insurgés
de Retimo : partout les Turcs sont
battus en rase campagne et contraints
de s'enfermer dans les places fortes;
l'insurrection semblait contagieuse, les
vallées de Mirbel , de Messaria, les vil-
lages riverains de la rivière Platania
s'étaient soulevés (1). Moins d'un mois
après (les premiers troubles, les Greot
étaient maîtres de File prescne entière et
les pachas étaient bloqués oans Candie,
La Canée et Aetlmo. Ces réSulUtt éuient
dus en partie à l'activité et au courage
du jeune Cretois Antoine Mélidone.
A la nouvelle du soulèvement de
Candie, il était secouru d'Asie Mineure
à la iéte de tous les Candiol» qui s'y
trouvaient dispersés. Enhardi par les
premiers succès de rinBURe.çtiOB, 11
eon^t le projet de traverser' la panîa
septentrionale de la Crète encore gndée
f^ar les musulmans, de la sonlcYer, et
à, comme dans le midi , d'enfermer les
ennemis dans les forteresMs. Le village
de Monie fut sa première conquête, puis
la place d'Armyros , où il prit douse
eanons; Bryssina tomba encore en son
pouvoir. ARethemnajl massacreje Tuiu
Getimalis, l'un des brigands les plus fié»
roces et des plus redoutés de la contrée;
(i) Pouqaerille, id., p. 37-43«
M4
LDHIVEtS.
âeox armées ottomanM sont taillées oo
pièces à Janacari et à Mérone; une tioi*
sième Mrd toute son artillerie et ses ba-
gages a TbronoGlissidi. APhourphoura,
If élidone est surpris et enveloppé subi-
tement par l'armée du pacha de Mega*
locastron. En quelques instants il range
ses soldats en bataflie, et commence m
premier la chane; le pistolet dans une
main, le sabre dans rautre, il court ea
avant, se tient au milieu du feu , jette
par son intrépidité la confusion parmi
ras ennemis , les enfonce et les poursuit
Jusque dans Megalocastron. Le lende-
mam un détachement tore qui avait osé
sortir est massacré presque entièrement,
et deux jours après cette victoire est
suivie d'une autre. Le pacha, plein d'ad-
miration pour tantde valeoretde succès^
sollicite de Mélidone la permission de
le voir. « Dans quelques jours, répond
le Cretois, tu seras prisonnier dans
ma tente, et tu auras le loisir de me
contempler. » Ce ne fut pas une vaine
bravade : le pacha devint captif des
Grecs.
La renommée des exploits de Méli-
done s'était répandue par toute llle; il
était l'idole des populations, et son en*
tréedans les villages était, chaque jour
un triomphe. Tant d'honneurs excitè-
rent l'envie de Rhoussos, chef des Spha*
kiotes. Rhoussos voulut se défaire de
Mélidone, et lui fit savoir qu'un corps de
troupes ennemies était campé dans le
bourg d'Abadia, à deux lieues de Phour-
Ehoura. U comptait sur la témérité du
éros Créteis et sur le nombre des en-
nemis, beaucoup plus considérable <]u'il
ne l'avait &itdire. Mais Mélidone pnt si
bien ses mesures que, à la tête de trois
oents hommes, ilégcurgeapresque tout le
détechement ennemi, et revint au camp
avec trente charges de biscuit et douze
tonneaux de poudre. L'animosité de
Rhoussos ne fit que s'accroître; il convia
son adversaire a un festin: celui-ci ac-
cepta sans défiance ; insulté par le chef
Spbakiote, accusé d'ambition et de sour-
des menées, il se justifia en quelques
paroles, pleines de noblesse, adressées
aux soldats, et se retira accompagné des
aodamations des Sphakiotes mêmes,
qui lui promettaient avec serment de
combattre et de mourir pour lui. La fu-
reur de Rhoussos, abandonné des siens,
ne eoMMt plus de bévues; il Mpril 4s
vouloir une récoBcyiatifln, et, ètm l'en-
trevue, fendit la tète à Mélidrae. Le
héros mourut an miUeu des gémisse-
ments et des refpreto des soldate et de
toute la pepttlatmn erétoîse^ai espérait
en lui un luoérateor (1).
SUGCks BT XBTBB8 SES GbBGS IW
CEBTB.I APHBin»ALL08 HT TOICBAfflS.
-* Cette mort jeta laeonsteniatkm panai
les Cretois. Rhoussos , dHme intr^idiié
sauvagedans les combats, était hicapaUe
de remplacer un tel chef; les ennemiSi
toujours bloqués dans les villes fortes,
Î mouvaient être secouius et reprend»»
'avantege si on ne prassait les opén-
tions militaires. LesJCrétois reeourawt
au gouvernement général pour aveir
un chef. Un homme qui avait reoAi
quelques services à l'indéf^endaDce
grecque, Michel Comnène A^^iendsi*
los, fut envoyé de Morée. Ce noofeso
général déplut par son extérmr dif-
forme. Il torma une junte « publia en
code militeire, une formule de serment,
et adressa au peuple des prodamatkns;
mais il ne sut prendre auenoe mesoe
efficaee, et laissatrespirer les amicRÉi.
Plein d'idées ambitieuses, et lattacbaat
sa famille à la dynastie des Ommènes,
il se regardait comme le vioe-roi de la
Crète, parhmt de prâever à atm pnit
les impêta qu'avant llnsurneetiom les
musulinans avaient étebtis aor Itle , et
de réclamer le tribut des Sphakiotes.
Fatigués de ce chef, cenz-ei rmonènst
son rappel; et pour le reroplaeer deasan-
dèrent un officier firançais de distia^
tion, Baleste, qui vint acoomps^sné ds
plusieurs Philhàlèaes. Dès aoa armée,
le capitaine Baleste, apprenant que les
Tmrcs équipaient à Alexandrie une flotte
destinée à agir en Ciète, pressa le 8^
de La Canée, battit le padia de Rétiara
et le força à s'enfermer dans la ville.
Le 37 avril 1S39, il battit les Turcs sur
terre et sur mer; après les affirem dé-
sastres de Chio, if envoya un de ses
officiers dans cette tte reeneillir cens des
habitente qui avaent échappé sm nuu-
sacre général. Au milieu de mai, la
flotte ^grptienne dont la Crète avait été
longtemps menacée débarqua douie
(i) Aies. Soiilio, Bisi. de Ut RémAtL Gret^
que, f, 143-157.
iLB BB caùnTE.
nffle Tttf» dani nie* Le Mptafaiefran-
;ai8 réunit loates l66 forées des Grées»
k marcha à la reneontre des ennemis.
[1 allailreinporter ane vieloireeoniplètef
orsque Comnène Apiwndallos prit la
fuite, entratuantrarmée, déjà maîtresse
lu ehamp de bataille. Balesle périt , en
cherduint à rallier ses soldats (t).
Après sa mort tout alla mal : on lui
donna pour sueoesseor un Spartiate, qoi
n*avait ni ses talents ni son oovrage dé-
sintéressé. Un détachemeat de la flotte
^yptiemie ravitailla Rétimo;) la plaee,
jusque alors pranée virement, fat déga-
gée, la ganûson fit des sorties heoreoses,
et tous les Tores musolmansde lllere*
prirent la campagne. Libre deeeeAté, le
ebef égyptien, ismael, marcha contre Far-
mée grecque qui assiégeait Candie* Pris
à l*impro?i8te, Mano , son chef, fit une
vigoureuse résisttmoe ; mais il fut forcé
de battre en retraite, laîBsantdeux mille
hommes sur le terrain (a). Heureuse-
ment pour les Grecs de Candie, l'habile
Ismafei ftat rappelé. Les Turcs, livrés à
eux-mêmes, ne suivirent pas ses derniers
conseils ; ils abandonnèrent le plat pays,
et rentrèrent dans les places fortes. Les
Grecs reprirent TofiGuisive; Mano re*
descendit des montagnes avec une nou-
velle aimée, et recommença lesi4ge de
Rétimo. Candie fut bloquée : les Spha-
kiotes n'osèrent pas assiéger cette ville,
réputée imprenable, mais ils tentèrent
de la réduire par la famine. £n même
temps, des navires de Casos, rocher
voism de Candie , et dont les marins s'é*
talent rendus redoutables, croisaient
devant la place pour en interdire Taocès
aux vaisseauf neutres, qui à plusieurs
reprises avaient seeoumleaTurcs contre
les Grecs, et pour signaler rapproche
des forées musulmanes. Dans les pre*
miers jours d'octobre, les a£Eaires des
clurétiens étaient entièrement rétablies;
leurs armées étaient maîtresses de 111e ,
Candie, Rétimo et La Canée étaient blo*
quées par terre et par mer; si legouver*
nement central eut fait un efifort et en-
voyé de Tartillerie et des ingénieurs,
llie entière était acquise à la cause bel-
(i) Pmiqm^îBe, Régénérai, dé la Grèce,
tIII,p. 990, Sfi.
(9) Raffenel » Dêrn, trén, dé la Grèce,
tn,p. 14^149*
léttique (1). M* le ttèhe ApheiAilo»,
dont la mite avait compromis une Ma
les armes grecques et fut périr Bakale,
commandait encore. U semblait s*ap*
pUquer à ralentir les opérations die ta
guerre, et des indices presque certains
donnaient à penser qu'il était vendu an
musulmans. Pour la troisième fois les
Grecs demandèrent son remptaceasent;
le^^uveraement céda, et donna aux Cre-
tois pour les commander, avec le titre
«d'harmoste, Tombasis, d'Hydn,frèredtt
navarque, brave et dévoué comme lui.
Son arrivée releva les affûres ; au neis
defévrier 1833, La Canée entra en accom-
modement, et cette importante forleresse
eâtcapitule sans l'apparition d'une flotte
Ottomane, qui renuit l'espérance aux mh
siég^ (2)* Alors tout dédina; les Sph»>
kiotes retournèrent dans leurs villages,
pour la récolte des olives ; le siège de La
Canée lut abandonné. Cependant uns
escadre égyptienne se rendant àConstan*
tinople avait touché à Casos (S), massaeré
les habitants de œtte lie, ruiné ses villa-
ges, et se dirigeait sur la Crète. Les vais-
seaux entrèrent dans la rade de Candie
à rinsn des chrétiens, débarquèrent six
miUe hommes, auxquels se k^^nirent les
gurnisons de Rétimo et de. La Canée
Cette troupe s'avança dans les monta-
gnes. surprit trent»«ix villages , massa*
cra femmes et enfioits, brfia tout, et
reprit le chemin de ses vaisseaux après
avoir fait périr près.de vingt mille cnré-
tiens. Huit cents soldats sphakiotes,
trop faibles pour résister à l'invasion,
avaient cherné un refuge dans la vasta
grotte de Stomarambelios. Les Tures, ne
pouvant les y forcer , amassèrent à l'en*
née des matières combustibles, et les
asphyxièrent avec toute la population de
Ïdusieurs villages ; jamais Candie depuis
'insurrection, n'avait essuyé de telles
pertes. Tombasis, instruit trop tard de la
descente des ennemis, et désespérant de
ralUer les Sphakiotes, décounigés , prit
avec lui les soldats pétoponnésiens, et à
la tête de cette faible troupe courut aux
Tures, surprit un de leurs détaebementSt
et le détruisit
(x) Raffend, t. n , p. a54-ft56.
(a) Ibid^ p. 334» Ponqueville; t. IV,
p. 191.
(5) Voycs pli» haut , p. i^^
Wi^Wi
LummSé
tiens; la populatioB eotièrB éesoendifc
dM fiiMtagm», a«8aiUitl66 Turcs ëans
l«tr marche rétmsradA aur Héiimo» et
taiir tua seol mille BOiimiea. Mais eadé-
aaelre «les Mrbares Bé réparaH pas les
Eea ooneidérablta des Grecs* Tora*-
s eiH reenûs au gouverneiBeal ceiir
traU qmlm eipédia trois ixâlle faoïnmes s
aveece reniart il |Mit Irepiendreks sièges
de La €aii^ et deRétimo (1).
&CPÛITIONS XD&CO-BftYP'ElUfNBS
BN €BiiB. -^ De aoB eàték le sultan
labea Méhéntet-Aii oontte la Crète : le
paeba d'JÊgjpte fit activement de grands
ppéparatift ooatre eette île, dont la
Forte hii avait sans doute promis ie
rvemenoeat (9). Cinquante DÉtiments
transport partirent au commen*
eement de juillet des oôtss de Chypre
ponr jet^ dix mille soldats tiircs ^
eptl[ptiims sur ies rivages de Candie ; ils
ëèatent escortés par huit frégates et
fdusieurs briks, lâmael'ûibraltar était
obàraé dn oommandçment, en attendant
le fils dn viisfr-roi, Ibrlànn, qui devait
en personne présider aux opérationsi
Bour kl secondé fois^ Ismael ravagea rilot
de Cases ; puis il didiarqua sur la plage
de Rétimo. La longueur de la guerre ^
l^itemative des âueeès et des revers, Té*
EoiesMcnt des deux partis avaient ralenti
m hostilités en Crète ; l'arrivée d'Is*
omel les ranima. Ge général incorpora
dans soh arâtiée les^tioupes qui avaient
gardé Rétimo et La Onée, renouvela
E» garnisons de ces places, et, A la tête
d'eiivirmi dolize mille ftwmdoes, s'avança
à la renobBtre des Sphakiotes. Cenx-ci
oherchèrent une retraite dans leurs mon*
tagnes; Jamael lâs suivit jusqu'au pied
dû rida V s'efforcent de les séduire par
des éesissaires et de les amener à se
aoUtaetM volontûrement au vice-roi
d'Ëgy^. Cette eonduite artificieuse al^
lait avoir un plein sueeàs. Vainement
dans les délibérations dn sénat spha-
hiote vne mânorilé couragense luttait
QQBtr» la transaction avec Te ehef enne-
mi ; vainement Tombasis , indigné et
suppliant, rappelait à ses eompagnona
leurs engagements envers la Grèce ; les
Sphakiotes allaient traiter, lorsque tout
(i) Raffenel, t. III, p; i5-2o.
W ^^«'m P* 107. .
i
àoe«|» OU «ipiil «lie VamiOà é^Bfim^
Saàteoris,.*avait^ dans doss violoites,
détruit la flotte égyptienne , et qu'il ve>
naît de débarquer dans Itle. En méoie
temps une seaition avait éelalé dans
l'iarmée d'Ismael. A eette double noo-
veJle, les négoeiati<Mi8 eesee^t. Le ehd
égyptien tente TewalndB des flOrasi
db rida. Partout les Sphakiotes « bm
inférieurs en nombroi «ppoeeKt une in-
domptable résistance. Lalntte don bail
onrs, avec un aobarnement sans parai;
es rÉvini étaient inondés de sang» des
milliers de eadawes joncbaieul le sol;
mais sur lotis les points les Greea tfaicat
.gardé l'avantage» Lee débrie de rarmée
d'Ismael rega^^ètent avec peine RétiaM»,
bloqué par la division de .Sakbmria; là
Sfbakie était délivrée de l'invaeieB.
(piques jours après ces eiieeàB, uae
nouvelle flotte turque parut voce le cap
Spada c ێbBiit le nee^amiral ottonao,
qui se rendait de la station de Patvar à
Mételin; Saktonrts eeunit à aa reneea-
tre, dispersa sa flottOi et lui prit bait
vaisseaux (1).
SOUMUUSIOH BB hk CBBSB AUX MU-
SU LMAits. — ' Après eette vietosre , Ssk-
touris, rappelé par ses concitojfeBB, quitta
niOi et sondépart fol £ital aux chxétieBt.
Ceux des navires turcs qui a?niett
échappé à Saktouris ttouvèreui mi re-
foge dans les porto de Rétinao et de La
Canée» et fournirent à Ismael des fintes
suffisantes pour reprendre l'ofiBsosive
contre des ennemis épuisés par le»
succès oudmes, réduits à lédiBSodea rea-
somraes , et toiyours loraés ée oombËttie
des ennemis nouveaux. HynvaUiiBBiN
ans que la terre n'avait ét6.<mswpeucée.
Leseouragetix Candiotes étatentrédmli,
pottr vivre, aux irimiiHitionB niftuicllfis
du soL Un grenu nombre des focnicn
étaient morts dans les oombata degaatre
campamies consécutives; lea Hsnames,
les enmnts offiraient le speotade d^ne
misèvBsans égale, et Ibmbasîa demandait
vainement quelqims secom» au geaver
nement central. Cest dans eea cobjobo*
tures qu'Ismael reaooM&dnqa lea hostî-
liiés a veo des tnMqieB fintebes } at naalgié
tant de désavantages les Sphakiotes ré-
i^stèrent eDq<«e, et TomMsie Ht tout
ce qu'on devait attendre de son patiXH
(i) Raffenel, t. III, p. x66«iS3»
liji uêhkêste.
étailtropâûM»; toojourt bututi» %\kà9é
déeoatages, pois se dinpoTM par las
montagnK; u«rt il s'y eoi plus de
^erre : les défenseur* de la liierté
BYaieBt dtflpam» les forteressio étaieiit
au pouvoir des masulmaas, Itle peuiait
BeaAt>ler aoomise. Tembasis quitta eette
terre, théâtre de sa Ttleer^ eu sa pré*
sence n'était plas utile; il se rsadit à
Hydra* irais à Asapbé, où il aMHurut de
la peste (septembre 1824 )•
Candie devint TaMeual des Égyptiens,
et c'est là qu'ils rastembièrent les trou'^
pes destinées à l'invaiioD du Pélopon-
nèse (t). Parmi les GréUns, un ^rand
nombre abandobnèrent leur patne, et
allèrent sur le eontinent prendre do ser»
viee dans Parmée aetire ; on les retrouve
au premier rang dans les eombats li-
vrés pendant les années suivantes par le
brave Karaiskakis et le œlonel Fabvier.
En 1 826 un bataillon de ees insulaires fu*^
ffitifs partit deNauplie, sous leeomman*
aeroent de Manuel Antoniades et de De-
metrius Galergis , et lit une tentative sur
Candie, dont oeux forteresses, Oarabusa et
Kyasamos, tombèrent en leur pouvoir (2).
Ceux des chrétiens qui étaient demeurés
dans rtle rdFusèrent de revenir babiter
la plaine } eaehésdans les montagnes,
toujours en armes, ils n'attendaient
qu'an moment fiivorable pour reprendre
ouvertement les hostilités. Mais ee mo-
ment , ils l'espérèrent en vain; lorsque
les puissànees européennes intervinrent
dans le démêlé de la Porte Ottomane
et de la Grèce, Candie ne fut pas au
nombre des îles annexées au nouvel
État. Comme Samos, après avoirsoutenu
aussi eourageusement qu'elle la cause de
l'indépendance, elle fut saoriGée et n*
jetée sous la domination musulmane. Le
paeha d'Egypte continua à y exercer son
mfluenoB , et à l'année 18Sa un firman
deconeession remit à Mébémet*Ali tous
les droits de la Sublime Porte sur Can*
dîe. Ce n'étidt pas le sert que méri-
tsient les chrétiens de l'Ile, et ils prêtes*
tèrent par les «rmes, se Soulevant sans
sesse et faisant aua musulmans uns
guerre aehaméSé
(0 nifféiit^ u m, p. %84-ase,
(a) Jsehenurtt de Saiat-Oenis , Bist, de
fEmp. Omm,, t« III, p« «65.
ÉkAlII Aevlwi..«^Les eenlèesmeati^*
soit partiels, sait génénua, fusant répvi**
SÉés avec une rigueur teUe, qu'ils fu*'
vent ffédni tSi au bent de quelques années,
à n'être plus que des actes isolés de 1n»«
gândage. Le rétablisasmeat de la tran«^
quUlitS en Crète est dû àla fiBrmetéée
rhemme qai la gouverne depuis vingt
ans, l'Albanais Mustapba-Paeba, qneMé*
héniet-AJi envoya dans oette île en 1889»
Doué d'une viveintelUgenee, à laquelle,
il joint une grande temeté de earaotère
et le dian rareehes les musulmaiis de se
Êûre obéir, le gouverneur a apporté
dans le sort des nabiiants des amélio*
rations réelles, ets'est appUqué è relever
raçricttltnre. Fermé par tfébémeWAli, il
avait appris ce que l'oo peut gagner au
commerce des Buropéens; il se confor*
ma en partie à leurs usages, sut prendre
un extérieur poli et élégant; il sut disoi».
pliner la milice turque et lui foire ac«
cepter son ioog. La vie, l'honneur et la
propriété d un Grec ont été mis seus la
protection de la loi; et la moindre in»
mction àeetégardesl pttmeaévèremeBt«-
Les Albanais, cette milice si redoutée^
dans tout l'empire, a dû quitter en abor»
dant le sol eietois ses goûts d'insuber-
diaatiett et de pillage; c'est a eux que la-
police de rtle a été oonfiée, et ils j em-
ploient aasee de aèle et de vigilance
pour que le voyageur isolé puisse par*»
courir de nuit comme de jour le pays
en pleine sécurité. Les chrétiens n^ont
pas fait le sacrifice de leur plus chère
espérance : ils atteadeot du temps et des
circonstances la liberté; mais prévenus-
par les exemples terribles que Mousta-
pha a d^à faits de Tinutilité d'un soulè*
vement, et n'ayant plus a craindre les
horribles violences qui étaient trop
fréquentes avant l'insurrection, ils sup*
portent patiemment le présent. Le gou-
verneur a affecté a leur égard l'impar-
tialité, et les a placés dans les mêmes con-
ditions que les Turcs pour les actes de la
vie civile ; pourtant cette égalité est plus
nominale que réelle, et on se trompe^
ralt si on pensait, sur la foi d'un calme
apparent, que les Grecs et les Turcs ont
dépesé leurs vieilles haines : les deux ra*
ees sont aussi ennemies , aussi irrécon*
eiUables que par le passé ; mais Mousta*
pha les contient» et c'est là son mérite
principal. Sur bien d'autres points sot
LUNVIlUk
manemi inoeniplèfce; «nilmialfoeUttit
d^toe Tami de la elviliaatkm, H a projeté
des am^orations indispensables» ù&
Iraosrdes plans de routes, des eousirwe-
tiens de ponts; mais rien n'a été eiéea*
té : partout les ruines que le temps et la
gnerre ont faites subsistent sur lile, ap-
pauTrie et dépeuplée. Des soins tout pcôr-
sonnels, des préooeupations de fortune
oecupent trop le gouvemeur. Nous avons
dit ailleurs que tes ponts et les cbemins
datent presque tons de l'époque véni-
tienne; on ne les répare pas, et dans la
saison des pluies les comnranications
les pins néeessaires sont suspendues tant
gue les rivières ne *8ont pas goéables.
Chaque hiver quelque voyageur périt
dans les torrents, et il n'v a guèrô de
routes que celles que le pied des nommes
ou des animaux a battues à force de les-
fréquenter. Gdles que les Vénitiens ont
autraois construites et pavées sont de*
venues, fauted'entretien, plus impratica-
bles encore que les autres, et aux abords
des trois grandes villes, là où l'afOuenca
des ivoyageurs est plus grande, elles
sont devenues des cloaques et des fon-
drières.
PopuLÀTion. RissouBCBS. Indu»-
TKiB. — Autant qu'il est permis de
fixer le chiffire de la population dans un
pays dont la statistique n'a pas été feite
depuis de très-longues années, on peut
évaluer que de cent mille âmes, où elle
était descendue, elle est remontée par
accroissement naturel et par suite du re-
tour des émigrés à environ eent soixante
mille, dont quarante mille musulmans.
De ces habitants, les sept-huitièmes sont
adonnés exclusivement aux travaux d'à-
gricultnre. Les produits annuels delà
terre s'élèvent à une valeur de 18 mil-
lions de francs ; l'impôt foncier, qui est le
dixième des produits, rapporte 1,460,000
francs. La partie montagneuse de l'Ile, qui
occupe à peu prâ un tiers de son étendue,
est en grande partie déserte , et des deux
autres tiers un seul est cultivé, faute de
bras. Rien n'est d'un plus triste aspect,
lorsqu'on parcourt ces campagnes, que les
fermes désolées eties maisons des villages
en ruines. 11 n'est pas rare de traverser
des bourgs qui comptaient trois ou quatre
cents habitations, smr lesquelles une
trentaine seulement sont restées debout*
Dans le rtiyon même des grandes villesi
de La Gniée par eaMomle, il eal dss vil*
lagesqui, comme au wndeaciaia de la
guerre, ne sont qu'un monceau de dé-
combres • Il en sera lonetraips aîni , car
la Crète, autrefois si florissante, a plis
d'habitations que d'habitants* Jjà pot
de conunerce et:d'indnstrieq[ui, avec l'a-
griculture, fournit aux besmns dm ha-
bitants passe efttièremant par les mains
des chrétiens ; delà une uéeadcaeo né-
cessaire et un appauvrisseraenl em»-
dérable pour la race turque. Dans Fé*
tat où ee trouvait l'ile avant la guerre
de l'indépendance, il suflsait d'étn mu-
sulman pour mettre en ré^uisîlioD les
biens, lafortnneet mémelaviedesGrees;
aujourd'hui il n'ai est plus de même, et
le raya eiige un salaire en énhdiMÈ^ éa
labeur qu'on lui demande ; sa proiunélé et
sa personne sont inviolables. Le ansnà'
man, qui méprne les soins et les tmvan
mercantiles, volt tous les jours soa paAii-
moine décroître; et si une fois il est obli-
gé de recourir aux emprunts, rusure,
rune des plaies de la Crète, avito dévore
ce qui lui rate. Puis, par une BBcame
qui contribuée ruiner les ransolmans,
la Porte est rentrée depuis quelques
années dans la possession des revenoi
de plusieurs vilk^^'elie avait aiiénéi
en faveur des janissaires ou des agas, aa
temps où la guerre de l'indépeDdanec
rendait impossible la pereeptioii des im-
pAts, et l'indemnité qu'elle paye est lois
d'équivaloir à ces revenus, qui faiMôest
la ndiesse d'un grand nominre de fuml«
les turques. Les Grecs, de leur côté» sonc
laborieux, économes, asses indosttienx,
toujours prêts à profiter des embams
dans lesquels se trouvent leois vaisins
Turcs, et désireux surtout d'acquérir la
propriété du sol qu'ils ont kit^femfi
labouré, ensemencé pour autrui. Man
souvoit ils sont oUigés pour compléter
rargentnécessaireàliicfaatd*un moneou
deterrederecourir à l'usure, et Tusur
exige vingt pour cent; ilest peu de Giees
dont la maison et le champ soîeot li-
bres d'hypothèques. U n'exiate pas es
Crète de grandes fortunes, àjpaiteeiiede
l'ags^qwestoottsidéraMe. Celui qui ea
biens et ea argent réunit 60,000 naBes
est riche, et dans l'tle entière en ae
compte passix personnes qiB aisBt à ellei
960,000 francs. La terre leml nependanr
dix pour cent au paysan qui la cvdtive,
ILE D£ GRBTE.
ÙSU
et daBs les Tilles le loyer est de huit à
dix pour cent du prix d^aeliat.
Tel esl rétat actuel de Ftle de Candie,
que la nature avait destinée à être par
sa position géographique et par la . ri-
chesse de ses productions Tun des plus
riches pays du monde. Sa eondition, au-
jourd'hui moins misérable que pendant
de longues années , laisse encore beau*
eoup à désirer, et l'avenir doit à cette
Ile la réalisation de bien des promesses,
la réparation de bien des calamités.
V.
APPENDICE SUE L'BTA.T DE. L'àGEI-
CULTUBB ET LES PEODUCTIOIVS DE
l*1le de GEETE (1).
Bbsgbiption du Tchifflik ou
febue candiote. — Le tchifilik,
considéré sous le rapport de ses cons*
tructions, se divise en trois parties : la
première contient les appartements du
maître, qui, lorsqu'il n'a pas sa résidence
habituelle sur son domaine, s'y rend du
moias très-fréquemment. Cette partie
ordinairement est composée de deux ou
trois chambres seulement , en forme de
kiosgue élevé; elles sont percées de
nomoreuses fenêtres sur tous les côtés,
et au bas de ces fenêtres, dans l'inté-
rieur, des canapés s'étendent le long du
mur pour tous meubles; une natte cou-
vre le plancher. D'autres fois toutes les
commiMlités dont les maisons turques
sont susceptibles y sont réunies, parti-
culièrement quand la maison renferme
le haremlik et le salemlik. Le premier,
destiné aux femmes, est absolument
séparé du second, que le propriétaire
habite et où il reœit ses amis. A cette
partie sont unis des enclos fermés de
murailles et plantés d'arbres fruitiers,
qui le plus souvent sont des orangers et
(x) Je dois cet intéressant chapitre à M. Hi-
ticr, ancien consul de France k La Canée, au-
jourd'hui consul à Dublin. Je ne saurais trop
reconnaître la rare complaisance avec laquelle
M. Hitîer a mis à ma disposition le manus-
crit où il aconsi^ les résultats de ses obser-
vations sur l'île de Candie, qn*il a longtemps ha-
bitée, et qu*il a miens étudiée qtt*aucun voya-
geur ne peut le faire enpaasant. Cest aussi à
ses renseignements que je dois presque tout ce
qui précède sur Tétat actuel de Vile de Candie.
des dAnniers. La seconde division de
la ferme comprend les habitations des
hommes de travail, les étables, les ré-
servoirs, les citernes et les fumiers. On
trouve quelquefois un second enclos at-
tenant à ces bâtiments. Les familles qui
servent dans la ferme en font leur Jar-
din. La troisième partie contient les
celliers à huile et à vin , les emplace-
ments pour les pressoirs , les cuves à
faire le vin, les greniers, les magasins
à provisions, etc. Les chambres desti-
nées aux serviteurs sont construites de
manière à former un ou deux côtés de
la cour principale ; elles sont basses ,
étroites, éclairées par une fenêtre uni-
que, trop petite pour donner un libre
accès à i air et à la lumière. Quelque-
fois le sol est d'une ou deux marches
plus bas que le pavé de la cour. Le toit
en terrasse, formé de poutres mal équar-
ries et recouvertes de roseaux et de
branches d'arbres, sur lesquelles on
étend une sorte de pisé en terre ai^-
leuse, défend mal ces demeures contre
les pluies abondantes de l'hiver. Les
murailles sont bâties en pierres , ci-
mentées avec de la terre mêlée aux ré-
sidus de chaux et de soude des savon-
niers, et l'air extérieur se fait souvent
jour au travers. Telles sont les habita-
tions où vivent dans des espaces de quel-
ques mètres carrés des familles compo-
sées de quatre et six individus. Pour
meubles ils ont quelaues vases en po-
terie grossière, destines à la cuisson des
aliments, une ou deux mauvaises chai-
ses, des tapis en lambeaux placés sur
des planches pour servir de lit, et où
chacun se couche tout vêtu et les chaus-
sures aux pieds. Leur nourriture ré-
pond à l'aspect misérable qui les en-
toure : elle se compose d'un pain d'orge
mal cuit, de légumes cuits ou crus,
d*olives au sel ou à Thuile. Ils ont de
l'eau pour boisson. L'usage de la viande
leur est à peu près inconnu. Il faut dire ,
il est vrai, que cette nourriture est celle
de tous les paysans , même des proprié-
taires aisés, car le Cretois est sonre,
sauf le goût qu'il a pour le vin.
Les étables sont plutôt des espèces
de hangars. L*on y attache les ani-
maux au retour du travail , devant une
auge à peine dégrossie-, souvent même
au lieu d'auge on se sert de quelques
690
LUHIVEIS.
grosses pierres réunies de mffiièrd à
laisser entre eHes un espaee vide où l^on
jette la paille et l'orge qui doit servir à
la nourriture des bestiaux. Les celliers ,
les magasins ne sont pas mieux entrete*
nus. Tout y est confondu péle*méle ,
partout règne une d^oâtante malpro-
preté. Les citernes reçoivent le» eaux
pluviales amenées des terrasses par des
tuymi enterre cuite. Ce sont les mieux
alimentées; car quelques-unes ne le
sont qu*au moyen d*eaux venue» des
champs voisins par des pentes mena*
gées. A moins craroir passé un temps
assez Ions pour déposer la terve qu'elles
ont entraînée avec elles , ces eaux sont
bourbeuses et troubles. Les citernes
sont construites avec un ciment formé
de chaux et de brique pilée qui se dé-
truit promptement.
L'ensemole entier des constructions
a rarement été élevé sur un plan uni-
forme : elles ont été le plus souvent
ajoutées les unes aux autres selon le
caprice du mattre et ses besoins. Le
plus souvent encore leur étendue n'est
proportionnée ni à la valeur de la fer-
me ni à la fortune du maftre, du nH)ins
à sa fortune présente, forcé qui! a été
de se défaire successivement, soit d*une
vigne, soit d'un champ, soit d'une par-
tie de ses oliviers. Alors elles tombent
en ruines, qu'on ne répare pas ; et les
hommes et les animaux se réàigient au
fîir et là mesure dans les parties qui
restent habitables. On peut mmierque
sur dix fermes il n'en est pas deux aux*
quelles on ne doive appliquer, pour Ten*
semble et pour les détails, la descrip-
tion que Ton vient de feire de l'une
d'elles.
Les terres dépendantes de ces fermes
s'étendent autour de la. maison d'habi*'
tation, ou n'en sont que peu éloignées :
ce sont des champs a céréales, des vi-
gnes, et surtout des terrains plantés eo
oliviers. Mais comme le plus souvent le
choix n'a pas présidé à la réunion de
ces différents terrains, et que quand
le choix a pu avoir lieu, aucune con-
naissance agricole ne l'a dirigé, la mé-
tairie est rarement formée des éléments
nécessaires pour en faire une véritable
et utile exploitation rurale ; on n'a tenu
aucun compte du rapport que les di-
verses productions (levaient avoir en-
treeUes. Dans un pays où d'orâinaiceh
terre, faute de soins inteUimiits, ne
donne une bonne téctAtB qirone Èm
sur deux années, on n'a pas an «ntie-
méier- la culture des denrées de manièn
à ce qoe Fabondanœ de l'une snppléfti
àl'iasQfflsanee derantra. Lamétam,
è proprement parler, n'est doue die-
même qu'une agrég^tioa d'un Bomhn
plus on moins grand de sbaoi^; maii
le fsvmier, aeec les naoyans dent il di»
pose, et qui' lui pennattmisBt '^appli-
quer un peu d'industrie et de scienee
à la culture de ses terres, ne fait rien de
mieux sur ce point que le pauvre pro-
priétaire d'un champ isolé.
La plus grande partie de ces Ibones
ne sont pas administrées ni exploitées par
le maître lul-raéme. Il s'y fait représa-
tec par un délégué nomme sontkKkL
C'est, comme onle voit; un reste de Tan*
cieqneliâbitude des beys> Cet intendant,
Sjiii n'a d'autres occupatioQS que celles
e la surveillance, dirige les serviteun
et lait exécuter les travaux ordognés par
le maftre, auquel il vient, à des époques
rapprochées, rendre compte de sa Ges-
tion. Le soubacbi n'a pas de salaire fie;
il prélève la dîme sur tout ce qui revient
au propriétaîjse. Après lui vient le mé-
tayer-, l'homme obarigé de la culture de
la terre et qui la tieo( à oioitié. Les
conditions qui le lieiU au propriétaire
sont celles-ci : après la.i;écolte. le fisc
ayant prélevé sa. part, qpi est du. dixième
i^ produits^ et le propriétaire repris la
quanlUé de sentences qu'il a. fourmes^ le
teste est divisé en deu;c pa|;ts« dont Tune
est pour le propriétaire et l'autre pour
le métayer. Le$ frais de culture et les
Sages, des dome^iques sont à la ebai^
u propriétaire; le mélaj^ec étendant
doit fournie les boeuft , et quand ils ap^
partienoenjt m propriétaire, eelui<i
prend toute la paule de la récolte, sans
partage. L'affermage proprement dit et
moyennant une somme d'ai^ent fixe
Q'est pas coomi en Crète.
