Skip to main content

Full text of "Introduction historique et critique aux livres de l'Ancien et du Nouveau Testament /4cpar J.B. Glaire"

See other formats


'um 


.^J 


mr 


4k'fiuM. 


Mi 


i.r. 


'"Ji'Am 


JOHN  M.  KELLY  LIBDADY 


Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


«aWSSNWPe  XKT  i>ci«S5»#ir'î 


*X/ 


ROLY  REDEEMER  UBRARYJWNOSOR 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  fundingfrom 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/introductionhist05glaiuoft 


INTRODUCTION 


L'ÉCRITURE  SAINTE. 


'^^' 


X^//./^ 


PROPRIETE  DE  L'EDITEUR. 


IMPRIMERIE    DE    M'»^    V    DONDEY-DUPRÉ  , 
nie  Saint-Louis,  46,  au  Marais. 


INTRODUCTION 

HISTORIQUE    KT  CKiTlQUK 
ADX    LIVRES 

DE  L  ANCIEN    ET    DU    NOUVEAU 

TESTAMENT, 

PAR   J.  B.  GLAIRE, 

Membre  de  la  Société  asiatique  et  professeur  d'hébreu 
a  la  Faculté  de  théologie  de  Paris. 

TOME   CINQUIÈME. 


A  PARIS, 
CHEZ  MÉQUIGNON   JUNIOR, 

LIBRAIRE  DE  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE, 

rue  des  Graiids-Augustins  ,  ii.  9. 


HOLY  REDEEMER  LIBRARY,  «^DSOR 


1841  /€ 


CORRECTION. 

A    la    page    150,    ligne  20,  au   lieu  de  :   c'est- à-dire  à  la  première 
année,  lisez  :  c'est-à-dire  à  la  deuxième  année. 


t^/'ù  ifô 


INTRODUCTION 

HISTORIQUE   ET  CIUTIQUE 


7  'i;^  .'Yi'^'^. 


DE  TAÎ^CIENET  DU  NOUVEAU  TESTAMENT. 


DEUXIEME  PARTIE. 

(suite.) 

QUATRÏÈIIÎE  SECTIONS- 
INTRODUCTION  PARTICULIÈRE  AUX   LIVRES  SAPIENTIAUX. 

Par  livres  Sapientiaux,  qu'on  nomme  également  mo- 
raux  (t.  i,pag.  5),  nous  entendons  certains  livres  de 
l'Écriture  spécialement  destinés  à  donner  aux  hommes 
des  leçons  de  morale  et  de  sagesse  ;  ce  qui  les  fait  dis- 
tinguer des  livres  historiques  et  prophétiques,  dont  le 
sujet  dominant  est  l'histoire  de  faits  accomplis  et  la  pré- 
diction d'événemens  futurs.  Les  livres  sapientiaux  sont 
les  Psaumes,  les  Proverbes,  l'Ecclésiaste,  le  Cantique 
des  cantiques,  la  Sagesse  et  l'Ecclésiastique. 

CHAPITRE  PREMIER. 

DU   LIVRE   DES   PSAUMES. 

Le  livre  des  Psaumes,  en  hébreu  Séfer  tehiïlîin  (  "|DD 
D''bnn)  ou  livre  d'hymnes,  tire  son  nom  du  grec  -loLlySoç, 
poème  que  l'on  chante  en  s'accompagnant  sur  un  ins- 
trument à  cordes.  Les  Grecs  ayant  donné  le  nom  de 

V.  1 


2  DU   LIVRE   DES  PSAUMES. 

psaumes  aux  hymnes  sacrées  des  Hébreux,  ils  appelèrent 
Psautier,  Ta).rr;/3tov,  la  collection  de  ces  hymnes,  au  nom- 
bre de  cent  cinquante  (1).  Dans  les  Bibles  hébraïques, 
le  livre  des  Psaumes  est  classé  parmi  les  Kethoubim 
on  Àgiographes . 

Parmi  le  nombre  infini  de  questions  qui  ont  été  agi- 
tées au  sujet  des  Psaumes,  nous  nous  sommes  arrêté  à 
celles  qui  nous  ont  paru  les  plus  importantes. 

ARTICLE  I. 

Des  titres  des  psaumes. 

1  .Les  titres  des  psaumes  indiquent  non  seulement  leurs 
auteurs  et  ceux  qui  devaient  les  chanter,  mais  encore  le 
nom  des  instrumens  qui  en  accompagnaient  le  chant,  ou 
les  premiers  mots  de  l'air  sur  lequel  on  les  chantait. 
Plusieurs  sont  adressés  au  maître  de  chœur  pour  être 
joués  sur  un  instrument  à  cordes  ou  sur  un  instrument 
à  vent,  ou  sur  l'air  de  quelque  chant  populaire.  C'est 
du  moins  ainsi  qu'on  explique  certains  titres  qui  autre- 
ment ne  présenteraient  aucun  sens .  Il  y  en  a  cepen- 
dant quelques-uns  qui  marquent  le  caractère  général 
du  psaume,  comme  psaume  didactique,  psaume  de 
louanges,  etc.  D'autres  font  connaître  l'occasion  par- 

(1)  Nous  ne  comprenons  dans  ce  nombre,  ni  celui  qu'on  trouve 
sous  le  nom  de  David  dans  plusieurs  exemplaires  grecs  et  latins, 
dans  le  syriaque  et  dans  l'arabe,  avec  le  titre  de  :  Lorsque  David 
combattit  seul  contre  Goliath,  ou  De  David  encore  enfant;  ni  les  dix- 
huit  attribués  à  Salomon,  trouvés  dans  un  ancien  manuscrit  de  la  bi- 
bliothèque d'Augsbourg,  et  que  le  P.  de  La  Cerda  traduisit  du  grec  en 
latin,  et  qu'il  publia,  en  cette  dernière  langue,  à  Lyon,  l'an  1626. 
Tous  ces  psaumes  sont  généralement  rejetés  comme  autant  de  pièces 
non  authentiques. 


DU  LIVRE   DES  PSAUMES.  3 

ticulière  pour  laquelle  il  a  été  composé.  Ainsi,  par 
exemple,  celui  qui  est  en  tête  du  psaume  m  porte  : 
Psaume  de  David  lorsqu'il  fuyait  devant  son  fiïs  Absa- 
lom. 

2.  Quant  à  l'authenticité  de  ces  titres,  les  critiques 
sont  très-partages  d'opinion.  Les  uns  prétendent  que 
tous  sans  exception,  et  dans  la  teneur  même  de  leur 
expression,  sont  authentiques ,  et  ils  étendent  ce  pri- 
vilège d'authenticité  aux  titres  particuliers  qui  se  trou- 
vent dans  les  Septante,  la  Vulgate  et  la  version  syriaque. 
D'autres  soutiennent  au  contraire  qu'il  n'y  en  a  pas 
un  seul  d'authentique,  mais  qu'ils  ne  sont  tous  que  des 
additions  faites  dans  des  temps  postérieurs.  Plusieurs 
négligeant  les  titres  particuliers  aux  Septante  et  à  la 
version  syriaque,  se  bornent  à  défendre  l'authenticité 
de  ceux  du  texte  hébreu.  D'autres  enfin  restreignent 
l'authenticité  aux  titres  hébreux  qui  ne  sont  pas  con- 
traires à  l'argument  du  psaume,  et  qui  ne  répugnent 
point  soit  à  la  personne  à  laquelle  le  titre  l'attribue, 
soit  aux  circonstances  historiques  énoncées  par  le 
psaume.  Cette  dernière  opinion  nous  paraît  la  plus  pro- 
bable; voici  nos  motifs. 

1°  Il  est  évident  qu'on  ne  peut  maintenir  à  la  fois  les 
titres  qui  sont  dans  le  texte  hébreu  et  ceux  qui  sont  en 
tête  des  différentes  versions .  Gomment  en  effet  supposer 
que  des  inscriptions  aussi  opposées  et  aussi  disparates 
aient  pu  venir  des  auteurs  inspirés  des  psaumes  ?  Il  suffit 
en  effet  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur  la  polyglotte  de  Wal- 
lon pour  voir  qu'elles  assignent  souvent  au  même 
psaume  un  objet  différent.  Il  y  a  même  de  ces  inscrip- 
tions qui  ont  été  évidemment  ajoutées  dans  des  temps 
postérieurs  à  l'établissement  du  christianisme  :  ce  qui  est 


4  DU  LIVRE  DES  PSAUMES. 

vrai  surtout  pour  la  version  syriaque,  qui  rapporte  nom- 
mément à  Jésus-Christ  certains  psaumes.  Quant  aux 
inscriptions  particulières  aux  Septante  et  aux  autres 
versions  qui  les  suivent,  il  paraît  qu'elles  ont  été  ajou- 
tées par  les  traducteurs  eux-mêmes,  qui  ne  trouvant 
point  de  titres  dans  le  texte  hébreu,  ont  voulu  en  sub- 
stituer de  conformes  à  leurs  idées  ou  au  sentiment  gé- 
néral des  temps  où  ils  vivaient.  Quelques-unes  de  ces 
inscriptions  peuvent  aussi  venir  des  copistes.  Car  il 
est  difficile  de  croire  que  si  ces  titres  particuliers  eussent 
existé  dans  le  texte  hébreu  lorsque  la  version  grecque 
des  Psaumes  a  été  faite,  c'est-à-dire  trois  cents  ans  en- 
viron avant  Jésus-Christ,  ils  en  eussent  été  retranchés 
par  les  Juifs  dans  les  temps  subséquens  ;  surtout  si  l'on 
pense  au  respect  que  ce  peuple  a  toujours  eu  pour  l'in- 
tégrité de  ses  Écritures. 

2°  Vouloir  rejeter  tous  les  titres  sans  exception  nous 
paraît  d'un  autre  côté  une  opinion  aussi  hardie  que  peu 
fondée.  Il  est  constant  que  c'était  la  coutume  des  poètes 
orientaux,  syriaques  et  arabes,  de  mettre  leur  nom  à  la 
tête  de  leurs  moindres  ouvrages,  et  cette  coutume  paraît 
aussi  avoir  été  celle  des  Juifs .  Moïse  en  effet  l'a  observée 
dans  ses  cantiques  (Ex.  xv.  Deut.  xxxi,  30;  xxxii, 
1  ;  xxxiii,  1);  nous  la  retrouvons  dans  ceux  de  Débora 
(Jud.v,!) ,  d'Anne,  mère  de  Samuel,  et  d'Ézéchias  (1  Reg. 
I,  28)  ;  enfin  dans  l'élégie  de  David  sur  la  mort  de  Saûl 
et  de  Jonathas  (2  Reg.  i,  17).  Rien  de  plus  fréquent  dans 
les  compositions  prophétiques  que  de  voir  en  tête  des 
oracles  même  les  plus  courts  le  nom  du  prophète  qui  en 
est  l'auteur,  le  peuple  sur  lequel  il  a  prophétisé,  et  le  su- 
jet de  sa  prophétie. D'après  cette  analogie,  il  est  naturel 
de  conclure  que  les  auteurs  des  psaumes  ont  mis  aussi 


DU  LIVRE  DES  PSAUMES.  6 

leur  nom  à  la  tête  de  leurs  compositions  psalmodiques, 
et  ont  même  marqué  l'occasion  et  l'objet  de  ces  petits 
poèmes.  Or,  dans  cette  supposition,  n'est-il  pas  vrai- 
semblable que  quelques-unes  de  ces  inscriptions  se  sont 
conservées  et  se  trouvent  parmi  celles  que  nous  lisons 
dans  le  Psautier?  Et  si  l'on  devait  rejeter  sans  distinc- 
tion toutes  les  inscriptions  des  psaumes,  ne  devrait-on 
pas  aussi  par  la  même  raison  rejeter  toutes  celles  qui  se 
trouvent  en  tête  des  oracles  prophétiques  et  des  autres 
cantiques  de  l'Écriture?  Il  est  des  interprètes  assez  har- 
dis pour  ne  pas  reculer  devant  cette  conséquence,  qui 
pourtant  passe  toutes  les  bornes  de  la  critique.  Nous  de- 
vons faire  observer  que  cette  étrange  opinion,  outre 
qu'elle  est  contredite  par  l'autorité  de  tous  les  docteurs 
juifs  et  de  tous  les  pères  de  l'Église,  se  trouve  encore 
entièrement  opposée  au  sentiment  des  critiques  modernes 
les  moins  scrupuleux,  soit  catholiques,  soit  protestans, 
tels  que  Jahn,  Eichhorn,  PiosenmûUer,  Bertholdt,  qui 
ne  font  pas  difficulté  d'admettre  l'authenticité  au  moins 
de  quelques-uns  de  ces  titres. 

3 .  L'opinion  qui,  sans  admettre  l'authenticité  de  toutes 
les  inscriptions  qui  se  trouventdans  les  Septante,  regarde 
néanmoins  comme  authentiques  toutes  celles  qui  se  li- 
sent dans  le  texte  hébreu ,  quoiqu'elle  soit  beaucoup  plus 
fondée  en  raisons  que  les  deux  premières,  ne  nous  pa- 
raît pourtant  pas  assez  démontrée  pour  que  nous  la  pré- 
férions à  la  quatrième.  Nous  ne  craignons  pas  de  recon- 
naître que  tous  ces  titres  sont  admis  parla  synagogue  et 
l'Eglise  chrétienne,  qu'ils  se  lisent  dans  le  texte  hébreu, 
que  les  Juifs  les  expliquent  et  les  chantent  dans  leurs 
synagogues  comme  faisant  partie  des  Psaumes  ;  qu'ils 
se  trouvent  non  seulement  dans  les  Septante,  mais  en- 


6  DU   LIVRE    DES   PSAUMES. 

core  dans  la  Viilgate;  que,  quoiqu'on  ne  les  chante  pas 
dans  l'Eglise  chrétienne,  cependant  les  pères  grecs  et 
latins  les  respectent  comme  s'ils  étaient  authentiques. 
Nous  reconnaissons  aussi  qu'ils  sont  très-anciens  ;  que 
les  auteurs  de  la  version  grecque  les  ont  trouvés  dans  les 
manuscrits  hébreux  environ  trois  cents  ans  avant  JÉsus- 
CiirjST  ;  que  la  manière  inexacte  dont  ils  les  ont  tra- 
duits prouve  qu'ils  ne  les  comprenaient  pas,  et  que  par 
conséquent  ils  devaient  être  bien  plus  anciens  qu'eux  ; 
mais  ces  autorités  et  ces  raisons,  quoique  assez  fortes 
pour  prouver  qu'on  ne  doit  pas  rejeter  trop  légèrement 
les  inscriptions  qui  se  trouvent  à  la  fois  dans  le  texte  hé- 
breu et  la  version  grecque,  ne  nous  obligent  cependant 
pas  à  les  admettre  toutes  sans  exception  et  dans  la  te- 
neur rigoureuse  de  leur  expression  ;  car  l'Eglise  n'a  ja- 
mais défini  l'authenticité  de  ces  titres.  Le  concile  de 
Trente,  qui  a  déclaré  canoniques  tous  les  livres  conte- 
nus dans  le  canon,  met  à  son  décret  ce  correctif:  Tels 
qu'on  les  lit  dans  VEglise,  Or,  l'Eglise  ne  lit  ni  ne  chante 
les  titres  des  psaumes.  D'ailleurs,  comme  le  décret  du 
concile  est  général  et  ne  fait  pas  de  distinction,  s'il  de- 
vait comprendre  les  titres,  il  comprendrait  tous  ceux 
qui  se  trouvent  dans  la  Yulgate:  or,  il  est  difficile  d'ad- 
mettre l'authenticité  de  tous  ceux  de  la  Vulgate,  puis- 
que plusieurs  ne  se  lisent  pas  dans  l'hébreu  et  portent 
le  cachet  des  temps  postérieurs.  Aussi  d'habiles  théolo- 
giens catholiques  n'ont  pas  fait  difficulté  de  les  rejeter;  ce 
sont  entre  autres  le  P.  Alexandre,  Ferrand  et  Nicolas  de 
Lyre(l).  Les  rabbins  modernes  tout  en  expliquant  les 

(i)  Voy.  Natal.  Alexand.  Hist.  Vct.  Test.  Dissert,  xxiv,  quœst.  i, 
art.  I.  Ferrand,  Prœfat.  in  Psalm. 


DU    LIVRE    DES    TSAL'MES.  7 

titres  ne  craignent  pas  de  les  abandonner  quelquefois 
dans  l'explication  des  psaumes.  Les  pères  de  l'Eglise  ne 
les  admettent  pas  tous  sans  exception.  Théodoret  avoue 
qu'il  y  en  a  quelques-uns  au  moins  qui  ont  été  ajoutés 
par  les  copistes.  Saint  Hilaire  et  saint  Augustin  sont  for- 
cés de  reconnaître  également  que  plusieurs  de  ces  titres, 
loin  d'être  une  clef  propre  à  nous  introduire  dans  le  sens 
littéral  des  psaumes,  nous  en  éloignent,  et  ils  prennent 
en  conséquence  le  parti  de  les  interpréter  dans  des  sens 
spirituels  qui  ne  sont  rien  moins  que  satisfaisans  (1). 
Enfin,  ce  qui  prouve  qu'on  n'a  jamais  cru  dans  l'Eglise 
que  les  titres  appartenaient  à  l'intégrité  des  Ecritures, 
c'est  l'excessive  liberté  qu'elle  a  laissée  de  les  omettre, 
de  les  changer  ou  d'en  introduire  de  nouveaux. Car  riea 
de  plus  varié  que  ces  titres  dans  les  anciennes  versions 
qui  se  lisent  encore  dans  les  Eglises  chrétiennes.  Ceux 
de  la  version  grecque  ne  sont  pas  les  mêmes  que  ceux 
de  la  version  syriaque  ;  les  versions  arabes,  arméniennes, 
éthiopiennes,  lisent  aussi  des  titres  différens,  ou  ne  les 
placent  pas  de  la  même  manière.  Ainsi  l'Eglise  et  la  tra- 
dition n'ayant  rien  décidé  sur  l'authenticité  de  ces  titres, 
on  est  libre  d'en  rejeter  quelques-uns,  quand  on  y  est 
forcé  par  les  principes  d'une  saine  critique.  Or,  il  nous 
semble  difficile  de  soutenir  que  tous  les  titres  hébraï- 
ques dans  la  forme  où  nous  les  lisons,  soient  l'ouvrage  des 
auteurs  sacrés ,  et  que  quelques-uns  au  moins  ne  soient  pas 
l'ouvrage  d'une  main  étrangère  qui  les  a  ajoutés  à  une 
époque  postérieure ,  ou  du  moins  les  a  étendus  ou  mo- 
difiés selon  les  idées  du  temps.  D'abord  il  y  a  de  ces  ti- 

(1)  Theodor.  in  Ps.  lix.  Hilar.   in  Ps.   Lix,  Lxiii.   Augnst.  in 

Ps,  LXXSIX. 


s  DU   LIVRE  DES  PSAUMES. 

très  qui  rapportent  certains  psaumes  à  des  auteurs  qu'on 
ne  peut  guère  supposer  les  avoir  composés,  vu  que  les 
circonstances  historiques  de  ces  psaumes,  le  style  qui  y 
domine,  indiquent  une  époque  bien  moins  ancienne  que 
celle  où  vivaient  les  auteurs  auxquelles  titres  les  attri- 
buent. Nous  remarquons  en  effet  que  quelques-unes  de 
ces  inscriptions  renferment  des  titres  honorifiques  que 
les  auteurs  n'ont  pu  vraisemblablement  se  donner  à  eux- 
mêmes.  Croit-on  en  effet  que  Moïse  s'appelle  lui-même 
dans  l'inscription  de  son  psaume  l'homme  de  Dieu,  et 
David  le  serviteur  f/e  Jéhova?  N'est-il  pas  plus  vraisem- 
blable que  ces  titres  d'honneur  sont  des  additions  pos- 
térieures? De  plus,  les  mots  qui  semblent  désigner  les 
différens  genres  de  poésie  lyrique  se  trouvent  appliqués 
à  des  psaumes  auxquels  ils  ne  conviennent  nullement  : 
preuve  assez  claire,  ce  semble,  que  des  écrivains  posté- 
rieurs ont  pu  commettre  cette  méprise,  qui  ne  peut  tom- 
ber sur  les  auteurs  eux-mêmes.  Ajoutons  que  ces  mots 
caractéristiques  du  genre  de  poésie  lyrique  se  trouvent 
quelquefois  accumulés  sur  le  même  psaume,  qui  porte 
alors  deux  titres  disparates.  Or,  est-il  vraisemblable  que 
ce  soit  l'ouvrage  de  l'auteur  sacré?  n'est-il  pas  plus  na- 
turel d'admettre  qu'un  de  ces  mots  est  une  pure  addi- 
tion? Remarquons  encore  qu'il  y  a  des  titres  qui  sont  si 
chargés  de  mots,  qu'il  est  visible  que  des  additions  sub- 
séquentes leur  ont  imposé  cette  charge  étrangère  :  ainsi 
l'inscription  du  psaume  Lxxxviii  (Vulgat.  lxxxvii) 
porte  :  Cantique  du  psaiwie  aux  fils  de  Coré^  au  maître 
de  chœur,  sur  la  flûte ^  pour  chanter  alternativement  (1)  ; 

(1)  C'est  ainsi  que  la  plupart  des  hcbraïsans  rendent  nl3y7  <î"o 
d'autres  traduisent  simplement  pour  chanter.  A  notre  avis,  celte  ex- 


DU  LIVRE  DES  PSAUMES.  9 

poème  didactique  d'Eman  Ezraïte.  N'est-il  pas  vrai- 
semblable qu'une  inscription  surchargée  de  tant  de  mots 
hétérogènes  n'est  que  le  fruit  des  additions  postérieures 
qu'elle  a  subies  en  venant  jusqu'à  nous?  Enfin,  il  ne  nous 
paraît  pas  moins  difficile  d'admettre  que  les  parties  des 
inscriptions  qui  concernent  les  instrumens  remontent 
toutes  jusqu'au  temps  de  la  composition  du  cantique  sa- 
cré. Plusieurs  psaumes  peuvent  avoir  été  composés  avant 
qu'on  ne  les  ait  adoptés  pour  l'usage  du  temple,  époque 
où  la  désignation  des  instrumens  a  dû  être  prescrite. 
C'est  ce  que  semblent  prouver  les  xiv  et  lui  selon  l'hé- 
breu, qui  ne  diffèrent  pas  essentiellement  entre  eux  ; 
le  premier  n'a  point  de  désignation  d'instrumens,  parce 
qu'il  ne  fut  pas  consacré  d'abord  à  l'usage  du  temple  ; 
le  second  en  porte  une,  parce  qu'il  fut  par  la  suite  des- 
tiné à  cet  usage. 

Ces  raisons  suffisent,  ce  semble,  pour  rendre  au  moins 
très-douteuses  quelques-unes  des  inscriptions  du  texte 
hébreu,  et  pour  nous  déterminer  cependant  à  embrasser 
l'opinion  qui  consiste  à  admettre  tous  les  titres  de  ce  texte, 
à  l'exception  de  ceux  qui  sont  opposés  ou  à  l'objet  du 
psaume  ,  ou  à  l'auteur  auquel  on  l'attribue ,  ou  enfin  qui 
portent  le  cachet  d'une  addition  quelconque  faite  dans 
des  temps  postérieurs.  Et  tout  en  les  respectant  comme 
nous  venant  en  partie  des  auteurs  sacrés  eux-mêmes, 
ou  de  la  tradition  des  Juifs ,  ou  de  quelque  prophète 
subséquent ,  nous  croyons  qu'il  ne  faut  pas  les  admet- 


pression  signifie  proprement  faire  crier,  faire  chanter  à  voix  haute. 
Voy.  au  reste  ce  que  nous  avons  dit  sur  la  racine  H^y  ^-'^^s  le  Pen- 
tatenque  avec  une  traduction  française  et  des  notes  philoîofjiques. 
Tom.  II,  Exode,  pag.  220-221, 

1. 


10  DU  LIVRE   DES  PSAUMES. 

Ire  toutes  aveuglément,  mais  qu'elles  doivent  être  sou- 
mises à  l'épreuve  d'une  sage  critique. 

ARTICLE   II. 

Bu  sujet  et  de  la  division  des  psaumes. 

1.  Quoique  chaque  psaume  ait  son  sujet  particulier, 
on  peut  dire  qu'ils  se  rattachent  tous  à  un  sujet  com- 
mun ,  unique  dans  son  genre ,  et  que  rien  de  semblable 
ne  se  trouve  dans  la  littérature  d'aucune  nation  autre 
que  celle  des  Hébreux.  En  effet,  le  plus  grand  nombre 
des  psaumes  contient  :  1°  Les  louanges  du  seul  Dieu  vé- 
ritable :  sans  cesse  il  y  est  présenté  comme  le  Tout-Puis- 
sant ,  l'Etre  souverainement  bon ,  clément  et  juste ,  dont 
la  suprême  sagesse  a  créé  l'univers,  et  dont  la  provi- 
dence le  conserve,  et  en  particulier  comme  le  protecteur 
spécial  du  peuple  juif,  de  ce  peuple  qu'il  s'est  choisi, 
et  que  sa  munificence  comble  des  plus  signalés  bienfaits; 
2«  des  prédictions  éclatantes  sur  la  venue  du  Messie  , 
comme  rédempteur  du  genre  humain.  La  prédication  de 
ce  Dieu  sauveur,  sa  passion,  sa  mort,  sa  résurrection , 
son  ascension,  son  royaume  éternel ,  la  conversion  et 
le  salut  des  Gentils  par  la  propagation  de  sa  sainte  doc- 
trine ;  ces  grands  objets  sont  tour  à  tour  chantés  dans 
ces  hymnes  sacrés  ;  3^  une  doctrine  dogmatique  et  mo- 
rale sur  les  attributs  de  Dieu,  sa  présence  en  tous  lieux, 
son  omniscience,  sa  providence  universelle,  etc.,  sur 
la  religion  naturelle  et  révélée ,  sur  les  caractères  des 
véritables  serviteurs  de  Dieu,  sur  la  félicité  réelle  des 
bons  et  le  malheur  ou  la  fausse  prospérité  des  méchans, 
sur  la  dignité  de  l'homme ,  sur  la  confiance  en  Dieu  ,  la 
résignation  à  sa  volonté  suprême ,  sur  les  suites  funestes 


DU   LIVRE  DES  PSAUMES.  11 

du  péché,  la  pénitence,  le  retour  à  la  vertu ,  etc.  ;  h"  en- 
fin une  partie  historique  destinée  à  instruire  et  à  édi- 
fier (1). 

2.  Le  sentiment  le  plus  généralement  reçu  parmi  les 
pères  et  les  interprètes,  est  qu'Esdras  après  la  captivité 
de  Babylone ,  lorsqu'il  rassembla  les  livres  saints  et  en 
donna  une  édition  correcte ,  recueillit  en  un  seul  volume 
les  cent  cinquante  psaumes  qui  composent  le  Psautier, 
sans  toutefois  s'attacher,  dans  la  disposition  de  ce  re- 
cueil ,  ni  à  l'ordre  des  auteurs ,  ni  à  celui  des  temps  , 
ni  à  celui  des  matières. 

Dans  la  suite ,  les  Juifs  divisèrent  ces  psaumes  en 
cinq  parties  ou  sections  ;  dans  la  première  sont  renfer- 
més les  quarante-un  premiers  psaumes;  les  suivans,  jus- 
qu'au Lxxi  inclusivement ,  dans  la  seconde  ;  jusqu'au 
xc  dans  la  troisième  ;  jusqu'au  cvi,  dans  la  quatrième, 
et  le  reste  jusqu'au  cl,  dans  la  cinquième  partie. 

La  version  d'Alexandrie  ne  fait  qu'un  seul  psaume 
du  IX  et  du  X,  qui,  dans  les  exemplaires  hébreux,  chal- 
déens  et  syriaques ,  en  forment  deux  différens  ;  de  là 
vient  que  le  psaume  xi  des  Hébreux  n'est  que  le  x  des 
Grecs.  La  même  version  réunit  aussi  les  psaumes  cxiv 
et  cxy;  d'où  il  résulte  que  le  psaume  cxiv  des  Grecs  est 
le  cxvi  des  Hébreux.  Mais  comme  les  psaumes  cxv  et 
cxvi  n'en  forment  qu'un  dans  le  texte  hébraïque ,  le 
psaume  cxvii  des  Hébreux  se  trouve  le  cxvi  des  Grecs. 
Ensuite,  les  psaumes  grecs  diffèrent  d'une  unité  jusqu'au 
CXLVi,  qui,  en  hébreu  se  trouve  joint  au  cxLVii.  Enfin 

(1)  Voyez  quelques  autres  détails  un  peu  plus  bas  à  l'article  iv,  où 
nous  exposons  les  caractères  intrinsèques  d'authenticité  que  nous 
fournit  le  livre  des  Psaumes  lui-racme. 


12  DU  LIVRE  DES  PSAUMES. 

les  Grecs  et  les  Hébreux  se  trouvent  d'accord  pour  le  nu- 
méro des  trois  derniers  psaumes  cxlviii,  cxlix  et  cl. 
La  Vulgate,  faite  sur  la  version  d'Alexandrie,  donne 
aux  psaumes  le  même  ordre  numérique  que  cette  ver- 
sion grecque. 

ARTICLE   III. 

De  V auteur  des  psaumes. 

La  question  de  l'auteur  des  psaumes  est  d'une  très- 
grande  difficulté;  aussi  a-t-elle  fait  naître  parmi  les  inter- 
prètes, tant  anciens  que  modernes,  des  sentimens  dia- 
métralement opposés.  La  hardiesse  et  la  témérité  de  la 
nouvelle  exégèse  n'a  pas  peu  contribué  à  l'embarrasser 
davantage.  L'opinion  des  auteurs  duTalmud, aussi  bien 
que  celle  de  la  plupart  des  pères  de  l'Eglise ,  considère 
David  comme  le  seul  et  unique  auteur  des  psaumes. 

Il  est  vrai  qu'autrefois  un  grand  nombre  de  critiques 
croyaient  avec  saint  Augustin ,  saint  Chrysostome ,  saint 
Ambroise,  Cassiodore,  Théodoret,  etc.(l),  que  tous  les 
psaumes  étaient  de  David,  et  quePhilastre  n'hésita  pas  à 
déclarer  hérétiques  ceux  qui  osaient  en  douter  (2)  ;  mais 
aujourd'hui  tous  les  critiques  conviennent  que  ces  poè- 
mes sacrés  ne  sont  pas  uniquement  du  roi-prophète.  Nous 
citerons  parmi  eux  Simon  de  Muis,  Bossuet,  D.  Calmet, 
Smith ,  Jahn ,  Brentanno ,  etc.  (3).  a  Nous  savons ,  écri- 

(1)  August.  de  Civil.  Dei,  lib.  xvii,  c.  xiv.  Ghrys.  in  Ps.L.  Ambr. 
Pnef.  in  Ps.  i.  Theod.  ibicL  Cassiod.  Pyol.  in  Ps. 

(2)  Philastrius,  Hœr.  cxxvi. 

(3)  De  Muis,  Commeniarius  lilter.  et  iiistor.  Ps.  Lxxiii,  lxxviii, 
cxxxvi,  etc.  Loven.  1770-  Bossuet,  Dissert,  de  Psalmis,  cap.  vi. 
Calmet,  Dissert.  sur  les  auteurs  des  Psaumes.  Suiith,  Psalterium, 


DU   LIVRE   DES  PSAUMES.  13 

vait  déjà  de  son  temps  saint  Jérôme ,  nous  savons  que 
ceux-là  sont  dans  l'erreur  qui  regardent  David  comme 
auteur  de  tous  les  psaumes  (1) .  ))  Ce  sentiment  était  aussi 
celui  d'Origène ,  de  saint  Hilaire,  d'Eusèbe  de  Césarée, 
de  l'auteur  de  la  Synopse,  etc.  (2).  Ce  dernier  sentiment 
est  aussi  celui  qui  nous  a  paru  le  plus  probable.  Ainsi 
nous  pensons  qu'on  doit  généralement  attribuer  les 
psaumes  aux  écrivains  sacrés  dont  ils  portent  le  nom 
dans  l'inscription,  à  moins  qu'il  n'y  ait  dans  le  psaume 
même  quelque  particularité  qui  ne  puisse  absolument 
pas  se  concilier  avec  le  titre.  Car  il  est  hors  de  toute  es- 
pèce de  doute  qu'il  vaut  mieux  abandonner  le  titre  d'un 
psaume  que  d'en  contredire  formellement  le  contenu. 
Cependant  nous  n'oserions  pas  admettre  la  règle  don- 
née par  les  rabbins,  quoiqu'elle  ait  la  sanction  de 
saint  Hilaire  et  de  saint  Jérôme ,  règle  qui  consiste  à  at- 
tribuer les  psaumes  anonymes  à  l'auteur  dont  le  nom 
est  en  tête  du  psaume  qui  précède  immédiatement.  Car 
s'il  en  était  ainsi,  les  dix  psaumes  qui  suivent  immédia- 
tement le  Lxxxix  (Hebr.  xc)  devraient  être  de  Moïse , 
puisque  celui-ci  porte  son  nom .  Or,  cette  supposition 
n'est  pas  admissible  :  car  dans  le  xcviii  (Hebr.  xcix)il 
est  parlé  de  Samuel ,  qui  a  vécu  si  long-temps  après 
Moïse.  l\  est  vrai  que  saint  Hilaire  et  saint  Jérôme  pré- 
tendent que  Moïse  a  nommé  Samuel  par  esprit  prophé- 
tique, mais  comme  on  ne  doit  pas  recourir  à  la  suppo- 
sition d'une  prophétie  sans  nécessité ,  il  faudrait  avoir 

Prolegom.  w<^222,  etc.  Jahn,  Introd.  §  clxyi,  çtc.  Brentanno,  Einlei- 
îung  in  die  Psalmen,  §  m. 

(1)  Hicron.  Epist.  cxxxiv,  ad  Cyprian, 

(5)  Hilar.  Prolcg.  Psalm.  Euseb.  Prœf.  in  Ps.  Synopsis,  t.  il, 
Ope)'.  S.  Alhanasii. 


14  DU   LIVRE  DÉS  PSAUMES. 

montré  par  des  raisons  incontestables  la  vérité  de  la  rè- 
gle dont  il  s'agit  :  ce  qu'il  est  impossible  de  faire ,  car 
elle  n'a  d'autre  autorité  que  celle  des  Juifs ,  et  encore 
ceux-ci  ne  l'admettent-ils  pas  unanimement.  La  para- 
phrase chaldaïque  n'attribue  pas  à  Moïse  au  moins  tout 
le  psaume  xc,  et  Aben-Ezra  doute  que  le  xci  soit  de  ce 
saint  législateur.  Il  est  presque  inutile  de  faire  observer 
que  si  l'on  nomme  quelquefois  et  si  l'on  intitule  la  collec- 
tion des  psaumes  Psautier  de  David,  ce  n'est  pas  qu'on 
reconnaisse  pour  cela  que  toutes  ces  hymnes  sacrées 
soient  de  lui ,  mais  seulement  parce  qu'il  en  a  composé 
la  plus  grande  partie.  Mais  si  nous  admettons  que  tous 
les  psaumes  ne  sont  pas  de  David,  nous  repoussons  en 
même  temps  l'opinion  qui  a  prévalu  parmi  les  critiques 
allemands ,  que  David  n'est  l'auteur  que  de  soixante-dix 
tout  au  plus.  Car  dans  cette  opinion  la  presque  majeure 
partie  des  psaumes  ne  serait  pas  de  ce  roi  prophète ,  ce 
qui  est  contraire  au  sentiment  de  l'Eglise  judaïque  et 
chrétienne,  qui  a  toujours  cru  que  David  était  le  principal 
auteur  du  Psautier.  Nous  croyons  de  plus  qu'il  faut  at- 
tribuer à  David  non  seulement  la  plupart  de  ceux 
qui  portent  son  nom,  mais  encore  un  grand  nombre  d'a- 
nonymes ;  d'autant  plus  que  les  écrivains  du  Nouveau- 
Testament  rapportent  à  ce  prince  plusieurs  de  ces  can- 
tiques qui  pourtant  dans  le  texte  hébreu  ne  portent  en 
tête  aucun  nom  d'auteur.  Tels  sont  entre  autres  le  ii  et 
le  xciv.  Nous  avouons  sans  peine  que  saint  Pierre 
dans  les  Actes ,  Origène ,  saint  Hilaire  ,  saint  Grégoire 
de  Nazianze,  saint  Cyrille  de  Jérusalem,  le  concile  de 
Laodicée,  saint  Epiphane,  saint  Jérôme  et  Innocent  P% 
au  lieu  d'appeler  le  Psautier  les  Psaumes  de  David,  di- 
sent simplement  le  livre  des  Psaumes,  mais  plusieurs  an- 


DU  LIVUE   DES  PSAUMES.  15 

ciens  canons  des  livres  saints  attribuent  tout  le  Psau- 
tier à  David  ,  et  l'appellent  Psalteriam  Davidicum,  ou 
Psalmos  Davidis.  Cette  dénomination  se  trouve  dans  le 
catalogue  de  Méliton,  de  l'auteur  de  laSynopse  attribuée 
à  saint  Athanase ,  de  saint  Augustin ,  du  concile  de  Car- 
tilage et  même  du  saint  concile  de  Trente.  Enfin  saint 
Jérôme  dans  son  Proîogus  galeatus,  donne  au  Psautier 
cette  même  dénomination ,  qui  certes  ne  peut  être  juste 
et  vraie  qu'autant  que  David  a  composé  la  plus  grande 
partie  des  psaumes. 

Les  critiques  allemands  enlèvent  encore  sans  motif 
aux  auteurs  désignés  dans  les  titres  plusieurs  de  leurs 
psaumes.  Il  leur  suffit  d'une  circonstance  des  temps  fu- 
turs pour  renvoyer  la  composition  de  ces  hymnes  sacrées 
aune  époque  très-reculée.  Ainsi  Asaph,  Eman,Ethan, 
n'auraient,  selon  eux,  composé  aucun  des  psaumes  de 
notre  collection ,  ce  qui  est  opposé  au  sentiment  des 
Juifs  aussi  bien  qu'à  l'authenticité  des  titres,  qu'ils  font 
néanmoins  profession  de  respecter. 

Quoique  nous  admettions  également  que  quelques 
psaumes  aient  été  composés  dans  le  temps  de  la  capti- 
vité ,  nous  croyons  qu'on  n'est  nullement  en  droit  de 
refuser  à  David  et  à  des  prophètes  ses  contemporains 
tous  ceux  qui  se  rapportent  à  la  captivité.  Quelle  raison 
en  effet  peut-on  avoir  de  douter  que  Dieu  ait  pu  révé- 
ler à  David  ce  grand  événement ,  comme  il  l'a  révélé  à 
Moïse  dans  les  derniers  chapitres  du  Deutéronome  et  à 
plusieurs  autres  prophètes  ? 

Enfin  on  doit  regarder  comme  inadmissible  la  sup- 
position que  plusieurs  psaumes  ne  remontent  que  jus- 
qu'au temps  des  Machabées ,  ainsi  que  le  prétend  Ber- 
tholdt  dans  son  Introduction.  Cette  assertion  aussi  fausse 


16  DU  LIVRE  DES  PSAUMES. 

qu'étrange  se  trouve  contredite  par  des  auteurs  dont 
la  hardiesse  en  matière  de  critique  est  assez  connue. 
Jahn ,  Eichhorn  et  De  Wette  lui-même  assurent  que  le 
canon  des  Écritures  devait  être  déjà  clos  à  cette  époque. 
Non  seulement  les  preuves  extrinsèques  sont  en  oppo- 
sition formelle  avec  cette  opinion ,  mais  encore  tous  les 
caractères  intrinsèques  de  ces  psaumes,  qu'on  veut  ra- 
baisser jusqu'au  siècle  des  Machabées  et  qu'on  nomme 
en  conséquence  psaumes  machabaïques  y  montrent  jus- 
qu'à l'évidence  aux  yeux  des  critiques  sans  prévention 
qu'ils  appartiennent  à  une  époque  bien  antérieure.  Au 
reste,  cette  opinion  a  singulièrement  perdu  de  son  crédit 
depuis  queGesenius  et  surtout  Hassler  l'ont  combattue  ; 
on  peut  même  dire  qu'elle  est  aujourd'hui  tout-à-fait 
abandonnée. 

ARTICLE  IV. 

De  la  divinité  du  livre  des  Psaumes. 

Il  faut  bien  distinguer  l'opinion  des  rabbins  qui  n'ont 
pas  voulu  classer  les  psaumes  parmi  les  livres  prophé- 
tiques ,  de  celle  des  rationalistes  modernes  et  de  quel- 
ques sectes  anciennes  d'hérétiques ,  tels  que  les  nico- 
laïtes ,  les  gnostiques  et  les  manichéens,  au  rapport  de 
Philastre  (Hseres.  lxxviii),  qui  refusent  à  ces  écrits 
toute  inspiration  divine;  les  rabbins  en  effet  n'ont  ja- 
mais douté  que  les  psaumes  nefussentunlivre  véritable- 
ment inspiré  de  Dieu  (1).  Aussi  n'est-ce  pas  contre  eux 
qu'est  dirigée  la  proposition  suivante,  dont  l'énoncé  ex- 
prime une  des  vérités  contenues  dans  le  symbole  catho- 
lique . 

(1)  Voy.  R.  Simon,  Hisl.  ail.  du  V.  T.  l.  i,  ch.  ix. 


DU  LIVRÉ  DES  PSAUMES.  17 

PROPOSITION. 

Le  livre  des  Psaumes  est  un  livre  divin. 

1 .  La  synagogue  et  l'Eglise  chrétienne  ont  regardé  de 
tout  temps  le  recueil  des  cent  cinquante  psaumes  qui 
composent  le  Psautier,  comme  un  ouvrage  divin  et  ins- 
piré par  l'Esprit  saint  ;  et  c'est  à  ce  titre  qu'il  a  été  in- 
séré dans  tous  les  catalogues  des  divines  Ecritures, 
même  les  plus  anciens.  Les  écrivains  de  l'Ancien  et  du 
Nouveau-Testament  ont  aussi  rendu  hommage  à  l'auto- 
rité divine  du  livre  des  Psaumes.  Nous  aurions  trop  à 
citer,  si  nous  voulions  rapporter  leurs  témoignages, 
d'autant  plus  qu'il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  les  con- 
cordances de  la  Bible,  pour  voir  qu'en  effet  presque 
tous  les  auteurs  sacrés,  prophètes  comme  historiens, 
qui  ont  écrit  depuis  la  composition  des  psaumes,  en  ont 
cité  quelquefois  même  textuellement  des  passages,  et 
qu'ils  ont  fait  des  allusions  manifestes  à  un  grand  nom- 
bre d'autres.  Qu'il  nous  suffise  de  rapporter  quelques 
mots  tirés  de  l'auteur  de  l'Ecclésiastique  :  Dans  toutes 
ses  œuvres,  David  a  rendu  des  actions  de  grâces  au  Saint, 
et  il  a  béni  le  Très-Haut  par  des  paroles  pleines  de  sa 
gloire.  Il  a  loué  le  Seigneur  de  tout  son  cœur,  etc.  (xLVii, 
9,'10).  Nous  dirons  de  même  des  écrivains  du  Nouveau- 
Testament  ;  ils  allèguent  continuellement  les  Psaumes 
pour  confirmer  les  doctrines  qu'ils  veulent  établir,  et 
en  les  alléguant,  ils  leur  donnent  toujours  des  titres 
qu'on  ne  donne  qu'aux  livres  divinement  inspirés,  ou  s'ils 
ne  les  citent  pas  nommément,  ils  en  emploient  le  texte, 
en  leur  supposant  évidemment  une  autorité  divine  ;  et 
pour  nous  borner  à  un  petit  nombre  d'exemples,  nous  si- 


18  DU   LIVRE   DES   PSAUMES. 

gnalerons  Matth.  xiii;  35  ; xxvii,  35.  Act.  i,  16, 10, 20  ; 
XV,  8,  29-31.  Rom.  m,  h-ih;  iv,  6,7.Hebr.  i,  5-1/t. 
1  Petr.11,6;  m,  10.  Enfin  Jésus-Ghrist  lui-même,  ci- 
tant le  psaume  cix,  1,  atteste  que  l'Esprit  saint  parlait 
par  la  bouche  de  David  :  Quomodo  ergo  David  in  spi- 
ritu  vocat  eum  Dominum  (  Matth.  xxii,  43  )  ? 

2.  Les  caractères  intrinsèques  du  livre  lui-même  ré- 
pondent d'une  manière  admirable  à  l'idée  que  nous  en 
donnent  les  témoignages  si  imposans  et  si  nombreux 
que  nous  venons  de  rapporter  ;  et  ici  nous  ne  saurions 
mieux  faire  que  de  répéter  les  paroles  mêmes  que  nous 
lisons  dans  la  Bible  de  Vence  (1),  paroles  qui  sont  un  ré- 
sumé parfait  de  ce  que  nous  avons  lu  dans  saint  Chry- 
sostome,  saint  Basile,  saint  Ambroise,  saint  Augustin  et 
Bossuet  sur  cette  matière.  La  doctrine  que  les  psaumes 
contiennent  est  très-sublime,  très-pure  et  toute  divine  ; 
il  n'y  a  que  l'esprit  de  Dieu  qui  ait  pu  faire  parler 
un  prophète  d'une  manière  si  relevée  de  la  Divinité  et 
de  toutes  les  perfections  de  l'Être  infiniment  parfait. 
Tout  ce  qui  regarde  la  morale  et  la  conduite  de  la  vie 
répond  à  la  pureté  de  la  doctrine  touchant  la  sainteté 
et  la  nature  de  Dieu.  Nous  apprenons  dans  les  psau- 
mes que  Dieu  est  présent  en  tout  lieu,  et  que  nous 
devons  respecter  parti;;  t  sa  divine  présence;  nous  y 
voyons  qu'il  n'est  point  renfermé  dans  les  temples  ma- 
tériels ;  qu'il  ne  doit  pas  être  honoré  par  des  sacrifices 
extérieurs  des  animaux  qu'on  immole,  mais  bien  plutôt 
par  un  culte  intérieur,  et  qu'il  demande  surtout  un  cœur 
simple  et  innocent.  On  nous  enseigne  dans  ce  livre  tout 

(1)  Préf.  sur  h  livra  des  Psaumes,  Art.  Authenùcilé  ou  canonicité 
des  Psaumes. 


DU   LIVRE   DES   PSAUMES.  19 

divin,  qu'il  faut  aimer  Dieu  et  le  louer  sans  cesse,  s'at- 
tacher à  ses  commanclemens,  observer  sa  loi,  en  faire 
le  sujet  continuel  de  nos  méditations,  pour  en  recon- 
naître et  en  admirer  les  beautés  et  les  merveilles  qui  y 
sont  renfermées  ;  ce  sont  ses  préceptes  que  l'on  doit  pré- 
férer à  l'or,  au  topaze  et  à  toutes  les  choses  les  plus  pré- 
cieuses. Tous  ceux  qui  lisent  ces  cantiques  sacrés  sont 
exhortés  à  mettre  toute  leur  confiance  dans  le  Seigneur, 
à  n'attendre  de  secours  que  de  lui  seul,  à  ne  rien  espé- 
rer des  hommes  qui  paraissent  les  plus  élevés  et  les  plus 
puissans,  et  qui  ne  peuvent  nous  sauver  ni  nous  déli- 
vrer de  nos  maux.  Le  prophète  fait  encore  voir  la  va- 
nité des  biens  de  ce  monde  qui  passent  en  un  moment, 
et  qui  ne  méritent  en  aucun  sens  que  nous  nous  y  atta- 
chions. Tantôt  il  exhorte  à  la  patience  et  à  la  résigna- 
tion aux  volontés  de  Dieu,  dont  nous  devons  attendre 
toute  notre  consolation ,  et  tantôt  il  s'attache  à  inspi- 
rer des  sentimens  de  courage  et  de  confiance  qui  sont 
fondés  sur  la  puissance  et  la  miséricorde  du  Seigneur. 
Pour  ce  quiregarde  nos  devoirs  envers  le  prochain,  rien 
n'est  plus  pur  que  la  morale  des  Psaumes  ;  nous  y  trou- 
vons que  l'on  ne  doit  jamais  tromper  personne  ;  qu'il  faut 
être  véritable  dans  toutes  ses  paroles  et  n'user  jamais  de 
fraude  ;  qu'il  faut  rendre  à  chacun  ce  qui  lui  appartient, 
exercer  la  justice,  se  déclarer  pour  l'innocence,  sans 
aucune  distinction  des  personnes,  protéger  la  veuve  et 
l'orphelin,  ne  point  ravir  le  bien  du  prochain,  et  ne 
point  lui  prêter  son  argent  à  usure  ;  ne  faire  jamais  de  mal 
à  personne,  pas  même  à  ceux  qui  nous  en  font  ou  qui 
tâchent  de  nous  en  faire  ;  aimer  tellement  la  loi  de  Dieu, 
qu'on  ait  le  cœur  penché  vers  ces  témoignages  des  divins 
commandemens  et  nullement  vers  l'avarice.  Enfin  on 


20  DU  LIVRE  DES  PSAUMES. 

trouve  tant  de  maximes  de  conduite  et  même  de  per- 
fection dans  les  Psaumes,  que  saint  Basile  a  cru  que 
David  parlait  des  conseils  qui  nous  conduisent  à  ce  qu'il 
y  a  déplus  parfait,  lorsqu'il  disait  à  Dieu  :  Faites^  Sei- 
gneur, que  les  sacrifices  volontaires  que  ma  bouche  vous 
offre  vous  soient  agréables,  et  enseignez-moi  vos  juge- 
mews(Ps.  cxviii,  108). 

Une  autre  preuve  démonstrative  de  la  divinité  des 
Psaumes,  qui  nous  est  fournie  par  le  livre  lui-môme,  ce 
sont  les  prophéties  qu'il  renferme  ;  car,  quoi  qu'en  di- 
sent les  rationalistes'  il  faut  renoncer  aux  lois  les  mieux 
établies  delà  critique,  de  l'herméneutique  et  de  l'exégèse 
biblique,  il  faut  torturer  les  sens  les  plus  clairs  des 
phrases,  répudier  les  significations  les  plus  certaines  des 
mots  du  texte  sacré,  pour  ne  pas  reconnaître  qu'il  y  a 
dans  les  Psaumes  de  véritables  prédictions  d'événemens 
futurs.  Ainsi  ces  cantiques  sacrés  renferment  des  pro- 
phéties incontestables  sur  la  destruction  de  Jérusalem 
et  la  captivité  de  Babylone,  sur  la  réprobation  et  le  châ- 
timent des  Juifs ,  sur  la  vocation  des  Gentils  à  la  con- 
naissance du  vrai  Dieu.  Ajoutons  que  dans  les  psaumes 
II,  XV,  XXI,  XLiv,  Lxviii,  Lxxi  et  plusieurs  autres,  le 
royaume  du  Messie,  sa  naissance,  sa  prédication,  ses 
miracles,  sa  passion,  sarésurrection,  son  ascension, l'éta- 
blissement etles  progrès  merveilleux  de  son  Eglise,  sont 
si  clairement  annoncés  et  prédits,  qu'il  semble  que  l'au- 
teur ait  été  plutôt  un  évangéliste  qu'un  prophète. 

On  oppose  cependant  quelques  difficultés  à  la  divi- 
nité du  livre  des  Psaumes;  examinons  les  plus  sail- 
lantes. 


DU  LIVRE  DES  PSAUMES.  2J 

Difficultés  "proposées  contre  la  divinité  du  livre  des 
Psaumes,  et  Réponses  à  ces  difficultés. 

Obj.  1°  Le  Psalmiste,  disent  les  incrédules,  montre 
continuellement  des  sentimens  de  vengeance,  lance  des 
malédictions  et  des  imprécations  contre  ses  ennemis  , 
demande  à  Dieu  de  les  punir,  et  de  les  faire  périr  avec 
toute  leur  postérité.  Or,  des  sentimens  aussi  opposés  à 
la  vertu  de  douceur  et  de  charité  n'ont  pas  pu  être  ins- 
pirés par  l'Esprit  saint. 

Rép.  Cette  difficulté  est  beaucoup  plus  spécieuse  que 
solide.  Nous  avons  plus  d'une  raison  à  y  opposer  :  1°  on 
n'a  aucun  motif  d'affirmer  que  ces  imprécations  vien- 
nent d'un  esprit  de  haine  et  de  vengeance.  Si  David, 
dans  les  psaumes  duquel  se  trouvent  plus  ordinaire- 
ment ces  imprécations ,  eût  été  un  homme  haineux , 
emporté  et  vindicatif,  on  aurait  quelque  droit  de  le  sup- 
poser ;  mais  ce  prince  ayant  été  si  doux  et  si  élevé  au- 
dessus  des  sentimens  de  la  vengeance ,  qu'il  épargne 
Saûl  qui  machinait  sa  perte,  qu'il  venge  et  pleure  amè- 
rement sa  mort ,  qu'il  venge  aussi  celle  d'Isboseth ,  et 
recherche  dans  tout  Israël  quelqu'un  de  la  famille  de  ce 
prince,  son  ennemi  déclaré,  pour  le  combler  de  bienfaits, 
et  qu'il  pardonne  généreusement  à  Séméi,  qui  l'avait  ou- 
tragé de  la  manière  la  plus  atroce,  on  a  toute  raison  de 
penser  que  ces  imprécations  ne  procédaient  point  d'un  es- 
prit de  vengeance,  mais  d'un  grand  zèle  pour  la  gloire  de 
Dieu  ,  que  ses  ennemis  outrageaient.  Nous  en  avons  une 
preuve  incontestable  dans  ces  deux  passages  des  Psau- 
mes mêmes:  «  Seigneur,  n'ai-je  pas  haï  ceux  qui  vous  haïs- 
saient, et  ne  séchai-je  pas  de  chagrin  en  voyant  vos  enne- 
mis? Je  les  haïssais  d'une  haine  mortelle  (Ps.cxxxviii, 


22  DU    LIVRE    DES   PSAUMES. 

21.)  ...Si  j'ai  rendu  le  mal  à  ceux  qui  m'en  avaient  fait, 
je  veux  succomber  sous  mes  ennemis,  et  me  voir  frustré 
de  toute  espérance.  Que  l'ennemi  poursuive  mon  âme  et 
s'en  rende  maître,  qu'il  me  foule  aux  pieds  sur  la  terre , 
en  m'arrachant  la  vie  (Ps.  vu,  6).  »  —  2°  Plusieurs 
interprètes  répondent ,  avec  saint  Chrysostome  et  saint 
Augustin ,  que  ces  imprécations  ne  sont  pas  réelles  ; 
mais  qu'elles  n'expriment  que  de  simples  prophéties 
énoncées  dans  la  forme  imprécatoire,  et  nous  croyons 
aussi  nous-même  que  quelques-unes  au  moins  peu- 
vent s'expliquer  de  cette  manière  (1).  Un  cœur  si  bon, 
une  âme  aussi  généreuse,  ne  peut  avoir  formé  ces  désirs 
de  vengeance  ;  c'est  une  prédiction  que  lui  suggère 
l'Esprit  saint  dont  il  est  animé;  le  même  Dieu  qui  l'as- 
sociera un  jour  à  son  jugement  veut  bien  avancer  à  son 
égard  l'exercice  de  ce  pouvoir ,  en  le  chargeant  d'an- 
noncer de  sa  part  les  arrêts  de  sa  justice  contre  les  mé- 
chans.  —  3°  Plusieurs  de  ces  imprécations  ne  sont  que 
conditionnelles  ,  et  ne  renferment  le  souhait  d'un  mal 
qu'autant  que  le  coupable  ne  se  corrigera  pas ,  mais 
qu'il  persévérera  dans  son  iniquité  ;  —  4-°  les  maux  que 
paraît  souhaiter  le  Psalmiste  n'ont  pas  précisément  pour 
objet  la  ruine  personnelle  du  pécheur,  mais  se  rappor- 
tent quelquefois  à  sa  propre  correction  :  Impie  facie$ 
eorum  ignominia ,  et  quœrent  nomen  tuum.  Domine. 
D'autres  fois,  elles  se  rapportent  au  bien  général  de  la 
religion  et  de  la  société.  Le  prophète,  brûlant  de  zèle 
pour  la  gloire  de  Dieu,  craignait  que  si  la  prospérité  et 
les  persécutions  des  méchans  persévéraient,  les  justes 
ne  fussent  découragés ,  l'honneur  de  Dieu  ne  fût  com- 

(1)  Voy.  le  Commentaire  de  Dereser  sur  le  ps.  cix  selon  l'hébretl. 


DU   LIVRE   DES   PSAUMES.  23 

promis  et  la  religion  ne  souffrît  un  notable  dommage  (1). 
Il  demande  donc  à  Dieu  que  par  sa  puissance  il  veuille 
bien  réprimer  les  efforts  des  méchans.  Or,  c'est  ce  que 
l'Eglise  chrétienne  demande  elle-même,  quand  elle  prie 
contre  ses  persécuteurs  et  quand  elle  ordonne  des  prières 
contre  les  ennemis  de  l'état.  Il  faut  encore  bien  remar- 
quer que  les  ennemis  de  David  ne  s'attaquaient  pas  à 
sa  personne  individuelle,  mais  à  Jéhova,  qui  l'avait 
établi  roi  dans  sa  théocratie,  et  dont  il  était  le  vice-gé- 
rant, et  à  tout  le  peuple  juif  dont  il  était  le  chef.  Ainsi, 
sans  faire  attention  à  ses  injures  particulières,  qu'il  était 
disposé  à  pardonner ,  il  considérait  dans  ses  persécu- 
tions l'honneur  de  Dieu,  dont  il  tenait  la  place,  et  le  bien 
de  l'état  dont  il  était  le  roi.  Ainsi,  ce  n'était  pas  par  le 
sentiment  d'une  vengeance  particulière,  mais  par  le  zèle 
de  la  gloire  de  Dieu,  qu'il  désirait  l'humiliation  et  l'ex- 
termination de  ses  ennemis.  —  5°  Enfin,  le  prophète  ne 
parle  pas  en  son  nom  propre,  mais  au  nom  de  Dieu  qui 
l'inspire  et  dont  il  est  l'organe.  Or,  répugne-t-il  aux  at- 
tributs de  Dieu  qu'il  souhaite  de  tirer  vengeance  de 
tout  homme  qui  refuse  opiniâtrement  de  se  soumettre  à 
sa  volonté?  Ce  désir  n'est-il  pas  lié  avec  l'amour  de  l'or- 
dre et  de  la  justice  dont  il  ne  saurait  se  départir?  Mais 
si  ces  sentimens  peuvent  se  supposer  en  Dieu,  pourquoi 
paraîtraient-ils  choquans  dans  celui  qui  n'est  que  son 
interprète,  qui  ne  fait  que  déclarer  au  dehors  ce  qu'il 
lui  révèle  lui-même  au  dedans?  N'oublions  pas  que  les 
saints  prophètes  entrent  dans  les  sentimens  de  Dieu 
même.  Plus  ils  sont  remplis  de  son  amour,  plus  ils  haïs- 

(1)  Il  suffit  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur  les  prophéties  de  Malachie 
pour  voir  combien  cette  réflexion  est  fondée. 


24  DU  LIVRE  DES  PSAUMES. 

sent  et  détestent  les  crimes  qui  attaquent  sa  sainteté  in- 
finie ;  et  Dieu  leur  découvrant  par  sa  lumière  divine 
l'endurcissement  et  l'impénitence  des  médians ,  et  la 
résolution  infiniment  juste  où  il  est  de  les  punir ,  ils 
entrent  dans  les  sentimens  de  sa  justice  vengeresse,  ils 
les  approuvent  et  désirent  la  punition  des  coupables  ; 
mais  ils  la  désirent  comme  Dieu  lui-même,  c'est-à-dire 
sans  passion,  sans  mouvement  de  haine,  sans  emporte- 
ment de  colère ,  par  le  seul  amour  de  l'ordre  et  de  la 
justice  éternelle.  Au  reste,  il  faut  encore  se  rappeler 
que  ces  imprécations  sont  exprimées  dans  un  style  poé- 
tique ,  style  beaucoup  plus  véhément  et  plus  hyperboli- 
que chez  les  Orientaux  qu'il  ne  l'est  parmi  nous ,  dont 
l'imagination  infiniment  plus  froide  et  plus  calme  ne  se 
permet  pas  toutes  ces  exagérations . 

Obj.  2°  On  ne  peut  raisonnablement  point  accorder 
le  don  de  l'inspiration  divine  à  un  écrivain  qui  montre 
peu  de  foi  à  la  vie  future.  Or,  c'est  précisément  le  cas 
du  Psalmiste,  qui  dit  d'une  manière  assez  expresse,  qu'on 
ne  se  souvient  point  de  Dieu  après  la  mort ,  qu'on  ne 
le  loue  point  dans  le  tombeau ,  et  qu'il  n'y  a  que  ceux 
qui  sont  vivans  qui  puissent  célébrer  son  nom.  Non  est 
in  morte  qui  memor  sit  tuî;  ininferno  autém  quis  con- 
fitebitur  tibi  (vi,  6)?  Non  mortui  laudabunt  te,  DominCf 
neque  omnes  qui  descendunt  in  i^ifernum  :  sed  nos  qui 
viviiniiSy  benedicimus  Domino  (cxiii,  17,  18.) 

Rép.  Il  n'est  pas  plus  difficile  de  répondre  à  cette  ob- 
jection qu'à  la  précédente  :  1°  il  est  incontestable  que 
le  prophète  n'a  ni  pu  ni  voulu  par  ces  paroles  expri- 
mer un  doute  sur  l'immortalité  de  l'âme,  admise  de  tout 
temps  par  les  Juifs ,  et  dont  il  y  a  des  vestiges  évidens 
dans  le  Pentateuque  même.  Gomment  se  persuader,  en 


DU   LIVRE   DES   PSAUMES.  25 

effet,  que  David  inspiré  de  Dieu,  David  qui  avait  des 
vues  si  grandes  et  si  parfaites  de  la  Divinité,  ait  pu 
méconnaître  un  dogme  en  quelque  sorte  populaire ,  et 
admis  par  les  nations  les  plus  barbares  ,  un  dogme  qui 
est  une  conséquence  si  nécessaire  de  la  nature  morale 
de  l'homme  et  des  attributs  divins?  Et  quoique  sous 
l'économie  mosaïque  la  voie  des  saints  n'eût  pas  été 
encore  clairement  manifestée,  et  que  ce  dût  être  le  pri- 
vilège de  la  dispensation  évangélique  d'amener  à  une 
pleine  lumière  la  vie  et  l'immortalité,  cachées  sous  les 
ombres  de  la  loi  ;  cependant  nous  trouvons  dans  ces 
divins  cantiques  eux-mêmes  des  preuves  assez  mani- 
festes de  cette  vision  de  Dieu  ,  de  cette  manifestation 
de  la  gloire  céleste  qui  doit  rassasier  tous  nos  désirs  : 
Satiahor  cum  apparuerit  gloria  tua;  inehriahuntur  ah 
ubertate  domûs  tuœ  ,  torrente  voluptatis  tiiœ  potabis 
eos;  quia  in  lumine  tuo  videbimus  lumen;  paroles  trop 
magnifiques  pour  être  restreintes  au  faible  bonheur  que 
nous  pouvons  goûter  dans  cette  vie,  et  qu'il  faut  néces- 
sairement interpréter  de  la  vie  future .  —  2°  David  ne  pré- 
tend pas  que  les  âmes  séparéesdes  corps  n'existent  point 
ni  qu'elles  soient  incapables  d'aucune  pensée;  mais  il 
dit  tout  au  plus  que  dans  le  scheôl  (1)  elles  ne  peuvent 
plus  louer  Dieu  et  célébrer  son  nom,  comme  autrefois 
dans  les  assemblées  publiques  de  religion.  Le  culte 
qu'elles  peuvent  rendre  à  Dieu  est  tout  intérieur,  et  ne 
saurait  plus  servir  à  la  manifestation  des  attributs  di- 

(1)  Le  scheôl  (vlt^w^)  est  le  lieu  où  les  Hébreux  supposaient  que 
lésâmes  étaient  réunies  après  la  mort;  c'est  le  seul  sens  dont  ce 
terme  hébreu  soit  susceptible.  Ainsi  c'est  tout-à-fait  à  tort  que  beau- 
coup d'interprètes  même  catholiques  le  rendent  quelquefois  par 
tombeau,  sépulcre. 

v.  2 


26  DU   LIVRE  DES  PSAUMES. 

vins ,  à  l'édification  des  vivans  et  à  la  correction  des 
impies.  C'est  dans  ce  sens  que  le  Psalmiste  dit  que  dans 
la  région  des  morts  on  ne  loue  plus  Dieu,  on  ne  célèbre 
plus  son  nom  comme  pendant  la  vie,  que  l'exercice  de 
ce  culte  public  qui  honore  Dieu  aux  yeux  des  vivans, 
qui  édifie  les  fidèles  et  corrige  les  méchans,  est  exclusi- 
vement l'apanage  de  ceux  qui  vivent  dans  le  monde 
présent.  Il  faut  encore  remarquer  que  le  mot  zékér 
(IDÎ)»  qne  la  Yulgate  a  rendu  dans  le  sens  de  memoria 
(Ps.  VI,  6) ,  ne  signifie  pas  dans  cet  endroit  un  pur  sou- 
venir^  une  simple  pensée  intérieurey  mais  une  louange^ 
une  confession  imhlique  du  nom  de  DiEtJ  (1) ,  sens  qui 
se  trouve  aussi  exprimé  dans  le  second  membre  du 
même  verset  :  In  inferno  quis  confitebitur  îihi  ? — 3»  C'est 
se  tromper  d'une  manière  étrange  que  de  croire  que  le 
Psalmiste  ne  parle  point  des  âmes  des  morts,  mais  bien  des 
morts  tels  qu'ils  étaient  sur  la  terre,  c'est-à-dire  com- 
posés d'une  âme  et  d'un  corps  ;  or,  dans  ce  sens,  il  est 
vrai  de  dire  que  les  morts  considérés  dans  cet  état  de 
leur  intégrité  naturelle  ,  ne  sont  capables  d'aucune 
louange,  puisque  le  corps,  qui  est  l'organe  du  culte  et 
qui  le  manifeste  par  sa  langue  et  ses  mouvemens  exté- 
rieurs, n'existe  plus  dans  sa  forme  primitive  et  est  ré- 
duit en  poussière.  Ainsi,  ce  n'est  pas  l'homme  tout  entier 
qui  loue,  mais  seulement  une  de  ses  parties  ;  ce  qui  suf- 
fit pour  vérifier  les  paroles  du  Psalmiste.  —  k"  Enfin,  on 
peut  encore  répondre,  que  dans  une  loi  toute  figurative 
il  ne  faut  pas  s'arrêter  à  la  lettre  qui  tue ,  mais  à  l'es- 
prit qui  vivifie.  Or,  cette  mort  naturelle,  ce  tombeau 
qui  séparent  les  morts  du  saint  temple  et  de  l'assemblée 

(1)  Voy.  Gesenius,  Lexic,  Iiebr.  cJiald.  pag.  302. 


DU  LlvnE  DES  PSAUMES.  S7 

des  fidèles,  ne  sont  que  la  figure  d'une  autre  mort  plus 
terrible,  que  saint  Jean  appelle  la  seconde  mort,  et  d'un 
autre  tombeau  plus  profond  encore  qui  engloutit  l'âme 
et  le  corps,  et  sépare  l'homme  tout  entier  de  la  Jérusa- 
lem céleste,  ou  du  temple  éternel  des  élus.  Ainsi,  le Psal- 
miste  portant  son  regard  prophétique  sur  cette  seconde 
mort,  et  sur  cet  enfer  qui  en  est  la  suite,  a  pu  dire  dans 
toute  vérité  ;  Non  enim  est  in  morte  qui  memor  sit  tuî, 
et  in  inferno  quis  confitebitiir  tihi  (1)  ? 

ARTICLE  V. 

Bu  caractère  poétique  des  Psaumes. 

Envisagés  sous  le  rapport  de  l'élocution ,  les  psaumes 
sont  un  vrai  chef-d'œuvife  de  poésie  ,  dont  n'approchè- 
rent jamais  les  lyriques  grecs  et  latins.  Cette  poésie  est 
si  sublime,  que  Lowth  ne  craint  pas  de  l'appeler  divine. 
Il  serait  difficile,  en  eiTet,  d'imaginer  une  raison  suffi- 
sante de  la  sublimité  et  de  l'enthousiasme  de  ces  beaux 
cantiques ,  autre  que  l'inspiration.  Ce  critique  a  dis- 
tingue dans  les  psaumes  des  poèm.es  de  presque  toutes 
les  espèces  ,  des  idylles,  des  élégies ,  des  pièces  didac- 
tiques et  morales ,  mais  surtout  des  odes  de  tous  les 
genres  et  d'une  grande  perfection.  Pour  faire  connaître 
toutes  les  beautés  poétiques  dont  est  rempli  le  livre  des 
Psaumes  ,  il  faudrait  les  expliquer  tous  ,  puisqu'il  n'en 
est  pas  un  seul  qui  n'étincelle  de  beautés  de  tous  les 
genres.  Nous  nous  bornerons  donc  à  faire  remarquer 
que  le  caractère  principal  de  cette  poésie  inimitable 
des  psaumes  consiste  dans  la  sublimité  des  pensées  et 

(1)  Voy.  Bossuet,  Dissert,  de  Psalmis,  c.  i,  §  x. 


26  DD  LIVRE  DES  PSAUMES. 

des  sentimens  ;  dans  la  richesse  des  descriptions  et  le 
naturel  des  tableaux,  dans  la  vivacité  et  la  justesse  des 
métaphores  et  des  comparaisons,  dans  la  rapidité  et 
l'impétuosité  des  mouvemens,  dans  l'onction  et  la  sua- 
vité des  sentimens.  Les  psaumes  dans  lesquels  on  re- 
trouve surtout  ces  qualités  sont  les  ii ,  viii ,  xvii , 

XVIII ,  XXI  ,  XXII  ,  XXIII ,  XXVIII,  XLI,  XLIV  ,  XLIX, 
LXIV,  LXVII,  LXXI,  LXII,  LXIII ,  LXXVI  ,  LXXVIII , 
LXXIX,  LXXXI,  LXXXIII,  LXXXIV,  LXXXVIII,LXXXIX, 

xc,  xci,  cxii,  cxiii,  cxv,  cxvi ,  cxvii,  cii,  cm, 

CVI,  CXIII,  CXVII,  CXXI,  CXXVII,  CXXXII,  CXXXVI, 
CXXXVIII,   CXLIII,   CXLVII  (1). 

ARTICLE    VI. 

Des  commentaires  du  livre  des  Psaumes. 

Le  nombre  des  commentaires  sur  les  psaumes  est  in- 
fini ,  comme  l'a  déjà  remarqué  D.  Calmet  dans  son 
Dictionnaire  de  la  Bible  ;  la  raison  en  est  fort  simple  et 
fort  naturelle  ;  ce  divin  livre  étant  à  la  fois  l'un  des 
monumens  littéraires  de  l'Ancien-Testament  les  plus 
beaux ,  les  plus  utiles ,  mais  en  même  temps  les  plus 
obscurs ,  a  dû  vivement  exciter  le  zèle  de  tous  les  écri- 
vains qui  se  sentaient  capables  d'y  répandre  quelque 
lumière  par  une  étude  approfondie  et  un  travail  assidu. 
Voici  les  principaux. 

(1)  On  peut  voir  encore,  pour  ce  qui  regarde  l'élocution  poétique 
des  Psaumes,  la  préface  de  Bossuel  sur  les  Psaumes  ;  le  discours  de 
Fleury  sur  la  poésie  des  Hébreux,  et  le  traité  de  la  poésie  sacrée  des 
Hébreux,  par  R.  Lowth. 


DU    LIVRE   DES   PSAUMES-  29 

§  I.  Des  commentateurs  catholiques. 

1 .  La  plupart  des  commentaires  faits  par  les  pères 
de  l'Église  ne  sont  que  sur  un  petit  nombre  de  psaumes. 
Origène  avait  sans  doute  commenté  tous  ces  saints 
cantiques ,  mais  il  ne  nous  est  parvenu  'que  quelques 
fragmens  qu'on  trouve  dans  les  dernières  éditions  des 
œuvres  de  ce  savant  père.  — Eusèbe  de  Gésarée  a  aussi 
écrit  un  commentaire ,  dans  lequel  il  donne  des  notes 
critiques  sur  l'ordre  des  psaumes ,  en  y  joignant  une 
explication  littérale  assez  heureuse ,  et  des  allégories 
qui  sont  naturelles.  Le  P.  de  Montfaucon  a  publié  les 
cent  dix-neuf  premiers  psaumes  qu'il  a  découverts,  avec 
une  traduction  latine,  à  Paris,  en  1706,  dans  le  tome  i 
de  sa  nouvelle  collection  des  Pères  grecs.  —  Saint  Basile 
a  commenté  quinze  psaumes  seulement,  quoiqu'on  lui 
ait  attribué  un  commentaire  sur  les  cent  cinquante,  com- 
mentaire qui  n'est  qu'une  compilation  de  divers  extraits 
tirés  de  saint  Ghrysostome  et  de  Théodoret.  —  Nous 
n'avons  qu'une  partie  des  commentaires  de  saint  Ghry- 
sostome; l'éloquent  docteur  commence  par  fixer  le  sens 
littéral,  pour  en  tirer  ensuite  une  moralité  sur  laquelle 
il  insiste  comme  sur  son  objet  principal,  sans  négliger 
pourtant  un  travail  de  critique  très-important,  celui  Je 
rapporter  les  variantes  d'Aquila  ,  de  Théodotion  ,  de 
Symmaque  ,  et  des  autres  versions  contenues  dans  les 
Hexaples.  Ges  variantes  n'ont  pas  peu  servi  à  la  collec- 
tion des  fragmens  des  Hexaples  faite  par  le  P.  de 
Montfaucon.  —  Le  commentaire  de  Théodoret  semble 
surpasser  tous  ceux  qui  ont  été  composés  par  les  doc- 
teurs de  l'église  grecque.  Ce  père  a  su  distinguer,  avec 


30  DU   LIVRE   DES  PSAUMES. 

sa  précision  ordinaire  et  un  tact  admirable,  ce  qui  ap- 
partient au  sens  historique,  de  ce  qui  se  rapporte  à 
Jésus-Christ  et  à  son  Eglise. —Une  nous  reste  de 
saint  Hilaire  que  cinquante-huit  psaumes  expliqués  : 
comme  Théodoret,  il  a  su  éviter  le  double  écueil  de  ne 
voir  que  le  sens  littéral  et  historique,  ou  de  n'y  trouver 
qu'un  sens  spirituel  et  purement  allégorique.  —  Saint 
Ambroise ,  dans  son  explication  de  douze  psaumes ,  est 
plus  moral  que  littéral  ;  il  a  beaucoup  suivi  la  méthode 
d'Origène.  —  Saint  Augustin  a  composé  sur  tout  le 
Psautier  un  ouvrage  fort  étendu,  dans  lequel  il  ne  s'ar- 
rête presque  pas  au  sens  littéral.  Ainsi,  son  commen- 
taire, si  on  peut  se  servir  de  ce  nom,  n'est  nullement 
propre  à  éclaircir  les  passages  obscurs  des  psaumes , 
mais  il  est  très-propre  à  inspirer  des  sentimens  de  piété 
à  ceux  qui  ne  cherchent  qu'à  s'édifier  dans  la  lecture 
de  ces  saints  cantiques. 

2.  Nous  ne  citerons ,  après  les  pères ,  que  quelques 
interprètes  des  plus  renommés  qui  ont  paru  depuis  le 
xvr  siècle.  Marc-Antoine  Flaminius  donna,  en  latin, 
d'abord  une  paraphrase  sur  trente-deux  psaumes ,  Ve- 
nise, 1538,  in- 8°;  puis  une  courte  explanation  avec  une 
paraphrase  et  des  notes  sur  tous  les  psaumes ,  qui  ont 
été  imprimées  quatorze  fois  au  moins.  La  dernière  édi- 
tion est  de  Lyon,  1576,  in-8°.  Les  deux  ouvrages  ont 
paru  ensemble  à  Paris,  en  15^9,  in-8°.  La  piété,  le 
jugement  exquis,  et  l'élégance  du  style,  s'y  font  remar- 
quer.— Jean-Baptiste  Folengio,  moine  du  Mont-Cassin, 
a  laissé  un  commentaire  latin,  dans  lequel  il  fait  preuve 
d'une  grande  piété  et  d'un  profond  savoir.  Ce  com- 
mentaire, plein  d'onction,  de  morale  et  de  science  ec- 
clésiastique, a  paru  la  dernière  fois  à  Cologne,  en  1594, 


DU  LIVRE  DES  PSAUMES.  31 

in-fol .  —  Corneille  Jansénius,  premier  évêque  de  Gand, 
a  écrit  une  paraphrase,  Louvain,  1569,  in-i«,  et  Lyon, 
1C92,  quatrième  édition;  et  des  annotations,  dont  la 
sixième  édition,  Bruxelles,  1692,  in-fol.,  est  beaucoup 
augmentée.  L'auteur  suit  souvent  le  texte  hébreu  ;  mais 
il  rapporte  aussi  la  version  grecque ,  et  expose  le  sens 
littéral,  historique  et  prophétique.  —  Gilbert  Géné- 
brard  a  publié  :  Psalmi  DavidiSy  variis  caïendariis  et 
commentariis  ,  geniiinum  sensum  et  hebraismos  ape- 
rientibus  instructi.  Cet  ouvrage  a  été  souvent  retouché 
par  l'auteur.  La  meilleure  édition  est  la  quatrième  ; 
Paris ,  1588  ,  in-fol.  On  a  justement  reproché  à  Géné- 
brard  d'être  sorti  des  bornes  d'une  juste  critique  ,  en 
défendantla  version  des  Septante. — Le  commentaire  de 
Bellarmin,  écrit  en  latin,  est  plein  de  piété  et  d'onction  ; 
l'auteur  s'est  beaucoup  servi  de  celui  de  Génébrard ,  il 
explique  assez  bien  le  sens  littéral ,  et  rapporte  les  dif- 
férences de  l'hébreu  et  des  anciennes  versions  ;  mais 
comme  il  n'était  que  médiocrement  versé  dans  la  langue 
hébraïque,  il  s'est  mépris  quelquefois  sur  le  vrai  sens, 
soit  des  mots,  soit  des  phrases. — Antoine  Agellius  est 
auteur  d'un  excellent  commentaire  sur  les  psaumes ,  et 
l'un  des  plus  propres  à  bien  faire  comprendre  laVulgate, 
dont  il  détermine  le  sens  par  le  texte  des  Septante,  en 
expliquant  celui-ci  par  les  pères  grecs ,  et  surtout  par 
les  interprétations  des  anciens  auteurs  grecs  qu'il  a  re- 
cueillies dans  les  chaînes.  Après  ce  premier  travail, 
Agellius  s'attache  à  fixer  le  vrai  sens  des  Septante  en  les 
rapprochant  de  l'hébreu.- — Jean  Lorin  et  Siméon  de 
Muis  ,  dont  nous  avons  déjà  parlé  (tome  m,  pag.  141, 
li3) ,  ont  aussi  écrit  sur  les  Psaumes,  le  premier  dans 
où  il  explique  la  valeur  des  mots 


|t  DU  LIVRE  DES  PSAUMES. 

hébreux  ,  et  traite  diverses  questions  dogmatiques  et 
morales  ,  et  dont  les  deux  dernières  éditions  sont  de 
Mayence,  1678,  et  de  Venise,  1710,  3  vol.  in-fol.;  et 
le  dernier  tant  dans  son  :  Commentarius  liter.  et  hist. 
in  quinquagintapsalmos  Davidis  prioreSy  Pansm,1625, 
in-8°  ;  que  dans  son  Commentarius  in  omnes  psalmos 
et  selecta  Vet.  Test,  cantica  cum  versione  nova  ex  he- 
brœoy  Paris.  1630,  in-fol.  Dans  ces  deux  ouvrages,  le 
savant  interprète  s'attache  presque  e5:clusivement  aux 
rabbins,  dans  l'étude  desquels  il  était  très-versé. — Jean 
Price  (Pricseus)  a  fait  des  notes  qui  annoncent  une 
grande  érudition  et  beaucoup  de  jugement  ;  on  les  trouve 
à  la  fin  du  tome  v  des  Grands  Critiques  ;  mais  elles  ont 
été  publiées  séparément  à  Paris,  en  16^7,  in-8^  — Louis 
Ferrand ,  avocat  au  parlement  de  Paris ,  nous  a  laissé 
un  commentaire  latin  avec  des  prolégomènes,  des  ar- 
gumens,  une  paraphrase  et  des  notes,  Paris,  1683, 
in-4°.  La  paraphrase  a  été  traduite  en  français ,  et  pu- 
bliée par  François  Macé  à  Paris,  en  1687,  in-8o.  Le 
commentaire  de  Ferrand,  quoique  ne  méritant  pas  une 
des  premières  places  parmi  les  ouvrages  de  ce  genre , 
et  malgré  qne  l'auteur  embrasse  souvent  des  opinions 
surannées,  renferme  de  bonnes  choses,  dont  les  inter- 
prètes plus  récens  ont  beaucoup  profité  sans  toutefois 
citer  le  nom  de  ce  critique.  —  Les  écrits  de  Bossuet  sur 
les  Psaumes  sont  trop  connus,  pour  que  nous  ayons  à 
nous  étendre  sur  leur  mérite  ;  qu'il  nous  suffise  de 
dire  que  son  génie  a  suppléé  en  bien  des  endroits  à  la 
connaissance  des  langues  bibliques ,  sans  lesquelles  il 
est  impossible  naturellement  de  faire  un  commentaire 
qui  trouve  absolument  grâce  aux  yeux  d'une  rigoureuse 
critique.  Ajoutons  qu'avec  le  secours  de  ces  langues, 


DU   LIVRE   DES    PSAUMES.  33 

l'œil  d'aigle  de  Bossuet  aurait  aperçu  dans  les  psaumes 
des  lumières  vives  et  abondantes ,  que  les  exégètes  les 
plus  vantés  de  l'Allemagne  n'y  ont  pas  même  soup- 
çonnées.— Le  commentaire  de  François  Bellanger,  doc- 
teur de  Sorbonne,  est  presque  indispensable  pour  toutes 
les  personnes  qui  veulent  entendre  la  Vulgate,  si  obs- 
cure dans  une  multitude  de  passages ,  sans  avoir  fait 
auparavant  une  étude  approfondie  des  matières  bibli- 
ques. L'abrégé,  composé  par  l'auteur  lui-même,  ren- 
ferme ce  qu'il  y  a  de  plus  important  et  de  plus  utile  dans 
son  grand  ouvrage.  —  Quant  au  travail  du  P.  Bertliier, 
jésuite,  sur  les  Psaumes,  nous  nous  bornerons  à  faire 
remarquer  que  ses  réflexions  morales  sont  très-édi- 
fiantes,  mais  que  ses  notes  n'ont  pas  plus  de  valeur  cri- 
tique que  celles  qu'il  a  faites  sur  Isaïe ,  et  dont  nous 
avons  parlé  plus  haut  (page  139). 

3.  Dans  ces  derniers  temps ,  il  a  paru  plusieurs  tra- 
ductions françaises  des  Psaumes-,  composées  par  des 
auteurs  catholiques.  Nous  croyons  devoir  faire  connaître 
les  suivantes  :  Le  livre  des  Psaumes  traduit  en  français 
sur  le  texte  hébreu,  avec  des  remarques,  par  l'abbé  Da- 
nicourt,  vicaire-général  du  diocèse  de  Tours,  ouvrage 
posthume.  Paris,  1826,  in-8°.  La  traduction  est  sans  con- 
tredit la  meilleure  qui  ait  jamais  été  faite  en  français  sur 
l'hébreu.  Le  style  noble  et  poétique,  et  dans  lequel  le  pa- 
rallélisme se  trouve  observé,  autant  que  le  permet  notre 
langue,  est  tout-à-fait  digne  de  l'original.  Ajoutons  que 
l'habile  traducteur  fait  saisir,  avec  un  talent  merveil- 
leux, l'enchaînement  des  idées  du  poète  sacré.  La  tra- 
duction est  suivie  de  remarques  et  de  conjectures  dans 
lesquelles  l'abbé  Danicourt  fait  preuve  d'une  étude  ap- 
profondie de  la  langue  hébraïque ,  mais  surtout  d'un 

2. 


34  DU   LIvr.E   DES  PSAUMES. 

goût ,  d'une  finesse  et  d'une  sagacité  qui  l'ont  amené  à 
découvrir  (du  moins  à  notre  avis)  le  vrai  sens  d'un 
certain  nombre  de  passages  dont  l'explication  ordi- 
naire ne  satisfait  nullement  un  critique  instruit  et  sévère. 
—  Die  Psalmen  Davidis  metrisch  nach  dem  Parallelis- 
mus  ans  dem  Eehraïschen  treu  ins  Deutsche  iibersetzt , 
von.  Fr.  W.  Goldwitzer.  Sulzhach,  1827,  in-8^  Quoique 
le  titre  n'en  fasse  pas  mention,  cette  traduction  est  ac- 
compagnée d'excellentes  notes  grammaticales  ,  qui  di- 
sent beaucoup  de  choses  en  très-peu  de  mots,  et  pré- 
cédée de  remarques  générales  sur  le  nom,  la  division, 
l'ordre ,  les  titres ,  le  contenu  et  l'utilité  des  psaumes  ; 
enfin  ,  sur  les  principaux  ouvrages  composés  sur  les 
psaumes,  depuis  le  xvP  siècle  inclusivement.  — Le  livre 
des  Psaumes  en  vers  français  d'après  le  texte  hébreu,  avec 
le  texte  de  laVulgate  en  regard  et  annoté,  par  Alexandre 
Guillemin.  Paris,  1838,  in-12.  M.  Guillemin  avait  déjà 
publié,  en  1833,  Les  Chants  sacrés,  on  Psaumes,  Hym- 
nes et  Cantiques,  qui  lui  ont  mérité  un  bref  de  sa  sainteté 
Grégoire  XVI ,  puissant  encouragement  pour  un  écri- 
vain catholique,  tel  que  notre  traducteur.  Dans  sa  ver- 
sion, M.  Guillemin  a  suivi  d'aussi  près  qu'il  l'a  pu  la 
lettre  du  texte  sacré ,  et  il  faut  convenir  qu'il  était  dif- 
ficile de  s'en  rapprocher  davantage  sans  devenir  obscur, 
ou  violer  les  règles  si  sévères  de  notre  langue.  Quelques 
notes ,  ménagées  toujours  fort  à  propos ,  font  sentir  la 
différence  de  la  Vulgate  avec  l'hébreu.  Le  traducteur  a 
fait  un  grand  usage  de  la  version  latine  de  Rosenmûller, 
dont  le  nom  se  trouve  souvent,  en  effet,  dans  ses  anno- 
tations. —  La  traduction  nouvelle  de  M.  H .  Laurens  est 
d'un  beau  style  ;  les  notes  (malheureusement  trop  clair- 
semées) et  l'argument  qui  est  en  tête  do  chaque  psaume, 


BU  LIVRE    DES  PSAUMES.  35 

annoncent  beaucoup  de  goût  et  de  critique.  Le  dis- 
cours préliminaire  présente  un  résumé  clair ,  précis , 
et  surtout  fort  judicieux,  des  principales  questions  agi- 
tées sur  les  psaumes .  M.  Laurens  a,  comme  dans  Job 
(voy.  tom.  III,  pag.  482),  généralement  suivi  la  tra- 
duction latine  de  Rosenmùller,  excepté  toutefois  dans 
les  passages  où  elle  ne  fait  qu'exprimer  les  opinions 
hardies  et  erronées  de  l'auteur  allemand. 

§  II.  Des  commentateurs  protestans  et  juifs. 

1 .  D.  Martin  Geier  a  fait  sur  les  Psaumes  un  commen- 
taire assez  estimé,  mais  fort  diffus.  Ce  commentaire  a  eu 
plusieurs  éditions  ;  les  dernières  sont  de  Dresde,  1668, 
2  vol.  in-4-°,  et  1790,  in-fol.  On  le  trouve  encore  dans 
le  recueil  des  œuvres  de  ce  ministre  luthérien ,  pu- 
bliées à  Amsterdam  ,  1695 ,  en  3  vol.  in-fol.  —  Henri 
Hammond,  anglais  arminien ,  a  donné  une  paraphrase 
et  des  annotations  en  anglais,  qui  ont  paru  à  Londres 
en  1659 ,  in-fol  ;  et  dans  ses  œuvres  complètes ,  Lon- 
dres, 168i,  k-  vol.  in-fol.  Ses  commentaires  sont  pleins 
d'érudition  et  d'une  grande  finesse  d'esprit,  mais  ils 
sont  empreints  de  l'esprit  de  la  secte  à  laquelle  Ham- 
mond appartenait.  — Henri  Ainsworth,  luthérien,  a  fait 
sur  les  Psaumes  des  notes  en  anglais ,  qui  ont  été  im- 
primées à  Londres  en  1639,  avec  celles  qu'il  a  compo- 
sées sur  le  Pentateuque  et  les  cantiques,  dans  la  collec- 
tion de  ses  ouvrages,  et  séparément  dans  la  même  ville 
en  1612,  1617,  in-4°.  —  André  Rivet  n'a  commenté  que 
douze  psaumes  prophétiques ,  Rotterdam,  16i7,  in-4% 
et  il  a  écrit  des  méditations  sur  les  psaumes  de  la  péni- 
tence ,  Arnheim,  1638,  in-4°.  Ces  deux  ouvrages  se  trou- 


36  DU   LIVRE   DES   PSAUMES. 

vent  dans  le  Recueil  de  ses  œuvres,  Rotterdam,  1651, 
1660,  3  vol.  in-fol.  —  Jean  le  Cock  (  Cocceius)  a  écrit  un 
grand  commentaire,  imprimé  à  Leyde  en  1660,  in-fol. 
Il  a  encore  donné  ,  dans  ses  Anecdotes  philologiques , 
une  analyse  des  Psaumes  avec  une  préface ,  dans  la- 
quelle il  montre  l'usage  et  la  nécessité  des  oracles  de 
r Ancien-Testament ,  et  l'excellence  du  livre  des  Psau- 
mes.— ^ Moïse  Amyraut  [Àmyraldus)  est  auteur  d'un 
travail  qui  a  paru  à  Saumur  en  1662,  et  à  Utrecht,  1769, 
in-^-^,  sous  le  titre  de  :  Paraphrasis  in  psalmos  Davidis, 
unacum  annotationibus  et  argiimentis.  — Erasme  Ru- 
dinger,  luthérien,  a  écrit  une  paraphrase  et  des  scho- 
lies  en  latin  sur  les  cinq  livres  des  Psaumes.  L'auteur 
a  joint  à  ce  travail  une  lettre  dans  laquelle  il  propose  ses 
conjectures  sur  l'ordre  et  le  rang  que  devrait  tenir  cha- 
que psaume  dans  le  recueil  que  nous  avons.  Cet  ou- 
vrage a  paru  à  Gorlitz  en  1580,  in-S".  —  Salomon  van 
Til  est  auteur  d'un  commentaire  ,  dans  lequel  il  ex- 
pose d'une  manière  claire  et  savante  le  titre  de  chaque 
psaume ,  avec  quelques  observations  préliminaires  ;  il 
donne  ensuite  une  analyse  détaillée  du  psaume ,  qu'il 
explique  fort  au  long  ;  puis  il  examine  si  le  psaume  est 
prophétique  et  s'il  a  eu  son  accomplissement  ;  enfin ,  il 
en  montre  l'usage  et  l'application.  Cet  ouvrage,  qui  dé- 
cèle partout  le  soin  le  plus  scrupuleux  de  la  part  de  son 
auteur,  a  été  écrit  en  flamand,  et  publié  à  Dordrechtl'an 
1693 ,  en  3  vol.  in-i**  ;  puis  traduit  et  imprimé  en  alle- 
mand à  Francfort,  1697 ,  et  à  Leipzig  en  1707,  in-h-°. — 
Herm.Venema,  Commentar .in Psalm.  LeowardioByVî&l' 
1767,  6  vol.  in-4°.  — Th.  Fr.  Stange,  Anticritica  in  locos 
quosdam  psalmorum  à  criticis  sollicitatos.  Lips.  1791, 
ild^.^Philolog.  Clavis  uber  das  AU.  Test.  Die  Psal- 


DU   LIVRE    DES  PSAUMES.  37 

men  vonB..  E.  G.  Paulus.  Jen.  ITOi.  Heidelberg,  1815. 
. —  Commentar  iiber  die  Psalmen  von  W.  M.  L.  De 
Wette.  Eeidelberg,  1811,  1829.  —  G.  Ph.  Chr.  Kaiser, 
Zusammenhœng .  histor.  Erkiœrung  der  fiinf  Psalmen- 
Buch.,  ah  National-Gesang-Buch.  auf  die  Zeit  von 
David  bis  zu  Simon  D.  Maccab.  Nuremb.  1827, 

2.  Il  existe  un  grand  nombre  de  commentaires  hébreux 
sur  les  Psaumes  composés  par  les  rabbins.  Nous  nous 
bornons  à  citer  lessuivans  :  RomemôthEl  Ù5<niDD1"l), 
o\xExaltationsdeDieu,Q.ommQï\i'àivQà.Q^loisQ  Alschech, 
qui  a  paru  à  A^enise  en  1605,  in-4°,  avec  une  préface  du 
rabin  Chaïm  fils,  et  de  nouveau  à  Amsterdam  en  1695, 
in-i%  enfin  à  Jestnitz  en  1722.  —  Mêliîr  tehillôth  (  ~)\SD 
ni'^nn)  cest-k-dire  qui  éclaircity  explique  les  Psaumes , 
composé,  en  1512,  par  Arama  Méir,  fils  d'Isaac  Arama, 
et  imprimé  à  Venise  en  1590,  in-4°.  —  Aben  Schoheb 
O^J/Tii^),  Juif  espagnol,  de  la  province  d'Aragon,  a  écrit 
sur  les  Psaumes  un  commentaire  assez  diffus,  divisé  en 
quatre  parties,  et  qu'il  a  intitulé:  Nôrâ  tehillôt  [H'y)^ 
ni^nD],  c'est-à-dire  :  Formidabilis,  stupendus,  admi- 
randus  laudibus  (1).  —  Enfin  Joseph  Tittsaq  a  donné 
l'explication  de  quelques  psaumes,  qui  a  paru  à  Venise 
en  1593,in-i%  conjointement  avec  le  commentaire  com- 
posé par  Jedaja  Appenini  sur  tout  le  Psautier  et  intitulé  : 
Leschôn  zâkâb  (  2nt  \wb]  ou  langue  d'or. 

(1)  Ce  litre  est  pris  de  l'Exode  xv,  11  ;  voy.  ce  que  nous  avons 
dit  sur  la  traduction  de  cette  expression  dans  Le  Pentateuque  avec 
une  traduction  française,  etc.  tom.  ii.  Exode,  pacje  1 19. 


88  DU  LIVRE  DES  PROVERBES. 

CHAPITRE  DEUXIÈME. 

DU  LIVRE   DES   PROVERBES. 

Le  livre  des  Proverbes  est  intitulé  en  hébreu  Mischlê 
Schelômô  [nu^^  V^D),  et  en  grec  Uzpoi'j.iat  Io/o,!xwvtoj 
c'est-à-dire  les  Similitudes^  les  Paraboles ^  les  Proverbes 
de  Salomon.  Mais  il  faut  remarquer  que  le  moi  proverbes 
ne  doit  pas  se  prendre  ici  dans  sa  signification  triviale, 
mais  dans  celle  de  sentences,  maximes.  Le  sujet  général 
du  livre  consiste  en  effet  en  des  leçons  courtes  et  in- 
structives, écrites  d'un  style  concis  et  sentencieux.  Dans 
le  langage  ordinaire,  les  Juifs  désignent  le  livre  des  Pro- 
verbes sous  le  mot  mischlê  [^^\l/i2)  et  le  placent  parmi 
les  Kethoubîm  ou  Agiographes  ;  les  anciens  pères  lui 
ont  donné  le  nom  de  TravapsTo,-,  imnarète,  c'est-à-dire 
trésor  de  toutes  les  vertus. 

ARTICLE  I. 

Du  sujet  et  de  V auteur  du  livre  des  Proverbes. 

1.  Le  livre  des  Proverbes,  dans  les  trente-un  chapitres 
dont  il  se  compose  (1),  contient  des  sentences  sur  la  véri- 
table sagesse,  la  probité  etl'improbité,  l'administration 
domestique,  Téducation  des  enfans,  la  politique,  le  gou- 

(1)  La  version  grecque  n'a  pas  plus  de  chapitres  que  le  texte  hé- 
breu et  la  Vulgate,  mais  elle  contient  des  additions  et  des  transpo- 
sitions, qu'il  est  difficile  d'expliquer  d'une  manière  satisfaisante  ; 
"voy.  cependant Grolius,  in  Prov.Wy  35,  et  Bossuet,  Prœfat.  in  Prov. 
§  IX,  et  Dissert,  i  d6  Psalmis,  c.  v. 


DU   LIVRE   DES  PROVERBES.  39 

vernement,  les  devoirs  des  rois,  des  magistrats,  des  ju- 
ges, des  sujets,  desparensetdes  enfans,lebien  et  le  mal, 
le  bonheur  et  le  malheur  ;  il  contient  encore  des  instruc- 
tions sur  le  soin  avec  lequel  il  faut  fuir  la  débauche  et 
éviter  les  excès  du  vin  ;  enfin  il  finit  par  le  portrait  de  la 
femme  vertueuse,  dont  l'écrivain  sacré  loue  l'économie, 
la  sagesse,  la  vigilance  et  l'assiduité  au  travail. 

2.  On  a  reconnu  de  tout  temps  que  les  vingt-neuf  pre- 
miers chapitres  des  Proverbes  ont  été  composés  par  Sa- 
lomon  ;  il  est  certain  qu'ils  lui  sont  attribués  par  le  livre 
lui-même  (i,  l;x,  1;  xxv,  1);  il  est  certain  encore  qu'il 
n'y  a  rien  dans  ces  chapitres  qui  ne  convienne  à  Salo- 
mon,  dont  la  sagesse  est  passée  en  proverbe  et  qui  était 
très-exercé  dans  ce  genre,  puisque  l'auteur  du  troisième 
livre  des  Rois  (iv,  32  ] ,  nous  apprend  que  ce  prince  com- 
posa trois  mille  paraboles  (1).  Enfin  la  constante  uni- 
formité de  style  qu'on  y  remarque  vient  encore  à  l'ap- 
pui du  sentiment  général.  Ainsi  il  ne  peut  y  avoir  de 
doute  que  par  rapport  aux  deux  derniers  chapitres,  à 
cause  des  inscriptions  qui  semblent  attribuer  le  xxx®  à 
Agur,  fils  de  Jaké,  et  le  xxxi^  au  roi  Lamuel .  Encore  la 
plupart  des  critiques  conviennent-ils  que  ce  Lamuely 
dont  le  nom  en  hébreu  signifie  çwi  est  à  Dieu,  qui  a  Dieu 
avec  Zwi,co?îsacre  à  Dieu  ou  enfin  consacra  <^eDiEU,  n'est 
autre  que  Salomon  lui-même  ;  d'autant  plus  qu'il  n'y  a 
jamais  eu  de  roi  d'Israël  ou  de  Juda  qui  ait  porté  ce  nom, 
et  que  jamais  on  n'aurait  inséré  dans  le  canon  des  Ecri-» 

(1)  Dans  les  exemplaires  hébreux  ce  passage  se  trouve  au  pre- 
mier livre  des  Rois,  v,  12  ;  on  peut  remarquer  en  passant  que  This- 
torien  se  sert  du  mot  mâschâl  (vjt/D)  o\x parabole,  le  même  abso- 
lument qutt  celui  euiployé  dans  le  livre  des  Proverbe*. 


40  DU   LIVRE   DES   PROVERBES, 

tures  sacrées  l'ouvrage  d'un  prince  païen.  Quant  aux  mots 
Âgur  et  Jakéj  le  plus  grand  nombre  des  pères  et  des 
commentateurs  catholiques  pensent  que  ce  sont  des  noms 
appellatifs,  dont  le  premier,  signifiant  qui  assemble  [con- 
gregans),  convient  parfaitement  à  Salomon,  qui  dans  le 
titre  de  i'Ecclésiaste,  s'appelleiui-même  A'o/ie7ci/iou  Ec~ 
clésiaste,  c'est-à-dire  le  maître  de  l'assemblée,  ou  celui 
qui  y  préside  et  qui  harangue;  et  le  second,  qui  répand 
les  vérités  {vomens),  désigne  David,  qui  a  été  rempli  de 
l'Esprit  de  Dieu,  et  a  répandu  de  sa  bouche  un  grand 
nombre  de  cantiques  sacrés  (1) .  La  plupart  des  nouveaux 
critiques  qui  contestent  à  Salomon  ces  deux  derniers 
chapitres,  se  fondent  encore  sur  ce  que  le  style  est  dif- 
férent de  celui  des  chapitres  précédens.  Mais  cette  dif- 
férence de  style  n'est  pas  assez  considérable  pour  qu'en 

(1)  Au  lieu  (ïagur  on  lit  dans  l'hébreu  âgour  ("11  ^î^)  que  Louis  de 
Dieu  a  rendu  par  recoUeclus,  et  que  Gesenius  {Lejcic  Hebr.vaij.  12) 
dit  pouvoir  signiiier  congr égalas,  socius  congregationis  {sapientum;, 
dans  le  cas  où  on  le  prendrait  pour  un  nom  symbolique,  comm.i 
Kofielelh,  c'est-à-dire  Ecdéaiaste.  Pour  nous,  nous  croyons  que 
dans  ce  cas  il  serait  mieux  de  traduire  à  jour  par  comjrefjanSy  comme 
l'a  fait  l'auteur  de  la  Vulgate,  sans  que  sa  forme  de  pariicipe  passif 
pût  s'y  opposer,  les  grammairiens  et  Gesenius  lui-même  [Lehr- 
geô.  6'.  309,  310,  et  Hebr.  Gram.  Seii.  68.  ydnm.  2.  ^chle  Auflage), 
enseignant  que  le  participe  passif  prend  assez  souvent  une  signiiica- 
tion  active  dans  les  verbes  intransiiifs  ou  neutres,  et  qu'il  a  cette  même 
signiiication,  quoique  plus  rarement  à  la  vérité,  quand  il  appartient 
à  des  verbes  transitifs.  —  Quant  au  mot  jaké  ou  i/âqé  [Tlp^)  rendu 
dans  la  Vulgate  ipair  v ornent is,  il  peut  dériver  de  la  ra.ciae)jdqâ,  syno- 
nyme de  qô  [ii']p)  vomerCf  rejicere.  Plusieurs  étymologistes  le  rap- 
prochent de  l'analogue  arabe  t^p''\  vaqa,  ou  craindre  Dieu,  et  lui 
donnent  le  sens  de  pieux,  tout  en  le  considérant  comme  un  nom 
propre.  Mais  nous  ne  goûtons  pas  cette  étymologie. 


DU  LIVRE   DES   PROVERBES.  Ai 

bonne  critique  on  soit  autorisé  à  refuser  à  Salomon  la 
composition  de  ces  deux  chapitres,  surtout  quand  toute 
l'antiquité,  bien  plus  propre  que  les  exégètes  modernes 
à  prononcer  sur  une  question  de  cette  nature,  a  été  d'un 
sentiment  contraire  (1) .  Au  reste,  quelque  opinion  que 
l'on  embrasse  sur  cette  question,  il  paraît  indubitable  que 
les  Proverbes,  tels  que  nous  les  avons,  sont  un  recueil 
fait  en  divers  temps  et  par  différentes  personnes  ;  car 
premièrement  il  est  dit  au  chap.  xxv,  1  :  «  Les  paroles 
suivantes  sont  aussi  de  Salomon  ;  elles  ont  été  recueillies 
par  les  serviteurs  d'Ezéchias,  roi  de  Juda;  »  en  second 
lieu,  un  grand  nombre  de  sentences  sont  répétées,  les 
unes  deux  fois,  les  autres  trois,  d'autres  enSn  revien- 
nent jusqu'à  quatre  fois;  ce  qui  ne  serait  certainement 
pas  arrivé,  si  l'auteur  même  les  avait  écrites  de  suite, 
ou  si  une  seule  personne  avait  travaillé  à  cette  compi- 
lation (2). 

(1)  Les  critiques  catholiques  qui  refusent  à  Salomon  les  deux  der- 
niers chapitres  sont  Dupin  [Disserl.pi-élimin.  sur  la  Bible,  1. 1,  ch.  m, 
§  xii),  Jahn  {Inti'od.  §  182),  Janssens  {Hennen.  sacr.  §  cxiv,  n.  296). 
Bossuet  lui-même  semble  partager  cette  opinion,  lorsqu'il  dit  :  «  Ca- 
pite  vero  xxs  memorantur  alii  sentenliarum  auctores.  quas  quiJem, 
ut  ab  ipso  Salomonc  mutuatas,  certe  eodem  spiritu  scriptas  Salomo- 
nicis  addiderunt  (Prœfat.  in  Proverbia,  §  iv).  » 

(2)  Voy.  dans  Jahn  {Introd.  §  182)  une  exphcation  assez  probable 
de  ces  répétitions.  On  a  attribué  à  Salomon  divers  ouvrages  tous 
plus  extravagans  les  uns  que  les  autres.  Ces  ouvrages,  qui  roulent 
pour  la  plupart  sur  la  magie,  sont  nommés  dans  presque  tous  les  com- 
mentateurs des  Proverbes.  Voy.  entre  autres  D.  Galmetdans  sa  pré- 
face sur  ce  livre. 


42  DU  LIVRE  DES  PROVERBES. 

ARTICLE   II. 

De  la  divinité  du  livre  des  Proverbes. 

On  ne  trouve  dans  l'antiquité  que  Théodore  de  Mop- 
sueste  qui  ait  contesté  la  divinité  du  livre  des  Proverbes, 
en  prétendant  que  Salomon  avait  composé  ce  livre  par  une 
sagesse  toute  naturelle,  parce  qu'étant  un  homme  très- 
éclairé  et  très-habile,  il  n'avait  pas  eu  besoin  pour  cela 
d'une  inspiration  particulière.  Les  sociniens  ont  em- 
brassé cette  erreur,  que  nous  combattons,  comme  oppo- 
sée à  la  foi  catholique,  dans  la  proposition  suivante  : 

PROPOSITION. 

Le  livre  des  Proverbes  est  un  livre  divin. 

1.  Plusieurs  auteurs  sacrés,  tantdel'Ancien-Testament 
que  du  Nouveau,  ont  confirmé  quelquefois  les  vérités 
qu'ils  annonçaient  par  des  passages  pris  du  livre  des 
Proverbes.  Ainsi  Isaïe,  lxv,  12  ;  lxvi,  4,  et Jérémie  viï, 
13,  ont  allégué  le  chapitre  i,  2i  de  ce  livre.  Isaïe  s'est 
même  servi  (  lix  ,  7)  des  propres  paroles  de  Salomon 
(Prov.  I,  16  ),  quand  il  a  dit  que  les  pieds  des  méchans 
courent  au  mal,  et  qu'ils  se  hâtent  de  répandre  le  sang. 
L'auteur  de  l'Ecclésiastique  a  cité  au  moins  dix  senten- 
ces empruntées  au  livre  des  Proverbes.  Le  lecteur  peut 
aisément  s'en  convaincre  en  comparant  :  Prov.  x,  10, 
avec  Eccl.  xxvii,  25;  Prov.  xii,  9,  avec  Eccl.  x,  30; 
Prov,  XV,  8,  avec  Eccl.xxxiv,  21;  Prov.  xvii,2,avec 
Eccl.  X, 28;  Prov. XVIII,  13,  avecEccl.xi,8;Prov.xxii, 
1,  avec  Eccl.  vil,  2   Prov.xxii,9,  avec  Eccl.  xxi,  28; 


DU   LIVRE   DES  PROVERBES.  43 

Prov.  XXV,  27,  avecEccl.  m,  21  ;  Prov.  xxvii,3,  avec 
Eccl.  XXII,  18;  Prov.  xxvii,  20,  avecEccl.  xiv, 9.  Les 
écrivains  du  Nouveau-Testament  ont  également  confirmé 
l'autorité  divine  du  livre  des  Proverbes,  en  y  puisant  un 
grand  nombre  de  passages.  Nous  nous  bornons  à  signa- 
ler ici  les  plus  remarquables.  Une  lecture  et  une  com- 
paraison suivies  en  feraient  infailliblement  découvrir  un 
grand  nombre  d'autres.  Ainsi  il  est  impossible  de  ne  pas 
reconnaître  que  :  Rom.  xii,  17,  et  1  Thess.  v,  15,  ne 
soient  pas  tirés  de  Prov.  xvii,  13;  de  même  Rom.  xii, 
20,  de  Prov.  xxv,  21,  22;  de  même  aussi  ICor.  xiii,i^ 
et  1  Petr.  iv,  8,  de  Prov.  x,  12  ;  Hebr.  xii,  5,  de  Prov. 
m,  11;  Jacob,  iv,  6,  de  Prov.  iii,3i;  1  Petr.  ii,  22,  de 
Prov.xxYi,ll  ;1  Petr.  iv,  18,  de  Prov.  xi,  31  ;  1  Joan. 
i,  8,  de  Prov.  xx,  9;  Apoc.  m,  19,  de  Prov.  m,  12. 

2.  La  synagogue  et  l'Eglise  chrétienne  en  insérant  les 
Proverbes  dans  le  recueil  desEcritures  sacrées  ontprouvô 
qu'elles  regardaient  ce  livre  comme  muni  du  sceau  de 
l'autorité  divine.  11  est  vrai  que  les  Juifs  ne  l'ont  placé 
que  dans  la  troisième  classe;  mais  nous  avons  déjà  fait 
remarquer  plusieurs  fois  que  les  Agiographes  qui  com- 
posent cette  classe  ont  toujours  passé  chez  les  Juifs  pour 
des  écrits  divinement  inspirés,  bien  qu'ils  ne  considé- 
rassent pas  leurs  auteurs  comme  ayant  le  caractère  gé- 
néral des  prophètes  proprementdits.  Et  quant  à  l'Église 
chrétienne,  elle  a  donné  une  preuve  éclatante  de  sa  foi  en 
la  divinité  du  livre  des  Proverbes,  lorsque,  par  la  bouche 
des  pères  du  cinquième  concile  général,  second  de  Con- 
stantinople,  tenu  en  553,  elle  frappa  d'anathème  Théo- 
dore de  Mopsueste,  qui  avait  osé  publier  que  Salomon 
avait  composé  ce  livre  non  en  vertu  du  secours  de  l'Esprit 
saint,  mais  uniquement  par  une  sagesse  toute  naturelle. 


44  DU   LIVRE   DES  PROVERBES. 

3.  Quand  on  lit  attentivement  le  livre  des  Proverbes, 

il  est  impossible  de  ne  pas  être  frappé  de  la  sublimité 
des  doctrines  que  l'auteur  y  enseigne,  de  ne  pas  recon- 
naître dans  Salomon  une  supériorité  bien  marquée  sur 
tous  les  philosophes  anciens  les  plus  vantés ,  enfin  de  ne 
pas  y  apercevoir  quelque  chose  de  divin  qu'on  ne  décou- 
vre dans  aucun  livre  profane.  Mais  ce  ne  sont  pas  seu- 
lement des  maximes  de  la  plus  haute  morale  sur  la  vie 
domestique,  l'économie  etla  politique,  cfu'on  y  rencontre 
à  chaque  page,  à  chaque  ligne,  à  chaque  mot  même, 
qui  placent  les  Proverbes  infiniment  au-dessus  de  toutes 
les  compositions  des  écrivains  ordinaires,  ce  sont  encore 
les  mystères  sublimes  et  ineffables  qu'ils  cachent  sous  le 
voile  de  la  lettre.  Car  quelle  est  cette  sagesse  produite 
de  toute  éternité,  par  laquelle  Dieu  a  établi  les  cieux  et 
fondé  la  terre? qui  ordonnait  toutes  choses  avec  lui,  et 
étaitl'objet  de  toutes  ses  complaisances;  qui,  sortie  de  son 
sein,  fait  ses  délices  d'habiter  avec  les  enfans  des  hommes; 
qui  vient  en  ce  monde  y  bâtir  sa  maison  ;  qui  immole  ses 
victimes,  prépare  son  vin,  dresse  sa  table,  envoie  ses 
servantes  pour  inviter  à  son  festin  (viii,  ix)  ;  quelle  est 
cette  sagesse,  disons-nous,  sinon  le  Verbe  qui  était  de 
toute  éternité,  par  lequel  Dieu  a  créé  toutes  choses  ;  qui 
est  toujours  avec  lui  et  fait  l'objet  de  ses  complaisances 
infinies,  qui  s'est  fait  chair  et  a  habité  parmi  nous;  qui 
a  élevé  son  Église,  immolé  son  corps,  et  qui  après  avoir 
préparé  le  banquet  eucharistique,  envoie  ses  apôtres 
pour  y  inviter  tous  les  hommes?  Quel  est  encore  ce  fils 
du  Dieu  tout-puissant  et  dont  le  nom  est  incompréhen- 
sible (xxxiv,  4),  sinon  Jésus-Christ,  le  fils  éternel  de 
Dieu,  engendré  avant  tous  les  siècles,  et  dont  la  géné- 
ration est  ineffable? 


DU  LIVRE  DES  PROVERBES.  45 

ARTICLE    III. 

De  l'élocution  du  livre  des  Proverbes. 

Le  livre  des  Proverbes  est  un  beau  poème  didactique 
dans  lequel  l'auteur  s'est  proposé  de  présenter  les  pré- 
ceptes de  la  morale  sous  une  forme  également  facile  à  sai- 
sir et  à  retenir  (1).  Cette  méthode  d'enseignement  par 
sentences  est  la  plus  ancienne  de  toutes  ;  ce  fut  celle  des 
sages  de  l'antiquité.  Ces  sentences  laconiques  et  pré- 
cises plaisent  à  l'esprit ,  et  par  là  même  se  gravent  ai- 
sément dans  la  mémoire;  elles  ont  encore  cet  avantage 
qu'elles  sont  merveilleusement  proportionnées  au  besoin 
de  tous  les  âges.  «  Les  enfans  ,  dont  le  jugement  est  fai- 
ble et  la  mémoire  au  contraire  vive  et  tenace,  ditBos- 
suet,  en  parlant  des  Proverbes  de  Salomon,  avaient 
besoin  de  ce  secours.  A  mesure  que  leur  raison  se  dé- 
veloppait, le  souvenir  de  ces  sentences,  qu'ils  avaient 
souvent  prononcées  sans  les  comprendre,  les  faisait  jouir 
de  la  sagesse  et  de  l'expérience  de  leurs  pères  ,  et  voilà 
comment  la  règle  des  bonnes  mœurs  croissait  impercep- 
tiblement, et  s'enracinait  dans  leurs  cœurs  tendres. .  .La 
brièveté  de  ces  sentences,  qui  n'avaient  presque  aucune 
liaison  entre  elles ,  mais  qui  séparément  formaient  un 
sens  complet,  n'était  pas  moins  utile  aux  personnes 
d'un  âge  plus  mûr.  Elle  épargnait  à  ceux  dont  l'esprit 
était  peu  pénétrant ,  le  travail  et  l'ennui  des  longues  lec- 
tures ,  et  ne  détournait  personne  des  occupations  que 

(1)  Voy.  Archéol.  biblique,  pag.  565-2G6,  ce  que  nous  avons  dît 
sur  la  nature  particulière  du  proverbe  tel  qu'on  l'entend  dans  ce  livre 
de  Salomon. 


46  DU  LIVRE  DES  PROVERBES. 

les  besoins  de  cette  vie  ont  coutume  d'exiger.  Il  ne  fal- 
lait qu'un  instant  pour  saisir  des  sentences  renfermées 
dans  des  versets  fort  courts ,  et  pour  en  faire  un  choix , 
comme  on  choisit  des  fleurs  dans  un  parterre  bien  fourni. 
D'un  coup  d'œil  on  découvre,  on  voit  briller  des  sources 
de  vérité  dans  lesquelles  on  peut  puiser  à  loisir  :  de 
quelque  côté  qu'on  se  tourne  on  est  environné  de  la  sa- 
gesse ;  il  est  facile  de  s'en  emparer,  d'en  nourrir  son 
esprit ,  de  la  prendre  pour  guider  ses  pas  ,  d'y  trouver 
des  consolations  dans  les  plus  grandes  afflictions  de  cette 
vie  (1).))  Quant  au  style,  il  répond  parfaitement  au  sujet. 
De  Wette  dit  avec  raison  qu'on  y  remarque  une  riche 
variété;  qu'il  est  très-fréquemment  ingénieux  et  plein 
de  finesse,  de  jeux  de  mots  et  d'énigmes;  mais  que  le  plus 
souvent  il  est  simplement  sentencieux  dans  les  antithèses 
aussi  bien  que  dans  les  comparaisons  et  les  images  (2) . 
La  langue  est  pure,  et  si  on  y  trouve  des  termes  qui  pa- 
raissent n'avoir  pas  été  en  usage  dans  les  temps  les  plus 
anciens  de  la  littérature  des  Hébreux,  on  n'y  remarque 
presque  aucun  mot  exotique.  «  Dans  le  genre  didactique, 
dit  Lowth,  il  nous  reste  beaucoup  de  monumens  de  la 
poésie  hébraïque,  parmi  lesquels  les  Proverbes  de  Salo- 
mon  occupent  sans  difficulté  le  premier  rang.  Cette 
composition  est  divisée  en  deux  parties;  la  première,  qui 
tient  lieu  en  quelque  manière  de  préambule ,  comprend 
les  neuf  premiers  chapitres.  Elle  est  variée,  élégante,  su- 
blime et  vraiment  poétique;  l'ordre  y  règne  ;  les  parties 
en  sont  liées  avec  art;  elle  est  parée  de  tous  les  orne- 
mens  de  la  poésie;  et  pour  le  mérite  de  la  beauté,  elle 

(1)  Bossuet,  Préface  sur  le  livre  des  Proverbes,  §  ii. 

(2)  De  Welte,  Lehrbuch  der  hist.  krit,  Einleit.  §  278. 


DU  LIVRE   DES  moVEnBES.  47 

ne  le  cède  à  aucun  autre  monument  de  la  poésie  sacrée. 
La  seconde  partie,  qui  s'étend  jusqu'à  la  fin  du  livre  , 
ne  consiste  presque  en  entier  qu'en  paraboles  ou  sen- 
tences détachées,  on  n'y  remarque  rien  d'élevé  ni  même 
de  poétique,  si  ce  n'est  la  précision  et  la  régularité  du 
tour  sentencieux  (1).  » 

ARTICLE  IV. 

Des  commentaires  du  livre  des  Proverbes. 

1.  Parmi  les  catholiques  qui  ont  travaillé  sur  le  livre 
des  Proverbes,  nous  citerons  les  suivans  :  Arboreus,  doc- 
teur de  Sorbonne  ,  a  expliqué  le  sens  littéral.  Son  com- 
mentaire, qui  est  en  latin,  a  été  imprimé  à  Paris  en  1549, 
in-fol.  —  Le  commentaire  d'Agellius  se  trouve  dans  les 
Opuscules  de  L.  Novarini,  publiés  à  Vérone  en  lGi9 , 
in-fol. — Théod.  Peltan,  jésuite, outre ParapAras/se^sc^o- 
lia  in  Proverbia  Salomonis  qu'il  a  composés,  a  donné 
encore  la  Chaîne  des  pères  grecs  avec  une  traduc- 
tion latine.  Ces  deux  ouvrages  ont  paru  à  Anvers  en 
1607,  in-i°,  et  depuis  en  1 6 1  i ,  in-8<^ ,  par  les  soins  d'An- 
dré Schottus.  —  Jansénius  d'Ypres  a  fait  d'excellentes 
analectes  sur  les  Proverbes  et  les  quatre  livres  sapien- 
tiaux  suivans.  —  Rod.  Bayne,  Anglais,  professeur  d'hé- 
breu à  l'université  de  Paris ,  a  publié  une  traduction 
latine  des  Proverbes  avec  un  savant  commentaire ,  dans 
lequel  il  explique  le  sens  littéral  d'une  manière  assez 
claire  et  assez  simple  pour  se  faire  entendre  des  lec- 
teurs les  moins  versés  dansles  études  bibliques.  Son  ou- 
vrage'., imprimé  à  Paris  en  1535,  in-fol.,  se  trouve  aussi 

(1)  Lo^^'th,  De  la  poésie  sacrée  des  Eébr.  Leçon  XJW. 


48  BU   LIVRE  DES  PROVERBES. 

dans  le  tome  m  des  Grands  Critiques. — J.  Merceri  Com-  i 
mentarii  in  Salomonis  Proverbia,  Ecclesiasten  et  Can- 
ticiun.Genev.  1573,  eiÀmstelod.  1651,  in-fol. — Bossuet 
a  fait  des  notes  courtes  et  simples,  mais  précieuses,  sur 
les  Proverbes  et  les  quatre  autres  livres  sapientiaux. 
Nous  citerons  encore  comme  ayant  fait  des  commentaires 
catholiques  qui  méritent  d'être  lus,  Cajetan,  Maldonat 
etMalvenda. 

^.  Parmi  les  protestans,  on  remarque  Victor  Strigé-  s, 
lius,  dont  les  commentaires  sur  les  trois  livres  de  Salo-  " 
mon,  les  Proverbes,  l'Ecclésiaste  et  le  Cantique  des  can- 
tiques, ont  paru  à  Leipzig  en  1565,  et  à  Neustadt  en  1571 , 
in-8°.  —  Thom.  Cartwrigti  Commentarii  succincti  et  di- 
lucidi  in  Prov.  Salom.  Lud.  Batav.  1617,  Roterodam. 
i6iS.  Amstelod.  1638,  1650,  1663,  m-k\  Bohhi  Ethica 
sacra j  sive  commentarius  super Prov.  Salom.  Bohl  n'a- 
vait pas  achevé  cet  ouvrage  quand  la  mort  l'a  frappé; 
c'est  Geor .  Witzleben  qui  y  a  mis  la  dernière  main  et  qui 
l'a  publié  à  Rostoch  l'an  16i0,  in-4°.  — Le  commen- 
taire de  M.  Géiera  été  imprimé  à  Leipzig  en  1725, in-i", 
pour  la  cinquième  fois.  On  le  trouve  encore  dans  le 
recueil  de  ses  œuvres.  Amsterd.  1696,  in-fol.,  tom.  ii. 
—  Rich.  Grey  The  book  of  Proverbsdivided  according  to 
the  mètre,  with  notes.  Cet  ouvrage  a  paru  dans  le  même 
volume  que  la  nouvelle  méthode  d'apprendre  l'hébreu, 
Londres,  1738,  in-8^  —  Schultens  a  aussi  composé 
une  traduction  latine  et  des  commentaires  qui  ont  paru 
àLeyde  en  17i8,  in-i\G.  J.  L.  Yogel  en  a  donné  un 
abrégé  accompagné  d'observations  critiques,  auxquelles 
ont  été  ajoutées  de  nouvelles  interprétations  par  G.  A. 
Teller,  et  une  préface  de  J.  S.  Semler.  Hal.  1768,  in-8°. 
La  plupart  des  observations  que  nous  avons  faites  sur 


DU   LIVRE   DES   PROVERBES.  49 

le  commentaire  de  Job  par  SchuUens  sont  applicables 
à  celui  qui  nous  occupe  en  ce  moment  (voy.  t.  m ,  pag. 
483).  —  J .  F .  Hirts  Vollstœndigere  Erklœrung  der  Sprïi- 
che  Salomons.  Jena,  1768,  in-4°.  — «  J.  C.  Dœderlin  a 
traduit  en  allemand  les  Proverbes  de  Salomon ,  et  a 
joint  à  sa  traduction  de  courtes  notes  explicatives.  Il  y 
a  eu  trois  éditions  de  cet  ouvrage,  la  dernière,  corrigée  en 
plusieurs  endroits, est d'Altdorf,  1786. — V.  G.  L.  Ziegler 
Neue  Uebersetz.  der  DenTisprûcheSalÀm  Geist  der  Paral- 
lelen.  mit  einer  vollstœndigen Einl .yphilol.  Erlœuterun- 
genundpraktischenAnmerkungen.  Leipz.  1791,  in-8°. — 
C .  G .  Henslers  Erlœuterungen  desi.B.  Samuels  und  der 
SalomonischenDenkspruche .  Hamb .  undKiel  1796,in-8°. 
—  Nous  citerons  encore  le  travail  de  G.  Holden ,  mi- 
nistre anglican ,  publié  à  Londres  en  1819 ,  in-8%  et 
la  traduction  allemande  ainsi  que  le  commentaire  phi- 
lologico-crilico-philosophique  de  F.  W.  G.  Umbreit, 
Heidelberg,  1826,  in-8°. 

3.  Levi  Ben  Gerson  a  composé  sur  les  Proverbes  un 
commentaire  qu'on  trouve  dans  les  grandes  Bibles  rab- 
biniques ,  et  qui  a  été  traduit  en  latin  avec  des  notes 
par  Giggéius  à  Milan  en  1620.  —  Isaac  Arama  a  aussi 
composé  un  commentaire  intitulé  Yad  Àhschâlom  (^^ 
D  v^DN)  oulaMain  d'Absalom.  Il  a  été  imprimé  à  Gon- 
stantinople,  mais  sans  aucune  date.  —  Le  livre  de  Salo- 
mon Ben  Abraham  intitulé  Qab  venâqî  pr^^l  2p]  ou  peu 
mais  pur  (1),  comprend  deux  commentaires,  l'un  sur  les 
Psaumes  et  l'autre  sur  les  Proverbes ,  ce  dernier  im- 
primé d'abord  sans  nom  de  lieu  et  sans  date,  l'a  été 

(0  3p  'ïa*  est  proprement  le  nom  d'une  petite  mesure.  Voy.  ^r- 
chéol.  biblique,  pay,  336. 

V.  3 


50  DU  LIVRE  DE   L'eCCLÉSIASTE. 

de  nouveau  à  Saloniqueen  1522,  et  dans  les  Bibles  rab- 
biniques  de  Venise,  1517,  et  d'Amsterdam,  172i. —  Le 
commentaire  de  Moïse  Alschech  a  paru  sous  le  titre  de 
Rob-penînîm  (D^^''wD'"D"1)  ou  Multitude  de  pierres  pré- 
cieuses, à  Venise,  1601 ,  et  à  Jestnitz  en  1722,  in-fol. 


CHAPITRE  TROISIEME, 

DU   LIVRE   DE    L'eCCLÉSIASTE. 

Le  mot  hébreu  qôhéléth  [POnp)  a  été  traduit  dans 
la  version  grecque  par  Éy.yj.n'jLy.Grr,;,  Ecclésiaste,  dont  le 
vrai  sens  est  proprement  ^wiassem6/e,  et  par  extension 
orateur  parlant  devant  %ine  assemblée  (1).  Ce  nom  dési- 
gne Salomon,  comme  le  prouve  le  livre  même  en  plu- 
sieurs endroits  (i,  1,  12;  vu,  28,  etc.) 

ARTICLE   I. 

Du  sujet,  du  but  et  de  la  divinité  du  livre  de  VEcclésiaste. 

1,  Dans  les  douze  chapitres  qu'il  embrasse,  le  livre  de 
l'Ecclésiaste  contient  des  réflexions  sur  la  vanité  des 
biens,  des  plaisirs,  des  travaux,  des  peines,  des  études 
et  de  toutes  les  entreprises  des  hommes.  Tout  est  va- 

(1)  Grotius  et  après  lui  Jahn  ont  prétendu  que  le  livre  de  rEcclé- 
siaste  était  ainsi  nommé  parce  que  l'auteur  y  a  rassemblé  des 
maximes  et  des  sentences;  mais  cette  opinion  est  fondée  sur  une 
fausse  interprétation  du  mot  hébreu.  Ajoutons  que  la  terminaison  fé- 
minine de  ninp  appliquée  à  un  homme  ne  saurait  présenter  la  plus 
légère  difficulté  à  un  hébraïsant.  En  latin  même,  les  noms  de  termi- 
naison féminine,  poeia,  -prophçta,  auriga,  etc.,  se  donnent  à  l'homme. 


DU   LIVRE   DE   L'eCCLÉSIâSTE.  61 

nité  et  affliction  d'esprit.  Rien  ne  saurait  procurer  ici- 
bas  un  bonheur  solide  et  durable.  La  sagesse  elle-même 
ne  peut  éloigner  ni  la  mort ,  ni  les  misères  de  la  vie. 
L'homme  considéré  sur  la  terre  et  sans  aucun  rapport 
à  la  vie  future  ne  diffère  point  des  animaux  :  comme 
eux,  il  sort  de  la  poussière  pour  y  rentrer  après  un  certain 
temps.  Manger  et  boire,  c'est-à-dire  user  avec  modéra- 
tion des  biens  que  Dieu  a  créés  pour  nous,  voilà  tous  les 
avantages,  tout  le  bonheur  que  le  monde  peut  offrir  aux 
mortels.  Mais  au  milieu  de  ces  plaintes  sur  la  vanité  des 
choses  humaines,  l'Ecclésiaste  donne  de  temps  en  temps 
d'utiles  avis,  de  sages  conseils  pour  tempérer  les  amer- 
tumes de  la  vie ,  et  nous  rendre  aussi  heureux  que  peut 
le  comporter  notre  position  ici-bas.  Ces  avis  doniinent 
surtout  dans  les  derniers  chapitres  du  livre,  que  l'au- 
teur termine  par  cette  maxime,  qui  est  comme  l'abrégé 
de  tout  ce  qu'il  vient  de  dire  :  Craignez  Dieu  et  obser- 
vez ses  commandemens ;  car  c'est  là  tout  l'homme  :  et 
Dieu  fera  rendre  compte  en  son  jugement  de  toute  faute 
et  de  tout  le  bien  et  de  tout  le  mal  qu'on  aura  fait  (xn, 
13,  U). 

2.  Quant  au  but  de  l'Ecclésiaste,  l'analyse  succincte 
que  nous  venons  de  donner  de  son  livre  le  fait  assez  res- 
sortir. C'est  pourquoi  on  conçoit  difficilement  comment 
certains  critiques  ont  pu  l'accuser  d'épicurisme,  de  sad- 
j    ducéisme  et  de  scepticisme.  «  Tout  ce  livre,  dit  Bos- 
suet ,  ne  renferme  en  quelque  sorte  qu'un  seul  raison- 
;     nement.  Le  but  de  l'auteur  est  de  mettre  en  évidence 
^  cette  proposition  -.toutce  qu'on  voit  sous  le  soleil  est  vain; 
y  il  n'est  qu'une  vapeur  légère,  qu'une  ombre,  que  le 
p;  néant  même  ;  donc  rien  n'est  grand  dans  l'homme ,  rien 
1^5  n'est  vrai,  rien  n'est  solide,  sinon  de  craindre  Pieu, 


52  DU   LIVRE   DE   L'ECCLÉSIASTE. 

d'obéir  à  ses  commandemens,  et  de  se  conserver  pur  et 
sans  tache  pour  comparaître  au  jugement  futur  (1).»  C'est 
encore  pour  n'avoir  pas  assez  bien  compris  ce  but  que 
quelques  autres  critiques  voyant  que  les  plaintes  sur  les 
malheurs  de  la  vie  dominaient  dans  les  premiers  chapi- 
tres, et  que  les  exhortations  à  mener  une  vie  heureuse 
abondaient  dans  les  derniers,  ont  conclu  qu'il  y  avait 
dans  le  livre  deux  personnages  différens,  dont  l'un  exa- 
gérait les  maux  de  cette  vie,  et  l'autre  au  contraire  cher- 
chait à  montrer  que  malgré  tant  de  misères  on  pouvait 
vivre  heureux.  En  effet,  quand  on  compare  les  deux 
parties  du  livre,  on  ne  peut  manquer  de  voir  que  ces 
plaintes  et  ces  exhortations  se  trouvent,  quoique  plus 
ou  moins  souvent,  dans  l'une  comme  dans  l'autre;  on  ne 
peut  manquer  de  voir  encore  que  si  les  plaintes  dans 
les  premiers  chapitres  ont  pour  objet  de  faire  ressortir 
la  vanité  et  le  néant  des  choses  de  la  terre ,  c'est  aussi 
ce  qu'enseigne  l'Ecclésiaste  dans  les  derniers  ;  et  qu'en- 
fin au  commencement  comme  à  la  fin  du  livre  on  recom- 
mande également  la  vie  heureuse.  Ainsi  on  n'a  aucun 
motif  suffisant  de  supposer  plusieurs  interlocuteurs  (2). 
3.  Les  docteurs  juifs,  et  saint  Jérôme  après  eux,  nous 
apprennent  que  les  auteurs  du  canon  des  Ecritures  hé- 
sitèrent quelque  temps  avant  que  d'y  insérer  l'Ecclé- 
siaste (3) .  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  tradition  et  même 
de  ce  scrupule  des  Juifs,  il  est  certain  que  ce  livre  a 
toujours  eu  sa  place  dans  les  catalogues  des  écrits  divi- 
nement inspirés,  et  que  jusqu'ici  on  n'a  jamais  douté, 

(1)  Bossuet,  Préface  sur  le  livre  de  l'Ecclésiaste,  §  i. 

(2)  Voy.  Jahn,  Iniroduciio,  §  211. 

(3)  Hebrœi,  in  Midrascli,  Hieron,  inEccl.  xii,  12-14. 


DU   LIVRE   DE    L'ECCLÉSIASTE.  63 

ni  parmi  les  Juifs,  ni  dans  les  églises  chrétiennes,  de  son 
autorité  divine.  Théodore  de  Mopsueste  ayant  prétendu 
queSalomon  l'avait  composé,  comme  les  Proverbes,  sans 
l'inspiration  particulière  du  Saint-Esprit,  a  été  frappé  d'a- 
nathème  (voy.  plus  haut  pag.  43).  Quand  on  examine 
ce  livre  sans  prévention  aucune,  on  y  voit  partout  l'em- 
preinte du  sceau  divin.  D'oii  peut  venir  en  effet,  si  ce 
n'est  de  l'inspiration  divine,  cette  belle  maxime  que  tout 
est  vanité  dans  ce  monde,  excepté  craindre  Dieu  et  gar- 
der ses  commandemens?  D'où  peut  venir  encore  l'an- 
nonce si  claire  et  si  formelle  de  ce  jugement  terrible 
où  l'homme  cité  au  tribunal  de  Dieu  sera  obligé  de  ren- 
dre compte  de  toutes  ses  œuvres  bonnes  et  mauvaises, 
pour  en  recevoir  la  punition  ou  la  récompense? 

Cependant  on  objecte  contrela  divinité  de  l'Ecclésiaste 
1°  qu'il  favorise  la  doctrine  d'Epicure,  puisqu'il  enseigne 
qu'il  n'y  a  rien  de  mieux  pour  l'homme  sur  la  terre  que 
de  manger,  boire  et  se  divertir,  et  que  c'est  là  sa  fin  et 
son  partage  (ii,  24;  m,  13,  22;  v,  17);  2°  qu'il  nie  l'im- 
mortalité de  l'âme,  ou  qu'il  la  présente  comme  problé- 
matique, puisqu'il  dit  qu'il  n'y  a  point  de  différence  en- 
tre l'homme  et  la  brute,  que  leur  sort  est  égal,  et  qu'ils 
meurent  l'un  comme  l'autre  (m,  18,  19)  ;  que  nul  ne 
sait  si  l'âme  de  l'homme  monte  en  haut  et  si  l'âme  de  la 
bête  descend  en  bas  (  v,  21  )  ;  3"  qu'il  se  contredit  d'une 
manière  palpable  ;  car  après  avoir  dit  en  plusieurs  en- 
droits qu'il  n'y  a  rien  de  mieux  pour  l'homme  que  de 
jouir  des  biens  de  ce  monde,  il  affirme  ailleurs  que  c'est 
une  pure  vanité  (xi,  10).  Ici  il  exhorte  à  la  joie  (xi,  9), 
là  il  la  regarde  comme  une  folie,  et  déclare  qu'il  vaut 
mieux  aller  à  une  maison  de  deuil  qu'à  une  maison  de 
festin  (  II,  1,  2  ;  vu,  3  ) .  De  même  il  fait  un  grand  éloge 


54  DU   LIVRE   DE   L'ECCLÉSIASTE. 

de  la  sagesse  (x,  13-18,  etc.  ),  et  cependant  il  ensei- 
gne qu'elle  est  vanité,  puisqu'elle  n'empêche  pas  de 
mourir  (ii,  14-16).  Enfin,  après  avoir  dit  qu'il  ne  sait 
pas  où  vont  l'esprit  de  l'homme  et  celui  de  la  bête  (ni,  21), 
il  assure  que  le  corps  descend  dans  la  poussière  d'où  il 
est  sorti,  et  que  l'esprit  retourne  à  Dieu  qui  l'a  donné 
(xii,  7).  Ce  que  nous  venons  de  dire  sur  le  sujet  et  le 
but  du  livre  de  l'Ecclésiaste,  suffit  sans  doute  pour  mon- 
trer jusqu'à  l'évidence  combien  ces  objections  sont  fai- 
bles, pour  ne  rien  dire  de  plus  :  cependant  nous  allons 
répondre  directement  aux  trois  difficultés  qu'on  nous 
oppose.  1°  Le  sage  considère  ici  l'homme  en  tant  qu'il 
est  purement  terrestre,  et  en  faisant  absolument  abstrac- 
tion de  la  vie  future.  Or,  l'homme  considéré  sous  ce  rap- 
port n'a  en  effet  rien  de  mieux  à  faire  que  de  jouir  avec 
modération  des  biens  de  cette  vie,  au  lieu  de  se  consu- 
mer dans  des  soucis  immodérés,  dans  de  vaines  et  labo- 
rieuses recherches.  Mais  quand  l'Ecclésiaste  envisage 
l'homme  sous  son  véritable  point  de  vue,  il  lui  donne  une 
fin  plus  noble  et  plus  relevée,  puisqu'il  reconnaît  qu'il 
n'y  a  aucun  bien  solide  dans  cette  jouissance,  qu'elle  est 
une  pure  vanité,  puisqu'il  assure  en  terminant  son  livre 
que  tout  l'homme  consiste  à  craindre  Dieu  et  à  observer 
ses  commandemens,  et  que  c'est  là  la  conclusion  légi- 
time de  tout  ce  qu'il  vient  de  dire.  D'ailleurs  une  jouis- 
sance innocente  et  modérée  des  biens  de  ce  monde  n'est 
nullement  contre  l'ordre  de  la  Providence  ;  on  pouvait 
donc  y  exhorter,  surtout  sous  une  économie  temporelle 
telle  qu'était  celle  du  peuple  juif.  C'est  un  adoucissement 
providentiel  aux  amertumes  de  la  vie.  —  2°  L'Ecclésiaste 
exprime  sa  croyance  à  l'immortalité  de  l'âme  de  la  ma- 
nière la  plus  formelleetla  plus  précise,  soit  en  disant  que 


DU   LIVRE   DE  L'ECCLÉSIASTE.  55 

tandis  que  le  corps  retourne  dans  la  poussière  dont  il  a 
été  formé,  l'àme  revient  à  Dieu  qui  l'a  donnée;  soit  en 
affirmant  qu'il  y  aura  après  la  mort  un  jugement  où 
chacun  rendra  un  compte  rigoureux  de  toutes  ses  œu- 
vres. Ainsi,  quand  il  dit  qu'il  n'y  a  point  de  différence 
entre  l'homme  et  la  brute,  il  ne  l'entend  que  du  corps, 
des  fonctions  animales,  des  besoins  naturels,  et  nulle- 
ment de  l'âme.  Quant  à  ce  qu'on  objecte,  que  personne 
ne  sait  si  l'âme  de  la  bête  descend  en  bas,  et  si  l'esprit 
de  l'homme  monte  en  haut,  cette  difficulté  tombe  d'elle- 
même  dès  que  l'on  traduit  fidèlement  le  texte  original 
(m,  21  )  ;  car  il  porte  à  la  lettre  :  «  Qui  connaît  l'esprit 
des  enfans  de  l'homme,  lequel  (  esprit)  monte  en  haut,  et 
l'esprit  de  la  bête,  lequel  descend  en  bas  dans  la  terre  (1)?» 
—  3°  Les  contradictions  qu'on  prétend  trouver  dans  l'Ec- 
clésiaste  ne  sont  qu'apparentes.  En  efPet,  on  peut  par- 
faitement exhorter  l'homme  à  une  jouissance  modérée 
des  biens  de  ce  monde,  et  déciarer  en  même  temps 
qu'elle  est  une  pure  vanité ,  parce  que  quoique  cette  jouis- 
sance lui  soit  promise  et  même  nécessaire,  elle  ne  sau- 
rait cependant  lui  procurer  un  bonheur  parfait.  Par  la 
même  raison,  on  peut,  sans  se  contredire,  exhorter 
l'homme  à  se  réjouir  innocemment  du  fruit  de  son  tra- 
vail, et  déclarer  cependant  que  la  joie  immodérée  des 
enfans  du  siècle  est  une  folie,  et  qu'il  vaut  mieux  s'affli- 
ger avec  les  bons,  que  de  se  réjouir  ainsi  avec  eux.  Enfin, 
on  peut  également  sans  se  contredire  faire  l'éloge  de  la 
sagesse  qui  consiste  à  craindre  Dieu,  à  garder  ses  com- 
mandemens,  et  réprouver  d'un  autre  côté  cette  sagesse 


(1)  Yoy.  à  ce  sujet  les  réflexions  très-judicieuses  de  Pioseomûller. 
Schol.  in  Koheleilt,  m,  21. 


56  DU  LIVRE   DE   L'ECCLÉSIASTE. 

mondaine  qui  se  borne  uniquement  à  amasser  des  ri- 
chesses et  à  se  conduire  avec  habileté  dans  les  affaires 
temporelles. 

ARTICLE   II. 

De  l'auteur  du  livre  de  V Ecclésiaste. 

Les  Juifs  et  les  chrétiens  ont  toujours  et  d'un  consen- 
tement unanime  regardé  l'Ecclésiaste  comme  ayant  été 
composé  par  Salomon.  Or  le  consentement  unanime  de 
toute  une  nation,  qui  de  temps  immémorial  regarde  ce 
livre  comme  l'ouvrage  du  plus  sage  des  rois,  et  le  met  en 
conséquence  au  rang  de  ses  livres  sacrés,  est  sans  doute 
d'un  très-grand  poids,  surtout  quand  il  est  confirmé  par 
l'autorité  de  tous  les  chrétiens,  depuis  les  apôtres  jus- 
qu'à nous.  Il  faudrait,  on  doit  l'avouer,  des  argumens 
bien  forts  et  des  démonstrations  bien  évidentes  pour 
contrebalancer  des  raisons  aussi  puissantes.  En  second 
lieu,  celui  qui  nous  parle  dans  ce  livre  était  fils  de  David, 
roi  d'Israël  dans  Jérusalem  ;  il  était  le  plus  sage  et  le  plus 
riche  de  tous  ceux  qui  l'avaient  précédé  dans  le  gouver- 
nement de  cette  ville.  Il  nous  entretient  de  ses  ouvrages, 
de  ses  richesses,  de  ses  plaisirs,  de  ses  bâtimens,  de  ses 
écrits,  et  nommément  de  ses  paraboles.  Or  il  est  évident 
qu'il  n'y  a  que  Salomon  à  qui  tous  ces  caractères  puis- 
sent convenir.  Et  qu'on  ne  dise  pas  que  le  véritable  au- 
teur, pour  donner  plus  de  poids  à  son  ouvrage,  a  voulu 
l'attribuer  à  Salomon  ;  car  il  a  dû  nécessairement  en  le 
publiant,  ou  donner  à  entendre  qu'il  était  de  Salomon, 
ou  annoncer  expressément  qu'il  ne  se  servait  du  nom  de 
ce  prince  que  pour  en  faire  un  interlocuteur.  Or,  dans  le 
premier  cas,  cet  écrivain  serait  un  imposteur,  un  vil 


DU  LIVRE  DE   l'eCCLÉSIASTE»  57 

faussaire,  dont  la  nation  juive  n'aurait  jamais  voulu  in- 
sérer le  livre  parmi  ses  écritures  canoniques;  dans  le  se- 
cond, on  a  du  savoir  dès  les  commencemens  mêmes  que 
cet  ouvrage  n'était  pas  de  Salomon,  et  par  conséquent 
on  n'a  jamais  dû  croire  aussi  universellement  et  aussi 
unanimement  qu'on  l'a  fait,  qu'il  était  sorti  de  la  main 
de  ce  prince.  Troisièmement,  quoiqu'il  y  ait  quelques 
différences  de  style  entre  les  Proverbes  et  l'Ecclésiaste, 
parce  que  ce  sont  deux  ouvrages  de  nature  différente, 
et  écrits  sûrement  dans  des  temps  assez  éloignés,  on  re- 
marque cependant  dans  ce  dernier  le  style  sentencieux 
de  Salomon  ;  les  derniers  chapitres  surtout,  où  l'auteur 
donne  des  maximes  de  morale  et  de  conduite,  ont  assez 
de  rapport  avec  les  Proverbes.  L'allégorie  énigmatique 
de  la  vieillesse  est  tout-à-fait  dans  le  goût  de  celle  que 
nous  lisons  dans  les  Proverbes,  et  par  conséquent  digne 
de  Salomon. 

Quant  aux  difficultés  qu'opposent  à  ce  sentiment  les 
critiques  et  les  exégètes  modernes  d'Allemagne,  qui  n'ont 
fait  que  suivre  l'opinion  de  Grotius,  elles  ne  nous  parais- 
sent pas  démonstratives  ;  car,  1°  les  cbaldaïsmes  qu'ils 
objectent  ne  sont  pas  une  preuve  convaincante  qu'il  n'a 
pu  être  composé  du  temps  de  Salomon,  puisqu'on  en 
trouve  dans  le  Cantique  des  cantiques  et  dans  le  livre 
de  Job,  assez  généralement  attribués  à  Salomon  ou  à 
Moïse.  D'ailleurs  les  cbaldaïsmes  ne  sont  pas  toujours 
une  marque  sûre  pour  distinguer  l'âge  des  livres  ;  car 
il  ne  s'en  trouve  presque  pas  dans  xVggée,  Zacharie  et 
Malachie,  qui  ont  écrit  depuis  la  captivité.  Au  surplus,  la 
différence  de  style  et  de  diction  fût-elle  aussi  considé- 
rable que  le  prétendent  nos  adversaires,  ils  auraient 
droit  d'en  conclure  tout  au  plus  que  Salomon  a  composé 

3. 


58  DU   LIVRE  LE   L'eCCLÉSIASTE. 

le  fond  et  la  substance  de  l'Ecclésiaste,  et  qu'un  écrivain 
inspiré,  postérieur  à  ce  prince,  lui  a  donné  la  forme  et  la 
couleur  qu'il  a  aujourd'hui.  2°  Salomon  en  parlant  au 
nom  de  l'avare  a  pu  dire  qu'il  se  consumait  pour  amas- 
ser des  richesses,  sans  savoir  si  son  héritier  aurait  la 
sagesse  d'en  faire  un  bon  usage.  Pourquoi  n'aurait-il 
pas  pu  exprimer  le  même  doute  au  sujet  de  son  propre 
successeur  ?  3°  Est-il  invraisemblable  que  dans  un  siècle 
aussi  policé  que  celui  de  Salomon,  on  s'occupât  beau- 
coup à  écrire  des  livres  ?  4°  Sous  les  rois  les  plus  sages, 
il  se  commet  des  injustices,  des  vexations  et  des  vio- 
lences de  tout  genre,  de  la  part  des  magistrats  subal- 
ternes .  On  n'a  donc  pas  lieu  d'être  surpris  de  voir  ré- 
gner de  semblables  désordres  pendant  le  règne  de  Sa- 
lomon, et  surtout  de  les  voir  se  multiplier  quand  ce 
prince  abandonne  la  sagesse  et  se  livre  à  l'amour  des 
femmes.  D'ailleurs,  pourquoi  voudrait-on  limiter  et  res- 
treindre à  la  Judée  l'existence  de  ces  maux?  Salomon, 
en  efPet,  parle  de  ce  qui  arrive  ordinairement  parmi  les 
hommes.  5°  En  disant  :  «  J'ai  tout  tenté  pour  acquérir  la 
sagesse,  etc. ,  »  Salomon  parle  au  nom  de  ceux  qui  veu- 
lent trouver  la  sagesse  sur  la  terre,  sans  la  chercher  en 
Dieu,  et  son  but  est  de  montrer  que  de  tels  efforts  sont 
aussi  insensés  qu'inutiles,  et  que  pour  trouver  la  sagesse, 
c'est  dans  la  crainte  de  Dieu  et  l'observation  de  ses 
lois  qu'on  peut  la  trouver.  6°  Quant  à  l'opinion  de  Zir- 
kel  (1) ,  qui  recule  l'origine  de  l'Ecclésiaste  jusqu'au  temps 
d'Antiochus,  à  cause  de  quelques  mots  grecs  qu'il  a  cru 
y  trouver,  et  la  dispute  des  pharisiens  et  dessadducéens 
à  laquelle  il  prétend  que  ce  livre  a  rapport,  elle  n'a  au- 

(1)  G.  Zirkel,  Unlçnuchungçn  ilbçr  den  Predigçr.  S,  78,  ff. 


DU    LIVRE    DE   L'eCCLÉSIASTE.  59 

cun  fondement.  Car,  d'un  côté,  tous  les  critiques  con- 
viennent que  les  mots  que  Zirkel  regarde  comme  grecs 
sont  incontestablement  d'origine  orientale;  et  de  l'autre, 
sil'Ecclésiaste  avait  été  écrit  pour  réfuter  les  sadducéens 
et  les  pharisiens,  ces  derniers  ne  l'auraient  jamais  ad- 
mis dans  le  canon  des  Écritures  sacrées. 

ARTICLE   III. 

De  Vélocution  du  livre  de  l'Ecclésiaste. 

Les  critiques  qui  ont  examiné  l'Ecclésiaste  sous  le 
point  de  vue  littéraire  ne  lui  accordent  pas  un  bien 
grand  mérite.  Après  avoir  parlé  des  Proverbes,  Lowth 
ajoute  :  «  Il  est  un  second  ouvrage  de  Salomon  qui  doit 
être  également  rapporté  au  genre  didactique  ;  c'est  celui 
qui  est  appelé  VEcclésiaste.  Mais  quoique  dans  celui-ci 
on  rencontre  éparses  çà  et  là  quelques  sentences  dé- 
tachées et  beaucoup  de  paraboles,  cependant  la  nature 
de  sa  composition,  son  caractère,  son  style,  sont  fort 
différens.  Le  plan  est  uniforme  ;  le  sujet  est  un  et  simple; 
c'est  la  vanité  des  choses  humaines  exposée  par  Salo- 
mon, qui  propose  ses  doutes  sur  une  question  extrême- 
ment difficile,  qui  balance  les  motifs  sur  lesquels  sont 
fondés  les  sentimens  divers,  et  qui  enfin  se  dégage  de 
cette  pénible  incertitude.  Il  est  très-embarrassant  d'en 
marquer  les  divisions  ;  il  règne  une  très-grande  obscu- 
rité sur  l'enchaînement  des  idées,  sur  la  suite  du  dis- 
cours, sur  l'ordre  et  la  disposition  de  l'ensemble  :  aussi 
remarque-t-on  une  extrême  opposition  parmi  les  inter- 
prètes dans  l'exposition  de  l'économie  générale  de  cette 
composition,  et  dans  la  terminaison  exacte  de  ses  di- 
visions  Le  style  de  ce  livre  est  extrêmement  singu- 


60  DU   LIVRE   DE   l'ÉCCLÉSIASTE. 

lier  ;  presque  partout  il  est  trivial,  sans  noblesse,  et  sur- 
tout fort  obscur.  Souvent  lâche  et  diffus,  il  se  rapproche 
du  discours  ordinaire.  Le  tour  et  la  disposition  des  phra- 
ses n'offrent  que  de  faibles  traces  du  caractère  poétique; 
ce  qu'il  faut  peut-être  attribuer  en  partie  à  la  nature  du 
sujet  (1).  »  Ce  jugement  est  à  peu  près  celui  de  tous  les 
autres  critiques  ;  cependant  il  ne  faut  pas  croire  que 
l'Ecclésiaste  soit  absolument  sans  beautés;  seulement 
pour  les  sentir  et  les  apprécier  justement,  nous  devons 
nous  attacher  aux  pensées  plus  qu'aux  expressions  dont 
l'auteur  les  revêt;  ces  expressions,  en  effet,  manquent 
le  plus  souvent  de  pureté  et  de  correction.  Ainsi,  par 
exemple,  le  début  du  livre  appartient  au  sublime  ;  les 
plaintes  que  l'écrivain  sacré  fait  de  la  vanité  des  créa- 
tures a  quelque  chose  de  lugubre  et  de  pathétique  qui 
remplit  l'âme  d'une  sainte  mélancolie;  la  description  des 
palais  et  des  plaisirs  de  Salomon  est  très-brillante  (ii); 
celle  des  oppressions  et  des  violences  qui  se  font  sous  le 
soleil  (iv),  vive  et  animée.  On  peut  dire  encore  qu'il  n'y 
a  rien  de  gracieux  comme  l'invitation  à  jouir  des  biens 
de  cette  vie  (ix,  7-9;  xi,  9-10),  et  que  rien  n'est  plus 
beau  et  plus  naturel  que  le  portrait  de  la  vieillesse 
(xii),bien  qu'une  couleur  sombre  nous  empêche  d'en 
distinguer  clairement  plusieurs  traits . 

ARTICLE  IV. 

Des  commentaires  du  livre  de  l'Ecclésiaste, 

1.  Les  principaux  ouvrages  faits  par  les  catholiques 
sur  le  livre  de  l'Ecclésiaste  sont  d'abord  ceux  des  pères 

1)  Lo"\Mh,  De  la  pocsia  sacrée  desHébyeux,  leçon  xxiv. 


DU   LIVRE   DE    L  ECCLESIASTE.  61 

de  l'Église ,  tels  que  la  paraphrase  de  saint  Grégoire 
Thaumaturge  ;  on  la  trouve  en  grec  et  en  latin  dans 
les  œuvres  de  ce  père,  publiées  par  Vossius,  Paris,  1622, 
in-fol. ,  et  en  latin  seulement  dans  le  tome  m  de  la  nou- 
velle Bibliothèque  des  Pères.  —  Les  huit  Homélies  de 
saint  Grégoire  de  Nysse.  Ce  sont  des  explications  mora- 
les et  spirituelles  qu'on  trouve ,  avec  une  traduction 
latine,  dans  ses  OEuvres,  Paris,  1638,  in-fol. — Les  com- 
mentaires d'Olympiodore,  que  Sixte  de  Sienne  appelle 
courts  et  excellens.  Ils  ont  paru  en  différens  endroits, 
et  notamment  dans  la  nouvelle  Bibliothèque  des  Pères. 

—  La  Chaîne  d'OEcumenius ,  imprimée  en  grec  à  Vé- 
rone, 1532,  et  en  latin  à  Baie.  — S.  Gregorii  II  Pont. 
Agrigentinorum,  Libri  x  explicationis  Eccl.  grœcè,  pri- 
mum  et  cum  lat.  interpr.  et  commentariis  Vulgati.  Qui- 
bus  prœpos.  est  vita  ejusd.  Pont»  à  Leontio  Monacho 
scripta,  nec  hactenus  grœcè  édita.  Venet.  1791,  in-fol. 

—  Le  commentaire  de  saint  Jérôme,  qu'on  trouve  dans 
la  collection  de  ses  œuvres  avec  des  notes.  Le  P.  Mar- 
tianay  l'a  publié  en  français  avec  de  nouvelles  réflexions, 
Paris ,  1715 ,  in-S».  —  Parmi  les  ouvrages  des  inter- 
prètes catholiques  qui  ont  travaillé  sur  l'Ecclésiaste  de- 
puis les  pères,  nous  citerons  les  commentaires  de  J. 
Arboreus,  Paris,  1531,  1537,  in-fol.  ;  deCajetan,  Lyon, 
1552,  in-fol.  ;  de  Titelman,  Paris,  1581,  in-8%  septième 
édition  ;  de  J .  Lorin,  Mayence,  1597,  in-i°  ;  Lyon,  1619, 
in-fol .  Cette  dernière  édition  contient  des  prolégomè- 
nes fort  utiles  de  Maldonat. — La  paraphrase  et  le  com- 
mentaire de  Jer.  Osorius  le  jeune,  imprimés  à  Lyon  en 
1611,  in-8o. — Enfin,  l'excellent  commentaire  de  Pi- 
néda  ,  qui  rend  inutile  presque  tous  les  autres,  à  cause 
de  la  quantité  de  choses  que  le  savant  interprète  y  a 


62  DU   LIVRE   DE  L'ECCLÉSIASTE. 

fait  entrer.  Dans  les  prolégomènes,  Pinéda  résout  tou- 
tes les  questions  qu'on  peut  former  sur  l'Ecclésiaste.  Cet 
ouvrage  a  paru  à  Séville  en  1619 ,  et  à  Paris  en  1620, 
in-fol . 

2.  Une  foule  de  protestans  ont  travaillé  sur  rEcclé- 
siaste;  nous  indiquerons,  comme  assez  souvent  citées, 
les  Adnotations  de  Drusius,  Amsterdam,  1635,  in-^.»; 
on  les  trouve  encore  dans  le  tome  ii  des  Critiques  sa- 
crés.—  Le  commentaire  de  M.  Geier,  Leipzig,  1711, 
in-4-°,  cinquième  édition  ;  celui  d'Aug.  Varen,  Piostocb, 
1659,  in-4°;  celui  de  Sébast.  Schmid,  Strasbourg,  1691, 
in-4°.  —  J.  J.  Rambachii  Notœ  uberiores  in  JSccl.  Sal. 
in  J.  H.  MichsieMs  Annotât,  uberior.  in  Hagiograph.  F. 
T.  libroSyBal.  1720,in-4-°.  vol.  ii. — Ecclesiastes,  philol. 
et  critice  illustratus  à  J.  A.  Van  der  Palm  ,  Lugd.  Ba- 
tav.  1784,  in-S".  —  Salomons  Prediger  und  Hohes  Lied 
mit  kiirzen  erlœuternden  Ânmerhungen,  von  J.  Ch.  Dœ- 
derlein,  Jena,  178i,  1792,  in-S'*.  —  Koheleths  des  wei- 
sen  Kœnigs  Seeïenkampf ,  oder  philosophische  Betrach- 
tungen  uher  das  hœchste  Gut  ;  ans  dem  Hebrœischen 
ubersetzt  und  als  ein  Ganzes  dargestellt  von  F.  W.  C. 
Umbreit,  Gotha,  1818,  in-S".  Nous  citerons  encore  du 
même  auteur  :  Koheleth  scepticus  desiimmo  bono,  Com- 
mentatio  philosophico-critica.  Gotting .  1820,nn-8°. 
—  Les  Scholies  de  Kosenmiiller  sur  l'Ecclésiaste  sont 
excellentes  ;  le  critique  a  parfaitement  saisi  le  but  de 
l'écrivain  sacré,  aussi  ses  explications  sont-elles  en  gé- 
néral très-justes  ;  il  a  victorieusement  réfuté  les  opi- 
nions erronées  qui  ont  été  émises  dans  ces  derniers 
temps,  surtout  par  les  exégètes  allemands  ;  cependant  il 
n'attribue  point  ce  livre  à  Salomon  ;  il  prétend  qu'on 
peut  supposer,  sans  trop  se  tromper,  qu'il  a  été  composé 


DU  LIVRE  DE  L'eCCLÉSIASTE.  G 3 

dans  l'intervalle  de  temps  qui  s'est  écoulé  entre  Néhé- 
mie  et  Alexandre  le  Grand  (1). 

3.  Baruch  ben  Baruch,  sous  le  titre  général  de  :  Elle 
tôldôth  Adam  (DIX  miblH  H^N),  ou  Voici  la  postérité 
d'Adam ,  a  écrit  deux  commentaires  sur  l'Ecclésiaste , 
l'un  littéral,  intitulé  :  Qehillath  Yahaqôb  (Dpp  n'^Hp), 
c'esi-SL-dÏTe  l'Assemblée  de  Jacob;  et  l'autre  allégorique  : 
Qôdesch  Yiscrâêl  pN^.t^^  Li^lp)  ou  la  Sainteté  d'Israël, 
Venise,  1599,  in-fol.  —  Le  commentaire  de  Moïse  Al- 
schech  :  Debârîm  tobîm  [D^DVO  D^")!D*1),  on  Bonnes 
paroles ,  a  été  imprimé  à  Venise  en  1605.  —  David  de 
Pomis  a  donné  le  texte  hébreu  de  l'Ecclésiaste  en  joi- 
gnant à  chaque  verset  une  traduction ,  ou  plutôt  une 
paraphrase  italienne  avec  quelques  notes,  Venise,  1571, 
in-8°.  — Le  Lêb  hâchâm  (DDH  Db)>  ou  Cœur  du  sage, 
par  Sam.  Aripol,  a  paruàConstantinople,  1591,  in-i°. 
—  En  1661,  a  paru  aussi  à  Venise,  in-^-",  une  explica- 
tion des  endroits  difficiles  des  Agiographes,  et  surtout 
de  Job  et  de  l'Ecclésiaste,  par  Sam.  Cohen  de  Pise, 
Portugais  ;  cet  ouvrage  est  intitulé  :  Tsâfenath  PaJmêah 
(nw>D  P-^Dti),  que  les  Juifs  traduisent  par  Révélateur 
de  secrets  (2).  —  Moïse  Mendelssohn  a  publié  à  Berlin, 
en  1770,  in-8%  l'Ecclésiaste,  avec  un  commentaire  hé- 
breu, qui  a  été  traduit  littéralement  et  accompagné  de 
courtes  notes  explicatives  pour  l'utilité  des  étudians, 
par  J.  J.  Rabe  Anspach,  1771,  in-i°. 

(1)  Eosenmuller,  in  librum  Kohelelh  Proccmimn. 

(2)  Ce  titre  est  pris  de  la  Genèse  xli,  46  ;  il  signifie  pkuO't5rt/;<f  ou 
sauveur  du  monde. 


64  DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES. 

CHAPITRE  QUATRIÈME. 

DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES. 

Ce  livre,  nommé  en  hébreu  Schîr  haschschîrim  (T^tà 
jyiTWn))  ou  Cantique  des  cantiques  (idiotisme  hébreu 
qui  signifie  le  ])lus  beau,  le  plus  excellent  des  cantiques)  y 
figure  aussi  dans  les  Bibles  hébraïques  parmi  les  Agio- 
graphes.  On  le  trouve  souvent  désigné  sous  le  simple 
nom  le  Cantique ,  comme  si  l'on  disait  :  le  Cantique  par 
excellence,  titre  au  reste  qu'il  mérite  à  tous  égards. 

ARTICLE  I. 

Du  sujet,  du  plan  et  de  l'objet  du  Cantique  des  cantiques. 

1.  Ce  cantique,  qui  se  compose  de  huit  chapitres,  est 
un  vrai  chant  d'amour,  qui  exprime  les  sentimens  tout 
à  la  fois  les  plus  ardens  et  les  plus  tendres,  qui  respire 
toute  la  vivacité  et  toutes  les  douceurs  de  cette  affection. 
C'est  l'entretien  d'un  époux  et  d'une  épouse  qui  s'expri- 
ment leur  amour.  L'un  paraît  tour  à  tour  sous  les  ti- 
tres de  berger,  de  roi  et  sous  le  nom  de  Salomon ,  et 
l'autre  alternativement  sous  ceux  d'une  bergère ,  d'une 
épouse,  et  elle  porte  le  nom  de  Sulamite  (1).  Dans  cet 
entretien,  les  deux  époux  sont  représentés  tantôt  seuls, 
tantôt  réunis ,  et  s'adressant  mutuellement  la  parole. 
L'auteur  introduit  encore  de  jeunes  vierges  qui  accom- 
pagnent l'épouse,  et  qui  remplissent  aussi  un  rôle  dans 

(1)  Ce  mot  en  hébreu  se  lit  schoulammîih  (D^Dn'Ci),  quiesllrès- 
vraisemblablement  le  féminin  de  Schelômô  (noV>y)  ou  Salomon. 


! 


DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES.  65 

le  dialogue,  et  déjeunes  amis  de  l'époux,  mais  ceux-ci 
ne  sont  que  des  personnages  muets. 

2.  La  plupart  des  interprètes,  tant  anciens  que  mo- 
dernes, pensent  que  le  Cantique  des  cantiques  ne  forme 
qu'un  seul  poème  ou  une  espèce  de  drame.  Bossuet  et 
D.  Calmet  ont  cru  y  distinguer  sept  parties,  répondant 
aux  sept  journées  que  duraient  les  noces  chez  les  an- 
ciens Hébreux.  Richard  Simon,  et  après  lui  beaucoup 
de  critiques ,  parmi  lesquels  se  trouve  Jahn  ,  pensent 
qu'il  renferme  plusieurs  petits  poèmes  qui  n'ont  aucune 
liaison,  et  qu'il  est  d'autant  plus  difficile  de  les  distin- 
guer que  les  auteurs  ne  sont  pas  marqués  (1).  Le  sen- 
timent de  Bossuet  ne  présente  qu'une  simple  conjecture 
fort  ingénieuse ,  il  est  vrai,  mais  qui  ne  nous  paraît 
pas  assez  fondée ,  quoique  nous  ne  goûtions  pourtant 
point  toutes  les  raisons  alléguées  par  Michaëlis  pour 
la  combattre  (2).  L'opinion  de  R.  Simon,  de  Jahn,  etc., 
est  bien  moins  admissible  ;  car  les  raisons  sur  lesquelles 
on  s'appuie  pour  la  défendre  ne  sauraient  être  d'au- 
cun poids  aux  yeux  d'un  bon  critique.  Et  d'abord  la 
diversité  de  style  qu'on  objecte  est  si  peu  vraie,  et  le 
discours  paraît  d'ailleurs  si  bien  lié  et  si  uniforme  dans 
toutes  les  parties,  où  reviennent  sans  cesse  en  effet  les 
mêmes  formules  (ii,  7;  m,  5;  viii,  4;  et  i,  15;  iv,  1; 
V,  12,  enfin  ii,  li;  v,  2;  vi,  9) ,  qu'on  pourrait  au  con- 
traire s'en  servir  comme  d'une  preuve  solide ,  que  le 
Cantique  entier,  formant  une  seule  pièce  et  un  tout  uni- 


(1)  Bossuet,  Prœf.  in  Cant.  n.  m.  D.  Calmet,  Prcf.  sur  le  Cant. 
R.  Simon,  Hisl.  crit.  du  V.  T.  l.  i,  du  iv.  Jahn,  Inlrod.  §  205-208. 
(1)  J.  D.  Michaëlis,  D^olœet  Epim.  ad  LowthiPrœlect.  xxx. 


