'um
.^J
mr
4k'fiuM.
Mi
i.r.
'"Ji'Am
JOHN M. KELLY LIBDADY
Donated by
The Redemptorists of
the Toronto Province
from the Library Collection of
Holy Redeemer Collège, Windsor
University of
St. Michael's Collège, Toronto
«aWSSNWPe XKT i>ci«S5»#ir'î
*X/
ROLY REDEEMER UBRARYJWNOSOR
Digitized by the Internet Archive
in 2009 with fundingfrom
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/introductionhist05glaiuoft
INTRODUCTION
L'ÉCRITURE SAINTE.
'^^'
X^//./^
PROPRIETE DE L'EDITEUR.
IMPRIMERIE DE M'»^ V DONDEY-DUPRÉ ,
nie Saint-Louis, 46, au Marais.
INTRODUCTION
HISTORIQUE KT CKiTlQUK
ADX LIVRES
DE L ANCIEN ET DU NOUVEAU
TESTAMENT,
PAR J. B. GLAIRE,
Membre de la Société asiatique et professeur d'hébreu
a la Faculté de théologie de Paris.
TOME CINQUIÈME.
A PARIS,
CHEZ MÉQUIGNON JUNIOR,
LIBRAIRE DE LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE,
rue des Graiids-Augustins , ii. 9.
HOLY REDEEMER LIBRARY, «^DSOR
1841 /€
CORRECTION.
A la page 150, ligne 20, au lieu de : c'est- à-dire à la première
année, lisez : c'est-à-dire à la deuxième année.
t^/'ù ifô
INTRODUCTION
HISTORIQUE ET CIUTIQUE
7 'i;^ .'Yi'^'^.
DE TAÎ^CIENET DU NOUVEAU TESTAMENT.
DEUXIEME PARTIE.
(suite.)
QUATRÏÈIIÎE SECTIONS-
INTRODUCTION PARTICULIÈRE AUX LIVRES SAPIENTIAUX.
Par livres Sapientiaux, qu'on nomme également mo-
raux (t. i,pag. 5), nous entendons certains livres de
l'Écriture spécialement destinés à donner aux hommes
des leçons de morale et de sagesse ; ce qui les fait dis-
tinguer des livres historiques et prophétiques, dont le
sujet dominant est l'histoire de faits accomplis et la pré-
diction d'événemens futurs. Les livres sapientiaux sont
les Psaumes, les Proverbes, l'Ecclésiaste, le Cantique
des cantiques, la Sagesse et l'Ecclésiastique.
CHAPITRE PREMIER.
DU LIVRE DES PSAUMES.
Le livre des Psaumes, en hébreu Séfer tehiïlîin ( "|DD
D''bnn) ou livre d'hymnes, tire son nom du grec -loLlySoç,
poème que l'on chante en s'accompagnant sur un ins-
trument à cordes. Les Grecs ayant donné le nom de
V. 1
2 DU LIVRE DES PSAUMES.
psaumes aux hymnes sacrées des Hébreux, ils appelèrent
Psautier, Ta).rr;/3tov, la collection de ces hymnes, au nom-
bre de cent cinquante (1). Dans les Bibles hébraïques,
le livre des Psaumes est classé parmi les Kethoubim
on Àgiographes .
Parmi le nombre infini de questions qui ont été agi-
tées au sujet des Psaumes, nous nous sommes arrêté à
celles qui nous ont paru les plus importantes.
ARTICLE I.
Des titres des psaumes.
1 .Les titres des psaumes indiquent non seulement leurs
auteurs et ceux qui devaient les chanter, mais encore le
nom des instrumens qui en accompagnaient le chant, ou
les premiers mots de l'air sur lequel on les chantait.
Plusieurs sont adressés au maître de chœur pour être
joués sur un instrument à cordes ou sur un instrument
à vent, ou sur l'air de quelque chant populaire. C'est
du moins ainsi qu'on explique certains titres qui autre-
ment ne présenteraient aucun sens . Il y en a cepen-
dant quelques-uns qui marquent le caractère général
du psaume, comme psaume didactique, psaume de
louanges, etc. D'autres font connaître l'occasion par-
(1) Nous ne comprenons dans ce nombre, ni celui qu'on trouve
sous le nom de David dans plusieurs exemplaires grecs et latins,
dans le syriaque et dans l'arabe, avec le titre de : Lorsque David
combattit seul contre Goliath, ou De David encore enfant; ni les dix-
huit attribués à Salomon, trouvés dans un ancien manuscrit de la bi-
bliothèque d'Augsbourg, et que le P. de La Cerda traduisit du grec en
latin, et qu'il publia, en cette dernière langue, à Lyon, l'an 1626.
Tous ces psaumes sont généralement rejetés comme autant de pièces
non authentiques.
DU LIVRE DES PSAUMES. 3
ticulière pour laquelle il a été composé. Ainsi, par
exemple, celui qui est en tête du psaume m porte :
Psaume de David lorsqu'il fuyait devant son fiïs Absa-
lom.
2. Quant à l'authenticité de ces titres, les critiques
sont très-partages d'opinion. Les uns prétendent que
tous sans exception, et dans la teneur même de leur
expression, sont authentiques , et ils étendent ce pri-
vilège d'authenticité aux titres particuliers qui se trou-
vent dans les Septante, la Vulgate et la version syriaque.
D'autres soutiennent au contraire qu'il n'y en a pas
un seul d'authentique, mais qu'ils ne sont tous que des
additions faites dans des temps postérieurs. Plusieurs
négligeant les titres particuliers aux Septante et à la
version syriaque, se bornent à défendre l'authenticité
de ceux du texte hébreu. D'autres enfin restreignent
l'authenticité aux titres hébreux qui ne sont pas con-
traires à l'argument du psaume, et qui ne répugnent
point soit à la personne à laquelle le titre l'attribue,
soit aux circonstances historiques énoncées par le
psaume. Cette dernière opinion nous paraît la plus pro-
bable; voici nos motifs.
1° Il est évident qu'on ne peut maintenir à la fois les
titres qui sont dans le texte hébreu et ceux qui sont en
tête des différentes versions . Gomment en effet supposer
que des inscriptions aussi opposées et aussi disparates
aient pu venir des auteurs inspirés des psaumes ? Il suffit
en effet de jeter un coup d'oeil sur la polyglotte de Wal-
lon pour voir qu'elles assignent souvent au même
psaume un objet différent. Il y a même de ces inscrip-
tions qui ont été évidemment ajoutées dans des temps
postérieurs à l'établissement du christianisme : ce qui est
4 DU LIVRE DES PSAUMES.
vrai surtout pour la version syriaque, qui rapporte nom-
mément à Jésus-Christ certains psaumes. Quant aux
inscriptions particulières aux Septante et aux autres
versions qui les suivent, il paraît qu'elles ont été ajou-
tées par les traducteurs eux-mêmes, qui ne trouvant
point de titres dans le texte hébreu, ont voulu en sub-
stituer de conformes à leurs idées ou au sentiment gé-
néral des temps où ils vivaient. Quelques-unes de ces
inscriptions peuvent aussi venir des copistes. Car il
est difficile de croire que si ces titres particuliers eussent
existé dans le texte hébreu lorsque la version grecque
des Psaumes a été faite, c'est-à-dire trois cents ans en-
viron avant Jésus-Christ, ils en eussent été retranchés
par les Juifs dans les temps subséquens ; surtout si l'on
pense au respect que ce peuple a toujours eu pour l'in-
tégrité de ses Écritures.
2° Vouloir rejeter tous les titres sans exception nous
paraît d'un autre côté une opinion aussi hardie que peu
fondée. Il est constant que c'était la coutume des poètes
orientaux, syriaques et arabes, de mettre leur nom à la
tête de leurs moindres ouvrages, et cette coutume paraît
aussi avoir été celle des Juifs . Moïse en effet l'a observée
dans ses cantiques (Ex. xv. Deut. xxxi, 30; xxxii,
1 ; xxxiii, 1); nous la retrouvons dans ceux de Débora
(Jud.v,!) , d'Anne, mère de Samuel, et d'Ézéchias (1 Reg.
I, 28) ; enfin dans l'élégie de David sur la mort de Saûl
et de Jonathas (2 Reg. i, 17). Rien de plus fréquent dans
les compositions prophétiques que de voir en tête des
oracles même les plus courts le nom du prophète qui en
est l'auteur, le peuple sur lequel il a prophétisé, et le su-
jet de sa prophétie. D'après cette analogie, il est naturel
de conclure que les auteurs des psaumes ont mis aussi
DU LIVRE DES PSAUMES. 6
leur nom à la tête de leurs compositions psalmodiques,
et ont même marqué l'occasion et l'objet de ces petits
poèmes. Or, dans cette supposition, n'est-il pas vrai-
semblable que quelques-unes de ces inscriptions se sont
conservées et se trouvent parmi celles que nous lisons
dans le Psautier? Et si l'on devait rejeter sans distinc-
tion toutes les inscriptions des psaumes, ne devrait-on
pas aussi par la même raison rejeter toutes celles qui se
trouvent en tête des oracles prophétiques et des autres
cantiques de l'Écriture? Il est des interprètes assez har-
dis pour ne pas reculer devant cette conséquence, qui
pourtant passe toutes les bornes de la critique. Nous de-
vons faire observer que cette étrange opinion, outre
qu'elle est contredite par l'autorité de tous les docteurs
juifs et de tous les pères de l'Église, se trouve encore
entièrement opposée au sentiment des critiques modernes
les moins scrupuleux, soit catholiques, soit protestans,
tels que Jahn, Eichhorn, PiosenmûUer, Bertholdt, qui
ne font pas difficulté d'admettre l'authenticité au moins
de quelques-uns de ces titres.
3 . L'opinion qui, sans admettre l'authenticité de toutes
les inscriptions qui se trouventdans les Septante, regarde
néanmoins comme authentiques toutes celles qui se li-
sent dans le texte hébreu , quoiqu'elle soit beaucoup plus
fondée en raisons que les deux premières, ne nous pa-
raît pourtant pas assez démontrée pour que nous la pré-
férions à la quatrième. Nous ne craignons pas de recon-
naître que tous ces titres sont admis parla synagogue et
l'Eglise chrétienne, qu'ils se lisent dans le texte hébreu,
que les Juifs les expliquent et les chantent dans leurs
synagogues comme faisant partie des Psaumes ; qu'ils
se trouvent non seulement dans les Septante, mais en-
6 DU LIVRE DES PSAUMES.
core dans la Viilgate; que, quoiqu'on ne les chante pas
dans l'Eglise chrétienne, cependant les pères grecs et
latins les respectent comme s'ils étaient authentiques.
Nous reconnaissons aussi qu'ils sont très-anciens ; que
les auteurs de la version grecque les ont trouvés dans les
manuscrits hébreux environ trois cents ans avant JÉsus-
CiirjST ; que la manière inexacte dont ils les ont tra-
duits prouve qu'ils ne les comprenaient pas, et que par
conséquent ils devaient être bien plus anciens qu'eux ;
mais ces autorités et ces raisons, quoique assez fortes
pour prouver qu'on ne doit pas rejeter trop légèrement
les inscriptions qui se trouvent à la fois dans le texte hé-
breu et la version grecque, ne nous obligent cependant
pas à les admettre toutes sans exception et dans la te-
neur rigoureuse de leur expression ; car l'Eglise n'a ja-
mais défini l'authenticité de ces titres. Le concile de
Trente, qui a déclaré canoniques tous les livres conte-
nus dans le canon, met à son décret ce correctif: Tels
qu'on les lit dans VEglise, Or, l'Eglise ne lit ni ne chante
les titres des psaumes. D'ailleurs, comme le décret du
concile est général et ne fait pas de distinction, s'il de-
vait comprendre les titres, il comprendrait tous ceux
qui se trouvent dans la Yulgate: or, il est difficile d'ad-
mettre l'authenticité de tous ceux de la Vulgate, puis-
que plusieurs ne se lisent pas dans l'hébreu et portent
le cachet des temps postérieurs. Aussi d'habiles théolo-
giens catholiques n'ont pas fait difficulté de les rejeter; ce
sont entre autres le P. Alexandre, Ferrand et Nicolas de
Lyre(l). Les rabbins modernes tout en expliquant les
(i) Voy. Natal. Alexand. Hist. Vct. Test. Dissert, xxiv, quœst. i,
art. I. Ferrand, Prœfat. in Psalm.
DU LIVRE DES TSAL'MES. 7
titres ne craignent pas de les abandonner quelquefois
dans l'explication des psaumes. Les pères de l'Eglise ne
les admettent pas tous sans exception. Théodoret avoue
qu'il y en a quelques-uns au moins qui ont été ajoutés
par les copistes. Saint Hilaire et saint Augustin sont for-
cés de reconnaître également que plusieurs de ces titres,
loin d'être une clef propre à nous introduire dans le sens
littéral des psaumes, nous en éloignent, et ils prennent
en conséquence le parti de les interpréter dans des sens
spirituels qui ne sont rien moins que satisfaisans (1).
Enfin, ce qui prouve qu'on n'a jamais cru dans l'Eglise
que les titres appartenaient à l'intégrité des Ecritures,
c'est l'excessive liberté qu'elle a laissée de les omettre,
de les changer ou d'en introduire de nouveaux. Car riea
de plus varié que ces titres dans les anciennes versions
qui se lisent encore dans les Eglises chrétiennes. Ceux
de la version grecque ne sont pas les mêmes que ceux
de la version syriaque ; les versions arabes, arméniennes,
éthiopiennes, lisent aussi des titres différens, ou ne les
placent pas de la même manière. Ainsi l'Eglise et la tra-
dition n'ayant rien décidé sur l'authenticité de ces titres,
on est libre d'en rejeter quelques-uns, quand on y est
forcé par les principes d'une saine critique. Or, il nous
semble difficile de soutenir que tous les titres hébraï-
ques dans la forme où nous les lisons, soient l'ouvrage des
auteurs sacrés , et que quelques-uns au moins ne soient pas
l'ouvrage d'une main étrangère qui les a ajoutés à une
époque postérieure , ou du moins les a étendus ou mo-
difiés selon les idées du temps. D'abord il y a de ces ti-
(1) Theodor. in Ps. lix. Hilar. in Ps. Lix, Lxiii. Augnst. in
Ps, LXXSIX.
s DU LIVRE DES PSAUMES.
très qui rapportent certains psaumes à des auteurs qu'on
ne peut guère supposer les avoir composés, vu que les
circonstances historiques de ces psaumes, le style qui y
domine, indiquent une époque bien moins ancienne que
celle où vivaient les auteurs auxquelles titres les attri-
buent. Nous remarquons en effet que quelques-unes de
ces inscriptions renferment des titres honorifiques que
les auteurs n'ont pu vraisemblablement se donner à eux-
mêmes. Croit-on en effet que Moïse s'appelle lui-même
dans l'inscription de son psaume l'homme de Dieu, et
David le serviteur f/e Jéhova? N'est-il pas plus vraisem-
blable que ces titres d'honneur sont des additions pos-
térieures? De plus, les mots qui semblent désigner les
différens genres de poésie lyrique se trouvent appliqués
à des psaumes auxquels ils ne conviennent nullement :
preuve assez claire, ce semble, que des écrivains posté-
rieurs ont pu commettre cette méprise, qui ne peut tom-
ber sur les auteurs eux-mêmes. Ajoutons que ces mots
caractéristiques du genre de poésie lyrique se trouvent
quelquefois accumulés sur le même psaume, qui porte
alors deux titres disparates. Or, est-il vraisemblable que
ce soit l'ouvrage de l'auteur sacré? n'est-il pas plus na-
turel d'admettre qu'un de ces mots est une pure addi-
tion? Remarquons encore qu'il y a des titres qui sont si
chargés de mots, qu'il est visible que des additions sub-
séquentes leur ont imposé cette charge étrangère : ainsi
l'inscription du psaume Lxxxviii (Vulgat. lxxxvii)
porte : Cantique du psaiwie aux fils de Coré^ au maître
de chœur, sur la flûte ^ pour chanter alternativement (1) ;
(1) C'est ainsi que la plupart des hcbraïsans rendent nl3y7 <î"o
d'autres traduisent simplement pour chanter. A notre avis, celte ex-
DU LIVRE DES PSAUMES. 9
poème didactique d'Eman Ezraïte. N'est-il pas vrai-
semblable qu'une inscription surchargée de tant de mots
hétérogènes n'est que le fruit des additions postérieures
qu'elle a subies en venant jusqu'à nous? Enfin, il ne nous
paraît pas moins difficile d'admettre que les parties des
inscriptions qui concernent les instrumens remontent
toutes jusqu'au temps de la composition du cantique sa-
cré. Plusieurs psaumes peuvent avoir été composés avant
qu'on ne les ait adoptés pour l'usage du temple, époque
où la désignation des instrumens a dû être prescrite.
C'est ce que semblent prouver les xiv et lui selon l'hé-
breu, qui ne diffèrent pas essentiellement entre eux ;
le premier n'a point de désignation d'instrumens, parce
qu'il ne fut pas consacré d'abord à l'usage du temple ;
le second en porte une, parce qu'il fut par la suite des-
tiné à cet usage.
Ces raisons suffisent, ce semble, pour rendre au moins
très-douteuses quelques-unes des inscriptions du texte
hébreu, et pour nous déterminer cependant à embrasser
l'opinion qui consiste à admettre tous les titres de ce texte,
à l'exception de ceux qui sont opposés ou à l'objet du
psaume , ou à l'auteur auquel on l'attribue , ou enfin qui
portent le cachet d'une addition quelconque faite dans
des temps postérieurs. Et tout en les respectant comme
nous venant en partie des auteurs sacrés eux-mêmes,
ou de la tradition des Juifs , ou de quelque prophète
subséquent , nous croyons qu'il ne faut pas les admet-
pression signifie proprement faire crier, faire chanter à voix haute.
Voy. au reste ce que nous avons dit sur la racine H^y ^-'^^s le Pen-
tatenque avec une traduction française et des notes philoîofjiques.
Tom. II, Exode, pag. 220-221,
1.
10 DU LIVRE DES PSAUMES.
Ire toutes aveuglément, mais qu'elles doivent être sou-
mises à l'épreuve d'une sage critique.
ARTICLE II.
Bu sujet et de la division des psaumes.
1. Quoique chaque psaume ait son sujet particulier,
on peut dire qu'ils se rattachent tous à un sujet com-
mun , unique dans son genre , et que rien de semblable
ne se trouve dans la littérature d'aucune nation autre
que celle des Hébreux. En effet, le plus grand nombre
des psaumes contient : 1° Les louanges du seul Dieu vé-
ritable : sans cesse il y est présenté comme le Tout-Puis-
sant , l'Etre souverainement bon , clément et juste , dont
la suprême sagesse a créé l'univers, et dont la provi-
dence le conserve, et en particulier comme le protecteur
spécial du peuple juif, de ce peuple qu'il s'est choisi,
et que sa munificence comble des plus signalés bienfaits;
2« des prédictions éclatantes sur la venue du Messie ,
comme rédempteur du genre humain. La prédication de
ce Dieu sauveur, sa passion, sa mort, sa résurrection ,
son ascension, son royaume éternel , la conversion et
le salut des Gentils par la propagation de sa sainte doc-
trine ; ces grands objets sont tour à tour chantés dans
ces hymnes sacrés ; 3^ une doctrine dogmatique et mo-
rale sur les attributs de Dieu, sa présence en tous lieux,
son omniscience, sa providence universelle, etc., sur
la religion naturelle et révélée , sur les caractères des
véritables serviteurs de Dieu, sur la félicité réelle des
bons et le malheur ou la fausse prospérité des méchans,
sur la dignité de l'homme , sur la confiance en Dieu , la
résignation à sa volonté suprême , sur les suites funestes
DU LIVRE DES PSAUMES. 11
du péché, la pénitence, le retour à la vertu , etc. ; h" en-
fin une partie historique destinée à instruire et à édi-
fier (1).
2. Le sentiment le plus généralement reçu parmi les
pères et les interprètes, est qu'Esdras après la captivité
de Babylone , lorsqu'il rassembla les livres saints et en
donna une édition correcte , recueillit en un seul volume
les cent cinquante psaumes qui composent le Psautier,
sans toutefois s'attacher, dans la disposition de ce re-
cueil , ni à l'ordre des auteurs , ni à celui des temps ,
ni à celui des matières.
Dans la suite , les Juifs divisèrent ces psaumes en
cinq parties ou sections ; dans la première sont renfer-
més les quarante-un premiers psaumes; les suivans, jus-
qu'au Lxxi inclusivement , dans la seconde ; jusqu'au
xc dans la troisième ; jusqu'au cvi, dans la quatrième,
et le reste jusqu'au cl, dans la cinquième partie.
La version d'Alexandrie ne fait qu'un seul psaume
du IX et du X, qui, dans les exemplaires hébreux, chal-
déens et syriaques , en forment deux différens ; de là
vient que le psaume xi des Hébreux n'est que le x des
Grecs. La même version réunit aussi les psaumes cxiv
et cxy; d'où il résulte que le psaume cxiv des Grecs est
le cxvi des Hébreux. Mais comme les psaumes cxv et
cxvi n'en forment qu'un dans le texte hébraïque , le
psaume cxvii des Hébreux se trouve le cxvi des Grecs.
Ensuite, les psaumes grecs diffèrent d'une unité jusqu'au
CXLVi, qui, en hébreu se trouve joint au cxLVii. Enfin
(1) Voyez quelques autres détails un peu plus bas à l'article iv, où
nous exposons les caractères intrinsèques d'authenticité que nous
fournit le livre des Psaumes lui-racme.
12 DU LIVRE DES PSAUMES.
les Grecs et les Hébreux se trouvent d'accord pour le nu-
méro des trois derniers psaumes cxlviii, cxlix et cl.
La Vulgate, faite sur la version d'Alexandrie, donne
aux psaumes le même ordre numérique que cette ver-
sion grecque.
ARTICLE III.
De V auteur des psaumes.
La question de l'auteur des psaumes est d'une très-
grande difficulté; aussi a-t-elle fait naître parmi les inter-
prètes, tant anciens que modernes, des sentimens dia-
métralement opposés. La hardiesse et la témérité de la
nouvelle exégèse n'a pas peu contribué à l'embarrasser
davantage. L'opinion des auteurs duTalmud, aussi bien
que celle de la plupart des pères de l'Eglise , considère
David comme le seul et unique auteur des psaumes.
Il est vrai qu'autrefois un grand nombre de critiques
croyaient avec saint Augustin , saint Chrysostome , saint
Ambroise, Cassiodore, Théodoret, etc.(l), que tous les
psaumes étaient de David, et quePhilastre n'hésita pas à
déclarer hérétiques ceux qui osaient en douter (2) ; mais
aujourd'hui tous les critiques conviennent que ces poè-
mes sacrés ne sont pas uniquement du roi-prophète. Nous
citerons parmi eux Simon de Muis, Bossuet, D. Calmet,
Smith , Jahn , Brentanno , etc. (3). a Nous savons , écri-
(1) August. de Civil. Dei, lib. xvii, c. xiv. Ghrys. in Ps.L. Ambr.
Pnef. in Ps. i. Theod. ibicL Cassiod. Pyol. in Ps.
(2) Philastrius, Hœr. cxxvi.
(3) De Muis, Commeniarius lilter. et iiistor. Ps. Lxxiii, lxxviii,
cxxxvi, etc. Loven. 1770- Bossuet, Dissert, de Psalmis, cap. vi.
Calmet, Dissert. sur les auteurs des Psaumes. Suiith, Psalterium,
DU LIVRE DES PSAUMES. 13
vait déjà de son temps saint Jérôme , nous savons que
ceux-là sont dans l'erreur qui regardent David comme
auteur de tous les psaumes (1) . )) Ce sentiment était aussi
celui d'Origène , de saint Hilaire, d'Eusèbe de Césarée,
de l'auteur de la Synopse, etc. (2). Ce dernier sentiment
est aussi celui qui nous a paru le plus probable. Ainsi
nous pensons qu'on doit généralement attribuer les
psaumes aux écrivains sacrés dont ils portent le nom
dans l'inscription, à moins qu'il n'y ait dans le psaume
même quelque particularité qui ne puisse absolument
pas se concilier avec le titre. Car il est hors de toute es-
pèce de doute qu'il vaut mieux abandonner le titre d'un
psaume que d'en contredire formellement le contenu.
Cependant nous n'oserions pas admettre la règle don-
née par les rabbins, quoiqu'elle ait la sanction de
saint Hilaire et de saint Jérôme , règle qui consiste à at-
tribuer les psaumes anonymes à l'auteur dont le nom
est en tête du psaume qui précède immédiatement. Car
s'il en était ainsi, les dix psaumes qui suivent immédia-
tement le Lxxxix (Hebr. xc) devraient être de Moïse ,
puisque celui-ci porte son nom . Or, cette supposition
n'est pas admissible : car dans le xcviii (Hebr. xcix)il
est parlé de Samuel , qui a vécu si long-temps après
Moïse. l\ est vrai que saint Hilaire et saint Jérôme pré-
tendent que Moïse a nommé Samuel par esprit prophé-
tique, mais comme on ne doit pas recourir à la suppo-
sition d'une prophétie sans nécessité , il faudrait avoir
Prolegom. w<^222, etc. Jahn, Introd. § clxyi, çtc. Brentanno, Einlei-
îung in die Psalmen, § m.
(1) Hicron. Epist. cxxxiv, ad Cyprian,
(5) Hilar. Prolcg. Psalm. Euseb. Prœf. in Ps. Synopsis, t. il,
Ope)'. S. Alhanasii.
14 DU LIVRE DÉS PSAUMES.
montré par des raisons incontestables la vérité de la rè-
gle dont il s'agit : ce qu'il est impossible de faire , car
elle n'a d'autre autorité que celle des Juifs , et encore
ceux-ci ne l'admettent-ils pas unanimement. La para-
phrase chaldaïque n'attribue pas à Moïse au moins tout
le psaume xc, et Aben-Ezra doute que le xci soit de ce
saint législateur. Il est presque inutile de faire observer
que si l'on nomme quelquefois et si l'on intitule la collec-
tion des psaumes Psautier de David, ce n'est pas qu'on
reconnaisse pour cela que toutes ces hymnes sacrées
soient de lui , mais seulement parce qu'il en a composé
la plus grande partie. Mais si nous admettons que tous
les psaumes ne sont pas de David, nous repoussons en
même temps l'opinion qui a prévalu parmi les critiques
allemands , que David n'est l'auteur que de soixante-dix
tout au plus. Car dans cette opinion la presque majeure
partie des psaumes ne serait pas de ce roi prophète , ce
qui est contraire au sentiment de l'Eglise judaïque et
chrétienne, qui a toujours cru que David était le principal
auteur du Psautier. Nous croyons de plus qu'il faut at-
tribuer à David non seulement la plupart de ceux
qui portent son nom, mais encore un grand nombre d'a-
nonymes ; d'autant plus que les écrivains du Nouveau-
Testament rapportent à ce prince plusieurs de ces can-
tiques qui pourtant dans le texte hébreu ne portent en
tête aucun nom d'auteur. Tels sont entre autres le ii et
le xciv. Nous avouons sans peine que saint Pierre
dans les Actes , Origène , saint Hilaire , saint Grégoire
de Nazianze, saint Cyrille de Jérusalem, le concile de
Laodicée, saint Epiphane, saint Jérôme et Innocent P%
au lieu d'appeler le Psautier les Psaumes de David, di-
sent simplement le livre des Psaumes, mais plusieurs an-
DU LIVUE DES PSAUMES. 15
ciens canons des livres saints attribuent tout le Psau-
tier à David , et l'appellent Psalteriam Davidicum, ou
Psalmos Davidis. Cette dénomination se trouve dans le
catalogue de Méliton, de l'auteur de laSynopse attribuée
à saint Athanase , de saint Augustin , du concile de Car-
tilage et même du saint concile de Trente. Enfin saint
Jérôme dans son Proîogus galeatus, donne au Psautier
cette même dénomination , qui certes ne peut être juste
et vraie qu'autant que David a composé la plus grande
partie des psaumes.
Les critiques allemands enlèvent encore sans motif
aux auteurs désignés dans les titres plusieurs de leurs
psaumes. Il leur suffit d'une circonstance des temps fu-
turs pour renvoyer la composition de ces hymnes sacrées
aune époque très-reculée. Ainsi Asaph, Eman,Ethan,
n'auraient, selon eux, composé aucun des psaumes de
notre collection , ce qui est opposé au sentiment des
Juifs aussi bien qu'à l'authenticité des titres, qu'ils font
néanmoins profession de respecter.
Quoique nous admettions également que quelques
psaumes aient été composés dans le temps de la capti-
vité , nous croyons qu'on n'est nullement en droit de
refuser à David et à des prophètes ses contemporains
tous ceux qui se rapportent à la captivité. Quelle raison
en effet peut-on avoir de douter que Dieu ait pu révé-
ler à David ce grand événement , comme il l'a révélé à
Moïse dans les derniers chapitres du Deutéronome et à
plusieurs autres prophètes ?
Enfin on doit regarder comme inadmissible la sup-
position que plusieurs psaumes ne remontent que jus-
qu'au temps des Machabées , ainsi que le prétend Ber-
tholdt dans son Introduction. Cette assertion aussi fausse
16 DU LIVRE DES PSAUMES.
qu'étrange se trouve contredite par des auteurs dont
la hardiesse en matière de critique est assez connue.
Jahn , Eichhorn et De Wette lui-même assurent que le
canon des Écritures devait être déjà clos à cette époque.
Non seulement les preuves extrinsèques sont en oppo-
sition formelle avec cette opinion , mais encore tous les
caractères intrinsèques de ces psaumes, qu'on veut ra-
baisser jusqu'au siècle des Machabées et qu'on nomme
en conséquence psaumes machabaïques y montrent jus-
qu'à l'évidence aux yeux des critiques sans prévention
qu'ils appartiennent à une époque bien antérieure. Au
reste, cette opinion a singulièrement perdu de son crédit
depuis queGesenius et surtout Hassler l'ont combattue ;
on peut même dire qu'elle est aujourd'hui tout-à-fait
abandonnée.
ARTICLE IV.
De la divinité du livre des Psaumes.
Il faut bien distinguer l'opinion des rabbins qui n'ont
pas voulu classer les psaumes parmi les livres prophé-
tiques , de celle des rationalistes modernes et de quel-
ques sectes anciennes d'hérétiques , tels que les nico-
laïtes , les gnostiques et les manichéens, au rapport de
Philastre (Hseres. lxxviii), qui refusent à ces écrits
toute inspiration divine; les rabbins en effet n'ont ja-
mais douté que les psaumes nefussentunlivre véritable-
ment inspiré de Dieu (1). Aussi n'est-ce pas contre eux
qu'est dirigée la proposition suivante, dont l'énoncé ex-
prime une des vérités contenues dans le symbole catho-
lique .
(1) Voy. R. Simon, Hisl. ail. du V. T. l. i, ch. ix.
DU LIVRÉ DES PSAUMES. 17
PROPOSITION.
Le livre des Psaumes est un livre divin.
1 . La synagogue et l'Eglise chrétienne ont regardé de
tout temps le recueil des cent cinquante psaumes qui
composent le Psautier, comme un ouvrage divin et ins-
piré par l'Esprit saint ; et c'est à ce titre qu'il a été in-
séré dans tous les catalogues des divines Ecritures,
même les plus anciens. Les écrivains de l'Ancien et du
Nouveau-Testament ont aussi rendu hommage à l'auto-
rité divine du livre des Psaumes. Nous aurions trop à
citer, si nous voulions rapporter leurs témoignages,
d'autant plus qu'il suffit de jeter les yeux sur les con-
cordances de la Bible, pour voir qu'en effet presque
tous les auteurs sacrés, prophètes comme historiens,
qui ont écrit depuis la composition des psaumes, en ont
cité quelquefois même textuellement des passages, et
qu'ils ont fait des allusions manifestes à un grand nom-
bre d'autres. Qu'il nous suffise de rapporter quelques
mots tirés de l'auteur de l'Ecclésiastique : Dans toutes
ses œuvres, David a rendu des actions de grâces au Saint,
et il a béni le Très-Haut par des paroles pleines de sa
gloire. Il a loué le Seigneur de tout son cœur, etc. (xLVii,
9,'10). Nous dirons de même des écrivains du Nouveau-
Testament ; ils allèguent continuellement les Psaumes
pour confirmer les doctrines qu'ils veulent établir, et
en les alléguant, ils leur donnent toujours des titres
qu'on ne donne qu'aux livres divinement inspirés, ou s'ils
ne les citent pas nommément, ils en emploient le texte,
en leur supposant évidemment une autorité divine ; et
pour nous borner à un petit nombre d'exemples, nous si-
18 DU LIVRE DES PSAUMES.
gnalerons Matth. xiii; 35 ; xxvii, 35. Act. i, 16, 10, 20 ;
XV, 8, 29-31. Rom. m, h-ih; iv, 6,7.Hebr. i, 5-1/t.
1 Petr.11,6; m, 10. Enfin Jésus-Ghrist lui-même, ci-
tant le psaume cix, 1, atteste que l'Esprit saint parlait
par la bouche de David : Quomodo ergo David in spi-
ritu vocat eum Dominum ( Matth. xxii, 43 ) ?
2. Les caractères intrinsèques du livre lui-même ré-
pondent d'une manière admirable à l'idée que nous en
donnent les témoignages si imposans et si nombreux
que nous venons de rapporter ; et ici nous ne saurions
mieux faire que de répéter les paroles mêmes que nous
lisons dans la Bible de Vence (1), paroles qui sont un ré-
sumé parfait de ce que nous avons lu dans saint Chry-
sostome, saint Basile, saint Ambroise, saint Augustin et
Bossuet sur cette matière. La doctrine que les psaumes
contiennent est très-sublime, très-pure et toute divine ;
il n'y a que l'esprit de Dieu qui ait pu faire parler
un prophète d'une manière si relevée de la Divinité et
de toutes les perfections de l'Être infiniment parfait.
Tout ce qui regarde la morale et la conduite de la vie
répond à la pureté de la doctrine touchant la sainteté
et la nature de Dieu. Nous apprenons dans les psau-
mes que Dieu est présent en tout lieu, et que nous
devons respecter parti;; t sa divine présence; nous y
voyons qu'il n'est point renfermé dans les temples ma-
tériels ; qu'il ne doit pas être honoré par des sacrifices
extérieurs des animaux qu'on immole, mais bien plutôt
par un culte intérieur, et qu'il demande surtout un cœur
simple et innocent. On nous enseigne dans ce livre tout
(1) Préf. sur h livra des Psaumes, Art. Authenùcilé ou canonicité
des Psaumes.
DU LIVRE DES PSAUMES. 19
divin, qu'il faut aimer Dieu et le louer sans cesse, s'at-
tacher à ses commanclemens, observer sa loi, en faire
le sujet continuel de nos méditations, pour en recon-
naître et en admirer les beautés et les merveilles qui y
sont renfermées ; ce sont ses préceptes que l'on doit pré-
férer à l'or, au topaze et à toutes les choses les plus pré-
cieuses. Tous ceux qui lisent ces cantiques sacrés sont
exhortés à mettre toute leur confiance dans le Seigneur,
à n'attendre de secours que de lui seul, à ne rien espé-
rer des hommes qui paraissent les plus élevés et les plus
puissans, et qui ne peuvent nous sauver ni nous déli-
vrer de nos maux. Le prophète fait encore voir la va-
nité des biens de ce monde qui passent en un moment,
et qui ne méritent en aucun sens que nous nous y atta-
chions. Tantôt il exhorte à la patience et à la résigna-
tion aux volontés de Dieu, dont nous devons attendre
toute notre consolation , et tantôt il s'attache à inspi-
rer des sentimens de courage et de confiance qui sont
fondés sur la puissance et la miséricorde du Seigneur.
Pour ce quiregarde nos devoirs envers le prochain, rien
n'est plus pur que la morale des Psaumes ; nous y trou-
vons que l'on ne doit jamais tromper personne ; qu'il faut
être véritable dans toutes ses paroles et n'user jamais de
fraude ; qu'il faut rendre à chacun ce qui lui appartient,
exercer la justice, se déclarer pour l'innocence, sans
aucune distinction des personnes, protéger la veuve et
l'orphelin, ne point ravir le bien du prochain, et ne
point lui prêter son argent à usure ; ne faire jamais de mal
à personne, pas même à ceux qui nous en font ou qui
tâchent de nous en faire ; aimer tellement la loi de Dieu,
qu'on ait le cœur penché vers ces témoignages des divins
commandemens et nullement vers l'avarice. Enfin on
20 DU LIVRE DES PSAUMES.
trouve tant de maximes de conduite et même de per-
fection dans les Psaumes, que saint Basile a cru que
David parlait des conseils qui nous conduisent à ce qu'il
y a déplus parfait, lorsqu'il disait à Dieu : Faites^ Sei-
gneur, que les sacrifices volontaires que ma bouche vous
offre vous soient agréables, et enseignez-moi vos juge-
mews(Ps. cxviii, 108).
Une autre preuve démonstrative de la divinité des
Psaumes, qui nous est fournie par le livre lui-môme, ce
sont les prophéties qu'il renferme ; car, quoi qu'en di-
sent les rationalistes' il faut renoncer aux lois les mieux
établies delà critique, de l'herméneutique et de l'exégèse
biblique, il faut torturer les sens les plus clairs des
phrases, répudier les significations les plus certaines des
mots du texte sacré, pour ne pas reconnaître qu'il y a
dans les Psaumes de véritables prédictions d'événemens
futurs. Ainsi ces cantiques sacrés renferment des pro-
phéties incontestables sur la destruction de Jérusalem
et la captivité de Babylone, sur la réprobation et le châ-
timent des Juifs , sur la vocation des Gentils à la con-
naissance du vrai Dieu. Ajoutons que dans les psaumes
II, XV, XXI, XLiv, Lxviii, Lxxi et plusieurs autres, le
royaume du Messie, sa naissance, sa prédication, ses
miracles, sa passion, sarésurrection, son ascension, l'éta-
blissement etles progrès merveilleux de son Eglise, sont
si clairement annoncés et prédits, qu'il semble que l'au-
teur ait été plutôt un évangéliste qu'un prophète.
On oppose cependant quelques difficultés à la divi-
nité du livre des Psaumes; examinons les plus sail-
lantes.
DU LIVRE DES PSAUMES. 2J
Difficultés "proposées contre la divinité du livre des
Psaumes, et Réponses à ces difficultés.
Obj. 1° Le Psalmiste, disent les incrédules, montre
continuellement des sentimens de vengeance, lance des
malédictions et des imprécations contre ses ennemis ,
demande à Dieu de les punir, et de les faire périr avec
toute leur postérité. Or, des sentimens aussi opposés à
la vertu de douceur et de charité n'ont pas pu être ins-
pirés par l'Esprit saint.
Rép. Cette difficulté est beaucoup plus spécieuse que
solide. Nous avons plus d'une raison à y opposer : 1° on
n'a aucun motif d'affirmer que ces imprécations vien-
nent d'un esprit de haine et de vengeance. Si David,
dans les psaumes duquel se trouvent plus ordinaire-
ment ces imprécations , eût été un homme haineux ,
emporté et vindicatif, on aurait quelque droit de le sup-
poser ; mais ce prince ayant été si doux et si élevé au-
dessus des sentimens de la vengeance , qu'il épargne
Saûl qui machinait sa perte, qu'il venge et pleure amè-
rement sa mort , qu'il venge aussi celle d'Isboseth , et
recherche dans tout Israël quelqu'un de la famille de ce
prince, son ennemi déclaré, pour le combler de bienfaits,
et qu'il pardonne généreusement à Séméi, qui l'avait ou-
tragé de la manière la plus atroce, on a toute raison de
penser que ces imprécations ne procédaient point d'un es-
prit de vengeance, mais d'un grand zèle pour la gloire de
Dieu , que ses ennemis outrageaient. Nous en avons une
preuve incontestable dans ces deux passages des Psau-
mes mêmes: « Seigneur, n'ai-je pas haï ceux qui vous haïs-
saient, et ne séchai-je pas de chagrin en voyant vos enne-
mis? Je les haïssais d'une haine mortelle (Ps.cxxxviii,
22 DU LIVRE DES PSAUMES.
21.) ...Si j'ai rendu le mal à ceux qui m'en avaient fait,
je veux succomber sous mes ennemis, et me voir frustré
de toute espérance. Que l'ennemi poursuive mon âme et
s'en rende maître, qu'il me foule aux pieds sur la terre ,
en m'arrachant la vie (Ps. vu, 6). » — 2° Plusieurs
interprètes répondent , avec saint Chrysostome et saint
Augustin , que ces imprécations ne sont pas réelles ;
mais qu'elles n'expriment que de simples prophéties
énoncées dans la forme imprécatoire, et nous croyons
aussi nous-même que quelques-unes au moins peu-
vent s'expliquer de cette manière (1). Un cœur si bon,
une âme aussi généreuse, ne peut avoir formé ces désirs
de vengeance ; c'est une prédiction que lui suggère
l'Esprit saint dont il est animé; le même Dieu qui l'as-
sociera un jour à son jugement veut bien avancer à son
égard l'exercice de ce pouvoir , en le chargeant d'an-
noncer de sa part les arrêts de sa justice contre les mé-
chans. — 3° Plusieurs de ces imprécations ne sont que
conditionnelles , et ne renferment le souhait d'un mal
qu'autant que le coupable ne se corrigera pas , mais
qu'il persévérera dans son iniquité ; — 4-° les maux que
paraît souhaiter le Psalmiste n'ont pas précisément pour
objet la ruine personnelle du pécheur, mais se rappor-
tent quelquefois à sa propre correction : Impie facie$
eorum ignominia , et quœrent nomen tuum. Domine.
D'autres fois, elles se rapportent au bien général de la
religion et de la société. Le prophète, brûlant de zèle
pour la gloire de Dieu, craignait que si la prospérité et
les persécutions des méchans persévéraient, les justes
ne fussent découragés , l'honneur de Dieu ne fût com-
(1) Voy. le Commentaire de Dereser sur le ps. cix selon l'hébretl.
DU LIVRE DES PSAUMES. 23
promis et la religion ne souffrît un notable dommage (1).
Il demande donc à Dieu que par sa puissance il veuille
bien réprimer les efforts des méchans. Or, c'est ce que
l'Eglise chrétienne demande elle-même, quand elle prie
contre ses persécuteurs et quand elle ordonne des prières
contre les ennemis de l'état. Il faut encore bien remar-
quer que les ennemis de David ne s'attaquaient pas à
sa personne individuelle, mais à Jéhova, qui l'avait
établi roi dans sa théocratie, et dont il était le vice-gé-
rant, et à tout le peuple juif dont il était le chef. Ainsi,
sans faire attention à ses injures particulières, qu'il était
disposé à pardonner , il considérait dans ses persécu-
tions l'honneur de Dieu, dont il tenait la place, et le bien
de l'état dont il était le roi. Ainsi, ce n'était pas par le
sentiment d'une vengeance particulière, mais par le zèle
de la gloire de Dieu, qu'il désirait l'humiliation et l'ex-
termination de ses ennemis. — 5° Enfin, le prophète ne
parle pas en son nom propre, mais au nom de Dieu qui
l'inspire et dont il est l'organe. Or, répugne-t-il aux at-
tributs de Dieu qu'il souhaite de tirer vengeance de
tout homme qui refuse opiniâtrement de se soumettre à
sa volonté? Ce désir n'est-il pas lié avec l'amour de l'or-
dre et de la justice dont il ne saurait se départir? Mais
si ces sentimens peuvent se supposer en Dieu, pourquoi
paraîtraient-ils choquans dans celui qui n'est que son
interprète, qui ne fait que déclarer au dehors ce qu'il
lui révèle lui-même au dedans? N'oublions pas que les
saints prophètes entrent dans les sentimens de Dieu
même. Plus ils sont remplis de son amour, plus ils haïs-
(1) Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les prophéties de Malachie
pour voir combien cette réflexion est fondée.
24 DU LIVRE DES PSAUMES.
sent et détestent les crimes qui attaquent sa sainteté in-
finie ; et Dieu leur découvrant par sa lumière divine
l'endurcissement et l'impénitence des médians , et la
résolution infiniment juste où il est de les punir , ils
entrent dans les sentimens de sa justice vengeresse, ils
les approuvent et désirent la punition des coupables ;
mais ils la désirent comme Dieu lui-même, c'est-à-dire
sans passion, sans mouvement de haine, sans emporte-
ment de colère , par le seul amour de l'ordre et de la
justice éternelle. Au reste, il faut encore se rappeler
que ces imprécations sont exprimées dans un style poé-
tique , style beaucoup plus véhément et plus hyperboli-
que chez les Orientaux qu'il ne l'est parmi nous , dont
l'imagination infiniment plus froide et plus calme ne se
permet pas toutes ces exagérations .
Obj. 2° On ne peut raisonnablement point accorder
le don de l'inspiration divine à un écrivain qui montre
peu de foi à la vie future. Or, c'est précisément le cas
du Psalmiste, qui dit d'une manière assez expresse, qu'on
ne se souvient point de Dieu après la mort , qu'on ne
le loue point dans le tombeau , et qu'il n'y a que ceux
qui sont vivans qui puissent célébrer son nom. Non est
in morte qui memor sit tuî; ininferno autém quis con-
fitebitur tibi (vi, 6)? Non mortui laudabunt te, DominCf
neque omnes qui descendunt in i^ifernum : sed nos qui
viviiniiSy benedicimus Domino (cxiii, 17, 18.)
Rép. Il n'est pas plus difficile de répondre à cette ob-
jection qu'à la précédente : 1° il est incontestable que
le prophète n'a ni pu ni voulu par ces paroles expri-
mer un doute sur l'immortalité de l'âme, admise de tout
temps par les Juifs , et dont il y a des vestiges évidens
dans le Pentateuque même. Gomment se persuader, en
DU LIVRE DES PSAUMES. 25
effet, que David inspiré de Dieu, David qui avait des
vues si grandes et si parfaites de la Divinité, ait pu
méconnaître un dogme en quelque sorte populaire , et
admis par les nations les plus barbares , un dogme qui
est une conséquence si nécessaire de la nature morale
de l'homme et des attributs divins? Et quoique sous
l'économie mosaïque la voie des saints n'eût pas été
encore clairement manifestée, et que ce dût être le pri-
vilège de la dispensation évangélique d'amener à une
pleine lumière la vie et l'immortalité, cachées sous les
ombres de la loi ; cependant nous trouvons dans ces
divins cantiques eux-mêmes des preuves assez mani-
festes de cette vision de Dieu , de cette manifestation
de la gloire céleste qui doit rassasier tous nos désirs :
Satiahor cum apparuerit gloria tua; inehriahuntur ah
ubertate domûs tuœ , torrente voluptatis tiiœ potabis
eos; quia in lumine tuo videbimus lumen; paroles trop
magnifiques pour être restreintes au faible bonheur que
nous pouvons goûter dans cette vie, et qu'il faut néces-
sairement interpréter de la vie future . — 2° David ne pré-
tend pas que les âmes séparéesdes corps n'existent point
ni qu'elles soient incapables d'aucune pensée; mais il
dit tout au plus que dans le scheôl (1) elles ne peuvent
plus louer Dieu et célébrer son nom, comme autrefois
dans les assemblées publiques de religion. Le culte
qu'elles peuvent rendre à Dieu est tout intérieur, et ne
saurait plus servir à la manifestation des attributs di-
(1) Le scheôl (vlt^w^) est le lieu où les Hébreux supposaient que
lésâmes étaient réunies après la mort; c'est le seul sens dont ce
terme hébreu soit susceptible. Ainsi c'est tout-à-fait à tort que beau-
coup d'interprètes même catholiques le rendent quelquefois par
tombeau, sépulcre.
v. 2
26 DU LIVRE DES PSAUMES.
vins , à l'édification des vivans et à la correction des
impies. C'est dans ce sens que le Psalmiste dit que dans
la région des morts on ne loue plus Dieu, on ne célèbre
plus son nom comme pendant la vie, que l'exercice de
ce culte public qui honore Dieu aux yeux des vivans,
qui édifie les fidèles et corrige les méchans, est exclusi-
vement l'apanage de ceux qui vivent dans le monde
présent. Il faut encore remarquer que le mot zékér
(IDÎ)» qne la Yulgate a rendu dans le sens de memoria
(Ps. VI, 6) , ne signifie pas dans cet endroit un pur sou-
venir^ une simple pensée intérieurey mais une louange^
une confession imhlique du nom de DiEtJ (1) , sens qui
se trouve aussi exprimé dans le second membre du
même verset : In inferno quis confitebitur îihi ? — 3» C'est
se tromper d'une manière étrange que de croire que le
Psalmiste ne parle point des âmes des morts, mais bien des
morts tels qu'ils étaient sur la terre, c'est-à-dire com-
posés d'une âme et d'un corps ; or, dans ce sens, il est
vrai de dire que les morts considérés dans cet état de
leur intégrité naturelle , ne sont capables d'aucune
louange, puisque le corps, qui est l'organe du culte et
qui le manifeste par sa langue et ses mouvemens exté-
rieurs, n'existe plus dans sa forme primitive et est ré-
duit en poussière. Ainsi, ce n'est pas l'homme tout entier
qui loue, mais seulement une de ses parties ; ce qui suf-
fit pour vérifier les paroles du Psalmiste. — k" Enfin, on
peut encore répondre, que dans une loi toute figurative
il ne faut pas s'arrêter à la lettre qui tue , mais à l'es-
prit qui vivifie. Or, cette mort naturelle, ce tombeau
qui séparent les morts du saint temple et de l'assemblée
(1) Voy. Gesenius, Lexic, Iiebr. cJiald. pag. 302.
DU LlvnE DES PSAUMES. S7
des fidèles, ne sont que la figure d'une autre mort plus
terrible, que saint Jean appelle la seconde mort, et d'un
autre tombeau plus profond encore qui engloutit l'âme
et le corps, et sépare l'homme tout entier de la Jérusa-
lem céleste, ou du temple éternel des élus. Ainsi, le Psal-
miste portant son regard prophétique sur cette seconde
mort, et sur cet enfer qui en est la suite, a pu dire dans
toute vérité ; Non enim est in morte qui memor sit tuî,
et in inferno quis confitebitiir tihi (1) ?
ARTICLE V.
Bu caractère poétique des Psaumes.
Envisagés sous le rapport de l'élocution , les psaumes
sont un vrai chef-d'œuvife de poésie , dont n'approchè-
rent jamais les lyriques grecs et latins. Cette poésie est
si sublime, que Lowth ne craint pas de l'appeler divine.
Il serait difficile, en eiTet, d'imaginer une raison suffi-
sante de la sublimité et de l'enthousiasme de ces beaux
cantiques , autre que l'inspiration. Ce critique a dis-
tingue dans les psaumes des poèm.es de presque toutes
les espèces , des idylles, des élégies , des pièces didac-
tiques et morales , mais surtout des odes de tous les
genres et d'une grande perfection. Pour faire connaître
toutes les beautés poétiques dont est rempli le livre des
Psaumes , il faudrait les expliquer tous , puisqu'il n'en
est pas un seul qui n'étincelle de beautés de tous les
genres. Nous nous bornerons donc à faire remarquer
que le caractère principal de cette poésie inimitable
des psaumes consiste dans la sublimité des pensées et
(1) Voy. Bossuet, Dissert, de Psalmis, c. i, § x.
26 DD LIVRE DES PSAUMES.
des sentimens ; dans la richesse des descriptions et le
naturel des tableaux, dans la vivacité et la justesse des
métaphores et des comparaisons, dans la rapidité et
l'impétuosité des mouvemens, dans l'onction et la sua-
vité des sentimens. Les psaumes dans lesquels on re-
trouve surtout ces qualités sont les ii , viii , xvii ,
XVIII , XXI , XXII , XXIII , XXVIII, XLI, XLIV , XLIX,
LXIV, LXVII, LXXI, LXII, LXIII , LXXVI , LXXVIII ,
LXXIX, LXXXI, LXXXIII, LXXXIV, LXXXVIII,LXXXIX,
xc, xci, cxii, cxiii, cxv, cxvi , cxvii, cii, cm,
CVI, CXIII, CXVII, CXXI, CXXVII, CXXXII, CXXXVI,
CXXXVIII, CXLIII, CXLVII (1).
ARTICLE VI.
Des commentaires du livre des Psaumes.
Le nombre des commentaires sur les psaumes est in-
fini , comme l'a déjà remarqué D. Calmet dans son
Dictionnaire de la Bible ; la raison en est fort simple et
fort naturelle ; ce divin livre étant à la fois l'un des
monumens littéraires de l'Ancien-Testament les plus
beaux , les plus utiles , mais en même temps les plus
obscurs , a dû vivement exciter le zèle de tous les écri-
vains qui se sentaient capables d'y répandre quelque
lumière par une étude approfondie et un travail assidu.
Voici les principaux.
(1) On peut voir encore, pour ce qui regarde l'élocution poétique
des Psaumes, la préface de Bossuel sur les Psaumes ; le discours de
Fleury sur la poésie des Hébreux, et le traité de la poésie sacrée des
Hébreux, par R. Lowth.
DU LIVRE DES PSAUMES- 29
§ I. Des commentateurs catholiques.
1 . La plupart des commentaires faits par les pères
de l'Église ne sont que sur un petit nombre de psaumes.
Origène avait sans doute commenté tous ces saints
cantiques , mais il ne nous est parvenu 'que quelques
fragmens qu'on trouve dans les dernières éditions des
œuvres de ce savant père. — Eusèbe de Gésarée a aussi
écrit un commentaire , dans lequel il donne des notes
critiques sur l'ordre des psaumes , en y joignant une
explication littérale assez heureuse , et des allégories
qui sont naturelles. Le P. de Montfaucon a publié les
cent dix-neuf premiers psaumes qu'il a découverts, avec
une traduction latine, à Paris, en 1706, dans le tome i
de sa nouvelle collection des Pères grecs. — Saint Basile
a commenté quinze psaumes seulement, quoiqu'on lui
ait attribué un commentaire sur les cent cinquante, com-
mentaire qui n'est qu'une compilation de divers extraits
tirés de saint Ghrysostome et de Théodoret. — Nous
n'avons qu'une partie des commentaires de saint Ghry-
sostome; l'éloquent docteur commence par fixer le sens
littéral, pour en tirer ensuite une moralité sur laquelle
il insiste comme sur son objet principal, sans négliger
pourtant un travail de critique très-important, celui Je
rapporter les variantes d'Aquila , de Théodotion , de
Symmaque , et des autres versions contenues dans les
Hexaples. Ges variantes n'ont pas peu servi à la collec-
tion des fragmens des Hexaples faite par le P. de
Montfaucon. — Le commentaire de Théodoret semble
surpasser tous ceux qui ont été composés par les doc-
teurs de l'église grecque. Ce père a su distinguer, avec
30 DU LIVRE DES PSAUMES.
sa précision ordinaire et un tact admirable, ce qui ap-
partient au sens historique, de ce qui se rapporte à
Jésus-Christ et à son Eglise. —Une nous reste de
saint Hilaire que cinquante-huit psaumes expliqués :
comme Théodoret, il a su éviter le double écueil de ne
voir que le sens littéral et historique, ou de n'y trouver
qu'un sens spirituel et purement allégorique. — Saint
Ambroise , dans son explication de douze psaumes , est
plus moral que littéral ; il a beaucoup suivi la méthode
d'Origène. — Saint Augustin a composé sur tout le
Psautier un ouvrage fort étendu, dans lequel il ne s'ar-
rête presque pas au sens littéral. Ainsi, son commen-
taire, si on peut se servir de ce nom, n'est nullement
propre à éclaircir les passages obscurs des psaumes ,
mais il est très-propre à inspirer des sentimens de piété
à ceux qui ne cherchent qu'à s'édifier dans la lecture
de ces saints cantiques.
2. Nous ne citerons , après les pères , que quelques
interprètes des plus renommés qui ont paru depuis le
xvr siècle. Marc-Antoine Flaminius donna, en latin,
d'abord une paraphrase sur trente-deux psaumes , Ve-
nise, 1538, in- 8°; puis une courte explanation avec une
paraphrase et des notes sur tous les psaumes , qui ont
été imprimées quatorze fois au moins. La dernière édi-
tion est de Lyon, 1576, in-8°. Les deux ouvrages ont
paru ensemble à Paris, en 15^9, in-8°. La piété, le
jugement exquis, et l'élégance du style, s'y font remar-
quer.— Jean-Baptiste Folengio, moine du Mont-Cassin,
a laissé un commentaire latin, dans lequel il fait preuve
d'une grande piété et d'un profond savoir. Ce com-
mentaire, plein d'onction, de morale et de science ec-
clésiastique, a paru la dernière fois à Cologne, en 1594,
DU LIVRE DES PSAUMES. 31
in-fol . — Corneille Jansénius, premier évêque de Gand,
a écrit une paraphrase, Louvain, 1569, in-i«, et Lyon,
1C92, quatrième édition; et des annotations, dont la
sixième édition, Bruxelles, 1692, in-fol., est beaucoup
augmentée. L'auteur suit souvent le texte hébreu ; mais
il rapporte aussi la version grecque , et expose le sens
littéral, historique et prophétique. — Gilbert Géné-
brard a publié : Psalmi DavidiSy variis caïendariis et
commentariis , geniiinum sensum et hebraismos ape-
rientibus instructi. Cet ouvrage a été souvent retouché
par l'auteur. La meilleure édition est la quatrième ;
Paris , 1588 , in-fol. On a justement reproché à Géné-
brard d'être sorti des bornes d'une juste critique , en
défendantla version des Septante. — Le commentaire de
Bellarmin, écrit en latin, est plein de piété et d'onction ;
l'auteur s'est beaucoup servi de celui de Génébrard , il
explique assez bien le sens littéral , et rapporte les dif-
férences de l'hébreu et des anciennes versions ; mais
comme il n'était que médiocrement versé dans la langue
hébraïque, il s'est mépris quelquefois sur le vrai sens,
soit des mots, soit des phrases. — Antoine Agellius est
auteur d'un excellent commentaire sur les psaumes , et
l'un des plus propres à bien faire comprendre laVulgate,
dont il détermine le sens par le texte des Septante, en
expliquant celui-ci par les pères grecs , et surtout par
les interprétations des anciens auteurs grecs qu'il a re-
cueillies dans les chaînes. Après ce premier travail,
Agellius s'attache à fixer le vrai sens des Septante en les
rapprochant de l'hébreu.- — Jean Lorin et Siméon de
Muis , dont nous avons déjà parlé (tome m, pag. 141,
li3) , ont aussi écrit sur les Psaumes, le premier dans
où il explique la valeur des mots
|t DU LIVRE DES PSAUMES.
hébreux , et traite diverses questions dogmatiques et
morales , et dont les deux dernières éditions sont de
Mayence, 1678, et de Venise, 1710, 3 vol. in-fol.; et
le dernier tant dans son : Commentarius liter. et hist.
in quinquagintapsalmos Davidis prioreSy Pansm,1625,
in-8° ; que dans son Commentarius in omnes psalmos
et selecta Vet. Test, cantica cum versione nova ex he-
brœoy Paris. 1630, in-fol. Dans ces deux ouvrages, le
savant interprète s'attache presque e5:clusivement aux
rabbins, dans l'étude desquels il était très-versé. — Jean
Price (Pricseus) a fait des notes qui annoncent une
grande érudition et beaucoup de jugement ; on les trouve
à la fin du tome v des Grands Critiques ; mais elles ont
été publiées séparément à Paris, en 16^7, in-8^ — Louis
Ferrand , avocat au parlement de Paris , nous a laissé
un commentaire latin avec des prolégomènes, des ar-
gumens, une paraphrase et des notes, Paris, 1683,
in-4°. La paraphrase a été traduite en français , et pu-
bliée par François Macé à Paris, en 1687, in-8o. Le
commentaire de Ferrand, quoique ne méritant pas une
des premières places parmi les ouvrages de ce genre ,
et malgré qne l'auteur embrasse souvent des opinions
surannées, renferme de bonnes choses, dont les inter-
prètes plus récens ont beaucoup profité sans toutefois
citer le nom de ce critique. — Les écrits de Bossuet sur
les Psaumes sont trop connus, pour que nous ayons à
nous étendre sur leur mérite ; qu'il nous suffise de
dire que son génie a suppléé en bien des endroits à la
connaissance des langues bibliques , sans lesquelles il
est impossible naturellement de faire un commentaire
qui trouve absolument grâce aux yeux d'une rigoureuse
critique. Ajoutons qu'avec le secours de ces langues,
DU LIVRE DES PSAUMES. 33
l'œil d'aigle de Bossuet aurait aperçu dans les psaumes
des lumières vives et abondantes , que les exégètes les
plus vantés de l'Allemagne n'y ont pas même soup-
çonnées.— Le commentaire de François Bellanger, doc-
teur de Sorbonne, est presque indispensable pour toutes
les personnes qui veulent entendre la Vulgate, si obs-
cure dans une multitude de passages , sans avoir fait
auparavant une étude approfondie des matières bibli-
ques. L'abrégé, composé par l'auteur lui-même, ren-
ferme ce qu'il y a de plus important et de plus utile dans
son grand ouvrage. — Quant au travail du P. Bertliier,
jésuite, sur les Psaumes, nous nous bornerons à faire
remarquer que ses réflexions morales sont très-édi-
fiantes, mais que ses notes n'ont pas plus de valeur cri-
tique que celles qu'il a faites sur Isaïe , et dont nous
avons parlé plus haut (page 139).
3. Dans ces derniers temps , il a paru plusieurs tra-
ductions françaises des Psaumes-, composées par des
auteurs catholiques. Nous croyons devoir faire connaître
les suivantes : Le livre des Psaumes traduit en français
sur le texte hébreu, avec des remarques, par l'abbé Da-
nicourt, vicaire-général du diocèse de Tours, ouvrage
posthume. Paris, 1826, in-8°. La traduction est sans con-
tredit la meilleure qui ait jamais été faite en français sur
l'hébreu. Le style noble et poétique, et dans lequel le pa-
rallélisme se trouve observé, autant que le permet notre
langue, est tout-à-fait digne de l'original. Ajoutons que
l'habile traducteur fait saisir, avec un talent merveil-
leux, l'enchaînement des idées du poète sacré. La tra-
duction est suivie de remarques et de conjectures dans
lesquelles l'abbé Danicourt fait preuve d'une étude ap-
profondie de la langue hébraïque , mais surtout d'un
2.
34 DU LIvr.E DES PSAUMES.
goût , d'une finesse et d'une sagacité qui l'ont amené à
découvrir (du moins à notre avis) le vrai sens d'un
certain nombre de passages dont l'explication ordi-
naire ne satisfait nullement un critique instruit et sévère.
— Die Psalmen Davidis metrisch nach dem Parallelis-
mus ans dem Eehraïschen treu ins Deutsche iibersetzt ,
von. Fr. W. Goldwitzer. Sulzhach, 1827, in-8^ Quoique
le titre n'en fasse pas mention, cette traduction est ac-
compagnée d'excellentes notes grammaticales , qui di-
sent beaucoup de choses en très-peu de mots, et pré-
cédée de remarques générales sur le nom, la division,
l'ordre , les titres , le contenu et l'utilité des psaumes ;
enfin , sur les principaux ouvrages composés sur les
psaumes, depuis le xvP siècle inclusivement. — Le livre
des Psaumes en vers français d'après le texte hébreu, avec
le texte de laVulgate en regard et annoté, par Alexandre
Guillemin. Paris, 1838, in-12. M. Guillemin avait déjà
publié, en 1833, Les Chants sacrés, on Psaumes, Hym-
nes et Cantiques, qui lui ont mérité un bref de sa sainteté
Grégoire XVI , puissant encouragement pour un écri-
vain catholique, tel que notre traducteur. Dans sa ver-
sion, M. Guillemin a suivi d'aussi près qu'il l'a pu la
lettre du texte sacré , et il faut convenir qu'il était dif-
ficile de s'en rapprocher davantage sans devenir obscur,
ou violer les règles si sévères de notre langue. Quelques
notes , ménagées toujours fort à propos , font sentir la
différence de la Vulgate avec l'hébreu. Le traducteur a
fait un grand usage de la version latine de Rosenmûller,
dont le nom se trouve souvent, en effet, dans ses anno-
tations. — La traduction nouvelle de M. H . Laurens est
d'un beau style ; les notes (malheureusement trop clair-
semées) et l'argument qui est en tête do chaque psaume,
BU LIVRE DES PSAUMES. 35
annoncent beaucoup de goût et de critique. Le dis-
cours préliminaire présente un résumé clair , précis ,
et surtout fort judicieux, des principales questions agi-
tées sur les psaumes . M. Laurens a, comme dans Job
(voy. tom. III, pag. 482), généralement suivi la tra-
duction latine de Rosenmùller, excepté toutefois dans
les passages où elle ne fait qu'exprimer les opinions
hardies et erronées de l'auteur allemand.
§ II. Des commentateurs protestans et juifs.
1 . D. Martin Geier a fait sur les Psaumes un commen-
taire assez estimé, mais fort diffus. Ce commentaire a eu
plusieurs éditions ; les dernières sont de Dresde, 1668,
2 vol. in-4-°, et 1790, in-fol. On le trouve encore dans
le recueil des œuvres de ce ministre luthérien , pu-
bliées à Amsterdam , 1695 , en 3 vol. in-fol. — Henri
Hammond, anglais arminien , a donné une paraphrase
et des annotations en anglais, qui ont paru à Londres
en 1659 , in-fol ; et dans ses œuvres complètes , Lon-
dres, 168i, k- vol. in-fol. Ses commentaires sont pleins
d'érudition et d'une grande finesse d'esprit, mais ils
sont empreints de l'esprit de la secte à laquelle Ham-
mond appartenait. — Henri Ainsworth, luthérien, a fait
sur les Psaumes des notes en anglais , qui ont été im-
primées à Londres en 1639, avec celles qu'il a compo-
sées sur le Pentateuque et les cantiques, dans la collec-
tion de ses ouvrages, et séparément dans la même ville
en 1612, 1617, in-4°. — André Rivet n'a commenté que
douze psaumes prophétiques , Rotterdam, 16i7, in-4%
et il a écrit des méditations sur les psaumes de la péni-
tence , Arnheim, 1638, in-4°. Ces deux ouvrages se trou-
36 DU LIVRE DES PSAUMES.
vent dans le Recueil de ses œuvres, Rotterdam, 1651,
1660, 3 vol. in-fol. — Jean le Cock ( Cocceius) a écrit un
grand commentaire, imprimé à Leyde en 1660, in-fol.
Il a encore donné , dans ses Anecdotes philologiques ,
une analyse des Psaumes avec une préface , dans la-
quelle il montre l'usage et la nécessité des oracles de
r Ancien-Testament , et l'excellence du livre des Psau-
mes.— ^ Moïse Amyraut [Àmyraldus) est auteur d'un
travail qui a paru à Saumur en 1662, et à Utrecht, 1769,
in-^-^, sous le titre de : Paraphrasis in psalmos Davidis,
unacum annotationibus et argiimentis. — Erasme Ru-
dinger, luthérien, a écrit une paraphrase et des scho-
lies en latin sur les cinq livres des Psaumes. L'auteur
a joint à ce travail une lettre dans laquelle il propose ses
conjectures sur l'ordre et le rang que devrait tenir cha-
que psaume dans le recueil que nous avons. Cet ou-
vrage a paru à Gorlitz en 1580, in-S". — Salomon van
Til est auteur d'un commentaire , dans lequel il ex-
pose d'une manière claire et savante le titre de chaque
psaume , avec quelques observations préliminaires ; il
donne ensuite une analyse détaillée du psaume , qu'il
explique fort au long ; puis il examine si le psaume est
prophétique et s'il a eu son accomplissement ; enfin , il
en montre l'usage et l'application. Cet ouvrage, qui dé-
cèle partout le soin le plus scrupuleux de la part de son
auteur, a été écrit en flamand, et publié à Dordrechtl'an
1693 , en 3 vol. in-i** ; puis traduit et imprimé en alle-
mand à Francfort, 1697 , et à Leipzig en 1707, in-h-°. —
Herm.Venema, Commentar .in Psalm. LeowardioByVî&l'
1767, 6 vol. in-4°. — Th. Fr. Stange, Anticritica in locos
quosdam psalmorum à criticis sollicitatos. Lips. 1791,
ild^.^Philolog. Clavis uber das AU. Test. Die Psal-
DU LIVRE DES PSAUMES. 37
men vonB.. E. G. Paulus. Jen. ITOi. Heidelberg, 1815.
. — Commentar iiber die Psalmen von W. M. L. De
Wette. Eeidelberg, 1811, 1829. — G. Ph. Chr. Kaiser,
Zusammenhœng . histor. Erkiœrung der fiinf Psalmen-
Buch., ah National-Gesang-Buch. auf die Zeit von
David bis zu Simon D. Maccab. Nuremb. 1827,
2. Il existe un grand nombre de commentaires hébreux
sur les Psaumes composés par les rabbins. Nous nous
bornons à citer lessuivans : RomemôthEl Ù5<niDD1"l),
o\xExaltationsdeDieu,Q.ommQï\i'àivQà.Q^loisQ Alschech,
qui a paru à A^enise en 1605, in-4°, avec une préface du
rabin Chaïm fils, et de nouveau à Amsterdam en 1695,
in-i% enfin à Jestnitz en 1722. — Mêliîr tehillôth ( ~)\SD
ni'^nn) cest-k-dire qui éclaircity explique les Psaumes ,
composé, en 1512, par Arama Méir, fils d'Isaac Arama,
et imprimé à Venise en 1590, in-4°. — Aben Schoheb
O^J/Tii^), Juif espagnol, de la province d'Aragon, a écrit
sur les Psaumes un commentaire assez diffus, divisé en
quatre parties, et qu'il a intitulé: Nôrâ tehillôt [H'y)^
ni^nD], c'est-à-dire : Formidabilis, stupendus, admi-
randus laudibus (1). — Enfin Joseph Tittsaq a donné
l'explication de quelques psaumes, qui a paru à Venise
en 1593,in-i% conjointement avec le commentaire com-
posé par Jedaja Appenini sur tout le Psautier et intitulé :
Leschôn zâkâb ( 2nt \wb] ou langue d'or.
(1) Ce litre est pris de l'Exode xv, 11 ; voy. ce que nous avons
dit sur la traduction de cette expression dans Le Pentateuque avec
une traduction française, etc. tom. ii. Exode, pacje 1 19.
88 DU LIVRE DES PROVERBES.
CHAPITRE DEUXIÈME.
DU LIVRE DES PROVERBES.
Le livre des Proverbes est intitulé en hébreu Mischlê
Schelômô [nu^^ V^D), et en grec Uzpoi'j.iat Io/o,!xwvtoj
c'est-à-dire les Similitudes^ les Paraboles ^ les Proverbes
de Salomon. Mais il faut remarquer que le moi proverbes
ne doit pas se prendre ici dans sa signification triviale,
mais dans celle de sentences, maximes. Le sujet général
du livre consiste en effet en des leçons courtes et in-
structives, écrites d'un style concis et sentencieux. Dans
le langage ordinaire, les Juifs désignent le livre des Pro-
verbes sous le mot mischlê [^^\l/i2) et le placent parmi
les Kethoubîm ou Agiographes ; les anciens pères lui
ont donné le nom de TravapsTo,-, imnarète, c'est-à-dire
trésor de toutes les vertus.
ARTICLE I.
Du sujet et de V auteur du livre des Proverbes.
1. Le livre des Proverbes, dans les trente-un chapitres
dont il se compose (1), contient des sentences sur la véri-
table sagesse, la probité etl'improbité, l'administration
domestique, Téducation des enfans, la politique, le gou-
(1) La version grecque n'a pas plus de chapitres que le texte hé-
breu et la Vulgate, mais elle contient des additions et des transpo-
sitions, qu'il est difficile d'expliquer d'une manière satisfaisante ;
"voy. cependant Grolius, in Prov.Wy 35, et Bossuet, Prœfat. in Prov.
§ IX, et Dissert, i d6 Psalmis, c. v.
DU LIVRE DES PROVERBES. 39
vernement, les devoirs des rois, des magistrats, des ju-
ges, des sujets, desparensetdes enfans,lebien et le mal,
le bonheur et le malheur ; il contient encore des instruc-
tions sur le soin avec lequel il faut fuir la débauche et
éviter les excès du vin ; enfin il finit par le portrait de la
femme vertueuse, dont l'écrivain sacré loue l'économie,
la sagesse, la vigilance et l'assiduité au travail.
2. On a reconnu de tout temps que les vingt-neuf pre-
miers chapitres des Proverbes ont été composés par Sa-
lomon ; il est certain qu'ils lui sont attribués par le livre
lui-même (i, l;x, 1; xxv, 1); il est certain encore qu'il
n'y a rien dans ces chapitres qui ne convienne à Salo-
mon, dont la sagesse est passée en proverbe et qui était
très-exercé dans ce genre, puisque l'auteur du troisième
livre des Rois (iv, 32 ] , nous apprend que ce prince com-
posa trois mille paraboles (1). Enfin la constante uni-
formité de style qu'on y remarque vient encore à l'ap-
pui du sentiment général. Ainsi il ne peut y avoir de
doute que par rapport aux deux derniers chapitres, à
cause des inscriptions qui semblent attribuer le xxx® à
Agur, fils de Jaké, et le xxxi^ au roi Lamuel . Encore la
plupart des critiques conviennent-ils que ce Lamuely
dont le nom en hébreu signifie çwi est à Dieu, qui a Dieu
avec Zwi,co?îsacre à Dieu ou enfin consacra <^eDiEU, n'est
autre que Salomon lui-même ; d'autant plus qu'il n'y a
jamais eu de roi d'Israël ou de Juda qui ait porté ce nom,
et que jamais on n'aurait inséré dans le canon des Ecri-»
(1) Dans les exemplaires hébreux ce passage se trouve au pre-
mier livre des Rois, v, 12 ; on peut remarquer en passant que This-
torien se sert du mot mâschâl (vjt/D) o\x parabole, le même abso-
lument qutt celui euiployé dans le livre des Proverbe*.
40 DU LIVRE DES PROVERBES,
tures sacrées l'ouvrage d'un prince païen. Quant aux mots
Âgur et Jakéj le plus grand nombre des pères et des
commentateurs catholiques pensent que ce sont des noms
appellatifs, dont le premier, signifiant qui assemble [con-
gregans), convient parfaitement à Salomon, qui dans le
titre de i'Ecclésiaste, s'appelleiui-même A'o/ie7ci/iou Ec~
clésiaste, c'est-à-dire le maître de l'assemblée, ou celui
qui y préside et qui harangue; et le second, qui répand
les vérités {vomens), désigne David, qui a été rempli de
l'Esprit de Dieu, et a répandu de sa bouche un grand
nombre de cantiques sacrés (1) . La plupart des nouveaux
critiques qui contestent à Salomon ces deux derniers
chapitres, se fondent encore sur ce que le style est dif-
férent de celui des chapitres précédens. Mais cette dif-
férence de style n'est pas assez considérable pour qu'en
(1) Au lieu (ïagur on lit dans l'hébreu âgour ("11 ^î^) que Louis de
Dieu a rendu par recoUeclus, et que Gesenius {Lejcic Hebr.vaij. 12)
dit pouvoir signiiier congr égalas, socius congregationis {sapientum;,
dans le cas où on le prendrait pour un nom symbolique, comm.i
Kofielelh, c'est-à-dire Ecdéaiaste. Pour nous, nous croyons que
dans ce cas il serait mieux de traduire à jour par comjrefjanSy comme
l'a fait l'auteur de la Vulgate, sans que sa forme de pariicipe passif
pût s'y opposer, les grammairiens et Gesenius lui-même [Lehr-
geô. 6'. 309, 310, et Hebr. Gram. Seii. 68. ydnm. 2. ^chle Auflage),
enseignant que le participe passif prend assez souvent une signiiica-
tion active dans les verbes intransiiifs ou neutres, et qu'il a cette même
signiiication, quoique plus rarement à la vérité, quand il appartient
à des verbes transitifs. — Quant au mot jaké ou i/âqé [Tlp^) rendu
dans la Vulgate ipair v ornent is, il peut dériver de la ra.ciae)jdqâ, syno-
nyme de qô [ii']p) vomerCf rejicere. Plusieurs étymologistes le rap-
prochent de l'analogue arabe t^p''\ vaqa, ou craindre Dieu, et lui
donnent le sens de pieux, tout en le considérant comme un nom
propre. Mais nous ne goûtons pas cette étymologie.
DU LIVRE DES PROVERBES. Ai
bonne critique on soit autorisé à refuser à Salomon la
composition de ces deux chapitres, surtout quand toute
l'antiquité, bien plus propre que les exégètes modernes
à prononcer sur une question de cette nature, a été d'un
sentiment contraire (1) . Au reste, quelque opinion que
l'on embrasse sur cette question, il paraît indubitable que
les Proverbes, tels que nous les avons, sont un recueil
fait en divers temps et par différentes personnes ; car
premièrement il est dit au chap. xxv, 1 : « Les paroles
suivantes sont aussi de Salomon ; elles ont été recueillies
par les serviteurs d'Ezéchias, roi de Juda; » en second
lieu, un grand nombre de sentences sont répétées, les
unes deux fois, les autres trois, d'autres enSn revien-
nent jusqu'à quatre fois; ce qui ne serait certainement
pas arrivé, si l'auteur même les avait écrites de suite,
ou si une seule personne avait travaillé à cette compi-
lation (2).
(1) Les critiques catholiques qui refusent à Salomon les deux der-
niers chapitres sont Dupin [Disserl.pi-élimin. sur la Bible, 1. 1, ch. m,
§ xii), Jahn {Inti'od. § 182), Janssens {Hennen. sacr. § cxiv, n. 296).
Bossuet lui-même semble partager cette opinion, lorsqu'il dit : « Ca-
pite vero xxs memorantur alii sentenliarum auctores. quas quiJem,
ut ab ipso Salomonc mutuatas, certe eodem spiritu scriptas Salomo-
nicis addiderunt (Prœfat. in Proverbia, § iv). »
(2) Voy. dans Jahn {Introd. § 182) une exphcation assez probable
de ces répétitions. On a attribué à Salomon divers ouvrages tous
plus extravagans les uns que les autres. Ces ouvrages, qui roulent
pour la plupart sur la magie, sont nommés dans presque tous les com-
mentateurs des Proverbes. Voy. entre autres D. Galmetdans sa pré-
face sur ce livre.
42 DU LIVRE DES PROVERBES.
ARTICLE II.
De la divinité du livre des Proverbes.
On ne trouve dans l'antiquité que Théodore de Mop-
sueste qui ait contesté la divinité du livre des Proverbes,
en prétendant que Salomon avait composé ce livre par une
sagesse toute naturelle, parce qu'étant un homme très-
éclairé et très-habile, il n'avait pas eu besoin pour cela
d'une inspiration particulière. Les sociniens ont em-
brassé cette erreur, que nous combattons, comme oppo-
sée à la foi catholique, dans la proposition suivante :
PROPOSITION.
Le livre des Proverbes est un livre divin.
1. Plusieurs auteurs sacrés, tantdel'Ancien-Testament
que du Nouveau, ont confirmé quelquefois les vérités
qu'ils annonçaient par des passages pris du livre des
Proverbes. Ainsi Isaïe, lxv, 12 ; lxvi, 4, et Jérémie viï,
13, ont allégué le chapitre i, 2i de ce livre. Isaïe s'est
même servi ( lix , 7) des propres paroles de Salomon
(Prov. I, 16 ), quand il a dit que les pieds des méchans
courent au mal, et qu'ils se hâtent de répandre le sang.
L'auteur de l'Ecclésiastique a cité au moins dix senten-
ces empruntées au livre des Proverbes. Le lecteur peut
aisément s'en convaincre en comparant : Prov. x, 10,
avec Eccl. xxvii, 25; Prov. xii, 9, avec Eccl. x, 30;
Prov, XV, 8, avec Eccl.xxxiv, 21; Prov. xvii,2,avec
Eccl. X, 28; Prov. XVIII, 13, avecEccl.xi,8;Prov.xxii,
1, avec Eccl. vil, 2 Prov.xxii,9, avec Eccl. xxi, 28;
DU LIVRE DES PROVERBES. 43
Prov. XXV, 27, avecEccl. m, 21 ; Prov. xxvii,3, avec
Eccl. XXII, 18; Prov. xxvii, 20, avecEccl. xiv, 9. Les
écrivains du Nouveau-Testament ont également confirmé
l'autorité divine du livre des Proverbes, en y puisant un
grand nombre de passages. Nous nous bornons à signa-
ler ici les plus remarquables. Une lecture et une com-
paraison suivies en feraient infailliblement découvrir un
grand nombre d'autres. Ainsi il est impossible de ne pas
reconnaître que : Rom. xii, 17, et 1 Thess. v, 15, ne
soient pas tirés de Prov. xvii, 13; de même Rom. xii,
20, de Prov. xxv, 21, 22; de même aussi ICor. xiii,i^
et 1 Petr. iv, 8, de Prov. x, 12 ; Hebr. xii, 5, de Prov.
m, 11; Jacob, iv, 6, de Prov. iii,3i; 1 Petr. ii, 22, de
Prov.xxYi,ll ;1 Petr. iv, 18, de Prov. xi, 31 ; 1 Joan.
i, 8, de Prov. xx, 9; Apoc. m, 19, de Prov. m, 12.
2. La synagogue et l'Eglise chrétienne en insérant les
Proverbes dans le recueil desEcritures sacrées ontprouvô
qu'elles regardaient ce livre comme muni du sceau de
l'autorité divine. 11 est vrai que les Juifs ne l'ont placé
que dans la troisième classe; mais nous avons déjà fait
remarquer plusieurs fois que les Agiographes qui com-
posent cette classe ont toujours passé chez les Juifs pour
des écrits divinement inspirés, bien qu'ils ne considé-
rassent pas leurs auteurs comme ayant le caractère gé-
néral des prophètes proprementdits. Et quant à l'Église
chrétienne, elle a donné une preuve éclatante de sa foi en
la divinité du livre des Proverbes, lorsque, par la bouche
des pères du cinquième concile général, second de Con-
stantinople, tenu en 553, elle frappa d'anathème Théo-
dore de Mopsueste, qui avait osé publier que Salomon
avait composé ce livre non en vertu du secours de l'Esprit
saint, mais uniquement par une sagesse toute naturelle.
44 DU LIVRE DES PROVERBES.
3. Quand on lit attentivement le livre des Proverbes,
il est impossible de ne pas être frappé de la sublimité
des doctrines que l'auteur y enseigne, de ne pas recon-
naître dans Salomon une supériorité bien marquée sur
tous les philosophes anciens les plus vantés , enfin de ne
pas y apercevoir quelque chose de divin qu'on ne décou-
vre dans aucun livre profane. Mais ce ne sont pas seu-
lement des maximes de la plus haute morale sur la vie
domestique, l'économie etla politique, cfu'on y rencontre
à chaque page, à chaque ligne, à chaque mot même,
qui placent les Proverbes infiniment au-dessus de toutes
les compositions des écrivains ordinaires, ce sont encore
les mystères sublimes et ineffables qu'ils cachent sous le
voile de la lettre. Car quelle est cette sagesse produite
de toute éternité, par laquelle Dieu a établi les cieux et
fondé la terre? qui ordonnait toutes choses avec lui, et
étaitl'objet de toutes ses complaisances; qui, sortie de son
sein, fait ses délices d'habiter avec les enfans des hommes;
qui vient en ce monde y bâtir sa maison ; qui immole ses
victimes, prépare son vin, dresse sa table, envoie ses
servantes pour inviter à son festin (viii, ix) ; quelle est
cette sagesse, disons-nous, sinon le Verbe qui était de
toute éternité, par lequel Dieu a créé toutes choses ; qui
est toujours avec lui et fait l'objet de ses complaisances
infinies, qui s'est fait chair et a habité parmi nous; qui
a élevé son Église, immolé son corps, et qui après avoir
préparé le banquet eucharistique, envoie ses apôtres
pour y inviter tous les hommes? Quel est encore ce fils
du Dieu tout-puissant et dont le nom est incompréhen-
sible (xxxiv, 4), sinon Jésus-Christ, le fils éternel de
Dieu, engendré avant tous les siècles, et dont la géné-
ration est ineffable?
DU LIVRE DES PROVERBES. 45
ARTICLE III.
De l'élocution du livre des Proverbes.
Le livre des Proverbes est un beau poème didactique
dans lequel l'auteur s'est proposé de présenter les pré-
ceptes de la morale sous une forme également facile à sai-
sir et à retenir (1). Cette méthode d'enseignement par
sentences est la plus ancienne de toutes ; ce fut celle des
sages de l'antiquité. Ces sentences laconiques et pré-
cises plaisent à l'esprit , et par là même se gravent ai-
sément dans la mémoire; elles ont encore cet avantage
qu'elles sont merveilleusement proportionnées au besoin
de tous les âges. « Les enfans , dont le jugement est fai-
ble et la mémoire au contraire vive et tenace, ditBos-
suet, en parlant des Proverbes de Salomon, avaient
besoin de ce secours. A mesure que leur raison se dé-
veloppait, le souvenir de ces sentences, qu'ils avaient
souvent prononcées sans les comprendre, les faisait jouir
de la sagesse et de l'expérience de leurs pères , et voilà
comment la règle des bonnes mœurs croissait impercep-
tiblement, et s'enracinait dans leurs cœurs tendres. . .La
brièveté de ces sentences, qui n'avaient presque aucune
liaison entre elles , mais qui séparément formaient un
sens complet, n'était pas moins utile aux personnes
d'un âge plus mûr. Elle épargnait à ceux dont l'esprit
était peu pénétrant , le travail et l'ennui des longues lec-
tures , et ne détournait personne des occupations que
(1) Voy. Archéol. biblique, pag. 565-2G6, ce que nous avons dît
sur la nature particulière du proverbe tel qu'on l'entend dans ce livre
de Salomon.
46 DU LIVRE DES PROVERBES.
les besoins de cette vie ont coutume d'exiger. Il ne fal-
lait qu'un instant pour saisir des sentences renfermées
dans des versets fort courts , et pour en faire un choix ,
comme on choisit des fleurs dans un parterre bien fourni.
D'un coup d'œil on découvre, on voit briller des sources
de vérité dans lesquelles on peut puiser à loisir : de
quelque côté qu'on se tourne on est environné de la sa-
gesse ; il est facile de s'en emparer, d'en nourrir son
esprit , de la prendre pour guider ses pas , d'y trouver
des consolations dans les plus grandes afflictions de cette
vie (1).)) Quant au style, il répond parfaitement au sujet.
De Wette dit avec raison qu'on y remarque une riche
variété; qu'il est très-fréquemment ingénieux et plein
de finesse, de jeux de mots et d'énigmes; mais que le plus
souvent il est simplement sentencieux dans les antithèses
aussi bien que dans les comparaisons et les images (2) .
La langue est pure, et si on y trouve des termes qui pa-
raissent n'avoir pas été en usage dans les temps les plus
anciens de la littérature des Hébreux, on n'y remarque
presque aucun mot exotique. « Dans le genre didactique,
dit Lowth, il nous reste beaucoup de monumens de la
poésie hébraïque, parmi lesquels les Proverbes de Salo-
mon occupent sans difficulté le premier rang. Cette
composition est divisée en deux parties; la première, qui
tient lieu en quelque manière de préambule , comprend
les neuf premiers chapitres. Elle est variée, élégante, su-
blime et vraiment poétique; l'ordre y règne ; les parties
en sont liées avec art; elle est parée de tous les orne-
mens de la poésie; et pour le mérite de la beauté, elle
(1) Bossuet, Préface sur le livre des Proverbes, § ii.
(2) De Welte, Lehrbuch der hist. krit, Einleit. § 278.
DU LIVRE DES moVEnBES. 47
ne le cède à aucun autre monument de la poésie sacrée.
La seconde partie, qui s'étend jusqu'à la fin du livre ,
ne consiste presque en entier qu'en paraboles ou sen-
tences détachées, on n'y remarque rien d'élevé ni même
de poétique, si ce n'est la précision et la régularité du
tour sentencieux (1). »
ARTICLE IV.
Des commentaires du livre des Proverbes.
1. Parmi les catholiques qui ont travaillé sur le livre
des Proverbes, nous citerons les suivans : Arboreus, doc-
teur de Sorbonne , a expliqué le sens littéral. Son com-
mentaire, qui est en latin, a été imprimé à Paris en 1549,
in-fol. — Le commentaire d'Agellius se trouve dans les
Opuscules de L. Novarini, publiés à Vérone en lGi9 ,
in-fol. — Théod. Peltan, jésuite, outre ParapAras/se^sc^o-
lia in Proverbia Salomonis qu'il a composés, a donné
encore la Chaîne des pères grecs avec une traduc-
tion latine. Ces deux ouvrages ont paru à Anvers en
1607, in-i°, et depuis en 1 6 1 i , in-8<^ , par les soins d'An-
dré Schottus. — Jansénius d'Ypres a fait d'excellentes
analectes sur les Proverbes et les quatre livres sapien-
tiaux suivans. — Rod. Bayne, Anglais, professeur d'hé-
breu à l'université de Paris , a publié une traduction
latine des Proverbes avec un savant commentaire , dans
lequel il explique le sens littéral d'une manière assez
claire et assez simple pour se faire entendre des lec-
teurs les moins versés dansles études bibliques. Son ou-
vrage'., imprimé à Paris en 1535, in-fol., se trouve aussi
(1) Lo^^'th, De la poésie sacrée des Eébr. Leçon XJW.
48 BU LIVRE DES PROVERBES.
dans le tome m des Grands Critiques. — J. Merceri Com- i
mentarii in Salomonis Proverbia, Ecclesiasten et Can-
ticiun.Genev. 1573, eiÀmstelod. 1651, in-fol. — Bossuet
a fait des notes courtes et simples, mais précieuses, sur
les Proverbes et les quatre autres livres sapientiaux.
Nous citerons encore comme ayant fait des commentaires
catholiques qui méritent d'être lus, Cajetan, Maldonat
etMalvenda.
^. Parmi les protestans, on remarque Victor Strigé- s,
lius, dont les commentaires sur les trois livres de Salo- "
mon, les Proverbes, l'Ecclésiaste et le Cantique des can-
tiques, ont paru à Leipzig en 1565, et à Neustadt en 1571 ,
in-8°. — Thom. Cartwrigti Commentarii succincti et di-
lucidi in Prov. Salom. Lud. Batav. 1617, Roterodam.
i6iS. Amstelod. 1638, 1650, 1663, m-k\ Bohhi Ethica
sacra j sive commentarius super Prov. Salom. Bohl n'a-
vait pas achevé cet ouvrage quand la mort l'a frappé;
c'est Geor . Witzleben qui y a mis la dernière main et qui
l'a publié à Rostoch l'an 16i0, in-4°. — Le commen-
taire de M. Géiera été imprimé à Leipzig en 1725, in-i",
pour la cinquième fois. On le trouve encore dans le
recueil de ses œuvres. Amsterd. 1696, in-fol., tom. ii.
— Rich. Grey The book of Proverbsdivided according to
the mètre, with notes. Cet ouvrage a paru dans le même
volume que la nouvelle méthode d'apprendre l'hébreu,
Londres, 1738, in-8^ — Schultens a aussi composé
une traduction latine et des commentaires qui ont paru
àLeyde en 17i8, in-i\G. J. L. Yogel en a donné un
abrégé accompagné d'observations critiques, auxquelles
ont été ajoutées de nouvelles interprétations par G. A.
Teller, et une préface de J. S. Semler. Hal. 1768, in-8°.
La plupart des observations que nous avons faites sur
DU LIVRE DES PROVERBES. 49
le commentaire de Job par SchuUens sont applicables
à celui qui nous occupe en ce moment (voy. t. m , pag.
483). — J . F . Hirts Vollstœndigere Erklœrung der Sprïi-
che Salomons. Jena, 1768, in-4°. — « J. C. Dœderlin a
traduit en allemand les Proverbes de Salomon , et a
joint à sa traduction de courtes notes explicatives. Il y
a eu trois éditions de cet ouvrage, la dernière, corrigée en
plusieurs endroits, est d'Altdorf, 1786. — V. G. L. Ziegler
Neue Uebersetz. der DenTisprûcheSalÀm Geist der Paral-
lelen. mit einer vollstœndigen Einl .yphilol. Erlœuterun-
genundpraktischenAnmerkungen. Leipz. 1791, in-8°. —
C . G . Henslers Erlœuterungen desi.B. Samuels und der
SalomonischenDenkspruche . Hamb . undKiel 1796,in-8°.
— Nous citerons encore le travail de G. Holden , mi-
nistre anglican , publié à Londres en 1819 , in-8% et
la traduction allemande ainsi que le commentaire phi-
lologico-crilico-philosophique de F. W. G. Umbreit,
Heidelberg, 1826, in-8°.
3. Levi Ben Gerson a composé sur les Proverbes un
commentaire qu'on trouve dans les grandes Bibles rab-
biniques , et qui a été traduit en latin avec des notes
par Giggéius à Milan en 1620. — Isaac Arama a aussi
composé un commentaire intitulé Yad Àhschâlom (^^
D v^DN) oulaMain d'Absalom. Il a été imprimé à Gon-
stantinople, mais sans aucune date. — Le livre de Salo-
mon Ben Abraham intitulé Qab venâqî pr^^l 2p] ou peu
mais pur (1), comprend deux commentaires, l'un sur les
Psaumes et l'autre sur les Proverbes , ce dernier im-
primé d'abord sans nom de lieu et sans date, l'a été
(0 3p 'ïa* est proprement le nom d'une petite mesure. Voy. ^r-
chéol. biblique, pay, 336.
V. 3
50 DU LIVRE DE L'eCCLÉSIASTE.
de nouveau à Saloniqueen 1522, et dans les Bibles rab-
biniques de Venise, 1517, et d'Amsterdam, 172i. — Le
commentaire de Moïse Alschech a paru sous le titre de
Rob-penînîm (D^^''wD'"D"1) ou Multitude de pierres pré-
cieuses, à Venise, 1601 , et à Jestnitz en 1722, in-fol.
CHAPITRE TROISIEME,
DU LIVRE DE L'eCCLÉSIASTE.
Le mot hébreu qôhéléth [POnp) a été traduit dans
la version grecque par Éy.yj.n'jLy.Grr,;, Ecclésiaste, dont le
vrai sens est proprement ^wiassem6/e, et par extension
orateur parlant devant %ine assemblée (1). Ce nom dési-
gne Salomon, comme le prouve le livre même en plu-
sieurs endroits (i, 1, 12; vu, 28, etc.)
ARTICLE I.
Du sujet, du but et de la divinité du livre de VEcclésiaste.
1, Dans les douze chapitres qu'il embrasse, le livre de
l'Ecclésiaste contient des réflexions sur la vanité des
biens, des plaisirs, des travaux, des peines, des études
et de toutes les entreprises des hommes. Tout est va-
(1) Grotius et après lui Jahn ont prétendu que le livre de rEcclé-
siaste était ainsi nommé parce que l'auteur y a rassemblé des
maximes et des sentences; mais cette opinion est fondée sur une
fausse interprétation du mot hébreu. Ajoutons que la terminaison fé-
minine de ninp appliquée à un homme ne saurait présenter la plus
légère difficulté à un hébraïsant. En latin même, les noms de termi-
naison féminine, poeia, -prophçta, auriga, etc., se donnent à l'homme.
DU LIVRE DE L'eCCLÉSIâSTE. 61
nité et affliction d'esprit. Rien ne saurait procurer ici-
bas un bonheur solide et durable. La sagesse elle-même
ne peut éloigner ni la mort , ni les misères de la vie.
L'homme considéré sur la terre et sans aucun rapport
à la vie future ne diffère point des animaux : comme
eux, il sort de la poussière pour y rentrer après un certain
temps. Manger et boire, c'est-à-dire user avec modéra-
tion des biens que Dieu a créés pour nous, voilà tous les
avantages, tout le bonheur que le monde peut offrir aux
mortels. Mais au milieu de ces plaintes sur la vanité des
choses humaines, l'Ecclésiaste donne de temps en temps
d'utiles avis, de sages conseils pour tempérer les amer-
tumes de la vie , et nous rendre aussi heureux que peut
le comporter notre position ici-bas. Ces avis doniinent
surtout dans les derniers chapitres du livre, que l'au-
teur termine par cette maxime, qui est comme l'abrégé
de tout ce qu'il vient de dire : Craignez Dieu et obser-
vez ses commandemens ; car c'est là tout l'homme : et
Dieu fera rendre compte en son jugement de toute faute
et de tout le bien et de tout le mal qu'on aura fait (xn,
13, U).
2. Quant au but de l'Ecclésiaste, l'analyse succincte
que nous venons de donner de son livre le fait assez res-
sortir. C'est pourquoi on conçoit difficilement comment
certains critiques ont pu l'accuser d'épicurisme, de sad-
j ducéisme et de scepticisme. « Tout ce livre, dit Bos-
suet , ne renferme en quelque sorte qu'un seul raison-
; nement. Le but de l'auteur est de mettre en évidence
^ cette proposition -.toutce qu'on voit sous le soleil est vain;
y il n'est qu'une vapeur légère, qu'une ombre, que le
p; néant même ; donc rien n'est grand dans l'homme , rien
1^5 n'est vrai, rien n'est solide, sinon de craindre Pieu,
52 DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE.
d'obéir à ses commandemens, et de se conserver pur et
sans tache pour comparaître au jugement futur (1).» C'est
encore pour n'avoir pas assez bien compris ce but que
quelques autres critiques voyant que les plaintes sur les
malheurs de la vie dominaient dans les premiers chapi-
tres, et que les exhortations à mener une vie heureuse
abondaient dans les derniers, ont conclu qu'il y avait
dans le livre deux personnages différens, dont l'un exa-
gérait les maux de cette vie, et l'autre au contraire cher-
chait à montrer que malgré tant de misères on pouvait
vivre heureux. En effet, quand on compare les deux
parties du livre, on ne peut manquer de voir que ces
plaintes et ces exhortations se trouvent, quoique plus
ou moins souvent, dans l'une comme dans l'autre; on ne
peut manquer de voir encore que si les plaintes dans
les premiers chapitres ont pour objet de faire ressortir
la vanité et le néant des choses de la terre , c'est aussi
ce qu'enseigne l'Ecclésiaste dans les derniers ; et qu'en-
fin au commencement comme à la fin du livre on recom-
mande également la vie heureuse. Ainsi on n'a aucun
motif suffisant de supposer plusieurs interlocuteurs (2).
3. Les docteurs juifs, et saint Jérôme après eux, nous
apprennent que les auteurs du canon des Ecritures hé-
sitèrent quelque temps avant que d'y insérer l'Ecclé-
siaste (3) . Quoi qu'il en soit de cette tradition et même
de ce scrupule des Juifs, il est certain que ce livre a
toujours eu sa place dans les catalogues des écrits divi-
nement inspirés, et que jusqu'ici on n'a jamais douté,
(1) Bossuet, Préface sur le livre de l'Ecclésiaste, § i.
(2) Voy. Jahn, Iniroduciio, § 211.
(3) Hebrœi, in Midrascli, Hieron, inEccl. xii, 12-14.
DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE. 63
ni parmi les Juifs, ni dans les églises chrétiennes, de son
autorité divine. Théodore de Mopsueste ayant prétendu
queSalomon l'avait composé, comme les Proverbes, sans
l'inspiration particulière du Saint-Esprit, a été frappé d'a-
nathème (voy. plus haut pag. 43). Quand on examine
ce livre sans prévention aucune, on y voit partout l'em-
preinte du sceau divin. D'oii peut venir en effet, si ce
n'est de l'inspiration divine, cette belle maxime que tout
est vanité dans ce monde, excepté craindre Dieu et gar-
der ses commandemens? D'où peut venir encore l'an-
nonce si claire et si formelle de ce jugement terrible
où l'homme cité au tribunal de Dieu sera obligé de ren-
dre compte de toutes ses œuvres bonnes et mauvaises,
pour en recevoir la punition ou la récompense?
Cependant on objecte contrela divinité de l'Ecclésiaste
1° qu'il favorise la doctrine d'Epicure, puisqu'il enseigne
qu'il n'y a rien de mieux pour l'homme sur la terre que
de manger, boire et se divertir, et que c'est là sa fin et
son partage (ii, 24; m, 13, 22; v, 17); 2° qu'il nie l'im-
mortalité de l'âme, ou qu'il la présente comme problé-
matique, puisqu'il dit qu'il n'y a point de différence en-
tre l'homme et la brute, que leur sort est égal, et qu'ils
meurent l'un comme l'autre (m, 18, 19) ; que nul ne
sait si l'âme de l'homme monte en haut et si l'âme de la
bête descend en bas ( v, 21 ) ; 3" qu'il se contredit d'une
manière palpable ; car après avoir dit en plusieurs en-
droits qu'il n'y a rien de mieux pour l'homme que de
jouir des biens de ce monde, il affirme ailleurs que c'est
une pure vanité (xi, 10). Ici il exhorte à la joie (xi, 9),
là il la regarde comme une folie, et déclare qu'il vaut
mieux aller à une maison de deuil qu'à une maison de
festin ( II, 1, 2 ; vu, 3 ) . De même il fait un grand éloge
54 DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE.
de la sagesse (x, 13-18, etc. ), et cependant il ensei-
gne qu'elle est vanité, puisqu'elle n'empêche pas de
mourir (ii, 14-16). Enfin, après avoir dit qu'il ne sait
pas où vont l'esprit de l'homme et celui de la bête (ni, 21),
il assure que le corps descend dans la poussière d'où il
est sorti, et que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné
(xii, 7). Ce que nous venons de dire sur le sujet et le
but du livre de l'Ecclésiaste, suffit sans doute pour mon-
trer jusqu'à l'évidence combien ces objections sont fai-
bles, pour ne rien dire de plus : cependant nous allons
répondre directement aux trois difficultés qu'on nous
oppose. 1° Le sage considère ici l'homme en tant qu'il
est purement terrestre, et en faisant absolument abstrac-
tion de la vie future. Or, l'homme considéré sous ce rap-
port n'a en effet rien de mieux à faire que de jouir avec
modération des biens de cette vie, au lieu de se consu-
mer dans des soucis immodérés, dans de vaines et labo-
rieuses recherches. Mais quand l'Ecclésiaste envisage
l'homme sous son véritable point de vue, il lui donne une
fin plus noble et plus relevée, puisqu'il reconnaît qu'il
n'y a aucun bien solide dans cette jouissance, qu'elle est
une pure vanité, puisqu'il assure en terminant son livre
que tout l'homme consiste à craindre Dieu et à observer
ses commandemens, et que c'est là la conclusion légi-
time de tout ce qu'il vient de dire. D'ailleurs une jouis-
sance innocente et modérée des biens de ce monde n'est
nullement contre l'ordre de la Providence ; on pouvait
donc y exhorter, surtout sous une économie temporelle
telle qu'était celle du peuple juif. C'est un adoucissement
providentiel aux amertumes de la vie. — 2° L'Ecclésiaste
exprime sa croyance à l'immortalité de l'âme de la ma-
nière la plus formelleetla plus précise, soit en disant que
DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE. 55
tandis que le corps retourne dans la poussière dont il a
été formé, l'àme revient à Dieu qui l'a donnée; soit en
affirmant qu'il y aura après la mort un jugement où
chacun rendra un compte rigoureux de toutes ses œu-
vres. Ainsi, quand il dit qu'il n'y a point de différence
entre l'homme et la brute, il ne l'entend que du corps,
des fonctions animales, des besoins naturels, et nulle-
ment de l'âme. Quant à ce qu'on objecte, que personne
ne sait si l'âme de la bête descend en bas, et si l'esprit
de l'homme monte en haut, cette difficulté tombe d'elle-
même dès que l'on traduit fidèlement le texte original
(m, 21 ) ; car il porte à la lettre : « Qui connaît l'esprit
des enfans de l'homme, lequel ( esprit) monte en haut, et
l'esprit de la bête, lequel descend en bas dans la terre (1)?»
— 3° Les contradictions qu'on prétend trouver dans l'Ec-
clésiaste ne sont qu'apparentes. En efPet, on peut par-
faitement exhorter l'homme à une jouissance modérée
des biens de ce monde, et déciarer en même temps
qu'elle est une pure vanité , parce que quoique cette jouis-
sance lui soit promise et même nécessaire, elle ne sau-
rait cependant lui procurer un bonheur parfait. Par la
même raison, on peut, sans se contredire, exhorter
l'homme à se réjouir innocemment du fruit de son tra-
vail, et déclarer cependant que la joie immodérée des
enfans du siècle est une folie, et qu'il vaut mieux s'affli-
ger avec les bons, que de se réjouir ainsi avec eux. Enfin,
on peut également sans se contredire faire l'éloge de la
sagesse qui consiste à craindre Dieu, à garder ses com-
mandemens, et réprouver d'un autre côté cette sagesse
(1) Yoy. à ce sujet les réflexions très-judicieuses de Pioseomûller.
Schol. in Koheleilt, m, 21.
56 DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE.
mondaine qui se borne uniquement à amasser des ri-
chesses et à se conduire avec habileté dans les affaires
temporelles.
ARTICLE II.
De l'auteur du livre de V Ecclésiaste.
Les Juifs et les chrétiens ont toujours et d'un consen-
tement unanime regardé l'Ecclésiaste comme ayant été
composé par Salomon. Or le consentement unanime de
toute une nation, qui de temps immémorial regarde ce
livre comme l'ouvrage du plus sage des rois, et le met en
conséquence au rang de ses livres sacrés, est sans doute
d'un très-grand poids, surtout quand il est confirmé par
l'autorité de tous les chrétiens, depuis les apôtres jus-
qu'à nous. Il faudrait, on doit l'avouer, des argumens
bien forts et des démonstrations bien évidentes pour
contrebalancer des raisons aussi puissantes. En second
lieu, celui qui nous parle dans ce livre était fils de David,
roi d'Israël dans Jérusalem ; il était le plus sage et le plus
riche de tous ceux qui l'avaient précédé dans le gouver-
nement de cette ville. Il nous entretient de ses ouvrages,
de ses richesses, de ses plaisirs, de ses bâtimens, de ses
écrits, et nommément de ses paraboles. Or il est évident
qu'il n'y a que Salomon à qui tous ces caractères puis-
sent convenir. Et qu'on ne dise pas que le véritable au-
teur, pour donner plus de poids à son ouvrage, a voulu
l'attribuer à Salomon ; car il a dû nécessairement en le
publiant, ou donner à entendre qu'il était de Salomon,
ou annoncer expressément qu'il ne se servait du nom de
ce prince que pour en faire un interlocuteur. Or, dans le
premier cas, cet écrivain serait un imposteur, un vil
DU LIVRE DE l'eCCLÉSIASTE» 57
faussaire, dont la nation juive n'aurait jamais voulu in-
sérer le livre parmi ses écritures canoniques; dans le se-
cond, on a du savoir dès les commencemens mêmes que
cet ouvrage n'était pas de Salomon, et par conséquent
on n'a jamais dû croire aussi universellement et aussi
unanimement qu'on l'a fait, qu'il était sorti de la main
de ce prince. Troisièmement, quoiqu'il y ait quelques
différences de style entre les Proverbes et l'Ecclésiaste,
parce que ce sont deux ouvrages de nature différente,
et écrits sûrement dans des temps assez éloignés, on re-
marque cependant dans ce dernier le style sentencieux
de Salomon ; les derniers chapitres surtout, où l'auteur
donne des maximes de morale et de conduite, ont assez
de rapport avec les Proverbes. L'allégorie énigmatique
de la vieillesse est tout-à-fait dans le goût de celle que
nous lisons dans les Proverbes, et par conséquent digne
de Salomon.
Quant aux difficultés qu'opposent à ce sentiment les
critiques et les exégètes modernes d'Allemagne, qui n'ont
fait que suivre l'opinion de Grotius, elles ne nous parais-
sent pas démonstratives ; car, 1° les cbaldaïsmes qu'ils
objectent ne sont pas une preuve convaincante qu'il n'a
pu être composé du temps de Salomon, puisqu'on en
trouve dans le Cantique des cantiques et dans le livre
de Job, assez généralement attribués à Salomon ou à
Moïse. D'ailleurs les cbaldaïsmes ne sont pas toujours
une marque sûre pour distinguer l'âge des livres ; car
il ne s'en trouve presque pas dans xVggée, Zacharie et
Malachie, qui ont écrit depuis la captivité. Au surplus, la
différence de style et de diction fût-elle aussi considé-
rable que le prétendent nos adversaires, ils auraient
droit d'en conclure tout au plus que Salomon a composé
3.
58 DU LIVRE LE L'eCCLÉSIASTE.
le fond et la substance de l'Ecclésiaste, et qu'un écrivain
inspiré, postérieur à ce prince, lui a donné la forme et la
couleur qu'il a aujourd'hui. 2° Salomon en parlant au
nom de l'avare a pu dire qu'il se consumait pour amas-
ser des richesses, sans savoir si son héritier aurait la
sagesse d'en faire un bon usage. Pourquoi n'aurait-il
pas pu exprimer le même doute au sujet de son propre
successeur ? 3° Est-il invraisemblable que dans un siècle
aussi policé que celui de Salomon, on s'occupât beau-
coup à écrire des livres ? 4° Sous les rois les plus sages,
il se commet des injustices, des vexations et des vio-
lences de tout genre, de la part des magistrats subal-
ternes . On n'a donc pas lieu d'être surpris de voir ré-
gner de semblables désordres pendant le règne de Sa-
lomon, et surtout de les voir se multiplier quand ce
prince abandonne la sagesse et se livre à l'amour des
femmes. D'ailleurs, pourquoi voudrait-on limiter et res-
treindre à la Judée l'existence de ces maux? Salomon,
en efPet, parle de ce qui arrive ordinairement parmi les
hommes. 5° En disant : « J'ai tout tenté pour acquérir la
sagesse, etc. , » Salomon parle au nom de ceux qui veu-
lent trouver la sagesse sur la terre, sans la chercher en
Dieu, et son but est de montrer que de tels efforts sont
aussi insensés qu'inutiles, et que pour trouver la sagesse,
c'est dans la crainte de Dieu et l'observation de ses
lois qu'on peut la trouver. 6° Quant à l'opinion de Zir-
kel (1) , qui recule l'origine de l'Ecclésiaste jusqu'au temps
d'Antiochus, à cause de quelques mots grecs qu'il a cru
y trouver, et la dispute des pharisiens et dessadducéens
à laquelle il prétend que ce livre a rapport, elle n'a au-
(1) G. Zirkel, Unlçnuchungçn ilbçr den Predigçr. S, 78, ff.
DU LIVRE DE L'eCCLÉSIASTE. 59
cun fondement. Car, d'un côté, tous les critiques con-
viennent que les mots que Zirkel regarde comme grecs
sont incontestablement d'origine orientale; et de l'autre,
sil'Ecclésiaste avait été écrit pour réfuter les sadducéens
et les pharisiens, ces derniers ne l'auraient jamais ad-
mis dans le canon des Écritures sacrées.
ARTICLE III.
De Vélocution du livre de l'Ecclésiaste.
Les critiques qui ont examiné l'Ecclésiaste sous le
point de vue littéraire ne lui accordent pas un bien
grand mérite. Après avoir parlé des Proverbes, Lowth
ajoute : « Il est un second ouvrage de Salomon qui doit
être également rapporté au genre didactique ; c'est celui
qui est appelé VEcclésiaste. Mais quoique dans celui-ci
on rencontre éparses çà et là quelques sentences dé-
tachées et beaucoup de paraboles, cependant la nature
de sa composition, son caractère, son style, sont fort
différens. Le plan est uniforme ; le sujet est un et simple;
c'est la vanité des choses humaines exposée par Salo-
mon, qui propose ses doutes sur une question extrême-
ment difficile, qui balance les motifs sur lesquels sont
fondés les sentimens divers, et qui enfin se dégage de
cette pénible incertitude. Il est très-embarrassant d'en
marquer les divisions ; il règne une très-grande obscu-
rité sur l'enchaînement des idées, sur la suite du dis-
cours, sur l'ordre et la disposition de l'ensemble : aussi
remarque-t-on une extrême opposition parmi les inter-
prètes dans l'exposition de l'économie générale de cette
composition, et dans la terminaison exacte de ses di-
visions Le style de ce livre est extrêmement singu-
60 DU LIVRE DE l'ÉCCLÉSIASTE.
lier ; presque partout il est trivial, sans noblesse, et sur-
tout fort obscur. Souvent lâche et diffus, il se rapproche
du discours ordinaire. Le tour et la disposition des phra-
ses n'offrent que de faibles traces du caractère poétique;
ce qu'il faut peut-être attribuer en partie à la nature du
sujet (1). » Ce jugement est à peu près celui de tous les
autres critiques ; cependant il ne faut pas croire que
l'Ecclésiaste soit absolument sans beautés; seulement
pour les sentir et les apprécier justement, nous devons
nous attacher aux pensées plus qu'aux expressions dont
l'auteur les revêt; ces expressions, en effet, manquent
le plus souvent de pureté et de correction. Ainsi, par
exemple, le début du livre appartient au sublime ; les
plaintes que l'écrivain sacré fait de la vanité des créa-
tures a quelque chose de lugubre et de pathétique qui
remplit l'âme d'une sainte mélancolie; la description des
palais et des plaisirs de Salomon est très-brillante (ii);
celle des oppressions et des violences qui se font sous le
soleil (iv), vive et animée. On peut dire encore qu'il n'y
a rien de gracieux comme l'invitation à jouir des biens
de cette vie (ix, 7-9; xi, 9-10), et que rien n'est plus
beau et plus naturel que le portrait de la vieillesse
(xii),bien qu'une couleur sombre nous empêche d'en
distinguer clairement plusieurs traits .
ARTICLE IV.
Des commentaires du livre de l'Ecclésiaste,
1. Les principaux ouvrages faits par les catholiques
sur le livre de l'Ecclésiaste sont d'abord ceux des pères
1) Lo"\Mh, De la pocsia sacrée desHébyeux, leçon xxiv.
DU LIVRE DE L ECCLESIASTE. 61
de l'Église , tels que la paraphrase de saint Grégoire
Thaumaturge ; on la trouve en grec et en latin dans
les œuvres de ce père, publiées par Vossius, Paris, 1622,
in-fol. , et en latin seulement dans le tome m de la nou-
velle Bibliothèque des Pères. — Les huit Homélies de
saint Grégoire de Nysse. Ce sont des explications mora-
les et spirituelles qu'on trouve , avec une traduction
latine, dans ses OEuvres, Paris, 1638, in-fol. — Les com-
mentaires d'Olympiodore, que Sixte de Sienne appelle
courts et excellens. Ils ont paru en différens endroits,
et notamment dans la nouvelle Bibliothèque des Pères.
— La Chaîne d'OEcumenius , imprimée en grec à Vé-
rone, 1532, et en latin à Baie. — S. Gregorii II Pont.
Agrigentinorum, Libri x explicationis Eccl. grœcè, pri-
mum et cum lat. interpr. et commentariis Vulgati. Qui-
bus prœpos. est vita ejusd. Pont» à Leontio Monacho
scripta, nec hactenus grœcè édita. Venet. 1791, in-fol.
— Le commentaire de saint Jérôme, qu'on trouve dans
la collection de ses œuvres avec des notes. Le P. Mar-
tianay l'a publié en français avec de nouvelles réflexions,
Paris , 1715 , in-S». — Parmi les ouvrages des inter-
prètes catholiques qui ont travaillé sur l'Ecclésiaste de-
puis les pères, nous citerons les commentaires de J.
Arboreus, Paris, 1531, 1537, in-fol. ; deCajetan, Lyon,
1552, in-fol. ; de Titelman, Paris, 1581, in-8% septième
édition ; de J . Lorin, Mayence, 1597, in-i° ; Lyon, 1619,
in-fol . Cette dernière édition contient des prolégomè-
nes fort utiles de Maldonat. — La paraphrase et le com-
mentaire de Jer. Osorius le jeune, imprimés à Lyon en
1611, in-8o. — Enfin, l'excellent commentaire de Pi-
néda , qui rend inutile presque tous les autres, à cause
de la quantité de choses que le savant interprète y a
62 DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTE.
fait entrer. Dans les prolégomènes, Pinéda résout tou-
tes les questions qu'on peut former sur l'Ecclésiaste. Cet
ouvrage a paru à Séville en 1619 , et à Paris en 1620,
in-fol .
2. Une foule de protestans ont travaillé sur rEcclé-
siaste; nous indiquerons, comme assez souvent citées,
les Adnotations de Drusius, Amsterdam, 1635, in-^.»;
on les trouve encore dans le tome ii des Critiques sa-
crés.— Le commentaire de M. Geier, Leipzig, 1711,
in-4-°, cinquième édition ; celui d'Aug. Varen, Piostocb,
1659, in-4°; celui de Sébast. Schmid, Strasbourg, 1691,
in-4°. — J. J. Rambachii Notœ uberiores in JSccl. Sal.
in J. H. MichsieMs Annotât, uberior. in Hagiograph. F.
T. libroSyBal. 1720,in-4-°. vol. ii. — Ecclesiastes, philol.
et critice illustratus à J. A. Van der Palm , Lugd. Ba-
tav. 1784, in-S". — Salomons Prediger und Hohes Lied
mit kiirzen erlœuternden Ânmerhungen, von J. Ch. Dœ-
derlein, Jena, 178i, 1792, in-S'*. — Koheleths des wei-
sen Kœnigs Seeïenkampf , oder philosophische Betrach-
tungen uher das hœchste Gut ; ans dem Hebrœischen
ubersetzt und als ein Ganzes dargestellt von F. W. C.
Umbreit, Gotha, 1818, in-S". Nous citerons encore du
même auteur : Koheleth scepticus desiimmo bono, Com-
mentatio philosophico-critica. Gotting . 1820,nn-8°.
— Les Scholies de Kosenmiiller sur l'Ecclésiaste sont
excellentes ; le critique a parfaitement saisi le but de
l'écrivain sacré, aussi ses explications sont-elles en gé-
néral très-justes ; il a victorieusement réfuté les opi-
nions erronées qui ont été émises dans ces derniers
temps, surtout par les exégètes allemands ; cependant il
n'attribue point ce livre à Salomon ; il prétend qu'on
peut supposer, sans trop se tromper, qu'il a été composé
DU LIVRE DE L'eCCLÉSIASTE. G 3
dans l'intervalle de temps qui s'est écoulé entre Néhé-
mie et Alexandre le Grand (1).
3. Baruch ben Baruch, sous le titre général de : Elle
tôldôth Adam (DIX miblH H^N), ou Voici la postérité
d'Adam , a écrit deux commentaires sur l'Ecclésiaste ,
l'un littéral, intitulé : Qehillath Yahaqôb (Dpp n'^Hp),
c'esi-SL-dÏTe l'Assemblée de Jacob; et l'autre allégorique :
Qôdesch Yiscrâêl pN^.t^^ Li^lp) ou la Sainteté d'Israël,
Venise, 1599, in-fol. — Le commentaire de Moïse Al-
schech : Debârîm tobîm [D^DVO D^")!D*1), on Bonnes
paroles , a été imprimé à Venise en 1605. — David de
Pomis a donné le texte hébreu de l'Ecclésiaste en joi-
gnant à chaque verset une traduction , ou plutôt une
paraphrase italienne avec quelques notes, Venise, 1571,
in-8°. — Le Lêb hâchâm (DDH Db)> ou Cœur du sage,
par Sam. Aripol, a paruàConstantinople, 1591, in-i°.
— En 1661, a paru aussi à Venise, in-^-", une explica-
tion des endroits difficiles des Agiographes, et surtout
de Job et de l'Ecclésiaste, par Sam. Cohen de Pise,
Portugais ; cet ouvrage est intitulé : Tsâfenath PaJmêah
(nw>D P-^Dti), que les Juifs traduisent par Révélateur
de secrets (2). — Moïse Mendelssohn a publié à Berlin,
en 1770, in-8% l'Ecclésiaste, avec un commentaire hé-
breu, qui a été traduit littéralement et accompagné de
courtes notes explicatives pour l'utilité des étudians,
par J. J. Rabe Anspach, 1771, in-i°.
(1) Eosenmuller, in librum Kohelelh Proccmimn.
(2) Ce titre est pris de la Genèse xli, 46 ; il signifie pkuO't5rt/;<f ou
sauveur du monde.
64 DU CANTIQUE DES CANTIQUES.
CHAPITRE QUATRIÈME.
DU CANTIQUE DES CANTIQUES.
Ce livre, nommé en hébreu Schîr haschschîrim (T^tà
jyiTWn)) ou Cantique des cantiques (idiotisme hébreu
qui signifie le ])lus beau, le plus excellent des cantiques) y
figure aussi dans les Bibles hébraïques parmi les Agio-
graphes. On le trouve souvent désigné sous le simple
nom le Cantique , comme si l'on disait : le Cantique par
excellence, titre au reste qu'il mérite à tous égards.
ARTICLE I.
Du sujet, du plan et de l'objet du Cantique des cantiques.
1. Ce cantique, qui se compose de huit chapitres, est
un vrai chant d'amour, qui exprime les sentimens tout
à la fois les plus ardens et les plus tendres, qui respire
toute la vivacité et toutes les douceurs de cette affection.
C'est l'entretien d'un époux et d'une épouse qui s'expri-
ment leur amour. L'un paraît tour à tour sous les ti-
tres de berger, de roi et sous le nom de Salomon , et
l'autre alternativement sous ceux d'une bergère , d'une
épouse, et elle porte le nom de Sulamite (1). Dans cet
entretien, les deux époux sont représentés tantôt seuls,
tantôt réunis , et s'adressant mutuellement la parole.
L'auteur introduit encore de jeunes vierges qui accom-
pagnent l'épouse, et qui remplissent aussi un rôle dans
(1) Ce mot en hébreu se lit schoulammîih (D^Dn'Ci), quiesllrès-
vraisemblablement le féminin de Schelômô (noV>y) ou Salomon.
!
DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 65
le dialogue, et déjeunes amis de l'époux, mais ceux-ci
ne sont que des personnages muets.