Les serviteurs employés dans les fer-
mas, et en aénéral dans les maisons tur-
auessontoe deux sortes : des hommes
ne oendition lil^e, (f enagent leurs
bras moyennant salaupa, et ow enetave^
^1 n'y a que les Tuiosqui aieni des ca-
devis. L2spriid'une«skive,ennso9wns,
est de 600 francs. L'intéi^ de Fw^gent
q«i«fiijrrE.
état d% geisM 9«n ««^t, «l rnaag^
ayant eonsacré que presque toujours au
bout de dix ans, et à de certaine» oc-
casions solennelles pour le mattr«t tel-
les qu'un managa, un déoàs dans sa
maison^, on donuat la liberté à resdavev
il résulte que son travail de dix années
a coûté de treize à quatorze cents francs;
il faut V joindre les frais de nourriture
et d'batulleinent : et Von peut calculer
ainsi que rescl^ve revient à 160 francs
environ par an. (Test pay^ cher le trar
vail d'un serviteur génécaleroent peu in»
telligent.
Les gages des serviteurs de eondi*
tion libre sont de 10 i 1$ francs par
mois. Le propriétaire ne leur fournit
aucune nournture; seulement ils ont
la faculté d'amener leur famille à la
ferme, où elle loge avec eu^. Dans quel-
ques contrées t les serviteurs sont au
contraire nourris et vêtus par le pro-
priétaire; ils reçoivent dans ce cas 6 à
7 francs par mois en ^^rgent. Dana les
moments de grands travaux, outre les
domestiques eqgagés à Tannée, on loue
des journaliesB^dontlapayeestdel t^
p£ur jour. A Tépoque oe la récolte des
olives, on rassemble des femmes CA
graiMl nombre pour eu faire la cueil-
lette. BUes sont soumises durant leus
travail à la surveillance continuelle d'un
homme de la ferme. Leur salaire esl
payé en i^ati^re; il est ordinairement des
deux septièmes de l'huile (uroduite par
les olives que chacune a ramassées. Ia
ramasseuse se nourrit à ses frais, de
plus elle doit nourrir l'ouvrier qui bre^a
tes olives au pressoir pendant le temple
qu'il travaille pour elle; mais ea reloue
celui-ci doit transporter l'huile qui lui
revient à la viUe voisine.
A rexceptiou des serviteurs eooypiioyée
dans les fermes, et sauf les nègres escla-
ves dan^ les maisons turques, les pe-
tits agriculteurs en Crète n'ont pas da
domestiques proprement di^« Us exploi-
tent leur terre par eux-aUnoes et avee
l aide de leur famille. S'ils sont obligés
1 ^^'^ipindre des serviteurs, ce sont
plutôt de^ aides, des eocf^ateurSt qui
^t appelés à partager les travaux et
qui en partagent les profits. Ces hom-
oies sont rarement payés eu aig^t; ih|
vivent dans un état de parfaite égalité
Avec le n^dure; leur e^««c^ «91 ^9H
muue, flsoBft leantfoMetrftTMDi et les
mômes plaisirs.
BBS <mAMV«. — Les animiux de tn»*
vail em^eyés eu Crète sont h bmuf ,
l'âne et le mulel , raremenl le eheva^
dont on se sert eepeodiwt qudqinlbis
au pressoir pour tourner la mewe, o«
dans lescbampe anxpriseB d'eau , pour
tourner la roue des nuits. Le laboQ»*
rege s'opère avee des nmiifii eielnaivi^
ment ; malgré les serrioes qu'on bn 4»
mande, et qu'il rend si largement, le bcsef
n'est l'objet d'aucune attentîoii, d'auemi
soin véritable. On n'en élè? e Mien Crète^
ou du moinson n'en élève qn en très-petit
nombre; et foute de pftturegee* dent île
auraient besoin sans doute bous grandir
et se développer* les indiviaus nés dans
rtle même portent dès la première §k
nération des signes évidents d'aflbiUii*
sèment et de décroissanee. La plupart
de oeux dont on se sert en Crète vnai
nent d'Anatolie. La raoe généralemeot
en est petite, faible; leur nourriture se
composedepaillehac)MSk,debléettfeff8«^'
de lupin* de semences de eotnitttaie
prineipalement de eiesrols, one l'on fiil
meoérer dam f eau pteadant nuit on dii
heures, et qu'on leur donne presque ex^
dusivement iiendant la samn des tra-
vaux.* Lee bœufs sont employés à In
ebarme par eouple. Co«ine ea ne prend
pas un souci sufisent de lear appei*
reillagCt il en résulte qee le ph» rort
fatigue le plus faible : le travail en souf-
fre et les animaux en pitiesent. On n'c^
attelle jamais plee de deux à ebefu^
ebarrue. ils sont attivcbés «i îougper le
ool. Le travail eommeoce le malm, e)
ne cesse qu'au soir. Faute des soIbb qus
kur seraient nécessaires, surtout anm
le travail, ils sont sans viguear à feuH
vrage, et s'épuisent Yite.
L'âne el le mulet servent mn trans-
ports. On &it porter à l'àsA ee qm ese
nécessaire au travail des obamps. O»
charge sur lui les petites provisimia
achetées A la i4lle; en l'eanploie même
eu labour des terres légètee. Le omM
porte les £wrdeeux plus lourds, tels mse
les produits a|9Fieoka, des champs cm
bord à la ferme et ensuite de leteoae ^
la viUs. Il eerl surtout de osonture
pour les voyages. L'âne et le mkt i
trèS'noeabreuK ea CMtsb
vxnxtvtÉs.
Les Cretois emploient on assez grand
nombre d'instniments dans leur cul-
tare; il est facile de croire qu'ils sont
tons informes et grossiers. On va dire
le nom et autant que possible décrire la
forme partîcolière de ces instruments
anisi que rusage que Pon en fait.
VaueM, ladiarme^leplus important
ées instruments de l'agriculture, est
ifiiae simplicité remarquable : c^est un
«nivB en Dois à deux oreilles sans veiv
•oir, sans ooutre et sans roues; elle
sorte un soc étroit en forme de lance,
dont non-seulement les pointes et les
o6tés sont tranchants , mais qui de plus
a un sommet élevé et coupant : elle n'a
ou'un seul mancheron, ce qui rend sa
clireeticm difficile; le timon en est sus*
pendu au joug au mojen de deux an-
neaux de fer mdliilei ou d'une lanière
en cuir. Ce joug sans régulateur est une
iimple pièce de bois , qui repose sur le
flon des boeufs en avant du garot. Il
y est fixé par des chevilles passées de
manière à emboîter le cou de l'animal,
et attachées sous la g<wge au moyen
d'une baguette pliante, qui se recourbe
et s'introduit dans les trous des che-
villes.
Le vérédri est l'aiguillon à l'aicte du-
quel le laboureur conduit ses bœufis;
son extrémité inférieure est garnie d'un
croc en fer qui sert à débarrasser la
charrue de la terre qui y adhère.
Le voiossiri , employé fréquemment
pour les cultures du printemps, est une
planche très-épaisse attachée en travers
an joug, au moyen de deux cordes qui
nassent dans deux anneaux en fer fixés
à sa surfeee supérieure. Cette planche
vemplace la herse et le rouleau; quand
il en fait usage, le laboureur monte
dessus.
Le icaped est une houe, dont la lame,
^diangulaiie, est laige de quatre à
cinq ponces; die est montée sur un
manche Ions.
La seaHaa est une autre sorte de
konCf employée principalement dans la
enltuie de la vigne. Elle a également un
manche long» mais elle est aune forme
presque triangniaire.
Le toico est unebêche triangulaire, à
koidsammdis et à angles aigus. Elle est
<»mnancbéeji un manche long, qui poite
à quelques pouces an^essus dn fer um
petite traverse, sur laquelle on appuie le
tiied, pour faire pénétrer la lame dans
la terre.
Le manaro scaUda est une espèce de
doloire, dont on se sert pour couper les
racines et briser les mottes. La lame ea
est longue et étroite, avec un marteao
de l'autre côté.
TjC «cînari sert aux mêmes usages; il
est de la même forme, avec des dunen-
sions plus petites.
Le trava dadWieras n'est autre qw
la serpette, à lame forte et l^s^rement re-
courbée à sa pointe ; elle sert à couper Is
bois et les broussailles épineuses.
Le vohsHriàpierres est une planche
épaisse, arrondie à l'une de ses extrémi-
tés, par laquelieelle est attachéeau joug,
moyennant une corde qui passe par on
anneau en fer. La surfece de cette plan-
che est sillonnée d'entailles qui traver-
sent son épaisseur, et dans lesgueUes oa
introduit des silex ( pierrres à feu ) tnn-
chants,quifontsaiilieà la face infériewc
Cette planche, sur laqudle monte le con-
ducteur , traînée par des bœufs Ion dt
dépiquage, sert à couper la paille et à 6-
ciliter la séparation du grain.
Le valuU estuneespèM de tamisa peu
percé de trous assex larges, à Paide do-
?uel on sépare le grain des d^iris de
épi. Il tient lieu du van, qui est ineonno.
La trin€u:ki est une rourehe en bois
à trois dents, plates par-dessus eit trias-
gulaûres par-dessous.
Les Cretois ont en outre quelques ins-
truments qui ne dififèrent des nôtres «m
par leur forme ni par l'usage auqud oo
les emploie, tel que la serpe, lahaaie,la
faucille, les pelles en Dois, etc., ete. H n'y
a en Crète ni voitures ni chariots; loos
les transports se font à dos d'âne ou de
mulet. Dans l'intérieur des fermes, eo
ne connaît ni la brouette ni rien qui j
ressemble.
Opbbations agucolbs. — lA
description particulière et détaillée des
différentes opérations agricoles trou-
vera sa place quand il sera questioa
des divors produits de l'Ue. On dira akn
quels sont les procédés de culture et
d'industrie appliqués à chacun d'eux.
Cependant il est ceitahies opèratioas
générales communes,'par exemple, à la
prodaetion de tontes les cérénics. EDci
ILE D£ CRÈTE.
tleoiMBt \e premier rttig dans ee qui
ooDstitue une bonne ou mauvaise agri-
culture. On va dire eomment elles sont
firatianées en Crète. Les principales sont :
e labourage, l'ensemencement, la ré-
e(dte, remploi de Tendais, et dans un
pays chaud les irrigations, (es assole-
ments , le sarclage, etc., etc.
Le labourage est sans contredit de
toutes les opérations de Tagriculture la
plus importante. De sa nature et du bon
emploi des engrais dépend ea grande
partie la richcMe plus ou moins abon-
dante des récoltes ; les conditions d'un
hoïk labourage sont la profondeur à la-
3uelle la terre est remuée, la rectitude
es sillons, qui doivent être d'égale lar-
geur et également espacés entre-eux. Le
laboureur crétois est loin de satisfaire à
ces conditions. Laterre n*est ordinaire-
ment remuée que d'une manière superfi-
cielle, et quoique la charrue, par sa cons-
truction, pût facilement pénétrer à' une
profondeur de huit pouces environ, lela-
noureur n'en donne guère plus] de qua-
tre à cinq à ses sillons. Qu'il ait affaire
à une terre dure, à une terre franche ou
à une terre légère, son procédé ne
change pas. Ce n^est que dans la culture
du jardinaee, des melons, des pastèques,
par exemple , qui se cultivent en plein
champ, qu'il y apporte des soins oiffé-
rents. Dans ce cas il passe la charme
jusqu'à six fois et en tous sens , et a
chaque fois le traîneau, leoo/6<nri,pour
ameubler la terre. Le premier labour
estde trois àguatre pouces, mais succes-
sivement le ter est allongé jusqu'à por-
ter le dernier labour à une profonaeur
de huit pouces.
La charrue est tirée par une paire de
boeufs que le laboureur dirige sans gar-
çon de charrue; quelquefois cependant
un très-jeune enfant en fait t'oface. Les
sillons sont très-courts, inégaux et à des
distances inégales entre eux, ce qui laisse
dans le terrain des places non remuées. A
chaque tournée le laboureur débarrasse
sa charrue de la terrequi s'y est attachée,
et ce travail joint au temps que les tour-
nées prennent lui fait perdre un quart
au moins de la journée. L*étendue de
terre qu'un laboureur peut préparer en
un jour est : s'il a à rompre une terre
dure, d'un sixième d'hectare environ ;
une terre franche, un tiers d'hectare-, et
88* lÀoraison, ( Ile de Cbètb. )
5|S
une terre légsàre, deux tiers d'hectare.
La même charrue, telle qu'elle a été
décrite, est employée indistinctement
dans les terrains en plaine et dans les
terrains en pente.
Les semailles sont faites à la main, en
tirant la semence d'un sac lié à la cein-
ture. La main suit le mouvement du
pied droit. Le blé et les semences de la
plupart des céréales jBont recouvertes à
la charrue; d'autres*, plus menues, le
sont a la houe.
La récolte de blé , orge, avoine, et en
général de toutes ces céréales, se fait à la
faucille; l'usage de la faux est inconnu.
Les tiges sont coupées bas, car la paille
sert de fourrage et tient lieu de foin,
qui n'existe pas. Cependant dans quel-
Î|ues localitésles tiges sont coupées par
e milieu, et la partie inférieure des
éteules abandonnées forme une sorte
d'engrais. Généralement la récolte des
céréales a lieu quand le ^ain est déjà
trop avancé dans sa matunté; d'où ilra-
suite que soit en coupent l'épi , soit en
transportant les geroes à 1 aire , il se
perd neaueoup de grain.
L'aire à battre est un espace circulaire
de trente à garante pieds dediamètre,
situé en plein air et légèrement enfoncé
en terre. Cette aire est faite d'argile bien
manipulée; la sprface est dure et polie;
on y répand le blé par couche d'un ou
deux pieds, et l'on ^rène Pépi en le fai-
sant fouler aux pieds du bétail qui maiw
che circulairement traînant derrière lui
\tvolosnriki^mte8. Quand des hom-
mes eux-mêmes ne montent pas sur
cette machine à égrener , on la charge
de grosses pierres ou de toute autre ma-
tière pesante. Le grain ensuite se net-
toie en le jetant di'un point de l'aire à
l'autre avec de larges pelles en bois. On
choisit pour cette opération un jour où
il fait du vent. Autrement on vanne le
grain avec le tamis désigné sous le
nom de votuii.
L'emploi de l'engrais est tellement
néglij^é en Crète, qull y a peu de chose à
en dire. Quelques prodmts végétaux et
animaux sont les seuls employés à cet
usage. Autour des villes ou a commencé,
et depuis peu de tçmps seulement^ à
profiter des immondices pour en faire des
engrais; encore beaucoup de proprié-
taires, même de ceux dont les champs
38
«94
VUHIVEftS.
9ont voiiîQg des viUes^ ne 60iig«iit>îla
K8 à tirer parti deoette ressouree. Plus
in dans l'intérieur des terres on pour»
trait dire que le fumier est ineonnu*
Celui que r on recueille^ mai préparé, el
auquel on n'a pas laissé le temps de se
former et d*entrer en état de oécompo-»
sitiont est jeté sur la terre sans soin et
en trop petite quantité pour produire
d'utiles effets. L'usage n'est pas de
former dans les étaUes et les écuries
une litière pour les animaux avec de la
l^lle étalée sous leurs pieds. 11& se cou-
obent sur leurs excréments desséchés
et pulvérisés, et Ton se trouve ainsi pri-
vé de la source abondante dont nos
cultivateurs tirent la plus grande partie
de leur fumier; mais il existe en Crète,
dans diverses parties de l'île, des produits
minéraux, fluviatilesj marins, qui se*
raieut facilement réunis. Us restentabao*
donné», tantsur ce point, réputé essentiel
pour toute bonne agriculture, la routine
a conduit à une insouciance profonde.
S Quelquefois cependant comme moyen
'engrais on brûleles éteulesdes champs
moissonnés très-haut, des branchages^
des boitilles, de petits arbustes dans les
lieux ou ils croissent abondamment. Lee
terres fécondées par œs cendres produi-
sent pendant trois ou quatre amiées,aprè8
quoi elles sont mises en jachère, et al*
tendent que les arbustes aient repoussé
Dour que Ton y mette de nouveau le
feu. On verra que l'on fait également
usage pour fumer quelques arbres du
marc des olives. Cet engrais serait ex«
eellent ; il abonde en Crète, et il est dé-
plorable que l'on ne sache pas en tirer
un meilleur parti.
L'extir[)ement des mauvaises herbes
et le nettoiement du sol sont de même
Tobjet detrès*peu desoins. Le premier se
fiut cependant en coupant les plantes
nuisibles avec la fandlle ou en les ar-
rachant à la main , et le second en sar^
clant et donnant des façons à la houe.
Les fèves, les blés soBt houés une ou
deux (ois. Le lupin n'est pas sarclé;
mais le sésame, le tabac, le coton sont
sarclés et houés. La herse étant incon-
nue , elle n'est pas employée à ces opé**
rations. Aussi dans les lieux eu les bras
fipiit peu nombreux , et presque partout ils
font défaut en Crète, le sarclage n'a
pas lieu. Le chardon et' la nielle crois-
sent abendemaient I eetle demièie ao
point d'entrer quelquefois pour un bai-
tièmedans le grain.
La jachère est prati^ée en Grêle
comme on l'a vu et toreément pratî^aée;
car la terre que l'engrais ne renouvelle
pas s'appauvrit promptement. La je*
chère toutefois n'est pas régulière; el
quoique l'on ne sache pas suivre un
système d'assolement intâligeniet édm-
ré, on n'en a pas moins appris par une
sorte d'expériei^ce à changer les culture^
de manièjre à faire produire au ael le
plus longtemps possible. Ainsi le blé
succède à l'orge , oelle-ei à l'avoiiie , cl
la rotation a lieu jusqu'à ce que le ter-
rain, entièrement épuisé, ne donne plus
que deux fois la semence. Alors on l'a^
bandoftne pendant une ou deux aanées,
et on le remet en culture en rensemen-
çant de coton et de sésame. Cette pre-
mière culture, bienquepeu productive» est
très-utile au sol , qui est par là bt«i di
visé, et oui, dans cette condition^ reçoit
tout l'été la fécondante influence dm
rayons du soleil.
Quand lecultivateur maison terrain en
jachère, il lui donne un premier labour
en octobre ou novembre, puis au prin-
temps un second en travers du preauer.
Quand la jaclière dure deux annéas, il
recommence la même opération aux
mêmes époques, et la terre se tronve
ainsi parfaitement renouvelée pour le
moment des semailles, où eUe reçoit an
dernier travail.
Dans les pays chauds et dana ceux
principalement où les pluies cessent de
tomber au commencement du printemps
pour ne reparaître qu'à la mi-octobre «
ainsi que cela est en Crète, les irrigations
sont un des éléments indispensableB dt
toute bonne agriculture* Elles ont clé
autrefois fort soignées en Crèta. Des
restes de travaux hydrauliques qaa Ton
retrouve dans toutes les parties da Itle
en sont le ténaoignage. Mais le lenapa et
le défaut d'entretien ont fiât qiia les
canaux à ciel ouvert se sont comblés et
que les conduits en mafonneria aaot
tombés en ruines. Ce n'est fcucre
qu'aux environs des vilks que TaD a
songé à les maintenir en bon étal. On
y était contraint par la néoessîlé d'avoir
de l'eau pour les besoins doroestiqaes
des habitants; il en fixUait égalenent
ILEMCatlE.
[MUT Fanoiage teitttfaè^iiiMtiottt
v«Bt prés de om miïAm, et dobt la pofwh
lation de Tiie tire à pea près lo«t e^
aa*eU« «oBfCMnmeenfrttitileteiil^gamei.
Partout ailleurs Teaii fait eouyeni dé*
&Qti oQD pae seulemeat aux besoioè
de ragEiooltttre, maiae&oove à ceux dei
bommee et surtoutà eaax des.beatiaui.
Cependant la nature avait sinen abod^
dammant, du meiiie sufifisammeiitpoiu^
vu la Crète de rivières et desoarcee;
ipais le eomplet déboisemeiit des mim*
tagtiea a deseecbé les rivi^s qui en àm»
celMJaieDt, et dans les Ue<ix bas les eaux
des sources ae perdent, par suite de la
destrnetieB desrésertolrs el deSeenaux
4ui élaâsnit destinés à les reeavoii. Quant
aux courants t soit naturels soit artifi^
eielSf qui continuent à subsister^ voici les
lois qui en règlent Tusage et la diairibu-i
tion.
Les rivières sont abandumées à kl
discrétion de qui veut s'en servir, soit
en V élevant dea moulina^ soit en y
pratiquant des canaux de dérivation^i
L'autorité n'y met empêchement d'au-
cune sertCf et ne réclame encan droit à
titre de propriétaire public. Chacun scu^
lenMnt demeure ifesponsable des ddm*»
mages qu'il peut causer à ses voisins*
La jouissance des eaux des sources^
réunies ordinairement dans nn réservoir
commun, près dulieu^où dies orcnnent
naissanoe et dirigées ensuite «ans dss
cananxdedietv&ntion, est au contraire
une propriété privée^ à Isquelle nul, ssh
cepte les ajrant^roit, ne peut prétendre^
Kas plus qu'au champ ou à tont autre
ien qui ne lui appartient pas. Lei
constructions életées pour la eooserv»*
tien et la distribution de ces eanx en«
tre les propriétaires remontent , à ce
qu'il parait, à des tempstrèa*anoiens9
on croit dans le paysqn ellss sont ant^
rieuresà l'arrivée des Vénitiens dans
rue. Les règiemimts d'administration el
le tnode de partage des eaux entre lee
rivjHrains , s'il faut en croire l'opinioil
Eliqne, dateraient egaknieDi de cette
pie reculée. Les travavx, outre le
rvoir, se compoeent d'un canal prin?
eipal, qui sert de lit à cette rivièire aitii«
eielle, et d'im nombre pltta eu moine
considérable d'autres csimux, ph» pt«*
tils, qui dee champs voisins aboptimenl
SHtses.deuxrivee,etqnisnHt iepeàneun
tfirfîyrtioiipKlprelientâiti. Unefleire.
mobua, ftisant office de vanne« mte*
oe|^ leur comaaanikiatfton avec leasBttl
piineipal a» poim oà ila viennent Ien
foindiè; les non et les antres sont don»»,
tniâs en picRee eimentéas aven de Ja
peoszokaiCL U dûnckisiDn des canaux»
•nlargenres profbndemr^eclieaanoiit.
des cahaoÉ d'urvigation, est invariaMet-
ment fiaée naur cnaonn d'enx. On namn
prend oné les titres snv isaqdali elle m
p« étse établie originairemsnt n^existeift
plus ; raaià la notoriété putttiqna Ta con<4
saeirée , et las e»f artageants ne muMii**
raient pas qu'a* v dérogeAt« Le volnmè
d'eau qui oeurt datas le canal prineink'
n'étant jamais tsès«o6naidéraMe f ci ien
canaux d'irrigation étant ovdinairenMnl
idrt nombreux^ on a dvriaé«lr dniit d«
prise non pas en tant d'benses parjémv
nstts antaflt^d*beniei pat semaaio. Go
droit se nomme moàiomrAé Un canal
latéral petit avoir droit à une on pAw
sieors nimnoarùié Quand l'béure de In
moarofint arrive pour un oanal^ soq
ptol^étaire lève la mené nsoèila qui
10 sepire du canal oèincipal dtet il a
en le soin de barrer les eaux nn peu an^
dessous, et il les reçoit pendant le tenipp
auquel il a droit; ce tempe passé ci
l'heure d'nne autre nnwaonrd étant vo«
nne^c^eM à éelni b qui elle appartieni
de veiller à détruire le barrage élevé an4
dessus de lui, à fomer lé caiial dil
propriétaire supérieur et à >o«i^ le
sien. Les canaux de déritation desscT''
vebt souvent dans leor ooum d'astres
rifloles, qui prennent leurs eaux do la
même manière que l'on, vient de dbra
que ces canaux Inprenaioit de la bvàp*
aie principato.
Lee travaux de réparation à ftiiro
an réservoir commun sont à la «barge
détone ceux qui participent aux edn«4
ehaoon en proportion de ses num&owâ9i
Sa le canal principal se dégrade, les
frais de réparation pèsent sur les p^o-
priémires des canaux de dérivatl«0pia>i
ces au^lessusdtt point eodomnuigéc Leè
infipactlonsauxreglements sur les- prions
d*eau sont punies de cinq à six Jours db
prison. * >
De» PnoDOGvions n t/kM en
CnJETB. — Le climat de la Orèté Oit iéi
gnlier, sec, put* et chaude Eai été la
chaleur dans. les plaines l'y élèvera wâ
88.
L'UNIVERS.
degfé e&oMéBtàAt. Le thamioinètre y
iD0iiteà40et45 degrésoentigrades au
lolêil , 80 à 89 à roinbre, et ces eha*
fcyrs pendant pinceurs mms ne sont
Janfàis adoudea parles pluies. Le ciel do-
rant toQt ce temps reste sans nuages et
aonstamnaent d'un bleud'azur. Lesnuita
alors sont admirables; ee sont de vraies
nuits de l'Orient, ealmes» blanches et
transparentes; elles aaaènent ordinaire-
nent d'diondantes rosées. En hiver,
ifest^-dire du m<»s de novembre à la
En du mois de février , les pluies sont
fréquentes, souvent torrentieiles peu*
dant plusieurs jours. Biais dans oette
■tison même le ciel reprend souvent
sa sérénité, et il n'est pas rare qu'il la
garde quinze à vin§[t jours consécutifs,
aortout au mois de janvier. Au mois de
flftvrier, quand le soleil se dégage des
nuages, il est déîà ohaud et incommode.
Du reste, le fifoid n'est jamais rigou-
lenx en Crète ; on pourrait dire nieme
^'il ne s'y fiadt pas sentir , car la tem*
pérature en moyenne se maintient à
S degrés au-dessus de zéro ; elle est de
13 et 16 quand les jours sont beaux*
Ou parle ici de la température telle
Sn'elle existe aux bords de la mer et
ans les plaines, car en hiver la neige
couvre les montagnes. £lle commence
àtember vers la fin d'octobre, et elle se-
iournesurlescimes élevées jusque vers
la fin d'avril. Certains pics en gardent
toute l'année dans leurs anfractuosités.
Soand les vents soufiSeat de cette partie,
s portent au loin un air rafrateni. T^
ville de La Canée jouit de cet avantage,
E' » à sa proximité des oMmtagnes de
kia. Elle leur doit aussi d'être mieux
ée que d'autres parties de l'tle
«outre le khamsin, qui deux ou trois fois
ebaque année arrive des cotes de la
Barbarie, et qui, bien que tempéré par
son passage sur la mer, n'en apporte pas
moins en Cràte une chaleur âouCDiote.
La surface du pays est irrégulière,
moatueuse; elle a peu de plaines, mais
des vallées en grsnd norninre et très-
siebes. Le soi, mêlé presque partout à
des débris de roches, est varié : aii^eux
et schisteux en quelques lieux, mais gé-
néralement léger et sablonneux, il repose
r un iMid calcaire.
Lea productions naturelles et spon*
oeee pays sont : quelques nois
etelfS-semés de ehéuêSfferk^i'yeum:
ces arbres sont tous rabougris, sans vi-
gueur, et le peu qui eurestetend cbacpw
jour à disparaître; mais on peut croire
Sue sur ce point 111e a beaucoup chaoffé
e ce qu'elle était autrefois; à\» a dà
être tres-boisée dans ses parties monta-
gneuses, et le tarissement de ses ao-
ciennes rivières provient sans doute de
la disparition des forêts : aujourd'hui
die nen a phis une seule; des earont'
iders dans les parties voisines de la mer;
detrès-beaux chênes à f^alhnée,fm de
Rétimo : des oliviers sauvage* ; des jUa^
tanes, dont l'essence parait être très-
appropriée au sol de Itte, car on les rea-
eontre partout; des pins à pigtums ci
et là, et plus nombreux dans les provinoes
de l'est; dans les provinces extrêmes de
l'ouest, des châtaigniers; à la poiate
orientale de l'Ile, un bois de pabnien.
Quoique les arbres de ce bois ne doo-
nent pas de fruit, l'existence d'un bois de
palmiers en Crète est eu cto-méne
tres-remarquable. On rencontre en effet
des palmiers isolés sous des climats fiki
septentrionaux, mais non des palmieit
réunis en grand nombre et formant on
véritable bois; ceux de Crète saaX asso-
rément les derniers que l'on trouve ca
s'éloignant des riions tropicales.
Les autres arbres que la terrt prodoit
d'elle-même sont le néflier et le meri-
sier des bois; le poirier^ le pommier et
le prunier sauvages; mais tous en petite
quantité. Parmi les ariimstes, outre oo
certain nombre d'arbrisseaux ^neox,
qu'il est superflu de nommer, il y a le
laurier daphné^ le katrier-rose ^ le
myrte, Varbousier^ la brugén.ha
myrtes en Crète sont renommés, et ib
méritent de l'être : on dte surtout ceux
2ui croissent aux environs de La Canée
ans une vaste plaine que l'on nomme
la vallée des myrtes; mais chaque par-
tie de la Crète en possède. Ils tormeot
des bosquets toufbis et élevés. Vn
homme à cheval qui les traverse dispa-
raît souvent aoua leurs branches. La
feuille du myrte sert au tannage^àla
préparation des peaux pour ehaossorei.
Le laurier-rose atteint oe dooseà qoifltf
pieds de hauteur; il pousse dans le lit
des torrents et le long de tous les eoioi
d'eau, qui en autonme ressemblestaian
à de kmgs rubans de fleurs. Dans qod*
ILEDSCBftlB.
9m
qms locaKtéi , on met 1m laoriers-nMct
en ooupes r^iéee, et lear bois s'emploie
à faire du charbon, qoi est, il est ^rai^
de fort manvaiee qaaiilé. La (n^yére
couvre le flanc de certaines collines sur
un espace quelquefois de plusieurs
milles. Chaque trochée est un épais buis-
son , haut de cinq à six pieds ; sejrfées
les unes contre les autres, elles devien«
nent des fourrés impénétrables. Quand,
▼ers la fin du printemps , ces brayères
sont en floraison, on croirait, à unecer*
taîne distance, que l'on a sous les yeux
une immense nappe de neige. On ne
saurait dire quelle sorte d*âonnement
et d'admiration l*on é|NrouTe la pre-
mière fois que ce beau spectacle tombe
sous le regard. Le iawrier daphnie très-
commun dans les terrains secs et pier-
reux, pousse desieta vigoureux et élevés.
Il y en a de plus de dix-huit pieds de hau-
teur. Les paysans tirent parti de cet ar-
buste; ils en distillent une huile essen-
tielle fort odorante, dont ils font grand
usage pour eux-mêmes, et dont on 6ut
des envois à Bengasi , Tripoli et Tunis.
Parmi les plamtes, on compte le cUte, le
dictante^ le sqfiran, le ricin, etc., etc.;
il en sera question plus bas. Il n'y a nas
d'herbages naturels en. Crète, si ce nest
peut-être dans une des provinces de
l'ouest. Partent ailleurs les terres sèches
ne produisent qu'une herbe rare et
courte, sur les bords des chemins et des
fossés. Dans les terres mouillées et ma-
récageuses, il ne pousse que des roseaux
et d'autres herbes aquatiôues.
Les productions artincielles, celles
ui sont dues au travail et à l'industrie
e l'homme, constituent l'agricultuie
proprement dite. A ce titre eVis denoan-
dent à être passées en revue en détail et
à être traitées avec un certain dévelop-
pement; quoique l'ordre dans lequel on
va énumérer et exposer ce qui se rap-
porte à chacune d'elles ne soit peut*
être pas toujours par&itement métho-
dique, on a cherclie autant ^e possible
à procéder par groupes et a introduire
dans chacun d'eux les matières qui se
rapprochaient entre elles par la ressem-
blance ou l'analogie.
Les oéréales tiennent le premier ranc
parmi les objets sur lesquels TagricuE
ture s'exerce.
Les oéréales cultivées en Crète sont :
3
Le W» dont il y a deux espèees, toutes
deux d'hiver. Le grain de I une est dur,
corné) d'un iaune rougefttre; celui de
l'autre est blanc et touire. Tous deux
sont à barbes; le dur est cultivé sur les
montagnes, le tendre dans les plaines.
Les semailles se font après les premières
pluies de novembre, et sont générale-
ment tenninées partout vers la fin de
décembre. Il existe un autre blé , dit de
mars, dur, gris, et à barbes également;
il se sème du 16 février au 16 mars,
mais il est peu cultivé, car, pour réussir,
il exige un terrain tiès-approprié et un
labour profond. On a vu aue la cbarrua
ne porte guère au delà ue cinq pouces
de profondeur. Le blé est fréquemment
attaqué de la rouille, mais très-rarement
de la carie, de l'ergot jamais. On n^
chaule pas la semence ; on ne chaule da
reste celle d'aucune céréale.
La quantité de semence est d'un bec*
tolitre et demi par hectare. Commune*
ment la récoite est de six à sept fois la
semence , souvent de deux à troia seu-
lement; mais quand on sème sur ua
champ qui a été précédemment emblavé
de coton ou de sésame , on obtient dix
ou douze fois la semence.
Le rendement en farine est d'ordi-
naire des trois quarts du poids du blé.
On calcule que la récolte du blé; année
moyenne, en Crète est de huit millions
de kiiogranunes environ, dont quatre
millions dans la province de Candie,
sept cent mille dans la province de Ré-
timo. et trois millions trois cent mille
dans la province de La Canée.
Le prix moyen du froment est de
16 fr. 60 c. les cent kll.
Le seigie est cultivé en Crète, maison
très-petite quantité. On le sème dans les
parties montagneuses, sur les terres schis»
teuses. Le meilleur est celui d'automne.
Vorge est le graiu dont la culture est
la plus générale. On le sème dans toutes
les parties de l'Ile et en quantité assez
considérable, car sies usages sont nom-
breux. Le paysan en fait sa nourriture ha-
bituelle; en outre, les chevaux, les mu«
lets, les fines le mandent pendant une
grande partie de l'année ; on le mâe à cet
effet à la paille. La paille de l'orge est
courte, mais fine et belle; on ne la sert du
reste aux animaux, ainsi que toutes les
autres pailles, que brisée et hachée ea
698
irQgiivn&
mentis rriormmii : <mIa prbtf ttrt dti mode
de battage iodiqiié plot baut. La vaHété
de l'orge préférée en Crèle est eelle d^bl»
ver. Il y a cependant aussi des orges de
mars. On emploie deux beetolitrss un
quart de sem€lkiee par heetare; la réeolte
m quelquefois de quinze féis la semence,
mate le plus ordinairement de huit à dix.
La récolte annuelle est detrelM millions
de kilogrammes, «uxquels la pvotineo
de Candie participe pour cinq millions
ein^ eeni mille, celle de Réamo pour
trois ndllions, et celle de La Canée pour
quatre ndliions cinq cent mille. Le prix
moyen de l'orge est de tt francs les
Mxantetdix kil. (I).
Âvùine. Cest l'espèce dils atolne
éammune. Elle est semée aux premières
Êies ; en général avant le blé. La quan-
de semence d*avoine par hectare
est la même que celle de forge ; le ren-
dement est le même aussi. La récolte
annuelle est de sept millions de kilo*
grammes : la pronnoe de Candie, cinq
millions; celle de ftédmo, deux cent
iliille, et celle de La Canée , un million
huit cent mltlc. Le prix moyen des cent
killogrammes est de 10 fr.
La moisson de fontes ces céréales est
terminée au mois de juin.
Le îHâfs n'est cultiré que dans tes^
eliamps arrosables. Celui que l^en sème
est la variété dite mais de Grèce, à
fpains jaunes, qui ne produit qu*un épi,
rarement deux.