66  DU  CAXTIQUE  DES  CANTIQUES. 

que,  vient  de  la  même  main  (1).  En  second  lieu,  ce  sont 
toujours  les  mêmes  personnes  mises  en  action,  quoique 
jouant  des  rôles  différens.  Ainsi,  c'est  le  même  Salo- 
mon  et  la  même  Sulamite  qui  paraissent  successivement 
sous  la  forme  de  berger  et  de  bergère,  de  jardinier  et 
de  jardinière,  de  roi  et  de  reine.  Il  est  en  effet  très-na- 
turel de  supposer  que  l'auteur,  pour  donner  plus  de 
naturel  à  ce  petit  drame ,  a  voulu  paraître  sur  la  scène 
sous  la  forme  de  personnages  différens.  Enfin,  s'il  est 
si  évident  que  chaque  partie  décèle  un  auteur  différent, 
pourquoi  les  partisans  de  celte  opinion  ont-ils  tant  de 
difficulté  à  reconnaître  oii  commence  et  où  finit  chacun 
de  ces  prétendus  poèmes  ?  Pourquoi  encore  sont-ils  si 
peu  d'accord  quand  il  s'agit  d'en  déterminer  le  nombre? 
3.  Un  sentiment  assez  commun  parmi  les  interprètes, 
et  qui  a  été  embrassé  par  Bossuet,  D.  Calmet,  Dupin  et 
Lowth,  est  que  le  Cantique  des  cantiques  a  pour  objet, 
au  moins  dans  le  sens  grammatical,  le  mariage  de  Sa- 
lomon  avec  la  fille  du  roi  d'Egypte.  D'autres  prétendent 
que  l'auteur  avait  en  vue  l'amour  conjugal  en  général; 
quelques-uns  soutiennent  qu'il  veut  chanter  le  chaste 
amour  qui  entraîne  l'époux  et  l'épouse  l'un  vers  l'autre 
avant  le  mariage  ;  d'autres  enfin  pensent  que  ce  canti- 
que est  purement  allégorique,  et  ce  sentiment  nous  a 
paru  le  plus  probable.  D'abord ,  c'est  celui  des  anciens 
Juifs,  à  commencer  par  l'auteur  de  la  paraphrase  chal- 
daïque  et  par  Jarchi,  qui  n'y  voient  que  l'amour  réci- 
proque de  Dieu  et  du  peuple  hébreu,  caché  sous  le  voile 
de  l'allégorie,  ce  Loin  de  nous ,  dit  Aben-Ezra  dans  la 

(i)  G.  H.  A.  EAvald,  Das  HohcUed  Salom.  S,  9,  ff.  et  43  ff.  Roscn- 
mùUcr,  Proœmium  in  Cant,  pag.  253  scqq. 


DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES.  67 

préface  de  son  commentaire,  loin  de  nous  la  pensée 
que  le  Cantique  des  cantiques  parle  de  l'amour  charnel. 
Tout  y  est  traité  d'une  manière  figurée  {y\l/î2  ""pi  ^)J 
haï  déréch  mâschâl);  et  si  le  sujet  n'était  pas  de  l'ordre 
le  plus  relevé,  jamais  ce  livre  n'aurait  été  mis  dans  le 
recueil  des  écrits  sacrés  ,  tout  le  monde  en  convient.» 
Théodoret  regarde  aussi  le  Cantique  des  cantiques  comme 
devant  être  entendu  uniquement  de  l'amour  mutuel  de 
Jésus-Christ  et  de  son  Eglise,  et  iljcite  comme  étant 
de  ce  sentiment,  non  seulement  Eusèbe,  Origène,  saint 
Cyprien  et  les  pères  qui  touchaient  aux  temps  aposto- 
liques, mais  encore  ceux  qui  sont  venus  après  ces  trois 
illustres  docteurs  (1).  En  second  lieu,  le  livre  du  Can- 
tique est  divinement  inspiré  ,  comme  nous  le  verrons 
un  peu  plus  bas.  Or,  il  est  difficile  de  croire  que  l'Esprit 
saint  ait  inspiré  un  cantique  pour  célébrer  un  amour 
charnel,  quelque  pur,  quelque  chaste  qu'on  le  suppose, 
d'autant  plus  que  depuis  le  péché  originel  notre  nature 
est  tellement  portée  aux  plaisirs  des  sens,  que  les  des- 
criptions les  plus  innocentes  qu'on  peut  faire  de  cet 
amour  charnel  ne  mettent  point  à  l'abri  du  danger. 
Troisièmement,  le  sens  allégorique  convient  d'autant 
mieux  que  les  écrivains  de  l'Ancien-Testament ,  par  un 
usage  généralement  reçu ,  représentaient  Dieu  comme 
un  époux,  la  nation  juive  comme  une  épouse,  et  l'union 
de  l'un  et  de  l'autre  comme  un  vrai  mariage;  enfin, 
la  violation  du  culte  divin  comme  une  infidélité  et  un 
adultère.  Ajoutons  que  ces  auteurs   sacrés  aimaient 
tellement  cette  image ,  qu'ils  ne  craignaient  pas  d'en 
développer  les  détails  et  de  la  suivre  dans  toutes  ses 

(!)  Théodoret;  Prœfat.  in  Canlic. 


6^  DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES. 

circonstances.  Et  pour  nous  borner  à  un  petit  nombre 
d'exemples,  sans  parler  même  d'Ezéchiel,  qui  s'en  est 
permis  un  usage  si  hardi  et  si  libre,  nous  dirons  qu'I- 
saïe,  Jérémie  et  Osée,  l'ont  employée  plus  d'une  fois,  et 
que  même  les  auteurs  du  Nouveau-Testament  l'ont  con- 
sacrée de  nouveau  par  leur  autorité  (1) ,  et  que  les  chré- 
tiens, leurs  disciples,  n'ont  fait  que  les  imiter  en  intro- 
duisant cette  manière  d'exprimer  l'amour  divin  jusque 
dans  les  prières  et  les  élans  les  plus  purs  de  la  piété  (2) . 
On  objecte  contre  cette  dernière  opinion,  qui  ne  voit 
dans  le  Cantique  qu'une  constante  allégorie  :  1°  Il  n'y 
a  rien  dans  tout  le  livre  qui  indique  le  moins  du  monde 
le  sens  allégorique,  tout  absolument  s'y  rapporte  à  l'a- 
mour humain  ;  au  point  que  le  nom  de  Dieu  n'y  paraît 
pas  une  seule  fois.  Or,  assez  ordinairement,  dans  les 
allégories  de  l'Ecriture  même  les  plus  courtes ,  le  sens 
propre  se  trouve  mêlé  au  sens  figuré.  2°  Si  le  Cantique 
était  une  allégorie  de  l'amour  réciproque  de  Jésus- 
Christ  et  de  son  Eglise,  on  devrait  rencontrer  une 
analogie  très-naturelle  entre  les  qualités  que  l'auteur  y 
donne  aux  deux  époux ,  et  les  qualités  du  Sauveur  et  de 
l'Eglise.  Or,  cette  analogie  est  si  peu  naturelle  que  les 

{i)  Jes.  Liv,  6;  lxii,  4-5.  Jer.  xi,  32.  Eze.  xvi.  Malth.  ix,  15. 
Joan.  m,  29.  2  Cor,  xi,  2.  Ephes.  v,  23.  Apoc,  ix,  7,  etc. 

(2)  Quant  à  la  question  de  savoir  si  les  Persans,  les  Turcs,  etc., 
ont  des  poésies  mystiques  dans  le  genre  du  Cantique  des  cantiques  , 
elle  ne  nous  a  point  paru  devoir  être  traitée  ici  ;  nous  renvoyons  à 
Guil.  Jones,  Poeseos  Asialicœ  Commentariorum  libri  sex.  p.  iii,c. 
IX,  et  à  sa  dissertation  particulière  sur  la  poésie  mystique  des  Perses 
et  des  Indienst  dans  le  recueil  de  ses  œuvres,  et  dans  Asiatick  Re- 
searches;  et  à  Rosenmïiller  dans  ses  remarques  ajoutées  au  traité  De 
la  poésie  sacrée  des  Hébreux.  Leipzig,  1S15,  pag.  619. 


DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES.  69 

interprètes  qui  veulent  l'y  trouver  sont  obligés  de  re- 
courir aux  explications  les  plus  forcées.  3°  On  emploie 
l'allégorie  pour  enseigner  une  vérité  morale  qui  n'est 
pas  connue.  Or ,  toute  l'allégorie  du  Cantique ,  quand 
on  s'en  tient  fidèlement  au  texte,  n'exprime  autre  chose 
que  l'amour  de  Dieu  pour  son  Eglise;  vérité  très-con- 
nue, et  qui  n'avait  pas  besoin  d'une  aussi  longue  allé- 
gorie. 4°  Si  l'Esprit  saint,  en  inspirant  ce  chant,  n'avait 
eu  en  vue  que  l'amour  de  Jésus-Christ  pour  son  Eglise, 
il  ne  l'aurait  certainement  pas  oublié  dans  la  plupart 
des  circonstances,  qui,  de  l'aveu  des  meilleurs  inter- 
prètes, n'ont  aucun  rapport  à  cet  objet.  5°  On  ne  doit 
jamais  recourir  au  sens  allégorique,  à  moins  qu'on  n'y 
soit  forcé  par  quelque  circonstance  particulière.  Or,  ici 
rien  ne  nous  y  oblige.  Ce  n'est  point  la  synagogue  quj 
a  pu  mal  interpréter  ce  cantique ,  comme  elle  l'a  fait  de 
beaucoup  d'autres  parties  de  l'Ecriture  ;  ce  n'est  pas 
non  plus  l'Eglise  chrétienne,  car  quand  elle  a  condamné 
ceux  qui  regardaient  ce  livre  comme  obscène,  elle  n'a 
pas  décidé  expressément  qu'il  avak  été  composé  pour 
décrire  un  amour  allégorique;  ce  ne  sont  point  les  pères 
qui  l'ont  expliqué  allégoriquement,  vu  que  leurs  inter- 
prétations ne  nous  offrent  nullement  une  règle  certaine. 
Qui  voudrait ,  par  exemple ,  admettre  toutes  les  allégo- 
ries d'Origène  et  de  saint  Bernard?  Enfin,  dans  les  au- 
tres livres  de  l'Ecriture ,  il  n'y  a  rien  qui  puisse  nous 
forcer  d'avoir  recours  à  l'allégorie.  —  Nous  ne  préten- 
dons pas  que  notre  sentiment  soit  un  dogme  de  foi,  nous 
croyons  seulement  qu'il  est  très-probable ,  et  les  diffi- 
cultés que  nous  venons  d'exposer  ne  paraissent  pas  de- 
voir en  diminuer  la  probabilité  :  on  peut  en  juger  par 
notre  réponse.  1°  Les  critiques  ne  sauraient  disconve- 


70  DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES. 

nir  que  dans  le  discours  parabolique  il  n'est  pas  abso- 
lument nécessaire  que  le  sens  propre  se  trouve  exprimé; 
au  contraire,  il  est  en  quelque  sorte  de  l'essence  d'une 
composition  de  ce  genre ,  que  la  chose  signifiée  reste 
cachée  sous  le  voile  de  l'allégorie  (1),  Aussi,  combien 
de  fois  la  synagogue  et  l'Eglise  sont-elles  représentées 
dans  l'Ecriture  sous  l'image  d'unevigne  et  d'une  épouse, 
sans  pour  cela  que  Dieu  s'y  trouve  nommé,  bien  qu'il 
soit  et  l'époux  de  cette  épouse  et  le  maître  de  la  vigne? 
Voit-on  encore  dans  la  parabole  de  l'enfant  prodigue 
(Luc.  XV,  11-32)  quelque  chose  qui  exprime  au  sens 
propre  le  pécheur,  qui  est  pourtant  l'objet  figuré  ?  Y 
a-t-il  rien  qui  ne  puisse  convenir  à  un  enfant  ordinaire? 
n'offre-t-elle  même  pas  plusieurs  traits  qui,  de  l'aveu 
des  meilleurs  interprètes ,  ne  conviennent  nullement 
dans  le  sens  propre ,  et  qui  sont  ajoutés  uniquement 
pour  l'ornement  de  l'allégorie?  Enfin,  lit-on  une  seule 
fois  le  nom  de  Dieu,  dont  le  père  du  jeune  prodigue 
n'est  cependant  que  le  représentant  et  la  figure  dans 
cette  parabole?  Or,  de  même  qu'un  bon  critique  n'o- 
serait jamais  inférer  de  ces  circonstances,  que  la  para- 
bole n'est  pas  allégorique  ;  de  même  aussi ,  quoique  le 
nom  de  Dieu  ne  se  lise  pas  dans  le  Cantique  ,  quoique 
tous  les  traits  puissent  absolument  caractériser  l'amour 
conjugal ,  et  qu'il  y  en  ait  même  quelques-uns  qu'on 

(1)  «  Verum  quominus  poeta  disertis  verLis  indicaret,  quidnamsub 
allegorico  involucro  lateret,  impediebat  carminis  interna  natura  et 
constitutio,  forma  dico  quam  sibi  elegerat,  dramatica.  Neque  enim 
ipse  loquitur,  narratve  aut  describit,  quae  sibi  objecta  sunt,  sed  io 
dranoaticam  quasi  actionem,  in  qua  ipsi,  poetœ,  nullae  partes  essent, 
versum  est  totum  ejus  argumentura  (Pvosenmiiller,  Proœm,  in  Cant. 
p.  266,  not.  II).  » 


DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES.  71 

aurait  tort  d'expliquer  de  l'amour  divin,  on  n'a  aucun 
droit  de  conclure  que  le  Cantique  n'est  pas  allégorique. 
2°  Il  n'est  point  certain  que  toutes  les  explications  données 
pour  montrer  qu'il  s'agit  de  l'amour  divin  dans  le  Can- 
tique, soient  peu  naturelles  et  forcées;  car  Grotius  lui- 
même  ,  dont  le  commentaire  inspire  le  dégoût  et  l'hor- 
reur, Grotius  avoue  que  quoique  Salomon  n'ait  eu  en 
vue  que  de  célébrer  son  mariage  avec  la  fille  du  roi  d'E- 
gypte, il  a  tellement  choisi  ses  expressions  qu'on  peut 
très-bien  y  appliquer  un  sens  spirituel,  et  que  ce  n'est 
pas  sans  succès  que  les  interprètes  ont  cherché  à  dé- 
couvrir ce  sens.  3"  On  n'emploie  pas  seulement  l'allégo- 
rie pour  enseigner  une  vérité  d'ailleurs  inconnue;  mais 
on  s'en  sert  encore  pour  dépeindre  plus  vivement ,  et 
imprimer  avec  plus  de  force  dans  l'esprit  une   vérité 
déjà  connue,  surtout  quand  elle  est  importante.  Or,  qui 
peut  douter  que  l'amour  de  Dieu  pour  l'Eglise  ne  soit 
une  vérité  d'une  haute  importance?  4°  Rien  n'empêche 
que  l'Esprit  saint  se  soit  borné  à  peindre  l'objet  prin- 
cipal, c'est-à-dire  l'amour  divin,  et  que  tout  le  reste  ne 
soit  ajouté  comme  ornement  ;  de  même  qu'un  peintre 
qui  voudrait  retracer  l'amour  d'un  roi  pour  son  peuple, 
pourrait  se  contenter  de  représenter  le  prince  descen- 
dant de  son  trône ,  et  venant  embrasser  son  royaume 
personnifié  sous  l'image  d'une  femme;  mais  dans  le  cas 
où  il  ajouterait  à  son  tableau  les  officiers  du  prince , 
les  compagnes  de  cette  femme  allégorique,  les  arbres, 
les  ruisseaux ,  les  villes  ,  etc. ,  tous  ces  traits  particu- 
liers ,  loin  de  nuire  au  sujet  principal ,  ne  feraient  que 
l'embellir ,  et  lui  donner  par  là  même  plus  de  charme 
et  d'intérêt.  5°  Peut-on  dire  avec  tant  d'assurance  qu'au- 
cune autorité  ne  nous  oblige  à  admettre  le  sens  allégori- 


72  DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES. 

que  ,  quand  la  tradition  unanime  des  deux  églises  juive 
et  chrétienne  l'a  admis  elle-même;  d'autant  plus  qu'une 
tradition  de  cette  nature  ne  peut  s'expliquer  que  dans 
la  supposition  où  ce  sentiment  remonte  jusqu'à  l'origine 
même^^du  Cantique?  Ajoutons  que  quoiqu'on  ne  soit 
pas  obligé  d'admettre  toutes  les  allégories  des  Juifs  et 
des  pères,  dans  lesquelles  il  a  y  beaucoup  de  variété , 
il  ne  s'ensuit  pas  qu'on  doive  rejeter  celle  de  l'a- 
mour divin ,  en  faveur  de  laquelle  toutes  les  autorités 
se  réunissent.  C'est  peut-être  encore  trop  légèrement 
que  nos  adversaires  affirment  que  l'Ecriture  ne  dit  rien 
nulle  part  qui  puisse  nous  forcer  de  recourir  à  l'allégo- 
rie ;  car  saint  Paul  dit  formellement  que  (c  toute  l'Ecri- 
ture étant  inspirée  de  Dieu  est  utile  pour  instruire,  pour 
reprendre,  pour  corriger  et  pour  conduire  à  la  justice, 
afin  que  l'homme  de  Dieu  soit  parfait,  et  disposé  à  toute 
sorte  de  bonnes  œuvres  (2ïim.  m,  16,  IT).»  Or,  com- 
ment le  Cantique  des  cantiques ,  qui  du  temps  de  Ta- 
pôtre  faisait  partie  de  l'Écriture  inspirée,  pourrait-il  pro- 
duire aucun  de  ces  effets  s'il  ne  nous  portait  qu'à  un 
amour  charnel?  Ainsi,  d'après  cet  exposé,  il  nous  sem- 
ble beaucoup  plus  probable  que  le  sens  littéral  du  Can- 
tique n'est  ni  Salomon  ni  son  épouse,  mais  Dieu  et  son 
Eglise,  bien  que  l'auteur  ait  emprunté  ses  images  et  ses 
figures  à  l'amour  conjugal ,  le  plus  propre  à  nous  faire 
comprendre  l'amour  divin  qu'il  voulait  exprimer  (1). 

(1)  Piosenmûller,  qui  a  très-bien  défendu  le  sens  allégorique,  pense 
aujourd'hui  que  l'objet  du  Cantique  n'est  point  l'amour  réciproque 
de  Dieu  et  de  son  Église,  mais  la  sagesse,  que  l'auteur  du  livre  a  voulu 
enseigner  et  faire  goûter.  Plusieurs  argumens  du  savant  critique  sont 
assez  spécieux,  mais  dans  l'ensemble  ils  n'offrent  pas  une  preuve 
assez  forte  pour  que  nous  essayons  de  réfuter  son  senliment. 


DU   CAiVTIQLE   DES  CANTIQUES.  73 

ARTICLE    II. 

De  V auteur  du  Cantique  des  cantiques. 

On  peut  regarder  comme  presque  certain  le  senti- 
ment qui  attribue  à  Salomon  la  composition  du  Cantique 
des  cantiques.  D'abord,  la  synagogue  et  l'Eglise  chré- 
tienne n'ont  jamais  élevé  le  plus  léger  doute  sur  ce  point. 
En  second  lieu,  l'inscription  qui  est  en  tête  du  livre  nous 
en  offre  une  nouvelle  preuve.  Quelques  exégètes  ont 
prétendu,  à  la  vérité,  que  la  particule  hébraïque  le  p), 
que  l'on  traduit  par  le  génitif  de  possession ,  ou  le  cas 
d'attribution,  signifiant  aussi  bien  au  sujet  de,  touchant, 
qui  traite  de,  on  ne  pouvait  rien  en  conclure  en  faveur 
de  notre  sentiment;  mais  sans  contester  à  la  particule 
hébraïque  celte  seconde  signification,  nous  soutenons 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  d'en  faire  ici  l'application  ;  car  les 
meilleurs  critiques  s'accordent  à  dire  que  dans  les  titres 
des  livres  cette  préposition  désigne  incontestablement 
les  auteurs.  De  là  vient  que  les  Septante  ont  traduit  :  o 
ii-L  ioÛM'jL';yj ,  et  que  les  interprètes  de  tous  les  temps 
l'ont  entendue  de  la  même  manière.  Troisièmement,  le 
sujet  et  la  forme  du  Cantique  sont  en  harmonie  parfaite 
avec  l'époque  à  laquelle  vivait  Salomon.  Aussi  Jahn  et 
Ewald  ont  été  si  frappés  de  cette  grande  conformité , 
qu'ils  s'en  sont  servis  comme  d'un  argument  pour  prou- 
ver contre  plusieurs  critiques,  que  si  ce  livre  n'est  pas 
sorti  de  la  plume  de  Salomon ,  il  a  du  nécessairement 
être  composé  avant  la  captivité.  Il  y  a  cette  différence 
entre  Jahn  et  Ewald,  que  le  premier  reporte  la  compo- 
sition de  cet  ouvrage  à  la  fin  de  la  monarchie  des  Juifs, 
tandis  que  ce  dernier  la  fait  remonter  jusqu'au  temps 

v.  4 


74  DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES. 

voisin  de  Salomon  (1).  Ce  qui  empêche  la  plupart  de  nos 
critiques  modernes  d'embrasser  le  sentiment  unanime 
de  tous  les  anciens,  c'est  qu'on  lit  dans  le  Cantique  des 
mots  chaldéens ,  et  quelques  termes  nouveaux  qui  ne 
paraissent  avoir  été  en  usage  chez  les  Juifs  que  dans  les 
derniers  temps  de  leur  monarchie.  Nous  ne  cesserons 
de  le  répéter,  nous  défions  nos  adversaires  de  démon- 
trer d'une  manière  certaine,  et  par  des  argumens  fon- 
dés sur  une  critique  rigoureuse,  l'époque  précise  avant 
laquelle  tel  ou  tel  terme  était  absolument  hors  d'usage 
dans  la  langue  des  Hébreux.  Il  est  vrai  que  ces  mots  qu'on 
nous  objecte  ne  se  rencontrent  pas  dans  les  Proverbes. 
Mais  quand  on  ne  pourrait  expliquer  entièrement  ce 
phénomène,  quand  on  accorderait  même  que  ces  mots 
sont  d'un  écrivain  postérieur  à  Salomon ,  s'ensuivrait- 
il  nécessairement  que  le  fond  du  livre  n'est  pas  l'ouvrage 
de  ce  prince,  surtout  quand  le  sentiment  contraire  nous 
est  attesté  par  une  tradition  unanime,  universelle,  dont 
l'origine  se  perd  dans  l'antiquité,  et  que  cette  tradition, 
déjà  si  imposante  en  elle-même,  se  trouve  confirmée  par 
les  principaux  caractères  intrinsèques  du  livre  ?  Ainsi, 
les  raisons  qu'on  allègue  pour  enlever  à  Salomon  le  Can- 
tique des  cantiques  ne  sont  ni  assez  fortes,  ni  même 
assez  spécieuses  pour  nous  faire  abandonner  un  senti- 
ment qui  a  été  universellement  reçu  jusque  dans  ces 
derniers  temps. 

(1)  Jahn,  Inmduclio,  §  208.  Ewald,  Das  Holied  Salom.  S*  23  //'• 


DU   CANTIQUE   DES  CANTIQUES.  75 

ARTICLE   III. 

De  la  divinité  du  Cantique  des  cantiques. 

Théodore  de  Mopsueste  a  contesté  l'autorité  divine  du 
Cantique  des  cantiques  ;  les  anabaptistes  sont  allés  plus 
loin  encore  :  ils  l'ont  rejeté  comme  un  livre  obscène  ;  et 
Grotius  et  Voltaire,  marchant  sur  leurs  traces,  ont  pré- 
tendu y  trouver  les  sens  les  plus  révoltans.  A  ces  erreurs 
et  à  ces  impiétés,  nous  opposons  comme  une  vérité  de  foi 
l'énoncé  de  la  proposition  suivante . 

PROPOSITION. 

Le  Cantique  des  cantiques  est  un  livre  divin. 

Cette  vérité  est  appuyée  sur  des  preuves  tant  directes 
qu'indirectes.  Ce  que  nous  avons  dit  à  l'article  i,  en  par- 
lant de  l'objet  même  du  Cantique,  nous  dispense  d'entrer 
ici  dans  de  longs  détails  ;  nous  nous  bornerons  donc  à 
quelques  considérations. 

1 .  Les  Juifs  de  tous  les  temps  et  de  toutes  les  sectes  , 
toutes  les  églises  chrétiennes,  soit  catholiques,  soit  pro 
testantes,  tous  les  pères  et  tous  les  commentateurs,  re- 
çoivent unanimement  cet  ouvrage  comme  divinement  in- 
spiré. Les  Juifs  ont  suffisamment  prouvé  leur  foi  sur  ce 
point,  en  l'insérant  dans  le  recueil  des  Écritures  cano- 
niques de  l'Ancien-Testament  ;  les  chrétiens  n'ont  pas 
donné  une  preuve  moins  évidente  de  la  leur,  en  le  pla- 
çant aussi  dans  leur  canon  sacré,  et  en  frappant  Théo- 
dore de  Mopsueste  d'anathème,  dans  le  second  concile 
de  Constantinople. 


76  DU  CANTIQUE   DES   CANTIQUES. 

2.  Le  Cantique  étant,  comme  nous  l'avons  montré  à 
l'article  i,  une  pure  allégorie,  il  n'y  a  rien  qui  soit  in- 
digne de  l'inspiration  divine.  Ajoutons  que  l'objet  uni- 
que de  ce  livre  étant  l'amour  réciproque  de  Dieu  et  de 
son  Église,  objet  le  plus  noble  et  le  plus  sublime,  l'Esprit 
saint  a  certainement  pu  favoriser  l'auteur  de  son  divin 
secours  .Quant  aux  obscénités  qu'on  a  prétendu  y  décou- 
vrir, elles  n'y  sont  réellement  point;  et  ce  n'est  qu'à  l'aide 
de  fausses  explications  qu'on  peut  les  y  trouver.  Il  est 
vrai  que  Salomon  décrit  les  parties  du  corps  de  l'épouse; 
mais,  pour  se  convaincre  qu'il  ne  l'a  point  fait  de  ma- 
nière à  violer  les  lois  de  la  décence,  il  suffit  de  remar- 
quer, l"»  que  la  simplicité  du  langage  est  toujours  en  pro- 
portion avec  la  simplicité  des  mœurs,  et  que  par  consé- 
quent un  peuple  simple  parle  simplement  et  sans  détour. 
Ainsi  le  peuple  hébreu,  qui  était  incontestablement  dans 
cet  état  de  simplicité  naturelle,  ne  s'offensait  nullement 
de  certaines  descriptions  qui  frappent  et  blessent  né- 
cessairement notre  imagination  corrompue;  2*"  que, 
dans  l'Orient,  les  hommes ,  ne  vivant  jamais  avec  les  fem- 
mes, s'expriment  très-librement  entre  eux,  et  ne  con- 
naissent point  cette  réserve  que  nécessite,  chez  les  Oc- 
cidentaux, le  mélange  des  deux  sexes.  Cette  observation 
est  aussi  applicable  aux  femmes,  qui ,  de  leur  côté,  ne 
sont  pas  moins  libres  entre  elles.  De  même  que  dans  ces 
climats  la  nudité  presque  entière  ne  choque  point  les 
yeux  ;  de  môme  aussi  la  plus  grande  liberté  dans  les  ex- 
pressions n'offense  nullement  les  oreilles  ;  S''  que  les  des- 
criptions qui  nous  paraissent  trop  libres  ne  sont  pas 
mises  dans  la  bouche  de  personnes  étrangères,  mais  dans 
celle  de  l'époux  et  de  l'épouse  ou  de  ses  compagnes, 
ce  qui  fait  que  le  décorum  est  observé  ;  i°  enfin ,  que 


^  DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES.  77 

comme  les  personnages  réels  du  Cantique  sont  Dieu 
et  son  Église,  cette  description  des  parties  du  corps  de- 
venait nécessaire  pour  exprimer  les  qualités  ineffables  de 
ces  divins  époux. 

ARTICLE   IV. 

De  la  forme  et  de  Vélocution  du  Cantique  des  cantiques. 

1.  Quelques  interprètes  prétendent  que  le  Cantique 
des  cantiques  est  un  drame  parfait,  c'est-à-dire  un 
poème  où  se  trouve  une  action  unique,  complète,  d'une 
étendue  convenable,  dans  laquelle  les  incidens  naissent 
les  uns  des  autres,  et  qui,  par  une  suite  d'événemens  va- 
riés, parvient  à  un  dénouement.  Mais,  comme  l'observe 
judicieusement  Lowth,  rien  de  semblable  ne  se  trouve 
dans  le  Cantique  des  cantiques  :  «  Depuis  le  commence- 
men  t  j  usqu'à  la  fin ,  l'état  des  choses  reste  con&tamment  le 
même;  il  n'y  a  que  les  sentimens  des  personnages  qui 
varient,  et  cette  variation  consiste  principalement  en  ce 
qu'ils  languissent  s'ils  sont  éloignés  l'un  de  l'autre ,  et 
qu'ils  se  livrent  à  une  joie  réciproque  quand  ils  sont 
réunis  (m,  v).  L'épouse,  lorsque  son  époux  est  absent, 
le  regrette,  le  cherche,  le  retrouve,  l'embrasse,  et  le  con- 
duit dans  sa  demeure.  L'époux  s'éloigne  de  nouveau; 
elle  le  poursuit  encore,  mais  inutilement  ;  elle  s'afflige, 
tombe  dans  la  langueur,  charge  ses  compagnes  de  mes- 
sages pour  lui,  et  trace  une  peinture  détaillée  et  bril- 
lante de  sa  beauté.  Il  n'est  rien  en  tout  cela  qui  carac- 
térise une  véritable  action.. .  Nous  pouvons  donc  mettre 
en  fait,  sans  aucune  crainte,  que  le  Cantique  de  Salomon 
appartient  seulement  à  cette  espèce  de  poésie  qui  n'a  de 


78  DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES. 

dramatique  que  la  forme,  et  qui  ne  peut  jamais  obtenir 
le  titre  de  drame  proprement  dit  (1).  » 

2.  Quoi  qu'il  en  soit  de  la  forme  et  de  l'économie  de 
ce  cantique,  envisagé  sous  le  rapport  de  la  poésie  en  gé- 
néral, il  nous  offre  un  modèle  achevé  de  beauté,  de  grâce 
et  de  délicatesse.  Huet  pense  qu'il  a  été  préservé  du  sort 
qui  a  fait  périr  tous  les  autres  cantiques  de  Salomon, 
soit  parce  qu'il  exprime  l'amour  de  Dieu  pour  le  peuple 
juif,  et  celui  de  Jésus-Christ  pour  son  Église;  soit  à 
cause  de  l'élégance  inimitable  de  ce  poème,  qui  surpasse 
de  beaucoup  ceux  de  Théocriteetde  Catulle  ;  car,  dit  ce 
savant  critique,  si  on  excepte  quelques  comparaisons  un 
peu  trop  gigantesques  pour  nous,  qui  n'avons  pas  toute 
l'exaltation  des  Orientaux ,  il  est  plein  de  grâces  et  de 
beautés  si  fraîches,  de  mouvemens  si  tendres  et  si  pathé- 
tiques, d'images  si  vives  et  si  gracieuses  ;  il  y  a  de  plus 
un  si  juste  accord  entre  les  différens  personnages  et  les 
discours  qu'on  leur  prête,  que  c'est  à  juste  titre  qu'il  est 
nommé  par  les  Juifs  le  plus  beau ,  le  plus  parfait  des 
cantiques,  en  un  mot,  le  Cantique  des  cantiques. 
Lowth ,  après  avoir  développé  la  nature  et  la  forme  de 
cette  belle  composition,  ajoute  :  «  Ce  poème  brille  des 
couleurs  les  plus  propres  à  lui  donner  une  extrême  élé- 
gance, et  se  distingue  surtout  par  la  variété  et  le  choix 
exquis  des  images.»  Terminons  cet  article  par  le  ta- 
bleau ravissant  que  Bossuet  en  a  tracé  :  «  Tout  ce  can- 

(1)  Lowtli,  De  la  poésie  sacrée  des  Hébreux ,  Leçon  xxx.  Voyez  eq^ 
core  un  peu  plus  haut  (pag.  65)  ce  que  nous  avons  dit  de  l'opinion 
des  critiques  qui  prétendent  que  le  Cantique  n'est  qu'une  collectioq 
de  poèmes  différens,  et  du  sentiment  de  Bossuet,  qui  le  divise  en  sept 
parties  correspondantes  aux  sept  jours  de  solennité  qui  s'observaient 
dans  les  noces  des  Hébreux. 


DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES.  79 

tique  abonde  en  objets  délicieux;  partout  l'œil  n'aperçoit 
que  des  fleurs,  des  fruits,  une  profusion  de  plantes  les 
plus  agréables  ;  le  charme  du  printemps,  des  campagnes 
fertiles,  des  jardins  frais  et  fleuris,  des  eaux,  des  puits, 
des  fontaines  ;  l'odorat  est  frappé  des  plus  douces  odeurs 
que  l'art  a  préparées  ou  qui  sont  l'ouvrage  de  la  nature  ; 
nous  y  voyons  des  colombes,  de  plaintives  tourterelles , 
du  miel,  du  lait,  des  flots  d'un  vin  exquis  ;  enfin,  dans  les 
deux  sexes,  nous  n'admirons  que  grâces,  qu'éclat,  que 
beauté,  que  chastes  embrassemens,  qu'amours  aussi  doux 
que  pudiques.  Si  quelques  objets  terribles,  tels  que  des 
rochers,  des  montagnes  sauvages,  le  repaire  d'un  lion,  y 
frappent  notre  vue,  c'est  pour  accroître  encore,  parle 
contraste  et  la  variété,  le  charme  du  tableau  le  plus  gra- 
cieux (1).)) 

ARTICLE  V. 

Des  commentaires  du  Cantique  des  cantiques. 

l.Le  nombre  des  pères,  des  écrivains  ecclésiastiques 
et  des  interprètes  modernes  catholiques  qui  ont  écrit  sur 
ce  livre,  est  infini  ;  nous  nous  bornerons  à  citer  les  sui- 
vans.Nous  avons  deux  homélies  d'Origène,  qui  s' éten- 
dent depuis  le  chapitre  i,l,  jusqu'au  chapitre  II,  li;  elles 
ont  été  traduites  en  latin  par  saint  Jérôme,  et  se  trouvent 
dans  les  œuvres  de  ces  deux  pères.  —  Epiphan.  Com- 
mentarius  in  Cant.cantic,  prodiit  nunc  primum  ex 
•antiqua  versione  latina^  opéra  et  studio  P.  Fr.  Fogginii. 
Romœ,  1750,in-V.  — Philonis  Carpathii,  £'«arra/îo  in 

(1)  Huet,  Demomtr.  Prop.  iv.  De  Canlic.  n.  i.  Lowth,  De  la  -poésie 
sacrée  des  Hébreux.  Leçon  xxxi.  Bossuet,  Préf.  du  Cant.  des  cant, 
§iv. 


80  DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES. 

Cant.  cantic.gr.  etlat.,  edidit  M.  A.  Giacomellus.  Ro- 
mœ,  1772,  m-k". — Le  commentaire  de  Théodoret  mérite 
surtout  d'être  consulté. — Saint  Grégoire  de  Nysse  a  com- 
posé quinze  homélies  qui  ne  vont  pas  au-delà  du  chapi- 
tre vi,  8.  — Saint  Grégoire  le  Grand  a  aussi  écrit  sur  le 
Cantique  des  cantiques.  Les  derniers  éditeurs  de  ce  père 
ont  prouvé  l'authenticité  du  commentaire  qui  porte  son 
nom,  et  ont  montré  qu'il  était  fort  différent  de  ce  que  saint 
Patère  et  le  vénérable  Bède  ont  composé  sur  le  même  suj  et, 
et  qui  n'est,  en  grande  partie,  qu'un  extrait  tiré  du  même 
saint  Grégoire. — Saint  Bernard  a  composé  quatre-vingt- 
six  sermons  sur  les  deux  premiers  chapitres  et  le  premier 
verset  du  troisième.  Erasme,  parlant  de  ce  travail  dans 
une  de  ses  lettres,  dit  qu'il  est  supérieur  aux  autres  ou- 
vrages du  saint  docteur;  etBossuet,  dans  sa  préface  du 
Cantique  des  cantiques ,  fait  la  remarque  suivante  : 
«Après  Origène  vient  Philon,  évoque  de  Carpathe,  qui 
vivait  au  iv^  siècle.  Saint  Bernard,  qu'une  onction  toute 
divine  instruisait  des  mystères  renfermés  dans  ce  canti- 
que, recueille  dans  son  commentaire  la  substance  de  ce 
qu'ont  dit  ces  deux  auteurs.  »  —  Aurelii  Cassiodori  in 
Canticum  expositio.  Si  ce  commentaire  est  authentique, 
il  a  été  au  moins  interpolé,  puisqu'au  chapitre  m,  ver- 
set 11,  on  y  trouve  cité  saint  Grégoire  le  Grand.  Il  a  été 
imprimé  dans  le  tome  ii  des  œuvres  de  Cassiodore,  don- 
nées à  Rouen  par  le  P.  Garet,  en  1679,  2  vol.  in-fol. — 
Parmi  les  interprètes  modernes,  nous  citerons  les  sui- 
vans:  Robert  Holcoth,  dominicain  anglais,  mort  en  1349, 
Lecturain  Cant.  canticorum.  Yenetiis,  lo09,  et  Basileœ, 
1586, în-/bL — Les  commentaires  deFrançoisTitelmann, 
accompagnés  seulementde  notes  tirées  des  textes  hébreu, 
chaldéen  et  grec,  ont  paru  à  Anvers  15i7,  à  Paris  1550, 


DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES.  81 

155i,àLyonloo3,in-8^ — G.  Genebrardi  Observationes 
in  Cant.  cantic.  Paris,  1579,  in-i",  et  Cant.  cant.  versi- 
bus  jambicis  et  commentariis  explicatum  adversus  tro^ 
cJiaicam  Theod.  Bezœ  paraphrasin.  Paris,  1585,  in-8°. — 
Maldonat  a  fait  des  scholies  qui  ont  été  imprimées  avec 
son  commentaire  sur  les  grands  prophètes,  Paris,  lGi3, 
in-fol. — Joa.nn\s3LJesu-yi?LnsL,InterpretatioCant. cantic. 
Romœ,  IQOi;  Salmanticœ,  1602;  Moguntiœ,  1603, 1610, 
in-8°.  — J.  de  Pineda,  Prœlectio  sacra  in  Cant.  cantic. 
Hispali,  1602,  in-i°.  —  M.  A.Delrionis  Comment,  qua- 
druplex in  Cant.  cantic.  et  catena  mystica.  Ingolst. 
160+,  in-fol. — M.GhisleriiCan^.  cantic .  Salomonis  juxta 
lectiones  Vulgatam,  Ebrœam,  et  Grœcas ,  tum  Septua- 
ginta,  tum  aliorum  interpr.  Romœ,  1609.  Les  éditions 
de  Venise  1613,  d'Anvers  1614,  de  Paris  1618,  et  de 
Lyon  1620,  ont  été  corrigées  et  augmentées.  — L.  Fro- 
mondi  Commentaria  in  Cant.  canticor.  Lovanii,  1652, 
1657,  in-i°. — En  1717,  a  paru  à  Paris  sous  le  voile  de 
l'anonyme,  une  explication  en  vers  français  du  Cantique 
des  cantiques,  appliquée  à  la  sainte  Vierge.  Cette  expli- 
cation, suivie  d^  notes  et  de  passages  tirés  des  saints  pè- 
res ,  forme  un  volume  in-8'',  dans  lequel  les  âmes  pieu- 
ses trouveront  les  sentimens  les  plus  tendres  envers 
JÉSUS  et  sa  sainte  Mère. — Enfin,  M.  A.  Guillemin,  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut  (page  Sk-),  a  publié  :  Le 
Cantique  des  cantiques  ,  en  vers  français,  d'après  V hé- 
breu, avec  le  texte  de  la  Vulgate  annoté,  et  l'interpréta- 
tion conforme  aux  monumens  de  l'orthodoxie  [le  texte 
original  à  la  fin  avec  des  notes  philologiques),  Paris, 
grand  in-S\  L'auteur  a  fait  précéder  sa  traduction  d'une 
Préparation  à  la  lecture  du  Cantique  des  cantiques,  pré- 
paration dans  laquelle  il  prouve  que  V amour  chaste  y 


82  DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES. 

est  chanté  chastement ,  et  d*une  vue  générale  du  Canti- 
que des  cantiques ,  où  il  soutient  que  cette  divine  compo- 
sition est  purement  allégorique.  Chaque  chapitre  ou 
chant  est  suivi  d'une  interprétation  méditée,  empruntée 
pour  le  fond  aux  pères  de  l'Église  et  aux  interprètes. 
Viennent  ensuite  V Intention  finale  de  toutes  les  paraboles 
du  Cantique  des  cantiques^  et  des  notes  philologiques,  dont 
le  but  principal  est  de  montrer  que  l'auteur  du  Canti- 
que des  cantiques  est  Salomon,  et  que  les  poèmes  regar- 
dés comme  allégoriques  et  mystiques  dans  les  littératures 
arabe,  persane  et  turque,  n'ont  rien  de  commun  avec  ce 
divin  poème  des  Hébreux.  Nous  terminerons  en  disant 
que  M.  Guillemin  a  traduit  le  texte  sacré  de  la  manière 
la  plus  chaste,  et  que  pour  éprouver  des  sentimens  con- 
traires il  faudrait  apporter  à  la  lecture  de  son  ouvrage 
un  cœur  déjà  corrompu. 

2.  Les  protestans  ont  aussi  beaucoup  écrit  sur  le  Can- 
tique des  cantiques;  nous  nous  bornerons  à  nommer  les 
suivans  :  Th.  Jamesii  Expositio  libri  Canticorum  ex 
patribus,  Oxonii,  1607,  in-4°.—  Jacq.Durham,  Anglais 
d'York  et  calviniste,  a  fait  une  exposition  en  anglais , 
imprimée  d'abord  à  Edinbourg  en  1668,  puis  à  Londres 
en  1669,  et  traduite  en  flamand  et  publiée  à  Utrecht  en 
1681,  in-4.o. — P.  Schutten  ,  Commentarius  in  Cant. 
cantic.  etc.  Lips.  1678,  in-4°.  —  C.Mariœ  de  Veil  Ex- 
plie,  literalis  Cant.  cantic.  ex  ipsis Scripturarum  fonti- 
busy  Hebrœorum  ritibus  et  idiomatis,  veterum  et  recen- 
tiorum  monumentis  eruta.  Londini,  1679,  in-k'^. — Fr. 
Wokenii  Commentatio  in  Cant.  cantic.  Viteberg.  1792, 
in-4-°.  —  J.  G.  Velthusen  a  publié  Catena  Cantilenarum 
in  Salomonemy  etc.  Helmstadii,  1786,  in-8° .  Cet  auteur 
a  publié  deux  autres  ouvrages  en  allemand  sur  le  même 


DU  CANTIQUE  DES  CANTIQUES.  83 

sujet,  Braunschweig,  1786,in-8°.  —  Enfin,  nous  citerons 
encore  les  commentaires  allemands  de  F.  W.  G.  Um- 
breit,Gœttingue,1820,  etHeidelberg,1828,in-8°;  édition 
augmentée  et  corrigée;  deG.Ph.  Ch.  Kaiser,  Erlangen, 
1825;  in*8°;  de  G.  H.  A.  Ewald,  Gœttingue,  1826,  in-S"; 
de  J.  Ch.  C.  Dœpke,  Leipzig,  1829,  in-8°;  et  nous  dirons 
en  terminant,  qu'à  quelques  passages  près,  les  scholies 
de  Rosenmtiller  nous  offrent  d'excellentes  explications 
philologiques  ;  seulement,  notre  critique  pense  que  l'au- 
teur du  Cantique  des  cantiques  était  contemporain  de 
l'auteur  de  l'Ecclésiaste  ;  or,  il  place  ce  dernier  entre 
Néhémie  et  Alexandre  le  Grand. 

3 .  Nous  citerons  parmi  les  commentaires  juifs  ceux  de 
Sal.Alkabets,  Venise,  1552,  in-i°;  d'Abr.  Tamach,  qui 
a  paru  avec  le  texte  sacré  à  Sabionetta,  1558,  et  à  Pra- 
gue, 1611,  in-12;  de  Sam.  Aripol,  Saphet,  1579,  in-i"; 
de  Moïse  Alschech,  Venise,  1591  et  1603,  in-4°;  d'Abr. 
Ben  Isaac  Laniado,  Venise, 1619,  in-^°;  ce  dernier  com- 
mentaire ,  outre  le  texte  biblique  ponctué  qu'il  offre 
comme  les  précédens,  contient  de  plus  Raschi,  le  Tar- 
gum  et  une  traduction  espagnole  en  caractères  hébreux  ; 
de  M.  Ben  Nachmann,  Altona  et  Berlin,  1764,  in-4°.  En- 
fin, nous  citerons  encore  la  traduction  allemande  de  M. 
Mendelssohn,  avec  des  remarques  par  A.  Wolfssohn  et 
Joël  Bril.  1771,  le  tout  en  lettres  hébraïques;  et  Salo- 
mo's  hohes  Lied  fiir  die  Judischdeiitsche Nation  ilbersetzt 
und  mit  einigen  erlœuternden  Amnerkungen  verfehen 
von  M.  Mendelssohn,  und  die  hebrϕschen  Lettern  in 
deutsche  ilbergetragen  von  Israël  Abr.  Brakel.  Braun- 
schweig, 1789,  in-8°. 


84  DU  LIVRE   DE  LA  SAGESSE. 

CHAPITRE  CINQUIÈME. 

DU   LIVRE  DE   LA  SAGESSE. 

La  Sagesse  est  un  des  livres  deutéro-canoniques  de 
l'Ancien-Testament.  «L'usage  de  l'Église,  dit  D.  Cal- 
met,  a  toujours  donné  aux  livres  attribués  à  Salomon 
le  titre  de  Livres  sapientiaux.  Les  pères  les  citent  assez 
souvent  sous  le  nom  général  de  Sagesse  de  Salomon^  et 
dans  le  langage  ecclésiastique,  le  livre  de  la  Sagesse 
comprend  non  seulement  tous  les  vrais  ouvrages  de  ce 
prince,  mais  aussi  l'Ecclésiastique,  et  celui  que  nous  al- 
lons expliquer,  qui,  par  un  privilège  particulier,  a  été 
nommé  par  excellence  le  livre  de  la  Sagesse Quel- 
ques anciens  le  citent  aussi  sous  le  nom  de  Panaretos, 
c'est-à-dire  trésor  de  toute  vertu,  ou  ramas  de  toutes 
sortes  d'instructions  qui  conduisent  à  la  vertu.  Et  c'est 
dans  ce  sens  que  l'on  doit  prendre  ici  le  nom  de  sagesse, 
comme  synonyme  à  la  religion,  à  la  piété,  à  la  crainte  de 
Dieu,  à  la  justice  (1).» 

ARTICLE  I. 

Du  texte  original  et  des  versions  du  livre  de  la  Sagesse. 

1.  Saint  Jérôme  et  après  lui  tous  les  meilleurs  criti- 
ques de  ces  derniers  temps  pensent  que  le  livre  de  la 
Sagesse  a  été  écrit  originairement  en  grec.  Voici  les 
motifs  sur  lesquels  ils  s'appuyent  :  1"  Si  le  livre  de  la  Sa- 
gesse avait  été  composé  en  hébreu,  il  y  aurait  certai- 

(1)  D.  Calmet,  Préface  sur  le  livre  de  laSanesse. 


DU   LIVRE   DE  LA  SAGESSE.  85 

nement  quelques  phrases  ou  quelques  mots  dans  la  tra- 
duction qui  nous  le  ferait  connaître  ;  car  il  est  presque 
impossible  qu'une  version  grecque  d'un  livre  hébreu  ne 
décèle  pas  par  quelque  endroit  son  original,  ces  deux 
langues  étant  d'une  nature  si  différente.  Or,  il  n'y  a  rien 
dans  le  grec  de  la  Sagesse  qui  puisse  autoriser  à  con- 
clure que  l'hébreu  en  est  le  texte  primitif.  En  effet,  le 
tour  de  la  phrase  est  entièrement  grec  ;  les  hébraïsmes, 
qui  ne  s'y  rencontrent  d'ailleurs  que  très-rarement, 
sont  tels  qu'on  devait  les  attendre  d'un  juif  helléniste. 
2°  «  TS^on  seulement,  ditBossuet,  ce  livre  respire  l'élo- 
quence grecque ,  comme  le  remarquait  saint  Jérôme, 
mais  il  est  écrit  dans  un  certain  goût  sophistique,  sage 
néanmoins  et  savant,  tel  qu'il  était  en  vogue  dans  tout 
l'Orient  et  surtout  à  Alexandrie  sous  l'empire  des  rois 
macédoniens.  11  a  plu  à  Dieu  que  ce  style,  quoique 
prodigieusement  éloigné  du  style  noble  et  simple  des 
livres  hébreux,  fût  pourtant  employé,  et  par  là  consa- 
cré à  la  composition  de  ses  divins  oracles.  C'est  ainsi  que 
la  sagesse  divine  a  voulu  se  mettre  à  la  portée  de  tous 
les  hommes,  et  s'accommoder  à  la  façon  de  penser  et 
au  goût  des  différens  âges  du  monde.  Le  second  livre 
des  Machabées  fournit  aussi  la  preuve  de  ce  que  je  dis 
ici  (1) .  »  De  plus,  il  y  a  beaucoup  de  jeux  de  mots  qu'un 
traducteur  n'eût  pas  pris  la  peine  de  conserver,  et  qui 
supposent  évidemment  que  l'écrivain  qui  les  fait  a 
écrit  dans  la  langue  grecque,  dans  laquelle  seule  ils 
peuvent  exister.  Faber,  à  la  vérité,  a  voulu  montrer  qu'ils 
se  trouvaient  aussi  dans  l'hébreu  ou  dans  le  chaldéen, 

(1)  Cossuet,  Préface  sur  le  livre  de  la  Sagesse.  §  i.  (rad.  de  M.  Le 
Roi. 


86  DU  LIVRE  DE  LA   SAGESSE. 

îBais  les  étymologies  auxquelles  il  a  recours  pour  sou- 
tenir son  paradoxe  sont  si  faiblement  établies  et  si  for- 
cées qu'on  ne  doit  pas  s'y  arrêter  (1).  Enfin,  ce  livre 
contient  un  certain  nombre  de  mots  qui  supposent  des 
idées  inconnues  dans  l'idiome  hébreu,  et  qui  viennent 
de  la  philosophie  ou  même  de  la  mythologie  des  Grecs; 
tels  sont  par  exemple  c-w^oocr-jv/j  tempéraiice  ;  mlvv^pM- 
TZQç  philantrope ;  àii^.poala.  ambroisie.  3°  Si  le  grec  que 
nous  avons  était  la  traduction  d'un  ouvrage  hébreu,  le 
traducteur  aurait  nécessairement  conservé  le  génie,  la 
méthode  et  la  marche  des  auteurs  hébreux,  si  opposés 
à  l'éloquence  et  à  la  sophistique  grecque.  Son  style  ne 
serait  ni  si  nombreux,  ni  si  abondant  en  épithètes;  en 
un  mot,  son  style  ne  serait  pas  si  conforme  au  goût  des 
rhéteurs  et  des  sophistes  grecs  ,  mais  il  se  rapproche- 
rait de  celui  qui  règne  dans  les  versions  de  l'Ecclésias- 
tique, ou  du  premier  livre  des  Machabées.  V  Ce  qui 
prouve  encore  que  la  Sagesse  n'a  point  été  écrite  primi- 
tivement en  hébreu,  c'est  que  l'auteur  cite  l'Écriture 
sainte  selon  les  Septante  et  nullement  selon  le  texte 
hébreu  (2).  5°  Enfin,  jamais  aucun  ancien  écrivain  n'a 

(1)  Voy.  Jahn,  Einleilung.  §  253.  ^\c\i\iOTXiy  Einleit.  in  die  apokr. 
Bilcher,  Seit.  197-199.  Hasse,  Ueberseizimg  der  fVeisheit,Seit.2Z8- 
(2)  Le  P.  Houbigant  {Prolerjom.  ad  libr.  Sap.)  convient  que  dans 
les  dix  derniers  chapitres,  l'Ecriture  est  citée  d'après  les  Septante, 
mais  qu'il  en  est  tout  autrement  dans  les  neuf  premiers.  Cependant, 
quoi  qu'en  dise  le  savant  critique,  ne  senible-t-il  pas  évident  que  les 
mots  Dressons  des  embûches  au  juste,  parce  qu'il  nous  est  à  charge 
(il,  12),  mots  empruntés  d'Isaïe  (m,  12),  sont  cités  d'après  la  ver- 
sion des  Septante,  qui  porte  :  Lions  le  juste,  parce  qu'il  nous  est  à 
charge,  et  non  point  d'après  le  texte  hébreu,  où  on  lit  à  la  lettre  : 
Dites  au  juste  que  {tout  va)  bien? 


DU   LIVRE   DE   LA   SAGESSE.  87 

dit  qu'il  avait  vu  ou  connu  ce  livre  en  hébreu;  le  tra- 
ducteur lui-même  n'en  dit  rien.  Il  était  entièrement  in- 
connu en  cette  langue  à  Joseph,  à  Philon,  à  Origène,  à 
saint  Jérôme  (1). 

2.  La  version  latine  que  nous  avons  de  la  Sagesse  est 
l'ancienne  Vulgate,  faite  dès  les  premiers  siècles  de  l'É- 
glise sur  le  grec,  qu'elle  suit  littéralement.  Il  y  a  un 
grand  nombre  de  variantes  dans  les  exemplaires  grecs  ; 
mais  il  y  en  a  beaucoup  plus  encore  dans  les  Bibles  la- 
tines. La  traduction  arabe  qui  se  lit  dans  la  Polyglotte 
de  Londres  suit  aussi  le  texte  grec  avec  une  grande  fi- 
délité. On  ignore  à  quelle  époque  remonte  son  origine. 
La  version  syriaque,  imprimée  dans  la  même  polyglotte, 
rend  plus  fidèlement  le  sens  du  grec  au  commencement 
qu'à  la  fin.  Quant  aux  leçons  de  cette  version  que  Fa- 
ber  dérive  du  chaldéen,  les  unes  proviennent  unique- 
ment de  la  négligence  des  copistes  et  des  imprimeurs, 
les  autres  ne  sont  que  de  simples  paraphrases,  d'autres 
enfin  s'expliquent  plus  facilement  par  le  grec  lui- 
même  (2). 

ARTICLE  II. 

Du  sujet  et  de  l'auteur  du  livre  de  la  Sagesse. 

1 .  Dans  ce  livre,  composé  de  dix-neuf  chapitres,  et  que 
les  uns  divisent  d'une  manière,  les  autres  d'une  autre, 
l'auteur  se  propose  pour  fin  principale  l'instruction  des 
rois,  des  grands  et  des  juges  de  la  terre.  Les  neuf  pre- 

(1)  Hieron.  Ep.  ad  Paulin.  Prolog.  Galeat.  et  Prœf.  in  libr.  Sa- 
lom.  «  Apud  Hebraeos  nusquam  est,  quin  et  ipse  stylus  graecam  elo- 
quenliam  redolet.  » 

(2)  Yoy.  Jahn,  Einleitung,  et  Introd.  §  255. 


\ 


88  DU  LIVRE   DE   LA   SAGESSE. 

miers  chapitres  sont  consacrés  à  l'éloge  de  la  sagesse. 
L'écrivain  sacré  décrit  donc  cette  vertu  par  les  heureux 
effets  qu'elle  produit  ;  et  pour  mieux  persuader  ses  lec- 
teurs, il  retrace  le  tableau  des  suites  funestes  delà  folie. 
Ainsi  la  sagesse  console  et  procure  le  bonheur  en  ce 
monde  ;  ou  s'il  arrive  au  sage  quelque  calamité,  elle  lui 
donne  plus  tard  une  vie  immortelle.  La  folie,  au  con- 
traire, n'offre  que  malheur  ici  bas,  et  prépare  pour 
l'autre  vie  des  tourmens  éternels  (i-vi).Ici  l'auteur,  em- 
pruntant le  rôle  de  Salomon,  propose  pour  exemple  ce 
prince  même,  au  nom  duquel  il  parle,  et  il  expose  les 
moyens  par  lesquels  on  peut  acquérir  la  sagesse.  Au 
chapitre  ix  commence  une  espèce  de  paraphrase  de  la 
prière  que  Salomon  fit  au  Seigneur  au  commencement 
de  son  règne,  pour  lui  demander  la  sagesse  (3  Reg.iii, 
6  et  seq.)  ;  cette  prière  est  continuée  jusqu'à  la  fin  du 
livre.  Depuis  le  chapitre  x  jusqu'au  xix  inclusivement, 
l'auteur  s'attache  à  prouver  par  des  exemples  tirés  de 
l'histoire  sainte  que  ceux  qui  pratiquent  la  sagesse  sont 
heureux,  tandis  que  ceux  qui  s'en  écartent  et  surtout  les 
idolâtres  éprouvent  les  effets  terribles  de  la  justice  de 
Dieu.  Ces  exemples  sont  d'un  côté  Adam,  Noé,  Abra- 
ham, Lot,  Jacob,  Joseph,  le  peuple  hébreu  en  Egypte 
et  dans  le  désert;  de  l'autre.  Gain,  les  Égyptiens  et  les 
Chananéens. 

2.  Les  sentimens  ne  sont  pas  moins  partagés  sur 
l'auteur  de  la  Sagesse  que  sur  la  manière  de  diviser  ce 
livre.  Plusieurs  pères  et  un  grand  nombre  d'interprètes 
ont  attribué  ce  livre  à  Salomon  ;  quelques  anciens  ont 
pensé  qu'il  était  l'ouvrage  de  Philon  ;  Grotius  croit  qu'il 
est  d'un  Juif  qui  l'a  composé  en  hébreu  depuis  Esdras 
et  avant  le  pontificat  du  grand  prêtre  Simon  ;  Corneille 


DU   LIVRE   DE   LA   SAGESSE.  89 

Lapierre  soutient  de  son  côté  qu'il  a  été  écrit  primitive- 
ment en  grec  par  un  auteur,  depuis  le  retour  de  la  cap- 
tivité de  Babylone  et  vers  le  temps  de  Ptolémée  Philadel- 
plie  ;  Faber  se  déclare  pour  Zorobabel  ;  enfin  quelques 
critiques  admettent  plusieurs  auteurs  (1). 

Aucune  de  ces  opinions  ne  nous  a  paru  solidement 
fondée.  Et  d'abord  celle  qui  attribue  la  Sagesse  à  Salo- 
mon  ne  pourrait  se  soutenir,  en  supposant  qu'on  pût 
l'établir  d'ailleurs,  qu'autant  qu'on  démontrerait  que  ce 
livre  a  été  originairement  écrit  en  hébreu.  Or,  il  est 
beaucoup  plus  probable  au  contraire  qu'il  a  été  com- 
posé en  grec;  nous  croyons  l'avoir  prouvé  dans  l'article 
précédent.  Le  titre  grec,  il  est  vrai,  porte  à  la  lettre  la 
Sagesse  de  Salomon  ;  mais,  ou  il  faut  l'entendre  dans  le 
sens  d'un  recueil  de  maximes  et  de  sentences  dans  le 
goût  de  celles  de  Salomon,  ou  bien  dire  avec  saint  Jé- 
rôme que  ce  livre  est  faussement  appelé  de  ce  nom,  et 
avec  saint  Augustin,  que  s'il  est  ainsi  nommé,  c'est  uni- 
quement parce  que  l'élocution  de  son  auteur  a  quel- 
que ressemblance  avec  celle  de  Salomon;  vu  que  les 
hommes  les  plus  instruits  [doctiores]  croyent  ferme- 
ment qu'il  n'est  pas  l'ouvrage  de  ce  prince  (2).  Il  est 

(l)Tertull.  De  Prœscript. c.y\\.Cy\>n^n.  DeTesiimon.  l.  m,  c.  xv. 
Lvii,  LVHi.  Ambr.  libro  de  Paradiso,c.  Yii.  HilâT.  in  Psalm.  cxxvii. 
Sixl.  Sen.  Bibliolli.  l.  viii,  hœres.  ix.  Salmero,  t.  i,  prolegom.  viii* 
Grolius,  Cornel.  à  Lapide,  Prcefat.  in  libr.  Sap.  Faber,  Prolus.  super 
libro  Sap.  Scct.  v.  Houbigant,  Prolegom.  ad  libr.  Sap.  et  Ecclesiaslici. 
Berlholdt,  Einleilung,  ^  530. 

(2)  Hieron.  Prolog.  Galeat.  Aug.  De  Civil.  L  xvii,  c.  xx.  Il  faut 
bien  qu'on  ait  reconnu  la  fausseté  de  ce  titre,  puisque  l'édition  de 
notre  Yulgate  revêtue  de  l'autorité  de  Sixte  V  et  de  Clément  VIII  l'a 
abandonné  pour  y  substituer  simplement  ces  deux  mots  ;  Liber 
Sapientice. 


90  DU    LIVRE   DE   LA  SAGESSE. 

vrai  encore  que  c'est  Salomon  qui  parle  dans  la  Sagesse. 
Mais  l'auteur  peut  faire  parler  ce  prince  de  deux  ma- 
nières, ou  comme  auteur  de  ce  qu'il  lui  fait  dire,  ou 
comme  un  personnage  qu'il  introduit  pour  nous  in- 
struire; c'est-à-dire  que,  dans  notre  opinion,  Salomon 
parle  ici  ou  proprement  ou  par  prosopopée.  Or,  ces 
hypothèses  n'ont  rien  d'impossible  ni  même  d'invrai- 
semblable. Et  d'abord  n'est-il  pas  possible  que  les  deux 
ou  trois  chapitres  dans  lesquels  l'auteur  fait  parler  Sa- 
lomon contiennent  réellement  les  paroles  ou  au  moins 
le  fond  des  pensées  de  ce  prince?  Ne  sait-on  pas  que 
Salomon  avait  composé  beaucoup  d'ouvrages,  qui  ne 
sont  point  parvenus  jusqu'à  nous?  Et  qui  pourrait  af- 
firmer que  l'auteur  de  la  Sagesse  n'a  pas  connu  et  cité 
quelqu'un  de  ces  écrits  ?  En  second  lieu,  il  est  évident 
que  la  prosopopée  n'a  jamais  été  interdite  aux  écrivains 
sacrés.  «L'Esprit  de  Dieu,  remarque  judicieusement 
Rondet,  l'Esprit  de  Dieu,  qui  a  voulu  que  les  instruc- 
tions contenues  dans  les  livres  des  Proverbes  etdel'Ec- 
clésiaste  nous  fussent  données  par  le  plus  sage  des  rois, 
a  bien  pu  vouloir  que  celles  qui  sont  renfermées  dans 
le  livre  de  la  Sagesse  nous  fussent  données  au  nom  de 
ce  même  prince.  »  Seulement,  pour  éviter  toute  erreur 
quand  le  livre  a  été  publié,  on  a  dû  nécessairement 
avoir  des  indices  sûrs  que  Salomon  n'y  parlait  qu'en 
prosopopée.  Or,  il  a  été  très-facile  de  reconnaître  que 
c'était  uniquement  ainsi  que  ce  prince  y  figurait  ;  car  un 
livre  composé  en  grec,  comme  l'est  incontestablement 
laSagesse,esttoutnaturellementregardé  comme  n'ayant 
pu  sortir  de  la  plume  d'un  écrivain  hébreu.  Au  premier 
coup  d'oeil,  dit  encore  Rondet,  on  aperçoit  qu'un  Grec 
qui  parle  au  nom  d'un  Hébreu  est  un  homme  qui,  par 


DU   LIVRE   DE   LA  SAGESSE.  91 

prosopopée,  emprunte  le  nom  et  le  personnage  d'un  Hé- 
breu (1  ).  Enfin,  ce  qui  empêche  encore  d'attribuer  la  Sa- 
gesse à  Salomon,  c'est,  indépendamment  du  style,  l'em- 
preinte frappante  d'un  temps  plus  moderne  que  ce  livre. 
Quant  aux  critiques  qui  regardent  Philon  comme  l'au- 
teur de  la  Sagesse,  ils  ne  sont  pas  mieux  fondés.  Car, 
outre  que  Philon,  mort  dans  le  judaïsme  après  la  répro- 
bation de  la  synagogue  ,  ne  pouvait  en  aucune  manière 
être  considéré  comme  un  écrivain  divinement  inspiré; 
les  auteurs  du  Nouveau-Testament  ont  connu  et  cité  la 
Sagesse,  comme  nous  le  montrerons  à  l'article  suivant. 
Or,  ce  seul  fait  prouve  suffisamment  que  ce  livre  ne 
saurait  être  l'ouvrage  de  Philon,  qui  est  mort  plusieurs 
années  après  Jéscs-Christ  (2).  Mais  ce  qui  le  montre 
assez  clairement  encore,  c'est  le  silence  des  anciens, 
tels  qu'Eusèbe  et  saint  Jérôme  même,  Photius,  Suidas  et 
les  autres  écrivains,  qui  n'ont  jamais  cité  ce  livre  parmi 
les  ouvrages  de  Philon.  Grotius  et  Corneille  Lapierre,  ne 
s'appuyant  que  sur  des  conjectures  tout-à-fait  gratuites 
et  par  fois  peu  conformes  aux  caractères  intrinsèques 
du  livre  même,  n'ont  pas  fait  de  partisans.  Quatrième- 
ment, nous  dirons  avec  De  Wette  que  l'opinion  deFa- 
ber  ne  mérite  pas  l'honneur  d'une  réfutation  ;  cependant 
Bertholdt  a  pris  la  peine  d'en  faire  ressortir  toute  la 
futilité  (3).  Ceux  qui  prétendent  que  la  Sagesse  est  un 

(t)  Jusliftcaiion  de  la  Dissertation  de  D.  Calmet  sur  l'auteur  du  li- 
vre de  la  Sagesse,  contre  la  critique  du  P.  Houbigant  et  du  P.  Griffet. 
Bible  de  Vence.  t.  n,ipag.  461  et  479.  Cinq,  édit, 

(2)  Plusieurs  prétendent  que  l'auteur  de  ce  livre  est  un  autre  Phi- 
lon plus  ancien,  natif  de  Byblos,  et  dont  parle  Joseph  [Contr.  Ap. 
l.  i)  ;  mais  ce  sentiment  est  généralement  rejeté  par  les  critiques. 

(3J  De  Wette,  Lehrbiich  der  hist.  krit.  Einleit.  §  314.  Bertholdt. 
Ibid.  ^  529. 


92  DU   LIVRE   DE   LA   SAGESSE. 

recueil  de  plusieurs  ouvrages  composés  par  différens 
auteurs  se  fondent  principalement  sur  la  diversité  des 
matières  et  sur  la  variété  du  style  ;  mais  il  faut  que  ces 
prétendues  différences  ne  soient  pas  bien  sensibles, 
puisque  les  critiques  mêmes  qui  s'en  servent  pour  éta- 
blir leurs  opinions  ne  s'accordent  nullement  dans  la 
manière  de  les  déterminer.  Aussi  sommes-nous  intime- 
ment convaincu  que  ce  livre  forme  un  tout  unique  et 
assez  régulier,  dont  les  parties,  qu(^ique  susceptibles 
de  certaines  divisions,  s'enchaînent  et  se  lient  étroite- 
ment ensemble  par  le  but  général  que  l'auteur  s'est  pro- 
posé. Quant  à  la  variété  du  style,  elle  n'est  pas  assez 
considérable  pour  l'attribuer  à  des  plumes  différentes  ; 
elle  vient  uniquement  de  ce  que  les  sujets  particuliers 
traités  dans  le  courant  du  livre  ne  sont  pas  absolument 
les  mêmes.  Terminons  cet  article  en  disant  avec  D.  Cal- 
mât :  «  Avouons  que  l'auteur  du  livre  de  la  Sagesse  est 
inconnu Il  est  hors  de  doute  que  l'auteur  a  vécu  de- 
puis les  Septante,  puisqu'il  cite  leur  texte,  même  dans 
les  endroits  oii  ils  s'éloignent  de  l'hébreu.  Il  écrivait 

dans  un  temps  où  les  allégories  étaient  à  la  mode 

Toutes  ces  circonstances  nous  persuadent  qu'il  ne  peut 
pas  être  fort  ancien.  Je  croirais  qu'il  est  postérieur  à  ce- 
lui de  l'Ecclésiastique,  que  nous  avons  fixé  sous  les  rè- 
gnes de  Ptolémée  Epiphane  en  Egypte,  et  d'Antiochus 
Épiphane  en  Syrie.  Si  cela  est,  notre  auteur  aura  vécu 
sous  le  gouvernement  des  Machabées  (1).» 

(1)  D.  Calraet,  Dissert,  sur  l'auteur  du  livre  de  la  Sagesse,  à  la  fm. 
Jahn  partage  aussi  le  sentiment  de  D.  Calmet.  Inirod.  §  254. 


DU    LIVRE  DE  LA    SAGESSE.  93 

ARTICLE   III. 

De  la  divinité  et  de  la  canonicité  du  livre  de  la  Sagesse. 

Nous  avons  déjà  remarqué  (tomei,  pag.98)  que  la 
Sagesse  n'ayant  été  composée  qu'après  la  mort  d'Esdras 
et  de  iSéhémie,  n'avait  pu  être  insérée  dans  le  canon 
des  Juifs.  Nous  avons  remarqué  encore  (/èic^.pag.  128) 
que  les  Juifs  ayant  établi  une  différence  entre  les  livres 
proto  et  deutéro-canoniques,  et  n'ayant  point  placé  ces 
derniers  dans  le  catalogue  sacré  de  leurs  Ecritures,  quel- 
ques anciens  pères  de  l'Eglise  avaient  cru  devoir  se  con- 
former à  leur  exemple,  d'où  il  est  résulté  que  l'autorité 
divine  et  canonique  de  la  Sagesse  n'a  pas  toujours  été 
reconnue  dans  l'Eglise  aussi  universellement  qu'elle 
l'est  aujourd'hui.  Mais  l'on  ne  saurait  se  prévaloir  de 
cette  circonstance  pour  contester  légitimement  à  cet  ou- 
vrage le  titre  de  livre  divinement  inspiré.  C'est  pour- 
quoi nous  établissons  comme  exprimant  une  vérité  de 
foi  la  proposition  suivante. 

PROPOSITION. 

La  Sagesse  est  un  livre  divin  et  canonique. 

La  divinité  et  la  canonicité  du  livre  de  la  Sagesse 
sont  un  fait  qu'on  peut  facilement  démontrer  par  des 
preuves  de  plus  d'un  genre. 

1.  Les  écrivains  du  Nouveau-Testament,  pour  confir- 
mer certaines  vérités  qu'ils  voulaient  établir,  ont  cité  un 
grand  nombre  de  passages  évidemment  empruntés  du 
livre  de  la  Sagesse.  On  peut  aisément  s'en  convaincre 
en  comparant  :  Matth.  xiii,  i,  avecSap.  m,  17;  Matth. 


94  DU   LIVRE   DE   LA   SAGESSE. 

XXVII,  43,  avec  Sap.  ii,  18;  Rom.  i,  20,  avec  Sap. 
XIII,  1;  Rom.  xi,  3i,  avec  Sap.  ix,  13;  Ephes.  vi,  13, 
16, 17,  avec  Sap.  v,  18, 19  ;  Hebr  .1,3,  avec  Sap  .vu,  26. 
2.  La  Sagesse  est  citée  comme  Ecriture  sainte  dans 
presque  tous  les  anciens  pères  de  l'Eglise,  soit  grecs, 
soit  latins,  tels  que  saint  Clément  de  Rome,  saint  Jus- 
tin martyr,  Clément  d'Alexandrie,  Origène,  saint  Cy^ 
prien,  Eusèbe,  saint  Hilaire,  saint  Epiphane,  saint  Ra- 
sile,  saint  Ambroise,  Optât  de  Milève  (1),  et  un  grand 
nombre  d'autres  qu'il  serait  trop  long  de  rapporter. 
Saint  Augustin  remarque  que  saint  Cyprien  a  invoqué 
l'autorité  de  la  Sagesse  dans  son  livre  de  la  mortalité. 
Il  se  plaint  de  ce  que  les  sémipélagiens  la  rejetaient 
comme  non  canonique,  et  il  en  prouve  la  canonicité  par 
deux  raisons  également  solides,  dont  Tune  est  que  de- 
puis très-long-temps  on  la  lisait  publiquement  dans 
l'Eglise,  et  qu'elle  était  reçue  pour  canonique  non  seule- 
ment par  les  simples  fidèles,  mais  encore  par  les  évo- 
ques ,  c'est-à-dire  par  tous  les  chrétiens  ;  la  seconde, 
est  que  les  auteurs  ecclésiastiques  qui  ont  vécu  dans  les 
siècles  les  plus  rapprochés  de  celui  des  apôtres  en  ayant 
appelé  au  témoignage  de  ce  livre  comme  à  une  autorité 
divine,  on  ne  saurait  se  dispenser  de  le  recevoir  et  de 
le  mettre  au  nombre  des  saintes  Ecritures  (2).  Le  même 

(1)  Clem.  Piom.  Epist.  i  ad  Cor.  Justin.  Dialog.  cirni  Tryphon, 
Clem.  Ahx.  Pœdagog.  l.  ii.  Stromat.  l.  yi.  Origen.Z.  vu,  in  Epist.  ad 
Rom.  et  inJoan.  Tertull.  Lib.  de  Prœscript.  c.  viii.  Cyprian.Tracf.  de 
orat.Dom.  Euseb.  Prœp.  Evang.  l.  vii.c.  xii.  Basil.  Hovi.in  princip. 
Proverb.  et  lib.  v  contr.  Eunom.  Hilar.  in  Psalm.  cxtii.  Epiphan. 
Hœres.  lxxvi.  Ambros.  in  Psalm.  cxviu.  n.  23.  Optât.  Milev.  /.  iv. 

c,  VIII. 

(2)  Augvist.  lib.  de  Prœdestinat.  sanctorum,  c.  xiv,  n.  26-28. 


DU   LIVRE   DE    LA   SAGESSE.  95 

père,  après  avoir  dit  dans  la  préface  de  son  Spéculum 
qu'il  ne  rapportera  dans  cet  ouvrage  que  des  témoi- 
gnages tirés  des  livres  canoniques,  en  cite  un  grand 
nombre  du  livre  de  Tobie  aussi  bien  que  de  la  Sagesse 
et  de  l'Ecclésiastique.  Il  remarque  à  la  vérité  que  ces 
trois  livres,  quoique  incontestablement  composés  avant 
la  venue  de  Jésus-Christ,  ne  se  trouvent  pas  dans  le 
canon  des  Juifs  ;  mais,  ajoute-t-il,  l'Eglise  de  ce  divin 
Sauveur  les  reçoit  (1).  Saint  Jérôme  lui-même,  peu  favo- 
rable d'ailleurs  aux  livres  deutéro-canoniques,  donne 
le  titre  de  prophète  à  l'auteur  de  la  Sagesse ,  et  cite, 
comme  en  preuve  de  ce  qu'il  avance,  un  passage  de  ce 
livre  sous  le  nom  de  Salomon  (2).  L'unanimité  de  senti- 
ment sur  ce  point  est  encore  plus  frappante  dans  les 
pères  et  les  écrivains  ecclésiastiques  des  temps  plus 
modernes. 

3.  Les  conciles  et  les  papes  ont  également  reconnu 
l'autorité  divine  et  canonique  de  la  Sagesse.  Nous  pou- 
vons citer  le  concile  de  Sardique  tenu  en  3W,  le  troi- 
sième de  Carthage,  en  397  ;  la  décrétale  du  pape  Inno- 
cent adressée  à  Exupère,  évêque  de  Toulouse,  en  405; 
le  synode  romain  tenu  sous  le  pape  Gélase,  en  494;  le 
onzième  de  Tolède,  en  675  ;  celui  de  Gonstantinople, 
in  Trullof  en  1692;  le  décret  d'union  du  pape  Eu- 
gène IV  formé  au  concile  de  Florence,  et  adressé  aux 
Arméniens  en  1441  ;  enfin  le  saint  synode  de  Trente, 

(1)  August.  Specut.  t,  III.  p.  1,  colUlZZ. 

(2)  Hieron.  in  cap,  i  Jerem.  «  Ne  setatem  considères  ;  alio  enim 
propheta  loquente  didicisli,  caoi  hominis  sunt  sapienlia  ejus,  etc.  » 
Et  Epist,  XIII  ad  Paul.  :  «  Nec  sapientiam  canos  reputes,  sed  canos 
sapientiam,  Salomonc  testante  :  Gaai  hominis  prudentia  ejus  (  Sap. 
IV,  8),  » 


96  DU   LIVRE   DE    LA   SAGESSE. 

qui,  comme  on  le  voit,  ne  manquait  pas  d'autorités 
respectables  sur  lesquelles  il  pouvait  fonder  son  décret 
sur  la  divinité  et  la  canonicité  du  livre  de  la  Sagesse. 

4.  La  tradition  des  Juifs,  comme  nous  l'avons  déjà 
démontré  (tome  i,  pag.  100  et  suiv.),  est  très- favorable 
aux  livres  deutéro-canoniques  en  général  et  au  livre  de 
la  Sagesse  en  particulier  [Ibid.  pag.  lOi). 

5.  Les  caractères  intrinsèques  du  livre  lui-même  prou- 
vent clairement  que  son  auteur  en  le  composant  a  été 
favorisé  du  don  sacré  de  l'inspiration  divine.  Ce  livre 
en  effet  contient  plusieurs  prédictions  que  l'écrivain 
qui  l'a  composé  n'aurait  jamais  pu  faire  s'il  n'eût  été 
éclairé  d'une  lumière  surnaturelle.  Les  prédictions  de 
ce  genre  sont  tout  ce  qui  est  dit  de  la  ruine  future  de 
l'idolâtrie  (xiv,  13  seqq  ),  et  du  jugement  que  Dieu 
doit  exercer  contre  les  médians  (v,  1,  2,  18;  vi,  6,  7). 
Mais  l'oracle  le  plus  frappant  est  celui  où  l'auteur  dé- 
crit l'oppression  du  juste  (il,  12  seqq.).  «C'est  une  pro- 
phétie si  claire  de  la  passion  de  Jésus  -  Christ  ,  dit 
Bossuet  dans  sa  préface  sur  la  Sagesse,  qu'elle  est  exac- 
tement conforme  à  ce  qu'on  en  lit  dans  l'Évangile.  Aussi 
a-t-elle  été  souvent  citée  dans  l'antiquité.  »  Loin  d'y  voir 
comme  les  pères  de  l'Eglise  une  véritable  prédiction 
des  souffrances  du  Sauveur,  Grotius  a  prétendu  que 
c'était  une  interpolation  faite  au  texte  par  quelques  chré- 
tiens; comme  si  ce  passage  n'était  pas  tellement  lié 
avec  la  suite  du  discours  qu'on  ne  saurait  l'en  séparer 
sans  l'interrompre  d'une  manière  violente. 

D'après  cet  exposé,  il  ne  peut  rester  dans  l'esprit  au- 
cun doute  légitime  sur  l'autorité  divine  du  livre  de  la 
Sagesse  ;  l'autorité  des  écrivains  du  Nouveau-Testament, 
celle  des  pères  de  l'Eglise  et  des  saints  conciles  ;  le  té- 


DU   LIVRE   DE    LA   SAGESSE.  97 

moignage  de  plusieurs  rabbins  célèbres,  enfin  le  con- 
tenu du  livre  lui-même,  qui  porte  visiblement  empreint 
sur  ses  pages  le  sceau  de  l'inspiration  du  Saint-Esprit, 
doivent  dissiper  entièrement  aux  yeux  de  tout  critique 
impartial  les  faibles  nuages  dont  une  fausse  exégèse 
s'efforce  denvelcpper  ce  livre  pour  cacher  la  lumière 
divine  qu'il  répand  autour  de  lui.  «Dans  cette  occasion, 
demande  judicieusement  I).  Calmet,  ne  peut-on  pas 
user  avec  raison  de  l'argument  de  la  prescription,  et  de 
fins  de  non  recevoir  contre  nos  adversaires?  Qu'ilsmon- 
trent  leurs  titres  contre  notre  possession,  qu'ils  atta- 
quent et  qu'ils  réfutent,  s'ils  le  peuvent,  tant  de  conciles 
et  tant  d'auteurs  ecclésiastiques  très-sages  et  très-éclai- 
rés  qui  sont  notre  boulevard  et  notre  défense.  Il  faut  les 
renverser  avant  de  venir  à  nous  (1).  » 

ARTICLE   IV. 

De  Vélocution  et  des  beautés  littéraires  de  la  Sagesse. 

1.  Xous  avons  déjà  remarqué  que  la  diction  du  livre 
de  la  Sagesse  décelait  une  origine  grecque.  «Le  style, 
ditLowth,  en  est  inégal;  tantôt  enflé  et  plein  d'em- 
phase, tantôt  abondant,  chargé  d'épithètes,  contre  l'u- 
sage ordinaire  des  Hébreux,  tantôt  enfin  tempéré,  élé- 
gant, sublime  et  poétique.  Le  tour  sentencieux  y  est 
observé  avec  assez  de  soin,  et  on  reconnaît  clairement 
l'intention  que  l'auteur  a  eue  d'imiter  les  anciens  mo- 
dèles ;  mais  en  général  il  s'éloigne  beaucoup  de  ce  ca- 
ractère pur  et  classique.  On  remarque  un  défaut  grave 
dans  l'ordonnance  de  cette  composition.  La  prière  que 

(l)  D.  Calmet,  Préface  sur  le  livre  de  la  Sagesse,  vers  la  fin. 
V.  b 


t«  DU   LIVRE   DE   LA   SAGESSE. 

l'auteur  place  dans  la  bouche  deSalomon,  et  qui  com- 
mence au  neuvième  chapitre,  se  prolonge  jusqu'à  la  fin 
du  livre,  de  telle  sorte  qu'elle  en  forme  plus  de  la  moi- 
tié (1).  y> 

2.  Quoique  la  diction  de  l'auteur  de  la  Sagesse  ne 
soit  généralement  ni  bien  châtiée  ni  d'un  goût  sévère 
et  pur,  ce  livre  nous  offre  cependant  plusieurs  morceaux 
qui  ne  sont  pas  sans  quelque  mérite  littéraire.  On  peut 
mettre  de  ce  nombre  l'invitation  que  font  les  méchans 
de  se  livrer  sans  réserve  à  la  jouissance  des  plaisirs  de 
ce  monde  (ii,  5-9)  ;  les  plaintes  amères  et  les  reproches 
sanglans  qu'ils  s'adressent  à  la  vue  du  triomphe  et  de 
la  félicité  éternelle  des  justes  qu'ils  ont  si  violemment 
persécutés  (v,  3-13)  ;  le  tableau  effrayant  du  jugement 
de  Dieu  se  levant  au  dernier  jour  pour  venger  d'une 
manière  éclatante  ses  fidèles  serviteurs  opprimés  ;  enfin 
la  description  des  avantages  que  l'on  trouve  dans  la  pos- 
session de  la  sagesse,  description  qui  forme  un  tableau 
assez  varié,  où  règne  tour  à  tour  un  certain  air  de  grâce, 
de  noblesse  et  de  grandeur  (viii,  1-18) . 

ARTICLE  V. 

Les  commentaires  du  livre  de  la  Sagesse. 

1.  Parmi  les  catholiques,  le  vénérable  Bède  a  com- 
menté plusieurs  endroits  du  livre  de  la  Sagesse  ;  ce  tra- 
vail se  trouve  dans  le  tome  vu  de  ses  œuvres. — Raban- 
Maur  a  composé  sur  ce  même  livre  un  commentaire 
qui  se  trouve  également  dans  le  recueil  de  ses  œuvres. 
— Saint  Bonaventure  passe  pour  l'auteur  d'un  commen- 
taire sur  la  Sagesse  imprimé  à  Venise,  en  1575,  in-S*', 

(1)  Lowth,  De  la  poésie  sacrée  des  Hébreux.  Leçon  xxiv. 


DU   LIVRE   DE   LA    SAGESSE.  99 

et  qu'on  a  reproduit  dans  le  tome  i  de  ses  ouvrages.  — 
Les  leçons  de  Robert  Holkoth  ont  été  imprimées  en  di- 
vers pays  ;  la  dixième  et  dernière  édition  est  de  Bàle, 
1586,  in-V. — Les  notes  de  Jansénius,  évéque  de  Gand, 
ont  paru  à  Anvers,  en  1589,  iu-/i-°,  et  à  Lyon,  1580, 
in-fol.   —  Le  commentaire  de  Lorin  a  été  publié    à 
Mayence  en  1608,  in-^." ,  et  à  Cologne,  1624,  in-fol. 
—  La  paraphrase  d'Osorius  l'Ancien  à  Boulogne,  en 
1577,  in-4.%  à  Cologne,  1584,  et  dans  le  recueilde  ses 
œuvres.  —  Pierre  Nanning  (iYanmws),  né  à  Alkmaër, 
en  Hollande,  l'an  1500,  et  mort  l'an  1557,  a  composé 
sur  la  Sagesse  des  scholies  et  un  commentaire,  qui,  se- 
lon Colomiés,  sont  le  meilleur  ouvrage  qui  ait  été  fait  sur 
ce  livre,  et  qui,  suivant  Fabricius  (Biblioth.  graec.  t.  ii), 
auraient  dû  être  placés  dans  les  Grands  Critiques.  Ce 
précieux  travail  a  été  imprimé  à  Bâle,  en  1551,  in-4*'. 
2.  Plusieurs  protestans  ont  aussi  écrit  sur  le  livre  de 
la  Sagesse  ;  outre  Grotius  et  Bad^vel,  dont  les  notes  se 
trouvent  dans  les  Grands  Critiques,  nous  citerons  Jean 
Sartorius,  calviniste,  né  à  Amsterdam,  et  mort  en  1568; 
son  commentaire,  joint  à  ceux  qu'il  a  composés  sur  les 
petits  prophètes,  parut  à  Bâle,  en  1558,  in-fol.  sous  le 
nom  de  Tosarius. — La  Sagesse  de  Salomon,  traduite  de 
nouveau,  avec  des  remarques  et  des  recherches  en  alle- 
mand, par  J.  G.  Hasse.  léna,  1785,  in-8''. — Le  livre  de 
la  Sagesse,  traduit  en  allemand,  avec  des  notes  explica- 
tives, parJ.  G.Kleuker.  Riga,  1786,  in-8°. — Annotât, 
fhilol.  criticœin  libr.  qui  imcrihitur  Io'^lol  Zvlou.6yj.  Auc- 
torei.  Wallenio.  Gryphisw.  1186 y  in-ï". — Lelivredela 
Sagesse,  faisant  pendant  [aïs  Gegenstûck)  à  l'Ecclésiaste, 
par  J.  G.  C.Nachtigal.  Halle,  1799,  in-8°.  Cet  ouvrage 
est  encore  intitulé  :  les  Recueils  des  Sages,  tome  n  {die 


100  DU   LIVRE   DE   L'ECCLÉSIASTIQUE. 

Versammlungen  der  Weisen .  Band  //)  ;rEcclésiaste  sous 
ce  même  titre  général  forme  le  tome  i.  Ce  dernier  titre 
vient  de  l'erreur  où  était  Nachtigal,que  ces  deux  livres 
étaient  une  collection  de  divers  écrits  composés  par  plu- 
sieurs auteurs,  et  réunis  dans  ces  deux  ouvrages. — En- 
gelbrecht,  Libr.  Sap.  Salom.  vulgo  inscriptuminterpre' 
tandi  perte.  I.  II.  cap.  quinque  priora  complect.  Bavn. 
1816. — J.  Ph.  Bauermeister,  Comment,  in  Sap.  ^alom. 
Gotting .  1S2S . —  Thilo,  Spec.  exercitat.  criticarumin 
Sap.  Salom.  Haï.  1825,  in-4°. 


CHAPITRE  SIXIEME. 

DU  LIVRE  DE   l'eCCLÉSIASTIQUE. 

L'Ecclésiastique  est  aussi  bien  que  la  Sagesse  un  des 
livres  deutéro-canoniques  de  l'Ancien-Testament.  Ce 
titre,  que  les  Latins  lui  ont  donné,  est  un  mot  grec  qui  si- 
gnifie livre  en  usage  dans  l'assemblée  ou  dans  l'église  (1), 
c'est-à-dire  livre  qui  instruit  l'assemblée;  de  même 
qu'on  a  appelé  Ecclésiaste,  ou  orateur  qui  instruit  l'as- 
semblée, le  livre  de  Salomon  désigné  par  les  Hébreux 
sous  le  nom  de  Cohéleth.  Les  Grecs  appellent  ce  livre 
Sagesse  de  Jésus,  pis  de  Sirach.  ou  simplement  Sagesse 
deSirachj  ou  hieuPanareîos  de  Jésus,  fds  de Sirach; nom 
qui  lui  convient  d'autant  mieux  qu'il  descend  dans  des 
détails  de  morale  que  ne  donne  pas  la  Sagesse.  Enfin  on  a 
aussi  quelquefois  cité  ce  livre  comme  les  quatre  précédens 
sous  la  dénomination  de  Sagesse  de  Salomon,  parce  que 
ces  cinq  ouvrages  étaient  réunis  sous  ce  titre  commun. 

(1)  Isidor.  Hispal.  P)'oœm.J\ahau.  de  Universo,  l.  v,  cm. 


DU  LIVRE   DE   l'eCCLÉSIASTIQUE. 


ARTICLE   I. 

Du  texte  original  et  des  versions  de  l'Ecclésiastique. 

1.  Le  livre  de  l'Ecclésiastique  a  été  incontestablement 
composé  en  hébreu  ;  car  le  traducteur  grec  le  dit  ex- 
pressément dans  le  prologue  qu'il  a  mis  en  tête  de  sa 
version.  Ensuite  saint  Jérôme  affirme  de  son  côté  qu'il 
a  vu  cet  ouvrage  en  hébreu  sous  le  titre  de  Meschâlîm 
[nfytàO]  ou  Paraboles  (1).  Enfin  le  texte  grec  lui-même 
porte  les  traces  les  plus  évidentes  de  l'original  hébreu 
sur  lequel  il  a  été  composé.  D'abord  la  diction  est  telle- 
ment hébraïque,  qu'en  la  traduisant  presque  littérale- 
ment on  obtient  un  hébreu  pur  et  correct.  De  plus,  il 
y  a  certaines  étymologies  qui  ne  peuvent  s'expliquer 
et  qui  ne  sont  vraies  que  dans  la  langue  hébraïque.  Bo- 
chart  et  Lowth  ajoutent  qu'au  chapitre  xxiv,  verset  37, 
on  doit  lire  le  fleuve  (du  Nil)  au  lieu  de  la  lumière  ;  ce 
qui  décèlerait  en  effet  un  original  hébreu  (2). 

2.  La  plus  ancienne  version  de  l'Ecclésiastique  est  la 
version  grecque,  composée  par  le  petit-fils  de  l'auteur, 
sous  le  règne  de  Ptolémée  Evergète,  comme  il  nous  l'ap- 
prend lui-même  dans  la  préface  qu'on  lit  à  la  tête  de  son 

(1)  Plusieurs  critiques  ont  soutenu,  mais  sans  raisons  suffisantes, 
que  ce  prétendu  original  n'était  qu'une  traduction  hébraïque  ou  chal- 
daïque  de  cet  ouvrage. 

(2)  Le  grec  porte  qui  fait  jailli)'  la  science  comme  la  lumière;  mais 
la  suite  du  discours  semble  demander  le  nom  d'un  fleuve  au  lieu  du 
mot  lumière.  Or  Thébreu  câôr  (1^3)  est  susceptible  des  deux  sens 
comme  la  lumière  et  comme  le  jlenve.  Voy.  Bochart.  Clianaan,  l.  i, 
c.  XXIII.  Lowth,  De  sacr.  poes.  Hebr,  Prœlect.  xxiv,  sub  (ine. 


1^5  DU   LIVRE   DE   l'ECCLÉSIASTIQUE. 

ouvrage  (1).  Or,  cette  version  est  pleine  d'hébraïsmes 
et  de  locutions  qui  paraissent  barbares  par  rapport  au 
génie  de  la  langue  grecque  :  «On  voit  son  auteur,  dit 
Lowth,  s'acquitter  de  sa  fonction  d'interprète  avec  le 
plus  grand  scrupule,  se  conformer  en  tout  aux  tours  de 
la  langue  hébraïque,  sans  se  mettre  en  peine  d'être  élé- 
gant dans  sa  propre  langue  ;  non  seulement  peser  le 
sens  des  phrases,  mais  encore  en  compter  les  mots,  et 
conserver  avec  exactitude  l'ordre  qui  régnait  entre  eux; 
de  telle  sorte  qu'on  peut  croire  qu'en  rendant  cette  tra- 
duction à  son  idiome  primitif,  ce  sera  l'original  hébreu 
qu'on  aura  sous  les  yeux  (2) .  »  Nous  avons  de  cette  ver- 
sion deux  éditions,  l'une  de  Complute,  l'autre  dite  Ro- 
maine ;  il  existe  entre  elles  un  grand  nombre  de  variétés 
qui  ont  été  recueillies  dans  les  notes  d'Hseschelius  et  de 
Drusius.  Selon  l'auteur  de  la  Synopse,  le  traducteur  grec 
aurait  ajouté  de  sa  propre  main  le  chapitre  li  ;  mais 
cela  n'est  nullement  vraisemblable. — La  version  latine, 
qui  est  notre  Yulgate,  paraît  très-ancienne,  puisqu'elle 
a  été  citée  par  tous  les  anciens  pères. «Nous  l'avons  en- 
core aujourd'hui  telle  qu'elle  était  dans  le  commence- 
ment, dit  D.  Calmet,  car  saint  Jérôme  n'y  a  point  tou- 
ché. »  Le  style  en  est  dur  et  souvent  d'une  grande 
obscurité.  L'auteur  y  emploie  certains  termes  particu- 
liers qui  lui  sont  propres,  et  qu'on  trouve  aussi  dans  le 
latin  de  la  Sagesse  ;  ce  qui  ferait  croire  que  c'est  le  même 
interprète  qui  a  traduit  ces  deux  livres. On  remarque  en- 
core dans  cette  version  un  grand  nombre  d'additions  qui 

(1)  II  y  a  eu  deux  Plolémée  du  surnom  d*É vergeté  ;  nous  pensons 
avec  Jahn  {Inlrod.  §  249)  qu'il  s'agit  ici  du  premier. 

(2)  Lowth,  De  sacra  poesiHebr.  Prϔect.  xxiv. 


DU    LIVRE    DE   L'ECCLÉSIASTIQUE.  103 

viennent  peut-être  de  ce  que  le  traducteur  a  voulu  donner 
deux  versions  différentes  d'une  même  sentence,  parce 
que  le  texte  lui  en  paraissait  susceptible,  ou  bien  de  ce 
qu'il  a  ajouté  quelques  gloses  et  quelques  explications  qui 
de  la  marge  sont  passées  dans  le  corps  du  texte.  Quel- 
quefois elle  ne  rend  pas  certains  passages  qui  se  trou- 
vent dans  le  grec;  et  la  disposition  des  chapitres,  depuis 
le  verset  26  du  chapitre  xxx  jusqu'au  chapitre  xxxvi, 
n'est  pas  la  même  que  dans  ce  dernier  texte,  bien  que 
l'ordre  qu'elle  suit  paraisse  beaucoup  plus  naturel.  — ■ 
Outre  cette  version  latine,  nous  en  avons  une  seconde 
composée  sur  le  grec  de  l'édition  Romaine  par  Nobilius 
Flaminius  sous  Sixte  V,  et  autorisée  par  ce  pape  ;  Bossuet 
l'appelle  pour  cette  raison  version sixtine^ei  la  met  dans 
son  commentaire  en  parallèle  avec  la  Vul gâte. — Quant 
à  la  version  syriaque  imprimée  dans  le  tome  iv  de  la 
Polyglotte  de  Walton,elle  s'éloigne  assez  considérable- 
ment du  grec,  en  y  faisant  tantôt  des  additions  et  tantôt 
des  retranchemens  ;  ce  qui  a  fait  douter  à  quelques  cri- 
tiques et  nier  à  d'autres  qu'elle  ait  été  composée  sur  ce 
texte  (1). — Enfin  la  version  arabe  qui  se  trouve  dans  la 
même  Polyglotte  suit  en  tout  la  version  syriaque  si  fi- 
dèlement, et  même  d'une  manière  si  servile,  qu'on  peut 
prononcer  hardiment  qu'elle  en  tire  son  origine. 

Il  est  important  d'observer  que  les  différences  qui 
existent  entre  les  versions  de  l'Ecclésiastique,  quelque 
nombreuses  qu'elles  puissent  être,  ne  nuisent  en  rien  à 
l'intégrité  substantielle  du  texte.  Quant  aux  additions  et 
aux  gloses  qu'on  a  pu  y  intercaler,  comme  elles  ne  sont 
que  de  nouvelles  traductions  ou  de  simples  explications 

(1)  Voy.  Berthoklt,  Emleit.  §  541.  De  Wcne^LcIwbuch.  §  320. 


104  DU  LIVRE   DE  L'ECCLÉSI ASTIQUE. 

de  ce  même  texte,  elles  laissent  encore  intacts  le  fond 
et  la  substance  du  livre  (1). 

ARTICLE  II. 

Du  sujet,  de  l'auteur  et  de  la  divinité  de  l'Ecclésias- 
tique.   . 

1.  L'Ecclésiastique  se  divise  assez  naturellement  en 
trois  parties .  Dans  la  première,  qui  s'étend  du  chapitre  i 
au  chapitre  XLiii,  l'auteur,  imitant  les  Proverbes  de  Sa- 
lomon,  fait  l'éloge  de  la  sagesse  et  trace  des  règles  de 
conduite  pour  chaque  âge,  chaque  sexe  et  chaque  con- 
dition. Dans  la  seconde,  qui  comprend  les  chapi- 
tres XLiv  et  suivans  jusqu'au  l  inclusivement,  il  con- 
sacre un  bel  éloge  aux  patriarches,  aux  prophètes  et  aux 
autres  personnages  qui  ont  illustré  le  peuple  hébreu. 

(I)  Nous  croyons  devoir  faire  remarquer  ici  que  c'est  à  tort  que 
Bretschneider  [Lia.  Syrac.  grœcè,  pag.  6G2)  et  après  lui  Haivernick 
{Einleitt  Th.  i,  Abih.  i,  Seil.  G4)  ont  prétendu  que  le  vers.  12  du 
chapitre  xlix  était  une  interpolation,  et  que  l'auteur  de  l'Ecclésias- 
tique avait  omis  à  dessein  les  petits  prophètes,  afin  de  ne  pas  inter- 
rompre le  fil  chronologique  de  sa  narration.  Car  premièrement  le 
verset  se  trouve,  quoique  avec  de  légères  variantes,  dans  toutes  les 
éditioDs  grecques  et  latines,  aussi  bien  que  dans  les  versions  syria- 
que et  arabe. En  second  lieu,  on  ne  voit  pas  pourquoi  Tauieur  venant 
de  parler  des  grands  prophètes  Isaïe,  Jérémie  et  Ézéchiel,  ne  pou- 
vait pas  donner  un  mot  d'éloge  commun  aux  douze  petits,  lorsqu'il  j 
était  amené  tout  naturellement  par  la  nature  même  de  son  sujet, 
©""ailleurs  cette  interruption  de  l'ordre  chronologique  est  incontesta- 
blement un  défaut  moins  considérable  que  ne  le  serait  un  silence  ab-r 
solu  sur  ces  petits  prophètes,  qui  ont  tant  contribué  à  la  gloire  du  nom 
hébreu.  Nous  ajouterons  même  qu'une  pareille  omission  semblerait 
tout-à-fait  inexcusable  dans  l'auteur  de  l'Ecclésiastique. 


i 


DU  LIVRE  DE   L'ECCLÉSIASTIQUE.  105 

Enfin  dans  la  troisième,  c'est-à-dire  dans  le  chapitre  n 
qui  termine  le  livre,  et  qui  n'est  qu'une  espèce  de  pé- 
roraison, l'auteur  exhorte  ses  lecteurs  à  l'amour  de  la 
sagesse. 

2.  Plusieurs  anciens  ont  attribué  ce  livre  à  Salomon  ; 
mais  c'est  tout-à-fait  à  tort  ;  car,  outre  que  dans  le  prolo- 
gue l'auteur  est^  formellement  nommé  Je'sws,  et  au  ch.  L, 
vers.  29,  Jésus^  fils  de  Sirach,  il  parle  dans  son  livre  de 
Salomon  comme  d'une  tierce  personne  ;  il  parle  aussi 
des  rois  ses  successeurs,  des  prophètes  qui  ont  vécu  long- 
temps après  lui  ;  enfin  il  nous  découvre  certains  traits  de 
sa  vie  qui  n'ont  aucun  rapport  avec  l'histoire  de  Salo- 
mon. Le  sentiment  généralement  reçu  parmi  les  inter- 
prètes anciens  et  modernes  et  le  mieux  fondé  en  raisons 
critiques,  c'est  que  l'Ecclésiastique  a  été  composé  en  hé- 
breu par  Jésus,  fils  de  Sirach,  et  traduit  en  grec  par  son 
petit-fils.  Mais  à  quelle  époque  florissait  ce  Jésus?  c'est 
ce  qu'on  ne  sait  pas  d'une  manière  bien  certaine.  Deux 
opinions  seulement  méritent  quelque  attention  ;  l'une 
place  notre  auteur  sous  le  pontificat  d'EIéazar,  et  sous 
le  règne  de  Ptolémée  Philadelphe  ,  roi  d'Egypte  ;  l'autre 
au  temps  d'Onias  III ,  fils  de  Simon  II ,  sous  le  règne 
d'Antiochus  Epiphane,  roi  de  Syrie.  Les  partisans  de 
la  première  opinion  soutiennent  en  conséquence  que  le 
Ptolémée  Evergète  dont  parle  le  traducteur  grec  dans  sa 
préface,  est  Evergète  I  ;  les  défenseurs  de  la  dernière 
veulent  que  ce  soit  Evergète  II  ou  Physcon.  Le  premier 
sentiment  nous  a  paru  le  plus  probable  (1). 

(t)  V07.  Jahn ,  Introduclio,  §  249.  —  Plusieurs  interprètes,  parm 
les  Juifs  et  les  chrétiens,  prélendent  que  Bcn-Sira,  dont  on  a  deux  al- 
phabets de  proverbes  publiés,  l'un  en  hébreu  et  Tautre  en  chaldéen 

5. 


106  DU   LIVRE  DE   l'ECCLÉSIASTIQUE. 

3. La  plupart  des  preuves  que  nous  avons  alléguées  au 
chapitre  précédent  en  faveur  de  la  divinité  du  livre  de 
la  Sagesse  sont  applicables  à  l'Ecclésiastique.  Voulant 
donc  éviter  de  tomber  dans  de  pures  redites,  nous  nous 
bornerons  aux  considérations  suivantes  :  IMes  écrivains 
sacrés  du  Nouveau-Testament  ont  emprunté  plusieurs 
passages  de  ce  livre.  On  peut  facilement  s'en  convaincre, 
dit  Huet  (1),  en  comparant:  Eccli.  ii,  18,  avecJoan.xiv, 
23  ;  Eccli.  xi,  10,  avec  1  Timoth.  vi,  9  ;  Eccli.  xi,  18, 
19,  avec  Luc  xii,  19;  Eccli.  xi,  16,  avecMatth.  xix, 
17;  Eccli.  XXIX,  11,  avec  Luc  xvi,  9;  Eccli.  xxxiii, 
13,  avec  Rom.  ix,  21.  — 2»  La  tradition  de  toutes  les 
Églises  chrétiennes  prouvejusqu'à  l'évidence  que  ce  livre 
a  été  reconnu  et  cité  comme  divinement  inspiré  par  les 
écrivains  ecclésiastiques.  Quant  aux  pères  de  l'Église, 
Bretschneider  avoue  qu'ils  ne  lui  ont  point  donné  une 
autorité  inférieure  à  celle  des  autres  livres  canoniques  ; 
qu'ilsl'ont  cité  sous  le  nom  d'Écriture,  d'Écriture  divine, 
de  parole  divine  ;  qu'ils  ont  donné  à  son  auteur  le  titre  de 
prophète,  et  que  par  conséquent  ils  lui  ont  reconnu  une 
autorité  canonique  et  divine.  Remarquons  eïi  passant 
combien  est  précieux  un  pareil  témoignage  recueilli  de 
la  bouche  non  seulement  d'un  protestant,  mais  d'un  des 
critiques  les  plus  hardis  de  la  nouvelle  exégèse. — 3°  Les 
caractères  intrinsèques  du  livre  même  nous  fournissent 

avec  traduction  latine,  à  Isne,  en  1542,  par  Fagius,  est  le  même  que 
Jésus  fils  de  Sirach;  la  similitude  des  noms  et  des  ouvrages  semble, 
en  ellet,  autoriser  à  croire  que  c'est  le  même  personnage,  et  que  la 
plupart  des  maximes  du  premier  ont  été  empruntées  du  second,  mais 
changées  et  altérées  par  celui  qui  les  a  recueillies.  Voy.  D.  Calmet, 
Préf.  sur  l'Ecclésiastique. 

(l)  Huet,  Demonst.  Propos,  iv,  de  Eccl.  n.  ti. 


DU  LIVRE  DE  L'eCCLÉSIASTIQCE.  107 

une  nouvelle  preuve  de  sa  divinité  ;  car,  outre  que  l'auteur 
se  donne  pour  prophète  et  pour  inspiré  de  Dieu  (xxiv, 
46  ;  XXXIX,  16;  l)  ;  outre  qu'il  enseigne  la  morale  la 
plus  pure  et  la  plus  sainte,  il  traite  encore  des  mystères 
les  plus  sublimes;  il  distingue  si  clairement  la  seconde 
personne  de  la  sainte  Trinité  de  la  première,  quand  il 
dit  :  J'ai  invoqué  le  Seigneur,  père  de  mon  Seigneur 
{li,  14),  que  cette  expression,  selon  Grotius,  n'a  pu  sor- 
tir que  de  la  plume  d'un  chrétien.  Il  prédit  la  conversion 
des  Gentils,  le  retour  des  Juifs  à  la  fin  des  temps,  la  ve- 
nue d'Elie  pour  rétablir  les  tribus  de  Jacob  (xlviii,  1 
et  suiv.),et  celle  du  patriarche  Hénoch  pour  enseigner 
la  pénitence  aux  nations  (xLiv,  16). 

ARTICLE   III. 

De  rélocution  et  des  beautés  littéraires  de  l'Ecclésiastique . 

1 .  L'Ecclésiastique  est  absolument  semblable  aux  Pro- 
verbes. «  On  remarque  entre  ces  deux  compositions,  dit 
Lowth,  la  plus  grande  affinité,  quant  aux  choses,  quant 
aux  pensées,  quant  à  l'élocution  ;  la  couleur  du  style,  la 
forme  des  périodes  est  la  même,  et  nous  ne  doutons  point 
que  l'auteur  n'eût  suivi  le  même  genre  de  versification,  en 
quoi  qu'il  ait  pu  consister,  si  la  connaissance  de  l'art  mé- 
trique s'était  conservée  jusqu'au  temps  où  il  écrivait... 
C'est  surtout  la  première  partie  du  livre  des  Proverbes 
que  le  fils  de  Sirach  a  imitée.  En  effet,  ses  sentences 
ont  presque  toujours  entre  elles  quelque  liaison.  Le  stvle 
aussi  est  souvent  plus  brillant,  plus  orné,  plus  riche  en 
images  et  en  figures  que  ne  semble  le  comporter  le  genre 
didactique.  C'est  ce  qu'on  peut  remarquer  dans  la  pro- 
sopopée  de  la  Sagesse  (xxiv),  où  il  a  imité  de  la  ma- 


108  DU   LIVRE   DE   L'ECCLÉSIASTIQUE. 

nière  la  plus  heureuse  le  caractère  et  tous  les  traits  de 
son  devancier  (1).» 

2.  Parmi  les  beaux  morceaux  d'éloquence  dont  ce  livre 
est  plein,  nous  remarquerons  surtout  les  suivans  :  l'ex- 
hortation à  rechercher  la  sagesse  (vi,  18-20,  25-32); 
rien  n'est  ni  plus  gracieux  ni  plus  aimable  que  cette  in- 
vitation. Nous  citerons  encore  la  description  magnifique 
des  biens  et  des  avantages  que  procure  la  sagesse  à  ceux 
qui  la  possèdent  (xv,  1-6)  ;  la  peinture  grande  et  su- 
blime de  la  puissance  de  Dieu  (xvi,  16-21  ;  xviii, 
1-8)  ;  le  tableau  vif  et  animé  dans  lequel  l'écrivain  sacré 
dépeint  un  adultère  croyant  échapper  aux  regards  du 
Seigneur  (xiii,  25,  26,  28)  ;  la  belle  prosopopée  de  la 
Sagesse  (xxiv).  Enfin  nous  signalerons  encore  comme 
remarquable  la  description  de  l'occupation  du  sage 
(xxxix),  le  tableau  des  misères  de  la  ,vie  humaine  (xl), 
et  la  description  tout  à  la  fois  grande ,  riche  et  su- 
blime, que  le  sage  nous  fait  des  œuvres  de  Dieu  (xlii, 
15-26;  XLiii). 

ARTICLE  IV. 

Des  commentaires  de  V Ecclésiastique. 

1.  Parmi  les  commentateurs  catholiques,  le  vénérable 
Bède  et  Raban  Maur  ont  écrit  sur  l'Ecclésiastique  ;  leur 
travail  se  trouve  dans  la  collection  de  leurs  œuvres.  — 
Les  leçons  de  R.  Holkoth  ont  paru  avec  celles  qu'il  a 
faites  sur  la  Sagesse  ;  à  Baie,  1586,  in-i".  — Jansénius 
deGand,  outre  un  commentaire  imprimé  avec  ses  notes 
sur  la  Sagesse,  a  donné  encore  une  paraphrase  et  des 

(1)  Lo^vlh,  De  la  poésie  sacrée  dçs  Hébreux.  Leçon  xxit. 


bU   LIVRE   DE   l'ecclésiastique.  109 

notes  jointes  à  celles  qu'il  a  composées  sur  les  Psaumes . 
— Le  commentaire  de  Paul  Palacios  deSalazar,  savant 
et  pieui  jésuite  né  à  Grenade,  et  mort  en  1582,  a  été  im- 
primé à  Cologne,  en  1593,  in-8°.  —  Celui  de  Jean  de 
Pina  deMadrid,  jésuite  mort  en  1657,  a  paru  à  Lyon,  en 
1630-16^8,  5  vol.  in-fol.  —  Enfin  nous  citerons  encore 
comme  méritant  d'être  consulté  le  commentaire  qui  se 
trouve  dans  la  Bible  allemande  de  Brentano,  continuée 
par  Dereser,  etc. 

2.  Entre  les  ouvrages  protestans  qui  ont  été  faits  sur 
l'Ecclésiastique,  nous  avons  :  les  notes  de  Joachim  Ca- 
mérarius,  luthérien,  né  à  Bamberg  en  1500,  et  mort 
en  1574  ;  elles  ont  été  imprimées  à  Leipzig  avec  une  tra- 
duction latine,  en  1570  et  en  1582,  in-S^.  —  Les  notes 
de  Drusius  qui  sont  dans  les  Grands  Critiques,  ainsi  que 
celles  d'Haeschélius  avec  ses  différentes  leçons  du  texte 
grec;  l'ouvrage  de  ce  dernier  a  paru  séparément,  en 
1605,  in-S**,  à  Augsbourg,  où  il  naquit  en  1556.  —  Les 
Instructions  morales  de  Jésus  fils  de  Sirach,  traduction 
nouvelle  avec  des  éclaircissemens  et  des  remarques  cri- 
tiques en  allemand,  par  J.  W.  Linde,  Leipzig,  1782, 
in-8''.  Cette  première  édition  a  été  refondue  en  entier 
dans  la  seconde,  publiée  à  Leipzig,  1795,  in-8°. —  La 
Sagesse  de  Jésus  fils  de  Sirach,  traduite  en  allemand 
avec  des  notes  explicatives  (par  A.  J.  Onymus),  Wurs- 
bourg,  1786,  in-S".  —  Sententiœ  Jesu  Siracidœ.  Grœc. 
textum  ad  fîdem  codicum  et  versionum  emendavit  et  illu- 
stravit  J.  W.  Linde.  Gedani,  1795,  in-8°.  —  Les  sen- 
tences de  Jésus  fils  de  Sirach,  traduites  en  allemand,  avec 
des  remarques,  par  Fr .  Eh .  Zange.  Arnstadt,  1797,  in-S**. 
—  Liber  Jesu  Siracidœ  J  grœcè,  perpétua  annotatione  il- 
ïustratus  à  C.  G.  Bretschneiàer,  Regenshurg,  1^06, in-8*. 


110  INTRODUCTION   PARTICULIÈRE   AUX   ÉVANGILES. 

CîiXQUÎÈ.lïE  SEGTI03^\ 

INTRODUCTION  PARTICULIÈRE   AUX   ÉVANGILES. 

Le  mot  Evangile  y  en  grec  Eùayyéhov,  signifie  ôonne, 
heureuse  nouvelle.  On  a  donné  ce  nom  à  l'histoire  de 
l'avènement,  de  la  doctrine,  des  actions ,  de  la  mort  et 
de  la  résurrection  de  Jésus  de  Nazareth,  le  Messie  pré- 
dit par  les  prophètes ,  parce  qu'elle  nous  annonce 
l'heureuse  nouvelle  du  salut  des  hommes  et  de  leur  ré- 
demption par  ce  divin  Sauveur.  Les  différens  auteurs 
qui  ont  écrit  cette  histoire  sont ,  en  conséquence,  appe- 
lés évangélistes.  Chacun  d'eux,  en  la  rédigeant,  a  suivi 
sa  méthode  particulière;  de  là  et  locution  consacrée 
de  temps  immémorial  :  l'Evangile  de  saint  Matthieu^ 
l'Evangile  de  saint  Marc,  etc.,  ou  bien  l'Evangile  se- 
lon saint  Matthieu,  V Evangile  selon  saint  Marc,  etc. 
Les  seuls  Evangiles  que  l'Eglise  chrétienne  ait  reçus 
comme  authentiques  sont  celui  de  saint  Matthieu,  celui 
de  saint  Marc,  celui  de  saint  Luc  et  celui  de  saint 
Jean. 

Parmi  les  questions  qui  font  l'objet  de  cette  section, 
les  unes  demandent  que  nous  examinions  chaque  Evan- 
gile en  particulier,  et  les  autres  que  nous  les  considérions 
sous  un  point  de  vue  général. 


CHAPITRE  PREMIER. 

DE  L'ÉVANGILE  DE   SAINT  MATTHIEU. 

Saint  Matthieu,  Juif  d'origine,  né  en  Galilée,  était  pu- 


DE  l'évangile  de  SAINT  MATTHIED.  lit 

blicain  ou  receveur  des  impôts ,  état  vil  et  méprisable 
chez  ceux  de  sa  nation.  Saint  Marc  et  saint  Luc,  qui 
rapportent  sa  conversion,  ne  l'appellent  point  Matthieu, 
mais  Lévi,  fils  d'Alphée.  J.  D.  Michaëlis  et  quelques 
autres  critiques  modernes  prétendent  qu'il  faut  distin- 
guer Matthieu  le  publicain  de  Lévi,  fils  d'Alphée.  Les 
raisons  qu'ils  allèguent  en  faveur  de  leur  opinion,  c'est 
1"*  que  saint  Marc  et  saint  Luc ,  qui  s'accordent  à  lui 
donner  le  nom  de  Lévi  quand  il  s'agit  de  sa  conversion, 
l'appellent  également  tous  les  deux  du  nom  de  Matthieu 
dans  leur  catalogue  des  douze  apôtres  (Marc,  m,  18; 
Luc.  VI,  15);  2°  que  Lévi  était  fils  d'Alphée,  qui  était 
aussi  père  de  Jacques,  parent  de  Notre-Seigneur,  d'où 
il  résulterait  que  saint  Matthieu  était  aussi  parent  de 
Jéscs-Christ,  remarque  qu'il  n'a  jamais  faite,  et  ce  qui 
est  d'ailleurs  assez  invraisemblable  (1).  Mais  le  nom  de 
Lévi  pourrait  être  celui  que  saint  Matthieu  portait  étant 
publicain  ,  et  Matthieu  celui  qu'il  a  pris  en  devenant 
apôtre.  Dans  cette  hypothèse,  les  deux  évangélistes  ont 
dû  le  nommer  Lévi  quand  ils  parlent  de  lui  en  tant  que 
publicain,  et  l'appeler  Matthieu  lorsqu'ils  le  considèrent 
comme  apôtre.  Quant  à  saint  Matthieu,  qui  se  glorifiait 
delà  qualité  d'apôtre,  on  conçoit  aisément  qu'il  n'ait 
voulu  prendre  que  son  nom  d'apôtre,  afin  de  se  faire 
mieux  connaître ,  et  qu'il  ait  rejeté  son  ancien  nom  de 
publicain,  qui  lui  rappelait  sa  honte  et  son  ignominie.  De 
plus,  il  n'est  pas  certain  que  l'Alphée  père  de  Lévi  soit 
le  même  que  l'Alphée  père  de  saint  Jacques ,  ce  nom 

(1)  J.  D.  Michaëlis,  Introd.  au  lY.  T.  t.  m,  pag.  112-115,  trad.  de 
J.  J.  Chenevière.  Nous  croyons  devoir  remarquer  ici  que  quoique  en 
général  nous  citions  d'après  cette  traduction,  et  que  nous  en  conser- 
yions  le  sens,  nous  ne  la  suivons  pas  toujours  à  la  lettre. 


112  DE   l'évangile  de   SAINT   MATTHIEU. 

étant  très-commun  chez  les  Juifs.  Ainsi,  il  n'y  a  pas  de 
motif  suffisant  d'abandonner  le  sentiment  commun  sur 
l'identité  de  Matthieu  et  de  Lévi,  sentiment  d'ailleurs 
qui  est  appuyé  sur  des  preuves  solides.  Quoi  qu'il  en 
soit,  dès  que  Jésus-Christ  eut  dit  à  saint  Matthieu  de  le 
suivre,  il  abandonna  tout  ;  mais  avant  de  quitter  sa  mai- 
son il  y  fit  un  grand  festin  au  Sauveur.  Il  n'y  avait  pas 
long-temps  que  saint  Matthieu  s'était  mis  à  la  suite  de 
Jéscs-Christ  lorsque  se  fit  l'élection  des  douze  apôtres, 
parmi  lesquels  il  est  compté  quelquefois  le  septième 
(Matth .  X,  3)  et  quelquefois  le  huitième  (Act .  i,  23).  Voilà 
à  peu  près  tout  ce  que  l'Evangile  nous  apprend  de  saint 
Matthieu.  On  ne  trouve  dans  les  monumens  des  deux 
premiers  siècles  rien  qui  nous  fasse  connaître  les  lieux 
où  il  exerça  son  ministère  apostolique  ;  il  est  cependant 
probable  qu'après  avoir  écrit  son  Evangile,  il  alla  prê- 
cher auxParthes,  où,  selon  l'opinion  la  plus  commune, 
il  finit  ses  jours  par  le  martyre. 

ARTICLE   I. 

Du  texte  original  et  du  style  de  l'Evangile  de  saint 
Matthieu. 

1.  L'opinion  la  plus  généralement  répandue  pendant 
long-temps  parmi  les  protestans,  c'est  que  saint  Mat- 
thieu a  composé  son  Evangile  en  grec.  Cette  opinion, 
combattue  cependant  par  J.  D.  Michaëlis,  a  trouvé  un 
défenseur  zélé  dansMasch,  qui  l'a  soutenue  avec  beau- 
coup de  chaleur  dans  son  écrit  :  Essai  sur  la  langue  ori- 
ginale de  l'Evangile  de  saint  Matthieu^  Balle,  1755. 
Cet  écrit  ébranla  un  instant  Michaëlis  ;  mais  un  examen 
plus  approfondi  fit  revenir  ce  critique  à  son  premier 


DE  l'évangile  de   SAIKT  MATTHIEU.  113 

sentiment.  Peu  satisfait  des  raisons  alléguées  par  Mi- 
chaëlis,  J.  L.  Hug  s'est  déclaré  pour  l'original  grec  dans 
son  Introduction  aux  écrits  du  Nouveau-Testament , 
Tubingen,  1808;  mais  il  a  trouvé  dans  H.  Olshausen  un 
habile  antagoniste  qui,  dans  son  Authenticité  des  quatre 
Évangiles  canoniques,  n'a  pas  laissé  un  seul  de  ses  argu- 
mens  sans  réponse.  Les  catholiques  ont  toujours  géné- 
ralement soutenu  que  l'hébreu  était  le  texte  primitif  de 
saint  Matthieu.  R.  Simon,  entre  autres,  a  défendu  ce 
sentiment  avec  beaucoup  de  talent  dans  son  Histoire 
critique  du  Nouveau-Testament .  C'est  aussi  celui  que 
nous  défendons  nous-méme  comme  beaucoup  plus  pro- 
bable. Voici  nos  motifs  :  1°  Le  sentiment  de  tous  les 
pères,  même  les  plus  anciens  et  les  plus  savans,  est  que 
saint  Matthieu  a  écrit  son  Evangile  en  hébreu,  ou  plutôt 
en  syro-chaldéen ,  qui  était  la  langue  des  Hébreux  à 
cette  époque.  Et  d'abord  Papias ,  évêque  d'HiérapIe , 
qui  vivait  au  second  siècle,  dit  l'avoir  appris  du  prêtre 
Jean,  encore  plus  ancien  que  lui  (Ij.  Saint  ïrénée,  qui 
avait  eu  saint  Polycarpe  pour  maître,  assure  aussi  comme 
une  chose  constante  que  saint  Matthieu  avait  écrit  en 
hébreu  (2).  De  plus,  Eusèbe  nous  apprend  que  Pantène, 
chef  d'une  école  à  Alexandrie,  vers  la  fin  du  second 
siècle,  ayant  fait  une  mission  évangélique  dans  les  Indes, 
y  trouva  l'Évangile  de  saint  Matthieu  écrit  en  hébreu, 
que  l'apôtre  saint  Barthélemi  y  avait  laissé,  et  saint  Jé- 
rôme ajoute  que  saint  Pantène  l'apporta  à  Alexandrie  (3). 

(1)  Voy.  Papias  apud  Euseb.  Hist.  Ecoles,  l.  m,  c.  xxxii. 

(2)  Iren.  Adv.  hœrcs.  l.  m,  c.  i. 

(S)  Euseb.  Ibid.  L  y,  c.  x.  Par  le  mot  Indes,  il  faut  entendre  l'Ara- 
Lie  heureuse,  comme  l'a  déjà  observé  Tillemont  dans  ses  Mémoires, 


114  DE    l'évangile   de   SAINT   MATTHIEU. 

Origène,  cité  par  Eusèbe,  dit  avoir  appris  de  la  tradition 
des  anciens  que  saint  Matthieu  avait  écrit  en  hébreu;  et 
Eusèbe  lui-même,  après  avoir  cité  les  témoignages  pré- 
cédens  sans  donner  à  entendre  qu'on  pût  les  combattre, 
mais  parlant  aussi  en  son  nom  sur  ce  sujet  et  exprimant 
son  propre  sentiment,  Eusèbe  dit  :  «  Matthieu,  qui  avait 
d'abord  prêché  aux  Hébreux,  leur  donna,  comme  il  se 
préparait  à  partir  pour  d'autres  contrées,  son  Evangile, 
qu'il  avait  écrit  dans  leur  langue  natale  (1).  »  Saint 
Epiphane  était  tellement  dans  cette  persuasion,  qu'il  ne 
doutait  pas  que  l'Evangile  hébreu  dont  se  servaient  en- 
core de  son  temps  les  nazaréens  ne  fût  le  véritable 
original  de  saint  Matthieu.  Saint  Jérôme  affirme  aussi 
sans  hésiter  que  cet  évangéliste  a  écrit  en  hébreu,  mais 
qu'on  ne  sait  pas  d'une  manière  certaine  [iion  satis  cer- 
tum  est)  par  qui  son  Evangile  a  été  traduit  en  grec.  Le 
même  père  ajoute  aussitôt  que  l'original  hébreu  se  con- 
servait encore  de  son  temps  dans  la  bibliothèque  de  Gé- 
sarée,  et  que  les  nazaréens  de  Bérée,  ville  de  Syrie,  lui 
avaientpermis  de  le  transcrire  (2).  Ce  témoignage  de  saint 
Jérôme  doit  avoir  d'autant  plus  de  poids  pour  un  critique 
impartial ,  que  le  savant  et  judicieux  père  y  distingue 
ayec  soin  ce  qui  lui  paraissait  certain  de  ce  qui  ne  l'était 
pas  à  ses  yeux.  Nous  avons  encore  dans  le  troisième 
siècle,  en  faveur  de  la  thèse  que  nous  soutenons,  Doro- 
thée; dans  le  quatrième,  saint  Athanase,  saint  Cyrille 
de  Jérusalem,  saint  Grégoire  deNazianzeet  saint  Chry- 

et  comme  on  l'a  monirô  d'une  iiianière  bien  plus  claire  encore  depuis 
ce  savant. — Kieron.  i7i  Catalog.  viror.  illnslr.  c.  xxxvi. 

(1)  Orig.   apud  Euscb.  Hisl.  Ecd,  l.  vi,  c.   xxv.  —  Euseb.  iLnd. 
l.  m,  c.  XXIV. 

(2)  Epiphan.  Hœres,  xxix.  nnm.  9.  Micron.  Catalog.  c.  m. 


DE    l'évangile    de   SAINT  MATTHIEU.  1 1  5 

sostome.  On  peut  ajouter  à  cette  série  de  témoignages, 
saint  Augustin,  au  cinquième  siècle;  Théophylacte,  au 
onzième;  Nicéphore,  Callixte,  au  quatorzième. — 2°  Pres- 
que toutes  les  souscriptions  ajoutées  aux  manuscrits 
grecs  et  aux  versions  de  saint  Matthieu  témoignent  la 
même  chose  ;  il  n'y  en  a  peut-être  pas  une  seule  qui  dise 
que  l'Evangile  de  saint  Matthieu  ait  été  écrit  en  grec.  Or 
cette  uniformité  dans  un  si  grand  nombre  de  manuscrits 
et  de  versions  doit  nécessairement  avoir  une  certaine 
autorité.  —  3°  Pour  contrebalancer  une  masse  aussi  im- 
posante de  témoignages ,  il  faudrait  des  preuves  tirées 
des  caractères  internes  bien  fortes  et  bien  manifestes. 
Or  nos  adversaires  seraient  fort  en  peine  d'en  offrir  une 
seule  de  cette  nature  ;  et  si  toutefois  ils  parvenaient  à 
en  produire,  une  saine  critique  s'opposerait  encore  à  ce 
qu'on  renonçât  à  la  tradition  constante  et  universelle 
que  nous  venons  de  faire  connaître,  et  nous  forcerait 
plutôt  à  conclure  que  saint  Matthieu,  outre  un  Évangile 
hébreu ,  a  encore  composé  un  Évangile  grec  :  de  ma- 
nière qu'au  lieu  d'un  original  unique,  nous  en  aurions 
deux,  ce  qui,  soit  dit  en  passant,  confirmerait  l'authen- 
ticité de  son  Évangile. 

Cependant  on  a  opposé  plusieurs  difficultés  à  ce  sen- 
timent. Ainsi  on  a  dit  :  1°  Le  fait  qui  atteste  que  saintMat- 
thieu  a  composé  originairement  son  Évangile  en  hébreu 
ne  repose  pas  sur  une  autorité  suffisante;  car  cette  auto- 
rité se  réduit  au  témoignage  de  Papias,  que  tous  les  autres 
pères  ont  suivi,  et  à  celui  des  ébionites  et  des  nazaréens. 
Or  Papias  était  un  auteur  très-crédule,  d'un  faible  juge- 
ment, comme  dit  Eusèbe,  un  écrivain  qui  adoptait  faci- 
lement les  bruits  populaires.  Cet  homme  crédule,  qui  ne 
connaissait  d'autre  Évangile  hébreu  que  celui  des  naza- 


116  DE  ï/ÉVANGILE  DE   SAINT  MATTHIEU. 

réens,  dont  il  cite  effectivement  un  passage,  aura  cru 
bonnement  que  cet  Evangile  hébreu  était  de  saint  Mat- 
thieu, et  aura  avancé  cette  opinion  dans  ses  ouvrages. 
D'un  autre  côté,  saint  Irénée,  qui  faisait  un  grand  cas 
des  ouvrages  de  Papias,  dont  il  a  emprunté  le  milléna- 
risme,  y  trouvant  cette  opinion,  l'aura  adoptée  après  lui 
et  d'après  son  autorité  ;  ainsi  son  témoignage  se  réduit 
à  celui  de  Papias,  qui  n'est  pas  recevable.  Quant  à  Ori- 
gène,  il  n'assure  point  comme  résultat  d'un  examen  cri- 
tique que  saint  Matthieu  ait  écrit  en  hébreu,  mais  seule- 
ment, comme  dit  Eusèbe,  d'après  la  tradition.  Or  cette 
tradition  n'était  que  celle  de  Papias,  de  saint  Irénée  et 
des  chrétiens  judaïsans,  c'est-à-dire  une  tradition  incer- 
taine. Eusèbe  rapporte  le  fait  comme  historien,  le  trou- 
vant dans  Papias  et  dans  les  autres  qui  l'ont  suivi.  Et 
d'ailleurs,  comment  pourrait-il  le  rapporter  autrement, 
puisque  dans  son  commentaire  sur  les  Psaumes  il  sup- 
pose que  saint  Matthieu  a  traduit  en  grec  les  passages 
de  r Ancien-Testament?  Ainsi  tous  les  témoignages  his- 
toriques se  réduisent  à  l'autorité  des  nazaréens  et  des 
ébionites,  qui  a  séduit  Papias.  Or  cette  autorité  'fest  de 
nulle  valeur,  puisque  l'Évangile  de  ces  hérétiques  est 
très-différent  de  celui  de  saint  Matthieu. — Mais  d'abord, 
c'est  sans  preuve  aucune  que  nos  adversaires  prétendent 
réduire  toute  la  tradition  au  seul  témoignage  de  Papias, 
comme  nous  allons  le  montrer.  Ils  ne  sont  pas  plus  fon- 
dés quand  ils  veulent  affaiblir  l'autorité  de  cet  ancien 
écrivain,  qui,  il  faut  bien  le  remarquer,  ne  s'appuie  nul- 
lement sur  l'Evangile  des  nazaréens,  dont  il  ne  parle 
même  pas,  mais  sur  le  récit  que  lui  en  avait  fait  le  prêtre 
Jean,  plus  ancien  que  lui,  et  qui  vivait  du  temps  des 
apôtres.  En  admettant  même  le  jugement  sévère  qu'en 


DE   l'évangile   de    SAINT   MATTHIEU.  117 

porte  Eusèbe,  et  en  supposant  que  Papias  ait  été  d'une 
grande  simplicité  d'esprit,  il  est  difficile  qu'il  ait  pu  être 
trompé  sur  un  fait  aussi  facile  à  saisir,  et  qui  consiste 
uniquement  à  savoir  si  le  prêtre  Jean  lui  avait  dit  que 
saint  Matthieu  eût  composé  son  Évangile  en  hébreu  ;  car 
voilà  l'unique  autorité  sur  laquelle  Papias  se  fonde,  et 
il  ne  parle  ni  des  nazaréens  ni  de  leur  Evangile  hébreu. 
Mais  nos  adversaires  ne  se  méprennent-ils  pas  sur  les 
vrais  sentimens  d'Eusèbe  ?  Pour  nous  ,  nous  sommes 
persuadé  que  quiconque  lira  sans  prévention  tout  ce 
que  cet  historien  rapporte  de  Papias  restera  convaincu 
que  toute  la  faiblesse  d'esprit  qu'il  lui  reproche  consis- 
tait seulement  à  croire  avec  trop  de  facilité  à  certains 
miracles,  et  à  prendre  à  la  lettre  une  multitude  de  pas- 
sages de  l'Ecriture  dont  le  sens  est  incontestablement 
figuré,  et  queHug  a  évidemment  tiré  une  fausse  consé- 
quence du  passage  dans  lequel  Eusèbe  dit  de  Papias  que 
ses  écrits  prouvaient  qu'il  avait  l'esprit  très-étroit.  Voici 
les  propres  paroles  d'Eusèbe  (1)  :  «  J'ai  déjà  rapporté 
que  l'apôtre  Philippe  vivait  àHiéropolis  avec  ses  filles; 
j'ajouterai  maintenant  le  récit  d'un  miracle  que  Papias, 
qui  vivait  à  la  même  époque,  dit  avoir  entendu  raconter 
aux  filles  de  Philippe,  savoir ,  qu'un  mort  avait  été  de 
leur  temps  rappelé  à  la  vie.  Il  cite  aussi  un  autre  miracle 
arrivé  à  Juste,  surnommé  Barnabas,  que  l'on  dit  avoir 
bu  du  poison  sans  en  recevoir  aucun  mal.  Ce  même  écri- 
vain a  raconté  plusieurs  autres  choses  qu'il  tenait  de  la 
tradition  orale,  comme  des  paraboles  et  des  enseigne- 
mens  du  Sauveur,  dont  nous  ne  trouvons  aucune  trace, 

(1)  Euseb.  Hist.  Ecd.  l.  m,  c.  xxxix.  Gompar,  Hug,  Einleit,  in 
die  Schririendes  N.  T.  Th.  ii.  Seit.  16,  17.  Auflarje  2. 


<18  DE   l'évangile  de   SALNT   MATTHIEU. 

de  même  que  d'autres  faits  plus  fabuleux  encore.  Je 
citerai  entre  autres  le  conte  qu'après  la  résurrection  des 
morts  le  Christ  régnera  sur  la  terre  pendant  mille  ans. 
Je  suppose  qu'il  doit  de  semblables  idées  à  une  fausse 
interprétation  des  discours  figurés  et  mystiques  des 
apôtres  ;  car,  à  en  juger  d'après  ses  écrits,  il  a  l'esprit 
tout-à-fait  borné  [ttûw  (7u.f/.^oç  rôv  voOv).  »  Pantène,  vers 
la  fin  du  second  siècle,  ayant  visité  en  Arabie  des  chré- 
tiens ,  trouva  entre  leurs  mains  l'Évangile  hébreu  que 
leur  avait  laissé  saint  Barthélemi.  Voilà  un  témoignage 
indépendant  de  celui  de  Papias,  et  bien  plus  ancien  que 
lui,  puisqu'il  remonte  jusqu'à  saint  Barthélemi.  Il  n'y  a 
rien  d'ailleurs  qui  prouve  que  saint  Irénée  ait  puisé  son 
opinion  dans  Papias,  puisqu'il  ne  le  cite  pas;  il  est  bien 
plus  probable  qu'il  l'a  trouvée  dans  la  tradition  commune. 
Origène,  si  opposé  à  Papias  par  rapport  au  milléna- 
risme,  n'aurait  pas  non  plus  adopté  ce  sentiment,  s'il  ne 
l'avait  trouvé  que  dans  ce  seul  écrivain.  Il  dit  l'avoir 
appris  de  la  tradition,  et  de  cette  même  tradition  qui  lui 
enseignait  que  saint  Matthieu,  saint  Marc,  saint  Luc  et 
saint  Jean,  étaient  les  auteurs  des  quatre  Évangiles. 
Eusèbe  ne  cite  point  Papias  ;  le  texte  que  nous  avons 
rapporté  de  lui  quelques  lignes  plus  haut  (pag.  114), 
prouve  jusqu'à  l'évidence  que  cet  historien  a  exprimé 
son  propre  sentiment.  D'ailleurs  l'opinion  que,  suivant 
nos  adversaires,  il  avait  de  Papias  fait  repousser  toute 
idée  qu'il  ait  rien  avancé  sur  son  autorité.  Eusèbe  rap- 
porte donc  la  chose  comme  constante,  et  dit  même  que 
l'Évangile  hébreu  de  saint  Matthieu  a  subsisté  dans  l'É- 
glise jusqu'au  temps  de  Pantène.  Quant  au  passage  de 
son  commentaire  sur  les  Psaumes,  qu'on  nous  objecte, 
il  n'est  nullement  contraire  à  ce  sentiment.  En  effet,  ce 


DE  l'évangile   de   SAINT   MATTHIEU.  119 

père,  dans  ses  notes  sur  le  verset  2  du  psaume  lxxvii, 
verset  cité  dans  saint  Matthieu  (xiii,  55;  autrement  qu'il 
De  se  lit  dans  les  Septante ,  explique  cette  différence 
en  disant  que  cet  évangéliste  étant  Hébreu,  s'est  servi 
otxîia  ixoÔTîL,  littéralement  d'une  édition  de  famille,  c'est- 
à-dire  d'une  édition  qui  lui  était  propre  en  tant  qu'Hé- 
breu, en  d'autres  termes,  d'une  édition  du  texte  hébreu. 
Nos  adversaires  traduisent  par  sa  propre  traduction,  et 
concluent  de  là  que,  selon  Eusèbe,  saint  Matthieu  écri- 
vit en  grec.  «  Mais  le  mot  iy-oocig,  remarque  judicieuse- 
ment Michaëlis,  ne  signifie  pas  nécessairement  une  tra- 
duction; littéralement  il  signifie  une  édition,  et  peut 
s'appliquer  aussi  bien  à  l'hébreu  qu'au  grec.  Et  quand 
on  voudrait  donner  à  ce  mot  le  sens  de  traduction,  l'ex- 
pression oUzicc  exo^.Tt;  signifierait  plutôt  une  traduction 

qui  était  en  usage  au  temps  de  saint  Matthieu Enfin, 

si  iy.âorriç  devait  s'entendre  d'une  traduction,  relative- 
ment à  saint  Matthieu,  ce  serait  d'une  traduction  syro- 
chaldaïque  et  nullement  d'une  version  grecque  (1).  » 

Le  témoignage  des  nazaréens  et  des  ébionites  n'est 
sans  doute  d'aucune  autorité  par  rapport  à  l'intégrité 

(1)  J.  D.  Michaëlis,  Inlrod.  au  N.  T.  t.iUjpag.  173.  Les  mois 
EÇoaTo;  wv  h  MxrQaTo;,  Matthieu  étant  Hébreu,  qn'Easèhe  met  immé- 
diatement devant  l'expression  o'xsi'a  èxSo^zi  %iyof\rai,  prouve  claire- 
ment, ce  nous  semble,  en  faveur  de  notre  sentiment  ;  car  sans  ce!a, 
que  signifie  cette  observation  sur  Torigine  de  Tévangéliste?  il  est  vrai 
que  quelques  critiques  suivis  par  Hug  ont  rendu  ce  passage  par  : 
Matthieu  qui  connaissait  V hébreu  les  a  traduits  à  sa  manière;  mais 
outre  que  celte  explication  est  un  contre- sens  manifeste  ,  elle  donne 
plutôt  à  entendre  que  saint  Mattiiieu  a  traduit  en  hébreu  le  verset  2 
du  f)saume  lxxvii  des  Septante,  et  que  par  conséquent  son  Évangile 
a  éié  originairement  composé  en  cette  langue.  Toutefois  le  texte  hé- 
breu actuel  est  parfaitement  conforme  à  la  version  d'Alexandrie. 


120  DE    l'évangile    de  SAINT  MATTHIEU. 

de  l'Evangile  de  saint  Matthieu  ;  mais  pourquoi  n'aurait- 
il  pas  quelque  poids  par  rapport  à  l'origine  hébraïque 
de  cet  Evangile ,  lorsqu'il  se  trouve  d'accord  avec  le 
témoignage  de  toute  l'antiquité  ecclésiastique?  —  2"  Au 
temps  de  saint  Matthieu,  l'idiome  grec,  devenu  vulgaire, 
était  beaucoup  mieux  entendu  des  Juifs  de  Palestine, 
pour  lesquels  le  syro-chaldéen  était  comme  une  langue 
savante.  La  Palestine  abondait  en  villes  grecques;  Jé- 
rusalem elle-même  renfermait  des  communautés  reli- 
gieuses entièrement  composées  de  Juifs  parlant  grec. 
Pilate  et  les  autres  gouverneurs  romains  parlaient  en 
grec  aux  Juifs.  Les  lettres  de  divorce  pouvaient  être 
écrites  indifféremment  dans  les  deux  langues.  Or,  dans 
de  pareilles  circonstances ,  saint  Matthieu ,  qui  écrivait 
pour  l'utilité  de  tous  les  Juifs,  a  dû  le  faire  dans  la  lan- 
gue qui  était  la  plus  généralement  entendue  parmi  eux, 
c'est-à-dire  en  grec.  Déplus,  saint  Matthieu  savait  bien 
que  Jérusalem  allait  être  détruite,  et  que  le  peuple  juif, 
dispersé  parmi  les  nations,  achèverait  de  perdre  ce  qui 
lui  restait  encore  de  sa  langue  naturelle;  devait-il  alors 
écrire  dans  une  langue  qui  allait  cesser  d'être  vulgaire, 
et  circonscrire  ainsi  dans  le  cercle  de  quelques  années 
seulement  l'usage  d'un  ouvrage  aussi  important  que  le 
sien?  —  Cette  objection  prouverait  tout  au  plus  que 
saintMatthieu  a  pu  écrire  son  Evangile  en  grec,  mais  non 
point  qu'il  a  dû  nécessairement  le  faire.  Car,  quoique  le 
grec  fût  parlé  à  Jérusalem  et  dans  les  grandes  villes  de 
la  Palestine,  cependant  dans  les  bourgades  et  dans  les 
petites  villes ,  le  peuple  ne  connaissait  que  sa  langue 
naturelle.  C'était  vrai  surtout  de  la  Galilée,  où  JÉscs- 
Christ  avait  si  souvent  évangélisé.  Les  Galiléens  avaient 
même  un  dialecte  particulier,  comme  on  le  voit  par  l'E- 


DE   l'évangile    de   SAL\T   .MATTHIEU.  121 

vangile  même  (Matlh.  xxvi,  73;  Marc,  xiv,  70) .  De  plus, 
il  est  constant  parles  Actes  des  xipùtres  etpar  Joseph,  que 
la  plupart  des  Juifs  connaissaient  le  syro-clialdéen,  et 
Hug  avoue  lui-même  qu'ils  comprenaient  mieux  cette 
langue,  et  qu'ils  la  préféraient  (1).  Or,  dans  de  pareilles 
circonstances,  n'était-ii  pas  convenable  que  saint  Mat- 
thieu écrivît  en  hébreu,  que  tout  le  monde  entendait,  et 
pour  lequel  les  Juifs  avaient  tant  d'attraits?  Ajoutons  que 
saint  Matthieu  étant  Galiléen,  a  dû  tout  naturellement 
songer  à  ses  compatriotes,  que  Jésus-Christ  avait  évan- 
gélisés,  et  auxquels  il  avait  très-vraisemblablement  prê- 
ché lui-même  l'Evangile  qu'il  a  mis  plus  tard  par  écrit. 
Quant  à  ce  qu'on  objecte ,  que  si  saint  Matthieu  avait 
composé  son  Evangile  en  hébreu,  il  en  aurait  bien  res- 
treint l'utilité,  nous  répondrons  avec  Michaëlis  que  ce 
n'étaient  pas  seulement  les  Juifs  de  Palestine  qui  par- 
laient cette  langue ,  mais  aussi  ceux  de  Syrie  et  de 
Mésopotamie,  qu'il  y  avait  encore  bien  des  familles  en 
Arabie;  et  quoique  l'hébreu,  ou  plutôt  le  syro-chaldéen, 
ne  fut  pas  la  langue  de  cette  contrée,  cependant  les  Juifs 
qui  y  étaient  établis,  et  qui  y  avaient  transporté  leur  pa- 
raphrase chaldaïque,  conservaient  probablement  leur 
langue  naturelle,  et  que  nous  ne  devons  pas  oublier  que 
c'est  en  Arabie  que  Pantène  passe  pour  avoir  vu  l'Evan- 
gile hébreu  de  saint  Matthieu  à  la  fin  du  second  siècle, 
d'où  nous  voyons  qu'il  continua  à  être  en  usage  chez 
les  Juifs  orientaux,  long-temps  après  la  destruction  de 
Jérusalem  et  la  dispersion  des  Juifs  de  Palestine  (2). 
Enfin,  saint  Matthieu  n'ignorait  pas  sans  doute  que  son 

(1)  Hug,  Einleit.  Th.  ii,  ^S".  46,  47. 

(2)  yiichadh,  Inlrod,au  JY.  T.  l.  i\,paj.  177,  178. 

V.  6 


122  DE   l'évangile   de   SAIXT   MATTHIEU. 

Évangile  pouvant  facilement  être  traduit  en  grec ,  de- 
venait par  là  même  accessible  aux  Juifs  hellénistes. — 
3°  Si  l'original  de  saint  Matthieu  avait  été  en  hébreu,  on 
n'aurait  pas  manqué  de  le  conserver  soigneusement  et 
d'en  tirer  un  grand  nombre  de  copies  ;  la  chose  ne  sau- 
rait être  douteuse  pour  un  ouvrage  de  cette  importance. 
Or,  cet  important  ouvrage  n'a  jamais  été  connu  dans 
les  anciens  temps,  jamais  il  ne  s'en  est  trouvé  une  seule 
copie.  En  effet,  les  églises  de  Syrie,  qui  parlaient  à  peu 
près  la  langue  dans  laquelle  cet  Évangile  eût  été  com- 
posé ,  et  qui  pouvaient  si  aisément  s'en  servir  quand 
elles  ont  fait  traduire  le  Nouveau-Testament  dans  leur 
langue,  ne  l'ont  point  connu,  puisque  leur  fameuse  ver- 
sion Beschito,  dont  on  peut  reporter  l'origine  jusqu'au 
second  siècle,  est  faite  d'après  le  texte  grec.  Origène, 
qui  avait  fait  tant  de  voyages  et  de  recherches,  et  à  qu| 
l'original  de  saint  Matthieu  eût  été  si  nécessaire  pour 
l'édition  correcte  des  Evangiles  à  laquelle  il  travaillait» 
n'a  connu  que  l'Évangile  hébreu  des  ébionites  et  des 
nazaréens,  dont  il  s'est  bien  gardé  de  faire  usage  pour 
corriger  le  texte  évangélique.  Saint  Pamphile,  son  dis- 
ciple, qui  avait  formé  une  si  belle  bibliothèque  et  ras- 
semblé tant  de  manuscrits  curieux  ,  n'avait  pu  trouver 
que  l'exemplaire  hébreu  des  nazaréens ,  qu'a  traduit 
saint  Jérôme,  et  qui  est  bien  différent  de  notre  Evangile 
authentique.  Ainsi ,  l'existence  de  l'original  hébreu  de 
saint  Matthieu  ne  repose  que  sur  un  bruit  vague,  et  n'a 
pas  en  sa  faveur  l'autorité  d'un  seul  témoin  oculaire.  — 
Pour  résoudre  cette  difficulté  et  bien  expliquer  quel  a 
été  le  sort  de  l'original  hébreu  de  saint  Matthieu,  il  faut 
observer  qu'il  y  avait  deux  sectes  distinctes  de  chrétiens 
judaïsans,  ceux  qui  admettaient  la  nécessité  de  l'obser- 


DE   l'évangile  de   SAL\T   MATTHIEU.  123 

vation  de  la  loi  cérémonielle  même  pour  les  Gentils,  et 
ceux  qui,  tout  en  observant  les  pratiques  légales,  recon- 
naissaient qu'elles  n'étaient  point  obligatoires,  surtout 
pour  les  Gentils  convertis.  Les  premiers  étaient  mani- 
festement hérétiques ,  et  c'est  d'eux  que  sortit  la  secte 
des  ébionites,  qui  niaient  la  divinité  et  la  conception  vir- 
ginale de  Jésus-Christ.  Les  autres,  qu'on  a  appelés 
nazaréens ,  n'avaient  d'autre  erreur  que  de  se  croire 
toujours  obligés  à  l'observation  de  la  loi,  même  après 
qu'elle  avait  été  abrogée.  Ces  deux  sectes  conservèrent 
l'Évangile  hébreu  de  saint  Matthieu ,  avec  cette  diffé- 
rence que  les  ébionites  en  retranchèrent  les  deux  pre- 
miers chapitres  pour  le  rendre  conforme  à  leurs  erreurs, 
tandis  que  les  nazaréens  le  gardèrent  dans  toute  son 
intégrité  en  y  faisant  seulement  quelques  additions,  qui 
étaient  ou  de  simples  explications  du  texte,  ou  des  par- 
ticularités qu'ils  tenaient  de  la  tradition  ;  mais  ces  ad- 
ditions étaient  si  peu  importantes,  que  saint  Jérôme,  qui 
l'avait  vu  et  transcrit ,  comme  nous  l'avons  remarqué 
un  peu  plus  haut  (pag .  1 14-) ,  le  regardait  comme  l'original 
authentique  de  saint  Matthieu.  Ce  qu'il  y  a  de  bien  cer- 
tain, c'est  qu'aucun  auteur  ancien  n'a  reproché  aux  na- 
zaréens d'avoir  contredit  dans  leur  Évangile  aucun  des 
faits  rapportés  dans  cet  évangéliste  Quant  aux  auteurs 
de  la  version  syriaque ,  il  est  tout  naturel  qu'ils  aient 
composé  leur  version  sur  le  grec ,  reconnu  par  toute 
l'Église  catholique,  plutôt  que  sur  le  texte  syro-chal- 
déen,  qui  se  trouvait  entre  les  mains  d'une  secte,  et  qui 
avait  été  interpolé  dans  plusieurs  endroits.  Ainsi ,  il 
n'est  pas  vrai  de  dire  que  l'Évangile  des  nazaréens  dif- 
férait assez  essentiellement  de  l'Évangile  authentique  de 
saint  Matthieu,  pour  qu'on  puisse  affirmer  que  celui  que 


124  DE   l'évangile   de    SAINT  MATTHIEU. 

saint  Jérôme  a  copié  à  Bérée  ne  fût  pas  une  copie  de 
l'original  de  cet  apôtre.  Ainsi,  nos  adversaires  ne  sont 
pas  fondés  à  soutenir  qu'un  original  hébreu  de  saint 
Matthieu  n'a  jamais  été  connu  dans  l'antiquité  chré- 
tienne.— h-°  Le  plus  grand  nombre  des  citations  de  l'An- 
cien-Testament qui  se  trouvent-  dans  saint  Matthieu 
indiquent  dans  l'écrivain  grec,  quel  qu'il  soit,  une  in- 
dépendance qui  ne  saurait  être  le  partage  d'un  simple 
traducteur.  Ainsi,  par  exemple,  s'il  suit  quelquefois  la 
version  des  Septante,  il  en  fait  le  plus  souvent  une  qui  lui 
est  propre,  qu'il  met  en  rapport  avec  le  but  du  contexte, 
et  qui  par  conséquent  est  très-peu  littérale .  Outre  la  ver- 
sion des  Septante,  il  avait  encore  sous  les  yeux  le  texte 
hébreu,  auquel  il  a  recours  quand  le  sens  qu'il  porte  est 
plus  conforme  à  son  dessein .  Il  résulte  de  là  que  l'écrivain 
fait  ses  citations  tantôt  d'après  les  Septante ,  et  tantôt 
d'après  l'hébreu ,  mais  en  expliquant  l'un  et  l'autre  à  sa 
manière,  et  avec  la  plus  grande  liberté.  Or,  comment 
supposer  d'abord  qu'écrivant  en  hébreu,  et  pour  des 
Hébreux  qui  lisaient  l'Ancien  -  Testament  dans  l'i- 
diome primitif  et  national ,  il  ait  abandonné  le  texte 
original  dans  ses  citations,  pour  suivre  une  version  en 
langue  étrangère?  Gomment  supposer  encore  que  le  tra- 
ducteur se  soit  donné  la  liberté  de  prêter  au  discours 
de  saint  Matthieu  des  sens  qui  ne  peuvent  subsister  que 
d'après  la  version  des  Septante?  Que  le  traducteur  ait 
mis  à  la  place  des  citations  hébraïques  les  paroles  de 
la  version  des  Septante,  on  le  conçoit  aisément  quand 
les  citations  n'influent  pas  sur  le  sens  du  discours  de 
saint  Matthieu  ;  mais  qu'il  ait  mis  ces  citations  grecques 
quand  elles  sont  différentes ,  et  qu'il  se  soit  permis  d'y 
accommoder  le  sens  d'un  auteur  inspiré,  c'est  ce  qu'il 


DE   L'ÉVAXGILE   de    SAINT  MATTHIEU.  125 

est  difficile,  ou  pour  mieux  dire  impossible  d'admettre 
sans  s'écarter  des  lois  d'une  bonne  critique.  —  Mais  rien 
n'empêche  de  supposer  que  pour  traduire  en  syro-chal- 
déen  les  passages  de  l'Ancien-Testament,  il  ait  eu  sous 
les  yeux  le  texte  hébreu  et  celui  des  Septante,  qu'il  se 
soit  servi  tantôt  de  l'un ,  tantôt  de  l'autre,  selon  que  cela 
était  plus  conforme  à  son  objet,  et  qu'il  ait  pu  donner  à 
son  discours  toutesles  tournures  qu'on  objecte.  Ainsi,  il 
n'est  nullement  nécessaire,  dans  notre  sentiment,  de  re- 
jeter sur  le  compte  du  traducteur  grec  ces  traductions 
libres  et  en  quelque  sorte  paraphrasées'  des  passages 
de  l'Ancien-Testament  cités  dans  saint  Matthieu ,  c'est 
à  l'évangéliste  lui-même  qu'il  faut  les  attribuer.  Mais 
admettons  que  les  raisons  qu'on  nous  oppose  soient  dé- 
monstratives ,  il  ne  s'ensuivra  pas  pour  cela  que  saint 
Matthieu  n'ait  pas  écrit  un  Evangile  hébreu,  comme  l'at- 
teste toute  l'antiquité,  il  s'ensuivra  seulement  qu'après 
l'avoir  écrit  en  cette  langue,  il  en  a  composé  un  autre  en 
grec,  de  manière  qu'il  y  aurait  deux  originaux  de  l'E- 
vangile de  saint  Matthieu  ;  un  en  syro-chaldéen  pour 
l'usage  des  Juifs  de  Palestine,  et  un  autre  en  grec  pour  l'u- 
sage des  Juifs  hellénistes.  Cette  supposition,  outre  qu'elle 
est  possible,  est  encore  très-vraisemblable  ;  car  saint  Mat- 
thieu ayant  quitté  la  Palestine  pour  évangéliser  d'autres 
pays,  où  l'hébreu  n'aurait  pas  été  entendu,  a  dû  traduire 
son  Evangile ,  l'approprier  à  ses  derniers  néophytes  ; 
à  moins  qu'on  ne  dise ,  avec  quelques  critiques,  qu'un 
de  ses  disciples  l'a  traduit  d'après  ses  idées  et  sous  sa 
direction,  ce  qui  revient  à  peu  près  au  même.  Ajoutons 
que  l'hypothèse  de  ce  double  original  acquiert  un  nou- 
veau degré  de  consistance ,  quand  on  considère  qu'elle 
résout  parfaitement  plusieurs  problèmes  qui  paraissent 


126  DE   L  ÉVANGILE   DE   SAINT   MATTHIEU, 

d'ailleurs  insolubles.  C'est  elle  seule  ,  en  effet,  qui  peut 
nous  expliquer  d'une  manière  satisfaisante  comment 
le  texte  {jrec  est  si  ancien  dans  l'Eglise,  et  pourquoi  il  y 
a  été  si  généralement  admis,  et  comment  personne  n'a 
jamais  parlé  de  l'auteur  d'une  traduction  si  célèbre,  et 
qui  a  eu  tout  de  suite  une  si  grande  autorité  dans  l'E- 
glise. Elle  seule  encore  explique  facilement  les  varian- 
tes qu'il  y  avait  entre  notre  texte  grec  et  l'exemplaire 
hébreu  des  nazaréens,  en  nous  permettant  de  supposer 
que  quelques-unes  des  additions  faites  dans  les  cita- 
tions de  l'Ancien-Testament  appartenaient  au  premier 
travail  de  saint  Matthieu,  et  qu'il  les  a  retranchées  dans 
le  second  comme  n'étant  pas  aussi  nécessaires  aux  peu- 
ples qu'il  instruisait  en  dernier  lieu.  — 5''  On  rencontre 
dans  cet  Evangile  plusieurs  mots  hébreux  et  syriaques, 
tels  que  Emmanuel^  Golgotha, Haceldama,  etc.,  expli- 
qués en  grec. — La  conséquence  que  nos  adversaires  ti- 
rent de  leur  principe,  lequel  est  d'ailleurs  incontestable, 
ne  nous  semble  pas  très-rigoureuse  ;  car  si  de  ce  même 
principe  nous  inférions  de  notre  côté  que  ces  explica- 
tions viennent  du  traducteur  grec,  ils  n'auraient  aucun 
droit  de  rejeter  notre  conclusion.  Dans  l'hypothèse  d'un 
double  original  publié  par  saint  Matthieu  lui-même,  elle 
ne  serait  pas  plus  attaquable  ;  car,  bien  qu'écrivant  en 
grec,  l'historien  sacré  pouvait  sans  difficulté  conserver 
dans  leur  propre  langue  certains  termes  et  certains  dis- 
cours, en  les  expliquant  toutefois,  pour  l'utilité  de  ceux 
auxquels  il  destinait  son  Evangile  grec.  Il  n'y  a  pas  d'au- 
teur qui,  se  trouvant  dans  les  conditions  où  nous  sup- 
posons saint  Matthieu,  eût  fait  autrement. 

2.  Quant  au  style  de  l'Evangile  de  saint  Matthieu ,  nous 
ne  pouvons  parler  que  du  texte  grec ,  puisque  l'original 


DE   l'évangile   de   SAINT  MATTHIEU.  127 

hébreu  n'est  point  parvenu  jusqu'à  nous.  Or,  le  style  de 
ce  texte  est  simple  et  naturel ,  c'est-à-dire  tel  qu'il  con- 
vient à  un  historien  sincère ,  et  surtout  à  un  historien  sa- 
cré, dont  la  narration  doit  être  exempte  de  toute  affecta- 
tion et  de  tout  ornement  indigne  de  la  grandeur  et  de  la 
gravité  des  faits  qu'il  rapporte.  Son  langage ,  plein  d'hé- 
braïsmes ,  est  tout-à-fait  dans  le  goût  et  dans  le  genre  de 
la  langue  hellénique  qui  avait  cours  chez  les  Juifs  à 
cette  époque. 

ARTICLE  II. 

Du  temps  et  du  lieu  où  fut  composé  l'Evangile  de 
saint  Matthieu. 

1.  Le  partage  d'opinions  qui  existe  entre  les  inter- 
prètes anciens  et  modernes  ne  permet  pas  de  fixer  d'une 
manière  certaine  l'époque  à  laquelle  saint  Matthieu  a  com- 
posé son  Evangile.  Un  sentiment  assez  commun  est  que 
cet  évangéliste  a  écrit  environ  huit  ans  après  l'ascension 
du  Sauveur  ou  l'an  41 .  C'est  en  efPet  cette  date  que  portent 
plusieurs  manuscrits  grecs ,  et  que  donnent  aussi  Théo- 
phylacte,  Euthymius  et  d'autres  écrivains  plus  modernes, 
La  Chronique  pascale,  composée  au  vr  siècle,  fixe  la 
composition  de  cet  Évangile  à  l'an  16  après  l'ascension; 
mais  saint  Irénée  la  recule  jusqu'au  temps  oii  saint  Pierre 
et  saint  Paul  évangélisaient  à  Rome  ;  ce  qui  ne  peut  être 
plus  tôt  que  l'an  61.  L'autorité  de  saint  Irénée,  qui  vivait 
au  II"  siècle,  et  qui  avait  été  disciple  de  saint  Polycarpe, 
semblerait  devoir  être  décisive,  d'autant  plus  qu'elle  ne 
paraît  pas  avoir  été  contredite  dans  les  cinq  premiers 
siècles.  Cependant,  comme  toute  l'antiquité  nous  affirme 
que  saint  Matthieu  composa  son  Évangile  en  Judée,  avant 


128  DE   l'évangile  de    SAINT   MATTHIEU. 

que  les  apôtres  ne  se  fussent  séparés ,  il  n'est  guère  vrai- 
semblable que  saint  Matthieu ,  qui  a  été  l'apôtre  de  plu- 
sieurs nations,  ait  demeuré  plus  de  trente  ans  en  Judée , 
et  que  les  apôtres  y  soient  restés  si  long-temps  sans  se 
séparer.  De  plus ,  tous  les  manuscrits ,  toutes  les  ver- 
sions et  tous  les  pères,  attestent  unanimement  que  saint 
Matthieu  a  écrit  avant  les  autres  évangélistes.  Or,  s'il  n'a- 
vait écrit  qu'après  l'an  61 ,  il  serait  difficile  d'accorder 
ce  témoignage  avec  la  date  que  les  auteurs  ecclésias- 
tiques assignent  à  la  composition  des  Evangiles  de  saint 
Marc  et  de  saint  Luc.  On  pourrait  concilier  ces  deux  opi- 
nions qui  se  combattent  par  l'hypothèse  dont  nous  avons 
parlé  à  l'article  précédent ,  celle  de  deux  originaux  de 
l'Évangile  de  saint  Matthieu  ,  l'un  hébreu  et  l'autre  grec. 
En  supposant  en  effet  que  l'original  hébreu,  ayant  été 
fait  en  Palestine  pour  l'usage  des  Juifs  convertis,  a  dû  être 
écrit  le  premier,  et  que  l'exemplaire  grec  a  été  composé 
beaucoup  plus  tard  pour  les  Gentils  convertis  par  saint 
Matthieu,  on  fait  aisément  disparaître  la  contradiction 
qui  se  trouve  entre  Théophylacte ,  Euthymius  et  les  ma- 
nuscrits grecs  d'un  côté  et  saint  Irénée  de  l'autre  ,  puisque 
tien  alors  n'empêche  de  placer  la  composition  de  l'ori- 
ginal hébreu  à  l'an  8  avec  les  premiers  ,  et  celle  du  texte 
grec  à  l'an  61  avec  ce  dernier  père  (1).  Hug  veut  que 
l'Evangile  de  saint  Matthieu  n'ait  été  rédigé  qu'au  com- 
mencement du  siège  de  Jérusalem ,  et  il  prétend  fixer  sû- 
rement cette  date  par  des  argumens  que  fournit  le  livre 
lui-miême.  D'abord  il  fait  observer  que  les  paroles  jms- 
qit'à  ce  jour  qui  s'y  trouvent  deux  fois  (  xxvii,  8,  et 

(1)  Il  faut  avouer  cependant  que  le  texte  même  de  saint  Irénée  n'est 
pas  favorable  à  celte  explication  ;  car  ce  père  parle  en  propres  termes 
de  Toriginal  hébreu  {Adv.  hœres.  l.  m,  c.  i). 


DE  l'évangile  de  SAINT  MATTHIEU.  129 

XXVIII ,  15  )  supposent  entre  les  événemens  et  le  récit 
de  l'évangéliste  un  espace  de  temps  plus  long  que  celui 
de  huit  à  dix  ans  ;  et  que  la  remarque  qu'il  fait  sur  la 
coutume  de  délivrer  un  criminel  à  la  fête  de  Pâques ,  in- 
dique un  temps  éloigné  où  cette  coutume  n'avait  pas  lieu . 
Il  fait  observer  encore  que  Zacharie ,  fils  de  Barachie , 
tué  entre  le  vestibule  et  l'autel ,  est  le  même  que  celui 
dont  parle  Joseph,  et  qui,  peu  de  temps  avant  la  prise 
de  Jérusalem ,  fut  tué  par  les  Juifs  ;  enfin ,  Hug  ajoute 
que  ces  paroles  de  Jésus-Christ  ,  lorsque  vous  verrez 
l'abomination  de  la  désolation  dans  le  lieu  saint,  n'ont 
été  rapportées  par  saint  Matthieu  que  parce  qu'il  voyait 
que  cette  abomination  existait  déjà  par  la  présence  des 
zélés  dans  le  temple  ;  mais  toutes  ces  allégations  sont  sans 
fondement.  Et  d'abord ,  comment  Hug  ose-t-il  avancer 
que  Zacharie ,  dont  parle  Jksus-Christ  ,  et  qui  devait 
être  un  juste  de  l'ancienne  loi,  soit  un  Juif  incrédule? 
Ensuite,  comment  JÉsus-CHRiSTa-t-il  pu  dire  qu'il  avait 
été  déjà  mis  à  mort  (  quem  occidistis  inter  templum  et  ai- 
tare)'!  Et  d'ailleurs  ,  n'est-il  pas  ridicule  d'attribuer  ces 
paroles  à  saint  Matthieu?  Ce  que  dit  Jésus-Christ  sur 
l'abomination  et  la  désolation  ne  la  supposent  point  exis- 
tante; c'est  un  simple  avertissement  que  le  Sauveur 
donne  de  ce  qu'il  faudra  faire  quand  elle  aura  lieu.  L'ex- 
pression jusqu'à  ce  jour  ne  demande  point  un  long  in- 
tervalle de  temps  ;  il  suffit  que  la  chose  dont  l'auteur  parle 
dure  encore  dans  le  temps  où  il  écrit.  Il  en  est  de  même 
de  l'observation  que  fait  saint  Matthieu  sur  la  coutume 
de  délivrer  un  criminel.  Commue  c'était  un  usage  parti- 
culier aux  Juifs ,  et  qui  peut-être  n'existait  que  depuis  les 
gouverneurs  romains ,  il  était  naturel  qu'il  en  fît  l'obser- 
vation. 