2. La plupart des interprètes, tant anciens que mo-
dernes, pensent que le Cantique des cantiques ne forme
qu'un seul poème ou une espèce de drame. Bossuet et
D. Calmet ont cru y distinguer sept parties, répondant
aux sept journées que duraient les noces chez les an-
ciens Hébreux. Richard Simon, et après lui beaucoup
de critiques , parmi lesquels se trouve Jahn , pensent
qu'il renferme plusieurs petits poèmes qui n'ont aucune
liaison, et qu'il est d'autant plus difficile de les distin-
guer que les auteurs ne sont pas marqués (1). Le sen-
timent de Bossuet ne présente qu'une simple conjecture
fort ingénieuse , il est vrai, mais qui ne nous paraît
pas assez fondée , quoique nous ne goûtions pourtant
point toutes les raisons alléguées par Michaëlis pour
la combattre (2). L'opinion de R. Simon, de Jahn, etc.,
est bien moins admissible ; car les raisons sur lesquelles
on s'appuie pour la défendre ne sauraient être d'au-
cun poids aux yeux d'un bon critique. Et d'abord la
diversité de style qu'on objecte est si peu vraie, et le
discours paraît d'ailleurs si bien lié et si uniforme dans
toutes les parties, où reviennent sans cesse en effet les
mêmes formules (ii, 7; m, 5; viii, 4; et i, 15; iv, 1;
V, 12, enfin ii, li; v, 2; vi, 9) , qu'on pourrait au con-
traire s'en servir comme d'une preuve solide , que le
Cantique entier, formant une seule pièce et un tout uni-
(1) Bossuet, Prœf. in Cant. n. m. D. Calmet, Prcf. sur le Cant.
R. Simon, Hisl. crit. du V. T. l. i, du iv. Jahn, Inlrod. § 205-208.
(1) J. D. Michaëlis, D^olœet Epim. ad LowthiPrœlect. xxx.
66 DU CAXTIQUE DES CANTIQUES.
que, vient de la même main (1). En second lieu, ce sont
toujours les mêmes personnes mises en action, quoique
jouant des rôles différens. Ainsi, c'est le même Salo-
mon et la même Sulamite qui paraissent successivement
sous la forme de berger et de bergère, de jardinier et
de jardinière, de roi et de reine. Il est en effet très-na-
turel de supposer que l'auteur, pour donner plus de
naturel à ce petit drame , a voulu paraître sur la scène
sous la forme de personnages différens. Enfin, s'il est
si évident que chaque partie décèle un auteur différent,
pourquoi les partisans de celte opinion ont-ils tant de
difficulté à reconnaître oii commence et où finit chacun
de ces prétendus poèmes ? Pourquoi encore sont-ils si
peu d'accord quand il s'agit d'en déterminer le nombre?
3. Un sentiment assez commun parmi les interprètes,
et qui a été embrassé par Bossuet, D. Calmet, Dupin et
Lowth, est que le Cantique des cantiques a pour objet,
au moins dans le sens grammatical, le mariage de Sa-
lomon avec la fille du roi d'Egypte. D'autres prétendent
que l'auteur avait en vue l'amour conjugal en général;
quelques-uns soutiennent qu'il veut chanter le chaste
amour qui entraîne l'époux et l'épouse l'un vers l'autre
avant le mariage ; d'autres enfin pensent que ce canti-
que est purement allégorique, et ce sentiment nous a
paru le plus probable. D'abord , c'est celui des anciens
Juifs, à commencer par l'auteur de la paraphrase chal-
daïque et par Jarchi, qui n'y voient que l'amour réci-
proque de Dieu et du peuple hébreu, caché sous le voile
de l'allégorie, ce Loin de nous , dit Aben-Ezra dans la
(i) G. H. A. EAvald, Das HohcUed Salom. S, 9, ff. et 43 ff. Roscn-
mùUcr, Proœmium in Cant, pag. 253 scqq.
DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 67
préface de son commentaire, loin de nous la pensée
que le Cantique des cantiques parle de l'amour charnel.
Tout y est traité d'une manière figurée {y\l/î2 ""pi ^)J
haï déréch mâschâl); et si le sujet n'était pas de l'ordre
le plus relevé, jamais ce livre n'aurait été mis dans le
recueil des écrits sacrés , tout le monde en convient.»
Théodoret regarde aussi le Cantique des cantiques comme
devant être entendu uniquement de l'amour mutuel de
Jésus-Christ et de son Eglise, et iljcite comme étant
de ce sentiment, non seulement Eusèbe, Origène, saint
Cyprien et les pères qui touchaient aux temps aposto-
liques, mais encore ceux qui sont venus après ces trois
illustres docteurs (1). En second lieu, le livre du Can-
tique est divinement inspiré , comme nous le verrons
un peu plus bas. Or, il est difficile de croire que l'Esprit
saint ait inspiré un cantique pour célébrer un amour
charnel, quelque pur, quelque chaste qu'on le suppose,
d'autant plus que depuis le péché originel notre nature
est tellement portée aux plaisirs des sens, que les des-
criptions les plus innocentes qu'on peut faire de cet
amour charnel ne mettent point à l'abri du danger.
Troisièmement, le sens allégorique convient d'autant
mieux que les écrivains de l'Ancien-Testament , par un
usage généralement reçu , représentaient Dieu comme
un époux, la nation juive comme une épouse, et l'union
de l'un et de l'autre comme un vrai mariage; enfin,
la violation du culte divin comme une infidélité et un
adultère. Ajoutons que ces auteurs sacrés aimaient
tellement cette image , qu'ils ne craignaient pas d'en
développer les détails et de la suivre dans toutes ses
(!) Théodoret; Prœfat. in Canlic.
6^ DU CANTIQUE DES CANTIQUES.
circonstances. Et pour nous borner à un petit nombre
d'exemples, sans parler même d'Ezéchiel, qui s'en est
permis un usage si hardi et si libre, nous dirons qu'I-
saïe, Jérémie et Osée, l'ont employée plus d'une fois, et
que même les auteurs du Nouveau-Testament l'ont con-
sacrée de nouveau par leur autorité (1) , et que les chré-
tiens, leurs disciples, n'ont fait que les imiter en intro-
duisant cette manière d'exprimer l'amour divin jusque
dans les prières et les élans les plus purs de la piété (2) .
On objecte contre cette dernière opinion, qui ne voit
dans le Cantique qu'une constante allégorie : 1° Il n'y
a rien dans tout le livre qui indique le moins du monde
le sens allégorique, tout absolument s'y rapporte à l'a-
mour humain ; au point que le nom de Dieu n'y paraît
pas une seule fois. Or, assez ordinairement, dans les
allégories de l'Ecriture même les plus courtes , le sens
propre se trouve mêlé au sens figuré. 2° Si le Cantique
était une allégorie de l'amour réciproque de Jésus-
Christ et de son Eglise, on devrait rencontrer une
analogie très-naturelle entre les qualités que l'auteur y
donne aux deux époux , et les qualités du Sauveur et de
l'Eglise. Or, cette analogie est si peu naturelle que les
{i) Jes. Liv, 6; lxii, 4-5. Jer. xi, 32. Eze. xvi. Malth. ix, 15.
Joan. m, 29. 2 Cor, xi, 2. Ephes. v, 23. Apoc, ix, 7, etc.
(2) Quant à la question de savoir si les Persans, les Turcs, etc.,
ont des poésies mystiques dans le genre du Cantique des cantiques ,
elle ne nous a point paru devoir être traitée ici ; nous renvoyons à
Guil. Jones, Poeseos Asialicœ Commentariorum libri sex. p. iii,c.
IX, et à sa dissertation particulière sur la poésie mystique des Perses
et des Indienst dans le recueil de ses œuvres, et dans Asiatick Re-
searches; et à Rosenmïiller dans ses remarques ajoutées au traité De
la poésie sacrée des Hébreux. Leipzig, 1S15, pag. 619.
DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 69
interprètes qui veulent l'y trouver sont obligés de re-
courir aux explications les plus forcées. 3° On emploie
l'allégorie pour enseigner une vérité morale qui n'est
pas connue. Or , toute l'allégorie du Cantique , quand
on s'en tient fidèlement au texte, n'exprime autre chose
que l'amour de Dieu pour son Eglise; vérité très-con-
nue, et qui n'avait pas besoin d'une aussi longue allé-
gorie. 4° Si l'Esprit saint, en inspirant ce chant, n'avait
eu en vue que l'amour de Jésus-Christ pour son Eglise,
il ne l'aurait certainement pas oublié dans la plupart
des circonstances, qui, de l'aveu des meilleurs inter-
prètes, n'ont aucun rapport à cet objet. 5° On ne doit
jamais recourir au sens allégorique, à moins qu'on n'y
soit forcé par quelque circonstance particulière. Or, ici
rien ne nous y oblige. Ce n'est point la synagogue quj
a pu mal interpréter ce cantique , comme elle l'a fait de
beaucoup d'autres parties de l'Ecriture ; ce n'est pas
non plus l'Eglise chrétienne, car quand elle a condamné
ceux qui regardaient ce livre comme obscène, elle n'a
pas décidé expressément qu'il avak été composé pour
décrire un amour allégorique; ce ne sont point les pères
qui l'ont expliqué allégoriquement, vu que leurs inter-
prétations ne nous offrent nullement une règle certaine.
Qui voudrait , par exemple , admettre toutes les allégo-
ries d'Origène et de saint Bernard? Enfin, dans les au-
tres livres de l'Ecriture , il n'y a rien qui puisse nous
forcer d'avoir recours à l'allégorie. — Nous ne préten-
dons pas que notre sentiment soit un dogme de foi, nous
croyons seulement qu'il est très-probable , et les diffi-
cultés que nous venons d'exposer ne paraissent pas de-
voir en diminuer la probabilité : on peut en juger par
notre réponse. 1° Les critiques ne sauraient disconve-
70 DU CANTIQUE DES CANTIQUES.
nir que dans le discours parabolique il n'est pas abso-
lument nécessaire que le sens propre se trouve exprimé;
au contraire, il est en quelque sorte de l'essence d'une
composition de ce genre , que la chose signifiée reste
cachée sous le voile de l'allégorie (1), Aussi, combien
de fois la synagogue et l'Eglise sont-elles représentées
dans l'Ecriture sous l'image d'unevigne et d'une épouse,
sans pour cela que Dieu s'y trouve nommé, bien qu'il
soit et l'époux de cette épouse et le maître de la vigne?
Voit-on encore dans la parabole de l'enfant prodigue
(Luc. XV, 11-32) quelque chose qui exprime au sens
propre le pécheur, qui est pourtant l'objet figuré ? Y
a-t-il rien qui ne puisse convenir à un enfant ordinaire?
n'offre-t-elle même pas plusieurs traits qui, de l'aveu
des meilleurs interprètes , ne conviennent nullement
dans le sens propre , et qui sont ajoutés uniquement
pour l'ornement de l'allégorie? Enfin, lit-on une seule
fois le nom de Dieu, dont le père du jeune prodigue
n'est cependant que le représentant et la figure dans
cette parabole? Or, de même qu'un bon critique n'o-
serait jamais inférer de ces circonstances, que la para-
bole n'est pas allégorique ; de même aussi , quoique le
nom de Dieu ne se lise pas dans le Cantique , quoique
tous les traits puissent absolument caractériser l'amour
conjugal , et qu'il y en ait même quelques-uns qu'on
(1) « Verum quominus poeta disertis verLis indicaret, quidnamsub
allegorico involucro lateret, impediebat carminis interna natura et
constitutio, forma dico quam sibi elegerat, dramatica. Neque enim
ipse loquitur, narratve aut describit, quae sibi objecta sunt, sed io
dranoaticam quasi actionem, in qua ipsi, poetœ, nullae partes essent,
versum est totum ejus argumentura (Pvosenmiiller, Proœm, in Cant.
p. 266, not. II). »
DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 71
aurait tort d'expliquer de l'amour divin, on n'a aucun
droit de conclure que le Cantique n'est pas allégorique.
2° Il n'est point certain que toutes les explications données
pour montrer qu'il s'agit de l'amour divin dans le Can-
tique, soient peu naturelles et forcées; car Grotius lui-
même , dont le commentaire inspire le dégoût et l'hor-
reur, Grotius avoue que quoique Salomon n'ait eu en
vue que de célébrer son mariage avec la fille du roi d'E-
gypte, il a tellement choisi ses expressions qu'on peut
très-bien y appliquer un sens spirituel, et que ce n'est
pas sans succès que les interprètes ont cherché à dé-
couvrir ce sens. 3" On n'emploie pas seulement l'allégo-
rie pour enseigner une vérité d'ailleurs inconnue; mais
on s'en sert encore pour dépeindre plus vivement , et
imprimer avec plus de force dans l'esprit une vérité
déjà connue, surtout quand elle est importante. Or, qui
peut douter que l'amour de Dieu pour l'Eglise ne soit
une vérité d'une haute importance? 4° Rien n'empêche
que l'Esprit saint se soit borné à peindre l'objet prin-
cipal, c'est-à-dire l'amour divin, et que tout le reste ne
soit ajouté comme ornement ; de même qu'un peintre
qui voudrait retracer l'amour d'un roi pour son peuple,
pourrait se contenter de représenter le prince descen-
dant de son trône , et venant embrasser son royaume
personnifié sous l'image d'une femme; mais dans le cas
où il ajouterait à son tableau les officiers du prince ,
les compagnes de cette femme allégorique, les arbres,
les ruisseaux , les villes , etc. , tous ces traits particu-
liers , loin de nuire au sujet principal , ne feraient que
l'embellir , et lui donner par là même plus de charme
et d'intérêt. 5° Peut-on dire avec tant d'assurance qu'au-
cune autorité ne nous oblige à admettre le sens allégori-
72 DU CANTIQUE DES CANTIQUES.
que , quand la tradition unanime des deux églises juive
et chrétienne l'a admis elle-même; d'autant plus qu'une
tradition de cette nature ne peut s'expliquer que dans
la supposition où ce sentiment remonte jusqu'à l'origine
même^^du Cantique? Ajoutons que quoiqu'on ne soit
pas obligé d'admettre toutes les allégories des Juifs et
des pères, dans lesquelles il a y beaucoup de variété ,
il ne s'ensuit pas qu'on doive rejeter celle de l'a-
mour divin , en faveur de laquelle toutes les autorités
se réunissent. C'est peut-être encore trop légèrement
que nos adversaires affirment que l'Ecriture ne dit rien
nulle part qui puisse nous forcer de recourir à l'allégo-
rie ; car saint Paul dit formellement que (c toute l'Ecri-
ture étant inspirée de Dieu est utile pour instruire, pour
reprendre, pour corriger et pour conduire à la justice,
afin que l'homme de Dieu soit parfait, et disposé à toute
sorte de bonnes œuvres (2ïim. m, 16, IT).» Or, com-
ment le Cantique des cantiques , qui du temps de Ta-
pôtre faisait partie de l'Écriture inspirée, pourrait-il pro-
duire aucun de ces effets s'il ne nous portait qu'à un
amour charnel? Ainsi, d'après cet exposé, il nous sem-
ble beaucoup plus probable que le sens littéral du Can-
tique n'est ni Salomon ni son épouse, mais Dieu et son
Eglise, bien que l'auteur ait emprunté ses images et ses
figures à l'amour conjugal , le plus propre à nous faire
comprendre l'amour divin qu'il voulait exprimer (1).
(1) Piosenmûller, qui a très-bien défendu le sens allégorique, pense
aujourd'hui que l'objet du Cantique n'est point l'amour réciproque
de Dieu et de son Église, mais la sagesse, que l'auteur du livre a voulu
enseigner et faire goûter. Plusieurs argumens du savant critique sont
assez spécieux, mais dans l'ensemble ils n'offrent pas une preuve
assez forte pour que nous essayons de réfuter son senliment.
DU CAiVTIQLE DES CANTIQUES. 73
ARTICLE II.
De V auteur du Cantique des cantiques.
On peut regarder comme presque certain le senti-
ment qui attribue à Salomon la composition du Cantique
des cantiques. D'abord, la synagogue et l'Eglise chré-
tienne n'ont jamais élevé le plus léger doute sur ce point.
En second lieu, l'inscription qui est en tête du livre nous
en offre une nouvelle preuve. Quelques exégètes ont
prétendu, à la vérité, que la particule hébraïque le p),
que l'on traduit par le génitif de possession , ou le cas
d'attribution, signifiant aussi bien au sujet de, touchant,
qui traite de, on ne pouvait rien en conclure en faveur
de notre sentiment; mais sans contester à la particule
hébraïque celte seconde signification, nous soutenons
qu'il n'y a pas lieu d'en faire ici l'application ; car les
meilleurs critiques s'accordent à dire que dans les titres
des livres cette préposition désigne incontestablement
les auteurs. De là vient que les Septante ont traduit : o
ii-L ioÛM'jL';yj , et que les interprètes de tous les temps
l'ont entendue de la même manière. Troisièmement, le
sujet et la forme du Cantique sont en harmonie parfaite
avec l'époque à laquelle vivait Salomon. Aussi Jahn et
Ewald ont été si frappés de cette grande conformité ,
qu'ils s'en sont servis comme d'un argument pour prou-
ver contre plusieurs critiques, que si ce livre n'est pas
sorti de la plume de Salomon , il a du nécessairement
être composé avant la captivité. Il y a cette différence
entre Jahn et Ewald, que le premier reporte la compo-
sition de cet ouvrage à la fin de la monarchie des Juifs,
tandis que ce dernier la fait remonter jusqu'au temps
v. 4
74 DU CANTIQUE DES CANTIQUES.
voisin de Salomon (1). Ce qui empêche la plupart de nos
critiques modernes d'embrasser le sentiment unanime
de tous les anciens, c'est qu'on lit dans le Cantique des
mots chaldéens , et quelques termes nouveaux qui ne
paraissent avoir été en usage chez les Juifs que dans les
derniers temps de leur monarchie. Nous ne cesserons
de le répéter, nous défions nos adversaires de démon-
trer d'une manière certaine, et par des argumens fon-
dés sur une critique rigoureuse, l'époque précise avant
laquelle tel ou tel terme était absolument hors d'usage
dans la langue des Hébreux. Il est vrai que ces mots qu'on
nous objecte ne se rencontrent pas dans les Proverbes.
Mais quand on ne pourrait expliquer entièrement ce
phénomène, quand on accorderait même que ces mots
sont d'un écrivain postérieur à Salomon , s'ensuivrait-
il nécessairement que le fond du livre n'est pas l'ouvrage
de ce prince, surtout quand le sentiment contraire nous
est attesté par une tradition unanime, universelle, dont
l'origine se perd dans l'antiquité, et que cette tradition,
déjà si imposante en elle-même, se trouve confirmée par
les principaux caractères intrinsèques du livre ? Ainsi,
les raisons qu'on allègue pour enlever à Salomon le Can-
tique des cantiques ne sont ni assez fortes, ni même
assez spécieuses pour nous faire abandonner un senti-
ment qui a été universellement reçu jusque dans ces
derniers temps.
(1) Jahn, Inmduclio, § 208. Ewald, Das Holied Salom. S* 23 //'•
DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 75
ARTICLE III.
De la divinité du Cantique des cantiques.
Théodore de Mopsueste a contesté l'autorité divine du
Cantique des cantiques ; les anabaptistes sont allés plus
loin encore : ils l'ont rejeté comme un livre obscène ; et
Grotius et Voltaire, marchant sur leurs traces, ont pré-
tendu y trouver les sens les plus révoltans. A ces erreurs
et à ces impiétés, nous opposons comme une vérité de foi
l'énoncé de la proposition suivante .
PROPOSITION.
Le Cantique des cantiques est un livre divin.
Cette vérité est appuyée sur des preuves tant directes
qu'indirectes. Ce que nous avons dit à l'article i, en par-
lant de l'objet même du Cantique, nous dispense d'entrer
ici dans de longs détails ; nous nous bornerons donc à
quelques considérations.
1 . Les Juifs de tous les temps et de toutes les sectes ,
toutes les églises chrétiennes, soit catholiques, soit pro
testantes, tous les pères et tous les commentateurs, re-
çoivent unanimement cet ouvrage comme divinement in-
spiré. Les Juifs ont suffisamment prouvé leur foi sur ce
point, en l'insérant dans le recueil des Écritures cano-
niques de l'Ancien-Testament ; les chrétiens n'ont pas
donné une preuve moins évidente de la leur, en le pla-
çant aussi dans leur canon sacré, et en frappant Théo-
dore de Mopsueste d'anathème, dans le second concile
de Constantinople.
76 DU CANTIQUE DES CANTIQUES.
2. Le Cantique étant, comme nous l'avons montré à
l'article i, une pure allégorie, il n'y a rien qui soit in-
digne de l'inspiration divine. Ajoutons que l'objet uni-
que de ce livre étant l'amour réciproque de Dieu et de
son Église, objet le plus noble et le plus sublime, l'Esprit
saint a certainement pu favoriser l'auteur de son divin
secours .Quant aux obscénités qu'on a prétendu y décou-
vrir, elles n'y sont réellement point; et ce n'est qu'à l'aide
de fausses explications qu'on peut les y trouver. Il est
vrai que Salomon décrit les parties du corps de l'épouse;
mais, pour se convaincre qu'il ne l'a point fait de ma-
nière à violer les lois de la décence, il suffit de remar-
quer, l"» que la simplicité du langage est toujours en pro-
portion avec la simplicité des mœurs, et que par consé-
quent un peuple simple parle simplement et sans détour.
Ainsi le peuple hébreu, qui était incontestablement dans
cet état de simplicité naturelle, ne s'offensait nullement
de certaines descriptions qui frappent et blessent né-
cessairement notre imagination corrompue; 2*" que,
dans l'Orient, les hommes , ne vivant jamais avec les fem-
mes, s'expriment très-librement entre eux, et ne con-
naissent point cette réserve que nécessite, chez les Oc-
cidentaux, le mélange des deux sexes. Cette observation
est aussi applicable aux femmes, qui , de leur côté, ne
sont pas moins libres entre elles. De même que dans ces
climats la nudité presque entière ne choque point les
yeux ; de môme aussi la plus grande liberté dans les ex-
pressions n'offense nullement les oreilles ; S'' que les des-
criptions qui nous paraissent trop libres ne sont pas
mises dans la bouche de personnes étrangères, mais dans
celle de l'époux et de l'épouse ou de ses compagnes,
ce qui fait que le décorum est observé ; i° enfin , que
^ DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 77
comme les personnages réels du Cantique sont Dieu
et son Église, cette description des parties du corps de-
venait nécessaire pour exprimer les qualités ineffables de
ces divins époux.
ARTICLE IV.
De la forme et de Vélocution du Cantique des cantiques.
1. Quelques interprètes prétendent que le Cantique
des cantiques est un drame parfait, c'est-à-dire un
poème où se trouve une action unique, complète, d'une
étendue convenable, dans laquelle les incidens naissent
les uns des autres, et qui, par une suite d'événemens va-
riés, parvient à un dénouement. Mais, comme l'observe
judicieusement Lowth, rien de semblable ne se trouve
dans le Cantique des cantiques : « Depuis le commence-
men t j usqu'à la fin , l'état des choses reste con&tamment le
même; il n'y a que les sentimens des personnages qui
varient, et cette variation consiste principalement en ce
qu'ils languissent s'ils sont éloignés l'un de l'autre , et
qu'ils se livrent à une joie réciproque quand ils sont
réunis (m, v). L'épouse, lorsque son époux est absent,
le regrette, le cherche, le retrouve, l'embrasse, et le con-
duit dans sa demeure. L'époux s'éloigne de nouveau;
elle le poursuit encore, mais inutilement ; elle s'afflige,
tombe dans la langueur, charge ses compagnes de mes-
sages pour lui, et trace une peinture détaillée et bril-
lante de sa beauté. Il n'est rien en tout cela qui carac-
térise une véritable action.. . Nous pouvons donc mettre
en fait, sans aucune crainte, que le Cantique de Salomon
appartient seulement à cette espèce de poésie qui n'a de
78 DU CANTIQUE DES CANTIQUES.
dramatique que la forme, et qui ne peut jamais obtenir
le titre de drame proprement dit (1). »
2. Quoi qu'il en soit de la forme et de l'économie de
ce cantique, envisagé sous le rapport de la poésie en gé-
néral, il nous offre un modèle achevé de beauté, de grâce
et de délicatesse. Huet pense qu'il a été préservé du sort
qui a fait périr tous les autres cantiques de Salomon,
soit parce qu'il exprime l'amour de Dieu pour le peuple
juif, et celui de Jésus-Christ pour son Église; soit à
cause de l'élégance inimitable de ce poème, qui surpasse
de beaucoup ceux de Théocriteetde Catulle ; car, dit ce
savant critique, si on excepte quelques comparaisons un
peu trop gigantesques pour nous, qui n'avons pas toute
l'exaltation des Orientaux , il est plein de grâces et de
beautés si fraîches, de mouvemens si tendres et si pathé-
tiques, d'images si vives et si gracieuses ; il y a de plus
un si juste accord entre les différens personnages et les
discours qu'on leur prête, que c'est à juste titre qu'il est
nommé par les Juifs le plus beau , le plus parfait des
cantiques, en un mot, le Cantique des cantiques.
Lowth , après avoir développé la nature et la forme de
cette belle composition, ajoute : « Ce poème brille des
couleurs les plus propres à lui donner une extrême élé-
gance, et se distingue surtout par la variété et le choix
exquis des images.» Terminons cet article par le ta-
bleau ravissant que Bossuet en a tracé : « Tout ce can-
(1) Lowtli, De la poésie sacrée des Hébreux , Leçon xxx. Voyez eq^
core un peu plus haut (pag. 65) ce que nous avons dit de l'opinion
des critiques qui prétendent que le Cantique n'est qu'une collectioq
de poèmes différens, et du sentiment de Bossuet, qui le divise en sept
parties correspondantes aux sept jours de solennité qui s'observaient
dans les noces des Hébreux.
DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 79
tique abonde en objets délicieux; partout l'œil n'aperçoit
que des fleurs, des fruits, une profusion de plantes les
plus agréables ; le charme du printemps, des campagnes
fertiles, des jardins frais et fleuris, des eaux, des puits,
des fontaines ; l'odorat est frappé des plus douces odeurs
que l'art a préparées ou qui sont l'ouvrage de la nature ;
nous y voyons des colombes, de plaintives tourterelles ,
du miel, du lait, des flots d'un vin exquis ; enfin, dans les
deux sexes, nous n'admirons que grâces, qu'éclat, que
beauté, que chastes embrassemens, qu'amours aussi doux
que pudiques. Si quelques objets terribles, tels que des
rochers, des montagnes sauvages, le repaire d'un lion, y
frappent notre vue, c'est pour accroître encore, parle
contraste et la variété, le charme du tableau le plus gra-
cieux (1).))
ARTICLE V.
Des commentaires du Cantique des cantiques.
l.Le nombre des pères, des écrivains ecclésiastiques
et des interprètes modernes catholiques qui ont écrit sur
ce livre, est infini ; nous nous bornerons à citer les sui-
vans.Nous avons deux homélies d'Origène, qui s' éten-
dent depuis le chapitre i,l, jusqu'au chapitre II, li; elles
ont été traduites en latin par saint Jérôme, et se trouvent
dans les œuvres de ces deux pères. — Epiphan. Com-
mentarius in Cant.cantic, prodiit nunc primum ex
•antiqua versione latina^ opéra et studio P. Fr. Fogginii.
Romœ, 1750,in-V. — Philonis Carpathii, £'«arra/îo in
(1) Huet, Demomtr. Prop. iv. De Canlic. n. i. Lowth, De la -poésie
sacrée des Hébreux. Leçon xxxi. Bossuet, Préf. du Cant. des cant,
§iv.
80 DU CANTIQUE DES CANTIQUES.
Cant. cantic.gr. etlat., edidit M. A. Giacomellus. Ro-
mœ, 1772, m-k". — Le commentaire de Théodoret mérite
surtout d'être consulté. — Saint Grégoire de Nysse a com-
posé quinze homélies qui ne vont pas au-delà du chapi-
tre vi, 8. — Saint Grégoire le Grand a aussi écrit sur le
Cantique des cantiques. Les derniers éditeurs de ce père
ont prouvé l'authenticité du commentaire qui porte son
nom, et ont montré qu'il était fort différent de ce que saint
Patère et le vénérable Bède ont composé sur le même suj et,
et qui n'est, en grande partie, qu'un extrait tiré du même
saint Grégoire. — Saint Bernard a composé quatre-vingt-
six sermons sur les deux premiers chapitres et le premier
verset du troisième. Erasme, parlant de ce travail dans
une de ses lettres, dit qu'il est supérieur aux autres ou-
vrages du saint docteur; etBossuet, dans sa préface du
Cantique des cantiques , fait la remarque suivante :
«Après Origène vient Philon, évoque de Carpathe, qui
vivait au iv^ siècle. Saint Bernard, qu'une onction toute
divine instruisait des mystères renfermés dans ce canti-
que, recueille dans son commentaire la substance de ce
qu'ont dit ces deux auteurs. » — Aurelii Cassiodori in
Canticum expositio. Si ce commentaire est authentique,
il a été au moins interpolé, puisqu'au chapitre m, ver-
set 11, on y trouve cité saint Grégoire le Grand. Il a été
imprimé dans le tome ii des œuvres de Cassiodore, don-
nées à Rouen par le P. Garet, en 1679, 2 vol. in-fol. —
Parmi les interprètes modernes, nous citerons les sui-
vans: Robert Holcoth, dominicain anglais, mort en 1349,
Lecturain Cant. canticorum. Yenetiis, lo09, et Basileœ,
1586, în-/bL — Les commentaires deFrançoisTitelmann,
accompagnés seulementde notes tirées des textes hébreu,
chaldéen et grec, ont paru à Anvers 15i7, à Paris 1550,
DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 81
155i,àLyonloo3,in-8^ — G. Genebrardi Observationes
in Cant. cantic. Paris, 1579, in-i", et Cant. cant. versi-
bus jambicis et commentariis explicatum adversus tro^
cJiaicam Theod. Bezœ paraphrasin. Paris, 1585, in-8°. —
Maldonat a fait des scholies qui ont été imprimées avec
son commentaire sur les grands prophètes, Paris, lGi3,
in-fol. — Joa.nn\s3LJesu-yi?LnsL,InterpretatioCant. cantic.
Romœ, IQOi; Salmanticœ, 1602; Moguntiœ, 1603, 1610,
in-8°. — J. de Pineda, Prœlectio sacra in Cant. cantic.
Hispali, 1602, in-i°. — M. A.Delrionis Comment, qua-
druplex in Cant. cantic. et catena mystica. Ingolst.
160+, in-fol. — M.GhisleriiCan^. cantic . Salomonis juxta
lectiones Vulgatam, Ebrœam, et Grœcas , tum Septua-
ginta, tum aliorum interpr. Romœ, 1609. Les éditions
de Venise 1613, d'Anvers 1614, de Paris 1618, et de
Lyon 1620, ont été corrigées et augmentées. — L. Fro-
mondi Commentaria in Cant. canticor. Lovanii, 1652,
1657, in-i°. — En 1717, a paru à Paris sous le voile de
l'anonyme, une explication en vers français du Cantique
des cantiques, appliquée à la sainte Vierge. Cette expli-
cation, suivie d^ notes et de passages tirés des saints pè-
res , forme un volume in-8'', dans lequel les âmes pieu-
ses trouveront les sentimens les plus tendres envers
JÉSUS et sa sainte Mère. — Enfin, M. A. Guillemin, dont
nous avons parlé plus haut (page Sk-), a publié : Le
Cantique des cantiques , en vers français, d'après V hé-
breu, avec le texte de la Vulgate annoté, et l'interpréta-
tion conforme aux monumens de l'orthodoxie [le texte
original à la fin avec des notes philologiques), Paris,
grand in-S\ L'auteur a fait précéder sa traduction d'une
Préparation à la lecture du Cantique des cantiques, pré-
paration dans laquelle il prouve que V amour chaste y
82 DU CANTIQUE DES CANTIQUES.
est chanté chastement , et d*une vue générale du Canti-
que des cantiques , où il soutient que cette divine compo-
sition est purement allégorique. Chaque chapitre ou
chant est suivi d'une interprétation méditée, empruntée
pour le fond aux pères de l'Église et aux interprètes.
Viennent ensuite V Intention finale de toutes les paraboles
du Cantique des cantiques^ et des notes philologiques, dont
le but principal est de montrer que l'auteur du Canti-
que des cantiques est Salomon, et que les poèmes regar-
dés comme allégoriques et mystiques dans les littératures
arabe, persane et turque, n'ont rien de commun avec ce
divin poème des Hébreux. Nous terminerons en disant
que M. Guillemin a traduit le texte sacré de la manière
la plus chaste, et que pour éprouver des sentimens con-
traires il faudrait apporter à la lecture de son ouvrage
un cœur déjà corrompu.
2. Les protestans ont aussi beaucoup écrit sur le Can-
tique des cantiques; nous nous bornerons à nommer les
suivans : Th. Jamesii Expositio libri Canticorum ex
patribus, Oxonii, 1607, in-4°.— Jacq.Durham, Anglais
d'York et calviniste, a fait une exposition en anglais ,
imprimée d'abord à Edinbourg en 1668, puis à Londres
en 1669, et traduite en flamand et publiée à Utrecht en
1681, in-4.o. — P. Schutten , Commentarius in Cant.
cantic. etc. Lips. 1678, in-4°. — C.Mariœ de Veil Ex-
plie, literalis Cant. cantic. ex ipsis Scripturarum fonti-
busy Hebrœorum ritibus et idiomatis, veterum et recen-
tiorum monumentis eruta. Londini, 1679, in-k'^. — Fr.
Wokenii Commentatio in Cant. cantic. Viteberg. 1792,
in-4-°. — J. G. Velthusen a publié Catena Cantilenarum
in Salomonemy etc. Helmstadii, 1786, in-8° . Cet auteur
a publié deux autres ouvrages en allemand sur le même
DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 83
sujet, Braunschweig, 1786,in-8°. — Enfin, nous citerons
encore les commentaires allemands de F. W. G. Um-
breit,Gœttingue,1820, etHeidelberg,1828,in-8°; édition
augmentée et corrigée; deG.Ph. Ch. Kaiser, Erlangen,
1825; in*8°; de G. H. A. Ewald, Gœttingue, 1826, in-S";
de J. Ch. C. Dœpke, Leipzig, 1829, in-8°; et nous dirons
en terminant, qu'à quelques passages près, les scholies
de Rosenmtiller nous offrent d'excellentes explications
philologiques ; seulement, notre critique pense que l'au-
teur du Cantique des cantiques était contemporain de
l'auteur de l'Ecclésiaste ; or, il place ce dernier entre
Néhémie et Alexandre le Grand.
3 . Nous citerons parmi les commentaires juifs ceux de
Sal.Alkabets, Venise, 1552, in-i°; d'Abr. Tamach, qui
a paru avec le texte sacré à Sabionetta, 1558, et à Pra-
gue, 1611, in-12; de Sam. Aripol, Saphet, 1579, in-i";
de Moïse Alschech, Venise, 1591 et 1603, in-4°; d'Abr.
Ben Isaac Laniado, Venise, 1619, in-^°; ce dernier com-
mentaire , outre le texte biblique ponctué qu'il offre
comme les précédens, contient de plus Raschi, le Tar-
gum et une traduction espagnole en caractères hébreux ;
de M. Ben Nachmann, Altona et Berlin, 1764, in-4°. En-
fin, nous citerons encore la traduction allemande de M.
Mendelssohn, avec des remarques par A. Wolfssohn et
Joël Bril. 1771, le tout en lettres hébraïques; et Salo-
mo's hohes Lied fiir die Judischdeiitsche Nation ilbersetzt
und mit einigen erlœuternden Amnerkungen verfehen
von M. Mendelssohn, und die hebrϕschen Lettern in
deutsche ilbergetragen von Israël Abr. Brakel. Braun-
schweig, 1789, in-8°.
84 DU LIVRE DE LA SAGESSE.
CHAPITRE CINQUIÈME.
DU LIVRE DE LA SAGESSE.
La Sagesse est un des livres deutéro-canoniques de
l'Ancien-Testament. «L'usage de l'Église, dit D. Cal-
met, a toujours donné aux livres attribués à Salomon
le titre de Livres sapientiaux. Les pères les citent assez
souvent sous le nom général de Sagesse de Salomon^ et
dans le langage ecclésiastique, le livre de la Sagesse
comprend non seulement tous les vrais ouvrages de ce
prince, mais aussi l'Ecclésiastique, et celui que nous al-
lons expliquer, qui, par un privilège particulier, a été
nommé par excellence le livre de la Sagesse Quel-
ques anciens le citent aussi sous le nom de Panaretos,
c'est-à-dire trésor de toute vertu, ou ramas de toutes
sortes d'instructions qui conduisent à la vertu. Et c'est
dans ce sens que l'on doit prendre ici le nom de sagesse,
comme synonyme à la religion, à la piété, à la crainte de
Dieu, à la justice (1).»
ARTICLE I.
Du texte original et des versions du livre de la Sagesse.
1. Saint Jérôme et après lui tous les meilleurs criti-
ques de ces derniers temps pensent que le livre de la
Sagesse a été écrit originairement en grec. Voici les
motifs sur lesquels ils s'appuyent : 1" Si le livre de la Sa-
gesse avait été composé en hébreu, il y aurait certai-
(1) D. Calmet, Préface sur le livre de laSanesse.
DU LIVRE DE LA SAGESSE. 85
nement quelques phrases ou quelques mots dans la tra-
duction qui nous le ferait connaître ; car il est presque
impossible qu'une version grecque d'un livre hébreu ne
décèle pas par quelque endroit son original, ces deux
langues étant d'une nature si différente. Or, il n'y a rien
dans le grec de la Sagesse qui puisse autoriser à con-
clure que l'hébreu en est le texte primitif. En effet, le
tour de la phrase est entièrement grec ; les hébraïsmes,
qui ne s'y rencontrent d'ailleurs que très-rarement,
sont tels qu'on devait les attendre d'un juif helléniste.
2° « TS^on seulement, ditBossuet, ce livre respire l'élo-
quence grecque , comme le remarquait saint Jérôme,
mais il est écrit dans un certain goût sophistique, sage
néanmoins et savant, tel qu'il était en vogue dans tout
l'Orient et surtout à Alexandrie sous l'empire des rois
macédoniens. 11 a plu à Dieu que ce style, quoique
prodigieusement éloigné du style noble et simple des
livres hébreux, fût pourtant employé, et par là consa-
cré à la composition de ses divins oracles. C'est ainsi que
la sagesse divine a voulu se mettre à la portée de tous
les hommes, et s'accommoder à la façon de penser et
au goût des différens âges du monde. Le second livre
des Machabées fournit aussi la preuve de ce que je dis
ici (1) . » De plus, il y a beaucoup de jeux de mots qu'un
traducteur n'eût pas pris la peine de conserver, et qui
supposent évidemment que l'écrivain qui les fait a
écrit dans la langue grecque, dans laquelle seule ils
peuvent exister. Faber, à la vérité, a voulu montrer qu'ils
se trouvaient aussi dans l'hébreu ou dans le chaldéen,
(1) Cossuet, Préface sur le livre de la Sagesse. § i. (rad. de M. Le
Roi.
86 DU LIVRE DE LA SAGESSE.
îBais les étymologies auxquelles il a recours pour sou-
tenir son paradoxe sont si faiblement établies et si for-
cées qu'on ne doit pas s'y arrêter (1). Enfin, ce livre
contient un certain nombre de mots qui supposent des
idées inconnues dans l'idiome hébreu, et qui viennent
de la philosophie ou même de la mythologie des Grecs;
tels sont par exemple c-w^oocr-jv/j tempéraiice ; mlvv^pM-
TZQç philantrope ; àii^.poala. ambroisie. 3° Si le grec que
nous avons était la traduction d'un ouvrage hébreu, le
traducteur aurait nécessairement conservé le génie, la
méthode et la marche des auteurs hébreux, si opposés
à l'éloquence et à la sophistique grecque. Son style ne
serait ni si nombreux, ni si abondant en épithètes; en
un mot, son style ne serait pas si conforme au goût des
rhéteurs et des sophistes grecs , mais il se rapproche-
rait de celui qui règne dans les versions de l'Ecclésias-
tique, ou du premier livre des Machabées. V Ce qui
prouve encore que la Sagesse n'a point été écrite primi-
tivement en hébreu, c'est que l'auteur cite l'Écriture
sainte selon les Septante et nullement selon le texte
hébreu (2). 5° Enfin, jamais aucun ancien écrivain n'a
(1) Voy. Jahn, Einleilung. § 253. ^\c\i\iOTXiy Einleit. in die apokr.
Bilcher, Seit. 197-199. Hasse, Ueberseizimg der fVeisheit,Seit.2Z8-
(2) Le P. Houbigant {Prolerjom. ad libr. Sap.) convient que dans
les dix derniers chapitres, l'Ecriture est citée d'après les Septante,
mais qu'il en est tout autrement dans les neuf premiers. Cependant,
quoi qu'en dise le savant critique, ne senible-t-il pas évident que les
mots Dressons des embûches au juste, parce qu'il nous est à charge
(il, 12), mots empruntés d'Isaïe (m, 12), sont cités d'après la ver-
sion des Septante, qui porte : Lions le juste, parce qu'il nous est à
charge, et non point d'après le texte hébreu, où on lit à la lettre :
Dites au juste que {tout va) bien?
DU LIVRE DE LA SAGESSE. 87
dit qu'il avait vu ou connu ce livre en hébreu; le tra-
ducteur lui-même n'en dit rien. Il était entièrement in-
connu en cette langue à Joseph, à Philon, à Origène, à
saint Jérôme (1).
2. La version latine que nous avons de la Sagesse est
l'ancienne Vulgate, faite dès les premiers siècles de l'É-
glise sur le grec, qu'elle suit littéralement. Il y a un
grand nombre de variantes dans les exemplaires grecs ;
mais il y en a beaucoup plus encore dans les Bibles la-
tines. La traduction arabe qui se lit dans la Polyglotte
de Londres suit aussi le texte grec avec une grande fi-
délité. On ignore à quelle époque remonte son origine.
La version syriaque, imprimée dans la même polyglotte,
rend plus fidèlement le sens du grec au commencement
qu'à la fin. Quant aux leçons de cette version que Fa-
ber dérive du chaldéen, les unes proviennent unique-
ment de la négligence des copistes et des imprimeurs,
les autres ne sont que de simples paraphrases, d'autres
enfin s'expliquent plus facilement par le grec lui-
même (2).
ARTICLE II.
Du sujet et de l'auteur du livre de la Sagesse.
1 . Dans ce livre, composé de dix-neuf chapitres, et que
les uns divisent d'une manière, les autres d'une autre,
l'auteur se propose pour fin principale l'instruction des
rois, des grands et des juges de la terre. Les neuf pre-
(1) Hieron. Ep. ad Paulin. Prolog. Galeat. et Prœf. in libr. Sa-
lom. « Apud Hebraeos nusquam est, quin et ipse stylus graecam elo-
quenliam redolet. »
(2) Yoy. Jahn, Einleitung, et Introd. § 255.
\
88 DU LIVRE DE LA SAGESSE.
miers chapitres sont consacrés à l'éloge de la sagesse.
L'écrivain sacré décrit donc cette vertu par les heureux
effets qu'elle produit ; et pour mieux persuader ses lec-
teurs, il retrace le tableau des suites funestes delà folie.
Ainsi la sagesse console et procure le bonheur en ce
monde ; ou s'il arrive au sage quelque calamité, elle lui
donne plus tard une vie immortelle. La folie, au con-
traire, n'offre que malheur ici bas, et prépare pour
l'autre vie des tourmens éternels (i-vi).Ici l'auteur, em-
pruntant le rôle de Salomon, propose pour exemple ce
prince même, au nom duquel il parle, et il expose les
moyens par lesquels on peut acquérir la sagesse. Au
chapitre ix commence une espèce de paraphrase de la
prière que Salomon fit au Seigneur au commencement
de son règne, pour lui demander la sagesse (3 Reg.iii,
6 et seq.) ; cette prière est continuée jusqu'à la fin du
livre. Depuis le chapitre x jusqu'au xix inclusivement,
l'auteur s'attache à prouver par des exemples tirés de
l'histoire sainte que ceux qui pratiquent la sagesse sont
heureux, tandis que ceux qui s'en écartent et surtout les
idolâtres éprouvent les effets terribles de la justice de
Dieu. Ces exemples sont d'un côté Adam, Noé, Abra-
ham, Lot, Jacob, Joseph, le peuple hébreu en Egypte
et dans le désert; de l'autre. Gain, les Égyptiens et les
Chananéens.
2. Les sentimens ne sont pas moins partagés sur
l'auteur de la Sagesse que sur la manière de diviser ce
livre. Plusieurs pères et un grand nombre d'interprètes
ont attribué ce livre à Salomon ; quelques anciens ont
pensé qu'il était l'ouvrage de Philon ; Grotius croit qu'il
est d'un Juif qui l'a composé en hébreu depuis Esdras
et avant le pontificat du grand prêtre Simon ; Corneille
DU LIVRE DE LA SAGESSE. 89
Lapierre soutient de son côté qu'il a été écrit primitive-
ment en grec par un auteur, depuis le retour de la cap-
tivité de Babylone et vers le temps de Ptolémée Philadel-
plie ; Faber se déclare pour Zorobabel ; enfin quelques
critiques admettent plusieurs auteurs (1).
Aucune de ces opinions ne nous a paru solidement
fondée. Et d'abord celle qui attribue la Sagesse à Salo-
mon ne pourrait se soutenir, en supposant qu'on pût
l'établir d'ailleurs, qu'autant qu'on démontrerait que ce
livre a été originairement écrit en hébreu. Or, il est
beaucoup plus probable au contraire qu'il a été com-
posé en grec; nous croyons l'avoir prouvé dans l'article
précédent. Le titre grec, il est vrai, porte à la lettre la
Sagesse de Salomon ; mais, ou il faut l'entendre dans le
sens d'un recueil de maximes et de sentences dans le
goût de celles de Salomon, ou bien dire avec saint Jé-
rôme que ce livre est faussement appelé de ce nom, et
avec saint Augustin, que s'il est ainsi nommé, c'est uni-
quement parce que l'élocution de son auteur a quel-
que ressemblance avec celle de Salomon; vu que les
hommes les plus instruits [doctiores] croyent ferme-
ment qu'il n'est pas l'ouvrage de ce prince (2). Il est
(l)Tertull. De Prœscript. c.y\\.Cy\>n^n. DeTesiimon. l. m, c. xv.
Lvii, LVHi. Ambr. libro de Paradiso,c. Yii. HilâT. in Psalm. cxxvii.
Sixl. Sen. Bibliolli. l. viii, hœres. ix. Salmero, t. i, prolegom. viii*
Grolius, Cornel. à Lapide, Prcefat. in libr. Sap. Faber, Prolus. super
libro Sap. Scct. v. Houbigant, Prolegom. ad libr. Sap. et Ecclesiaslici.
Berlholdt, Einleilung, ^ 530.
(2) Hieron. Prolog. Galeat. Aug. De Civil. L xvii, c. xx. Il faut
bien qu'on ait reconnu la fausseté de ce titre, puisque l'édition de
notre Yulgate revêtue de l'autorité de Sixte V et de Clément VIII l'a
abandonné pour y substituer simplement ces deux mots ; Liber
Sapientice.
90 DU LIVRE DE LA SAGESSE.
vrai encore que c'est Salomon qui parle dans la Sagesse.
Mais l'auteur peut faire parler ce prince de deux ma-
nières, ou comme auteur de ce qu'il lui fait dire, ou
comme un personnage qu'il introduit pour nous in-
struire; c'est-à-dire que, dans notre opinion, Salomon
parle ici ou proprement ou par prosopopée. Or, ces
hypothèses n'ont rien d'impossible ni même d'invrai-
semblable. Et d'abord n'est-il pas possible que les deux
ou trois chapitres dans lesquels l'auteur fait parler Sa-
lomon contiennent réellement les paroles ou au moins
le fond des pensées de ce prince? Ne sait-on pas que
Salomon avait composé beaucoup d'ouvrages, qui ne
sont point parvenus jusqu'à nous? Et qui pourrait af-
firmer que l'auteur de la Sagesse n'a pas connu et cité
quelqu'un de ces écrits ? En second lieu, il est évident
que la prosopopée n'a jamais été interdite aux écrivains
sacrés. «L'Esprit de Dieu, remarque judicieusement
Rondet, l'Esprit de Dieu, qui a voulu que les instruc-
tions contenues dans les livres des Proverbes etdel'Ec-
clésiaste nous fussent données par le plus sage des rois,
a bien pu vouloir que celles qui sont renfermées dans
le livre de la Sagesse nous fussent données au nom de
ce même prince. » Seulement, pour éviter toute erreur
quand le livre a été publié, on a dû nécessairement
avoir des indices sûrs que Salomon n'y parlait qu'en
prosopopée. Or, il a été très-facile de reconnaître que
c'était uniquement ainsi que ce prince y figurait ; car un
livre composé en grec, comme l'est incontestablement
laSagesse,esttoutnaturellementregardé comme n'ayant
pu sortir de la plume d'un écrivain hébreu. Au premier
coup d'oeil, dit encore Rondet, on aperçoit qu'un Grec
qui parle au nom d'un Hébreu est un homme qui, par
DU LIVRE DE LA SAGESSE. 91
prosopopée, emprunte le nom et le personnage d'un Hé-
breu (1 ). Enfin, ce qui empêche encore d'attribuer la Sa-
gesse à Salomon, c'est, indépendamment du style, l'em-
preinte frappante d'un temps plus moderne que ce livre.
Quant aux critiques qui regardent Philon comme l'au-
teur de la Sagesse, ils ne sont pas mieux fondés. Car,
outre que Philon, mort dans le judaïsme après la répro-
bation de la synagogue , ne pouvait en aucune manière
être considéré comme un écrivain divinement inspiré;
les auteurs du Nouveau-Testament ont connu et cité la
Sagesse, comme nous le montrerons à l'article suivant.
Or, ce seul fait prouve suffisamment que ce livre ne
saurait être l'ouvrage de Philon, qui est mort plusieurs
années après Jéscs-Christ (2). Mais ce qui le montre
assez clairement encore, c'est le silence des anciens,
tels qu'Eusèbe et saint Jérôme même, Photius, Suidas et
les autres écrivains, qui n'ont jamais cité ce livre parmi
les ouvrages de Philon. Grotius et Corneille Lapierre, ne
s'appuyant que sur des conjectures tout-à-fait gratuites
et par fois peu conformes aux caractères intrinsèques
du livre même, n'ont pas fait de partisans. Quatrième-
ment, nous dirons avec De Wette que l'opinion deFa-
ber ne mérite pas l'honneur d'une réfutation ; cependant
Bertholdt a pris la peine d'en faire ressortir toute la
futilité (3). Ceux qui prétendent que la Sagesse est un
(t) Jusliftcaiion de la Dissertation de D. Calmet sur l'auteur du li-
vre de la Sagesse, contre la critique du P. Houbigant et du P. Griffet.
Bible de Vence. t. n,ipag. 461 et 479. Cinq, édit,
(2) Plusieurs prétendent que l'auteur de ce livre est un autre Phi-
lon plus ancien, natif de Byblos, et dont parle Joseph [Contr. Ap.
l. i) ; mais ce sentiment est généralement rejeté par les critiques.
(3J De Wette, Lehrbiich der hist. krit. Einleit. § 314. Bertholdt.
Ibid. ^ 529.
92 DU LIVRE DE LA SAGESSE.
recueil de plusieurs ouvrages composés par différens
auteurs se fondent principalement sur la diversité des
matières et sur la variété du style ; mais il faut que ces
prétendues différences ne soient pas bien sensibles,
puisque les critiques mêmes qui s'en servent pour éta-
blir leurs opinions ne s'accordent nullement dans la
manière de les déterminer. Aussi sommes-nous intime-
ment convaincu que ce livre forme un tout unique et
assez régulier, dont les parties, qu(^ique susceptibles
de certaines divisions, s'enchaînent et se lient étroite-
ment ensemble par le but général que l'auteur s'est pro-
posé. Quant à la variété du style, elle n'est pas assez
considérable pour l'attribuer à des plumes différentes ;
elle vient uniquement de ce que les sujets particuliers
traités dans le courant du livre ne sont pas absolument
les mêmes. Terminons cet article en disant avec D. Cal-
mât : « Avouons que l'auteur du livre de la Sagesse est
inconnu Il est hors de doute que l'auteur a vécu de-
puis les Septante, puisqu'il cite leur texte, même dans
les endroits oii ils s'éloignent de l'hébreu. Il écrivait
dans un temps où les allégories étaient à la mode
Toutes ces circonstances nous persuadent qu'il ne peut
pas être fort ancien. Je croirais qu'il est postérieur à ce-
lui de l'Ecclésiastique, que nous avons fixé sous les rè-
gnes de Ptolémée Epiphane en Egypte, et d'Antiochus
Épiphane en Syrie. Si cela est, notre auteur aura vécu
sous le gouvernement des Machabées (1).»
(1) D. Calraet, Dissert, sur l'auteur du livre de la Sagesse, à la fm.
Jahn partage aussi le sentiment de D. Calmet. Inirod. § 254.
DU LIVRE DE LA SAGESSE. 93
ARTICLE III.
De la divinité et de la canonicité du livre de la Sagesse.
Nous avons déjà remarqué (tomei, pag.98) que la
Sagesse n'ayant été composée qu'après la mort d'Esdras
et de iSéhémie, n'avait pu être insérée dans le canon
des Juifs. Nous avons remarqué encore (/èic^.pag. 128)
que les Juifs ayant établi une différence entre les livres
proto et deutéro-canoniques, et n'ayant point placé ces
derniers dans le catalogue sacré de leurs Ecritures, quel-
ques anciens pères de l'Eglise avaient cru devoir se con-
former à leur exemple, d'où il est résulté que l'autorité
divine et canonique de la Sagesse n'a pas toujours été
reconnue dans l'Eglise aussi universellement qu'elle
l'est aujourd'hui. Mais l'on ne saurait se prévaloir de
cette circonstance pour contester légitimement à cet ou-
vrage le titre de livre divinement inspiré. C'est pour-
quoi nous établissons comme exprimant une vérité de
foi la proposition suivante.
PROPOSITION.
La Sagesse est un livre divin et canonique.
La divinité et la canonicité du livre de la Sagesse
sont un fait qu'on peut facilement démontrer par des
preuves de plus d'un genre.
1. Les écrivains du Nouveau-Testament, pour confir-
mer certaines vérités qu'ils voulaient établir, ont cité un
grand nombre de passages évidemment empruntés du
livre de la Sagesse. On peut aisément s'en convaincre
en comparant : Matth. xiii, i, avecSap. m, 17; Matth.
94 DU LIVRE DE LA SAGESSE.
XXVII, 43, avec Sap. ii, 18; Rom. i, 20, avec Sap.
XIII, 1; Rom. xi, 3i, avec Sap. ix, 13; Ephes. vi, 13,
16, 17, avec Sap. v, 18, 19 ; Hebr .1,3, avec Sap .vu, 26.
2. La Sagesse est citée comme Ecriture sainte dans
presque tous les anciens pères de l'Eglise, soit grecs,
soit latins, tels que saint Clément de Rome, saint Jus-
tin martyr, Clément d'Alexandrie, Origène, saint Cy^
prien, Eusèbe, saint Hilaire, saint Epiphane, saint Ra-
sile, saint Ambroise, Optât de Milève (1), et un grand
nombre d'autres qu'il serait trop long de rapporter.
Saint Augustin remarque que saint Cyprien a invoqué
l'autorité de la Sagesse dans son livre de la mortalité.
Il se plaint de ce que les sémipélagiens la rejetaient
comme non canonique, et il en prouve la canonicité par
deux raisons également solides, dont Tune est que de-
puis très-long-temps on la lisait publiquement dans
l'Eglise, et qu'elle était reçue pour canonique non seule-
ment par les simples fidèles, mais encore par les évo-
ques , c'est-à-dire par tous les chrétiens ; la seconde,
est que les auteurs ecclésiastiques qui ont vécu dans les
siècles les plus rapprochés de celui des apôtres en ayant
appelé au témoignage de ce livre comme à une autorité
divine, on ne saurait se dispenser de le recevoir et de
le mettre au nombre des saintes Ecritures (2). Le même
(1) Clem. Piom. Epist. i ad Cor. Justin. Dialog. cirni Tryphon,
Clem. Ahx. Pœdagog. l. ii. Stromat. l. yi. Origen.Z. vu, in Epist. ad
Rom. et inJoan. Tertull. Lib. de Prœscript. c. viii. Cyprian.Tracf. de
orat.Dom. Euseb. Prœp. Evang. l. vii.c. xii. Basil. Hovi.in princip.
Proverb. et lib. v contr. Eunom. Hilar. in Psalm. cxtii. Epiphan.
Hœres. lxxvi. Ambros. in Psalm. cxviu. n. 23. Optât. Milev. /. iv.
c, VIII.
(2) Augvist. lib. de Prœdestinat. sanctorum, c. xiv, n. 26-28.
DU LIVRE DE LA SAGESSE. 95
père, après avoir dit dans la préface de son Spéculum
qu'il ne rapportera dans cet ouvrage que des témoi-
gnages tirés des livres canoniques, en cite un grand
nombre du livre de Tobie aussi bien que de la Sagesse
et de l'Ecclésiastique. Il remarque à la vérité que ces
trois livres, quoique incontestablement composés avant
la venue de Jésus-Christ, ne se trouvent pas dans le
canon des Juifs ; mais, ajoute-t-il, l'Eglise de ce divin
Sauveur les reçoit (1). Saint Jérôme lui-même, peu favo-
rable d'ailleurs aux livres deutéro-canoniques, donne
le titre de prophète à l'auteur de la Sagesse , et cite,
comme en preuve de ce qu'il avance, un passage de ce
livre sous le nom de Salomon (2). L'unanimité de senti-
ment sur ce point est encore plus frappante dans les
pères et les écrivains ecclésiastiques des temps plus
modernes.
3. Les conciles et les papes ont également reconnu
l'autorité divine et canonique de la Sagesse. Nous pou-
vons citer le concile de Sardique tenu en 3W, le troi-
sième de Carthage, en 397 ; la décrétale du pape Inno-
cent adressée à Exupère, évêque de Toulouse, en 405;
le synode romain tenu sous le pape Gélase, en 494; le
onzième de Tolède, en 675 ; celui de Gonstantinople,
in Trullof en 1692; le décret d'union du pape Eu-
gène IV formé au concile de Florence, et adressé aux
Arméniens en 1441 ; enfin le saint synode de Trente,
(1) August. Specut. t, III. p. 1, colUlZZ.
(2) Hieron. in cap, i Jerem. « Ne setatem considères ; alio enim
propheta loquente didicisli, caoi hominis sunt sapienlia ejus, etc. »
Et Epist, XIII ad Paul. : « Nec sapientiam canos reputes, sed canos
sapientiam, Salomonc testante : Gaai hominis prudentia ejus ( Sap.
IV, 8), »
96 DU LIVRE DE LA SAGESSE.
qui, comme on le voit, ne manquait pas d'autorités
respectables sur lesquelles il pouvait fonder son décret
sur la divinité et la canonicité du livre de la Sagesse.
4. La tradition des Juifs, comme nous l'avons déjà
démontré (tome i, pag. 100 et suiv.), est très- favorable
aux livres deutéro-canoniques en général et au livre de
la Sagesse en particulier [Ibid. pag. lOi).
5. Les caractères intrinsèques du livre lui-même prou-
vent clairement que son auteur en le composant a été
favorisé du don sacré de l'inspiration divine. Ce livre
en effet contient plusieurs prédictions que l'écrivain
qui l'a composé n'aurait jamais pu faire s'il n'eût été
éclairé d'une lumière surnaturelle. Les prédictions de
ce genre sont tout ce qui est dit de la ruine future de
l'idolâtrie (xiv, 13 seqq ), et du jugement que Dieu
doit exercer contre les médians (v, 1, 2, 18; vi, 6, 7).
Mais l'oracle le plus frappant est celui où l'auteur dé-
crit l'oppression du juste (il, 12 seqq.). «C'est une pro-
phétie si claire de la passion de Jésus - Christ , dit
Bossuet dans sa préface sur la Sagesse, qu'elle est exac-
tement conforme à ce qu'on en lit dans l'Évangile. Aussi
a-t-elle été souvent citée dans l'antiquité. » Loin d'y voir
comme les pères de l'Eglise une véritable prédiction
des souffrances du Sauveur, Grotius a prétendu que
c'était une interpolation faite au texte par quelques chré-
tiens; comme si ce passage n'était pas tellement lié
avec la suite du discours qu'on ne saurait l'en séparer
sans l'interrompre d'une manière violente.
D'après cet exposé, il ne peut rester dans l'esprit au-
cun doute légitime sur l'autorité divine du livre de la
Sagesse ; l'autorité des écrivains du Nouveau-Testament,
celle des pères de l'Eglise et des saints conciles ; le té-
DU LIVRE DE LA SAGESSE. 97
moignage de plusieurs rabbins célèbres, enfin le con-
tenu du livre lui-même, qui porte visiblement empreint
sur ses pages le sceau de l'inspiration du Saint-Esprit,
doivent dissiper entièrement aux yeux de tout critique
impartial les faibles nuages dont une fausse exégèse
s'efforce denvelcpper ce livre pour cacher la lumière
divine qu'il répand autour de lui. «Dans cette occasion,
demande judicieusement I). Calmet, ne peut-on pas
user avec raison de l'argument de la prescription, et de
fins de non recevoir contre nos adversaires? Qu'ilsmon-
trent leurs titres contre notre possession, qu'ils atta-
quent et qu'ils réfutent, s'ils le peuvent, tant de conciles
et tant d'auteurs ecclésiastiques très-sages et très-éclai-
rés qui sont notre boulevard et notre défense. Il faut les
renverser avant de venir à nous (1). »
ARTICLE IV.
De Vélocution et des beautés littéraires de la Sagesse.
1. Xous avons déjà remarqué que la diction du livre
de la Sagesse décelait une origine grecque. «Le style,
ditLowth, en est inégal; tantôt enflé et plein d'em-
phase, tantôt abondant, chargé d'épithètes, contre l'u-
sage ordinaire des Hébreux, tantôt enfin tempéré, élé-
gant, sublime et poétique. Le tour sentencieux y est
observé avec assez de soin, et on reconnaît clairement
l'intention que l'auteur a eue d'imiter les anciens mo-
dèles ; mais en général il s'éloigne beaucoup de ce ca-
ractère pur et classique. On remarque un défaut grave
dans l'ordonnance de cette composition. La prière que
(l) D. Calmet, Préface sur le livre de la Sagesse, vers la fin.
V. b
t« DU LIVRE DE LA SAGESSE.
l'auteur place dans la bouche deSalomon, et qui com-
mence au neuvième chapitre, se prolonge jusqu'à la fin
du livre, de telle sorte qu'elle en forme plus de la moi-
tié (1). y>
2. Quoique la diction de l'auteur de la Sagesse ne
soit généralement ni bien châtiée ni d'un goût sévère
et pur, ce livre nous offre cependant plusieurs morceaux
qui ne sont pas sans quelque mérite littéraire. On peut
mettre de ce nombre l'invitation que font les méchans
de se livrer sans réserve à la jouissance des plaisirs de
ce monde (ii, 5-9) ; les plaintes amères et les reproches
sanglans qu'ils s'adressent à la vue du triomphe et de
la félicité éternelle des justes qu'ils ont si violemment
persécutés (v, 3-13) ; le tableau effrayant du jugement
de Dieu se levant au dernier jour pour venger d'une
manière éclatante ses fidèles serviteurs opprimés ; enfin
la description des avantages que l'on trouve dans la pos-
session de la sagesse, description qui forme un tableau
assez varié, où règne tour à tour un certain air de grâce,
de noblesse et de grandeur (viii, 1-18) .
ARTICLE V.
Les commentaires du livre de la Sagesse.
1. Parmi les catholiques, le vénérable Bède a com-
menté plusieurs endroits du livre de la Sagesse ; ce tra-
vail se trouve dans le tome vu de ses œuvres. — Raban-
Maur a composé sur ce même livre un commentaire
qui se trouve également dans le recueil de ses œuvres.
— Saint Bonaventure passe pour l'auteur d'un commen-
taire sur la Sagesse imprimé à Venise, en 1575, in-S*',
(1) Lowth, De la poésie sacrée des Hébreux. Leçon xxiv.
DU LIVRE DE LA SAGESSE. 99
et qu'on a reproduit dans le tome i de ses ouvrages. —
Les leçons de Robert Holkoth ont été imprimées en di-
vers pays ; la dixième et dernière édition est de Bàle,
1586, in-V. — Les notes de Jansénius, évéque de Gand,
ont paru à Anvers, en 1589, iu-/i-°, et à Lyon, 1580,
in-fol. — Le commentaire de Lorin a été publié à
Mayence en 1608, in-^." , et à Cologne, 1624, in-fol.
— La paraphrase d'Osorius l'Ancien à Boulogne, en
1577, in-4.% à Cologne, 1584, et dans le recueilde ses
œuvres. — Pierre Nanning (iYanmws), né à Alkmaër,
en Hollande, l'an 1500, et mort l'an 1557, a composé
sur la Sagesse des scholies et un commentaire, qui, se-
lon Colomiés, sont le meilleur ouvrage qui ait été fait sur
ce livre, et qui, suivant Fabricius (Biblioth. graec. t. ii),
auraient dû être placés dans les Grands Critiques. Ce
précieux travail a été imprimé à Bâle, en 1551, in-4*'.
2. Plusieurs protestans ont aussi écrit sur le livre de
la Sagesse ; outre Grotius et Bad^vel, dont les notes se
trouvent dans les Grands Critiques, nous citerons Jean
Sartorius, calviniste, né à Amsterdam, et mort en 1568;
son commentaire, joint à ceux qu'il a composés sur les
petits prophètes, parut à Bâle, en 1558, in-fol. sous le
nom de Tosarius. — La Sagesse de Salomon, traduite de
nouveau, avec des remarques et des recherches en alle-
mand, par J. G. Hasse. léna, 1785, in-8''. — Le livre de
la Sagesse, traduit en allemand, avec des notes explica-
tives, parJ. G.Kleuker. Riga, 1786, in-8°. — Annotât,
fhilol. criticœin libr. qui imcrihitur Io'^lol Zvlou.6yj. Auc-
torei. Wallenio. Gryphisw. 1186 y in-ï". — Lelivredela
Sagesse, faisant pendant [aïs Gegenstûck) à l'Ecclésiaste,
par J. G. C.Nachtigal. Halle, 1799, in-8°. Cet ouvrage
est encore intitulé : les Recueils des Sages, tome n {die
100 DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTIQUE.
Versammlungen der Weisen . Band //) ;rEcclésiaste sous
ce même titre général forme le tome i. Ce dernier titre
vient de l'erreur où était Nachtigal,que ces deux livres
étaient une collection de divers écrits composés par plu-
sieurs auteurs, et réunis dans ces deux ouvrages. — En-
gelbrecht, Libr. Sap. Salom. vulgo inscriptuminterpre'
tandi perte. I. II. cap. quinque priora complect. Bavn.
1816. — J. Ph. Bauermeister, Comment, in Sap. ^alom.
Gotting . 1S2S . — Thilo, Spec. exercitat. criticarumin
Sap. Salom. Haï. 1825, in-4°.
CHAPITRE SIXIEME.
DU LIVRE DE l'eCCLÉSIASTIQUE.
L'Ecclésiastique est aussi bien que la Sagesse un des
livres deutéro-canoniques de l'Ancien-Testament. Ce
titre, que les Latins lui ont donné, est un mot grec qui si-
gnifie livre en usage dans l'assemblée ou dans l'église (1),
c'est-à-dire livre qui instruit l'assemblée; de même
qu'on a appelé Ecclésiaste, ou orateur qui instruit l'as-
semblée, le livre de Salomon désigné par les Hébreux
sous le nom de Cohéleth. Les Grecs appellent ce livre
Sagesse de Jésus, pis de Sirach. ou simplement Sagesse
deSirachj ou hieuPanareîos de Jésus, fds de Sirach; nom
qui lui convient d'autant mieux qu'il descend dans des
détails de morale que ne donne pas la Sagesse. Enfin on a
aussi quelquefois cité ce livre comme les quatre précédens
sous la dénomination de Sagesse de Salomon, parce que
ces cinq ouvrages étaient réunis sous ce titre commun.
(1) Isidor. Hispal. P)'oœm.J\ahau. de Universo, l. v, cm.
DU LIVRE DE l'eCCLÉSIASTIQUE.
ARTICLE I.
Du texte original et des versions de l'Ecclésiastique.
1. Le livre de l'Ecclésiastique a été incontestablement
composé en hébreu ; car le traducteur grec le dit ex-
pressément dans le prologue qu'il a mis en tête de sa
version. Ensuite saint Jérôme affirme de son côté qu'il
a vu cet ouvrage en hébreu sous le titre de Meschâlîm
[nfytàO] ou Paraboles (1). Enfin le texte grec lui-même
porte les traces les plus évidentes de l'original hébreu
sur lequel il a été composé. D'abord la diction est telle-
ment hébraïque, qu'en la traduisant presque littérale-
ment on obtient un hébreu pur et correct. De plus, il
y a certaines étymologies qui ne peuvent s'expliquer
et qui ne sont vraies que dans la langue hébraïque. Bo-
chart et Lowth ajoutent qu'au chapitre xxiv, verset 37,
on doit lire le fleuve (du Nil) au lieu de la lumière ; ce
qui décèlerait en effet un original hébreu (2).
2. La plus ancienne version de l'Ecclésiastique est la
version grecque, composée par le petit-fils de l'auteur,
sous le règne de Ptolémée Evergète, comme il nous l'ap-
prend lui-même dans la préface qu'on lit à la tête de son
(1) Plusieurs critiques ont soutenu, mais sans raisons suffisantes,
que ce prétendu original n'était qu'une traduction hébraïque ou chal-
daïque de cet ouvrage.
(2) Le grec porte qui fait jailli)' la science comme la lumière; mais
la suite du discours semble demander le nom d'un fleuve au lieu du
mot lumière. Or Thébreu câôr (1^3) est susceptible des deux sens
comme la lumière et comme le jlenve. Voy. Bochart. Clianaan, l. i,
c. XXIII. Lowth, De sacr. poes. Hebr, Prœlect. xxiv, sub (ine.
1^5 DU LIVRE DE l'ECCLÉSIASTIQUE.
ouvrage (1). Or, cette version est pleine d'hébraïsmes
et de locutions qui paraissent barbares par rapport au
génie de la langue grecque : «On voit son auteur, dit
Lowth, s'acquitter de sa fonction d'interprète avec le
plus grand scrupule, se conformer en tout aux tours de
la langue hébraïque, sans se mettre en peine d'être élé-
gant dans sa propre langue ; non seulement peser le
sens des phrases, mais encore en compter les mots, et
conserver avec exactitude l'ordre qui régnait entre eux;
de telle sorte qu'on peut croire qu'en rendant cette tra-
duction à son idiome primitif, ce sera l'original hébreu
qu'on aura sous les yeux (2) . » Nous avons de cette ver-
sion deux éditions, l'une de Complute, l'autre dite Ro-
maine ; il existe entre elles un grand nombre de variétés
qui ont été recueillies dans les notes d'Hseschelius et de
Drusius. Selon l'auteur de la Synopse, le traducteur grec
aurait ajouté de sa propre main le chapitre li ; mais
cela n'est nullement vraisemblable. — La version latine,
qui est notre Yulgate, paraît très-ancienne, puisqu'elle
a été citée par tous les anciens pères. «Nous l'avons en-
core aujourd'hui telle qu'elle était dans le commence-
ment, dit D. Calmet, car saint Jérôme n'y a point tou-
ché. » Le style en est dur et souvent d'une grande
obscurité. L'auteur y emploie certains termes particu-
liers qui lui sont propres, et qu'on trouve aussi dans le
latin de la Sagesse ; ce qui ferait croire que c'est le même
interprète qui a traduit ces deux livres. On remarque en-
core dans cette version un grand nombre d'additions qui
(1) II y a eu deux Plolémée du surnom d*É vergeté ; nous pensons
avec Jahn {Inlrod. § 249) qu'il s'agit ici du premier.
(2) Lowth, De sacra poesiHebr. Prϔect. xxiv.
DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTIQUE. 103
viennent peut-être de ce que le traducteur a voulu donner
deux versions différentes d'une même sentence, parce
que le texte lui en paraissait susceptible, ou bien de ce
qu'il a ajouté quelques gloses et quelques explications qui
de la marge sont passées dans le corps du texte. Quel-
quefois elle ne rend pas certains passages qui se trou-
vent dans le grec; et la disposition des chapitres, depuis
le verset 26 du chapitre xxx jusqu'au chapitre xxxvi,
n'est pas la même que dans ce dernier texte, bien que
l'ordre qu'elle suit paraisse beaucoup plus naturel. — ■
Outre cette version latine, nous en avons une seconde
composée sur le grec de l'édition Romaine par Nobilius
Flaminius sous Sixte V, et autorisée par ce pape ; Bossuet
l'appelle pour cette raison version sixtine^ei la met dans
son commentaire en parallèle avec la Vul gâte. — Quant
à la version syriaque imprimée dans le tome iv de la
Polyglotte de Walton,elle s'éloigne assez considérable-
ment du grec, en y faisant tantôt des additions et tantôt
des retranchemens ; ce qui a fait douter à quelques cri-
tiques et nier à d'autres qu'elle ait été composée sur ce
texte (1). — Enfin la version arabe qui se trouve dans la
même Polyglotte suit en tout la version syriaque si fi-
dèlement, et même d'une manière si servile, qu'on peut
prononcer hardiment qu'elle en tire son origine.
Il est important d'observer que les différences qui
existent entre les versions de l'Ecclésiastique, quelque
nombreuses qu'elles puissent être, ne nuisent en rien à
l'intégrité substantielle du texte. Quant aux additions et
aux gloses qu'on a pu y intercaler, comme elles ne sont
que de nouvelles traductions ou de simples explications
(1) Voy. Berthoklt, Emleit. § 541. De Wcne^LcIwbuch. § 320.
104 DU LIVRE DE L'ECCLÉSI ASTIQUE.
de ce même texte, elles laissent encore intacts le fond
et la substance du livre (1).
ARTICLE II.
Du sujet, de l'auteur et de la divinité de l'Ecclésias-
tique. .
1. L'Ecclésiastique se divise assez naturellement en
trois parties . Dans la première, qui s'étend du chapitre i
au chapitre XLiii, l'auteur, imitant les Proverbes de Sa-
lomon, fait l'éloge de la sagesse et trace des règles de
conduite pour chaque âge, chaque sexe et chaque con-
dition. Dans la seconde, qui comprend les chapi-
tres XLiv et suivans jusqu'au l inclusivement, il con-
sacre un bel éloge aux patriarches, aux prophètes et aux
autres personnages qui ont illustré le peuple hébreu.
(I) Nous croyons devoir faire remarquer ici que c'est à tort que
Bretschneider [Lia. Syrac. grœcè, pag. 6G2) et après lui Haivernick
{Einleitt Th. i, Abih. i, Seil. G4) ont prétendu que le vers. 12 du
chapitre xlix était une interpolation, et que l'auteur de l'Ecclésias-
tique avait omis à dessein les petits prophètes, afin de ne pas inter-
rompre le fil chronologique de sa narration. Car premièrement le
verset se trouve, quoique avec de légères variantes, dans toutes les
éditioDs grecques et latines, aussi bien que dans les versions syria-
que et arabe. En second lieu, on ne voit pas pourquoi Tauieur venant
de parler des grands prophètes Isaïe, Jérémie et Ézéchiel, ne pou-
vait pas donner un mot d'éloge commun aux douze petits, lorsqu'il j
était amené tout naturellement par la nature même de son sujet,
©""ailleurs cette interruption de l'ordre chronologique est incontesta-
blement un défaut moins considérable que ne le serait un silence ab-r
solu sur ces petits prophètes, qui ont tant contribué à la gloire du nom
hébreu. Nous ajouterons même qu'une pareille omission semblerait
tout-à-fait inexcusable dans l'auteur de l'Ecclésiastique.
i
DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTIQUE. 105
Enfin dans la troisième, c'est-à-dire dans le chapitre n
qui termine le livre, et qui n'est qu'une espèce de pé-
roraison, l'auteur exhorte ses lecteurs à l'amour de la
sagesse.
2. Plusieurs anciens ont attribué ce livre à Salomon ;
mais c'est tout-à-fait à tort ; car, outre que dans le prolo-
gue l'auteur est^ formellement nommé Je'sws, et au ch. L,
vers. 29, Jésus^ fils de Sirach, il parle dans son livre de
Salomon comme d'une tierce personne ; il parle aussi
des rois ses successeurs, des prophètes qui ont vécu long-
temps après lui ; enfin il nous découvre certains traits de
sa vie qui n'ont aucun rapport avec l'histoire de Salo-
mon. Le sentiment généralement reçu parmi les inter-
prètes anciens et modernes et le mieux fondé en raisons
critiques, c'est que l'Ecclésiastique a été composé en hé-
breu par Jésus, fils de Sirach, et traduit en grec par son
petit-fils. Mais à quelle époque florissait ce Jésus? c'est
ce qu'on ne sait pas d'une manière bien certaine. Deux
opinions seulement méritent quelque attention ; l'une
place notre auteur sous le pontificat d'EIéazar, et sous
le règne de Ptolémée Philadelphe , roi d'Egypte ; l'autre
au temps d'Onias III , fils de Simon II , sous le règne
d'Antiochus Epiphane, roi de Syrie. Les partisans de
la première opinion soutiennent en conséquence que le
Ptolémée Evergète dont parle le traducteur grec dans sa
préface, est Evergète I ; les défenseurs de la dernière
veulent que ce soit Evergète II ou Physcon. Le premier
sentiment nous a paru le plus probable (1).
(t) V07. Jahn , Introduclio, § 249. — Plusieurs interprètes, parm
les Juifs et les chrétiens, prélendent que Bcn-Sira, dont on a deux al-
phabets de proverbes publiés, l'un en hébreu et Tautre en chaldéen
5.
106 DU LIVRE DE l'ECCLÉSIASTIQUE.
3. La plupart des preuves que nous avons alléguées au
chapitre précédent en faveur de la divinité du livre de
la Sagesse sont applicables à l'Ecclésiastique. Voulant
donc éviter de tomber dans de pures redites, nous nous
bornerons aux considérations suivantes : IMes écrivains
sacrés du Nouveau-Testament ont emprunté plusieurs
passages de ce livre. On peut facilement s'en convaincre,
dit Huet (1), en comparant: Eccli. ii, 18, avecJoan.xiv,
23 ; Eccli. xi, 10, avec 1 Timoth. vi, 9 ; Eccli. xi, 18,
19, avec Luc xii, 19; Eccli. xi, 16, avecMatth. xix,
17; Eccli. XXIX, 11, avec Luc xvi, 9; Eccli. xxxiii,
13, avec Rom. ix, 21. — 2» La tradition de toutes les
Églises chrétiennes prouvejusqu'à l'évidence que ce livre
a été reconnu et cité comme divinement inspiré par les
écrivains ecclésiastiques. Quant aux pères de l'Église,
Bretschneider avoue qu'ils ne lui ont point donné une
autorité inférieure à celle des autres livres canoniques ;
qu'ilsl'ont cité sous le nom d'Écriture, d'Écriture divine,
de parole divine ; qu'ils ont donné à son auteur le titre de
prophète, et que par conséquent ils lui ont reconnu une
autorité canonique et divine. Remarquons eïi passant
combien est précieux un pareil témoignage recueilli de
la bouche non seulement d'un protestant, mais d'un des
critiques les plus hardis de la nouvelle exégèse. — 3° Les
caractères intrinsèques du livre même nous fournissent
avec traduction latine, à Isne, en 1542, par Fagius, est le même que
Jésus fils de Sirach; la similitude des noms et des ouvrages semble,
en ellet, autoriser à croire que c'est le même personnage, et que la
plupart des maximes du premier ont été empruntées du second, mais
changées et altérées par celui qui les a recueillies. Voy. D. Calmet,
Préf. sur l'Ecclésiastique.
(l) Huet, Demonst. Propos, iv, de Eccl. n. ti.
DU LIVRE DE L'eCCLÉSIASTIQCE. 107
une nouvelle preuve de sa divinité ; car, outre que l'auteur
se donne pour prophète et pour inspiré de Dieu (xxiv,
46 ; XXXIX, 16; l) ; outre qu'il enseigne la morale la
plus pure et la plus sainte, il traite encore des mystères
les plus sublimes; il distingue si clairement la seconde
personne de la sainte Trinité de la première, quand il
dit : J'ai invoqué le Seigneur, père de mon Seigneur
{li, 14), que cette expression, selon Grotius, n'a pu sor-
tir que de la plume d'un chrétien. Il prédit la conversion
des Gentils, le retour des Juifs à la fin des temps, la ve-
nue d'Elie pour rétablir les tribus de Jacob (xlviii, 1
et suiv.),et celle du patriarche Hénoch pour enseigner
la pénitence aux nations (xLiv, 16).
ARTICLE III.
De rélocution et des beautés littéraires de l'Ecclésiastique .
1 . L'Ecclésiastique est absolument semblable aux Pro-
verbes. « On remarque entre ces deux compositions, dit
Lowth, la plus grande affinité, quant aux choses, quant
aux pensées, quant à l'élocution ; la couleur du style, la
forme des périodes est la même, et nous ne doutons point
que l'auteur n'eût suivi le même genre de versification, en
quoi qu'il ait pu consister, si la connaissance de l'art mé-
trique s'était conservée jusqu'au temps où il écrivait...
C'est surtout la première partie du livre des Proverbes
que le fils de Sirach a imitée. En effet, ses sentences
ont presque toujours entre elles quelque liaison. Le stvle
aussi est souvent plus brillant, plus orné, plus riche en
images et en figures que ne semble le comporter le genre
didactique. C'est ce qu'on peut remarquer dans la pro-
sopopée de la Sagesse (xxiv), où il a imité de la ma-
108 DU LIVRE DE L'ECCLÉSIASTIQUE.
nière la plus heureuse le caractère et tous les traits de
son devancier (1).»
2. Parmi les beaux morceaux d'éloquence dont ce livre
est plein, nous remarquerons surtout les suivans : l'ex-
hortation à rechercher la sagesse (vi, 18-20, 25-32);
rien n'est ni plus gracieux ni plus aimable que cette in-
vitation. Nous citerons encore la description magnifique
des biens et des avantages que procure la sagesse à ceux
qui la possèdent (xv, 1-6) ; la peinture grande et su-
blime de la puissance de Dieu (xvi, 16-21 ; xviii,
1-8) ; le tableau vif et animé dans lequel l'écrivain sacré
dépeint un adultère croyant échapper aux regards du
Seigneur (xiii, 25, 26, 28) ; la belle prosopopée de la
Sagesse (xxiv). Enfin nous signalerons encore comme
remarquable la description de l'occupation du sage
(xxxix), le tableau des misères de la ,vie humaine (xl),
et la description tout à la fois grande , riche et su-
blime, que le sage nous fait des œuvres de Dieu (xlii,
15-26; XLiii).
ARTICLE IV.
Des commentaires de V Ecclésiastique.
1. Parmi les commentateurs catholiques, le vénérable
Bède et Raban Maur ont écrit sur l'Ecclésiastique ; leur
travail se trouve dans la collection de leurs œuvres. —
Les leçons de R. Holkoth ont paru avec celles qu'il a
faites sur la Sagesse ; à Baie, 1586, in-i". — Jansénius
deGand, outre un commentaire imprimé avec ses notes
sur la Sagesse, a donné encore une paraphrase et des
(1) Lo^vlh, De la poésie sacrée dçs Hébreux. Leçon xxit.
bU LIVRE DE l'ecclésiastique. 109
notes jointes à celles qu'il a composées sur les Psaumes .
— Le commentaire de Paul Palacios deSalazar, savant
et pieui jésuite né à Grenade, et mort en 1582, a été im-
primé à Cologne, en 1593, in-8°. — Celui de Jean de
Pina deMadrid, jésuite mort en 1657, a paru à Lyon, en
1630-16^8, 5 vol. in-fol. — Enfin nous citerons encore
comme méritant d'être consulté le commentaire qui se
trouve dans la Bible allemande de Brentano, continuée
par Dereser, etc.
2. Entre les ouvrages protestans qui ont été faits sur
l'Ecclésiastique, nous avons : les notes de Joachim Ca-
mérarius, luthérien, né à Bamberg en 1500, et mort
en 1574 ; elles ont été imprimées à Leipzig avec une tra-
duction latine, en 1570 et en 1582, in-S^. — Les notes
de Drusius qui sont dans les Grands Critiques, ainsi que
celles d'Haeschélius avec ses différentes leçons du texte
grec; l'ouvrage de ce dernier a paru séparément, en
1605, in-S**, à Augsbourg, où il naquit en 1556. — Les
Instructions morales de Jésus fils de Sirach, traduction
nouvelle avec des éclaircissemens et des remarques cri-
tiques en allemand, par J. W. Linde, Leipzig, 1782,
in-8''. Cette première édition a été refondue en entier
dans la seconde, publiée à Leipzig, 1795, in-8°. — La
Sagesse de Jésus fils de Sirach, traduite en allemand
avec des notes explicatives (par A. J. Onymus), Wurs-
bourg, 1786, in-S". — Sententiœ Jesu Siracidœ. Grœc.
textum ad fîdem codicum et versionum emendavit et illu-
stravit J. W. Linde. Gedani, 1795, in-8°. — Les sen-
tences de Jésus fils de Sirach, traduites en allemand, avec
des remarques, par Fr . Eh . Zange. Arnstadt, 1797, in-S**.
— Liber Jesu Siracidœ J grœcè, perpétua annotatione il-
ïustratus à C. G. Bretschneiàer, Regenshurg, 1^06, in-8*.
110 INTRODUCTION PARTICULIÈRE AUX ÉVANGILES.
CîiXQUÎÈ.lïE SEGTI03^\
INTRODUCTION PARTICULIÈRE AUX ÉVANGILES.
Le mot Evangile y en grec Eùayyéhov, signifie ôonne,
heureuse nouvelle. On a donné ce nom à l'histoire de
l'avènement, de la doctrine, des actions , de la mort et
de la résurrection de Jésus de Nazareth, le Messie pré-
dit par les prophètes , parce qu'elle nous annonce
l'heureuse nouvelle du salut des hommes et de leur ré-
demption par ce divin Sauveur. Les différens auteurs
qui ont écrit cette histoire sont , en conséquence, appe-
lés évangélistes. Chacun d'eux, en la rédigeant, a suivi
sa méthode particulière; de là et locution consacrée
de temps immémorial : l'Evangile de saint Matthieu^
l'Evangile de saint Marc, etc., ou bien l'Evangile se-
lon saint Matthieu, V Evangile selon saint Marc, etc.
Les seuls Evangiles que l'Eglise chrétienne ait reçus
comme authentiques sont celui de saint Matthieu, celui
de saint Marc, celui de saint Luc et celui de saint
Jean.
Parmi les questions qui font l'objet de cette section,
les unes demandent que nous examinions chaque Evan-
gile en particulier, et les autres que nous les considérions
sous un point de vue général.
CHAPITRE PREMIER.
DE L'ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU.
Saint Matthieu, Juif d'origine, né en Galilée, était pu-
DE l'évangile de SAINT MATTHIED. lit
blicain ou receveur des impôts , état vil et méprisable
chez ceux de sa nation. Saint Marc et saint Luc, qui
rapportent sa conversion, ne l'appellent point Matthieu,
mais Lévi, fils d'Alphée. J. D. Michaëlis et quelques
autres critiques modernes prétendent qu'il faut distin-
guer Matthieu le publicain de Lévi, fils d'Alphée. Les
raisons qu'ils allèguent en faveur de leur opinion, c'est
1"* que saint Marc et saint Luc , qui s'accordent à lui
donner le nom de Lévi quand il s'agit de sa conversion,
l'appellent également tous les deux du nom de Matthieu
dans leur catalogue des douze apôtres (Marc, m, 18;
Luc. VI, 15); 2° que Lévi était fils d'Alphée, qui était
aussi père de Jacques, parent de Notre-Seigneur, d'où
il résulterait que saint Matthieu était aussi parent de
Jéscs-Christ, remarque qu'il n'a jamais faite, et ce qui
est d'ailleurs assez invraisemblable (1). Mais le nom de
Lévi pourrait être celui que saint Matthieu portait étant
publicain , et Matthieu celui qu'il a pris en devenant
apôtre. Dans cette hypothèse, les deux évangélistes ont
dû le nommer Lévi quand ils parlent de lui en tant que
publicain, et l'appeler Matthieu lorsqu'ils le considèrent
comme apôtre. Quant à saint Matthieu, qui se glorifiait
delà qualité d'apôtre, on conçoit aisément qu'il n'ait
voulu prendre que son nom d'apôtre, afin de se faire
mieux connaître , et qu'il ait rejeté son ancien nom de
publicain, qui lui rappelait sa honte et son ignominie. De
plus, il n'est pas certain que l'Alphée père de Lévi soit
le même que l'Alphée père de saint Jacques , ce nom
(1) J. D. Michaëlis, Introd. au lY. T. t. m, pag. 112-115, trad. de
J. J. Chenevière. Nous croyons devoir remarquer ici que quoique en
général nous citions d'après cette traduction, et que nous en conser-
yions le sens, nous ne la suivons pas toujours à la lettre.
112 DE l'évangile de SAINT MATTHIEU.
étant très-commun chez les Juifs. Ainsi, il n'y a pas de
motif suffisant d'abandonner le sentiment commun sur
l'identité de Matthieu et de Lévi, sentiment d'ailleurs
qui est appuyé sur des preuves solides. Quoi qu'il en
soit, dès que Jésus-Christ eut dit à saint Matthieu de le
suivre, il abandonna tout ; mais avant de quitter sa mai-
son il y fit un grand festin au Sauveur. Il n'y avait pas
long-temps que saint Matthieu s'était mis à la suite de
Jéscs-Christ lorsque se fit l'élection des douze apôtres,
parmi lesquels il est compté quelquefois le septième
(Matth . X, 3) et quelquefois le huitième (Act . i, 23). Voilà
à peu près tout ce que l'Evangile nous apprend de saint
Matthieu. On ne trouve dans les monumens des deux
premiers siècles rien qui nous fasse connaître les lieux
où il exerça son ministère apostolique ; il est cependant
probable qu'après avoir écrit son Evangile, il alla prê-
cher auxParthes, où, selon l'opinion la plus commune,
il finit ses jours par le martyre.
ARTICLE I.
Du texte original et du style de l'Evangile de saint
Matthieu.
1. L'opinion la plus généralement répandue pendant
long-temps parmi les protestans, c'est que saint Mat-
thieu a composé son Evangile en grec. Cette opinion,
combattue cependant par J. D. Michaëlis, a trouvé un
défenseur zélé dansMasch, qui l'a soutenue avec beau-
coup de chaleur dans son écrit : Essai sur la langue ori-
ginale de l'Evangile de saint Matthieu^ Balle, 1755.
Cet écrit ébranla un instant Michaëlis ; mais un examen
plus approfondi fit revenir ce critique à son premier
DE l'évangile de SAIKT MATTHIEU. 113
sentiment. Peu satisfait des raisons alléguées par Mi-
chaëlis, J. L. Hug s'est déclaré pour l'original grec dans
son Introduction aux écrits du Nouveau-Testament ,
Tubingen, 1808; mais il a trouvé dans H. Olshausen un
habile antagoniste qui, dans son Authenticité des quatre
Évangiles canoniques, n'a pas laissé un seul de ses argu-
mens sans réponse. Les catholiques ont toujours géné-
ralement soutenu que l'hébreu était le texte primitif de
saint Matthieu. R. Simon, entre autres, a défendu ce
sentiment avec beaucoup de talent dans son Histoire
critique du Nouveau-Testament . C'est aussi celui que
nous défendons nous-méme comme beaucoup plus pro-
bable. Voici nos motifs : 1° Le sentiment de tous les
pères, même les plus anciens et les plus savans, est que
saint Matthieu a écrit son Evangile en hébreu, ou plutôt
en syro-chaldéen , qui était la langue des Hébreux à
cette époque. Et d'abord Papias , évêque d'HiérapIe ,
qui vivait au second siècle, dit l'avoir appris du prêtre
Jean, encore plus ancien que lui (Ij. Saint ïrénée, qui
avait eu saint Polycarpe pour maître, assure aussi comme
une chose constante que saint Matthieu avait écrit en
hébreu (2). De plus, Eusèbe nous apprend que Pantène,
chef d'une école à Alexandrie, vers la fin du second
siècle, ayant fait une mission évangélique dans les Indes,
y trouva l'Évangile de saint Matthieu écrit en hébreu,
que l'apôtre saint Barthélemi y avait laissé, et saint Jé-
rôme ajoute que saint Pantène l'apporta à Alexandrie (3).
(1) Voy. Papias apud Euseb. Hist. Ecoles, l. m, c. xxxii.
(2) Iren. Adv. hœrcs. l. m, c. i.
(S) Euseb. Ibid. L y, c. x. Par le mot Indes, il faut entendre l'Ara-
Lie heureuse, comme l'a déjà observé Tillemont dans ses Mémoires,
114 DE l'évangile de SAINT MATTHIEU.
Origène, cité par Eusèbe, dit avoir appris de la tradition
des anciens que saint Matthieu avait écrit en hébreu; et
Eusèbe lui-même, après avoir cité les témoignages pré-
cédens sans donner à entendre qu'on pût les combattre,
mais parlant aussi en son nom sur ce sujet et exprimant
son propre sentiment, Eusèbe dit : « Matthieu, qui avait
d'abord prêché aux Hébreux, leur donna, comme il se
préparait à partir pour d'autres contrées, son Evangile,
qu'il avait écrit dans leur langue natale (1). » Saint
Epiphane était tellement dans cette persuasion, qu'il ne
doutait pas que l'Evangile hébreu dont se servaient en-
core de son temps les nazaréens ne fût le véritable
original de saint Matthieu. Saint Jérôme affirme aussi
sans hésiter que cet évangéliste a écrit en hébreu, mais
qu'on ne sait pas d'une manière certaine [iion satis cer-
tum est) par qui son Evangile a été traduit en grec. Le
même père ajoute aussitôt que l'original hébreu se con-
servait encore de son temps dans la bibliothèque de Gé-
sarée, et que les nazaréens de Bérée, ville de Syrie, lui
avaientpermis de le transcrire (2). Ce témoignage de saint
Jérôme doit avoir d'autant plus de poids pour un critique
impartial , que le savant et judicieux père y distingue
ayec soin ce qui lui paraissait certain de ce qui ne l'était
pas à ses yeux. Nous avons encore dans le troisième
siècle, en faveur de la thèse que nous soutenons, Doro-
thée; dans le quatrième, saint Athanase, saint Cyrille
de Jérusalem, saint Grégoire deNazianzeet saint Chry-
et comme on l'a monirô d'une iiianière bien plus claire encore depuis
ce savant. — Kieron. i7i Catalog. viror. illnslr. c. xxxvi.
(1) Orig. apud Euscb. Hisl. Ecd, l. vi, c. xxv. — Euseb. iLnd.
l. m, c. XXIV.
(2) Epiphan. Hœres, xxix. nnm. 9. Micron. Catalog. c. m.
DE l'évangile de SAINT MATTHIEU. 1 1 5
sostome. On peut ajouter à cette série de témoignages,
saint Augustin, au cinquième siècle; Théophylacte, au
onzième; Nicéphore, Callixte, au quatorzième. — 2° Pres-
que toutes les souscriptions ajoutées aux manuscrits
grecs et aux versions de saint Matthieu témoignent la
même chose ; il n'y en a peut-être pas une seule qui dise
que l'Evangile de saint Matthieu ait été écrit en grec. Or
cette uniformité dans un si grand nombre de manuscrits
et de versions doit nécessairement avoir une certaine
autorité. — 3° Pour contrebalancer une masse aussi im-
posante de témoignages , il faudrait des preuves tirées
des caractères internes bien fortes et bien manifestes.
Or nos adversaires seraient fort en peine d'en offrir une
seule de cette nature ; et si toutefois ils parvenaient à
en produire, une saine critique s'opposerait encore à ce
qu'on renonçât à la tradition constante et universelle
que nous venons de faire connaître, et nous forcerait
plutôt à conclure que saint Matthieu, outre un Évangile
hébreu , a encore composé un Évangile grec : de ma-
nière qu'au lieu d'un original unique, nous en aurions
deux, ce qui, soit dit en passant, confirmerait l'authen-
ticité de son Évangile.
Cependant on a opposé plusieurs difficultés à ce sen-
timent. Ainsi on a dit : 1° Le fait qui atteste que saintMat-
thieu a composé originairement son Évangile en hébreu
ne repose pas sur une autorité suffisante; car cette auto-
rité se réduit au témoignage de Papias, que tous les autres
pères ont suivi, et à celui des ébionites et des nazaréens.
Or Papias était un auteur très-crédule, d'un faible juge-
ment, comme dit Eusèbe, un écrivain qui adoptait faci-
lement les bruits populaires. Cet homme crédule, qui ne
connaissait d'autre Évangile hébreu que celui des naza-
116 DE ï/ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU.
réens, dont il cite effectivement un passage, aura cru
bonnement que cet Evangile hébreu était de saint Mat-
thieu, et aura avancé cette opinion dans ses ouvrages.
D'un autre côté, saint Irénée, qui faisait un grand cas
des ouvrages de Papias, dont il a emprunté le milléna-
risme, y trouvant cette opinion, l'aura adoptée après lui
et d'après son autorité ; ainsi son témoignage se réduit
à celui de Papias, qui n'est pas recevable. Quant à Ori-
gène, il n'assure point comme résultat d'un examen cri-
tique que saint Matthieu ait écrit en hébreu, mais seule-
ment, comme dit Eusèbe, d'après la tradition. Or cette
tradition n'était que celle de Papias, de saint Irénée et
des chrétiens judaïsans, c'est-à-dire une tradition incer-
taine. Eusèbe rapporte le fait comme historien, le trou-
vant dans Papias et dans les autres qui l'ont suivi. Et
d'ailleurs, comment pourrait-il le rapporter autrement,
puisque dans son commentaire sur les Psaumes il sup-
pose que saint Matthieu a traduit en grec les passages
de r Ancien-Testament? Ainsi tous les témoignages his-
toriques se réduisent à l'autorité des nazaréens et des
ébionites, qui a séduit Papias. Or cette autorité 'fest de
nulle valeur, puisque l'Évangile de ces hérétiques est
très-différent de celui de saint Matthieu. — Mais d'abord,
c'est sans preuve aucune que nos adversaires prétendent
réduire toute la tradition au seul témoignage de Papias,
comme nous allons le montrer. Ils ne sont pas plus fon-
dés quand ils veulent affaiblir l'autorité de cet ancien
écrivain, qui, il faut bien le remarquer, ne s'appuie nul-
lement sur l'Evangile des nazaréens, dont il ne parle
même pas, mais sur le récit que lui en avait fait le prêtre
Jean, plus ancien que lui, et qui vivait du temps des
apôtres. En admettant même le jugement sévère qu'en
DE l'évangile de SAINT MATTHIEU. 117
porte Eusèbe, et en supposant que Papias ait été d'une
grande simplicité d'esprit, il est difficile qu'il ait pu être
trompé sur un fait aussi facile à saisir, et qui consiste
uniquement à savoir si le prêtre Jean lui avait dit que
saint Matthieu eût composé son Évangile en hébreu ; car
voilà l'unique autorité sur laquelle Papias se fonde, et
il ne parle ni des nazaréens ni de leur Evangile hébreu.
Mais nos adversaires ne se méprennent-ils pas sur les
vrais sentimens d'Eusèbe ? Pour nous , nous sommes
persuadé que quiconque lira sans prévention tout ce
que cet historien rapporte de Papias restera convaincu
que toute la faiblesse d'esprit qu'il lui reproche consis-
tait seulement à croire avec trop de facilité à certains
miracles, et à prendre à la lettre une multitude de pas-
sages de l'Ecriture dont le sens est incontestablement
figuré, et queHug a évidemment tiré une fausse consé-
quence du passage dans lequel Eusèbe dit de Papias que
ses écrits prouvaient qu'il avait l'esprit très-étroit. Voici
les propres paroles d'Eusèbe (1) : « J'ai déjà rapporté
que l'apôtre Philippe vivait àHiéropolis avec ses filles;
j'ajouterai maintenant le récit d'un miracle que Papias,
qui vivait à la même époque, dit avoir entendu raconter
aux filles de Philippe, savoir , qu'un mort avait été de
leur temps rappelé à la vie. Il cite aussi un autre miracle
arrivé à Juste, surnommé Barnabas, que l'on dit avoir
bu du poison sans en recevoir aucun mal. Ce même écri-
vain a raconté plusieurs autres choses qu'il tenait de la
tradition orale, comme des paraboles et des enseigne-
mens du Sauveur, dont nous ne trouvons aucune trace,
(1) Euseb. Hist. Ecd. l. m, c. xxxix. Gompar, Hug, Einleit, in
die Schririendes N. T. Th. ii. Seit. 16, 17. Auflarje 2.
<18 DE l'évangile de SALNT MATTHIEU.
de même que d'autres faits plus fabuleux encore. Je
citerai entre autres le conte qu'après la résurrection des
morts le Christ régnera sur la terre pendant mille ans.
Je suppose qu'il doit de semblables idées à une fausse
interprétation des discours figurés et mystiques des
apôtres ; car, à en juger d'après ses écrits, il a l'esprit
tout-à-fait borné [ttûw (7u.f/.^oç rôv voOv). » Pantène, vers
la fin du second siècle, ayant visité en Arabie des chré-
tiens , trouva entre leurs mains l'Évangile hébreu que
leur avait laissé saint Barthélemi. Voilà un témoignage
indépendant de celui de Papias, et bien plus ancien que
lui, puisqu'il remonte jusqu'à saint Barthélemi. Il n'y a
rien d'ailleurs qui prouve que saint Irénée ait puisé son
opinion dans Papias, puisqu'il ne le cite pas; il est bien
plus probable qu'il l'a trouvée dans la tradition commune.
Origène, si opposé à Papias par rapport au milléna-
risme, n'aurait pas non plus adopté ce sentiment, s'il ne
l'avait trouvé que dans ce seul écrivain. Il dit l'avoir
appris de la tradition, et de cette même tradition qui lui
enseignait que saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et
saint Jean, étaient les auteurs des quatre Évangiles.
Eusèbe ne cite point Papias ; le texte que nous avons
rapporté de lui quelques lignes plus haut (pag. 114),
prouve jusqu'à l'évidence que cet historien a exprimé
son propre sentiment. D'ailleurs l'opinion que, suivant
nos adversaires, il avait de Papias fait repousser toute
idée qu'il ait rien avancé sur son autorité. Eusèbe rap-
porte donc la chose comme constante, et dit même que
l'Évangile hébreu de saint Matthieu a subsisté dans l'É-
glise jusqu'au temps de Pantène. Quant au passage de
son commentaire sur les Psaumes, qu'on nous objecte,
il n'est nullement contraire à ce sentiment. En effet, ce
DE l'évangile de SAINT MATTHIEU. 119
père, dans ses notes sur le verset 2 du psaume lxxvii,
verset cité dans saint Matthieu (xiii, 55; autrement qu'il
De se lit dans les Septante , explique cette différence
en disant que cet évangéliste étant Hébreu, s'est servi
otxîia ixoÔTîL, littéralement d'une édition de famille, c'est-
à-dire d'une édition qui lui était propre en tant qu'Hé-
breu, en d'autres termes, d'une édition du texte hébreu.
Nos adversaires traduisent par sa propre traduction, et
concluent de là que, selon Eusèbe, saint Matthieu écri-
vit en grec. « Mais le mot iy-oocig, remarque judicieuse-
ment Michaëlis, ne signifie pas nécessairement une tra-
duction; littéralement il signifie une édition, et peut
s'appliquer aussi bien à l'hébreu qu'au grec. Et quand
on voudrait donner à ce mot le sens de traduction, l'ex-
pression oUzicc exo^.Tt; signifierait plutôt une traduction
qui était en usage au temps de saint Matthieu Enfin,
si iy.âorriç devait s'entendre d'une traduction, relative-
ment à saint Matthieu, ce serait d'une traduction syro-
chaldaïque et nullement d'une version grecque (1). »
Le témoignage des nazaréens et des ébionites n'est
sans doute d'aucune autorité par rapport à l'intégrité
(1) J. D. Michaëlis, Inlrod. au N. T. t.iUjpag. 173. Les mois
EÇoaTo; wv h MxrQaTo;, Matthieu étant Hébreu, qn'Easèhe met immé-
diatement devant l'expression o'xsi'a èxSo^zi %iyof\rai, prouve claire-
ment, ce nous semble, en faveur de notre sentiment ; car sans ce!a,
que signifie cette observation sur Torigine de Tévangéliste? il est vrai
que quelques critiques suivis par Hug ont rendu ce passage par :
Matthieu qui connaissait V hébreu les a traduits à sa manière; mais
outre que celte explication est un contre- sens manifeste , elle donne
plutôt à entendre que saint Mattiiieu a traduit en hébreu le verset 2
du f)saume lxxvii des Septante, et que par conséquent son Évangile
a éié originairement composé en cette langue. Toutefois le texte hé-
breu actuel est parfaitement conforme à la version d'Alexandrie.
120 DE l'évangile de SAINT MATTHIEU.
de l'Evangile de saint Matthieu ; mais pourquoi n'aurait-
il pas quelque poids par rapport à l'origine hébraïque
de cet Evangile , lorsqu'il se trouve d'accord avec le
témoignage de toute l'antiquité ecclésiastique? — 2" Au
temps de saint Matthieu, l'idiome grec, devenu vulgaire,
était beaucoup mieux entendu des Juifs de Palestine,
pour lesquels le syro-chaldéen était comme une langue
savante. La Palestine abondait en villes grecques; Jé-
rusalem elle-même renfermait des communautés reli-
gieuses entièrement composées de Juifs parlant grec.
Pilate et les autres gouverneurs romains parlaient en
grec aux Juifs. Les lettres de divorce pouvaient être
écrites indifféremment dans les deux langues. Or, dans
de pareilles circonstances , saint Matthieu , qui écrivait
pour l'utilité de tous les Juifs, a dû le faire dans la lan-
gue qui était la plus généralement entendue parmi eux,
c'est-à-dire en grec. Déplus, saint Matthieu savait bien
que Jérusalem allait être détruite, et que le peuple juif,
dispersé parmi les nations, achèverait de perdre ce qui
lui restait encore de sa langue naturelle; devait-il alors
écrire dans une langue qui allait cesser d'être vulgaire,
et circonscrire ainsi dans le cercle de quelques années
seulement l'usage d'un ouvrage aussi important que le
sien? — Cette objection prouverait tout au plus que
saintMatthieu a pu écrire son Evangile en grec, mais non
point qu'il a dû nécessairement le faire. Car, quoique le
grec fût parlé à Jérusalem et dans les grandes villes de
la Palestine, cependant dans les bourgades et dans les
petites villes , le peuple ne connaissait que sa langue
naturelle. C'était vrai surtout de la Galilée, où JÉscs-
Christ avait si souvent évangélisé. Les Galiléens avaient
même un dialecte particulier, comme on le voit par l'E-
DE l'évangile de SAL\T .MATTHIEU. 121
vangile même (Matlh. xxvi, 73; Marc, xiv, 70) . De plus,
il est constant parles Actes des xipùtres etpar Joseph, que
la plupart des Juifs connaissaient le syro-clialdéen, et
Hug avoue lui-même qu'ils comprenaient mieux cette
langue, et qu'ils la préféraient (1). Or, dans de pareilles
circonstances, n'était-ii pas convenable que saint Mat-
thieu écrivît en hébreu, que tout le monde entendait, et
pour lequel les Juifs avaient tant d'attraits? Ajoutons que
saint Matthieu étant Galiléen, a dû tout naturellement
songer à ses compatriotes, que Jésus-Christ avait évan-
gélisés, et auxquels il avait très-vraisemblablement prê-
ché lui-même l'Evangile qu'il a mis plus tard par écrit.
Quant à ce qu'on objecte , que si saint Matthieu avait
composé son Evangile en hébreu, il en aurait bien res-
treint l'utilité, nous répondrons avec Michaëlis que ce
n'étaient pas seulement les Juifs de Palestine qui par-
laient cette langue , mais aussi ceux de Syrie et de
Mésopotamie, qu'il y avait encore bien des familles en
Arabie; et quoique l'hébreu, ou plutôt le syro-chaldéen,
ne fut pas la langue de cette contrée, cependant les Juifs
qui y étaient établis, et qui y avaient transporté leur pa-
raphrase chaldaïque, conservaient probablement leur
langue naturelle, et que nous ne devons pas oublier que
c'est en Arabie que Pantène passe pour avoir vu l'Evan-
gile hébreu de saint Matthieu à la fin du second siècle,
d'où nous voyons qu'il continua à être en usage chez
les Juifs orientaux, long-temps après la destruction de
Jérusalem et la dispersion des Juifs de Palestine (2).
Enfin, saint Matthieu n'ignorait pas sans doute que son
(1) Hug, Einleit. Th. ii, ^S". 46, 47.
(2) yiichadh, Inlrod,au JY. T. l. i\,paj. 177, 178.
V. 6
122 DE l'évangile de SAIXT MATTHIEU.
Évangile pouvant facilement être traduit en grec , de-
venait par là même accessible aux Juifs hellénistes. —
3° Si l'original de saint Matthieu avait été en hébreu, on
n'aurait pas manqué de le conserver soigneusement et
d'en tirer un grand nombre de copies ; la chose ne sau-
rait être douteuse pour un ouvrage de cette importance.
Or, cet important ouvrage n'a jamais été connu dans
les anciens temps, jamais il ne s'en est trouvé une seule
copie. En effet, les églises de Syrie, qui parlaient à peu
près la langue dans laquelle cet Évangile eût été com-
posé , et qui pouvaient si aisément s'en servir quand
elles ont fait traduire le Nouveau-Testament dans leur
langue, ne l'ont point connu, puisque leur fameuse ver-
sion Beschito, dont on peut reporter l'origine jusqu'au
second siècle, est faite d'après le texte grec. Origène,
qui avait fait tant de voyages et de recherches, et à qu|
l'original de saint Matthieu eût été si nécessaire pour
l'édition correcte des Evangiles à laquelle il travaillait»
n'a connu que l'Évangile hébreu des ébionites et des
nazaréens, dont il s'est bien gardé de faire usage pour
corriger le texte évangélique. Saint Pamphile, son dis-
ciple, qui avait formé une si belle bibliothèque et ras-
semblé tant de manuscrits curieux , n'avait pu trouver
que l'exemplaire hébreu des nazaréens , qu'a traduit
saint Jérôme, et qui est bien différent de notre Evangile
authentique. Ainsi , l'existence de l'original hébreu de
saint Matthieu ne repose que sur un bruit vague, et n'a
pas en sa faveur l'autorité d'un seul témoin oculaire. —
Pour résoudre cette difficulté et bien expliquer quel a
été le sort de l'original hébreu de saint Matthieu, il faut
observer qu'il y avait deux sectes distinctes de chrétiens
judaïsans, ceux qui admettaient la nécessité de l'obser-
DE l'évangile de SAL\T MATTHIEU. 123
vation de la loi cérémonielle même pour les Gentils, et
ceux qui, tout en observant les pratiques légales, recon-
naissaient qu'elles n'étaient point obligatoires, surtout
pour les Gentils convertis. Les premiers étaient mani-
festement hérétiques , et c'est d'eux que sortit la secte
des ébionites, qui niaient la divinité et la conception vir-
ginale de Jésus-Christ. Les autres, qu'on a appelés
nazaréens , n'avaient d'autre erreur que de se croire
toujours obligés à l'observation de la loi, même après
qu'elle avait été abrogée. Ces deux sectes conservèrent
l'Évangile hébreu de saint Matthieu , avec cette diffé-
rence que les ébionites en retranchèrent les deux pre-
miers chapitres pour le rendre conforme à leurs erreurs,
tandis que les nazaréens le gardèrent dans toute son
intégrité en y faisant seulement quelques additions, qui
étaient ou de simples explications du texte, ou des par-
ticularités qu'ils tenaient de la tradition ; mais ces ad-
ditions étaient si peu importantes, que saint Jérôme, qui
l'avait vu et transcrit , comme nous l'avons remarqué
un peu plus haut (pag . 1 14-) , le regardait comme l'original
authentique de saint Matthieu. Ce qu'il y a de bien cer-
tain, c'est qu'aucun auteur ancien n'a reproché aux na-
zaréens d'avoir contredit dans leur Évangile aucun des
faits rapportés dans cet évangéliste Quant aux auteurs
de la version syriaque , il est tout naturel qu'ils aient
composé leur version sur le grec , reconnu par toute
l'Église catholique, plutôt que sur le texte syro-chal-
déen, qui se trouvait entre les mains d'une secte, et qui
avait été interpolé dans plusieurs endroits. Ainsi , il
n'est pas vrai de dire que l'Évangile des nazaréens dif-
férait assez essentiellement de l'Évangile authentique de
saint Matthieu, pour qu'on puisse affirmer que celui que
124 DE l'évangile de SAINT MATTHIEU.
saint Jérôme a copié à Bérée ne fût pas une copie de
l'original de cet apôtre. Ainsi, nos adversaires ne sont
pas fondés à soutenir qu'un original hébreu de saint
Matthieu n'a jamais été connu dans l'antiquité chré-
tienne.— h-° Le plus grand nombre des citations de l'An-
cien-Testament qui se trouvent- dans saint Matthieu
indiquent dans l'écrivain grec, quel qu'il soit, une in-
dépendance qui ne saurait être le partage d'un simple
traducteur. Ainsi, par exemple, s'il suit quelquefois la
version des Septante, il en fait le plus souvent une qui lui
est propre, qu'il met en rapport avec le but du contexte,
et qui par conséquent est très-peu littérale . Outre la ver-
sion des Septante, il avait encore sous les yeux le texte
hébreu, auquel il a recours quand le sens qu'il porte est
plus conforme à son dessein . Il résulte de là que l'écrivain
fait ses citations tantôt d'après les Septante , et tantôt
d'après l'hébreu , mais en expliquant l'un et l'autre à sa
manière, et avec la plus grande liberté. Or, comment
supposer d'abord qu'écrivant en hébreu, et pour des
Hébreux qui lisaient l'Ancien - Testament dans l'i-
diome primitif et national , il ait abandonné le texte
original dans ses citations, pour suivre une version en
langue étrangère? Gomment supposer encore que le tra-
ducteur se soit donné la liberté de prêter au discours
de saint Matthieu des sens qui ne peuvent subsister que
d'après la version des Septante? Que le traducteur ait
mis à la place des citations hébraïques les paroles de
la version des Septante, on le conçoit aisément quand
les citations n'influent pas sur le sens du discours de
saint Matthieu ; mais qu'il ait mis ces citations grecques
quand elles sont différentes , et qu'il se soit permis d'y
accommoder le sens d'un auteur inspiré, c'est ce qu'il
DE L'ÉVAXGILE de SAINT MATTHIEU. 125
est difficile, ou pour mieux dire impossible d'admettre
sans s'écarter des lois d'une bonne critique. — Mais rien
n'empêche de supposer que pour traduire en syro-chal-
déen les passages de l'Ancien-Testament, il ait eu sous
les yeux le texte hébreu et celui des Septante, qu'il se
soit servi tantôt de l'un , tantôt de l'autre, selon que cela
était plus conforme à son objet, et qu'il ait pu donner à
son discours toutesles tournures qu'on objecte. Ainsi, il
n'est nullement nécessaire, dans notre sentiment, de re-
jeter sur le compte du traducteur grec ces traductions
libres et en quelque sorte paraphrasées' des passages
de l'Ancien-Testament cités dans saint Matthieu , c'est
à l'évangéliste lui-même qu'il faut les attribuer. Mais
admettons que les raisons qu'on nous oppose soient dé-
monstratives , il ne s'ensuivra pas pour cela que saint
Matthieu n'ait pas écrit un Evangile hébreu, comme l'at-
teste toute l'antiquité, il s'ensuivra seulement qu'après
l'avoir écrit en cette langue, il en a composé un autre en
grec, de manière qu'il y aurait deux originaux de l'E-
vangile de saint Matthieu ; un en syro-chaldéen pour
l'usage des Juifs de Palestine, et un autre en grec pour l'u-
sage des Juifs hellénistes. Cette supposition, outre qu'elle
est possible, est encore très-vraisemblable ; car saint Mat-
thieu ayant quitté la Palestine pour évangéliser d'autres
pays, où l'hébreu n'aurait pas été entendu, a dû traduire
son Evangile , l'approprier à ses derniers néophytes ;
à moins qu'on ne dise , avec quelques critiques, qu'un
de ses disciples l'a traduit d'après ses idées et sous sa
direction, ce qui revient à peu près au même. Ajoutons
que l'hypothèse de ce double original acquiert un nou-
veau degré de consistance , quand on considère qu'elle
résout parfaitement plusieurs problèmes qui paraissent
126 DE L ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU,
d'ailleurs insolubles. C'est elle seule , en effet, qui peut
nous expliquer d'une manière satisfaisante comment
le texte {jrec est si ancien dans l'Eglise, et pourquoi il y
a été si généralement admis, et comment personne n'a
jamais parlé de l'auteur d'une traduction si célèbre, et
qui a eu tout de suite une si grande autorité dans l'E-
glise. Elle seule encore explique facilement les varian-
tes qu'il y avait entre notre texte grec et l'exemplaire
hébreu des nazaréens, en nous permettant de supposer
que quelques-unes des additions faites dans les cita-
tions de l'Ancien-Testament appartenaient au premier
travail de saint Matthieu, et qu'il les a retranchées dans
le second comme n'étant pas aussi nécessaires aux peu-
ples qu'il instruisait en dernier lieu. — 5'' On rencontre
dans cet Evangile plusieurs mots hébreux et syriaques,
tels que Emmanuel^ Golgotha, Haceldama, etc., expli-
qués en grec. — La conséquence que nos adversaires ti-
rent de leur principe, lequel est d'ailleurs incontestable,
ne nous semble pas très-rigoureuse ; car si de ce même
principe nous inférions de notre côté que ces explica-
tions viennent du traducteur grec, ils n'auraient aucun
droit de rejeter notre conclusion. Dans l'hypothèse d'un
double original publié par saint Matthieu lui-même, elle
ne serait pas plus attaquable ; car, bien qu'écrivant en
grec, l'historien sacré pouvait sans difficulté conserver
dans leur propre langue certains termes et certains dis-
cours, en les expliquant toutefois, pour l'utilité de ceux
auxquels il destinait son Evangile grec. Il n'y a pas d'au-
teur qui, se trouvant dans les conditions où nous sup-
posons saint Matthieu, eût fait autrement.
2. Quant au style de l'Evangile de saint Matthieu , nous
ne pouvons parler que du texte grec , puisque l'original
DE l'évangile de SAINT MATTHIEU. 127
hébreu n'est point parvenu jusqu'à nous. Or, le style de
ce texte est simple et naturel , c'est-à-dire tel qu'il con-
vient à un historien sincère , et surtout à un historien sa-
cré, dont la narration doit être exempte de toute affecta-
tion et de tout ornement indigne de la grandeur et de la
gravité des faits qu'il rapporte. Son langage , plein d'hé-
braïsmes , est tout-à-fait dans le goût et dans le genre de
la langue hellénique qui avait cours chez les Juifs à
cette époque.
ARTICLE II.
Du temps et du lieu où fut composé l'Evangile de
saint Matthieu.
1. Le partage d'opinions qui existe entre les inter-
prètes anciens et modernes ne permet pas de fixer d'une
manière certaine l'époque à laquelle saint Matthieu a com-
posé son Evangile. Un sentiment assez commun est que
cet évangéliste a écrit environ huit ans après l'ascension
du Sauveur ou l'an 41 . C'est en efPet cette date que portent
plusieurs manuscrits grecs , et que donnent aussi Théo-
phylacte, Euthymius et d'autres écrivains plus modernes,
La Chronique pascale, composée au vr siècle, fixe la
composition de cet Évangile à l'an 16 après l'ascension;
mais saint Irénée la recule jusqu'au temps oii saint Pierre
et saint Paul évangélisaient à Rome ; ce qui ne peut être
plus tôt que l'an 61. L'autorité de saint Irénée, qui vivait
au II" siècle, et qui avait été disciple de saint Polycarpe,
semblerait devoir être décisive, d'autant plus qu'elle ne
paraît pas avoir été contredite dans les cinq premiers
siècles. Cependant, comme toute l'antiquité nous affirme
que saint Matthieu composa son Évangile en Judée, avant
128 DE l'évangile de SAINT MATTHIEU.
que les apôtres ne se fussent séparés , il n'est guère vrai-
semblable que saint Matthieu , qui a été l'apôtre de plu-
sieurs nations, ait demeuré plus de trente ans en Judée ,
et que les apôtres y soient restés si long-temps sans se
séparer. De plus , tous les manuscrits , toutes les ver-
sions et tous les pères, attestent unanimement que saint
Matthieu a écrit avant les autres évangélistes. Or, s'il n'a-
vait écrit qu'après l'an 61 , il serait difficile d'accorder
ce témoignage avec la date que les auteurs ecclésias-
tiques assignent à la composition des Evangiles de saint
Marc et de saint Luc. On pourrait concilier ces deux opi-
nions qui se combattent par l'hypothèse dont nous avons
parlé à l'article précédent , celle de deux originaux de
l'Évangile de saint Matthieu , l'un hébreu et l'autre grec.
En supposant en effet que l'original hébreu, ayant été
fait en Palestine pour l'usage des Juifs convertis, a dû être
écrit le premier, et que l'exemplaire grec a été composé
beaucoup plus tard pour les Gentils convertis par saint
Matthieu, on fait aisément disparaître la contradiction
qui se trouve entre Théophylacte , Euthymius et les ma-
nuscrits grecs d'un côté et saint Irénée de l'autre , puisque
tien alors n'empêche de placer la composition de l'ori-
ginal hébreu à l'an 8 avec les premiers , et celle du texte
grec à l'an 61 avec ce dernier père (1). Hug veut que
l'Evangile de saint Matthieu n'ait été rédigé qu'au com-
mencement du siège de Jérusalem , et il prétend fixer sû-
rement cette date par des argumens que fournit le livre
lui-miême. D'abord il fait observer que les paroles jms-
qit'à ce jour qui s'y trouvent deux fois ( xxvii, 8, et
(1) Il faut avouer cependant que le texte même de saint Irénée n'est
pas favorable à celte explication ; car ce père parle en propres termes
de Toriginal hébreu {Adv. hœres. l. m, c. i).