Excepté dans la province de Candie,
eèsa cmtnre feit partie des assolements,
ofi ne le plante dans les autres parties
de lUe que pour nréparer ia'semaille des
haricots. LépiemicueiHiavantsa niatu»
lité, eties grains en sont mangés bouillis
en grillés. On en donne aussi quelque*^
fois aux vplallles. L*égrenage des épis
mûrs qt|i sopt gardés pour la «emence
ie f^lt à la main. Les champs implantés
de mais sont souvent arrosés, mais ja«
A>ai8 fumés : la récoite annuelle est de
cent mille kilogrammes ; produits exclu*
slvement par la province de Candie. Le
prix moyen est de 90 fr. les cent kilo-
Krammes.
Le H«j le sàrghi, le mUkt, le sar^
(! J Ces chiffres, qui ne peuvent être qu'ap-
prûximatife, font le résiritat d'informations
iHQtttiettses et multipliées. -
fuiiti, iti tgiMim mnl insonnas.
On ensemence en Grète une aasex
grande quantité dn champs ani^ptef et
«eases, mêlés d'an qqart d or^s, et semés
ivis-dra. La «ésolte de cm diamps est
mangée en vert et avant La matitiité. An
mais de mai et d'avril , on y parqoe les
animaux, qui mangent ia planta aur pied ;
ou bien on la coupe pour- la leur portera
réeurie. Cas champs larmeat M aenis
Hoorragss da la Crète. Il n'y a oas, ainsi
qu'on ra dit, deoâturagas ni pnnrios na-
turelles, et il wf a pas de ptairiea ar«
tificieiles, tellet qu9 sainfoin , trèfle,
hiseme, etc.
- Le produit en argent dea tams ainsi
ensemencées peut élne évalué à IdMM^
fr., qui se lépavtisaent ainsis S8^000 fr.
la province de Candie, 38^000 la pro-
vince de Rétimo, et40,600«elinde Canée.
Parmi les plantes céréales m cultive:
* 1^ Les semences isrintUBOB suivantes:
lAfèvé. La ftve proprement dite ne ss
cultive pas en grand : on s'ecoupe da-
vantage d'une sorte de févevola ; elle est
assez répandue, bien qu'elle ne réuisisie
pas par&itement, soit que l'orDbnnche la
détruise, soit que le fumier dont elle a
besoin soit mal préparé et înégalenwnt
distribué sur le tenraln. La rénolte an-
nuelle des fèves est de deux miltions de
kil. : Candie fournissant huit eent cin-
quante mille, Rétûno qaatro-viagt-dîi
mille, et La Canée «i million aoisaaie
mille.
Le prix des eeni kHogrammea est de
ITJ&P.
Les haricots ne Bont cultivés que dans
les jardins, pour toc eonaooiniéa en
VCfl.
9^ Les racines nourriasantsa . le topî
nambour et la pomme de ferre»
Le topinamooutesX en abondance aur
les marchés, mais la poauna éè Hittt
est une importation récente à La Canée
et à Candie. Des Européens et, à leur ins*
tigation, quelques gens du pays -ont frit
d«B essais de cetle culture, et les essais
ont été asscK haireux pour qno lea cul-
tivaleurs fassent engaum à les continMr.
I^sus les terrains de nie ou è pea près
paraissent être favorables à la culture ds
èette racine. En irisant ehohc de mux
cpî lui conviendraient lemieux^ellerto-
sirait à merveille, et serait dhme grande
feflttottme dans un paya oà to prodnetion
ILE DB CMkTE.
des «éréaltt mk Mn de suffire aux be-
soins des habitants. Où pourrait surloul,
comme on Ta fait dans quelques jardins,
planter des espèces hâtives en octobre,
après quelques pluies qui tombent à
sette époque, et avobr la rëeolte en arril
3t mai. Quant aux autres qualités, dans
les localités où les champs me sont pas
abrités contre les vents violents d'ouest
et de sud-ouest, on ne peut tes planter
|u'aux mois de février et de man. Alors
les chaleurs et le défaut de pluie ont
pour effet de dessécher les tiges avant
la floraison, oui a lieu au mois de juin,
et il ffiut se hâter de récolter; autrement
Tardeur extrême du soleil au nrois de
juillet tue le fruit. On ne pourrait pro-
longer leur séjour en terre et par suite
leur végétation qa*aa moyen de profonds
labours, qui leur feraient brater la sé-
cheresse et leur permettraient de fleurir
et de conduire leurs fruits à maturité;
Bilors on obtiendrait sans doute de belles
et bonnes récoltes.
Les légumes sont :
Le cnou de plusieurs espèces . le
poireau et le chouftêwr^ 1\iq au fruit
blanc, et l'autre de couleur violacée;
les artichauts, dont on ensemence de
grands terrains et dont on fait en outre
des bordures aux champs qui avoisluent
les villes et les villages ; le concombre,
qui se consomme en quantité très-con-
sidérable ; le melon, qui vient en plein
champ, mais qui n'est oue d'une qualité
inférieure; là pastèque, wMt, très-grosse
et bonne, et qui a sur le melon l'avantage
de se conserver saine pendant plusieurs
mois; la courge^ le potiron, la tomatey
fort bonne et en grande abondance: ïau»
àergine, te gombo^ fruit açiueux, de peu
de saveur, ce^qui n'empêche pas <jue
les Cretois en soient très-friands ; \*epi*
nard, le eerfeuU, te pourpier; point
à^ oseille; des salades médiocres et d'ail-
leurs peu cultivées, si ce n'est dans quel-
ques jardins auprès des villes. On ne les
fait jamais blanchir; les habitants pré-
fèrent les manger vertes.
Parmi les racines lumineuses, on
a la carotte^ très-bonne dans les Jardins
qui avoisinent la ville de Candie, et
partout auteurs dans 111e de fort mé-
diocre qualité; la betterave, qui au-
jourd'hui réussit mat : cependant dans
cin temdn frais et bien ameubiéf la bette-
rave à suere et ehamnêlre pourrait Itie
semée en mars, résister aux chaleurs de
l'été , se développer dans la saison des
euies et donner en mars et avril, avant
floraison, des racines énormes ayant
de grandes qualités saccharines ; la rave,
le radis, Vcignon, Vail, etieehùu-navet.
En général , et sauf de très-rares ex-
ceptions, tous ces légumes soot de qua-
lité inférieure : non pas sans doute que
la terre n'en puisse produire de bons ;
mais l'industrie qui leur serait néces-
saire manque à ceux qui les cultivent.
On suit la routine; et bien qu'autour
d'eux des iardùriers voient oes fruits
meilleurs dans les champs de quelques
Européens, ils ne s'informent pas même
d9S procéda auxquels on en est rede-
vable ; bien plus, ils dédaignent ces fruits
meilleurs , par grossièreté de goût d'a^
lK>rd et ensuite par orgueil : quelque
singulier que puisse parattre ce senti*
ment en pareil-propos, ils donnent la pré-
férence a leurs herbes insipides. Nos pè-
res, disent-ils, se contentaient de œlles-
là , pourouoi ne nous en contenterions*
nous pas r Ces Européens nous fatiguent
avec leurs prétentions de valoir mieux
que nous en toutes choses. Cest aux
Turcs surtout oue l'on entend tenir ce
langage, et ce n est pas de la bouche des
gens du peuple qu'il sort le plus fré-
quemment.
La valeur en ar^t des légumes cul-
tivés chaque année peut s'estimer à
400,000 fr. : 80,000fr. dans ta province
de Candie; dans celle de Rétimo 60,000,
et 270,000 dans celie de La Canée.
Les plantes oléifères se réduisent à
deux ou trois ; aucune même n'est cul-
tivée en vue de l'huile que l'on pourrait
en extraire. L'olive en donne si abon-
damment dans rtle, que l'on ne songe
pas à en demander à d'autres sources :
bien plus, les Cretois répugnent à l'im-
portation de toute plante oléagineuse
dans leur pays. Un secret instinct, et
déjà l'expérience, leur apprend que ces
graines amènent insensiblement la dé-
préciation du produit de leurs oliviers.
J)ansleur ignorance, ils ne comprennent
pas qu'il ne dépend pas d'eux d'arrêter
cette concurrence, qui malgré eux sera
faite par d'autres pays; que quant à ce
qui regarde la Crète, ce ne sont pas les
changements de graines dont tel négo«-
i/unafOis.
cîant de MarseUie pourrait 8*y ai^rovi-
sionner qui empêcheraient ceux gui font
le commerœ des huiles de continuer à
lui en demander selon leurs besoins, et
qa*ainsi il y a sottise à se priver des
avantages dun nouveau produit qui au*
mit pour effet de compenser les pertes
dont la culture de Tolivier est menacée.
Ce raisonnements! simple dépasse la por-
tée de rinteiligence des gens de ce pays.
Les seules plantes oléifères actuefle*
lement connues et cultivées sur une fai-
ble échelle sont : le sésame, dont les
graines s*emploient à saupoudrer la pâte
e certains petits pains , ou dont on ex-
trait l'huile pour en faire quelques pâtis-
series au levant On donne en mars et
en avril i^usieurs labours aux champs
destinés a cette culture, et vers le l*"' de
mai on sème, sur un nouveau labour, le
sésame à raison de deux kilogrammes
par hectare ; on recouvre la graine au
moyen du volossiri. Quand la récolte
réussit, ce qui n'arrive pas toujours, car
quelquefois la graine ne lève pas. on
peut obtenir de dix à douze hectolitres
par hectare. Cette graine est exposée
aux attaques d'une espèce particulière
de moucherons qui détruisent le sommet
de la tige au moment de la floraison*
En général on tarde trop à semer et on
ne consacre aucun engrais à cette plante,
qui en aurait besoin.
La production totale du sésame ne
s'élève guère au delà de cinq à six
mille kilolitres; il se vend 45 fr. les 70
kilolitres.
Le lin, qui est d'une espèce dégéné-
rée, ne produit qu'une filasse courte et
f rosse, et ne donne pas en graine au delà
e trois fois la semence, quoique les
champs où on lesème soient de ceux pour
lesquels les cultivateurs ont le soin de
réserver leur engrais. Les semailles se
font dans le courant du mois d'octobre,
sur deux ou trois labours. On le sème à
raison de quatre hectolitres par hectare.
La production annuelle du lin est de
soixante mille kilogrammes : trente-huit
mille à Candie , quatorze mille à Ré-
timo, et huit mille environ à La Canée.
Le rendement de la graine est com-
munément d*un poids double de celui de
la matière textile. La récolte de la
graine est donc de cent- vingt nulle kilo-
grammes.
Le Uo se Tend 80fr. les oeiitkil.,el
la graine 20 tt.
Le ricin croît naturellement dans
l'île ; mais les graines ne sont pas ré-
coltées.
La culture du chanvre est inconnue,
et comme plante textile et comme plante
oléagineuse. Le pavot, dont on ne s'est
jamais occupé jusque ici, va être pro-
chainement essayé
Comme plante textile on a le coton,
cultivé dans queloues plaines et princi-
Ealement dans celles qui avolsinent les
ords de la mer. Plusieurs causes con-
tribuent à rendre cette culture peu pro-
ductive. La première et la principale, à
laquelle il serait facile de remédier, pro-
vient delà graine même que l'on emploie.
Cette graine est celle d'une espèce abâ-
tardie : le défaut d'engrais, le peu de
profondeur des labours , l'époque avan-
cée à laquelle se font les semailles, du
l^^au 15 mai environ, et que l'on recule
ainsi , afin de ne pas être obligé au sar-
clage, sont, après la mauvaise qualité de
la semence, les autres causes de la dé-
térioration de la plante. Il est rare que
l'on arrive à récolter deux cent cm-
Suante kilogrammes de coton dans un
ectare. Il est vrai que le paysan tire
en outre parti de la graine, qui ger-
mée sert de nourriture aux bœufs.
Cependant si on choisissait de bonnes
qualités, et si surtout on donnait à cette
plante exigeante les soins qu'elle de-
mande; si on anticipait l'époque des se-
mailles, afin de les taire profiter des pe-
tites pluies qui ordinairement tombent
vers la fin d avril, il y aurait de beaux
profits à attendre de cette culture. Telle
qu'on la pratique maintenant, elle a plu-
tôt pour objet de donner une dermèn
préparation aux champs déjà reposés
par une ou deux années de lacbère, et
de les approprier pour l'année suivante
à un ensemencement en blé. La graine
de coton, que l'on sème à la volée, est
d'ordinaire mélangée avec des graines
de pastèques, de melons et de mais. La
récolte annuelle du coton est de quatre-
vingt mille kil. : soixante mille dans la
province de Candie, quatorze mille dans
celle de Rétimo, et six mille dans celle
de La Canée. Le prix moyen du ootoa
est de 110 francs les cent kiL
La garance est la seule plante tînelo*
OjEubcbèie.
riale «xistant eà CSrète. La coltore en a
été essayée par deux propriétaires seule*
ment. Les essais ont'été faits en petit ;
mais ils ont réussi , et on pourrait les
étendre. La garanee trouverait beaoeonp
de terrains qui lui ooovieodraient autant
que ceux de l'Asie Mineure , dont elle
est on des riches produits. Seulement,
comme la sécheresse en Crète est plus
forte qu'en Anatolie , elle demanderait
tieaueonp de soins ; il lui faudrait ceux
qa'on Im donne dans le eoratat Venais-
sin, et l'on ne peut pas les attendre des
Cretois.
La province de Candie produit seule
de la garance environ 1,000 kil., qui se
vendent SOO francs les 100 kil.
Le tabac est peu cultivé en Crète. Ce-
pendant cette plante peut rendre de
1 ,800 à 3,000 kil. par hectare. Les semis
ont lieu sur planche en janvier et dans
les lieux aorités. En avril, on les
transplante à trois ou quatre pieds de
distance , dans un champ auquel on a
donné jusqu'à cinq labours. On arrose
chaque pied avec une dissolution de
famier de brebis. Les sarclages , les bi-
nages ont lieu à la houe. La récolte se
fait feuille par feuille, ce qui rend cette
culture fort chère; et comme d'ailleurs
aucun cultivateur n'a de local assez
vaste pour faire sécher les feuilles , la
culture du tabac se borne à quelques
ares , que certains propriétaires y consa*
crent autour de leurs demeures. Le tabac
de la Crète est d'une qualité inférieure;
celai de Rétimo a cependant quelque
réputation.
On rencontre quelques autres plantes
pour l'usage domestique qui sont h Tétat
de nature. On mentionnera en première
ligne :
Le ciste de Crète, qui produit le lai*
danumou laudanum du commerce. C'est
une substance visqueuse et odorante, oui
transsude et forme un enduit sur les
I'eunes tiges et sur les feuilles de Tar-
)ri8seatt^ On le ramasse, pendant les
fortes chaleurs de l'été, en passant sur
le ciste à plusieurs reprises un fouet
formé de plusieurs lanières de cuir.
Quand ces lanières sont chargées de
laudanum Y on l'enlève en les ratissant
avec un couteau, et on le met en pains.
Un homme peut en recueillir jusqu'à un
kilogramme et demi par jour. On en re-
cueille eBvjimieoo ky. dans la promee
de Candie et 126 dans eelle de Rétimo.
Le prix fait est de 6 francs 26 oentimei
le kil.
Le dictame, dont on récolte de pe-
tites quantités, et seulement dans les
montagnes de Sphakia. Le dictame, ce*
lui de Crète wincipalement, était autre*
fois fort reenerché, à cause des vertus
médicales qu'on lui attribuait. Aujour-
d'hui il a perdu sa réputation , et il ne se
trouve plus que dans quelques pharma-
cies. Cependant les quantités que Ton
recueille sont facilement vendues au prix
de 4 francs le kil.
Les autres plantes de cette classe sont
la régiiâie, la sauge , VabsUUhe^ le sch
fran, qui existe dans le pays, mais n'est
presque pas recueilli. La guimauve, la
menthe , la mélisse se trouvent en pe*
tite quantité dans quelques jardins.
Abbbbs ▲ FBUiTs. — lïous arrivons
à une des ^andes sources de la richene
du pays. Diverses sortes d'arbres y con-
tribuent pour une large part. Le carou-
bier, le chêne à vaUonéej le mûrier,
ïoranger^ la nigne particulièrement y
apportent chacun leur contingent; maïf
VoUvier surtout y fournit abondamment,
et a lui seul plus que tous les autres en-
semble. L'huile que l'on en retire peut
être estimée, année commune, à une va-
leur de 7,000,000 de francs. D'autres
arbres fruitiers ajoutent leurs produits «
quoiqu'en moindre importance , à ceux
que l'on vient de nommer : ce sont le
châtaignier f Yamandier, le pommier,
le poirier f le noyer^ le ceriàer bigar*
reautier^ qui sont en Crète des arbres de
plein champ; et dans les vergers, le
figuier, le pécher, Vabricotier^ le pru-
nter, et d'autres encore. On va traiter de
ducun d'eux, en suivant le rang d'im-
portance qu'ils occupent dans les res-
sources du pays.
Volivier couvre les campagnes de la
Crète; il est la véritable richesse du pays;
il en fait aussi l'ornement. Grâce à cet
arbre, l'œil trouve à se reposer sur des
masses de verdure dans un pays qui
sans cela ne présenterait durant la plus
grande partie de Tannée, quand les ré-
coltes ont été enlevées , que des aspects
d'une désolante ariijité; mais partout, et
à chaque changement d'horizon, on dé*
couvre des bois d'oliviers, dont quelques»
ïTBtmasi: '^
«M l'étendèat ièr in él^«nde|»liitlèan
ntflief ; et «e ne sont pac Ui, eoimne en
9vonHMe,'par «Mit)|il«Y des ârbret arér
les, bas, earnis d'un rare feuillage a la
couleur MmehAlre. Les oUviars en
evètesont vigcnumni , leur tronc a'élève
à prèe de huit pêeda «n-desaut de la
terre , aeuTeot deui tiemnea réunis ne
j^pviendrme&t pas à en embrasser la
cireooféreaee. (Son branchage est loufâi^
presque régulier; il n'est pas rare qu'il
atteigne vingt et tnnte pieds de b«a«-
ftnr. Ses leuilles sont d'un beau vert;
iMbenreosement les Cretois ne savent
pas sur ce point , non plus que sur les
autres, mettre è profit la Ubmlité dont
hinaturea ueéent ers eux. Ons'en repose
0or elle du soin de produire, et l'indue-
trie ne tni vient geère en aide. Les soins
donnés en Crète à l'olivier ee bornent à
labourer la terreoû ile6tj|ilânté;leehamp
jteçeU deux y quelquefois tiois labonrs
à la fAïamie, de février en avril ; apnès le
dernier on passe sur la terre la planche
qui sert de herse » et Fon ettttid la 1 6-
oolte. On ienere absolument ee que c'est
que la taille, eombien elle est néiBesBake
a l'arbre, et quels avantages on en rett*
verait. Elaguer les brandi gourman-
des de manière à ee que Teir oircule
plus librement, que les fruits soient
mieux exposés au soleil et que la sève
se fixe dans les parties puissantes , per«
sonne n^y songe, personne même ici ne
serait en état de le faire d'une manière
intelligente etsére. On seeontented'euf
lever et souvent très^mparfaitement les
branehes mortes ; on ne coupe pas tou<^
fours celles qui naissent an pied deTar-
bre et finissent par l'entourer d'un buis»
son. L'engrais ii^est pas plus en usage
que la tailie ; seulement on dépose au
pied des arbres, non pas de tons, mais
de quelques-fins , à tour de rdie et è des
années aintervalle, (lu mars des olives,
et cela en masses t^les, que Tarbre en
est le plus souvent Incommodé.
; Cependant qudmies propri^aiffes ,
mfeut avisés, ont oivfsé ces tas d^en*
grais; ils les pnt répartis sur la surface
ent^re du terrain ; et ils ont été récom-
pensés par des réeoHes plus abondantes
et de meilleure qualité. L'exemple n'a
pas profité à leurs voisins; ils se sont
obstinés dans leurs anciens errements.
Xussi est-ii rare qne ies oiivieni predui**
asntdeoK annéis éé mile nn CMie. U
ne irat compter quo sttr ées féasètsi
qui alternent de ëênx ans en deux ans.
lia rénaite des olives se ftit de deux
manieras : dans eertnÏBeB cootrseï sa
emploie la gaule pour Us ahatlse, et os
les reçoit sur des draps étendus su piid
de l'arbre. Mais généralement ïm^
est de les reoueiiljr à la main, et pov
osla on attend que la maturité les ail &it
toutes tomiier, de telle sorte qo'ooc
grande paetie des fruits séfomme long-
temps sur la terre, exposée à l'humidité
des rosées et à la dessiccation, quand le
soleii vient ensuite les frapper. Il en ré-
sulte un très^and déohat dans le pro-
duit de la récotte. De plus , les obvci
trop mdres donnent une hutte trop
grasse^ fiorte et ranoe, même quand elle
6it nouvelle^ La récolte se fait depuis le
mois de septonbre jniqa'en février et
mars, selon les localités et lesespèoo
d'olives. Ce sont des fommes et des |es-
nés filles qui sont cbaigéra de ks n-
masser; quand cbaeune d elle en a réasi
une quantité snfflsente,eUe la porte dam
le magasin du propriétaife , où eikes
fait un tas partieulier, jusqu'au moneot
où on le portera au ppessw, ee qui n'a
lieu quelquefois qu'au bout de quatre on
six mois. Pou» éviter la isnnentaUM
qui pourrirait les olives, no les eoum
de sel marin; mais leur propre poids Un
pvesse; Tean de végétation suinte de
toutes parts dans le tas, et ma^ le sel
il s'y forme un principe de foinsbtBtioB
qui diminue d'autant ia partie boileeis
et communique à ce qui en resta use
seveur fiers ot fort désagréable. On sait
qu'en Provence, pour remédier à ees ia*
oonvénients, on oonstraitun faux plso*
cher percé de trous sur lequel ou pisoe
les Olives, et, en établissant sous ce
faux plancher un grand eooraat d*air,
on parvient à empéâiw la fermeatatioB.
Ce serait prendre une peine vaine ^ee
de recommander ici de sembtaMes pié-
cautions. Mais le prinei|>al domina^
supporté par les piopriétatRS d'oiivios
lors de la récolte des olives n'a pas potf
cause les usages et Iss procédés peu is*
tellieents i\m l'on vient de signaler; il
résmte surtout du manque de naussce-
ses; même dens les annéss de récoHe
moyenne, le nombre n'en set nas saS-
sant pour leoneiHir tous les mritt; ^
ILS ai
Inis lat aanéM éténnimÀe^ ^mUaâB
|y« plus â\m qnwi ifto petd , faute éi
(ras; dons cet aMéet^ la ramanauie»
ivid«ment raobaroliéa , a« Imq dis deux
eptièmes qu'on lui abattdoBue urdi*
lairtmenl pour sa psft sur ta qurnitHé
|u*ell6 a reouaillis, rsçôit ia titra. Da
«ate, les profits qu^le retira da et ira-
rail sont toujours (aiililas, et le travail
st très-dur. La rifpenr de la aaiaoo, U$
Dtempéries de Pair et les philas féut
|ue plus d*aaa jouruéa est une jouraée
le p^Des et de aouffraneas. Une bonue
ravailleuse ne ramasse guère d'otÎYes
iu delà de oe qui peut fournir trois cent
reate kilograMmes d*huite, souvent
nofns. Sa put eaiculéé au tiers est dana
e cas de eent dix, qui au prix de 60
«mimes le kilogramme lui Talent de
K) à 70 francs pour einq moia eQviron
letraTaiL Toutes eependaot attaodent
mpatiemment le temps de la réoelte, Uni*
es8*y pressent, les Jeunes filles sunxwt:
»utre la petite somme qu'elles rappor*
eroot, Q*eBt te moment d'un peu de li-
berté , du travail en oommun pendant le
our et dee veillées afeo leurs eaoseries
esoir.
Le moulitt à tHdle est à une ou deux
)ierre8, suivant l'iroportanee des réeol tes
lu lieu oà II est établi. Les olives sont
écrasées par une aoeule ttès^esante, qui
oume vertîealement , mue par un obé-
rai ou par un mulet. Lorsqu'elles sont
broyées et réduites en pâte, cette pflt»
st mise dans des sacs en crin et plaoée
ious une forte presse k vis. Au-dessous
ia plateau de cette presse est une jarre
n terre, Skéeà demeure dans le sol al
rfaeée pour recevoir l'bniie qui aPdoouie.
^ temps en temps cette jarre est iddée,
^huile est versée dans des outres dites
i*une Mua de cbèvre retournée le peil
n deelans , et tranaporiée soit dans lei
nagasins de la pvopnété, soit immédiaio-
nent à la ville voisine. Le mare qm* reste,
it qui contient beaucoup d'buUe encore,
ist abandonné nendant une vingtaine de
ours dans un lieu où on Tentasse en la
tressant avec forée, et ci il i^échauflé
^romptement. Alors on le soumet du
louveau à Taction de lu meule etàceHe
le la presse ensuite. Hn'vapaadeuiev*
in à recense. Le produit de cette seoande
ntraction est joint daa» les tines à celui
1« la pMaière. 'Jtouu i'Mlede C»èle«e
r:*j-
âdNriq«s éé U HMlme maHre: Ottcnm4
^sond combien ces uroeédésaont viciettx t
lia eut pour cfEst ue mêler enaernbèalet
deux oatorea dliuile bien distincfees que
Mira eontient» celle de la pulpe et eeUo
dm noyaux. La dernière coqtmunique an
tout quciqim chose de sou âcrro, et
disnoae l'huile I une prompte mncidtlé«
Tout ae réimit donc pour faire du
Ffamle de €rète une buile nuuaéaiboDcla
et à peu près immangeable: réeolte des
fruits déjà débiviorés, Inaaâlsance dee
moyens de conaorvation en attendant
qu'ils aoiCQt portés au precsoir, grossiè-
rslé des procédés de fiibrioation ; auaai
n'est^elie propre qq'à la fabrication du
aavon. Le paysan cependant s'en sert
comme aliment; il en fait une grande
eonaommation, et jamais il ne lui cal
venu à l'esprit d'amettorer, quoique cela
kii ssrait trèa*faeile« la pajrtio qvil ré»
aerve à ses usafpes domsstiqueB. Oopm
quelques années^ des habitante dm vil«
les, mais en petit nombre, l'ont tenté:.
tts font cueiilir les olives a ia main sue
l'arbre avant qu'ellss aient atteint totttc
leur maturité , et ils ebcisisscnt ceilea
qui sont de phn belle apparence. L'huile
Si'ellea donnent est de itoane qualité ,
jà aaaei agréable augo^, quoique eoB»
aarvaat encore quelque diosa de rftereté
et de ramertume qu'elle doit au maie
de sa fidirioation.
Lea fruits d'une variélé d'olives sonè
spécialement destinés à être gardés oob*
fitt, et les babitantsde la Crète, les Gieac
principaleflMnt, durant leurs nombetmc
et lon^ carêmes , n'ont aauvunt d'autro
nourriture que oea oli vis eoQservées dans
le sel marin. Ëllus eent désagréables a»
|odt, et leurs prapriélés malaaiMSocea*
sionaent de nombreuees maladies. Ce^
pendant il existe des procédés airaplea
et fadles de préparer pour les obves
une bonne conservation, ceux entra au**
Ires qui portent le nom de picholène8.r
lia sont inoannus ou du moins ils ne
sont pas pratiqués en Orèei,si cen'cst
dans les maisons de quelques Européens,
qui n'ont pas d'imitateurs.
Quelque nombreux que les clivicrt
scient encore en Crète, cet arbiu ay
ahiai que toutes les autres productions
de rtlc, souffert de l'état de guerre et de
dévastation qui a si lengtemperuaié le
|»ya : l'imamme plaine qui t'éiMd^mui
LIUUVMSi
les mare de Gmdie «n était, dilmii , 0011*
verte autrefois; il n'y en a plue un leiii
aujourd'hui : tous ont été détruits pen-
dant le siège de la ville. D'autres parties
de rtle en ont été de même plus ou
moms dépeuplées. La reproduction se-
rait aisée. Au snA de l'Ile on trouve de
très-grandes quantités d'oliviers sauva-
ges « qui ||rené8 avee de bonnes varié-
tés, soumis à la taille et à des labours
réguliers, donneraient en peu d'années
de belles réeoHes. Le pacha, il y a dix
ans, a fait l'acquisition d'un terrain où
l'on comptait vingt mille pieds de ces
plants sauvages. Onen ffrene une partie
chaque année, et le produit d*une seule
récolte de la partie actuellemoat en ran-
port l'a couvert de la totalité du prix dV
chat. Ailleurs, là où il n'y a pas d'oliviers
sauvages, on pourrait, soit ]iar marcottes
ou boutures , soit par semis , former des
pépinières el multiplier les olivettes ; piu»
aieurs l'ont lait et le font encore chaque
année, mais en faibles proportions. Il
frut le redire encore, les bras manquent
à la Crète, leur défout arrête tout pro-
nrès sérieux ; et puis l'olivier met près da
nuit a douze ans avant de donner une
récolte véritable. Or, quels sont les hom-
mes en Crète qui ont pris assez de con-
fiance pour compter sur un avenir
ajourné à douze années.
La production annudle de l'huile est
de dix à onze millions de kil., ainsi ré-
partis : la province de Candie en pro*
duit quatre millions cin(| cent mille,
celle de Rétimo deux millions cinq cent
cinouante mille, et celle de La Canée trois
millions cinq cent mille. Le prix moyen
peut être fixé à 71 francs les cent kil.,
c'est donc une valeur de 7 à 8 millions
de francs que Ttle retire annuellement
du produit de ses oliviers.
St la vigne ne tient pas après l'olivier
le second rang dans les produits de la
Crète, il ne dépendrait que de ses habi-
tantsdeFv placer; car dans toutes les par-
ties de nie le sol est merveilleusement
propre à cette culture. La vigne réussit
partout; elle donne partout des fruits
eieeilents : dans certains cantons eUe en
donne d'une quitté vraiment remarqua»
ble, les uns pour être mangés à la main,
les autres pour le vin que l'on en tire.
Cependant, on lésait, la vigne, pour
prospérer, exige des soins uMaUpUés et
inteUigenli. La &iiitaliMi da m, fort
simple en elle-même quand il ne s*êf^
que d'obtenir du vin, devfont on art cmi
les peuplesindustrienx, et cet art la trans-
forme. £n Crète la culture de la vigne
est à peu près abandonnée àette-méme,
si on la compare à ceQe de beaucoup
d'autres pays ; les procédés de la fabrica-
tion du vin surtout y sont grossiers, Isls
qu'on doit les attendre d'hmpmes à qm
toute science est étrangère et qu'aucune
émulation ne stimule. Vienne le jour
où des ouvriers habiles prendront ea
main cette cul ture ettoutes les opérations
2ui s'y rattachent, et bientôt les vins
e la Crète acquerront dans le Levant,
plus au loin peut-être, une gramieet jusic
réputation. Dès à présent on y complB
une vingtaine de crus différents, recber*
chés parmi les autres. Us sont tons très*
spiritueux, se bonifient beaucoup ea
vieillissant; roaÎB ce que l'on noounek
bouquet leur manque presque toujoun.
On ne réussira ûmais a en Caire des vins
légers propres à l'usée ordlnake de li
table ; mais des geùë entendus en etoc
matière sont d'avis qu'ils deviendraiefit
facilement des vins de dessert, dont k
goût se rapprocherait de ceux de Maisala
et même aes vins d'Espagne. Gomme
rfispagne, la Crète produit des vins sea
et d autres doux et liquoreux.
Les plants de vignes sont géoérale-
ment i^césà undeml*mètre de *t»^MM^
l'un de l'autre; ils forment des lignes
parallèles d'un mètre de laigenr. Le cep
est tenu très-bas ; les sarments, abaodon-
nésà eux-mêmes, rampent sur le aol. Ce-
pendant dans quelaues parties de nie la
vigne est accolée à des platanas trèi-
élevés, Qu'elle couvre de ses fouUles d
de ses fruits; la tife s'élance alotsk
long du tronc de l'anbre à plusde trcme
piedÎB de hauteur et souvent n^a pas
moins d'un pied , un pied et demi, ds
circonforenoe. Dans les environs de Cai^
die elle est liée à des treilles semblablef
à celles d'Italie, mais plus baraes. Le
terrain destiné à être |3anté de vigaei
reçoit plusieurs labours à la chame,
mais wesX pas défoncé. Chaque aanés
ensuite, la vigne reçoit en mars deux
labours à la noue très-superficieis et
destinés seulement à détruire les
vaises plantes plutôt ^u'à donner
véritable eulluie. Avssi la vîgneeag»»
ILE DE CRÈTE.
•elle près de saptèhuit années atantd'en*
rer en rapport. Mais quand elte a atteint
on accroissement, elle dédommage am-
lement le propriétairede Targent qu'elle
11 a coûté : une bonne vigne peut nen-
re de trois à quatre hectolitres de ?ln
ar Journée; et on compte trente-six
suraées par hectare. Une vigne dans
es conditions se vend jusau'l 135 fr.
) journée, surtout dans la nroximité
les villes, où il se fait une très-grande
onsommatîon de raisin dans la saison.
La vendange se fiiit lorsque le raisin
st arrivé à sa parfaite maturité. Les
rappes destinées à faire du vin sont
>ute8 cueillies en même temps, sans
istlnetion des espèces, quelquefois mé-
âes ensemble dans le même champ et
ransportées dans les cuves en maçon-
erie de deux à trois mètres de proibn*
leur, et de dnç à six de largeur. Ces
uves sont fabriquées en plein air, aux
ieux les mieux exposés au sbieil. Quand
s raisin , que Ton abandonne pendant
ix à douze jours et dans leouel en ouel-
[ues lieux on mêle du plâtre et ae la
ésine, a opéré sa fermentation, on le
ouïe aux pieds, et le jus s'écoule dans
tes jarres placées à demeure et enfoncées
lans la terre au-dessous d'une ouverture
pratiquée à la citerne. Le raisin est en*
uite soumis à une presse portative tres-
sasse, de petite dimension et fixée par
les éerous à une taige pierre dreulaire.
Tout le jus obtenu est versé dans des
onneaux, d'où on le soutire après quar-
ante jours. Le mare sert à faire des
aux-de-vie d'une qualité très-médiocre«
Tous les raisins de la Crète ne sont
)a8 destinés à faire du vin. Outre ceux
fui, comme on Ta dit, sont cueillis
K>ur être apportés frais sur les marchés
les villes et être mangâi à la main ,
lans certaines provinces toute la ré-
oite est employée à fiiire des raisins
ees : on les exporte en quantités assez
onsidérables à Tunis et a Alexandrie;
Is servent à faire des sorbets, que l'on a
'usage de Mn en Turquie pendant
*été. Les grams sont petits, peu charnus
it trop desséchés. L'espèce de la vigne
l'a pas été choisie d'aïUears en vue de
*emploi que l'on voulait faire de soft
ruit; el quoiqu'il vienne ici dans les
rOles des caisses de raisins sees de
fanjrae, de ceux priocipaleiiientditssol-
tani de Karabonmoo, bien supérieurs
assurément à ceux de Crète, personne
n'a tenté de faire l'essai du plant qui
les produit, personne non plus n'a songé
à s informer du mode de leur piéuh
ration, pour la substituer à oelie, roit
imparfBite, dont on a Thabitude.
La récolte annuelle du vin est de
quatre-vingts à quatre-vingt-dix mille
hectolitres, dont quarante mille dans la
province de Candie , quinze mille dans
celle de Rétimo, et trente mille dans
celle de La Canée. La fabrication de
l'eau-de-vie est de cinq mille hectolitres
environ, deux mille dnq cents à Candie,
mille trois cents à Rétimo, et deux railte
cinq cents à La Canée. Le prix du vin
est de 19 fr. l'hectolitre, et 60 fr. celui
de l'eau-de-vie.