130  DE   l'évangile   de   SAINT   MATTHIEU. 

Au  reste ,  quelque  opinion  que  l'on  embrasse  sur  le 
temps  auquel  saint  Matthieu  a  du  écrire  son  Évangile,  il 
restera  toujours  des  difficultés  plus  ou  moins  graves  à 
résoudre ,  et  dont  la  solution  ne  paraîtra  jamais  suffi- 
sante aux  yeux  d'un  critique  rigoureux.  Ainsi,  quand 
nous  nous  rangeons  à  celle  qui  place  la  composition  de 
cet  Evangile  à  l'an  8  après  l'ascension  du  Sauveur,  nous 
la  présentons  uniquement  comme  ayant  quelque  proba- 
bilité de  plus  que  les  autres. 

2.  Quant  au  lieu  oii  l'Evangile  de  saint  Matthieu  a  été 
écrit ,  il  n'y  a  pas  de  doute  que  ce  ne  soit  la  Palestine  : 
la  tradition  en  fait  foi ,  et  tous  les  caractères  intrinsèques 
le  disent  plus  clairement  encore.  L'auteur,  en  effet,  y 
rapporte  les  usages  civils  et  religieux  des  Juifs  sans  les 
expliquer;  il  y  parle  des  villes  et  des  lieux  sans  en  fixer 
la  position  topographique,  preuve  évidente  qu'il  écrit 
en  Judée  et  pour  des  lecteurs  qui  étaient  parfaitement 
informés  de  toutes  ces  circonstances.  Aussi ,  saint  Marc 
et  saint  Luc,  qui  ont  écrit  hors  de  la  Palestine,  font-ils 
tout  autrement.  Hug  et  plusieurs  autres  modernes  ont 
prétendu,  il  est  vrai ,  que  saint  Matthieu  avait  composé 
son  Evangile  pour  les  Juifs  hellénistes  et  non  point  pour 
ceux  de  la  Palestine;  mais  c'est  là  une  assertion  pure- 
ment gratuite,  et  qu'on  est  par  conséquent  en  droit  de 
rejeter. 

ARTICLE    III. 

Du  but  et  du  plan  de  l'Evangile  de  saint  Matthieu. 

1.  Selon  saint  Irénée,  Origène  et  saint  Grégoire  de 
Nysse ,  l'évangéliste  a  voulu  nous  décrire  la  génération 
temporelle  de  Jésus-Christ  par  laquelle  il  commence 


DE   l'évangile   de  SAINT  MATTHIEU.  131 

son  Évangile ,  et  voilà  pourquoi  ils  lui  ont  donné  pour 
symbole  un  visage  d'homme.  Saint  Jérôme ,  saint  Augus- 
tin, Tertullien  et  Théophylacte,  pensent  qu'il  s'est  pro- 
posé surtout  de  rapporter  l'origine  royale  de  Jésus- 
Christ,  et  de  décrire  la  vie  humaine  qu'il  a  menée  sur 
la  terre .  Saint  Ambroise  dit  qu'il  s'est  attaché  plus  spécia- 
lement à  donner  des  règles  de  conduite  et  des  instruc- 
tions morales  plus  conformes  à  l'humanité  du  Sauveur. 
Tous  les  critiques  modernes  pensent ,  et  avec  raison  ce 
semble,  que  saint  Matthieu,  en  écrivant  son  Evangile, 
a  eu  principalement  en  vue  de  prouver  aux  Juifs  que 
Jésus-Christ  était  le  vrai  Messie,  fils  de  David,  né 
d'une  vierge ,  annoncé  par  les  prophètes ,  et  que  c'est  la 
raison  pour  laquelle  il  a  cité  plus  de  passages  de  l'An- 
cien-Testament  que  tous  les  autres  évangélistes.  Saint 
Matthieu  décrit  donc  tour  à  tour  le  Sauveur  tantôt 
comme  opérant  des  miracles ,  comme  législateur  épurant 
la  loi  de  ce  qu'elle  avait  d'étranger,  montrant  le  but 
élevé  de  tous  ses  préceptes,  ne  la  détruisant  pas,  mais 
l'accomplissant  et  la  perfectionnant;  enfin  il  nous  le 
montre  encore  comme  docteur  enseignant  les  hommes 
par  des  similitudes  et  des  paraboles.  Le  Messie  qu'il  dé- 
crit n'est  pas  sans  doute  le  Messie  temporel  des  Juifs  ; 
mais  ce  n'est  pas  non  plus  le  Messie  tout  spirituel  de  saint 
Jean.  Saint  Matthieu  le  considère  comme  vivant  sur  la 
terre ,  tandis  que  saint  Jean  s'élève  comme  un  aigle  jus- 
qu'au plus  haut  des  cieux  pour  nous  décrire  son  origine 
éternelle .  C'est  dans  ce  sens  que  les  pères  ont  appelé  l'É- 
vangile de  saint  Matthieu  l'Evangile  corporel,  G^waaTizôv, 
et  celui  de  saint  Jean  l'Évangile  spirituel,  wiviiaTuo'j  (1). 

(1)  H.  Olshausen,  Bibt.    Commentar.  iiber  Schriften  des  IV.    T. 
Band  i.  Einleit.  6".  17,  18.  Auflage  2. 


132  DÉ   l'évangile  de   saint  MATTHIEU. 

2.  Après  avoir  montré ,  d'après  Hug  ,  que  le  but  par- 
ticulier de  notre  évangéliste  a  moins  été  de  raconter 
d'une  manière  complète  l'histoire  de  Jésus-Christ  que 
de  prouver  aux  Juifs ,  en  la  racontant ,  que  ce  Jésus  était 
le  Messie,  Cellérier  ajoute  :  «  Si  c'est  là  réellement  le  but 
de  saint  Matthieu ,  il  en  résultera  dans  son  ouvrage ,  con- 
sidéré comme  histoire  ,  une  moindre  exactitude  relati- 
vement à  l'ordre  des  faits  et  des  temps  ;  ce  ne  sera  pas 
une  biographie  chronologique  et  détaillée  que  nous  de- 
vrons y  chercher,  mais  un  tableau  fidèle  de  la  vie  de 
JÉSUS ,  où  les  traits  principaux  ressortiront  en  raison 
de  leur  importance ,  et  pourront  quelquefois  être  placés 
dans  un  ordre  qui  ne  sera  pas  celui  des  événemens ,  mais 
celui  qu'exigera  le  but  de  l'écrivain  inspiré.  C'est  là ,  en 
effet,  ce  que  nous  découvrons  dans  cet  Evangile,  com- 
paré avec  soin  aux  autres.  C'est  ainsi  qu'on  voit  l'évan- 
géliste  négliger  fréquemment  l'enchaînement  des  faits 
qu'il  raconte  ,  les  petites  circonstances  et  les  détails  mi- 
nutieux ,  pour  ne  s'attacher  qu'à  ceux  qui  vont  à  son  but 
et  qui  ajoutent  à  sa  preuve  ;  c'est  ainsi  que  des  faits  et 
des  discours  sont  quelquefois  rapprochés  malgré  l'ordre 
naturel ,  lorsque  ce  rapprochement  faisait  mieux  con- 
naître JÉSUS -Christ  ou  sa  divine  autorité;  c'est  ainsi 
que,  très-probablement ,  le  sermon  de  la  montagne  n'a 
pas  été  prononcé  tout  entier  en  une  seule  fois  ;  mais  que 
saint  Matthieu,  pour  mieux  remplir  son  but,  a  voulu, 
dans  ce  majestueux  frontispice  de  son  Évangile,  réunir 
au  discours  réellement  prononcé  par  Jésus-Christ  sur 
la  montagne  les  traits  les  plus  saillans  de  quelques  au- 
tres instructions  (1).  »  Il  résulte  de  ces  observations  que 

(1)  J.  E.  Cellcrier,  Essai  d'une  Inirod.  critique  au  TV".  T.  pag.  228. 


DE    L  ÉVANGILE   DE   SAIXT   MARC.  134 

l'Evangile  de  saint  Matthieu  est  un  traité  dogmatique  ou 
de  simples  mémoires  sur  la  vie  de  Jésus-Christ  plutôt 
qu'une  histoire  écrite  selon  toutes  les  règles ,  et  qu'il  ne 
faut  pas  le  prendre  pour  guide  dans  l'arrangement  chro- 
nologique des  faits  évangéliques. 


CHAPITRE  DEUXIEME. 

DE   L'ÉVAXGILE   de   SAIXT    MARC. 

Saint  Marc ,  s'il  faut  en  juger  par  son  style,  était  Juif 
d'origine.  On  croit  avec  assez  de  fondement  qu'il  ne  fut 
converti  qu'après  la  résurrection  de  Jésus-Christ,  par 
la  prédication  des  apôtres  (1)  ;  qu'il  fut  disciple  et  inter- 
prète de  saint  Pierre  (2) ,  et  que  c'est  le  même  Marc  que 
ce  prince  des  apôtres  ,  dans  sa  première  épître  (  v,  13  ) , 
appelle  son  fils,  apparemment  parce  qu'il  l'avait  engen- 
dré à  la  foi  en  Jésus-Christ  (3).  Mais  une  question  dif- 
ficile, c'est  de  savoir  si  saint  Marc  l'évangéliste  est  le 
même  personnage  que  Jean  Marc,  connu  dans  les  Actes 
comme  fils  d'une  femme  de  Jérusalem  nommée  Marie , 
chez  laquelle  l'apôtre  saint  Pierre,  délivré  de  prison  par 
un  ange,  se  retira,  et  trouva  les  fidèles  assemblés  priant 
pour  sa  délivrance  (  AcL  xii ,  12  ).  Ce  Jean  Marc  suivit 
saint  Paul  et  saint  Barnabe  dans  plusieurs  voyages  ;  mais 
étant  arrivé  à  Perge,  en  Pamphylie,  il  les  quitta  et  s'en 

(l)Pap!as  apud.  Euseb.  Hist.  Eccl.  l.  m.   c.  xxxix.  August.  De 
consensu  Evangelisiarum,  l.  \,  c.  i. 

(2)  Iren.  ^dvers.hœres.  l.  m,  c.  i.  Euseb.  l.  m,  c.  xxxix,  etl.  ii, 
c.  XT. 

(3)  Origen.  apud  Euseb.  L  ti,  c.  xxy.  Hieron.  m  Catalog.  Tiii. 


134  DE   l'évangile   de  SAINT  MARC. 

retourna  à  Jérusalem  (  Act.  xv,  37-39  )  ;  ce  qui  fut  cause 
que  saint  Paul  ne  voulant  pas  qu'il  l'accompagnât  dans 
un  second  voyage  en  Asie ,  il  s'éleva  une  contestation 
par  suite  de  laquelle  les  deux  apôtres  s'étant  séparés , 
saint  Barnabe  prit  Marc  avec  lui  et  s'embarqua  pour 
aller  en  Chypre.  La  liaison  étroite  de  Jean  Marc  porte  à 
croire  que  c'est  le  même  qui  est  appelé  son  cousin  dans 
l'épttre  aux  Colossiens  (  iv,  10  ) ,  et  dont  il  est  encore 
fait  mention  dans  la  seconde  à  Timothée  (  iv,  12  ) ,  et 
dans  l'épître  à  Philémon  (24).  Dans  cette  hypothèse, 
Jean  Marc  se  serait  réconcilié  avec  saint  Paul  depuis  sa 
division  avec  saint  Barnabe.  Reste  encore  à  savoir  si 
Jean  surnommé  Marc  est  le  même  que  notre  évangé- 
liste.  Saint  Jérôme,  Victor  d'Antioche  (1)  et  beaucoup 
de  critiques  de  ces  derniers  temps ,  parmi  lesquels  nous 
pouvons  citer  Lardner,  Michaëlis,  Marsh,  Hug,  01s- 
hausen,  confondent  ces  deux  personnages ,  tandis  que 
Baronius,Grotius,Tillemont  et  une  infinité  d'autres  écri- 
vains, les  distinguent  formellement.  Les  raisons  qu'on 
allègue  de  part  et  d'autre  sont  également  spécieuses; 
nous  pencherions  cependant  plus  volontiers  pour  le  sen- 
timent des  critiques  qui  soutiennent  l'identité  des  per- 
sonnes. Le  nom  de  Marc  n'est  pas  hébreu  ;  peut-être  que 
c'était  un  surnom  deRomain  que  l'évangéliste  avait  pris, 
suivant  un  usage  assez  commun  à  son  époque.  C'est  une 
tradition  ancienne  et  constante  que  saint  Marc  a  été  fon- 
dateur de  l'église  d'Alexandrie.  Quant  aux  autres  cir- 
constances de  sa  vie  et  de  sa  mort,  rapportées  dans  ses 
actes  et  par  des  auteurs  récens,  elles  sont  incertaines 
ou  fabuleuses. 


DE  l'évangile   de   SAINT  MARC.  135 

ARTICLE   I. 

Du  texte  original  et  du  style  de  V Evangile  de  saint  Marc. 

1.  C'est  un  sentiment  généralement  reçu  que  saint  Marc 
a  écrit  en  grec,  et  que  le  texte  que  nous  avons  en  cette 
langue  est  réellement  l'original  de  son  Evangile.  Ce  sen- 
timent est  fondé  sur  des  preuves  solides.  En  effet,  les 
anciens  qui  ont  remarqué  comme  une  chose  particulière 
que  l'Évangile  de  saint  Matthieu  avait  été  originairement 
composé  en  hébreu,c'est-à-dire  en  syro-chaldaïque, n'ont 
fait  aucune  remarque  semblable  sur  celui  de  saint  Marc; 
ce  qui  prouve  clairement  que  dans  leur  opinion  le  livre 
de  cet  évangéliste  avait  été  primitivement  écrit  en  grec 
comme  les  autres  livres  du  Nouveau-Testament.  Saint 
Jérôme  et  saint  Augustin ,  en  particulier,  ont  affirmé  de 
la  manière  la  plus  expresse  que  tous  les  livres  du  Nou- 
veau-Testament, à  l'exception  de  l'Evangile  de  saint 
Matthieu  et  de  l'Epître  de  saint  Paul  aux  Hébreux, 
avaient  été  composés  originairement  en  grec  (1) .  Indé- 
pendamment de  ces  autorités ,  on  peut  dire  que  le  style 
même ,  par  les  nombreux  grécismes  qu'il  contient ,  dé- 
cèle un  original  grec.  Cependant  quelques  critiques  mo- 
dernes, et  surtout  Baronius,  ont  prétendu  que  saint  Marc 
avait  écrit  en  latin,  se  fondant,  1°  sur  ce  qu'on  trouve 
dans  son  Evangile  des  mots  impropres  qui  ne  sont  nulle- 
ment grecs ,  mais  latins ,  et  qui  ont  été  grécisés  ;  2°  sur  la 
souscription  des  versions  syriaque  et  arabe,  qui  le  disent 
expressément;  3osur  les  témoignages  du  Pontifical  at- 

(1)  Hieron.  Prœf.  in  quatuor  Evang.  ad  Dama».  AugusU  De  con- 
sensu  Evang.  L  i,  c.  ii. 


136  DE   l'évangile   de  SAINT   MARC. 

tribué  au  pape  saint  Damase ,  et  de  saint  Grégoire  de 
Nazianze  ;  ^i-"  sur  ce  que  la  langue  grecque  n'était  pas 
vulgaire  à  Rome  du  temps  de  saint  Marc  ;  5°  sur  ce  que 
révangéliste  écrivant  à  Rome  et  pour  les  Romains ,  il 
était  convenable  qu'il  le  fît  dans  leur  propre  langue. 
Après  avoir  exposé  ces  raisons,  Baronius  conclut  qu'elles 
sont  si  fortes  et  si  solides,  qu'elles]paraissent  autant  de 
démonstrations  (1).  Pour  nous,  nous  répéterons  volon- 
tiers, après  R.  Simon  :  «  Ces  raisons,  au  contraire,  ne 
peuvent  paraître  que  très-faibles  à  ceux  qui  entendent 
la  critique  des  livres  sacrés  (2).  »  En  effet,  et  pour  ré- 
pondre à  chacune  de  ces  raisons,  nous  dirons,  1°  que 
s'il  était  permis  d'affirmer  que  saint  Marc  a  composé  son 
Evangile  en  latin ,  parce  qu'on  y  remarque  des  mots  de 
cette  langue  qui  ont  été  grécisés,  il  faudrait  dire  aussi 
que  les  autres  évangélistes  ont  également  écrit  en  latin , 
puisqu'on  trouve  dans  leur  Evangile  des  termes  appar-  j 
tenant  à  cet  idiome  et  qui  ont  été  grécisés.  Il  faudrait 
dire  encore  que  les  versions  syriaque  et  arabe  de  la  Bible 
elles-mêmes  auraient  été  d'abord  composées  en  grec  et 
traduites  ensuite  en  ces  langues  de  l'Orient,  car  elles 
contiennent  plusieurs  mots  grecs  qui  ont  pris  la  forme 
syriaque  et  arabe .  Saint  Marc  écrivant  à  Rome ,  comme 
on  le  verra  à  l'article  suivant,  a  pu  se  servir  de  termes 
latins  grécisés.  Quel  est  le  peuple  en  effet  qui ,  parlant 
un  idiome  étranger,  n'y  m^e  point  des  mots  de  sa  propre 
langue?  —  2°  Quant  aux  souscriptions  des  versions  sy- 
riaque et  arabe ,  nous  remarquerons  avant  tout  que  ces  ; 
dernières  ayant  été  faites  sur  les  premières,  elles  ne^ 

(1)  Baron,  yinnal.  ad  ann.  Chr.  45.  «.41. 
(•2)  R.  Simon.  Hist.  crit.  du  N.  T.  ch.  xi. 


DE   l'évangile   de    SAL\T   MARC.  137 

forment  avec  elles  qu'un  seul  et  même  témoin.  Nous  di- 
rons ensuite  que  les  inscriptions  des  versions  orientales 
sont  trop  modernes  et  ont  trop  peu  d'autorité  en  critique 
pour  contrebalancer  les  preuves  qui  militent  en  faveur 
de  l'original  grec.  —  3°  Nous  ferons  la  même  observa- 
tion par  rapport  au  Pontifical  de  saint  Damase  ;  et  nous 
ajouterons,  pour  ce  qui  regarde  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze ,  que  son  témoignage  n'est  pas  aussi  décisif  que 
le  prétend  Baronius,  vu  que  ce  père  ne  dit  point  que 
saint  Marc  ait  composé  son  Evangile  en  latin,  mais  pour 
les  Latins  (1) ,  ce  qui  n'est  pas  absolument  la  même 
chose.  —  4°  Il  n'y  a  aucun  doute  que  du  temps  de  saint 
Marc  le  grec  ne  fût  presque  aussi  commun  à  Rome  que 
le  latin,  puisque  les  femmes  mêmes  le  parlaient  (2) 
—  5°  Après  avoir  rapporté  cette  réflexion  de  Baronius  , 
qu'on  ne  saurait  s'imaginer  que  les  apôtres  aient  an- 
noncé l'Evangile  de  Jésus-Christ  aux  nations  en  d'au- 
tres langues  qu'en  celles  qui  étaient  en  usage  parmi  ces 
nations ,  Richard  Simon  ajoute  fort  judicieusement  :  «  Il 
n'a  pas  pris  garde  que  saint  Pierre  était  venu  à  Rome 
pour  prêcher  l'Evangile  à  ceux  de  sa  nation ,  et  qu'ainsi 
saint  Marc  a  dû  le  publier  dans  la  langue  qui  leur  était 
la  plus  connue.  Or,  il  est  certain  que  les  Juifs  étaient  ré- 
pandus dans  tout  l'empire  romain ,  et  même  la  plupart 
de  ceux  qui  étaient  alors  à  Rome  savaient  le  grec  :  il  y 
en  avait  au  contraire  très-peu  qui  sussent  le  latin.  C'est 
ce  que  Grotius  a  observé  fort  à  propos  au  commence- 
ment de  ses  notes  sur  saint  Marc.  Judœi ,  dit  cet  habile 
critique,  qui  Romœ  agebant  pïerique  latini  sennonis 

(t)  Greg.  Nazianz.  Poem.  xxxiv,  xliv. 

(2)  Juvenal.  Salir,  vi,  v.  195.  Martial,  x.  Ephjr.  68. 


138  DE   l'évangile   de  SAINT  MARC. 

ignari ,  lofigaper  Âsiam  et  Grœciam  habitatione  grœcam 
linguam  didiceranty  et  Romanorum  vix  quisquam  erat 
non  grœce  intelUgens  (1).  »  D'ailleurs,  on  convient  gé- 
néralement que  saint  Paul  dans  son  Epître  aux  Ro- 
mains a  écrit  en  grec  ,  et  que  saint  Pierre  écrivant  aux 
Juifs  ne  l'a  pas  fait  en  hébreu.  Or,  ce  point  étant  une 
fois  accordé  ,  saint  Marc ,  qui  n'écrivait  pas  uniquement 
pour  les  Romains,  mais  pour  toute  l'Eglise,  n'a-t-il  pas 
pu,  disons  même,  n'a-t-il  pas  du  écrire  en  grec,  qui 
était  la  langue  la  plus  commune?  Ajoutons  que  si  saint 
Marc  avait  écrit  en  latin ,  l'Eglise  latine  aurait  proba- 
blement conservé  le  texte  même  de  l'évangéliste ,  et  n'au- 
rait certainement  pas  préféré  à  cet  original  sacré  une 
simple  traduction  latine  faite  sur  la  version  grecque ,  qui 
ne  serait  elle-même  qu'une  interprétation  du  texte  pri- 
mitif; car  il  est  constant  que  notre  Evangile  latin  n'est 
qu'une  traduction  pure  et  simple  du  grec.  Enfin,  saint 
Jérôme  voulant  corriger  l'édition  latine  de  saint  Marc , 
le  fit  sur  les  exemplaires  grecs ,  bien  persuadé  que  son 
Evangile  avait  été  écrit  en  grec  et  non  en  latin. 

On  dit  encore  que ,  suivant  la  tradition  de  l'église  de 
Venise,  saint  Marc  a  réellement  écrit  son  Evangile  en 
latin,  et  que  cette  église  en  conserve  l'original.  Mais 
d'abord  quel  fondement  peut-on  faire  sur  une  tradition 
opposée  à  celle  des  pères?  En  second  lieu,  cette  tradi- 
tion repose  uniquement  sur  l'apostolat  de  saint  Marc  à 
Aquilée  ;  apostolat  au  moins  très-douteux,  puisqu'il  n'est 
confirmé  par  aucun  ancien  monument,  et  qu'il  n'en  est 
question  que  dans  des  documens  très-modernes  (2). 
Quant  au  prétendu  original  latin  conservé  à  Venise,  il 

(1)  R.  Simon,  IJist.  crit.  du  I\\  T.  ch.  xt. 

(2)  Tillemont,  noie  ti  sur  saint  Marc. 


DE   L  ÉVANGILE   DE   SAINT  MARC.  139 

est  démontré  aujourd'hui,  pour  tous  les  critiques,  que 
ce  n'est  qu'un  fragment  d'un  manuscrit  de  l'ancienne 
Italique,  appelé  le  manuscrit  de  Frioul.  Ce  fragment 
fut  porté  à  Prague,  où  il  a  été  publié  (1). 

2.  Michaëlis  a  judicieusement  fait  observer  qu'aucun 
écrivain  du  Nouveau-Testament  n'avait  plus  négligé 
l'élégance  de  l'expression  et  la  pureté  du  langage  que 
l'évangéliste  saint  Marc.  Le  même  critique  ajoute  que 
le  mot  eùôîwç,  statim,  confestim,  continuo,  revient  sans 
cesse  dans  ses  phrases,  et  que  des  hébraïsmes  durs  et 
nombreux  abondent  dans  son  livre  (2).  L'adverbe  vjQéfoç 
se  trouve  en  effet,  si  nous  ne  nous  sommes  pas  trompé 
dans  notre  calcul,  quarante  fois  au  moins  dans  les  quinze 
chapitres  dont  ce  livre  se  compose. 

ARTICLE  II. 

Du  temps  et  du  lieu  où  fut  composé  l'Evangile  de  saint 
Marc. 

1.  Il  n*y  a  rien  de  bien  certain  sur  la  date  de  l'Evan- 
gile de  saint  Marc ,  elle  dépend  de  celle  de  saint  Mat- 
thieu, qui,  d'après  le  sentiment  de  toute  l'antiquité,  a 
écrit  le  premier.  Si  saint  Matthieu  n'a  pas  composé 
son  Evangile  avant  l'an  61 ,  comme  le  prétend  saint  Iré- 
née,  saint  Marc  aura  pu  écrire  vers  l'an  66,  et  après  la 
mort  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  comme  le  dit  en- 
core le  même  saint  docteur.  Mais  si   saint  Matthieu, 

(l)Vûy.  Blanchini  Evangeliariiim  quadi*jplex,  l'Introduction  au 
IVouv.-7'esl.  de  J.  D.  Michaëlis,  et  Fnvjmenium Prarjense  Evamje- 
l'tum  S.  Marci,  vulgo  aiiloijraphif  edidit,  leclioncsqae  variantes  criticè 
recensait  Jos.  Dobrowski.  Pragœ,  1778. 

(2)  ^WchaùUs,  Inlrod.  au  Noav.-Test.  t.  m,  p.  278. 


140  DE   l'évangile   de   SAINT   MARC. 

au  contraire  ,  a  écrit  l'an  il  (  voyez  un  peu  plus  haut , 
pag^e  127)  ,  saint  Marc  aura  pu  écrire  la  quatrième  an- 
née de  l'empire  de  Claude,  comme  porte  la  Chronique 
d'Eusèbe.  Et  comme  Eusèbe  nous  apprend  que  saint 
Marc  partit  aussitôt  pour  Alexandrie ,  où  il  porta  son 
Evangile ,  cet  Evangile  n'a  pu  être  écrit  plus  tard  que 
cette  époque.  Cette  date  suppose,  comme  on  le  voit,  un 
premier  voyage  de  saint  Pierre  à  Rome  sous  l'empire 
de  Claude  ;  voyage  pendant  lequel ,  d'après  le  témoi- 
gnage de  saint  Justin ,  il  fit  tomber  des  airs  Simon  le 
magicien.  Hug,  il  est  vrai,  traite  le  récit  de  saint  Justin 
de  fable,  et  n'admet  pas  que  saint  Pierre  soit  allé  deux 
fois  à  Rome;  mais  Tillemont  et  nos  meilleurs  critiques 
catholiques  ne  sont  pas  de  ce  sentiment,  et  aiment  mieux 
s'en  rapporter  au  témoignage  de  saint  Justin  pour  l'aven- 
ture de  Simon  le  magicien,  et  à  Eusèbe  pour  le  premier 
voyage  de  l'apôtre  saint  Pierre  à  Rome,  qu'à  de  vaines 
conjectures.  En  suivant  cette  date,  il  faudrait  abandon- 
ner le  témoignage  de  saint  Irénée;  mais  il  nous  semble 
qu'on  doit  d'autant  mieux  le  faire,  que  Papias,  Clément 
d'Alexandrie,  Eusèbe,  saint  Jérôme,  saint  Epiphane, 
et  un  grand  nombre  d'anciens  auteurs ,  disent  claire- 
ment que  saint  Marc  a  écrit  son  Evangile  du  vivant  de 
saint  Pierre  (1). 

2.  On  n'est  guère  plus  certain  du  lieu  où  saint  Marc 
a  composé  son  Evangile  ;  Papias  et  la  plupart  des  pè- 

(I)  Le  texte  de  saint  îrônéo,  porte  y.cT-t  o\  toj-tov  eio-loy,  que  quel- 
ques-uns ont  entendu  dans  le  sens  de  post  eornm  discessum  ex  Româ. 
Eichhorn  pense  que  saint  Irénée  a  emprunté  cette  expression  de  saint 
Pierre  lui-même,  qui  dit  (2  Petr.  i,  16)  en  parlant  de  sa  mort,  u-srà 
T>yv  £u.ôv  e'^o^ov  (voy.  Eiclihorn,  Einteit.  in  das  IVeiie  Testament.  B.  i, 
§  1  19.) 


DE   l'évangile  de   SAL\ï   MARC.  Ul 

res  disent  expressément  ou  supposent  que  ce  fut  à 
Rome,  et  à  la  prière  des  chrétiens  de  cette  ville.  Cette 
opinion  se  trouve  confirmée  par  les  caractères  internes 
du  livre  même  ;  il  semble  au  moins  qu'il  est  permis  de 
le  conclure  de  certaines  particularités  qui  frappent  na- 
turellement un  critique  attentif.  Ainsi,  par  exemple, 
quand  il  parle  de  mains  souillées  (viï,  2),  il  ajoute  aus- 
sitôt :  Cest-à-dire  qui  n'ont  pas  été  lavées.  Il  fait  de 
même  pour  le  mot  préparation ,  qu'il  explique  par  la 
veille  du  Sabbat^  et  du  terme  corban  (vu,  11),  qu'il  in- 
terprète par  offrande.  Or,  il  est  évident  que  ces  expli- 
cations n'étaient  faites  que  pour  des  hommes  étrangers 
à  la  Palestine  ;  mais  il  en  est  quelques-unes  plus  expli- 
cites qui  semblent  prouver  que  c'est  à  Rome,  et  pour  des 
Romains  ,  que  saint  Marc  a  écrit  ;  nous  mettons  de  ce 
nombre  le  zo^^oavTï;,-  quadrans ,  par  lequel  il  explique 
la  monnaie  juive  appelée  ).£;rTÔv  (xii,  4-2),  et  que  Jo- 
seph, en  pareil  cas,  évalue  en  drachmes,  d'après  le  sys- 
tème monétaire  des  Grecs.  Nous  mettons  encore  du 
nombre  de  ces  explications  le  mot  romain  -/.sv-rvoi'wv  cen- 
turio  (XV,  39),  dont  saint  Marc  fait  usage  au  lieu  de 
iy.v.irj\ixv.ûyQç ,  habituellement  employé  par  Joseph ,  par 
les  auteurs  grecs  et  par  les  écrivains  du  Nouveau- 
Testament  ^1).  Cependant  saint  Chrysostome,  dans  sa 
première  homélie  sur  saint  Matthieu ,  dit  que  c'est  en 
Egypte  et  pour  les  chrétiens  de  ce  pays  que  saint  Marc 
composa  son  Évangile  ;  mais  le  saint  docteur  ne  s'ap- 
puie sur  aucune  preuve  autre  que  l'opinion  {liyz-on.). 
R.  Simon  pense  qu'on  pourrait  facilement  concilier 
ce  sentiment  avec  celui  des  autres  pères,  en  disant  que 

(1)  Hug,  Einlcit.  Th.  n,  Seii.  62. 


M2  DE  l'évangile  de  saint  marc. 

saint  Marc  a  donné  aux  fidèles  de  Rome  son  Évangile 
en  qualité  d'interprète  de  saint  Pierre,  qui  prêchait  dans 
cette  grande  ville,  et  qu'il  l'a  aussi  donné  ensuite  aux 
premiers  chrétiens  d'Egypte  en  qualité  d'apôtre  ou  d'é- 
vêque  (1).  Dupin  traitant  la  même  question  dit  :  «Il 
semble  qu'on  pourrait  accorder  cette  contradiction,  en 
disant  que  saint  Marc  fit  son  Évangile  à  Rome  peu  de 
temps  avant  la  mort  de  saint  Pierre,  que  cet  apôtre  l'ap- 
prouva ;  et  qu'après  sa  mort,  étant  sorti  de  Rome,  il  le 
porta  et  le  publia  en  Egypte.  De  cette  sorte  on  accorde 
tous  les  auteurs,  en  supposant  que  saint  Marc  n'est  venu 
à  Alexandrie  qu'après  la  mort  de  saint  Pierre,  c'est- 
à-dire  en  66,  et  qu'il  n'est  mort  qu'en  67  ou  68.  Ce  que 
saint  Irénée  dit,  qu'il  n'a  publié  son  Évangile  qu'après 
la  mort  de  saint  Pierre  ,  se  trouvera  aussi  véritable , 
parce  que,  quoiqu'il  l'eut  fait  peu  de  temps  avant  la  mort 
de  cet  apôtre ,  il  ne  fut  néanmoins  rendu  public  que 
quelque  temps  après  (2) .  »  Nous  terminerons  cet  article 
par  une  remarque  de  R.  Simon  qui  nous  a  paru  fort 
juste  :  «  On  ne  peut  cependant  rien  assurer  là  dessus 
qu'en  général,  parce  qu'on  n'a  point  d'actes  certains 
auxquels  on  puisse  s'arrêter.  C'est  pourquoi  il  n'est  pas 
surprenant  que  les  pères  ne  conviennent  point  entre 
eux ,  lorsqu'ils  parlent  en  particulier  de  ces  sortes  de 
faits,  n'étant  le  plus  souvent  appuyés  que  sur  des  con- 
jectures (3).  ))  Ainsi,  il  paraît  certain  que  saint  Marc  n'a 
écrit  qu'après  saint  Matthieu;  il  est  très-probable  qu'il 
Ta  composé  du  vivant  même  de  ce  saint,  et  il  y  a  assez 

(1)  R.  Simon,  Hist.  crit.  duN.  T.  ch.  x. 

(2)  Ellies  Dupin,  Dissert,  prélim.  sur  la  Bible,  l.  ii,  ch,  ii,  §iv. 

(3)  R.  Simon,  loc.  citât. 


DE    l'évangile   de   S.VIXT   MARC.  H3 

d'apparence  qu'il  l'a  écrit  à  Rome,  ou  que  du  moins  il 
l'a  destiné  principalement  aux  Romains. 

ARTICLE    III. 

Du  but  et  du  plan  de  l'Evangile  de  saint  Marc. 

1 .  Le  but  que  saint  Marc  s'est  proposé  en  composant 
son  Évangile  se  montre  clairement  à  chaque  page.  En 
lisant  en  effet  le  récit  des  œuvres  de  la  puissance  divine 
de  Jésus  de  Nazareth,  récit  qui  fait  le  fond  de  presque 
tous  ses  chapitres,  il  est  impossible  de  ne  pas  recon- 
naître que  l'évangéliste  a  voulu  prouver  que  ce  même 
Jésus  était  le  maître  souverain  de  toutes  choses. 

2. ^Plusieurs  critiques  pensent  que  saint  Marc  a  eu 
sous  les  yeux  l'Evangile  de  saint  Matthieu  quand  il  a 
composé  le  sien  ;  parce  qu'il  le  suit  presque  toujours  pas 
à  pas  dans  le  récit  des  événemens;  ce  qui  sans  doute  a 
fait  dire  à  saint  Augustin  qu'il  paraissait  n'être  que  le 
copiste  et  l'abréviateur  [pediss'equus  et  breviator)  de  saint 
Matthieu  (1).  Cependant  on  aurait  tort  de  prendre  trop 
à  la  lettre  ces  paroles  ;  car  sur  plusieurs  points  il  se 
montrait  plutôt  réviseur  qu'abréviateur  ;  et  c'est  pour- 
quoi après  avoir  soumis  son  livre  à  une  analyse  rigou- 
reuse, Hug,  un  des  critiques  dont  nous  parlons,  en  a  con- 
clu qu'il  disposait  les  événemens  dans  un  meilleur  ordre 
chronologique  ;  qu'il  ajoutait  et  développait  davantage 
certaines  circonstances  de  ses  récits  ;  qu'il  y  avait  ajouté 
aussi  plusieurs  faits,  et  qu'il  en  avait  même  passé  sous 
silence  quelques-uns  assez  importans.  Or  voici  comment 

(1)  August.  De  consensu  Evang,  l.  i,  c.  ii. 


14#  DE   L'ÉVAXGILE   de   SALNT   MARC. 

il  prouve  chacune  de  ces  assertions. — 1°I1  suffit,  dit-il, 
de  jeter  les  yeux  sur  une  concordance  des  Evangiles  pour 
se  convaincre  que  saint  Marc  diffère  de  saint  Matthieu 
dans  l'arrangement  de  certains  faits  qu'ils  racontent  l'un 
et  l'autre.  Or,  la  raison  qui  a  pu  engager  saint  Marc  à 
classer  les  événemens  rapportés  par  saint  Matthieu  d'une 
toute  autre  manière,  c'était  de  les  placer  dans  un  ordre 
plus  chronologique  ;  ordre  dont  le  but  particulier  de 
saint  Matthieu,  dans  la  composition  de  son  propre  Evan- 
gile, n'exigeait  pas  la  précision;  et  la  preuve  que  cet 
ordre  est  le  meilleur,  c'est  qu'il  a  été  suivi  par  saint  Luc, 
qui  fait  profession  (Luc.  i,  3)  de  rapporter  toutes  choses 
dans  l'ordre  où  elles  étaient  arrivées  [omniaa  principioy 
ex  ordine).  Quoique  saint  Pierre,  dont  saint  Marc  était 
l'interprète,  ne  rapportât  point,  dans  les  discours  qu'il 
faisait  au  peuple,  les  événemens  évangéliques  dans  l'or- 
dre des  temps  ;  cependant  il  a  pu  les  instruire  dans  ses 
conversations  particulières ,  et  saint  Marc  a  profité  de 
ses  instructions.  —  2°  Saint  Marc  paraît  encore  avoir 
voulu  raconter  plus  en  détail  certains  événemens  rap- 
portés sommairement  par  saint  Matthieu  .Tel  est  en  par- 
ticulier le  miracle  de  l'hémorroïsse  et  plusieurs  autres 
faits  qu'il  a  plus  ou  moins  développés  {1).  Saint  Marc 
ajoute  aussi  quelques  circonstances  pour  faire  mieux 
connaître  les  personnes  dont  il  s'agit.  Ainsi,  il  nous 
apprend  que  le  centurion  dont  Jésus-Christ  ressuscita 
la  fille,  s'appelait  Jaire;  que  laChananéenne  était  Grec- 

(1)  Matlh.  IX,  20  ;  Marc,  v,  20.  Comparez  encore  Marc,  i,  40-ii, 
avec  Matth.  viii,  2-5  ;  Marc,  ii,  2-13,  avec  MaUli.  ix,  2-9;  Marc,  it, 
35-v,  avec  Matth.  vin,  23-28;  Marc,  v,  1-20,  avec  Matth.  viii,  28- 
IX;  Marc,  vi,  14-30,  avec  Matth.  xiv,  G-13;  Marc,  xii,  28-35,  avec 
Maith.  XXII,  34-41,  etc. 


DE   l'évangile   de  SAL\T   MARC.  U5 

que  et  Syro-phénicienne  ;  que  Simon  le  Cyrénéen  était 
père  d'Alexandre  et  de  Rufas  ;  que  Barabbas  avait  com- 
mis un  homicide  dans  une  sédition  ;  que  Joseph  d'Ari- 
mathie  était  membre  du  sanhédrin;  que  Jésus-Christ 
avait  chassé  sept  démons  du  corps  de  Magdelaine  ;  qu'un 
des  aveugles  de  Jéricho  s'appelait  Bar-Timée ,  ou  fils  de 
Timée  ;  détails  sur  lesquels  saint  Matthieu  garde  le  si- 
lence (1).  Dans  une  certaine  occasion,  saint  Matthieu 
dit  en  général  que  les  disciples  ont  oublié  de  prendre 
du  pain  ;  saint  Marc  ,  plus  précis ,  ajoute  qu'ils  n'en 
avaient  qu'un  seul  dans  la  barque.  C'est  par  lui  que 
nous  savons  que  les  pourceaux  précipités  dans  la  mer 
étaient  au  nombre  de  deux  mille  (2).  Il  résulte  de  ces 
rapprochemens  que  si  saint  Marc  a  eu  sous  les  yeux  le 
texte  de  saint  Matthieu,  il  ne  s'est  pas  borné  à  l'office 
de  simple  abréviateur.  La  tradition  nous  apprend  qu'il 
tenait  tous  ces  renseignemens  de  saint  Pierre ,  et  son 
Evangile  semble  nous  en  fournir  une  preuve  manifeste; 
car  on  y  remarque  le  plus  grand  soin  de  rétablir  le  nom 
de  Pierre  dans  tous  les  endroits  où  saint  Matthieu  l'a- 
vait omis  ;  nous  pourrions  citer  au  moins  six  endroits 
dans  lesquels  saint  Marc  a  eu  cette  attention.  Or,  ce 
soin,  en  quelque  sorte  affecté,  déplacer  le  nom  de  Pierre 
dans  des  endroits  où  il  n'est  pas  nécessaire ,  indique 
assez  visiblement  des  rapports  d'intimité  et  de  respect 
avec  le  prince  des  apôtres.  D'un  autre  côté,  saint  Marc 

(1)  Compar.  Marc,  v,  22,  avecMalih.  ix,  18;  Marc,  vu,  2G,  avec 
Mallh.  XV,  22;  Marc,  x,  4G,  avec  Malth.  xx,  30;  Marc,  xv,  8,  avec 
MaUh.  XXVII  ;  Marc,  xv,  21,  avec  MaUh.  xxvii,  32;  Marc,  xv,  43, 
avec  MaUh.  xxvii,  67  ;  Marc,  xvi,  9,  avec  Mattli.  xxviu,  1,  0. 

(2)  Compar.  Matlh.  xvi,  5,  avec  iiîarc.  viii,  14;  Mallh.  vjii,  32, 
avec  Marc,  v,  13. 

V.  7 


146  DE   l'évangile   de   saint   MARC. 

passe  sous  silence,  ou  ne  fait  pour  ainsi  dire  qu'effleurer 
légèrement  ce  que  les  autres  évangélistes  rapportent  à 
sa  louange.  Ainsi  il  ne  dit  rien  des  éloges  ni  des  pré- 
rogatives que  Jéscs-Christ  accorda  à  ce  saint  apôtre, 
lorsqu'il  l'eut  reconnu  pour  le  fils  de  Dieu  (Matth.  xvi, 
16-19),  tandis  qu'il  rapporte  assez  au  long  son  triple 
reniement  (xiv,  66-T2)  ;  mais  cette  particularité  se  com- 
prend aisément ,  dès  que  l'on  considère  que  le  prince 
des  apôtres,  dont  il  était  l'organe,  lui  avait  soustrait  par 
modestie  les  détails  qui  lui  étaient  honorables  et  glo- 
rieux, ou  l'avait  empêché  d'y  insister,  tandis  qu'il  l'avait 
parfaitement  instruit  des  traits  de  sa  vie  qui  ne  lui  fai- 
saient pas  autant  d'honneur.  Cette  particularité  con- 
firme par  là  même  cette  tradition  des  anciens,  que  saint 
Pierre  avait  examiné  l'Évangile  de  saint  Marc,  et  l'avait 
ensuite  donné  aux  églises  revêtu  du  sceau  de  son  au- 
torité ;  tradition  d'après  laquelle  les  anciens  appelèrent 
l'Evangile  de  saint  Marc  Prédication  de  saint  Pierre 
(KTipu^iv  nérpou).  — 3°  Saint  Marc  a  ajouté  trois  faits  à  l'E- 
vangile de  saint  Matthieu  ;  savoir  :  l'histoire  de  l'homme 
possédé  de  l'esprit  impur  dans  la  synagogue  de  Ca- 
pharnaiim  (i,  23-28)  ;  la  guérison  de  l'aveugle  de  Beth- 
saïde  (viii ,  22-26)  ;  et  le  trait  de  la  pauvre  veuve  qui 
met  deux  petites  pièces  dans  le  tronc  (xii,  ki-ïï).  Or, 
ces  additions  prouvent  encore  que  saint  Marc  n'est  pas 
un  simple  abréviateur  de  saint  Matthieu;  et  s'il  les  a 
faites,  c'est  qu'ayant  appris  les  faits  qu'elles  contiennent 
de  saint  Pierre  lui-même,  il  a  voulu  ainsi  compléter  l'his- 
toire de  Jésus-Christ.  Quant  aux  événemens  racontés 
par  saint  Matthieu  et  omis  par  saint  Marc,  on  comprend 
que  ce  dernier  ne  faisant  guère  qu'ajouter  des  notes  à 
l'Evangile  du  premier,  a  dû  ne  rapporter  que  fort  som- 


DE   L'ÉVAXGILE    de   SAIXT   LUC.  147 

mairement  tous  les  faits  sur  lesquels  il  n'avait  rien  à  re~ 
marquer  de  nouveau.  C'est  en  effet  ce  que  l'on  observe 
le  plus  souvent,  comme  s'il  lui  suffisait  d'indiquer  par 
un  mot  le  récit  de  saint  Matthieu ,  et  d'y  renvoyer  ses 
lecteurs.  Il  a  dû,  par  la  même  raison,  omettre  plusieurs 
traits  suffisamment  connus,  qui  n'étaient  pas  nécessaires 
à  la  liaison  de  son  histoire.  Il  a  pu  omettre  encore  ou 
simplement  abréger  certains  faits,  parce  que  saint  Pierre 
ne  l'avait  pas  suffisamment  instruit  des  circonstances  et 
de  l'ordre  de  ces  faits  (1).  La  raison  pour  laquelle  il  n'a 
pas  rapporté  la  conception  virginale  de  Marie,  l'adora- 
tion des  Mages,  et  le  massacre  des  Innocens,  n'est  pas, 
comme  l'ont  prétendu  plusieurs  critiques  modernes,  qu'il 
ne  les  crut  pas ,  ou  qu'il  les  regardât  comme  douteux  ; 
mais  c'est  que  voulant  uniquement  parler  du  ministère 
extérieur  de  Jésus-Christ  ,  tout  ce  qui  concernait  l'en- 
fance de  ce  divin  Sauveur  n'entrait  pas  dans  le  plan  de 
son  Évangile. 


CHAPITRE  TROISIEME. 

DE   L'ÉVAXGILE   DE   SAIXT  LUC. 

Saint  Luc  était  d'Antioche ,  où  il  exerçait  la  méde- 
cine (2).  Parmi  les  commentateurs,  les  uns  le  regardent 

(1)  L'hypothèse  de  Hug,  sujette  d'ailleurs  à  bien  des  difficultés, 
n'est  pas  absolument  nécessaire  pour  expliquer  les  concordances  et 
les  discordances  des  deux  premiers  Évangiles. 

(2)  Coloss.  IV,  14.  Euseb.  Hist.Eccl.  l.iu,c.  iv.  Hieron.  in  Cala- 
loy.  c.  VII,  et  in  cap.  vi  Isaiœ.  Quelques-uns  doutent  si  Luc  le  méde- 
cin dont  parle  saint  Paul  est  le  même  que  révangéliste  ;  mais  £usèbe 


148  DE    l'évangile   de  SAINT  LUC. 

comme  un  Juif  helléniste,  parce  qu'il  cite  toujours  l'An- 
cien-Testament  d'après  la  version  des  Septante;  les  au- 
tres comme  un  gentil  converti ,  parce  que  saint  Paul 
paraît  le  distinguer  des  Juifs  (Coloss.  iv,  10-12,  ih-). 
Quelques-uns  ont  prétendu  qu'il  a  été  un  des  soixante- 
douze  disciples ,  ce  que  les  détails  où  il  entre  par  rap- 
port à  leur  mission  semblent  confirmer  ;  mais  dans  ce 
cas  il  ne  devrait  pas  se  distinguer  des  témoins  oculaires, 
comme  il  paraît  le  faire  dans  son  prologue,  où  il  dit  ex- 
pressément :  Sicut  tradiderunt  nobis  qui  ah  initio  ipsi 
viderunty  et  ministri  fuerunt  sermonis  (Luc.  i,  2).  On 
n'a  aucune  preuve  qu'il  ait  jamais  été  peintre.  Il  paraît 
assez  probable  que  notre  évangéliste  n'est  pas  le  même 
personnage  que  Lucius,  dont  parle  saint  Paul  dans  son 
Epître  aux  Romains  (xvi,  21)  ;  car,  outre  que  le  nom  est 
différent,  saint  Luc  n'était  pas  avec  saint  Paul  lorsque 
cet  apôtre  écrivit  son  Epître  aux  Romains  (1).  Compa- 
gnon fidèle  de  saint  Paul ,  de  ses  voyages  comme  de  ses 
fers ,  saint  Luc  le  suivit  à  Rome.  Quoiqu'il  ait  pu  con- 
naître le  grand  apôtre  à  Antioche,  sa  ville  natale,  cepen- 
dant ce  ne  fut  que  quand  saint  Paul  passa  de  Troade  en 
Macédoine  qu'il  l'accompagna  dans  ses  voyages.  Ce 
n'est  en  effet  que  depuis  ce  moment  qu'il  emploie  dans 
sa  narration  la  première  personne  du  pluriel ,  nous 
cherchâmes^  nous  passâmes.  Saint  Luc  mourut  dans  un 
âge  très-avancé  ;  mais  il  n'y  a  rien  de  certain  sur  les 
lieux  de  sa  prédication,  et  on  ne  sait  pas  davantage  où 
et  comment  il  a  fini  ses  jours. 

et  saint  Jérôme  l'assurent  si  positivement  qu'il  n'y  a  pas  lieu  d'en 
douter.  Son  livre  lui-même  semble  en  fournir  plusieurs  indices. 

(1)  Tout  le  monde  cependant  ne  convient  pas  de  cela.  Voy.  D.  Ccil- 
lier,  Hiat,  géncralc  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques^  t,  i  pag.  358. 


DE  l'évangile   de   SAINT  LUC.  149 

ARTICLE  I. 

Du  texte  original  et  du  style  de  l'Evangile  de  saint  Luc, 

1.  Tous  les  écrivains,  tant  anciens  que  modernes,  con- 
viennent généralement  que  l'Évangile  de  saint  Luc  a  été 
originairement  composé  en  grec,  et  les  caractères  intrin- 
sèques du  livre  confirment  la  vérité  de  ce  sentiment. 

2.  Le  grec  de  saint  Luc  est  beaucoup  plus  pur  que 
celui  des  autres  évangélistes. C'est  une  observation  que 
saint  Jérôme  a  déjà  faite  (1) ,  et  la  chose  est  évidente  pour 
quiconque  a  les  premières  notions  de  cette  langue.  Le 
prologue  surtout  ou  petite  préface  qui  est  en  tête  du  livre 
est  d'un  goût  et  d'une  pureté  dignes  des  meilleurs  his- 
toriens grecs.  Cependant  on  trouve  dans  cet  Evangile 
une  multitude  d'hébraïsmes.  Grotius  y  a  même  remarqué 
des  syriacismes  et  des  latinismes  ;  mais  il  y  a  reconnu  en 
même  temps  un  style  généralement  plus  pur,  plus  cor- 
rect et  plus  poli  que  celui  des  autres  écrivains  du  Nou- 
veau-Testament ;  ce  qu'il  attribue  à  l'étude  que  saint 
Luc  avait  faite  des  auteurs  de  médecine  (2) . 

ARTICLE   II. 

-  Dît  temps  et  du  lieu  où  fut  composé  V Evangile  de 
saint  Luc. 

1.  Il  est  très-difficile  de  déterminer  au  juste  l'époque 
à  laquelle  saint  Luc  a  composé  son  Évangile.  La  plupart 
des  manuscrits  grecs  portent  qu'il  fut  écrit  la  quinzième 

(1)  Hicron.  Epist.  cxlv  adDamasum. 

(2)  Grotius,  Prœf,  in  Luc. 


150  DE   l'évangile   de   SAINT  LUC. 

année  après  l'ascension  de  Jésus-Christ,  c'est-à-dire 
l'an  48  de  l'ère  chrétienne;  mais  il  ne  paraît  pas  que 
saint  Luc  fiit  alors  avec  saint  Paul  :  ce  qui  suffit  pour 
nous  faire  abandonner  cette  date.  Plusieurs  auteurs  pré- 
tendent qu'il  fut  écrit  avant  la  deuxième  Epître  aux  Co- 
rinthiens, parce  que  saint  Paul  paraît  faire  allusion  à 
saint  Luc  et  à  son  Evangile  dans  ces  paroles  du  cha- 
pitre VIII ,  18  :  Misimus  fratrem  cujus  laus  est  in  Evan- 
gelio  fer  omnes  ecclesias.  Cette  opinion  serait  assez  d'ac- 
cord avec  le  sentiment  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  et 
de  saint  Jérôme ,  qui  disent  que  cet  Evangile  fut  écrit  en 
Achaïe  (1).  Ainsi  ce  serait  quelques  années  avant  l'an- 
née cinquante-sept,  date  de  la  deuxième  Epître  aux  Co- 
rinthiens, c'est-à-dire  vers  l'an  53.  MaisEstius  et  Gro- 
tius  croient  qu'il  a  été  composé  vers  le  même  temps  où 
finit  l'histoire  des  Actes,  c'est-à-dire  vers  l'an  63  de 
Jésus-Christ  (2).  Or,  quand  on  considère  que  le  livre 
des  Actes  ne  fait  qu'un  même  ouvrage  avec  l'Evangile 
de  saint  Luc ,  dont  il  est  la  seconde  partie ,  et  que  l'his- 
toire des  Actes  finit  vers  l'an  63 ,  c'est-à-dire  à  la  pre- 
mière année  de  la  captivité  de  saint  Paul ,  on  est  porté 
à  croire  que  l'Evangile  lui-même  a  été  composé  peu  de 
temps  avant  cette  époque.  Car,  comme  le  remarquent 
quelques  critiques,  ces  deux  ouvrages  étant  étroitement 
liés  ensemble,',et  adressés  au  même  personnage,  que  tout 
suppose  être  un  Romain  distingué,  il  y  a  toute  appa- 
rence qu'ils  sont  le  fruit  du  séjour  de  saint  Luc  à  Rome , 
et  que ,  par  conséquent,  il  n'y  a  pas  eu  un  long  inter- 
valle entre  la  composition  de  l'un  et  de  l'autre  (3) . 

(1)  Greg.  Naz.  C«»'m.xxxiii.Hieron.  in  Matili.  Prolog.  Comment. 

(2)  Esiius  in  2  Cor.wn.  Grotius,  Prœf.  in  Luc. 

(3)  Olshausen,  Comment,  iiber  das  N.  T.  B.  i,6eî^23. 


DE   l'évangile   de  SÂLXT  LUC.  151 

2.  Quant  à  la  question  du  lieu  dans  lequel  saint  Luc 
a  composé  son  Évangile,  el!e  présente  plus  de  difficultés 
encore.  Michaëlis a  compté  jusqu'à  neuf  opinions  diffé- 
rentes .  Il  est  vrai  que ,  selon  son  calcul ,  elles  pourraient 
être  réduites  à  huit  seulement;  mais  comme  le  savant 
critique  n'a  pas  fait  mention  de  celle  qui  regarde  Rome 
comme  le  pays  originaire  de  cet  Evangile ,  le  nombre 
neuf  subsiste  toujours.  Cette  foule  d'opinions  diverses 
prouve  combien  il  est  difficile  de  rien  statuer  de  solide 
sur  cette  question.  Aussi  Michaëlis  ,  après  les  avoir  ex- 
posées ,  conclut-il  en  disant  :  «  Il  est  impossible  de  dé- 
terminer où  et  quand  saint  Luc  a  écrit  son  Evangile.  Va- 
vais  cru  d'abord  la  décision  facile;  mais  plus  j'ai  fait  de 
recherches  et  plus  j'ai  appris  à  douter  (1).  »  Hug  n'es- 
saye pas  même  une  seule  conjecture  sur  ce  point.  Cepen- 
dant un  grand  nombre  de  critiques  pensent  que  notre 
évangéliste  écrivit  dans  l'Achaïe .  D'un  autre  côté ,  quel- 
ques manuscrits  portent  que  ce  fut  à  Rome  ;  et  il  faut 
convenir  que  les  caractères  intrinsèques  du  livre  même 
favorisent  singulièrement  cette  opinion.  Outre  la  raison 
que  nous  venons  d'alléguer  en  parlant  du  temps  au- 
quel il  a  été  composé,  le  rapprochement  de  cet  Evan- 
gile avec  les  Actes  des  Apôtres  rend  très-probable  la 
conjecture  que  Théophile,  auquel  saint  Luc  dédie  ces 
deux  ouvrages ,  était  un  citoyen  de  l'Italie ,  qui  devait 
connaître  la  géographie  de  cette  contrée-là  seulement, 
puisque  c'est  la  seule  dont  l'écrivain  sacré  fasse  mention 
sans  aucune  note  explicative.  Ainsi,  il  a  soin  de  dire 
quelles  villes  sont  Nazareth ,  Capharnatim ,  Arimathie , 

(1)  J.  D.  Michaùlis,  Introd.  au  lY.T.  tome  m,  cli,  vi,  sect.  vi,  à 
la  fin. 


152  DE  l'évangile  de  SAINT  LUC. 

Emmaiis ,  où  sont  situés  le  pays  des  Géraséniens  et  la 
montagne  des  Oliviers  (1)  ;  il  parle  presque  de  tous  les 
peuples  étrangers  comme  s'ils  n'étaient  pas  connus  de 
Théophile.  Dans  le  livre  des  Actes ,  il  ne  décrit  pas  au- 
trement le  voyage  de  l'apôtre  saint  Paul  à  Rome  ;  mais , 
arrivé  en  Sicile  et  en  Italie,  il  change  de  méthode;  il 
paraît  supposer  que  tous  les  lieux  qu'il  cite  sont  connus  à 
son  lecteur  ;  ainsi  il  nomme  sans  explication  et  sans  re- 
marque Syracuse ,  Rhège  ou  Keggio ,  Pouzzoles ,  le  Mar- 
ché d'Appius  ,  les  Trois  Loges  ou  Trois  Hôtelleries  (-2). 
Le  titre  d'excellent  (  xpaTioro?  )  qu'il  donne  à  Théophile 
vient  encore  confirmer  cette  conjecture ,  puisqu'il  n'était 
en  usage  que  pour  les  grands  pontifes,  les  gouverneurs 
de  provinces ,  les  édiles  curules ,  etc. 

ARTICLE   III. 

Du  but  et  du  plan  de  VEvangile  de  saint  Luc. 

1.  Dans  le  prologue  de  son  Evangile,  saint  Luc  ex- 
pose le  motif  qui  l'a  engagé  à  écrire  ;  de  manière  que  si 
nous  avions  le  vrai  sens  de  ce  prologue ,  nous  pourrions 
connaître  le  but  particulier  que  l'évangéliste  s'esl  pro- 
posé en  écrivant  ;  mais,  comme  il  est  assez  amphibolo- 
gique, chaque  interprète  a  tâché  de  l'expliquer  con- 
formément au  dessein  qu'il  prête  au  saint  évangéliste. 
Quant  à  nous,  nous  croyons  qu'on  peut  le  traduire  et 
l'expliquer  ainsi  :  ((  Comme  plusieurs  ont  entrepris  de 
donner  sur  les  événemens  qui  sont  entièrement  certains 
pour  nous  (  chrétiens  ) ,  une  histoire  suivie  et  conforme 

(I)  Luc.  I,  26;  IV,  31  ;  viii,  26;  xxiii,  51  ;  xxiv,  13.  Act.  i,  12. 
(5)  Act.  XXVIII,  12, 13,  15. 


DE  l'évangile  de   SAL\T  LUC.  153 

aux  récits  que  nous  en  ont  faits  ceux  qui,  dès  le  com- 
mencement ,  les  ont  vus  de  leurs  propres  yeux  et  qui 
ont  été  les  ministres  de  la  parole  (  de  Dieu  ) ,  j'ai  cru , 
excellent  Théophile,  qu'après  avoir  été  exactement  in- 
formé de  toutes  ces  choses  depuis  le  commencement , 
je  devais,  moi  aussi,  t'en  représenter  par  écrit  toute  la 
suite,  afin  que  tu  reconnaisses  la  certitude  des  vérités 
qui  t'ont  été  annoncées  (Luc.  i,  1-i).  »  Ce  prologue 
prouve  clairement,  ce  semble,  que  saint  Luc  a  écrit 
son  Évangile  à  l'occasion  de  plusieurs  histoires  des  faits 
évangéliques  composées  par  différens  auteurs ,  d'après 
ce  qu'ils  avaient  appris  de  ces  faits ,  soit  de  vive  voix  , 
soit  par  les  relations  écrites  des  témoins  oculaires  et 
autres  ministres  de  l'Evangile.  Il  n'est  pas  probable  que 
les  personnes  dont  parle  saint  Luc  soient  saint  Matthieu 
et  saint  Marc,  puisqu'il  paraît  faire  la  censure  de  leurs 
écrits ,  comme  l'a  dit  expressément  Origène  (1)  ;  ce  ne 
sont  pas  non  plus  les  auteurs  des  Evangiles  apocryphes 
admis  par  les  hérétiques.  Quoi  qu'en  disent  quelques 
critiques,  ces  Evangiles  n'existaient  pas  à  cette  époque  ; 
mais  il  parle  visiblement  de  certains  chrétiens  qui ,  ayant 
entendu  rapporter  les  paroles  et  les  actions  de  Jésus- 
Christ,  avaient  entrepris  par  zèle  de  les  mettre  en  écrit , 
et  en  avaient  composé  des  histoires  plus  ou  moins  com- 
plètes ,  mais  en  même  temps  plus  ou  moins  exactes  et 
certaines.  Ainsi,  saint  Luc  a  voulu  opposer  à  ces  his- 
toires ,  rédigées  par  des  écrivains  sans  autorité  et  qui 
pouvaient  n'être  pas  assez  exacts,  son  Evangile  qu'il  te- 

(t)  «(  Quod  Siit  conati  sunt  latentem  habet  accusationem  eorum,  qui 
absque  gratia  Spiritus  sancti  ad  scribenda  Evangelia  prosilieruat  (m 

Luc.Hom.  i).» 

7. 


154  DE  l'évangile  DE  SAINT  LUC. 

nait  de  saint  Paul  et  des  apôtres,  témoins  fidèles  et  sûrs 
des  faits  qu'il  raconte.  En  examinant  l'Évangile  de  saint 
Luc  sous  un  point  de  vue  général ,  on  peut  dire  que  le  • 
dessein  de  son  auteur  est  de  prouver,  par  l'ensemble  des 
faits  et  par  toutes  les  circonstances  de  la  vie  de  Jésus 
de  Nazareth ,  que  ce  même  Jésus  est  le  véritable  Sau- 
veur de  tous  les  hommes. 

2.  Saint  Luc  fait  profession  d'une  grande  exacti- 
tude; c'est  pour  cela  qu'il  remonte  jusqu'à  l'origine  des 
faits  évangéliques ,  jusqu'à  la  naissance  de  saint  Jean- 
Baptiste  et  de  Jésus -Christ,  et  qu'il  rapporte  les 
choses  dans  l'ordre  où  elles  se  sont  passées.  Acciirate, 
a  principio,  ex  ordine,  telles  sont  les  qualités  de  son 
récit  ;  et  il  prétend  qu'il  va  donner  à  Théophile  une  pleine 
assurance  des  choses  dont  il  a  été  instruit  quand  il  est  de- 
;venu  chrétien.  Les  sources  où  notre  évangéliste  a  puisé 
son  histoire  sont  sans  doute  ces  premières  relations  dont 
nous  venons  de  parler,  mais  dans  lesquelles  il  a  su  dis- 
tinguer le  vrai  du  faux ,  le  certain  de  l'incertain  ;  il  a  pu 
mettre  encore  à  profit  les  communications  qu'il  avait 
eues  avec  la  sainte  Vierge ,  les  mémoires  de  famille  des 
parens  de  saint  Jean-Baptiste  et  de  Marie,  mais  surtout 
ces  instructions  de  l'apôtre  saint  Paul,  dont  il  était  dis- 
ciple et  compagnon,  et  qui  a  été  considéré  dans  l'anti- 
quité comme  le  principal  auteur  de  son  Evangile  .Voici, 
selon  Hug,  le  plan  du  travail  de  saint  Luc.  D'abord  notre 
évangéliste  a  connu  les  écrits  des  deux  premiers,  car 
plusieurs  de  leurs  passages  se  trouvent  littéralement 
dans  son  propre  Évangile  (1).  Il  les  suit  également  tous 

(1)  Griesbach,  Theile,  Saunier,  De  Wette,  Meyer,  etc.,  prétendent 
que  c'est  saint  Marc  qui  a  écritd'après  saint  Luc;  ce  qui  est  contraire 


I 


DE   l'évangile   de   SAINT  LUC.  155 

deux  dans  la  doctrine  et  les  paroles  de  Jésus-Christ  ; 
mais  quand  il  s'agit  d'établir  l'ordre  des  faits  et  de  bien 
préciser  des  circonstances  particulières,  il  s'attache  pré- 
férablement  à  saint  Marc,  qu'il  surpasse  même  sur  ce 
point.  II  ajoute,  par  exemple,  dans  le  récit  de  la  passion, 
que  l'un  des  deux  criminels  crucifiés  avec  le  Sauveur,  re- 
procha à  l'autre  les  injures  qu'il  adressait  au  Seigneur 
innocent  (  xxiii ,  39 ,  40  ) ,  qu'il  y  avait  deux  anges  au 
sépulcre  (  xxiv,  4  ).  Quand  un  événement  est  suffisam- 
ment détaillé  dans  saint  Matthieu ,  il  se  contente ,  comme 
saint  Marc ,  de  l'abréger  ou  de  le  supposer  dans  sa  nar- 
ration. Il  rétablit  tous  les  faits  omis  par  saint  Marc  et 
les  place  dans  l'ordre  convenable  ;  et  s'il  en  a  passé  quel- 
ques-uns sous  silence,  c'est  sans  doute  qu'il  ne  con- 
naissait pas  le  temps  auquel  ils  avaient  eu  lieu ,  ou  bien 
qu'ils  n'entraient  pas  dans  le  plan  qu'il  s'était  proposé. 
On  peut  compter,  surtout  parm.i  ces  derniers ,  tous  les 
traits  qui  paraissaient  favorables  au  particularisme  ju- 
daïque ,  qu'il  affecte  en  quelque  sorte  d'éliminer  de  son 
livre ,  puisque  au  lieu  d'arrêter  la  généalogie  de  Jésus- 
Christ  au  patriarche  Abraham ,  comme  saint  Matthieu, 
il  la  conduit  jusqu'à  Adam;  et  que,  tandis  que  saint  Mat- 
thieu s'occupe  seulement  delà  vocation  des  douze  apô- 
tres ,  comme  représentant  les  douze  tribus  d'Israël ,  il 
a  soin  de  décrire  lui-même  la  mission  des  soixante-douze 
disciples ,  laquelle  semble  avoir  un  objet  plus  étendu. 
C'est  apparemment  l'omission  de  ces  sortes  de  faits  qui 
a  déterminé  les  marcionites,  si  opposés  aux  idées  judaï* 

au  sentiment  de  saint  Irénée  et  des  autres  anciens.  Voy.  Hug,  Einleii. 
T/i,  II,  §  35,  et  comparez  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  (pag.  147, 
noie  1)  sur  riiypothese  de  ce  gavant  critique. 


15G  DE  l'évangile  de  SAINT  JEAN. 

ques,  à  adopter  de  préférence  l'Évangile  de  saint  Luc, 
qui,  par  ces  motifs  mêmes,  semble  avoir  été  destiné  plus 
particulièrement  pour  les  gentils  (1).  Mais  si  saint  Luc 
a  omis  plusieurs  faits  rapportés  par  ses  devanciers,  com- 
bien ne  nous  en  a-t-il  pas  transmis  sur  lesquels  ils  ont 
eux-mêmes  gardé  un  profond  silence?  Ainsi,  outre  la 
naissance  de  saint  Jean-Baptiste  (i,  5-23)  ,rannoncia- 
tion  de  l'ange  à  Marie  (1,  26-80),  toutes  les  circonstances 
delà  naissance  de  Jésus-Christ  (ii,  1-20) ,  sa  vie  à  Na- 
zareth et  sa  présentation  au  temple  (ii,  22-52) ,  plusieurs 
autres  événemens  contenus  dans  les  chapitres  ix-xviii, 
ne  sont  rapportés  que  par  lui  seul,  comme  on  peut  aisé- 
ment s'en  convaincre  en  jetant  un  coup  d'œil  sur  une 
concordance  ,  de  manière  que  son  Evangile  peut  très- 
bien  être  considéré  comme  le  supplément  de  ceux  de 
saint  Matthieu  et  de  saint  Marc. 


CHAPITRE  QUATRIEME. 

DE  l'évangile    de   SAINT   JEAN. 

Saint  Jean,  frère  de  Jacques  le  Majeur,  né  à  Beth- 
saïde,  ville  de  Galilée,  de  Zébédée  et  deSalomé  (Matth. 
XXVII,  56,  et  Marc,  xv,  40),  était  pêcheur.  Très-jeune 
encore ,  il  fut  admis  par  Jésus-Christ  au  nombre  de 
ses  disciples;  aussi  vécut-il  long-temps  après  la  mort 
de  son  divin  maître.  Jésus-Christ  lui  avait  donné, 
ainsi  qu'à  son  frère,  le  nom  de  Boanergès,  c'est-à-dire 
fils  du  tonnerre  (Marc,  m,  17).  Il  fut  le  disciple  bien 

(1)  Voy.  Olshausen,  Comment,  uber  das  IV.  T.  B.\.  Seit,  22. 


I 


DE   l'évangile  de   SAIXT    JEAN.  157 

aimé  du  Sauveur,  et  c'est  ainsi  qu'il  parle  de  lui-même 
(XIII,  23;  XIX,  26;  XX,  2;  xxi,20).  Il  fat  présent  à  la 
transfiguration  avec  Jacques  son  frère  et  Pierre  (  Matth. 
XVII ,  1  )  ;  avec  ces  mêmes  disciples  ,  il  accompagna 
Jésus-Christ  dans  le  jardin  de  Gethsémani ,  au  pied 
de  la  montagne  des  Oliviers  (Matth.  xxvi,  37)  ;  avec 
Marie,  il  le  suivit  sur  la  montagne  du  Calvaire  ;  là ,  le 
Sauveur,  du  haut  de  la  croix  sur  laquelle  il  allait  mou- 
rir, le  recommanda  à  sa  mère,  en  lui  recommandant  à 
lui-même  cette  sainte  femme  (xix,  26-27).  Depuis  ce  mo- 
ment saint  Jean  la  prit  chez  lui.  Il  établit  plusieurs  églises 
dans  l'Asie-Mineure,  et  les  gouverna  long-temps  en  paix, 
jusqu'à  ce  que,  pendant  la  persécution  de  Domitien, 
d'autres  disent  sous  Néron,  il  fut  conduit  à  Rome,  et, 
suivant  le  témoignage  de  Tertullien,  que  suit  saint  Jé- 
rôme (1),  plongé  dans  une  chaudière  d'huile  bouillante, 
d'où  il  sortit  sain  et  sauf.  Il  fut  ensuite  relégué  dans 
l'île  de  Patmos  (2).  Rappelé  de  son  exil,  il  revint  à 
Ephèse,  où,  suivant  Polycrate,  saint  Irénée,  Tertullien, 
Eusèbe,  saint  Jérôme,  saint  Ambroise ,  saint  Chryso- 
stome ,  le  concile  d'Ephèse ,  et  tous  les  anciens  auteurs 
ecclésiastiques ,  il  mourut  et  fut  enterré  ,  dans  la  troi- 
sième année  de  l'empire  de  Trajan ,  c'est-à-dire  l'an 
101  de  l'ère  vulgaire,  âgé  d'environ  cent  ans. 

(I)  Tertull,  Prœscripl.  c.  xxxvi.  Kicron.  /.  i  contra  Jovînian. 
(2)EuseI).  Hist.Eccl.  l.iu,  c.  xviii. 


168  DE   L  ÉVANGILE  DE  SAINT  JEAN. 

ARTICLE  I. 

Du  texte  original  et  du  style  de  l'Evangile  de  saint  Jean. 

1.  Les  critiques  conviennent  unanimement  que  l'É- 
vangile de  saint  Jean  a  été  originairement  composé  en. 
grec;  on  peut  même  dire  que  jamais  personne  n'en  a 
douté  ;  car  nous  ne  tenons  aucun  compte  de  l'opinion 
du  P.  Hardouin,qui,  prétendant  que  Jésus-Christ  et 
les  apôtres  parlaient  latin,  comme  nous  l'avons  déjà  re- 
marqué (1),  a  soutenu  en  conséquence  que  notre  évan- 
géliste  avait  écrit  son  livre  en  cette  langue. 

2 .  Saint  Denis  d'Alexandrie ,  cité  par  Eusèbe,  trouvait 
dans  l'Évangile,  aussi  bien  que  dans  la  première  Épître 
de  saint  Jean ,  non  seulement  la  pureté  de  la  langue  grec- 
que, mais  encore  une  certaine  élégance  dans  la  dispo- 
sition des  termes  et  des  pensées.  «  On  n'y  trouve,  ajoute 
ce  saint,  rien  de  barbare  et  d'impropre,  ni  même  de 
bas  et  de  vulgaire  ;  en  sorte  qu'il  semble  avoir  reçu  de 
Dieu  non  seulement  le  don  de  la  lumière  et  des  con- 
naissances, mais  encore  celui  de  bien  exprimer  ses  pen- 
sées (2).  ))  Michaëlis  ne  relève  pas  moins  le  mérite  de 
l'élocution  de  saint  Jean  :  «Le  style  de  saint  Jean,  dit- 
il,  est  meilleur  et  plus  coulant  que  celui  des  autres  évan- 
gélistes  ;  il  semble  que  le  long  séjour  qu'il  fit  à  Éphèse 
lui  ait  fait  acquérir  de  la  facilité  et  du  goût  pour  la  lan- 
gue grecque.  Sa  narration  est  très-claire  ;  et ,  afin  de 
rendre  cette  clarté  plus  grande  encore,  il  répète  sou- 
vent le  même  mot,  quoique  peut-être  l'âge  avancé  au- 

(1)  Voy.  Vlntrod.  fjénérale,  t,  i,  pag.  157. 

(2)  Dioûys,  AJex.  apud  Euseb.  l,  vu,  c.  xxv. 


DE   L'ÉVANGILE   DE   SAINT  JEAN.  l6& 

quel  saint  Jean  écrivit  ait  eu  quelque  influence  à  cet 
égard  :  la  vieillesse  aime  les  répétitions.  »  Après  ces  con- 
sidérations générales ,  Michaëlis  fait  remarquer  plu- 
sieurs particularités  dans  la  manière  d'écrire  de  saint 
Jean.  Premièrement  cet  évangéliste  ne  parle  jamais  de 
lui  à  la  première  personne ,  mais  il  se  sert  d'une  péri- 
phrase, telle  que  le  disciple  que  Jésus  aimait,  ou  bien  le 
disciple  qui  s'est  reposé  sur  la  poitrine  de  Jésus  ;  ce  qui, 
selon  notre  critique ,  peut  s'attribuer  encore  aux  rela- 
tions de  saint  Jean  avec  les  Grecs,  qui  n'aimaient  pas 
que  l'on  parlât  toujours  de  soi.  Mais  les  Hébreux  eux- 
mêmes,  et  en  général  les  Orientaux,  ne  parlent  que  fort 
rarement  à  la  première  personne.  Michaëlis  nous  sem- 
ble mieux  fondé  quand  il  assigne  cette  même  cause  à 
la  variété  d'expressions  et  à  l'emploi  des  synonymes 
assez  ordinaires  à  l'écrivain  sacré  dans  les  circonstan- 
ces où  il  est  obligé  de  parlerplusieurs  fois  du  même  ob- 
jet (1) .  Secondement,  saint  Jean  aime  à  commencer  une 
proposition  par  un  mot  employé  dans  la  précédente  (2). 
Troisièmement,  il  fait  un  fréquent  usage  du  pronom  je 
(iyù).  «  On  pourrait  supposer  à  la  vérité,  remarque  ju^ 
dicieusement  Michaëlis,  que  dans  quelques  cas,  comme 
au  chapitre  i,  20,  il  voulait  donner  un  sens  prononcé  à 
ce  pronom  ;  mais  il  y  revient  trop  souvent  pour  qu'on 
puisse  admettre  une  pareille  supposition  (3).»  Il  est 
certain  que  ce  pronom  revient  dans  une  foule  de  cas 
où  il  ne  paraît  pas  que  l'auteur  ait  voulu  exprimer  sa 

(1)  Gompar.  vu,  34,  avec  viii,  21  ;  viii,  44,  avec  viii,  46;  viii, 
51,  avec  viii,  52.  Cette  même  variété  d'expressions  se  trouve  encore 
au  chapitre  XXI,  15,  16,  17. 

(2)Voy.  1,1,  3,  4,  7,  8,  10,  11  jxx,  11;  xxi,  1,17. 

(3)  Michaëlis, /?u><od.  au  iY.  T  .t.  m,  parj.  394-396. 


160  DE  l'évangile   de    SAIXT    JEAN. 

pensée  avec  emphase,  et  où  les  Grecs  ne  le  regardaient 
certainement  pas  comme  nécessaire.  S'il  faut  exprimer 
notre  propre  sentim^ent  sur  le  style  et  la  diction  de  saint 
Jean  ,  nous  dirons  qu'il  y  a  beaucoup  de  vrai  dans  ce 
qu'en  ont  dit  saint  Denis  d'Alexandrie  et  Michaëlis , 
mais  qu'en  même  temps  il  nous  a  semblé  découvrir  dans 
son  Evangile  un  assez  grand  nombre  d'hébraïsmes  et  de 
syriacismes  ;  et  nous  ajouterons  qu'il  serait  difficile  de 
prouver  que  toutes  ses  répétitions  et  tous  ses  tours  de 
phrases  soient  dans  le  goût  et  la  correction  de  la  lan- 
gue] et  du  style  des  Grecs.  «Tout  le  monde  sait,  dit 
D.  Calmet  dans  sa  préface  sur  l'Evangile  de  saint  Jean, 
que  ce  saint  évangéliste  n'avait  point  étudié  les  lettres 
humaines,  et  qu'il  n'avait  aucune  teinture  de  l'éloquence 
et  de  la  rhétorique  artificielle  :  et  cela  ne  lui  fait  point 
de  tort.  Ce  petit  défaut  se  trouve  bien  réparé  par  les 
lumières  surnaturelles,  par  la  profondeur  des  mystères, 
par  l'excellence  des  choses,  par  la  solidité  des  pensées 
et  par  l'importance  des  instructions.  Le'Saint-Esprit,  qui 
l'a  choisi  et  animé,  est  au-dessus  de  la  philosophie  et  de 
la  rhétorique.  Il  possède  au  souverain  degré  le  talent 
de  porter  la  lumière  dans  l'esprit  et  le  feu  dans  le  cœur. 
Il  instruit,  il  convainc,  il  persuade  sans  l'aide  de  l'art 
et  de  l'éloquence.  L'Evangile  de  saint  Jean,  tout  simple 
qu'il  paraît  dans  son  style,  n'a  pas  laissé  de  mériter  les 
éloges  des  plus  grands  hommes  et  des  plus  éclairés.  Si 
les  Évangiles  sont  comme  les  prémices  et  la  partie  la 
plus  excellente  des  saintes  Ecritures  ,  dit  Origène  (l) , 
l'Evangile  de  saint  Jean  est  lui-même  les  prémices  des 

(1)  Origen.  Prœfat.  in  Joan,  Vide  etiren.  L  m,  c.  i.  Epiph.  Hœ- 
Tes.  XXX,  c.  VI. 


DE  L'ÉVANGILE  DÉ  SAINT  JEAN.  161 

Evangiles  et  de  tout  le  Nouveau-Testament.  Personne 
n'en  peut  dignement  comprendre  toute  la  profondeur, 
que  celui  qui,  comme  ce  saint  évangéliste,  s'est  reposé 
sur  la  poitrine  du  Sauveur  ;  c'est,  dit  le  même  père,  le 
sceau  qui  confirme  les  autres  évangélistes  et  la  colonne 
sur  laquelle  Dieu  a  achevé  d'affermir  son  Eglise.  C'est 
avec  raison  que  dans  les  pères  (1)  cet  évangéliste  est 
comparé  à  l'aigle,  parce  qu'il  s'élève  jusqu'au  trône  de 
Dieu  même.  Il  renferme  autant  de  mystères  que  de 
sentences  (2).  » 

ARTICLE  II. 

Bu  temps  et  du  lieu  où  fut  composé  V Evangile  de  saint 
Jean. 

1 .  On  croit  assez  généralement  que  saint  Jean  a  écrit 
après  les  trois  autres  évangélistes  ;  c'est  d'abord  le  sen- 
timent unanime  des  anciens.  On  lit  dans  Eusèbe  :  «  Marc 
et  Luc  avaient  déjà  publié  leurs  Évangiles,  lorsque  Jean , 
dit-on,  qui  s'était  borné  jusque  alors  à  un  enseignement 
oral,  se  mit  enfin  à  écrire,  et  en  voici  la  cause.  Les  trois 
premiers  évangélistes  ayant  écrit  et  publié  leurs  livres, 
on  dit  qu'il  les  reçut,  et  qu'ayant  rendu  témoignage  à  la 
vérité  de  ce  qu'ils  contenaient,  il  ne  lui  resta  plus  à 
écrire  que  le  récit  des  actions  de  Jésus-Christ  dans 
les  premiers  temps  de  son  ministère  (3).  v  II  faut  bien 
remarquer  que  ce  passage  d'Eusèbe,  quoiqu'il  n'affirme 
point  positivement  le  fait,  le  présente  cependant  comme 

(1)  Vide  Paul,  in  Episl.  xxiv.  August.  Tract,  xxxvi,  in  Joan.  Ori- 
gen.  in  Joan.  al/'i  pa.ssim. 

(2)  Ambros.  DeSacram.  l.  m,  c.  \\. 

(3)  Euseb.  Hist.  Eccl.  L  m,  c.  xxiv. 


162  DE   l'évangile   de   SAINT  JEAN. 

une  opinion  commune,  sur  laquelle  le  savant  père  n'é- 
lève aucun  doute;  et  que  quand  bien  même  le  motif  que 
l'on  prête  à  saint  Jean  comme  l'ayant  déterminé  à 
écrire  son  Evangile  ne  serait  pas  parfaitement  exact , 
on  n'aurait  pas  pour  cela  le  droit  d'en  conclure  que  le 
fond  du  récit  soit  absolument  dénué  de  fondement.  Clé- 
ment d'Alexandrie  dit  expressément  :  «  Jean  s'étant 
aperçu  que  les  choses  charnelles  avaient  été  consignées 
dans  les  Évangiles,  laissa  ce  qui  était  connu,  et,  divi- 
nement inspiré,  écrivit  un  Evangile  spirituel  (1).»  Nous 
pourrions  répéter  l'observation  que  nous  venons  défaire 
par  rapport  au  motif  que  Clément  assigne  à  la  compo- 
sition de  l'Evangile  de  saint  Jean,  si  quelqu'un  croyait 
devoir  le  révoquer  en  doute.  L'antériorité  de  cet  Evan- 
gile est  encore  fondée  sur  des  argumens  intrinsèques , 
comme  nous  aurons  occasion  de  le  montrer  à  l'article 
suivant.  Aussi  ne  nous  arrêterons-nous  pas  à  réfuter 
l'opinion  contraire,  soutenue  par  Semler  dans  sa  para- 
phrase de  l'Evangile  de  saint  Jean.  Mais  à  quelle  épo- 
que précisément  le  saint  apôtre  a-t-il  écrit  son  livre 
évangélique?  C'est  une  question  sur  laquelle  on  est  fort 
partagé.  Cependant  le  sentiment  le  plus  commun  parmi 
les  chronologistes  est  celui  qui  en  fixe  la  composition 
vers  l'an  98  de  Jésus-Christ,  la  première  année  du  rè- 
gne de  Trajan,  soixante-cinq  ans  après  l'ascension  du 
Sauveur.  Les  manuscrits  varient;  mais  on  convient  gé- 
néralement que  saint  Jean  l'écrivit  dans  un  âge  fort 
avancé. 

2.  La  question  du  lieu  se  confond  presque  avec  celle 
du  temps.  Quelques  anciens  et  plusieurs  modernes  ont 

(l)  Clem.  Alex,  apud  Euscb.  l.  m,  c.  xiv. 


DÉ  L'ÉVANGILE  DE  SAINT  JEAN.  163 

pensé  que  saint  Jean  avait  écrit  son  Évangile  dans  l'île 
de  Patmos ,  lorsqu'il  y  était  exilé  ;  mais  l'opinion  la 
plus  généralement  reçue  veut  que  ce  soit  àÉphèse,  après 
son  retour  de  l'exil.  Un  passage  de  la  Synopse  attri- 
buée à  saint  Athanase  semble  concilier  ces  deux  opi- 
nions :  «  L'Evangile  de  saint  Jean ,  dit  l'auteur  de  cet 
ouvrage ,  a  été  composé  par  l'apôtre  chéri  du  Sei- 
gneur quand  il  était  en  exil  dans  l'île  de  Patmos  ;  et 
il  a  été  publié  à  Ephèse  par  Gaïus,  l'ami  et  l'hôte  des 
apôtres.  » 

ARTICLE   III. 

Du  but  et  du  plan  de  l'Evangile  de  saint  Jean. 

1.  Saint  Jean  paraît  avoir  eu  plusieurs  motifs  de  com- 
poser son  Evangile.  D'abord  les  fidèles  d'Asie,  désirant 
vivement  d'avoir  par  écrit  ce  qu'il  leur  avait  enseigné 
de  vive  voix,  lui  firent  à  ce  sujet  des  instances  auxquelles 
il  ne  pouvait  résister.  Secondement,  il  était  tout  natu- 
rel que  le  saint  apôtre  cherchât  à  réfuter  les  erreurs  de 
Cérinthe  et  d'Ebion,  qui  niaient  la  divinité  du  Verbe. 
Troisièmement,  il  voulait  laisser  à  l'Eglise  un  corps  plus 
complet  de  l'histoire  et  de  la  doctrine  du  Sauveur,  et 
qui  fût  le  supplément  des  trois  premiers  Evangiles; 
et,  en  effet ,  dans  les  dix-sept  premiers  du  sien,  il  n'y 
a  presque  que  les  vingt-et-un  premiers  versets  du  cha- 
pitre VI  qui  lui  soient  communs  avec  les  autres  évan- 
gélistes  (1). 

(1)  Ces  dillérens  motifs  ont  été  allégués  par  les  pères  de  l'Église; 
voyezClem.  Alex.  apudEnseh.  Hht.  Eccl.  t.  vi,  c.xiVjCt  Euseb.  /.m, 
c.  IV.  Hicron,  De  f^ir.  illusi)'.  et  Prolofj.  in  Matth.  Epiphan.  Hœ- 
res.  Li.  Voyez  un  peu  plus  haut  la  note  1,  pag.  147. 


164  DE   L'ÉVANGILE   DE   SAINT   JEAN. 

2,  Si  l'on  rapproche  l'Evangile  de  saint  Jean  des  trois 
autres,  dit  encore  Hug,  on  voit  qu'à  l'exception  de  quel- 
ques faits  qu'il  répète,  il  suppose  suffisamment  connus 
ceux  que  contiennent  les  trois  premiers  Evangiles,  et 
qu'il  rapporte  un  grand  nombre  d'actions  et  de  paroles 
de  Jésus-Christ,  ainsi  que  des  détails  omis  par  ses  de- 
vanciers, tels  que  l'histoire  des  premiers  temps  de  la 
prédication  de  Jésus -Christ  jusqu'à  la  captivité  de 
saint  Jean-Baptiste;  diverses  circonstances  de  la  pas- 
sion, de  la  mort  et  de  la  résurrection  du  Sauveur.  Il 
passe  sous  silence,  entre  autres  événemens,  l'histoire  de 
ce  démon  qui  confesse  la  divinité  de  Jésus-Christ  dans 
la  synagogue  de  Capharnaiim  ;  de  ceux  du  pays  des  Gé- 
raséniens,  à  qui  est  arraché  le  même  aveu,  événemens 
dont  il  avait  été  témoin  lui-même  (Matth.  viii ,  29; 
Marc.  I,  29  ;  v,  7-37  ;  Luc.  viii,  28-51  )  ;  il  suppose  éga- 
lement connue  la  transfiguration  de  Jésus-Christ,  à 
laquelle  il  avait  aussi  assisté  (  Matth.  xvii,  1.  Luc.  ix, 
28)  ;  il  ne  dit  rien  du  baptême  du  Sauveur,  de  sa  déclara- 
tion devant  Caïphe,  de  la  confession  de  saintPierre,  etc. 
Or,  pourquoi  saint  Jean  passe-t-il  sous  silence  tous  ces 
traits,  aussi  bien  que  plusieurs  autres,  quoiqu'ils  eus- 
sent un  rapport  évident  avec  le  but  qu'il  se  proposait? 
Serait-ce  parce  qu'il  ne  les  connaissait  pas?  Mais  com- 
ment aurait-il  pu  les  ignorer,  lui  qui  accompagnait  tou- 
jours son  divin  maître?  Est-ce  qu'il  en  avait  perdu  le 
souvenir?  Mais  n'étaient-ils  pas  de  nature  à  ne  s'effacer 
jamais  de  sa  mémoire?  Voulait-il  laisser  le  récit  de  tous 
ces  faits  aux  historiens  qui  viendraient  après  lui  ?  Il  les 
exposait  par  là  au  danger  de  n'être  jamais  rapportés. 
Ainsi  ce  plan  et  cette  marche  de  saint  Jean  ne  peut  s'ex- 
pliquer d'une  manière  satisfaisante  qu'en  supposant 


DE   l'évangile   de   SAINT   JEAN.  165 

que  tous  ces  faits  étant  déjà  rapportés  dans  des  Evan- 
giles authentiques  et  très-connus  de  ceux  pour  qui  il 
écrivait,  il  n'a  pas  voulu  les  répéter,  aimant  mieux  s'at- 
tacher uniquement  à  ce  que  les  autres  évangélistes 
avaient  omis.  C'est  par  le  même  principe  qu'il  ne  rap- 
porte pas  tous  les  préceptes  de  morale  du  sermon  sur 
la  montagne  écrits  par  saint  Matthieu  et  saint  Luc ,  se 
bornant  à  montrer  que  cette  morale  est  divine ,  en  éta- 
blissant l'origine  céleste  et  éternelle  de  son  législateur. 
Quoiqu'il  prouve  la  mission  de  Jésus-Christ  par  ses 
miracles,  qu'il  dise  même  qu'il  en  a  fait  un  grand  nom- 
bre, cependant  il  n'en  rapporte  que  cinq,  par  la  raison 
encore  qu'il  savait  que  les  autres  avaient  été  suffisam- 
ment rapportés  par  les  premiers  évangélistes.  Il  ne  parle 
point  des  voyages  de  Jéscs-Christ  en  Galilée ,  assez 
bien  décrits  par  ses  devanciers  ;  mais  il  raconte  les  mi- 
racles et  les  admirables  discours  du  Sauveur  dans  la 
Judée  et  à  Jérusalem ,  choses  dont  ils  n'avaient  point 
parlé.  Car,  si  l'on  excepte  l'histoire  de  la  passion,  qui, 
dans  chacun  des  quatre  Évangiles ,  forme  la  partie  la 
plus  détaillée  et  la  plus  saillante  du  livre,  saint  Matthieu 
et  saint  Marc  renferment  presque  entièrement  leurs  ré- 
cits dans  la  Galilée,  ne  quittant  guère  les  bords  du  lac 
de  Génézareth  ou  les  contrées  voisines.  Saint  Luc,  à  la 
vérité,  franchit  ces  limites,  et  suit  Jésus  dans  la  Judée, 
racontant  en  détail  les  prédications  diverses  que  le  Sau- 
veur fit  aux  environs  de  Jérusalem  (  ix,  51-XïX,  37) 
dans  la  dernière  partie  de  son  ministère,  et  que  les  pre- 
miers évangélistes  ont  omises  ;  mais  il  se  tait  comme 
eux  sur  tout  ce  qui  se  passa  à  Jérusalem  lors  des  voya- 
ges que  JÉSUS  y  fit,  antérieurement  à  son  entrée  triom- 
phante dans  cette  capitale  des  Juifs.  Tous  trois  semblent 


166  DE   l'évangile   de   SAINT   JEAN. 

s'arrêter  aux  frontières  de  la  Judée  ou  aux  portes  de 
Jérusalem,  et  y  attendre  le  retour  du  Sauveur.  Saint 
Jean  suit  un  plan  tout  opposé  ;  sans  presque  s'occuper 
des  courses  de  Jésus-Christ  dans  la  Galilée,  il  paraît 
vouloir  ne  l'accompagner  que  dans  la  Judée.  De  là  vient 
que  ce  sont  les  discours  et  les  actions  de  l'Homme-DiEU 
qui  remplissent  presque  exclusivement  son  Evangile,  et 
qu'il  ne  rapporte  que  deux  des  faits  antérieurs  à  la  pas- 
sion déjà  racontés  par  les  autres  historiens  sacrés , 
c'est-à-dire  la  multiplication  des  pains  et  le  voyage  sur 
mer  qui  suit  immédiatement  ce  miracle  (vi).  Encore  s'il 
les  rapporte,  c'est  évidemment  parce  qu'ils  étaient  né- 
cessaires pour  amener  et  expliquer  les  discours  du  Sau- 
veur qui  remplissent  le  reste  du  chapitre ,  et  dont  ses 
devanciers  n'avaient  point  parlé.  D'un  autre  côté ,  il 
ajoute  à  l'histoire  de  la  cène  la  circonstance  du  lavement 
des  pieds,  il  fixe  l'époque  de  l'emprisonnement  de  saint 
Jean-Baptiste ,  que  saint  Matthieu  et  saint  Marc  n'a- 
vaient pas  convenablement  placé  ;  et  il  suit  l'ordre  chro- 
nologique de  saint  Luc.  Il  fixe  le  Ueu  où  §e  sont  passés 
les  trois  reniemens  de  saint  Pierre,  et  il  accorde  le  ré- 
cit des  trois  autres  évangélistes  sur  les  personnes  qui 
avaient  occasionné  ce  triple  reniement.  Il  fixe  aussi  le 
temps  de  l'apparition  des  anges  au  sépulcre  du  Sau- 
veur, en  disant  que  ce  ne  fut  qu'après  l'arrivée  des  fem- 
mes que  cette  apparition  arriva.  Il  détermine  les  qua- 
tre pâques  du  ministère  du  Sauveur,  et  fournit  le  moyen 
de  ranger  tous  les  événemens  rapportés  par  les  trois 
autres  évangélistes  dans  un  ordre  chronologique,  et  de 
faire  une  concorde  (1).  Cet  exposé  prouve,  ce  semble, 

(1)  Voy.  Hug,  Einleit.  Th.  ii,  §  55,  56,  et  compar,  notre  note  1, 
pag.  147. 


DE  L'authenticité  des  évangiles.  167 

jusqu'à  l'évidence,  ce  que  d'ailleurs  la  tradition  ecclé- 
siastique nous  apprend,  que  le  disciple  bien-aimé  s'est 
proposé  de  suppléer  dans  son  Evangile  à  ce  qui  avait 
été  omis  par  ses  devanciers.  Nous  terminerons  en  disant 
avec  Cellérier  (1  )  :  «  Les  différences  qui  distinguent  le  but 
et  le  plan  de  saint  Jean  de  ceux  des  autres  évangélistes, 
ont  dû  nécessairement  entraîner  d'assez  grandes  diver- 
sités dans  la  forme.  Il  ne  fait  pas  une  histoire  à  lui  seul, 
mais  un  supplément  aux  histoires  déjà  faites  (2)  :  dès  lors 
son  ouvrage  ne  peut  avoir  la  forme  d'un  tout  achevé.  Il 
ne  faut  pas  y  chercher  ce  commencement,  ce  milieu,  cette 
fin,  qu'on  demande  d'ordinaire  à  un  récit  :  il  ne  commence 
pas  par  la  naissance  de  Jésus-Christ  ;  il  passe  ensuite 
d'un  sujet  à  un  autre,  en  omettant  parfois  les  intermé- 
diaires. Il  raconte  avec  détail  plusieurs  des  derniers 
événemens  du  ministère  du  Sauveur,  mais  il  ne  termine 
pas  son  histoire  d'une  manière  régulière,  et  il  reprend 
de  nouveau  son  récit  (xxi),  après  l'avoir  déjà  comme 
achevé  (xx,  30,  31).  » 


CHAPITRE  CINQUIEME. 

de  l'authexticité  des  évangiles. 

Comme  l'authenticité  des  Evangiles  détruit  de  fond 
en  comble  l'interprétation  mythique  du  Nouveau-Testa- 
ment, les  partisans  de  ce  système  aussi  faux  que  dan- 
gereux se  trouvent  forcés  par  là  même  de  la  combattre. 

(1)  J.  E.  Cellérier,  Introd.  au  N.  T.  pag.  350. 

(2)  Il  n'est  cependant  pas  certain  que  saint  Jean  ait  eu  précisé- 
ment celte  intention  dans  la  composition  de  son  Évangile. 


168  DE   L' AUTHENTICITÉ   DES   ÉVANGILES. 

Parmi  ces  critiques  hardis  et  téméraires  se  trouve  le 
docteur  Strauss,  dont  l'ouvrage,  soit  dit  en  passant,  est 
bien  loin  de  mériter  la  célébrité  qu'il  a  obtenue.  Pour 
nous  ,  fortement  convaincu  que  ces  écrits  sacrés  sont 
véritablement  l'œuvre  des  auteurs  dont  ils  portent  le 
nom,  nous  établissons  comme  exprimant  une  vérité  in- 
contestable la  proposition  suivante  : 

PROPOSITION. 

Nos  quatre  Evangiles  sont  authentiques. 

Nous  rattachons  à  trois  principes  nos  différens  moyens 
de  preuves ,  c'est-à-dire  à  la  tradition ,  à  l'examen  du 
livre  lui-même ,  et  à  l'impossibilité  que  nos  Évangiles 
aient  jamais  été  faussement  supposés  ;  ou ,  pour  nous 
servir  des  expressions  que  nous  avons  déjà  employées 
dans  le  courant  de  cet  ouvrage,  aux  preuves  extrinsè- 
ques, intrinsèques  et  indirecte. 

I.  Preuves  EXTRINSÈQUES.  La  tradition  prouve  qu'un 
livre  est  authentique,  quand  une  suite  de  témoignages 
non  interrompue,  et  qui  remonte  jusqu'à  l'origine  même 
de  ce  livre,  se  rapporte  réellement  au  temps  et  à  l'é- 
crivain auquel  on  l'attribue.  Or,  c'est  un  avantage  qu'on 
ne  saurait  légitimement  contester  à  nos  quatre  Evangi- 
les ;  et  les  adversaires  que  nous  combattons  ici  sont 
forcés  d'avouer  eux-mêmes  qu'ils  étaient  unanimement 
reçus  par  les  chrétiens  au  commencement  du  troisième 
siècle  de  l'Eglise.  Cet  aveu,  comme  on  le  voit,  rend 
tout-à-fait  inutile  la  discussion  des  auteurs  ecclésiasti- 
ques qui  ont  écrit  dans  les  iii^  et  iv^  siècles.  Ainsi  nous 
pouvons  nous  borner  aux  deux  premiers  ;  mais  comme 
les  témoins  que  nous  avons  à  invoquer  dans  cette  pé- 


LE    l'authenticité   DES   ÉVANGILES.  169 

riode  appartiennent  à  trois  classes  différentes  ,  c'est-à- 
dire  que  les  uns  sont  catholiques,  les  autres  hérétiques, 
d'autres  enfin  païens  ou  ennemis  du  christianisme,  nous 
allons  les  produire  en  suivant  par  ordre  chacune  de  ces 
classes,  et  en  commençant  par  ceux  du  second  siècle. 

1.  Il  n'est  pas  difficile  de  produire  parmi  les  écrivains 
catholiques  des  deux  premiers  siècles  plusieurs  témoins 
irrécusables  de  l'authenticité  de  nos  quatre  Evangiles. 
Nous  commencerons  la  liste  de  ceux  que  nous  devons 
citer  par  saint  Irénée,  dont  l'autorité  paraît  être  du  plus 
grand  poids,  dès  que  l'on  connaît  les  principaux  traits 
de  son  histoire.  Ce  saint  docteur,  en  effet,  qui  souffrit 
le  m.artyre  l'an  202  de  l'ère  chrétienne ,  était  contem- 
porain des  disciples  immédiats  des  apôtres  ;  il  les  avait 
écoutés  et  consultés  avec  soin.  Il  avait  eu  pour  maître 
saint  Polycarpe,  disciple  de  saint  Jean.  Ajoutez  à  cela 
qu'après  avoir  quitté  l'Asie,  où  il  était  né  et  où  il  avait 
passé  sa  jeunesse  sous  la  discipline  de  saint  Polycarpe, 
et  après  avoir  visité  la  moitié  du  monde  chrétien ,  ce 
qui  lui  avait  permis  de  s'informer  exactement  de  tout  ce 
qui  se  passait  dans  ces  églises ,  il  était  venu  dans  les 
Gaules,  et  s'était  fixé  à  Lyon,  dont  il  était  évêque.  De 
plus  ,  n'étant  encore  que  simple  prêtre ,  il  avait  fait  le 
voyage  de  Rome  pour  y  traiter  d'affaires  ecclésiasti- 
ques. Or,  ce  même  père  nous  dit  que  les  apôtres  et  leurs 
disciples  ayant  prêché  d'abord  l'Evangile,  l'ont  con- 
signé dans  leurs  écrits  pour  servir  de  colonne  et  de 
fondement  à  notre  foi  (1) .  Il  fait  immédiatement  après 

(1)  «  Non  enirn  per  aîios  disposilioneni  salulis  nostrœ  cognovimus, 
quam  pcr  cos,  per  quos  EvaDgelium  pervenit  ad  nos:  quod  quidem 
tune  prœconaverunt,  postea  vcro  per  DEi  voluntatem  in   Scripturis 
V.  8 


170  DE   l'aUTIIEiNTICITÉ    DES   ÉVAKGILES. 

rénumération  de  nos  quatre  Evangiles  dans  l'ordre  où 
nous  les  avons  encore  aujourd'hui  (1).  Ailleurs,  il  af- 
firme que  ces  quatre  Évangiles  sont  si  certains,  que  les 
hérétiques  eux-mêmes  leur  rendent  témoignage,  et 
qu'ils  s'efforcent  d'établir  sur  leur  autorité  leurs  fausses 
doctrines  (2).  Enfin  notre  savant  père  compare  les  qua- 
tre Évangiles  aux  quatre  points  cardinaux  du  monde, 
aux  quatre  vents  qui  soufflent  partout  l'air  pur  de  la  vie 
éternelle,  enfin  aux  quatre  chérubins  qui  environnaient 
l'arche  d'alliance  (3) . 

Si  nous  passons  maintenant  des  Gaules  en  Afrique , 
nous  y  trouverons  un  autre  témoin  illustre,  contempo- 
rain de  saint  Irénée ,  le  célèbre  Tertullien  ,  digne  re- 
présentant de  la  foi  dans  l'église  d'Afrique  au  second 
siècle.  Or,  ce  savantdocteur  nous  affirme  de  la  manière 
la  plus  expresse  que  nos  quatre  Évangiles  ont  été  ad- 
mis de  tout  temps  dans  l'Église  et  qu'ils  remontent  jus- 

nobis  tradiderunt,  fundamentum  et  columnam  fidei  nostrœ  f'uturum 
(Iren.  Adv.  hoei-es.  l.  i,  c.  i,pa{/.  173,  edit.  D.  R.  Massuet).» 

(1)  Iren.  ibid.  pag.  174. 

(2)  «  Tanta  est  aulein  circa  Evangelia  ha?c  firmilas,  ut  et  ipsi  hae- 
retici  lestimonium  reddant  eis,  et  ex  ipsis  egrediens  unusquisque 
eorum  conetur  suam  confirmare  doctrinam  (/.  m,  c.  xi,  pag.  189;.» 

(3)  «  Neque  autem  plura  numéro  quàm  hsec  sunt,  neque  rursus 
pauciora  capit  esse  Evangelia. Quoniam  enim  quatuor  regiones  mundi 
sunt  in  quo  sumus,  et  quatuor  principales  spiritus,  et  disseminata 
est  Ecclesia  super  omnem  terram,  coluinna  autcm  et  lirmamenlum 
Ecclesiœ  est  Evangelium,  et  spiritus  vitœ  ;  consequens  est,  quatuor 
habere  eam  columnas,  undiquè  liantes  incorruptibilitatem,  et  vivifi- 
cantes  honaines.  Ex  quibus  manifestum  est,  quoniam  qui  est  omnium 
artifex  verbum,  qui  sedet  super  Cherubim,  et  coniinet  omnia,  decla- 
ratus  hominibus,  dédit  nobis  quadriforme  Evangelium  quod  uno  spi- 
ritu  continetur  (/ôîd.  p.  190).» 


DE    l'authenticité   DES  ÉVANGILES.  171 

qu'aux  temps  apostoliques  :  il  dit  de  plus  qu'ils  ont  été 
composés  ou  par  les  apôtres  ou  par  leurs  disciples  ;  c'est- 
à-dire  par  saint  Matthieu  et  saint  Jean,  apôtres,  par  saint 
Luc,  disciple  de  saint  l'aul,  et  saint  Marc,  disciple  el  in- 
terprète de  saint  Pierre.  Il  dit  encore  que  ces  Evangiles 
ont  en  leur  faveur  le  témoignage  non  seulement  des 
églises  apostoliques,  mais  de  toutes  celles  qui  leur  sont 
unies  par  le  sceau  d'une  même  foi  ;  enfin  que  ces  quatre 
Évangiles  nous  viennent  des  apôtres  (1). 

Saint  Clément  d'Alexandrie,  qui  vivait  dans  le  même 
temps  que  Tertullien  et  saint  Irénée,  ce  digne  représen- 
tant delà  foi  chrétienne  de  l'église  d'Egypte,  exprime  de 
son  côté  un  témoignage  aussi  formel  que  celui  de  ces  deux 
grands  docteurs.  Il  parle  de  la  collection  de  nos  quatre 
Évangiles  comme  généralement  admise  dans  l'Église, 

(1)  «  Conslituimus  inprimis,  evangelicum  instrumentum  apostolos 
auctores  habere,  quibus  hoc  munus  Evangebi  proniulgandi  ab  ipso 
Domino  sit  impositum,  sic  apostolicos  viros  non  tanien  solos,  sed  cum 
apostolis  et  post  apostolos.  Quoniara  prœdicatio  discipulorum  su- 
specta fieri  posset  de  gloria^  studio,  sinon  adsistat  ilii  auctoritas  ma- 
gistroruni,  immo  Chrisli,  qui  magistros  apostolos  fecil.  Deniquenobis 
lideni  ex  apostolis  Joannes  et  fliatihœus  insinuant,  ex  apostolicis,  Lu- 
cas et  Marcus  instaurant  (Tcrtull.  Adv.  Marcion.  l.  iv,  c.  ii).» — ««  In 
summa,  si  constat  id  verius  quod  prius,  id  prius  quod  et  ab  initio,  id 
ab  initio  quod  ab  apostolis;  pariier  utique  constabit,  id  esse  ab  apo- 
stolis traditum,  quod  apud  Ecclesias  aposlolorum  fuerit  sacrosanc- 
tum...  Dico  itaque  illas,  nec  solas  jam  apostolicas,  sed  apud  uni- 
\ersas,  quae  iilis  de  societate  sacramenii  cotifœderantur,  id  Evan- 
gelium  Lucœ  ab  inilio  editiunis  suc-e  slare,  quod  cum  maxime  tue- 
mur...  Eadem  auctoritas  Ecclesiarum  aposlolicarum  ceteris  quoque 
Evangeliis  palrocinabitur  quaî  proindè  per  illas  et  secundum  illas, 
habenms,  Joannis  dico  et  Matthœi  ;  licet  el  Marcus  quod  edidit,  Pétri 
adtirmetur,  cujus  interpres  Marcus;  nani  et  Lucœ  digestuni,  Paulo 
adscribere  soient  {Ibid.  cap.  v) .  » 


172  DE    l'aL'TIIÉNTICITÉ    DES  ÉVANGILES, 

et  il  les  cite  dans  ses  ouvrages  comme  autant  d'écrits 
dont  l'autorité  est  hors  du  plus  léger  doute.  Or,  ce  père 
mérite  d'autant  plus  la  confiance,  qu'il  a  eu  occasion  de 
s'entretenir  comme  saint  Irénée  avec  des  docteurs  an- 
ciens qui  étaient  aussi  disciples  des  apôtres,  et  que  c'est 
d'après  leur  autorité  qu'il  reconnaissait  l'authenticité  de 
nos  quatre  Evangiles  (1). 

Dans  le  même  temps  et  même  un  peu  plus  tôt  florissait 
Théophile,  évèque  d'Antioche,  et  qui  à  ce  titre  devait 
connaître  la  foi  de  toutes  les  églises  de  Syrie,  dont  An- 
tioche  était  la  métropole  ;  Théophile,  disons-nous,  dans 
son  ouvrage  adressé  à  Autolycus ,  ouvrage  qui  est  une 
défense  de  la  religion  chrétienne ,  rapporte  plusieurs 
passages  du  Nouveau-Testament,  et  en  particulier  des 
Evangiles  de  saint  Luc,  de  saint  Jean  et  de  saint  Mat- 
thieu ;  et  s'il  n'allègue  aucun  témoignage  tiré  de  saint 
Marc,  c'est,  selon  la  judicieuse  remarque  d'Olshausen, 
que  cet  évangéliste  contient  peu  de  choses  qui  ne  se  lisent 
point  dans  les  trois  autres,  et  que  d'ailleurs  on  trouve  ra- 
rement cités  les  quelques  traits  qui  lui  sont  exclusivement 
propres  (2).  Ajoutons  qu'indépendamment  de  ces  cita- 
tions, qui  forment  déjà  à  elles  seules  une  preuve  suffisante 

(1  )  Quod  autem  hoc  verum  sit,  sic  scriptum  est  in  EvaDgeliosecun- 
dum  Lucam  :  yinno  autem  quindecim  Tiberii  Cœsaris  factum  est  ver- 
bum  Domini  super  Joanncm  Zachariœ  filiiim  (Clem.  Alex.  Strom.  l.  i, 
pag.  407).  » —  «  In  Evangelio  autem  secundum  Malthaeum,  quœ  ab 
Abraham  deducilur  genealogia  usquc  ad  Mariam,  matrem  Domini, 
lerminalur  {Ibid.  pag.  409,  édit.  Potter.).» 

(2)  Theoph.  ad  Autohjcim,  l.  u,  n.  13,  22;  /.  m,  n.  13,  14.  Les 
citations  que  fait  ce  père  sont:  Luc.  xviii,27;  Joan.  i,l-3  ;  Matth.  v, 
32,  44,  46  ;  vi,  3.  Voy.  H.  Olshausen,  Die  Echlhcit  der  vier  cano- 
nlscken  Evanfjelien.Seil.  ^80,  281. 


DE  l'authenticité  des  évangiles.  173 

de  l'authenticité  denosEvangiïes,  Théophile  a  composé 
un  commentaire  sur  ces  divins  livres.  Nous  ne  possédons 
plus  ce  commentaire  ,  il  est  vrai,  mais  saint  Jérôme  at- 
teste l'avoir  lu  (1)  ,  et  même,  dans  un  autre  endroit,  il 
rapporte  l'explication  de  la  parabole  de  l'économe  in- 
fidèle (Luc.  I,  1  et  suiv.)  donnée  par  cet  évoque  (2). 
Mais  si  le  témoignage  de  Théophile  prouve  que  nos 
Evangiles  étaient  reconnus  de  son  temps  pour  authen- 
tiques dans  la  Syrie  occidentale,  la  version  syriaque 
dite  Pescliito  ne  nous  permet  pas  de  douter  qu'il  n'en 
fût  de  même  dans  la  Syrie  orientale,  limitrophe  de  l'em- 
pire des  Parthes.  Cette  version,  qui  contient  nos  quatre 
Evangiles  traduits  sur  le  grec,  remonte  au  moins  au 
second  siècle  de  l'ère  chrétienne,  comme  nous  l'avons 
remarqué  dans  V Introduction  générale  (tom .  i,  pag .  287) . 
Ainsi  toutes  les  églises  de  Syrie  qui  se  servaient  à  cette 
époque  de  cette  version,  admettaient  donc  déjà  la  col- 
lection de  nos  quatre  Evangiles. 

Mais  un  témoignage  important  et  plus  ancien  que  tous 
ceux  qui  viennent  d'être  rapportés,  dit  Olshausen,  nous 
vient  de  l'autre  partie  du  monde,  c'est-à-dire  de  l'Italie, 
et  indubitablement  de  l'Eglise  romaine.  Ce  témoignage 
nous  est  fourni  par  le  catalogue  des  livres  sacrés  que 
Muratori  nous  a  fait  connaître  et  qu'il  a  trouvé  dans  un 
manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Milan,  manuscrit  qui 

(1)  o  Legi  sub  ejus  noraioe  inEvangelium  comraentarios  (Hieron. 
Caialofj.viror.  illusir.  ad  voc.  Theopuilus).  »  Nous  ferons  observer 
avec  Olshausen  {Seit,  279)  que  dans  le  langage  des  pères  de  lÉglise, 
le  mot  évamjile  mis  au  singulier  signifie  la  collection  des  quatre  :  Eva/- 
-/î'hov  T£Trtaaoo'j5ov,  comme  dit  saint  Irénée. 

(2)  Hieron.  Comment,  in  Mailh.  in  proœm.  Opp.  Tome  iv,  p.  i, 
parj^  3.  edit,  Martianay,  QiEpisl.  ad  Alijasiam,  lac.  cil.  pag.  197. 


174  DE    l'authenticité    DES   ÉVANGILES. 

paraît  avoir  mille  ans  d'antiquité.  Ce  catalogue  est  si 
remarquable  et  si  particulier,  qu'il  porte  en  lui-même  la 
preuve  de  son  authenticité,  et  il  n'y  a  point  de  doute 
qu'il  ne  renferme  le  canon  d'une  très-ancienne  église. 
Il  remonte  au  moins  au  second  siècle  ;  car  celui  qui  l'a 
dressé  dit  que  le  livre  d'Hermas  a  été  composé  de  son 
temps  sous  le  pontificat  du  pape  Pie  I,  ce  qui  fait  re- 
monter le  catalogue  au  moins  au  pontificat  d' Anicet,  suc- 
cesseur de  Pie  I,  qui  visita  saint  Polycarpe.  Or,  ce  cata- 
logue contient  nos  quatre  Evangiles  (1). 

Les  monumens  historiques  prouvent ,  comme  on  le 
voit,  que  nos  quatre  Evangiles  étaient  reçus  parmi  les 
chrétiens  dans  la  seconde  moitié  du  deuxième  siècle  ;  et 
quand  nous  disons  parmi  les  chrétiens,  nous  l'entendons 
de  toutes  les  églises  chrétiennes  du  monde,  puisque  ces 
monumens  embrassent  les  Gaules,  l'Asie-Mineure,  l'Ita- 
lie, l'Afrique  et  la  Syrie.  Mais  une  tradition  qui  était 
aussi  générale  et  aussi  unanime  dans  la  seconde  moitié  du 
deuxième  siècle,  a  dû  nécessairement  prendre  naissance 
long-temps  auparavant,  et  elle  suppose  aussi  incontes- 
tablement que  la  formation  du  canon  évangélique  re- 
monte à  une  plus  ancienne  époque.  D'où  il  résulte  que 
quand  bien  même  nous  ne  pourrions  trouver  aucune 
trace  de  l'existence  de  ces  écrits  sacrés  dans  la  première 

(l)  OIsliausen,  die  Echtheity  etc.  Seii.  281-584.  Muratori,  Antiq. 
iial.  med.  œvi.  Tome  m,  pag.  851-854.  Hug  prétend  {Einleil  imIY, 
Test.  Tli.  I,  §  19,  S.  109,  ziveiie  Aiifl.)  que  ce  catalogue  est  du  com- 
mencement du  troisième  siècle  et  qu'il  ne  saurait  remonter  plus  haut, 
puisqu'il  repousse  l'Épître  de  saint  Paul  aux  Hébreux,  laquelle  ne  fut 
mise  cil  doute  qu'à  cette  époque  par  Caïus,  prêtre  romain,  qui  fut 
peut-èire  l'auteur  de  ce  catalogue.  Mais  Olshausen  combat  cette  opi- 
nion et  la  raison  qui  lui  sert  de  fondement. 


DK    l'authenticité   DES   ÉVANGILES»  175 

moitié  du  second  siècle,  nous  serions  suffisamment  fon- 
dés à  l'admettre,  vu  qu'il  y  aurait  de  la  folie  et  de  l'extra- 
vagance à  supposer  que  ces  livres  divins  ont  pu  se  trou- 
ver tout  d'un  coup  répandus  dans  tout  l'univers  chrétien. 
Mais  nous  avons  des  documens  positifs  qui  confirment 
nos  inductions  :  ces  documens  nous  sont  fournis  par 
plusieurs  pères  dont  l'autorité  est  d'un  poids  immense 
dans  cette  matière.  Le  premier  est  saint  Justin,  connu 
dans  l'Église  sous  le  titre  glorieux  de  martyr.  11  naquit 
à  Naplouse,  ville  de  la  province  de  Samarie,  en  Pales- 
tine, vers  l'an  103.  D'abord  philosophe,  il  fut  converti  à 
la  foi  chrétienne  à  l'âge  de  trente  ans  et  martyrisé  en 
167,  un  an  après  saint  Polycarpe.  Remarquons  que,  né 
en  Palestine  au  commencement  du  second  siècle,  il  a  dû 
connaître  beaucoup  de  personnes  qui  avaient  vécu  avec 
saint  Siméon,  disciple  et  proche  parent  de  Jésus-Christ, 
et  second  évêque  de  Jérusalem,  couronné  de  la  palme 
du  martyre  l'an  107.  Saint  Justin  a  du  vivre  aussi  avec 
des  disciples  de  l'apôtre  saint  Jean,  mort  vers  l'an  100 
de  l'ère  chrétienne.  De  plus,  il  est  allé  à  Rome,  où  il  a 
composé  sa  petite  c'est-à-dire  sa  seconde  Apologie  (1). 
Il  a  même  parcouru  plusieurs  autres  parties  de  l'Italie, 
car  il  a  visité  à  Cumes  le  temple  de  la  sibylle.  Il  a  aussi 
demeuré  à  Alexandrie,  est  allé  dans  l'Asie-Mineure,  et 

(1)  Entre  autres  ouvrages,  saint  Justin  a  composé  deux  Apologies 
de  la  religion  chrétienne,  dont  l'une  est  fort  longue  et  l'autre  très- 
courte.  Dans  presque  toutes  les  éditions  des  œuvres  de  ce  père,  c'est 
la  petite  Apologie  qui  est  placée  la  première,  comme  ayant  été  com- 
posée avant  la  grande  ;  nous  pensons  avec  beaucoup  de  critiques  que 
c'est  par  erreur,  et  que  la  petite  n'a  été  écrite  qu'après  la  grande 
(Voy.  D.  Ceillier,  Hist.  ijénér.  des  auteurs  sacrés  et  ecclés.  t.  ii, 
pafj.  9,  10). 


17G  DE   l'authenticité   DES  ÉVANGILES. 

c'est  à  Éphèse  qu'il  a  composé  son  dialogue  avec  le  juif 
Tryphon.  Ainsi  il  a  visité  les  grandes  églises  du  monde 
chrétien,  Rome,  Ephèse  et  Alexandrie,  et  il  a  connu  par 
conséquent  les  Evangiles  qui  étaient  à  leur  usage.  Mal- 
heureusement la  plupart  des  nombreux  ouvrages  que  le 
saint  martyr  a  composés  ont  péri  par  les  ravages  du 
temps.  Toutefois,  dans  ceux  qui  sont  parvenus  jusqu'à 
nous,  on  trouve  la  preuve  que  le  savant  père  connais- 
sait les  écrits  évangéliques,  et  qu'il  les  révérait  comme 
un  dépôt  sacré  de  la  foi  des  chrétiens.  Il  est  vrai  qu'il 
ne  les  désigne  jamais  par  le  nom  de  leurs  auteurs,  et 
qu'il  se  borne  à  leur  donner  le  titre  général  de  mémoires 
ou  commentaires  des  apôtres  («-ov.v//y.ov£J7.a-a  twv  à-o- 
o--ô).wv) .  Cependant  il  est  incontestable  qu'il  a  eu  en  vue 
les  écrits  de  nos  quatre  évangélisles  ;  car  il  cite  ces  mé- 
moires comme  ayantété composés  par  plusieurs  auteurs; 
il  dit  encore  que  parmi  ces  écrivains,  les  uns  étaient 
apôtres  etles  autres  disciples  des  apôtres  ;  il  ajoute  aussi 
que  ces  mémoires  étaient  communément  appelés  Évan- 
giles, et  la  preuve  évidente  que  c'est  de  nos  Evangiles 
qu'il  parle  réellement ,  c'est  que  dans  ces  mêmes  en- 
droits, il  rapporte  des  passages  comme  tirés  de  ces  mé- 
moires, et  cela  dans  les  propres  termes  employés  par 
nos  évangélistes  (1).  «  Dans  toute  la  suite  de  ses  ou- 

(1)  a  In  libris  qui  sunt  ab  ejus  (Chrisli)  discipulis  ipsorumque  sec- 
^alorihusconiposili,  mcmoria:'  mandatum  est,  sudorem  ipsius  lanquani 
guitas  sanguinis  defluxissc  in  lerram,  co  deprecante  et  dicenle  : 
Imnscai,  si  péri  polcst,  poculum  hoc  {Dialoy.cum  Ihjpfi.  pag.  331). 
—  Nam  apostoli,  in  commentariis  suis,  quœ  vocantur  Evangclia,  ita 
sihi  mandasse  Jesum  tradiderunt  :  eum  scilicet,  accepte  pane,  ciim 
gralias  egisset,  dixisse  :  FIoc  facile  in  meam  commcmoralionem  ;  hoc 
est  corpus  meum;  et  poculo  simililer  accepte,  actisque  gratiis,  dixisse  : 


DE  l'authenticité  DES  ÉVANGILES.  177 

vrages,  dit  le  cardinal  de  La  Luzerne,  il  suppose  la  vé- 
rité de  Ihistoire  évangélique.  Il  s'attache  surtout,  dans 
son  dialogue  avec  le  juif  Tryphon,  à  montrer  l'accord 
parfait  des  prophéties  judaïques  avec  les  faits  de  la  vie 
de  Jésus-Christ,  tels  que  nos  évangélistes  les  racon- 
tent. Enfin,  dans  beaucoup  d'endroits,  il  cite  formelle- 
ment les  Evangiles,  présentant  textuellement  leurs  ex- 
pressions. Il  serait  beaucoup  trop  long  de  rapporter  ici 
toutes  ces  citations,  je  me  contente  d'en  indiquer  quel- 
ques-unes tirées  seulement  d'une  partie  de  sa  première 
Apologie  (1).  ))  Le  savant  cardinal  ne  rapporte  que  des 
textes  tirés  de  saint  Matthieu,  de  saint  Marc  et  de  saint 
Luc;  mais  Olshausen  non  seulement  en  cite  et  en  dis- 
cute un  grand  nombre  empruntés  par  saint  Justin  à  ces 
trois  évangélistes,  mais  il  examine  plusieurs  passages  et 
plusieurs  manières  de  parler  qui  appartiennent  exclu- 
sivement à  l'Évangile  de  saint  Jean  ;  tel  est,  par  exem- 

Hic  est  sanrjuis  meus;  ipsisque  solis  tradidisse  {Apolo(j.  ï,parj.  98).» 
—  Quant  au  nom  de  Mémoires  que  saint  Justin  seul  de  tous  les  pères 
emploie  pour  désigner  les  Évangiles,  il  est  plus  que  vraisemblable, 
comme  le  remarque  Olshausen  {Die  Eciiihcit  der  vier  can.  Evang. 
S.  289,  290),  que  ce  saint  docteur,  qui  avait  appartenu  à  l'école  de 
Socrate,  et  qui  savait  que  Xcnophon  avait  donné  le  nom  de  Mémoires 
auK  quatre  livres  qu'il  a  écrits  sur  la  vie  et  la  doctrine  de  ce  philo- 
sophe, a  voulu  par  analogie  appliquer  cette  dénomination  aux  quatre 
Évangiles, qui  traitent  également  de  la  vie  et  de  la  doctrine  de  Jésus- 
Christ.  Seulement  il  a  ajouté  des  apôtres,  mot  qui  désigne  les  au- 
teurs, au  lieu  du  nom  du  Christ,  qui  en  est  le  principal  objet.  Mais 
celte  petite  diilerence  ne  diminue  en  rien  la  probabilité  de  notre  hy- 
pothèse. 

(l)  C.  G.  de  La  Luzerne,  Dissertations  sur  les  vérités  de  la  reli- 
gion, tome  I,  parj.  23,  2i.  Paris.  Méquignon  Junior,  1830.  Et  pour 
les  citations,  pag.  313,  314. 

8. 


178  DE   l'authenticité   DES  ÉVANGILES, 

pie,  le  passage  de  sa  première  Apologie  (pag.9i)  où 
après  avoir  remarqué  que  le  Christ  avait  dit  :  Si  vous 
n'êtes  régénérés  vous  n'entrerez  point  dans  le  royaume  des 
deux,  il  ajoute  :  «  En  effet  tout  le  monde  sait  parfaitement 
qu'il  est  impossible  à  ceux  qui  sont  déjà  nés  une  fois 
d'entrer  dans  le  sein  de  leurs  mères  ;»  car  il  est  de  toute 
évidence  qu'il  s'agit  ici  de  l'entretien  du  Sauveur  avec 
Nicodème  au  sujet  du  baptême,  entretien  rapporté  dans 
l'Évangile  de  saint  Jean  (m  et  suiv.).  Telle  est  encore 
l'expression  l'eau  vive,  l'eau  de  la  vie,  que  nous  lisons 
dans  le  dialogue  avec  le  juif  Tryphon(pag.  3V2),  et  que 
saint  Jean  met  dans  la  bouche  de  Jésus-Christ  parlant 
à  la  Samaritaine  (iv,  10),  enfin  qu'aucun  autre  des  écri- 
vains du  Nouveau-Testament  ne  lui  a  jamais  prêtée.  Dans 
le  même  dialogue  (pag.  316),  il  est  dit  de  saint  Jean- 
Baptiste  :  les  hommes  pensèrent  qu'il  était  le  Christ,  et  il 
leur  cria  :  Je  ne  suis  pas  le  Christ,  mais  la  voix  de  celui 
qui  crie.  Or  ces  paroles  :  Je  ne  suis  pas  le  Christ,  ne 
se  trouvent  encore  que  dans  l'Evangile  de  saint  Jean 
(i,  '20). En  vain  Bretschneider  soutient-il  que  saint  Jus- 
tin et  révangéliste  ont  puisé  tous  les  deux  à  une  même 
source  (1)  ;  son  assertion  est  purement  gratuite,  et  par 
conséquent  elle  ne  mérite  aucune  considération.  Dans 
sa  première  Apologie  pag.6i,95)  saint  Justin  rapporte 
ces  paroles  :  Celui  qui  m'entend,  entend  celui  qui  m'a 
envoyé;  or  ne  sont-elles  pas  une  allusion  évidente, 
quoi  qu'en  dise  encore  Bretschneider  (Ibid.),  à  celles-ci 
que  nous  lisons  dans  saint  Jean  (v,  24-)  :  Celui  qui  en- 
tend maparole,  et  qui  croit  en  celui  qui  m'a  envoyé,  etc. 

(1)  Car.  Theoph.  Bretschneider,  Probahilia  de  Evangelii  et  Epis- 
tolarum  Joannis  apostoli  indole  et  origine ,  pag.  192. 


DE   L  AUTHENTICITÉ    DES   ÉVANGILES.  179 

Enfin,  nous  reproduirons  encore  avec  OIshausen  un 
passage  de  saint  Justin  qui  se  trouve  dans  les  fragmens 
que  Grabe  a  recueillis  des  ouvrages  perdus  de  ce  père, 
et  qui  nous  offre  une  nouvelle  preuve  de  l'existence  de 
notre  quatrième  Evangile  dans  la  première  moitié  du 
second  siècle  (1).  Saint  Justin  dit  donc  :  Il  leur  permit 
de  le  toucher  y  et  il  leur  montra  les  lieux  des  clous.  Or  ce 
passage  n'est-il  pas  copié  dans  l'Évangile  oii  saint  Jean 
fait  dire  à  saint  Thomas  :  Si  je  ne  vois  dans  ses  mains 
les  lieux  des  clous  et  si  je  ne  mets  mon  doigt  dans  le  lieu 
des  clous  ;  et  à  Jésus-Christ  :  Portez  ici  votre  doigt  et 
regardez  mes  mains  (xx,  25,  27)  ?  Il  est  vrai  que  les  ci- 
tations du  saint  docteur  ne  sont  pas  dans  les  termes 
mêmes  employés  par  nos  évangélistes  ;  mais  il  est  évi- 
dent que  telle  était  son  intention,  puisque  dans  différens 
endroits  de  ses  ouvrages,   il  rapporte  les  mêmes  faits 
et  les  mêmes  paroles  de  Jésus-Christ  avec  des  mots 
et  dans  un  ordre  Irès-différens.  Cette  observation  s'ap- 
plique à  ce  qu'il  dit  de  la  conception  du  Sauveur,  de  son 
baptême,  de  la  prédication  de  Jean-Baptiste  et  de  plu- 
sieurs discours  de  Jésus-Christ;  phénomène  qui  s'ex- 
plique aisément  si  l'on  suppose  que  saint  Justin  cite  de 
mémoire,  et  que  sans  s'embarrasser  des  mots,  il  ne  s'oc- 
cupe que  des  choses,  mais  qui  devient  tout-à-fait  inexpli- 
cable dans  l'hypothèse  qu'il  a  toujours  cité  textuellement 
et  mot  à  mot  ;  car  comment  les  mémoires  pouvaient- 

(1)  Grabe,  Spicileg.  Patrum.  t.  n,  parj.  191.  OIshausen  (Die 
kclitheit  der  vier  can.  Evang.  S.  309)  cite  un  second  passage  re- 
cueilli par  Grabe  ;  le  voici  :  Selon  qu'il  a  dit  que  dans  le  ciel  est  notre 
demeure.  Mais  on  pourrait  contester  que  ce  soit  réellement  une  imi- 
tation (lu  texte  de  saint  Jean  (xiv,  2)  :  //  y  a  plusieurs  demeures  dans 
la  maison  de  mon  Père. 


180  DE    l'authenticité   DES   ÉVANGILES. 

ils  contenir  sur  les  mêmes  choses  des  expressions  dif- 
férentes et  un  tout  autre  arrangement?  Il  est  encore  vrai 
qu'il  se  trouve  dans  les  citations  de  saint  Justin  quelques 
passages  évangéliques  qui  ne  se  lisent  pas  dans  nos 
quatre  Evangiles  ;  mais  on  peut  dire  que  saint  Justin 
les  tenait  de  la  tradition,  qui  était  toute  fraîche  de  son 
temps,  ou  plutôt  de  l'Evangile  hébreu  de  saint  Matthieu 
conservé  chez  les  nazaréens,  Evangile  dont  il  avait  pro- 
bablement connaissance,  puisqu'il  était  né  en  Palestine. 
Comme  cet  Evangile  passait  pour  l'original  de  saint 
Matthieu,  il  a  cru  pouvoir  en  emprunter  ces  additions, 
qui  au  reste  sont  très-peu  considérables,  et  servent  à 
l'explication  de  la  vie  du  Sauveur .  Une  autre  preuve 
certaine  que  saint  Justin  reconnaissait  nos  quatre  Evan- 
giles, c'est  qu'ils  ont  été  admis  par  Tatien  son  disciple, 
et  il  n'est  pas  difficile  de  montrer  jusqu'à  l'évidence  la 
vérité  de  cette  dernière  assertion .  Car,  dans  son  Discours 
aux  Grecs,  ouvrage  contre  le  paganisme,  composé  peu 
de  temps  après  le  martyre  de  saint  Justin,  très-vraisem- 
blablement avant  qu'il  fût  tombé  lui-même  dans  l'hé- 
résie, et  qui  a  été  imprimé  à  la  fin  des  œuvres  de  ce 
père  (Paris,  1636,  fol.),  Tatien  cite  deux  passages  in- 
contestablement tirés  du  premier  chapitre  de  l'Évangile 
selon  saint  Jean,  quand  il  dit(pag.  152)  :  a  L'âme  n'est 
par  elle-même  que  ténèbres  ;  elle  ne  contient  aucun 
point  lumineux  :  et  c'est  précisément  ce  que  veulent  dire 
ces  paroles  :  Les  ténèbres  ne  comprennent  pas  laluinière;n 
et  lorsqu'il  dit  ailleurs  (pag.  158)  :  Toutes  choses  ont  été 
faites  par  lui,  et  sans  lui  rien  n  a  été  fait.  Bretschneider 
prétend  que  ce  dernier  passage  n'a  nullement  été  puisé 
dans  l'Evangile  selon  saint  Jean,  mais  qu'il  peut  se  faire 
que  Tatien  et  saint  Jean  lui-même  l'aient  emprunté  tous 


DE   l'authenticité  DES  ÉVANGILES.  181 

les  deux  à  quelque  livre  apocryphe  qui  a  été  perdu 
comme  tant  d'autres  de  ce  genre.  Le  même  critique  ne 
voit  dans  ce  passage  qu'une  simple  formule  dogmatique 
que  deux  écrivains  ont  pu  énoncer  sans  s'être  copiés 
l'un  l'autre  (1).  Mais  il  nous  semble  que  s'il  était  permis 
de  raisonner  de  cette  manière,  il  en  serait  fait  de  l'au- 
thenticité de  tous  les  livres  anciens.  Il  y  a  plusieurs  au- 
tres raisons  puissantes  qui  ne  permettent  pas  de  douter 
que  Tatien  ait  connu  l'Evangile  de  saint  Jean  aussi  bien 
que  les  trois  premiers  ;  nous  les  exposerons  un  peu  plus 
bas,  lorsque  nous  aurons  à  produire  les  témoins  héré- 
tiques. Ainsi,  saint  Justin  a  reconnu  nos  quatre  Evan- 
giles pour  authentiques,  et  comme  d'ailleurs  son  témoi- 
gnage se  trouve  confirmé  par  tous  les  hérétiques  et  par 
Celse  lui-même,  son  contemporain,  comme  nous  allons 
le  montrer,  il  s'ensuit  que  nos  quatre  Evangiles  étaient 
universellement  et  unanimement  reçus  dans  la  première 
moitié  du  second  siècle.  Mais  il  faut  joindre  à  saint  Jus- 
tin, saint  Polycarpe,  quivint  à  Rome  dans  lemême  temps 
visiter  le  pape  saint  Anicet,  et  Papias,  contemporain  de 
saint  Polycarpe.  Or  l'un  et  l'autre  connaissaient  et  re- 
cevaient nos  quatre  Evangiles.  Et  d'abord,  saint  Poly- 
carpe, dans  son  Epître  aux  Philippiens  (n.  2,  7),  cite 
des  passages  qui  se  trouvent  dans  saint  Matthieu  (v,  3, 
10;  VI,  13;  xxvï,  41),  dans  saint  Marc  (xiv,  38),  et 
dans  saint  Luc  (vi,  37,  38).  Quant  à  saint  Jean,  il  est 
vrai  qu'il  ne  fait  mention  d'aucun  endroit  de  son  Evan- 
gile ;  mais  dans  sa  même  Épître  aux  Philippiens  (n.  7),  il 
cite  la  première  Épître  de  cet  apôtre  (iv,  3).  Or,  c'est 
Uii  fait  reconnu  en  critique  et  qui  n'a  jamais  été  contesté, 

(I)  Bretschneider.  Pi-obab.  etc.  Seit.  194-195. 


182  DE  l'authenticité   DES   ÉVANGILES. 

que  cette  Epître  de  saint  Jean  n'a  pu  avoir  d'autre  au- 
teur que  celui  de  l'Evangile  qui  porte  ce  nom.  Ce  que 
nous  disons  de  saint  Polycarpe  par  rapport  à  l'Evangile 
de  saint  Jean,  nous  pouvons  le  dire  aussi  dePapias.  Si 
cet  écrivain  ne  l'a  pas  cité  expressément,  il  a  reproduit 
dans  son  Exposition  des  discours  du  Seigneur  quelques 
passages  de  l'Epître,  c'est  au  moins  ce  que  prétend  Eu- 
sèbe,  qui  connaissait  cet  ouvrage  et  qui  en  rapporte  même 
plusieurs  fragmens  (1).  Mais  Papias  nous  fournit  en  fa- 
veur des  autres  Évangiles  des  preuves  plus  directes  ; 
et  pour  qu'on  puisse  mieux  apprécier  l'autorité  qu'il 
mérite  sur  cette  matière,  nous  rapporterons  quelques 
particularités  qu'Eusèbe  raconte  de  lui.  Papias  donc, 
selon  cet  historien,  n'avait  été  à  la  vérité  disciple  d'au- 
cun des  douze  apôtres ,  il  ne  les  avait  pas  même  vus  ; 
mais  il  s'était  informé  avec  soin,  auprès  de  ceux  qui  les 
connaissaient,  et  qui  étaient  dans  leur  intimité,  de  ce  qui 
concernait  la  foi. «Quand  je  rencontrais,  dit-il,  quel- 
que ancien  qui  eut  vécu  avec  les  apôtres,  je  m'informais 
avec  soin  de  ce  qu'ils  avaient  enseigné,  de  ce  qu'avaient 
dit  André,  Pierre,  Philippe,  Thomas,  Jacques,  Jean, 
Matthieu,  ou  quelque  autre  disciple  du  Seigneur  ;  de  ce 
qu'avaient  dit  enfin  Aristion  et  Jean,  prêtres,  lesquels 
étaient  aussi  au  nombre  des  disciples  du  Seigneur.  »  Eu- 
sèbe  ajoute  que  Papias  avait  été  disciple  particulière- 
ment d' Aristion  et  du  prêtre  Jean,  et  il  rapporte  ce  que 
ce  prêtre,  différent  de  l'apôtre  du  même  nom,  lui  avait 
appris.  c(  Il  médisait  (c'est  Papias  qui  parle^  que  Marc, 

(1)  «  Porro  idem  Papias  testimoniis  ex  priore  Joannis  epistola,  et 
ex  priore  itidem  Pétri  desumptis  utitur  (Euseb.  Hist.  Eccl .  l.  m, 
c.  xxxix).» 


DE   l'authenticité   DES   ÉVANGILES.  183 

qui  était  interprète  de  Pierre,  avait  écrit  tout  ce  qu'il 
conservait  dans  sa  mémoire  avec  exactitude,  mais  non 
dans  l'ordre  dans  lequel  le  Seigneur  l'avait  dit  ou  fait; 
car  il  ne  l'avait  ni  entendu  ni  suivi  ;  mais,  comme  je  l'ai 
dit,  il  avait  accompagné  Pierre,  qui  faisait  ses  instruc- 
tions suivant  le  besoin  de  ceux  qui  l'écoutaient,  sans 
s'attacher  à  un  arrangement  régulier  des  discours  du 
Seigneur.  Ainsi  Marc  n'a  nullement  eu  tort  [o\j6èv  «paoTê) 
d'écrire  ainsi  certaines  choses  d'après  ses  souvenirs, 
puisque  son  unique  soin  fut  de  ne  rien  omettre  de  ce 
qu'il  avait  appris  et  de  n'y  rien  changer.  »  Quant  à  saint 
Matthieu,  c'est  encore  Eusèbe  qui  le  remarque,  Papias 
raconte  de  lui  qu'il  a  écrit  son  Évangile  en  hébreu  (1). 
Voilà  donc  trois  Évangiles  dont  l'authenticité  est  garan- 
tie par  Papias.  Or,  l'existence  de  celui  de  saint  Luc  à 

(1)  Euseh.  ibid.  —  Sclileiermacher  et  après  lui  plusieurs  théolo- 
giens allernands  ont  nié  que  le  témoignage  de  Jean  le  prêtre  en  laveur 
de  l'Évangile  de  saint  Marc  se  rapportât  à  notre  second  Évangile, 
parce  que,  disent-ils,  ce  livre  suit  fidèlement  l'ordre  des  événemens, 
tandis  que  celui  dont  parle  Jean  le  prêtre  était  écrit  où  ra^n^  c'est-à- 
dire  sans  ordre  chronologique.  Mais  Tholuck  a  très-bien  démontré 
que  l'expression  grecque  n'a  pas  uniquement  le  sens  que  lui  donnent 
ces  théologiens  {Glaub.  der  Evang,  Gescli.  Seit.iib);  car  elle  peut 
très-bien  s'employer  pour  désigner  une  série  à  laquelle  ilmanque  quel- 
ques termes,  et  par  conséquent  un  Evangile  qui  comme  le  nôtre  rap- 
porte incomplètement  les  faits,  en  omet  beaucoup  et  les  présente 
d'une  manière  détachée.  D'ailleurs  l'auteur  lui-même  parait  avoir  en- 
tendu ainsi  cette  expression,  puisque  quelques  lignes  plus  bas  il  dit, 
comme  pour  la  justifier,  que  saint  Marc  n'a  pas  eu  tort  d'écrire  ainsi 
certaines  choses  d'après  ses  souvenirs.  On  peut  remarquer  encore 
que  le  prêtre  Jean  dit  que  cet  évangéliste  écrivit  certains  faits  (svia) 
et  non  tous  les  faits  de  la  vie  de  Jésus  (Voy.  Eugène,Mussart,  Examen 
critique  du  système  de  Strauss,  vag.  78,  note). 


184  DE   l'authenticité   DES   ÉVANGILES. 

l'époque  où  vivait  cet  ancien  écrivain  ne  peut  offrir  au- 
cune difficulté  sérieuse,  même  en  supposant  que  Papias 
n'en  ait  jamais  parlé,  dès  qu'il  est  prouvé  que  les  trois 
autres  existaient  déjà  à  cette  même  époque.  Ainsi,  les 
écrivains  catholiques  de  la  première  comme  de  la  der-  1 
nière  partie  du  second  siècle  prouvent  d'une  manière  I 
démonstrative  que  nos  Évangiles  sont  réellement  l'ou- 
vrage des  auteurs  dont  ils  portent  les  noms. 

TS'os  Evangiles  étant  déjà  reconnus  universellement 
comme  authentiques  par  les  pères  qui  florissaient  dans 
la  première  partie  du  second  siècle,  il  en  résulte  néces- 
sairement qu'ils  existaient  déjà  dès  le  premier  siècle. 
Car  il  est  tout-à-fait  impossible  que  ces  divins  écrits 
aient  commencé  tout-à-coup  à  être  regardés  comme  ve- 
nant réellement  de  la  main  des  auteurs  dont  ils  portent  ' 
le  nom,  sans  aucune  preuve  et  sans  qu'ils  aient  été  bien 
connus  auparavant.  Peut-on  supposer  en  effet  qu'un 
livre  dont  jamais  personne  n'avait  ouï  parler  jusque 
alors,  soit  devenu  en  un  instant  la  règle  de  foi  univer- 
selle, et  que  l'Église,  déjà  répandue  chezdifférens  peu- 
ples, l'ait  adopté  d'un  consentement  unanime  ?  Ce  serait 
un  phénomène  par  trop  singulier  et  par  trop  incroyable . 
Mais  si  nos  Évangiles  existaient  dès  le  premier  siècle, 
les  saints  docteurs  qui  ont  écrit  durant  cette  période 
les  ont  sans  doute  cités;  c'est  ce  qui  paraît  certain  par 
rapport  à  l'un  de  ces  docteurs,  et  très-probable  par 
rapport  aux  autres.  Ainsi,  pour  commencer  par  saint 
Ignace  martyr,  nous  dirons  qu'il  est  assez  vraisemblable 
qu'il  a  employé  dans  ses  Lettres  des  passages  de  nos 
Évangiles  ;  nous  dirons  de  même  de  saint  Clémentpape, 
en  ajoutant  toutefois  que  si  sa  seconde  lettre  était  réel- 
lement de  lui,  son  témoignage  déposerait  en  toute  cer- 


DE  l'authenticité  DES  ÉVANGILES.  1S5 

titude  en  faveur  de  la  thèse  que  nous  soutenons,  puisque 
ce  saint  pontife  dit  dans  l'un  des  passages  évangéliques 
par  lui  cités  qu'wne  écriture  raipporte,  et  dans  un  autre, 
que  Jésus-Christ  dit  dans  l'Evangile  [i].  On  a  pré- 
tendu, il  est  vrai,  que  ces  anciens  pèrçs,  ne  nommant 
pas  positivement  les  évangélistes,  tenaient  de  la  tradi- 
tion les  maximes  et  les  sentences  qu.'ils  rapportent  dans 
leurs  écrits  ;  mais  cette  prétention  n'est  pas  appuyée  sur 
un  fondement  bien  solide,  comme  nous  espérons  le 
montrer  un  peu  plus  bas  en  répondant  aux  difficultés 
de  nos  adversaires.  Quant  à  saint  Barnabe,  il  est  incon- 
testable qu'il  a  cité  un  document  écrit,  puisqu'en  rap- 
portant les  paroles  de  Jésus-Christ  illya  beaucoup 
d'appelés  mais  peu  d'élus,  il  ajoute  la  formule  usitée 
pour  les  citations  de  l'Ecriture  :  Selon  qu'il  est  écrit. 
Et  comme  ces  paroles  se  lisent  textuellement  dans  saint 
Matthieu  (xxii,  H),  elles  doivent  tout  naturellement 
nous  conduire  à  comparer  avec  le  livre  de  cet  évangé- 
liste  les  autres  citations  évangéliques  de  saint  Barnabe. 
Or  ce  saint  cite  encore  comme  étant  du  Sauveur  ces 
paroles  :  Je  suis  venu  ajypeler  non  les  justes  mais  les  pé- 
cheurs, et  ces  mêmes  paroles  se  trouvent  également 
dans  saint  Matthieu  (ix,  13).  11  rapporte  aussi  ce  pré- 
cepte du  Seigneur  :  Donnez  à  quiconque  vous  demande  (2), 
comme  il  se  lit  textuellement  dans  saint  Luc  (vi,  30). 

(1)  Yoy.  Ignat.  Epist.adEphes.  n.  14;  ad  Smyrn.n.  1  ;  ad  PoUj- 
carp.  71.  2,  et  compar.  DIaiih.  xii,  33  ;  m,  15;  x,  16.  Voyez  aussi 
Clem.  Epist.  i.  n.  13,  46,  et  compar.  Luc.  vi,  36,  37.  3Iatlli.  x\iu, 
6;  XXVI,  24.  Marc,  ix, 42. Z?<c.  xvii,2.  Yoyezencore  Clém.  i?/;j5Mi,. 
n.  2,  3,  4,  6,  8,  9,  et  compar  MaUh.  w,  13;  x,  32;  vu,  21,  23. 
Luc.  xiii,  37.   Matlh.  \i,  24;  xYi,  26.  Luc.  xvi,  12.  Maii'n.  xii,  50. 

(2)  Barnab.  Epist.n,  4,  5,  18. 


186  DE    l'authenticité    DES  ÉVANGILES. 

D'après  cela,  il  est  permis,  ce  nous  semble,  de  raison- 
ner de  cette  manière.  Si  saint  Barnabe  n'eût  jamais  fait 
une  citation  d'un  monument  écrit,  tous  les  passages 
évangéliques  contenus  dans  son  Epître  pourraient  ab- 
solument venir  de  la  tradition  ;  mais  puisque  dans  un 
endroit  il  en  appelle  à  un  monument  de  cette  nature, 
il  est  certain  qu'il  n'a  pas  puisé  ses  citations  unique- 
ment dans  la  tradition.  Or  le  passage  qu'il  dit  avoir  été 
écrit  se  lisant  textuellement  dans  l'Evangile  de  saint  Mat- 
thieu, et  tous  les  autres  qu'il  produit  se  trouvant  pa- 
reillement dans  ce  même  Evangile  ou  dans  celui  de  saint 
Luc,  nous  sommes  en  droit  de  conclure  que  toutes  les 
citations  évangéliques  de  saint  Barnabe  ont  leur  source 
dans  nos  Evangiles. 

2.  Les  hérétiques  du  second  siècle  nous  fournissent 
eux-mêmes  des  preuves  irrécusables  de  l'authenticité 
de  nos  quatre  Evangiles.  Nous  citerons  d'abord  Tatien, 
païen  converti,  et  qui  fut  disciple  de  saint  Justin,  mais 
qui  eut  le  malheur  de  tomber  dans  l'hérésie,  et  de  donner 
son  nom  à  la  secte  des  encratites.  Outre  les  citations  qu'il 
fait  de  l'Evangile  de  saint  Jean,  et  que  nous  venons  de 
rapporter  quelques  lignes  plus  haut,  il  nous  prouve  en- 
core de  plusieurs  manières  qu'il  connaissait  nos  Evan- 
giles et  qu'il  les  regardait  comme  les  fondemens  de  la 
foi,  transmis  par  les  apôtres  ;  car  premièrement,  lors 
même  qu'il  se  fut  séparé  de  l'EgUse,  il  ne  contesta  ja- 
mais l'authenticité  de  ces  livres  sacrés,  qui  le  condam- 
naient formellement;  il  se  contenta  de  les  tronquer  et 
de  les  accommoder  à  ses  erreurs.  En  second  lieu,  il  com- 
posa, selon  que  le  rapportent  Eusèbe,  saint  Epiphane 
et  ïhéodoret,  un  ouvrage  qu'il  intitula  Diatessaron  [Stv. 
rîTfjàpoyj]^  c'est-à-dire  selon  les  quatre.  Or  cet  ouvrage 


DE   l'authenticité    DES   ÉVANGILES.  187 

était  simplement  une  collection  et  une  suite  de  textes  ti- 
rés des  quatre  Evangiles  et  une  sorte  de  concordance 
formant  une  histoire  suiviede  Jésus-Christ.  Il  n'ajouta 
rien  au  texte  évangélique,  mais  il  en  retrancha  ce  qui 
était  contraire  à  ses  fausses  doctrines,  et  particulière- 
ment les  généalogies  du  divin  Sauveur  et  tous  les  pas- 
sages qui  le  présentent  comme  le  descendant  de  David 
selon  la  chair  (l).  Cet  ouvrage  était  très-répandu,  non 
seulement  parmi  les  sectateurs  de  Tatien,  mais  même 
parmi  les  chrétiens  orthodoxes  qui  n'en  apercevaient 
pas  le  venin;  et  il  était  devenu  si  commun  dans  les 
églises  de  Cyr ,  que  Théodoret,  évêque  de  ce  diocèse,  af- 
firme y  en  avoir  trouvé  plus  de  deux  cents  exemplaires 
qu'il  rassembla  et  mit  de  côté  pour  faire  lire  en  leur  place 
les  quatre  Évangiles  canoniques  (2).  Eichhorn  soutient, 
il  est  vrai,  que  les  quatre  Evangiles  qui  composent  cette 
concorde  ne  sont  nullement  les  nôtres,  et  il  demande 
comment  Théodoret  a  pu  savoir  que  Tatien  possédait 
nos  Evangiles.  «  Nous  pourrions  à  notre  tour,  remarque 
fort  judicieusement  Eugène  Mussart,  demander  à  ce  sa- 
vant comment  il  sait  qu'il  ne  ies  possédait  pas.  11  semble 
que  Théodoret,  qui  avait  vu  plus  de  deux  cents  exem- 
plaires de  l'ouvrage  dont  nous  nous  occupons,  pouvait 
mieux  apprécier  la  source  d'où  il  avait  été  tiré,  que  le 
professeur  allemand,  qui  n'a  pu  le  connaître  que  par 
quelques  citations  empruntées  à  ce  même  Théodo- 
ret (3).))  Ajoutons  que  cette  prétention  d'Eichhorn  n'a 

(1)  Euseb.  Hist.  Eccl.  l.  iv,  c.  sxix.  Ckronic.  Paschal.  ad  Olym- 
piad.  238.  Epiphan.  Hceres.  XLVi.  Theodor.  lib.  i.  Hœretic.  fabul. 
cap.  XX. 

(2)  Théodoret,  loc.  citai. 

(3)  Eichhorn,  £'m/eif  .m  das  TV.  T.  Band  i,  Seit.  m.  Eugène  Mus- 


188  DE   l'authenticité   DES   ÉVANGILES. 

été  émise  que  pour  soutenir  son  système  d\m  Evangile 
primitif,  système  si  décrédité  aujourd'hui  parmi  les  cri- 
tiques, que  personne  ne  l'enseigne.  Ajoutons  encore 
que  Denis  Barsalibi,  écrivain  syrien,  cité  dans  la  Bi- 
bliothèque Orientale  d'Assemani  (t.  i,pag.  568),  dit  ex- 
pressément :  ((  Tatien,  disciple  de  Justin  le  martyr  et  le 
philosophe,  a  formé  un  seul  Evangile  des  quatre,  et  il 
l'a  nommé  Diatessaron.  Saint  Ephrem  l'a  expliqué  dans 
un  commentaire.  Les  premiers  mots  de  cet  ouvrage 
sont:  in  commencement  était  le  Verbe.  »  Enfin  Eusèbe 
nous  affirme  d'une  manière  positive  que  les  sévériens, 
secte  d'hérétiques  dont  Tatien  était  le  premier  chef 
[n^ôxzooç  c/.pyr,yo-j],  admettaient  la  Loi  y  les  Prophètes  et  les 
Evangiles finsiis  qu'ils  rejetaient  les  Epîtres  de  saint  Paul 
et  les  Actes  des  Apôtres  (1) .  Or,  après  des  témoignages 
aussi  formels  et  aussi  précis,  peut-on  supposer  encore 
quelque  équivoque  sur  les  quatre  Evangiles  qui  for- 
maient la  concorde  de  Tatien  ?  Il  est  donc  incontestable 
que  cet  hérétique  et  son  école  reconnaissaient  nos  quatre 
Évangiles  comme  ayant  une  origine  apostolique. 

Marcion,  hérétique  anti-judaïsant,  qui  publia  ses  er- 
reurs avant  l'an  150  de  l'ère  chrétienne,  est  encore  un 
témoin  irrécusable  de  l'authenticité  de  nos  Evangiles, 
puisque  lors  même  qu'il  se  déchaîne  avec  une  sorte  de 
fureur  contre  ceux  de  saint  Matthieu,  de  saint  Marc  et 
de  saint  Jean,  il  ne  se  plaint  nullement  qu'on  les  ait 
donnés  sous  des  noms  supposés,  mais  il  se  borne  à  re- 
procher aux  apôtres  et  aux  disciples  qui  les  ont  rédigés^ 

sart,  licencié  en  ihéolog.  et  ministre  du  saint  Èsan^ile,  Examen  cri- 
tique du  sijsiemc  de  Strauss,  pag.  74,  note  2,  2™*^  édit.  Genève,  iSZ9. 
(1)  Euseb.  Hist.  Eccl,  l,  iv,  c.  xxix. 


DE   l'authenticité   DES   ÉVANGILES.  189 

d'avoir  mêlé  des  doctrines  juives  à  celles  de  leur  maître, 
et  qu'il  a  conservé  celui  de  saint  Luc  comme  ayant  été 
composé  sous  les  yeux  de  saint  Paul  et  comme  étant  plus 
conforme  à  ses  opinions.  Aussi  saint  Irénée  et  Tertul- 
lien,  qui  l'ont  si  fortement  blâmé  d'avoir  rejeté  les  ou- 
vrages de  trois  évangélistes,  pour  n'adopter  que  celui 
de  saint  Luc,  et  encore  en  le  mutilant,  ne  l'ont  jamais 
accusé  de  révoquer  en  doute  leur  origine  authentique  (l). 
Mais  Tertullien,  dans  sa  polémique  contre  Marcion, 
montre  d'une  manière  plus  explicite  encore  que  l'héré- 
siarque connaissait  nos  quatre  Evangiles,  et  qu'il  ne  lés 
avait  pas  toujours  rejetés;  d'où  il  résulte  clairement 
que  Marcion  lui-même  dépose  en  faveur  de  leur  authen- 
ticité. Entrons  dans  quelques  détails;  le  sujet  en  vaut 
la  peine  ;  nos  preuves  d'ailleurs  en  recevront  un  nou- 
veau degré  d'évidence.  Tertullien  rappelle  donc  à  Mar- 
cion qu'il  a  cru  autrefois  tout  ce  que  saint  Matthieu 
raconte  de  l'étable  et  de  la  crèche  du  Sauveur,  de  l'a- 
doration des  pasteurs  et  des  mages,  et  qu'il  Fa  avoué 
lui-même  dans  une  de  ses  lettres  (2),  et  qu'il  a  ensuite 

(1)  «Et  super  hœc,  id  quod  est  sccundum  Lucam  Evangeliunl 
circumcidens,  et  omnia  quœ  sunt  de  generatione  Doniini  conscripta 
auferens,  et  de  doctrina  sermonem  Domini  muha  auferens...;  semct- 
ipsum  esse  \eraciorem  quam  sunt  hi  qui  Evangelium  tradiderunt 
npostoli,  suasit  discipulis  suis  non  Evangelium,  sedparticulam  Evan- 
gelii  tradens  eis  (Iren.  Conlr.  hœres.  l.  i,  c.  xxvii).» — «  Cum  auleni 
ad  eam  iterum  traditionem  quaj  est  ab  apostolis,  quœ  per  successio- 
ncs  presbyterorum  in  Ecclesiis  custoditur,  provocamus  eos,  adver- 
santur  tradilioni,  dicentes  se  non  solum  presbyteris,  sed  eliain  apo- 
stolis exsistentessapientiores,  sinceraminvenisse  veritaiem.  Apostolos 
enim  admiscuisse  ea  quœ  sunt  legaliaSalvatoris  verbis  (/.  m,  c.  u).» 

(2)  «  Qui  (Ghristianus)  cum  fuisses,  exscidisti  rescindendo  quod 


190  DE    l'authenticité    DES    ÉVANGILES. 

rejeté  ces  vérités  comme  contraires  à  ses  erreurs.  Le 
savant  père  l'accuse  encore  d'avoir  rejeté  les  Evangiles 
qui  flétrissaient  évidemment  son  opinion ,  et  d'avoir 
corrompu  celui  qu'il  admettait,  en  ajoutant  qu'en  effet 
l'Evangile  de  saint  Jean  suffisait  pour  le  confondre  (1). 
De  plus,  Marcion  avait  composé  un  livre  d'antithèses, 
où  il  opposait  la  Loi  à  l'Évangile,  voulant  persuader  par 
là  que  le  Dieu  de  l'Ancien-Testament  n'était  pas  le 
même  que  celui  du  Nouveau.  Or,  il  est  évident  que  cet 
hérétique  n'aurait  pas  attaqué  l'Évangile,  s'il  ne  l'eût 
trouvé  déjà  reçu  dans  l'Église  ;  et  ce  fait  suffirait  seul 
pour  démontrer  que,  de  l'aveu  même  de  Marcion,  notre 
canon  évangélique  existait  dans  la  première  partie  du 
second  siècle.  Mais  il  est  surtout  un  passage  de  Tertul- 
lien  qui  ne  permet  pas  le  plus  léger  doute  sur  la  vérité  du 
sentiment  que  nous  défendons  ici.  (c  Je  soutiens  que  mon 
Évangile  est  véritable,  dit  ce  savant  père,  dont  nous  ne 
faisons  qu'analyser  le  texte,  etMarcion  prétend  que  c'est 
le  sien.  Qui  est-ce  donc  qui  doit  juger  entre  lui  et  moi  ? 
Ce  sera  l'ordre  des  temps  qui  donnera  de  l'autorité  au 
plus  ancien,  et  qui  montrera  que  celui  qui  se  trouve 
plus  récent  est  aussi  plus  corrompu.  Car  le  faux  étant 
une  dépravation  du  vrai,  il  faut  nécessairement  que  la 
vérité  précède  la  fausseté.  Or,  il  paraît  si  constant  que 
notre  Évangile  est  plus  ancien,  que  Marcion  lui-même 
y  a  cru  avant  que  de  sortir  de  l'Église.  En  corrigeant 

relrà  crcdidisti,  sicut  et  ipse  confilcris  ia  quadam  epistola  et  tui  non 
negant  et  noslri  probant  (Tertull.  De  carne  Chrisli,  c.  ii).» 

(1)  «  Si  Scripluras  opinioni  tux-  resistentes,  non  de  industria  alias 
rejecisses,  alias  corrupisses,  conludisset  te  in  hac  specie  Joannis 
Evangelium  (/&id.  c.  ni).  » 


DE    L'aI'THEMICITÉ    DES  ÉVANGILES.  191 

notre  Evangile,  il  le  confirme  et  fait  voir  qu'il  était  plus 
ancien.  Enfin  il  est  certain  que  l'Evangile  des  apôtres 
a  le  plus  d'ancienneté,  et  l'on  ne  saurait  douter  que  ce- 
lui qui  est  reçu  comme  sacré  par  les  églises  apostoli- 
ques ne  soit  celui  que  les  apôtres  ont  donné  par  tra- 
dition (1).»  Il  résulte  évidemment  de  la  polémique  de 
TertuUien  contre  Marcion ,  que  cet  hérétique,  avant  d'être 
tombé  dans  l'erreur,  avait  reçu  nos  Évangiles,  qu'il 
avait  cru  à  tous  les  faits  qui  s'y  trouvent  rapportés ,  et  que 
la  raison  pour  laquelle  il  les  avait  rejetés  n'était  nullement 
parce  qu'ils  ne  paraissaient  pas  authentiques,  et  qu'ils 
n'étaient  pas  reçus  par  les  églises,  mais  uniquement 
parce  qu'il  croyait  que  les  apôtres  qui  en  étaient  les  au- 
teurs avaient  donné  dans  des  idées  purement  judaïques, 
et  qu'il  n'y  avait  que  saint  Paul,  qui  était  le  principal  au- 
teur de  l'Évangile  de  saint  Luc,  qui  en  eût  été  exempt, 
et  qui  eût  parfaitement  compris  la  vraie  doctrine  de 
Jésus-Christ.  Enfin,  si  Marcion  avait  cru  que  nosÉvan- 
giles  qu'il  rejetait  ne  vinssent  pas  des  apôtres,  aurait-il 
manqué  de  l'objecter  comme  un  moyen  de  justifier  sa  sé- 
paration de  l'Eglise,  et  TertuUien  lui-même  qui  le  suit 
pas  à  pas  aurait-il  pu  s'empêcher  de  lui  répondre  sur 
un  point  aussi  important?  Cependant  l'illustre  docteur 
en  use  tout  autrement.  La  grande  raison  qu'il  ne  cesse 
d'opposer  à  son  adversaire,  c'est  la  nouveauté  de  son 
Evangile,  qui  n'est  reçu  que  par  sa  secte,  tandis  que  les 
nôtres  qu'il  rejette  sont  plus  anciens,  nous  viennent  des 
apôtres,  et  sont  reçus  unanimement  dans  toutes  les 
églises.  Mais  si  nos  Évangiles  n'avaient  pas  été  en  effet 
généralement  reçus  au  temps  de  Marcion,  comment  Ter- 
Ci)  Tertull.  Adv.  Marcion.  l.  iv,  c.  iv,  v. 


192  DE   l'aUTHEXTICITÉ    DES   ÉVANGILES. 

lullien  aurait-il  pu  lui  opposer,  comme  il  le  fait  (1),  le  té- 
moignage des  Corinthiens,  des  Galates,  des  Ephésiens, 
des  Philippiens,  des  Thessaloniciens,  des  Romains  et 
des  églises  d'Asie  fondées  par  saint  Jean?  et  s'ils  n'a- 
vaient pas  été  reçus  de  tout  temps,  comment  pouvait-il 
lui  opposer  l'autorité  des  églises  apostoliques,  qui  fai- 
saient remonter  l'origine  de  ces  Evangiles  jusqu'aux 
apôtres  qui  les  avaient  fondées?  Ainsi,  nous  le  répé- 
tons, il  est  clair  et  manifeste  par  tous  ces  passages  que 
Marcion  ne  niait  point  que  nos  Evangiles  vinssent  des 
apôtres,  mais  qu'il  prétendait  uniquement  que  les  apô- 
tres s'étaient  trompés  dans  l'exposition  de  la  doctrine 
du  Sauveur,  à  l'exception  de  saint  Paul,  d'où  il  s'ensui- 
vait, comme  lui  objecte  Tertullien,  que  si  les  apôtres 
choisis  par  Jésus-Christ,  et  envoyés  par  lui  dans  le 
monde  pour  prêcher  sa  doctrine,  avaient  corrompu  son 
Evangile,  cette  accusation  retombait  sur  Jésus-Christ 
môme,  et  que  si  cette  accusation  ne  tombait  que  sur 
les  disciples  des  apôtres,  elle  atteignait  saint  Luc,  dont 
néanmoins  lui  Marcion  recevait  l'Evangile  (2). 

(l)Tertull.  76^/.  c.  v. 