DE l'évangile de SAINT MATTHIEU. 129
XXVIII , 15 ) supposent entre les événemens et le récit
de l'évangéliste un espace de temps plus long que celui
de huit à dix ans ; et que la remarque qu'il fait sur la
coutume de délivrer un criminel à la fête de Pâques , in-
dique un temps éloigné où cette coutume n'avait pas lieu .
Il fait observer encore que Zacharie , fils de Barachie ,
tué entre le vestibule et l'autel , est le même que celui
dont parle Joseph, et qui, peu de temps avant la prise
de Jérusalem , fut tué par les Juifs ; enfin , Hug ajoute
que ces paroles de Jésus-Christ , lorsque vous verrez
l'abomination de la désolation dans le lieu saint, n'ont
été rapportées par saint Matthieu que parce qu'il voyait
que cette abomination existait déjà par la présence des
zélés dans le temple ; mais toutes ces allégations sont sans
fondement. Et d'abord , comment Hug ose-t-il avancer
que Zacharie , dont parle Jksus-Christ , et qui devait
être un juste de l'ancienne loi, soit un Juif incrédule?
Ensuite, comment JÉsus-CHRiSTa-t-il pu dire qu'il avait
été déjà mis à mort ( quem occidistis inter templum et ai-
tare)'! Et d'ailleurs , n'est-il pas ridicule d'attribuer ces
paroles à saint Matthieu? Ce que dit Jésus-Christ sur
l'abomination et la désolation ne la supposent point exis-
tante; c'est un simple avertissement que le Sauveur
donne de ce qu'il faudra faire quand elle aura lieu. L'ex-
pression jusqu'à ce jour ne demande point un long in-
tervalle de temps ; il suffit que la chose dont l'auteur parle
dure encore dans le temps où il écrit. Il en est de même
de l'observation que fait saint Matthieu sur la coutume
de délivrer un criminel. Commue c'était un usage parti-
culier aux Juifs , et qui peut-être n'existait que depuis les
gouverneurs romains , il était naturel qu'il en fît l'obser-
vation.
130 DE l'évangile de SAINT MATTHIEU.
Au reste , quelque opinion que l'on embrasse sur le
temps auquel saint Matthieu a du écrire son Évangile, il
restera toujours des difficultés plus ou moins graves à
résoudre , et dont la solution ne paraîtra jamais suffi-
sante aux yeux d'un critique rigoureux. Ainsi, quand
nous nous rangeons à celle qui place la composition de
cet Evangile à l'an 8 après l'ascension du Sauveur, nous
la présentons uniquement comme ayant quelque proba-
bilité de plus que les autres.
2. Quant au lieu oii l'Evangile de saint Matthieu a été
écrit , il n'y a pas de doute que ce ne soit la Palestine :
la tradition en fait foi , et tous les caractères intrinsèques
le disent plus clairement encore. L'auteur, en effet, y
rapporte les usages civils et religieux des Juifs sans les
expliquer; il y parle des villes et des lieux sans en fixer
la position topographique, preuve évidente qu'il écrit
en Judée et pour des lecteurs qui étaient parfaitement
informés de toutes ces circonstances. Aussi , saint Marc
et saint Luc, qui ont écrit hors de la Palestine, font-ils
tout autrement. Hug et plusieurs autres modernes ont
prétendu, il est vrai , que saint Matthieu avait composé
son Evangile pour les Juifs hellénistes et non point pour
ceux de la Palestine; mais c'est là une assertion pure-
ment gratuite, et qu'on est par conséquent en droit de
rejeter.
ARTICLE III.
Du but et du plan de l'Evangile de saint Matthieu.
1. Selon saint Irénée, Origène et saint Grégoire de
Nysse , l'évangéliste a voulu nous décrire la génération
temporelle de Jésus-Christ par laquelle il commence
DE l'évangile de SAINT MATTHIEU. 131
son Évangile , et voilà pourquoi ils lui ont donné pour
symbole un visage d'homme. Saint Jérôme , saint Augus-
tin, Tertullien et Théophylacte, pensent qu'il s'est pro-
posé surtout de rapporter l'origine royale de Jésus-
Christ, et de décrire la vie humaine qu'il a menée sur
la terre . Saint Ambroise dit qu'il s'est attaché plus spécia-
lement à donner des règles de conduite et des instruc-
tions morales plus conformes à l'humanité du Sauveur.
Tous les critiques modernes pensent , et avec raison ce
semble, que saint Matthieu, en écrivant son Evangile,
a eu principalement en vue de prouver aux Juifs que
Jésus-Christ était le vrai Messie, fils de David, né
d'une vierge , annoncé par les prophètes , et que c'est la
raison pour laquelle il a cité plus de passages de l'An-
cien-Testament que tous les autres évangélistes. Saint
Matthieu décrit donc tour à tour le Sauveur tantôt
comme opérant des miracles , comme législateur épurant
la loi de ce qu'elle avait d'étranger, montrant le but
élevé de tous ses préceptes, ne la détruisant pas, mais
l'accomplissant et la perfectionnant; enfin il nous le
montre encore comme docteur enseignant les hommes
par des similitudes et des paraboles. Le Messie qu'il dé-
crit n'est pas sans doute le Messie temporel des Juifs ;
mais ce n'est pas non plus le Messie tout spirituel de saint
Jean. Saint Matthieu le considère comme vivant sur la
terre , tandis que saint Jean s'élève comme un aigle jus-
qu'au plus haut des cieux pour nous décrire son origine
éternelle . C'est dans ce sens que les pères ont appelé l'É-
vangile de saint Matthieu l'Evangile corporel, G^waaTizôv,
et celui de saint Jean l'Évangile spirituel, wiviiaTuo'j (1).
(1) H. Olshausen, Bibt. Commentar. iiber Schriften des IV. T.
Band i. Einleit. 6". 17, 18. Auflage 2.
132 DÉ l'évangile de saint MATTHIEU.
2. Après avoir montré , d'après Hug , que le but par-
ticulier de notre évangéliste a moins été de raconter
d'une manière complète l'histoire de Jésus-Christ que
de prouver aux Juifs , en la racontant , que ce Jésus était
le Messie, Cellérier ajoute : « Si c'est là réellement le but
de saint Matthieu , il en résultera dans son ouvrage , con-
sidéré comme histoire , une moindre exactitude relati-
vement à l'ordre des faits et des temps ; ce ne sera pas
une biographie chronologique et détaillée que nous de-
vrons y chercher, mais un tableau fidèle de la vie de
JÉSUS , où les traits principaux ressortiront en raison
de leur importance , et pourront quelquefois être placés
dans un ordre qui ne sera pas celui des événemens , mais
celui qu'exigera le but de l'écrivain inspiré. C'est là , en
effet, ce que nous découvrons dans cet Evangile, com-
paré avec soin aux autres. C'est ainsi qu'on voit l'évan-
géliste négliger fréquemment l'enchaînement des faits
qu'il raconte , les petites circonstances et les détails mi-
nutieux , pour ne s'attacher qu'à ceux qui vont à son but
et qui ajoutent à sa preuve ; c'est ainsi que des faits et
des discours sont quelquefois rapprochés malgré l'ordre
naturel , lorsque ce rapprochement faisait mieux con-
naître JÉSUS -Christ ou sa divine autorité; c'est ainsi
que, très-probablement , le sermon de la montagne n'a
pas été prononcé tout entier en une seule fois ; mais que
saint Matthieu, pour mieux remplir son but, a voulu,
dans ce majestueux frontispice de son Évangile, réunir
au discours réellement prononcé par Jésus-Christ sur
la montagne les traits les plus saillans de quelques au-
tres instructions (1). » Il résulte de ces observations que
(1) J. E. Cellcrier, Essai d'une Inirod. critique au TV". T. pag. 228.
DE L ÉVANGILE DE SAIXT MARC. 134
l'Evangile de saint Matthieu est un traité dogmatique ou
de simples mémoires sur la vie de Jésus-Christ plutôt
qu'une histoire écrite selon toutes les règles , et qu'il ne
faut pas le prendre pour guide dans l'arrangement chro-
nologique des faits évangéliques.
CHAPITRE DEUXIEME.
DE L'ÉVAXGILE de SAIXT MARC.
Saint Marc , s'il faut en juger par son style, était Juif
d'origine. On croit avec assez de fondement qu'il ne fut
converti qu'après la résurrection de Jésus-Christ, par
la prédication des apôtres (1) ; qu'il fut disciple et inter-
prète de saint Pierre (2) , et que c'est le même Marc que
ce prince des apôtres , dans sa première épître ( v, 13 ) ,
appelle son fils, apparemment parce qu'il l'avait engen-
dré à la foi en Jésus-Christ (3). Mais une question dif-
ficile, c'est de savoir si saint Marc l'évangéliste est le
même personnage que Jean Marc, connu dans les Actes
comme fils d'une femme de Jérusalem nommée Marie ,
chez laquelle l'apôtre saint Pierre, délivré de prison par
un ange, se retira, et trouva les fidèles assemblés priant
pour sa délivrance ( AcL xii , 12 ). Ce Jean Marc suivit
saint Paul et saint Barnabe dans plusieurs voyages ; mais
étant arrivé à Perge, en Pamphylie, il les quitta et s'en
(l)Pap!as apud. Euseb. Hist. Eccl. l. m. c. xxxix. August. De
consensu Evangelisiarum, l. \, c. i.
(2) Iren. ^dvers.hœres. l. m, c. i. Euseb. l. m, c. xxxix, etl. ii,
c. XT.
(3) Origen. apud Euseb. L ti, c. xxy. Hieron. m Catalog. Tiii.
134 DE l'évangile de SAINT MARC.
retourna à Jérusalem ( Act. xv, 37-39 ) ; ce qui fut cause
que saint Paul ne voulant pas qu'il l'accompagnât dans
un second voyage en Asie , il s'éleva une contestation
par suite de laquelle les deux apôtres s'étant séparés ,
saint Barnabe prit Marc avec lui et s'embarqua pour
aller en Chypre. La liaison étroite de Jean Marc porte à
croire que c'est le même qui est appelé son cousin dans
l'épttre aux Colossiens ( iv, 10 ) , et dont il est encore
fait mention dans la seconde à Timothée ( iv, 12 ) , et
dans l'épître à Philémon (24). Dans cette hypothèse,
Jean Marc se serait réconcilié avec saint Paul depuis sa
division avec saint Barnabe. Reste encore à savoir si
Jean surnommé Marc est le même que notre évangé-
liste. Saint Jérôme, Victor d'Antioche (1) et beaucoup
de critiques de ces derniers temps , parmi lesquels nous
pouvons citer Lardner, Michaëlis, Marsh, Hug, 01s-
hausen, confondent ces deux personnages , tandis que
Baronius,Grotius,Tillemont et une infinité d'autres écri-
vains, les distinguent formellement. Les raisons qu'on
allègue de part et d'autre sont également spécieuses;
nous pencherions cependant plus volontiers pour le sen-
timent des critiques qui soutiennent l'identité des per-
sonnes. Le nom de Marc n'est pas hébreu ; peut-être que
c'était un surnom deRomain que l'évangéliste avait pris,
suivant un usage assez commun à son époque. C'est une
tradition ancienne et constante que saint Marc a été fon-
dateur de l'église d'Alexandrie. Quant aux autres cir-
constances de sa vie et de sa mort, rapportées dans ses
actes et par des auteurs récens, elles sont incertaines
ou fabuleuses.
DE l'évangile de SAINT MARC. 135
ARTICLE I.
Du texte original et du style de V Evangile de saint Marc.
1. C'est un sentiment généralement reçu que saint Marc
a écrit en grec, et que le texte que nous avons en cette
langue est réellement l'original de son Evangile. Ce sen-
timent est fondé sur des preuves solides. En effet, les
anciens qui ont remarqué comme une chose particulière
que l'Évangile de saint Matthieu avait été originairement
composé en hébreu,c'est-à-dire en syro-chaldaïque, n'ont
fait aucune remarque semblable sur celui de saint Marc;
ce qui prouve clairement que dans leur opinion le livre
de cet évangéliste avait été primitivement écrit en grec
comme les autres livres du Nouveau-Testament. Saint
Jérôme et saint Augustin , en particulier, ont affirmé de
la manière la plus expresse que tous les livres du Nou-
veau-Testament, à l'exception de l'Evangile de saint
Matthieu et de l'Epître de saint Paul aux Hébreux,
avaient été composés originairement en grec (1) . Indé-
pendamment de ces autorités , on peut dire que le style
même , par les nombreux grécismes qu'il contient , dé-
cèle un original grec. Cependant quelques critiques mo-
dernes, et surtout Baronius, ont prétendu que saint Marc
avait écrit en latin, se fondant, 1° sur ce qu'on trouve
dans son Evangile des mots impropres qui ne sont nulle-
ment grecs , mais latins , et qui ont été grécisés ; 2° sur la
souscription des versions syriaque et arabe, qui le disent
expressément; 3osur les témoignages du Pontifical at-
(1) Hieron. Prœf. in quatuor Evang. ad Dama». AugusU De con-
sensu Evang. L i, c. ii.
136 DE l'évangile de SAINT MARC.
tribué au pape saint Damase , et de saint Grégoire de
Nazianze ; ^i-" sur ce que la langue grecque n'était pas
vulgaire à Rome du temps de saint Marc ; 5° sur ce que
révangéliste écrivant à Rome et pour les Romains , il
était convenable qu'il le fît dans leur propre langue.
Après avoir exposé ces raisons, Baronius conclut qu'elles
sont si fortes et si solides, qu'elles]paraissent autant de
démonstrations (1). Pour nous, nous répéterons volon-
tiers, après R. Simon : « Ces raisons, au contraire, ne
peuvent paraître que très-faibles à ceux qui entendent
la critique des livres sacrés (2). » En effet, et pour ré-
pondre à chacune de ces raisons, nous dirons, 1° que
s'il était permis d'affirmer que saint Marc a composé son
Evangile en latin , parce qu'on y remarque des mots de
cette langue qui ont été grécisés, il faudrait dire aussi
que les autres évangélistes ont également écrit en latin ,
puisqu'on trouve dans leur Evangile des termes appar- j
tenant à cet idiome et qui ont été grécisés. Il faudrait
dire encore que les versions syriaque et arabe de la Bible
elles-mêmes auraient été d'abord composées en grec et
traduites ensuite en ces langues de l'Orient, car elles
contiennent plusieurs mots grecs qui ont pris la forme
syriaque et arabe . Saint Marc écrivant à Rome , comme
on le verra à l'article suivant, a pu se servir de termes
latins grécisés. Quel est le peuple en effet qui , parlant
un idiome étranger, n'y m^e point des mots de sa propre
langue? — 2° Quant aux souscriptions des versions sy-
riaque et arabe , nous remarquerons avant tout que ces ;
dernières ayant été faites sur les premières, elles ne^
(1) Baron, yinnal. ad ann. Chr. 45. «.41.
(•2) R. Simon. Hist. crit. du N. T. ch. xi.
DE l'évangile de SAL\T MARC. 137
forment avec elles qu'un seul et même témoin. Nous di-
rons ensuite que les inscriptions des versions orientales
sont trop modernes et ont trop peu d'autorité en critique
pour contrebalancer les preuves qui militent en faveur
de l'original grec. — 3° Nous ferons la même observa-
tion par rapport au Pontifical de saint Damase ; et nous
ajouterons, pour ce qui regarde saint Grégoire de Na-
zianze , que son témoignage n'est pas aussi décisif que
le prétend Baronius, vu que ce père ne dit point que
saint Marc ait composé son Evangile en latin, mais pour
les Latins (1) , ce qui n'est pas absolument la même
chose. — 4° Il n'y a aucun doute que du temps de saint
Marc le grec ne fût presque aussi commun à Rome que
le latin, puisque les femmes mêmes le parlaient (2)
— 5° Après avoir rapporté cette réflexion de Baronius ,
qu'on ne saurait s'imaginer que les apôtres aient an-
noncé l'Evangile de Jésus-Christ aux nations en d'au-
tres langues qu'en celles qui étaient en usage parmi ces
nations , Richard Simon ajoute fort judicieusement : « Il
n'a pas pris garde que saint Pierre était venu à Rome
pour prêcher l'Evangile à ceux de sa nation , et qu'ainsi
saint Marc a dû le publier dans la langue qui leur était
la plus connue. Or, il est certain que les Juifs étaient ré-
pandus dans tout l'empire romain , et même la plupart
de ceux qui étaient alors à Rome savaient le grec : il y
en avait au contraire très-peu qui sussent le latin. C'est
ce que Grotius a observé fort à propos au commence-
ment de ses notes sur saint Marc. Judœi , dit cet habile
critique, qui Romœ agebant pïerique latini sennonis
(t) Greg. Nazianz. Poem. xxxiv, xliv.
(2) Juvenal. Salir, vi, v. 195. Martial, x. Ephjr. 68.
138 DE l'évangile de SAINT MARC.
ignari , lofigaper Âsiam et Grœciam habitatione grœcam
linguam didiceranty et Romanorum vix quisquam erat
non grœce intelUgens (1). » D'ailleurs, on convient gé-
néralement que saint Paul dans son Epître aux Ro-
mains a écrit en grec , et que saint Pierre écrivant aux
Juifs ne l'a pas fait en hébreu. Or, ce point étant une
fois accordé , saint Marc , qui n'écrivait pas uniquement
pour les Romains, mais pour toute l'Eglise, n'a-t-il pas
pu, disons même, n'a-t-il pas du écrire en grec, qui
était la langue la plus commune? Ajoutons que si saint
Marc avait écrit en latin , l'Eglise latine aurait proba-
blement conservé le texte même de l'évangéliste , et n'au-
rait certainement pas préféré à cet original sacré une
simple traduction latine faite sur la version grecque , qui
ne serait elle-même qu'une interprétation du texte pri-
mitif; car il est constant que notre Evangile latin n'est
qu'une traduction pure et simple du grec. Enfin, saint
Jérôme voulant corriger l'édition latine de saint Marc ,
le fit sur les exemplaires grecs , bien persuadé que son
Evangile avait été écrit en grec et non en latin.
On dit encore que , suivant la tradition de l'église de
Venise, saint Marc a réellement écrit son Evangile en
latin, et que cette église en conserve l'original. Mais
d'abord quel fondement peut-on faire sur une tradition
opposée à celle des pères? En second lieu, cette tradi-
tion repose uniquement sur l'apostolat de saint Marc à
Aquilée ; apostolat au moins très-douteux, puisqu'il n'est
confirmé par aucun ancien monument, et qu'il n'en est
question que dans des documens très-modernes (2).
Quant au prétendu original latin conservé à Venise, il
(1) R. Simon, IJist. crit. du I\\ T. ch. xt.
(2) Tillemont, noie ti sur saint Marc.
DE L ÉVANGILE DE SAINT MARC. 139
est démontré aujourd'hui, pour tous les critiques, que
ce n'est qu'un fragment d'un manuscrit de l'ancienne
Italique, appelé le manuscrit de Frioul. Ce fragment
fut porté à Prague, où il a été publié (1).
2. Michaëlis a judicieusement fait observer qu'aucun
écrivain du Nouveau-Testament n'avait plus négligé
l'élégance de l'expression et la pureté du langage que
l'évangéliste saint Marc. Le même critique ajoute que
le mot eùôîwç, statim, confestim, continuo, revient sans
cesse dans ses phrases, et que des hébraïsmes durs et
nombreux abondent dans son livre (2). L'adverbe vjQéfoç
se trouve en effet, si nous ne nous sommes pas trompé
dans notre calcul, quarante fois au moins dans les quinze
chapitres dont ce livre se compose.
ARTICLE II.
Du temps et du lieu où fut composé l'Evangile de saint
Marc.
1. Il n*y a rien de bien certain sur la date de l'Evan-
gile de saint Marc , elle dépend de celle de saint Mat-
thieu, qui, d'après le sentiment de toute l'antiquité, a
écrit le premier. Si saint Matthieu n'a pas composé
son Evangile avant l'an 61 , comme le prétend saint Iré-
née, saint Marc aura pu écrire vers l'an 66, et après la
mort de saint Pierre et de saint Paul, comme le dit en-
core le même saint docteur. Mais si saint Matthieu,
(l)Vûy. Blanchini Evangeliariiim quadi*jplex, l'Introduction au
IVouv.-7'esl. de J. D. Michaëlis, et Fnvjmenium Prarjense Evamje-
l'tum S. Marci, vulgo aiiloijraphif edidit, leclioncsqae variantes criticè
recensait Jos. Dobrowski. Pragœ, 1778.
(2) ^WchaùUs, Inlrod. au Noav.-Test. t. m, p. 278.
140 DE l'évangile de SAINT MARC.
au contraire , a écrit l'an il ( voyez un peu plus haut ,
pag^e 127) , saint Marc aura pu écrire la quatrième an-
née de l'empire de Claude, comme porte la Chronique
d'Eusèbe. Et comme Eusèbe nous apprend que saint
Marc partit aussitôt pour Alexandrie , où il porta son
Evangile , cet Evangile n'a pu être écrit plus tard que
cette époque. Cette date suppose, comme on le voit, un
premier voyage de saint Pierre à Rome sous l'empire
de Claude ; voyage pendant lequel , d'après le témoi-
gnage de saint Justin , il fit tomber des airs Simon le
magicien. Hug, il est vrai, traite le récit de saint Justin
de fable, et n'admet pas que saint Pierre soit allé deux
fois à Rome; mais Tillemont et nos meilleurs critiques
catholiques ne sont pas de ce sentiment, et aiment mieux
s'en rapporter au témoignage de saint Justin pour l'aven-
ture de Simon le magicien, et à Eusèbe pour le premier
voyage de l'apôtre saint Pierre à Rome, qu'à de vaines
conjectures. En suivant cette date, il faudrait abandon-
ner le témoignage de saint Irénée; mais il nous semble
qu'on doit d'autant mieux le faire, que Papias, Clément
d'Alexandrie, Eusèbe, saint Jérôme, saint Epiphane,
et un grand nombre d'anciens auteurs , disent claire-
ment que saint Marc a écrit son Evangile du vivant de
saint Pierre (1).
2. On n'est guère plus certain du lieu où saint Marc
a composé son Evangile ; Papias et la plupart des pè-
(I) Le texte de saint îrônéo, porte y.cT-t o\ toj-tov eio-loy, que quel-
ques-uns ont entendu dans le sens de post eornm discessum ex Româ.
Eichhorn pense que saint Irénée a emprunté cette expression de saint
Pierre lui-même, qui dit (2 Petr. i, 16) en parlant de sa mort, u-srà
T>yv £u.ôv e'^o^ov (voy. Eiclihorn, Einteit. in das IVeiie Testament. B. i,
§ 1 19.)
DE l'évangile de SAL\ï MARC. Ul
res disent expressément ou supposent que ce fut à
Rome, et à la prière des chrétiens de cette ville. Cette
opinion se trouve confirmée par les caractères internes
du livre même ; il semble au moins qu'il est permis de
le conclure de certaines particularités qui frappent na-
turellement un critique attentif. Ainsi, par exemple,
quand il parle de mains souillées (viï, 2), il ajoute aus-
sitôt : Cest-à-dire qui n'ont pas été lavées. Il fait de
même pour le mot préparation , qu'il explique par la
veille du Sabbat^ et du terme corban (vu, 11), qu'il in-
terprète par offrande. Or, il est évident que ces expli-
cations n'étaient faites que pour des hommes étrangers
à la Palestine ; mais il en est quelques-unes plus expli-
cites qui semblent prouver que c'est à Rome, et pour des
Romains , que saint Marc a écrit ; nous mettons de ce
nombre le zo^^oavTï;,- quadrans , par lequel il explique
la monnaie juive appelée ).£;rTÔv (xii, 4-2), et que Jo-
seph, en pareil cas, évalue en drachmes, d'après le sys-
tème monétaire des Grecs. Nous mettons encore du
nombre de ces explications le mot romain -/.sv-rvoi'wv cen-
turio (XV, 39), dont saint Marc fait usage au lieu de
iy.v.irj\ixv.ûyQç , habituellement employé par Joseph , par
les auteurs grecs et par les écrivains du Nouveau-
Testament ^1). Cependant saint Chrysostome, dans sa
première homélie sur saint Matthieu , dit que c'est en
Egypte et pour les chrétiens de ce pays que saint Marc
composa son Évangile ; mais le saint docteur ne s'ap-
puie sur aucune preuve autre que l'opinion {liyz-on.).
R. Simon pense qu'on pourrait facilement concilier
ce sentiment avec celui des autres pères, en disant que
(1) Hug, Einlcit. Th. n, Seii. 62.
M2 DE l'évangile de saint marc.
saint Marc a donné aux fidèles de Rome son Évangile
en qualité d'interprète de saint Pierre, qui prêchait dans
cette grande ville, et qu'il l'a aussi donné ensuite aux
premiers chrétiens d'Egypte en qualité d'apôtre ou d'é-
vêque (1). Dupin traitant la même question dit : «Il
semble qu'on pourrait accorder cette contradiction, en
disant que saint Marc fit son Évangile à Rome peu de
temps avant la mort de saint Pierre, que cet apôtre l'ap-
prouva ; et qu'après sa mort, étant sorti de Rome, il le
porta et le publia en Egypte. De cette sorte on accorde
tous les auteurs, en supposant que saint Marc n'est venu
à Alexandrie qu'après la mort de saint Pierre, c'est-
à-dire en 66, et qu'il n'est mort qu'en 67 ou 68. Ce que
saint Irénée dit, qu'il n'a publié son Évangile qu'après
la mort de saint Pierre , se trouvera aussi véritable ,
parce que, quoiqu'il l'eut fait peu de temps avant la mort
de cet apôtre , il ne fut néanmoins rendu public que
quelque temps après (2) . » Nous terminerons cet article
par une remarque de R. Simon qui nous a paru fort
juste : « On ne peut cependant rien assurer là dessus
qu'en général, parce qu'on n'a point d'actes certains
auxquels on puisse s'arrêter. C'est pourquoi il n'est pas
surprenant que les pères ne conviennent point entre
eux , lorsqu'ils parlent en particulier de ces sortes de
faits, n'étant le plus souvent appuyés que sur des con-
jectures (3). )) Ainsi, il paraît certain que saint Marc n'a
écrit qu'après saint Matthieu; il est très-probable qu'il
Ta composé du vivant même de ce saint, et il y a assez
(1) R. Simon, Hist. crit. duN. T. ch. x.
(2) Ellies Dupin, Dissert, prélim. sur la Bible, l. ii, ch, ii, §iv.
(3) R. Simon, loc. citât.
DE l'évangile de S.VIXT MARC. H3
d'apparence qu'il l'a écrit à Rome, ou que du moins il
l'a destiné principalement aux Romains.
ARTICLE III.
Du but et du plan de l'Evangile de saint Marc.
1 . Le but que saint Marc s'est proposé en composant
son Évangile se montre clairement à chaque page. En
lisant en effet le récit des œuvres de la puissance divine
de Jésus de Nazareth, récit qui fait le fond de presque
tous ses chapitres, il est impossible de ne pas recon-
naître que l'évangéliste a voulu prouver que ce même
Jésus était le maître souverain de toutes choses.
2. ^Plusieurs critiques pensent que saint Marc a eu
sous les yeux l'Evangile de saint Matthieu quand il a
composé le sien ; parce qu'il le suit presque toujours pas
à pas dans le récit des événemens; ce qui sans doute a
fait dire à saint Augustin qu'il paraissait n'être que le
copiste et l'abréviateur [pediss'equus et breviator) de saint
Matthieu (1). Cependant on aurait tort de prendre trop
à la lettre ces paroles ; car sur plusieurs points il se
montrait plutôt réviseur qu'abréviateur ; et c'est pour-
quoi après avoir soumis son livre à une analyse rigou-
reuse, Hug, un des critiques dont nous parlons, en a con-
clu qu'il disposait les événemens dans un meilleur ordre
chronologique ; qu'il ajoutait et développait davantage
certaines circonstances de ses récits ; qu'il y avait ajouté
aussi plusieurs faits, et qu'il en avait même passé sous
silence quelques-uns assez importans. Or voici comment
(1) August. De consensu Evang, l. i, c. ii.
14# DE L'ÉVAXGILE de SALNT MARC.
il prouve chacune de ces assertions. — 1°I1 suffit, dit-il,
de jeter les yeux sur une concordance des Evangiles pour
se convaincre que saint Marc diffère de saint Matthieu
dans l'arrangement de certains faits qu'ils racontent l'un
et l'autre. Or, la raison qui a pu engager saint Marc à
classer les événemens rapportés par saint Matthieu d'une
toute autre manière, c'était de les placer dans un ordre
plus chronologique ; ordre dont le but particulier de
saint Matthieu, dans la composition de son propre Evan-
gile, n'exigeait pas la précision; et la preuve que cet
ordre est le meilleur, c'est qu'il a été suivi par saint Luc,
qui fait profession (Luc. i, 3) de rapporter toutes choses
dans l'ordre où elles étaient arrivées [omniaa principioy
ex ordine). Quoique saint Pierre, dont saint Marc était
l'interprète, ne rapportât point, dans les discours qu'il
faisait au peuple, les événemens évangéliques dans l'or-
dre des temps ; cependant il a pu les instruire dans ses
conversations particulières , et saint Marc a profité de
ses instructions. — 2° Saint Marc paraît encore avoir
voulu raconter plus en détail certains événemens rap-
portés sommairement par saint Matthieu .Tel est en par-
ticulier le miracle de l'hémorroïsse et plusieurs autres
faits qu'il a plus ou moins développés {1). Saint Marc
ajoute aussi quelques circonstances pour faire mieux
connaître les personnes dont il s'agit. Ainsi, il nous
apprend que le centurion dont Jésus-Christ ressuscita
la fille, s'appelait Jaire; que laChananéenne était Grec-
(1) Matlh. IX, 20 ; Marc, v, 20. Comparez encore Marc, i, 40-ii,
avec Matth. viii, 2-5 ; Marc, ii, 2-13, avec MaUli. ix, 2-9; Marc, it,
35-v, avec Matth. vin, 23-28; Marc, v, 1-20, avec Matth. viii, 28-
IX; Marc, vi, 14-30, avec Matth. xiv, G-13; Marc, xii, 28-35, avec
Maith. XXII, 34-41, etc.
DE l'évangile de SAL\T MARC. U5
que et Syro-phénicienne ; que Simon le Cyrénéen était
père d'Alexandre et de Rufas ; que Barabbas avait com-
mis un homicide dans une sédition ; que Joseph d'Ari-
mathie était membre du sanhédrin; que Jésus-Christ
avait chassé sept démons du corps de Magdelaine ; qu'un
des aveugles de Jéricho s'appelait Bar-Timée , ou fils de
Timée ; détails sur lesquels saint Matthieu garde le si-
lence (1). Dans une certaine occasion, saint Matthieu
dit en général que les disciples ont oublié de prendre
du pain ; saint Marc , plus précis , ajoute qu'ils n'en
avaient qu'un seul dans la barque. C'est par lui que
nous savons que les pourceaux précipités dans la mer
étaient au nombre de deux mille (2). Il résulte de ces
rapprochemens que si saint Marc a eu sous les yeux le
texte de saint Matthieu, il ne s'est pas borné à l'office
de simple abréviateur. La tradition nous apprend qu'il
tenait tous ces renseignemens de saint Pierre , et son
Evangile semble nous en fournir une preuve manifeste;
car on y remarque le plus grand soin de rétablir le nom
de Pierre dans tous les endroits où saint Matthieu l'a-
vait omis ; nous pourrions citer au moins six endroits
dans lesquels saint Marc a eu cette attention. Or, ce
soin, en quelque sorte affecté, déplacer le nom de Pierre
dans des endroits où il n'est pas nécessaire , indique
assez visiblement des rapports d'intimité et de respect
avec le prince des apôtres. D'un autre côté, saint Marc
(1) Compar. Marc, v, 22, avecMalih. ix, 18; Marc, vu, 2G, avec
Mallh. XV, 22; Marc, x, 4G, avec Malth. xx, 30; Marc, xv, 8, avec
MaUh. XXVII ; Marc, xv, 21, avec MaUh. xxvii, 32; Marc, xv, 43,
avec MaUh. xxvii, 67 ; Marc, xvi, 9, avec Mattli. xxviu, 1, 0.
(2) Compar. Matlh. xvi, 5, avec iiîarc. viii, 14; Mallh. vjii, 32,
avec Marc, v, 13.
V. 7
146 DE l'évangile de saint MARC.
passe sous silence, ou ne fait pour ainsi dire qu'effleurer
légèrement ce que les autres évangélistes rapportent à
sa louange. Ainsi il ne dit rien des éloges ni des pré-
rogatives que Jéscs-Christ accorda à ce saint apôtre,
lorsqu'il l'eut reconnu pour le fils de Dieu (Matth. xvi,
16-19), tandis qu'il rapporte assez au long son triple
reniement (xiv, 66-T2) ; mais cette particularité se com-
prend aisément , dès que l'on considère que le prince
des apôtres, dont il était l'organe, lui avait soustrait par
modestie les détails qui lui étaient honorables et glo-
rieux, ou l'avait empêché d'y insister, tandis qu'il l'avait
parfaitement instruit des traits de sa vie qui ne lui fai-
saient pas autant d'honneur. Cette particularité con-
firme par là même cette tradition des anciens, que saint
Pierre avait examiné l'Évangile de saint Marc, et l'avait
ensuite donné aux églises revêtu du sceau de son au-
torité ; tradition d'après laquelle les anciens appelèrent
l'Evangile de saint Marc Prédication de saint Pierre
(KTipu^iv nérpou). — 3° Saint Marc a ajouté trois faits à l'E-
vangile de saint Matthieu ; savoir : l'histoire de l'homme
possédé de l'esprit impur dans la synagogue de Ca-
pharnaiim (i, 23-28) ; la guérison de l'aveugle de Beth-
saïde (viii , 22-26) ; et le trait de la pauvre veuve qui
met deux petites pièces dans le tronc (xii, ki-ïï). Or,
ces additions prouvent encore que saint Marc n'est pas
un simple abréviateur de saint Matthieu; et s'il les a
faites, c'est qu'ayant appris les faits qu'elles contiennent
de saint Pierre lui-même, il a voulu ainsi compléter l'his-
toire de Jésus-Christ. Quant aux événemens racontés
par saint Matthieu et omis par saint Marc, on comprend
que ce dernier ne faisant guère qu'ajouter des notes à
l'Evangile du premier, a dû ne rapporter que fort som-
DE L'ÉVAXGILE de SAIXT LUC. 147
mairement tous les faits sur lesquels il n'avait rien à re~
marquer de nouveau. C'est en effet ce que l'on observe
le plus souvent, comme s'il lui suffisait d'indiquer par
un mot le récit de saint Matthieu , et d'y renvoyer ses
lecteurs. Il a dû, par la même raison, omettre plusieurs
traits suffisamment connus, qui n'étaient pas nécessaires
à la liaison de son histoire. Il a pu omettre encore ou
simplement abréger certains faits, parce que saint Pierre
ne l'avait pas suffisamment instruit des circonstances et
de l'ordre de ces faits (1). La raison pour laquelle il n'a
pas rapporté la conception virginale de Marie, l'adora-
tion des Mages, et le massacre des Innocens, n'est pas,
comme l'ont prétendu plusieurs critiques modernes, qu'il
ne les crut pas , ou qu'il les regardât comme douteux ;
mais c'est que voulant uniquement parler du ministère
extérieur de Jésus-Christ , tout ce qui concernait l'en-
fance de ce divin Sauveur n'entrait pas dans le plan de
son Évangile.
CHAPITRE TROISIEME.
DE L'ÉVAXGILE DE SAIXT LUC.
Saint Luc était d'Antioche , où il exerçait la méde-
cine (2). Parmi les commentateurs, les uns le regardent
(1) L'hypothèse de Hug, sujette d'ailleurs à bien des difficultés,
n'est pas absolument nécessaire pour expliquer les concordances et
les discordances des deux premiers Évangiles.
(2) Coloss. IV, 14. Euseb. Hist.Eccl. l.iu,c. iv. Hieron. in Cala-
loy. c. VII, et in cap. vi Isaiœ. Quelques-uns doutent si Luc le méde-
cin dont parle saint Paul est le même que révangéliste ; mais £usèbe
148 DE l'évangile de SAINT LUC.
comme un Juif helléniste, parce qu'il cite toujours l'An-
cien-Testament d'après la version des Septante; les au-
tres comme un gentil converti , parce que saint Paul
paraît le distinguer des Juifs (Coloss. iv, 10-12, ih-).
Quelques-uns ont prétendu qu'il a été un des soixante-
douze disciples , ce que les détails où il entre par rap-
port à leur mission semblent confirmer ; mais dans ce
cas il ne devrait pas se distinguer des témoins oculaires,
comme il paraît le faire dans son prologue, où il dit ex-
pressément : Sicut tradiderunt nobis qui ah initio ipsi
viderunty et ministri fuerunt sermonis (Luc. i, 2). On
n'a aucune preuve qu'il ait jamais été peintre. Il paraît
assez probable que notre évangéliste n'est pas le même
personnage que Lucius, dont parle saint Paul dans son
Epître aux Romains (xvi, 21) ; car, outre que le nom est
différent, saint Luc n'était pas avec saint Paul lorsque
cet apôtre écrivit son Epître aux Romains (1). Compa-
gnon fidèle de saint Paul , de ses voyages comme de ses
fers , saint Luc le suivit à Rome. Quoiqu'il ait pu con-
naître le grand apôtre à Antioche, sa ville natale, cepen-
dant ce ne fut que quand saint Paul passa de Troade en
Macédoine qu'il l'accompagna dans ses voyages. Ce
n'est en effet que depuis ce moment qu'il emploie dans
sa narration la première personne du pluriel , nous
cherchâmes^ nous passâmes. Saint Luc mourut dans un
âge très-avancé ; mais il n'y a rien de certain sur les
lieux de sa prédication, et on ne sait pas davantage où
et comment il a fini ses jours.
et saint Jérôme l'assurent si positivement qu'il n'y a pas lieu d'en
douter. Son livre lui-même semble en fournir plusieurs indices.
(1) Tout le monde cependant ne convient pas de cela. Voy. D. Ccil-
lier, Hiat, géncralc des auteurs sacrés et ecclésiastiques^ t, i pag. 358.
DE l'évangile de SAINT LUC. 149
ARTICLE I.
Du texte original et du style de l'Evangile de saint Luc,
1. Tous les écrivains, tant anciens que modernes, con-
viennent généralement que l'Évangile de saint Luc a été
originairement composé en grec, et les caractères intrin-
sèques du livre confirment la vérité de ce sentiment.
2. Le grec de saint Luc est beaucoup plus pur que
celui des autres évangélistes. C'est une observation que
saint Jérôme a déjà faite (1) , et la chose est évidente pour
quiconque a les premières notions de cette langue. Le
prologue surtout ou petite préface qui est en tête du livre
est d'un goût et d'une pureté dignes des meilleurs his-
toriens grecs. Cependant on trouve dans cet Evangile
une multitude d'hébraïsmes. Grotius y a même remarqué
des syriacismes et des latinismes ; mais il y a reconnu en
même temps un style généralement plus pur, plus cor-
rect et plus poli que celui des autres écrivains du Nou-
veau-Testament ; ce qu'il attribue à l'étude que saint
Luc avait faite des auteurs de médecine (2) .
ARTICLE II.
- Dît temps et du lieu où fut composé V Evangile de
saint Luc.
1. Il est très-difficile de déterminer au juste l'époque
à laquelle saint Luc a composé son Évangile. La plupart
des manuscrits grecs portent qu'il fut écrit la quinzième
(1) Hicron. Epist. cxlv adDamasum.
(2) Grotius, Prœf, in Luc.
150 DE l'évangile de SAINT LUC.
année après l'ascension de Jésus-Christ, c'est-à-dire
l'an 48 de l'ère chrétienne; mais il ne paraît pas que
saint Luc fiit alors avec saint Paul : ce qui suffit pour
nous faire abandonner cette date. Plusieurs auteurs pré-
tendent qu'il fut écrit avant la deuxième Epître aux Co-
rinthiens, parce que saint Paul paraît faire allusion à
saint Luc et à son Evangile dans ces paroles du cha-
pitre VIII , 18 : Misimus fratrem cujus laus est in Evan-
gelio fer omnes ecclesias. Cette opinion serait assez d'ac-
cord avec le sentiment de saint Grégoire de Nazianze et
de saint Jérôme , qui disent que cet Evangile fut écrit en
Achaïe (1). Ainsi ce serait quelques années avant l'an-
née cinquante-sept, date de la deuxième Epître aux Co-
rinthiens, c'est-à-dire vers l'an 53. MaisEstius et Gro-
tius croient qu'il a été composé vers le même temps où
finit l'histoire des Actes, c'est-à-dire vers l'an 63 de
Jésus-Christ (2). Or, quand on considère que le livre
des Actes ne fait qu'un même ouvrage avec l'Evangile
de saint Luc , dont il est la seconde partie , et que l'his-
toire des Actes finit vers l'an 63 , c'est-à-dire à la pre-
mière année de la captivité de saint Paul , on est porté
à croire que l'Evangile lui-même a été composé peu de
temps avant cette époque. Car, comme le remarquent
quelques critiques, ces deux ouvrages étant étroitement
liés ensemble,',et adressés au même personnage, que tout
suppose être un Romain distingué, il y a toute appa-
rence qu'ils sont le fruit du séjour de saint Luc à Rome ,
et que , par conséquent, il n'y a pas eu un long inter-
valle entre la composition de l'un et de l'autre (3) .
(1) Greg. Naz. C«»'m.xxxiii.Hieron. in Matili. Prolog. Comment.
(2) Esiius in 2 Cor.wn. Grotius, Prœf. in Luc.
(3) Olshausen, Comment, iiber das N. T. B. i,6eî^23.
DE l'évangile de SÂLXT LUC. 151
2. Quant à la question du lieu dans lequel saint Luc
a composé son Évangile, el!e présente plus de difficultés
encore. Michaëlis a compté jusqu'à neuf opinions diffé-
rentes . Il est vrai que , selon son calcul , elles pourraient
être réduites à huit seulement; mais comme le savant
critique n'a pas fait mention de celle qui regarde Rome
comme le pays originaire de cet Evangile , le nombre
neuf subsiste toujours. Cette foule d'opinions diverses
prouve combien il est difficile de rien statuer de solide
sur cette question. Aussi Michaëlis , après les avoir ex-
posées , conclut-il en disant : « Il est impossible de dé-
terminer où et quand saint Luc a écrit son Evangile. Va-
vais cru d'abord la décision facile; mais plus j'ai fait de
recherches et plus j'ai appris à douter (1). » Hug n'es-
saye pas même une seule conjecture sur ce point. Cepen-
dant un grand nombre de critiques pensent que notre
évangéliste écrivit dans l'Achaïe . D'un autre côté , quel-
ques manuscrits portent que ce fut à Rome ; et il faut
convenir que les caractères intrinsèques du livre même
favorisent singulièrement cette opinion. Outre la raison
que nous venons d'alléguer en parlant du temps au-
quel il a été composé, le rapprochement de cet Evan-
gile avec les Actes des Apôtres rend très-probable la
conjecture que Théophile, auquel saint Luc dédie ces
deux ouvrages , était un citoyen de l'Italie , qui devait
connaître la géographie de cette contrée-là seulement,
puisque c'est la seule dont l'écrivain sacré fasse mention
sans aucune note explicative. Ainsi, il a soin de dire
quelles villes sont Nazareth , Capharnatim , Arimathie ,
(1) J. D. Michaùlis, Introd. au lY.T. tome m, cli, vi, sect. vi, à
la fin.
152 DE l'évangile de SAINT LUC.
Emmaiis , où sont situés le pays des Géraséniens et la
montagne des Oliviers (1) ; il parle presque de tous les
peuples étrangers comme s'ils n'étaient pas connus de
Théophile. Dans le livre des Actes , il ne décrit pas au-
trement le voyage de l'apôtre saint Paul à Rome ; mais ,
arrivé en Sicile et en Italie, il change de méthode; il
paraît supposer que tous les lieux qu'il cite sont connus à
son lecteur ; ainsi il nomme sans explication et sans re-
marque Syracuse , Rhège ou Keggio , Pouzzoles , le Mar-
ché d'Appius , les Trois Loges ou Trois Hôtelleries (-2).
Le titre d'excellent ( xpaTioro? ) qu'il donne à Théophile
vient encore confirmer cette conjecture , puisqu'il n'était
en usage que pour les grands pontifes, les gouverneurs
de provinces , les édiles curules , etc.
ARTICLE III.
Du but et du plan de VEvangile de saint Luc.
1. Dans le prologue de son Evangile, saint Luc ex-
pose le motif qui l'a engagé à écrire ; de manière que si
nous avions le vrai sens de ce prologue , nous pourrions
connaître le but particulier que l'évangéliste s'esl pro-
posé en écrivant ; mais, comme il est assez amphibolo-
gique, chaque interprète a tâché de l'expliquer con-
formément au dessein qu'il prête au saint évangéliste.
Quant à nous, nous croyons qu'on peut le traduire et
l'expliquer ainsi : (( Comme plusieurs ont entrepris de
donner sur les événemens qui sont entièrement certains
pour nous ( chrétiens ) , une histoire suivie et conforme
(I) Luc. I, 26; IV, 31 ; viii, 26; xxiii, 51 ; xxiv, 13. Act. i, 12.
(5) Act. XXVIII, 12, 13, 15.
DE l'évangile de SAL\T LUC. 153
aux récits que nous en ont faits ceux qui, dès le com-
mencement , les ont vus de leurs propres yeux et qui
ont été les ministres de la parole ( de Dieu ) , j'ai cru ,
excellent Théophile, qu'après avoir été exactement in-
formé de toutes ces choses depuis le commencement ,
je devais, moi aussi, t'en représenter par écrit toute la
suite, afin que tu reconnaisses la certitude des vérités
qui t'ont été annoncées (Luc. i, 1-i). » Ce prologue
prouve clairement, ce semble, que saint Luc a écrit
son Évangile à l'occasion de plusieurs histoires des faits
évangéliques composées par différens auteurs , d'après
ce qu'ils avaient appris de ces faits , soit de vive voix ,
soit par les relations écrites des témoins oculaires et
autres ministres de l'Evangile. Il n'est pas probable que
les personnes dont parle saint Luc soient saint Matthieu
et saint Marc, puisqu'il paraît faire la censure de leurs
écrits , comme l'a dit expressément Origène (1) ; ce ne
sont pas non plus les auteurs des Evangiles apocryphes
admis par les hérétiques. Quoi qu'en disent quelques
critiques, ces Evangiles n'existaient pas à cette époque ;
mais il parle visiblement de certains chrétiens qui , ayant
entendu rapporter les paroles et les actions de Jésus-
Christ, avaient entrepris par zèle de les mettre en écrit ,
et en avaient composé des histoires plus ou moins com-
plètes , mais en même temps plus ou moins exactes et
certaines. Ainsi, saint Luc a voulu opposer à ces his-
toires , rédigées par des écrivains sans autorité et qui
pouvaient n'être pas assez exacts, son Evangile qu'il te-
(t) «( Quod Siit conati sunt latentem habet accusationem eorum, qui
absque gratia Spiritus sancti ad scribenda Evangelia prosilieruat (m
Luc.Hom. i).»
7.
154 DE l'évangile DE SAINT LUC.
nait de saint Paul et des apôtres, témoins fidèles et sûrs
des faits qu'il raconte. En examinant l'Évangile de saint
Luc sous un point de vue général , on peut dire que le •
dessein de son auteur est de prouver, par l'ensemble des
faits et par toutes les circonstances de la vie de Jésus
de Nazareth , que ce même Jésus est le véritable Sau-
veur de tous les hommes.
2. Saint Luc fait profession d'une grande exacti-
tude; c'est pour cela qu'il remonte jusqu'à l'origine des
faits évangéliques , jusqu'à la naissance de saint Jean-
Baptiste et de Jésus -Christ, et qu'il rapporte les
choses dans l'ordre où elles se sont passées. Acciirate,
a principio, ex ordine, telles sont les qualités de son
récit ; et il prétend qu'il va donner à Théophile une pleine
assurance des choses dont il a été instruit quand il est de-
;venu chrétien. Les sources où notre évangéliste a puisé
son histoire sont sans doute ces premières relations dont
nous venons de parler, mais dans lesquelles il a su dis-
tinguer le vrai du faux , le certain de l'incertain ; il a pu
mettre encore à profit les communications qu'il avait
eues avec la sainte Vierge , les mémoires de famille des
parens de saint Jean-Baptiste et de Marie, mais surtout
ces instructions de l'apôtre saint Paul, dont il était dis-
ciple et compagnon, et qui a été considéré dans l'anti-
quité comme le principal auteur de son Evangile .Voici,
selon Hug, le plan du travail de saint Luc. D'abord notre
évangéliste a connu les écrits des deux premiers, car
plusieurs de leurs passages se trouvent littéralement
dans son propre Évangile (1). Il les suit également tous
(1) Griesbach, Theile, Saunier, De Wette, Meyer, etc., prétendent
que c'est saint Marc qui a écritd'après saint Luc; ce qui est contraire
I
DE l'évangile de SAINT LUC. 155
deux dans la doctrine et les paroles de Jésus-Christ ;
mais quand il s'agit d'établir l'ordre des faits et de bien
préciser des circonstances particulières, il s'attache pré-
férablement à saint Marc, qu'il surpasse même sur ce
point. II ajoute, par exemple, dans le récit de la passion,
que l'un des deux criminels crucifiés avec le Sauveur, re-
procha à l'autre les injures qu'il adressait au Seigneur
innocent ( xxiii , 39 , 40 ) , qu'il y avait deux anges au
sépulcre ( xxiv, 4 ). Quand un événement est suffisam-
ment détaillé dans saint Matthieu , il se contente , comme
saint Marc , de l'abréger ou de le supposer dans sa nar-
ration. Il rétablit tous les faits omis par saint Marc et
les place dans l'ordre convenable ; et s'il en a passé quel-
ques-uns sous silence, c'est sans doute qu'il ne con-
naissait pas le temps auquel ils avaient eu lieu , ou bien
qu'ils n'entraient pas dans le plan qu'il s'était proposé.
On peut compter, surtout parm.i ces derniers , tous les
traits qui paraissaient favorables au particularisme ju-
daïque , qu'il affecte en quelque sorte d'éliminer de son
livre , puisque au lieu d'arrêter la généalogie de Jésus-
Christ au patriarche Abraham , comme saint Matthieu,
il la conduit jusqu'à Adam; et que, tandis que saint Mat-
thieu s'occupe seulement delà vocation des douze apô-
tres , comme représentant les douze tribus d'Israël , il
a soin de décrire lui-même la mission des soixante-douze
disciples , laquelle semble avoir un objet plus étendu.
C'est apparemment l'omission de ces sortes de faits qui
a déterminé les marcionites, si opposés aux idées judaï*
au sentiment de saint Irénée et des autres anciens. Voy. Hug, Einleii.
T/i, II, § 35, et comparez ce que nous avons dit plus haut (pag. 147,
noie 1) sur riiypothese de ce gavant critique.
15G DE l'évangile de SAINT JEAN.
ques, à adopter de préférence l'Évangile de saint Luc,
qui, par ces motifs mêmes, semble avoir été destiné plus
particulièrement pour les gentils (1). Mais si saint Luc
a omis plusieurs faits rapportés par ses devanciers, com-
bien ne nous en a-t-il pas transmis sur lesquels ils ont
eux-mêmes gardé un profond silence? Ainsi, outre la
naissance de saint Jean-Baptiste (i, 5-23) ,rannoncia-
tion de l'ange à Marie (1, 26-80), toutes les circonstances
delà naissance de Jésus-Christ (ii, 1-20) , sa vie à Na-
zareth et sa présentation au temple (ii, 22-52) , plusieurs
autres événemens contenus dans les chapitres ix-xviii,
ne sont rapportés que par lui seul, comme on peut aisé-
ment s'en convaincre en jetant un coup d'œil sur une
concordance , de manière que son Evangile peut très-
bien être considéré comme le supplément de ceux de
saint Matthieu et de saint Marc.
CHAPITRE QUATRIEME.
DE l'évangile de SAINT JEAN.
Saint Jean, frère de Jacques le Majeur, né à Beth-
saïde, ville de Galilée, de Zébédée et deSalomé (Matth.
XXVII, 56, et Marc, xv, 40), était pêcheur. Très-jeune
encore , il fut admis par Jésus-Christ au nombre de
ses disciples; aussi vécut-il long-temps après la mort
de son divin maître. Jésus-Christ lui avait donné,
ainsi qu'à son frère, le nom de Boanergès, c'est-à-dire
fils du tonnerre (Marc, m, 17). Il fut le disciple bien
(1) Voy. Olshausen, Comment, uber das IV. T. B.\. Seit, 22.
I
DE l'évangile de SAIXT JEAN. 157
aimé du Sauveur, et c'est ainsi qu'il parle de lui-même
(XIII, 23; XIX, 26; XX, 2; xxi,20). Il fat présent à la
transfiguration avec Jacques son frère et Pierre ( Matth.
XVII , 1 ) ; avec ces mêmes disciples , il accompagna
Jésus-Christ dans le jardin de Gethsémani , au pied
de la montagne des Oliviers (Matth. xxvi, 37) ; avec
Marie, il le suivit sur la montagne du Calvaire ; là , le
Sauveur, du haut de la croix sur laquelle il allait mou-
rir, le recommanda à sa mère, en lui recommandant à
lui-même cette sainte femme (xix, 26-27). Depuis ce mo-
ment saint Jean la prit chez lui. Il établit plusieurs églises
dans l'Asie-Mineure, et les gouverna long-temps en paix,
jusqu'à ce que, pendant la persécution de Domitien,
d'autres disent sous Néron, il fut conduit à Rome, et,
suivant le témoignage de Tertullien, que suit saint Jé-
rôme (1), plongé dans une chaudière d'huile bouillante,
d'où il sortit sain et sauf. Il fut ensuite relégué dans
l'île de Patmos (2). Rappelé de son exil, il revint à
Ephèse, où, suivant Polycrate, saint Irénée, Tertullien,
Eusèbe, saint Jérôme, saint Ambroise , saint Chryso-
stome , le concile d'Ephèse , et tous les anciens auteurs
ecclésiastiques , il mourut et fut enterré , dans la troi-
sième année de l'empire de Trajan , c'est-à-dire l'an
101 de l'ère vulgaire, âgé d'environ cent ans.
(I) Tertull, Prœscripl. c. xxxvi. Kicron. /. i contra Jovînian.
(2)EuseI). Hist.Eccl. l.iu, c. xviii.
168 DE L ÉVANGILE DE SAINT JEAN.
ARTICLE I.
Du texte original et du style de l'Evangile de saint Jean.
1. Les critiques conviennent unanimement que l'É-
vangile de saint Jean a été originairement composé en.
grec; on peut même dire que jamais personne n'en a
douté ; car nous ne tenons aucun compte de l'opinion
du P. Hardouin,qui, prétendant que Jésus-Christ et
les apôtres parlaient latin, comme nous l'avons déjà re-
marqué (1), a soutenu en conséquence que notre évan-
géliste avait écrit son livre en cette langue.
2 . Saint Denis d'Alexandrie , cité par Eusèbe, trouvait
dans l'Évangile, aussi bien que dans la première Épître
de saint Jean , non seulement la pureté de la langue grec-
que, mais encore une certaine élégance dans la dispo-
sition des termes et des pensées. « On n'y trouve, ajoute
ce saint, rien de barbare et d'impropre, ni même de
bas et de vulgaire ; en sorte qu'il semble avoir reçu de
Dieu non seulement le don de la lumière et des con-
naissances, mais encore celui de bien exprimer ses pen-
sées (2). )) Michaëlis ne relève pas moins le mérite de
l'élocution de saint Jean : «Le style de saint Jean, dit-
il, est meilleur et plus coulant que celui des autres évan-
gélistes ; il semble que le long séjour qu'il fit à Éphèse
lui ait fait acquérir de la facilité et du goût pour la lan-
gue grecque. Sa narration est très-claire ; et , afin de
rendre cette clarté plus grande encore, il répète sou-
vent le même mot, quoique peut-être l'âge avancé au-
(1) Voy. Vlntrod. fjénérale, t, i, pag. 157.
(2) Dioûys, AJex. apud Euseb. l, vu, c. xxv.
DE L'ÉVANGILE DE SAINT JEAN. l6&
quel saint Jean écrivit ait eu quelque influence à cet
égard : la vieillesse aime les répétitions. » Après ces con-
sidérations générales , Michaëlis fait remarquer plu-
sieurs particularités dans la manière d'écrire de saint
Jean. Premièrement cet évangéliste ne parle jamais de
lui à la première personne , mais il se sert d'une péri-
phrase, telle que le disciple que Jésus aimait, ou bien le
disciple qui s'est reposé sur la poitrine de Jésus ; ce qui,
selon notre critique , peut s'attribuer encore aux rela-
tions de saint Jean avec les Grecs, qui n'aimaient pas
que l'on parlât toujours de soi. Mais les Hébreux eux-
mêmes, et en général les Orientaux, ne parlent que fort
rarement à la première personne. Michaëlis nous sem-
ble mieux fondé quand il assigne cette même cause à
la variété d'expressions et à l'emploi des synonymes
assez ordinaires à l'écrivain sacré dans les circonstan-
ces où il est obligé de parlerplusieurs fois du même ob-
jet (1) . Secondement, saint Jean aime à commencer une
proposition par un mot employé dans la précédente (2).
Troisièmement, il fait un fréquent usage du pronom je
(iyù). « On pourrait supposer à la vérité, remarque ju^
dicieusement Michaëlis, que dans quelques cas, comme
au chapitre i, 20, il voulait donner un sens prononcé à
ce pronom ; mais il y revient trop souvent pour qu'on
puisse admettre une pareille supposition (3).» Il est
certain que ce pronom revient dans une foule de cas
où il ne paraît pas que l'auteur ait voulu exprimer sa
(1) Gompar. vu, 34, avec viii, 21 ; viii, 44, avec viii, 46; viii,
51, avec viii, 52. Cette même variété d'expressions se trouve encore
au chapitre XXI, 15, 16, 17.
(2)Voy. 1,1, 3, 4, 7, 8, 10, 11 jxx, 11; xxi, 1,17.
(3) Michaëlis, /?u><od. au iY. T .t. m, parj. 394-396.
160 DE l'évangile de SAIXT JEAN.
pensée avec emphase, et où les Grecs ne le regardaient
certainement pas comme nécessaire. S'il faut exprimer
notre propre sentim^ent sur le style et la diction de saint
Jean , nous dirons qu'il y a beaucoup de vrai dans ce
qu'en ont dit saint Denis d'Alexandrie et Michaëlis ,
mais qu'en même temps il nous a semblé découvrir dans
son Evangile un assez grand nombre d'hébraïsmes et de
syriacismes ; et nous ajouterons qu'il serait difficile de
prouver que toutes ses répétitions et tous ses tours de
phrases soient dans le goût et la correction de la lan-
gue] et du style des Grecs. «Tout le monde sait, dit
D. Calmet dans sa préface sur l'Evangile de saint Jean,
que ce saint évangéliste n'avait point étudié les lettres
humaines, et qu'il n'avait aucune teinture de l'éloquence
et de la rhétorique artificielle : et cela ne lui fait point
de tort. Ce petit défaut se trouve bien réparé par les
lumières surnaturelles, par la profondeur des mystères,
par l'excellence des choses, par la solidité des pensées
et par l'importance des instructions. Le'Saint-Esprit, qui
l'a choisi et animé, est au-dessus de la philosophie et de
la rhétorique. Il possède au souverain degré le talent
de porter la lumière dans l'esprit et le feu dans le cœur.
Il instruit, il convainc, il persuade sans l'aide de l'art
et de l'éloquence. L'Evangile de saint Jean, tout simple
qu'il paraît dans son style, n'a pas laissé de mériter les
éloges des plus grands hommes et des plus éclairés. Si
les Évangiles sont comme les prémices et la partie la
plus excellente des saintes Ecritures , dit Origène (l) ,
l'Evangile de saint Jean est lui-même les prémices des
(1) Origen. Prœfat. in Joan, Vide etiren. L m, c. i. Epiph. Hœ-
Tes. XXX, c. VI.
DE L'ÉVANGILE DÉ SAINT JEAN. 161
Evangiles et de tout le Nouveau-Testament. Personne
n'en peut dignement comprendre toute la profondeur,
que celui qui, comme ce saint évangéliste, s'est reposé
sur la poitrine du Sauveur ; c'est, dit le même père, le
sceau qui confirme les autres évangélistes et la colonne
sur laquelle Dieu a achevé d'affermir son Eglise. C'est
avec raison que dans les pères (1) cet évangéliste est
comparé à l'aigle, parce qu'il s'élève jusqu'au trône de
Dieu même. Il renferme autant de mystères que de
sentences (2). »
ARTICLE II.
Bu temps et du lieu où fut composé V Evangile de saint
Jean.
1 . On croit assez généralement que saint Jean a écrit
après les trois autres évangélistes ; c'est d'abord le sen-
timent unanime des anciens. On lit dans Eusèbe : « Marc
et Luc avaient déjà publié leurs Évangiles, lorsque Jean ,
dit-on, qui s'était borné jusque alors à un enseignement
oral, se mit enfin à écrire, et en voici la cause. Les trois
premiers évangélistes ayant écrit et publié leurs livres,
on dit qu'il les reçut, et qu'ayant rendu témoignage à la
vérité de ce qu'ils contenaient, il ne lui resta plus à
écrire que le récit des actions de Jésus-Christ dans
les premiers temps de son ministère (3). v II faut bien
remarquer que ce passage d'Eusèbe, quoiqu'il n'affirme
point positivement le fait, le présente cependant comme
(1) Vide Paul, in Episl. xxiv. August. Tract, xxxvi, in Joan. Ori-
gen. in Joan. al/'i pa.ssim.
(2) Ambros. DeSacram. l. m, c. \\.
(3) Euseb. Hist. Eccl. L m, c. xxiv.
162 DE l'évangile de SAINT JEAN.
une opinion commune, sur laquelle le savant père n'é-
lève aucun doute; et que quand bien même le motif que
l'on prête à saint Jean comme l'ayant déterminé à
écrire son Evangile ne serait pas parfaitement exact ,
on n'aurait pas pour cela le droit d'en conclure que le
fond du récit soit absolument dénué de fondement. Clé-
ment d'Alexandrie dit expressément : « Jean s'étant
aperçu que les choses charnelles avaient été consignées
dans les Évangiles, laissa ce qui était connu, et, divi-
nement inspiré, écrivit un Evangile spirituel (1).» Nous
pourrions répéter l'observation que nous venons défaire
par rapport au motif que Clément assigne à la compo-
sition de l'Evangile de saint Jean, si quelqu'un croyait
devoir le révoquer en doute. L'antériorité de cet Evan-
gile est encore fondée sur des argumens intrinsèques ,
comme nous aurons occasion de le montrer à l'article
suivant. Aussi ne nous arrêterons-nous pas à réfuter
l'opinion contraire, soutenue par Semler dans sa para-
phrase de l'Evangile de saint Jean. Mais à quelle épo-
que précisément le saint apôtre a-t-il écrit son livre
évangélique? C'est une question sur laquelle on est fort
partagé. Cependant le sentiment le plus commun parmi
les chronologistes est celui qui en fixe la composition
vers l'an 98 de Jésus-Christ, la première année du rè-
gne de Trajan, soixante-cinq ans après l'ascension du
Sauveur. Les manuscrits varient; mais on convient gé-
néralement que saint Jean l'écrivit dans un âge fort
avancé.
2. La question du lieu se confond presque avec celle
du temps. Quelques anciens et plusieurs modernes ont
(l) Clem. Alex, apud Euscb. l. m, c. xiv.
DÉ L'ÉVANGILE DE SAINT JEAN. 163
pensé que saint Jean avait écrit son Évangile dans l'île
de Patmos , lorsqu'il y était exilé ; mais l'opinion la
plus généralement reçue veut que ce soit àÉphèse, après
son retour de l'exil. Un passage de la Synopse attri-
buée à saint Athanase semble concilier ces deux opi-
nions : « L'Evangile de saint Jean , dit l'auteur de cet
ouvrage , a été composé par l'apôtre chéri du Sei-
gneur quand il était en exil dans l'île de Patmos ; et
il a été publié à Ephèse par Gaïus, l'ami et l'hôte des
apôtres. »
ARTICLE III.
Du but et du plan de l'Evangile de saint Jean.
1. Saint Jean paraît avoir eu plusieurs motifs de com-
poser son Evangile. D'abord les fidèles d'Asie, désirant
vivement d'avoir par écrit ce qu'il leur avait enseigné
de vive voix, lui firent à ce sujet des instances auxquelles
il ne pouvait résister. Secondement, il était tout natu-
rel que le saint apôtre cherchât à réfuter les erreurs de
Cérinthe et d'Ebion, qui niaient la divinité du Verbe.
Troisièmement, il voulait laisser à l'Eglise un corps plus
complet de l'histoire et de la doctrine du Sauveur, et
qui fût le supplément des trois premiers Evangiles;
et, en effet , dans les dix-sept premiers du sien, il n'y
a presque que les vingt-et-un premiers versets du cha-
pitre VI qui lui soient communs avec les autres évan-
gélistes (1).
(1) Ces dillérens motifs ont été allégués par les pères de l'Église;
voyezClem. Alex. apudEnseh. Hht. Eccl. t. vi, c.xiVjCt Euseb. /.m,
c. IV. Hicron, De f^ir. illusi)'. et Prolofj. in Matth. Epiphan. Hœ-
res. Li. Voyez un peu plus haut la note 1, pag. 147.
164 DE L'ÉVANGILE DE SAINT JEAN.
2, Si l'on rapproche l'Evangile de saint Jean des trois
autres, dit encore Hug, on voit qu'à l'exception de quel-
ques faits qu'il répète, il suppose suffisamment connus
ceux que contiennent les trois premiers Evangiles, et
qu'il rapporte un grand nombre d'actions et de paroles
de Jésus-Christ, ainsi que des détails omis par ses de-
vanciers, tels que l'histoire des premiers temps de la
prédication de Jésus -Christ jusqu'à la captivité de
saint Jean-Baptiste; diverses circonstances de la pas-
sion, de la mort et de la résurrection du Sauveur. Il
passe sous silence, entre autres événemens, l'histoire de
ce démon qui confesse la divinité de Jésus-Christ dans
la synagogue de Capharnaiim ; de ceux du pays des Gé-
raséniens, à qui est arraché le même aveu, événemens
dont il avait été témoin lui-même (Matth. viii , 29;
Marc. I, 29 ; v, 7-37 ; Luc. viii, 28-51 ) ; il suppose éga-
lement connue la transfiguration de Jésus-Christ, à
laquelle il avait aussi assisté ( Matth. xvii, 1. Luc. ix,
28) ; il ne dit rien du baptême du Sauveur, de sa déclara-
tion devant Caïphe, de la confession de saintPierre, etc.
Or, pourquoi saint Jean passe-t-il sous silence tous ces
traits, aussi bien que plusieurs autres, quoiqu'ils eus-
sent un rapport évident avec le but qu'il se proposait?
Serait-ce parce qu'il ne les connaissait pas? Mais com-
ment aurait-il pu les ignorer, lui qui accompagnait tou-
jours son divin maître? Est-ce qu'il en avait perdu le
souvenir? Mais n'étaient-ils pas de nature à ne s'effacer
jamais de sa mémoire? Voulait-il laisser le récit de tous
ces faits aux historiens qui viendraient après lui ? Il les
exposait par là au danger de n'être jamais rapportés.
Ainsi ce plan et cette marche de saint Jean ne peut s'ex-
pliquer d'une manière satisfaisante qu'en supposant
DE l'évangile de SAINT JEAN. 165
que tous ces faits étant déjà rapportés dans des Evan-
giles authentiques et très-connus de ceux pour qui il
écrivait, il n'a pas voulu les répéter, aimant mieux s'at-
tacher uniquement à ce que les autres évangélistes
avaient omis. C'est par le même principe qu'il ne rap-
porte pas tous les préceptes de morale du sermon sur
la montagne écrits par saint Matthieu et saint Luc , se
bornant à montrer que cette morale est divine , en éta-
blissant l'origine céleste et éternelle de son législateur.
Quoiqu'il prouve la mission de Jésus-Christ par ses
miracles, qu'il dise même qu'il en a fait un grand nom-
bre, cependant il n'en rapporte que cinq, par la raison
encore qu'il savait que les autres avaient été suffisam-
ment rapportés par les premiers évangélistes. Il ne parle
point des voyages de Jéscs-Christ en Galilée , assez
bien décrits par ses devanciers ; mais il raconte les mi-
racles et les admirables discours du Sauveur dans la
Judée et à Jérusalem , choses dont ils n'avaient point
parlé. Car, si l'on excepte l'histoire de la passion, qui,
dans chacun des quatre Évangiles , forme la partie la
plus détaillée et la plus saillante du livre, saint Matthieu
et saint Marc renferment presque entièrement leurs ré-
cits dans la Galilée, ne quittant guère les bords du lac
de Génézareth ou les contrées voisines. Saint Luc, à la
vérité, franchit ces limites, et suit Jésus dans la Judée,
racontant en détail les prédications diverses que le Sau-
veur fit aux environs de Jérusalem ( ix, 51-XïX, 37)
dans la dernière partie de son ministère, et que les pre-
miers évangélistes ont omises ; mais il se tait comme
eux sur tout ce qui se passa à Jérusalem lors des voya-
ges que JÉSUS y fit, antérieurement à son entrée triom-
phante dans cette capitale des Juifs. Tous trois semblent
166 DE l'évangile de SAINT JEAN.
s'arrêter aux frontières de la Judée ou aux portes de
Jérusalem, et y attendre le retour du Sauveur. Saint
Jean suit un plan tout opposé ; sans presque s'occuper
des courses de Jésus-Christ dans la Galilée, il paraît
vouloir ne l'accompagner que dans la Judée. De là vient
que ce sont les discours et les actions de l'Homme-DiEU
qui remplissent presque exclusivement son Evangile, et
qu'il ne rapporte que deux des faits antérieurs à la pas-
sion déjà racontés par les autres historiens sacrés ,
c'est-à-dire la multiplication des pains et le voyage sur
mer qui suit immédiatement ce miracle (vi). Encore s'il
les rapporte, c'est évidemment parce qu'ils étaient né-
cessaires pour amener et expliquer les discours du Sau-
veur qui remplissent le reste du chapitre , et dont ses
devanciers n'avaient point parlé. D'un autre côté , il
ajoute à l'histoire de la cène la circonstance du lavement
des pieds, il fixe l'époque de l'emprisonnement de saint
Jean-Baptiste , que saint Matthieu et saint Marc n'a-
vaient pas convenablement placé ; et il suit l'ordre chro-
nologique de saint Luc. Il fixe le Ueu où §e sont passés
les trois reniemens de saint Pierre, et il accorde le ré-
cit des trois autres évangélistes sur les personnes qui
avaient occasionné ce triple reniement. Il fixe aussi le
temps de l'apparition des anges au sépulcre du Sau-
veur, en disant que ce ne fut qu'après l'arrivée des fem-
mes que cette apparition arriva. Il détermine les qua-
tre pâques du ministère du Sauveur, et fournit le moyen
de ranger tous les événemens rapportés par les trois
autres évangélistes dans un ordre chronologique, et de
faire une concorde (1). Cet exposé prouve, ce semble,
(1) Voy. Hug, Einleit. Th. ii, § 55, 56, et compar, notre note 1,
pag. 147.
DE L'authenticité des évangiles. 167
jusqu'à l'évidence, ce que d'ailleurs la tradition ecclé-
siastique nous apprend, que le disciple bien-aimé s'est
proposé de suppléer dans son Evangile à ce qui avait
été omis par ses devanciers. Nous terminerons en disant
avec Cellérier (1 ) : « Les différences qui distinguent le but
et le plan de saint Jean de ceux des autres évangélistes,
ont dû nécessairement entraîner d'assez grandes diver-
sités dans la forme. Il ne fait pas une histoire à lui seul,
mais un supplément aux histoires déjà faites (2) : dès lors
son ouvrage ne peut avoir la forme d'un tout achevé. Il
ne faut pas y chercher ce commencement, ce milieu, cette
fin, qu'on demande d'ordinaire à un récit : il ne commence
pas par la naissance de Jésus-Christ ; il passe ensuite
d'un sujet à un autre, en omettant parfois les intermé-
diaires. Il raconte avec détail plusieurs des derniers
événemens du ministère du Sauveur, mais il ne termine
pas son histoire d'une manière régulière, et il reprend
de nouveau son récit (xxi), après l'avoir déjà comme
achevé (xx, 30, 31). »
CHAPITRE CINQUIEME.
de l'authexticité des évangiles.
Comme l'authenticité des Evangiles détruit de fond
en comble l'interprétation mythique du Nouveau-Testa-
ment, les partisans de ce système aussi faux que dan-
gereux se trouvent forcés par là même de la combattre.
(1) J. E. Cellérier, Introd. au N. T. pag. 350.
(2) Il n'est cependant pas certain que saint Jean ait eu précisé-
ment celte intention dans la composition de son Évangile.
168 DE L' AUTHENTICITÉ DES ÉVANGILES.
Parmi ces critiques hardis et téméraires se trouve le
docteur Strauss, dont l'ouvrage, soit dit en passant, est
bien loin de mériter la célébrité qu'il a obtenue. Pour
nous , fortement convaincu que ces écrits sacrés sont
véritablement l'œuvre des auteurs dont ils portent le
nom, nous établissons comme exprimant une vérité in-
contestable la proposition suivante :
PROPOSITION.
Nos quatre Evangiles sont authentiques.
Nous rattachons à trois principes nos différens moyens
de preuves , c'est-à-dire à la tradition , à l'examen du
livre lui-même , et à l'impossibilité que nos Évangiles
aient jamais été faussement supposés ; ou , pour nous
servir des expressions que nous avons déjà employées
dans le courant de cet ouvrage, aux preuves extrinsè-
ques, intrinsèques et indirecte.
I. Preuves EXTRINSÈQUES. La tradition prouve qu'un
livre est authentique, quand une suite de témoignages
non interrompue, et qui remonte jusqu'à l'origine même
de ce livre, se rapporte réellement au temps et à l'é-
crivain auquel on l'attribue. Or, c'est un avantage qu'on
ne saurait légitimement contester à nos quatre Evangi-
les ; et les adversaires que nous combattons ici sont
forcés d'avouer eux-mêmes qu'ils étaient unanimement
reçus par les chrétiens au commencement du troisième
siècle de l'Eglise. Cet aveu, comme on le voit, rend
tout-à-fait inutile la discussion des auteurs ecclésiasti-
ques qui ont écrit dans les iii^ et iv^ siècles. Ainsi nous
pouvons nous borner aux deux premiers ; mais comme
les témoins que nous avons à invoquer dans cette pé-
LE l'authenticité DES ÉVANGILES. 169
riode appartiennent à trois classes différentes , c'est-à-
dire que les uns sont catholiques, les autres hérétiques,
d'autres enfin païens ou ennemis du christianisme, nous
allons les produire en suivant par ordre chacune de ces
classes, et en commençant par ceux du second siècle.
1. Il n'est pas difficile de produire parmi les écrivains
catholiques des deux premiers siècles plusieurs témoins
irrécusables de l'authenticité de nos quatre Evangiles.
Nous commencerons la liste de ceux que nous devons
citer par saint Irénée, dont l'autorité paraît être du plus
grand poids, dès que l'on connaît les principaux traits
de son histoire. Ce saint docteur, en effet, qui souffrit
le m.artyre l'an 202 de l'ère chrétienne , était contem-
porain des disciples immédiats des apôtres ; il les avait
écoutés et consultés avec soin. Il avait eu pour maître
saint Polycarpe, disciple de saint Jean. Ajoutez à cela
qu'après avoir quitté l'Asie, où il était né et où il avait
passé sa jeunesse sous la discipline de saint Polycarpe,
et après avoir visité la moitié du monde chrétien , ce
qui lui avait permis de s'informer exactement de tout ce
qui se passait dans ces églises , il était venu dans les
Gaules, et s'était fixé à Lyon, dont il était évêque. De
plus , n'étant encore que simple prêtre , il avait fait le
voyage de Rome pour y traiter d'affaires ecclésiasti-
ques. Or, ce même père nous dit que les apôtres et leurs
disciples ayant prêché d'abord l'Evangile, l'ont con-
signé dans leurs écrits pour servir de colonne et de
fondement à notre foi (1) . Il fait immédiatement après
(1) « Non enirn per aîios disposilioneni salulis nostrœ cognovimus,
quam pcr cos, per quos EvaDgelium pervenit ad nos: quod quidem
tune prœconaverunt, postea vcro per DEi voluntatem in Scripturis
V. 8
170 DE l'aUTIIEiNTICITÉ DES ÉVAKGILES.
rénumération de nos quatre Evangiles dans l'ordre où
nous les avons encore aujourd'hui (1). Ailleurs, il af-
firme que ces quatre Évangiles sont si certains, que les
hérétiques eux-mêmes leur rendent témoignage, et
qu'ils s'efforcent d'établir sur leur autorité leurs fausses
doctrines (2). Enfin notre savant père compare les qua-
tre Évangiles aux quatre points cardinaux du monde,
aux quatre vents qui soufflent partout l'air pur de la vie
éternelle, enfin aux quatre chérubins qui environnaient
l'arche d'alliance (3) .
Si nous passons maintenant des Gaules en Afrique ,
nous y trouverons un autre témoin illustre, contempo-
rain de saint Irénée , le célèbre Tertullien , digne re-
présentant de la foi dans l'église d'Afrique au second
siècle. Or, ce savantdocteur nous affirme de la manière
la plus expresse que nos quatre Évangiles ont été ad-
mis de tout temps dans l'Église et qu'ils remontent jus-
nobis tradiderunt, fundamentum et columnam fidei nostrœ f'uturum
(Iren. Adv. hoei-es. l. i, c. i,pa{/. 173, edit. D. R. Massuet).»
(1) Iren. ibid. pag. 174.
(2) « Tanta est aulein circa Evangelia ha?c firmilas, ut et ipsi hae-
retici lestimonium reddant eis, et ex ipsis egrediens unusquisque
eorum conetur suam confirmare doctrinam (/. m, c. xi, pag. 189;.»
(3) « Neque autem plura numéro quàm hsec sunt, neque rursus
pauciora capit esse Evangelia. Quoniam enim quatuor regiones mundi
sunt in quo sumus, et quatuor principales spiritus, et disseminata
est Ecclesia super omnem terram, coluinna autcm et lirmamenlum
Ecclesiœ est Evangelium, et spiritus vitœ ; consequens est, quatuor
habere eam columnas, undiquè liantes incorruptibilitatem, et vivifi-
cantes honaines. Ex quibus manifestum est, quoniam qui est omnium
artifex verbum, qui sedet super Cherubim, et coniinet omnia, decla-
ratus hominibus, dédit nobis quadriforme Evangelium quod uno spi-
ritu continetur (/ôîd. p. 190).»
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 171
qu'aux temps apostoliques : il dit de plus qu'ils ont été
composés ou par les apôtres ou par leurs disciples ; c'est-
à-dire par saint Matthieu et saint Jean, apôtres, par saint
Luc, disciple de saint l'aul, et saint Marc, disciple el in-
terprète de saint Pierre. Il dit encore que ces Evangiles
ont en leur faveur le témoignage non seulement des
églises apostoliques, mais de toutes celles qui leur sont
unies par le sceau d'une même foi ; enfin que ces quatre
Évangiles nous viennent des apôtres (1).
Saint Clément d'Alexandrie, qui vivait dans le même
temps que Tertullien et saint Irénée, ce digne représen-
tant delà foi chrétienne de l'église d'Egypte, exprime de
son côté un témoignage aussi formel que celui de ces deux
grands docteurs. Il parle de la collection de nos quatre
Évangiles comme généralement admise dans l'Église,
(1) « Conslituimus inprimis, evangelicum instrumentum apostolos
auctores habere, quibus hoc munus Evangebi proniulgandi ab ipso
Domino sit impositum, sic apostolicos viros non tanien solos, sed cum
apostolis et post apostolos. Quoniara prœdicatio discipulorum su-
specta fieri posset de gloria^ studio, sinon adsistat ilii auctoritas ma-
gistroruni, immo Chrisli, qui magistros apostolos fecil. Deniquenobis
lideni ex apostolis Joannes et fliatihœus insinuant, ex apostolicis, Lu-
cas et Marcus instaurant (Tcrtull. Adv. Marcion. l. iv, c. ii).» — «« In
summa, si constat id verius quod prius, id prius quod et ab initio, id
ab initio quod ab apostolis; pariier utique constabit, id esse ab apo-
stolis traditum, quod apud Ecclesias aposlolorum fuerit sacrosanc-
tum... Dico itaque illas, nec solas jam apostolicas, sed apud uni-
\ersas, quae iilis de societate sacramenii cotifœderantur, id Evan-
gelium Lucœ ab inilio editiunis suc-e slare, quod cum maxime tue-
mur... Eadem auctoritas Ecclesiarum aposlolicarum ceteris quoque
Evangeliis palrocinabitur quaî proindè per illas et secundum illas,
habenms, Joannis dico et Matthœi ; licet el Marcus quod edidit, Pétri
adtirmetur, cujus interpres Marcus; nani et Lucœ digestuni, Paulo
adscribere soient {Ibid. cap. v) . »
172 DE l'aL'TIIÉNTICITÉ DES ÉVANGILES,
et il les cite dans ses ouvrages comme autant d'écrits
dont l'autorité est hors du plus léger doute. Or, ce père
mérite d'autant plus la confiance, qu'il a eu occasion de
s'entretenir comme saint Irénée avec des docteurs an-
ciens qui étaient aussi disciples des apôtres, et que c'est
d'après leur autorité qu'il reconnaissait l'authenticité de
nos quatre Evangiles (1).
Dans le même temps et même un peu plus tôt florissait
Théophile, évèque d'Antioche, et qui à ce titre devait
connaître la foi de toutes les églises de Syrie, dont An-
tioche était la métropole ; Théophile, disons-nous, dans
son ouvrage adressé à Autolycus , ouvrage qui est une
défense de la religion chrétienne , rapporte plusieurs
passages du Nouveau-Testament, et en particulier des
Evangiles de saint Luc, de saint Jean et de saint Mat-
thieu ; et s'il n'allègue aucun témoignage tiré de saint
Marc, c'est, selon la judicieuse remarque d'Olshausen,
que cet évangéliste contient peu de choses qui ne se lisent
point dans les trois autres, et que d'ailleurs on trouve ra-
rement cités les quelques traits qui lui sont exclusivement
propres (2). Ajoutons qu'indépendamment de ces cita-
tions, qui forment déjà à elles seules une preuve suffisante
(1 ) Quod autem hoc verum sit, sic scriptum est in EvaDgeliosecun-
dum Lucam : yinno autem quindecim Tiberii Cœsaris factum est ver-
bum Domini super Joanncm Zachariœ filiiim (Clem. Alex. Strom. l. i,
pag. 407). » — « In Evangelio autem secundum Malthaeum, quœ ab
Abraham deducilur genealogia usquc ad Mariam, matrem Domini,
lerminalur {Ibid. pag. 409, édit. Potter.).»
(2) Theoph. ad Autohjcim, l. u, n. 13, 22; /. m, n. 13, 14. Les
citations que fait ce père sont: Luc. xviii,27; Joan. i,l-3 ; Matth. v,
32, 44, 46 ; vi, 3. Voy. H. Olshausen, Die Echlhcit der vier cano-
nlscken Evanfjelien.Seil. ^80, 281.
DE l'authenticité des évangiles. 173
de l'authenticité denosEvangiïes, Théophile a composé
un commentaire sur ces divins livres. Nous ne possédons
plus ce commentaire , il est vrai, mais saint Jérôme at-
teste l'avoir lu (1) , et même, dans un autre endroit, il
rapporte l'explication de la parabole de l'économe in-
fidèle (Luc. I, 1 et suiv.) donnée par cet évoque (2).
Mais si le témoignage de Théophile prouve que nos
Evangiles étaient reconnus de son temps pour authen-
tiques dans la Syrie occidentale, la version syriaque
dite Pescliito ne nous permet pas de douter qu'il n'en
fût de même dans la Syrie orientale, limitrophe de l'em-
pire des Parthes. Cette version, qui contient nos quatre
Evangiles traduits sur le grec, remonte au moins au
second siècle de l'ère chrétienne, comme nous l'avons
remarqué dans V Introduction générale (tom . i, pag . 287) .
Ainsi toutes les églises de Syrie qui se servaient à cette
époque de cette version, admettaient donc déjà la col-
lection de nos quatre Evangiles.
Mais un témoignage important et plus ancien que tous
ceux qui viennent d'être rapportés, dit Olshausen, nous
vient de l'autre partie du monde, c'est-à-dire de l'Italie,
et indubitablement de l'Eglise romaine. Ce témoignage
nous est fourni par le catalogue des livres sacrés que
Muratori nous a fait connaître et qu'il a trouvé dans un
manuscrit de la bibliothèque de Milan, manuscrit qui
(1) o Legi sub ejus noraioe inEvangelium comraentarios (Hieron.
Caialofj.viror. illusir. ad voc. Theopuilus). » Nous ferons observer
avec Olshausen {Seit, 279) que dans le langage des pères de lÉglise,
le mot évamjile mis au singulier signifie la collection des quatre : Eva/-
-/î'hov T£Trtaaoo'j5ov, comme dit saint Irénée.
(2) Hieron. Comment, in Mailh. in proœm. Opp. Tome iv, p. i,
parj^ 3. edit, Martianay, QiEpisl. ad Alijasiam, lac. cil. pag. 197.
174 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
paraît avoir mille ans d'antiquité. Ce catalogue est si
remarquable et si particulier, qu'il porte en lui-même la
preuve de son authenticité, et il n'y a point de doute
qu'il ne renferme le canon d'une très-ancienne église.
Il remonte au moins au second siècle ; car celui qui l'a
dressé dit que le livre d'Hermas a été composé de son
temps sous le pontificat du pape Pie I, ce qui fait re-
monter le catalogue au moins au pontificat d' Anicet, suc-
cesseur de Pie I, qui visita saint Polycarpe. Or, ce cata-
logue contient nos quatre Evangiles (1).
Les monumens historiques prouvent , comme on le
voit, que nos quatre Evangiles étaient reçus parmi les
chrétiens dans la seconde moitié du deuxième siècle ; et
quand nous disons parmi les chrétiens, nous l'entendons
de toutes les églises chrétiennes du monde, puisque ces
monumens embrassent les Gaules, l'Asie-Mineure, l'Ita-
lie, l'Afrique et la Syrie. Mais une tradition qui était
aussi générale et aussi unanime dans la seconde moitié du
deuxième siècle, a dû nécessairement prendre naissance
long-temps auparavant, et elle suppose aussi incontes-
tablement que la formation du canon évangélique re-
monte à une plus ancienne époque. D'où il résulte que
quand bien même nous ne pourrions trouver aucune
trace de l'existence de ces écrits sacrés dans la première
(l) OIsliausen, die Echtheity etc. Seii. 281-584. Muratori, Antiq.
iial. med. œvi. Tome m, pag. 851-854. Hug prétend {Einleil imIY,
Test. Tli. I, § 19, S. 109, ziveiie Aiifl.) que ce catalogue est du com-
mencement du troisième siècle et qu'il ne saurait remonter plus haut,
puisqu'il repousse l'Épître de saint Paul aux Hébreux, laquelle ne fut
mise cil doute qu'à cette époque par Caïus, prêtre romain, qui fut
peut-èire l'auteur de ce catalogue. Mais Olshausen combat cette opi-
nion et la raison qui lui sert de fondement.
DK l'authenticité DES ÉVANGILES» 175
moitié du second siècle, nous serions suffisamment fon-
dés à l'admettre, vu qu'il y aurait de la folie et de l'extra-
vagance à supposer que ces livres divins ont pu se trou-
ver tout d'un coup répandus dans tout l'univers chrétien.
Mais nous avons des documens positifs qui confirment
nos inductions : ces documens nous sont fournis par
plusieurs pères dont l'autorité est d'un poids immense
dans cette matière. Le premier est saint Justin, connu
dans l'Église sous le titre glorieux de martyr. 11 naquit
à Naplouse, ville de la province de Samarie, en Pales-
tine, vers l'an 103. D'abord philosophe, il fut converti à
la foi chrétienne à l'âge de trente ans et martyrisé en
167, un an après saint Polycarpe. Remarquons que, né
en Palestine au commencement du second siècle, il a dû
connaître beaucoup de personnes qui avaient vécu avec
saint Siméon, disciple et proche parent de Jésus-Christ,
et second évêque de Jérusalem, couronné de la palme
du martyre l'an 107. Saint Justin a du vivre aussi avec
des disciples de l'apôtre saint Jean, mort vers l'an 100
de l'ère chrétienne. De plus, il est allé à Rome, où il a
composé sa petite c'est-à-dire sa seconde Apologie (1).
Il a même parcouru plusieurs autres parties de l'Italie,
car il a visité à Cumes le temple de la sibylle. Il a aussi
demeuré à Alexandrie, est allé dans l'Asie-Mineure, et
(1) Entre autres ouvrages, saint Justin a composé deux Apologies
de la religion chrétienne, dont l'une est fort longue et l'autre très-
courte. Dans presque toutes les éditions des œuvres de ce père, c'est
la petite Apologie qui est placée la première, comme ayant été com-
posée avant la grande ; nous pensons avec beaucoup de critiques que
c'est par erreur, et que la petite n'a été écrite qu'après la grande
(Voy. D. Ceillier, Hist. ijénér. des auteurs sacrés et ecclés. t. ii,
pafj. 9, 10).
17G DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
c'est à Éphèse qu'il a composé son dialogue avec le juif
Tryphon. Ainsi il a visité les grandes églises du monde
chrétien, Rome, Ephèse et Alexandrie, et il a connu par
conséquent les Evangiles qui étaient à leur usage. Mal-
heureusement la plupart des nombreux ouvrages que le
saint martyr a composés ont péri par les ravages du
temps. Toutefois, dans ceux qui sont parvenus jusqu'à
nous, on trouve la preuve que le savant père connais-
sait les écrits évangéliques, et qu'il les révérait comme
un dépôt sacré de la foi des chrétiens. Il est vrai qu'il
ne les désigne jamais par le nom de leurs auteurs, et
qu'il se borne à leur donner le titre général de mémoires
ou commentaires des apôtres («-ov.v//y.ov£J7.a-a twv à-o-
o--ô).wv) . Cependant il est incontestable qu'il a eu en vue
les écrits de nos quatre évangélisles ; car il cite ces mé-
moires comme ayantété composés par plusieurs auteurs;
il dit encore que parmi ces écrivains, les uns étaient
apôtres etles autres disciples des apôtres ; il ajoute aussi
que ces mémoires étaient communément appelés Évan-
giles, et la preuve évidente que c'est de nos Evangiles
qu'il parle réellement , c'est que dans ces mêmes en-
droits, il rapporte des passages comme tirés de ces mé-
moires, et cela dans les propres termes employés par
nos évangélistes (1). « Dans toute la suite de ses ou-
(1) a In libris qui sunt ab ejus (Chrisli) discipulis ipsorumque sec-
^alorihusconiposili, mcmoria:' mandatum est, sudorem ipsius lanquani
guitas sanguinis defluxissc in lerram, co deprecante et dicenle :
Imnscai, si péri polcst, poculum hoc {Dialoy.cum Ihjpfi. pag. 331).
— Nam apostoli, in commentariis suis, quœ vocantur Evangclia, ita
sihi mandasse Jesum tradiderunt : eum scilicet, accepte pane, ciim
gralias egisset, dixisse : FIoc facile in meam commcmoralionem ; hoc
est corpus meum; et poculo simililer accepte, actisque gratiis, dixisse :
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 177
vrages, dit le cardinal de La Luzerne, il suppose la vé-
rité de Ihistoire évangélique. Il s'attache surtout, dans
son dialogue avec le juif Tryphon, à montrer l'accord
parfait des prophéties judaïques avec les faits de la vie
de Jésus-Christ, tels que nos évangélistes les racon-
tent. Enfin, dans beaucoup d'endroits, il cite formelle-
ment les Evangiles, présentant textuellement leurs ex-
pressions. Il serait beaucoup trop long de rapporter ici
toutes ces citations, je me contente d'en indiquer quel-
ques-unes tirées seulement d'une partie de sa première
Apologie (1). )) Le savant cardinal ne rapporte que des
textes tirés de saint Matthieu, de saint Marc et de saint
Luc; mais Olshausen non seulement en cite et en dis-
cute un grand nombre empruntés par saint Justin à ces
trois évangélistes, mais il examine plusieurs passages et
plusieurs manières de parler qui appartiennent exclu-
sivement à l'Évangile de saint Jean ; tel est, par exem-
Hic est sanrjuis meus; ipsisque solis tradidisse {Apolo(j. ï,parj. 98).»
— Quant au nom de Mémoires que saint Justin seul de tous les pères
emploie pour désigner les Évangiles, il est plus que vraisemblable,
comme le remarque Olshausen {Die Eciiihcit der vier can. Evang.
S. 289, 290), que ce saint docteur, qui avait appartenu à l'école de
Socrate, et qui savait que Xcnophon avait donné le nom de Mémoires
auK quatre livres qu'il a écrits sur la vie et la doctrine de ce philo-
sophe, a voulu par analogie appliquer cette dénomination aux quatre
Évangiles, qui traitent également de la vie et de la doctrine de Jésus-
Christ. Seulement il a ajouté des apôtres, mot qui désigne les au-
teurs, au lieu du nom du Christ, qui en est le principal objet. Mais
celte petite diilerence ne diminue en rien la probabilité de notre hy-
pothèse.
(l) C. G. de La Luzerne, Dissertations sur les vérités de la reli-
gion, tome I, parj. 23, 2i. Paris. Méquignon Junior, 1830. Et pour
les citations, pag. 313, 314.
8.
178 DE l'authenticité DES ÉVANGILES,
pie, le passage de sa première Apologie (pag.9i) où
après avoir remarqué que le Christ avait dit : Si vous
n'êtes régénérés vous n'entrerez point dans le royaume des
deux, il ajoute : « En effet tout le monde sait parfaitement
qu'il est impossible à ceux qui sont déjà nés une fois
d'entrer dans le sein de leurs mères ;» car il est de toute
évidence qu'il s'agit ici de l'entretien du Sauveur avec
Nicodème au sujet du baptême, entretien rapporté dans
l'Évangile de saint Jean (m et suiv.). Telle est encore
l'expression l'eau vive, l'eau de la vie, que nous lisons
dans le dialogue avec le juif Tryphon(pag. 3V2), et que
saint Jean met dans la bouche de Jésus-Christ parlant
à la Samaritaine (iv, 10), enfin qu'aucun autre des écri-
vains du Nouveau-Testament ne lui a jamais prêtée. Dans
le même dialogue (pag. 316), il est dit de saint Jean-
Baptiste : les hommes pensèrent qu'il était le Christ, et il
leur cria : Je ne suis pas le Christ, mais la voix de celui
qui crie. Or ces paroles : Je ne suis pas le Christ, ne
se trouvent encore que dans l'Evangile de saint Jean
(i, '20). En vain Bretschneider soutient-il que saint Jus-
tin et révangéliste ont puisé tous les deux à une même
source (1) ; son assertion est purement gratuite, et par
conséquent elle ne mérite aucune considération. Dans
sa première Apologie pag.6i,95) saint Justin rapporte
ces paroles : Celui qui m'entend, entend celui qui m'a
envoyé; or ne sont-elles pas une allusion évidente,
quoi qu'en dise encore Bretschneider (Ibid.), à celles-ci
que nous lisons dans saint Jean (v, 24-) : Celui qui en-
tend maparole, et qui croit en celui qui m'a envoyé, etc.
(1) Car. Theoph. Bretschneider, Probahilia de Evangelii et Epis-
tolarum Joannis apostoli indole et origine , pag. 192.
DE L AUTHENTICITÉ DES ÉVANGILES. 179
Enfin, nous reproduirons encore avec OIshausen un
passage de saint Justin qui se trouve dans les fragmens
que Grabe a recueillis des ouvrages perdus de ce père,
et qui nous offre une nouvelle preuve de l'existence de
notre quatrième Evangile dans la première moitié du
second siècle (1). Saint Justin dit donc : Il leur permit
de le toucher y et il leur montra les lieux des clous. Or ce
passage n'est-il pas copié dans l'Évangile oii saint Jean
fait dire à saint Thomas : Si je ne vois dans ses mains
les lieux des clous et si je ne mets mon doigt dans le lieu
des clous ; et à Jésus-Christ : Portez ici votre doigt et
regardez mes mains (xx, 25, 27) ? Il est vrai que les ci-
tations du saint docteur ne sont pas dans les termes
mêmes employés par nos évangélistes ; mais il est évi-
dent que telle était son intention, puisque dans différens
endroits de ses ouvrages, il rapporte les mêmes faits
et les mêmes paroles de Jésus-Christ avec des mots
et dans un ordre Irès-différens. Cette observation s'ap-
plique à ce qu'il dit de la conception du Sauveur, de son
baptême, de la prédication de Jean-Baptiste et de plu-
sieurs discours de Jésus-Christ; phénomène qui s'ex-
plique aisément si l'on suppose que saint Justin cite de
mémoire, et que sans s'embarrasser des mots, il ne s'oc-
cupe que des choses, mais qui devient tout-à-fait inexpli-
cable dans l'hypothèse qu'il a toujours cité textuellement
et mot à mot ; car comment les mémoires pouvaient-
(1) Grabe, Spicileg. Patrum. t. n, parj. 191. OIshausen (Die
kclitheit der vier can. Evang. S. 309) cite un second passage re-
cueilli par Grabe ; le voici : Selon qu'il a dit que dans le ciel est notre
demeure. Mais on pourrait contester que ce soit réellement une imi-
tation (lu texte de saint Jean (xiv, 2) : // y a plusieurs demeures dans
la maison de mon Père.
180 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
ils contenir sur les mêmes choses des expressions dif-
férentes et un tout autre arrangement? Il est encore vrai
qu'il se trouve dans les citations de saint Justin quelques
passages évangéliques qui ne se lisent pas dans nos
quatre Evangiles ; mais on peut dire que saint Justin
les tenait de la tradition, qui était toute fraîche de son
temps, ou plutôt de l'Evangile hébreu de saint Matthieu
conservé chez les nazaréens, Evangile dont il avait pro-
bablement connaissance, puisqu'il était né en Palestine.
Comme cet Evangile passait pour l'original de saint
Matthieu, il a cru pouvoir en emprunter ces additions,
qui au reste sont très-peu considérables, et servent à
l'explication de la vie du Sauveur . Une autre preuve
certaine que saint Justin reconnaissait nos quatre Evan-
giles, c'est qu'ils ont été admis par Tatien son disciple,
et il n'est pas difficile de montrer jusqu'à l'évidence la
vérité de cette dernière assertion . Car, dans son Discours
aux Grecs, ouvrage contre le paganisme, composé peu
de temps après le martyre de saint Justin, très-vraisem-
blablement avant qu'il fût tombé lui-même dans l'hé-
résie, et qui a été imprimé à la fin des œuvres de ce
père (Paris, 1636, fol.), Tatien cite deux passages in-
contestablement tirés du premier chapitre de l'Évangile
selon saint Jean, quand il dit(pag. 152) : a L'âme n'est
par elle-même que ténèbres ; elle ne contient aucun
point lumineux : et c'est précisément ce que veulent dire
ces paroles : Les ténèbres ne comprennent pas laluinière;n
et lorsqu'il dit ailleurs (pag. 158) : Toutes choses ont été
faites par lui, et sans lui rien n a été fait. Bretschneider
prétend que ce dernier passage n'a nullement été puisé
dans l'Evangile selon saint Jean, mais qu'il peut se faire
que Tatien et saint Jean lui-même l'aient emprunté tous
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 181
les deux à quelque livre apocryphe qui a été perdu
comme tant d'autres de ce genre. Le même critique ne
voit dans ce passage qu'une simple formule dogmatique
que deux écrivains ont pu énoncer sans s'être copiés
l'un l'autre (1). Mais il nous semble que s'il était permis
de raisonner de cette manière, il en serait fait de l'au-
thenticité de tous les livres anciens. Il y a plusieurs au-
tres raisons puissantes qui ne permettent pas de douter
que Tatien ait connu l'Evangile de saint Jean aussi bien
que les trois premiers ; nous les exposerons un peu plus
bas, lorsque nous aurons à produire les témoins héré-
tiques. Ainsi, saint Justin a reconnu nos quatre Evan-
giles pour authentiques, et comme d'ailleurs son témoi-
gnage se trouve confirmé par tous les hérétiques et par
Celse lui-même, son contemporain, comme nous allons
le montrer, il s'ensuit que nos quatre Evangiles étaient
universellement et unanimement reçus dans la première
moitié du second siècle. Mais il faut joindre à saint Jus-
tin, saint Polycarpe, quivint à Rome dans lemême temps
visiter le pape saint Anicet, et Papias, contemporain de
saint Polycarpe. Or l'un et l'autre connaissaient et re-
cevaient nos quatre Evangiles. Et d'abord, saint Poly-
carpe, dans son Epître aux Philippiens (n. 2, 7), cite
des passages qui se trouvent dans saint Matthieu (v, 3,
10; VI, 13; xxvï, 41), dans saint Marc (xiv, 38), et
dans saint Luc (vi, 37, 38). Quant à saint Jean, il est
vrai qu'il ne fait mention d'aucun endroit de son Evan-
gile ; mais dans sa même Épître aux Philippiens (n. 7), il
cite la première Épître de cet apôtre (iv, 3). Or, c'est
Uii fait reconnu en critique et qui n'a jamais été contesté,
(I) Bretschneider. Pi-obab. etc. Seit. 194-195.
182 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
que cette Epître de saint Jean n'a pu avoir d'autre au-
teur que celui de l'Evangile qui porte ce nom. Ce que
nous disons de saint Polycarpe par rapport à l'Evangile
de saint Jean, nous pouvons le dire aussi dePapias. Si
cet écrivain ne l'a pas cité expressément, il a reproduit
dans son Exposition des discours du Seigneur quelques
passages de l'Epître, c'est au moins ce que prétend Eu-
sèbe, qui connaissait cet ouvrage et qui en rapporte même
plusieurs fragmens (1). Mais Papias nous fournit en fa-
veur des autres Évangiles des preuves plus directes ;
et pour qu'on puisse mieux apprécier l'autorité qu'il
mérite sur cette matière, nous rapporterons quelques
particularités qu'Eusèbe raconte de lui. Papias donc,
selon cet historien, n'avait été à la vérité disciple d'au-
cun des douze apôtres , il ne les avait pas même vus ;
mais il s'était informé avec soin, auprès de ceux qui les
connaissaient, et qui étaient dans leur intimité, de ce qui
concernait la foi. «Quand je rencontrais, dit-il, quel-
que ancien qui eut vécu avec les apôtres, je m'informais
avec soin de ce qu'ils avaient enseigné, de ce qu'avaient
dit André, Pierre, Philippe, Thomas, Jacques, Jean,
Matthieu, ou quelque autre disciple du Seigneur ; de ce
qu'avaient dit enfin Aristion et Jean, prêtres, lesquels
étaient aussi au nombre des disciples du Seigneur. » Eu-
sèbe ajoute que Papias avait été disciple particulière-
ment d' Aristion et du prêtre Jean, et il rapporte ce que
ce prêtre, différent de l'apôtre du même nom, lui avait
appris. c( Il médisait (c'est Papias qui parle^ que Marc,
(1) « Porro idem Papias testimoniis ex priore Joannis epistola, et
ex priore itidem Pétri desumptis utitur (Euseb. Hist. Eccl . l. m,
c. xxxix).»
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 183
qui était interprète de Pierre, avait écrit tout ce qu'il
conservait dans sa mémoire avec exactitude, mais non
dans l'ordre dans lequel le Seigneur l'avait dit ou fait;
car il ne l'avait ni entendu ni suivi ; mais, comme je l'ai
dit, il avait accompagné Pierre, qui faisait ses instruc-
tions suivant le besoin de ceux qui l'écoutaient, sans
s'attacher à un arrangement régulier des discours du
Seigneur. Ainsi Marc n'a nullement eu tort [o\j6èv «paoTê)
d'écrire ainsi certaines choses d'après ses souvenirs,
puisque son unique soin fut de ne rien omettre de ce
qu'il avait appris et de n'y rien changer. » Quant à saint
Matthieu, c'est encore Eusèbe qui le remarque, Papias
raconte de lui qu'il a écrit son Évangile en hébreu (1).
Voilà donc trois Évangiles dont l'authenticité est garan-
tie par Papias. Or, l'existence de celui de saint Luc à
(1) Euseh. ibid. — Sclileiermacher et après lui plusieurs théolo-
giens allernands ont nié que le témoignage de Jean le prêtre en laveur
de l'Évangile de saint Marc se rapportât à notre second Évangile,
parce que, disent-ils, ce livre suit fidèlement l'ordre des événemens,
tandis que celui dont parle Jean le prêtre était écrit où ra^n^ c'est-à-
dire sans ordre chronologique. Mais Tholuck a très-bien démontré
que l'expression grecque n'a pas uniquement le sens que lui donnent
ces théologiens {Glaub. der Evang, Gescli. Seit.iib); car elle peut
très-bien s'employer pour désigner une série à laquelle ilmanque quel-
ques termes, et par conséquent un Evangile qui comme le nôtre rap-
porte incomplètement les faits, en omet beaucoup et les présente
d'une manière détachée. D'ailleurs l'auteur lui-même parait avoir en-
tendu ainsi cette expression, puisque quelques lignes plus bas il dit,
comme pour la justifier, que saint Marc n'a pas eu tort d'écrire ainsi
certaines choses d'après ses souvenirs. On peut remarquer encore
que le prêtre Jean dit que cet évangéliste écrivit certains faits (svia)
et non tous les faits de la vie de Jésus (Voy. Eugène,Mussart, Examen
critique du système de Strauss, vag. 78, note).
184 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
l'époque où vivait cet ancien écrivain ne peut offrir au-
cune difficulté sérieuse, même en supposant que Papias
n'en ait jamais parlé, dès qu'il est prouvé que les trois
autres existaient déjà à cette même époque. Ainsi, les
écrivains catholiques de la première comme de la der- 1
nière partie du second siècle prouvent d'une manière I
démonstrative que nos Évangiles sont réellement l'ou-
vrage des auteurs dont ils portent les noms.
TS'os Evangiles étant déjà reconnus universellement
comme authentiques par les pères qui florissaient dans
la première partie du second siècle, il en résulte néces-
sairement qu'ils existaient déjà dès le premier siècle.
Car il est tout-à-fait impossible que ces divins écrits
aient commencé tout-à-coup à être regardés comme ve-
nant réellement de la main des auteurs dont ils portent '
le nom, sans aucune preuve et sans qu'ils aient été bien
connus auparavant. Peut-on supposer en effet qu'un
livre dont jamais personne n'avait ouï parler jusque
alors, soit devenu en un instant la règle de foi univer-
selle, et que l'Église, déjà répandue chezdifférens peu-
ples, l'ait adopté d'un consentement unanime ? Ce serait
un phénomène par trop singulier et par trop incroyable .
Mais si nos Évangiles existaient dès le premier siècle,
les saints docteurs qui ont écrit durant cette période
les ont sans doute cités; c'est ce qui paraît certain par
rapport à l'un de ces docteurs, et très-probable par
rapport aux autres. Ainsi, pour commencer par saint
Ignace martyr, nous dirons qu'il est assez vraisemblable
qu'il a employé dans ses Lettres des passages de nos
Évangiles ; nous dirons de même de saint Clémentpape,
en ajoutant toutefois que si sa seconde lettre était réel-
lement de lui, son témoignage déposerait en toute cer-
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 1S5
titude en faveur de la thèse que nous soutenons, puisque
ce saint pontife dit dans l'un des passages évangéliques
par lui cités qu'wne écriture raipporte, et dans un autre,
que Jésus-Christ dit dans l'Evangile [i]. On a pré-
tendu, il est vrai, que ces anciens pèrçs, ne nommant
pas positivement les évangélistes, tenaient de la tradi-
tion les maximes et les sentences qu.'ils rapportent dans
leurs écrits ; mais cette prétention n'est pas appuyée sur
un fondement bien solide, comme nous espérons le
montrer un peu plus bas en répondant aux difficultés
de nos adversaires. Quant à saint Barnabe, il est incon-
testable qu'il a cité un document écrit, puisqu'en rap-
portant les paroles de Jésus-Christ illya beaucoup
d'appelés mais peu d'élus, il ajoute la formule usitée
pour les citations de l'Ecriture : Selon qu'il est écrit.
Et comme ces paroles se lisent textuellement dans saint
Matthieu (xxii, H), elles doivent tout naturellement
nous conduire à comparer avec le livre de cet évangé-
liste les autres citations évangéliques de saint Barnabe.
Or ce saint cite encore comme étant du Sauveur ces
paroles : Je suis venu ajypeler non les justes mais les pé-
cheurs, et ces mêmes paroles se trouvent également
dans saint Matthieu (ix, 13). 11 rapporte aussi ce pré-
cepte du Seigneur : Donnez à quiconque vous demande (2),
comme il se lit textuellement dans saint Luc (vi, 30).
(1) Yoy. Ignat. Epist.adEphes. n. 14; ad Smyrn.n. 1 ; ad PoUj-
carp. 71. 2, et compar. DIaiih. xii, 33 ; m, 15; x, 16. Voyez aussi
Clem. Epist. i. n. 13, 46, et compar. Luc. vi, 36, 37. 3Iatlli. x\iu,
6; XXVI, 24. Marc, ix, 42. Z?<c. xvii,2. Yoyezencore Clém. i?/;j5Mi,.
n. 2, 3, 4, 6, 8, 9, et compar MaUh. w, 13; x, 32; vu, 21, 23.
Luc. xiii, 37. Matlh. \i, 24; xYi, 26. Luc. xvi, 12. Maii'n. xii, 50.
(2) Barnab. Epist.n, 4, 5, 18.
186 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
D'après cela, il est permis, ce nous semble, de raison-
ner de cette manière. Si saint Barnabe n'eût jamais fait
une citation d'un monument écrit, tous les passages
évangéliques contenus dans son Epître pourraient ab-
solument venir de la tradition ; mais puisque dans un
endroit il en appelle à un monument de cette nature,
il est certain qu'il n'a pas puisé ses citations unique-
ment dans la tradition. Or le passage qu'il dit avoir été
écrit se lisant textuellement dans l'Evangile de saint Mat-
thieu, et tous les autres qu'il produit se trouvant pa-
reillement dans ce même Evangile ou dans celui de saint
Luc, nous sommes en droit de conclure que toutes les
citations évangéliques de saint Barnabe ont leur source
dans nos Evangiles.
2. Les hérétiques du second siècle nous fournissent
eux-mêmes des preuves irrécusables de l'authenticité
de nos quatre Evangiles. Nous citerons d'abord Tatien,
païen converti, et qui fut disciple de saint Justin, mais
qui eut le malheur de tomber dans l'hérésie, et de donner
son nom à la secte des encratites. Outre les citations qu'il
fait de l'Evangile de saint Jean, et que nous venons de
rapporter quelques lignes plus haut, il nous prouve en-
core de plusieurs manières qu'il connaissait nos Evan-
giles et qu'il les regardait comme les fondemens de la
foi, transmis par les apôtres ; car premièrement, lors
même qu'il se fut séparé de l'EgUse, il ne contesta ja-
mais l'authenticité de ces livres sacrés, qui le condam-
naient formellement; il se contenta de les tronquer et
de les accommoder à ses erreurs. En second lieu, il com-
posa, selon que le rapportent Eusèbe, saint Epiphane
et ïhéodoret, un ouvrage qu'il intitula Diatessaron [Stv.
rîTfjàpoyj]^ c'est-à-dire selon les quatre. Or cet ouvrage
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 187
était simplement une collection et une suite de textes ti-
rés des quatre Evangiles et une sorte de concordance
formant une histoire suiviede Jésus-Christ. Il n'ajouta
rien au texte évangélique, mais il en retrancha ce qui
était contraire à ses fausses doctrines, et particulière-
ment les généalogies du divin Sauveur et tous les pas-
sages qui le présentent comme le descendant de David
selon la chair (l). Cet ouvrage était très-répandu, non
seulement parmi les sectateurs de Tatien, mais même
parmi les chrétiens orthodoxes qui n'en apercevaient
pas le venin; et il était devenu si commun dans les
églises de Cyr , que Théodoret, évêque de ce diocèse, af-
firme y en avoir trouvé plus de deux cents exemplaires
qu'il rassembla et mit de côté pour faire lire en leur place
les quatre Évangiles canoniques (2). Eichhorn soutient,
il est vrai, que les quatre Evangiles qui composent cette
concorde ne sont nullement les nôtres, et il demande
comment Théodoret a pu savoir que Tatien possédait
nos Evangiles. « Nous pourrions à notre tour, remarque
fort judicieusement Eugène Mussart, demander à ce sa-
vant comment il sait qu'il ne ies possédait pas. 11 semble
que Théodoret, qui avait vu plus de deux cents exem-
plaires de l'ouvrage dont nous nous occupons, pouvait
mieux apprécier la source d'où il avait été tiré, que le
professeur allemand, qui n'a pu le connaître que par
quelques citations empruntées à ce même Théodo-
ret (3).)) Ajoutons que cette prétention d'Eichhorn n'a
(1) Euseb. Hist. Eccl. l. iv, c. sxix. Ckronic. Paschal. ad Olym-
piad. 238. Epiphan. Hceres. XLVi. Theodor. lib. i. Hœretic. fabul.
cap. XX.
(2) Théodoret, loc. citai.
(3) Eichhorn, £'m/eif .m das TV. T. Band i, Seit. m. Eugène Mus-
188 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
été émise que pour soutenir son système d\m Evangile
primitif, système si décrédité aujourd'hui parmi les cri-
tiques, que personne ne l'enseigne. Ajoutons encore
que Denis Barsalibi, écrivain syrien, cité dans la Bi-
bliothèque Orientale d'Assemani (t. i,pag. 568), dit ex-
pressément : (( Tatien, disciple de Justin le martyr et le
philosophe, a formé un seul Evangile des quatre, et il
l'a nommé Diatessaron. Saint Ephrem l'a expliqué dans
un commentaire. Les premiers mots de cet ouvrage
sont: in commencement était le Verbe. » Enfin Eusèbe
nous affirme d'une manière positive que les sévériens,
secte d'hérétiques dont Tatien était le premier chef
[n^ôxzooç c/.pyr,yo-j], admettaient la Loi y les Prophètes et les
Evangiles finsiis qu'ils rejetaient les Epîtres de saint Paul
et les Actes des Apôtres (1) . Or, après des témoignages
aussi formels et aussi précis, peut-on supposer encore
quelque équivoque sur les quatre Evangiles qui for-
maient la concorde de Tatien ? Il est donc incontestable
que cet hérétique et son école reconnaissaient nos quatre
Évangiles comme ayant une origine apostolique.
Marcion, hérétique anti-judaïsant, qui publia ses er-
reurs avant l'an 150 de l'ère chrétienne, est encore un
témoin irrécusable de l'authenticité de nos Evangiles,
puisque lors même qu'il se déchaîne avec une sorte de
fureur contre ceux de saint Matthieu, de saint Marc et
de saint Jean, il ne se plaint nullement qu'on les ait
donnés sous des noms supposés, mais il se borne à re-
procher aux apôtres et aux disciples qui les ont rédigés^
sart, licencié en ihéolog. et ministre du saint Èsan^ile, Examen cri-
tique du sijsiemc de Strauss, pag. 74, note 2, 2™*^ édit. Genève, iSZ9.
(1) Euseb. Hist. Eccl, l, iv, c. xxix.
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 189
d'avoir mêlé des doctrines juives à celles de leur maître,
et qu'il a conservé celui de saint Luc comme ayant été
composé sous les yeux de saint Paul et comme étant plus
conforme à ses opinions. Aussi saint Irénée et Tertul-
lien, qui l'ont si fortement blâmé d'avoir rejeté les ou-
vrages de trois évangélistes, pour n'adopter que celui
de saint Luc, et encore en le mutilant, ne l'ont jamais
accusé de révoquer en doute leur origine authentique (l).
Mais Tertullien, dans sa polémique contre Marcion,
montre d'une manière plus explicite encore que l'héré-
siarque connaissait nos quatre Evangiles, et qu'il ne lés
avait pas toujours rejetés; d'où il résulte clairement
que Marcion lui-même dépose en faveur de leur authen-
ticité. Entrons dans quelques détails; le sujet en vaut
la peine ; nos preuves d'ailleurs en recevront un nou-
veau degré d'évidence. Tertullien rappelle donc à Mar-
cion qu'il a cru autrefois tout ce que saint Matthieu
raconte de l'étable et de la crèche du Sauveur, de l'a-
doration des pasteurs et des mages, et qu'il Fa avoué
lui-même dans une de ses lettres (2), et qu'il a ensuite
(1) «Et super hœc, id quod est sccundum Lucam Evangeliunl
circumcidens, et omnia quœ sunt de generatione Doniini conscripta
auferens, et de doctrina sermonem Domini muha auferens...; semct-
ipsum esse \eraciorem quam sunt hi qui Evangelium tradiderunt
npostoli, suasit discipulis suis non Evangelium, sedparticulam Evan-
gelii tradens eis (Iren. Conlr. hœres. l. i, c. xxvii).» — « Cum auleni
ad eam iterum traditionem quaj est ab apostolis, quœ per successio-
ncs presbyterorum in Ecclesiis custoditur, provocamus eos, adver-
santur tradilioni, dicentes se non solum presbyteris, sed eliain apo-
stolis exsistentessapientiores, sinceraminvenisse veritaiem. Apostolos
enim admiscuisse ea quœ sunt legaliaSalvatoris verbis (/. m, c. u).»
(2) « Qui (Ghristianus) cum fuisses, exscidisti rescindendo quod
190 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
rejeté ces vérités comme contraires à ses erreurs. Le
savant père l'accuse encore d'avoir rejeté les Evangiles
qui flétrissaient évidemment son opinion , et d'avoir
corrompu celui qu'il admettait, en ajoutant qu'en effet
l'Evangile de saint Jean suffisait pour le confondre (1).
De plus, Marcion avait composé un livre d'antithèses,
où il opposait la Loi à l'Évangile, voulant persuader par
là que le Dieu de l'Ancien-Testament n'était pas le
même que celui du Nouveau. Or, il est évident que cet
hérétique n'aurait pas attaqué l'Évangile, s'il ne l'eût
trouvé déjà reçu dans l'Église ; et ce fait suffirait seul
pour démontrer que, de l'aveu même de Marcion, notre
canon évangélique existait dans la première partie du
second siècle. Mais il est surtout un passage de Tertul-
lien qui ne permet pas le plus léger doute sur la vérité du
sentiment que nous défendons ici. (c Je soutiens que mon
Évangile est véritable, dit ce savant père, dont nous ne
faisons qu'analyser le texte, etMarcion prétend que c'est
le sien. Qui est-ce donc qui doit juger entre lui et moi ?
Ce sera l'ordre des temps qui donnera de l'autorité au
plus ancien, et qui montrera que celui qui se trouve
plus récent est aussi plus corrompu. Car le faux étant
une dépravation du vrai, il faut nécessairement que la
vérité précède la fausseté. Or, il paraît si constant que
notre Évangile est plus ancien, que Marcion lui-même
y a cru avant que de sortir de l'Église. En corrigeant
relrà crcdidisti, sicut et ipse confilcris ia quadam epistola et tui non
negant et noslri probant (Tertull. De carne Chrisli, c. ii).»
(1) « Si Scripluras opinioni tux- resistentes, non de industria alias
rejecisses, alias corrupisses, conludisset te in hac specie Joannis
Evangelium (/&id. c. ni). »
DE L'aI'THEMICITÉ DES ÉVANGILES. 191
notre Evangile, il le confirme et fait voir qu'il était plus
ancien. Enfin il est certain que l'Evangile des apôtres
a le plus d'ancienneté, et l'on ne saurait douter que ce-
lui qui est reçu comme sacré par les églises apostoli-
ques ne soit celui que les apôtres ont donné par tra-
dition (1).» Il résulte évidemment de la polémique de
TertuUien contre Marcion , que cet hérétique, avant d'être
tombé dans l'erreur, avait reçu nos Évangiles, qu'il
avait cru à tous les faits qui s'y trouvent rapportés , et que
la raison pour laquelle il les avait rejetés n'était nullement
parce qu'ils ne paraissaient pas authentiques, et qu'ils
n'étaient pas reçus par les églises, mais uniquement
parce qu'il croyait que les apôtres qui en étaient les au-
teurs avaient donné dans des idées purement judaïques,
et qu'il n'y avait que saint Paul, qui était le principal au-
teur de l'Évangile de saint Luc, qui en eût été exempt,
et qui eût parfaitement compris la vraie doctrine de
Jésus-Christ. Enfin, si Marcion avait cru que nosÉvan-
giles qu'il rejetait ne vinssent pas des apôtres, aurait-il
manqué de l'objecter comme un moyen de justifier sa sé-
paration de l'Eglise, et TertuUien lui-même qui le suit
pas à pas aurait-il pu s'empêcher de lui répondre sur
un point aussi important? Cependant l'illustre docteur
en use tout autrement. La grande raison qu'il ne cesse
d'opposer à son adversaire, c'est la nouveauté de son
Evangile, qui n'est reçu que par sa secte, tandis que les
nôtres qu'il rejette sont plus anciens, nous viennent des
apôtres, et sont reçus unanimement dans toutes les
églises. Mais si nos Évangiles n'avaient pas été en effet
généralement reçus au temps de Marcion, comment Ter-
Ci) Tertull. Adv. Marcion. l. iv, c. iv, v.