Le mûrier. En Crète, c'est le marier
blanc dont la feuille sert à la nourriture
des vers à soie. Dans un ou deux cen-
trais on donne la préférence au mûrier
noir, qui a une feuille très-épaisse. On
a fait quelques essais du mûrier muiti*
caule; mais sa feuille est trop délicate
pour résister aux • vents d'ouest, qui
rè|nent une partie de Tannée, et au
pnntemps surtout, avec violenoe. Il n'7
a pas de champs plantés en mûriers. On
ne trouve même que fort rarement ces
arbres formant bordure sur les Uiières
des propriétés, lis sont disséminés ^ et
là autour des habitations, où on les
abandonne à leur végétation, sans les
soumettre à une taille régulière. AuMi
deviennenMls de fort grands arbres ; el
comme on ne se sert pas de l'échelle
pour cueillir la feuille, et que Ton ne
prend aucune précaution que celle de
nnstinct pour se garantir des chutes,
elles sont très*fréquentes et dangereu-
ses. Depuis quelques années on a planté
en Crète beaucoup de mûriers ; et cette
partie de réconomie rurale est un vé*
ritable progrès. Cependant la réussite
de l'arbre est fort chanceuse ; car, outre
la nécessité où l'on est de le piéserverde
la dent des bestiaux, il faut l'arroser
souvent pendant l'été de la premiers
année; et dans toutes les localités on
B*a pas toujoursde l'eau à sa dispositîiMi :
beaucoup de jeunes plants se dessèchent
ainsi sur pied. On ne greffe pas le
mûrier; on le laisse crorare tel qu'il «
été rapporté de la pépinière.
<M)
I/DIRVmS.
Viwimtm «écteote, Mm foc trà»*
peu impoctaate «ttcoret ett égiid à e»
qu'elle pourrait être « mais qui 6baq¥«
année prend de raeeioîeseinentt tient
une grande plaee dans les travaui: inté«
rieurs des ménages en Crète. Les moBUce
du pays astreigtiènt tes femnies torquee
à une rédusisB absolue^ et les femmes
greioqaes sHes^ménH» à une vie sédentaire*
et rmée. Las unes et les autres trou*
lent dans Télève du ver à seie et dans
la prépaf ation de la soie une oocupation
Insrattre et at>pr0priée à leurs habitudes;
aussi esi-il pea oe fandiies de naysans,
d*oû il ne aorte pas chaque année anel-
oaes^iieveHix désole* Jusqu'à présent
1 induatiia sérioole n'a pas eu plus
d'eiteoskm» Auean étahlissement ne,
s'est formé où Ton s'y consacre exdu*
flifMMnt» U n'y a pas de magnaneries;
ohaque psopriétaire a deux ou trois mû'*
rieca an pins dans les ehamps; il élève
ohes kâ autant de veis à soie que la re-
faite de ces mdriers peut le lui permettre.
Voici quels sont les procédés en usage.
< Dans les parties basses de l'Ile, et c'est
là où le mifrier réussit le miaux, l'in-
cubatâon des vers à scie commence au
Sf marSi Dans les parties élevées, die
n^a lien que quinae ou vingt jours plus
tard. Au jour fixé \m Tusage^ et toujours
i&vnriiA>lemettt suivi, les marnes qu4
doivent s'occuper de l'éducation des
vers à soie placent et portent ensuite
nuit et jour la graine entre leurs seins
jusqu'à son édosion totale, qui n'exige
pas moins de quinae jours. Pendant les
deux ptemiera â^es « les vers sont nour^
ris avec les feuilles les plus tendres^
entièrea et très-rarement coupées en
uMHceaux; au trmsième âge à peu prèSi
les vers sent distribués sur des eaneties
de quatre à cinq pieds carrés^ formées de
reeeenx elreeeuverts de bouse de vaehe«
Les eanettes, dispesées quelquefois en
deux ou trois étages , sont placées dans
mepartie derbamlationqueron sépare
anigneusement du reste par uneeloisoi
de resteux el de brouaBaiUes. Getie
fféeautipaa pour cAHet de pnver^ autant
que possible, les vers d'air et de lumière;
maifi on lapiénd aurtoul, afin delessoua^
amire aux regards des curieux dont on
ledonte le matuMÙ œil. Ce qui n'em*
l^âihe pas que Ton n'attribue à cette
maligne infimaiee, si apprébendée en
Cràtf ^ tous les accid»ts et les nnbdia
que i atmosphère viciée^ l'entasseiDe&t
et la malpropreté produisent fréquan-
ment Lorsque les canettes rempusseiit
une chambre entière, on en tient, pov
les mêmes motifs, la porte et les ud-
très continueliemeptlerniées, et Dersonv
autre que les femmes à qui reaaeatioD
des vers est coao^ ne peut v entrer.
La nourriture est dismbaeeaux vers
deux fois par jour, sans interroptioD ei
sans avoir égara à leur chaageineBt
d'Âge : il en résulte que tes vers qui soot
en mue sont quelquefois étoufSs sm
les feuilles, ou qu'au OMuns ils eo souf-
frent beaucoup. £n général la feuille est
donnée au moment même où elle rieot
d'être cueillie, et encore toute brûlaote
du soleil qui la frappait. Il est rare que
les canettes soient nettoyées : on ne se
décide àeoiever l'épaisse litière «{uiki
couvre que quand Tétat maladif da
vers l'a rendue tellentent humide, ipieli
feuille se salit rien qu'à être posée
dessus. Cette méthode vicieuse a pour
^et d'amener la mort de près de la
moitié des vers à i'éj^que où ils eo-
trent dans leur cinquième Ige, et «hh
ven en deux ou trms jours le pa3fui
se voit privé du fruit de sespeuKS.Il
n'en renoncera pas plus pour cela ras-
née suivante à ses usa^ , et, au lictt
d'adopter des procédés dulEéreats et meii'
leurs, il se contentera de frire proooB"
eer des exorcismes par son fwa. Quel-
quefois , pour prévenir la maladie àa
vers, on les arrose de vin, mais très-lrgè-
rement. Enfin, quand te vers coouins-
eent à monter, on garnit les eaoettes
de bruyères ; et comme les vers ne sost
pas tous du même âge^ on en étoafi
un grand nombre, ou bien on cisseà
nourrir ceia qui sont plus jeuaes, i(
qui alors ne filent qu'^n cocon trèi-BK»
On voit combien il y aurait decto
gementa et d'araélioralions néeessaini
à introduire dans l'élève des ven à soit
en Crète.
Quand les eooons ont bien réasD, *
calcule que six kilogrammes de ooootf)
ï^ien séehés au soleil, dçuvent doooerai
^age un kilogramme de aoie. Sitôt q»
tes oQUons soiH récoltés, on les partei
«M monlip établi à cet ^et socs a
eorbre aux environs du vUla^e. On aâ
4g|)a laftMWstiueaasasiàndeiV^
ILE Iffi GRÈte.
^HPV
M de oôcons; et lé fllear prend ârdc
me baguette le brin de vingt a vlngt-cin^
x)con8 pour en former le fil. Leli frais
lu filage sont del te, 50 ^ )fr. le kilog.
)n choisit nat'mi les plus Ix^nx les eo-
x)ns destina h donner la graine, qui ^
mie sur les feuilles de laurier-rose.
En général, une femille de paysans
mi s'occupe de vers à sole récolte de
ieux à quatre kHoarammes de soie f;ar
innée; rarement elle va au delà de six.
Quelques riches agas turcs dans leurs
xïhifniks, où ils ont les femmes et les
nfants des serviteurs attachés à la cul-
are des champs, arrivent à produire de
minze à vingt kilogrammes, qui sont
livisés par moitié entre le propriétaire
it tes femmes qui se sont occupées de
'éducation des vers. Le propriétaire a
là fournir la graine, la nourriture et
e local, qui généralement est celui où on
immagasine les olives.
La récolte de la soie, qui depuis dix
innées a augmenté de plus d'un tiers, est
Talaée maintenant h vingt-six mille kilo-
;rammes environ. La province de Candie
m fournit seize mille, celte de Rétimo
iDq mille, et celle de La Canée autant,
.e prix du kilogramme est de 26 fr.
Le caroubier vit dans les plus mau-
vaises terres, au milieu des rochers, où
oute culture serait interdite. Dans la
)rovince de Rétimo et dans celle de
]aodie surtout, il y a des plaines d'une
t deux lieues carrées où Ton ne voit
|ue des caroubiers. Ils y sont venus na-
urellement ; mais ils y sont clair-semés
[uoiqu'il serait très-facile de transfor-
ner ces plaines en véritables bois. Tout
imoar ues arbres , en effet , la graine
rai en tombe fait pousser des trochées,
iODt il suffirait de couper les branches en
aissant la branche principale, qui de^
iendrait un arbre. On néglige cette
impie opération ; sur trente trochées ,
ur cinquante peut être , on en châtre
me à peine. Le caroubier pousse trop
entement; on serait trop longtemps a
ittendre ses fruits. Cet arbre cependant
)st d*un bon produit pour ceux qui en
)ossèdent. Le rendement d*un bon arbre,
innée commune, est de soixante kilo.
p*amroes environ; et il ne demande
mcun soin,aueun entretien : seulement
a peine d'en cueillir les fruits quand
Is sont mûrs.
R n^y à dès caroubiers que âtni demi
provinces : oelledeCandie,d<nit la récolte
annuelle est estimée a uti million Yroi^
cent mille kilogrammes, et celle dé Ré'*
timo, qui en produit un million cent mille.
La récoite totale est doùc de deux mil*
lions quatre cent mille kilogrammes.
Les cent kilogrammes se vendent an
prix moyen de 5 fr.
Le cnêne-vattotiéê , qui n'existe que
dans les environs deRéiimo, mériterait
ainsi que le carroubier d'être multiplié
dans tous les lieux où il peut croître, et
plusieurs parties de nie paraissent être
d'un terrain approprié à son essence.
Non plus que le carroubier, il n'exiee ni
soins de culture ni avances de fonds; et
non-seulement son fruit, recherché potnf
le tannage des peaux, est d'un rapport
considérable et certain, mais rarbi*e
par lui-même est, arec le phtane , le
plus beau que Tile produise ; sa XmWt
élevée , son branchage touffu embellis-
sent les lieux oà il existe. Il fournirait,
soit pour les savonneries , soit pour les
usages domestiques, un bois de chauffage
excellent, meilleur encore pour le char-
ronnage et la charpente , et cette res^-
source serait précieuse dans un pays où
le bois manque et où l'on est obligé de
s'approvisionner du dehors. La vailonéê
qn un chêne en pleine vigueur peut donnet
va quelquefois jusqu'à huit cents et raille
kilogrammes; communément elle est de
deux cent cinquante à trois cents. La ré-
colte annuelle est de cinq cent mille kilo*
grammes, tous fournis par la province
de Rétimo. Les cent kilogrammes^sé
vendent 24 fr.
Les amandiers existent dans tontes
les parties de ffle ; mais ils ne sont eit
abondance que dans le^ cantons du sud-
est, dont ils constituent un des princi*
paux produits. La qualité des trois
espèces qui s'y trouvent est bonne ; maie
celle à écorce tendre produit le fruit le
plus estimé.
La récolte annuelle des a mandes, écoroe
enlevée , est de soixante-dix mille kilo-
grammes : les cent kilogrammes se ven-
dent! 30 fr.
Le poirier et le pommier doux ne
sont à bien dire cultivés que dans letf
montagnes du canton de Lassitl. Ih y
sont très-nombreux ; leurs fruits , ^é
Ton estime dans le pays, n'en softf
eœ
L'uiavEas.
pas moins d*ime qualité fort médiocre.
La récolte amiuelle des pommes est
de cent mille kil., et celle des poires de
cinquante mille. Le prix moyen de Tun
et de l'autre de ces fruits est de 5 fr. les
cent kilogrammes.
Le châtaignier est Tarbre des cantons
de SéliDo et de Kissamos. Grâce à ces
beaux arbres et aux pâturages que Ton
rencontre dans les provinces de Touest,
les seules de 111e ou il y en ait, la cam-^
pagne offre à Fœil des aspects variés
et qui rappellent ceux de TAuvergne.
Les fruits du châtaignier y sontfort wros
et d'une bonne chair. On en envoie dans
toutes les lies environnantes et à Cens-
tantinople, mais surtout en Grèce. Le sol
des cantons de Kissamos et de Sélino
est arrosé par des sources nombreuses ;
et l'humidité qu'elles entretiennent est
une des causes qui y font prospérer le
châtaignier. Les cent kilogrammes de
châtaignes se vendent 10 fr. : on évalue
la récolte à neuf cent soixante mille kil.
Paçmi les arbres des vergers, les seuls
qui méritent d'être mentionnés sont l'o-
ranger et le cUronnier, Us sont en
Crète d'importation récente. Les pre-
miers y ont paru il y a, dit-on, seule-
ment cinquante à soixante ans. De cette
époque à eeile où nous sommes ils se
sont fort multipliés, et chaque année
leur nombre tend à s'accroître. Tout y
sollicite la rapide croissance de cet arbre,
qui commence à donner des fruits dès
la cinquième année : sa gracieuse beauté
et plus encore, pour les gens que ce
cl^me touche moins que ne le font des
avantages réels et positifs, les bénéfices
dont il est la source. Un oranger en olein
rapport peut produire de deux mule à
trois mille oranges. Les variétés de Foran-
gersontToranger dePortugai et l'oranger
turc. Les fruits en sont aussi délicieux
que beaux. Il n'est pas rare que deux ou
trois oranges suffisent à former le poids
d'un kilogramme. Il y a des oranges ber-
Samottes , mais en petite quantité. Les
Ivers citronniers sont le cédrat, le pon-
dre , le calotin, et le limonier doux. Ces
arbres sont cultivés surtout aux environs
de La Canée et dans auelques villages
Eres de Candie. Ils font rornement d^ ces
eux,oùsouvent ils couvrent des terrains
de plusieurs ares d'étendue ; leur culture
est très-soignée ; c'est même en Crète le
seul arbre qui eoit léellemiBnt enltifé.
On taille les orangers; on les greffe
pour améliorer les espèces, et on leur
oonne des arrosages repétés, à Faide de
rigoles qui conduisent l'eau dans de
larges fossés creusés au pied des arbres.
Les oranges de Crète sont exportées
en grande quantité à Constautinople et
h Athènes. Dans ces deux villes les mar-
chands crient : Oranges de Crète I comme
à Paris on crie : Chasselas de Fontaine-
bleaul Les bateaux sur lesquels on les
envoie commencent à partir dès le mois
de décembre.
La production annuelle est trois mil-
lions de fruits. L'oranger n'existe guère
que dans la province de La Canée. Le
mille d'oranges se vend 13 fr. 60 cent
Les autres arbres à fruits sont le prm*
nier, le cerisier à bigarreaux, le Juju-
6t^r commun, Y abricotier, lepécker,
le cognassier, le figuier, le noyer, le
grenadier. Tous les fruits de ces arbres,
si l'on excepte ceux du figuier, n'ont ni
saveur ni goût. Ce sont bien plutôt des
fruits sauvages que des fruits cultivés.
On peut répeter a leur occasion ce qui a
été dit à l'occasion des légumes. Les ha-
bitants de la Crète ne savent pas dis-
tinguer un bon fruit d'un fruit mauvais.
Pour ne pas être accusé d'exagératioD,
bien que la remarque soit fondée ^ on
ne dira pas qu'ils préfèrent celui qui est
mauvais à celui qui est bon, mais du
moins dédai^ent-ils de prendre le peu
de peine qu'il leur en coûterait pour se
procurer celui-ci.
D'après l'énumération que Ton vient
de faire des arbres qui existent en Crète,
arbres forestiers et arbres fruitiers, os
voit que Itle manque du bois nécessaire
aux besoins des habitants. On peut dire
Qu'il n'y a ni bois de chauffage, ni bois
de charpente, ni bois de construetiao.
Plus des deux tiers de ces différentes
espèces de bois qui se consomment en
Crète viennent en effet du dehors. Ce-
pendant on construit de petits bâtiments
avec des chênes et des sapins du pajs.
Ces mêmes bois et le cyprès serrent a
faire des poutres et des solives. Il v s
également du chêne et du sapin que l'oii
emploie comme bois de chaufnû^. Oa
trouve enfin à faire un peu de ^arbcA
avec de l'yeuse» de l'arbousier et du Uu*
rier-rose.
i;.Ë DE CRËTË.
fm
Dbs ahimaux doxbbtiqubs blb-
vÉs BN Gbbtb* — Aux chevaux, mu-
ets, boenû et ânes, qui ont déjà été nom-
nés, il faut joindre les moutons, les
;bèvres et les cochons.
Les chevaux de la Crète étaient en
grande réputation dans les temps an-
ciens. Buffon dit qu'on les estimait pour
eur vitesse et leur agilité. II fait la re-
narque que maintenant on s'en sert peu
lans le pays même, à cause de la trop
grande aspiérité du terrain qui est pres-
que partout inégal et fort montueux. En
général l'observation est vraie. Dans le
)ays on leur préfère en effet les mulets
Dour les voyages ; on ne se sert que très-
3eu souvent du cheval lui-même. Quand
e cheval est de bonne race, on se hasarde
ivec lui sur les chemins les plus sca-
)reux et les plus difficiles : sa construc-
ion solide , ra[>lomb de ses extrémités
Hir le terrain lui permet de courir à tra-
ders les pierres sans danger pour le ca-
ralier et sans fatigue pour lui; c'est que
e cheval de Crète a de grandes qualités :
I a de la frsuachise et de la liberté dans
«s allures ; cPune taille un peu ramassée
il de médiocre hauteur, il a des muscles
)rononcés, et il porte une vigueur sou-
tenue dans l'exercice; la forme de ses
arrêts est remarquable ; on peut la juger
surtout quand le cavalier, ainsi que les
Turcs en ont l'habitude, le lance et l'ar-
'éte tout court sans qu'il bronche, et cela
]uelquefois sur un pavé inégal et désuni.
Une allure fort recherchée en Crète, et
|ui doit être celle du moins de tous les
chevaux que l'on peut appeler chevaux
le luxe, est l'amble. Il est assez singu-
ier que l'usage de cette allure, qui force
e cheval araser la terre de très- près, et
|ui par là même avait toujours oaru exi-
ger un terrain parfaitement égal, ait été
ihevaux de la Crète la soutiennent avec
)ersévérance. Seulement, à la différence
le nos chevaux amhles, qui doivent al-
onger la jambe de derrière , ceux de la
^rète la portent au point même où celle
le devant est tombée ; non plus) d'ail-
eurs que les chevaux ambles de nos
>ays, ils ne doivent posséder aucune au-
re allure. Ils ne vont jamais au trot ni
iu galop. Les plus prisés et les plus es-
Z^* Livraison, (Ile de Crète.)
timés parmi les chevaux de cette allure
sont ceux qui Font de naissance : ceux-
là demandent beaucoup moins de peines
et de soins pour qu'oik ta leur développe.
Avec tous ses avantages de vitesse et de
douceur, les poulains qui ne la tiennent
pas de race et auxquels on veut la don-
ner sont soumis à des marches quoti-
diennes pendant lesquelles ils portent aux
pieds de derrière des anneaux de plomb
entourés de drap , ayant de plus cnaque
pied de derrière attaché par une forte
corde au pied de devant correspondant.
L'écuyer chargé de les former les monte
ainsi entravés, et, par tels ou tels mouve-
ments du mors ou de l'éperon que son
art lui enseigne, il les assouplit à l'allure
désirée. On envoie chaque année de
Crète à Constantinople un certain nom-
bre de chevaux ainsi dressés , et il y en
a toujours de spécialement destinés aux
écuries du grand-seigneur.
De temps immémorial il a régné dans
tous les p£^s de l'Orient un prejugé bi-
zarre, d après lequel on attache une
grande importance à de certains signes
ou marques qui s'offrent à l'œil sur la
robe d'un cheval. Cette opinion se re-
trouve en Crète ; et quoiqu'elle ne soit pas
particulière au pays, il a paru qu'il n'é-
tait pas hors de propos d'en dire un mot,
et d^autant plus que les propriétés at-
tribuées à ces signes varient selon les
lieux. On dira donc, mais fortbrièvement»
quels sont à cet égard les préjugés des
Cretois. £n Crète on ne tient guère
compte que des mauvais signes, de
telle sorte qu'un cheval qui ne porte
aucun de ceux réptités tels n'est plus
jugé que d'après ses qualités réelles.
Parmi les signes mauvais, et qui,
quand ils existent, sont d'un funeste
présage, non pas seulement pour l'ani-
mal , mais encore pour son maître , on
distingue les trois suivants comme prin-
cipaux : La balsane, quand la marque al-
terne, c'est-à-dire se lait voir sur un pied
et point sur l'autre. La balsane encore,
même quand elle porte régulièrement
sur les quatre piedjs, mais n'est pas pure,
et se trouve cendrée ou tacheta de
points noirs ; enfin un double épi sur le
nront, si surtout ces deux épis sont placés
verticalement l'un au-dessus de l'autre.
On calcule qu'il y a en Crète six
mille cinq cents chevaux environ : quatre
39
«10
L^UNIVERS.
mine dans la proTincê de Candie, cinq
oeitts dans celle de Kétimo et deux mille
dans celle de La Canée. Llle se remonte
de cheTaax en en faisant venir de FA-
natolie an nombre de six à huit cents par
année. Le prix moyen d*un cheval est
de 125 fr.; les bons chevaux sont de 8 à
400 fr.; mais ceux qui vont Tamble mon
tent jusqu'à 1,000 fr., et en général on
peut dire qu'un cheval dressé a l'amble,
toutes autres qualités étant égales d'ail-
leurs, se vend un tiers de plus au-dessus
de ce ou'il se vendrait s il n'avait pas
cette aUure.
Les mulets de Crète sont en général
de très-beaux et de très-bons animaux;
leur pas est doux, aisé et rapide : beau-
cpup sont comparables aux mulets d'Es-
pagne et de nie de Malte ; leur corsage
est gros et rond , la croupe est pendante
vers la queue, mais pleine et large , les
jambes sont menues et sèches, la poi-
trine ample, le col long et voûté, la tête
sèche et petite. Les plus beaux mulets
du pays sont le produit de l'âne et de
la jument. Souvent la jument de bonne
race amblée donne un mulet qui^a na-
turellement cette allure ; on la tait pren-
dre comme aux chevaux, et par les mê-
mes moyens, aux mulets qui ne l'ont pas.
Les principaux parmi les Turcs, qui ja-
mais ne font de route un peu longue
qu'à dos de mulet, ont tous un mulet
qui va l'amble.
Les mulets servent à la selle et aux
transports des denrées. Cet animal est
d^autant plus précieux dans ce pays, que
les chemins seraient inabordables dans
certains lieux à toute autre monture
chargée : si l'on était privé de son aide,
les transports deviendraient souvent im-
possibles.
Le nombre des mulets en Crète est
de douze mille environ : cinq mille cinq
cents dans la province de Candie, mille
huit cents dans celle de Rétimo et cinq
mille dans celle de La Canée. Le prix
moyen d'un mulet ordinaire est de
180 fr.; quelques-uns des meilleurs se
vendent 1,000 et 1,200 fr. U faut d'ail-
leurs appliauer au prix des mulets qui
vont Tamble l'observation que l'on a
faite sur le prix des chevaux.
On en tire de l'Anatolie environ 3 à
400 chaque année.
Les ânes sont abondants; on en
compte près de quarante mifle dans
rtle; leur prix moyen est 75 fir. Ilssost
de médiocre stature, et servent, eomme
on Ta dit, au transport de provisions
et fardeaux peu pesants.
La race des moutons de Grète est
commune, petite, à lame grosnère. Ils
trouvent leur vie dans des terrains pies-
2 ne nus et pierreux, où croissent ooe
erbe peu élevée et de courts athnsseaux
dont ils broutent les feuilles. Le nombre
des troupeaux et la quantité de bêles qui
les composent sont nécessairement res-
treints, dans chaque localité, par suite
du peu de nourriture qu'ils peuvent y
prendre, et à cause de la rareté des her-
bes , qu'ils ne trouvent à manger que
brin à brin ; mais détendue du sol qui
leur est fivré supplée à rabôndance qui
leur manque partout. Cependant dorant '
Tété, alors que la chaleur a desaéebé la i
terre, ces animaux pâtissent : on les
mène dans cette saison sur les ^rlies
montagneuses du pays, qui étant incul-
tes se couvrent de petits arbustes qui
fournissent à l'animal un peu de nour-
riture, mais très-insufBsante. Aussi le \
lait manque-t-il absolument en Crète |
pendant près de huit mois de Tannée.
Aux premières pluies de novembre , la
terre reverdit , les troupeaux descendent
dans les plaines ; et ils prennent promp-
tement une chair grasse et abondante.
Le lait des brebis est excellent, et
elles en donnent en grande qoantitd
La beauté du climat de la Crète où .
comme on l'a dit, rarement le firotd se
fait sentir, permet de laisser les trou-
peaux dehors nuit et jour. Quand les
pluies reviennent assez fortes pour les
mcommoder, on les conduit vers les ro-
chers; et ils s'abritent dans les grottes,
qui y sont en grand nombre. En aucune
saison on ne les garde à l'étable; en au-
cune saison ils n^ont d'autre nourriture
que celle qu'ils trouvent à pattre.
Quand le moment vient de iaire cou-
vrir les brebis , on a l'usage de diviser
le troupeau, afin de donner aux mères
un espace plus étendu proportionnelle-
ment à leur nombre. Aussitôt que les
agneaux sont sevrés et commencent a
pouvoir vivre de l'herbe seule qu*ils
paissent, on en forme, pendant un mots
ou deux, un troisième troupeau, isolé des
mères : au bout de ce temps une partie
ILE DE CaiETE.
m
éwa^ÉMwtettfHidai; et k teste gentre
drasle troopeau eomimiii.
La viande consommée en Crète étani
prineipalenieBt de la viande de moutont
les troupeaux sont élevés en vue de la
eonsommation journalière du pays; leur
ehair est fade et sans goût, ainsi que eela
est du reste dans tous les pavs ebauds^
La laine sert è fabriquer des draps gros*
siers, qui se font dans chaque mm%% et
dont les paysans se vêtissent presque es*
clusivement ; on en emploie une partie
à faire des sacs pour les usages domes-
tiques et surtout pour y renfermer le
savon exporté au dânirs.
Quant au lait, on en fait des fromages
assez estimés en Turquie. Ceux de Spna-
kia passent pour lêa meilleurs. Près des
villes, on vend le lait en nature, ou bien
encore on en fait une sorte de caillé,
voughourt^Ajm est fort roehercbé, sdl
a raison des qualitèi grasses qu*il ren-
ferme , soit à cause des procédés em*
ployés pour le faire , procédés partieu-
fiers à la Crète. La eonsommation de ce
laitage ainsi préparé est considérable
dans le pays, eton enfait des expéditions
jusqu'à Constantinople.
L*élève des troopeaux'de brebis est fort
productive : un troupeau de cent têtes,
étant calcnlé coûter 650 fr., rapporte
en lait, fromage, laine et agneaux de
450 à 500 fr. environ par année. Ce pro-
duit se partage par moitié entre le pro*
priétaire et le berger; et Ton voit ainsi
qu'en moins de trois années le proprié*
«lire est rentré dans la somme débour-*
sée pour le prix d'achat.
Il y a en Crète près de six cents cin-
quante mille têtes de brebis ainsi répar-
ties : trois cent soixante mille dans la
province de Candie, dans celle de Rétimo
Quatre-vingt-dix mille et deux cent mille
dans celle de La Canée. Le prix moyen
d'une brebis est de 6 fr. 50 cent.
La laine recueillie est de sept cent mille
kil. ; elle se vend 60 fr. les cent kil.
Le nombre des moutons élevés dans
l'Ile ne suffit pas aux besoins des habi-
tants V il s'en importe du dehors chaque
année environ douze à quinze mille, qui
viennent de l'Anatolie et de la Barbarie.
Les chèvres sont mêlées quelquefois
aux troupeaux de brebis. Le plus sou-
vent elles forment des troupeaux isolés :
il n'y a rien de particulier à en dire ; si
partent cet aniniri est dwtracteiir, on
comprend qu'il doU l'être beaucoup plus
dans un pays où il n'existe aucune me-
sore d'ordre pour la garde des proprié*
tés* Aussi les dégAts causés nar les chè*
vres ont-ils contribué pour oeaucoup à
la destruction des arbres de toutes sortes.
Leur poil s'emploie à faire des sacs et la
plus grande partie des cordes dont les
paysans ont besoin. Le prix ordinaire
d'une chèvre est de 5 fr*
Leur nombre est de deux cent uua*
rante mille : cent soixante mille dans là
province de Candie, soixante-dix mille
dans celle de Rélimo et dix mille dans
celle de La Canée.
La quantité de fromage produite par
le lait réuni des chèvres et des brebis est
annuellement de deux millions cinq cent
mille kil. ; il se vend 70 fr. les cent kil.
Les peaux de ces animaux se cor-
roient dans le pays. D'une partie' de
celle des chèvres, on fait des outres pou»
le transport de Thuile et du vin ; enfin*
on exporte au dehors pour Trieste et
Smyme de vingt -cinq à trente mille
peaux sèches d'agneaux et de chevreaux
an prix de 40 à 50 fr. la pièce.
Les caehoni s'élèvent dans de cer-
tains villages où d'ordinaire il n'y a que
des Grecs pour habitants. Ils ne sont pas
réunis en troupeaux. Dans les maisons
qui en possèdent, on ne leur donne au-
cun soin particulier ; ils vaguent çà et
là autour des habitations et dans la cam-
Sagne, se nourrissant de toutes les or*
ures qu'ils renconUrent. Comme ils ne
reçoivent aucun aliment approprié et
fait pour bonifier leur chair, elle est gé-
néralement flasque, d'un goût insipide
et dépourvu de graisse : elle ne ressem-
ble en rien à la cnair des cochons de nos
contrées ; il est fort commun de la trou-
ver affectée de ladrerie, ce qui n'em-
pêche pas les habitants d'en faire usa^e.
Le nombre des cochons élevés en Crète
est estimé être de (]uarante à quarante-
cinq mille : dix-huit mille dans celle de
Candie, dix-mille dans celle de Rétimo,
et douze mille dans celle de La Canée.
Le prix moyen d'un cochon est de
15 fr.
Les peaux de quelques-uns de ces ani-
maux, mais en petit nombre, sont em-
ployées à faire des chaussures.
Pour compléter la nomenclature des
89.
^ii
LUNITERS.
animaiix élerés pat lês Cretois, il faot
mentionner les abeilles.
Les abeiUa sont ordinairement pia*
eées dans les enclos qui font partie de
la ferme ou dans les ctiamps voisins
les mieux abrités contre les vents ; elles
•ont pour ruches des paniers renversés
ou des vases en terre cuite, semblables
à de grands pots à fleurs, qui ont à leur
base un petit trou pour le passage des
abeilles , et dont Touverture supérieure
est formée par une planche sur laquelle
ils reposent.
Le miel de Crète était estimé dès les
temps les plus andenSf et ses ^alités
actuelles sont encore aujourd'hui celles
3ttl lui ont valu sa grande réputation
^autrefois. lia nourriture des abeilles se
composant exclusivement du suc des
heroes et plantes aromatiques, si abon-
damment ré[>andues dans le pays, leur
miel en acquiert un goût très-parfumé,
peut-être un peu trop prononcé. Quel-
ques parties de 111e, parmi les monta-
gneuses prindpalement, sont citées pour
la supériorité de celui qu'elles produi-
SHit; on en fait des envois assez con-
sidérables à Constantinople*
La récolte du miel dans llle, par an-
née, est évaluée à cent cinquante mille
kil. : soixante dix-mille dans la province
de Candie, <iuarante mille dans celle de
Rétimo et vingt-huit mille dans celle de
La Canée; les cent kil. se vendent 70 fr.
La production de la cire est communé-
ment du dixième du poids du miel ; elle
est donc de quatorze mille kil. environ par
année; elle se vend 360 fr. les cent kil.
Il y a pea de ciMss à iUre des lô*
lailles de la Crète, et les tettsejgnemeati
recueillis sur cet objet ne permetbiient
lias que Ton en pariât avec quelque m»
titude. A bien dire d'ailleurs, il n'y a
pas d'antres volailles que des ponàet et
des dindes; ces dernières assez nom-
breuses et d'une chair excellente, quoi-
que l'on ne prenne aucun soin psitica-
lier pour les élever et pour les eaprais-
ser. Les canards et les oies n'existeot
pas, si ce n'est peut-être quelques indi*
vidus de ces espèces que l'on trouve
isolés çà et là ; le climat et la tene de
Crète sont trop secs pour convenir à ces
animaux.
Mais un mollusifue que l'on doit citer
comme étant l'objet Me quelques soins
et la source de qudques proûts pour
les villageois de la province de Candie,
est le limaçon. On en ramasse des quan-
tités assez considérables, et chaque an-
née on en charge plusieurs barques que
l'on envoie dans Jes lies de l'Archipel,
où les Grecs en font une grande consom-
mation pendant leurs carêmes : on les
entasse dans de vastes paniers, fabriqués
exprès pour ces expéditions. Quand oo
doit les manger, il est d'usage de les en-
graisser en les nourrissant, pendant une
ou deux semaines, de son et de fvine.
Ils se dégorgent alors, et acquièrent,
dit-on, un goût assez agréable et qui est
fort prisé dans le pays. U y en a de
trois espèces, distinguées par la diffé-
rence de leur grosseur; la moyenne est
la plus abondante et la petite est la
plus estimée.
ILES IONIENNES '\
I.
GBOGBAPHIB DBS ILB8 lONlBNNBS.
Lorsque, venant de l'orientou de rooci-
dent et se dirigeaut au nord vers le ca-
nal d'Otranto, on quitte la Méditer-
ranée pour s'engager dans T Adriatiaue,
on aperçoit à sa droite la côte d'Italie 9
à sa gauche des niasses confuses qu'on
prendrait à distance pour les rochers du
continent de la Grèce et 4® TÉpire, et
qui n'est autre chose que le groupe,
s^aliongeant irrégulièrement du midi
au nord, des Iles Ioniennes* Il semble
que ces tles, séparées du continent par
une faible distance, aient été laissées là
Ïtar les déluges antiques, impuissants à
es submerger.
CoBFOu . — La première de ces îles, au
nord , et la plus importante par son
étendue et sa population est celle de
Corfou , la Corqrre des anciens. Cette
lie est d'une configuration à peu près
triangulaire etsa circonférence est d'envi-
ron soiiante lieues ; du nord au sud , sa
longueur peut être de vingt lieues ; et de
l'est à l'ouest, sa plus grande largeur,
de dix lieues. Elle tait face, du côté de
l'est» à la province turque appelée Delvino»
(t) Je ne puis donuer à Thistoire de tles
Ioniennes tous les développements qu^elle
comporte. L'étendue déjà considérable de ce
volume m'obligea abréger ce dernier chapitre.
Je renvoie pour plus de détails aux principaux
ouvrages qui traitent de l'histoire de ces iles:
Andréa Marmora , Historia di Cor/d, Yen.,
1673 y in-4*; Grasset Saint Sauveur, Voyage
historique, etc, dans les if es et possessions ci-de-
vant 'véHit'iennes du Levant, Paris, an vif, 3 vol.
in- 8^; Mustoxidi, lUmtrazioni Corciresif Mi-
lano, 18x1-1814, a vol. in 8°; Christ. MuHer,
yoyage en Grèce et dans Us Iles Ioniennes,
trad. de Léon Astouin, Paris, iSaa, in-S^;
de Bosset, Par^a and The loman Islande,
London, i8aa, in-S*'; Bory de Saint- Vincent,
Histoire et Description des Iles Ioniennes,
Paris, i8a3, ia-8o; Keudrick, T/te lonian
islands, z82a, in-8«, avec carte, etc., etc.
r' est comprise dans le gouvernement
l'Albanie ; elle regarde à l'otust la
Terre d'Otrante, dont elle est séparée
par le canal de ce nom. On trouve ai»-
tour de Corfou plusieurs îlots qui en dé-
pendent, et qui n'ont aucune impor-
tance*
La capitale de l'tle porte le même
nom, et s'élève en ampnithéfltre sur la
côte orientale, vis-à-vis l'Albanie. Elle
a ane population d'environ quinze mille
habitants, et l'tle tout entière en compte
h peu près soixante-dix mille. A l'excep-
tion de la ville de Corfou, on ne trouve
dans l'île que des villages.