(2)  «  Sed  enim  Marcion  nactus  Epistolam  Pauli  ad  Galatas,  etiam 
ipsos  apostolos  sugillanlis,  ui  non  recto  pede  incedcnies  adveritatem 
Evangelii,  simul  et  accusantis  pseudapostolos  quosdam  pervertentes 
Evangelium  Chrisli  connititur  ad  destrucndum  slatum  eorum  Evan- 
geliorum  quce  pronria  et  sub  apostolorura  nomine  eduntur,  vel  etiam 
apostolicorum;  ut  sciiicet  tidem,  quam  illis  adimit,  suo  conférât. 
Porro,  etsi  reprehensus  est  Petrus  cl  Joannes  et  Jacobus,  qui  existi- 
mabanlur  coiumnœ,  manifesta  causa  est...  adeo  non  de  pra;dicatione, 
sed  de  conversatione  à  Paulo  denolabanlur...  Igitur  dislinguenda 
erunt  singula.  Si  apostolos  praevaricationis  et  simulationis  suspectes 
Marcion  haberi  querilur  usquead  Evangelii  depravalionem,  Chrislum 


DE    L'aUTIIEXTICITÉ   DES  ÉVANGILES.  193 

Les  valentiniens,  hérétiques  fameux  du  second  siècle, 
qui  tirent  leur  nom  de  Valentin,  dont  nous  allons  par- 
ler un  peu  plus  bas,  et  qui  se  nommaient  aussi  gnosti- 
ques ,  rendent  également  témoignage  à  l'authenticité 
de  nos  Évangiles.  En  effet,  saint  Irénée  dit  expressé- 
ment que  les  valentiniens  préféraient  l'Évangile  de  saint 
Jean  aux  autres  (que  cependant  ils  admettaient  aussi)  ; 
qu'outre  les  Évangiles  et  les  écrits  apostoliques  ils  ap- 
puyaient leur  doctrine  sur  la  loi  et  les  prophètes  (1) .  Une 
multitude  de  passages  tirés  de  leurs  écrits  confirment 
ce  témoignage  de  saint  Irénée.  —  Héracléon  et  Ptolé- 
mée,  contemporains  de  saint  Irénée  et  antérieurs  à  Mar- 
cion,  étaient  les  deux  plus  célèbres  disciples  de  Valen- 
tin. Or,  Héracléon  avait  composé  sur  l'Évangile  de  saint 
Jean  un  commentaire,  dont  Origène  nous  a  conservé  un 
grand  nombre  de  fragmens.  Un  long  passage  conservé 
et  cité  par  saint  Clément  d'Alexandrie,  semble  autori- 
ser à  croire  que  cet  hérétique  avait  fait  aussi  un  com- 
mentaire sur  saint  Luc,  dont  Clément  d'Alexandrie  nous 
a  conservé  un  long  passage.  Enfin,  dans  son  comment 
taire  sur  saint  Jean,  Héracléon  cite  deux  fois  saint  Mat- 
thieu avec  la  formule  selon  l'Evangile  (2) .  Si  saint  Marc 

jam  accusât,  accusando  quos  Cbristus  elegit.  Si  vero  apostoli  quidem 
integrum  Evangelium  contulerunt.  de  sola  convictus  inœqualilate  re- 
prehensi,  pseudapostoli  autem  veritatem  eorum  interpolarunt,  etindè 
sunt  noEtra  Digesta;  quod  crit  germanum  illud  apostolorum  Instru- 
raentum,  quod  adulterura  passum  est?  quod  Paulum  illuniinavit,  et 
al)  00  Lueam?  Aut  si  tam  funditus  deletum  est,  ut  catacljsino  quo- 
dam,  ila  inundationefalsariorum  oblilteratum  ;  jara  ergo  nec  Marcion 
habet  verum  (TertuU.  ibid.  c.  m).» 

(1)  Iren.  Adv.hœres.l.i.  Prœf.  c.  i,  m,  viii;  l.  m,  c.  XI. 

(2)  Voy.    Clera.    Alex.  Siromat.  c.    ix.   Ex  scriplis  prophetarum 
Eclocjce.  c.  XXV.  Grabe,  Spicile<j.  Patrum.  t.  ii,  pag.  83-117.  Nean- 

V.  9 


194  DE   l'aUTUENTICITË    DES   ÉVANGILES. 

ne  se  trouve  pas  cité,  c'est  qu'il  ne  contient  presque 
rien  qui  lui  soit  exclusivement  propre,  comme  nous  l'a-- 
vons  déjà  fait  observer.  D'ailleurs,  ce  silence  sur  saint 
Marc  ne  prouve  rien  contre  l'authenticité  de  son  Évan- 
gile, puisque  tout  le  monde  avoue  que  Héracléon  ad- 
mettait le  canon  évangélique.  Quant  à  Ptolémée,  saint 
Epiphane  nous  a  conservé  de  lui  une  lettre  écrite  à 
Flora,  laquelle  contient  un  nombre  assez  considérable 
de  citations  tirées  de  saint  Matthieu,  et  une  très-incon- 
testable tirée  de  saint  Jean ,  avec  la  formule  lapôtre 
dit  (1).  Saint  Irénée  ,  qui  avait  lu  ses  ouvrages  ,  nous 
produit  de  lui  des  citations  d'après  lesquelles   on  ne 
saurait  douter  qu'il  ne  reçût  notre  canon  évangélique. 
r— Théodote,  autre  disciple  deValentin,  dont  les  erreurs 
furent  condamnées  par  le  pape  saint  Victor,  successeur 
de  saint  Eleuthère,  peut  encore  être  cité  parmi  les  té- 
moins qui  déposent  en  toute  certitude,  que  dès  le  second 
siècle  nos  Evangiles  étaient  déjà  connus.  En  effet,  à  la 
fin  des  œuvres  de  Clément  d'Alexandrie  se  trouve  un  pe- 
tit extrait  (i-iroy.at)  des  ouvrages  de  Théodote,  fait  par 
un  gnostique  de  ses  sectateurs,  dans  le  but  d'opposer  la 
doctrine  de  son  maître  à  celle  de  Valentin.  Or,  outre 
que  cet  ouvrage  est  rempli  de  passages  empruntés  au 
Nouveau-Testament  en  général ,  il  rapporte  en  abrégé 
et  d'après  nos  Evangiles  un  grand  nombre  d'actions  et 
de  discours  de  Jésus-Christ.  Il  cite  avec  exactitude 
plusieurs  sentences  de  ce  divin  Sauveur,  d'après  saint 
Matthieu,  saint  Luc  et  saint  Jean.  Il  raconte  sa  retraite 

ûer,  Enlwicklung  der  vornehmemten  gnoslischen  Système.  Seit.  166. 
BeHin,  1818. 
(1)  Epiphan .  Hœres.  xxxiii. 


DE    l'authenticité   DES   ÉVANGILES.  195 

dans  le  désert ,  avec  des  circonstances  qui  ne  se  trou- 
vent que  dans  saint  Marc,  et  il  emploie  la  formule  Va- 
pôtre  dit,  une  fois  en  rapportait  un  récit  de  saint  Mat- 
thieu et  de  saint  Jean,  et  une  autre  fois  en  transcrivant 
un  passage  de  saint  Luc  (1) .  Un  quatrième  disciple  de  Va- 
lentin ,  nommé  Marc,  était  aussi  très-célèbre  ;  or,  saint 
Irénée,  qui  le  réfute  au  long  dans  son  premier  livre  des 
Hérésies ,  nous  apprend  qu'il  appliquait  plusieurs  pas- 
sages de  saint  Matthieu  et  de  saint  Luc  à  la  doctrine 
de  ses  éons ,  et  qu'il  citait  même  un  endroit  de  saint 
Marc  (2).  Il  ne  rapporte  à  la  vérité  aucun  endroit  de 
saint  Jean  ;  mais  on  ne  saurait  en  conclure  qu'il  ne  l'ad- 
mettait point,  puisque  tout  le  monde  accorde  que  les 
valentiniens  recevaient  l'Evangile  de  saint  Jean.  —  Bar- 
desane,  hérétique,  fort  instruit  de  la  secte  des  valenti- 
niens, admettait,  d'après  le  témoignage  exprès  de  saint 
Epiphane ,  tous  les  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau- 

(1)  Voy.  Hug,  Einleit.  Th.  i,  Seit.  63.  —  Lors  même  que  les  cir- 
constances avec  lesquelles  Théodote  décrit  le  séjour  du  Sauveur  dans 
le  désert  pourraient  à  la  rigueur  se  rapporter  à  d'autres  évangélistes, 
cette  seule  raison  ne  suffirait  point  pour  prouver  qu'au  temps  de  cet 
hérétique  l'Évangile  de  saint  iMarc  n'existait  pas  encore,  vu  qu'une 
grande  partie  de  cet  Évangile  se  trouve  dans  saint  Luc  ou  dans  saint 
Matthieu.  D'ailleurs,  comme  le  remarque  fort  judicieusement  01s- 
hausen  {Die  Eclilheit,  etc.  S.  380),  lorsque  nous  trouvons  cités  en- 
semble saint  Matthieu,  saint  Luc  et  saint  Jean,  nous  pouvons  con- 
clure avec  fondement  au  recueil  complet  de  nos  quatre  Evangiles, 

(2)  Ce  passage  de  saint  Marc  est  le  verset  38  du  chapitre  x,  où  l'é- 
vangéliste  fait  dire  à  Jésus-Christ  en  s'adressant  aux  fils  de  Zébé- 
dée  :  «Pouvez-vous  être  baptisés  du  baptême  dont  je  vais  être  bap- 
tisé?» Voy.  Iren.  Adv.  hœres.  1. 1,  c.  xviii,  pag.  86,  eclil.  Grabii,  ou 
bien  \es  Annotationes  variorum,  pag.  69,  qui  sont  à  la  fin  des  œuvres 
de  saint  Irénée  dans  l'édition  de  P»..  Massuet. 


196  DE  l'authenticité  des  évangiles. 

Testament,  ce  qui  est  dire  positivement  qu'il  reconnais- 
sait nos  quatre  Evangiles  (1).  —  Des  disciples  passons 
au  maître  lui-même ,  c'est  nous  rapprocher  encore  da- 
vantage des  temps  apostoliques.  Yalentin  était  contem- 
porain deMarcion;  il  parut  vers  l'an  13i  de  Jésus-Christ  . 
Bretschneider  prétend  que  cet  hérétique  n'a  jamais 
connu  l'Evangile  de  saint  Jean;  il  avoue  cependant  qu'il 
était  admis  par  ses  disciples  (2).  Mais  si  Valentin  n'eût 
pas  reçu  cet  Evangile,  ses  disciples  ne  l'eussent  pas  reçu 
non  plus,  parce  que,  dans  un  point  aussi  important, 
ils  ne  se  seraient  certainement  pas  éloignés  de  la  doc- 
trine de  leur  maître.  En  second  lieu,  les  pères  n'ont  ja- 
mais accusé  Valentin  d'avoir  rejeté  les  Evangiles,  mais 
d'en  avoir  dénaturé  le  sens  (3).  Troisièmement,  la  ter- 
minologie des  éons,  que  les  valentiniens  tenaient  in- 
contestablement de  leur  chef,  est  sans  aucun  doute  tirée 
de  l'Evangile  de  saint  Jean.  Quatrièmement  enfin,  d'a- 
près Tertullien ,  Yalentin  aurait  composé  un  ouvrage 
sous  le  titre  de  Sax^hia  [k] ,  et  Hug  remarque  que  le  mu- 

(1)  Epiphan.  Hœres.  lvi. 

(2)  Bretschneider.  Probab.  de  Evang.  et  Epist.  Joannis  apost.in- 
dole  et  origine,  pag.  212,  213. 

(3)  «  Si  Valenlinus  integro  Instrumenlo  uli  videtur,  non  callidiore 
ingenio,  Marcion,  manusintulit  veritati.  Marcion  enin>  exerte  et  pa- 
lani  iiiachœra  non  stylo  usus  est,  quoniam  ad  niateriam  suam  csedem 
Scriplurarum  confecit.  Valenlinus  autem  pepercit,  quoniam  non  ad 
niateriam  Scripturas,  sed  niateriam  ad  Scripturas  excogitavit  et  ta- 
nicn  plus  abstulit  et  plus  adjecit,  auferens  proprietates  singulorum 
quoque  verborum  et  adjiciens  dispositiones  non  comparentium  re- 
rum  (Tertull.  de  Prœscripl.  liœrelicor.  c.  xxxviii).»  Saint  Irénée  et 
saint  Epipliane,  qui  ont  écrit  aussi  contreValenlin,  ne  l'ont  jamais  ac- 
cusé d'avoir  rejeté  les  Evangiles. 

(4)  Iren.  ^dv.  hœres.  l.  i,c.  xxv.  Epiphan.  Hœres.  xxvii,  c.  v. 


DE   L'aUTHEXTICITÉ    DES  ÉVANGILES.  197 

sée  Britannique  possède  une  version  copte  de  cet  ou- 
vrage ,  laquelle  a  servi  à  Woide  pour  l'édition  de  son 
Nouveau-Testament  copte.  Or,  cette  traduction  contient 
plusieurs  passages  tirés  de  nos  quatre  Evangiles.  —  Ba- 
silide ,  natif  d'Alexandrie. ,  et  qui  vivait  assez  près  des 
temps  apostoliques,  est  encore  un  témoin  que  nous  pou- 
vons invoquer  en  faveur  de  la  thèse  que  nous  soutenons. 
En  effet,  au  rapport  d'Eusèbe,  Agrippa  Castor,  dans  un 
ouvrage  que  cet  historien  avait  lu ,  faisait  mention  de 
vingt-quatre  livres  que  Basilide  avait  composés  sur  l'E- 
vangile. Or  cette  expression,  V Evangile  (  rô  z-'jxyyih.o-j), 
n'ayant  aucune  autre  détermination ,  ne  peut  dési- 
gner que  les  écrits  évangéliques  contenus  dans  le  canon 
du  Nouveau-Testament.  Car  s'il  s'agissait  d'un  Evangile 
apocryphe,  Eusèbe  n'aurait  pas  manqué  d'en  faire  la 
remarque,  d'autant  mieux  que  cette  expression  pure  et 
simple  a  toujours  signifié  les  Evangiles  canoniques, 
comme  les  mots  l'Ecriture,  Zes£'cnït(?'es,  n'ont  jamais  été 
employés  par  les  auteurs  sacrés  et  les  écrivains  ecclé- 
siastiques dans  un  sens  autre  que  celui  d'écrits  qui  font 
partie  du  canon  sacré.  Et  si  Agrippa  eût  voulu  parler 
de  l'Évangile  de  Basilide,  Eusèbe,  qui  nous  apprend 
cette  particularité,  aurait  nécessairement  dit  son  Evan- 
gile au  lieu  de  l'Evangile.  D'ailleurs ,  dans  un  fragment 
d'Isidore,  fils  de  Basilide,  et  chef  d'une  école  gnostique 
comme  son  père,  fragment  rapporté  par  Clément  d'A- 
lexandrie au  commencement  de  son  livre  m  des  Stro- 
mates,  nous  lisons  le  commentaire  d'une  réponse  faite 
par  Jésus-Christ  à  ses  disciples.  Or,  le  texte  qui  a 
fourni  ce  commentaire  n'est  pas  tiré  d'un  Evangile  apo- 
cryphe ,  mais  il  est  évidemment  emprunté  de  celui  de 
saint  Matthieu  (xix,  11,  12).  Enfin,  il  est  encore  à  re- 


198  DE    L'ÂUTHEXTICITÉ    DES   ÉVANGILES. 

marquer  que  les  pères ,  tels  que  Clément  d'Alexandrie , 
saint  Epiphane  et  Origène,  qui  ont  écrit  contre  les  basi- 
lidiens,  ne  leur  ont  jamais  reproché  de  ne  pas  admettre 
l'authenticité  de  nos  Évangiles.  Cette  observation  peut 
très-bien  s'appliquer  à  Carpocrateetà  son  fils  Epiphane, 
qui  répandaient  leurs  erreurs  dans  la  première  partie  du 
second  siècle;  jamais  saint  Irénée  et  saint  Epiphane  ne 
les  en  ont  accusés.  Ces  illustres  docteurs  nous  appren- 
nent au  contraire  que  les  carpocratiens  cherchaient  à 
établir  leur  infâme  doctrine  sur  des  passages  de  nos 
Evangiles  (1). 

Avant  de  passer  aux  témoignages  des  auteurs  païens, 
jetons  avec  Olshausen  un  coup  d'oeil  en  arrière,  et  rap- 
prochons les  dépositions  des  principaux  témoins  que 
nous  avons  interrogés  séparément  et  l'un  après  l'autre; 
ce  rapprochement  nous  fournira  une  nouvelle  preuve 
plus  frappante,  ou  confirmera  au  moins  celles  que  nous 
avons  déjà  exposées.  Vers  l'an  140  ou  150  de  l'ère  chré- 
tienne, saint  Anicet,  évéque  de  Rome,  pape,  saint  Poly- 
carpe  de  Smyrne ,  disciple  de  saint  Jean  et  de  plusieurs 
autres  apôtres,  saint  Justin,  qui  appartenait  à  l'église  de 
Palestine  et  qui  avait  visité  celle  d'Alexandrie  ;  d'un  au- 
tre côté,  Marcion  de  Sinope,  ville  de  Pont,  et  Valentin 
d'Alexandrie,  hérétiques  également  célèbres,  mais  d'o- 
pinions très-différentes,  se  trouvaient  tous  réunisàRome. 
A  cette  époque,  notre  canon  évangélique  y  était  mani- 
festement reçu,  et  cependant  ces  habiles  docteurs  n'ont 
point  réclamé  contre  l'authenticité  des  Evangiles  ;  au 
contraire,  ils  se  sont  accordés  à  les  reconnaître,  quoique 
des  intérêts  de  secte  ou  d'opinion  dussent  porter  plu- 

(1)  Iren.  Adv.  hœres.  1. 1,  c.  xxv.  Epiphan.  Hœres.  xxvii,  c.  v. 


DE   l/AUTHteNTICITË   DES  ÉVANGILES.  199 

sieurs  d'entre  eux  à  la  combattre.  Or,  cet  accord  una- 
nime parmi  des  hommes  qui  ne  se  sont  point  entendus 
sur  tout  le  reste,  prouve  jusqu'à  l'évidence  même  com- 
bien était  universelle  et  ancienne  la  conviction  des 
Églises  diverses  auxquelles  ils  appartenaient  et  dont 
quelques-uns  d'entre  eux  étaient  les  chefs.  Remarquons 
encore  que  ces  cinq  témoins  sont  très-anciens  puisqu'ils 
étaient  nés  avant  la  mort  de  saint  Jean  ;  et  comme  ils 
avaient  des  principes  différens  et  diamétralement  oppo- 
sés, la  supposition  qu'ils  aient  reçu  ces  Évangiles  les 
uns  des  autres,  devient  absolument  impossible.  L'Église 
romaine  elle-même,  malgré  sa  grande  autorité,  n'aurait 
jamais  pu  faire  recevoir  l'Evangile  de  saint  Matthieu 
ni  celui  de  saint  Marc  à  Alexandrie,  ni  celui  de  saint 
Jean  en  Asie ,  si  les  chrétiens  instruits  par  les  apôtres 
n'en  eussent  jamais  entendu  parler.  «  Si  le  canon  évan- 
gélique,  dit  Olshausen,  avait  été  l'ouvrage  d'un  seul 
parti  tel  que  les  valentiniens,  ou  d'une  église  particu- 
lière, celle  de  Rome,  par  exemple,  les  autres  n'auraient 
jamais  pu  s'accorder  à  l'admettre.  Comment  en  effet  les 
marcionites  ou  les  orthodoxes  auraient-ils  reconnu  les 
livres  des  valentiniens ,  les  livres  sur  lesquels  ceux-ci 
fondaient  leurs  doctrines?  Comment  encore  les  Alexan- 
drins, les  Syriens,  les  Asiatiques,  auraient-ils  accepté 
des  Evangiles  venus  de  Rome,  sans  avoir  d'ailleurs  au- 
cun indice  de  leur  authenticité?  Ce  recueil  eût-il  été 
facilement  introduit  en  Asie,  si  les  disciples  de  Jean 
n'eussent  été  certains,  et  si  les  églises  elles-mêmes  de 
cette  province  ne  se  fussent  bien  assurées  auparavant 
que  l'Évangile  contenu  dans  ce  recueil  sous  le  nom  de 
saint  Jean  était  réellement  l'ouvrage  de  cet  apôtre?  De 
son  côté,  Rome  aurait-elle  admis  le  canon,  si  les  chré- 


200  DE  l'authenticité   DES  ÉVANGILES. 

tiens  qui  vivaient  dans  son  sein  avaient  appris  de  leurs 
pères  que  Luc  n'avait  point  écrit  d'Evangile  ou  en  avait 
écrit  un  différent  ?  Et  si  les  fidèles  de  Syrie,  de  Palestine 
et  d'Alexandrie  en  Egypte  eussent  entendu  dire  la  même 
chose  au  sujet  de  Matthieu  et  de  Marc,  auraient-ils  jamais 
voulu  adopter  un  recueil  mensonger  d'Evangiles  qui 
auraient  porté  faussement  et  par  fraude  ces  noms  véné- 
rables (1)?» 

3.  Les  auteurs  païens  et  les  ennemis  du  nom  chrétien 
qui  vivaient  au  second  siècle  concourent  également  à 
nous  fournir  des  preuves  irrécusables  de  l'origine  apo- 
stolique de  nos  Évangiles.  Nous  citerons  en  première 
ligne,  Celse,  philosophe  païen,  qui  a  paru  vers  le  milieu 
de  ce  siècle.  Il  a  composé  contre  les  chrétiens  un  ou- 
vrage intitulé  Discours  véritable  (àÀ/jO/î?  lôyoc],  etqu'Ori- 
gène,  dans  la  réfutation  qu'il  en  a  faite,  nous  a  conservé 
en  très-grande  partie.  Or,  ces  nombreux  fragmens  re- 
produits dans  Origène  sont  plus  que  suffisans  pour  con- 
vaincre tout  critique  impartial  que  Celse  reconnaissait 
réellement  l'authenticité  de  nos  Evangiles,  et  qu'il  sup- 
posait même  qu'ils  étaient  universellement  admis  par 
les  chrétiens  contre  lesquels  il  écrivait.  D'abord,  ce 
philosophe  nous  apprend  lui-même  qu'il  avait  vu  chez 
des  prêtres  chrétiens  des  livres  barbares  où  figuraient 
des  noms  de  démons  et  des  récits  de  prestiges  (2).  Il  dit 
ailleurs,  après  avoir  objecté  aux  chrétiens  une  multitude 
de  faits,  qu'il  les  a  empruntés  à  leurs  Ecritures  mêmes, 
n'ayant  pas  besoin  de  recourir  à  aucun  autre  témoin . 
Or,  Origène  traduit  ce  mot  Ecritures  par  nos  Evangiles; 
et  d'ailleurs  ces  faits  cités  par  Celse  se  lisent  réellement 

(1)  Olshausen,  Die  Echihcil  etc.  Scit.  395,  396. 

(2)  Origen.  Contra  Celsum,  l.  vi,  n.  40.  édit»  de  La  Rue. 


DE   l'authenticité  DES  ÉVANGILES.  201 

dans  ces  divins  livres  (1).  Dans  un  autre  endroit  il  af- 
firme qu'il  passe  sous  silence  beaucoup  de  choses  qu'il 
aurait  à  dire  de  JÉsu§,  choses  qui  sont  vraies,  et  qui  se 
trouvent  en  opposition  avec  celles  que  ses  disciples  ont 
écrites  (2).  Enfin,  il  se  sert  du  mot  même  Evangile,  sùa-y- 
yilio^j  (3).  Or,  en  faut-il  davantage  pour  prouver  que 
Celse  connaissait  nos  Evangiles,  surtout  lorsque  l'on 
considère  que  c'est  dans  ces  divins  livres  qu'il  puise 
presque  toutes  ses  attaques  contre  les  dogmes  chrétiens, 
et  qu'Origène  lui-môme  suppose  toujours  dans  sa  réfu- 
tation que  son  adversaire  cite  nos  évangélistes,  en  lui 
reprochant  seulement  de  ne  les  avoir  pas  lus  avec  assez 
d'attention?  N'oublions  pas  qu'en  désignant  leurs  écrits 
par  le  mot  Evangile,  mis  au  singulier,  Celse  suppose 
évidemment  que  nos  quatre  Evangiles  étaient  déjà  réu- 
nis en  un  seul  corps  d'ouvrage,  et  que  par  conséquent 
le  canon  évangélique  existait  à  cette  époque.  Mais  don- 
nons quelques  preuves  plus  explicites  du  témoignage  de 
Celse  en  faveur  de  l'authenticité  de  chacun  des  Évangiles 
en  particulier  :  1°  Il  est  incontestable  que  le  philosophe 
païen  a  connu  le  livre  de  saint  Matthieu.  En  effet,  il 
parle  de  tous  les  événemens  contenus  dans  les  deux 
premiers  chapitres  de  cet  évangéliste  et  qui  n'ont  été 
rapportés  par  aucun  autre,  tels  que  l'étoile  qui  conduisit 
les  Mages,  leur  arrivée  à  Bethléhem,  les  devoirs  qu'ils 
rendirent  au  Sauveur  nouveau-né,  les  présens  qu'ils  lui 
firent;  les  persécutions  d'Hérode  ;  l'apparition  de  l'ange 
à  Joseph  pour  l'avertir  de  se  tenir  en  garde  contre  les 
embûches  d'Hérode  ;  la  fuite  de  Bethléhem  et  le  séjour 

(1)  Origen.  ibid.  l.  ii,  «.  74. 

(2)  Origen.  ibid.  l.  ii,  n.  13. 

(3)  Origen.  ibid.  l.  n.  n.  27. 

9. 


202  DE   l'authenticité   DES  ÉVANGILES. 

de  JÉSUS  en  Egypte  (1).  Mais  ce  qu'il  faut  bien  remar- 
quer, c'est  que  Celse  dit  avoir  tiré  tous  ces  faits  des 
Évangiles  des  chrétiens  (2).  Il  rapporte  aussi  la  voca- 
tion des  apôtres,  et  cite  même  ces  paroles  de  saint  Mat- 
thieu (x,  23)  :  ((  S'ils  vous  poursuivent  dans  une  ville, 
fuyez  dans  une  autre  (3).  »  Il  parle  encore  de  la  prédic- 
tion de  la  trahison  de  Judas  et  des  reniemens  de  saint 
Pierre,  de  la  prière  de  Jésus-Christ  au  jardin  des 
Oliviers  (xxvi,  39)  :  Mon  Père,  que  ce  calice,  s  il  est  pos- 
sible, s'éloigne  de  moi;  du  fiel  et  du  vinaigre  donnés  à 
Jésus-Christ  dans  sa  passion,  des  prodiges  arrivés  à 
sa  mort,  des  ténèbres  et  des  tremblemens  de  terre,  tels 
qu'ils  sont  décrits  parle  même  évangéliste.  Ce  n'est  pas 
tout,  Celse  dit  encore  que  Jésus-Christ  a  guéri  les 
aveugles  et  les  boiteux,  ressuscité  les  morts,  prédit  la 
venue  des  faux  prophètes  qui  opéreraient  des  prodiges; 
il  nous  parle  de  cette  voix  du  ciel  qui  déclare  Jésus- 
Christ  fils  de  Dieu  (4-)  ;  etil  rapporte  plusieurs  maximes 
contenues  dans  le  sermon  sur  la  montagne,  maximes  que 
JÉsus,selonlui,aempruntéesdesécritsdePlaton,etqu'il 
s'est  attribuées;  il  en  produit  d'autres  qu'il  met  en  oppo- 
sition avec  la  loi  de  Moïse  (5) .  Après  cela,  est-il  encore 
permis  de  douter  que  Celse  ait  connu  l'Evangile  de  saint 
Mat'hieu?  —  Ce  philosophe,  il  est  vrai,  cite  peu  de  pas- 
sages qui  soient  exclusivement  propres  à  saint  Marc, 
puisque  tous  les  faits  évangéliques  qu'il  produit  se  lisent 
également  dans  saint  Matthieu  ;  cependant,  quand  il 

(1)  Origen.  ibicl.  l.  ii,  n.  28,  34,  68,  Ci,  66. 
(2)0rigen.  z7>îd.  n.74. 

(3)  Origen.  ibid.  1. 1,  n.  65. 

(4)  Origen.  ifcîrf. /.  II,  w.  9,  12,18,  20,24,37,48,49,53,55,72. 

(5)  Origen.  ihid,  L  vi,  n.  J6j  vn,n,  18,  58,  61  ;  viii,  n.  7,  8. 


DE   L'aUTHEKTICITÉ   DES  ÉVANGILES,  203 

objecte  (1)  qu'il  n'y  a  qu'une  femme  qui  ait  vu  Jésus- 
Christ  ressuscité,  et  encore  une  femme  frénétique  (râ- 
pot(Trpoç)j  il  fait  certainement  allusion  à  saint  Marc  (xvi, 
5, 8) ,  le  seul  des  évangélistes  qui  aient  remarqué  en  effet 
que  les  femmes  qui  étaient  allées  au  sépulcre  du  Sau- 
veur pour  embaumer  son  corps,  furent  effrayées  de  l'ap- 
parition de  l'ange  [i^i^ai/.^rfimot.v),  et  qu'elles  s'enfuirent 
tremblantes  (rcôy-oç)  et  comme  hors  d'elles-mêmes  (.-'xc-ra- 
(jLç) .  —  L'Évangile  de  saint  Luc  n'était  pas  moins  connu 
de  Celse  :  ce  philosophe  se  plaint  dans  un  endroit  de 
l'insolence  des  généalogistes  (rcù?  yîvîa/oyyio-avTKc),  qui 
font  remonter  la  généalogie  de  Jésus  jusqu'au  premier 
homme,  Adam  (2).  Or  cette  particularité  ne  se  trouve 
que  dans  saint  Luc,  le  seul  des  évangélistes  qui  conduise 
la  généalogie  du  Sauveur  jusqu'à  notre  premier  père 
(Luc.  III,  23,  38) . — Enfin,  Celse  rapporte  une  multitude 
de  passages  qui  prouvent  qu'il  avait  eu  sous  les  yeux 
l'Evangile  de  saint  Jean.  Cet  ennemi  du  nom  chrétien 
parle  en  effet  de  la  doctrine  du  Verbe  considéré  comme 
fils  de  Dieu,  doctrine  qui  appartient  exclusivement  à 
cet  évangéliste.  Il  parle  encore  d'une  liqueur  sortie  du 
corps  de  Jésus-Christ  crucifié,  et  de  la  demande  faite 
au  Seigneur  d'un  signe  qui  devait  prouver  sa  divinité. 
Or,  ces  particularités  se  rencontrent  uniquement  dans 
saint  Jean  (3) .  Celse  rapporte  encore  l'expression  :  Le 
Fils  de  Dieu  est  venu  d'en  haut  ;  il  dit  aussi  que  selon  les 
chrétiens  Jésus-Christ  avait  prévu  et  prédit  ce  qui 
devait  lui  arriver  ;  enfin  il  emploie  les  mots  lumière  et 

(1)  Origen.  fè/fi.  l.  n,  n.  55,  59. 

(2)  Origen.  ibid.  l.  ii,  n.  32. 

(3)  Voy.  Origen.  ibid.  l.  u,  31,  36;  L  i,  61,  et  com^ar.  Joan,  i^  1; 
XIX,  34j  n,  18. 


204  DE   l'authenticité  DES  ÉVANGILES. 

lue  pour  désigner  le  divin  Sauveur.  Or,  toutes  ces  cir- 
constances et  toutes  ces  expressions  ne  se  trouvent  en- 
core que  dans  l'Evangile  de  saint  Jean  (1).  Bretschnei- 
der  a  bien  essayé  de  détruire  ces  preuves  tirées  de  Celse 
en  faveur  de  l'authenticité  de  l'Evangile  de  saint  Jean, 
mais  ses  objections  nous  ont  paru  si  faibles,  que  nous 
n'avons  pas  cru  devoir  les  rapporter  {*2). 

Nous  pourrions  ajouter  au  témoignage  de  Celse  celui 
de  Porphyre,  qui,  sans  contester  l'authenticité  de  nos 
Évangiles,  s'est  attaché  uniquement  à  en  attaquer  la  vé- 
rité; nous  pourrions  y  joindre  encore  celui  de  Julien 
l'Apostat,  qui  n'a  pas  fait  difficulté  de  reconnaître  que 
nos  Évangiles  étaient  réellement  l'ouvrage  de  Matthieu, 
de  Marc,  de  Luc  et  de  Jean  ;  mais  comme  le  premier  de 
ces  ennemis  du  christianisme  n'a  écrit  qu'au  troisième 
siècle,  et  ce  dernier  au  quatrième,  époques  auxquelles 
tout  le  monde  avoue  que  nos  Evangiles  étaient  unanime- 
ment reçus,  il  est  inutile  d'insister  sur  leurs  témoignages. 

Telles  sont  les  preuves  d'authenticité  qui  nous  sont 
fournies  par  les  monumens  de  l'histoire,  et  que  l'on 
trouve  amplement  développées  dans  quelques  écrivains, 
tels  que  Lardner,  Paley,  Chr .  Frid.  Schmid ,  Hug,  et  sur- 
tout Olshausen,  qui  nous  a  beaucoup  servi  dans  cette 
discussion  (3).  Il  faut  convenir  qu'il  n'est  pas  un  seul 
livre  profane  un  peu  ancien  dont  l'authenticité  repose 

(1)  Yoy.  Origen.  ibid.  l.  i,  n.  50;  /.  ii,  n.  13,  49,  et  comparez 
Joan.  m,  31;  viii,  23;  xviii.  Quant  aux  expressions  lumière,  vie, 
elles  sont  appliqués  à  Jésus-Christ  presque  à  chaque  page  de  l'Évan- 
gile de  saint  Jean. 

(2)  On  peut  voir  au  surplus  Olshausen,  qui  s'est  donné  la  peine  de 
les  réfuter  dans  Die  Echllieit,etc.Seit.  349-354. 

(3)  iS,  Lardner,  Tlie  credibility  of  the  Gopel  liistory:  cet  ouvrage, 


DE   l'authenticité  DES   ÉVA^'GILES.  205 

sur  des  raisons  extrinsèques  aussi  fortes  et  aussi  nom- 
breuses. Voyons  si  les  preuves  intrinsèques  qui  militent 
en  faveur  de  nos  Evangiles  possèdent  ces  qualités. 

II.  Preuves  INTRINSÈQUES.  Les  preuves  intrinsèques, 
qu'on  nomme  aussi  critiques,  reposent,  comme  l'a  re- 
marqué Cellérier,  et  comme  on  peut  le  conclure  de  tout 
ce  que  nous  avons  déjà  dit  nous-même  dans  le  courant 
de  cette  Introduction,  tantôt  sur  une  ressemblance  de 
style  et  d'idées  entre  un  livre  qu'on  examine  et  les  au- 
tres écrits  du  même  auteur  ;  tantôt  sur  des  coïncidences 
minutieuses  entre  les  faits  cités  ou  supposés,  et  ce  que 
d'autres  documens  nous  apprennent  des  mœurs  et  de 
l'histoire  des  mêmes  temps  ;  tantôt  sur  l'absence  des  ana- 
chronismes  ou  des  méprises,  dont  les  faussaires  n'ont 
jamais  pu  se  garantir  ;  tantôt  sur  ce  ton  de  candeur  et 
de  naturel  que  l'imposture  ne  peut  jamais  imiter,  sur 
ces  aveux,  ces  mots  naïfs,  empreints  d'une  bonne  foi  qui 
porte  nécessairement  la  conviction  dans  l'esprit  des  lec- 
teurs (1) .  Or,  plus  on  étudie  les  Évangiles  en  eux-mêmes, 
et  plus  on  y  découvre  d'une  manière  frappante  tous  ces 
caractères  d'authenticité.  L'exposé  suivant  ne  laissera, 
nous  l'espérons,  aucun  doute  à  cet  égard.  Nous  y  sui- 
vrons presque  pas  à  pas  le  critique  qui,  à  notre  avis,  a 
le  mieux  traité  ce  sujet,  le  savant Hug,  que  nous  avons 
déjà  cité  plus  d'une  fois  dans  ce  chapitre  (2). 

traduit  en  latin  avec  une  préface  de  Christoph.  Wolf,  a  paru  à  Brème, 
en  1730. — Avieiv  of  thc  évidences  of  Christianiiij,hjV<\\\\u.m  Paley: 
ce  livre,  traduit  en  français,  par  D.  Levade,  a  été  imprimé  à  Lau- 
sanne, en  1806.  —  Hisloria  et  vinclicalio  canonis,  auctore  Chr.  Frid. 
Schmid. 

(1)  J.  E.  Cellérier,  De  Vorirjine  authentique  et  divine  du  Nouveau- 
Testament,  pag.  51,  64,  Genève,  1829. 

(2)  Voy.  Hug,  Einleit.  in  die  Schriften  des  lY.  T.  Th.  i,  S.7,  ([. 


206  DE   l'authenticité    DES  ÉVANGILES. 

1 .  Supposons  un  homme  instruit,  judicieux  et  doué  en 
particulier  des  connaissances  nécessaires  pour  bien  ap- 
précier un  ouvrage  sous  le  rapport  de  la  critique,  et  en 
même  temps  un  homme  qui  n'a  jamais  entendu  parler 
de  nos  quatre  Évangiles,  et  entre  les  mains  duquel  on 
les  met  pour  la  première  fois ,  s'il  vient  à  les  ouvrir,  à 
les  lire  attentivement  et  sans  prévention  aucune ,  enfin 
s'il  prend  la  peine  de  les  analyser  et  de  les  juger  seule- 
ment d'après  ce  qu'ils  contiennent,  voici  l'opinion  qu'il 
se  formera  indubitablement  de  leur  origine,  de  leur  an- 
tiquité, et  du  caractère  de  leurs  auteurs.  Il  verra  d'abord 
que  ces  livres  sont  écrits  en  grec,  mais  dans  un  grec 
qui  n'est  point  conforme  à  aucun  des  dialectes  de  cette 
langue,  c'est-à-dire  un  grec  dégénéré,  qui  dans  la  signi- 
fication et  l'arrangement  des  mots  aussi  bien  que  dans 
la  construction  grammaticale,  les  locutions  et  les  tour- 
nures, approche  si  fort  de  l'hébreu,  qu'on  ne  peut  s'em- 
pêcher de  conclure  que  leurs  auteurs  sont  des  Juifs  d'o- 
rigine, qui  pensant  en  hébreu  écrivent  en  grec.  Il  ne 
tarde  pas  non  plus  à  s'apercevoir  que  ce  sont  des  écri- 
vains étrangers  aux  sciences  des  Grecs  et  à  leur  manière 
d'écrire  l'histoire;  des  hommes  du  peuple  qui,  avec 
quelques  connaissances  des  écritures  judaïques,  n'ont 
aucune  prétention  à  la  littérature  profane,  à  laquelle  ils 
ne  font  même  jamais  aucune  allusion.  Il  remarquera  en- 
core que  malgré  la  brièveté  et  la  simplicité  de  leurs  ré- 
cits, ils  dépeignent  avec  tant  de  vivacité  et  de  naturel 
tout  ce  qu'ils  nous  racontent,  décrivant  avec  tant  de  vie 
l'attitude  et  les  mouvemens  des  personnes  qu'ils  mettent 
en  action  et  l'impression  produite  sur  les  témoins,  qu'ils 
semblent  avoir  encore  sous  les  yeux  ces  diverses  scènes. 
Oui,  nous  le  répétons,  voilà  ce  que  dira  infailliblement 


DE  L  AUTHENTICITÉ  DES  ÉVANGILES.         207 

tout  critique  impartial  qui,  d'après  les  seules  données 
des  caractères  internes,  cherchera  à  se  former  une  opi- 
nion sur  ces  livres.  Or,  c'est  là  précisément  ce  que  pen- 
sent tous  les  chrétiens.  Suivant  eux,  les  auteurs  de  ces 
ouvrages  sont  saint  Matthieu ,  saint  Marc ,  saint  Luc 
et  saint  Jean,  tous  Juifs  d'origine  pour  qui  le  grec  n'était 
point  la  langue  maternelle,  qui  écrivaient  dans  un  grec 
particulier  aux  Juifs  hellénistes,  et  empreint  de  tous  les 
idiotismes  propres  à  la  langue  hébraïque;  des  hommes 
qui  par  leur  état  et  par  leur  profession  n'avaient  pu 
recevoir  une  éducation  relevée,  qui  devaient  ignorer  les 
sciences  et  les  arts,  et  n'avoir  d'autres  connaissances 
que  celle  de  leurs  livres  sacrés .  Saint  Luc  seul,  qui  était 
médecin  et  avait  reçu  une  éducation  plus  soignée,  se  dis- 
tingue des  trois  autres  par  un  style  plus  pur  et  plus 
correct,  quoiqu'il  ne  soit  pas  non  plus  exempt  d'hé- 
braïsmes.  Ces  mêmes  hommes,  qui  vivaient  dans  les  der- 
niers temps  de  la  république  juive,  avant  la  destruction 
de  Jérusalem,  furent  tous  ou  témoins  des  faits  qu'ils  ra- 
content, ou  disciples  de  témoins  oculaires  qui  les  avaient 
instruits.  Par  conséquent,  ils  ont  dû  donner  à  leur  récit 
cette  vivacité,  ce  naturel,  cette  forme  dramatique  qu'on 
ne  manque  jamais  de  retrouver  dans  les  écrivains  qui 
ont  vu  les  événemens  se  passer  sous  leurs  yeux. 

2.  De  plus,  cet  observateur  attentif,  pour  ne  pas  se 
tromper  sur  l'époque  de  la  composition  de  ces  livres,  de- 
vra partir  de  ce  principe  incontestable,  que  les  histoires 
des  hommes  qui  ont  eu  quelque  célébrité  portent  tou^ 
jours  l'empreinte  du  siècle  et  du  pays  où  elles  ont  été 
composées ,  qu'elles  supposent  les  lois  civiles,  les  cou- 
tumes et  les  mœurs  du  pays  et  de  l'époque  où  vivaient 
les  personnages  qui  jouent  quelque  rôle  dans  ces  his- 


208  DE   l'authenticité   DES  ÉVANGILES. 

toires  ;  que  cette  empreinte  est  d'autant  plus  forte  que 
l'historien  était  plus  rapproché  lui-même  de  cette  épo- 
que ;  de  manière  que  s'il  remarque  cette  couleur  du 
siècle  dans  les  moindres  détails,  et  s'il  voit  que  l'au- 
teur, sans  même  y  penser,  fait  une  allusion  continuelle 
à  tout  ce  qui  avait  lieu  dans  ce  siècle,  il  ne  pourra  s'em- 
pêcher d'en  inférer  que  cet  auteur  a  réellement  vécu  du 
temps  où  il  fait  agir  celui  dont  il  écrit  l'histoire,  parce 
qu'il  est  moralement  impossible  qu'un  écrivain  plus  ré- 
cent prenne  aussi  parfaitement  la  couleur  et  l'empreinte 
d'un  siècle  et  d'un  pays  auxquels  il  est  étranger.  Or,  si 
cet  observateur  judicieux  applique  cette  règle  de  critique 
à  nos  ^quatre  Évangiles ,  il  ne  tardera  pas  à  conclure 
qu'ils  ont  été  écrits  dans  les  temps  et  par  les  auteurs  aux- 
quels les  chrétiens  les  rapportent.  De  savans  écrivains 
nous  ont  tracé  l'histoire  du  temps  où  a  vécu  Jésus- 
Christ  ;  ils  nous  ont  fait  connaître  la  forme  du  gouver- 
nement et  les  lois  civiles  qui  régissaient  les  Juifs  à  cette 
époque  ;  les  rois  et  les  gouverneurs  auxquels  ils  étaient 
assujettis  ;  la  religion  et  les  sectes  qui  les  divisaient;  leur 
esprit  et  leurs  préjugés  à  cette  même  époque  ;  ils  nous 
ont  parlé  des  différentes  monnaies  qui  avaient  cours 
parmi  eux  ;  ils  sont  entrés  dans  des  détails  minutieux 
sur  la  topographie  du  pays,  du  temple,  de  la  ville  et  de 
tous  les  lieux  de  la  Palestine  ;  ils  ont  fait  remarquer  les 
noms  que  portaient  différentes  villes  en  ce  même  temps 
et  qu'elles  ont  perdus  plus  tard.  Or,  en  comparant  tout 
ce  que  nous  disent  nos  évangélistes,  avec  les  recherches 
faites  par  ces  savans,  on  y  trouve  le  plus  merveilleux  ac- 
cord. Tous  les  efforts  des  critiques  les  plus  habiles  et 
les  plus  ennemis  du  christianisme  pour  trouver  en  défaut 
nos  saints  Evangiles,  ont  été  jusqu'ici  sans  succès.  Ce 


DE   l'authenticité  DES   ÉVANGILES.  209 

qu'on  avait  cru  d'abord  être  une  difficulté  s'est  changé 
en  preuve  après  un  plus  mur  examen.  Mais  établissons 
notre  assertion  sur  des  preuves  plus  précises,  et  pour 
cela  entrons  dans  quelques  détails. 

Les  évangélistes  nous  parlent  des  souverains  de  la 
Judée  au  temps  de  Jésus-Christ,  d'Hérode  le  Grand, 
de  son  successeur  Archélaiis,  et  d'un  autre  Hérode  qui 
avait  épousé  Hérodiade,  la  femme  de  son  frère;  ils  font 
mention  d'un  certain  Ponce  Pilate  qui  gouvernait  la  Ju- 
dée dans  le  même  temps  qu'Hérode  était  tétrarque  de 
la  Galilée,  Philippe  son  frère  tétrarque  de  l'Iturée  et 
de  la  Traconite,  et  Lysanias  tétrarque  d'Abylène.  Enfin 
ils  citent  un  certain  Caïphe  qui  était  grand  prêtre  dans 
le  même  temps  que  Pilate  gouvernait  la  Judée.  Or,  tous 
ces  divers  personnages,  sur  lesquels  il  était  si  facile  à 
un  écrivain  moderne  de  se  méprendre,  ont  tous  existé 
et  gouverné  dans  les  temps  assignés  par  les  évangélistes, 
comme  nous  l'apprend  l'historien  Joseph,  qui  vivait  à 
peu  près  à  la  même  époque. 

Les  évangélistes  nous  représentent  les  Juifs  comme 
très-zélés  pour  leurs  Ecritures,  pour  la  sainteté  de  leur 
temple,  pour  l'observation  de  leurs  lois  et  en  particulier 
pour  celle  du  sabbat,  et  en  même  temps  comme  très- 
corrompus  dans  leurs  mœurs;  de  manière  que  les  Juifs 
qui  accusèrent  devant  Jésus-Christ  la  femme  adultère, 
se  trouvèrent  tous  coupables  du  même  crime.  Si  nous 
parcourons  les  autres  parties  du  tableau  que  les  évan- 
gélistes nous  ont  tracé ,  nous  y  verrons  les  Juifs  servile- 
ment attachés  à  la  lettre  de  la  Loi,  et  en  négliger  tout- 
à-fait  l'esprit  ;  nous  les  verrons  se  porter  par  un  zèle 
mal  entendu  aux  plus  grandes  violences,  supporter  avec 
peine  le  joug  des  Romains,  et  soupirer  ardemment  après 


210  DE   L'AUTIIENTICITÉ   DÈS   ÉVANGILES. 

leur  liberté,  ce  que  prouve  clairement  la  question  cap- 
tieuse faite  à  Jésus-Christ  sur  l'impôt  exigé  parCésar, 
question  qui,  soit  dit  en  passant,  suppose  de  plus  l'é- 
poque précise  où  ce  divin  Sauveur  a  vécu  ;  car  plus  tôt 
ou  plus  tard  elle  n'aurait  aucun  sens.  En  un  mot,  nous 
verrons  dans  les  Juifs  un  peuple  asservi  qui  menace  de 
rompre  ses  chaînes  et  qui,  par  sa  rébellion  et  sa  haine, 
va  bientôt  allumer  l'incendie  qui  doit  consumer  ses 
villes  et  son  temple.  Tels  sont,  disons-nous,  les  Juifs 
d'après  les  évangélistes  :  or,  il  suffit  de  lire  attenti- 
vement les  livres  de  la  Guerre  des  Juifsy  composés  par 
Joseph,  pour  voir  que  ce  sont  précisément  les  traits 
sous  lesquels  il  les  dépeint  lui-même  à  cette  période 
de  leur  histoire. 

Les  évangélistes  nous  font  envisager  les  pharisiens  et 
les  saducéens  comme  deux  principales  sectes  qui  divi- 
saient les  Juifs  à  leur  époque.  Ils  n'oublient  pas  les  Sa- 
maritains, contre  lesquels  les  Juifs  conservaient  toujours 
une  grande  animosité  ;  et,  chose  admirable,  ils  font  tou* 
jours  parler  le  Sauveur  d'une  manière  entièrement  con- 
forme aux  principes  et  aux  préjugés  de  ces  différentes 
sectes.  Par  exemple,  quand  Jésus-Christ  parle  aux 
pharisiens,  il  leur  reproche  non  seulement  leur  zèle 
outré  pour  leurs  traditions,  qu'ils  mettent  au-dessus  de 
la  Loi,  mais  encore  leurs  jeûnes  affectés,  leurs  aumônes 
faites  par  ostentation,  leur  orgueil,  leur  hypocrisie,  et 
la  fureur  de  leur  prosélytisme.  Au  contraire,  quand  il 
s'adresse  aux  saducéens,  c'est  un  tout  autre  langage; 
il  les  traite  d'ignorans  et  de  charnels  qui,  s'arrêtant  à 
la  lettre  des  Écritures,  sans  en  pénétrer  l'esprit,  nient 
la  résurrection  des  morts.  S'il  a  à  traiter  avec  les  Sama- 
ritains, ce  sont  d'autres  idées  et  un  langage  différent  : 


DE  L'AUTHENTtClTfi   DES   ÉVANGILES.  211 

ainsi  il  ajoute  au  reproche  d'ignorance  l'accusation  de 
schisme ,  et  il  leur  déclare  que  le  salut  doit  venir  des 
Juifs.  Enfin,  si  c'est  au  peuple  assemblé  qu'il  parle,  il 
emploie  encore  un  autre  ton  et  un  autre  langage;  mais 
ses  discours  n'en  sont  pas  moins  tous  puisés  dans  le  ca- 
ractère moral  de  cette  nation,  que  l'Evangile  nous  re- 
présente tantôt  comme  zélée  et  religieuse,  tantôt  comme 
emportée,  violente,  impétueuse  et  facile  à  se  laisser  en- 
traîner dans  des  démarches  téméraires  dont  elle  ne  se 
donne  jamais  le  temps  de  calculer  les  conséquences  ; 
tantôt  enfin  comme  attendant  avec  ardeur  la  venue  du 
Messie,  mais  c'est  d'un  Messie  conquérant  qui  doit  la 
délivrer  du  joug  de  ses  ennemis.  Or,  c'est  exactement 
là  le  portrait  que  Joseph  et  tous  les  historiens  con- 
temporains nous  ont  tracé  des  Juifs,  des  pharisiens, 
des  saducéens  et  des  Samaritains  au  temps  de  Jésus- 
Christ. 

Les  évangélistes  supposent  qu'à  l'époque  où  vivait  le 
Sauveur,  il  y  avait  chez  les  Juifs  un  [mélange  de  lois 
juives  et  de  lois  romaines.  Ce  que  dit  Jésus-Christ 
dans  saint  Matthieu  (v,  25)  sur  la  nécessité  de  se  récon- 
cilier avec  son  frère,  est  effectivement  fondé  sur  une  loi 
romaine  qui  donnait  droit  au  créancier  de  se  saisir  de 
son  débiteur  et  de  le  conduire  devant  le  juge,  de  ma- 
nière que  s'il  ne  s'accordait  pas  avec  lui  sur  le  chemin, 
il  était  condamné  par  le  juge  à  une  amende  qu'il  devait 
payer  sur-le-champ  ;  autrement  il  était  mis  en  prison, 
d'où  il  ne  pouvait  sortir  qu'il  n'eût  payé  jusqu'à  la  der- 
nière obole.  La  parabole  du  débiteur  rapportée  encore 
dans  saint  Matthieu  (xviii,  23),  suppose  tout  à  la  fois 
une  coutume  juive  et  une  loi  romaine.  La  première  par- 
tie de  cette  parabole  suppose  un  roi,  c'est-à-dire  un 


212  DE   l'authenticité   DES   ÉVA^'GILES. 

tétrarque  qui,  pour  ce  qui  le  concernait,  n'était  point 
soumis  aux  lois  romaines  ;  mais  la  seconde,  qui  parle  du 
serviteur  que  le  principal  débiteur  prend  à  la  gorge  et 
qu'il  jette  dans  un  cachot,  suppose  une  loi  romaine  ex- 
cessivement dure  qui  donnait  droit  au  créancier  de  se 
saisir  de  la  personne  de  son  débiteur  et  de  le  retenir 
en  prison  jusqu'à  ce  qu'il  eût  payé  toute  sa  dette.  Mais 
ce  qui  montre  davantage  le  mélange  des  coutumes  jui- 
ves, grecques  et  romaines,  ce  sont  les  différentes  espèces 
de  monnaies  qui  avaient  cours  à  l'époque  où  nous  sup- 
posons qu'écrivaient  les  évangélistes.  Nous  voyons  dans 
l'Evangile  tour  à  tour  en  usage;  le  sicle  hébreu,  le  di- 
drachme  grec  et  le  fZemer  romain.  Or,  ce  mélange  de  lois 
et  de  coutumes  si  différentes  nous  reporte  nécessaire- 
ment au  temps  où  vécut  le  Sauveur,  temps  auquel  en 
effet  les  Juifs,  après  avoir  été  soumis  aux  Grecs,  se  trou- 
vaient sous  la  domination  des  Romains,  qui  avaient  in- 
troduit parmi  eux  leurs  lois  et  leurs  monnaies,  comme 
l'avaient  sans  doute  fait  auparavant  les  Grecs  eux- 
mêmes  .  Ajoutons  que  l'emploi  de  ces  monnaies  se  trouve 
parfaitement  en  rapport  avec  la  position  de  la  Judée  à 
l'époque  de  Jésus-Christ.  Les  impôts  antérieurs  à  la 
domination  des  Romains  sont  évalués  en  monnaies  grec- 
ques; par  exemple  la  capitation  (Matth.  xvii,  2i.  Jo- 
seph. Debello  Jud.  vu).  C'est  dans  celles-là  que  l'on 
fait  des  dons  au  temple  (Marc,  xii,  /i-2.Luc.  xxi,2),  et 
c'est  d'après  l'ancienne  monnaie  nationale  que  l'on 
compte  une  somme  payée  par  le  trésor  du  sanctuaire 
(Matth.  XXVI,  15).  Mais  toutes  les  fois  qu'il  est  question 
d'affaires  civiles,  d'achats,  de  négoces,  de  salaires,  il 
n'est  parlé  que  de  pièces  romaines  (Matth.  x,  29;  xx,  2. 
Marc.  XIV,  5.  Luc.  xii,  6.Joan.  vi,  7;  xii,  5).  Les  nou- 


DE    L'aUTIIEMICITÉ   DES  ÉVANGILES.  213 

veaux  impôts  sont  également  évalués  dans  la  monnaie  du 
peuple  qui  soumet  la  Judée  à  son  empire  (Matth.  xxii, 
19.  Marc.  ?vii,  15.  Luc.  xx,  2i;. 

Les  évangélistes,  dans  la  description  qu'ils  'nous  font 
des  lieux  où  se  sont  passés  les  événemens  qu'ils  racon- 
tent, s'accordent  parfaitement  avec  ce  que  les  auteurs 
juifs  et  profanes  nous  apprennent  de  la  topographie  de 
la  Palestine  à  cette  époque.  Des  écrivains  laborieux  ont 
employé  leurs  veilles  à  rassembler  tout  ce  qui  se  trouve 
dans  Philon,  dans  Joseph,  dans  le  Talmud  et  autres  mo- 
numens  anciens,  touchant  l'état  topographique  de  la  Pa- 
lestine au  temps  où  vivait  Jésus-Christ,  et  quoique 
leurs  savantes  collections  ne  soient  pas  encore  complètes, 
cependant  elles  nous  en  apprennent  assez  pour  que  nous 
puissions  juger  sûrement  de  l'exactitude  des  auteurs  du 
Nouveau-Testament  en  général  et  de  ceux  de  nos  Evan- 
giles en  particulier.  Or,  jamais  on  ne  trouve  nos  évan- 
gélistes  en  défaut;  assez  souvent  même  ils  complètent 
ce  qui  manque  dans  la  collection  de  ces  savans.  Les 
exemples  suivans  nous  en  fournissent  des  preuves  posi- 
tives. Et  d'abord  saint  Jean  (xix,  13)  racontant  la  pas- 
sion de  Jésus-Christ,  dit  que  Pilate,  qui  était  dans  le 
prétoire,  entendant  les  clameurs  des  Juifs,  sortit  avec 
le  Sauveur,  et  s'assit  sur  son  tribunal  dans  un  lieu  nommé 
Lithostrotosy  qui  par  conséquent  n'était  pas  éloigné  de 
son  palais.  Or,  Joseph  parle  de  ce  même  lieu  comme 
d'une  dépendance  du  temple  près  du  bourg  Antonia. 
D'un  autre  côté,  Philon  nous  apprend  par  hasard  que 
la  demeure  du  gouverneur  romain,  ou  le  prétoire,  était 
dans  le  palais  d'Hérode  (1),  que  nous  savons  avoir  été 

(1)  Joseph,  De  Bell.  Jud.  l,^^l,  c.  i,  n.  8,  edit.  Haverc.  Philo,  D& 
lerjat.  ad  Caïum. 


214  DE    l'aUTHKNTICITÉ    DES   ÉVANGILES. 

situé  au  nord-ouest  du  temple  et  du  bourg  Antonia. 

Saint  Pierre  et  saint  Jean  guérissent  un  boiteux  à  la 
Belle-Porte  du  temple,  et  de  là  ils  vont  au  portique  de 
Salomon  ;  circonstance  topographique  confirmée  par  Jo- 
seph, qui  nous  dit  dans  un  endroit  de  ses  ouvrages  qu'il 
y  avait  à  l'ouest  une  porte  distinguée  par  sa  beauté,  et, 
dans  un  autre,  que  du  même  côté  se  trouvait  le  portique 
de  Salomon  (1). 

Bethphagé,  d'après  les  évangélistes  (Matth.  xxi,  1. 
Marc.  XI,  l.Luc.xix,  29),  n'était  pas  dans  l'enceinte 
de  Jérusalem,  quoiqu'il  en  fut  assez  près .  Or,  d'après  un 
passage  du  Talmud  de  Babylone  qui,  selon  Hug,  n'avait 
pas  été  entendu  jusqu'ici,  et  sur  le  sens  duquel  Lightfoot 
s'était  lui-même  mépris,  telle  était  effectivement  la  po- 
sition topographique  de  Bethphagé  (2). 

L'Evangile  place  des  receveurs  d'impôts  à  Jéricho  et 
à  Capharnatim  ;  or,  nous  savons  par  l'histoire  qu'une 
des  plus  riches  productions  de  la  Judée,  c'est-à-dire  le 
baume,  se  recueillait  aux  environs  de  Jéricho  et  néces^ 
sitait  par  conséquent  le  ministère  d'un  receveur  dans 
cette  ville.  De  plus,  les  Phéniciens  et  surtout  les  Arabes, 
apportant  en  Palestine  leurs  marchandises  par  le  Jour- 
dain ,  passaient  ce  fleuve  vis-à-vis  de  Capharnaûm  (3), 
où  devait  naturellement  se  trouver  le  receveur  des  im- 
pôts pour  recevoir  le  droit  d'entrée. 

Saint  Luc  nous  dit  (vu,  1-11)  que  Jésus  partant  de 
Capharnaûm  en  Galilée,  vint  à  Naïm,  et  que  de  là  s'a- 
vançant  le  long  du  Jourdain,  il  arriva  aux  environs  de  Jé- 

(1)  Joseph.Z)ei?e//.  Jwd. /.v,  c.  V,  «.  3,et  ^»fîg.  /.  xx,  c.  ix,  n.7. 

(2)  Hug,  Einleil.  Th.  i,  S&il.  18-20. 

(3)  Justin,  Epiiome  Trogi,  l.  xxxv,  c.  m.  Sirabo,  l.  XYi. 


DE    l'authenticité    DES   ÉVANGILES.  215 

rusalem .  Or,  Joseph  nous  apprend  que  quand  les  Gali- 
léens  traversaient  la  Samarie  pour  se  rendre  à  Jérusalem 
aux  jours  de  fête,  ils  passaient  par  Nais,  qui  est  incon- 
testablement Naïm(l). 

Saint  Jean  nous  parle  (iv,  5)  de  Sichar,  c'est-à-dire 
Sichem,  selon  qu'on  en  convient  généralement.  Or,  tel 
était  en  effet  l'ancien  nom  de  cette  ville  de  Samarie,  nom 
qui  peu  de  temps  après  Jésus-Christ  fut  changé  en 
celui  de  Néapolis,  que  nous  trouvons  sur  les  médailles 
frappées  après  la  ruine  de  Jérusalem.  Le  même  évan- 
géliste  dit  (xii ,  21)  de  l'apôtre  saint  Philippe  qu'il  était 
natif  deBethsaïde  en  Galilée.  Or,  cette  ville,  qui  au  temps 
de  saint  Jean  portait  effectivement  le  nom  de  Bethsaïde 
et  qui  était  considérée  comme  appartenante  la  Galilée, 
parce  qu'on  y  parlait  galiléen,  perdit  bientôt  son  ancien 
nom  et  s'appela  d'abord  Césarée  et  ensuite  Juliade,  du 
nom  de  Julia,  fille  d'Auguste.  Sous  le  règne  de  Tibère, 
cette  ville  reprit  le  nom  de  Césarée  :  enfin,  après  la  mort 
de  Tibère,  elle  s'appela  encore  Juliade,  et  elle  ne  fut 
plus  considérée  comme  faisant  partie  de  la  Galilée.  Or, 
peut-on  supposer  qu'un  auteur  qui  aurait  écrit  long- 
temps après  ces  événemens  n'aurait  pas  appelé  cette  ville 
dequelqu'undecesnouveauxnoms,etluiauraitconservé 
son  ancienne  dénomination  hébraïque  j5e^/isaïc?e,  qu'on 
ne  trouve  dans  aucun  des  auteurs  qui  en  ont  parlé  depuis 
Jésus-Christ?  Nous  pourrions  pousser  plus  loin  ce  dé- 
tail, mais  nous  nous  contenterons  de  renvoyer  le  lecteur 
curieux  d'en  savoir  davantage  sur  ce  sujet  à  Lithfoot, 
Reland,  Wetstein  et  à  tous  les  autres  écrivains  qui  ont 
parlé  de  la  géographie  de  la  Palestine  au  temps  de  JÉ- 

(1)  Joseph.  Antiq»  L  xx,  c.  vi. 


216  DE    l'authenticité   DES   ÉVANGILES. 

sus-Christ.  D'ailleurs  nous  croyons  en  avoir  assez  dit 
pour  convaincre  tout  homme  impartial  de  l'exactitude 
topographique  de  nos  évangélistes.Or,  cette  exactitude 
est  une  démonstration  invincible  de  l'authenticité  de 
leurs  écrits  ;  car  la  face  topographique  d'un  pays  varie 
presque  à  chaque  instant.  L'activité  de  l'homme,  les  arts, 
l'agriculture,  les  phénomènes  de  la  nature,  la  politique 
et  la  guerre,  lui  donnent,  dans  un  court  intervalle,  un 
aspect  tout  différent.  Les  villes  sont  détruites  ou  per- 
dent leurs  noms,  les  déserts  se  couvrent  d'habitations, 
les  pays  cultivés  se  changent  en  solitudes,  les  fleuves 
sont  détournés,  les  routes  publiques  prennent  une  autre 
direction.  Or,  dans  un  temps  où  l'on  ne  connaissait  point 
de  cartes  géographiques,  il  était  bien  difficile  à  un  écri- 
vain qui  vivait  un  certain  temps  après  les  événemens 
qu'il  raconte,  de  les  placer  toujours  dansleurs  vrais  lieux. 
Les  meilleurs  historiens  profanes  sont  tombés  dans  de 
grossières  méprises  à  cet  égard,  dès  qu'ils  ont  eu  à  par- 
ler de  temps  antérieurs  à  leur  siècle.  Ainsi,  ce  n'est  pas 
seulement  à  Virgile  qu'on  a  fait  ce  reproche,  c'est  encore 
à  Quinte-Curce  et  à  Tite-Live  lui-même.  Ce  dernier,  par 
exemple,  oubliant  entièrement  la  différence  des  temps 
et  des  circonstances,  confond  la  géographie  ancienne 
avec  la  nouvelle  ;  car  il  parle  de  Sinuesse,  de  Praeneste, 
d'Arpi,  noms  modernes  usités  de  son  temps,  lorsqu'il 
aurait  dû  nommer  Sinope,  Argos,  Hippium  et  Stéphane. 
C'est  de  cette  manière  qu'on  a  découvert  l'imposture  de 
Philostrate,  historien  du  fameux  Apollonius  de  Thyane. 
Il  nous  assure  avoir  composé  son  histoire  d'après  les 
mémoires  de  Damis  ,  compagnon  de  voyage  de  ce  philo- 
sophe, et  cependant  sa  narration  est  presque  toujours 
en  contradiction  avec  l'état  des  lieux  où  il  le  fait  voya- 


DE   L'aUTIIEXTICITÉ    DES   ÉVANGILES.  217 

ger.  Ainsi,  il  conduit  son  héros  à  Babylone,  qu'il  nous 
décrit  comme  une  {jrande  et  superbe  cité,  tandis  qu'à 
cette  époque  Babylone  n'offrait  plus  qu'un  désert,  qu'une 
vaste  ruine.  Il  commet  par  rapport  à  Sparte  une  bévue 
non  moins  grossière  ;  il  nous  la  représente  comme  une 
ville  libre,  dans  le  temps  môme  qu'elle  se  trouvait  asser- 
vie au  joug  des  Romains  (1).  C'est  encore  ainsi  qu'on  a 
découvert  que  l'histoire  de  la  guerre  des  Juifs  que  nous 
avons  sous  le  nom  d'IIégésippe  ,  était  apocryphe.  L'au- 
teur, qui  se  dit  contemporain  d'Antonin  et  de  Commode, 
nous  parle  de  Constantinople,  de  l'Ecosse,  de  la  Saxe, 
qui  n'existaient  point  alors,  ou  qui  portaient  des  noms 
bien  différens  (2) .  Mais  s'il  est  difficile  à  un  historien 
moderne  de  décrire  la  topographie  d'un  pays  comme 
elle  existait  dans  les  temps  anciens,  il  l'est  encore  bien 
davantage,  quand  il  s'agit  d'une  contrée  comme  celle 
des  Juifs  au  temps  de  Jésus-Christ.  «Rappelons-nous 
en  effet,  dit  Cellérier  d'après  Hug,  rappelons-nous  la  po- 
sition unique  où  se  trouvait  la  Terre-Sainte  entre  les 
bouleversemens  religieux,  politiques,  géographiques, 
moraux,  qui  précédèrent  et  suivirent  immédiatement 
cette  époque,  lorsque  divisée,  et  toujours  d'une  manière 
nouvelle,  entre  les  procurateurs  romains,  les  Hérodes  et 
les  gouverneurs  de  la  Syrie,  la  Palestine  passait  des  uns 
aux  autres,  suivant  le  caprice  des  Césars,  tout  en  con- 
servant quelque  chose  de  ses  lois  propres  et  de  ses  ma- 
gistrats accoutumés;  lorsque  voyant  tous  les  jours  quel- 
ques-unes de  ses  villes  recevoir  de  ses  tyrans  un  nom 

(J)  P^ila  Apollon,  Tlujan.per  Philosirat.  Lcmn.  Scn.  l.  i,  c.  xviii; 

/.  IV,    c.    II. 

(2)  Hcgesipp.  De  bcllo  Jud.  l.  ui,  c.  v  ;  l.  v,  c.  xv. 

V.  10 


218  DE   l'authenticité   DES  ÉVANGILES. 

nouveau  ou  être  victime  de  leur  furie,  elle  perdait  rapi- 
dement sa  physionomie  antique,  et  remplaçait  son  an- 
cienne topographie  par  une  topographie  nouvelle  qui 
allait  disparaître  à  son  tour  ;  lorsque,  séjour  de  trois 
peuples  différens  de  mœurs  et  de  langage,  les  Hébreux, 
les  Hellénistes  et  les  Romains,  elle  en  recevait  nécessai- 
rement à  la  fois  la  triple  empreinte,  et  lorsque  tour  à 
tour  prise  par  Pompée,  opprimée  par  Hérode,  désolée 
par  Titus,  et  presque  anéantie  par  Adrien,  qui  détruisit 
cinquante  grandes  villes  et  neuf  cent  quatre-vingt-cinq 
villages  (1),  elle  semblait  enfin  changer  chaque  jour  de 
nom,  d'aspect  et  de  lois,  comme  d'habitans  et  d'oppres- 
seurs. Comment  un  imposteur,  un  siècle  après,  se  serait- 
il  tiré  de  ce  dédale  et  aurait-il  su  retrouver  les  noms,  les 
mots,  la  langue,  l'autorité  qui  correspondait  précisément 
à  la  chose,  au  lieu,  à  l'instant  dont  il  avait  à  parler? 
Or,  toutes  ces  méprises  qu'il  pourrait  avoir  faites,  nous 
sommes  en  état  de  les  découvrir.  Les  travaux  des  savans 
modernes,  leurs  recherches  érudites,  les  témoignages 
des  auteurs  profanes,  comparés  et  discutés  avec  soin, 
nous  en  fournissent  complètement  les  moyens.  —  Cet 
examen  a  été  fait. —  Eh  bien!  chose  remarquable,  cet 
examen  sévère,  dirigé  souvent  par  des  intentions  mal- 
veillantes, a  toujours  eu  le  même  résultat,  celui  de  dé- 
montrer l'étonnante  exactitude  de  nos  écrivains  sa- 
crés (2).»  Indépendamment  des  coïncidences  que  nous 
avons  déjà  remarquées  entre  les  récits  évangéliques  et 
les  sources  de  l'histoire  profane,  Lardner,  Michaëlis  et 


(1)  Dio  Xiphilio.  in  niaHadnan.pag.  266.  H.  Sieph.  in-S'>.  Ed. 
J-Techel.  pag.  974. 

(2)  J.  E.Ccllérier,  £ssai  d'une  Inlrod,  ail.  au  JV.  T.  pag.  8-10. 


DE   l'authenticité   DES   ÉVANGILES.  2l9 

Paley  en  ont  signalé  une  foule  d'autres,  qui  sont  d'autant 
plus  convaincantes  qu'elles  ne  paraissent  point  recher- 
chées par  les  évangélistes,  qu'elles  sont  souvent  très- 
peu  saillantes,  en  sorte  qu'il  faut  beaucoup  d'étude  et 
d'attention  pour  les  découvrir;  enfin  qu'elles  se  présen- 
tent en  si  grand  nombre,  qu'elles  ne  peuvent  venir  du 
hasard.  Nous  ne  saurions  nous  empêcher  d'en  citer 
quelques-unes  qui  nous  sont  fournies  par  Paley  (1). 

Selon  les  évangélistes,  le  grand  prêtre  qui  présidait 
à  la  condamnation  de  Jésus-Christ  se  nommait  Caïphe, 
et  exerçait  la  souveraine  sacrificature  dans  le  même 
temps  que  Pilate  était  gouverneur  de  la  Judée.  Or,  ce 
fait  se  trouve  confirmé  par  Joseph,  qui  ne  s'en  est  cer- 
tainement pas  douté.  En  elîet,  cet  historien  raconte  en 
passant  l'élévation  à  la  souveraine  sacrificature  d'un 
certain  Joseph  aussi  a'ppelé  Caïphe;  immédiatement 
après  il  rapporte  que  Pilate  devint  gouverneur  de  la 
Judée.  Plus  tard,  il  nous  apprend  la  destitution  de  Pi- 
late, et  peu  après  celle  de  Caïphe.  Il  résulte  de  ces  diffé- 
rentes circonstances  lorsqu'on  les  rapproche,  que,  sui- 
vant Joseph,  Caïphe  fut  grand  prêtre  avant  l'arrivée  de 
Pilate  et  ne  cessa  de  l'être  qu'après  la  destitution  de  ce 
gouverneur;  ce  qui  est  conforme  au  récit  évangélique. 
D'après  la  narration  de  saint  Luc,  deux  personnages  dif- 
férons, Anne  et  Caïphe,  portent  en  même  temps  le  titre 
de  grand  prêtre,  nous  avouons  que  cela  peut  étonner  ; 
aussi  en  a-t-on  fait  la  matière  d'une  difficulté;  mais 
comme  Joseph,  aussi  bien  que  l'évangéliste,  donne  quel- 
quefois ce  même  titre  à  deux  personnages  différons,  il 

(1)W.  Paley,  Tableau,  des  preuves  évidenies  du  chris  nanisme  ; 
iyaUuit  de  l'anglais  pai'  D.  Lcvade,  /.  ii,  pag.  153-161. 


?20  DE  l'authenticité  DES  ÉVANGILES. 

s'ensuit  que  le  passage  de  saint  Luc  est  inattaquable,  et 
que  cela  tenait  à  quelque  usage  ancien  ou  à  quelque 
autre  circonstance  qui  nous  est  inconnue. 

Nous  lisons  dans  l'Évangile  que  Pilate  fit  attacher  à  la 
croix  du  Sauveur  un  écriteau  hébreu,  grec  et  latin.  Or 
Suétone  et  Dion  Cassius  nous  apprennent  que  les  Ro- 
mains étaient  dans  l'usage  d'afficher  près  des  condam- 
nés le  motif  de  leur  supplice.  Aces  autorités,  nous  pou- 
vons joindre  celle  de  Joseph.  Cet  historien  nous  apprend 
en  effet  que  les  autorités  juives  promulguaient  ainsi  leurs 
avis  en  plusieurs  langues. 

D'après  les  évangélistes,  Jésus-Christ  fut  frappé  de 
verges  avant  d'être  mis  en  croix.  Or  trois  passages  de 
Joseph  et  un  de  Tite-Live  nous  font  voir  que  telle  était 
la  coutume  des  Romains  de  flageller  ceux  qu'ils  con- 
damnaient au  supplice  de  la  croix. 

L'Évangile  nous  montre  Jésus  portant  lui-même  la 
croix  sur  laquelle  il  allait  être  attaché.  Or,  Plutarque 
nous  apprend  que  ce  raffinement  de  cruauté  était  encore 
usité  chez  les  Romains  dans  ces  derniers  temps. 

Enfin  saint  Jean  rapporte  qu'à  la  prière  des  Juifs,  Pi- 
late fit  rompre  les  jambes  des  deux  larrons  qui  étaient 
crucifiés  avec  Jésus-Christ  (xix,  31,  32). Or  Aurélius- 
Yictor,  auteur  païen  faisant  l'éloge  de  l'édit  de  Constan- 
tin qui  abolit  le  supplice  de  la  croix,  rappelle  la  circon- 
stance de  rompre  les  jambes  [cruribus  suffringendis). 
Ainsi  les  caractères  internes  de  nos  quatre  Evangiles 
prouvent  invinciblement  l'authenticité  de  ces  divins 
écrits. 

IIL  Preuve  indirecte.  Les  raisons  que  nous  ve- 
nons de  faire  valoir  dans  le  développement  de  notre 
proposition  suffisent  sans  doute  pour  convaincre  tout 


DE   lA\UTIIENTIClTft   DES   ÉVANHILES.  521 

esprit  raisonnable  de  l'authenticité  de  nos  Évangiles; 
cependant ,  pour  ne  pas  laisser  à  nos  adversaires 
l'ombre  même  d'un  prétexte  plausible,  nous  allons 
montrer  qu'il  est  tout-à-fait  impossible  que  ces  divins 
écrits  aient  été  supposés. 

1 .  Les  docteurs  de  l'Eglise  ,  en  remontant  depuis  le 
second  siècle  de  l'ère  chrétienne  jusqu'aux  temps  apo- 
stoliques, forment  en  faveur  de  l'authenticité  de  nos 
Evangiles  une  chaîne  de  témoignages  à  laquelle  il  ne 
manque  pas  un  seul  anneau.  ?vous  l'avons  prouvé,  ce 
nous  semble,  d'une  manière  irrécusable.  Nous  ajoute- 
rons qu'Origène ,  qui  suit  immédiatement  les  pères  du 
second  siècle,  qui  a  été  disciple  de  saint  Clément,  et  son 
successeur  dans  l'école  d'Alexandrie,  Origène  affirme 
qu'il  tient  de  la  tradition  que  les  quatre  Evangiles  seuls 
sont  admis  sans  contradiction  dans  toute  l'Eglise  deDiÉU 
qui  est  sous  le  ciel  (1).  Cette  tradition  existait  en  effet 
dans  toutes  les  églises,  parce  que  toutes  avaient  été  fon- 
dées par  les  apôtres  ou  par  leurs  successeurs ,  et  qu'à 
mesure  qu'ils  fondaient  une  église,  ils  lui  remettaient  le 
livre  des  saints  Evangiles  ,  et  y  étabUssaient  des  pas- 
teurs (2)  ou  évêques,  qui  étaient  chargés  du  dépôt,  c'est- 
à-dire  de  la  saine  doctrine  et  des  livres  sacrés  dans  les- 
quels elle  était  contenue,  et  qui,  rendus  dépositaires, 
devaient  le  garder  avec  soin ,  et  le  remettre  pur  et  en- 
tier à  leurs  successeurs  (1  Timoth.vi,  20) .  Or,  demande 
avecraisonle  cardinal deLaLuzerne,àqui  nous  emprun- 
tons le  fond  de  notre  preuve,  «  quel  homme  aurait  eu  un 
pouvoir  assez  fort  pour  faire  recevoir  à  quelques  églises 

(1)  Origen.  in  Maiih.  l.  i,  apnd  Eusel).  Hist.  EccL  l.  vi,  c.  xxv. 

(2)  Euseb.  Hist.  EccL  L  m,  c.  xxxyii. 


222  DE   l'authenticité   DES   ÉVANGILES. 

nos  Evangiles  comme  les  seuls  venant  des  apôtres  ;  nn 
pouvoir  assez  étendu  pour  les  faire  recevoir  à  toutes 
sans  exception,  un  pouvoir  assez  absolu  pour  les  faire 
recevoir  ainsi  sans  réclamation  (1)?» 

2.  Le  court  intervalle  qui  s'est  écoulé  entre  les  au- 
teurs sacrés  auxquels  nous  attribuons  les  Evangiles  et 
les  premiers  pères  qui  déposent  en  faveur  de  leur  au- 
thenticité ,  rend  la  supposition  d'autant  plus  difficile, 
que  c'était  dans  la  religion  un  point  tellement  impor- 
tant de  savoir  de  qui  étaient  les  livres  fondamentaux 
de  la  foi,  qui  contenaient  les  faits,  les  dogmes,  les  pré- 
ceptes du  christianisme,  que  les  maîtres  ne  manquaient 
pas  de  l'apprendre  à  leurs  élèves. 

3.  ((La  critique,  dit  judicieusement  Cellérier,  a  trop 
de  ressources ,  pour  qu'un  livre  supposé  puisse  résister 
aux  investigations  successives  d'hommes  savans,  qui  le 
comparent  tour  à  tour  avec  les  livres  de  la  même  épo- 
que, avec  les  monumens  plus  anciens ,  et  avec  les  faits 
plus  récens ,  qui  l'explorent  sous  le  point  de  vue  des 
temps,  des  mœurs ,  des  lieux  et  de  la  langue ,  qui ,  ve- 
nant les  uns  après  les  autres ,  recommencent  toujours 
cet  examen  avec  une  capacité,  une  ardeur  et  une  érudi- 
tion nouvelles.  L'expérience  le  prouve,  et  l'on  peut  af- 
firmer qu'aucune  imposture  historique  n'a  pleinement 
réussi.  Les  plus  adroites  ont  fini  par  paraître  grossiè- 
res (2).))  Cela  est  vrai  de  tout  livre  ordinaire, mais  bien 
plus  encore  d'un  livre  qui  intéresse  vivement  une  société 
entière ,  qui  fait  son  titre  constitutif ,  qui  renferme  le 

(1)  C,  G.  de  La  Luzerne,  Dissertations  sur  la  vérité  de  la  religion, 
l.i,  pag.  34.  Par/s,  1840.  Méquignon  Junior. 

(2)  J.  E.  Cellérier,  De  l'origine  autlienliquc  et  divine  du  i>^.  T. 
pag.  115-HC. 


DE   l'authenticité   DES   ÉVANGILES.  223 

code  de  ses  doctrines  et  de  ses  lois  morales,  et  qui,  en 
nn  mot,  est  la  base  de  sa  religion.  Il  est  incontestable, 
pour  quiconque  a  lu  l'histoire  comparée  des  Romains  et 
des  chrétiens ,  que  les  premiers  ne  portaient  pas  plus 
d'intérêt  aux  actions  de  leurs  ancêtres,  que  ces  derniers 
aux  faits  évangéliques.  Or,  aurait-on  jamais  pu  persua- 
der aux  Romains  que  les  histoires  qui  portent  les  noms 
de  Tite-Live  et  de  Tacite  étaient  de  ces  auteurs,  si  elles 
ne  fussent  réellement  sorties  de  leur  plume?  Cependant 
jamais  ce  peuple  n'a  eu  pour  ces  écrivains  le  respect 
profond  que  les  chrétiens  avaient  pour  les  fondateurs  de 
leur  religion;  ce  qui  est  dire  qu'ils  auraient  bien  moins 
souffert  qu'on  leur  attribuât  des  écrits  qu'ils  n'auraient 
pas  composés;  car,  plus  ils  avaient  de  vénération,  de  dé- 
férence et  de  soumission  pour  leur  autorité,  plus  ils  exa- 
minaient avec  attention  si  ce  qu'on  leur  disait  venir  de 
leur  part  en  venait  réellement. 

k.  Avant  le  troisième  siècle  ,  les  apôtres  avaient  ré- 
pandu leur  prédication  dans  l'Italie,  dans  l'Egypte,  dans 
la  Grèce ,  dans  l'Asie-Mineure  et  dans  plusieurs  autres 
pays;  et  dans  chaque  région  ils  avaient  fondé  plusieurs 
églises.  Or,  n'est-ce  pas  le  comble  du  ridicule  que  d'i- 
maginer qu'un  faussaire  ait  pu  non  seulement  persua- 
der à  tant  de  sociétés  ainsi  dispersées  que  des  ouvrages 
dont  elles  n'avaient  jamais  entendu  parler  étaient  de 
leurs  premiers  fondateurs  ,  mais  encore  faire  adopter  à 
cette  multitude  innombrable  d'hommes,  en  même  temps 
et  sans  réclamation  de  la  part  d'aucun  d'eux  ,  une  im- 
posture qu'ils  avaient  tant  d'intérêt  et  de  facilité  à  dé- 
voiler? La  supposition  de  ces  livres  divins  devient  plus 
incroyable  encore,  quand  on  considère  qu'il  aurait  fallu 
les  faire  recevoir  à  plusieurs  sociétés  opposées  entre 


224  DE   t^AUTIIENTICITÉ   DÈS   ÉVANGILES. 

elles ,  à  des  sectes  ennemies  les  unes  des  autres  ;  car 
l'histoire  ecclésiastique  nous  apprend  que  dés  les  pre- 
miers siècles  il  s'est  formé  dans  le  sein  du  Christianisme 
des  hérésies  animées  d'une  haine  mortelle  contre  l'É- 
glise, qui  de  son  côté  les  condamnait  sévèrement.  Or, 
les  deux  camps  étaient  trop  ennemis  et  trop  attentifs  à 
veiller  les  uns  sur  les  autres,  pour  qu'une  fraudé  de  cette 
nature  pût  s'introduire  et  surtout  s'établir.  Si  l'un  des 
partis  avait  essayé  de  faire  passer  de  nouveaux  écrits 
sous  le  nom  des  apôtres,  l'autre  aurait-il  pu  l'ignorer  ? 
Aurait-il  voulu  le  souffrir  ?  Dira-t-on  que  l'un  des  deux 
ayant  commis  l'imposture  ,  a  eu  le  pouvoir  de  la  faire 
adopter  à  l'autre ,  ou  qu'ils  se  sont  accordés  pour  la 
commettre  ensemble?  Il  nous  semble  que  l'incrédulité 
devrait  rougir  de  se  voir  réduite  à  choisir  entre  ces 
absurdités. 

5.  Pour  avoir  même  une  simple  apparence  de  raison 
dans  leur  prétention ,  d'ailleurs  si  peu  fondée,  nos  ad- 
versaires devraient  au  moins  assigner  l'époque  où  nos 
quatre  Évangiles,  œuvre  d'un  ou  de  plusieurs  faussai- 
res, ont  été  frauduleusement  introduits  dans  le  christia- 
nisme sous  les  noms  de  Matthieu  ,  Marc ,  Luc  et  Jean . 
Or  c'est  ce  qu'ils  n'ont  jamais  pu  et  ce  qu'ils  ne  pour- 
ront jamais  faire  avec  quelque  ombre  de  probabilité  ;  et 
c'est  à  bon  droit  que  le  cardinal  de  la  Luzerne  s'écrie 
en  parlant  de  ces  incrédules  :  «  Nous  leur  portons  hau- 
tement le  défi  d'indiqi^r  un  temps  oii  la  fraude  ait  été, 
nous  ne  disons  pas  seulement  effectuée,  mais  possible. 
Assignera-t-on  le  temps  oij  les  apôtres  vivaient  encore? 
Mais  alors  il  faut  dire  que  la  supposition  s'est  faite  ou  à 
leur  insu,  ou  de  leur  consentement,  ou  de  leur  opposi- 
tion :  toutes  ces  hypothèses  se  réfutent  d'elles-mêmes. 


DE   L'aUTIIFXTICITÉ   DES   ÉVANGILES.  225 

Veut-on  que  ce  soit  après  la  mort  des  apôtres  que  les 
Évangiles  aient  été  produits  ?  D'abord  l'assertion  serait 
réfutée  par  les  témoignages  des  pères  apostoliques  que 
nous  avons  cités,  par  l'impossibilité  que  nous  avons  re- 
marquée d'abuser  tant  d'églises  différentes  ,  tant  de 
sectes  opposées.  De  plus,  les  apôtres  avaient  formé  des 
disciples,  avaient  laissé  des  successeurs  chargés  du  gou- 
vernement des  églises  :  aurait-on  pu  en  imposer  à  tous 
ces  personnages  ,  et  leur  faire  prendre  pour  des  écrits 
de  leurs  maîtres  des  ouvrages  dont  leurs  maîtres  ne  leur 
auraient  jamais  parlé?  Aurait-on  pu  les  associer  tous  à 
la  fraude,  et  les  engager  à  recevoir  tous  unanimement, 
comme  ouvrage  des  apôtres ,  des  livres  qu'ils  auraient 
su  n'être  pas  des  apôtres?  Enfin  passera-t-on  aux  âges 
suivans  pour  y  placer  la  supposition  des  Evangiles?  Plus 
on  la  recule,  plus  on  la  rend  incroyable  et  impossible. 
Un  plus  grand  nombre  de  pères  antérieurs  qui  ont  cité 
les  livres  saints  démontre  la  fausseté  de  l'assertion  ;  un 
plus  grand  nombre  d'églises  fondées  dans  des  pays  plus 
éloignés  rend  l'unanimité  plus  impraticable;  un  plus 
grand  nombre  de  sectes  rend  le  concert  plus  absurde  (1) .» 
Ainsi  le  système  de  la  supposition  frauduleuse  de  nos 
Evangiles,  déjà  déraisonnable  parce  que  personne  n'au- 
rait pu  effectuer  cette  supposition ,  l'est  encore  parce 
que  dans  aucun  temps  on  n'aurait  pu  la  faire.  Ajoutons 
qu'une  fraude  de  cette  nature  n'aurait  jamais  pu  s'in- 
troduire, quelque  précaution  qu'on  eût  prise  pour  la  te- 
nir secrète,  sans  que  les  ennemis  du  christianisme,  si 
acharnés  contre  lui  et  si  attentifs  à  saisir  toutes  les  ma- 
nières de  le  combattre,  n'en  eussent  eu  aucune  connais- 

(1)  C.  G.  de  I.a  Luzerne,  Dissert.  t.  ï,pafj.  43,  44. 

10. 


226  DE   l'authenticité  DES  ÉVANGILES. 

sanc8,  et  s'en  fussent  servis  comme  d'une  arme  propre 
à  faire  triompher  leur  cause.  Cependant  pas  une  seule 
réclamation  ne  s'est  élevée  de  leur  part.  D'un  côté  les 
Juifs,  qui  dans  une  foule  d'écrits  non  seulement  se  sont 
répandus  en  invectives  et  en  injures  sanglantes  contre 
la  religion  du  Christ,  mais  encore  lui  ont  opposé  tous 
les  argumens  que  l'esprit  humain  puisse  imaginer,  et  de 
l'autre  Celse,  Porphyre  et  Julien,  qui,  comme  nous 
l'avons  montré  plus  haut,  connaissaient  les  Evan- 
giles et  en  attaquaient  la  véracité,  n'en  ont  jamais  con- 
testé l'origine  apostolique.  Bien  plus,  Julien  les  attribue 
formellement  à  leurs  auteurs,  et  il  combat  la  divinité  du 
Sauveur  en  disant  que  ni  Paul,  ni  Matthieu,  ni  Luc,  ni 
Marc  n'en  ont  parlé ,  et  que  Jean  est  le  premier  qui  ait 
osé  la  mettre  en  avant  (1). 

Il  résulte  de  cet  exposé  que  l'origine  apostolique  de 
nos  quatre  Evangiles  se  trouve  démontrée  par  les  trois 
sortes  de  preuves  qui  servent  ordinairement  dans  la  cri- 
tique à  établir  l'authenticité  d'un  livre,  c'est-à-dire  par 
les  preuves  intrinsèques,  extrinsèques  et  indirecte.  Ajou- 
tons qu'il  n'est  pas  un  seul  livre  de  l'antiquité  profane 
qui  réunisse  autant  de  caractères  d'authenticité,  et  que 
ce  concert  de  preuves  est  si  manifeste  et  si  frappant , 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  à  former  raisonnablement  le  doute  le 
plus  léger  sur  celle  de  nos  quatre  Evangiles.  Cependant 
certains  esprits  osent  encore  s'inscrire  en  faux  contre 
cette  vérité  :  voyons  si  les  difficultés  qu'ils  opposent  à 
notre  démonstration  sont  de  nature  à  l'infirmer. 

(l)  Cyrill.  Alex.  Contra  Jitlianum,  l.  x. 


DE   l'authenticité  des  EVANGILES.  227 

DiffimJtés  j)roposées  contre  l'authenticité  des  Evangiles , 
et  Réponses  à  ces  difficultés  (1) . 

Obj.  1°  II  est  incontestable,  disent  nos  adversaires, 
que  dès  les  premiers  temps  de  l'Eglise ,  et  à  l'époque 
même  dont  datent  les  quatre  Evangiles  qui  passent  pour 
être  de  saint  Matthieu,  de  saint  Marc,  de  saint  Luc  et 
de  saint  Jean,  il  a  été  publié  une  multitude  de  livres  apo- 
cryphes sous  le  même  titre  d'Evangiles.  Fabricius,  qui 
a  recueilli  tout  ce  qu'il  a  pu  en  rassembler,  en  compte 
cinquante.  Il  est  incontestable  encore  que  chacun  de 
ces  écrits  avait  dans  le  temps  ses  partisans.  D'où  il  ré- 
sulte évidemment  que  le  témoignage  de  l'ancienne  tra- 
dition qu'on  invoque  en  faveur  des  quatre  Évangiles  re- 
çus dans  l'Eglise  chrétienne  ne  saurait  établir  solidement 
leur  authenticité. 

Rép.  Avant  de  répondre  directement  à  l'objection , 
nous  devons  faire  quelques  observations  sur  les  Evan- 
giles et  autres  livres  apocryphes. Premièrement,  on  ap- 
pelle ordinairement  apocryphçs  des  ouvrages  qui  ne  sont 
pas  des  auteurs  dont  ils  portent  les  noms  ;  mais  dans  la 
matière  que  nous  traitons ,  on  a  compris  sous  ce  mot 
généralement  tous  les  écrits  composés  sous  des  titres 
semblables  à  ceux  des  livres  sacrés  du  Nouveau-Testa- 
ment; de  sorte  que  le  mot  apocryphes  a  réellement  ici 
deux  sens  bien  différens,  l'un  qui  veut  dire ,  en  parlant 
d'un  livre  ,  qu'il  porte  faussement  le  nom  d'un  écrivain 
qui  n'en  est  effectivement  pas  l'auteur,  et  l'autre  qu'il 

(1)  On  peut  consulter,  outre  l'ouvrage  du  cardinal  de  La  Luzerne 
que  nous  venons  de  citer,  La  certitude  des  preuves  du  christianisme  y 
part,  I,  par  Bergier,  et  l'Autorité  des  livres  du  iV.  T.,  par  Du  Voisin. 


238  DE  l'authenticité  DES  ÉVANGILES. 

n'a  point  été  composé  sous  l'inspiration  divine ,  c'est-à- 
dire  que  ce  n'est  pas  un  livre  inspiré.  Or, il  est  bien  im- 
portant de  distinguer  dans  lequel  de  ces  deux  sens  l'on 
prend  ce  mot,  lorsqu'on  dit  d'un  Évangile  qu'il  est  apo- 
cryphe. En  second  lieu,  parmi  les  Évangiles  que  l'on 
appelle  apocryphes,  les  uns,  catholiques,  ont  été  compo- 
sés dans  des  vues  droites  et  pieuses  par  des  chrétiens, 
qui  ayant  recueilli  par  écrit  ce  qu'ils  avaient  entendu , 
soit  des  apôtres,  soit  de  leurs  disciples,  croyaient  pou- 
voir donner  àleurs  écrits  le  nom  à' Evangile;  mais  comme 
ils  n'avaient  pas  écrit  sous  l'inspiration  divine,  leurs  com- 
positions, sans  être  rejetées  comme  des  ouvrages  mau- 
vais ou  vicieux,  ni  reçues  avec  le  respect  qu'on  porte  aux 
livres  inspirés,  étaient  pourtant  considérées  comme  des 
écrits  ecclésiastiques.  Il  est  assez  vraisemblable  que  les 
auteurs  de  ces  Évangiles  leur  avaient  donné  les  noms 
des  différens  apôtres  qui  les  avaient  instruits  ;  d'où  est 
venu  le  titre  d'Evangile  de  saint  Pierre ,  d'Evangile  de 
saint  Ândréf  etc.  Les  autres  Évangiles  apocryphes  ve- 
naient des  hérétiques,  soit  qu'ils  eussent  été  entièrement 
composés  par  des  sectaires,  comme  ['Evangile  de  laj^er- 
fection,  l'Evangile  d'Eve,  etc. ,  soit  que  ce  fassent  des 
ouvrages  qui,  primitivement  rédigés  par  les  fidèles  d'a- 
près la  prédiction  des  apôtres  ou  de  leurs  disciples  , 
avaient  été  ensuite  altérés  par  les  hérétiques  et  adaptés 
à  leurs  erreurs,  mais  en  conservant  cependant  les  noms 
des  apôtres,  qu'ils  portaient  déjà,  parce  que  ces  noms 
pouvaient  leur  donner  plus  de  crédit  et  d'autorité  ;  tels 
sont  les  Evangiles  de  saint  Pierre^  de  saint  Thomas  y  etc. 
—  Après  ces  observations,  nous  répondrons  :  l-^  Nous 
n'avons  rien  de  certain  sur  le  temps  où  ont  été  com- 
posés les  Évangiles  catholiques,  bien  qu'ils  paraissent 


DE  l'authenticité  dks  évangiles.  $29 

très-anciens  ;  car  il  y  a  toute  apparence  que  c'est  de 
ces  écrits  apocryphes  que  parle  saint  Luc  au  commen- 
cement de  son  Evangile,  lorsqu'il  dit  que  plusieurs  ont 
entrepris  d'écrire  l'histoire  des  choses  qui  se  sont  passées 
de  son  temps.  —  2"  Il  est  certain  que  les  Evangiles  apo- 
cryphes des  hérétiques  n'ont  été  composés  qu'après  ceux 
de  nos  trois  premiers  évangélistes.  Hégésippe,  historien 
ecclésiastique  qui  vivait  au  milieu  du  second  siècle,  fait 
remonter  l'origine  des  hérésies  à  un  certain  Thébutis, 
qui  travailla  secrètement  à  répandre  l'erreur  dans  l'É- 
glise dès  l'an  G2  (1).  Saint  Irénée  atteste  que  les  héré- 
tiques sont  de  beaucoup  postérieurs  aux  évêques  à  qui 
les  apôtres  avaient  confié  les  églises  (2).  Enfin  Clément 
d'Alexandrie  dit  en  propres  termes  que  les  hérésies  fu- 
rent imaginées  seulement  sous  l'empire  d'Adrien  (3). 
Quant  aux  cinquante  écrits  apocryphes  cités  par  Fabri- 
cius,  ce  critique  les  a  réduits  lui-même  à  quarante,  et 
ils  peuvent  sans  contredit  se  réduire  encore  à  un  nom- 
bre moindre ,  vu  que  plusieurs  d'entre  eux  ne  diffèrent 
que  par  l'intitulé,  et  que  d'un  autre  côté  quelques  Évan- 

(1)  Hegesip.  apudEnseh.Hist.  Eccl.  l.  iv,  c.  xxii. 

{Vilren.Adv.yiœres.l.  v,  c.  xx,  n.  1.  Voici  les  propres  paroles  de 
saint  Irénùe  :  «  Omnes  enim  ii  valde  posteriores  sunt  quam  epis- 
copi  quibus  apostoli  tradiderunt  ecclesias  :  et  hoc  in  tertio  liiiro 
cum  omni  diligentla  manifestavinius.»  En  supposant,  ce  qui  paraît 
incontestable,  que  les  hérétiques  soient  postérieurs  au  temps  où  les 
apôtres  confièrent  les  églises  à  leurs  successeurs,  et  non  point  préci- 
sément à  l'époque  de  leur  mort,  puisqu'il  est  prouve  par  saint  Irt-née 
lui-même  {lib.  m),  et  par  plusieurs  monumens  ecclésiastiques,  que 
saint  Polycarpe,  par  exemple,  a  vécu  en  même  temps  que  Basilide, 
Valentin,  Marcion,  etc.,  notre  preuve  n'en  conserve  pas  moins  toute 
sa  force. 

(3)  Glcm.  hXcx.Slromat,  L  vit;  c.  xvii. 


2.30  DE  l'authenticité  DES  ÉVANGILES. 

giles ,  primitivement  canoniques ,  ayant  été  interpolés 
dans  la  suite  par  des  hérétiques  de  sectes  différentes , 
ont  pris  les  divers  noms  de  ces  sectaires  et  ont  été  con- 
sidérés comme  formant  des  évangiles  différens.  Ainsi', 
par  exemple,  l'original  hébreu  de  saint  Matthieu  ayant 
été  altéré  par  les  additions  des  nazaréens,  est  devenu 
V Evangile  des  Nazaréens,  l'Evangile  des  Hébreux,  VE- 
vangile  des  Syriens.  D'une  autre  part,  ce  même  ouvrage 
de  saint  Matthieu,  corrompu  et  mutilé  par  les  ébionites, 
a  pris  le  nom  de  ces  hérétiques  et  celui  de  Gérinthe.  On 
peut  même  assurer  qu'il  n'est  pas  différent  ni  de  celui 
qui  passe  sous  le  nom  de  Barthélemi ,  parce  que  cet 
apôtre  porta  l'Evangile  hébreu  de  saint  Matthieu  dans 
les  Indes ,  d'où  Pantène  le  rapporta  à  Alexandrie  (1) , 
ni  de  ceux  de  Barnabe  et  des  douze  apôtres.  Quant  à 
l'Evangile  de  saint  Pierre,  c'est  celui  de  saint  Marc  in- 
terpolé par  les  docètes  :  c'est  aussi  l'ancien  Evangile 
des  Égyptiens.  De  même  l'Evangile  de  Marcion  n'était 
autre  que  celui  de  saint  Paul ,  et  ces  deux  représentaient 
l'Évangile  de  saint  Luc  mutilé.  D'un  autre  côté ,  l'É- 
vangile des  encratites  ne  différait  pas  de  celui  de  Ta- 
tien,  qui,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  avait  com- 
posé une  sorte  de  concordance  tirée  de  nos  quatre 
Évangiles,  d'où  il  avait  retranché  ce  qui  était  contraire 
à  ses  fausses  doctrines.  Enfin  il  y  a  toute  apparence  que 
les  Évangiles  des  valentiniens,  des  gnostiques,  des  ba- 
silidiens,  n'étaient  au  fond  que  celui  de  saint  Jean,  mais 
altéré  de  différentes  manières  (2).  Quoi  qu'il  en  soit, 

(1)  Eusèbe,  Hist.  Eccl.  l.  v,  c.  x,  et  Hieronjm.  Catalog.  c.  xxxvi. 

(2)  On  peut  consulter  sur  celte  matière,  Cotelerius,  Patres  uposio- 
lici,  t.  i.Giâhc,  Spicilegiiim,  t.  i.  Fabricius,  Codex  apocryphus IV.  T, 


DE   l'authenticité   DES  ÉVANGILES.  231 

cette  multiplicité  d'Evangiles  s'explique  facilement  en 
partie  par  l'abus  du  nom  même  d'évangile,  qui,  signi- 
fiant en  grec  bonne,  heureuse  nouvelle,  a  été  donné  dans 
les  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne  non  seulement 
aux  Evangiles  proprement  dits,  mais  encore  à  tous  les 
autres  livres  du  Nouveau-Testament ,  aux  histoires  de 
JÉscs-CiiRiST  et  de  la  très-sainte  Vierge,  et  même  aux 
professions  de  foi  et  aux  livres  dogmatiques  et  moraux 
des  hérétiques.  Elle  s'explique  encore  par  la  simplicité 
des  chrétiens ,  qui ,  comme  nous  venons  de  le  dire , 
croyaient  pouvoir  donner  le  nom  d'Evangiles  aux  écrits 
qu'ils  composaient.  Enfin  elle  s'explique  par  la  malice 
des  hérétiques ,  qui  à  l'aide  d'Évangiles  fabriqués  ou 
falsifiés  ,  cherchaient  à  établir  et  à  propager  leurs  er- 
reurs. —  3°  On  nous  objecte  que  les  Evangiles  apocry- 
phes ont  eu  anciennement  leurs  partisans.  Cette  asser- 
tion exige  quelques  explications.  S'il  s'agit  des  livres 
des  hérétiques,  nous  dirons  :  Il  est  tout  naturel  qu'ils 
aient  eu  quelques  partisans  ;  c'étaient  des  ouvrages  de 
parti;  mais  ils  n'avaient  de  fauteurs  que  dans  la  secte  à 
laquelle  ils  appartenaient ,  et  ils  comptaient  pour  ad- 
versaires tout  le  reste  des  chrétiens ,  soit  catholiques , 
soit  hétérodoxes,  qui  d'un  accord  unanime  les  rejetaient 
comme  faux  et  supposés.  Ajoutons  que  toutes  les  an- 
ciennes hérésies  n'ayant  eu  qu'une  existence  très-courte, 
leurs  Evangiles  sont  tombés  avec  elles,  et  il  n'est  plus 
resté  personne  qui  ne  fût  convaincu  de  la  fausseté.  S'il 

Birch,  Auctarium  codicis  apocrijphi  N.  T.  Fabriciani.  Jean-Charles 
Thilo,  professeur  à  l'université  de  Halle,  a  recueilli  tous  les  évangiles 
apocryphes  qui  sont  parvenus  jusqu'à  nous,  et  en  a  donné  une  édi- 
tion faite  d'après  les  manuscrits,  les  versions,  et  les  citations  des  au- 
teurs ecclésiastiques  qui  les  ont  connus  {Leipzig,  1832). 


232  DE  L'AtJïnÉNtîCltÉ  DES  ÉVANGILES. 

est  question  des  Évangiles  apocryphes  catholiques,  nous 
dirons  également  qu'il  est  tout  simple  qu'ils  aient  eu 
aussi  des  partisans  ;  car  ces  sortes  d'écrits  étaient  con- 
formes, du  moins  sur  les  faits  principaux,  à  nos  quatre 
Évangiles,  et  ils  composaient  par  conséquent  des  histoi- 
res véritables  pour  le  fond  et  quant  aux  événemens  les 
plus  importans. — k"  Il  est  facile  maintenant  de  montrer 
toute  la  fausseté  de  la  conclusion  de  nos  adversaires , 
savoir  que  le  témoignage  de  l'ancienne  tradition  qu'on 
invoque  en  faveur  des  quatre  Évangiles  reçus  dans  l'É- 
glise chrétienne  ne  saurait  établir  solidement  leur  au- 
thenticité. Et  d'abord  les  Évangiles  liérétiques  n'ont  ja- 
mais eu  qu'un  très-petit  nombre  de  défenseurs,  et  ils  ont 
disparu  comme  non  authentiques  avec  les  sectes  aux- 
quelles ils  devaient  leur  origine.  Pendant  leur  courte 
existence,  ils  ont  été  sans  cesse  attaqués  et  combattus  , 
tant  par  les  chrétiens  orthodoxes  que  par  les  hétérodoxes 
eux-mêmes,  comme  ayant  été  fabriqués,  en  tout  ou  en 
partie  ,  uniquement  pour  accréditer  quelque  secte  par- 
ticulière. Tandis  qu'au  contraire  nos  quatre  Évangiles, 
reconnus  pour  authentiques  dès  les  premiers  temps  par 
l'Église  universelle  déjà  répandue  dans  la  Judée,  dans 
r Asie-Mineure,  dans  la  Grèce  et  dans  l'Italie,  et  dans 
beaucoup  d'autres  pays,  ont  traversé  toutes  les  généra- 
tions suivantes,  non  seulement  sans  perdre  ce  titre,  mais 
en  recueillant  à  chaque  siècle  de  nouveaux  témoigna- 
ges. Bien  plus,  et  nous  l'avons  prouvé  dans  le  dévelop- 
pement de  notre  proposition ,  les  premières  hérésies , 
qui  ne  les  admettaient  pas,  n'en  ont  jamais  nié  l'origine 
authentique,  elles  en  ont  seulement  contesté  la  véracité. 
Quant  aux  apocryphes  catholiques, on  ne  les  a  regardés 
comme  des  livres  inspirés  et  on  ne  les  a  révérés  à  l'é- 


DR    L'AUTIlFXTTCltÉ  DKS   ÉVÂNCILES.  233 

gai  des  nôtres  dans  l'Église  chrétienne  à  aucune  épo- 
que. Et  ici ,  nous  portons  hautement  le  défi  à  nos  ad- 
versaires de  nommer  un  seul  auteur  ecclésiastique  qui 
leur  ait  attribué  une  telle  autorité;  on  les  a  reconnus 
pour  des  ouvrages  dont  la  lecture  pouvait  édifier  :  voilà 
tout.  Et  jamais  les  incrédules  que  nous  combattons  ici 
ne  prouveront  que  les  saints  docteurs  de  l'Église  sont 
allés  plus  loin;  qu'ils  regardaient,  par  exemple,  comme 
écrits  par  les  apôtres  ceux  de  ces  Évangiles  qui  por- 
taient faussement  leur  nom.  Dans  les  premiers  siècles , 
comme  à  présent,  beaucoup  de  personnes  croyaient  que 
l'Épître  de  saint  Barnabe  n'était  pas  de  lui,  et  cepen- 
dant ces  mômes  personnes  la  recevaient  comme  un  livre 
utile  et  propre  à  édifier.  De  plus,  si  les  premiers  chré- 
tiens, trompés  par  les  titres  des  faux  Évangiles,  les 
avaient  reçus  pour  authentiques  et  traités  avec  ce  res- 
pect, cette  vénération  profonde  qu'ils  témoignaient  pour 
les  quatre  que  nous  possédons,  pourquoi  les  auraient- 
ils  laissé  périr  ou  tomber  dans  le  discrédit"?  Pourquoi 
ne  les  auraient-ils  pas  fait  passer,  ainsi  que  ces  derniers, 
aux  générations  suivantes,  comme  un  dépôt  aussi  sacré 
et  aussi  précieux?  Pourquoi  la  tradition  ne  nous  aurait- 
elle  pas  transmis  les  uns  avec  les  autres  (1)?  Enfin,  et 
d'après  surtout  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'ici ,  nous 
pouvons  affirmer  avec  Bergier  :  «L'histoire  des  faux 
Evangiles  démontre  l'authenticité  des  nôtres.  1°  Les  au- 
teurs mêmes  de  ces  faux  Évangiles  avouent  cette  au- 
thenticité ou  la  supposent,  malgré  l'intérêt  qu'ils  avaient 
de  la  nier  pour  mieux  établir  leurs  erreurs  :  on  vient  de 

(1)  August.  Contra  advers.  îefjis  et  prophel.  l.  \,  c.  x,  n.  38,  et  De 
Civit.  Dei.  l.  x,  c.  xxiii,  n.  4. 


2  34  DE   l'authenticité   DES   ÉVANGILES. 

le  prouver.  2°  La  conformité  des  faux  Evangiles  avec  les 
nôtres  en  plusieurs  points  n'a  pu  imposer  aux  catholi- 
ques; ils  les  ont  rejetés  dès  qu'ils  ont  vu  qu'on  n'avait 
pas  des  attestations  suffisantes  de  leur  origine.  Donc,  au 
contraire ,  ils  n'ont  conservé  les  nôtres  que  parce  que 
les  églises  fondées  par  les  apôtres  ont  attesté  unanime- 
ment qu'elles  les  avaient  reçus  de  leurs  fondateurs.  On 
ne  pouvait  donc  apporter  plus  de  précautions  dans  le 
discernement  des  Évangiles.  L'histoire  des  faux  Evan- 
giles prouve  donc  que  les  nôtres  ne  sont  point  suppo- 
sés, et  qu'ils  n'ont  pas  pu  l'être  (1).  »  Ainsi  les  Évangiles 
apocryphes,  soit  hérétiques,  soit  catholiques,  ne  sau- 
raient s'appuyer  sur  le  témoignage  de  l'ancienne  tradi- 
tion, comme  nos  quatre,  qui  ont  toujours  unanimement 
passé  pour  authentiques,  ni  par  conséquent  infirmer  la 
preuve  que  nous  tirons  du  témoignage  de  cette  même 
tradition  en  faveur  de  leur  authenticité. 

Obj.  2"  On  ne  peut  tirer  des  citations  des  pères  apo- 
stoliques aucune  preuve  en  faveur  de  l'authenticité  des 
quatre  Évangiles,  disent  encore  nos  adversaires,  vu  que 
ces  pères  ne  les  ont  jamais  désignés  par  leurs  noms , 
tandis  qu'ils  ont  cité  au  moins  sept  passages  des  Évan- 
giles apocryphes,  et  qu'après  tout,  ils  peuvent  avoir  fait 
leurs  citations,  non  point  d'après  des  ouvrages  écrits  , 
mais  d'après  la  tradition  orale. 

jRép.  Cette  objection  renferme  trois  assertions  bien 
distinctes ,  savoir  que  les  pères  apostoliques  n'ont  pas 
nommé  nos  évangélistes,  que  ces  mêmes  pères  ont  cité 
au  moins  sept  passages  des  Évangiles  apocryphes ,  et 

(1)  r.ergier,  La  certitude  des  preuves  du  christianisme,  pari,  i, 
ch.  I,  §  6. 


DE   L'aLTIIENTICITÉ   DES   ÉVANGILES.  235 

enfin  qu'ils  pouvaient  avoir  appris  par  tradition  les  pa- 
roles de  Jésus-Christ,  qu'ils  citent  sans  les  avoir  pui- 
sées dans  des  livres.  Montrons  la  fausseté  de  chacune 
de  ces  assertions,  et  surtout  de  la  conséquence  peu  lé- 
gitime qu'on  en  déduit.  1°  D'abord  il  est  faux  de  dire 
que  les  pères  apostoliques  n'ontpas  désigné  nommément 
nos  évangélistes,  nous  avons  vu  plus  haut  (pag.  182,183) 
Papias  nommer  expressément  saint  Matthieu  et  saint 
Marc.  Supposons  même  qu'ils  ne  les  aient  jamais  dési- 
gnés ,  on  aurait  encore  tort  d'en  conclure  qu'ils  n'ont 
pas  cité  leurs  écrits  ;  car  ces  mêmes  pères  ont  rapporté 
plusieurs  passages  incontestablement  reconnus  pour  être 
de  l'Ancien-Testament,  sans  toutefois  dire  de  quel  livre 
ils  les  avaient  empruntés.  D'ailleurs,  qui  peut  ignorer 
qu'il  n'est  guère  utile  de  désigner  nommément  le  livre 
que  l'on  cite  que  dans  les  discussions  de  polémique, 
où  il  faut  montrer  la  fidélité  des  citations  ?  Or  les  écrits 
des  pères  apostoliques  étaient  simplement  des  leçons  de 
morale,  des  exhortations  pieuses,  et  nullement  des  dis- 
putes ;  ils  rappelaient  les  textes  sacrés  à  des  chrétiens 
qui  les  connaissaient;  aussi  saint  Clément  et  saint  Po- 
lycarpe  disent-ils  quelquefois  aux  fidèles  quand  ils  leur 
citent  l'Ecriture,  de  s'en  souvenir.  lien  est  tout  autre- 
ment dans  les  ouvrages  de  saint  Irénée,  de  Tertullien, 
d'Origène  et  de  leurs  successeurs  ,  qui  avaient  à  soute- 
nir des  controverses  contre  les  hérétiques.  Au  reste, 
cette  différence  dans  la  manière  de  citer  suivant  la  dif- 
férence du  genre  d'écrire  est  tellement  dans  la  nature, 
qu'à  toutes  les  époques  de  l'histoire  ecclésiastique  nous 
la  voyons  fidèlement  observée,  et  que  de  nos  jours  même 
les  prédicateurs  rapportent  communément  des  passages 
de  l'Écriture  sans  dire  à  quels  livres  ils  les  ont  puisés, 


530  DE   L*AUTIIENtlClTl?   DES   ÉVANGILeS. 

tandis  que  les  écrivains  polémiques  suivent  la  méthode 
contraire.  Ainsi ,  quand  bien  même  les  pères  apostoli- 
ques, lorsqu'ils  ont  cité  nos  Evangiles,  n'auraient  pas 
nommé  une  seule  fois  nos  évangélistes,  il  ne  s'ensuivrait 
point  que  leurs  citations  viennent  d'une  autre  source.  Il 
est  vrai  que  ces  pères  ne  rapportaient  ordinairement  pas 
textuellement  les  paroles  évangéliques  ;  mais  cette  ma- 
nière ne  leur  était  pas  exclusivement  propre,  puisque 
saint  Justin  ,  que  nos  adversaires  avouent  avoir  connu 
et  employé  nos  Evangiles ,  ne  les  cite  le  plus  souvent 
que  quant  au  sens,  et  n'en  rapporte  presque  jamais  les 
textes  à  la  lettre.  D'ailleurs  ils  seraient  bien  mal  avisés 
d'insister  sur  cet  argument,  puisque  noui  aurions  droit 
de  le  tourner  contre  eux  dans  la  seconde  partie  de  leur 
objection,  comme  on  va  le  voir  immédiatement. —  2°  Les 
sept  passages  qui ,  selon  nos  adversaires ,  auraient  été 
tirés  d'Évangiles  apocryphes,  se  trouvent,  un  dans  saint 
Paul,  quatre  dans  le  pape  saint  Clément ,  un  autre  dans 
saint  Barnabe,  un  septième  enfin  dans  saint  Ignace.  Exa- 
minons-les successivement  l'un  après  l'autre.  Saint  Paul 
dit  donc  dans  les  Actes  (xx,  35  )  :  «  Il  faut  avoir  soin 
des  infirmes,  et  se  souvenir  des  paroles  du  Seigneur  JÉ- 
SUS ;  car  il  a  dit  :  Il  est  plus  heureux  de  donner  que  de 
recevoir.  »  Voici  à  ce  sujet  le  raisonnement  de  nos  ad- 
versaires :  Ces  paroles  ne  se  lisant  pas  dans  les  quatre 
Évangiles  que  nous  possédons ,  il  faut  nécessairement 
qu'elles  aient  été  tirées  de  quelqu'un  des  apocryphes. 
Mais  toutes  les  paroles  de  Jésus-Christ,  pas  plus  que 
tous  ses  miracles,  n'ont  été  écrites  :  pourquoi  donc  l'A- 
pôtre n'aurait-il  pas  pu  apprendre  celles-ci  par  la  tra- 
dition et  les  rapporter  de  mémoire  ?  N'est-il  pas  possi- 
ble encore  qu'il  fosse  allusion  à  ce  que  ce  divin  Sauveur 


DE   l'authenticité   DES  ÉVANGILES.  237 

a  si  souvent  répété  sur  le  devoir  de  faire  l'aumône  et 
sur  le  bonheur  de  ceux  qui  pratiquent  les  œuvres  de  mi- 
séricorde ?  Saint  Clément  dit  dans  sa  première  Épître 
(n.23):  «Malheureux  sont  ceux  qui  ont  l'esprit  dou- 
ble et  incertain;  qui  disent  :  Nous  avons  entendu  aussi 
CCS  choses  de  nos  pères,  et  voilà  que  nous  avons  vieilli 
et  que  rien  de  cela  ne  nous  est  arrivé.  »  Dans  la  se- 
conde (n.  11),  le  même  pape  dit  :  «Malheureux  sont 
ceux  qui  ont  l'esprit  double  et  le  cœur  incertain;  car  ils 
disent  :  Nous  avons  entendu  aussi  toutes  ces  choses  de 
nos  pères,  et  cependant,  en  attendant  de  jour  en  jour, 
nous  n'en  avons  rien  vu.  »  Or  c'est  sans  fondement  que 
nos  adversaires  veulent  recourir  ici  à  des  Evangiles  apo- 
cryphes que  nous  ne  connaissons  pas,  et  dont  nous  n'a- 
vons même  aucun  fragment.  D'ailleurs  ils  se  trouvent  en 
contradiction  formelle  avec  leur  propre  principe ,  en 
vertu  duquel  ils  regardent  comme  n'appartenant  pas  à 
nos  Évangiles  canoniques  toute  citation  qui  n'est  point 
accompagnée  du  nom  de  l'évangéliste.  D'autant  plus  que 
saint  Clément  ne  dit  pas  que  ces  passages  soient  tirés  de 
quelqueEvangile,  mais  d'un  endroit  de  l'Ecriture  [Scrip- 
tura  illa  ubi  dicit) ,  d'un  discours  prophétique  [dicit  enim 
sermo  propheticus).  Or  ils  se  trouvent  en  grande  partie 
dans  l'Ecriture  (1),  et  surtout  dans  la  secondeEpître  de 
saint  Pierre  (m,  3,  i),  où  nous  lisons  :  «Sachez  avant 
toutes  choses  qu'aux  derniers  temps  il  viendra  des  rail- 
leurs pleins  d'artifice  qui  suivront  leurs  propres  pas- 
sions ,  et  qui  diront  :  Où  est  sa  promesse  ?  où  est  son 
avènement?  Car  depuis  que  nos  pères  se  sont  endormis, 
toutes  choses  persévèrent  dans  le  même  état  où  elles 

(1)  Compar.  Jes,  v,  i9.  Eccl.  v,  1  seq.  Jac.  i,  8  ;  iv,  8. 


238  DE    l'authenticité   DES   ÉVANGILES. 

étaient  au  commencement  du  monde.  »  On  objectera 
sans  doute  que  les  paroles  de  l'Apôtre  sont  difîérentes 
de  celles  de  saint  Clément  ;  mais  ce  pape  citait  de  mé- 
moire, et  s'occupait  moins  des  termes  que  du  fond  des 
choses  ;  les  deux  passages  même  dont  il  s'agit  nous  en 
offrent  une  preuve  irrécusable  ,  puisque  le  même  texte 
rapporté  dans  les  deux  épîtres  s'y  trouve  reproduit  dans 
des  expressions  différentes.  La  troisième  citation  de  saint 
Clément,  qu'on  prétend  être  tirée  des  Evangiles  apo- 
cryphes ,  est  celle-ci  :  a  II  nous  dit  donc  :  Gardez  votre 
chair  et  votre  sceau  sans  tache ,  afin  que  vous  receviez 
la  vie  éternelle  (Epist.  ii,  n.  8).»  Mais  d'abord  saint 
Clément  n'attribue  nullement  ces  paroles  à  JÉsus- 
CiiRiST  ;  c'est  une  conséquence  qu'il  tire  lui-même  de 
la  doctrine  du  Sauveur,  dont  il  vient  de  rapporter  un 
précepte.  Et,  en  effet,  immédiatement  avant  ces  paroles, 
nous  lisons  :  «Car  le  Seigneur  dit  dans  l'Evangile:  Si 
vous  n'avez  pas  conservé  une  petite  somme,  qui  vous  en 
confiera  une  grande?  Car  je  vous  le  dis ,  celui  qui  est 
fidèle  dans  les  petites  choses  est  fidèle  aussi  dans  les 
grandes  (Matth.xxv,15etsuiv.  Luc.xvi,10  et  suiv.).» 
La  quatrième  citation  de  saint  Clément,  qu'on  allègue 
comme  étant  tirée  d'un  Evangile  apocryphe ,  est  ainsi 
conçue:  «Le  Seigneur  ayant  été  interrogé  sur  le  temps 
auquel  arriverait  son  règne,  répondit  :  Lorsque  deux  ne 
feront  qu'un  ;  lorsque  ce  qui  est  dehors  sera  comme  ce 
qui  est  dedans ,  et  que  le  mâle  étant  avec  la  femelle,  il 
n'y  aura  plus  ni  mâle  ni  femelle  (Epist.  ii,  n.  12).  » 
Clément  d'Alexandrie  dit  en  effet,  en  rapportant  de  sem- 
blables paroles ,  comme  une  objection  faite  par  Julius 
Cassien  ,  chef  de  l'hérésie  des  docètes  ,  qu'elles  ne  se 
trouvent  point  dans  nos  quatre  Evangiles  ,  mais  dans 


DE  l'authenticité   DES   ÉVANGILES.  239 

celui  des  Égyptiens  (1).  Nous  dirons,  par  rapport  à  cette 
citation,  qu'il  est  très-possible  aussi  que  le  pape  saint 
Clément  ait  appris  par  tradition  cette  réponse  de  Jé- 
sus-Christ ;  d'autant  plus  qu'il  ne  dit  nullement  que 
ce  soit  dans  un  Évangile  ni  même  dans  un  livre  quelcon- 
que qu'il  l'ait  puisée  :  ce  qu'il  fait  cependant  assez  sou- 
vent dans  ses  citations.  Cette  supposition  se  trouve  en- 
core confirmée  par  une  remarque  de  Grabe,  qui  dit  que 
la  réponse  du  Sauveur,  que  son  règne  arriverait  lors- 
que le  mâle  étant  avec  la  femelle,  il  n'y  aurait  plus  ni 
mâle  ni  femelle,  semble  insinuer  ce  qu'il  a  exprimé  en 
termes  les  plus  clairs  dans  notre  Évangile  canonique  de 
saint  Luc  (xx,  35);  savoir  que  ceux  qui  seront  jugés 
dignes  d'avoir  part  à  cet  (autre)  siècle  et  à  la  résurrec^ 
tien  des  morts,  ne  se  marieront 'plus  et  n  épouseront  plus 
de  femmes  (2)  ;  car  si  cette  observation  est  fondée  (  et 
comment  prouverait-on  qu'elle  ne  l'est  pas  ?  ) ,  il  en  ré- 
sulte nécessairement  que  la  substance  de  la  citation  du 
pape  Clément  se  trouve  dans  un  de  nos  Évangiles.  Or, 
qu'y  aurait-il  alors  d'étonnant  que  ce  saint  pontife  eût 
appris  le  reste  par  tradition,  et  que  la  réponse  entière 
duSeigneur  se  soit  conservée  dans  l'Évangile  des  Egyp- 
tiens? Quant  à  la  citation  de  saint  Barnabe  :  «  Comme 
dit  le  Fils  de  Dieu:  Résistons  à  toute  iniquité,  et  ayons- 
la  en  aversion  (Epist.  n.k),  citation  qu'on  prétend  être 
tirée  d'un  Évangile  apocryphe,  nous  pourrions  à  notre 
tour  douter  de  son  authenticité,  puisqu'elle  ne  se  trouve 
point  dans  le  texte  grec  de  cette  Épître,et  qu'elle  se  lit 

(1)  Clem.  Alex.  Slromat.  l.  m,  c.  xiii. 

(2)  Hieronyra.  Catalog,  mb  voc.    Ig^'at.   et   Comment,     in  Jes. 
l.  xvni. 


240  DE  L  AUTHENTICITE    DES   ÉVANGILES. 

seulement  dans  une  ancienne  version  latine  qui  n'a 
inspiré  aux  critiques  qu'une  assez  faible  confiance  :  ce- 
pendant, outre  cette  réponse,  nous  en  avons  une  autre 
à  opposer  à  l'objection.  Non  seulement  il  est  possible 
que  saint  Barnabe  ait  cité  cet  oracle  du  Sauveur  par 
tradition,  mais  le  fait  paraît  constant  ;  car,  qu'on  par- 
coure avec  attention  toutes  les  citations  bibliques  de  ce 
saint,  et  dans  un  si  grand  nombre  on  n'en  trouvera  pas 
une  seule  qu'il  n'indique  d'une  manière  plus  ou  moins 
expresse  être  tirée  de  quelque  livre  de  l'Ecriture.  Or, 
pourquoi  voudrait- on  qu'il  en  ait  usé  tout  autrement 
par  rapport  à  ce  passage  unique?  On  aurait  d'autant 
moins  raison  de  le  faire,  qu'il  se  trouve  immédiatement 
précédé  et  suivi  de  deux  citations  accompagnées  de  la 
formule  :  l'Ecriture  dit  [dicit  enim  Scriptura),  par  où 
l'écrivain  fait  connaître  assez  clairement ,  ce  semble , 
que  s'il  a  supprimé  cette  formule  pour  ce  passage  seu- 
lement ,  c'est  qu'il  ne  prétendait  pas  le  donner  conime 
emprunté  d'un  ouvrage  écrit.  Et  qu'on  ne  dise  pas  que 
saint  Barnabe  a  voulu  par  là  mettre  une  différence  en- 
tre les  citations  de  l'Ancien-Testament  et  du  Nouveau, 
puisque  en  rapportant  textuellement  le  passage  de  saint 
Matthieu  (  xxii ,  H)  :  il  \j  a  beaucoup  d'appelés,  mais 
peu  d'élus  ,  il  emploie  la  formule  dont  il  se  sert  aussi 
dans  les  citations  de  l'Ancien-Testament  :  Comme  il  est 
écrit  [sicut  scriptum  est).  Enfin,  nos  adversaires  don- 
nent comme  tiré  d'un  Évangile  apocryphe  le  passage 
suivant  de  saint  Ignace  :  «Lorsqu'il  vint  à  ceux  qui 
étaient  avec  Pierre,  il  leur  dit:  Prenez,  et  touchez-moi, 
et  voyez  que  je  ne  suis  pas  un  esprit  [dœmonium]  sans 
corps  (Epist.  ad  Smyrn.  n.  3).  »  Saint  Jérôme,  à  la  vé- 
rité, nous  apprend  que  ces  paroles  se  trouvaient  dans 


DE   L  AUTHENTICITÉ   DES   ÉVANGILES.  241 

l'Evangile  des  Hébreux  (1)  ;  mais  cela  ne  prouve  pas 
précisément  que  c'est  à  cette  source  que  saint  Ignace  les 
a  puisées.  N'avait-il  donc  pu  les  apprendre  de  la  tradi- 
tion ?  Est -il  impossible  aussi  que  le  saint  docteur  les 
ayant  rapportées  comme  les  tenant  de  cette  même  tra- 
dition, les  Hébreux  les  aient  inscrites  dans  leur  Évan- 
gile, en  se  fondant  sur  l'autorité  de  ce  père?  Enfin,  elles 
peuvent  très-bien  venir  de  ce  passage  de  saint  Luc  ra- 
contant le  même  fait  :  «  Touchez  ,  et  considérez  qu'un 
esprit  n'a  pas  de  la  chair  et  des  os  comme  vous  voyez 
que  j'en  ai  (xxiv,  39).  »  C'est  du  moins  le  sentiment  de 
plusieurs  critiques  habiles  même  protestans,  tels  que 
Casaubon,  Leclerc,  Pearson  ,  Lardner  ;  et  nos  adver- 
saires seraient  fort  en  peine  de  leur  donner  un  démenti 
fondé.  Ainsi  la  seconde  assertion  de  nos  adversaires  se 
réduit,  en  dernière  analyse,  à  dire  que  deux  citations 
seulement,  l'une  de  saintClément,  l'autre  de  saint  Ignace, 
sont  conformes  à  deux  passages  que  nous  savons  s'être 
trouvés  ,  celui-là  dans  l'Évangile  des  Égyptiens,  et  ce- 
lui-ci dans  l'Évangile  des  Hébreux.  Mais  on  ne  saurait 
rien  en  conclure  contre  l'authenticité  des  quatre  Évan- 
giles actuels ,  à  moins  qu'on  ne  prouvât  que  ces  cita- 
tions n'ont  point  été  faites  d'après  une  tradition,  ou  pri- 
ses, quant  au  fond  et  à  la  substance,  de  nos  évangélistes, 
et  qu'en  les  puisant  dans  les  Évangiles  apocryphes,  les 
saints  docteurs  ont  attribué  à  ces  écrits  supposés  l'au- 
torité d'écrits  authentiques.  Or  nous  venons  de  renver- 
ser les  deux  premières  hypothèses  ;  quant  à  la  dernière, 
elle  tombe  en  ruine  d'elle-même,  dès  que  l'on  considère 
que  ni  saint  Clément  ni  saint  Ignace  n'ont  dit  un  seul 

(1)  Hieronym.  Caialoy.  sub  voc.Ig^at.  cl  Comment,  inJes.  l.wiii. 
v.  11 


242  DE   L'aUTHEXTICITÉ   DES  ÉVANGILES. 

mot  qui  puisse ,  en  bonne  critique ,  autoriser  à  penser 
qu'ils  aient  tiré  leurs  citations  d'un  monument  écrit.  11 
est  vrai  que  les  pères  en  général  qui  ont  employé  les 
Évangiles  apocryphes  les  ont  souvent  cités  avec  véné- 
ration ;  mais  comme  ce  qu'ils  en  empruntent  sont  les 
paroles  de  Jésus -Christ,  il  est  tout  naturel  qu'ils  le 
rapportent  avec  respect  ;  d'où  il  résulte  que  leur  véné- 
ration retombe  plutôt  sur  les  passages  qu'ils  citent  que 
sur  les  livres  même  qui  les  contiennent.  Ils  les  ont  re- 
gardés comme  utiles  à  l'édification  ;  mais  il  s'en  faut 
bien  qu'en  les  citant  ils  les  aient  jamais  mis  sur  la  môme 
ligne  que  les  livres  canoniques  du  Nouveau-Testament. 
Les  pères  du  second  siècle,  qui  nous  ont  parlé  les  pre- 
miers des  Evangiles  apocryphes ,  et  qui  les  ont  cités  quel- 
quefois, ne  nous  ont  jamais  appris  qu'ils  fissent  autorité 
dans  l'Eglise.  Clément  d'Alexandrie  ,  qui  le  premier  a 
fait  mention  de  l'Evangile  des  Hébreux,  ne  le  dit  nulle 
part;  et  quoique  dans  les  premiers  temps  cet  Évangile 
ne  différât  pas  de  l'original  de  saint  Matthieu  ,  l'usage 
en  était  limité  aux  chrétiens  judaisans.  Nous  avons  vu 
saint  Irénée  déclarer  expressément  qu'il  n'y  a  que  nos 
quatre  Évangiles  qui  soient  véritables,  et  ïertullien  éta- 
blir fortement  l'autorité  de  ces  mêmes  écrits  comme  les 
seuls  qui  aient  une  origine  apostolique.  Mais  un  fait 
rapporté  par  Eusèbe  prouve  jusqu'à  l'évidence  que  dans 
les  premiers  temps  de  l'Église  on  mettait  une  grande  dif- 
férence entre  nos  Évangiles  et  les  Évangiles  apocry- 
phes. Saint  Sérapion,  évêque  d'Antioche,  et  contempo- 
rain de  TertuUien ,  étant  un  jour  à  Rhosse ,  ville  de 
Cilicie,  y  trouva  les  chrétiens  divisés  au  sujet  de  l'Évan- 
gile de  saint  Pierre.  Comme  il  n'avait  point  lu  cet  Évan- 
gile, il  crut  que  pour  apaiser  la  dispute  il  pouvait  en 


DE   l'authenticité   DES  ÉVANGILES.  243 

permettre  la  lecture,  persuadé  qu'il  était  exempt  d'er- 
reurs, et  que  tout  ce  peuple  d'ailleurs  était  orthodoxe. 
Mais  ayant  appris  depuis  qu'il  en  était  tout  autrement, 
et  que  plusieurs  de  ceux  qui  avaient  lu  ce  livre  étaient 
tombés  dans  l'hérésie  des  docètes,  il  composa,  pour  le 
réfuter,  un  livre  qu'il  envoya  aux  fidèles  de  l'église  de 
Rhosse.Dans  ce  livre,  le  saint  évèque  déclare  qu'il  re- 
çoit Pierre  et  les  autres  apôtres  comme  Jésus-Christ 
lui-même  ;  mais  que  quant  aux  écrits  qui  portent  faus- 
sement leurs  noms,  il  les  rejette  comme  ne  les  ayant  pas 
reçus  des  anciens  (1).  Nous  n'insisterons  pas  davantage 
sur  ce  point  ;  en  voilà  plus  qu'il  ne  faut  pour  démon- 
trer que  dans  les  premiers  temps  de  l'Eglise  on  mettait 
une  grande  différence  entre  les  Evangiles  canoniques  et 
les  apocryphes.  —  Enfin  nos  adversaires  ajoutent  qu'a- 
près tout  les  pères  apostoliques  peuvent  avoir  fait  leurs 
citations ,  non  point  d'après  des  ouvrages  écrits,  mais 
d'après  la  tradition.  Nous  avons  reconnu  nous-méme, 
dans  le  courant  de  cette  discussion,  qu'il  était  absolu- 
ment impossible  que  deux  ou  tout  au  plus  trois  citations 
de  ce  genre  eussent  été  faites  d'après  la  tradition;  et  la 
seule  conséquence  qu'on  puisse  tirer  de  cet  aveu,  c'est 
que  les  deux  discours  de  Jésus-Christ  rapportés  par 
saint  Clément  et  saint  Ignace,  et  qu'on  lisait  dans  des 
Evangiles  apocryphes,  n'étaient  peut-être  connus  de  ces 
deux  pères  que  par  tradition;  conséquence  qui,  comme 
on  le  voit,  ne  saurait  nuire  qu'à  la  cause  de  nos  adver- 

(1)  «  Noseninijfratrcs,  etPelrum  et  relit|uos  apostolos,  période  ac 
Chrislum  ipsum  suscipinius,  Sed  quœ  nornen  illorum  falso  inscrip- 
tum  prtcfcrunt,  ca  nos  utpole  guari  ac  periii  lepudiamus;  quippe 
qui  conipertum  habeamus  ca  nos  a  majoribus  minime  accepisse  (Se- 
rap.  apud  Euseb.  Hist,  Ecd.  l.  vi,  c,  xii).» 


244  DE   l'authenticité  DES  ÉVANGILES. 

saires ,  puisque  tous  leurs  prétendus  textes  empruntés 
par  les  pères  du  premier  siècle  aux  Evangiles  apocry- 
phes se  réduisent  à  ces  deux  seulement,  tandis  que  nous 
pouvons  nous -même  alléguer  un  si  grand  nombre  de 
passages  de  ces  mêmes  docteurs  évidemment  tirés  de 
nos  Evangiles  canoniques.  «  Quand  je  vois,  dit  le  car- 
'dinal  de  La  Luzerne,  non  pas  un  écrivain,  mais  tous  les 
écrivains  de  ce  siècle,  rapporter,  non  pas  une  fois,  mais 
souvent ,  des  paroles  de  Jésus-Christ  ,  telles  qu'elles 
sont  dans  nos  livres  saints,  il  ne  m'est  pas  possible  de 
douter  qu'ils  n'aient  connu  ces  livres.  Ce  ne  peut  pas 
être  le  hasard  qui  ait  opéré  le  rapport  constant  entre  le 
Nouveau -Testament  et  les  écrits  des  premiers  doc- 
teurs ;  ce  ne  peut  pas  être  une  simple  tradition  qui  ait 
fait  rapporter  tant  de  fois  des  discours  du  Sauveur  dans 
des  termes  aussi  semblables  à  ceux  que  nous  lisons  dans 
les  Evangiles.  Il  y  aurait  de  bien  plus  grandes  disso- 
nances si  c'était  de  mémoire  et  non  d'après  des  livres 
que  les  pères  eussent  rapporté  ces  passages  (1).» 

Ohj.  3°  Les  Evangiles  prétendus  authentiques,  ob- 
jecte-t-on  encore,  fournissent  eux-mêmes  plusieurs 
preuves  contre  leur  authenticité.  D'abord  on  lit  dans  ce- 
lui qui  porte  le  nom  de  saint  Matthieu  (xxiii,  35)  que 
le  Sauveur  menace  les  Juifs  de  faire  retomber  sur  eux 
tout  le  sang  innocent  qui  a  été  versé  sur  la  terre  depuis 
le  sang  d'Abel  jusqu'au  sang  de  Zacharie  fils  de  Bara- 
chie,  tué  entre  le  temple  et  l'autel.  Or,  l'historien  Jo- 
seph nous  apprend  que  Zacharie  fils  de  Baruch  fut  as- 
sassiné dans  le  temple  par  les  zélés  quelques  années 
avant  la  ruine  de  Jérusalem  (2).  En  second  lieu,  on  lit 

(1)  De  La  Luzerne,  Dissert.  t.  i,parj.  82. 

(2)  Joseph,  De  Bello  Jud.  l.  iv,  c.  xix. 


DE   l'authenticité  DES  ÉVANGILES.  245 

dans  l'Évangile  de  saint  Luc  (ii,  1,  2)  qu'à  l'époque  de 
la  naissance  de  Jésus-Christ  il  y  eut  un  dénombre- 
ment fait  par  Cyrinus  ou  Quirinus,  gouverneur  de  Syrie; 
tandis  qu'il  est  reconnu  que  Cyrinus  ne  gouverna  la  Sy- 
rie que  douze  ou  au  plus  tôt  dix  ans  après  la  naissance 
du  Sauveur,  et  que  le  dénombrement  eut  lieu  en  Judée 
lorsqu'il  commença  à  remplir  les  fonctions  de  gouver- 
neur. Or,  un  auteur  contemporain  ne  serait  jamais  tombé 
dans  une  méprise  si  grossière.  Troisièmement,  on  lit 
aussi  dans  l'Evangile  attribué  à  saint  Luc  (m,  1,  23) 
que  la  quinzième  année  de  l'empire  de  Tibère  César, 
Jésus-Chkist  commençait  à  atteindre  l'âge  de  trente 
ans .  Or  il  y  a  encore  ici  un  anachronisme  qui  ne  pouvait 
nullement  échapper  à  un  auteur  contemporain  ;  puisque 
le  Sauveur  étant  né  du  vivant  d'Hérode,  selon  les  évan- 
gélistes  eux-mêmes,  il  devait  avoir  trente-trois  ou  au 
moins  trente-deux  ans,  lorsque  Tibère  César  en  était  à 
la  quinzième  année  de  son  empire. 

Rép.  Quand  on  ne  trouverait  aucune  réponse  plau- 
sible à  cette  objection,  on  n'aurait  encore  aucun  droit 
d'en  rien  conclure  contre  l'authenticité  de  nos  Évangiles, 
si  bien  établie  d'ailleurs  ;  car  il  n'est  pas  au  monde  une 
histoire  quelque  authentique  qu'on  la  suppose  ,  surtout 
quand  elle  a  été  composée  dans  des  temps  anciens,  il 
n'est  pas  d'histoire  ancienne,  disons-nous,  qui  ne  ren- 
ferme des  difficultés  tout  à  la  fois  plus  graves  et  plus 
nombreuses.  Mais  nous  croyons  qu'on  peut  résoudre 
d'une  manière  satisfaisante  celles  qu'on  nous  oppose  ici. 
Premièrement,  il  n'y  a  point  de  preuve  que  le  Zacharie 
nommé  dans  l'Évangile  soit  le  même  que  celui  dont  la 
mort  estracontée  dans  l'historien  Joseph;  bien  plus,  dès 
que  l'on  considère  toutes  les  circonstances  qui  accom- 


246  DE  L'authenticité  des  évangiles. 

pagnent  la  menace  du  Sauveur,  on  reste  convaincu  que 
ce  sont  deux  personnages  différens,  et  que  Jésus-Christ 
avait  en  vue  le  prêtre  Zacbarie,  qui,  selon  l'auteur  du 
second  livre  des  Paralipomènes  (xxiv),  fut  massacré 
dans  le  temple,  et  qui  est  le  seul  mentionné  dans  les 
Ecritures  canoniques  des  Juifs  comme  ayant  été  mis  à 
mort  injustement  entre  le  parvis  du  temple  et  l'autel. 
Il  est  vrai  que  dans  les  Paralipomènes ,  le  père  de  Za- 
cbarie est  nommé  Joiada ,  et  dans  l'Evangile  Bara- 
chie  ;  mais  les  livres  saints  nous  fournissent  une  foule 
d'exemples  de  personnes  qui,  chez  les  Hébreux ,  por- 
taient plusieurs  noms  diiférens.  Et  d'ailleurs  oserait- 
on  en  bonne  critique  présenter  une  semblable  diffé- 
rence de  noms  comme  un  argument  qui  puisse  détruire 
et  même  affaiblir  toutes  les  preuves  qui  militent  en 
faveur  de  l'authenticité  du  livre  de  saint  Matthieu  (1)  ? 
La  seconde  difficulté  peut  bien  faire  illusion  au  premier 
abord,  mais  elle  ne  présente  rien  de  solide  dès  qu'on 
la  considère  avec  les  yeux  d'une  saine  critique. En  effet, 
il  est  incontestable  que  saint  Luc  a  eu  connaissance  de 
deux  dénombremens  bien  distincts,  l'un  qu'il  mentionne 
dans  son  Evangile  sous  le  nom  de  premier  (TzpôiTïifl  et 
l'autre  dont  il  ne  parle  que  dans  les  Actes  (v,  37),  comme 
ayant  eu  lieu  un  certain  nombre  d'années  après.  Nous 
ajouterons  que  le  premier  est  assez  clairement  indiqué 
par  ce  passage  de  Joseph  :  «  Alors  toute  la  nation  juive, 

(1)  Voy.  Bullet,  Réponses  critiques,  t.  ii,  art.  Zacharie,  fils  de 
BARAcniE.  Beaucoup  d'interprètes  catholiques  pensent  que  le  Zacha- 
riede  FÉvangileest  le  même  que  celui  de  Joseph,  et  que  Jésus-Christ 
a  prophétisé  sa  mort  par  avance;  mais,  comme  le  demande  Bullet: 
«  Un  Juif  vivant  quarante  ans  après  la  mort  de  Jésus-Christ  a-t-il 
pu  être  canonisé  et  appelé  juste  par  la  bouche  de  ce  divin  Sauveur?» 


DE  l'authenticité  des  évangiles.  247 

à  Texception  de  six  raillcpharisiens,  prêta  serment  d'être 
fidèle  à  César  et  aux  intérêts  du  roi  (1) .  »  Car  première- 
ment le  contexte  de  ce  passage  prouve  que  le  mot  alors 
correspond  à  l'époque  de  la  naissance  de  Jésus-Curist  ; 
secondement,  ce  serment  ne  put  se  faire  sans  un  recen- 
sement préalable  de  tous  les  Juifs.  Et  si  cet  historien 
n'en  a  pas  parlé  d'une  manière  expresse,  c'est  qu'il 
n'exigeait  aucun  impôt,  et  qu'il  ne  fut  suivi  d'aucun  évé- 
nement mémorable  qui  intéressât  la  nation  juive.  Reste 
à  savoir,  il  est  vrai,  comment  un  dénombrement  des 
Juifs  a  pu  être  fait  au  temps  de  la  naissance  de  Jésus- 
Christ  par  Cyrinus,  gouverneur  de  Syrie,  puisque  c'é- 
tait Saturninus  qui  gouvernait  alors  cette  province  au 
nom  des  Romains  ;  mais  il  n'est  pas  difficile  de  résoudre 
la  question  d'une  manière  satisfaisante. D'abord, ce  se- 
cond dénombrement  a  pu  se  faire  par  le  concours  si- 
multané de  Saturninus,  président  ordinaire  de  Syrie, 
comme  dit  Tertullien  (2),  et  de  Cyrinus,  envoyé  extraor- 
dinairement  par  le  sénat  pour  travailler  à  ce  recense- 
ment, ainsi  qu'Eusèbe  l'assure  positivement  dans  sa 
Chronique.  Cette  mission  extraordinaire,  quoique  les 
auteurs  du  temps  n'en  parlent  point,  soit  parce  que  c'é- 
tait à  leurs  yeux  une  chose  de  trop  peu  d'importance, 
soit  parce  que  les  dix  années  de  l'histoire  de  Dion  (le  seul 
dont  nous  ayons  une  histoire  exacte  d'Auguste)  où  ce 
dénom.brement  aurait  dû  être  rapporté,  ont  été  perdues, 
comme  le  remarque  fort  judicieusement  ïillemont,  cette 
mission,  disons-nous,  est  d'autant  plus  vraisemblable 

(1)  Joseph,  ^ntiq.  l.  xvii,  c  il.  Voy.  sur  le   second  dcnombre- 
raent,  ibid.  l.  xviii,  c.  i. 

(2)  Tertull.  Adv.  Marcion.  l.  iv,  c;  xix. 


248  DE  l'authenticité   DES  ÉVANGILES. 

que  dans  la  suite  le  même  Cyrinus  fut  envoyé  dans  celte 
province  en  qualité  de  gouverneur  ordinaire,  et  qu'elle 
ne  se  trouve  contredite  par  aucun  monument  histori- 
que, comme  on  peut  le  voir  dansLardner.  Rien  n'em- 
pêche encore  de  regarder  avec  beaucoup  de  critiques 
l'expression  gouverneur  de  Syrie,  comme  une  simple 
épithète  de  Cyrinus,  de  manière  que  le  sens  serait  :  Ce 
fut  le  premier  dénombrement  de  Cyrinus,  qui  devint  en- 
suite gouverneur  de  Syrie.  Combien  d'historiens  très- 
exacts  se  permettent  des  anticipations  de  ce  genre  !  Et 
qu'on  ne  dise  point  que  dans  ce  cas  le  mot  gouverneur 
(ïîye^aovsjovToç)  devrait  nécessairement  être  précédé  de  l'ar- 
ticle, car  nous  répondrions  qu'on  peut  très-bien  traduire 
ainsi  le  texte  :  «  Ce  fut  le  premier  dénombrement  d'un  pré- 
sident de  Syrie,  de  Cyrinus  ;  »  ce  qui  ne  nécessite  nulle- 
ment l'article  déterminatif(l).  Voici  un  autre  moyen  de 
solution  et  qui  paraît  incontestable.il  est  certain  que  dans 
la  langue  grecque  le  mot  -rpûroç  premier,  se  prend  assez 
souvent  pour  le  comparatif  Troôrrprj^  antérieur  [prior); 
il  est  certain  encore  que  les  comparatifs  régissent  au 
génitif  le  terme  delà  comparaison.  Or,  d'après  ces  prin- 
cipes grammaticaux,  on  est  fondé  à  rendre  le  texte  de 
saint  Luc  :  Hœc  descriptio  prior  fada  est  qnàm  prœsi- 
densSyriœ  Cyrinus,  c'est-à-dire:  ce  dénombrement  eut 
lieu  avant  que  Cyrinus  fût  gouverneur  de  Syrie.  Ainsi 
ce  passage  de  saint  Luc  n'est  nullement  contraire  à  l'au- 
thenticité de  l'Evangile  qui  porte  son  nom  ;  nous  ajou- 
terons que  les  explications  que  nous  venons  d'en  donner 

(1)  C'est  le  senliment  que  Meyer  a  émis  dans  son  Manuel  critique 
exégéiique,  pag.  267,  bien  que  cet  auteur  ne  soit  pas  favorable  à 
rÉvan^ile  de  saint  Luc, 


DE  l'authenticité  des  évangiles.  249 

suffisent  pour  faire  rejeter  l'opinion  des  critiques  qui 
avouent  que  l'évangéliste  a  commis  ici  une  erreur  his- 
torique. Cette  erreur  serait  d'ailleurs  incompatible  avec 
l'exactitude  dont  il  fait  preuve  dans  tout  son  livre,  et 
elle  porterait  atteinte  à  la  divinité  de  son  Évangile. 
Enfin  la  troisième  partie  de  l'objection  n'offre  pas  même 
l'ombre  d'une  difficulté  sérieuse.  D'abord  le  texte  ne 
dit  point  que  Jésus  commençait  à  entrer  dans  sa  tren- 
tième année;  le  mot  commençant  [àry/Jjy.vjo:]  ne  doit 
point  se  construire  nécessairement  avec  l'expression 
trente  années  qui  précède  ;  mais  il  se  rapporte  plus  na- 
turellement au  verbe  prêcher  ou  enseigner  sous-entendu  ; 
c'est  du  moins  en  ce  sens  que  le  même  saint  Luc  a  évi- 
demment employé  le  participe  ayant  commencé  (àcfâasvoc) 
dans  deux  endroits  diîférens  de  son  livre  des  Actes  (i, 
22;  X,  37).  Ainsi  le  sens  est  que  le  divin  Sauveur  avait 
environ  trente  ans  lorsqu'il  commença  son  ministère.  En 
second  lieu,  le  texte  évangélique  ne  porte  pas  exacte- 
ment trente  ans,  mais  environ  {'OG-st)  trente  ans  ;  ce  qui 
fait  entièrement  disparaître  la  difficulté  ;  car  la  particule 
environ,  lorsqu'elle  est  appliquée  à  un  nombre  décimal 
tel  qu'est  le  nombre  trente,  peut  aisément  s'étendre  à 
trente-trois  ans  ;  non  seulement  la  Bible,  mais  encore 
les  auteurs  profanes  nous  en  offrent  une  multitude 
d'exemples;  bien  plus,  les  écrivains  ne  tiennent  souvent 
compte  que  du  nombre  rond,  sans  même  exprimer  l'ad- 
verbe restrictif  (1). 

(1)  «  Tite-Live  parlant  de  la  paix  que  la  conduite  de  Piomulus  avait 
procurée  à  l'état  pendant  tout  le  règne  de  son  successeur  (Numa), 
s'exprime  ainsi  :  Ab  illo  enim  profectu  viribus  daiis  tantum  valait,  2it 
in  quadraginta  deinde  annos,  tutam  pacem  /îa^ej-ef.  Cependant  dans  ce 
même   chapitre  iT  dit  :  Romulus  septem  et  triginta  regnavit  annos, 

11. 


2S0  DE   l'authenticité   DES  ÉVANGILES. 

Obj.  k^  On  ne  saurait  légitimement  attribuer  nos 
Évangiles  aux  écrivains  dont  ils  portent  les  noms,  si  ces 
écrivains  ne  les  ont  eus  eux-mêmes  qu'en  seconde  main. 
Or  c'est  ce  qu'ont  clairement  prouvé  Semler,  Eichhorn, 
Marsh  et  un  grand  nombre  d'autres  habiles  critiques 
de  ces  derniers  temps,  en  montrant  1''  qu'il  y  a  eu  pri- 
mitivement un  Evangile  original  beaucoup  plus  court 
que  les  nôtres  ;  2°  qu'on  a  tiré  différentes  copies  de  ce 
document  primitif  en  y  faisant  plusieurs  additions,  soit 
d'après  la  tradition  orale,  soit  d'après  des  monumens 
écrits  ;  3°  enfin  que  ces  différentes  copies  sont  tombées 
entre  les  mains  des  trois  premiers  évangélistes,  de  ma- 
nière que  saint  Matthieu  a  adopté  une  de  ces  copies, 
saint  Marc  une  autre,  et  saint  Luc  une  troisième.  Au 
moyen  de  cette  hypothèse,  on  explique  très-bien  les  con- 
cordances et  les  discordances  de  ces  évangélistes,  en 
supposant  d'un  côté  qu'ils  se  sont  servis  tous  les  trois 
d'un  document  commun,  et  de  l'autre  que  les  copies 
qu'ils  ont  adoptées,  outre  le  document  commun,  conte- 
naient des  additions  assez  différentes. 

Rép.  Cette  objection  touche  par  un  coin  à  la  question 
de  l'intégrité,  que  nous  allons  traiter  dans  le  chapitre  sui- 
vant; mais  comme  elle  attaque  surtout  l'authenticité  des 
trois  premiers  Évangiles,  nous  avons  cru  devoir  la  placer 
ici.  L'hypothèse  d'un  Évangile  primitif,  quoique  pré- 
sentée par  Eichhorn  et  Marsh,  évêque  anglican,  sous 
les  couleurs  les  plus  séduisantes,  est  entièrement  aban- 
donnée aujourd'hui. Hug  surtout  a  montré  jusqu'à  l'évi- 

Numa  très  et  quaclraninla  (W,  Paley,  Des  preuves  évid.  du  Christia- 
nisme, t.  II,  p.  182,  cd.  Levade).» — Le  premier  passage  de  Tite-Live 
se  trouve  au  livre  i,  n.  xv,  et  le  second  au  livre  l,  n.  xxi,  édit.  lat.  et 
franc.  Paris,  183S. 


DE   l'authenticité  DES   ÉVANGILES.  261 

dence  qu'elle  était  absolument  fausse  dans  son  principe, 
et  qu'elle  n'atteignait  nullement  le  but  que  son  auteur 
s'est  proposé  en  l'imaginant . Mais,  depuis, M . Norton  lui 
a  porté  un  nouveau  coup  plus  terrible  encore  (1).  Sans 
entrer  dans  le  détail  de  tous  les  argumens  irrésistibles 
de  ces  savans  critiques,  nous  nous  bornerons  aux  con- 
sidérations suivantes  empruntées  de  ce  dernier.  L'hy- 
pothèse de  l'Evangile  primitif  ou  Protévangile  a  été  sur- 
tout imaginée  pour  expliquer  le  phénomène  des  concor- 
dances verbales  qui  se  trouvent  dans  les  trois  premiers 
évangélistes  ;  mais  on  ne  doit  pas  oublier  celui  des  dis- 
cordances, qui  ne  sont  pas  moins  nombreuses,  et  qu'il 
faut  aussi  expliquer.  Quant  aux  concordances,  elles  se 
trouvent  en  grande  partie  dans  le  récit  des  paroles  pro- 
noncées par  des  personnages  différens  des  évangélistes 
qui  les  rapportent,  et  particulièrement  dans  le  récit  des 
discours  de  Jésus-Christ.  Ainsi  il  n'y  a  guère  que  la 
sixième  partie  de  l'Évangile  de  saint  Matthieu  qui  con- 
tienne ces  concordances  verbales,  et  encore  dans  les  sept 
huitièmes  de  cette  sixième  partie  les  concordances  ver- 
bales se  remarquent  dans  les  paroles  de  personnes  au- 
tres que  cet  évangéliste.  D'où  il  résulte  qu'un  seul  hui- 

(1)  André  Norlon  a  publié  à  Boston  un  ouvrage  sur  l'authenticité 
des  Évangiles,  dont  Moïse  Stuart,  prol'esseur  de  littérature  sacrée  à 
Andover  et  auteur  d'une  excellente  grammaire  hébraïque  qui  a  paru  à 
Oxford  en  1831,  a  rendu  compte  au  mois  d'avril  1838  dans  le  Bi- 
blical  Reposilory,  imprimé  à  Aew-York.  M.  Stuart,  tout  en  louant 
M.  Norton  d'avoir  victorieusement  défendu  l'authenticité  des  Evan- 
giles en  général,  lui  reproche  d'avoir  traité  d'interpolation  les  deux 
premiers  chapitres  de  saint  Matthieu  ainsi  que  plusieurs  autres  en- 
droits des  Évangiles,  et  de  ne  pas  croire  à  l'inspiration  de  ces  divins 
écrits.  C'estd'aprcsM.  Stuart  que  nous  citons  ici  le  livre  de  M.Norton, 


262  DE  L'aUTIIEXTICITÉ  DES   ÉVANGILES. 

tième  de  la  sixième  partie  de  saint  Matthieu  contient  des 
concordances  verbales  dans  ce  qui  est  de  la  pure  nar- 
ration de  cet  évangéliste,  et  où,  racontant  lui-même  les 
choses  en  son  propre  nom,  il  était  plus  libre  dans  le 
choix  de  ses  expressions .  Les  concordances  forment  éga- 
lement la  sixième  partie  de  l'Evangile  de  saint  Marc; 
mais  il  n'y  a  pas  même  un  cinquième  de  ces  concor- 
dances qui  se  trouvent  dans  la  narration  proprement 
dite .  Saint  Luc  contient  encore  moins  de  ces  concordances 
que  les  deux  autres  évangélistes.  Les  passages  où  elles 
se  rencontrent  ne  forment  guère  que  la  dixième  partie 
de  son  Evangile;  et  encore  la  plupart  se  lisent  dans 
le  récit  des  paroles  du  divin  Sauveur  et  de  ses  apôtres. 
On  peut  à  peine  compter  six  mots  semblables  dans  la 
narration  proprement  dite  ;  elles  n'en  forment  pas  la 
vingtième  partie .  Ainsi  l'Évangile  primitif  doit  en  bonne 
critique  être  considéré  comme  une  pure  chimère  qui  n'a 
jamais  existé  que  dans  l'imagination  de  ses  partisans  ; 
et  par  conséquent  il  ne  peut  servir  à  prouver  que  saint 
Matthieu,  saint  Marc  et  saint  Luc  ne  sont  réellement 
point  les  auteurs  des  Evangiles  qui  portent  leurs  noms. 
—  On  a  inventé  une  foule  de  systèmes  dififérens  pour  ex- 
pliquer ces  concordances  verbales  ;  mais  ils  sont  tous 
sujets  à  beaucoup  de  difficultés.  Huga  cru  que  les  évan- 
gélistes s'étaient  copiés  les  uns  les  autres ,  mais  on  a  ob- 
jecté que  si  saint  Marc,  par  exemple,  avait  copié  saint 
Matthieu,  son  Evangile  ne  serait  pas  aussi  différent  du 
sien  quant  à  la  matière,  à  la  manière,  à  l'ordre  et  au 
langage. De  même  si  saint  Luc  avait  copié  saint  Mat- 
thieu et  saint  Marc,  il  n'y  aurait  pas  autant  de  diversités 
entre  son  livre  et  celui  de  ces  deux  autres  évangélistes. 
Cette  hypothèse  de  Hug  est  également  abandonnée  au- 


DE  l'authenticité  DES  ÉVANGILES.  253 

jourd'hui.  Partant  du  principe   incontestable   que  le 
nombre  des  concordances  est  beaucoup  moins  considé- 
rable qu'on  ne  l'a  toujours  prétendu,  et  qu'elles  se  trou- 
vent en  grande  partie  dans  les  paroles  sorties  de  la 
bouche  de  Jésus-Christ  ou  de  ses  apôtres,  M.Norton 
croit  qu'il  est  très-naturel  de  supposer  que  les  apôtres 
qui  avaient  vécu  ensemble  à  Jérusalem  avant  leur  sépara- 
tion, aient  conféré  très-souvent  en  commun  sur  ce  qu'ils 
avaient  entendu  dire  au  Sauveur,  qu'ils  se  soient  ainsi 
formé  une  manière  uniforme  de  les  exprimer,  et  qu'ils 
aient  ensuite  transmis  cette  manière  à  leurs  disciples. 
Une  circonstance  vient  à  l'appui  de  cette  supposition  ; 
les  Juifs  au  temps  de  Jésus-Christ  étaient  accoutumés 
à  retenir  de  mémoire  les  paroles  de  leurs  maîtres.  Toute 
la  loi  orale  contenue  dans  la  Mischna  (première  partie 
du  Talmud) ,  qui  est  très-étendue,  a  été  conservée  de  mé- 
moire par  les  rabbins  jusqu'au  temps  de  Rabbi  Judas 
le  Saint,  qui  vivait  seulement  un  siècle  après  Jésus- 
Christ,  époque  à  laquelle  elle  fut  consignée  par  écrit  (1) . 
Le  même  phénomène  se  reproduit  chez  d'autres  peuples 
de  l'Orient.  Les  rapsodistes  avaient  conservé  de  mé- 
moire les  poèmes  d'Homère  en  les  chantant  ;  on  trouve 
encore  une  multitude  de  conteurs  orientaux  qui  rappor- 
tent de  mémoire  des  histoires  plus  nombreuses  que  les 
Mille  et  une  nuits.  Or,  est-il  surprenant  que  les  apôtres, 
compagnons  inséparables  du  Sauveur  pendant  l'espace 

(1)  Il  n'est  pas  du  tout  certain  que  la  Mischna  n'ait  été  écrite  par 
Judas  le  Saint  que  d'après  la  tradition  orale.  Maimonide  semble  dire 
au  contraire  que  ce  rabbin  recueillit  toutes  les  traditions,  tous  les  ju- 
gemens,  etc.,  que  le  chef  de  la  synagogue  à  chaque  génération,  et  le 
prophète  de  ce  siècle  avaient  déjà  mis  par  écrit  auparavant  (iMaimon. 
fr.ef,  in  Jad  hazzaqa) . 


254  DE   l'authenticité   DES   ÉVANGILES. 

de  trois  années,  aient  pu  retenir  exactement  dans  leur 
esprit  ses  actions  et  ses  paroles,  et  que  quand  ils  ont 
voulu  les  mettre  par  écrit,  il  se  soit  trouvé  tant  de  coïn- 
cidences dans  leurs  narrations  respectives?  L'hypothèse 
de  M.  Norton,  si  elle  n'est  pas  certaine,  présente  au 
moins  quelque  apparence  de  vérité;  et  si,  ce  que  nous 
ne  croyons  pas  nécessaire,  il  fallait,  pour  expliquer  les 
concordances  et  les  discordances  évangéliques,  adopter 
nécessairement  un  des  systèmes  proposés  jusqu'à  ce  jour 
par  les  critiques,  nous  choisirions  de  préférence  ce  der- 
nier, sans  toutefois  lui  accorder  une  confiance  illimitée. 

Obj.  5°  La  doctrine  de  Jésus-Christ  telle  qu'elle  se 
trouve  présentée  dans  les  trois  premiers  Évangiles  est 
simple ,  commune ,  et  par  là  même  conforme  à  l'esprit 
des  apôtres  et  à  celui  des  Juifs  à  qui  le  Sauveur  et  les 
apôtres  eux-mêmes  s'adressaient  ;  mais  il  en  est  tout 
autrement  dans  le  quatrième,  où  elle  paraît  partout 
grande,  sublime  et  mystérieuse.  Cependant  saint  Jean, 
qui  était  aussi  un  simple  pêcheur  de  Galilée ,  ne  pou- 
vait prêter  au  Sauveur  une  doctrine  semblable.  Si  donc 
on  la  retrouve  dans  l'écrit  évangélique  qui  porte  son 
nom,  c'est  une  preuve  évidente  que  cet  écrit  n'est  point 
son  ouvrage  ;  mais  qu'il  faut  plutôt  l'attribuer  à  quel- 
ques-uns de  ses  disciples  imbus  des  idées  de  la  philo- 
sophie platonicienne,  et  qui  lui  ont  prêté  leur  style  et 
leurs  doctrines  philosophiques. 

Rép .  Cette  obj  ection ,  soutenue  déjà  par  Bretschneider, 
et  reprise  en  sous-œuvre  par  Strauss,  est  loin  de  détruire 
les  preuves  extrinsèques  et  intrinsèques  qui  prouvent 
jusqu'à  l'évidence  l'authenticité  de  l'Evangile  de  saint 
Jean. Nous  devons  ajouter  qu'après  un  plus  mûr  examen 
le  premier  de  ces  critiques  a  fini  par  reconnaître  que 


DÉ  L'aUTHENTICITIÎ  i)ES  ÉVANGILES.  255 

toutes  ses  attaques  étaient  peu  fondées,  et  que  dans  la 
troisième  édition  de  sa  Vie  de  Jésus,  ce  dernier  avoue 
qu'il  est  moins  affermi  que  précédemment  dans  ses 
doutes  sur  l'authenticité  du  quatrième  Évangile  (1). 
Avant  d'entrer  dans  le  détail  des  difficultés  sur  lesquelles 
nos  adversaires  fondent  leur  objection,  nous  ferons  ob- 
server que,  malgré  qu'il  fut  un  simple  pêcheur  de  la  Ga- 
lilée, l'apôtre  saint  Jean,  destiné  par  l'Esprit  saint  à  nous 
faire  connaître  principalement  la  doctrine  du  Sauveur, 
ainsi  que  les  mystères  de  son  incarnation  et  de  sa  divi- 
nité, a  pu  recevoir  des  lumières  divines  toutes  particu- 
lières pour  traiter  dignement  ces  grands  sujets.  Aussi 
Eusèbe,  après  avoir  remarqué  que  cet  évangéliste  avait 
eu  raison  de  ne  point  rapporter  la  généalogie  de  Jésus- 
Christ  selon  la  chair,  parce  qu'elle  l'avait  été  par  saint 
Matthieu  et  par  saint  Luc,  ajoute-t-il  qu'il  s'est  attaché 
à  nous  découvrir  sa  naissance  divine  et  éternelle,  dont 
le  mystère  semblait  lui  avoir  été  révélé  plus  particuliè- 
rement qu'aux  autres  (2) .  Ajoutons  que  lorsque  les  pre- 
miers évangélistes  ont  commencé  à  écrire,  les  peuples 
n'étaient  peut-être  pas  encore  capables  de  saisir  cette 
doctrine  relevée,  et  que  c'est  sans  doute  pour  cela  qu'ils 
se  sont  plutôt  appliqués  à  donner  le  détail  des  actions 

(1)  Yoy.  contre  Bretschneider,  Fr.Gottlieb  Crome, Probabilia  haucl 
prohabilia,  odcr  JF^iderlegung  der  von  Herrn  Dr.  Bretschneider  gegen 
die  /Eciilheil  und  Glaubiviirdirjkeit  des  Evanrje'iums  itnd  der  Briefe 
des  Johannes  erhobenen  Zweifel  ;  et  contre  Strauss,  Tholuck,  Glaub- 
u'iirdigkeil  der  Evang.  Gescliichle. 