192 DE l'aUTHEXTICITÉ DES ÉVANGILES.
lullien aurait-il pu lui opposer, comme il le fait (1), le té-
moignage des Corinthiens, des Galates, des Ephésiens,
des Philippiens, des Thessaloniciens, des Romains et
des églises d'Asie fondées par saint Jean? et s'ils n'a-
vaient pas été reçus de tout temps, comment pouvait-il
lui opposer l'autorité des églises apostoliques, qui fai-
saient remonter l'origine de ces Evangiles jusqu'aux
apôtres qui les avaient fondées? Ainsi, nous le répé-
tons, il est clair et manifeste par tous ces passages que
Marcion ne niait point que nos Evangiles vinssent des
apôtres, mais qu'il prétendait uniquement que les apô-
tres s'étaient trompés dans l'exposition de la doctrine
du Sauveur, à l'exception de saint Paul, d'où il s'ensui-
vait, comme lui objecte Tertullien, que si les apôtres
choisis par Jésus-Christ, et envoyés par lui dans le
monde pour prêcher sa doctrine, avaient corrompu son
Evangile, cette accusation retombait sur Jésus-Christ
môme, et que si cette accusation ne tombait que sur
les disciples des apôtres, elle atteignait saint Luc, dont
néanmoins lui Marcion recevait l'Evangile (2).
(l)Tertull. 76^/. c. v.
(2) « Sed enim Marcion nactus Epistolam Pauli ad Galatas, etiam
ipsos apostolos sugillanlis, ui non recto pede incedcnies adveritatem
Evangelii, simul et accusantis pseudapostolos quosdam pervertentes
Evangelium Chrisli connititur ad destrucndum slatum eorum Evan-
geliorum quce pronria et sub apostolorura nomine eduntur, vel etiam
apostolicorum; ut sciiicet tidem, quam illis adimit, suo conférât.
Porro, etsi reprehensus est Petrus cl Joannes et Jacobus, qui existi-
mabanlur coiumnœ, manifesta causa est... adeo non de pra;dicatione,
sed de conversatione à Paulo denolabanlur... Igitur dislinguenda
erunt singula. Si apostolos praevaricationis et simulationis suspectes
Marcion haberi querilur usquead Evangelii depravalionem, Chrislum
DE L'aUTIIEXTICITÉ DES ÉVANGILES. 193
Les valentiniens, hérétiques fameux du second siècle,
qui tirent leur nom de Valentin, dont nous allons par-
ler un peu plus bas, et qui se nommaient aussi gnosti-
ques , rendent également témoignage à l'authenticité
de nos Évangiles. En effet, saint Irénée dit expressé-
ment que les valentiniens préféraient l'Évangile de saint
Jean aux autres (que cependant ils admettaient aussi) ;
qu'outre les Évangiles et les écrits apostoliques ils ap-
puyaient leur doctrine sur la loi et les prophètes (1) . Une
multitude de passages tirés de leurs écrits confirment
ce témoignage de saint Irénée. — Héracléon et Ptolé-
mée, contemporains de saint Irénée et antérieurs à Mar-
cion, étaient les deux plus célèbres disciples de Valen-
tin. Or, Héracléon avait composé sur l'Évangile de saint
Jean un commentaire, dont Origène nous a conservé un
grand nombre de fragmens. Un long passage conservé
et cité par saint Clément d'Alexandrie, semble autori-
ser à croire que cet hérétique avait fait aussi un com-
mentaire sur saint Luc, dont Clément d'Alexandrie nous
a conservé un long passage. Enfin, dans son comment
taire sur saint Jean, Héracléon cite deux fois saint Mat-
thieu avec la formule selon l'Evangile (2) . Si saint Marc
jam accusât, accusando quos Cbristus elegit. Si vero apostoli quidem
integrum Evangelium contulerunt. de sola convictus inœqualilate re-
prehensi, pseudapostoli autem veritatem eorum interpolarunt, etindè
sunt noEtra Digesta; quod crit germanum illud apostolorum Instru-
raentum, quod adulterura passum est? quod Paulum illuniinavit, et
al) 00 Lueam? Aut si tam funditus deletum est, ut catacljsino quo-
dam, ila inundationefalsariorum oblilteratum ; jara ergo nec Marcion
habet verum (TertuU. ibid. c. m).»
(1) Iren. Adv.hœres.l.i. Prœf. c. i, m, viii; l. m, c. XI.
(2) Voy. Clera. Alex. Siromat. c. ix. Ex scriplis prophetarum
Eclocjce. c. XXV. Grabe, Spicile<j. Patrum. t. ii, pag. 83-117. Nean-
V. 9
194 DE l'aUTUENTICITË DES ÉVANGILES.
ne se trouve pas cité, c'est qu'il ne contient presque
rien qui lui soit exclusivement propre, comme nous l'a--
vons déjà fait observer. D'ailleurs, ce silence sur saint
Marc ne prouve rien contre l'authenticité de son Évan-
gile, puisque tout le monde avoue que Héracléon ad-
mettait le canon évangélique. Quant à Ptolémée, saint
Epiphane nous a conservé de lui une lettre écrite à
Flora, laquelle contient un nombre assez considérable
de citations tirées de saint Matthieu, et une très-incon-
testable tirée de saint Jean , avec la formule lapôtre
dit (1). Saint Irénée , qui avait lu ses ouvrages , nous
produit de lui des citations d'après lesquelles on ne
saurait douter qu'il ne reçût notre canon évangélique.
r— Théodote, autre disciple deValentin, dont les erreurs
furent condamnées par le pape saint Victor, successeur
de saint Eleuthère, peut encore être cité parmi les té-
moins qui déposent en toute certitude, que dès le second
siècle nos Evangiles étaient déjà connus. En effet, à la
fin des œuvres de Clément d'Alexandrie se trouve un pe-
tit extrait (i-iroy.at) des ouvrages de Théodote, fait par
un gnostique de ses sectateurs, dans le but d'opposer la
doctrine de son maître à celle de Valentin. Or, outre
que cet ouvrage est rempli de passages empruntés au
Nouveau-Testament en général , il rapporte en abrégé
et d'après nos Evangiles un grand nombre d'actions et
de discours de Jésus-Christ. Il cite avec exactitude
plusieurs sentences de ce divin Sauveur, d'après saint
Matthieu, saint Luc et saint Jean. Il raconte sa retraite
ûer, Enlwicklung der vornehmemten gnoslischen Système. Seit. 166.
BeHin, 1818.
(1) Epiphan . Hœres. xxxiii.
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 195
dans le désert , avec des circonstances qui ne se trou-
vent que dans saint Marc, et il emploie la formule Va-
pôtre dit, une fois en rapportait un récit de saint Mat-
thieu et de saint Jean, et une autre fois en transcrivant
un passage de saint Luc (1) . Un quatrième disciple de Va-
lentin , nommé Marc, était aussi très-célèbre ; or, saint
Irénée, qui le réfute au long dans son premier livre des
Hérésies , nous apprend qu'il appliquait plusieurs pas-
sages de saint Matthieu et de saint Luc à la doctrine
de ses éons , et qu'il citait même un endroit de saint
Marc (2). Il ne rapporte à la vérité aucun endroit de
saint Jean ; mais on ne saurait en conclure qu'il ne l'ad-
mettait point, puisque tout le monde accorde que les
valentiniens recevaient l'Evangile de saint Jean. — Bar-
desane, hérétique, fort instruit de la secte des valenti-
niens, admettait, d'après le témoignage exprès de saint
Epiphane , tous les livres de l'Ancien et du Nouveau-
(1) Voy. Hug, Einleit. Th. i, Seit. 63. — Lors même que les cir-
constances avec lesquelles Théodote décrit le séjour du Sauveur dans
le désert pourraient à la rigueur se rapporter à d'autres évangélistes,
cette seule raison ne suffirait point pour prouver qu'au temps de cet
hérétique l'Évangile de saint iMarc n'existait pas encore, vu qu'une
grande partie de cet Évangile se trouve dans saint Luc ou dans saint
Matthieu. D'ailleurs, comme le remarque fort judicieusement 01s-
hausen {Die Eclilheit, etc. S. 380), lorsque nous trouvons cités en-
semble saint Matthieu, saint Luc et saint Jean, nous pouvons con-
clure avec fondement au recueil complet de nos quatre Evangiles,
(2) Ce passage de saint Marc est le verset 38 du chapitre x, où l'é-
vangéliste fait dire à Jésus-Christ en s'adressant aux fils de Zébé-
dée : «Pouvez-vous être baptisés du baptême dont je vais être bap-
tisé?» Voy. Iren. Adv. hœres. 1. 1, c. xviii, pag. 86, eclil. Grabii, ou
bien \es Annotationes variorum, pag. 69, qui sont à la fin des œuvres
de saint Irénée dans l'édition de P».. Massuet.
196 DE l'authenticité des évangiles.
Testament, ce qui est dire positivement qu'il reconnais-
sait nos quatre Evangiles (1). — Des disciples passons
au maître lui-même , c'est nous rapprocher encore da-
vantage des temps apostoliques. Yalentin était contem-
porain deMarcion; il parut vers l'an 13i de Jésus-Christ .
Bretschneider prétend que cet hérétique n'a jamais
connu l'Evangile de saint Jean; il avoue cependant qu'il
était admis par ses disciples (2). Mais si Valentin n'eût
pas reçu cet Evangile, ses disciples ne l'eussent pas reçu
non plus, parce que, dans un point aussi important,
ils ne se seraient certainement pas éloignés de la doc-
trine de leur maître. En second lieu, les pères n'ont ja-
mais accusé Valentin d'avoir rejeté les Evangiles, mais
d'en avoir dénaturé le sens (3). Troisièmement, la ter-
minologie des éons, que les valentiniens tenaient in-
contestablement de leur chef, est sans aucun doute tirée
de l'Evangile de saint Jean. Quatrièmement enfin, d'a-
près Tertullien , Yalentin aurait composé un ouvrage
sous le titre de Sax^hia [k] , et Hug remarque que le mu-
(1) Epiphan. Hœres. lvi.
(2) Bretschneider. Probab. de Evang. et Epist. Joannis apost.in-
dole et origine, pag. 212, 213.
(3) « Si Valenlinus integro Instrumenlo uli videtur, non callidiore
ingenio, Marcion, manusintulit veritati. Marcion enin> exerte et pa-
lani iiiachœra non stylo usus est, quoniam ad niateriam suam csedem
Scriplurarum confecit. Valenlinus autem pepercit, quoniam non ad
niateriam Scripturas, sed niateriam ad Scripturas excogitavit et ta-
nicn plus abstulit et plus adjecit, auferens proprietates singulorum
quoque verborum et adjiciens dispositiones non comparentium re-
rum (Tertull. de Prœscripl. liœrelicor. c. xxxviii).» Saint Irénée et
saint Epipliane, qui ont écrit aussi contreValenlin, ne l'ont jamais ac-
cusé d'avoir rejeté les Evangiles.
(4) Iren. ^dv. hœres. l. i,c. xxv. Epiphan. Hœres. xxvii, c. v.
DE L'aUTHEXTICITÉ DES ÉVANGILES. 197
sée Britannique possède une version copte de cet ou-
vrage , laquelle a servi à Woide pour l'édition de son
Nouveau-Testament copte. Or, cette traduction contient
plusieurs passages tirés de nos quatre Evangiles. — Ba-
silide , natif d'Alexandrie. , et qui vivait assez près des
temps apostoliques, est encore un témoin que nous pou-
vons invoquer en faveur de la thèse que nous soutenons.
En effet, au rapport d'Eusèbe, Agrippa Castor, dans un
ouvrage que cet historien avait lu , faisait mention de
vingt-quatre livres que Basilide avait composés sur l'E-
vangile. Or cette expression, V Evangile ( rô z-'jxyyih.o-j),
n'ayant aucune autre détermination , ne peut dési-
gner que les écrits évangéliques contenus dans le canon
du Nouveau-Testament. Car s'il s'agissait d'un Evangile
apocryphe, Eusèbe n'aurait pas manqué d'en faire la
remarque, d'autant mieux que cette expression pure et
simple a toujours signifié les Evangiles canoniques,
comme les mots l'Ecriture, Zes£'cnït(?'es, n'ont jamais été
employés par les auteurs sacrés et les écrivains ecclé-
siastiques dans un sens autre que celui d'écrits qui font
partie du canon sacré. Et si Agrippa eût voulu parler
de l'Évangile de Basilide, Eusèbe, qui nous apprend
cette particularité, aurait nécessairement dit son Evan-
gile au lieu de l'Evangile. D'ailleurs , dans un fragment
d'Isidore, fils de Basilide, et chef d'une école gnostique
comme son père, fragment rapporté par Clément d'A-
lexandrie au commencement de son livre m des Stro-
mates, nous lisons le commentaire d'une réponse faite
par Jésus-Christ à ses disciples. Or, le texte qui a
fourni ce commentaire n'est pas tiré d'un Evangile apo-
cryphe , mais il est évidemment emprunté de celui de
saint Matthieu (xix, 11, 12). Enfin, il est encore à re-
198 DE L'ÂUTHEXTICITÉ DES ÉVANGILES.
marquer que les pères , tels que Clément d'Alexandrie ,
saint Epiphane et Origène, qui ont écrit contre les basi-
lidiens, ne leur ont jamais reproché de ne pas admettre
l'authenticité de nos Évangiles. Cette observation peut
très-bien s'appliquer à Carpocrateetà son fils Epiphane,
qui répandaient leurs erreurs dans la première partie du
second siècle; jamais saint Irénée et saint Epiphane ne
les en ont accusés. Ces illustres docteurs nous appren-
nent au contraire que les carpocratiens cherchaient à
établir leur infâme doctrine sur des passages de nos
Evangiles (1).
Avant de passer aux témoignages des auteurs païens,
jetons avec Olshausen un coup d'oeil en arrière, et rap-
prochons les dépositions des principaux témoins que
nous avons interrogés séparément et l'un après l'autre;
ce rapprochement nous fournira une nouvelle preuve
plus frappante, ou confirmera au moins celles que nous
avons déjà exposées. Vers l'an 140 ou 150 de l'ère chré-
tienne, saint Anicet, évéque de Rome, pape, saint Poly-
carpe de Smyrne , disciple de saint Jean et de plusieurs
autres apôtres, saint Justin, qui appartenait à l'église de
Palestine et qui avait visité celle d'Alexandrie ; d'un au-
tre côté, Marcion de Sinope, ville de Pont, et Valentin
d'Alexandrie, hérétiques également célèbres, mais d'o-
pinions très-différentes, se trouvaient tous réunisàRome.
A cette époque, notre canon évangélique y était mani-
festement reçu, et cependant ces habiles docteurs n'ont
point réclamé contre l'authenticité des Evangiles ; au
contraire, ils se sont accordés à les reconnaître, quoique
des intérêts de secte ou d'opinion dussent porter plu-
(1) Iren. Adv. hœres. 1. 1, c. xxv. Epiphan. Hœres. xxvii, c. v.
DE l/AUTHteNTICITË DES ÉVANGILES. 199
sieurs d'entre eux à la combattre. Or, cet accord una-
nime parmi des hommes qui ne se sont point entendus
sur tout le reste, prouve jusqu'à l'évidence même com-
bien était universelle et ancienne la conviction des
Églises diverses auxquelles ils appartenaient et dont
quelques-uns d'entre eux étaient les chefs. Remarquons
encore que ces cinq témoins sont très-anciens puisqu'ils
étaient nés avant la mort de saint Jean ; et comme ils
avaient des principes différens et diamétralement oppo-
sés, la supposition qu'ils aient reçu ces Évangiles les
uns des autres, devient absolument impossible. L'Église
romaine elle-même, malgré sa grande autorité, n'aurait
jamais pu faire recevoir l'Evangile de saint Matthieu
ni celui de saint Marc à Alexandrie, ni celui de saint
Jean en Asie , si les chrétiens instruits par les apôtres
n'en eussent jamais entendu parler. « Si le canon évan-
gélique, dit Olshausen, avait été l'ouvrage d'un seul
parti tel que les valentiniens, ou d'une église particu-
lière, celle de Rome, par exemple, les autres n'auraient
jamais pu s'accorder à l'admettre. Comment en effet les
marcionites ou les orthodoxes auraient-ils reconnu les
livres des valentiniens , les livres sur lesquels ceux-ci
fondaient leurs doctrines? Comment encore les Alexan-
drins, les Syriens, les Asiatiques, auraient-ils accepté
des Evangiles venus de Rome, sans avoir d'ailleurs au-
cun indice de leur authenticité? Ce recueil eût-il été
facilement introduit en Asie, si les disciples de Jean
n'eussent été certains, et si les églises elles-mêmes de
cette province ne se fussent bien assurées auparavant
que l'Évangile contenu dans ce recueil sous le nom de
saint Jean était réellement l'ouvrage de cet apôtre? De
son côté, Rome aurait-elle admis le canon, si les chré-
200 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
tiens qui vivaient dans son sein avaient appris de leurs
pères que Luc n'avait point écrit d'Evangile ou en avait
écrit un différent ? Et si les fidèles de Syrie, de Palestine
et d'Alexandrie en Egypte eussent entendu dire la même
chose au sujet de Matthieu et de Marc, auraient-ils jamais
voulu adopter un recueil mensonger d'Evangiles qui
auraient porté faussement et par fraude ces noms véné-
rables (1)?»
3. Les auteurs païens et les ennemis du nom chrétien
qui vivaient au second siècle concourent également à
nous fournir des preuves irrécusables de l'origine apo-
stolique de nos Évangiles. Nous citerons en première
ligne, Celse, philosophe païen, qui a paru vers le milieu
de ce siècle. Il a composé contre les chrétiens un ou-
vrage intitulé Discours véritable (àÀ/jO/î? lôyoc], etqu'Ori-
gène, dans la réfutation qu'il en a faite, nous a conservé
en très-grande partie. Or, ces nombreux fragmens re-
produits dans Origène sont plus que suffisans pour con-
vaincre tout critique impartial que Celse reconnaissait
réellement l'authenticité de nos Evangiles, et qu'il sup-
posait même qu'ils étaient universellement admis par
les chrétiens contre lesquels il écrivait. D'abord, ce
philosophe nous apprend lui-même qu'il avait vu chez
des prêtres chrétiens des livres barbares où figuraient
des noms de démons et des récits de prestiges (2). Il dit
ailleurs, après avoir objecté aux chrétiens une multitude
de faits, qu'il les a empruntés à leurs Ecritures mêmes,
n'ayant pas besoin de recourir à aucun autre témoin .
Or, Origène traduit ce mot Ecritures par nos Evangiles;
et d'ailleurs ces faits cités par Celse se lisent réellement
(1) Olshausen, Die Echihcil etc. Scit. 395, 396.
(2) Origen. Contra Celsum, l. vi, n. 40. édit» de La Rue.
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 201
dans ces divins livres (1). Dans un autre endroit il af-
firme qu'il passe sous silence beaucoup de choses qu'il
aurait à dire de JÉsu§, choses qui sont vraies, et qui se
trouvent en opposition avec celles que ses disciples ont
écrites (2). Enfin, il se sert du mot même Evangile, sùa-y-
yilio^j (3). Or, en faut-il davantage pour prouver que
Celse connaissait nos Evangiles, surtout lorsque l'on
considère que c'est dans ces divins livres qu'il puise
presque toutes ses attaques contre les dogmes chrétiens,
et qu'Origène lui-môme suppose toujours dans sa réfu-
tation que son adversaire cite nos évangélistes, en lui
reprochant seulement de ne les avoir pas lus avec assez
d'attention? N'oublions pas qu'en désignant leurs écrits
par le mot Evangile, mis au singulier, Celse suppose
évidemment que nos quatre Evangiles étaient déjà réu-
nis en un seul corps d'ouvrage, et que par conséquent
le canon évangélique existait à cette époque. Mais don-
nons quelques preuves plus explicites du témoignage de
Celse en faveur de l'authenticité de chacun des Évangiles
en particulier : 1° Il est incontestable que le philosophe
païen a connu le livre de saint Matthieu. En effet, il
parle de tous les événemens contenus dans les deux
premiers chapitres de cet évangéliste et qui n'ont été
rapportés par aucun autre, tels que l'étoile qui conduisit
les Mages, leur arrivée à Bethléhem, les devoirs qu'ils
rendirent au Sauveur nouveau-né, les présens qu'ils lui
firent; les persécutions d'Hérode ; l'apparition de l'ange
à Joseph pour l'avertir de se tenir en garde contre les
embûches d'Hérode ; la fuite de Bethléhem et le séjour
(1) Origen. ibid. l. ii, «. 74.
(2) Origen. ibid. l. ii, n. 13.
(3) Origen. ibid. l. n. n. 27.
9.
202 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
de JÉSUS en Egypte (1). Mais ce qu'il faut bien remar-
quer, c'est que Celse dit avoir tiré tous ces faits des
Évangiles des chrétiens (2). Il rapporte aussi la voca-
tion des apôtres, et cite même ces paroles de saint Mat-
thieu (x, 23) : (( S'ils vous poursuivent dans une ville,
fuyez dans une autre (3). » Il parle encore de la prédic-
tion de la trahison de Judas et des reniemens de saint
Pierre, de la prière de Jésus-Christ au jardin des
Oliviers (xxvi, 39) : Mon Père, que ce calice, s il est pos-
sible, s'éloigne de moi; du fiel et du vinaigre donnés à
Jésus-Christ dans sa passion, des prodiges arrivés à
sa mort, des ténèbres et des tremblemens de terre, tels
qu'ils sont décrits parle même évangéliste. Ce n'est pas
tout, Celse dit encore que Jésus-Christ a guéri les
aveugles et les boiteux, ressuscité les morts, prédit la
venue des faux prophètes qui opéreraient des prodiges;
il nous parle de cette voix du ciel qui déclare Jésus-
Christ fils de Dieu (4-) ; etil rapporte plusieurs maximes
contenues dans le sermon sur la montagne, maximes que
JÉsus,selonlui,aempruntéesdesécritsdePlaton,etqu'il
s'est attribuées; il en produit d'autres qu'il met en oppo-
sition avec la loi de Moïse (5) . Après cela, est-il encore
permis de douter que Celse ait connu l'Evangile de saint
Mat'hieu? — Ce philosophe, il est vrai, cite peu de pas-
sages qui soient exclusivement propres à saint Marc,
puisque tous les faits évangéliques qu'il produit se lisent
également dans saint Matthieu ; cependant, quand il
(1) Origen. ibicl. l. ii, n. 28, 34, 68, Ci, 66.
(2)0rigen. z7>îd. n.74.
(3) Origen. ibid. 1. 1, n. 65.
(4) Origen. ifcîrf. /. II, w. 9, 12,18, 20,24,37,48,49,53,55,72.
(5) Origen. ihid, L vi, n. J6j vn,n, 18, 58, 61 ; viii, n. 7, 8.
DE L'aUTHEKTICITÉ DES ÉVANGILES, 203
objecte (1) qu'il n'y a qu'une femme qui ait vu Jésus-
Christ ressuscité, et encore une femme frénétique (râ-
pot(Trpoç)j il fait certainement allusion à saint Marc (xvi,
5, 8) , le seul des évangélistes qui aient remarqué en effet
que les femmes qui étaient allées au sépulcre du Sau-
veur pour embaumer son corps, furent effrayées de l'ap-
parition de l'ange [i^i^ai/.^rfimot.v), et qu'elles s'enfuirent
tremblantes (rcôy-oç) et comme hors d'elles-mêmes (.-'xc-ra-
(jLç) . — L'Évangile de saint Luc n'était pas moins connu
de Celse : ce philosophe se plaint dans un endroit de
l'insolence des généalogistes (rcù? yîvîa/oyyio-avTKc), qui
font remonter la généalogie de Jésus jusqu'au premier
homme, Adam (2). Or cette particularité ne se trouve
que dans saint Luc, le seul des évangélistes qui conduise
la généalogie du Sauveur jusqu'à notre premier père
(Luc. III, 23, 38) . — Enfin, Celse rapporte une multitude
de passages qui prouvent qu'il avait eu sous les yeux
l'Evangile de saint Jean. Cet ennemi du nom chrétien
parle en effet de la doctrine du Verbe considéré comme
fils de Dieu, doctrine qui appartient exclusivement à
cet évangéliste. Il parle encore d'une liqueur sortie du
corps de Jésus-Christ crucifié, et de la demande faite
au Seigneur d'un signe qui devait prouver sa divinité.
Or, ces particularités se rencontrent uniquement dans
saint Jean (3) . Celse rapporte encore l'expression : Le
Fils de Dieu est venu d'en haut ; il dit aussi que selon les
chrétiens Jésus-Christ avait prévu et prédit ce qui
devait lui arriver ; enfin il emploie les mots lumière et
(1) Origen. fè/fi. l. n, n. 55, 59.
(2) Origen. ibid. l. ii, n. 32.
(3) Voy. Origen. ibid. l. u, 31, 36; L i, 61, et com^ar. Joan, i^ 1;
XIX, 34j n, 18.
204 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
lue pour désigner le divin Sauveur. Or, toutes ces cir-
constances et toutes ces expressions ne se trouvent en-
core que dans l'Evangile de saint Jean (1). Bretschnei-
der a bien essayé de détruire ces preuves tirées de Celse
en faveur de l'authenticité de l'Evangile de saint Jean,
mais ses objections nous ont paru si faibles, que nous
n'avons pas cru devoir les rapporter {*2).
Nous pourrions ajouter au témoignage de Celse celui
de Porphyre, qui, sans contester l'authenticité de nos
Évangiles, s'est attaché uniquement à en attaquer la vé-
rité; nous pourrions y joindre encore celui de Julien
l'Apostat, qui n'a pas fait difficulté de reconnaître que
nos Évangiles étaient réellement l'ouvrage de Matthieu,
de Marc, de Luc et de Jean ; mais comme le premier de
ces ennemis du christianisme n'a écrit qu'au troisième
siècle, et ce dernier au quatrième, époques auxquelles
tout le monde avoue que nos Evangiles étaient unanime-
ment reçus, il est inutile d'insister sur leurs témoignages.
Telles sont les preuves d'authenticité qui nous sont
fournies par les monumens de l'histoire, et que l'on
trouve amplement développées dans quelques écrivains,
tels que Lardner, Paley, Chr . Frid. Schmid , Hug, et sur-
tout Olshausen, qui nous a beaucoup servi dans cette
discussion (3). Il faut convenir qu'il n'est pas un seul
livre profane un peu ancien dont l'authenticité repose
(1) Yoy. Origen. ibid. l. i, n. 50; /. ii, n. 13, 49, et comparez
Joan. m, 31; viii, 23; xviii. Quant aux expressions lumière, vie,
elles sont appliqués à Jésus-Christ presque à chaque page de l'Évan-
gile de saint Jean.
(2) On peut voir au surplus Olshausen, qui s'est donné la peine de
les réfuter dans Die Echllieit,etc.Seit. 349-354.
(3) iS, Lardner, Tlie credibility of the Gopel liistory: cet ouvrage,
DE l'authenticité DES ÉVA^'GILES. 205
sur des raisons extrinsèques aussi fortes et aussi nom-
breuses. Voyons si les preuves intrinsèques qui militent
en faveur de nos Evangiles possèdent ces qualités.
II. Preuves INTRINSÈQUES. Les preuves intrinsèques,
qu'on nomme aussi critiques, reposent, comme l'a re-
marqué Cellérier, et comme on peut le conclure de tout
ce que nous avons déjà dit nous-même dans le courant
de cette Introduction, tantôt sur une ressemblance de
style et d'idées entre un livre qu'on examine et les au-
tres écrits du même auteur ; tantôt sur des coïncidences
minutieuses entre les faits cités ou supposés, et ce que
d'autres documens nous apprennent des mœurs et de
l'histoire des mêmes temps ; tantôt sur l'absence des ana-
chronismes ou des méprises, dont les faussaires n'ont
jamais pu se garantir ; tantôt sur ce ton de candeur et
de naturel que l'imposture ne peut jamais imiter, sur
ces aveux, ces mots naïfs, empreints d'une bonne foi qui
porte nécessairement la conviction dans l'esprit des lec-
teurs (1) . Or, plus on étudie les Évangiles en eux-mêmes,
et plus on y découvre d'une manière frappante tous ces
caractères d'authenticité. L'exposé suivant ne laissera,
nous l'espérons, aucun doute à cet égard. Nous y sui-
vrons presque pas à pas le critique qui, à notre avis, a
le mieux traité ce sujet, le savant Hug, que nous avons
déjà cité plus d'une fois dans ce chapitre (2).
traduit en latin avec une préface de Christoph. Wolf, a paru à Brème,
en 1730. — Avieiv of thc évidences of Christianiiij,hjV<\\\\u.m Paley:
ce livre, traduit en français, par D. Levade, a été imprimé à Lau-
sanne, en 1806. — Hisloria et vinclicalio canonis, auctore Chr. Frid.
Schmid.
(1) J. E. Cellérier, De Vorirjine authentique et divine du Nouveau-
Testament, pag. 51, 64, Genève, 1829.
(2) Voy. Hug, Einleit. in die Schriften des lY. T. Th. i, S.7, ([.
206 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
1 . Supposons un homme instruit, judicieux et doué en
particulier des connaissances nécessaires pour bien ap-
précier un ouvrage sous le rapport de la critique, et en
même temps un homme qui n'a jamais entendu parler
de nos quatre Évangiles, et entre les mains duquel on
les met pour la première fois , s'il vient à les ouvrir, à
les lire attentivement et sans prévention aucune , enfin
s'il prend la peine de les analyser et de les juger seule-
ment d'après ce qu'ils contiennent, voici l'opinion qu'il
se formera indubitablement de leur origine, de leur an-
tiquité, et du caractère de leurs auteurs. Il verra d'abord
que ces livres sont écrits en grec, mais dans un grec
qui n'est point conforme à aucun des dialectes de cette
langue, c'est-à-dire un grec dégénéré, qui dans la signi-
fication et l'arrangement des mots aussi bien que dans
la construction grammaticale, les locutions et les tour-
nures, approche si fort de l'hébreu, qu'on ne peut s'em-
pêcher de conclure que leurs auteurs sont des Juifs d'o-
rigine, qui pensant en hébreu écrivent en grec. Il ne
tarde pas non plus à s'apercevoir que ce sont des écri-
vains étrangers aux sciences des Grecs et à leur manière
d'écrire l'histoire; des hommes du peuple qui, avec
quelques connaissances des écritures judaïques, n'ont
aucune prétention à la littérature profane, à laquelle ils
ne font même jamais aucune allusion. Il remarquera en-
core que malgré la brièveté et la simplicité de leurs ré-
cits, ils dépeignent avec tant de vivacité et de naturel
tout ce qu'ils nous racontent, décrivant avec tant de vie
l'attitude et les mouvemens des personnes qu'ils mettent
en action et l'impression produite sur les témoins, qu'ils
semblent avoir encore sous les yeux ces diverses scènes.
Oui, nous le répétons, voilà ce que dira infailliblement
DE L AUTHENTICITÉ DES ÉVANGILES. 207
tout critique impartial qui, d'après les seules données
des caractères internes, cherchera à se former une opi-
nion sur ces livres. Or, c'est là précisément ce que pen-
sent tous les chrétiens. Suivant eux, les auteurs de ces
ouvrages sont saint Matthieu , saint Marc , saint Luc
et saint Jean, tous Juifs d'origine pour qui le grec n'était
point la langue maternelle, qui écrivaient dans un grec
particulier aux Juifs hellénistes, et empreint de tous les
idiotismes propres à la langue hébraïque; des hommes
qui par leur état et par leur profession n'avaient pu
recevoir une éducation relevée, qui devaient ignorer les
sciences et les arts, et n'avoir d'autres connaissances
que celle de leurs livres sacrés . Saint Luc seul, qui était
médecin et avait reçu une éducation plus soignée, se dis-
tingue des trois autres par un style plus pur et plus
correct, quoiqu'il ne soit pas non plus exempt d'hé-
braïsmes. Ces mêmes hommes, qui vivaient dans les der-
niers temps de la république juive, avant la destruction
de Jérusalem, furent tous ou témoins des faits qu'ils ra-
content, ou disciples de témoins oculaires qui les avaient
instruits. Par conséquent, ils ont dû donner à leur récit
cette vivacité, ce naturel, cette forme dramatique qu'on
ne manque jamais de retrouver dans les écrivains qui
ont vu les événemens se passer sous leurs yeux.
2. De plus, cet observateur attentif, pour ne pas se
tromper sur l'époque de la composition de ces livres, de-
vra partir de ce principe incontestable, que les histoires
des hommes qui ont eu quelque célébrité portent tou^
jours l'empreinte du siècle et du pays où elles ont été
composées , qu'elles supposent les lois civiles, les cou-
tumes et les mœurs du pays et de l'époque où vivaient
les personnages qui jouent quelque rôle dans ces his-
208 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
toires ; que cette empreinte est d'autant plus forte que
l'historien était plus rapproché lui-même de cette épo-
que ; de manière que s'il remarque cette couleur du
siècle dans les moindres détails, et s'il voit que l'au-
teur, sans même y penser, fait une allusion continuelle
à tout ce qui avait lieu dans ce siècle, il ne pourra s'em-
pêcher d'en inférer que cet auteur a réellement vécu du
temps où il fait agir celui dont il écrit l'histoire, parce
qu'il est moralement impossible qu'un écrivain plus ré-
cent prenne aussi parfaitement la couleur et l'empreinte
d'un siècle et d'un pays auxquels il est étranger. Or, si
cet observateur judicieux applique cette règle de critique
à nos ^quatre Évangiles , il ne tardera pas à conclure
qu'ils ont été écrits dans les temps et par les auteurs aux-
quels les chrétiens les rapportent. De savans écrivains
nous ont tracé l'histoire du temps où a vécu Jésus-
Christ ; ils nous ont fait connaître la forme du gouver-
nement et les lois civiles qui régissaient les Juifs à cette
époque ; les rois et les gouverneurs auxquels ils étaient
assujettis ; la religion et les sectes qui les divisaient; leur
esprit et leurs préjugés à cette même époque ; ils nous
ont parlé des différentes monnaies qui avaient cours
parmi eux ; ils sont entrés dans des détails minutieux
sur la topographie du pays, du temple, de la ville et de
tous les lieux de la Palestine ; ils ont fait remarquer les
noms que portaient différentes villes en ce même temps
et qu'elles ont perdus plus tard. Or, en comparant tout
ce que nous disent nos évangélistes, avec les recherches
faites par ces savans, on y trouve le plus merveilleux ac-
cord. Tous les efforts des critiques les plus habiles et
les plus ennemis du christianisme pour trouver en défaut
nos saints Evangiles, ont été jusqu'ici sans succès. Ce
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 209
qu'on avait cru d'abord être une difficulté s'est changé
en preuve après un plus mur examen. Mais établissons
notre assertion sur des preuves plus précises, et pour
cela entrons dans quelques détails.
Les évangélistes nous parlent des souverains de la
Judée au temps de Jésus-Christ, d'Hérode le Grand,
de son successeur Archélaiis, et d'un autre Hérode qui
avait épousé Hérodiade, la femme de son frère; ils font
mention d'un certain Ponce Pilate qui gouvernait la Ju-
dée dans le même temps qu'Hérode était tétrarque de
la Galilée, Philippe son frère tétrarque de l'Iturée et
de la Traconite, et Lysanias tétrarque d'Abylène. Enfin
ils citent un certain Caïphe qui était grand prêtre dans
le même temps que Pilate gouvernait la Judée. Or, tous
ces divers personnages, sur lesquels il était si facile à
un écrivain moderne de se méprendre, ont tous existé
et gouverné dans les temps assignés par les évangélistes,
comme nous l'apprend l'historien Joseph, qui vivait à
peu près à la même époque.
Les évangélistes nous représentent les Juifs comme
très-zélés pour leurs Ecritures, pour la sainteté de leur
temple, pour l'observation de leurs lois et en particulier
pour celle du sabbat, et en même temps comme très-
corrompus dans leurs mœurs; de manière que les Juifs
qui accusèrent devant Jésus-Christ la femme adultère,
se trouvèrent tous coupables du même crime. Si nous
parcourons les autres parties du tableau que les évan-
gélistes nous ont tracé , nous y verrons les Juifs servile-
ment attachés à la lettre de la Loi, et en négliger tout-
à-fait l'esprit ; nous les verrons se porter par un zèle
mal entendu aux plus grandes violences, supporter avec
peine le joug des Romains, et soupirer ardemment après
210 DE L'AUTIIENTICITÉ DÈS ÉVANGILES.
leur liberté, ce que prouve clairement la question cap-
tieuse faite à Jésus-Christ sur l'impôt exigé parCésar,
question qui, soit dit en passant, suppose de plus l'é-
poque précise où ce divin Sauveur a vécu ; car plus tôt
ou plus tard elle n'aurait aucun sens. En un mot, nous
verrons dans les Juifs un peuple asservi qui menace de
rompre ses chaînes et qui, par sa rébellion et sa haine,
va bientôt allumer l'incendie qui doit consumer ses
villes et son temple. Tels sont, disons-nous, les Juifs
d'après les évangélistes : or, il suffit de lire attenti-
vement les livres de la Guerre des Juifsy composés par
Joseph, pour voir que ce sont précisément les traits
sous lesquels il les dépeint lui-même à cette période
de leur histoire.
Les évangélistes nous font envisager les pharisiens et
les saducéens comme deux principales sectes qui divi-
saient les Juifs à leur époque. Ils n'oublient pas les Sa-
maritains, contre lesquels les Juifs conservaient toujours
une grande animosité ; et, chose admirable, ils font tou*
jours parler le Sauveur d'une manière entièrement con-
forme aux principes et aux préjugés de ces différentes
sectes. Par exemple, quand Jésus-Christ parle aux
pharisiens, il leur reproche non seulement leur zèle
outré pour leurs traditions, qu'ils mettent au-dessus de
la Loi, mais encore leurs jeûnes affectés, leurs aumônes
faites par ostentation, leur orgueil, leur hypocrisie, et
la fureur de leur prosélytisme. Au contraire, quand il
s'adresse aux saducéens, c'est un tout autre langage;
il les traite d'ignorans et de charnels qui, s'arrêtant à
la lettre des Écritures, sans en pénétrer l'esprit, nient
la résurrection des morts. S'il a à traiter avec les Sama-
ritains, ce sont d'autres idées et un langage différent :
DE L'AUTHENTtClTfi DES ÉVANGILES. 211
ainsi il ajoute au reproche d'ignorance l'accusation de
schisme , et il leur déclare que le salut doit venir des
Juifs. Enfin, si c'est au peuple assemblé qu'il parle, il
emploie encore un autre ton et un autre langage; mais
ses discours n'en sont pas moins tous puisés dans le ca-
ractère moral de cette nation, que l'Evangile nous re-
présente tantôt comme zélée et religieuse, tantôt comme
emportée, violente, impétueuse et facile à se laisser en-
traîner dans des démarches téméraires dont elle ne se
donne jamais le temps de calculer les conséquences ;
tantôt enfin comme attendant avec ardeur la venue du
Messie, mais c'est d'un Messie conquérant qui doit la
délivrer du joug de ses ennemis. Or, c'est exactement
là le portrait que Joseph et tous les historiens con-
temporains nous ont tracé des Juifs, des pharisiens,
des saducéens et des Samaritains au temps de Jésus-
Christ.
Les évangélistes supposent qu'à l'époque où vivait le
Sauveur, il y avait chez les Juifs un [mélange de lois
juives et de lois romaines. Ce que dit Jésus-Christ
dans saint Matthieu (v, 25) sur la nécessité de se récon-
cilier avec son frère, est effectivement fondé sur une loi
romaine qui donnait droit au créancier de se saisir de
son débiteur et de le conduire devant le juge, de ma-
nière que s'il ne s'accordait pas avec lui sur le chemin,
il était condamné par le juge à une amende qu'il devait
payer sur-le-champ ; autrement il était mis en prison,
d'où il ne pouvait sortir qu'il n'eût payé jusqu'à la der-
nière obole. La parabole du débiteur rapportée encore
dans saint Matthieu (xviii, 23), suppose tout à la fois
une coutume juive et une loi romaine. La première par-
tie de cette parabole suppose un roi, c'est-à-dire un
212 DE l'authenticité DES ÉVA^'GILES.
tétrarque qui, pour ce qui le concernait, n'était point
soumis aux lois romaines ; mais la seconde, qui parle du
serviteur que le principal débiteur prend à la gorge et
qu'il jette dans un cachot, suppose une loi romaine ex-
cessivement dure qui donnait droit au créancier de se
saisir de la personne de son débiteur et de le retenir
en prison jusqu'à ce qu'il eût payé toute sa dette. Mais
ce qui montre davantage le mélange des coutumes jui-
ves, grecques et romaines, ce sont les différentes espèces
de monnaies qui avaient cours à l'époque où nous sup-
posons qu'écrivaient les évangélistes. Nous voyons dans
l'Evangile tour à tour en usage; le sicle hébreu, le di-
drachme grec et le fZemer romain. Or, ce mélange de lois
et de coutumes si différentes nous reporte nécessaire-
ment au temps où vécut le Sauveur, temps auquel en
effet les Juifs, après avoir été soumis aux Grecs, se trou-
vaient sous la domination des Romains, qui avaient in-
troduit parmi eux leurs lois et leurs monnaies, comme
l'avaient sans doute fait auparavant les Grecs eux-
mêmes . Ajoutons que l'emploi de ces monnaies se trouve
parfaitement en rapport avec la position de la Judée à
l'époque de Jésus-Christ. Les impôts antérieurs à la
domination des Romains sont évalués en monnaies grec-
ques; par exemple la capitation (Matth. xvii, 2i. Jo-
seph. Debello Jud. vu). C'est dans celles-là que l'on
fait des dons au temple (Marc, xii, /i-2.Luc. xxi,2), et
c'est d'après l'ancienne monnaie nationale que l'on
compte une somme payée par le trésor du sanctuaire
(Matth. XXVI, 15). Mais toutes les fois qu'il est question
d'affaires civiles, d'achats, de négoces, de salaires, il
n'est parlé que de pièces romaines (Matth. x, 29; xx, 2.
Marc. XIV, 5. Luc. xii, 6.Joan. vi, 7; xii, 5). Les nou-
DE L'aUTIIEMICITÉ DES ÉVANGILES. 213
veaux impôts sont également évalués dans la monnaie du
peuple qui soumet la Judée à son empire (Matth. xxii,
19. Marc. ?vii, 15. Luc. xx, 2i;.
Les évangélistes, dans la description qu'ils 'nous font
des lieux où se sont passés les événemens qu'ils racon-
tent, s'accordent parfaitement avec ce que les auteurs
juifs et profanes nous apprennent de la topographie de
la Palestine à cette époque. Des écrivains laborieux ont
employé leurs veilles à rassembler tout ce qui se trouve
dans Philon, dans Joseph, dans le Talmud et autres mo-
numens anciens, touchant l'état topographique de la Pa-
lestine au temps où vivait Jésus-Christ, et quoique
leurs savantes collections ne soient pas encore complètes,
cependant elles nous en apprennent assez pour que nous
puissions juger sûrement de l'exactitude des auteurs du
Nouveau-Testament en général et de ceux de nos Evan-
giles en particulier. Or, jamais on ne trouve nos évan-
gélistes en défaut; assez souvent même ils complètent
ce qui manque dans la collection de ces savans. Les
exemples suivans nous en fournissent des preuves posi-
tives. Et d'abord saint Jean (xix, 13) racontant la pas-
sion de Jésus-Christ, dit que Pilate, qui était dans le
prétoire, entendant les clameurs des Juifs, sortit avec
le Sauveur, et s'assit sur son tribunal dans un lieu nommé
Lithostrotosy qui par conséquent n'était pas éloigné de
son palais. Or, Joseph parle de ce même lieu comme
d'une dépendance du temple près du bourg Antonia.
D'un autre côté, Philon nous apprend par hasard que
la demeure du gouverneur romain, ou le prétoire, était
dans le palais d'Hérode (1), que nous savons avoir été
(1) Joseph, De Bell. Jud. l,^^l, c. i, n. 8, edit. Haverc. Philo, D&
lerjat. ad Caïum.
214 DE l'aUTHKNTICITÉ DES ÉVANGILES.
situé au nord-ouest du temple et du bourg Antonia.
Saint Pierre et saint Jean guérissent un boiteux à la
Belle-Porte du temple, et de là ils vont au portique de
Salomon ; circonstance topographique confirmée par Jo-
seph, qui nous dit dans un endroit de ses ouvrages qu'il
y avait à l'ouest une porte distinguée par sa beauté, et,
dans un autre, que du même côté se trouvait le portique
de Salomon (1).
Bethphagé, d'après les évangélistes (Matth. xxi, 1.
Marc. XI, l.Luc.xix, 29), n'était pas dans l'enceinte
de Jérusalem, quoiqu'il en fut assez près . Or, d'après un
passage du Talmud de Babylone qui, selon Hug, n'avait
pas été entendu jusqu'ici, et sur le sens duquel Lightfoot
s'était lui-même mépris, telle était effectivement la po-
sition topographique de Bethphagé (2).
L'Evangile place des receveurs d'impôts à Jéricho et
à Capharnatim ; or, nous savons par l'histoire qu'une
des plus riches productions de la Judée, c'est-à-dire le
baume, se recueillait aux environs de Jéricho et néces^
sitait par conséquent le ministère d'un receveur dans
cette ville. De plus, les Phéniciens et surtout les Arabes,
apportant en Palestine leurs marchandises par le Jour-
dain , passaient ce fleuve vis-à-vis de Capharnaûm (3),
où devait naturellement se trouver le receveur des im-
pôts pour recevoir le droit d'entrée.
Saint Luc nous dit (vu, 1-11) que Jésus partant de
Capharnaûm en Galilée, vint à Naïm, et que de là s'a-
vançant le long du Jourdain, il arriva aux environs de Jé-
(1) Joseph.Z)ei?e//. Jwd. /.v, c. V, «. 3,et ^»fîg. /. xx, c. ix, n.7.
(2) Hug, Einleil. Th. i, S&il. 18-20.
(3) Justin, Epiiome Trogi, l. xxxv, c. m. Sirabo, l. XYi.
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 215
rusalem . Or, Joseph nous apprend que quand les Gali-
léens traversaient la Samarie pour se rendre à Jérusalem
aux jours de fête, ils passaient par Nais, qui est incon-
testablement Naïm(l).
Saint Jean nous parle (iv, 5) de Sichar, c'est-à-dire
Sichem, selon qu'on en convient généralement. Or, tel
était en effet l'ancien nom de cette ville de Samarie, nom
qui peu de temps après Jésus-Christ fut changé en
celui de Néapolis, que nous trouvons sur les médailles
frappées après la ruine de Jérusalem. Le même évan-
géliste dit (xii , 21) de l'apôtre saint Philippe qu'il était
natif deBethsaïde en Galilée. Or, cette ville, qui au temps
de saint Jean portait effectivement le nom de Bethsaïde
et qui était considérée comme appartenante la Galilée,
parce qu'on y parlait galiléen, perdit bientôt son ancien
nom et s'appela d'abord Césarée et ensuite Juliade, du
nom de Julia, fille d'Auguste. Sous le règne de Tibère,
cette ville reprit le nom de Césarée : enfin, après la mort
de Tibère, elle s'appela encore Juliade, et elle ne fut
plus considérée comme faisant partie de la Galilée. Or,
peut-on supposer qu'un auteur qui aurait écrit long-
temps après ces événemens n'aurait pas appelé cette ville
dequelqu'undecesnouveauxnoms,etluiauraitconservé
son ancienne dénomination hébraïque j5e^/isaïc?e, qu'on
ne trouve dans aucun des auteurs qui en ont parlé depuis
Jésus-Christ? Nous pourrions pousser plus loin ce dé-
tail, mais nous nous contenterons de renvoyer le lecteur
curieux d'en savoir davantage sur ce sujet à Lithfoot,
Reland, Wetstein et à tous les autres écrivains qui ont
parlé de la géographie de la Palestine au temps de JÉ-
(1) Joseph. Antiq» L xx, c. vi.
216 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
sus-Christ. D'ailleurs nous croyons en avoir assez dit
pour convaincre tout homme impartial de l'exactitude
topographique de nos évangélistes.Or, cette exactitude
est une démonstration invincible de l'authenticité de
leurs écrits ; car la face topographique d'un pays varie
presque à chaque instant. L'activité de l'homme, les arts,
l'agriculture, les phénomènes de la nature, la politique
et la guerre, lui donnent, dans un court intervalle, un
aspect tout différent. Les villes sont détruites ou per-
dent leurs noms, les déserts se couvrent d'habitations,
les pays cultivés se changent en solitudes, les fleuves
sont détournés, les routes publiques prennent une autre
direction. Or, dans un temps où l'on ne connaissait point
de cartes géographiques, il était bien difficile à un écri-
vain qui vivait un certain temps après les événemens
qu'il raconte, de les placer toujours dansleurs vrais lieux.
Les meilleurs historiens profanes sont tombés dans de
grossières méprises à cet égard, dès qu'ils ont eu à par-
ler de temps antérieurs à leur siècle. Ainsi, ce n'est pas
seulement à Virgile qu'on a fait ce reproche, c'est encore
à Quinte-Curce et à Tite-Live lui-même. Ce dernier, par
exemple, oubliant entièrement la différence des temps
et des circonstances, confond la géographie ancienne
avec la nouvelle ; car il parle de Sinuesse, de Praeneste,
d'Arpi, noms modernes usités de son temps, lorsqu'il
aurait dû nommer Sinope, Argos, Hippium et Stéphane.
C'est de cette manière qu'on a découvert l'imposture de
Philostrate, historien du fameux Apollonius de Thyane.
Il nous assure avoir composé son histoire d'après les
mémoires de Damis , compagnon de voyage de ce philo-
sophe, et cependant sa narration est presque toujours
en contradiction avec l'état des lieux où il le fait voya-
DE L'aUTIIEXTICITÉ DES ÉVANGILES. 217
ger. Ainsi, il conduit son héros à Babylone, qu'il nous
décrit comme une {jrande et superbe cité, tandis qu'à
cette époque Babylone n'offrait plus qu'un désert, qu'une
vaste ruine. Il commet par rapport à Sparte une bévue
non moins grossière ; il nous la représente comme une
ville libre, dans le temps môme qu'elle se trouvait asser-
vie au joug des Romains (1). C'est encore ainsi qu'on a
découvert que l'histoire de la guerre des Juifs que nous
avons sous le nom d'IIégésippe , était apocryphe. L'au-
teur, qui se dit contemporain d'Antonin et de Commode,
nous parle de Constantinople, de l'Ecosse, de la Saxe,
qui n'existaient point alors, ou qui portaient des noms
bien différens (2) . Mais s'il est difficile à un historien
moderne de décrire la topographie d'un pays comme
elle existait dans les temps anciens, il l'est encore bien
davantage, quand il s'agit d'une contrée comme celle
des Juifs au temps de Jésus-Christ. «Rappelons-nous
en effet, dit Cellérier d'après Hug, rappelons-nous la po-
sition unique où se trouvait la Terre-Sainte entre les
bouleversemens religieux, politiques, géographiques,
moraux, qui précédèrent et suivirent immédiatement
cette époque, lorsque divisée, et toujours d'une manière
nouvelle, entre les procurateurs romains, les Hérodes et
les gouverneurs de la Syrie, la Palestine passait des uns
aux autres, suivant le caprice des Césars, tout en con-
servant quelque chose de ses lois propres et de ses ma-
gistrats accoutumés; lorsque voyant tous les jours quel-
ques-unes de ses villes recevoir de ses tyrans un nom
(J) P^ila Apollon, Tlujan.per Philosirat. Lcmn. Scn. l. i, c. xviii;
/. IV, c. II.
(2) Hcgesipp. De bcllo Jud. l. ui, c. v ; l. v, c. xv.
V. 10
218 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
nouveau ou être victime de leur furie, elle perdait rapi-
dement sa physionomie antique, et remplaçait son an-
cienne topographie par une topographie nouvelle qui
allait disparaître à son tour ; lorsque, séjour de trois
peuples différens de mœurs et de langage, les Hébreux,
les Hellénistes et les Romains, elle en recevait nécessai-
rement à la fois la triple empreinte, et lorsque tour à
tour prise par Pompée, opprimée par Hérode, désolée
par Titus, et presque anéantie par Adrien, qui détruisit
cinquante grandes villes et neuf cent quatre-vingt-cinq
villages (1), elle semblait enfin changer chaque jour de
nom, d'aspect et de lois, comme d'habitans et d'oppres-
seurs. Comment un imposteur, un siècle après, se serait-
il tiré de ce dédale et aurait-il su retrouver les noms, les
mots, la langue, l'autorité qui correspondait précisément
à la chose, au lieu, à l'instant dont il avait à parler?
Or, toutes ces méprises qu'il pourrait avoir faites, nous
sommes en état de les découvrir. Les travaux des savans
modernes, leurs recherches érudites, les témoignages
des auteurs profanes, comparés et discutés avec soin,
nous en fournissent complètement les moyens. — Cet
examen a été fait. — Eh bien! chose remarquable, cet
examen sévère, dirigé souvent par des intentions mal-
veillantes, a toujours eu le même résultat, celui de dé-
montrer l'étonnante exactitude de nos écrivains sa-
crés (2).» Indépendamment des coïncidences que nous
avons déjà remarquées entre les récits évangéliques et
les sources de l'histoire profane, Lardner, Michaëlis et
(1) Dio Xiphilio. in niaHadnan.pag. 266. H. Sieph. in-S'>. Ed.
J-Techel. pag. 974.
(2) J. E.Ccllérier, £ssai d'une Inlrod, ail. au JV. T. pag. 8-10.
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 2l9
Paley en ont signalé une foule d'autres, qui sont d'autant
plus convaincantes qu'elles ne paraissent point recher-
chées par les évangélistes, qu'elles sont souvent très-
peu saillantes, en sorte qu'il faut beaucoup d'étude et
d'attention pour les découvrir; enfin qu'elles se présen-
tent en si grand nombre, qu'elles ne peuvent venir du
hasard. Nous ne saurions nous empêcher d'en citer
quelques-unes qui nous sont fournies par Paley (1).
Selon les évangélistes, le grand prêtre qui présidait
à la condamnation de Jésus-Christ se nommait Caïphe,
et exerçait la souveraine sacrificature dans le même
temps que Pilate était gouverneur de la Judée. Or, ce
fait se trouve confirmé par Joseph, qui ne s'en est cer-
tainement pas douté. En elîet, cet historien raconte en
passant l'élévation à la souveraine sacrificature d'un
certain Joseph aussi a'ppelé Caïphe; immédiatement
après il rapporte que Pilate devint gouverneur de la
Judée. Plus tard, il nous apprend la destitution de Pi-
late, et peu après celle de Caïphe. Il résulte de ces diffé-
rentes circonstances lorsqu'on les rapproche, que, sui-
vant Joseph, Caïphe fut grand prêtre avant l'arrivée de
Pilate et ne cessa de l'être qu'après la destitution de ce
gouverneur; ce qui est conforme au récit évangélique.
D'après la narration de saint Luc, deux personnages dif-
férons, Anne et Caïphe, portent en même temps le titre
de grand prêtre, nous avouons que cela peut étonner ;
aussi en a-t-on fait la matière d'une difficulté; mais
comme Joseph, aussi bien que l'évangéliste, donne quel-
quefois ce même titre à deux personnages différons, il
(1)W. Paley, Tableau, des preuves évidenies du chris nanisme ;
iyaUuit de l'anglais pai' D. Lcvade, /. ii, pag. 153-161.
?20 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
s'ensuit que le passage de saint Luc est inattaquable, et
que cela tenait à quelque usage ancien ou à quelque
autre circonstance qui nous est inconnue.
Nous lisons dans l'Évangile que Pilate fit attacher à la
croix du Sauveur un écriteau hébreu, grec et latin. Or
Suétone et Dion Cassius nous apprennent que les Ro-
mains étaient dans l'usage d'afficher près des condam-
nés le motif de leur supplice. Aces autorités, nous pou-
vons joindre celle de Joseph. Cet historien nous apprend
en effet que les autorités juives promulguaient ainsi leurs
avis en plusieurs langues.
D'après les évangélistes, Jésus-Christ fut frappé de
verges avant d'être mis en croix. Or trois passages de
Joseph et un de Tite-Live nous font voir que telle était
la coutume des Romains de flageller ceux qu'ils con-
damnaient au supplice de la croix.
L'Évangile nous montre Jésus portant lui-même la
croix sur laquelle il allait être attaché. Or, Plutarque
nous apprend que ce raffinement de cruauté était encore
usité chez les Romains dans ces derniers temps.
Enfin saint Jean rapporte qu'à la prière des Juifs, Pi-
late fit rompre les jambes des deux larrons qui étaient
crucifiés avec Jésus-Christ (xix, 31, 32). Or Aurélius-
Yictor, auteur païen faisant l'éloge de l'édit de Constan-
tin qui abolit le supplice de la croix, rappelle la circon-
stance de rompre les jambes [cruribus suffringendis).
Ainsi les caractères internes de nos quatre Evangiles
prouvent invinciblement l'authenticité de ces divins
écrits.
IIL Preuve indirecte. Les raisons que nous ve-
nons de faire valoir dans le développement de notre
proposition suffisent sans doute pour convaincre tout
DE lA\UTIIENTIClTft DES ÉVANHILES. 521
esprit raisonnable de l'authenticité de nos Évangiles;
cependant , pour ne pas laisser à nos adversaires
l'ombre même d'un prétexte plausible, nous allons
montrer qu'il est tout-à-fait impossible que ces divins
écrits aient été supposés.
1 . Les docteurs de l'Eglise , en remontant depuis le
second siècle de l'ère chrétienne jusqu'aux temps apo-
stoliques, forment en faveur de l'authenticité de nos
Evangiles une chaîne de témoignages à laquelle il ne
manque pas un seul anneau. ?vous l'avons prouvé, ce
nous semble, d'une manière irrécusable. Nous ajoute-
rons qu'Origène , qui suit immédiatement les pères du
second siècle, qui a été disciple de saint Clément, et son
successeur dans l'école d'Alexandrie, Origène affirme
qu'il tient de la tradition que les quatre Evangiles seuls
sont admis sans contradiction dans toute l'Eglise deDiÉU
qui est sous le ciel (1). Cette tradition existait en effet
dans toutes les églises, parce que toutes avaient été fon-
dées par les apôtres ou par leurs successeurs , et qu'à
mesure qu'ils fondaient une église, ils lui remettaient le
livre des saints Evangiles , et y étabUssaient des pas-
teurs (2) ou évêques, qui étaient chargés du dépôt, c'est-
à-dire de la saine doctrine et des livres sacrés dans les-
quels elle était contenue, et qui, rendus dépositaires,
devaient le garder avec soin , et le remettre pur et en-
tier à leurs successeurs (1 Timoth.vi, 20) . Or, demande
avecraisonle cardinal deLaLuzerne,àqui nous emprun-
tons le fond de notre preuve, « quel homme aurait eu un
pouvoir assez fort pour faire recevoir à quelques églises
(1) Origen. in Maiih. l. i, apnd Eusel). Hist. EccL l. vi, c. xxv.
(2) Euseb. Hist. EccL L m, c. xxxyii.
222 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
nos Evangiles comme les seuls venant des apôtres ; nn
pouvoir assez étendu pour les faire recevoir à toutes
sans exception, un pouvoir assez absolu pour les faire
recevoir ainsi sans réclamation (1)?»
2. Le court intervalle qui s'est écoulé entre les au-
teurs sacrés auxquels nous attribuons les Evangiles et
les premiers pères qui déposent en faveur de leur au-
thenticité , rend la supposition d'autant plus difficile,
que c'était dans la religion un point tellement impor-
tant de savoir de qui étaient les livres fondamentaux
de la foi, qui contenaient les faits, les dogmes, les pré-
ceptes du christianisme, que les maîtres ne manquaient
pas de l'apprendre à leurs élèves.
3. ((La critique, dit judicieusement Cellérier, a trop
de ressources , pour qu'un livre supposé puisse résister
aux investigations successives d'hommes savans, qui le
comparent tour à tour avec les livres de la même épo-
que, avec les monumens plus anciens , et avec les faits
plus récens , qui l'explorent sous le point de vue des
temps, des mœurs , des lieux et de la langue , qui , ve-
nant les uns après les autres , recommencent toujours
cet examen avec une capacité, une ardeur et une érudi-
tion nouvelles. L'expérience le prouve, et l'on peut af-
firmer qu'aucune imposture historique n'a pleinement
réussi. Les plus adroites ont fini par paraître grossiè-
res (2).)) Cela est vrai de tout livre ordinaire, mais bien
plus encore d'un livre qui intéresse vivement une société
entière , qui fait son titre constitutif , qui renferme le
(1) C, G. de La Luzerne, Dissertations sur la vérité de la religion,
l.i, pag. 34. Par/s, 1840. Méquignon Junior.
(2) J. E. Cellérier, De l'origine autlienliquc et divine du i>^. T.
pag. 115-HC.
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 223
code de ses doctrines et de ses lois morales, et qui, en
nn mot, est la base de sa religion. Il est incontestable,
pour quiconque a lu l'histoire comparée des Romains et
des chrétiens , que les premiers ne portaient pas plus
d'intérêt aux actions de leurs ancêtres, que ces derniers
aux faits évangéliques. Or, aurait-on jamais pu persua-
der aux Romains que les histoires qui portent les noms
de Tite-Live et de Tacite étaient de ces auteurs, si elles
ne fussent réellement sorties de leur plume? Cependant
jamais ce peuple n'a eu pour ces écrivains le respect
profond que les chrétiens avaient pour les fondateurs de
leur religion; ce qui est dire qu'ils auraient bien moins
souffert qu'on leur attribuât des écrits qu'ils n'auraient
pas composés; car, plus ils avaient de vénération, de dé-
férence et de soumission pour leur autorité, plus ils exa-
minaient avec attention si ce qu'on leur disait venir de
leur part en venait réellement.
k. Avant le troisième siècle , les apôtres avaient ré-
pandu leur prédication dans l'Italie, dans l'Egypte, dans
la Grèce , dans l'Asie-Mineure et dans plusieurs autres
pays; et dans chaque région ils avaient fondé plusieurs
églises. Or, n'est-ce pas le comble du ridicule que d'i-
maginer qu'un faussaire ait pu non seulement persua-
der à tant de sociétés ainsi dispersées que des ouvrages
dont elles n'avaient jamais entendu parler étaient de
leurs premiers fondateurs , mais encore faire adopter à
cette multitude innombrable d'hommes, en même temps
et sans réclamation de la part d'aucun d'eux , une im-
posture qu'ils avaient tant d'intérêt et de facilité à dé-
voiler? La supposition de ces livres divins devient plus
incroyable encore, quand on considère qu'il aurait fallu
les faire recevoir à plusieurs sociétés opposées entre
224 DE t^AUTIIENTICITÉ DÈS ÉVANGILES.
elles , à des sectes ennemies les unes des autres ; car
l'histoire ecclésiastique nous apprend que dés les pre-
miers siècles il s'est formé dans le sein du Christianisme
des hérésies animées d'une haine mortelle contre l'É-
glise, qui de son côté les condamnait sévèrement. Or,
les deux camps étaient trop ennemis et trop attentifs à
veiller les uns sur les autres, pour qu'une fraudé de cette
nature pût s'introduire et surtout s'établir. Si l'un des
partis avait essayé de faire passer de nouveaux écrits
sous le nom des apôtres, l'autre aurait-il pu l'ignorer ?
Aurait-il voulu le souffrir ? Dira-t-on que l'un des deux
ayant commis l'imposture , a eu le pouvoir de la faire
adopter à l'autre , ou qu'ils se sont accordés pour la
commettre ensemble? Il nous semble que l'incrédulité
devrait rougir de se voir réduite à choisir entre ces
absurdités.
5. Pour avoir même une simple apparence de raison
dans leur prétention , d'ailleurs si peu fondée, nos ad-
versaires devraient au moins assigner l'époque où nos
quatre Évangiles, œuvre d'un ou de plusieurs faussai-
res, ont été frauduleusement introduits dans le christia-
nisme sous les noms de Matthieu , Marc , Luc et Jean .
Or c'est ce qu'ils n'ont jamais pu et ce qu'ils ne pour-
ront jamais faire avec quelque ombre de probabilité ; et
c'est à bon droit que le cardinal de la Luzerne s'écrie
en parlant de ces incrédules : « Nous leur portons hau-
tement le défi d'indiqi^r un temps oii la fraude ait été,
nous ne disons pas seulement effectuée, mais possible.
Assignera-t-on le temps oij les apôtres vivaient encore?
Mais alors il faut dire que la supposition s'est faite ou à
leur insu, ou de leur consentement, ou de leur opposi-
tion : toutes ces hypothèses se réfutent d'elles-mêmes.
DE L'aUTIIFXTICITÉ DES ÉVANGILES. 225
Veut-on que ce soit après la mort des apôtres que les
Évangiles aient été produits ? D'abord l'assertion serait
réfutée par les témoignages des pères apostoliques que
nous avons cités, par l'impossibilité que nous avons re-
marquée d'abuser tant d'églises différentes , tant de
sectes opposées. De plus, les apôtres avaient formé des
disciples, avaient laissé des successeurs chargés du gou-
vernement des églises : aurait-on pu en imposer à tous
ces personnages , et leur faire prendre pour des écrits
de leurs maîtres des ouvrages dont leurs maîtres ne leur
auraient jamais parlé? Aurait-on pu les associer tous à
la fraude, et les engager à recevoir tous unanimement,
comme ouvrage des apôtres , des livres qu'ils auraient
su n'être pas des apôtres? Enfin passera-t-on aux âges
suivans pour y placer la supposition des Evangiles? Plus
on la recule, plus on la rend incroyable et impossible.
Un plus grand nombre de pères antérieurs qui ont cité
les livres saints démontre la fausseté de l'assertion ; un
plus grand nombre d'églises fondées dans des pays plus
éloignés rend l'unanimité plus impraticable; un plus
grand nombre de sectes rend le concert plus absurde (1) .»
Ainsi le système de la supposition frauduleuse de nos
Evangiles, déjà déraisonnable parce que personne n'au-
rait pu effectuer cette supposition , l'est encore parce
que dans aucun temps on n'aurait pu la faire. Ajoutons
qu'une fraude de cette nature n'aurait jamais pu s'in-
troduire, quelque précaution qu'on eût prise pour la te-
nir secrète, sans que les ennemis du christianisme, si
acharnés contre lui et si attentifs à saisir toutes les ma-
nières de le combattre, n'en eussent eu aucune connais-
(1) C. G. de I.a Luzerne, Dissert. t. ï,pafj. 43, 44.
10.
226 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
sanc8, et s'en fussent servis comme d'une arme propre
à faire triompher leur cause. Cependant pas une seule
réclamation ne s'est élevée de leur part. D'un côté les
Juifs, qui dans une foule d'écrits non seulement se sont
répandus en invectives et en injures sanglantes contre
la religion du Christ, mais encore lui ont opposé tous
les argumens que l'esprit humain puisse imaginer, et de
l'autre Celse, Porphyre et Julien, qui, comme nous
l'avons montré plus haut, connaissaient les Evan-
giles et en attaquaient la véracité, n'en ont jamais con-
testé l'origine apostolique. Bien plus, Julien les attribue
formellement à leurs auteurs, et il combat la divinité du
Sauveur en disant que ni Paul, ni Matthieu, ni Luc, ni
Marc n'en ont parlé , et que Jean est le premier qui ait
osé la mettre en avant (1).
Il résulte de cet exposé que l'origine apostolique de
nos quatre Evangiles se trouve démontrée par les trois
sortes de preuves qui servent ordinairement dans la cri-
tique à établir l'authenticité d'un livre, c'est-à-dire par
les preuves intrinsèques, extrinsèques et indirecte. Ajou-
tons qu'il n'est pas un seul livre de l'antiquité profane
qui réunisse autant de caractères d'authenticité, et que
ce concert de preuves est si manifeste et si frappant ,
qu'il n'y a pas lieu à former raisonnablement le doute le
plus léger sur celle de nos quatre Evangiles. Cependant
certains esprits osent encore s'inscrire en faux contre
cette vérité : voyons si les difficultés qu'ils opposent à
notre démonstration sont de nature à l'infirmer.
(l) Cyrill. Alex. Contra Jitlianum, l. x.
DE l'authenticité des EVANGILES. 227
DiffimJtés j)roposées contre l'authenticité des Evangiles ,
et Réponses à ces difficultés (1) .
Obj. 1° II est incontestable, disent nos adversaires,
que dès les premiers temps de l'Eglise , et à l'époque
même dont datent les quatre Evangiles qui passent pour
être de saint Matthieu, de saint Marc, de saint Luc et
de saint Jean, il a été publié une multitude de livres apo-
cryphes sous le même titre d'Evangiles. Fabricius, qui
a recueilli tout ce qu'il a pu en rassembler, en compte
cinquante. Il est incontestable encore que chacun de
ces écrits avait dans le temps ses partisans. D'où il ré-
sulte évidemment que le témoignage de l'ancienne tra-
dition qu'on invoque en faveur des quatre Évangiles re-
çus dans l'Eglise chrétienne ne saurait établir solidement
leur authenticité.
Rép. Avant de répondre directement à l'objection ,
nous devons faire quelques observations sur les Evan-
giles et autres livres apocryphes. Premièrement, on ap-
pelle ordinairement apocryphçs des ouvrages qui ne sont
pas des auteurs dont ils portent les noms ; mais dans la
matière que nous traitons , on a compris sous ce mot
généralement tous les écrits composés sous des titres
semblables à ceux des livres sacrés du Nouveau-Testa-
ment; de sorte que le mot apocryphes a réellement ici
deux sens bien différens, l'un qui veut dire , en parlant
d'un livre , qu'il porte faussement le nom d'un écrivain
qui n'en est effectivement pas l'auteur, et l'autre qu'il
(1) On peut consulter, outre l'ouvrage du cardinal de La Luzerne
que nous venons de citer, La certitude des preuves du christianisme y
part, I, par Bergier, et l'Autorité des livres du iV. T., par Du Voisin.
238 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
n'a point été composé sous l'inspiration divine , c'est-à-
dire que ce n'est pas un livre inspiré. Or, il est bien im-
portant de distinguer dans lequel de ces deux sens l'on
prend ce mot, lorsqu'on dit d'un Évangile qu'il est apo-
cryphe. En second lieu, parmi les Évangiles que l'on
appelle apocryphes, les uns, catholiques, ont été compo-
sés dans des vues droites et pieuses par des chrétiens,
qui ayant recueilli par écrit ce qu'ils avaient entendu ,
soit des apôtres, soit de leurs disciples, croyaient pou-
voir donner àleurs écrits le nom à' Evangile; mais comme
ils n'avaient pas écrit sous l'inspiration divine, leurs com-
positions, sans être rejetées comme des ouvrages mau-
vais ou vicieux, ni reçues avec le respect qu'on porte aux
livres inspirés, étaient pourtant considérées comme des
écrits ecclésiastiques. Il est assez vraisemblable que les
auteurs de ces Évangiles leur avaient donné les noms
des différens apôtres qui les avaient instruits ; d'où est
venu le titre d'Evangile de saint Pierre , d'Evangile de
saint Ândréf etc. Les autres Évangiles apocryphes ve-
naient des hérétiques, soit qu'ils eussent été entièrement
composés par des sectaires, comme ['Evangile de laj^er-
fection, l'Evangile d'Eve, etc. , soit que ce fassent des
ouvrages qui, primitivement rédigés par les fidèles d'a-
près la prédiction des apôtres ou de leurs disciples ,
avaient été ensuite altérés par les hérétiques et adaptés
à leurs erreurs, mais en conservant cependant les noms
des apôtres, qu'ils portaient déjà, parce que ces noms
pouvaient leur donner plus de crédit et d'autorité ; tels
sont les Evangiles de saint Pierre^ de saint Thomas y etc.
— Après ces observations, nous répondrons : l-^ Nous
n'avons rien de certain sur le temps où ont été com-
posés les Évangiles catholiques, bien qu'ils paraissent
DE l'authenticité dks évangiles. $29
très-anciens ; car il y a toute apparence que c'est de
ces écrits apocryphes que parle saint Luc au commen-
cement de son Evangile, lorsqu'il dit que plusieurs ont
entrepris d'écrire l'histoire des choses qui se sont passées
de son temps. — 2" Il est certain que les Evangiles apo-
cryphes des hérétiques n'ont été composés qu'après ceux
de nos trois premiers évangélistes. Hégésippe, historien
ecclésiastique qui vivait au milieu du second siècle, fait
remonter l'origine des hérésies à un certain Thébutis,
qui travailla secrètement à répandre l'erreur dans l'É-
glise dès l'an G2 (1). Saint Irénée atteste que les héré-
tiques sont de beaucoup postérieurs aux évêques à qui
les apôtres avaient confié les églises (2). Enfin Clément
d'Alexandrie dit en propres termes que les hérésies fu-
rent imaginées seulement sous l'empire d'Adrien (3).
Quant aux cinquante écrits apocryphes cités par Fabri-
cius, ce critique les a réduits lui-même à quarante, et
ils peuvent sans contredit se réduire encore à un nom-
bre moindre , vu que plusieurs d'entre eux ne diffèrent
que par l'intitulé, et que d'un autre côté quelques Évan-
(1) Hegesip. apudEnseh.Hist. Eccl. l. iv, c. xxii.
{Vilren.Adv.yiœres.l. v, c. xx, n. 1. Voici les propres paroles de
saint Irénùe : « Omnes enim ii valde posteriores sunt quam epis-
copi quibus apostoli tradiderunt ecclesias : et hoc in tertio liiiro
cum omni diligentla manifestavinius.» En supposant, ce qui paraît
incontestable, que les hérétiques soient postérieurs au temps où les
apôtres confièrent les églises à leurs successeurs, et non point préci-
sément à l'époque de leur mort, puisqu'il est prouve par saint Irt-née
lui-même {lib. m), et par plusieurs monumens ecclésiastiques, que
saint Polycarpe, par exemple, a vécu en même temps que Basilide,
Valentin, Marcion, etc., notre preuve n'en conserve pas moins toute
sa force.
(3) Glcm. hXcx.Slromat, L vit; c. xvii.
2.30 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
giles , primitivement canoniques , ayant été interpolés
dans la suite par des hérétiques de sectes différentes ,
ont pris les divers noms de ces sectaires et ont été con-
sidérés comme formant des évangiles différens. Ainsi',
par exemple, l'original hébreu de saint Matthieu ayant
été altéré par les additions des nazaréens, est devenu
V Evangile des Nazaréens, l'Evangile des Hébreux, VE-
vangile des Syriens. D'une autre part, ce même ouvrage
de saint Matthieu, corrompu et mutilé par les ébionites,
a pris le nom de ces hérétiques et celui de Gérinthe. On
peut même assurer qu'il n'est pas différent ni de celui
qui passe sous le nom de Barthélemi , parce que cet
apôtre porta l'Evangile hébreu de saint Matthieu dans
les Indes , d'où Pantène le rapporta à Alexandrie (1) ,
ni de ceux de Barnabe et des douze apôtres. Quant à
l'Evangile de saint Pierre, c'est celui de saint Marc in-
terpolé par les docètes : c'est aussi l'ancien Evangile
des Égyptiens. De même l'Evangile de Marcion n'était
autre que celui de saint Paul , et ces deux représentaient
l'Évangile de saint Luc mutilé. D'un autre côté , l'É-
vangile des encratites ne différait pas de celui de Ta-
tien, qui, comme nous l'avons dit plus haut, avait com-
posé une sorte de concordance tirée de nos quatre
Évangiles, d'où il avait retranché ce qui était contraire
à ses fausses doctrines. Enfin il y a toute apparence que
les Évangiles des valentiniens, des gnostiques, des ba-
silidiens, n'étaient au fond que celui de saint Jean, mais
altéré de différentes manières (2). Quoi qu'il en soit,
(1) Eusèbe, Hist. Eccl. l. v, c. x, et Hieronjm. Catalog. c. xxxvi.
(2) On peut consulter sur celte matière, Cotelerius, Patres uposio-
lici, t. i.Giâhc, Spicilegiiim, t. i. Fabricius, Codex apocryphus IV. T,
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 231
cette multiplicité d'Evangiles s'explique facilement en
partie par l'abus du nom même d'évangile, qui, signi-
fiant en grec bonne, heureuse nouvelle, a été donné dans
les premiers siècles de l'ère chrétienne non seulement
aux Evangiles proprement dits, mais encore à tous les
autres livres du Nouveau-Testament , aux histoires de
JÉscs-CiiRiST et de la très-sainte Vierge, et même aux
professions de foi et aux livres dogmatiques et moraux
des hérétiques. Elle s'explique encore par la simplicité
des chrétiens , qui , comme nous venons de le dire ,
croyaient pouvoir donner le nom d'Evangiles aux écrits
qu'ils composaient. Enfin elle s'explique par la malice
des hérétiques , qui à l'aide d'Évangiles fabriqués ou
falsifiés , cherchaient à établir et à propager leurs er-
reurs. — 3° On nous objecte que les Evangiles apocry-
phes ont eu anciennement leurs partisans. Cette asser-
tion exige quelques explications. S'il s'agit des livres
des hérétiques, nous dirons : Il est tout naturel qu'ils
aient eu quelques partisans ; c'étaient des ouvrages de
parti; mais ils n'avaient de fauteurs que dans la secte à
laquelle ils appartenaient , et ils comptaient pour ad-
versaires tout le reste des chrétiens , soit catholiques ,
soit hétérodoxes, qui d'un accord unanime les rejetaient
comme faux et supposés. Ajoutons que toutes les an-
ciennes hérésies n'ayant eu qu'une existence très-courte,
leurs Evangiles sont tombés avec elles, et il n'est plus
resté personne qui ne fût convaincu de la fausseté. S'il
Birch, Auctarium codicis apocrijphi N. T. Fabriciani. Jean-Charles
Thilo, professeur à l'université de Halle, a recueilli tous les évangiles
apocryphes qui sont parvenus jusqu'à nous, et en a donné une édi-
tion faite d'après les manuscrits, les versions, et les citations des au-
teurs ecclésiastiques qui les ont connus {Leipzig, 1832).
232 DE L'AtJïnÉNtîCltÉ DES ÉVANGILES.
est question des Évangiles apocryphes catholiques, nous
dirons également qu'il est tout simple qu'ils aient eu
aussi des partisans ; car ces sortes d'écrits étaient con-
formes, du moins sur les faits principaux, à nos quatre
Évangiles, et ils composaient par conséquent des histoi-
res véritables pour le fond et quant aux événemens les
plus importans. — k" Il est facile maintenant de montrer
toute la fausseté de la conclusion de nos adversaires ,
savoir que le témoignage de l'ancienne tradition qu'on
invoque en faveur des quatre Évangiles reçus dans l'É-
glise chrétienne ne saurait établir solidement leur au-
thenticité. Et d'abord les Évangiles liérétiques n'ont ja-
mais eu qu'un très-petit nombre de défenseurs, et ils ont
disparu comme non authentiques avec les sectes aux-
quelles ils devaient leur origine. Pendant leur courte
existence, ils ont été sans cesse attaqués et combattus ,
tant par les chrétiens orthodoxes que par les hétérodoxes
eux-mêmes, comme ayant été fabriqués, en tout ou en
partie , uniquement pour accréditer quelque secte par-
ticulière. Tandis qu'au contraire nos quatre Évangiles,
reconnus pour authentiques dès les premiers temps par
l'Église universelle déjà répandue dans la Judée, dans
r Asie-Mineure, dans la Grèce et dans l'Italie, et dans
beaucoup d'autres pays, ont traversé toutes les généra-
tions suivantes, non seulement sans perdre ce titre, mais
en recueillant à chaque siècle de nouveaux témoigna-
ges. Bien plus, et nous l'avons prouvé dans le dévelop-
pement de notre proposition , les premières hérésies ,
qui ne les admettaient pas, n'en ont jamais nié l'origine
authentique, elles en ont seulement contesté la véracité.
Quant aux apocryphes catholiques, on ne les a regardés
comme des livres inspirés et on ne les a révérés à l'é-
DR L'AUTIlFXTTCltÉ DKS ÉVÂNCILES. 233
gai des nôtres dans l'Église chrétienne à aucune épo-
que. Et ici , nous portons hautement le défi à nos ad-
versaires de nommer un seul auteur ecclésiastique qui
leur ait attribué une telle autorité; on les a reconnus
pour des ouvrages dont la lecture pouvait édifier : voilà
tout. Et jamais les incrédules que nous combattons ici
ne prouveront que les saints docteurs de l'Église sont
allés plus loin; qu'ils regardaient, par exemple, comme
écrits par les apôtres ceux de ces Évangiles qui por-
taient faussement leur nom. Dans les premiers siècles ,
comme à présent, beaucoup de personnes croyaient que
l'Épître de saint Barnabe n'était pas de lui, et cepen-
dant ces mômes personnes la recevaient comme un livre
utile et propre à édifier. De plus, si les premiers chré-
tiens, trompés par les titres des faux Évangiles, les
avaient reçus pour authentiques et traités avec ce res-
pect, cette vénération profonde qu'ils témoignaient pour
les quatre que nous possédons, pourquoi les auraient-
ils laissé périr ou tomber dans le discrédit"? Pourquoi
ne les auraient-ils pas fait passer, ainsi que ces derniers,
aux générations suivantes, comme un dépôt aussi sacré
et aussi précieux? Pourquoi la tradition ne nous aurait-
elle pas transmis les uns avec les autres (1)? Enfin, et
d'après surtout ce que nous avons dit jusqu'ici , nous
pouvons affirmer avec Bergier : «L'histoire des faux
Evangiles démontre l'authenticité des nôtres. 1° Les au-
teurs mêmes de ces faux Évangiles avouent cette au-
thenticité ou la supposent, malgré l'intérêt qu'ils avaient
de la nier pour mieux établir leurs erreurs : on vient de
(1) August. Contra advers. îefjis et prophel. l. \, c. x, n. 38, et De
Civit. Dei. l. x, c. xxiii, n. 4.
2 34 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
le prouver. 2° La conformité des faux Evangiles avec les
nôtres en plusieurs points n'a pu imposer aux catholi-
ques; ils les ont rejetés dès qu'ils ont vu qu'on n'avait
pas des attestations suffisantes de leur origine. Donc, au
contraire , ils n'ont conservé les nôtres que parce que
les églises fondées par les apôtres ont attesté unanime-
ment qu'elles les avaient reçus de leurs fondateurs. On
ne pouvait donc apporter plus de précautions dans le
discernement des Évangiles. L'histoire des faux Evan-
giles prouve donc que les nôtres ne sont point suppo-
sés, et qu'ils n'ont pas pu l'être (1). » Ainsi les Évangiles
apocryphes, soit hérétiques, soit catholiques, ne sau-
raient s'appuyer sur le témoignage de l'ancienne tradi-
tion, comme nos quatre, qui ont toujours unanimement
passé pour authentiques, ni par conséquent infirmer la
preuve que nous tirons du témoignage de cette même
tradition en faveur de leur authenticité.
Obj. 2" On ne peut tirer des citations des pères apo-
stoliques aucune preuve en faveur de l'authenticité des
quatre Évangiles, disent encore nos adversaires, vu que
ces pères ne les ont jamais désignés par leurs noms ,
tandis qu'ils ont cité au moins sept passages des Évan-
giles apocryphes, et qu'après tout, ils peuvent avoir fait
leurs citations, non point d'après des ouvrages écrits ,
mais d'après la tradition orale.
jRép. Cette objection renferme trois assertions bien
distinctes , savoir que les pères apostoliques n'ont pas
nommé nos évangélistes, que ces mêmes pères ont cité
au moins sept passages des Évangiles apocryphes , et
(1) r.ergier, La certitude des preuves du christianisme, pari, i,
ch. I, § 6.
DE L'aLTIIENTICITÉ DES ÉVANGILES. 235
enfin qu'ils pouvaient avoir appris par tradition les pa-
roles de Jésus-Christ, qu'ils citent sans les avoir pui-
sées dans des livres. Montrons la fausseté de chacune
de ces assertions, et surtout de la conséquence peu lé-
gitime qu'on en déduit. 1° D'abord il est faux de dire
que les pères apostoliques n'ontpas désigné nommément
nos évangélistes, nous avons vu plus haut (pag. 182,183)
Papias nommer expressément saint Matthieu et saint
Marc. Supposons même qu'ils ne les aient jamais dési-
gnés , on aurait encore tort d'en conclure qu'ils n'ont
pas cité leurs écrits ; car ces mêmes pères ont rapporté
plusieurs passages incontestablement reconnus pour être
de l'Ancien-Testament, sans toutefois dire de quel livre
ils les avaient empruntés. D'ailleurs, qui peut ignorer
qu'il n'est guère utile de désigner nommément le livre
que l'on cite que dans les discussions de polémique,
où il faut montrer la fidélité des citations ? Or les écrits
des pères apostoliques étaient simplement des leçons de
morale, des exhortations pieuses, et nullement des dis-
putes ; ils rappelaient les textes sacrés à des chrétiens
qui les connaissaient; aussi saint Clément et saint Po-
lycarpe disent-ils quelquefois aux fidèles quand ils leur
citent l'Ecriture, de s'en souvenir. lien est tout autre-
ment dans les ouvrages de saint Irénée, de Tertullien,
d'Origène et de leurs successeurs , qui avaient à soute-
nir des controverses contre les hérétiques. Au reste,
cette différence dans la manière de citer suivant la dif-
férence du genre d'écrire est tellement dans la nature,
qu'à toutes les époques de l'histoire ecclésiastique nous
la voyons fidèlement observée, et que de nos jours même
les prédicateurs rapportent communément des passages
de l'Écriture sans dire à quels livres ils les ont puisés,
530 DE L*AUTIIENtlClTl? DES ÉVANGILeS.
tandis que les écrivains polémiques suivent la méthode
contraire. Ainsi , quand bien même les pères apostoli-
ques, lorsqu'ils ont cité nos Evangiles, n'auraient pas
nommé une seule fois nos évangélistes, il ne s'ensuivrait
point que leurs citations viennent d'une autre source. Il
est vrai que ces pères ne rapportaient ordinairement pas
textuellement les paroles évangéliques ; mais cette ma-
nière ne leur était pas exclusivement propre, puisque
saint Justin , que nos adversaires avouent avoir connu
et employé nos Evangiles , ne les cite le plus souvent
que quant au sens, et n'en rapporte presque jamais les
textes à la lettre. D'ailleurs ils seraient bien mal avisés
d'insister sur cet argument, puisque noui aurions droit
de le tourner contre eux dans la seconde partie de leur
objection, comme on va le voir immédiatement. — 2° Les
sept passages qui , selon nos adversaires , auraient été
tirés d'Évangiles apocryphes, se trouvent, un dans saint
Paul, quatre dans le pape saint Clément , un autre dans
saint Barnabe, un septième enfin dans saint Ignace. Exa-
minons-les successivement l'un après l'autre. Saint Paul
dit donc dans les Actes (xx, 35 ) : « Il faut avoir soin
des infirmes, et se souvenir des paroles du Seigneur JÉ-
SUS ; car il a dit : Il est plus heureux de donner que de
recevoir. » Voici à ce sujet le raisonnement de nos ad-
versaires : Ces paroles ne se lisant pas dans les quatre
Évangiles que nous possédons , il faut nécessairement
qu'elles aient été tirées de quelqu'un des apocryphes.
Mais toutes les paroles de Jésus-Christ, pas plus que
tous ses miracles, n'ont été écrites : pourquoi donc l'A-
pôtre n'aurait-il pas pu apprendre celles-ci par la tra-
dition et les rapporter de mémoire ? N'est-il pas possi-
ble encore qu'il fosse allusion à ce que ce divin Sauveur
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 237
a si souvent répété sur le devoir de faire l'aumône et
sur le bonheur de ceux qui pratiquent les œuvres de mi-
séricorde ? Saint Clément dit dans sa première Épître
(n.23): «Malheureux sont ceux qui ont l'esprit dou-
ble et incertain; qui disent : Nous avons entendu aussi
CCS choses de nos pères, et voilà que nous avons vieilli
et que rien de cela ne nous est arrivé. » Dans la se-
conde (n. 11), le même pape dit : «Malheureux sont
ceux qui ont l'esprit double et le cœur incertain; car ils
disent : Nous avons entendu aussi toutes ces choses de
nos pères, et cependant, en attendant de jour en jour,
nous n'en avons rien vu. » Or c'est sans fondement que
nos adversaires veulent recourir ici à des Evangiles apo-
cryphes que nous ne connaissons pas, et dont nous n'a-
vons même aucun fragment. D'ailleurs ils se trouvent en
contradiction formelle avec leur propre principe , en
vertu duquel ils regardent comme n'appartenant pas à
nos Évangiles canoniques toute citation qui n'est point
accompagnée du nom de l'évangéliste. D'autant plus que
saint Clément ne dit pas que ces passages soient tirés de
quelqueEvangile, mais d'un endroit de l'Ecriture [Scrip-
tura illa ubi dicit) , d'un discours prophétique [dicit enim
sermo propheticus). Or ils se trouvent en grande partie
dans l'Ecriture (1), et surtout dans la secondeEpître de
saint Pierre (m, 3, i), où nous lisons : «Sachez avant
toutes choses qu'aux derniers temps il viendra des rail-
leurs pleins d'artifice qui suivront leurs propres pas-
sions , et qui diront : Où est sa promesse ? où est son
avènement? Car depuis que nos pères se sont endormis,
toutes choses persévèrent dans le même état où elles
(1) Compar. Jes, v, i9. Eccl. v, 1 seq. Jac. i, 8 ; iv, 8.
238 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
étaient au commencement du monde. » On objectera
sans doute que les paroles de l'Apôtre sont difîérentes
de celles de saint Clément ; mais ce pape citait de mé-
moire, et s'occupait moins des termes que du fond des
choses ; les deux passages même dont il s'agit nous en
offrent une preuve irrécusable , puisque le même texte
rapporté dans les deux épîtres s'y trouve reproduit dans
des expressions différentes. La troisième citation de saint
Clément, qu'on prétend être tirée des Evangiles apo-
cryphes , est celle-ci : a II nous dit donc : Gardez votre
chair et votre sceau sans tache , afin que vous receviez
la vie éternelle (Epist. ii, n. 8).» Mais d'abord saint
Clément n'attribue nullement ces paroles à JÉsus-
CiiRiST ; c'est une conséquence qu'il tire lui-même de
la doctrine du Sauveur, dont il vient de rapporter un
précepte. Et, en effet, immédiatement avant ces paroles,
nous lisons : «Car le Seigneur dit dans l'Evangile: Si
vous n'avez pas conservé une petite somme, qui vous en
confiera une grande? Car je vous le dis , celui qui est
fidèle dans les petites choses est fidèle aussi dans les
grandes (Matth.xxv,15etsuiv. Luc.xvi,10 et suiv.).»
La quatrième citation de saint Clément, qu'on allègue
comme étant tirée d'un Evangile apocryphe , est ainsi
conçue: «Le Seigneur ayant été interrogé sur le temps
auquel arriverait son règne, répondit : Lorsque deux ne
feront qu'un ; lorsque ce qui est dehors sera comme ce
qui est dedans , et que le mâle étant avec la femelle, il
n'y aura plus ni mâle ni femelle (Epist. ii, n. 12). »
Clément d'Alexandrie dit en effet, en rapportant de sem-
blables paroles , comme une objection faite par Julius
Cassien , chef de l'hérésie des docètes , qu'elles ne se
trouvent point dans nos quatre Evangiles , mais dans
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 239
celui des Égyptiens (1). Nous dirons, par rapport à cette
citation, qu'il est très-possible aussi que le pape saint
Clément ait appris par tradition cette réponse de Jé-
sus-Christ ; d'autant plus qu'il ne dit nullement que
ce soit dans un Évangile ni même dans un livre quelcon-
que qu'il l'ait puisée : ce qu'il fait cependant assez sou-
vent dans ses citations. Cette supposition se trouve en-
core confirmée par une remarque de Grabe, qui dit que
la réponse du Sauveur, que son règne arriverait lors-
que le mâle étant avec la femelle, il n'y aurait plus ni
mâle ni femelle, semble insinuer ce qu'il a exprimé en
termes les plus clairs dans notre Évangile canonique de
saint Luc (xx, 35); savoir que ceux qui seront jugés
dignes d'avoir part à cet (autre) siècle et à la résurrec^
tien des morts, ne se marieront 'plus et n épouseront plus
de femmes (2) ; car si cette observation est fondée ( et
comment prouverait-on qu'elle ne l'est pas ? ) , il en ré-
sulte nécessairement que la substance de la citation du
pape Clément se trouve dans un de nos Évangiles. Or,
qu'y aurait-il alors d'étonnant que ce saint pontife eût
appris le reste par tradition, et que la réponse entière
duSeigneur se soit conservée dans l'Évangile des Egyp-
tiens? Quant à la citation de saint Barnabe : « Comme
dit le Fils de Dieu: Résistons à toute iniquité, et ayons-
la en aversion (Epist. n.k), citation qu'on prétend être
tirée d'un Évangile apocryphe, nous pourrions à notre
tour douter de son authenticité, puisqu'elle ne se trouve
point dans le texte grec de cette Épître,et qu'elle se lit
(1) Clem. Alex. Slromat. l. m, c. xiii.
(2) Hieronyra. Catalog, mb voc. Ig^'at. et Comment, in Jes.
l. xvni.
240 DE L AUTHENTICITE DES ÉVANGILES.
seulement dans une ancienne version latine qui n'a
inspiré aux critiques qu'une assez faible confiance : ce-
pendant, outre cette réponse, nous en avons une autre
à opposer à l'objection. Non seulement il est possible
que saint Barnabe ait cité cet oracle du Sauveur par
tradition, mais le fait paraît constant ; car, qu'on par-
coure avec attention toutes les citations bibliques de ce
saint, et dans un si grand nombre on n'en trouvera pas
une seule qu'il n'indique d'une manière plus ou moins
expresse être tirée de quelque livre de l'Ecriture. Or,
pourquoi voudrait- on qu'il en ait usé tout autrement
par rapport à ce passage unique? On aurait d'autant
moins raison de le faire, qu'il se trouve immédiatement
précédé et suivi de deux citations accompagnées de la
formule : l'Ecriture dit [dicit enim Scriptura), par où
l'écrivain fait connaître assez clairement , ce semble ,
que s'il a supprimé cette formule pour ce passage seu-
lement , c'est qu'il ne prétendait pas le donner conime
emprunté d'un ouvrage écrit. Et qu'on ne dise pas que
saint Barnabe a voulu par là mettre une différence en-
tre les citations de l'Ancien-Testament et du Nouveau,
puisque en rapportant textuellement le passage de saint
Matthieu ( xxii , H) : il \j a beaucoup d'appelés, mais
peu d'élus , il emploie la formule dont il se sert aussi
dans les citations de l'Ancien-Testament : Comme il est
écrit [sicut scriptum est). Enfin, nos adversaires don-
nent comme tiré d'un Évangile apocryphe le passage
suivant de saint Ignace : «Lorsqu'il vint à ceux qui
étaient avec Pierre, il leur dit: Prenez, et touchez-moi,
et voyez que je ne suis pas un esprit [dœmonium] sans
corps (Epist. ad Smyrn. n. 3). » Saint Jérôme, à la vé-
rité, nous apprend que ces paroles se trouvaient dans
DE L AUTHENTICITÉ DES ÉVANGILES. 241
l'Evangile des Hébreux (1) ; mais cela ne prouve pas
précisément que c'est à cette source que saint Ignace les
a puisées. N'avait-il donc pu les apprendre de la tradi-
tion ? Est -il impossible aussi que le saint docteur les
ayant rapportées comme les tenant de cette même tra-
dition, les Hébreux les aient inscrites dans leur Évan-
gile, en se fondant sur l'autorité de ce père? Enfin, elles
peuvent très-bien venir de ce passage de saint Luc ra-
contant le même fait : « Touchez , et considérez qu'un
esprit n'a pas de la chair et des os comme vous voyez
que j'en ai (xxiv, 39). » C'est du moins le sentiment de
plusieurs critiques habiles même protestans, tels que
Casaubon, Leclerc, Pearson , Lardner ; et nos adver-
saires seraient fort en peine de leur donner un démenti
fondé. Ainsi la seconde assertion de nos adversaires se
réduit, en dernière analyse, à dire que deux citations
seulement, l'une de saintClément, l'autre de saint Ignace,
sont conformes à deux passages que nous savons s'être
trouvés , celui-là dans l'Évangile des Égyptiens, et ce-
lui-ci dans l'Évangile des Hébreux. Mais on ne saurait
rien en conclure contre l'authenticité des quatre Évan-
giles actuels , à moins qu'on ne prouvât que ces cita-
tions n'ont point été faites d'après une tradition, ou pri-
ses, quant au fond et à la substance, de nos évangélistes,
et qu'en les puisant dans les Évangiles apocryphes, les
saints docteurs ont attribué à ces écrits supposés l'au-
torité d'écrits authentiques. Or nous venons de renver-
ser les deux premières hypothèses ; quant à la dernière,
elle tombe en ruine d'elle-même, dès que l'on considère
que ni saint Clément ni saint Ignace n'ont dit un seul
(1) Hieronym. Caialoy. sub voc.Ig^at. cl Comment, inJes. l.wiii.
v. 11
242 DE L'aUTHEXTICITÉ DES ÉVANGILES.
mot qui puisse , en bonne critique , autoriser à penser
qu'ils aient tiré leurs citations d'un monument écrit. 11
est vrai que les pères en général qui ont employé les
Évangiles apocryphes les ont souvent cités avec véné-
ration ; mais comme ce qu'ils en empruntent sont les
paroles de Jésus -Christ, il est tout naturel qu'ils le
rapportent avec respect ; d'où il résulte que leur véné-
ration retombe plutôt sur les passages qu'ils citent que
sur les livres même qui les contiennent. Ils les ont re-
gardés comme utiles à l'édification ; mais il s'en faut
bien qu'en les citant ils les aient jamais mis sur la môme
ligne que les livres canoniques du Nouveau-Testament.
Les pères du second siècle, qui nous ont parlé les pre-
miers des Evangiles apocryphes , et qui les ont cités quel-
quefois, ne nous ont jamais appris qu'ils fissent autorité
dans l'Eglise. Clément d'Alexandrie , qui le premier a
fait mention de l'Evangile des Hébreux, ne le dit nulle
part; et quoique dans les premiers temps cet Évangile
ne différât pas de l'original de saint Matthieu , l'usage
en était limité aux chrétiens judaisans. Nous avons vu
saint Irénée déclarer expressément qu'il n'y a que nos
quatre Évangiles qui soient véritables, et ïertullien éta-
blir fortement l'autorité de ces mêmes écrits comme les
seuls qui aient une origine apostolique. Mais un fait
rapporté par Eusèbe prouve jusqu'à l'évidence que dans
les premiers temps de l'Église on mettait une grande dif-
férence entre nos Évangiles et les Évangiles apocry-
phes. Saint Sérapion, évêque d'Antioche, et contempo-
rain de TertuUien , étant un jour à Rhosse , ville de
Cilicie, y trouva les chrétiens divisés au sujet de l'Évan-
gile de saint Pierre. Comme il n'avait point lu cet Évan-
gile, il crut que pour apaiser la dispute il pouvait en
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 243
permettre la lecture, persuadé qu'il était exempt d'er-
reurs, et que tout ce peuple d'ailleurs était orthodoxe.
Mais ayant appris depuis qu'il en était tout autrement,
et que plusieurs de ceux qui avaient lu ce livre étaient
tombés dans l'hérésie des docètes, il composa, pour le
réfuter, un livre qu'il envoya aux fidèles de l'église de
Rhosse.Dans ce livre, le saint évèque déclare qu'il re-
çoit Pierre et les autres apôtres comme Jésus-Christ
lui-même ; mais que quant aux écrits qui portent faus-
sement leurs noms, il les rejette comme ne les ayant pas
reçus des anciens (1). Nous n'insisterons pas davantage
sur ce point ; en voilà plus qu'il ne faut pour démon-
trer que dans les premiers temps de l'Eglise on mettait
une grande différence entre les Evangiles canoniques et
les apocryphes. — Enfin nos adversaires ajoutent qu'a-
près tout les pères apostoliques peuvent avoir fait leurs
citations , non point d'après des ouvrages écrits, mais
d'après la tradition. Nous avons reconnu nous-méme,
dans le courant de cette discussion, qu'il était absolu-
ment impossible que deux ou tout au plus trois citations
de ce genre eussent été faites d'après la tradition; et la
seule conséquence qu'on puisse tirer de cet aveu, c'est
que les deux discours de Jésus-Christ rapportés par
saint Clément et saint Ignace, et qu'on lisait dans des
Evangiles apocryphes, n'étaient peut-être connus de ces
deux pères que par tradition; conséquence qui, comme
on le voit, ne saurait nuire qu'à la cause de nos adver-
(1) « Noseninijfratrcs, etPelrum et relit|uos apostolos, période ac
Chrislum ipsum suscipinius, Sed quœ nornen illorum falso inscrip-
tum prtcfcrunt, ca nos utpole guari ac periii lepudiamus; quippe
qui conipertum habeamus ca nos a majoribus minime accepisse (Se-
rap. apud Euseb. Hist, Ecd. l. vi, c, xii).»
244 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
saires , puisque tous leurs prétendus textes empruntés
par les pères du premier siècle aux Evangiles apocry-
phes se réduisent à ces deux seulement, tandis que nous
pouvons nous -même alléguer un si grand nombre de
passages de ces mêmes docteurs évidemment tirés de
nos Evangiles canoniques. « Quand je vois, dit le car-
'dinal de La Luzerne, non pas un écrivain, mais tous les
écrivains de ce siècle, rapporter, non pas une fois, mais
souvent , des paroles de Jésus-Christ , telles qu'elles
sont dans nos livres saints, il ne m'est pas possible de
douter qu'ils n'aient connu ces livres. Ce ne peut pas
être le hasard qui ait opéré le rapport constant entre le
Nouveau -Testament et les écrits des premiers doc-
teurs ; ce ne peut pas être une simple tradition qui ait
fait rapporter tant de fois des discours du Sauveur dans
des termes aussi semblables à ceux que nous lisons dans
les Evangiles. Il y aurait de bien plus grandes disso-
nances si c'était de mémoire et non d'après des livres
que les pères eussent rapporté ces passages (1).»
Ohj. 3° Les Evangiles prétendus authentiques, ob-
jecte-t-on encore, fournissent eux-mêmes plusieurs
preuves contre leur authenticité. D'abord on lit dans ce-
lui qui porte le nom de saint Matthieu (xxiii, 35) que
le Sauveur menace les Juifs de faire retomber sur eux
tout le sang innocent qui a été versé sur la terre depuis
le sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie fils de Bara-
chie, tué entre le temple et l'autel. Or, l'historien Jo-
seph nous apprend que Zacharie fils de Baruch fut as-
sassiné dans le temple par les zélés quelques années
avant la ruine de Jérusalem (2). En second lieu, on lit
(1) De La Luzerne, Dissert. t. i,parj. 82.
(2) Joseph, De Bello Jud. l. iv, c. xix.
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 245
dans l'Évangile de saint Luc (ii, 1, 2) qu'à l'époque de
la naissance de Jésus-Christ il y eut un dénombre-
ment fait par Cyrinus ou Quirinus, gouverneur de Syrie;
tandis qu'il est reconnu que Cyrinus ne gouverna la Sy-
rie que douze ou au plus tôt dix ans après la naissance
du Sauveur, et que le dénombrement eut lieu en Judée
lorsqu'il commença à remplir les fonctions de gouver-
neur. Or, un auteur contemporain ne serait jamais tombé
dans une méprise si grossière. Troisièmement, on lit
aussi dans l'Evangile attribué à saint Luc (m, 1, 23)
que la quinzième année de l'empire de Tibère César,
Jésus-Chkist commençait à atteindre l'âge de trente
ans . Or il y a encore ici un anachronisme qui ne pouvait
nullement échapper à un auteur contemporain ; puisque
le Sauveur étant né du vivant d'Hérode, selon les évan-
gélistes eux-mêmes, il devait avoir trente-trois ou au
moins trente-deux ans, lorsque Tibère César en était à
la quinzième année de son empire.
Rép. Quand on ne trouverait aucune réponse plau-
sible à cette objection, on n'aurait encore aucun droit
d'en rien conclure contre l'authenticité de nos Évangiles,
si bien établie d'ailleurs ; car il n'est pas au monde une
histoire quelque authentique qu'on la suppose , surtout
quand elle a été composée dans des temps anciens, il
n'est pas d'histoire ancienne, disons-nous, qui ne ren-
ferme des difficultés tout à la fois plus graves et plus
nombreuses. Mais nous croyons qu'on peut résoudre
d'une manière satisfaisante celles qu'on nous oppose ici.
Premièrement, il n'y a point de preuve que le Zacharie
nommé dans l'Évangile soit le même que celui dont la
mort estracontée dans l'historien Joseph; bien plus, dès
que l'on considère toutes les circonstances qui accom-
246 DE L'authenticité des évangiles.
pagnent la menace du Sauveur, on reste convaincu que
ce sont deux personnages différens, et que Jésus-Christ
avait en vue le prêtre Zacbarie, qui, selon l'auteur du
second livre des Paralipomènes (xxiv), fut massacré
dans le temple, et qui est le seul mentionné dans les
Ecritures canoniques des Juifs comme ayant été mis à
mort injustement entre le parvis du temple et l'autel.
Il est vrai que dans les Paralipomènes , le père de Za-
cbarie est nommé Joiada , et dans l'Evangile Bara-
chie ; mais les livres saints nous fournissent une foule
d'exemples de personnes qui, chez les Hébreux , por-
taient plusieurs noms diiférens. Et d'ailleurs oserait-
on en bonne critique présenter une semblable diffé-
rence de noms comme un argument qui puisse détruire
et même affaiblir toutes les preuves qui militent en
faveur de l'authenticité du livre de saint Matthieu (1) ?
La seconde difficulté peut bien faire illusion au premier
abord, mais elle ne présente rien de solide dès qu'on
la considère avec les yeux d'une saine critique. En effet,
il est incontestable que saint Luc a eu connaissance de
deux dénombremens bien distincts, l'un qu'il mentionne
dans son Evangile sous le nom de premier (TzpôiTïifl et
l'autre dont il ne parle que dans les Actes (v, 37), comme
ayant eu lieu un certain nombre d'années après. Nous
ajouterons que le premier est assez clairement indiqué
par ce passage de Joseph : « Alors toute la nation juive,
(1) Voy. Bullet, Réponses critiques, t. ii, art. Zacharie, fils de
BARAcniE. Beaucoup d'interprètes catholiques pensent que le Zacha-
riede FÉvangileest le même que celui de Joseph, et que Jésus-Christ
a prophétisé sa mort par avance; mais, comme le demande Bullet:
« Un Juif vivant quarante ans après la mort de Jésus-Christ a-t-il
pu être canonisé et appelé juste par la bouche de ce divin Sauveur?»
DE l'authenticité des évangiles. 247
à Texception de six raillcpharisiens, prêta serment d'être
fidèle à César et aux intérêts du roi (1) . » Car première-
ment le contexte de ce passage prouve que le mot alors
correspond à l'époque de la naissance de Jésus-Curist ;
secondement, ce serment ne put se faire sans un recen-
sement préalable de tous les Juifs. Et si cet historien
n'en a pas parlé d'une manière expresse, c'est qu'il
n'exigeait aucun impôt, et qu'il ne fut suivi d'aucun évé-
nement mémorable qui intéressât la nation juive. Reste
à savoir, il est vrai, comment un dénombrement des
Juifs a pu être fait au temps de la naissance de Jésus-
Christ par Cyrinus, gouverneur de Syrie, puisque c'é-
tait Saturninus qui gouvernait alors cette province au
nom des Romains ; mais il n'est pas difficile de résoudre
la question d'une manière satisfaisante. D'abord, ce se-
cond dénombrement a pu se faire par le concours si-
multané de Saturninus, président ordinaire de Syrie,
comme dit Tertullien (2), et de Cyrinus, envoyé extraor-
dinairement par le sénat pour travailler à ce recense-
ment, ainsi qu'Eusèbe l'assure positivement dans sa
Chronique. Cette mission extraordinaire, quoique les
auteurs du temps n'en parlent point, soit parce que c'é-
tait à leurs yeux une chose de trop peu d'importance,
soit parce que les dix années de l'histoire de Dion (le seul
dont nous ayons une histoire exacte d'Auguste) où ce
dénom.brement aurait dû être rapporté, ont été perdues,
comme le remarque fort judicieusement ïillemont, cette
mission, disons-nous, est d'autant plus vraisemblable
(1) Joseph, ^ntiq. l. xvii, c il. Voy. sur le second dcnombre-
raent, ibid. l. xviii, c. i.
(2) Tertull. Adv. Marcion. l. iv, c; xix.
248 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
que dans la suite le même Cyrinus fut envoyé dans celte
province en qualité de gouverneur ordinaire, et qu'elle
ne se trouve contredite par aucun monument histori-
que, comme on peut le voir dansLardner. Rien n'em-
pêche encore de regarder avec beaucoup de critiques
l'expression gouverneur de Syrie, comme une simple
épithète de Cyrinus, de manière que le sens serait : Ce
fut le premier dénombrement de Cyrinus, qui devint en-
suite gouverneur de Syrie. Combien d'historiens très-
exacts se permettent des anticipations de ce genre ! Et
qu'on ne dise point que dans ce cas le mot gouverneur
(ïîye^aovsjovToç) devrait nécessairement être précédé de l'ar-
ticle, car nous répondrions qu'on peut très-bien traduire
ainsi le texte : « Ce fut le premier dénombrement d'un pré-
sident de Syrie, de Cyrinus ; » ce qui ne nécessite nulle-
ment l'article déterminatif(l). Voici un autre moyen de
solution et qui paraît incontestable.il est certain que dans
la langue grecque le mot -rpûroç premier, se prend assez
souvent pour le comparatif Troôrrprj^ antérieur [prior);
il est certain encore que les comparatifs régissent au
génitif le terme delà comparaison. Or, d'après ces prin-
cipes grammaticaux, on est fondé à rendre le texte de
saint Luc : Hœc descriptio prior fada est qnàm prœsi-
densSyriœ Cyrinus, c'est-à-dire: ce dénombrement eut
lieu avant que Cyrinus fût gouverneur de Syrie. Ainsi
ce passage de saint Luc n'est nullement contraire à l'au-
thenticité de l'Evangile qui porte son nom ; nous ajou-
terons que les explications que nous venons d'en donner
(1) C'est le senliment que Meyer a émis dans son Manuel critique
exégéiique, pag. 267, bien que cet auteur ne soit pas favorable à
rÉvan^ile de saint Luc,
DE l'authenticité des évangiles. 249
suffisent pour faire rejeter l'opinion des critiques qui
avouent que l'évangéliste a commis ici une erreur his-
torique. Cette erreur serait d'ailleurs incompatible avec
l'exactitude dont il fait preuve dans tout son livre, et
elle porterait atteinte à la divinité de son Évangile.
Enfin la troisième partie de l'objection n'offre pas même
l'ombre d'une difficulté sérieuse. D'abord le texte ne
dit point que Jésus commençait à entrer dans sa tren-
tième année; le mot commençant [àry/Jjy.vjo:] ne doit
point se construire nécessairement avec l'expression
trente années qui précède ; mais il se rapporte plus na-
turellement au verbe prêcher ou enseigner sous-entendu ;
c'est du moins en ce sens que le même saint Luc a évi-
demment employé le participe ayant commencé (àcfâasvoc)
dans deux endroits diîférens de son livre des Actes (i,
22; X, 37). Ainsi le sens est que le divin Sauveur avait
environ trente ans lorsqu'il commença son ministère. En
second lieu, le texte évangélique ne porte pas exacte-
ment trente ans, mais environ {'OG-st) trente ans ; ce qui
fait entièrement disparaître la difficulté ; car la particule
environ, lorsqu'elle est appliquée à un nombre décimal
tel qu'est le nombre trente, peut aisément s'étendre à
trente-trois ans ; non seulement la Bible, mais encore
les auteurs profanes nous en offrent une multitude
d'exemples; bien plus, les écrivains ne tiennent souvent
compte que du nombre rond, sans même exprimer l'ad-
verbe restrictif (1).
(1) « Tite-Live parlant de la paix que la conduite de Piomulus avait
procurée à l'état pendant tout le règne de son successeur (Numa),
s'exprime ainsi : Ab illo enim profectu viribus daiis tantum valait, 2it
in quadraginta deinde annos, tutam pacem /îa^ej-ef. Cependant dans ce
même chapitre iT dit : Romulus septem et triginta regnavit annos,
11.
2S0 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
Obj. k^ On ne saurait légitimement attribuer nos
Évangiles aux écrivains dont ils portent les noms, si ces
écrivains ne les ont eus eux-mêmes qu'en seconde main.
Or c'est ce qu'ont clairement prouvé Semler, Eichhorn,
Marsh et un grand nombre d'autres habiles critiques
de ces derniers temps, en montrant 1'' qu'il y a eu pri-
mitivement un Evangile original beaucoup plus court
que les nôtres ; 2° qu'on a tiré différentes copies de ce
document primitif en y faisant plusieurs additions, soit
d'après la tradition orale, soit d'après des monumens
écrits ; 3° enfin que ces différentes copies sont tombées
entre les mains des trois premiers évangélistes, de ma-
nière que saint Matthieu a adopté une de ces copies,
saint Marc une autre, et saint Luc une troisième. Au
moyen de cette hypothèse, on explique très-bien les con-
cordances et les discordances de ces évangélistes, en
supposant d'un côté qu'ils se sont servis tous les trois
d'un document commun, et de l'autre que les copies
qu'ils ont adoptées, outre le document commun, conte-
naient des additions assez différentes.
Rép. Cette objection touche par un coin à la question
de l'intégrité, que nous allons traiter dans le chapitre sui-
vant; mais comme elle attaque surtout l'authenticité des
trois premiers Évangiles, nous avons cru devoir la placer
ici. L'hypothèse d'un Évangile primitif, quoique pré-
sentée par Eichhorn et Marsh, évêque anglican, sous
les couleurs les plus séduisantes, est entièrement aban-
donnée aujourd'hui. Hug surtout a montré jusqu'à l'évi-
Numa très et quaclraninla (W, Paley, Des preuves évid. du Christia-
nisme, t. II, p. 182, cd. Levade).» — Le premier passage de Tite-Live
se trouve au livre i, n. xv, et le second au livre l, n. xxi, édit. lat. et
franc. Paris, 183S.
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 261
dence qu'elle était absolument fausse dans son principe,
et qu'elle n'atteignait nullement le but que son auteur
s'est proposé en l'imaginant . Mais, depuis, M . Norton lui
a porté un nouveau coup plus terrible encore (1). Sans
entrer dans le détail de tous les argumens irrésistibles
de ces savans critiques, nous nous bornerons aux con-
sidérations suivantes empruntées de ce dernier. L'hy-
pothèse de l'Evangile primitif ou Protévangile a été sur-
tout imaginée pour expliquer le phénomène des concor-
dances verbales qui se trouvent dans les trois premiers
évangélistes ; mais on ne doit pas oublier celui des dis-
cordances, qui ne sont pas moins nombreuses, et qu'il
faut aussi expliquer. Quant aux concordances, elles se
trouvent en grande partie dans le récit des paroles pro-
noncées par des personnages différens des évangélistes
qui les rapportent, et particulièrement dans le récit des
discours de Jésus-Christ. Ainsi il n'y a guère que la
sixième partie de l'Évangile de saint Matthieu qui con-
tienne ces concordances verbales, et encore dans les sept
huitièmes de cette sixième partie les concordances ver-
bales se remarquent dans les paroles de personnes au-
tres que cet évangéliste. D'où il résulte qu'un seul hui-
(1) André Norlon a publié à Boston un ouvrage sur l'authenticité
des Évangiles, dont Moïse Stuart, prol'esseur de littérature sacrée à
Andover et auteur d'une excellente grammaire hébraïque qui a paru à
Oxford en 1831, a rendu compte au mois d'avril 1838 dans le Bi-
blical Reposilory, imprimé à Aew-York. M. Stuart, tout en louant
M. Norton d'avoir victorieusement défendu l'authenticité des Evan-
giles en général, lui reproche d'avoir traité d'interpolation les deux
premiers chapitres de saint Matthieu ainsi que plusieurs autres en-
droits des Évangiles, et de ne pas croire à l'inspiration de ces divins
écrits. C'estd'aprcsM. Stuart que nous citons ici le livre de M.Norton,
262 DE L'aUTIIEXTICITÉ DES ÉVANGILES.
tième de la sixième partie de saint Matthieu contient des
concordances verbales dans ce qui est de la pure nar-
ration de cet évangéliste, et où, racontant lui-même les
choses en son propre nom, il était plus libre dans le
choix de ses expressions . Les concordances forment éga-
lement la sixième partie de l'Evangile de saint Marc;
mais il n'y a pas même un cinquième de ces concor-
dances qui se trouvent dans la narration proprement
dite . Saint Luc contient encore moins de ces concordances
que les deux autres évangélistes. Les passages où elles
se rencontrent ne forment guère que la dixième partie
de son Evangile; et encore la plupart se lisent dans
le récit des paroles du divin Sauveur et de ses apôtres.
On peut à peine compter six mots semblables dans la
narration proprement dite ; elles n'en forment pas la
vingtième partie . Ainsi l'Évangile primitif doit en bonne
critique être considéré comme une pure chimère qui n'a
jamais existé que dans l'imagination de ses partisans ;
et par conséquent il ne peut servir à prouver que saint
Matthieu, saint Marc et saint Luc ne sont réellement
point les auteurs des Evangiles qui portent leurs noms.
— On a inventé une foule de systèmes dififérens pour ex-
pliquer ces concordances verbales ; mais ils sont tous
sujets à beaucoup de difficultés. Huga cru que les évan-
gélistes s'étaient copiés les uns les autres , mais on a ob-
jecté que si saint Marc, par exemple, avait copié saint
Matthieu, son Evangile ne serait pas aussi différent du
sien quant à la matière, à la manière, à l'ordre et au
langage. De même si saint Luc avait copié saint Mat-
thieu et saint Marc, il n'y aurait pas autant de diversités
entre son livre et celui de ces deux autres évangélistes.
Cette hypothèse de Hug est également abandonnée au-
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 253
jourd'hui. Partant du principe incontestable que le
nombre des concordances est beaucoup moins considé-
rable qu'on ne l'a toujours prétendu, et qu'elles se trou-
vent en grande partie dans les paroles sorties de la
bouche de Jésus-Christ ou de ses apôtres, M.Norton
croit qu'il est très-naturel de supposer que les apôtres
qui avaient vécu ensemble à Jérusalem avant leur sépara-
tion, aient conféré très-souvent en commun sur ce qu'ils
avaient entendu dire au Sauveur, qu'ils se soient ainsi
formé une manière uniforme de les exprimer, et qu'ils
aient ensuite transmis cette manière à leurs disciples.
Une circonstance vient à l'appui de cette supposition ;
les Juifs au temps de Jésus-Christ étaient accoutumés
à retenir de mémoire les paroles de leurs maîtres. Toute
la loi orale contenue dans la Mischna (première partie
du Talmud) , qui est très-étendue, a été conservée de mé-
moire par les rabbins jusqu'au temps de Rabbi Judas
le Saint, qui vivait seulement un siècle après Jésus-
Christ, époque à laquelle elle fut consignée par écrit (1) .
Le même phénomène se reproduit chez d'autres peuples
de l'Orient. Les rapsodistes avaient conservé de mé-
moire les poèmes d'Homère en les chantant ; on trouve
encore une multitude de conteurs orientaux qui rappor-
tent de mémoire des histoires plus nombreuses que les
Mille et une nuits. Or, est-il surprenant que les apôtres,
compagnons inséparables du Sauveur pendant l'espace
(1) Il n'est pas du tout certain que la Mischna n'ait été écrite par
Judas le Saint que d'après la tradition orale. Maimonide semble dire
au contraire que ce rabbin recueillit toutes les traditions, tous les ju-
gemens, etc., que le chef de la synagogue à chaque génération, et le
prophète de ce siècle avaient déjà mis par écrit auparavant (iMaimon.
fr.ef, in Jad hazzaqa) .
254 DE l'authenticité DES ÉVANGILES.
de trois années, aient pu retenir exactement dans leur
esprit ses actions et ses paroles, et que quand ils ont
voulu les mettre par écrit, il se soit trouvé tant de coïn-
cidences dans leurs narrations respectives? L'hypothèse
de M. Norton, si elle n'est pas certaine, présente au
moins quelque apparence de vérité; et si, ce que nous
ne croyons pas nécessaire, il fallait, pour expliquer les
concordances et les discordances évangéliques, adopter
nécessairement un des systèmes proposés jusqu'à ce jour
par les critiques, nous choisirions de préférence ce der-
nier, sans toutefois lui accorder une confiance illimitée.
Obj. 5° La doctrine de Jésus-Christ telle qu'elle se
trouve présentée dans les trois premiers Évangiles est
simple , commune , et par là même conforme à l'esprit
des apôtres et à celui des Juifs à qui le Sauveur et les
apôtres eux-mêmes s'adressaient ; mais il en est tout
autrement dans le quatrième, où elle paraît partout
grande, sublime et mystérieuse. Cependant saint Jean,
qui était aussi un simple pêcheur de Galilée , ne pou-
vait prêter au Sauveur une doctrine semblable. Si donc
on la retrouve dans l'écrit évangélique qui porte son
nom, c'est une preuve évidente que cet écrit n'est point
son ouvrage ; mais qu'il faut plutôt l'attribuer à quel-
ques-uns de ses disciples imbus des idées de la philo-
sophie platonicienne, et qui lui ont prêté leur style et
leurs doctrines philosophiques.
Rép . Cette obj ection , soutenue déjà par Bretschneider,
et reprise en sous-œuvre par Strauss, est loin de détruire
les preuves extrinsèques et intrinsèques qui prouvent
jusqu'à l'évidence l'authenticité de l'Evangile de saint
Jean. Nous devons ajouter qu'après un plus mûr examen
le premier de ces critiques a fini par reconnaître que
DÉ L'aUTHENTICITIÎ i)ES ÉVANGILES. 255
toutes ses attaques étaient peu fondées, et que dans la
troisième édition de sa Vie de Jésus, ce dernier avoue
qu'il est moins affermi que précédemment dans ses
doutes sur l'authenticité du quatrième Évangile (1).