Le climat, comme celui de toutes les
Iles Ioniennes , est doux , mais variable,
et quelquefois malsain, à cause des
vents violents de l'est et du nord. Plu-
sieurs cours d'eau , dont le plus consi-
dérable est le Mensogni , sillonnent l'Ile
en divers sens.
On trouve dans l'île du marbre d'une
qualité inférieure, du soufre et d'assez
mauvais charbon de terre. Il y a aussi
quelques salines d'un produit médiocre.
Le vin, le blé etTolive sont les princi-
Kux produits de la culture, ainsi que
range et le citron.
Paxo. — En s'éloignant de Corfou , et
eu continuant au sud, on rencontre Paxo,
qui est plutôt une îlot, bien qu'elle
compte parmi les Ioniennes; elle s'é-
tend en longueur du nord-est ou sud-
ouest, et peut avoir six lieues de tour.
Sous les rapports du climat et des pro-
duits, Paxo n'offre rien d'intéressant.
Les habitations sont disséjninées dans
rsie, à l'exception d'un groupe de mai-
sons placé en face du port« que l'on
nomme Porto-Gai. La population est
estimée à dix mille âmes.
SàiiiTE-MAUBB. — En suivant tou-
jours, dans la direction du midi, les côtes
d'Albanie, on arrive à Sainte-Maure, île à
peu près ronde , et d'une circonférence
de près de vhigt lieues. Saint-Maure est à
l'entréedu golre d' Arta,quisépare1'Alba-
nie de la Grèce. La capitale oe l'île s'ap*
ttl4
li'UMlVfiRJk
pelle Aroaxiehi, petite ville dont le nom
est aujourd'hui presque abandonné pour
oelui de Sainte-Maure; elle a une for-
teresse qui domine la ville. En faeé de
cette ville s'étend une vaste plaine, d'une
grande fertilité, produisant des grains
e toute espèce, de fhuile, du vin, du
linotooufene de magnifiques orangers et
dttfODiiien. Les habitants font le com*
meice du sel; la population de l'tle est
il'envîMn vii^ mille âmes.
- Osite tie est la Leuoade des anciene.
- Thiaki. — Vient ensuiteXhiaki, ao-
trefoisIthaque,patried*Ulvs8e. Sa figure
est un earre long échancré et sa ciroon-
férenced'environ dix lieues. Cette lie est
environnée d'éeneils et de rochers dan-
gersuxpoar la navigation. Elle a un port,
r* est d'un exeelient mouillage. En fàot
port s'élève, aux flancs de la mon-
tagne, le village le plus important de
nie, village dont les maisons, enamphi-
théâtrs, viennent jusqu'au rivage. L*tle
produit du blé et autres grains et de
beaux raisins de Gorinthe. Elle est su*
jette, comme presque toutes les Ionien*
nés, aux tremblements de terre. La
population est d'environ dix mille ha-
bitants, répandus dans six ou sept ag-
Sfloméretions, dont la plus importante,
située en faoe du port, se nomme Vathi.
G^PHALONiB. — C'est après Corfou
la plus considérable des Iles Ioniennes.
Elle est située à l'embouchure du golfe
ée Patres, en ftce de la célèbre place de
Missolonghî. Elle a soixante lieues de
circuit et une configuration à peu près
ronde. Son port est vaste, et une escadre
entière j serait en sllreté; il s'appelle
le oort de Saint^Théodore. La capitale
de llle est Argostoli; il y a encore deux
autres petitee villes, Lixuri, et Axo, où se
trouve une fbrteresse. On compte dans
cette tIe, outre ces trois petites villes,
cent trente villages ou hameaux; et la
populatîKm tout entière dépasse celle de
uorfou» et atteint quatre-vingt mille
ftmee.
L'tle de Céphalonie- est en grande
partie couverte de rochers arides ; ce-
I>endant il reste beaucoup de terrains cul-
tivables, d'une extrême fertilité. Les
principaux produits sont les raisins secs
deConnthe,dont on récolte pour la valeur
de sept à huit millions de livres, et les
iuiiles d'olive, donton fiit commerce. Le
coton j esll aussi eultivé avecsueoès, ainsi
que la soie, gui est estimée.
Géphalonie est sujette aux tremble-
ments de terre; dans 1 espace de seize ans,
de 1786 à 1752, il y en eut trois, qui y
firent des ravages considérables.
Zantb. — L'Ile de Zante, l'ancienne
Zacynthe , située au sud de Céphalonie,
n'en est séparée que par un canal de
quatre lieues ; elle eût ùce, vers Toneot,
à la Morée, à l'ancienne partie du Pél(H
Sonnèse qu'on appelait Élide. Elle est de
gure semi-circulaire et d'une cireonfé-
rence de vingt lieues à peu près ; elle
s'étend de ouatre à cinq lieues en lar*
geur, et de six à sept Heues en longueur.
La capitale de Itle porte le même nom;
e*est une ville située sur la cdte orien*
talc de rile ; elle est d'un bel aspeet,
mieux bâtie que les autres villes ionien-
nes et défendue |>ar une forteresse.
Elle a une population d'environ quinze
mille âmes, et itle tout entière renfermeà
peu près einquanteHâiiq mille habitants.
On compte dans Ptle une cinquantaine
de villages.
Zante, comme ses voisines , a essuvé
de terribles tremblements de terre. Efle
a des sources de goudron , des eaux mi-
nérales , des salines , des plantes médi-
cinales. Les autres produite sont : le
vin , le grain, Tbuile d'olive , le raisin
deCoriDthe,dont onfait commerce. Le
terrain est très-fertile.
Le climat est variable , mais tempéré;
H ressemble beaucoup au climat de
Corfou. Zante est surnommée ia fleur
du levant,
CÉRieo. — La septième des Iles
Ioniennes que l'on rencontre en se di-
rigeant au sud-est, après avoir doublé
le cap Matapan , à la pointe de la Mo-
rée, est nie de Cérigo, l'ancienne Cy-
thère, oii Ton plaçait le séjour de Vénus.
Elle a vingt lieues de circonférence.
A part la récolte du blé et autres
grains , Ttle , qui est rocheuse, ne four-
nit prévue aucune production ; les ha-
bitants en sont fort pauvres. Elle est
sujette à des coups de vent très^violcntt,
qui causent toujours de grands dom-
mages. Cependant le climat en est très-
tempéré. La ville de Cérigo, appelée
aussi Modara , située à l'ouest , sur une
colline , h environ une demi-lieue du
rivage de la mer , est peu considérable;
ILES lONIfiHNES.
614
elle est défendoe par un fort. La po»
pidatMA de la ville et des trente villages
ou hameavi réfuindue dans Tlle est éva-
luée à dix mille âmes.
Telles sont les sept lies appelées au'
jourd^hui loniemies , auxquelles il faut
joindre un grand nombre allots, moins
importants « dont les principaux sont :
Merlera , Fano, Samotnraki, Antipaxo,
Meganisi, Gérigotto, etc., qu'il suffira
d^énumérer en passant. Ajoutons aussi
quelques détails sur les Strophades on
Strivali , que nous avons déjà mention-
nées plus haut, et qui font également
partie de la république ionienne, placée
aujourd'hui sous le proteetorat de TAn*
gleterre. Les Stropnades sont placées
par Strabon (1) à quatre eents stades du
continent, à l'ouest. Ce sont deux petites
îles, qui n'ont de célébrité que par une
légende des temps héroïques. Elles'étaient
le séjour des Harpyes. Ces monstres ,
Sue fa fable représente avec un visage
e femme, un corps de vautour et des
ongles crochus, étaient nés de Thaumas
et d'Éleetre. Elles étaient au nombre de
trois : Aello, Ocypète et Celéno. Au
temps de l'expédition des Argonautes ,
elles tourmentaient Phinée, roi de
Thraee, en venant, au moment de ses
repas enlever les viandes à peine ser*
vies, et souiller tous les mets, d'une
odeur infecte. Calais et Zétbès, fils de
Borée, les forcèrent à fuir, et leur donnè-
rent la chasse jusqu'à ces deux petites
Iles , où ils les abandonnèrent pour re-
joindre leurs compagnoDS. De là le
nom de Strophades ou lies du Retour,
qui leur fut donné (3). Virgile suppose
qu'Énée et ses compagnons furent as-
saillis par ces monstres, en relâchant
aux Strophades, après la prise de Troie,
et que Céléno lui fit de terribles prédio-
tions(8). On ne sait trop ce que les poè-
tes ont voulu désigner par cette rapa-
cité importune des harpyes : ils ont peu^
être personnifié ainsi les pirates, ou les
vents violents et malsains.
(i) Stnb.,yiII, p. 359., éd. Tmtcba., II.,
p. 108.
(a) Apollon., Jrg,, U, i^ô.
U.
BiSUSÉ HISTORIQUE SUB LBS IlES
lONlENNlS.
Les Iles Ioniennes ayant été long-
temps séparées et indépendantes les unes
des autres, surtout dans l'antiquité,
U est impossible de mener de front
leur histoire. Nous sommes donc obli-
gé d'établir des divisions, comprenant
Phistoire spéciale de chaque lie jus-
qu'au temps oh elles se trouvent réu-
nies sous une domination commune.
Outre ces divisions d'espace, pour aind
dire , nous sommes obhgé d'établir des
divisions de temps , comprenant les do-
minations successives sous lesquelles
elles ont pa&Ȏ. Nous eommencerons par
l'histoire de Corfou.
COBGTBX.
Teups fabule dx. — Temps hb-
BOÎQUBS. — L'île de Corfou a eu plu-
sieurs noms; elle s'est appelée succes-
sivement Drepanum, Schéria et Cor-
cyre;ce dernier nom est celui qu'elle
a porté dans toute l'antiquité. La my-
thologie grecque V a placé quelques-unes
de ses sânes ûBuleuses. C'est là que
Jupiter et Neptune auraient vidé, lun
armé de sa faulx , l'autre de son trident,
une vieille querelle qui les divisait :
Neptune fut vaincu. C'est là aussi
qu aurait régné glorieusement un fils de
Neptunei appelé Phéaee , qui donna son
nom aux hanitanu de l'île (1). Pbéace
régnait encore lorsque Jason , revenant
de l'expédition de Colcblde avec Médée^
relâcha à Corcyre. Il fut bien accueilli
par Pbéace, qui le protégea contre i£étès,
roi dlolcos.
Plus tard, après la guerre de Troie,
Ulysse fut Jeté par la tempête sur les
rivages de Cforcyre, où régnait Alcinoûs.
Homère raconte avec détails l'accueil que
fit Alcinoûs au fils de Laerte (2). Nau-
sicaé, fille d'AJcinous, s'étant éprise d'a-
mour pour ce héros naufragé, celui-ci,
dont la prudence égalait la sagesse , ré-
solut de quitter l'île; il retourna à Itha-
Î|ue, où il retrouva la vertueuse Péné-
ope et son fils Télémaque.
Les historiens commencent enfin à
(i) Diodorede Sidle, IV, 72.
(a) Homère, Odyss., livre» VI et VII.
ei6
LTTMIVERS.
donner Quelques notions plus certaines
sur nie de Gorcyre. Une colonie de Co-
rinthiens vient s'y établir sous la con-
duite de Chersicratès , vers la dix-sep-
tième olympiade. Ils bâtirent une ville
dont parlent Thui^dide et Xénophon,
et qui était nommée Cbrysopolis.
Temps histobiques. — Les Cor-,
cyréens, comme toutes les peuplades
grecques, eurent le génie de la conquête
et de la colonisation lointaine. Ils fon-
dèrent deux colonies importantes, Épi-
damne et Apollonie. Leurs premières
guerres eurent lieu contre les Corin-
thiens; ils les défirent dans une bataille
navale , à la suite de laquelle la paix fut
rétablie entre eux.
Lyoophron, leur dernier roi, étant
mort , les Corcyréens substituèrent à la
royauté le gouvernement républicain.
Cette révolution s'opéra en même temps
que celle qui renversa les Pisistratides
à Athènes.
Vers Tan 480, Xerxès , roi de Perse,
menaçant TOccident d*une invasion^
une ligue fut conclue entre tous les États
g'ecs contre le redoutable monarque,
es Corcyréens entrèrent dans la ligue,
et équipèrent soixante vaisseaux bien
armes. Mais soit crainte de s'attirer les
colères de Xerxès, soit espoir de profiter
de la ruine des Grecs, ils restèrent
neutres , s'avancèrent jusqu'à Pylos, où
ils apprirent cette victoire fameuse rem-
portée par Thémistocle sur la flotte des
Perses. Cette conduite indigna la Grèce,
et particulièrement le Péloponnèse, dont
Corcyre , par sa position géographique»
semblait laire partie. Thémistocle ayant
essuyé l'ingratitude de ses concitoyens,
malgré ses services et sa gloire, se retira
à Corc^TC, où il fut 'accueilli avec de
grandes démonstrations de joie et de
respect. T^éanmoins les Athéniens n'en
gardèrent point rancune aux Cx>rcyréens,
et ceux-ci bientôt vinrent implorer leur
secours contre la ligue de tout le Pélo-
ponnèse, qui ne pouvait leur pardonner
leur neutralité dans la grande guerre
contre les Perses.
GUEfiBBS DBS COBGYBÉETVS AVEC
LES Corinthiens. — C'étaient les Co-
rinthiens surtout qui montraient les dis-
positions les plus hostiles aux Corcy-
réens, et c'étaient eux qui avaient fo-
menté la ligue du Péloponnèse contre
ces insulaires. La tfuerre ^enjmea à
l'occasion de la colonie d'ÉfMnmiie,
que les Corinthiens prétendaient poi-
séder. Épidamne en effet se plaça sons
la protection de Corinthe, qui «ivoya des
troupes et des vaisseaux à cette ooloaie.
Sohante-quinze vaisseaux et deux mille
hommes forent mis à' la disposition des
Épidamniens. •
De leur côté , les Coreyréens équipè-
rent soixante-dix vaisseaux, montes par
des hommes à qui lamor était familière,
et quarante de ces vaisseaux s'avancè-
rent au-devant de la flotte oorinthieiuie.
Les insulaires , habiles à la manœavre,
battirent leurs ennemis, et À la nouvelle
de cette défaite, Épidamne se reddit
aux vainqueurs. En mémoire de es
triomphe, les Corcyréens égorgèrent
leurs prisonniers, sur un cap élevé de
son île.
Les habitants de Leucade (Sainte-
Maure) et de Céphallénie, avaient pris
parti pour les Corinthiens contre les
Corcyréens : ceux-ci s'avancèrent avec
leur flotte vers Leucade; mais les Go-
tinthiens, réunis pour couvrir cette fie,
qui était leur alliée, refusèrent Je com-
bat et temporisèrent. Alors les Corcy-
réens firent retraite; et comme il voyaient
le sénat de Corinthe faire de noaveaox
préparatifs , ils envoyèrent des dépotés
a Athènes demander des secours. Pé-
rictès détermina les Athéniens m Êiveor
de leur demande ; une alliance fut cou*
due entre les deux peuples.
A cette nouvelle, Corinthe met en
mouvement une flotte considérable,
composée de cent cinquante vaisseaux;
tes Corcyréens n'avaient oue cent dis
vaisseaux, et les secours d^Athènes n'é*
talent pas arrivés ; néanmoins ils ne re-
fusèrent pas la bataille, et ils remportè-
rent une nouvelle victoire, mais peu dé-
cisive; et les Corinthiens se dispissaiest
à offrir une nouvelle bataille, lorsque
l'arrivée de trente voiles athéniennes les
mit subitement en retraite.
Mais cette retraite cachait de ooo-
veaux projets. Ils resserrèrent leur
alliance avec les autres États -du Pélo-
ponnèse, gagnèrent a leur cause les La-
cédémoniens, Perdiocas, roi de Macé-
doine, quelques villes de Sicile et dltalifi
e\ tirent révolter contre Athènes Saoïos
et Byzance. Mais les Athéniens, uais
ILES IONIENNES.
«I«
aux C<NrevréeD8, avaient en mer cent
soixaate-mx vaisseaux , aoi tinrent en
échec les forces combinées de la ligue
et battirent dans une rencontre la flotte
isolée des Leucadiens.
Tboublbs intbbisubs a CoaGYBB
(427, 425). C'est à la suite de cette cam«*
pagne que commencent à Gorcyre les
divisions intestines; TÉtat se sépare en
deux factions, celle du peuple et celle
des nobles. On sème dans le peuple la
défianee contre Athènes, et Pithias, le
chef du sénat, qui était du parti d'Athè*
nés, est un jour massacré avec soixante-
dix sénateurs. Athènes était alors Tob-
jet dn ressentiment de toute la Grèce.
Les Corcyréens lui ayant témoigné de la
défiance, etayant massacré ses partisans,
furent abandonnés par elle ; et comme
ils lui avaient envoyé des députés , ces
députés furent reçus avec dédain et mis
en prison.
Dans cette lutte on vit Lacédémone
prendre parti pour les nobles, et Athènes
pour le peuple. Athènes envoya dna cents
hommes au secours du parti populaire ;
mais les Lacédémoniens arrivèrent avec
touteuneflotteausecoursdesnobles.Une
bataille s'engagea en vue de Gorcyre.
Forcés à la retraite par Nicostrate,
général athénien, les Lacédémoniens re-
parurent bientôt avec des forces supé*
rieures, et assiégèrent Corcyre par terre
et par mer. Mais , n'observant aucune
discipline, ils se répandirent dans Ftle,
commirent des brigandages et détermi-
nèrent la réconciliation des nobles et du
peuple. En même temps, ils apprirent
qu'une flotte athénienne, commandée
par des chefs braves et expérimentés,
s'approchait. Les Lacédémoniens se re-
tirèrent devant cette flotte , et abandon-
nèrent les nobles. Alors, malgré la ré-
conciliation récente du parti démocra-
tique avec le parti des nobles, le peuple
de Corcyre, à la vue des Athéniens, ses
protecteurs, ne chercha plus que la ven-
geance, et n'écouta que son ressentiment,
l^e parti des nobles fut massacré, les
maisons incendiées; de ce parti il ne
s'échappa que cinq cents citoyens, qui se
réfiigierent dans 1 Épire.
Cà cinq cents, aidés parles Épirotes,
firent tout à coup irruption à Corcyre;
malgré leur courage, ils sont faits pri-
sonniers, et malgré les. Athéniens, qui
voulaient les sauver, ils sont livrés au
bourreau. On n'en épargna que qudques-
nns , qui furent mis en esclavage.
Le calme se rétablit enfin à Corcyre.
Les Athéniens en profitèrent pour ras-
sembler dans le port une flotte de cent
trente-quatre vaisseaux, montée par
cinq mille hommes, et destinée à opérer
un débarquement en Sicile (415). Midas,
AlcibiadeetLamachus, la commandaient.
Cette flotte s'étant éloignée pour cette
expédition , les Lacédémoniens se pré-
sentèrenten vue de Corcyre ; mais les Cor<
cyréens, dans leur désespoir, firent des
prodiges de valeur, et battirent leurs enne-
mis. Timothée, Athénien, venu à leur
secours, rétablit le calme, et rendit le
gouvernement au parti populaire.
Dans les guerres qu'Athènes eut en«
suite à soutenir soit en Sicile, soit con-
tre Lacédémone, soit contre les colonies
révoltées, les Corcyréens se montrèrent
ses fidèles alliés. A la paix conclue entre
Athènes et Lacédémone sous la média-
tion d'Artaxerce, roi de Perse, les Corcy-
réens jouirent des bienfaits de cette
paix , et se livrèrent au commeree.
Corcyre^ervit de retraite à Aristote,
qui, pendant son séjour dans eette Ile,
y reçut la visite de son élève Alexandre.
Corcyre dégénéra bientôt de son an-
tique puissance. Elle fut assiégée et
prise par A^athocie (817), tyran de Syra*
cuse; maisle vainqueur abandonna cette
possession pour tourner ses armes con-
tre l'Afrique.
Pyrrhus, roi d'Épire, ce redoutable
ennemi des Romains, (280) attaqua Cor-
cyre, dont il avait besoin pour l'exécution
de ses projets sur l'Italie. Repoussé une
première lois, il finit par s'en emparer.
Dans la guerre contre l'Italie, il tira des
secours ae Corcyre, qu'il sut habilement
ménager. La guerre, qui désolait à ce
moment l'Italie et la Grèce, redonna aux
Corcyréens du courage et à leur île de
l'importance. Ils méditèrent une expédi-
tion sur l'Ile de Crète, y firent une des-
cente, mais furent à la fin obligés de l'a-
bandonner.
Alors les Corcyréens s'attachèrent à
développer leur marine commerçante, et
s'adonnèrent auxarts. Malheureusement
ils eurent à lutter contre un ennemi
nouveau, qui leur faisait en détail une
guerre acharnée ; cet ennemi, c'étaient
ei9
L'UlfI?£RS.
Ici pinilBgiUjrrkBS, sur lesquels Hgmt
alorii «ne .femme avide et cruelle, du
nom de Teuta. Réduits à leurs seules
forées, lesCorcyréeus furent impuissants
dans cette lutte, où leurs hardis agres-
seurs exeeilaieBt par la vélocité de leurs
navires et Theureuse témérité de leurs
attaques. Les Goreyréens virent souvent
iMirs navires, leurs marchandises, leurs
richesses devenir la proie de ces auda-
cieux et infstigahles pirates.
Alois les Goreyréens songèrent à imi-
ter Texemplede toute la Grèce. Corc^rre
fit comme Athènes, son ancienne alliée ;
elle accepta la domination romaine. £lle
envoya à Rome des députés chargés de
demander au sénat sa protection. Le
sénat ne savait pas repousser de pareil-
les demandes ; les députés rapportèrent
à Corcyre la protection du sénat et la
domination de Rome.
ÉTAT ttBN BBA£« Nous avons pçu de
chose à dire des institutions politiques
de Corcyre. Cétait le gouvernement ré-
Ïiuhlioain dans sa plus grande simplicité.
1 y avait chaque année une assemblée
générale du peuple, qui élisait quatre
chefs ou prytanes chargés d'administrer
et de rendre la justice ; les prytanes
avaient chacun leur spécialité.
Les dieux particulièrement invoqués
à Gorcyreétaient Jupiter, Neptune, Mer*
cure et Apollon. Sur les médailles qui
témoijgnent de leur culte, les insulaires
gravaient d'un côté la tête du dieu in-
voqué, de l'autre des emblèmes 8ignifi«
catife, un trident, une galère, un trépied,
une grappe de raisin, un cheval, une va»
cfae,etc. Il reste un assez grand nombre de
ces médailles dans les musées de Venise*
Les mœurs des Goreyréens n'ont pas
la politesse et l'élégance des mœurs
grecques et surtout athéniennes ; elles
restèrent rudes , et ces insulaires n'ex-
cellèrent généralement, que dans les
exercices du corps : ils ont fourni beau-
coup d'athlètes aux jeux olympiques.
GORCYmESOUS LA. DOMINATIOlf RO-
MÀifiB. — £nse plaçant sousia protec-
tion de Rome , le but des Goreyréens
était de se mettre à l'abri des briganda-
ges des pirates iliyriens. En effet, le sénat
envoya deux ambassadeurs a Tenta,
reine des Iliyriens, pour l'inviter à faire
cesser toute agression contre les nou-
veaux alliés des Romains. Tenta, irritée
du langage de l'un des ambassadeurs,
le 6t assassiner, et en même temps une
Hotte considérable fut mise en mer.
Gette flotte attaqua immédiatement £pi-
damne, colonie corcyréenne; puis elle
se présenta devant Gorc^re et offrit la
bataille aux Goreyréens a la hauteur de
l'île de Paxo. Les Goreyréens furent dé-
faits , et le général illyrien, DémétriuSi
assiégeant Gorcyre, s'en empara.
11 était temps que les Romains arrivai>
sent au secours des insulaires, réduits es
servitude. Le consul Fulvius s'avança
avec deux cents voiles, tandis qu'on au-
tre général romain, Aulus Posthuroius,
envahissait par terre rillyrie,àla tétede
vingt mille lH>mn)es d'infanterie et de
deux mille chevaux. Démétrius, rendu
suspect à la reine Teuta , qui venait de
faire mettre sa tête à prix , fît alors ua
pacte avec les Romains; il hvra Cor-
cyre au consul, qui , libre de ce côté, fit
sa jonction avec Aulus Posthumius. Les
Iliyriens furent poursuivis à outrance;
la reine Teuta , qui avait violé le droit
des gens en faisant assassiner un en-
voyé romain, s'enfuit dans l'intérieur
du pays. Les Romains, dont les forces
étaient nombreuses, envahirent toute
rillyria, et enassurèrent la conquête ; une
partie devint province romaine, uoe
autre partie fut donnée à Démétrius,
pour recompenser le service qu'il avait
rendu en livrant Gor<^e à Fulvius.
Gette conquto achevée , Posthuoiios
se rendit à Gorcyre, et y rétablit le bo8
ordre, l'empire des lois et le culte des
dieux. Il plaça un chef à la tête du sé-
nat, et il oéclara les insulaires amis ds
gmple romain, politique habile qae
ome employa souvent vis-à-vis des
peuples qu'eue s'adjoignait par les ar-
mes ou qui se donnaient è c^e. Il leur
laissa même quelques vaisseaux, et les
Goreyréens devinrent des alliés Gdeks
et reconnaissants (339).
FinSIilTR DBS GORCYRBBMS. —A
cette époque, Rome se trouvait dans ooe
des situations les plus critiques qu'offie
sa longue et sanglante histoire : Annibal
venait de remporter la victoire de Canoës
(216) ; Phiiippe,roi de IVIacédoine, se pré-
parait à une expédition en Itahe; Ht-
hrrien Démétrius avait en même t^
mi défection. Cependant le oonsul tat
lius commença par replacer sous le joug
ILES lOmSNNES.
«10
Itlyrie, et par en diasser Démélriut.
jtR Goreyréens eomkMitttfent smii ses
Irapeaux ; ils s'opposèrent aussi à Texp
(édition du roi de Macédoine, et s'adjoi-
inirent au oonsui Flamîninus contre et
oi, qui, sentant son impuissance contre
es Romains, leur demanda la paix.
Persée, fils de Philippe, rompit cette
ait, qui était humiliante pour la Maeé-
loine, et dans un premier combat déAt
es Romains, inféneurs en forces. Mais
ts reprirent bientôt le dessus avec Paul*
ilmiie, qui arriva à Goreyre pour agir de
à contre Persée. Les Goreyréens four*
tirent un seeours considérable. Paul-
'^mile livra une bataille sanglante aux
lacédonietts,etle8 écrasa. Peisée, vaincu
t prisonnier, lut amené par Paul-Émile
Corcyre, où il jr eut une entrée triom«
thaïe; après quoi Paul-Émile emmena
I Rome le roi captif, qui mourut bien*
ôt à Albe.
Une nouvelle prise d'armes des Ma-
édoniens ramena les Romains, corn-
nandés par Quintus Métellus. Les Ro-
nains furent vainqueurs , avec l'active
oopération des Goreyréens.
La guerre s*étant engagée oitre Rome
tla Grèce, les Gorcvreens ne furent
)as moins fidèles à leurs alliés dans
«tte guerre nouvelle, où ils se retrouvè-
ent aux prises avec leurs vieux ennemis
es Gorinthiens, qui avaient assassiné
es envoyés de Rome. Les Goreyréens
irirent place dans les légions du consul
iummius. Gorinthe succomba , fut en*
ièrement rasée, et la Grèce taX sou-
Qise (H6).
Plus tard, dans les guerres civiles,
lorcyre se rangea du parti de Pompée;
lie devint en quelque sorte le centre
e ses opérations navales. Marcus Bi-
ulus, son lieutenant , stationnait dans
on port avec cent voiles, et lui-même,
ecevant de tous cOtés des renforts . se
3naità Éçidamne, colonie isorcyréenne.
lésar, qui avait passé la mer, se retira
evant les forces supérieures de son
Ival , et prit position à Pharsale. On
onnaît Fissue de cette bataille célèbre :
'ompée, vaincu, se retira en Egypte, où
fut assassiné. Gaton, à la nouvelle de
e désastre . vint à Gorcyre, où il trouva
iicéron et le jeune Gneus Pompée , fils
e Tillustre vaincu. Ils se dispersèrent
ans toutes les directions (48).
Les Goreyréens implorèrent aloii la
ciémtnœdeGéear, qui leur pardonna. La
mort de César jeta Coreyre dans de
nouveaux embarras. Octave, à la non*
valle de la mort de son oncle , quitta
Apollonie, colonie ooreyréenne, paaaa
par Gorcyre , et ae rendu à Rome par
Brundusium. La guerre éclata bientôt,
et Bf Htus et Cassiua , ayant quitté l'I-
talie, arrivèrent l'un à Ë^idamne, Vdsa^
tre à Apolionie , les deux colonies oor*
cyréeones. Les Goreyréens prirent parti
pour eux , ils défirent même Dolabella,
lieutenant d'Octave; mais Brutus d
CassiuB ayant été battus par Antoine et
Octave, les Goreyréens ae soumirent, et
ce fut dans cette Ile qu'eut lieu le ma-
riage d'Antoine avec Oetavie, souir de
son colite, laquelle demeura niusleurs
années à Coreyre, pendant les cam*
pagnes d'Antoine en Orient.
Danslalutted'Octavecontre Antoine,
Gorcyre embrassa le parti de ce dernier
(81). Octave s'en vengea en rassiégeaot
et en la puniasantavec rigueur. La ba*
taille d*Actium mit lin aux aouffraiioes
qui résultaient pour les Goreyréens des
guerres civiles de Rome.
Depuis cette bataille jusqu'à l'avéne*
ment de Omstantin, 1 histoire de Gor-
cyre présente peu d'intérêt. Kous voyons
oue Germanicns y passa lorsque Tibère
renvoya en Orient, et qu'après sa mort
tragique son épouse Agrippine, re*
tournant à Rome avec les oendres de
GermanieQs , y séfoiurna quelque temps
et y reçut les plus grands honneurs.
Sous Caligula, les Goreyréens en*
voyèrent à Rome quatre députés solli*
citer de l'empereur un adoucissement à
leur sort. Cet empereur les accueillit
avec bonté : Coreyre vit ses fers allé^,
ses privilèges rendus et sa liberté réta-
blie.
De cette époaue date l'introduction de
la reli§^ cbretienne à Gorcyre. Ce fo-
rent saint Jason, évêque d'Icône, et saint
Sosipatre, évêquede Tarse, qui tentèrent
la conversion des Goreyréens. Malgré
la persécution, il y eut bientôt dans 1 Ûe
de nombreux prosélytes.
Jusqu'au règne de Dioclétîen , This-
toire de Gorcyre est à peu près nulle; on
voit seulement que les Goreyréens com-
battent dans les lapons impériales.
Lorsque les Gotbs envahirent la Ma-
4»
L'UNIVERS.
«édoiiw et TËpire, les Goroyrée&fl et
quelques autres villes (grecques levèrent
une armée, et remportèrent un avantage
signalé sur oes barbares. Mais cette vie»
toirefut suivie d'une peste terrible, qui
ravagea Farmée et la popubtion; un
autre fléau remplaça celui-là. La perse-
eution de Dioclétien contre le christia-
nisme se fit sentir cruellement à Gorcyre*
Plus tard , Hélène , mère de Constantin
le Grand, débarqua deux fois à Gorcyre,
et donna sa protection aux insulaires ,
qui avaient tous adopté la religion chré-
tienne.
CoBFOU sous l'Empibb d'Oaiert.
-— A la mort de Constantin le Grand
(336), Corcyre fit partie des fttats de son
second fils , Constant. Les Corcyréens
combattirent en sa faveur contre Cons-
tantin, son frère, qui fut vaincu à Aqutlée,
et contre les Goths, qui renouvelaient
incessamment leurs incursions. Dans la
lutte de Constance, empereur d'Orient,
contra l'usurpateur Magnenoe, les Cor-
cyréens prirent parti pour l'empereur
d'Orient, et en retour de ce service leur
république obtint de grands privilèges.
Lorsque Tempereur Gratien accourut
d'Occident au secours de l'Orient, tou-
jours menacé par les Goths , il s'arrêta
a Corcyre, y trouva une flotte et deux
mille soldats, qui se distinguèrent contre
les barbares et contribuèrent à leur dé*
iaite. Pour témoi^er aux Corcyréens sa
reconnaissance, il séjourna dans leur
lie au retour de cette campagne (875).
Corcvre se signala encore sous Théo«
dose 11 ; ce furent quatre mille de ses
soldats qui prirent Ravenne, occupée
par les ennemis de l'empereur.
Après la (xrise et le sac de Rome par
Gensérlc, roi des Vandales (455), Cor-
cyre eut à essuyer la cruauté de ces bar-
bares : elle fut ravagée par eux en même
temps que la Sicile et ta Grèce, à Tex-
ception toutefois de la ville elle-même,
qui se défendit courageusement. Gen-
séric ayant été battu par Basiliscus,
Corcyre jouit de la paix jusqu'au r^e
de Justinien.
Sous cet empereur, son général Béli*
saire passa à Corcyre, et enrôla sous ses
drapeaux la jeunesse corcyréenne pour sa
grande expédition d^Itaiie contre les
Goths. Bélisaire reprit sur eux Naples
et Rome (59&). Alors les Goths, sous la
eonduHe de Vitigès, vioratt
Rome y au nomlnfe de cent einqoaÉla
mille. Bélisaire soutint pendant deux
ans leurs terribles assauts, et les (brea
enfin à la retraite. Les Gcurcyréeiis se
signalèrent particulièrement à'eette dé-
fense. Bélisaire, poursuivant ses succès,
serra de près Vitigès, qui faisait retraite,
assiégea Ravenne, où il s'était retiré, et
s'en empara; mais il fut rappelé à Cons-
tantinople, dis^acié et remplacé par
l'eunuque Narses.
Totila, successeur de Vitigès (441),
ravagea la Grèce , et Corcyre n'échappa
point à sa vengeance. Les ravages de
Totila furent interrompus par Narsès,
qui battit les Goths sur mer et sur terre.
Plus tard, sous l'empereur Maurice
(542), nous retrouvons les Corcyréens
s'armant contre les barbares, et entre an-
tres contre les Dalmates; ils équipèrent
à leurs frais une flotte, qu'ils mirent ai
service de l'Empire. Nous les retrou-
vons encore à la bataille de Modène
contre les Lombards, où ils méritèrent
spécialement les éloges de l'empereor
Héraclius (610), qui avait pour eux la
plus grande estime.
A cette époque commencent les ra-
vages des Sarrasins , qui envahirent la
Grece et (Corcyre. Dans une bataille na-
vale , livrée par Constant 11 à ces pirates,
Corcyre compta cinquante vaisseaux
équipés à ses nrais. Constantin Pogonat,
fils de Ck>nstant, ne fut pas moins heu-
reux que son père contre les Sarrasins,
et la flotte corcyréenne lui 6it de b
plus grande utilité.