(2)  «  Et  seriem  quidem  ipsam  generis  Ghristi  secundum  carnem,  ut- 
pote  a  Matlhoeo  et  Luca  prius  traditam,  Joannes  merito  prseterniisit. 
Ab  ipsa  vero  ejus  divinitate  sumpsit  initium,  quippe  quaî  à  Spiritu 
sancto  ipsi  tanquam  praestanliori  (xpjtTTovc)  fuisset  reservata  (Euseb, 
Hist.  EccL  î.  m,  c.  xxiv).  » 


256  DE  l'authenticité  des  évangiles. 

ordinaires  et  des  miracles  du  Sauveur.  Après  ces  ob- 
servations, nous  dirons  d'abord  que  les  discours  de 
Jésus-Christ  après  la  Cène  n'étaient  point  de  ces  entre- 
tiens familiers  et  ordinaires  tels  qu'il  en  avait  ordinai- 
rement en  public.  Dans  cette  circonstance  toute  parti- 
culière, le  Fils  de  Dieu  s'adressait  à  ses  seuls  disciples, 
qu'il  voulait,  avant  de  les  quitter,  instruire  plus  à  fond, 
non  seulement  de  ses  rapports  intimes  avec  son  Père 
qui  l'avait  envoyé,  et  avec  le  Saint-Esprit  qu'il  allait  faire 
descendre  sur  eux,  mais  encore  de  ceux  qu'il  devait 
avoir  avec  ses  disciples,  avec  son  Eglise  et  avec  tous 
les  hommes.  Or,  qui  ne  comprendrait  point  que  dans 
un  pareil  cas  sa  doctrine  devait  être  plus  élevée  et  plus 
profonde  ?  Ce  divin  maître  voyait  bien  que  ses  apôtres 
encore  trop  ignorans  et  trop  grossiers  n'en  pourraient 
pas  pénétrer  le  sens  profond;  aussi  les  renvoie-t-il  à 
l'enseignement  de  l'Esprit  saint,  qui  va  venir  les  instruire 
de  toute  vérité,  leur  rappeler  ce  qu'ils  auront  oublié,  et 
leur  donner  l'intelligence  de  tout  ce  qu'ils  n'auront  pu 
comprendre .  Aussi  Strauss  avoue-t-il  lui-même  que  cette 
supposition  explique  d'une  manière  suffisante  la  diffé- 
rence de  ce  discours  avec  ceux  qui  sont  contenus  dans 
les  premiers  Evangiles,  mais  il  objecte  qu'on  trouve  la 
même  profondeur  de  doctrine  dans  les  entretiens  de  Jé- 
sus avec  Nicodème  et  la  Samaritaine  (m,  1  et  suiv. 
IV,  7,  et  suiv.),  dans  celui  qu'il  eut  avec  les  Juifs  après 
la  guérison  de  l'homme  qui  était  malade  depuis  trente- 
huit  ans  (v,  17  et  suiv.),  et  dans  sa  dispute  après  avoir 
renvoyé  absoute  la  femme  accusée  d'adultère  par  les 
scribes  et  les  pharisiens  (viii,  12  et  suiv.);  mais  sur- 
tout dans  la  réponse  de  saint  Jean-Baptiste  à  ses  dis- 
ciples, lorsqu'ils  vinrent  lui  dire  que  JÉSUS  baptisait 


DE  l'authenticité  DES  ÉVANGILES.  257 

et  que  tout  le  monde  allait  à  lui  (m,  27-36).  On  peut 
accorder  à  Strauss  que  le  discours  que  le  Sauveur  tint 
à  Nicodème  est  à  la  vérité  assez  profond  ;  mais  il  faut 
considérer  que  Nicodème  étant  un  docteur  delà  loi, 
qui  croyait  déjà  aux  miracles  du  Sauveur,  et  qui  dési- 
rait être  entièrement  instruit  sur  le  fond  de  sa  doctrine, 
on  pouvait  lui  parler  de  cette  manière.  Quant  à  l'obscu- 
rité de  ce  passage,  que  Bretschneider  a  relevée  avant 
notre  antagoniste,  elle  (vient  peut-être  de  ce  que  saint 
Jean  n'a  rapporté  que  le  sommaire  de  cet  entretien,  en 
passant  sous  silence  les  explications  que  Jéscs-Christ 
y  avait  sans  doute  ajoutées.  Bretschneider  rejette  cette 
supposition,  bien  qu'il  reconnaisse  avec  les  interprètes 
que  le  discours  dans  ce  colloque  manque  de  liaison  et 
de  clarté;  mais  les  raisons  sur  lesquelles  il  s'appuie  sont 
de  nulle  valeur.  Quant  à  l'entretien  avec  la  Samaritaine, 
on  n'y  voit  rien  qui  puisse  surpasser  l'intelligence  de 
cette  femme,  et  qui  ne  s'accorde  parfaitement  avec  les 
notions  que  les  Samaritains  de  cette  époque  avaient  tou- 
chant le  Messie.  Nous  ne  saurions  disconvenir  que  dans 
l'Évangile  de  saint  Jean  les  témoignages  de  saint  Jean- 
Baptiste  en  faveur  du  Messie  ont  quelque  chose  de  plus 
élevé  que  ceux  des  autres  évangélistes.  Mais  ne  peut-il 
donc  pas  se  faire  que  le  saint  précurseur  ait  dit  en  fa- 
veur de  Jésus-Christ  quelque  chose  de  plus  élevé  dans 
un  temps  que  dans  un  autre?  Et  puisqu'il  l'avait  déjà 
dépeint  comme  la  victime  qui  effaçait  les  péchés  du 
monde,  et  comme  le  juge  des  bons  et  des  méchans,  pour- 
quoi ne  pouvait-il  pas  l'appeler  l'époux  de  l'Eglise,  et 
dire  qu'il  venait  du  ciel  et  qu'il  était  bien  au-dessus  de 
lui?  On  dira  sans  doute  que  ces  témoignages  du  saint 
précurseur  sont  exprimés  dans  le  style  de  saint  Jean 


258  DE  L'authenticité  des  évangiles. 

l'évangéliste  ;  mais  il  n'y  a  là  rien  qui  puisse  fournir 
la  matière  d'une  objection  contre  l'authenticité  de  son 
Evangile  ;  car  cet?  auteur  sacré  était  parfaitement  maître 
d'exprimer  les  discours  de  saint  Jean-Baptiste  selon  sa 
propre  manière,  et  de  leur  imprimer,  sans  en  changer  le 
sens,  son  cachet  particulier.  Les  autres  discours  de  Jé- 
sus-Christ (v,  viii)  qu'on  nous  objecte  ont  été  tenus  à 
Jérusalem  devant  des  Juifs  instruits  et  qui  provoquaient 
par  leurs  questions  des  réponses  où  devaient  nécessai- 
rement être  exposés  des  points  d'une  haute  doctrine. 
Enfin,  Bretschneider  et  Strauss  sont  entièrement  dans 
l'erreur  quand  ils  prétendent  qu'il  n'y  a  rien  de  pro- 
fond dans  la  doctrine  de  Jésus-Christ  telle  qu'elle 
nous  est  présentée  par  les  trois  premiers  évangélistes; 
car,  bien  que  la  plupart  des  discours  se  trouvant  adres- 
sés à  des  Juifs  de  Galilée  généralement  grossiers  soient 
en  effet  assez  simples,  on  y  remarque  cependant  quel- 
quefois des  points  de  doctrine  assez  relevés  et  assez  dif- 
ficiles, comme  la  filiation  divine  du  Sauveur  professée 
par  saint  Pierre,  son  ignorance  du  jour  du  jugement,  le 
péché  contre  le  Saint-Esprit,  et  plusieurs  autres  vérités 
non  moins  difficiles.  Bien  plus,  si  on  confère  avec  soin 
les  quatre  évangélistes,  on  découvrira  que  dans  plu- 
sieurs endroits  le  récit  des  trois  premiers  est  assez  ana- 
logue à  celui  de  saint  Jean,  et  que  saint  Jean  à  son  tour 
se  conforme  quelquefois  à  leur  simplicité.  Nous  en  avons 
surtout  un  exemple  dans  la  parabole  du  bon  pasteur  et 
de  la  porte  de  la  bergerie  (x,  1  et  suiv.). 

Telles  sont  les  principales  difficultés  qu'on  a  élevées 
contre  l'authenticité  de  nos  Evangiles;  il  faut  avouer 
qu'elles  sont  loin  de  détruire  et  même  d'affaiblir  les 
preuves  que  nous  avons  établies  dans  le  développement 


DE   l'authenticité   DES  ÉVANGILES.  259 

de  notre  proposition.  Nous  pouvons  donc  dire  en  toute 
assurance  avec  Duvoisin  :  «  Ou  les  livres  du  Nouveau- 
Testament  sont  authentiques,  ou  il  n'est  aucun  monu- 
ment un  peu  ancien  dont  l'authenticité  ne  puisse  être 
contestée.  Prenons  pour  exem.ple,  je  ne  dis  pas  les  poé- 
sies d'Homère,  les  Harangues  de  Démosthène,  ou  quel- 
que autre  écrit  de  cette  nature.  Il  est  évident  que  l'ou- 
vrage d'un  poète,  d'un  orateur,  d'un  historien,  quelque 
célébrité  qu'il  ait  eue,  ne  peut  soutenir  le  parallèle  avec 
des  livres  qu'une  société  immense  a  constamment  révé- 
rés comme  le  code  de  sa  foi,  de  sa  morale  et  de  sa  disci- 
pline. Plaçons  à  côté  des  Evangiles  les  Pandectes  de 
Justinien,  ou  la  Bulle  de  Charles  IV  qui  sert  de  base  à 
la  constitution  germanique,  et  supposons  que  vous  ayez 
à  combattre  un  sceptique  qui  en  conteste  l'authenticité; 
oii  chercherez-vous  des  preuves  pour  confondre  ce  cri- 
tique téméraire?  Dans  la  tradition  universelle  et  con- 
stante des  peuples,  dans  les  témoignages  exprès  des  au- 
teurs contemporains  ou  subséquens,  dans  le  caractère 
même  des  pièces  contestées,  dans  les  absurdités  innom- 
brables qu'entraîne  le  paradoxe  de  votre  adversaire. 
Eh  bien  !  toutes  les  preuves  que  vous  aurez  accumulées 
pour  défendre  la  Bulle  d'or  et  les  Pandectes,  je  puis 
m'en  emparer  et  les  tourner  contre  l'incrédule  qui  ose 
me  disputer  l'authenticité  des  Évangiles,  bien  assuré 
qu'elles  auront  toutes  en  faveur  de  ma  thèse  autant  ou 
plus  de  force  qu'en  faveur  de  la  vôtre  (1) .  » 

(1)  J.  1j.  Duvoisin,  Démonslr.  évang.  P.  ii^  n.  5,  conclus. 


260  DE   l'intégrité  DES  ÉVANGILES. 

CHAPITRE  SIXIÈME. 

DE   l'iXTÉGRITÉ   des   ÉVANGILES. 

Nous  avons  déjà  fait  observer  plusieurs  fois  (tome  i, 
pag.171,172, 190,  et  tomeiii,pag.69)  qu'un  livre  pou- 
vait être  altéré  ou  interpolé  de  deux  manières,  dans  sa 
substance,  ou  dans  ses  parties  moins  essentielles,  et 
que  toutes  les  fois  qu'il  s'agissait  de  défendre  l'intégrité 
de  nos  livres  saints,  nous  entendions  qu'ils  étaient  purs 
et  exempts  de  toute  interpolation  substantielle, mais  non 
point  de  ces  altérations  légères  qui  ne  touchent  en  rien  au 
fond  de  l'ouvrage.  D'après  ce  principe,  nous  ne  ferons 
pas  difficulté  d'avouer  avec  les  meilleurs  critiques,  que 
par  la  négligence  des  copistes  il  a  pu  se  glisser  quel- 
ques fautes  légères  dans  nos  saints  Evangiles,  et  d'ac- 
corder même  que  quelques  versets  qui  n'appartiennent 
point  aux  écrivains  sacrés  ont  pu  absolument  passer  de 
la  marge,  où  on  les  avait  mis  d'abord,  dans  le  texte  tel 
que  nous  le  possédons  aujourd'hui (1).  Ainsi  la  question 

(I)  Les  trente  mille  variantes  rassemblées  par  Mill  dans  son  édition 
du  Nouveau-Testament,  et  les  soixante  mille  au  moins  que  d'autres 
ont  recueillies  depuis,  ne  changent  rien  à  la  substance  du  texte  ;  tous 
les  critiques  en  conviennent  ;  il  n'est  pas  de  livre  profane  de  même 
volume  que  le  Nouveau-Testament,  quelque  correct  qu'on  le  suppose, 
qui  n'offre  le  double  de  leçons  différentes,  si  onTexamine  avec  le  scru- 
pule et  la  sévérité  qu'on  a  mise  pour  les  écrits  des  apùtres  et  des 
évangélisies.  En  effet,  les  critiques  qui  se  sont  occupés  de  recueillir 
les  variantes  du  Nouveau-Testament  ont  tenu  compte  de  la  moindre 
diû'érence  dans  la  prononciation  des  mots,  dans  l'emploi  de  l'esprit 
doux  ou  rude,  dans  celui  de  l'article  déterminatif,  dans  l'ordre  et  la 
position  des  mots,  bien  que  le  sens  des  mots  et  des  phrases  restât  tou- 
jours le  même.  Et  encore  pour  obtenir  ces  légères  variations,  on  ne 


DE   l'intégrité   des  ÉVANGILES.  261 

se  réduit  à  savoir  si  nos  quatre  Evangiles  contiennent 
aujourd'hui  quelque  fait  important,  quelque  point  de 
doctrine,  quelque  règle  de  mœurs  que  ne  renfermaient 
pas  les  originaux  tels  qu'ils  sont  sortis  de  la  main  des 
évangélistes  eux-mêmes.  Mais  cette  question  n'en  sau- 
rait être  une  réelle  pour  nous,  qui  établissons  comme  in- 
contestable la  proposition  suivante. 

PR0P0SITI0.\. 

Les  Évangiles  n'ont  point  été  altérés  dans  les  choses  essen- 
tielles. 

l.Nous  avons  démontré  dans  r/n^rorfwcfion  générale 
(tomei,  pag.  191-193)  que  le  texte  grec  du  Nouveau-Tes- 
tament n'avait  point  été  corrompu  quant  au  fond  et  à 
la  substance  des  choses  qu'il  contient.  Or  les  divers  ar- 
gumens  que  nous  avons  fait  valoir  pour  établir  cette 
thèse  sont  applicables  à  celle  que  nous  soutenons  ici  ; 
car  non  seulement  les  Evangiles  se  trouvent  compris 
dans  le  Nouveau-Testament,  mais  ils  en  forment  la  par- 
tie la  plus  importante. 

2.  L'histoire  de  l'Eglise  nous  fournit  une  nouvelle 
preuve  de  l'intégrité  de  nos  Evangiles  dans  le  zèle  et  la 
vigilance  constante  des  chrétiens  à  maintenir  ce  dépôt 
sacré  dans  toute  sa  pureté  primitive.  Dès  les  premiers 
siècles,  les  hérétiques,  pour  accréditer  leurs  erreurs,  es- 

s'est  pas  borné  à  conférer  les  manuscrits  du  texte,  mais  on  a  aussi  con- 
sulté toutes  les  anciennes  versions  et  toutes  les  citations  qui  se  trou- 
vent dans  les  ouvrages  des  pères  composés  à  dillérentes  époques  pen- 
dant cinq  cents  ans,  comme  l'a  judicieuM^ent  remarqué  M.  Norton 
dans  son  Authenticité  des  Évangiles,  ouvrage  dont  nous  avons  parlé 
vers  laSn  du  chapitre  précédent. 


262  DE   l'intégrité   DES  ÉVANGILES. 

sayérent  d'altérer  en  quelques  endroits  nos  écrits  évan- 
géliques  ;  mais  à  peine  ils  commencèrent  à  publier  leurs 
copies  falsifiées,  qu'il  s'éleva  dans  toute  l'Eglise  un  cri 
unanime  contre  ce  sacrilège.  Les  saints  docteurs  signa- 
lèrent avec  force  ces  altérations  ;  qu'il  nous  suffise  de 
nommer  saint  Irénee  etTertuUien  parmi  ces  sentinelles 
vigilantes.  Ainsi  ces  premières  tentatives  d'altérer  la  pu- 
reté du  texte  évangélique  ont  été  faites  sans  succès  ;  la 
fraude  a  été  découverte  au  moment  même  où  elle  a  été 
conçue  ;  et  les  exemplaires  falsifiés  n'ont  pas  même  sur- 
vécu aux  sectes  qui  les  avaient  enfantés.  Les  hérétiques 
postérieurs  au  troisième  siècle  n'ont  pas  osé  imiter  ceux 
qui  les  avaient  précédés  ;  ils  ont  bien  détourné  le  sens 
du  texte  qui  condamnait  leurs  fausses  doctrines,  mais  ils 
n'en  ont  jamais  contesté  l'intégrité.  Un  fait  rapporté  par 
Sozomène  montre  jusqu'à  quel  point  on  a  toujours  veillé 
dans  l'Eglise  à  ce  que  les  Évangiles  fussent  à  l'abri  de 
la  plus  légère  altération.  Triphylle,  évêque  de  Lèdres 
au  quatrième  siècle,  ayant,  dans  un  discours  oii  il  ci- 
tait cette  parole  de  Jésus-Christ  :  Toile grabatum  Hium 
et  ambuJa,  substitué  au  mot  grabatuin,  qu'il  ne  trou- 
vait pas  assez  noble,  celui  de  scimpodium,  qui  lui  parut 
plus  relevé,  saint  Spiridion,  évêque  de  Trémithonte,  qui 
était  présent,  le  reprit  vivement,  lui  demanda  s'il  savait 
mieux  que  l'évangéliste  de  quel  terme  il  convenait  de  se 
servir,  et,  à  la  vue  de  tout  le  peuple,  il  se  leva  de  son 
siège  et  s'en  alla  (1) .  Ce  zèle  et  cette  vigilance  à  conser- 
ver pur  et  intact  le  texte  sacré  de  nos  Evangiles  ne  se 
sont  jamais  démentis  un  seul  instant.  Personne  n'ignore 
que  le  verset  12  du  chapitre  xvii  de  l'Évangile  selon 

(l)Sozomcu.  Hist.  Eccl.  l.  i,  c.  ii. 


DE   L'iNTÉGP.ITli;   DES  ÉVANGILES.  263 

saint  Jean  ayant  été  altéré  dans  le  Nouveau-Testament 
selon  la  Vulgate  imprimé  à  Mons,  il  s'est  élevé  des  ré- 
clamations sans  nombre,  et  qu'à  l'édition  falsifiée  on  a 
opposé  tous  les  manuscrits,  toutes  les  éditions,  et  toutes 
les  versions  du  texte  (1). 

3.  Les  écrits  des  pères  font  foi  de  l'intégrité  actuelle 
de  nos  Evangiles,  aussi  bien  que  des  autres  livres  du 
Nouveau-Testament.  ((Parcourez,  dit  avec  raison  Du- 
voisin,  parcourez  les  écrits  innombrables  des  pères  de 
l'Eglise,  qui,  dans  leurs  commentaires,  dans  leurs  trai- 
tés dogmatiques,  dans  leurs  homélies,  ont  transcrit  en 
quelque  sorte  le  Nouveau-Testament  tout  entier,  vous  y 
trouvez  le  sens  et  presque  toujours  les  paroles  mêmes 
de  nos  livres  saints,  en  sorte  que  si,  par  impossible,  ces 
livres  venaient  à  disparaître  tout-à-coup,  il  serait  aisé 
de  les  refaire  en  rassemblant  les  citations  éparses  dans 
les  auteurs  ecclésiastiques  :  preuve  démonstrative  de 
l'intégrité  constante  des  livres  du  Nouveau-Testament, 
puisqu'il  en  résulte  que  nos  exemplaires  actuels  sont 
parfaitement  conformes  à  ceux  de  la  plus  haute  anti- 
quité (2).  » 

Malgré  tous  ces  divers  motifs,  on  a  opposé  plusieurs 
difficultés  à  la  thèse  que  nous  venons  de  soutenir,  nous 
allons  les  exposer  et  essayer  d'y  répondre. 

(1)  Le  texte  ordinaire  de  saint  Jean  porte:  «  Quos  dedisti  mihi 
custodivi,  et  ncmo  ex  lis  periit,  7iisi  filius  perditionisp)  au  lieu  de 
7ïisij  l'éditeur  de  Mons  avait  mis  sed;  substitution  qui  change  entiè- 
rement le  sens  de  la  phrase. 

(2)  Duvoisin,  Dcmomlr.  évawj.  ch.  ii,  n.  G« 


264  DE  L'INTÉGRITÉ  DES  ÉVANGILES. 

Difficultés  proposées  contre  l'intégrité  des  Evangiles ^  et 
Réponses  à  ces  difficultés. 

Obj .  1°  Une  preuve  incontestable  que  nos  Évangiles 
ont  été  interpolés,  disent  plusieurs  critiques  modernes, 
c'est  que  les  deux  premiers  chapitres  de  saint  Matthieu 
ne  se  trouvaient  ni  dans  l'Evangile  hébreu  des  ébio- 
nites,  ni  dans  le  Protévangile  ou  Évangile  primitif;  que 
saint  Marc  ne  dit  rien  de  ces  deux  chapitres,  et  que  saint 
Luc  a  donné  une  histoire  de  l'enfance  de  Jésus  tout-à- 
fait  différente  de  celle  qui  est  tracée  dans  ces  deux  cha- 
pitres . 

Rép.  Ces  raisons  que  l'on  donne  pour  rejeter  comme 
une  interpolation  les  deux  premiers  chapitres  de  saint 
Matthieu  n'ont  aucun  fondement  solide  ;  et  avant  d'y 
répondre  directement,  nous  allons  exposer  quelques  ar- 
gumens  critiques,  soit  extrinsèques,  soit  intrinsèques, 
qui  suffisent  seuls  pour  les  détruire  de  fond  en  comble. 
Et  d'abord  tous  les  manuscrits  et  toutes  les  versions  con- 
tiennent ces  deux  chapitres,  et  si  dans  le  nombre  on  en 
trouve  qui  ne  font  commencer  l'Évangile  de  saint  Mat- 
thieu qu'au  verset  18  du  chapitre  i,  on  peut  dire  que 
c'est  parce  que  la  généalogie  qui  comprend  les  dix-sept 
premiers  versets  est  considérée  plutôt  comme  une  pré- 
face que  comme  l'Évangile  lui-même.  Cette  supposition 
est  d'autant  plus  probable  que,  comme  le  remarque 
Griesbach,  tous  les  manuscrits  de  saint  Matthieu  divi- 
sés par  titres  et  par  sections  ne  comptent  jamais  la  pre- 
mière section,  de  manière  que  le  premier  chapitre  com- 
mence toujours  à  la  seconde.  Au  reste,  quoiqu'il  en  soit 
de  ces  divisions,  dans  tous  les  manuscrits  actuellement 


DE    L  I.XTEGRITE   DES   EVANGILES.  265 

exislans  et  clans  toutes  les  versions,  y  compris  la  copie, 
la  syriaque  Peschito  et  l'ancieiine  Italique,  ces  deux  cha- 
pitres font  partie  de  l'Évangile  de  saint  Matthieu  (1). 
Ajoutons  que  les  pères  de  l'Eglise  même  les  plus  anciens 
ont  cité  ces  deux  chapitres  comme  appartenant  à  TÉ  van  • 
gile  de  saint  Matthieu  ;  car  sans  parler  de  saint  Jérôme, 
de  saint  Augustin,  de  saint  Epiphane,  d'Origène  et  de 
Clément  d'Alexandrie,  saint  Irénée  ne  raconte-t-il  pas 
précisément  ce  qui  est  contenu  dans  cet  important  frag- 
ment, et  ne  nomme-t-il  pas  expressément  la  source  où 
il  Ta  puisé?  Ne  trouvons-nous  pas  exactement  la  même 
chose  dans  TertuUien  ?  Et  saint  Justin  passe-t-il  sous 
silence  un  seul  trait  de  cette  partie  de  l'histoire  évan- 
géîique  (2)?  Et  qu'on  ne  dise  point  que  c'est  ailleurs  que 
le  savant  père  a  pris  ces  citations,  parce  que  tout  son 
récit  porte  les  traces  les  plus  sensibles  de  l'Évangile  de 
saint  Matthieu.  Ainsi,  par  exemple,  quand  il  rapporte  de 
l'Ancien-Testament  les  mêmes  passages  que  notre  évan- 
géliste,  au  lieu  de  les  prendre  dans  les  Septante,  comme 
il  lui  arrive  dans  toutes  les  autres  circonstances,  il 
abandonne  ces  interprètes  pour  suivre  saint  Matthieu, 

(1)  On  avail  cru  ù'aûorJ  que  le  maauscrit  dit  Codex  Ebnerianusj 
parce  qu'il  appartenait  autrefois  à  Jérùnic-Guillaume  Ebner  de  Es- 
chenbach,  à  Nuremberg,  et  qui  est  noté  105  dans  la  part,  i  du  Nou- 
veau-Testament de  Wetstein,  ne  contenait  pas  le  premier  chapitre  de 
saint  Matthieu,  mais  on  est  revenu  de  cette  idée  depuis  que  le  doc- 
teur Glaber,  l'ayant  examiné  avec  plus  de  soin  qu'on  ne  l'avait  fait 
avant  lui,  a  déclaré  qu'il  était  tout-à-fait  certain  que  ce  chapitre  se 
trouvait  dans  ledit  manuscrit.  Voy.  Hug,  Einleit.  ins  I\'.  2\  Th.  ii 
Seit.  244.  ^.'///.  2. 

(2)  Iren.  Adv.  hœres.  L  m,  c.  ix.  TcrtuU.  Conf>'.  Marcion.  L  v, 
c.  IX.  Justin.  Dialorj,  cum  Tnjpfi.  pag.  86,  87.  Rob.  Sieph. 

V.  n 


266  DE   l'intégrité  DES  ÉVAx\GILES. 

non  seulement  en  se  rapprochant  ou  en  s'éloignant  exac- 
tement comme  lui  du  texte  hébreu,  mais  en  le  rendant 
par  les  mêmes  mots  et  presque  syllabe  par  syllabe.  Les 
anciens  hérétiques  eux-mêmes  prouvent  que  ces  deux 
premiers  chapitres  passaient  de  leur  temps  pour  faire 
partie  du  livre  de  saint  Matthieu.  Et  d'abord  Gelse,  qui 
a  continuellement  cité  nos  quatre  Évangiles,  en  a  aussi 
appelé  à  des  passages  contenus  dans  ces  mêmes  chapi- 
tres. Il  suffit  pour  s'en  convaincre  de  se  rappeler  les 
passages  que  nous  avons  cités  de  lui  dans  le  chapitre  pré- 
cédent (pag.  201, -202).Carpocrate  et  Cérinthe  les  admet- 
taient incontestablement  à  ce*  titre,  puisqu'ils  se  fon- 
daient sur  la  généalogie  pour  prouver  que  Jésus  était 
fils  naturel  de  Joseph  (1).  Secondement,  les  caractères 
intrinsèques  de  ces  deux  chapitres  montrent  avec  la 
même  évidence  qu'ils  ne  sont  point  une  interpolation 
faite  à  l'Évangile  authentique  de  saint  Matthieu.  La  par- 
ticule rTz,  qui  se  trouve  au  chapitre  m,  verset  1,  étant  une 
particule  déconnexion,  suppose  nécessairement  un  dis- 
cours précédent.  Ainsi  ce  chapitre  m  ne  saurait  être 
le  commencement  de  l'Évangile.  Ajoutons  que  les  pre- 
miers motsdumêmechapitre,  qui  sont  :  Dans  ces  jours-là, 
supposent  égalem.ent  un  temps  antérieur  dont  on  vient 
de  parler.  On  ne  trouverait  pas  dans  toute  la  Bible  un 
seul  exemple  d'un  livre  qui  commençât  de  cette  manière. 
Aussi  les  ébionites,  qui  répudiaient  ces  deux  premiers 
chapitres,  ont  substitué  à  l'expression  :  Mais  dans  ces 
jours-là f  cette  autre  :  Il  arriva  dans  les  jours  d'Bérode, 
roi  de  Judée,  que  Jean,  etc.  (2).  Cequi,  soit  dit  en  passant, 

(1)  Epiphan.  Hœres.  xxx,  c.  xiv. 

(2)  Epiphan.  ibid.  c.  xiv. 


DE   l'intégrité   des   ÉVANGILES.  267 

constitue  un  anachronisme  manifeste;  car,  comme  l'a 
fort  judicieusement  fait  observer  Michaëlis,  Hérode,  roi 
de  Judée,  était  mort  depuis  près  de  trente  ans  lorsque 
saint  Jean-Baptiste  commença  à  prêcher  (1).  De  plus, 
on  lit  au  chapitre  m,  verset  13,  que  Jésus  vint  de  Ga- 
lilée. Or,  cette  phrase  se  conçoit  très-bien  dans  l'hypo- 
thèse que  les  deux  chapitres  précédens  appartiennent 
réellement  à  l'Evangile  de  saint  Matthieu,  dans  lequel 
nous  la  lisons,  puisqu'il  y  est  dit  que  Jésus  habita  à  Naza- 
reth, en  Galilée,  d'où  il  vint  pour  recevoir  le  baptême  de 
Jean  ;  tandis  que  dans  la  supposition  contraire,  il  serait 
plus  qu'étrange  de  faire  figurer  tout  d'un  coup  dans  le 
récit  un  grand  personnage,  et  de  le  présenter  comme 
venant  de  la  Galilée,  sans  avoir  dit  auparavant  quel 
était  le  lieu  de  son  habitation.  Enfin,  pour  peu  que  l'on 
compare  ces  deux  chapitres  avec  tous  les  autres,  on  ne 
pourra  s'empêcher  d'y  reconnaître  le  style  propre  à  saint 
Matthieu  et  sa  manière  de  citer  l'Ancien-Testament.  — 
Passons  maintenant  aux  différentes  parties  de  l'objec- 
tion. Nous  convenons  sans  peine  que  l'Évangile  des 
ébionites  ne  contenait  pas  les  deux  chapitres  en  question  ; 
mais  on  sait  que  ces  hérétiques  les  rejetaient  uniquement 
par  un  motif  d'intérêt  particulier  pour  leur  secte,  ces 
chapitresexprimant  la  conception  miraculeuse  de  Jésus- 
Christ,  laquelle  n'était  point  admise  parmi  eux.  D'ail- 
leurs leur  Evangile  était  regardé  par  l'Eglise  univer- 
selle comme  un  Evangile  falsifié  et  tronqué  (2).  Quant 
au  Protévangile,  nous  avons  montré  un  peu  plus  haut 

(1)  J.  D.   Michaëlis,   Inlrod.  au  N.  T.  vol.  m,  part.  I,  pag.  179, 
êdit.  anrjl.  de  Herbert  Marsh. 

(2)  Epiphan.  Hœres.  xxx,  c.xiii. 


268  DE    L'IKTÉGRITÈ   des   ÉVANGILES. 

(pag.  250-252)  que  ce  n'était  qu'une  pure  chimère  qui  n'a- 
vait jamais  existé  que  dans  l'imagination  de  ses  parti- 
sans. En  second  lieu,  de  ce  que  saint  Marc  ne  dit  rien  de 
ces  deux  chapitres,  il  ne  s'ensuit  nullement  qu'ils  fussent 
étrangers  à  l'Évangile  de  saint  Matthieu  ;  car'autrementil 
faudrait  encore  retrancher  du  livre  de  ce  même  écrivain 
sacré  le  sermon  de  Jésus  sur  la  montagne  et  plusieurs 
autres  traits  que  saint  Marc  a  également  passés  sous  si- 
lence. Nos  adversaires  devraient  faire  attention  que  tous 
les  évangélistes  n'ont  pas  prétendu  ne  rapporter  que  les 
mêmes  faits, mais  qu'ils  avaient  chacun  son  dessein  par- 
ticulier. Troisièmement  enfin,  quoique  les  circonstances 
des  premières  années  de  Jésus-Christ  rapportées  dans 
les  premiers  chapitres  que  nous  attribuons  à  saint  Mat- 
thieu ne  soient  pas  les  mêmes  que  celles  qui  se  trou- 
vent racontées  dans  l'Evangile  de  saint  Luc,  il  n'y  a 
cependant  point  de  contradiction  réelle,  comme  l'ont 
prouvé  les  critiques  et  les  interprètes.  On  objecte  sur- 
tout qu'il  est  impossible  de  concilier  les  deux  généalo- 
gies. Mais  quand  nous  ne  connaîtrions  pas  le  moyen  de 
le  faire,  il  ne  s'ensuivrait  pas  qu'elles  soient  absolument 
inconciliables;  et, en  bonne  critique,  l'on  ne  voit  pas 
trop  pourquoi  dans  ce  conflit  on  se  prononcerait  en  fa- 
veur d'un  évangéliste  plutôt  qu'en  faveur  de  l'autre, 
quand  il  n'y  a  rien  d'ailleurs  qui  prouve  que  les  deux 
chapitres  contestés  ne  soient  réellement  point  l'ouvrage 
de  saint  Matthieu.  Au  reste,  ces  objections,  qui  sont  plus 
spécialement  théologiques,  trouveront  leur  réfutation 
dans  l'ouvrage  où  nous  répondrons  aux  difficultés  par- 
ticulières de  l'Écriture. 

Obj.  2°  Il  est  hors  de  doute,  disent  quelques  protes- 
tans  modernes,  que  les  douze  derniers  versets  du  cha- 


DE   l'intégrité   des  ÉVaNCILES.  2G9 

pitre  XVI  de  saint  Marc  ont  été  ajoutés  au  livre  de  cet 
évangéliste  par  une  main  étrangère.  En  effet,  saint  Gré- 
goire de  Nysse  dit  que  l'Évangile  de  saint  Marc  se  ter- 
mine, dans  des  manuscrits  plus  exacts,  aux  mots  :  Car 
elles  craignaient  ;  et  saint  Jérôme  affirme  que  ce  fragment 
ne  se  trouvait  pas  dans  presque  tous  les  exemplaires 
grecs  (1). 

Rép.  Ces  autorités  se  trouvent  balancées  par  d'autres, 
comme  le  remarque  judicieusement  Huji  (2).  Et  d'abord 
saint  Jérôme  met  lui-même  une  restriction  à  son  témoi- 
gnage, quand  ,  parlant  d'une  variante  du  verset  li,  il 
dit  qu'elle  se  trouvait  dans  certains  exemplaires,  et  sur- 
tout dans  des  manuscrits  grecs  :  In  quibusdam  exem- 
plarihis  et  maxime  grœcis  codicibiis .  Qadini  à  saint  Gré- 
goire ,  que  faut-il  entendre  par  ses  manuscrits  plus 
exacts?  Peut-être  des  manuscrits  plus  correctement 
écrits;  mais  cet  avantage  n'ajouterait  rien  à  leur  auto- 
rité critique.  D'un  autre  côté,  nous  avons  en  faveur  de 
ces  douze  versets  tous  les  manuscrits  grecs  actuellement 
existans,  à  l'exception  de  celui  du  Vatican  et  de  deux 
autres,  qui  les  marquent  d'astérisques.  Ajoutons  que  des 
scholies  mises  aux  manuscrits  actuels  font  foi  qu'on  les 
lisait  dans  plusieurs  anciens;  et  en  effet,  ils  se  trou- 
vaient dans  les  éditions  qu'Origène  ,  Lucien  et  Hésy- 
chius  ont  données  du  texte  du  Nouveau-Testament.  On  les 
lit  encore  dans  toutes  les  anciennes  versions,  la  syriaque 
dite  Veschito,  l'ancienne  Italique,  la  version  arménienne, 
la  syriaque  dite  de  Jérusalem,  et  la  Philoxénienne.  Ces 

(1)  Greg.  Nyss.  Orat.  ii  de  Rcsurrect.  Hieron.  Qnœsl.  ad  Hedib. 
quœst.  3. 

(2)  Hug.  Einlcit.  ins  IV.  T.  Th.  ii,  Scil.  ?48,  If. 


27(J  DE   l'intégrité   des   ÉVANGILES. 

versets  ont  été  cités  par  les  pères  même  les  plus  an- 
ciens, tels  que  saint  Justin,  saint  Irénée,  saint  Hippo- 
lyte,  saint  Denis  d'Alexandrie,  saint  Clément  aussi  d'A- 
lexandrie, saint  Cyrille  de  Jérusalem,  saint  Ambroise, 
saint  Augustin ,  saint  Léon ,  Cassien  et  une  multitude 
d'autres  ;  on  les  lit  dans  les  plus  anciens  livres  d'Evan- 
giles ,  tels  que  missels  et  lectionnaires  en  usage  dans 
toutes  les  églises.  A  ces  argumens  extrinsèques  vien- 
nent se  joindre  les  preuves  intrinsèques.  Car  on  trouve 
dans  ces  versets  le  style  et  la  manière  de  raconter  pro- 
pres à  saint  Itlarc.  Enfin  les  manuscrits  qui  ne  con- 
tiennent pas  ces  versets  sont  nécessairement  défectueux, 
parce  qu'il  est  impossible  que  saint  Marc  ait  terminé 
son  Evangile  par  ces  mots  :  Car  elles  craignaient.  Ce 
qui  prouve  notre  assertion,  c'est  que  dans  les  manu- 
scrits grecs  qui  ne  contenaient  pas  ce  fragment  on  avait 
ajouté  une  autre  conclusion.  De  là,  Griesbach ,  dont 
l'autorité  est  si  grande  en  pareille  matière ,  nomme  la 
fin  du  verset  8  conclusion  très-brusque  :  conclusio  abrup- 
tissima;  et  il  s'explique  un  peu  plus  bas,  en  disant  qu'il 
a  dû  paraître  incroyable  à  tout  le  monde  que  saint  Marc 
eut  ainsi  terminé  son  livre  :  Omnibus  incredibile  videri 
debebat,  Marcum  sic  finivisse  comment ariolutn suum  (1). 
On  a  donné  différentes  raisons  pour  expliquer  l'omis- 
sion de  ce  fragment  dans  ces  anciens  manuscrits.  Quel- 
ques-uns ont  dit  qu'ils  avaient  été  omis  pour  lever  la 
contradiction  qui  se  trouve  entre  le  verset  9  et  le  ver- 
set 1  du  chapitre  xxviii  de  saint  Matthieu,  par  rap- 
port à  l'heure  de  la  résurrection  du  Sauveur.  Mais  l'o- 

(1)  Griesbach,  Commenl.  cril.  in  lext.  cjrœc.  Parliciila  w.  png.  199. 
^piid  Hug,  ibid.  S  cil.  253. 


DE    l'intégrité  des  ÉVANGILES.  271 

mission  de  tant  de  versets  peut  difficilement  se  concilier 
avec  le  respect  dont  les  premiers  chrétiens  étaient  pé- 
nétrés pour  le  texte  des  saints  Évangiles.  D'autres  ont 
prétendu  que  saint  Marc  ayant  été  surpris  par  la  mort 
quand  il  en  était  au  verset  8,  le  reste  de  son  Evangile  avait 
été  terminé  brièvement  par  une  main  étrangère  ;  hypo- 
thèse contraire  non  seulement  à  l'histoire,  qui  nous  ap- 
prend que  saint  Marc,  après  avoir  composé  sonEvaiigile 
à  Rome,  le  porta  à  Alexandrie,  mais  encore  au  caractère 
particulier  de  ces  versets,  qui  portent  l'empreinte  sen- 
sible du  génie  de  cet  évangéliste.  De  son  côté.  Hug 
suppose  que  la  mort  de  saint  Pierre  étant  survenue  dans 
le  temps  où  saint  Marc  terminait  son  Evangile,  le  força 
de  quitter  son  ouvrage  sans  y  avoir  mis  la  dernière 
main;  qu'il  le  laissa  à  Rome  dans  cet  état,  et  qu'on  en 
tira  des  copies  ;  mais  qu'arrivé  à  Alexandrie,  il  y  ajouta 
la  conclusion  telle  que  nous  l'avons  dans  nos  manu- 
scrits actuels,  c'est-à-dire  assez  écourtée  ;  par  la  raison 
que  se  trouvant  privé  des  directions  de  saint  Pierre,  il 
crut  devoir  éviter  les  détails  et  se  borner  à  rapporter 
les  traits  généraux.  Cette  hypothèse,  très -ingénieuse 
d'ailleurs  ,  n'offre  aucune  impossibilité.  Enfin  d'autres 
pensent  que  ces  versets  ont  pu  manquer  dans  quelque 
ancien  manuscrit,  soit  parce  que  le  feuillet  qui  les  con- 
tenait était  perdu,  soitparce  que  le  calligraphe  se  trou- 
vant au  bout  de  son  rouleau  n'a  pu  les  écrire,  et  qu'en- 
suite on  a  tiré  des  copies  de  ce  manuscrit  imparfait. 
Quoiqu'il  en  soit  de  toutes  ces  hypothèses,  il  nous  sem- 
ble que  les  argumens  que  nous  venons  de  produire  ne 
permettent  pas  de  conserver  le  moindre  doute  fondé  sur 
l'authenticité  du  chapitre  xvi  tout  entier  de  l'Évangile 
de  saint  Marc. 


272  DE   L'iNTÉGPJTfi   DES   ÉVAXGTLES. 

Obj.  S''  L'histoire  de  la  sueur  de  sang  de  Jésus- 
Christ  et  de  r<?pparition  de  l'ange  pour  fortifier  le  Sau- 
veur dans  son  agonie,  histoire  rapportée  au  chapi- 
tre XXII,  versets  43,  kk  de  l'Evangile  de  saint  Luc,  peut 
passer  pour  une  interpolation  ;  puisque  saint  Hilaire  dit 
qu'elle  manquait  dans  beaucoup  de  manuscrits  grecs  et 
latins,  et  que,  selon  Photius,  les  Arméniens  crurent  de- 
voir la  retrancher  de  l'Evangile  de  saint  Luc  (1). 

Réj).  Nous  ne  saurions  mieux  répondre  à  cette  objec- 
tion, qu'en  disant  avec  Janssens  (2)  :  a  II  faut  nécessai- 
rement que  les  deux  versets  où  se  trouve  cette  histoire 
ou  aient  été  omis  par  la  négligence  des  copistes,  ou  re- 
tranchés à  dessein  par  des  hommes  qui  craignaient  mal 
à  propos,  comme  l'observe  saint  Jérôme,  que  ces  dou- 
loureux témoignages  de  la  nature  humaine  de  Jésus  ne 
fissent  tort  à  sa  divinité.  L'exemple  des  Arméniens  jus- 
tifie cette  seconde  supposition;  car,  suivant  Nicon,  par 
un  scrupule  tout-à-fait  malentendu,  ils  regardaient  cette 
histoire  comme  indigne  de  la  divinité  de  Jésus-Christ, 
et  Photius  lui-même  condamne  leur  erreur  à  cet  égard. 
Saint  Epiphane  fait  une  réflexion  analogue  ;  après  avoir 
dit  que  dans  quelques  exemplaires  de  l'Evangile  de  saint 
Luc  on  avait  supprimé  le  verset  ki  du  chapitre  xix , 
où  il  est  dit  que  le  Sauveur  pleura  sur  Jérusalem ,  il  ajoute 
que  ceux  qui  s'étaient  permis  ce  retranchement  ne  l'a- 
vaient fait  que  dans  l'idée  mal  fondée  que  ces  pleurs 
étaient  indignes  de  Jésus-Christ  (3).  Mais  cette  his- 
toire se  trouve  d'ailleurs  dans  la  plupart  des  manuscrits 

(1)  Hilar.  De  Trvnt.  l.  u,  c.xr.i.  Phoiius,  Episl.  138. 

(2)  J.  H.  Janssens,  Hennen.  sacr.  %  clxxxvh,  n.  436. 
(3)Epipban.  Anchor.  c.  xxr. 


DE   L'iNTÉGRITf:   DES   ÉVANGILES.  273 

grecs  et  latins  et  des  plus  anciennes  versions  ;  elle  est 
citée  par  saint  Irénée,  saint  Justin,  saint  Épiphane,  saint 
Hippolyte,  saint  Chrysostome,  saint  Augustin,  etc.  (1).» 
Ajoutons  qu'en  bonne  critique  il  est  plus  facile  d'assigner 
la  cause  de  l'omission  de  ces  versets  dans  quelques 
exemplaires  que  celle  de  leur  insertion  dans  tous  les 
manuscrits  actuels  et  dans  tous  les  plus  anciens.  Enfin 
le  saint  concile  de  Trente  ayant  déclaré  que  la  Vulgate, 
avec  toutes  ses  parties,  telles  qu'elles  se  lisent  dans  l'E- 
glise ,  était  authentique ,  et  ces  mêmes  versets  faisant 
partie  de  la  Vulgate  et  se  lisant  dans  l'Église,  pourrait- 
on  les  regarder  comme  une  interpolation  faite  à  l'Évan- 
gile de  saint  Luc  ? 

Obj.  4.°  Le  verset  k  du  chapitre  v  de  l'Évangile  se- 
lon saint  Jean,  disent  beaucoup  de  critiques  modernes, 
peut  être  considéré  comme  une  addition  intercalée  dans 
cet  Evangile  par  une  main  étrangère.  Plusieurs  raisons 
concourent  à  le  prouver.  D'abord  ce  verset  manque 
dans  trois  anciens  manuscrits,  celui  du  Vatican,  le  codex 
Ephremiy  le  manuscrit  de  Cambridge,  et  deux  autres; 
il  manque  encore  dans  plusieurs  manuscrits  des  ver- 
sions copte  et  arménienne;  enfin  dans  cinq  manuscrits 
de  la  version  latine.  Ajoutez  à  cela  qu'il  se  trouve  dans 
dix  manuscrits  grecs  marqué  d'une  étoile,  comme  étant 
une  addition,  et  dans  deux  autres  marqué  d'une  bro- 
che, qui  est  également  un  signe  d'interpolation.  Enfin, 
dans  d'autres  manuscrits  il  est  placé  à  la  marge  et 

(1)  Hieron  Dial.  2  contr.  Pelag.  Nico.  De  Pess.  Rel.  Ârm.  apud 
Calmet.  Phoiius,  ibid.  lien.  Adv.  hœres.  l.  xsxiii,  c.  xxxiii.  Justin. 
Dial.cum  Tryph.  Epiphan.  Anchor.  c.  xxxi.  Hippolyt.  Contr.  Noe- 
tum,  c.  xiii.  Chrysost.  Hom.  LX\\i\  in  Matl/i.Au^ust.  De  concord, 
Evany. 

12. 


274  DE   l'intégrité   des   ÉVANGILES. 

tracé  d'une  écriture  différente,]  ou  bien  il  ne  se  lit  pas 
de  la  même  manière.  En  second  lieu,  Origène  paraît  ne 
l'avoir  pas  eu,  du  moins  il  ne  l'explique  pas  dans  ses 
Commentaires;  ce  qu'il  n'eût  pas  manqué  de  faire,  s'il 
l'eût  cru  authentique.  Tertullien  y  fait  allusion,  mais  il 
y  ajoute  des  circonstances  qui  ne  se  trouvent  pas  dans 
le  texte  actuel.  Il  dit,  par  exemple,  que  l'ange  ne  descen- 
dait qu'une  fois  l'année,  et  que  la  vertu  curative  des 
eaux  a  cessé  à  la  venue  de  Jésus-Ghrist  (1).  Troisiè- 
mement, si  on  interroge  la  critique,  elle  ne  manquera 
pas  de  répondre  qu'il  est  plus  facile  d'expliquer  l'addi- 
tion que  l'omission.  On  peut  supposer  avec  Mill  que  ce 
verset  se  trouvait  dans  l'Evangile  des  Hébreux;  et 
comme  il  explique  très-bien  la  réponse  du  paralytique 
à  Jéscs-Christ  ,  on  l'aura  d'abord  mis  à  la  marge, 
comme  il  s'y  trouve  effectivement  encore  dans  quelques 
manuscrits  ;  de  la  marge ,  il  sera  passé  dans  le  texte , 
mais  marqué  d'une  étoile  ou  d'une  obèle,  tel  que  nous  le 
voyons  encore  dans  douze  manuscrits.  Enfin,  après  que 
les  copistes  auront  négligé  ces  marques,  il  sera  devenu 
partie  du  texte.  D'un  autre  côté,  comme  il  n'était  dans 
l'origine  qu'une  note  marginale  ajoutée  pour  expliquer 
la  réponse  du  paralytique,  on  conçoit  comment  il  se 
trouve  différemment  expliqué  dans  les  manuscrits  et  les 
versions.  Au  lieu  qu'on  ne  voit  point  de  raison  qui  au- 
rait pu  engager  à  l'omettre.  D'abord  ce  n'est  point  par 
hasard  qu'il  a  été  omis,  puisque  des  manuscrits  de  dif- 
férentes recensions  ne  le  portent  point  ;  l'opération  de 
l'ange  et  le  miracle  des  eaux  de  la  piscine  ne  devaient 
pas  être  un  motif  de  le  supprimer;  caries  anciens  chré- 

(1)  Tertull.  Adv.  Judœos,  xui. 


DE   L'INTKGRITÉ   des  ÉVANGILES.  275 

liens  ne  trouvaient  dans  ces  opérations  merveilleuses 
rien  qui  pût  les  choquer.  Ajoutons  qu'il  y  avait  dans  le 
verset  même  une  raison  de  le  conserver,  puisque  sans 
lui  la  réponse  du  paralytique  devenait  obscure,  et  lais- 
sait la  narration  évangélique  imparfaite.  Quatrièmement 
enfin,  les  plus  habiles  critiques  protestans  pensent  qu'il 
est  au  moins  douteux  que  ce  verset  appartienne  réelle- 
ment à  l'Évangile  de  saint  Jean. 

Rép.  Quelque  forte  que  paraisse  cette  objection  au 
premier  abord ,  nous  croyons  trouver  dans  les  seules 
ressources  que  fournit  la  critique  un  moyen  sûr  de  dé- 
truire l'illusion  qu'elle  peut  faire  sur  l'esprit  du  lecteur. 
Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  nous  avons  en  faveur 
du  verset  contesté  le  plus  grand  nombre  de  manuscrits, 
l'autorité  de  la  plupart  des  anciennes  versions,  et  celle 
de  la  plus  grande  partie  des  pères,  parmi  lesquels  nous 
comptons  ïertullien,  saint  Jean  Chrysostome,  saint  Cy- 
rille ,  ïhéophylacte  et  Euthymius,  etc.  Que  TertuUien 
ajoute  au  texte  des  circonstances  qui  ne  s'y  trouvent 
réellement  pas  ,  ce  fait  ne  saurait  nuire  à  l'authenticité 
de  ce  même  texte  ,  à  moins  qu'il  n'y  ait  dans  la  citation 
du  père  quelque  chose  qui  exprime  de  sa  part  un  doute 
quelconque  sur  son  origine  authentique.  Or  il  ne  s'y 
trouve  incontestablement  rien  ,  comme  on  peut  facile- 
ment s'en  convaincre  en  jetant  un  coup  d'oeil  sur  ce 
qu'il  dit  de  la  piscine  de  Bethsaide  (1) .  De  plus,  ce  ver- 


(1)  «  Angelum  aquis  intervenire,  si  novum  videtur,  exemplum  fu- 
turum  pra'cucixrrit.  Piscinam  Bethsaïda  angclus  inlcrvcnienscommo- 
vebat  :  obscrvabant  qui  valeludincni  qucercbanlur.  Nam  si  quis  pra3- 
voneral  descendere  iiluc,  queri  post  lavacrum  dcs;nebat(Tcriull.  De 
bapi'nmo,  n.  vi),» 


276  DE   l'intégrité  des   ÉVANGILES. 

set  se  lit  encore  dans  toutes  les  versions  qui  sont  au- 
jourd'hui à  l'asage  des  églises  chrétiennes.  Ainsi,  à  con- 
sidérer la  question  sous  le  point  de  vue  des  témoignages 
externes  ,  le  passage  contesté  concilie  en  sa  faveur  un 
plus  grand  nombre  d'autorités.  Pour  bien  sentir  toute 
la  force  des  preuves  internes  qui  établissent  l'authenti- 
cité de  ce  verset,  il  faut  nécessairement  l'avoir  sous  les 
yeux.  Le  voici  donc  traduit  littéralement  de  la  Vulgate  : 
c(  Car  l'ange  du  Seigneur  descendait  à  certain  temps 
dans  la  piscine,  et  l'eau  était  agitée.  Et  celui  qui  entrait 
le  premier  après  que  l'eau  avait  été  agitée  était  guéri , 
quelque  maladie  qu'il  eût.»  Or  la  suite  et  la  liaison  du 
discours  exigent  impérieusement  que  ce  verset  fasse 
partie  du  récit  que  trace  ici  l'évangéliste  ;  car  il  est  dit 
immédiatement  après ,  que  Jésus  ayant  demandé  à  un 
malade  qui  était  près  de  la  piscine  s'il  voulait  être 
guéri,  cet  homme  répondit  :  «  Seigneur,  je  n'ai  personne 
pour  me  jeter  dans  la  piscine  après  que  l'eau  a  été  agi- 
tée ;  et  pendant  le  temps  que  je  mets  à  y  aller,  un  autre 
y  descend  avant  moi.»  Qui  ne  voit  en  effet  que  la  ré- 
ponse du  malade  suppose  nécessairement  le  verset  4  ; 
c'est-à-dire  qu'elle  suppose  évidemment  que  pour  être 
guéri,  il  fallait  que  l'eau  eût  été  d'abord  agitée,  et  que 
le  malade  fût  le  premier  qui  descendît  dans  la  piscine. 
Or  c'est  là  précisément  ce  qu'exprime  ce  même  verset  k. 
La  chose  a  paru  si  claire  à  Hammond  lui-même,  qu'il  ne 
craint  pas  de  dire  que  sans  rien  définir  sur  la  variété 
de  quelques  manuscrits,  ce  verset  est  absolument  né- 
cessaire à  la  liaison  du  discours ,  et  qu'il  s'attache  en 
conséquence  à  la  leçon  vulgate,  sans  avoir  égard  aux 
changemens,  d'ailleurs  discordans  entre  eux,  que  pour- 
raient suggérer  des  exemplaires  d'une  vénérable  anti- 


DE   L'iNTftGRITK   DES   ÉVANGILES.  277 

quité  (1) .  Enfin,  si  ce  verset  manque  dans  quelques  ma- 
nuscrits, c'est  sans  doute  la  faute  de  quelque  copiste  , 
qui,  par  inadvertance,  l'aura  omis,  et  dont  l'exemplaire 
fautif  aura  été  copié  par  d'autres.  Il  peut  se  faire  encore 
qu'un  copiste  ayant  regardé  comme  douteux  un  fait 
aussi  extraordinaire,  et  dont  les  livres  juifs  ne  font  au- 
cune mention  ,  l'aura  en  conséquence  marqué  d'une 
étoile  ou  d'une  obèle,  et  aura  donné  lieu  à  la  faire  dis- 
paraître entièrement  du  livre  (2). 

Obj.  5°  L'histoire  de  la  femmme  adultère  rapportée 
dans  l'Évangile  de  saint  Jean  (viii,  1-11)  peut  être  con- 
sidérée comme  ajoutée  par  une  main  étrangère;  car 
premièrement  les  manuscrits  les  plus  anciens,  tels  que 
Celui  du  Vatican ,  l'Alexandrin ,  le  Codex  Ephremi,  le  Ro- 
bert-Estienne,  et  plusieurs  autres  plus  modernes  ne  la 
contiennent  pas  ;  et  parmi  ceux  qui  la  portent,  il  en  est 
où  elle  se  trouve  marquée  d'une  obèle  ou  d'une  étoile. 
Enfin  quelques-uns  la  placent  dans  l'Evangile  de  saint 
Luc  ou  la  rejettent  à  la  fin  de  l'Evangile  de  saint  Jean. 
Secondement,  elle  manque  dans  la  version  syriaque 
Peschito,  dans  les  deux  coptes  memphitique  et  saïdique  ; 
dans  la  version  gothique  et  dans  plusieurs  manuscrits 
de  l'arménienne.  Troisièmement,  elle  n'a  point  été  ad- 

(1)  «  In  hac  varietate  GodJ.  nihil  definire  possumus,  nisi  quod 
toli  oralionis  seriei  quara  maxime  consentaneum  est,  quod  est  utad- 
han-camus  vulgaLf  Icclioni,  non  admissis  mutalionibus,  quas  nobis 
suggeruot  veneranda?  antiquitalis  codices,  invicem  contrariis  (TV^.  T, 
ex  versione  P^ulgata  cum  paraplirasi  et  adnolationibus  Henrici  Ha- 
mondi,  ex  angl.  lingua  in  lat.translat.  à  J.  Clerico.  Adnot.  in  Joan. 
c.  v).  » 

(2)  Voyez  M.  Scliolz  dans  les  prolégomènes  de  son  édition  critique 
du  JîouYcau-Testament. 


278  DE   l'intégrité   des  ÉVANGILES. 

mise  par  un  certain  nombre  de  pères  parmi  lesquels 
on  compte  Origène,  Apollinaire,  saint  Cyrille,  saint  Jean 
Chrysostome,  saint  Basile,  Théophylacte.  Ajoutons  que 
les  vingt-trois  auteurs  cités  dans  les  Chaînes  grecques 
n'en  disent  rien.  Euthymius,  le  premier  qui  l'ait  expli- 
quée, remarque  qu'elle  ne  se  trouve  pas  dans  les  manu- 
scrits exacts  ou  qu'elle  y  est  marque  d'une  obèle. 

Rép.  Ces  raisons,  quelque  spécieuses  qu'elles  soient, 
ne  nous  paraissent  point  assez  fortes  pour  nous  faire 
abandonner  l'authenticité  de  cette  histoire.  D'abord  elle 
se  lit  dans  six  anciens  manuscrits,  dont  un  est  celui 
de  ^Cambridge  ;  saint  Jérôme  nous  assure  que  de  son 
temps  elle  se  trouvait  dans  plusieurs  exemplaires  grecs 
et  latins.  Ajoutons  que  des  scholies  mises  aux  manu- 
scrits actuels  lémoignentqu'elle  se  trouvaitdans  des  ma- 
nuscrits anciens.  Elle  se  lit  d'ailleurs  dans  la  plupart 
des  manuscrits  actuels.  En  second  lieu,  plusieurs  an- 
ciennes versions  la  contiennent;  nous  pouvons  nommer 
l'ancienne  Italique,  la  Yulgate  de  saint  Jérôme,  la  ver- 
sion syriaque  de  Jérusalem,  l'éthiopienne  et  la  slavonne. 
Quant  à  la  version  arménienne,  elle  la  portait  aussi  pri- 
mitivement ;  et  ce  n'est  que  plus  tard  qu'on  l'en  a  re- 
tranchée. Troisièmement,  on  la  trouve  citée  dans  les 
Constitutions  apostoliques,  dans  saint  Ambroise,  saint 
Jérôme,  saint  Augustin,  saint  Léon,  saint  Pierre  Chry- 
sologue,  Gassiodore,  dans  les  deux  harmonies  qui  sont 
attribuées  à  Tatien  et  à  Ammonius.  Quatrièmement,  les 
caractères  intrinsèques  prouvent  qu'elle  est  réellement 
l'ouvrage  de  saint  Jean  ;  car  le  style  est  tout-à-fait  celui 
de  cet  évangéliste,  et  d'un  autre  côté  les  interprètes 
ont  démontré  que  les  difficultés  qu'elle  présente  n'é- 
taient nullement  insolubles.   Mais  la  liaison  même  du 


DE    l'INTÉCRITÉ   des   ÉVANGILES.  279 

discours  prouve  l'authenticité  de  cette  histoire.  En  effet, 
le  verset  12  du  chapitre  viii  dont  elle  fait  partie,  com- 
mence ainsi  :  «  Jésus  parlant  de  nouveau  au  peuple,  etc. 
Or,  l'expression  de  nouveau  annonce  que  déjà  un  in- 
stant auparavant  le  Sauveur  s'était  adressé  au  peuple 
et  en  particulier  aux  pharisiens,  et  elle  serait  tout-à-fait 
déplacée  si  l'on  retranchait  l'histoire  dont  il  s'agit.  Et 
qu'on  ne  dise  pas  que  les  mots  de  nouveau  se  rappor- 
tent au  chapitre  précédent,  car  il  est  terminé  par  une 
assez  longue  discussion  des  Juifs  entre  eux,  discussion 
qui  finit  elle-même  par  :  Et  chacun  s'en  retourna  en  sa 
maison.  Enfin,  si  l'on  consulte  les  lois  delà  critique,  on 
reconnaîtra  aisément  qu'il  n'y  a  aucun  motif  qui  ait  pu 
déterminer  à  insérer  ce  fragment  dans  l'Evangile  de 
saint  Jean,  à  supposer  qu'il  soit  l'ouvrage  d'une^plume 
étrangère,  tandis  qu'il  y  a  plusieurs  causes  qui  expli- 
quent son  omission  d'une  manière  assez  naturelle.  Car, 
outre  qu'elle  se  trouvait  dans  l'Évangile  selon  les  Hé- 
breux, ce  qui  devait  la  faire  regarder  comme  suspecte, 
et  qu'elle  offre  plusieurs  difficultés  historiques,  en  même 
temps  qu'elle  semble  bouleverser  l'ordre  de  la  narration 
de  saint  Jean,  elle  peut  paraître  favoriser  l'adultère. 
«  Voici  quelle  a  été  la  cause  de  la  discordance  des  an- 
ciens manuscrits  à  cet  égard,  dit  judicieusement  Jans- 
sens  :  les  chrétiens  grecs,  par  une  délicatesse  excessive, 
crurent,  comme  le  remarque  saint  Augustin  (Deconjug. 
adulter.  l.  ii,c.  vu),  qu'on  ne  devait  pas  lire  dans  les 
Eglises  l'histoire  de  la  femme  adultère,  de  peur  que  le 
sexe  n'y  vît  une  autorisation  à  pécher  ou  au  moins  une 
excuse;  d'autres  craignaient  de  fournir  un  prétexte  aux 
gentils  pour  accuser  les  chrétiens  de  légitimer  un  si  grand 
péché.  D'où  il  est  arrivé  naturellement  qu'après  s'être 


280  DE   l'intégrité   DES  ÉVANGILES. 

borné  dans  les  commencemens  à  marquer  cette  histoire 
d'un  signe  particulier,  on  a  fini  par  ne  plus  l'insérer 
dans  les  copies  qui  devaient  servir  aux  lectures  publi- 
ques ;  et  celte  omission  aura  ensuite  servi  de  règle  pour 
quelques  autres  manuscrits  (1).  »  Ainsi,  en  résumé,  il  y 
a  plus  de  raisons  d'admettre  que  de  rejeter  cette  histoire, 
puisque  1°  elle  compte  en  somme  plus  de  manuscrits 
même  anciens  en  sa  faveur,  VAlexandinn  et  le  Codex 
Ephremi  qu'on  objecte  se  trouvant  mutilés  sur  cette 
partie  ;  2°  elle  oppose  six  versions  aux  deux  qu'on  al- 
lègue contre  son  authenticité  ;  3°  la  plupart  des  pères 
cités  comme  lui  étant  défavorables  ne  la  rejettent  pas 
positivement  ;  ils  n'en  parlent  jpas,  tandis  que  ceux  que 
nous  produisons  en  sa  faveur  l'admettent  de  la  manière 
la  plus  expresse;  circonstance  d'autant  plus  importante 
que  des  témoins  positifs  l'emportent  toujours  sur  des 
témoins  purement  négatifs,  et  que  cette  règle  doit  avoir 
d'autant  plus  de  poids  et  d'autorité  dans  la  question  ac- 
tuelle que  toutes  les  églises  chrétiennes  ont  reçu  cette 
histoire  depuis  un  temps  immémorial,  et  qu'elles  la  li- 
sent aujourd'hui  même  dans  l'office  public;  4°  les  preuves 
intrinsèques  qui  militent  en  sa  faveur  sont  tirées  du  style 
même  et  de  sa  connexion  la  plus  étroite  avec  les  antécé- 
dens  et  les  conséquens,  tandis  que  les  argumens  in- 
ternes qu'on  oppose  s'appuient  sur  des  difficultés  telles 
qu'il  s'en  trouve  dans  les  pièces  les  plus  incontestable- 
ment authentiques  ;  5°  enfin  il  y  a  plusieurs  raisons  qui 
peuvent  expliquer  son  omission  dans  quelques  versions, 
manuscrits,  etc.,  au  lieu  qu'il  n'y  en  a  pas  une  seule  qui 
puisse  justifier  son  insertion . 

(1)  Janssens,  Hermen.  sacr.  §  cxci,  7î.  440. 


DE    L'iXTl^XniTÉ    DES   ÉVANGILES.  281 

Obj.  6**  Le  chapitre  xxi  de  l'Evangile  de  saint  Jean, 
disent  après  Grotius  quelques  critiques  protestans,  est 
certainement  une  interpolation  faite  au  livrede  cet  évan- 
géliste;  on  en  trouve  facilement  la  preuve  :  1°  dans  les 
versets  30,  31  du  chapitre  xx,  où  l'auteur  dit  qu'il  ter- 
mine en  cet  endroit  son  Évangile  ;  S'*  dans  ce  qu'on  lit 
au  chapitre  xxi,  verset  23,  sur  l'immortalité  de  saint 
Jean  :  u  Ainsi  je  veux  qu'il  demeure  jusqu'à  ce  que  je 
vienne...  »  ;  3°  dans  \eip\nne\nou8 savons [oîSy. y.- j),  qui  se 
trouve  au  verset  2^  ;  h-"  dans  l'hyperbole  du  verset  25, 
où  il  est  dit  que  le  monde  entier  ne  pourrait  contenir  les 

i  livres  qu'on  écrirait,  si  on  voulait  rapporter  en  détail 
tout  ce  qu'a  fait  et  dit  Jéscs-Christ  ;  5°  dans  une  con- 
tradiction manifeste;  car, disent-ils,  leSauveur, lorsqu'il 
apparaît  à  ses  disciples  (xiv,  26),  leur  commande  de  ne 
point  sortir  de  Jérusalem  avant  d'avoir  reçu  le  Saint- 

;  Esprit,  ce  qui  est  attesté  par  saint  Luc  (xxiv,  i9)  et  par 
les  Actes  des  Apôtres  (i,  3-i)  ;  et  suivant  le  chapitre  xxi 
attribué  à  saint  Jean,  le  Christ  apparaît  aux  apôtres 
avant  la  descente  du  Saint-Esprit;  il  leur  apparaît  en 

!  Galilée  ;  par  conséquent  ils  étaient  sortis  de  Jérusalem. 
Rép.  Ces  difficultés  sont  bien  faibles,  ce  nous  semble  ; 
aussi  ont-elles  été  victorieusement  combattues  par  des 
critiques  très-distingués,  soit  catholiques,  tels  que  Ri- 
chard Simon,  Hug,  etc.,  soit  protestans, comme  Mill,Wet- 
stein,  Michaëlis,  Eichhorn,  etc.  Ces  critiques,  en  effet, 
avaient  à  donner  pour  raison  que  ce  chapitre  xxi  fait  par- 
tie de  l'Evangile  de  saint  Jean  dans  tous  les  manuscrits, 
dans  toutes  les  éditions;  que  tous  les  pères  et  tous  les 
écrivains  ecclésiastiques  qui  en  ont  parlé  l'ont  attribué 
àcet  évangéliste;  au  point  qu'on  ne  saurait  citer  avant 
Grotius  aucun  auteur,  catholique  ou  hérétique,  qui  ait 


282  DE    I/INTÉGRITÉ    DES   ÉVANGILES. 

jamais  eu  une  autre  pensée.  Au  contraire ,  toutes  les 
églises  du  monde  chrétien  l'ont  constamment  reçu  et 
lu  comme  véritablement  authentique.  Mais  entrons  dans 
les  détails  de  l'objection.  V  L'espèce  de  conclusion  qui 
termine  le  chapitre  xx  annonce  seulement  que  saint 
Jean,  au  moment  où  il  écrivait  le  dernier  verset  de  ce 
chapitre,  avait  à  la  vérité  l'intention  de  clore  son  Evan- 
gile; et  s'il  y  a  ensuite  ajouté  son  chapitre  xxi,  il  a  eu 
pour  motif  de  rattacher  l'apparition  rapportée  au  cha- 
pitre XX,  26-29,  à  celle  dont  il  est  parlé  dans  ce  cha- 
pitre XXI,  et  de  remplir  le  vide  entre  l'une  et  l'autre. 
Mais  ce  qui  est  bien  digne  d'attention,  c'est  que  saint 
Jean  paraît  avoir  remarqué  lui-même  que  la  place  de  ce 
fragment,  après  la  conclusion  du  chapitre  xx,  pouvait 
exciter  des  doutes,  et  qu'il  semble  avoir  voulu  les  pré- 
venir en  ajoutant  (xxi,  2i)  :  «C'est  ce  même  disciple 
qui  rend  témoignage  de  ces  choses  et  qui  les  a  écrites.» 
Ajoutons  que  les  caractères  intrinsèques  de  ce  chapitre 
suffiraient  d'ailleurs  pour  démontrer  qu'il  appartient  à 
saint  Jean;  l'étendue  de  la  narration,  toujours  accom- 
pagnée de  circonstances  qui  ne  pouvaient  être  connues 
que  d'un  témoin  oculaire  et  d'un  pêcheur  (versets  7,  8 
et  11)  ;  l'accord  des  faits  avec  les  caractères  des  per- 
sonnes (versets  7,  15-19) ,  et  le  style,  absolument  sem- 
blable à  celui  des  chapitres  précédens;  à  quoi  il  faut 
ajouter  le  témoignage  des  plus  anciens  pères,  des  ma- 
nuscrits et  des  versions  les  plus  anciennes.  2°  Suivant 
le  texte  grec,  où  se  trouve  la  particule  siv,  si,  il  faut  dire 
si  je  veux  qu'il  demeure...  et  non  pas  ainsi,  je  veux..., 
ce  qui  est  très-différent.  3"  Le  pluriel  employé  ici  par 
saint  Jean  n'est  point  une  nouveauté  dans  son  Evangile, 
et  il  en  a  fait  de  même  dans  les  chapitres  i,  14;  ui,  11, 


DE  l'ixtkgritf":  dpIs  I-VANGILES.  283 

et  au  chapitre  i,  1-3,  de  sa  première  Epître.  4-°  L'hy- 
perbole qu'on  objecte  est  une  de  ces  manières  de  parler 
familières  aux  Orientaux  ;  on  en  voit  des  exemples  dans 
la  partie  même  de  l'Evangile  de  saint  Jean  qui  n'est 
point  contestée  (xii,iO),  dans  la  Genèse  (xi,V),  dans  les 
Nombres  (xiii,  33),  etc.  b"  Enfin  la  défense  faite  aux 
apôtres  de  sortir  de  Jérusalem  n'eut  lieu  qu'après  l'ap- 
parition de  JÉsus-CnuiST  en  Galilée,  comme  il  est  con- 
stant par  les  chapitres  xxvi,  32;  xxviii,  7  et  10  de 
saint  Matthieu  :  on  y  lit  en  efi'et  que  ce  divin  Sauveur 
promit  à  ses  apôtres  qu'il  leur  apparaîtrait  la  première 
fois  dans  la  Galilée;  d'où  il  résulte  évidemment  que  ce 
fragment  ne  renferme  aucune  contradiction  ni  avec  l'ou- 
vrage même  avéré  de  saint  Jean,  ni  avec  les  autres  livres 
sacrés. 

Ainsi,  le  chapitre  xxï  de  l'Evangile  de  saint  Jean 
n'est  nullement  une  interpolation.  Si  quelque  partie  de 
ce  chapitre  pouvait  faire  naître  quelque  doute,  ce  se- 
raient tout  au  plus  les  deux  derniers  versets,  qui,  selon 
certains  critiques,  paraissent  écrits  par  une  main  autre 
que  celle  de  l'évangéliste;  mais  nous  ne  pensons  pas 
qu'on  puisse  produire  des  argumens  critiques  assez  so- 
lides pour  le  prouver  d'une  manière  satisfaisante.  Dans 
tous  les  cas,  il  faudrait  nécessairement  les  attribuer  à 
l'église  d'Éphèse;  ce  qui  serait  une  preuve  de  plus  en 
faveur  de  l'origine  apostolique  de  tout  l'Évangile  selon 
saint  Jean,  y  compris  même  le  chapitre  xxi. 

Obj.  7»  Il  est  certain,  disent  Collins  et  les  déistes  après 
lui,  que  les  Evangiles  ne  nous  ont  pas  été  transmis  dans 
leur  intégrité,  puisque  Victor,  évéque  de  ïunones,  ra- 
conte dans  sa  Chronique  :  (c  que  par  les  ordres  du  consul 
Messala,  sous  lerègnedel'enipereur  A  nastase,  les  saints 


284  DU  l'intégrité  des  évangiles. 

Évangiles,  composés  par  des  auteurs  ignorans  et  sans 
lettres,  avaient  été  retouchés  et  corrigés,»  et  que  d'un 
autre  côté  les  anciens  manuscrits  présentent  d'innom- 
brables variantes  (1). 

Rép.  Nous  ne  saurions  douter  que  Victor  s'est  laissé 
abuser  par  quelques  bruits  populaires  répandus  sur  un 
empereur  qui  était  odieux,  et  que  son  attachement  à  des 
doctrines  perverses  pouvait  faire  soupçonner  de  cher- 
cher à  altérer  les  sources  de  la  saine  doctrine.  La  preuve 
en  est  dans  le  silence  des  autres  historiens  et  chronolo- 
gistes  contemporains,  d'une  autre  réputation  que  la 
sienne,  tels  que  Procope,  Evagrius,  Cedrenus,  etc.,  qui, 
en  rapportant  les  impiétés  d'Anastase,  ne  disent  pas  un 
mot  de  cette  correction  des  Evangiles  ainsi  défigurés. 
Bien  plus,  nouslisons  dans  Libérât,  diacre  de  Carthageet 
contemporain  de  Victor,  un  fait  qui  contredit  celui  qu'on 
nous  oppose  ici.  Cet  auteur,  en  effet,  rapporte  dans  son 
abrégé  des  Hérésies  nestoriennes  et  eutychiennes,  que 
Macédonius,  évêque  de  Constantinople ,  passait  pour 
avoir  été  chassé  de  son  siège  par  l'empereur  Anastase 
comme  ayant  falsifié  les  Evangiles  (2).  Ainsi  on  ne  peut 
tirer  du  récit  de  Victor  de  Tunones  aucune  preuve  dé- 
favorable à  l'intégrité  de  nos  Evangiles.  Ajoutons  que 
les  manuscrits  grecs  antérieurs  au  règne  d'xVnastase, 
les  ouvrages  des  pères,  écrits  avant  et  après  cette  épo- 
que, où  se  trouvaient  cités  les  faits  et  le  texte  des  Evan- 
giles, ainsi  que  les  versions  anciennes,  s'accordent  non 
seulement  les  uns  avec  les  autres,  mais  aussi  avec  les 
Evangiles  tels  que  nous  les  avons  aujourd'hui.  Enfin  il 

(1)  CoUins,  Sur  la  liberté  de  penser. 

(2)  Libérât.  Breviarium,  c.  xix. 


DE  LA   VJiUACrfÉ   DES   ÉVANGILES.  285 

eût  été  impossible  à  Anastase  de  réussir  à  corrompre  les 
Evangiles,  puisqu'il  n'avait  pas  sous  sa  main  toutes  les 
copies  disséminées  dans  les  pays  qui  n'étaient  pas  sou- 
mis à  sa  domination.  Quant  au  grand  nombre  de  le- 
çons différentes  qu'on  nous  objecte,  elles  ne  tombent 
que  sur  les  mots,  et  n'affectent  nullement  le  sens,  du 
moins  dans  les  choses  qui  touchent  à  la  foi  et  à  la  mo- 
rale. Ainsi,  sous  ce  rapport  même,  loin  de  combattre 
la  pureté  du  texte  dans  les  choses  essentielles,  elles  ne 
font  que  la  confirmer.  Voyez  de  plus  les  observations 
que  nous  avons  déjà  faites  (pag.  260, 261)  sur  ces  sortes 
de  variantes. 


CHAPITRE  SEPTIEME. 

DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVAXGILES. 

Quand  dans  V Introduction  générale  (t.  i,  pag.  32  et 
suiv.)  nous  avons  établi  l'inspiration  divine  de  tous  les 
livres  du  Nouveau-Testament  en  général,  nous  avons 
prouvé  par  là  même  qu'ils  ne  contenaient  que  la  vérité. 
Ainsi  nous  pourrions,  ce  semble,  nous  dispenser  de  dé- 
montrer la  véracité  de  nos  Evangiles,  qui  forment  la  par- 
tie la  plus  importante  de  ce  code  sacré  des  chrétiens. 
Cependant,  comme  la  matière  même  des  écrits  évangé- 
liques  présente  quelque  chose  de  particulier ,  et  qu'ils 
ont  été  plus  spécialement  l'objet  des  attaques  de  l'incré- 
dulité moderne ,  nous  avons  cru  devoir  établir  la  propo- 
sition suivante. 


286  DE    LA   VÉRACITÉ   DES   ÉVANGILES. 

PROPOSITION. 

Les  faits  contenus  dans  7ios  Evangiles  sont  incontestable- 
ment vivais. 

Pour  avoir  droit  de  contester  la  vérité  des  faits  con- 
tenus dans  nos  Evangiles,  il  faudrait  de  toute  nécessité 
qu'on  pût  prouver  que  les  écrivains  qui  les  rapportent 
ont  été  eux-mêmes  induits  en  erreur  ,  ou  bien  qu'ils  ont 
voulu  tromper  lesfiutres,  et  qu'ils  ont  réellement  réussi 
dans  cette  tentative.  Or,  nous  croyons  au  contraire  pou- 
voir démontrer  nous-même  que  les  évangélistes  n'ont 
été  nullement  trompés  sur  les  événemens  qu'ils  nous  ra- 
content, qu'ils  sont  des  historiens  de  bonne  foi,  c'est-à- 
direqui n'ont  pas  cherché  à  en  imposer  dans  leurs  écrits, 
et  qu'il  n'aurait  pas  été  en  leur  pouvoir  de  tromper  quand 
ils  l'auraient  voulu. 

1.  Premièrement  les  évangélistes  n'ont  pu  être  dans 
l'erreur  par  rapport  aux  événemens  qui  font  l'objet  de 
leurs  ouvrages  ,  s'il  leur  a  été  non  seulement  possible , 
mais  même  facile  d'avoir  une  connaissance  exacte  de  ces 
événemens.  Or  la  chose  nous  semble  démontrée.  Et  d'a- 
bord parmi  les  quatre  évangélistes,  Matthieu,  Marc,  Luc 
et  Jean,  qui  se  présentent  à  nous  comme  historiens  des 
actions  et  de  la  doctrine  de  Jesus-Chrtst  ,  deux  d'entre 
eux,  Matthieu  et  Jean,  sont  non  seulement  contempo- 
rains, mais  encore  témoins  oculaires  de  la  plus  grande 
partie  de  tout  ce  qu'ils  nous  racontent.  Les  deux  autres, 
Marc  et  Luc,  sont  aussi  contemporains ,  et  ont  entendu 
les  témoins  oculaires.  Saint  Marc  a  écrit  d'après  les  in- 
structions de  saint  Pierre,  le  chef  des  apôtres.  Saint  Luc 
est  un  homme  très-instruit  des  devoirs  d'un  historien, 


DE   LA   VÉRACITÉ   DES   ÉVAXGILIiS.  287 

comme  il  le  prouve  par  son  prologue.  Ce  n'est  pas  tout, 
il  était  lié  avec  saint  Paul  qu'il  avait  accompagné  dans  ses 
voyages;  il  avait  vu  et  connu  les  antres  apôtres,  qui  ayant 
vécueux-mémes  dans  le  pays  où  s'étaient  accomplis  les 
faits  évangéliques,  avaient  pu  en  suivre  le  cours  et  le 
développement.  Quant  au  petit  nombre  de  circonstances 
particulières  sur  la  naissance  et  l'enfance  de  Jésus,  elles 
ont,  selon  la  remarque  judicieuse  de  Janssens,  un  garant 
irrécusable  danslavéracité  qui  a  présidé  à  toutes  les  autres 
parties  de  son  histoire  (1) .  Quoique  tous  les  évangélistes 
aient  écrit  peu  de  temps  après  la  mort  du  Sauveur,  ce- 
pendant ils  n'ont  pas  tous  écrit  dans  le  même  temps  pré- 
cis, ni  dans  le  même  lieu,  ni  dans  la  même  langue,  ni  du 
même  style,  comme  nous  l'avons  montré  dans  les  quatre 
premiers  chapitres  de  cette  section.  Quand  on  compare 
leurs  quatre  Evangiles,  on  voit  que  ce  sont  quatre  au- 
teurs dont  chacun  est  original  en  son  genre,  et  qui  tous 
ont  travaillé  indépendamment  l'un  de  l'autre.  Les  uns 
racontent  des  choses  que  les  autres  ont  omises  ;  ils  ne 
placent  pas  tous  les  mêmes  faits  dans  le  même  ordre.  Ils 
ne  les  disent  pas  dans  les  mêmes  termes  ni  avec  les 
mêmes  circonstances;  et  cependant  ils  ne  se  contredi- 
sent jamais.  Le  style  de  chacun  d'eux,  quoique  d'une 
simplicité  admirable,  ne  ressemble  à  aucun  des  autres. 
De  toutes  ces  observations,  il  résulte  clairement  que  les 
quatre  évangélistes  ont  composé  leurs  ouvrages  sans 
s'être  concertés  ensemble  ;  principe  d'où  découle  néces- 
sairement la  conséquence  que  chacun  d'eux  était  assuré 
de  la  véracité  du  fait  qu'il  racontait.  Jamais,  ce  semble, 
les  quatre  histoires  de  Jésus -Christ  composées  par  les 

(1)  J.H.  Janssens,  Hennen.  sacr.  §  cclii,  h.  516. 


288         DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

quatre  évangélistes  n'auraient  pu  être  aussi  conformes 
qu'elles  le  sont,  si  chacun  d'eux  n'eût  point  puisé  à  une 
source  pure  et  certaine,  et  d'un  autre  côté,  jamais  elles 
n'auraient  pu  être  aussi  différentes  qu'on  les  voit,  si 
les  quatre  évangélistes  les  eussent  composées  de  con- 
cert (1).  Qu'on  nous  dise  maintenant  s'il  y  a  jamais  eu  un 
homme ,  quelque  illustre  qu'on  le  suppose ,  dont  l'his- 
toire ait  été  écrite  par  un  si  grand  nombre  de  témoins 
aussi  bien  informés  et  aussi  croyables  ? 

2.  En  second  lieu,  que  les  évangélistes  se  soient  mon- 
trés historiens  de  bonne  foi,  c'est-à-dire  qu'ils  n'aient 
pas  voulu  tromper,  c'est  ce  dont  il  n'est  point  permis  de 
douter ,  dès  que  l'on  considère  la  nature  même  de  leur 
ouvrage,  leur  position  et  leur  conduite,  enfin  le  caractère 
personnel  du  héros  dont  ils  nous  ont  transmis  l'histoire. 
1°  Tout  homme  qui  écrit  une  histoire  veut  être  cru  de 
ses  lecteurs  :  ce  sentiment  est  dans  la  nature.  Mais  celui 
qui  écrit  une  histoire  remplie  d'événemens  merveilleux, 
et  qui  ne  ressemble  à  rien  de  ce  que  les  hommes  avaient 
vu  jusque  là,  craint  sans  cesse  non  seulement  de  n'être 
pas  cru,  mais  encore  de  passer  pour  un  homme  peu  in- 
struit, d'esprit  faible  et  crédule,  et  pour  un  visionnaire; 
et  pour  parera  cet  inconvénient,  il  prépare  avec  soin  ses 
lecteurs  à  recevoir  ce  qu'il  va  raconter  ;  il  s'efforce  de 
l'établir  par  des  raisonnemens,  ou  il  promet  des  preu- 

(1)  Dans  l'opinion  même  des  critiques  qui  prétendent  que  chaque 
évangélisle  a  connu  l'ouvrage  de  ses  prédécesseurs,  notre  argument 
conserverait  toujours  une  ceriaine  force,  puisque  les  derniers  évan- 
gélistes, qui  sont  considérés  comme  les  réviseurs  des  premiers,  n'ayant 
jamais  contredit  positivement  leurs  devanciers,  c'est  une  preuve  évi- 
dente qu'ils  avaient  foi  en  l'exactitude  de  leur  histoire,  et  qu'ils  n'a- 
vaient rien  à  opposer  à  la  vérité  de  leur  narration. 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGiLtS.  289 

ves  ;  il  ne  manque  pas  surtout  de  citer  ses  garans  ,  ou 
bien  il  s'engage  à  les  signaler  dans  l'occasion  ;  précau- 
tions qui  décèlent  toujours  un  écrivain  se  défiant  de  lui- 
même,  ou  de  son  sujet,  ou  de  ses  lecteurs,  et  que  les 
évangélistes  ne  prennent  jamais.  En  effet,  la  confiance 
qu'ils  ont  dans  la  vérité  est  telle  qu'il  ne  leur  vient  même 
pas  à  la  pensée  de  recourir  aux  ressources  de  l'art  pour 
la  faire  recevoir  ;  et  quoiqu'ils  commencent  leur  livre 
par  le  récit  du  miracle  le  plus  étonnant  et  en  même 
temps  le  plus  secret  qui  ait  jamais  été  fait,  nous  voulons 
dire  la  conception  d'un  Homme-Dieu,  par  la  seule  opé- 
ration du  Saint-Esprit,  dans  le  sein  d'une  femme  restée 
toujours  vierge,  ils  n'avertissent  pas  seulement  leurs  lec- 
teurs que  les  prodiges  que  Jésus-Christ  a  opérés  en  pu- 
blic, et  dont  tout  le  monde  a  été  témoin,  sont  si  grands, 
qu'ils  doivent  faire  croire  à  ceux  dont  il  a  été  lui-même 
le  sujet,  quoiqu'ils  n'aient  été  vus  de  personne.  Un  au- 
tre caractère  de  vérité  qui  ne  peut  manquer  d'être  saisi 
par  les  lecteurs  des  Évangiles,  c'est  la  simplicité,  nous 
dirions  volontiers  la  nudité  même  du  récit.  Dans  cette 
histoire,  tout  est  fait,  événement;  jamais  les  auteurs  ne 
disent  rien  d'eux-mêmes.  On  n'y  trouve  aucun  mot  qui 
ait  été  mis  pour  frapper  l'esprit,  flatter  l'oreille  ou  re- 
muer les  passions.  Jamais  ils  ne  prouvent ,  jamais  ils  ne 
tirent  de  conséquence  ;  jamais  ils  ne  font  de  réflexions  ; 
jamais  ils  n'avancent  de  conjectures  ;  jamais  ils  ne  di- 
sent ni  ne  font  seulement  entrevoir  ce  qu'ils  pensent 
des  événemens  qu'ils  racontent,  ni  des  personnages  qui 
y  jouent  un  rôle  quelconque.  Par  conséquent,  on  ne 
voit  jamais  couler  de  leur  plume  un  seul  mot,  soit  d'ad- 
miration ou  d'approbation,  soit  de  blâme  ou  de  raille- 
rie. Ainsi,  dans  aucune  circonstance  ils  ne  sepermet- 
v.  13 


290  DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

^ent  de  juger  ni  les  personnes,  ni  leurs  intentions,  ni 
leurs  actions.  De  là  vient  qu'on  ne  trouve  point  de  por- 
traits dans  leurs  écrits,  comme  on  en  rencontre  si  sou- 
vent dans  tous  les  historiens  profanes,  même  les  plus 
sincères  et  les  plus  véridiques.  Ajoutons  que  la  manière 
dont  les  évangélistes  parlent  d'eux-mêmes  et  de  leurs 
compagnons  nous  offre  encore  la  preuve  la  plus  évidente 
de  leur  sincérité  et  de  leur  bonne  foi.  En  effet,  ils  nous 
racontent  l'obscurité  de  leur  naissance ,  leurs  défauts , 
leurs  faiblesses,  leurs  fautes  les  plus  humiliantes  ,  sim- 
plement comme  des  choses  liées  aux  événemens  de  la  vie 
de  Jésus-Christ,  et  qui  sont  des  circonstances  de  ces 
événemens.  La  même  simplicité  et  le  même  naturel  se 
font  remarquer  dans  tout  ce  que  les  évangélistes  nous 
rapportent  de  leur  divin  maître  ;  ils  n'ont  jamais  un 
mot  de  louange  pour  ses  vertus ,  ses  bienfaits  mêmes 
envers  eux  ;  jamais  un  seul  reproche  adressé  à  ses  en- 
nemis ,  à  ses  persécuteurs  ou  à  ses  bourreaux  (1) .  — 
2°  Quand  une  histoire  qui  contient  de  grands  événe- 
mens a  été  écrite  et  publiée  par  un  auteur  contempo- 
rain, qui  raconte  des  choses  qu'il  a  vues  lui-même ,  ou 
que  des  témoins   oculaires   lui  ont  apprises ,   et  qui 
étaient  d'ailleurs  publiquement  connues  de  son  temps, 
sans  que  personne  se  soit  inscrit  en  faux  contre  son 
récit,  ni  dans  la  nation  chez  laquelle  il  dit  que  ces  évé- 
nemens se  sont  passés ,  ni  parmi  les  peuples  voisins  : 
cette  histoire  est  universellement  regardée  comme  véri- 
table et  digne  de  foi,  quel  qu'en  ait  été  l'auteur,  puis- 

(1)  En  jetant  un  simple  coup  d'oeil  sur  les  Évangiles,  on  trouvera  fa- 
cilement le  développement  de  toutes  ces  considérations,  que  nous  ne 
pouvons  présenter  nous-mème  ici  que  d'une  manière  générale. 


( 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  291 

qu'elle  se  trouve  munie  du  sceau  de  l'approbation  du 
siècle  dans  lequel  elle  a  été  publiée.  Aussi ,  jamais  un 
homme  sensé  ne  s'aviserait  de  révoquer  en  doute  la  vé- 
racité d'un  ouvrage  revêtu  d'un  pareil  caractère,  eût-il 
été  écrit  par  un  homme  sans  mœurs  et  sans  probité,  tel 
que  fut  Salluste,  par  exemple,  parce  que  l'approbation 
donnée  à  l'ouvrage  par  les  contemporains  suppléerait 
assez  à  ce  qui  manque  à  l'écrivain  pour  se  faire  croire. 
Or,  l'Evangile  contient  des  événemens  de  la  plus  haute 
importance,  des  événemens  publics  qui  ont  eu  lieu  à  la 
face  de  toute  une  génération.  Quant  aux  évangélistes, 
ils  ont  été  contemporains  des  faits  qu'ils  rapportent  ; 
les  uns  témoins  oculaires  des  faits  eux-mêmes ,  les  au- 
tres témoins  auriculaires  de  ceux  qui  avaient  vu  les 
événemens  de  leurs  propres  yeux ,  ce  qui  a  fait  dire  à 
saint  Jean  :  «  Nous  vous  annonçons  ce  que  nous  avons 
entendu,  ce  que  nous  avons  vu  de  nos  yeux,  ce  que 
nous  avons  regardé  avec  attention  et  que  nous  avons 
touché  de  nos  mains  (1  Joan.  i,  1,  2).  »  Ajoutez  à 
cela  que  les  évangélistes  n'ont  pas  été  seulement  des 
hommes  d'une  probité  irréprochable ,  mais  encore  de 
la  plus  haute  sainteté.  Tout  en  eux  respire  le  plus  pur 
amour  de  Dieu,  la  charité  la  plus  tendre  et  la  plus  gé- 
néreuse pour  le  prochain ,  le  détachement  le  plus  hé- 
roïque de  tous  les  biens  dont  l'ambition,  la  cupidité  et 
les  autres  passions  inspirent  ordinairement  le  désir  aux 
mortels.  Vit-on  jamais  des  hommes  plus  justes,  plus 
amis  de  leurs  semblables,  plus  modestes,  plus  chastes, 
plus  tempérans;  en  un  mot,  des  modèles  plus  accomplis 
de  toutes  les  vertus  ?  Et  ce  seraient  ces  mêmes  hommesqui 
auraient  démenti  tant  de  belles  qualités,  déshonoré  tant 
de  mérites,  en  publiant  comme  vérités  ce  qu'ils  savaient 


292         DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

être  mensonge  et  imposture  !  On  les  a  traités,  il  est  vrai, 
de  séditieux,  de  perturbateurs  du  repos  public,  d'enne- 
mis des  empereurs,  d'impies  et  de  magiciens,  et  sous 
ces  prétextes,  on  les  a  poursuivis,  tourmentés  et  mis  à 
mort;  mais  nous  savons  que  toutes  ces  accusations  vou- 
laient dire  uniquement  qu'ils  étaient  chrétiens,  qu'ils 
annonçaient  l'Evangile  avec  un  zèle  intrépide,  qu'ils  tra- 
vaillaient avec  ardeur  et  sans  relâche  à  faire  connaître 
aux  païens  la  vanité  de  leurs  idoles  et  l'impiété  du  culte 
qu'ils  leur  rendaient ,  et  qu'ils  opéraient  des  miracles. 
Ainsi,  les  persécutions  sont  la  preuve  la  plus  éclatante 
de  leur  vertu,  comme  leur  vertu  elle-même  est  une  dé- 
monstration sensible  delà  vérité  de  leur  récit.  Ainsi  la 
mort  violente  des  évangélistes ,  le  sang  qu'ils  ont  ré- 
pandu pour  soutenir  les  faits  qu'ils  ont  écrits  après  les 
avoir  prêches  de  vive  voix,  voilà  le  témoignage  le  plus 
fort,  le  plus  irrécusable  de  la  véracité  de  nos  Evangi- 
les.— 3°  Le  caractère  personnel  de  Jésus-Christ,  dont 
les  évangélistes  font  l'histoire,  quand  on  le  considère  at- 
tentivement, nous  fournit  une  nouvelle  démonstration 
de  la  sincérité  et  de  la  bonne  foi  de  ces  historiens  sa- 
crés. Ce  caractère ,  dit  Hug,  dont  nous  empruntons  les 
expressions,  est  en  effet  si  grand,  si  noble,  si  sublime, 
qu'il  ne  saurait  être  le  fruit  de  leur  imagination.  Un 
homme  qui,  malgré  l'éducation  la  plus  commune  et  la 
plus  vile,  a  su  s'élever  de  lui-même  au  plus  haut  degré 
de  la  raison  et  du  génie,  qui  a  pu  concevoir  et  même 
mûrir  dans  son  esprit  un  plan  aussi  vaste  et  aussi  élevé 
que  celui  d'opérer  la  réforme  morale  de  sa  nation,  d'é- 
purer et  de  perfectionner  ses  lois  et  ses  préceptes ,  et 
changer  même  tout  l'univers;  qui,  sans  être  ébranlé 
par  les  obstacles ,  a  pu  conduire  un  si  grand  dessein  à 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  293 

exécution  ;  et  qui  a  môme  donné  pour  caution  sa  vie, 
qu'il  a  effectivement  perdue  au  milieu  des  plus  cruelles 
douleurs  et  des  plus  sanglantes  ignominies  ;  un  tel  Régu- 
lus  (si  nous  pouvons  l'appeler  ainsi),  qui  se  dévoue  d'une 
manière  si  généreuse  non  seulement  pour  son  peuple  , 
mais  pour  tout  le  genre  humain,  nous  offre  certainement, 
eu  égard  au  temps  où  il  a  vécu,  un  modèle  trop  achevé 
pour  n'être  qu'une  fiction  des  évangélistes.  Tels  sont 
néanmoins  les  traits  d'après  lesquels  Jésus  nous  est  dé- 
peint dans  l'Évangile.  Il  est  toujours  si  égal  et  si  parfait 
dans  toutes  les  situations  de  la  vie,  dans  son  repos  et 
son  action,  au  milieu  des  jouissances  et  des  privations, 
dans  la  gloire  et  dans  l'ignominie,  parmi  ses  amis  comme 
avec  ses  ennemis,  que  jamais  un  sage  inventant  la  vie 
d'un  autre  sage  n'eût  trouvé  rien  de  pareil.  Partout  sa 
dignité  et  le  sentiment  de  sa  grandeur  l'accompagnent; 
dans  les  différentes  scènes  de  sa  vie,  sa  conduite  et  ses 
discours  sont  toujours  en  harmonie  avec  les  choses,  les 
temps,  les  personnes  ;  et  dans  toutes  les  circonstances 
où  il  se  trouve ,  il  paraît  constamment  plus  grand  et 
plus  noble  qu'on  ne  saurait  l'imaginer.  Au  milieu  d'une 
existence  d'agitations  etde  souffrances,  et  jusqu'au  terme 
de  sa  vie,  Jésus,  toujours  le  même,  présente  certaine- 
ment en  lui  le  plus  beau  modèle  de  toutes  les  vertus  qu'il 
venait  apporter  aux  hommes. 

Représenter  et  soutenir  jusqu'au  bout  l'idée  d'un  si 
excellent  personnage ,  était  une  entreprise  que  l'esprit 
abâtardi  des  Juifs  de  cette  époque  était  hors  d'état  de 
concevoir  et  d'exécuter  ;  en  effet,  ces  idées  si  pures  et  si 
belles  sur  la  religion  et  la  morale,  cet  essor  sublime  qui 
le  rendit  si  supérieur  au  judaïsme,  cette  vue  profonde 
qui  le  fait  pénétrer  dans  les  secrets  les  plus  cachés  de 


294  DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

l'ordre  moral,  sont  tout-à-fait  au-dessus  de  la  portée 
de  son  siècle  et  des  âges  qui  l'avaient  précédé,  et  sur- 
passent entièrement  la  capacité  de  la  nation  qui  l'a  pro- 
duit et  dont  il  est  sorti  comme  un  phénomène  unique  et 
sans  exemple.  Quand  Platon  et  Xénophon,  retraçant  le 
caractère  de  leur  maître,  en  ont  fait  un  portrait  qui  sem- 
ble éclipser  tout  ce  que  la  sagesse  du  reste  des  humains 
peut  offrira  l'admiration,  on  peut  soupçonner  qu'ils  ont 
formé  leur  tableau  de  traits  imaginaires,  ou  que  du 
moins  ils  l'ont  embelli  en  le  rapprochant  d'une  beauté 
idéale  ;  mais  outre  que  le  caractère  de  Jésus  est  infini- 
ment au-dessus  de  celui  de  Socrate,  nos  évangélistes  n'é- 
taient pas  des  Platons,  et  les  Juifs  n'avaient  ni  de  Xé- 
nophon ni  d'Eschine.  Nos  pauvres  pêcheurs  de  Galilée, 
privés  des  avantages  d'un  esprit  cultivé,  étaient  incapa- 
bles d'inventer  l'image  delà  perfection,  de  donner  même 
à  un  portrait  de  fantaisie  une  noblesse  réelle.  Ils  ne 
pouvaient  que  transmettre  avec  une  fidélité  naïve  et  une 
simplicité  sans  fard  ce  qu'ils  avaient  reçu  ;  par  consé- 
quent Jésus  doit  avoir  été  tel  qu'ils  nous  l'ont  décrit.  Il 
doit  nécessairement  avoir  agi  et  parlé  comme  les  évan- 
gélistes l'ont  fait  agir  et  parler. 

Qu'on  n'objecte  point  que  sa  vie  est  pleine  de  mira- 
cles. N'est-il  pas  lui-même  le  plus  grand  de  tous  les  pro- 
dige? car  où  trouver  dans  sa  nation  une  école  capable 
de  former  un  pareil  élève?  de  porter  dans  un  temps  si 
court  un  tel  génie  à  sa  maturité  ?  de  produire  en  un 
mot,  à  l'âge  de  trente  ans,  un  nouveau  Socrate  qui  sur- 
passe incomparablement  celui  d'Athènes  par  sa  vie  et 
par  sa  mort,  par  la  grandeur  de  ses  vues,  par  la  subli- 
mité de  sa  sagesse  et  la  pureté  de  sa  morale;  et  cela  à 
une  époque  où  d'un  côté  la  force  des  préjugés,  de  la  su- 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  295 

perstition  et  de  l'autorité,  et  de  l'autre  les  vues  étroites  de 
ses  contemporains  aussi  bien  que  l'esprit  dégradé  de  la 
nation,  devaient  nécessairement  arrêter  les  plus  nobles 
efforts  et  déconcerter  les  entreprises  les  plus  hardies.  Et 
combien  de  temps  a-t-il  employé  à  travailler  à  cette  réfor- 
mation de  son  peuple  et  à  cette  régénération  du  genre 
humain,  dont  la  vie  la  plus  longue  paraît  à  peine  suffi- 
sante pour  jeter  les  premiers  fondemens  ?  Peu  d'années 
seulement,  car  il  n'a  fait  que  passer,  et  on  pourrait  jus- 
tement comparer  la  durée  de  sa  mission  à  celle  de  son 
futur  avènement,  qu'il  a  dit  lui-même  devoir  être  rapide 
comme  l'éclair  qui  part  de  l'orient  et  brille  tout-à-coup 
jusqu'à  l'occident  (Matth.  xxiv,  27.  )  Lui  et  la  grande 
révolution  qu'il  a  produite  dans  le  monde  sont  des  phé- 
nomènes uniques  dans  l'histoire  du  genre  humain .  Com- 
ment le  christianisme  a-t-il  pu  être  créé  dans  l'espace 
de  trois  années  ?  Comment  a-t-il  pu  se  former  complè- 
tement d'un  seul  jet  ?  Quelle  est  la  cause  naturelle  d'un 
phénomène  si  extraordinaire  ?  qui  pourra  jamais  décou- 
vrir la  liaison  de  ce  fait  avec  les  causes  ordinaires  ?  qui 
pourra  l'expliquer  par  les  événemens  antérieurs  ou  con- 
temporains ?  Et  puisque  le  caractère  de  Jésus-Christ  et 
la  grande  révolution  qu'il  a  produite  dans  le  monde  sor- 
tent entièrement  de  l'ordre  commun, cette  révolution  n'a- 
t-elle  pas  dû  exiger  des  moyens  extraordinaires,  et  néces- 
siter l'opération  des  prodiges?  D'ailleurs,  ce  que  nous 
savons  du  peuple  au  milieu  duquel  Jéscs-Christ  s'éleva, 
nous  prouve  clairement  qu'il  fallait  des  miracles  ;  car 
c'est  par  là  seulement  qu'il  pouvait  établir  son  autorité 
et  les  droits  de  sa  mission  parmi  les  Juifs,  et  leur  faire 
admettre  le  nouveau  plan  de  religion  qu'il  leur  propo- 
sait. Le  Messie,  d'après  la  croyance  générale  de  la  na- 


296  DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

tion  judaïque,  devait  opérer  des  prodiges;  donc,  Jésus, 
qui  s'annonçait  comme  le  Messie  prédit  par  les  prophè- 
tes ,  était  dans  la  nécessité  d'en  faire;  ils  étaient  la  con- 
dition indispensable  de  la  soumission  et  de  la  foi  qu'il 
demandait  et  pour  lui  et  pour  sa  doctrine  ;  en  un  mot,  la 
condition  de  son  succès.  Or ,  ce  succès  est  devant  nos 
yeux.  Jésus  a  obtenu  créance  dans  sa  patrie,  théâtre  de 
ses  enseignemens  ;  il  s'y  est  fait  des  partisans ,  sans  que 
ni  la  puissance,  ni  la  force  des  armes,  ni  les  richesses,  ni 
la  protection  des  grands,  lui  aient  prêté  le  moindre  ap- 
pui. Bien  plus,  quoiqu'il  ait  été  opprimé  et  mis  à  mort 
avec  le  concours  de  l'autorité  publique,  quoiqu'il  ait 
même  péri  par  le  plus  infâme  supplice,  au  moment  où  il 
avait  à  peine  jeté  les  premiers  fondemens  de  sa  doctrine, 
il  a  été  après  sa  mort  l'objet  d'une  foi  si  vive  et  si  forte, 
qu'éclatant  bientôt  au  dehors  de  sa  patrie,  elle  s'est  ré- 
pandue en  peu  de  temps  dans  tout  l'univers.  Mainte- 
nant, puisque  le  succès  était  étroitement  lié  dans  son 
pays  à  la  réalité  de  ses  miracles ,  et  que  nous  sommes 
forcés  d'admettre  qu'au  moins  une  partie  de  sa  nation, 
malgré  ses  préjugés  et  ses  intérêts  les  plus  chers  dans 
ce  monde,  a  cru  aux  faits  évangéliques  au  point  de  su- 
bir les  tourmens  et  la  mort  pour  en  maintenir  la  vérité, 
pouvons-nous  séparer  une  croyance  si  ferme  et  si  con- 
stante de  l'opération  des  prodiges  dont  l'histoire  de  Jé- 
sus-Christ est  pleine  (1)?  Ainsi  le  caractère  personnel 
deJÉsus-GHRisT,  tel  que  le  représentent  les  évangélistes, 
nous  fournit  une  démonstration  rigoureuse  de  leur  sin- 
cérité .Nous  pourrions  arrêter  ici  notre  preuve,  mais  nous 

(1)  Voy.  Hug,  Einlcit  ins  N.  T.,  Th,  i,  Seil.  90-92.  Cellérier, 
Inlrod.  au  N.  T.  pag.  33-37. 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  297 

croyons  devoir  la  compléter  par  un  passage  qui  pour 
être  devenu  vulgaire  n'a  certainement  rien  perdu  ni  de 
sa  force,  ni  de  sa  beauté,  a  Je  vous  avoue,  dit  Jean- Jac- 
ques Rousseau,  que  la  majesté  des  Écritures  m'étonne; 
la  sainteté  de  l'Évangile  parle  à  mon  cœur.  Voyez  les 
livres  des  philosophes  avec  toute  leur  pompe  ,  qu'ils 
sont  petits  près  de  celui-là?  Se  peut-il  qu'un  livre  à  la 
fois  si  sublime  et  si  simple  soit  l'ouvrage  des  hommes  ? 
Se  peut-il  que  celui  dont  il  fait  l'histoire  ne  soit  qu'un 
homme  lui-même  ?  Est-ce  là  le  ton  d'un  enthousiaste  ou 
d'un  ambitieux  sectaire?  Quelle  douceur  !  quelle  pureté 
dans  ses  mœurs  !  quelle  grâce  touchante  dans  ses  in- 
structions !  quelle  élévation  dans  ses  maximes  î  quelle 
profonde  sagesse  dans  ses  discours!  quelle  présence 
d'esprit!  quelle  finesse,  quelle  justesse  dans  ses  réponses! 
quel  empire  sur  ses  passions  ! .. .  Où  est  l'homme,  où  est 
le  sage  qui  sait  agir  et  souffrir  sans  faiblesse  et  sans 
ostentation?  Quand  Platon  peint  son  juste  imaginaire 
couvert  de  tout  l'opprobre  du  crime  et  digne  de  tous  les 
prix  de  la  vertu,  il  peint  trait  pour  trait  Jésus-Christ. 
La  ressemblance  est  si  frappante  que  tous  les  pères  l'ont 
sentie,  et  qu'il  n'est  pas  possible  de  s'y  tromper.  Quels 
préjugés ,  quel  aveuglement  ne  faut-il  pas  avoir  pour 
oser  comparer  le  fils  de  Sophronisque  au  fils  de  Marie  ! 
quelle  distance  de  l'un  à  l'autre!  Socrate  mourant  sans 
douleurs,  sans  ignominie,  soutient  aisément  jusqu'au 
bout  son  personnage,  et  si  cette  facile  mort  n'eût  ho- 
noré sa  vie,  on  douterait  si  Socrate,  avec  tout  son  es- 
prit, fut  autre  chose  qu'un  sophiste.  Il  invente,  dit-on, 
la  morale  :  d'autres  avant  lui  l'avaient  mise  en  pratique  ; 
il  ne  fit  que  dire  ce  qu'ils  avaient  fait ,  il  ne  fit  que  mettre 
en  leçon  leurs  exemples.  Aristide  avait  été  juste  avant 

13. 


298  DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

que  Socrate  eût  dit  ce  que  c'était  que  justice.  Léonidas 
était  mort  pour  son  pays  avant  que  Socrate  eût  fait  un 
devoir  d'aimer  la  patrie.  Sparte  était  sobre  avant  que 
Socrate  eût  loué  la  sobriété;  avant  qu'il  eût  défini  la 
vertu,  la  Grèce  abondait  en  hommes  vertueux.  Mais  où 
JÉSUS  avait-il  puisé  chez  les  siens  cette  morale  élevée 
et  pure  dont  lui  seul  a  donné  les  leçons  et  l'exemple? 
Du  sein  du  plus  furieux  fanatisme,  la  plus  haute  sagesse 
se  fit  entendre;  et  la  simplicité  des  plus  héroïques  ver- 
tus honora  le  plus  vil  de  tous  les  peuples.  La  mort  de 
Socrate,  philosophant  tranquillement  avec  ses  amis,  est 
la  plus  douce  qu'on  puisse  désirer,  celle  de  Jésus  expi- 
rant dans  les  tourmens,  injurié,  raillé,  maudit  de  tout 
un  peuple,  est  la  plus  horrible  qu'on  puisse  craindre. 
Socrate,  prenant  la  coupe  empoisonnée,  bénit  celui  qui 
la  lui  présente  et  qui  pleure  ;  Jésus,  au  milieu  d'un  sup- 
plice affreux,  prie  pour  ses  bourreaux  acharnés.  Oui,  si 
la  vie  et  la  mort  de  Socrate  sont  d'un  sage,  la  vie  et  la 
mort  de  Jésus  sont  d'un  Dieu.  Dirons-nous  que  l'his- 
toire de  l'Evangile  est  inventée  à  plaisir?  Mon  ami,  ce 
n'est  pas  ainsi  qu'on  invente ,  et  les  faits  de  Socrate , 
dont  persQnne  ne  doute,  sont  moins  attestés  que  ceux 
de  Jésus-Christ.  Au  fond,  c'est  reculer  la  difficulté 
sansla  détruire.  11  serait  plus  inconcevable  que  plusieurs 
hommes  d'accord  eussent  fabriqué  ce  livre  ,  qu'il  ne 
l'est  qu'un  seul  en  ait  fourni  le  sujet.  Jamais  des  auteurs 
juifs  n'eussent  trouvé  ni  ce  ton  ni  cette  morale,  et  l'Évan- 
gile a  des  caractères  de  vérité  si  grands,  si  frappans,  si 
parfaitem.ent  inimitables,  que  l'inventeur  en  serait  plus 
étonnant  que  le  héros  (1).  » 

(1)  J.  J.  Rousseau,  Emile-,  l.  iv. 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  29  9 

3.  Troisièmement  enfin,  quand  bien  même  les  évan- 
gélistes  auraient  voulu  tromper  dans  les  faits  qu'ils  nous 
racontent,  ils  ne  l'auraient  jamais  pu.  En  effet,  il  ne 
faut  pas  perdre  de  vue  que  les  évangélistes ,  avant  de 
composer  leurs  livres ,  avaient  annoncé  en  public  tous 
les  faits  qui  y  sont  contenus.  Ils  les  annonçaient  égale- 
ment en  public  pendant  qu'ils  composaient  leurs  livres; 
et  ils  continuèrent  la  même  prédication  après  les  avoir 
mis  par  écrit.  Or,  dans  cet  état  de  choses,  il  était  ab- 
solument impossible  aux  évangélistes  d'en  imposer  sur 
les  faits  qui  formaient  le  sujet  de  leurs  écrits. Car  si  ces 
faits  avaient  été  controuvés,  les  Juifs  qui  avaient  vécu 
avec  Jésus-Christ  ,  et  qui,  par  conséquent,  connais- 
saient à  merveille  et  ses  discours  et  ses  actions ,  n'é- 
taient-ils pas  là  pour  les  convaincre  de  fraude  et  d'im- 
posture? eux  surtout  qui  avaient  le  plus  grand  intérêt 
à  prouver  la  fausseté  d'une  histoire  et  d'une  doctrine 
qui  entraînait  nécessairement  la  ruine  de  leur  religion 
nationale.  Qui  jamais,  à  moins  d'avoir  perdu  le  sens, 
pourra  s'imaginer  que  si  ce  que  les  évangélistes  racon- 
taient de  leur  maître  eût  été  faux  ,  s'ils  n'avaient  pas 
confirmé  leurs  paroles  par  des  miracles,  ilsauraient  pu 
porter  les  Juifs  à  renoncer  à  la  religion  de  leurs  pères, 
religion  à  laquelle  ils  étaient  attachés  si  opiniâtrement, 
pour  leur  faire  adorer  comme  leur  Messie ,  comme  un 
Dieu,  cet  homme  qu'ils  avaient  naguère  crucifié  de  leurs 
propres  mains  ;  et  qu'ils  auraient  déterminé  les  païens 
à  abandonner  un  culte  qui  dominait  chez  tous  les  peu- 
ples du  monde,  la  petite  nation  juive  exceptée,  un  culte 
si  favorable  aux  passions  humaines,  pour  en  embrasser 
un  aussi  austère  que  celui  de  Jésus-Christ  ,  qui  pro- 
scrivait impitoyablement  tout  penchant  vicieux,  toute 


300         DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

passion  contraire  à  la  vertu?  Si  nous  considérons  en- 
core que  dans  les  premiers  siècles  de  l'Eglise  tous  ceux 
qui  embrassaient  le  christianisme  devaient  renoncer  non 
seulement  aux  honneurs  et  aux  richesses,  mais  à  la  vie 
même ,  et  que  cependant  il  existait  déjà  tant  de  chré- 
tiens du  temps  de  TertuUien  ,  que  dans  son  Apologé- 
tique ce  père  écrivait  que  l'empire  romain  ne  serait  plus 
qu'un  désert  si  les  chrétiens  en  sortaient ,  il  nous  sera 
démontré  que  dans  les  circonstances  où  se  trouvaient 
les  évangélistes ,  il  leur  était  absolument  impossible  de 
faire  passer  pour  vrais  des  faits  qui  ne  seraient  point 
réellement  arrivés. 

Il  résulte  de  toute  cette  discussion  que  la  véracité  de 
nos  Evangiles  ne  saurait  être  douteuse  pour  tout  esprit 
exempt  de  prévention.  Cependant  on  a  fait  plusieurs 
objections  contre  cette  vérité  ;  nous  allons  exposer  les 
principales  en  essayant  de  les  réfuter. 

Difficultés  proposées  contre  la  véracité  des  Evangiles,  ' 
etRéponses  à  ces  difficultés  (1). 

Obj.  1°  Si  les  miracles  rapportés  dans  l'Evangile 
étaient  vrais,  disent  nos  adversaires,  les  Juifs,  qui  à  cette 
époque  attendaient  le  Messie,  la  synagogue  surtout,  et 
même  les  philosophes  païens,  y  auraient  cru  et  auraient 
embrassé  la  religion  chrétienne  ;  mais  c'est  ce  qui  n'est 
pas  arrivé  ;  car  saint  Jean  dit  expressément  dans  son 
Évangile  (vu,  i8)  :  «Y  a-t-il  un  seul  des  sénateurs  ou 
des  pharisiens  qui  ait  cru  en  lui?  Car,  pour  cette  foule 
qui  ne  sait  ce  que  c'est  que  la  loi,  ce  sont  des  gens 

(1)  Nous  empruntons  à  V Herméneutique  sacrée  de  J.  H.  Janssens 
(^  ccLiii-ccLVii)  le  fond  de  cette  discussion,  en  y  faisant  toutefois 
les  changemens  que  nous  avons  crus  nécessaires. 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  301 

maudits; »  et  saint  Paul,  parlant  dans  sa  première Épî- 
tre  aux  Corinthiens  (i,  26)  de  ceux  qui  ont  été  appelés 
à  la  foi,  dit  aussi  en  propres  termes  :  «Il  y  a  peu  de 
sages  selon  la  chair,  peu  de  puissans,  peu  de  nobles.» 

Rép.  Ce  raisonnement  nous  paraît  bien  étrange,  pour 
ne  rien  dire  de  plus.  Qui  ne  sait  que  les  hommes  ne 
sont  généralement  pas  dans  la  pratique  ce  qu'ils  de- 
vraient être?  Si  tous  étaient  effectivement  amis  de  la  vé- 
rité ,  si  la  vertu  était  la  règle  de  leurs  actions  et  si  le 
salut  éternel  était  la  principale  affaire  de  leur  vie,  tous, 
et  principalement  les  Juifs,  auraient  dû,  dès  l'appari- 
tion de  Jésus-Christ,  embrasser  sa  religion;  mais  ce 
n'est  pas  ainsi  que  pense  et  agit  la  majeure  partie  des 
humains.  Et  si  cela  est  vrai  des  hommes  pris  en  géné- 
ral ,  à  plus  forte  raison  pourra-t-on  le  dire  des  Juifs, 
de  leurs  prêtres,  des  pharisiens  du  temps  de  Jésus- 
Christ  et  des  apôtres ,  des  nobles ,  des  puissans  et  des 
philosophes  du  paganisme.  Combien  peu  d'hommes  en- 
core aujourd'hui  aiment  la  vérité,  qui  les  importune,  et 
ceux  qui  la  leur  prêchent,  et  qui  voudraient  la  leur  faire 
adopter?  Combien  observent  ce  que  prescrit  la  religion 
dont  ils  font  profession  ?  Ne  les  voit-on  pas ,  pour  la 
plupart,  se  laisser  aller  à  tous  les  vices  que  cette  reli- 
gion proscrit?  Quant  aux  pharisiens  en  particulier,  ils 
ne  nièrent  jamais  les  miracles  de  Jésus.  Ils  se  glorifiè- 
rent, il  est  vrai,  de  ce  qu'aucun  des  leurs,  de  ce  qu'au- 
cun des  principaux  de  la  nation  juive,  à  cette  époque, 
ne  l'avait  suivi  ;  mais  jamais  ils  n'élevèrent  le  moindre 
doute  sur  la  réalité  de  ses  œuvres  divines  et  miracu- 
leuses. Bien  plus,  au  rapport  de  saint  Jean  lui-même, 
dont  on  nous  oppose  le  témoignage ,  les  pharisiens  et 
les  premiers  de  la  nation  disaient  (xi,  47,  48)  :  «Que 


302  DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

faisons-nous  ?  Cet  homme  opère  beaucoup  de  miracles; 
si  nous  le  laissons  faire  de  la  sorte,  tous  croiront  en 
lui.  ))  Ils  avouaient  donc  les  miracles  de  Jésus;  mais  ils 
ne  croyaient  point  en  lui,  parce  qu'il  combattait  leurs 
préjugés  et  leurs  passions.  On  sait  qu'au  temps  de  l'a- 
vénement  du  Christ,  les  Juifs  et  la  synagogue,  abandon- 
nant la  doctrine  de  leurs  ancêtres ,  et  séduits  par  de 
vieilles  traditions,  attendaient  un  Messie  terrestre,  qui 
devait  être  un  des  plus  puissans  princes  du  monde ,  et 
rétablir  le  royaume  de  David.  Mais  Jésus  ne  montrant 
rien  qui  répondît  à  cette  attente,  et  néanmoins  opérant 
les  prodiges  les  plus  extraordinaires  pour  prouver  sa 
mission  divine,  et  pour  convaincre  le  monde  qu'il  était 
ce  Messie  des  Juifs  tant  prédit  par  les  prophètes,  les 
Juifs,  qui  ne  pouvaient  nier  la  réalité  de  ces  miracles , 
avaient  recours  à  mille  subterfuges  pour  en  contester 
du  moins  les  conséquences  ;  ainsi  ils  attribuaient  les 
œuvres  divines  de  Jésus-Christ  sojt  à  la  magie,  soit 
à  l'abus  sacrilège  du  nom  de  Jéhova,  moyen  absurde, 
s'il  en  fut  jamais ,  puisque  Dieu  ne  peut  permettre  de 
véritables  miracles  pour  appuyer  l'erreur. 

Obj.  2°  Il  est  indubitable,  ajoutent  nos  adversaires, 
qu'il  n'y  a  eu  dans  les  commencemens  que  la  populace 
qui  ait  cru  aux  miracles  de  Jésus  et  qui  ait  embrassé 
sa  religion  :  donc  sa  croyance  était  aveugle  et  ne  prouve 
pas  plus  en  faveur  de  la  réalité  de  ces  miracles  qu'en 
faveur  de  la  véracité  du  livre  qui  les  rapporte  comme 
véritables. 

Rép.  Ce  raisonnement  des  incrédules  n'est  pas  plus 
logique  que  leur  précédent.  En  effet,  quand  il  serait  vrai 
que  les  seuls  hommes  qui ,  dans  les  premiers  momens, 
ont  ajouté  foi  aux  miracles  de  Jésus  ,  eussent  été  des 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  303 

individus  ignorans  et  de  la  dernière  classe  du  peuple , 
s'ensuivrait-il  que  ces  miracles  étaient  faux?  Les  gens 
du  peuple,  les  hommes  les  moins  instruits ,  n'ont-ils  pas 
des  oreilles  et  des  yeux  aussi  bons  que  les  nobles  et  les 
savans?  Pour  croire  aux  miracles  de  Jésus,  pour  être 
bien  sûr,  par  exemple,  qu'il  nourrissait  plusieurs  mil- 
liers d'hommes  avec  quelques  pains  et  quelques  poissons, 
qu'il  rendait  la  vue  aux  aveugles,  qu'à  sa  voix  le  para- 
lytique marchait,  les  morts  sortaient  du  tombeau,  était-il 
nécessaire  que  ceux  qui  étaient  témoins  de  ces  merveilles 
fussent  des  nobles,  des  savans  ou  des  riches?  Oui,  les 
premiers  qui  crurent  à  Jésus  furent  douze  pêcheurs 
ignorans  et  une  infinité  de  gens  de  la  multitude  ;  mais 
il  est  faux  que  tous  ceux  qui,  dans  les  commencemens, 
embrassèrent  la  foi  chrétienne,  aient  été  des  hommes  du 
peuple,  obscurs  et  grossiers.  Etaient-ce  des  hommes  du 
peuple ,  des  hommes  si  grossiers ,  que  le  centenier  de 
Capharnaiim,  que  Lazare,  Nicodème,  Joseph  d'Arima- 
thie,  Pudens,  sénateur  ;  Flavius  Clémens ,  consul  romain  ; 
Sergius  Paulus,  proconsul  ;  le  centurion  Corneille,  Epa- 
phrodite,  Eraste,  plusieurs  princes  de  l'Asie^  plusieurs 
des  premiers  officiers  de  la  maison  de  César,  sans  parler 
d'une  multitude  de  femmes  des  classes  les  plus  distin- 
guées ?  Parmi  les  savans,  nous  nommerons  des  prêtres  et 
des  chefs  delà  synagogue,  comme  Gamaliel,  Paul,  De- 
nys  l'Aréopagite  ;  nous  nommerons  Clément  de  Rome , 
Ignace  martyr,  Polycarpe,  Papias,  Clément  d'Alexan- 
drie, Justin,  Athénagore,  Hégésippe,  Tatien,  Irénée, 
Théophile  d'Antioche,  Denys  de  Corinthe,  Quadratus, 
Aristide,  Méliton,  Miltiade,  Origène  et  Tertullien,  qui 
tous,  dans  les  premiers  siècles  de  l'Eglise,  embrassè- 
rent le  christianisme.  Il  n'est  donc  pas  vrai  de  dire  que 


304         DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

dans  les  premiers  temps  la  foule  ignorante  seule  ait  cru 
aux  miracles  de  Jésus-Christ  ;  il  y  eut  des  hommes  de 
tous  les  âges  et  de  toutes  les  conditions  qui  se  rendirent 
à  l'évidence.  Nul  doute  qu'un  grand  nombre  de  nou- 
veaux convertis  n'aient  été  des  gens  obscurs  et  sans  in- 
struction, comme  l'avoue  saint  Paul  lui-même  (1  Cor.  i, 
26),  mais  c'est  de  ces  hommes  que  se  compose  la  partie 
la  plus  nombreuse  et  comme  le  fond  de  la  société,  et 
Ton  trouve  chez  eux  plus  de  docilité  aux  lumières  de  la 
vérité  que  chez  les  savans  et  les  riches.  Pline  le  Jeune, 
qui  écrivait  dans  le  premier  siècle,  parlant  dans  une  de 
ses  lettres  à  l'empereur  Trajan  du  grand  nombre  des 
chrétiens,  lui  disait  :  «  L'affaire  m'a  paru  digne  de  vos 
réflexions,  par  la  multitude  de  ceux  qui  sont  enveloppés 
dans  le  péril.  Car  un  très-grand  nombre  de  personnes 
de  tout  âge,  de  tout  rang  et  de  tout  sexe,  sont  et  seront 
tous  les  jours  impliquées  dans 'cette  accusation.  Ce  mal 
contagieux  n'a  pas  seulement  infecté  les  villes,  il  a  ga- 
gné les  villages  et  les  campagnes  (1).  »  Tertullien,  dans 
son  Apologétique,  disait  aux  Romains,  dans  le  second 
siècle  :  «  Nous  ne  sommes  que  d'hier,  et  déjà  nous  avons 
rempli  vos  villes,  vos  îles,  vos  forteresses,  vos  munici- 
pes,  vos  assemblées,  vos  camps  mêmes,  vos  tribus,  vos 
décuries,  le  palais,  le  sénat,  le  forum  (2).»  De  là  vient  que 
saint  Jérôme  s'écriait  en  parlant  des  incrédules  :  «  Que 
Celse,  que  Porphyre,  que  Julien,  qui  ne  cessent  de  faire 
entendroâcontre  le  Christ  leurs  clameurs  furieuses,  et  qui 
croient  que  l'Eglise  n'a  jamais  eu  ni  philosophes,  ni  sa- 
vans, ni  orateurs,  qu'ils  apprennent,  eux  et  leurs  secta- 
teurs, les  noms  d'un  si  grand  nombre  d'hommeS  fameux 

(t)  Pline,  liv.  x,  lettre  xcvii. 
(2)  Tertull.  Apolofjct.  c,  xxxvu. 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  305 

par  leur  savoir  et  par  leur  génie,  qui  ont  posé  les  fon- 
demens  de  cette  Église,  qui  Tont  élevée  ,  agrandie ,  or- 
née, et  qu'ils  cessent  d'accuser,  comme  ils  le  font,  notre 
croyance  d'être  si  simple  et  si  grossière,  et  que  plutôt  ils 
reconnaissent  leur  propre  ignorance.  »  En  un  mot,  tout 
l'univers  a  cru  aux  miracles  de  Jésus,  mais  le  plus  éton- 
nant de  tous  les  miracles,  ou  plutôt  la  chose  la  plus  im- 
possible, s'il  y  a  des  degrés  dans  ce  qui  ne  peut  être,  ce 
serait  que  tout  l'univers  y  eût  ajouté  foi  s'ils  étaient  faux, 
et  qu'il  eût  été  la  dupe  de  douze  pêcheurs  obscurs,  in- 
connus et  illettrés.  On  a  vu  quelquefois  des  visionnaires 
et  des  imposteurs  abuser  de  la  crédulité  publique  et  réus- 
sir à  se  faire  des  partisans  ;  mais  l'illusion  et  l'impos- 
ture renfermées  dans  le  cercle  étroit  de  quelques  con- 
trées et  favorisées  uniquement  à  cause  de  l'intérêt  per- 
sonnel de  ceux  qui  s'y  étaient  attachés,  ont  été  bientôt 
démasquées  et  sont  tombées  dans  un  oubli  complet  ou 
dans  le  mépris  le  plus  profond.  Il  n'en  est  pas  ainsi  de 
la  foi  aux  miracles  et  à  la  religion  de  Jésus.  Cette  foi  et 
cette  religion  n'ont  pas  été  confinées  dans  les  étroites  li- 
mites de  quelques  provinces  ;  elles  ont  régné  et  régnent 
encore  sur  toute  la  terre,  et  le  inonde  aujourd'hui,  mal- 
gré les  dénégations  de  quelques  hommes  aveuglés  par 
l'esprit  de  système,  n'est  pas  moins  convaincu  de  la  vé- 
rité des  miracles  et  de  tout  ce  qui  constitue  le  christia- 
nisme, qu'il  ne  l'était  du  temps  de  Néron,  de  Domitien, 
de  ïrajan  et  de  Constantin  le  Grand. 

Obj.  3°  Un  préjugé  puissant  contre  la  véracité  des 
Evangiles,  objecte-t-on  encore,  c'est  que  les  savans  et 
les  philosophes  du  paganisme  ont  fait  une  guerre  con- 
tinuelle à  la  religion  du  Christ  contenue  dans  ce  livre  ; 
ils  l'ont  attaquée  par  des  écrits  que  les  chrétiens  ont 


306  DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVA\GILES. 

réussi  à  faire  disparaître.  Or,  si  ces  écrits  existaient  en- 
core aujourd'hui,  peut-être  verrions-nous  clairement  la 
fausseté  des  miracles  qui  lui  servent  de  base  et  de  fonde- 
ment. 

Rép.  Il  est  vrai  que  les  savans  du  siècle  n'ont  cessé 
depuis  la  venue  de  Jésus-Christ  de  nier  ses  miracles 
et  de  combattre  sa  religion;  mais  leurs  efforts  pour  la 
détruire  ont  été  en  pure  perte,  puisqu'elle  a  triomphé  de 
tous  les  obstacles,  puisque,  reine  de  l'univers,  elle  a  éta- 
bli son  empire,  etplantè  ses  étendards  là  où  régnait  jadis 
l'idolâtrie,  et  que,  dèsle  i"  siècle  de  l'Église,  les  hommes 
les  plus  doctes  de  l'empire  romain  avaient  embrassé  son 
culte  et  ses  mystères.  Nos  adversaires  ont  raison  de  ne 
pas  oser  affirmer  positivement  que  les  écrits  des  anciens 
philosophes,  s'ils  existaient  encore  aujourd'hui,  montre- 
raient clairement  la  fausseté  des  miracles  évangéliques  ; 
cette  sage  réserve  est  toute  dans  leur  intérêt.  Mais  pour- 
suivons notre  réponse.  De  ce  que  la  plupart  des  ouvrages 
par  lesquels  les  philosophes  païens  ont  cherché  à  dé- 
créditer les  miracles  de  Jésus  et  à  saper  les  fondemens 
de  sa  religion  se  sont  perdus,  il  ne  faut  en  tirer  d'autre 
conséquence,  sinon  que  les  païens  en  ont  fait  peu  de  cas; 
autrement,  ils  en  auraient  multiplié  les  copies  par  tous 
les  moyens,  et  les  auraient  ainsi  sauvés  delà  destruc- 
tion et  de  l'oubli.  Toutefois,  un  assez  grand  nombre  de 
ces  œuvres  existent  encore  aujourd'hui  ;  on  a  des  frag- 
mens  de  l'ouvrage  de  Celse  dans  les  huit  livres  d'Origène 
contre  Celse;  de  Porphyre,  dans  Eusèbe  de  Césarée;  de 
l'empereur  Julien,  dans  saint  Cyrille  d'Alexandrie,  et  le 
temps  a  conservé  le  Philaléthès  d'Hiéroclès.  Eh  bien  ! 
ces  écrits  des  anciens  philosophes  gentils  prouvent  pré- 
cisément ce  que  nient  nos  incrédules,  savoir,  la  réalité 


DE  LA  VKRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  307 

des  miracles  de  Jésus,  et  la  vérité  de  sa  divine  religion; 
car  dès  que  ces  philosophes  avouent  l'existence  de  ces 
miracles,  ils  ont  beau  les  attribuer  à  la  magie  et  leur 
donner  d'autres  explications  non  moins  absurdes ,  ils 
confessent  par  là  même  qu'ils  lesadmettent  comme  faits; 
ils  ne  manquaient  donc  de  bonne  fui  que  sous  le  rap- 
port de  l'interprétation  qu'ils  entreprenaient  d'accrédi- 
ter, mais,  du  reste,  ils  étaientplus  justes  que  les  incré- 
dules modernes.  Ce  qui  prouve  d'ailleurs  le  peu  d'effet 
qu'ont  produit  sur  les  hommes  droits  et  sincères  ces 
écrits  insensés  des  philosophes  païens,  c'est  que,  dans 
le  temps  même  de  leur  vogue,  des  milliers  d'hommes 
embrassaient  le  christianisme,  des  milliers  de  chrétiens 
scellaient  de  leur  sang  la  vérité  de  l'Évangile. 

Obj.k"  Qui  pourrait  assurer  que  les  apôtres  ont  véri- 
tablement commencé  leur  ministère  à  Jérusalem,  où  ils 
auraient  pu  être  convaincus  de  mensonge  ?  C'est  sur 
quoi  les  historiens  gardent  le  silence.  En  second  lieu, 
si  tant  de  prodiges  rapportés  dans  les  Évangiles  étaient 
vrais,  est-ce  que  les  historiens  du  paganisme  n'en  au- 
raient pas  parlé  ? 

Rép.  1°  Par  la  première  partie  de  cette  objection,  nos 
adversaires  voudraient  prouver  que  l'histoire  de  Jésus 
et  les  miracles  qui  y  sont  consignés  ne  sont  qu'une  in- 
vention des  évangélistes  ;  c'est  là  le  dernier  effort  du 
scepticisme.  Nous  nous  contenterons  de  leur  demander 
comment  tout  l'univers  est  devenu  chrétien  ?  A  coup  sur, 
si  le  monde  entier,  sans  le  secours  des  miracles,  a  em- 
brassé la  religion  du  Christ ,  une  religion  ennemie  dé- 
clarée et  implacable  des  passions  humaines,  cette  con- 
version seule ,  comme  le  remarquait  autrefois  saint 
Augustin,  serait  elle-même  le  plus  grand  de  tous  les  mi- 


308  DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

racles.  Mais  pour  trancher  en  peu  de  mots,  disons  que 
l'histoire  de  Jésus  et  des  apôtres  est  renfermée  dans  des 
livres  d'une  authenticité  telle  qu'on  ne  saurait  en  ima- 
giner une  mieux  établie  (1)  :  d'où  nous  avons  tout  droit 
de  conclure  que  les  faits  contenus  dans  ces  livres  ont  le 
plus  haut  degré  de  certitude  possible.  La  seconde  partie 
de  l'objection  n'a  pas  plus  de  solidité.  Et  d'abord,  n'est- 
ce  pas  pure  ineptie  que  de  demander  aux  plus  violens 
ennemis  du  christianisme  qu'ils  viennent  témoigner  en 
faveur  de  cette  religion,  d'autant  plus  que  les  historiens 
païens  ont  eu  à  peine  une  occasion  de  parler  des  mi- 
racles du  Nouveau-Testament?  En  second  lieu,  il  est  ab- 
solument faux  que  les  historiens  du  paganisme  aient 
gardé  un  profond  silence  sur  les  faits  évangéliques;  car 
les  témoignages  qu'ils  nous  offrent  au  contraire  à  cet 
égard  suffiraient  seuls  pour  prouver  la  vérité  des  Evan- 
giles. Ces  témoignages  se  trouvent  répandus  en  profu- 
sion dans  Eusèbe  de  Césarée,  dans  Huet,  dans  Houte- 
ville,  Addison,  Bullet,  Duvoisin,  Mayer,  etc.  (2).  Nous 
nous  bornerons  à  en  rapporter  ici  quelques-uns,  afin 
qu'il  soit  bien  constaté  que  nos  adversaires  sont  tout-à- 
fait  dans  le  faux  quand  ils  prétendent  que  les  auteurs 
païens  n'ont  pas  parlé  des  miracles  rapportés  dans  les 
écrits  de  nos  évangélistes. 

(1)  Yoy.  plus  haut  (pag.  168  et  suiv.)  les  preuves  sur  lesquelles 
nous  avons  établi  l'authenlicitc  de  nos  quatre  Évangiles, 

(2j  Eusèhe,  Démomtr.  évanrj.  Huet,  ibid.  Houteville,  La  religion 
chrélieniie  prouvée  par  des  /'a//5.  Addison,  De  la  religion  chrétienne, 
avec  les  notes  de  Seigneux  de  Correvon.  Bullet,  Hist.  de  l'établisse- 
ment du  christianisme,  tirée  des  seuls  auteurs  juifs  et  pa'iens.  Duvoi- 
sin, Démonstration  évangélique.  Mayer,  Essai  de  défense  et  d'expusi- 
tion  de  l'histoire  de  JÉsus-CnRiST  et  des  apôtres,  d'après  les  auteurs 
profanes,  yrecs  et  romains,  en  allemand. 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  309 

Chalcidius,  philosophe  platonicien  du  iii^  siècle,  dans 
son  commentaire  sur  le  Timée  de  Platon,  parle  de  l'ap- 
parition d'une  nouvelle  étoile  etde  l'adoration  des  mages. 

Macrobe,  auteur  païen  du  iy'"  siècle,  fait  mention  du 
massacre  des  innocens  ordonné  par  Hérode  l'Ascalo- 
nite  ;  ]il  rapporte  qu'Auguste  apprenant  que ,  dans  le 
même  temps  environ,  Hérode  avait  fait  mourir  son  fils 
aîné,  dit  à  ce  sujet  :  «Il  vaut  mieux  être  le  porc  d'Hé- 
»  rode  que  son  fils  (1).  » 

Celse,  philosophe  épicurien  du  ii^  siècle,  dont  Ori- 
gène  nous  a  conservé  des  fragmens,  convient  que  Jésus, 
enfant,  fut  mené  en  Egypte;  et  dans  son  Traité  sur  la 
Vérité,  il  ne  conteste  nullement  les  miracles  de  Jésus- 
Christ,  mais  il  les  attribue  à  la  magie. 

Phlégon,  affranchi  d'Adrien,  qui  mourut  l'an  156  de 
l'ère  vulgaire,  rend  un  témoignage  éclatant  aux  prophé- 
ties de  Jésus-Christ,  à  leur  accomplissement,  surtout 
en  ce  qui  est  relatif  à  la  ruine  de  Jérusalem  ;  il  parle 
également  du  tremblement  de  terre,  de  l'éclipsé  de  so- 
leil qui  arriva  extraordinairement  au  moment  de  la  mort 
du  Sauveur,  et  qu'il  place  dans  la  quatrième  année  de 
la  202^  olympiade ,  qui  est  celle  de  la  mort  de  Jésus- 
Christ,  et  la  dix-huitième  du  règne  de  Tibère  (2). 

Thalus,  auteur  grec  du  i"  siècle,  atteste  également 
que  dans  la  dix-huitième  année  du  règne  de  Tibère,  une 
obscurité  subite  se  répandit  sur  la  terre  à  l'heure  même 
de  midi  (3). 

Il  existait  encore  au  iii^  siècle,  dans  les  archives  ro- 
maines, une  relation  de  la  vie,  des  miracles  et  de  la  mort 

(1)  Macrob.  Salurnal.l.  u,  c.iv. 

(2)  Phleg.  OUjmpiad.  l.  xiii. 

(3)  Thalus,  Hisior,  syriaca,  L  m. 


31t)  DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

de  Jésus-Christ,  que  Pilate  avait  envoyée  àRome. Saint 
Justin,  TertuUien  et  autres,  ont  souvent  renvoyé  leurs 
adversaires  païens  à  ces  archives.  TertuUien ,  en  par- 
lant de  l'écIipse  extraordinaire  qui  eut  lieu  à  l'instant 
de  la  mort  du  Sauveur ,  dit  aux  Romains  :  «  Consultez 
vos  archives ,  et  vous  y  trouverez  la  preuve  de  ce  phé- 
nomène (1)  .)>  Le  même  TertuUien,  et  après  lui  Eusèbe, 
nous  apprennent  que  la  relation  de  Pilate  fit  une  telle 
impression  sur  Tibère,  qu'il  proposa  au  sénat  de  mettre 
le  Christ  au  nombre  des  dieux  de  l'empire  ;  le  sénat  s'y 
refusa,  principalement  sur  l'opposition  de  Séjan.  Quoi 
que  puissent  dire  de  ce  fait  quelques  critiques,  il  ac- 
quiert toute  la  vraisemblance  désirable,  et  en  raison  de 
l'usage  oii  étaient  les  Romains  de  décerner  les  honneurs 
divins  aux  grands  hommes,  et  par  le  témoignage  de  Ter- 
tuUien et  d'Eusèbe. 

Tacite,  qui  écrivait  au  i^""  siècle ,  rapporte  dans  ses 
Annales  que  sous  Ponce  Pilate ,  gouverneur  de  la  Ju- 
dée, le  Christ  fut  mis  à  mort,  et  que  sous  Néron,  plu- 
sieurs chrétiens,  faussement  accusés  de  l'incendie  de 
Rome,  périrent  dans  d'afPreux  supplices. 

Suétone,  qui  fut  secrétaire  de  l'empereur  Adrien  , 
vers  l'an  118,  rapporte  dans  la  Vie  de  Claude  ,  que  ce 
prince  ordonna  par  un  édit  que  tous  les  Juifs  et  tous  les 
chrétiens  fussent  expulsés  de  Rome,  ce  qui  s'accorde 
exactement  avec  les  Actes  des  Apôtres,  chap.  xviii. 

Pline  le  Jeune,  mort  dans  les  premières  années  du 
11^  siècle,  mande  à  Trajan ,  dans  une  lettre  célèbre  adres- 
sée à  ce  prince,  que,  malgré  les  tourmens  qu'on  a  fait 
subir  à  un  grand  nombre  d'individus  à  qui  on  ne  pou- 

(l)  TertuU.  in  Apologel. 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  311 

vait  reprocher  que  la  sainteté  de  leur  vie,  les  villes  et 
les  villages  se  remplissent  de  chrétiens ,  et  qu'ils  s'y  mul- 
tiplient au  point  qu'il  n'ose  plus  sévir  contre  eux  (1). 
Trajan  lui  répondit  qu'il  fallait  cesser  toutes  recherches 
contre  les  chrétiens,  et  se  borner  à  punir  ceux  qui  se- 
raient déférés  et  convaincus  (2). 

Lampride,  écrivain  du  iv^  siècle,  raconte  dans  la  vie 
d'Alexandre  Sévère,  que  cet  empereur  rendait  tous  les 
matins  un  culte  à  Jésus-Christ,  qu'il  avait  placé  dans 
son  laraire  avec  Abraham  et  Orphée:  qu'il  voulut  lui 
élever  un  temple  et  le  faire  mettre  au  nombre  des  dieux; 
mais  il  ajoute  qu'Alexandre  fut  détourné  de  ce  dessein 
par  les  représentations  qu'on  lui  fit  que  s'il  en  venait  là, 
on  ne  verrait  bientôt  plus  que  des  chrétiens,  et  que  les 
temples  des  dieux  seraient  déserts.  Le  même  Lampride 
rapporte  que  l'empereur  Adrien  eut  aussi  le  projet  de 
mettre  Jésus-Christ  sur  le  catalogue  des  dieux  de 
Rome,  et  que  dans  beaucoup  de  villes  il  fit  construire 
des  temples  sans  idoles,  destinés,  suivant  toute  appa- 
rence, à  l'exécution  de  ce  projet. 

Hiéroclès,  gouverneur  d'Alexandrie,  en  303,  sous  Dio- 
clétien,  avoue,  dans  son  Philaléthès,  les  miracles  de  Jé- 
sus; mais,  par  le  plus  absurdede  tous  les  rapprochemens, 
il  leur  oppose  les  miracles  fabuleux  d'Apollonius  de 
Tyane. 

Porphyre,  philosophe  platonicien  du  iii^  siècle,  ne 
dit  rien  qui  ressemble  à  une  dénégation,  au  sujet  des  mi- 
racles de  Jésus-Christ,  des  apôtres,  et  de  quelques-uns 
des  premiers  chrétiens  ;  il  les  attribue  seulement  à  des 
opérations  de  magie. 

(1)  Plin.  lib.  X,  EpLst.  xcvn. 

(2)  Plin.  ibid.  Epist,  sequenli. 


312         DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

L'empereur  Julien ,  qui  régnait  au  iv^  siècle ,  ne  nie 
pas  non  plus  les  miracles  du  Sauveur,  mais  il  affecte  de 
dire  que  ces  miracles  ont  été  opérés  dans  un  coin ,  dans 
le  petit  bourg  de  Bethsaïde,  sans  autres  témoins  que  des 
aveugles  et  des  boiteux.  Il  dut  pourtant  se  trouver  forcé 
d'avouer  la  vérité  de  la  prophétie  de  Jésus-Christ, 
lorsqu'il  entreprit  de  rebâtir  le  temple  de  Jérusalem,  et 
qu'une  puissance  supérieure  à  la  sienne  rendit  ses  ef- 
forts inutiles. 

Voilà  donc  des  témoins  païens,  des  témoins  qui  assu- 
rément ne  sont  pas  suspects,  et  qui  confirment  par  leurs 
écrits  et  par  leurs  discours  les  faits  de  l'Evangile  !  Ces 
mêmes  faits  sont  corroborés  par  la  conduite  même  des 
premiers  hérétiques  ;  car  on  sait  que  Simon  le  magicien, 
frappé  des  miracles  de  l'apôtre  Philippe,  voulut  se  faire 
baptiser.  Il  n'y  a  rien  que  n'aient  tenté  les  gnostiques, 
les  montanistes,  et  autres  hérétiques  de  ce  temps,  pour 
contrefaire,  à  l'aide  de  quelques  supercheries ,  les  mi- 
racles de  Jésus-Christ,  des  apôtres  et  des  premiers  fi- 
dèles. Mais  ce  qui  tourne  d'une  manière  plus  frappante 
encore  à  la  honte  des  incrédules  que  nous  combattons 
ici,  c'est  l'aveu  que  font  les  Juifs  dans  leur  Talmud  :  ils 
y  conviennent  non  seulement  des  miracles  de  Jésus- 
Christ  et  des  apôtres,  mais  encore  de  ceux  des  pre- 
miers chrétiens  ,  en  les  attribuant,  il  est  vrai,  comme 
nous  l'avons  remarqué  un  peu  plus  haut  (pag.  302),  à  la 
magie  et  au  nom  de  Jéhova  ;  et  même  les  talmudistes 
rapportent  tant  de  circonstances  de  détail  de  la  vie  du 
Sauveur,  que,  malgré  les  fables  rabbiniques  qui  désho- 
norent leur  récit,  elles  confirment  merveilleusement  la 
véracité  des  Evangiles. 

Obj.  5"  Si  les  faits  évangéliques  avaient  eu  quelque 


DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES.  313 

apparence  de  vérité,  disent  de  nouveau  nos  adversai- 
res, les  anciens  historiens  juifs,  tels  que  Philon  et  Jo- 
seph, n'auraient  certainement  pas  manqué  d'en  faire 
mention.  Si  donc  ils  n'en  ont  rien  dit,  c'est  qu'ils  n'é- 
taient pas  considérés  comme  véritables. 

Rép.  Pour  ce  qui  est  de  Philon,  il  n'a  jamais  eu  une 
seule  occasion  d'en  parler  dans  ses  ouvrages;  mais  il  est 
faux  que  Joseph  n'en  ait  rien  dit,  car  il  fait  mention  de 
saint  Jean-Baptiste  dans  les  termes  les  plus  honora- 
bles (1);  il  parle  de  la  mort  d'Agrippa  (2),  et  ce  qu'il  en 
dit  s'accorde  avec  le  récit  de  saint  Luc,  dans  les  Actes 
des  Apôtres  ;  il  écrit  que  Jacques,  frère  de  Jésus  qui  est 
appelé  Christ ,  fut  lapidé  par  l'ordre  d'Ananus ,  grand 
prêtre  des  Juifs  (3) .  A  propos  de  la  révolte  des  Juifs 
contre  Ponce  Pilate,  après  la  mort  du  Seigneur,  il  rend 
ce  témoignage  remarquable  de  Jésus-Christ  :  «  Dans 
le  même  temps,  parut  Jésus,  homme  d'une  profonde 
sagesse,  si  toutefois  il  est  permis  de  lui  donner  le  nom 
d'homme  ;  opérant  les  plus  étonnans  prodiges,  ensei- 
gnant ceux  qui  ne  demandent  qu'à  connaître  la  vérité 
pour  l'embrasser,  il  eut  un  grand  nombre  de  sectateurs, 

(1)  Joseph,  Ânliq.  l.  xviir,  c.  vu. 

(2)  Joseph,  ibid.  l.  xix,  c.  vu. 

(3)  Joseph,  ibid.  L  xx,  c.  viii.  L'authenticité  de  ce  passage  rap- 
porté ici  par  Janssens  a  paru  suspecte  à  Lardoer  et  à  quelques  au- 
tres critiques  modernes.  Cependant  il  a  été  cité  par  saint  Jérùnie  ;  il 
se  trouvait  dans  les  manuscrits  de  Joseph  au  temps  de  Photius,  et  il 
se  lit  dans  toutes  les  édition?  des  œuvres  de  cet  historien  juif.  Aussi 
^Vine^,  dont  tout  le  monde  connaît  la  hardiesse,  avoue  dans  son 
Dictionnaire  de  la  Bible,  à  l'article  de  saint  Jacques  le  Mineur,  que 
c'est  incontestablement  de  cet  a4'»ôtre  que  Joseph  a  voulu  parler  dans 
cet  endroit.  Il  confirme  même  son  sentiment  par  celui  de  plusieurs 
autres  tels  que  FLilier,  Faber,  etc. 

Y.  U 


314  DE  LA  VÉRACITÉ  DES  ÉVANGILES. 

tant  parffîi  les  Juifs  que  parmi  les  gentils .  C'est  ce  Christ 
qui,  accusé  devant  Pilate  par  les  principaux  de  notre 
iiation  ,  fut  condamné  à  mourir  sur  la  croix,  sans  que 
ceux  qui  s'étaient  attachés  à  lui  dans  les  commence- 
mens  cessassent  de  l'aimer;  car  il  leur  apparut  vivant 
le  troisième  jour,  ainsi  que  l'avaient  annoncé  les  pro- 
phètes, parmi  beaucoup  d'autres  prophéties  qui  le  con- 
cernaient; et  jusqu'à  ce  jour,  la  secte  des  chrétiens,  ainsi 
appelée  du  nom  de  son  fondateur,  ne  paraît  pas  s'affai- 
blir (1).  »  Il  est  vrai  que  les  incrédules  rejettent  ce  té- 
moignage de  Joseph  comme  non  authentique ,  et  que 
parmi  les  chrétiens  eux-mêmes  il  s'en  est  trouvé  à  qui 
il  a  paru  apocryphe  ;  mais  il  est  facile  de  prouver  qu'il 
est  bien  de  l'auteur  juif.  En  effet,  1°  puisqu'il  entrepre- 
nait d'écrire  l'histoire  de  sa  nation  et  de  son  siècle,  la 
bonne  foi  ne  lui  permettait  pas  de  garder  un  silence  ab- 
solu sur  ce  Christ  qui  avait  fait  tant  de  bruit  en  Judée  ; 
d'autant  plus  qu'il  dédiait  son  ouvrage  à  Epaphrodite, 
à  un  chrétien,  sous  le  consul  Flavius  Clémens,  égale- 
ment chrétien.  S"*  Joseph  avait  parlé  de  saint  Jean-Bap- 
tiste et  de  Jacques  le  Mineur  ;  on  ne  peut  donc  supposer 
qu'il  ait  eu  l'intention  de  se  taire  sur  celui  dont  l'un  avait 
été  le  précurseur,  et  l'autre  un  des  disciples.  3°  Il  ap- 
pelle Jacques  le  Mineur  tov  àotl^ov  i-ndov  zoQ  lzyo[ivjov 
X,oto-ro{i,  le  frère  de  Jésus  qui  fut  surnommé  le  Christ.  C'est 
reconnaître  du  moins  que  Jésus  de  Nazareth  a  existé,  et 
qu'on  l'a  cru  le  Messie  ;  il  n'est  donc  nullement  éton- 
nant que,  dans  un  autre  endroit  de  son  livre,  il  parle  de 
Jésus  dans  le  même  sens.  4«  Le  style  de  ce  passage  est 
parfaitement  conforme  à  celui  de  tout  l'ouvrage  de  Jo- 

(1)  Joseph,  Anliq.  l  xviii,  c.  vi. 


DE  LA  VÉHACITÉ  DES  ÉVANGILES.  3i5 

seph  ;  et  il  se  lie  autant  qu'on  peut  l'exiger  à  ce  qui 
précède,  puisque  l'auteur  ne  parle  ici  de  Jésus  qu'acci- 
dentellement. 5"  Eusèbe  (1)  atteste  qu'il  a  lu  ce  témoi- 
gnage de  Joseph  dans  un  ancien  manuscrit  de  Jérusa- 
lem, et  on  le  trouve  dans  tous  les  autres  :  s'il  manque 
dans  quelques  exemplaires  de  la  traduction  hébraïque, 
il  est  clair  que  c'est  une  omission  faite  à  dessein.  Avant 
Eusèbe,  à  la  vérité,  personne  n'avait  cité  ce  passage  con- 
tre les  Juifs  et  contre  les  gentils  ;  mais  la  raison  en  est 
qu'il  ne  prouvait  rien  ou  peu  de  chose  contre  eux,  puis- 
qu'il constatait  seulement  ce  qui  n'était  nié  ni  par  les  Juifs 
ni  par  les  gentils,  savoir,  la  vérité  de  tout  ce  qu'on  rap- 
portait sur  les  miracles  de  Jésus.  Eusèbe  fut  donc  le 
premier  qui  le  mit  en  avant,  parce  qu'il  fut  le  premier 
qui  entreprit  de  démontrer  la  vérité  de  l'Evangile  par 
des  témoignages  tirés  des  auteurs  profanes.  Après  Eu- 
sèbe et  jusqu'au  xvi^  siècle,  personne  n'a  été  tenté  d'en 
suspecter  l'authenticité  (2). 

Nos  adversaires  prétendent  que  puisque  Joseph  con- 
fesse que  Jésus  de  Nazareth  est  le  Messie,  il  aurait  dû 
embrasser  sa  religion,  jlais  cet  écrivain,  en  disant  que 
Jésus  était  le  Messie,  a  bien  pu  ne  pas  attacher  d'autre 
sens  à  ce  m.ot  que  lorsqu'il  a  aussi  appelé  Messie  l'em- 
pereur Vespasien.  Du  reste,  il  paraît  que  tout  ce  qu'il  a 

(1)  Euseb.  Démonsir.  évang.  l.  m,  c.  v,  etHist.  eccl.  l.  i,  c.  x. 

(2)  Il  est  vrai  que  depuis  ie  xvie  siècle  plusieurs  protcstans  habiles, 
etPiichard  Simon  déguisé  sous  le  nom  du  docteur  ^cques,  ont  pré- 
tendu que  ce  passage  de  Joseph  était  supposé  et  ajouté  après  coup 
par  une  main  étrangère  ;  mais  un  grand  nombre  de  savans  critiques, 
soit  protestons,  soit  catholiques,  en  ont  soutenu  l'authenticité;  dans 
ces  derniers  temps  même  plusieurs  rationalistes  d'Allemagne  en  ont 
entrepris  la  défense. 


316  DE  LA   DIVLMTÉ   DES   ÉVANGILES. 

voulu  dire,  c'est  que  Jésus  de  Nazareth  avait  passé  pour 
le  Messie,  avait  été  ainsi  appelé;  car  comme  saint  Jérôme 
traduit  cette  phrase  de  l'auteur  juif,  x^oto-TÔ?  oyroç  ^v,  par 
la  phrase  latine  hic  credebatur  esse  Christus  (on  croyait 
quil  était  le  Christ) ,  plusieurs  critiques  pensent  que 
dans  les  copies  manuscrites  de  Joseph,  le  mot  /cyôv.îvo?, 
d/c^»s,a  été  omis.  Mais  dans  le  cas  même  où  Joseph  n'au- 
rait pas  parlé  de  Jésus-Christ,  une  réticence  si  affec- 
tée sur  un  personnage  de  sa  nation  qui  avait  fait  tant  de 
bruit,  prouverait  seulement  qu'un  silence  profond  lui  au- 
rait paru  le  parti  le  plus  prudent  sur  des  faits  dont  il  ne 
voulait  pas  convenir  et  qu'il  ne  savait  comment  réfuter. 


CHAPITRE  HUITIEME. 

DE   LA  DIVINITÉ  DES  ÉVANGILES. 

Les" incrédules,  les  rationalistes,  et  les  partisans  de 
l'interprétation  mythique  ,  et  en  général  tous  les  enne- 
mis de  la  révélation,  rejettent  comme  une  erreur  la  di- 
vinité de  nos  Evangiles;  pour  nous,  au  contraire,  nous 
l'admettons  comme  une  des  vérités  de  la  foi  catholique. 
Ce  n'est  pas  sans  motif  que  l'Eglise  nous  oblige  d'y 
croire;  on  peut  s'en  convaincre  en  considérant  ceux 
que  nous  exposons  dans  la  proposition  suivante. 

FROPOSITIOX. 

Les  Evangiles  sont  un  livre  divin. 

On  ne  saurait  légitimement  révoquer  en  doute  la  divi- 
nité d'un  livre  qui  contient  une  doctrine  confirmée  par 
des  miracles  sans  nombre,  par  des  prophéties  éclatantes, 


DE  LA   DIVINITÉ   DES   ÉVANGILES.  317 

et  par  l'accord  parfait  des  événemens  qu'il  rapporte  avec 
d'anciens  oracles  prophétiques  qui  les  ont  annoncés; 
une  doctrine  qui,  considérée  d'ailleurs  en  elle-même,  est 
beaucoup  plus  parfaite  que  toutes  les  doctrines  natu- 
relles. Or,  tels  sont  les  titres  avec  lesquels  les  Evangiles 
se  présentent  à  nous.  On  pourrait  même  ajouter  que  le 
style  et  la  manière  dont  ils  sont  écrits  prouvent  que  leurs 
auteurs  étaient  favorisés  d'un  secours  surnaturel. 

1.  Que  la  doctrine  contenue  dans  les  Evangiles  ait  été 
confirmée  par  de  nombreux  miracles,  c'est  un  point  qui 
aété  portéjusqu'au plus hautdegréd'évidencepar  les  apo- 
logistes chrétiens,  qui  ont  démontré  par  tous  les  moyens 
que  la  critique  peut  mettre  en  œuvre,  ces  deux  vérités  : 
savoir,  que  Jésus-Christ  a  réellement  opéré  les  mira- 
cles rapportés  dans  nos  Évangiles,  et  que  ces  mêmes  mi- 
racles sont  une  preuve  irrécusable  de  la  mission  divine 
du  Sauveur.  Ce  que  nous  en  avons  dit  nous-même  au 
chapitre  précédent  suffit  pour  en  convaincre  tout  esprit 
raisonnable  qui  ne  se  laisse  pas  aveugler  volontairement 
par  des  préventions  injustes. 

2.  La  doctrine  évangélique  a  été  encore  confirmée 
par  les  prophéties  éclatantes  que  le  Sauveur  a  faites,  et 
qui  ont  eu  leur  accomplissement,  conformément  à  ce  que 
les  évangélistes  nous  en  ont  rapporté.  On  ne  pourrait 
décliner  la  force  de  cet  argument  qu'en  rejetant  l'au- 
thenticité, l'intégrité  et  la  véracité  des  Evangiles  ;  mais 
nous  venons  de  démontrer  qu'il  n'y  avait  aucune  raison 
légitime  de  le  faire .  Or,  les  prophéties  du  Sauveur  que  les 
évangélistes  nous  ont  transmises  dans  leurs  écrits,  et  que 
l'histoire  atteste  avoir  eu  leur  parfait  accomplissement, 
sont  d'abord  celle  de  sa  mort  par  le  supplice  de  la  croix, 
avec  le  détail  de  toutes  ses  souffrances  et  de  toutes  ses 


318  DE    LA   DIVINITÉ   DES   ÉVANGILES. 

ignominies  ;  qu'il  serait,  par  exemple,  couvert  d'injures, 
flagellé,  qu'on  lui  cracherait  au  visage,  qu'on  le  livre- 
rait non  seulement  au  pouvoir  des  Juifs,  mais  encore  à 
celui  des  gentils  ;  qu'ils  le  crucifieraient  ;  qu'il  serait  trahi 
par  un  des  siens  qu'il  désigna  de  manière  à  ne  laisser 
aucun  doute  sur  ce  traître  ,  qu'il  serait  renié  jusqu'à 
trois  fois  par  saint  Pierre,  et  qu'il  se  verrait  abandonné 
de  tous  ses  apôtres  ;  en  second  lieu,  celle  de  sa  résur- 
rection le  troisième  jour  après  sa  mort,  et  de  son  ap- 
parition à  ses  disciples  en  Galilée;  troisièmement,  celle 
de  son  ascension,  de  sa  gloire  future  et  de  la  conversion 
de  tous  les  peuples  à  la  foi.  Une  prophétie  de  Jésus- 
Christ  qui  mérite  surtout  notre  attention  à  cause  des 
détails  nombreux  de  tout  genre  dont  elle  est  environnée, 
c'est  celle  de  la  ruine  de  Jérusalem.  Car  ce  divin  Sau- 
veur a  prédit  tous  les  signes  qui  devaient  être  les  précur- 
seurs de  cette  grande  catastrophe,  comme  la  famine  et 
les  autres  calamités  qui  pesèrent  sur  la  nation  juive  pen- 
dant le  siège  de  cette  ville.  Il  annonça,  par  exemple, 
que  parmi  les  Juifs,  les  uns  périraient  parle  glaive,  les 
autres  seraient  conduits  en  captivité;  que  Jérusalem  se- 
rait prise  et  foulée  sous  les  pieds  des  gentils ,  et  que  le 
temple  serait  détruit  au  point  qu'il  n'en  resterait  pas 
pierre  sur  pierre.  Or,  nous  le  répétons,  toutes  ces  pré- 
dictions ont  eu  un  accomplissement  littéral,  personne 
ne  saurait  l'ignorer  aujourd'hui. 

3.  La  doctrine  des  Evangiles  ne  se  trouve  pas  moins 
confirmée  par  l'accord  parfait  qui  existe  entre  les  évé- 
nemens  qu'ils  rapportent,  et  d'anciens  oracles  prophé- 
tiques qui  les  ont  annoncés.  Il  suffit  de  comparer  l'An- 
cien-Testament  avec  le  Nouveau  pour  voir  que  presque 
tous  les  faits  évangéliques  qui  concernent  Jésus-Christ 


DE   LA   DIVINITÉ   DES   ÉVANGILES.  319 

se  trouvent  décrits  dans  les  prophètes  do  l'ancienne 
loi.  En  vain  les  incrédules  et  les  partisans  de  la  nou- 
velle exégèse  se  sont-ils  inscrits  en  faux  contre  cette 
conformité  des  oracles  des  Hébreux  avec  ce  que  les 
évangélistes  nous  apprennent  de  Jésus  le  vrai  Messie 
attendu  par  la  nation  juive,  leurs  efforts  et  leurs  tenta- 
tives n'ont  abouti  qu'à  rendre  cette  vérité  plus  éclatante. 
La  Christologie  de  Hengstenberg  a  détruit  tous  les  ar- 
gumens  des  exégètes  rationalistes.  Nous  n'ignorons  pas 
ce  que  quelques  critiques  ont  opposé  à  certaines  par- 
ticularités dans  lesquelles  l'auteur  peut  en  effet  paraître 
attaquable  (1)  ;  mais  nous  savons  aussi  que  le  fond  de 
ses  preuves  n'a  rien  perdu  de  sa  force  et  de  sa  solidité, 
et  nous  ne  craignons  pas  d'ajouter  que  les  attaques  in- 
spirées par  le  rationalisme  ont  été  jusqu'ici  entièrement 
impuissantes. 

k- .  La  doctrine  évangélique  porte  en  elle-même  un 
cachet  de  divinité  qu'il  est  difficile  de  ne  pas  reconnaî- 
tre. Non,  jamais  Jésus  de  Nazareth,  jamais  d'ignorans 
Galiléens,  à  moins  d'être  éclairés  par  une  lumière  di- 
vine ,  n'auraient  pu  inventer  des  dogmes  aussi  subli- 
mes, une  morale  aussi  parfaite.  Nous  l'avons  déjà  dit 
au  chapitre  précédent,  et  la  question  que  nous  traitons 
nous  oblige  à  le  répéter  :  comment  la  doctrine  évangé- 
lique, prêchée  par  douze  pauvres  pêcheurs  qui  ne  con- 
naissaient guère  que  leurs  barques  et  leurs  filets,  a-t-elle 
pu  opérer  dans  le  monde  une  révolution  si  subite  et  si  éten- 

(1)  Nous  avons  eu  occasion  de  louer  la  Christologie  d'Heng- 
steobergdans  les  volumes  précédcns.  Cependant, -comme  catholique, 
nous  ne  saurions  approuver  toutes  les  idées  de  ce  savant  écrivain,  et 
comme  hébraïsant ,  nous  ne  sommes  pas  absolument  d'accord  avec 
lui  sur  la  manière  d'exphquer  certains  mots  hébreux. 