Avant d'entrer dans le détail des difficultés sur lesquelles
nos adversaires fondent leur objection, nous ferons ob-
server que, malgré qu'il fut un simple pêcheur de la Ga-
lilée, l'apôtre saint Jean, destiné par l'Esprit saint à nous
faire connaître principalement la doctrine du Sauveur,
ainsi que les mystères de son incarnation et de sa divi-
nité, a pu recevoir des lumières divines toutes particu-
lières pour traiter dignement ces grands sujets. Aussi
Eusèbe, après avoir remarqué que cet évangéliste avait
eu raison de ne point rapporter la généalogie de Jésus-
Christ selon la chair, parce qu'elle l'avait été par saint
Matthieu et par saint Luc, ajoute-t-il qu'il s'est attaché
à nous découvrir sa naissance divine et éternelle, dont
le mystère semblait lui avoir été révélé plus particuliè-
rement qu'aux autres (2) . Ajoutons que lorsque les pre-
miers évangélistes ont commencé à écrire, les peuples
n'étaient peut-être pas encore capables de saisir cette
doctrine relevée, et que c'est sans doute pour cela qu'ils
se sont plutôt appliqués à donner le détail des actions
(1) Yoy. contre Bretschneider, Fr.Gottlieb Crome, Probabilia haucl
prohabilia, odcr JF^iderlegung der von Herrn Dr. Bretschneider gegen
die /Eciilheil und Glaubiviirdirjkeit des Evanrje'iums itnd der Briefe
des Johannes erhobenen Zweifel ; et contre Strauss, Tholuck, Glaub-
u'iirdigkeil der Evang. Gescliichle.
(2) « Et seriem quidem ipsam generis Ghristi secundum carnem, ut-
pote a Matlhoeo et Luca prius traditam, Joannes merito prseterniisit.
Ab ipsa vero ejus divinitate sumpsit initium, quippe quaî à Spiritu
sancto ipsi tanquam praestanliori (xpjtTTovc) fuisset reservata (Euseb,
Hist. EccL î. m, c. xxiv). »
256 DE l'authenticité des évangiles.
ordinaires et des miracles du Sauveur. Après ces ob-
servations, nous dirons d'abord que les discours de
Jésus-Christ après la Cène n'étaient point de ces entre-
tiens familiers et ordinaires tels qu'il en avait ordinai-
rement en public. Dans cette circonstance toute parti-
culière, le Fils de Dieu s'adressait à ses seuls disciples,
qu'il voulait, avant de les quitter, instruire plus à fond,
non seulement de ses rapports intimes avec son Père
qui l'avait envoyé, et avec le Saint-Esprit qu'il allait faire
descendre sur eux, mais encore de ceux qu'il devait
avoir avec ses disciples, avec son Eglise et avec tous
les hommes. Or, qui ne comprendrait point que dans
un pareil cas sa doctrine devait être plus élevée et plus
profonde ? Ce divin maître voyait bien que ses apôtres
encore trop ignorans et trop grossiers n'en pourraient
pas pénétrer le sens profond; aussi les renvoie-t-il à
l'enseignement de l'Esprit saint, qui va venir les instruire
de toute vérité, leur rappeler ce qu'ils auront oublié, et
leur donner l'intelligence de tout ce qu'ils n'auront pu
comprendre . Aussi Strauss avoue-t-il lui-même que cette
supposition explique d'une manière suffisante la diffé-
rence de ce discours avec ceux qui sont contenus dans
les premiers Evangiles, mais il objecte qu'on trouve la
même profondeur de doctrine dans les entretiens de Jé-
sus avec Nicodème et la Samaritaine (m, 1 et suiv.
IV, 7, et suiv.), dans celui qu'il eut avec les Juifs après
la guérison de l'homme qui était malade depuis trente-
huit ans (v, 17 et suiv.), et dans sa dispute après avoir
renvoyé absoute la femme accusée d'adultère par les
scribes et les pharisiens (viii, 12 et suiv.); mais sur-
tout dans la réponse de saint Jean-Baptiste à ses dis-
ciples, lorsqu'ils vinrent lui dire que JÉSUS baptisait
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 257
et que tout le monde allait à lui (m, 27-36). On peut
accorder à Strauss que le discours que le Sauveur tint
à Nicodème est à la vérité assez profond ; mais il faut
considérer que Nicodème étant un docteur delà loi,
qui croyait déjà aux miracles du Sauveur, et qui dési-
rait être entièrement instruit sur le fond de sa doctrine,
on pouvait lui parler de cette manière. Quant à l'obscu-
rité de ce passage, que Bretschneider a relevée avant
notre antagoniste, elle (vient peut-être de ce que saint
Jean n'a rapporté que le sommaire de cet entretien, en
passant sous silence les explications que Jéscs-Christ
y avait sans doute ajoutées. Bretschneider rejette cette
supposition, bien qu'il reconnaisse avec les interprètes
que le discours dans ce colloque manque de liaison et
de clarté; mais les raisons sur lesquelles il s'appuie sont
de nulle valeur. Quant à l'entretien avec la Samaritaine,
on n'y voit rien qui puisse surpasser l'intelligence de
cette femme, et qui ne s'accorde parfaitement avec les
notions que les Samaritains de cette époque avaient tou-
chant le Messie. Nous ne saurions disconvenir que dans
l'Évangile de saint Jean les témoignages de saint Jean-
Baptiste en faveur du Messie ont quelque chose de plus
élevé que ceux des autres évangélistes. Mais ne peut-il
donc pas se faire que le saint précurseur ait dit en fa-
veur de Jésus-Christ quelque chose de plus élevé dans
un temps que dans un autre? Et puisqu'il l'avait déjà
dépeint comme la victime qui effaçait les péchés du
monde, et comme le juge des bons et des méchans, pour-
quoi ne pouvait-il pas l'appeler l'époux de l'Eglise, et
dire qu'il venait du ciel et qu'il était bien au-dessus de
lui? On dira sans doute que ces témoignages du saint
précurseur sont exprimés dans le style de saint Jean
258 DE L'authenticité des évangiles.
l'évangéliste ; mais il n'y a là rien qui puisse fournir
la matière d'une objection contre l'authenticité de son
Evangile ; car cet? auteur sacré était parfaitement maître
d'exprimer les discours de saint Jean-Baptiste selon sa
propre manière, et de leur imprimer, sans en changer le
sens, son cachet particulier. Les autres discours de Jé-
sus-Christ (v, viii) qu'on nous objecte ont été tenus à
Jérusalem devant des Juifs instruits et qui provoquaient
par leurs questions des réponses où devaient nécessai-
rement être exposés des points d'une haute doctrine.
Enfin, Bretschneider et Strauss sont entièrement dans
l'erreur quand ils prétendent qu'il n'y a rien de pro-
fond dans la doctrine de Jésus-Christ telle qu'elle
nous est présentée par les trois premiers évangélistes;
car, bien que la plupart des discours se trouvant adres-
sés à des Juifs de Galilée généralement grossiers soient
en effet assez simples, on y remarque cependant quel-
quefois des points de doctrine assez relevés et assez dif-
ficiles, comme la filiation divine du Sauveur professée
par saint Pierre, son ignorance du jour du jugement, le
péché contre le Saint-Esprit, et plusieurs autres vérités
non moins difficiles. Bien plus, si on confère avec soin
les quatre évangélistes, on découvrira que dans plu-
sieurs endroits le récit des trois premiers est assez ana-
logue à celui de saint Jean, et que saint Jean à son tour
se conforme quelquefois à leur simplicité. Nous en avons
surtout un exemple dans la parabole du bon pasteur et
de la porte de la bergerie (x, 1 et suiv.).
Telles sont les principales difficultés qu'on a élevées
contre l'authenticité de nos Evangiles; il faut avouer
qu'elles sont loin de détruire et même d'affaiblir les
preuves que nous avons établies dans le développement
DE l'authenticité DES ÉVANGILES. 259
de notre proposition. Nous pouvons donc dire en toute
assurance avec Duvoisin : « Ou les livres du Nouveau-
Testament sont authentiques, ou il n'est aucun monu-
ment un peu ancien dont l'authenticité ne puisse être
contestée. Prenons pour exem.ple, je ne dis pas les poé-
sies d'Homère, les Harangues de Démosthène, ou quel-
que autre écrit de cette nature. Il est évident que l'ou-
vrage d'un poète, d'un orateur, d'un historien, quelque
célébrité qu'il ait eue, ne peut soutenir le parallèle avec
des livres qu'une société immense a constamment révé-
rés comme le code de sa foi, de sa morale et de sa disci-
pline. Plaçons à côté des Evangiles les Pandectes de
Justinien, ou la Bulle de Charles IV qui sert de base à
la constitution germanique, et supposons que vous ayez
à combattre un sceptique qui en conteste l'authenticité;
oii chercherez-vous des preuves pour confondre ce cri-
tique téméraire? Dans la tradition universelle et con-
stante des peuples, dans les témoignages exprès des au-
teurs contemporains ou subséquens, dans le caractère
même des pièces contestées, dans les absurdités innom-
brables qu'entraîne le paradoxe de votre adversaire.
Eh bien ! toutes les preuves que vous aurez accumulées
pour défendre la Bulle d'or et les Pandectes, je puis
m'en emparer et les tourner contre l'incrédule qui ose
me disputer l'authenticité des Évangiles, bien assuré
qu'elles auront toutes en faveur de ma thèse autant ou
plus de force qu'en faveur de la vôtre (1) . »
(1) J. 1j. Duvoisin, Démonslr. évang. P. ii^ n. 5, conclus.
260 DE l'intégrité DES ÉVANGILES.
CHAPITRE SIXIÈME.
DE l'iXTÉGRITÉ des ÉVANGILES.
Nous avons déjà fait observer plusieurs fois (tome i,
pag.171,172, 190, et tomeiii,pag.69) qu'un livre pou-
vait être altéré ou interpolé de deux manières, dans sa
substance, ou dans ses parties moins essentielles, et
que toutes les fois qu'il s'agissait de défendre l'intégrité
de nos livres saints, nous entendions qu'ils étaient purs
et exempts de toute interpolation substantielle, mais non
point de ces altérations légères qui ne touchent en rien au
fond de l'ouvrage. D'après ce principe, nous ne ferons
pas difficulté d'avouer avec les meilleurs critiques, que
par la négligence des copistes il a pu se glisser quel-
ques fautes légères dans nos saints Evangiles, et d'ac-
corder même que quelques versets qui n'appartiennent
point aux écrivains sacrés ont pu absolument passer de
la marge, où on les avait mis d'abord, dans le texte tel
que nous le possédons aujourd'hui (1). Ainsi la question
(I) Les trente mille variantes rassemblées par Mill dans son édition
du Nouveau-Testament, et les soixante mille au moins que d'autres
ont recueillies depuis, ne changent rien à la substance du texte ; tous
les critiques en conviennent ; il n'est pas de livre profane de même
volume que le Nouveau-Testament, quelque correct qu'on le suppose,
qui n'offre le double de leçons différentes, si onTexamine avec le scru-
pule et la sévérité qu'on a mise pour les écrits des apùtres et des
évangélisies. En effet, les critiques qui se sont occupés de recueillir
les variantes du Nouveau-Testament ont tenu compte de la moindre
diû'érence dans la prononciation des mots, dans l'emploi de l'esprit
doux ou rude, dans celui de l'article déterminatif, dans l'ordre et la
position des mots, bien que le sens des mots et des phrases restât tou-
jours le même. Et encore pour obtenir ces légères variations, on ne
DE l'intégrité des ÉVANGILES. 261
se réduit à savoir si nos quatre Evangiles contiennent
aujourd'hui quelque fait important, quelque point de
doctrine, quelque règle de mœurs que ne renfermaient
pas les originaux tels qu'ils sont sortis de la main des
évangélistes eux-mêmes. Mais cette question n'en sau-
rait être une réelle pour nous, qui établissons comme in-
contestable la proposition suivante.
PR0P0SITI0.\.
Les Évangiles n'ont point été altérés dans les choses essen-
tielles.
l.Nous avons démontré dans r/n^rorfwcfion générale
(tomei, pag. 191-193) que le texte grec du Nouveau-Tes-
tament n'avait point été corrompu quant au fond et à
la substance des choses qu'il contient. Or les divers ar-
gumens que nous avons fait valoir pour établir cette
thèse sont applicables à celle que nous soutenons ici ;
car non seulement les Evangiles se trouvent compris
dans le Nouveau-Testament, mais ils en forment la par-
tie la plus importante.
2. L'histoire de l'Eglise nous fournit une nouvelle
preuve de l'intégrité de nos Evangiles dans le zèle et la
vigilance constante des chrétiens à maintenir ce dépôt
sacré dans toute sa pureté primitive. Dès les premiers
siècles, les hérétiques, pour accréditer leurs erreurs, es-
s'est pas borné à conférer les manuscrits du texte, mais on a aussi con-
sulté toutes les anciennes versions et toutes les citations qui se trou-
vent dans les ouvrages des pères composés à dillérentes époques pen-
dant cinq cents ans, comme l'a judicieuM^ent remarqué M. Norton
dans son Authenticité des Évangiles, ouvrage dont nous avons parlé
vers laSn du chapitre précédent.
262 DE l'intégrité DES ÉVANGILES.
sayérent d'altérer en quelques endroits nos écrits évan-
géliques ; mais à peine ils commencèrent à publier leurs
copies falsifiées, qu'il s'éleva dans toute l'Eglise un cri
unanime contre ce sacrilège. Les saints docteurs signa-
lèrent avec force ces altérations ; qu'il nous suffise de
nommer saint Irénee etTertuUien parmi ces sentinelles
vigilantes. Ainsi ces premières tentatives d'altérer la pu-
reté du texte évangélique ont été faites sans succès ; la
fraude a été découverte au moment même où elle a été
conçue ; et les exemplaires falsifiés n'ont pas même sur-
vécu aux sectes qui les avaient enfantés. Les hérétiques
postérieurs au troisième siècle n'ont pas osé imiter ceux
qui les avaient précédés ; ils ont bien détourné le sens
du texte qui condamnait leurs fausses doctrines, mais ils
n'en ont jamais contesté l'intégrité. Un fait rapporté par
Sozomène montre jusqu'à quel point on a toujours veillé
dans l'Eglise à ce que les Évangiles fussent à l'abri de
la plus légère altération. Triphylle, évêque de Lèdres
au quatrième siècle, ayant, dans un discours oii il ci-
tait cette parole de Jésus-Christ : Toile grabatum Hium
et ambuJa, substitué au mot grabatuin, qu'il ne trou-
vait pas assez noble, celui de scimpodium, qui lui parut
plus relevé, saint Spiridion, évêque de Trémithonte, qui
était présent, le reprit vivement, lui demanda s'il savait
mieux que l'évangéliste de quel terme il convenait de se
servir, et, à la vue de tout le peuple, il se leva de son
siège et s'en alla (1) . Ce zèle et cette vigilance à conser-
ver pur et intact le texte sacré de nos Evangiles ne se
sont jamais démentis un seul instant. Personne n'ignore
que le verset 12 du chapitre xvii de l'Évangile selon
(l)Sozomcu. Hist. Eccl. l. i, c. ii.
DE L'iNTÉGP.ITli; DES ÉVANGILES. 263
saint Jean ayant été altéré dans le Nouveau-Testament
selon la Vulgate imprimé à Mons, il s'est élevé des ré-
clamations sans nombre, et qu'à l'édition falsifiée on a
opposé tous les manuscrits, toutes les éditions, et toutes
les versions du texte (1).
3. Les écrits des pères font foi de l'intégrité actuelle
de nos Evangiles, aussi bien que des autres livres du
Nouveau-Testament. ((Parcourez, dit avec raison Du-
voisin, parcourez les écrits innombrables des pères de
l'Eglise, qui, dans leurs commentaires, dans leurs trai-
tés dogmatiques, dans leurs homélies, ont transcrit en
quelque sorte le Nouveau-Testament tout entier, vous y
trouvez le sens et presque toujours les paroles mêmes
de nos livres saints, en sorte que si, par impossible, ces
livres venaient à disparaître tout-à-coup, il serait aisé
de les refaire en rassemblant les citations éparses dans
les auteurs ecclésiastiques : preuve démonstrative de
l'intégrité constante des livres du Nouveau-Testament,
puisqu'il en résulte que nos exemplaires actuels sont
parfaitement conformes à ceux de la plus haute anti-
quité (2). »
Malgré tous ces divers motifs, on a opposé plusieurs
difficultés à la thèse que nous venons de soutenir, nous
allons les exposer et essayer d'y répondre.
(1) Le texte ordinaire de saint Jean porte: « Quos dedisti mihi
custodivi, et ncmo ex lis periit, 7iisi filius perditionisp) au lieu de
7ïisij l'éditeur de Mons avait mis sed; substitution qui change entiè-
rement le sens de la phrase.
(2) Duvoisin, Dcmomlr. évawj. ch. ii, n. G«
264 DE L'INTÉGRITÉ DES ÉVANGILES.
Difficultés proposées contre l'intégrité des Evangiles ^ et
Réponses à ces difficultés.
Obj . 1° Une preuve incontestable que nos Évangiles
ont été interpolés, disent plusieurs critiques modernes,
c'est que les deux premiers chapitres de saint Matthieu
ne se trouvaient ni dans l'Evangile hébreu des ébio-
nites, ni dans le Protévangile ou Évangile primitif; que
saint Marc ne dit rien de ces deux chapitres, et que saint
Luc a donné une histoire de l'enfance de Jésus tout-à-
fait différente de celle qui est tracée dans ces deux cha-
pitres .
Rép. Ces raisons que l'on donne pour rejeter comme
une interpolation les deux premiers chapitres de saint
Matthieu n'ont aucun fondement solide ; et avant d'y
répondre directement, nous allons exposer quelques ar-
gumens critiques, soit extrinsèques, soit intrinsèques,
qui suffisent seuls pour les détruire de fond en comble.
Et d'abord tous les manuscrits et toutes les versions con-
tiennent ces deux chapitres, et si dans le nombre on en
trouve qui ne font commencer l'Évangile de saint Mat-
thieu qu'au verset 18 du chapitre i, on peut dire que
c'est parce que la généalogie qui comprend les dix-sept
premiers versets est considérée plutôt comme une pré-
face que comme l'Évangile lui-même. Cette supposition
est d'autant plus probable que, comme le remarque
Griesbach, tous les manuscrits de saint Matthieu divi-
sés par titres et par sections ne comptent jamais la pre-
mière section, de manière que le premier chapitre com-
mence toujours à la seconde. Au reste, quoiqu'il en soit
de ces divisions, dans tous les manuscrits actuellement
DE L I.XTEGRITE DES EVANGILES. 265
exislans et clans toutes les versions, y compris la copie,
la syriaque Peschito et l'ancieiine Italique, ces deux cha-
pitres font partie de l'Évangile de saint Matthieu (1).
Ajoutons que les pères de l'Eglise même les plus anciens
ont cité ces deux chapitres comme appartenant à TÉ van •
gile de saint Matthieu ; car sans parler de saint Jérôme,
de saint Augustin, de saint Epiphane, d'Origène et de
Clément d'Alexandrie, saint Irénée ne raconte-t-il pas
précisément ce qui est contenu dans cet important frag-
ment, et ne nomme-t-il pas expressément la source où
il Ta puisé? Ne trouvons-nous pas exactement la même
chose dans TertuUien ? Et saint Justin passe-t-il sous
silence un seul trait de cette partie de l'histoire évan-
géîique (2)? Et qu'on ne dise point que c'est ailleurs que
le savant père a pris ces citations, parce que tout son
récit porte les traces les plus sensibles de l'Évangile de
saint Matthieu. Ainsi, par exemple, quand il rapporte de
l'Ancien-Testament les mêmes passages que notre évan-
géliste, au lieu de les prendre dans les Septante, comme
il lui arrive dans toutes les autres circonstances, il
abandonne ces interprètes pour suivre saint Matthieu,
(1) On avail cru ù'aûorJ que le maauscrit dit Codex Ebnerianusj
parce qu'il appartenait autrefois à Jérùnic-Guillaume Ebner de Es-
chenbach, à Nuremberg, et qui est noté 105 dans la part, i du Nou-
veau-Testament de Wetstein, ne contenait pas le premier chapitre de
saint Matthieu, mais on est revenu de cette idée depuis que le doc-
teur Glaber, l'ayant examiné avec plus de soin qu'on ne l'avait fait
avant lui, a déclaré qu'il était tout-à-fait certain que ce chapitre se
trouvait dans ledit manuscrit. Voy. Hug, Einleit. ins I\'. 2\ Th. ii
Seit. 244. ^.'///. 2.
(2) Iren. Adv. hœres. L m, c. ix. TcrtuU. Conf>'. Marcion. L v,
c. IX. Justin. Dialorj, cum Tnjpfi. pag. 86, 87. Rob. Sieph.
V. n
266 DE l'intégrité DES ÉVAx\GILES.
non seulement en se rapprochant ou en s'éloignant exac-
tement comme lui du texte hébreu, mais en le rendant
par les mêmes mots et presque syllabe par syllabe. Les
anciens hérétiques eux-mêmes prouvent que ces deux
premiers chapitres passaient de leur temps pour faire
partie du livre de saint Matthieu. Et d'abord Gelse, qui
a continuellement cité nos quatre Évangiles, en a aussi
appelé à des passages contenus dans ces mêmes chapi-
tres. Il suffit pour s'en convaincre de se rappeler les
passages que nous avons cités de lui dans le chapitre pré-
cédent (pag. 201, -202).Carpocrate et Cérinthe les admet-
taient incontestablement à ce* titre, puisqu'ils se fon-
daient sur la généalogie pour prouver que Jésus était
fils naturel de Joseph (1). Secondement, les caractères
intrinsèques de ces deux chapitres montrent avec la
même évidence qu'ils ne sont point une interpolation
faite à l'Évangile authentique de saint Matthieu. La par-
ticule rTz, qui se trouve au chapitre m, verset 1, étant une
particule déconnexion, suppose nécessairement un dis-
cours précédent. Ainsi ce chapitre m ne saurait être
le commencement de l'Évangile. Ajoutons que les pre-
miers motsdumêmechapitre, qui sont : Dans ces jours-là,
supposent égalem.ent un temps antérieur dont on vient
de parler. On ne trouverait pas dans toute la Bible un
seul exemple d'un livre qui commençât de cette manière.
Aussi les ébionites, qui répudiaient ces deux premiers
chapitres, ont substitué à l'expression : Mais dans ces
jours-là f cette autre : Il arriva dans les jours d'Bérode,
roi de Judée, que Jean, etc. (2). Cequi, soit dit en passant,
(1) Epiphan. Hœres. xxx, c. xiv.
(2) Epiphan. ibid. c. xiv.
DE l'intégrité des ÉVANGILES. 267
constitue un anachronisme manifeste; car, comme l'a
fort judicieusement fait observer Michaëlis, Hérode, roi
de Judée, était mort depuis près de trente ans lorsque
saint Jean-Baptiste commença à prêcher (1). De plus,
on lit au chapitre m, verset 13, que Jésus vint de Ga-
lilée. Or, cette phrase se conçoit très-bien dans l'hypo-
thèse que les deux chapitres précédens appartiennent
réellement à l'Evangile de saint Matthieu, dans lequel
nous la lisons, puisqu'il y est dit que Jésus habita à Naza-
reth, en Galilée, d'où il vint pour recevoir le baptême de
Jean ; tandis que dans la supposition contraire, il serait
plus qu'étrange de faire figurer tout d'un coup dans le
récit un grand personnage, et de le présenter comme
venant de la Galilée, sans avoir dit auparavant quel
était le lieu de son habitation. Enfin, pour peu que l'on
compare ces deux chapitres avec tous les autres, on ne
pourra s'empêcher d'y reconnaître le style propre à saint
Matthieu et sa manière de citer l'Ancien-Testament. —
Passons maintenant aux différentes parties de l'objec-
tion. Nous convenons sans peine que l'Évangile des
ébionites ne contenait pas les deux chapitres en question ;
mais on sait que ces hérétiques les rejetaient uniquement
par un motif d'intérêt particulier pour leur secte, ces
chapitresexprimant la conception miraculeuse de Jésus-
Christ, laquelle n'était point admise parmi eux. D'ail-
leurs leur Evangile était regardé par l'Eglise univer-
selle comme un Evangile falsifié et tronqué (2). Quant
au Protévangile, nous avons montré un peu plus haut
(1) J. D. Michaëlis, Inlrod. au N. T. vol. m, part. I, pag. 179,
êdit. anrjl. de Herbert Marsh.
(2) Epiphan. Hœres. xxx, c.xiii.
268 DE L'IKTÉGRITÈ des ÉVANGILES.
(pag. 250-252) que ce n'était qu'une pure chimère qui n'a-
vait jamais existé que dans l'imagination de ses parti-
sans. En second lieu, de ce que saint Marc ne dit rien de
ces deux chapitres, il ne s'ensuit nullement qu'ils fussent
étrangers à l'Évangile de saint Matthieu ; car'autrementil
faudrait encore retrancher du livre de ce même écrivain
sacré le sermon de Jésus sur la montagne et plusieurs
autres traits que saint Marc a également passés sous si-
lence. Nos adversaires devraient faire attention que tous
les évangélistes n'ont pas prétendu ne rapporter que les
mêmes faits, mais qu'ils avaient chacun son dessein par-
ticulier. Troisièmement enfin, quoique les circonstances
des premières années de Jésus-Christ rapportées dans
les premiers chapitres que nous attribuons à saint Mat-
thieu ne soient pas les mêmes que celles qui se trou-
vent racontées dans l'Evangile de saint Luc, il n'y a
cependant point de contradiction réelle, comme l'ont
prouvé les critiques et les interprètes. On objecte sur-
tout qu'il est impossible de concilier les deux généalo-
gies. Mais quand nous ne connaîtrions pas le moyen de
le faire, il ne s'ensuivrait pas qu'elles soient absolument
inconciliables; et, en bonne critique, l'on ne voit pas
trop pourquoi dans ce conflit on se prononcerait en fa-
veur d'un évangéliste plutôt qu'en faveur de l'autre,
quand il n'y a rien d'ailleurs qui prouve que les deux
chapitres contestés ne soient réellement point l'ouvrage
de saint Matthieu. Au reste, ces objections, qui sont plus
spécialement théologiques, trouveront leur réfutation
dans l'ouvrage où nous répondrons aux difficultés par-
ticulières de l'Écriture.
Obj. 2° Il est hors de doute, disent quelques protes-
tans modernes, que les douze derniers versets du cha-
DE l'intégrité des ÉVaNCILES. 2G9
pitre XVI de saint Marc ont été ajoutés au livre de cet
évangéliste par une main étrangère. En effet, saint Gré-
goire de Nysse dit que l'Évangile de saint Marc se ter-
mine, dans des manuscrits plus exacts, aux mots : Car
elles craignaient ; et saint Jérôme affirme que ce fragment
ne se trouvait pas dans presque tous les exemplaires
grecs (1).
Rép. Ces autorités se trouvent balancées par d'autres,
comme le remarque judicieusement Huji (2). Et d'abord
saint Jérôme met lui-même une restriction à son témoi-
gnage, quand , parlant d'une variante du verset li, il
dit qu'elle se trouvait dans certains exemplaires, et sur-
tout dans des manuscrits grecs : In quibusdam exem-
plarihis et maxime grœcis codicibiis . Qadini à saint Gré-
goire , que faut-il entendre par ses manuscrits plus
exacts? Peut-être des manuscrits plus correctement
écrits; mais cet avantage n'ajouterait rien à leur auto-
rité critique. D'un autre côté, nous avons en faveur de
ces douze versets tous les manuscrits grecs actuellement
existans, à l'exception de celui du Vatican et de deux
autres, qui les marquent d'astérisques. Ajoutons que des
scholies mises aux manuscrits actuels font foi qu'on les
lisait dans plusieurs anciens; et en effet, ils se trou-
vaient dans les éditions qu'Origène , Lucien et Hésy-
chius ont données du texte du Nouveau-Testament. On les
lit encore dans toutes les anciennes versions, la syriaque
dite Veschito, l'ancienne Italique, la version arménienne,
la syriaque dite de Jérusalem, et la Philoxénienne. Ces
(1) Greg. Nyss. Orat. ii de Rcsurrect. Hieron. Qnœsl. ad Hedib.
quœst. 3.
(2) Hug. Einlcit. ins IV. T. Th. ii, Scil. ?48, If.
27(J DE l'intégrité des ÉVANGILES.
versets ont été cités par les pères même les plus an-
ciens, tels que saint Justin, saint Irénée, saint Hippo-
lyte, saint Denis d'Alexandrie, saint Clément aussi d'A-
lexandrie, saint Cyrille de Jérusalem, saint Ambroise,
saint Augustin , saint Léon , Cassien et une multitude
d'autres ; on les lit dans les plus anciens livres d'Evan-
giles , tels que missels et lectionnaires en usage dans
toutes les églises. A ces argumens extrinsèques vien-
nent se joindre les preuves intrinsèques. Car on trouve
dans ces versets le style et la manière de raconter pro-
pres à saint Itlarc. Enfin les manuscrits qui ne con-
tiennent pas ces versets sont nécessairement défectueux,
parce qu'il est impossible que saint Marc ait terminé
son Evangile par ces mots : Car elles craignaient. Ce
qui prouve notre assertion, c'est que dans les manu-
scrits grecs qui ne contenaient pas ce fragment on avait
ajouté une autre conclusion. De là, Griesbach , dont
l'autorité est si grande en pareille matière , nomme la
fin du verset 8 conclusion très-brusque : conclusio abrup-
tissima; et il s'explique un peu plus bas, en disant qu'il
a dû paraître incroyable à tout le monde que saint Marc
eut ainsi terminé son livre : Omnibus incredibile videri
debebat, Marcum sic finivisse comment ariolutn suum (1).
On a donné différentes raisons pour expliquer l'omis-
sion de ce fragment dans ces anciens manuscrits. Quel-
ques-uns ont dit qu'ils avaient été omis pour lever la
contradiction qui se trouve entre le verset 9 et le ver-
set 1 du chapitre xxviii de saint Matthieu, par rap-
port à l'heure de la résurrection du Sauveur. Mais l'o-
(1) Griesbach, Commenl. cril. in lext. cjrœc. Parliciila w. png. 199.
^piid Hug, ibid. S cil. 253.
DE l'intégrité des ÉVANGILES. 271
mission de tant de versets peut difficilement se concilier
avec le respect dont les premiers chrétiens étaient pé-
nétrés pour le texte des saints Évangiles. D'autres ont
prétendu que saint Marc ayant été surpris par la mort
quand il en était au verset 8, le reste de son Evangile avait
été terminé brièvement par une main étrangère ; hypo-
thèse contraire non seulement à l'histoire, qui nous ap-
prend que saint Marc, après avoir composé sonEvaiigile
à Rome, le porta à Alexandrie, mais encore au caractère
particulier de ces versets, qui portent l'empreinte sen-
sible du génie de cet évangéliste. De son côté. Hug
suppose que la mort de saint Pierre étant survenue dans
le temps où saint Marc terminait son Evangile, le força
de quitter son ouvrage sans y avoir mis la dernière
main; qu'il le laissa à Rome dans cet état, et qu'on en
tira des copies ; mais qu'arrivé à Alexandrie, il y ajouta
la conclusion telle que nous l'avons dans nos manu-
scrits actuels, c'est-à-dire assez écourtée ; par la raison
que se trouvant privé des directions de saint Pierre, il
crut devoir éviter les détails et se borner à rapporter
les traits généraux. Cette hypothèse, très -ingénieuse
d'ailleurs , n'offre aucune impossibilité. Enfin d'autres
pensent que ces versets ont pu manquer dans quelque
ancien manuscrit, soit parce que le feuillet qui les con-
tenait était perdu, soitparce que le calligraphe se trou-
vant au bout de son rouleau n'a pu les écrire, et qu'en-
suite on a tiré des copies de ce manuscrit imparfait.
Quoiqu'il en soit de toutes ces hypothèses, il nous sem-
ble que les argumens que nous venons de produire ne
permettent pas de conserver le moindre doute fondé sur
l'authenticité du chapitre xvi tout entier de l'Évangile
de saint Marc.
272 DE L'iNTÉGPJTfi DES ÉVAXGTLES.
Obj. S'' L'histoire de la sueur de sang de Jésus-
Christ et de r<?pparition de l'ange pour fortifier le Sau-
veur dans son agonie, histoire rapportée au chapi-
tre XXII, versets 43, kk de l'Evangile de saint Luc, peut
passer pour une interpolation ; puisque saint Hilaire dit
qu'elle manquait dans beaucoup de manuscrits grecs et
latins, et que, selon Photius, les Arméniens crurent de-
voir la retrancher de l'Evangile de saint Luc (1).
Réj). Nous ne saurions mieux répondre à cette objec-
tion, qu'en disant avec Janssens (2) : a II faut nécessai-
rement que les deux versets où se trouve cette histoire
ou aient été omis par la négligence des copistes, ou re-
tranchés à dessein par des hommes qui craignaient mal
à propos, comme l'observe saint Jérôme, que ces dou-
loureux témoignages de la nature humaine de Jésus ne
fissent tort à sa divinité. L'exemple des Arméniens jus-
tifie cette seconde supposition; car, suivant Nicon, par
un scrupule tout-à-fait malentendu, ils regardaient cette
histoire comme indigne de la divinité de Jésus-Christ,
et Photius lui-même condamne leur erreur à cet égard.
Saint Epiphane fait une réflexion analogue ; après avoir
dit que dans quelques exemplaires de l'Evangile de saint
Luc on avait supprimé le verset ki du chapitre xix ,
où il est dit que le Sauveur pleura sur Jérusalem , il ajoute
que ceux qui s'étaient permis ce retranchement ne l'a-
vaient fait que dans l'idée mal fondée que ces pleurs
étaient indignes de Jésus-Christ (3). Mais cette his-
toire se trouve d'ailleurs dans la plupart des manuscrits
(1) Hilar. De Trvnt. l. u, c.xr.i. Phoiius, Episl. 138.
(2) J. H. Janssens, Hennen. sacr. % clxxxvh, n. 436.
(3)Epipban. Anchor. c. xxr.
DE L'iNTÉGRITf: DES ÉVANGILES. 273
grecs et latins et des plus anciennes versions ; elle est
citée par saint Irénée, saint Justin, saint Épiphane, saint
Hippolyte, saint Chrysostome, saint Augustin, etc. (1).»
Ajoutons qu'en bonne critique il est plus facile d'assigner
la cause de l'omission de ces versets dans quelques
exemplaires que celle de leur insertion dans tous les
manuscrits actuels et dans tous les plus anciens. Enfin
le saint concile de Trente ayant déclaré que la Vulgate,
avec toutes ses parties, telles qu'elles se lisent dans l'E-
glise , était authentique , et ces mêmes versets faisant
partie de la Vulgate et se lisant dans l'Église, pourrait-
on les regarder comme une interpolation faite à l'Évan-
gile de saint Luc ?
Obj. 4.° Le verset k du chapitre v de l'Évangile se-
lon saint Jean, disent beaucoup de critiques modernes,
peut être considéré comme une addition intercalée dans
cet Evangile par une main étrangère. Plusieurs raisons
concourent à le prouver. D'abord ce verset manque
dans trois anciens manuscrits, celui du Vatican, le codex
Ephremiy le manuscrit de Cambridge, et deux autres;
il manque encore dans plusieurs manuscrits des ver-
sions copte et arménienne; enfin dans cinq manuscrits
de la version latine. Ajoutez à cela qu'il se trouve dans
dix manuscrits grecs marqué d'une étoile, comme étant
une addition, et dans deux autres marqué d'une bro-
che, qui est également un signe d'interpolation. Enfin,
dans d'autres manuscrits il est placé à la marge et
(1) Hieron Dial. 2 contr. Pelag. Nico. De Pess. Rel. Ârm. apud
Calmet. Phoiius, ibid. lien. Adv. hœres. l. xsxiii, c. xxxiii. Justin.
Dial.cum Tryph. Epiphan. Anchor. c. xxxi. Hippolyt. Contr. Noe-
tum, c. xiii. Chrysost. Hom. LX\\i\ in Matl/i.Au^ust. De concord,
Evany.
12.
274 DE l'intégrité des ÉVANGILES.
tracé d'une écriture différente,] ou bien il ne se lit pas
de la même manière. En second lieu, Origène paraît ne
l'avoir pas eu, du moins il ne l'explique pas dans ses
Commentaires; ce qu'il n'eût pas manqué de faire, s'il
l'eût cru authentique. Tertullien y fait allusion, mais il
y ajoute des circonstances qui ne se trouvent pas dans
le texte actuel. Il dit, par exemple, que l'ange ne descen-
dait qu'une fois l'année, et que la vertu curative des
eaux a cessé à la venue de Jésus-Ghrist (1). Troisiè-
mement, si on interroge la critique, elle ne manquera
pas de répondre qu'il est plus facile d'expliquer l'addi-
tion que l'omission. On peut supposer avec Mill que ce
verset se trouvait dans l'Evangile des Hébreux; et
comme il explique très-bien la réponse du paralytique
à Jéscs-Christ , on l'aura d'abord mis à la marge,
comme il s'y trouve effectivement encore dans quelques
manuscrits ; de la marge , il sera passé dans le texte ,
mais marqué d'une étoile ou d'une obèle, tel que nous le
voyons encore dans douze manuscrits. Enfin, après que
les copistes auront négligé ces marques, il sera devenu
partie du texte. D'un autre côté, comme il n'était dans
l'origine qu'une note marginale ajoutée pour expliquer
la réponse du paralytique, on conçoit comment il se
trouve différemment expliqué dans les manuscrits et les
versions. Au lieu qu'on ne voit point de raison qui au-
rait pu engager à l'omettre. D'abord ce n'est point par
hasard qu'il a été omis, puisque des manuscrits de dif-
férentes recensions ne le portent point ; l'opération de
l'ange et le miracle des eaux de la piscine ne devaient
pas être un motif de le supprimer; caries anciens chré-
(1) Tertull. Adv. Judœos, xui.
DE L'INTKGRITÉ des ÉVANGILES. 275
liens ne trouvaient dans ces opérations merveilleuses
rien qui pût les choquer. Ajoutons qu'il y avait dans le
verset même une raison de le conserver, puisque sans
lui la réponse du paralytique devenait obscure, et lais-
sait la narration évangélique imparfaite. Quatrièmement
enfin, les plus habiles critiques protestans pensent qu'il
est au moins douteux que ce verset appartienne réelle-
ment à l'Évangile de saint Jean.
Rép. Quelque forte que paraisse cette objection au
premier abord , nous croyons trouver dans les seules
ressources que fournit la critique un moyen sûr de dé-
truire l'illusion qu'elle peut faire sur l'esprit du lecteur.
Il ne faut pas perdre de vue que nous avons en faveur
du verset contesté le plus grand nombre de manuscrits,
l'autorité de la plupart des anciennes versions, et celle
de la plus grande partie des pères, parmi lesquels nous
comptons ïertullien, saint Jean Chrysostome, saint Cy-
rille , ïhéophylacte et Euthymius, etc. Que TertuUien
ajoute au texte des circonstances qui ne s'y trouvent
réellement pas , ce fait ne saurait nuire à l'authenticité
de ce même texte , à moins qu'il n'y ait dans la citation
du père quelque chose qui exprime de sa part un doute
quelconque sur son origine authentique. Or il ne s'y
trouve incontestablement rien , comme on peut facile-
ment s'en convaincre en jetant un coup d'oeil sur ce
qu'il dit de la piscine de Bethsaide (1) . De plus, ce ver-
(1) « Angelum aquis intervenire, si novum videtur, exemplum fu-
turum pra'cucixrrit. Piscinam Bethsaïda angclus inlcrvcnienscommo-
vebat : obscrvabant qui valeludincni qucercbanlur. Nam si quis pra3-
voneral descendere iiluc, queri post lavacrum dcs;nebat(Tcriull. De
bapi'nmo, n. vi),»
276 DE l'intégrité des ÉVANGILES.
set se lit encore dans toutes les versions qui sont au-
jourd'hui à l'asage des églises chrétiennes. Ainsi, à con-
sidérer la question sous le point de vue des témoignages
externes , le passage contesté concilie en sa faveur un
plus grand nombre d'autorités. Pour bien sentir toute
la force des preuves internes qui établissent l'authenti-
cité de ce verset, il faut nécessairement l'avoir sous les
yeux. Le voici donc traduit littéralement de la Vulgate :
c( Car l'ange du Seigneur descendait à certain temps
dans la piscine, et l'eau était agitée. Et celui qui entrait
le premier après que l'eau avait été agitée était guéri ,
quelque maladie qu'il eût.» Or la suite et la liaison du
discours exigent impérieusement que ce verset fasse
partie du récit que trace ici l'évangéliste ; car il est dit
immédiatement après , que Jésus ayant demandé à un
malade qui était près de la piscine s'il voulait être
guéri, cet homme répondit : « Seigneur, je n'ai personne
pour me jeter dans la piscine après que l'eau a été agi-
tée ; et pendant le temps que je mets à y aller, un autre
y descend avant moi.» Qui ne voit en effet que la ré-
ponse du malade suppose nécessairement le verset 4 ;
c'est-à-dire qu'elle suppose évidemment que pour être
guéri, il fallait que l'eau eût été d'abord agitée, et que
le malade fût le premier qui descendît dans la piscine.
Or c'est là précisément ce qu'exprime ce même verset k.
La chose a paru si claire à Hammond lui-même, qu'il ne
craint pas de dire que sans rien définir sur la variété
de quelques manuscrits, ce verset est absolument né-
cessaire à la liaison du discours , et qu'il s'attache en
conséquence à la leçon vulgate, sans avoir égard aux
changemens, d'ailleurs discordans entre eux, que pour-
raient suggérer des exemplaires d'une vénérable anti-
DE L'iNTftGRITK DES ÉVANGILES. 277
quité (1) . Enfin, si ce verset manque dans quelques ma-
nuscrits, c'est sans doute la faute de quelque copiste ,
qui, par inadvertance, l'aura omis, et dont l'exemplaire
fautif aura été copié par d'autres. Il peut se faire encore
qu'un copiste ayant regardé comme douteux un fait
aussi extraordinaire, et dont les livres juifs ne font au-
cune mention , l'aura en conséquence marqué d'une
étoile ou d'une obèle, et aura donné lieu à la faire dis-
paraître entièrement du livre (2).
Obj. 5° L'histoire de la femmme adultère rapportée
dans l'Évangile de saint Jean (viii, 1-11) peut être con-
sidérée comme ajoutée par une main étrangère; car
premièrement les manuscrits les plus anciens, tels que
Celui du Vatican , l'Alexandrin , le Codex Ephremi, le Ro-
bert-Estienne, et plusieurs autres plus modernes ne la
contiennent pas ; et parmi ceux qui la portent, il en est
où elle se trouve marquée d'une obèle ou d'une étoile.
Enfin quelques-uns la placent dans l'Evangile de saint
Luc ou la rejettent à la fin de l'Evangile de saint Jean.
Secondement, elle manque dans la version syriaque
Peschito, dans les deux coptes memphitique et saïdique ;
dans la version gothique et dans plusieurs manuscrits
de l'arménienne. Troisièmement, elle n'a point été ad-
(1) « In hac varietate GodJ. nihil definire possumus, nisi quod
toli oralionis seriei quara maxime consentaneum est, quod est utad-
han-camus vulgaLf Icclioni, non admissis mutalionibus, quas nobis
suggeruot veneranda? antiquitalis codices, invicem contrariis (TV^. T,
ex versione P^ulgata cum paraplirasi et adnolationibus Henrici Ha-
mondi, ex angl. lingua in lat.translat. à J. Clerico. Adnot. in Joan.
c. v). »
(2) Voyez M. Scliolz dans les prolégomènes de son édition critique
du JîouYcau-Testament.
278 DE l'intégrité des ÉVANGILES.
mise par un certain nombre de pères parmi lesquels
on compte Origène, Apollinaire, saint Cyrille, saint Jean
Chrysostome, saint Basile, Théophylacte. Ajoutons que
les vingt-trois auteurs cités dans les Chaînes grecques
n'en disent rien. Euthymius, le premier qui l'ait expli-
quée, remarque qu'elle ne se trouve pas dans les manu-
scrits exacts ou qu'elle y est marque d'une obèle.
Rép. Ces raisons, quelque spécieuses qu'elles soient,
ne nous paraissent point assez fortes pour nous faire
abandonner l'authenticité de cette histoire. D'abord elle
se lit dans six anciens manuscrits, dont un est celui
de ^Cambridge ; saint Jérôme nous assure que de son
temps elle se trouvait dans plusieurs exemplaires grecs
et latins. Ajoutons que des scholies mises aux manu-
scrits actuels lémoignentqu'elle se trouvaitdans des ma-
nuscrits anciens. Elle se lit d'ailleurs dans la plupart
des manuscrits actuels. En second lieu, plusieurs an-
ciennes versions la contiennent; nous pouvons nommer
l'ancienne Italique, la Yulgate de saint Jérôme, la ver-
sion syriaque de Jérusalem, l'éthiopienne et la slavonne.
Quant à la version arménienne, elle la portait aussi pri-
mitivement ; et ce n'est que plus tard qu'on l'en a re-
tranchée. Troisièmement, on la trouve citée dans les
Constitutions apostoliques, dans saint Ambroise, saint
Jérôme, saint Augustin, saint Léon, saint Pierre Chry-
sologue, Gassiodore, dans les deux harmonies qui sont
attribuées à Tatien et à Ammonius. Quatrièmement, les
caractères intrinsèques prouvent qu'elle est réellement
l'ouvrage de saint Jean ; car le style est tout-à-fait celui
de cet évangéliste, et d'un autre côté les interprètes
ont démontré que les difficultés qu'elle présente n'é-
taient nullement insolubles. Mais la liaison même du
DE l'INTÉCRITÉ des ÉVANGILES. 279
discours prouve l'authenticité de cette histoire. En effet,
le verset 12 du chapitre viii dont elle fait partie, com-
mence ainsi : « Jésus parlant de nouveau au peuple, etc.
Or, l'expression de nouveau annonce que déjà un in-
stant auparavant le Sauveur s'était adressé au peuple
et en particulier aux pharisiens, et elle serait tout-à-fait
déplacée si l'on retranchait l'histoire dont il s'agit. Et
qu'on ne dise pas que les mots de nouveau se rappor-
tent au chapitre précédent, car il est terminé par une
assez longue discussion des Juifs entre eux, discussion
qui finit elle-même par : Et chacun s'en retourna en sa
maison. Enfin, si l'on consulte les lois delà critique, on
reconnaîtra aisément qu'il n'y a aucun motif qui ait pu
déterminer à insérer ce fragment dans l'Evangile de
saint Jean, à supposer qu'il soit l'ouvrage d'une^plume
étrangère, tandis qu'il y a plusieurs causes qui expli-
quent son omission d'une manière assez naturelle. Car,
outre qu'elle se trouvait dans l'Évangile selon les Hé-
breux, ce qui devait la faire regarder comme suspecte,
et qu'elle offre plusieurs difficultés historiques, en même
temps qu'elle semble bouleverser l'ordre de la narration
de saint Jean, elle peut paraître favoriser l'adultère.
« Voici quelle a été la cause de la discordance des an-
ciens manuscrits à cet égard, dit judicieusement Jans-
sens : les chrétiens grecs, par une délicatesse excessive,
crurent, comme le remarque saint Augustin (Deconjug.
adulter. l. ii,c. vu), qu'on ne devait pas lire dans les
Eglises l'histoire de la femme adultère, de peur que le
sexe n'y vît une autorisation à pécher ou au moins une
excuse; d'autres craignaient de fournir un prétexte aux
gentils pour accuser les chrétiens de légitimer un si grand
péché. D'où il est arrivé naturellement qu'après s'être
280 DE l'intégrité DES ÉVANGILES.
borné dans les commencemens à marquer cette histoire
d'un signe particulier, on a fini par ne plus l'insérer
dans les copies qui devaient servir aux lectures publi-
ques ; et celte omission aura ensuite servi de règle pour
quelques autres manuscrits (1). » Ainsi, en résumé, il y
a plus de raisons d'admettre que de rejeter cette histoire,
puisque 1° elle compte en somme plus de manuscrits
même anciens en sa faveur, VAlexandinn et le Codex
Ephremi qu'on objecte se trouvant mutilés sur cette
partie ; 2° elle oppose six versions aux deux qu'on al-
lègue contre son authenticité ; 3° la plupart des pères
cités comme lui étant défavorables ne la rejettent pas
positivement ; ils n'en parlent jpas, tandis que ceux que
nous produisons en sa faveur l'admettent de la manière
la plus expresse; circonstance d'autant plus importante
que des témoins positifs l'emportent toujours sur des
témoins purement négatifs, et que cette règle doit avoir
d'autant plus de poids et d'autorité dans la question ac-
tuelle que toutes les églises chrétiennes ont reçu cette
histoire depuis un temps immémorial, et qu'elles la li-
sent aujourd'hui même dans l'office public; 4° les preuves
intrinsèques qui militent en sa faveur sont tirées du style
même et de sa connexion la plus étroite avec les antécé-
dens et les conséquens, tandis que les argumens in-
ternes qu'on oppose s'appuient sur des difficultés telles
qu'il s'en trouve dans les pièces les plus incontestable-
ment authentiques ; 5° enfin il y a plusieurs raisons qui
peuvent expliquer son omission dans quelques versions,
manuscrits, etc., au lieu qu'il n'y en a pas une seule qui
puisse justifier son insertion .
(1) Janssens, Hermen. sacr. § cxci, 7î. 440.
DE L'iXTl^XniTÉ DES ÉVANGILES. 281
Obj. 6** Le chapitre xxi de l'Evangile de saint Jean,
disent après Grotius quelques critiques protestans, est
certainement une interpolation faite au livrede cet évan-
géliste; on en trouve facilement la preuve : 1° dans les
versets 30, 31 du chapitre xx, où l'auteur dit qu'il ter-
mine en cet endroit son Évangile ; S'* dans ce qu'on lit
au chapitre xxi, verset 23, sur l'immortalité de saint
Jean : u Ainsi je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je
vienne... » ; 3° dans \eip\nne\nou8 savons [oîSy. y.- j), qui se
trouve au verset 2^ ; h-" dans l'hyperbole du verset 25,
où il est dit que le monde entier ne pourrait contenir les
i livres qu'on écrirait, si on voulait rapporter en détail
tout ce qu'a fait et dit Jéscs-Christ ; 5° dans une con-
tradiction manifeste; car, disent-ils, leSauveur, lorsqu'il
apparaît à ses disciples (xiv, 26), leur commande de ne
point sortir de Jérusalem avant d'avoir reçu le Saint-
; Esprit, ce qui est attesté par saint Luc (xxiv, i9) et par
les Actes des Apôtres (i, 3-i) ; et suivant le chapitre xxi
attribué à saint Jean, le Christ apparaît aux apôtres
avant la descente du Saint-Esprit; il leur apparaît en
! Galilée ; par conséquent ils étaient sortis de Jérusalem.
Rép. Ces difficultés sont bien faibles, ce nous semble ;
aussi ont-elles été victorieusement combattues par des
critiques très-distingués, soit catholiques, tels que Ri-
chard Simon, Hug, etc., soit protestans, comme Mill,Wet-
stein, Michaëlis, Eichhorn, etc. Ces critiques, en effet,
avaient à donner pour raison que ce chapitre xxi fait par-
tie de l'Evangile de saint Jean dans tous les manuscrits,
dans toutes les éditions; que tous les pères et tous les
écrivains ecclésiastiques qui en ont parlé l'ont attribué
àcet évangéliste; au point qu'on ne saurait citer avant
Grotius aucun auteur, catholique ou hérétique, qui ait
282 DE I/INTÉGRITÉ DES ÉVANGILES.
jamais eu une autre pensée. Au contraire , toutes les
églises du monde chrétien l'ont constamment reçu et
lu comme véritablement authentique. Mais entrons dans
les détails de l'objection. V L'espèce de conclusion qui
termine le chapitre xx annonce seulement que saint
Jean, au moment où il écrivait le dernier verset de ce
chapitre, avait à la vérité l'intention de clore son Evan-
gile; et s'il y a ensuite ajouté son chapitre xxi, il a eu
pour motif de rattacher l'apparition rapportée au cha-
pitre XX, 26-29, à celle dont il est parlé dans ce cha-
pitre XXI, et de remplir le vide entre l'une et l'autre.
Mais ce qui est bien digne d'attention, c'est que saint
Jean paraît avoir remarqué lui-même que la place de ce
fragment, après la conclusion du chapitre xx, pouvait
exciter des doutes, et qu'il semble avoir voulu les pré-
venir en ajoutant (xxi, 2i) : «C'est ce même disciple
qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites.»
Ajoutons que les caractères intrinsèques de ce chapitre
suffiraient d'ailleurs pour démontrer qu'il appartient à
saint Jean; l'étendue de la narration, toujours accom-
pagnée de circonstances qui ne pouvaient être connues
que d'un témoin oculaire et d'un pêcheur (versets 7, 8
et 11) ; l'accord des faits avec les caractères des per-
sonnes (versets 7, 15-19) , et le style, absolument sem-
blable à celui des chapitres précédens; à quoi il faut
ajouter le témoignage des plus anciens pères, des ma-
nuscrits et des versions les plus anciennes. 2° Suivant
le texte grec, où se trouve la particule siv, si, il faut dire
si je veux qu'il demeure... et non pas ainsi, je veux...,
ce qui est très-différent. 3" Le pluriel employé ici par
saint Jean n'est point une nouveauté dans son Evangile,
et il en a fait de même dans les chapitres i, 14; ui, 11,
DE l'ixtkgritf": dpIs I-VANGILES. 283
et au chapitre i, 1-3, de sa première Epître. 4-° L'hy-
perbole qu'on objecte est une de ces manières de parler
familières aux Orientaux ; on en voit des exemples dans
la partie même de l'Evangile de saint Jean qui n'est
point contestée (xii,iO), dans la Genèse (xi,V), dans les
Nombres (xiii, 33), etc. b" Enfin la défense faite aux
apôtres de sortir de Jérusalem n'eut lieu qu'après l'ap-
parition de JÉsus-CnuiST en Galilée, comme il est con-
stant par les chapitres xxvi, 32; xxviii, 7 et 10 de
saint Matthieu : on y lit en efi'et que ce divin Sauveur
promit à ses apôtres qu'il leur apparaîtrait la première
fois dans la Galilée; d'où il résulte évidemment que ce
fragment ne renferme aucune contradiction ni avec l'ou-
vrage même avéré de saint Jean, ni avec les autres livres
sacrés.
Ainsi, le chapitre xxï de l'Evangile de saint Jean
n'est nullement une interpolation. Si quelque partie de
ce chapitre pouvait faire naître quelque doute, ce se-
raient tout au plus les deux derniers versets, qui, selon
certains critiques, paraissent écrits par une main autre
que celle de l'évangéliste; mais nous ne pensons pas
qu'on puisse produire des argumens critiques assez so-
lides pour le prouver d'une manière satisfaisante. Dans
tous les cas, il faudrait nécessairement les attribuer à
l'église d'Éphèse; ce qui serait une preuve de plus en
faveur de l'origine apostolique de tout l'Évangile selon
saint Jean, y compris même le chapitre xxi.
Obj. 7» Il est certain, disent Collins et les déistes après
lui, que les Evangiles ne nous ont pas été transmis dans
leur intégrité, puisque Victor, évéque de ïunones, ra-
conte dans sa Chronique : (c que par les ordres du consul
Messala, sous lerègnedel'enipereur A nastase, les saints
284 DU l'intégrité des évangiles.
Évangiles, composés par des auteurs ignorans et sans
lettres, avaient été retouchés et corrigés,» et que d'un
autre côté les anciens manuscrits présentent d'innom-
brables variantes (1).
Rép. Nous ne saurions douter que Victor s'est laissé
abuser par quelques bruits populaires répandus sur un
empereur qui était odieux, et que son attachement à des
doctrines perverses pouvait faire soupçonner de cher-
cher à altérer les sources de la saine doctrine. La preuve
en est dans le silence des autres historiens et chronolo-
gistes contemporains, d'une autre réputation que la
sienne, tels que Procope, Evagrius, Cedrenus, etc., qui,
en rapportant les impiétés d'Anastase, ne disent pas un
mot de cette correction des Evangiles ainsi défigurés.
Bien plus, nouslisons dans Libérât, diacre de Carthageet
contemporain de Victor, un fait qui contredit celui qu'on
nous oppose ici. Cet auteur, en effet, rapporte dans son
abrégé des Hérésies nestoriennes et eutychiennes, que
Macédonius, évêque de Constantinople , passait pour
avoir été chassé de son siège par l'empereur Anastase
comme ayant falsifié les Evangiles (2). Ainsi on ne peut
tirer du récit de Victor de Tunones aucune preuve dé-
favorable à l'intégrité de nos Evangiles. Ajoutons que
les manuscrits grecs antérieurs au règne d'xVnastase,
les ouvrages des pères, écrits avant et après cette épo-
que, où se trouvaient cités les faits et le texte des Evan-
giles, ainsi que les versions anciennes, s'accordent non
seulement les uns avec les autres, mais aussi avec les
Evangiles tels que nous les avons aujourd'hui. Enfin il
(1) CoUins, Sur la liberté de penser.
(2) Libérât. Breviarium, c. xix.
DE LA VJiUACrfÉ DES ÉVANGILES. 285
eût été impossible à Anastase de réussir à corrompre les
Evangiles, puisqu'il n'avait pas sous sa main toutes les
copies disséminées dans les pays qui n'étaient pas sou-
mis à sa domination. Quant au grand nombre de le-
çons différentes qu'on nous objecte, elles ne tombent
que sur les mots, et n'affectent nullement le sens, du
moins dans les choses qui touchent à la foi et à la mo-
rale. Ainsi, sous ce rapport même, loin de combattre
la pureté du texte dans les choses essentielles, elles ne
font que la confirmer. Voyez de plus les observations
que nous avons déjà faites (pag. 260, 261) sur ces sortes
de variantes.
CHAPITRE SEPTIEME.
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVAXGILES.
Quand dans V Introduction générale (t. i, pag. 32 et
suiv.) nous avons établi l'inspiration divine de tous les
livres du Nouveau-Testament en général, nous avons
prouvé par là même qu'ils ne contenaient que la vérité.
Ainsi nous pourrions, ce semble, nous dispenser de dé-
montrer la véracité de nos Evangiles, qui forment la par-
tie la plus importante de ce code sacré des chrétiens.
Cependant, comme la matière même des écrits évangé-
liques présente quelque chose de particulier , et qu'ils
ont été plus spécialement l'objet des attaques de l'incré-
dulité moderne , nous avons cru devoir établir la propo-
sition suivante.
286 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
PROPOSITION.
Les faits contenus dans 7ios Evangiles sont incontestable-
ment vivais.
Pour avoir droit de contester la vérité des faits con-
tenus dans nos Evangiles, il faudrait de toute nécessité
qu'on pût prouver que les écrivains qui les rapportent
ont été eux-mêmes induits en erreur , ou bien qu'ils ont
voulu tromper lesfiutres, et qu'ils ont réellement réussi
dans cette tentative. Or, nous croyons au contraire pou-
voir démontrer nous-même que les évangélistes n'ont
été nullement trompés sur les événemens qu'ils nous ra-
content, qu'ils sont des historiens de bonne foi, c'est-à-
direqui n'ont pas cherché à en imposer dans leurs écrits,
et qu'il n'aurait pas été en leur pouvoir de tromper quand
ils l'auraient voulu.
1. Premièrement les évangélistes n'ont pu être dans
l'erreur par rapport aux événemens qui font l'objet de
leurs ouvrages , s'il leur a été non seulement possible ,
mais même facile d'avoir une connaissance exacte de ces
événemens. Or la chose nous semble démontrée. Et d'a-
bord parmi les quatre évangélistes, Matthieu, Marc, Luc
et Jean, qui se présentent à nous comme historiens des
actions et de la doctrine de Jesus-Chrtst , deux d'entre
eux, Matthieu et Jean, sont non seulement contempo-
rains, mais encore témoins oculaires de la plus grande
partie de tout ce qu'ils nous racontent. Les deux autres,
Marc et Luc, sont aussi contemporains , et ont entendu
les témoins oculaires. Saint Marc a écrit d'après les in-
structions de saint Pierre, le chef des apôtres. Saint Luc
est un homme très-instruit des devoirs d'un historien,
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVAXGILIiS. 287
comme il le prouve par son prologue. Ce n'est pas tout,
il était lié avec saint Paul qu'il avait accompagné dans ses
voyages; il avait vu et connu les antres apôtres, qui ayant
vécueux-mémes dans le pays où s'étaient accomplis les
faits évangéliques, avaient pu en suivre le cours et le
développement. Quant au petit nombre de circonstances
particulières sur la naissance et l'enfance de Jésus, elles
ont, selon la remarque judicieuse de Janssens, un garant
irrécusable danslavéracité qui a présidé à toutes les autres
parties de son histoire (1) . Quoique tous les évangélistes
aient écrit peu de temps après la mort du Sauveur, ce-
pendant ils n'ont pas tous écrit dans le même temps pré-
cis, ni dans le même lieu, ni dans la même langue, ni du
même style, comme nous l'avons montré dans les quatre
premiers chapitres de cette section. Quand on compare
leurs quatre Evangiles, on voit que ce sont quatre au-
teurs dont chacun est original en son genre, et qui tous
ont travaillé indépendamment l'un de l'autre. Les uns
racontent des choses que les autres ont omises ; ils ne
placent pas tous les mêmes faits dans le même ordre. Ils
ne les disent pas dans les mêmes termes ni avec les
mêmes circonstances; et cependant ils ne se contredi-
sent jamais. Le style de chacun d'eux, quoique d'une
simplicité admirable, ne ressemble à aucun des autres.
De toutes ces observations, il résulte clairement que les
quatre évangélistes ont composé leurs ouvrages sans
s'être concertés ensemble ; principe d'où découle néces-
sairement la conséquence que chacun d'eux était assuré
de la véracité du fait qu'il racontait. Jamais, ce semble,
les quatre histoires de Jésus -Christ composées par les
(1) J.H. Janssens, Hennen. sacr. § cclii, h. 516.
288 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
quatre évangélistes n'auraient pu être aussi conformes
qu'elles le sont, si chacun d'eux n'eût point puisé à une
source pure et certaine, et d'un autre côté, jamais elles
n'auraient pu être aussi différentes qu'on les voit, si
les quatre évangélistes les eussent composées de con-
cert (1). Qu'on nous dise maintenant s'il y a jamais eu un
homme , quelque illustre qu'on le suppose , dont l'his-
toire ait été écrite par un si grand nombre de témoins
aussi bien informés et aussi croyables ?
2. En second lieu, que les évangélistes se soient mon-
trés historiens de bonne foi, c'est-à-dire qu'ils n'aient
pas voulu tromper, c'est ce dont il n'est point permis de
douter , dès que l'on considère la nature même de leur
ouvrage, leur position et leur conduite, enfin le caractère
personnel du héros dont ils nous ont transmis l'histoire.
1° Tout homme qui écrit une histoire veut être cru de
ses lecteurs : ce sentiment est dans la nature. Mais celui
qui écrit une histoire remplie d'événemens merveilleux,
et qui ne ressemble à rien de ce que les hommes avaient
vu jusque là, craint sans cesse non seulement de n'être
pas cru, mais encore de passer pour un homme peu in-
struit, d'esprit faible et crédule, et pour un visionnaire;
et pour parera cet inconvénient, il prépare avec soin ses
lecteurs à recevoir ce qu'il va raconter ; il s'efforce de
l'établir par des raisonnemens, ou il promet des preu-
(1) Dans l'opinion même des critiques qui prétendent que chaque
évangélisle a connu l'ouvrage de ses prédécesseurs, notre argument
conserverait toujours une ceriaine force, puisque les derniers évan-
gélistes, qui sont considérés comme les réviseurs des premiers, n'ayant
jamais contredit positivement leurs devanciers, c'est une preuve évi-
dente qu'ils avaient foi en l'exactitude de leur histoire, et qu'ils n'a-
vaient rien à opposer à la vérité de leur narration.
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGiLtS. 289
ves ; il ne manque pas surtout de citer ses garans , ou
bien il s'engage à les signaler dans l'occasion ; précau-
tions qui décèlent toujours un écrivain se défiant de lui-
même, ou de son sujet, ou de ses lecteurs, et que les
évangélistes ne prennent jamais. En effet, la confiance
qu'ils ont dans la vérité est telle qu'il ne leur vient même
pas à la pensée de recourir aux ressources de l'art pour
la faire recevoir ; et quoiqu'ils commencent leur livre
par le récit du miracle le plus étonnant et en même
temps le plus secret qui ait jamais été fait, nous voulons
dire la conception d'un Homme-Dieu, par la seule opé-
ration du Saint-Esprit, dans le sein d'une femme restée
toujours vierge, ils n'avertissent pas seulement leurs lec-
teurs que les prodiges que Jésus-Christ a opérés en pu-
blic, et dont tout le monde a été témoin, sont si grands,
qu'ils doivent faire croire à ceux dont il a été lui-même
le sujet, quoiqu'ils n'aient été vus de personne. Un au-
tre caractère de vérité qui ne peut manquer d'être saisi
par les lecteurs des Évangiles, c'est la simplicité, nous
dirions volontiers la nudité même du récit. Dans cette
histoire, tout est fait, événement; jamais les auteurs ne
disent rien d'eux-mêmes. On n'y trouve aucun mot qui
ait été mis pour frapper l'esprit, flatter l'oreille ou re-
muer les passions. Jamais ils ne prouvent , jamais ils ne
tirent de conséquence ; jamais ils ne font de réflexions ;
jamais ils n'avancent de conjectures ; jamais ils ne di-
sent ni ne font seulement entrevoir ce qu'ils pensent
des événemens qu'ils racontent, ni des personnages qui
y jouent un rôle quelconque. Par conséquent, on ne
voit jamais couler de leur plume un seul mot, soit d'ad-
miration ou d'approbation, soit de blâme ou de raille-
rie. Ainsi, dans aucune circonstance ils ne sepermet-
v. 13
290 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
^ent de juger ni les personnes, ni leurs intentions, ni
leurs actions. De là vient qu'on ne trouve point de por-
traits dans leurs écrits, comme on en rencontre si sou-
vent dans tous les historiens profanes, même les plus
sincères et les plus véridiques. Ajoutons que la manière
dont les évangélistes parlent d'eux-mêmes et de leurs
compagnons nous offre encore la preuve la plus évidente
de leur sincérité et de leur bonne foi. En effet, ils nous
racontent l'obscurité de leur naissance , leurs défauts ,
leurs faiblesses, leurs fautes les plus humiliantes , sim-
plement comme des choses liées aux événemens de la vie
de Jésus-Christ, et qui sont des circonstances de ces
événemens. La même simplicité et le même naturel se
font remarquer dans tout ce que les évangélistes nous
rapportent de leur divin maître ; ils n'ont jamais un
mot de louange pour ses vertus , ses bienfaits mêmes
envers eux ; jamais un seul reproche adressé à ses en-
nemis , à ses persécuteurs ou à ses bourreaux (1) . —
2° Quand une histoire qui contient de grands événe-
mens a été écrite et publiée par un auteur contempo-
rain, qui raconte des choses qu'il a vues lui-même , ou
que des témoins oculaires lui ont apprises , et qui
étaient d'ailleurs publiquement connues de son temps,
sans que personne se soit inscrit en faux contre son
récit, ni dans la nation chez laquelle il dit que ces évé-
nemens se sont passés , ni parmi les peuples voisins :
cette histoire est universellement regardée comme véri-
table et digne de foi, quel qu'en ait été l'auteur, puis-
(1) En jetant un simple coup d'oeil sur les Évangiles, on trouvera fa-
cilement le développement de toutes ces considérations, que nous ne
pouvons présenter nous-mème ici que d'une manière générale.
(
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES. 291
qu'elle se trouve munie du sceau de l'approbation du
siècle dans lequel elle a été publiée. Aussi , jamais un
homme sensé ne s'aviserait de révoquer en doute la vé-
racité d'un ouvrage revêtu d'un pareil caractère, eût-il
été écrit par un homme sans mœurs et sans probité, tel
que fut Salluste, par exemple, parce que l'approbation
donnée à l'ouvrage par les contemporains suppléerait
assez à ce qui manque à l'écrivain pour se faire croire.
Or, l'Evangile contient des événemens de la plus haute
importance, des événemens publics qui ont eu lieu à la
face de toute une génération. Quant aux évangélistes,
ils ont été contemporains des faits qu'ils rapportent ;
les uns témoins oculaires des faits eux-mêmes , les au-
tres témoins auriculaires de ceux qui avaient vu les
événemens de leurs propres yeux , ce qui a fait dire à
saint Jean : « Nous vous annonçons ce que nous avons
entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que
nous avons regardé avec attention et que nous avons
touché de nos mains (1 Joan. i, 1, 2). » Ajoutez à
cela que les évangélistes n'ont pas été seulement des
hommes d'une probité irréprochable , mais encore de
la plus haute sainteté. Tout en eux respire le plus pur
amour de Dieu, la charité la plus tendre et la plus gé-
néreuse pour le prochain , le détachement le plus hé-
roïque de tous les biens dont l'ambition, la cupidité et
les autres passions inspirent ordinairement le désir aux
mortels. Vit-on jamais des hommes plus justes, plus
amis de leurs semblables, plus modestes, plus chastes,
plus tempérans; en un mot, des modèles plus accomplis
de toutes les vertus ? Et ce seraient ces mêmes hommesqui
auraient démenti tant de belles qualités, déshonoré tant
de mérites, en publiant comme vérités ce qu'ils savaient
292 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
être mensonge et imposture ! On les a traités, il est vrai,
de séditieux, de perturbateurs du repos public, d'enne-
mis des empereurs, d'impies et de magiciens, et sous
ces prétextes, on les a poursuivis, tourmentés et mis à
mort; mais nous savons que toutes ces accusations vou-
laient dire uniquement qu'ils étaient chrétiens, qu'ils
annonçaient l'Evangile avec un zèle intrépide, qu'ils tra-
vaillaient avec ardeur et sans relâche à faire connaître
aux païens la vanité de leurs idoles et l'impiété du culte
qu'ils leur rendaient , et qu'ils opéraient des miracles.
Ainsi, les persécutions sont la preuve la plus éclatante
de leur vertu, comme leur vertu elle-même est une dé-
monstration sensible delà vérité de leur récit. Ainsi la
mort violente des évangélistes , le sang qu'ils ont ré-
pandu pour soutenir les faits qu'ils ont écrits après les
avoir prêches de vive voix, voilà le témoignage le plus
fort, le plus irrécusable de la véracité de nos Evangi-
les.— 3° Le caractère personnel de Jésus-Christ, dont
les évangélistes font l'histoire, quand on le considère at-
tentivement, nous fournit une nouvelle démonstration
de la sincérité et de la bonne foi de ces historiens sa-
crés. Ce caractère , dit Hug, dont nous empruntons les
expressions, est en effet si grand, si noble, si sublime,
qu'il ne saurait être le fruit de leur imagination. Un
homme qui, malgré l'éducation la plus commune et la
plus vile, a su s'élever de lui-même au plus haut degré
de la raison et du génie, qui a pu concevoir et même
mûrir dans son esprit un plan aussi vaste et aussi élevé
que celui d'opérer la réforme morale de sa nation, d'é-
purer et de perfectionner ses lois et ses préceptes , et
changer même tout l'univers; qui, sans être ébranlé
par les obstacles , a pu conduire un si grand dessein à
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES. 293
exécution ; et qui a môme donné pour caution sa vie,
qu'il a effectivement perdue au milieu des plus cruelles
douleurs et des plus sanglantes ignominies ; un tel Régu-
lus (si nous pouvons l'appeler ainsi), qui se dévoue d'une
manière si généreuse non seulement pour son peuple ,
mais pour tout le genre humain, nous offre certainement,
eu égard au temps où il a vécu, un modèle trop achevé
pour n'être qu'une fiction des évangélistes. Tels sont
néanmoins les traits d'après lesquels Jésus nous est dé-
peint dans l'Évangile. Il est toujours si égal et si parfait
dans toutes les situations de la vie, dans son repos et
son action, au milieu des jouissances et des privations,
dans la gloire et dans l'ignominie, parmi ses amis comme
avec ses ennemis, que jamais un sage inventant la vie
d'un autre sage n'eût trouvé rien de pareil. Partout sa
dignité et le sentiment de sa grandeur l'accompagnent;
dans les différentes scènes de sa vie, sa conduite et ses
discours sont toujours en harmonie avec les choses, les
temps, les personnes ; et dans toutes les circonstances
où il se trouve , il paraît constamment plus grand et
plus noble qu'on ne saurait l'imaginer. Au milieu d'une
existence d'agitations etde souffrances, et jusqu'au terme
de sa vie, Jésus, toujours le même, présente certaine-
ment en lui le plus beau modèle de toutes les vertus qu'il
venait apporter aux hommes.
Représenter et soutenir jusqu'au bout l'idée d'un si
excellent personnage , était une entreprise que l'esprit
abâtardi des Juifs de cette époque était hors d'état de
concevoir et d'exécuter ; en effet, ces idées si pures et si
belles sur la religion et la morale, cet essor sublime qui
le rendit si supérieur au judaïsme, cette vue profonde
qui le fait pénétrer dans les secrets les plus cachés de
294 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
l'ordre moral, sont tout-à-fait au-dessus de la portée
de son siècle et des âges qui l'avaient précédé, et sur-
passent entièrement la capacité de la nation qui l'a pro-
duit et dont il est sorti comme un phénomène unique et
sans exemple. Quand Platon et Xénophon, retraçant le
caractère de leur maître, en ont fait un portrait qui sem-
ble éclipser tout ce que la sagesse du reste des humains
peut offrira l'admiration, on peut soupçonner qu'ils ont
formé leur tableau de traits imaginaires, ou que du
moins ils l'ont embelli en le rapprochant d'une beauté
idéale ; mais outre que le caractère de Jésus est infini-
ment au-dessus de celui de Socrate, nos évangélistes n'é-
taient pas des Platons, et les Juifs n'avaient ni de Xé-
nophon ni d'Eschine. Nos pauvres pêcheurs de Galilée,
privés des avantages d'un esprit cultivé, étaient incapa-
bles d'inventer l'image delà perfection, de donner même
à un portrait de fantaisie une noblesse réelle. Ils ne
pouvaient que transmettre avec une fidélité naïve et une
simplicité sans fard ce qu'ils avaient reçu ; par consé-
quent Jésus doit avoir été tel qu'ils nous l'ont décrit. Il
doit nécessairement avoir agi et parlé comme les évan-
gélistes l'ont fait agir et parler.
Qu'on n'objecte point que sa vie est pleine de mira-
cles. N'est-il pas lui-même le plus grand de tous les pro-
dige? car où trouver dans sa nation une école capable
de former un pareil élève? de porter dans un temps si
court un tel génie à sa maturité ? de produire en un
mot, à l'âge de trente ans, un nouveau Socrate qui sur-
passe incomparablement celui d'Athènes par sa vie et
par sa mort, par la grandeur de ses vues, par la subli-
mité de sa sagesse et la pureté de sa morale; et cela à
une époque où d'un côté la force des préjugés, de la su-
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES. 295
perstition et de l'autorité, et de l'autre les vues étroites de
ses contemporains aussi bien que l'esprit dégradé de la
nation, devaient nécessairement arrêter les plus nobles
efforts et déconcerter les entreprises les plus hardies. Et
combien de temps a-t-il employé à travailler à cette réfor-
mation de son peuple et à cette régénération du genre
humain, dont la vie la plus longue paraît à peine suffi-
sante pour jeter les premiers fondemens ? Peu d'années
seulement, car il n'a fait que passer, et on pourrait jus-
tement comparer la durée de sa mission à celle de son
futur avènement, qu'il a dit lui-même devoir être rapide
comme l'éclair qui part de l'orient et brille tout-à-coup
jusqu'à l'occident (Matth. xxiv, 27. ) Lui et la grande
révolution qu'il a produite dans le monde sont des phé-
nomènes uniques dans l'histoire du genre humain . Com-
ment le christianisme a-t-il pu être créé dans l'espace
de trois années ? Comment a-t-il pu se former complè-
tement d'un seul jet ? Quelle est la cause naturelle d'un
phénomène si extraordinaire ? qui pourra jamais décou-
vrir la liaison de ce fait avec les causes ordinaires ? qui
pourra l'expliquer par les événemens antérieurs ou con-
temporains ? Et puisque le caractère de Jésus-Christ et
la grande révolution qu'il a produite dans le monde sor-
tent entièrement de l'ordre commun, cette révolution n'a-
t-elle pas dû exiger des moyens extraordinaires, et néces-
siter l'opération des prodiges? D'ailleurs, ce que nous
savons du peuple au milieu duquel Jéscs-Christ s'éleva,
nous prouve clairement qu'il fallait des miracles ; car
c'est par là seulement qu'il pouvait établir son autorité
et les droits de sa mission parmi les Juifs, et leur faire
admettre le nouveau plan de religion qu'il leur propo-
sait. Le Messie, d'après la croyance générale de la na-
296 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
tion judaïque, devait opérer des prodiges; donc, Jésus,
qui s'annonçait comme le Messie prédit par les prophè-
tes , était dans la nécessité d'en faire; ils étaient la con-
dition indispensable de la soumission et de la foi qu'il
demandait et pour lui et pour sa doctrine ; en un mot, la
condition de son succès. Or , ce succès est devant nos
yeux. Jésus a obtenu créance dans sa patrie, théâtre de
ses enseignemens ; il s'y est fait des partisans , sans que
ni la puissance, ni la force des armes, ni les richesses, ni
la protection des grands, lui aient prêté le moindre ap-
pui. Bien plus, quoiqu'il ait été opprimé et mis à mort
avec le concours de l'autorité publique, quoiqu'il ait
même péri par le plus infâme supplice, au moment où il
avait à peine jeté les premiers fondemens de sa doctrine,
il a été après sa mort l'objet d'une foi si vive et si forte,
qu'éclatant bientôt au dehors de sa patrie, elle s'est ré-
pandue en peu de temps dans tout l'univers. Mainte-
nant, puisque le succès était étroitement lié dans son
pays à la réalité de ses miracles , et que nous sommes
forcés d'admettre qu'au moins une partie de sa nation,
malgré ses préjugés et ses intérêts les plus chers dans
ce monde, a cru aux faits évangéliques au point de su-
bir les tourmens et la mort pour en maintenir la vérité,
pouvons-nous séparer une croyance si ferme et si con-
stante de l'opération des prodiges dont l'histoire de Jé-
sus-Christ est pleine (1)? Ainsi le caractère personnel
deJÉsus-GHRisT, tel que le représentent les évangélistes,
nous fournit une démonstration rigoureuse de leur sin-
cérité .Nous pourrions arrêter ici notre preuve, mais nous
(1) Voy. Hug, Einlcit ins N. T., Th, i, Seil. 90-92. Cellérier,
Inlrod. au N. T. pag. 33-37.
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES. 297
croyons devoir la compléter par un passage qui pour
être devenu vulgaire n'a certainement rien perdu ni de
sa force, ni de sa beauté, a Je vous avoue, dit Jean- Jac-
ques Rousseau, que la majesté des Écritures m'étonne;
la sainteté de l'Évangile parle à mon cœur. Voyez les
livres des philosophes avec toute leur pompe , qu'ils
sont petits près de celui-là? Se peut-il qu'un livre à la
fois si sublime et si simple soit l'ouvrage des hommes ?
Se peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un
homme lui-même ? Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou
d'un ambitieux sectaire? Quelle douceur ! quelle pureté
dans ses mœurs ! quelle grâce touchante dans ses in-
structions ! quelle élévation dans ses maximes î quelle
profonde sagesse dans ses discours! quelle présence
d'esprit! quelle finesse, quelle justesse dans ses réponses!
quel empire sur ses passions ! .. . Où est l'homme, où est
le sage qui sait agir et souffrir sans faiblesse et sans
ostentation? Quand Platon peint son juste imaginaire
couvert de tout l'opprobre du crime et digne de tous les
prix de la vertu, il peint trait pour trait Jésus-Christ.
La ressemblance est si frappante que tous les pères l'ont
sentie, et qu'il n'est pas possible de s'y tromper. Quels
préjugés , quel aveuglement ne faut-il pas avoir pour
oser comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie !
quelle distance de l'un à l'autre! Socrate mourant sans
douleurs, sans ignominie, soutient aisément jusqu'au
bout son personnage, et si cette facile mort n'eût ho-
noré sa vie, on douterait si Socrate, avec tout son es-
prit, fut autre chose qu'un sophiste. Il invente, dit-on,
la morale : d'autres avant lui l'avaient mise en pratique ;
il ne fit que dire ce qu'ils avaient fait , il ne fit que mettre
en leçon leurs exemples. Aristide avait été juste avant
13.
298 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
que Socrate eût dit ce que c'était que justice. Léonidas
était mort pour son pays avant que Socrate eût fait un
devoir d'aimer la patrie. Sparte était sobre avant que
Socrate eût loué la sobriété; avant qu'il eût défini la
vertu, la Grèce abondait en hommes vertueux. Mais où
JÉSUS avait-il puisé chez les siens cette morale élevée
et pure dont lui seul a donné les leçons et l'exemple?
Du sein du plus furieux fanatisme, la plus haute sagesse
se fit entendre; et la simplicité des plus héroïques ver-
tus honora le plus vil de tous les peuples. La mort de
Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est
la plus douce qu'on puisse désirer, celle de Jésus expi-
rant dans les tourmens, injurié, raillé, maudit de tout
un peuple, est la plus horrible qu'on puisse craindre.
Socrate, prenant la coupe empoisonnée, bénit celui qui
la lui présente et qui pleure ; Jésus, au milieu d'un sup-
plice affreux, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si
la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la
mort de Jésus sont d'un Dieu. Dirons-nous que l'his-
toire de l'Evangile est inventée à plaisir? Mon ami, ce
n'est pas ainsi qu'on invente , et les faits de Socrate ,
dont persQnne ne doute, sont moins attestés que ceux
de Jésus-Christ. Au fond, c'est reculer la difficulté
sansla détruire. 11 serait plus inconcevable que plusieurs
hommes d'accord eussent fabriqué ce livre , qu'il ne
l'est qu'un seul en ait fourni le sujet. Jamais des auteurs
juifs n'eussent trouvé ni ce ton ni cette morale, et l'Évan-
gile a des caractères de vérité si grands, si frappans, si
parfaitem.ent inimitables, que l'inventeur en serait plus
étonnant que le héros (1). »
(1) J. J. Rousseau, Emile-, l. iv.
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES. 29 9
3. Troisièmement enfin, quand bien même les évan-
gélistes auraient voulu tromper dans les faits qu'ils nous
racontent, ils ne l'auraient jamais pu. En effet, il ne
faut pas perdre de vue que les évangélistes , avant de
composer leurs livres , avaient annoncé en public tous
les faits qui y sont contenus. Ils les annonçaient égale-
ment en public pendant qu'ils composaient leurs livres;
et ils continuèrent la même prédication après les avoir
mis par écrit. Or, dans cet état de choses, il était ab-
solument impossible aux évangélistes d'en imposer sur
les faits qui formaient le sujet de leurs écrits. Car si ces
faits avaient été controuvés, les Juifs qui avaient vécu
avec Jésus-Christ , et qui, par conséquent, connais-
saient à merveille et ses discours et ses actions , n'é-
taient-ils pas là pour les convaincre de fraude et d'im-
posture? eux surtout qui avaient le plus grand intérêt
à prouver la fausseté d'une histoire et d'une doctrine
qui entraînait nécessairement la ruine de leur religion
nationale. Qui jamais, à moins d'avoir perdu le sens,
pourra s'imaginer que si ce que les évangélistes racon-
taient de leur maître eût été faux , s'ils n'avaient pas
confirmé leurs paroles par des miracles, ilsauraient pu
porter les Juifs à renoncer à la religion de leurs pères,
religion à laquelle ils étaient attachés si opiniâtrement,
pour leur faire adorer comme leur Messie , comme un
Dieu, cet homme qu'ils avaient naguère crucifié de leurs
propres mains ; et qu'ils auraient déterminé les païens
à abandonner un culte qui dominait chez tous les peu-
ples du monde, la petite nation juive exceptée, un culte
si favorable aux passions humaines, pour en embrasser
un aussi austère que celui de Jésus-Christ , qui pro-
scrivait impitoyablement tout penchant vicieux, toute
300 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
passion contraire à la vertu? Si nous considérons en-
core que dans les premiers siècles de l'Eglise tous ceux
qui embrassaient le christianisme devaient renoncer non
seulement aux honneurs et aux richesses, mais à la vie
même , et que cependant il existait déjà tant de chré-
tiens du temps de TertuUien , que dans son Apologé-
tique ce père écrivait que l'empire romain ne serait plus
qu'un désert si les chrétiens en sortaient , il nous sera
démontré que dans les circonstances où se trouvaient
les évangélistes , il leur était absolument impossible de
faire passer pour vrais des faits qui ne seraient point
réellement arrivés.
Il résulte de toute cette discussion que la véracité de
nos Evangiles ne saurait être douteuse pour tout esprit
exempt de prévention. Cependant on a fait plusieurs
objections contre cette vérité ; nous allons exposer les
principales en essayant de les réfuter.
Difficultés proposées contre la véracité des Evangiles, '
etRéponses à ces difficultés (1).
Obj. 1° Si les miracles rapportés dans l'Evangile
étaient vrais, disent nos adversaires, les Juifs, qui à cette
époque attendaient le Messie, la synagogue surtout, et
même les philosophes païens, y auraient cru et auraient
embrassé la religion chrétienne ; mais c'est ce qui n'est
pas arrivé ; car saint Jean dit expressément dans son
Évangile (vu, i8) : «Y a-t-il un seul des sénateurs ou
des pharisiens qui ait cru en lui? Car, pour cette foule
qui ne sait ce que c'est que la loi, ce sont des gens
(1) Nous empruntons à V Herméneutique sacrée de J. H. Janssens
(^ ccLiii-ccLVii) le fond de cette discussion, en y faisant toutefois
les changemens que nous avons crus nécessaires.
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES. 301
maudits; » et saint Paul, parlant dans sa première Épî-
tre aux Corinthiens (i, 26) de ceux qui ont été appelés
à la foi, dit aussi en propres termes : «Il y a peu de
sages selon la chair, peu de puissans, peu de nobles.»
Rép. Ce raisonnement nous paraît bien étrange, pour
ne rien dire de plus. Qui ne sait que les hommes ne
sont généralement pas dans la pratique ce qu'ils de-
vraient être? Si tous étaient effectivement amis de la vé-
rité , si la vertu était la règle de leurs actions et si le
salut éternel était la principale affaire de leur vie, tous,
et principalement les Juifs, auraient dû, dès l'appari-
tion de Jésus-Christ, embrasser sa religion; mais ce
n'est pas ainsi que pense et agit la majeure partie des
humains. Et si cela est vrai des hommes pris en géné-
ral , à plus forte raison pourra-t-on le dire des Juifs,
de leurs prêtres, des pharisiens du temps de Jésus-
Christ et des apôtres , des nobles , des puissans et des
philosophes du paganisme. Combien peu d'hommes en-
core aujourd'hui aiment la vérité, qui les importune, et
ceux qui la leur prêchent, et qui voudraient la leur faire
adopter? Combien observent ce que prescrit la religion
dont ils font profession ? Ne les voit-on pas , pour la
plupart, se laisser aller à tous les vices que cette reli-
gion proscrit? Quant aux pharisiens en particulier, ils
ne nièrent jamais les miracles de Jésus. Ils se glorifiè-
rent, il est vrai, de ce qu'aucun des leurs, de ce qu'au-
cun des principaux de la nation juive, à cette époque,
ne l'avait suivi ; mais jamais ils n'élevèrent le moindre
doute sur la réalité de ses œuvres divines et miracu-
leuses. Bien plus, au rapport de saint Jean lui-même,
dont on nous oppose le témoignage , les pharisiens et
les premiers de la nation disaient (xi, 47, 48) : «Que
302 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
faisons-nous ? Cet homme opère beaucoup de miracles;
si nous le laissons faire de la sorte, tous croiront en
lui. )) Ils avouaient donc les miracles de Jésus; mais ils
ne croyaient point en lui, parce qu'il combattait leurs
préjugés et leurs passions. On sait qu'au temps de l'a-
vénement du Christ, les Juifs et la synagogue, abandon-
nant la doctrine de leurs ancêtres , et séduits par de
vieilles traditions, attendaient un Messie terrestre, qui
devait être un des plus puissans princes du monde , et
rétablir le royaume de David. Mais Jésus ne montrant
rien qui répondît à cette attente, et néanmoins opérant
les prodiges les plus extraordinaires pour prouver sa
mission divine, et pour convaincre le monde qu'il était
ce Messie des Juifs tant prédit par les prophètes, les
Juifs, qui ne pouvaient nier la réalité de ces miracles ,
avaient recours à mille subterfuges pour en contester
du moins les conséquences ; ainsi ils attribuaient les
œuvres divines de Jésus-Christ sojt à la magie, soit
à l'abus sacrilège du nom de Jéhova, moyen absurde,
s'il en fut jamais , puisque Dieu ne peut permettre de
véritables miracles pour appuyer l'erreur.
Obj. 2° Il est indubitable, ajoutent nos adversaires,
qu'il n'y a eu dans les commencemens que la populace
qui ait cru aux miracles de Jésus et qui ait embrassé
sa religion : donc sa croyance était aveugle et ne prouve
pas plus en faveur de la réalité de ces miracles qu'en
faveur de la véracité du livre qui les rapporte comme
véritables.
Rép. Ce raisonnement des incrédules n'est pas plus
logique que leur précédent. En effet, quand il serait vrai
que les seuls hommes qui , dans les premiers momens,
ont ajouté foi aux miracles de Jésus , eussent été des
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES. 303
individus ignorans et de la dernière classe du peuple ,
s'ensuivrait-il que ces miracles étaient faux? Les gens
du peuple, les hommes les moins instruits , n'ont-ils pas
des oreilles et des yeux aussi bons que les nobles et les
savans? Pour croire aux miracles de Jésus, pour être
bien sûr, par exemple, qu'il nourrissait plusieurs mil-
liers d'hommes avec quelques pains et quelques poissons,
qu'il rendait la vue aux aveugles, qu'à sa voix le para-
lytique marchait, les morts sortaient du tombeau, était-il
nécessaire que ceux qui étaient témoins de ces merveilles
fussent des nobles, des savans ou des riches? Oui, les
premiers qui crurent à Jésus furent douze pêcheurs
ignorans et une infinité de gens de la multitude ; mais
il est faux que tous ceux qui, dans les commencemens,
embrassèrent la foi chrétienne, aient été des hommes du
peuple, obscurs et grossiers. Etaient-ce des hommes du
peuple , des hommes si grossiers , que le centenier de
Capharnaiim, que Lazare, Nicodème, Joseph d'Arima-
thie, Pudens, sénateur ; Flavius Clémens , consul romain ;
Sergius Paulus, proconsul ; le centurion Corneille, Epa-
phrodite, Eraste, plusieurs princes de l'Asie^ plusieurs
des premiers officiers de la maison de César, sans parler
d'une multitude de femmes des classes les plus distin-
guées ? Parmi les savans, nous nommerons des prêtres et
des chefs delà synagogue, comme Gamaliel, Paul, De-
nys l'Aréopagite ; nous nommerons Clément de Rome ,
Ignace martyr, Polycarpe, Papias, Clément d'Alexan-
drie, Justin, Athénagore, Hégésippe, Tatien, Irénée,
Théophile d'Antioche, Denys de Corinthe, Quadratus,
Aristide, Méliton, Miltiade, Origène et Tertullien, qui
tous, dans les premiers siècles de l'Eglise, embrassè-
rent le christianisme. Il n'est donc pas vrai de dire que
304 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
dans les premiers temps la foule ignorante seule ait cru
aux miracles de Jésus-Christ ; il y eut des hommes de
tous les âges et de toutes les conditions qui se rendirent
à l'évidence. Nul doute qu'un grand nombre de nou-
veaux convertis n'aient été des gens obscurs et sans in-
struction, comme l'avoue saint Paul lui-même (1 Cor. i,
26), mais c'est de ces hommes que se compose la partie
la plus nombreuse et comme le fond de la société, et
Ton trouve chez eux plus de docilité aux lumières de la
vérité que chez les savans et les riches. Pline le Jeune,
qui écrivait dans le premier siècle, parlant dans une de
ses lettres à l'empereur Trajan du grand nombre des
chrétiens, lui disait : « L'affaire m'a paru digne de vos
réflexions, par la multitude de ceux qui sont enveloppés
dans le péril. Car un très-grand nombre de personnes
de tout âge, de tout rang et de tout sexe, sont et seront
tous les jours impliquées dans 'cette accusation. Ce mal
contagieux n'a pas seulement infecté les villes, il a ga-
gné les villages et les campagnes (1). » Tertullien, dans
son Apologétique, disait aux Romains, dans le second
siècle : « Nous ne sommes que d'hier, et déjà nous avons
rempli vos villes, vos îles, vos forteresses, vos munici-
pes, vos assemblées, vos camps mêmes, vos tribus, vos
décuries, le palais, le sénat, le forum (2).» De là vient que
saint Jérôme s'écriait en parlant des incrédules : « Que
Celse, que Porphyre, que Julien, qui ne cessent de faire
entendroâcontre le Christ leurs clameurs furieuses, et qui
croient que l'Eglise n'a jamais eu ni philosophes, ni sa-
vans, ni orateurs, qu'ils apprennent, eux et leurs secta-
teurs, les noms d'un si grand nombre d'hommeS fameux
(t) Pline, liv. x, lettre xcvii.
(2) Tertull. Apolofjct. c, xxxvu.
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES. 305
par leur savoir et par leur génie, qui ont posé les fon-
demens de cette Église, qui Tont élevée , agrandie , or-
née, et qu'ils cessent d'accuser, comme ils le font, notre
croyance d'être si simple et si grossière, et que plutôt ils
reconnaissent leur propre ignorance. » En un mot, tout
l'univers a cru aux miracles de Jésus, mais le plus éton-
nant de tous les miracles, ou plutôt la chose la plus im-
possible, s'il y a des degrés dans ce qui ne peut être, ce
serait que tout l'univers y eût ajouté foi s'ils étaient faux,
et qu'il eût été la dupe de douze pêcheurs obscurs, in-
connus et illettrés. On a vu quelquefois des visionnaires
et des imposteurs abuser de la crédulité publique et réus-
sir à se faire des partisans ; mais l'illusion et l'impos-
ture renfermées dans le cercle étroit de quelques con-
trées et favorisées uniquement à cause de l'intérêt per-
sonnel de ceux qui s'y étaient attachés, ont été bientôt
démasquées et sont tombées dans un oubli complet ou
dans le mépris le plus profond. Il n'en est pas ainsi de
la foi aux miracles et à la religion de Jésus. Cette foi et
cette religion n'ont pas été confinées dans les étroites li-
mites de quelques provinces ; elles ont régné et régnent
encore sur toute la terre, et le inonde aujourd'hui, mal-
gré les dénégations de quelques hommes aveuglés par
l'esprit de système, n'est pas moins convaincu de la vé-
rité des miracles et de tout ce qui constitue le christia-
nisme, qu'il ne l'était du temps de Néron, de Domitien,
de ïrajan et de Constantin le Grand.
Obj. 3° Un préjugé puissant contre la véracité des
Evangiles, objecte-t-on encore, c'est que les savans et
les philosophes du paganisme ont fait une guerre con-
tinuelle à la religion du Christ contenue dans ce livre ;
ils l'ont attaquée par des écrits que les chrétiens ont
306 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVA\GILES.
réussi à faire disparaître. Or, si ces écrits existaient en-
core aujourd'hui, peut-être verrions-nous clairement la
fausseté des miracles qui lui servent de base et de fonde-
ment.
Rép. Il est vrai que les savans du siècle n'ont cessé
depuis la venue de Jésus-Christ de nier ses miracles
et de combattre sa religion; mais leurs efforts pour la
détruire ont été en pure perte, puisqu'elle a triomphé de
tous les obstacles, puisque, reine de l'univers, elle a éta-
bli son empire, etplantè ses étendards là où régnait jadis
l'idolâtrie, et que, dèsle i" siècle de l'Église, les hommes
les plus doctes de l'empire romain avaient embrassé son
culte et ses mystères. Nos adversaires ont raison de ne
pas oser affirmer positivement que les écrits des anciens
philosophes, s'ils existaient encore aujourd'hui, montre-
raient clairement la fausseté des miracles évangéliques ;
cette sage réserve est toute dans leur intérêt. Mais pour-
suivons notre réponse. De ce que la plupart des ouvrages
par lesquels les philosophes païens ont cherché à dé-
créditer les miracles de Jésus et à saper les fondemens
de sa religion se sont perdus, il ne faut en tirer d'autre
conséquence, sinon que les païens en ont fait peu de cas;
autrement, ils en auraient multiplié les copies par tous
les moyens, et les auraient ainsi sauvés delà destruc-
tion et de l'oubli. Toutefois, un assez grand nombre de
ces œuvres existent encore aujourd'hui ; on a des frag-
mens de l'ouvrage de Celse dans les huit livres d'Origène
contre Celse; de Porphyre, dans Eusèbe de Césarée; de
l'empereur Julien, dans saint Cyrille d'Alexandrie, et le
temps a conservé le Philaléthès d'Hiéroclès. Eh bien !
ces écrits des anciens philosophes gentils prouvent pré-
cisément ce que nient nos incrédules, savoir, la réalité
DE LA VKRACITÉ DES ÉVANGILES. 307
des miracles de Jésus, et la vérité de sa divine religion;
car dès que ces philosophes avouent l'existence de ces
miracles, ils ont beau les attribuer à la magie et leur
donner d'autres explications non moins absurdes , ils
confessent par là même qu'ils lesadmettent comme faits;
ils ne manquaient donc de bonne fui que sous le rap-
port de l'interprétation qu'ils entreprenaient d'accrédi-
ter, mais, du reste, ils étaientplus justes que les incré-
dules modernes. Ce qui prouve d'ailleurs le peu d'effet
qu'ont produit sur les hommes droits et sincères ces
écrits insensés des philosophes païens, c'est que, dans
le temps même de leur vogue, des milliers d'hommes
embrassaient le christianisme, des milliers de chrétiens
scellaient de leur sang la vérité de l'Évangile.
Obj.k" Qui pourrait assurer que les apôtres ont véri-
tablement commencé leur ministère à Jérusalem, où ils
auraient pu être convaincus de mensonge ? C'est sur
quoi les historiens gardent le silence. En second lieu,
si tant de prodiges rapportés dans les Évangiles étaient
vrais, est-ce que les historiens du paganisme n'en au-
raient pas parlé ?
Rép. 1° Par la première partie de cette objection, nos
adversaires voudraient prouver que l'histoire de Jésus
et les miracles qui y sont consignés ne sont qu'une in-
vention des évangélistes ; c'est là le dernier effort du
scepticisme. Nous nous contenterons de leur demander
comment tout l'univers est devenu chrétien ? A coup sur,
si le monde entier, sans le secours des miracles, a em-
brassé la religion du Christ , une religion ennemie dé-
clarée et implacable des passions humaines, cette con-
version seule , comme le remarquait autrefois saint
Augustin, serait elle-même le plus grand de tous les mi-
308 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
racles. Mais pour trancher en peu de mots, disons que
l'histoire de Jésus et des apôtres est renfermée dans des
livres d'une authenticité telle qu'on ne saurait en ima-
giner une mieux établie (1) : d'où nous avons tout droit
de conclure que les faits contenus dans ces livres ont le
plus haut degré de certitude possible. La seconde partie
de l'objection n'a pas plus de solidité. Et d'abord, n'est-
ce pas pure ineptie que de demander aux plus violens
ennemis du christianisme qu'ils viennent témoigner en
faveur de cette religion, d'autant plus que les historiens
païens ont eu à peine une occasion de parler des mi-
racles du Nouveau-Testament? En second lieu, il est ab-
solument faux que les historiens du paganisme aient
gardé un profond silence sur les faits évangéliques; car
les témoignages qu'ils nous offrent au contraire à cet
égard suffiraient seuls pour prouver la vérité des Evan-
giles. Ces témoignages se trouvent répandus en profu-
sion dans Eusèbe de Césarée, dans Huet, dans Houte-
ville, Addison, Bullet, Duvoisin, Mayer, etc. (2). Nous
nous bornerons à en rapporter ici quelques-uns, afin
qu'il soit bien constaté que nos adversaires sont tout-à-
fait dans le faux quand ils prétendent que les auteurs
païens n'ont pas parlé des miracles rapportés dans les
écrits de nos évangélistes.
(1) Yoy. plus haut (pag. 168 et suiv.) les preuves sur lesquelles
nous avons établi l'authenlicitc de nos quatre Évangiles,
(2j Eusèhe, Démomtr. évanrj. Huet, ibid. Houteville, La religion
chrélieniie prouvée par des /'a//5. Addison, De la religion chrétienne,
avec les notes de Seigneux de Correvon. Bullet, Hist. de l'établisse-
ment du christianisme, tirée des seuls auteurs juifs et pa'iens. Duvoi-
sin, Démonstration évangélique. Mayer, Essai de défense et d'expusi-
tion de l'histoire de JÉsus-CnRiST et des apôtres, d'après les auteurs
profanes, yrecs et romains, en allemand.
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES. 309
Chalcidius, philosophe platonicien du iii^ siècle, dans
son commentaire sur le Timée de Platon, parle de l'ap-
parition d'une nouvelle étoile etde l'adoration des mages.
Macrobe, auteur païen du iy'" siècle, fait mention du
massacre des innocens ordonné par Hérode l'Ascalo-
nite ; ]il rapporte qu'Auguste apprenant que , dans le
même temps environ, Hérode avait fait mourir son fils
aîné, dit à ce sujet : «Il vaut mieux être le porc d'Hé-
» rode que son fils (1). »
Celse, philosophe épicurien du ii^ siècle, dont Ori-
gène nous a conservé des fragmens, convient que Jésus,
enfant, fut mené en Egypte; et dans son Traité sur la
Vérité, il ne conteste nullement les miracles de Jésus-
Christ, mais il les attribue à la magie.
Phlégon, affranchi d'Adrien, qui mourut l'an 156 de
l'ère vulgaire, rend un témoignage éclatant aux prophé-
ties de Jésus-Christ, à leur accomplissement, surtout
en ce qui est relatif à la ruine de Jérusalem ; il parle
également du tremblement de terre, de l'éclipsé de so-
leil qui arriva extraordinairement au moment de la mort
du Sauveur, et qu'il place dans la quatrième année de
la 202^ olympiade , qui est celle de la mort de Jésus-
Christ, et la dix-huitième du règne de Tibère (2).
Thalus, auteur grec du i" siècle, atteste également
que dans la dix-huitième année du règne de Tibère, une
obscurité subite se répandit sur la terre à l'heure même
de midi (3).
Il existait encore au iii^ siècle, dans les archives ro-
maines, une relation de la vie, des miracles et de la mort
(1) Macrob. Salurnal.l. u, c.iv.
(2) Phleg. OUjmpiad. l. xiii.
(3) Thalus, Hisior, syriaca, L m.
31t) DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
de Jésus-Christ, que Pilate avait envoyée àRome. Saint
Justin, TertuUien et autres, ont souvent renvoyé leurs
adversaires païens à ces archives. TertuUien , en par-
lant de l'écIipse extraordinaire qui eut lieu à l'instant
de la mort du Sauveur , dit aux Romains : « Consultez
vos archives , et vous y trouverez la preuve de ce phé-
nomène (1) .)> Le même TertuUien, et après lui Eusèbe,
nous apprennent que la relation de Pilate fit une telle
impression sur Tibère, qu'il proposa au sénat de mettre
le Christ au nombre des dieux de l'empire ; le sénat s'y
refusa, principalement sur l'opposition de Séjan. Quoi
que puissent dire de ce fait quelques critiques, il ac-
quiert toute la vraisemblance désirable, et en raison de
l'usage oii étaient les Romains de décerner les honneurs
divins aux grands hommes, et par le témoignage de Ter-
tuUien et d'Eusèbe.
Tacite, qui écrivait au i^"" siècle , rapporte dans ses
Annales que sous Ponce Pilate , gouverneur de la Ju-
dée, le Christ fut mis à mort, et que sous Néron, plu-
sieurs chrétiens, faussement accusés de l'incendie de
Rome, périrent dans d'afPreux supplices.
Suétone, qui fut secrétaire de l'empereur Adrien ,
vers l'an 118, rapporte dans la Vie de Claude , que ce
prince ordonna par un édit que tous les Juifs et tous les
chrétiens fussent expulsés de Rome, ce qui s'accorde
exactement avec les Actes des Apôtres, chap. xviii.
Pline le Jeune, mort dans les premières années du
11^ siècle, mande à Trajan , dans une lettre célèbre adres-
sée à ce prince, que, malgré les tourmens qu'on a fait
subir à un grand nombre d'individus à qui on ne pou-
(l) TertuU. in Apologel.
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES. 311
vait reprocher que la sainteté de leur vie, les villes et
les villages se remplissent de chrétiens , et qu'ils s'y mul-
tiplient au point qu'il n'ose plus sévir contre eux (1).
Trajan lui répondit qu'il fallait cesser toutes recherches
contre les chrétiens, et se borner à punir ceux qui se-
raient déférés et convaincus (2).
Lampride, écrivain du iv^ siècle, raconte dans la vie
d'Alexandre Sévère, que cet empereur rendait tous les
matins un culte à Jésus-Christ, qu'il avait placé dans
son laraire avec Abraham et Orphée: qu'il voulut lui
élever un temple et le faire mettre au nombre des dieux;
mais il ajoute qu'Alexandre fut détourné de ce dessein
par les représentations qu'on lui fit que s'il en venait là,
on ne verrait bientôt plus que des chrétiens, et que les
temples des dieux seraient déserts. Le même Lampride
rapporte que l'empereur Adrien eut aussi le projet de
mettre Jésus-Christ sur le catalogue des dieux de
Rome, et que dans beaucoup de villes il fit construire
des temples sans idoles, destinés, suivant toute appa-
rence, à l'exécution de ce projet.
Hiéroclès, gouverneur d'Alexandrie, en 303, sous Dio-
clétien, avoue, dans son Philaléthès, les miracles de Jé-
sus; mais, par le plus absurdede tous les rapprochemens,
il leur oppose les miracles fabuleux d'Apollonius de
Tyane.
Porphyre, philosophe platonicien du iii^ siècle, ne
dit rien qui ressemble à une dénégation, au sujet des mi-
racles de Jésus-Christ, des apôtres, et de quelques-uns
des premiers chrétiens ; il les attribue seulement à des
opérations de magie.
(1) Plin. lib. X, EpLst. xcvn.
(2) Plin. ibid. Epist, sequenli.
312 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
L'empereur Julien , qui régnait au iv^ siècle , ne nie
pas non plus les miracles du Sauveur, mais il affecte de
dire que ces miracles ont été opérés dans un coin , dans
le petit bourg de Bethsaïde, sans autres témoins que des
aveugles et des boiteux. Il dut pourtant se trouver forcé
d'avouer la vérité de la prophétie de Jésus-Christ,
lorsqu'il entreprit de rebâtir le temple de Jérusalem, et
qu'une puissance supérieure à la sienne rendit ses ef-
forts inutiles.
Voilà donc des témoins païens, des témoins qui assu-
rément ne sont pas suspects, et qui confirment par leurs
écrits et par leurs discours les faits de l'Evangile ! Ces
mêmes faits sont corroborés par la conduite même des
premiers hérétiques ; car on sait que Simon le magicien,
frappé des miracles de l'apôtre Philippe, voulut se faire
baptiser. Il n'y a rien que n'aient tenté les gnostiques,
les montanistes, et autres hérétiques de ce temps, pour
contrefaire, à l'aide de quelques supercheries , les mi-
racles de Jésus-Christ, des apôtres et des premiers fi-
dèles. Mais ce qui tourne d'une manière plus frappante
encore à la honte des incrédules que nous combattons
ici, c'est l'aveu que font les Juifs dans leur Talmud : ils
y conviennent non seulement des miracles de Jésus-
Christ et des apôtres, mais encore de ceux des pre-
miers chrétiens , en les attribuant, il est vrai, comme
nous l'avons remarqué un peu plus haut (pag. 302), à la
magie et au nom de Jéhova ; et même les talmudistes
rapportent tant de circonstances de détail de la vie du
Sauveur, que, malgré les fables rabbiniques qui désho-
norent leur récit, elles confirment merveilleusement la
véracité des Evangiles.
Obj. 5" Si les faits évangéliques avaient eu quelque
DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES. 313
apparence de vérité, disent de nouveau nos adversai-
res, les anciens historiens juifs, tels que Philon et Jo-
seph, n'auraient certainement pas manqué d'en faire
mention. Si donc ils n'en ont rien dit, c'est qu'ils n'é-
taient pas considérés comme véritables.
Rép. Pour ce qui est de Philon, il n'a jamais eu une
seule occasion d'en parler dans ses ouvrages; mais il est
faux que Joseph n'en ait rien dit, car il fait mention de
saint Jean-Baptiste dans les termes les plus honora-
bles (1); il parle de la mort d'Agrippa (2), et ce qu'il en
dit s'accorde avec le récit de saint Luc, dans les Actes
des Apôtres ; il écrit que Jacques, frère de Jésus qui est
appelé Christ , fut lapidé par l'ordre d'Ananus , grand
prêtre des Juifs (3) . A propos de la révolte des Juifs
contre Ponce Pilate, après la mort du Seigneur, il rend
ce témoignage remarquable de Jésus-Christ : « Dans
le même temps, parut Jésus, homme d'une profonde
sagesse, si toutefois il est permis de lui donner le nom
d'homme ; opérant les plus étonnans prodiges, ensei-
gnant ceux qui ne demandent qu'à connaître la vérité
pour l'embrasser, il eut un grand nombre de sectateurs,
(1) Joseph, Ânliq. l. xviir, c. vu.
(2) Joseph, ibid. l. xix, c. vu.
(3) Joseph, ibid. L xx, c. viii. L'authenticité de ce passage rap-
porté ici par Janssens a paru suspecte à Lardoer et à quelques au-
tres critiques modernes. Cependant il a été cité par saint Jérùnie ; il
se trouvait dans les manuscrits de Joseph au temps de Photius, et il
se lit dans toutes les édition? des œuvres de cet historien juif. Aussi
^Vine^, dont tout le monde connaît la hardiesse, avoue dans son
Dictionnaire de la Bible, à l'article de saint Jacques le Mineur, que
c'est incontestablement de cet a4'»ôtre que Joseph a voulu parler dans
cet endroit. Il confirme même son sentiment par celui de plusieurs
autres tels que FLilier, Faber, etc.
Y. U
314 DE LA VÉRACITÉ DES ÉVANGILES.
tant parffîi les Juifs que parmi les gentils . C'est ce Christ
qui, accusé devant Pilate par les principaux de notre
iiation , fut condamné à mourir sur la croix, sans que
ceux qui s'étaient attachés à lui dans les commence-
mens cessassent de l'aimer; car il leur apparut vivant
le troisième jour, ainsi que l'avaient annoncé les pro-
phètes, parmi beaucoup d'autres prophéties qui le con-
cernaient; et jusqu'à ce jour, la secte des chrétiens, ainsi
appelée du nom de son fondateur, ne paraît pas s'affai-
blir (1). » Il est vrai que les incrédules rejettent ce té-
moignage de Joseph comme non authentique , et que
parmi les chrétiens eux-mêmes il s'en est trouvé à qui
il a paru apocryphe ; mais il est facile de prouver qu'il
est bien de l'auteur juif. En effet, 1° puisqu'il entrepre-
nait d'écrire l'histoire de sa nation et de son siècle, la
bonne foi ne lui permettait pas de garder un silence ab-
solu sur ce Christ qui avait fait tant de bruit en Judée ;
d'autant plus qu'il dédiait son ouvrage à Epaphrodite,
à un chrétien, sous le consul Flavius Clémens, égale-
ment chrétien. S"* Joseph avait parlé de saint Jean-Bap-
tiste et de Jacques le Mineur ; on ne peut donc supposer
qu'il ait eu l'intention de se taire sur celui dont l'un avait
été le précurseur, et l'autre un des disciples. 3° Il ap-
pelle Jacques le Mineur tov àotl^ov i-ndov zoQ lzyo[ivjov
X,oto-ro{i, le frère de Jésus qui fut surnommé le Christ. C'est
reconnaître du moins que Jésus de Nazareth a existé, et
qu'on l'a cru le Messie ; il n'est donc nullement éton-
nant que, dans un autre endroit de son livre, il parle de
Jésus dans le même sens. 4« Le style de ce passage est
parfaitement conforme à celui de tout l'ouvrage de Jo-
(1) Joseph, Anliq. l xviii, c. vi.
DE LA VÉHACITÉ DES ÉVANGILES. 3i5
seph ; et il se lie autant qu'on peut l'exiger à ce qui
précède, puisque l'auteur ne parle ici de Jésus qu'acci-
dentellement. 5" Eusèbe (1) atteste qu'il a lu ce témoi-
gnage de Joseph dans un ancien manuscrit de Jérusa-
lem, et on le trouve dans tous les autres : s'il manque
dans quelques exemplaires de la traduction hébraïque,
il est clair que c'est une omission faite à dessein. Avant
Eusèbe, à la vérité, personne n'avait cité ce passage con-
tre les Juifs et contre les gentils ; mais la raison en est
qu'il ne prouvait rien ou peu de chose contre eux, puis-
qu'il constatait seulement ce qui n'était nié ni par les Juifs
ni par les gentils, savoir, la vérité de tout ce qu'on rap-
portait sur les miracles de Jésus. Eusèbe fut donc le
premier qui le mit en avant, parce qu'il fut le premier
qui entreprit de démontrer la vérité de l'Evangile par
des témoignages tirés des auteurs profanes. Après Eu-
sèbe et jusqu'au xvi^ siècle, personne n'a été tenté d'en
suspecter l'authenticité (2).
Nos adversaires prétendent que puisque Joseph con-
fesse que Jésus de Nazareth est le Messie, il aurait dû
embrasser sa religion, jlais cet écrivain, en disant que
Jésus était le Messie, a bien pu ne pas attacher d'autre
sens à ce m.ot que lorsqu'il a aussi appelé Messie l'em-
pereur Vespasien. Du reste, il paraît que tout ce qu'il a
(1) Euseb. Démonsir. évang. l. m, c. v, etHist. eccl. l. i, c. x.
(2) Il est vrai que depuis ie xvie siècle plusieurs protcstans habiles,
etPiichard Simon déguisé sous le nom du docteur ^cques, ont pré-
tendu que ce passage de Joseph était supposé et ajouté après coup
par une main étrangère ; mais un grand nombre de savans critiques,
soit protestons, soit catholiques, en ont soutenu l'authenticité; dans
ces derniers temps même plusieurs rationalistes d'Allemagne en ont
entrepris la défense.
316 DE LA DIVLMTÉ DES ÉVANGILES.
voulu dire, c'est que Jésus de Nazareth avait passé pour
le Messie, avait été ainsi appelé; car comme saint Jérôme
traduit cette phrase de l'auteur juif, x^oto-TÔ? oyroç ^v, par
la phrase latine hic credebatur esse Christus (on croyait
quil était le Christ) , plusieurs critiques pensent que
dans les copies manuscrites de Joseph, le mot /cyôv.îvo?,
d/c^»s,a été omis. Mais dans le cas même où Joseph n'au-
rait pas parlé de Jésus-Christ, une réticence si affec-
tée sur un personnage de sa nation qui avait fait tant de
bruit, prouverait seulement qu'un silence profond lui au-
rait paru le parti le plus prudent sur des faits dont il ne
voulait pas convenir et qu'il ne savait comment réfuter.
CHAPITRE HUITIEME.
DE LA DIVINITÉ DES ÉVANGILES.
Les" incrédules, les rationalistes, et les partisans de
l'interprétation mythique , et en général tous les enne-
mis de la révélation, rejettent comme une erreur la di-
vinité de nos Evangiles; pour nous, au contraire, nous
l'admettons comme une des vérités de la foi catholique.
Ce n'est pas sans motif que l'Eglise nous oblige d'y
croire; on peut s'en convaincre en considérant ceux
que nous exposons dans la proposition suivante.
FROPOSITIOX.
Les Evangiles sont un livre divin.
On ne saurait légitimement révoquer en doute la divi-
nité d'un livre qui contient une doctrine confirmée par
des miracles sans nombre, par des prophéties éclatantes,
DE LA DIVINITÉ DES ÉVANGILES. 317
et par l'accord parfait des événemens qu'il rapporte avec
d'anciens oracles prophétiques qui les ont annoncés;
une doctrine qui, considérée d'ailleurs en elle-même, est
beaucoup plus parfaite que toutes les doctrines natu-
relles. Or, tels sont les titres avec lesquels les Evangiles
se présentent à nous. On pourrait même ajouter que le
style et la manière dont ils sont écrits prouvent que leurs
auteurs étaient favorisés d'un secours surnaturel.
1. Que la doctrine contenue dans les Evangiles ait été
confirmée par de nombreux miracles, c'est un point qui
aété portéjusqu'au plus hautdegréd'évidencepar les apo-
logistes chrétiens, qui ont démontré par tous les moyens
que la critique peut mettre en œuvre, ces deux vérités :
savoir, que Jésus-Christ a réellement opéré les mira-
cles rapportés dans nos Évangiles, et que ces mêmes mi-
racles sont une preuve irrécusable de la mission divine
du Sauveur. Ce que nous en avons dit nous-même au
chapitre précédent suffit pour en convaincre tout esprit
raisonnable qui ne se laisse pas aveugler volontairement
par des préventions injustes.
2. La doctrine évangélique a été encore confirmée
par les prophéties éclatantes que le Sauveur a faites, et
qui ont eu leur accomplissement, conformément à ce que
les évangélistes nous en ont rapporté. On ne pourrait
décliner la force de cet argument qu'en rejetant l'au-
thenticité, l'intégrité et la véracité des Evangiles ; mais
nous venons de démontrer qu'il n'y avait aucune raison
légitime de le faire . Or, les prophéties du Sauveur que les
évangélistes nous ont transmises dans leurs écrits, et que
l'histoire atteste avoir eu leur parfait accomplissement,
sont d'abord celle de sa mort par le supplice de la croix,
avec le détail de toutes ses souffrances et de toutes ses
318 DE LA DIVINITÉ DES ÉVANGILES.
ignominies ; qu'il serait, par exemple, couvert d'injures,
flagellé, qu'on lui cracherait au visage, qu'on le livre-
rait non seulement au pouvoir des Juifs, mais encore à
celui des gentils ; qu'ils le crucifieraient ; qu'il serait trahi
par un des siens qu'il désigna de manière à ne laisser
aucun doute sur ce traître , qu'il serait renié jusqu'à
trois fois par saint Pierre, et qu'il se verrait abandonné
de tous ses apôtres ; en second lieu, celle de sa résur-
rection le troisième jour après sa mort, et de son ap-
parition à ses disciples en Galilée; troisièmement, celle
de son ascension, de sa gloire future et de la conversion
de tous les peuples à la foi. Une prophétie de Jésus-
Christ qui mérite surtout notre attention à cause des
détails nombreux de tout genre dont elle est environnée,
c'est celle de la ruine de Jérusalem. Car ce divin Sau-
veur a prédit tous les signes qui devaient être les précur-
seurs de cette grande catastrophe, comme la famine et
les autres calamités qui pesèrent sur la nation juive pen-
dant le siège de cette ville. Il annonça, par exemple,
que parmi les Juifs, les uns périraient parle glaive, les
autres seraient conduits en captivité; que Jérusalem se-
rait prise et foulée sous les pieds des gentils , et que le
temple serait détruit au point qu'il n'en resterait pas
pierre sur pierre. Or, nous le répétons, toutes ces pré-
dictions ont eu un accomplissement littéral, personne
ne saurait l'ignorer aujourd'hui.
3. La doctrine des Evangiles ne se trouve pas moins
confirmée par l'accord parfait qui existe entre les évé-
nemens qu'ils rapportent, et d'anciens oracles prophé-
tiques qui les ont annoncés. Il suffit de comparer l'An-
cien-Testament avec le Nouveau pour voir que presque
tous les faits évangéliques qui concernent Jésus-Christ
DE LA DIVINITÉ DES ÉVANGILES. 319
se trouvent décrits dans les prophètes do l'ancienne
loi. En vain les incrédules et les partisans de la nou-
velle exégèse se sont-ils inscrits en faux contre cette
conformité des oracles des Hébreux avec ce que les
évangélistes nous apprennent de Jésus le vrai Messie
attendu par la nation juive, leurs efforts et leurs tenta-
tives n'ont abouti qu'à rendre cette vérité plus éclatante.
La Christologie de Hengstenberg a détruit tous les ar-
gumens des exégètes rationalistes. Nous n'ignorons pas
ce que quelques critiques ont opposé à certaines par-
ticularités dans lesquelles l'auteur peut en effet paraître
attaquable (1) ; mais nous savons aussi que le fond de
ses preuves n'a rien perdu de sa force et de sa solidité,
et nous ne craignons pas d'ajouter que les attaques in-
spirées par le rationalisme ont été jusqu'ici entièrement
impuissantes.
k- . La doctrine évangélique porte en elle-même un
cachet de divinité qu'il est difficile de ne pas reconnaî-
tre. Non, jamais Jésus de Nazareth, jamais d'ignorans
Galiléens, à moins d'être éclairés par une lumière di-
vine , n'auraient pu inventer des dogmes aussi subli-
mes, une morale aussi parfaite. Nous l'avons déjà dit
au chapitre précédent, et la question que nous traitons
nous oblige à le répéter : comment la doctrine évangé-
lique, prêchée par douze pauvres pêcheurs qui ne con-
naissaient guère que leurs barques et leurs filets, a-t-elle
pu opérer dans le monde une révolution si subite et si éten-
(1) Nous avons eu occasion de louer la Christologie d'Heng-
steobergdans les volumes précédcns. Cependant, -comme catholique,
nous ne saurions approuver toutes les idées de ce savant écrivain, et
comme hébraïsant , nous ne sommes pas absolument d'accord avec
lui sur la manière d'exphquer certains mots hébreux.