Constatons ici que Corcyre dans ces
temps malheureux, et au milieu de ces
fuerres épouvantables qui désolent le
as-£mpire, ne cherche son salut qu'en
elle-même. Elle crée une Hotte , non*
seulement pour se protéger, mais encore
pour secourir les empereurs , dont elle
reste ralliée fidèle. Cette flotte com-
mence par défaire en plusieurs rencon-
tres les Sarrasins; puis sa simple appa^
rition finit par les intimider, ce qui
arrive sous Justinien 11 (705). Léon
risaurien, empereur de Constantinople,
étant assiégé dans sa capitale par les
Sarrasins, les Corcyréens n'attendent
pas qu'on leur demande des secours.
Pendant qu'ils se défendent eux-mêmes
contre d'autres ennemis, ils détacheat
ILES lOIOENKES.
-Bn
ine partie de leof flotte vers Constaii*
iDople^eteonlribiieiità sa délivrance.
Mus tard, maigre ce graad service, les
^rcyréens forint acàd>lés d'impôts et
naltraités par cet empereur.
Nous void arrivés à l'époque de Ni*
éphore et de CharleoaagDe. Dans la
utte de Teropire d'Orient et de l'empire
l'Occident, Corcyre, qui a créé avec
«tienoe une véritable puissance navale,
este fidèle à l'empire d'Orient. Sa flotte
léfait celle de Pépin dans l'Adriatique;
Ile s'oppose elle-même au passage des
bulgares en Italie. Sous un successeur
le Nieéphore, cette même flotte débar-
|ue près de Gonstantinople huit mille
lommes , qui se joignent à l'armée de
'empereur et contribuent puissamment
i la sanglante défaite des Bulgares.
Sous les empereurs Théophile, Mi-
hel, Basile, Léon VI et Constantin VH
820-913), les mêmes gages de fidélité
;ont donnés à l'empire par les Gorcy-
éens. Us offrent à Théopnile leur flotte
!t leurs soldats contre les Sarrasins. Les
mpériaiu furent battus dans le golfe de
>otone, et les Sarrasins, vainqueurs,
>ortèrent partout le fer et le feu. Mais
^orc^re ne désespère pas de son salut;
issiégée par les vainqueurs , elle se dé-
énd avec vigueur, et repousse les assié*
géants.
Elle fiiit alliance avec Venise, dont
a marinese développe dès cette époque ;
eurs flottes combinées joignent les Sar-
asins dans l'Adriatique, et leur font es*
uyer une défaite complète. L'empereur
iasile leur en témoigne sa reconnais-
ance en leur octroyant des privilèges.
Corcyre envoie ses soldats a Nicétas,
;énéral de l'empereur Léon VI (886);
es soldats assistent à la victoire qu'il
emporte sur les Sarrasins.
£lle envoie également des secours à
Constantin VU (91 2) contre les Bulgares»
|ui assiégeaient Gonstantinople. Qua-
jnte vaisseaux corcyréens se joignent
i la flotte impériale, et les Bulgares sont
orcés de se retirer. L'empereur les ré-
compense par l'ingratitude, et les accuse
le rébellion. Saint Arsène, leur évéque,
entreprend le voyage de Gonstantinople
»our les défendre, et le fait revenir à
l'autres sentiments. Saint Arsène comp-
e parmi les prélats les plus vertueux et
es plus illustres de ce temps.
Cette fidélité eonstate deë Goreyréena
à l'empire se maintient sous les r^iea
suivants, dans les guerres que les emp^
reurs ont à soutenir contre les Sarra-
sins. Phocas utilisa à différentes reprises
ce précieux concours. Gorcyre devint
même la place d'armesde l'empire contre
les Sarrasins, et fut le siège des opénh
lions militaires des empereurs Basile et
Constantin (9S9,1095). C'est avec leur
flotte que le pape Sergius, le prince de
Capoue et Guillaume, baron de Nor-
mandie, transportent leurs soldats en
Sicile et forcent les Sarrasins à évacuor
cette lie.
Depuis Constantin VIII jusqu'à
Alexis Comnène , l'histoire de Gorcyre
se mêle dans les mêmes proportions à
l'histoire de l'empire d*Orient; mais
elle ne présente aucun fait digne de re-
marque.
Les Corcyréens reparaissent avec
quelque éclat dans la lutte de l'Orient
contre les Normands Robert, Bobé-
mond et Roger. Dans cette lutte, Du-
razzo (ancienne Épidamne) assiégé
par Bohémond, est défendue victorieuse-
ment par une garnison corcyréenne.
Sous rempereur Emmanuel Comnène
(1143), Gorcyre, toujours fidèle, fut as-
siégée par Roger II, comte de Sicile. Ce
S rince s'en empara, par l'inhabileté
'Argio Christoforite , qui la défendait.
Mais Roger U étant mort , l'empereur,
sentant toute l'importance d'une place
qui était en quekj^ue sorte la clef de l'O-
rient, vint assiéger la garnison nor-
mande, et reprit la place sur Guillaume,
fils de Robert. Il en fit réparer les forti-
fications , et donna aux Corcyréens de
grandes marques de sa bienfaisance,
es insulaires élevèrent à cet empereur
une statue avec cette inscription :
À Emmanuel Comnène
Empereur très-heureux,
Vainqueur des tyrans Siciliens,
Corcyre dédie ce Monument
De ses triomphes.
La puissance des Vàiitiens grandissait
au mdieu des luttes des grands États.
Emmanuel leur demanda des secours
ccmtre Guillaume de Sicile; ils re-
fusèrent. De là une déclaration de
guerre de l'empire à la répubiiaue vé-
nitienne. Mais cette guerre ne fut pas
L'UMTIRS.
de longue dvrée. Snwnnuel fit là paix
avec Venise, et à la suite de oeHs paix
il ériffea en duché Coreyre, rÉpùrè el
rÉtolIe, qu'il donna à son fib naturel
Alexis.
Le duc Alexis, ayant en des démêlés
avec Tempereur Anàronic), appela à son
secours les Iforroands de Sidle. Mais
Goreyre, qui avait en horreur les Nor-
mands, ne voulut pas les recevoir, et
ferma ses portes à Alexis lui-même. Ce
prince ayant été fait fkisonnier, l'emp^
reur Andronic s'empara du duché qui
hti avait été donné en apanage, et en-
voya ses lieutenants occuper Goreyre.
Mais sur ces entrefaites, Andronic fîit
déposé, Alexis rendu à la liberté et re*
mis en possession de Goreyre et de son
duché , dont une nouvelle révolution de
palais le chassa pour le reléguer dans un
mojoastère.
Le duché fut maintenu entre les mnns
deson fils Michel.
G'est sous son règne que s'effectua
la quatrième croisade (1304). Les croisés
s'arrêtèrent à Goreyre ; c'est de là qu'ils
se dirigèrent sur Constantinople et dé-
trônèrent Alexis, pour le remplacer par
Isaac Ange. Michel garda son duché.
Pendant que Baudouin était élu em-
pereur de Constantinople par les croi-
sés, le duché passait a Michel n, fils
de Michel I*'. Michel fortifia Goreyre,
de façon à la rendre redoutable; il for-
tifia également plusieurs places du con-
tinent et spécialement Durazzo.
Il eut pour successeur son fils Mi-
chel III; mais son oncle et son tuteur,
Théodose , prince belliqueux et entre*
f prenant, le chassa, lui et sa mère, et se
ivra à sa passion pour la suerre. A la
tête d'une armée de Corcyréens et d*É-
pirotes, il battit les Latins, s'empara de
Thessalonique, et conquit diverses par-
ties de la Grèce.
Mais ayant attaqué les Bulgares , il
fut vaincu, fait prisonnier, et, rendu
bientôt à la liberté , il rétablit dans ses
Ëtats son neveu Michel III. Michel fixa
sa résidence à Goreyre, fortifia 1* Arta, et
bâtit le fort de Butrinto; il éleva aussi
plusieurs églises.
Il eut pour successetnr Michel lY , qui
épousa Marie Lascaris, fille de l'empe-
reur Théodose , empereur sans États ,
puisque Gonstantinople était au pou-
voir des Latins. La doe IfleM lY eol
deux filles de ce mariage, Hélène, mi
épousa le If ormand Manfred, roi de Si-
cile, et Anne, qui épousa le prinoe d'A-
chaïe. Ënorsnetlli de ces bnllastes al-
lianoes, Michel IV prit le titre de des-
pote de Goreyre y d'Épire et d*Êlolie;
il prétendit même à l'empire , du ebcf
de sa femme Marie Lasearis. Acbod-
pagné de ses gendres, il marcha sor
Gonstantinople, oà régnaient avee fû-
blesse les deux fils de Baudouin , sous
la tutelle d'an Paléologue. Mais, se
oroyant trahi par ses gendres, le prince
d' Acheté et le roi de Sicile, il prit su-
bitement la fuite, et son armée suivit
son exemple. Les gendres, ainsi aban-
donnés, soutinrent nésnmoins la choc
de Tarmée impériale; mais Un fsnoi
délaits : le prince d'AcÉisîe resta pri-
sonnier, et Manfred ne s'échappa qu'avec
des peines infinies. Ge dernier périt
malheureusement dans sa lutta comtn le
célèbre Gharles d'Anjou, qui a^eospan de
ses États (1964).
Alors Michel IV , sfaperjwvat de sa
faute, voulut la réparer; il forma une
armée nouvelle, composée daGoreyréns
et d'Ëpirotes, marera une seconde fois
sur Gonstantinople, et battit Alexis,
général de l'empereur Michel Paléelo-
gue. Mais il ne profita pas de sa vie-
foire, et conclut la paix avec l'empcrrar
d*Orient. Gette paix ne dura pas long-
temps. Paléologue était un prioee aai-
Intienx et remuant; la guem reooai-
mença de nouveau , et les armées de
deux souverains, sans en venir à nae
bataille , ravagèrent simuttanéarient la
frontières de l'Empire et les frmitiéns
du duché. Midiel IV mourut aa mibes
de ces hostilités. Il partagea ans États
entre ses enfants; et l'un de ses bâ-
tards , le prince Jean, qu'il aIflMît beau-
coup, eut pour sa part Gongrre et «ae
province de l'ÉtoHc
GoRPon sous tBs bois Bn Naplis.
— Sur les sollicitations de Baocioais .
chassé de Gonstantinople par Paléole-
gue, Gharles d'Anjou , roi de Naptes.
avait armé cent galères et vingt vais-
seaux contre Tempire d'Orient. Il ^em-
para d'abord de Dorazaso , et il détacba
contre Goreyre, son neveu, Louis # Au-
)ou. Après une résistance oà la bra-
voure aes Gorcyréens se manifesta arec
ILES lOKIDniES.
échu, la fille m méRt. Il partit eons-
tant» d'après les diroiriqueursyoaeee
fut le peuple qui capituia, malgré la no*
blesse, âecidm k s'ensevelir sous les rui-
nes de la plaee. Charles reçut l'hom*
mage de la ville et de tonte la popula*
tioD de nie; il eonfirnia leurs privilèges,
unis il établit un gouvemeroent de trois
juges, dont Tautorité était illimitée,
autorité qui dégénéra lûentdt en ty-
rannie. Les habitants supportèrent ce
|oug avec impatience; mais ils furent
surtout blessés par la conduite de leur
évéque, qui abandonna le nte grec pouf
embrasser le rite latin. Ce changement
ne put entraîner les Gorfiotes, qui,
comme tous les Grecs, étaient opiniâtre-
ment attachés au schisme. Du reste, lis
demeurèrent fidèles à leurs nouveaux sou-
verains ; car la fidélité est le trait do-
minant de leur caractère dans leurs re-
lations, soit avec les Romains, soit avec
l'empire d*Orient, soit avec les rois de
Naples , soit plus tard avec la républi-
que de Venise. Depuis Texpulsion de
leur dernier duc, Jean, de la famille des
Comnène, eette fidélité à la maison
d* Anjou ne se démentit pas un instant.
Dans la longue guerre, oe cette maison
illustre à tant de titres contre les prin-
ces d'Aragon , les Corfiotes n'abandon-
nent jamais sa cause, et nous les voyons
résister avec énergie et avec succès auk
armes de Jacques d'Aragon, qui avait
reçu l'investiture du royaume de Sicile et
des possessions ioniennes.
Les Albanais, héritiers fidèles des
vieilles traditions des Illyriens, com-
mençaient alors eette vie d'excursions
et de brigandages avec laquelle ils n*ont
pas rompu , même de nos jours. Phi-
lippe, trère de Charles le Boiteux
[1285), roi de Naples , s'opposa à leurs
excursions, et ce fut surtout avec les Co^
Dotes qu'il les tint en respect. Pour ce
service, Philippe fut investi par son
frère Charles de la principauté de Cor-
fou, où il fut accueilli avec amour. Leur
attachement à cet Angevin, dont les
qualités aimables égalaient les talents
militaires, se manifesta vivement lors-
qu'une ligue des Aragonais, des Génois
et des Vénitiens le menaça dans sa
principauté. A leur tête, il résista à ces
puissants ennemis, secourut Charles
son frère, étendit sa principauté dans la
Grèce, où il II pluslMirs toa<|RêleB. Bdut
téuHHgner aux Corfiotes sa reconnais-
saoee, le doc Philippe leaexempita de tout
impôt.
Malheoreusement Philippe fut tiaM
par la fortune, dans une expédition di-
rigée oontre la SieHe an profit de son
neveu Robert de Calabre , fils de son
frère Charles. Il fat battu et fait pri-
sonnier par Frédéric, roi de Sicile. Sa
captivité dura jusqu'à la conclusion de
la paix entre Ciarles et Frédéric, et il
revint alors h Corfou, où il fit exécuter
des travaux destinés à protéger l'île et
la ville contre l'étranger. Il s'attacha
la noblesse corfiote en mettant à la tête
de ses forces navales un noble corfioto,
Nicolo Barbo , et après lui Vincent de
Trani. Un autre noble corfiote , Ai«
mouette , fut placé à la tête de l'admi-
nistration de la Justice et chargé en
même temps de la direction des tra-
vaux publies. La police de la ville fut
organisée; dans une assemblée gé-
nérale , on procédait par l'élection au
choix des gouverneurs dans les établis-
senïents de terre ferme ; deux trésoriers
généraux furent créés pour la gestion
es finances ; il y eut trois intendants de
la santé, et une inspection sévère
É'exerça sur toutes les branches de Tad-
ministration publique.
Philippe laissa deux fils , dont Patné,
Louis, eut la principauté de Tarente, et
dont le seconu, Robert, entra en posses-
sion de Corfou, à charge d'hommage ait
roi de Naples. Charles le Boiteux , roi
de Naples , avait eu pour successeur son
fils Robert (1809). Celui-ci, étant mort
sans enfant (1343 ), avait laissé sa cou-
ronne à sa nièce Jeanne. Mariée à un
fils du roi Charles-Robert de Hongrie,
Jeanne le fit étrangler à Capoue, et
épousa en secondes noces son cousin
Louis, prince de Tarente, et firère de
Robert, prince de Corfou ( 1349).
Robert gouverna cette tie avec dou-
ceur, et à sa mort en transmit la posses-
sion à Philippe II, son fils. Ce prince
ne fit aucune action ; ce que l'on peut
constater sous son règne, c'est la ten-
dance à favoriser la religion grecque ,
professée par la majorité des Gorfiotes.
Ce prince étant mort sans enfants ,
Corfou dut retourner sous la domina-
tion immédiate des.rois de Naples. Mais
034
VmmERS.
l6 royaume fut livré pendant de km-
gœi années à tontes les horreurs de la
guerre df ile, et les Corfiotes songèrent
a se soustraire à cette domination , que
leur rendaient plus lourde encore des
impôts onéreux et d'insupportables
vexations. Us chassèrent de Gorfou la
garnison et Fadministration napolitai-
nes» et, pour couronner cet acte d*indé-
pendance nationale, ils rétablirent le
régime républicain , qui les avait long-
temps gouvernés sous Itf Grecs, les Ro-
mains et les empereurs d'Orient.
Paxos.
Les antiques traditions prétendent
Sue rtle de Paxos a fait autrefois partie
e rile de Gorcyre , dont elle aurait été
séparée par un de ces tremblements de
terre si fréquents dans les îles Ionien-
nes. Elle a absolument les mêmes pro-
duits et la même qualité de terroir.
Paxos n'a pas, à proprement parler,
d'histoire ; elle a été dans tous les temps
uoe dépendance de Gorfou, et en a suivi
toutes les révolutions.
Pline donne à cette île le nom d'E*
ricusa ; on ignore d'où lui vient le nom
de Paxos. Elle resta longtemps inhabi-
tée. Dans la belle saison, les Gorcyréens
y envoyaient paître leurs troupeaux, et ce
sont probablement des pasteurs qui en
furent les premiers habitants. La popu-
lation s'en accrut avec le temps, et subit
toutes les phases par lesquelles passa la
population de Gorcyre.
Dans les guerres interminables que
les Gorcyréens eurent à soutenir, Paxos
avait un port qui servit quelquefois de
refuge à leurs forces navales et cjuel-
quetois aussi aux forces de l'ennemi. Ge
port est devenu plus tard un véritable
nid de pirates.
Paxos appartint successivement aux
Romains , aux empereurs d'Orient, aux
rois de Naples et aux Vénitiens. Les Na-
politains y bâtirent un petit port, dont
on voit encore l'enceinte.
Les Paxinotes appartiennent à la re-
ligion grecque ; son clergé dépendait du
protopapa (le Gorfou; il y avait une cha-
pelle presque par chaque habitation.
Paxos avait trois ou quatre familles
aisées, qui sous la domination véni-
tienne achetèrent à Venise des titres
de comtes et de chevaliers; ces nobles
étaient vêtue à la liraii(aîae : Usii^mraii
jamais d^influenœ sur les habitaiits de
rîle.
Il n'y avait point d'administration
ni même de conseil dans cette île; de
temps en temps, à des intervalles irré-
guliers t et selon le besoin des cireons-
tances, les princes du pays s'assein-
blaient et délibéraient. Seulement , Ton
de ces primats, désigné par le provédi-
teur vénitien de Gorfou , veillait à h
police du pays. Ge primat, appelé aussi
capitaine , avait sous ses orares quatre
enseignes , qui percevaient les droits à
Porto-Gai et dans les autres mouillages;
ils commandaient la milice, composée
des paysans, et rendaient la justice tant
au criminel qu'au civil.
Leucàde.
Temps fabuleux et héboiques.
— L'Ile de Sainte-Maure a porté primi-
tivement les noms de Néritis et de Leu-
càde. Homère place les Leucadiens sous
les ordres d'Ulysse, au siège de Troie.
Virgile fait débarquer Énéedaos leur lie :
Âtox et LeuctiUs nimhoia cacHmiaa moMti»,
El/ormidatusnaulis aperitur ApoUo.
HuHC pelimus fesri etparvœ succedimus mt-
{bi {I?.
Ge temple d'Apollon, bâti sur le sommet
du promontoire de Leucade , eut dans
les temps anciens une grande oélélnité.
Cest là que les amants malheureux ve-
naient implorer le secours du dieu, et
la guérisou de leurs souffrances. Us se
précipitaient dans la mer du haut d'uo
rocher : c'est ce qu'on appelle le aaut de
Leucade. La tradition attribue à Vénus
l'origine de ce singulier usage. La déesse
pleurait la perte d Adonis, et le cherchait
par toute la terre. Elle le trouva mort
dans le temple d'Apollon Erythrée.
Apollon, touché de sa douleur, la con-
duisit sur .le haut de la roche de Leu-
cade, et lui conseilla de se ieter dans les
flots, où elle trouverait roubli de sa
douleur. Cétait aussi de cette manièn
que Jupiter, irrité par les refus de Ju-
non, éteignait lés feux de son amour et
acquérait la force de résister aux char-
mes de la déesse. Sapho fut, dit-on, b
première des mortelles qui tenta le saut
de Leucade.
(i)^o.,ini «74.
ILES IONIENNES.
Longtemps on préomîta du haut de
ce rocher les criminels coodamnés à
mort. On leur couvrait le corps avec des
plumes longues et fortes, et on attachait
à tous leurs membres un grand nombre
d*oiseaux, pour les soutenir dans l'air et
diminuer la rapidité de la chute. Des bar-
aues étaient préparées pour les retirer des
flots. Les survivants avaient leur grâce.
TsKPs HiSTOKiQUEs. — Les Leuca-
diens ne restèrent pas étrangers aux
ouereUesde la Grèce. Ils prirent part à
la guerre de Corcyre contre les peuples
du Péloponnèse. Ils entrèrent aussi oans
la ligue des Grecs contre Philippe de
\f acédome. Lorsque Dion entreprit son
expédition contre Denys, tyran de Sy-
racuse, il reçut de Leucade un renfort
le troupes conduit par Timonides.
Les Leucadiens perdirent leur indé-
[lendanoe dès que Rome envahit la Grèce.
Ils n'opposèrent qu'une faible résistance
lux armes de Flamininus, et n'imitèrent
3as le courage des Céphaloniens. Ils
lisparaissent alors pour ainsi dire, et
semblent comme absorbés dans l'unité
le la domination romaine.
Sous l'empire d'Orient , dont elle fai-
lait partie, Sainte-Maure partagea les
ristes vicissitudes qui firent tomber en
lécadence cet empire et le livrèrent suc-
sessivement aux barbares du Nord , aux
Latins et enfin au Turcs. Pendant cette
lécadence, elle fut ravagée plusieurs
!bis par Genséric, par Attila et par les
LfOmbards.
En 1229, dans l'expédition entreprise
K>ntre la Grèce par quelques nobles
vénitiens et italiens , elle fut conquise
m même temps que Janina par le comte
le Tochis, et fit partie de la principauté
le cette famille aventureuse jusqu'à
Léonard II , qui fut chassé par Amurat.
[>ans l'histoire de Zante et de Céphalo-
lie, nous avons placé les détails de la
utte des comtes de Tochis avec l'empire
ottoman.
L'Ile de Sainte-Maure était;définiti-
cément au pouvoir des Turcs depuis
1479, Tannée où Lepn, général de Ma-
lomet II, s'en était emparé et l'avait
ravagée. Dans la grande guerre des Vé-
litiens contre les Turcs, au oommence-
sement du seizième siècle, Pesaro,
amiral vénitien, s'empara de Sainte-
Vlaure, qui à la paix fut de nouveau
40« Um-aison. ( Iles Ioniennes. )
02$
rendue aux Turcs. Jusqu'en 1684 , sous
la domination ottomane, Sainte-Maure
n'est signalée que comme un repaire
d'affreux pirates qui désolent l'Archipel,
les tles et les côtes voisines. En 1684,
la guerre ayant recommencé entre Ve-
nise et les Turcs , le général Morosini
attagua Sainte-Maure^ et s'en empara dé-
finitivement.
A l'est de Sainte-Maure se trouvent les
lies appelées autrefois Taphies et Télé-
boïdes,auiourd1nii Méganisi et les For-
mighe.
géphallsnie.
Temps fabuleux; temps hbboî-
Sicss. — Les premiers habitants connus
e Céphallénie ou Céphalonie sontles Té-
léboens. Il est difficile de déterminer l'o-
rigine de ce peuple. Suivant Strabon , il
aurait été chasse du continent par Achil*
le^ postérieurement au sléee de Troie ;
mais ce récit n'est pas d^accofd avec
la tradition homérique. Pausanias ra-
conte que nie des Téléboens dut à l'A-
thénien Céphalus son nom de Cépha-
lonie. Les Téléboens avaient assassiné
les frères d'Alcmène , femme du Thé-
bain Amphytrion. Thèbes voulait ven-
ger cette injure. Elle accepta les servi-
ces d'un proscrit, Céphalus, chassé d'A-
thèues pour avoir tué sa femme Pro-
cris. Le banoi s'empara de l'île, s'y
établit, et l'appela de son nom. C'est
durant cette expédition que Jupiter sé-
duisit Alcmène.
La famille de Céphalus régna pen-
dant dix générations , jusqu'à Tabdica-
tion de Cnalcinus et de Detus, qui, sur
l'ordre de la Pythie , quittèrent nie pour
retourner en Attique. Alors succède à
la royauté une sorte de république fé-
dérative. Les quatre villes principales
de l'île forment des États séparés et in-
dépendants, alliés seulement pour la
défense commune. Déjà se développe
par des progrès rapides la puissance
navale de c&& insulaires. De nombreux
vaisseaux fréquentent leurs ports, et sur-
tout celui de Oané , où débarquèrent,
suivant la légende , Jason et les Argo-
nautes.
Les Céphaloniens prirent une part
importante an siège de Troie. Ils y fu-
rent conduits par. Ulysse. Homère
vante leur habileté, leur valeur, et la
40
«M
L*OïflVÉAS.
Bèfttité éo leiin vaisteaux, dolit las pou-
pes et les proues étaient peintes avec un
m adttiireble.
CéPHALONiS DANS LBS GÛËBRfiS Bfi
laGaècb. — Dans la fnierre qui éclata
entre Corcyre et Corinlhe, les Cé-
I^halonienss'^e déclarèrent d^abord contre
eurs voisins, qui étaient sahs doute aussi
leurs rivaux. La ville de Paie fournit
quatre vaisseaux aux Corinthiens. Mais
lorsque Athènes se fiit prononcée en ùt-
Vèur de Corcyre, les Céphaloniens dian*
gèrent de parti ; ils s'attirèrent ainsi la
vengeance de leurs premiers alliés. Co-
rinthe envoya contre eux quarante na-
vires ; noaîs elle éclioua misérablement
dans cette expédition. Céphabnie resta
fidèle à la cause d*Athènes. C'est à ti-
tre d^alliée et d^aoxiliaire que nous la
voyons intervenir dans les querellés de
la ferèce. Malgré les progrès de sa puis-
sance, elle n'eut point d'ambition per-
sonnelle , et sans faire abandon de ses
Intérêts et de son honneur, elle sut
éviter les périls ^orieux du premier
«ing.
CONtJtJÊTE T)B L'ÎLt PAB LÏS RO-
MAIN s.— L'indépendance deCéphalonie
devait succomber sous la puissance de
Rome; mais elle succomba dignement.
Tandis que la plupart des cités de la
Grèce allaient au-devant de la servitude,
Céphalonie repoussa les armes du con-
sul T. Quintus Flamininus ; et pour sou-
mettre la seule ville de Same ou Sa-
mos il fallut à Marcus Fui vins un siège
de quatre mois. Samos fut rasée de fond
en comble H ses habitants vendus à
l'enchère. Tite-Lîve, qui a raconté les
détails du siège, fait fénumération des
richesses apportées devant le consul.
Cétaient deux cents couronnes d'or du
poids de dix livres; quatre-vingt-trois
mille livres d'argent; deux cent qua-
rante-trois livres d'or; oent dix-huit
pièces de monnaie athénienne; dix
mille quatre cent vingt-deux pièces ma*
eédoniennes; deux cent quatre-vingt-
Irofs statues de bronze; daux cent trente
de marbre; une quantité prodigieuse
d'armes et de machines de guerre;
plus les sommes distribuées aux tri-
buns, aux chevaliers, aux centurions, aux
soldats même. Ce tableau suffira pour
indiquer suffisamment combien la pros-
périté des Céphaloniens s'était dévelop-
pée par les arts de la paît, et spéciale-
ment par la navigation et le oommeree.
Leur histoire particulière finit au sié&e
de Samé. A partir de la victoire de
Fulvius rtle de Céphalonie est eom*
prise dans les possessions romaines;
en 364 de l'ère chrétienne elle passe
sous la domination de l'empire d^
rient.
Pendant cette période l*htS(totf« de
Céphalonie reste tres-obscore, et l'on n'a
à ce sujet que des données rares et in-
certaines. D'après le chroniqueur Jean
Martius , Céphalonie dans la eratide In-
vasion des barbares , serait oevenue la
proie des Lombards.
Les Lombards ayant été èhassés ^
talie par Cliarlemagne , vers l'an 900,
on suppose que Cépluilonle ffa recou-
vra alors son nidépeudanoe, oufetottrua
à l'empire d'Orient.
Le PBTIfCB DU TAnBHÏB. — Eîl
1125 elle appartenait aux empereurs
d'Orient, quand les Vénitiens, an mi-
lieu des guerres 4e la Terre Sainte, et
è la faveur de la déplorable faiblesse de
l'empire, s'emparèrent do château de
Céphalonie; mais Ils ne prirent pas en-
core définitivement possession et Vfk.
En effet, en 1207, Tempereur Baudouin
donna plusieurs ties grecqties et entre
autres Céphalonie au prmoe de Tarente,
Gains , qui l'avait suivi à la croisade.
Mais Baudouin, renversé par Paléoi^ue,
ayant appelé lés tols angevins de Na-
pies à sou secours, et uneguerre sansfti
s'étant engagée dans ces contrées,
guerre où toutes les ambitions s6 croi-
saient, où toutes les prétendons se ma-
nifestaient par les armes , où les con-
quérants grècs ou latins se soccédaient
les uns aux autres avec tme prodieîease
rapidité, Oalus jugea prudent tTaivoxr
un point d'appui sur lequel il pût comp-
ter. Il s'adressa à ia république de V^
nise ( 121 5 )) se plaça sous sa protection,
et lui paya tribut.
Lï:s CotftES Dï ToCHiS. — En
12:29 nous vovons plusieurs nobles
vénitiens, dmgk par on Napolitain, le
comte de Tochis , aller à la cooquêie
de certaines parties de ia <^rèee. Lp
comte de Tochis s'empara de Sainte-
Maure, de Janina et de plusieurs autres
villes. Vers cette épqtîc les rois angfr
vins de Kaples farsaient la goerre à
ILES lONIENïfES.
«27
Tempire d'Orient, et les aventuriers
qu'ils avaient à leur solde ravageaient
les cdtes de la Grèce et les frontières de
Tempire; les tles Ioniennes eurent
beaucoup à souffrir de ces ravages,
malgré le protectorat vénitien qui cou-
vrait plusieurs d'entre elles. A la fin de
cette guerre , quatre de ces tles, Cépfaa-
lonie, Zante, Sainte-Maure et Ithaaue-
restèrent au comte Charles de Tocnis,
successeur de celui ^i avait pris Janina.
Le comte de Tochis aimait la euerreet
les aventures, eomme son prédécesseur.
Il voulut reprendre Janina , qui avait
fait retour à rempire, et que l'empereur
Jean Cantacuzène avait donnée à un cer-
tain Spata.CeSpata, souverain de Janina,
appela lui-même contre un de ses voisins
le comte Charles de Tochis, qui vint à
son secours avec son frère, Léonard
de Tochis. Charles de Tochis fut vain-
queur, épousa la fille de Spata, et hérita
de la principauté de son beau-père.
C'était une conquête solide; car l'empe-
reur Emmanuel II lui en donna linves^
titure régulière.
A la mort de Charles et de son frère
Léonard, Charles II prit possession de
la principauté ; mais il fut chassé des
États de terre ferme par Tempereur
turc Amurat, et réduit à ses posses-
sions insulaires , composées de Cépha-
lonie, Zante et Sainte-Maure.
On sait que les comtes de Tochis
étaient déjà, pour ces lies, tributairesde
Venise. Amurat exigea qu'ils fussent
aussi ses tributaires, et quils ne fissent
aucun acte de souveraineté sans l'agré-
ment du gouvernement turc.
Léonard II , fils de Charles II, ayant
méconnu cette suprématie des empe-
reurs turcs, s'attira leur colère. Le
sultan envoya contre lui vingt-neuf
vaisseaux et une armée de débarque*
ment. Léonard s'enfuit à Inaptes , et de
là à Rome. Les Turcs arrivés dans les
Iles Ioniennes s'y livrèrent aux plus
grandes cruautés, et malgré l'interven-
tion de Venise, les dépeuplèrent, passant
les uns au fil de l'épée, réduisant les autres
en esclavage. Puis ils mirent une forte
garnison à Céphalonie, et se retirèrent.
Antoine de Tochis, frère de Léonard,
aidé des rois de Pïaples, fit plus tara
une tentative sur Céphalonie, mais il
eut contre lui les Vénitiens et les Turcs ;
il lut tuédans un coihlmt, et Céphalonie
fttt replaoée de nouveau sous la domina-
tion ottomaiie.
Au oommencemeat du aeizièmo sî^
de , Bajazet déclara la guerre aux Véni«
tiens. Ceux-ci réumrent loiirs forces à
celles des Esoagools, et vinrent assiéger
Céphalonie , les VénitîeM aous la ccm*
duite de Pesaro, les Espagnols soua lo
eoramandement de GoirâdveFeroandèe.
Le ehâteav de Céphalonie était gardé
par six cents Turcs et une Ibrte artillerie :
le siège ftit long et meurtrier; mais,
attaqués par des forces sonéneuraa ,
les Turcs finirent par suoeomoer, et fa*
rent en majeure par^ masaaeréa, IPe»
saro prit possession définitive de Itie au
nom de la républîqiie vénilienue, et
Franeeseo Leone en ftt le premier pre*
véditeur. Depuis oette époque iusqu*à
la chute de la république , Céphalonie
n'a cessé de faire partie des jKMseaaiona
vénitiennes dans le Levant
S
Ltle d'Ithaque n'a pour ainsi dire
as d'histoire -. elle a partagé la fortune
e Céphalonie , sa puissante voisine. Le
nom d'Ulvsse l'a seul illustrée. Cest
dans rtle dlthaque que régna le fils de
Laerte; c'est là que vécut Pénélope,
é'est là que le héros revint châtier les
débauches et l'insolence des préten-
dants. Sans Homère, qui l'a chantée et
qui peut-être la visita, cette fie, peu
étendue, et à peine peuplée, aurait
complètement éctiappé aux regards et à
l'attention des historiens. Voisine de
Céphalonie, dont elle fut une dépen-
dance , elle en suivit toutes les révoln-
tions, appartint successivement aux
Komains, à l'empire d'Orient, aux com«>
tes de Tochis et aux Turcs, et enfin aox
Ténitiens.
Il faut lire rodyssée pour connaîtra
l'ancienne Ile d'Ithaque; quanta l'état
actuel de Thialii, il est exactennent et
complétementdécrildanslclivrede Wil-
liam Gell (1).
A l'est d'Ithaque, on aperçoit dans le
lointain les sommets rocailleux des an-
ciennes Echinades, aujourd'hui les Iles
Curzolaires.
(i) W. GeTl., The Geography tuid Anti-
qmUês oflthaca /London, i3o7, in-4^
40.
LTJNIVERS*
Zactnthb.
Temps héroïques. -— Les Achéens
sont les premiers habitants connus de
f île de Zacynthe. Selon la légende , elle
dut son nom à Zacynthus, fils du Troyen
Dardanus. On place vers Tan 2580 f ar-
rivée de la colonie conduite par ce
héros. Un siècle après , Zacynthe aurait
à son tour envoyé en Espagne une partie
de sa population. Cest à cette émi^a-
tlon que Sagonte rapportait son origine.
Au siège de Troie, les Zacynthiens
combattent sous les ordres d*Ulysse. En
Tabsenoe du fils de Laerte, les princes
auxquds il a confié le gouvernement de
nie se rendent indépendants , et vont à
Ithaque partager avec les autres pré-
tendants les dépouilles du héros. Us
ont aussi leur part dans le châtiment,
lorsque Ulysse reparaît avec son fils Té-
lémaque pour venger les outrages faits
à Pénélope.
Suivant une tradition, rapportée par
Denys d'Halicamasse, Ënée aurait reçu
à Zacynthe une généreuse hospitalité , y
aurait bâti un temple à Vénus et célébré
des jeux magnifiques.