320  DE   LA   DIVINITÉ   DES   ÉVANGILES. 

due?  Comment  des  dogmes  qui  s'élèvent  si  haut  au-des- 
sus de  l'esprit  humain,  qui  obligent  à  croire  les  mystè- 
res les  plus  incompréhensibles  ;  comment  une  morale 
qui  veut  que  l'on  combatte  continuellement  et  que  l'on 
crucifie  sans  pitié  les  passions  les  plus  chères,et  qui  pres- 
crit une  mort  perpétuelle  à  tout  soi-même,  comment  une 
pareille  doctrine  aurait-elle  été  reçue  aussi  promptement 
et  aussi  universellement  si  elle  n'était  point  divine  (1)? 
5.  Le  style  et  la  manière  dont  les  Evangiles  sont  écrits 
prouvent  jusqu'à  l'évidence  que  les  plumes  qui  les  ont 
tracés  étaient  dirigées  par  l'Esprit  saint.  Nous  avons 
déjà  vu  que  la  sainteté  des  Evangiles  imrlait  au  cœur 
même  d'un  grand  déiste ,  au  point  de  lui  faire  avouer 
qu'im  livre  à  la  fois  si  sublime  et  si  simple  ne  pouvait 
être  l'ouvrage  des  hommes.  Quelle  preuve  surtout  en  fa- 
veur de  l'inspiration  de  l'Evangile,  que  cet  air  d'indif- 
férence, cette  sorte  d'impassibilité  qui  règne  dans  les 
écrits  des  évangélistes  !  Qu'on  se  figure,  si  on  le  peut, 
des  auteurs  assez  passionnés  envers  leur  héros  pour 
s'exposer  à  mille  dangers,  endurer  les  persécutions  et 
la  mort  même  dans  l'unique  dessein  de  le  faire  connaî- 
tre, et  cependant  racontant  une  assez  longue  histoire  des 
humiliations  dont  il  a  été  abreuvé,  des  opprobres  les 
plus  inouïs  dont  il  a  été  rassasié,  des  tourmens  les  plus 
cruels  dont  il  a  été  accablé,  sans  que  jamais  on  puisse 
les  surprendre  ayant  l'âme  émue,  sans  que  jamais  il  leur 
échappe  un  seul  mot  ou  en  faveur  de  l'innocence  et  du 
courage  sublime  de  la  victime,  ou  contre  la  perfidie  et  la 
cruauté  des  juges  et  des  bourreaux?  C'est  un  trop  grand 
effortpour  la  nature  humaine;  elle  ne  va  pas  si  loin.  Oui, 

(1)  On  peut  voir  dans  tous  les  traites  de  la  religion  les  dév  loppe- 
mens  que  les  théologiens  polémiques  ont  donnés  à  cette  preuve. 


DE   LA  DIVINITÉ   DES   ÉVANGILES.  321 

il  a  fallu  aux  évangélistes  toute  l'influence  de  l'inspiration 
divine  pour  dire  avec  autant  de  sang-froid,et  sans  ajouter 
aucune  réflexion  :  et  crucifixencnt  eitm.  (c  Plus  on  fait 
attention  au  caractère  inimitable  des  évangélistes,  re- 
marque judicieusement  Rollin ,  plus  on  y  reconnaît  la 
conduite  d'un  autre  esprit  que  celui  de  l'homme.  Ils  se 
contentent  de  dire  en  un  mot,  que  leur  maître  fut  crucifié, 
sans  marquer  ni  étonnement,  ni  compassion,  ni  recon- 
naissance. Qui  parlerait  ainsi  d'un  ami  qui  aurait  donné 
sa  vie  pour  lui  ?  Quel  fils  rapporterait  d'une  manière  si 
courte  et  si  simple  comment  son  père  l'aurait  exempté 
du  dernier  supplice  en  le  souffrant  à  sa  place?  Mais 
c'est  en  cela  que  le  doigt  de  Dieu  est  évident  :  et  moins 
l'homme  paraît  dans  une  conduite  si  peu  humaine,  plus 
l'opération  de  Dieu  est  manifeste.  Les  prophètes  décri- 
ventles  souffrances  de  Jésus-Christ  d'une  m.anière  vive 
et  touchante,  pathétique.  Ils  sont  pleins  de  réflexions(l), 
mais  les  évangélistes  les  racontent  d'une  manière  simple, 
sans  mouvemens,  sans  réflexions,  sans  rien  permettre  à 
leur  admiration  et  à  leur  reconnaissance,  sans  paraître 
avoir  aucun  dessein  de  changer  leurs  lecteurs  en  disci- 
ples de  Jésus-Christ.  Il  n'était  pas  naturel  que  des  té- 
moins oculaires  de  sa  croix,  et  si  zélés  pour  sa  gloire, 
parlassent  d'une  manière  si  modérée  du  crime  inouï 
commis  contre  sa  personne.  Le  zèle  des  évangélistes  eut 
été  suspect,  celui  des  prophètes  ne  pouvait  l'être  ;  mais  si 
les  évangélistes  et  les  prophètes  n'avaient  été  inspirés,  les 
premiers  eussent  écrit  d'une  manière  plus  animée ,  et  les 
seconds  d'une  manière  plus  indifférente.  Les  uns  eussent 
marqué  un  dessein  de  persuader,  et  les  autres  une  timidité 

(J)  Ps.  XXI,  Lxviii,  Jcs.  L,  i.iii.  Jer.  xv,  etc. 

14. 


322  DE   LA  DIVINITÉ  DES  ÉVANGILES. 

et  une  hésitation  dans  leurs  conjectures  qui  n'eûttouché 
personne.  Tous  les  prophètes  sont  ardens,  zélés,  pleins 
de  respect  et  de  vénération  pour  les  mystères  qu'ils  an- 
noncent ;  tous  les  évangélistes  sont  tranquilles,  et  avec 
un  zèle  égal  à  celui  des  prophètes,  ils  ont  une  modé- 
ration inimitable.  Qui  peut  ne  pas  reconnaître  la  main 
qui  a  conduit  les  uns  et  les  autres  ?  et  quelle  preuve  peut 
être  plus  sensible  de  la  divinité  des  Ecritures,  que  de  ne 
ressembler  en  rien  à  tout  ce  qu'écrivent  les  hommes  (1)  ?  » 
11  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  les  chrétiens  ont  tou- 
jours eu  pour  les  Evangiles  un  si  grand  respect,  une  vé- 
nération si  profonde,  et  si  toutes  les  églises  chrétiennes 
les  ont  toujours  regardés  non  seulement  comme  inspirés 
par  l'Esprit  saint,  et  par  conséquent  munis  du  sceau  de 
l'autorité  divine,  mais  comme  la  partie  la  plus  impor- 
tante du  canon  des  livres  sacrés,  puisqu'ils  contiennent 
les  paroles  qui  sont  sorties  immédiatement  de  la  bouche 
du  Fils  de  Dieu  lui-même.  En  effet,partout  ailleurs  dans 
l'Écriture,  Dieu  parle  par  ses  prophètes  ou  par  ses  apô- 
tres, hommes  remplis  de  son  esprit,  mais  simples  créa- 
tures, placés  au-dessous  de  lui  de  toute  la  distance  du 
fini  à  l'infini,  tandis  que  dans  l'Evangile  il  s'exprime  par 
l'organe  de  son  propre  Fils,  la  splendeur  de  sa  gloire, 
l'image  parfaite  de  sa  substance,  et  qui  est  assis  au  plus 
haut  du  ciel  à  la  droite  de  sa  souveraine  majesté,  comme 
le  dit  saint  Paul  dans  sa  dernière  Épître  :  nMultifariam 
multisque  modis  olim  Deus  loquens  patribus  in  prophe- 
tis  :  novissùnè  diehus  istis  locutiis  est  nobis  in  FiLio... 
Qui  cum  sit  splendor  gloriœ  et  figura  substantiœ  ejus.. . 
sedet  ad  dexteram  tnajestatis  in  excelsis  (Hebr.  i,  1-3). 

(1)  Rollin,  Traité  des  études,  t.  ii,  ch.  m,  §i. 


DE  l'éloc.  et  des  beautés  litt.  des  évangiles.   323 
CHAPITRE  NEUVIÈME. 

DE    L'ÉLOCUTION   et   DES   BEAUTÉS   LITTÉRAIRES 
DES   ÉVANGILES. 

1 .  En  traitant  du  texte  original  et  du  style  de  chaque 
Évangile  en  particulier ,  nous  avons  déjà  fait  connaî- 
tre l'élocution  de  leurs  auteurs.  On  a  dit  avec  raison  que 
le  caractère  dominant  de  l'Écriture  sainte,  quand  on  la 
considérait  sous  le  point  de  vue  littéraire,  était,  comme 
on  l'a  dit  aussi  de  l'Écriture  en  général ,  une  grande  sim- 
plicité jointe  à  une  majesté  noble  et  sublime. Cette  obser- 
vation est  surtout  applicable  à  nos  saints  Évangiles.  Car 
si  d'un  côté  les  écrivains  qui  les  ont  composés  sont  en 
général  simples  et  d'un  ton  également  soutenu,  leur  nar- 
ration est  parfois  pleine  d'expressions  nobles  et  élevées. 
C'est  ainsi  que  les  cantiques  de  la  mère  du  Sauveur  et 
du  prophète  Zacharie, rapportés  par  saint  Luc, ne  man- 
quent pas  d'une  certaine  éloquence,  et  sont  parfaitement 
assortis  à  la  nature  dusujet.  Quoi  de  plus  beau  et  de  plus 
sublime  encore  que  le  commencement  de  l'Evangile  de 
saint  Jean?  Cependant,  on  peut  dire  en  général  que  les 
Évangiles  sont  écrits  en  langage  populaire,  c'est-à-dire 
simple,  vif,  figuré,  plein  de  sentences,  et  parlant  au  cœur 
encore  plus  qu'à  l'esprit. 

2.  Mais  un  mérite  littéraire  qui  distingue  plus  parti- 
culièrement les  Évangiles,  ce  sont  les  paraboles  admi- 
rables qu'ils  contiennent  .Elles  sont  en  effet  bien  supérieu- 
res non  seulement  aux  apologues  les  plus  vantés  dans 
l'antiquité  profane ,  mais  encore  à  ceux  des  prophètes 
sacrés  qui  ont  fait  un  usage  si  fréquent  de  cette  figure. 
«On  a  beaucoup  vanté  en  ce  genre,  dit  Lowth,  les  com- 


324    DE  L'ÉLOCUTION  ET  DES  BEAUTÉS  LITTÉRAIRES 

positions  du  sage  de  Phrygie ,  ou  celles  que  d'autres 
poètes  ont  rédigées  par  écrit  à  l'imitation  des  siennes. 
Le  Sauveur  lui-même  n'a  pas  dédaigné  de  faire  usage 
de  cette  sorte  d'instruction,  et  nous  ne  savons  ce  qu'on 
doit  admirer  le  plus,  de  la  sagesse ,  du  sens  profond ,  de 
l'élégance,  de  l'agrément  ou  de  la  clarté  qu'il  y  a  dé- 
ployés (1).  »  Si  nous  appliquons  en  effet  aux  paraboles 
évangéliques  toutes  les  conditions  que  ce  judicieux  cri- 
tique exige  pour  la  perfection  d'une  composition  de  cette 
nature,  nous  verrons  facilement  qu'elles  les  réunissent 
toutes  au  suprême  degré.  Et  pour  entrer  dans  quelques 
détails,  nous  dirons  que  ces  conditions  sont  que  la  pa- 
rabole soit  empruntée  d'une  image  non  seulement  con- 
nue et  convenable,  dont  la  signification  puisse  facilement 
être  saisie,  mais  encore  élégante, agréable,  ayant  toutes 
ses  parties  et  les  accessoires  qui  la  composent,  d'une  con- 
venance évidente  et  qui  concoure  à  l'effet  que  l'écrivain 
veut  produire  ;  d'une  image  enfin  qui  se  soutienne  sans 
interruption  et  à  laquelle  ne  vienne  point  se  mêler  l'idée 
du  sujet  propre.  Or,  pour  peu  que  nous  lisions  attenti- 
vement les  paraboles  que  Jésus-Christ  a  employées 
dans  ses  discours  et  qui  ont  été  recueillies  par  les  évan- 
géiistes,  nous  y  trouverons  toutes  ces  qualités.  Et  d'a- 
bord ne  sont-elles  pas  toutes  empruntées  d'images  tirées 
elles-mêmes  des  objets  de  la  nature,  comme  d'un  arbre, 
d'une  vigne,  d'un  figuier,  de  la  semence,  du  grain  de 
sénevé,  de  l'ivraie,  etc.,  ou  de  ceux  de  la  vie  domestique 
et  civile,  tels  que  la  moisson,  la  vendange,  le  labour,  un 
économe,  un  débiteur,  un  festin,  des  noces,  un  royaume, 
ou  enfin  des  idées  religieuses,  comme  nous  le  voyons  dans 

(1)  I.o^^lll,  De  la  poésie  sacrée  des  Ucbretix,  Leçon  x. 


DES  ÉVANGILES.  325 

la  parabole  du  mauvais  riche  ;  images  toutes  très-con- 
nues, convenables,  et  dont  la  signification  ne  peut  être 
difficile  à  saisir  (Luc.  xvi,  19-311  ?  En  second  lieu,  il 
n'est  pas  une  seule  parabole  évangélique  dont  l'image 
ne  paraisse  élégante  et  agréable  ,  puisque  loin  d'être 
tirées  d'objets  bas  et  méprisables,  elles  le  sont  toutes  au 
contraire  ou  de  l'agriculture ,  si  fort  en  honneur  parmi 
les  Hébreux,  ou  des  emplois  les  plus  honorables  de  la 
vie  domestique,  ou  enfin  de  ce  qui  touche  à  la  religion. 
Quoi  de  plus  agréable,  par  exemple,  que  l'image  de  ce 
petit  grain  de  sénevé,  qui  jeté  en  terre  devient  un  grand 
arbre  sur  les  rameaux  duquel  les  oiseaux  du  ciel  vien- 
nent se  reposer  (Matth.  xiii,  41-32.  Marc,  iv,  31 ,  32. 
Luc.  XIII,  19)  ?  Quoi  de  plus  gracieux  encore  que  la  pa- 
rabole de  ce  bon  pasteur  qui  possédant  cent  brebis  en 
abandonne  quatre-vingt  dix-neuf  dans  le  désert  pour 
courir  après  la  centièm.e  qu'il  a  perdue  ?  Après  bien 
des  courses  et  des  fatigues  il  retrouve  ce  tendre  objet 
de  sa  sollicitude  ;  ivre  d'un  bonheur  qui  ne  lui  permet 
que  de  songer  à  sa  chère  brebis,  il  la  prend  et  la  charge 
sur  ses  épaules,  voulant  lui  éviter  par  là  une  peine  qu'il 
ne  s'épargne  pas  lui-même.  Il  la  reporte  donc  avec  em- 
pressement au  bercail,  et  il  invite  ses  amis  à  venir  par- 
tager la  joie  qu'il  éprouve  de  l'avoir  retrouvée  (Luc.  xv, 
k-7  ).  Ces  mêmes  images  régnent  dans  toute  la  parabole 
de  l'enfant  prodigue,  mais  plus  particulièrement  dans 
cette  partie  de  la  narration  où  l'évangéliste  nous  repré- 
sente le  père  de  cet  enfant  dénaturé  courant  à  sa  ren- 
contre ,  se  jetant  à  son  cou,  l'arrosant  de  ses  larmes,  le 
ramenant  avec  joie  dans  la  maison  paternelle,  lui  met- 
tant l'anneau  au  doigt,  le  couvrant  d'une  robe  éclatante, 
et  ordonnant  qu'on  immole  le  veau  gras  pour  célébrer 


326  DE   L'ÉLOCUTION   et   DES  BEAUTÉS   LITTÉRAIRES 

dignement  le  bonheur  de  son  retour  (Luc.  xv,  11-32.) 
Enfin,  elles  ne  sont  ni  moins  gracieuses  ni  moins  agréa- 
bles, les  images  qui  contiennent  la  parabole  des  dix 
vierges  (Matth .  xxv,  1-13) ,  et  celle  du  Samaritain  (Luc.  x , 
30-37).  Troisièmement,  si  on  examine  avec  quelque  at- 
tention toutes  les  paraboles  évangéliques,  on  se  con- 
vaincra aisément  que  toutes  les  parties  et  les  accessoires 
quilescomposentontuneconvenanceévidente,etqu'elles 
concourent  parfaitem.ent  à  l'effet  que  leur  divin  auteur  a 
voulu  produire.  Ici  nous  devons  faire   observer  avec 
Lowth,  qu'il  n'est  pas  absolument  nécessaire  que  tous  les 
traits  de  l'image  se  rapportent  exactement  à  l'objet  prin- 
cipal; car  il  y  a  quelquefois  de  ces  traits  qui  ne  sont  mis 
que  comme  de  simples  ornemens,  et  dont  on  ne  doit  point 
presser  l'explication  avec  une  rigueur  trop  minutieuse. 
Mais  lorsque  la  nature  de  l'image  employée  admet  ou 
même  demande  plus  de  développement,  et  que  la  ressem- 
blance de  cette  image  avec  l'objet  qu'on  veut  signifier  se 
présentant  naturellement  et  sans  efforts,  se  soutient  dans 
tous  les  détails,  il  est  hors  de  doute  quede  ce  concours  de 
tous  les  traits  de  l'image  avec  l'objet  signifié  résultera  la 
plus  grande  beauté  .Et  pour  citer  au  moins  quelques  exem- 
ples à  l'appui  de  ce  que  nous  venons  d'avancer,  y  a-t-il 
dans  toute  la  parabole  de  la  semence  une  seule  circon- 
stance qui  soit  superflue  et  qui  ne  conduise  au  dessein 
manifeste  de  Jésus-Christ,  celui  de  nous  enseigner  les 
dispositions  avec  lesquelles  nous  devons  entendre  la  pa- 
role divine  (Matth.  xiii,  3-32.  Marc,  iv,  3-20. Luc.  viii, 
5-15)  ?  De  même  dans  l'admirable  allégorie  de  l'enfant 
prodigue,  que  nous  venons  de  citer,  trouve-t-on  un  seul 
trait  qui  ne  soit  point  utile  à  montrer  la  bonté  et  la  clé- 
mence avec  laquelle  Dieu  reçoit  les  plus  grands  pé- 


DES  ÉVANGILES.  327 

cheurs  ?  Quatrièmement  enfin,  dans  toutes  les  paraboles 
de  Jésus-Christ,  l'image  dont  se  sert  ce  divin  Sauveur 
est  toujours  soutenue  sans  interruption,  et  jamais  l'idée 
du  sujet  propre  ne  vient  s'y  mêler.  L'allégorie,  en  effet,  se 
soutient  d'un  bout  à  l'autre,  et  l'idée  du  sujet  propre  ne 
paraît  que  quand  Jésus-Christ  en  donne  l'explication. 
Ainsi,  à  juger  les  paraboles  évangéliques  d'après  les  rè- 
gles de  l'art,  elles  sont  beaucoup  plus  parfaites  que  tou- 
tes celles  que  nous  lisons  dans  les  autres  ouvrages,  sans 
en  excepter  celles  qui  sont  contenues  dans  les  livres  de 
l'Ancien-Testament.  Aussi  la  plupart  des  rationalistes 
eux-mêmes  ne  sont  pas  d'un  sentiment  différent.  Winer, 
entre  autres ,  avoue  dans  son  Dictionnaire  de  la  Bible 
(article  Jésus-Christ),  que  les  paraboles  évangéliques 
se  distinguent  surtout  non  seulement  par  leur  simplicité 
et  leur  concision,  mais  encore  par  leur  beauté  naturelle 
et  leur  convenance  avec  l'objet  qu'elles  signifient. 


CHAPITRE  DIXIEME. 

DE   LA   MÉTHODE   A  SUIVRE   DAKS    L'eXPLICATI0x\ 
DES  ÉVANGILES,   ET   DES  CONCORDES. 

1.  Il  y  a  "deux  manières  différentes  [d'expliquer  les 
Evangiles  (Ij;  la  première  consiste  à  les  suivre  successi- 
vement l'un  après  l'autre,  et  la  seconde  est  de  lesinter- 

(l)  Ces  deux  méthodes  peuvent  également  s'employer  quand  on 
veut  se  borner  à  étudier  our  soi-même  ces  divins  écrits,  afin  d'en 
bien  saisir  le  sens. 


328  DE   LA  MÉTHODE   A  SUIVRE 

prêter  simultanément  tous  les  quatre  à  l'aide  d'une  con- 
corde ou  harmonie  (1).  La  première,  quia  été  adoptée 
par  la  plupart  des  commentateurs  des  quatre  Evangiles, 
paraîtrait  la  plus  naturelle  ;  mais  elle  présente  deux  in- 
convéniens  qu'on  évite  en  suivant  la  seconde  :  le  pre- 
mier, c'est  la  longueur.  En  effet ,  les  évangélistes ,  et 
surtout  les  trois  premiers,  ayant  rapporté  plusieurs  faits 
à  peu  près  de  la  même  manière,  on  se  trouve  obligé  de 
revenir  une  seconde,  une  troisième,  et  souvent  une  qua- 
trième fois  sur  le  même  événement.  Le  second  inconvé- 
nient de  cette  méthode  est  qu'on  ne  voit  point  se  succé- 
der les  faits  évangéliques  selon  l'ordre  des  temps  et  des 
lieux  où  ils  se  sont  passés.  Aussi ,  la  méthode  d'expli- 
quer simultanément  les  Evangiles  par  le  moyen  d'une 
concorde  nous  semble  bien  préférable  à  celle  de  les  in- 
terpréter successivement  l'un  après  l'autre.  Plusieurs 
raisons  ont  fait  sentir  la  nécessité  d'une  concorde.  D'a- 
bord, aucun  des  quatre  évangélistes  ne  rapporte  seul 
tous  les  faits  évangéliques  ;  ou  du  moins  il  ne  les  rapporte 
pas  avec  tous  leurs  développemens.  Secondement,  leurs 

(1)  On  entend  par  concorde  ou  harmonie  évangélique  la  série  des 
actions  et  des  discours  de  Jésus-Christ,  rangée  selon  l'ordre  des 
temps  et  des  lieux  dans  lesquels  ils  se  sont  passés,  et  recueillie  du 
texte  des  quatre  évangélistes.  On  voit  par  là  qu'une  concorde  diffère 
d'une  concordance;  car  cette  dernière  n'est  qu'une  table  alphabé- 
tique de  tous  les  passages  de  l'Écrilute  dans  lesquels  tel  ou  tel  mot 
se  trouve  ;  tandis  que  la  concorde  est  la  comparaison  des  faits,  des 
discours,  etc.,  écrits  par  diûerens  auteurs,  pour  en  faire  une  histoire 
suivie  selon  Tordre  des  temps  et  des  circonstances  d'après  lesquels 
ces  faits  et  ces  discours  ont  eu  lieu.  Nous  devons  cependant  faire 
observer  que  malgré  cette  différence  on  confond  souvent  dans  le  lan- 
gage les  mots  concorde  et  concordance. 


DANS  L  EXPLICATIOX   DES   ÉVANGILES.  329 

narrations  paraissent  quelquefois  se  contredire  :  or,  une 
bonne  concorde  fait  disparaître  ces  contradictions.  Troi- 
sièmement, les  faits  évangéliques  ne  sont  pas  racontés, 
au  moins  par  tous  les  évangélistes,  selon  l'ordre  des 
temps  où  ils  sont  arrivés.  xVinsi,  faire  une  concorde  évan- 
gélique,  c'est  composer  une  histoire  complète  et  suivie 
de  la  vie  et  des  actions  deJÉsus-CHRiST,  en  rapprochant 
tous  les  traits  qui  se  trouvent  épars  dans  les  quatre  évan- 
gélistes, et  en  les  rangeant  selon  l'ordre  des  temps  et 
des  lieux,  et  de  manière  à  lever  toute  contradiction  dans 
leurs  récits.  Ces  conditions  mêmes  montrent  assez  qu'il 
n'est  pas  aisé  de  faire  une  bonne  concorde  ;  aussi  les 
plus  savans  interprètes  diffèrent-ils  entre  eux  d'opinion 
sur  la  manière  de  disposer  les  événemens  de  la  vie  du 
Sauveur. — La  première  difficulté  qui  se  présente  est  que 
plusieurs  des  événemens  ne  sont  pas  rangés  selon  le 
même  ordre  chronologique  dans  les  trois  premiers  Evan- 
giles. Saint  Matthieu,  par  exemple,  les  distribue  dans  un 
ordre  tout  différent  de  celui  qui  est  observé  par  saint 
Marc  et  par  saint  Luc  ;  car  alors  à  qui  devons-nous  nous 
en  rapporter?  Plusieurs  harmonistes  prétendent  que 
tous  les  événemens  sont  placés  dans  les  évangélistes  se- 
lon l'ordre  du  temps  où  ils  sont  réellement  arrivés,  mais 
ils  soutiennent  que  ceux  qui  se  trouvent  dans  saint  Mat- 
thieu, quoique  assez  semblables  aux  faits  rapportés  par 
saint  Marc  et  saint  Luc,  sont  néanmoins  différens  ;  des 
événemens  semblables  pouvant  arriver  plus  d'une  fois. 
Il  est  vrai  qu'un  événement  peut  arriver  plus  d'une  fois, 
mais  il  est  difficile  de  supposer  qu'une  série  de  faits 
tels  que  ceux  que  nous  lisons  aux  chapitres  ix-xi  de 
saint  Matthieu  aient  eu  lieu  plus  d'une  fois  et  toujours 
avec  les  mêmes  circonstances.  C'est  ce  qui  a  fait  dire 


530  DE  LA  MÉTHODE  A  SUIVRE 

judicieusement  à  Michaëlis  :  «  D'après  ce  principe,  tous 
les  événemens  que  saint  Matthieu  raconte  dans  les  cha- 
pitres IX,  X  et  XI  de  son  Evangile  ont  dû  arriver  deux 
fois,  si  ce  n'est  trois  :  c'est-à-dire,  Jésus  a  guéri  deux 
fois  un  paralytique  que  l'on  descendit  par  le  faîte  de  la 
maison  avec  les  mêmes  détails  ;  dans  les  deux  circon- 
stances il  tint  les  mêmes  discours,  et  les  auditeurs  fu- 
rent affectés  de  la  même  manière;  deux  fois  immédiate- 
ment après  un  miracle  semblable,  il  appela  un  disciple 
qui  recueillait  les  impôts  ;  deux  fois  il  ressuscita  des 
morts  un  enfant  de  douze  ans ,  guérit  en  chemin  une 
femme  qui  était  atteinte  d'une  perte  de  sang  et  qui  tou- 
cha ses  vêtemens  ;  deux  fois  saint  Jean  lui  adressa  les 
mêmes  questions,  etc.  (1).  »  Ajoutons  que  si  ce  n'est  pas 
absolument  impossible,  c'est  au  moins  tout-à-fait  invrai- 
semblable, et  on  ne  voit  pas  comment  on  peut  être  fondé 
à  le  supposer .  Cette  considération  a  fait  avouer  aux  meil- 
leurs harmonistes  que  ce  sont  les  mêmes  faits  placés 
seulement  dans  un  ordre  différent.  Mais,  parmi  eux,  il 
y  en  a  qui  suivent  saint  ^'Jatthieu  pour  l'ordre  des  temps, 
comme  mieux  informé,  puisqu'il  était  témoin  oculaire, 
tandis  que  saint  Marc  et  saint  Luc  ne  l'ayant  pas  été, 
pouvaient  ignorer  le  temps  où  ils  se  sont  passés.  D'au- 
tres, en  plus  grand  nombre,  aiment  mieux  suivre  saint 
Marc  (2)  et  saint  Luc,  qui  suit  l'ordre  de  saint  Marc  et 

(1)  J.  D.  Michaëlis,  Inlrod.  au  JY.  T.  tome  m,  pag,  17,  édit.  de 
Chenevière. 

(2)  Parmi  ces  derniers  critiques,  plusieurs  se  fondent  sur  ce  que 
saint  Marc  paraît  avoir  révisé  saint  Matthieu  en  disposant  les  faits 
qu'il  raconte  dans  un  meilleur  ordre  et  en  y  ajoutant  quelques  nou- 
velles circonstances.  Mais  celte  raison,  qui  s'appuie  elle-même  sur  l'o- 
pinion présumée  que  les  derniers  évangélistes  ont  connu  l'ouvrage  des 


DANS   l'explication  DES  ÉVANGILES.  331 

qui,  comme  nous  l'avons  déjà  remarqué  (pag.  15'0,  non 
seulement  fait  profession  ouverte  de  rapporter  les  choses 
dans  l'ordre  où  elles  se  sont  passées,  mais  encore  a  soin 
de  fixer  plusieurs  époques  dans  son  Evangile.  Ainsi  ces 
critiques  ne  font  pas  difficulté  de  suivre  plutôt  ces  deux 
évangélistes,qui  s'accordent  dans  l'ordre  des  événemens, 
que  saint  Matthieu,  qui  ayant  pour  but  unique  de  prou- 
ver aux  Juifs  que  Jésus-Christ  est  le  ^îessie,  ne  paraît 
pas  s'être  occupé  à  placer  les  faits  dans  l'ordre  chrono- 
logique, vu  qu'il  était  inutile  à  son  dessein.  Ce  dernier 
sentiment  nous  ayant  paru  le  plus  probable,  nous  ne  ba- 
lançons pas  à  l'adopter. —  La  seconde  difficulté  qu'on 
éprouve  lorsqu'on  veut  faire  une  bonne  concorde  évan- 
gélique,  vient  de  ce  que  dans  les  trois  premiers  Evan- 
giles on  ne  trouve  aucun  indice  de  temps  d'après  le- 
quel on  puisse  déterminer  l'année  où  les  événemens  se 
sont  passés,  et  le  temps  précis  de  leur  durée.  Saint  Jean, 
il  est  vrai,  détermine  quatre  pâques  célébréespar  Jkscs- 
Christ,  ce  qui  donne  trois  ans  et  demi  à  la  durée  de 
son  divin  ministère  ;  il  parle  aussi  de  quelques  autres 
fêtes  auxquelles  il  joint  les  événemens  qu'il  raconte;  de 
manière  qu'il  est  possible  de  déterminer  l'année  et  le 
temps  auxquels  ces  faits  ont  eu  lieu;  mais  son  Evangile 
ne  sert  pas  beaucoup  pour  fixer  la  date  des  événemens 
rapportés  par  les  trois  autres  évangélistes  ;  parce  que 
ces  événemens  étant  presque  tous  différens  de  ceux  qu'il 
raconte  lui-même  ,  n'offrent  aucun  point  de  contact  au 

premiers,  opinion  sujette  à  beaucoup  de  difficultés  (voy.  page  147, 
note  1)  et  peu  suivie  aujourd'hui,  n'est  nullement  nécessaire  pour 
établir  la  thèse  que  saint  Marc  et  saint  Luc  ont  suivi  un  meilleur  ordre 
chronologique  que  saint  Matthieu. 


332  DE   LA   MÉTHODE   A   SUIVRE      . 

moyen  duquel  on  puisse  les  unir  ensemble .  Cependant 
Hug,  dans  son  Introduction  au  ÎS^ouveau-Testament ,  a 
tenté  de  résoudre  ce  problème,  mais  son  essai  n'a  pas 
réuni  tous  les  suffrages.  Car  beaucoup  de  critiques,  et  en 
particulier  Olshausen,  prétendent  que  les  trois  premiers 
évangélistes  n'ayant  point  écrit  en  suivant  l'ordre  des 
temps, on  ne  voit  pas  la  possibilité  d'établir  une  concorde. 
Saint  Matthieu,  dit  ce  dernier,  a  composé  son  Evangile 
sans  donner  aucune  date  précise  à  laquelle  on  puisse 
rattacher  les  événemens  qu'il  raconte,  ou  du  moins  la 
manière  dont  il  semble  déterminer  le  temps  oii  ils  ont  eu 
lieu  est  beaucoup  trop  vague.  Les  expressions  alors 
(tôtï),  en  ces  jours-là  [è-j  -zuïç  rtuépry.Lç  èy.£b</.tç),en  ce  temps-là 
(îv  l/.îivw  rfi  vMioôy),  à  cette  heure  (  h  èy.dvn  rw  rjpy.),  dont  il 
se  sert  ordinairement,  ont  trop  d'étendue  pour  lier  en- 
semble les  événemens  qu'il  rapporte.  Saint  Marc  est  en- 
core moins  précis ,  puisqu'il  joint  un  événement  à  un 
autre  sans  aucune  distinction  de  temps.  Saint  Luc  ,  au 
premier  abord,  paraît  plus  chronologique.  Il  annonce 
dans  son  prologue  qu'il  va  rapporter  les  choses  par  or- 
dre (xkOsç//,-)  .  Il  détermine  même  l'époque  de  la  prédi- 
cation de  saint  Jean  et  du  baptême  de  Jésus-Christ; 
plus  loin  il  nous  dit  que  le  Sauveur  avait  trente  ans  quand 
il  commença  l'exercice  de  son  ministère.  Eh  bien  !  mal- 
gré tout  cela,  dans  la  suite  de  son  Evangile  il  n'est  ni 
plus  précis  ni  plus  déterminé  que  les  deux  autres  évan- 
gélistes. Quelquefois  (iv,  16,  31  ;  v,  12,  23;  vu,  18, 
36;  VIII,  26;  ix,  1, 18)  il  joint  ensemble  les  événemens 
sans  aucune  marque  de  temps;  d'autres  fois  (v,  17;  viii, 
22)  il  ne  les  distingue  que  par  des  indications  très-gé- 
nérales, comme  après  cela  (v.ïrà  ravra),  un  des  jours  (Iv  y.tâ 
Twv  r,y.ioôrj)  ;  de  manière  qu'il  est  très-incertain  si  les 


DANS  l'explication    DES   ÉVANGILES.  3  33 

événemens  qu'il  raconte  sont  tous  arrivés  selon  l'ordre 
des  temps.  11  laisse  son  lecteur  dans  la  même  incertitude 
par  rapport  à  l'ordre  chronologique  des  discours  du  Sau- 
veur. Ainsi  l'Évangile  de  saint  Luc  ne  donne  par  lui-même 
aucun  indice  certain  que  son  auteur  ait  placé  tout  ce 
qu'il  raconte  selon  l'ordre  des  temps.  Saint  Jean  est  ce- 
lui de  tous  les  évangélistes  qui  paraît  suivre  plus  exac- 
tement l'ordre  chronologique.  Il  précise  quelquefois  jus- 
qu'aux jours  qui  se  sont  écoulés  entre  les  événemens;  les 
discours  de  Jésus-Christ  sont  étroitement  liés  aux  faits 
historiques  qu'il  rapporte  ;  il  laisse  dans  sa  narration  de 
grandes  lacunes  où  l'on  peut  placer  les  événemens  des 
trois  autres  évangélistes  ;  il  assigne  les  pâques  que  Jé- 
sus-Christ a  faites,  les  voyages  à  Jérusalem  pour  les  y 
célébrer  et  pour  se  trouver  à  la  fête  des  Tabernacles  et  de 
la  Dédicace,  dont  les  autres  évangélistes  ne  nous  avaient 
pas  parlé,  vu  qu'ils  décrivent  presque  uniquement  ses 
voyages  en  Galilée  et  ne  le  suivent  jamais  à  Jérusalem. 
La  détermination  des  pâques  est  surtout  très-importante 
pour  fixer  les  années  du  ministère  de  Jésus-Christ  et 
lier  les  faits  évangéliques  à  ces  différentes  années  ;  mais, 
comme  le  remarque  le  même  Olshausen,  il  y  a  encore 
quelque  difficulté  par  rapport  au  nombre  de  ces  pâques  î 
car  cet  évangéliste  n'en  détermine  clairement  que  trois, 
et  la  quatrième,  qu'il  désigne  sous  le  nom  vague  de  fête 
<les  Jia/s  ,  pourrait  bien  être  une  autre  solennité.  Et 
d'ailleurs ,  quand  bien  même  on  accorderait  qu'il  faut 
réellement  reconnaître  une  quatrième  pâque  sous  cette 
expression  indéterminée,  la  fête  des  Juifs ^  il  s'ensui- 
vrait seulement  que  les  événemens  contenus  dans  l'E- 
vangile de  saint  Jean  sont  classés  selon  l'ordre  de  ces 
quatre  pâques;  mais  comment  faire  cadrer  avec  cet  or- 


334  DE   LA   MÉTHODE   A  SUIVRE 

dre  chronologique  les  faits  rapportés  par  les  autres  évan- 
gélistes,  puisqu'ils  sont  presque  tous  différens  de  ceux 
que  raconte  saint  Jean.  Il  n'y  a  qu'un  seul  fait  parallèle 
qui  se  trouve  dans  les  quatre  Evangiles,  c'est  celui  de 
cinq  mille  personnes  rassasiées  avec  cinq  pains  ;  mais, 
poursuit  toujours  Olshausen  ,  comment  déduire  de  ce 
seul  fait  chronologiquement  déterminé  l'ordre  chronolo- 
gique de  tous  les  autres  qui  ne  se  trouvent  liés  ensem- 
ble par  aucune  marque  de  temps?  Or,  ne  doit-on  pas 
conclure  de  ces  difficultés  que  l'arrangement  chronolo- 
gique des  faits  contenus  dans  les  Evangiles  paraît  en- 
veloppé d'une  obscurité  si  profonde  qu'il  est  impossible 
de  la  dissiper  (1)  ?  Winer,  dans  son  Dictionnaire  de  la 
Bible,  à  l'article  Jésus-Christ,  dit  aussi  que  malgré 
les  efforts  des  hommes  les  plus  habiles,  toutes  les  harmo- 
nies publiées  jusqu'à  ce  jour  ne  sont  qu'un  tissu  de  coo* 
jectures,  parce  que  la  narration  des  évangélistes  n'offre 
que  très-peu  de  choses  qui  puissent  servir  à  lier  les  évé- 
neraens,  saint  Jean  lui-même  ne  les  rapportant  pas  io\t- 
Jours  dans  un  ordre  rigoureusement  chronologique  .Pour 
nous,  tout  en  accordant  qu'il  est  en  effet  très -difficile  de 
composer  une  concorde  parfaite  et  qui  ne  soit  sujette  à 
aucune  difficulté,  et  que  les  efforts  tentés  jusqu'ici  dans 
ce  dessein  sont  loin  d'avoir  obtenu  un  succès  complet, 
nous  pensons  que  comme  elks  ont  approché  plus  ou 
moins  du  but,  on  peut  s'en  senir  très-utilement  pour 
expliquer  les  Evangiles,  d'autant  plus  qu'ils  contiennen-t 
une  foule  de  choses  qui  s'accordent  ensemble  par  rap- 
port aux  circonstances  et  qui  ont  dû  arriver  dans  le  même 

(1)  Herm.  Olshausen,  Bibl.  Commentai'  ûber  dasN-  T.Einleil,  §  7. 
Band,  u,  zweile  Auflaye. 


DANS   l'explication   DES   ÉVANGILES.  335 

temps  et  dans  le  même  lieu.  Nous  pensons  encore  que  les 
critiques  qui  soutiennent  qu'il  règne  un  désordre  chro- 
nologique dans  tous  les  évangélistes  ne  sont  pas  en- 
tièrement dans  le  vrai,  puisque  saint  Jean  marque  assez 
bien  les  temps,  et  qu'il  rapporte  les  événemens  contenus 
dans  son  Évangile  aux  quatre  pâques  qu'a  célébrées 
Notre-Seigneur  dans  le  cours  de  son  ministère.  Il  n'est 
même  pas  vraisemblable  que  ce  prétendu  désordre  chro- 
nologique se  trouve  dans  saint  Luc,  qui ,  comme  nous 
l'avons  déjà  remarqué  plusieurs  fois,  fait  profession  de 
raconter  les  choses  selon  l'ordre  des  temps  ;  qui  ratta- 
che la  naissance  de  Jésus-Christ  et  le  commencement 
de  son  ministère  à  des  dates  précises,  et  qui  porte  l'at- 
tention jusqu'à  déterminer  l'âge  qu'il  avait  quand  il  fut 
baptisé  par  saint  Jean  son  précurseur.  Non,  il  n'est  pas 
vraisemblable  qu'un  écrivain  qui  a  mis  aussi  tous  ses 
soins  à  bien  examiner  ce  qui  devait  faire  le  sujet  de  sa 
narration,  et  qui  prend  les  choses  qu'il  raconte  à  leur 
origine  même  [ab  initio),  ne  les  ait  pas  rapportées  dans 
l'ordre  où  elles  se  sont  passées.  Ainsi ,  il  nous  semble 
qu'en  suivant  l'ordre  historique  de  saint  Luc,  qui  est  le 
même  que  celui  de  saint  Marc,  et  en  s'aidant  de  l'Évan- 
gile de  saint  Jean,  surtout  si  l'on  part  du  miracle  de  la 
multiplication  des  pains,  qu'il  rapporte  conjointement 
avec  les  autres  évangélistes,  on  peut  établir  une  concorde 
assez  sûre,  pour  la  plus  grande  partie  au  moins  des  ac- 
tions et  des  discours  de  Jésus-Christ.  C'est  ce  qu'a  fait 
Hug  dans  son  Introduction  au  Nouveau-Testament.  11 
peut  bien  y  avoir  quelque  incertitude  par  rapport  à  cer- 
tains détails,  mais  en  somme  l'arrangement  et  la  distri- 
bution des  faits  tels  que  les  a  conçus  ce  critique  nous  ont 
paru  assez  fondés  en  raisons. 


336  DE   LA   MÉTHODE   A   SUIVRE 

2.  Notre  intention  n'est  nullement  de  donner  une 
liste  complète  de  toutes  les  concordes  ou  harmonies  dont 
les  auteurs  se  sont  efforcés  de  concilier  les  quatre  Evan- 
giles et  de  disposer  les  faits  qui  y  sont  contenus  dans 
un  ordre  chronologique  ;  nous  nous  bornerons  à  rap- 
porter quelques-unes  des  principales  (1). 

La  plus  ancienne  concorde  évangélique  est  celle  de 
Tatien  ;  nous  avons  déjà  parlé  assez  de  cet  ouvrage  et  de 
son  auteur  (voy.plus  haut  p.  186, 187), pour  que  nous  n'y 
revenions  pas  ici.  Nous  dirons  seulement  qu'elle  est  per- 
due depuis  long-temps,  et  que  c'est  à  tort  qu'on  préten- 
drait que  nous  l'avons  dans  la  plus  petite  de  celles  qui 
figurent  dans  la  Bibliothèque  des  Pères,  car  cette  der- 
nière contient  les  généalogies  de  Jésus -Christ,  que 
Tatien  avait  retranchées  (2). 

Théophile  d'Antioche  (voy.  pag.  186)  avait  aussi  com- 
posé une  concorde  des  Evangiles  ;  c'est  du  moins  ce 
qu'insinue  saint  Jérôme,  lorsqu'il  dit  dans  sa  lettre  151 
ad  Âlgasiam:  Theophiliis  Antiochenœ  ecclesiœ  septùnus 
post  Petrum  apostolum  episcopus,  quatuor  evangelista- 

(1)  On  peut  voir  sur  cette  matière  la  Bibliothèque  grecque  de  Fa- 
bricius,  tome  iv,  la  Bibliothèque  sacrée  de  D.  Calmet,  partie  v,  V In- 
troduction au  N.  T.  de  Michaëlis,  tome  m,  etc. 

(2)  Cette  petite  concorde  qui  se  trouve  dans  la  Bibliothèque  des 
Pères  est  la  même  qui  fut  publiée  pour  la  première  fois  à  Augsbourg, 
en  1523,  par  Ottoraar  Luscinius  (ou  comme  on  l'appelle  en  Allemagne 
Olhmar  Nachtigal),  sous  le  titre  non  de  Tatien,  mais  d'Ammonius  :  car 
cette  édition  originale  porte  à  la  lettre  :  Evainjelicœ  historiée  ex  quatuor 
evangelislîs  perpétua  tenore  conlinuata  narratio,  ex  AmmoniiAlexan- 
drini  fragmentis  quibusdam  e  grœco  per  Ottomarum  Luscinium  versa. 
D'autres  éditeurs,  dans  la  croyance  que  cet  ouvrage  était  de  Tatien, 
le  lui  ont  attribué.  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  moins  une  harmonie  qu'un 
sommaire  de  la  vie  de  Jésus-Christ. 


DANS  l'explication   DES   ÉVANGILES.  337 

rum  in  unum  opus  dicta  ccmpingens,  ingenii  sut  monu- 
menta  reliquit .Mais  cet  ouvrage  n'est  point  parvenu  jus- 
qu'à nous.  Quelques  critiques  croient  même  que  le  saint 
docteur  a  pris  l'Harmonie  de  Tatien  pour  un  ouvrage  de 
Théophile  d'Antioche  ;  cependant  nous  n'avons  aucune 
preuve  satisfaisante  de  cette  prétendue  méprise. 

Vient  ensuite  la  Concorde  d'Ammonius  d'Alexandrie, 
qui  vivait  au  commencement  du  iii^  siècle.  Elle  est  très- 
célèbre  dans  l'Eglise.  Pour  distinguer  dans  sa  concorde 
ce  qui  appartient  à  chaque  évangéliste  et  ce  qui  est  dit 
par  un  ou  par  plusieurs,  Ammonius  inventa  ce  que 
saint  Jérôme  appelle  des  canons  évangéliqiies,  qui  ont 
été  imités  depuis  par  Eusèbe  (1).  Or,  ces  canons  étaient 
compris  en  dix  tables,  selon  les  différentes  concordan- 
ces que  peuvent  donner  les  quatre  évangélistes;  car,  ou 
ils  s'accordent  tous  les  quatre,  ou  il  n'y  en  a  que  trois, 
ou  deux  seulement,  ou  bien  enfin  ils  rapportent  des  cho- 
ses qui  leur  sont  propres  et  qui  ne  se  trouvent  pas  dans 
les  autres.  Or,  en  épuisant  toutes  ces  combinaisons  et  en 
retranchant  du  nombre  qu'elles  produisent  celles  qui  ne 
pouvaient  lui  servir,  Ammonius  trouve  dix  tables.  Et,  en 
effet ,  les  combinaisons  donnent  nécessairement  douze 
tables;  car  les  évangélistes  combinés  trois  à  trois  offrent 
quatre  combinaisons ,  et  combinés  deux  à  deux  ils  en 
donnent  six  ;  en  tout  dix  combinaisons  ou  tables,  qui 
s'élèvent  au  nombre  de  douze  si  on  les  joint  au  premier 
canon  qui  présente  les  parties  de  l'histoire  du  Sauveur 
qui  se  trouvent  dans  les  quatre  évangélistes,  et  au  der- 
nier qui  contient  les  traits  rapportés  par  un  seul  d'entre 

(1)  Ammonius...  Evangclicos  canoncs  cxcogitavit,  quosposlcà  se- 
culus  est  Eusebius  Cœsaricnsis  (Hieron.  Cataloy.c.  lv).» 
V.  15 


338  DE   LA   MÉTHODE   A   SUIVRE 

eux  (1).  De  ces  douze  tables,  Ammonius  a  retranché  la 
dixième,  parce  qu'il  n'y  a  pas  de  passages  communs  à 
saint  Marc  et  à  saint  Jean  qui  ne  se  trouvent  dans  saint 
Matthieu  ou  dans  saint  Luc.  Il  a  aussi  retranché  la  cin- 
quième combinaison,  parce  que  quand  saint  Marc,  saint 
Luc  et  saint  Jean  s'accordent  ensemble,  ils  s'accordent 
aussi  avec  saint  Matthieu.  Ainsi,  pour  éviter  un  double 
emploi,  il  s'était  borné  à  réduire  ses  douze  tables  à  dix 
seulement.  Quelques  critiques  ont  cru  que  la  concorde 
d'Ammonius  avait  été  conservée,  et  que  c'était  même  la 
plus  grande  des  deux  qui  figurent  aujourd'hui  dans  la 
Bibliothèque  des  Pères;  mais  il  nous  semble  que  le  doc- 
teur Marsh  a  assez  bien  prouvé  le  contraire  quand  il  a 
dit  que  cette  grande  concorde  ne  pouvait  être  celle  d'Am- 
monius, puisqu'elle  ne  contenait  pas  le  texte  entier  de 
saint  Matthieu  avec  les  parties  parallèles  des  autres 
évangélistes,  ce  que  renfermait  cependant  la  concorde 
d'Ammonius ,  selon  le  témoignage  d'Eusèbe  qui  l'avait 
sous  les  yeux  (2) . 

(1)  Le  tableau  suivant  peut  nous  donner  l'idée  de  ces  combinaisons 
ou  tables  : 

P  table.  Matth.  Marc,  LuCjJean,  VII^  table.  Matth.  Luc. 

Ile  table.  Matth. Marc,  Luc.  Yllle  table.  Matth.  Jean. 

Ille  table.  Matth. Marc,  Jean.  IX«  table.  Marc,  Luc. 

IVe  table. Matth.  Luc,  Jean.  X«=  table. Marc,  Jean. 

Ve  table.  Marc,  Luc,  Jean.  XI^  table.  Luc,  Jean. 

YI*  table.  Matth.  Marc.  Xlle  table.  Un  seul  des  4  Évang. 

(2)  Inirod.  to  t'ie  JV.  T.  bij  J.  D.  Michaëlis...  JVhh  noies  by  Her- 
berlMarsh,  vol.\\\,yart.  \\,  pay.  30.  Tiie  second  édition. — Cette  même 
concorde,  qui  se  trouve  dans  la  Bibliothèque  des  Pores,  fut  publiée 
pour  la  première  fois  à  Mayence,  en  1524,  sous  le  titre  de  :  Quatuor 
Evangeliorum  consonantia,  ah  Ammonio  Alexandrino  comjesta,  ac  à 
f^ictore  Capuano  episcopo  transluia.   On  Ta  réimprimée  à  Bâle,  en 


DANS  L'explication  des  évangiles.  339 

On  peut  considérer  comme  une  harmonie  évangélique 
les  quatre  livres  de  saint  Augustin  intitulés  De  consensu 
evangelistarum;  car,  bien  que  cet  ouvrage  ne  présente 
pas  une  concorde  proprement  dite,  il  fournit  cependant 
d'excellens  matériaux  pour  en  composer  une.  Richard 
Simon  a  donné  une  analyse  critique  de  cet  ouvrage  (1). 

Juvencus,  l'un  des  premiers  poètes  chrétiens ,  né  en 
Espagne,  d'une  famille  illustre  ,  mit  en  vers  latins  la  vie 
de  Jésus-Christ  (vers  l'an  329) .  Ce  poème,  dans  lequel 
l'auteur  a  suivi  avec  une  exactitude  scrupuleuse  le  texte 
sacré,  nous  offre  une  espèce  d'harmonie  des  évangélis- 
tes,  en  conciliant  leurs  récits  et  leurs  paroles.  La  der- 
nière édition  de  cet  ouvrage  a  été  donnée  à  Leipzig 
en  1710,  in-8o,  avec  les  notes  de  plusieurs  critiques  , 
par  Erhard  Reusch.  On  le  trouve  aussi  dans  le  tome  iv 
de  la  Bibliothèque  des  Pères,  imprimée  à  Lyon,  et  dans 
le  Corpus  poetarum  de  Maittaire. 

On  attribue  à  Arnaud  une  Concorde -évangélique  en 
latin  ,  imprimée  à  Paris  d'abord  en  1663,  in-12  ;  puis 
avec  des  corrections  et  des  additions  en  1660.  Elle  est 
courte  mais  fort  estimée  ;  on  l'a  réimprimée  depuis  la 
mort  d'Arnaud  dans  le  tome  iv  de  la  grande  Bible  de 
Sacy,  en  latin  et  en  français,  avec  de  nouvelles  notes  fort 
utiles. 

Cornélius  Jansénius,  évêque  de  Gand,  est  auteur  d'une 
Concorde  des  Évangiles,  et  d'un  commentaire  sur  cette 

1555,  en  mettant  le  nom  de  Tatien  à  la  place  de  celui  d'Animonius  et 
en]a\ss3in\.Véinihète  A lexandri7io ,  qui  ne  saurait  convenir  àTatien;  de 
là  vient  que  cet  ouvrage  est  appelé  tantôt  Harmonie  de  Tatien,  tan- 
tôt Harmonie  d'Ammoniiis,  selon  les  éditions  dont  on  a  fait  usage. 
(1)  R.  Simon,  Hist.   crit.  des  principaux  commentaires  du  lY.  T., 

Ch.  XTIII, 


340  DE   LA   MÉTHODE   A   SUIVRE 

concorde.  Dans  le  commentaire,  il  s'applique  au  sens 
littéral  et  mystique  tiré  des  pères  ;  et  dans  la  concorde 
il  fait  connaître  d'abord  ce  qui  appartient  à  chaque 
évangéliste,  ensuite  la  partie  qui  leur  est  commune,  et 
il  rejette  à  la  marge  tout  le  reste.  Cet  ouvrage  a  eu  plu- 
sieurs éditions. 

Le  P.  Lamy  de  l'Oratoire  a  publié  sur  le  sujet  qui 
nous  occupe  des  ouvrages  aussi  utiles  que  savans.  Son 
travail  consiste  en  une  Harmonie  imprimée  à  Paris  en 
1689,  in-12,  à  laquelle  il  a  joint  un  Commentaire  avec 
un  Apparatgéographiqueet  chronologique,  qui  ont  paru 
également  à  Paris  en  1699  et  1703,  2  vol .  in-4.%  dernière 
édition,  où  se  trouve  une  dissertation  tendant  à  prouver 
qu'il  n'y  a  eu  qu'une  Magdelaine  ;  des  paralipomènes 
dans  lesquels  ce  savant  explique  ce  qu'il  avait  omis  ou 
ce  qui  avait  besoin  de  nouvelles  explications  ;  enfin  un 
catalogue  de  ceux  qui  ont  écrit  sur  les  Evangiles .  Dans 
sa  concorde  il  suit  particulièrement  saint  Matthieu  et 
saint  Jean  comme  ayant  été  témoins  oculaires  et  auri- 
culaires de  tout  ce  qu'ils  rapportent  de  la  vie  de  Jésus- 
Christ.  Nous  avons  eu  occasion  d'exprimer  notre  sen- 
timent sur  cette  manière  d'envisager  les  faits  évangéli- 
ques.  Quant  à  son  commentaire,  il  est  uniquement 
littéral  et  critique.  Il  ne  s'attache  pas  cependant  aux  dif- 
ficultés de  grammaire,  et  sa  version  présente  tantôt  une 
paraphrase,  tantôt  une  analyse,  en  y  joignant  toutefois 
des  notes  où  brille  l'érudition.  L'auteur  avoue  que  l'ar- 
rangement des  faits  tel  qu'il  l'expose  est  tout  nouveau 
et  différent  de  ceux  qui  ont  paru  jusqu'ici,  et  qui  par 
conséquent  n'ont  pu  être  à  ses  yeux  qu'imparfaits  et  dé- 
fectueux. 

Le  P.  Pezron,  dont  nous  avons  déjà  parlé  à  l'article 


DANS  l'explication  DES  ÉVANGILES.  341 

des  commentateurs  des  prophètes  (1),  a  donné  l'Histoire 
évangélique  confirmée  par  l'histoire  des  Juifs  et  par  celle 
des  Romains,  à  Paris,  1696,  2  vol.  in-12,  avec  deux  dis- 
sertations dont  l'une  a  pour  objet  l'année  de  la  Passion 
du  Sauveur,  et  l'autre  tend  à  concilier  saint  Jean  avec 
les  trois  autres  évangélistes  touchant  la  dernière  Pâque. 
Comme  nous  ne  connaissons  en  aucune  manière  la  par- 
tie de  la  vie  de  Jésus -Christ  qui  s'étend  depuis  son 
enfance  jusqu'au  commencement  de  son  ministère  évan- 
gélique,  le  P.  Pezron  a  comblé  cette  lacune  en  insérant 
les  plus  beaux  endroits  de  l'histoire  des  Juifs  et  de  celle 
des  Romains,  ainsi  que  la  suite  des  souverains  pontifes, 
et  la  liste  des  tétrarques  successeurs  d'Hérode,  enfin  celle 
des  gouverneurs  de  la  Judée  et  de  la  Syrie. 

Nicolas  Thoynard,  né  à  Orléans  en  1629,  et  mort  à 
Paris  en  1706,  a  composé  une  Harmonie  évangélique  im- 
primée à  Paris  après  sa  mort,  en  1707-1709,  in-fol.  Elle 
contient  le  texte  grec  des  évangélistes  avec  un  précis  de 
leur  récit  en  latin,  des  remarques  courtes  mais  très- 
bien  choisies  et  fort  exactes.  Elle  a  servi  de  base  à  l'Har- 
monie que  D.  Calmet  a  mis  en  tête  de  son  commentaire 
sur  saint  Matthieu,  et  à  celle  qui  a  été  insérée  dans  la 
Bible  de  Vence. 

En  1713  on  a  publié  à  Paris  la  Concorde  des  quatre 
Évangiles  avec  des  réflexions  morales  et  des  notes  en 
français,  4  vol.  in-l*2,  et  avec  l'approbation  de  vingt- 
quatre  évêques  qui  assurent  que  la  traduction  est  exacte 
et  pure,  que  les  réflexions  sont  édifiantes,  pleines  d'in- 
structions et  d'onction  ;  que  par  leur  variété  elles  sont 
utiles  à  tous  les  états  et  à  toutes  les  professions  dans  les- 

(1)  Voy.  notre  tome  m,  page  139. 


342  DE   LA   MÉTHODE   A   SUIVRE 

quelles  un  chrétien  peut  se  trouver  engagé;  qu'elles 
apprennent  à  lire  l'Écriture  avec  fruit  ;  que  pour  les  no- 
tes elles  sont  judicieuses;  que  malgré  leur  brièveté  elles 
renferment  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  dans  les  commentai- 
res et  donnent  l'intelligence  du  texte  ;  que  la  concorde 
est  nette  et  suivie;  enfin  que  tout  l'ouvrage  est  composé 
dans  un  esprit  de  paix,  et  qu'il  inspire  la  docilité  envers 
l'Église. 

Nous  ne  passerons  pas  sous  silence  la  concorde  qui  ré- 
sulte de  l'analyse  critique  des  quatre  Évangiles  faite  par 
Hug  dans  son  Introduction  au  Nouveau-Testament,  La 
distribution  et  l'arrangement  des  faits  tels  que  les  a  con- 
çus ce  savant,  nous  ont  paru,  comme  nous  l'avons  déjà 
remarqué,  généralement  fondés  sur  des  raisons  assez 
plausibles  ;  bien  que  nous  n'ajoutions  pas  la  même  foi 
que  lui  à  toutes  ses  hypothèses . 

Enfin  nous  citerons  encore  parmi  les  harmonies  évan- 
géliques  composées  par  des  écrivains  catholiques,  V His- 
toire de  la  vie  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  par  le 
P.  de  Ligny,  de  la  Compagnie  de  Jésus. 

Parmi  le  grand  nombre  des  harmonies  publiées  par 
les  protestans,  nous  nous  bornerons  à  citer  les  suivan- 
tes comme  les  plus  estimées .  L'Harmonie  d'André  Osian- 
der,  qui  parut  pour  la  première  fois  en  latin  à  Amster- 
dam en  1537,  in-8°,  et  qui  depuis  a  été  réimprimée  en 
allemand  à  Francfort  en  15i5,  in-8%et  à  Baie  en  1561, 
in-fol.  en  grec  et  en  latin,  etc.,  offre  unegrandeconfusion 
à  cause  du  grand  nombre  de  signes  qu'il  a  employés  pour 
désigner  les  passages  de  chaque  évangéliste.  Osiander 
admettait  le  principe  que  les  évangélistes  ont  toujours 
suivi  l'ordre  chronologique  ;  que  les  mêmes  actions  ont 
eu  lieu  ,  et  que  les  mêmes  discours  ont  été  tenus  jus- 


DANS   l'explication   DES   ÉVANGILES.  343 

qu'à  trois  fois  dans  la  vie  de  Jésus-Christ.  Les  har- 
monistes qui  ont  adopté  le  principe  d'Osiander  l'ont 
poussé  dans  l'application  plus  loin  que  lui,  car  il  s'en 
écarte  lui-même  quelquefois. 

Martin  Chemnitius  a  composé  une  Harmonie  évan- 
gélique  qui  a  été  continuée  par  Polycarpe  Lyser  et  Jean 
Gerhard.  La  première  édition  est  d'Anvers,  1593,  in-8°, 
etladernièredeHambourg,170i,en3yol.in-fol. Ce  n'est 
pas  seulement  une  harmonie,  mais  encore  un  commen- 
taire sur  les  Evangiles.  On  en  a  fait  un  abrégé  qui  a 
paru  à  Wittemberg  en  159i,  in-V.  Quoique  Chemnitius 
s'attache  généralement  trop  à  suivre  Osiander,  il  rejette 
cependant  le  principe  que  les  évangélistes  ont  toujours 
observé  dans  leur  narration  l'ordre  chronologique. 

La  concorde  de  Jean  Lightfoot  qui  se  trouve  dans  ses 
œuvres  complètes,  et  qui  avait  déjà  été  imprimée  plu- 
sieurs fois,  soit  en  anglais,  soit  en  latin,  est  divisée  en 
trois  parties  et  ne  va  que  jusqu'à  la  dernière  Pâque  du 
Sauveur.  Elle  a  cela  de  particulier  que  l'auteur  y  montre 
les  rapports  du  Nouveau-Testament  avec  l'Ancien  ,  et 
qu'il  explique  d'une  manière  assez  satisfaisante  les  prin- 
cipales difficultés.  C'est  pour  cela  que  Mabillon  en  re- 
commande la  lecture  à  tous  ceux  qui  veulent  étudier  à 
fond  les  saintes  Ecritures. 

Jean  Leclerc  a  publié  à  Amsterdam  en  1699,  in-fol., 
une  Harmonie  des  quatre  Evangiles,  qui  contient  le  texte 
grec  entier  avec  la  version  latine  et  une  paraphrase 
de  sa  façon.  Ce  travail  a  été  réimprimé  à  Francfort 
en  1700,  in-l",  mais  en  latin  seulement  ;  et  il  a  paru  la 
même  année  à  Londres  en  anglais,  et  dans  le  même  for- 
mat in-i°.  Dans  l'édition  de  1699  se  trouvent  des  disser- 
tations sur  les  années  de  Jésus-Christ,  sur  la  concorde 


344  DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES. 

et  l'autorité  des  évangélistes  ;  ce  qui  forme  la  meilleure 
partie  de  cet  ouvrage,  selon  la  remarque  de  D.  Calmet; 
pour  la  paraphrase,  latet  anguis  in  herba  ;  l'auteur  y 
glisse  de  temps  en  temps  des  idées  de  socinianisme. 

Enfin  nous  citerons  encore  parmi  les  protestans  qui 
ont  composé  des  harmonies,  William  Whiston,  Bengel, 
E.  D.  Hauber,  Bushing,  Macknight,  Bertling,Priest]ey, 
Newcome,  Paulus,  Kaiser,  Clausen,  White,  etc.  «Ceux 
qui  ont  les  harmonies  de  Whiston,  Bengel,  Hauber,  Bu- 
shing et  Bertiing,  dit  Michaëlis,  peuvent  se  passer  d'au- 
tres harmonies  plus  volumineuses,  ils  y  trouveront  les 
bases  des  différentes  opinions  sur  le  sujet  expliquées  et 

soutenues  (1).  » 

Voyez  l'Appendiee  P'  à  la  fin  du  volume. 


CHAPITRE  ONZIÈME. 

DES   COMMENTAIRES   DES  ÉVANGILES. 

Comme  les  Evangiles  sont  de  nos  divines  Ecritures  la 
partie  la  plus  belle  et  celle  qu'il  est  le  plus  important 
pour  nous  de  bien  comprendre,  nous  ne  devons  négliger 
aucundes  moyens  que  l'herméneutique  nous  fournit  pour 
nous  faire  entrer  dans  le  sens  de  toutes  les  vérités  qu'ils 
contiennent.  Or,  un  de  ces  m.oyens  c'est  la  lecture  et  l'é- 
tude des  commentaires  qui  ont  été  composés  dans  ce 
but.  Mais,  il  faut  bien  le  remarquer,  cette  ressource, 
quelque  précieuse  qu'elle  puisse  être,  ne  suffit  cependant 
pas,  nous  avons  besoin  d'autres  lumières  qui  nous  vien- 
nent d'ailleurs.  Ainsi  il  faut  nécessairement  connaître 
non  seulement  l'histoire  du  peuple  de  Dieu,  les  lieux 

(1)  J.D.Micliat'lis,  Introd.  au  IV.  T.,  i.  m,  pag.  52,  éiL  Chcncvi'ere. 


DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES.  345 

sacrés  des  Juifs,  tels  que  la  ville  de  Jérusalem,  le  tem- 
ple et  ses  différentes  parties,  les  synagogues  des  Juifs; 
mais  les  personnes  sacrées  ,  c'est-à-dire  les  lévites,  les 
scribes,  les  docteurs  de  la  loi,  et  les  prosélytes ,  aussi 
bien  que  les  Samaritains,  les  pharisiens ,  les  saducéens, 
les  esséniens.  A  cette  connaissance  on  doit  joindre  en- 
core celle  des  choses  sacrées,  qui  sont  les  sacrifices,  les 
offrandes,  les  prémices,  les  dîmes,  les  parfums,  la  cir- 
concision, etc.;  celle  des  temps  sacrés,  c'est-à-dire  les 
fêtes ,  les  jeûnes  ,  les  solennités  et  les  différentes  divi- 
sions du  temps  usitées  parmi  les  Juifs;  celle  de  la  géogra- 
phie de  la  Judée  ,  de  la  Samarie  et  de  la  Galilée,  théâ- 
tres de  la  prédication  de  notre  divin  Sauveur;  celle  des 
différentes  monnaies  et  mesures  usitées  chez  les  Juifs 
au  temps  de  Jésus-Christ;  enfin  celle  des  jugemens  des 
Hébreux  à  cette  même  époque;  connaissances  qu'on  peut 
facilement  acquérir  en  lisant  attentivement  le  second 
volume  de  cette  Introduction,  qui  contient  V Archéologie 
biblique. 

Pour  revenir  aux  commentaires,  nous  ferons  connaî- 
tre séparément  ceux  qui  ont  été  composés  par  les  ca- 
tholiques et  les  protestans,  en  nous  bornant  plus  par- 
ticulièrement à  ceux  qui  nous  ont  paru  les  plus  impor- 
tans  à  consulter  (1). 

(1)  Nous  ferons  ici  deux  observations  qui  nous  ont  paru  assec 
utiles  ;  la  première,  c'est  que  les  Harmonies  ou  Concordes,  dont 
nous  \enons  de  parler  au  chapitre  précédent,  nous  offrent  autant  de 
commentaires  plus  ou  moins  complets  de  nos  quatre  Évangiles  ;  la 
seconde,  que  la  plupart  des  interprètes  qui  ont  écrit  sur  ces  divins 
livres  ont  également  fait  des  travaux  semblables  sur  les  autres  parties 
du  Nouveau-Testament. 


15. 


346  DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES. 

ARTICLE  I. 

Des  commentateurs  catholiques. 

1 .  Le  plus  ancien  commentaire  qui  ait  été  composé 
sur  les  Évangiles  est  celui  de  Théophile,  évêque  d'An- 
tioche,  dont  nous  avons  déjà  eu  occasion  de  parler  plu- 
sieurs fois.  Saint  Jérôme  avait  lu  ce  commentaire  (1),  et 
il  en  cite  un  fragment  où  il  se  trouve  des  allégories  (2) . 
Quoique  ce  saint  docteur  dise  que  ce  commentaire  n'a 
ni  l'élégance  ni  le  style  des  autres  ouvrages  de  Théo- 
phile, cependant  il  ne  nie  point  qu'il  soit  de  lui,  puis- 
qu'il le  cite  sous  le  nom  de  ce  saint  évêque  dans  ses 
propres  commentaires  sur  saint  Matthieu  (3).  Quant  aux 
petits  commentaires  latins  qui  se  trouvent  dans  la  Bi- 
bliothèque des  Pères,  et  qu'on  attribue  à  Théophile,  il 
est  au  moins  incertain  qu'ils  soient  authentiques,  a  Ces 
commentaires,  dit  D.  Ceillier ,  ne  méritent  point  d'être 
attribués  à  un  homme  d'un  mérite  aussi  distingué  qu'était 
saint  Théophile;  ce  n'est  qu'une  espèce  de  compilation  et 
de  recueil  informe  d'explications  de  différens  commen- 
tateurs; et  l'auteur  y  a  apporté  peu  d'exactitude.  Le 
passage  même  de  Théophile  cité  par  saint  Jérôme  n'y 
est  pas  dans  sa  place;  on  n'y  garde  non  plus  aucun  or- 
dre dans  l'explication  des  Evangiles,  et  quelquefois 
après  avoir  donné  l'interprétation  d'un  verset  de  saint 
Matthieu,  on  passe  à  un  de  saint  Jean  ou  de  quelque 
autre  évangéliste  qui  n'ont  ensemble  aucune  liaison.  Il 


(1)  Ilieron.  Cataloy.  c.  xxv. 

(2)  Hieron.  Epist.  ad  Algasiam. 

(3)  Hieroh.  Proœmium  in  Malth. 


DES   COMMENTAIRES   DES   ÉVANGILES.  347 

y  a  même  quelques  chapitres  qui  sont  expliqués  sans 
garder  aucune  suite  dans  les  versets;  en  sorte  que  l'au- 
teur commence  par  les  derniers,  puis  il  revient  aux  pre- 
miers (1).  » 

2.  Origène  avait  beaucoup  écrit  sur  les  saints  Évan- 
giles, mais  de  tous  ses  travaux  il  ne  nous  reste  que  des 
fragmens  de  ses  commentaires  sur  saint  Matthieu  et  saint 
Jean  ;  ils  ont  été  recueillis  par  le  P .  de  La  Rue,  dans  l'é- 
dition que  ce  savant  a  donnée  de  ses  œuvres.  Origène, 
comme  nous  l'avons  déjà  remarqué  plusieurs  fois,  ne 
s'attachant  ordinairement  pas  au  sens  littéral,  se  jette 
assez  souvent  dans  des  sens  spirituels,  et  il  insiste  beau- 
coup sur  la  morale  et  la  doctrine. 

3 .  Saint  Irénée,  saint  Gyprien,  saint  Clément  d'Alexan- 
drie ;  ïertullien,  Eusèbe,  saint  Athanase ,  saint  Basile, 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Grégoire  de  Nysse, 
quoiqu'ils  n'aient  pas  commenté  ex  professo  les  quatre 
Evangiles ,  en  ont  cependant  expliqué  dans  leurs  ou- 
vrages différentes  parties .  ïertullien  surtout  a  expliqué 
plusieurs  endroits  de  saint  Luc,  dans  ses  livres  contre 
Marcion  (2) . 

4.  Saint  Hilaire  a  écrit  un  commentaire  sur  saint  Mat- 
thieu ;  quoiqu'il  y  suive  Origène  dans  les  sens  spirituels, 
il  est  cependant  plus  littéral  que  lui.Dupin  dit  dans  sa 
Bibliothèque  des  auteurs  ecclésiastiques,  que  les  com- 

(1)  J.  D.  Ceillier.  Hist,  rjén.  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiqueSj 
tome  II,  pacj.  109. 

(2)  On  peut  voir  au  reste  ce  que  R.  Simon  dit  des  commentaires  de 
ces  pères  et  de  ceux  des  autres  docteurs  de  l'Église  dans  son  Histoire 
critique  des  principaux  commentateurs  du  Nouveau-Testament.  Cet 
écrivain  en  parle  très  au  long,  et  on  peut  dire  qu'en  général  ses  juge- 
mens  sont  bien  fondés. 


348  DES   COMMENTAIRES   DES  ÉVANGILES. 

mentaires  de  ce  saint  docteur  sont  excellens.  D.  Geil- 
lier  trouve  qu'ils  sont  écrits  avec  précision  ;  et  R .  Simon 
avoue  que  saint  Hilaire  y  est  plus  liltéral  que  dans  son 
commentaire  sur  les  Psaumes,  plus  simple  et  moins 
élevé  que  dans  ses  autres  ouvrages.  «Mais  il  est  éga- 
lement obscur,  ajoute  le  savant  critique,  parce  qu'il  af- 
fecte partout  de  certaines  expressions  qui  ne  sont  point 
latines,  et  qu'il  embarrasse  son  style  en  accumulant  pen- 
sées sur  pensées.  Il  éclaircit  les  principales  difficultés 
qui  se  présentent  sur  le  fait  de  la  religion,  sans  s'étendre 
sur  des  lieux  communs  de  théologie  (1).  »  Enfin  R .  Simon 
fait  observer  que  quoique  saint  Jérôme  connût  et  estimât 
le  commentaire  de  saint  Hilaire,  cependant  il  le  réfute 
quelquefois  dans  son  propre  commentaire  sur  saint  Mat- 
thieu (2) . 

5.  Saint  Jean  Chrysostome  a  laissé  quatre-vingt-dix 
homélies  sur  les  Evangiles  de  saint  Matthieu  et  de  saint 
Jean.  Nous  avons  déjà  eu  occasion  de  faire  connaître  le 
saint  évêque  d'Antioche  comme  un  excellent  interprète 
de  l'Ecriture.  Ses  commentaires  sur  saint  Matthieu  et 
sur  saint  Jean,  dans  lesquels  il  suit  la  même  marche, 
sont  dignes  de  son  mérite  en  ce  genre.  Aussi  les  pères 
grecs  qui  ont  écrit  après  lui,  tels  que  Théodore,  Théo- 
phylacte,  etc.,  se  sont  attachés  à  l'imiter  et  n'ont  guère 
fait  qu'abréger  son  travail.  La  méthode  de  l'éloquent 
docteur  est  de  s'attacher  au  sens  littéral  sans  se  jeter 
dans  des  allégories  et  des  subtilités.  Il  est  tout  à  la  fois 

(1)  Pi.  Simon,  ibid.  ch.  ix,  pag.  127. 

(2)  R.  Simon,  ibid.  pag.  129.— Ce  critique  ajoute  en  cet  endroit-là 
même  que  saint  Jérôme  ne  rend  pas  toujours  justice  à  saint  Hilaire, 
et  il  réfute  quelques  idées  d'Érasme  qui  tendent  à  déprécier  l'ou- 
vrage du  saint  évoque  de  Poitiers. 


DES  COMMENTAIRES   DES   ÉVANGILES.  349 

orateur,  interprète  et  controversiste.  Il  explique  le  sens 
historique,  lève  les  contradictions  apparentes,  réfute  les 
païens,  les  juifs  et  les  hérétiques,  instruit  et  édifie  les 
fidèles.  Ses  commentaires  sont  un  trésor  de  morale.  Ce 
qu'on  pourrait  lui  reprocher,  c'est  d'être  long  et  trop 
diffus  surtout  dans  ses  exordes,  et  de  se  montrer  un  peu 
plus  prédicateur  qu'interprète  proprement  dit.  Mais  on 
lui  pardonne  aisément  ce  défaut  quand  on  examine  la 
nature  des  personnes  auxquelles  il  s'adressait  et  les  cir- 
constances dans  lesquelles  il  se  trouvait.  Quant  au  com- 
mentaire sur  saint  Matthieu,  intitulé  V Ouitu g e  impar- 
fait, et  qu'on  lui  a  attribué,  il  n'est  nullement  sorti  de  sa 
plume.  Ce  commentaire  renferme  des  choses  bonnes 
et  utiles,  mais  cependant  il  faut  le  lire  avec  d'autant 
plus  d'attention,  qu'il  contient  plusieurs  propositions 
ariennes. 

6.  Saint  Ambroise  a  expliqué  saint  Luc.  Son  com- 
mentaire, divisé  en  dix  livres  qui  sont  parvenus  jusqu'à 
nous,  n'a  été  fait  que  pour  l'instruction  de  son  peuple, 
à  qui  il  le  prêchait  tous  les  dimanches.  Saint  Jérôme  a 
jugé  ce  commentaire  d'une  manière  peu  favorable,  car 
il  accuse  saint  Ambroise  de  n'avoir  pas  traité  son  sujet 
assez  sérieusement,  de  jouer  sur  des  mots  sans  s'arrêter 
au  sens  :  In  verhis  ludensy  in  sententiis  dormitans.  Rufin 
s'est  élevé  avec  force  contre  ce  jugement,  sans  que  saint 
Jérôme  dans  sa  réponse  à  son  adversaire  cherche  à  se 
disculper  de  cette  accusation  (1).  Et,  en  effet,  on  ne 

(1)  Dans  son  attaque  contre  ce  jugement  de  saint  Jérôme,  Rufia 
renvoie  à  une  préface  qui  se  lit  encore  aujourd'hui  en  tête  des  Ho- 
mélies dOrigène  sur  saint  Luc,  que  saint  Jérôme  a  traduites  en  latin. 
Si.\te  (le  Sienne  croit  que  saint  Jérôme  n'a  jamais  eu  une  semblable 
pensée,  et  que  cette  fable  est  de  l'invention  de  Rufin  :    a  Quod  ego 


360  DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES. 

saurait ,  dès  que  l'on  examine  la  chose  sous  le  point  de  vue 
de  la  critique,  comme  Fa  fait  saint  Jérôme,  ne  pas  trou- 
ver dans  le  commentaire  de  saint  Ambroise  sur  saint  Luc 
quelques  défauts  qui  pourraient  justifier  jusqu'à  un  cer- 
tain point  la  censure  du  savant  père.  On  y  rencontre 
en  grand  nombre  des  digressions,  des  allégories  et  des 
tropologies  assez  forcées.  Les  antithèses  et  les  jeux  de 
mots  y  abondent  également.  Cependant  malgré  ces  dé- 
fauts saint  Jérôme  ne  le  juge  pas  inutile,  puisqu'il  en  con- 
seille la  lecture  à  Algasie.  Saint  Augustin  le  cite  avec 
éloge  dans  ses  livres  contre  Pelage."  Il  est  également  cité 
par  saint  Fulgence,  saint  Maxime,  Cassiodore,  par  les 
pères  de  plusieurs  conciles,  et  D.  Ceillier  en  a  jugé  plus 
favorablement  que  R.  Simon  ;  car  selon  lui  saint  Am- 
broise s'attache  au  sens  littéral  et  historique,  lève  les 
contradictions  apparentes,  et  passe  ensuite  au  sens  mys- 
tique et  moral.  Il  est  incontestable  en  effet  que  malgré 
les  reproches  faits  à  ce  commentaire ,  on  y  trouve  les 
avantages  signalés  par  D.  Ceillier,  etR.  Simon  dit  lui- 
même  expressément:  c(  Ce  n'est  pas  qu'il  n'y  dise  de 
très-bonnes  choses ,  mais  il  est  trop  fécond  en  paroles 
et  en  digressions  (1).» 

7.  Saint  Jérôme,  au  témoignage  de  Cassiodore,  a  in- 
terprété nos  quatre  Évangiles  (2).  Mais  nous  n'avons  de 

crediderim  magis  à  Piulino  in  odiuni  Hieronymi  conficlura,  quam  ab 
Ilieronymo  laie  probatum  esse  judicium  de  eruditis  et  erudiiissimi 
viri  comnientariis  [Bihlioih.  sacr.  l.  iv).»  Mais,  comme  le  remarque 
B.  Simon,  il  faut  que  ce  savant  critique  n'ait  pas  assez  pris  garde  à 
la  préface  dont  nous  venons  de  parler.  D'ailleurs  ce  n'est  pas  le  seul 
endroit  où  saint  Jérôme  ne  parle  pas  bien  des  ouvrages  de  saint  Am- 
broise. 

(1)  R.  Simon,  Hist.  crit.  des  comment,  du  lY.  T.  ch.  xiv. 

(?)  Cassiodor.  Divin,  leci.  c.  vu. 


DES   COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES.  351 

ce  saint  docteur  qu'un  commentaire  sur  saint  Matthieu, 
presque  entièrement  littéral,  et  encore  fort  court.  Il  l'a 
composé  avec  assez  de  précipitation,  puisqu'il  n'y  a  mis 
que  quinze  jours  ,  comme  il  nous  l'apprend  lui-même , 
promettant  de  donner  plus  tard  un  ouvrage  plus  com- 
plet, n'ayant  pas  eu  le  temps  de  prendre  de  longs  extraits 
dans  les  interprètes  qui  avaient  écrit  avant  lui  et  dont  il 
possédait  les  ouvrages,  tels  que  Théophile  d'Antioche, 
saintHippolyte  martyr, Théodore  d'Héraclée, Apollinaire 
de  Laodicée,  Didyme  d'Alexandrie,  saint  Hilaire,  Victo- 
rin  et  Fortunatien  (  J  ).  Si  saint  Jérôme  a  réellement  com- 
posé ce  grand  ouvrage,  il  s'est  perdu  dans  la  suite  des 
temps,  puisque  nous  n'avons  de  lui  que  son  petit  com- 
mentaire,'dans  lequel,  au  reste,  on  trouve  plus  d'une  trace 
de  l'érudition  de  ce  saint  docteur.  Enfin  nous  croyons 
devoir  faire  observer  qu'il  donne  quelquefois  des  explica- 
tions qu'il  ne  faut  pas  prendre  au  pied  de  la  lettre,  parce 
qu'elles  présentent  un  sens  peu  exact  et  qu'elles  ont  be- 
soin elles-mêmes  d'être  expliquées  par  l'ensemble  des 
doctrines  du  savant  père. 

8.  Saint  Augustin  a  écrit  sur  saint  Matthieu  deux  livres 
intitulés  :  De  sermone  Domini  in  monte,  et  dans  lesquels 
le  savant  père  explique  en  effet  avec  beaucoup  de  détails 
le  sermon  sur  la  montagne.  R.  Simon  dit  que  ces  deux 
livres  de  saint  Augustin  sont  plus  exacts  que  la  plupart 
de  ses  autres  commentaires  sur  l'Écriture  ;  parce  qu'il 
s'y  abandonne  moins  aux  allégories  et  aux  digressions 
qui  lui  sont  ordinaires.  Nous  avons  encore  de  saint  Au- 
gustin un  autre  livre  qui  contient  dix-sept  questions 
qu'on  lui  avait  proposées  sur  quelques  endroits  de  saint 

(1)  Hieron.  Proœm.  comment,  in  Matth. 


852  DES   COMMENTAIRES   DES   ÉVANGILES. 

Matthieu  ;  enfin  cent  vingt-quatre  traités  sur  saint  Jean . 

Quoique  notre  saint  docteur  ne  soit  pas  toujours  assez 
fort  sur  le  sens  littéral,  qu'il  donne  quelquefois  dans  les 
antithèses,  dans  les  allégories  et  dans  la  signification 
mystique  des  lieux  et  des  nombres ,  ses  commentaires 
sont  d'autant  plus  précieux  qu'on  y  trouve  une  morale 
belle  et  pure,  une  doctrine  profonde  et  sublime.  Dans 
ses  traités  sur  saint  Jean,  son  but  principal  est,  à  la  vé- 
rité, d'éclaircir  les  mystères  de  notre  religion  et  d'y  éta- 
blir différentes  règles  de  conduite  ;  mais  cependant  il  ne 
laisse  échapper  aucune  occasion  de  combattre  les  héré- 
tiques de  son  temps.  Il  y  attaque  surtout  les  ariens,  les 
manichéens,  les  donaiistes  et  les  pélagiens  ;  il  y  combat 
même  quelquefois  les  philosophes.  Nous  ne  dirons  rien 
ici  des  quatre  livres  de  saint  Augustin  qui  ont  pour  titre  : 
De  consensu  evangelistarum  ;  nous  en  avons  parlé  au 
chapitre  précédent  ;  nous  ferons  seulement  remarquer 
qu'au  jugement  de  R.  Simon  lui-même,  «  il  ne  pouvait 
entreprendre  un  ouvrage  plus  digne  de  lui  ;  qu'aussi  y 
a-t-il  fait  paraître  beaucoup  d'esprit  et  de  jugement  (1) .» 
9.  Saint  Cyrille  d'Alexandrie  a  composé  sur  l'Évan- 
gile de  saint  Jean  un  long  commentaire  divisé  en  douze 
livres.  Sur  ces  douze  livres,  dix  seulement  sont  parvenus 
entiers  jusqu'à  nous,  puisque  nous  ne  possédons  que  de 
simples  fragmens  du  septième  et  du  huitième.  II  faut  bien 
remarquer  que  ce  commentaire  ayant  été  composé  pour 
réfuter  les  hérétiques  et  défendre  les  dogmes  qu'ils  atta- 
quaient, il  est  tout  à  la  fois  littéral  et  théologique,  et 
comme  les  adversaires  que  saint  Cyrille  avait  à  com- 
battre étaient  très-forts  sur  la  dialectique,  le  savant  père 

(1)  Pi.  Simon,  ibid.  c.  xvin. 


DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES.  353 

a  été  forcé  de  les  suivre  dans  des  subtilités  qui  ne  sont 
nullement  du  goût  de  notre  temps. 

10.  Nous  avons  sur  le  Nouveau-Testament  et  sur  les 
Evangiles  en  particulier  un  certain  nombre  de  chaînes 
grecques,  c'est-à-dire  non  point  des  commentaires  sui- 
vis, mais  une  suite  de  passages  tirés  des  anciens  inter- 
prètes dont  les  ouvrages  sont  perdus,  comme  de  Théo- 
dore d'Héraclée,  de  Théodore  de  Mopsueste,  de  Sévère  et 
de  Didyme.  Quoique  ces  anciens  interprètes  ne  soient 
pas  tous  bien  sûrs  sous  le  rapport  de  l'orthodoxie,  ce- 
pendant il  est  curieux  et  quelquefois  même  utile  de  savoir 
ce  qu'ils  ont  pensé  du  sens  de  certains  passages  évangé- 
liques.  Or,  c'est  ce  qu'on  peut  savoir  par  ces  chaînes. 
«  Quoiqu'il  y  ait  ordinairement  plus  de  théologie  que  de 
critique  dans  les  chaînes  et  les  scholies  grecques,  dit 
R .  Simon,  on  ne  laisse  pas  d'y  trouver  de  temps  en  temps 
d'excellentes  remarques  critiques  (1).  »  En  16i6,  le  père 
Possin,  jésuite,  publia  à  Toulouse  ,  in-fol.,  une  chaîne 
des  pères  grecs  sur  saint  Matthieu,  en  grec  et  en  latin, 
accompagnée  de  scholies .  Une  semblable  chaîne  sur  saint 
Marc  avec  la  traduction  latine  du  même  P.  Possin  a 
été  publiée  à  Rome  en  1675,  in-fol.,  avec  des  commen- 
taires sur  des  passages  choisis  des  quatre  évangélistes  ; 
commentaires  qui  ont  été  réimprimés  de  nouveau  à  Ham- 
bourg en  171-2,  in-8^  sous  le  titre  de  Spicilegium  Evan- 
gelicum.  —  Le  P.  Corderius,  jésuite,  a  donné  trois  chaî- 
nes, l'une  sur  saint  Matthieu,  en  grec,  avec  sa  traduc- 
tion latine,  à  Toulouse,  IGïl,  formant  le  second  tome 
de  celle  du  P.  Possin  sur  le  même  évangéliste.  La  se- 
conde chaîne  du  P.  Corderius  est  sur  saint  Luc  ;  elle  a 

(1)  R.  Simon,  ihid.  c.  xxx. 


354  DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES. 

paru  à  Anvers  l'an  1628,  in-fol.,  en  latin  seulement,  mais 
avec  des  explications  des  quatre  évangélistes.  La  troi- 
sième a  été  imprimée  aussi  a  Anvers  en  1630,  in-fol.  ; 
elle  contient  le  texte  grec,  et  la  traduction  latine  de  ce 
savant  jésuite. 

11.  On  peut  encore  consulter  sur  les  Evangiles  aussi 
bien  que  sur  les  autres  parties  du  Nouveau-Testament 
les  commentaires  latins  du  vénérable  Bède,  ceux  d'Al- 
cuin,  de  Raban-Maur,  de  Claude  ,  évêque  de  Turin,  de 
Walafride-Strabus ,  auteur  de  la  Glose  ;  de  même  que 
ceux  d'Albert  le  Grand,  de  saint  Thomas,  de  Nicolas  de 
Lyre  ;  bien  que  tous  ces  commentateurs  n'aient  guère 
fait  autre  chose  que  de  compiler  les  pères  qui  les  avaient 
précédés. 

12.  Théophylacte  nous  a  aussi  laissé  sur  l'Evangile 
un  commentaire  qui  n'est  qu'un  abrégé  de  saint  Jean 
Chrysostome;  mais  il  y  a  joint  les  interprétations  de 
plusieurs  anciens  auteurs,  et  quelquefois  ses  propres 
réflexions.  Le  principal  avantage  des  commentaires  de 
Théophylacte,  c'est  qu'on  y  trouve  un  abrégé  de  toutes 
les  interprétations  de  saint  Jean  Chrysostome. 

13.  Le  commentaire  sur  les  Evangiles  attribué  au 
moine  Euthymius,  et  qui  parait  être  d'OEcuménius,  est 
très-estimé.  Voici  le  jugement  qu'en  a  porté  R.  Si- 
mon :  ((  Il  y  a  peu  de  commentateurs  grecs  qui  aient 
interprété  le  texte  des  Evangiles  avec  autant  d'exac- 
titude et  de  jugement  que  l'auteur  qu'on  nomme  ordi- 
nairement Euthymius.  «  Grœcus  auctor  ,  dit  Maldonat , 
Eiit/iymius  ,  et  in  verborum  proprietatibus  observandis 
diligentissimus  (1).»  Il  recherche  avec  beaucoup  de  soin 

(1)  Maldon.  Comment,  in  Matth.  xviî,  8. 


DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES.  355 

le  sens  littéral  et  la  signification  propre  des  mots  (1).  » 

14.  Alphonse  Tostat  a  écrit  sur  saint  ^latthieu  un  com- 
mentaire latin  divisé  en  sept  livres.  Ce  commentaire, 
très-diffus,  qui  n'occupe  pas  moins  de  quatre  volumes 
in-folio,  se  trouve  dans  ses  œuvres  complètes,  qui  ont 
paru  en  13  vol.  in-folio,  à  Séville,  iïdi ,  à  Venise  en 
1530-1596,  et  à  Cologne,  1613. 

15.  Nous  ne  ferons  que  nommer  le  commentaire  de 
Denis  le  chartreux  qui  suit  l'explication  des  pères;  celui 
de  Lefebvre  d'Étaples,  condamné  parla  faculté  de  théo- 
logie de  Paris;  les  notes  et  les  paraphrases  d'Erasme, 
censurées  par  la  même  faculté. 

16.  Jean  Gagnée  ou  Gagney  (Gagnseus),  docteur  de  la 
faculté  de  théologie  de  Paris,  qui  vivait  sous  Franrois[P% 
a  composé  sur  le  Nouveau-Testament  des  scholies  qui 
sont  tirées  en  grande  partie  des  pères  grecs  ;  et  quoi- 
que celles  qu'il  a  faites  sur  saint  Paul  soient  principale- 
ment estimées,  cependant  celles  qu'il  a  composées  sur  les 
Evangiles  ont  aussi  leur  mérite.  Ce  commentateur  savait 
bien  le  grec,  et  avait  étudié  les  pères  avec  soin.  R.  Si- 
mon dit  de  lui  que  dans  tout  son  commentaire  sur  le 
Nouveau-Testament ,  il  montre  clairement  qu'il  enten- 
dait la  matière  qu'il  traite  et  qu'il  était  même  habile  dans 
la  critique.  Le  même  R.  Simon  ajoute  que  pour  ce  qui 
regarde  sa  méthode,  elle  est  judicieuse;  qu'il  exprime  le 
sens  littéral  en  peu  de  mots,  ne  perdant  guère  de  vue 
l'original  grec,  et  les  plus  habiles  commentateurs  grecs, 
et  qu'il  corrige  quelquefois  Erasme  selon  les  règles  de 
la  critique.  Les  scholies  de  Gagney  sur  les  Evangiles  ont 
été  imprimées  à  Paris  en  1631,  in-8°,  et  en  1652,  in-fol. 

(1)  R.  Simon,  ibid.  c.hkw. 


356  DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES. 

17.  Jansénius,  évêque  de  Gand,  a  aussi  composé  un 
commentaire  d'après  la  concorde  des  quatre  évangé- 
listes,  comme  nous  l'avons  déjà  remarqué  au  chapitre 
précédent.  Il  se  propose  avant  tout  d'établir  le  sens  pro- 
pre et  littéral  des  Evangiles;  il  passe  ensuite  au  sens 
mystique  et  moral ,  et  il  enseigne  aux  prédicateurs  le 
moyen  de  se  servir  des  faits  historiques  de  l'Evangile 
pour  corriger  les  mœurs.  Jansénius  ne  borne  pas  là  son 
travail.  Il  se  montre  de  plus  controversiste  et  critique  ; 
il  s'attache  aussi  à  expliquer  les  citations  de  l'Ancien- 
Testament  qui  se  trouvent  dans  l'Évangile.  On  voit  qu'il 
avait  lu  une  multitude  d'auteurs  ecclésiastiques.  Nous 
remarquerons  en  passant  que  comme  il  se  conforme 
aux  idées  reçues  par  les  critiques  de  son  temps,  il  lui  ar- 
rive quelquefois  d'attribuer  à  des  écrivains  des  ouvrages 
qu'ils  n'ont  réellement  pas  composés. 

18.  Le  cardinal  Tolet  a  composé  sur  l'Evangile  de 
saint  Jean  et  sur  les  douze  premiers  chapitres  de  saint 
Luc  des  commentaires  très-estimés.  Ce  dernier  a  paru 
à  Cologne  en  1612,  in-fol.,  quatrième  édition,  et  l'autre 
dans  la  même  ville  et  le  même  format  en  1639,  sixième 
édition.  Richard  Simon  dit  avec  raison  que  Tolet  mé- 
rite d'être  placé  parmi  les  plus  habiles  commentateurs. 
Néanmoins,  ajoute  le  même  critique,  il  est  trop  étendu 
et  trop  fécond  en  questions  qui  ont  pour  but  d'éclaircir 
l'ancienne  théologie  et  la  doctrine  des  pères,  et  de  mon- 
trer son  accord  avec  celle  de  son  temps  ;  mais  il  a  eu 
soin  de  séparer  son  commentaire  qui  est  court,  de  ses 
notes  où  il  traite  de  différentes  matières.  Quoiqu'il  soit 
diffus,  remarque  judicieusement  D.  Calmet,  il  ne  laisse 
pas  d'être  exact.  Ajoutons  que  notre  savant  interprète 
se  montre  quelquefois  non  seulement  critique,  puisqu'il 


DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES.  357 

a  recours  aux  différentes  leçons  de  son  texte,  mais  aussi 
grammairien  ;  car  il  s'attache  à  expliquer  la  propriété 
des  termes.  En  un  mot,  le  commentaire  de  Tolet  est  à 
la  fois  solide,  pieux,  instructif;  c'est  pourquoi  nous  ne 
saurions  trop  en  recommander  la  lecture. 

19.LeP.Maldonat,  jésuite  espagnol,  est  auteur  d'un 
commentaire  excellent  sur  les  quatre  Evangiles;  ce  com- 
mentaire a  eu  un  grand  nombre  d'éditions  en  différens 
pays  ;  la  dernière  est  de  Paris,  1668,  in-fol.  Le  P.  Mal- 
donat  y  fait  preuve  d'un  esprit  solide,  d'un  jugement 
droit,  d'une  fine  critique,  d'une  grande  habileté  tant 
dans  l'herméneutique  que  dans  la  théologie  et  la  con- 
troverse. Le  seul  reproche  qu'on  peut  lui  faire,  c'est  d'être 
trop  tranchant  quand  il  s'éloigne  du  sentiment  des  an- 
ciens et  en  particulier  de  saint  Augustin,  dont  il  ne  fait 
peut-être  pas  autant  de  cas  qu'il  mérite.  On  ne  saurait 
disconvenir  que  sous  le  rapport  de  la  critique,  il  est  su- 
périeur à  l'évêque  d'Hippone,  mais  il  en  est  tout  autre- 
ment sous  celui  de  la  science  théologique. 

20.  Le  P.  Mariana,  jésuite  espagnol,  a  fait  un  bon  et 
utile  travail  non  seulement  sur  les  Evangiles,  mais  en- 
core sur  tous  les  autres  livres  du  Nouveau-Testament. 
«  A  l'égard  de  Mariana,  ditR.  Simon,  ses  notes  sur  le 
Nouveau-Testament  sont  de  véritables  scholies  oii  il  ne 
paraît  pas  moins  de  jugement  que  d'érudition .  Il  marque 
avec  soin  les  diverses  leçons  qu'il  a  pu  découvrir...  Il 
serait  à  désirer  que  les  observations  de  ce  savant  homme 
n'eussent  pas  été  si  abrégées;  néanmoins  il  dit  beaucoup 
de  choses  en  peu  de  mots  (1).  »  Nous  ajouterons  que  les 
notes  d'Emmanuel  Sa,  de  Ménochius  et  d'Estius,  peuvent 
servir  à  compléter  celles  de  Mariana.  Ménochius,  quoi- 

(1)  R.  Simon,  ibid.  c.  xlii,  pafj.b37y  639. 


358  DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES» 

qu'il  soit  un  peu  trop  concis  lui-même,  et  quelquefois 
obscur,  est  cependant  un  des  plus  judicieux  scholiastes 
que  nous  ayons.  Les  scholies  de  Mariana  ont  paru  avec 
plusieurs  autres  de  ses  travaux  bibliques  à  Madrid,  1619, 
à  Paris,  1620,  et  à  Anvers,  lG2i,  in-fol.  On  a  joint  à  cette 
dernière  édition  les  notes  d'Emmanuel  Sa. 

21.  Le  P.  Alphonse  Salmeron,  jésuite,  a  composé  sur 
les  Evangiles  et  les  autres  livres  du  Nouveau-Testament 
un  commentaire  qui  a  paru  successivement  à  Madrid, 
l'an  1.^97-1602,  et  à  Cologne,  l'an  160i,  en  16  vol.  in-fol. 
Mais  il  faut  remarquer  que  le  premier  volume  contient 
des  prolégomènes  généraux  sur  toute  l'Ecriture  sainte, 
que  le  second  traite  duVerbe  avant  l'incarnation,  et  que 
le  commentaire  sur  les  Evangiles  proprement  dit  com- 
mence au  troisième  et  finit  par  l'ascension  du  Sauveur 
au  onzième.  La  méthode  du  P.  Salmeron  n'est  point  de 
suivre  pas  à  pas  le  texte  évangélique,  mais  de  réduire  à 
un  certain  nombre  de  questions  les  faits  rapportés  par 
les  évangélistes.  Ainsi  il  consacre  un  volume  à  traiter  de 
l'enfance  de  Jésus-Christ,  un  autre  à  prouver  les  mi- 
racles, un  troisième  à  développer  ses  paraboles,  un  qua- 
trième à  expliquer  ses  entretiens  avec  les  pharisiens,  et 
ainsi  de  suite.  Mais  ce  savant  jésuite  est  plus  théologien 
qu'interprète,  si  on  prend  ce  dernier  mot  dans  son  accep- 
tion rigoureuse. 

22.  Quoique  les  commentaires  de  Corneille  Lapierre 
embrassent  toute  la  Bible,  Job  et  les  Psaumes  exceptés, 
nous  ne  devions  naturellement  pas  en  parler  ici  ;  nous 
croyons  cependant  devoir  faire  quelques  observations 
sur  celui  des  Évangiles  en  particulier.  Ce  commentaire 
comme  tous  ceux  du  savant  jésuite  renferme  une  di- 
versité prodigieuse  de  matières  et  une  infinité  de  bonnes 


DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES.  359 

choses;  mais  nous  pensons  comme  R.  Simon  que  les 
lecteurs  qui  ne  sont  pas  capables  d'en  faire  le  choix  se 
tromperont  souvent  comme  il  s'est  trompé  lui-même  après 
d'autres.  Notre  commentateur  avait  connu  les  versions 
coptes,  éthiopienne  et  persane ,  mais  il  avoue  lui-même 
qu'il  en  a  peu  fait  usage,  et  il  faut  convenir  que  toutes  les 
fausses  variantes  qu'il  apporte  des  versions  en  langues 
orientales  prouvent  qu'il  les  entendait  fort  peu  et  qu'elles 
feraient  assez  croire  qu'il  les  a  citées  d'après  les  inter- 
prétations latines  de  ces  versions. «  La  grande  variété 
de  matières  dont  son  commentaire  est  rempli,  dit  avec 
vérité  R.  Simon,  peut  être  agréable  et  utile  à  ceux  qui 
s'appliquent  à  la  prédication.  Ils  trouveront  par  exem- 
ple sur  saint  Joseph  tout  ce  que  les  anciens  et  les  nou- 
veaux écrivains  ecclésiastiques  ont  dit  à  sa  louange,  sans 
oublier  le  docteur  Gerson  et  le  Bréviaire  de  Jérusalem, 
qui  assurent  qu'il  a  été  sanctifié  dès  le  ventre  de  sa 
mère.  Ceux  qui  voudront  savoir  à  fond  l'histoire  des 
Mages,  n'ont  qu'à  lire  l'explication  de  ce  jésuite  sur  le 
chapitre  ii  de  saint  Matthieu  (1).  »  Mais  il  faut  remar- 
quer qu'il  rapporte  une  foule  d'histoires  sans  examiner 
avec  assez  de  soin  si  elles  sont  vraies  ou  fausses.  C'est 
ainsi  qu'il  dit  sur  les  Mages  et  l'étoile  miraculeuse  qui 
leur  servit  de  guide ,  beaucoup  de  choses  qui  ne  sont 
rien  moins  qu'assurées  ;  il  suppose  par  exemple  que  la 
très- sainte  Vierge,  qui  avait  le  don  des  langues,  parla 
aux  Mages  en  arabe.  Malgré  ces  défauts,  Corneille  La- 
pierre  ne  néglige  nullement  le  sens  littéral,  qu'il  cherche 
toujours  à  établir  le  mieux  qu'il  lui  est  possible  ;  il  passe 
ensuite  aux  sens  tropologiques  et  allégoriques,  enfin  il 

(1)  Pi.  Simon,  Hkt.  crit.  des  commentât,  du  IV.  T.  ch,  xliv. 


360  DES  COMMENTAIRES   DES   ÉVANGILES. 

se  montre  encore  théologien  et  controversiste,  quand 
l'occasion  s'en  présente.  Son  commentaire  sur  les  Évan- 
giles a  été  publié  à  Paris,  en  1639,  plusieurs  fois  à  Lyon 
et  à  Anvers  ;  la  dernière  édition  est  de  Lyon,  1687. 

23.  Jansénius  ,  évêque  d'Ypres  ,  qui  au  jugement  de 
R.  Simon  doit  être  placé  dans  le  rang  des  habiles  com- 
mentateurs des  Evangiles,  a  écrit  sur  ces  divins  livres  un 
commentaire  dans  lequel,  selon  le  même  critique,  il  les 
a  expliqués  en  peu  de  mots,  et  avec  beaucoup  de  net- 
teté. Il  est  fâcheux  que  Jansénius  ait  quelquefois  accom- 
modé le  sens  des  évangélistes  à  certains  sentimens  de 
théologie  qui  lui  étaient  particuliers,  et  qui  ont  été  con- 
damnés plus  tard  par  l'Eglise.  C'est  ainsi,  par  exemple, 
que  sans  aucune  nécessité  il  a  recours  et  à  la  grâce  effi- 
cace et  à  la  prédestination  à  la  gloire  pour  expliquer 
plusieurs  passages ,  ce  qui  fait  qu'il  doit  être  lu  avec 
beaucoup  de  précaution.  Disons  en  terminant  que  l'é- 
vêque  d'Ypres  semble  avoir  beaucoup  profité  du  travail 
de  Maldonat,  qu'il  était  assez  faible  dans  la  critique,  et 
peu  versé  dans  la  connaissance  des  langues,  dans  celle 
de  l'hébreu  en  particulier.  Son  ouvrage  intitulé  :  Tetra- 
chus,  seu  commentarms  in  quatuor  Evangelîa,  a  été  im- 
primé deux  fois  à  Louvain  et  à  Lyon  ;  on  compte  six 
éditions  de  Paris,  dont  la  dernière  est  de  1697,  in-4°. 

2i .  Nous  terminerons  cette  liste  des  commentaires  ca- 
tholiques par  Boniface-Martin  Schnappinger,  dont  nous 
avons  déjà  dit  un  mot  dans  \  Introduction  générale  (t.  i, 
p.  302).  Cet  interprète,  professeur  à  Fribourg  en  Bris- 
gaw  ,  a  composé  une  version  allemande  du  Nouveau- 
Testament,  accompagnée  de  notes.  Cet  ouvrage,  intitulé 
Die  heilige  Schrift  des  Neuen  Bundes,  mit  vollstœndig  er- 
hlœrenden  Anmerkungen ,  a  eu  au  moins  trois  éditions  ; 


DES  COMMENTAIRES  DES  ÉVANGILES.  361 

la  troisième,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  est  de  Mann- 
heim,  1817-1818,  4  vol.  in-8%  dont  les  deux  premiers 
sont  consacrés  aux  Evangiles.  Le  premier  volume  est 
précédé  de  trois  introductions ,  dont  l'une  aux  livres 
saints  du  Nouveau-Testament,  l'autre  aux  quatre  Evan- 
giles en  général,  et  la  troisième  à  l'Evangile  de  saint 
Matthieu  en  particulier.  Les  trois  derniers  Evangiles 
portent  aussi  chacun  en  tête  une  introduction  particu- 
lière. Ce  commentaire,  qui  ne  manque  pas  d'une  certaine 
érudition,  contient  un  assez  grand  nombre  de  bonnes 
choses;  l'auteur  se  montre  partout  opposé  aux  rationa- 
listes ;  il  admet  l'inspiration  divine  des  écrivains  sacrés 
sans  la  renfermer  dans  les  limites  si  étroites  que  cer- 
tains critiques  téméraires  ne  font  pas  difficulté  de  lui  pres- 
crire. 

ARTICLE  II. 

Des  commentateurs  protestans. 
On  ne  saurait  compter  le  nombre  des  protestans  qui 
ont  travaillé  sur  les  Évangiles  et  les  autres  parties  du 
Nouveau-Testament.  Au  lieu  de  citer  par  ordre  chrono- 
logique ,  comme  nous  l'avons  fait  jusqu'ici,  les  princi- 
paux d'entre  eux,  nous  les  diviserons  en  trois  classes  ; 
ainsi  nous  parlerons  d'abord  de  ceux  qui  ont  écrit  avant 
la  nouvelle  exégèse  ;  en  second  lieu,  de  ceux  qui  ont 
suivi  les  principes  de  cette  nouvelle  exégèse  ;  troisième- 
ment enfin  de  ceux  qui  dans  leurs  interprétations  ont 
combattu  les  fausses  doctrines  du  rationalisme  (1). 

(1)  On  peut  voir  la  liste  des  anciens  principaux  commentateurs 
protestans  dans  la  Bib[ioiheca  sacra  du  P.  Leiong,  clans  YHistoire 
critique  des  principaux  commentateurs  duIV.  T.  parR.  Simon,  et  dans  la 
partie  v  de  la  Bibliothèque  sacrée  de  D.  Calmet.  Quant  aux  modernes, 
on  peut  consulter  pour  les  Anglais  l'appendix  de  rintroduction  de 
V.  16 


362  DES  COMMENTAIRES  DES   ÉVANGILES. 

1.  Il  est  incontestable  que  parmi  les  anciens  inter- 
prètes protestans,  plusieurs  ont  expliqué  avec  beaucoup 
d'érudition  nos  saints  Évangiles,  qu'ils  ont  donné  le 
vrai  sens  d'un  certain  nombre  de  passages,  et  qu'ils  ont 
glorieusement  vengé  le  Nouveau-Testament  des  attaques 
des  Juifs,  des  sociniens  et  des  incrédules .  Mais  comme  la 
plupart  étaient  pleins  des  préjugés  de  leur  secte  contre 
l'Eglise  romaine,  et  qu'ils  se  trouvaient  imbus  d'une  doc- 
trine hérétique,  ils  ont  assez  souvent  expliqué  le  texte  sa- 
cré conformément  à  leurs  erreurs ,  ce  qui  fait  qu'on  ne 
peut  les  lire,  si  l'on  n'est  point  solidement  affermi  dans  la 
foi  catholique,  si  l'on  ne  connaît  bien  les  principes  d'une 
vraie  interprétation,  et  si  ce  n'est  point  pour  les  réfu- 
ter .  Parmi  les  ouvrages  de  ces  anciens  protestans  ,  ceux 
dont  on  peut  surtout  tirer  quelque  utilité,  ce  sont  les 
commentaires  de  Calvin,  ceux  de  Grotius,  la  Synopse 
des  critiques  de  Matthieu  Polus,  les  notes  insérées  dans 
les  Critici  sacri,  celles  de  Beausobre  (1),  de  Henri  Ham- 
mond,  et  celles  que  Leclerc  a  ajoutées  à  ces  dernières. 

2.  Parmi  les  commentateurs  qui  ont  embrassé  les  prin- 
cipes de  la  nouvelle  exégèse,  la  plupart  présentent  des 
choses  utiles  sous  le  rapport  de  la  critique  du  texte  et 
des  observations  grammaticales  ;  mais  en  général  leurs 

T.  H.  Horne,  et  pour  les  Allemands,  l'Introduction  de  Bertholdt ,  et 
celle  qui  est  en  tête  du  commentaire  (§9)  de  Olshausen  sur  les 
Évangiles. 

(l)  Ces  notes  de  Beausobre  sont  un  ouvrage  posthume  qui  a  paru 
à  La  Haye,  en  1742,  in-4°,  sous  le  titre  de  Remarques  historiques, 
critiques  et  philologiques  sur  le  Nouveau-Tesiamenl.  Ces  remarques 
sont  différentes  des  notes  littérales  pour  éclaircir  le  texte,  qui  se 
trouvent  dans  le  Nouveau-Testament  de  JV.S.  Jésus-Christ,  traduit 
en  français  par  MM.  de  Beausobre  et  l'Enfant.  Les  dernières  peuvent 
servir  comme  de  complément  aux  premières. 


DES  COMMENTiIRES  DES  ÉVANGILES.  363 

interprétations  sont  d'autant  plus  dangereuses  qu'elles 
tendent  à  détruire  la  révélation  divine.  Nous  signalerons 
surtout  en  ce  genre  le  commentaire  allemand  philolo- 
gique et  critique  sur  le  Nouveau-Testament,  par  Pau- 
lus  (1).  Cet  écrivain  emploie  toute  sa  grande  érudition 
à  présenter  les  miracles  de  l'Evangile  comme  de  simples 
faits  naturels,  à  torturer  les  paroles  des  évangélistes 
pour  leur  donner  des  sens  extraordinaires  auxquels  ils 
n'ont  certainement  jamais  pensé,  et  à  transformer  en 
mythes  tous  les  récits  merveilleux  du  Nouveau-Testa- 
ment. Quoique  beaucoup  d'interprètes  de  l'époque  de 
Paulus  aient  adopté  les  principes  du  rationalisme,  tous 
ne  l'ont  pas  poussé  aussi  loin.  11  en  est  quelques-uns  de 
plus  modérés  ;  nous  pourrions  citer  parmi  ces  derniers 
Kuinoel,qui  expliquait  assez  bien  le  sens  littéral, mais  qui 
ne  laisse  pas  de  donner  bien  des  interprétations  qui  sen- 
tent le  rationalisme  (2).  Nous  rangeons  dans  cette  classe 
D.  J.  Georges  Rosenmtiller,  qui  est  cependant  bien  moins 
hardi  dans  ses  scholies  sur  le  Nouveau-Testament  (3). 
3.  Quelques  commentateurs  protestans  de  nos  jours, 
loin  de  suivre  dans  leurs  interprétations  le  système  du 
rationalisme,  se  sont  même  efforcés  d'en  faire  sentir  toute 
la  fausseté.  Nous  nous  bornerons  à  faire  connaître  les 
deux  suivantes.  Le  docteur  Campbell  a  publié  en  an- 
glais une  traduction  des  quatre  Evangiles,  avec  un  dis- 
cours préliminaire  et  des  notes  (h).  Cet  ouvrage  jouit  en 

(1)  Eberh.  Go\Û.  Tanins,  Philologisdi-Kriiischei'  Commenlar  ûber 
das  lY.  T.  Liibeck,  1800-1808,  5  Bœnde. 

(2)  Ch.  Th.  Kuiaoel,  Comment<^riusin  libros  N.  T.  hisloricos.  iJps. 
1807,  \voL  in-80. 

(3)  D.  Jo.  Georgii  Rosënmulleri,  i^c/io/m  in  Novum  Teslamenlum. 
JYorimbergœ,  1825,  4  vol.  m-8%   edil.  6. 

(4)  The  Four   Gospels  translaied  from  the  greek;  with  preliminary 


864  DES  COMMENTAiRES  DÈS  ÉVANGILES. 

Angleterre  de  la  plus  haute  estime  ;  et,  il  faut  en  conve- 
nir, cette  réputation  est  assez  méritée, au  moins  quant  aux 
notes,  qui  forment  un  bon  commentaire  philologique,  et 
aux  dissertations  préliminaires,  qui  sont  un  vrai  traité  de 
critique  sacrée.  On  remarque  avec  plaisir  que  l'auteur 
se  montre  assez  favorable  à  laVulgate.  —  Olshausen, 
dont  nous  avons  cité  souvent  l'ouvrage  sur  l'authenticité 
des  quatre  Évangiles,  a  aussi  composé  un  commentaire 
assez  détaillé  sur  ces  divers  livres  et  sur  les  Actes  des 
Apôtres  (1).  Cet  ouvrage,  comme  le  titre  le  porte,  est 
spécialement  destiné  aux  prédicateurs  et  aux  étudians. 
Quoique  Olshausen  soit  très-opposé  aux  rationalistes, 
qu'il  défende  l'inspiration  des  Evangiles,  qu'il  admette 
même  la  réalité  des  miracles  et  des  possessions  diaboli- 
ques, cependant  il  veut  limiter  l'inspiration  aux  seules 
parties  doctrinales,  prétendant  que  tout  le  reste  n'est 
qu'un  accessoire,  qui,  bien  qu'il  puisse  être  défectueux, 
ne  préjudicie  point  à  l'inspiration  de  la  doctrine  du  Sau- 
veur ,  partie  principale  et  uniquement  essentielle  dans  les 
Evangiles.  Il  nie  aussi  la  réalité  de  la  résurrection  de  la 
fille  de  Jaïre,  admise  jusqu'ici  partons  les  interprètes  or- 
thodoxes. Comme  il  est  imbu  des  préjugés  du  protestan- 
tisme, il  donne  quelquefois  des  sens  opposés  à  la  foi  ca- 
tholique. 

disserlaiions  and  noies,  Inj  Georges  Campbell,  D.  D.  F.  R.  S.  Edin- 
burgh  ;  Principal  of  Marischal  collège,  Aberdeen.  4°,  2  vols.  London, 
1790,  8»,  2  vols.  Edinbunjh,  1807,  3  edit.  London,  in  3  vols.  8°. 

{\)Bihlischer  Commeniaruber  Sœmmlliche  Sclirifien  des  IVeuen  Tes- 
taments zunœchst  fur  Predirjerund  Sludirende.  f^on  Dr  Hermano  Ols- 
hausen, Profcssor  der  Théologie  an  der  Universitœt  zu  Kœnigsberg. 
Kœnicjs.  1833-1834.  Zuei/e  Auflcge 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  Z$$ 

SIXIÈME  SECTI03f. 

DES   ACTES   DES   APOTRES. 

Ce  livre  est  nommé  Actes  des  Apôtres  ou  Actions  des 
Apôtres^  en  grec  noà^cig  tô5v  à-oo-tô/ojv,  parce  qu'il  con- 
tient l'histoire  de  ce  que  firent  les  apôtres  à  Jérusalem, 
dans  la  Judée  et  dans  les  autres  parties  de  l'univers, 
après  l'ascension  de  Jésus-Christ.  Sous  ce  rapport  il 
se  lie  aux  Evangiles,  dont  il  forme  comme  le  complé- 
ment. En  effet  l'Évangile  contient  des  promesses  et  des 
prédictions  dont  nous  lisons  l'accomplissement  et  la  réa- 
lisation dans  le  livre  des  Actes  ,  d'où  il  résulte  que  ce 
livre  est  en  quelque  sorte  pour  l'Evangile  ce  que  l'E- 
vangile lui-même  est  pour  l'Ancien-Testament.  D'un 
autre  côté,  le  livre  des  Actes  est  très-utile  pour  faire 
comprendre  les  Epîtres  des  apôtres  et  surtout  celles  de 
saint  Paul,  qui,  sans  les  lumières  qu'il  nous  fournit,  res- 
teraient en  bien  des  endroits  entièrement  inintelligibles  ; 
ce  qui  fait  qu'on  peut  à  juste  titre  le  nommer  la  clef  du 
livre  des  Epîtres. 

Les  Actes  des  Apôtres,  selon  la  remarque  de  D.  Cal- 
met,  n'ont  pas  toujours  tenu  dans  la  Bible  le  rang  qu'ils 
occupent  aujourd'hui,  où  ils  sont  entre  les  Évangiles  et 
les  Epîtres  de  saint  Paul.  Quelquefois  ils  étaient  placés 
immédiatement  avant  l'Apocalypse,  comme  l'insinuent 
saint  Augustin,  Cassiodore  et  Théodulphe,  évêque  d'Or- 
léans. D'autres  fois  on  les  mettait  entre  les  Epîtres  de 
saint  Paul  et  les  Epîtres  des  autres  apôtres  ;  c'est  du 
moins  ainsi  qu'ils  sont  placés  dans  quelques  anciennes 
Bibles  latines.  On  remarque  encore  dans  ce  livre  un 
grand  nombre  de  variantes  considérables;  ce  sont  très- 


366  DU   SUJET   ET   DU   BUT 

vraisemblablement  des  gloses  ajoutées  par  les  copistes, 
ou  bien  des  notes  explicatives  qui  sont  passées  de  la 
marge,  où  elles  se  trouvaient  d'abord,  dans  le  corps 
même  du  texte  (1). 

Les  questions  que  nous  avons  à  traiter  dans  cette  sec- 
tion sont  à  peu  près  les  mêmes  que  dans  les  sections 
précédentes. 


CHAPITRE  PREMIER. 

DU  SUJET  ET  DU  BUT  DES  ACTES  DES  APOTRES. 

1  .Quoique  le  livre  dont  nous  nous  occupons  porte  le 
nom  d'Actes  des  Apôtres,  il  ne  présente  cependant  pas  l'his- 
toire de  tous  ces  hommes  apostoliques.  L'auteur  parle 
presqueuniquementdesaintPierre,  de  saint  Paul  ;  il  rap- 
porte un  discours  de  saint  Jacques  le  Mineur  et  la  mort 
de  saint  Jacques  le  Majeur.  Il  ne  nous  donne  pas  même 
une  histoire  complète  de  ces  quatre  apôtres  ;  bien  plus, 
celle  de  saint  Paul  n'est  rapportée  qu'en  partie  dans  son 
livre,  puisque  cet  apôtre  rappelle  dans  ses  Épîtres  des 
événemens  qui  n'y  sont  pas  mentionnés.  Tout  ce  qu'on 
peut  dire  après  une  lecture  attentive  des  Actes,  c'est 
qu'ils  renferment  le  récit  abrégé  de  l'histoire  de  l'église 
de  Jérusalem  dans  les  premières  années  de  sa  fondation. 
Or,  on  peut  remarquer  dans  ce  récit  trois  sortes  de  faits  : 
les  uns,  tels  que  l'élection  de  saint  Matthieu,  la  descente 
du  Saint-Esprit  au  jour  de  la  Pentecôte,  le  commence- 
ment de  la  prédication  évangélique,  et  le  concile  de  Jéru- 
salem, sont  relatifs  à  tous  les  apôtres  ;  les  autres  concer- 

(1)  D.  Calmet,  Préf,  sur  les  Actes  des  Apôtres. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  367 

nent  saint  Pierre,  l'apôtre  de  la  circoncision  ;  d'autres 
enfin  regardent  saint  Paul  ;  ces  derniers  sont  en  plus 
grand  nombre  que  les  précédens,  car  depuis  le  chapi- 
tre XIII  jusqu'au  xxviii  qui  termine  le  livre,  il  n'est 
guère  question  que  de  cet  apôtre  des  gentils. 

On  peut  diviser  le  livre  des  Actes  en  trois  parties  ;  la 
première  embrasse  les  sept  premiers  chapitres  ;  la  se- 
conde s'étend  depuis  le  chapitre  viii  jusqii'au  chapi- 
tre XII  inclusivement,  et  la  troi^^ième  commence  au  cha- 
pitre xiii  et  finit  au  chapitre  xxvin,  par  lequel  ce  livre 
se  termine. 

Dans  la  première  partie,  l'auteur  commence  par  rap- 
peler que  JÉSUS,  après  avoir  instruit  les  apôtres  qu'il  avait 
choisis  pour  continuer  sa  mission  divine  sur  la  terre,  et 
leur  avoir  promis  de  faire  descendre  sur  eux  l'Esprit 
saint ,  s'éleva  vers  le  ciel  et  entra  dans  une  nuée  qui  le 
déroba  à  leurs  yeux.  Il  raconte  aussi  comment  les  apô- 
tres ayant  jeté  le  sort  sur  Barsabas  et  -Matthias  pour  sa- 
voir lequel  des  deux  devait  remplacer  le  perfide  Judas, 
qui  s'était  donné  la  mort  après  avoir  trahi  son  maître, 
Matthias  fut  élu  ;  comment  l'Esprit  saint  descendit  sur 
eux  tous  aussi  bien  que  sur  les  disciples  qui  étaient 
présens;  comment  favorisés  de  ses  dons  et  de  ses  grâces 
ils  opérèrent  les  plus  grandes  merveilles,  et  par  suite  la 
conversion  d'une  multitude  innombrable  d'hommes  té- 
moins de  ces  prodiges  ;  comment  enfin  les  prédications 
de  saint  Pierre  et  les  miracles  éclatans  qu'il  fit  au  nom 
de  JÉSUS  crucifié  et  ressuscité  d'entre  les  morts,  contri- 
buèrent surtout  à  augmenter  le  nombre  de  ceux  qui  em- 
brassèrent la  foi  chrétienne  .L'auteur  montre  ensuite  non 
seulement  l'union  admirable  des  fidèles,  qui  n'avaient 
qu'un  cœur  et  qu'une  àme,  mais  encore  le  zèle  et  la  gé- 


368  DU  SUJET   ET    DU    BUT 

nérosité  avec  laquelle  ils  vendaient  leurs  biens  et  en  ap- 
portaient le  prix  aux  apôtres.  A  cette  occasion,  il  décrit 
la  fin  tragique  d'Ananie  et  de  Saphire  sa  femme,  qui 
ayant  vendu  aussi  un  fonds  de  terre,  et  dissimulant  une 
partie  du  prix  qu'ils  en  avaient  tiré,  tombent  morts  l'un 
et  l'autre  aux  pieds  de  saint  Pierre,  au  moment  même  où 
cet  apôtre  leur  reprochait  leur  dissimulation  et  leur  men- 
songe. Cependant  le  grand  prêtre  et  ses  partisans  font 
arrêter,  jeter  en  prison  et  flageller  les  apôtres,  qui  con- 
tinuaient toujours  à  opérer  des  miracles  et  de  nombreux 
ses  conversions.  Après  ces  mauvais  traitemens,  on  les 
rend  à  la  liberté,  en  leur  défendant  de  parler  au  nom 
de  Jésus  ;  mais  pleins  de  joie  d'avoir  été  jagés  dignes 
de  souffrir  pour  la  gloire  de  leur  divin  maître,  ces  dis- 
ciples fidèles  n'en  deviennent  que  plus  intrépides  et  plus 
zélés  à  prêcher  l'Evangile  dans  le  temple  et  dans  les 
maisons  particulières.  Entièrement  livrés  au  ministère 
de  la  prédication ,  les  apôtres  choisissent  sept  diacres 
pour  dispenser  les  aumônes.  Le  premier  d'entre  eux, 
Etienne,  plein  de  grâce  et  de  force,  opère  aussi  des  mi- 
racles qui  lui  attirent  la  haine  et  la  persécution  des  Juifs . 
Traduit  devant  le  grand  prêtre  sous  la  fausse  accusa- 
tion d'avoir  blasphémé  contre  le  lieu  saint  et  contre  la 
loi,  il  profite  de  cette  occasion  pour  rappeler  en  quel- 
ques mots  à  toute  l'assemblée  la  conduite  de  Dieu  sur 
Abraham  et  sa  postérité  jusqu'à  la  construction  du  tem- 
ple de  Salomon,  et  pour  reprocher  aux  Juifs  leur  en- 
durcissement. Furieux  de  ce  discours ,  les  Juifs  traînent 
le  saint  diacre  hors  des  murs  de  la  ville,  où  il  est  la- 
pidé, et  où  il  rend  le  dernier  soupir  en  priant  pour  ses 
persécuteurs.  En  faisant  ce  récit,  l'auteur  remarque  que 
les  témoins  qui  avaient  déposé  contre  Etienne  mirent 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  369 

leurs  vêtemens  aux  pieds  d'un  jeune  homme  nommé  Saul 
(il  fut  nommé  depuis  Paul),  qui  avait  consenti  à  sa  mort. 
Dans  la  seconde  partie,  l'auteur  dulivre  des  Actes,  après 
avoir  dit  un  mot  de  la  persécution  soulevée  contre  l'é- 
glise de  Jérusalem,  et  des  ravages  que  Saul  en  particu- 
lier faisait  dans  cette  même  église,  raconte  la  conver- 
sion des  Samaritains  et  le  baptême  donné  au  nom  de 
Jésds-Christ  par  le  diacre  Philippe  à  un  des  princi- 
paux officiers  de  Candace,  reine  d'Ethiopie .  Il  retrace  en- 
suite le  tableau  de  la  conversion  miraculeuse  de  Saul, 
qui  de  persécuteur  ardent  des  chrétiens  devient  un  apô- 
tre zélé  du  christianisme;  car  sitôt  qu'il  a  reçu  le  bap- 
tême, il  parcourt  les  synagogues,  où  il  prêche  Jésus- 
Christ  avec  une  noble  intrépidité  devant  les  Juifs,  qu'il 
confond  en  leur  prouvant  que  celui  qu'ils  ont  attaché 
sur  une  croix,  est  le  Christ  ou  Messie  annoncé  par  les 
anciens  prophètes.  L'écrivain  sacré  nous  apprend  en- 
core dans  cette  seconde  partie  que  Saul  fut  présenté  aux 
apôtres  par  Barnabe,  qui  leur  raconta  les  circonstances 
miraculeuses  de  sa  conversion,  la  force  et  la  liberté  avec 
laquelle  il  avait  parlé  dans  la  ville  de  Damas  au  nom  de 
JÉSUS  ;  qu'il  demeura  à  Jérusalem  vivant  avec  les  apô- 
tres et  disputant  avec  les  gentils  et  avec  les  hellénistes, 
et  que  ceux-ci  ayant  voulu  le  faire  mourir,  il  fut  conduit 
par  ses  frères  à  Césarée  et  envoyé  de  là  à  Tarse.  D'un 
autre  côté,  c'est  saint  Pierre  qui  en  visitant  de  ville  en 
ville  les  disciples,  guérit  un  paralytique,  ressuscite  une 
veuve ,  et  baptise  un  ceatenier  nommé  Corneille  avec 
toute  sa  famille;  miracles  qui  sont  suivis  de  nouvelles  con- 
versions. Pierre  retourne  à  Jérusalem,  pendant  que  les 
fidèles  dispersés  s'étant  avancés  jusqu'à  Antioche,  com- 
mencent à  annoncer  Jésus-Ghrist  aux  Grecs  mêmes, 

16. 


870  BU    SUJET   ET  DU  BUT 

dont  ils  gagnent  un  assez  grand  nombre,  pour  que  l'é- 
glise de  Jérusalem  se  croie  obligée  d'y  envoyer  Barnabe, 
qui  les  exhorte  à  demeurer  fermes  dans  la  foi.  Cet  apô- 
tre vient  prendre  Saul  à  Tarse  et  l'emmène  à  Antioche, 
où  ils  prêchent  avec  un  zèle  digne  de  leur  mission.  Sur 
ces  entrefaites,Hérode  Agrippa,  roi  de  Judée,  fait  mourir 
Jacques  frère  de  Jean ,  et  en  même  temps  jeter  dans  les  fers 
Pierre,  qu'un  ange  délivre  miraculeusement  pendant  la 
nuit,  tandis  que  son  persécuteur  rend  peu  de  temps  après 
le  dernier  soupir  au  milieu  de  douleurs  atroces  et  rongé 
par  les  vers.  Barnabe  et  Saul  retournent  de  Jérusalem 
à  Antioche,  ayant  avec  eux  Jean-Marc. 

Enfin  dans  la  troisième  partie  de  son  livre  l'auteur 
des  Actes  nous  apprend  que  le  Saint-Esprit  ordonne  que 
Paul  et  Barnabe  soient  séparés  pour  l'œuvre  à  laquelle 
il  les  destine.  Ayant  donc  re^u  l'imposition  des  mains, 
ils  passent  par  différentes  villes,  prêchant  partout  l'E- 
vangile. A  Paphos,  un  magicien  nommé  Elymas  ,  qui 
résiste  à  leur  parole,  est  frappé  subitement  de  cécité  ; 
à  la  vue  de  ce  miracle  le  proconsul  embrasse  la  foi  chré- 
tienne. Saul,  qui  ne  paraît  plus  désormais  que  sous  le 
nom  de  Paul,  parcourt  encore  plusieurs  villes  toujours 
avec  Barnabe  ;  les  Juifs  s'opposent  partout  à  leur  prédica- 
tion, mais  ils  ne  peuvent  empêcher  que  leur  parole  puis- 
sante et  les  miracles  qu'ils  font  publiquement  ne  gros- 
sissent tous  les  jours  de  plus  en  plus  le  nombre  des 
fidèles.  Chassés  d'Antioche  dePisidie,  les  deux  apô- 
tres viennent  à  Icône,  d'où  ils  se  réfugient  à  Lystre  ;  là 
le  même  peuple,  qui  veut  d'abord  leur  sacrifier  comme 
à  des  dieux,  changeant  bientôt  de  sentiment,  et  animé 
par  les  Juifs,  lapide  Paul  et  le  traîne  hors  de  la  ville  en 
le  laissant  pour  mort.  Mais  le  saint  apôtre  ayant  recou- 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  371 

vré  ses  forces,  se  rend  à  Derbe  avec  Barnabe.  Après  y 
avoir  instruit  plusieurs  personnes,  ils  retournent  suc- 
cessivement à  Lystre,  à  Icône  et  à  Antioche  de  Pisidie, 
fortifiant  les  disciples  dans  la  foi  et  ordonnant  des  prê- 
tres ;  de  là  ils  reviennent  à  Antioche  de  Syrie,  d'où  ils 
étaient  partis.  Cependant  une  dispute  touchant  la  cir- 
concision s'étant  élevée  à  Antioche,  Paul  et  Barnabe 
sont  députés  à  Jérusalem,  où  les  apôtres  assemblés  dé- 
cident qu'il  ne  faut  point  obliger  les  gentils  à  se  faire 
circoncire  ;  et  Jude  et  Silas  joints  à  Paul  et  à  Barnabe 
sont  chargés  de  remettre  aux  fidèles  d'Antioche  une  let- 
tre qui  contient  la  décision  apostolique.  Silas  reste  à 
Antioche,  Jude  retourne  à  Jérusalem.  Quant  à  Paul,  il 
propose  à  Barnabe  de  visiter  les  villes  qu'ils  avaient  évan- 
gélisées  ;  Barnabe  voulant  prendre  avec  lui  Jean-Marc, 
Paul  étant  d'un  avis  contraire,  les  deux  apôtres  se  sépa- 
rent; celui-là  part  avec  Jean-Marc  pour  aller  en  Chy- 
pre ;  celui-ci,  accompagné  de  Silas,  traverse  la  Syrie  et 
la  Cilicie.  Arrivé  à  Lystre,  il  prend  avec  lui  Timothée 
après  l'avoir  converti,  et  ils  traversent  ensemble  la  Phry- 
gie,  la  Galatie,  laMysie,et  viennent  à  Troade,où  Dieu 
leur  ordonne  de  passer  en  Macédoine,  et  où  l'auteur  du 
livre  vient  se  joindre  à  eux,  puisqu'à  partir  de  cet  endroit 
il  parle  en  première  personne,  tandis  que  jusque  là  il 
parle  toujours  en  troisième.  A  Philippes,  première  ville 
qu'ils  trouvent  en  entrant  dans  la  Macédoine,  ils  opè- 
rent quelques  conversions  qui  servent  de  prétexte  à  une 
accusation  qu'on  leur  intente  de  troubler  la  ville.  Frap- 
pés de  verges  et  jetés  dans  une  prison  dont  les  portes 
s'ouvrent  d'elles-mêmes  au  milieu  delà  nuit,  ils  annon- 
cent la  parole  du  Seigneur  au  geôlier,  qui,  témoin  de  ce 
spectacle,  embrasse  la  foi  et  reçoit  le  baptême  avec  toute 


372  DU  SUJET  ET  DU   BUT 

sa  famille.  Rendus  publiquement  à  la  liberté  par  les  ma- 
gistrats eux-mêmes ,  qui  leur  font  des  excuses  de  les 
avoir  fait  battre  de  verges,  ignorant  qu'ils  fussent  ci- 
toyens romains,  Paul  et  Silas  se  rendent  à  Thessaloni- 
que  ;  nouvelles  conversions  ;  mais  aussi  nouvelle  persé- 
cution de  la  part  des  Juifs,  ce  qui  les  oblige  à  quitter 
secrètement  de  nuit  cette  ville  pour  venir  à  Béroé,  où 
de  plus  grands  succès  les  attendaient.  Instruits  de  ce 
qui  se  passe  dans  cette  dernière  ville,  les  Juifs  de  Thes- 
salonique  y  accourent  bientôt  et  parviennent  à  soulever 
le  peuple  ;  mais  les  fidèles  se  hâtent  de  faire  sortir  Paul 
et  le  conduisent  jusqu'à  Athènes,  où  ses  prédications 
faites  dans  l'aréopage  même  ramènent  quelques  païens 
au  christianisme.  Au  sortir  d'Athènes  le  grand  apôtre 
vient  à  Corinthe  ;  il  y  trouve  Aquilas  et  Priscille,  et  se 
joint  à  eux.  Après  un  séjour  de  dix-huit  mois  à  Corin- 
the, où  il  opère  quelques  conversions  malgré  l'ardente 
opposition  des  Juifs,  il  s'embarque  pour  aller  en  Syrie, 
et  va  à  Ephèse,  de  là  à  Jérusalem.  Il  revient  ensuite  à 
Antioche  de  Syrie  et  parcourt  la  Galatie  et  la  Phrygie. 
Il  se  rend  de  nouveau  à  Ephèse  ;  il  y  reste  pendant  deux 
ans  en  faisant  de  grands  miracles;  puis  il  passe  en  Ma- 
cédoine, et  de  Macédoine  en  Grèce,  d'où  après  un  sé- 
jour de  trois  mois  il  revient  à  Troade;  c'est  là  que  pen- 
dant un  discours  qui  se  prolonge  jusqu'au  milieu  de  la 
nuit,  il  ressuscite  un  jeune  homme  nommé  Eutyque,  qui 
était  tombé  par  une  fenêtre.  Paul  reste  seulement  sept 
jours  à  Troade,  qu'il  quitte  pour  se  rendre  à  Milet.  ?\e 
voulant  pas  s'arrêter  à  Ephèse,  il  fait  venir  les  prêtres 
de  cette  église ,  qu'il  exhorte  à  remplir  fidèlement  leur 
ministère,  en  leur  annonçant  en  même  temps  les  tribu- 
lations qui  l'attendent  à  Jérusalem.  De  Milet,  le  saint 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  373 

apôtre  vient  d'abord  à  Tyr,  où  il  demeure  également 
sept  jours;  puis  passant  par  Ptolémaïde,  il  vient  à  Césa- 
rée,  et  se  rend  de  là  à  Jérusalem .  Les  Juifs  le  voyant  dans 
le  temple  excitent  le  peuple  contre  lui;  la  cohorte  qui 
gardait  le  temple  l'arrache  de  leurs  mains  et  le  mène  à 
la  forteresse;  une  harangue  qu'il  adresse  à  la  multitude 
ne  fait  qu'augmenter  la  rage  de  ses  persécuteurs.  Des 
cris  de  mort  se  font  entendre  de  toutes  parts  dans  l'as- 
semblée; le  tribun  veut  lui  faire  donner  la  question  en 
le  fouettant,  mais  Paul  l'en  détourne  en  déclarant  sa 
qualité  de  citoyen  romain.  Pendant  qu'il  est  enfermé 
dans  la  forteresse,  Jésus-Christ  lui  apparaît  et  lui  an- 
nonce qu'il  faut  qu'il  lui  rende  témoignage  dans  Rome. 
Cependantle  tribun,  averti  que  quelques  ennemis  dePaul 
se  sont  engagés  par  serment  à  le  tuer,  l'envoie  secrète- 
ment de  nuit  à  Césarée,  au  gouverneur  Félix.  Là,  cinq 
jours  après  son  arrivée,  Paul,  accusé  par  le  grand  prêtre, 
qui  était  venu  avec  quelques  sénateurs,  et  qui  demandait 
sa  mort,  défend  noblement  sa  cause.  Félix,  prétextant 
qu'il  désire  d'autres  informations,  le  remet  à  une  autre 
audience,  mais  il  le  fait  garder  moins  étroitement.  Quel- 
ques jours  après  il  le  fait  venir,  l'écoute,  et  comme  il  est 
effrayé  par  ses  discours,  il  le  renvoie  et  le  laisse  en  pri- 
son. Deux  ans  se  passent  ainsi,  et  Porcins  Festus  ayant 
succédé  à  Félix,  les  Juifs  renouvellent  auprès  de  lui  leurs 
accusations  contre  Paul,  et  Paul,  de  son  côté,  persiste 
toujours  à  soutenir  que  n'ayant  rien  fait  ni  contre  la  loi 
des  Juifs,  ni  contre  le  temple,  ni  contre  César,  personne 
n'avait  droit  de  le  livrer  à  ses  persécuteurs,  et  finit  par 
appeler  à  César  ;  sur  quoi  Festus  répond  qu'il  ira  de- 
vant César,  puisqu'il  l'a  demandé.  Sur  ces  entrefaites, 
Agrippa ,  roi  de  la  Trachonite ,  étant  venu  à  Césarée 


374  DU   SUJET   ET     DU   BUT 

avec  Bérénice  sa  sœur,  désire  voir  Paul  ;  Festus  le  lui 
présente.  Sur  la  permission  qui  lui  est  accordée  par  ce 
roi  de  parler  pour  sa  défense,  Paul  fait  un  discours  dans 
lequel  il  se  justifie  d'une  manière  si  complète,  qu'Agrippa, 
Festus,  Bérénice,  et  tous  ceux  qui  étaient  assis  avec  eux, 
sont  forcés  de  reconnaître  qu'il  n'a  rien  fait  qui  mérite 
la  mort,  et  qu'il  pourrait  être  renvoyé  absous  s'il  n'eût 
appelé  à  César.  Paul  est  donc  mis  dans  un  vaisseau  pour 
être  transporté  à  Rome.  Pendant  le  voyage  une  violente 
tempête  s 'élève  ;  mais  Dieu  promet  à  Paul  de  conserver 
la  vie  sauve  à  tous  ceux  qui  sont  avec  lui.  Le  vaisseau 
se  brise,  et  tous  parviennent  en  effet  à  se  sauver  en  abor- 
dant dans  l'île  de  Malte,  où  Paul  demeure  trois  mois, 
pendant  lesquels  il  opère  sur  un  grand  nombre  de  ma- 
lades des  guérisons  miraculeuses.  Au  bout  de  ces  trois 
mois  il  part  pour  Rome;  il  reste  dans  cette  ville  pendant 
deux  ans  avec  permission  de  demeurer  où  il  voudra,  mais 
sous  la  garde  d'un  soldat.  Le  saint  apôtre  profite  de  la 
liberté  qu'onlui  laisse  pour  prêcher  aux  Juifs  et  aux  gen- 
tils le  royaume  de  Dieu  et  l'Évangile  du  Seigneur  Jé- 
sus. Le  livre  des  Actes  s'arrête  ici,  et  ne  nous  dit  rien 
de  l'histoire  ultérieure  de  saint  Paul,  ni  de  sa  mort. 

2.  On  voit  par  l'analyse  que  nous  venons  de  donner 
des  Actes,  et  dans  laquelle  nous  avons  tâché  de  faire 
ressortir  tous  les  traits  principaux  dont  il  est  question 
dans  ce  livre,  que  l'auteur  n'a  eu  en  vue  ni  de  décrire 
tous  les  travaux  des  apôtres,  ni  tous  ceux  de  saint  Paul, 
ni  par  conséquent  de  donner  une  histoire  complète  de 
l'église  d'Antioche.  Mais  quel  a  donc  été  le  but  que  cet 
auteur  s'est  précisément  proposé?  c'est  sur  quoi  les  in- 
terprètes ne  s'accordent  point  parfaitement.  Michaëlis 
émet  plusieurs  opinions  ;   il  dit  d'abord  que  l'écrivain 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  375 

sacré  semble  avoir  eu  un  double  but  :  1°  de  rapporter 
comment  les  dons  du  Saint-Esprit  furent  communiqués 
le  jour  de  la  Pentecôte,  et  les  miracles  opérés  par  les 
apôtres  pour  confirmer  la  vérité  du  christianisme,  un  ré- 
cit authentique  sur  ce  sujet  étant  absolument  nécessaire 
pour  montrer  que  les  prédictions  de  Jésus-Christ 
avaient  été  littéralement  accomplies;  2"  de  publier  les 
récits  qui  prouvaient  le  droit  des  gentils  d'être  incorpo- 
rés à  l'Église  chrétienne,  droit  qui  était  vivement  con- 
testé par  les  Juifs,  surtout  au  temps  où  furent  écrits  les 
Actes,  puisque  ce  fut  cette  circonstance  qui  excita  la 
haine  des  Juifs  contre  saint  Paul  et  qui  occasionna  son 
emprisonnement  à  Rome,  emprisonnement  par  lequel 
le  livre  des  Actes  se  termine,  comme  nous  venons  de  le 
voir.  Après  avoir  exposé  ce  sentiment,  Michaëlis  ajoute: 
«  Avant  de  conclure  cette  section,  je  citerai  une  autre 
opinion  qui  se  présente  à  moi  sur  le  plan  de  saint  Luc 
en  écrivant  les  Actes  des  Apôtres.  Peut-être  voulut-il 
seulement  rapporter  les  faits  qu'il  avait  vus  lui-même, 
ou  dont  il  avait  été  instruit  par  des  témoins  oculaires. 
Quand  je  pense  au  silence  complet  qu'il  garde  sur  la 
;  prompte  propagation  du  christianisme  à  Edesse,  jere- 
I  garde  cette  opinion  comme  assez  vraisemblable.»  Nous 
ajouterons  que  la  première  opinion  émise  par  Michaëlis 
est  aussi  celle  de  Griesbach  (1). 

De  son  côté,  Eichhorn  veut  que  l'auteur  des  Actes  ait 
eu  en  vue  trois  objets  différens,  le  premier  de  décrire 
les  missions  apostoliques  dont  Jérusalem  a  été  le  centre; 

(1)    J.   D.  Michaëlis,  Introduction  au  Nouveau-Testament,  t.  m, 
pag.  412-414,  édit.  de  Levade.  — J.  J.  Griesbach,  De  comilio  quo 
scriptor  in  Actibus  Apostolicis  concinandis  duclus  fuerit.  Jtiiœ,  1798, 
i  ia-40. 


376  DU  SUJET   ET   DU  BUT 

le  second,  de  raconter  celles  dont  Antioche  fut  aussi  le 
centre  ;  le  troisième,  de  nous  instruire  de  l'emprisonne- 
ment de  saint  Paul.  Au  moyen  de  cette  hypothèse,  le  cri- 
tique allemand  croit  rendre  raison  de  ce  que  l'auteur 
rapporte  aussi  bien  que  de  ce  qu'il  omet  dans  sa  narra- 
tion (1). 

Le  docteur  Benson  pense  qu'il  a  voulu  donner  une  re- 
lation succinte  1°  de  la  conversion  des  Juifs  ;  et  c'est, 
selon  lui,  ce  qu'il  fait  depuis  le  commencement  de  son 
livre  jusqu'au  chapitre  x;  2»  de  l'établissement  de  l'E- 
vangile parmi  les  prosélytes  de  la  Porte  (2)  ;  ce  qu'il  fait 
depuis  le  chapitre  x  jusqu'au xiii  ;  3°  delà  propagation 
de  l'Evangile  parmi  les  gentils  idolâtres  ;  ce  qu'il  fait  de- 
puis le  chapitre  xiii  jusqu'à  la  fin  de  son  livre,  sans 
toutefois  négliger  de  rapporter  les  progrès  plus  éten- 
dus de  l'Évangile  tant  parmi  les  Juifs  que  parmi  les 
prosélytes  (3). 

Quant  à  nous,  bien  que  chacune  de  ces  opinions  pré- 
sente quelques  probabilités,  nous  croyons  cependant 
qu'il  est  plus  naturel  de  supposer  que  l'auteur  des  Actes 
a  eu  pour  objet  principal  de  présenter  un  récit  général 
et  comme  un  spécimen  de  l'établissement  de  l'Evangile 
parmi  les  Juifs  et  les  gentils,  surtout  par  les  travaux 
apostoliques  de  saint  Paul.  Ainsi  il  parle  d'abord  de  la 
fondation  de  l'Église  chrétienne  à  Jérusalem  ;  comme 
c'était  par  l'Esprit  saint  qu'elle  devait  être  établie,  il  con- 
venait que  cet  auteur  racontât  l'effusion  miraculeuse  de 
ses  dons  et  de  ses  grâces;   et  comme  c'était  JÉsus- 

(1)  J.  G.  Eichhorn,  Einleii.  in  das  JVeueTesl.  §  146,  147. 

(2)  Voy.  notre  Archéologie  biblique,  pag.  602. 
{Z)  A  history  of  the  first  planting   of  clnistianily  taken   from    thel 

Acts  of  ifie  Aposiles  and  tlicir  Epislles,  etc.,  by  George  Benson. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  377 

Christ  monté  aux  cieux  qui  devait  envoyer  cet  Esprit 
divin ,  le  récit  de  l'ascension  se  trouvait  par  là  même 
faire  partie  essentielle  de  la  narration.  Ajoutons  que  les 
apôtres  ayant  été  choisis  par  le  Sauveur  lui-même  pour 
servir  d'instrumens  dans  ce  grand  œuvre,  il  ne  pouvait 
passer  sous  silence  l'élection  de  Matthias,  qui  en  complé- 
tait le  nombre.  Dans  l'hypothèse  qu'il  ait  voulu  tracer 
le  tableau  général  tel  que  nous  venons  de  l'énoncer,  ne 
devait-il  pas  aussi  faire  entrer  dans  son  plan  non  seule- 
ment les  prédications,  les  miracles  et  les  conversions 
faites  par  saint  Pierre,  l'apôtre  des  Juifs,  mais  encore  la 
vie  sainte  et  édifiante  des  premiers  chrétiens,  l'institu- 
tion des  premiers  diacres,  et  les  persécutions  d'Hérode 
contre  les  apôtres  et  la  mort  de  ce  roi  persécuteur?  Et 
puisque,  d'un   autre  côté,  il  se  proposait  de  décrire 
aussi  l'établissement  de  l'Évangile  parmi  les  gentils,  il 
fallait  de  toute  nécessité  qu'il  racontât  la  dispersion  des 
apôtres  hors  de  Jérusalem,  dispersion  par  laquelle  il  de- 
vait s'opérer.  De  là  les  récits  de  la  conversion  des  Sama- 
ritains, du  baptême  donné  à  Corneille  le  centenier  et  à 
l'eunuque  de  la  reine  Candace,  enfin  la  fondation  de 
l'église  d'Antioche,  viennent  encore  se  placer  tout  na- 
turellement dans  son  cadre.  Mais  comme  c'était  princi- 
palement par  saint  Paul  que  le  grand  ouvrage  du  salut 
des  gentils  devait  s'accomplir,  n'était-il  pas  tout  naturel 
que  l'historien  sacré  rapportât  fidèlement  dans  sa  nar- 
ration, soit  la  conversion  du  grand  apôtre,  son  ordina- 
tion, ses  prédications,  ses  voyages,  ses  missions,  son 
emprisonnement,  soit  les  contestations  occasionnées  par 
la  circoncision  et  la  décision  du  concile  de  Jérusalem  qui 
les  termina?  De  plus,  si  l'on  considère  qu'Antioche 
était  la  première  église  des  gentils,  que  c'était  dans  cette 


378  DU   SUJET   ET  DU   BUT 

église  que  saint  Paul  avait  reçu  l'imposition  des  mains 
et  sa  mission  apostolique,  on  ne  trouvera  pas  étonnant 
que  l'auteur  des  Actes  mentionne  ses  fréquens  voyages 
et  son  séjour  dans  cette  ville,  et  qu'il  nous  la  représente 
elle-même  comme  le  centre  de  ses  excursions  apostoli- 
ques. 

En  adoptant  après  la  plupart  des  anciens  interprètes 
l'opinion  que  nous  venons  d'exposer,  nous  ne  nions  pas 
cependant  que  l'auteur  des  Actes  ait  eu  aussi  en  vue  de 
faire  l'apologie  de  saint  Paul  ;  cette  hypothèse  même 
n'est  pas  contraire  à  notre  sentiment;  et,  dans  tous  les 
cas,  l'analyse  du  contenu  des  Actes  suffirait  seule  pour 
prouver  à  tout  lecteur  attentif  que  ce  but  dans  l'esprit 
de  l'historien  sacré  paraît  n'avoir  été  que  secondaire.  Il 
faut  surtout  bien  remarquer  que  quand  nous  avons  dit 
que  le  but  principal  de  l'auteur  des  Actes  avait  été  de 
présenter  un  récit  général  de  l'établissement  de  l'É- 
glise chrétienne  parmi  les  Juifs  et  les  gentils,  nous  avons 
ajouté  que  nous  ne  considérions  ce  récit  général  que 
comme  un  spécimen^  c'est-à-dire  un  simple  aperçu,  et 
non  point  comme  une  histoire  détaillée  de  tous  les  faits  ; 
et  par  là  nous  prévenons  l'objection  qu'on  pourrait  nous 
faire,  que  l'auteur  a  omis  une  foule  de  traits  qui  entrent 
tout  naturellement  dans  le  plan  d'un  écrivain  qui  a  en- 
trepris de  composer  une  histoire  complète.  Or,  que  l'au- 
teur des  Actes  ait  voulu  réellement  se  borner  à  un  simple 
aperçu  général,  c'est  ce  dont  on  ne  peut  guère  douter,  il 
nous  semble,  quand  on  considère  que,  bien  que  la  par- 
tie la  plus  considérable  du  livre  soit  consacrée  à  l'his- 
toire de  saint  Paul ,  il  ne  donne  qu'un  seul  exemple 
de  chacune  des  choses  que  le  grand  apôtre  a  dites  ou 
a  faites.  Ainsi,  il  ne  rapporte  de  lui  qu'un  seul  discours 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  379 

dogmatique,  celui  qu'il  prononça  dans  la  synagogue  à 
Antioche  de  Pisidie;  qu'un  seul  discours  aux  gentils, 
celui  qu'il  tint  dans  l'aréopage;  qu'un  seul  discours  d'a- 
dieu, celui  qu'il  fit  à  Milet  ;  qu'une  seule  harangue  pour 
apaiser  le  peuple  à  Jérusalem  ;  enfin  qu'un  seul  discours 
apologétique,  ou  tout  au  plus  deux,  prononcés  l'un  de- 
vant le  gouverneur  romain  Félix,  l'autre  devant  Festus 
son  successeur,  et  le  roi  Agrippa.  Par  le  même  prin- 
cipe, l'auteur  des  Actes  ne  parle  que  d'une  seule  flagel- 
lation, celle  que  le  saint  apôtre  eut  à  souffrir  à  Phi- 
lippes,  il  ne  rapporte  que  la  vision  dont  il  fut  favorisé  à 
Jérusalem,  et  il  ne  cite  que  le  naufrage  qu'il  essuya 
quand  il  allait  à  Rome  par  suite  de  son  appel  au  tribu- 
nal de  César. 


CHAPITRE  DEUXIEME. 

DE   l'authenticité    DES  ACTES   DES   APOTRES. 

Les  incrédules  ont  voulu  jeter  du  doute  sur  l'origine 
authentique  des  Actes  des  Apôtres  aussi  bien  que  sur  les 
autres  parties  du  Nouveau-Testament  ;  il  est  possible, 
disent-ils,  que  dans  la  confusion  qui  suivit  la  ruine  de 
Jérusalem,  quelques  chrétiens  aient  composé  les  livres 
que  nous  avons,  en  les  attribuant  aux  apôtres.  De  leur 
côté,  les  partisans  de  l'interprétation  mythique,  dont  le 
système  est  inconciliable  avec  l'authenticité  de  ces  di- 
vins écrits,  se  sont  vus  forcés  de  soutenir  ou  que  le  livre 
des  Actes  n'était  point  l'ouvrage  de  saint  Luc,  ou  que  cet 
écrivain  a  puisé  plusieurs  de  ces  documens  à  des  sources 
peu  fidèles.  C'est  en  ce  sens,  comme  l'a  judicieusement 
remarqué  Olshausen,  qu'il  faut  entendre  les  doutes  que 


380  DE  l'authenticité 

De  Wette  a  opposés  à  l'autorité  de  ce  livre  (1) .  Les  mo- 
tifs que  nous  faisons  valoir  dans  la  proposition  suivante 
ne  permettent  pas  de  douter,  ce  nous  semble,  que  le 
livre  des  Actes  ait  été  composé  avant  la  ruine  de  Jérusa- 
lem, qu'il  soit  sorti  de  la  plume  de  saint  Luc,  et  que  cet 
écrivain  ait  été  parfaitement  informé  dans  tout  ce  qu'il 
rapporte.  Le  sujet  même,  comme  on  le  voit  déjà  par  cet 
énoncé,  et  comme  on  le  verra  plus  clairement  encore 
par  le  développement  de  notre  proposition,  nous  oblige 
à  traiter  ensemble  deux  questions  distinctes  cependant 
sous  quelque  rapport,  celles  de  l'authenticité  et  de  la 
véracité. 

PROPOSITION. 

Les  Actes  des  Apôtres  sont  un  livre  authentique  et  vé- 
ridique. 

Les  preuves  dont  nous  nous  sommes  servis  pour  éta- 
blir l'authenticité  des  Évangiles  sont  généralement  ap- 
plicables aux  Actes  des  Apôtres,  et  semblent  par  là  même 
nous  dispenser  d'en  produire  de  nouvelles  ;  cependant 
la  nature  de  certaines  difficultés  qu'on  a  opposées  à  ce 
dernier  livre  exige  une  démonstration  plus  précise  et 
toute  spéciale. 

L  Preuves  extrinsèques.  Il  n'est  pas  difficile  de 
montrer  par  les  témoignages  des  anciens  pères  de  l'E- 
glise qu'on  a  toujours  considéré  le  livre  des  Actes  comme 
un  ouvrage  dont  l'authenticité  et  la  fidélité  historique 
étaient  incontestables . 

1 .  Nous  ne  voulons  point,  comme  l'a  fait  Lardner, 

(1)  H.  Olshausen,  Biblischer  Commentar  liber sœmmtliche  Scimflen 
des  JYeuen  Testaments.  Band  ii,  Seit  566,  zweite  Aufî. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  381 

recourir  aux  écrits  des  pères  du  premier  siècle,  ni  même 
à  ceux  de  saint  Justin  martyr,  parce  que  leurs  citations 
ou  ne  sont  pas  assez  claires  et  précises,  ou  peuvent  avoir 
été  puisées  à  des  parties  de  l'Écriture  autres  que  le  livre 
des  Actes,  et  que  sous  ce  double  rapport  on  pourrait  à 
la  rigueur  nous  en  contester  la  force  probante  (1)  ;  nous 
avons  d'ailleurs  d'autres  autorités  irrécusables  en  faveur 
de  la  vérité  que  nous  soutenons .  Et  d'abord  la  première 
aulorité  de  ce  genre  que  nous  pouvons  produire  est  le 
témoignage  de  saint  Irénée,  qui  vivait  dans  le  second 
siècle,  et  qui  était  contemporain  des  disciples  immédiats 
des  apôtres,  comme  nous  l'avons  déjà  fait  observer  plus 
haut  (pag.  169).  Or,  il  est  impossible  à  un  témoin  qui 
dépose  sur  un  fait  quelconque  d'être  plus  positif  et  plus 
explicite  que  ne  l'est  ce  saint  docteur,  tant  sur  le  livre 
des  Actes  en  général  que  sur  son  auteur  et  sur  le  degré 
de  confiance  qu'il  mérite.  D'abord  il  dit  en  termes  ex- 
près que  l'auteur  des  Actes  est  saint  Luc,  compagnon 
inséparable  de  saint  Paul,  et  son  coopérateur  dans  le 
ministère  évangélique  ;  mais  il  ne  se  borne  pas  à  ce  té- 

(1)  Cependant  nous  avouerons  franchement  qu'un  examen  sérieux 
de  certains  passages  des  pères  du  premier  siècle  cités  par  Lardner 
nous  ont  paru  être  empruntés  du  livre  des  Actes,  et  que  par  consé- 
quent nous  ne  partageons  pas  entièrement  l'avis  d'Eichhorn,  quand  il 
dit  [Einleil.  in  das  N.  T.  §  153),  qu'aucun  père  antérieur  à  saint  Iré- 
née et  à  Clément  d' Alexandrie  n'a  fait  usage  dans  ses  citations  du 
livre  des  Actes.  Il  est  vrai  que  le  savant  écrivain  ajoute  d'une  ma- 
nière sûre  et  qui  exclut  le  doute  {keine  sichere  Spur...  auf  eine  un- 
zweifelhafle  Weise)  ;  mais  les  raisons  qu'il  donne  dans  la  discussion 
des  passages  ne  sont  certainement  pas  toujours  assez  fortes  et  assez 
plausibles  pour  constituer  un  véritable  doute.  Nous  laissons  au  sur- 
plus aux  lecteurs  capables  de  porter  un  jugement  sur  ce  point,  de  dé- 
cider la  question. 


382  DE  l'authenticité 

moignage  ;  il  rappelle  encore  l'histoire  de  la  conversion 
et  de  la  vocation  de  saint  Paul  aux  travaux  apostoliques  ; 
il  rassemble  même  les  différens  textes  dans  lesquels  l'au- 
teur des  Actes  est  représenté  comme  accompagnant  le 
grand  apôtre;  en  sorte  qu'il  nous  donne  positivement 
le  sommaire  des  douze  derniers  chapitres  presque  en 
entier.  Enfin  le  saint  docteur  va  plus  loin  encore  ;  il 
s'attache  à  prouver  que  saint  Luc,  inspiré  par  la  vérité 
même,  a  écrit  son  livre  non  seulement  avec  la  plus 
grande  exactitude,  mais  encore  éloigné  de  tout  esprit 
de  mensonge  et  d'orgueil,  et  ayant  une  connaissance 
exacte  de  toutes  choses,  puisqu'il  avait  été  le  compa- 
gnon et,  qui  plus  est,  le  coopérateur  des  apôtres  et  sur- 
tout de  Paul,  qui  lui  rend  lui-même  ce  témoignage  dans 
ses  Epîtres  (1).  Pour  mieux  comprendre  tout  le  poids 

(1)  «  Si  quis  igitur  diligenter  ex  Actibus  Âpostolorum  scrute- 
tur,  etc..  Sic  est  consonans,  et  velut  eadem  tam  Pauli  annunîialio, 
quàm  et  Lucse  de  apostolistesiificalio  (Iren.  Conir.hœr es.  L  ni,  c.xiii, 
n.  3)...Quoniara  autem  is  Lucas  inseparabilis  fuit  a  Paulo,  et  coopera- 
rius  ejus  in  Evangelio,  ipse  facit  nianifestum,  non'glorians,  sed  ab  ipsa 
productus  (seu  poùus  compulsas  ut  critici  viri  putant)  veritate  (c.  xiv, 
n.  1)...  Et  reliqua  omnia  ex  ordine  cuni  Paulo  refert,  omni  diligentia 
demonstrans  et  loca,  et  civitates  et  quantitalem  dierum,  etc..  Om- 
DÎbus  his  cum  adesset  Lucas,  dib'genter  conscripsit  ea,  uti  neque 
mendax,  neque  elatus  deprehendi  possit,  eo  quod  omnia  hœc  con- 
statent, et  seniorem  eum  esse  omnibus  qui  nunc  abud  docent,  neque 
ignorare  veritafem.  Quoniam  non  solum  prosequutor,  sed  et  coope- 
rarius  fuerit  âpostolorum,  maxime  autem  Pauli,  et  ipse  autem  Paulus 
œanifestavit  in  Epistolis,  dicens  :  Demas  me'dereliquit,  et  abiit  Thes- 
salonicam,  Crescens  in  Galaliam,  Titus  in Dalmatiam  :  Lucas  estmecum 
solus  (2  Tim.  iv,  9-11).  Unde  oslendit  quod  semper  junctus  ei  et  in- 
separabilis fuerit  ab  eo.  Et  iterum  in  epistola  quae  est  ad  Colossenses 
(iv,  14),  ait  :  Salutat  vos  Lucas  medicus  dilectus  (Ibid.).n 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  383 

de  l'autorité  de  saint  Irénée  sur  cette  matière,  il  faut  se 
rappeler  ce  que  nous  avons  déjà  dit  (pag.  169)  de  ce 
savant  père  quand  nous  avons  produit  son  témoignage 
en  faveur  de  l'authenticité  de  nosÉvangiles.  Ainsi  il  est 
manifeste  que  dans  la  seconde  moitié  du  deuxième  siècle 
le  livre  des  Actes  des  Apôtres  était  reconnu  pour  l'ou- 
vrage de  saint  Luc,  auteur  véridique,  dans  l'église  des 
Gaules,  qui  considérait  Irénée  comme  le  digne  repré- 
sentant de  sa  foi. 

En  Afrique,  nous  trouvons  à  la  même  époque  un  autre 
témoin  illustre  de  l'authenticité  du  livre  dont  nous  nous 
occupons,  c'est  le  fameux  Tertullien.  Ce  savant  docteur 
cite  expressément  en  effet  à  l'appui  des  doctrines  qu'il 
enseigne  plusieurs  passages  pris  de  vingt  chapitres  dif- 
férens  des  Actes  des  Apôtres,  qu'il  désigne  tantôt  sous 
ce  môme  titre,  Acta  apostolica,  Apostolorum  Acta ;  tan- 
tôt sous  le  nom  d'Instrument  des  Actes:  Instrumentum 
Actorum  ;  tantôt  enfin  sous  celui  de  Commentaire  de 
saint  Luc  :  Commentarius  Lucœ.  Mais  ce  qu'il  im- 
porte surtout  de  remarquer  par  rapport  à  la  confiance 
que  méritent  les  Actes,  c'est  que  Tertullien  fait  obser- 
ver combien  les  Epîtres  de  saint  Paul  confirment  la  vé- 
rité des  faits  rapportés  dans  ce  livre ,  se  fondant  avec 
raison  sur  ce  qu'il  y  a  un  accord  parfait  entre  le  con- 
tenu de  ces  deux  ouvrages  (1). 

(1)  «  Exinde,  decurrens  (Paulus)  ordinem  conversionis  suae,  de 
persecutore  in  aposîolum,  scripluram  Actorum  apostolicorum  confir- 
mât, apud  quam  ipsa  eliamepistolaeistiusmateriarecognoscitur,  etc. 
(Tertull.  ^dv.  Marcion.  l.  v,  c.  ii)...  Et  sic  ci  ralio  constat,  Tirao- 
theura  circumcidendi,  et  rasos  introducendi  in  templum,  quae  in  Ac- 
tis  edicuntur,  adeo  vera,  ut  apostolo  consonent  profitenti  :  Factura  se 
Judaeis  Judœun),etc.  {Ibid.  c.  m).» 


384  DE   l'authenticité 

Saint  Clément  d'Alexandrie,  contemporain  de  saint 
Irénée  et  de  Tertullien,  et  digne  représentant  de  la  foi 
chrétienne  de  l'église  d'Egypte ,  dépose  aussi  favora- 
blement en  faveur  du  livre  des  Actes,  que  ces  deux 
grands  docteurs  ;  car  non  seulement  il  allègue  dans  ses 
écrits  un  assez  bon  nombre  de  passages  empruntés  tex- 
tuellement à  onze  chapitres  différens  des  Actes  des 
Apôtres,  mais  encore  il  les  cite  sous  ce  même  titre  (at 
Upà^îiç  Twv  XTroarô/wv) ,  et  il  en  attribue  la  composition  à 
saint  Luc  (1). 