320 DE LA DIVINITÉ DES ÉVANGILES.
due? Comment des dogmes qui s'élèvent si haut au-des-
sus de l'esprit humain, qui obligent à croire les mystè-
res les plus incompréhensibles ; comment une morale
qui veut que l'on combatte continuellement et que l'on
crucifie sans pitié les passions les plus chères,et qui pres-
crit une mort perpétuelle à tout soi-même, comment une
pareille doctrine aurait-elle été reçue aussi promptement
et aussi universellement si elle n'était point divine (1)?
5. Le style et la manière dont les Evangiles sont écrits
prouvent jusqu'à l'évidence que les plumes qui les ont
tracés étaient dirigées par l'Esprit saint. Nous avons
déjà vu que la sainteté des Evangiles imrlait au cœur
même d'un grand déiste , au point de lui faire avouer
qu'im livre à la fois si sublime et si simple ne pouvait
être l'ouvrage des hommes. Quelle preuve surtout en fa-
veur de l'inspiration de l'Evangile, que cet air d'indif-
férence, cette sorte d'impassibilité qui règne dans les
écrits des évangélistes ! Qu'on se figure, si on le peut,
des auteurs assez passionnés envers leur héros pour
s'exposer à mille dangers, endurer les persécutions et
la mort même dans l'unique dessein de le faire connaî-
tre, et cependant racontant une assez longue histoire des
humiliations dont il a été abreuvé, des opprobres les
plus inouïs dont il a été rassasié, des tourmens les plus
cruels dont il a été accablé, sans que jamais on puisse
les surprendre ayant l'âme émue, sans que jamais il leur
échappe un seul mot ou en faveur de l'innocence et du
courage sublime de la victime, ou contre la perfidie et la
cruauté des juges et des bourreaux? C'est un trop grand
effortpour la nature humaine; elle ne va pas si loin. Oui,
(1) On peut voir dans tous les traites de la religion les dév loppe-
mens que les théologiens polémiques ont donnés à cette preuve.
DE LA DIVINITÉ DES ÉVANGILES. 321
il a fallu aux évangélistes toute l'influence de l'inspiration
divine pour dire avec autant de sang-froid,et sans ajouter
aucune réflexion : et crucifixencnt eitm. (c Plus on fait
attention au caractère inimitable des évangélistes, re-
marque judicieusement Rollin , plus on y reconnaît la
conduite d'un autre esprit que celui de l'homme. Ils se
contentent de dire en un mot, que leur maître fut crucifié,
sans marquer ni étonnement, ni compassion, ni recon-
naissance. Qui parlerait ainsi d'un ami qui aurait donné
sa vie pour lui ? Quel fils rapporterait d'une manière si
courte et si simple comment son père l'aurait exempté
du dernier supplice en le souffrant à sa place? Mais
c'est en cela que le doigt de Dieu est évident : et moins
l'homme paraît dans une conduite si peu humaine, plus
l'opération de Dieu est manifeste. Les prophètes décri-
ventles souffrances de Jésus-Christ d'une m.anière vive
et touchante, pathétique. Ils sont pleins de réflexions(l),
mais les évangélistes les racontent d'une manière simple,
sans mouvemens, sans réflexions, sans rien permettre à
leur admiration et à leur reconnaissance, sans paraître
avoir aucun dessein de changer leurs lecteurs en disci-
ples de Jésus-Christ. Il n'était pas naturel que des té-
moins oculaires de sa croix, et si zélés pour sa gloire,
parlassent d'une manière si modérée du crime inouï
commis contre sa personne. Le zèle des évangélistes eut
été suspect, celui des prophètes ne pouvait l'être ; mais si
les évangélistes et les prophètes n'avaient été inspirés, les
premiers eussent écrit d'une manière plus animée , et les
seconds d'une manière plus indifférente. Les uns eussent
marqué un dessein de persuader, et les autres une timidité
(J) Ps. XXI, Lxviii, Jcs. L, i.iii. Jer. xv, etc.
14.
322 DE LA DIVINITÉ DES ÉVANGILES.
et une hésitation dans leurs conjectures qui n'eûttouché
personne. Tous les prophètes sont ardens, zélés, pleins
de respect et de vénération pour les mystères qu'ils an-
noncent ; tous les évangélistes sont tranquilles, et avec
un zèle égal à celui des prophètes, ils ont une modé-
ration inimitable. Qui peut ne pas reconnaître la main
qui a conduit les uns et les autres ? et quelle preuve peut
être plus sensible de la divinité des Ecritures, que de ne
ressembler en rien à tout ce qu'écrivent les hommes (1) ? »
11 ne faut donc pas s'étonner si les chrétiens ont tou-
jours eu pour les Evangiles un si grand respect, une vé-
nération si profonde, et si toutes les églises chrétiennes
les ont toujours regardés non seulement comme inspirés
par l'Esprit saint, et par conséquent munis du sceau de
l'autorité divine, mais comme la partie la plus impor-
tante du canon des livres sacrés, puisqu'ils contiennent
les paroles qui sont sorties immédiatement de la bouche
du Fils de Dieu lui-même. En effet,partout ailleurs dans
l'Écriture, Dieu parle par ses prophètes ou par ses apô-
tres, hommes remplis de son esprit, mais simples créa-
tures, placés au-dessous de lui de toute la distance du
fini à l'infini, tandis que dans l'Evangile il s'exprime par
l'organe de son propre Fils, la splendeur de sa gloire,
l'image parfaite de sa substance, et qui est assis au plus
haut du ciel à la droite de sa souveraine majesté, comme
le dit saint Paul dans sa dernière Épître : nMultifariam
multisque modis olim Deus loquens patribus in prophe-
tis : novissùnè diehus istis locutiis est nobis in FiLio...
Qui cum sit splendor gloriœ et figura substantiœ ejus.. .
sedet ad dexteram tnajestatis in excelsis (Hebr. i, 1-3).
(1) Rollin, Traité des études, t. ii, ch. m, §i.
DE l'éloc. et des beautés litt. des évangiles. 323
CHAPITRE NEUVIÈME.
DE L'ÉLOCUTION et DES BEAUTÉS LITTÉRAIRES
DES ÉVANGILES.
1 . En traitant du texte original et du style de chaque
Évangile en particulier , nous avons déjà fait connaî-
tre l'élocution de leurs auteurs. On a dit avec raison que
le caractère dominant de l'Écriture sainte, quand on la
considérait sous le point de vue littéraire, était, comme
on l'a dit aussi de l'Écriture en général , une grande sim-
plicité jointe à une majesté noble et sublime. Cette obser-
vation est surtout applicable à nos saints Évangiles. Car
si d'un côté les écrivains qui les ont composés sont en
général simples et d'un ton également soutenu, leur nar-
ration est parfois pleine d'expressions nobles et élevées.
C'est ainsi que les cantiques de la mère du Sauveur et
du prophète Zacharie, rapportés par saint Luc, ne man-
quent pas d'une certaine éloquence, et sont parfaitement
assortis à la nature dusujet. Quoi de plus beau et de plus
sublime encore que le commencement de l'Evangile de
saint Jean? Cependant, on peut dire en général que les
Évangiles sont écrits en langage populaire, c'est-à-dire
simple, vif, figuré, plein de sentences, et parlant au cœur
encore plus qu'à l'esprit.
2. Mais un mérite littéraire qui distingue plus parti-
culièrement les Évangiles, ce sont les paraboles admi-
rables qu'ils contiennent .Elles sont en effet bien supérieu-
res non seulement aux apologues les plus vantés dans
l'antiquité profane , mais encore à ceux des prophètes
sacrés qui ont fait un usage si fréquent de cette figure.
«On a beaucoup vanté en ce genre, dit Lowth, les com-
324 DE L'ÉLOCUTION ET DES BEAUTÉS LITTÉRAIRES
positions du sage de Phrygie , ou celles que d'autres
poètes ont rédigées par écrit à l'imitation des siennes.
Le Sauveur lui-même n'a pas dédaigné de faire usage
de cette sorte d'instruction, et nous ne savons ce qu'on
doit admirer le plus, de la sagesse , du sens profond , de
l'élégance, de l'agrément ou de la clarté qu'il y a dé-
ployés (1). » Si nous appliquons en effet aux paraboles
évangéliques toutes les conditions que ce judicieux cri-
tique exige pour la perfection d'une composition de cette
nature, nous verrons facilement qu'elles les réunissent
toutes au suprême degré. Et pour entrer dans quelques
détails, nous dirons que ces conditions sont que la pa-
rabole soit empruntée d'une image non seulement con-
nue et convenable, dont la signification puisse facilement
être saisie, mais encore élégante, agréable, ayant toutes
ses parties et les accessoires qui la composent, d'une con-
venance évidente et qui concoure à l'effet que l'écrivain
veut produire ; d'une image enfin qui se soutienne sans
interruption et à laquelle ne vienne point se mêler l'idée
du sujet propre. Or, pour peu que nous lisions attenti-
vement les paraboles que Jésus-Christ a employées
dans ses discours et qui ont été recueillies par les évan-
géiistes, nous y trouverons toutes ces qualités. Et d'a-
bord ne sont-elles pas toutes empruntées d'images tirées
elles-mêmes des objets de la nature, comme d'un arbre,
d'une vigne, d'un figuier, de la semence, du grain de
sénevé, de l'ivraie, etc., ou de ceux de la vie domestique
et civile, tels que la moisson, la vendange, le labour, un
économe, un débiteur, un festin, des noces, un royaume,
ou enfin des idées religieuses, comme nous le voyons dans
(1) I.o^^lll, De la poésie sacrée des Ucbretix, Leçon x.
DES ÉVANGILES. 325
la parabole du mauvais riche ; images toutes très-con-
nues, convenables, et dont la signification ne peut être
difficile à saisir (Luc. xvi, 19-311 ? En second lieu, il
n'est pas une seule parabole évangélique dont l'image
ne paraisse élégante et agréable , puisque loin d'être
tirées d'objets bas et méprisables, elles le sont toutes au
contraire ou de l'agriculture , si fort en honneur parmi
les Hébreux, ou des emplois les plus honorables de la
vie domestique, ou enfin de ce qui touche à la religion.
Quoi de plus agréable, par exemple, que l'image de ce
petit grain de sénevé, qui jeté en terre devient un grand
arbre sur les rameaux duquel les oiseaux du ciel vien-
nent se reposer (Matth. xiii, 41-32. Marc, iv, 31 , 32.
Luc. XIII, 19) ? Quoi de plus gracieux encore que la pa-
rabole de ce bon pasteur qui possédant cent brebis en
abandonne quatre-vingt dix-neuf dans le désert pour
courir après la centièm.e qu'il a perdue ? Après bien
des courses et des fatigues il retrouve ce tendre objet
de sa sollicitude ; ivre d'un bonheur qui ne lui permet
que de songer à sa chère brebis, il la prend et la charge
sur ses épaules, voulant lui éviter par là une peine qu'il
ne s'épargne pas lui-même. Il la reporte donc avec em-
pressement au bercail, et il invite ses amis à venir par-
tager la joie qu'il éprouve de l'avoir retrouvée (Luc. xv,
k-7 ). Ces mêmes images régnent dans toute la parabole
de l'enfant prodigue, mais plus particulièrement dans
cette partie de la narration où l'évangéliste nous repré-
sente le père de cet enfant dénaturé courant à sa ren-
contre , se jetant à son cou, l'arrosant de ses larmes, le
ramenant avec joie dans la maison paternelle, lui met-
tant l'anneau au doigt, le couvrant d'une robe éclatante,
et ordonnant qu'on immole le veau gras pour célébrer
326 DE L'ÉLOCUTION et DES BEAUTÉS LITTÉRAIRES
dignement le bonheur de son retour (Luc. xv, 11-32.)
Enfin, elles ne sont ni moins gracieuses ni moins agréa-
bles, les images qui contiennent la parabole des dix
vierges (Matth . xxv, 1-13) , et celle du Samaritain (Luc. x ,
30-37). Troisièmement, si on examine avec quelque at-
tention toutes les paraboles évangéliques, on se con-
vaincra aisément que toutes les parties et les accessoires
quilescomposentontuneconvenanceévidente,etqu'elles
concourent parfaitem.ent à l'effet que leur divin auteur a
voulu produire. Ici nous devons faire observer avec
Lowth, qu'il n'est pas absolument nécessaire que tous les
traits de l'image se rapportent exactement à l'objet prin-
cipal; car il y a quelquefois de ces traits qui ne sont mis
que comme de simples ornemens, et dont on ne doit point
presser l'explication avec une rigueur trop minutieuse.
Mais lorsque la nature de l'image employée admet ou
même demande plus de développement, et que la ressem-
blance de cette image avec l'objet qu'on veut signifier se
présentant naturellement et sans efforts, se soutient dans
tous les détails, il est hors de doute quede ce concours de
tous les traits de l'image avec l'objet signifié résultera la
plus grande beauté .Et pour citer au moins quelques exem-
ples à l'appui de ce que nous venons d'avancer, y a-t-il
dans toute la parabole de la semence une seule circon-
stance qui soit superflue et qui ne conduise au dessein
manifeste de Jésus-Christ, celui de nous enseigner les
dispositions avec lesquelles nous devons entendre la pa-
role divine (Matth. xiii, 3-32. Marc, iv, 3-20. Luc. viii,
5-15) ? De même dans l'admirable allégorie de l'enfant
prodigue, que nous venons de citer, trouve-t-on un seul
trait qui ne soit point utile à montrer la bonté et la clé-
mence avec laquelle Dieu reçoit les plus grands pé-
DES ÉVANGILES. 327
cheurs ? Quatrièmement enfin, dans toutes les paraboles
de Jésus-Christ, l'image dont se sert ce divin Sauveur
est toujours soutenue sans interruption, et jamais l'idée
du sujet propre ne vient s'y mêler. L'allégorie, en effet, se
soutient d'un bout à l'autre, et l'idée du sujet propre ne
paraît que quand Jésus-Christ en donne l'explication.
Ainsi, à juger les paraboles évangéliques d'après les rè-
gles de l'art, elles sont beaucoup plus parfaites que tou-
tes celles que nous lisons dans les autres ouvrages, sans
en excepter celles qui sont contenues dans les livres de
l'Ancien-Testament. Aussi la plupart des rationalistes
eux-mêmes ne sont pas d'un sentiment différent. Winer,
entre autres , avoue dans son Dictionnaire de la Bible
(article Jésus-Christ), que les paraboles évangéliques
se distinguent surtout non seulement par leur simplicité
et leur concision, mais encore par leur beauté naturelle
et leur convenance avec l'objet qu'elles signifient.
CHAPITRE DIXIEME.
DE LA MÉTHODE A SUIVRE DAKS L'eXPLICATI0x\
DES ÉVANGILES, ET DES CONCORDES.
1. Il y a "deux manières différentes [d'expliquer les
Evangiles (Ij; la première consiste à les suivre successi-
vement l'un après l'autre, et la seconde est de lesinter-
(l) Ces deux méthodes peuvent également s'employer quand on
veut se borner à étudier our soi-même ces divins écrits, afin d'en
bien saisir le sens.
328 DE LA MÉTHODE A SUIVRE
prêter simultanément tous les quatre à l'aide d'une con-
corde ou harmonie (1). La première, quia été adoptée
par la plupart des commentateurs des quatre Evangiles,
paraîtrait la plus naturelle ; mais elle présente deux in-
convéniens qu'on évite en suivant la seconde : le pre-
mier, c'est la longueur. En effet , les évangélistes , et
surtout les trois premiers, ayant rapporté plusieurs faits
à peu près de la même manière, on se trouve obligé de
revenir une seconde, une troisième, et souvent une qua-
trième fois sur le même événement. Le second inconvé-
nient de cette méthode est qu'on ne voit point se succé-
der les faits évangéliques selon l'ordre des temps et des
lieux où ils se sont passés. Aussi , la méthode d'expli-
quer simultanément les Evangiles par le moyen d'une
concorde nous semble bien préférable à celle de les in-
terpréter successivement l'un après l'autre. Plusieurs
raisons ont fait sentir la nécessité d'une concorde. D'a-
bord, aucun des quatre évangélistes ne rapporte seul
tous les faits évangéliques ; ou du moins il ne les rapporte
pas avec tous leurs développemens. Secondement, leurs
(1) On entend par concorde ou harmonie évangélique la série des
actions et des discours de Jésus-Christ, rangée selon l'ordre des
temps et des lieux dans lesquels ils se sont passés, et recueillie du
texte des quatre évangélistes. On voit par là qu'une concorde diffère
d'une concordance; car cette dernière n'est qu'une table alphabé-
tique de tous les passages de l'Écrilute dans lesquels tel ou tel mot
se trouve ; tandis que la concorde est la comparaison des faits, des
discours, etc., écrits par diûerens auteurs, pour en faire une histoire
suivie selon Tordre des temps et des circonstances d'après lesquels
ces faits et ces discours ont eu lieu. Nous devons cependant faire
observer que malgré cette différence on confond souvent dans le lan-
gage les mots concorde et concordance.
DANS L EXPLICATIOX DES ÉVANGILES. 329
narrations paraissent quelquefois se contredire : or, une
bonne concorde fait disparaître ces contradictions. Troi-
sièmement, les faits évangéliques ne sont pas racontés,
au moins par tous les évangélistes, selon l'ordre des
temps où ils sont arrivés. xVinsi, faire une concorde évan-
gélique, c'est composer une histoire complète et suivie
de la vie et des actions deJÉsus-CHRiST, en rapprochant
tous les traits qui se trouvent épars dans les quatre évan-
gélistes, et en les rangeant selon l'ordre des temps et
des lieux, et de manière à lever toute contradiction dans
leurs récits. Ces conditions mêmes montrent assez qu'il
n'est pas aisé de faire une bonne concorde ; aussi les
plus savans interprètes diffèrent-ils entre eux d'opinion
sur la manière de disposer les événemens de la vie du
Sauveur. — La première difficulté qui se présente est que
plusieurs des événemens ne sont pas rangés selon le
même ordre chronologique dans les trois premiers Evan-
giles. Saint Matthieu, par exemple, les distribue dans un
ordre tout différent de celui qui est observé par saint
Marc et par saint Luc ; car alors à qui devons-nous nous
en rapporter? Plusieurs harmonistes prétendent que
tous les événemens sont placés dans les évangélistes se-
lon l'ordre du temps où ils sont réellement arrivés, mais
ils soutiennent que ceux qui se trouvent dans saint Mat-
thieu, quoique assez semblables aux faits rapportés par
saint Marc et saint Luc, sont néanmoins différens ; des
événemens semblables pouvant arriver plus d'une fois.
Il est vrai qu'un événement peut arriver plus d'une fois,
mais il est difficile de supposer qu'une série de faits
tels que ceux que nous lisons aux chapitres ix-xi de
saint Matthieu aient eu lieu plus d'une fois et toujours
avec les mêmes circonstances. C'est ce qui a fait dire
530 DE LA MÉTHODE A SUIVRE
judicieusement à Michaëlis : « D'après ce principe, tous
les événemens que saint Matthieu raconte dans les cha-
pitres IX, X et XI de son Evangile ont dû arriver deux
fois, si ce n'est trois : c'est-à-dire, Jésus a guéri deux
fois un paralytique que l'on descendit par le faîte de la
maison avec les mêmes détails ; dans les deux circon-
stances il tint les mêmes discours, et les auditeurs fu-
rent affectés de la même manière; deux fois immédiate-
ment après un miracle semblable, il appela un disciple
qui recueillait les impôts ; deux fois il ressuscita des
morts un enfant de douze ans , guérit en chemin une
femme qui était atteinte d'une perte de sang et qui tou-
cha ses vêtemens ; deux fois saint Jean lui adressa les
mêmes questions, etc. (1). » Ajoutons que si ce n'est pas
absolument impossible, c'est au moins tout-à-fait invrai-
semblable, et on ne voit pas comment on peut être fondé
à le supposer . Cette considération a fait avouer aux meil-
leurs harmonistes que ce sont les mêmes faits placés
seulement dans un ordre différent. Mais, parmi eux, il
y en a qui suivent saint ^'Jatthieu pour l'ordre des temps,
comme mieux informé, puisqu'il était témoin oculaire,
tandis que saint Marc et saint Luc ne l'ayant pas été,
pouvaient ignorer le temps où ils se sont passés. D'au-
tres, en plus grand nombre, aiment mieux suivre saint
Marc (2) et saint Luc, qui suit l'ordre de saint Marc et
(1) J. D. Michaëlis, Inlrod. au JY. T. tome m, pag, 17, édit. de
Chenevière.
(2) Parmi ces derniers critiques, plusieurs se fondent sur ce que
saint Marc paraît avoir révisé saint Matthieu en disposant les faits
qu'il raconte dans un meilleur ordre et en y ajoutant quelques nou-
velles circonstances. Mais celte raison, qui s'appuie elle-même sur l'o-
pinion présumée que les derniers évangélistes ont connu l'ouvrage des
DANS l'explication DES ÉVANGILES. 331
qui, comme nous l'avons déjà remarqué (pag. 15'0, non
seulement fait profession ouverte de rapporter les choses
dans l'ordre où elles se sont passées, mais encore a soin
de fixer plusieurs époques dans son Evangile. Ainsi ces
critiques ne font pas difficulté de suivre plutôt ces deux
évangélistes,qui s'accordent dans l'ordre des événemens,
que saint Matthieu, qui ayant pour but unique de prou-
ver aux Juifs que Jésus-Christ est le ^îessie, ne paraît
pas s'être occupé à placer les faits dans l'ordre chrono-
logique, vu qu'il était inutile à son dessein. Ce dernier
sentiment nous ayant paru le plus probable, nous ne ba-
lançons pas à l'adopter. — La seconde difficulté qu'on
éprouve lorsqu'on veut faire une bonne concorde évan-
gélique, vient de ce que dans les trois premiers Evan-
giles on ne trouve aucun indice de temps d'après le-
quel on puisse déterminer l'année où les événemens se
sont passés, et le temps précis de leur durée. Saint Jean,
il est vrai, détermine quatre pâques célébréespar Jkscs-
Christ, ce qui donne trois ans et demi à la durée de
son divin ministère ; il parle aussi de quelques autres
fêtes auxquelles il joint les événemens qu'il raconte; de
manière qu'il est possible de déterminer l'année et le
temps auxquels ces faits ont eu lieu; mais son Evangile
ne sert pas beaucoup pour fixer la date des événemens
rapportés par les trois autres évangélistes ; parce que
ces événemens étant presque tous différens de ceux qu'il
raconte lui-même , n'offrent aucun point de contact au
premiers, opinion sujette à beaucoup de difficultés (voy. page 147,
note 1) et peu suivie aujourd'hui, n'est nullement nécessaire pour
établir la thèse que saint Marc et saint Luc ont suivi un meilleur ordre
chronologique que saint Matthieu.
332 DE LA MÉTHODE A SUIVRE .
moyen duquel on puisse les unir ensemble . Cependant
Hug, dans son Introduction au ÎS^ouveau-Testament , a
tenté de résoudre ce problème, mais son essai n'a pas
réuni tous les suffrages. Car beaucoup de critiques, et en
particulier Olshausen, prétendent que les trois premiers
évangélistes n'ayant point écrit en suivant l'ordre des
temps, on ne voit pas la possibilité d'établir une concorde.
Saint Matthieu, dit ce dernier, a composé son Evangile
sans donner aucune date précise à laquelle on puisse
rattacher les événemens qu'il raconte, ou du moins la
manière dont il semble déterminer le temps oii ils ont eu
lieu est beaucoup trop vague. Les expressions alors
(tôtï), en ces jours-là [è-j -zuïç rtuépry.Lç èy.£b</.tç),en ce temps-là
(îv l/.îivw rfi vMioôy), à cette heure ( h èy.dvn rw rjpy.), dont il
se sert ordinairement, ont trop d'étendue pour lier en-
semble les événemens qu'il rapporte. Saint Marc est en-
core moins précis , puisqu'il joint un événement à un
autre sans aucune distinction de temps. Saint Luc , au
premier abord, paraît plus chronologique. Il annonce
dans son prologue qu'il va rapporter les choses par or-
dre (xkOsç//,-) . Il détermine même l'époque de la prédi-
cation de saint Jean et du baptême de Jésus-Christ;
plus loin il nous dit que le Sauveur avait trente ans quand
il commença l'exercice de son ministère. Eh bien ! mal-
gré tout cela, dans la suite de son Evangile il n'est ni
plus précis ni plus déterminé que les deux autres évan-
gélistes. Quelquefois (iv, 16, 31 ; v, 12, 23; vu, 18,
36; VIII, 26; ix, 1, 18) il joint ensemble les événemens
sans aucune marque de temps; d'autres fois (v, 17; viii,
22) il ne les distingue que par des indications très-gé-
nérales, comme après cela (v.ïrà ravra), un des jours (Iv y.tâ
Twv r,y.ioôrj) ; de manière qu'il est très-incertain si les
DANS l'explication DES ÉVANGILES. 3 33
événemens qu'il raconte sont tous arrivés selon l'ordre
des temps. 11 laisse son lecteur dans la même incertitude
par rapport à l'ordre chronologique des discours du Sau-
veur. Ainsi l'Évangile de saint Luc ne donne par lui-même
aucun indice certain que son auteur ait placé tout ce
qu'il raconte selon l'ordre des temps. Saint Jean est ce-
lui de tous les évangélistes qui paraît suivre plus exac-
tement l'ordre chronologique. Il précise quelquefois jus-
qu'aux jours qui se sont écoulés entre les événemens; les
discours de Jésus-Christ sont étroitement liés aux faits
historiques qu'il rapporte ; il laisse dans sa narration de
grandes lacunes où l'on peut placer les événemens des
trois autres évangélistes ; il assigne les pâques que Jé-
sus-Christ a faites, les voyages à Jérusalem pour les y
célébrer et pour se trouver à la fête des Tabernacles et de
la Dédicace, dont les autres évangélistes ne nous avaient
pas parlé, vu qu'ils décrivent presque uniquement ses
voyages en Galilée et ne le suivent jamais à Jérusalem.
La détermination des pâques est surtout très-importante
pour fixer les années du ministère de Jésus-Christ et
lier les faits évangéliques à ces différentes années ; mais,
comme le remarque le même Olshausen, il y a encore
quelque difficulté par rapport au nombre de ces pâques î
car cet évangéliste n'en détermine clairement que trois,
et la quatrième, qu'il désigne sous le nom vague de fête
<les Jia/s , pourrait bien être une autre solennité. Et
d'ailleurs , quand bien même on accorderait qu'il faut
réellement reconnaître une quatrième pâque sous cette
expression indéterminée, la fête des Juifs ^ il s'ensui-
vrait seulement que les événemens contenus dans l'E-
vangile de saint Jean sont classés selon l'ordre de ces
quatre pâques; mais comment faire cadrer avec cet or-
334 DE LA MÉTHODE A SUIVRE
dre chronologique les faits rapportés par les autres évan-
gélistes, puisqu'ils sont presque tous différens de ceux
que raconte saint Jean. Il n'y a qu'un seul fait parallèle
qui se trouve dans les quatre Evangiles, c'est celui de
cinq mille personnes rassasiées avec cinq pains ; mais,
poursuit toujours Olshausen , comment déduire de ce
seul fait chronologiquement déterminé l'ordre chronolo-
gique de tous les autres qui ne se trouvent liés ensem-
ble par aucune marque de temps? Or, ne doit-on pas
conclure de ces difficultés que l'arrangement chronolo-
gique des faits contenus dans les Evangiles paraît en-
veloppé d'une obscurité si profonde qu'il est impossible
de la dissiper (1) ? Winer, dans son Dictionnaire de la
Bible, à l'article Jésus-Christ, dit aussi que malgré
les efforts des hommes les plus habiles, toutes les harmo-
nies publiées jusqu'à ce jour ne sont qu'un tissu de coo*
jectures, parce que la narration des évangélistes n'offre
que très-peu de choses qui puissent servir à lier les évé-
neraens, saint Jean lui-même ne les rapportant pas io\t-
Jours dans un ordre rigoureusement chronologique .Pour
nous, tout en accordant qu'il est en effet très -difficile de
composer une concorde parfaite et qui ne soit sujette à
aucune difficulté, et que les efforts tentés jusqu'ici dans
ce dessein sont loin d'avoir obtenu un succès complet,
nous pensons que comme elks ont approché plus ou
moins du but, on peut s'en senir très-utilement pour
expliquer les Evangiles, d'autant plus qu'ils contiennen-t
une foule de choses qui s'accordent ensemble par rap-
port aux circonstances et qui ont dû arriver dans le même
(1) Herm. Olshausen, Bibl. Commentai' ûber dasN- T.Einleil, § 7.
Band, u, zweile Auflaye.
DANS l'explication DES ÉVANGILES. 335
temps et dans le même lieu. Nous pensons encore que les
critiques qui soutiennent qu'il règne un désordre chro-
nologique dans tous les évangélistes ne sont pas en-
tièrement dans le vrai, puisque saint Jean marque assez
bien les temps, et qu'il rapporte les événemens contenus
dans son Évangile aux quatre pâques qu'a célébrées
Notre-Seigneur dans le cours de son ministère. Il n'est
même pas vraisemblable que ce prétendu désordre chro-
nologique se trouve dans saint Luc, qui , comme nous
l'avons déjà remarqué plusieurs fois, fait profession de
raconter les choses selon l'ordre des temps ; qui ratta-
che la naissance de Jésus-Christ et le commencement
de son ministère à des dates précises, et qui porte l'at-
tention jusqu'à déterminer l'âge qu'il avait quand il fut
baptisé par saint Jean son précurseur. Non, il n'est pas
vraisemblable qu'un écrivain qui a mis aussi tous ses
soins à bien examiner ce qui devait faire le sujet de sa
narration, et qui prend les choses qu'il raconte à leur
origine même [ab initio), ne les ait pas rapportées dans
l'ordre où elles se sont passées. Ainsi , il nous semble
qu'en suivant l'ordre historique de saint Luc, qui est le
même que celui de saint Marc, et en s'aidant de l'Évan-
gile de saint Jean, surtout si l'on part du miracle de la
multiplication des pains, qu'il rapporte conjointement
avec les autres évangélistes, on peut établir une concorde
assez sûre, pour la plus grande partie au moins des ac-
tions et des discours de Jésus-Christ. C'est ce qu'a fait
Hug dans son Introduction au Nouveau-Testament. 11
peut bien y avoir quelque incertitude par rapport à cer-
tains détails, mais en somme l'arrangement et la distri-
bution des faits tels que les a conçus ce critique nous ont
paru assez fondés en raisons.
336 DE LA MÉTHODE A SUIVRE
2. Notre intention n'est nullement de donner une
liste complète de toutes les concordes ou harmonies dont
les auteurs se sont efforcés de concilier les quatre Evan-
giles et de disposer les faits qui y sont contenus dans
un ordre chronologique ; nous nous bornerons à rap-
porter quelques-unes des principales (1).
La plus ancienne concorde évangélique est celle de
Tatien ; nous avons déjà parlé assez de cet ouvrage et de
son auteur (voy.plus haut p. 186, 187), pour que nous n'y
revenions pas ici. Nous dirons seulement qu'elle est per-
due depuis long-temps, et que c'est à tort qu'on préten-
drait que nous l'avons dans la plus petite de celles qui
figurent dans la Bibliothèque des Pères, car cette der-
nière contient les généalogies de Jésus -Christ, que
Tatien avait retranchées (2).
Théophile d'Antioche (voy. pag. 186) avait aussi com-
posé une concorde des Evangiles ; c'est du moins ce
qu'insinue saint Jérôme, lorsqu'il dit dans sa lettre 151
ad Âlgasiam: Theophiliis Antiochenœ ecclesiœ septùnus
post Petrum apostolum episcopus, quatuor evangelista-
(1) On peut voir sur cette matière la Bibliothèque grecque de Fa-
bricius, tome iv, la Bibliothèque sacrée de D. Calmet, partie v, V In-
troduction au N. T. de Michaëlis, tome m, etc.
(2) Cette petite concorde qui se trouve dans la Bibliothèque des
Pères est la même qui fut publiée pour la première fois à Augsbourg,
en 1523, par Ottoraar Luscinius (ou comme on l'appelle en Allemagne
Olhmar Nachtigal), sous le titre non de Tatien, mais d'Ammonius : car
cette édition originale porte à la lettre : Evainjelicœ historiée ex quatuor
evangelislîs perpétua tenore conlinuata narratio, ex AmmoniiAlexan-
drini fragmentis quibusdam e grœco per Ottomarum Luscinium versa.
D'autres éditeurs, dans la croyance que cet ouvrage était de Tatien,
le lui ont attribué. Quoi qu'il en soit, c'est moins une harmonie qu'un
sommaire de la vie de Jésus-Christ.
DANS l'explication DES ÉVANGILES. 337
rum in unum opus dicta ccmpingens, ingenii sut monu-
menta reliquit .Mais cet ouvrage n'est point parvenu jus-
qu'à nous. Quelques critiques croient même que le saint
docteur a pris l'Harmonie de Tatien pour un ouvrage de
Théophile d'Antioche ; cependant nous n'avons aucune
preuve satisfaisante de cette prétendue méprise.
Vient ensuite la Concorde d'Ammonius d'Alexandrie,
qui vivait au commencement du iii^ siècle. Elle est très-
célèbre dans l'Eglise. Pour distinguer dans sa concorde
ce qui appartient à chaque évangéliste et ce qui est dit
par un ou par plusieurs, Ammonius inventa ce que
saint Jérôme appelle des canons évangéliqiies, qui ont
été imités depuis par Eusèbe (1). Or, ces canons étaient
compris en dix tables, selon les différentes concordan-
ces que peuvent donner les quatre évangélistes; car, ou
ils s'accordent tous les quatre, ou il n'y en a que trois,
ou deux seulement, ou bien enfin ils rapportent des cho-
ses qui leur sont propres et qui ne se trouvent pas dans
les autres. Or, en épuisant toutes ces combinaisons et en
retranchant du nombre qu'elles produisent celles qui ne
pouvaient lui servir, Ammonius trouve dix tables. Et, en
effet , les combinaisons donnent nécessairement douze
tables; car les évangélistes combinés trois à trois offrent
quatre combinaisons , et combinés deux à deux ils en
donnent six ; en tout dix combinaisons ou tables, qui
s'élèvent au nombre de douze si on les joint au premier
canon qui présente les parties de l'histoire du Sauveur
qui se trouvent dans les quatre évangélistes, et au der-
nier qui contient les traits rapportés par un seul d'entre
(1) Ammonius... Evangclicos canoncs cxcogitavit, quosposlcà se-
culus est Eusebius Cœsaricnsis (Hieron. Cataloy.c. lv).»
V. 15
338 DE LA MÉTHODE A SUIVRE
eux (1). De ces douze tables, Ammonius a retranché la
dixième, parce qu'il n'y a pas de passages communs à
saint Marc et à saint Jean qui ne se trouvent dans saint
Matthieu ou dans saint Luc. Il a aussi retranché la cin-
quième combinaison, parce que quand saint Marc, saint
Luc et saint Jean s'accordent ensemble, ils s'accordent
aussi avec saint Matthieu. Ainsi, pour éviter un double
emploi, il s'était borné à réduire ses douze tables à dix
seulement. Quelques critiques ont cru que la concorde
d'Ammonius avait été conservée, et que c'était même la
plus grande des deux qui figurent aujourd'hui dans la
Bibliothèque des Pères; mais il nous semble que le doc-
teur Marsh a assez bien prouvé le contraire quand il a
dit que cette grande concorde ne pouvait être celle d'Am-
monius, puisqu'elle ne contenait pas le texte entier de
saint Matthieu avec les parties parallèles des autres
évangélistes, ce que renfermait cependant la concorde
d'Ammonius , selon le témoignage d'Eusèbe qui l'avait
sous les yeux (2) .
(1) Le tableau suivant peut nous donner l'idée de ces combinaisons
ou tables :
P table. Matth. Marc, LuCjJean, VII^ table. Matth. Luc.
Ile table. Matth. Marc, Luc. Yllle table. Matth. Jean.
Ille table. Matth. Marc, Jean. IX« table. Marc, Luc.
IVe table. Matth. Luc, Jean. X«= table. Marc, Jean.
Ve table. Marc, Luc, Jean. XI^ table. Luc, Jean.
YI* table. Matth. Marc. Xlle table. Un seul des 4 Évang.
(2) Inirod. to t'ie JV. T. bij J. D. Michaëlis... JVhh noies by Her-
berlMarsh, vol.\\\,yart. \\, pay. 30. Tiie second édition. — Cette même
concorde, qui se trouve dans la Bibliothèque des Pores, fut publiée
pour la première fois à Mayence, en 1524, sous le titre de : Quatuor
Evangeliorum consonantia, ah Ammonio Alexandrino comjesta, ac à
f^ictore Capuano episcopo transluia. On Ta réimprimée à Bâle, en
DANS L'explication des évangiles. 339
On peut considérer comme une harmonie évangélique
les quatre livres de saint Augustin intitulés De consensu
evangelistarum; car, bien que cet ouvrage ne présente
pas une concorde proprement dite, il fournit cependant
d'excellens matériaux pour en composer une. Richard
Simon a donné une analyse critique de cet ouvrage (1).
Juvencus, l'un des premiers poètes chrétiens , né en
Espagne, d'une famille illustre , mit en vers latins la vie
de Jésus-Christ (vers l'an 329) . Ce poème, dans lequel
l'auteur a suivi avec une exactitude scrupuleuse le texte
sacré, nous offre une espèce d'harmonie des évangélis-
tes, en conciliant leurs récits et leurs paroles. La der-
nière édition de cet ouvrage a été donnée à Leipzig
en 1710, in-8o, avec les notes de plusieurs critiques ,
par Erhard Reusch. On le trouve aussi dans le tome iv
de la Bibliothèque des Pères, imprimée à Lyon, et dans
le Corpus poetarum de Maittaire.
On attribue à Arnaud une Concorde -évangélique en
latin , imprimée à Paris d'abord en 1663, in-12 ; puis
avec des corrections et des additions en 1660. Elle est
courte mais fort estimée ; on l'a réimprimée depuis la
mort d'Arnaud dans le tome iv de la grande Bible de
Sacy, en latin et en français, avec de nouvelles notes fort
utiles.
Cornélius Jansénius, évêque de Gand, est auteur d'une
Concorde des Évangiles, et d'un commentaire sur cette
1555, en mettant le nom de Tatien à la place de celui d'Animonius et
en]a\ss3in\.Véinihète A lexandri7io , qui ne saurait convenir àTatien; de
là vient que cet ouvrage est appelé tantôt Harmonie de Tatien, tan-
tôt Harmonie d'Ammoniiis, selon les éditions dont on a fait usage.
(1) R. Simon, Hist. crit. des principaux commentaires du lY. T.,
Ch. XTIII,
340 DE LA MÉTHODE A SUIVRE
concorde. Dans le commentaire, il s'applique au sens
littéral et mystique tiré des pères ; et dans la concorde
il fait connaître d'abord ce qui appartient à chaque
évangéliste, ensuite la partie qui leur est commune, et
il rejette à la marge tout le reste. Cet ouvrage a eu plu-
sieurs éditions.
Le P. Lamy de l'Oratoire a publié sur le sujet qui
nous occupe des ouvrages aussi utiles que savans. Son
travail consiste en une Harmonie imprimée à Paris en
1689, in-12, à laquelle il a joint un Commentaire avec
un Apparatgéographiqueet chronologique, qui ont paru
également à Paris en 1699 et 1703, 2 vol . in-4.% dernière
édition, où se trouve une dissertation tendant à prouver
qu'il n'y a eu qu'une Magdelaine ; des paralipomènes
dans lesquels ce savant explique ce qu'il avait omis ou
ce qui avait besoin de nouvelles explications ; enfin un
catalogue de ceux qui ont écrit sur les Evangiles . Dans
sa concorde il suit particulièrement saint Matthieu et
saint Jean comme ayant été témoins oculaires et auri-
culaires de tout ce qu'ils rapportent de la vie de Jésus-
Christ. Nous avons eu occasion d'exprimer notre sen-
timent sur cette manière d'envisager les faits évangéli-
ques. Quant à son commentaire, il est uniquement
littéral et critique. Il ne s'attache pas cependant aux dif-
ficultés de grammaire, et sa version présente tantôt une
paraphrase, tantôt une analyse, en y joignant toutefois
des notes où brille l'érudition. L'auteur avoue que l'ar-
rangement des faits tel qu'il l'expose est tout nouveau
et différent de ceux qui ont paru jusqu'ici, et qui par
conséquent n'ont pu être à ses yeux qu'imparfaits et dé-
fectueux.
Le P. Pezron, dont nous avons déjà parlé à l'article
DANS l'explication DES ÉVANGILES. 341
des commentateurs des prophètes (1), a donné l'Histoire
évangélique confirmée par l'histoire des Juifs et par celle
des Romains, à Paris, 1696, 2 vol. in-12, avec deux dis-
sertations dont l'une a pour objet l'année de la Passion
du Sauveur, et l'autre tend à concilier saint Jean avec
les trois autres évangélistes touchant la dernière Pâque.
Comme nous ne connaissons en aucune manière la par-
tie de la vie de Jésus -Christ qui s'étend depuis son
enfance jusqu'au commencement de son ministère évan-
gélique, le P. Pezron a comblé cette lacune en insérant
les plus beaux endroits de l'histoire des Juifs et de celle
des Romains, ainsi que la suite des souverains pontifes,
et la liste des tétrarques successeurs d'Hérode, enfin celle
des gouverneurs de la Judée et de la Syrie.
Nicolas Thoynard, né à Orléans en 1629, et mort à
Paris en 1706, a composé une Harmonie évangélique im-
primée à Paris après sa mort, en 1707-1709, in-fol. Elle
contient le texte grec des évangélistes avec un précis de
leur récit en latin, des remarques courtes mais très-
bien choisies et fort exactes. Elle a servi de base à l'Har-
monie que D. Calmet a mis en tête de son commentaire
sur saint Matthieu, et à celle qui a été insérée dans la
Bible de Vence.
En 1713 on a publié à Paris la Concorde des quatre
Évangiles avec des réflexions morales et des notes en
français, 4 vol. in-l*2, et avec l'approbation de vingt-
quatre évêques qui assurent que la traduction est exacte
et pure, que les réflexions sont édifiantes, pleines d'in-
structions et d'onction ; que par leur variété elles sont
utiles à tous les états et à toutes les professions dans les-
(1) Voy. notre tome m, page 139.
342 DE LA MÉTHODE A SUIVRE
quelles un chrétien peut se trouver engagé; qu'elles
apprennent à lire l'Écriture avec fruit ; que pour les no-
tes elles sont judicieuses; que malgré leur brièveté elles
renferment ce qu'il y a de meilleur dans les commentai-
res et donnent l'intelligence du texte ; que la concorde
est nette et suivie; enfin que tout l'ouvrage est composé
dans un esprit de paix, et qu'il inspire la docilité envers
l'Église.
Nous ne passerons pas sous silence la concorde qui ré-
sulte de l'analyse critique des quatre Évangiles faite par
Hug dans son Introduction au Nouveau-Testament, La
distribution et l'arrangement des faits tels que les a con-
çus ce savant, nous ont paru, comme nous l'avons déjà
remarqué, généralement fondés sur des raisons assez
plausibles ; bien que nous n'ajoutions pas la même foi
que lui à toutes ses hypothèses .
Enfin nous citerons encore parmi les harmonies évan-
géliques composées par des écrivains catholiques, V His-
toire de la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, par le
P. de Ligny, de la Compagnie de Jésus.
Parmi le grand nombre des harmonies publiées par
les protestans, nous nous bornerons à citer les suivan-
tes comme les plus estimées . L'Harmonie d'André Osian-
der, qui parut pour la première fois en latin à Amster-
dam en 1537, in-8°, et qui depuis a été réimprimée en
allemand à Francfort en 15i5, in-8%et à Baie en 1561,
in-fol. en grec et en latin, etc., offre unegrandeconfusion
à cause du grand nombre de signes qu'il a employés pour
désigner les passages de chaque évangéliste. Osiander
admettait le principe que les évangélistes ont toujours
suivi l'ordre chronologique ; que les mêmes actions ont
eu lieu , et que les mêmes discours ont été tenus jus-
DANS l'explication DES ÉVANGILES. 343
qu'à trois fois dans la vie de Jésus-Christ. Les har-
monistes qui ont adopté le principe d'Osiander l'ont
poussé dans l'application plus loin que lui, car il s'en
écarte lui-même quelquefois.
Martin Chemnitius a composé une Harmonie évan-
gélique qui a été continuée par Polycarpe Lyser et Jean
Gerhard. La première édition est d'Anvers, 1593, in-8°,
etladernièredeHambourg,170i,en3yol.in-fol. Ce n'est
pas seulement une harmonie, mais encore un commen-
taire sur les Evangiles. On en a fait un abrégé qui a
paru à Wittemberg en 159i, in-V. Quoique Chemnitius
s'attache généralement trop à suivre Osiander, il rejette
cependant le principe que les évangélistes ont toujours
observé dans leur narration l'ordre chronologique.
La concorde de Jean Lightfoot qui se trouve dans ses
œuvres complètes, et qui avait déjà été imprimée plu-
sieurs fois, soit en anglais, soit en latin, est divisée en
trois parties et ne va que jusqu'à la dernière Pâque du
Sauveur. Elle a cela de particulier que l'auteur y montre
les rapports du Nouveau-Testament avec l'Ancien , et
qu'il explique d'une manière assez satisfaisante les prin-
cipales difficultés. C'est pour cela que Mabillon en re-
commande la lecture à tous ceux qui veulent étudier à
fond les saintes Ecritures.
Jean Leclerc a publié à Amsterdam en 1699, in-fol.,
une Harmonie des quatre Evangiles, qui contient le texte
grec entier avec la version latine et une paraphrase
de sa façon. Ce travail a été réimprimé à Francfort
en 1700, in-l", mais en latin seulement ; et il a paru la
même année à Londres en anglais, et dans le même for-
mat in-i°. Dans l'édition de 1699 se trouvent des disser-
tations sur les années de Jésus-Christ, sur la concorde
344 DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES.
et l'autorité des évangélistes ; ce qui forme la meilleure
partie de cet ouvrage, selon la remarque de D. Calmet;
pour la paraphrase, latet anguis in herba ; l'auteur y
glisse de temps en temps des idées de socinianisme.
Enfin nous citerons encore parmi les protestans qui
ont composé des harmonies, William Whiston, Bengel,
E. D. Hauber, Bushing, Macknight, Bertling,Priest]ey,
Newcome, Paulus, Kaiser, Clausen, White, etc. «Ceux
qui ont les harmonies de Whiston, Bengel, Hauber, Bu-
shing et Bertiing, dit Michaëlis, peuvent se passer d'au-
tres harmonies plus volumineuses, ils y trouveront les
bases des différentes opinions sur le sujet expliquées et
soutenues (1). »
Voyez l'Appendiee P' à la fin du volume.
CHAPITRE ONZIÈME.
DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES.
Comme les Evangiles sont de nos divines Ecritures la
partie la plus belle et celle qu'il est le plus important
pour nous de bien comprendre, nous ne devons négliger
aucundes moyens que l'herméneutique nous fournit pour
nous faire entrer dans le sens de toutes les vérités qu'ils
contiennent. Or, un de ces m.oyens c'est la lecture et l'é-
tude des commentaires qui ont été composés dans ce
but. Mais, il faut bien le remarquer, cette ressource,
quelque précieuse qu'elle puisse être, ne suffit cependant
pas, nous avons besoin d'autres lumières qui nous vien-
nent d'ailleurs. Ainsi il faut nécessairement connaître
non seulement l'histoire du peuple de Dieu, les lieux
(1) J.D.Micliat'lis, Introd. au IV. T., i. m, pag. 52, éiL Chcncvi'ere.
DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES. 345
sacrés des Juifs, tels que la ville de Jérusalem, le tem-
ple et ses différentes parties, les synagogues des Juifs;
mais les personnes sacrées , c'est-à-dire les lévites, les
scribes, les docteurs de la loi, et les prosélytes , aussi
bien que les Samaritains, les pharisiens , les saducéens,
les esséniens. A cette connaissance on doit joindre en-
core celle des choses sacrées, qui sont les sacrifices, les
offrandes, les prémices, les dîmes, les parfums, la cir-
concision, etc.; celle des temps sacrés, c'est-à-dire les
fêtes , les jeûnes , les solennités et les différentes divi-
sions du temps usitées parmi les Juifs; celle de la géogra-
phie de la Judée , de la Samarie et de la Galilée, théâ-
tres de la prédication de notre divin Sauveur; celle des
différentes monnaies et mesures usitées chez les Juifs
au temps de Jésus-Christ; enfin celle des jugemens des
Hébreux à cette même époque; connaissances qu'on peut
facilement acquérir en lisant attentivement le second
volume de cette Introduction, qui contient V Archéologie
biblique.
Pour revenir aux commentaires, nous ferons connaî-
tre séparément ceux qui ont été composés par les ca-
tholiques et les protestans, en nous bornant plus par-
ticulièrement à ceux qui nous ont paru les plus impor-
tans à consulter (1).
(1) Nous ferons ici deux observations qui nous ont paru assec
utiles ; la première, c'est que les Harmonies ou Concordes, dont
nous \enons de parler au chapitre précédent, nous offrent autant de
commentaires plus ou moins complets de nos quatre Évangiles ; la
seconde, que la plupart des interprètes qui ont écrit sur ces divins
livres ont également fait des travaux semblables sur les autres parties
du Nouveau-Testament.
15.
346 DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES.
ARTICLE I.
Des commentateurs catholiques.
1 . Le plus ancien commentaire qui ait été composé
sur les Évangiles est celui de Théophile, évêque d'An-
tioche, dont nous avons déjà eu occasion de parler plu-
sieurs fois. Saint Jérôme avait lu ce commentaire (1), et
il en cite un fragment où il se trouve des allégories (2) .
Quoique ce saint docteur dise que ce commentaire n'a
ni l'élégance ni le style des autres ouvrages de Théo-
phile, cependant il ne nie point qu'il soit de lui, puis-
qu'il le cite sous le nom de ce saint évêque dans ses
propres commentaires sur saint Matthieu (3). Quant aux
petits commentaires latins qui se trouvent dans la Bi-
bliothèque des Pères, et qu'on attribue à Théophile, il
est au moins incertain qu'ils soient authentiques, a Ces
commentaires, dit D. Ceillier , ne méritent point d'être
attribués à un homme d'un mérite aussi distingué qu'était
saint Théophile; ce n'est qu'une espèce de compilation et
de recueil informe d'explications de différens commen-
tateurs; et l'auteur y a apporté peu d'exactitude. Le
passage même de Théophile cité par saint Jérôme n'y
est pas dans sa place; on n'y garde non plus aucun or-
dre dans l'explication des Evangiles, et quelquefois
après avoir donné l'interprétation d'un verset de saint
Matthieu, on passe à un de saint Jean ou de quelque
autre évangéliste qui n'ont ensemble aucune liaison. Il
(1) Ilieron. Cataloy. c. xxv.
(2) Hieron. Epist. ad Algasiam.
(3) Hieroh. Proœmium in Malth.
DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES. 347
y a même quelques chapitres qui sont expliqués sans
garder aucune suite dans les versets; en sorte que l'au-
teur commence par les derniers, puis il revient aux pre-
miers (1). »
2. Origène avait beaucoup écrit sur les saints Évan-
giles, mais de tous ses travaux il ne nous reste que des
fragmens de ses commentaires sur saint Matthieu et saint
Jean ; ils ont été recueillis par le P . de La Rue, dans l'é-
dition que ce savant a donnée de ses œuvres. Origène,
comme nous l'avons déjà remarqué plusieurs fois, ne
s'attachant ordinairement pas au sens littéral, se jette
assez souvent dans des sens spirituels, et il insiste beau-
coup sur la morale et la doctrine.
3 . Saint Irénée, saint Gyprien, saint Clément d'Alexan-
drie ; ïertullien, Eusèbe, saint Athanase , saint Basile,
saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse,
quoiqu'ils n'aient pas commenté ex professo les quatre
Evangiles , en ont cependant expliqué dans leurs ou-
vrages différentes parties . ïertullien surtout a expliqué
plusieurs endroits de saint Luc, dans ses livres contre
Marcion (2) .
4. Saint Hilaire a écrit un commentaire sur saint Mat-
thieu ; quoiqu'il y suive Origène dans les sens spirituels,
il est cependant plus littéral que lui.Dupin dit dans sa
Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, que les com-
(1) J. D. Ceillier. Hist, rjén. des auteurs sacrés et ecclésiastiqueSj
tome II, pacj. 109.
(2) On peut voir au reste ce que R. Simon dit des commentaires de
ces pères et de ceux des autres docteurs de l'Église dans son Histoire
critique des principaux commentateurs du Nouveau-Testament. Cet
écrivain en parle très au long, et on peut dire qu'en général ses juge-
mens sont bien fondés.
348 DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES.
mentaires de ce saint docteur sont excellens. D. Geil-
lier trouve qu'ils sont écrits avec précision ; et R . Simon
avoue que saint Hilaire y est plus liltéral que dans son
commentaire sur les Psaumes, plus simple et moins
élevé que dans ses autres ouvrages. «Mais il est éga-
lement obscur, ajoute le savant critique, parce qu'il af-
fecte partout de certaines expressions qui ne sont point
latines, et qu'il embarrasse son style en accumulant pen-
sées sur pensées. Il éclaircit les principales difficultés
qui se présentent sur le fait de la religion, sans s'étendre
sur des lieux communs de théologie (1). » Enfin R . Simon
fait observer que quoique saint Jérôme connût et estimât
le commentaire de saint Hilaire, cependant il le réfute
quelquefois dans son propre commentaire sur saint Mat-
thieu (2) .
5. Saint Jean Chrysostome a laissé quatre-vingt-dix
homélies sur les Evangiles de saint Matthieu et de saint
Jean. Nous avons déjà eu occasion de faire connaître le
saint évêque d'Antioche comme un excellent interprète
de l'Ecriture. Ses commentaires sur saint Matthieu et
sur saint Jean, dans lesquels il suit la même marche,
sont dignes de son mérite en ce genre. Aussi les pères
grecs qui ont écrit après lui, tels que Théodore, Théo-
phylacte, etc., se sont attachés à l'imiter et n'ont guère
fait qu'abréger son travail. La méthode de l'éloquent
docteur est de s'attacher au sens littéral sans se jeter
dans des allégories et des subtilités. Il est tout à la fois
(1) Pi. Simon, ibid. ch. ix, pag. 127.
(2) R. Simon, ibid. pag. 129.— Ce critique ajoute en cet endroit-là
même que saint Jérôme ne rend pas toujours justice à saint Hilaire,
et il réfute quelques idées d'Érasme qui tendent à déprécier l'ou-
vrage du saint évoque de Poitiers.
DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES. 349
orateur, interprète et controversiste. Il explique le sens
historique, lève les contradictions apparentes, réfute les
païens, les juifs et les hérétiques, instruit et édifie les
fidèles. Ses commentaires sont un trésor de morale. Ce
qu'on pourrait lui reprocher, c'est d'être long et trop
diffus surtout dans ses exordes, et de se montrer un peu
plus prédicateur qu'interprète proprement dit. Mais on
lui pardonne aisément ce défaut quand on examine la
nature des personnes auxquelles il s'adressait et les cir-
constances dans lesquelles il se trouvait. Quant au com-
mentaire sur saint Matthieu, intitulé V Ouitu g e impar-
fait, et qu'on lui a attribué, il n'est nullement sorti de sa
plume. Ce commentaire renferme des choses bonnes
et utiles, mais cependant il faut le lire avec d'autant
plus d'attention, qu'il contient plusieurs propositions
ariennes.
6. Saint Ambroise a expliqué saint Luc. Son com-
mentaire, divisé en dix livres qui sont parvenus jusqu'à
nous, n'a été fait que pour l'instruction de son peuple,
à qui il le prêchait tous les dimanches. Saint Jérôme a
jugé ce commentaire d'une manière peu favorable, car
il accuse saint Ambroise de n'avoir pas traité son sujet
assez sérieusement, de jouer sur des mots sans s'arrêter
au sens : In verhis ludensy in sententiis dormitans. Rufin
s'est élevé avec force contre ce jugement, sans que saint
Jérôme dans sa réponse à son adversaire cherche à se
disculper de cette accusation (1). Et, en effet, on ne
(1) Dans son attaque contre ce jugement de saint Jérôme, Rufia
renvoie à une préface qui se lit encore aujourd'hui en tête des Ho-
mélies dOrigène sur saint Luc, que saint Jérôme a traduites en latin.
Si.\te (le Sienne croit que saint Jérôme n'a jamais eu une semblable
pensée, et que cette fable est de l'invention de Rufin : a Quod ego
360 DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES.
saurait , dès que l'on examine la chose sous le point de vue
de la critique, comme Fa fait saint Jérôme, ne pas trou-
ver dans le commentaire de saint Ambroise sur saint Luc
quelques défauts qui pourraient justifier jusqu'à un cer-
tain point la censure du savant père. On y rencontre
en grand nombre des digressions, des allégories et des
tropologies assez forcées. Les antithèses et les jeux de
mots y abondent également. Cependant malgré ces dé-
fauts saint Jérôme ne le juge pas inutile, puisqu'il en con-
seille la lecture à Algasie. Saint Augustin le cite avec
éloge dans ses livres contre Pelage." Il est également cité
par saint Fulgence, saint Maxime, Cassiodore, par les
pères de plusieurs conciles, et D. Ceillier en a jugé plus
favorablement que R. Simon ; car selon lui saint Am-
broise s'attache au sens littéral et historique, lève les
contradictions apparentes, et passe ensuite au sens mys-
tique et moral. Il est incontestable en effet que malgré
les reproches faits à ce commentaire , on y trouve les
avantages signalés par D. Ceillier, etR. Simon dit lui-
même expressément: c( Ce n'est pas qu'il n'y dise de
très-bonnes choses , mais il est trop fécond en paroles
et en digressions (1).»
7. Saint Jérôme, au témoignage de Cassiodore, a in-
terprété nos quatre Évangiles (2). Mais nous n'avons de
crediderim magis à Piulino in odiuni Hieronymi conficlura, quam ab
Ilieronymo laie probatum esse judicium de eruditis et erudiiissimi
viri comnientariis [Bihlioih. sacr. l. iv).» Mais, comme le remarque
B. Simon, il faut que ce savant critique n'ait pas assez pris garde à
la préface dont nous venons de parler. D'ailleurs ce n'est pas le seul
endroit où saint Jérôme ne parle pas bien des ouvrages de saint Am-
broise.
(1) R. Simon, Hist. crit. des comment, du lY. T. ch. xiv.
(?) Cassiodor. Divin, leci. c. vu.
DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES. 351
ce saint docteur qu'un commentaire sur saint Matthieu,
presque entièrement littéral, et encore fort court. Il l'a
composé avec assez de précipitation, puisqu'il n'y a mis
que quinze jours , comme il nous l'apprend lui-même ,
promettant de donner plus tard un ouvrage plus com-
plet, n'ayant pas eu le temps de prendre de longs extraits
dans les interprètes qui avaient écrit avant lui et dont il
possédait les ouvrages, tels que Théophile d'Antioche,
saintHippolyte martyr, Théodore d'Héraclée, Apollinaire
de Laodicée, Didyme d'Alexandrie, saint Hilaire, Victo-
rin et Fortunatien ( J ). Si saint Jérôme a réellement com-
posé ce grand ouvrage, il s'est perdu dans la suite des
temps, puisque nous n'avons de lui que son petit com-
mentaire,'dans lequel, au reste, on trouve plus d'une trace
de l'érudition de ce saint docteur. Enfin nous croyons
devoir faire observer qu'il donne quelquefois des explica-
tions qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre, parce
qu'elles présentent un sens peu exact et qu'elles ont be-
soin elles-mêmes d'être expliquées par l'ensemble des
doctrines du savant père.
8. Saint Augustin a écrit sur saint Matthieu deux livres
intitulés : De sermone Domini in monte, et dans lesquels
le savant père explique en effet avec beaucoup de détails
le sermon sur la montagne. R. Simon dit que ces deux
livres de saint Augustin sont plus exacts que la plupart
de ses autres commentaires sur l'Écriture ; parce qu'il
s'y abandonne moins aux allégories et aux digressions
qui lui sont ordinaires. Nous avons encore de saint Au-
gustin un autre livre qui contient dix-sept questions
qu'on lui avait proposées sur quelques endroits de saint
(1) Hieron. Proœm. comment, in Matth.
852 DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES.
Matthieu ; enfin cent vingt-quatre traités sur saint Jean .
Quoique notre saint docteur ne soit pas toujours assez
fort sur le sens littéral, qu'il donne quelquefois dans les
antithèses, dans les allégories et dans la signification
mystique des lieux et des nombres , ses commentaires
sont d'autant plus précieux qu'on y trouve une morale
belle et pure, une doctrine profonde et sublime. Dans
ses traités sur saint Jean, son but principal est, à la vé-
rité, d'éclaircir les mystères de notre religion et d'y éta-
blir différentes règles de conduite ; mais cependant il ne
laisse échapper aucune occasion de combattre les héré-
tiques de son temps. Il y attaque surtout les ariens, les
manichéens, les donaiistes et les pélagiens ; il y combat
même quelquefois les philosophes. Nous ne dirons rien
ici des quatre livres de saint Augustin qui ont pour titre :
De consensu evangelistarum ; nous en avons parlé au
chapitre précédent ; nous ferons seulement remarquer
qu'au jugement de R. Simon lui-même, « il ne pouvait
entreprendre un ouvrage plus digne de lui ; qu'aussi y
a-t-il fait paraître beaucoup d'esprit et de jugement (1) .»
9. Saint Cyrille d'Alexandrie a composé sur l'Évan-
gile de saint Jean un long commentaire divisé en douze
livres. Sur ces douze livres, dix seulement sont parvenus
entiers jusqu'à nous, puisque nous ne possédons que de
simples fragmens du septième et du huitième. II faut bien
remarquer que ce commentaire ayant été composé pour
réfuter les hérétiques et défendre les dogmes qu'ils atta-
quaient, il est tout à la fois littéral et théologique, et
comme les adversaires que saint Cyrille avait à com-
battre étaient très-forts sur la dialectique, le savant père
(1) Pi. Simon, ibid. c. xvin.
DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES. 353
a été forcé de les suivre dans des subtilités qui ne sont
nullement du goût de notre temps.
10. Nous avons sur le Nouveau-Testament et sur les
Evangiles en particulier un certain nombre de chaînes
grecques, c'est-à-dire non point des commentaires sui-
vis, mais une suite de passages tirés des anciens inter-
prètes dont les ouvrages sont perdus, comme de Théo-
dore d'Héraclée, de Théodore de Mopsueste, de Sévère et
de Didyme. Quoique ces anciens interprètes ne soient
pas tous bien sûrs sous le rapport de l'orthodoxie, ce-
pendant il est curieux et quelquefois même utile de savoir
ce qu'ils ont pensé du sens de certains passages évangé-
liques. Or, c'est ce qu'on peut savoir par ces chaînes.
« Quoiqu'il y ait ordinairement plus de théologie que de
critique dans les chaînes et les scholies grecques, dit
R . Simon, on ne laisse pas d'y trouver de temps en temps
d'excellentes remarques critiques (1). » En 16i6, le père
Possin, jésuite, publia à Toulouse , in-fol., une chaîne
des pères grecs sur saint Matthieu, en grec et en latin,
accompagnée de scholies . Une semblable chaîne sur saint
Marc avec la traduction latine du même P. Possin a
été publiée à Rome en 1675, in-fol., avec des commen-
taires sur des passages choisis des quatre évangélistes ;
commentaires qui ont été réimprimés de nouveau à Ham-
bourg en 171-2, in-8^ sous le titre de Spicilegium Evan-
gelicum. — Le P. Corderius, jésuite, a donné trois chaî-
nes, l'une sur saint Matthieu, en grec, avec sa traduc-
tion latine, à Toulouse, IGïl, formant le second tome
de celle du P. Possin sur le même évangéliste. La se-
conde chaîne du P. Corderius est sur saint Luc ; elle a
(1) R. Simon, ihid. c. xxx.
354 DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES.
paru à Anvers l'an 1628, in-fol., en latin seulement, mais
avec des explications des quatre évangélistes. La troi-
sième a été imprimée aussi a Anvers en 1630, in-fol. ;
elle contient le texte grec, et la traduction latine de ce
savant jésuite.
11. On peut encore consulter sur les Evangiles aussi
bien que sur les autres parties du Nouveau-Testament
les commentaires latins du vénérable Bède, ceux d'Al-
cuin, de Raban-Maur, de Claude , évêque de Turin, de
Walafride-Strabus , auteur de la Glose ; de même que
ceux d'Albert le Grand, de saint Thomas, de Nicolas de
Lyre ; bien que tous ces commentateurs n'aient guère
fait autre chose que de compiler les pères qui les avaient
précédés.
12. Théophylacte nous a aussi laissé sur l'Evangile
un commentaire qui n'est qu'un abrégé de saint Jean
Chrysostome; mais il y a joint les interprétations de
plusieurs anciens auteurs, et quelquefois ses propres
réflexions. Le principal avantage des commentaires de
Théophylacte, c'est qu'on y trouve un abrégé de toutes
les interprétations de saint Jean Chrysostome.
13. Le commentaire sur les Evangiles attribué au
moine Euthymius, et qui parait être d'OEcuménius, est
très-estimé. Voici le jugement qu'en a porté R. Si-
mon : (( Il y a peu de commentateurs grecs qui aient
interprété le texte des Evangiles avec autant d'exac-
titude et de jugement que l'auteur qu'on nomme ordi-
nairement Euthymius. « Grœcus auctor , dit Maldonat ,
Eiit/iymius , et in verborum proprietatibus observandis
diligentissimus (1).» Il recherche avec beaucoup de soin
(1) Maldon. Comment, in Matth. xviî, 8.
DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES. 355
le sens littéral et la signification propre des mots (1). »
14. Alphonse Tostat a écrit sur saint ^latthieu un com-
mentaire latin divisé en sept livres. Ce commentaire,
très-diffus, qui n'occupe pas moins de quatre volumes
in-folio, se trouve dans ses œuvres complètes, qui ont
paru en 13 vol. in-folio, à Séville, iïdi , à Venise en
1530-1596, et à Cologne, 1613.
15. Nous ne ferons que nommer le commentaire de
Denis le chartreux qui suit l'explication des pères; celui
de Lefebvre d'Étaples, condamné parla faculté de théo-
logie de Paris; les notes et les paraphrases d'Erasme,
censurées par la même faculté.
16. Jean Gagnée ou Gagney (Gagnseus), docteur de la
faculté de théologie de Paris, qui vivait sous Franrois[P%
a composé sur le Nouveau-Testament des scholies qui
sont tirées en grande partie des pères grecs ; et quoi-
que celles qu'il a faites sur saint Paul soient principale-
ment estimées, cependant celles qu'il a composées sur les
Evangiles ont aussi leur mérite. Ce commentateur savait
bien le grec, et avait étudié les pères avec soin. R. Si-
mon dit de lui que dans tout son commentaire sur le
Nouveau-Testament , il montre clairement qu'il enten-
dait la matière qu'il traite et qu'il était même habile dans
la critique. Le même R. Simon ajoute que pour ce qui
regarde sa méthode, elle est judicieuse; qu'il exprime le
sens littéral en peu de mots, ne perdant guère de vue
l'original grec, et les plus habiles commentateurs grecs,
et qu'il corrige quelquefois Erasme selon les règles de
la critique. Les scholies de Gagney sur les Evangiles ont
été imprimées à Paris en 1631, in-8°, et en 1652, in-fol.
(1) R. Simon, ibid. c.hkw.
356 DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES.
17. Jansénius, évêque de Gand, a aussi composé un
commentaire d'après la concorde des quatre évangé-
listes, comme nous l'avons déjà remarqué au chapitre
précédent. Il se propose avant tout d'établir le sens pro-
pre et littéral des Evangiles; il passe ensuite au sens
mystique et moral , et il enseigne aux prédicateurs le
moyen de se servir des faits historiques de l'Evangile
pour corriger les mœurs. Jansénius ne borne pas là son
travail. Il se montre de plus controversiste et critique ;
il s'attache aussi à expliquer les citations de l'Ancien-
Testament qui se trouvent dans l'Évangile. On voit qu'il
avait lu une multitude d'auteurs ecclésiastiques. Nous
remarquerons en passant que comme il se conforme
aux idées reçues par les critiques de son temps, il lui ar-
rive quelquefois d'attribuer à des écrivains des ouvrages
qu'ils n'ont réellement pas composés.
18. Le cardinal Tolet a composé sur l'Evangile de
saint Jean et sur les douze premiers chapitres de saint
Luc des commentaires très-estimés. Ce dernier a paru
à Cologne en 1612, in-fol., quatrième édition, et l'autre
dans la même ville et le même format en 1639, sixième
édition. Richard Simon dit avec raison que Tolet mé-
rite d'être placé parmi les plus habiles commentateurs.
Néanmoins, ajoute le même critique, il est trop étendu
et trop fécond en questions qui ont pour but d'éclaircir
l'ancienne théologie et la doctrine des pères, et de mon-
trer son accord avec celle de son temps ; mais il a eu
soin de séparer son commentaire qui est court, de ses
notes où il traite de différentes matières. Quoiqu'il soit
diffus, remarque judicieusement D. Calmet, il ne laisse
pas d'être exact. Ajoutons que notre savant interprète
se montre quelquefois non seulement critique, puisqu'il
DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES. 357
a recours aux différentes leçons de son texte, mais aussi
grammairien ; car il s'attache à expliquer la propriété
des termes. En un mot, le commentaire de Tolet est à
la fois solide, pieux, instructif; c'est pourquoi nous ne
saurions trop en recommander la lecture.
19.LeP.Maldonat, jésuite espagnol, est auteur d'un
commentaire excellent sur les quatre Evangiles; ce com-
mentaire a eu un grand nombre d'éditions en différens
pays ; la dernière est de Paris, 1668, in-fol. Le P. Mal-
donat y fait preuve d'un esprit solide, d'un jugement
droit, d'une fine critique, d'une grande habileté tant
dans l'herméneutique que dans la théologie et la con-
troverse. Le seul reproche qu'on peut lui faire, c'est d'être
trop tranchant quand il s'éloigne du sentiment des an-
ciens et en particulier de saint Augustin, dont il ne fait
peut-être pas autant de cas qu'il mérite. On ne saurait
disconvenir que sous le rapport de la critique, il est su-
périeur à l'évêque d'Hippone, mais il en est tout autre-
ment sous celui de la science théologique.
20. Le P. Mariana, jésuite espagnol, a fait un bon et
utile travail non seulement sur les Evangiles, mais en-
core sur tous les autres livres du Nouveau-Testament.
« A l'égard de Mariana, ditR. Simon, ses notes sur le
Nouveau-Testament sont de véritables scholies oii il ne
paraît pas moins de jugement que d'érudition . Il marque
avec soin les diverses leçons qu'il a pu découvrir... Il
serait à désirer que les observations de ce savant homme
n'eussent pas été si abrégées; néanmoins il dit beaucoup
de choses en peu de mots (1). » Nous ajouterons que les
notes d'Emmanuel Sa, de Ménochius et d'Estius, peuvent
servir à compléter celles de Mariana. Ménochius, quoi-
(1) R. Simon, ibid. c. xlii, pafj.b37y 639.
358 DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES»
qu'il soit un peu trop concis lui-même, et quelquefois
obscur, est cependant un des plus judicieux scholiastes
que nous ayons. Les scholies de Mariana ont paru avec
plusieurs autres de ses travaux bibliques à Madrid, 1619,
à Paris, 1620, et à Anvers, lG2i, in-fol. On a joint à cette
dernière édition les notes d'Emmanuel Sa.
21. Le P. Alphonse Salmeron, jésuite, a composé sur
les Evangiles et les autres livres du Nouveau-Testament
un commentaire qui a paru successivement à Madrid,
l'an 1.^97-1602, et à Cologne, l'an 160i, en 16 vol. in-fol.
Mais il faut remarquer que le premier volume contient
des prolégomènes généraux sur toute l'Ecriture sainte,
que le second traite duVerbe avant l'incarnation, et que
le commentaire sur les Evangiles proprement dit com-
mence au troisième et finit par l'ascension du Sauveur
au onzième. La méthode du P. Salmeron n'est point de
suivre pas à pas le texte évangélique, mais de réduire à
un certain nombre de questions les faits rapportés par
les évangélistes. Ainsi il consacre un volume à traiter de
l'enfance de Jésus-Christ, un autre à prouver les mi-
racles, un troisième à développer ses paraboles, un qua-
trième à expliquer ses entretiens avec les pharisiens, et
ainsi de suite. Mais ce savant jésuite est plus théologien
qu'interprète, si on prend ce dernier mot dans son accep-
tion rigoureuse.
22. Quoique les commentaires de Corneille Lapierre
embrassent toute la Bible, Job et les Psaumes exceptés,
nous ne devions naturellement pas en parler ici ; nous
croyons cependant devoir faire quelques observations
sur celui des Évangiles en particulier. Ce commentaire
comme tous ceux du savant jésuite renferme une di-
versité prodigieuse de matières et une infinité de bonnes
DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES. 359
choses; mais nous pensons comme R. Simon que les
lecteurs qui ne sont pas capables d'en faire le choix se
tromperont souvent comme il s'est trompé lui-même après
d'autres. Notre commentateur avait connu les versions
coptes, éthiopienne et persane , mais il avoue lui-même
qu'il en a peu fait usage, et il faut convenir que toutes les
fausses variantes qu'il apporte des versions en langues
orientales prouvent qu'il les entendait fort peu et qu'elles
feraient assez croire qu'il les a citées d'après les inter-
prétations latines de ces versions. « La grande variété
de matières dont son commentaire est rempli, dit avec
vérité R. Simon, peut être agréable et utile à ceux qui
s'appliquent à la prédication. Ils trouveront par exem-
ple sur saint Joseph tout ce que les anciens et les nou-
veaux écrivains ecclésiastiques ont dit à sa louange, sans
oublier le docteur Gerson et le Bréviaire de Jérusalem,
qui assurent qu'il a été sanctifié dès le ventre de sa
mère. Ceux qui voudront savoir à fond l'histoire des
Mages, n'ont qu'à lire l'explication de ce jésuite sur le
chapitre ii de saint Matthieu (1). » Mais il faut remar-
quer qu'il rapporte une foule d'histoires sans examiner
avec assez de soin si elles sont vraies ou fausses. C'est
ainsi qu'il dit sur les Mages et l'étoile miraculeuse qui
leur servit de guide , beaucoup de choses qui ne sont
rien moins qu'assurées ; il suppose par exemple que la
très- sainte Vierge, qui avait le don des langues, parla
aux Mages en arabe. Malgré ces défauts, Corneille La-
pierre ne néglige nullement le sens littéral, qu'il cherche
toujours à établir le mieux qu'il lui est possible ; il passe
ensuite aux sens tropologiques et allégoriques, enfin il
(1) Pi. Simon, Hkt. crit. des commentât, du IV. T. ch, xliv.
360 DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES.
se montre encore théologien et controversiste, quand
l'occasion s'en présente. Son commentaire sur les Évan-
giles a été publié à Paris, en 1639, plusieurs fois à Lyon
et à Anvers ; la dernière édition est de Lyon, 1687.
23. Jansénius , évêque d'Ypres , qui au jugement de
R. Simon doit être placé dans le rang des habiles com-
mentateurs des Evangiles, a écrit sur ces divins livres un
commentaire dans lequel, selon le même critique, il les
a expliqués en peu de mots, et avec beaucoup de net-
teté. Il est fâcheux que Jansénius ait quelquefois accom-
modé le sens des évangélistes à certains sentimens de
théologie qui lui étaient particuliers, et qui ont été con-
damnés plus tard par l'Eglise. C'est ainsi, par exemple,
que sans aucune nécessité il a recours et à la grâce effi-
cace et à la prédestination à la gloire pour expliquer
plusieurs passages , ce qui fait qu'il doit être lu avec
beaucoup de précaution. Disons en terminant que l'é-
vêque d'Ypres semble avoir beaucoup profité du travail
de Maldonat, qu'il était assez faible dans la critique, et
peu versé dans la connaissance des langues, dans celle
de l'hébreu en particulier. Son ouvrage intitulé : Tetra-
chus, seu commentarms in quatuor Evangelîa, a été im-
primé deux fois à Louvain et à Lyon ; on compte six
éditions de Paris, dont la dernière est de 1697, in-4°.
2i . Nous terminerons cette liste des commentaires ca-
tholiques par Boniface-Martin Schnappinger, dont nous
avons déjà dit un mot dans \ Introduction générale (t. i,
p. 302). Cet interprète, professeur à Fribourg en Bris-
gaw , a composé une version allemande du Nouveau-
Testament, accompagnée de notes. Cet ouvrage, intitulé
Die heilige Schrift des Neuen Bundes, mit vollstœndig er-
hlœrenden Anmerkungen , a eu au moins trois éditions ;
DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES. 361
la troisième, que nous avons sous les yeux, est de Mann-
heim, 1817-1818, 4 vol. in-8% dont les deux premiers
sont consacrés aux Evangiles. Le premier volume est
précédé de trois introductions , dont l'une aux livres
saints du Nouveau-Testament, l'autre aux quatre Evan-
giles en général, et la troisième à l'Evangile de saint
Matthieu en particulier. Les trois derniers Evangiles
portent aussi chacun en tête une introduction particu-
lière. Ce commentaire, qui ne manque pas d'une certaine
érudition, contient un assez grand nombre de bonnes
choses; l'auteur se montre partout opposé aux rationa-
listes ; il admet l'inspiration divine des écrivains sacrés
sans la renfermer dans les limites si étroites que cer-
tains critiques téméraires ne font pas difficulté de lui pres-
crire.
ARTICLE II.
Des commentateurs protestans.
On ne saurait compter le nombre des protestans qui
ont travaillé sur les Évangiles et les autres parties du
Nouveau-Testament. Au lieu de citer par ordre chrono-
logique , comme nous l'avons fait jusqu'ici, les princi-
paux d'entre eux, nous les diviserons en trois classes ;
ainsi nous parlerons d'abord de ceux qui ont écrit avant
la nouvelle exégèse ; en second lieu, de ceux qui ont
suivi les principes de cette nouvelle exégèse ; troisième-
ment enfin de ceux qui dans leurs interprétations ont
combattu les fausses doctrines du rationalisme (1).
(1) On peut voir la liste des anciens principaux commentateurs
protestans dans la Bib[ioiheca sacra du P. Leiong, clans YHistoire
critique des principaux commentateurs duIV. T. parR. Simon, et dans la
partie v de la Bibliothèque sacrée de D. Calmet. Quant aux modernes,
on peut consulter pour les Anglais l'appendix de rintroduction de
V. 16
362 DES COMMENTAIRES DES ÉVANGILES.
1. Il est incontestable que parmi les anciens inter-
prètes protestans, plusieurs ont expliqué avec beaucoup
d'érudition nos saints Évangiles, qu'ils ont donné le
vrai sens d'un certain nombre de passages, et qu'ils ont
glorieusement vengé le Nouveau-Testament des attaques
des Juifs, des sociniens et des incrédules . Mais comme la
plupart étaient pleins des préjugés de leur secte contre
l'Eglise romaine, et qu'ils se trouvaient imbus d'une doc-
trine hérétique, ils ont assez souvent expliqué le texte sa-
cré conformément à leurs erreurs , ce qui fait qu'on ne
peut les lire, si l'on n'est point solidement affermi dans la
foi catholique, si l'on ne connaît bien les principes d'une
vraie interprétation, et si ce n'est point pour les réfu-
ter . Parmi les ouvrages de ces anciens protestans , ceux
dont on peut surtout tirer quelque utilité, ce sont les
commentaires de Calvin, ceux de Grotius, la Synopse
des critiques de Matthieu Polus, les notes insérées dans
les Critici sacri, celles de Beausobre (1), de Henri Ham-
mond, et celles que Leclerc a ajoutées à ces dernières.
2. Parmi les commentateurs qui ont embrassé les prin-
cipes de la nouvelle exégèse, la plupart présentent des
choses utiles sous le rapport de la critique du texte et
des observations grammaticales ; mais en général leurs
T. H. Horne, et pour les Allemands, l'Introduction de Bertholdt , et
celle qui est en tête du commentaire (§9) de Olshausen sur les
Évangiles.
(l) Ces notes de Beausobre sont un ouvrage posthume qui a paru
à La Haye, en 1742, in-4°, sous le titre de Remarques historiques,
critiques et philologiques sur le Nouveau-Tesiamenl. Ces remarques
sont différentes des notes littérales pour éclaircir le texte, qui se
trouvent dans le Nouveau-Testament de JV.S. Jésus-Christ, traduit
en français par MM. de Beausobre et l'Enfant. Les dernières peuvent
servir comme de complément aux premières.
DES COMMENTiIRES DES ÉVANGILES. 363
interprétations sont d'autant plus dangereuses qu'elles
tendent à détruire la révélation divine. Nous signalerons
surtout en ce genre le commentaire allemand philolo-
gique et critique sur le Nouveau-Testament, par Pau-
lus (1). Cet écrivain emploie toute sa grande érudition
à présenter les miracles de l'Evangile comme de simples
faits naturels, à torturer les paroles des évangélistes
pour leur donner des sens extraordinaires auxquels ils
n'ont certainement jamais pensé, et à transformer en
mythes tous les récits merveilleux du Nouveau-Testa-
ment. Quoique beaucoup d'interprètes de l'époque de
Paulus aient adopté les principes du rationalisme, tous
ne l'ont pas poussé aussi loin. 11 en est quelques-uns de
plus modérés ; nous pourrions citer parmi ces derniers
Kuinoel,qui expliquait assez bien le sens littéral, mais qui
ne laisse pas de donner bien des interprétations qui sen-
tent le rationalisme (2). Nous rangeons dans cette classe
D. J. Georges Rosenmtiller, qui est cependant bien moins
hardi dans ses scholies sur le Nouveau-Testament (3).
3. Quelques commentateurs protestans de nos jours,
loin de suivre dans leurs interprétations le système du
rationalisme, se sont même efforcés d'en faire sentir toute
la fausseté. Nous nous bornerons à faire connaître les
deux suivantes. Le docteur Campbell a publié en an-
glais une traduction des quatre Evangiles, avec un dis-
cours préliminaire et des notes (h). Cet ouvrage jouit en
(1) Eberh. Go\Û. Tanins, Philologisdi-Kriiischei' Commenlar ûber
das lY. T. Liibeck, 1800-1808, 5 Bœnde.
(2) Ch. Th. Kuiaoel, Comment<^riusin libros N. T. hisloricos. iJps.
1807, \voL in-80.
(3) D. Jo. Georgii Rosënmulleri, i^c/io/m in Novum Teslamenlum.
JYorimbergœ, 1825, 4 vol. m-8% edil. 6.
(4) The Four Gospels translaied from the greek; with preliminary
864 DES COMMENTAiRES DÈS ÉVANGILES.
Angleterre de la plus haute estime ; et, il faut en conve-
nir, cette réputation est assez méritée, au moins quant aux
notes, qui forment un bon commentaire philologique, et
aux dissertations préliminaires, qui sont un vrai traité de
critique sacrée. On remarque avec plaisir que l'auteur
se montre assez favorable à laVulgate. — Olshausen,
dont nous avons cité souvent l'ouvrage sur l'authenticité
des quatre Évangiles, a aussi composé un commentaire
assez détaillé sur ces divers livres et sur les Actes des
Apôtres (1). Cet ouvrage, comme le titre le porte, est
spécialement destiné aux prédicateurs et aux étudians.
Quoique Olshausen soit très-opposé aux rationalistes,
qu'il défende l'inspiration des Evangiles, qu'il admette
même la réalité des miracles et des possessions diaboli-
ques, cependant il veut limiter l'inspiration aux seules
parties doctrinales, prétendant que tout le reste n'est
qu'un accessoire, qui, bien qu'il puisse être défectueux,
ne préjudicie point à l'inspiration de la doctrine du Sau-
veur , partie principale et uniquement essentielle dans les
Evangiles. Il nie aussi la réalité de la résurrection de la
fille de Jaïre, admise jusqu'ici partons les interprètes or-
thodoxes. Comme il est imbu des préjugés du protestan-
tisme, il donne quelquefois des sens opposés à la foi ca-
tholique.
disserlaiions and noies, Inj Georges Campbell, D. D. F. R. S. Edin-
burgh ; Principal of Marischal collège, Aberdeen. 4°, 2 vols. London,
1790, 8», 2 vols. Edinbunjh, 1807, 3 edit. London, in 3 vols. 8°.
{\)Bihlischer Commeniaruber Sœmmlliche Sclirifien des IVeuen Tes-
taments zunœchst fur Predirjerund Sludirende. f^on Dr Hermano Ols-
hausen, Profcssor der Théologie an der Universitœt zu Kœnigsberg.
Kœnicjs. 1833-1834. Zuei/e Auflcge
DES ACTES DES APOTRES. Z$$
SIXIÈME SECTI03f.
DES ACTES DES APOTRES.
Ce livre est nommé Actes des Apôtres ou Actions des
Apôtres^ en grec noà^cig tô5v à-oo-tô/ojv, parce qu'il con-
tient l'histoire de ce que firent les apôtres à Jérusalem,
dans la Judée et dans les autres parties de l'univers,
après l'ascension de Jésus-Christ. Sous ce rapport il
se lie aux Evangiles, dont il forme comme le complé-
ment. En effet l'Évangile contient des promesses et des
prédictions dont nous lisons l'accomplissement et la réa-
lisation dans le livre des Actes , d'où il résulte que ce
livre est en quelque sorte pour l'Evangile ce que l'E-
vangile lui-même est pour l'Ancien-Testament. D'un
autre côté, le livre des Actes est très-utile pour faire
comprendre les Epîtres des apôtres et surtout celles de
saint Paul, qui, sans les lumières qu'il nous fournit, res-
teraient en bien des endroits entièrement inintelligibles ;
ce qui fait qu'on peut à juste titre le nommer la clef du
livre des Epîtres.
Les Actes des Apôtres, selon la remarque de D. Cal-
met, n'ont pas toujours tenu dans la Bible le rang qu'ils
occupent aujourd'hui, où ils sont entre les Évangiles et
les Epîtres de saint Paul. Quelquefois ils étaient placés
immédiatement avant l'Apocalypse, comme l'insinuent
saint Augustin, Cassiodore et Théodulphe, évêque d'Or-
léans. D'autres fois on les mettait entre les Epîtres de
saint Paul et les Epîtres des autres apôtres ; c'est du
moins ainsi qu'ils sont placés dans quelques anciennes
Bibles latines. On remarque encore dans ce livre un
grand nombre de variantes considérables; ce sont très-
366 DU SUJET ET DU BUT
vraisemblablement des gloses ajoutées par les copistes,
ou bien des notes explicatives qui sont passées de la
marge, où elles se trouvaient d'abord, dans le corps
même du texte (1).
Les questions que nous avons à traiter dans cette sec-
tion sont à peu près les mêmes que dans les sections
précédentes.
CHAPITRE PREMIER.
DU SUJET ET DU BUT DES ACTES DES APOTRES.
1 .Quoique le livre dont nous nous occupons porte le
nom d'Actes des Apôtres, il ne présente cependant pas l'his-
toire de tous ces hommes apostoliques. L'auteur parle
presqueuniquementdesaintPierre, de saint Paul ; il rap-
porte un discours de saint Jacques le Mineur et la mort
de saint Jacques le Majeur. Il ne nous donne pas même
une histoire complète de ces quatre apôtres ; bien plus,
celle de saint Paul n'est rapportée qu'en partie dans son
livre, puisque cet apôtre rappelle dans ses Épîtres des
événemens qui n'y sont pas mentionnés. Tout ce qu'on
peut dire après une lecture attentive des Actes, c'est
qu'ils renferment le récit abrégé de l'histoire de l'église
de Jérusalem dans les premières années de sa fondation.
Or, on peut remarquer dans ce récit trois sortes de faits :
les uns, tels que l'élection de saint Matthieu, la descente
du Saint-Esprit au jour de la Pentecôte, le commence-
ment de la prédication évangélique, et le concile de Jéru-
salem, sont relatifs à tous les apôtres ; les autres concer-
(1) D. Calmet, Préf, sur les Actes des Apôtres.
DES ACTES DES APOTRES. 367
nent saint Pierre, l'apôtre de la circoncision ; d'autres
enfin regardent saint Paul ; ces derniers sont en plus
grand nombre que les précédens, car depuis le chapi-
tre XIII jusqu'au xxviii qui termine le livre, il n'est
guère question que de cet apôtre des gentils.
On peut diviser le livre des Actes en trois parties ; la
première embrasse les sept premiers chapitres ; la se-
conde s'étend depuis le chapitre viii jusqii'au chapi-
tre XII inclusivement, et la troi^^ième commence au cha-
pitre xiii et finit au chapitre xxvin, par lequel ce livre
se termine.
Dans la première partie, l'auteur commence par rap-
peler que JÉSUS, après avoir instruit les apôtres qu'il avait
choisis pour continuer sa mission divine sur la terre, et
leur avoir promis de faire descendre sur eux l'Esprit
saint , s'éleva vers le ciel et entra dans une nuée qui le
déroba à leurs yeux. Il raconte aussi comment les apô-
tres ayant jeté le sort sur Barsabas et -Matthias pour sa-
voir lequel des deux devait remplacer le perfide Judas,
qui s'était donné la mort après avoir trahi son maître,
Matthias fut élu ; comment l'Esprit saint descendit sur
eux tous aussi bien que sur les disciples qui étaient
présens; comment favorisés de ses dons et de ses grâces
ils opérèrent les plus grandes merveilles, et par suite la
conversion d'une multitude innombrable d'hommes té-
moins de ces prodiges ; comment enfin les prédications
de saint Pierre et les miracles éclatans qu'il fit au nom
de JÉSUS crucifié et ressuscité d'entre les morts, contri-
buèrent surtout à augmenter le nombre de ceux qui em-
brassèrent la foi chrétienne .L'auteur montre ensuite non
seulement l'union admirable des fidèles, qui n'avaient
qu'un cœur et qu'une àme, mais encore le zèle et la gé-
368 DU SUJET ET DU BUT
nérosité avec laquelle ils vendaient leurs biens et en ap-
portaient le prix aux apôtres. A cette occasion, il décrit
la fin tragique d'Ananie et de Saphire sa femme, qui
ayant vendu aussi un fonds de terre, et dissimulant une
partie du prix qu'ils en avaient tiré, tombent morts l'un
et l'autre aux pieds de saint Pierre, au moment même où
cet apôtre leur reprochait leur dissimulation et leur men-
songe. Cependant le grand prêtre et ses partisans font
arrêter, jeter en prison et flageller les apôtres, qui con-
tinuaient toujours à opérer des miracles et de nombreux
ses conversions. Après ces mauvais traitemens, on les
rend à la liberté, en leur défendant de parler au nom
de Jésus ; mais pleins de joie d'avoir été jagés dignes
de souffrir pour la gloire de leur divin maître, ces dis-
ciples fidèles n'en deviennent que plus intrépides et plus
zélés à prêcher l'Evangile dans le temple et dans les
maisons particulières. Entièrement livrés au ministère
de la prédication , les apôtres choisissent sept diacres
pour dispenser les aumônes. Le premier d'entre eux,
Etienne, plein de grâce et de force, opère aussi des mi-
racles qui lui attirent la haine et la persécution des Juifs .
Traduit devant le grand prêtre sous la fausse accusa-
tion d'avoir blasphémé contre le lieu saint et contre la
loi, il profite de cette occasion pour rappeler en quel-
ques mots à toute l'assemblée la conduite de Dieu sur
Abraham et sa postérité jusqu'à la construction du tem-
ple de Salomon, et pour reprocher aux Juifs leur en-
durcissement. Furieux de ce discours , les Juifs traînent
le saint diacre hors des murs de la ville, où il est la-
pidé, et où il rend le dernier soupir en priant pour ses
persécuteurs. En faisant ce récit, l'auteur remarque que
les témoins qui avaient déposé contre Etienne mirent
DES ACTES DES APOTRES. 369
leurs vêtemens aux pieds d'un jeune homme nommé Saul
(il fut nommé depuis Paul), qui avait consenti à sa mort.
Dans la seconde partie, l'auteur dulivre des Actes, après
avoir dit un mot de la persécution soulevée contre l'é-
glise de Jérusalem, et des ravages que Saul en particu-
lier faisait dans cette même église, raconte la conver-
sion des Samaritains et le baptême donné au nom de
Jésds-Christ par le diacre Philippe à un des princi-
paux officiers de Candace, reine d'Ethiopie . Il retrace en-
suite le tableau de la conversion miraculeuse de Saul,
qui de persécuteur ardent des chrétiens devient un apô-
tre zélé du christianisme; car sitôt qu'il a reçu le bap-
tême, il parcourt les synagogues, où il prêche Jésus-
Christ avec une noble intrépidité devant les Juifs, qu'il
confond en leur prouvant que celui qu'ils ont attaché
sur une croix, est le Christ ou Messie annoncé par les
anciens prophètes. L'écrivain sacré nous apprend en-
core dans cette seconde partie que Saul fut présenté aux
apôtres par Barnabe, qui leur raconta les circonstances
miraculeuses de sa conversion, la force et la liberté avec
laquelle il avait parlé dans la ville de Damas au nom de
JÉSUS ; qu'il demeura à Jérusalem vivant avec les apô-
tres et disputant avec les gentils et avec les hellénistes,
et que ceux-ci ayant voulu le faire mourir, il fut conduit
par ses frères à Césarée et envoyé de là à Tarse. D'un
autre côté, c'est saint Pierre qui en visitant de ville en
ville les disciples, guérit un paralytique, ressuscite une
veuve , et baptise un ceatenier nommé Corneille avec
toute sa famille; miracles qui sont suivis de nouvelles con-
versions. Pierre retourne à Jérusalem, pendant que les
fidèles dispersés s'étant avancés jusqu'à Antioche, com-
mencent à annoncer Jésus-Ghrist aux Grecs mêmes,
16.
870 BU SUJET ET DU BUT
dont ils gagnent un assez grand nombre, pour que l'é-
glise de Jérusalem se croie obligée d'y envoyer Barnabe,
qui les exhorte à demeurer fermes dans la foi. Cet apô-
tre vient prendre Saul à Tarse et l'emmène à Antioche,
où ils prêchent avec un zèle digne de leur mission. Sur
ces entrefaites,Hérode Agrippa, roi de Judée, fait mourir
Jacques frère de Jean , et en même temps jeter dans les fers
Pierre, qu'un ange délivre miraculeusement pendant la
nuit, tandis que son persécuteur rend peu de temps après
le dernier soupir au milieu de douleurs atroces et rongé
par les vers. Barnabe et Saul retournent de Jérusalem
à Antioche, ayant avec eux Jean-Marc.
Enfin dans la troisième partie de son livre l'auteur
des Actes nous apprend que le Saint-Esprit ordonne que
Paul et Barnabe soient séparés pour l'œuvre à laquelle
il les destine. Ayant donc re^u l'imposition des mains,
ils passent par différentes villes, prêchant partout l'E-
vangile. A Paphos, un magicien nommé Elymas , qui
résiste à leur parole, est frappé subitement de cécité ;
à la vue de ce miracle le proconsul embrasse la foi chré-
tienne. Saul, qui ne paraît plus désormais que sous le
nom de Paul, parcourt encore plusieurs villes toujours
avec Barnabe ; les Juifs s'opposent partout à leur prédica-
tion, mais ils ne peuvent empêcher que leur parole puis-
sante et les miracles qu'ils font publiquement ne gros-
sissent tous les jours de plus en plus le nombre des
fidèles. Chassés d'Antioche dePisidie, les deux apô-
tres viennent à Icône, d'où ils se réfugient à Lystre ; là
le même peuple, qui veut d'abord leur sacrifier comme
à des dieux, changeant bientôt de sentiment, et animé
par les Juifs, lapide Paul et le traîne hors de la ville en
le laissant pour mort. Mais le saint apôtre ayant recou-
DES ACTES DES APOTRES. 371
vré ses forces, se rend à Derbe avec Barnabe. Après y
avoir instruit plusieurs personnes, ils retournent suc-
cessivement à Lystre, à Icône et à Antioche de Pisidie,
fortifiant les disciples dans la foi et ordonnant des prê-
tres ; de là ils reviennent à Antioche de Syrie, d'où ils
étaient partis. Cependant une dispute touchant la cir-
concision s'étant élevée à Antioche, Paul et Barnabe
sont députés à Jérusalem, où les apôtres assemblés dé-
cident qu'il ne faut point obliger les gentils à se faire
circoncire ; et Jude et Silas joints à Paul et à Barnabe
sont chargés de remettre aux fidèles d'Antioche une let-
tre qui contient la décision apostolique. Silas reste à
Antioche, Jude retourne à Jérusalem. Quant à Paul, il
propose à Barnabe de visiter les villes qu'ils avaient évan-
gélisées ; Barnabe voulant prendre avec lui Jean-Marc,
Paul étant d'un avis contraire, les deux apôtres se sépa-
rent; celui-là part avec Jean-Marc pour aller en Chy-
pre ; celui-ci, accompagné de Silas, traverse la Syrie et
la Cilicie. Arrivé à Lystre, il prend avec lui Timothée
après l'avoir converti, et ils traversent ensemble la Phry-
gie, la Galatie, laMysie,et viennent à Troade,où Dieu
leur ordonne de passer en Macédoine, et où l'auteur du
livre vient se joindre à eux, puisqu'à partir de cet endroit
il parle en première personne, tandis que jusque là il
parle toujours en troisième. A Philippes, première ville
qu'ils trouvent en entrant dans la Macédoine, ils opè-
rent quelques conversions qui servent de prétexte à une
accusation qu'on leur intente de troubler la ville. Frap-
pés de verges et jetés dans une prison dont les portes
s'ouvrent d'elles-mêmes au milieu delà nuit, ils annon-
cent la parole du Seigneur au geôlier, qui, témoin de ce
spectacle, embrasse la foi et reçoit le baptême avec toute
372 DU SUJET ET DU BUT
sa famille. Rendus publiquement à la liberté par les ma-
gistrats eux-mêmes , qui leur font des excuses de les
avoir fait battre de verges, ignorant qu'ils fussent ci-
toyens romains, Paul et Silas se rendent à Thessaloni-
que ; nouvelles conversions ; mais aussi nouvelle persé-
cution de la part des Juifs, ce qui les oblige à quitter
secrètement de nuit cette ville pour venir à Béroé, où
de plus grands succès les attendaient. Instruits de ce
qui se passe dans cette dernière ville, les Juifs de Thes-
salonique y accourent bientôt et parviennent à soulever
le peuple ; mais les fidèles se hâtent de faire sortir Paul
et le conduisent jusqu'à Athènes, où ses prédications
faites dans l'aréopage même ramènent quelques païens
au christianisme. Au sortir d'Athènes le grand apôtre
vient à Corinthe ; il y trouve Aquilas et Priscille, et se
joint à eux. Après un séjour de dix-huit mois à Corin-
the, où il opère quelques conversions malgré l'ardente
opposition des Juifs, il s'embarque pour aller en Syrie,
et va à Ephèse, de là à Jérusalem. Il revient ensuite à
Antioche de Syrie et parcourt la Galatie et la Phrygie.
Il se rend de nouveau à Ephèse ; il y reste pendant deux
ans en faisant de grands miracles; puis il passe en Ma-
cédoine, et de Macédoine en Grèce, d'où après un sé-
jour de trois mois il revient à Troade; c'est là que pen-
dant un discours qui se prolonge jusqu'au milieu de la
nuit, il ressuscite un jeune homme nommé Eutyque, qui
était tombé par une fenêtre. Paul reste seulement sept
jours à Troade, qu'il quitte pour se rendre à Milet. ?\e
voulant pas s'arrêter à Ephèse, il fait venir les prêtres
de cette église , qu'il exhorte à remplir fidèlement leur
ministère, en leur annonçant en même temps les tribu-
lations qui l'attendent à Jérusalem. De Milet, le saint
DES ACTES DES APOTRES. 373
apôtre vient d'abord à Tyr, où il demeure également
sept jours; puis passant par Ptolémaïde, il vient à Césa-
rée, et se rend de là à Jérusalem . Les Juifs le voyant dans
le temple excitent le peuple contre lui; la cohorte qui
gardait le temple l'arrache de leurs mains et le mène à
la forteresse; une harangue qu'il adresse à la multitude
ne fait qu'augmenter la rage de ses persécuteurs. Des
cris de mort se font entendre de toutes parts dans l'as-
semblée; le tribun veut lui faire donner la question en
le fouettant, mais Paul l'en détourne en déclarant sa
qualité de citoyen romain. Pendant qu'il est enfermé
dans la forteresse, Jésus-Christ lui apparaît et lui an-
nonce qu'il faut qu'il lui rende témoignage dans Rome.
Cependantle tribun, averti que quelques ennemis dePaul
se sont engagés par serment à le tuer, l'envoie secrète-
ment de nuit à Césarée, au gouverneur Félix. Là, cinq
jours après son arrivée, Paul, accusé par le grand prêtre,
qui était venu avec quelques sénateurs, et qui demandait
sa mort, défend noblement sa cause. Félix, prétextant
qu'il désire d'autres informations, le remet à une autre
audience, mais il le fait garder moins étroitement. Quel-
ques jours après il le fait venir, l'écoute, et comme il est
effrayé par ses discours, il le renvoie et le laisse en pri-
son. Deux ans se passent ainsi, et Porcins Festus ayant
succédé à Félix, les Juifs renouvellent auprès de lui leurs
accusations contre Paul, et Paul, de son côté, persiste
toujours à soutenir que n'ayant rien fait ni contre la loi
des Juifs, ni contre le temple, ni contre César, personne
n'avait droit de le livrer à ses persécuteurs, et finit par
appeler à César ; sur quoi Festus répond qu'il ira de-
vant César, puisqu'il l'a demandé. Sur ces entrefaites,
Agrippa , roi de la Trachonite , étant venu à Césarée
374 DU SUJET ET DU BUT
avec Bérénice sa sœur, désire voir Paul ; Festus le lui
présente. Sur la permission qui lui est accordée par ce
roi de parler pour sa défense, Paul fait un discours dans
lequel il se justifie d'une manière si complète, qu'Agrippa,
Festus, Bérénice, et tous ceux qui étaient assis avec eux,
sont forcés de reconnaître qu'il n'a rien fait qui mérite
la mort, et qu'il pourrait être renvoyé absous s'il n'eût
appelé à César. Paul est donc mis dans un vaisseau pour
être transporté à Rome. Pendant le voyage une violente
tempête s 'élève ; mais Dieu promet à Paul de conserver
la vie sauve à tous ceux qui sont avec lui. Le vaisseau
se brise, et tous parviennent en effet à se sauver en abor-
dant dans l'île de Malte, où Paul demeure trois mois,
pendant lesquels il opère sur un grand nombre de ma-
lades des guérisons miraculeuses. Au bout de ces trois
mois il part pour Rome; il reste dans cette ville pendant
deux ans avec permission de demeurer où il voudra, mais
sous la garde d'un soldat. Le saint apôtre profite de la
liberté qu'onlui laisse pour prêcher aux Juifs et aux gen-
tils le royaume de Dieu et l'Évangile du Seigneur Jé-
sus. Le livre des Actes s'arrête ici, et ne nous dit rien
de l'histoire ultérieure de saint Paul, ni de sa mort.
2. On voit par l'analyse que nous venons de donner
des Actes, et dans laquelle nous avons tâché de faire
ressortir tous les traits principaux dont il est question
dans ce livre, que l'auteur n'a eu en vue ni de décrire
tous les travaux des apôtres, ni tous ceux de saint Paul,
ni par conséquent de donner une histoire complète de
l'église d'Antioche. Mais quel a donc été le but que cet
auteur s'est précisément proposé? c'est sur quoi les in-
terprètes ne s'accordent point parfaitement. Michaëlis
émet plusieurs opinions ; il dit d'abord que l'écrivain
DES ACTES DES APOTRES. 375
sacré semble avoir eu un double but : 1° de rapporter
comment les dons du Saint-Esprit furent communiqués
le jour de la Pentecôte, et les miracles opérés par les
apôtres pour confirmer la vérité du christianisme, un ré-
cit authentique sur ce sujet étant absolument nécessaire
pour montrer que les prédictions de Jésus-Christ
avaient été littéralement accomplies; 2" de publier les
récits qui prouvaient le droit des gentils d'être incorpo-
rés à l'Église chrétienne, droit qui était vivement con-
testé par les Juifs, surtout au temps où furent écrits les
Actes, puisque ce fut cette circonstance qui excita la
haine des Juifs contre saint Paul et qui occasionna son
emprisonnement à Rome, emprisonnement par lequel
le livre des Actes se termine, comme nous venons de le
voir. Après avoir exposé ce sentiment, Michaëlis ajoute:
« Avant de conclure cette section, je citerai une autre
opinion qui se présente à moi sur le plan de saint Luc
en écrivant les Actes des Apôtres. Peut-être voulut-il
seulement rapporter les faits qu'il avait vus lui-même,
ou dont il avait été instruit par des témoins oculaires.
Quand je pense au silence complet qu'il garde sur la
; prompte propagation du christianisme à Edesse, jere-
I garde cette opinion comme assez vraisemblable.» Nous
ajouterons que la première opinion émise par Michaëlis
est aussi celle de Griesbach (1).
De son côté, Eichhorn veut que l'auteur des Actes ait
eu en vue trois objets différens, le premier de décrire
les missions apostoliques dont Jérusalem a été le centre;
(1) J. D. Michaëlis, Introduction au Nouveau-Testament, t. m,
pag. 412-414, édit. de Levade. — J. J. Griesbach, De comilio quo
scriptor in Actibus Apostolicis concinandis duclus fuerit. Jtiiœ, 1798,
i ia-40.
376 DU SUJET ET DU BUT
le second, de raconter celles dont Antioche fut aussi le
centre ; le troisième, de nous instruire de l'emprisonne-
ment de saint Paul. Au moyen de cette hypothèse, le cri-
tique allemand croit rendre raison de ce que l'auteur
rapporte aussi bien que de ce qu'il omet dans sa narra-
tion (1).
Le docteur Benson pense qu'il a voulu donner une re-
lation succinte 1° de la conversion des Juifs ; et c'est,
selon lui, ce qu'il fait depuis le commencement de son
livre jusqu'au chapitre x; 2» de l'établissement de l'E-
vangile parmi les prosélytes de la Porte (2) ; ce qu'il fait
depuis le chapitre x jusqu'au xiii ; 3° delà propagation
de l'Evangile parmi les gentils idolâtres ; ce qu'il fait de-
puis le chapitre xiii jusqu'à la fin de son livre, sans
toutefois négliger de rapporter les progrès plus éten-
dus de l'Évangile tant parmi les Juifs que parmi les
prosélytes (3).
Quant à nous, bien que chacune de ces opinions pré-
sente quelques probabilités, nous croyons cependant
qu'il est plus naturel de supposer que l'auteur des Actes
a eu pour objet principal de présenter un récit général
et comme un spécimen de l'établissement de l'Evangile
parmi les Juifs et les gentils, surtout par les travaux
apostoliques de saint Paul. Ainsi il parle d'abord de la
fondation de l'Église chrétienne à Jérusalem ; comme
c'était par l'Esprit saint qu'elle devait être établie, il con-
venait que cet auteur racontât l'effusion miraculeuse de
ses dons et de ses grâces; et comme c'était JÉsus-
(1) J. G. Eichhorn, Einleii. in das JVeueTesl. § 146, 147.
(2) Voy. notre Archéologie biblique, pag. 602.
{Z) A history of the first planting of clnistianily taken from thel
Acts of ifie Aposiles and tlicir Epislles, etc., by George Benson.
DES ACTES DES APOTRES. 377
Christ monté aux cieux qui devait envoyer cet Esprit
divin , le récit de l'ascension se trouvait par là même
faire partie essentielle de la narration. Ajoutons que les
apôtres ayant été choisis par le Sauveur lui-même pour
servir d'instrumens dans ce grand œuvre, il ne pouvait
passer sous silence l'élection de Matthias, qui en complé-
tait le nombre. Dans l'hypothèse qu'il ait voulu tracer
le tableau général tel que nous venons de l'énoncer, ne
devait-il pas aussi faire entrer dans son plan non seule-
ment les prédications, les miracles et les conversions
faites par saint Pierre, l'apôtre des Juifs, mais encore la
vie sainte et édifiante des premiers chrétiens, l'institu-
tion des premiers diacres, et les persécutions d'Hérode
contre les apôtres et la mort de ce roi persécuteur? Et
puisque, d'un autre côté, il se proposait de décrire
aussi l'établissement de l'Évangile parmi les gentils, il
fallait de toute nécessité qu'il racontât la dispersion des
apôtres hors de Jérusalem, dispersion par laquelle il de-
vait s'opérer. De là les récits de la conversion des Sama-
ritains, du baptême donné à Corneille le centenier et à
l'eunuque de la reine Candace, enfin la fondation de
l'église d'Antioche, viennent encore se placer tout na-
turellement dans son cadre. Mais comme c'était princi-
palement par saint Paul que le grand ouvrage du salut
des gentils devait s'accomplir, n'était-il pas tout naturel
que l'historien sacré rapportât fidèlement dans sa nar-
ration, soit la conversion du grand apôtre, son ordina-
tion, ses prédications, ses voyages, ses missions, son
emprisonnement, soit les contestations occasionnées par
la circoncision et la décision du concile de Jérusalem qui
les termina? De plus, si l'on considère qu'Antioche
était la première église des gentils, que c'était dans cette
378 DU SUJET ET DU BUT
église que saint Paul avait reçu l'imposition des mains
et sa mission apostolique, on ne trouvera pas étonnant
que l'auteur des Actes mentionne ses fréquens voyages
et son séjour dans cette ville, et qu'il nous la représente
elle-même comme le centre de ses excursions apostoli-
ques.
En adoptant après la plupart des anciens interprètes
l'opinion que nous venons d'exposer, nous ne nions pas
cependant que l'auteur des Actes ait eu aussi en vue de
faire l'apologie de saint Paul ; cette hypothèse même
n'est pas contraire à notre sentiment; et, dans tous les
cas, l'analyse du contenu des Actes suffirait seule pour
prouver à tout lecteur attentif que ce but dans l'esprit
de l'historien sacré paraît n'avoir été que secondaire. Il
faut surtout bien remarquer que quand nous avons dit
que le but principal de l'auteur des Actes avait été de
présenter un récit général de l'établissement de l'É-
glise chrétienne parmi les Juifs et les gentils, nous avons
ajouté que nous ne considérions ce récit général que
comme un spécimen^ c'est-à-dire un simple aperçu, et
non point comme une histoire détaillée de tous les faits ;
et par là nous prévenons l'objection qu'on pourrait nous
faire, que l'auteur a omis une foule de traits qui entrent
tout naturellement dans le plan d'un écrivain qui a en-
trepris de composer une histoire complète. Or, que l'au-
teur des Actes ait voulu réellement se borner à un simple
aperçu général, c'est ce dont on ne peut guère douter, il
nous semble, quand on considère que, bien que la par-
tie la plus considérable du livre soit consacrée à l'his-
toire de saint Paul , il ne donne qu'un seul exemple
de chacune des choses que le grand apôtre a dites ou
a faites. Ainsi, il ne rapporte de lui qu'un seul discours
DES ACTES DES APOTRES. 379
dogmatique, celui qu'il prononça dans la synagogue à
Antioche de Pisidie; qu'un seul discours aux gentils,
celui qu'il tint dans l'aréopage; qu'un seul discours d'a-
dieu, celui qu'il fit à Milet ; qu'une seule harangue pour
apaiser le peuple à Jérusalem ; enfin qu'un seul discours
apologétique, ou tout au plus deux, prononcés l'un de-
vant le gouverneur romain Félix, l'autre devant Festus
son successeur, et le roi Agrippa. Par le même prin-
cipe, l'auteur des Actes ne parle que d'une seule flagel-
lation, celle que le saint apôtre eut à souffrir à Phi-
lippes, il ne rapporte que la vision dont il fut favorisé à
Jérusalem, et il ne cite que le naufrage qu'il essuya
quand il allait à Rome par suite de son appel au tribu-
nal de César.
CHAPITRE DEUXIEME.
DE l'authenticité DES ACTES DES APOTRES.
Les incrédules ont voulu jeter du doute sur l'origine
authentique des Actes des Apôtres aussi bien que sur les
autres parties du Nouveau-Testament ; il est possible,
disent-ils, que dans la confusion qui suivit la ruine de
Jérusalem, quelques chrétiens aient composé les livres
que nous avons, en les attribuant aux apôtres. De leur
côté, les partisans de l'interprétation mythique, dont le
système est inconciliable avec l'authenticité de ces di-
vins écrits, se sont vus forcés de soutenir ou que le livre
des Actes n'était point l'ouvrage de saint Luc, ou que cet
écrivain a puisé plusieurs de ces documens à des sources
peu fidèles. C'est en ce sens, comme l'a judicieusement
remarqué Olshausen, qu'il faut entendre les doutes que
380 DE l'authenticité
De Wette a opposés à l'autorité de ce livre (1) . Les mo-
tifs que nous faisons valoir dans la proposition suivante
ne permettent pas de douter, ce nous semble, que le
livre des Actes ait été composé avant la ruine de Jérusa-
lem, qu'il soit sorti de la plume de saint Luc, et que cet
écrivain ait été parfaitement informé dans tout ce qu'il
rapporte. Le sujet même, comme on le voit déjà par cet
énoncé, et comme on le verra plus clairement encore
par le développement de notre proposition, nous oblige
à traiter ensemble deux questions distinctes cependant
sous quelque rapport, celles de l'authenticité et de la
véracité.
PROPOSITION.
Les Actes des Apôtres sont un livre authentique et vé-
ridique.
Les preuves dont nous nous sommes servis pour éta-
blir l'authenticité des Évangiles sont généralement ap-
plicables aux Actes des Apôtres, et semblent par là même
nous dispenser d'en produire de nouvelles ; cependant
la nature de certaines difficultés qu'on a opposées à ce
dernier livre exige une démonstration plus précise et
toute spéciale.
L Preuves extrinsèques. Il n'est pas difficile de
montrer par les témoignages des anciens pères de l'E-
glise qu'on a toujours considéré le livre des Actes comme
un ouvrage dont l'authenticité et la fidélité historique
étaient incontestables .
1 . Nous ne voulons point, comme l'a fait Lardner,
(1) H. Olshausen, Biblischer Commentar liber sœmmtliche Scimflen
des JYeuen Testaments. Band ii, Seit 566, zweite Aufî.
DES ACTES DES APOTRES. 381
recourir aux écrits des pères du premier siècle, ni même
à ceux de saint Justin martyr, parce que leurs citations
ou ne sont pas assez claires et précises, ou peuvent avoir
été puisées à des parties de l'Écriture autres que le livre
des Actes, et que sous ce double rapport on pourrait à
la rigueur nous en contester la force probante (1) ; nous
avons d'ailleurs d'autres autorités irrécusables en faveur
de la vérité que nous soutenons . Et d'abord la première
aulorité de ce genre que nous pouvons produire est le
témoignage de saint Irénée, qui vivait dans le second
siècle, et qui était contemporain des disciples immédiats
des apôtres, comme nous l'avons déjà fait observer plus
haut (pag. 169). Or, il est impossible à un témoin qui
dépose sur un fait quelconque d'être plus positif et plus
explicite que ne l'est ce saint docteur, tant sur le livre
des Actes en général que sur son auteur et sur le degré
de confiance qu'il mérite. D'abord il dit en termes ex-
près que l'auteur des Actes est saint Luc, compagnon
inséparable de saint Paul, et son coopérateur dans le
ministère évangélique ; mais il ne se borne pas à ce té-
(1) Cependant nous avouerons franchement qu'un examen sérieux
de certains passages des pères du premier siècle cités par Lardner
nous ont paru être empruntés du livre des Actes, et que par consé-
quent nous ne partageons pas entièrement l'avis d'Eichhorn, quand il
dit [Einleil. in das N. T. § 153), qu'aucun père antérieur à saint Iré-
née et à Clément d' Alexandrie n'a fait usage dans ses citations du
livre des Actes. Il est vrai que le savant écrivain ajoute d'une ma-
nière sûre et qui exclut le doute {keine sichere Spur... auf eine un-
zweifelhafle Weise) ; mais les raisons qu'il donne dans la discussion
des passages ne sont certainement pas toujours assez fortes et assez
plausibles pour constituer un véritable doute. Nous laissons au sur-
plus aux lecteurs capables de porter un jugement sur ce point, de dé-
cider la question.
382 DE l'authenticité
moignage ; il rappelle encore l'histoire de la conversion
et de la vocation de saint Paul aux travaux apostoliques ;
il rassemble même les différens textes dans lesquels l'au-
teur des Actes est représenté comme accompagnant le
grand apôtre; en sorte qu'il nous donne positivement
le sommaire des douze derniers chapitres presque en
entier. Enfin le saint docteur va plus loin encore ; il
s'attache à prouver que saint Luc, inspiré par la vérité
même, a écrit son livre non seulement avec la plus
grande exactitude, mais encore éloigné de tout esprit
de mensonge et d'orgueil, et ayant une connaissance
exacte de toutes choses, puisqu'il avait été le compa-
gnon et, qui plus est, le coopérateur des apôtres et sur-
tout de Paul, qui lui rend lui-même ce témoignage dans
ses Epîtres (1). Pour mieux comprendre tout le poids
(1) « Si quis igitur diligenter ex Actibus Âpostolorum scrute-
tur, etc.. Sic est consonans, et velut eadem tam Pauli annunîialio,
quàm et Lucse de apostolistesiificalio (Iren. Conir.hœr es. L ni, c.xiii,
n. 3)...Quoniara autem is Lucas inseparabilis fuit a Paulo, et coopera-
rius ejus in Evangelio, ipse facit nianifestum, non'glorians, sed ab ipsa
productus (seu poùus compulsas ut critici viri putant) veritate (c. xiv,
n. 1)... Et reliqua omnia ex ordine cuni Paulo refert, omni diligentia
demonstrans et loca, et civitates et quantitalem dierum, etc.. Om-
DÎbus his cum adesset Lucas, dib'genter conscripsit ea, uti neque
mendax, neque elatus deprehendi possit, eo quod omnia hœc con-
statent, et seniorem eum esse omnibus qui nunc abud docent, neque
ignorare veritafem. Quoniam non solum prosequutor, sed et coope-
rarius fuerit âpostolorum, maxime autem Pauli, et ipse autem Paulus
œanifestavit in Epistolis, dicens : Demas me'dereliquit, et abiit Thes-
salonicam, Crescens in Galaliam, Titus in Dalmatiam : Lucas estmecum
solus (2 Tim. iv, 9-11). Unde oslendit quod semper junctus ei et in-
separabilis fuerit ab eo. Et iterum in epistola quae est ad Colossenses
(iv, 14), ait : Salutat vos Lucas medicus dilectus (Ibid.).n
DES ACTES DES APOTRES. 383
de l'autorité de saint Irénée sur cette matière, il faut se
rappeler ce que nous avons déjà dit (pag. 169) de ce
savant père quand nous avons produit son témoignage
en faveur de l'authenticité de nosÉvangiles. Ainsi il est
manifeste que dans la seconde moitié du deuxième siècle
le livre des Actes des Apôtres était reconnu pour l'ou-
vrage de saint Luc, auteur véridique, dans l'église des
Gaules, qui considérait Irénée comme le digne repré-
sentant de sa foi.
En Afrique, nous trouvons à la même époque un autre
témoin illustre de l'authenticité du livre dont nous nous
occupons, c'est le fameux Tertullien. Ce savant docteur
cite expressément en effet à l'appui des doctrines qu'il
enseigne plusieurs passages pris de vingt chapitres dif-
férens des Actes des Apôtres, qu'il désigne tantôt sous
ce môme titre, Acta apostolica, Apostolorum Acta ; tan-
tôt sous le nom d'Instrument des Actes: Instrumentum
Actorum ; tantôt enfin sous celui de Commentaire de
saint Luc : Commentarius Lucœ. Mais ce qu'il im-
porte surtout de remarquer par rapport à la confiance
que méritent les Actes, c'est que Tertullien fait obser-
ver combien les Epîtres de saint Paul confirment la vé-
rité des faits rapportés dans ce livre , se fondant avec
raison sur ce qu'il y a un accord parfait entre le con-
tenu de ces deux ouvrages (1).
(1) « Exinde, decurrens (Paulus) ordinem conversionis suae, de
persecutore in aposîolum, scripluram Actorum apostolicorum confir-
mât, apud quam ipsa eliamepistolaeistiusmateriarecognoscitur, etc.
(Tertull. ^dv. Marcion. l. v, c. ii)... Et sic ci ralio constat, Tirao-
theura circumcidendi, et rasos introducendi in templum, quae in Ac-
tis edicuntur, adeo vera, ut apostolo consonent profitenti : Factura se
Judaeis Judœun),etc. {Ibid. c. m).»
384 DE l'authenticité
Saint Clément d'Alexandrie, contemporain de saint
Irénée et de Tertullien, et digne représentant de la foi
chrétienne de l'église d'Egypte , dépose aussi favora-
blement en faveur du livre des Actes, que ces deux
grands docteurs ; car non seulement il allègue dans ses
écrits un assez bon nombre de passages empruntés tex-
tuellement à onze chapitres différens des Actes des
Apôtres, mais encore il les cite sous ce même titre (at
Upà^îiç Twv XTroarô/wv) , et il en attribue la composition à
saint Luc (1).