Temps histoaiques. — L'histoire
de Zacynthe commence avec la guerre
du Péloponnèse. Sommés par Athènes
de prendre les armes contre Lacédé-
mone, les Zacynthiens refusèrent de
s'engager dans la querelle des deux villes
rivales; mais ils furent bientôt con-
traints de renoncer à leur prudente neu-
tralité. Les Athéniens, commandés par
Tolmidas, débarquèrent dans nie, et
lui imposèrent, sous le nom d'alliance ,
leur impérieuse domination. Les 2^cin-
tliiens durent paver un tribut en argent
et en soldats. Néanmoins , ils restèrent
Hdèles à Athènes , jusqu'à ce que le gé-
néral athénien , Timothée se fut avisé
d'avoir recours à la force pour réinté-
grer dans l'île de Zacinthe plusieurs
exilés. Us se révoltèrent, et firent appel
aux Laoédémoniens , déjà occupa à
soutenir la noblesse de Corcyre contre
le peuple de cette île , que soutenait de
son côté la démocratie athénienne. Jus-
que là les Zacynthiens avaient été les
alliés des Corcyréens ; en se rangeant
du parti de Lacédémone, les Zacyn-
thiens se firent de leurs voisins de u)r-
cyre des ennemis; car la faction des
nobles fut exterminée dans Corcyre, et je
parti populaire trïomphant ne paidoiuia
point aux Lacédémomens et aux Tjàm-
thiens leur intervention.
Thucydide rapporte que Zacynthe r^
vint à l'ail iance athénienne. Lacédémone
en fut irritée, et médita une vengeanee
cruelle. Cnémus, alors général, eoin-
mandant une flotte de cent voiles et
mille hommes de débarquement, fît ir-
ruption dans llleet la ravagea. Alors les
Zacynthiens en appelèrent à leur dé-
sespoir; ils firent une résistance si 0|m-
niâtre, qu'ils forcèrent Cnémus à se re-
tirer avec perte.
Dion, chassé de Syracuse par Denys
le Tyran, s'était retiré dans le Pélopon-
nèse. Lorsqu'il entreprit de délivrer sa
patrie, c'est à Zac)[ntne qu'il fixa le ren-
dez-vous des conjurés. Les habitants
secondèrent ses projets. Après un repas
magnifique et un sacrifice solennel dans
le temple d'Apollon, huit cents hommes
qui formaient toute l'armée, s^embar-
quèrent sur trois vaisseaux bien appro-
visionnés de vivres et de munitions.
L'appui de Zacynthe facilita le succès de
cette expédition téméraire; mais si les
Zacynthiens eurent l'honneur de oontri-
l)uer à la chute du tyran, ils souillèrent
leur gloire par une infime trahison : ils
assassinèrent le libérateur de Syracuse.
C'était le jour de la fête de Proserpîne;
une troupe de Zacynthiens, enrôles par
l'Athénien Callippus, enveloppe la d^
meure de Dion. Les uns se tiennent en
dehors, et gardent la porte; les autres
pénètrent sans armes dans la maison.
Dion était tranquillement assis dans une
salle intérieure , su milieu d*un groupe
d*amis. Les noeurtriers se jettent sur lui
pour l'étouffer. Surpris par une attaque
imprévue, abandonné sans défense par
les hôtes qui l'entourent et que leor
lâcheté rend complices du crime, il se
débat seul contre tous. La lutte fut lon-
gue et cruelle. Pour achever la victime,
il fallait une épée, Dion, presque étouffé,
refusait de se rendre et de mourir. En-
fin , après une horrible attente , un cer-
tain Lycon , de Syracuse, jeta par la fe-
nêtre un poignard, qui permit aux assas-
sins de consommer leur crime.
Domination bouàinb. — Ce fiii
Lœvinus qui le premier porta dans nie
de Zacynthe les aigles romaines (214}. Il
y trouva une vigoureuse résistance. Mai»
ILEà lONIENrteS.
S20
les ZaeyDthiens ne pouvaient longtemps
tenir tête au peuple-roi ; ils se soumirent,
abandonnèrent le parti de Philippe, et
rentrèrent dans la ligue des Étoliens.
liorsque le roi de Macédoine recom-
mença la guerre contre Rome et ses al*
liés (300), c'est par la conquête de Za«
cynthe qu*il ouvrit la campagne. 11 céda
la possession de File à Aminander, roi
des Âthamanes, et obtint en échange
le libre passage sur les terres de ce prince.
Aminander confia le gouvernement de
Zacynthe à Philippe de Mégalopolis;
celui-ci, rappelé en Grèce pour conduira
contre les Romains Farmée des Atha-
manes, alliés d^Antiochus, fut remplacé
par Hiéroclès d'Agrigente. La défaite du
roi de Syrie à la batailledes Thermopyles
amena la ruine d'Aminander. Philippe,
profitant des circonstances» s'empara
du pays des Athamanes ; il méditait la
con^étede Zacynthe; mais Hiérocl^
prévint ses projets, et vendit Ftle aux
Achéens. (Test alors que Titus Quintius
Flamininus vint imposer la paix aux peu-
ples grecs. Dans le conseil de la ligue
achéenne , il réclama la possession de
Zacynthe , comme appartenant de droit
aux Romains, vainoueurs et héritiers
d'Aminander (196). L'île, de nouveau
soumise à Fautorité de Rome , n'atten-
dit pour se révolter que le départ de
Flaminius ; elle s'unit de nouveau à la
confédération des Étoliens. Vainement
fot-elle punie de cette défection , par
une invasion de G. Livius; elle s'associa
de nouveau à la résistance de la ligue.
Vaincue par le consul Fulvius, elle
sauva du moins son indépendance; mais
elle ne sut pas la conserver longtemps.
Elle la perdit dans Fasserrissement gé-
néral de toute la Grèce, après le triom-
phe de Mummius sur les Achéens (146).
Incorporée dans la province d'Achaîe,
File de Zacynthe eut toujours le même
sort que le reste de la Grèce.
Zacynthe ne se ressentit pas , comme
l'île de Gorcyre , des guerres civiles qui
marquèrent la fin de la république ro-
maine. Tandis que Gorcyre , à qui sa
position et son importance interdi-
saient le droit de rester neutre, prenait
successivement parti pour Pompée con-
tre César, pour Brutuset Cassius contre
Antoine et Octave, et en dernier lien
pour AntoinecontreOctare, nous voyons
au contraire que Zacynthe, ainsi que
GéphalOBÎe et les autres îles ioniennes
jouissaient d'un calme profond. Seule-
ment Zacynthe est souvent un asile ou«
yert aux proscrits. Les victimes des
grandes guerres civiles de Rome vien-
nent y chercher un abri contre les ven-
geances de parti.
Zacynthe sous les empereurs n'a
plus de rôle dans Fhistoire; elle est
admiqistrée par un lieutenant impérial ;
et, suivant le caractère du maître et du
lieutenant, Zacynthe est plus ou moins
libre, plus ou moins tyrannisée. Les
habitants se plaisent à consacrer par des
médailles, dont plusieurs existent en-
core, le souvenir de ceux qui ont mérité
leur reconnaissance, Marc-Aurèle par
exemple, l'impératrice Faustina la jeune
et Fempereur Géta.
ZAGYNTHB SOUSL'BMPinBd'OniRNT.
— Zacynthe, lors de la division de l'em-
pire entre les fils de Théodose, passa
sous la domination des empereurs d'O-
rient. Elle continua à jouir de la paix
la plus complète jusqu'aux invasions des
barbares. Après le sac de Rome par
Genséric, on sait aue ce redoutable chef
des Vandales, débordant sur la Sicile
et la Grèce, ravagea ces contrées. Eo
passant de Sicile en Grèce, les Vandales
n'oublièrent pas les Iles Ioniennes, qui
se trouvaient sur leur passage : Zaoyn*
the, Géphalonie, Gorcyre furent dévas*
tées. Zacynthe éprouva de nouveau le
même sort lorsque Attila se jeta sur la
Grèce avec son innombrable armée.
Plus tard, à l'époque des excursions des
Sarrasins, Fîle^ presque sans défense,
devint aussi plusieurs fois la proie de œs
barbares du Midi, comme elle avait été
auparavant la proie des barbares du
Nord.
liBS COMTBS DB TOCHIS. — En 1929
plusieurs nobles vénitiens et napolitains
dirigèrent une expédition contre la
Grèce. Ils avaient à leur tête le comte
de Tochis. Ils s'emparèrent de Zacyn-
the, de Sainte-Maure et de Géphalonie,
et les comtes de Tochis, adjoignant à
ces îles quelques parties de la terre ferme
qu'ils avaient conquises, en firent une
principauté.
Ges comtes eurent des guerres à soa-
tenir contre leurs voisins du continent
grec. En 1336 Charles de Tochis s'em-
6M
VUJXVŒMé
iMra â'soe partie de TÀlbaBie, éf)ousa
la fiUe d*ua tyran de ee pays» et à la
mort de ee tyraa tint du chef de sa
femme TinopcHrtaBte place de Janiuay
dont il reçut d'ailleurs Tinvestiture ré-
gulière des maios de Teropereur Em*
manuel IL A la mort de Charles TochiSi
son frère Léonard lui succéda « et Léo«
sard eut lui-même pour successeur son
ÛU^ nommé Charles comme son oncle*
C'était un prince ^r, hautain et dur;
ses sujets de terre ferme se plaif;nirent,
et se placèrent sous la protection d'A-
nurat. Les Turcs dépossédèrent le comte
Charles, et le forcèrent à se retirer dane
ses possessions insulaires, Zacynthe»
Oépbalonie et Sainte*Maure. De plus»
Charles dut leur payer un tribut, comme
ii leiaisait déjà pour Venise, et livra en
otage son fils Léonard, que Mahomet
fit enfermer au sérail.
Ce Léonard, qui, sorti du sérail, suc-
céda à son père, ne conserva pas long-
temps sa principauté. Il dut s'enfuir
devant les Turcs, et il se réfugia à Na-
pies et ensuite à Rome, où il mourut
misérablement.
DBetlUGXION DB ZAHin PAA LES
Tunes. — Mais ce4te fuite de Léonard
ne préserva pas les lies de sa princi-
Sauté de la vengeance des Turcs. La
otte turque commença par s'emparer
de Oéphalonie, puis elle se présenta de-
vant SUcynthe, et la somma dese rendre.
Pierre Broaltus, commandant dans l'île
depuis le départ du comte Léonard «
résolut de se défendre. Il comptait sur
les seoours des Vénitiens, dont les forces
navales croisaient dans la Méditerranée
sous le oommandement d'Antoine Lo-
rédan. Loredan se présenta en effet
devant Zacynthe, et réclama pour les su-
Jets vénitiens qui habitaient l'île le bé^
Héfice de leur nationalité. Le général
turc reconnut la justesse de cette ré-
damation, et suspendit les hostilités jus-
qu'au départ des sujets vénitiens. Un
grand nombre d'habitants, profitant de
estteooeaslon favorable, abandonnèrent
l'île en même temps que les nationaux
de Venise. Les infortunés qui restèrent
furent presque tous crasses au fil de
l'épée ; Zacynthe fut dépeuplée, et devint
eemblable a une lie déserte. C'est alors
q[iie les Turcs la cédèrent aux Véni-
tiens moyennant une sooune d'argent*
GYTHfeBS.
Cvthère (Cérigo), occupée d^abord
par les Phéniciens, quiy établirent leculte
d'Astarté ou de Vénus, fut peuplée en-
suite par une colonie de Lacédémonieos.
Son histoire primitive n'est pas conaue.
La tradition place dans cette île le pa-
lais d'Hélène et de Ménél^. Parmi lo
ruines qui couvrent la côte, on remarque
une grotte taillée dans le roc en forme
de voûte. Cette grotte, selon la légende,
aurait servi aux bains d'Hélène.
Dans la huitième année de la guerre
du Péloponnèse, les Athéniens firent
une descente à Cy thère ; dix vaisseaox
entrèrent dans le port. Le bourg de
Scandée se rendit sans résistance; mais
la ville se défendit avec courace. Forcés
de céder au nombre , les hanitants se
retirèrent dans la forteresse, et deman-
dèrent à capituler. Ils obtinrent la \\t
sauve, à condition de reconnaître la
domination d'Athènes. Pour assurer la
soumission de l'île, Nicias, (]ui comman-
dait les Athéniens, fit sortir de la pis»
tous les Lacédémoniens, et les euferma
loin des cotes, dans l'intérieur du pays.
La possession de Cythère donnait à
Athènes beaucoup d^vantages. De oe
poste, gardé par une forte garnison r
elle menaçait continuellement la Laco-
nie. C^est de là que partit rex^itiofl
dirigée contre Épidaure la Limérienne et
contre Thyrée, asile des Esinètes. Dans
cette ville , les Athéniensnrent prisoa-
niers un certain nombre de Cythériens
restés fidèles au parti de Lacedémone,
et les traitèrent avec plus d'humaoïte
que les Éginètes : ceux-ci furent tous
passés au fil de Vépée; les Cythériens
furent seulement relégués dans de petites
îles de la mer £g^.
Cvthère ne resta pas longtemps sous
la domination athénienne; elle futr^
couvrée par Lacédémone. Elle servit de
retraite au roi Ciéomène, lorsque ce ré-
formateur aventureux fut obligé de fiiir
à l'approche d'Antigone Doson, roi de
Macédoine.
EÀle suivit le sort de Sparte et se sou-
mit, avec le reste de la Grèce, à Tautorite
du peuple romain.
A vrai dire , l'île de Cythère n'a point
d'histoire ; elle n'a joué qu'un rôle pas-
sif dans les révolutions qui ont agite la
lU^ lONENNES.
631
rMé h^lénj^ie, pwvUnt eUe eut une.
populatioii inteUigeote et amie des arts.
PauMiiias a conaervé le nom du Cy thé*
rien Hermogène, auteur d'une statue
de Vénus qui décorait une fontaine de
Corinthe. Un autre Cythérien^ le poète
lyrique Philoxène« se laissa condamner
aux earrières, plutôt que de louer de
nuiu vais vers composés par Denys, tyran
de Syracuse.
Le temple de Vénus à Cytbère est un
monument fameux dans Tantiquité. Cest
à Cythère, suivant Hésiode, que Vénus,
au sortir des eaux, fut portée |)ar les
zéphirs dans un diar de coquillage.
Cette légende était f dit-on ,^ représentée
dans le temple de la déesse/On y voyait
aussi, près de Vénus, Hélène, la plus
belle des Grecques, enlevée par Paris.
Comme Tile de Chypre , Cythère était
vouée au culte d'Aphrodite , ce qui lui
a valu k certaines époques les hom<
mages de bien des poètes. Aujourd'hui
le triste rocher de Gérigo ne répond
guère à Tidée qa'en donnent et que
s'en font les auteurs et les amateurs de
poésie erotique.
Cythère, jusqu'à la possession vénî*
tienne, passa par toutes les dominations
qu'eurent à subir le Péloponnèse et les
autres îles ioniennes. Rien de partieu*
lier n*s marqué le passage de ces domi-
nations. Sous Tempire d'Orient, saint
Théodore, originaire de la ville de Coron
dans le Péloponnèse , vint dans l'Ile de
Cérigo, où il vécut en ermite. C'est en
l'honneur de ce saint et pour consacrer
le souvenir de ses nombreux miracles
que Romain , empereur de Constanti-
Rople, fit ériger è sesf rais l'église grecque
qui occupe le centre de l'île (1208).
A la chute de l'empire de Constanti-
nople, Cérigo devint la possession de
princes psrticuliers, comme Cépbalonie
et Zante étaient tombées aux mains des
comtes de Tochis. Dans la guerre de
Venise centre les Turcs elle passa sous
la domination vénitienne.
Au sud -est de Cérigo se trouve la
petite tie de Cérigotto, l'ancienne ifigia*
ta, qui de tout temps a été habitée par
une population de marins et de pirates.
m
LES tLBS I0N1EN1VB8 SOUS LA DOMINA-
TION DB TBNISB.
COBf OU SE DONNi AUX VÉNITISN».
— CorfoUy délivrée de la domination des
rois de Pîaples , ne conserva pas long-
temps son indépendance. C'était une
proie trop riche et trop facile pour ne
pas tenter l'ambition des puissances
maritimes qui se disputaient l'empire
de la Méditerranée: Gênes commen^
l'attaque. Impuissante à se défendre,
Corfou se jeta dans les bras de Venise.
Les coi^ditions de cette soumission vo^
lontaire furent ainsi réglées entre les
députés de l'Ile et le sénat de la répu^
blique :
l"* Le ffouvemeur vénitien sera in-
vesti de l'autorité civile, politique et
militaire;
S"* là justice sera administrée sui-
vant les lois vénitiennes ;
3° L'île fournira un contingent de
troupes , déterminé pr le gouverneur ;
4» I^e conseil de la noblesse conser-
vera le droit de nommer aux différents
emplois tant pour la police du pays que
)our son approvisionnement, mais tou*
, ours sous l'autorité du représentant de
a république;
5*" L'Église conservera, sous le n)éme
contrôle, la libre possession de ses biens;
6^ Les propriétaires des biens nobles
et en roture ne seront point troublés
dans leur possession;
7^ La république ne pourra dans
aucun cas vendre ou céder à une puis-
sance étrangère l'île de Corfou, qu^elie
s'engageait a protéger et à défendre en
tout et toujours.
Le premier gouverneur vénitien fut
Marin Malipierre ; il prit le titre de baile
et provéditeur général.
LuTTB GONTKB LES TUBCS. — A
partir de ce moment (1386), l'histoire
de Corfou se confond avec celle de Ve-
nise. Détachons, du tableau général des
luttes soutenues par la république con-
tre les Turcs, les faits particuliers qui
se rapportent à notre s«vet.
Après la prise de Constant! nople
(i4&a), Maliomet 11 étendit sa conquête
vers l'ouest. Deux corps d'armée mirent
le siège devant Parga et devant Bu-
trinto. Ces deux postes furent défendus
632
L'UNIVERS*
avec succès par lesCorfiotes; ainsi que
les châteaux de Strivali et de Rigoassd.
Les insulaires eurent tout rhonneur de
cette victorieuse résistance. Venise ne
put leur envoyer aucun secours ; bientôt
elle conclut la paix avec le sultan (1456).
Ce fut une trêve de peu de durée. Les
Turcs reprirent les hostilités, et s'avan-
cèrent du côté de l'Épire. Cette fois en-
core ils furent arrêtés par le courage
des Corfiotes, près de Butrinto. Corfou
leur opposa de.ux mille hommes armés à
ses frais. £n 1463 elle leva une troupe
de mille hommes à sa solde. Elle envoya
une galère et quelques petits bâtiments
à Tattaque de Mételin. Enfin, sous la
conduite du baile Molinq , les insulaires
-firent une incursion en Épire. Dans la
flotte envoyée par Venise au secours de
Négrepont (1469), Ftle fournit encore
plusieurs galères. En récompense de
ses services , elle obtint [que le conseil
de la noblesse nommât les commandants
des vaisseaux équipés aux frais des ha-
bitants. C'est qu'en effet c'était une
lutte personnelle qu'elle soutenait contre
les Turcs. En 1480 les infidèles firent
une irruption en Calabre; Venise, liée
par un traité avec la Porte , garda la
neutralité; les Corfiotes envoyèrent un
grand nombre de petits bâtiments aux
secours de Monopoli, assiégée.
La république ne pouvait pas con-
damner ces excès de zèle et se montrer
ingrate envers des sujets si dévoués.
Elle apporta dans l'administration de
rtle quelques réformes salutaires. Les
provéditeurs et conseillers eurent ordre
de maintenir les privilèges et préroga-
tives de la communauté, sous peme
d^une amende de cinq cents ducats et de
la perte de tout emploi pendant cinq
ans.
Après la conclusion de la paix avec
Baiazet (1503), le sénat accorda à la
noblesse de Corfou la nomination des
fouverneurs de Parga et de Butrinto.
\VL 1528 il fit de nouvelles concessions;
les syndics obtinrent la liberté de con-
voquer rassemblée de la noblesse , sans
que le gouvernement pût y mettre obs-
tacle. Au sénat seul fut attribué le droit
de casser les décisions de cette assem-
blée; il fut décrété que tous les trois
ans des censeurs seraient envoyés de
Venise *à Corfou pour écouter les plaintes
des habitants, qui d'aiUeurs pouvaiat
s'adresser directemaat au séiiat. EdUb
on accorda à la communauté un Kmia
assez étendu pour v constmire des ma-
gasins où devait être déposée une cer-
taine quantité de blé. Les syndics en
avaient l'administration. Les marchands
qui achetaient les blés de Fanaro et de
Panorme ne purent les exporter à Ve-
nise, Qu'en payant à Corfou quinze pour
cent de la valeur de leurs'cbargeraents.
Un trait caractéristique des moeurs du
temps , c'est Tordonnance qui Migt
les jui6 d'habiter un quartier séparé et
leur défend d'acquérir des biens-fonds.
Cette mesure, sollicitée par les Corfiotes,
fiit accueillie peut-être avec plus de fa-
veur que les règlements qui assuraient
la défense et les approvisionnements du
pays.
Siège db Corfou pàb Babbe-
BOussE (1 587). — Jusqu'en 15S7 la lutte
de Corfou contre les Turcs ne présente
aucun événement digne d'attention. Le?
insulaires n'ont pas eu encore à subir
les désasttes de Finvasion. Cest Solîtnan
qui le premier entreprend la conquête
de leur territoire.
Corfou n'avait pas une garnison con-
sidérable; mais elle se croyait protégée
par la flotte vénitienne, que commandait
Pesaro, et par celle de Charle&Quint,
sous les ordres du Génois André Doria :
elle attendit avec courage Tassaut de
Barberousse.
Le siège fut long et terrible. Pesaro
n'avait pas eu le temps d'approTisionner
la ville; la flotte turque fermait le port
11 fallut jeter hors des murs les vieil-
lards, les femmes, les enfants, toutes
les bouches inutiles. Cette mesure dé-
sespérée permit aux troupes de prolon-
ger leur résistance. Malgré l'approdie
de Soliman , qui vint établir son camp
sur la côte d'Epire, malgré rénergie de
Barberousse, les Turcs se lassèrent
d'une lutte sans fin et sans résultat. Une
épidémie occasionnéepar les fatigues, les
mauvais temps et la lamine, acheva de
les décourage. Soliman» cédant ans
murmures de ses soldats, donna Tor-
dre de lever le siège.
Corfou devait tarder longtemjts
traces sanglantes du passage de
rousse. La campagne était dépeuplée;
dans la ville, presque toute la noblesse
ILE6 IONIENNES.
éi#
avait péri les armes à la main. Poar la
reoijplaeer on dut faire un choix parmi
l«s familles da second ordre qui s*étaient
le plus distinguées. Telle était la d&
treaae des habitants, que Venise dut leur
fournir du grain pour les semailles et
des bœufe pour le labourage. La paix
était nécessaire pour réparer tant de
maux; elle fol signée en 1639.
Sous le règne de Sâim les hostilités re-
commencèrent. En 1571 la flotte chré«
tienne sortit du |K>rt de Gorfou; plusieurs
des vaisseaux qui la composaient avaient
été équipés par les insulaires; ils pri-
rent une eloneuse part è la victoire rem-
portéeprwdes ties Curzolari ( anciennes
Ëehinades ). Gorfou était le rendez^vous
des Yénitiens et de leurs alliés ; elle
se plaignit des désordres commis par les
soldats et les marins, et le sénat dut écou-
ter aes réclamations. On bâtit des caser-
ncS pour la troupe, ^i jusque alors avait
logé chez les habitants. Une nouvelle
incursion des Turcs, commandés par
Sirvan-Pacba , fit comprendre à la répu-
blique la nécessité d'augmenter les fortifi-
cations de la ville. Martenin^o fot chargé
de la mettre en état de résister à toute
attaque ; il construisit la nouvelle for-
teresse , qui couvrait Gorfou du côté de
terre. Elle était placée sur une hauteur,
vis-à-vis du mont Abraham , où Barbe-
rousse avait établi ses batteries dans le
dernier siège.
Les besoins de la défense n'attirèrent
pas seuls Fattention du sénat, un décret
assura aux propriétahres le droit de ven-
dre librement les fruits de leurs domai-
nes, les bestiaux et les provisions de toute
nature. Les intendants de la santé furent
autorisés à juger et à nunir toutes les
contraventions aux règlements de salu-
brité publique. Le mont-de-piété, ré-
cemment établi, fot fermé de quatre
elefii difEéraites ; chacun des trois ad-
ministrateurs en eut une; la quatrième
fot remise au provéditeur général. Trois
sénateurs ruèrent le tarif des droits
pour les écritures en justice. A ces ré-
formes viennent se joindre, comme
toujours, de nouvelles rigueurs contre
les juifi , de nouveaux privilèges accor-
dés à la noblesse.
Gorfou, sous une administration in-
telligente, se relevait peu à peu de ses
ruines; sa prospérité semblait près de
renaître : un fléau terrible vint arrêter
ces heureux progrès : en 1617 la peste
se répandit dans la ville. La populace
fit condamner et mettre à mort un offi-
cier suspect d'avoir apporté la conta-
gion. Les ravages de l'épidémie cessè-
rent, dit-on, le jour des Rameaux. Dans
une procession solennelle, on avait exposé
les reliques de saint Spiridion. On at-
tribua la.cessation de la peste à son in-
tervention , et l'on continua à prome-
ner chaque année, à la même époque,
les reliques du saint qui avait sauvé Gor-
fou.
Pendant le dix-septième siècle les
Gorfiotes ne cessèrent pas de prendre
part à la lutte contre les infidèles; ils
loumirent à la république de l'argent,
des troupes, des vaisseaux, et, pour
encourager les dons volontaires, ils ac-
cordèrent même les titres et les privi-
lèges de la noblesse à tous ceux qui
payaient une certaine somme pour les
mis de la guerre. Bien défendue, bien
fortifiée, Gorfou, depuis l'échec de Bar-
berousse , semblait oraver la haine des
Turcs. La conquête de la Morée par
Aehmet III vint enfin troubler la sécu-
rité des îles Ioniennes. Venise, menacée
dans ses dernières possessions du Le-
vant, invoqua lesecoursdela chrétienté^
prit à sa solde des troupes étrangères ,
et renforça la garnison de Gorfou. Le
comte de Schulembourg^ élève du prince
Eugène, fot chargé du commandement.
Ge fot le 5 juillet 1716 que parut la
flotte ottomane. Les deux escadres de
la république ne purent lui fermer le
passage, et trente mille hommes débar-
quèrent dans nie. Le siège commença
par l'attaque des hauteurs qui dominent
Gorfou. Une fols maîtres des monts
Abraham et Saint-Sauveur, les Turcs
tentèrent l'assaut de la place. Gontinuçl-
lement repoussés penoant vingt jours,
ils enlevèrent enfin les premiers postes,
pénétrèrent jusque dans la place d'ar-
mes , et appliquèrent les échelles aux
angles bas de la forteresse. Le combat
dura plus de six heures avec une in-
croyable furie. Les femmes portaient
secours aux assiégés , et les moines mê-
me, le crucifix a la main, couraient
aux remparts, ou se jetaient dans la
mêlée. Enfin, une vigoureuse sortie ter-
mina cette stfiglaiite journée. Pressés de
m
huwfms*
loutoAtéihi le» «BMinis teUttenteft re«
traite, «t prirent tous les postes qu'ils
venaient de prendre. Une tempête qui
s'éleva pendant la nuit acheva de mettra
le désordre dans leur caow. Saisis d'unn
terreur panique, ils s^mbarquèrent
précipitamment et abandonnèrent» poui
aeoélérer leur fuite, l'artillerie et les
bagages. En quarante-deui jours iUr
avaient perdu quinze mille hommes.
Venise récompensa dignement la va*
leur et Thabilete de Scbulembourg. Q
re^ une épéa enrichie de pâerreries el
une pension annuelle de huit mille du**
oatS} on lui éUva une statue en markre
sur U i^laee de la vieille fcurterease i el
9V le piédestal 6it gravée Tinseription
suivante :
MATHIA lOBANEra
COMItr SCULBMBQROIO
StJHMO tBBBBSTBICM
COIPIABUM PBiEFEGTO
CHBISTIAN>e BBIPUBLtGJB
IN COBCYB JS OBSIDIOIVB
F0BT1SSIMO ASSEBTOBI
ADHUC TITBKTI SENA
TUS ANNO H. DCC. XTH.
lA paix de PassarowiUi (31 juillet
1718) mit fin k la guerre des Vénitiens
et des Turcs. Dès lors rien ne troubla
plus la tranquillité de Corfou, qui oo»*
tinua d'appartenir à la république jus*
qu'à Toecupation de Venise par les
Francis (1797). M. Widman fut leder->
nier provéditeur général.
Cest en 1499 que Pesaro^ génâral
des Vénitiens , s'empara de Gé|iDalonie,
La garnis^» turque ne put tenir contre
des forées supérieures. François Leone
fut Aommé provéditeur de toute l'île*
Elle a fait partie des possessions véni-*
tiennes dans le Levant jusqu'à la oliute
de la république. Outre Corfou et Gé-
ptialonie , ces possessions comprenaient
Thiaki^ dépendance habituelle de Gé<
phaloniCt Paxos, Sainte*Maure, Zanta
et Céri^. Corfou était la capitale; c'est
U que résidait toute l'administratioa
centrale-, chaque Ue avait son provédi»
teiur particulier « subordonné au prové^
diteur général. Ô^\m de Cépbalonie était
envoyé de Venise, nommé par le sénal
et tiré du corps de la noblesse vénitien*
ne. Le gouverneur de Thiaki était élu
par le conseil d'Argosloli, parmi les n^
Ues céyhalooitfikl- Pmem éUU 89«s Piift-
pection spéciale du provéditeur delà
forteressede Corfou. Sainte«Maure, prise
sur les Turcs en 1403, bientôt aban»
donnée , phse de nouveau en 16d4 et de
nouveau abandonnée en 1715, reeou*
vrée enfin en 1710, et conservée par
Venise jusqu'à l'arrivée des Fianous,
Sainte-Maure était^gouvemée par ieus
nobles vénitiens que le sénat désignait
tous les deux ans. L'un, nomsaé fira-
néditeur extraorcUnaire, avaivle oon-
mandement des troupes, l'autorité po»
litique et administrative, et Ja déeisien
des procès quand l'une des parties était
un étranger ou un habitant d'une autre
Ile. L autre, h$>rovédUeur onlnialra,
jugf ait les affaires âviles et cnflûnelks
entre les habitants de Sainte^Maure. Le
sénat nommait aussi le nrovédiieur et
Las deux conseillers de l île de Zante;
ils étalât toujours ^s dans la no-
blesse vénitienne. Ils avaient les naénai
fonctions et le même rang que les le*
présentants de la république à Géphakh
nie. Enfin, Cériffo avait également un
provéditeur et c»ux conseillera nobles
de Venise, renouvelés tous les ëem aas
par le sénat
On le voit, l'aristooratie vAnitienna
s'était réservé dans toutes ses possea-
sions la haute admimstn^tioB eivila,
politiipie et militaire, L'adninistratian
municipale était seule abandettoée aux
habitants. Cest la n<d)leise du pa^ qui
en remplissait toutes les diaraes.
Les nobles censervèrent loiigtemsa
la liberté de s'assembler et lo privil49sde
conférer eux-mêmes la noblesse; maia
la crainte des oonspifatfams déiemuns
le sénat à ne plus auloriser les réunions
des Corfiotes qu'en présence ém. prové-
diteur général , et à s'attribuer le droit
de nommer des nobles sans la pntiei-
pation du conseil de Corfou. Qiaque n-
née, ce eonsal , coeaposé de oent cin-
quante membres, était élu daae nue
assemblée générale. 11 nsmmail aux
diverses chaiiges de l'âe* Le première
était celle des syndics, au «Hnhre de
trois. Les syndics avaieet dans leun
altributiotts une partie de la police,
Tinspection des magasins de blé et des
vivres qui se débilaieec dans ke mar-
chés, la décision des procès juefu'à k
semme de dix eequiast la védficeiâan
ILES KffSBVmS.
6a6
rapproTiaîonneoMnt des greniers pu-
blics, etc. Ils avaient le droit d^assister
Mix jugements portant peine de mort,
d'exiger la révision des procès criminds
et noiefloe de les annuler; mais ee pri-
vilégQv sans être aboli, tomba en dé*
suétude. Les honneurs de la cbaitte
oonsistaieiit à Siocompagner le provédi*
teur général dans tontes les cérémonies
pubu^nee , à la tête de la noblesse du
paye, et immédiatement après le der-*
nier des nobles vénitiens. Les syndics
avaient le premier rang parmi les sujets
de ia répnDlique*
Après les syndics venaient les trois
intendants de la santé {provedUoriaUa
Hmità), qui avaient la direction du
lasaret , les trois juges de première ins-
tance, les trois administrateurs du mon^
de-piété , les trois inspecteurs des rues .
et les trois ju^es de paix , chargés de
ooncilier les différends; enfin, les gou*
vemeun de Parga , de Paxos et du châ-
teau Saint- Ange; mais ceux-ci ne rece-
vaient d'ordre que du provéditeur de
la forteresse, lieutenant du provéditeur
général. Toutes ees places étaient gra-
tuites et honorifiques; elles étaient ex«
dusiveraent réservées à la noblesse.
Dânitotftesles îles, les noblesjouissaieni
des mêmes privil^es, sauf à Paxos, oà
il n'y avait noint de conseil permanent*
Les nobles de Cépbalonie, quand ils se
trouvaient à Gorlou, avaient le droit de
voter dans les assemblées du conseil ; les
Corfiotes jouissaient de la même pré*
rogative à Cépbalonie. Les habitants de
Sainte-Maure ayaient un corps de no-
blesse très-nombreux, qui se réunissait
chaque année, au mois d'avril, pour
élire les syndics, les juges, les inten-
dants de santé, ete. En 1788, le prové-
diteur général Erizzo réduisit eette as-
semblée à cinquante membres. Les
magistrats sortis de charge Tannée pré-
cédente et les habitants reçus docteurs
en droit a runiversité de Padoue assis-
taient aux séances du conseil. L'assenn
biée était soumise, comme celle de Cor-
fou , à rinspeetion du provéditeur.
Éa réalité f les fies loniames, dans
les derniers temps de la domination
vénitienne furent traitées comme des
previnces oonquises; c'étaient des do-
maines «ploites par Tavidité du sénat
et de Tanstoepcatie. <iL I^ursoue la nerte
d*une partie de ses États et Ta décaoence
de sa marine militaire eurent rétréci
les ressources de la république peut
remploi d'un crand nombre de nobles
sans fortune , le gouvernement des tles
futpartasé, sousllnspection du provédi-
teur génâral, entre une infinité ae patri-.
ces vénitiens. La plupart de ces agents»
non-seulement sans fortune» mais ré-
duits souvent à la misère et chargea
de famille , n'avaient que des appointe-
ments très-médiocres ; ils étaient oblige
par leur place, et plus encore par la sotte
opinion attachée à leur qualité de nobles
de Venise, à faire une certaine figure»
par conséquent à des dépenses. Ils par-
taient de Venise fortement imbus de la
prévention que la place qui leur était
confiée était pour leur avantage, et non
pour celui des insulaires qu'ils allaient
gouverner. Aussitôt^ qu'un noble véni-
tien' était nommé à un emploi , on cal-
culait publiquement à Venise même les
somdies qu'il devait en retirer. » Ainsi
s'exprime un témoin oculaire qui a vu
de près et touché du doigt tous les res-
sorts de l'administration vénitienne dans
les îles du Levant. Empruntons au même
auteur un exemple qui suffit pour ca-
ractériser ce régime de concussions et
de rapines. « Un provéditeur arrivait de
Venise I muni d'une certaine somme en
sequins, souvent prêtée par des iuife*
Ces sequins étaient distribués aux habi-
tants de la campagne, obligés de rendre
à la fin de l'année le double de ce qu'ils
avaient reçu ; s'ils ne remplissaient pas
cet engagement, l'année suivante ce
qu'ils devaient payer était doublé, et
toujours ainsi en doublant d'année en
année. Le remboursement ne se faisait
point en argent. Des fruits de son tra*
vail le paysan était obligé de solder sa
dette avec son oppresseur. Celui-ci an
réglait le prix. En vain le cultivateur
représentait-il que seg bras suffisaient
pour le nourrir, en vain voulait-ii éviter
d'accepter une somme qu'on avait l'im-
pudence de lui présenter comme un
secours, son refus était un acte de ré-
bellion. Traîné dans les prisons, il su-
bissait la loi que lui imposait la cruelle
avance. »
Une des sources les plus abondantes
pour l'avidité des gouverneurs étaient les
tm
LTJWIVBRSi
poursuites pour erimes f État. Le se-
crétaire du provéditeur général était
Tagent spécial de Finquisition de Venise.