Au  troisième  siècle,  Origène,  ce  père  si  savant  dans 
les  Écritures,  et  en  même  temps  si  habile  critique,  nous 
fournit,  dans  les  ouvrages  qui  sont  parvenus  jusqu'à 
nous,  une  multitude  de  textes  tirés  des  Actes  des  Apô- 
tres, qu'il  nomme  expressément,  en  se  servant  des 
mêmes  termes  que  saint  Clément  d'Alexandrie.  En  par- 
courant seulement  sa  lettre  à  Africain ,  son  traité  des 
Principes,  celui  de  la  Prière,  son  Exhortation  au  Mar- 
tyre et  son  traité  contre  Celse,  nous  avons  compté  plus 
de  vingt  passages ,  qui  sont,  non  point  de  simples  al- 
lusions faites  à  certains  événemens  ou  à  certains  dis- 
cours contenus  dans  ce  livre  ,  mais  des  citations  pro- 
prement dites  du  texte  lui-même.  Il  est  vrai  que  dans 
les  citations  dont  nous  parlons  Origène  ne  dit  rien  de 
l'authenticité  des  Actes,  mais  son  silence  même  en  est 
une  preuve  incontestable  ;  car  un  polémique  aussi  ha- 
bile que  lui  ne  se  serait  jamais  avisé  de  citer  comme  au- 
torité un  ouvrage  apocryphe,  ou  dont  la  véracité  eût 

(1)  «  Sicut  Lucas  quoque,  et  Actus  Apostolorum  stjlo  executus 
agnosceret,  et  Pauli  ad  Hehra^osinterpretatus  Epistolam(Clem.Alex. 
Fragment. Adumhr alloues  in  priorem  D.  PelriEpislolam.  pag.  1007, 
edit.  J.  Potter).» 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  385 

pu  être  mise  en  doute.  D'ailleurs,  quand,  dans  sa  lettre 
à  Africain,  ce  père,  alléguant  en  faveur  de  ce  qu'il  avance 
le  discours  de  saint  Etienne  rapporté  au  chapitre  vu 
des  Actes,  dit  (1)  «que  quiconque  reçoit  les  Actes  des 
Apôtres ,  avouera  nécessairement  que  ce  saint  disci- 
ple du  Sauveur  dit  la  vérité  :  Vera  dicere  Stepha- 
nutn  fatebitur  quicumque  recipit  Acta  Apostolorum;  ne 
prouve-t-il  point  clairement  par  là  et  le  respect  qu'il 
avait  lui-même  pour  ce  livre  divin,  et  l'autorité  que  tout 
le  monde  devait  lui  accorder?  Ajoutons  que  si  Origène 
eût  tenu  ce  livre  pour  apocryphe,  il  se  serait  bien  gardé 
de  le  prendre  pour  sujet  de  ses  homélies  (2).  Enfin  ce 
savant  père  rend  à  l'authenticité  des  Actes  des  Apôtres 
le  témoignage  le  plus  positif  et  le  plus  explicite  lorsqu'il 
s'écrie  :  «  Luc  embouche  encore  une  fois  la  trompette 
pour  raconter  les  actions  des  apôtres  (3).  :» 

Vingt  ans  après  Origène,  vivait  saint  Cyprien,  évêque 
de  Carthage.  Cet  illustre  docteur  cite  aussi  très-souvent 
des  endroits  qui  se  lisent  dans  les  Actes  des  Apôtres; 
et  ce  qu'il  faut  bien  remarquer,  c'est  que  quand  il  al- 
lègue des  passages  de  ce  livre ,  il  le  désigne  par  son 
nom  ordinaire  d'Actes  des  Apôtres,  ou  bien  il  lui  donne 
le  titre  d'Écritures  divines;  ce  qu'il  n'aurait  certaine- 
ment point  fait  pour  un  livre  sur  l'authenticité  duquel 
il  aurait  eu  quelque  doute. 

(1)  Origen.  Epist.  ad  Africanum,  n.  9. 

(2)  Ces  homélies  d'Origène  ne  sont  pas  venues  jusqu'à  nous ,  la 
quatrième  est  citée  dans  la  Philocalic  (chap.  vu)  ou  recueil  des  sclio- 
lies  de  ce  grand  docteur,  fait  par  saint  Grégoire  de  Naziauze  et  saint 
Basile,  et  publié  à  Paris,  en  1618,  in-4'3. 

(3)  Origène,  cité  par  William  Paley  dans  ses  Preuves  évidentes  du 
chrislianisme,  t.  i,  parj.  227,  édit,  Levade. 

Y,  17 


386  DE   l'authenticité 

Eusèbe  de  Césarée  ,  qui  florissait  dès  le  commence- 
ment du  iv^  siècle,  ne  se  borne  pas  à  rapporter  des  faits 
qui  sont  racontés  dans  les  Actes  des  Apôtres,  mais  il 
dit  expressément  que  saint  Luc  est  l'auteur  de  cet  ou- 
vrage, et  il  ajoute  que  cet  écrivain  termine  son  histoire 
par  la  captivité  de  saint  Paul  à  Rome,  après  avoir  fait 
mention  de  tout  ce  qui  s'était  passé  pendant  qu'il  avait 
vécu  avec  le  grand  Apôtre  (1).  Le  même  père  fait  aussi 
remarquer  que  les  sévériens,  hérétiques  qui  admettaient 
les  Prophètes  et  les  Evangiles,  en  les  expliquant  tou- 
tefois à  leur  manière  (  Iôkjôç  ) ,  rejetaient  les  Épîtres  de 
saint  Paul ,  et  ne  recevaient  pas  même  les  Actes  des 
Apôtres  (2).  Or,  cette  observation  d'Eusèbe ,  qui  se 
trouve  jointe  à  des  expressions  de  blâmé  contre  la  con- 
duite de  ces  hérétiques,  prouve  clairement  que  les  Actes 
des  Apôtres  étaient  reçus  de  son  temps  dans  l'Eglise 
chrétienne ,  aussi  bien  que  les  Prophètes  et  les  Evan- 
giles eux-mêmes. 

Saint  Epiphane  ,  contemporain  d'Eusèbe,  est  encore 
un  témoin  que  nous  pouvons  invoquer  en  faveur  de  l'au- 

(1)  Qiio  (Festo)  Judœam  procurante,  Paulus  in  judicium  adductus, 
causam  cum  dixisset,  vinctusRomam  perductus  est...  Atquehîc  Lucas 
qui  Actus  Apostolorum  literis  ira  lidit  historiœ  suœ  finem  fecit  :  Pau- 
lum  Romae  in  libéra  cusiodia  biennium  egisse,  et  verbuni  Dei  libère 
prpedicasse  testatus...  Quani  ob  causam  videtur  Lucas  Actuum  Apo- 
Btolicorura  historiamillo  tenipore  conclusisse,  cum  omnia  quœ  quara- 
diu  cum  Paulo  versalus  est,  gesta  fuerant,  commemorasset  (Euseb. 
Hist.  Eccl.  l.  II,  c.  xxii).» 

(2)  aHi(severiani)  Legem  quidem  et  Prophetas  cum  Evangeliis  ad- 
miltuut,  sed  proprio  quodam  sensu  sacras  Scripturas  exponunt.  Pau- 
lum  autem  apostolum  maledictis  impetentes,  epistolas  ejus  répudiant, 
ac  ne  Apostolorum  quidem  Actas  suscipiunt  (Euseb.  Jbid.  l.  iv, 
c.  XXI x).  » 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  387 

thenticité  et  de  la  véracité  des  Actes  des  Apôtres,  puis- 
que ce  saint  docteur  allègue  contre  les  hérétiques  près 
de  vingt  passages  empruntés  à  divers  chapitres  de  ce 
livre. 

Saint  Jérôme ,  qui  vivait  aussi  au  iv^  siècle ,  dit  que 
lors  même  que  saint  Luc  paraît  ne  nous  raconter  dans 
les  Actes  qu'une  simple  histoire  de  l'Eglise  naissante,  ce 
saint  médecin,  si  célèbre  dans  le  monde  entier  par  son 
Évangile  ,  nous  donne  dans  ce  livre  autant  de  remèdes 
propres  à  guérir  les  maladies  der  notre  âme,  qu'il  nous 
dit  de  paroles  pour  nous  instruire  (1). 

Vers  la  même  époque ,  saint  Chrysostome  se  plaint  de 
ce  que  le  livre  des  Actes  était  beaucoup  trop  négligé  de 
son  temps; car,  selon  ce  père,  plusieurs  n'en  ignoraient 
pas  seulement  l'auteur,  mais  ils  ne  savaient  pas  même 
que  cette  histoire  des  apôtres  existât.  Il  ajoute  que  c'est 
là  le  motif  qui  l'a  porté  à  en  donner  une  explication , 
ne  voulant  pas  d'ailleurs  laisser  caché  dans  les  ténè- 
bres un  trésor  si  riche  et  si  précieux  (2). 

Saint  Augustin  fait  un  reproche  aux  manichéens  de 
rejeter  l'autorité  des  Actes  des  Apôtres  et  d'en  contester 
la  vérité  :  «  Ces  hérétiques,  dit  le  saint  docteur,  ne 
pouvaient  souffrir  qu'on  lut  dans  ce  livre  que  le  Saint- 
Esprit  promis  dans  l'Evangile  par  Jésus-Christ  fut  en- 
voyé sur  ses  disciples  après  son  ascension  ;  car  leur 
aveuglement  va  jusqu'à  soutenir  que  cette  promesse  du 
Sauveur  n'a  été  accomplie  que  dans  leur  chef  Manès, 
qu'ils  font  passer  pour  ce  divin  Esprit,  abusant  d'un  si 
saint  nom,  afin  de  mieux  séduire  les  simples  et  les  igno- 

(J)  Hieron.  Epist.  103.  Paulin. 
(2)  Chrysûst.  Hom.  i  iuAcia, 


38 s  DE   L'aUTHEXTICITÉ 

rans  ;  ce  qui  suffit  seul  pour  les  exclure  de  ce  don  cé- 
leste (1).»  D'un  autre  côté,  le  même  père  nous  apprend 
que  l'Église  faisait  tant  de  cas  du  livre  des  Actes,  qu'on 
en  faisait  tous  les  ans  la  lecture  solennelle  dans  les  as- 
semblées des  fidèles  (2). 

2.  Tous  les  canons  des  Ecritures  saintes ,  même  les 
plus  anciens  qui  aient  été  faits  dans  les  difiTérentes  égli- 
ses du  monde  chrétien,  contiennent  les  Actes  des  Apô- 
tres et  attribuent  ce  livre  à  l'évangéliste  saint  Luc.  Nous 
avons  déjà  parlé  plus  haut  (pag.  173,  174)  d'un  cer- 
tain catalogue  des  livres  sacrés  découvert  par  Muratori 
dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Milan ,  et  qui 
remonte  au  moins  au  second  siècle.  Or  ce  catalogue 
comprend  entre  autres  livres  du  Nouveau-Testament, 
celui  des  Actes  des  Apôtres. 

3.  Enfin  toutes  les  anciennes  versions  du  Nouveau- 
Testament,  aussi  bien  que  toutes  les  Bibles  qui  sont  en 
usage  dans  l'Eglise  de  temps  immémorial,  contiennentles 
Actes  des  Apôtres  comme  étant  authentiques  et  comme 
faisant  partie  ders  écrits  sacés  de  la  Nouvelle  Alliance. 

Ces  preuves  extrinsèques ,  que  nous  fournissent  les 
monumens  de  l'histoire,  suffiraient  seules  sans  doute 
pour  démontrer  à  toutlecteur  de  bonne  foi  la  vérité  delà 
thèse  que  nous  soutenons  dans  notre  proposition  ;  ce- 
pendant les  argumens  intrinsèques  que  nous  ajoutons 
ici  n'en  rendront  la  démonstration  que  plus  complète. 

II.  Preuves  intrinsèques.  Pour  peu  qu'on  exa- 
mine en  lui-même  le  livre  des  Actes,  on  ne  peut  man- 

(1)  Augusî.  Epist.  237  {al.2SS)ad  Cerelium ,  et  Lihr.  de  iililitate 
crcdendi,  n.  7. 

(2)  August.  iract.  G.  in  cap.  i  Joan.  Voy.  aussi  Depyœdestinat.SS. 
c.  II,  n.  4. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  389 

quer  d'y  trouver  les  preuves  les  plus  certaines  et  les 
plus  frappantes  non  seulement  de  son  origine  authen- 
tique, mais  encore  de  l'exactitude  parfaite  de  tous  les 
récits  qu'il  contient. 

1.  Il  est  certain  que  saint  Luc  est  l'auteur  de  l'Évan- 
gile qui  porte  son  nom  ;  nous  l'avons  démontré  au  cha- 
pitre V  de  la  section  précédente.  Or  l'écrivain  qui  a  com- 
posé l'Evangile  a  aussi  composé  les  Actes  des  Apôtres  ; 
car  l'auteur  de  ce  dernier  livre  dit  à  Théophile ,  à  qui 
il  l'adresse,  qu'il  a  déjà  écrit  un  premier  ouvrage  dans 
lequel  il  rapporte  tout  ce  que  le  Sauveur  a  fait  et  en- 
seigné depuis  le  commencement  jusqu'au  jour  oii  il  s'é- 
leva dans  le  ciel  après  avoir  instruit  par  le  Saint-Esprit 
les  apôtres  qu'il  avait  choisis  :  Primutn  quidem  sermo- 
nem  feci  de  omnibus,  o  Théophile,  quœ  cœpit  Jésus 
facere,  et  docere,  usque  in  diem,  qua  prœcipiens  apo- 
stolis  per  Spiritum  sanctum,  quos  eïegit,  assumptus  est 
(Act.  I,  1,  2).  Si  maintenant  nous  cherchons  parmi  les 
écrits  évangéliques  celui  dont  l'auteur  du  livre  des  Ac- 
tes veut  parler,  nous  le  trouverons  facilement  dans  l'E- 
vangile de  saint  Luc  ;  puisque  non  seulement  il  termine 
la  narration  à  l'ascension  de  Jésus-Christ,  et  rap- 
porte par  ordre  ses  discours  et  ses  actions,  mais  qu'il 
est  le  seul  adressé  à  Théophile  :  Visum  est  mihi  assecuto 
omnia  a  principio  dilig enter ,  ex  ordine  tihi  scribere , 
optime  Théophile  (Luc.  t,  3).  Ainsi  l'histoire  de  la  vie 
de  JÉSUS,  indiquée  par  l'auteur  du  livre  des  Actes,  étant 
l'Évangile  de  saint  Luc  ,  et  ce  même  auteur  s'appro- 
priant  cet  Évangile,  nous  avons  tout  droit  de  conclure 
que  saint  Luc  est  réellement  l'auteur  des  Actes  des  Apô- 
tres, ouvrage  qui  d'ailleurs  lui  est  attribué  par  la  tra- 
dition la  plus  ancienne  et  la  plus  unanime,  comme  nous 


890  DE   l'authenticité 

venons  de  le  voir.  Il  est  vrai  que  terminer  la  narration 
à  l'ascension  du  divin  Sauveur  n'est  pas  un  caractère 
exclusivement  propre  à  l'Evangile  selon  saint  Luc,  puis- 
que c'est  par  ce  même  miracle  que  saint  Marc  finit  son 
histoire  évangélique  ;  aussi  n'est-ce  pas  sous  ce  point 
de  vue  que  nous  l'avons  fait  remarquer  ;  nous  avons 
voulu  uniquement  signaler  un  trait  frappant  de  confor- 
mité entre  l'Evangile  de  saint  Luc  et  les  Actes  des  Apô- 
tres, et  fournir  par  ce  rapprochement  une  nouvelle  dé- 
monstration en  faveur  de  ce  dernier  livre.  Or,  en  cela, 
notre  raisonnement  n'a  certainement  rien  de  répréhen- 
sible  ;  seulement  il  n'est  pas  complet ,  nous  le  savons , 
mais  la  preuve  suivante  supplée  à  tout  ce  qui  lui  man- 
que pour  l'être. 

2.  Nous  venons  de  faire  observer  que  l'Evangile  de 
saint  Luc  était  le  seul  qui  fît  mention  dans  sa  préface 
de  Théophile,  auquel  le  livre  des  Actes  est  également 
adressé,  et  que  ce  trait  de  conformité  qui  existe  exclu- 
sivement entre  ces  deux  ouvrages,  les  distinguait  suffi- 
samment par  là  même  des  Évangiles  de  saint  Matthieu, 
de  saint  Marc  et  de  saint  Jean  ;  en  sorte  que  l'Evangile 
de  saint  Luc  est  le  seul  qui  puisse  raisonnablement  être 
attribué  à  l'auteur  du  livre  des  Actes;  mais  nous  avons 
un  autre  motif  plus  puissant  peut-être  de  juger  ainsi. 
Il  est  évident  pour  quiconque  est  un  peu  versé  dans  ces 
matières,  que  le  style  et  la  manière  de  saint  Luc  sont 
tout-à-fait  différens  du  style  et  de  la  manière  des  trois 
autres  évangélistes.  Or,  il  n'est  pas  moins  évident  que  le 
style  de  l'évangéliste  saint  Luc,  sa  manière  de  raconter 
et  de  présenter  les  faits,  sont  absolument  les  mêmes  que 
l'on  remarque  dans  l'auteur  du  livre  des  Actes  ;  au  point 
que  lorsque  l'on  compare  les  deux  ouvrages,  il  estim- 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  391 

possible  de  ne  pas  reconnaître  qu'ils  forment  comme  les 
deux  parties  d'une  môme  histoire,  et  que  l'un  n'est  que 
la  continuation  de  l'autre. 

3.  Les  Epîtres  de  saint  Paul  sont  authentiques;  qu'on 
nous  permette  ici  cette  assertion,  elle  est  anticipée;  mais 
nous  prenons  l'engagement  d'en  établir  plus  tard  la  vé- 
rité par  les  raisons  les  plus  solides  et  les  plus  convain- 
cantes. Or,  l'authenticité  de  ces  Epîtres  prouve  l'origine 
authentique  et  la  véracité  des  Actes.  En  effet,  dans  ce 
dernier  livre  nous  voyons  décrits  jusque  dans  leurs 
moindres  détails  les  voyages  de  saint  Paul,  sa  doctrine, 
ses  sentimens  secrets ,  les  églises  qu'il  a  fondées ,  les 
diverses  persécutions  qu'il  a  souffertes.  Or  ,  sans  le  li- 
vre des  Actes,  il  serait  impossible  de  comprendre  les 
Epîtres  du  grand  Apôtre;  on  rencontrerait  en  mille  en- 
droits des  allusions  obscures  qu'on  chercherait  en  vain 
à  comprendre  ;  tandis  qu'en  supposant  l'authenticité  des 
Actes  des  Apôtres,  tout  se  trouve  facilement  éclairci.  II 
faut  donc  que  ce  livre,  qui  sert  comme  de  commentaire 
aux  Epîtres  de  saint  Paul,  ait  été  composé  par  un  de  ses 
disciples,  qui  non  seulement  l'a  suivi  partout  dans  ses 
voyages,  mais  qui  a  eu  avec  lui  les  rapports  les  plus  in- 
times. Or,  quel  est  le  disciple  qui  réunit  ces  qualités, 
si  ce  n'est  saint  Luc,  le  compagnon  fidèle  de  l'Apôtre, 
comme  la  tradition  nous  l'apprend?  Ainsi  les  Epîtres  de 
saint  Paul  nous  offrent  une  preuve  certaine  de  l'authen- 
ticité et  de  la  véracité  des  Actes  des  Apôtres. 

k.  Une  des  preuves  les  plus  fortes  sur  lesquelles  on 
puisse  fonder  l'authenticité  et  la  véracité  d'un  livre,  ce 
sont  certaines  coïncidences  minutieuses  entre  les  faits 
qu'il  contient  et  ce  que  d'autres  documens  nous  appren- 
nent des  mœurs  et  de  l'histoire  des  mêmes  temps.  Or, 


392  DE  l'authenticité 

plus  on  étudie  les  Actes  des  Apôtres  ,  et  plus  on  y  dé- 
couvre ce  caractère  d'une  manière  frappante.  Les  rap- 
prochemens  suivans  ne  laisseront  certainement  au  lec- 
teur aucun  doute  à  cet  égard  (1). 

On  lit  dan^  les  Actes  (m,  1)  :  «  Et  comme  Pierre  et 
Jean  montaient  ensemble  au  temple  à  l'heure  de  la 
prière,  qui  se  faisait  à  la  neuvième  heure  du  jour.»  Or 
l'historien  Joseph  nous  apprend  de  son  côté  (Antiq. 
1.  XXV,  c.  vu,  §  8)  que  a  les  prêtres  faisaient  deux  fois 
le  jour  leurs  fonctions  à  l'autel,  le  matin  et  à  la  neu- 
vième heure.  » 

Au  chapitre  iv,  1  des  Actes,  il  est  dit  :  «  Mais  comme 
ils  parlaient  au  peuple,  les  prêtres,  le  capitaine  des  gar- 
des du  temple  et  les  saducéens  survinrent.  »  Or  le  même 
Joseph  rapporte  (De  Bell.  1.  ii,  c.  xtii,  §  2)  qu'É- 
léazar,  fils  du  grand  prêtre  Ananias,  jeune  homme  plein 
de  courage  et  de  résolution,  et  qui  était  alors  caintaincy 
se  trouvant  dans  le  temple,  persuada  à  ceux  qui  exer- 
çaient le  ministère  sacré  de  ne  point  recevoir  les  dons 
ou  les  sacrifices  des  étrangers.  »  —  Au  verset  6  de  ce 
même  chapitre  iv  des  Actes ,  Anne  est  appelé  grand 
prêtre,  quoique  Gaïphe  en  remplît  alors  les  fonctions. 
Or  Joseph  ne  parle  pas  autrement,  lorsqu'il  dit  (De  Bell. 

(1)  Nous  devons  cet  exposé  à  W.  Paley,  qui  l'a  lui-même  emprunté 
de  Lardner.  Mais  nous  n'avons  point  suivi  notre  guide  pas  à  pas.  D'a- 
bord il  a  mêlé  ensemble  les  Évangiles,  les  Actes  et  les  Épîtres;  puis 
il  a  interrompu  la  suite  des  chapitres,  tandis  que  nous  avons  choisi  ce 
qd  regarde  exclusivement  les  Actes,  et  que  nous  avons  suivi  fidèlement 
l'ordre  observé  dans  le  livre  même.  Il  faut  remarquer  de  plus  que 
nous  avons  ajouté  de  nouvelles  autorités,  et  que  quand  nous  disons  Pa- 
ley, nous  l'entendons  de  Levade,  son  éditeur  français,  dont  nous  avons 
aussi  parfois  changé  la  traduction. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  39 S 

1.  XI,  c.  XII,  §  6)  :  «  On  choisit  alors  pour  gouverneur 
en  chef  de  la  ville,  Joseph,  fils  de  Gorion  et  le  grand 
prêtre  Ananus.  »  Cependant  cet  Ananus,  quoique  dési- 
gné sous  le  titre  de  grand  prêtre,  n'exerçait  pas  dans  ce 
moment  la  souveraine  sacrificature.  La  vérité  est  que 
les  écrivains  du  Nouveau-Testament  donnaient  un  sens 
assez  indéterminé  à  ce  titre;  ils  l'attribuaient  quelque- 
fois exclusivement  à  la  personne  qui  était  actuellement 
dans  l'exercice  des  fonctions  attachées  à  cette  dignité  ; 
quelquefois  à  une  seconde  et  même  à  une  troisième  qui 
les  partageait  ou  qui  les  avait exercées;]d'autres  fois  enfin 
à  tels  prêtres  qui  se  trouvaient  distingués  par  leur  ca- 
ractère ou  par  leur  place  (Marc,  xiv,  53) .  Et  encore  ici 
Joseph,  adoptant  ce  langage,  parle  sur  ce  sujet  d'une 
manière  aussi  indéterminée.  » 

Au  chapitre  v,  17  des  Actes,  on  lit  :  «  Alors  le  grand 
prêtre  et  tous  ceux  qui  étaient  comme  lui  de  la  secte  des 
saducéens  furent  remplis  d'envie.»  L'auteur  nous  in- 
sinue ici  que  le  grand  prêtre  était  saducéen,  et  l'on  ne 
se  serait  pas  attendu  à  trouver  un  homme  de  cette  secte 
dans  une  place  aussi  élevée  ;  cependant  quelque  extra- 
ordinaire que  soit  cette  circonstance,  elle  n'est  pas  sans 
exemple;  car  voici  ce  que  dit  Joseph  (Ant.  l.xii,  c.  x, 
§  6,  7)  :  ((  Jean  Hyrcan ,  grand  prêtre  des  Juifs,  aban- 
donna les  pharisiens  par  suite  de  quelque  mécontente- 
ment, et  se  réunit  au  parti  des  saducéens.  » 

Act.  V,  37.  «Parut  ensuite  Judas  le  Galiléen  lorsque 
se  fit  le  dénombrement  du  peuple,  et  il  attira  beaucoup 
de  monde  à  son  parti.  »  Ce  trait  se  trouve  littéralement 
confirmé  par  le  passage  suivant  de  Joseph  :  «Il  (c'est- 
à-dire  celui  que  l'historien  nomme  ailleurs  Judas  de  Ga- 
lilée) en  persuada  plusieurs  de  ne  pas  se  faire  enregis- 

17. 


894  DE  l'authenticité 

trer,  lorsque  le  censeur  Cyrénius  fut  envoyé  en  Galilée 

(De  Bell.  1.  vil).  » 

Act.  XI,  27,  28.  a  En  ce  même  temps  quelques  pro- 
phètes vinrent  de  Jérusalem  à  Aniioche  ;  l'un  d'eux, 
nommé  Agabus,  se  levant,  prédit  par  inspiration  qu'il  y 
aurait  une  grande  famine  par  tout  le  pays,  ce  qui  arriva  en 
effet  sous  Claude .»  Cette  prédiction  coïncide  parfaitement 
avec  ce  que  dit  l'historien  juif  :  «  De  leur  temps  (c'est-à- 
dire  vers  la  cinquième  ou  sixième  année  de  Claude),  une 
grande  famine  survint  en  Judée  (Ant.  l.xx,  c.iv,  §2).  » 

Act.  XII,  1.  «Dans  ce  même  temps,  le  roi  Hérode  se 
mit  à  maltraiter  quelques-uns  de  ceux  qui  étaient  de  l'É- 
glise. »  La  fin  de  ce  même  chapitre  (verset  23) ,  nous 
apprend  que  la  mort  de  ce  prince  suivit  de  près  cette 
persécution.  Or,  l'exactitude  de  l'historien  sacré,  ou  plu- 
tôt cette  coïncidence  naturelle  de  sa  narration  avec  la 
vérité,  est  des  plus  manifestes.  En  effet,  dans  les  trente 
années  antérieures  à  cette  persécution  et  dans  toute  la 
suite  des  temps,  on  ne  trouve  aucune  époque  à  laquelle 
on  ait  vu  un  roi  à  Jérusalem,  une  personne  exerçant  en 
Judée  l'autorité  royale,  ou  bien  à  qui  ce  titre  pût  con- 
venir, excepté  dans  les  trois  dernières  années  de  la  vie 
d'Hérode  ;  et  c'est  précisément  dans  cette  période  de 
temps  que  la  narration  de  ce  fait  se  trouve  indiquée  par 
l'auteur  du  livre  des  Actes.  Ce  prince  était  le  petit -fils 
d'Hérode  le  Grand  ;  il  est  désigné  dans  les  Actes  par 
son  nom  de  famille,  Joseph  le  nomme  Agrippa.  Cet  his- 
torien nous  fournit  la  preuve  la  plus  complète  qu'il  était 
roi,  justement  ainsi  nommé  :  «  Caligula,  dit-il,  l'ayant 
fait  appeler  dans  son  palais,  lui  mit  une  couronne  sur 
la  tête  et  l'établit  roi  de  la  tétrarchie  de  Philippe,  se 
proposant  de  lui  donner  encore  la  tétrarchie  de  Lysa- 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  39& 

nias  (1).))  Le  même  historien  nous  apprend  dans  un 
autre  passage  que  ce  ne  fut  qu'après  cette  époque  que 
la  Judée  fut  réduite  à  la  domination  d'Hérode;  car  il  dit 
que  Claude  confirma  par  un  décret  l'autorité  que  Cali- 
gula  avait  conférée  à  Agrippa,  «ajoutant à  son  domaine 
la  Judée  et  Samarie,  dans  toute  leur  étendue  et  telles  que 
son  grand-père  Hérode  les  avait  possédées  (2) .  »  —  Aux 
versets  19-23  de  ce  même  chapitre  xii  des  Actes,  on  lit 
qu'Hérode  étant  passé  de  Judée  en  Césarée  où  il  s'arrêta, 
et  qu'à  un  jour  marqué  s'étant  assis  sur  son  trône,  revêtu 
de  ses  habits  royaux,  il  fit  en  public  un  discours  qui  plut 
tellement  à  la  multitude  qu'elle  s'écria  dans  ses  excla- 
mations :  C'est  la  voix  d'un  Dieu  et  non  pas  d'un  homme  ; 
qu'à  l'instant  même  un  ange  du  Seigneur  le  frappa,  parce 
qu'il  n'avait  pas  donné  gloire  à  Dieu,  et  qu'il  mourut 
rongé  de  vers.  Or  il  est  dit  de  ce  même  prince  dans  Jo- 
seph :  ((Il  s'en  alla  dans  la  ville  de  Césarée  :  là  il  célé- 
bra des  fêtes  en  l'honneur  de  César,  et  au  second  jour 
des  divertissemens,  il  se  rendit  au  théâtre  de  grand  ma- 
tin, vêtu  d'une  robe  d'argent  et  d'un  travail  précieux. 
Les  rayons  du  soleil  levant  qui  réfléchissaient  cette  bril- 
lante parure  lui  donnèrent  une  apparence  majestueuse 
et  solennelle.  Les  spectateurs  l'appelèrent  Dieu,  et  le 
sollicitèrent  de  vouloir  bien  leur  être  propice .  Nous  vous 
avons  respecté  jusqu'ici,  lui  dirent-ils;  mais  aujour- 
d'hui nous  reconnaissons  que  vous  êtes  plus  qu'un  mor- 
tel .  Le  roi  n'écarta  point  ces  adulateurs,  et  ne  repoussa 
point  ces  impies  flatteries.  Immédiatement  après  il  fut 
saisi  de  douleurs  les  plus  violentes  dans  les  entrailles.  Il 

(1)  Joseph.  Anliq.  l.  xviii,  c.  vu,  ^  10. 
(5)  Joseph,  ibid.  L  xix,  c.  v,  §  1. 


39S  DE  L'authenticité 

fut  transporté  avec  la  plus  grande  célérité  dans  son  palais, 
où  après  cinq  jours  de  souffrances  cruelles  et  continues 
il  expira  (1) .»  Le  lecteur  peut  facilement  voir  l'accord  de 
ces  deux  récits  dans  plusieurs  circonstances  de  détail; 
comme  le  lieu  (Césarée),  le  jour  marqué,  la  magnificence 
des  vêtemens,  les  acclamations  de  l'assemblée,  la  nature 
particulière  des  flatteries ,  la  satisfaction  qu'en  éprouve 
Hérode,  l'atteinte  soudaine  de  la  maladie.  Joseph,  il  est 
vrai,  ne  parle  pas  de  vers,  comme  l'auteur  des  Actes;  mais 
on  sait  que  ces  animaux  rongeurs  sont  ordinairement  un 
des  symptômes  de  la  maladie  que  décrit  l'historien  des 
Juifs,  c'est-à-dire  d'une  violente  douleur  d'entrailles. 

Act.  XIII,  6,  7.  c(  Ayant  traversé  l'île  (Chypre)  jusqu'à 
Paphos,  ils  trouvèrentun  Juif  magicien  et  faux  prophète, 
nommé  Bar-Jésu,  qui  était  avec  le  proconsul,  homme 
sage  et  prudent.  »  On  est  tenté  au  premier  abord  de 
croire  que  l'auteur  des  Actes  est  tombé  dans  une  erreur 
grossière  par  rapport  à  l'emploi  du  mot  proconsul;  mais 
en  examinant  la  chose  de  plus  près,  on  en  conclut  au 
contraire  sa  connaissance  parfaite  des  faits  qu'il  raconte, 
et  sa  grande  exactitude  dans  la  manière  dont  il  les  rap- 
porte. En  efPet,  il  est  bien  vrai  que  dans  l'empire  ro- 
main il  y  avait  deux  sortes  de  provinces,  celles  qui  ap- 
partenaient à  l'empereur  et  celles  qui  appartenaient  au 
sénat  ;  et  que  le  représentant  de  l'empereur  portait  le 
titre  de  propréteur,  et  que  celui  du  sénat  se  nommait  j9ro- 
consul;  mais  Dion  Cassius  nous  apprend  que  la  province 
de  Chypre  qui  avait  d'abord  été  assignée  à  l'empereur 
passa  ensuite  au  sénat  par  suite  de  quelques  échanges, 
et  qu'alors  le  gouverneur  romain  prit  le  titre  de  pro- 

(1)  Joseph,  ihid.  l  .xix,  c.  viii,  §  2. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  397 

consul  (1).  Mais  la  justesse  du  titre  de  proconsul  est  en- 
core plus  frappante  au  chapitre  xviii,  verset  12  des 
Actes,  lorsque  l'auteur  de  ce  livre  dit  :  «  Or  Gallion  étant 
proconsul  d'Achaïe;»  car  la  province  d'Achaïe  après  avoir 
passé  du  sénat  à  l'empereur,  avait  été  vendue  par  Claude 
au  sénat  six  ou  sept  ans  avant  l'époque  dont  ce  passage 
des  Actes  fait  mention  (2),  et  son  gouvernement  était 
devenu  proconsulaire.  Et  ce  qui  montre  surtout  l'exac- 
titude de  cette  dénomination,  c'est  que  sous  le  règne 
suivant  l'Achaïe  cessa  d'être  une  province  romaine. 

Act.  XV,  21.  «  Car  quant  à  Moïse ,  il  y  a  depuis  long- 
temps dans  chaque  ville  des  hommes  qui  le  prêchent 
dans  les  synagogues,  où  on  le  lit  chaque  jour  de  sabbat.» 
La  vérité  de  ce  passage  se  trouve  confirmée  par  un  texte 
de  Joseph  qui  dit  en  parlant  de  Moïse  dans  son  second 
livre  contre  Apion  :  ce  II  nous  a  donné  la  loi ,  la  meil- 
leure de  toutes  les  institutions.  Il  ne  s'est  pas  borné  à 
nous  en  prescrire  la  lecture,  une  fois,  deux  fois  et  même 
plus  souvent  ;  mais  il  a  voulu  que  quittant  tout  autre  tra- 
vail, nous  nous  réunissions  chaque  semaine  pour  l'en- 
tendre lire,  et  pour  en  acquérir  la  parfaite  intelligence.» 

Act.  XVI,  13.  «  Mais  le  jour  du  sabbat  nous  sortîmes 
de  la  ville  et  nous  allâmes  près  du  fleuve,  en  un  lieu  où 
nous  crûmes  que  la  prière  se  faisait  d'ordinaire.»  Re- 
marquons que  l'auteur  entend  évidemment  par  le  lieu 
où  l'on  avait  coutume  de  faire  la  prière,  un  endroit  par- 
ticulier destinée  ce  saint  exercice,  c'est-à-dire  un  pros- 

(l)Dio  Cass.  lib.  liv,  ad.  A.  F.  732.  Nous  ajouterons  d'après 
Hug  {Einleit.  in  das  lY.  T.  Tli.  i,  Seit.  24)  que*quelques  médailles 
de  Claude  prouvent  que  du  temps  de  cet  empereur  Tîle  de  Chypre 
avaitréellement  un  proconsul,  comme  on  le  lit  dans  le  livre  des  Actes. 

(2)  Suet.  m  Claiid.  c.  xxv.  Dion,  i,  61. 


398  DE   l'authenticité 

euqiie  ou  oratoire ,  et  qu'il  désigne  le  voisinage  de  la 
rivière  comme  ce  lieu  que  les  Juifs  consacraient  spécia- 
lement à  la  prière.  Or  Philon  décrivant  la  conduite  de 
ceux  d'Alexandrie  dans  certains  jours  solennels ,  ra- 
conte que  «  de  grand  matin  ils  sortaient  en  foule  hors 
des  portes  de  la  ville  pour  aller  aux  rivages  voisins  (car 
les  proseuques  étaient  détruits),  et  là,  se  plaçant  dans  le 
lieu  le  plus  convenable,  ils  élevaient  leur  voix  d'un  com- 
mun accord  vers  le  ciel  (1).  »  Joseph  de  son  côté  rap- 
porte un  décret  de  la  ville  d'Halicarnasse,  qui  permet- 
tait aux  Juifs  de  bâtir  des  oratoires  ;  nous  y  lisons  ces 
paroles,  entre  autres  :  «  Nous  ordonnons  que  les  Juifs 
hommes  ou  femmes  qui  voudront  observer  le  sabbat  et 
s'acquitter  des  rites  sacrés  prescrits  par  la  loi  puissent 
bâtir  des  oratoires  sur  le  bord  de  la  mer  (2).  ïertullien 
parlant  des  rites  et  des  usages  des  Juifs,  tels'que  les  fê- 
tes, sabbats,  jeunes,  pains  sans  levain, etc.,  mentionne 
les  prières  faites  sur  les  bords  de  l'eau,  orationes  lito- 
rales  (3).  Nous  ajouterons  que  les  Samaritains  eux-mê- 
mes, au  rapport  de  saint  Epiphane,  avaient  cela  de 
commun  avec  les  Juifs  [k). 
Act.  XVII,  22,  23.  ((  Paul  étant  au  milieu  de  l'aréo- 

(1)  Philo,  in  Place,  pan.  382.  Idem.  De  vila  Mos.  l.  m,  et  De 
légat,  ad  Caïum  passim.  —  Ces  sortes  d'oratoires  se  nommaient  en 
grec  7rpo(7£v;(y),  Trpoa-îuxTioptov,  et  en  Xdiùnproseucha  : 

«  Ede  ubi  consistas,  in  qua  te  quosro  Proseucha.» 

Juven.  Sat.  m,  14. 

(2)  Joseph.  Antiq.  l.  xiv,  c.  x,  §  24. 

(3)  Tertull.  ad  Nat.  L  i.  c.  xiii. 

(4)  Epiphan.//(çye5.  lxxx. — Les  Juifs  choisissaient  ainsi  les  bords 
des  rivières,  parce  qu'ils  ne  croyaient  pas  devoir  vaquer  à  la  prière 
avant  de  s'être  purifiés  par  l'eau.  On  peut  voir  dans  la  Synagogue  ju- 
daïque de  Jean  Buxtorf  les  prescriptions  des  rabbins  à  cet  égard. 


,  lûtdi 

prière 

rJ, 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  399 

page,Ieur  dit  :  Athéniens,  il  me  semble  qu'en  toutes  choses 
vous  êtes  religieux  jusqu'à  l'excès;  car  ayant  regardé  en 
passant  les  statues  de  vos  dieux,  j'ai  trouvé  même  un  au- 
tel sur  lequel  il  est  écrit  :  Au  Dieu  inconnu  ;  or,  celui 
que  vous  adorez  sans  le  connaître,  c'est  celui  que  je  vous 
annonce.»  Rapprochons  quelques  passages  de  plusieurs 
écrivains  profanes.  Et  d'abord,  Diogène  Laërce,  qui 
écrivait  au  commencement  du  second  siècle  de  l'ère  chré- 
tienne, rapporte  qu'au  temps  d'Épiménide  (c'est-à-dire, 
comme  on  le  croit  communément,  vers  l'an  600  avant  Jé- 
sus-Christ), une  peste  ravageant  Athènes,  etjoracle 
ayant  déclaré  que  pour  la  faire  cesser  il  fallait  purifier 
ou  expier  (zaQ^^oat)  la  ville,  on  envoya  en  Crète  pour  faire 
venir  ce  philosophe;  qu'arrivé  à  Athènes,  Epiménide 
prit  des  brebis  blanches  et  des  brebis  noires,  et  les  con- 
duisit au  haut  de  la  ville,  où  était  l'aréopage  ;  que  delà 
il  les  laissa  aller ,  ayant  eu  soin  toutefois  de  les  faire  suivre, 
avec  ordre  de  les  laisser  aller  partout  où  elles  voudraient, 
et,  lorsqu'elles  se  seraient  arrêtées  d'elles-mêmes,  de 
les  immoler  au  dieu  du  lieu  le  plus  voisin^  ou  au  dieu 
qu'il  conviendrait  ;  et  que  c'est  ainsi  qu'il  fit  cesser  la 
peste .  Après  ce  récit  Diogène  ajoute  :  a  De  là  vient  qu'en- 
core aujourd'hui  on  voit  dans  tous  les  faubourgs  d'Athè- 
nes des  autels  sans  nom  de  Dieu  (àvwv^y.ou,-)  érigés  en 
mémoire  de  l'expiation  qui  fut  faite  alors  (1).  »  Pausa- 
nias,  qui  a  écrit  avant  la  fin  du  second  siècle,  parlant 
dans  la  description  d'Athènes  d'un  autel  consacré  à  Ju- 
piter Olympien,  ajoute:  (c Et  près  de  là  se  trouve  un 
autel  de  dieux  inconnus  (2) .  Ce  même  écrivain  parle  dans 

(l)Diogen.  Laert.  inEpimenid.  l,  i,  §  110. 
(2)  Pausan.  Altic.  l.  v. 


400  DE  L'authenticité 

un  autre  endroit  d* autels  de  dieux  appelés  inconnus  (1) . 
Philostrate,  qui  florissait  au  commencement  du  troisième 
siècle ,  fait  dire  à  Apollonius  de  Thyane ,  ((  qu'il  étail 
sage  de  parler  avec  respect  de  tous  les  dieux,  surtout  à 
Athènes,  aie  l'on  élevait  des  autels  aux  génies  inconnus  (2)  .y\ 
L'auteur  du  Dialogue  Philopatris,  ouvrage  attribué  pai 
les  uns  à  Lucien,  qui  écrivait  vers  l'an  170,  et  par  d'au- 
tres à  un  païen  anonyme  du'quatrième  siècle,  fait  jurei 
Critias  par  les  dieux  inconnus  d'Athènes,  et  sur  la  fin  du 
dialogue,  il  s'exprime  ainsi  :  «  Mais  tâchons  de  décou- 
vrir le  Dieu  inconnu  à  Athènes;  et  alors  levant  nos  mains 
au  ciel,  offrons-lui  nos  louanges  et  nos  actions  de  grâ- 
ces. ))  D'après  ces  divers  témoignages,  il  paraît  hors  de 
doute  qu'au  temps  où  l'auteur  des  Actes  nous  dit  que 
saint  Paul  se  trouvait  à  Athènes,  il  y  avait  des  autels  qui 
portaient  cette  inscription.  Il  paraît  encore  indubitable 
qu'une  telle  inscription  était  particulière  à  Athènes , 
puisque  les  anciens  auteurs  en  parlent  comme  d'une 
chose  remarquable,  et  que  d'un  autre  côté  nous  n'avons 
pas  un  seul  monument  historique  qui  prouve  qu'il  ail 
existé  ailleurs  des  ^autels  portant  une  pareille  inscrip- 
tion .  Or,  supposons  que  l'histoire  de  saint  Paul  tracée 
dans  les  Actes  des  Apôtres  soit  une  fable  imaginée  par 
un  faussaire,  l'auteur  de  cette  histoire  eut-il  jamais  saisi 
une  circonstance  aussi  extraordinaire,  et  l'eût-il  appro- 
priée à  son  sujet  au  moyen  d'une  allusion  si  bien  adap- 
tée au  caractère  et  à  la  mission  du  grand  Apôtre  ? 

Act.  XVIII,  2.  «  Et  ayant  trouvé  (à  Corinthe)  un  Juif. .. 
qui  était  nouvellement  venu  d'Italie  avec  Priscille  sa 
femme,  parce  que  Claude  avait  ordonné  à  tous  les  Juifs 

(1)  Pausan.  ibid.  l.  i. 

(2)  Philo str.  F'ita  Apoll.  Thyan.  l.  vi,  cm. 


à 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  401 

de  sortir  de  Rome.  »  Or  ce  passage  est  une  preuve  sen- 
sible que  l'auteur  du  livre  des  Actes  était  parfaitement 
informé  dans  tout  ce  qu'il  écrivait.  Et  en  effet  Suétone 
nous  apprend  que  l'empereur  Claude  chassa  les  Juifs  de 
Rome  à  cause  des  bruits  qu'ils  y  causaient,  poussés  par 
Chrest  :  Judœos  impulsare  Chresto  assidue  tumultuantes 
Roma  expuUt{i).  Quant  à  ce  personnage  désigné  par 
Suétone  sous  le  nom  de  Chrest^  on  ne  doute  pas,  comme 
le  remarque  judicieusement  D.  Calmet  dans  son  Com- 
mentaire, que  ce  ne  soit  Jésus-Christ;  car  les  païens 
lui  ont  donné  ce  nom,  comme  aux  chrétiens  celui  de 
Chrcstiani. 

Act.  XXI,  23,  Si.  «Nous  avons  ici  quatre  hommes 
qui  ont  fait  vœu ,  prends-les  avec  toi,  et  purifie-toi  avec 
eux,  et  paye  pour  eux  afin  qu'ils  se  rasent  la  tête.^^Vour 
bien  comprendre  ces  versets,  il  faut  savoir  première- 
ment que  par  vœu  on  entend  ici  celui  des  nazaréens; 
et  en  second  lieu,  que  c'était  parmi  les  Juifs  une  pra- 
tique de  piété  que  de  contribuer  aux  frais  des  offrandes 
des  nazaréens,  pour  avoir  part  au  mérite  de  leur  vœu. 
Aussi  le  sens  de  ces  derniers  mots  afin  qu'ils  se  rasent 
la  tête,  est  afin  qu'ils  puissent  se  raser  la  tête,  c'est-à- 
dire  de  pourvoir  aux  dépenses  que  l'accomplissement 
de  leur  vœu  pouvait  occasionner.  Or,  Joseph  nous  four- 
nit deux  passages  d'une  conformité  parfaite  avec  le 
texte  des  Actes,  tant  pour  cette  pratique  que  pour  l'ex- 
pression elle-même  :  «Il  est  d'usage,  dit  cet  historien, 
que  ceux  qui  ont  été  affligés  par  quelque  maladie ,  ou 
qui  se  sont  trouvés  dans  un  état  critique,  fassent,  trente 
jours  avant  d'offrir  les  sacrifices ,  le  vœu  de  s'abstenir 
de  vin,  et  de  raser  les  cheveux  de  leur  tête  (De  Bell .  1.  xi, 

(1)  Suet.  in  Claud.  c.  xxv. 


402  DE   l'authenticité 

c.  xv).»  Et  dans  un  autre  endroit  :  «Et  lui  (Hérode 
Agrippa),  s'étant  rendu  à  Jérusalem,  offrit  des  sacrifices 
d'actions  de  grâces  sans  rien  omettre  de  ce  qui  est  pres- 
crit par  la  loi.  Il  eut  soin  aussi  de  faire  raser  un  grand 
nombre  de  nazaréens  (Antiq.  1.  xix,  c.  vi).» — Aux  ver- 
sets 30-35  de  ce  même  chapitre  xxi,  l'auteur  des  Actes 
parle  d'un  corps  de  soldats  romains  qui  étaient  chargés 
de  réprimer  les  tumultes  populaires.  Il  fait  aussi  men- 
tion d'un  camp,  c'est-à-dire  d'une  forteresse  ou  d'une 
citadelle  habitée  par  des  soldats  ;  car  tel  est  évidemment 
le  sens  du  mot  grec  TrapîaêoÀyj  employé  dans  le  texte 
original ,  et  d'escaliers  qui  paraissaient  être  à  côté  du 
temple.  Or,  ces  mêmes  particularités  se  retrouvent  dans 
une  histoire  publiée  dans  ce  même  temps  et  dans  ce 
même  pays  ;  voici  en  effet  ce  que  nous  lisons  dans  Jo- 
seph :  ((  Antonia  était  bâtie  à  l'angle  des  portiques  situés 
à  l'orient  et  au  nord  du  temple  extérieur.  Cette  tour 
s'élevait  sur  un  roc  de  cinquante  coudées  de  haut  et 
escarpé  de  toutes  parts .  Du  côté  où  elle  se  réunissait  aux 
portiques  du  temple,  il  y  avait  des  escaliers  qui  commu- 
niquaient à  chaque  portique  et  par  où  la  garde  des- 
cendait. C'est  là  qu'une  légion  romaine  était  toujours 
casernée  ;  de  là  elle  plaçait  des  sentinelles  armées  en 
différens  postes  sous  les  portiques;  elle  surveillait  le 
peuple  dans  les  jours  de  fêtes  pour  prévenir  le  désordre. 
Ainsi  le  temple  protégeait  la  ville,  et  la  tour  Antonia 
protégeait  le  temple  (De  Bell.  1.  v,  c.  v,  §  8).» 

Act.  XXII,  25.  ((  Mais  quand  ils  l'eurent  attaché  avec 
des  courroies,  Paul  dit  au  centenier  qui  était  près  de 
lui  :  Vous  est-il  permis  de  battre  de  verges  un  citoyen 
romain,  et  qui  n'a  point  été  condamné?  »  Les  lois  na- 
turelles de  toutes  les  nations  défendent  de  punir  un 


,  DES  ACTES  DES  APOTRES.  403 

homme  qui  n'a  été  ni  entendu  ni  condamné  ;  mais  les 
lois  défendaient  de  plus  qu'on  infligeât  le  supplice  du 
fouet  à  un  citoyen  romain.  Porcm  lex  ab  omnium  civium 
Romanorum  corpore  amovet,  dit  Cicéron  (1) .  Et  ailleurs 
parlant  d'un  citoyen  que  Verres  flagellait  quoiqu'il  invo- 
quât sans  cesse  son  titre  :  Civis  Romanus  sum,  s'écrie  que 
c'est  déjà  un  grand  mal  que  de  jeter  dans  les  fers  un 
citoyen  romain,  mais  que  c'est  un  crime  énorme  que  de 
le  fouetter  :  Fascinus  est  vinciri  civem  Romanum^scelus 
verberari  (2).  —  Au  verset  27  on  remarque  une  coïnci- 
dence plus  frappante  encore  ;  il  y  est  dit  :  «  Et  le  tribun 
vint  à  Paul  et  lui  dit:  Dis -moi,  es-tu  Romain?  Et  il 
répondit  :  Je  le  suis.»  Qu'un  Juif  se  soit  présenté  comme 
étant  citoyen  romain,  cela  paraît  au  premier  abord  une 
erreur  grossière  dans  laquelle  un  historien  contempo- 
rain ne  pouvait  nullement  tomber.  Mais  Joseph  prouve 
qu'on  réunissait  quelquefois  les  deux  qualités,  quand  il 
dit  :  «  Le  consul  Lucius  Lentulus  annonça  qu'il  avait 
renvoyé  de  son  service  les  citoyens  romains  juifsy  qui 
observaient  à  Ephèse  les  rites  de  la  religion  juive  (Ant. 
1.  XIV,  c.x,  §  13).  Et  si  l'onobjectequele  tribun  n'ayant 
acquis  le  droit  de  bourgeoisie  qu'au  prix  à'une  forte 
somme  d'argent  (verset  28),  on  ne  saurait  supposer  qu'un 
homme  de  la  condition  de  Paul  en  ait  été  investi,  nous 
répondrons  avec  Dion  Cassius  :  «  Ce  privilège,  qui  s'a- 
chetait si  cher  autrefois,  fut  mis  dans  la  suite  à  un  si  bas 
prix,  que  l'on  avait  coutume  de  dire,  qu'un  homme  pou- 
vait devenir  citoyen  romain  pour  quelques  morceaux  de 
Ycrre  cassé  (1.  lx).  »  D  paraît  même  que  cette  déprécia- 
tion, qui  avait  commencé  dès  le  règne  de  Claude,  alla 

(1)  Cicero,  pro  Rabirio. 

(2)  Cicero,  in  P^errem.  Orcit.  v. 


404  DE   l'authenticité 

toujours  en  augmentant,  car  Salvien,  qui  vivait  au  cin- 
quième siècle,  assure  positivement  que  de  son  temps  non 
seulement  on  ne  faisait  plus  aucun  cas  du  droit  de  ci- 
toyen romain,  mais  qu'on  le  rejetait  avec  dédain  (1). 

Act.  XXIII,  8 .  ((  Car  les  saducéens  disent  qu'il  n'y  a  ni 
résurrection,  ni  ange,  ni  esprit  ;  mais  les  pharisiens  re- 
connaissent l'un  et  l'autre.  »  Joseph  dépose  en  faveur 
de  la  vérité  de  ce  passage  :  «Ils  croient  que  l'âme  de 
tous  est  immortelle,  dit  cet  historien  en  parlant  des  pha- 
risiens ;  mais  ils  pensent  en  même  temps  que  celle  des 
gens  de  bien  seule  passe  en  d'autres  corps  ;  tandis  que 
l'âme  des  méchans  est  condamnée  à  des  châtimens  éter- 
nels (De  Bell.  1.  ii,  c.  viii,  §  H).»  Ailleurs  le  même 
écrivain  remarque  que  «  les  saducéens  croient  que  l'âme 
périt  avec  le  corps  (Antiq.  1.  xviii,  c.  i,  §  4).» 

Act.  XXIV,  2i.  «Quelques  jours  après,  Félix  étant  re- 
venu (à  Césarée)  avecDrusille  sa  femme,  qui  était  Juive, 
fit  venir  Paul.  »  Il  était  facile  à  un  auteur  qui  n'aurait 
pas  été  parfaitement  informé  de  tout  ce  qu'il  rapporte, 
de  prendre  ici  l'échange  ;  on  peut  s'en  convaincre  à  la 
simple  lecture  du  passage  suivant:  «  Agrippa  ,  raconte 
Joseph,  donna  sa  sœur  Drusille  en  mariage  à  Aziz,  roi 
d'Émèse,  qui  l'épousa  après  s'être  fait  circoncire.  Mais 
ce  mariage  ne  tarda  pas  à  être  dissous  ;  car  Félix  ayant 
eu  occasion  de  voir  Drusille ,  pendant  qu'il  était  gou- 
verneur de  la  Judée ,  et  en  étant  devenu  éperdument 
amoureux,  il  lui  fit  persuader  par  un  prétendu  magicien 
juif  de  quitter  Aziz  pour  l'épouser;  ce  qu'elle  fit  au  mé- 

(1)  a  Nomen  civium  Piomanorum  aliquando  non  solum  magnoœs- 
timatum,  sed  et  magno  emptum:  nunc  uïtro  repudiatur  ac  fugitur. 
Nec  tantuni  vile,  sed  etiam  abominabile  pêne  habetur  (Salvlan.  De 
Dei  giibeni.  l.  v).» 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  405 

pris  des  lois  de  sa  Dation  (Antiq.  I.  xx,  c.  vi,  S 1,  2).  » 
Or,  nous  voyons  par  ces  quelques  mots  que  Joseph  s'ac- 
corde exactement  avec  l'auteur  des  Actes  sur  le  rang 
qu'occupait  Félix,  sur  le  nom  de  sa  femme  et  même  sur 
la  religion  qu'elle  professait  (1).  Ajoutons  que  Suétone 
parlant  des  femmes  de  Félix,  nomme  expressément  Dru- 
sille,  fille  du  roi  Agrippa  (2). 

Act.  XXV,  12.  ((  Alors  Festus,  après  en  avoir  conféré 
avec  son  coriseil,  répondit  :  Tu  as  appelé  à  César,  tu  iras 
devant  César .  »  Ce  verset  suppose  que  Festus  avait  un 
conseil  ;  or  nous  voyons  par  un  passage  du  discours  de 
Cicéron  contre  Verres,  queles'présidens  romains  avaient 
ordinairement  un  conseil  composé  de  leurs  amis  et  des 
principaux  Romains  qui  se  trouvaient  dans  la  pro- 
vince (3). — Au  verset  suivant,  nous  lisons  :  «  Quelques 
jours  après,  le  roi  Agrippa  et  Bérénice  vinrent  à  Césarée 
pour  saluer  Festus.  »  Remarquons  bien  que  l'écrivain 
sacré,  en  nous  apprenant  qu'Agrippa  était  roi,  n'ajoute 
pas  qu'il  fût  roi  de  la  Judée.  Or,  cette  particularité  est 
une  nouvelle  preuve  de  sa  grande  exactitude  ;  car  l'his- 
toire de  cette  époque  correspond  parfaitement  avec  sa 
narration.  Cet  Agrippa  dont  il  est  ici  parlé  était  fils 
d'Hérode  Agrippa,  roi  de  Judée,  qui  fit  mourir  saint 
Jacques .  Or,  Joseph  nous  apprend  qu'il  ne  succéda  point 

(1)  QueDrusille,  en  épousant  Félix  qui  étaitpaïen,  ait  quitté  la  re- 
ligion des  Juifs,  comme  quelques-uns  le  prétendent,  elle  n'en  était 
pas  moins  juive  de  naissance  ;  et  par  conséquent  l'exactitude  de  l'é- 
crivain sacré  se  trouve  par  là  même  à  l'abri  de  tout  reproche. 

(2)  Sueton.  f?2  Claud.  c.  xxviii. 

(3)  «  Illud  negare  posses,  aut  nuncnegabis,  te,  consilio  tuodimisso, 
viris  primariis,  qui  in  consilio  C.  sacerdotis  fuerant,  tibique  esse  vo- 
lebant,  remotis,  de  re  judicata  judicasse  (Gicer.  in  P^crrem],» 


406  DE    l'authenticité 

au  royaume  de  son  père,  qu'il  ne  recouvra  pas  même  la 
Judée,  qui  en  faisait  partie,  quoique  à  la  mort  d'Hérode, 
Claude  eut  eu  l'intention  de  le  mettre  immédiatement  en 
possession  de  cet  héritage  ;  mais  l'empereur  apprenant 
qu'Agrippa  son  fils  n'avait  que  dix-sept  ans,  changea 
d'idée  et  nomma  Cuspius  Fadus  préfet  de  la  Judée  et 
de  tout  le  royaume  (Ij.  Fadus  eut  pour  successeur  Ti- 
bère Alexandre,  Cumanus,  Félix  etFestus  (2).  Mais  quoi- 
que Agrippa  n'eût  pas  été  mis  en  possession  du  royaume 
de  son  père,  dans  lequel  la  Judée  était  comprise,  il  ne 
laissait  pas  d'être  légitimement  appelé  roi.  Le  même 
écrivain  nous  apprend  encore  que  Claude,  qui  lui  avait 
d'abord  donné  le  royaume  de  Chalcide ,  lui  en  accorda 
un  plus  considérable  dans  le  même  temps  qu'il  envoyait 
Félix  comme  procurateur  en  Judée,  puisqu'il  lui  donna 
la  tétrarchie  qu'avait  eue  Philippe,  en  y  joignant  le 
royaume  de  Lysanias  et  la  province  qui  avait  appartenu 
à  Varus  (3).  Au  chapitre  suivant  (Act.xxvi),  saint  Paul 
s'adressant  à  ce  même  Agrippa  suppose  qu'il  était  Juif  : 
«Orci  Agrippa,  ne  crois-tu  pas  aux  prophètes?  Je  sais 
que  tu  y  crois  (vers.  27).»  Il  était  fils  d'Hérode  Agrippa, 
que  Joseph  nous  représente  comme  un  juif  plein  de 
zèle;  il  était  donc  tout  naturel  de  le  supposer  dans  les 
mêmes  principes  que  son  père.  Mais  ce  qui  est  plus  im- 
portant à  remarquer,  comme  étant  plus  précis  et  plus 
circonstanciel,  c'est  que  l'auteur  des  Actes  parlant  du 
père  (xii,  1)  l'appelle  le  roi  Hérode,  en  nous  donnant 
une  preuve  de  l'exercice  de  son  autorité  à  Jérusalem  ; 

(1)  Joseph.  Aniiq.  l.  xix,  c.  ix. 

(2)  Joseph.  De  bell.  L  ii. 

(3)  Joseph.  De  bell.  l,  ii,  c.  xii. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  407 

ela  tandis  que  parlant  du  fils  (xxv,  13),  il  le  nomme  roi, 
(je,  mais  non  pas  de  la  Judée;  distinction,  nous  aimons  à  le 
[lun  répéter,  qui  est  parfaitement  conforme  à  l'histoire,  et 
DaD\  qui  montre  par  conséquent  la  fidélité  et  l'exactitude  de 
n^ea  l'écrivain  qui  a  composé  les  Actes  des  Apôtres. 
eeet  Act.  xxvi,  5.  «  J'ai  suivi  la  secte  des  pharisiens,  qui 
est  la  plus  exacte  de  notre  religion.»  Cette  assertion  se 
trouve  confirmée  par  l'autorité  de  Joseph,  qui  dit  formel- 
lement :  ((  Les  pharisiens  étaient  regardés  comme  les 
plus  religieux  et  les  plus  exacts  d'entre  les  Juifs,  et  même 
comme  les  plus  habiles  à  expliquer  les  lois  (DeBell.l.i, 
c.  V,  §  2).))  On  peut  remarquer  qu'il  se  trouve  ici  une 
correspondance  parfaite  entre  l'auteur  des  Actes  et 
l'historien  de  la  nation  juive,  non  seulement  dans  le 
sens,  mais  encore  dans  l'expression:  le  même  adjectif 
grec  se  trouve  dans  l'original  des  deux  écrivains  :  «x^i- 

Act.  XXVII,  1.  «Lorsqu'il  eut  été  résolu  que  Paul 
irait  par  mer  en  Italie  et  qu'on  le  remettrait  avec  les  au- 
tres prisonniers  à  un  centenier  nommé  Jule.»  Quoique 
la  Vulgate  diffère  un  peu  ici  de  l'original  grec,  qjii  lit  à 
la  lettre  :  a  Lorsqu'il  eut  été  résolu  que  nous  nous  em- 
barquerions pour  l'Italie,  on  remit  Paul  avec  quelques  au- 
tres prisonniers,  etc.  »  Les  deux  textes  renferment  éga- 
lement quelques  mots  qui  nous  fournissent  une  nouvelle 
preuve  de  l'exactitude  historique  avec  laquelle  le  livre 
des  Actes  des  Apôtres  a  été  composé  par  son  auteur.  En 
effet,  nous  voyons  dans  l'original  grec,  comme  dans  la 
version  latine,  que  non  seulement  saint  Paul,  mais  encore 
un  certain  nombre  d'autres  prisonniers,  étaient  trans- 
portés sur  le  même  vaisseau  en  Italie;  ce  qui  donne 
clairement  à  entendre  que  l'on  était  en  usage  d'envoyer 


rTi- 

1001- 

avait 
mk 

loooa 
Dlle 

\\m 
\U 
\]é. 
lésais 
rippa 
'iode 
iBçles 

CsilD- 

et  pin; 
\à  diï 


408  DE  l'authenticité 

des  accusés  de  la  Judée  à  Rome  pour  y  être  jugés.  Or, 
l'historien  Joseph  nous  en  offre  un  grand  nombre  d'exem- 
ples ;  nous  nous  bornons  à  citer  le  suivant  comme  se 
rapprochant  le  plus  du  passage  des  Actes ,  et  par  l'é- 
poque à  laquelle  le  fait  qu'il  présente  a  eu  lieu,  et  par 
la  nature  du  sujet  lui-même  :  ((Félix,  pour  quelque 
légère  offense,  mit  aux  fers  et  envoya  à  Rome  plusieurs 
prêtres  de  sa  connaissance,  gens  vertueux  et  honnêtes, 
qui  devaient  se  justifier  devant  César  (Joseph,  in  Vitâ, 
§3).» 

Act.  xxviii,  11-14-.  Nous  lisons  que  saint  Paul,  trans- 
porté en  Italie  par  un  vaisseau  d'Alexandrie,  débarqua 
à  Pouzzoles.  Or,  comme  le  remarque  judicieusement 
Hug ,  les  écrivains  profanes  nous  apprennent  que  c'é- 
tait en  effet  cette  ville  qui  recevait  habituellement  dans 
son  port  les  vaisseaux  d'Alexandrie ,  et  qui  recueillait 
leurs  marchandises  dans  ses  magasins  (1) .  Au  verset  15 
de  ce  même  chapitre ,  c'est  encore  Hug  qui  fait  cette 
observation,  on  voit  que  les  amis  de  Paul  attendent  son 
arrivée  au  Marché  d'Appius  [Forum  Âppîi),  et  d'autres 
aux  Trois-Hôtelleries  (Très  Tabernœ).  Paul  s'embar- 
que apparemment  sur  un  canal  que  César  avait  creusé 
au  travers  des  marais  Pontins  ;  il  dut  par  cela  même  pas- 
ser au  Marché  d'Appius,  qui,  à  l'extrémité  de  ce  canal, 
en  était  le  port  (2).  Quant  aux  Trois-Hôtelleries,  elles 

(1)  Strabo.  /.  xvii,  pag.  793,  édit.  2,  Casaub.  Seneca.  Epist.  l.  xxvii. 
Apud  Hug,  Einleil.  Th,  i,  Seit,  24. 

(2)Acron.  ad  Horat.  Serm.  L  i,  Sat.  v,  14.  «  Quia  ab  Appii  foroper 
paludes  navigatur,  quas  Paludes  Cœsar  derivavit.»  Porphyrion,  ad 
vers.  14  ;  «  Pervenisse  ad  Forum  Appii  indicat,  ubi  lurba  essetnau- 
tarum,  item  cauponum  ibi  moraotium.»  Acron  ad  vers.  II  :  «<  Per 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  409 

étaient  situées,  suivant  l'Itinéraire  d'Antonin  (1),  à  dix 
milles  romains  plus  près  de  Rome.  On  voit  par  là  que 
le  voyage  de  saint  Paul ,  tel  qu'il  est  décrit  dans  les 
Actes,  se  trouve  exactement  conforme  aux  circonstan- 
ces topographiques  que  les  auteurs  profanes  nous  ont 
conservées.  —  Enfin,  aux  versets  16  et  20  nous  lisons  : 
c(  Quand  nous  fûmes  arrivés  à  Rome  ,  on  permit  à  Paul 
de  demeurer  en  particulier  avec  un  soldat  qui  le  gar- 
dait... car  c'est  pour  l'espérance  d'Israël  que  je  suis  lié 
de  cette  chaîne.»  Ici,  comme  on  le  voit,  l'auteur  des  Ac- 
tes affirme,  et  que  saint  Paul,  quoique  prisonnier, 'eut 
la  liberté  de  demeurer  hors  de  sa  prison,  mais  avec  un 
soldat  qui  ne  le  quittait  pas  un  seul  instant,  et  que  cet 
illustre  apôtre  était  lié  d'une  chaîne.  Or,  les  historiens 
profanes  nous  apprennent  qu'on  permettait  quelque- 
fois, en  effet,  à  un  prisonnier  de  demeurer  en  son  par- 
ticulier avec  un  soldat  ;  mais  il  devait  être  attaché  par 
la  main  droite  à  une  chaîne  ,  qui  tenait  par  son  extré- 
mité à  la  gauche  du  soldat  qui  le  gardait.  Ulpien,  Sénè- 
que  et  Joseph  nous  fournissent  plus  d'une  preuve  en 
faveur  de  l'existence  de  cet  usage.  Ce  dernier,  entre 
autres  ,  raconte  que  lorsque  Agrippa  fut  renfermé  par 
l'ordre  de  Tibère,  Antonia  fit  en  sorte  que  le  centenier 
et  le  soldat  avec  lequel  Agrippa  se  trouvait  lié  fussent 
des  hommes  d'un  caractère  doux  (2). 

pnludes  navigarunt,  quia  via  interjacens  durior.»  y^pudila^,  loc.  cit. 
Seit.  25. 

(1)  Antonini  Iiinerar.  cdit.  Wesseling,  pag.  107.  Apud  Hug,  ibid. 

(2)  Joseph.  Aniiq.  l.  xviii,  c.  vu,  §  5. — «  Proconsul  œslimare  so- 
Ict  ulrum  in  carcerem  recipicnda  sit  personua,  an  miHii  iradenda 
(Ulpian.  /.  I,  sect.  de  Cuslod.  ei  cxJnb.rcor.).^ — »  Quemadmodum  ea- 
dcm  calena  et  cuslodiam  et  militem  copulat,  sic  ista,  quce  tam  dissi- 

V.  18 


410  DE   l'authenticité 

En  voilà  assez ,  ce  nous  semble ,  pour  montrer  jus- 
qu'à l'évidence  que  sous  le  point  de  vue  des  faits  de 
l'histoire  proprement  dite,  aussi  bien  que  sous  le  rap- 
port des  mœurs ,  des  usages  et  de  la  topographie ,  le 
livre  des  Actes  porte  au  suprême  degré  tous  les  carac- 
tères possibles  de  fidélité  et  d'exactitude,  c'est-à-dire  , 
tous  les  caractères  d'authenticité. 

5.  Un  faussaire,  ou  même  un  auteur  de  bonne  foi  qui 
écrit  long-temps  après  les  événemens  sans  en  être  par- 
faitement informé,  tombe  nécessairement  dans  des  er- 
reurs quand  il  s'agit  surtout  de  soutenir  jusqu'à  la 
fin  le  caractère  propre  aux  personnages  qu'il  met  en 
scène ,  ou  d'exposer  les  faits  qui  intéressent  la  cause 
qu'il  a  embrassée.  En  effet,  l'expérience  de  tous  les 
temps  prouve  que  de  pareils  écrivains  ne  manquent 
jamais  d'un  côté  de  se  contredire,  et  de  l'autre,  de  lais- 
ser apercevoir  un  certain  esprit  de  partialité.  Or ,  tout 
lecteur  qui  examinera  le  livre  des  Actes  sans  être  pré- 
venu lui-même,  ne  trouvera  nulle  part  dans  son  auteur 
aucun  de  ces  défauts  ;  il  découvrira  au  contraire  à  cha- 
que page,  et  même  à  chaque  ligne,  les  preuves  mani- 
festes que  cet  écrivain  avait  une  connaissance  parfaite 
de  tous  les  faits ,  et  qu'il  les  a  rapportés  avec  une  sin- 
cérité et  une  candeur  qu'un  imposteur  ne  saurait  imiter. 
Bornons-nous  à  un  petit  nombre  d'exemples,  la  preuve 


milia  sunt,  pariter  incedunt  spem  metus  sequilur  {Senec.  Epist.v).  » 
—  Le  même  Sénèque,  représentant  tous  les  hommes  en  ce  monde 
comme  les  prisonniers  qui  sont  liés  avec  un  soldat,  et  faisant  obser- 
ver que  celui-ci  est  en  un  sens  aussi  peu  libre  que  les  prisonniers  eux- 
mêmes,  dit  :  «  Alligatique  sunt  etiam  qui  alligaverunt,  nisi  tu  forte 
Icviorem  in  sinistra  calenam  putas  {De  iranqHill.  l.  i,  c.  x).» 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  411 

que  nous  venons  de  donner  en  renferme  assez  d'autres. 
Au  chapitre  xxv,  18,  19,  l'auteur  du  livre  des  Actes 
fait  dire  au  gouverneur  Festus,  en  parlant  de  saint  Paul, 
que  les  Juifs  avaient  conduit  à  son  tribunal  :  «Ses  ac- 
cusateurs étant  devant  lui ,  ne  lui  reprochèrent  aucun 
des  crimes  dont  je  pensais  qu'ils  l'accuseraient  ;  ils 
avaient  seulement  quelques  disputes  avec  lui  touchant 
leurs  superstitions ,  et  touchant  un  certain  Jésus  mort ,  que 
Paul  assurait  être  vivant.  »  Rien  assurément  ne  saurait 
mieux  peindre  le  caractère  d'un  gouverneur  romain  que 
ces  paroles  ;  mais  ce  n'est  pas  sous  ce  point  de  vue  que 
nous  les  présentons  ici.  Un  simple  panégyriste,  un  his- 
torien peu  sincère,  n'eussent  jamais  parlé  ou  fait  parler 
un  premier  magistrat  dans  la  cause  qu'ils  auraient 
épousée  avec  ce  ton  d'indifférence  et  de  mépris.  Nous 
faisons  la  même  observation  par  rapport  au  discours 
que  le  même  auteur  des  Actes  (xviii,  14)  met  dans  la 
bouche  de  Gallion.  Quelle  preuve  plus  forte  encore  de 
la  sincérité  et  de  la  bonne  foi  de  cet  écrivain ,  que  la 
manière  dont  il  soutient  dans  tout  le  cours  de  sa  nar- 
ration le  caractère  de  son  principal  héros I  En  effet, 
saint  Paul  se  montre  constamment  le  même  dans  toute 
la  suite  de  son  histoire;  cette  chaleur,  cette  activité,  ce 
zèle  qui  lui  étaient  si  naturels,  se  manifestent  d'abord 
contre  les  chrétiens,  puis  en  faveur  de  la  cause  de  ces 
mêmes  chrétiens.  Enfin,  quand  l'auteur  des  Actes  dit 
en  parlant  des  prédications  du  grand  Apôtre  à  Rome  : 
«  Les  uns  croyaient  ce  qu'il  disait ,  et  les  autres  ne  le 
croyaient  pas  (xxviii,  24)»,  il  fait  un  aveu  propre  à 
jeter  du  discrédit  sur  la  religion  dont  il  était  ministre 
aussi  bien  que  saint  Paul ,  son  maître  ;  et  la  manière 
même  dont  il  s'exprime  en  le  faisant,  prouve  clairement 


412  DE   l'authenticité 

qu'à  une  grande  simplicité  il  joignait  un  amour  de  la 
vérité  non  moins  remarquable. 

6.  «L'histoire  des  Actes  des  Apôtres,  remarque  fort 
judicieusement  Du  Voisin  ,  est  une  suite  naturelle  et 
nécessaire  de  l'histoire  évangélique.  La  conduite  que 
les  Juifs  avaient  tenue  à  l'égard  du  maître,  prépare  les 
persécutions  qu'ils  font  essuyer  aux  disciples,  et  le  ré- 
cit de  ces  persécutions  sert  à  nous  faire  connaître  de 
plus  en  plus  avec  quelle  justesse,  avec  quelle  exactitude 
les  écrivains  du  Nouveau-Testament  dépeignent  les 
mœurs,  les  opinions,  le  caractère  et  la  jurisprudence 
des  Juifs  (1).))  Les  détails  que  nous  avons  fournis  un 
peu  plus  haut,  quand  nous  avons  fait  remarquer  un  si 
grand  nombre  de  coïncidences  les  plus  minutieuses 
entre  les  faits  rapportés  dans  le  livre  des  Actes  et  ce 
que  d'autres  documens  nous  apprennent  des  mœurs, 
des  coutumes  et  de  l'histoire  des  mêmes  temps  ,  confir- 
ment de  la  manière  la  plus  forte  le  raisonnement  de 
l'habile  critique  auquel  nous  aimons  d'autant  mieux  à 
emprunter  les  preuves  suivantes,  qu'elles  nous  ont  paru 
irrécusables. 

7.  «L'auteur  du  livre  des  Actes  se  donne  pour  con- 
temporain ,  et  même  pour  témoin  d'une  grande  partie 
des  faits  qu'il  raconte.  Lorsqu'il  décrit  les  voyages  de 
saint  Paul ,  il  parle  en  son  propre  nom ,  comme  l'ayant 
suivi  dans  toutes  ses  courses.  Nous  cherchâmes  à  passer 
en  Macédoine...  Nous  arrivâmes  dans  la  Samothrace, .. 
Nous  demeurâmes  quelques  jours  à  Philippes,  etc.  (Act. 
x\i).  Jusque  là,  il  avait  écrit  l'histoire  de  tous  les  apô- 

(1)  Du  Voisin,  L'autorité  des  livres  du  IVouveau-Teslament,  ch,  ii, 
ars.  m. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  413 

très;  mais  au  moment  où  il  s'embarque  pour  la  Macé- 
doine ,  il  les  perd  de  vue ,  et  dans  tout  le  reste  de  son 
ouvrage  il  n'est  plus  occupé  que  de  saint  Paul,  qu'il  ac- 
compagne jusqu'à  Rome.  Là  se  termine  sa  narration, 
qu'il  n'eût  pas  manqué  de  conduire  jusqu'à  la  mort  de 
l'apôtre,  s'il  n'eut  pas  écrit  avant  son  martyre.  Un  faus- 
saire ,  qui  se  serait  caché  sous  le  masque  d'un  disciple 
de  saint  Paul,  aurait-il  abandonné  son  héros  au  milieu 
de  sa  carrière?  aurait-il  rompu  le  fil  de  son  histoire  au 
moment  qui  devait  être  le  plus  glorieux  pour  son  maî- 
tre, et  le  plus  intéressant  pour  ses  lecteurs?  Se  serait-il 
refusé  au  plaisir  de  rapporter  les  disputes  vraies  ou  sup- 
posées de  saint  Paul  avec  les  Juifs  et  les  philosophes  de 
Rome?  les  prodiges  qu'il  aurait  opérés  dans  cette  ca- 
pitale du  monde,  les  fureurs  de  Néron  contre  les  chré- 
tiens, l'emprisonnement  de  l'Apôtre,  sa  mort  et  toutes 
les  circonstances  dont  une  pareille  histoire  pouvait  être 
•embellie?  Parmi  les  ouvrages  apocryphes  recueillis  par 
le  savant  Fabricius,  il  se  trouve  un  grand  nombre  de 
faux  Actes  des  Apôtres  (1)  ;  il  suffît  de  les  comparer 

(Ij  II  faut  remarquer  que  parmi  les  faux  Actes  des  Apôtres  plu- 
sieurs ont  été  composés  par  des  disciples  zélés  des  apôtres  ;  en  sorte 
que  sur  tous  les  faits  qu'ils  rapportent  il  peut  s'en  trouver  quelques- 
uns  de  vrais;  mais  ceux-là  même  ont  été  interpolés  par  les  héréti- 
ques. Les  ébionites  en  particulier  corrompirent  les  Actes  composés 
par  Saint  Luc,  en  y  mêlant  des  traits  injurieux  à  la  mémoire  de  saint 
Jacques,  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul.  Les  principaux  Actes  apo- 
cryphes sont  :  t'aies  Acle/i  de  saint  Pierre^  qui  portent  plusieurs  au- 
tres noms,  tels  que  les  Courses  ù\i\les  Voyages  de  saint  Pierre  {Periodi 
Pelri)  ;  les  Récognitions  de  saint  Clément,  la  Doctrine  ou  la  Prédica- 
tion de  saint  Pierre  ;  2°  l'Apocahjpse  de  saint  Pierre;  3°  le  Jugement 
de  saint  Pierre  ;  4°  les  Actes  de  saint  Paul  ;  5°  les  Actes  de  saint  Jean 
l'évamjéliste;  6°  les  Actes  de  saint  André;  7°  les  Actes  de  saint  Tlio- 


414  DE    l'authenticité 

avec  les  Actes  canoniques  pour  apprendre  à  ne  pas  con- 
fondre le  langage  de  l'imposture  avec  celui  de  la  vé- 
rité. »  Il  y  a  en  effet  une  différence  immense  entre  les 
Actes  apocryphes  et  ceux  que  nous  attribuons  à  saint 
Luc.  Premièrement,  l'époque  de  la  fabrication  des  pre- 
miers est  parfaitement  connue  ;  ils  parurent  au  milieu 
du  second  siècle,  tandis  que  les  nôtres  sont  cités  à  cette 
époque  comme  un  ouvrage  canonique,  témoins  les  nom- 
breux passages  que  TertuUien  en  allègue  pour  établir 
des  dogmes  de  la  foi  chrétienne.  Secondement,  les  faux 
Actes  ont  été  produits  sans  être  appuyés  sur  le  témoi- 
gnage des  églises  ;  c'est  là  le  reproche  capital  que  les 
pères  faisaient  à  ces  sortes  d'écrits ,  en  traitant  leurs 
auteurs  de  faussaires.  On  ne  remarque  rien  de  sembla- 
ble par  rapport  à  ceux  qui  portent  le  nom  de  saint  Luc, 
et  c'est  aussi  la  raison  pour  laquelle  ils  ont  été  univer- 
sellement et  constamment  tenus  pour  authentiques. 
Troisièmement  enfin ,  ces  faux  Actes  contenaient  des 
absurdités  révoltantes,  des  erreurs  formellement  oppo- 
sées aux  doctrines  apostoliques ,  tandis  que  dans  ceux 
qui  font  partie  du  Nouveau-Testament  on  ne  saurait 
découvrir  aucun  défaut  de  cette  nature. 

8.  «  Le  livre  des  Actes  présente  encore  un  autre  ca- 
ractère d'authenticité  ;  il  renferme  l'histoire  de  l'éta- 
blissement des  premières  églises ,  le  récit  des  miracles 
opérés  par  les  apôtres,  les  exhortations  qu'ils  faisaient 
aux  Juifs,  aux  païens  ,  aux  néophytes  ;  leurs  réponses 
aux  interrogatoires  qu'ils  subissaient  devant  les  juges; 

mas;  8°  les  Actes  de  saint  Philippe;  9°  l'Apocalypse  de  saint  Paul. On 
peut  voir  quelques  détails  sur  ces  ouvrages  clans  la  Préface  de  D.  Cal- 
met  sur  les  Actes  des  Apôtres. 


DES   ACTES   DES  APOTRES.  41  & 

leurs  voyages  et  leurs  succès  dans  les  différentes  villes 
où  ils  allaient  porter  la  lumière  de  l'Evangile.  Tous  les 
faits  rapportés  dans  ce  livre  ne  se  sont  pas  passés  dans 
une  seule  ville,  dans  une  même  province  :  Jérusalem, 
Samarie,  Césarée,  Antioche,  Athènes,  Éphèse,  etc.,  les 
principales  villes  de  l'Orient ,  sont  le  théâtre  de  leur 
prédication  ;  mais  si  l'auteur  des  Actes  n'eût  pas  été 
contemporain  et  compagnon  des  apôtres,  comment  an- 
rait-il  pu  réunir  en  un  seul  corps  une  histoire  dont  tou^ 
tes  les  parties  étaient  si  éloignées  les  unes  des  autres? 
Si  l'on  prétend  qu'il  l'a  rédigée  sur  des  mémoires  qui  lui 
ont  été  fournis  par  les  églises  apostoliques,  c'est  avouer 
l'authenticité  de  l'ouvrage,  sinon  quant  à  la  forme,  du 
moins  quant  à  la  substance  de  l'histoire,  et  ce  point 
nous  suffit  contre  les  incrédules  (1).  Si  l'on  veut  que  l'au- 
teur des  Actes  ait  écrit  long-temps  après  la  mort  des 
apôtres,  sans  remonter  à  la  source  des  faits  et  dans  le 
dessein  de  composer  un  roman  plutôt  qu'une  histoire 
véritable,  nous  demanderons  comment  les  chrétiens  ré- 
pandus dans  la  Judée,  dans  la  Grèce  et  dans  l'Italie,  ont 
pu  recevoir  un  ouvrage  rempli  d'événemens  tous  con- 
traires à  ceux  que  la  tradition  de  leurs  églises  avait  dû 
leur  transmettre.» 

9.  «  Une  nouvelle  raison  ne  permet  pas  de  douter  que 
l'auteur  des  Actes  n'ait  écrit  avant  le  siège  de  Jérusa- 
lem :  il  parle  de  cette  ville ,  de  ses  magistrats,  de  son 

(1)  Nous  ferons  observer  en  passant  sur  celle  réllexion  de  Du  Voi- 
sin, que  l'idenlité  de  style  et  de  rédaction  qu'il  est  impossible  de  ne 
pas  remarquer  cnlre  les  Actes  et  l'Évangile  de  saint  Luc  suffit  seule 
pour  empêcher  tout  critique  éclairé  d'admettre  l'hypcihèse  que  l'his- 
toire des  apôtres  n'est  qu'un  simple  recueil  composé  plus  tard  sur 
d'anciens  mémoires. 


416  DE   L  AUTHENTICITÉ 

temple,  des  fêtes  et  des  cérémonies  de  la  religion  juive, 
comme  de  choses  encore  subsistantes  de  son  temps.  Les 
apôtres  prêchent  dans  les  places  publiques  et  à  la  porte 
du  temple  ;  ils  paraissent  devant  le  grand  prêtre  ,  les 
proconsuls  et  les  tribuns  qui  commandaient  dans  la  Ju- 
dée. Un  des  crimes  qu'on  leur  impute,  et  sur  lequel  ils 
se  croient  obligés  de  se  justifier,  c'est  de  vouloir  abo- 
lir la  loi  de  Moïse  pour  lui  substituer  un  nouveau  culte 
(Act.  VI,  XVII,  etc.).  Les  chrétiens  eux-mêmes  se  divi- 
sent sur  l'observance  des  cérémonies  de  la  loi ,  les  uns 
prétendant  en  être  affranchis  par  l'Évangile  j  les  autres 
voulant  allier  les  rites  mosaïques  avec  la  foi  chrétienne. 
11  faut  que  les  apôtres  s'assemblent  pour  décider  en 
concile  cette  question ,  qui  commençait  à  troubler  la  paix 
de  l'Eglise  (xv).  Or  il  est  évident  que  cette  contesta- 
tion n'a  pu  s'élever  qu'avant  le  siège  et  la  ruine  de  Jé- 
rusalem ;  car  l'entière  destruction  de  cette  ville  et  de 
son  temple  eût  été  pour  les  fidèles  une  preuve  sensible 
de  l'abrogation  de  la  loi  de  Moïse.  Si  l'on  dit  que  ces 
faits  sont  effectivement  antérieurs  au  siège  de  Jérusa- 
lem, mais  que  l'ouvrage  où  ils  sont  rapportés  est  plus 
récent,  nous  observerons  qu'en  parlant  de  cette  dispute 
l'auteur  des  Actes  paraît  lui  donner  un  degré  d'inté- 
rêt qui  suppose  qu'elle  n'était  pas  entièrement  assoupie 
lorsqu'il  écrivait  son  histoire.  Si  ce  livre  n'avait  été 
composé  que  dans  le  second  siècle,  il  y  a  bien  de  l'ap- 
parence qu'au  lieu  de  cette  question  surannée  tou- 
chant les  cérémonies  de  la  Loi,  nous  y  trouverions  quel- 
ques traits  relatifs  à  cette  multitude  d'hérésies  qui  dé- 
chirèrent l'Église  immédiatement  après  la  mort  des 
apôtres. 
10.  «  Enfin  il  est  constant  par  la  préface  des  Actes 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  417 

que  ce  livre  et  l'Évangile  qui  porte  le  nom  de  saint  Luc 
sont  sortis  de  la  même  plume  (i).  Or,  la  manière  dont 
l'auteur  rapporte  dans  son  Évangile  la  prédiction  de  la 
ruine  de  Jérusalem,  et  le  silence  qu'il  garde  sur  cet  évé- 
nement dans  le]livre  des  Actes,  achèvent  de  prouver 
que  ces  deux  ouvrages  sont  antérieurs  à  l'expédition  de 
Vespasien.  Et  d'abord  si  l'auteur  de  l'Évangile  attribué 
à  saint  Luc  n'eût  écrit  qu'après  la  ruine  de  Jérusa- 
lem (2),  la  prédiction  qu'il  met  dans  la  bouche  de  Jésus- 
Christ  (Luc.  xxi)  ne  serait  pas,  comme  elle  est,  en- 
tremêlée d'obscurités  et  de  circonstances  qui  semblent 
étrangères  à  la  guerre  de  Judée.  On  n'y  trouverait  pas 
ce  bouleversement  de  toute  la  nature ,  ces  signes  me- 
naçans  qui  doivent  paraître  dans  le  ciel,  le  soulèvement 
des  flots  de  la  mer,  la  consternation  répandue  sur  tous 
les  hommes,  l'avènement  du  Fils  de  Dieu,  porté  sur 
les  nues  et  revêtu  de  puissance  et  de  majesté.  L'évan- 
géliste  aurait  su  que  ces  prodiges  efl^rayans  n'étaient 
pas  arrivés  lors  du  siège  de  Jérusalem  ;  il  aurait  craint 
d'affaiblir  l'autorité  de  la  prophétie  par  les  difficultés 
que  l'on  aurait  pu  former  contre  son  entier  accomplis- 
sement, difficultés  qui  naissaient  de  son  propre  récit , 

(1)  Voyez  un  peu  plus  haut  (pag.  389)  les  raisons  que  nous  avons 
données  en  faveur  de  cette  asseriion,  qui,  quoique  très-certaine  et 
très-vraie,  a  besoin  de  quelques  preuves  pour  paraître  tout-à-fait  in- 
dubitable. 

(5)  Le  lecteur  doit  voir  sans  doute  que  cette  preuve  en  faveur  de 
l'authenticité  de  l'Évangile  de  saint  Luc,  qui  serait  naturellement 
mieux  placée  au  chapitre  v  de  la  section  précédente,  est  cependant 
nécessaire  ici  pour  compléter  l'argument,  dont  le  but  est  de  montrer 
l'origine  authentique  des  Actes  par  l'identité  d'auteur  des  deux  ou- 
vrages. 

18. 


418  DE   L* AUTHENTICITÉ 

et  qu'il  eût  été  si  facile  de  prévenir  par  la  suppression 
de  quelques  lignes.  D'un  autre  côté,  il  n'est  fait  aucune 
mention  de  la  ruine  de  Jérusalem  dans  les  Actes.  Il  y 
est  dit  seulement  que  de  faux  témoins  accusèrent  le  dia- 
cre Etienne  d'avoir  parlé  contre  le  lieu  saint  et  contre 
la  loi ,  en  disant  que  Jésus  de  Nazareth  détruirait  le 
temple  et  changerait  les  traditions  laissées  par  Moïse 
(Act.  vi).  Cependant  la  destruction  de  cette  ville,  arri- 
vée dans  le  temps  marqué  par  Jésus-Christ,  était  une 
preuve  trop  sensible  de  sa  mission  divine  pour  que  les 
chrétiens  négligeassent  de  la  faire  valoir  contre  les  Juifs. 
Outre  que  la  conformité  de  l'événement  avec  la  prédic- 
tion eût  montré  que  Jésus -Christ  était  un  véritable 
prophète,  il  n'eût  pas  été  difficile  de  faire  envisager  aux 
Juifs  l'état  déplorable  de  leur  nation  comme  la  peine 
du  déicide  commis  en  la  personne  du  Messie.  On  dira 
peut-être  que  l'auteur  a  craint  de  se  trahir  et  de  laisser 
un  indice  de  la  supposition  de  son  ouvrage ,  en  rap- 
pelant un  fait  postérieur  aux  temps  dont  il  écrivait  l'his- 
toire. Mais  il  faut  observer  que  la  mort  de  saint  Pierre 
et  celle  de  saint  Paul  n'ont  précédé  le  siège  de  Jéru- 
salem que  de  trois  ou  quatre  ans.  Saint  Jean ,  et  peut- 
être  quelques  autres  d'entre  les  apôtres ,  ont  survécu  à 
la  désolation  de  leur  pays.  L'auteur  pouvait  donc,  sans 
choquer  la  vraisemblance ,  prolonger  son  histoire  jus- 
qu'au temps  de  la  guerre  des  Romains,  et  se  livrer  aux 
réflexions  qu'aurait  pu  lui  fournir  la  conformité  des  faits 
avec  la  prophétie  rapportée  dans  son  Évangile  (1).  » 

III.  Preuve  indirecte.  Comme  la  plupart  des  ar- 
gumens  qui  nous  ont  servi  à  démontrer  qu'il  est  tout- 

(1)  Du  Voism,  loc.  citât. 


I 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  419 

à-fait  impossible  que  les  Évangiles  aient  été  supposés, 
sont  applicables  à  l'authenticité  des  Actes  des  Apô- 
tres, nous  renvoyons  le  lecteur  à  l'exposé  que  nous  en 
avons  fait  plus  haut  (pag.  221  et  suiv.)>  en  nous  con- 
tentant de  produire  les  suivans. 

1.  Pour  être  fondé  à  prétendre  que  saint  Luc  n'est 
pas  l'auteur  des  Actes  des  Apôtres,  qu'on  lui  a  généra- 
lement toujours  attribués ,  il  faudrait  nécessairement 
qu'on  assignât  un  autre  écrivain  qui  aurait  composé  ce 
livre.  Or,  c'est  ce  qu'il  est  absolument  impossible  de 
faire  avec  la  moindre  apparence  de  raison  :  car,  ou  ce 
serait  un  auteur  contemporain  de  saint  Paul  qui  aurait 
écrit  des  faits  dont  il  aurait  été  témoin,  dans  le  dessein 
unique  de  les  transmettre  à  la  postérité  comme  les 
ayant  reconnus  pour  incontestables ,  ou  bien  ce  serait 
un  imposteur  qui  n'aurait  écrit  qu'après  les  événemens 
qu'il  donne  pour  s'être  passés  de  son  temps.  Or,  dans  la 
première  hypothèse ,  nos  adversaires  n'ont  rien  à  ga- 
gner; puisque  les  faits  étant  rapportés  par  un  compa- 
gnon de  saint  Paul,  qui  raconte  ce  qui  s'est  passé  sous 
ses  yeux,  la  vérité  des  faits  se  trouve  par  là  même  suf- 
fisamment constatée.  Dans  la  seconde,  ils  ne  sont  pas 
plus  heureux,  parce  qu'ils  sont  forcés  d'admettre  sans 
examen  préalable  une  opinion  entièrement  inadmissible. 
En  effet,  si  les  Actes  des  Apôtres  n'ont  été  écrits  qu'a- 
près les  temps  apostoliques,  il  faudra  fixer  la  composi- 
tion de  ce  livre  au  deuxième  siècle,  environ  deux  cents 
ans  après  les  voyages  de  saint  Paul.  Mais  il  est  impos- 
sible qu'un  faussaire  aussi  éloigné  de  l'époque  où  les 
événemens  ont  eu  lieu,  ait  pu  parler  avec  tant  de  jus- 
tesse et  de  précision  des  personnes,  des  lieux,  des  faits 
eux-mêmes ,  et  entrer  clans  des  détails  si  nombreux  et 


420  DE   l'authenticité 

si  minutieux  de  tout  ce  qui  s'y  rattache.  Comment,  en 
effet,  aurait-il  réussi  à  se  mettre  si  bien  en  rapport  avec 
les  événemens  accomplis  si  long -temps  auparavant, 
avec  les  coutumes  juives  et  romaines,  et  sans  jamais 
tomber  en  contradiction  avec  la  vérité  ?  chose  pourtant 
très  -difficile ,  surtout  après  la  ruine  de  la  Judée  ,  qui 
changea  totalement  la  face  de  ce  pays.  Avouons  donc 
avec  les  rationalistes  eux-mêmes  que  le  livre  des  Actes 
ne  renferme  rien  qui  ne  soit  parfaitement  conforme  aux 
temps  et  aux  lieux,  et  reconnaissons  parla  même  qu'il 
est  véritablement  authentique. 

2.  Il  est  certain  que  le  livre  des  Actes  était  unani- 
mement reçu  parmi  les  chrétiens  dès  le  quatrième  siè- 
cle. Eusèbe  de  Gésarée  le  met  dans  le  canon  des  livres 
admis  par  tout  le  monde  sans  la  moindre  contestation. 
Voici  les  propres  paroles  de  ce  père  de  l'histoire  ecclé- 
siastique :  ((  C'est  ici  le  lieu  de  traiter  en  peu  de  mots 
des  livres  du  Nouveau-Testament.  Il  faut  mettre  au  pre- 
mier rang  les  quatre  saints  Evangiles,  ensuite  les  Actes 
des  Apôtres,  etc..  Ce  sont  là  les  livres  universellement 
reçus  (1).  ))0r,  peut-on  supposer  que  si  les  Actes  n'a- 
vaient pas  été  regardés  comme  véritablement  authenti- 
ques, ils  auraient  obtenu  l'assentiment  général  ?  Et  ne 
sait-on  pas  que  le  désaccord  qui  a  existé  pendant  quel- 
que temps  dans  les  églises  chrétiennes  au  sujet  des  li- 
vres controversés  venait  uniquement  du  doute  qu'on 
avait  de  leur  authenticité?  Ajoutons  que  saint  Jérôme, 
saint  Augustin,  saint  Chrysostome,  confirment  l'asser- 
tion d'Eusèbe.  Mais  en  remontant  plus  haut,  nous  trou- 
vons Origène ,  et  avant  lui  ïertullien  ,  saint  Clément , 

(l)  Euseb.  Hist.  ecclés,  l.  m,  c.  xxv. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  421 

saint  Irénée ,  qui  parlent  des  Actes  comme  d'an  livre 
admis  dans  l'Eglise;  Origène,  en  particulier,  les  attri- 
bue expressément  à  saint  Luc,  quand  après  avoir  parlé 
de  plusieurs  écrivains  du  Nouveau-Testament,  il  ajoute , 
i^t  Lucas  apostolorum  gesta  describens  (1).  Or,  d'après 
ces  témoignages,  comment  ce  livre  aurait-il  pu  être  sup- 
posé? S'il  l'avait  été,  la  supposition  n'aurait  pu  avoir 
lieu  que  du  vivant  même  des  apôtres  ou  après  eux.  Dans 
le  premier  cas,  les  églises  nouvellement  fondées  ne  se 
seraient-elles  donc  pas  inscrites  en  faux  contre  l'im- 
posture? Et  les  apôtres  eux-mêmes,  saint  Paul,  saint 
Luc  et  saint  Jean ,  qui  a  vécu  jusqu'au  commencement 
du  second  siècle,  ne  l'auraient-ils  point  signalée  >  eux 
qui  marquaient  si  exactement  aux  fidèles  les  discours  et 
les  écrits  dangereux  ?  Mais  l'histoire  ecclésiastique  nous 
fournit  une  preuve  évidente  du  zèle  avec  lequel  on  veil- 
lait dès  l'origine  de  l'Eglise  à  ce  que  des  écrits  apocry- 
phes ne  pussent  s'introduire  parmi  les  livres  authenti- 
ques. Nous  lisons  dans  TertuUien,  qu'un  prêtre  en  Asie 
ayant  fabriqué  un  écrit  qu'il  avoua  avoir  composé  dans 
le  dessein  de  relever  la  gloire  de  saint  Paul,  fut  déposé 
du  sacerdoce  (2),  et  saint  Jérôme  ajoute  que  ce  fut  saint 
Jean  qui  ayant  reçu  l'aveu  de  ce  prêtre  lui  infligea  cette 
punition  (3).  Dans  le  second  cas,  c'est-à-dire  après  la 

(l)  Origen.  iu  libr.  Jesu  lYave.  HomiL  vu,  n.  1. 

(2)Terlull.  De  bapiiamo,  c.  svii. 

(3)  a  Périodes  Pauli  et  Theclœ  et  latam  baplisati  Leonis  fabulam 
inter  apocryphas  scripturas  repulamus.  Quale  enim  est  ut  individuus 
cornes  apostoli  Lucas,  inter  Cc-eteras  ejus  res,  hoc  solum  ignoravit. 
Sed  et  TertuUiaous,  \icinus  eorura  temporum,  refert  presbylerum 
quemdam  in  Asia,  amatorem  apostoli  Pauli,  convictum  apud  Joan- 
nem,  quod  esset  auctor  libri,  et  confessum  se  hoc  Pauli  araore  fc- 
cisse,  et  ob  id  cxcidisse  (Hieron.  De  viris  illustr.  c.  vii\» 


422  DE    l'authenticité 

mort  des  apôtres,  ce  qui  nous  reporte  au  milieu  du  second 
siècle,  la  supposition  était  également  impossible  ;  car, 
outrequelaplupartdeséglisesayantété  fondées  par  saint 
Paul,  ses  disciples  immédiats  qui  les  gouvernaient  au- 
raient facilement  reconnu  l'erreur  où  on  aurait  voulu  les 
jeter  par  rapport  au  disciple  favori,  au  compagnon  insé- 
parable du  grand  apôtre,  c'est  à  cette  époque  même  que 
saint  Irénée  etTertullien  déclaraient  delà  manière  la  plus 
positive  que  quand  il  s'agissait  de  l'authenticité  des  livres 
saints  ou  de  tout  autre  dogme  du  christianisme,  on  n'en 
reconnaissait  aucun  qui  ne  fût  autorisé  par  la  tradi- 
tion (1).  Ainsi  aucun  critique  ne  saurait  légitimement 
prétendre  que  les  Actes  des  Apôtres  soient  un  livre  sup- 
posé. 

Enfin ,  si  le  livre  des  Actes  n'était  pas  authentique,  l'exa- 
men si  sévère  et  souvent  si  passionné  auquel  les  incré- 
dules modernes  l'ont  soumis  n'aurait  pas  manqué  de 
faire  découvrir  des  contradictions  avec  les  monumens 
profanes  que  tout  le  monde  admet.  Or,  les  critiques  les 
plus  portés  à  rejeter  l'authenticité  de  nos  saintes  Ecri- 
tures, nous  voulons  parler  des  rationalistes  allemands, 
loin  d'avoir  rien  trouvé  de  semblable,  sont  convenus  que 
sous  ce  rapport  les  Actes  des  Apôtres  étaient  vraiment 
inattaquables. Nous  ajouterons  que  les  passages  mêmes 
qui  d'abord  avaient  fait  naître  quelques  doutes,  sont  de- 
venus, par  la  comparaison  de  certains  monumens  mieux 
étudiés,  des  pièces  d'une  conviction  complète  ;iious  au- 
rons occasion  de  prouver  cette  assertion  dans  l'ouvrage 
destiné  à  réfuter  les  objections  de  détail  faites  contre  les 
livres  saints. 

(1)  Iren.  Adven.  liœres.  l.  m,  c.  iv.  —  TerUiU.  Advers.  Marcion, 
l,  IV,  c.  IV,  V,  et  D&  prœscript.  c.  xxxvi. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  423 

En  attendant,  nous  pouvons  affirmer,  sans  crainte  de 
recevoir  un  démenti  fondé,  que  la  nature  et  le  nombre 
des  preuves  que  nous  avons  fournies  en  faveur  de  l'ori- 
gine des  Actes  des  Apôtres,  ne  peuvent  laisser  aucun 
doute  sur  l'authenticité  de  ce  livre. 


CHAPITRE  TROISIEME. 

DU  TEMPS,  DU  LIEU,  ET  DE  LA  LANGUE  DANS  LAQUELLE 
FUREKT  COMPOSÉS  LES  ACTES  DES  APOTRES. 

1.  En  établissant,  comme  nous  l'avons  fait  au  chapi- 
pitre  précédent,  l'authenticité  des  Actes  des  Apôtres, 
nous  avons  prouvé  par  cela  même  que  la  composition 
de  ce  livre  ne  saurait  être  postérieure  à  saint  Luc,  qui 
en  est  indubitablement  l'auteur.  De  Wette,  à  la  vérité, 
a  conclu  d'une  prophétie  de  Jésus-Christ  sur  la  des- 
truction de  Jérusalem  rapportée  dans  l'Evangile  de  saint 
Luc  (XXI,  20  et  suiv.),  que  les  Actes  des  Apôtres  aussi 
bien  que  cet  Evangile  lui-même  n'avaient  été  composés 
qu'après  la  ruine  de  cette  ville  (1);  mais,  outre  que  la 
fausseté  de  cette  dernière  proposition  considérée  en  elle- 
même  se  trouve  complètement  démontrée  par  tout  ce 
que  nous  avons  dit  sur  l'authenticité  des  deux  ouvra- 
ges,  comme  conséquence  logique,  la  même  proposition 
n'estni  plus  vraie  ni  plus  légitime  ;  en  effet,  de  ce  qu'un 
livre  contient  la  narration  d'un  événement,  il  ne  s'ensuit 
point  absolument  qu'il  soit  postérieur  à  ce  fait;  car,  quoi- 
qu'en  dise  De  Wette  et  tous  les  rationalistes  avec  lui,  il 
est  incontestable  que  Dieu  peut,  quand  il  lui  plaît,  faire 

(l)  De  Wclte,  Einkitimg  in  dus  A.  T.  Seit  182. 


424  DU  TEMPS  OU  FURENT  COMPOSÉS 

connaître  l'avenir  aux  hommes,  et  qu'il  a  usé  plus  d'une 
fois  de  ce  pouvoir ,  apanage  de  sa  divinité.  Ainsi,  la 
question  qui  doit  nous  occuper  ici  est  uniquement  celle 
de  l'époque  précise  à  laquelle  saint  Luc  a  écrit  les  Actes 
des  xVpôtres  -.  Or,  cette  date  précise  n'est  pas  facile  à  dé- 
terminer ,  puisque  les  interprètes  et  les  chronologistes 
ne  s'accordent  pas  entre  eux.  Mais  il  faut  aussi  conve- 
nir que  le  partage  d'opinions  porte  sur  peu  de  chose. 
En  effet,  l'histoire  racontée  dans  ce  livre  nous  condui- 
sant jusqu'à  la  seconde  année  de  l'emprisonnement  de 
saint  Paul  à  Rome,  où  Festus,  gouverneur  de  la  Judée, 
l'avait  envoyé  de  Césarée  pour  y  être  jugé,  on  esten  droit 
de  conclure  que  les  Actes  des  Apôtres  n'ont  pu  être  ter- 
minés avant  cette  époque ,  et  d'un  autre  côté  l'auteur 
ne  disant  pas  un  seul  mot  de  l'histoire  du  grand  apô- 
tre postérieure  à  cette  seconde  année ,  les  chronolo- 
gistes ne  diffèrent  dans  leurs  calculs  que  de  deux  ans 
seulement;  les  uns  (ce  sont  surtout  les  anciens)  plaçant  la 
composition  du  livre  à  l'an  63  de  l'ère  chrétienne,  et  les 
autres  à  l'an  65.  «  Gomme  les  Actes  continuent  jusqu'à 
la  fin  de  la  seconde  année  de  l'emprisonnement  de  saint 
Paul,  dit  Michaëlis,  ils  ne  peuvent  pas  avoir  été  écrits 
avant  l'année  63  ;  je  ne  regarde  pas  comme  probable 
qu'ils  aient  été  écrits  plus  tard,  car  saint  Luc  aurait 
alors  rapporté  quelques  détails  relatifs  à  saint  Paul,  ou 
aurait  au  moins  parlé  de  l'issue  de  son  emprisonnement, 
à  laquelle  le  lecteur  chrétien  était  si  intéressé  (1).  » 

(1)  J.  D.  Michaëlis,  Introduction  au  IV.  T.  tome  m,  pa(j-  408  — 
Nous  croyons  devoir  faire  remarquer  que  Michaëlis  semble  se  con- 
tredire, lorsqu'il  dit  (pag.  42 1)  :  a  Les  Actes  des  Apôtres  finissent  avec 
la  seconde  année  de  l'emprisonnement  de  saint  Paul  à  Rome,  à  savoir 
l'an 65.»  On  lit  la  même  chose  dans  la  traduction  anglaise  de  Marsh 


/ 


LES  ACTES  DES  APOTRES.  425 

Nous  sommes  assez  porté  à  embrasser  l'opinion  de  Mi- 
chaëlis;  mais  nous  avouons  que  pour  résoudre  cette 
question  d'une  manière  satisfaisante,  il  faudrait  pouvoir 
déterminer  le  moment  précis  où  Festus  remplaça  Félix 
dans  le  gouvernement  de  la  Judée.  Or,  la  chose  n'est 
pas  si  facile;  et  Hug,  ce  savant  critique,  tout  en  essayant 
de  montrer  comme  une  conjecture  probable  que  le  rem- 
placement de  Félix  doit  être  fixé  à  la  septième  année 
de  Néron,  ou  à  la  soixante-troisième  de  notre  ère,  ce  qui 
reporte  la  fin  de  la  captivité  de  saint  Paul  à  la  soixante- 
cinquième,  reconnaît  cependant  que  son  calcul  souffre 
des  difficultés  (1).  Saint  Jérôme  en  particulier  fait  cor- 
respondre la  seconde  année  du  séjour  de  saint  Paul  à 
Rome  à  la  quatrième  du  règne  de  Néron  (2) . 

%  On  n'a  pas  de  moyens  plus  sûrs  de  déterminer  lo 
lieu  où  se  trouvait  saint  Luc  lorsqu'il  a  composé  les 
Actes  des  Apôtres.  Quelques-uns  prétendent  que  ce  li- 
vre a  été  écrit  à  Alexandrie,  d'autres  pensent  que  ce  fut 
à  Rome.  Quoiqu'il  soit  difficile  de  rien  statuer  de  solide 
sur  cette  question,  nous  nous  rangeons  en  partie  à  l'o- 
pinion émise  par  Michaëlis,  lorsqu'il  a  dit  :  «  Il  est  im- 
possible actuellement  de  décider  si  l'intervalle  écoulé 
entre  la  composition  de  l'Évangile  de  saint  Luc  et  des 
Actes  des  Apôtres  a  été  considérable  ou  non  ;  nous  ne 
pouvons  pas  mieux  dire  si  ces  deux  ouvrages  ont  été 
écrits  dans  le  même  lieu  ou  dans  des  endroits  différens,  et 

(vol.  m,  part,  i,  pag.  337),  sur  laquelle  a  élé  faite  celle  de  Levade, 
dont  nous  nous  servons  ici. 

(1)  Hug,  Einleilunrj.  Tlu  ii,  Seil.  279-281. 

(2)  a  Cujus  historia  usque  ad  jjienuium  Piomrc  commorantis  Pauli 
pcrvenit,  id  est  usque  ad  quarlum  Neronis  annum  {\\\Qvon.  De  script, 
ceci,  ad  voc.  Luc.).» 


426  DU   LIEU   DANS  LEQUEL   FURENT   COMPOSÉS 

quand  même  tous  les  deux  sont  dédiés  à  Théophile,  nous 
ne  pouvons  pas  affirmer  qu'ils  aient  été  écrits  dans  le 
lieu  où  résidait  Théophile.  Il  est  moins  probable  encore 
que  les  Actes  des  x\pôtres  aient  été  composés  à  Alexan- 
drie, qu'il  ne  l'est  que  l'Evangile  y  ait  été  écrit  ;  si  l'on 
pouvait  hasarder  une  conjecture,  là  où  manquent  les 
preuves  historiques,  je  supposerais  plutôt  que  les  Actes 
ont  été  écrits  à  Rome,  où  saint  Luc  dit  être  arrivé  avec 
saint  Paul  peu  avant  la  fin  de  son  livre,  Act.  xxviii, 
16  (1).»  C'était  aussi  le  sentiment  de  saint  Jérôme;  car 
après  avoir  dit  que  ce  livre  s'étend  jusqu'à  la  seconde 
année  du  séjour  de  saint  Paul  à  Rome ,  il  ajoute  immé- 
diatement :  Ex  quo  intelUgimus  in  eadem  urbe  librum 
esse  compositum  (2).  » 

3.  Nous  regardons  comme  hors  de  toute  espèce  de 
doute,  que  saint  Luc  a  écrit  primitivement  en  grec  les 
Actes  des  Apôtres  ;  car  nous  fondons  notre  assertion  et 
sur  le  sentiment  unanime  des  critiques  dont  le  jugement 
peut  être  de  quelque  poids  en  cette  matière,  et  ^sur  le 
texte  grec  lui-même,  qui  en  indiquant  manifestement  une 
composition  originale,  ne  laisse  apercevoir  aucune  trace 
de  version. 

(1)  Michaëlis.  Introd.  an  N.  T,  tome  m,  pag.  407,  408. — Ajou- 
tons que  bien  qu'il  ne  soit  pas  démontré  qu'il  n'y  ait  point  eu  un  long 
intervalle  de  temps  entre  la  composition  de  l'Évangile  de  saint  Luc  et 
celle  du  livre  des  Actes,  la  chose  paraît  cependant  assez  probable; 
voyez  ce  que  nous  avons  dit  à  ce  sujet,  pag.  150. 

(2)  Hieronym,  loc.  citât. 


LES  ACTES  DES  APOTRES.  42t 

CHAPITRE  QUATRIÈME. 

DE    LA    DIVLMTÉ    DES   ACTES   DES   APOTRES. 

L'autorité  divine  des  Actes  des  Apôtres  a  rencontré 
les  mêmes  adversaires  que  la  divinité  des  Évangiles, 
c'est-à-dire  les  anciens  incrédules,  les  rationalistes,  les 
partisans  de  l'interprétation  mythique,  etc.  Nous  ferons 
remarquer  ici  que  Michaëlis  a  prétendu  que  saint  Luc 
n'ayant  été  qu'un  simple  compagnon  d'apôtre,  n'avait 
point  reçu  le  don  de  l'inspiration  divine,  et  que  par  con- 
séquent les  Actes,  pas  plus  que  son  Évangile  et  celui  de 
saint  Marc,  n'était  un  ouvrage  divinement  inspiré.  On 
trouvera  peut-être  que  nous  aurions  dû  rapporter  l'opi- 
nion de  ce  savant  dans  le  chapitre  consacré  à  la  divinité 
des  Evangiles,  mais  il  nous  a  semblé  que  le  rapport  même 
sous  lequel  nous  avions  envisagé  ce  point  doctrinal  ne 
nous  permettait  pas  de  le  discuter  en  cet  endroit ,  et 
qu'il  trouverait  encore  ici  assez  naturellement  sa  place. 

PROPOSITION. 

Les  Actes  des  Apôtres  sont  un  livre  divin. 

Il  faut  bien  remarquer  que  cette  proposition,  dont  l'é- 
noncé exprime  une  des  vérités  de  la  foi  catholique,  étant 
établie  non  seulement  contre  Michaëlis ,  mais  aussi  contre 
les  différens  adversaires  que  nous  venons  de  signaler 
dans  les  observations  préliminaires,  les  preuves  suivan- 
tes ne  s'appliquent  pas  à  tous,  ou  du  moins  de  la  même 
manière. 

1.  Saint  Luc,  comme  nous  l'avons  démontré  au  cha- 
pitre deuxième,  étant  l'auteur  des  Actes  des  Apôtres, 
il  s'ensuit  nécessairement  qu'il  a  été  favorisé,  en  les 


428  DE   LA   DIVINITÉ 

composant,  du  secours  de  l'inspiration  divine,  puisque 
l'Évangile  qui  porte  son  nom  et  qui  est  son  ouvrage  a 
été  divinement  inspiré;  nous  l'avons  également  prouvé 
ailleurs  (pag.  318-322).  Ainsi  les  Actes  des  Apôtres  ont 
été  écrits  par  l'inspiration  divine.  Si  l'on  nous  demande 
sur  quoi  nous  fondons  cette  conséquence,  nous  avons  à 
répondre  qu'elle  découle  nécessairement  de  la  nature 
même  du  livre  des  Actes,  qui  ne  fait  qu'un  ouvrage  avec 
l'Evangile  de  saint  Luc,  dont  il  est  simplement  la  seconde 
partie.  Aussi  est-ce  avec  raison  qu'on  a  déjà  remarqué 
avant  nous  que  si  l'Evangile  nous  décrit  le  grain  de  fro- 
ment jeté  dans  la  terre  et  semé  dans  le  champ,  les  Actes 
nous  le  représentent  à  l'état  de  germe  qui  pousse,  de 
plante  qui  s'élève,  et  d'arbre  produisant  son  fruit  (1). 
Nous  ajouterons  que  cette  conséquence  se  trouve  encore 
suffisamment  légitimée  par  le  témoignage  de  toute  l'an- 
tiquité chrétienne,  qui  n'a  mis  aucune  différence  entre 
l'autorité  des  Actes  et  celle  de  l'Evangile,  comme  on  va 
le  voir  par  les  preuves  suivantes. 

2.  Ujie  seconde  preuve  qui  milite  en  faveur  de  la  di- 
vinité du  livre  des  Actes,  c'est  qu'il  se  trouve  compris 
parmi  les  écrits  divinement  inspirés  dans  tous  les  canons 
ou  catalogues  sacrés  des  saintes  Ecritures  ;  et  s'il  a  été 
rejeté,  c'est  uniquement  par  quelques  hérétiques,  tels  que 
les  marcionites  et  les  manichéens,  qui  l'ont  proscrit,  en 
effet,  de  leur  canon,  parce  que  leurs  erreurs  s'y  trou- 
vaient trop  clairement  condamnées.  Mais  ce  fait  même 
ne  confirme-t-il  pas  la  canonicité  de  ce  livre  au  lieu  de 
la  détruire  ou  de  la  diminuer  ? 

3.  Mais  outre  que  les  Actes  figurent  dans  tous  les  ca- 

(1)  Yoy.  D.  Calmet,  Préface  sur  les  Actes  des  Apôtres. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  429 

nons  dressés  par  les  chrétiens ,  ils  ont  encore  été  lus 
de  tout  temps  dans  l'Eglise  comme  Ecriture  sainte  ;  ce 
qui  est  un  des  caractères  les  plus  sensibles  de  leur  in- 
spiration divine. 

4.  Tous  les  saints  pères,  sans  exception  ,  ne  se  sont 
pas  bornés  à  de  simples  citations  empruntées  aux  Actes  ; 
ils  leur  ont  reconnu  l'autorité  de  la  parole  m,ême  de 
Dieu,  et  c'est  à  ce  titre  qu'ils  les  ont  allégués  aux  païens 
comme  aux  chrétiens,  aux  hérétiques  comme  aux  fidèles 
orthodoxes.  De  là  vient  qu'OEcuménius  ne  craint  pas 
de  donner  à  ce  livre  le  beau  nom  d'Evangile  du  Saint- 
Esprit  (1)  ,  et  que  selon  saint  Augustin ,  saint  Luc  y  a 
mis  tout  ce  qu'il  a  cru  nécessaire  pour  édifier  la  foi  de 
ceux  qui  le  liraient  ou  l'entendraient  lire ,  et  qu'il  l'a 
écrit  de  manière  qu'entre  un  grand  nombre  d'ouvrages 
qu'on  a  faits  sur  l'histoire  des  apôtres,  le  sien  seul  a  été 
reçu  par  l'Église  comme  digne  de  foi,  tandis  que  tous 
les  autres  ont  été  rejetés  comme  ne  méritant  pas  la  même 
confiance  (2).  De  là  vient  enfin  que  saint  Chrysostome 
assure  que  ce  livre  peut  nous  être  aussi  utile  que  les 
Evangiles  mêmes,  soit  pour  le  règlement  de  nos  mœurs, 
soit  pour  établir  les  points  de  la  doctrine;  car  nous  y 
voyons  l'accomplissement  de  plusieurs  prédictions  faites 
par  le  Sauveur  ;  telles,  par  exemple,  que  la  descente  du 
Saint-Esprit,  et  le  changement  prodigieux  qu'il  a  opéré 
dans  l'esprit  et  dans  le  cœur  des  apôtres .  Nous  y  voyons 
non  seulement  le  modèle  de  la  perfection  chrétienne 
pour  les  simples  fidèles,  dans  les  premiers  chrétiens  de 
Jérusalem,  mais  encore  le  type  de  la  sainteté  pour  ceux 

(1)  OEcumenius,  in  Acta,  pag.  20. 

(2)  August.  De  consens.  Evangel,  c.  viii,  n.  9. 


430  I>E   LA  DIVINITÉ 

qui  gouvernent  l'Église  ,  dans  la  vertu  incomparable 
des  apôtres,  et  surtout  dans  leur  union  et  dans  leur  cha- 
rité parfaite .  Nous  y  apprenons  aussi  des  dogmes  qui 
ne  se  trouvent  dans  aucun  autre  livre  de  l'Ecrilure  av€C 
la  même  clarté  ;  bien  plus ,  celui-là  même  d'où  décou- 
lent toutes  les  autres  vérités  de  la  religion ,  si  le  livre 
des  Actes  n'eût  pas  été  publié ,  serait  resté  enveloppé 
de  ténèbres  impénétrables  (1). 

5.  La  raison  sur  laquelle  Michaëlis  se  fonde  pour  re- 
fuser le  secours  surnaturel  de  l'inspiration  aux  Actes 
des  Apôtres ,  est  que  saint  Luc ,  leur  auteur ,  n'ayant 
pas  été  apôtre,  mais  seulement  compagnon  de  l'apôtre 
saint  Paul,  n'a  point  été  inspiré  (2).  Or,  cette  raison,  dès 
qu'on  l'examine  avec  quelque  attention,  paraît  bien  peu 
solide.  En  effet,  comment  Michaëlis  pourrait-il  démon- 
trer que  l'Esprit  saint  n'a  pu  favoriser  de  sa  divine 
inspiration  un  écrivain  du  Nouveau-Testament ,  par 
cela  seul  qu'il  n'avait  pas  fait  partie  des  apôtres  du 
Sauveur?  Mais  s'il  est  impossible  de  fournir  une  preuve 
réelle  de  cette  nature,  le  savant  critique  n'a  aucun  droit 
légitime  dans  sa  prétention.  D'ailleurs,  de  bonne  foi, 
s'imaginera-t-on  que  Dieu,  qui  a  voulu  que  l'histoire  de 
l'établissement  et  des  premiers  progrès  de  la  religion 
chrétienne  fût  conservée  par  écrit,  n'ait  pas  accordé  le 
secours  de  son  inspiration  à  l'écrivain  compagnon  des 
disciples  fidèles,  de  celui  qui  joue  dans  les  Actes  le  rôle 
le  plus  considérable?  surtout  si  l'on  considère  que  cette 
histoire,  comme  nous  l'avons  répété  si  souvent,  n'est  en 

(1)  Chrysost.  Homil.  i  in  Acl. 

(2)  J.  D.  Michaëlis,  Inlrod.  au  I\^.  T.  lome  i,    129-145j   tome  m, 
281-285. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  431 

réalité  que  la  continuation  et  le  complément  de  l'his- 
toire évangélique  ,  et  qu'elle  a  été  composée  dans  des 
circonstances  où  l'Esprit  saint  répandait  avec  tant 
d'abondance  ses  dons  et  ses  grâces  sur  les  apôtres  et 
sur  leurs  disciples.  11  nous  semble  au  contraire  à  nous 
que  la  position  toute  particulière  de  saint  Luc  vis-à-vis 
de  saint  Paul  est,  pour  un  lecteur  attentif  du  livre  des 
Actes ,  une  preuve  sensible  qu'il  a  été  choisi  spéciale- 
ment de  Dieu  pour  laisser  à  l'Eglise  un  monument  fidèle 
et  sûr  de  la  fondation  divine  du  christianisme.  Or,  ne 
convenait-il  pas  que  l'écrivain  chargé  d'une  mission 
aussi  importante,  et  en  même  temps  aussi  difficile,  reçût 
le  secours  surnaturel  qui  ne  fut  refusé  ni  aux  histo- 
riens ni  aux  prophètes  de  l' Ancien-Testament?  Mais 
opposons  à  l'autorité  de  Michaëlis,  protestant,  les  rai- 
sonnemens  d'un  autre  protestant, qui, malgré  son  grand 
respect  pour  les  livres  saints,  ne  se  montre  pas  tou- 
jours assez  sévère  dans  ses  principes  sur  l'inspiration  , 
et  dont  par  conséquent  le  témoignage  ne  devra  point 
paraître  suspect  ;  nous  voulons  parler  de  J.-E.  Cellérier. 
Voici  comment  il  répond  au  critique  allemand  : 

((L'inspiration  des  livres  saints  écrits  par  les  apô- 
tres repose  principalement  sur  trois  ordres  d'argu- 
mens  :  la  nature  des  choses ,  la  tradition  antique  ,  et  la 
nature  des  livres.  Les  livres  des  compagnons  des  apôtres 
seraient-ils  privés  des  mêmes  appuis  ,  et  quelqu'une  de 
ces  trois  classes  de  preuves  leur  serait- elle  refusée?  En 
d'autres  termes ,  l'hypothèse  de  Michaëlis  est-elle  ap- 
puyée sur  une  difPérence  essentielle  dans  la  position  des 
deux  évangélistes  dont  il  s'agit  (saint  Marc  et  saint  Luc), 
ou  bien  sur  les  témoignages  historiques  dont  leurs 
écrits  sont  l'objet ,  ou  bien  encore  sur  le  caractère  de 


432  ÎJE   LA    DIVINITÉ 

ces  écrits? — 1°  Il  faut  accorder  à  Michaëlis  que  les 
promesses  d'inspiration  n'ont  été  faites  immédiatement 
qu'aux  apôtres  seuls ,  et  que  Marc  et  Luc  ne  nous  ont 
laissé  aucune  preuve  individuelle  en  faveur  de  la  divi- 
nité de  leurs  écrits.  Mais  on  conviendra  aussi  que  ce  . 
n'est  pas  là  une  démonstration  de  leur  non  inspiration  ; 
ce  n'est  pas  même  un  argument  direct,  ce  n'est  que 
l'absence  d'une  preuve  qui  reste  à  fournir.  Si  on  la  four- 
nit de  quelque  autre  côté ,  l'objection  s'évanouit  par 
cela  même ,  et  elle  serait  bien  faible  lors  même  qu'on 
ne  la  fournirait  pas  ;  car  s'il  n'y  a  pas  de  preuve  écrite 
que  Marc  et  Luc  aient  été  inspirés,  leur  position  rela- 
tivement aux  apôtres  le  rend  cependant  bien  probable. 
Cette  probabilité  résulte  de  ce  que  les  apôtres  s'asso- 
cièrent divers  disciples  pour  les  aider ,  non  seulement 
dans  l'administration  de  l'Église,  mais  dans  la  prédica- 
tion de  l'Evangile.  Ils  leur  communiquèrent ,  pour  cet 
effet,  les  dons  du  Saint-Esprit,  que  ceux-ci  purent  même 
communiquer  à  d'autres.  Or,  nous  avons  ici  deux  des 
plus  dévoués  et  des  plus  actifs  de  ces  disciples,  qui  vé- 
curent très-long-temps  avec  eux ,  qui  furent  constam- 
ment leurs  associés  dans  cette  œuvre,  et  dont  la  fonction 
spéciale  fut  d'écrire  l'histoire  évangélique.  Maintenant, 
je  le  demande,  est-il  ou  non  probable  que  les  deux  apô- 
tres qui  étaient  leurs  maîtres,  leurs  amis  et  leurs  pères 
spirituels,  ne  leur  aient  pas  communiqué  les  dons  mi- 
raculeux dont  ils  avaient  besoin  (1)  ?  Nous  pouvons  aller 

(1)  Que  saint  Marc  et  saint  Luc  aient  reçu  le  don  de  l'inspiration 
par  l'entremise  des  apôtres,  comme  le  dit  M.  Ccliérier,  ou  bien  qu'ils 
l'aient  reçu  immédiatement  de  l'Esprit  saint,  ce  qui  nous  paraît  plus 
fonde,  l'argument  n'en  conserve  pas  moins  sa  force  contre  l'opinion 
de  Michaëlis. 


DES   ACTES  DES  APOTRES.  4  33 

plus  loin  encore;  Michaëlis,  pour  prouver  l'inspiration 
des  apôtres,  insiste  (tome  i,  pag.  119)  sur  un  passage 
digne  d'attention,  1  Cor.  xii,  28  ;  Dieu  a  établi  dans 
r Eglise,  premièrement,  les  apôtres; secondement,  lesfro- 
pliètes  ;  en  troisième  lieu,  les  docteurs  ;  puis  ceux  qui  ont  le 
don  des  miracles,  ensuite  ceux  qui  ont  le  don  de  guérir 
les  malades.  Il  en  conclut  avec  raison,  que  puisque  les 
apôtres  sont  nommés  avant  les  prophètes,  ici  et  dans  le 
verset  suivant  [Tous  sont-ils  apôtres,  tous  sont-ils  pro- 
phètes, tous  sont-ils  docteurs,  tous  ont-ils  le  don  des  mi- 
racles?), ils  occupaient  dans  l'Église  un  rang  plus  dis- 
tingué, et  jouissaient  de  dons  spirituels  au  moins  égaux. 
Dans  le  même  endroit,  il  affirme  que  le  troisième  ordre, 
celui  des  docteurs,  comprenait  les  compagnons  des  apô- 
tres, comme  Luc,  Marc,  Tite  et  Timothée.  Mais  n'en  ré- 
sulte-t-il  pas  aussi  que  ces  docteurs,  placés  avant  tous 
ceux  qui  n'ont  que  les  dons  des  miracles,  avaient  comme 
eux  en  partage  des  facultés  surnaturelles  qui  s'appli- 
quaient à  leurs  vocations  particulières;  c'est-à-dire  en 
d'autres  termes,  qu'ils  étaient  inspirés  comme  les  apô- 
tres et  les  prophètes  ?  N'est-il  pas  évident  d'ailleurs  que 
ce  passage  désigne  conjointement  tous  ceux  qui  avaient 
reçu  le  Saint-Esprit,  avec  des  dons  extraordinaires,  une 
mission  spéciale  pour  enseigner  et  gouverner  l'Église? 
Au  besoin  nous  trouverons  dans  les  Épîtres  de  saint 
Paul  une  preuve  plus  directe  encore. 

«  L'Apôtre,  en  effet,  écrit  septde  ses  Épîtres, non  seu- 
lement en  son  nom,  mais  encore  en  celui  de  Timothée, 
de  Sosthènes  et  de  Sylvain.  Il  les  place  donc  presque 
sur  la  môme  ligne  que  lui,  il  appuie  ses  conseils  sur 
leur  autorité,  et  il  rend  par  là  un  témoignage  évident  à 
leur  inspiration.   Si  Timothée  et  Sylvain  ont  été  inspi- 

V.  J9 


434  DE   LA  DIVINITÉ 

rés,  Luc  et  Marc,  qui  occupaient  la  même  place  auprès 
des  apôtres,  ont  du  l'être  comme  eux,  et  peut-être  à 
plus  forte  raison  qu'eux,  vu  la  tâche  qui  leur  a  été  con- 
fiée (1). 

2°  «  Bien  loin  que  l'hypothèse  de  Michaëlis  soit  le 
moins  du  monde  fondée  sur  des  témoignages  histori- 
ques ,  dans  les  premiers  temps  de  l'Eglise,  on  ne  peut 
pas  apercevoir  la  moindre  différence  d'autorité  entre  les 
quatre  Évangiles.  On  peut  consulter  là-dessus  Lardner, 
Schmidius,  etc.  ;  je  rappellerai  seulement  deux  passages 
d'Irénée.Cepère,  au  milieu  du  second  siècle,  affirmait 
en  combattant  les  hérétiques  (2),  qu'il  ne  pouvait  y  avoir 
que  quatre  Évangiles;  que  nos  quatre  Évangiles  cano- 
niques étaient  comme  les  quatre  points  cardinaux,  les 
quatre  vents,  quatre  colonnes  vivantes  sur  lesquelles 
reposait  l'Église,  etc.  Ce  ne  sont  pas  là,  si  l'on  veut,  des 
images  bien  choisies,  mais  le  témoignage  n'en  est  pas 
moins  positif.  Le  même  père  se  plaint  ailleurs  (3)  avec 
amertume,  que  Marcion  ait  osé  préférer  son  autorité  à 
celle  des  aiiôtres,  en  mutilant  l'Evangile  de  saint  Luc. 
Il  est  vrai  qu'Irénée  regardait  les  Evangiles  de  Marc  q\ 
de  Luc  comme  n'étant  qu'un  résumé  des  leçons  de  Pierre 
et  de  Paul;  mais  avec  cela,  s'il  n'eût  pas  reconnu  aux 

(1)  «  Dans  ces  noms  dont  l'Apôtre  accompagne  le  sien,  Michaëlis 
ne  voit  que  les  secrétaires  qui  ont  écrit  la  lettre.  Mais  les  secrétaires 
étaient  plutôt  des  serviteurs  que  des  compagnons;  quand  ils  se  nom- 
ment, c'est  à  la  fin  de  l'épîtie  et  non  au  commencement  (Rom.  xvi, 
22).  Comment  expliquer  d'ailleurs  par  cette  supposition  les  titres 
où  saint  Paul  réunit  deux  noms  divers  au  sien  (l  Thess.  i,  1  ;  2  Thess. 
I,  1)?  Ces  épîtres-là  étaient-elles  donc  de  deux  mains  diliérentesî  » 

(2)Iren.  Adv.  hœres.  L  m,  c.  ii,  n.  8,  0. 

(3)  Iren.  ibid.  L  i,  e.  xxix. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  435 

deux  évangélistes  une  autorité  personnelle,  il  n'est  guère 
probable  qu'il  se  fût  exprimé  d'une  manière  aussi  forte 
et  qu'il  eût  mis  les  quatre  historiens  de  Jésus-Christ 
absolument  sur  la  même  ligne  (1).  On  a  prétendu  que 
quelques  pères,  en  insistant, pour  augmenter  l'autorité 
de  saint  Luc  et  de  saint  Marc,  sur  ce  qu'ils  avaient  été 
guidés  par  Pierre  et  par  Paul,  infirmaient  par  cela  même 
leur  inspiration.  Il  faudrait  pour  cela  que  les  mêmes 
pères  eussent  eux-mêmes  montré  quelques  doutes  sur 
cette  inspiration,  ou  attribué  quelque  infériorité  aux 
deux  Évangiles  dont  il  s'agit;  mais  comme  il  n'en  est 
rien,  on  ne  peut  en  conclure  autre  chose,  sinon  qu'ils 
croyaient  que  l'inspiration  n'excluait  pas  l'influence  des 
causes  secondes,  et  l'usage  des  directions  et  des  con- 
seils. Michaëlis  rabaisse  trop,  à  mou  avis,  l'autorité  du 
témoignage  de  la  première  Eglise  sur  un  fait  qu'elle 
seule  a  pu  connaître,  et  sur  lequel  nous  avons  par 
nous-mêmes  fort  peu  de  données  (2). 

3°  «La  nature  des  livres  de  Luc  et  de  Marc  enfin  nous 
contraindrait-elle  à  faire  une  distinction  entre  eux  et  ceux 
de  Matthieu  et  de  Jean  ?  Qu'on  lise  les  uns  et  les  autres 
et  que  l'on  prononce.  Cet  examen  serait  bien  plus  dé-' 

(1)  Nous  ajouterons  que  si  saint  Luc  a  dans  son  ï^vangile  une  au- 
torité égale  à  celle  de  ^int  Matthieu  et  de  saint  Jean,  c'est-à-dire 
s'il  a  été  divinement  inspiré  comme  eux,  on  ne  voit  pas  pourquoi  il 
aurait  été  privé  du  secours  de  Tinspiration  quand  il  a  composé  les 
Actes  des  Apôtres. 

(2)  Michaëlis  n'a  fait,  selon  nous,  qu'user  de  la  liberté  que  laisse  à 
tout  protestant  un  des  principes  fondamentaux  de  la  réforme.  Ainsi 
l'argument  de  M.  Cellérier,  qui  en  lui-même  est  sans  réplique,  pa- 
raît de  nulle  valeur  dans  sa  propre  bouche,  et  prouve  la  fausse  po- 
sition oii  le  protestantisme  place  tous  ceux  qui  l'ont  embrassé. 


436  DE    LA   DIVINITÉ 

cisif  encore  si  les  lecteurs  impartiaux  venaient  à  com- 
parer ces  écrits  avec  les  Évangiles  apocryphes  dont  la 
première  Eglise  fat  inondée  :  les  ombres  du  tableau  leur 
feraient  plus  admirer  encore  la  lumière  du  premier  plan, 
et  voyant  dans  les  ouvrages  de  nos  quatre  historiens  la 
même  simplicité,  à  la  fois  naïve  et  sublime,  la  même  ab- 
sence d'art,  de  recherches  et  d'affectation,  la  même  ten- 
dance à  l'utile,  ils  n'imagineraient  pas  de  distinguer 
entre  ces  quatre  récits,  et  de  regarder  les  uns  comme 
l'ouvrage  de  Dieu,  les  autres  comme  celui  de  l'homme. 
((  Il  est  une  circonstance,  en  particulier,  que  je  de- 
mande la  permission  de  faire  observer.  Presque  tous 
les  Évangiles  apocryphes  se  sont  donné  large  carrière 
sur  V Evangile  de  l'enfance,  c'est-à-dire  sur  l'histoire  de 
l'enfance  et  de  la  première  jeunesse  du  Sauveur;  ils 
l'ont  remplie  de  leurs  chimères  à  la  fois  puériles  et  ab- 
surdes, souvent  odieuses,  toujours  inutiles.  On  ne  peut 
s'en  étonner  :  il  est  tout  naturel  que  l'imagination  des 
chrétiens  peu  éclairés  se  soit  beaucoup  occupée  de  cette 
partie  de  la  vie  de  JÉscs  ;  il  est  tout  simple  que  le  si- 
lence des  évangélistes  ait  contribué  à  exciter  leur  curio- 
sité ;  mais  par  cela  même,  ce  silence  est  étrange,  si  les 
évangélistes  ne  sont  pas  inspirés,  si  l'esprit  qui  les  di- 
rige ne  les  apprend  pas  à  rejeter  ce  qui  n'est  que  cu- 
rieux, à  retenir  ce  qui  est  bon  (1). 

((On  nous  fait  cependant  une  objection  spécieuse: 
Saint  Luc  ne  prétend  point  à  l'inspiration  dans  son  pro- 
logue, il  ne  demande  à  être  cru  que  parce  qu'il  a  été 

(1)  La  différence  des  Actes  des  Apôtres  par  saint  Luc  avec  les 
Actes  apocryphes  n'est  ni  moins  frappante,  ni  par  conséquent  moins 
favorable  à  îa  divinité  des  premiers. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  437 

bien  informé.  Je  répéterai  ici  la  réponse  que  j'ai  déjà 
faite  à  une  objection  du  même  genre.  Cela  prouve,  non 
que  saint  Luc  ne  fut  pas  inspiré,  mais  que  l'inspiration 
n'anéantissait  pas  l'action  des  causes  secondes.  Si,  parce 
qu'il  en  appelle  à  ses  travaux  et  à  ses  recherches,  il  n'a 
pas  droit  de  prétendre  à  l'inspiration,  il  faudra  donc 
aussi  la  refuser  à  saint  Jean  et  à  saint  Pierre,  qui  deman- 
dent tous  deux  à  être  crus,  parce  qu'ils  n'annoncent  que 
ce  qu'ils  ont  entendu,  vu,  touché.  L'examen  de  ce  troi- 
sième ordre  de  preuves  ne  nous  conduit  donc  pas  plus 
que  celui  des  deux  autres  à  nier  l'inspiration  de  Luc  et 
de  Marc  (1).» 

La  véritable  base  sur  laquelle  Michaëlis  a  élevé  son 
hypothèse,  est,  comme  le  remarque  encore  Cellérier, 
que  de  temps  en  temps  les  évangélistes  se  contredisent, 
et  comme  cela  ne  peut  arriver  à  des  hommes  infaillibles, 
il  faut  nécessairement  que  tous  n'aient  pas  reçu  le  se- 
cours surnaturel  de  l'infaillibilité  et  de  l'inspiration. 
Mais  alors  il  est  probable  que  ce  sont  les  apôtres  qui 
ont  été  favorisés  de  ce  divin  privilège,  et  non  point  leurs 
compagnons.  D'abord  personne  ne  saurait  démontrer 
d'une  manière  satisfaisante  que  les  évangélistes  se  con- 
tredisent quelquefois  ;  les  contradictions  qu'on  croit  re- 
marquer lorsqu'on  les  compare  les  uns  avec  les  autres 
ne  sont  qu'apparentes.  Chaque  jour,  d'habiles  inter- 
prètes, soumettant  à  un  examen  plus  approfondi  cer- 
tains passages  qui  paraissaient  d'abord  inconciliables, 
parviennent  à  les  concilier  sans  violer  pour  cela  les 
lois  les  plus  sévères  de  la  critique  et  de  l'herméneuti- 

(1)  J.  E.  Cellérier,  E'isai  d'une  iniroducùon  criiique  au  lYouveau- 
Tealamenlypwj.  380  Gluuiv. 


438  DES    BEAUTÉS   LITTÉRAIRES 

qtie.  En  second  lieu,  ces  prétendues  contradictions  ne 
se  trouvent  pas  seulement  entre  les  apôtres  et  leurs  dis- 
ciples, mais  entre  les  apôtres  eux-mêmes.  Ainsi  on  a 
mis  plus  d'une  fois  en  opposition  saint  Matthieu  et  saint 
Jean.  Si  donc  le  système  de  Michaëlis  sur  l'inspiration 
prouvait  quelque  chose,  il  prouverait  beaucoup  trop, 
eomme  on  le  voit  ;  il  prouverait  contre  Michaëlis  lui- 
même.  Et  pour  en  revenir  à  saint  Luc,  considéré  comme 
auteur  des  Actes,  notre  savant  critique  n'aurait  quelque 
droit  de  lui  contester  l'inspiration  divine  qu'autant  qu'il 
démontrerait  que  cet  historien  est  tombé  au  moins  une 
fois  dans  l'erreur,  qu'il  contient  quelque  chose  de  con- 
traire à  ce  que  rapporte  un  écrivain  inspiré.  Or,  c'est  ce 
qu'on  n'a  jamais  pu  faire  jusqu'à  ce  jour,  puisqu'il  n'est 
pas  une  seule  difficulté  à  laquelle  les  interprètes  n'aient 
donné  une  solution  au  moins  aussi  solide  que  la  diffi- 
culté elle-même. 

6.  Enfin  l'Eglise  universelle  et  infaillible  en  mettant 
les  Actes  des  Apôtres  au  nombre  des  écrits  canoniques 
du  Nouveau-Testament ,  a  par  là  même  reconnu  que 
ce  livre  était  muni  du  sceau  de  l'inspiration  divine;  et 
cette  autorité  suffit  seule  pour  autoriser  et  même  com- 
mander notre  foi  sur  ce  point. 


CHAPITRE  CINQUIEME. 

DE  L'ÉLOCUTIOX  et  DES  BEAUTÉS  LITTÉRAIRES 
DES  ACTES  DES  APOTRES. 

1.  Le  style  de  saint  Luc  dans  les  Actes  des  Apôtres 
est  en  général  plus  pur  que  celui  de  la  plupart  des  au- 
tres livres  du  Nouveau-Testament.  Mais  cette  pureté  se 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  439 

fait  sentir  surtout  dans  les  discours  prononcés  par  saint 
Paul  à  Athènes  et  devant  les  gouverneurs  romains;  dis- 
cours qui  contiennent  d'ailleurs  des  passages  supérieurs 
à  tout,  même  à  l'Épître  aux  Hébreux,  dont  le  langage 
pourtant  est  préférable,  à  d'autres  égards,  à  celui  de 
tous  les  autres  écrits  de  la  Nouvelle  Alliance.  Cepen- 
dant, il  faut  bien  en  convenir,  les  Actes  ne  sont  pas  pour 
cela  exempts  d'hébraïsmes  ;  car  on  en  trouve  même 
dans  les  discours  de  saint  Paul,  le  grand  apôtre  parlant 
en  effet  quelquefois  le  langage  d'un  Juif  de  naissance. 
A  ces  réflexions  empruntées  de  Michaëlis,  nous  ajoute- 
rons les  suivantes.  Une  belle  simplicité,  jointe  à  un  cer- 
tain air  de  facilité  et  d'aisance  qui  charme  le  lecteur, 
forme  un  des  caractères  principaux  de  la  narration  de 
saint  Luc  ;  il  semble  n'éprouver  nulle  part  ni  gêne  ni 
embarras  ;  aussi  le  voit-on  passer  sans  effort  d'une  idée 
à  l'autre.  Sa  marche  n'est  jamais  précipitée;  on  dirait 
même  qu'il  trouve  constamment  sous  ses  pas  un  chemin 
égal  et  uni.  Toutefois  cette  régularité  ne  dégénère  point 
en  monotonie  fastidieuse;  elle  se  trouve  tempérée  de  la 
manière  la  plus  heureuse  par  quelques  discours,  exhor- 
tations ou  harangues,  que  le  sujet  lui-même  semble,  aussi 
bien  que  l'art  de  l'écrivain,  amener  de  temps  en  temps 
dans  le  récit  historique.  Un  autre  genre  de  mérite  qui  se 
remarque  aisément  dans  l'élocution  du  livre  des  xActes 
des  Apôtres,  c'est  que  l'écrivain  sacré  fait  parler  chaque 
personnage    comme  on  sent  naturellement  qu'il  doit 
s'énoncer.  Nous  citerons  ici  les  propres  expressions  de 
Michaëlis  :  a  11  est  bon  de  remarquer  que  saint  Luc  a 
bien  soutenu  le  caractère  de  tous  ceux  qu'il  a  introduits 
débitant  une  harangue  publique,  et  a  conservé  fidèle- 
ment et  avec  bonheur  la  manière  de  parler  qui  était 


440  DES   BEAUTÉS   LITTÉRAIRES 

particulière  à  chacun  de  ses  orateurs.  Saint  Luc  rapporte 
les  discours  de  saint  Pierre  avec  la  même  simplicité 
avec  laquelle  ils  étaient  prononcés,  et  sans  les  orne- 
mens  que  nous  trouvons  d'ordinaire  dans  les  discours 
des  Grecs  et  des  Romains.  Les  discours  que  saint  Paul 
prononça  devant  une  assemblée  juive  ne  sont  pastrès- 
différens  pour  la  manière  de  ceux  de  saint  Pierre  ;  et  ils 
sont  tout-à-fait  dissemblables  à  ceux  que  le  même 
apôtre  tint  devant  un  auditoire  païen,  surtout  dans  les 
Actes,  XIII,  16-il,  où  saint  Paul  amène  le  principal  su- 
jet de  son  discours  par  une  longue  périphrase,  qui  n'au- 
rait été  ni  instructive  ni  intéressante  partout  ailleurs 
que  dans  une  synagogue  juive.  Le  discours  du  martyr 
saint  Etienne  au  chapitre  vu  des  Actes  est  encore  très- 
différent .  C'est  un  discours  savant,  prononcé  par  un  ora- 
teur qui  n'entendait  rien  à  l'art  oratoire.  Etienne  parla 
sans  préparation,  et  quoiqu'il  eût  certainement  en  vue 
un  but  particulier  vers  lequel  tendent  les  diverses  par- 
ties de  son  discours,  il  est  difficile  de  découvrir  ce  but, 
parce  que  ses  matériaux  ne  sont  pas  disposés  régulière- 
ment. Il  est  vrai  qu'on  l'interrompit  et  qu'il  ne  put  ache- 
ver sa  harangue,  mais  un  orateur  qui  est  accoutumé  à 
parler  en  public,  et  qui  sait  distribuer  les  parties  de  son 
discours  avec  méthode,  découvre  dès  le  commencement 
le  but  auquel  il  veut  arriver  (1) .» 

2.  Le  livre  entier  des  Actes  fournit  au  littérateur  des 
modèles  admirables  de  plus  d'un  genre.  Les  narrations 
et  les  descriptions  sont  toutes  d'un  naturel  et  d'un 
charme  inimitables.  C'est  surtout  à  ce  genre  qu'on  peut 
appliquer  ce  que  nous  venons  de  dire  du  naturel   c>  t  de 

(t)  J.  D.  Mychaëlis,  Intiod.  au  iV.  T.  tome  m,  pay.  416. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  441 

cet  air  de  facilité  et  d'aisance  qui  forme  un  des  carac- 
tères principaux  de  l'historien  sacré.  Les  tableaux  ne  se 
distinguent  pas  moins  par  la  variété  des  couleurs,  que 
l'habile  peintre  dispense  toujours  avec  un  rare  talent, 
suivant  la  nature  des  objets  qu'il  doit  représenter.  Nous 
le  répétons,  si  nous  voulions  produire  des  exemples  à 
l'appui  de  ce  que  nous  avançons,  nous  ne  trouverions 
pas  une  seule  page  dans  tout  le  livre  qui  ne  méritât 
d'être  citée.  Quant  aux  discours,  on  voit  facilement  à  la 
simple  lecture  que  s'ils  n'ont  pas  tous  un  mérite  égal,  il 
n'en  est  pas  un  seul  qui  ne  renferme  des  traits  dignes 
d'admiration.  Car,  dans  ceux  mêmes  qui  paraissent  le 
moins  soumis  aux  règles  de  l'art  oratoire,  ce  défaut  se 
trouve  racheté  par  une  abondance  de  pensées  nobles  et 
frappantes,  qui  excitent  au  plus  haut  degré  l'intérêt  du 
lecteur.  En  un  mot,  la  beauté  et  l'importance  du  sujet  lui- 
même  font  aisément  oublier  lesimperfections  de  la  forme. 
Cependant  il  en  est  deux  surtout  qui,  même  considérés 
comme  compositions  oratoires,  ont  concilié  l'admira- 
tion et  mérité  les  éloges  des  maîtres  les  plus  habiles  dans 
l'art  de  bien  dire  ;  nous  voulons  parler  du  discours  de 
saint  Paul  en  présence  de  l'aréopage  assemblé,  et  des 
adieux  qu'il  fit  en  partant  de  Milet.  Le  lecteur  ne  nous 
saura  pas  mauvais  gré  sans  doute,  si  nous  examinons  en 
détail  ces  deux  belles  pièces  d'éloquence. 

Et  d'abord  le  discours  du  grand  Apôtre  prononcé  de- 
vant l'aréopage  (xviii,  22-31)  renferme  dans  le  court 
espace  de  dix  versets  tout  ce  qu'il  convenait  de  dire  à 
des  auditeurs  instruits  ,  mais  qui  n'avaient  pourtant  pas 
la  connaissance  du  vrai  Dieu.  Saint  Paul  dans  cette  oc- 
casion avait  de  grands  obstacles  à  vaincre,  de  forts  pré- 
jugés à  ménager;  cependant,  sans  avilir  son  ministère 

19. 


442  DES    BEAUTÉS   LITTÉRAIRES 

sublime  par  une  lâche  complaisance ,  il  sut  dire  toute 
vérité  sans  offenser  personne.  Voulant  gagner  à  la  cause 
de  Jésus-Gerist  ces  Grecs  fiers  et  orgueilleux  devant 
lesquels  il  avait  osé  prendre  la  parole,  il  devait  leur  ap- 
prendre et  à  rejeter  l'idolâtrie  dans  laquelle  ils  étaient 
si  profondément  enracinés,  et  à  reconnaître  le  Dieu  in- 
visible qui  gouverne  toutes  choses  ;  il  devait  leur  indi- 
quer les  moyens  de  parvenir  à  la  connaissance  de  cet 
être  caché,  enfin  leur  annoncer  le  Christ,  par  qui  seul 
il  est  donné  aux  hommes  de  parvenir  au  salut.  Or,  les 
moyens  oratoires  qu'il  emploie  sont  incontestablement 
les  plus  propres  â  obtenir  cette  noble  fin.  a  Athéniens, 
il  me  semble  que  vous  portez  plus  loin  que  tous  les  au- 
tres peuples  la  religion  envers  les  dieux;  car,  en  parcou- 
rant vos  temples  et  en  regardant  les  objets  de  votre 
culte,  j'ai  trouvé  un  autel  dédié  au  Dieu  i>xoxxu.  Mais 
ce  Dieu  que  vous  adorez  sans  le  connaître  est  celui  que 
je  vous  annonce.  C'est  lui  qui  a  créé  le  monde  et  tout  ce 
qu'il  contient  dans  sa  vaste  étendue  ;  ce  Dieu,  qui  est 
le  maître  souverain  de  la  terre  et  du  ciel,  n'est  point  ren- 
fermé dans  des  temples  élevés  par  la  main  des  hommes  ; 
riche  de  son  propre  fond,  il  n'a  que  faire  des  ouvrages 
et  du  secours  des  mortels,  puisque  c'est  lui-même  qui 
donne  le  souffle  et  la  vie  à  tout  ce  qui  respire.  C'est  lui 
qui  a  fait  naître  tous  les  hommes  d'un  seul,  qui  leur  a 
donné  toute  l'étendue  de  la  terre  pour  l'habiter,  en  dé- 
terminant les  temps  de  la  durée  des  peuples  et  les  limites 
de  leur  demeure  ;  afin  qu'ils  cherchent  Dieu,  qu'ils  s'ef- 
forcent de  le  trouver,  quoiqu'il  ne  soit  pas  loin  de  cha- 
cun de  nous.  Car  c'est  en  lui  que  nous  avons  la  vie,  le 
mouvement  et  l'être  ;  et  comme  quelques-uns  de  vos 
poètes  ont  dit  :  Nous  sommes  les  enfâus  deDlEU  même. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  443 

Puis  donc  que  nous  sommes  les  enfans  de  Dieu,  nous 
ne  devons  pas  croire  que  la  Divinité  soit  semblable  à 
l'or,  à  l'argent  ou  aux  pierres  auxquelles  l'art  et  le  génie 
de  l'homme  ont  donné  des  figures.  Mais  Dieu  ayant 
laissé  passer  (1)  ces  temps  d'ignorance,  annonce  mainte- 
nantà  tous  les  hommes  qu'ils  fassent  partout  pénitence  ; 
parce  qu'il  a  arrêté  un  jour  pour  juger  le  monde  selon 
la  justice,  par  celui  qu'il  a  destiné  à  en  être  le  juge  ;  ce 
qu'il  a  prouvé  à  tous  les  hommes  en  le  ressuscitant 
d'entre  les  morts.» — Ce  qui  frappe  surtout  dans  ce  dis- 
cours, c'est  l'adresse  et  l'art  avec  lequel  procède  l'ora- 
teur sacré,  en  annonçant  la  vérité  aux  Athéniens  parla 
bouche  même  de  leurs  poètes  et  de  leurs  philosophes. 
C'est  sans  doute  l'emploi  le  plus  heureux  qu'on  pût  faire 
de  la  précaution  oratoire,  qui,  comme  on  le  sait,  con- 
siste dans  certains  ménagemens  que  l'orateur  doit 
prendre  pour  ne  point  blesser  la  délicatesse  de  ceux  de- 
vant qui  ou  de  qui  il  parle,  dans  des  tours  étudiés  et 
artificieux  dont  il  se  sert  pour  dire  de  certaines  choses, 
qui  autrement  paraîtraient  dures  et  choquantes  (2) .  Saint 
Paul  en  effet  avait  à  faire  goûter  la  morale  et  la  doctrine 
de  l'Évangile  à  des  épicuriens,  à  des  stoïciens  et  à  des 
païens  insensés.  Il  fallait,  tout  en  tendant  à  son  but,  évi- 
ter avec  soin  de  blesser  les  préjugés  divers  de  ceux  qui 
composaient  son  auditoire.  Aussi  rien  n'est  plus  admi- 
rable que  l'adresse  avec  laquelle  il  s'insinue  dans  l'es- 

(1)  Le  mot  grec  que  la  Vulgate  a  rendu  par  despiciens  est  ■l'Ktp'.oàvf 
verbe  auquel  les  Septante  donnent  très-souvent  le  sens  de  ne  pas 
s'occuper  {non  curare],  ne  pas  examiner  avec  sévérité  [sine  animad- 
versione  severa  relinquere).  Au  reste,  voyez  les  commentateurs  sur  ce 
passage. 

(2)  fyoWinf  Traité  des  éludes,  l.  ni,  c/mii,  §  vi. 


444  DES   BEAUTES   LITTERAIRES 

Xjrit  de  ses  auditeurs  :  «  Athéniens,  il  me  semble  que  vous 
portez  plus  loin  que  tous  les  autres  peuples  la  religion 
envers  les  dieux.»  Par  une  adresse  et  une  habileté  non 
moins  remarquables,  il  fait  concourir  au  dessein  de  prê- 
cher un  Dieu  ennemi  de  toutes  les  idoles,  les  poètes 
mêmes  à  la  voix  desquels  ces  fausses  divinités  avaient 
été  fabriquées,  et  des  temples  avaient  été  érigés  en  leur 
honneur.  A  l'aide  de  ce  moyen,  il  réussit  à  se  faire  écou- 
ter et  par  des  épicuriens  qui  niaient  l'existence  d'une 
cause  intelligente,   créatrice  de  l'univers;  et  par  des 
stoïciens,  ennemis  d'une  Providence  paternelle  et  tou- 
jours vigilante  ;  et  par  des  Juifs  remplis  d'erreurs  sur 
la  nature  et  les  perfections  de  Dieu.  L'imprécation  ne 
lui  eût  attiré  que  le  mépris,  le  tour  qu'il  a  adopté  lui 
concilie  l'attention .  Athènes  décernait  le  dernier  supplice 
contre  les  auteurs  d'un  culte  nouveau,  et  saint  Paul  a  le 
talent  de  lui  prêcher  un  Dieu  qu'elle  ignore,  sans  lui 
donner  le  moyen  de  le  condamner.  En  effet,  la  religion 
qu'il  vient  annoncer  aux  Athéniens  n'est  pas  nouvelle 
pour  eux  ;  il  vient  seulement  leur  manifester  le  Dieu 
qu'ils  adorent  sans  le  connaître,  et  que  leurs  pères  ont 
aussi  honoré.  Mais  remarquons  encore  ici  l'habileté  du 
grand  Apôtre  ;  il  ne  dit  point  aux  Athéniens  que  ce  Dieu 
INCONNU  qu'il  veut  leur  faire  connaître  est  le  Dieu  d'I- 
saac  et  de  Jacob;  ces  dénominations  empruntées  des 
anciens  prophètes  ne  devaient  être  naturellement  em- 
ployées que  devant  des  Hébreux;  mais  il  le  leur  désigne 
par  des  idées  purement  philosophiques,  qui  avaient  été 
exprimées  déjà  avant  lui  par  tout  ce  qu'Athènes  révé- 
rait le  plus  parmi  les  grands  hommes.  Platon  avait  dit 
que  le  monde  était  V ouvrage  des  dieux;  Euripide,  que 
Dim  était  trop  grand  pour  être  renfermé  dans  des  tem- 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  445 

pies.  La  fable  de  Prométhée  indique  assez  clairement /a 
formation  du  premier  homme.  Plusieurs  poètes  avaient 
souvent  chanté  que  tout  était  plein  de  Jupiter  ;  Homère 
et  quelques  autres,  que  l'homme  était  de  la  race  des 
dieux.  Ainsi,  par  une  admirable  finesse,  saint  Paul  se 
concilie  l'attention  de  tous,  tend  heureusement  à  son  but 
sans  heurter  les  préjugés  de  ses  auditeurs,  qui  ne  trou- 
vent dans  ce  discours  rien  que  de  naturel,  et  qui  ne  peu- 
vent même  qu'être  flattés  en  voyant  l'éloge  qu'un  étran- 
ger fait  de  leurs  philosophes  et  de  leurs  poètes. Poursui- 
vons notre  analyse.  Le  dessein  véritable  de  l'orateur 
sacré  en  établissant  ainsi  l'excellence  de  l'homme,  n'est 
pas  de  flatter  l'orgueil  et  l'amour-propre  des  Athéniens  ; 
c'est  simplement  une  précaution  oratoire  qu'il  emploie 
pour  réfuter  plus  librement  l'idolâtrie,  obstacle  fonda- 
mental au  succès  de  la  cause  qu'il  voudrait  faire  triom- 
pher. C'est  évidemment  comme  s'il  disait  :  Si  l'homme 
est  d'une  nature  aussi  sublime  et  aussi  relevée  ,  quelle 
idée  devons-nous  nous  former  du  Dieu  qui  a  créé 
l'homme  et  qui  lui  a  donné  tout  ce  qu'il  possède?  Pou- 
vons-nous croire  avec  quelque  apparence  de  raison  que 
ce  Dieu  soit  semblable  à  la  pierre,  à  l'or,  à  l'argent, 
aux  ouvrages  de  l'art?  —  Un  orateur  aussi  zélé  que  saint 
Paul,  mais  moins  habile,  se  serait  certainement  livré  à 
toute  l'impétuosité  de  son  zèle  pour  reprocher  aux  Athé- 
niens les  dogmes  monstrueux  qui  composaient  leur  re- 
ligion ;  mais  ce  moyen,  qui  semble  d'ailleurs  fort  natu- 
rel, puisqu'il  est  généralement  très-propre  non  seule- 
ment à  faire  briller  davantage  !e  talent  de  l'orateur, 
mais  encore  à  produire  un  effet  salutaire  sur  l'auditoire, 
avait  cependant  un  danger,  celui  d'irriter  les  Athéniens, 
qui,  bientôt  revenus  de  la  première  impression  qu'au- 


446  DES   BEAUTÉS   LITTÉRAIRES 

raient  pu  leur  faire  des  paroles  énergiques  et  sévères, 
n'auraient  pas  manqué  de  s'élever  contre  l'excessive 
hardiesse  d'un  inconnu  qui,  en  présence  de  l'assemblée 
la  plus  auguste,  osait  vouer  au  mépris  et  à  l'exécration 
publique  le  culte  que  la  nation  entière  avait  de  tout 
temps  professé.  Aussi  le  grand  apôtre  s'y  prend-il  tout 
autrement;  jetant  un  voile  sur  les  horreurs  et  les  abo- 
minations de  ce  culte,  il  se  contente  de  les  appeler  des 
tetnps  d'ignorance  que  Dieu  veut  bien  oublier,  en  les  in- 
vitant à  la  pénitence  pour  les  prémunir  contre  le  juge- 
ment qu'il  doit  faire  des  hommes  par  celui  qu'il  a  éta- 
bli juge  de  tous,  et  qu'il  a  proclamé  comme  tel  et  comme 
son  véritable  envoyé,  en  le  ressuscitant  d'entre  les 
morts.  Il  semble  que  saint  Paul  eût  pu  s'étendre  da- 
vantage sur  la  dignité  et  les  mérites  du  Sauveur  ;  mais 
s'il  ne  l'a  point  fait,  c'est  qu'il  a  jugé  avec  raison  que 
s'adressant  à  des  hommes  qui  n'étaient  nullement  pré- 
parés à  ce  qu'il  aurait  pu  ajouter  en  faveur  de  Jésus,  la 
réserve  lui  était  par  là  même  suffisamment  commandée. 
On  objectera  peut-être  que  ce  discours,  quelque  habile- 
ment conçu  que  nous  le  supposions,  n'a  cependant  pas 
converti  tous  ceux  qui  l'entendirent;  mais  outre  que 
Dieu  dispense  à  son  gré  les  grâces  qui  amènent  les 
hommes  à  lui,  on  ne  saurait  disconvenir  que  les  paroles 
de  l'Apôtre  ne  furent  pas  sans  fruit,  puisque,  parlant  de 
Jésus-Christ,  il  fut  écouté  avec  attention,  et  que  Denis 
l'aréopagite,  ainsi  qu'une  femme  nommée  Damaris,  et 
plusieurs  autres  personnes  qui  l'avaient  entendu,  em- 
brassèrent la  foi  chrétienne. 