Au troisième siècle, Origène, ce père si savant dans
les Écritures, et en même temps si habile critique, nous
fournit, dans les ouvrages qui sont parvenus jusqu'à
nous, une multitude de textes tirés des Actes des Apô-
tres, qu'il nomme expressément, en se servant des
mêmes termes que saint Clément d'Alexandrie. En par-
courant seulement sa lettre à Africain , son traité des
Principes, celui de la Prière, son Exhortation au Mar-
tyre et son traité contre Celse, nous avons compté plus
de vingt passages , qui sont, non point de simples al-
lusions faites à certains événemens ou à certains dis-
cours contenus dans ce livre , mais des citations pro-
prement dites du texte lui-même. Il est vrai que dans
les citations dont nous parlons Origène ne dit rien de
l'authenticité des Actes, mais son silence même en est
une preuve incontestable ; car un polémique aussi ha-
bile que lui ne se serait jamais avisé de citer comme au-
torité un ouvrage apocryphe, ou dont la véracité eût
(1) « Sicut Lucas quoque, et Actus Apostolorum stjlo executus
agnosceret, et Pauli ad Hehra^osinterpretatus Epistolam(Clem.Alex.
Fragment. Adumhr alloues in priorem D. PelriEpislolam. pag. 1007,
edit. J. Potter).»
DES ACTES DES APOTRES. 385
pu être mise en doute. D'ailleurs, quand, dans sa lettre
à Africain, ce père, alléguant en faveur de ce qu'il avance
le discours de saint Etienne rapporté au chapitre vu
des Actes, dit (1) «que quiconque reçoit les Actes des
Apôtres , avouera nécessairement que ce saint disci-
ple du Sauveur dit la vérité : Vera dicere Stepha-
nutn fatebitur quicumque recipit Acta Apostolorum; ne
prouve-t-il point clairement par là et le respect qu'il
avait lui-même pour ce livre divin, et l'autorité que tout
le monde devait lui accorder? Ajoutons que si Origène
eût tenu ce livre pour apocryphe, il se serait bien gardé
de le prendre pour sujet de ses homélies (2). Enfin ce
savant père rend à l'authenticité des Actes des Apôtres
le témoignage le plus positif et le plus explicite lorsqu'il
s'écrie : « Luc embouche encore une fois la trompette
pour raconter les actions des apôtres (3). :»
Vingt ans après Origène, vivait saint Cyprien, évêque
de Carthage. Cet illustre docteur cite aussi très-souvent
des endroits qui se lisent dans les Actes des Apôtres;
et ce qu'il faut bien remarquer, c'est que quand il al-
lègue des passages de ce livre , il le désigne par son
nom ordinaire d'Actes des Apôtres, ou bien il lui donne
le titre d'Écritures divines; ce qu'il n'aurait certaine-
ment point fait pour un livre sur l'authenticité duquel
il aurait eu quelque doute.
(1) Origen. Epist. ad Africanum, n. 9.
(2) Ces homélies d'Origène ne sont pas venues jusqu'à nous , la
quatrième est citée dans la Philocalic (chap. vu) ou recueil des sclio-
lies de ce grand docteur, fait par saint Grégoire de Naziauze et saint
Basile, et publié à Paris, en 1618, in-4'3.
(3) Origène, cité par William Paley dans ses Preuves évidentes du
chrislianisme, t. i, parj. 227, édit, Levade.
Y, 17
386 DE l'authenticité
Eusèbe de Césarée , qui florissait dès le commence-
ment du iv^ siècle, ne se borne pas à rapporter des faits
qui sont racontés dans les Actes des Apôtres, mais il
dit expressément que saint Luc est l'auteur de cet ou-
vrage, et il ajoute que cet écrivain termine son histoire
par la captivité de saint Paul à Rome, après avoir fait
mention de tout ce qui s'était passé pendant qu'il avait
vécu avec le grand Apôtre (1). Le même père fait aussi
remarquer que les sévériens, hérétiques qui admettaient
les Prophètes et les Evangiles, en les expliquant tou-
tefois à leur manière ( Iôkjôç ) , rejetaient les Épîtres de
saint Paul , et ne recevaient pas même les Actes des
Apôtres (2). Or, cette observation d'Eusèbe , qui se
trouve jointe à des expressions de blâmé contre la con-
duite de ces hérétiques, prouve clairement que les Actes
des Apôtres étaient reçus de son temps dans l'Eglise
chrétienne , aussi bien que les Prophètes et les Evan-
giles eux-mêmes.
Saint Epiphane , contemporain d'Eusèbe, est encore
un témoin que nous pouvons invoquer en faveur de l'au-
(1) Qiio (Festo) Judœam procurante, Paulus in judicium adductus,
causam cum dixisset, vinctusRomam perductus est... Atquehîc Lucas
qui Actus Apostolorum literis ira lidit historiœ suœ finem fecit : Pau-
lum Romae in libéra cusiodia biennium egisse, et verbuni Dei libère
prpedicasse testatus... Quani ob causam videtur Lucas Actuum Apo-
Btolicorura historiamillo tenipore conclusisse, cum omnia quœ quara-
diu cum Paulo versalus est, gesta fuerant, commemorasset (Euseb.
Hist. Eccl. l. II, c. xxii).»
(2) aHi(severiani) Legem quidem et Prophetas cum Evangeliis ad-
miltuut, sed proprio quodam sensu sacras Scripturas exponunt. Pau-
lum autem apostolum maledictis impetentes, epistolas ejus répudiant,
ac ne Apostolorum quidem Actas suscipiunt (Euseb. Jbid. l. iv,
c. XXI x). »
DES ACTES DES APOTRES. 387
thenticité et de la véracité des Actes des Apôtres, puis-
que ce saint docteur allègue contre les hérétiques près
de vingt passages empruntés à divers chapitres de ce
livre.
Saint Jérôme , qui vivait aussi au iv^ siècle , dit que
lors même que saint Luc paraît ne nous raconter dans
les Actes qu'une simple histoire de l'Eglise naissante, ce
saint médecin, si célèbre dans le monde entier par son
Évangile , nous donne dans ce livre autant de remèdes
propres à guérir les maladies der notre âme, qu'il nous
dit de paroles pour nous instruire (1).
Vers la même époque , saint Chrysostome se plaint de
ce que le livre des Actes était beaucoup trop négligé de
son temps; car, selon ce père, plusieurs n'en ignoraient
pas seulement l'auteur, mais ils ne savaient pas même
que cette histoire des apôtres existât. Il ajoute que c'est
là le motif qui l'a porté à en donner une explication ,
ne voulant pas d'ailleurs laisser caché dans les ténè-
bres un trésor si riche et si précieux (2).
Saint Augustin fait un reproche aux manichéens de
rejeter l'autorité des Actes des Apôtres et d'en contester
la vérité : « Ces hérétiques, dit le saint docteur, ne
pouvaient souffrir qu'on lut dans ce livre que le Saint-
Esprit promis dans l'Evangile par Jésus-Christ fut en-
voyé sur ses disciples après son ascension ; car leur
aveuglement va jusqu'à soutenir que cette promesse du
Sauveur n'a été accomplie que dans leur chef Manès,
qu'ils font passer pour ce divin Esprit, abusant d'un si
saint nom, afin de mieux séduire les simples et les igno-
(J) Hieron. Epist. 103. Paulin.
(2) Chrysûst. Hom. i iuAcia,
38 s DE L'aUTHEXTICITÉ
rans ; ce qui suffit seul pour les exclure de ce don cé-
leste (1).» D'un autre côté, le même père nous apprend
que l'Église faisait tant de cas du livre des Actes, qu'on
en faisait tous les ans la lecture solennelle dans les as-
semblées des fidèles (2).
2. Tous les canons des Ecritures saintes , même les
plus anciens qui aient été faits dans les difiTérentes égli-
ses du monde chrétien, contiennent les Actes des Apô-
tres et attribuent ce livre à l'évangéliste saint Luc. Nous
avons déjà parlé plus haut (pag. 173, 174) d'un cer-
tain catalogue des livres sacrés découvert par Muratori
dans un manuscrit de la bibliothèque de Milan , et qui
remonte au moins au second siècle. Or ce catalogue
comprend entre autres livres du Nouveau-Testament,
celui des Actes des Apôtres.
3. Enfin toutes les anciennes versions du Nouveau-
Testament, aussi bien que toutes les Bibles qui sont en
usage dans l'Eglise de temps immémorial, contiennentles
Actes des Apôtres comme étant authentiques et comme
faisant partie ders écrits sacés de la Nouvelle Alliance.
Ces preuves extrinsèques , que nous fournissent les
monumens de l'histoire, suffiraient seules sans doute
pour démontrer à toutlecteur de bonne foi la vérité delà
thèse que nous soutenons dans notre proposition ; ce-
pendant les argumens intrinsèques que nous ajoutons
ici n'en rendront la démonstration que plus complète.
II. Preuves intrinsèques. Pour peu qu'on exa-
mine en lui-même le livre des Actes, on ne peut man-
(1) Augusî. Epist. 237 {al.2SS)ad Cerelium , et Lihr. de iililitate
crcdendi, n. 7.
(2) August. iract. G. in cap. i Joan. Voy. aussi Depyœdestinat.SS.
c. II, n. 4.
DES ACTES DES APOTRES. 389
quer d'y trouver les preuves les plus certaines et les
plus frappantes non seulement de son origine authen-
tique, mais encore de l'exactitude parfaite de tous les
récits qu'il contient.
1. Il est certain que saint Luc est l'auteur de l'Évan-
gile qui porte son nom ; nous l'avons démontré au cha-
pitre V de la section précédente. Or l'écrivain qui a com-
posé l'Evangile a aussi composé les Actes des Apôtres ;
car l'auteur de ce dernier livre dit à Théophile , à qui
il l'adresse, qu'il a déjà écrit un premier ouvrage dans
lequel il rapporte tout ce que le Sauveur a fait et en-
seigné depuis le commencement jusqu'au jour oii il s'é-
leva dans le ciel après avoir instruit par le Saint-Esprit
les apôtres qu'il avait choisis : Primutn quidem sermo-
nem feci de omnibus, o Théophile, quœ cœpit Jésus
facere, et docere, usque in diem, qua prœcipiens apo-
stolis per Spiritum sanctum, quos eïegit, assumptus est
(Act. I, 1, 2). Si maintenant nous cherchons parmi les
écrits évangéliques celui dont l'auteur du livre des Ac-
tes veut parler, nous le trouverons facilement dans l'E-
vangile de saint Luc ; puisque non seulement il termine
la narration à l'ascension de Jésus-Christ, et rap-
porte par ordre ses discours et ses actions, mais qu'il
est le seul adressé à Théophile : Visum est mihi assecuto
omnia a principio dilig enter , ex ordine tihi scribere ,
optime Théophile (Luc. t, 3). Ainsi l'histoire de la vie
de JÉSUS, indiquée par l'auteur du livre des Actes, étant
l'Évangile de saint Luc , et ce même auteur s'appro-
priant cet Évangile, nous avons tout droit de conclure
que saint Luc est réellement l'auteur des Actes des Apô-
tres, ouvrage qui d'ailleurs lui est attribué par la tra-
dition la plus ancienne et la plus unanime, comme nous
890 DE l'authenticité
venons de le voir. Il est vrai que terminer la narration
à l'ascension du divin Sauveur n'est pas un caractère
exclusivement propre à l'Evangile selon saint Luc, puis-
que c'est par ce même miracle que saint Marc finit son
histoire évangélique ; aussi n'est-ce pas sous ce point
de vue que nous l'avons fait remarquer ; nous avons
voulu uniquement signaler un trait frappant de confor-
mité entre l'Evangile de saint Luc et les Actes des Apô-
tres, et fournir par ce rapprochement une nouvelle dé-
monstration en faveur de ce dernier livre. Or, en cela,
notre raisonnement n'a certainement rien de répréhen-
sible ; seulement il n'est pas complet , nous le savons ,
mais la preuve suivante supplée à tout ce qui lui man-
que pour l'être.
2. Nous venons de faire observer que l'Evangile de
saint Luc était le seul qui fît mention dans sa préface
de Théophile, auquel le livre des Actes est également
adressé, et que ce trait de conformité qui existe exclu-
sivement entre ces deux ouvrages, les distinguait suffi-
samment par là même des Évangiles de saint Matthieu,
de saint Marc et de saint Jean ; en sorte que l'Evangile
de saint Luc est le seul qui puisse raisonnablement être
attribué à l'auteur du livre des Actes; mais nous avons
un autre motif plus puissant peut-être de juger ainsi.
Il est évident pour quiconque est un peu versé dans ces
matières, que le style et la manière de saint Luc sont
tout-à-fait différens du style et de la manière des trois
autres évangélistes. Or, il n'est pas moins évident que le
style de l'évangéliste saint Luc, sa manière de raconter
et de présenter les faits, sont absolument les mêmes que
l'on remarque dans l'auteur du livre des Actes ; au point
que lorsque l'on compare les deux ouvrages, il estim-
DES ACTES DES APOTRES. 391
possible de ne pas reconnaître qu'ils forment comme les
deux parties d'une môme histoire, et que l'un n'est que
la continuation de l'autre.
3. Les Epîtres de saint Paul sont authentiques; qu'on
nous permette ici cette assertion, elle est anticipée; mais
nous prenons l'engagement d'en établir plus tard la vé-
rité par les raisons les plus solides et les plus convain-
cantes. Or, l'authenticité de ces Epîtres prouve l'origine
authentique et la véracité des Actes. En effet, dans ce
dernier livre nous voyons décrits jusque dans leurs
moindres détails les voyages de saint Paul, sa doctrine,
ses sentimens secrets , les églises qu'il a fondées , les
diverses persécutions qu'il a souffertes. Or , sans le li-
vre des Actes, il serait impossible de comprendre les
Epîtres du grand Apôtre; on rencontrerait en mille en-
droits des allusions obscures qu'on chercherait en vain
à comprendre ; tandis qu'en supposant l'authenticité des
Actes des Apôtres, tout se trouve facilement éclairci. II
faut donc que ce livre, qui sert comme de commentaire
aux Epîtres de saint Paul, ait été composé par un de ses
disciples, qui non seulement l'a suivi partout dans ses
voyages, mais qui a eu avec lui les rapports les plus in-
times. Or, quel est le disciple qui réunit ces qualités,
si ce n'est saint Luc, le compagnon fidèle de l'Apôtre,
comme la tradition nous l'apprend? Ainsi les Epîtres de
saint Paul nous offrent une preuve certaine de l'authen-
ticité et de la véracité des Actes des Apôtres.
k. Une des preuves les plus fortes sur lesquelles on
puisse fonder l'authenticité et la véracité d'un livre, ce
sont certaines coïncidences minutieuses entre les faits
qu'il contient et ce que d'autres documens nous appren-
nent des mœurs et de l'histoire des mêmes temps. Or,
392 DE l'authenticité
plus on étudie les Actes des Apôtres , et plus on y dé-
couvre ce caractère d'une manière frappante. Les rap-
prochemens suivans ne laisseront certainement au lec-
teur aucun doute à cet égard (1).
On lit dan^ les Actes (m, 1) : « Et comme Pierre et
Jean montaient ensemble au temple à l'heure de la
prière, qui se faisait à la neuvième heure du jour.» Or
l'historien Joseph nous apprend de son côté (Antiq.
1. XXV, c. vu, § 8) que a les prêtres faisaient deux fois
le jour leurs fonctions à l'autel, le matin et à la neu-
vième heure. »
Au chapitre iv, 1 des Actes, il est dit : « Mais comme
ils parlaient au peuple, les prêtres, le capitaine des gar-
des du temple et les saducéens survinrent. » Or le même
Joseph rapporte (De Bell. 1. ii, c. xtii, § 2) qu'É-
léazar, fils du grand prêtre Ananias, jeune homme plein
de courage et de résolution, et qui était alors caintaincy
se trouvant dans le temple, persuada à ceux qui exer-
çaient le ministère sacré de ne point recevoir les dons
ou les sacrifices des étrangers. » — Au verset 6 de ce
même chapitre iv des Actes , Anne est appelé grand
prêtre, quoique Gaïphe en remplît alors les fonctions.
Or Joseph ne parle pas autrement, lorsqu'il dit (De Bell.
(1) Nous devons cet exposé à W. Paley, qui l'a lui-même emprunté
de Lardner. Mais nous n'avons point suivi notre guide pas à pas. D'a-
bord il a mêlé ensemble les Évangiles, les Actes et les Épîtres; puis
il a interrompu la suite des chapitres, tandis que nous avons choisi ce
qd regarde exclusivement les Actes, et que nous avons suivi fidèlement
l'ordre observé dans le livre même. Il faut remarquer de plus que
nous avons ajouté de nouvelles autorités, et que quand nous disons Pa-
ley, nous l'entendons de Levade, son éditeur français, dont nous avons
aussi parfois changé la traduction.
DES ACTES DES APOTRES. 39 S
1. XI, c. XII, § 6) : « On choisit alors pour gouverneur
en chef de la ville, Joseph, fils de Gorion et le grand
prêtre Ananus. » Cependant cet Ananus, quoique dési-
gné sous le titre de grand prêtre, n'exerçait pas dans ce
moment la souveraine sacrificature. La vérité est que
les écrivains du Nouveau-Testament donnaient un sens
assez indéterminé à ce titre; ils l'attribuaient quelque-
fois exclusivement à la personne qui était actuellement
dans l'exercice des fonctions attachées à cette dignité ;
quelquefois à une seconde et même à une troisième qui
les partageait ou qui les avait exercées;]d'autres fois enfin
à tels prêtres qui se trouvaient distingués par leur ca-
ractère ou par leur place (Marc, xiv, 53) . Et encore ici
Joseph, adoptant ce langage, parle sur ce sujet d'une
manière aussi indéterminée. »
Au chapitre v, 17 des Actes, on lit : « Alors le grand
prêtre et tous ceux qui étaient comme lui de la secte des
saducéens furent remplis d'envie.» L'auteur nous in-
sinue ici que le grand prêtre était saducéen, et l'on ne
se serait pas attendu à trouver un homme de cette secte
dans une place aussi élevée ; cependant quelque extra-
ordinaire que soit cette circonstance, elle n'est pas sans
exemple; car voici ce que dit Joseph (Ant. l.xii, c. x,
§ 6, 7) : (( Jean Hyrcan , grand prêtre des Juifs, aban-
donna les pharisiens par suite de quelque mécontente-
ment, et se réunit au parti des saducéens. »
Act. V, 37. «Parut ensuite Judas le Galiléen lorsque
se fit le dénombrement du peuple, et il attira beaucoup
de monde à son parti. » Ce trait se trouve littéralement
confirmé par le passage suivant de Joseph : «Il (c'est-
à-dire celui que l'historien nomme ailleurs Judas de Ga-
lilée) en persuada plusieurs de ne pas se faire enregis-
17.
894 DE l'authenticité
trer, lorsque le censeur Cyrénius fut envoyé en Galilée
(De Bell. 1. vil). »
Act. XI, 27, 28. a En ce même temps quelques pro-
phètes vinrent de Jérusalem à Aniioche ; l'un d'eux,
nommé Agabus, se levant, prédit par inspiration qu'il y
aurait une grande famine par tout le pays, ce qui arriva en
effet sous Claude .» Cette prédiction coïncide parfaitement
avec ce que dit l'historien juif : « De leur temps (c'est-à-
dire vers la cinquième ou sixième année de Claude), une
grande famine survint en Judée (Ant. l.xx, c.iv, §2). »
Act. XII, 1. «Dans ce même temps, le roi Hérode se
mit à maltraiter quelques-uns de ceux qui étaient de l'É-
glise. » La fin de ce même chapitre (verset 23) , nous
apprend que la mort de ce prince suivit de près cette
persécution. Or, l'exactitude de l'historien sacré, ou plu-
tôt cette coïncidence naturelle de sa narration avec la
vérité, est des plus manifestes. En effet, dans les trente
années antérieures à cette persécution et dans toute la
suite des temps, on ne trouve aucune époque à laquelle
on ait vu un roi à Jérusalem, une personne exerçant en
Judée l'autorité royale, ou bien à qui ce titre pût con-
venir, excepté dans les trois dernières années de la vie
d'Hérode ; et c'est précisément dans cette période de
temps que la narration de ce fait se trouve indiquée par
l'auteur du livre des Actes. Ce prince était le petit -fils
d'Hérode le Grand ; il est désigné dans les Actes par
son nom de famille, Joseph le nomme Agrippa. Cet his-
torien nous fournit la preuve la plus complète qu'il était
roi, justement ainsi nommé : « Caligula, dit-il, l'ayant
fait appeler dans son palais, lui mit une couronne sur
la tête et l'établit roi de la tétrarchie de Philippe, se
proposant de lui donner encore la tétrarchie de Lysa-
DES ACTES DES APOTRES. 39&
nias (1).)) Le même historien nous apprend dans un
autre passage que ce ne fut qu'après cette époque que
la Judée fut réduite à la domination d'Hérode; car il dit
que Claude confirma par un décret l'autorité que Cali-
gula avait conférée à Agrippa, «ajoutant à son domaine
la Judée et Samarie, dans toute leur étendue et telles que
son grand-père Hérode les avait possédées (2) . » — Aux
versets 19-23 de ce même chapitre xii des Actes, on lit
qu'Hérode étant passé de Judée en Césarée où il s'arrêta,
et qu'à un jour marqué s'étant assis sur son trône, revêtu
de ses habits royaux, il fit en public un discours qui plut
tellement à la multitude qu'elle s'écria dans ses excla-
mations : C'est la voix d'un Dieu et non pas d'un homme ;
qu'à l'instant même un ange du Seigneur le frappa, parce
qu'il n'avait pas donné gloire à Dieu, et qu'il mourut
rongé de vers. Or il est dit de ce même prince dans Jo-
seph : ((Il s'en alla dans la ville de Césarée : là il célé-
bra des fêtes en l'honneur de César, et au second jour
des divertissemens, il se rendit au théâtre de grand ma-
tin, vêtu d'une robe d'argent et d'un travail précieux.
Les rayons du soleil levant qui réfléchissaient cette bril-
lante parure lui donnèrent une apparence majestueuse
et solennelle. Les spectateurs l'appelèrent Dieu, et le
sollicitèrent de vouloir bien leur être propice . Nous vous
avons respecté jusqu'ici, lui dirent-ils; mais aujour-
d'hui nous reconnaissons que vous êtes plus qu'un mor-
tel . Le roi n'écarta point ces adulateurs, et ne repoussa
point ces impies flatteries. Immédiatement après il fut
saisi de douleurs les plus violentes dans les entrailles. Il
(1) Joseph. Anliq. l. xviii, c. vu, ^ 10.
(5) Joseph, ibid. L xix, c. v, § 1.
39S DE L'authenticité
fut transporté avec la plus grande célérité dans son palais,
où après cinq jours de souffrances cruelles et continues
il expira (1) .» Le lecteur peut facilement voir l'accord de
ces deux récits dans plusieurs circonstances de détail;
comme le lieu (Césarée), le jour marqué, la magnificence
des vêtemens, les acclamations de l'assemblée, la nature
particulière des flatteries , la satisfaction qu'en éprouve
Hérode, l'atteinte soudaine de la maladie. Joseph, il est
vrai, ne parle pas de vers, comme l'auteur des Actes; mais
on sait que ces animaux rongeurs sont ordinairement un
des symptômes de la maladie que décrit l'historien des
Juifs, c'est-à-dire d'une violente douleur d'entrailles.
Act. XIII, 6, 7. c( Ayant traversé l'île (Chypre) jusqu'à
Paphos, ils trouvèrentun Juif magicien et faux prophète,
nommé Bar-Jésu, qui était avec le proconsul, homme
sage et prudent. » On est tenté au premier abord de
croire que l'auteur des Actes est tombé dans une erreur
grossière par rapport à l'emploi du mot proconsul; mais
en examinant la chose de plus près, on en conclut au
contraire sa connaissance parfaite des faits qu'il raconte,
et sa grande exactitude dans la manière dont il les rap-
porte. En efPet, il est bien vrai que dans l'empire ro-
main il y avait deux sortes de provinces, celles qui ap-
partenaient à l'empereur et celles qui appartenaient au
sénat ; et que le représentant de l'empereur portait le
titre de propréteur, et que celui du sénat se nommait j9ro-
consul; mais Dion Cassius nous apprend que la province
de Chypre qui avait d'abord été assignée à l'empereur
passa ensuite au sénat par suite de quelques échanges,
et qu'alors le gouverneur romain prit le titre de pro-
(1) Joseph, ihid. l .xix, c. viii, § 2.
DES ACTES DES APOTRES. 397
consul (1). Mais la justesse du titre de proconsul est en-
core plus frappante au chapitre xviii, verset 12 des
Actes, lorsque l'auteur de ce livre dit : « Or Gallion étant
proconsul d'Achaïe;» car la province d'Achaïe après avoir
passé du sénat à l'empereur, avait été vendue par Claude
au sénat six ou sept ans avant l'époque dont ce passage
des Actes fait mention (2), et son gouvernement était
devenu proconsulaire. Et ce qui montre surtout l'exac-
titude de cette dénomination, c'est que sous le règne
suivant l'Achaïe cessa d'être une province romaine.
Act. XV, 21. « Car quant à Moïse , il y a depuis long-
temps dans chaque ville des hommes qui le prêchent
dans les synagogues, où on le lit chaque jour de sabbat.»
La vérité de ce passage se trouve confirmée par un texte
de Joseph qui dit en parlant de Moïse dans son second
livre contre Apion : ce II nous a donné la loi , la meil-
leure de toutes les institutions. Il ne s'est pas borné à
nous en prescrire la lecture, une fois, deux fois et même
plus souvent ; mais il a voulu que quittant tout autre tra-
vail, nous nous réunissions chaque semaine pour l'en-
tendre lire, et pour en acquérir la parfaite intelligence.»
Act. XVI, 13. « Mais le jour du sabbat nous sortîmes
de la ville et nous allâmes près du fleuve, en un lieu où
nous crûmes que la prière se faisait d'ordinaire.» Re-
marquons que l'auteur entend évidemment par le lieu
où l'on avait coutume de faire la prière, un endroit par-
ticulier destinée ce saint exercice, c'est-à-dire un pros-
(l)Dio Cass. lib. liv, ad. A. F. 732. Nous ajouterons d'après
Hug {Einleit. in das lY. T. Tli. i, Seit. 24) que*quelques médailles
de Claude prouvent que du temps de cet empereur Tîle de Chypre
avaitréellement un proconsul, comme on le lit dans le livre des Actes.
(2) Suet. m Claiid. c. xxv. Dion, i, 61.
398 DE l'authenticité
euqiie ou oratoire , et qu'il désigne le voisinage de la
rivière comme ce lieu que les Juifs consacraient spécia-
lement à la prière. Or Philon décrivant la conduite de
ceux d'Alexandrie dans certains jours solennels , ra-
conte que « de grand matin ils sortaient en foule hors
des portes de la ville pour aller aux rivages voisins (car
les proseuques étaient détruits), et là, se plaçant dans le
lieu le plus convenable, ils élevaient leur voix d'un com-
mun accord vers le ciel (1). » Joseph de son côté rap-
porte un décret de la ville d'Halicarnasse, qui permet-
tait aux Juifs de bâtir des oratoires ; nous y lisons ces
paroles, entre autres : « Nous ordonnons que les Juifs
hommes ou femmes qui voudront observer le sabbat et
s'acquitter des rites sacrés prescrits par la loi puissent
bâtir des oratoires sur le bord de la mer (2). ïertullien
parlant des rites et des usages des Juifs, tels'que les fê-
tes, sabbats, jeunes, pains sans levain, etc., mentionne
les prières faites sur les bords de l'eau, orationes lito-
rales (3). Nous ajouterons que les Samaritains eux-mê-
mes, au rapport de saint Epiphane, avaient cela de
commun avec les Juifs [k).
Act. XVII, 22, 23. (( Paul étant au milieu de l'aréo-
(1) Philo, in Place, pan. 382. Idem. De vila Mos. l. m, et De
légat, ad Caïum passim. — Ces sortes d'oratoires se nommaient en
grec 7rpo(7£v;(y), Trpoa-îuxTioptov, et en Xdiùnproseucha :
« Ede ubi consistas, in qua te quosro Proseucha.»
Juven. Sat. m, 14.
(2) Joseph. Antiq. l. xiv, c. x, § 24.
(3) Tertull. ad Nat. L i. c. xiii.
(4) Epiphan.//(çye5. lxxx. — Les Juifs choisissaient ainsi les bords
des rivières, parce qu'ils ne croyaient pas devoir vaquer à la prière
avant de s'être purifiés par l'eau. On peut voir dans la Synagogue ju-
daïque de Jean Buxtorf les prescriptions des rabbins à cet égard.
, lûtdi
prière
rJ,
DES ACTES DES APOTRES. 399
page,Ieur dit : Athéniens, il me semble qu'en toutes choses
vous êtes religieux jusqu'à l'excès; car ayant regardé en
passant les statues de vos dieux, j'ai trouvé même un au-
tel sur lequel il est écrit : Au Dieu inconnu ; or, celui
que vous adorez sans le connaître, c'est celui que je vous
annonce.» Rapprochons quelques passages de plusieurs
écrivains profanes. Et d'abord, Diogène Laërce, qui
écrivait au commencement du second siècle de l'ère chré-
tienne, rapporte qu'au temps d'Épiménide (c'est-à-dire,
comme on le croit communément, vers l'an 600 avant Jé-
sus-Christ), une peste ravageant Athènes, etjoracle
ayant déclaré que pour la faire cesser il fallait purifier
ou expier (zaQ^^oat) la ville, on envoya en Crète pour faire
venir ce philosophe; qu'arrivé à Athènes, Epiménide
prit des brebis blanches et des brebis noires, et les con-
duisit au haut de la ville, où était l'aréopage ; que delà
il les laissa aller , ayant eu soin toutefois de les faire suivre,
avec ordre de les laisser aller partout où elles voudraient,
et, lorsqu'elles se seraient arrêtées d'elles-mêmes, de
les immoler au dieu du lieu le plus voisin^ ou au dieu
qu'il conviendrait ; et que c'est ainsi qu'il fit cesser la
peste . Après ce récit Diogène ajoute : a De là vient qu'en-
core aujourd'hui on voit dans tous les faubourgs d'Athè-
nes des autels sans nom de Dieu (àvwv^y.ou,-) érigés en
mémoire de l'expiation qui fut faite alors (1). » Pausa-
nias, qui a écrit avant la fin du second siècle, parlant
dans la description d'Athènes d'un autel consacré à Ju-
piter Olympien, ajoute: (c Et près de là se trouve un
autel de dieux inconnus (2) . Ce même écrivain parle dans
(l)Diogen. Laert. inEpimenid. l, i, § 110.
(2) Pausan. Altic. l. v.
400 DE L'authenticité
un autre endroit d* autels de dieux appelés inconnus (1) .
Philostrate, qui florissait au commencement du troisième
siècle , fait dire à Apollonius de Thyane , (( qu'il étail
sage de parler avec respect de tous les dieux, surtout à
Athènes, aie l'on élevait des autels aux génies inconnus (2) .y\
L'auteur du Dialogue Philopatris, ouvrage attribué pai
les uns à Lucien, qui écrivait vers l'an 170, et par d'au-
tres à un païen anonyme du'quatrième siècle, fait jurei
Critias par les dieux inconnus d'Athènes, et sur la fin du
dialogue, il s'exprime ainsi : « Mais tâchons de décou-
vrir le Dieu inconnu à Athènes; et alors levant nos mains
au ciel, offrons-lui nos louanges et nos actions de grâ-
ces. )) D'après ces divers témoignages, il paraît hors de
doute qu'au temps où l'auteur des Actes nous dit que
saint Paul se trouvait à Athènes, il y avait des autels qui
portaient cette inscription. Il paraît encore indubitable
qu'une telle inscription était particulière à Athènes ,
puisque les anciens auteurs en parlent comme d'une
chose remarquable, et que d'un autre côté nous n'avons
pas un seul monument historique qui prouve qu'il ail
existé ailleurs des ^autels portant une pareille inscrip-
tion . Or, supposons que l'histoire de saint Paul tracée
dans les Actes des Apôtres soit une fable imaginée par
un faussaire, l'auteur de cette histoire eut-il jamais saisi
une circonstance aussi extraordinaire, et l'eût-il appro-
priée à son sujet au moyen d'une allusion si bien adap-
tée au caractère et à la mission du grand Apôtre ?
Act. XVIII, 2. « Et ayant trouvé (à Corinthe) un Juif. ..
qui était nouvellement venu d'Italie avec Priscille sa
femme, parce que Claude avait ordonné à tous les Juifs
(1) Pausan. ibid. l. i.
(2) Philo str. F'ita Apoll. Thyan. l. vi, cm.
à
DES ACTES DES APOTRES. 401
de sortir de Rome. » Or ce passage est une preuve sen-
sible que l'auteur du livre des Actes était parfaitement
informé dans tout ce qu'il écrivait. Et en effet Suétone
nous apprend que l'empereur Claude chassa les Juifs de
Rome à cause des bruits qu'ils y causaient, poussés par
Chrest : Judœos impulsare Chresto assidue tumultuantes
Roma expuUt{i). Quant à ce personnage désigné par
Suétone sous le nom de Chrest^ on ne doute pas, comme
le remarque judicieusement D. Calmet dans son Com-
mentaire, que ce ne soit Jésus-Christ; car les païens
lui ont donné ce nom, comme aux chrétiens celui de
Chrcstiani.
Act. XXI, 23, Si. «Nous avons ici quatre hommes
qui ont fait vœu , prends-les avec toi, et purifie-toi avec
eux, et paye pour eux afin qu'ils se rasent la tête.^^Vour
bien comprendre ces versets, il faut savoir première-
ment que par vœu on entend ici celui des nazaréens;
et en second lieu, que c'était parmi les Juifs une pra-
tique de piété que de contribuer aux frais des offrandes
des nazaréens, pour avoir part au mérite de leur vœu.
Aussi le sens de ces derniers mots afin qu'ils se rasent
la tête, est afin qu'ils puissent se raser la tête, c'est-à-
dire de pourvoir aux dépenses que l'accomplissement
de leur vœu pouvait occasionner. Or, Joseph nous four-
nit deux passages d'une conformité parfaite avec le
texte des Actes, tant pour cette pratique que pour l'ex-
pression elle-même : «Il est d'usage, dit cet historien,
que ceux qui ont été affligés par quelque maladie , ou
qui se sont trouvés dans un état critique, fassent, trente
jours avant d'offrir les sacrifices , le vœu de s'abstenir
de vin, et de raser les cheveux de leur tête (De Bell . 1. xi,
(1) Suet. in Claud. c. xxv.
402 DE l'authenticité
c. xv).» Et dans un autre endroit : «Et lui (Hérode
Agrippa), s'étant rendu à Jérusalem, offrit des sacrifices
d'actions de grâces sans rien omettre de ce qui est pres-
crit par la loi. Il eut soin aussi de faire raser un grand
nombre de nazaréens (Antiq. 1. xix, c. vi).» — Aux ver-
sets 30-35 de ce même chapitre xxi, l'auteur des Actes
parle d'un corps de soldats romains qui étaient chargés
de réprimer les tumultes populaires. Il fait aussi men-
tion d'un camp, c'est-à-dire d'une forteresse ou d'une
citadelle habitée par des soldats ; car tel est évidemment
le sens du mot grec TrapîaêoÀyj employé dans le texte
original , et d'escaliers qui paraissaient être à côté du
temple. Or, ces mêmes particularités se retrouvent dans
une histoire publiée dans ce même temps et dans ce
même pays ; voici en effet ce que nous lisons dans Jo-
seph : (( Antonia était bâtie à l'angle des portiques situés
à l'orient et au nord du temple extérieur. Cette tour
s'élevait sur un roc de cinquante coudées de haut et
escarpé de toutes parts . Du côté où elle se réunissait aux
portiques du temple, il y avait des escaliers qui commu-
niquaient à chaque portique et par où la garde des-
cendait. C'est là qu'une légion romaine était toujours
casernée ; de là elle plaçait des sentinelles armées en
différens postes sous les portiques; elle surveillait le
peuple dans les jours de fêtes pour prévenir le désordre.
Ainsi le temple protégeait la ville, et la tour Antonia
protégeait le temple (De Bell. 1. v, c. v, § 8).»
Act. XXII, 25. (( Mais quand ils l'eurent attaché avec
des courroies, Paul dit au centenier qui était près de
lui : Vous est-il permis de battre de verges un citoyen
romain, et qui n'a point été condamné? » Les lois na-
turelles de toutes les nations défendent de punir un
, DES ACTES DES APOTRES. 403
homme qui n'a été ni entendu ni condamné ; mais les
lois défendaient de plus qu'on infligeât le supplice du
fouet à un citoyen romain. Porcm lex ab omnium civium
Romanorum corpore amovet, dit Cicéron (1) . Et ailleurs
parlant d'un citoyen que Verres flagellait quoiqu'il invo-
quât sans cesse son titre : Civis Romanus sum, s'écrie que
c'est déjà un grand mal que de jeter dans les fers un
citoyen romain, mais que c'est un crime énorme que de
le fouetter : Fascinus est vinciri civem Romanum^scelus
verberari (2). — Au verset 27 on remarque une coïnci-
dence plus frappante encore ; il y est dit : « Et le tribun
vint à Paul et lui dit: Dis -moi, es-tu Romain? Et il
répondit : Je le suis.» Qu'un Juif se soit présenté comme
étant citoyen romain, cela paraît au premier abord une
erreur grossière dans laquelle un historien contempo-
rain ne pouvait nullement tomber. Mais Joseph prouve
qu'on réunissait quelquefois les deux qualités, quand il
dit : « Le consul Lucius Lentulus annonça qu'il avait
renvoyé de son service les citoyens romains juifsy qui
observaient à Ephèse les rites de la religion juive (Ant.
1. XIV, c.x, § 13). Et si l'onobjectequele tribun n'ayant
acquis le droit de bourgeoisie qu'au prix à'une forte
somme d'argent (verset 28), on ne saurait supposer qu'un
homme de la condition de Paul en ait été investi, nous
répondrons avec Dion Cassius : « Ce privilège, qui s'a-
chetait si cher autrefois, fut mis dans la suite à un si bas
prix, que l'on avait coutume de dire, qu'un homme pou-
vait devenir citoyen romain pour quelques morceaux de
Ycrre cassé (1. lx). » D paraît même que cette déprécia-
tion, qui avait commencé dès le règne de Claude, alla
(1) Cicero, pro Rabirio.
(2) Cicero, in P^errem. Orcit. v.
404 DE l'authenticité
toujours en augmentant, car Salvien, qui vivait au cin-
quième siècle, assure positivement que de son temps non
seulement on ne faisait plus aucun cas du droit de ci-
toyen romain, mais qu'on le rejetait avec dédain (1).
Act. XXIII, 8 . (( Car les saducéens disent qu'il n'y a ni
résurrection, ni ange, ni esprit ; mais les pharisiens re-
connaissent l'un et l'autre. » Joseph dépose en faveur
de la vérité de ce passage : «Ils croient que l'âme de
tous est immortelle, dit cet historien en parlant des pha-
risiens ; mais ils pensent en même temps que celle des
gens de bien seule passe en d'autres corps ; tandis que
l'âme des méchans est condamnée à des châtimens éter-
nels (De Bell. 1. ii, c. viii, § H).» Ailleurs le même
écrivain remarque que « les saducéens croient que l'âme
périt avec le corps (Antiq. 1. xviii, c. i, § 4).»
Act. XXIV, 2i. «Quelques jours après, Félix étant re-
venu (à Césarée) avecDrusille sa femme, qui était Juive,
fit venir Paul. » Il était facile à un auteur qui n'aurait
pas été parfaitement informé de tout ce qu'il rapporte,
de prendre ici l'échange ; on peut s'en convaincre à la
simple lecture du passage suivant: « Agrippa , raconte
Joseph, donna sa sœur Drusille en mariage à Aziz, roi
d'Émèse, qui l'épousa après s'être fait circoncire. Mais
ce mariage ne tarda pas à être dissous ; car Félix ayant
eu occasion de voir Drusille , pendant qu'il était gou-
verneur de la Judée , et en étant devenu éperdument
amoureux, il lui fit persuader par un prétendu magicien
juif de quitter Aziz pour l'épouser; ce qu'elle fit au mé-
(1) a Nomen civium Piomanorum aliquando non solum magnoœs-
timatum, sed et magno emptum: nunc uïtro repudiatur ac fugitur.
Nec tantuni vile, sed etiam abominabile pêne habetur (Salvlan. De
Dei giibeni. l. v).»
DES ACTES DES APOTRES. 405
pris des lois de sa Dation (Antiq. I. xx, c. vi, S 1, 2). »
Or, nous voyons par ces quelques mots que Joseph s'ac-
corde exactement avec l'auteur des Actes sur le rang
qu'occupait Félix, sur le nom de sa femme et même sur
la religion qu'elle professait (1). Ajoutons que Suétone
parlant des femmes de Félix, nomme expressément Dru-
sille, fille du roi Agrippa (2).
Act. XXV, 12. (( Alors Festus, après en avoir conféré
avec son coriseil, répondit : Tu as appelé à César, tu iras
devant César . » Ce verset suppose que Festus avait un
conseil ; or nous voyons par un passage du discours de
Cicéron contre Verres, queles'présidens romains avaient
ordinairement un conseil composé de leurs amis et des
principaux Romains qui se trouvaient dans la pro-
vince (3). — Au verset suivant, nous lisons : « Quelques
jours après, le roi Agrippa et Bérénice vinrent à Césarée
pour saluer Festus. » Remarquons bien que l'écrivain
sacré, en nous apprenant qu'Agrippa était roi, n'ajoute
pas qu'il fût roi de la Judée. Or, cette particularité est
une nouvelle preuve de sa grande exactitude ; car l'his-
toire de cette époque correspond parfaitement avec sa
narration. Cet Agrippa dont il est ici parlé était fils
d'Hérode Agrippa, roi de Judée, qui fit mourir saint
Jacques . Or, Joseph nous apprend qu'il ne succéda point
(1) QueDrusille, en épousant Félix qui étaitpaïen, ait quitté la re-
ligion des Juifs, comme quelques-uns le prétendent, elle n'en était
pas moins juive de naissance ; et par conséquent l'exactitude de l'é-
crivain sacré se trouve par là même à l'abri de tout reproche.
(2) Sueton. f?2 Claud. c. xxviii.
(3) « Illud negare posses, aut nuncnegabis, te, consilio tuodimisso,
viris primariis, qui in consilio C. sacerdotis fuerant, tibique esse vo-
lebant, remotis, de re judicata judicasse (Gicer. in P^crrem],»
406 DE l'authenticité
au royaume de son père, qu'il ne recouvra pas même la
Judée, qui en faisait partie, quoique à la mort d'Hérode,
Claude eut eu l'intention de le mettre immédiatement en
possession de cet héritage ; mais l'empereur apprenant
qu'Agrippa son fils n'avait que dix-sept ans, changea
d'idée et nomma Cuspius Fadus préfet de la Judée et
de tout le royaume (Ij. Fadus eut pour successeur Ti-
bère Alexandre, Cumanus, Félix etFestus (2). Mais quoi-
que Agrippa n'eût pas été mis en possession du royaume
de son père, dans lequel la Judée était comprise, il ne
laissait pas d'être légitimement appelé roi. Le même
écrivain nous apprend encore que Claude, qui lui avait
d'abord donné le royaume de Chalcide , lui en accorda
un plus considérable dans le même temps qu'il envoyait
Félix comme procurateur en Judée, puisqu'il lui donna
la tétrarchie qu'avait eue Philippe, en y joignant le
royaume de Lysanias et la province qui avait appartenu
à Varus (3). Au chapitre suivant (Act.xxvi), saint Paul
s'adressant à ce même Agrippa suppose qu'il était Juif :
«Orci Agrippa, ne crois-tu pas aux prophètes? Je sais
que tu y crois (vers. 27).» Il était fils d'Hérode Agrippa,
que Joseph nous représente comme un juif plein de
zèle; il était donc tout naturel de le supposer dans les
mêmes principes que son père. Mais ce qui est plus im-
portant à remarquer, comme étant plus précis et plus
circonstanciel, c'est que l'auteur des Actes parlant du
père (xii, 1) l'appelle le roi Hérode, en nous donnant
une preuve de l'exercice de son autorité à Jérusalem ;
(1) Joseph. Aniiq. l. xix, c. ix.
(2) Joseph. De bell. L ii.
(3) Joseph. De bell. l, ii, c. xii.
DES ACTES DES APOTRES. 407
ela tandis que parlant du fils (xxv, 13), il le nomme roi,
(je, mais non pas de la Judée; distinction, nous aimons à le
[lun répéter, qui est parfaitement conforme à l'histoire, et
DaD\ qui montre par conséquent la fidélité et l'exactitude de
n^ea l'écrivain qui a composé les Actes des Apôtres.
eeet Act. xxvi, 5. « J'ai suivi la secte des pharisiens, qui
est la plus exacte de notre religion.» Cette assertion se
trouve confirmée par l'autorité de Joseph, qui dit formel-
lement : (( Les pharisiens étaient regardés comme les
plus religieux et les plus exacts d'entre les Juifs, et même
comme les plus habiles à expliquer les lois (DeBell.l.i,
c. V, § 2).)) On peut remarquer qu'il se trouve ici une
correspondance parfaite entre l'auteur des Actes et
l'historien de la nation juive, non seulement dans le
sens, mais encore dans l'expression: le même adjectif
grec se trouve dans l'original des deux écrivains : «x^i-
Act. XXVII, 1. «Lorsqu'il eut été résolu que Paul
irait par mer en Italie et qu'on le remettrait avec les au-
tres prisonniers à un centenier nommé Jule.» Quoique
la Vulgate diffère un peu ici de l'original grec, qjii lit à
la lettre : a Lorsqu'il eut été résolu que nous nous em-
barquerions pour l'Italie, on remit Paul avec quelques au-
tres prisonniers, etc. » Les deux textes renferment éga-
lement quelques mots qui nous fournissent une nouvelle
preuve de l'exactitude historique avec laquelle le livre
des Actes des Apôtres a été composé par son auteur. En
effet, nous voyons dans l'original grec, comme dans la
version latine, que non seulement saint Paul, mais encore
un certain nombre d'autres prisonniers, étaient trans-
portés sur le même vaisseau en Italie; ce qui donne
clairement à entendre que l'on était en usage d'envoyer
rTi-
1001-
avait
mk
loooa
Dlle
\\m
\U
\]é.
lésais
rippa
'iode
iBçles
CsilD-
et pin;
\à diï
408 DE l'authenticité
des accusés de la Judée à Rome pour y être jugés. Or,
l'historien Joseph nous en offre un grand nombre d'exem-
ples ; nous nous bornons à citer le suivant comme se
rapprochant le plus du passage des Actes , et par l'é-
poque à laquelle le fait qu'il présente a eu lieu, et par
la nature du sujet lui-même : ((Félix, pour quelque
légère offense, mit aux fers et envoya à Rome plusieurs
prêtres de sa connaissance, gens vertueux et honnêtes,
qui devaient se justifier devant César (Joseph, in Vitâ,
§3).»
Act. xxviii, 11-14-. Nous lisons que saint Paul, trans-
porté en Italie par un vaisseau d'Alexandrie, débarqua
à Pouzzoles. Or, comme le remarque judicieusement
Hug , les écrivains profanes nous apprennent que c'é-
tait en effet cette ville qui recevait habituellement dans
son port les vaisseaux d'Alexandrie , et qui recueillait
leurs marchandises dans ses magasins (1) . Au verset 15
de ce même chapitre , c'est encore Hug qui fait cette
observation, on voit que les amis de Paul attendent son
arrivée au Marché d'Appius [Forum Âppîi), et d'autres
aux Trois-Hôtelleries (Très Tabernœ). Paul s'embar-
que apparemment sur un canal que César avait creusé
au travers des marais Pontins ; il dut par cela même pas-
ser au Marché d'Appius, qui, à l'extrémité de ce canal,
en était le port (2). Quant aux Trois-Hôtelleries, elles
(1) Strabo. /. xvii, pag. 793, édit. 2, Casaub. Seneca. Epist. l. xxvii.
Apud Hug, Einleil. Th, i, Seit, 24.
(2)Acron. ad Horat. Serm. L i, Sat. v, 14. « Quia ab Appii foroper
paludes navigatur, quas Paludes Cœsar derivavit.» Porphyrion, ad
vers. 14 ; « Pervenisse ad Forum Appii indicat, ubi lurba essetnau-
tarum, item cauponum ibi moraotium.» Acron ad vers. II : «< Per
DES ACTES DES APOTRES. 409
étaient situées, suivant l'Itinéraire d'Antonin (1), à dix
milles romains plus près de Rome. On voit par là que
le voyage de saint Paul , tel qu'il est décrit dans les
Actes, se trouve exactement conforme aux circonstan-
ces topographiques que les auteurs profanes nous ont
conservées. — Enfin, aux versets 16 et 20 nous lisons :
c( Quand nous fûmes arrivés à Rome , on permit à Paul
de demeurer en particulier avec un soldat qui le gar-
dait... car c'est pour l'espérance d'Israël que je suis lié
de cette chaîne.» Ici, comme on le voit, l'auteur des Ac-
tes affirme, et que saint Paul, quoique prisonnier, 'eut
la liberté de demeurer hors de sa prison, mais avec un
soldat qui ne le quittait pas un seul instant, et que cet
illustre apôtre était lié d'une chaîne. Or, les historiens
profanes nous apprennent qu'on permettait quelque-
fois, en effet, à un prisonnier de demeurer en son par-
ticulier avec un soldat ; mais il devait être attaché par
la main droite à une chaîne , qui tenait par son extré-
mité à la gauche du soldat qui le gardait. Ulpien, Sénè-
que et Joseph nous fournissent plus d'une preuve en
faveur de l'existence de cet usage. Ce dernier, entre
autres , raconte que lorsque Agrippa fut renfermé par
l'ordre de Tibère, Antonia fit en sorte que le centenier
et le soldat avec lequel Agrippa se trouvait lié fussent
des hommes d'un caractère doux (2).
pnludes navigarunt, quia via interjacens durior.» y^pudila^, loc. cit.
Seit. 25.
(1) Antonini Iiinerar. cdit. Wesseling, pag. 107. Apud Hug, ibid.
(2) Joseph. Aniiq. l. xviii, c. vu, § 5. — « Proconsul œslimare so-
Ict ulrum in carcerem recipicnda sit personua, an miHii iradenda
(Ulpian. /. I, sect. de Cuslod. ei cxJnb.rcor.).^ — » Quemadmodum ea-
dcm calena et cuslodiam et militem copulat, sic ista, quce tam dissi-
V. 18
410 DE l'authenticité
En voilà assez , ce nous semble , pour montrer jus-
qu'à l'évidence que sous le point de vue des faits de
l'histoire proprement dite, aussi bien que sous le rap-
port des mœurs , des usages et de la topographie , le
livre des Actes porte au suprême degré tous les carac-
tères possibles de fidélité et d'exactitude, c'est-à-dire ,
tous les caractères d'authenticité.
5. Un faussaire, ou même un auteur de bonne foi qui
écrit long-temps après les événemens sans en être par-
faitement informé, tombe nécessairement dans des er-
reurs quand il s'agit surtout de soutenir jusqu'à la
fin le caractère propre aux personnages qu'il met en
scène , ou d'exposer les faits qui intéressent la cause
qu'il a embrassée. En effet, l'expérience de tous les
temps prouve que de pareils écrivains ne manquent
jamais d'un côté de se contredire, et de l'autre, de lais-
ser apercevoir un certain esprit de partialité. Or , tout
lecteur qui examinera le livre des Actes sans être pré-
venu lui-même, ne trouvera nulle part dans son auteur
aucun de ces défauts ; il découvrira au contraire à cha-
que page, et même à chaque ligne, les preuves mani-
festes que cet écrivain avait une connaissance parfaite
de tous les faits , et qu'il les a rapportés avec une sin-
cérité et une candeur qu'un imposteur ne saurait imiter.
Bornons-nous à un petit nombre d'exemples, la preuve
milia sunt, pariter incedunt spem metus sequilur {Senec. Epist.v). »
— Le même Sénèque, représentant tous les hommes en ce monde
comme les prisonniers qui sont liés avec un soldat, et faisant obser-
ver que celui-ci est en un sens aussi peu libre que les prisonniers eux-
mêmes, dit : « Alligatique sunt etiam qui alligaverunt, nisi tu forte
Icviorem in sinistra calenam putas {De iranqHill. l. i, c. x).»
DES ACTES DES APOTRES. 411
que nous venons de donner en renferme assez d'autres.
Au chapitre xxv, 18, 19, l'auteur du livre des Actes
fait dire au gouverneur Festus, en parlant de saint Paul,
que les Juifs avaient conduit à son tribunal : «Ses ac-
cusateurs étant devant lui , ne lui reprochèrent aucun
des crimes dont je pensais qu'ils l'accuseraient ; ils
avaient seulement quelques disputes avec lui touchant
leurs superstitions , et touchant un certain Jésus mort , que
Paul assurait être vivant. » Rien assurément ne saurait
mieux peindre le caractère d'un gouverneur romain que
ces paroles ; mais ce n'est pas sous ce point de vue que
nous les présentons ici. Un simple panégyriste, un his-
torien peu sincère, n'eussent jamais parlé ou fait parler
un premier magistrat dans la cause qu'ils auraient
épousée avec ce ton d'indifférence et de mépris. Nous
faisons la même observation par rapport au discours
que le même auteur des Actes (xviii, 14) met dans la
bouche de Gallion. Quelle preuve plus forte encore de
la sincérité et de la bonne foi de cet écrivain , que la
manière dont il soutient dans tout le cours de sa nar-
ration le caractère de son principal héros I En effet,
saint Paul se montre constamment le même dans toute
la suite de son histoire; cette chaleur, cette activité, ce
zèle qui lui étaient si naturels, se manifestent d'abord
contre les chrétiens, puis en faveur de la cause de ces
mêmes chrétiens. Enfin, quand l'auteur des Actes dit
en parlant des prédications du grand Apôtre à Rome :
« Les uns croyaient ce qu'il disait , et les autres ne le
croyaient pas (xxviii, 24)», il fait un aveu propre à
jeter du discrédit sur la religion dont il était ministre
aussi bien que saint Paul , son maître ; et la manière
même dont il s'exprime en le faisant, prouve clairement
412 DE l'authenticité
qu'à une grande simplicité il joignait un amour de la
vérité non moins remarquable.
6. «L'histoire des Actes des Apôtres, remarque fort
judicieusement Du Voisin , est une suite naturelle et
nécessaire de l'histoire évangélique. La conduite que
les Juifs avaient tenue à l'égard du maître, prépare les
persécutions qu'ils font essuyer aux disciples, et le ré-
cit de ces persécutions sert à nous faire connaître de
plus en plus avec quelle justesse, avec quelle exactitude
les écrivains du Nouveau-Testament dépeignent les
mœurs, les opinions, le caractère et la jurisprudence
des Juifs (1).)) Les détails que nous avons fournis un
peu plus haut, quand nous avons fait remarquer un si
grand nombre de coïncidences les plus minutieuses
entre les faits rapportés dans le livre des Actes et ce
que d'autres documens nous apprennent des mœurs,
des coutumes et de l'histoire des mêmes temps , confir-
ment de la manière la plus forte le raisonnement de
l'habile critique auquel nous aimons d'autant mieux à
emprunter les preuves suivantes, qu'elles nous ont paru
irrécusables.
7. «L'auteur du livre des Actes se donne pour con-
temporain , et même pour témoin d'une grande partie
des faits qu'il raconte. Lorsqu'il décrit les voyages de
saint Paul , il parle en son propre nom , comme l'ayant
suivi dans toutes ses courses. Nous cherchâmes à passer
en Macédoine... Nous arrivâmes dans la Samothrace, ..
Nous demeurâmes quelques jours à Philippes, etc. (Act.
x\i). Jusque là, il avait écrit l'histoire de tous les apô-
(1) Du Voisin, L'autorité des livres du IVouveau-Teslament, ch, ii,
ars. m.
DES ACTES DES APOTRES. 413
très; mais au moment où il s'embarque pour la Macé-
doine , il les perd de vue , et dans tout le reste de son
ouvrage il n'est plus occupé que de saint Paul, qu'il ac-
compagne jusqu'à Rome. Là se termine sa narration,
qu'il n'eût pas manqué de conduire jusqu'à la mort de
l'apôtre, s'il n'eut pas écrit avant son martyre. Un faus-
saire , qui se serait caché sous le masque d'un disciple
de saint Paul, aurait-il abandonné son héros au milieu
de sa carrière? aurait-il rompu le fil de son histoire au
moment qui devait être le plus glorieux pour son maî-
tre, et le plus intéressant pour ses lecteurs? Se serait-il
refusé au plaisir de rapporter les disputes vraies ou sup-
posées de saint Paul avec les Juifs et les philosophes de
Rome? les prodiges qu'il aurait opérés dans cette ca-
pitale du monde, les fureurs de Néron contre les chré-
tiens, l'emprisonnement de l'Apôtre, sa mort et toutes
les circonstances dont une pareille histoire pouvait être
•embellie? Parmi les ouvrages apocryphes recueillis par
le savant Fabricius, il se trouve un grand nombre de
faux Actes des Apôtres (1) ; il suffît de les comparer
(Ij II faut remarquer que parmi les faux Actes des Apôtres plu-
sieurs ont été composés par des disciples zélés des apôtres ; en sorte
que sur tous les faits qu'ils rapportent il peut s'en trouver quelques-
uns de vrais; mais ceux-là même ont été interpolés par les héréti-
ques. Les ébionites en particulier corrompirent les Actes composés
par Saint Luc, en y mêlant des traits injurieux à la mémoire de saint
Jacques, de saint Pierre et de saint Paul. Les principaux Actes apo-
cryphes sont : t'aies Acle/i de saint Pierre^ qui portent plusieurs au-
tres noms, tels que les Courses ù\i\les Voyages de saint Pierre {Periodi
Pelri) ; les Récognitions de saint Clément, la Doctrine ou la Prédica-
tion de saint Pierre ; 2° l'Apocahjpse de saint Pierre; 3° le Jugement
de saint Pierre ; 4° les Actes de saint Paul ; 5° les Actes de saint Jean
l'évamjéliste; 6° les Actes de saint André; 7° les Actes de saint Tlio-
414 DE l'authenticité
avec les Actes canoniques pour apprendre à ne pas con-
fondre le langage de l'imposture avec celui de la vé-
rité. » Il y a en effet une différence immense entre les
Actes apocryphes et ceux que nous attribuons à saint
Luc. Premièrement, l'époque de la fabrication des pre-
miers est parfaitement connue ; ils parurent au milieu
du second siècle, tandis que les nôtres sont cités à cette
époque comme un ouvrage canonique, témoins les nom-
breux passages que TertuUien en allègue pour établir
des dogmes de la foi chrétienne. Secondement, les faux
Actes ont été produits sans être appuyés sur le témoi-
gnage des églises ; c'est là le reproche capital que les
pères faisaient à ces sortes d'écrits , en traitant leurs
auteurs de faussaires. On ne remarque rien de sembla-
ble par rapport à ceux qui portent le nom de saint Luc,
et c'est aussi la raison pour laquelle ils ont été univer-
sellement et constamment tenus pour authentiques.
Troisièmement enfin , ces faux Actes contenaient des
absurdités révoltantes, des erreurs formellement oppo-
sées aux doctrines apostoliques , tandis que dans ceux
qui font partie du Nouveau-Testament on ne saurait
découvrir aucun défaut de cette nature.
8. « Le livre des Actes présente encore un autre ca-
ractère d'authenticité ; il renferme l'histoire de l'éta-
blissement des premières églises , le récit des miracles
opérés par les apôtres, les exhortations qu'ils faisaient
aux Juifs, aux païens , aux néophytes ; leurs réponses
aux interrogatoires qu'ils subissaient devant les juges;
mas; 8° les Actes de saint Philippe; 9° l'Apocalypse de saint Paul. On
peut voir quelques détails sur ces ouvrages clans la Préface de D. Cal-
met sur les Actes des Apôtres.
DES ACTES DES APOTRES. 41 &
leurs voyages et leurs succès dans les différentes villes
où ils allaient porter la lumière de l'Evangile. Tous les
faits rapportés dans ce livre ne se sont pas passés dans
une seule ville, dans une même province : Jérusalem,
Samarie, Césarée, Antioche, Athènes, Éphèse, etc., les
principales villes de l'Orient , sont le théâtre de leur
prédication ; mais si l'auteur des Actes n'eût pas été
contemporain et compagnon des apôtres, comment an-
rait-il pu réunir en un seul corps une histoire dont tou^
tes les parties étaient si éloignées les unes des autres?
Si l'on prétend qu'il l'a rédigée sur des mémoires qui lui
ont été fournis par les églises apostoliques, c'est avouer
l'authenticité de l'ouvrage, sinon quant à la forme, du
moins quant à la substance de l'histoire, et ce point
nous suffit contre les incrédules (1). Si l'on veut que l'au-
teur des Actes ait écrit long-temps après la mort des
apôtres, sans remonter à la source des faits et dans le
dessein de composer un roman plutôt qu'une histoire
véritable, nous demanderons comment les chrétiens ré-
pandus dans la Judée, dans la Grèce et dans l'Italie, ont
pu recevoir un ouvrage rempli d'événemens tous con-
traires à ceux que la tradition de leurs églises avait dû
leur transmettre.»
9. « Une nouvelle raison ne permet pas de douter que
l'auteur des Actes n'ait écrit avant le siège de Jérusa-
lem : il parle de cette ville , de ses magistrats, de son
(1) Nous ferons observer en passant sur celle réllexion de Du Voi-
sin, que l'idenlité de style et de rédaction qu'il est impossible de ne
pas remarquer cnlre les Actes et l'Évangile de saint Luc suffit seule
pour empêcher tout critique éclairé d'admettre l'hypcihèse que l'his-
toire des apôtres n'est qu'un simple recueil composé plus tard sur
d'anciens mémoires.
416 DE L AUTHENTICITÉ
temple, des fêtes et des cérémonies de la religion juive,
comme de choses encore subsistantes de son temps. Les
apôtres prêchent dans les places publiques et à la porte
du temple ; ils paraissent devant le grand prêtre , les
proconsuls et les tribuns qui commandaient dans la Ju-
dée. Un des crimes qu'on leur impute, et sur lequel ils
se croient obligés de se justifier, c'est de vouloir abo-
lir la loi de Moïse pour lui substituer un nouveau culte
(Act. VI, XVII, etc.). Les chrétiens eux-mêmes se divi-
sent sur l'observance des cérémonies de la loi , les uns
prétendant en être affranchis par l'Évangile j les autres
voulant allier les rites mosaïques avec la foi chrétienne.
11 faut que les apôtres s'assemblent pour décider en
concile cette question , qui commençait à troubler la paix
de l'Eglise (xv). Or il est évident que cette contesta-
tion n'a pu s'élever qu'avant le siège et la ruine de Jé-
rusalem ; car l'entière destruction de cette ville et de
son temple eût été pour les fidèles une preuve sensible
de l'abrogation de la loi de Moïse. Si l'on dit que ces
faits sont effectivement antérieurs au siège de Jérusa-
lem, mais que l'ouvrage où ils sont rapportés est plus
récent, nous observerons qu'en parlant de cette dispute
l'auteur des Actes paraît lui donner un degré d'inté-
rêt qui suppose qu'elle n'était pas entièrement assoupie
lorsqu'il écrivait son histoire. Si ce livre n'avait été
composé que dans le second siècle, il y a bien de l'ap-
parence qu'au lieu de cette question surannée tou-
chant les cérémonies de la Loi, nous y trouverions quel-
ques traits relatifs à cette multitude d'hérésies qui dé-
chirèrent l'Église immédiatement après la mort des
apôtres.
10. « Enfin il est constant par la préface des Actes
DES ACTES DES APOTRES. 417
que ce livre et l'Évangile qui porte le nom de saint Luc
sont sortis de la même plume (i). Or, la manière dont
l'auteur rapporte dans son Évangile la prédiction de la
ruine de Jérusalem, et le silence qu'il garde sur cet évé-
nement dans le]livre des Actes, achèvent de prouver
que ces deux ouvrages sont antérieurs à l'expédition de
Vespasien. Et d'abord si l'auteur de l'Évangile attribué
à saint Luc n'eût écrit qu'après la ruine de Jérusa-
lem (2), la prédiction qu'il met dans la bouche de Jésus-
Christ (Luc. xxi) ne serait pas, comme elle est, en-
tremêlée d'obscurités et de circonstances qui semblent
étrangères à la guerre de Judée. On n'y trouverait pas
ce bouleversement de toute la nature , ces signes me-
naçans qui doivent paraître dans le ciel, le soulèvement
des flots de la mer, la consternation répandue sur tous
les hommes, l'avènement du Fils de Dieu, porté sur
les nues et revêtu de puissance et de majesté. L'évan-
géliste aurait su que ces prodiges efl^rayans n'étaient
pas arrivés lors du siège de Jérusalem ; il aurait craint
d'affaiblir l'autorité de la prophétie par les difficultés
que l'on aurait pu former contre son entier accomplis-
sement, difficultés qui naissaient de son propre récit ,
(1) Voyez un peu plus haut (pag. 389) les raisons que nous avons
données en faveur de cette asseriion, qui, quoique très-certaine et
très-vraie, a besoin de quelques preuves pour paraître tout-à-fait in-
dubitable.
(5) Le lecteur doit voir sans doute que cette preuve en faveur de
l'authenticité de l'Évangile de saint Luc, qui serait naturellement
mieux placée au chapitre v de la section précédente, est cependant
nécessaire ici pour compléter l'argument, dont le but est de montrer
l'origine authentique des Actes par l'identité d'auteur des deux ou-
vrages.
18.
418 DE L* AUTHENTICITÉ
et qu'il eût été si facile de prévenir par la suppression
de quelques lignes. D'un autre côté, il n'est fait aucune
mention de la ruine de Jérusalem dans les Actes. Il y
est dit seulement que de faux témoins accusèrent le dia-
cre Etienne d'avoir parlé contre le lieu saint et contre
la loi , en disant que Jésus de Nazareth détruirait le
temple et changerait les traditions laissées par Moïse
(Act. vi). Cependant la destruction de cette ville, arri-
vée dans le temps marqué par Jésus-Christ, était une
preuve trop sensible de sa mission divine pour que les
chrétiens négligeassent de la faire valoir contre les Juifs.
Outre que la conformité de l'événement avec la prédic-
tion eût montré que Jésus -Christ était un véritable
prophète, il n'eût pas été difficile de faire envisager aux
Juifs l'état déplorable de leur nation comme la peine
du déicide commis en la personne du Messie. On dira
peut-être que l'auteur a craint de se trahir et de laisser
un indice de la supposition de son ouvrage , en rap-
pelant un fait postérieur aux temps dont il écrivait l'his-
toire. Mais il faut observer que la mort de saint Pierre
et celle de saint Paul n'ont précédé le siège de Jéru-
salem que de trois ou quatre ans. Saint Jean , et peut-
être quelques autres d'entre les apôtres , ont survécu à
la désolation de leur pays. L'auteur pouvait donc, sans
choquer la vraisemblance , prolonger son histoire jus-
qu'au temps de la guerre des Romains, et se livrer aux
réflexions qu'aurait pu lui fournir la conformité des faits
avec la prophétie rapportée dans son Évangile (1). »
III. Preuve indirecte. Comme la plupart des ar-
gumens qui nous ont servi à démontrer qu'il est tout-
(1) Du Voism, loc. citât.
I
DES ACTES DES APOTRES. 419
à-fait impossible que les Évangiles aient été supposés,
sont applicables à l'authenticité des Actes des Apô-
tres, nous renvoyons le lecteur à l'exposé que nous en
avons fait plus haut (pag. 221 et suiv.)> en nous con-
tentant de produire les suivans.
1. Pour être fondé à prétendre que saint Luc n'est
pas l'auteur des Actes des Apôtres, qu'on lui a généra-
lement toujours attribués , il faudrait nécessairement
qu'on assignât un autre écrivain qui aurait composé ce
livre. Or, c'est ce qu'il est absolument impossible de
faire avec la moindre apparence de raison : car, ou ce
serait un auteur contemporain de saint Paul qui aurait
écrit des faits dont il aurait été témoin, dans le dessein
unique de les transmettre à la postérité comme les
ayant reconnus pour incontestables , ou bien ce serait
un imposteur qui n'aurait écrit qu'après les événemens
qu'il donne pour s'être passés de son temps. Or, dans la
première hypothèse , nos adversaires n'ont rien à ga-
gner; puisque les faits étant rapportés par un compa-
gnon de saint Paul, qui raconte ce qui s'est passé sous
ses yeux, la vérité des faits se trouve par là même suf-
fisamment constatée. Dans la seconde, ils ne sont pas
plus heureux, parce qu'ils sont forcés d'admettre sans
examen préalable une opinion entièrement inadmissible.
En effet, si les Actes des Apôtres n'ont été écrits qu'a-
près les temps apostoliques, il faudra fixer la composi-
tion de ce livre au deuxième siècle, environ deux cents
ans après les voyages de saint Paul. Mais il est impos-
sible qu'un faussaire aussi éloigné de l'époque où les
événemens ont eu lieu, ait pu parler avec tant de jus-
tesse et de précision des personnes, des lieux, des faits
eux-mêmes , et entrer clans des détails si nombreux et
420 DE l'authenticité
si minutieux de tout ce qui s'y rattache. Comment, en
effet, aurait-il réussi à se mettre si bien en rapport avec
les événemens accomplis si long -temps auparavant,
avec les coutumes juives et romaines, et sans jamais
tomber en contradiction avec la vérité ? chose pourtant
très -difficile , surtout après la ruine de la Judée , qui
changea totalement la face de ce pays. Avouons donc
avec les rationalistes eux-mêmes que le livre des Actes
ne renferme rien qui ne soit parfaitement conforme aux
temps et aux lieux, et reconnaissons parla même qu'il
est véritablement authentique.
2. Il est certain que le livre des Actes était unani-
mement reçu parmi les chrétiens dès le quatrième siè-
cle. Eusèbe de Gésarée le met dans le canon des livres
admis par tout le monde sans la moindre contestation.
Voici les propres paroles de ce père de l'histoire ecclé-
siastique : (( C'est ici le lieu de traiter en peu de mots
des livres du Nouveau-Testament. Il faut mettre au pre-
mier rang les quatre saints Evangiles, ensuite les Actes
des Apôtres, etc.. Ce sont là les livres universellement
reçus (1). ))0r, peut-on supposer que si les Actes n'a-
vaient pas été regardés comme véritablement authenti-
ques, ils auraient obtenu l'assentiment général ? Et ne
sait-on pas que le désaccord qui a existé pendant quel-
que temps dans les églises chrétiennes au sujet des li-
vres controversés venait uniquement du doute qu'on
avait de leur authenticité? Ajoutons que saint Jérôme,
saint Augustin, saint Chrysostome, confirment l'asser-
tion d'Eusèbe. Mais en remontant plus haut, nous trou-
vons Origène , et avant lui ïertullien , saint Clément ,
(l) Euseb. Hist. ecclés, l. m, c. xxv.
DES ACTES DES APOTRES. 421
saint Irénée , qui parlent des Actes comme d'an livre
admis dans l'Eglise; Origène, en particulier, les attri-
bue expressément à saint Luc, quand après avoir parlé
de plusieurs écrivains du Nouveau-Testament, il ajoute ,
i^t Lucas apostolorum gesta describens (1). Or, d'après
ces témoignages, comment ce livre aurait-il pu être sup-
posé? S'il l'avait été, la supposition n'aurait pu avoir
lieu que du vivant même des apôtres ou après eux. Dans
le premier cas, les églises nouvellement fondées ne se
seraient-elles donc pas inscrites en faux contre l'im-
posture? Et les apôtres eux-mêmes, saint Paul, saint
Luc et saint Jean , qui a vécu jusqu'au commencement
du second siècle, ne l'auraient-ils point signalée > eux
qui marquaient si exactement aux fidèles les discours et
les écrits dangereux ? Mais l'histoire ecclésiastique nous
fournit une preuve évidente du zèle avec lequel on veil-
lait dès l'origine de l'Eglise à ce que des écrits apocry-
phes ne pussent s'introduire parmi les livres authenti-
ques. Nous lisons dans TertuUien, qu'un prêtre en Asie
ayant fabriqué un écrit qu'il avoua avoir composé dans
le dessein de relever la gloire de saint Paul, fut déposé
du sacerdoce (2), et saint Jérôme ajoute que ce fut saint
Jean qui ayant reçu l'aveu de ce prêtre lui infligea cette
punition (3). Dans le second cas, c'est-à-dire après la
(l) Origen. iu libr. Jesu lYave. HomiL vu, n. 1.
(2)Terlull. De bapiiamo, c. svii.
(3) a Périodes Pauli et Theclœ et latam baplisati Leonis fabulam
inter apocryphas scripturas repulamus. Quale enim est ut individuus
cornes apostoli Lucas, inter Cc-eteras ejus res, hoc solum ignoravit.
Sed et TertuUiaous, \icinus eorura temporum, refert presbylerum
quemdam in Asia, amatorem apostoli Pauli, convictum apud Joan-
nem, quod esset auctor libri, et confessum se hoc Pauli araore fc-
cisse, et ob id cxcidisse (Hieron. De viris illustr. c. vii\»
422 DE l'authenticité
mort des apôtres, ce qui nous reporte au milieu du second
siècle, la supposition était également impossible ; car,
outrequelaplupartdeséglisesayantété fondées par saint
Paul, ses disciples immédiats qui les gouvernaient au-
raient facilement reconnu l'erreur où on aurait voulu les
jeter par rapport au disciple favori, au compagnon insé-
parable du grand apôtre, c'est à cette époque même que
saint Irénée etTertullien déclaraient delà manière la plus
positive que quand il s'agissait de l'authenticité des livres
saints ou de tout autre dogme du christianisme, on n'en
reconnaissait aucun qui ne fût autorisé par la tradi-
tion (1). Ainsi aucun critique ne saurait légitimement
prétendre que les Actes des Apôtres soient un livre sup-
posé.
Enfin , si le livre des Actes n'était pas authentique, l'exa-
men si sévère et souvent si passionné auquel les incré-
dules modernes l'ont soumis n'aurait pas manqué de
faire découvrir des contradictions avec les monumens
profanes que tout le monde admet. Or, les critiques les
plus portés à rejeter l'authenticité de nos saintes Ecri-
tures, nous voulons parler des rationalistes allemands,
loin d'avoir rien trouvé de semblable, sont convenus que
sous ce rapport les Actes des Apôtres étaient vraiment
inattaquables. Nous ajouterons que les passages mêmes
qui d'abord avaient fait naître quelques doutes, sont de-
venus, par la comparaison de certains monumens mieux
étudiés, des pièces d'une conviction complète ;iious au-
rons occasion de prouver cette assertion dans l'ouvrage
destiné à réfuter les objections de détail faites contre les
livres saints.
(1) Iren. Adven. liœres. l. m, c. iv. — TerUiU. Advers. Marcion,
l, IV, c. IV, V, et D& prœscript. c. xxxvi.
DES ACTES DES APOTRES. 423
En attendant, nous pouvons affirmer, sans crainte de
recevoir un démenti fondé, que la nature et le nombre
des preuves que nous avons fournies en faveur de l'ori-
gine des Actes des Apôtres, ne peuvent laisser aucun
doute sur l'authenticité de ce livre.
CHAPITRE TROISIEME.
DU TEMPS, DU LIEU, ET DE LA LANGUE DANS LAQUELLE
FUREKT COMPOSÉS LES ACTES DES APOTRES.
1. En établissant, comme nous l'avons fait au chapi-
pitre précédent, l'authenticité des Actes des Apôtres,
nous avons prouvé par cela même que la composition
de ce livre ne saurait être postérieure à saint Luc, qui
en est indubitablement l'auteur. De Wette, à la vérité,
a conclu d'une prophétie de Jésus-Christ sur la des-
truction de Jérusalem rapportée dans l'Evangile de saint
Luc (XXI, 20 et suiv.), que les Actes des Apôtres aussi
bien que cet Evangile lui-même n'avaient été composés
qu'après la ruine de cette ville (1); mais, outre que la
fausseté de cette dernière proposition considérée en elle-
même se trouve complètement démontrée par tout ce
que nous avons dit sur l'authenticité des deux ouvra-
ges, comme conséquence logique, la même proposition
n'estni plus vraie ni plus légitime ; en effet, de ce qu'un
livre contient la narration d'un événement, il ne s'ensuit
point absolument qu'il soit postérieur à ce fait; car, quoi-
qu'en dise De Wette et tous les rationalistes avec lui, il
est incontestable que Dieu peut, quand il lui plaît, faire
(l) De Wclte, Einkitimg in dus A. T. Seit 182.
424 DU TEMPS OU FURENT COMPOSÉS
connaître l'avenir aux hommes, et qu'il a usé plus d'une
fois de ce pouvoir , apanage de sa divinité. Ainsi, la
question qui doit nous occuper ici est uniquement celle
de l'époque précise à laquelle saint Luc a écrit les Actes
des xVpôtres -. Or, cette date précise n'est pas facile à dé-
terminer , puisque les interprètes et les chronologistes
ne s'accordent pas entre eux. Mais il faut aussi conve-
nir que le partage d'opinions porte sur peu de chose.
En effet, l'histoire racontée dans ce livre nous condui-
sant jusqu'à la seconde année de l'emprisonnement de
saint Paul à Rome, où Festus, gouverneur de la Judée,
l'avait envoyé de Césarée pour y être jugé, on esten droit
de conclure que les Actes des Apôtres n'ont pu être ter-
minés avant cette époque , et d'un autre côté l'auteur
ne disant pas un seul mot de l'histoire du grand apô-
tre postérieure à cette seconde année , les chronolo-
gistes ne diffèrent dans leurs calculs que de deux ans
seulement; les uns (ce sont surtout les anciens) plaçant la
composition du livre à l'an 63 de l'ère chrétienne, et les
autres à l'an 65. « Gomme les Actes continuent jusqu'à
la fin de la seconde année de l'emprisonnement de saint
Paul, dit Michaëlis, ils ne peuvent pas avoir été écrits
avant l'année 63 ; je ne regarde pas comme probable
qu'ils aient été écrits plus tard, car saint Luc aurait
alors rapporté quelques détails relatifs à saint Paul, ou
aurait au moins parlé de l'issue de son emprisonnement,
à laquelle le lecteur chrétien était si intéressé (1). »
(1) J. D. Michaëlis, Introduction au IV. T. tome m, pa(j- 408 —
Nous croyons devoir faire remarquer que Michaëlis semble se con-
tredire, lorsqu'il dit (pag. 42 1) : a Les Actes des Apôtres finissent avec
la seconde année de l'emprisonnement de saint Paul à Rome, à savoir
l'an 65.» On lit la même chose dans la traduction anglaise de Marsh
/
LES ACTES DES APOTRES. 425
Nous sommes assez porté à embrasser l'opinion de Mi-
chaëlis; mais nous avouons que pour résoudre cette
question d'une manière satisfaisante, il faudrait pouvoir
déterminer le moment précis où Festus remplaça Félix
dans le gouvernement de la Judée. Or, la chose n'est
pas si facile; et Hug, ce savant critique, tout en essayant
de montrer comme une conjecture probable que le rem-
placement de Félix doit être fixé à la septième année
de Néron, ou à la soixante-troisième de notre ère, ce qui
reporte la fin de la captivité de saint Paul à la soixante-
cinquième, reconnaît cependant que son calcul souffre
des difficultés (1). Saint Jérôme en particulier fait cor-
respondre la seconde année du séjour de saint Paul à
Rome à la quatrième du règne de Néron (2) .
% On n'a pas de moyens plus sûrs de déterminer lo
lieu où se trouvait saint Luc lorsqu'il a composé les
Actes des Apôtres. Quelques-uns prétendent que ce li-
vre a été écrit à Alexandrie, d'autres pensent que ce fut
à Rome. Quoiqu'il soit difficile de rien statuer de solide
sur cette question, nous nous rangeons en partie à l'o-
pinion émise par Michaëlis, lorsqu'il a dit : « Il est im-
possible actuellement de décider si l'intervalle écoulé
entre la composition de l'Évangile de saint Luc et des
Actes des Apôtres a été considérable ou non ; nous ne
pouvons pas mieux dire si ces deux ouvrages ont été
écrits dans le même lieu ou dans des endroits différens, et
(vol. m, part, i, pag. 337), sur laquelle a élé faite celle de Levade,
dont nous nous servons ici.
(1) Hug, Einleilunrj. Tlu ii, Seil. 279-281.
(2) a Cujus historia usque ad jjienuium Piomrc commorantis Pauli
pcrvenit, id est usque ad quarlum Neronis annum {\\\Qvon. De script,
ceci, ad voc. Luc.).»
426 DU LIEU DANS LEQUEL FURENT COMPOSÉS
quand même tous les deux sont dédiés à Théophile, nous
ne pouvons pas affirmer qu'ils aient été écrits dans le
lieu où résidait Théophile. Il est moins probable encore
que les Actes des x\pôtres aient été composés à Alexan-
drie, qu'il ne l'est que l'Evangile y ait été écrit ; si l'on
pouvait hasarder une conjecture, là où manquent les
preuves historiques, je supposerais plutôt que les Actes
ont été écrits à Rome, où saint Luc dit être arrivé avec
saint Paul peu avant la fin de son livre, Act. xxviii,
16 (1).» C'était aussi le sentiment de saint Jérôme; car
après avoir dit que ce livre s'étend jusqu'à la seconde
année du séjour de saint Paul à Rome , il ajoute immé-
diatement : Ex quo intelUgimus in eadem urbe librum
esse compositum (2). »
3. Nous regardons comme hors de toute espèce de
doute, que saint Luc a écrit primitivement en grec les
Actes des Apôtres ; car nous fondons notre assertion et
sur le sentiment unanime des critiques dont le jugement
peut être de quelque poids en cette matière, et ^sur le
texte grec lui-même, qui en indiquant manifestement une
composition originale, ne laisse apercevoir aucune trace
de version.
(1) Michaëlis. Introd. an N. T, tome m, pag. 407, 408. — Ajou-
tons que bien qu'il ne soit pas démontré qu'il n'y ait point eu un long
intervalle de temps entre la composition de l'Évangile de saint Luc et
celle du livre des Actes, la chose paraît cependant assez probable;
voyez ce que nous avons dit à ce sujet, pag. 150.
(2) Hieronym, loc. citât.
LES ACTES DES APOTRES. 42t
CHAPITRE QUATRIÈME.
DE LA DIVLMTÉ DES ACTES DES APOTRES.
L'autorité divine des Actes des Apôtres a rencontré
les mêmes adversaires que la divinité des Évangiles,
c'est-à-dire les anciens incrédules, les rationalistes, les
partisans de l'interprétation mythique, etc. Nous ferons
remarquer ici que Michaëlis a prétendu que saint Luc
n'ayant été qu'un simple compagnon d'apôtre, n'avait
point reçu le don de l'inspiration divine, et que par con-
séquent les Actes, pas plus que son Évangile et celui de
saint Marc, n'était un ouvrage divinement inspiré. On
trouvera peut-être que nous aurions dû rapporter l'opi-
nion de ce savant dans le chapitre consacré à la divinité
des Evangiles, mais il nous a semblé que le rapport même
sous lequel nous avions envisagé ce point doctrinal ne
nous permettait pas de le discuter en cet endroit , et
qu'il trouverait encore ici assez naturellement sa place.
PROPOSITION.
Les Actes des Apôtres sont un livre divin.
Il faut bien remarquer que cette proposition, dont l'é-
noncé exprime une des vérités de la foi catholique, étant
établie non seulement contre Michaëlis , mais aussi contre
les différens adversaires que nous venons de signaler
dans les observations préliminaires, les preuves suivan-
tes ne s'appliquent pas à tous, ou du moins de la même
manière.
1. Saint Luc, comme nous l'avons démontré au cha-
pitre deuxième, étant l'auteur des Actes des Apôtres,
il s'ensuit nécessairement qu'il a été favorisé, en les
428 DE LA DIVINITÉ
composant, du secours de l'inspiration divine, puisque
l'Évangile qui porte son nom et qui est son ouvrage a
été divinement inspiré; nous l'avons également prouvé
ailleurs (pag. 318-322). Ainsi les Actes des Apôtres ont
été écrits par l'inspiration divine. Si l'on nous demande
sur quoi nous fondons cette conséquence, nous avons à
répondre qu'elle découle nécessairement de la nature
même du livre des Actes, qui ne fait qu'un ouvrage avec
l'Evangile de saint Luc, dont il est simplement la seconde
partie. Aussi est-ce avec raison qu'on a déjà remarqué
avant nous que si l'Evangile nous décrit le grain de fro-
ment jeté dans la terre et semé dans le champ, les Actes
nous le représentent à l'état de germe qui pousse, de
plante qui s'élève, et d'arbre produisant son fruit (1).
Nous ajouterons que cette conséquence se trouve encore
suffisamment légitimée par le témoignage de toute l'an-
tiquité chrétienne, qui n'a mis aucune différence entre
l'autorité des Actes et celle de l'Evangile, comme on va
le voir par les preuves suivantes.
2. Ujie seconde preuve qui milite en faveur de la di-
vinité du livre des Actes, c'est qu'il se trouve compris
parmi les écrits divinement inspirés dans tous les canons
ou catalogues sacrés des saintes Ecritures ; et s'il a été
rejeté, c'est uniquement par quelques hérétiques, tels que
les marcionites et les manichéens, qui l'ont proscrit, en
effet, de leur canon, parce que leurs erreurs s'y trou-
vaient trop clairement condamnées. Mais ce fait même
ne confirme-t-il pas la canonicité de ce livre au lieu de
la détruire ou de la diminuer ?
3. Mais outre que les Actes figurent dans tous les ca-
(1) Yoy. D. Calmet, Préface sur les Actes des Apôtres.
DES ACTES DES APOTRES. 429
nons dressés par les chrétiens , ils ont encore été lus
de tout temps dans l'Eglise comme Ecriture sainte ; ce
qui est un des caractères les plus sensibles de leur in-
spiration divine.
4. Tous les saints pères, sans exception , ne se sont
pas bornés à de simples citations empruntées aux Actes ;
ils leur ont reconnu l'autorité de la parole m,ême de
Dieu, et c'est à ce titre qu'ils les ont allégués aux païens
comme aux chrétiens, aux hérétiques comme aux fidèles
orthodoxes. De là vient qu'OEcuménius ne craint pas
de donner à ce livre le beau nom d'Evangile du Saint-
Esprit (1) , et que selon saint Augustin , saint Luc y a
mis tout ce qu'il a cru nécessaire pour édifier la foi de
ceux qui le liraient ou l'entendraient lire , et qu'il l'a
écrit de manière qu'entre un grand nombre d'ouvrages
qu'on a faits sur l'histoire des apôtres, le sien seul a été
reçu par l'Église comme digne de foi, tandis que tous
les autres ont été rejetés comme ne méritant pas la même
confiance (2). De là vient enfin que saint Chrysostome
assure que ce livre peut nous être aussi utile que les
Evangiles mêmes, soit pour le règlement de nos mœurs,
soit pour établir les points de la doctrine; car nous y
voyons l'accomplissement de plusieurs prédictions faites
par le Sauveur ; telles, par exemple, que la descente du
Saint-Esprit, et le changement prodigieux qu'il a opéré
dans l'esprit et dans le cœur des apôtres . Nous y voyons
non seulement le modèle de la perfection chrétienne
pour les simples fidèles, dans les premiers chrétiens de
Jérusalem, mais encore le type de la sainteté pour ceux
(1) OEcumenius, in Acta, pag. 20.
(2) August. De consens. Evangel, c. viii, n. 9.
430 I>E LA DIVINITÉ
qui gouvernent l'Église , dans la vertu incomparable
des apôtres, et surtout dans leur union et dans leur cha-
rité parfaite . Nous y apprenons aussi des dogmes qui
ne se trouvent dans aucun autre livre de l'Ecrilure av€C
la même clarté ; bien plus , celui-là même d'où décou-
lent toutes les autres vérités de la religion , si le livre
des Actes n'eût pas été publié , serait resté enveloppé
de ténèbres impénétrables (1).
5. La raison sur laquelle Michaëlis se fonde pour re-
fuser le secours surnaturel de l'inspiration aux Actes
des Apôtres , est que saint Luc , leur auteur , n'ayant
pas été apôtre, mais seulement compagnon de l'apôtre
saint Paul, n'a point été inspiré (2). Or, cette raison, dès
qu'on l'examine avec quelque attention, paraît bien peu
solide. En effet, comment Michaëlis pourrait-il démon-
trer que l'Esprit saint n'a pu favoriser de sa divine
inspiration un écrivain du Nouveau-Testament , par
cela seul qu'il n'avait pas fait partie des apôtres du
Sauveur? Mais s'il est impossible de fournir une preuve
réelle de cette nature, le savant critique n'a aucun droit
légitime dans sa prétention. D'ailleurs, de bonne foi,
s'imaginera-t-on que Dieu, qui a voulu que l'histoire de
l'établissement et des premiers progrès de la religion
chrétienne fût conservée par écrit, n'ait pas accordé le
secours de son inspiration à l'écrivain compagnon des
disciples fidèles, de celui qui joue dans les Actes le rôle
le plus considérable? surtout si l'on considère que cette
histoire, comme nous l'avons répété si souvent, n'est en
(1) Chrysost. Homil. i in Acl.
(2) J. D. Michaëlis, Inlrod. au I\^. T. lome i, 129-145j tome m,
281-285.
DES ACTES DES APOTRES. 431
réalité que la continuation et le complément de l'his-
toire évangélique , et qu'elle a été composée dans des
circonstances où l'Esprit saint répandait avec tant
d'abondance ses dons et ses grâces sur les apôtres et
sur leurs disciples. 11 nous semble au contraire à nous
que la position toute particulière de saint Luc vis-à-vis
de saint Paul est, pour un lecteur attentif du livre des
Actes , une preuve sensible qu'il a été choisi spéciale-
ment de Dieu pour laisser à l'Eglise un monument fidèle
et sûr de la fondation divine du christianisme. Or, ne
convenait-il pas que l'écrivain chargé d'une mission
aussi importante, et en même temps aussi difficile, reçût
le secours surnaturel qui ne fut refusé ni aux histo-
riens ni aux prophètes de l' Ancien-Testament? Mais
opposons à l'autorité de Michaëlis, protestant, les rai-
sonnemens d'un autre protestant, qui, malgré son grand
respect pour les livres saints, ne se montre pas tou-
jours assez sévère dans ses principes sur l'inspiration ,
et dont par conséquent le témoignage ne devra point
paraître suspect ; nous voulons parler de J.-E. Cellérier.
Voici comment il répond au critique allemand :
((L'inspiration des livres saints écrits par les apô-
tres repose principalement sur trois ordres d'argu-
mens : la nature des choses , la tradition antique , et la
nature des livres. Les livres des compagnons des apôtres
seraient-ils privés des mêmes appuis , et quelqu'une de
ces trois classes de preuves leur serait- elle refusée? En
d'autres termes , l'hypothèse de Michaëlis est-elle ap-
puyée sur une difPérence essentielle dans la position des
deux évangélistes dont il s'agit (saint Marc et saint Luc),
ou bien sur les témoignages historiques dont leurs
écrits sont l'objet , ou bien encore sur le caractère de
432 ÎJE LA DIVINITÉ
ces écrits? — 1° Il faut accorder à Michaëlis que les
promesses d'inspiration n'ont été faites immédiatement
qu'aux apôtres seuls , et que Marc et Luc ne nous ont
laissé aucune preuve individuelle en faveur de la divi-
nité de leurs écrits. Mais on conviendra aussi que ce .
n'est pas là une démonstration de leur non inspiration ;
ce n'est pas même un argument direct, ce n'est que
l'absence d'une preuve qui reste à fournir. Si on la four-
nit de quelque autre côté , l'objection s'évanouit par
cela même , et elle serait bien faible lors même qu'on
ne la fournirait pas ; car s'il n'y a pas de preuve écrite
que Marc et Luc aient été inspirés, leur position rela-
tivement aux apôtres le rend cependant bien probable.
Cette probabilité résulte de ce que les apôtres s'asso-
cièrent divers disciples pour les aider , non seulement
dans l'administration de l'Église, mais dans la prédica-
tion de l'Evangile. Ils leur communiquèrent , pour cet
effet, les dons du Saint-Esprit, que ceux-ci purent même
communiquer à d'autres. Or, nous avons ici deux des
plus dévoués et des plus actifs de ces disciples, qui vé-
curent très-long-temps avec eux , qui furent constam-
ment leurs associés dans cette œuvre, et dont la fonction
spéciale fut d'écrire l'histoire évangélique. Maintenant,
je le demande, est-il ou non probable que les deux apô-
tres qui étaient leurs maîtres, leurs amis et leurs pères
spirituels, ne leur aient pas communiqué les dons mi-
raculeux dont ils avaient besoin (1) ? Nous pouvons aller
(1) Que saint Marc et saint Luc aient reçu le don de l'inspiration
par l'entremise des apôtres, comme le dit M. Ccliérier, ou bien qu'ils
l'aient reçu immédiatement de l'Esprit saint, ce qui nous paraît plus
fonde, l'argument n'en conserve pas moins sa force contre l'opinion
de Michaëlis.
DES ACTES DES APOTRES. 4 33
plus loin encore; Michaëlis, pour prouver l'inspiration
des apôtres, insiste (tome i, pag. 119) sur un passage
digne d'attention, 1 Cor. xii, 28 ; Dieu a établi dans
r Eglise, premièrement, les apôtres; secondement, lesfro-
pliètes ; en troisième lieu, les docteurs ; puis ceux qui ont le
don des miracles, ensuite ceux qui ont le don de guérir
les malades. Il en conclut avec raison, que puisque les
apôtres sont nommés avant les prophètes, ici et dans le
verset suivant [Tous sont-ils apôtres, tous sont-ils pro-
phètes, tous sont-ils docteurs, tous ont-ils le don des mi-
racles?), ils occupaient dans l'Église un rang plus dis-
tingué, et jouissaient de dons spirituels au moins égaux.
Dans le même endroit, il affirme que le troisième ordre,
celui des docteurs, comprenait les compagnons des apô-
tres, comme Luc, Marc, Tite et Timothée. Mais n'en ré-
sulte-t-il pas aussi que ces docteurs, placés avant tous
ceux qui n'ont que les dons des miracles, avaient comme
eux en partage des facultés surnaturelles qui s'appli-
quaient à leurs vocations particulières; c'est-à-dire en
d'autres termes, qu'ils étaient inspirés comme les apô-
tres et les prophètes ? N'est-il pas évident d'ailleurs que
ce passage désigne conjointement tous ceux qui avaient
reçu le Saint-Esprit, avec des dons extraordinaires, une
mission spéciale pour enseigner et gouverner l'Église?
Au besoin nous trouverons dans les Épîtres de saint
Paul une preuve plus directe encore.
« L'Apôtre, en effet, écrit septde ses Épîtres, non seu-
lement en son nom, mais encore en celui de Timothée,
de Sosthènes et de Sylvain. Il les place donc presque
sur la môme ligne que lui, il appuie ses conseils sur
leur autorité, et il rend par là un témoignage évident à
leur inspiration. Si Timothée et Sylvain ont été inspi-
V. J9
434 DE LA DIVINITÉ
rés, Luc et Marc, qui occupaient la même place auprès
des apôtres, ont du l'être comme eux, et peut-être à
plus forte raison qu'eux, vu la tâche qui leur a été con-
fiée (1).
2° « Bien loin que l'hypothèse de Michaëlis soit le
moins du monde fondée sur des témoignages histori-
ques , dans les premiers temps de l'Eglise, on ne peut
pas apercevoir la moindre différence d'autorité entre les
quatre Évangiles. On peut consulter là-dessus Lardner,
Schmidius, etc. ; je rappellerai seulement deux passages
d'Irénée.Cepère, au milieu du second siècle, affirmait
en combattant les hérétiques (2), qu'il ne pouvait y avoir
que quatre Évangiles; que nos quatre Évangiles cano-
niques étaient comme les quatre points cardinaux, les
quatre vents, quatre colonnes vivantes sur lesquelles
reposait l'Église, etc. Ce ne sont pas là, si l'on veut, des
images bien choisies, mais le témoignage n'en est pas
moins positif. Le même père se plaint ailleurs (3) avec
amertume, que Marcion ait osé préférer son autorité à
celle des aiiôtres, en mutilant l'Evangile de saint Luc.
Il est vrai qu'Irénée regardait les Evangiles de Marc q\
de Luc comme n'étant qu'un résumé des leçons de Pierre
et de Paul; mais avec cela, s'il n'eût pas reconnu aux
(1) « Dans ces noms dont l'Apôtre accompagne le sien, Michaëlis
ne voit que les secrétaires qui ont écrit la lettre. Mais les secrétaires
étaient plutôt des serviteurs que des compagnons; quand ils se nom-
ment, c'est à la fin de l'épîtie et non au commencement (Rom. xvi,
22). Comment expliquer d'ailleurs par cette supposition les titres
où saint Paul réunit deux noms divers au sien (l Thess. i, 1 ; 2 Thess.
I, 1)? Ces épîtres-là étaient-elles donc de deux mains diliérentesî »
(2)Iren. Adv. hœres. L m, c. ii, n. 8, 0.
(3) Iren. ibid. L i, e. xxix.
DES ACTES DES APOTRES. 435
deux évangélistes une autorité personnelle, il n'est guère
probable qu'il se fût exprimé d'une manière aussi forte
et qu'il eût mis les quatre historiens de Jésus-Christ
absolument sur la même ligne (1). On a prétendu que
quelques pères, en insistant, pour augmenter l'autorité
de saint Luc et de saint Marc, sur ce qu'ils avaient été
guidés par Pierre et par Paul, infirmaient par cela même
leur inspiration. Il faudrait pour cela que les mêmes
pères eussent eux-mêmes montré quelques doutes sur
cette inspiration, ou attribué quelque infériorité aux
deux Évangiles dont il s'agit; mais comme il n'en est
rien, on ne peut en conclure autre chose, sinon qu'ils
croyaient que l'inspiration n'excluait pas l'influence des
causes secondes, et l'usage des directions et des con-
seils. Michaëlis rabaisse trop, à mou avis, l'autorité du
témoignage de la première Eglise sur un fait qu'elle
seule a pu connaître, et sur lequel nous avons par
nous-mêmes fort peu de données (2).
3° «La nature des livres de Luc et de Marc enfin nous
contraindrait-elle à faire une distinction entre eux et ceux
de Matthieu et de Jean ? Qu'on lise les uns et les autres
et que l'on prononce. Cet examen serait bien plus dé-'
(1) Nous ajouterons que si saint Luc a dans son ï^vangile une au-
torité égale à celle de ^int Matthieu et de saint Jean, c'est-à-dire
s'il a été divinement inspiré comme eux, on ne voit pas pourquoi il
aurait été privé du secours de Tinspiration quand il a composé les
Actes des Apôtres.
(2) Michaëlis n'a fait, selon nous, qu'user de la liberté que laisse à
tout protestant un des principes fondamentaux de la réforme. Ainsi
l'argument de M. Cellérier, qui en lui-même est sans réplique, pa-
raît de nulle valeur dans sa propre bouche, et prouve la fausse po-
sition oii le protestantisme place tous ceux qui l'ont embrassé.
436 DE LA DIVINITÉ
cisif encore si les lecteurs impartiaux venaient à com-
parer ces écrits avec les Évangiles apocryphes dont la
première Eglise fat inondée : les ombres du tableau leur
feraient plus admirer encore la lumière du premier plan,
et voyant dans les ouvrages de nos quatre historiens la
même simplicité, à la fois naïve et sublime, la même ab-
sence d'art, de recherches et d'affectation, la même ten-
dance à l'utile, ils n'imagineraient pas de distinguer
entre ces quatre récits, et de regarder les uns comme
l'ouvrage de Dieu, les autres comme celui de l'homme.
(( Il est une circonstance, en particulier, que je de-
mande la permission de faire observer. Presque tous
les Évangiles apocryphes se sont donné large carrière
sur V Evangile de l'enfance, c'est-à-dire sur l'histoire de
l'enfance et de la première jeunesse du Sauveur; ils
l'ont remplie de leurs chimères à la fois puériles et ab-
surdes, souvent odieuses, toujours inutiles. On ne peut
s'en étonner : il est tout naturel que l'imagination des
chrétiens peu éclairés se soit beaucoup occupée de cette
partie de la vie de JÉscs ; il est tout simple que le si-
lence des évangélistes ait contribué à exciter leur curio-
sité ; mais par cela même, ce silence est étrange, si les
évangélistes ne sont pas inspirés, si l'esprit qui les di-
rige ne les apprend pas à rejeter ce qui n'est que cu-
rieux, à retenir ce qui est bon (1).
((On nous fait cependant une objection spécieuse:
Saint Luc ne prétend point à l'inspiration dans son pro-
logue, il ne demande à être cru que parce qu'il a été
(1) La différence des Actes des Apôtres par saint Luc avec les
Actes apocryphes n'est ni moins frappante, ni par conséquent moins
favorable à îa divinité des premiers.
DES ACTES DES APOTRES. 437
bien informé. Je répéterai ici la réponse que j'ai déjà
faite à une objection du même genre. Cela prouve, non
que saint Luc ne fut pas inspiré, mais que l'inspiration
n'anéantissait pas l'action des causes secondes. Si, parce
qu'il en appelle à ses travaux et à ses recherches, il n'a
pas droit de prétendre à l'inspiration, il faudra donc
aussi la refuser à saint Jean et à saint Pierre, qui deman-
dent tous deux à être crus, parce qu'ils n'annoncent que
ce qu'ils ont entendu, vu, touché. L'examen de ce troi-
sième ordre de preuves ne nous conduit donc pas plus
que celui des deux autres à nier l'inspiration de Luc et
de Marc (1).»
La véritable base sur laquelle Michaëlis a élevé son
hypothèse, est, comme le remarque encore Cellérier,
que de temps en temps les évangélistes se contredisent,
et comme cela ne peut arriver à des hommes infaillibles,
il faut nécessairement que tous n'aient pas reçu le se-
cours surnaturel de l'infaillibilité et de l'inspiration.
Mais alors il est probable que ce sont les apôtres qui
ont été favorisés de ce divin privilège, et non point leurs
compagnons. D'abord personne ne saurait démontrer
d'une manière satisfaisante que les évangélistes se con-
tredisent quelquefois ; les contradictions qu'on croit re-
marquer lorsqu'on les compare les uns avec les autres
ne sont qu'apparentes. Chaque jour, d'habiles inter-
prètes, soumettant à un examen plus approfondi cer-
tains passages qui paraissaient d'abord inconciliables,
parviennent à les concilier sans violer pour cela les
lois les plus sévères de la critique et de l'herméneuti-
(1) J. E. Cellérier, E'isai d'une iniroducùon criiique au lYouveau-
Tealamenlypwj. 380 Gluuiv.
438 DES BEAUTÉS LITTÉRAIRES
qtie. En second lieu, ces prétendues contradictions ne
se trouvent pas seulement entre les apôtres et leurs dis-
ciples, mais entre les apôtres eux-mêmes. Ainsi on a
mis plus d'une fois en opposition saint Matthieu et saint
Jean. Si donc le système de Michaëlis sur l'inspiration
prouvait quelque chose, il prouverait beaucoup trop,
eomme on le voit ; il prouverait contre Michaëlis lui-
même. Et pour en revenir à saint Luc, considéré comme
auteur des Actes, notre savant critique n'aurait quelque
droit de lui contester l'inspiration divine qu'autant qu'il
démontrerait que cet historien est tombé au moins une
fois dans l'erreur, qu'il contient quelque chose de con-
traire à ce que rapporte un écrivain inspiré. Or, c'est ce
qu'on n'a jamais pu faire jusqu'à ce jour, puisqu'il n'est
pas une seule difficulté à laquelle les interprètes n'aient
donné une solution au moins aussi solide que la diffi-
culté elle-même.
6. Enfin l'Eglise universelle et infaillible en mettant
les Actes des Apôtres au nombre des écrits canoniques
du Nouveau-Testament , a par là même reconnu que
ce livre était muni du sceau de l'inspiration divine; et
cette autorité suffit seule pour autoriser et même com-
mander notre foi sur ce point.
CHAPITRE CINQUIEME.
DE L'ÉLOCUTIOX et DES BEAUTÉS LITTÉRAIRES
DES ACTES DES APOTRES.
1. Le style de saint Luc dans les Actes des Apôtres
est en général plus pur que celui de la plupart des au-
tres livres du Nouveau-Testament. Mais cette pureté se
DES ACTES DES APOTRES. 439
fait sentir surtout dans les discours prononcés par saint
Paul à Athènes et devant les gouverneurs romains; dis-
cours qui contiennent d'ailleurs des passages supérieurs
à tout, même à l'Épître aux Hébreux, dont le langage
pourtant est préférable, à d'autres égards, à celui de
tous les autres écrits de la Nouvelle Alliance. Cepen-
dant, il faut bien en convenir, les Actes ne sont pas pour
cela exempts d'hébraïsmes ; car on en trouve même
dans les discours de saint Paul, le grand apôtre parlant
en effet quelquefois le langage d'un Juif de naissance.
A ces réflexions empruntées de Michaëlis, nous ajoute-
rons les suivantes. Une belle simplicité, jointe à un cer-
tain air de facilité et d'aisance qui charme le lecteur,
forme un des caractères principaux de la narration de
saint Luc ; il semble n'éprouver nulle part ni gêne ni
embarras ; aussi le voit-on passer sans effort d'une idée
à l'autre. Sa marche n'est jamais précipitée; on dirait
même qu'il trouve constamment sous ses pas un chemin
égal et uni. Toutefois cette régularité ne dégénère point
en monotonie fastidieuse; elle se trouve tempérée de la
manière la plus heureuse par quelques discours, exhor-
tations ou harangues, que le sujet lui-même semble, aussi
bien que l'art de l'écrivain, amener de temps en temps
dans le récit historique. Un autre genre de mérite qui se
remarque aisément dans l'élocution du livre des xActes
des Apôtres, c'est que l'écrivain sacré fait parler chaque
personnage comme on sent naturellement qu'il doit
s'énoncer. Nous citerons ici les propres expressions de
Michaëlis : a 11 est bon de remarquer que saint Luc a
bien soutenu le caractère de tous ceux qu'il a introduits
débitant une harangue publique, et a conservé fidèle-
ment et avec bonheur la manière de parler qui était
440 DES BEAUTÉS LITTÉRAIRES
particulière à chacun de ses orateurs. Saint Luc rapporte
les discours de saint Pierre avec la même simplicité
avec laquelle ils étaient prononcés, et sans les orne-
mens que nous trouvons d'ordinaire dans les discours
des Grecs et des Romains. Les discours que saint Paul
prononça devant une assemblée juive ne sont pastrès-
différens pour la manière de ceux de saint Pierre ; et ils
sont tout-à-fait dissemblables à ceux que le même
apôtre tint devant un auditoire païen, surtout dans les
Actes, XIII, 16-il, où saint Paul amène le principal su-
jet de son discours par une longue périphrase, qui n'au-
rait été ni instructive ni intéressante partout ailleurs
que dans une synagogue juive. Le discours du martyr
saint Etienne au chapitre vu des Actes est encore très-
différent . C'est un discours savant, prononcé par un ora-
teur qui n'entendait rien à l'art oratoire. Etienne parla
sans préparation, et quoiqu'il eût certainement en vue
un but particulier vers lequel tendent les diverses par-
ties de son discours, il est difficile de découvrir ce but,
parce que ses matériaux ne sont pas disposés régulière-
ment. Il est vrai qu'on l'interrompit et qu'il ne put ache-
ver sa harangue, mais un orateur qui est accoutumé à
parler en public, et qui sait distribuer les parties de son
discours avec méthode, découvre dès le commencement
le but auquel il veut arriver (1) .»
2. Le livre entier des Actes fournit au littérateur des
modèles admirables de plus d'un genre. Les narrations
et les descriptions sont toutes d'un naturel et d'un
charme inimitables. C'est surtout à ce genre qu'on peut
appliquer ce que nous venons de dire du naturel c> t de
(t) J. D. Mychaëlis, Intiod. au iV. T. tome m, pay. 416.
DES ACTES DES APOTRES. 441
cet air de facilité et d'aisance qui forme un des carac-
tères principaux de l'historien sacré. Les tableaux ne se
distinguent pas moins par la variété des couleurs, que
l'habile peintre dispense toujours avec un rare talent,
suivant la nature des objets qu'il doit représenter. Nous
le répétons, si nous voulions produire des exemples à
l'appui de ce que nous avançons, nous ne trouverions
pas une seule page dans tout le livre qui ne méritât
d'être citée. Quant aux discours, on voit facilement à la
simple lecture que s'ils n'ont pas tous un mérite égal, il
n'en est pas un seul qui ne renferme des traits dignes
d'admiration. Car, dans ceux mêmes qui paraissent le
moins soumis aux règles de l'art oratoire, ce défaut se
trouve racheté par une abondance de pensées nobles et
frappantes, qui excitent au plus haut degré l'intérêt du
lecteur. En un mot, la beauté et l'importance du sujet lui-
même font aisément oublier lesimperfections de la forme.
Cependant il en est deux surtout qui, même considérés
comme compositions oratoires, ont concilié l'admira-
tion et mérité les éloges des maîtres les plus habiles dans
l'art de bien dire ; nous voulons parler du discours de
saint Paul en présence de l'aréopage assemblé, et des
adieux qu'il fit en partant de Milet. Le lecteur ne nous
saura pas mauvais gré sans doute, si nous examinons en
détail ces deux belles pièces d'éloquence.
Et d'abord le discours du grand Apôtre prononcé de-
vant l'aréopage (xviii, 22-31) renferme dans le court
espace de dix versets tout ce qu'il convenait de dire à
des auditeurs instruits , mais qui n'avaient pourtant pas
la connaissance du vrai Dieu. Saint Paul dans cette oc-
casion avait de grands obstacles à vaincre, de forts pré-
jugés à ménager; cependant, sans avilir son ministère
19.
442 DES BEAUTÉS LITTÉRAIRES
sublime par une lâche complaisance , il sut dire toute
vérité sans offenser personne. Voulant gagner à la cause
de Jésus-Gerist ces Grecs fiers et orgueilleux devant
lesquels il avait osé prendre la parole, il devait leur ap-
prendre et à rejeter l'idolâtrie dans laquelle ils étaient
si profondément enracinés, et à reconnaître le Dieu in-
visible qui gouverne toutes choses ; il devait leur indi-
quer les moyens de parvenir à la connaissance de cet
être caché, enfin leur annoncer le Christ, par qui seul
il est donné aux hommes de parvenir au salut. Or, les
moyens oratoires qu'il emploie sont incontestablement
les plus propres â obtenir cette noble fin. a Athéniens,
il me semble que vous portez plus loin que tous les au-
tres peuples la religion envers les dieux; car, en parcou-
rant vos temples et en regardant les objets de votre
culte, j'ai trouvé un autel dédié au Dieu i>xoxxu. Mais
ce Dieu que vous adorez sans le connaître est celui que
je vous annonce. C'est lui qui a créé le monde et tout ce
qu'il contient dans sa vaste étendue ; ce Dieu, qui est
le maître souverain de la terre et du ciel, n'est point ren-
fermé dans des temples élevés par la main des hommes ;
riche de son propre fond, il n'a que faire des ouvrages
et du secours des mortels, puisque c'est lui-même qui
donne le souffle et la vie à tout ce qui respire. C'est lui
qui a fait naître tous les hommes d'un seul, qui leur a
donné toute l'étendue de la terre pour l'habiter, en dé-
terminant les temps de la durée des peuples et les limites
de leur demeure ; afin qu'ils cherchent Dieu, qu'ils s'ef-
forcent de le trouver, quoiqu'il ne soit pas loin de cha-
cun de nous. Car c'est en lui que nous avons la vie, le
mouvement et l'être ; et comme quelques-uns de vos
poètes ont dit : Nous sommes les enfâus deDlEU même.
DES ACTES DES APOTRES. 443
Puis donc que nous sommes les enfans de Dieu, nous
ne devons pas croire que la Divinité soit semblable à
l'or, à l'argent ou aux pierres auxquelles l'art et le génie
de l'homme ont donné des figures. Mais Dieu ayant
laissé passer (1) ces temps d'ignorance, annonce mainte-
nantà tous les hommes qu'ils fassent partout pénitence ;
parce qu'il a arrêté un jour pour juger le monde selon
la justice, par celui qu'il a destiné à en être le juge ; ce
qu'il a prouvé à tous les hommes en le ressuscitant
d'entre les morts.» — Ce qui frappe surtout dans ce dis-
cours, c'est l'adresse et l'art avec lequel procède l'ora-
teur sacré, en annonçant la vérité aux Athéniens parla
bouche même de leurs poètes et de leurs philosophes.
C'est sans doute l'emploi le plus heureux qu'on pût faire
de la précaution oratoire, qui, comme on le sait, con-
siste dans certains ménagemens que l'orateur doit
prendre pour ne point blesser la délicatesse de ceux de-
vant qui ou de qui il parle, dans des tours étudiés et
artificieux dont il se sert pour dire de certaines choses,
qui autrement paraîtraient dures et choquantes (2) . Saint
Paul en effet avait à faire goûter la morale et la doctrine
de l'Évangile à des épicuriens, à des stoïciens et à des
païens insensés. Il fallait, tout en tendant à son but, évi-
ter avec soin de blesser les préjugés divers de ceux qui
composaient son auditoire. Aussi rien n'est plus admi-
rable que l'adresse avec laquelle il s'insinue dans l'es-
(1) Le mot grec que la Vulgate a rendu par despiciens est ■l'Ktp'.oàvf
verbe auquel les Septante donnent très-souvent le sens de ne pas
s'occuper {non curare], ne pas examiner avec sévérité [sine animad-
versione severa relinquere). Au reste, voyez les commentateurs sur ce
passage.
(2) fyoWinf Traité des éludes, l. ni, c/mii, § vi.
444 DES BEAUTES LITTERAIRES
Xjrit de ses auditeurs : « Athéniens, il me semble que vous
portez plus loin que tous les autres peuples la religion
envers les dieux.» Par une adresse et une habileté non
moins remarquables, il fait concourir au dessein de prê-
cher un Dieu ennemi de toutes les idoles, les poètes
mêmes à la voix desquels ces fausses divinités avaient
été fabriquées, et des temples avaient été érigés en leur
honneur. A l'aide de ce moyen, il réussit à se faire écou-
ter et par des épicuriens qui niaient l'existence d'une
cause intelligente, créatrice de l'univers; et par des
stoïciens, ennemis d'une Providence paternelle et tou-
jours vigilante ; et par des Juifs remplis d'erreurs sur
la nature et les perfections de Dieu. L'imprécation ne
lui eût attiré que le mépris, le tour qu'il a adopté lui
concilie l'attention . Athènes décernait le dernier supplice
contre les auteurs d'un culte nouveau, et saint Paul a le
talent de lui prêcher un Dieu qu'elle ignore, sans lui
donner le moyen de le condamner. En effet, la religion
qu'il vient annoncer aux Athéniens n'est pas nouvelle
pour eux ; il vient seulement leur manifester le Dieu
qu'ils adorent sans le connaître, et que leurs pères ont
aussi honoré. Mais remarquons encore ici l'habileté du
grand Apôtre ; il ne dit point aux Athéniens que ce Dieu
INCONNU qu'il veut leur faire connaître est le Dieu d'I-
saac et de Jacob; ces dénominations empruntées des
anciens prophètes ne devaient être naturellement em-
ployées que devant des Hébreux; mais il le leur désigne
par des idées purement philosophiques, qui avaient été
exprimées déjà avant lui par tout ce qu'Athènes révé-
rait le plus parmi les grands hommes. Platon avait dit
que le monde était V ouvrage des dieux; Euripide, que
Dim était trop grand pour être renfermé dans des tem-
DES ACTES DES APOTRES. 445
pies. La fable de Prométhée indique assez clairement /a
formation du premier homme. Plusieurs poètes avaient
souvent chanté que tout était plein de Jupiter ; Homère
et quelques autres, que l'homme était de la race des
dieux. Ainsi, par une admirable finesse, saint Paul se
concilie l'attention de tous, tend heureusement à son but
sans heurter les préjugés de ses auditeurs, qui ne trou-
vent dans ce discours rien que de naturel, et qui ne peu-
vent même qu'être flattés en voyant l'éloge qu'un étran-
ger fait de leurs philosophes et de leurs poètes. Poursui-
vons notre analyse. Le dessein véritable de l'orateur
sacré en établissant ainsi l'excellence de l'homme, n'est
pas de flatter l'orgueil et l'amour-propre des Athéniens ;
c'est simplement une précaution oratoire qu'il emploie
pour réfuter plus librement l'idolâtrie, obstacle fonda-
mental au succès de la cause qu'il voudrait faire triom-
pher. C'est évidemment comme s'il disait : Si l'homme
est d'une nature aussi sublime et aussi relevée , quelle
idée devons-nous nous former du Dieu qui a créé
l'homme et qui lui a donné tout ce qu'il possède? Pou-
vons-nous croire avec quelque apparence de raison que
ce Dieu soit semblable à la pierre, à l'or, à l'argent,
aux ouvrages de l'art? — Un orateur aussi zélé que saint
Paul, mais moins habile, se serait certainement livré à
toute l'impétuosité de son zèle pour reprocher aux Athé-
niens les dogmes monstrueux qui composaient leur re-
ligion ; mais ce moyen, qui semble d'ailleurs fort natu-
rel, puisqu'il est généralement très-propre non seule-
ment à faire briller davantage !e talent de l'orateur,
mais encore à produire un effet salutaire sur l'auditoire,
avait cependant un danger, celui d'irriter les Athéniens,
qui, bientôt revenus de la première impression qu'au-
446 DES BEAUTÉS LITTÉRAIRES
raient pu leur faire des paroles énergiques et sévères,
n'auraient pas manqué de s'élever contre l'excessive
hardiesse d'un inconnu qui, en présence de l'assemblée
la plus auguste, osait vouer au mépris et à l'exécration
publique le culte que la nation entière avait de tout
temps professé. Aussi le grand apôtre s'y prend-il tout
autrement; jetant un voile sur les horreurs et les abo-
minations de ce culte, il se contente de les appeler des
tetnps d'ignorance que Dieu veut bien oublier, en les in-
vitant à la pénitence pour les prémunir contre le juge-
ment qu'il doit faire des hommes par celui qu'il a éta-
bli juge de tous, et qu'il a proclamé comme tel et comme
son véritable envoyé, en le ressuscitant d'entre les
morts. Il semble que saint Paul eût pu s'étendre da-
vantage sur la dignité et les mérites du Sauveur ; mais
s'il ne l'a point fait, c'est qu'il a jugé avec raison que
s'adressant à des hommes qui n'étaient nullement pré-
parés à ce qu'il aurait pu ajouter en faveur de Jésus, la
réserve lui était par là même suffisamment commandée.
On objectera peut-être que ce discours, quelque habile-
ment conçu que nous le supposions, n'a cependant pas
converti tous ceux qui l'entendirent; mais outre que
Dieu dispense à son gré les grâces qui amènent les
hommes à lui, on ne saurait disconvenir que les paroles
de l'Apôtre ne furent pas sans fruit, puisque, parlant de
Jésus-Christ, il fut écouté avec attention, et que Denis
l'aréopagite, ainsi qu'une femme nommée Damaris, et
plusieurs autres personnes qui l'avaient entendu, em-
brassèrent la foi chrétienne.
Un autre discours de saint Paul qui n'est pas moins
digne d'admiration que le précédent, c'est celui que fit
le saint apôtre aux prêtres de réglise d'Éphèse, qu'il
DES ACTES DES APOTRES. 447
avait assemblés à Milet, ville voisine, et auxquels il sou-
haitait d'autant plus vivement faire ses adieux, qu'il al-
lait les quitter pour toujours (Act. xx, 18-35). Dans le
discours à l'aréopage, saint Paul nous montre toute la
sublimité de son génie ; ici il nous fait connaître la ten-
dresse incomparable de son cœur. On le sait, le cœur
a son langage comme l'esprit a le sien, et les moyens
dont ils se servent sont différens. Or, l'Apôtre connais-
sait parfaitement les deux langues; et il savait mieux
que personne faire usage de toutes les ressources qui
sont propres à chacune de ces langues. Nous venons de
prouver dans l'analyse du discours précédent la pre-
mière partie de notre assertion ; il nous sera aussi facile,
ce nous semble, de démontrer la seconde. Voyons avant
tout le but que saint Paul se propose dans ses adieux
aux prêtres de Milet. Ce discours peut être considéré
comme l'effusion de la tendresse d'un père, qui, au mo-
ment de se séparer de ses enfans, leur met sous les yeux
les motifs les plus puissans pour les faire persévérer
dans le bien qu'ils ont généreusement embrassé. Or, le
but de saint Paul dans cette exhortation, une des plus
pathétiques qui aient jamais été adressées aux hommes,
était de maintenir les prêtres d'Ephèse dans les devoirs
que leur imposait leur qualité de pasteurs des âmes. Il
leur présente en conséquence les motifs les plus propres
à faire sur eux une impression vive et durable; voilà
pourquoi, il faut le dire en passant, l'apôtre est obligé
déparier de lui-même et de se donner pour modèle.