Des trous pratiqués dans le mur de la
maison au il habitait correspondaient
à des boites intérieures, ou chacun
pouvait jeter des dénonciations. Le se-
cret était assuré aux délateurs, a L'in«
quisition de Venise, dit l'auteur déjà
dté (1)) entretenait dans les fies une
, infinité d^espions chargés de surveil-
ler non-seulement la conduite des insu-
laires, mais même celle des représen-
tants de la république : le nombre de
ces vils agents est le thermomètre le plus
SÛT de la corruption , de la faiblesse et
de la décadence d'un gouvernement. En
résumé, la maxime fondamentale de
Taristocratie vénitienne était de tenir
les provinces éloignées de la capitale
dans un état d'oppression et de démo-
ralisation oui en assurassent l'obéis-
sance servile et les missent hors d*état
de secouer le joug. »
Sous une telle administration ragri-
culture, l'industrie, le commerce de-
vaient nécessairement dépérir.
A la fin du dix-huitième siècle , Cor-
fou ne pouvait nourrir ses habitants.
Le vin et les céréales étaient loin de
suffire aux besoins de la consommation.
Vainement une loi de Venise donnait-
elle la propriété d'un terrain laissé en
friche pendant cinq ans , à celui qui dé-
noncerait cet abandon : les bras man-
quaient pour la culture. Sauf quelques
troupeaux de chèvres, le bétail man-
quait aussi presque absolument. 11 en
était de même dans toutes les autres îles.
A Corfou, les huiles et le sel étaient
les seuls articles de commerce. Le pro-
duit principal en huile d'olives s'é-
levait, année commune, à deux oent cin-
quante mille jarres, du prix de 1 i francs
diaque en monnaie de France. Déduc-
tion faite de la consommation des ha-
bitants, le commerce de Fhuile était
évalué à deux millions de francs. La
somme totale des exportations n'était
guère supérieure; en y joignant le sel
^80,000 francs), les liqueurs, les pote-
ries, etc., elle montait à 2, 180,000 fr.
L'huile et le sel étant exclusivement
(1) Grasset Saint- Sauveur, Vo^ogt dans
les iltê Fenitiennes, etc, II, p. 97.
réserva à Venise, la valeur des articles
dont le commerce était libre 8*élevât
à 100,000 francs.
L'huile était soumise àunedonane qui
variait suivant la qualité de l'expédi-
teur; 15 pour 100 pour le Gorfiote, 16
p. 100 pour le Vénitien, 18 p. 100 pour
l'étranger; soit, en moyenne, f & p. 100;
produit total : * 220,000 fr.
Le sel payait 9 p. 100 et rap-
portait : 7400
Le reste, à 4 pour 100 : 4,000
Total des droits prélevés à
l'exportation 231,200 fr.
L'huile était i Paxos, comme à Corfou, la
production principale ( trente-cinq mille
jarres, d'une valeur de 385.000 fr., a
11 fr. la jarre); elle entrait aussi dans
l'exportation de Zante pour une valeur
de 60,000 à 70,000 fr. La vraie ri-
chesse de nie de Zante, c'ét^ûoit les
raisins dits de Gorinthe. On en récol-
tait année moyenne de neuf à dix mil-
lions de livres, à 10 seqmns (110 (r.)
le mille. Cette denrée, ties-recberchée,
payait à l'exportation des droits énor-
mes. La douane était d'abord de 9 p. 100 ;
on y ajouta un droit de4 sequins (44 fr.)
par millier; puis, sous le nom de tuh
vissimo, une nouvelle impoâtion de
2 sequins par millier. Les oioits et lei
fîrais de transport doublaieut le prix de
la marchandise. Le raisin, comme
l'huile, devait être expédié à Venise.
La somme des importations était su-
périeure à celle des exportations ; la dif-
rérence pour CoHbu seulement était
480,000 liv.
Pour les céréales et les bestiaux,
Corfou était tributaire de la Turquie;
l'importation s'élevait à plus de
1,500-,000 francs. Les vêtements, les
articles de luxe , etc., venaient de Ve-
nise (100,000 fr. ), de Trieste, de I>
voorne , et de divers autres ports de la
Méditerranée.
Les marchandises iinportées de Ve-
nise payaient 6 p. 100 ; celles de prove-
nance étrangère, 8 pour 100; le produit
total des droits d'importation était de
196,000 francs. En y joignant d31 «SOS
francs pour l'exportation, ou obtient
pour tous les droits sur le oommeree.
Je chiffre de 437,300 francs. Les im-
pôts répartis sur la popolatioo ne rap-
portaient pas la rooitté de eette
ILES lONIËIWES.
«17
La république de Venise retirait au
plus 600,000 livres de iHe^de Corfou ;
^oe n'était paa assez pour subvenir aux
dépenses administratives et militaires :
il fallait chaque année suppléer au dé-
ficit. Ainsi se retournaient contre dle-
méme les faux calculs de son avidité.
L'Empire, la France, TËspagne,
l'Angleterre, la Hollande, Naples et
Raguse avaient des consuls résidant à
Zante. Presque tous étaient indigènes.
C'étaient des espèces de courtiers sans
traitement fixe. En 1778 la France en-
voya dans les lies Ioniennes un consul
général, spécialement chargé de proté-
ger notre commerce national contre les
courses des pirates. Ce fut dans des
vues toutes contraires que la Russie
envoya ses agents dans les Iles; elle fit
de Corfou le centre de ses intrigues
contre les Turcs.
!Nous avons vu que dans l'antiquité
Corcyre,2^cynthe et Céphalonie avaient
une puissance maritime considérable ;
les lies Ioniennes ont toujours conservé
une population de marins habiles, achar-
nés contre les Arabes au moyen, âge,
contre les Turcs dans les temps moder-
nes. Celle de Céphalonie était au dix-
huitième siècle la plus nombreuse et la
plus active. Quand les Russes, par la
possession de la Crimée , se furent as-
suré la navigation et le commerce de la
mer Ivoire, un ^and nombre de Cépha-
loniotes arborèrent le pavillon russe.
Leurs vaisseaux, qui jusque alors ne na-
viguaient que dans le golfe Adriatique ,
la Méditerranée et le Levant, s'avancè-
rent au delà des Dardanelles, jusqu'à
Cherson, où ils faisaient un commerce
trés-avanta^eux. Leurs principales res-
sources étaient la contrebande et la
piraterie. Dans sa lutte contre les Turcs,
Catherine II sut mettre à profit l'audace
et l'avidité de ces corsaires. C'est dans
les Iles Ioniennes que le pirate grée
Lambro Cazzoni recruta la plus grande
partie de ses équipages. Il leur faisait
arborer le pavillon russe, sous les yeux
même des provéditeurs vénitiens, dont
la connivence était assurée.
Outre l'attrait du pillage, un motif
religieux poussait les insulaires au ser-
vice de la Russie. La religion grecque
domine danç les Iles Ioniennes.
A Corfou, sous les YénitienS; le rit
Jatin était suivi par le représentant et
les fonctionnaires de la remiblique ; le
rit grec par la masse des luSbitants.
I^ protopapa de Corfou, grand proto-
Sapa des lies , était élu dans une assem-
lee du clergé et de La noblesse. Il de-
vait appartenir à une famille noble et
abrégée au conseil. Il relevait immé-
diatement du patriarche de Constan-
tinople. et possédait tous les pouvoirs
épiscopaux pendant cinq années. Les
principales sources de son revenu étaient
tes mariages, les baptêmes, les enter-
rements, étales excommunications.
Avant la séparation de l'Église latine
et de l'Église grecque, l'Ile de Zante
était le si^e d'un évêque nommé par le
pape. Depuis le schisme , le rit grec s'y
est maintenu. Après la prise de Constan-
tinople(1204),Zacjrnthe reçut un évêque
latin. Sur les plaintes des habitants,
le concile de Florence décida que les
diverses Églises de la Grèce et des Iles
auraient chacune deux chefs, l'un pour
le rit latin, l'autre pour le rit grec.
Longtemps les évéques latins de Zante
s'abstinrent de visiter leur diocèse. Fer-
dinand de Médicis , nommé par le pape
Léon X, fut le premier qui se soumit à
Tobligation de la résidence. Le diocèse
latin de Zante, suffragant de l'archevêché
de Corfou, avait dans son ressort Ttle
de Céphalonie. Le clergé grec était di-
rigé par un protopapa , élu tous les cinq
ans par la noblesse.
Céphalonie, où le rit latin n'était
guère suivi que par le gouvernement et
fa garnison vénitienne, était le siège
d'un archevêque grec. Elle avait à com-
battre les prétentions rivales de Zante.
En 1717, un décret du sénat, tout en
conservant au clergé de Céphalonie le
droit d'élire le prélat, lui imposa l'obli-
gation de nommer un ecclésiastique de
zante, après que le siège aurait été
occupé successivement par deux arche-
vêques céphaloniens.
Venise était trop habile pour ne pas
ménager les opinions religieuses de ses
sujets , trop jalouse des prérogatives de
son autorité pour laisser au clergé grec
une indépenaance absolue. A Corfou, à
Céphalonie, le provéditeur général pré-
sidait les assemblées où le clergé et la
noblesse élisaient le protopapa ; il pre-
nait part au vote, et sa voix était prépon-
Mê
L*OinVERS.j
ééAttte. Celait loi <pi prodamalt Félu;
«t qui Bttadhait le voile a son bonnet, en
signe d*investitare: Tous les chefs dn
gonremement avaient leur place d*hon-
neuf dans les cérémonies et les proees-
llions. La république faisait ainsi , des
liommages intéressés qu'elle rendait à
îf^ise grecque , une garantie de son
pouvoir.
KÉsuicé. L%istoire des Iles Ionien-
nes sous la domination de Venise com-
prend deux périodes distinctes. La pre-
mière s'étend depuis la soumission vo-
lontaire de Corfbu (1386) iusqn*à la paix
de Passârowiiz(1718). C'est la période
deguerre. Venise, menacéepar les Turcs,
cherche à se concilier Vafraction et le
dévouement de ses sujets par les fa-
veurs qu'elle accorde au élergé et à la
noblesse autant que par une sage admi-
nistration. La seconde période, qui com-
prend le dix-huitième siècle, amené avec
fa paix la corruption et le brigandage.
Le gouvernement politique et militaire,
toujours exclusivement réservé à Taris-
tocratie vénitienne, est exercé par des
fonctionnaires prévaricateurs. Les no-
bles, qui conservent les charges muni-
cipales, uïais dont le sénat restreint les
Sriviléges, imitent les excès des prové-
îteurs et des généraux : les valets co-
pient les maîtres. Sous une double ty-
rannie, le peuple succombe, ragrieulture
•dépérit faute de bras ; f industrie est
jpresque nulle; le commerce, entravé
par aes monopoles absurdes et sur-
chargé d'iniques impôts, devient pour
les habitants une ressource précaire et
insuffisante. Le vol et le meurtre dans
toutes les classes de la société , des pi-
rates et des bmvt gouvernés par des
Verres, voilà le spectacle que pr&entent
ces malheureuses provinces dans les
dernières années de la domination vé-
nitienne. L*arrivée des Français a com-
mencé pour ces îles une ère de régénéra-
tion et de progrès.
IV.
LU iLtt xoHUfliirEs aouft u wmtnmcr
TOAAV ANOIiAXft (1).
Les Iles Ioniennes, occupées émus
le 27 Juin 1797 par le général Gen-
tilly, furent données à la France par le
traité de Campo-Formio (17 cet. 1797},
qui partagea entre la Franœ et TAii-
triche les dépouilles de la république
de Venise. Elles formèrent les trois dé-
{^artements d'Ubaque, de CorcjTe et de
a mer Egée. La garnison faisait partie
de farmee d'Italie sous les ordres du
général en chef Alexandre Bertbier.
Pendant les désastres qui suivirent
le d^art de Bonaparte pour l'Egypte,
ime flotte turquo-russe s'empara des
îles ; Corfou capitula le S mars 1799 ;
les garnisons , prisonnières de goene,
rentrèrent sur le territoire français par
Toulon et la division des Iles Ioniennes
cessa d'exister.
Par une convention conclue à Cons-
tantinople entre la Porte et la Rusâe
(21 mars 1800), les SepMtes et les côtes
qui en dépendent furent constituées en
république, vassale et tributaire de Tem-
pire ottoman. « On ne sait, dit un auteur
contemporain, comment concilier avec
cette suzeraineté le droit que la Russie
s^était réservé par l'art. 5« de tenir gar-
nison dans les ports et forteresses des
Sept-Tles; mais du moins il avait été
stipulé que ces troupes évacueraient les
Sept-lles après la cessation de la guerre,
et cependant elles y restaient toiiyours,
malgré les alarmes de TAutriche et les
représentations de la France. Cétait
comme un poste militaire occupé pour
Êivoriser la reprise des anciens projets
sur la Morée. »
Le traité d'Amiens consoouna pour
nous la perte des îles Ioniennes, en les
déclarant indépendantes, et en les pla-
çant sous le protectorat de la Russie.
JLe comte C^po d'Istria, noble corfiote
au service de cette puissance, fut chai^
d'organiser Gépbalonie, Sainte-^Iaure,
Thiaki. Mais la guerre civile éclata parmi
ta Ioniens; elle ne fiit apaisée qa'en
1S02 par rintervention d'un plénipotea-
(x) Voir un article publié sous œ titre pai
M. BreuUer dans la JRevue Orientale et Ji^
rienne de mars zS52.
ILES IMOENNES.
âaire russe. Capo ffîstarfa. nommé se-
crétaire d*État, chercha à rmever re8[)rit
national en établissant des éeohs, prin*
cipalement pour renseignement de Van*
cienne langue et de f ancienne littérature
grecques. La nouvelle constitution, dont
la j^arantie était confiée à la Russie , fut
publiée le 6 décembre 1S08.
Cette constitution de 1803 établissait
la foi grecque comme religion natio-
nale; elle donnait protection à la re-
ligion catholique romnine, et accordait
tolérance à toutes les autres. La no-
blesse avait seule le droit électoral;
l'électeur noble devait être né dans les
ttes, d'une union légitime; appartenir à
un culte 4îhrétien , et posséder un revenu
annuel, dont la quotité variait suivant
les îles. Les professions mécaniques et le
commerce lui étaient interdits. Un di-
plôme obtenu dans une des principales
universités d'Europe suppléait à la rente
annuelle exigée de la nonlesse. Au-des-
sus de rassemblée législative, librement
nommée au scrutin secret, la chambre
haute , composée de soixante-dix séna-
teurs élus, était investie du pouvoir
exécutif. Le sénat avait le maniement
des revenus et des dépenses, sous le
contrôle de Vassemblée législative, qui
votait le budget.
Ainsi Tadministration intérieure était
complètement abandonnéeaux mains des
insulaires. Le protectorat russe, substi-
tué depuis le traité d'Amiens (1802) à
celui die la Turquie, avait aux yeux du
peuple ionien les apparences d un véri-
table patronage. Aux yeux delà France,
c'*était une souveraineté absolue. « On
doit sans doute mettre dans la catégorie
des pays soumis à la domination d'A-
lexandre la république desSepMles, oue
la Russie gouverne réellement à l'omore
d'un droit /le protection sous lequel elle
a prétendu voiler son usurpation for-
melle. ]» Ainsi s'exprime en 1807 un
écrivain au service de I^apoléon. Cest
qu'en effet l'empereur voyait avec in-
quiétude la place de Corfou occupée de-
puis 1804 par une forte garnison russe
et Cattaro prise par cette garnison le
4 mars 1806. Aussi au traité de Til-
aitt (7 juillet 1807) exigea-t-il que te
république septinsulaire lât restituée à la
France.
Le général Berthier, nommé gouver-
neur généivl M8 îles , j^blîa tft l^e»p«
tembre 1807 la dédâratioft raivMte :
« lia république MptiaiuMra fait
partie des Etats qui dépendent de Vem-
pire fraB^is... La liberté des cftites e«t
maintenue , et la reKgioa gncqve ««ri
la religion dominante.
« Les tribumux de fmtwt WBtiMie»
font à prononcer «ur l«s natlèras «ri»
minelles, oorreetionneH«s, eiWfes «t au-
tres comme par tepasté. Les lois «t Mh
très actes judîdaires seront iBatotemii
dans tonte leur vigueur.
R Le sénat eontiovera d'^xeroer «es
fonctions jusqu'à nouvel ordre. Une
députation sénatoriale de einq membres
se réunira tous le« lundis et jeudis pour
présenter son travail au geuverReur, et
rai proposer tout ee qui poewa <««itri-
buer à la félicité publique. Le «énsft éetta
faire confirmer tous déereis et délibéra-
tions par le gouverneur général, au nom
de sa majesté Tempereur et roi* Ils
n^ront aucune force sans cette apym-
bation
« Il 7 aura près du gouverneur général
un conseil privé , qu^ii réunira toutes les
fois qu41 le jusera eonvenail>le. Il sera
composé des trois secrétaires d'État et de
son excellence le président du sénat.
« Les Albanais qui étaient au service
russe sont licenciés, et passent provisoi*
rement à cehii de la France, lis seront
pay^ par le gouvernement septinsarlaire
et distribués dans les diverses ties...
L*état-major des Albanais résidera pro-
visoirement à Corfou. 11 sera levéparml
eux une compagnie qui Bera incorporée
dans h garde du ^uvemement. Tm
outre, deux compagnies de chaque corps
d'Albanais seront réunies à diaqoe
régiment français pour faire le service
de chasseurs des miontagnes. »
La France conserva jusqu'en 1814
là possession des Iles Ioniennes; <4le y
renonça implicitement par Fart. S du
traité de Paris (SO mai 1814). Cen«afr.
tnément àia convention du ?B avril qui
Uxait au 1*' juin te remise totale de
toutes les nteces occupées par les Fran-
çais en dehors des limites nouvettes^ le
général Donzelot évacua "Corfou et ses
dépendances.
Aussitôt le sénat , tel qii*il était com-
posé sous le protectorat russe, le réunit
a Corfou. La chute de l'emphre devait-
M»
LUKIVfiRS
die rendre aux Ioniens leur indépendan-
ee? Le sénat, dans son ade publie du 9-
%i mai 1814, exprima ainsi ses voeux et
ses espérances légitimes :«.... L'Angle*
tore a attaqué et occupé quelques-unes
des ties; mais, oueile au'ait été Tin*
fluence accidentelle des événements, le
sénat n'a jamais cessé de regarder ces
différentes occupations du territoire
eomme purement militaires , comman-
dées par les circonstances et ne différant
à aucun égard des mesures provisoires
prises simultanément dans les autres
parties de l'Europe. Le sénat fut tou-
jours fermement persuadé que, la guerre
une fois terminée , son territoire serait,
de même que celui des autres nations,
évacué et rendu. »
Les lonicDS envoyèrent ce manifeste
à leur compatriote le comte Capo d'is-
tria, ministre plénipoteotiaire du czar.
« L'empereur de Russie, leur répon-
dit-il, a couronné toutes ses faveurs en
me permettant de remplir vos souhaits et
aussi, en même temps, d'agir au congrès
des alliés eomme l'organe de la per-
pétuelle bienveillance de sa majesté pour
notre patrie. Pîotre patrie a demandé
de la justice de ce monarque le rétablis-
sement de son existence politique, dont
elle a été privée par des événements
étransers au pays. Le traité de Paris, que
je me hâte de vous transmettre, consacre
d'une manière solennelle cet acte de
justice et de libéralité. Rendre au peuple
ionien sa liberté et ses lois, c*est exercer
envers lui un acte de justice; lui ffaran-
lir la jouissance paisible de bienraits si
grands, en plaçant le maintien du pro-
grès de sa régénération politique sous
les auspices de laprotection britannique,
c'est associer sa fortune aux intérêts les
plus éminents et assurer à son bonheur
un long avenir. »
£n-â^fet, par suite de traités conclus
avec les puissances alliées le 4 juillet et
le 6 novembre 1815 , la république des
Jles Ioniennes passa sous le protectorat
de la Grande-Bretagne. Le général Camp-
bell, commissaire des puissances alliées,
expliqua bientôt ce qu il fallait entendre
par le protectorat anglais. Il commença
{MUT déclarer que son gouvernement ne
reconnaissait point l'existence d'un peu-
ple ionien indépendant, et des tribunaux
militaires, véritables cours martiales, se
chargèrent d'impcMersiieneeauxpiaiatn
des rebelles qui mterprétaient autrement
les traités de 1815. Campbell eut pour
successeur le général Maitland, qui prit
le titre de lord haut commissaire, et
aui dès sa première proclamatloa eofl-
nrma tous les actes de son devancier.
D'après le traité, le lord haut commis*
saire devait seulement régler la forme
dans laquelle on convoquerait Tassem-
blée législative et diriger ses délibérations,
pendant qu'elle rédigerait une constitu-
tion nouvelle. Jusqu'au moment où cette
nouvelle constitution serait ratifiée par
le roi, l'ancienne devait rester en vigueur.
Sir Thomas Maitland ne tint aucon
compte des droits du peuple ionien. 11
rendit contre le sénat une ordonnance
de dissolution , et créa de son chef on
conseil primaire de onze membres, <{ui
pour compléter l'assemblée législative
présentèrent aux électeurs une liste de
candidats. Le 39 décembre 1817 fut pu-
bliée la constitution. Elle reconnaît le
protectorat perpétuel du roi d'Angleterre,
gui a le droit de mettre garnison dans
îs places de la république et de com*
mander ses troupes. Le tord baiit com-
missaire, représentant de sa majesté, a
le gouvernement général. Les sept Ues
forment une république aristocratiaDe
représentative. Le sénat est élu tous les
cinq ans par les députés qu'envoie à Cm-
fou chacune des ues , proportionneII^
ment au chiffre de sa population. H se
compose d'un président, chef da pou-
voir exécutif, nommé par l'Angleterre,
d'un secrétaire d'ÉUt, également désigné
par le lord haut commissaire de sa ma-
jesté et de cinq sénateurs, dont le choix
doit être agrée par la puissance protec-
trice. Corfou, Céphalonie, Zante, Sainte-
Maure nomment chacune un des sén^
teurs; le cinquième représente Paios,
Thiaki et Cérigo. Chaque île a son admi-
nistration et ses tribunaux partieoliers.
Le24avril 1819 le sultan Mahmoud H
reconnut l'indépendance des Iles loniei-
nes sous la protection des Anglais, et ea
échange il ootint la restitution de Pargi.
Lord Maitland réprima avec une odieuse
cruauté les mouvements des Ioniens
pendant la guerre de l'indépendance.
Après la mort de Maitland , sir F^-
Adam montra plus de bonne volonté que
d'intelligence. Il ût construire deux
ILiS I01<aEIINES.
641
aqoedaes et 4eéi hmtés ; mais il fit pajer
trop cbèrement aux Ioniens des amélio*-
rations insaffisantes. Cest sous son ad-
ministration que lord Guiidford établit
l'université deCorfou, ouverte le 39 mai
1 824. D^autresinstitQtionsoontribttèrenl
au développement de Féducation dans
les Iles : Gorfou, Zante et Âi|;o8toli
eurent ehaonne un coUéce ou lycée. Cor*
fou possède une bibiiolnèque publique;
et une sodété pour le développement
de ragrieultnre, du commerce et de Tin-
dustrie.
Lord Nngent rétablit Téquilibre dans
les finances, et laissa même un excédant
de 196,550 liv. sterl. à son successeur,
sir Howard Douglas, quigouyema les
lies pendant dix ans. Celui-ci ne tint pas
toutes les promesses qu'il avait faites.
Les plaintes qu'il souleva parmi les
Ioniens ont été vivement résumées dans
les divers mémoires de M. A. Mus-
toxidis (1889, 1841). « Des sociétés
agricoles et industrielles, des sociétés
anonymes, des banques nationales, des
dessèchements de marais, toutes choses
excellentes, mais où les trouver, sinon
sur le papier! Le code fait mention de
maisons ae correction et de discipline,
de pénitenciers ; mais il n'existe aucun
de ces établissements dans le pa^rs. On
a donné des ordres pour la création de
salles d'asile, et les pauvres pullulent
dans tous les récoins de la cité. »
Après sir Stuart Mackenzie, qui par
sa loyauté s'attira la haine des fonction-
naires et de l'aristocratie anti-patriotes
(xaTax06vioi), lord Seaton réalisa quel-
ques réformes, particulièrement dans
1 instruction publique. Il introduisit dans
les écoles-modèles l'enseignement de
l'affriculture théorique et pratique, et
établit une ferme modèle à Castellanus
(1844). Dans des écoles mutuelles, les
pauvres reçurent gratuitement l'instruo-
tion élémentaire , et les maîtres d'école
de village obtinrent des appointements
de l'État.
Sir Henri Ward, successeur de lord
Seaton, était gouverneur des Iles Io-
niennes au moment où éclatèrent les
événements de 1848. Entraînés par le
mouvement révolutionnaire gui agitait
alors toute l'Europe , les radicaux , ou
Rhisospastes, sous la direction de Ylacco
et de Nodaro, essayèrent de secouer le
41* lÀP^aiscn, (Ilbs Ioniennes.)
joug du protectorat britannique, et d'an-
nexer les lies Ioniennes à la Grèce.
. Leur tentative fut comprimée par
l'état de sié^ et par des mesures rigou-
reuses, qui rapoelèrent les temps* dé-
sastreux de l'aaministration de ioid
Mattland. L'Angleterre maintint donc
par la force sa souveraineté sur les Iles
Ioniennes; mais après s'être raffermie,
elle a ju^ opportun et convenable
de nrévenir de nouveaux mouvements
en donnant quelques satisfactions aux
sentiments d'mdépendanee qui animent
les Ioniens. Un décret du lord haut com-
missaire, en date du 22 décembre 1851
et contre-signe par lord .Grandville , in-
dique en ces termes les modifications à
introduire dans la constitution de 1817 :
« 1* Le parlement se réunira tous les
ans;
2® L'organisation du sénat sera mo-
difiée de manière à accroître la res-
ponsabilité de ses membres et à bien pré-
ciser leurs devoirs;
3® Il sera adjoint au conseil suprême
de la justice un cinquième membre,
afin que ce corps puisse décider à la
majorité absolue des voix, et qu'il n'ait
plus à recourir, en cas d'égalité des voix,
a l'intervention du lord liant commis-
saire.
4^ le parlement ionien aura l'initia-
tive d'une loi tendant à mieux régler
les pouvoirs du gouvernement des îles;
5 Le parlement déterminera les attri-
butions qui devront être substituées aux
attributions actuelles de haute police »
( visites domiciliaires nocturnes , confis-
cation des papiers, emprisonnement et
bannissement des citoyens sans enquête
préalable et sans responsabilité).
Telles sont les concessions libérales que
l'Anffleterre a d'elle-même promises au
peuple ionien. Qu'elle exécute fidèlement
ses promesses, et elle saura s'attacher
par les bienfaits d'une protection vrai-
ment tutélalre un peuple digne de la
liberté. En effet, la population des Iles
Ioniennes est vive et intelligente. « Cette
contrée de si peu d'étendue (1) a donné
(f ) La surface des Sept-Iles peut être éva-
luée à 3,5oo kilomètres carrés enriron. Leur
population est de a 20,000 habitapts, et leur
revenu actuel de 147,48^ Hv. sterl.i ou
3,687,060 francs.
41
u»
naîMâBoe à on nomfan MtatifWMBl
considérable d'honmcs dîstblgii^ dmif
lei seitnoeSy \» lattrei et la politi^.
Noof pooTona dter entre aotraa : Pieri,
membre de l'Aeedémie délia Cmaea; le
poète Ugo Foaeolo, aotenrdea Mémoi*
rtê de Jaeobo OrUt; BondioU, Dellade*
eimo, Garburi, profeseenn éminenli:
un autre Garburi, grand architeete, ^
transporta à Saint«Pétenbourgle rodier
de gi^nit anr lequel est assise la statue
de Pierre le Grand; Lusi, général en
Prusse et ambassadeur en Angleterre;
Loverdo, général et pair de Franoe;
Gorafan,vioe-roide8ieue; léracbis, viee*
Mîde Siam; Mooenigo, Bulgaii, Fran-
zinl, ministres d'État en Europe; Capo
d'Istria, secrétaire d'État en Russie
nîBlitn pMni^olittliiire de cette ipù-
aanee au congrès de Yienne elpréeidMt
de la Gïèoe; Téerivain Mnrtomîs, et le
poëte Salomos, auteur du faînenc
njnme grée è ii Uberté, etc., eta. »
CMeSyUn peuple qui a de tels npréNn-
tants mérite «Têtre traité ayeo tous ks
égards, tons les mén^pements qui sosi
dus aui nationa eîfiliaéea ; « «til «t
digne de rAngletene* dit réorivain(l)
ai^uel noua empmntona oei dernieis
détails, de faire noMement aon devoir
en accordant enfin, sans arrlère-peDMa»
réparation et Justiee aux malheureuses
populations des Sept^Ilea. »
(i) M. Breelisr, Bêvm Oritmtmkg
p.97^>
t I,
t.xxVij\m%j%rtTrttmft'nf>nfvn'n^'nn— iT'>iT**r*'i" * ^ *ir TTrf^T** * * .«.-fc«».>.--.^^--..^^.^— ■.^— >.
TABLE
DE
L'HISTOIRE DES ILES DE LA GRÈCE.
!••■■
Pages.
h
Ue de Chypre x
!• Géographie physique et poUti<iue
de file ae Chypre i3.
!!• Histoire de Tile de Chypre pen-
dant les temps anciens. • . • 14
m. État religieux, politique, moral
et intellectuel de Chypre pen-
dant les temps anciens. . • ; 3$
IT. Histoire de File de Chypre pen-
dant le moyen âge et les ten^
modernes. ... : 47
Y, État actuel de Ttle de Chypre. . . 83
n.
Ile de Illiodes. • . * 92
I. Description et géographie compa-
rée de lile de Buodes ià.
II. Histoire ancienne de i*ile de Ehodes. xoa
m. État religieux, politique , social et
intellectuel de Rhodes pendant
Tantiquité; 1 z34
rv. Histoire de Tile de Bhodes pen-
dant le moyen âge et les temps
modernes. . • . : é ; . • • . 145
V. État actnél de Rhodes. •«••«. 184
VI. Il(is de la mer de Lycie. é • . . .189
in.
Sporaden. • • . • v • ; • ^ . 19a
Mer Egée. .:.••«•.• • • ià.
Ile de Syme. 193
Ile de Chalkia •««... 194
UedeTélos 1^.
Hé de Nisyros. .«.•••... 195
Le roicher des Caloyers. • • • « . 196
Hé de Carpathes • • .' . <^.
Ile de Casos 198
Hé de Cos; 199
Ilei^ voisines de Cos ao9
He de Léros. • . : . • i^.
Pages.
Ile de Patmos. ;....' 30^
Ile Icaria. . • • aïo
Petites iki de la mer Icarienne. ^i%
IV.
He de ttsunoe. • " ai4
I, Géographie et description de TUe
\ de Samos ià:
n. Histoire de File de Samos dans
les temps anciens aasi
m. GoloniflSi institutions, rdigion, lit-
térature^ de Samos dans Tanti-
quité. . , , • • • a37
IV, Histoire de Samos pendant le
moyen âge et les temps moder-
ne» • . • •••..< 343
He de Chlo 959
I. Géographie et description de Chio. îè,
U. Histoire ancienne de Chio. '• • . 264
m. Résumé de l'hutoire de l'Ile de
Chio pendant les temps moder-
nes 975
rv. Tableau général de la civilisation
dans Tile de Chio aux temps an-
ciens et modernes. .••«•• a84
VI.
He de PMum. ... : !l T 299
VU.
He de lienboe. ; 297
I. Description et géographie de IHe
de Lesbos ià.
II. Histoire ancienne de Lesbos • . 3o4
III. État politique, social, intellecfnel
de Lesbos pendant les temps
anciens 817
IV. Histoire de 111e de Lesbos pen-
dant les temps modernes. . . . 3a6
Vin.
Ile de Téséden 338
41.
644
TAWLB.
PtfCS*
IX.
347
i6.
365
37a
llM 4e Im
L'HeUespont.
Ile de Proconnèse / . • 348
Iles ▼oisines de Marmara 35o
Iles des Princes : 3Si
Les roches Gyanées 35a
X.
De 4e liemnes • • 354
lie dlmbros. : ... 364
XI.
Ile 4e flaaaotltraee.
xn.
Hé 4e TImmm. . . .
XHL
lies 4« iior4 4e PB«1iée. . : . . 377
Ile de Scyros .• • • • 378
xrv.
Ile 4>Hitbée 38a
4. 'Description et histoire de l'iie
d*Eabée pendant les temps an-
ciens • iOm
i« Géographie générale, population: i^.
90 Centre de l*£nbée. 385
9<» Nord de TEtthée 4o3
4* Sad de l*Eabée 4^0
II. Précis historique snr 111e d*Enbée
* 'pendant le moyen âge et les
temps modernes 4aa
lien €^ela4en.'. 4^9
I. Notions générales sur la géogra-
phie et l'histoire des Cyclades. ié,
II. Pariicularilcs snr les Cyclades. . . 438
Jle d'Andros. 438
Ile de Ténos. ....,.:... 439
Hé de Gyaros 44 1
'Ile de Géos; 44a
Ile d'Hélène 445
.IledeCyt^Qos. . 446
Ile de Syra. . . *. 447
Iles de Délos et de Rhéiiée. . • . 45i
Ae de Mykonos 459
Ile de Naxos 460
. Qe de Paros« . ^ 466
Ile d'Oliaros ou Antiparos 469
^ Ile de Siphoos. 471
Ile de Seriphos 47a
lie de Gimolo9 ib,
IledeMélos. 473
Ile de Aïolégandros. 4:g
Hé de Sikinos ii.
Ile dlos. .'..., 479
Hé d'Amorgos. 4S0
Ile d'Astypalée 48a
He d'Anaphé 4S3
Hé de Tnéra^on Santorin. ... 484
XVL
lies 4« yollé flhu«ni««e. ... J 49}
He de Salamine ; i,
He d*Égine 5m
i<> Ancienne histoire d*Égine. . . 5m
7? Égine dans les temps modernes. 5ii
3^ État de la civilisation antique
dans rUe d^Égine 5^
4* Eut actuel de l'île d*Égine. . ^ 5to
Ile de CaUurie on Poros Sa
XVII.
He* 4a PélopOB&ène àii
Hes dHydra et de Spéizia. ... ii.
Théganussa ^^
' ' Sphactérie ^c
xvra.
He 4e Crête. S3'
I. Description et géographie de File
% de Crète : '^
II. Histoire deTile de Crète pendant
les temps anciens.
m. Tableau général de la civilisation
Cretoise dans les temps «ndem. 553
rv. Lite de' Oète pendant le moyeo
âge et les temps modernes. . . 5:i
Y. Appendice sur l'état de l'agriculture
et les productions de llte de
Crète. 5S9
4i>
il-
6(3
a,
6r
(3:
5)fi
lien loBleniien
I. Géographie des Hes lonieiin», .
II. RéSutné historique sur les Ilo
* 'lônIeArtfei
* • Gofcyre.
Paxos. '
Lencade
* * Cépfasittélli«. '.' ■•
' 'Ithaque. .'.'
Za<^mthe. ;
Gythère. . . .•
III. Les lifes Ioniennes sous la domina-
tion de Tenise. • • . • • . •
rv. Les Ile« Ioniennes sons le fmutt-
* torat de TAngleterre
FIN,
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