Un  autre  discours  de  saint  Paul  qui  n'est  pas  moins 
digne  d'admiration  que  le  précédent,  c'est  celui  que  fit 
le  saint  apôtre  aux  prêtres  de  réglise  d'Éphèse,  qu'il 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  447 

avait  assemblés  à  Milet,  ville  voisine,  et  auxquels  il  sou- 
haitait d'autant  plus  vivement  faire  ses  adieux,  qu'il  al- 
lait les  quitter  pour  toujours  (Act.  xx,  18-35).  Dans  le 
discours  à  l'aréopage,  saint  Paul  nous  montre  toute  la 
sublimité  de  son  génie  ;  ici  il  nous  fait  connaître  la  ten- 
dresse incomparable  de  son  cœur.  On  le  sait,  le  cœur 
a  son  langage  comme  l'esprit  a  le  sien,  et  les  moyens 
dont  ils  se  servent  sont  différens.  Or, l'Apôtre  connais- 
sait parfaitement  les  deux  langues;  et  il  savait  mieux 
que  personne  faire  usage  de  toutes  les  ressources  qui 
sont  propres  à  chacune  de  ces  langues.  Nous  venons  de 
prouver  dans  l'analyse  du  discours  précédent  la  pre- 
mière partie  de  notre  assertion  ;  il  nous  sera  aussi  facile, 
ce  nous  semble,  de  démontrer  la  seconde.  Voyons  avant 
tout  le  but  que  saint  Paul  se  propose  dans  ses  adieux 
aux  prêtres  de  Milet.  Ce  discours  peut  être  considéré 
comme  l'effusion  de  la  tendresse  d'un  père,  qui,  au  mo- 
ment de  se  séparer  de  ses  enfans,  leur  met  sous  les  yeux 
les  motifs  les  plus  puissans  pour  les  faire  persévérer 
dans  le  bien  qu'ils  ont  généreusement  embrassé.  Or,  le 
but  de  saint  Paul  dans  cette  exhortation,  une  des  plus 
pathétiques  qui  aient  jamais  été  adressées  aux  hommes, 
était  de  maintenir  les  prêtres  d'Ephèse  dans  les  devoirs 
que  leur  imposait  leur  qualité  de  pasteurs  des  âmes.  Il 
leur  présente  en  conséquence  les  motifs  les  plus  propres 
à  faire  sur  eux  une  impression  vive  et  durable;  voilà 
pourquoi,  il  faut  le  dire  en  passant,  l'apôtre  est  obligé 
déparier  de  lui-même  et  de  se  donner  pour  modèle. 
Ses  exemples  étaient  trop  connus  des  fidèles  et  trop  ad- 
mirés par  les  églises  pour  qu'il  ne  pût  dans  cette  occa- 
sion les  rappeler  à  des  prêtres  qu'il  allait  quitter  sans 
retour,  et  qu'il  laissait  pour  guides  et  pour  docteurs  aux 


448  DES   BEAUTÉS   LITTÉRAIRES 

chrétiens  d'Éphèse,  sans  qu'il  lui  fût  donné  de  leur  ex- 
poser à  l'avenir  les  obligations  sacrées  de  leur  sublime 
ministère.  Aussi  on  le  voit  constamment  attaché  dans 
ce  discours  à  chercher  à  instruire  ses  auditeurs  et  à  les 
toucher ,  c'est  vers  cette  double  fin  que  tendent  tous  ses 
efforts.  Et  d'abord  quoi  de  plus  propre  à  instruire  les 
prêtres  d'Ephèse  que  le  détail  qu'il  fait,',dès  son  début, 
de  tout  ce  que  sa  sollicitude  paternelle  l'avait  porté  à  en- 
treprendre pour  le  salut  des  âmes?  Vous  savez,  dit-il, 
avec  quelle  ardeur  je  me  suis  livré  pour  vous  à  tout  ce 
que  demandait  le  salut  de  vos  âmes  ;  vous  savez  com- 
ment je  me  suis  conduit  au  milieu  de  vous,  depuis  le 
moment  même  où  je  suis  entré  en  Asie.  Vous  n'ignorez 
point  que  ce  ne  sont  ni  les  honneurs  ni  les  consolations 
qui  m'ont  soutenu  dans  les  travaux  du  ministère  que 
j'ai  rempli  auprès  de  vous.  Vous  savez  encore  que,  bien 
qu'abreuvé  de  larmes,  de  tribulations  et  d'amertume,  je 
ne  me  suis  point  laissé  abattre  ;  et  que  les  obstacles  que 
m'ont  suscités  les  Juifs  n'ont  pas  été  capables  de  me  faire 
abandonner  l'œuvre  que  Dieu  m'avait  confiée.  Vous  sa- 
vez enfin  que  malgré  toutes  ces  contradictions  et  toutes 
ces  traverses,  animé  que  j'étais  du  seul  désir  de  former 
de  vous  un  peuple  parfait,  je  n'ai  cessé  d'annoncer  à 
tous  la  pénitence,  aux  Juifs  comme  aux  gentils,  en  public 
aussi  bien  que  dans  l'intérieur  de  vos  maisons,  et  que 
je  vous  ai  instruits  sans  relâche  dans  la  foi  en  Jésus- 
Christ  notre  Seigneur.  —  Quel  modèle  pour  les  prêtres 
d'Éphèse  !  Quels  sentimens  ne  devait  pas  réveiller  dans 
leurs  cœurs  le  souvenir  de  tantde  soins  que  l'Apôtre  leur 
avait  consacrés!  Rien  assurément  n'était  plus  propre  à 
les  instruire  de  leurs  devoirs  et  à  préparer  déjà  leurs 
âmes  à  la  profonde  impression  qu'il  voulait  y  laisser  au 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  449 

moment  de  les  quitter.  Après  avoir  tracé  ce  tableau  si 
touchant  de  ses  travaux  et  de  sa  sollicitude  pour  l'église 
d'Ephèse,  le  saint  apôtre  continue  :  Et  maintenant  voilà 
que,  lié  par  l'Esprit  saint,  je  vais  à  Jérusalem,  ignorant 
ce  qui  doit  m'y  arriver;  si  ce  n'est  que,  dans  toutes  les 
villes  où  je  passe,  ce  divin  Esprit  me  dit  que  des  chaînes 
et  des  tribulations  m'y  attendent.Mais  je  ne  crains  rien; 
je  suis  prêt  à  exposer  ma  vie,  pourvu  que  j'aie  achevé  di- 
gnement ma  course  et  rempli  avec  fidélité  le  ministère  que 
j'ai  reçu  du  Seigneur  Jésus,  celui  de  prêcher  son  Évan- 
gile. —  Avouons  qu'il  serait  difficile  de  proposer  à  des 
prêtres  qu'on  voudrait  instruire  de  leurs  obligations 
sacrées,  un  exemple  tout  à  la  fois  plus  puissant  et  plus 
persuasif.  L'Apôtre  n'est^point  encore  lié  par  les  chaînes 
qui  l'attendent  à  Jérusalem  ;  mais  il  Test  par  d'autres 
liens  bien  plus  forts,  par  ceux  de  la  charité. Cédant  sans 
résistance  aucune  au  mouvement  de  l'Esprit  divin  qui 
le  conduit,  il  se  rend  à  Jérusalem,  où  il  sait  que  des  tri- 
bulations lui  sont  destinées,  et  la  connaissance  que  Dieu 
lui  en  donna  par  avance  ne  faisant  que  l'enflammer  da- 
vantage, tout  son  désir  est  de  voir  sa  course  heureuse- 
ment terminée,  et  quoiqu'il  lui  en  coûte  d'annoncer 
l'Evangile  du  salut  que  Dieu  lui  a  confié.  Leçon  admi- 
rable et  de  la  docilité  parfaite  qui  doit  distinguer  le  mi- 
Distre  de  l'Eglise,  et  du  zèle  héroïque  qui  doit  l'animer 
dans  l'exercice  de  son  ministère  divin!  Aussi  quelle  im- 
pression forte  et  vive  n'a  pas  dû  faire  un  tel  discours 
sur  des  enfans  que  Paul  avait  engendrés  à  la  foi  !  Il  leur 
avait  sacrifié  son  repos,  ses  veilles,  ses  larmes,  ses  fa- 
ligues  et  ses  peines,  maintenant  il  est  prêt  à  donner  son 
sang  pour  eux.  Mais  ce  qui  a  dû  principalement  frap- 
per tous  les  esprits,  déchirer  tous  les  cœurs,  et  donner 


460  DES   BEAUTÉS    LITTÉRAIRES 

à  ses  paroles  l'autorité  sacrée  des  dernières  volontés 
d'un  père  mourant,  ce  sont  ces  mots  terribles  et  si  ha- 
bilement ménagés:  Et  maintenant  je  sais  que  vous  ne 
verrez  plus  mon  visage.  Et  en  effet  saint  Luc  nous  ap- 
prend qu'au  moment  de  la  séparation  cruelle,  ce  qui  af- 
fligeait surtout  les  prêtres  d'Eplièse,  c'est  que  l'Apôtre 
leur  avait  dit  qu'ils  ne  le  verraient  plus  (Act.xx,  38). 
Mais  saint  JPaul  n'oublie  rien  pour  exciter  dans  les  pas- 
teurs qu'il  a  établis  un  zèle  ardent  pour  le  salut  des 
âmes.  Il  leur  a  déjà  fait  connaître  le  prix  qu'il  y  a  mis 
lui-même,  et  à  cette  considération  si  puissante,  il  joint 
celle  de  leur  propre  intérêt,  de  l'honneur  qu'ils  ont  reçu 
de  Dieu,  du  prix  des  objets  qui  leur  sont  confiés:  Soyez 
attentifs  sur  vous-mêmes  et  sur  tout  le  troupeau  que  le 
Saint-Esprit  a  confié  à  votre  garde,  en  vous  établissant 
les  gouverneurs  de  l'Eglise  de  Dieu,  qu'il  a  acquise  par 
son  sang.  Enfin,  le  saint  apôtre  ne  s'en  tient  pas  là; 
pour  exciter  encore  davantage  le  zèle  et  la  vigilance  des 
prêtres  d'Ephèse,  il  les  prévient  qu'après  lui  viendront 
des  loups  ravissans  pour  ravager  son  cher  troupeau;  et 
quels  sentirnens  touchans  cette  pensée  ne  lui  fait-elle  pas 
exprimer?  Il  rappelle  les  trois  ans  pendant  lesquels  sa 
sollicitude  lui  a  fait  verser  tant  de  larmes  la  nuit  et  le 
jour,  puis  il  lève  les  mains  au  ciel  pour  bénir  des  enfans 
qu'il  va  quitter  à  jamais  ;  il  les  offre  à  Dieu  pour  qu'il 
veuille  les  conserver  par  sa  grâce,  et  achever  lui-même 
l'ouvrage  qu'il  avait  daigné  commencer  par  ses  mains, 
afin  de  réunir  un  jour  dans  l'héritage  céleste  le  pasteur 
et  le  troupeau. 

On  s'attendait  à  voir  saint  Paul  terminer  son  discours 
par  cette  effusion  de  cœur  qui  semble  une  conclusion 
fort  naturelle.  Cependant  l'Apôtre  en  a  usé  tout  autre- 


^  DES  ACTES  DES  APOTRES.  4&1 

ment;  et,  si  nous  ne  nous  trompons,  il  nous  a  fourni  en 
cela  même  une  nouvelle  preuve  de  son  talent  oratoire. 
La  dernière  partie  d'un  discours  est  celle  qui  fait  ordi- 
nairement dans  le  cœur  les  impressions  les  plus  vives  et 
les  plus  durables  ;  il  n'est  donc  pas  étonnant  que  l'A- 
pôtre, qui  savait  parfaitement  que  rien  n'est  plus  à  re- 
douter dans  un  pasteur  des  âmes  que  la  cupidité  et  l'a- 
varice, ait  réservé  pour  la  fin  de  son  exhortation  une 
instruction  sur  ces  deux  vices  monstrueux,  qui,  en  ra- 
valant le  ministre  lui-même,  paralysent  encore  son  mi- 
nistère; et,  pour  que  cette  instruction  fît  plus  d'effet 
sur  ses  auditeurs,  il  les  rappelle  toujours  à  son  exemple  : 
Vous  savez  que  je  n'ai  été  à  charge  à  personne  pendant 
tout  le  temps  que  j'ai  demeuré  parmi  vous.  Vous  savez 
que  je  n'ai  exigé  ni  or,  ni  argent,  et  que  je  n'ai  pas  même 
désiré  le  vêtement  de  personne  ;  mais  que  ces  mains 
que  voilà  ont  fourni  à  tous  mes  besoins  et  à  ceux  de  mes 
coopérateurs  dans  mon  ministère.  Je  vous  ai  montré 
dans  ma  personne  toute  l'étendue  de  vos  devoirs  ;  et  si 
ces  motifs  ne  vous  paraissaient  pas  suffisans,  il  en  est 
un  auquel  vous  ne  sauriez  résister;  je  veux  dire  cet 
oracle  du  Seigneur  Jésus  lui-même  :  Qu'il  est  plus  heu- 
reux de  donner  que  de  recevoir.  —  Il  pouvait  arriver 
que  saint  Paul,  en  se  donnant  si  souvent  pour  exemple, 
fît  naître  dans  l'esprit  de  quelqu'un   de  ses  auditeurs 
l'idée  que  son  discours  était  l'ouvrage  de  l'orgueil  ;  mais, 
par  une  sage  précaution,  l'orateur  ne  permet  pas  qu'on 
puisse  former  le  plus  léger  soupçon  de  cette  nature;  il 
finit  en  leur  mettant  sous  les  yeux  le  cœur  même  de 
Jésus-Christ,  sur  lequel  le  sien  s'est  formé. 


452  DES   COMMENTAIRES 

CHAPITRE  SIXIÈME. 

DES   COMMEMAIRES   DES   ACTES   DES   APOTRES. 

Avant  de  donner  la  liste  des  principaux  interprètes 
qui  ont  travaillé  sur  les  Actes  des  Apôtres,  nous  ferons 
observer  qu'il  a  déjà  été  question  de  plusieurs  d'entre 
eux  dans  la  section'précédente,et  que,  d'un  autre  côté, 
nous  avons  cru  devoir  signaler  les  travaux  de  quelques- 
uns  sur  les  Actes,  quoiqu'ils  aient  composé  sur  un  cer- 
tain nombre  d'autres  livres  de  l'Ecriture  des  commen- 
taires dont  nous  n'avons  point  parlé,  parce  que  ces 
travaux  particuliers  sur  les  Actes  nous  ont  paru  dignes 
de  quelque  attention. 

ARTICLE  I. 

Des  commentateurs  catholiques. 

1.  Nous  citerons  en  tête  des  écrivains  catholiques  qui 
ont  commenté  les  Actes  des  Apôtres,  saint  Jean  Cliryso- 
stome,  qui  a  composé  sur  ce  livre  sacré  cinquante-cinq 
homélies.  On  avait  élevé  d'abord  quelques  doutes  sur 
l'authenticité  de  ces  homélies;  mais  ils  ont  été  levés,  et 
les  critiques  les  plus  habiles  ne  font  plus  difficulté  de 
les  attribuer  à  l'éloquent  évêque  d'Antioche  (1).  On  re- 
connaît généralement  que  saint  Chrysostome  s'étend 
bien  moins  sur  le  texte  de  l'Écriture  dans  cet  ouvrage 
que  dans  ses  autres  commentaires,  et  qu'il  n'y  est  pas 
si  exact.  «  Ces  homélies  étant  remplies  de  digressions, 

(1)  Voy.  Fu  Simon,  Hhloire  criliquc  dc^i  principaux  commenUUcurs 
du  JSouveau-Tesiamenty  ch.  xi. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  453 

remarque  judicieusement  R,  Simon,  on  y  trouve  peu  de 
choses  considérables  pour  ce  qui  est  de  l'explication  du 
texte  de  saint  Luc;  mais  on  y  apprend  plusieurs  faits 
qui  regardent  la  discipline  et  les  coutumes  de  l'E- 
glise (1).)) 

2.  Le  vénérable  Bède  a  fait  sur  les  Actes  des  Apôtres 
deux  ouvrages  différens  qu'il  appelle  lui-même  deux  li- 
vres ;  ces  deux  ouvrages  sont,  le  premier  :  Eœpositio  in 
Acta  Âpostolorum  :  de  nominibus  locorum  et  civitatum 
quœ  in  libro  Actuum  Apostolonun  leguntur;  le  second  : 
Retractationes  et  Qiiœstiones  inActus  Apostolorum .  C'est 
dans  ce  dernier  ouvrage ,  où  il  retouche  le  précédent, 
que  cet  habile  interprète  montre  surtout  une  grande 
érudition  et  un  bon  jugement.  Outre  les  endroits  qu'il 
a  retouchés,  il  a  ajouté  des  remarques  critiques,  prin- 
cipalement sur  les  diverses  leçons  des  exemplaires  tant 
grecs  que  latins  ;  il  fait  souvent  observer  la  force  et  la 
propriété  des  termes  grecs  ;  il  éclaircit  certains  mots  de 
la  Vulgate  pour  empêcher  ceux  qui  ne  savent  pas  le  grec 
de  tomber  dans  des  fautes  grossières  qu'ils  ne  manque- 
raient pas  de  commettre  sans  ces  sortes  d'explications. 
Il  fait  aussi  mention  de  quelques  traductions  latines  qui 
étaient  plus  conformes  au  grec  que  l'ancienne  édition 
dont  nous  nous  servons  aujourd'hui.  Mais  il  ne  borne 
pas  là  son  travail, il  étudie  aussi  la  dérivation  des  noms, 
et  il  combat  en  plus  d'un  endroit  les  étymologies  don- 
nées par  saint  Jérôme,  et  qu'il  avait  adoptées  lui-même 
dans  son  premier  commentaire.  «  La  critique  de  Bède 
dans  cet  ouvrage,  dit  encore  ici  R.  Simon,  ne  s'étend 
pas  seulement  aux  mots.  Gomme  il  avait  suivi  dans  son 

(1)  Px.  Simon,  ibid.  pag.  166. 


454  DES  COMMENTAIRES 

commentaire  des  Actes  des  Apôtres  ce  qu'il  avait  trouvé 
dans  les  autres  auteurs  sur  de  certains  faits  historiques 
sans  les  examiner,  il  s'en  rétracte,  ayant  reconnu  qu'ils 
avaient  rapporté  des  choses  peu  certaines,  et  quelque- 
fois même  manifestement  fausses  (1).» 

3.  OEcuménius,  ou  l'auteur  quel  qu'il  soit  de  la  chaîne 
grecque  qui  a  été  publiée  sous  son  nom  (2),  n'est  pas 
un  simple  compilateur,  c'est  aussi  un  critique  qui  s'ap- 
plique principalement  à  donner  le  sens  littéral  du  texte 
qu'il  explique,  accommode  à  sa  manière  les  interpréta- 
tions des  écrivains  qu'il  a  consultés,  ou  plutôt  les  autres 
chaînes  qui  existaient  déjà  avant  lui,  les  abrégeant  ou 
les  étendant  selon  qu'il  le  jugeait  à  propos.  Cet  écrivain, 
qui  a  composé  des  scholies  et  non  pas  des  homélies,  quoi- 
qu'il ne  soit  souvent  qu'un  abréviateur  de  saint  Chry- 
sostome,  s'éloigne  bien  moins  du  texte  sacré  que  le  saint 
docteur.  11  a  soin  aussi  de  s'arrêter  sur  les  mots  qui  ren- 
ferment quelque  ambiguité,  en  exposant  leur  véritable 
signification,  et  en  marquant  les  hyperbates  et  les  au- 
tres défauts  de  style  qui  rendent  quelquefois  le  discours 
fort  obscur.  Comme  il  copie  les  commentateurs  grecs  qq^ 
abondent  en  réflexions  théologiques,  il  est  parfois  théo- 
logien. Dans  quelques  endroits  il  se  montre  très-diffus. 
Quant  aux  interprétations  qu'il  donne  des  noms  des 
apôtres,  elles  ne  paraissent  pas  toutes  bien  exactes. 

4.  Arator  de  Ligurie,  sous-diacre  de  l'Église  de  Rome, 
qui  vivait  dans  le  vi^  siècle,  a  mis  en  vers  latins  l'his- 
toire des  Actes  des  Apôtres,  qu'il  présenta  au  pape  Vi- 

(1)  R.  Simon,  ibid.  c.  xxiv,  pafj.  342. 

(2)  Voyez  encore  R.  Simon  {Ibid.  c.  xx),  que  nous  ne  faisons  qu'a- 
nalyser ici. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  455 

gile  en  5ii.  Cet  ouvrage  a  été  imprimé  en  plusieurs  en- 
droits et  en  divers  formats.  Pulmann  l'a  publié  à 
Cologne,  en  1573,  in-16,  après  y  avoir  fait  des  correc- 
tions; on  l'a  inséré  aussi  dans  la  Bibliothèque  des  Pères 
de  l'édition  de  Lyon,  tome  x.  Mais  il  avait  été  imprimé 
pour  la  première  fois  à  Salamanque,  en  lolG,  in-fol., 
avec  les  Commentaires  d'Arrius  de  Mendosa,  sous  le 
titre  de  :  Historia  Apostolorum.  ex  B.  Luca  expressa, 
carminé  qnco  conscriptaf  cum  commentariis  Arrii  Men- 
dosœ. 

5.  Jean  Hofmeister,  religieux  deColmar,  mort  en  15i7, 
est  auteur  d'un  commentaire  sur  les  douze  premiers 
chapitres  des  Actes.  Ce  commentaire  a  été  imprimé  à 
Cologne,  en  1567,  in-fol-,  puis  à  Paris,  en  1578.  Suivant 
Gandolf,  Hofmeister  avait  aussi  commenté  les  seize  au- 
tres chapitres  des  Actes. 

6.  Les  scholies  sur  les  Actes  des  Apôtres  faites  par 
Jean  Gagnée  ou  Gagney,  dont  nous  avons  déjà  parlé 
plus  haut  (pag.  355),  peuvent  être  d'un  grand  secours 
pour  l'intelligence  de  ce  livre  sacré.  Ces  scholies  ont 
paru  conjointement  avec  celles  des  Evangiles,  dans  le 
format  in-fol.  ou  in-S'^.  La  dernière  édition  est  celle  de 
Paris,  1660,  in-S".  Cet  interprète  a  fait  usage  dans  son 
commentaire  sur  les  Actes  de  plusieurs  scholiastes  grecs 
qui  lui  ont  manqué  pour  son  travail  sur  les  Evangiles. 
Dupin  regarde  les  scholies  de  Gagney  comme  très-utiles 
et  nécessaires  à  ceux  qui  veulent  bien  entendre  le  sens 
littéral  du  texte  en  peu  de  temps  et  sans  avoir  besoin  de 
lire  les  grands  commentaires. 

7.  Jean  Lorin,  dont  nous  avons  eu  occasion  de  faire 
connaître  les  ouvrages  sur  l'Ancien-Testament,  a  écrit 
sur  le  livre  des  Actes  des  Apôtres  un  commentaire  qui 


456  DES    COMMENTAIRES 

a  été  d'abord  imprimé  à  Lyon",  en  1605,  in- fol. ,  puis 
avec  des  corrections  et  des  additions,  en  1609,  dans  la 
même  ville,  et  en  1617  et  1621,  à  Cologne. 

8.  Le  P.  Alphonse  Salmeron  a  aussi  commenté  en  par- 
ticulier les  Actes  des  Apôtres.  Son  travail  sur  ce  livre 
se  trouve  dans  le  tome  xii  de  ses  commentaires.  Voyez 
ce  que  jious  avons  déjà  dit  de  ce  savant  jésuite,  à  la 
page  358. 

9.  Liber  Fromont  (Libertus  Fromondus),  professeur 
de  l'université  de  Louvain,  est  auteur  d'un  bon  commen- 
taire sur  les  Actes  des  Apôtres.  Cet  ouvrage  a  paru  d'a- 
bord séparément  à  Louvain,  en  165i,  in-4^° ,  puis  à  Pa- 
ris, en  1670,  in-fol .,  conjointement  avec  plusieurs  autres 
commentaires  du  même  auteur. 

10.  Barthélemi  Pétri,  professeur  de  Douai,  né  l'an 
154-5,  et  mort  l'an  1630,  a  interprété  non  seulement  les 
Epîtres  de  l'apôtre  saint  Jean,  mais  il  a  aussi  expliqué 
lesActesdes  Apôtres.  Son  commentaire  sur  ce  dernier 
livre  est  assez  estimé  ;  il  a  paru  à  Douai,  en  1622,  in-^''. 

11.  Gaspar  Sanctius  et  Corneille  Lapierre,  dont  nous 
avons  déjà  fait  connaître  la  manière  d'interpréter  l'É- 
criture, ont  écrit  avec  succès  sur  le  livre  des  Actes.  Le 
commentaire  de  Sanctius  a  été  imprimé  à  Lyon,  l'an 
1616,  in-4%  à  Cologne,  en  1617,  in-fol.  ;  celui  de  Cor- 
neille Lapierre  a  paru  avec  ceux  qu'il  a  composés  sur  les 
Epîtres  canoniques  et  l'Apocalypse,  à  Anvers  et  à  Lyon, 
en  1627,  in-fol. ,  et  depuis  à  Anvers,  en  1648, 1662, 1672, 
in-fol. 

12.  Erasme,  Laurent  Valle  et  Luc  de  Bruges,  ont  com- 
posé sur  le  même  livre  des  notes  qui  ont  été  jugées  di- 
gnes de  figurer  dans  le  recueil  des  Grands  Critiques. 

13.  Jean  de  Sylveira,  carme,  né  l'an  1592,  à  Lisbonne, 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  457 

OÙ  il  mourut  en  1687,  a  composé  dix  volumes  in-fol.  de 
commentaires,  qui  embrassent  presque  tout  le  Nouveau- 
Testament,  et  qui  ont  paru  les  uns  à  Lyon,  les  autres  à 
Madrid,  d'autres  à  Lisbonne;  ceux  qu'il  a  écrits  sur  les 
Actes  des  Apôtres  ont  été  imprimés  à  Lyon.  Les  com- 
mentaires de  Sylveira  ont  été  fort  en  usage  parmi  les 
prédicateurs. 

li.  Nous  citerons  encore  parmi  les  interprètes  catho- 
liques qu'on  peut  consulter  avec  fruit,  Boniface-Martin 
Schnappinger,  qui  a  écrit  en  allemand,  et  dont  nous 
avons  parlé  plus  longuement  dans  la  section  précédente 
(pag.  360,  361).  La  partie  de  son  travail  qui  contient 
les  Actes  des  Apôtres  se  trouve  dans  le  tome  m  de  son 
ouvrage  sur  les  écrits  sacrés  du  Nouveau -Testament. 

ARTICLE  II. 

Des  commentateurs  protestans. 

Nous  nous  bornons  dans  cet  article  à  présenter  une 
liste  de  quelques-uns  des  écrivains  protestans  qui  ont 
travaillé  sur  les  Actes  des  Apôtres  ;  mais  nous  engageons 
toutefois  le  lecteur  à  ne  pointperdredevue  les  réflexions 
que  nous  avons  faites  plus  haut  (pag.  362  et  suiv.), 
quand  nous  avons  parlé  des  trois  différentes  classes  de 
commentateurs  qui  appartiennent  à  la  religion  protes- 
tante. 

1 .  Calvin  a  composé  sur  les  Actes  des  Apôtres  un  com- 
mentaire qui  a  eu  un  grand  nombre  d'éditions;  il  a* été 
originairement  écrit  en  latin,  mais  il  a  été  traduit  et  pu- 
blié en  français,  en  allemand  et  en  anglais.  Nous  pen- 
sons avec  R.  Simon  qu'il  y  a  dans  ce  commentaire  de 
très-bonnes  choses  ;  qu'il  mérite  d'être  lu,  mais  qu'il  faut 

V.  20 


458  DES   COMMENTAIRES 

en  retrancher  les  déclamations  injurieuses  qu'il  ren- 
ferme, et  dont  au  reste  tous  les  autres  livres  de  Calvin 
sont  remplis  (1). 

2.  Henri  Builinger,zuinglien,né  en  150i,àBremgar- 
tem,  en  Suisse,  et  mort  en  loTo,  est  auteur  de  commen- 
taires sur  tous  les  livres  du  Nouveau-Testament.  Ces 
commentaires,  dont  on  a  donné  un  grand  nombre  d'édi- 
tions, ont  été  publiés  de  différentes  manières  ;  celui  qui 
traite  des  Actes  des  Apôtres  a  été  imprimé  avec'ceux  que 
l'auteur  a  écrits  sur;saint  Marc  et  saint  Luc,  à  Zurich, 
l'an  1545,  in- fol.,  et  séparément  plusieurs  fois  dans  la 
même  ville,  mais  tantôt  in-i»,  et  tantôt  in-fol. 

3.  Baudouin  Walseus,  calviniste  de  Flandre,  dans  le 
dix-septième  siècle,  a  publié  sur  les  Évangiles  et  sur  les 
Actes  des  Apôtres  des  commentaires  qui  ont  paru  sous 
le  titre  de  Novi  Testamenti  libri  historici  grœce  et  la- 
tine, perpetuo  commentario  ex  antiquitate,  historiis, 
philoïogia  illustrati.  Cet  ouvrage  a  paru  à  Leyde,  en 
1653,  in-4°;  le  P.  Lelong  cite  une  édition  d'Amsterdam, 
en  1662,  également  \n-k°.  Quant  au  mérite  de  ces  com- 
mentaires, écoutons  R.  Simon  :  «  L'auteur  y  dit  à  la  vé- 
rité peu  de  choses  de  lui-même,  mais  il  a  fait  un  choix 
assez  judicieux  d'un  grand  nombre  de  commentateurs 
et  d'auteurs  critiques  de  ces  derniers  temps  dont  il  a 
marqué  les  noms .  Il  aurait  été  à  souhaiter  qu'il  eut  aussi 
indiqué  les  endroits  de  leurs  ouvrages  quand  ce  ne  sont 
pas  des  commentateurs  qu'il  cite  (2).  » 

4.  Charles-Marie  de  Veil,  que  nous  avons  cité  plusieurs 

{!)  fy..  Siimon,  Histoire  critique  des  \mncipaux  commentateurs  du, 
Nouveau-Testament,  c.  l,  -pag.  748. 
(2)  Pi.  Simou,  ilid.  c.  uu,pag.  791. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  459 

fois  (voy.  t.  iv,  pag.  'i-^l),  outre  les  commentaires  qu'il 
a  écrits  sur  saint  Matthieu  et  saint  Marc,  a  donné  une 
explication  du  livre  des  Actes,  qui  a  paru  à  Londres, 
en  168i,  in-i»,  sous  le  titre  de  :  Acta  SS.  Âpostolorum 
ad  literam  explkata. 

5.  Jean  Lightfoot  est  auteur  de  plusieurs  ouvrages 
sur  les  Actes  des  Apôtres;  car  indépendamment  de  ce 
qu'il  a  écrit  de  l'histoire  apostolique  dans  son  Harmonie, 
il  a  composé  de  plus  deux  ouvrages,  intitulés,  l'un  :  Coiii- 
mentarins  historicus  in  Acta  Apostolorum,  et  l'autre  : 
Horœ  hebraïcœ  et  talmudicœ  in  Acta  Apostolorum.  Ces 
deux  ouvrages  ont  été  publiés  aussi  en  anglais  ;  on  les 
trouve  dans  le  recueil  des  œuvres  complètes  de  Light- 
foot. R.  Simon  remarque  judicieusement  que  la  critique 
de  notre  commentateur  est  quelquefois  trop  rabbinique, 
qu'il  n'est  pas  exempt  de  préjugés,  et  qu'il  accommode 
aussi  quelquefois  les  rabbins  à  son  idée  (1). 

6.Drusius,  Casaubon,  Pricaeus  et  Piscator,  ont  com^ 
posé  sur  les  Actes  des  Apôtres  des  notes  qui  jouissent 
d'une  réputation  bien  méritée  ;  elles  ont  été  imprimées 
dans  les  Grands  Critiques. 

7. En  1791,  a  paru  à  Leipzig,  en  2  vol.  in-8°,  un  tra- 
vail sur  les  Actes  des  Apôtres,  intitulé  :  Sam.  Frid.  Na- 
than Mori  Versio  et  explicatio  Actuum  apostolicorum . 
Edidit,  animadversiones  recentiorum  suasque  adjecit^ 
Gottlob  Immanuel  Dindorf. —  En  1800,  Thiess  a  publié 
dans  la  même  ville  une  traduction  des  Actes,  accompa- 
gnée de  remarques. 

8.  J.  H.HeinrichsafaitparaîtreàGœttingue,  en  1809, 
deux  vol.  in-8°  sur  le  même  livre,  intitulés  :  Acta  Aposto- 

(1)  Pi.  Simon,  ibid.  pag.  795. 


460  DES  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

lorum  grœce,  perpétua  annotationê  illustrata.  Cei  ou- 
vrage  se  trouve  dans  le  tome  m  du  Nouveau-Testament 
de  Kopp,  dont  il  est  la  continuation.  Heinrichs  est  un 
des  partisans  de  la  nouvelle  exégèse  allemande.  Un  seul 
trait  peut  nous  donner  une  idée  de  l'esprit  quia  présidé 
au  travail  de  ce  commentateur.  Il  explique  la  mort 
prompte  et  subite  d'Ananie  (Act.  y,  1-6),  en  disant  que 
saint  Pierre  le  poignarda,  et  en  ajoutant  que  cette  ac- 
tion de  l'apôtre  n'est  nullement  en  désaccord  avec  son 
caractère  véhément  et  emporté. 

9 .  E .  G .  Paulus ,  D.  J .  Georges  Rosenmûller  et  Olshau- 
sen,  ont  aussi  commenté  les  Actes  des  Apôtres  ;  on  peut 
voir  ce  que  nous  avons  dit  de  l'esprit  particulier  et  du 
mérite  de  chacun  de  ces  écrivains,  à  la  section  précé- 
dente, pag.  363,  36/^. 


APPENDICE  A  LV  CINQUIEME  SECTION. 

DES   PRÉTENDUES   CONTr.ADICTIONS   DES  ÉVANGÉLISTES. 

Comme  les  contradictions  apparentes  forment  une  des 
questions  les  plus  importantes  qui  aient  été  agitées  sur 
les  Évangiles,  et  que  la  marche  que  nous  avons  suivie 
dans  cette  section  ne  nous  a  permis  d'en  dire  que  peu  de 
fehose,  nous  avons  cru  devoir  y  consacrer  un  article 
spécial.  D'un  autre  côté,  le  lecteur  ne  doit  pas  oublier, 
ce  que  nous  avons  déjà  dit  plusieurs  fois ,  que  ne  trai- 
tant point  dans  cette  Introduction  les  difficultés  parti* 
culières,  nous  ne  pouvons  par  là  même  nous  en  tenir 
qu'à  des  généralités.  Michaëlis  nous  fournira  une  grande 
partie  de  ce  que  nous  allons  dire  sur  cette  question  ; 
toutefois  nous  nous  garderons  bien  de  le  suivre  dans 


DES    ÉVANGÉLISTE8.  461 

certaines  opinions  erronées  qu'il  a  mêlées  quelquefois  à 
d'excellentes  idées  (1).  On  a  pu  remarquer  par  ce  que 
nous  avons  dit  jusqu'ici  sur  les  Evangiles  que  leurs  au- 
teurs ne  s'accordaient  pas  toujours  parfaitement  dans 
leurs  récits  ;  mais  ce  fait,  qui  sous  un  point  de  vue  offre 
une  preuve  réelle  en  faveur  de  l'exactitude  de  leur  narra- 
tion, a  donné  lieu  à  une  sérieuse  accusation. Personne, 
selon  Michaëlis,  ne  l'a  poussée  avec  autant  de  force  et 
d'aigreur  que  l'auteur  anonyme  des  fragmens  de  Wol- 
fenbuttel,  publiés  par  Lessing  ;  car  il  représente  la  ré- 
surrection de  Jésus-Christ  en  particulier  comme  une 
fable ,  et  cela  sous  prétexte  que  les  écrivains  qui  l'ont 
rapportée  ne  s'accordent  point  dans  le  récit  qu'ils  en 
ont  fait  (2). 

1.  Quelque  fâcheuses  que  les  contradictions  apparen- 
tes des  évangélistes  puissent  paraître  à  quelques  .amis 
de  la  religion  chrétienne ,  et  cmelque  abus  qu'en  aient 
fait  ses  adversaires,  l'inconvénient  qui  en  résulte  ne  sau- 
rait être  aussi  grand  qu'on  le  suppose,  puisqu'elles  prou- 
vent, ce  qui  est  de  la  plus  grande  importance ,  que  les 
évangélistes  ne  se  sont  pas  concertés  dans  la  composi- 
tion de  leurs  ouvrages.  Si  saint  Matthieu,  saint  Marc  et 
saint  Luc  avaient  écrit  de  concert  dans  le  but  de  faire 
croire  des  fictions  au  monde,  ils  auraient  certainement 
évité  jusqu'à  la  moindre  apparence  de  désaccord  ;  et  si 
les  événemens  miraculeux  qu'ils  avaient  racontés  eus- 
sent été  des  fables,  il  est  probable  que  saint  Jean,  qui 

(1)  J.  13.  Michaëlis,  Inirodnciion  au  N.  T.  t.  m,  p.  7  ctsuiv. 

(2)  Ces  fragmens  ont  paru  de  1773  à  1781  ;  Michaëlis  y  a  répondu 
par  une  exposition  de  l'histoire  de  la  mort  et  de  la  résurrection  du 
Sauveur,  imprimée  à  Halle,  l'an  1783,  et  que  nousallons  reproduire 
en  partie  dans  cet  appendice. 


462  DES  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

avait  lu  leurs  Evangiles  avant  d'écrire  le  sien,  aurait  eu 
soin  de  se  conformer  entièrement  aux  écrits  de  ses  pré- 
décesseurs, afin  que  la  fraude  fût  moins  facilement  dé- 
couverte. L'auteur  anonyme  des  fragmens  de  Wolfen- 
buttel,  qui  ne  paraît  pas  avoir  eu  pour  but  de  rechercher 
franchement  la  vérité,  a  donc  commis  une  grande  er- 
reur, en  insinuant,  après  avoir  compté  dix  prétendues 
contradictions  dans  un  chapitre,  que  toute  l'histoire  de 
la  résurrection  fait  soupçonner  que  ceux  qui  l'ont  écrite 
ont  agi  de  concert. 

Remarquons  en  passant  que  malgré  l'opinion  de  Mi- 
chaëlis ,  qui  prétend  que  les  simples  compagnons  des 
apôtres,  comme  saint  Marc  et  saint  Luc,  n'ont  pas  reçu 
le  don  surnaturel  de  l'infaillibilité,  et  celles  des  critiques 
qui  comme  lui  n'étendentpas  l'inspiration  divine  aux  faits 
purement  historiques,  il  ne  saurait  y  avoir,  selon  nous, 
entre  les  auteurs  des  E^^ngiles  des  contradictions  réel- 
les. Quoi  qu'il  en  soit,  au  reste,  de  cette  question,  nous 
ne  parlons  ici  que  des  contradictions  que  Michaëlis  lui- 
même  regarde  comme  simplement  apparentes.  Quand 
donc  plusieurs  personnes  qui  ont  été  témoins  d'un  même 
fait  en  donnent  des  récits  séparés  et  indépendans ,  il 
n'est  guère  possible  qu'ils  s'accordent  dans  les  détails 
de  peu  d'importance.  Nous  en  appelons  à  tout  juriscon- 
sulte expérimenté  ;  ne  suspectera-t-il  pas  la  vérité  d'une 
déposition  lorsque  vingt  témoins  auront  donné  exacte- 
ment les  mêmes  réponses  ?  Et  s'ils  s'accordent  sur  les 
expressions ,  ne  sera-t-on  pas  fondé  à  soupçonner  que 
l'examinateur  a  préparé  la  déposition  lui-même ,  qu'il 
n'a  point  questionné  les  témoins ,  ou  qu'il  leur  a  sug- 
géré les  réponses,  afin  d'atteindre  plus  sûrement  son 
but? 


DES   ÉVANGÉLISTES.  463 

Il  paraît  facile  d'assigner  la  raison  pour  laquelle  il  est 
impossible  d'éviter  des  contradictions  apparentes  dans 
la  déposition  de  plusieurs  témoins  oculaires  du  même 
fait.  Tous  ne  l'observent  pas  dans  ses  moindres  détails, 
l'un  porte  plus  particulièrement  son  attention  sur  une 
circonstance,  l'autre  sur  une  autre  ;  ce  qui  occasionne 
dans  leurs  récits  des  différences  qu'il  est  quelquefois 
difficiles  de  concilier.  Gela  est  arrivé  aux  évangélistes, 
comme  on  peut  le  prouver  par  l'exemple  suivant  :  saint 
Matthieu,  au  chapitre  xviii,  1-4,  et  saint  Marc,  au  cha- 
pitre IX ,  32-35,  rapportent  le  même  fait,  mais  sous  un 
point  de  vue  différent ,  et  par  cela  même  ils  paraissent 
au  premier  abord  se  contredire  formellement.  Saint  Mat- 
thieu dit  en  effet  :  «  Alors  les  disciples  s'approchèrent 
de  JÉSUS ,  et  lui  dirent  :  Qui  est  le  plus  grand  dans  le 
royaume  des  cieux?))  On  lit,  au  contraire,  dans  saint 
Marc  :  «  Il  vint  à  Capharnaiim  ,  et  lorsqu'il  fut  dans  la 
maison ,  il  leur  demanda  :  De  quoi  vous  entreteniez- 
vous  en  chemin  ?  Mais  ils  ne  répondirent  rien ,  parce 
qu'ils  s'étaient  disputés  en  chemin  sur  celui  qui  était  le 
plus  grand.»  Ainsi,  d'après  saint  Matthieu,  ce  sont  les 
disciples  qui  soum.ettent  à  Jésus  le  sujet  de  la  question 
afin  d'avoir  son  avis,  tandis  que,  d'après  saint  Marc,  ils 
refusent  mêmederépéterlesujetde  leur  dispute, quoique 
le  divin  Sauveur  le  leur  demande,  parce  qu'ils  sentaient 
qu'ils  en  seraient  repris.  On  demande  comment  concilier 
ces  récits  ?  Sans  entrer  dans  le  détail  des  diverses  solu- 
tions que  les  commentateurs  ont  données,  et  sans  même 
adopter  en  son  entier  la  manière  dont  Michaëlis  l'ex- 
plique, on  peut  facilement  remarquer  qu'il  n'y  a  réelle- 
ment pas  de  contradiction  entre  les  deux  évangélistes  ; 
seulement  l'un  rapporte  une  partie  du  fait,  l'autre  une 


464         DES  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

autre  partie  ;  mais  aucun  d'eux  ne  le  raconte  dans  tou- 
tes ses  circonstances.  Car  ne  peut-on  pas  supposer  avec 
toute  vraisemblance  que  quelques  disciples  ayant  rap- 
porté à  Jésus-Christ  leurdispule  avec  la  même  indi- 
gnation que  dix  apôtres  témoignèrent  dans  une  occa- 
sion analogue  (Matth.  xx,  Si),  ce  divin  Sauveur  différa 
de  décider  la  question  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  tous  ar- 
rivés dans  la  maison  où  ils  se  rencontraient  ordinaire- 
ment? C'est  ainsi  que  les  réponses  de  Jésus -Christ 
citées  par  saint  Matthieu  ont  généralement  dans  son 
Evangile  un  aspect  différent,  et  sont  moins  claires  que 
dans  saint  Marc,  parce  que  saint  Matthieu  ne  s'est  pas 
attaché  à  raconter  les  causes  qui  les  ont  fait  naître. 

Quand  plusieurs  personnes  racontent  le  même  évé- 
nement, ou  que  divers  historiens  récrivent  chacun  de 
leur  côté,  comme,  par  exemple,  une  bataille  entre  deux 
armées,  on  croit  d'abord  trouver  de  fréquentes  contra- 
dictions dans  leurs  récits ,  bien  qu'au  fond  ,  quand  on 
examine  la  chose  plus  attentivement ,  on  finit  par  dé- 
couvrir que  les  traits  particuliers  qui  au  premier  instant 
avaient  paru  en  opposition,  ne  le  sont  réellement  poisit, 
quoique  présentés  sous  une  face  et  sous  des  couleurs 
différentes.  Si  les  évangélistes  semblent  se  contredire 
plus  souvent  que  d'autres  historiens,  il  ne  faut  s'en  pren- 
dre qu'aux  lecteurs.  Les  évangélistes  sont  lus  non  par 
des  milliers,  mais  par  des  millions  de  personnes,  qui 
les  confrontent  avec  l'attention  la  plus  minutieuse  ;  tan- 
dis que  l'on  n'apporte  nullement  ce  soin  à  des  histoires 
que  l'on  raconte  dans  la  conversation,  et  qu'on  trouve 
rarement  un  historien  critique  qui  prenne  la  peine  de 
comparer  rigoureusement  les  documens  écrits.  La  plus 
forte  preuve  que  des  contradictions  apparentes  ne  dé- 


DES  ÉVANGÉLISTES.  465 

cèlent  point  une  mauvaise  cause,  c'est  qu'on  en  rencon- 
tre fréquemment  dans  les  ouvrages  d'un  même  histo- 
rien qui  rapporte  le  fait  à  des  époques  différentes.  Saint 
Luc,  par  exemple ,  rapporte  deux  fois  l'ascension  de 
JÉsus-CiiRiST,  et  trois  fois  la  conversion  de  saint  Paul  ; 
or,  en  omettant  une  fois  ce  qu'il  ditune  autre,  ei  vice  versa, 
il  diffère  autant  de  lui-même  que  les  évangélistes  entre 
eux. Dans  les  cours  de  justice,  où  l'on  entend  fort  bien 
la  logique  pratique  pour  tout  ce  qui  concerne  l'examen 
des  preuves,  une  contradiction  apparente  entre  deux  ou 
plusieurs  témoins  n'est  point  considérée  par  elle-même 
comme  une  preuve  que  le  fait  qu'ils  attestent  soit  réel- 
lement faux.  Les  avocats  des  deux  parties  examinent  si 
l'on  peut  ou  si  l'on  ne  peut  pas  concilier  ce  que  les  té- 
moignages ont  de  différent.  Comme  on  ne  peut  inter- 
roger les  évangélistes  sur  les  contradictions  qu'on  croit 
découvrir  dans  leurs  récits  ,  les  interprètes  et  les  com- 
mentateurs doivent  entreprendre  en  leur  nom  l'office 
d'avocats.  Ils  l'ont  souvent  rempli  avec  succès  ;  mais  le 
défaut  de  connaissances  suffisantes  du  sujet  les  a  sou- 
vent embarrassés  ;  et  si  les  apôtres  vivaient,  ils  feraient 
certainement  disparaître  toutes  les  difficultés. 

2.  Une  des  contradictions  apparentes  qui  se  rencon- 
trent le  plus  fréquemment  entre  les  évangélistes,  tient  à 
l'ordre  des  temps ,  le  même  fait  se  trouvant  rapporté  à 
des  époques  différentes.  Or  ces  sortes  de  contradictions 
viennent  nécessairement  de  ce  que  saint  Matthieu,  saint 
Marc  et  saint  Luc  n'ont  point  observé  l'ordre  chrono- 
logique en  écrivant  l'histoire  de  Jésus -Curtst.  Mais 
quelle  conséquence  défavorable  à  l'authenticité  ou  à 
la  véracité  de  nos  Évangiles  peut-on  raisonnablement 
tirer  de  ce  fait?  On  ne  saurait  exiger  d'un  historien  qu'il 

20. 


466  DES   PRÉTENDUES    CONTRADICTIONS 

suive  dans  ses  récits  l'ordre  des  temps ,  que  lorsqu'il 
écrit  un  journal,  genre  d'histoire  le  plus  ennuyeux  et  le 
plus  désagréable  pour  les  lecteurs.  Pour  présenter  un 
récit  clair  et  attachant,  il  est  souvent  obligé  de  lier  une 
cause  à  son  effet ,  lors  même  que  l'effet  a  eu  lieu  plus 
tard,  et  ensuite  il  doit  revenir  à  une  époque  antérieure, 
ou  bien  il  a  à  joindre  des  événemens  séparés  par  le 
temps,  mais  unis  par  le  sujet.  Dans  une  biographie,  en 
particulier ,  il  n'est  pas  rare  de  voir  des  écrivains  né- 
gliger l'ordre  chronologique  en  rapportant  les  événe- 
mens remarquables  de  la  vie  des  héros  dont  ils  font 
l'histoire.  Or,  pourquoi  voudrait-on  prescrire  aux  évan- 
gélistes  des  règles  plus  sévères  qu'aux  autres  historiens? 
On  pourrait  supposer  que  cette  exigence  tient  à  un  dé- 
faut de  connaissance  de  la  manière  dont  les  écrivains  pro- 
fanes écrivaient  l'histoire,  si  plusieurs  commentateurs, 
qu'on  ne  peut  soupçonner  d'ignorance  en  cette  matière, 
n'avaient  considéré  les  Evangiles  comme  de  simples  jour- 
naux ou  mémoires,  dans  lesquels  les  événemens  sont 
rapportés  jour  par  jour  selon  l'ordre  rigoureux  dans  le- 
quel ils  sont  arrivés.  Ajoutons  que  les  expressions  va- 
gues dont  se  sont  souvent  servis  les  évangéHstes  lors- 
qu'ils ont  parlé  du  temps  où  les  faits  qu'ils  rapportent 
ont  eu  lieu,  laissant  presque  toujours  une  certaine  la- 
titude à  celui  qui  en  cherche  la  date  précise ,  il  n'est 
pas  aussi  difficile  que  le  prétendent  nos  adversaires,  de 
concilier  les  passages  où  les  écrivains  sacrés  semblent 
se  contredire  en  racontant  ces  faits. 

Nous  avons  déjà  dit  que  saint  Luc  non  seulement  fai- 
sait profession  ouverte  de  rapporter  les  choses  dans 
l'ordre  où  elles  se  sont  passées ,  mais  qu'il  avait  soin 
encore  de  fixer  plusieurs  époques  dans  son  Evangile  ; 


DES  ÉVAXGÉLISTES,  467 

nous  avons  ajouté  que  saint  Matthieu,  au  contraire, 
ayant  pour  but  unique  de  prouver  aux  Juifs  que  Jésus- 
Christ  est  le  Messie,  ne  paraissait  pas  s'être  occupé  à 
placer  les  faits  dans  Tordre  chronologique,  vu  qu'il  était 
inutile  à  son  dessein  (1).  Or,  on  doit  conclure  de  cette 
observation  que  lorsque  saint  Matthieu  et  saint  Luc  se 
trouvent  en  désaccord  sur  la  manière  de  placer  un  fait 
considéré  sous  le  point  de  vue  chronologique ,  c'est  ce 
dernier  évangéliste  qu'il  faut  suivre  ,  sans  qu'on  soit 
pour  cela  autorisé  à  taxer  saint  Matthieu  d'erreur  et 
d'inexactitude,  puisqu'il  ne  s'est  point  proposé  dans  sa 
narration  de  se  conformer  à  l'ordre  des  temps  (2) .  Il 
est  vrai  que ,  selon  Micbaëlis  et  plusieurs  autres  criti- 
ques qui  partagent  son  opinion,  l'expression  par  ordre 
[y.rxOcçô;]  employée  par  saint  Luc  paraît  ne  signifier 
autre  chose  que  l'intention  de  réunir  les  récits  des  mi- 
racles et  des  discours  du  Sauveur,  et  d'en  faire  un  tout, 
c'est-à-dire  de  mettre  en  ordre  le  récit  des  écrivains 
dont  il  parle  dans  le  premier  verset  de  son  Evangile. 
Mais  c'est  évidemment  faire  violence  au  texte  de  l'évan- 
géUsle  que  de  l'interpréter  de  cette  manière  :  saint  Luc 
ne  dit  pas  un  seul  mot  qui  puisse  porter  à  croire  que 
son  travail  devait  consister  à  recueillir  les  écrits  partiels 
de  ces  nombreux  écrivains  pour  en  faire  une  histoire 
complète  et  suivie.  Bien  plus,  les  termes  même  qu'il  em- 
ploie sont  une  preuve  manifeste  du  contraire  ;  car  pre- 
mièrement le  verbe  àvarz^ac-^^ai,  qu'il  applique  à  ces  au- 
teurs,   signifie  mettre  en  ordre  [or dinar e) ,  comme  l'a 

(I)  Voyez  plus  haut,  p.  331. 

(?)  Ce  que  nous  disons  ici  de  saint  Luc  peut  se  dire  également  de 
saint  Marc,  vu  qu'ils  ont  suivi  l'un  et  l'autre  le  lucnie  ordre  chrono- 
logique. 


468         DES  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

parfaitement  traduit  la  Yulgate ,  et  ne  saurait  avoir  un 
autre  sens;  ainsi  une  histoire  suivie  des  actions  de  Jé- 
sus-Christ existait  déjà  dans  ces  premiers  récits.  En 
second  lieu,  le  moi  6 co^rirt-j,  ou  narration,  étant  au  sin- 
gulier, ne  saurait  convenir  qu'à  une  relation  complète, 
suivie  ou  au  moins  détaillée  de  toute  l'histoire  évangé- 
lique.  Troisièmement  enfin  l'expression  y.uBqr.ç  dont  se 
sert  saint  Luc  pour  marquer  une  des  qualités  de  son 
propre  ouvrage,  exprime  nécessairement  une  idée  de 
succession  d'ordre  chronologique,  comme  dans  tous  les 
autres  endroits  où  il  se  trouve  employé  (1).  Mais  quand 
nous  disons  que  saint  Luc  a  suivi  dans  son  Evangile 
l'ordre  chronologique  ,  nous  ne  prétendons  pas  qu'il 
l'ait  suivi  absolument  dans  toutes  les  circonstances  par- 
ticulières des  divers  événemens  qu'il  raconte,  nous  l'en- 
tendons seulement  des  faits  principaux  pris  dans  leur 
ensemble  ;  car  écrivant  une  histoire  en  partie  dogma- 
tique et  en  partie  morale,  et  nullement  un  simple  jour- 
nal, comme  nous  l'avons  déjà  remarqué,  il  a  dû  néces- 
sairement séparer  ou  réunir,  selon  son  besoin,  certains 
traits  particuliers,  sans  avoir  égard  au  temps  où  ils  s'é- 
taient passés.  Ainsi  le  récit  que  nous  lisons  au  chapi- 
tre IV,  23 ,  où  Jésus  parle  des  miracles  opérés  à  Ca- 
pharnaûm ,  quoique  jusque-là  cet  évangéliste  n'eût 
point  dit  que  le  divin  Sauveur  fût  allé  dans  cette  ville, 
joint  à  ce  que  les  miracles  importans  que  Jésus-Christ 
fit  à  Capharnaûm  paraissent  être  rapportés  par  saint 
Luc  dans  le  cinquième  chapitre ,  semble  prouver  que 
l'historien  sacré  n'a  pas  rapporté  l'arrivée  du  Sauveur  à 
Nazareth  au  moment  où  elle  eut  lieu. 

(1)  Les  seuls  endroits  du  Nouveau-Testament  où  cette  expression 
se  rencontre,  sont  :  Luc,  i,  3;  viii,  1.  Act.  m,  22;  xi,  4;  xviii,23. 


DES  ÉVANGÉLISTES.  469 

L'opinion  que  les  évangélistes  ont  constamment  ob- 
servé l'ordre  des  temps,  remarque  ici  Michaëlis,  a  con- 
duit beaucoup  d'auteurs  d'harmonies  à  conclure  que  si 
un  fait  est  rapporté  par  plusieurs  de  ces  écrivains  sa- 
crés, et  que  le  temps  indiqué  par  l'un  d'eux  ne  corres- 
ponde pas  au  temps  désigné  par  un  autre,  le  fait  avec 
tous  ses  détails  doit  être  arrivé  à  des  époques  différen- 
tes. D'après  ce  principe ,  tous  les  événemens  contenus 
dans  les  chapitres  ix-xi  de  l'Évangile  de  saint  Mat- 
thieu ont  dû  arriver  deux  ou  même  trois  fois  ;  ce  qui 
paraît  inadmissible  dès  que  l'on  considère  que  les  cir- 
constances de  détail  sont  absolument  les  mêmes .  Le  doc- 
teur Hauber  s'est  servi,  pour  soutenir  cette  opinion, 
du  principe  des  indiscernables  (1).  Il  dit  que  les  choses 
qui  s'accordent  en  9999  points ,  mais  qui  diffèrent  en 
un,  ne  peuvent  être  une  seule  et  même  chose.  Or,  les 
événemens  dont  nous  venons  de  parler  diffèrent  sur  le 
temps  dans  les  évangélistes;  ainsi  ils  ne  sauraient  être 
les  mêmes.  Sans  contester  la  vérité  de  la  première  pro- 
position du  docteur  Hauber,  nous  sommes  en  droit  de 
dire  qu'on  ne  peut  affirmer  la  seconde  sans  faire  une 
pétition  de  principe,  puisque  la  question  à  décider  est 
précisément  de  savoir  si  ces  événemens  sont  réellement 
arrivés  plus  d'une  fois.  Et  comme  il  est  très-peu  pro- 
bable que  deux  séries  de  faits  se  ressemblent  en  tout , 
excepté  pour  le  temps,  le  principe  des  indiscernables, 
appliqué  au  cas  qui  nous  occupe,  conduirait  à  une 
conclusion  diamétralem.ent  opposée  à  celle  du  docteur 
Hauber. 

(l)  E.  D.  Hauber  est  le  même  écrivain  que  nous  avons  cité  plus 
haut  (p.  344),  parmi  les  proteslans  qui  ont  composé  des  harmonies 
évangéliques. 


470  DES   PRÉTENDUES   CONTRADICTIONS 

Cependant  nous  ne  prétendons  pas  d'une  manière  ab- 
solue qu'on  ne  doit  jamais  admettre  qu'un  événement 
soit  arrivé  deux  fois  là  où  les  divers  évangélistes  lui  as- 
signent une  époque  différente.  Mais  alors  il  ne  faut  pas 
que  ce  soit  un  événement  ou  extraordinaire  ou  décrit 
chaque  fois  avec  les  mêmes  petits  détails.  Par  exemple, 
comme  à  plusieurs  reprises  diverses  personnes  peuvent 
s'être  offertes  à  Jésus-Christ  pour  être  ses  disciples, 
entraînées  par  l'idée  qu'elles  s'étaient  faite  de  son  ca- 
ractère, ou  dans  l'espérance  de  recevoir  de  lui  chaque 
jour  leur  nourriture ,  il  est  possible  qu'il  ait  fait  plus 
d'une  fois  cette  réponse  :  «  Les  renards  ont  des  taniè- 
res, les  oiseaux  du  ciel  ont  des  nids ,  mais  le  Fils  de 
l'homme  n'a  pas  un  lieu  pour  reposer  sa  tête.»  Quand 
saint  Matthieu  (viii,  19-20 1  rapporte  ces  paroles  de  Jé- 
sus-Christ comme  prononcées  près  du  lac  de  Géné- 
zareth,  et  saint  Luc  (ix,  57,  58),  pendant  le  voyage  de 
Jérusalem  au  travers  de  la  Samarie ,  on  peut  conclure 
que  ces  évangélistes  rapportent  deux  faits  différens. 
Cependant  il  s'élève  ici  une  difficulté  ;  c'est  que  saint 
Matthieu  et  saint  Luc,  immédiatement  après  la  réponse 
dont  nous  venons  de  parler ,  s'accordent  à  rapporter 
une  autre  réponse  que  le  Sauveur  fit  à  un  jeune  homme 
qui  se  disposait  à  aller  ensevelir  son  père  (Matth.  viii, 
21,  22.  Luc.  IX,  59,  60^.  «  Ce  fait,  dit  ici  Michaëlis,  est 
si  extraordinaire,  que  je  ne  puis  croire  qu'il  soit  arrivé 
deux  fois,  et  je  ne  puis  rendre  raison  de  cette  difficulté 
qu'en  supposant  que  les  deux  évangélistes  ont  introduit 
à  deux  occasions  différentes  l'entretien  du  Christ  avec 
ce  disciple,  parce  que  chacune  de  ces  occasions  pouvait 
servir  à  l'introduire.  Ils  rapportent  comment  Jésus  re- 
fusait, invitait  des  disciples,  ou  les  mettait  à  l'épreuve, 


DES   ÉVANGÉLISTES.  471 

quoique  les  exemples  qu'ils  citent  au  même  endroit 
soient  arrivés  en  des  temps  différens  (1).»  Cette  solu- 
tion est  aussi  celle  de  D.  Calmet  ;  ce  commentateur  ex- 
pliquant le  verset  57  du  chapitre  ix  de  saint  Luc,  où  se 
lisent  ces  paroles  du  Sauveur  :  Les  renards  ont  des  ta- 
nières, etc.,  dit  :  «Ceci  est  rapporté  dans  une  autre  con- 
joncture par  saint  Matthieu  (viii,  19).  Mais  il  est  fort 
croyable  que  la  même  chose  fut  dite  en  plus  d'une  oc- 
casion. JÉSUS  éprouvait  ceux  qui  s'offraient  à  le  sui- 
vre, en  leur  disant  que  sa  pauvreté  était  extrême,  et  que 
pour  le  suivre  il  fallait  se  résoudre  à  beaucoup  souf- 
frir. »  En  commentant  le  verset  60  du  même  chapitre  ix 
de  saint  Luc,  où  il  est  dit  :  Jésus  lui  repartit  :  Laissez 
auxmorts  Je  soin,  etc.,  D.  Calmet  fait  encore  la  remarque 
suivante  :  «  Ceci  se  trouve  aussi  dans  saint  Matthieu, 
chapitre  VIII, 21,  mais  dans  une  autre  circonstance.  On 
ne  peut  pas  décider  lequel  des  deux  évangélistes  a  mieux 
observé  l'ordre  des  temps.  Saint  Luc  semble  avoir  ras- 
semblé ici  trois  exemples,  qui  ont  quelque  rapport  entre 
eux,  uniquement  à  cause  de  ce  rapport.  » 

3.  Voici  les  règles  principales  qu'on  peut  suivre  pour 
concilier  les  contradictions  qui  semblent  résulter  de  la 
comparaison  des  Evangiles  entre  eux. 

r^  RÈGLE.  Les  évangélistes  n'ayant  point  eu  dessein 
d'écrire  de  simples  journaux  ou  mémoires  dans  lesquels 
seraient  rapportés  jour  par  jour  et  heure  par  heure  les 
actions  et  les  paroles  de  Jésus-Christ,  dont  ils  ont  voulu 
nous  laisser  l'histoire  ,  on  ne  doit  pas  regarder  comme 
une  contradiction ,  si  l'un  d'eux  raconte  le  même  fait 
plus  tôt  ou  plus  tard  qu'un  autre,  surtout  lorsqu'ils  ne 

(1)  J.  D.  Michaëlis,  Inlroduclion  au.  JS.  T.  t.  iu,purj.  20. 


472  DES  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

déterminent  point  le  temps  d'une  manière  assez  précise 
et  assez  rigoureuse  pour  ne  laisser  au  lecteur  aucun 
moyen  légitime  de  les  concilier. 

IP  RÈGLE.  Comme  l'inspiration  divine  ne  donne  pas 
la  science  de  toute  chose,  il  peut  se  faire  que  parmi  les 
quatre  évangélistes ,  quoique  également  inspirés,  l'un 
ignore  les  détails  d'un  fait  qu'un  autre  connaissait  par- 
faitement. De  ce  défaut  de  connaissance,  il  résulte  que 
l'un  omettra  dans  son  récit  des  circonstances  qui  se- 
ront rapportées  par  un  autre  ;  mais  il  est  évident  que 
cette  différence  dans  les  deux  narrations  ne  saurait 
constituer  une  véritable  contradiction.  Nous  en  avons 
un  exemple  frappant  dans  le  passage  où  il  est  dit  que 
JÉsus-CiiRiST  monta  dans  une  barque,  calma  le  vent  et 
apaisa  les  flots  de  la  mer ,  le  soir  du  même  jour  où  il 
avait  proposé  la  parabole  du  semeur  et  de  la  semence. 
Car  saint  Marc  dit  (iv,  35)  :  «  Le  même  jour,  quand  le 
soir  fut  venu ,  il  leur  dit  :  Passons  de  l'autre  côté  de 
Veau',y)  tandis  que  saint  Luc,  qui  savait  seulement  que 
ces  deux  événemens  n'étaient  pas  arrivés  dans  des  temps 
fort  éloignés,  et  qui  ignorait  ce  détail,  se  borne  à  dire 
(vin,  22)  :  ((Il  arriva  qu'un  jour,  étant  monté  sur  une 
barque,. ..  il  dit,  etc.  »  Or,  il  n'y  a  pas  plus  de  contra- 
diction dans  ces  deux  récits  qu'il  n'y  en  aurait  si  de 
deux  témoins  du  même  fait,  l'un  attestait  qu'il  a  eu  lieu 
le  vingt-cinquième  jour  du  mois  de  décembre,  et  l'autre 
disait  simplement  qu'il  a  eu  lieu  dans  la  semaine  de 
Noël. L'expression  d'w/ijOî(r,  employée  par  l'évangéliste 
saint  Luc,  est  même  si  vague,  qu'elle  ôte  toute  espèce 
d'apparence  d'opposition  entre  lui  et  saint  Marc.  Il  est 
encore  plusieurs  faits  dont  saint  Luc  fixe  le  temps  d'une 
manière  bon   moins  précise  que  les  autres  évangélis- 


DES  ÉVANGÉLISTES.  473 

tes.  Quoique  nous  ayons  supposé,  avec  Michaëlis  , 
que  cette  manière  de  raconter  les  faits  dans  saint  Luc 
tenait  au  défaut  de  connaissance  du  temps  précis  où 
s'étaient  passés  les  événemens ,  parce  que  cette  sup- 
position n'a  rien  qui  puisse  empêcher  un  critique  de 
l'admettre,  nous  croyons  devoir  faire  observer  qu'il  se- 
rait absolument  possible  que  saint  Luc  n'ignorât  pas 
toujours  la  date  des  faits,  quoiqu'il  ne  la  précise  point; 
cette  précision  n'entrant  peut-être  point  dans  ses  vues, 
ou  au  moins  ne  lui  paraissant  pas  nécessaire. 

IIP  RÈGLE.  Plusieurs  récits  peuvent  être  semblables 
et  n'être  pas  les  mêmes.  Ainsi  le  trait  d'une  femme  pé- 
cheresse qui  vint  répandre  des  parfums  sur  les  pieds  de 
Jésus  pendant  qu'il  était  à  table,  trait  que  rapporte  saint 
Luc  (vu ,  36  et  suiv .) ,  est  différent  de  celui  que  nous  lisons 
dans  saint  Matthieu  (xxv i ,  6  et  suiv.  ) ,  quoique  tous  deux 
aient  cela  de  commun  qu'ils  ont  eu  lieu  dans  la  maison 
d'un  nommé  Simon  ,  et  pendant  que  le  Sauveur  était  à 
table.  Le  seul  accord  de  ces  deux  circonstances  ne  sau- 
rait prouver  en  effet  qu'il  s'agit  de  la  même  histoire .  D'a- 
bord le  nom  de  Simon  a  toujours  été  commun  parmi  les 
Juifs,  et  le  Nouveau-Testament  lui-même  nous  fournit 
une  preuve  manifeste  qu'au  temps  de  Jésus-Christ  et 
des  apôtres  beaucoup  de  personnes  le  portaient.  L'ail- 
leurs  Simon  dont  parle  saint  Luc  est  distingué  de  celui 
dont  saint  Matthieu  fait  mention,  puisque  le  premier  se 
trouve  désigné  par  le  titre  de  pharisien ,  et  ce  dernier 
par  celui  de  lépreux.  En  second  lieu,  de  ce  que  nous  li- 
sons dans  les  deux  évangélistes  que  Jésus  était  à  table 
lorsqu'une  femme  vint  lui  rendre  ce  témoignage  de  res- 
pect et  de  vénération,  on  n'est  point  pour  cela  en  droit 
de  conclure  qu'il  s'agit  du  même  fait  dans  les  deux  ré- 


474  DES  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

cits  ;  car  il  n'y  a  rien  de  remarquable  dans  cette  circon- 
stance ;  c'était  un  usage  général  chez  les  anciens.  Troi- 
sièmement ,  les  autres  détails  diffèrent  essentiellement. 
Ainsi,  dans  saint  Luc,  c'est  une  femme  pécheresse  de  la 
ville ,  c'est-à-dire ,  selon  le  langage  des  Hébreux ,  une 
femme  de  mauvaise  vie  ;  dans  saint  Matthieu ,  il  s'agit 
d'une  femme  simplement ,  et  à  laquelle  l'évangéliste  ne 
donne  aucune  qualification  de  cette  nature.  Celle-ci  ré- 
pand son  parfum  précieux  sur  la  tête  du  Sauveur;  celle- 
là,  venant,  le  cœur  contrit,  implorer  le  pardon  de  sa  vie 
criminelle,  parfume  ses  pieds,  les  arrose  de  ses  larmes, 
et  les  essuie  avec  ses  cheveux  (1).  Selon  saint  Matthieu, 
ce  sont  d'un  côté  les  murmures  des  disciples  de  Jésus, 
qui  se  plaignent  de  cette  profusion  de  parfum  ,  dont  le 
prix  aurait  pu  être  si  utilement  employé  au  soulagement 
des  pauvres  ;  et  de  l'autre  la  réponse  du  divin  Maître, 
qui  leur  représente  qu'ils  seront  toujours  environnés  de 
pauvres,  tandis  qu'ils  ne  l'auront  pas  toujours  lui-même 
parmi  eux.  Mais  dans  la  narration  de  saint  Luc ,  c'est 
Simon  qui  fait  intérieurement  la  réflexion  que  si  Jésus 
était  prophète,  il  saurait  que  celle  qui  le  touche  est  une 
femme  de  mauvaise  vie;  et  le  divin  Sauveur  qui,  pénétrant 
la  pensée  du  pharisien,  lui  propose  une  parabole  qui  l'o- 
blige à  faire  lui-même  l'apologie  de  cette  femme  qu'il 
traitait  si  mal,  et  dont  il  avait  eu  une  si  mauvaise  idée. 
IV'^  RÈGLE.  Quand  il  s'agit  de  l'autre  des  faits,  il  faut 
bien  faire  attention  aux  passages  dans  lesquels  les  évan- 

(1)  La  seule  circonstance  du  parfum  répandu  clans  un  cas  sur  la 
tête  el  dans  l'autre  sur  les  pieds  du  Sauveur,  ne  formerait  pas  une 
dificrcncc  assez  tranchée,  parce  que  l'usage  d'oindre  les  pieds  se  pra- 
tiquait aussi  quelquefois;  mazs  les  autres  détails  suffisent  pour  prou- 
ver qu'il  ne  s'agit  pas  du  même  fait. 


DES  ÉVANGÉLISTES.  475 

gélistes  déterminent  exactement  le  temps  par  les  ex- 
pressions :  ce  jour-là,  dans  la  soirécy  le  jour  suivant,  etc. 
Mais,  d'un  autre  côté,  on  doit  bien  se  garder  aussi  de 
prendre  pour  une  détermination  de  temps  ce  qui  n'en 
est  réellement  pas  une.  Ajoutons  que  quoique  ces  for- 
mules précises  et  rigoureuses  servent  uniquement  à  nous 
faire  connaître  que  les  faits  auxquels  elles  s'appliquent 
se  sont  passés  à  peu  près  dans  les  mômes  temps  que  les 
autres  faits  qui  dans  la  narration  évangélique  les  pré- 
cèdent immédiatement,  et  que  par  conséquent  elles  lais- 
sent sous  ce  rapport  le  lecteur  dans  l'incertitude ,  si 
l'époque  de  ces  faits  précédens  n'est  pas  elle-même  dé- 
terminée ,  elles  peuvent  cependant  contribuer  quoique 
indirectement  à  faire  découvrir  la  date  de  ces  deux 
classes  de  faits  ;  il  suffit  pour  cela  que  les  événemens  en 
tête  desquels  elles  sont  exprimées  se  trouvent  placés  par 
quelque  autre  évangéliste  sous  la  date  et  dans  l'ordre 
chronologique  qui  leur  conviennent. 

V^  RÈGLE.  Lorsque  les  discours  de  Jésus -Christ 
ne  sont  pas  placés  par  tous  les  évangélistes  à  la  même 
époque,  ou  qu'ils  sont  rapportés  dans  des  termes  diffé- 
rens,  on  peut  supposer  que  le  même  discours  a  été  pro- 
noncé plus  d'une  fois.  Cette  supposition  est  d'autant  plus 
admissible,  que  les  instructions  ordinaires  du  Sauveur 
portaient  sur  un  certain  nombre  de  vérités  qui  formaient 
comme  le  code  sacré  de  la  religion  qu'il  était  venu  éta- 
blir sur  la  terre.  Ainsi,  par  exemple,  serait-il  étonnant 
que  Jésus-Christ  eût  adressé  au  peuple  en  différentes 
occasions  le  discours  si  important  que  nous  lisons  au 
chapitre  V  de  saint  Matthieu? N'est-il  pas,  au  contraire, 
très-naturel  dépenser  qu'il  l'a  prononcé  plusieurs  fois, 
afin  d'inculquer  les  enseignemens  précieux  qu'il  contient 


476         DES  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

à  ceux  qui  ne  l'avaient  pas  entendu  la  première  ?  Or,  c'est 
par  les  circonstances  qui,  dans  les  récits  des  évangé- 
listes, précèdent  ou  suivent  le  discours,  quel'on  doit  dé- 
cider s'il  a  été  prononcé  plus  d'une  fois,  et  c'est  seule- 
ment lorsque  ces  circonstances  varient  essentiellement 
qu'on  est  en  droit  de  conclure  que  le  discours  a  été  fait 
plusieurs  fois. 

Les  règles  que  nous  venons  de  donner  d'après  Michaë- 
lis  paraissent  assez  bien  fondées .  On  pourrait  à  la  vérité 
y  opposer  quelques  objections  ;  mais  ces  objections  elles- 
mêmes  n'auraient  pas  un  fondement  plus  solide  ,  et  on 
serait  par  là  même  en  droit  de  les  rejeter.  Si  donc  ces  rè- 
gles offrent  quelques  difficultés,  ce  n'est  pas  précisément 
dans  les  principes  mêmes  sur  lesquels  elles  s'appuient, 
mais  seulement  dans  leur  application.  Or  voici,  ce  nous 
semble,  un  exemple  propre  à  faire  voir  comment  on  pour- 
rait les  appliquer.  Les  évangélistes  saint  Matthieu  (xxvi, 
6-13)  et  saint  Marc  (xiv,  3-9)  ont  rapporté  qu'une 
femme  répandit  un  parfum  sur  la  tète  de  Jésus  dans  la 
semaine  qui  a  précédé  sa  passion  ;  et  tous  les  commen- 
tateurs ont  reconnu  que  dans  les  deux  récits  il  s'agis- 
sait absolument  du  même  fait.  D'un  autre  côté,  nous  li- 
sons dans  saint  Jean  (xiii,  1-8)  qu'une  chose  semblable 
est  arrivée  six  jours  avant  la  Pàque.  Ici  les  interprètes 
ne  sont  plus  d'accord;  plusieurs  soutiennent  que  l'histoire 
rapportée  par  saint  Jean  est  absolument  différente,  et 
qu'elle  est  arrivée  quatre  jours  avant  celle  que  décrivent 
saint  Matthieu  et  saint  Marc.  Mais  voyons  si  ces  inter- 
prètes sont  fondés  dans  leur  opinion,  et  si,  au  contraire, 
il  n'y  a  pas  plusieurs  motifs  assez  puissans  pour  la  faire 
rejeter,  l*'  Selon  le  récit  des  trois  évangélistes  que  nous 
venons  de  citer ,  c'est  à  Béthanie  qu'on  a  répandu  un 


DES   ÉVANGÉLISTËS.  477 

parfum  sur  la  tête  du  Sauveur.  Il  est  vrai  que  comme 
JÉSUS  se  trouvait  souvent  à  Béthanie,  cette  circonstance, 
considérée  en  elle-même,  ne  serait  pas  très-importante  ; 
mais,  jointe  à  toutes  les  autres,  elle  doit  avoir  quelque 
valeur.  S'^  Ce  n'est  point  de  son  hôte  que  Jésus-Christ 
a  reçu  deux  fois  cet  honneur,  mais  d'une  femme  ;  ce 
qui  doit  paraître  étonnant.  Il  est  vrai  que  dans  l'his- 
toire analogue  racontée  par  saint  Luc,  et  que  nous  avons 
citée  un  peu  plus  haut,  c'est  encore  une  femme  qui  oint 
les  pieds  de  Jésus;  mais,  comme  nous  l'avons  remar- 
qué ,  c'était  une  circonstance  tout-à-fait  différente  :  la 
femme  pécheresse  avait  un  motif  particulier,  c'était  d'ob- 
tenir du  Sauveur  par  son  repentir  et  ses  larmes  le  par* 
don  de  ses  péchés.  3»  Les  deux  faits  prétendus  se  sont 
passés,  ainsi  que  nous  allons  le  montrer  bientôt,  non 
point  chez  Lazare,  l'ami  de  Jésus,  où  l'on  pourrait  croire 
qu'il  se  trouvait,  mais  dans  une  autre  maison.  4°  L'un 
et  l'autre  ont  eu  lieu  la  dernière  semaine  avant  la  pas- 
sion du  Christ.  5°  Dans  les  deux  cas,  le  parfum  était 
si  précieux,  que  l'onction  eut  l'apparence  d'une  profu- 
sion. 6°  Dans  les  deux  cas  encore,  il  y  a  cela  de  remar- 
quable que  le  parfum  n'avait  pas  été  acheté  pour  l'u- 
sage auquel  on  l'appliquait,  mais  qu'il  avait  été  conservé 
depuis  quelque  temps  par  la  personne  qui  s'en  servait  ; 
car  les  disciples  s'oifensèrent  de  ce  qu'on  ne  vendait 
pas  ce  parfum  pour  en  donner  l'argent  aux  pauvres;  et 
dans  le  récit  de  saint  Jean  (xii,  7) ,  Jésus  dit  en  pro- 
pres termes  :  «  Elle  a  gardé  ce  parfum  pour  le  jour  de 
ma  sépulture  (1).  »  Ce  qui  a  fait  dire  à  Michaëlis  qu'on 

(I)  Cest  le  sens  du  grec  ;  la  Yulgate  porte  :  «  Souffrez  qu'elle  le 
garde  pour  le  jour  de  ma  sépulture.  " 


478         DES  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

pourrait  presque  conjecturer  que  c'était  le  reste  du  par- 
fum que  Marthe  et  Marie  avaient  acheté  pour  les  funé- 
railles de  Lazare  ;  qu'au  moins  en  lisant  le  récit  de  saint 
Jean  cette  pensée  se  présente  d'elle-même  comme  assez 
probable.  7°  Dans  l'un  et  l'autre  cas,  les  disciples  blâ- 
ment l'action  de  cette  femme;  8°  Et  le  motif  de  leur  cen- 
sure se  trouve  être  le  même .  9''  Dans  saint  Jean  aussi  bien 
que  dans  saint  Matthieu  et  saint  Marc,  non  seulement 
JÉSUS  approuve  cet  honneur  qu'on  lui  témoigne,  mais  il 
fait  chaque  fois  la  même  réponse  aux  disciples.  10''  L'ex- 
pression de  ce  nard  pur  dont  saint  Marc  et  saint  Jean 
se  servent  également,  non  seulement  est  inusitée,  et  par 
conséquent  obscure  ;  mais  dans  le  grec  des  Septante  et 
dans  le  Nouveau-Testament  elle  ne  se  présente  qu'ici  ; 
ainsi  le  parfum  était  absolument  le  même. 

Ces  détails  sont  trop  nombreux  et  leurs  coïncidences 
trop  frappantes  pour  s'être  présentés  deux  fois.  Ajou- 
tons qu'il  n'y  a  aucune  apparence  que  les  disciples , 
après  avoir  été  repris  par  Jésus  six  jours  avant  Pâques, 
pour  avoir  blâmé  le  témoignage  de  respect  et  de  véné- 
ration rendu  par  une  femme  à  leur  divin  Maître,  se  soient 
permis  la  même  censure  dans  une  occasion  semblable, 
deux  jours  avant  la  même  fête  ;  car  par  ces  murmures 
et  ces  plaintes  ils  commettaient  envers  Jésus-Christ 
une  faute  grave,  qu'ils  auraient  dû  vivement  sentir  quand 
il  leur  répondit  (  Joan.  xii,  8)  :  «  Vous  aurez  toujours 
des  pauvres  avec  vous  ;  mais  pour  moi,  vous  ne  m'aurez 
pas  toujours  ;  »  et  ils  n'y  seraient  pas  retombés  quatre 
jours  après. 

Ainsi  la  seule  différence  qui  existe  entre  les  récits  de 
saint  Matthieu  et  de  saint  Jean,  c'est  que  dans  quelques 
parties  l'un  se  trouve  plus  détaillé  que  l'autre  ;  et  il  est 


DES  ÉVANGÉLISTES.  479 

d'autant  plus  facile  de  concilier  leurs  prétendues  contra- 
dictions, qu'ils  ont  entièrement  l'air  de  parler  comme 
deux  témoins  oculaires  du  même  fait. 

1°  D'après  saint  Matthieu  et  saint  Marc  ,  c'est  une 
femme  qui  répand  un  parfum  précieux  sur  la  tête  de 
Jésus-Christ.  Saint  Jean  affirme  expressément  que  ce 
fut  Marie  ;  et  si  nous  faisons  quelque  attention  à  ce  qu'il 
dit  immédiatement  auparavant  (vers.  2) ,  que  Marthe 
servait  au  souper,  et  que  Lazare  était  un  des  convives, 
il  nous  semblera  incontestable  qu'il  veut  parler  de  Ma- 
rie ,  sœur  de  Lazare.  Mais  mettons  le  passage  même 
sous  les  yeux  du  lecteur  :  «Jésus  donc,  six  jours  avant 
la  Pâque ,  vint  à  Béthanie,  où  était  Lazare,  le  mort  qu'il 
avait  ressuscité  d'entre  les  morts  (1).  Là  on  lui  donna 
à  souper  ;  et  Marthe  servait,  et  Lazare  se  trouvait  parmi 
ceux  qui  étaient  à  table  avec  lui.  Marie  donc  prit  une 
livre,  etc.  (  Joan.  xii,  1-3).»  11  n'y  a  point  de  contra- 
diction entre  deux  historiens,  lorsque  parlant  du  même 
personnage,  l'un  cite  son  nom  propre,  et  l'autre  le  passe 
sous  silence.  On  pourrait  même  tirer  de  ce  silence  de 
saint  Matthieu  et  de  saint  Marc  un  argument  en  faveur 
de  l'opinion  que  nous  soutenons,  c'est-à-dire,  pour  prou- 
ver que  saint  Matthieu  et  saint  Jean  rapportent  le  même 
fait.  En  effet,  il  faut  que  saint  Matthieu  et  saint  Marc 
aient  eu  des  raisons  particulières  pour  taire  le  nom  de 
la  femme,  puisque,  d'après  leur  propre  récit,  Jésus  dé- 
clare que  partout  où  l'Evangile  doit  être  annoncé,  dans 
tout  l'univers,  on  racontera  à  la  louange  de  cette  femme 

(1)  Nous  citons  ce  passage  d'après  le  texte  grec;  laVulgate  porte; 
J^enit  Bethaniamubi  Lazarus  fuerat  mortuus  quein  suscitavit  Jésus  ; 
sens  qui,  comme  on  le  voit,  peut  facilement  se  ramener  à  celui  du 
texte  original. 


48 d  DFS  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

ce  qu'elle  vient  de  faire.  Or,  cela  n'a  pas  eu  lieu,  à 
moins  qu'il  ne  s'agisse  de  la  même  Marie  dont  parle  saint 
Jean.  Ainsi,  dans  le  sentiment  contraire  au  nôtre,  la  dé- 
claration de  Jésîjs-Chrîst  n'aurait  pas  été  accomplie. 
On  pourrait  encore  expliquer  ainsi  la  différence  qui  se 
trouve  sur  ce  point  entre  saint  Matthieu  et  saint  Marc 
d'un  côté  et  saint  Jean  de  l'autre.  Les  deux  premiers, 
qui  n'avaient  cien  dit  de  la  résurrection  de  Lazare,  de 
peur  de  s'exposer  à  la  persécution  du  grand  conseil  des 
Juifs,  ont  probablement  pour  la  même  raison  caché  le 
nom  de  sa  sœur  Marie  (1)  :  car  il  est  difficile  de  sup- 
poser que  saint  Matthieu,  témoin  oculaire  du  fait,  et  qui 
accompagnait  continuellement  Jésus  ,  l'ami  de  Lazare 
et  de  ses  deux  sœurs,  ait  pu  ignorer  le  nom  de  Marie. 
Saint  Jean,  au  contraire,  cite  le  fait  en  détail,  parce  que, 
écrivant  après  la  destruction  de  Jérusalem,  il  ne  pou- 
vait avoir  aucun  motif  de  cacher  le  nom  de  Lazare  ou 
de  Marie. 

2°  Selon  saint  Matthieu  ,  le  festin  fut  donné  à  Jésus 
dans  la  maison  de  Simon  le  lépreux  ;  selon  saint  Jean, 
Lazare  se  trouvait  au  nombre  des  convives,  et  sa  sœuf 
Marie  servait.  Quelques  commentateurs  ont  considéré 
le  récit  de  ce  dernier  comme  une  variante  dans  l'his- 
toire, et  en  ont  conclu  que  le  repas  avait  eu  lieu  dans 
la  maison  de  Lazare.  Mais  cette  conclusion  paraît  fort 
peu  légitime;  car  personne  ne  dirait  en  parlant  du  maî- 
tre de  la  maison  :  (c  II  était  un  de  ceux  qui  étaient  assis 
à  table.  >)  Cette  expression  prouve ,  au  contraire ,  que 

(1)  L'Évangile  nous  oflre  en  effet  des  exemples  de  la  haine  et  même 
des  persécutions  qu'exerçaient  les  Juifs  contre  ceux  qui  avaient  reçu 
de  JÉsus-CnRiST  quelque  faveur  particulière  qui  rflontrait  sa  puis- 
sance divine. 


DIS    KVAXCÉLISTFS.  48  I 

Lazare  n'était  qu'un  simple  convié,  et  que  le  repas  se 
fit  dans  la  maison  d'un  ami,  dans  laquelle  sa  sœur  Mar- 
the préparait  le  festin. 

3°  Saint  Matthieu  dit  q-zc  la  femme  versa  le  parfum 
sur  la  tète  du  Sauveur,  et  saint  .le?!n  rapporte  qu'elle  le 
répandit  sur  ses  pieds.  Quoique  cette  différence  paraisse 
assez  considérable,  elle  ne  suffit  cependant  point  pour 
prouver  que  les  deux  évanf^élistes  n'aient  point  en  vue  le 
même  fait.  D'après  la  coutum.e  universelle  des  Orien- 
taux, nous  pouvons  regarder  comme  une  chose  cer- 
taine que  Marie  n'omit  pas  de  répandre  son  parfum  sur 
la  tête  de  Jésus  ;  mais  saint  Jean,  qui  dans  sa  narration 
ajoute  les  principales  circonstances  que  saintMatthieu  et 
saint  Marc  ont  passées  sous  silence,  ne  dit  rien  de  l'onc- 
tion faite  sur  sa  tête,  et  se  borne  à  rapporter  que  Marie 
répandit  du  parfum  sur  ses  pieds  :  manière  de  narrer 
qui  est  conforme  à  l'usage  de  saint  Jean  ,  qui  supplée 
ordinairement  aux  détails  omis  par  ses  prédécesseurs. 

k°  Saint  ^îatthieu  dit  que  tous  les  disciples  en  géné- 
ral, et  saint  Marc,  que  quelques-uns  d'entre  eux  furent 
indignés  ,  et  blâmèrent  la  femme.  On  pourrait  croire, 
au  premier  abord,  qu'il  y  a  contradiction  entre  ces  deux 
évangélistes;  cependant,  il  en  est  tout  autrement  dès 
que  l'on  considère  leurs  textes  avec  quelque  attention. 
Car  quand  saint  Matthieu  se  sert  de  l'expression  géné- 
rale les  disciples,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  veuille  les  com- 
prendre tous  sans  exception  ;  et  quand  bien  même  il 
aurait  eu  cette  intention,  il  ne  contredirait  pas  pour  cela 
le  témoignage  de  saint  Jean,  comme  nous  allons  le  mon- 
trer. De  même,  lorsque  saint  Jean  nomme  expressément 
Judas  ïscariote,  il  ne  dit  pas  un  seul  mot  qui  autorise 
à  conclure  qu'il  exclut  les  autics  apùtres.  Il  paraît  très» 
V.  21 


482  DES  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

probable  que  Judas  fut  le  premier  qui  blâma  l'action  de 
Marie,  ou  que  du  moins  il  la  censura  avec  plus  de  force 
et  de  violence.  D'ailleurs  saint  Jean  lui-même  nous  mon- 
tre assez  clairement  la  raison  qui  a  pu  le  porter  à  être 
si  explicite  envers  Judas ,  lorsque  après  avoir  rapporté 
ses  plaintes,  il  ajoute  :  ail  disait  ceci,  non  qu'il  se  sou- 
ciât des  pauvres ,  mais  parce  que  c'était  un  voleur,  et 
que,  gardant  la  bourse,  il  portait  l'argent  qu'on  y  met- 
tait. »  Ainsi  saint  Marc  et  saint  Matthieu  ont  très-bien 
pu  dire  que  les  apôtres  en  général  avaient  murmuré, 
puisqu'en  effet  ils  avaient  eu  la  faiblesse  d'imiter  Judas 
sur  ce  point;  et  saint  Jean  a  pu  aussi  de  son  côté  dési- 
gner personnellement  ce  dernier  sans  faire  mention  des 
autres,  parce  qu'ils  étaient  tout-à-fait  étrangers  au  mau- 
vais esprit  qui  l'animait. 

On  objecte  encore  que  si  l'histoire  racontée  par  saint 
Jean  était  la  même  que  celle  qui  se  lit  dans  saint  Mat- 
thieu, il  y  aurait  une  contradiction  manifeste  entre  leurs 
récits  par  rapport  au  temps  où  elle  serait  arrivée;  car 
saint  Jean  dit  en  propres  termes  que  ce  fut  le  sixième 
jour  avant  Pâques,  et  saint  Matthieu  affirme  d'une  ma- 
nière non  moins  expresse  que  ce  fut  le  second.  Nous 
avouons  franchement  que  le  temps  où  s'est  passé  l'évé- 
nement qui  nous  occupe  ne  nous  paraît  pas  si  claire- 
ment déterminé  qu'aux  critiques  auteurs  de  cette  objec- 
tion. Il  est  incontestable  que  saint  Jean  a  fixé  la  date 
de  ce  fait  au  sixième  jour  avant  la  Pàque  ;  mais  il  est 
très-contestable  que'saint  Matthieu  ait  assigné  un  autre 
jour.  La  division  actuelle  du  texte  de  ce  dernier  porte- 
rait en  effet  à  croire  au  premier  abord  que  cet  évangé- 
liste  a  réellement  déterminé  le  temps  ;  mais  un  examen 
attentif  de  ses  paroles  nous  autorise  à  penser  tout  au- 


DES   ÉVANGÉLISTES.  483 

trement.  Ainsi  saint  Matthieu,  loin  d'employer  la  même 
précision  que  saint  Jean,  loin  de  dire  :  Le  second  jour 
avant  la  Pâque,  Jésus  se  rendit  dans  une  maison  en  Bé- 
thanie  ;  après  avoir  rapporté  des  discours  que  le  divin 
Sauveur  avait  faits  à  ses  disciples,  il  ajoute  simplement  : 
«  Après  que  Jésus  eut  fini  tous  ces  discours ,  il  dit  à 
ses  disciples  :  Vous  savez  que  la  Pâque  se  fera  dans 
deux  jours,  et  que  le  Fils  de  l'homme  sera  livré  pour  être 
crucifié))  (Matth.  xxvi,  1,  2).  Immédiatement  après, 
saint  Matthieu  rapporte  le  complot  formé  contre  la  vie 
de  JÉSUS  en  ces  termes  :  «  Alors  les  princes  des  prêtres 
et  les  anciens  du  peuple  s'assemblèrent  dans  la  salle  du 
grand  prêtre  appelé  Caïphe,  et  tinrent  conseil  ensem- 
ble pour  se  saisir  de  Jésus  par  ruse  et  le  faire  mourir  ; 
mais  ils  disaient  qu'il  ne  fallait  pas  que  ce  fût  pendant 
la  fête  ,  de  peur  qu'il  n'arrivât  quelque  tumulte  parmi 
le  peuple  (vers.  3-5).»  Or,  le  mot  alors  étant  suscepti- 
ble d'une  signification  très-étendue,  et  par  conséquent 
très-vague  ,  ne  prouve  pas  plus  que  cette  délibération 
ait  eu  lieu  le  même  jour  que  le  Sauveur  adressa  à  ses 
disciples  le  discours  dont  nous  venons  de  parler,  qu'il 
ne  décide  qu'elle  eut  lieu  à  la  même  heure.  Mais  quand 
nous  admettrions  même  que  ces  discours  de  Jésus- 
Christ  et  ce  conseil  des  prêtres  aient  été  tenus  le  même 
jour,  il  ne  s'ensuivrait  nullement  que  le  repas  de  Bétha- 
nie  eût  été  fait  ce  jour-là  ;  du  moins  les  mots  par  les- 
quels saint  Matthieu  commence  sa  relation  ne  fixent  le 
temps  en  aucune  manière,  et  peuvent  aussi  bien  se  rap- 
porter à  une  période  précédente  qu'au  moment  présent; 
car  voici  ses  propres  paroles  :  «Or,  pendant  que  Jésus 
était  en  Béthanie,  dans  la  maison  de  Simon  le  lépreux 
(vers .  6) .  » 


484         DES  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

On  pourrait  objecter  encore  que  quoique  saint  Mat- 
thieu et  saint  iMarc  n'aient  pas  expressément  cité  le  jour 
auquel  le  repas  eut  lieu  en  Béthanie,  ils  lui  ont  au  moins 
assigné  une  place  dans  la  partie  de  leur  récit  qui  con- 
tient des  faits  accomplis  deux  jours  seulement  avant  la 
célébration  de  la  Pâque.  Mais  cette  objection  suppose 
que  les  évangélistes  ont  toujours  observé  l'ordre  chro- 
nologique dans  leur  narration.  Or  c'est  ce  qu'ils  n'ont 
pas  fait  ;  nous  avons  déjà  eu  plusieurs  fois  l'occasion 
d'en  faire  la  remarque,  et  nous  pouvons  ici  en  fournir 
quelques  preuves.  En  effet,  si,  divisant  les  chapitres 
autrement  qu'ils  ne  le  sont  dans  nos  Bibles  actuelles, 
nous  ajoutons  au  chapitre  xxv  de  saint  Matthieu  les 
deux  premiers  versets  du  xxvi ,  l'histoire  du  festin 
donné  à  Jésus-Christ  chez  Simon  le  lépreux,  histoire 
racontée  dans  les  versets  suivans ,  paraîtra  certaine- 
ment bien  moins  se  rapporter  au  temps  indiqué  dans  les 
deux  premiers.  Mais  s'il  en  était  ainsi,  dira-t-on  peut- 
être,  les  évangélistes  auraient  écrit  d'une  manière  bien 
irrégulière  ;  ils  auraient  classé  les  faits  dans  un  ordre 
très-différent  de  celui  dans  lequel  ils  sont  arrivés  ;  ir- 
régularité qu'on  ne  peut  guère  supposer  dans  des  his- 
toriens qui  ont  écrit  sous  l'inspiration  divine.  Il  n'est 
pas  difficile,  ce  nous  semble,  de  résoudre  cette  diffi- 
culté. N'oublions  pas  qu'outre  l'ordre  chronologique, 
il  existe  pour  les  ouvrages  historiques  un  autre  genre 
d'arrangement  qu'on  peut  appeler  l'ordre  des  choses  ; 
c'est-à-dire  que  les  faits  qui  sont  liés  entre  eux  sont  dis- 
tribués de  manière  que  la  relation  entre  la  cause  et  l'ef- 
fet puisse  facilement  s'apercevoir  ;  et  c'est  même  cette 
sorte  d'arrangement  qui  distingue  l'historien  attachant 
et  instructif  du  simple  annaliste.  A  la  fin  du  chapitre  xxv, 


DES   ÉVANGÉLISTES.  48S 

OU  plutôt  jusqu'au  second  verset  du  chapitre xxvi,  saint 
Afatthieu  avait  rappelé  jour  par  jour  les  discours  les 
plus  remarquables  queJÉsus-GuRiST  avait  faits  la  der- 
nière semaine  avant  sa  mort.  Il  commence  ensuite  à 
rapporter  l'histoire  de  sa  passion,  avec  laquelle  l'onc- 
tion de  parfums  qu'il  reçut  à  lîéthanie  chez  Simon  le  lé- 
preux avait  un  rapport  immédiat.  Le  sanhédrin  avait 
résolu  de  faire  mourir  Jésus,  mais  non  pendant  la  fête; 
et  ce  fut  cette  même  onction  qui  leur  fournit  les  moyens 
de  l'avoir  en  leur  puissance,  quoiqu'elle  eut  lieu  le  jour 
même  qu'ils  avaient  tâché  d'éviter.  Il  est  permis  de  ti- 
rer cette  conclusion  du  récit  même  de  saint  Matthieu, 
qui  après  avoir  décrit  la  délibération  du  grand  conseil 
des  Juifs,  rapporte  immédiatement  ce  qui  se  passa  chez 
Simon,  et  ajoute  :  «  Alors  l'un  des  douze,  appelé  Judas 
Iscariote ,  alla  trouver  les  princes  des  prêtres ,  et  leur 
dit  :  Que  voulez-vous  me  donner,  et  je  vous  le  livrerai 
(  Matth.  XXVI ,  U  ,  15)  ?»  Le  récit  de  saint  Matthieu  a 
quelque  obscurité  ,  parce  que  nous  ne  voyons  pas  com- 
ment l'onction  des  parfums  excita  dans  Judas  la  déter- 
mination de  trahir  son  maître;  mais  on  le  voit  claire- 
ment dans  le  récit  du  quatrième  évangéliste  ;  il  paraît, 
d'après  sa  narration ,  que  Judas  fut  celui  qui  blâma  l'ac- 
tion de  Marie,  sous  le  prétexte  que  le  parfum  aurait  dû 
être  vendu  au  profit  des  pauvres,  et  que  ce  prétexte  spé- 
cieux fut  approuvé  par  quelques  apôtres.  La  véritable 
raison  pour  laquelle  Judas  désirait  que  le  parfum  eût 
été  vendu,  était  l'espérance  qu'il  avait  de  pouvoir  tirer  lui- 
même  son  profit  de  la  vente,  dont  le  prix  devait  être  mis 
dans  la  bourse  qui  était  confiée  à  sa  garde.  Aussi,  la  ré- 
ponse du  Sauveur  toucha  plus  particulièrement  Judas,  et 
la  conscience  coupable  de  ce  malheureux  ajouta  encore 


486  DES   PRÉTENDUES   CONTRADICTIONS 

à  la  sévérité  du  reproche.  Dans  cet  état  de  choses,  il  ne 
doit  pas  sembler  extraordinaire  que  Judas  résolût  de  se 
venger,  surtout  si  on  considère  que  le  divin  Sauveur  l'a- 
vait déjà  désigné  comme  un  suppôt  du  démon  (Joan .  vi, 
71),  et  qu'il  pensait  peut-être  que  si,  contre  sa  croyaace, 
JÉSUS  était  réellement  le  Messie,  les  mesures  que  l'on 
concertait  contre  lui  ne  réussiraient  pas  ;  mais  que  si 
c'était  un  imposteur  et  non  l'envoyé  de  Dieu  ,  il  n'au- 
rait que  le  sort  qu'il  méritait.  Il  semble  donc  que  l'onc- 
tion de  parfum,  laquelle  donna  lieu  à  l'offre  que  Judas 
fit  au  sanhédrin  de  lui  livrer  Jésus,  se  trouve  mieux  pla- 
cée immédiatement  après  le  récit  de  l'effet  qu'elle  pro- 
duisit, qu'elle  ne  l'aurait  été  au  commencement  du  cha- 
pitre XXI,  auquel  elle  appartient  sous  le  rapport  de  l'or- 
dre chronologique. 

Quelquefois  on  peut  concilier  plusieurs  passages  qui 
semblent  se  contredire,  à  l'aide  d'une  leçon  différente. 
D'autres  fois  les  conjectures  critiques  peuvent  fournir 
des  secours  pour  dissiper  les  contradictions  apparen- 
tes. Mais  on  ne  doit  point  perdre  de  vue  ce  que  nous 
avons  déjà  prouvé  (t.  i,  pag.  463),  qu'il  ne  faut  recourir 
à  la  conjecture  critique  que  très-rarement,  et  seulement 
dans  les  cas  d'une  absolue  nécessité  ;  quand,  par  exem- 
ple,la  leçon  commune  paraît  évidemment  opposée  au  ca- 
ractère et  au  but  de  l'auteur.  Enfin  on  peut  supposer 
encore  que  plusieurs  endroits  qui,  dans  saint  Matthieu  , 
ne  s'accordent  pas  avec  les  endroits  parallèles  des  au- 
tres évangélistes,  ne  se  trouvent  ainsi  en  désaccord  que 
par  la  faute  de  l'écrivain  qui  a  traduit  son  Evangile 
d'hébreu  en  grec,  et  que  le  texte  original  de  saint  Mat- 
thieu portait  d'autres  leçons.  Cette  dernière  raison,  il 
faut  en  convenir,  ne  saurait  être  alléguée  par  les  criti- 


DES   ÉVANGÉLISTES.  487 

qiies  qui  pensent  que  cet  évangéliste,  après  avoir  écrit 
son  évangile  en  hébreu,  en  a  composé  un  autre  en  grec 
pour  l'usage  des  juifs  hellénistes  ;  opinion  que  nous 
avons  dit  nous-même  être  non  seulement  possible,  mais 
encore  très -vraisemblable  (1).  Mais  dans  l'hypothèse 
même  que  saint  Matthieu  serait  l'auteur  du  texte  grec, 
il  ne  s'ensuivrait  pas  que  ce  texte,  tel  que  nous  l'avons 
aujourd'hui ,  soit  absolument  exempt  de  fautes  ;  car  il 
n'a  pas  été  plus  à  l'abri  que  les  autres  de  l'inadvertance 
et  de  l'ignorance  des  copistes. 

k.  Montrons  maintenant  combien  sont  fausses  certai- 
nes conséquences  que  des  critiques  hardis  et  téméraires 
n'ont  pas  craint  de  tirer  des  prétendues  contradictions 
qui  se  trouvent  entre  les  quatre  Evangiles  ;  mais  pour 
que  le  lecteur  ne  prenne  pas  l'échange  sur  notre  véri- 
table sentiment  dans  cette  importante  question,  nous 
croyons  devoir  lui  rappeler  ce  que  nous  avons  déjà  dit 
au  commencement  de  cet  appendice;  savoir,  que  les  évan- 
gélistes  ayant  tous  été  favorisés  du  don  de  l'inspiration 
divine  dans  la  composition  de  leurs  ouvrages  ,  secours 
surnaturel  qui  leur  assure  l'infaillibilité,  ils  n'ont  nul- 
lement pu  se  contredire  les  uns  les  autres  dans  leurs 
écrits;  qu'ainsi  toutes  les  contradictions  qui  choquent 
plus  ou  moins  nos  adversaires  ne  sont  qu'apparentes; 
et  s'il  en  est  quelques-unes  qui  semblent  tout-à-fait  in- 
conciliables ,  c'est  uniquement  parce  que  nous  n'avons 
su  découvrir  jusqu'ici  le  véritable  moyen  de  les  faire  dis- 
paraître. Combien  de  difficultés  en  ce  genre,  après  avoir 
long-  temps  déconcerté  toutes  les  tentatives  même  les 

(t)  Yoy.  plus  haut  (pag.  125,  126)  les  raisons  que  nous  avons  fait 
valoir  en  faveur  de  ce  sentiment. 


488  DES  PFlÉTiilVDUKS   CONTRADICTIONS 

plus  consciencieuses,  oat  fini  par  céder  aux  efforts  per- 
sévérans  et  à  l'examen  plus  approfondi  d'une  habile  cri- 
tique! Si  donc,  par  impossible,  on  venait  à  prouver 
d'une  manière  solide  qu'il  se  trouve  dans  les  quatre 
Evangiles  des  contradictions  réelles,  c'est-à-dire  des 
contradictions  telles  que  tout  moyen  de  les  concilier  soit 
démontré  jusqu'à  l'évidence  être  d'une  impossibilité  ab- 
solue, la  seule  conséquence  qu'il  serait  légitimement 
permis  d'en^tirer,  c'est  qu'on  pourrait  dire  que  les  au- 
teurs n'ont  pas  écrit  sous  l'inspiration  divine,  ou  que 
du  moins  ils  n'ont  pas  reçu  le  don  de  l'infaillibilité  ;  mais 
de  ce  que  des  historiens  varient  dans  leurs  récits,  nous 
n'avons  aucun  droit  d'en  conclure  que  l'histoire  elle- 
même  qu'ils  ont  composée  soit  un  simple  conte  fabri- 
qué. «  Quand  plusieurs  personnes  racontent  la  même 
histoire,  dit  avec  raison  Michaëlis,  il  n'est  pas  possible, 
même  quand  toutes  seraient  témoins  oculaires  du  fait 
qu'elles  rapportent ,  et  moins  encore  si  elles  en  avaient 
été  informées  par  d'autres  ,  que  leurs  récits  coïncident 
en  tout  point,  puisque  toutes  n'ont  pas  observé  ou  ne  se 
sont  pas  rappelé  les  mêmes  circonstances.  Cependant, 
si  elles  sont  d'accord  sur  le  point  principal ,  personne 
ne  conclura  que  toute  l'histoire  soit  supposée,  seule- 
ment parce  que  ceux  qui  la  racontent  diffèrent  dans  quel- 
ques circonstances  secondaires.  Une  semblable  consé- 
quence convertirait  les  histoires  les  plus  dignes  de  foi 
en  légendes  fabuleuses.  Quand    deux  officiers  prus- 
siens qui  ont  servi  pendant  la  guerre  de  sept  ans,  de- 
puis 1756  jusqu'en  1763,  rapportent  ce  qui  s'est  passé 
dans  cette  mémorable  période,  l'un  et  l'autre  commet- 
tent des  erreurs  ,  surtout  sur  les  dates  et  les  nombres , 
dont  la  conséquence  nécessaire  est  qu'ils  se  contredi- 


DES   ÉVANGÉLISTES.  489 

sent.  Si  nous  lisons  l'histoire  de  cette  guerre  par  Lloyd 
et  Tempelhoff ,  nous  verrons  que  non  seulement  ils  se 
contredisent,  mais  que  tous  deux  contredisent  les  nou- 
velles officielles  imprimées  dans  la  gazette  de  Berlin. 
J'en  citerai ,  par  exemple ,  la  bataille  de  Prague ,  dans 
laquelle  Lloyd  a  fait  la  liste  des  blessés  autrichiens  si 
courte  qu'elle  est  absolument  incroyable,  quand  on  con- 
sidère les  conséquences  importantes  et  immédiates  de 
cet  engagement.  Cependant  personne  ne  conclura  que 
la  guerre  de  sept  ans  ou  que  la  bataille  de  Prague  ne 
soit  qu'une  fable.  Quiconque  a  lu  l'histoire  romaine,  non 
seulement  dans  le  but  d'apprendre  une  langue  morte, 
mais  comme  critique,  y  a  trouvé  des  contradictions 
qu'aucun  artifice  ne  peut  concilier.  Par  exemple,  Florus 
décrit  la  bataille  de  Pharsale  tout  autrement  qpe  César  ; 
dans  le  calcul  du  nombre  des  combattans  qui  des  deux 
côtés  se  trouvèrent  sur  le  champ  de  bataille  ,  il  n'y  a 
rien  moins  qu'une  différence  de  cent  cinquante  mille 
hommes.  Cependant  personne  ne  prétendra  que  la  ba- 
taille de  Pharsale,  qui  a  décidé  du  sort  du  monde ,  ne 
soit  qu'une  fable.  Il  en  est  de  même  pour  l'histoire  grec- 
que dans  les  siècles  les  mieux  connus,  comme  on  peut 
s'en  assurer  en  lisant  les  récits  de  l'expédition  de  Xerxès 
et  de  la  force  de  son  armée  (1).  » 

Après  avoir  prouvé  contre  Strauss  que  le  caractère 
surnaturel  des  récits  évangéliques  ne  doit  pas  faire  re- 
jeter la  réalité  de  l'histoire  qu'ils  contiennent,  M.  Mus- 
sard  démontre  avec  la  même  force  et  la  même  solidité 
que  l'objection  de  son  adversaire  tirée  des  contradic- 
tions qui  se  trouvent  dans  ces  mêmes  récits,  n'a  pas  le 

(1)  J.  D.  Michaèlis,  InU'oduction  au  IV.  T.  lom.  in,  pag.  35-37. 

21. 


490  DES  PRÉTENDUES  CONTRADICTIONS 

plus  léger  fondement.  «  Mais  on  ne  se  borne  pas  à  cette 
première  attaque,  dit  ce  critique  ,  on  signale  les  con- 
tradictions apparentes  ou  réelles  qui  se  trouvent  dans 
les  évangélistes,  et  l'on  en  fait  un  argument  nouveau 
contre  la  valeur  historique  des  récits  sacrés. 

«  Quelques-unes  de  ces  contradictions  existent,  nous 
ne  voulons  pas  le  nier  ;  il  y  a  même  long-temps  qu'on 
les  a  remarquées.  Celse  au  second  siècle,  Porphyre  au 
troisième,  les  avaient  reprochées  aux  chrétiens  ;  plus 
tard,  quelques  déistes  anglais,  Margan,  Chubb  et  d'au- 
tres, les  relevèrent  à  leur  tour  ;  Lessing  en  avait  exposé 
dix  qu'il  déclarait  inconciliables,  et  sur  lesquelles  il 
appelait  l'attention  des  théologiens. 

((  Ce  fait  important  mérite  un  examen  approfondi  ;  il 
touche  naturellement  à  la  question  de  l'inspiration  des 
livres  saints ,  sur  laquelle  il  répand  du  jour,  et  dont  il 
aidera  sans  doute  à  apprécier  les  limites,  en  apportant 
quelques  modifications  nécessaires  à  des  théories  trop 
absolues  qui  se  trouveraient  en  désaccord  avec  les 
faits  (1).  Toutefois,  dans  la  question  qui  nous  occupe, 
nous  ne  croyons  pas  qu'on  puisse  argumenter  des  con- 
tradictions pour  incriminer  la  valeur  historique  de  nos 
Évangiles  et  en  tirer  quelques  probabilités  en  faveur  du 
système  mythique. 

«  En  effet ,  combien  n'y  a-t-il  pas  dans  les  histoires 
profanes  de  cas  particuliers  sur  lesquels  les  historiens  se 

(1)  Ces  quelques  mots  de  M.  Mussard  sur  les  limites  de  l'inspira  ■ 
tion  sont  assez  vagues  et  assez  obscurs  ;  nous  ne  chercherons  pas  à 
les  expliquer;  seulement  nous  ferons  observer  que  les  protestansen 
général  resserrent  trop  les  limites  de  l'inspiration  divine,  en  renvoyant 
le  lecteur  aux  principes  que  nous  avons  étabhs  dans  le  lome  I^r  de 
ceUe  Introduction* 


DES   ÉVAXGÉLISTES.  491 

montrent  partagés,  qu'ils  présentent  d'une  manière  dif- 
férente, avec  des  détails  qui  souvent  se  contredisent, 
sans  qu'on  soit  en  droit  pour  cela  de  mettre  en  doute  la 
réalité  des  faits  qu'ils  transcrivent?  Ainsi,  par  exemple, 
Tite-Live  et  Polybe,  ces  deux  illustres  écrivains  ,  ra- 
content le  passage  des  Alpes  par  Annibal ,  et  diffèrent 
entre  eux  d'une  manière  grave  sur  les  détails  principaux 
de  cet  événement  mémorable,  au  point  que  Zander,  qui 
a  pris  à  tâche  de  comparer  les  deux  récits ,  a  signalé 
dans  ce  seul  fragment  historique  des  différences  plus 
grandes  qu'aucune  de  celles  qu'on  a  relevées  dans  nos 
Evangiles.  Tous  ceux  qui  ont  entrepris  de  les  concilier 
ont  fini  par  diverger  eux-mêmes  tellement,  qu'on  ne  sait 
pas  encore  aujourd'hui  si  c'est  le  Viso  ,  le  Genèvre,  le 
Cenis,  les  Alpes  Juliennes  ,  le  Petit  Saint-Bernard,  le 
Grand  Saint-Bernard  ou  le  Simplon,  qu'a  traversé  le 
grand  capitaine.  Et  cependant  la  plupart  de  ces  auteurs 
sont  allés  sur  les  lieux;  Tite-Live  avait  exploité  toutes 
les  sources  contemporaines  et  recueilli  la  plupart  des 
détails  de  la  bouche  de  Cincius  Alimentus,  qui  les  tenait 
d'Annibal ,  dont  il  était  le  prisonnier  :  Polybe,  venu  à 
Bome  trente-cinq  ans  après  l'événement,  avait  franchi 
les  Alpes  et  pris  toutes  les  informations  possibles  sur  le 
théâtre  même  des  faits  (1).  Ces  contradictions  permet- 
tront-elles de  conclure  que  le  général  des  Carthaginois 
n'ait  pas  passé  des  Gaules  en  Italie? 

«  Nous  avons  encore  dans  l'histoire  moderne  un  exem- 
ple non  moins  saillant  de  ces  divergences  qui  peuvent 
exister  en  grand  nombre  sans  ébranler  pour  cela  la  réa- 

(1)  Voyez  pour  plus  de  délails  Tholuck,  GlaubivurdUjheil  der  evang% 
Ceschichle,  pag,  477  el  sidv. 


492  DES   PRÉTENDUES   COXTRADICTIOKS 

lité  du  fait  raconté;  il  s'agit  de  la  mort  de  Charles  le 
Téméraire .  Si  l'on  en  croit  Loyens  (1) ,  un  coup  de  lance 
traversa  la  cuisse  et  les  reins  du  duc,  et  une  hache  lui 
fendit  la  tête  jusqu'à  la  bouche.  La  Marche  écrit  dans 
ses  mémoires  (2)  :  ce  Ainsi  perdit  le  duc  de  Bourgogne 
la  troisième  bataille,  et  fut  en  sa  personne  rateint,  tué 
et  occis  de  coups  de  masse.  Aucuns  ont  voulu  dire  que 
le  duc  ne  mourut  pas  à  cette  journée,  mais  si  fit  ;  et  fut 
le  comte  de  Chimay  pris  et  mené  en  Allemagne,  et  le  duc 
demeura  mort  au  champ  de  bataille  et  estendu  comme 
le  plus  pauvre  homme  du  monde.  »  Gommines  dit  (3) 
que  Charles  fut  tué  dans  sa  fuite  par  des  lanciers  alle- 
mands qui  ne  le  connaissaient  pas.  D'autres  [k]  pré- 
tendent que  ce  fut  par  des  cavaliers  que  Campo-Basso 
avait  postés  dans  ce  dessein.  D'autres  enfin,  tels  que 
Jean  de  Miiller  (5) ,  soutiennent  que  ce  fut  de  la  main 
de  Campo-Basso  lui-même.  Il  y  a  plus  :  cette  mort  sur 
le  champ  de  bataille  de  Nancy  fut  niée  ;  et  c'est  encore 
une  nouvelle  contradiction.  Nombre  d'années  après  on 
croyait  le  duc  vivant  ;  on  affirmait  qu'il  s'était  échappé 
des  mains  de  ses  ennemis  ,  et  qu'il  avait  juré  de  faire 
pénitence  de  ses  fautes  pendant  sept  ans.   Un  ermite 
propagea  cette  fable  ;  et  comme  il  avait  une  certaine 
ressemblance  avec  Charles,  le  peuple  le  prit  pour  le  duc, 
jusqu'à  ce  qu'enfin  toute  erreur  eût  été  dissipée  par  les 
plus  authentiques  témoignages.  Quel  thème  pour  le  my- 
the! Mais  qui  voudrait  sur  de  semblables  données  et  sur 

(1^  Synopsis  Duc.  Biirg.  pag.  148  et  suiv. 
•    (2)  Mémoires  de  La  Marche,  liv.  ii,  ch.  vin,  \mfj.  408. 

(3)  Liv.  V,  ch.  VI,  parj.  295. 

(4)  Duclos,  Hist.  de  Louis XI,  pag.  206.  —  Annal,  nov.  pag.  105. 

(5)  Hist,  univ.  t.  lu,  liv.  xviii,  pag.  204. 


DES   ÉVAXGÉLISTES.  49  3 

ces  seules  divergences  mettre  en  doute  sérieusement 
la  question  de  l'existence  et  de  la  mort  de  Charles  le 
Téméraire?  Assurément  ce  ne  sera  pas  Strauss. 

((  Il  peut  donc  y  avoir,  comme  on  le  voit  par  ces  deux 
exemples  ,  des  contradictions  assez  fortes  sur  les  cir- 
constances particulières  d'un  fait  historique,  sans  qu'on 
puisse  pour  cela  contester  la  réalité  de  ce  fait.  Or,  ce 
qui  est  vrai  de  l'histoire  profane  doit  l'être  aussi  de  l'his- 
toire sacrée.  Il  n'y  a  pas  de  raison  pour  juger  à  cet  égard 
l'une  plus  défavorablement  que  l'autre  (1). 

tt  D'ailleurs  ,  si  l'on  fait  attention  à  la  nature  même 
'de  ces  contradictions  qu'on  fait  sonner  si  haut,  il  nous 
semble  qu'elles  sont  fort  loin  d'avoir  l'extrême  impor- 
tance qu'on  veut  bien  leur  attribuer.  Examinées  avec 
plus  d'impartialité  et  d'amour  sincère  pour  ce  qui  est 
vrai,  elles  perdent  une  grande  partie  de  leur  gravité. 
Pour  être  bien  convaincu  que  Jésus  a  fait  des  miracles, 
ai-je  besoin  de  savoir  au  juste  si  c'est  à  deux  aveugles 
ou  à  un  seul  qu'il  a  rendu  la  vue  à  Jéricho  ;  s'il  opéra 
ce  prodige  en  entrant  ou  en  sortant  de  la  ville,  si  la  gué- 
rison  qu'il  fit  à  Capharnaiim  eut  lieu  sur  la  personne 
du  fils  d'un  centenier  ou  d'un  seif^neur  de  la  cour? Pour 


'CJ" 


(1)  Nous  relrouvons  la  même  opinion  chez  saint  Augustin  :  «  Ap- 
paret  nos  non  tluhere  arhitrari ,  incntiri  queniquam,  si  pîuribus  rem, 
quani  audicrunt  vcl  viderunt,  rciiiiniscentibus,  non  eodcm  modo  al- 
que  eisJcm  \erbis,  eadeni  tan-en  res  fuerit  c.\[>licata,  ut  sive  muletur 
ordo  verborum,  sive  alia  pro  aiiis  qua;  lamcn  idem  valeant  verba 
proferenlur,  sive  aliquid  quod  vel  recordanti  non  occurrit,  vel  quod 
cxaliis  quai  dicnntur  possit  intclligi,  minus  dicalur:  sive  aborum  qua3 
magis  dicere  staluit,  narrandorum  gratià,  ut  congruus  lemporis  mo- 
d»is  sufliciat,  aliquid  sibi  non  lotum  explicandum,  sed  ex  parte  tan- 
gendum  quisquc  suscipiat  {De  consensii  Evaugcl.  l.  n,  12).  » 


494  DES   PRÉTENDUES   COXTR.    DES   ÉVANGÉLISTES. 

pouvoir  croire  à  l'ensemble  de  l'histoire  évangélique  , 
ai-je  besoin  de  savoir  au  juste  combien  de  fois  le  coq 
a  chanté  lorsque  Pierre  eut  le  malheur  de  renier  son 
maître  ;  si  c'est  du  vin  amer  ou  du  vinaigre  qu'on  offrit 
à  JÉSUS  sur  la  croix  ;  si  le  Christ  est  entré  à  Jérusalem 
sur  un  ânon  ou  sur  une  ânesse?  Ce  sont  là,  je  le  ré- 
pète, des  points  secondaires  sans  importance  dans  la 
question  qui  nous  occupe. 

«  Il  est  cependant  quelques  contradictions  plus  gra- 
ves, on  n'en  saurait  douter,  et  qui  même  au  premier 
coup  d'oeil  sont  embarrassantes,  parce  qu'elles  parais- 
sent inconciliables  ;  mais  la  science,  qui  fait  chaque  jour 
de  nouveaux  progrès,  réussit  souvent  à  les  faire  dispa- 
raître ;  on  est  tout  étonné  de  les  voir  s'évanouir  au 
moyen  d'une  interprétation  du  texte  un  peu  différente  de 
celle  qu'on  avait  jusque  alors  adoptée ,  ou  bien  par  un 
examen  plus  savant  et  plus  approfondi,  ou  encore  par 
quelque  hypothèse  ingénieuse  qui  vaut  bien  celle  qui 
consiste  à  dire  que  le  récit  est  faux  (1).  Avant  donc  de 
nous  laisser  ébranler  dans  notre  foi  par  les  contradic- 
tions qu'on  nous  oppose  ,  et  de  rejeter  pour  ce  motif  la 
vérité  de  nos  Évangiles,  sachons  attendre;  la  science, 
qui  a  déjà  tant  accompli  pour  une  plus  grande  intelli- 
gence de  nos  livres  sacrés ,  accomplira  plus  encore  ; 
nous  n'avons  pas  le  moindre  doute  qu'un  jour  viendra 
où  les  difficultés  importantes  seront  dissipées  à  la  lueur 
de  son  flambeau. 

(I)  On  peut  voir  encore  quelques  nouveaux  exemples  de  conlra- 
dictions  levées,  dans  Neander,  Das  Leben  Jesu,  passim.  Tholuck, 
Glaubwurdiykeit  der  evang.  Geschiclile,  pag.  158  et  suit.  —  Hey- 
denrich,  UeOer  die  Unzulœssiykeit  der  Mtjt.  Aufl'aisung,  i,  pag.  98 
et  suiv. 


DE  LA  CHRONOLOGIE  DES  ACTES  DES  APOTRES.    496 

«  Les  contradictions  qui  se  trouvent  dans  nos  Evan- 
giles nous  paraissent  donc,  en  dernière  analyse ,  être 
fort  loin  de  fournir  un  argument  suffisant  contre  le  ca- 
ractère historique  de  ces  livres  sacrés  (1).  » 


APPENDICE  A  LA  SIXIEME   SECTION. 

DE  LA  CHROXOLOGIE  DES  ACTES  DES  A^OTRES. 

Quoique  dans  les  sections  précédentes  nous  ne  nous 
soyons  pas  occupé  de  la  question  chronologique  des  faits 
contenus  dans  les  différens  livres  qui  composent  Vln- 
troduction  particulière,  nous  avons  cru  devoir  en  user 
tout  autrement  pour  les  Actes  des  Apôtres,  tant  à  cause 
de  l'intérêt  tout  particulier  qui  se  rattache  à  l'ordre  des 
événemens  qui  font  le  sujet  de  ce  livre,  que  parce  que 
cette  question  est  d'une  grande  importance  par  rapport 
aux  Épîtres  de  saint  Paul,  comme  on  le  verra  aisément 
dans  le  courant  de  la  section  suivante.  Nous  divisons 
cet  appendice  en  deux  articles  différens,  que  nous  em- 
pruntons l'un  à  Michaëlis  et  l'autre  à  Hug. 

ARTICLE   I. 

De  la  chronologie  des  Actes  des  Apôtres  d'après 
Michaëlis. 

Il  est  clair,  dit  Michaëlis,  que  saint  Luc  dut  écrire 
les  Actes  des  Apôtres  avec  assez  d'attention  à  l'ordre 
chronologique,  mais  il  n'a  mis  la  date  à  aucun  des  évé- 

(1)  Eugène  Mussard,  Examen  critique  du  système  de  Strauss, 
pajf.  100-104.26  édit,  Genève,  1839.. 


496  DE    LA   CHRONOLOGIE 

nemens,  quoiqu'il  l'ait  fait  une  fois  dans  son  Evangile 
(m,  1,  2).  En  général,  les  auteurs  anciens  étaient  moins 
attentifs  sur  ce  point  que  les  auteurs  modernes,  et  peut- 
être,  dans  quelques  cas,  saint  Luc  ne  suit-il  pas  exac- 
tement l'année  dans  laquelle  les  événemens  avaient  eu 
lieu.  Cependant  il  est  quelques  parties  des  Actes  des 
Apôtres  dans  lesquelles  l'histoire  ecclésiastique  se  com- 
bine avec  les  faits  politiques  dont  les  dates  nous  sont 
connues  ;  je  tâcherai  donc  de  déterminer  celles  qui  peu- 
vent l'être  avec  quelque  précision,  parce  que  la  connais- 
sance de  la  chronologie  des  Actes  des  Apôtres  ne  con- 
tribuera pas  seulement  à  l'intelligence  du  livre  même, 
mais  encore  nous  aidera  à  fixer  l'année  dans  laquelle 
saint  Paul  écrivit  plusieurs  de  ses  Epîtres. 

Je  regarde  comme  convenu  que  les  Actes  des  Apô- 
tres commencèrent  vers  l'an  33  de  l'ère  chrétienne.  Je 
suis  Usher  (1)  dans  le  calcul  de  cette  ère ,  et  je  n'en- 
tre pas  à  présent  dans  des  recherches  minutieuses  à  ce 
sujet. 

1°  La  première  époque  après  le  commencement  du 
livre  est  au  chapitre  xi,  29,  30  ;  car  ce  qui  arriva  entre 
la  première  Pentecôte  après  l'ascension  du  Christ  et 
cette  période  est  sans  aucune  marque  de  chronologie. 
Mais  au  chapitre  xi,  29,  20,  nous  avons  une  date  ;  puis- 
que la  famine  qui  eut  lieu  au  temps  de  Claude  César, 
et  qui  engagea  les  disciples  d'Antioche  d'envoyer  du  se- 
cours à  leurs  frères  de  Judée,  arriva  la  quatrième  an- 
née du  règne  de  Claude,  c'est-à-dire  l'an  kk-  de  l'ère 
chrétienne. 


(1)  Uaher,  comme  récrivenl  les  Anglais,  esllc  mcnie  chronologisle 
qu'on  appelle  ordinairement  Uaaer  ou  Usserias, 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  497 

2°  Seconde  époque.  Hérode  Agrippa  meurt  peu  après 
avoir  mis  à  mort  l'apôtre  saint  Jacques;  et  dans  ce 
temps,  saint  Paul  et  Barnabas  reviennent  de  Jérusalem 
à  Antioche.  Chapitre  xii,  21-25.  Ceci  arriva  encore 
l'an  kï. 

3°  Troisième  époque.  Chapitre  xviii,  2.  Peu  après 
l'expulsion  des  Juifs  d'Italie  ,  par  Claude  César,  saint 
Paul  arrive  à  Corinthe.  Les  commentateurs  prétendent 
que  cet  événement  eut  lieu  l'an  .ïi  ;  mais  cela  est  dou- 
teux, parce  que  Suétone,  le  seul  historien  qui  ait  parlé 
de  l'exil  des  Juifs,  ne  lui  assigne  aucune  date.  Pour  cette 
raison,  je  ne  décide  rien. 

4.*^  Quatrième  époque.  Saint  Paul  vient  à  Jérusalem , 
où  il  est  emprisonné  par  les  Juifs,  peu  après  les  troubles 
que  les  Égyptiens  avaient  excités.  Chapitre  xxi,  37-39. 
Cet  emprisonnement  de  saint  Paul  eut  lieu  l'an  60  ;  c'é- 
tait deux  ans  avant  que  Félix  quittât  son  gouvernement 
de  Judée.  Chapitre  xiii,  26  ;  xxiv,  27. 

5°  Cinquième  époque.  Deux  années  après  que  saint 
Paul  eut  été  mis  en  prison,  l'an  62,  Festus  est  nommé 
gouverneur  de  Judée.  Chapitre  xxiv,  27  ;  xxv>  1 . 

Dès  lors  la  chronologie  des  Actes  des  Apôtres  est  claire. 
Saint  Paul  est  envoyé  prisonnier  à  Rome  dans  l'automne 
de  la  même  année  pendant  laquelle  Festus  arriva  en  Ju- 
dée ;  il  essuie  un  naufrage,  passe  l'hiver  à  Malte  ,  et 
arrive  à  Rome  l'année  suivante,  c'est-à-dire  en  63.  Cha- 
pitres xxvi,  XXVII,  XXVIII. 

Les  Actes  des  Apôtres  finissent  avec  la  seconde  an- 
née de  l'emprisonnement  de  saint  Paul  à  Pvome,  à  savoir 
l'an  65.  Chapitre  xxviii,  30    1). 

(1)  rs'ous  avons  fait  remarquer  plus  haut  (luc  Michai-lis  se  coniredi- 
sailsur  la  Jalc  do  celle  seconde  année,  qu'd  place,  dans  un  autre  en- 


498  DE    LA  CHRONOLOGIE 

Il  est  difficile  de  déterminer  dans  quelle  année  arri- 
vèrent les  événemens  qui  eurent  lieu  entre  les  époques 
33  et  3i,  ii  et  60.  Tout  ce  que  nous  pouvons  en  affir- 
mer, c'est  qu'ils  se  passèrent  dans  ces  intervalles.  Des 
chronologistes  ont  tenté  de  faire  plus ,  mais  sans  suc- 
cès, même  Usher,  d'ailleurs  si  distingué.  Malheureuse- 
ment, les  deux  années  les  plus  importantes,  celles  de  la 
conversion  de  saint  Paul  et  du  premier  concile  de  Jéru- 
salem, sont  les  plus  difficiles  à  déterminer;  car  ni  l'un 
ni  l'autre  de  ces  événemens  ne  sont  liés  avec  des  évé- 
nemens politiques  par  le  moyen  desquels  on  puisse  en 
découvrir  la  date.  Usher  place  la  conversion  de  saint 
Paul  à  l'an  35,  d'autres  à  l'an  38  ;  on  ne  peut  rien  af- 
firmer de  positif  sur  l'une  ou  sur  l'autre. 

Mais  si  nous  ne  pouvons  arriver  à  une  certitude  ab- 
solue, nous  pouvons  former  dans  quelques  cas  une  con- 
jecture probable.  Par  exemple ,  saint  Etienne  ne  put 
guère  souffrir  le  martyre  avant  que  Pilate  eût  été  rap- 
pelé de  son  gouvernement  de  Judée;  car,  sous  Pilate, 
les  Juifs  n'avaient  pas  le  pouvoir  d'infliger  la  peine  ca- 
pitale; or,  suivant  Usher,  ce  fut  l'an  36  de  l'ère  chré- 
tienne que  Pilate  fut  rappelé  ;  ainsi  le  martyre  de  saint 
Etienne  eut  probablement  lieu  après  l'année  36.  Si  cela 
est  vrai,  la  conversion  de  saint  Paul  doit  aussi  avoir  eu 
lieu  après  l'an  36 ,  et  35  serait  une  date  trop  rappro- 
chée. Mais  je  ne  puis  déterminer  combien  de  temps  après 
l'année  36 ,  ou  si  ce  fut  en  38  ,  comme  quelques  per- 
sonnes le  prétendent.  Aucune  date  ne  s'accorde  avec 
l'Épître  aux  Galates  (1).  Je  ne  puis  décider  non  plus  com- 

droit^  à  l'année  63.  Voyez  ce  que  nous  avons  dit  à  ce  sujet,  pag.  424. 
(1)  Ici  Michaëlis  renvoie  le  lecteur  au  chap.  xi,  sect.  1,  c'est-à-dire 
à  la  page  437  du  lome  m  de  son  Introduction. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  499 

ment  les  chapitres  m  ,  iv,  v,  vi  ,  doivent  être  placés 
entre  les  années  33  et  36.  Ce  que  les  chronologistes  ont 
dit  à  cet  égard  est  l'effet  de  leurs  conjectures  et  non  le 
résultat  de  leurs  calculs.  La  même  incertitude  a  lieu 
pour  les  chapitres  viii  et  x  ;  nous  ne  pouvons  rien  dire, 
si  non  que  l'un  doit  être  placé  avant  et  l'autre  après 
l'année  36.  Nous  sommes  aussi  incertains  pour  les  cha- 
pitres XIII,  XIV,  et  quelques  autres.  Nous  pouvons  af- 
firmer que  le  chapitre  xvi  appartient  à  une  période  an- 
térieure au  moins  de  six  années  à  la  quatrième  époque 
ou  à  l'an  60.  Car  un  an  et  demi  de  séjour  à  Corinthe, 
trois  années  à  Ephèse ,  et  le  temps  employé  à  faire  di- 
vers voyages,  peut  facilement  être  renfermé  dans  un  in- 
tervalle plus  court  que  celui  de  six  années.  La  date  la 
plus  tardive  que  l'on  puisse  assigner  au  chapitre  xvi, 
est  l'année  54,  et  il  ne  serait  pas  impossible  qu'une  date 
moins  éloignée  encore  se  rapprochât  de  la  vérité  (1) .  » 

Michaëlis  ,  comme  on  vient  de  le  voir,  ne  sait  pas 
comment  plajer  certains  événemens  contenus  dans  le 
livre  des  Actes,  et  il  regarde  comme  ayant  été  sans  suc- 
cès les  tentatives  faites  pour  les  classer  comme  il  faut 
par  les  chronologistes  les  yjlus  habiles.  Depuis  que  ce 
savant  critique  a  émis  cette  opinion,  de  nouveaux  essais 
ont  été  proposés  ,  entre  autres  celui  de  Hug,  que  nous 
soumettons  au  jugement  de  nos  lecteurs.  Voici  comment 
il  a  été  analysé  par  J.  E.  Cellérier. 

(1)  J.  D.  Michaëlis,  IiUrod.  au  JY.   T.  tome   m,  pa^j.  419-42?. 


500  DE   LA  CHRONOLOGIE 

ARTICLE   II. 

De  la  chronologie  des  Actes  des  Apôtres  d'après  Hug. 

Dans  la  seconde  édition  de  son  Introduction  aux  li- 
vres du  Nouveau-Testament,  Hug,  comme  il  le  dit  lui- 
même,  a  corrigé  quelques  inexactitudes  qu'il  avait  com- 
mises dans  la  première,  en  traitant  de  la  chronologie  du 
livre  des  Actes.  Ce  savant  critique  fait  remarquer  qu'il 
a  eu  sous  les  yeux  dans  son  nouveau  travail  ce  qu'ont 
écrit  sur  cette  matière  Yogel,  Glaber,  Sûskind,  Kuinoel 
et  Bertholdt,  mais  qu'il  s'est  écarté  plus  d'une  fois  de 
leurs  sentimens.  Voici  comment  il  expose  le  sien  (1). 

Une  date  qui  offre  une  grande  importance  pour  la 
partie  chronologique  des  Actes  des  Apôtres ,  est  celle 
que  nous  trouvons  aux  chapitres  xi,  28  —  xii ,  25  de 
ce  même  livre.  Agabus  prédit  à  Antiocheune  famine  qui 
doit  bientôt  se  faire  sentir  ;  c'est  pourquoi  les  fidèles 
font  une  collecte,  et  envoient  Barnabas  ei  Saul  la  por- 
ter à  Jérusalem.  A  cette  occasion,  saint  Luc  raconte  ce 
qui  s'y  passait  (xii,  1)  ;  la  mort  de  saint  Jacques,  la  pri- 
son et  la  délivrance  miraculeuse  de  saint  Pierre,  la  fin 
tragique  d'Hérode  Agrippa.  Puis,  continue  l'historien 
sacré,  xii,  25  :  Barnabe  et  Saul  s' étant  acquittés  de  leur 
ministère,  ils  revinrent  de  Jérusalem  (à  Antioche).  La 
forme  de  ce  récit,  la  manière  dont  saint  Luc  le  commence 
(xii,  1)  et  le  termine,  prouvent  que  tous  ces  événemens 

(l)Hug,  Einltitancj  in  dieScJiriflen  des  Neucn  Tesiamenls.  Th.  ir, 
*5'e//.  271  //".—Tout  en  eniprunlanl  le  fond  de  ccl  article  à  l'analyse  de 
M.  Ccllcrier,  nous  ne  nous  engageons  pas  pouilant  à  la  copier  par- 
tout mol  pour  mot. 


DES  ACTES  DES  APOinES.  501 

eurent  lieu  avant  le  retour  des  deux  apôtres  à  Antio- 
clie.  Il  n'y  a  rien  là  que  de  très-vraisemblable  ;  Hérode 
mourut  à Césarée,  où  il  était  allé  [i)  immédiatement  après 
la  fête.  Les  envoyés  d'Antioche  purent  très-bien  ne  re- 
partir qu'après  lui,  et  même  après  sa  mort  ;  rien  ne  les 
rappelait  en  hâte  chez  eux,  où  ils  n'étaient  point  abso- 
lument nécessaires  à  l'œuvre'du  Seigneur*(Act.  xii,  2). 
Que  l'on  suppose,  si  l'on  veut,  qu'Agrippa  n'est  mort 
que  quelques  mois  après ,  et  que  saint  Luc  n'en  parle 
ici  que  pour  compléter  ce  qui  se  rapporte  à  ce  prince, 
toujours  l'année  de  sa  fin  sera-t-elle  la  même  que  celle 
de  la  députation  d'Antioche  à  Jérusalem.  Or  cette  an- 
née se  trouve  déterminée  très-exactement  par  l'histo- 
rien Joseph  (2).  Agrippa  avait  régné  quatre  ans  sous 
Caligula,  et  trois  accomplis  sous  Claude  {rphov  hoç  non 
TTHTr/opwro).  Les  envoyés  d'Antioche  étaient  venus  à  Jé- 
rusalem à  la  fête  de  Pâques,  et  c'est  après  cette  fête  que 
Pierre  devait  être  mis  à  mort  (Act.  xir,  3,4).  C'est  donc 
après  Pâques,  et  peu  de  mois  après,  au  plus  tard,  qu'A- 
grippa mourut.  Claude  avait  obtenu  l'empire  au  mois 
de  janvier,  et  sa  troisième  année  était  accomplie  quand 
Agrippa  finit  ses  jours.  La  Pâque  dont  nous  nous  oc- 
cupons ne  fut  donc  pas  celle  de  la  troisième  année  de 
Claude,  mais  de  la  quatrième.  Nous  voilà  arrivés  à  une 
date  précise.  Le  troisième  mois  de  la  quatrième  année 
du  règne  de  Claude,  à  la  fête  de  Pâque,  Barnabe  et  Saul 
portèrent  à  Jérusalem  la  collecte  des  fidèles  d'Antio- 
che, et  un  peu  après  mourut  Agrippa. 

Après  la  mort  de  ce  prince  arriva  la  famine  prédite 
par  Agabus;  elle  eut  lieu  sous  Cuspius  Fadus  et  Tibère 

(1)  Act.  XII,  9.  Joseph,  ytnliq.  l.  xix,  c.vii,  n.3. 

(2)  Joseph,  Antiq.  l.  xix,  c.  viii,  n.  'i,elBelt.JncL  l.  u,c.  xi,  n.  6. 


502  DE   LA  CHRONOLOGIE 

Alexandre,  successivement  chargés  par  les  Romains  de 
la  tutelle  du  jeune  Agrippa  (1). 

Le  fait  dont  nous  venons  de  déterminer  l'époque  a 
donné  lieu  à  une  méprise  grave,  qui  a  fort  embarrassé 
la  chronologie  des  Actes.  Dans  son  Épître  aux  Galates 
(II,  1),  saint  Paul  dit  :  Quatorze  ans  après  je  retournai 
à  Jérusalem.  Plusieurs  critiques,  et  Hug  lui-même,  dans 
sa  première  édition  ,  avait  entendu  ce  retour  à  Jérusa- 
lem du  voyage  dont  nous  venons  de  parler  ;  dans  la  se- 
conde, il  reconnaît  qu'il  s'est  trompé,  et  il  combat  son 
erreur.  Le  voyage  de  quatorze  ans  après,  est  celui  qu'il 
fit  pour  se  rendre  au  concile  de  Jérusalem,  Act.  xv,  1-4. 
En  effet ,  lors  de  la  famine  ,  Paul  n'était  pas  encore 
connu  dans  la  société  chrétienne  depuis  un  temps  si  long 
(Act.  XI ,  22-26  ;  compar.  Galat.  i,  21-24).  Il  est  clair 
que  lors  de  l'envoi  de  la  collecte  faite  à  Antioche,  saint 
Paul  n'était  qu'un  simple  aide  de  Barnabe,  attaché  à 
cette  seule  église,  et  peu  connue  de  celle  de  Judée.  L'a- 
postolat ne  lui  fut  conféré  qu'après  son  retour  (Act.xiii, 
2) .  —  Dans  l'Épître  aux  Galates,  au  contraire  (ii,  2) ,  il 
est  déjà  apôtre,  et  apôtre  des  gentils,  comme  Pierre  est 
l'apôtre  de  la  circoncision ,  selon  qu'il  le  dit  lui-même 
(versets  7,8).  Jacques,  Céphas  et  Jean  conviennent  avec 
lui,  qu'eux  prêcheront  l'Evangile  aux  Juifs,  mais  Bar- 
nabe et  lui  aux  peuples  étrangers  (verset  9).  Or  cela 
n'a  pu  avoir  lieu  que  lorsque  Paul  fut  de  retour  de  son 
grand  voyage  parmi  les  païens  (  Act.  xiii ,  2-xv  ) ,  et 
lorsqu'il  fut  envoyé  pour  la  seconde  fois  avec  Barnabe 
d'Antioche  à  Jérusalem  (Act.  xvi ,  1-30).  C'est  là  le 

(1)  Joseph,  Àniiq.  l.  xx,  c.  v,  n.  2.  Compar.  avec  c.  ii.  n.  6,  et 
Antiq.  l.  m,  c.  xv,  ?i.  3. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  503 

voyage  qui  eut  lieu  quatorze  ans  après  celui  qu'il  fit  trois 
ans  «pressa  conversion  (Galat.  i,  18,  2k). —  Dans  l'É- 
pître  aux  Galates,  saint  Paul  ne  dit  pas  un  mot  du  voyage 
intermédiaire  dans  lequel  il  porta  le  fruit  des  charités 
recueillies  parmi  les  chrétiens  d'Antioche  (Act.  xi,  30). 
Il  faut  se  souvenir  en  effet  que  dans  cette  lettre  il  n'a 
pas  pour  but  de  faire  connaître  aux  Galates  l'histoire 
de  sa  vie,  mais  seulement  l'origine  et  l'autorité  de  son 
apostolat. 

Il  serait  assez  important  de  pouvoir  déterminer  la 
date  du  commencement  des  quatorze  ans  ou  du  premier 
voyage  de  Paul  à  Jérusalem.  Or, ce  voyage,  suivant  Hug, 
est  raconté  dans  l'Épître  aux  Galates  (i,  17,  8),  et  au  li- 
vre des  Actes  (ix ,  22-29).  On  lui  objectera  peut-être 
que  les  circonstances  indiquées  dans  ces  deux  passages 
sont  assez  diverses  pour  permettre  de  douter  qu'il  soit 
question  de  la  même  époque.  Mais  outre  que  ces  con- 
tradictions apparentes  peuvent  facilement  se  concilier, 
il  est  de  toute  évidence  que  dans  l'un  et  l'autre  récit  il 
s'agit  du  premier  voyage  de  saint  Paul  à  Jérusalem  après 
sa  conversion ,  et  par  conséquent  du  même.  —  L'exa- 
men du  passage  des  Actes,  comparé  avec  la  seconde 
Épître  aux  Corinthiens  (xi  ,  32,  33),  nous  montre  que 
dans  le  même  temps  il  y  avait  à  Damas  un  gouverneur  de 
la  part  du  roi  Arétas.  Quand  donc  ce  roi  a-t-il  possédé 
Damas?  Un  prince  arabe  de  ce  nom  en  était  maître  au 
temps  de  Pompée  ;  ce  n'est  pas  de  lui  qu'il  peut  être 
question.  Un  autre  Arétas  ,  également  roi  de  l'Arabie 
Pétrée,  occupa  momentanément  la  ville,  tout  au  plus  de- 
puis le  milieu  de  la  première  année  de  Caligula  jusqu'à 
la  fin  de  la  seconde  ;  c'est  ce  qui  résulte  d'une  discus- 
sion savante,  où  nous  ne  suivrons  pas  notre  auteur,  et 


604  DE   La  chronologie 

c'est  ce  qui  donne  la  date  que  nous  cherchons.  Supposons 
que  la  fuite  du  grand  apôtre  soit  arrivée  au  milieu  de 
ce  temps,  et  les  quatorze  ans  commenceront  à  la  seconde 
année  de  Caligula  ,  pour  se  terminer  à  la  douzième  de 
Claude.  La  conversion  de  saint  Paul,  antérieure  de  trois 
ans  au  premier  voyage  (Gai  i,  15-18),  se  trouvera  fixée 
au  milieu  de  la  vingt-unième  de  Tibère. 

A  la  fin  du  gouvernement  de  Félix  ,  nous  pourrons 
approcher  d'une  date  nouvelle.  C'est  sous  ce  magistrat 
que  Paul  est  arrêté  à  Jérusalem  et  mis  en  prison  à  Cé- 
sarée  (  Act.  xxi ,  27  ;  xxiii ,  2'+  ) .  De  là  on  l'envoya  à 
Rome,  quand  Félix  fut  remplacé  par  Festus  (  Act.  xxv, 
XXVI  ).  Mais  quelle  est  l'époque  précise  à  laquelle  ce 
changement  eut  lieu?  Voici  comment  notre  savant  cri- 
tique répond  à  cette  question.  L'historien  Joseph,  comme 
il  lo  dit  lui-même  au  commencement  de  sa  biographie, 
était  né  la  première  année  de  Caligula .  A  l'âge  de  vingt- 
six  ans  (1),  c'est-à-dire,  par  conséquent,  au  milieu  de 
la  neuvième  année  du  règne  de  Néron  ,  il  alla  à  Rome 
demander  la  liberté  de  quelques  prêtres  ses  amis  que 
Félix  y  avait  envoyés  pour  des  motifs  assez  légers.  Or, 
on  ne  peut  inférer  de  ce  passage  que  Félix  gouvernait 
encore  la  Judée  ;  il  est  fort  naturel ,  au  contraire,  d'en 
conclure  qu'il  ne  la  gouvernait  plus.  C'est  donc  avant 
la  neuvième  année  de  Néron  que  le  remplacement  de 
Félix  a  dû  avoir  lieu.  Un  autre  fait  nous  montre  qu'il 
faut  le  reporter  m.ême  avant  la  huitième,  puisque  Pallas 
perdit  la  vie  sous  le  huitième  consulat  de  cet  empe- 
reur (2)  ;  et  que  Pallas  en  avait  obtenu  la  grâce  de  Félix, 

(1)  Vila  Josepin,  §  3,  et  cdit.  Basil,  paa.  62G. 

(2)  Tacit.  Awwl.  l.  xiv,  snb  fni.  î)io  Ca??.  /.  i-Xii,  par,,  706.707. 
Jo?('p1i,  Anliq.  l.  XX,  c.  Yiii,  n.  9. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  505 

à  l'époque  où  celui-ci  perdit  sa  place  et  fut  sur  le  point 
d'être  condamné  à  mort.  D'après  ces  données,  Hug  tire 
cette  conséquence  que  le  remplacement  de  Félix  doit  être 
fixé  à  la  septième  année  de  Néron,  ou  à  la  soixante-troi- 
sième de  notre  ère.  Mais  il  faut  bien  se  rappeler  ce  que 
nous  avons  déjà  dit  plus  haut  (page  k2o)  en  parlant  de 
l'époque  à  laquelle  fut  composé  le  livre  des  Actes,  sa- 
voir que  Hug  ne  présente  son  opinion  que  comme  une' 
conjecture  probable,  et  qu'il  reconnaît  en  même  temps 
que  son  calcul  souffre  des  difficultés  (1). 

Examinons  maintenant  ce  qui  se  passa  entre  le  con- 
cile de  Jérusalem  et  l'emprisonnement  de  saint  Paul 
(Act.  XV,  35).  Paul  et  Barnabe,  de  retour  à  Antioche,  y 
reprennent  les  fonctions  de  leur  ministère  évangélique. 
Pierre  arrive  à  Antioche  (Galat.  ii,  11).  Quelque  temps 
après ,  Paul  et  Barnabe  parlent  d'un  nouveau  voyage 
(Act.  XV,  33,  36).  Barnabe  part  avec  Marc,  et  ensuite 
Paul  avec  Silas.  Ce  dernier  départ  ne  doit  avoir  eu  lieu 
que  quelques  mois  après  le  retour  de  Jérusalem  ,  vrai- 
semblablement à  la  fin  de  l'hiver.  Paul  fait  en  Asie  et  en 
Europe  un  grand  voyage  (Act.  xv,  40  — xviii,  1),  qui 
doit  avoir  été  terminé  en  automne.  L'Apôtre  arrive  à 
Corinthe ,  et  y  séjourne  dix-huit  mois  (xviii ,  11)  ;  il 
s'embarque  pour  l'Asie,  à  ce  qu'il  paraît,  au  commence- 
ment du  printemps  ;  il  arrive  à  Éphèse  (versets  18, 19)  ; 
il  va  célébrer  à  Jérusalem  une  fête  (versets  21,  22),  qui 
ne  peut  être  la  Pâque,  puisqu'il  n'aurait  pu  à  la  fin  de 
mars  avoir  déjà  fait  le  trajet  d'Achaïe  en  Palestine.  Après 
cela,  il  fait  quelque  séjour  (xpôvov  rtvà)  à  Antioche;  il 
parcourt  la  Galatie  et  la  Phrygie  (verset  23),  et  revient 

(l)Hug,  Einleilung.  Th.  ii,  SeU.  280,  281. 

V.  22 


506  DE   LA   CHRONOLOGIE 

à  Éphèse,  après  avoir,  à  ce  que  pense  Hug,  passé  l'hi- 
ver à  Nicopolis  sur  l'Issus  ;  conjecture  qui,  selon  M.  Cel- 
lérier,  paraît  peu  fondée,  puisqu'elle  ne  repose  que  sur 
une  hypothèse  particulière  sur  l'époque  où  saint  Paul 
écrivit  sa  lettre  à  Tite.  A  Éphèse,  le  grand  Apôtre  en- 
seigne la  religion  chrétienne  pendant  trois  mois  dans 
la  synagogue  ,  et  pendant  deux  ans  dans  l'école  d'un 
certain  Tyrannus  (Act.  xix,  8-10).  Il  voulait  y  demeu- 
rer jusqu'à  la  Pentecôte  (l  Cor.xvi,  8);  mais  des  trou- 
'  blés  qui  s'élevèrent  au  sujet  de  ses  prédications  l'obli- 
gèrent à  partir  auparavant  (Act.  xix  ,  21  —  xx,  2  ).  Il 
se  rend  en  Macédoine  ,  où  il  annonce  la  parole  divine  ; 
puis  il  passe  en  Grèce,  y  séjourne  trois  mois  ;  il  retourne 
à  Pâques  en  Asie  (versets  3,  6) ,  et  arrive  à  Jérusalem  à 
la  Pentecôte  (verset  16),  un  peu  plus  d'un  an  après  être 
parti  d'Éphèse,  qu'il  avait  quittée,  comme  nous  l'avons 
vu,  avant  la  Pentecôte  de  l'année  précédente.  Tout  cela 
nous  donne  un  espace  de  sept  ans,  dont  le  calcul,  sans 
être  précisément  démontré  dans  toutes  ses  parties,  pa- 
raît cependant  assez  probable,  et  se  trouve  de  plus  com- 
plètement en  rapport  avec  la  date  que  nous  avons  trou- 
vée plus  haut ,  par  approximation  ,  pour  le  remplace- 
ment de  Félix  dans  le  gouvernement  de  la  Judée.  En 
effet,  les  sept  ans  que  nous  disons  s'être  écoulés  jusqu'au 
cinquième  voyage  du  grand  Apôtre  à  Jérusalem,  finis- 
sent à  la  cinquième  année  de  Néron .  Paul  fut  mis  en  pri- 
son presque  en  arrivant  à  Jérusalem  (xxi,  17  — xxiii, 
35),  où  il  resta  deux  ans,  après  lesquels  il  fut  envoyé  à 
Rome  à  l'arrivée  de  Festus. 

L'Apôtre  partit  pour  Rome  assez  tard  dans  l'année  , 
et  après  le  jeûne  des  expiations  (Act.  xxvii,  9).  Il  passa 
trois  mois  d'hiver  à  Malte  (Act.  xxviii,  11)  ;  il  en  re- 


DES  ACTF.S  DES  APOTRES.  i07 

partit  au  mois  de  mars,  et  arriva  à  Rome  au  printemps 
de  la  huitième  année  de  Néron.  Il  y  fut  retenu  deux  ans, 
et  on  le  mit  en  liberté  au  printemps  de  la  dixième  an- 
née de  cet  empereur,  quelques  mois  avant  ses  horribles 
persécutions  contre  les  chrétiens. 

On  peut  s'étonner  à  bon  droit,  dit  M.  Cellérier,  que 
Hug  n'ait  point  profité  de  cette  dernière  circonstance 
pour  confirmer  les  calculs  approximatifs  qu'il  a  faits  plus 
haut  sur  l'année  du  remplacement  de  Félix,  et  pour  sup- 
pléer à  l'incertitude  dont  leurs  élémens  étaient  encoreu» 
affectés . 

Nous  avons  pu  voir  que  Festus  n'avait  pu  remplacer 
Félix  avant  la  septième  année  de  Néron ,  puisque  sans 
cela  le  temps  manquerait  nécessairement  pour  les  voya- 
ges et  les  séjours  intermédiaires  de  l'Apôtre .  Nous  voyons 
maintenant  qu'il  n'a  pu  le  remplacer  plus  tard,  puisque, 
dans  ce  cas ,  saint  Paul  aurait  paru  devant  le  tribunal 
de  César  pendant  ou  après  la  grande  persécution ,  et 
qu'alors  l'Apôtre  des  gentils,  chef  des  chrétiens  de  Rome, 
n'eût  certainement  pas  été  libéré.  Ce  rapprochement 
nous  donne  donc  l'année  exacte  que  nous  cherchons  ;  et 
la  comparaison  de  l'année  où  Paul  fut  arrêté,  du  temps 
de  son  emprisonnement,  et  de  l'époque  de  son  départ 
pour  Rome  (Act.  xvii,9),  nous  présente  la  saison  de 
l'année  où  arriva  Festus,  c'est-à-dire  l'été. 

A  cette  analyse  de  la  chronologie  des  Actes,  ajoutons 
quelques  mots  pour  la  mettre  en  rapport  avec  l'ère  chré- 
tienne. 

Jésus-Christ  fut  baptisé  à  l'âge  de  trente  ans  (Luc. 
III,  23),  et  la  quinzième  année  de  Tibère,  environ  deux 
mois  avant  Pâques;  c'est-à-dire  au  mois  de  février.  Au- 


508  DE   LA  CHRONOLOGIE 

guste  étant  mort  le  19  août  (  1) ,  le  Sauveur  dut  commencer 
son  divin  ministère  au  milieu  de  l'année  quinzième  de 
Tibère.  Tibère  mourut  le  16  mars  de  la  vingt-troisième 
année  de  son  règne  (2),  environ  un  mois  après  le  commen- 
cement de  la  trente-huitième  année  de  Jésus-Christ, 
puisque  celle-ci  commençait  au  mois  de  février.  Cette 
trente-huitième  année  répond  ainsi  presque  entièrement 
à  la  première  de  Caligula.  Celui-ci  ne  vit  pas  la  fin  de  sa 
quatrième  année  :  monté  sur  le  trône  au  mois  de  mars, 
il  mourut  le  24-  janvier  (3) ,  presque  à  la  fin  de  la  qua- 
rante et  unième  année  de  Jésus-Christ.  Claude  régna 
treize  annéespleines,  et  mourut  au  milieu  d'octobre  de  la 
quatorzième  année  de  son  règne (i),  ou  de  la  cinquante- 
cinquième  de  Jésus-Christ.  Alors  commencent  les  an- 
nées de  Néron  ,  qui  précèdent  constamment  les  années 
chrétiennes  de  trois  mois. 

Le  tableau  suivant  nous  offre  la  récapitulation  de 
toute  la  chronologie  des  Actes  telle  que  nous  venons  de 
l'exposer. 

(1)  Dio  Cass.  /.  LVi,  pag.  590.  —  Suétone  ne  dit  pas  autrement 
{in  Aug.  cap.  c)  par  les  mots  :  Décima  quarla  Kal.  seplembr.\  car 
le  14  des  calendes  de  septembre  répond  au  19  août. 

(2)  Tacite  {Annal,  l.  vi,  c.  l)  ,  Suétone  {in  Tiber.  c.  Lxxin) ,  Eu- 
trope  (c.  xi)  s'accordent  à  dire  que  Tibère  mourut  le  17  des  calendes 
d'avril,  mais  Dion  Cassius  (/.  LViii  in  fin.)  en  disant  que  ce  fut  le  26 
de  mars  a  lu  le  7  des  calendes  au  lieu  du  17. 

(3)  Suet.  {in  Cai,  c.  lviii)  :  lYono  Kal.  fehr.  et  {cap.  lix)  :  7m- 
peravit  Iriennio,  et  deeem  mensibus,  diebus  oclo.  L'historien  Joseph 
(  De  Bell.  Jud.  l.  ii,  c.  xi)  a  probablement  pris  mensibus  octo  pour 
diebus  octo,  en  écrivant  fxvjvaç  oxtw. 

(4)    Suet.  {in  Claud.  c.  xlv)  :  excessit  III  Idus  ociobris.  Gompar. 
Tacit.  Annal.  L  vi,  c.  lxix.  Dion  Cass.  /.  lxi,  cap.penuU. 


DES  ACTES  DES  APOTRES.  509 

TABLEAU 

DE    LA   CHRONOLOGIE    DES   ACTES. 

ANNÉES  ANNÉES 

DES  CÉSARS.  DE    J.-C. 

TIBÈRE. 

XVIIP  Dans  la  seconde  partie  de  l'année, 
entre  Pâques  et  la  Pentecôte,  commen- 
cement du  livre  des  Actes  ;  il  répond 

à  la  première  de  la 3^4.» 

(Act.  i-viii). 
XXP  Au  milieu  de  l'année  arrive   la  con- 
version de  saint  Paul  (Act.  ix,  1-19) , 
qui  répond  au  commencement  de  la.  .     36^ 

XXIIP  Dernière  année  de  Tibère  ,  répond  à 

la  fin  de  la 37e 

CALÏGULA. 

P  Répond  à  peu  près  à  la 38^ 

IP  Saint  Paul  échappe  à  Damas  à  ses  en- 
nemis; il  fait  son  premier  voyage  à  Jé- 
rusalem après  sa  conversion  (Act.  ix, 

23^28).  .   .  •   • 39^ 

(Act.  IX,  31  —XI,  26.) 

CLAUDE. 

IV^  Au  commencement.  Second  voyage  de 
saint  Paul  à  Jérusalem  ;  il  est  envoyé 
pour  la  première  fois  par  l'église  d'An- 
tioche,  à  l'occasion  de  la  famine  (Act. 

XI,  27-30) 45^ 

Idem.  Délivrance  de  saint  Pierre;  mort  du 

roi  Hérode  Agrippa  (Act.  xii) 45* 

(Act.  xni,xiv.) 


610  DE    LA   CUUOXOLOGIE 

ANNÉES  AN?«ÉES 

DES  CÉSARS.  DE  J.-C. 

CLAUDE. 

XII*  Troisième  voyage  de  saint  Paul  à  Jé- 
rusalem. Il  est  envoyé  pour  la  seconde 
fois  par  l'église  d'Antioche.  Concile  de 

Jérusalem  (Act.  xv,  1-30) 53* 

(Act.xv,  30-39.) 
XIII*  Saint  Paul  part  avec  Silas  au  commen- 
cement de  l'année  et  à  la  fin  de  l'hi- 
ver ;  il  parcourt  l'Asie-Mineure  ;  il 
passe  en  Europe,  il  arrive  à  Corinthe 
en  automne  (Act.  xv,  40  —  xviii,  Ij.  54« 
XIV'  Saint  Paul  enseigne  à  Corinthe  (Act. 

XVIII,  2-18) 55' 

NÉRON. 

P  Saint  Paul  part  de  Corinthe  au  prin- 
temps; il  va  en  Asie;  il  fait  à  la  Pente- 
côte son  quatrième  voyagea  Jérusalem  ; 
il  va  àAntioche  (Act.  XVIII,  18-22).  .  .     56* 

N.  B.  C'est  au  commencemeni  de  celle  année,  dans  le  voyage  en  Ga- 
latie  (Act.  xviii,  23  ;  xix,  1),  que  Hitg  place  l'hiver  qu'il  veut  que 
Paul  ait  passé  àNicopolis. 

IIP  Saint  Paul  enseigne  la  religion  chré- 
tienne à  Ephèse 58' 

IV'  Saint  Paul  à  Éphèse.  Il  quitte  cette  ville 
avant  la  Pentecôte,  et  s'embarque  pour 
la  Macédoine  (Act.  xix,  23  —  xxi,  1).     59' 
(Act.  XX,  2—  XXI,  16). 
V  Saint  Paul  va  passer  la  fête  de  la  Pen- 
tecôte à  Jérusalem  ,  et  est  emprisonné 

(Act.  XXI,  17  —  XXIV,  25) 60' 

(Act.  XXIV,  26,  27.) 


DES    ACTES    DES   APOTRES.  âll 

AN-NÉES  ANNÉES 

DES    CÉSARS.  DE   J.-C. 

VIP  Saint  Paul  est  prisonnier  à  Césarée;  il 
est  envoyé  à  Rome  par  Festus ,  en  au- 
tomne (Act.xxv  —  XXVII,  9) 62^ 

(Act.  XXVII,  10  —  XXVIII,  15). 
VHP  Saint  Paul  arrive  à  Rome  au  printemps, 

et  y  reste  prisonnier  (Act.  xxviii,  16).     63^ 
(Act.  xxviii,  17-31.) 
X*  Saint  Paul  est  mis  en  liberté  au  prin- 
temps      C5'' 


FIN    DU    TOME    CINQUIEME. 


TABLE.  Ô13 


TABLE 


QUATRIEME  SECTION.   Introduction  particulière  aux  li- 
vres SAPIENTIAUX 1 

CHAP.  I.  Du  livre  des  Psaumes Ib. 

Art.  I.  Des  titres  des  Psaumes 5 

Art.  h.  Du  sujet  et  de  la  division  des  Psaumes 10 

Art.  m.  De  Tauteur  des  Psaumes 12 

Art.  IV.  De  la  divinité  du  livre  des  Psaumes 16 

Art.  V.  Du  caractère  poétique  des  Psaumes 27 

Art.  VI.  Des  commentaires  du  livre  des  Psaumes 28 

§  1.  Des  commentateurs  catholiques 29 

§  11.  Des  commentateurs  protestans  et  juifs 35 

CHAP.  II.  Du  livre  des  Proverbes 38 

Art.  1.  Du  sujet  et  de  l'auteur  du  livre  des  Proverbes Ib. 

Art.  II.  De  la  divinité  du  livre  des  Proverbes 42 

Art.  III.  De  l'élocution  du  livre  des  Proverbes 45 

Art.  IV.  Des  commentaires  du  livre  des  Proverbes 47 

CHAP.  III.  Du  livre  de  l'Ecclésiaste 50 

Art.  I.  Du  sujet,  du  but  et  de  la  divinité  de  l'Ecclésiaste. ...  Ib. 

Art.  h.  De  l'auteur  du  livre  de  TEcclesiaste 5'i 

Art.  III.  De  l'éloculion  du  livre  de  TEcclésiaste 59 

Art.  IV.  Des  commentaires  du  livre  de  l'Ecclésiaste 60 

CHAP.  IV.  Du  Cantique  des  cantiques 64 

Art,  I.  Du    sujet,   du  plan  et  de  l'objet  du  Cantique  des    can- 
tiques    Ib. 

Art.  II.  De  l'auteur  du  Chimique  des   cantiques 73 

Art.  m.  De  la  divinité  du  Cantique  des   cantiques 75 

Art.  IV.  De  la   forme   et  de  l'élocution  du  Cantique  des  canti- 
ques   7  7 

Art.  V.  Des  commentaires  du  Cantique  des    cantiques 79 

CHAP.  V.  Du  livre  de  la  Sagesse. 84 

Art.  I.  Du  texte  original  et  des  versions  du  livre  de  la  Sagesse.  Ib. 

Art.  11,  Du  sujet  et  de  l'auteur  du  livre  de  la  Sagesse. 87 

Art.  m.  De  la  divinité  et  de  la  canonicité  du  livre  de  la  Sagesse.  93 

Art.  IV.  De  l'élocution  et  des  beautés  littéraires  de  la  Sagesse.  97 

Art.  V.  Des  commentaires  du  livre  de  la  Sagesse ....  98 

CHAP.  VI.  Du  livre  de  l'Ecclésiastique 100 


614  TABLE. 

Art.  I.  Du  texte  original  et  des  versions  de  l'Ecclésiastique. . .    101 

Art.  II.  Du  sujet,  de  Fauteur  et  de  la  divinité  de  l'Ecclésias- 
tique     104 

Art.  III.  De  Téloculion  et  des  Ijeautés  littéraires  de  l'Ecclésias- 
tique     107 

Art.  IV.  Des  commentaires  du  livre  de  l'Ecclésiastique 108 

CINQUIÈME  SECTION.  Introduction  particulière  aux  Évan- 
giles     110 

CHAP.  I.  De  l'Évangile  de  saint  Matthieu Ib. 

Art.  I.  Du  texte  original  et  du  slyle  de  l'Évangile  de  saint  Mat- 
thieu     112 

Art.  II.  Du  temps  et  du  lieu  oii  fut  composé  TEvangile  de  saint 
Matthieu 127 

Art.  m.  Du  but  et  du  plan  de  l'Évangile  de  saint  Matthieu. ...    130 

CHAP.  II.  De  l'Évangile  de  saint  Marc 133 

Art.  I.  Du  texte   original  et  du  style    de  l'Évangile  de   saint 

Marc 135 

Art.  II.  Du  temps  et  du  lieu  où  fut  composé  l'Évangile  de  saint 

Marc 139 

Art.  III.  Du  but  et  du  plan  de  l'Évangile  de  saint  Marc 143 

CHAP.  ni.  De  l'Évangile  de  saint  Luc 147 

Art.  I.  Du  texte  original  et  du  style  de  l'Évangile  de  saint  Luc.  149 
Art.  II.  Du  temps  et  du  lieu  où  fut  composé  l'Evangile  de  saint 

Luc Ib. 

Art.  III.  Du  but  et  du  plan  de  l'Évangile  de  saint  Luc 152 

CHAP.  IV.  De  l'Évangile  de  saint  Jean 1 66 

Art.  I.  Du  texte  original  et  du  style  de  l'Évangile  de  saint  Jean.  168 
Art.  II.  Du  temps  et  du  lieu  où  fut  composé  l'Évangile  de  saint 

Jean 161 

Art.  m.  Du  but  et  du  plan  de  l'Évangile  de  saint  Jean 163 

CHAP.  V.  De  l'authenticité  des  Évangiles 167 

CHAP.  VI.  De  l'intégrité  des  Évangiles 260 

CHAP.  Vir.  De  la  véracité  des  Évangiles 286 

CHAP.  VIII.  De  la  divinité  des  Évangiles 316 

CHAP.  IX.  De  l'éiocuiion  et  des  beautés  littéraires  des  Évan- 
giles      323 

CHAP.  X.  De  la  méthode  à  suivre  dans  l'explication  des  Évan- 
giles ,  et  des  Concordes 327 

CHAP.  XI.  Des  commentaires  des  Évangiles 344 

Art.  I.  Des  commentateurs  catholiques 346 

Art.  II.  Des  commenlalcurs  protestans 36 1 


TABLE.  515 

SIXIÈME  SECTION.   Introduction   particulière   aux  Actes 
DES  Apôtres 365 

CHAP.  I.  Du  sujet  et  du  but  des  Actes  des  Apôtres 366 

CHAP.  II.  De  l'aulhenticité  des  Actes  des  Apôtres 379 

CHAP.  m.  Du  temps,  du  lieu  et  de  la  langue  dans  laquelle  furent 
composés  les  Actes  des  Apôtres 423 

CHAP.  IV.  De  la  divinité  des  Actes  des  Apôtres 427 

CHAP.  V.  De  l'élocution  et  des  beautés  littéraires  des  Actes  des 
Apôtres 438 

CHAP.  VI.  Des  commentaires  des  Actes  des  Apôtres. .......   4.S'2 

Art.  I.  Des  comnientaleurs  catholiques Ib. 

Art.  II.  Des  commentateurs  protestans 4,^7 

APPENDICE  A  LA  CINQUIÈME  SECTION.  Des  prétendues 

CONTRADICTIONS    DES    ÉVANGÉLiSTES 460 

APPENDICE  A  LA  SIXIÈME  SECTION.  Delà  cnRONOLOGiE 
DES  Actes  des  Apôtres 406 

Art.  I.  De  la  clironologiedes  Actesdes  Apôtres  d'après  Michaëlis.  Jb. 
Art.  II.  De  la  chronologie  des  Actes  des  Apôtres  d'après  Hug. . .    600 


FIN    DE    LA    table    DU     TOME    CINQUIEME. 


i 

I 


f 


BS  475  .G53  1839  v.5  SMC 
Glaire,  J .  B . 

Introduction  historique  et 
critique  aux  livres  de  l'Ane 
47232718 


v^-'-M 


.^^m-^ 


i-^ 


^.^^-m. 


^^^ 


^¥'^ 


,^m  .M^i'^^é.' 


um^v^j^fxké 


Mr^*