Ses exemples étaient trop connus des fidèles et trop ad-
mirés par les églises pour qu'il ne pût dans cette occa-
sion les rappeler à des prêtres qu'il allait quitter sans
retour, et qu'il laissait pour guides et pour docteurs aux
448 DES BEAUTÉS LITTÉRAIRES
chrétiens d'Éphèse, sans qu'il lui fût donné de leur ex-
poser à l'avenir les obligations sacrées de leur sublime
ministère. Aussi on le voit constamment attaché dans
ce discours à chercher à instruire ses auditeurs et à les
toucher , c'est vers cette double fin que tendent tous ses
efforts. Et d'abord quoi de plus propre à instruire les
prêtres d'Ephèse que le détail qu'il fait,',dès son début,
de tout ce que sa sollicitude paternelle l'avait porté à en-
treprendre pour le salut des âmes? Vous savez, dit-il,
avec quelle ardeur je me suis livré pour vous à tout ce
que demandait le salut de vos âmes ; vous savez com-
ment je me suis conduit au milieu de vous, depuis le
moment même où je suis entré en Asie. Vous n'ignorez
point que ce ne sont ni les honneurs ni les consolations
qui m'ont soutenu dans les travaux du ministère que
j'ai rempli auprès de vous. Vous savez encore que, bien
qu'abreuvé de larmes, de tribulations et d'amertume, je
ne me suis point laissé abattre ; et que les obstacles que
m'ont suscités les Juifs n'ont pas été capables de me faire
abandonner l'œuvre que Dieu m'avait confiée. Vous sa-
vez enfin que malgré toutes ces contradictions et toutes
ces traverses, animé que j'étais du seul désir de former
de vous un peuple parfait, je n'ai cessé d'annoncer à
tous la pénitence, aux Juifs comme aux gentils, en public
aussi bien que dans l'intérieur de vos maisons, et que
je vous ai instruits sans relâche dans la foi en Jésus-
Christ notre Seigneur. — Quel modèle pour les prêtres
d'Éphèse ! Quels sentimens ne devait pas réveiller dans
leurs cœurs le souvenir de tantde soins que l'Apôtre leur
avait consacrés! Rien assurément n'était plus propre à
les instruire de leurs devoirs et à préparer déjà leurs
âmes à la profonde impression qu'il voulait y laisser au
DES ACTES DES APOTRES. 449
moment de les quitter. Après avoir tracé ce tableau si
touchant de ses travaux et de sa sollicitude pour l'église
d'Ephèse, le saint apôtre continue : Et maintenant voilà
que, lié par l'Esprit saint, je vais à Jérusalem, ignorant
ce qui doit m'y arriver; si ce n'est que, dans toutes les
villes où je passe, ce divin Esprit me dit que des chaînes
et des tribulations m'y attendent.Mais je ne crains rien;
je suis prêt à exposer ma vie, pourvu que j'aie achevé di-
gnement ma course et rempli avec fidélité le ministère que
j'ai reçu du Seigneur Jésus, celui de prêcher son Évan-
gile. — Avouons qu'il serait difficile de proposer à des
prêtres qu'on voudrait instruire de leurs obligations
sacrées, un exemple tout à la fois plus puissant et plus
persuasif. L'Apôtre n'est^point encore lié par les chaînes
qui l'attendent à Jérusalem ; mais il Test par d'autres
liens bien plus forts, par ceux de la charité. Cédant sans
résistance aucune au mouvement de l'Esprit divin qui
le conduit, il se rend à Jérusalem, où il sait que des tri-
bulations lui sont destinées, et la connaissance que Dieu
lui en donna par avance ne faisant que l'enflammer da-
vantage, tout son désir est de voir sa course heureuse-
ment terminée, et quoiqu'il lui en coûte d'annoncer
l'Evangile du salut que Dieu lui a confié. Leçon admi-
rable et de la docilité parfaite qui doit distinguer le mi-
Distre de l'Eglise, et du zèle héroïque qui doit l'animer
dans l'exercice de son ministère divin! Aussi quelle im-
pression forte et vive n'a pas dû faire un tel discours
sur des enfans que Paul avait engendrés à la foi ! Il leur
avait sacrifié son repos, ses veilles, ses larmes, ses fa-
ligues et ses peines, maintenant il est prêt à donner son
sang pour eux. Mais ce qui a dû principalement frap-
per tous les esprits, déchirer tous les cœurs, et donner
460 DES BEAUTÉS LITTÉRAIRES
à ses paroles l'autorité sacrée des dernières volontés
d'un père mourant, ce sont ces mots terribles et si ha-
bilement ménagés: Et maintenant je sais que vous ne
verrez plus mon visage. Et en effet saint Luc nous ap-
prend qu'au moment de la séparation cruelle, ce qui af-
fligeait surtout les prêtres d'Eplièse, c'est que l'Apôtre
leur avait dit qu'ils ne le verraient plus (Act.xx, 38).
Mais saint JPaul n'oublie rien pour exciter dans les pas-
teurs qu'il a établis un zèle ardent pour le salut des
âmes. Il leur a déjà fait connaître le prix qu'il y a mis
lui-même, et à cette considération si puissante, il joint
celle de leur propre intérêt, de l'honneur qu'ils ont reçu
de Dieu, du prix des objets qui leur sont confiés: Soyez
attentifs sur vous-mêmes et sur tout le troupeau que le
Saint-Esprit a confié à votre garde, en vous établissant
les gouverneurs de l'Eglise de Dieu, qu'il a acquise par
son sang. Enfin, le saint apôtre ne s'en tient pas là;
pour exciter encore davantage le zèle et la vigilance des
prêtres d'Ephèse, il les prévient qu'après lui viendront
des loups ravissans pour ravager son cher troupeau; et
quels sentirnens touchans cette pensée ne lui fait-elle pas
exprimer? Il rappelle les trois ans pendant lesquels sa
sollicitude lui a fait verser tant de larmes la nuit et le
jour, puis il lève les mains au ciel pour bénir des enfans
qu'il va quitter à jamais ; il les offre à Dieu pour qu'il
veuille les conserver par sa grâce, et achever lui-même
l'ouvrage qu'il avait daigné commencer par ses mains,
afin de réunir un jour dans l'héritage céleste le pasteur
et le troupeau.
On s'attendait à voir saint Paul terminer son discours
par cette effusion de cœur qui semble une conclusion
fort naturelle. Cependant l'Apôtre en a usé tout autre-
^ DES ACTES DES APOTRES. 4&1
ment; et, si nous ne nous trompons, il nous a fourni en
cela même une nouvelle preuve de son talent oratoire.
La dernière partie d'un discours est celle qui fait ordi-
nairement dans le cœur les impressions les plus vives et
les plus durables ; il n'est donc pas étonnant que l'A-
pôtre, qui savait parfaitement que rien n'est plus à re-
douter dans un pasteur des âmes que la cupidité et l'a-
varice, ait réservé pour la fin de son exhortation une
instruction sur ces deux vices monstrueux, qui, en ra-
valant le ministre lui-même, paralysent encore son mi-
nistère; et, pour que cette instruction fît plus d'effet
sur ses auditeurs, il les rappelle toujours à son exemple :
Vous savez que je n'ai été à charge à personne pendant
tout le temps que j'ai demeuré parmi vous. Vous savez
que je n'ai exigé ni or, ni argent, et que je n'ai pas même
désiré le vêtement de personne ; mais que ces mains
que voilà ont fourni à tous mes besoins et à ceux de mes
coopérateurs dans mon ministère. Je vous ai montré
dans ma personne toute l'étendue de vos devoirs ; et si
ces motifs ne vous paraissaient pas suffisans, il en est
un auquel vous ne sauriez résister; je veux dire cet
oracle du Seigneur Jésus lui-même : Qu'il est plus heu-
reux de donner que de recevoir. — Il pouvait arriver
que saint Paul, en se donnant si souvent pour exemple,
fît naître dans l'esprit de quelqu'un de ses auditeurs
l'idée que son discours était l'ouvrage de l'orgueil ; mais,
par une sage précaution, l'orateur ne permet pas qu'on
puisse former le plus léger soupçon de cette nature; il
finit en leur mettant sous les yeux le cœur même de
Jésus-Christ, sur lequel le sien s'est formé.
452 DES COMMENTAIRES
CHAPITRE SIXIÈME.
DES COMMEMAIRES DES ACTES DES APOTRES.
Avant de donner la liste des principaux interprètes
qui ont travaillé sur les Actes des Apôtres, nous ferons
observer qu'il a déjà été question de plusieurs d'entre
eux dans la section'précédente,et que, d'un autre côté,
nous avons cru devoir signaler les travaux de quelques-
uns sur les Actes, quoiqu'ils aient composé sur un cer-
tain nombre d'autres livres de l'Ecriture des commen-
taires dont nous n'avons point parlé, parce que ces
travaux particuliers sur les Actes nous ont paru dignes
de quelque attention.
ARTICLE I.
Des commentateurs catholiques.
1. Nous citerons en tête des écrivains catholiques qui
ont commenté les Actes des Apôtres, saint Jean Cliryso-
stome, qui a composé sur ce livre sacré cinquante-cinq
homélies. On avait élevé d'abord quelques doutes sur
l'authenticité de ces homélies; mais ils ont été levés, et
les critiques les plus habiles ne font plus difficulté de
les attribuer à l'éloquent évêque d'Antioche (1). On re-
connaît généralement que saint Chrysostome s'étend
bien moins sur le texte de l'Écriture dans cet ouvrage
que dans ses autres commentaires, et qu'il n'y est pas
si exact. « Ces homélies étant remplies de digressions,
(1) Voy. Fu Simon, Hhloire criliquc dc^i principaux commenUUcurs
du JSouveau-Tesiamenty ch. xi.
DES ACTES DES APOTRES. 453
remarque judicieusement R, Simon, on y trouve peu de
choses considérables pour ce qui est de l'explication du
texte de saint Luc; mais on y apprend plusieurs faits
qui regardent la discipline et les coutumes de l'E-
glise (1).))
2. Le vénérable Bède a fait sur les Actes des Apôtres
deux ouvrages différens qu'il appelle lui-même deux li-
vres ; ces deux ouvrages sont, le premier : Eœpositio in
Acta Âpostolorum : de nominibus locorum et civitatum
quœ in libro Actuum Apostolonun leguntur; le second :
Retractationes et Qiiœstiones inActus Apostolorum . C'est
dans ce dernier ouvrage , où il retouche le précédent,
que cet habile interprète montre surtout une grande
érudition et un bon jugement. Outre les endroits qu'il
a retouchés, il a ajouté des remarques critiques, prin-
cipalement sur les diverses leçons des exemplaires tant
grecs que latins ; il fait souvent observer la force et la
propriété des termes grecs ; il éclaircit certains mots de
la Vulgate pour empêcher ceux qui ne savent pas le grec
de tomber dans des fautes grossières qu'ils ne manque-
raient pas de commettre sans ces sortes d'explications.
Il fait aussi mention de quelques traductions latines qui
étaient plus conformes au grec que l'ancienne édition
dont nous nous servons aujourd'hui. Mais il ne borne
pas là son travail, il étudie aussi la dérivation des noms,
et il combat en plus d'un endroit les étymologies don-
nées par saint Jérôme, et qu'il avait adoptées lui-même
dans son premier commentaire. « La critique de Bède
dans cet ouvrage, dit encore ici R. Simon, ne s'étend
pas seulement aux mots. Gomme il avait suivi dans son
(1) Px. Simon, ibid. pag. 166.
454 DES COMMENTAIRES
commentaire des Actes des Apôtres ce qu'il avait trouvé
dans les autres auteurs sur de certains faits historiques
sans les examiner, il s'en rétracte, ayant reconnu qu'ils
avaient rapporté des choses peu certaines, et quelque-
fois même manifestement fausses (1).»
3. OEcuménius, ou l'auteur quel qu'il soit de la chaîne
grecque qui a été publiée sous son nom (2), n'est pas
un simple compilateur, c'est aussi un critique qui s'ap-
plique principalement à donner le sens littéral du texte
qu'il explique, accommode à sa manière les interpréta-
tions des écrivains qu'il a consultés, ou plutôt les autres
chaînes qui existaient déjà avant lui, les abrégeant ou
les étendant selon qu'il le jugeait à propos. Cet écrivain,
qui a composé des scholies et non pas des homélies, quoi-
qu'il ne soit souvent qu'un abréviateur de saint Chry-
sostome, s'éloigne bien moins du texte sacré que le saint
docteur. 11 a soin aussi de s'arrêter sur les mots qui ren-
ferment quelque ambiguité, en exposant leur véritable
signification, et en marquant les hyperbates et les au-
tres défauts de style qui rendent quelquefois le discours
fort obscur. Comme il copie les commentateurs grecs qq^
abondent en réflexions théologiques, il est parfois théo-
logien. Dans quelques endroits il se montre très-diffus.
Quant aux interprétations qu'il donne des noms des
apôtres, elles ne paraissent pas toutes bien exactes.
4. Arator de Ligurie, sous-diacre de l'Église de Rome,
qui vivait dans le vi^ siècle, a mis en vers latins l'his-
toire des Actes des Apôtres, qu'il présenta au pape Vi-
(1) R. Simon, ibid. c. xxiv, pafj. 342.
(2) Voyez encore R. Simon {Ibid. c. xx), que nous ne faisons qu'a-
nalyser ici.
DES ACTES DES APOTRES. 455
gile en 5ii. Cet ouvrage a été imprimé en plusieurs en-
droits et en divers formats. Pulmann l'a publié à
Cologne, en 1573, in-16, après y avoir fait des correc-
tions; on l'a inséré aussi dans la Bibliothèque des Pères
de l'édition de Lyon, tome x. Mais il avait été imprimé
pour la première fois à Salamanque, en lolG, in-fol.,
avec les Commentaires d'Arrius de Mendosa, sous le
titre de : Historia Apostolorum. ex B. Luca expressa,
carminé qnco conscriptaf cum commentariis Arrii Men-
dosœ.
5. Jean Hofmeister, religieux deColmar, mort en 15i7,
est auteur d'un commentaire sur les douze premiers
chapitres des Actes. Ce commentaire a été imprimé à
Cologne, en 1567, in-fol-, puis à Paris, en 1578. Suivant
Gandolf, Hofmeister avait aussi commenté les seize au-
tres chapitres des Actes.
6. Les scholies sur les Actes des Apôtres faites par
Jean Gagnée ou Gagney, dont nous avons déjà parlé
plus haut (pag. 355), peuvent être d'un grand secours
pour l'intelligence de ce livre sacré. Ces scholies ont
paru conjointement avec celles des Evangiles, dans le
format in-fol. ou in-S'^. La dernière édition est celle de
Paris, 1660, in-S". Cet interprète a fait usage dans son
commentaire sur les Actes de plusieurs scholiastes grecs
qui lui ont manqué pour son travail sur les Evangiles.
Dupin regarde les scholies de Gagney comme très-utiles
et nécessaires à ceux qui veulent bien entendre le sens
littéral du texte en peu de temps et sans avoir besoin de
lire les grands commentaires.
7. Jean Lorin, dont nous avons eu occasion de faire
connaître les ouvrages sur l'Ancien-Testament, a écrit
sur le livre des Actes des Apôtres un commentaire qui
456 DES COMMENTAIRES
a été d'abord imprimé à Lyon", en 1605, in- fol. , puis
avec des corrections et des additions, en 1609, dans la
même ville, et en 1617 et 1621, à Cologne.
8. Le P. Alphonse Salmeron a aussi commenté en par-
ticulier les Actes des Apôtres. Son travail sur ce livre
se trouve dans le tome xii de ses commentaires. Voyez
ce que jious avons déjà dit de ce savant jésuite, à la
page 358.
9. Liber Fromont (Libertus Fromondus), professeur
de l'université de Louvain, est auteur d'un bon commen-
taire sur les Actes des Apôtres. Cet ouvrage a paru d'a-
bord séparément à Louvain, en 165i, in-4^° , puis à Pa-
ris, en 1670, in-fol ., conjointement avec plusieurs autres
commentaires du même auteur.
10. Barthélemi Pétri, professeur de Douai, né l'an
154-5, et mort l'an 1630, a interprété non seulement les
Epîtres de l'apôtre saint Jean, mais il a aussi expliqué
lesActesdes Apôtres. Son commentaire sur ce dernier
livre est assez estimé ; il a paru à Douai, en 1622, in-^''.
11. Gaspar Sanctius et Corneille Lapierre, dont nous
avons déjà fait connaître la manière d'interpréter l'É-
criture, ont écrit avec succès sur le livre des Actes. Le
commentaire de Sanctius a été imprimé à Lyon, l'an
1616, in-4% à Cologne, en 1617, in-fol. ; celui de Cor-
neille Lapierre a paru avec ceux qu'il a composés sur les
Epîtres canoniques et l'Apocalypse, à Anvers et à Lyon,
en 1627, in-fol. , et depuis à Anvers, en 1648, 1662, 1672,
in-fol.
12. Erasme, Laurent Valle et Luc de Bruges, ont com-
posé sur le même livre des notes qui ont été jugées di-
gnes de figurer dans le recueil des Grands Critiques.
13. Jean de Sylveira, carme, né l'an 1592, à Lisbonne,
DES ACTES DES APOTRES. 457
OÙ il mourut en 1687, a composé dix volumes in-fol. de
commentaires, qui embrassent presque tout le Nouveau-
Testament, et qui ont paru les uns à Lyon, les autres à
Madrid, d'autres à Lisbonne; ceux qu'il a écrits sur les
Actes des Apôtres ont été imprimés à Lyon. Les com-
mentaires de Sylveira ont été fort en usage parmi les
prédicateurs.
li. Nous citerons encore parmi les interprètes catho-
liques qu'on peut consulter avec fruit, Boniface-Martin
Schnappinger, qui a écrit en allemand, et dont nous
avons parlé plus longuement dans la section précédente
(pag. 360, 361). La partie de son travail qui contient
les Actes des Apôtres se trouve dans le tome m de son
ouvrage sur les écrits sacrés du Nouveau -Testament.
ARTICLE II.
Des commentateurs protestans.
Nous nous bornons dans cet article à présenter une
liste de quelques-uns des écrivains protestans qui ont
travaillé sur les Actes des Apôtres ; mais nous engageons
toutefois le lecteur à ne pointperdredevue les réflexions
que nous avons faites plus haut (pag. 362 et suiv.),
quand nous avons parlé des trois différentes classes de
commentateurs qui appartiennent à la religion protes-
tante.
1 . Calvin a composé sur les Actes des Apôtres un com-
mentaire qui a eu un grand nombre d'éditions; il a* été
originairement écrit en latin, mais il a été traduit et pu-
blié en français, en allemand et en anglais. Nous pen-
sons avec R. Simon qu'il y a dans ce commentaire de
très-bonnes choses ; qu'il mérite d'être lu, mais qu'il faut
V. 20
458 DES COMMENTAIRES
en retrancher les déclamations injurieuses qu'il ren-
ferme, et dont au reste tous les autres livres de Calvin
sont remplis (1).
2. Henri Builinger,zuinglien,né en 150i,àBremgar-
tem, en Suisse, et mort en loTo, est auteur de commen-
taires sur tous les livres du Nouveau-Testament. Ces
commentaires, dont on a donné un grand nombre d'édi-
tions, ont été publiés de différentes manières ; celui qui
traite des Actes des Apôtres a été imprimé avec'ceux que
l'auteur a écrits sur;saint Marc et saint Luc, à Zurich,
l'an 1545, in- fol., et séparément plusieurs fois dans la
même ville, mais tantôt in-i», et tantôt in-fol.
3. Baudouin Walseus, calviniste de Flandre, dans le
dix-septième siècle, a publié sur les Évangiles et sur les
Actes des Apôtres des commentaires qui ont paru sous
le titre de Novi Testamenti libri historici grœce et la-
tine, perpetuo commentario ex antiquitate, historiis,
philoïogia illustrati. Cet ouvrage a paru à Leyde, en
1653, in-4°; le P. Lelong cite une édition d'Amsterdam,
en 1662, également \n-k°. Quant au mérite de ces com-
mentaires, écoutons R. Simon : « L'auteur y dit à la vé-
rité peu de choses de lui-même, mais il a fait un choix
assez judicieux d'un grand nombre de commentateurs
et d'auteurs critiques de ces derniers temps dont il a
marqué les noms . Il aurait été à souhaiter qu'il eut aussi
indiqué les endroits de leurs ouvrages quand ce ne sont
pas des commentateurs qu'il cite (2). »
4. Charles-Marie de Veil, que nous avons cité plusieurs
{!) fy.. Siimon, Histoire critique des \mncipaux commentateurs du,
Nouveau-Testament, c. l, -pag. 748.
(2) Pi. Simou, ilid. c. uu,pag. 791.
DES ACTES DES APOTRES. 459
fois (voy. t. iv, pag. 'i-^l), outre les commentaires qu'il
a écrits sur saint Matthieu et saint Marc, a donné une
explication du livre des Actes, qui a paru à Londres,
en 168i, in-i», sous le titre de : Acta SS. Âpostolorum
ad literam explkata.
5. Jean Lightfoot est auteur de plusieurs ouvrages
sur les Actes des Apôtres; car indépendamment de ce
qu'il a écrit de l'histoire apostolique dans son Harmonie,
il a composé de plus deux ouvrages, intitulés, l'un : Coiii-
mentarins historicus in Acta Apostolorum, et l'autre :
Horœ hebraïcœ et talmudicœ in Acta Apostolorum. Ces
deux ouvrages ont été publiés aussi en anglais ; on les
trouve dans le recueil des œuvres complètes de Light-
foot. R. Simon remarque judicieusement que la critique
de notre commentateur est quelquefois trop rabbinique,
qu'il n'est pas exempt de préjugés, et qu'il accommode
aussi quelquefois les rabbins à son idée (1).
6.Drusius, Casaubon, Pricaeus et Piscator, ont com^
posé sur les Actes des Apôtres des notes qui jouissent
d'une réputation bien méritée ; elles ont été imprimées
dans les Grands Critiques.
7. En 1791, a paru à Leipzig, en 2 vol. in-8°, un tra-
vail sur les Actes des Apôtres, intitulé : Sam. Frid. Na-
than Mori Versio et explicatio Actuum apostolicorum .
Edidit, animadversiones recentiorum suasque adjecit^
Gottlob Immanuel Dindorf. — En 1800, Thiess a publié
dans la même ville une traduction des Actes, accompa-
gnée de remarques.
8. J. H.HeinrichsafaitparaîtreàGœttingue, en 1809,
deux vol. in-8° sur le même livre, intitulés : Acta Aposto-
(1) Pi. Simon, ibid. pag. 795.
460 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
lorum grœce, perpétua annotationê illustrata. Cei ou-
vrage se trouve dans le tome m du Nouveau-Testament
de Kopp, dont il est la continuation. Heinrichs est un
des partisans de la nouvelle exégèse allemande. Un seul
trait peut nous donner une idée de l'esprit quia présidé
au travail de ce commentateur. Il explique la mort
prompte et subite d'Ananie (Act. y, 1-6), en disant que
saint Pierre le poignarda, et en ajoutant que cette ac-
tion de l'apôtre n'est nullement en désaccord avec son
caractère véhément et emporté.
9 . E . G . Paulus , D. J . Georges Rosenmûller et Olshau-
sen, ont aussi commenté les Actes des Apôtres ; on peut
voir ce que nous avons dit de l'esprit particulier et du
mérite de chacun de ces écrivains, à la section précé-
dente, pag. 363, 36/^.
APPENDICE A LV CINQUIEME SECTION.
DES PRÉTENDUES CONTr.ADICTIONS DES ÉVANGÉLISTES.
Comme les contradictions apparentes forment une des
questions les plus importantes qui aient été agitées sur
les Évangiles, et que la marche que nous avons suivie
dans cette section ne nous a permis d'en dire que peu de
fehose, nous avons cru devoir y consacrer un article
spécial. D'un autre côté, le lecteur ne doit pas oublier,
ce que nous avons déjà dit plusieurs fois , que ne trai-
tant point dans cette Introduction les difficultés parti*
culières, nous ne pouvons par là même nous en tenir
qu'à des généralités. Michaëlis nous fournira une grande
partie de ce que nous allons dire sur cette question ;
toutefois nous nous garderons bien de le suivre dans
DES ÉVANGÉLISTE8. 461
certaines opinions erronées qu'il a mêlées quelquefois à
d'excellentes idées (1). On a pu remarquer par ce que
nous avons dit jusqu'ici sur les Evangiles que leurs au-
teurs ne s'accordaient pas toujours parfaitement dans
leurs récits ; mais ce fait, qui sous un point de vue offre
une preuve réelle en faveur de l'exactitude de leur narra-
tion, a donné lieu à une sérieuse accusation. Personne,
selon Michaëlis, ne l'a poussée avec autant de force et
d'aigreur que l'auteur anonyme des fragmens de Wol-
fenbuttel, publiés par Lessing ; car il représente la ré-
surrection de Jésus-Christ en particulier comme une
fable , et cela sous prétexte que les écrivains qui l'ont
rapportée ne s'accordent point dans le récit qu'ils en
ont fait (2).
1. Quelque fâcheuses que les contradictions apparen-
tes des évangélistes puissent paraître à quelques .amis
de la religion chrétienne , et cmelque abus qu'en aient
fait ses adversaires, l'inconvénient qui en résulte ne sau-
rait être aussi grand qu'on le suppose, puisqu'elles prou-
vent, ce qui est de la plus grande importance , que les
évangélistes ne se sont pas concertés dans la composi-
tion de leurs ouvrages. Si saint Matthieu, saint Marc et
saint Luc avaient écrit de concert dans le but de faire
croire des fictions au monde, ils auraient certainement
évité jusqu'à la moindre apparence de désaccord ; et si
les événemens miraculeux qu'ils avaient racontés eus-
sent été des fables, il est probable que saint Jean, qui
(1) J. 13. Michaëlis, Inirodnciion au N. T. t. m, p. 7 ctsuiv.
(2) Ces fragmens ont paru de 1773 à 1781 ; Michaëlis y a répondu
par une exposition de l'histoire de la mort et de la résurrection du
Sauveur, imprimée à Halle, l'an 1783, et que nousallons reproduire
en partie dans cet appendice.
462 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
avait lu leurs Evangiles avant d'écrire le sien, aurait eu
soin de se conformer entièrement aux écrits de ses pré-
décesseurs, afin que la fraude fût moins facilement dé-
couverte. L'auteur anonyme des fragmens de Wolfen-
buttel, qui ne paraît pas avoir eu pour but de rechercher
franchement la vérité, a donc commis une grande er-
reur, en insinuant, après avoir compté dix prétendues
contradictions dans un chapitre, que toute l'histoire de
la résurrection fait soupçonner que ceux qui l'ont écrite
ont agi de concert.
Remarquons en passant que malgré l'opinion de Mi-
chaëlis , qui prétend que les simples compagnons des
apôtres, comme saint Marc et saint Luc, n'ont pas reçu
le don surnaturel de l'infaillibilité, et celles des critiques
qui comme lui n'étendentpas l'inspiration divine aux faits
purement historiques, il ne saurait y avoir, selon nous,
entre les auteurs des E^^ngiles des contradictions réel-
les. Quoi qu'il en soit, au reste, de cette question, nous
ne parlons ici que des contradictions que Michaëlis lui-
même regarde comme simplement apparentes. Quand
donc plusieurs personnes qui ont été témoins d'un même
fait en donnent des récits séparés et indépendans , il
n'est guère possible qu'ils s'accordent dans les détails
de peu d'importance. Nous en appelons à tout juriscon-
sulte expérimenté ; ne suspectera-t-il pas la vérité d'une
déposition lorsque vingt témoins auront donné exacte-
ment les mêmes réponses ? Et s'ils s'accordent sur les
expressions , ne sera-t-on pas fondé à soupçonner que
l'examinateur a préparé la déposition lui-même , qu'il
n'a point questionné les témoins , ou qu'il leur a sug-
géré les réponses, afin d'atteindre plus sûrement son
but?
DES ÉVANGÉLISTES. 463
Il paraît facile d'assigner la raison pour laquelle il est
impossible d'éviter des contradictions apparentes dans
la déposition de plusieurs témoins oculaires du même
fait. Tous ne l'observent pas dans ses moindres détails,
l'un porte plus particulièrement son attention sur une
circonstance, l'autre sur une autre ; ce qui occasionne
dans leurs récits des différences qu'il est quelquefois
difficiles de concilier. Gela est arrivé aux évangélistes,
comme on peut le prouver par l'exemple suivant : saint
Matthieu, au chapitre xviii, 1-4, et saint Marc, au cha-
pitre IX , 32-35, rapportent le même fait, mais sous un
point de vue différent , et par cela même ils paraissent
au premier abord se contredire formellement. Saint Mat-
thieu dit en effet : « Alors les disciples s'approchèrent
de JÉSUS , et lui dirent : Qui est le plus grand dans le
royaume des cieux?)) On lit, au contraire, dans saint
Marc : « Il vint à Capharnaiim , et lorsqu'il fut dans la
maison , il leur demanda : De quoi vous entreteniez-
vous en chemin ? Mais ils ne répondirent rien , parce
qu'ils s'étaient disputés en chemin sur celui qui était le
plus grand.» Ainsi, d'après saint Matthieu, ce sont les
disciples qui soum.ettent à Jésus le sujet de la question
afin d'avoir son avis, tandis que, d'après saint Marc, ils
refusent mêmederépéterlesujetde leur dispute, quoique
le divin Sauveur le leur demande, parce qu'ils sentaient
qu'ils en seraient repris. On demande comment concilier
ces récits ? Sans entrer dans le détail des diverses solu-
tions que les commentateurs ont données, et sans même
adopter en son entier la manière dont Michaëlis l'ex-
plique, on peut facilement remarquer qu'il n'y a réelle-
ment pas de contradiction entre les deux évangélistes ;
seulement l'un rapporte une partie du fait, l'autre une
464 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
autre partie ; mais aucun d'eux ne le raconte dans tou-
tes ses circonstances. Car ne peut-on pas supposer avec
toute vraisemblance que quelques disciples ayant rap-
porté à Jésus-Christ leurdispule avec la même indi-
gnation que dix apôtres témoignèrent dans une occa-
sion analogue (Matth. xx, Si), ce divin Sauveur différa
de décider la question jusqu'à ce qu'ils fussent tous ar-
rivés dans la maison où ils se rencontraient ordinaire-
ment? C'est ainsi que les réponses de Jésus -Christ
citées par saint Matthieu ont généralement dans son
Evangile un aspect différent, et sont moins claires que
dans saint Marc, parce que saint Matthieu ne s'est pas
attaché à raconter les causes qui les ont fait naître.
Quand plusieurs personnes racontent le même évé-
nement, ou que divers historiens récrivent chacun de
leur côté, comme, par exemple, une bataille entre deux
armées, on croit d'abord trouver de fréquentes contra-
dictions dans leurs récits , bien qu'au fond , quand on
examine la chose plus attentivement , on finit par dé-
couvrir que les traits particuliers qui au premier instant
avaient paru en opposition, ne le sont réellement poisit,
quoique présentés sous une face et sous des couleurs
différentes. Si les évangélistes semblent se contredire
plus souvent que d'autres historiens, il ne faut s'en pren-
dre qu'aux lecteurs. Les évangélistes sont lus non par
des milliers, mais par des millions de personnes, qui
les confrontent avec l'attention la plus minutieuse ; tan-
dis que l'on n'apporte nullement ce soin à des histoires
que l'on raconte dans la conversation, et qu'on trouve
rarement un historien critique qui prenne la peine de
comparer rigoureusement les documens écrits. La plus
forte preuve que des contradictions apparentes ne dé-
DES ÉVANGÉLISTES. 465
cèlent point une mauvaise cause, c'est qu'on en rencon-
tre fréquemment dans les ouvrages d'un même histo-
rien qui rapporte le fait à des époques différentes. Saint
Luc, par exemple , rapporte deux fois l'ascension de
JÉsus-CiiRiST, et trois fois la conversion de saint Paul ;
or, en omettant une fois ce qu'il ditune autre, ei vice versa,
il diffère autant de lui-même que les évangélistes entre
eux. Dans les cours de justice, où l'on entend fort bien
la logique pratique pour tout ce qui concerne l'examen
des preuves, une contradiction apparente entre deux ou
plusieurs témoins n'est point considérée par elle-même
comme une preuve que le fait qu'ils attestent soit réel-
lement faux. Les avocats des deux parties examinent si
l'on peut ou si l'on ne peut pas concilier ce que les té-
moignages ont de différent. Comme on ne peut inter-
roger les évangélistes sur les contradictions qu'on croit
découvrir dans leurs récits , les interprètes et les com-
mentateurs doivent entreprendre en leur nom l'office
d'avocats. Ils l'ont souvent rempli avec succès ; mais le
défaut de connaissances suffisantes du sujet les a sou-
vent embarrassés ; et si les apôtres vivaient, ils feraient
certainement disparaître toutes les difficultés.
2. Une des contradictions apparentes qui se rencon-
trent le plus fréquemment entre les évangélistes, tient à
l'ordre des temps , le même fait se trouvant rapporté à
des époques différentes. Or ces sortes de contradictions
viennent nécessairement de ce que saint Matthieu, saint
Marc et saint Luc n'ont point observé l'ordre chrono-
logique en écrivant l'histoire de Jésus -Curtst. Mais
quelle conséquence défavorable à l'authenticité ou à
la véracité de nos Évangiles peut-on raisonnablement
tirer de ce fait? On ne saurait exiger d'un historien qu'il
20.
466 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
suive dans ses récits l'ordre des temps , que lorsqu'il
écrit un journal, genre d'histoire le plus ennuyeux et le
plus désagréable pour les lecteurs. Pour présenter un
récit clair et attachant, il est souvent obligé de lier une
cause à son effet , lors même que l'effet a eu lieu plus
tard, et ensuite il doit revenir à une époque antérieure,
ou bien il a à joindre des événemens séparés par le
temps, mais unis par le sujet. Dans une biographie, en
particulier , il n'est pas rare de voir des écrivains né-
gliger l'ordre chronologique en rapportant les événe-
mens remarquables de la vie des héros dont ils font
l'histoire. Or, pourquoi voudrait-on prescrire aux évan-
gélistes des règles plus sévères qu'aux autres historiens?
On pourrait supposer que cette exigence tient à un dé-
faut de connaissance de la manière dont les écrivains pro-
fanes écrivaient l'histoire, si plusieurs commentateurs,
qu'on ne peut soupçonner d'ignorance en cette matière,
n'avaient considéré les Evangiles comme de simples jour-
naux ou mémoires, dans lesquels les événemens sont
rapportés jour par jour selon l'ordre rigoureux dans le-
quel ils sont arrivés. Ajoutons que les expressions va-
gues dont se sont souvent servis les évangéHstes lors-
qu'ils ont parlé du temps où les faits qu'ils rapportent
ont eu lieu, laissant presque toujours une certaine la-
titude à celui qui en cherche la date précise , il n'est
pas aussi difficile que le prétendent nos adversaires, de
concilier les passages où les écrivains sacrés semblent
se contredire en racontant ces faits.
Nous avons déjà dit que saint Luc non seulement fai-
sait profession ouverte de rapporter les choses dans
l'ordre où elles se sont passées , mais qu'il avait soin
encore de fixer plusieurs époques dans son Evangile ;
DES ÉVAXGÉLISTES, 467
nous avons ajouté que saint Matthieu, au contraire,
ayant pour but unique de prouver aux Juifs que Jésus-
Christ est le Messie, ne paraissait pas s'être occupé à
placer les faits dans Tordre chronologique, vu qu'il était
inutile à son dessein (1). Or, on doit conclure de cette
observation que lorsque saint Matthieu et saint Luc se
trouvent en désaccord sur la manière de placer un fait
considéré sous le point de vue chronologique , c'est ce
dernier évangéliste qu'il faut suivre , sans qu'on soit
pour cela autorisé à taxer saint Matthieu d'erreur et
d'inexactitude, puisqu'il ne s'est point proposé dans sa
narration de se conformer à l'ordre des temps (2) . Il
est vrai que , selon Micbaëlis et plusieurs autres criti-
ques qui partagent son opinion, l'expression par ordre
[y.rxOcçô;] employée par saint Luc paraît ne signifier
autre chose que l'intention de réunir les récits des mi-
racles et des discours du Sauveur, et d'en faire un tout,
c'est-à-dire de mettre en ordre le récit des écrivains
dont il parle dans le premier verset de son Evangile.
Mais c'est évidemment faire violence au texte de l'évan-
géUsle que de l'interpréter de cette manière : saint Luc
ne dit pas un seul mot qui puisse porter à croire que
son travail devait consister à recueillir les écrits partiels
de ces nombreux écrivains pour en faire une histoire
complète et suivie. Bien plus, les termes même qu'il em-
ploie sont une preuve manifeste du contraire ; car pre-
mièrement le verbe àvarz^ac-^^ai, qu'il applique à ces au-
teurs, signifie mettre en ordre [or dinar e) , comme l'a
(I) Voyez plus haut, p. 331.
(?) Ce que nous disons ici de saint Luc peut se dire également de
saint Marc, vu qu'ils ont suivi l'un et l'autre le lucnie ordre chrono-
logique.
468 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
parfaitement traduit la Yulgate , et ne saurait avoir un
autre sens; ainsi une histoire suivie des actions de Jé-
sus-Christ existait déjà dans ces premiers récits. En
second lieu, le moi 6 co^rirt-j, ou narration, étant au sin-
gulier, ne saurait convenir qu'à une relation complète,
suivie ou au moins détaillée de toute l'histoire évangé-
lique. Troisièmement enfin l'expression y.uBqr.ç dont se
sert saint Luc pour marquer une des qualités de son
propre ouvrage, exprime nécessairement une idée de
succession d'ordre chronologique, comme dans tous les
autres endroits où il se trouve employé (1). Mais quand
nous disons que saint Luc a suivi dans son Evangile
l'ordre chronologique , nous ne prétendons pas qu'il
l'ait suivi absolument dans toutes les circonstances par-
ticulières des divers événemens qu'il raconte, nous l'en-
tendons seulement des faits principaux pris dans leur
ensemble ; car écrivant une histoire en partie dogma-
tique et en partie morale, et nullement un simple jour-
nal, comme nous l'avons déjà remarqué, il a dû néces-
sairement séparer ou réunir, selon son besoin, certains
traits particuliers, sans avoir égard au temps où ils s'é-
taient passés. Ainsi le récit que nous lisons au chapi-
tre IV, 23 , où Jésus parle des miracles opérés à Ca-
pharnaûm , quoique jusque-là cet évangéliste n'eût
point dit que le divin Sauveur fût allé dans cette ville,
joint à ce que les miracles importans que Jésus-Christ
fit à Capharnaûm paraissent être rapportés par saint
Luc dans le cinquième chapitre , semble prouver que
l'historien sacré n'a pas rapporté l'arrivée du Sauveur à
Nazareth au moment où elle eut lieu.
(1) Les seuls endroits du Nouveau-Testament où cette expression
se rencontre, sont : Luc, i, 3; viii, 1. Act. m, 22; xi, 4; xviii,23.
DES ÉVANGÉLISTES. 469
L'opinion que les évangélistes ont constamment ob-
servé l'ordre des temps, remarque ici Michaëlis, a con-
duit beaucoup d'auteurs d'harmonies à conclure que si
un fait est rapporté par plusieurs de ces écrivains sa-
crés, et que le temps indiqué par l'un d'eux ne corres-
ponde pas au temps désigné par un autre, le fait avec
tous ses détails doit être arrivé à des époques différen-
tes. D'après ce principe , tous les événemens contenus
dans les chapitres ix-xi de l'Évangile de saint Mat-
thieu ont dû arriver deux ou même trois fois ; ce qui
paraît inadmissible dès que l'on considère que les cir-
constances de détail sont absolument les mêmes . Le doc-
teur Hauber s'est servi, pour soutenir cette opinion,
du principe des indiscernables (1). Il dit que les choses
qui s'accordent en 9999 points , mais qui diffèrent en
un, ne peuvent être une seule et même chose. Or, les
événemens dont nous venons de parler diffèrent sur le
temps dans les évangélistes; ainsi ils ne sauraient être
les mêmes. Sans contester la vérité de la première pro-
position du docteur Hauber, nous sommes en droit de
dire qu'on ne peut affirmer la seconde sans faire une
pétition de principe, puisque la question à décider est
précisément de savoir si ces événemens sont réellement
arrivés plus d'une fois. Et comme il est très-peu pro-
bable que deux séries de faits se ressemblent en tout ,
excepté pour le temps, le principe des indiscernables,
appliqué au cas qui nous occupe, conduirait à une
conclusion diamétralem.ent opposée à celle du docteur
Hauber.
(l) E. D. Hauber est le même écrivain que nous avons cité plus
haut (p. 344), parmi les proteslans qui ont composé des harmonies
évangéliques.
470 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
Cependant nous ne prétendons pas d'une manière ab-
solue qu'on ne doit jamais admettre qu'un événement
soit arrivé deux fois là où les divers évangélistes lui as-
signent une époque différente. Mais alors il ne faut pas
que ce soit un événement ou extraordinaire ou décrit
chaque fois avec les mêmes petits détails. Par exemple,
comme à plusieurs reprises diverses personnes peuvent
s'être offertes à Jésus-Christ pour être ses disciples,
entraînées par l'idée qu'elles s'étaient faite de son ca-
ractère, ou dans l'espérance de recevoir de lui chaque
jour leur nourriture , il est possible qu'il ait fait plus
d'une fois cette réponse : « Les renards ont des taniè-
res, les oiseaux du ciel ont des nids , mais le Fils de
l'homme n'a pas un lieu pour reposer sa tête.» Quand
saint Matthieu (viii, 19-20 1 rapporte ces paroles de Jé-
sus-Christ comme prononcées près du lac de Géné-
zareth, et saint Luc (ix, 57, 58), pendant le voyage de
Jérusalem au travers de la Samarie , on peut conclure
que ces évangélistes rapportent deux faits différens.
Cependant il s'élève ici une difficulté ; c'est que saint
Matthieu et saint Luc, immédiatement après la réponse
dont nous venons de parler , s'accordent à rapporter
une autre réponse que le Sauveur fit à un jeune homme
qui se disposait à aller ensevelir son père (Matth. viii,
21, 22. Luc. IX, 59, 60^. « Ce fait, dit ici Michaëlis, est
si extraordinaire, que je ne puis croire qu'il soit arrivé
deux fois, et je ne puis rendre raison de cette difficulté
qu'en supposant que les deux évangélistes ont introduit
à deux occasions différentes l'entretien du Christ avec
ce disciple, parce que chacune de ces occasions pouvait
servir à l'introduire. Ils rapportent comment Jésus re-
fusait, invitait des disciples, ou les mettait à l'épreuve,
DES ÉVANGÉLISTES. 471
quoique les exemples qu'ils citent au même endroit
soient arrivés en des temps différens (1).» Cette solu-
tion est aussi celle de D. Calmet ; ce commentateur ex-
pliquant le verset 57 du chapitre ix de saint Luc, où se
lisent ces paroles du Sauveur : Les renards ont des ta-
nières, etc., dit : «Ceci est rapporté dans une autre con-
joncture par saint Matthieu (viii, 19). Mais il est fort
croyable que la même chose fut dite en plus d'une oc-
casion. JÉSUS éprouvait ceux qui s'offraient à le sui-
vre, en leur disant que sa pauvreté était extrême, et que
pour le suivre il fallait se résoudre à beaucoup souf-
frir. » En commentant le verset 60 du même chapitre ix
de saint Luc, où il est dit : Jésus lui repartit : Laissez
auxmorts Je soin, etc., D. Calmet fait encore la remarque
suivante : « Ceci se trouve aussi dans saint Matthieu,
chapitre VIII, 21, mais dans une autre circonstance. On
ne peut pas décider lequel des deux évangélistes a mieux
observé l'ordre des temps. Saint Luc semble avoir ras-
semblé ici trois exemples, qui ont quelque rapport entre
eux, uniquement à cause de ce rapport. »
3. Voici les règles principales qu'on peut suivre pour
concilier les contradictions qui semblent résulter de la
comparaison des Evangiles entre eux.
r^ RÈGLE. Les évangélistes n'ayant point eu dessein
d'écrire de simples journaux ou mémoires dans lesquels
seraient rapportés jour par jour et heure par heure les
actions et les paroles de Jésus-Christ, dont ils ont voulu
nous laisser l'histoire , on ne doit pas regarder comme
une contradiction , si l'un d'eux raconte le même fait
plus tôt ou plus tard qu'un autre, surtout lorsqu'ils ne
(1) J. D. Michaëlis, Inlroduclion au. JS. T. t. iu,purj. 20.
472 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
déterminent point le temps d'une manière assez précise
et assez rigoureuse pour ne laisser au lecteur aucun
moyen légitime de les concilier.
IP RÈGLE. Comme l'inspiration divine ne donne pas
la science de toute chose, il peut se faire que parmi les
quatre évangélistes , quoique également inspirés, l'un
ignore les détails d'un fait qu'un autre connaissait par-
faitement. De ce défaut de connaissance, il résulte que
l'un omettra dans son récit des circonstances qui se-
ront rapportées par un autre ; mais il est évident que
cette différence dans les deux narrations ne saurait
constituer une véritable contradiction. Nous en avons
un exemple frappant dans le passage où il est dit que
JÉsus-CiiRiST monta dans une barque, calma le vent et
apaisa les flots de la mer , le soir du même jour où il
avait proposé la parabole du semeur et de la semence.
Car saint Marc dit (iv, 35) : « Le même jour, quand le
soir fut venu , il leur dit : Passons de l'autre côté de
Veau',y) tandis que saint Luc, qui savait seulement que
ces deux événemens n'étaient pas arrivés dans des temps
fort éloignés, et qui ignorait ce détail, se borne à dire
(vin, 22) : ((Il arriva qu'un jour, étant monté sur une
barque,. .. il dit, etc. » Or, il n'y a pas plus de contra-
diction dans ces deux récits qu'il n'y en aurait si de
deux témoins du même fait, l'un attestait qu'il a eu lieu
le vingt-cinquième jour du mois de décembre, et l'autre
disait simplement qu'il a eu lieu dans la semaine de
Noël. L'expression d'w/ijOî(r, employée par l'évangéliste
saint Luc, est même si vague, qu'elle ôte toute espèce
d'apparence d'opposition entre lui et saint Marc. Il est
encore plusieurs faits dont saint Luc fixe le temps d'une
manière bon moins précise que les autres évangélis-
DES ÉVANGÉLISTES. 473
tes. Quoique nous ayons supposé, avec Michaëlis ,
que cette manière de raconter les faits dans saint Luc
tenait au défaut de connaissance du temps précis où
s'étaient passés les événemens , parce que cette sup-
position n'a rien qui puisse empêcher un critique de
l'admettre, nous croyons devoir faire observer qu'il se-
rait absolument possible que saint Luc n'ignorât pas
toujours la date des faits, quoiqu'il ne la précise point;
cette précision n'entrant peut-être point dans ses vues,
ou au moins ne lui paraissant pas nécessaire.
IIP RÈGLE. Plusieurs récits peuvent être semblables
et n'être pas les mêmes. Ainsi le trait d'une femme pé-
cheresse qui vint répandre des parfums sur les pieds de
Jésus pendant qu'il était à table, trait que rapporte saint
Luc (vu , 36 et suiv .) , est différent de celui que nous lisons
dans saint Matthieu (xxv i , 6 et suiv. ) , quoique tous deux
aient cela de commun qu'ils ont eu lieu dans la maison
d'un nommé Simon , et pendant que le Sauveur était à
table. Le seul accord de ces deux circonstances ne sau-
rait prouver en effet qu'il s'agit de la même histoire . D'a-
bord le nom de Simon a toujours été commun parmi les
Juifs, et le Nouveau-Testament lui-même nous fournit
une preuve manifeste qu'au temps de Jésus-Christ et
des apôtres beaucoup de personnes le portaient. L'ail-
leurs Simon dont parle saint Luc est distingué de celui
dont saint Matthieu fait mention, puisque le premier se
trouve désigné par le titre de pharisien , et ce dernier
par celui de lépreux. En second lieu, de ce que nous li-
sons dans les deux évangélistes que Jésus était à table
lorsqu'une femme vint lui rendre ce témoignage de res-
pect et de vénération, on n'est point pour cela en droit
de conclure qu'il s'agit du même fait dans les deux ré-
474 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
cits ; car il n'y a rien de remarquable dans cette circon-
stance ; c'était un usage général chez les anciens. Troi-
sièmement , les autres détails diffèrent essentiellement.
Ainsi, dans saint Luc, c'est une femme pécheresse de la
ville , c'est-à-dire , selon le langage des Hébreux , une
femme de mauvaise vie ; dans saint Matthieu , il s'agit
d'une femme simplement , et à laquelle l'évangéliste ne
donne aucune qualification de cette nature. Celle-ci ré-
pand son parfum précieux sur la tête du Sauveur; celle-
là, venant, le cœur contrit, implorer le pardon de sa vie
criminelle, parfume ses pieds, les arrose de ses larmes,
et les essuie avec ses cheveux (1). Selon saint Matthieu,
ce sont d'un côté les murmures des disciples de Jésus,
qui se plaignent de cette profusion de parfum , dont le
prix aurait pu être si utilement employé au soulagement
des pauvres ; et de l'autre la réponse du divin Maître,
qui leur représente qu'ils seront toujours environnés de
pauvres, tandis qu'ils ne l'auront pas toujours lui-même
parmi eux. Mais dans la narration de saint Luc , c'est
Simon qui fait intérieurement la réflexion que si Jésus
était prophète, il saurait que celle qui le touche est une
femme de mauvaise vie; et le divin Sauveur qui, pénétrant
la pensée du pharisien, lui propose une parabole qui l'o-
blige à faire lui-même l'apologie de cette femme qu'il
traitait si mal, et dont il avait eu une si mauvaise idée.
IV'^ RÈGLE. Quand il s'agit de l'autre des faits, il faut
bien faire attention aux passages dans lesquels les évan-
(1) La seule circonstance du parfum répandu clans un cas sur la
tête el dans l'autre sur les pieds du Sauveur, ne formerait pas une
dificrcncc assez tranchée, parce que l'usage d'oindre les pieds se pra-
tiquait aussi quelquefois; mazs les autres détails suffisent pour prou-
ver qu'il ne s'agit pas du même fait.
DES ÉVANGÉLISTES. 475
gélistes déterminent exactement le temps par les ex-
pressions : ce jour-là, dans la soirécy le jour suivant, etc.
Mais, d'un autre côté, on doit bien se garder aussi de
prendre pour une détermination de temps ce qui n'en
est réellement pas une. Ajoutons que quoique ces for-
mules précises et rigoureuses servent uniquement à nous
faire connaître que les faits auxquels elles s'appliquent
se sont passés à peu près dans les mômes temps que les
autres faits qui dans la narration évangélique les pré-
cèdent immédiatement, et que par conséquent elles lais-
sent sous ce rapport le lecteur dans l'incertitude , si
l'époque de ces faits précédens n'est pas elle-même dé-
terminée , elles peuvent cependant contribuer quoique
indirectement à faire découvrir la date de ces deux
classes de faits ; il suffit pour cela que les événemens en
tête desquels elles sont exprimées se trouvent placés par
quelque autre évangéliste sous la date et dans l'ordre
chronologique qui leur conviennent.
V^ RÈGLE. Lorsque les discours de Jésus -Christ
ne sont pas placés par tous les évangélistes à la même
époque, ou qu'ils sont rapportés dans des termes diffé-
rens, on peut supposer que le même discours a été pro-
noncé plus d'une fois. Cette supposition est d'autant plus
admissible, que les instructions ordinaires du Sauveur
portaient sur un certain nombre de vérités qui formaient
comme le code sacré de la religion qu'il était venu éta-
blir sur la terre. Ainsi, par exemple, serait-il étonnant
que Jésus-Christ eût adressé au peuple en différentes
occasions le discours si important que nous lisons au
chapitre V de saint Matthieu? N'est-il pas, au contraire,
très-naturel dépenser qu'il l'a prononcé plusieurs fois,
afin d'inculquer les enseignemens précieux qu'il contient
476 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
à ceux qui ne l'avaient pas entendu la première ? Or, c'est
par les circonstances qui, dans les récits des évangé-
listes, précèdent ou suivent le discours, quel'on doit dé-
cider s'il a été prononcé plus d'une fois, et c'est seule-
ment lorsque ces circonstances varient essentiellement
qu'on est en droit de conclure que le discours a été fait
plusieurs fois.
Les règles que nous venons de donner d'après Michaë-
lis paraissent assez bien fondées . On pourrait à la vérité
y opposer quelques objections ; mais ces objections elles-
mêmes n'auraient pas un fondement plus solide , et on
serait par là même en droit de les rejeter. Si donc ces rè-
gles offrent quelques difficultés, ce n'est pas précisément
dans les principes mêmes sur lesquels elles s'appuient,
mais seulement dans leur application. Or voici, ce nous
semble, un exemple propre à faire voir comment on pour-
rait les appliquer. Les évangélistes saint Matthieu (xxvi,
6-13) et saint Marc (xiv, 3-9) ont rapporté qu'une
femme répandit un parfum sur la tète de Jésus dans la
semaine qui a précédé sa passion ; et tous les commen-
tateurs ont reconnu que dans les deux récits il s'agis-
sait absolument du même fait. D'un autre côté, nous li-
sons dans saint Jean (xiii, 1-8) qu'une chose semblable
est arrivée six jours avant la Pàque. Ici les interprètes
ne sont plus d'accord; plusieurs soutiennent que l'histoire
rapportée par saint Jean est absolument différente, et
qu'elle est arrivée quatre jours avant celle que décrivent
saint Matthieu et saint Marc. Mais voyons si ces inter-
prètes sont fondés dans leur opinion, et si, au contraire,
il n'y a pas plusieurs motifs assez puissans pour la faire
rejeter, l*' Selon le récit des trois évangélistes que nous
venons de citer , c'est à Béthanie qu'on a répandu un
DES ÉVANGÉLISTËS. 477
parfum sur la tête du Sauveur. Il est vrai que comme
JÉSUS se trouvait souvent à Béthanie, cette circonstance,
considérée en elle-même, ne serait pas très-importante ;
mais, jointe à toutes les autres, elle doit avoir quelque
valeur. S'^ Ce n'est point de son hôte que Jésus-Christ
a reçu deux fois cet honneur, mais d'une femme ; ce
qui doit paraître étonnant. Il est vrai que dans l'his-
toire analogue racontée par saint Luc, et que nous avons
citée un peu plus haut, c'est encore une femme qui oint
les pieds de Jésus; mais, comme nous l'avons remar-
qué , c'était une circonstance tout-à-fait différente : la
femme pécheresse avait un motif particulier, c'était d'ob-
tenir du Sauveur par son repentir et ses larmes le par*
don de ses péchés. 3» Les deux faits prétendus se sont
passés, ainsi que nous allons le montrer bientôt, non
point chez Lazare, l'ami de Jésus, où l'on pourrait croire
qu'il se trouvait, mais dans une autre maison. 4° L'un
et l'autre ont eu lieu la dernière semaine avant la pas-
sion du Christ. 5° Dans les deux cas, le parfum était
si précieux, que l'onction eut l'apparence d'une profu-
sion. 6° Dans les deux cas encore, il y a cela de remar-
quable que le parfum n'avait pas été acheté pour l'u-
sage auquel on l'appliquait, mais qu'il avait été conservé
depuis quelque temps par la personne qui s'en servait ;
car les disciples s'oifensèrent de ce qu'on ne vendait
pas ce parfum pour en donner l'argent aux pauvres; et
dans le récit de saint Jean (xii, 7) , Jésus dit en pro-
pres termes : « Elle a gardé ce parfum pour le jour de
ma sépulture (1). » Ce qui a fait dire à Michaëlis qu'on
(I) Cest le sens du grec ; la Yulgate porte : « Souffrez qu'elle le
garde pour le jour de ma sépulture. "
478 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
pourrait presque conjecturer que c'était le reste du par-
fum que Marthe et Marie avaient acheté pour les funé-
railles de Lazare ; qu'au moins en lisant le récit de saint
Jean cette pensée se présente d'elle-même comme assez
probable. 7° Dans l'un et l'autre cas, les disciples blâ-
ment l'action de cette femme; 8° Et le motif de leur cen-
sure se trouve être le même . 9'' Dans saint Jean aussi bien
que dans saint Matthieu et saint Marc, non seulement
JÉSUS approuve cet honneur qu'on lui témoigne, mais il
fait chaque fois la même réponse aux disciples. 10'' L'ex-
pression de ce nard pur dont saint Marc et saint Jean
se servent également, non seulement est inusitée, et par
conséquent obscure ; mais dans le grec des Septante et
dans le Nouveau-Testament elle ne se présente qu'ici ;
ainsi le parfum était absolument le même.
Ces détails sont trop nombreux et leurs coïncidences
trop frappantes pour s'être présentés deux fois. Ajou-
tons qu'il n'y a aucune apparence que les disciples ,
après avoir été repris par Jésus six jours avant Pâques,
pour avoir blâmé le témoignage de respect et de véné-
ration rendu par une femme à leur divin Maître, se soient
permis la même censure dans une occasion semblable,
deux jours avant la même fête ; car par ces murmures
et ces plaintes ils commettaient envers Jésus-Christ
une faute grave, qu'ils auraient dû vivement sentir quand
il leur répondit ( Joan. xii, 8) : « Vous aurez toujours
des pauvres avec vous ; mais pour moi, vous ne m'aurez
pas toujours ; » et ils n'y seraient pas retombés quatre
jours après.
Ainsi la seule différence qui existe entre les récits de
saint Matthieu et de saint Jean, c'est que dans quelques
parties l'un se trouve plus détaillé que l'autre ; et il est
DES ÉVANGÉLISTES. 479
d'autant plus facile de concilier leurs prétendues contra-
dictions, qu'ils ont entièrement l'air de parler comme
deux témoins oculaires du même fait.
1° D'après saint Matthieu et saint Marc , c'est une
femme qui répand un parfum précieux sur la tête de
Jésus-Christ. Saint Jean affirme expressément que ce
fut Marie ; et si nous faisons quelque attention à ce qu'il
dit immédiatement auparavant (vers. 2) , que Marthe
servait au souper, et que Lazare était un des convives,
il nous semblera incontestable qu'il veut parler de Ma-
rie , sœur de Lazare. Mais mettons le passage même
sous les yeux du lecteur : «Jésus donc, six jours avant
la Pâque , vint à Béthanie, où était Lazare, le mort qu'il
avait ressuscité d'entre les morts (1). Là on lui donna
à souper ; et Marthe servait, et Lazare se trouvait parmi
ceux qui étaient à table avec lui. Marie donc prit une
livre, etc. ( Joan. xii, 1-3).» 11 n'y a point de contra-
diction entre deux historiens, lorsque parlant du même
personnage, l'un cite son nom propre, et l'autre le passe
sous silence. On pourrait même tirer de ce silence de
saint Matthieu et de saint Marc un argument en faveur
de l'opinion que nous soutenons, c'est-à-dire, pour prou-
ver que saint Matthieu et saint Jean rapportent le même
fait. En effet, il faut que saint Matthieu et saint Marc
aient eu des raisons particulières pour taire le nom de
la femme, puisque, d'après leur propre récit, Jésus dé-
clare que partout où l'Evangile doit être annoncé, dans
tout l'univers, on racontera à la louange de cette femme
(1) Nous citons ce passage d'après le texte grec; laVulgate porte;
J^enit Bethaniamubi Lazarus fuerat mortuus quein suscitavit Jésus ;
sens qui, comme on le voit, peut facilement se ramener à celui du
texte original.
48 d DFS PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
ce qu'elle vient de faire. Or, cela n'a pas eu lieu, à
moins qu'il ne s'agisse de la même Marie dont parle saint
Jean. Ainsi, dans le sentiment contraire au nôtre, la dé-
claration de Jésîjs-Chrîst n'aurait pas été accomplie.
On pourrait encore expliquer ainsi la différence qui se
trouve sur ce point entre saint Matthieu et saint Marc
d'un côté et saint Jean de l'autre. Les deux premiers,
qui n'avaient cien dit de la résurrection de Lazare, de
peur de s'exposer à la persécution du grand conseil des
Juifs, ont probablement pour la même raison caché le
nom de sa sœur Marie (1) : car il est difficile de sup-
poser que saint Matthieu, témoin oculaire du fait, et qui
accompagnait continuellement Jésus , l'ami de Lazare
et de ses deux sœurs, ait pu ignorer le nom de Marie.
Saint Jean, au contraire, cite le fait en détail, parce que,
écrivant après la destruction de Jérusalem, il ne pou-
vait avoir aucun motif de cacher le nom de Lazare ou
de Marie.
2° Selon saint Matthieu , le festin fut donné à Jésus
dans la maison de Simon le lépreux ; selon saint Jean,
Lazare se trouvait au nombre des convives, et sa sœuf
Marie servait. Quelques commentateurs ont considéré
le récit de ce dernier comme une variante dans l'his-
toire, et en ont conclu que le repas avait eu lieu dans
la maison de Lazare. Mais cette conclusion paraît fort
peu légitime; car personne ne dirait en parlant du maî-
tre de la maison : (c II était un de ceux qui étaient assis
à table. >) Cette expression prouve , au contraire , que
(1) L'Évangile nous oflre en effet des exemples de la haine et même
des persécutions qu'exerçaient les Juifs contre ceux qui avaient reçu
de JÉsus-CnRiST quelque faveur particulière qui rflontrait sa puis-
sance divine.
DIS KVAXCÉLISTFS. 48 I
Lazare n'était qu'un simple convié, et que le repas se
fit dans la maison d'un ami, dans laquelle sa sœur Mar-
the préparait le festin.
3° Saint Matthieu dit q-zc la femme versa le parfum
sur la tète du Sauveur, et saint .le?!n rapporte qu'elle le
répandit sur ses pieds. Quoique cette différence paraisse
assez considérable, elle ne suffit cependant point pour
prouver que les deux évanf^élistes n'aient point en vue le
même fait. D'après la coutum.e universelle des Orien-
taux, nous pouvons regarder comme une chose cer-
taine que Marie n'omit pas de répandre son parfum sur
la tête de Jésus ; mais saint Jean, qui dans sa narration
ajoute les principales circonstances que saintMatthieu et
saint Marc ont passées sous silence, ne dit rien de l'onc-
tion faite sur sa tête, et se borne à rapporter que Marie
répandit du parfum sur ses pieds : manière de narrer
qui est conforme à l'usage de saint Jean , qui supplée
ordinairement aux détails omis par ses prédécesseurs.
k° Saint ^îatthieu dit que tous les disciples en géné-
ral, et saint Marc, que quelques-uns d'entre eux furent
indignés , et blâmèrent la femme. On pourrait croire,
au premier abord, qu'il y a contradiction entre ces deux
évangélistes; cependant, il en est tout autrement dès
que l'on considère leurs textes avec quelque attention.
Car quand saint Matthieu se sert de l'expression géné-
rale les disciples, il ne s'ensuit pas qu'il veuille les com-
prendre tous sans exception ; et quand bien même il
aurait eu cette intention, il ne contredirait pas pour cela
le témoignage de saint Jean, comme nous allons le mon-
trer. De même, lorsque saint Jean nomme expressément
Judas ïscariote, il ne dit pas un seul mot qui autorise
à conclure qu'il exclut les autics apùtres. Il paraît très»
V. 21
482 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
probable que Judas fut le premier qui blâma l'action de
Marie, ou que du moins il la censura avec plus de force
et de violence. D'ailleurs saint Jean lui-même nous mon-
tre assez clairement la raison qui a pu le porter à être
si explicite envers Judas , lorsque après avoir rapporté
ses plaintes, il ajoute : ail disait ceci, non qu'il se sou-
ciât des pauvres , mais parce que c'était un voleur, et
que, gardant la bourse, il portait l'argent qu'on y met-
tait. » Ainsi saint Marc et saint Matthieu ont très-bien
pu dire que les apôtres en général avaient murmuré,
puisqu'en effet ils avaient eu la faiblesse d'imiter Judas
sur ce point; et saint Jean a pu aussi de son côté dési-
gner personnellement ce dernier sans faire mention des
autres, parce qu'ils étaient tout-à-fait étrangers au mau-
vais esprit qui l'animait.
On objecte encore que si l'histoire racontée par saint
Jean était la même que celle qui se lit dans saint Mat-
thieu, il y aurait une contradiction manifeste entre leurs
récits par rapport au temps où elle serait arrivée; car
saint Jean dit en propres termes que ce fut le sixième
jour avant Pâques, et saint Matthieu affirme d'une ma-
nière non moins expresse que ce fut le second. Nous
avouons franchement que le temps où s'est passé l'évé-
nement qui nous occupe ne nous paraît pas si claire-
ment déterminé qu'aux critiques auteurs de cette objec-
tion. Il est incontestable que saint Jean a fixé la date
de ce fait au sixième jour avant la Pàque ; mais il est
très-contestable que'saint Matthieu ait assigné un autre
jour. La division actuelle du texte de ce dernier porte-
rait en effet à croire au premier abord que cet évangé-
liste a réellement déterminé le temps ; mais un examen
attentif de ses paroles nous autorise à penser tout au-
DES ÉVANGÉLISTES. 483
trement. Ainsi saint Matthieu, loin d'employer la même
précision que saint Jean, loin de dire : Le second jour
avant la Pâque, Jésus se rendit dans une maison en Bé-
thanie ; après avoir rapporté des discours que le divin
Sauveur avait faits à ses disciples, il ajoute simplement :
« Après que Jésus eut fini tous ces discours , il dit à
ses disciples : Vous savez que la Pâque se fera dans
deux jours, et que le Fils de l'homme sera livré pour être
crucifié)) (Matth. xxvi, 1, 2). Immédiatement après,
saint Matthieu rapporte le complot formé contre la vie
de JÉSUS en ces termes : « Alors les princes des prêtres
et les anciens du peuple s'assemblèrent dans la salle du
grand prêtre appelé Caïphe, et tinrent conseil ensem-
ble pour se saisir de Jésus par ruse et le faire mourir ;
mais ils disaient qu'il ne fallait pas que ce fût pendant
la fête , de peur qu'il n'arrivât quelque tumulte parmi
le peuple (vers. 3-5).» Or, le mot alors étant suscepti-
ble d'une signification très-étendue, et par conséquent
très-vague , ne prouve pas plus que cette délibération
ait eu lieu le même jour que le Sauveur adressa à ses
disciples le discours dont nous venons de parler, qu'il
ne décide qu'elle eut lieu à la même heure. Mais quand
nous admettrions même que ces discours de Jésus-
Christ et ce conseil des prêtres aient été tenus le même
jour, il ne s'ensuivrait nullement que le repas de Bétha-
nie eût été fait ce jour-là ; du moins les mots par les-
quels saint Matthieu commence sa relation ne fixent le
temps en aucune manière, et peuvent aussi bien se rap-
porter à une période précédente qu'au moment présent;
car voici ses propres paroles : «Or, pendant que Jésus
était en Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux
(vers . 6) . »
484 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
On pourrait objecter encore que quoique saint Mat-
thieu et saint iMarc n'aient pas expressément cité le jour
auquel le repas eut lieu en Béthanie, ils lui ont au moins
assigné une place dans la partie de leur récit qui con-
tient des faits accomplis deux jours seulement avant la
célébration de la Pâque. Mais cette objection suppose
que les évangélistes ont toujours observé l'ordre chro-
nologique dans leur narration. Or c'est ce qu'ils n'ont
pas fait ; nous avons déjà eu plusieurs fois l'occasion
d'en faire la remarque, et nous pouvons ici en fournir
quelques preuves. En effet, si, divisant les chapitres
autrement qu'ils ne le sont dans nos Bibles actuelles,
nous ajoutons au chapitre xxv de saint Matthieu les
deux premiers versets du xxvi , l'histoire du festin
donné à Jésus-Christ chez Simon le lépreux, histoire
racontée dans les versets suivans , paraîtra certaine-
ment bien moins se rapporter au temps indiqué dans les
deux premiers. Mais s'il en était ainsi, dira-t-on peut-
être, les évangélistes auraient écrit d'une manière bien
irrégulière ; ils auraient classé les faits dans un ordre
très-différent de celui dans lequel ils sont arrivés ; ir-
régularité qu'on ne peut guère supposer dans des his-
toriens qui ont écrit sous l'inspiration divine. Il n'est
pas difficile, ce nous semble, de résoudre cette diffi-
culté. N'oublions pas qu'outre l'ordre chronologique,
il existe pour les ouvrages historiques un autre genre
d'arrangement qu'on peut appeler l'ordre des choses ;
c'est-à-dire que les faits qui sont liés entre eux sont dis-
tribués de manière que la relation entre la cause et l'ef-
fet puisse facilement s'apercevoir ; et c'est même cette
sorte d'arrangement qui distingue l'historien attachant
et instructif du simple annaliste. A la fin du chapitre xxv,
DES ÉVANGÉLISTES. 48S
OU plutôt jusqu'au second verset du chapitre xxvi, saint
Afatthieu avait rappelé jour par jour les discours les
plus remarquables queJÉsus-GuRiST avait faits la der-
nière semaine avant sa mort. Il commence ensuite à
rapporter l'histoire de sa passion, avec laquelle l'onc-
tion de parfums qu'il reçut à lîéthanie chez Simon le lé-
preux avait un rapport immédiat. Le sanhédrin avait
résolu de faire mourir Jésus, mais non pendant la fête;
et ce fut cette même onction qui leur fournit les moyens
de l'avoir en leur puissance, quoiqu'elle eut lieu le jour
même qu'ils avaient tâché d'éviter. Il est permis de ti-
rer cette conclusion du récit même de saint Matthieu,
qui après avoir décrit la délibération du grand conseil
des Juifs, rapporte immédiatement ce qui se passa chez
Simon, et ajoute : « Alors l'un des douze, appelé Judas
Iscariote , alla trouver les princes des prêtres , et leur
dit : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai
( Matth. XXVI , U , 15) ?» Le récit de saint Matthieu a
quelque obscurité , parce que nous ne voyons pas com-
ment l'onction des parfums excita dans Judas la déter-
mination de trahir son maître; mais on le voit claire-
ment dans le récit du quatrième évangéliste ; il paraît,
d'après sa narration , que Judas fut celui qui blâma l'ac-
tion de Marie, sous le prétexte que le parfum aurait dû
être vendu au profit des pauvres, et que ce prétexte spé-
cieux fut approuvé par quelques apôtres. La véritable
raison pour laquelle Judas désirait que le parfum eût
été vendu, était l'espérance qu'il avait de pouvoir tirer lui-
même son profit de la vente, dont le prix devait être mis
dans la bourse qui était confiée à sa garde. Aussi, la ré-
ponse du Sauveur toucha plus particulièrement Judas, et
la conscience coupable de ce malheureux ajouta encore
486 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
à la sévérité du reproche. Dans cet état de choses, il ne
doit pas sembler extraordinaire que Judas résolût de se
venger, surtout si on considère que le divin Sauveur l'a-
vait déjà désigné comme un suppôt du démon (Joan . vi,
71), et qu'il pensait peut-être que si, contre sa croyaace,
JÉSUS était réellement le Messie, les mesures que l'on
concertait contre lui ne réussiraient pas ; mais que si
c'était un imposteur et non l'envoyé de Dieu , il n'au-
rait que le sort qu'il méritait. Il semble donc que l'onc-
tion de parfum, laquelle donna lieu à l'offre que Judas
fit au sanhédrin de lui livrer Jésus, se trouve mieux pla-
cée immédiatement après le récit de l'effet qu'elle pro-
duisit, qu'elle ne l'aurait été au commencement du cha-
pitre XXI, auquel elle appartient sous le rapport de l'or-
dre chronologique.
Quelquefois on peut concilier plusieurs passages qui
semblent se contredire, à l'aide d'une leçon différente.
D'autres fois les conjectures critiques peuvent fournir
des secours pour dissiper les contradictions apparen-
tes. Mais on ne doit point perdre de vue ce que nous
avons déjà prouvé (t. i, pag. 463), qu'il ne faut recourir
à la conjecture critique que très-rarement, et seulement
dans les cas d'une absolue nécessité ; quand, par exem-
ple,la leçon commune paraît évidemment opposée au ca-
ractère et au but de l'auteur. Enfin on peut supposer
encore que plusieurs endroits qui, dans saint Matthieu ,
ne s'accordent pas avec les endroits parallèles des au-
tres évangélistes, ne se trouvent ainsi en désaccord que
par la faute de l'écrivain qui a traduit son Evangile
d'hébreu en grec, et que le texte original de saint Mat-
thieu portait d'autres leçons. Cette dernière raison, il
faut en convenir, ne saurait être alléguée par les criti-
DES ÉVANGÉLISTES. 487
qiies qui pensent que cet évangéliste, après avoir écrit
son évangile en hébreu, en a composé un autre en grec
pour l'usage des juifs hellénistes ; opinion que nous
avons dit nous-même être non seulement possible, mais
encore très -vraisemblable (1). Mais dans l'hypothèse
même que saint Matthieu serait l'auteur du texte grec,
il ne s'ensuivrait pas que ce texte, tel que nous l'avons
aujourd'hui , soit absolument exempt de fautes ; car il
n'a pas été plus à l'abri que les autres de l'inadvertance
et de l'ignorance des copistes.
k. Montrons maintenant combien sont fausses certai-
nes conséquences que des critiques hardis et téméraires
n'ont pas craint de tirer des prétendues contradictions
qui se trouvent entre les quatre Evangiles ; mais pour
que le lecteur ne prenne pas l'échange sur notre véri-
table sentiment dans cette importante question, nous
croyons devoir lui rappeler ce que nous avons déjà dit
au commencement de cet appendice; savoir, que les évan-
gélistes ayant tous été favorisés du don de l'inspiration
divine dans la composition de leurs ouvrages , secours
surnaturel qui leur assure l'infaillibilité, ils n'ont nul-
lement pu se contredire les uns les autres dans leurs
écrits; qu'ainsi toutes les contradictions qui choquent
plus ou moins nos adversaires ne sont qu'apparentes;
et s'il en est quelques-unes qui semblent tout-à-fait in-
conciliables , c'est uniquement parce que nous n'avons
su découvrir jusqu'ici le véritable moyen de les faire dis-
paraître. Combien de difficultés en ce genre, après avoir
long- temps déconcerté toutes les tentatives même les
(t) Yoy. plus haut (pag. 125, 126) les raisons que nous avons fait
valoir en faveur de ce sentiment.
488 DES PFlÉTiilVDUKS CONTRADICTIONS
plus consciencieuses, oat fini par céder aux efforts per-
sévérans et à l'examen plus approfondi d'une habile cri-
tique! Si donc, par impossible, on venait à prouver
d'une manière solide qu'il se trouve dans les quatre
Evangiles des contradictions réelles, c'est-à-dire des
contradictions telles que tout moyen de les concilier soit
démontré jusqu'à l'évidence être d'une impossibilité ab-
solue, la seule conséquence qu'il serait légitimement
permis d'en^tirer, c'est qu'on pourrait dire que les au-
teurs n'ont pas écrit sous l'inspiration divine, ou que
du moins ils n'ont pas reçu le don de l'infaillibilité ; mais
de ce que des historiens varient dans leurs récits, nous
n'avons aucun droit d'en conclure que l'histoire elle-
même qu'ils ont composée soit un simple conte fabri-
qué. « Quand plusieurs personnes racontent la même
histoire, dit avec raison Michaëlis, il n'est pas possible,
même quand toutes seraient témoins oculaires du fait
qu'elles rapportent , et moins encore si elles en avaient
été informées par d'autres , que leurs récits coïncident
en tout point, puisque toutes n'ont pas observé ou ne se
sont pas rappelé les mêmes circonstances. Cependant,
si elles sont d'accord sur le point principal , personne
ne conclura que toute l'histoire soit supposée, seule-
ment parce que ceux qui la racontent diffèrent dans quel-
ques circonstances secondaires. Une semblable consé-
quence convertirait les histoires les plus dignes de foi
en légendes fabuleuses. Quand deux officiers prus-
siens qui ont servi pendant la guerre de sept ans, de-
puis 1756 jusqu'en 1763, rapportent ce qui s'est passé
dans cette mémorable période, l'un et l'autre commet-
tent des erreurs , surtout sur les dates et les nombres ,
dont la conséquence nécessaire est qu'ils se contredi-
DES ÉVANGÉLISTES. 489
sent. Si nous lisons l'histoire de cette guerre par Lloyd
et Tempelhoff , nous verrons que non seulement ils se
contredisent, mais que tous deux contredisent les nou-
velles officielles imprimées dans la gazette de Berlin.
J'en citerai , par exemple , la bataille de Prague , dans
laquelle Lloyd a fait la liste des blessés autrichiens si
courte qu'elle est absolument incroyable, quand on con-
sidère les conséquences importantes et immédiates de
cet engagement. Cependant personne ne conclura que
la guerre de sept ans ou que la bataille de Prague ne
soit qu'une fable. Quiconque a lu l'histoire romaine, non
seulement dans le but d'apprendre une langue morte,
mais comme critique, y a trouvé des contradictions
qu'aucun artifice ne peut concilier. Par exemple, Florus
décrit la bataille de Pharsale tout autrement qpe César ;
dans le calcul du nombre des combattans qui des deux
côtés se trouvèrent sur le champ de bataille , il n'y a
rien moins qu'une différence de cent cinquante mille
hommes. Cependant personne ne prétendra que la ba-
taille de Pharsale, qui a décidé du sort du monde , ne
soit qu'une fable. Il en est de même pour l'histoire grec-
que dans les siècles les mieux connus, comme on peut
s'en assurer en lisant les récits de l'expédition de Xerxès
et de la force de son armée (1). »
Après avoir prouvé contre Strauss que le caractère
surnaturel des récits évangéliques ne doit pas faire re-
jeter la réalité de l'histoire qu'ils contiennent, M. Mus-
sard démontre avec la même force et la même solidité
que l'objection de son adversaire tirée des contradic-
tions qui se trouvent dans ces mêmes récits, n'a pas le
(1) J. D. Michaèlis, InU'oduction au IV. T. lom. in, pag. 35-37.
21.
490 DES PRÉTENDUES CONTRADICTIONS
plus léger fondement. « Mais on ne se borne pas à cette
première attaque, dit ce critique , on signale les con-
tradictions apparentes ou réelles qui se trouvent dans
les évangélistes, et l'on en fait un argument nouveau
contre la valeur historique des récits sacrés.
« Quelques-unes de ces contradictions existent, nous
ne voulons pas le nier ; il y a même long-temps qu'on
les a remarquées. Celse au second siècle, Porphyre au
troisième, les avaient reprochées aux chrétiens ; plus
tard, quelques déistes anglais, Margan, Chubb et d'au-
tres, les relevèrent à leur tour ; Lessing en avait exposé
dix qu'il déclarait inconciliables, et sur lesquelles il
appelait l'attention des théologiens.
(( Ce fait important mérite un examen approfondi ; il
touche naturellement à la question de l'inspiration des
livres saints , sur laquelle il répand du jour, et dont il
aidera sans doute à apprécier les limites, en apportant
quelques modifications nécessaires à des théories trop
absolues qui se trouveraient en désaccord avec les
faits (1). Toutefois, dans la question qui nous occupe,
nous ne croyons pas qu'on puisse argumenter des con-
tradictions pour incriminer la valeur historique de nos
Évangiles et en tirer quelques probabilités en faveur du
système mythique.
« En effet , combien n'y a-t-il pas dans les histoires
profanes de cas particuliers sur lesquels les historiens se
(1) Ces quelques mots de M. Mussard sur les limites de l'inspira ■
tion sont assez vagues et assez obscurs ; nous ne chercherons pas à
les expliquer; seulement nous ferons observer que les protestansen
général resserrent trop les limites de l'inspiration divine, en renvoyant
le lecteur aux principes que nous avons étabhs dans le lome I^r de
ceUe Introduction*
DES ÉVAXGÉLISTES. 491
montrent partagés, qu'ils présentent d'une manière dif-
férente, avec des détails qui souvent se contredisent,
sans qu'on soit en droit pour cela de mettre en doute la
réalité des faits qu'ils transcrivent? Ainsi, par exemple,
Tite-Live et Polybe, ces deux illustres écrivains , ra-
content le passage des Alpes par Annibal , et diffèrent
entre eux d'une manière grave sur les détails principaux
de cet événement mémorable, au point que Zander, qui
a pris à tâche de comparer les deux récits , a signalé
dans ce seul fragment historique des différences plus
grandes qu'aucune de celles qu'on a relevées dans nos
Evangiles. Tous ceux qui ont entrepris de les concilier
ont fini par diverger eux-mêmes tellement, qu'on ne sait
pas encore aujourd'hui si c'est le Viso , le Genèvre, le
Cenis, les Alpes Juliennes , le Petit Saint-Bernard, le
Grand Saint-Bernard ou le Simplon, qu'a traversé le
grand capitaine. Et cependant la plupart de ces auteurs
sont allés sur les lieux; Tite-Live avait exploité toutes
les sources contemporaines et recueilli la plupart des
détails de la bouche de Cincius Alimentus, qui les tenait
d'Annibal , dont il était le prisonnier : Polybe, venu à
Bome trente-cinq ans après l'événement, avait franchi
les Alpes et pris toutes les informations possibles sur le
théâtre même des faits (1). Ces contradictions permet-
tront-elles de conclure que le général des Carthaginois
n'ait pas passé des Gaules en Italie?
« Nous avons encore dans l'histoire moderne un exem-
ple non moins saillant de ces divergences qui peuvent
exister en grand nombre sans ébranler pour cela la réa-
(1) Voyez pour plus de délails Tholuck, GlaubivurdUjheil der evang%
Ceschichle, pag, 477 el sidv.
492 DES PRÉTENDUES COXTRADICTIOKS
lité du fait raconté; il s'agit de la mort de Charles le
Téméraire . Si l'on en croit Loyens (1) , un coup de lance
traversa la cuisse et les reins du duc, et une hache lui
fendit la tête jusqu'à la bouche. La Marche écrit dans
ses mémoires (2) : ce Ainsi perdit le duc de Bourgogne
la troisième bataille, et fut en sa personne rateint, tué
et occis de coups de masse. Aucuns ont voulu dire que
le duc ne mourut pas à cette journée, mais si fit ; et fut
le comte de Chimay pris et mené en Allemagne, et le duc
demeura mort au champ de bataille et estendu comme
le plus pauvre homme du monde. » Gommines dit (3)
que Charles fut tué dans sa fuite par des lanciers alle-
mands qui ne le connaissaient pas. D'autres [k] pré-
tendent que ce fut par des cavaliers que Campo-Basso
avait postés dans ce dessein. D'autres enfin, tels que
Jean de Miiller (5) , soutiennent que ce fut de la main
de Campo-Basso lui-même. Il y a plus : cette mort sur
le champ de bataille de Nancy fut niée ; et c'est encore
une nouvelle contradiction. Nombre d'années après on
croyait le duc vivant ; on affirmait qu'il s'était échappé
des mains de ses ennemis , et qu'il avait juré de faire
pénitence de ses fautes pendant sept ans. Un ermite
propagea cette fable ; et comme il avait une certaine
ressemblance avec Charles, le peuple le prit pour le duc,
jusqu'à ce qu'enfin toute erreur eût été dissipée par les
plus authentiques témoignages. Quel thème pour le my-
the! Mais qui voudrait sur de semblables données et sur
(1^ Synopsis Duc. Biirg. pag. 148 et suiv.
• (2) Mémoires de La Marche, liv. ii, ch. vin, \mfj. 408.
(3) Liv. V, ch. VI, parj. 295.
(4) Duclos, Hist. de Louis XI, pag. 206. — Annal, nov. pag. 105.
(5) Hist, univ. t. lu, liv. xviii, pag. 204.
DES ÉVAXGÉLISTES. 49 3
ces seules divergences mettre en doute sérieusement
la question de l'existence et de la mort de Charles le
Téméraire? Assurément ce ne sera pas Strauss.
(( Il peut donc y avoir, comme on le voit par ces deux
exemples , des contradictions assez fortes sur les cir-
constances particulières d'un fait historique, sans qu'on
puisse pour cela contester la réalité de ce fait. Or, ce
qui est vrai de l'histoire profane doit l'être aussi de l'his-
toire sacrée. Il n'y a pas de raison pour juger à cet égard
l'une plus défavorablement que l'autre (1).
tt D'ailleurs , si l'on fait attention à la nature même
'de ces contradictions qu'on fait sonner si haut, il nous
semble qu'elles sont fort loin d'avoir l'extrême impor-
tance qu'on veut bien leur attribuer. Examinées avec
plus d'impartialité et d'amour sincère pour ce qui est
vrai, elles perdent une grande partie de leur gravité.
Pour être bien convaincu que Jésus a fait des miracles,
ai-je besoin de savoir au juste si c'est à deux aveugles
ou à un seul qu'il a rendu la vue à Jéricho ; s'il opéra
ce prodige en entrant ou en sortant de la ville, si la gué-
rison qu'il fit à Capharnaiim eut lieu sur la personne
du fils d'un centenier ou d'un seif^neur de la cour? Pour
'CJ"
(1) Nous relrouvons la même opinion chez saint Augustin : « Ap-
paret nos non tluhere arhitrari , incntiri queniquam, si pîuribus rem,
quani audicrunt vcl viderunt, rciiiiniscentibus, non eodcm modo al-
que eisJcm \erbis, eadeni tan-en res fuerit c.\[>licata, ut sive muletur
ordo verborum, sive alia pro aiiis qua; lamcn idem valeant verba
proferenlur, sive aliquid quod vel recordanti non occurrit, vel quod
cxaliis quai dicnntur possit intclligi, minus dicalur: sive aborum qua3
magis dicere staluit, narrandorum gratià, ut congruus lemporis mo-
d»is sufliciat, aliquid sibi non lotum explicandum, sed ex parte tan-
gendum quisquc suscipiat {De consensii Evaugcl. l. n, 12). »
494 DES PRÉTENDUES COXTR. DES ÉVANGÉLISTES.
pouvoir croire à l'ensemble de l'histoire évangélique ,
ai-je besoin de savoir au juste combien de fois le coq
a chanté lorsque Pierre eut le malheur de renier son
maître ; si c'est du vin amer ou du vinaigre qu'on offrit
à JÉSUS sur la croix ; si le Christ est entré à Jérusalem
sur un ânon ou sur une ânesse? Ce sont là, je le ré-
pète, des points secondaires sans importance dans la
question qui nous occupe.
« Il est cependant quelques contradictions plus gra-
ves, on n'en saurait douter, et qui même au premier
coup d'oeil sont embarrassantes, parce qu'elles parais-
sent inconciliables ; mais la science, qui fait chaque jour
de nouveaux progrès, réussit souvent à les faire dispa-
raître ; on est tout étonné de les voir s'évanouir au
moyen d'une interprétation du texte un peu différente de
celle qu'on avait jusque alors adoptée , ou bien par un
examen plus savant et plus approfondi, ou encore par
quelque hypothèse ingénieuse qui vaut bien celle qui
consiste à dire que le récit est faux (1). Avant donc de
nous laisser ébranler dans notre foi par les contradic-
tions qu'on nous oppose , et de rejeter pour ce motif la
vérité de nos Évangiles, sachons attendre; la science,
qui a déjà tant accompli pour une plus grande intelli-
gence de nos livres sacrés , accomplira plus encore ;
nous n'avons pas le moindre doute qu'un jour viendra
où les difficultés importantes seront dissipées à la lueur
de son flambeau.
(I) On peut voir encore quelques nouveaux exemples de conlra-
dictions levées, dans Neander, Das Leben Jesu, passim. Tholuck,
Glaubwurdiykeit der evang. Geschiclile, pag. 158 et suit. — Hey-
denrich, UeOer die Unzulœssiykeit der Mtjt. Aufl'aisung, i, pag. 98
et suiv.
DE LA CHRONOLOGIE DES ACTES DES APOTRES. 496
« Les contradictions qui se trouvent dans nos Evan-
giles nous paraissent donc, en dernière analyse , être
fort loin de fournir un argument suffisant contre le ca-
ractère historique de ces livres sacrés (1). »
APPENDICE A LA SIXIEME SECTION.
DE LA CHROXOLOGIE DES ACTES DES A^OTRES.
Quoique dans les sections précédentes nous ne nous
soyons pas occupé de la question chronologique des faits
contenus dans les différens livres qui composent Vln-
troduction particulière, nous avons cru devoir en user
tout autrement pour les Actes des Apôtres, tant à cause
de l'intérêt tout particulier qui se rattache à l'ordre des
événemens qui font le sujet de ce livre, que parce que
cette question est d'une grande importance par rapport
aux Épîtres de saint Paul, comme on le verra aisément
dans le courant de la section suivante. Nous divisons
cet appendice en deux articles différens, que nous em-
pruntons l'un à Michaëlis et l'autre à Hug.
ARTICLE I.
De la chronologie des Actes des Apôtres d'après
Michaëlis.
Il est clair, dit Michaëlis, que saint Luc dut écrire
les Actes des Apôtres avec assez d'attention à l'ordre
chronologique, mais il n'a mis la date à aucun des évé-
(1) Eugène Mussard, Examen critique du système de Strauss,
pajf. 100-104.26 édit, Genève, 1839..
496 DE LA CHRONOLOGIE
nemens, quoiqu'il l'ait fait une fois dans son Evangile
(m, 1, 2). En général, les auteurs anciens étaient moins
attentifs sur ce point que les auteurs modernes, et peut-
être, dans quelques cas, saint Luc ne suit-il pas exac-
tement l'année dans laquelle les événemens avaient eu
lieu. Cependant il est quelques parties des Actes des
Apôtres dans lesquelles l'histoire ecclésiastique se com-
bine avec les faits politiques dont les dates nous sont
connues ; je tâcherai donc de déterminer celles qui peu-
vent l'être avec quelque précision, parce que la connais-
sance de la chronologie des Actes des Apôtres ne con-
tribuera pas seulement à l'intelligence du livre même,
mais encore nous aidera à fixer l'année dans laquelle
saint Paul écrivit plusieurs de ses Epîtres.
Je regarde comme convenu que les Actes des Apô-
tres commencèrent vers l'an 33 de l'ère chrétienne. Je
suis Usher (1) dans le calcul de cette ère , et je n'en-
tre pas à présent dans des recherches minutieuses à ce
sujet.
1° La première époque après le commencement du
livre est au chapitre xi, 29, 30 ; car ce qui arriva entre
la première Pentecôte après l'ascension du Christ et
cette période est sans aucune marque de chronologie.
Mais au chapitre xi, 29, 20, nous avons une date ; puis-
que la famine qui eut lieu au temps de Claude César,
et qui engagea les disciples d'Antioche d'envoyer du se-
cours à leurs frères de Judée, arriva la quatrième an-
née du règne de Claude, c'est-à-dire l'an kk- de l'ère
chrétienne.
(1) Uaher, comme récrivenl les Anglais, esllc mcnie chronologisle
qu'on appelle ordinairement Uaaer ou Usserias,
DES ACTES DES APOTRES. 497
2° Seconde époque. Hérode Agrippa meurt peu après
avoir mis à mort l'apôtre saint Jacques; et dans ce
temps, saint Paul et Barnabas reviennent de Jérusalem
à Antioche. Chapitre xii, 21-25. Ceci arriva encore
l'an kï.
3° Troisième époque. Chapitre xviii, 2. Peu après
l'expulsion des Juifs d'Italie , par Claude César, saint
Paul arrive à Corinthe. Les commentateurs prétendent
que cet événement eut lieu l'an .ïi ; mais cela est dou-
teux, parce que Suétone, le seul historien qui ait parlé
de l'exil des Juifs, ne lui assigne aucune date. Pour cette
raison, je ne décide rien.
4.*^ Quatrième époque. Saint Paul vient à Jérusalem ,
où il est emprisonné par les Juifs, peu après les troubles
que les Égyptiens avaient excités. Chapitre xxi, 37-39.
Cet emprisonnement de saint Paul eut lieu l'an 60 ; c'é-
tait deux ans avant que Félix quittât son gouvernement
de Judée. Chapitre xiii, 26 ; xxiv, 27.
5° Cinquième époque. Deux années après que saint
Paul eut été mis en prison, l'an 62, Festus est nommé
gouverneur de Judée. Chapitre xxiv, 27 ; xxv> 1 .
Dès lors la chronologie des Actes des Apôtres est claire.
Saint Paul est envoyé prisonnier à Rome dans l'automne
de la même année pendant laquelle Festus arriva en Ju-
dée ; il essuie un naufrage, passe l'hiver à Malte , et
arrive à Rome l'année suivante, c'est-à-dire en 63. Cha-
pitres xxvi, XXVII, XXVIII.
Les Actes des Apôtres finissent avec la seconde an-
née de l'emprisonnement de saint Paul à Pvome, à savoir
l'an 65. Chapitre xxviii, 30 1).
(1) rs'ous avons fait remarquer plus haut (luc Michai-lis se coniredi-
sailsur la Jalc do celle seconde année, qu'd place, dans un autre en-
498 DE LA CHRONOLOGIE
Il est difficile de déterminer dans quelle année arri-
vèrent les événemens qui eurent lieu entre les époques
33 et 3i, ii et 60. Tout ce que nous pouvons en affir-
mer, c'est qu'ils se passèrent dans ces intervalles. Des
chronologistes ont tenté de faire plus , mais sans suc-
cès, même Usher, d'ailleurs si distingué. Malheureuse-
ment, les deux années les plus importantes, celles de la
conversion de saint Paul et du premier concile de Jéru-
salem, sont les plus difficiles à déterminer; car ni l'un
ni l'autre de ces événemens ne sont liés avec des évé-
nemens politiques par le moyen desquels on puisse en
découvrir la date. Usher place la conversion de saint
Paul à l'an 35, d'autres à l'an 38 ; on ne peut rien af-
firmer de positif sur l'une ou sur l'autre.
Mais si nous ne pouvons arriver à une certitude ab-
solue, nous pouvons former dans quelques cas une con-
jecture probable. Par exemple , saint Etienne ne put
guère souffrir le martyre avant que Pilate eût été rap-
pelé de son gouvernement de Judée; car, sous Pilate,
les Juifs n'avaient pas le pouvoir d'infliger la peine ca-
pitale; or, suivant Usher, ce fut l'an 36 de l'ère chré-
tienne que Pilate fut rappelé ; ainsi le martyre de saint
Etienne eut probablement lieu après l'année 36. Si cela
est vrai, la conversion de saint Paul doit aussi avoir eu
lieu après l'an 36 , et 35 serait une date trop rappro-
chée. Mais je ne puis déterminer combien de temps après
l'année 36 , ou si ce fut en 38 , comme quelques per-
sonnes le prétendent. Aucune date ne s'accorde avec
l'Épître aux Galates (1). Je ne puis décider non plus com-
droit^ à l'année 63. Voyez ce que nous avons dit à ce sujet, pag. 424.
(1) Ici Michaëlis renvoie le lecteur au chap. xi, sect. 1, c'est-à-dire
à la page 437 du lome m de son Introduction.
DES ACTES DES APOTRES. 499
ment les chapitres m , iv, v, vi , doivent être placés
entre les années 33 et 36. Ce que les chronologistes ont
dit à cet égard est l'effet de leurs conjectures et non le
résultat de leurs calculs. La même incertitude a lieu
pour les chapitres viii et x ; nous ne pouvons rien dire,
si non que l'un doit être placé avant et l'autre après
l'année 36. Nous sommes aussi incertains pour les cha-
pitres XIII, XIV, et quelques autres. Nous pouvons af-
firmer que le chapitre xvi appartient à une période an-
térieure au moins de six années à la quatrième époque
ou à l'an 60. Car un an et demi de séjour à Corinthe,
trois années à Ephèse , et le temps employé à faire di-
vers voyages, peut facilement être renfermé dans un in-
tervalle plus court que celui de six années. La date la
plus tardive que l'on puisse assigner au chapitre xvi,
est l'année 54, et il ne serait pas impossible qu'une date
moins éloignée encore se rapprochât de la vérité (1) . »
Michaëlis , comme on vient de le voir, ne sait pas
comment plajer certains événemens contenus dans le
livre des Actes, et il regarde comme ayant été sans suc-
cès les tentatives faites pour les classer comme il faut
par les chronologistes les yjlus habiles. Depuis que ce
savant critique a émis cette opinion, de nouveaux essais
ont été proposés , entre autres celui de Hug, que nous
soumettons au jugement de nos lecteurs. Voici comment
il a été analysé par J. E. Cellérier.
(1) J. D. Michaëlis, IiUrod. au JY. T. tome m, pa^j. 419-42?.
500 DE LA CHRONOLOGIE
ARTICLE II.
De la chronologie des Actes des Apôtres d'après Hug.
Dans la seconde édition de son Introduction aux li-
vres du Nouveau-Testament, Hug, comme il le dit lui-
même, a corrigé quelques inexactitudes qu'il avait com-
mises dans la première, en traitant de la chronologie du
livre des Actes. Ce savant critique fait remarquer qu'il
a eu sous les yeux dans son nouveau travail ce qu'ont
écrit sur cette matière Yogel, Glaber, Sûskind, Kuinoel
et Bertholdt, mais qu'il s'est écarté plus d'une fois de
leurs sentimens. Voici comment il expose le sien (1).
Une date qui offre une grande importance pour la
partie chronologique des Actes des Apôtres , est celle
que nous trouvons aux chapitres xi, 28 — xii , 25 de
ce même livre. Agabus prédit à Antiocheune famine qui
doit bientôt se faire sentir ; c'est pourquoi les fidèles
font une collecte, et envoient Barnabas ei Saul la por-
ter à Jérusalem. A cette occasion, saint Luc raconte ce
qui s'y passait (xii, 1) ; la mort de saint Jacques, la pri-
son et la délivrance miraculeuse de saint Pierre, la fin
tragique d'Hérode Agrippa. Puis, continue l'historien
sacré, xii, 25 : Barnabe et Saul s' étant acquittés de leur
ministère, ils revinrent de Jérusalem (à Antioche). La
forme de ce récit, la manière dont saint Luc le commence
(xii, 1) et le termine, prouvent que tous ces événemens
(l)Hug, Einltitancj in dieScJiriflen des Neucn Tesiamenls. Th. ir,
*5'e//. 271 //".—Tout en eniprunlanl le fond de ccl article à l'analyse de
M. Ccllcrier, nous ne nous engageons pas pouilant à la copier par-
tout mol pour mot.
DES ACTES DES APOinES. 501
eurent lieu avant le retour des deux apôtres à Antio-
clie. Il n'y a rien là que de très-vraisemblable ; Hérode
mourut à Césarée, où il était allé [i) immédiatement après
la fête. Les envoyés d'Antioche purent très-bien ne re-
partir qu'après lui, et même après sa mort ; rien ne les
rappelait en hâte chez eux, où ils n'étaient point abso-
lument nécessaires à l'œuvre'du Seigneur*(Act. xii, 2).
Que l'on suppose, si l'on veut, qu'Agrippa n'est mort
que quelques mois après , et que saint Luc n'en parle
ici que pour compléter ce qui se rapporte à ce prince,
toujours l'année de sa fin sera-t-elle la même que celle
de la députation d'Antioche à Jérusalem. Or cette an-
née se trouve déterminée très-exactement par l'histo-
rien Joseph (2). Agrippa avait régné quatre ans sous
Caligula, et trois accomplis sous Claude {rphov hoç non
TTHTr/opwro). Les envoyés d'Antioche étaient venus à Jé-
rusalem à la fête de Pâques, et c'est après cette fête que
Pierre devait être mis à mort (Act. xir, 3,4). C'est donc
après Pâques, et peu de mois après, au plus tard, qu'A-
grippa mourut. Claude avait obtenu l'empire au mois
de janvier, et sa troisième année était accomplie quand
Agrippa finit ses jours. La Pâque dont nous nous oc-
cupons ne fut donc pas celle de la troisième année de
Claude, mais de la quatrième. Nous voilà arrivés à une
date précise. Le troisième mois de la quatrième année
du règne de Claude, à la fête de Pâque, Barnabe et Saul
portèrent à Jérusalem la collecte des fidèles d'Antio-
che, et un peu après mourut Agrippa.
Après la mort de ce prince arriva la famine prédite
par Agabus; elle eut lieu sous Cuspius Fadus et Tibère
(1) Act. XII, 9. Joseph, ytnliq. l. xix, c.vii, n.3.
(2) Joseph, Antiq. l. xix, c. viii, n. 'i,elBelt.JncL l. u,c. xi, n. 6.
502 DE LA CHRONOLOGIE
Alexandre, successivement chargés par les Romains de
la tutelle du jeune Agrippa (1).
Le fait dont nous venons de déterminer l'époque a
donné lieu à une méprise grave, qui a fort embarrassé
la chronologie des Actes. Dans son Épître aux Galates
(II, 1), saint Paul dit : Quatorze ans après je retournai
à Jérusalem. Plusieurs critiques, et Hug lui-même, dans
sa première édition , avait entendu ce retour à Jérusa-
lem du voyage dont nous venons de parler ; dans la se-
conde, il reconnaît qu'il s'est trompé, et il combat son
erreur. Le voyage de quatorze ans après, est celui qu'il
fit pour se rendre au concile de Jérusalem, Act. xv, 1-4.
En effet , lors de la famine , Paul n'était pas encore
connu dans la société chrétienne depuis un temps si long
(Act. XI , 22-26 ; compar. Galat. i, 21-24). Il est clair
que lors de l'envoi de la collecte faite à Antioche, saint
Paul n'était qu'un simple aide de Barnabe, attaché à
cette seule église, et peu connue de celle de Judée. L'a-
postolat ne lui fut conféré qu'après son retour (Act.xiii,
2) . — Dans l'Épître aux Galates, au contraire (ii, 2) , il
est déjà apôtre, et apôtre des gentils, comme Pierre est
l'apôtre de la circoncision , selon qu'il le dit lui-même
(versets 7,8). Jacques, Céphas et Jean conviennent avec
lui, qu'eux prêcheront l'Evangile aux Juifs, mais Bar-
nabe et lui aux peuples étrangers (verset 9). Or cela
n'a pu avoir lieu que lorsque Paul fut de retour de son
grand voyage parmi les païens ( Act. xiii , 2-xv ) , et
lorsqu'il fut envoyé pour la seconde fois avec Barnabe
d'Antioche à Jérusalem (Act. xvi , 1-30). C'est là le
(1) Joseph, Àniiq. l. xx, c. v, n. 2. Compar. avec c. ii. n. 6, et
Antiq. l. m, c. xv, ?i. 3.
DES ACTES DES APOTRES. 503
voyage qui eut lieu quatorze ans après celui qu'il fit trois
ans «pressa conversion (Galat. i, 18, 2k). — Dans l'É-
pître aux Galates, saint Paul ne dit pas un mot du voyage
intermédiaire dans lequel il porta le fruit des charités
recueillies parmi les chrétiens d'Antioche (Act. xi, 30).
Il faut se souvenir en effet que dans cette lettre il n'a
pas pour but de faire connaître aux Galates l'histoire
de sa vie, mais seulement l'origine et l'autorité de son
apostolat.
Il serait assez important de pouvoir déterminer la
date du commencement des quatorze ans ou du premier
voyage de Paul à Jérusalem. Or, ce voyage, suivant Hug,
est raconté dans l'Épître aux Galates (i, 17, 8), et au li-
vre des Actes (ix , 22-29). On lui objectera peut-être
que les circonstances indiquées dans ces deux passages
sont assez diverses pour permettre de douter qu'il soit
question de la même époque. Mais outre que ces con-
tradictions apparentes peuvent facilement se concilier,
il est de toute évidence que dans l'un et l'autre récit il
s'agit du premier voyage de saint Paul à Jérusalem après
sa conversion , et par conséquent du même. — L'exa-
men du passage des Actes, comparé avec la seconde
Épître aux Corinthiens (xi , 32, 33), nous montre que
dans le même temps il y avait à Damas un gouverneur de
la part du roi Arétas. Quand donc ce roi a-t-il possédé
Damas? Un prince arabe de ce nom en était maître au
temps de Pompée ; ce n'est pas de lui qu'il peut être
question. Un autre Arétas , également roi de l'Arabie
Pétrée, occupa momentanément la ville, tout au plus de-
puis le milieu de la première année de Caligula jusqu'à
la fin de la seconde ; c'est ce qui résulte d'une discus-
sion savante, où nous ne suivrons pas notre auteur, et
604 DE La chronologie
c'est ce qui donne la date que nous cherchons. Supposons
que la fuite du grand apôtre soit arrivée au milieu de
ce temps, et les quatorze ans commenceront à la seconde
année de Caligula , pour se terminer à la douzième de
Claude. La conversion de saint Paul, antérieure de trois
ans au premier voyage (Gai i, 15-18), se trouvera fixée
au milieu de la vingt-unième de Tibère.
A la fin du gouvernement de Félix , nous pourrons
approcher d'une date nouvelle. C'est sous ce magistrat
que Paul est arrêté à Jérusalem et mis en prison à Cé-
sarée ( Act. xxi , 27 ; xxiii , 2'+ ) . De là on l'envoya à
Rome, quand Félix fut remplacé par Festus ( Act. xxv,
XXVI ). Mais quelle est l'époque précise à laquelle ce
changement eut lieu? Voici comment notre savant cri-
tique répond à cette question. L'historien Joseph, comme
il lo dit lui-même au commencement de sa biographie,
était né la première année de Caligula . A l'âge de vingt-
six ans (1), c'est-à-dire, par conséquent, au milieu de
la neuvième année du règne de Néron , il alla à Rome
demander la liberté de quelques prêtres ses amis que
Félix y avait envoyés pour des motifs assez légers. Or,
on ne peut inférer de ce passage que Félix gouvernait
encore la Judée ; il est fort naturel , au contraire, d'en
conclure qu'il ne la gouvernait plus. C'est donc avant
la neuvième année de Néron que le remplacement de
Félix a dû avoir lieu. Un autre fait nous montre qu'il
faut le reporter m.ême avant la huitième, puisque Pallas
perdit la vie sous le huitième consulat de cet empe-
reur (2) ; et que Pallas en avait obtenu la grâce de Félix,
(1) Vila Josepin, § 3, et cdit. Basil, paa. 62G.
(2) Tacit. Awwl. l. xiv, snb fni. î)io Ca??. /. i-Xii, par,, 706.707.
Jo?('p1i, Anliq. l. XX, c. Yiii, n. 9.
DES ACTES DES APOTRES. 505
à l'époque où celui-ci perdit sa place et fut sur le point
d'être condamné à mort. D'après ces données, Hug tire
cette conséquence que le remplacement de Félix doit être
fixé à la septième année de Néron, ou à la soixante-troi-
sième de notre ère. Mais il faut bien se rappeler ce que
nous avons déjà dit plus haut (page k2o) en parlant de
l'époque à laquelle fut composé le livre des Actes, sa-
voir que Hug ne présente son opinion que comme une'
conjecture probable, et qu'il reconnaît en même temps
que son calcul souffre des difficultés (1).
Examinons maintenant ce qui se passa entre le con-
cile de Jérusalem et l'emprisonnement de saint Paul
(Act. XV, 35). Paul et Barnabe, de retour à Antioche, y
reprennent les fonctions de leur ministère évangélique.
Pierre arrive à Antioche (Galat. ii, 11). Quelque temps
après , Paul et Barnabe parlent d'un nouveau voyage
(Act. XV, 33, 36). Barnabe part avec Marc, et ensuite
Paul avec Silas. Ce dernier départ ne doit avoir eu lieu
que quelques mois après le retour de Jérusalem , vrai-
semblablement à la fin de l'hiver. Paul fait en Asie et en
Europe un grand voyage (Act. xv, 40 — xviii, 1), qui
doit avoir été terminé en automne. L'Apôtre arrive à
Corinthe , et y séjourne dix-huit mois (xviii , 11) ; il
s'embarque pour l'Asie, à ce qu'il paraît, au commence-
ment du printemps ; il arrive à Éphèse (versets 18, 19) ;
il va célébrer à Jérusalem une fête (versets 21, 22), qui
ne peut être la Pâque, puisqu'il n'aurait pu à la fin de
mars avoir déjà fait le trajet d'Achaïe en Palestine. Après
cela, il fait quelque séjour (xpôvov rtvà) à Antioche; il
parcourt la Galatie et la Phrygie (verset 23), et revient
(l)Hug, Einleilung. Th. ii, SeU. 280, 281.
V. 22
506 DE LA CHRONOLOGIE
à Éphèse, après avoir, à ce que pense Hug, passé l'hi-
ver à Nicopolis sur l'Issus ; conjecture qui, selon M. Cel-
lérier, paraît peu fondée, puisqu'elle ne repose que sur
une hypothèse particulière sur l'époque où saint Paul
écrivit sa lettre à Tite. A Éphèse, le grand Apôtre en-
seigne la religion chrétienne pendant trois mois dans
la synagogue , et pendant deux ans dans l'école d'un
certain Tyrannus (Act. xix, 8-10). Il voulait y demeu-
rer jusqu'à la Pentecôte (l Cor.xvi, 8); mais des trou-
' blés qui s'élevèrent au sujet de ses prédications l'obli-
gèrent à partir auparavant (Act. xix , 21 — xx, 2 ). Il
se rend en Macédoine , où il annonce la parole divine ;
puis il passe en Grèce, y séjourne trois mois ; il retourne
à Pâques en Asie (versets 3, 6) , et arrive à Jérusalem à
la Pentecôte (verset 16), un peu plus d'un an après être
parti d'Éphèse, qu'il avait quittée, comme nous l'avons
vu, avant la Pentecôte de l'année précédente. Tout cela
nous donne un espace de sept ans, dont le calcul, sans
être précisément démontré dans toutes ses parties, pa-
raît cependant assez probable, et se trouve de plus com-
plètement en rapport avec la date que nous avons trou-
vée plus haut , par approximation , pour le remplace-
ment de Félix dans le gouvernement de la Judée. En
effet, les sept ans que nous disons s'être écoulés jusqu'au
cinquième voyage du grand Apôtre à Jérusalem, finis-
sent à la cinquième année de Néron . Paul fut mis en pri-
son presque en arrivant à Jérusalem (xxi, 17 — xxiii,
35), où il resta deux ans, après lesquels il fut envoyé à
Rome à l'arrivée de Festus.
L'Apôtre partit pour Rome assez tard dans l'année ,
et après le jeûne des expiations (Act. xxvii, 9). Il passa
trois mois d'hiver à Malte (Act. xxviii, 11) ; il en re-
DES ACTF.S DES APOTRES. i07
partit au mois de mars, et arriva à Rome au printemps
de la huitième année de Néron. Il y fut retenu deux ans,
et on le mit en liberté au printemps de la dixième an-
née de cet empereur, quelques mois avant ses horribles
persécutions contre les chrétiens.
On peut s'étonner à bon droit, dit M. Cellérier, que
Hug n'ait point profité de cette dernière circonstance
pour confirmer les calculs approximatifs qu'il a faits plus
haut sur l'année du remplacement de Félix, et pour sup-
pléer à l'incertitude dont leurs élémens étaient encoreu»
affectés .
Nous avons pu voir que Festus n'avait pu remplacer
Félix avant la septième année de Néron , puisque sans
cela le temps manquerait nécessairement pour les voya-
ges et les séjours intermédiaires de l'Apôtre . Nous voyons
maintenant qu'il n'a pu le remplacer plus tard, puisque,
dans ce cas , saint Paul aurait paru devant le tribunal
de César pendant ou après la grande persécution , et
qu'alors l'Apôtre des gentils, chef des chrétiens de Rome,
n'eût certainement pas été libéré. Ce rapprochement
nous donne donc l'année exacte que nous cherchons ; et
la comparaison de l'année où Paul fut arrêté, du temps
de son emprisonnement, et de l'époque de son départ
pour Rome (Act. xvii,9), nous présente la saison de
l'année où arriva Festus, c'est-à-dire l'été.
A cette analyse de la chronologie des Actes, ajoutons
quelques mots pour la mettre en rapport avec l'ère chré-
tienne.
Jésus-Christ fut baptisé à l'âge de trente ans (Luc.
III, 23), et la quinzième année de Tibère, environ deux
mois avant Pâques; c'est-à-dire au mois de février. Au-
508 DE LA CHRONOLOGIE
guste étant mort le 19 août ( 1) , le Sauveur dut commencer
son divin ministère au milieu de l'année quinzième de
Tibère. Tibère mourut le 16 mars de la vingt-troisième
année de son règne (2), environ un mois après le commen-
cement de la trente-huitième année de Jésus-Christ,
puisque celle-ci commençait au mois de février. Cette
trente-huitième année répond ainsi presque entièrement
à la première de Caligula. Celui-ci ne vit pas la fin de sa
quatrième année : monté sur le trône au mois de mars,
il mourut le 24- janvier (3) , presque à la fin de la qua-
rante et unième année de Jésus-Christ. Claude régna
treize annéespleines, et mourut au milieu d'octobre de la
quatorzième année de son règne (i), ou de la cinquante-
cinquième de Jésus-Christ. Alors commencent les an-
nées de Néron , qui précèdent constamment les années
chrétiennes de trois mois.
Le tableau suivant nous offre la récapitulation de
toute la chronologie des Actes telle que nous venons de
l'exposer.
(1) Dio Cass. /. LVi, pag. 590. — Suétone ne dit pas autrement
{in Aug. cap. c) par les mots : Décima quarla Kal. seplembr.\ car
le 14 des calendes de septembre répond au 19 août.
(2) Tacite {Annal, l. vi, c. l) , Suétone {in Tiber. c. Lxxin) , Eu-
trope (c. xi) s'accordent à dire que Tibère mourut le 17 des calendes
d'avril, mais Dion Cassius (/. LViii in fin.) en disant que ce fut le 26
de mars a lu le 7 des calendes au lieu du 17.
(3) Suet. {in Cai, c. lviii) : lYono Kal. fehr. et {cap. lix) : 7m-
peravit Iriennio, et deeem mensibus, diebus oclo. L'historien Joseph
( De Bell. Jud. l. ii, c. xi) a probablement pris mensibus octo pour
diebus octo, en écrivant fxvjvaç oxtw.
(4) Suet. {in Claud. c. xlv) : excessit III Idus ociobris. Gompar.
Tacit. Annal. L vi, c. lxix. Dion Cass. /. lxi, cap.penuU.
DES ACTES DES APOTRES. 509
TABLEAU
DE LA CHRONOLOGIE DES ACTES.
ANNÉES ANNÉES
DES CÉSARS. DE J.-C.
TIBÈRE.
XVIIP Dans la seconde partie de l'année,
entre Pâques et la Pentecôte, commen-
cement du livre des Actes ; il répond
à la première de la 3^4.»
(Act. i-viii).
XXP Au milieu de l'année arrive la con-
version de saint Paul (Act. ix, 1-19) ,
qui répond au commencement de la. . 36^
XXIIP Dernière année de Tibère , répond à
la fin de la 37e
CALÏGULA.
P Répond à peu près à la 38^
IP Saint Paul échappe à Damas à ses en-
nemis; il fait son premier voyage à Jé-
rusalem après sa conversion (Act. ix,
23^28). . . • • 39^
(Act. IX, 31 —XI, 26.)
CLAUDE.
IV^ Au commencement. Second voyage de
saint Paul à Jérusalem ; il est envoyé
pour la première fois par l'église d'An-
tioche, à l'occasion de la famine (Act.
XI, 27-30) 45^
Idem. Délivrance de saint Pierre; mort du
roi Hérode Agrippa (Act. xii) 45*
(Act. xni,xiv.)
610 DE LA CUUOXOLOGIE
ANNÉES AN?«ÉES
DES CÉSARS. DE J.-C.
CLAUDE.
XII* Troisième voyage de saint Paul à Jé-
rusalem. Il est envoyé pour la seconde
fois par l'église d'Antioche. Concile de
Jérusalem (Act. xv, 1-30) 53*
(Act.xv, 30-39.)
XIII* Saint Paul part avec Silas au commen-
cement de l'année et à la fin de l'hi-
ver ; il parcourt l'Asie-Mineure ; il
passe en Europe, il arrive à Corinthe
en automne (Act. xv, 40 — xviii, Ij. 54«
XIV' Saint Paul enseigne à Corinthe (Act.
XVIII, 2-18) 55'
NÉRON.
P Saint Paul part de Corinthe au prin-
temps; il va en Asie; il fait à la Pente-
côte son quatrième voyagea Jérusalem ;
il va àAntioche (Act. XVIII, 18-22). . . 56*
N. B. C'est au commencemeni de celle année, dans le voyage en Ga-
latie (Act. xviii, 23 ; xix, 1), que Hitg place l'hiver qu'il veut que
Paul ait passé àNicopolis.
IIP Saint Paul enseigne la religion chré-
tienne à Ephèse 58'
IV' Saint Paul à Éphèse. Il quitte cette ville
avant la Pentecôte, et s'embarque pour
la Macédoine (Act. xix, 23 — xxi, 1). 59'
(Act. XX, 2— XXI, 16).
V Saint Paul va passer la fête de la Pen-
tecôte à Jérusalem , et est emprisonné
(Act. XXI, 17 — XXIV, 25) 60'
(Act. XXIV, 26, 27.)
DES ACTES DES APOTRES. âll
AN-NÉES ANNÉES
DES CÉSARS. DE J.-C.
VIP Saint Paul est prisonnier à Césarée; il
est envoyé à Rome par Festus , en au-
tomne (Act.xxv — XXVII, 9) 62^
(Act. XXVII, 10 — XXVIII, 15).
VHP Saint Paul arrive à Rome au printemps,
et y reste prisonnier (Act. xxviii, 16). 63^
(Act. xxviii, 17-31.)
X* Saint Paul est mis en liberté au prin-
temps C5''
FIN DU TOME CINQUIEME.
TABLE. Ô13
TABLE
QUATRIEME SECTION. Introduction particulière aux li-
vres SAPIENTIAUX 1
CHAP. I. Du livre des Psaumes Ib.
Art. I. Des titres des Psaumes 5
Art. h. Du sujet et de la division des Psaumes 10
Art. m. De Tauteur des Psaumes 12
Art. IV. De la divinité du livre des Psaumes 16
Art. V. Du caractère poétique des Psaumes 27
Art. VI. Des commentaires du livre des Psaumes 28
§ 1. Des commentateurs catholiques 29
§ 11. Des commentateurs protestans et juifs 35
CHAP. II. Du livre des Proverbes 38
Art. 1. Du sujet et de l'auteur du livre des Proverbes Ib.
Art. II. De la divinité du livre des Proverbes 42
Art. III. De l'élocution du livre des Proverbes 45
Art. IV. Des commentaires du livre des Proverbes 47
CHAP. III. Du livre de l'Ecclésiaste 50
Art. I. Du sujet, du but et de la divinité de l'Ecclésiaste. ... Ib.
Art. h. De l'auteur du livre de TEcclesiaste 5'i
Art. III. De l'éloculion du livre de TEcclésiaste 59
Art. IV. Des commentaires du livre de l'Ecclésiaste 60
CHAP. IV. Du Cantique des cantiques 64
Art, I. Du sujet, du plan et de l'objet du Cantique des can-
tiques Ib.
Art. II. De l'auteur du Chimique des cantiques 73
Art. m. De la divinité du Cantique des cantiques 75
Art. IV. De la forme et de l'élocution du Cantique des canti-
ques 7 7
Art. V. Des commentaires du Cantique des cantiques 79
CHAP. V. Du livre de la Sagesse. 84
Art. I. Du texte original et des versions du livre de la Sagesse. Ib.
Art. 11, Du sujet et de l'auteur du livre de la Sagesse. 87
Art. m. De la divinité et de la canonicité du livre de la Sagesse. 93
Art. IV. De l'élocution et des beautés littéraires de la Sagesse. 97
Art. V. Des commentaires du livre de la Sagesse .... 98
CHAP. VI. Du livre de l'Ecclésiastique 100
614 TABLE.
Art. I. Du texte original et des versions de l'Ecclésiastique. . . 101
Art. II. Du sujet, de Fauteur et de la divinité de l'Ecclésias-
tique 104
Art. III. De Téloculion et des Ijeautés littéraires de l'Ecclésias-
tique 107
Art. IV. Des commentaires du livre de l'Ecclésiastique 108
CINQUIÈME SECTION. Introduction particulière aux Évan-
giles 110
CHAP. I. De l'Évangile de saint Matthieu Ib.
Art. I. Du texte original et du slyle de l'Évangile de saint Mat-
thieu 112
Art. II. Du temps et du lieu oii fut composé TEvangile de saint
Matthieu 127
Art. m. Du but et du plan de l'Évangile de saint Matthieu. ... 130
CHAP. II. De l'Évangile de saint Marc 133
Art. I. Du texte original et du style de l'Évangile de saint
Marc 135
Art. II. Du temps et du lieu où fut composé l'Évangile de saint
Marc 139
Art. III. Du but et du plan de l'Évangile de saint Marc 143
CHAP. ni. De l'Évangile de saint Luc 147
Art. I. Du texte original et du style de l'Évangile de saint Luc. 149
Art. II. Du temps et du lieu où fut composé l'Evangile de saint
Luc Ib.
Art. III. Du but et du plan de l'Évangile de saint Luc 152
CHAP. IV. De l'Évangile de saint Jean 1 66
Art. I. Du texte original et du style de l'Évangile de saint Jean. 168
Art. II. Du temps et du lieu où fut composé l'Évangile de saint
Jean 161
Art. m. Du but et du plan de l'Évangile de saint Jean 163
CHAP. V. De l'authenticité des Évangiles 167
CHAP. VI. De l'intégrité des Évangiles 260
CHAP. Vir. De la véracité des Évangiles 286
CHAP. VIII. De la divinité des Évangiles 316
CHAP. IX. De l'éiocuiion et des beautés littéraires des Évan-
giles 323
CHAP. X. De la méthode à suivre dans l'explication des Évan-
giles , et des Concordes 327
CHAP. XI. Des commentaires des Évangiles 344
Art. I. Des commentateurs catholiques 346
Art. II. Des commenlalcurs protestans 36 1
TABLE. 515
SIXIÈME SECTION. Introduction particulière aux Actes
DES Apôtres 365
CHAP. I. Du sujet et du but des Actes des Apôtres 366
CHAP. II. De l'aulhenticité des Actes des Apôtres 379
CHAP. m. Du temps, du lieu et de la langue dans laquelle furent
composés les Actes des Apôtres 423
CHAP. IV. De la divinité des Actes des Apôtres 427
CHAP. V. De l'élocution et des beautés littéraires des Actes des
Apôtres 438
CHAP. VI. Des commentaires des Actes des Apôtres. ....... 4.S'2
Art. I. Des comnientaleurs catholiques Ib.
Art. II. Des commentateurs protestans 4,^7
APPENDICE A LA CINQUIÈME SECTION. Des prétendues
CONTRADICTIONS DES ÉVANGÉLiSTES 460
APPENDICE A LA SIXIÈME SECTION. Delà cnRONOLOGiE
DES Actes des Apôtres 406
Art. I. De la clironologiedes Actesdes Apôtres d'après Michaëlis. Jb.
Art. II. De la chronologie des Actes des Apôtres d'après Hug. . . 600
FIN DE LA table DU TOME CINQUIEME.
i
I
f
BS 475 .G53 1839 v.5 SMC
Glaire, J . B .
Introduction historique et
critique aux livres de l'Ane
47232718
v^-'-M
.^^m-^
i-^
^.^^-m.
^^^
^¥'^
,^m .M^i'^^é.'
um^v^j^fxké
Mr^*